LA RENAISSANCE ET LES RHÉTOÉMUEURS J||g NÉERLANDAIS ';:' MATTHIEU DE CASTELEYN ANNA BIJNS- - LUC DE HEERE TH$SE POUR LE DOCTORAT D'UNIVERSITÉ PRESENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS S- ERINGA PROFESSEUR DE LANGUE ET DE UTTÉRATURE FRANgAISES A ROTTERDAM AMSTERDAM - SOCIÉTÉ D'IMPRIMERBE „HOLLAND" - 1920 LA RENAISSANCE ET LES RHÉTORIQUEURS NÉERLANDAIS LA RENAISSANCE ET LES RHÉTORIQUEURS NÉERLANDAIS MATTHIEU DE CASTELEYN ANNA BIJNS 'L LUC DE HEERE THESE POUR LE DOCTORAT D'UNIVERSITÉ PRÉSENTÉE A LA FACULTÉ DES LETTRES DE L'UNIVERSITÉ DE PARIS PAR S. ERINGA PROFESSEUR DE LANGUE ET DE LITTERATURE FRANCAISES A ROTTERDAM AMSTERDAM - SOCIÉTÉ D' IMPRIMERIE „HOLLAND" - 1920 A M. J.-J. SALVERDA DE GRAVE PROFESSEUR A LA FACULTÉ DES LETTRES DE L'UNIVERSITÉ MUNICIPALE D'AMSTERDAM HOMMAGE DE RECONNAISSANCE I AVANT-PROPOS Le voyageur qui rentre après de longues pérégrinations aime a se reposer dans sa maison ; il rend graces a Dieu de 1'avoir secouru et protégé, il se rappelle avec joie les amis qu'il avait quittés; è son bonheur se mêle le regret des beaux pays parcourus, et le doux souvenir de ceux qui lui ont accordé 1'hospitalité. C'est ainsi que, arrivé au terme de ma course, je songe a ceux qui, les premiers, m'ont guidé sur le chemin de la philologie francaise et j'éprouve a leur égard des sentiments de reconnaissance et d'amitié respectueuse. Qu'il me soit permis de remercier tout spécialement M. Salverda de Grave de ce qu'il a voulu faire pour me guider dans mes études, des conseils délicats qu'il m'a donnés concernant le choix de mon sujet et la méthode a y appliquer. Puis c'est a MM. Chamard et Pernot que s'adressent les témoignages de ma sincère reconnaissance pour 1'intérêt qu'ils ont bien voulu témoigner a mon travail. Ce m'a été un vif plaisir d'avoir pu le soumettre a leur critique éclairée. Leur collaboration a cette thèse est pour moi un honheur auquel je suis particulièrement sensible. Ce m'est un devoir agréable de remercier MM. Kalff et Muller, professeurs de langue et de littérature néerlandaises è l'Université de Leyde, des renseignements qu'ils ont eu la bonté de me fournir, et MM. les bibliothécaires de la Bibliothèque Royale de La Haye, du Cabinet de Lecture et de la Bibliothèque Municipale de Rotterdam, de la facon obligeante dont its bien voulu répondre a toutes mes demandes. L'étude qui va suivre est consacrée pour une grande partie aux rapports littéraires entre la France et les Pays-Bas au milieu du seizième siècle, — rapports qui ont été tout a 1'avantage de la littérature de mon pays. i/époque que j'ai choisie commence lorsqu'Érasme a déja publié ses ceuvres magistrales, elle s'arrête è Jean van der Noot, le premier vrai poète de la Renaissance qui écrive VIII w en néerlandais. M. A. Vermeylen a traité d'une facon tout a fait supérieure la vie et les ceuvres de ce dernier auteur, dont M. Albert Verwey a mis en lumière la valeur artistique. Après les savantes études de MM. Te Winkel, Kalft Worp, et d'autres, sur les prédécesseurs de Jean van der Noot, il restait encore a glaner. J'ai dü restreindre le domaine de mes recherches, qui se rapportent exclusivement a la poésie lyrique de 1'époque, représentée par les trois Rhétoriqueurs qui ont contribué le plus a son évolution: Matthieu de Casteleyn, Anna Bijas et Luc de Heere. PREMIÈRE PARTIE L'humanisme et la poésie lyrique néerlandaise 1). I Erasme et 1'étude de la littérature ancienne. — La poésie néo-latine. — Le théatre de la Renaissance. — Traductions. — Obstacles qui s'opposent a la popularisation de 1 art classique. Depuis que, au commencement du seizième siècle, le brillant génie d'Erasme s'était levé sur les Pays-Bas et avait répandu sa clarté sur toute 1'Europe occidentale, la Renaissance faisait des progrès continuels. L'influence du grand humaniste, grace a 1'imprimerie nouvellement inventée, se répandait sans cesse, les éditions de ses ceuvres se multipliaient, des milliers d'exemplaires de ses écrits se vendaient en France, en Flandre et en Hollande. L'Université de Louvain lui doit la gloire d'être devenue, a cette époque, le centre des études classiques oü hommes de lettres, médecins et avocats se faisaient initier a la sagesse des Anciens2). On s'adonnait avec passion a 1'étude de la littérature gréco-latine; on lisait, commentait, publiait Virgile, Ovide, Horace, Cicéron ; les Epigrammes de Martial, les Satires de Juvénal et de Perse, les tragédies de Sénèque devenaient la lecture favorite du public ') Cf. S. Eringa, Les premières manifestations de la Renaissance dans la poésie lyrique néerlandaise, (Neophilologus, Groningen, 4e Jaargang, pp. 97, 228). ) Cf. G. Kalff, Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde, Groningen, t. III (1907), pp. 5—7, 23; J. te Winkel, De Ontwikkelingsgang der Nederlandsche Letterkunde, Haarlem, 1908, I, pp. 274—275. — Sur Érasme, voir Levesque de Burigny, Histoire de la Die d'Érasme, 1757, 2 vol.; R. Blackley Drummond, Erasme, his life and character, London, 1873; G. Feugère, Erasme, Paris, 1874; Egerton, Erasmus, New-York and London, 1909; a consulter aussi la bibliographie de la Bibliotheca Belgica. — Sur 1'Université de Louvain, cf. F. Nève, Mémoire historique et littéraire sur le Collége des Trois Langues (Mémoires couronnés par l'Académie Royale de Belgique; t. XXVIII). 1 2 cultivé. On traduisait en latin des fragments d'Hésiode, de Sophocle, d'Euripide, de Démostbène, de Plutarque. Nombre d'éditions voient le jour chez le savant éditeur louvaniste Thierry Martens1), des érudits composent des dictionnaires et des grammaires pour 1'usage correct des deux langues. Les poètes imitent les modèles antiques, et la première m'oitié du siècle voit éclore toute une littérature néo-latine : Odes, Élégies, Satires, Épigrammes, •Êglogues, Êpitaphes et Cantilènes pullulent, la plupart de peu de valeur artistique, dénuées de toute originalité, et dont 1'idiome oü elles sont écrites fait la seule marqué de distinction2). La Renaissance favorise encore la coutume, déja existant au moyen Sge, de faire représenter des pièces de théatre par les écoliers. En effet, étudier et reproduire des pièces de Sénèque, de Plaute, de Térence, était un des meilleurs moyens de familiariser les élèves avec le latin. En 1508, les étudiants de Louvain jouent YAululaire de Plaute et son Soldat fanfaron, les écoliers de Haarlem donnent ï'Hécube d'Euripide, YAndrienne de Térence; ceux de Deventer YHercule furieux de Sénèque. Pour édifler un auditoire éclairé, des humanistes comme Macropedius et Gnaphëus écrivent en latin des moralités et des mystères; pour 1'amuser, on compose des farces dans la langue des savants3). Ces dernières pièces rendent parfois avec assez de bonheur la vie sociale de 1'époque; 1'observation directe des mceurs contemporaines leur donne une originalité qui fait défaut aux poèmes néo-latins calqués sur les modèles de 1'Antiquité. D'autres pièces de théatre, écrites en néerlandais, empruhtent leur sujet aux Anciens: la tendance morale, le souci d'interpréter les mythes du paganisme comme des symboles de la ') Cf. A.-F. van Iseghem, Biogvaphie de Thierry Martens, Alost, 1852. 2) Cf. Kalff, op. cit, pp. 78 sqq., 81 ; Te Winkel, op. cit., pp. 275—276. — II convient de faire une exception pour Jean Second. Sur ce poète, voir Joannis Secundi Opera, Parisiis, 1748 (ed. P. Scriverius, 1650), Janus Secundus, Basia, p.p. G. Ellinger, (Lateinische Litteraturdenkmaler des XV. und XVI. Jahrhunderts), Berlin, 1899; G. Kalff, Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde in de XlVe eeuw. Leiden, I, PP- 53 sqq.; J.-H. Scheltema, Het Boek der Kusjes van Janus Secundus, Leiden, 1902. Quant a Tinfluence de Jean Second sur les poètes. de la Plöade francaise, cf. H. Chamard, Joachim du Bellay, Lille, 1900, passim, et P. Laumonier, Ronsard poète lyrique, Paris, 1909, passim. 3) Cf. Kalff, op. cit, pp. 94, sqq.; Macropedius, Rebelles und Aluta, p.p. J. Bolte, Berlin, 1897; Gnaphëus, Acolastus, p.p. J. Bolte, Berlin, 1891; J.-A. Worp, Geschiedenis van het Drama en het Tooneel, Groningen, 1904—1908, I, pp. 193 sqq. 3 religion chrétienne, rappellent la poésie dramatique du moyen age, mais les dieux de 1'Olympe y conduisent 1'action et président a la destinée des mortels que 1'on voit flgurer a cöté d'eux. Lors mème que le sujet n'est pas classique, et que la pièce est la plus fidéle reproduction des moeurs du temps, on y retrouve les divi'nités de la Grèce et de Rome1). Une certaine union paraït donc s'établir graduellement entre le classicisme et 1'esprit national; et c'est la traduction qui va les rapprocher encore. En 1541, le conseil municipal d'Anvers charge un auteur inconnu de donner une version flamande de Tite-Live ; le Rhétoriqueur anversois Corneille van Ghistele traduit successivement les Hérotdes d'Ovide (1553), ÏÊnéide de Virgile (1554—1556), les comédies de Térence (1555), 1'Arr d'aimer d'Ovide (avant 1570), le premier livre des Satires d'Horace (1569). Guillaume Borluut, gentilhomme gantois, tache de donner en 1557 a ses compatriotes une idéé des Métamorphoses d'Ovide par une série de gravures sur bois élégamment encadrées et accompagnées de petit couplets de huit vers. Mais ces traducteurs, insuffisamment pénétrés de 1'esprit de 1'Antiquité, assimilent trop leurs originaux au milieu oü ils vivent eux-mêmes; puis, le besoin de moraliser continue de défigurer les ouvrages classiques. Van Ghistele, en traduisant les Métamorphoses, prêche la sainteté du mariage, la version des Hérotdes est destinée a faire fuir les séductions de Vénus; celle de YArs amatoria a été entreprise pour exterminer le vice impur d'un amour déshonnête \ Une quarantaine d'années s'étaient écoulées avant que 1'on songeat a populariser ainsi la littérature ancienne, a faire participer les ignorants a la sagesse des Grecs et des Romains. La Renaissance, a ses débuts, eut un caractère essentiellement aristocratique qui s'opposait a cette tendance généreuse d'accorder au grand public les privilèges réservés aux seuls hommes de lettres. Cultivé aux Universités, aux cours des princes et dans les palais des riches négociants, eet art nouveau dédaignait de se servir de la langue du vulgaire, ses adeptes se détournaient orgueilleusement de la littérature du pays et, rivalisant avec leurs confrères de nationa- 3) Cf. Kalff, op. cit., pp. 99 sqq. V Kalff, op. cit, pp. 87 sqq.; Id., Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde in de XVIe eeuw, t. I, pp. 40 sqq.; II, pp. 179—185. 4 lités diverses, aspiraient a acquérir une réputation europécnne en écrivant en grec ou en latin. Le vers d'Horace: Odi profanum vulgus et arceo, était répété par eux sur tous les tons et avec toutes les variantes possiblesx). D'autre part, le clergé, imprégné de 1'esprif monastique du moyen age, les bons catholiques, qui avaient appris a fuir les tentatiöns du monde, a mépriser les formes passagères de la vie terrestre, 'restaient peu accessibles a la beauté plastique, résistaient aux séductions de eet art païen et de cette science Aux joues blanches comme neige, — A la bouche vermeille, aux prunelles brunes. (g) Marguerite, tu es si vive et si fiere, — Tu as deux yeux' bruns que je regarde avec plaisir. 2 ( 18 Mijn lieveken heeft twee borstkens ront Veel witter dan die snee l)... (a). Ic bemin so seer, dat alder liefste greyn Haer handekens teer, haer vingerkens cleyn2) (b). La Chanson XXXVI de YAntwerpsch Liedeboek renfermedéja des détails plus nombreux. Les charmes de la bien-aimée, „een Venus dierken", y surpassent ceux de toutes les autres femmes: sa bouche souriante, sa gorge blanche, ses seins ronds et roses, ses cheveux d'or font la joie de 1'amant. Elle est douce et aimable, mais aussi pleine de dignité; sa démarche est fiére et majestueuse, et elle chante a ravir. Elle est belle comme une statue, c'est une vraie déesse aux yeux de celui qui la célèbre3). Jamais il n'oubliera la grace de son être, ni la fiére beauté de sa figure: Ic en can vergeten mijns liefs manieren Haer vriendelijc wesen, haer fier ghelaet. Crijghe ic geen troost door haer bestieren So wert mijn hérte heel desperaet (c). Mais c'est surtout la Chanson CIV qui annonce de loin les peintures riches et voluptueuses des poètes de la Renaissance. La jeune femme qu'on y décrit a la bouche, les yeux, la gorge, les seins, la chevelure comme les autres dont on nous fait le portrait. Mais ses dents sont blanches comme de 1'ivoire, ses lèvres sont de corail, son menton a des fossettes, elle a 1'air d'une déesse, et on dirait une statue d'albatre. On admire sa démarche noble et fiére, bien qu'elle se montre rarement aux yeux de ceux qui passent. Elle chante bien, joue a merveille de la harpe etduluth, et parle admirablement: Haer tonghe waer ic vruecht bi gewan Spreect woorden van Retorijcke (d). l) A. L., CLXV. s) A. L., CXVI; cf. aussi les Chansons XCVII1, Cl, CXIX. 3) Cf. A. L„ LXIV. (a) Ma bien-aimée a deux seins ronds, — Beaucoup plus blancs que neige. (b) J'aime tant la plus chère des amies, — Ses mains délicates, ses doigts petits. (c) Je ne puis oublier les [bonnes] manières de mon amie, — Son air plein de douceur, son fier visage. — Si par ses soins je ne suis pas consolé, — Mon coeur en sera au désespoir. (d) Sa langue, qui me donne de la joie, — Dit des paroles pleines de poésie. 19 II nest donc pas surprenant qu'elle excite les désirs de celui qui 1'aime et qu'il s'écrie: Mocht mi ghebueren een cussen vrij Van haer bloeyende wanghen Waer ghi zijt lief peyst om mi Als ic om dij Daer na staet mijn verlanghen (a). \ IV Matthieu de Casteleyn et les Diversche Liedekens. — Vénus, Cupidon, Fortune. — Beauté féminine. — Réminiscences classiques. Les Diversche Liedekens dé Matthieu de Casteleyn peuvent être considérés comme la continuation de VAntwerpsch Liedeboek. L'auteur de ce petit recueil, le plus célèbre Rhétoriqueur de son temps. naquit èn 1485 a Audenarde d'une familie bourgeoise, et c'est dans cette ville aussi qu'il fit ses études de théologie. II y habitait encore en 1530 en qualité de notaire apostolique et diacre de la paroisse de Pamel. II fut longtemps „facteur" de la Chambre Pax Vobis, et mourut en 1550 „ten grooten leetwesene van allen beminders der edeler conste van rethorijcken" (b), comme le disent les Registres de sa ville nataleJ). II nousreste de lui un recueil de ballades, Balladen van Doornijcke, une pièce de théatre, Pyramus en Thisbé, tous deux sans aucune valeur littéraire, — un Art de Rhétorique, Consr van Rhetoriken, achevé en 1548 et publié un an après sa mort, enfin une trentaine de Chansons assez mélodieuses, assez bien écrites, et qui ne sont pas la moindre partie de son oeuvre telle que nous la connaissons *). ') Cf. Kalff, Geschiedenis der Nederl. Letterk., III, p. 125; Belg. Museum, VII, 49; J. van Leeuwen, Matthijs de Castelein, these d'lttrecht, 1894. *) Diversche Liedekens II Ghecomponeert bij wijlent II Heer Matthijs de Casteleyn, II Priester ende excellent Poët.ll Tot Rotterdam,//Bij Jan van Waesberghe, dé //Jonghe. Anno 1616. — Sur la date de leur compositión, voir Kalff, Geschiedenis der Ned. Letterk. in de XVIe eeuw, I, p. 342, et la Blbliotheca Belgica. Cf. cidessus, p. 5. (a) Que je voudrais baiser librement — Sa joue neurie! — Ou que tu sois, mon amie, pense a moi, — Comme je pense a toi; — C'est la ce que je désire. (b) „Vivement regretté de tous ceux qui aiment le noble art de Rhétorique". 20 Dans ces .Liedekens, Vénus joue un röle analogue a celui qu'elle remplit dans 1'Anrtverpsc/i Liedeboek. Les amants se complaisent a ses jeuxx), elle allume dans les cceurs un feu ardent *); 1'amour est sa force et sa vertu: Nu merck ick wel in mijnen zin Dat Venus heeft veel krachten in Diet proeft en derfs niet veynsen ') (a). Les belles femmes sont ses nièces4), la bien-aimée s'appelle „de schoonst' ut Vrou Venus berch" 5), la plus belle de ses „Kamerieren" 6). „t hooft van Venus throone" *); elle égale même la déesse en beauté ®); Vénus lui a donné la noblesse qui la distingue, et la rigueur dont elle fait souffrir 1'amant: ■De schoon Vrou Venus die dij heeft ghemaect, Ende u dijn edel wesen gaf, Hoe lietse dij dus troosteloos gheraect? Naer dijn zuever jeucht ghij valt te straf) (b). Les amants sont les serviteurs de Vénus, „Venus knapen" 30), la flèche de la déesse les a percés : Sij klaghen tspeyr dat hen deurstack ") (c). Le poète lui rend gtóces d'avoir favorisé son amour: ») Ch. II. «) Ch. III, XXVI. *) Ch. XXVI; cf. les Ch. XX, XXIII. *) Ch. II. >) Ch. ra. . •) Ch. vra. 7) Ch. XXVIII. ») Ch. X, XXIX. 9) Ch. IV. 10) Ch. V. ") Ch. V; cf. la Ch. VIII. (a) Mon esprit me fait apercevoir — Que Vénus a beaucoup de vertus; — Qui 1'a éprouvé n'a pas besoin de le dissimuler. (b) La belle Dame Vénus, qui fa faite, — Ët qui te donna la noblesse de ton être, — Comment te laissa-t-elle insensible a la pttié ? — Ta pure jeunesse te rend trop rigoureuse. (c) lis se plaignent du trait qui les a percés. 21 Ick danck u Venus op dit pas Van deser nieuwer minne Dat sij, daer ick bemudst op was, Is worden mijn vriendinne') (a). Ou bien, il se plaint des douleurs qu'elle lui fait éprouver2), des larmes que lui coütent les feux de la blonde déesse : Ick schreye tranen vuile vloet Deur Venus gloet *)... (b). O Venus root van gouwe Solaes zonder ghelijcke: Brocht ghi) niet te versijcke Dij dienaers een groot deel, Ghi) waert een hemelrijcke Een kostelijck juweel: Ick klaeght d'bitter morseel Van uwen wreeden zin: Lustich is dijn prieel, Waerder gheen droef heyt in 4) (c). Le culte qu'il lui voue n'a d'ailleurs rien de platonique: Wij speelden met de schaecxkins En draeyden Venus wostkins (sic!) Sij kuste altoos mijn kaecxkins Ende ick taste haer schoon borstkins Noyt vriendelicker loftkins, Noyt amoureuser dach, Mij docht dat ick in roode rooskins lach') (d). ') Ch. XXV. =) Ch. XXI. 3) Ch. XXVI. *) Ch. XXVII: cf. les Ch. XI, XII. ').Ch. XI. (a) Je te remercie, Vénus, en ce moment, — De ce nouvel amour, — Puisque celle dont j'étais épris — Est devenue mon amie. (b) L'ardeur de Vénus — Me fait verser des larmes abondantes. (c) O Vénus aux cheveux d'or, — Consolatrice sans égale,'— Si tunecausais pas les angoisses — Les plus vives a tes serviteurs, — Tu serais un paradis, — Un bijou précieux. — Je me plains de la douleur amère — Que me cause ta cruauté. — Ton jardin serait un lieu de réjouissances, — N'était le chagrin qui s'y mêle. (d) Nous jouions aux échecs, — Nous faisions des saucisses a Vénus; — Elle me baisant toujours les joues, — Mol, lui tatant les jolis seins. — Jamais le ciel ne fut plus doux, — Jamais jour ne fut plus plein du bonheur d'aimer: — II me semblait que j'étais couché au milieu des roses rouges. 22 Quelquefois il manque décidément de respect envers la déesse, comme nous 1'avons déjè vu plus haut*); et il gourmande comme elle son nis Cupidon et Fortune: Cupidoes sweert Houdt sijn oud' costuyme *)... (a). Cupido snoot Mijn herte schoot Bijkans ter doot3)... (b). Fortune' viel ons stuer en wreet Twee Amoureusen doende leet Als sij dit last bebriefde *)... (c). Ick ben versteken Deur valsche treken Die mij helaes Fortune doet °) (d). Et ailleurs, avec moins de colère, mais avec plus de tristesse, il soupire: Wij drincken vreucht en droef heyt groot Bee ut Fortuynen schale Deur tswaer ghepeys van dit exploot Thert sterft al waert van stale6) (e). Le portrait de la femme aimée n'a guère subi de modifications chez De Casteleyn, si 1'on compare ses Chansons avec celles de •) Ch. XXII; cf. les Ch. I, VIII, XII, XXIII. *) Ch. XL •"') Ch. XXI. Dans la Chanson XIII, une amante délaissée s'écrie: Cupido fel onghier verwaten. Ick vloucke u van deser ruyse (f). Cf. aussi les Ch. IV, VIII, XXVI. <) Ch. XXVII. s) Ch. VII; cf. les Ch. VIII, XIV. 6) Ch. XXII. (a) Le glaive de Cupidon — Suit sa vieille coutume. (b) Le méchant Cupidon — Me transperca le cceur — Jusqu'a me faire mourir. (c) Fortune nous fut dure et cruelle; — Elle attrista deux amoureux, — En ordonnant cette peine. (d) Me voila repoussé, — Grace aux vilains tours, — Hëlas, que me joue Fortune. (e) Nous buvons la joie et la tristesse amère — Dans la coupe de Fortune. — La profonde méditation de ce fait important — Fait mourir le cceur, füt-il d'acier. (f) Cupidon, monstre cruel et orgueilleux! — Je te maudis a cause de cette ruse. 23 YAntwerpsen Liedeboek. Elle y est toujours la plus belle de toutes: Princesse schoone Int sweerelts throone Spandij de kroone, voor ander vrauwen ') (b), , et elle a toutes les vertus2). Le poète chante ses yeux bruns, qui luisent comme des pierres précieuses: Haer ooghskins blincken klaerder Dan blinckende Sapphieren3) (c), et après ses lèvres vermeilles, ses joues roses, ses seins ronds4), il s'extasie sur la blondeur de ses cheveux et la blancheur de son corps : Haer lijf wit en klaer Haer lang ghelu haer Doen mij eenpaer, den zin vervroyen'') (d). La vue de la bien-aimée 1'éblouit au point que sa langue refuse d'exprimer sa tendresse6). II vante son honnêteté et sa douceur: Haer zebaerheyt groot Doet mij ter noot, mijn hert verheughen7)... (e). Haer zoeten aerdt Passeert alle rosen 8) (f). II 1'aborde avec infiniment de respect; il ose a peine la regarder : Van haer ick d'aenschijn keere. Al sie ick se voor mij lijden Schaemte dwinght mij te zeere Haer grootheyt moet ick mijden9) (a). ') Ch. XI; cf. les Ch. II, XIV, XVII. >) Ch. XII. *) Ch. II; cf. les Ch. V, XI. 4) Ch. IV, V, VIII, X, XI, XVII, XX, XXI, XXVII. 5) Ch. XX; cf. la Ch. XXVII, •) Ch. XII. Ch. XX. ») Ch. XXIII. . 'Ó Ch. XII. f Jrf Belle princesse, — Sur le tröne du monde — C'est toi qui 1'emportes sur toutes les autres femmes. , (b) Ses yeux brillent d'un éclat plus vif — Que les brillants saphirs. (c) Son corps blanc et pur, — Sa longue chevelure blonde, — Me ravissent au dernier point. (d) Sa grande honnêteté — Me force, malgré moi, de me réjouir au fond du cceur. (e) La douceur de son naturel — Surpasse toutes les roses. ^ Jft Je détourne le visage, — Quand je la vois passer devant moi. — La honte est la plus forte: — II faut que j'évite sa grandeur. 24 La froideur de la belle, d'ailleurs, ne saurait ébranler la constance de 1 amant: Tis zeven jaer led' en langhen stondt, Dat ick mocht kussen dijn rooden mondt, Vermeil als violieren. Recht als ick waende best vreucht hantieren, Ghij zeyt mijn oud' vreucht moest ick derven Schoon lief, het grief, dat-ik doen besief Doet mij noch sterven '). • • (a). Adieu d'alderschoonst' van alle wijven Klachtich maect ghij mij thenden raet, Altoos wil ick u ghetrouwe blijven2) (b). Le nombre des réminiscences classiques s'est accru sensiblement dans les Liedekens de De Casteleyn. Le poète y dit 1'amour de Jupiter pour Danaé, de Troïle pour Briséis; il compare son bonheur a celui de Jason et de Paris8); il fait allusion a 1'histoire d'Euryale caché dans un coffre4); Alexandre est pour lui 1'homme de génie par excellence5); les bains de Néron, les trésors de Crésus représentent les richesses de la terre6); et quand, è la fin de son recueil de Chansons amoureuses, le poète se met è chanter la paix rendue a la Flandre, il constate que: Janus den Tempel is ghesloten Dien Tullus voortijds heeft ontdaen ') (c). ') Ch. XXIV; cf. la Ch. V. *) Ch. XVII. *) Ch. m. — Au moyen age, Briséis, aimée de Troïle, agrée les hommages de Diomède après la mort de son premier amant. Voir plus bas, p. 55. 4) Ch. X. — Au moyen age Euryale est devenu 1'amant de Lucrèce. Cf. Eneas Sylvius Eurialus und Lucrezia übecsetzt. von Octavien de Saint-Gelais, herausgegeben von Elise Richter, Halle a. S., 1914. ») ch. xn. *) Ch. XX. 'j Ch. XXX. (a) II y a longtemps, bien sept années, ~ Qu'il me fut permis de baiser sa belle bouche, — Vermeille comme les violiers. — Juste au moment oü je croyais goflter le bonheur suprème, — Tu me dis de laisser la mes joies anciennes. — Ma belle amie, la douleur que j'éprouvai alors — Me fait mourir encore. (b) Adieu, la plus belle de toutes les femmes! — Tu me désoles, tu me fais gémir! — Je veux te rester toujours fidéle. (c) Le temple de Janus est fermé — Qu'ouvrit autrefois Tulle. 25 L'influence de 1'humanisme, ici encore, se confond avec la tradition.du moyen age. Toute une légende médiévale se rattache parfois a tel nom classique qui passé inapercu dans 1'ceuvre dun Homère ou dun Virgile. Les nouvelles formes poétiques ne se dégagent que peu a peu des anciennes, et dans les Pays-Bas, aucune révolution littéraire n'accélère le mouvement. Ace mouvement Matthieu de Casteleyn prit une bonne part en composant ses Chansons, mais surtout en rédigeant le Const van Rethoriken qui va maintenant nous occuper. V Le Const van Rhetoriken. — Idees humanistes de Matthieu de Casteleyn. — Analyse de 1'ceuvre: la figure allegorique représentant la déesse Rhétorique, le rédt allegorique qui sert d'introduction. — Divinités et personnages mythologiques. — Autorités citees par De Casteleyn. — Définition du genre Rhétorique. — Terminologie sdenttflque. — La versification de 1'époque mise en rapport avec la prosodie gréco-latine. Le Const van Rethoriken1), tout en étant une oeuvre plutöt didactique, se rattache a notre sujet, tant par le caractère personnel ') De Konst II van II Rethoriken, 1/allen Aenkommers ende Beminders der II zeiver, een zonderlingh Exemplaer. ende leerende II Voorbeelt, niet alleen in allen soorten ende sneden van II dichten, maer oock in alles dat der edelder II Konst van Poësien aenkleeftll... in dichte II ghestelt bij wijlent H. Matthijs de Casteleyn. Priester II ende excellent Poëte moderne II... (a). Tot Rotterdam, // Bi) Jan van Waesberghe de Jonghe,//Op 't Steyger aende Koren-Merct/'Anno 1616. La première édition qui nous soit parvenue est celle de Jean Cauweel, Gand, 1555. — Une Êpitaphe en tête de 1'opuseule nous apprend la date de la mort de 1'auteur: Hier light begraven tvaste greyh ras, ' Notaris, Poëte en Rethorisien fijn: Priéstere, Matthijs Casteleyn was, Hij verschiet als April kond' vijfmael tien zijn (b). Sur le Consi van Rethoriken, outre les ouvrages dtés plus haut, voir J. te Winkel, De Ontwikkelingsgang der Nederlandsche Letterkunde, t. I, ch. X, pp. 209 sqq. (a) L'art de Rhétorique, a Tusage des élèves et des amateurs, exemplaire tres intéressant et trés instructif, renfermant non seulement tous les genres poétiques et toutes sortes de strophes, mais encore tout ce qui concerne la noble poésie,... composé par feu M. Matthieu de Casteleyn, Prêtre et éminent Poète moderne. (b) Ci-gft le noble homme a 1'esprit ferme et yif; — Matthieu de Casteleyn fut prêtre, notaire, — Poète et excellent Rhétoriqueur; — II mourut en avril cinquante-«inq. 26 que lui donne 1 auteur que par les poèmes lyriques que De Casteleyn y a insérés et qui servent d'appui a ses préceptes littéraires. D'un cöté eet Art de Rhétorique nous fait connaltre le „facteur" dAudenarde comme le type achevé des poètes de la vieille école, d'autre part aucun Rhétoriqueur de la première moitié du seizième siècle ne s'inspire aussi largement que lui des idéés de la Renaissance. Comme les adeptes de 1'art nouveau, il tient 1'antiquité pour source de toutes les connaissances : Hadden de aude Grlecken noyt ondersocht Nieuwicheyt, ende t'onser kennisse brocht, Wat zoude ter weerelt nu audt konnen wesen ? Ofte wat zouden nu de Jonghers lesen ? Niet als heels bij dat ick mer verkenne: Al dat wij hebben alsoot blijekt bij desen, Komt ons vander autheyt bij der penne ') (a). L'étude du latin surtout est indispensable pour former le futur poète: An dees konst komt lichtelick menich man, En menich komter an met grooter pijnen, Maer die wel Latijn ende ander talen kan Heeft vijfthien voren in elck ghespan") (b). II partage avec les humanistes le mépris du vulgaire ignorant: D'ongheleerde volck vul ignorante vlecken, Is quaet om verwecken tot zulck incident: De konste van Attiken, en Plautus vertrecken, v . Chrysippus doornen, en Aristoteles strecken Zijn hemlien (gelijck den blenden tcoleur) onbekent; Bij wit compareren sij d'atrament, Dat ruut en meest hoeps is zullen sij prijsen, Tquaetste extolleren sij tot inden hent, Dat goet is zullen sij met dén vinghers wijsen *) (c). ') Const van Rethoriken, sir. 112. *) C. v. R., str. 98, cf. la str. 164. 3) C. v. R., str. 52. (a) Si les anciens Grecs n'avaient exploré des sciences nouvelles, — S'ils neles avaient portées a notre' connalssance, — Qu'est-ce qui pourrait être ancien au monde — Ou que liraient maintenant les jeunes disciples ? — Rien du tout, si je m'y connais: — Tout ce que nous possédons [de savoir], comme il appert a présent, Nous vient de 1'antiquité par la plume. (b) Maint homme apprend facilemént eet art, — Maint homme aussi 1'apprend fort diffkilement; Mais qui connaït bien le latin et d'autres langues — Aquinze points d'avance sous tous les rapports. (c) Le vulgaire ignorant, dénué de tout savoir, — Est difficile a exciter a une 27 II a comme eux soif de s'instruire. Que celui qui veut être bon poète, dit-il, se perfectionne dans tous les arts, toutes les sciences : Tscherp ingien van Socrates wijs ende eerbaer Moetmen volghen naer, om dees konst te eerene, Dewelcke aud zijnde met sijn grijs haer, Volghde diligentelick alle konst eenpaer, Ende hoe aud hij was, en schaemde hem niet te leerene; Met Aspasia twijf stont hem te verkeerene, Die hem de konst leerde van dees Rethorijcke goet, Ende om sijn vruecht vulmaecter te vermeerene, Onderwees hem tsnaerspel metter musike zoet. In gheender manieren en haud tu ledich, Weest den tijdt bestedich, in arbeyts herden; Met tgheent dat Horatius zeyt, valt vredich, Sanghers en Poëten ghemanniert en zedich Durren wel tbegrijp alder konst anveerden ') (a). Cette idee que le Rhétoriqueur ne se forme que par une étude incessante est chère a De Casteleyn ; il 1'expose dès la première strophe de son poème : Lelius ende Scipio, twee Princen groot, Machtich zonder genoot, en wijs van rade. Lieten ons exemple bij menich exploot, Om traecheyt te schuwene, als zonde snoot Want sij is moedere van allen quade (b). ') C. v. R., str. 68, 69; cf. les str. 47, 48. telle entreprise. — L art attique, lenseignement de Plaute, — Les épines de Chrysippe et les pièges d'Aristote - Leur sont inconnus, comme aux aveugles la couleur. — lis comparent Ie blanc a lencre noire, - Ce qui est rude et fort grossier, ils le lóueront, - Ce qu'il y a de plus mauvais, ils le porteront aux nues, — Ce qui est bon, ils le montreront au doigt. (a) Pour honorer eet art, il faut suivre - L'esprit subtil du sage et vénérable Socrate, - Qui, dans sa vieillessev et malgré ses cheveux gris, - S appliquait avec une ardeur égale a tous les arts - Et, si vieux qu'il tot, n avait pas honte d'étudier. - II fréquentait Aspasie, la femme - Qui lui enseignait ce bon art de Rhétorique, - Et qui, pour combler sa joie, - Lui enseignait la douce musique et lui apprenait a jouer des instruments è corde. Ne soyez jamais oisifs, — Employez bien votre temps, travaillez avec persévérance; - Conformez-vous a ce que dit Horace: - Chantres et poètes, honnêtes et de bonnes manières, — Doivent s'attacher a connaïtre tous les arts.- (b) Laelius et Scipion, deux grands princes, - D'une puissance sans égale, et pleins de sagesse, - Nous laissèrent 1'exemple de maint exploit, _ Pour nous faire abhorrer l oisiveté comme un grand pêché, - Car elle est mère detoutvice. 28 Une gravure en tête de 1'opuscule que nous allons examiner maintenant un peu plus en détail, nous renseigne de nouveau sur les aspirations classiques du Rhétoriqueur. Elle répresente la déesse Rhétorique assise sur son tröne, tenant d'une main une épée, de 1 autre le lys, emblème de la douce éloquence, et enseignant son art a Cicéron, Gracchus, Róscius, Quintilien et Démosthène. Les strophes 35 et 36 nous exposent le sens de cette figure allégorique: Hier zijdij ghij vrauwe af, ende Patronesse Edel Princesse, met alder konst bestoven, Van wel redenen zijdij de Meestresse, Boven alle Meereken, zo wijse kleergesse, Dat ghijt al passeert ende gaet te boven : Ghij zijt opghetrocken in allen Hoven: In alle Palleysen maect ghij u wuenijnghen, Deur u eloquentie moeten u loven Pausen, alle Vorsten, Keyzers en Cuenijnghen. In dijn rechte handt haudt ghij de Lelie zoet In teecken der woorden goet, zoete boven schreven, Ghij volght den paeys, en paeys volght spoet. Ja duysent zoete vrueghden vuile bloet, Die deur oorloghe, dickwils zijn achter bleven, In de slijncke hant haudt ghij tsweert verheven, Want als ghij Rethorica, hebt exercitie (Zo oyt ghesien hebben, en noch zien die leven) Regneren looyen ende rechte justitie (a). Au début de son poème De Casteleyn raconte qu'un jour il faisait une promenade dans les bois, aux environs de sa ville natale. II arriva a la fontaine „den Slangenbrouck" qui, nous dit-il : (a) C'est vous qui en êtes la dame et la patronne, — Noble Princesse, qui excellez dans tous les arts, — Vous, la maïtresse de 1'art de bien dire, — Et si sage clergesse sur tous les cleres, — Que vous les surpassez, les excédez tous: — Vous avez été élevée a toutes les cours; — Vous établissez votre demeure dans tous les palais; — II faut que, grace a votre éloquence, ils vous gloriflent: — Papes, tous les monarques, empereurs et rois. De la main droite vous tenez le lys suave, — Symbole de 1'inflnie douceur des bonnes paroles. — Vous suivez la paix, et la paix est suivie de prospérité, — Voire de toute une lignée de mille clouces joies, — Dont la guerre a souvent retardé la venue. — De la main gauche vous tenez le glaive levé, — Car, quand vous exercez votre pouvoir, Rhétorique, — (Comme 1'ont vu toujours, et le voient encore les vivants), — Les lois règnent, et la bonne justice. 29 Ghelijckt wel Creusis de Fontijne pompeuselick Int waut van Ida, daer vremt gedierte binnen lach, Daer Paris met CEnone ') zat amoureuselick Ende daer hij de naeckte drie' Goddinnen zach'-) (a). Cette fontaine surpasse celle de Priam en beauté: Priams fonteyne en waerts gheen comparatie3) (b). Le poète s'y assied et rêve. Ambitieux comme Thémistocle que les lauriers de Miltiade empêchaient de dormir4), il voudrait que son oeuvre füt louée par-dessus toutes les autres. Comme il attend 1'inspiration qui le rendra a jamais célèbre, il voit venir Mercure, flls de Jupiter et dieu de 1'éloquence, qui le frappe de son caducée5). Le poète s'endort et, dans eet état, le dieu lui adresse la parole6). II lui ordonne d'écrire un Art de Rhétorique, pour gagner le laurier delphien auquel De Roovere') et Molinet *) avaient vainement aspiré : Molinet die dees konste zeer verlichte, Hoewel hijse dichte vremdelick bekuert, Omdat hij dit weerek in prosen beslichte, Ende mijn edel konst daer met ontstichte Heeft hij dit zelve groensel verboert*) (c). ') CEnone, la Nymphe aimee de Paris et partageant sa vie de berger; elle fut repoussée plus tard en faveur d'Hélène. Cf. Lycophron, 57, Ovid., Hét., V; Apollod., 01, 12, 6, 1—3; Conon, 23. *) C. v. R., str. 31 3) C. v. R., str. 4. 4) C. v. R., str. 7, 8. 5) C. v. R., str. 9, 10. s) C. v. R., str. 11. 7) De Roovere, rhëtoriqueur flamand; cf. Kalff, Gesch. der Ned. Lett., III, pp. 288—289; Te Winkel, op. cit., pp. 182 sqq.; G.-C. van 't Hoog, Anthonis de Roovere, these d'Amsterdam, 1918. s) Molinet, rhëtoriqueur francais; cf. Van Leeuwen, op. cit., pp. 76 sqq; Bijlage IV; E. Langlois, De artibus Rhetoricae Rhythmicae, these de Paris, 1890; H. Guy, Histoire de la Poésie francaise au XVIe siècle. Paris, 1910, I, pp. 158 sqq. (avec bibliographie). 9) C. v. R., str. 15. (a) Ressemble a la merveilleuse fontaine Créuse, — Dans la forêt d'Ida, oü viyaient des animaux exotiques, — Oü Paris se trouvait avec son amante CEnone, — Et oü il vit les trois déesses nues. (b) On ne saurait la comparer a celle de Priam. (c) Molinet, qui fit briller eet art d'un grand eclat, — Bien qu'il füt mal inspiré en composant son livre, — Ne mérita pas ce vert rameau, — Paree qu'il se décida a écrire son ouvrage en prose, — Rabaissant ainsi la noblesse de mon art. 30 Si le poète le lui promet, il retournera aux enfers, pour y résider avec les morts: Als ghij1 mi) gheloeft hebt dit stick van weerden, Treckick wedere inden krocht der eerden Onder de doode hauwen residentie') (a). De Casteleyn veut s'excuser, mais le dieu entre dans une colère violente qui se manifeste d'une facon un peu bizarre: Den hoet warp hij wegh, hij schudde sijn vleercken. Hij verslouch sijnen gheltsack, sijnen Hane kraeyde, Met doncker Sonneschijn hij mij ommeraeide... Sijn couleur muteerde, sijnen mantel belaeide") (b). „Obéis, crie-t-il au poète, ou tu auras a redouter ma fureur qui est terrible : Verslough ick niet Argum met sijn hondert ooghen? Wilde den God Mars niet mijn hulpe ghedooghen... Moestick Promethea niet ten beerghè stieren, Waerschudick Ulissem niet voor Circes bequellen, Met dees peertse die elck mensche moet vieren Zendick en halick de zielen uter hellen3) (c)." Mercure, d'ailleurs, 1'aidera a mener a bien son entreprise; son frère Apollon, qui règne sur les Nymphes du Parnasse, la envoyé apprendre a De Casteleyn la poésie divine. C'est la aussi que Mercure a cueilli une couronne: Van den zeiven Laurier daer hij Daphnen in verkeerde ') (d). ') C. v. R., str. 16. *) C..v. R., str. 18. 3) C. v. R., str. 19. 4) C. v.-R., str. 20. (a) Lorsque tu m'auras fait cette promesse importante, — Je retournerai aux antres de la terre, — Pour y résider parmi les morts. (b) II lanca loin de lui son chapeau, il secoua ses ailes, — II jeta sa bourse par terre, son coq chanta, — Les rayons de soleil dont il m'entourait s'obscurcirent, — II changea de couleur, son manteau s'enflamma. (c) Ne défls-je pas Argus aux cent yeux, — Le dieu Mars ne me laissa-t-il pas venir a son secours, ■— Ne dus-je pas conduire Prométhée è la montagne, — N'avertis-je pas Ulysse des maléfices de Circé ? — Voici le baton que tout homme doit craindre, — Je m'en sers pour envoyer les ames aux enfers et pour les en retirer. (d) Du même laurier oü il changea Daphné. 31 Suit 1'éloge du laurier: Desen edelen Laurier al Goddelick bestoven Mach niemant vulloven, als al vul secreten, Meyrteboom ende Olijfboom gaet hij te boven, Dies plant men hem in alle groote Hoven, Men verbinter thooft met van den Poëten, Op paeys ende triumphe, is hij vervleten, Elck moet hem om dees konsts vervullen achten. Men verchiert er de haerpe met zo elck mach weten, Tot Pausen ende Keysers moet hij de zullen wachten ') (a). Mercure le promet a notre Rhëtoriqueur, comme le symbole d'une gloire impérissable: Qua tonghen en zullen u weerck niet versmaken ziet, Den Laurier is vrij van allen venijne, Donder ende blixem mueghen ghenaken niet ~) (b). Le dieu s'envole, après avoir persuadé le poète; celui-ci se réveille et se met aussitöt a 1'ceuvre. II va sans dire que dans un ouvrage ainsi concu les écrivains et orateurs classiques ne manquent pas de confirmer ce que 1'auteur veut bien nous enseigner. Leurs noms éclipsent même plus ou moins ceux des Olympiens; en dehors de Mercure, petit-fils d'Atlas, inventeur de 1'art de bien parler et dont le caducée est 1'attribut:!), nous ne trouvons dans la partie didactique du Const van Rethoriken que Vénus et Mars ; la première, déesse de 1'amour et de la paix, inspiratrice de la poésie amoureuse4); 1'autre, dfeu de la guerre, dont la force brutale détruit en un instant la belle floraison d'éloquence8). Les allusions mythologiques et historiques ») C. v. R., str. 21. *) C. V. R., str. 22. 3) C. v. R., str. 33, 153, 212. 4) C. v. R., str. 37, 154, 184, 188. s) C. v. R., str. 37. Dans les strophes 20, 153, il est question du Parnasse, dans la str. 239, d'Esculape et de Vulcain. (a) Ce noble laurier, tout couvert de divinité, — Personne ne peut le louer assez, puisqu'il est plein de secrets, — II surpasse le myrte et 1'olivier, — C'est pourquoi on le plante aux cours des grands, — On en cerne le front des poètes, — II est amoureux de paix et de triomphe, ■— Chacun doit 1'estimer paree qu'il donne a eet art sa perfection, — On en décore la harpe, comme tout le monde peut le savoir, — II faut qu'il garde le seuil des Papes et des Empereurs. (b) Les mauvais langues ne vilipenderont pas ton oeuvre, — Le laurier est exempt de tout venin, — Le tonnerre et la foudre ne peuveht 1'atteindre. 32 sont également rares ; 1 auteur ne parle guère que d'Icare1), d'Hercule2), du cheval de Troie3), de 1'or de Chypre4) et des richesses de Crésus5). En revanche, il cite volontiers Homère6), Lucilius7), Horace8), Martial9), Tibulle 10), Cicéronu), Quintilien™), Perse^ et même Macrobe14) ; il glorifie Cicéron comme le prince des orateurs ys)', il loue la douceur d'Hérodote16), la composition habile et serrée de Thucydide17), les dons polémiques de Philiste18), 1'impartialité d'Aristarque **) ; il célèbre Théopompe, Éphore, Timée, Xénophon, Callisthène20); Isocrate, Naucrate n); Nestor, Ulysse ^ ; Carnéade, qui ne s'écartait jamais de son sujet ; Gracchus, dont les discours pathétiques faisaient pleurer ses ennemis mêmeM); il critique d'après Thucydide la trop grande concision ou les longueurs d'Isocrate 38), la mollesse de Lysias Des strophes entières se remplissent de noms d'orateurs et de poètes: l) C. v. R., str. 155. -) C. v. R., str. 237. 1 C. v. R., str. 233. 4) C. v. R., str. 198. 5) C. v. R., str. 63. *) C. v. R., str. 31. 7) C. v. R., str. 232. *) C. v. R., str. 33, 69, 71, 113, 181. 9) C. v. R., str. 236. Voir aussi plus bas. 10) C. v. R., str. 25. ") C. v. R., str. 46, 51, 65, 93, 177, 229. 230, 231; les str. 93, 127 mentionneat le De Ovatore. ■*) C. v. R., str. 48, 66, 78. ") C. v. R., str. 26. ) C. v. R„ str. 229. — Macrobe, philosophe, homme politique, écrivain du Ve siècle, auteur de Saturnales. II nous a transmis le Songe de Scipion, de Cicéron. u) C. v. R., str. 30. 16) C. v. R., str. 30. 17j C. v. R., str. 30, 51. ") C. v. R., str. 30. 18) C. v. R., str. 76. *) C. v. R., str. 31. S1) C. v. R., str. 38. ») C. v. R., str. 32. ") C. v. R., str. 230. M) C. v. R., str. 175. ") C. v. R., str. 50, 51. ^ C. v. R., str. 103. 33 In redenen zouct elck u beste vroetheyt, Natueren spoetheyt, en mach niet beswijcken; Isocrates zochte d'aldermeeste zoetheyt, Eschines vertooghde der soonen goetheyt, Dats dwelluwen, in des redens verrijcken, Subtijlheyt hier in, dede Lysias blijcken, Hyperides de scheerpheyt met ripen verstande, Demosthenes wracht, vul krachtigher practijcken: De materie der redenen is menigherande. Africanus zochte der oratien swaerheyt. Cicero de klaerheyt die nooit verfoeiende, Lelius de lichticheyt ende de waerheyt, Galba de straf heyt ende de stareit, ■ Cerbo maecte sijn redenen vloeyende ') (a). Aux orateurs succèdent les sculpteurs et les peintres: Myro, Policletus, Lysippus, fraeye wichten In de oratorie, hebben tvolck willen stichten Diveersch wéerckende volghende eenen zin: Zeuxis, Aglaphon, Appelles meer noch min, Wiene in schilderijen d'Auders wel gebeedt presen, Hoe diversen, een natuere, haen haer wercken in: Also moet dees konst diveersch verkleedt wesen2) (b). Et De Casteleyn recommande a ses disciples, d'imiter les artiflces d un Apelle pour composer habilement leurs ouvrages: ') C. v. R., str. 43, 44. *) C. v. R., str. 59. (a) Chacun, dans son discours, vous cherche la meilleure sagesse, — L'utilité naturelle ne doit pas faire dé fa ut: — Isocrate rechercha avant tout la douceur,— Eschine mit en lumière la vertu des fils, — C'est-a-dire la politesse, par 1'abondance de ses arguments. — En ceci, Lysias fit preuve de subtilité, — Hypéride y dêploya la sagacité et la maturjfé de son esprit, — Démosthène travailla, plein de force et d'énergie: — La matière des discours est fort variée. [Scipion 1'] Africain rechercha la gravité dans ses oraisons, — Cicéron la clarté, qu'il ne détesta jamais, — Laelius, la vivacité et la vérité, — Galba, 1'austérité et la rigueur, — Cerbon fit son discours naturel et facile. (b) Myron, Polyclète, Lysippe, qui excellérent — Dans 1'éloquence, ont voulu édifier le peuple, — Travaillant de facon diverse, mais dans le même sens; — [Quant a] Zeuxis, Aglaophon, Apelle, ni plus ni moins, — Dont les Anciens vantaient a juste Ütre les talents pour la peinture, — Quelle variété dans leur oeuvre! — C'est ainsi que eet art doit revêtir des formes diverses. 3 34 Zo Appelles dede onder Schilders excellent, Als hij Antigonem ') (in de eene ooghe blent) Wilde conterfaicten, binnen tsweerelts convent, v:: . <; Maeckte hem keunstich over d'eene zide staende9) (a). Car il faut ménager ses ressources, et ne pas faire comme Timanthe qui, après avoir peint la douleur de Calchas et d'Ulysse sur la mort d'ïphigénie, ne savait plus exprimer celle deMénélas: Als hij aldus zagh sijn schoon weerck gefaelt,... Eenen truck viel hem in rasch ongedraelt, Hij hevet op een ander ploye ghemaelt Deckende Menelaus hooft met eenen capproen3) (b). S'appuyant sur 1 autorité des Anciens, De Casteleyn fait ensuite quelques réflexions sur le* rapport qui existe entre la Rhétorique et la Musique: Bij dat in De Oratore gheschreven staet, Rhimers (dat is rethoricienlick zaet) Zijn Musicienen en Poëten ghenaemt, Nu leert ons Tymagenes alsoot betaemt, Dat van allen studiën d'audste is musike: Es sij voor d'alder audste konst ghefaemt, Zoo schijnt sij macht hebbende over Rethorike<) (c). ') Antigone le Cyclope, un des généraux d'Alexandre le Grand. *) C. v. R., str, 78. ') C. v. R., str. 79, 80. — De Casteleyn confond ici Ménêlas avec Agamemnon. 4) C. v. R., str. 127. — La même idee se rencontre chez Molinet: Molinettus non idem sentit atque Eustachius utpote qui non declaret poeticam e musica pendere, eamque nominet „Rhetoricam vulgarem"; hanc tarnen ita judicat: „Une espece de musique, appellee rythmique, laquelle contient certain nombre de sillabes, avecques aucune suavité d equissonance". — E. Langlois, De artibus Rhetoricae Rhythmicae, p. 58. — Ce rapprochement se retrouve dans VArt de Rhétorique mentionné par M. Langlois (Bibl. Nat. fr. 12434), p. 82. Cf. Guy, op. cif., p. 158. (a) Comme le fit Apelle qui excella parmi les peintres; — Lorsqu'en ce bas monde il voulut faire le portrait — D'Antigone, aveugle d'un ceil, — II le peignit fort habilement de profil. (b) Voyant ainsi sa belle oeuvre manquêe, — II s'avisa d'un tour ingénieux, — Vite, il peignit Ménêlas d'une autre manière, — Lui couvrant la tête d'un capuchon. (c) Ainsi qu'il est écrit dans le De Oratore, — Les Rimeurs (c'est-a-dire la race des Rhétoriqueurs) — Sont appelés Musiciens et Poètes, — Or, Timagène nous apprend, comme il est convenable, — Que de toutes les sciences la musique est la plus ancienne; — Si elle est réputée 1'art le plus t antique de tous, — Elle semble avoir de 1'autorité sur la Rhétorique. 35 II disserte sur 1'étymologie du mot Rethorike: Rethorica, moetmen dese konst denommeren Int Griecsche: niet slaende tvocabel swijcke, Ende als est dat wij vele Orateurs allegeren, Wij spreken bij ghelijcke van ghemeen Rethorike') (a). II exposé la nature et le but de eet art: Als schijnter different, daer gheen en es Tusschen den Orateurs ende dit profes, Oft tusschen Rethorike vlaemsch ende latijn Nochtans tenderen sij tot eenen fijn . . . Want schoonsprake moet de wortel van hen beeden kleeden *) (b). Et il précise son idéé dans les strophes 46 et 65 : Eenerande eloquentie vindt ghij in vigeure Al de weerelt deure, zo Cicero schrijft, Ende heet een groote deucht wel thaerder keure, Welcke d'aude Griecken met wijsen speure Oe wijsheyt heeten, daert al bij beklijft. En kracht van zegghene, diet al deur drijft... Boven alle kuensten sij meestresse blijft Want' in alle zaken sij exercitie gheeft3) (c). Want Cicero seit,... Oat des Orateurs actie, vul excellentien. Niet gheleghen en is, in de redactie, In de handelijnghe, noch in de contractie, ') C. v. R., str. 33, ') C. v. R., str. 34. 3) C. v. R., str. 46. (a) Rethorica, c'est ainsi qu'il faut nommer eet art — En grec: sans dénaturer le sens du mot, — Et en alléguant beaucoup d'orateurs, — Nous parions de même de Rhétorique vulgaire. (b) Q uoiqu il semble y avoir une différence, la oü elle n'exlste pas, — Entre les Orateurs et ce genre-ci, — Ou bien entre la Rhétorique flamande et la latine, — Néanmoins ils tendent vers la même fin ... — Car la beauté de la langue fait le fond de 1'un et de 1'autre. (c) Vous trouverez la même espèce d'éloquence, — Régnant dans le monde entier, comme 1'écrit Cicéron; Elle s'appelle une trés grande vertu, — Que les anciens Grecs, avec beaucoup d'intelligence, — Déflnissent comme la sagesse, qui fait tout prospérer, — Et comme une force de la parole qui vainc tous les pbstacles... — Elle reste*ma!tresse de tous les arts, — Car elle rend capable de toutes sortes d'affaires. 36 Der rechter konst, oft vander scientien • . Maer in de opinien ende de invenlien . Vanden componiste, naer dat hem best greit, In de redenen ghemaect met diligentien Dient magniflcentie ende solenniteit') (a). II empcunte au latin sa terminologie scientiflque2), distingue d'après les Grecs les différents genres de poésie: Sij weten haer stilen ende haer mannieren Naer Homerus scholieren wies sij ons leeren,' Hoe sij Commedien zullen fabriqueren, Hoe sij Tragediën moeten hanthieren, Of Gesten verchieren van grooten Heeren, Met wat veersen iemants lof vermeeren, Amoureusheyt ontdecken, of schandige zonden blent3) (b). II renvoie même aux Anciens quand il s agit de déflnir les formes poétiques de son temps. Suivant le Rhëtoriqueur d'Audenarde, la longueur de lastrophe du Refereyn est déterminée par celle des Épigrammes de Martial: Angaende de regulen van een Referein,... Martiael dat poetelick edel grein In sijn Epigrammen wijst ons den trein Tot twintich regulen meught ghij wel stellen, Niet hoogher en meught ghij met rechten tellen, 't Refereins langhde rijst uten Epigrammen4) (c). ') C. v. R., str. 65. =) C. v. R., str. 55, 65. 3) C. v. R., str. 73. 4) C. v. R., str. 97. (a) Car Cicéron dit... — Que la force de 1'orateur, si grande soit-elle, — Ne réside ni dans la rédaction, — Ni dans 1'action, ni dans la concision — D'un art parfait, ou de la science, — Mais dans les idéés et les inventions — De celui qui compose, comme il lui convient le mieux ; — Dans les arguments qu'on allègue avec diligence — II faut de la magnificence et de la solennité. (b) Ils savent leurs styles et leurs manières — D'après les disciples d'Homère, et c'est pourquoi ils nous enseignent — Comment il faut écrire des comédies, — Comment il faut arranger les tragédies, — Ou imaginer les gestes des grands seigneurs, — Quels vers servent a chanter les louanges de quelqu'un, — A exprimer le sentiment amoureux, a découvrir .des péchés honteux et secrets. (c) Quant aux regies du Referein, — Martial, ce noble poète, nous montre la voie dans ses Épigrammes: — On peut combiner jusqua vingt vers, — Mais il ne faut pas en compter davantage, selon toute justice, — La longueur du Referein résulte de 1'Epigram me. 37 Martial et Horace nous apprennent la structure des couplets : Martialis ende Horatius in sijne oden Gheven ons gheboden van diveerschen sneden, Daer wij tsecreet deser konst ut roden: Van diveersche veersen, kommen tot ons gevloden Diveersche Rethoriken op den dagh van heden l) (a). La ballade vient encore de Martial: De Baladen, welc clausen zijn net ende eerbaer. Wijst ons al klaer Martiael onsen koek, Vanden Epigrammen hebben wij dat voorwaer, Ghelijck een Balade den zin sluut in haer, Is d'Epigramme ghekleet metten zeiven frock") (b). Dans les strophes 168 et 169 De Casteleyn nous renseigne sur les origines de la poésie dramatique qu'il place au-dessus de la lyrique3): Dmaken vanden spele om ons behoetsele Voor een versoetsele, op ons. ghedaut. Hebben wij oock vanden Poeetschen broetsele, Vergilius ende andere gheven ons tvoetsele, Seneca, Terentius, metgaders Plaut: Wie dese overleest, tzij jongh oft aut. Vindt altoos blijden utgangh in de Comedien: Onghelijck ende bloedsturtinghe menichfaut Zullen altoos blijeken in de Tragediën. Thespis vandt der Tragediën poetrie,... Ende alsmen doen speelde tzij drouve of blije, Met ghist streken sij d'aenschijn an elcke zije, Ende maeckten also haer personage. ') C. v. R., str. 162. *) C. v. R.. str. 170. 3) C. v. R., str. 40. (a) Martial, et Horace dans ses Odes, — Nous apprennent la structure des strophes diverses, — C'est eux qui nous révèlent le secret de 1'art: — Des différentes espèces de vers nous viennent — Différents genres de Rhétorique, a 1'heure actuelle. (b) Martial, notre cuisinier, nous montre clairement — Quelles sent les formes strophiques de la Ballade, — Nous le savons par les Épigrammes; — [Chaque strophe de] la Ballade renferme une idee compléte, — Et 1'Épigramme porte le même habit. 38 Hier naer vandt Eschylus tfau visage, Dwelck de kamerspeelders an dlijf zeer fijn duwen, Maer als deden sij dees konst, doen zulcke outrage Den oprechten aert moet dit als venijn schuwen (a). Les Anciens nous apprennent encore a bien développer le caractère des personnages: Zulck als tspel in heeft in zulck maect u bereet Volghende tbescheet van mijnder fabele: Hector moet hem tooghen fier ende wreet, Ixion wantrauwich in sijn beleét, Achilles inburstich inexorable ') (b). Nous leur devons aussi les vers de longueurs différentes. On sera fort étonné d apprendre qu Adonis a inventé le demi-vers : De halve regels of steerten na menighs vermonden Heeft Adonis vonden onder de metren verstijfven2) (c). Le long vers est Yheroicum carmen, Daer de Poëten, gheesten met beschrijfven3) (d). Le vers lyrique, plus court que 1'alexandrin ou 1 hexamètre, a été employé par Boèce: ') C. v. R., str. 79. 1 C. v. R., str. 163. 3) C. v. R., str. 163. (a) L'art de faire des pièces de théatre, qui nous fut donné — Pour nous préserver du vice et pour nous amuser, — Nous le tenons aussi des Poètes: — Virgile et autres nous en fournissent la substance: — puis Sénèque, Térence, ainsi que Plaute: — Quiconque les lit, qu'il soit jeune ou vieux, — Trouve toujours dans la comédie un dénouement heureux; — Le droit violé et le sang versé apparaissent toujours dans les tragédies. Thespis inventa la tragédie... — Et quand on jouait alors des- pièces soit tragiques, soit comiques, — On s'enfarinait le visage des deux cötés, — Faisant ainsi son personnage. — Après cela, Eschyle inventa le masqué — Dont les acteurs se couvrent fort habilement la figure; — Cependant, si a cette époque-la on outrageait l'art de la sorte, — Un cceur loyal le redoute comme le venin. (b) Conformez-vous a la donnée de la pièce, — Telle que ma fable vous la fait connaitre: — Hector doit se montrer fier et cruel, — Ixion méfiant dans ses facons d'agir, — Achille fougueux et inexorable. (c) Les demi-vers ou „queues", — Inventés par Adonis, au dire de plus d'un, — ont été rangés définitivement parmi les mètres. (d) Que les poètes emploient dans leurs chants épiques. 39 De middelbare reghels onder wien beklijfven Liedekens ende sulck weerck van kuiten paden, Leeren wij ut Boetius ende ander missijfven') (a). La répétition du dernier vers de la strophe initiale è la fin de toutes les autres est due a Virgile2), ainsi que 1'emploi des rimes enchaïnées3). L'Êglogue VIII de ce poète utilise les refrains : Incipe Maenalios mecum, mea tibia versus, et: Ducite ab urbe domum, mea carmina, ducite Daphnim, et fournit, suivant notre Rhétoriqueur, la rime enchaïnée que voici : Saevos Amor docuit natorum sanguine matrem, Commaculare manus, crudelis! tu quoque, mater, Crudelis mater, magis at puer improbus ille. L'exemple du même poète nous permet de varier le refrain d'un couplet a 1'autre4), puisque Incipe Maenalios est devenu, a la huitième strophe: Desine Maenalios, iam desine, tibia, versus. L'autorité d'Ausone justifie 1'emploi des monosyllabes °), la Rhétorique retrograde provient du sophiste Sotadès. Enfin les Anciens autorisent 1'usage des licences poétiques contre lesquelles, toutefois, De Casteleyn met les débutants en garde6). VI Le Consr van Rhetoriken (Suite). — Exemples de vers soi-disant classiques. — Comparaison homérique ou virgilienne. — Réminiscences classiques, divinités de la Fable. — Souvenirs mythologiques se mëlant a ceux de la Bible. — Sentiment de la nature. — Beautés et vertus de la femme aimée. — Conclusion. Les pièces que De Casteleyn a insérées dans son Const van Rethoriken nous fournissent des exemples du Phaleucium carmen, ') C. v. R., str. 163. "-) C. v. R., str. 164. 3) C. v. R., str. 166. 4) C. v. R., str. 165. 5) C. v. R., str. 166. ") C. v. R., str. 171, 172. (a) Nous apprenons chez Boèce et dans d'autres missives — Les vers de demilongueur, au moyen desquels on compose — Des chansons et des pièces de courte haleine. 40 du Tetrastichon elegidion, du Distichon heroicum, du Iambicum trimetrium, du Sapphicum carmen, de 1'Asclepiadeum 1), a cöté de Ballades, de Rondeaux, de Refereynen. Après un Benedicite, un Grarfe2), un Paternoster, une Parahole, une Morale, qui sont d'ordre plutöt religieux3), 1 auteur cite des spécimens d'une poésie plus profane: la Comparaison homérique ou virgilienne: Ghelijck de Centauren, vroem boven schreven, De Thessaelsche berghen kommen neder ghedreven, Ende zeer vast af gheloopen met vulder kracht, Tvroem ghegroelt haut, moet hem plaetse gheven. Alle jonghe spruten moeten wijeken en sneven, Duer haerlieder onsprekelicke groote macht: Zoo wan ^Eneas Italien met vromer vacht, Solliciterende, tsijnder baten, dagh ende nachtA) (a) ; et ï'Êpithaphe: Niemant de drie susters verbidden mach, Sij hauwen haerlieder ghestecten dagh, Zonder inkrempen, int tsweerelts vaste plein, Tot eeuwighen tiden, Int jaer duust vijf hondert met handgheslagh, Als men daer toe tzestich schrijven zach, O wij! o. wagh! bleef heer Matthijs de Castelein, God wille hem verbliden. ') C. v. R., pp. 176—177. ~) Action de graces. 3) C. v. R., pp. 182-183. Cf. la str. 221: Weet dat dees tittelen in allen manieren Tdicht zeer verchieren, en den zin duerstralen. Weereldlick moet ghij de Comparatien hantieren, Gheestelick de Parabolen allegieren Ende meest altoos Goddelick de Moralen (b). Cf. aussi 1'exemple de la Morale, p. 184. ') C. v. R., p. 185. (a) Comme les Centaures, d'une vaillance extraordinaire, — Viennent descendre les montagnes de Thessalie, — Courant tres vite et de toutes leurs forces; — Comme ils courbent les troncs vigoureux, — Écartent et brisent toutes les jeunes pousses, — Par leur puissance inexprimable, — Ainsi Énée conquit 1'Italie par de rudes combats, — Harcelant 1'ennemi nuit et jour, avec grand avantage. (b) Sachez que ces titres, sous tous les rapports, — Sont un grand ornement du poème, et en expliquent clairement le sens. — Les' Comparaisons sont d'un usage profane, — Les Paraboles sont du domaine spirituel, — Les Morales se rapportent presque toujours aux choses divines. 41 Schreit Nymphen van Helicon 1 schreit Pieriden! Schreit Oreaden! schreit Libethriden! Schreit Pipleyden zonder beswiken! Schreit Mercuristen ! schreit Castaliden! Beschréit den bemindere van Rethoriken ') (a)! Les autres poèmes, d'ailleurs, fourmillent de réminiscences classiques. Voici une Fable que 1'auteur emprunte au poète Hygin, a qui il doit plusieurs autres mythes: Als Juppiter hem hadde in een zwane verkeert Veranderde haer vrau Venus in eenen Arent appeert Ende jaeghde dus Juppiter als hem ghetrauwe In den schoot van Nemesis de schoone vrauwe'-) (b). Vénus continue chez De Casteleyn a torturer les amants qui, pour échapper a ses tourments, implorent maintenant le secours d'Antéros son ennemi: Aey mij vrau Venus wat doet ghij mij plaghen! Ick en kan verdraghen mijn lijden groot, Och Anteros wilt dees liefde verjaghen3) (c)! Son feu, néanmoins, consume les forces des hommes, sa fureur les poursuit sans cesse, et pour le démontrer, le poète cite le sort de Médée immolant ses enfants, d'Hercule filant auprès d'Omphale, ) C. v. R., p. 187. — La date de cette Epitaphe est purement flctive, puisque De Casteleyn mourut en 1550. II nen peut ttre autrement, si De Casteleyn la composée lui-même. Cf. cependant 1'hypothèse de M. Van Leeuwen, op. cit., p. 5, n. 3, pp. 67—68. *) C. v. R., p. 52. 3) C. v. R., p. 53; cf. les pp. 112, 113, 119, 126, 127, 142, 146, 156,162,163. (a) Nul ne saurait fléchir les trois sceurs, — Elles s'en tiennent au jour flxé d'avance, — Sans relache, dans tout le vaste univérs, — Et jusqu'a la fin des siécles. — En 1'an mil cinq cent soixante, — Hélas! quel malheur! — Expira Monsieur 'Matthieu de Casteleyn; — Dieu veuille le réjouir. — Pleurez, Nymphes de 1 'Helicon! Pleurez, Piérides! — Pleurez, Oréades! Pleurez, Libethrides! — Pleurez, Pipléides, sans cesser jamais I — Pleurez, disciples de Mercure! Pleurez Castalides! — Pleurez celui qui aima la Rhétorique! (b) Lorsque Jupiter se fut changé en cygne, — Vénus se transforma en un aigle hardi, — Et chassa ainsi Jupiter, qui lui fut fidéle, — Dans le sein de la belle Némésis. (c) Hélas, Vénus! que tu me tourmentes! — Je ne puis endurer ma grande souffrance! — O Antêros! veuille chasser eet amour! 42 de Danaé enfermée dans sa tour d'ivoire, de Pasiphaé amoureuse d'un taureau, de Pirame et Thisbé, de Byblis*) couchant avec son frère, de Phèdre qui perdit Hippolyte, d'Euryale2) portant des sacs, d'Amynthas que Diane fit disparaïtre, de Sémiramis éprise de son propre fils, de Phyllis qui se pendit, de Troïle3) mort dans le combat, de Virgile4) suspendu dans un panier, d'Orphée descendant aux Enfers pour y chercher son épouse, de Bellérophon qui fut déshonoré; d'Hypsipyle qui se noya, de Didon consumée par les Hammes, de Léandre traversant la mer a la nage5). — Cupidon fait toujours des blessures incurables *), trompe les malheureux qui aiment7), leur fait perdre le sens8), et si sa faveur les accueille, c'est Iocus qui leur vole leur bonheur '•'). On voit a quel point la mythologie gréco-latine envahit la poésie de 1'époque. Un des Refereynen de notre Rhëtoriqueur traite des vertus de Cérès, de Pallas et de Bacchus, raconte la naissance de Vénus, énumère ses propriétés morales et physiques, parle de la ceinture avec laquelle elle lie ses adorateurs, des oiseaux et de 1'arbre qui lui sont consacrés. Les dieux et les hommes ont brOlé de ses feux : Mercurius maecte om haer den Hermophrodijt. Iuppiter wan Cupido an haer vierigh blaken. Mars maecte Hermionem ter zei ver tijt Anchises wan JEneam vul hoefscher spraken Butes wan Eryx, om blusschen haer haken Si] verliefde op Adonis met verhoeden zinne (a). ') Byblis, fllle de Miletos, amoureuse de son frère Kaunos et changée en hama dryade, cf. Nicandre, fr. XLVI; Ovide, Mét. IX, 450 sqq. ') Sur Euryale voir Eucialus und Lukrezia, pp. 67 sqq. 1 Sur Troïle, voir ci-dessus, p. 24. ') Sur Virgile, voir ci-dessus, p. 13. 5) C. v. R., pp. 105—106; cf. les pp. 120, 121, 122, 148, 164. ") C. v. R., p. 94. ;) C. v. R., p. 112. ") C. v. R., p. 134. 9) C. v. R., p. 112; cf. les pp. 137, 158, 162 (oü il est également question de Fortune). — Iocus est un des petits dieux appartenant a 1 escorte de Vénus. (a) Grace a elle, Mercure donna 1'existence a 1'Hermaphrodite, — Jupiter engendra Cupidon par ses feux ardents, — Mars fit nattre Hermione a 4a même époque, — Anchise mit au monde Énée, plein de courtoisie, — Butes engendra Éryx pour éteindre ses ardeurs, — Elle brüla d'amour pour Adonis. 43 Des nations entières lui sont assujetties : Chypriotes, Agathyrses, Thraces, Scythes, Arabes, Indiens et Barbaresques subissent sa domination : Oit doet al vrau Venus met haren brande Als eene luxurieuse broossche elvinne ') (a). Le poète veut-il protester de sa fidélité a sa maitresse, c'est au monde classique qu'il recourt pour confirmer ses serments: Als moest ick duer haer alder weerelt toren, horen, Ofte mi) metter goddinnen Auroren, sporen, ... Als eist dat zu mij menich hart ghemoet, doet, Ghelijck Eurealus") die gheheel Venus torment, kent. Als wordick ghelijck Anchises in den ent blent Duerschoten als Nessus ... Als moestick verwerven Medeats schande, Uten lande, ghelijck Bellerpphon vlien, Ghesien, ghelijck Virgilius3) zijn in de mande, Te brande, met Dido dlijf stellen te pande, Allerande druck, ghelijck Nictimine lien, Ontvrien, mijn leven met Laodomien, . .. Bekeven, als Agamemnon zijn, mits invien Oft in strien als Troylus 4) laten dieven, Vergheven, ghelijck Claudius duer dwijf verheven, . Besneven, de' doot, ghelijck Actheon dier hueren Niet slueren, en zal ick lof wert haer toegheschreven : Wient spijt, of benijt, dit zal eeuwich duerens) (b). ') C v. R., pp. 158-159. *) Sur Euryale, voir les pp. 24, 43. 3) Sur Virgile, voir ci-dessus, p. 13. 4) Sur Troïle, voir ci-dessus, p. 24. 6) C. v. R., pp. 121 — 122. (a) Tout cela, Vénus le fait avec son brandon, — Comme une elfine luxurieuse et séduisante. (b) Quand je devrais m'attirer la colère de tout 1'univers, — Ou me presser comme la divine Aurore, — Quand même elle m'assaille de mille rigueurs, — Ainsi qu'Euryale, qui connait tout le tourment de Vénus, — Quand je flnirais par devenir aveugle comme Anchise, — Par être percé de flèches comme Nessus,... — Dussé-je encourir la honte de Médée, — M'enfuir du pays ainsi que Bellérophon, — Me voir suspendu dans le panier, comme Virgile, — Être dévorê par les Hammes, comme Didon, — Essuyer mille travers, comme Nictimine, — Me priver de la vie avec Laodamie, — Etre injurié comme Agamemnon, par envie, — Ou périr dans le combat comme 'Troïle, — Etre empoisonné, 44 Voici comment il dit la peine qu'il s'est donnée pour obtenir les faveurs de sa dame: Als Pacorus ') hebbick mijn liefde duerdrommen,... Eurealus'-') vensteren hebbick alle beklommen : Leanders procelluesen wateren duerswommen : Ghelijck Paris, ghekampt om de Troysche Heleene,... Ooit was ick van Triphons bedrieghelicke bende Dies vrees ick mij eens Plutoets taeien stal:... Oock smeect mij dwiel van fortunen, ende Tits noch. goet, maer ick en weet waert draeien sal 1 (a). La beauté de la femme aimée se prête a des développements semblables. Les perfections que le moyen age lui attribuait sont, chez De Casteleyn, mises en rapport avec celles des divinités antiques. Elle a les mains délicates de Bacchus, les cheveux dorés d'Apollon, les beaux yeux de Vénus 4), et le poète la désire comme Apollon désirait Daphné, Paris -Hélène, Pirame Thisbé, Jason Hypsipyle5). La fable de Circé est citée pour nous avertir de ne pas nous abandonner a la passion d'amour qui, semblable a la fameuse enchanteresse, transforme les hommes en bêtes féroces ou stupides6). Après Vénus, les autres déités ont leur tour. De Casteleyn chante 1'age d'or de Saturne7), lage dargent de Jupiter8), dieu du tonnerre ^ ; il dit la médecine inventée par Mercure ou Apollon10), ') Pacorus figure dans le roman d'iEneas Sylvius; cf. Eurialus und Lucrezia übersetzt von Octavien de Saint-Gelais, pp. 86 sqq. ") Cf. Eurialus and Lucrezia, pp. 95 sqq. 3) C. v. R., pp. 147-148. <) C. v. R., p. 163. 6) C. v. R., p. 164. 6) C. v. R., p. 64. 7) C. v. R., pp. 63-64, 78, 123. *) C. v. R., p. 123. ») C. v. R., p. 139; cf. aussi la p. 174. 10) C. v. R., pp. 74, 88. comme Claude le fut par sa noble épouse, — Mourir misérablement, ainsi qu'il arriva a Actéon, — Je ne retarderai pas les louanges dignes de lui être décernëes. — Qui que ce soit qui le regrette ou qui en soit jaloux, ceci durera éternellement. (a) Comme Pacorus, .j'ai poussé mon amour jusqu'au bout, — J'ai grimpé par toutes les fenêtres jd'Euryale, — J'ai traversé les mers or'ageuses de Léandre, — Avec Paris j'ai combattu pour Hélène la Troyenne,... — J'ai été de la bande trompeuse de Triphon, — Aussi je redoute le triste empire de Pluton, — La roue de Fortune me natte, — Elle m'est encore favorable, mais je ne sais comment elle va tourner. 45 approfondie par Esculapë1). Mercure encore est le dieu de 1 éloquence 2); Apollon, maïtre du Parnasse, celui du chant et de la poésies); Pallas, la déesse de 1'intelligence4); Diane, celle de la beauté5); Mars est le dieu de la guerre et de la victoire *); Pluton règne sur 1'empire des morts7). La cruelle Atropos arrache au poète ses chers amis8); Cérès donne aux hommes les boissons fermentées9); Bacchus leur procure le vin10). Ailleurs De Casteleyn nous apprend comment Numa Pompilius fonda le temple de Janus, ouvert en temps de guerre"); il mentionne AuroreV2), il connaït les Centaures "j. les Nymphes et les Muses: Melpomène, Clio, Phémonoé, Micalé, Terpsichore, Canens et Spio 14). II parle longuement de la harpe de Terpandre: Als Terpander sijn haerpe maecte ghereet Met zeven choerden, naer tghetal der Planeten, Over Pate, d'eerste nam Juppiter bescheet, Den god Sol, nam over Mesa tbeleet, Parhipate, was onder Saturnus gheseten, Mars Licanos, Trite Luna, magh elck Weten, Venus hadde van Paramese dbestier, Mercurius nam Nete, in sijn secreten l5) (a). t; * •) C. v. R., p. 74. 1 C. v. R., p. 88. 3) C. v. R., p. 100. *) C. v. R., p. 115. 5) C. v. R., p. 142. «) C. v. R., pp. 76, 115. 7) C. v. R., p. 148. 8) C. v. R., p. 70. ") C. v. R., p. 70. 10) C. v. R., p. 70. u) C. v. R., p. 76. ,2) C. v. R., p. 121. 13) C. v. R., p. 74. ") C. v. R„ pp. 100-101 15) C. v. R., p. 184. (a) Lorsque Terpandre fit sa harpe - A sept cordes, suivant le nombre des planètes, — Jupiter prit Paté, la première, pour sa part, — Le dieu solaire assuma 1'autorité sur Mésé, — Parhypaté rëssortissait a Saturne, — Lichanos a Mars, Trité a la Lune, comme tout le monde doit le savoir, — Venus avait la direction de Paramésé, — Mercure prit Nété sous son patronage secret. 46 De Casteleyn, nous 1 avons vu plus haut, aime è nous vanter 1'or de Chypre1), les trésors de Crésus2); il cite avec un plaisir égal la cruauté de Néron3), la puissance et la beauté d'Octavien4), 1'art de Virgile, 1'avarice de Midas, la mémoire de Mithridate, la valeur d'Alexandre, 1'orgueil de Nicanor 5), la sagesse de Socrate 8), enfin Hélène, trois fois enlevée et qui pleure devant un miroir sa beauté flétrie par lage7). Tous ces noms, il les entasse pêlemêle dans ses vers, les met tant bien que mal en rapport avec les sujets qu'il discute. S'agit-il de la médecine, c'est Oppien et Hermocrate raülés par Martial, Pline et Pie racontant les moeurs de 1'hippopotame, Diodore parlant de 1'invention de eet art par Mercure, Macrobe appelant Apollon le premier inventeur, puis Esculape, Polydore, Hippocrate, Galien, Chiron le Centaure qui guérit la blessure d'Hercule, et Tongilius8). S'il est question de la musique, on voit apparaitre les Nymphes et les Muses, avec, a leur suite, Chorebus, Lirus, Pythagore, Hiagius, Lycaon, Prophraste, Terpandre, Amphion, Jopas le harpeur de Didön, Demodocus qui chantait aux repas d'Alcinoüs, Orphée dont la voix attirait les oiseaux, Thalassius et Silène, Amyras et Arion9). II mêle intentionnellement les noms antiques a ceux de la Bible: Al hadt ghi Cresus rijedom, of Methusalems pacht, Salomoens wijsheit, ende Neroets wreet leven. Al hadt ghij Octavianus excessive macht, Al hadde u God Azahels snelheit ghegheven, ■ Al hadde de konst van Virgilius verheven. De schoonheit van Absalon fier van opstelle, Wat helpet als dijn vleesch .den wormen wert bleven, Ende dijn ziele metten duvels in d'helle. Als waert ghij ghelijck Mercurius elegant, Mordadich als Jezabelle spitich van zinne, ') C. v. R., p. 93. *) C. v. R., pp. 94, 114. 3) C. v. R., p. 114. 4) C. v. R„ pp. 114, 130. 5) C. v. R., pp. 115, 148. s) C. v. R., p. 174. 7) C. v. R., p. 123. 8) C. v. R., pp. 72—74. *) C. v. R„ pp. 99-101. 47 Al had ghij vanden zeven vroeden tverstant, De vreckheyt van Midas t'uwen ghewinne, Al droeghen u alle vraukins minne, Al hadt ghij Mythridates memorie groot, Al haddij de subtijlheit van Pallas de Goddinne, Wat zalt u profiteren ter laetster noot? Als ware ghelijck Alexander Magnus u weerde, En ghelijck Mars u victorie t allen strijde, Al hadt ghij Nicanors groote hooveerde, Al waerdij ghelijck Venus altoos blijde, Al waerdij ghelijck Sathan vol van nijde, Al hadt ghij zo menighe proprieteit, Nochtans moettij sterven ten laetsten tijde') (a). Tel poème est un résumé historique de toutes les inventions célèbres dans le domaine des lettres et des arts, depuis les temps les plus reculés jusqu'a 1'époque moderne: Mercurius Quintus naer Diodorus vermonden Vant eerst de letteren in ^Egipten, dats waer, Cadmus drouchere zesthiene daer naer In Griecken, dij hij zelve fantaseerde, Melicius vanter viere toe alsoot bleeck al klaer, En daer toe Palamedes alsmen Trooyen -destrueerde Noch viere ordineerde. Hermippus vand eerst de grammarie : D'edel Poëtrie en slough Orpheus gheen swijcke, Tubal vandt eerst waerven de Harmonie; ') C. v. R., pp. 114—115; cf. les pp. 147—148. (a) Eusses-tu les richesses de Crésus ou le long age de Mathusalem, — La sagesse de Salomon ou la cruauté de Néron, — Eusses-tu le pouvoir immense d'Auguste, — Dieu vous eüt-il donné 1'agilité d'Hasaël, — Dusses-tu posséder l'art sublime de Virgile, — La beauté d'Absalon au port majestueux, — Tout cela, que te servirait-il, si ta chair était abandonnée a la vermine, — Et ton ame aux démons de 1'enfer ? Fusses-tu élégant comme Mercure, — Sanguinaire comme 1'orgueillleuse Jézabel, — Eusses-tu 1'intelligence des sept sages, — Fusses-tu apre au gain comme Midas, — Même si toutes les femmes te portaient amour, — Que tu eusses la mémoire de Mithridate, — Ou la subtilité de Pallas la déesse, — Cela te profiterait-il a 1'extrémité ? Quand tu aurais la valeur d'un Alexandre le Grand, — Quand tu remporterais, comme Mars, la victoire dans tous les combats, — Aurais-tu le grand orgueil de Nicanor, — Serais-tu, comme Vénus, toujours joyeuse, — Serais-tu plein d'envie comme Satan, — Quelques qualités que tu possèdes, — Tu mourras quand viendra le terme de ta vie. 48 Philosophie hief Soerates uten slijeke; Mercurius vandt eerst de Rethorike; Musike vandt Amphion niet om verhabelen, Apollo vandt eerst der medicinen practike; Hesiodus vandt de intricate Parabelen, En Homerus de fabelen.... Chyron vandt eerst de Chijrurgie van verren, . Lycurgus zonder merren de Politie vant; Abraham vandt tkijeken in de Sterren, Moyses zang eerst der metren verstant:... Anaxagoras zoo Polydorus doet besouck, Schreef den eersten bouck metter hant diligent; Ind Duitschlandt eenen Pieter corajeus en klouck Vandt eerst de Prente ende datrament *) (a). Les chansons a boire présentent une succession prodtgieuse de buveurs fameux2) et de coupes célèbres3). Voici, dans-un autre poème, une collection de barbes dont la description savoureuse atteste a la fois le savoir encyclopédique du Rhëtoriqueur et sa verve rabelaisienne: Men heeft wel veel frissche baerden vonden: In Mezentius langhen baert, mocht elck vervroeien, Saturnus prolixicheyt en was niet om gronden. Pelias en Acestes ghebaerde monden, Gheloect als honden, waren niet om vermoien. ') C. v. R., pp. 87 sqq. *) C. v. R., pp. 149 sqq, 3) C. v. R., p. 152. (a) Mercure Quintus, au dire de Diodore, — Trouva d'abord les lettres en Egypte, c'est sür, ~ Cadmus en porta en Grèce — Seize autres inventées par lui-même, — Melitius en trouva quatre de plus, comme on le vit bien après, — Et Palamède, pendant la destruction de Troie, — En ajouta quatre encore. Hermippe inventa le premier la grammaire, — Orphée excella daas la noble poésie, — Tubal découvrit pour la première fois 1'harmonie, — Socrate mit la philosophie en honneur, — Mercure inventa la Rhétorique, — Amphion la musique, la portant a son plus haut degré de perfection, — Apollon appliqua lé premier l'art de la médecine, — Hésiode inventa les paraboles compliquées, — Et Homère, les fables ... Chiron fut, bien avant tous, 1'inventeur de ' la chirurgie; — Lycurgue, du gouvernement des villes, seins tarder; — Abraham fut le premier astrologue, — Moïse chanta le premier sur un rythme bien ordonné:... Anaxagore, ainsi que Polydore le rapporte, — Écrivit le premier manuscrit; — En Allemagne un Pierre, courageux et intelligent, — Inventa l'imprimerie et 1'encre. 49 Piraem ende Antenor, mids Calchas van Trolen Hadden ghestrecte baerden, grijs als aluyn... jopas baert was ghevlochten ghelijck eenen tuin. Mopsus want den sinen driewaerf rondomme d'hant. Den En tellus was g hespekelt, wit, root en bruin,... Cynarus katten baert was al verrot, Men en kender gheen coluer an, dwelck hij begheerde. Busyris vlassen baert, was altoos bekrot. Den Cerberus was zoo vervaerlick besnot. Datter de duvels af liepen harer veerde. Evanders spiautren baert sleepte op d'eerde. Zo den Néstors en Phoenix deen, naer den Poëten. Iphitus kruunckelbaert, was van kleender weerde. Den Achemenides, scheen van den motten gheten. Ucalegons knljffelbaert stack al vul neten. Den Phylemonè krulde buter maten diveers. Charons gheeten baert, was van auden versleten. Op Ulyssen wijnaertschen en quam noit scheers. Martiaels baert scheen een schemijnckels eers. Den Neptunus scheen ghevilt met eenen rostigen messe. Den mijnen is al anders, besieten lancx en diveers, Hij is gloedich alsquame hij ut Vulcanus smesse. Gheen baerden en stonden in Alexander Magnus zin, Hij en mochtse "niet gheluchten tot sinen kies. Earinus ende Nero, bee meer ende min, Schonken den God Esculapio huer baerden vlies, etc.') (a). ") C. v. R., pp. 160—161. (a) On a trouvé bien des barbes fleuries: — Tout le monde se réjouirait de la longue barbe de Mézence, — Celle de Saturne poussait avec une rapidité incroyable, — Les bouches de Pélias et d'Aceste, dont la barbe hirsute — Ressemblait au poil des chiens, constituaient un ornement douteux. — Priam et Antenor, de même que Calchas de Troie, avaient la barbe tressée, grise comme alun ... — Les poils de la barbe de Jopas étaient entrelacés comme une natte d'osier. — Mopsus tournait la sienne trois fois autour de la main. — Celle d'Entelle était tachetée de blanc, de rouge et de brun... — La barbe de chat de Cynarus était toute póurrie; — On n'y distinguait plus' aucune couleur, et cela lui plaisait bien. — La barbe de lin de Busiris était toujours crottée. — Celle de Cerbère était telle? ment couverte de mouchures, — Que les diables se sauvaient de peur quand il approchait. — La barbe cuivrée d'Évandre trainait par terre, — Aussi bien que celles de Nestor et de Phoenix, au dire des poètes. — La barbe frisee d'Iphitus ne valait pas grand'chose. — Celle d'Achéménès avait 1'air d'être mangée des teignes. — La moustache d'Ucalegon était pleine de lentes. — Celle de Philémon frisait extraordinairement. - La barbiche de Charon était tout usée de vieiUesse. ~ Jamais Ulysse ne rasait sa barbe touffue. — La barbe de Martial ressemblait au cul d'un singe. — Celle de Neptune paraissait être coupée avec un couteau 4 50 Avec le classicisme de 1'auteur se développe son sentiment de la beauté plastique. Nous avons pu le constater a propos de ses chansons amoureuses, nous en retrouvons les preuves dans les pièces lyriques insérées dans le Const van Rhetoriken. Notons d'abord une jolie comparaison: 1 amant qui a perdu sa maitresse est semblable a la tourterelle pleurant ses petits qu'un manant a dénichés: 'Ghelijck de Tortele druckich lamenteert Onder des Populiers koel beschauwen . Als den Landman vreuchdelick ghemoveert Haer jongxkens ontrooft ende waentse ophauwen, Sij pijpt, si klaeght, den fcangh is vól rauwen, Gheenrande vreucht en machse vermaken: Zulck is d'amoureus int verlies sinder vrauwen Als hij se niet ghelauwen en kan ter spraken Met hem door sijn waken, ende lievelick haken Verlies van lieve passeert alle zaken ') (a). C'est une amplification de deux vers de la première Êglogue de Virgile: Nee tarnen interea raucae tua cura palumbes Nee gemere aëria cessabit turtur ab ulmo. La description de la beauté féminine, autre thème de prédilection de notre Rhëtoriqueur, se combine chez lui d'une facon assez heureuse avec ses réminiscences classiques: Ghelijck de druve den wijngaert verchiert, Ende vele schoon vruchten, de vette landen, Tsghelijcks bij haer sprake wel ghemaniert, Midts dat si) haer zo zedebarigh tiert Is sij versiert boven elcx verstanden. TC v. R., p. 99. rouillé. — La mienne est tout autre, regardez-la longtemps et de toutes les facons: — Elle est d'un rouge ardent, a la croire sortie de la forge de Vulcain. Aucune barbe ne plaisait a Alexandre le Grand, — II ne pouvait les sentir. — Éarinus et Néron, 1'un et 1'autre, consacraient a Esculape le poil qui leur couvrait le menton. . (a) Comme la. tourterelle se lamente tristement — Sous le frais ombrage du peuplier, — Lorsque le paysan, le cceur rempli de joie, — Lui prend ses petits, dans 1'espoir de les êlever; — Elle gémit, elle se plaint, son chant est plein de tristesse, — Rien ne peut la réjouir; <— Tel 1'amant quand il perd sa maitresse; — Quand il cherche en vain a lui parler, — Pour lui, qui veille et qui souplre après elle, — La perte de 1'aimée est la pire de toutes. 51 Ghelijck Bacchus heeft sij delicate handen, Thaer ghelijck Apollo, tcoluer van gauwe, Si) heeft Venus ooghen, die mij doen verbranden... Ghelijck de roose schoon, bloeit metten dauwe In den blijden nuchterstont, is dese Deesse Gloeiende int aenschijn, de zuver Kerssauwe') (a). II y ajoute 1 'énumération des vertus morales de la belle, qui avaient pris si peu de place dans la poésie érotique du moyen êge: Ick prise haer manieren zonder aelwaricheit, Ick prise dat sij hooghelick is ghemoet, Ick prise menichvuldich haer zedebaericheit, Ick pris» dat sij absent mijn liden versoet, Ick prise dat sij rijcke is ende ghegoet, Ick prise haer wesen corajues ende eerbaer, Ick prise dat sij mij zomtijt met iemand groet. Ick prise haer roode lieren ende haer ghelu haer, Ick prise dat sij mij draeght goe jonst eenpaer, Ick prise dat sij zomtijt om mij wilt waken, Ick prise al tgheent dat haer ankleeft, maer Haer bij zijn 'prisick voor alle zaken*) (b). Comme les humanistes du seizième siècle, quoique avec bien plus de respect pour la tradition nationale. De Casteleyn reconnaït dans 1'étude de 1'Antiquité gréco-latine un moyen efflcace d'enrichir sa culture intellectuelle et de former les futurs poètes. II essaie ') C. v. R., pp. 162-163. *) C. v. R., p. 1H; cf. la p. 156. (a) Comme le raisin embellit la vigne, - Et [abondance des beaux fruits les champs fertiles, - Ainsi son langage plein de courtoisie, - Et 1'honnêteté de sa conduite — Lui donnent une- grace qui dépasse toute intelligence. - Elle a les mains délicates de Bacchus, - La chevelure dorée d'Apollon, - Les yeux de Vénus, dont le feu me consume... - Ainsi que la belle rose fleurit dans la rosée, — Au matin qui réjouit le cceur, le visage de cette Déesse, - De cette pure beauté, s'épanouit a mes yeux. (b) Je loue son air sérieux et intelligent, - Je loue la noblesse de son ame, Je loue maintesfois son honnêteté, - Je la loue paree qu' absente, elle adoucit mes souffrances, - Je la loue paree qu'elle est riche et a sonaise, - Je loue son courage et sa probité, - Je la loue paree que, parfois, elle me salue avec quelqu'un — Je loue ses joues roses et ses cheveux dorés, - Je la loue paree qu'elle m'est favorable; - Je la loue paree qu'elle veut bien veiller pour 1'amour de moi, - Je loue tout ce qui se rapporte a sa personne, mais - Sa présehce, je la loue avant toutes choses. 52 de montrer la voie a ses disciples en transposant dans son Art de Rhétorique les mythes des Anciens, il fönde ses préceptes sur 1'autorité des plus grands orateurs et poètes de Rome et de la Grèce. il vante leurs talents particuliers et cherche a mettre les formes poétiques de la littérature ancienne en rapport avec la prosodie" des Rhétoriqueurs. On peut lui reprocher a juste titre les interminables séries de noms classiques dont il prétend orner ses poèmes, mais c'est surtout dans la dernière partie de son entreprise: justifier la versiflcation de 1'époque par des exemples empruntés aux poètes antiques, qu'il a le plus complètement échoué. De Casteleyn, évidemment, n'a guère pensé a sonder 1'abime qui sépare 1'ancienne prosodie de celle des Chanjbres de Rhétorique et sur lequel il a jeté un pont trop fragile. Toutefois, si le sens historique lui fait défaut a 1'extrême, si les régies de versiflcation qu'il se propose d'enseigner suivant la doctrine classique sont le plus souvent d'une puérilité insigne, 1'effort en général annonce une nouvelle orientation poétique de 1'époque et caractérise De Casteleyn comme le lointain précurseur d'une période littéraire qui a valu aux Pays-Bas ses plus grands prosateurs et poètes. VII Les Refereynen d'Anna Bijns. — Leur classicisme. — Leurs tendances morales L'auteur ennemie de la Réforme. — Son manque de sens historique. ~ II y a, dans la facon dont ils accueillent et propagent 1'humanisme, un contraste remarquable entre Matthieu De Casteleyn et Anna Bijns. Celui-la s'abandonne tout entier au courant des idéés nouvelles, celle-ci subordonne résolument ses aspirations classiques — si elle en a — a une cause pour laquelle, pendant sa longue vie, elle n'a cessé de combattre avec toute 1'ardeur de son tempérament passionné: le triomphe de 1'Église catholique sur le protestantisme naissant. Née a Anvers en 1494, de bonne bourgeoisie, elle se consacre dès 1520 a la Rhétorique, vantée par elle dans un Êloge qui date de 1528. La même année elle publie son Premier Livre de Refereynen contre la secte maudite des Luthériens, „de vermaledijde Luthersche secte." Son recueil, réimprimé quelques années plus tard, fut édité une troisième fois en 1548,avec un second volume de vers, imprégné du même esprit que le 53 précédent. Les deux volumes reparurent en 1564 et en 1565 ; un troisième recueil, publié par les soins du Ministre provincial, Henri Pippink, vit le jour en 1567. Anna Bijns, ayant alors 73 ans, travaillait depuis 1536 au moins dans le Roosterken, petite maison que lui avait léguée un prêtre de Notre-Dame dAnvers. Elle mourut après avoir atteint 1'age de 80 ans environ-et fut inhumée au cimetière de Notre-Dame1). En dehors des recueils que nous venons de mentionner, il nous reste d'elle en manuscrit un certain nombre de Refereynen dont une centaine a été publiée en 1886 par Jonckbloet et Van Heiten2). Cette poésie religieuse et profane date probablement du temps oü elle composa ses premières pièces contre le luthéranisme. Elles montrent chez 1'auteur quelques notions de 1'histoire et de la mythologie antiques, transformées, déflgurées même au cours du moyen age. Anna Bijns nous y apprend qu'Orphée, par les sons de sa harpe, sut attirer les animaux sauvages3), que Darius a été fort riche4), Alexandre un monarque puissant5); Virgile, dont elle rappelle les aventures amoureuses °), est pour elle un grand clerc7), Sénèque un philosophe d'importance % Cicéron un orateur distingué9); ce dernier est jugé, avec Philon et Homère, un des maitres de la langue10). Elle connaït quelques mythes anciens: les amours de ') Sur Anna Bijns et son oeuvre, consulter Kalff, Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde in de XVIe eeuw, I, pp. 160 sqq.: Id., Geschiedenis der Nederlandsche Letterkunde, III, pp. 13, 21, 48 sqq., 76, 112-113, 150; W. Duflou, Revue de llnstruction publique, XXXIV, 5e livraison, 1891 ; M. Basse, Mélanges Paul Frédéricq, Bruxelles, 1904, p. 99; Te Winkel, De Ontwikkelingsgang der Nederlandsche Letterkunde, L pp. 230 sqq. Les trois recueils de Refereynen ont été publiés sous le titre de Refereinen van Anna Bijns, uitgegeven door A. Bogaers en W. L. van Heiten, Rotterdam, 1875. *) Niéuwe Refereynen van Anna Bijns, uitgegeven door W. J. A. Jonckbloet en W. L. van Heiten (Maatschappij der Vlaamsche BMiophilen), Gent, 1886. *) Ref. LIV. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III, Ref. LXIII. 4) Ref. XXXIV. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III, Ref. IX, XXXIX. 5) Ref. IV, XXXIII (8 septembre 1525), LXI. Voir aussi plus bas. •) Ref. XXXVIII. 7) Ref. IV. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III, Ref. LXVIII. 8) Ref. V. *) Ref. XXVI. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III, Ref. XVI, XXXIX, LXIX. in) Ref. XXVIII. 54 Didon et d'Énée 1). de Pyrame et Thisbé2), d'Euryale et Lucrèce 3), de Troïle et de Briséis, qui se consola avec Diomède de la mort de son premier amant4), de Déjanire abandonnée par Hercule pour 1'amour de la jeune Iole5), d'Hypsipyle délaissée par Jason en faveur de Médée % d'Hélène, 1 epouse infldèle, aimée de Paris7), de Clytemnestre assassinant son mari8), de Pénélope gardant la foi engagée a Ulysse9), de Porcia qui remplit sa bouche decharbons ardents en apprenant la mort de Brutus10), de Vinia restée fidéle .a la mémoire de son père u). Elle égale 1 age d'or de Saturne a celui d'Auguste12); elle parle de Jupiter accordant ses dons et ses faveurs a Danaé18); Mercure et Fortune tiennent chez elle leur röle traditionnel, le premier inspirant les poètes et les musiciens14), 1'autre-présidant a la destinée des hommes M). Vénus enfin est pour elle la déesse de 1'amour, la. protectrice des amants et surtout des prostituées16), Elle développe encore le thème des beautés et vertus de la femme aimée17). Mais Anna Bijns n'est pas une savante comme Matthieu de Casteleyn, et elle n'est poète que par son exaltation religieuse et 1'ardeur avec laquelle elle défend 1'Eglise romaine. Déja dans ses premiers poèmes elle se ') Ref. XXXII, XXXVII, XXXVIII, LXIII (31 oetobre 1526), LXXXVIII (4 septembre 1528). *) Ref. XXXII, LXXXVIII. 3) Ref. XXXII, LXXIV, LXXXVIII.. 4) Ref. XXXVIII, LXVII (30 décembre 1526), LXXIV, LXXXVIII ') Ref. LXVII. s) Ref. XXXVIII, LU, LIV, LXIII, LXXXVIII; cf. le Ref. LXVII *) Ref. XXXVIII, LXXIV. ") Ref. XXXVIII. *) Ref. XXXVIII. 10) Ref. XXXII, LXXXVIII. ") Ref. XXXVIII. — II sagit probablement de la fille de T. Vinius, légat de 1'empereur Galba, tué avec ce dernier. ") Ref. XX. 1S) Ref. XXXVIII, LXXXI. u) Ref. XX, LIV. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III, Ref. LXII. ) Ref. XXXVII. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III, Ref. LXX (11 novembre 1527). ,6) Ref XVI, XXXI, XXXVIII, L (23 novembre 1525). LI (26 novembre 1525) LVIII (4 avril 1526), LX, LXXII (22 juillet 1527), LXXIII, („Boven Venus, Juno, Pallas. de goddinnen, — Docht ic hem schoone..."), LXXXVIII. Cf. Refereinen van Anna Bijns, Livre III. Ref. VI, IX, XXXI. 17) Ref. XXX. 55 montre è peine sensible aux charmes d'un beau paysage: si elle en parle, c'est pour nous exhorter aux bonnes oeuvres: Wat baet ons der boomen lustelijck bloeyen, Oft der fonteynen ghenoechlijck vloeyen Als wij niet en* groeyen vol goeder wercken ') (a) ? On découvre ici les premières traces de cette tendance moralisatrice, de ce besoin de prêcher, qui s'accentuera dayantage dans^ les trois livres de Refereynen publiés du vivant de 1'auteur. Elle n'apprécie les Anciens que dans la mesure oü ils se trouvent d'accord avec ses idéés morales. Elle cite Sénèque, plus tard Platon et Virgile, paree que le moyen age les considérait comme les précurseurs et les propagateurs du christianisme, et le livre de la croix, „het boek des crucis", lui paraït inflniment supérieur a tous les trésors de la sagesse antique: Tegen dit boek moet eertsche wijsheyt smalen, En pompose eloqnentie moet dalen. Cicero, Philo, Homerus, zoet van talen Werden stom gheacht 3) (b). Les jouissances terrestres, les plus austères même, ne sont rien auprès des biens célestes que 1'on conquiert en renoncant au monde, è la chair et aux oeuvres de Satan: Wat baten eest, datmen hier veel triompheerdt En om tijdtüjck gewin malcanderen trompeerdt Oft datmen na veel consten zeer practizeerdt En wonder wilt weten ? Wat baten eest datmen veel boeken studeerdt? Wat batet datmen veel goeds conquesteerdt Oft datmen in den loop des hemels speculeerdt Sterren en planeten ? ') Ref. VII. *) Ref. XXXIX. 3) Ref. XXVIII. (a) Que nous sert-il de voir les arbres se couvrir de belles Beurs, - Ou de voir les fontaines couler agréablemeht, - Si nous ne croissons pas. pleins de bonnes oeuvres? (b) Auprès de ce livre la sagesse terrestre doit diminuer, - Et la pompeuse éloquence perdra sa valeur, - Cicéron, Philon, Homère au doux langage. ~ Semblent être muets. 56 Wat batet de wijde der eerde meten Oft dat men weet veel verborgen secreten Door astronomije ? Al ware eene zoo wijs als alle poëten. Heeft hij tprofijt sijnder siele vergeten, Wat baat clergie, Theologije oft philósophie, Wellusticheyt, rijckheit oft heerschappie ; Dat en mag ons hier niet helpen eene boone. Salich is hij dié weerstaet sijn tegenpartije, De weerelt, tvleesch en de helsche prije: Die volherdelijck strijdt, vercrijght de croone') (a). Ces vers caractérisent 1'attitude d'Anna Bijns envers rhumanisme. Faut-il s'étonner si è chaque instant, en citant les légendes de la mythologie gréco-latine, elle revient a ses personnages bibliques et si les livres apocryphes sufflsent a peu prés a ses besoins intellectuels? Dans le Premier Livre des Refereynen parus pendant sa vie, il n'y a pas tracé de 1'influence de ce classicisme auquel ses contemporains vouent un culte aussi fervent, dans le Second elle condamne sévèrement la peinture du nu mise en vogue par l'art italien. Sous ce rapport elle confond dans sa haine luthériens et humanistes. Les hérétiques se plaignent, dit-elle, qu'on admette dans les églises les images des saints, mais ils ne se choquent guère de 1'inconvenante nudité des statues antiques. C'est un reproche qu'elle ne se lassè pas de leur faire: Ic heb corts gehoort, truyscht noch in dooren mij. Dat dees boeven ooc claghen even ghedichte, Dat sij der sancten beelden, tes vrempt om hooren vri>, Hebben gheeerdf; wie souder hem niet stooren bij? ') Ref. XLVII (12 novembre 1525). Cf. Refereinen van Anna Bijns, L III Ref. LXII. (a) Que sert-il de triompher ici-bas, — Et de se tromper l un 1 autre pour un gain peu durable, — De pratiquer beaucoup d'arts, — Et de savoir des choses miraculeuses ? — Que sert-il détudier beaucoup de livres, — A quoi bon acquerir tant de biens, - A quoi oon suivre au ciel, - Le cours des étoiles et des planètes ? — Que sert-il de mesurer- la grandeur de la terre, — Ou de connattre beaucoup de secrets, — Que nous découvre 1'astronomie ? — L'homme füt-il aussi sage que tous les poètes, - S'il a oublié de travailler au salut de son Sme, — Quel proflt lui apporterait la science, — Théologie ou philósophie, — Volupté, richesse ou domination ; — Tout cela ne nous sera d'aucun avantage. — Heureux celui qui résiste a son adversaire, — Le monde, la chair et le séducteur infernal, — Qui combat et persévère, obtiendra la couronne. 57 Maer dat sij Cupido, met sijnen stichte, Lucretia, Venus oft een haer nichte In haer, cameren stellen puer moeder riaeckt, Dwelck tot onsuverfeeden mach trecken lichte, Al waert dat alle menschen ontstichte, Dat en achten sij niet, hoe sijn sij misraeckt1) (a)! Ces adhérents de la nouvelle doctrine, qui fuient 1'idolatrie, et prétendent réformer 1'Église, ont suivant elle des mceurs détestables : ils aiment 1'argent, passent leur temps a boire et a paillarder et fréquentent le temple de Bacchus au lieu de la maison du Seigneur : De Lutheranen sijn al Gods totter sielen Sij seghenen de kercke metten hielen, Sij willen hen wachten van afgoderijen, Sij eeren mammon en willen niet knielen Voor tcruys ons Heeren, maar willent vernielen, En mueghen niet lijden den sanck der dergien; Maer in Bacchus kercke horense de ghetijen Daer Venus clercken int wilde singhen Vleesschelijcke liedekens, daer sij in verblijen; • Met brassen, boeleren, sij den tijdt duerbringhen *) (b). Luther lui-même, ce moine defroqué, conseille aux serviteursde 1'Église de violer leur promesse de chasteté, et leur donne 1'exem'ple en se mariant3). Les injures contre eet apostat lui coütent peu; et elle appelle les philosophes et les poètes de 1'antiquité a son aide pour le maudire: ') Refereinen van Anna Bijns. Livre H, Ref. III; cf. les Ref. VII, XI du même livre. *) Livre II, Ref. VII ; cf. les Ref. X, XI, XIII, LXI. *) Livre II, Ref. XVIII. (a) J'ai appris 1'autre jour, et le bruit retentit encore è mes oreilles, — Que ces gredins, également, se plaignent sans eesse — D'avoir rendu honneur, chóse étrange, — Aux images dés saints; qui n'en serait choqué? — Mais qu'ils placent Cupidon avec sa flèche, — Lucrèce, Vénus, ou une de ses nièces, — Nus comme la main, dans leurs chambres, ~ Ce qui peut facilement exciter desdésirs impurs, — Ils n'en tiennent aucun compte; ah! qu'ils sont méchants! (b) Les Luthériens conflent leur Sme a Dieu, - Ils bénissent l église avec les talons, — Ils veulent se garder d'idotètrie, — Ils vénèrent Mammon et refusent de s'agenouiller — Devant la croix de Notre Seigneur, mais ils cherchent a la détruire, — Ils ne peuvent souffrir le chant des prêtres, — Mais ils enfendent les complies dans le temple de Bacchus, — Oü les prêtres débauchés de Vénus chantent ~ Des airs voluptueux qui les réjouissent, — Ils passent leur temps a boire et a paillarder. 58 Xenocrates, philosooph en oratuer vreet, En sout niet utspreken, al was hij excellent, De boosheyt, die tvolc duer Luthers erruer doet. Xenophanes, póeta, al waer hij present Met Xenophon, philosooph van Athenen gent, En souden niet volschrijven, utspreken met tongen De leelijcheyt, die we+t_ghesthrèveri, gheprent Ut Luthers monde te quaet spreken ghewentl) (a). Dans ses deux derniers recueils de Refereynen comme dans les poésies écrites en son jeune age, Anna Bijns recourt a 1'histoire et a la mythologie anciennes pour appuyer ses thèses morales. Si Nicanor, Héliodore et Antiochus2), ces ennemis du peuple élu, attestent par leur chute la puissance divine, Dieu punit aussi 1'orgueil dAlexandre et 1'apostasie de Julien3). La mort triomphe de toute grandeur terrestre: Wat mocht Sardanapalo sijn wellust baten? Wat helpt eere, rijekdom oft hooverdije? Als de doot comt, moetment hier al laten. Wat hielp Aristoteli sijn philosophije ? Waer is Alexanders macht en heerschappije ?. . . Wat baette Salomon al sijn glorie ? ^ Wat holpen Mathusalem sijn lange jaren? Waer is nu Julius Caesars victorie, Die veel Coningen dwanc met sijnder scharen ?... Waer is Absalon die schoone? overleden. Waer is Sampson, Hercules, groot van crachte? Haer graven werden mêt voeten getreden, Sij liggen in deerde als dongeachte, Waer is Priamus en sijn edel geslachte, Wiens glorie men in Troyen sach blinken? Waer is tGriecsche heyr, dat Troyen tonderbrachte ? O doot, hoe bitter is u ghedincken4) (b)! ') Livre II, Ref. XXIV. *) Livre II, Ref. IV. ') Livre Bt Ref. n. 4) Livre III, Ref. IV. (a) Xénocrate, le sage philosophe et orateur, — Ne saurait dire, si excellent füt-ili — Tout le mal que fait le peuple, seduit par Terreur de Luther, — Xénophane le poète, fflt-il présent — Avec Xénophon, l'éminent philosophe d'Athènes; — Ne décriraient pas, n'exprimeraient pas, — Toutes les horreurs, écrites, imprimees, — Qui sont sorties de la bouche de Luther, habituée a médire. (b) A quoi servait a Sardanapale sa volupté, — A quoi bon richesses, honneurs, orgueil? — Quand vient la mort, il faut tout abandonner. _ A quoi servait a 59 Les plus redoutables forteresses s'écroulent sans 1 'aide du Seigneur*); Jules César et Alexandre nous prouvent que rien ne saurait satisfaire celui qui vit sans connaitre la souveraine Divinité2). Nous constatons encore chez Anna Bijns cette confusion étrange de souvenirs bibliques et mythologiques qui frappe tant chez Matthieu de Casteleyn et qui semble être un des caractères de la poésie des Rhétoriqueurs, la conséquence inévitable de leur manque de sens historique. Le Refereyn LXX du Troisième Livre en offre un curieux spécimen. Cette pièce, qui remonte aux débuts poétiques de 1'auteur, puisqu'elle date du 11 novembre 1527, développe assez longuement le thème de 1'age d'or de Saturne et d'Octavien. La légende de 1'époque saturnienne est assimilée aux prophéties de Daniël, celle d'Auguste amène de la facon la plus inattendue notre poétesse a glorifier la naissance de Jésus-Christ et la fondation de 1'Église. De weerelt wert voortij ts gecompareert Vanden ouden Poëten bij den goude claer; Dat was doen, maer nu, alsment wel estimeert. En isse nau ijseren, dit vinden wij waer. Leest Danielis in tweeste, siet wat staet daer Van dbeelt, dat Nabuchodonosor sach prijcken: Thooft was gout, de borst silveren, de beenen maer Ijseren en de voeten eerden oft slijcken. Daertrijc vruchtbaer en overvloedicb was. Doen Saturnus Coninc besat dlant van Creten. Tvolc doen rechtveerdich, warachtich, voorhoedich was, Lanclijvich, manierlijck in drinken, in eten... Doen alde werelt onder subject ie stont Van Octaviano, twas guldenen tijt. >) Livre ui Ref. IX. XXXIX. *) Livre m, Ref. VII. Arlstote sa philósophie? — Oü est la puissance, oü 1'autorité d'Alexandre? Quel proflt Salomon a-t-il tiré de toute sa gloire ? — Quel avantage Mathusalem eut'il de ses longues années? — Oü sont les victoires de Jules César, — Qui. avec ses armées, soumit bien des rois?... — Oü est Absalon, ce beau jeune homme? décédé. — Oü Sont Samson, Hercule, dont la force .était si grande ? — Leurs tombes sont foulées aux pieds, — Ils sont couchés sous la terre comme ceux qu'on n'estime pas. — Oü est Priam avec sa noble race, — Dont on vit briller la gloire a Troie? — Oü est 1'armée des Grecs qui subjugua Troie? r- O mort ! que ta pensée est amère! **, ■*'- 60 Int volck men doen alsulcken perfectie vont, Sij en hadden geen tweedracht haet oft nijt. Men storte geen bloet, daer en was geenen strijt, De Landtman met rusten zijn vruchten maeyde, Tvolck was'doen breurlijk met malcanderen verblijf, T Rethorijcke, Musijcke den geest verfraeyde, Dwoordt wert vleesch, dwelck Godt in Madam saeyde, De prince des pays wert doen geboren, Die duer zijn doot svaders gramschap paeyde En tschaepken thuys brachte, dat was verloren, Apostelen, menschen van Christo vercoren, Ontflngen vlijtich zijn Godlijcke doctrijne... Als ick hier op peyse, ick segge als voren: Tis seer verkeert dat plach te zijne (a). Ce dernier trait achève la peinture d'Anna Bijns dans ses rapports avec un des mouvements les plus considérables du seizième siècle. Son éducation classique est loin d'être compléte. Ce qu'on trouve chez elle d'éléments humanistes, elle la hérité du moyen 3ge; elle se montre incapable de comprendre la valeur de cette Renaissance des arts et des lettres qui a mis son empreinte sur une littérature de quatre siècles. Tout ce qui lui paraït contraire a la réalisation de son idéal: la gloire de la Sainte Église romaine, idéal d'une conception singulièrement étroite, elle 1 ecarté, elle s'y oppose, elle le traite avec hostilité et dédain. Ce n'est pas elle qui aurait terrassé le monstre Ignorance, contre lequel, a la (a) Les anciens poètes ont comparé jadis — Le monde a l or brillant; — C'était vrai en ce temps-la, mais a y bien regarder, — C'est maintenant 1'Sge de fer. — Lisez le deuxième chapitre de Daniël, voyez ce qu' il écrit — Sur 1'image resplendissante que vit Nabuchodonosor: — La tête était en or, la poitrine enargent, les jambes — Rien que de fer, les pieds de terre ou de boue. La terre féconde produisait des fruits en abojadance — A 1'époque oü Saturne régnait sur le pays de Crète; — Lejeupie^etait alors juste, sincère, prudent, — Sobre et on atteignait un age avancé... Lorsque le monde entier était soumis a Octavien, c'était 1'age d or, — Les hommes étaient d'une perfection telle — Qu' on ne trouvait parmi eux ni discorde, ni haine, ni envie, — Le sang n'était pas versé, on ne faisait pas la guerre, — Le laboureur récoltait ses fruits en paix, — Une douce fraternité régnait parmi le peuple, — La Rhétorique, la Musique embellissaient les esprits. — Le verbe fut fait chair, Dieu le sema en Marie; — Alors naquit le prince de la paix — Qui, par sa mort, apaisa le courroux du Père — Et ramena la brebis égarée. — Les apötres, les élus du Christ, — Recueillirent avec zèle sa doctrine céleste: — Quand je songe a tout cela, je répète comme tout a 1'heure: — Ce qui existait autrefois a changé de mal en pis. 61 même époque, sacharnent un Du Bellay et un Ronsard. Peusen fallut que. grace a ses efforts. vigoureusement appuyés par les édits du Gouvernement contre 1'hérésie, la pauvre Muse grecque ne se réfugiat au Parnasse d'oü elle venait de descendre. Mais le s'ecours lui vint de France, un secours faible d'abord, bientöt puissant. et qui décida de la victoire au moment oü le calvinisme remporta ses premiers triomphes sur la religion catholique et la tyrannie espagnole. DEUXIÈME PARTIE Luc de Heere et la première Renaissance francaise1). ff La jeunesse de Luc de Heere. - Son recueil de vers: divislon des poèmes qu'il renferme. * En 1565 parut chez Gislain Manilius a Gand un petit volume de vers qui, malgré ses modestes dimensions et la médiocrité de sa poésie, est d'une assez grande importance littéraire, paree qu'il constitue un des premiers monuments de la Renaissance des lettres néerlandaises sous 1'influence de la poésie francaise. Le recueil était intitulé: Den Hof en Boomgaerd der Poësien. inhoudende menigherley soorten. van Poëtijckelicke blommen; dat is divaersche materiën, gheestelicke, amoureuse, boerdighe etc, oock divaersche schoon sententien, inventien ende manieren van dichten, naer d'exempelen der Griecsche, Latijnsche, en Fransoische Poëten, en in summa alzulex dat een yegelick daer yet in vinden zal dat hem diend, oft behaeghd (a). Le frontispice portait encore le nom de 1'auteur: Autheur Lucas dHeere,''Schilder van Ghend, puis deux devises: Tou^ste i& tbeste (b), et Paeys is goedt(c); enfin le nom du libraire: Te Gendt, Bij Ghileyn Manilius,ghezworen ') Cf. S. Eringa, Luc de Heere et la seeonde Renaissance francaise (Neophilologus, Groningen, 2e Jaargang, p. 161). (a) Verger et bocage de la poésie, contenant plusieurs sortes de fleurs poétiques: c'est-è-dire, divers poèmes religieux, des poésies .amoureuses °" badines, etc, différentes belles sentences, des formes poéüque's*éÈrikentées d'après les modèles grecs, latins èt francais, une collection, pour tout dire, oü chacun pourra trouver son compte, (b) La chose la plus antique, c'est la meilleure. (c) La paix est bonne. 63 Drucker, wonende bij de vijf Helmen, op de Cooren Leye. Anno MDLXV. Met Privilegie voor drie Jaren1). Le peintre 'flamand qui publiait ici ses Juvenilia était le fils de Maïtre Jean de Heere, sculpteur-architecte, et d'Anne Smijters, excellente miniaturiste. II avait recu d'eux les premières lecons de dessin et de peinture. Accompagnant son père dans ses voyages aux carrières du Namurois, il s'était exercé dès lors, sous ses yeux, è dessiner d'après nature les vues des bords de la Meuse et les sites montagneux des Ardennes. Doué d'une rare aptitude, il fit de rapides progrès, puis il entra en apprentissage chez Frans Floris, a Anvers, 1'un des maïtres les plus renommés de la période de transition qui sépare 1'école flamande primitive de celle de Rubens % Le jeune De Heere ne tarda pas a se placer au premier rang des élèves: son biographe Charles van Mander nous apprend qu'il exécuta nombre de dessins ou patrons de tapisseries et de verrières qui passèrent pour 1'ceuvre du maïtre. Ses talents lui valurent bientöt une réputation qui s etendit au-delè des frontières de son pays. L'artiste gantois, en quittant 1'atelier de Frans Floris, partit pour la France et s'arrêta a Fontainebleau, oü le chateau, orné par Francois Ier de chefs-d'oeuvre de peinture et de sculpture, offrit a ses études un véritable musée. La reine Catherine de Médicis lui commanda des dessins de tapisseries pour les résidences royales; c'est ainsi que Luc de Heere eut 1'occasion de connaïtre les grands artistes que la munificence des Valois et des Médicis attirait et retenait alors a la cour de Henri II ). II a pu voir de ses propres yeux le poète Ronsard a qui, humaniste consommé, „la Peinture et la Sculpture estoient a sin- >) Pour d'autres détails bibliographiques, voir la Bibliotheca Belgica, qui domus une liste fort compléte d'ouvrages a consulter sur Luc de Heere, jusqu'a 1899. Pour la littérature après cette date, cf. Kalff, Gescfcfederos dér Nederlandsche Letterkunde. III, notes de la p. 357. J'ai consulté avec fruit le chapitre de M. Kalff sur De Heere, figurant dans le même volume, pp. 330 sqq. s) Sur Frans Floris, voir ci-dessus, p. 16. 3) Cf. 1'article d'Édouard de Busscher sur Luc de Heere dans la Biographie Nationale, publiée par 1'Académie royale des sciences, des lettres et des beauxarts, Bruxelles, 1876, t. V, tol. 152 sqq. - Sur le milieu artistique oü Luc de Heere a vécu pendant son séjour en France, voir E. Boürciez, Les Mceurs polies et la Littérature de Cour sous Henri II, Paris, 1886, pp. 247 sqq., p. 269; J. Plattard, Les Arts et les Artistes de la Renaissance Frangaise (Revue d Histoire Littéraire de la France, année 1914, pp. 481 sqq.). 64 gulier plaisir" '); il aura sans doute lu les vers que Mellin de Saint-Gelays composait pour les mascarades et les fêtes de la cour; il assista au dernier épisode de cette fameuse lutte entre 1'école marotique et la Pléiade dont le clairon de Du Bellay avait donné le signal et qui se termina par la réconciliation des deux chefs et le triomphe de Ronsard. Sa curiosité s'intéressa vivement a cette querelle littéraire. Ayant lu avec soin les poèmes de Marot parus dans 1'édition de 1544, ainsi que les pièces que Michel Marot, flls de Maïtre Clément, avait trouvées a Chambéry après la mort de son père (1545)'2), et qui circulaient en manuscrit a Paris, il prit connaissance de X'Art poétique frangoys de Thomas Sebillet, de la Deffènce ei Illustration de la langue frangoyse par Joachim du Bellay; il goüta les premières odes et les premiers sonnets de la nouvelle école, surtout les Amours que Ronsard publia succéssiveiment en 1552 et 15533). De Heere resta en France jusqu'en 1553. Cette année-la il revint a son pays natal, pour passer bientöt en Angleterre, probablement a la suite des ambassadeurs de Charles-Quint, chargés~de conclure le mariage de la reine Marie Tudor avec le prince Philippe d'Espagne. Le comte d'Egmónt et ses collègües partirent de Flessingue sur un des batiments dAdolphe de Bourgogne, protecteur du jeune prince, et a qui celui-ci dédia plus tard son recueil de vers4). En Angleterre De Heere fit les portraits de 1'amiral ') Binet, Vie de Ronsard, cité par H. Chamard, Joachim du Bellay, p. 86. Cf. Ronsard, CEuvves complètes, éd. crit. par P. Laumonier, Paris, 1914 (Société des textes francais modernes), II, p. 157, Ode a son Luc. *) Cf. O. Douen, Clément Marot et le Psautier Huguenot, Paris, 1878, L p. 398, n. 2. ) Sebillet, Art poétique frangoys, éd. crit. p. F. Gaiffe (Société des Textes f rangais modernes). Paris, 1910; Joachim du Bellay, La Deffence et Illustration de la Langue francoyse, éd. crit. p. H. Chamard, Paris, 1904; Les Amours de P. de Ronsard Vandomois, p.p. H. Vaganay et J. Vianey, Paris, 1910. ■*) Cf. De Busscher, arf. cit. — Adolphe de Bourgogne, premier bailli de Gand et seigneur de Wackene, devint en 1555 vice-amiral des Pays-Bas. II avait épousé Jacqueline de Bonnières, dit Souatre, et habitait le chateau Te Poele ou Hof van Wackene. Après 1'abdication de Charles-Quint, en 1555, il accompagna celui-ci en Espagne. En 1558, pendant la guerre entre la France et 1' Angleterre, il commandait 1'escadre que Philippe II envoya au secours de 1'amiral Clinton. En 1559 il devint Chevalier de la Toison d'Or et reconduisit Philippe II en Espagne. II mourut en 1568. Cf. Ph. Blommaert, De Nederduitsche Schrijvers van Gent, Gent, p. 135, n. 2; et son Levensschets van Lucas d'Heere, Gent, 1853, p. 15 ; De Busscher, Recherches sur les peintres et sculpteurs a Gand aux XVIe, XVIIe, XVIIIe siécles, Gand, 1866, p. 307. 65 Clinton, de Marie Tudor (1554), de Philippe II, de Lord Henry Darnley, époux de Marie Stuart, d'autres tableaux encore, datant de 1555 a 1558. De retour a Gand en 1559, il peignit Le roi Salomon accueillant la reine de Saba, production biblique, remarquable par les charmantes têtes de jeunes femmes, types de 1'école de Frans Floris1). Vers ce temps-la le peintre flamand s'éprit d'une jeune protestante belle et lettrée, Éléonore, fllle de Pierre Carboniers, bourgmestre et intendant de la ville de Vere en Zélande2). II est probable que 1'artiste a connu la jeune fllle è Middelbourg. C'est la que De Heere se rendait fréquemment a 1'invitation d'Adolphe de Bourgogne, qui y résidait en sa qualité de vice-amiral des PaysBas. Le bourgmestre de Vere 1'ayant chargé de faire le portrait de sa fllle, Luc de Heere envoya sa peinture è MUe Carboniers en 1'accompagnant d'une épigramme oü il lui présentait ses hommages et se rappelait a son bon souvenir8). Ce fut le commencement d'un amour sérieux et profond, qui trouve son expression dans deux ou trois Êpitres et un Sonnet, adressés a la jeune demoiselle et figurant dans Den Hof en BoomgaevfFder Poësien. Malgré la résistance que De Heere rencontra chez les parents d'Éléonore, qui auraient préféré pour elle un mari noble et plus riche, il finit par 1'épouser vers 1560. Ces détails biographiques nous ont paru nécessaires, d un coté pour expliquer 1'esprit qui anime la poésie de Luc de Heere et pour noter les événèments qui lui inspirèrent ses vers, d'autre part pour rendre compte de la composition hétérogène du recueil du poète flamand et de la diversité de son contenu. En effet, Den Hof en Boomgaerd der Poësien renferme des pièces de nature et de dimensions trés variées: Den Temple van Cupido, traduit du Temple de Cupido que Marot présenta en 1515 a Francois jer4j. paradoxa, an Marcus van Vaernewijck; une Ode, célébrant ') Cf. De Busscher, art. de la Biogcaphie Nationale; Lionel Cust, Lucas d'Heere, Painter and Poet of Ghent (Magazine of Art, 1891, p. 354); M. Rudelsheim, Lucas dHeere (Oud-Holland, Amsterdam, 1904). *) Sur Éléonore Carboniers, voir De Busscher, art. cit.; Blommaert, De Nederduitsche Schrijvers van Gent, pp. 71, 135; M. Rudelsheim, art. cit., pp. 87 sqq. 3) Hof en Boomgaerd, p. 46. 4) Cf. Sainte-Beuve, Tableau historique de la Poésie francaise. Paris, Charpentier, éd. de 1842, pp. 19—21 ; Douen, op. cit, I, pp. 41 sqq. 5 66 le retour d'Espagne d'Adolphe de Bourgogne et sa joyeuse entrée dans la ville de Gand en 1563; deux Épigrammes adressées a Madame van Wackene et aux échevins de Gand, de la même année; une autre Ode, Het Gendsche Helicon en Parnassus (a), oü De Heere décrit un spectacle donné par de jeunes filles nobles -en 1'honneur d'Adolphe de Bourgogne et représentant Apollon et les neuf Musês; une troisième Ode sur un tableau des frères Van Eyck a Gand; une pièce en rimes écho, dialogue entre deux commères „die al cautende gaen in een dal" (b); puis des Êtrennes, des Épigrammes, des Sonnets, des Épitaphes, des Êpitres, des Elégies, des Refereynen, les formes poétiques du moyen age a cóté de celles de la Renaissance. Ces pièces de vers, au point dé vue du sujet qui nous occupe, peuvent être divisées en trois groupes. II y en a qui appartiennent a la littérature d'avant la Renaissance proprement dite et oü la poésie francaise n'a guère laissé de traces; ce sont les Refereynen int Wise (c) rejetés par 1'auteur a la fin de son livre. II y en a d'autres oü De Heere subit fortement 1'influence de Clément Marot et de Mellin de SaintGelays. Ce deuxième groupe est de beaucoup le plus nombreux et le plus important. Enfin on peut citer quelques pièces qui rappellen t plutöt la poésie de la seconde Renaissance francaise et spécialement les sonnets de Ronsard. Plus encore que dans les vers du jeune poète, nous retrouvons 1'influence de la Pléiade dans la dédicace a Adolphe de Bourgogne, oü De Heere exposé ses théories littéraires. II Les Refereynen de Luc de Heere. — Comparaison du genre avec le Chant Royal. — Les faibles traces d'humanisme qu'on y découvre. Les Refereynen int Wise de Luc de Heere se composent de quatre strophes de 13 è 17 vers, suivies ou non d un envoi de 5 a 10 vers. Ces vers sont pour la plupart de 10 ou 12 syllabes; dans le Refereyn adressé a .Hubert Goltz1), la série de décasylla- ') Hof en Boomgaerd, p. 100. (a) L'Hëlicon et le Parnasse de Gand. (b) „Qui se promènent en causant dans une vallëe". (c) Refereynen & sujets graves. 67 bes est, a intervalles réguliers, interrompue par un" demi-vers. L'envoi ajouté aux quatre strophes, le refrain qui les termine, le dernier couplet ou l'envoi commencant par un des mots Prince, Princesse, Princelic1), la gravité du sujet enfin, rappellent le Chant Royal des Rhétoriqueurs francais. „Le Chant Royal, dit Thomas Sebillet dans son Art poétique frangoys, n'est autre chose qu'une Balade surmontant la Balade commune en nombre de coupletz, et en gravité de matière... Aussi s'appelle-il chant Royal de nom plus grave : ou a cause de sa grandeur et magesté, qu'il n'appartient estre chanté que devant lés Roys: ou pource que véritablement la fin du chant Royal n'est autre que de chanter lés louenges, prééminences et dignités des Roys tant immortelz que mortelz... Le plus souvent la matiére du chant Royal est une allégorie obscure envelopant soubz son voile louenge de Dieu ou Déesse, Roy ou royne, Seigneur ou Dame... Sa structure est ) Ëd. Jannet, III, p. 109, Épigr. CCLXXI. 83 Al schept mer wat Ut, in alzulcker wijs oft zede Mindert u excellent!' niet al deel ic mede') (a). Citons un autre specimen, qui a pour titre: An M. de Galleye. Daer zijn nu curts, zommighe deugnieten gevangen Om op de Galley' te stellen naer sheeren raet, Waer naer zeker dezelfde niet zeer en verlanghen Maer zijn bijnaer van anxt en drouf heit desperaet En ic gh'eel ter contrarie (op dat ghijt verstart) Ben drouve, ende mi spijtt, ut zeker waerommen Dat ic op de galleye niet en can ghecommen!) (b). On peut rapprocher de ce poème YBpigramme XCVIII que ') Hof en Boomgaerd, p. 44. — II est probable que De Heere, en écrivant cette Bpigramme, a eu sous les yeux le dizain de ]. Peletier du Mans qui s'adresse Au reverendissime cardinal Dubellay {CEuvres poétiques, p. 121): Le Clair Soleil aux estoilles depart De sa splendeur, sans qu'elle en diminue: Maint beau ruisseau d'une fontaine part, Sans que la source en rien discontinue: Sus eest égard ma voye j'ay tenue, Vers vous, auquel les lettrez ont recours, Pour imprtrer faveur, grace et secours: Affin qu'un jour je vous nomme a voix claire La source vive ou commence mon cours, Et le Soleil qui a ma nuit esclaire. ^ Hof en Boomgaerd, p. 49. (a) A M. Christophe van der Beke, avocat. De la fontaine Castalie descend un ruisseau — Qui fait croltre et embellit les herbes de ce jardin, — Et qui les nourrit, car elle en est voisine, — C'est-a-dire que je tire de vous. Van der Beke, la science — Dont je peux arroser mes herbes poétiques; — Mais comme les ruisseaux sont toujours pleins et coulent toujours, — Quand même on y puise, ainsi — Votre excellence ne diminue point, lorsque moi, je la distribue aux autres. (b) A. M. de Galleye. II n'y a pas long temps on a pris quelques gueux, — Pour les envoyer aux galéres, sur 1'ordre du souverain, — Ce que ceux-la ne désirent point, sans doute, — Mais la crainte et la douleur les font presque désespérer; — Et moi, tout au contraire, pour que vous le comprenlez bien, .— Je me désole, pour une raison fort explicable, — De ne pouvoir monter sur la galère. 84 Marot adresse A Mademoiselle de la Roue1), ce qui nous amène a un autre genre cultivé par le poète francais, les Epigrammes d'un caractère obscene ou grivois. Luc de Heere en a traduit une, YEpigramme CCLII 2), tout en en restreignant la trop grande liberté. Par malheur, cette pièce, avec son obscénité, perd ce qu'elle peut avoir de piquant: le texte flamand est fade et même inintelligible. Le voici: Van een Joncker die ieghen sijn wijff speelde. Een Joncker ut ghenought en in den Mey Speelde ieghens ziin ghesellinne Alleen om twee cuskens zoo ic u sey, Die hi ooc verloos : maer doen sprac ziin minne, Ten is mi niet ghenoegh dat ic eens winne: Dies spel' ic we'cr icker viere hebbe oft niet. Heur man craude siin hooft, als belaen van sinne. Dit ziende den knecht (diedt was een verdriet. Dat siin meester hem soo vervaert gheliet) * Sprack, heere en vreest u niet van dien spele, Ic doe u dheelft als waert om noch so vele (a). ') Êd. Jannet, lil, p. 42. — Les jeux de mots sont trés a la mode au seizième siècle. Déja les Rhétoriqueurs francais „ont la rage de jouer Sur les noms propres (Guy, op. cit., pp. 77 sqq., p. 81,. n. 119). Dans YEpistre LIX Marot joue sur le nom de Papilion,, les Épigrammes renferment des calembours sur les noms de. Mlles de la Fontaine, du Pin, de la Chapelle, de la Roue, etc; il compare la ville de Lyon au roi des animaux ; il invite Lyon Jannet, „qui n'est pas roy des bestes", a faire le lion; 1'avoué son patron (Ballade IV), ainsi que le greffler du Chatelet (L'Enfer) s'appellent chez lui Jean Griffon, il parle de son arrestation dans le diocèse de Saint-Marri et dans 1'église de Salnt-Pris (Epistre XXVII), il invente les noms de Frère Lubin (lupimis, paillard) et de dame Philètine ('cChy.Tvs/], qui aime a brüler, c.-a-d. 1'Église romaine) et oppose Christine a Symonne. Cf. O. Douen, op. cit., I, pp. 60 sqq. — Lenient, La Satire en France, pp, 40 sqq., 181, 185, 186, 188, 190, 194, 207, 252—253, 528, signale aussi cette habitude de latiniser, de gréclser des noms, d'employer des anagrammes, des noms allégoriques et étymologiques. Du Bellay consacre la moitié d'un chapitre de la Deffence a célèbrer 1'antique noblesse de 1'anagramme et de 1'acrostiche. Dorat, se fortiflant de 1'autorité de Lycophron, se fit un vrai renom par ces anagrammes. Cf. Chamard, Du Bellay, p. 56 et la n. 4. 5) Éd. Jannet, III, p. 102. (a) D'un noble seigneur jouant contre sa femme. Un noble seigneur, pour s'amuser au mois de mal, •— Jouait contre sa femme — Deux baisers, comme je vous disais, — Et perdait la partie; mais alors son épouse dit: — „II ne me suffit pas de gagner une fois, — J en joue donc quatre, que je 85 De Heere, d ailleurs, ne se fait pas toujours scrupule de reproduire les grossièretés de son modèle, mais ici le poète francais semble être allé trop loin pour lui. Dans le Temple van Cupido, il aimè a répéter certaines allusions peu décentes; il fait la même chose dans sa pièce Van het schoon mammeken, qui avec une autre, intitulée: Van de leelicke mamme1), est moitié traduite, moitié imitée des deux Blasons de Clément Marot, Du beau Tetin et Du layd Tetin 2). Le Blason, fort goüté au seizième siècle, est „la peinture minutieuse soit d'un objet quelconque, soit d'une crèature animée, soit d'un être symbolique et flctif, soit d'un ensemble d'êtres ou d'objets. Mettre en lumière tous les caractères d'une chose, la déflnir par 1'analyse de ses propriétés, compter ce qu'elle a de qualités ou de défauts, la faire connaitre en 1'ouvrant pour ainsi dire devant le lecteur, voilé ce que se propose le Blason; et comme, entendu ainsi, il donne tantöt des portraits, tantót des caricatures, il se révèle, suivant les cas, ou trés satirique ou trés flatteur8). Celui jdes Rhétoriqueurs qui paraït avoir cultivé le plus volontiers et avec le plus de bonheur cette forme poétique, c'est Pierre Danthe... II en reste quatre de lui. Le premier énumère les meilleurs vins de France, et place celui de Beaune au-dessus de tous les autres; le second nous enseigne a quoi 1'on peut reconnaitre un bon cheval; le troisième décrit une „belle fllle", et apporte des précisions scandaleusèment explicites; le dernier est consacré & 1'argent... Ces petits poèmes sont frivoles, mais clairs et alertes. Au contraire on rencontre chez Gringore des Blasons qui veulent être instructifs et satiriques, mais qui se traïnent, pesants et gauches: le Blason de Pratique, le Blason des hérétiques (1524), les Blasons de la Guerre et de la Paix. .. Pour étendus qu'ils soient. ils n'atteignent pas les dimensions du Blason de Brou qu'Antoine du Saix composa, afin de faire connaitre a ceux qui ne 1'avaient ') Hof en Boomgaerd, pp. 51—54. ■) CEuvres de Marot, éd. Jannet, III. pp. 33-36, Êpigr. LXXVIII et LXXIX. 3) Cf. Sebillet, Art poétique, pp. 169 sqq. perde ou non." — Son mari se gratta la tête, comme quelqu'un qui serait tout embarrassé. — Mais le valet, s'irritant de la confusion de son maïtre, — Dit: „Monsieur, nayez pas peur de jouer; - Je me porte garant de la möiUédes baisers, quel qu'en soit le nombre." 86 pas vue de leurs yeux, la basilique immortelle édiflée par Marguerite d'Autriche1)." Marot renouvela complètement le genre, et le Blason, qui avait été „1 amusement, la fantaisie de quelques poètes" devint par lui „la fantaisie de la littérature francaise, 1'occupation de toute une école" 2). Le beau Tetin et Le layd Tetin, composés a la cour de Ferrare (1535—1536), furent accueillis avec une sorte d'enthousiasme par les poètes de France. Marot trouva aussitöt des imitateurs. Matth ieu de Vaucelles composa le Blason des Cheveux, Héroet fit 1 eloge de YCBil, I.-N. Darles chanta le Nez, Eustorg de Beaulieu écrivit toute une série de Blasons sur la Joue, la Langue, la Voix, la Dent, le Nez. Victor Brodeau mit en vers 1 eloge de la Bouche, Michel d Ambroise, celui de la Dent, Claude Chappuys risqua quelques vers sur la Main, Lancelot Carles fit deux Blasons sur Y Esprit et le Genoil, Le Lieur chanta la Cuisse, Sagon le Pied et la Grace. D'autres cherchaient a subtiliser, comme le poète lyonnais Maurice Scève dans ses Blasons du Front et du Sourcil, de 1'GBi/, des Larmes, du Soupir et de la Gorge. Toutes ces pièces, avec quelques autres plus scabreuses, ont été réunies et publiées a Paris, en 1550, chez Langelier, sous le titre suivant: Les Blasons anatomiques du corps féminin, ensemble les contreblasons,. . . avec les figures, le tout mis par ordre; composez par plusieurs Poëtes contemporains3). Le premier Blason de Marot eut 1'honneur de rester le type du genre, celui du Sourcil de Maurice Scève fut jugé par la cour de Ferrare comme le plus voisin du modèle donné par Maitre Clément, après lui vint Mellin de Saint-Gelays avec son blason des Cheveux*). Mais le courant ne s arrête pas ici. Hugues Salel écrivit encore les Blasons de YÊpingle et de YAnneau, ') Guy, op. cit, pp. 124 sqq. *) Ct-D. d'Héricault dans E. Crépet, Les poètes francais. Paris, 1861, I, p. 599. D'Hcricault attribue a la même page a Charles Fontaine la définition que Sebillet donne du Blason dans son Art poétique. 3) Le recueil fut réimprimé a Amsterdam en 1866. Cf. aussi Blasons et poésies anciennes des XVe et XVIe sièdes, par D. M. M(éon), Paris, 1809, oü la réimpression plus recente de Paris, 1907 (Collecöon des Erotica Selecta). Une première édition des Blasons doit avoir paru a Lyon, chez Francois Juste, dans le courant de 1'année 1536, sous ce titre: Fleurs de poésie frctncoise. 4) Cf. Marot, CEuwres, éd. Jannet,' I, p. 210, Epistre XLI. 87 Estienne Forcadel fit ceux de la Nuit et des Dames, La Hueterie composa le Contreblason de la beauté des membres du corps fémi~ nin, Gilles Corrozet fit paraitre son Blason contre les Blasonneurs et ses Blasons domestiques. On se jeta sur tout. „La politique, la géographie, la médecine, les fleurs, les pierres précieuses n'y échappèrent point... La morale s'avanca pour s'emparer de cette rhétorique. Vers le milieu du XVIe siècle on vit le Blason des Celestes Armes de France, pat Jacques de la Motte, les Blasons Vertueux de Jean Chartier, les Blasons Anagrammatiques du Hiéropolitain d'Amiens, Claude de Mons1)". Les poètes de la seconde Renaissance ne résistèrent pas a 1'engouement général. Jacques Peletier du Mans écrit le Cueur et le Contreblason du Cueur 2); Du Bellay consacre le Sonnet XV de son Olive au pied d'argent de sa bien-aimée; et même Ronsard imite Marot et Maurice Scève en ce genre8). Tout ceci explique pourquoi De Heere a inséré dans son recueil la traduction de deux pièces qui comptaient alors parmi les plus célèbres que Marot eüt composées. On remarquera d'ailleurs entre le poète francais et le rhëtoriqueur flamand les mêmes différences que nous avons signalées plus haut: plus de vivacité, plus d'élégance chez celui-lè, plus de lourdeur, plus de réalisme chez celui-ci. De Heere a allongé un peu quelques passages, il en a ajouté d autres qu'il paraït ne pas avoir empruntés a Marot et parmi lesquels il y en a qu'il a pu tirer de son propre fonds. L'idée que Marot exprime a la fin de son poème Du beau Tetin : A bón droict heureux on dira Ceüuy qui de laict t'emplira, Faisant d'un Tetin de pucelle Tetin de femme entière et belle, ') Héricault, loc. cit. *) CEuvres poétiques, pp. 115, 118. *) Laumonier, Ronsard poète hjrique, pp. 116, 132. — Cf. CEuvres de Ronsard, éd. Blanchemaln. VI, pp. 315, 322. 351; Amours de Ronsard, éd. Vaganay— Vianey, p, 311, s. CXCIII. —' Sur laquestion du Blason, consulter encore: SainteBeuve, Tableau historique, p. 33, n. 1; Hartzfeld et Darmesteter, Le Seizième Siècle en France, Paris, pp. 89 et la n. 2, 92, 94, 131; Godefroy, op. cif., p. 454: Histoire de la Langue et de la Littérature francaisés. p.p. Petit de Julkvijfc, Paris, 1897, III, art. de M. Bourciez sur Marof et la poésie francaise, pp. 122 sqq.; CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, pp. 267 sqq. 88 Luc de Heere la d'abord énoncée au milieu du sien, et d'une facon bien moins gracieuse: Mammeken dat zulcke gratiën heeft, etc. Puis il la ramène è la fin: Ogh hoe gheluckigh es den ghuenen dan Diedt gheloofve heeft dat hij mach of can Maken van dees mammekens iongh en cleene Schoone vrauwen burstgens, ende waer van Dat groeyen mueghen (dit behoorter an) Veel zulcke fraey burstkins, ende anders gheene (a). Au passage: Au burstgens die niet en hebben van doene Med papieren oft hauten berd up te stiven Om also te makene langhe liven l) (b), rien ne correspond chez Marot. Finalement, les vers: O precieusen ende schoonen pand! Ja miraculeusen boesem, want Ghij doed handen afslaen, die nochtans blijven Gheheel ende ongheschendt (c), sont peut-être la réminiscence d'un sonnet de Ronsard figurant dans les Amours de 1553 et dont voici les deux tercets: Donc si ma main, maugré-moy, quèlquefois De 1 amour chaste outrepasse les loix, Dans vostre sein cherchant ce qui m'embraise, Punissez-la du foudre de voz yeux Et la brulez: car j'aime beaucoup mieux Vivre sans mains, que ma main vous desplaise*). ') On retrouve la même idéé dans 1'Épïtre Vanden Hane op den Esel {Hof en Boomgaerd, p. 89): Dees meyskens b'houfden blec of papieren Waeren haer burstkins rond, en fraey ghenough. ") Amours, éd. Vaganay—Vianey, s. CXXI. (a) Ah! combien est heureux celui — Qui croit pouvoir faire — De ces petto seins jeunes — De beaux seins de femme, qui è leur tour — Feront croltre (car cela leur convient) — Beaucoup de jolis seins tout pareils, et pas autre chose. (b) Ah! chers petits seins qui n'ont pas besoin — D'être remontes au moyen d'un morceau de papier ou de bols, - Pour faire ainsi de fortes poitrines. (c) Oh I precieux gage de mon amour! — Beau sein qui fais de vrais miracles, — Puisque tu fais couper des mains qui restent pourtant — Entières et intactes. 89 Dans le poème intitulé Van de leelicke mamme, le réalisme est poussé plus loin encore que dans le poème francais correspondant. Déja des vers comme ceux-ci: Tetin pour tripe reputé Tetin, ce cuyde je, emprunté Ou desrobé en quelque sorte, - De quelque vieille chievre morte,... Tetin boyau long d'une gaule, Tetasse. a jecter sur 1'espaule,... Va, grand vilain Tetin puant, Tu fourniras bien en suant De civettes et de perfums Pour faire cent mille deffuncts .... ne sont guère moins édifiants que ceux qui les traduisent: Vuyl mottighe peynsen leelic van veile, Zueghen mammen (zegh ic) en natten zack, Mammen die zijn zo amoureus en lack Als een vule doode stinckende prije. Mammen de welcke men wel alle clack lip de schauderen slaet aen d ander sije ... Fij beroocten lap diemen moet up haken Diemen wel (zonder van bij te ghenaken) Up den rueck zou volghen, zoo ic hauwe. Ils auraient dü suffire a notre Rhëtoriqueur, mais De Heere se complait visiblement a multiplier les comparaisons d'une crudité pittoresque et a y surpasser, s'il se peut, son modèle1). II est vrai que ces grossièretés n*étonnent plus, quand on a lu certaines descriptions de Matthieu de Casteleyn ou d'Anna Bijns. VI Les Sonnets de Luc de Heere : emprunts qu'il fait a Marot. Pour Luc de Heere le Sonnet et YÊpigramme sont des genres analogues. II se conforme en cela è la théorie de Sebillet qui écrit: „Le sonnet suit 1'épigramme de bien prés, et de matiére et de mesure!)". Sebillet se montre ici, une fois de plus, le porte-parole de 1'école de Marot, car, pendant toute la période marotique, le Sonnet reste tres voisin de YÊpigramme; seules les premières traductions de ') Voir VAppendice II. 2) Art poétique, p. 115. 90 Pétrarque, et surtout la publication de YOlive de Du Bellay vont en modifier le caractère1). De Heere fait aussi entre les deux sortes de poèmes la même différence que Sebillet: „Or pour en entendre 1'enargie, dit le théoricien francais, sache que la matiére de l'épigramme et la matiére du Sonnet sont toutes unes, fors que la matiére facétieuse est repugnante a la gravité du sonnet, qui recoit plus proprement affections et passions gréves, mesmes chés le prince des Poétes Italiens, duquel 1 archetype dés Sonnetz a esté tiré2)." On comprendra donc que le Sonnet que De Heere adresse a 1 avocat Pierre de Rijcke, n'est autre chose qu'une traduction de YÊpigramme de Marot: A Pierre Vuyard *). Ce meschant corps demande guerison Mon frere cher; et 1'esprit, au contraire, Le veult laisser, comme une orde prison : L'un tend au monde, et 1'autre a s'en distraire. C'est grand' pitié que de les ouyr braire: „Ha! dit le corps, fault il mourir ainsi ? — Ha! dit 1'esprit, fault ii languir icy ? — Va, dit le corps, mieulx que toy je souhafte. —■ Va, dit 1'esprit, tu faulx, et moy aussi: Du Seigneur Dieu la volunté soit faicte". La pensée fondamentale de ce poème, la délivrance que la mort apporte a 1'ame dévote est assez familière au poète francais. II 1'a développée plus ou moins longuement dans le Sermon du bon pasteur et du mauvais, dans La mort du Juste et du Pescheur, et dans la Complaincte III (La Mort a tous Humains4). La pièce qui nous occupe se fait remarquer par sa forme dialoguée rappelant les ') Cf. Sebillet, Art poét., p. 115, n. 2 de Gaiffe; Jasinsky, Histoire du Sonnet en France, Douai, 1903, He partie; Pellissier, op. cit., p. XV. 5) Sebillet, Art poétique, p. 116. *) Éd. Jannet, III, p. 18, Épigr. XXXVIII. — Pierre Vuyard fut secretaire du duc de Guise. Marot adressa une Êpttre en sa faveur a la duchesse de Lorraine. Cf. O. Douen, op. rif., I, p. 88. — Suivant Douen, Marot aurait composé cette Êpigramme pendant sa maladie, survenue en 1531 et dont parle aussi 1'Épitre Au Rog, pour avoir esté derobé ; Douen, op. cit., I, p. 122. Pour d'autres détails, consulter CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, p. 162. 4) Éd. Jannet, l p. 74; II, pp. 119, 252. Cette conception chrétienne et mysUque de la mort, Du Bellay- et Ronsard la transporteront sur le domaine de 1'amour platonique. Cf. Du Bellay, CEuvres poétiques. p.p. H. Chamard (Société des Textes francais modernes), Paris, 1908, 91 vieux Tensons et Jeux pactis, et assez fréquemment employée encore au seizième siècle pour discuter une question morale ou politique. De Heere a suivi d assez prés son modèle pour exclure toute espèce de doute concernant 1'origine du poème flamand. Afin de transformer le dizain de Marot en une pièce de quatorze vers, il a fallu amplifier 1 antithése du corps et de 1'esprit; en outre le dialogue chez De Heere a été raccourci et remplacé en partie par une lecon morale adressée directement au lecteur; Dit boos lichaem' begheert tsine ghenesén (Eersame vrient): maer den geest willet laten Als een vuul vanghenesse waert mespresen, D'een bemindt de weerelt, d'ander wilt z'haten. D'lichaem om blijven zouct zijn eighen baten, Bringht ons tsweerelts vreucht voor ooghen altijt: Maer den gheest die berespt dat boven maten, Doende ons ghedijncken des hemels iolijt. . D'lichaem seit, moet ic wegh, sonder respijt: Den gheest seit, hoe salmen dat so seer vlieden ? D'welck ghij b'hoorde te zoucken, wie ghij zijt. Aldus isser in ons (siet) eenen strijt: Maer laett ons besluten naer Schrifts ghebieden: Dinen wïli' Heere moet in als gheschieden'). Marot et De Heere ont traduit 1'un et 1'autre YÊpigramme XLVII du Dixième Livre de Martial: Vitam, quae faciant beatiorem, Jucundissime Martialis, haec sunt: Res non parta labore, sed relicta; Non ingratus ager, focus perennis; Lis numquam, toga rara, mens quieta; Vires ingenuae, salubre corpus; Prudens simplicitas, pares amici; Convictus facilis, sine arte mensa: . . ; - Nox non ebrica, sed soluta curis ; Non tristis torus, et tarnen pudicus; Sommis, qui faciat breves tenebras; Quod sis, esse velis nihilque malis; Summum nee metuas diem nee optes. I, Olive, s. XXII, LVIII, CXIII; Honneste Amour, s. X; Ronsard, Amours, éd. Vaganay—Vianey, s. LXVII, CLXX1I, CLXXIX. — Cf. encore Bourciez, op. cit., pp. 128—129. ') Hof en Boomgaerd, p. 56. — Cf., pour le mouvement du dialogue, Anna Bijns, Refereinen, I, Ref. XVIII. 92 Marot la rendue ainsi en francais: Marot, volei, si tu le veux savoir, Qui fait a 1'homme heureuse vie avoir: Successlons, non biens acquiz a peine, Feu en tout temps, maison plaisante et saine, Jamais proces, les membres bien dispos, Et au dedans un esprit a repos; Contraire a nul, n'avoir aucuns contraires; Peu se mesier des publiques affaires; Sage simplesse, amys a soy pareilz, Table ordinaire et sans grans appareilz; Facilement avec toutes gens vivre; Nuict sans nul soing, n'estre pas pourtant yvre; Femme joyeuse, et chaste neantmoins; Dormir qui fait que la nuict dure moins; Plus haut qu'on n'est ne vouloir point attaindre; Voyla, Marot, si tu le veux scavoir, Qui faict a 1'homme heureuse vie avoir '). De Heere a reproduit le texte du poète latin dans le Sonnet suivant: Ziet hier (beminde vrient) wat de mensche doet Een recht gheluckigh leven hebben op der aerden T'hebben eenen gheest gherust, onnoosel en vroet, Jeugdigh, ghesont lichaem, wel te paerde en te voet. Nemmermeer processen hebben, noch twist aanvaerden: Goet, ghesont huus en hof, ooc huusghesin van waerden: Vier, ende vrienden sijns ghelijcke hebben eenpaer: Niet te seer versnott sijn op tdrinken, tspel oft paerden. Snachts sijn sonder sorghen, ende ooc in de dag niet zwaer: Thebben een goede huusvrauwe, en goe' kinders van haer Niet te begheeren de doot, noch vreesen voor tsterven. Hier hebdij nu de conditiën allegaer Die de menschen maken hier gheluckigh voorwaer: Maer God helpse die daer af den meesten hoop derven2). Marot a pu suggérer a De Heere 1'idée de cette traduction, mais ce dernier semble avoir suivi 1 auteur latin plutót que le poète francais. En effet, le Flamand n'a pas reproduit les vers: Peu se mesier des publiques affaires, et: Plus haut qu'on n'est ne vouloir point attaindre; ') Éd. Jannet,'JII, p. 89, Épigr, CCXXII. *) Hof en Boomgaerd, p. 62. 93 tandis que Marot ne recommande point comme Luc de Heere de n'avoir ni crainte ni désir de la mort. II est peu sür également que De Heere tienne de Marot la tournure du Sonnet adressé è Josse Borluut, seigneur de Bouckele, et a son frère Guillaume: Alexander de groote, verwinder van al. Beminde soo de schilderije en schilders mede • ... ' Dat hi hem verneerde te sine van 't ghetal Der disciplen Appellis, en tschilderen dede. Den keyser Hadrianus, naervolghde ooc die zede, Voughende den scepter bi de verwe en tpinceel, En was ooc constigh inder ronde beelden snede: Alexander Severus naervolghde hem gheheel. En Gordianus maecte menig h tafereel, Onder Diogenem leerende ut liefde en ionste: Ons Coninc is desghelijx van dese onser conste. En ghilien naervolghende desen hoop van waerden, Hebt dees hemelsche const omhelst binnen mijn woonste Die u maect me'ghesellen van de meeste der aerden ') (a). Ce Sonnet rappelle pour le mouvement YÊpigramme CLXXV ^ et YÊpitaphe du feu messire Artus Gouffler, grand maistre de France*); mais aussi le poème que Peletier du Mans adresse A Madame la Grand' Seneschalle*) et le Sonnet LXXXVIII du Premier Livre des Amours de Ronsard8). ') Hof en Boomgaerd, p. 56. — Sur Guillaume Borluut, cf. la p. 3. ?) Êd. Jannet, III. p. 71. s) Éd. Jannet, II, p. 237. *) CEupres poétiques, p. 120. 5) .Êd. Vaganay—Vlaney, p. 158. (a) Alexandre le Grand, qui vainquit 1'univers, — Aimait tant la peinture et les petntres, — Qu'il condescendait a se ranger parmi le nombre — Des disciples d'Apelle, et peignait lui-même des tableaux. — L'empereur Adrien suivait eet exemple, — Joignant le sceptre aux couleurs et au pinceau; — II était habile aussi a la sculpture en plein reliëf. - Alexandre Sévère le suivait enflêrement. Et Gordien faisait maint tableau, — Étudiant avec amour sous Diegene qu'il favorisait: — Notre roi, également, exerce eet art. — Et vous, suivant 1'exemple de ces hommes illustres, - Avez embrassé eet art céleste dans la ville oü je demeure, — Ce qui vous fait les compagnons des plus grands princés de la terre. 94 VII Les Êpitaphes. A 1'inStar des Rhétoriqueurs et de Marot, Luc de Heere a fait des Êpitaphes. Nous n'en citons que celle de Corneille Manilius, dont le début: Die ander onsterffelic heeft ghemaect Is gheraect (elas) int doodelick perket'), peut être une réminiscence d'une pièce de Maïtre Clément, le Cimetiêre de Maistre André Le Voust, médecin du duc d'Alengon: Celuy qui prolongeoit la vie des humains A la sienne perdue, au dommaige de maints *), puis celle d'Arenf Rullens, dont la fin: Maer als ic begonst mijn conste t'openbarene Op een stellage spelende de wijse, en de beste, Doen scheen dat ic gheene deghelicheit en meste: Zoo wast van alle ander bootsen licht ende zwaer. En so ic de levende contrefaitte in geste, Zoo wel can ic nu de dooden contrefaicten naers). fait penser a VÊpitaphe de Jean Serre, excellent joueur de farces: Toutesfoys je croy fermement Qu' il ne feit onq, si vivement Le badin qui rit ou se mord Comme il faict main tenant le mort4). II est a remarquer, a propos de la première pièce. que Marot parle d'un médecin et qu'il prend ses vers au pied de la lettre; De Heere, au contraire, désigne un poète dont 1'ceuvre fait vivré éternellement le souvenir de ceux qu'il chante. Cette idéé humaniste, qui se rencontre fréquemment chez les poètes de la Pléiade, a été exprimée par Marot, dans son Cimetiêre de Maistre Guillaume Cretin, poëte francoys6) et dans YEpistre XLI 6). „S'il se nomme le Maro de France, s'il se vante d'avoir puissance de: ') Hof en Boomgaerd, p. 65. *) Éd. Jannet, II, p. 222. *) Hof en Boomgaerd, p. 66. 4) Éd. Jannet, II, p. 216. ') Éd. Jannet, II, p. 229. •*) Éd. Jannet, I, p. 210. 95 Faire sa maistresse immortelle, de produire un oeuvre exquis: Qui, maugré temps, maugré fer, maugré flamme, Et maugré mort, fera vivre sans fin Le roy Francois et son noble dauphin; s'il promet a Nicolas de Neufville de le faire vivre „ca bas après la mort avec luy"; s'il dit de lui-même: Maint vivront peu, moy eternellement;... Et tant qu'ouy et nenny se dira, Par 1'univers le monde me lira; il dit également a: Sainct Gelais angelique Et Heroet a la plume heroïque, Maugré le temps, vos escriptz dureront Tant que francoys les hommes parleront')." VITI Les Épitces des Rhétoriqueurs et de 1'école marotique. — Les Êpttces de Marot et leur traduction flamande. — Au Roy. pour avoir esté dérobé. — Un Coq ö l'Asne. — L'Episfre du biau fys de Pazy. —- Une Êlégie. — Quelques autres emprunts. L'Ëpitre fut un genre de poésie fort cultivé par les Rhétoriqueurs et 1'école marotique. En parlant des premiers, M. Guy distingue d'abord les „Êpitres naturelles, celles qu'un personnage vivant adresse a quelqu'un qui se trouve réellement en état de les recevoir et de les lire. Dans cette classe figurent /les missives en vers qu'un auteur rédige soit pour 1'un de ses confrères, — soit pour un protecteur, — soit pour un ami qui ne se piqué point de littérature, et auquel on parle librement. Guillaume Crétin; Lemaire, Roger de Collerye, Bouchet, durent en grande partie leur gloire a de tels ouvrages. Les lettres échangées par les rimeurs de profession comme celles qu'ils envoient a leur Mécènes ont un vice qui les gSte presque toutes, savoir la flagornerie, rhyperbole, 1'intérêt. J'appelle, dit M. Guy, aussi naturelle YÊpitre amoureuse, car bien que flctive d'ordinaire, elle ne sort pas du vraisemblable, ') Douen, op. cit., I, p. 368, n. 1. *) Op. cit, pp. 105 sqq. 96 et parle a une femme qui n'existe point le langage qu'on pourrait tenir a toute femme existante". Roger de Collerye est probablement le seul qui ait, une fois du moins, nommé 1'amie a laquelle il écrivait de tendres choses. Le terme d'Êpitre artificielle s'applique aux lettres en vers que le Rhétoriqueurs ont données comme provenant de personnages qui n'auraient pu les écrire, les uns étant morts depuis longtemps, les autres n'ayant jamais vécu. II convient encore de ranger parmi les Êpitres artificielles: 1° celles qui, s'adressant a toute une classe d'individus, ne s'adressent réellement a personne; 2° celles qui figurent dans les ouvrages historiques ou romanesques et sont données comme écrites par les héros mis en scène. L'Ëpitre fut aussi trés en honneur auprès de Marot et de son école. „Nous avons de Marot une soixantaine d'Êpitres dont la plupart sont des chefs-d'ceuvre d'élégance badine et de grêce légère ')". Sebillet consacre è ce genre le Chapitre VII de la Deuxième partie de son Art poétique. Voici comment il le définit 2): „L'épistre Francoise faite en vers, ha forme de missive envoyée a la personne absente, pour 1'acertener ou autrement avertyr de ce que tu veus qu'il sache, ou il desire entendre de toy, soit bien, soit mal; soit plaisir; soit desplaisir; soit amour soit haine. Paree moien tu discours en 1'Epistre beaucoup de menues choses et de differentes sortes sans autre certitude de suget propre a 1'Epistre. En un mot, 1'Epistre Francoise n'est autre chose qu'une lettre missive mise en vers: comme tu peus voir aus Epistres d'Ovide tant Latines que Francoises: et aus Epistres de Marot, et autres telz famés Poétes". Du Bellay, plus tard, la recommandera également, mais avec réserve, n'estimant pas que ce soit la de la grande poésie, mais ne pouvant prescrire une forme d'art qui nous vient de 1'antiquité: „Quand aux epistres, ce n'est un poème qui puisse grandement enrichir nostre vulgaire, pource qu'elles sont voluntiers de choses familieres et domestiques, si tu ne les voulois faire è rimmitation d'elegies, comme Ovide, ou sentencieuses etgraves, comme Horace8)". On verra tout a 1'heure que Luc de Heere a tenu compte de ') Chamard, dans La Deffence de Du Bellay, p. 215, n. 1. ■) Op. cit, p. 153. *) Deffence, p. 215. 97 ce dernier conseil, tout en suivant de trés prés Marot dans un certain nombre de ses Bpïtres en vers. Nous trouvons une traduction du poème que Marot adresse Au Roy, pour avoir esté dérobé1), dans l'Epistel die Marot zand totten Coninc sprekende vanden dief, diet hem al ghestolen hadde2). La version rend fldèlement le texte de la pièce francaise; sauf le passage oü il est question des deux „princes Lorrains" comme garants de 1'emprunt fait par Marot; excepté aussi les plaisanteries sur 1 argent du roi „sujet è la pince", sur la possibilité que Marot aille: Rithmer soubz terre et y faire des vers, sur les femmes de Paris, sur „Clément" et „Marot", qui auraient nécessité „un grand desboursement"3), tout a été reproduit. De plus, De Heere a inséré dans sa pièce un emprunt a YËpitre faisant suite a celle que Marot adresse au roi et intitulée A un sien Amy, sur ce propos4). C'est ce trait plein de finesse et de gaieté: Parquoy vous pry scavoir de combien c'est Qu'il veult cedulle; affin qu'il se contente, Je la feray, tant seure (si Dieu plaist) Qu'il n'y perdra que 1'argent et 1'attente. De Heere en a traduit les deux derniers vers: So en suldi dan niet verliesen onder al. Dan tghelt en tverloop. La pièce flamande n'est pas sans quelque mérite. Le style en est moins lourd qu'a 1'ordinaire, le vers mieux enlevé, il y a ') Éd. Jannet, I, pp. 195 sqq., Epistre XXIX. — Cette lettre fut inspirëe a Marot par la peste de 1531; après avoir déploré dans une Ëglogue mythologique la mort de Louise de Savoie, il se vit a son tour atteint du mal. II se tira d'affaire, mals le „valet de Gascogne" avait proflté de la maladie de son maïtre pour lui dérober les cent écus d'or recus a 1'occasion du mariage de Francois Ier avec Éléonore d'Autriche. Cf. Douen, op. cit., I, p. 118; Bourciez dans 1' Histoire de la Langue et de la Littérature frangaises, III, p. 101; CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, pp. 152 sqq., 162 sqq. *) Hof en Boomgaerd, pp. 84 sqq. ;') „Ce n'est point ici une plaisanterie, comme ou pourralt le croire. Marot avait hérité de son père deux propriétés que celui-ci avait nommées Clément et Marot. Elles font partie de la paroisse de Cessac, a deux lieues de Cahors, et portent encore leurs anciens noms". — D'Héricault, CEuvres de Marot, Paris, 1867, p. XLIX. *) Éd. Jannet, I, p. 199. 7 98 peu de chevilles, peu de redondances, la familiarité quémandeuse et obséquieuse de Marot est rendue a souhait. II nous semble même que De Heere a, plus heureusement que son modèle, arrangé le passage oü se trouve le vers célèbre: Au demourant le meilleur fllz du monde. Car, tandis que Marot place ce vers au milieu de la série de vices qu'il attribue a son valet de chambre, le poète flamand le rejette a la fin, oü il produit plus d'effet: Ic hadd' eenen cnape, ut Gascoeignen gheboren, T'welc was een recht dronckaert, swaerder en bedrieger, Tuusscher, dief, gulsigaert, end' een onversaegt lieger. Een bordeelbrocke, en die d'hoeren seer beminden: Anders, so wast den besten knecht diemen mogt vinden '). L'Epitre Vanden Hane op den Esel, an Jonch. David Pamelius, hoogh-bailliu van Pamele (1559) z), est moitié traduite, moitié imitée du poème de Marot qui s'appelle: Du coq a Tasne. A Lyon famet2). Les Coq-a-tAsne, qui constituent une espèce trés particuliere d'Epitres, furent ainsi nommés „pour la variété inconstante des non cohérens propos que lés Francois expriment par le proverbe du saut du Coq a 1'asne... Sa matiére sont lés vices de chacun, qui y sont repris librement par la suppression du nom de 1'autheur. Sa plus grande élégance est sa plus grande absurdité de suite de propos, qui est augmentée par la ryme platte et les vers de huit syllabes"4). Au moyen age on désignait des pièces semblables sous le nom de fratrasies ou resveries. Marot leur donna un carac- ') Pour une comparaison plus détaillée des deux textes, voir YAppendice III. *) Hof en Boomgaerd, p. 89. *) Éd. Jannet, I, p. 184, Epistre XXIV. — Lyon Jamet était un ami de Marot a qui celui-ci adressa plusieurs pièces. Lors de 1'emprisonnement de Marot au Chatelet,* Jamet, alors clerc des finances, le réclama et, par 1'entremise de 1'évêque de Chartres, Louis Guillard, parvint a le soustraire au bras séculier. Marot fut transféré dans une prison plus douce. II retrouva son ami è Ferrare, oü il avait pris la fulte, ayant été accusé d'hérésie. Après la mort de Marot, a Turin, Jamet le fit inhumer dans 1'église de Saint-Jean et composa pour son alter ego une Bpitaphe, „insculptée en marbre" sur le tombeau du poète, le 12 septembre 1544. Cf. Douen, op. cit., I, pp. 71, 161, 212, 425; Bourciez, dans l'Histoire de la Langue et de la Litt. fr., III, pp. 99, 101, 104; CEuvres de Marot, éd. Guiffrey— Yve-Plessis, I, pp. 101 sqq., 296 sqq., 559 sqq. 4) Sebillet, Art poétique, p. 167. 99 tére nouveau en se servant habilement de cette incohérence apparente pour voiler la hardiesse de certaines satires et s'attaquer sans péril a des adversaires redoutables1). „Rien de plus imprévu, de plus étrange et parfois de plus piquant que cette grêle de traits qui tombent pêle-raêle, sans que 1 auteur ait 1'air de viser; gerbe éblouissante de rires et de malices, véritable tir au ricochet, oü chaque mot rebondit comme une balie, du Pape a 1'Empereur, de la Sorbonne "au Parlement. ..*)." Pour les emprunts que Luc de Heere fait au premier Coq-è-TAsne de Marot, nous renvoyons a YAppendice IV, tout en faisant observer que le poète néerlandais n'a pas seulement mis a profit celui-la, mais aussi une seconde pièce ayant le même titre et adressée au même personnage. Que 1'on rapproche les endroits suivants: Marot: On ne preste plus a usure, Mals tant qu'on veult a interest*). De Heere: « Niemand en wilt nu wouckenaer wesen Maer leenen gheerne hebben zi zeker ofte pandt Dertich ten honderden. Marot: Dieu pardoint au povre Vermont; II chantoit bien la basse contre, Et les marys la malencontre, Quand les femmes font le dessus4). De Heere: Al is in Brugg he den fleur van schoon vrauwen: Zulc zijn goede dochters int an schauwen Die ten hende wel werden quade wijfs. Niet voor paeys int bedd' en weynich ghekiifs (a). ') Hatzfeld et Darmesteter, Le Seizième siècle, p. 89. 2) Lenient, La Satire en France, p. 34. — Les successeurs de Marot dans ce genre sont d'abord Lyon Jamet, puis Francois La Salla, Eustorg de Beaulieu, Claude Colet, etc. II semble même qu'Eustorg de Beaulieu ait prêcédé Marot, en composant un Coq-ö-l'Ane des 1530 (Gaiffe dans X'Art poétique de Sebillet, p. 168, n. 4; cf. E. Picot, Introduction au Recueil général des Soties, Paris, 1902, p. VI). Sebillet critique sévèrement leurs productions comme „licencieuses, lascives, effrenées et autrement sottement inventées et composées" (p. 168). ') Éd. Jannet, % p. 225. 4) Ib.. p. 224. (a) Si a Bruges il y a la fleur des belles, — Mainte demoiselle a 1'air charmant, — Qui finit par devenir femme acariatre, — N'aimant guère la paix au lit mais plutöt les disputes. 100 Les passages oü De Heere imite le poète francais, nous font voir une divergence d'idées qui va jusqu'au contraste. Marot raille les étrangers en France, les hommes de loi *) et les sergents de ville, les mauvais critiques, les bretteurs, les amoureux transis et la poésie érotique de 1'époque; les femmes capricieuses qui se moquent de leur „amy" ou le trompent pour de 1'argent; les moines et les nonnains, les indulgences de 1'Église, les persécutions religieuses et les disputes sur la foi; il entremêle ses critiques de plaisanteries triviales et d'allusions assez obscures aux événements du jour. De Heere ridiculise les avocats, les clercs, les faux docteurs, les faux nobles, les ivrognes, les filles, les usuriers, les uroscopes, les briseurs d'images et les hérétiques, les jeunes filles qui font leur possible pour paraitre jolies, les jolies femmes qui, après avoir été charmantes dans leur jeunesse, deviennent acariatres, insupportables a leurs maris, les petits bourgeois qui se disent apparentés aux riches, les gens de bonne maison qui vendent leurs titres de noblesse et les bourgeois qui mettent leurs enfants au convent pour que la fortune patrimoniale ne s'éparpille pas; ses critiques, quelquefois, sont directement personnelles, comme d'ailleurs celles de Marot. Les deux auteurs différent surtout dans \ leur attitude concernant les questions religieuses. Marot est le protestant qui flétrit impitoyablement les abus de 1'Église romaine /et les faiblesses du clerge: les pardons que 1'on cherche a Rome, 1'oisiveté des moines, la stupidité des docteurs, les peines infligées aux innocents, la vertu discutable des religieuses, la partialité des papistes, leur intolérance, dont il eut a souffrir lui-même: Par la morbieu, voyla Clement; Prenez le, il a mengé le lard*). ') Excepté que les gens de justice Ont le temps après les chanoynes. Cf. De Heere : Want schuumtalen en practijsche clereken Gheerne de Zonne zien eer zi gaen wereken. 2) En effet, Marot fut convaincu d'avoir mangé du lard en carême. Cf. CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, p. 96; Bourciez, dans 1'Histoire de la Langue et de la Litt. frang., III, p. 101; Lanson, Histoire de la Litt. fr., p. 240. L'expression „mengé le lard" se retrouve dans 1'Epistre XI A Son amy Lyon Jamet (1526), et dans la Ballade VI, „qu'il composa en prison contre Ysabeau contre 1'inconstance de laquelle il avoit composé le rondeau qui se commence : 101 L'immense succès de cette pièce semble avoir porté au comble la colère des ennemis de la Réforme, que Marot n avait point encore si vertement flagellés. Douen1) pense que Marot, après I apparition de son Épitre, a été obligé de se retirer a Cahors ou a la cour de Navarre. II avait en effet quitté la cour de France lors du mariage (fin juin 1528) de Renée, fille de Louis XII, avec le fils de Lucrèce Borgia, Hercule d'Este, duc de Ferrare. Cette date coïnciderait avec la publication du premier Coq-a-l'Asne. Marot y mentionne en passant le connétable de Bourbon, tué au siège de Rome en 1527, et fait une allusion moqueuse aux archers qui 1'avaient arrêté la même année. II y raille également le fait que le clergé parisien avait porté processionnellement la chasse de Saint-Martin dans les rues pour faire pleuvoir; or on sait que, par suite de la sécheresse sürvenue en 1528, le prix du blé fut en 1529 excessif dans toute la France et 1'Italie. Luc de Heere, au moment oü il écrivait sa pièce, a préféré ne pas sattirer une mauvaise affaire en professant trop hautement son protestantisme. II est vrai qu'il se moque comme Marot des superstitions populaires: Om datmen S. Lieven niet om en drouch Seyden zi dat t'cooren niet en zau wassen (a), et qu'il n'approuve pas sans réserve la politique intérieure de Philippe II, destinée a assurer le pouvoir de 1'Êglise romaine : Voorwaer noynt monstre d'abuus en besief D'uuterste cracht van des Heeren vermueghen (b). II n'a guère plus de confiance dans 1'orthodoxie de certains membres de l'Eglise : comme inconstante, qui fut cause de sa peine." Le refrain de cette Ballade, qui est le dernier vers du passage cité, est emprunté a une Ballade composé en 1389 par Eustache Deschamps. II y a des critiques, qui ne le prennent pas au pied de la lettre. Cf. Godefroy, op. cit, p. 415 sqq., Douen, op. cit. I, pp. 71 sqq., et la note 2; Revue Suisse, décembre 1882, art. de M. Lanson, pp. 476 sqq. ') Op. cit, I, p. 110. (a) Paree que Saint Louis n'a pas été porté dans les rues, — On a dit que le blé ne pousserait pas. (b) Certes, 1'abus du pouvoir n'a jamais prouvé — Ce que valait 1 'autorité du Prince. 102 Want Erasmus niet altijt en verciaerde D'uyterste ghevoelen van zijnen gheloove Hoewel de ghans es beter dan tgheroove (a), ni dans la moralité des prêtres: Ooc allomme zi nu vraeghen Oft paters niet en hebben goede daeghen? Tswaer hadden sij goe' nachten sprac broer' Thuene') (b). Mais d autre part il semble railler le puritanisme des Protestants : Men zal Huulspieghel nemmermeer verbieden Spijt alle ketters die daer teghen tieren (c), leur égoïsme se cachant sous 1'intérêt qu'ils vouent è la pure doctrine Men zaeyt (certyen) nu menigherley leere: Want tis elc om tsijn den duvel om al2) (d). II en veut aux Anabaptistes de ne pas suivre les offices: Ic weynsch dat d'herdoopers ter kercken caemen (e). ) Les derniers vers de De Heere se retrouvent chez Anna Bijns: Nonnen, beghijnen, gheoordende papen, Die duer Luthers leere haer oorden verachten, Loopen nu inde werelt een luchtken rapen, Sij en willen niet langher aUeene slapen Op vleesschelijcken wellust staen haer ghedachten. Al hebben zij goey daghen, sij soecken goey nachten (f). Refereinen, II, Ref. XIV. ') Cf. un peu plus loin: Zi roupen om puer text, de reste is fable. Maer waer mach nu zijn t'aerdsche Paradijs (g). (a) Car Erasme n'a pas toujours expliqué — Jusqu'oü "allaient ses opinions religieuses, — Bien que 1'oie vaille mieux que ses déchets. (b) On a demandé partout — Si les prêtres n'ont point de bonnes journées ? — II est vrai, disait Je frère Antoine, qu'en tout cas leurs nuits sont bonnes. (c) On n'iriterdira jamais Ulenspiegel, — Malgré tous les hérétiques qui se récrient. (d) Sans doute, on répand bien des nouvelles doctrines; — Mais chacun ne cherche que son intérêt, et le diable les cherche tous. (e) Je voudrais que les Anabaptistes viennent a 1 eglise. (f) Religieuses, béguines, prêtres ordonnés, — Qui méprisent leur ordre par suite de la doctrine de Luther, — S'en vont maintenant prendre 1'air, — Ils ne veuient plus coucher tout seuls, — Leurs pensees se portent aux voluptés charnelles; — S'ils ont de bonnes journées, ils cherchent les bonnes nuits. (g) Ils demandent a haute voix la pureté du texte, le reste n'est que fable pour eux,' — Mais oü trouvera-t-on le paradis terrestre? 103 II recommande des mesures sévères contre les hérétiques: Men zal met die zijn ketterlick ghezindt Niet verbo, sed verbere disputeren (a). Et il s'indigne surtout contre les iconoclastes: Maer nonnen schoffleren, cloosters, capellen En kercken breken,, houden veel ghezellen Voor evangelijsche wercken notable... Zulck waent een Priester smiten, en gheraect Zijn vader (b). II est vrai de dire que la plupart des passages cités se laissent interpréter de facons diverses; pour le reste, on s'explique fort bien que le calviniste De Heere, peintre doublé d'un poète, n'ait guère affectionné ni les Anabaptistes, ni ceux dont le zèlë inconsidéré a détruit tant d'admirables chefs-d'ceuvre de peinture et de sculpture. L'Épïtre Een boerken van bttyten, an een fraey steedsche Dochter1) (c), nous paraït être une imitation de YEpistre du biau fys de Pazy. par autre que Marot2). Les deux poèmes se'composent des mêmes éléments. II y a premièrement la déclaration du jeune homme a son aimée, déclaration d'autant plus librechez Marot »que le „biau fys de Pazy" s'adresse a une femme mariée, comme il résulte de la Responce de la dame au jeune fy de Pazy3). II y a ensuite la peinture de la jalousie. Chez De Heere c'est le jeune paysan qui profère des menaces terribles contre son rival. Chez Marot, au contraire, le mari de la femme épie les deux amants et les oblige a la plus grande circonspection. Enfin nous trouvons. dans les deux pièces, une tirade fort développée oü le jeune amoureux vante naïvement ses avantages physiques et la richesse de son costume. Le Parisien est adroit aux exercices du ') Hof en Boomgaerd. p. 83. *) Êd. Jannet, I, p. 262, Epistre LVII. *) Êd. Jannet, I, p. 264, Epistre LVI1I. (a) Pour convaincre les hérétiques, — On ne doit pas recourir aux arguments, mais aux coups. (b) Mais violenter les religieuses, détruire couvents, chapelles, — Et églises, ce sont lè pour beaucoup de compagnons — D'excellentes oeuvres évangéliques. Tel croit atteindre un prêtre, et frappe — Son propre père. (c) Un campagnard a une jolie bourgeoise. . 104 corps: il tire de 1'arbalète, il danse bien, il chante „comme un perroquet", il a 1'usage du monde, il est habillé a la dernière mode: Le fy de Guillaume Gasté Au pri de moi n'est qu'un canar. Le campagnard est le plus redoutable batailleur de son village, son costume se distingue surtout par 1'éclat des couleurs : bonnet écarlate a longues plumes, cravate d'or, pourpoint rouge, jarretières rouges bordant les bas blancs, vrai portrait d'un Ostade ou d'un Teniers. Ce qui ajoute a la vraisemblance de notre hypothèse, c'est que deux vers de la pièce flamande sont empruntés è la Responce de la dame au jeune fy de Pazy. Marot écrit: Toute nui je per le repo, Tan et si fort en vou je pense. De Heere: Dat ic dagh noch nacht en can gherusten Als ic peynse om u mammen, ic meen' busten') (a). Le témoignage de Du Bellay, cité ci-dessus2), nous prouve que les poètes du seizième siècle faisaient bien peu de différence entre XEpitre et \'Elégie. Sebillet, dans son Art poétique, remarqueace ') Notons cependant deux passages fort semblables a celui que nous venons de signaler, 1'un figurant dans Een devoot ende Profitelick Boecxken (1539), p.p. D.-F. Scheurleer, 's-Gravenhage, 1889, Ch. XXXVIII: Den soeten most die ic ghesmaecte Dl mi van binnen also gheraecte So dat ick nyet en conde ghedueren Nacht noch dach te geender uren (b), 1'autre chez Matthieu de Casteleyn, Const van Rhetoriken, p. 137: Ghij zijt d'alderlieffste dien ick noit zach, Door u en hebbick ruste nacht noch dach (c). *) p. 96. (a) Que je perds le repos jour et nuit, — Quand je pense a vos mamelies, je veux dire vos seins. (b) Le doux moüt que je goütais, — Et qui m'a tellement ému, — Que je n'y pouvais plus tenir, — Et que je perdais le repos jour et nuit. (c) Vous êtes la plus chère femme que j'aie jamais vue; — C'est vous qui me faites perdre le repos nuit et jour. 105 sujet: „Marot en sés ceuvres, ou 1'Imprimeur en son nom, a distingué et mis a part les Epistres en un reng et les élégies en un autre. Toutesfoys la différence en est tant petite, qu'il y faut aviser de bien prés pour la discerner ... L'élégie ... n'admet pas lés différences dés matiéres et légeretés communément traitées aus épistres: ains ha je ne say quoy de plus certain. Car de sa nature 1'Elégie est triste et flebile: et traitte singuliérement des passions amoureuses, lesquéles tu n'as guéres veues ni oyes vuides de pleurs et de tristesse. Et si tu me dys que lés épistres d'Ovide sont vrayes épistres tristes et amoureuses, et toutesfois n'admettent le nom d'élegie: enten que je n'exclu pas 1'Amour et sés passions de 1'Epistre... Mais je dy que 1'Elégie traitte 1'Amour/etdéclare sés desirs, ou plaisirs, et tristesses a celle qui en est la cause et 1'obgét, mais simplement et nuément: ou 1'epistre garde sa forme de superscriptions et soubzscriptions, et de stile plus populaire D'autre part, Du Bellay rapproche YOde de YÊlégie dans le passage suivant de sa Deffence et Illustration de la langue francoyse: „Distile avecques un style coulant et non scabreux ces pitoyables elegies a 1'exemple d'un Ovide, d'un Tibule et d'un Properce, y entremeslant quelquesfois de ces fables anciennes, non petit ornement de poësie. Chante moy ces odes, incongnues encor' de la Muse francoyse, d'un luc bien accordé au son de la lyre greque et romaine: et qu'il n'y ait vers ou n'apparoisse quelque vestige de rare et antique érudition . Luc de Heere s'est souvenu sans doute de ces préceptes, lorsqu'il composa le poème qu'il a nommé Elegia, oft claghenden Zendbrief, Ode-wijs2), et oü nous relevons aussi quelques emprunts faits a Clément Marot. Le poète flamand le commence ainsi:. Hoe sal 1c zinghen met bedroufden gheeste? Hoe soude ic connen ghepoëtiseren Als de sinnekens (die sijn het meeste) Verstrooyt zijn (elas) ende desoleren? Oe bevende hand, en wilt niet consenteren Te schrijven' al wil ic mi dies oock moeyen, De tranen vallende zonder cesseren, Bederven de lettren, en doense vloeyen. ') Sebillet, op. cit., pp. 153, 154, 155. *) Deffence, éd. Chamard, p. 207. 3) Hof en Boomgaerd, p. 77. 106 Ce début rappelle deux passages de Marot, dont 1'un figure dans l'Elegie II1): Ha chere amye, onc jour de mon vivant Ne me trouvay de tel sorte escrivant. Mon sens se trouble, et lourdement rithmoie, Mon cueur se (end, et mon povre oeil larmoie; et 1'autre dans 1'Epistre III, Du Camp d'Attigny, a madicte dame d'Alencon : La main tremblant dessus la blanche carte Me voi souvent: la plume loing s'escarte, L'encre blanchist, et 1'esperit prend cesse. Un peu plus loin, nous rencontrons dans le poème de Luc de Heere le vers suivant: Waerom verandert ghij (mocht' ic vertellen) U eerste goed propoost ? ... qui fait songer a ce vers de \'Elegie VIII *): ... Qui vous faict donc changer Si bon propos ?... UEpitre a M. Dominique Lampsonius4) peut être rapprochée de celle que Marot envoya a M. Pelisson, president de Savoye5). Marot écrit: ') Éd. Jannet, III, p. 10. ~) Ëd. Jannet, I, p. 140. — En 1521 Marot était sous les armes au camp d'Attigny, prés Rethel, dans 1'armée commandée par le duc d'Alencon, qui avait ordre de s'opposer a 1'invasion de la Champagne tentée par Charles-Quint. L'Epistre est adressée a Marguerite, sceur du roi Francois Ier. Sur eet événement, cf. Douen, op. cit., I, p. 48; CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, pp. 44 sqq. 3) Ëd. Jannet, II, p. 21. 4) Hof en Boomgaerd, p. 79. °) Éd. Jannet, I, p. 285, Epistre LXIV. — „Raimond Pellisson, bisaïeul du fameux Pellisson inventeur de la Caisse des conversions sous Louis XIV, était ambassadeur en Portugal en 1536. La Savoie ayant été conquise la même année, il fut nommé président au Conseil souverain de Chambéry, par lettres de provision du mois de février 1537, et confirmé en la charge de garde des sceaux de la chancellerie de Savoie unie a celle de premier président, le 27 janvier 1547. II mourut è Chambéry. L'épttre que lui adresse Marot nous semble avoir pu être écrite a la fin de 1'année 1542". — Douen, op. cit., I, p. 389, n. 4. 107 C'est toy qui es le chef et capitaine De tous espritz (la chose est bien certaine). Un Cicéron quant & l'art d'eloquence, Pour d'un chascun prendre benivolence ; Un Salomon en jugements parfaits. Plein de divins et de tous humains faits; Un vray Cresus en biens et opulence,... Brief, si j'avois des langues plus de cent, Et d'Apollon le scavoir tant decent, Je ne pourrois encor bien satisfaire A declarer 1'honneur qu'on te deust faire. De Heere : Zal ic voor Minerva wel dorren spreken van wijsheit? Ende voor Mercurio willen eloquent sijn? Zal ic voor Apollo (daer elc te recht af prijs seit) Ghebruucken miin plompheden die sonder hent siin? Hoe soud' ic slecht vlamingh, also connen verWent siin. Dat ic voor Lampsonio zou poëtiseren Voor wien-gheen spraken oft talen onbekent siin (a). Marot: l'^Pi Excuse, las, President tresinsigne, L'escrit de cil qui du fait est indigne: Indigne est bien quand il veult approucher L'honneur de cil qu'homme ne deust toucher. Seroit ce point pour ton honneur blasmer, Et, le blasmant, du tout le deprimer? Certes nenny. Car tout homme vivant \ Ne peut aller ton honneur denigrant. De Heere: Waermede saud'ic miin vermetentheit deffenderen ? Hoe soud'ic miin Musa so wel connen pareren Dat si hem niet en sau verstooren oft vervaren ? Seer wel: want hi slacht (na het ghemeen estimeren) De gheleerde Atheners de welcke eerajts soo waren Dat si niet en versmaedden het simpel verclaren Van Anacharsis, al en was hi niet elegant (b). (a) Parlerai-je de sagesse en présence de Minerve? — Oserai-Je être éloquent devant Mercure? — Dirai-je mes vers, d'une lourdeur infinie, — Devant Apollon, que tout le monde glorifie? — Comment serais-je, moi simple Flamand, assez aveugle — Pour faire de la poésie devant Lampsonius, — Qui connaït toutes les langues, de tous les pays? (b) Comment excuser ma hardiesse ? — Comment parer ma Muse, — Si bien qu'elle ne 1'irrite ni 1'effarouche ? — Je le ferai trés bien : car il ressemble, comme on le croit généralement, — Aux savants Athéniens, qui autrefois — Ne méprisaient pas les naïves explications — D'Anacharsis, bien qu'il ne füt point élégant. 108 Marot: Doncques de moy, qui suis infirme et bas, Comment pourras appaiser les debats ? Comment seront mes esperits delivres Pour en ton nom publier quelques livres ? Car mes escrits n'ont merité sans faulte De parvenir a personne si haulte. Quoi qu'il en soit, la douceur des neuf Muses Qui en toy sont divinement infuses, M'ont donné cueur... De Heere: Hierop mij betrauwende, nam ic penne in d'hant Om an u te schrlven, naer- mijn simpel verstant... Daerom zend'ic u dit bewerpken alleene: D'welc mij wel docht t'overcommen int ghemeene Met uwen persoon... Zoo dat men inden hemel van alle gheleerde Deser eeuwe, u met rechten altijt hielt en eerde Als Prince der Musae, met den wekken si speelden Meught ghi anders Minervam niet beter voorbeelden (a). La * fin de ce passage rappelle le commencement de celui que ci-dessus nous avons cité de Marot. II convient de nous arrêter encore un moment a YEpitre que De Heere a écrite An zijn lief wonende in Zeeland, in de maniere van een Elegia oft clachtighen Zendtbrief1) (b). L allusion qu'il y fait aux amours de Héro et de Léandre peut lui avoir été suggerée par YHisioire de Leander et Hero que Marot a racontée d'après la version latine de Guillaume des Mares2). II est vrai que la ') Hof en Boomgaerd, p. 74. *) Êd. Jannet, III, p. 247. Cf. M. Chamard dans la Deffence, p. 94. n. 4. — La traduction de YHisioire de Leander et Hero fut imprimée a Lyon, durant un séjour que Marot y fit en 1541. Cf. Douen, op. cit., I, p. 262; CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, pp. 480 sqq. Après lui, Charles Fontaine traduisit YEpitre de Léandre a Héro, composée par Ovide, cf. Colletet, Notices biographiques, p. 45. Avant lui, les Rhétoriqueurs francais citent fréquemment 1'exemple de Léandre, cf. Guy, op. cit., p. 69. (a) Fort de cette confiance, j'ai pris la plume, — Pour vous écrire, avec le peu de talent que je possède... — C'est pourquoi je vous envole cette petite ébauche, — Qui me semble convenir assez bien — A votre personne... — De sorte que dans le paradis de tous les savants — De ce siècle, on vous estima toujours et a bon droit — Le prince des Muses. avec qui elles jouaient, — Si du moins vous ne représentez pas mieux Minerve. (b) A sa bien-aimée demeurant en Zélande, Elégie. 109 légende de ces deux. malheureux amants a été trés connue dans la poésie néerlandaise du moyen age et du seizième siècle. Nous en trouvons une première ébauche dans une romance médiévale, reproduite par Hoffman von Fallersleben dans les Horae Belgicae, II, 27, et par Willems, dans les Oude Vlaemsche liederen (1848)*). La traduction du récit classique a dü être connue dés le XIV' siècle, elle figure dans le Second Livre de Der Minnen Loep. composé par Thierry Potter, et datant du XVe siècle2). Le sujet du mythe se retrouve dans plusieurs contes du XIVe siècle, et les Rhétoriqueurs y font de fréquentes allusions3). II y a pourtant, dans YEpitre de De Heere, un passage rappelant plutot le poème de Clément Marot. Ce sont les vers suivants: Ooc al waert dat wij gheenderley schepen en vonden Mij dinct, ic zwomt wel over in curten termij ne : Soo vierigh ben ic dicmaels, deur der liefde wonden, In de ghepeynsen van bi u liefste te sine (a), qui font penser a ceux-ci, écrits par Maïtre Clément: Amour est dur, la mer cruelle aussi: Un bien y a : ce n'est qu'eau en la mer, Et dedans moy ce n'est que feu d'aymer. Sus donc, mon cueur: prens le feu de ta part, Et ne crains 1'eau qui en la mer s'espart. Ces antithéses entre le feu d'amour et 1'eau de la mer sont fort nombreuses dans la poésie italienne, imitée plus tard par Pontus de Tyard dans ses Erreurs amoureuses, pat Du Bellay, Ronsard et les autres poètes de la Pléiade4). Nous faisons une dernière remarque a propos des Invective, an ') Cf. Kalff, Het Lied in de Middeleeuwen, p. 227. *) Kalff, op. cif., pp. 229 sqq. 3) Cf. J. te Winkel, De Ontwikkelingsgang der Nederlandsche Letterkunde, I, p. 192 ; De Casteleyn, Const van Rethoriken, pp. 106, 148. *) Cf. F. • Flamini, Du röle de Pontus de Tyard dans le Pétrarquisme francais (Revue de la Renaissance, 1901, p. 53); J. Vianey, Le Pétrarquisme en France au seizième siècle, Montpellier et Paris, 1909, passim. (a) Quand même nous ne trouverions aucun navire, — Je crois qu'en peu de temps je traverserais le fieuve a la nage, - Tant je brüle souvent, blessé par 1'Amour, — Et rêvant a être prés de toi, ma bien-aimée. 110 eenen Quidam schilder: de welcke beschimpte de Schilders van Handwerpen *) (a). Cette pièce appartient a un genre devenu a la mode en France depuis la fameuse. querelle de Marot et de Sagon2), et cultivé après Marot par Mellin de Saint-Gelays et Jacques Peletier du Mans3). Nous n'y avons pas relevé d'emprunts directs au grand satirique francais du seizième siècle. Les poèmes de Marot, traduits ou imités par Luc de Heere ne se trouvent pas tous dans 1'édition compléte que 1'on fit des ceuvres de Maïtre Clément en 1544. L''Epistre a M. Pelisson, president de Savoye, YÊpigramme d'un Avocat jouant contre sa femme et son c/erc, le Remede contre la Peste, sont tirés d autres éditions, YEpistre au biau fys de Pazy, et la Responce de la Dame au jeune fy de Pazy ne figurent que dans celle de 1596. II est trés probable cependant que ces pièces étaient connues et goütées a la cour de France. Le jeune peintre flamand, lors de son séjour a Fontainebleau et a Paris, en 1553, a pu prendre connaissance des ouvrages littéraires publiés pendant ou avant cette année, ou circulant sous le manteau, et les ceuvres posthumes de Marot ont dü captiver spécialement son attention. IX Emprunts farts par De Heere a Mellin de Saint-Gelays. — Conclusion de la Deuxième Partie-du present ouvragê. ^ C'est peut-être par YArt poétique de Thomas Sebillet que 1'attention de Luc de Heere a été appelée sur YÉpitaphe de Budé4) que Mellin de Saint-Gelays composa a la mort du grand huma- ') Hof en Boomgaerd, p. 87. *) Sur la querelle entre Marot et Sagon, cf. Goujet, Bibliothèque Francoise. XI, pp. 86 sqq.; Voizard, De disputatione inter Marotum et Sagontum (these de 1885); les articles de P. Bonnefon dans la Revue d'Histoirè littéraire de France, 1894—1895; CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, chap. XVI. ') CEuvres de Melin de Saint-Gelais, éd. Blanchemain, I, p. 293; Peletier, CEuwes poétiques, pp. 101, 134. 4) A consulter sur Budé: P. Bayle, Dictionnaire critique; Egger, L'Hellénisme en France ; Thurot, De l'organisation de lenseignement dans VUniversité de Paris, Paris. 1850; A. Lefranc, Histoire du Collége de France, Paris, 1892; Delamelle! G, Budé. Paris, 1907. (a) Invectives adressées a certain peintre injuriant les peintres d'Anvers. 111 niste, et qui figure dans 1'édition de ses CEuvres complètes par Blanchemain1). Elle est ainsi concue: Qui est ce corps que si grand peuple suit? Las, c'est Budé au cercueil estendu. Que ne font donc les clochers plus grand bruit? Son nom sans cloche est assez espandu. Que n'a 1'on plus en torches despendu Suivant la mode accoustumêe et sainte? Afin qu'il solt par 1'obscur entendu Que des Francois la lumière est esteinte. De Heere 1'a utilisée pour pleurer la mort d'un autre savant homme de lettres, le secrétaire anversois Cor^ieille Grapheus. Nous citons ici la pièce du poète gantois: Epitapbie van M. Cornelius Grapheus. Wat lijc is dit, dwelc al dees Üfen volgen naer Bisonders schilders, met grooten rauwe voorwaer Elaes tls Grapheus, heur docteur excellent. Waerom en luden de doeken dan niet allegaer ? Omdat van hem gheruchts genough is hier ontrent Hoe comt dat hi niet meer tortsen en heeft ten hent, Ghelijc dit een gemeen ceremoniael besluut is? Op dat deur de duusterheit, soude sijn bekent Dat het licht van alle dese neerlanden ut is2). De Heere a encore transformé en Sonnet une Epigramme de Mellin de Saint-Gelays. C'est YÊpigramme XCII de 1'édition Blanchemain : Amour n'est pas un dieu, c'est un magicien, Qui enchante les coeurs et les scait si bien prendre. Sous couleur de plaisir et espèce de bien, Que d'eux-mesmes a luy ils cherchent de se rendre. Et dés lors ils sont siens: en lieu de les defendre II les trompe et décoit et faict que la prison Leur semble liberté, les yvrant de poison. Donc, puisque mort s'ensuit, appert qu'il n'est pas Dieu; Car un Dieu n'useroit de telle trahison ; Mais 1'esprit aveuglé luy a donné tel lieu. ') Êd. Blanchemain I, p. 120. — Sur Mellin de Saint-Gelays, cf. Vies d'Octovien de Saini-Gelais, Mellin de Saint-Gelais, etc., par G. Colletet, p.p. Gellibert des Séguins et Castaigne, Paris, 1863; Melltn de Saint-Gelays, étude sur sa vie et sur ses ceuvres, par H.-J. Molinier, Paris, 1910 (avec bibliographie). *) Hof en Boomgaerd, p. 62. 112 En voici la traduction flamande: An M. Jan van Safle. Cupido en is gheen God, tis een toovenaer Dié d'herten soo betoovert ende weet te vanghen Onder t'decsel van ghenoughte goet en eerbaer, Dat si naer haer helle ende doot zeere verlanghen Ende maect dat si sonder verworghen hanghen, Ooc dat haer de vangh'nesse dinct vriheit te sine: Zoo soetelic weet heralien dit boufken te pranghen Hemlien verghevende (elaes) met sinen venine. Dus is hi bet een verrader ghenaemt ten fine, En een moordadich tiran dan een God expres, Ofte vrau Venus kint d welc hij toch niet en es. Want waer hi van Venus commen, hi waer wat vroeder, (Al en wilL' ic om haer deucht niet nemen proces), En zoude wat houden van zulc een zachte moeder'). La fin de ce Sonnet nous rappelle une autre pièce de Mellin de Saint-Gelays, dont De Heere prend le contrepied et que nous citons ici: De Venus. Puisque Venus des humains adorée Ha sur le chef chevelure dorée, Et que les traits qui sortent de ses yeux Sont de fin or, luisant et radieux (Comme le peint le bon antique Homere), Merveille n'est si d'Amour elle est mere, Car mesmes l or, comme on voit aujourd'huy, Comme Venus, mene Amour quant et luy. Et ne luy fait le Garcon moins de chere Qu'il fait a elle, et ne la point moins chere2). L'influence de Marot et de son école, nous avons pu le constater dans les pages qui précédent, a été considérable sur Luc de Heere. Le sentiment poétique du jeune homme était encore dans toute sa fraïcheur, lorsqu'en 1553 il entreprit son voyage en France. La cour et la vie parisienne, lui ouvrant un monde nouveau, lui présentant un spectacle infiniment varié, stimulèrent son ardeur juvénile. Dans le milieu artistique oü il se transporta, la Renaissance s'affirmait de plus en plus, la poésie y était cultivée avec ') Hof en Boomgaerd, p. 58. 2) Êd. Blanchemain, II, p. 259. 113 amour, admirée avec passion, les Pseaumes1) de Marot chantés par toutes les bouches, ses Épigrammes passant par toutes les mains,- ses mots répétés par tous les hommes d'esprit, sa vogue soutenue et propagée par ses amis et ses disciples, excitèrent la curiosité du jeune peintre, lui flrent partager 1'enthousiasme général, éveillèrent en lui la vocation poétique. Marot a dü paraitre un excellent modèle au jeune Flamand, intelligent plutöt que passionné, d'une gaieté robuste plutót que d'une sensibilité rafflnée, chez qui le respect de la tradition balancalt 1'intérêt qu'il prenait aux formes nouvelles. Les Êpitres de Marot, ses Épigrammes de ') Marot acheva la traduction des trente premiers Pseaumes dans la maison du faubourg Saint-Germain qu'il tenait de la muniflcence de Francois I" (juillet 1539). Distrlbués manuscrits au roi, aux princes et aux princesses, ils furent accuefllis avec enthousiasme, et bientöt ce. fut la mode de les fredonner a la cour. Francois I«r ordonna a Marot de presenter sa traduction è Tempereur Charles-Quint, quand celui-ci traversa la France et vint è Paris (1540), se rendant aux Pays-Bas pour y détruire 1'hérésie (O. Douen, op. cit, I, pp. 284, 287 sqq.). Les musiciens des deux princes les mlrent en musique, le dauphin Henri (depuis le roi Henri II) les chantait ou les faisait chanter, „avec lues, violes, espinettes, fleustes, les voix de ses chantres parmi et y prenoit grande delectation". Ses „mignons" et Diane de Poitiers affectaient de les aimer autant que lui (Florimond de Raemond, Histoire de la natssance de l hérésie, livre VIII, chap. XVI; cf. Mémoires de Condé, I, p. 621, Lettre de Villemain a Catherine de Médicis; Godefroy, op. cit, pp. 429 sqq.; O. Douen, op. cit, I, pp. 285 sqq.). Francois I", a son lit de mort (1547), „se fit apporter les Psalmes de Clement Marot s'en fit lire quelques-uns pour sa consolation, recómmarida fort son peuple et ses serviteurs au Dauphin", et expira (Jean de Serres, Invent. génér. de l'Histoire de France, cite par O. Douen, op. cit, I, p. 287, n. 1). — L'edition originale des Pseaumes parut sous le titre suivant: Trenfe Pseaulmes de David, mis en francoys par Clement Marot, palet de chambre du Roy. Avec privilege. Imprimé è Paris pour Esüenne Roffet. Le privilège est du 30 novembre 1541 (Douen, op. cit., I, p. 289). Ils étaient précédés d'une épitre dédicatoire a Francois I«. — L Église réformée s'empara des Pseaumes de Marot a 1'insu du poète et bien avant qu'il les eüt publiés. Douze flgurent dans la première édition du psautier huguenot intitulée: Aulcuns Pseaulmes et Cantiques mys en chant (Strasbourg, 1539). La deuxième édition, celle d'Anvers (1541), renferme tous les trente Pseaumes du recueil primitif, il en est de même pour celle de Strasbourg (1542; cf. Douen, op. rif., I, pp. 302 sqq.; pour la date et le lieu de leur publication, voir les pp. 329 sqq.). La présence des Pseaumes de Marot dans les recueils réformés, dont six éditions furent publiées pendant la vie du poète, valut a celui-ci de nouvelles persécutlons. De Noël 1542 au mois de mars de 1'année suivante, la Faculté de théologie de Paris mit a 1'index les Trenfe Pseaumes de Marot (Douen, op. rif., p. 358—360). L'auteur lui-même dut se retirer a Genève, en quittant sa femme et ses enfants. Cf. aussi CEuvres de Marot, éd. Guiffrey—Yve-Plessis, I, p. 500 sqq. 8 114 toute espèce, le ravissaient; cette critique spirituelle des travers de la société, ces plaisanteries bouffonnes, scabreuses ou triviales; 1'amusaient prodigieusement; la brillante allégorie qui ouvrait ce recueil de poèmes, lui paraissait digne d'être reproduite en flamand. II était sür que toutes ces pièces, adaptées aux mceurs de son pays, mêlées aux vieux poèmes néerlandais, plairaient a ses compatriotes. Et puis, le grand poète de la première Renaissance fut en même temps le poète de la Réforme. On trouve chez Luc de Heere les premières traces d'idées protestantes immédiatement après son retour au pays na tal. La Réforme, en France, avait fait en 1552 des progrès considérables. Les Pseaumes de Marot jouissaient d'une trés grande popularité, les pasteurs calvinistes prêchaient en public et a la barbe des sorboniqueurs. La persécution religieuse avait fait ses premières victimes; a Paris, De Heere a pu assister aux supplices des hérétiques, brülés vifs au parvis NotreDame ou a la place Sainte-Catherine1), comme il les avait vu brüler a Gand ou a Anvers. Ce n'est donc pas trop se risquer que de supposer que De Heere a recueilli a Paris les germes de la foi nouvelle qui, plus. tard, se manifesta chez lui avec une netteté toujours plus grande. La traduction des Pseaumes en flamand fut un des premiers fruits qu'elle porta; et 1'influence des poèmes sérieux et moralistes de Marot se confondit avec celle - des vieux Refereynen. Le protestantisme, qui était une critique, non seulement de la doctrine papale, mais aussi des mceurs sociales et de 1'organisation sociale oü elle avait mis son empreinte, favorisa 1'esprit de satire qui est un des traits saillants du petit recueil de De Heere. Enfin Luc de Heere, incorrigible rimeur de pièces de circonstance, trouva a profusion chez Marot des modèles de ce genre. II en profita le mieux qu'il put, ajoutant quelque nouveauté de style et de versiflcation pour éveiller 1'intérêt, flattant les grands seigneurs et les belles dames, avec moins d'esprit que Marot, mais avec autant de succès, puisqu'il se faisait moins d'ennemis par son humeur caustique et sa verve mordante. « ') Cf. Félibien, Histoire de Paris, IV, p. 746; Bourciez, op. cit., p. 42; Théodore de Bèze, Histoire ecclésiastique des Èglises Réformées au Royaume de France, Anvers, 1580, I, p. 79; CEuvres de Marot. éd. Guiffrey—Yve-Plessis, /. c. TROISIÈME PARTIE Luc de Heere et la seconde Renaissance francaise1). I La dédicace de Den Hof en Boomgaerd rapprochée de VAvis au Lecteur de Ronsard (1550), et de la Deffence de Du Bellay. L'influence de Pierre de Ronsard sur Luc de Heere est attestée des 1'abord par un passage de la dédicace adressée a Adolphe de Bourgogne2). Après avoir dit que suivant le précepte d'Horace, „Pictoribus atque Poetis", etc, il s'est amusé parfois a la lecture des poètes anciens et modernes qu'ensuite il a imités en flamand, De Heere déclare que ce n'avait guère été son intention de publier ses bagatelles. Voici pourquoi: „ ... Want mij heeft altijt wel voorghestaen dat den voorseiden Poëte zegt, te weten, dat men zijn carmina bij hem behoort te houden neghen jaren: Willende datmen daer op sal rijpelick letten, die dicmaels overzien ende corrigieren, eer menze laett int licht commen: op dat zij (alzo) zouden te bet ghewapent zijn, jeghens de berespinghe diese onderworpen zijn, als zij voor alle mans oordeel moeten passeren. Nochtans niet teghenstaende dies, heeft mij de begheerte van zommighe daertoe ghebroght, dat ic dese mijne dichten (de welcke zom in mijn jonghde oft kindscheit ghemaeckt zijn) hebbe laten prenten (a)". ') Voir S. Eringa, Luc de Heeré et la seconde Renaissance francaise, pp. 163 sqq. *) Hof en Boomgaerd, p. 3. (a) Car je me suis toujours rappelé ce que .dit ce poète, a savoir qu'il faut garder ses vers avec soi pendant neuf annèes. C'est qu'il veut qu'on y prenne bien garde, qu'on les revoie et corrige souvent avant de les publier: afin qu'ils supportent d'autant mieux la critique a laquelle les soumet le jugement de tous. Toutefois le dèsir de quelques-uns m'a poussè a faire imprimer ces poèmes, dont quelques-uns datent de ma prémière jeunesse. 116 Ces mots sont manifestement inspirés de 1'Avis Au Lecteur que Ronsard, en 1550, placait en tête des Quatre premiers livres des Odes1), et oü il revendiquait avec tant de hauteur ses droits de priorité comme poète lyrique de France. Ronsard, également, nous y affirme que dès son enfance il avait „tousjours{estimé 1'estude des bonnes lettres, 1'heureuse felicité de la vie"2), qu'il était allé „voir les étrangers", se rendant „familier d'Horace" et osant le premier des poètes francais „enrichir" sa langue „de ce nom d'Ode"3). II se sert du même prétexte que De Heere pour justifier la publication de son livre, et allègue les mêmes scrupules pour expliquer le re tard qu'il y avait mis: „Depuis aiant fait quelques uns de mes amis participans de telles nouvelles inventions, approuvants mon entreprise, se sont diligentés faire apparoistre combien nostre France est hardie, et pleine de tout vertueus labeur4)... Je fus maintesfois avecques prieres admonesté de mes amis faire imprimer ce mien petit labeur, et maintesfois j'ai refusé apreuvant la sentence de mon sententieus Auteur: Nonumque prematur in annum s). ') Éd. Laumonier, I, p. 43. ") Sur cette. question, cf. P. Laumonier, Ronsard poète lyrique, p. 4 sqq.; H. Longnon, Pierre de Ronsard, Paris, 1912, pp. 125 sqq. *) II est juste de remarquer qu'avant Ronsard Jean Martin, Barthélemy Aneau, Jean Bouchet et Jean Lemaire de Beiges avaient employé ce mot pour designer un chant lyrique; Ronsard la seulement naturalisé et vulgarlsé. Cf. H. Chamard, L'Invention de l'Ode et le difterend entre Ronsard et Du Bellay (Revue d'Histoire littéraire de la France, 6e année, 1899, pp. 43 sqq.); Laumonier, op. cif., Introduction, pp. XXXI sqq. 4) Allusion a Peletier (CEuvres poétiques, 1547) et a Du Bellay (Vers lyriques et Recueil de Poésie, 1549). Cf. 1'édition des CEuvres de Peletier par Séché—Laumonier, et Chamard, Joachim du Bellay. ') Horace, Epist. ad Pisones, v. 388. — Dans sa Seconde' Préface de l'Olive (CEuvres poétiques, éd. Chamard, I, p. 13), Du Bellay en appelle, lui aussi, a ses amis, pour justifier fa publication de ses vers: „Voulant satisfaire a 1'instante requeste de mes plus familiers amis, je m'osay bien avanturer de mettre en lumiere mes petites poësies". Cf. CEuvres poétiques, III, p. 37, Préface du Recueil de Poésie. — Mais il ne partage pas 1'avis de Ronsard concernant la précaution avec laquelle il faut publier ses ceuvres. Tout en approuvant „1'emendation, partie certes la plus utile de notz etudes", et qui consiste a „ajouter, oter, ou muer a loysir ce que cete première impetuosité et ardeur d'ecrire n'avoit permis de faire", il juge qu'„il ne fault y estre trop supersticieux ou ... estre dix ans a enfanter ses vers". Deffence, p. 200 sqq.; cf. CEuvres poétiques, ï, p. 13, Seconde Préface de l'Olive. 117 Luc De Heere est, et pour cause, plus modeste quant a 1'originalité de son oeuvre; il lui sufflt de passer pour un habile imitateur: „Ic zoude mij laten dijncken eere ghenough t'hebben mocht ick slechts voor goed Contrefaicter der andere excellente Poëten passeren1) (a)". Toutefois, la oü Ronsard se prévaut de setre acheminé „par un sentier inconnu en monstrant le moien de suivre Pindare, et Horace", De Heere avoue avoir imité la prosodie des poètes francais, latins et allemands, plutot que la vieille manjère flamande, „die (om de waerheit te zegghen met oorlove) in veel zaken te ruut, ongheschict en mum is. gheweest (b)'. Le poète flamand essaie donc d'appliquer a la poésie néerlandaise le grand principe de 1'imitation de 1'antiquité et des littératures étrangères, si chaleureusement recommandée par les poètes de la Pléiade. Du Bellay, dans sa Deffence, estimait 1'imitation de 1'antiquité classique et de 1'Italie moderne le moyen le plus effkace d'illustrer la langue francaise2). Lui aussi avait condamné la vieille poésie des Rhétoriqueurs et des Marotiques, et cela d'une facon bien plus tranchante que De Heere: „Si nostre langue n'est si copieuse et riche que la greque ou latine, cela ne doit estre imputé au default d'icelle, comme si d'elle mesme elle ne pouvoit jamais estre si non pauvre et sterile: mais bien on le doit attribuer a ') lei, De Heere s'inspire de Marot qui, dans la préface de sa traduction des Métamorphoses d'Ovide, dit „qu'il ne voullut pas se fier en ses inventions propres que les laissant reposer il ne jettast 1'ceil sur les livres latins, dont la gravité des sentences ét le plaisir de la lecture avoient mené sa main et amusésa muse". Cf. Colletet, Notices biographiques, p. 31. - Du Bellay s'excuse d'une facon analogue d'avoir pris pour modèle les poètes italiens: „Vrayment Je confesse avoir • imité Petrarque, et non luy seulement, mais aussi 1'Arioste et d'autres modernes Italiens: pource qu en 1'argument que je traicte, je n'en ay point trouvé de meUleurs. Et si les anciens Romains, pour 1'enrichissement de leur langue, n'ont fait le semblable en 1'imitation des Grecz, je suis content n'avoir point d'excuse". Première Préface de l'Olive, éd. Chamard, I, pp. 8 sqq. *) Cf Deffence, pp. 147, 192, 319. Les modèles italiens sont constamment cités a cóté des modèles antiques: Deffence, pp. 81, 89, 127, 194, 221, 224, 235, 265, 315. Les Espagnols sont nommés deux fois, pp. 81, 194. Cf. Chamard, Joachim du Bellay, pp. 119 sqq. (a) Je croirais recueülir assez d'éloges, si seulement je passais pour un habile imitateur des autres éminents poètes. (b) Qui, a vrai dire et avec votre permission, a été, sous bien des rapports, trop rude, trop gauche, trop relachée. 118 ignorance de notz majeurs qui... nous ont laissé nostre langue si pauvre et nue, qu'elle a besoing des ornementz et (s'il fault ainsi parler) des plumes dautruy1).. . Ly donques et rely premièrement (ö Poëte futur) feuillete de main nocturne et journelle les exemplaires grecz et latins: puis me laisse toutes ces vieilles póësies francoyses aux Jeux Floraux de Thoulouze et au Puy de Rouancomme rondeaux, ballades, vyrelaiz, chantz royaulx, chansons, et autres telles episseries2)". Le patriotisme qui anime Du Bellay et Ronsard, „lardant desir de reveiller la Poësie" nationale % inspirent aussi De Heere, lorsqu'il poursuit: „D'welcke eensdeels (ic kendt) cause is dat dese onse conste (die men tonrechte Rhetorijcke naemt ) tot noch toe niet en heeft connen verwerven de gracie van de curieuse gheleerde, hoe wel de selve haer te zeer daeraf vervremt hebben, die beter reverentie haer moeders tael schuldigh zijn: al en waert maer om de goede inventien, en fraey materiën die talder tijd eenighe van ons vlaemsche Poëten ghefloreert hebben: alst blijckt bij diversche haer wercken (a)". Cette tirade de Luc de Heere vise surtout les poètes et les prosateurs néo-latins; comme Du Bellay il s'en prend „aux efforts laboneux et toujours inutiles des Cicéroniens et des Virgiliens" 6) Si Jean Second et Érasme avaient été dans les Pays-Bas des écnvains de premier ordre. la langue maternelle n'en avait profité qu mdirectement, ils n'avaient nullement contribué è la gloire de ') Deffence, p. 66. Cf. la Seconde Préface de VOtive, éd. Chamard, I, p. 12 Deffence, p. 201 _ Jacques Peletier du Mans et Jacques Tahureau sexpriment avec le meme dédain sur la poésie des Rhétoriqueurs. Cf. Crépet, Les poètes francais, I. P. 633, art. de C.-D. d'Héricault: P. Laumonier, ComZntaire suTles pMzTnT ?UeS Afc*r dU ManS' Chamard> Joachim da Be^y- J) Ronsard, Au Lecteur, éd. Laumonier. I, p. 47. - Les Rhétoriqueurs et les poètes; marotiques partagent ce sentiment avec les poètes de la PJéiade. Cf. Chamard op. at, pp. 107 sqq.; J.-J. Jusserand, Ronsard, Paris, 1913 p 35 ) Cf. Chamard, op. cit., p. 116. (a) Laquelle, en quelque sorte, j'en conviens. est cause que jusquid notre art (quon appelle 4 tort Rhétorique) n'a pu obtenir grace aux yeux des curieux savants, qui devraient respecter davantage leur langue maternelle, ne füt-ce que pour les bonnes inventions et les beaux sujets qui ont enrichi la poésie de quelques Flamands, comme il résulte de diverses ceuvres sorties de leur plume 119 la littérature nationale. La prétention de certains humanistes d'instaHer a la place de la langue natale le latin comme langue artistique, était une des causes de sa faiblesse et de son déclin1). Du Bellay s'exprime dans les mêmes termes que le poète flamand: „Je ne puis assez blamer la sotte arrogance et temerité d'aucuns de notre nation, qui n'étans rien moins que Grecz ou Latins, deprisent et rejetent d'un sourcil plus que stoïque toutes choses écrites en francois: et ne me puys assez emerveiller de 1'etrange opinion d'aucuns scavans. qui pensent que nostre vulgaire soit incapable de toutes bonnes lettres et erudition2)". D'autre part Luc de Heere ne rompt pas avec le passé d'une facon aussi définitive que 1'auraient voulu les poètes de la Pléiade. Tout en admettant la défectuosité de la vieille poésie flamande, il en apprécie certaines productions, comme le prouve la conclusion du passage cité plus haut. Novateur, il n'est pas révolutionnaire. II insiste sur cette idéé que la poésie nationale ne doit pas être méprisée, il 1'avait émise dès le cpmmencement de sa dédicace: „Ende al eyst (eerweerdighe Heere) dat wij dese oft ander vlaemsche Poësie niet en connen toegheven de bevaüicheyt die wel ander hebben; nochtans en is zij daerom niet te verachten, ist dat anders den gheest oft d'invencie der Poësie daer in blijckt (a)". La Pléiade d'ailleurs, qui affectait tant de dédain pour les productions de la littérature francaise des siècles précédents, en exceptait quelques auteurs pour qui elle montrait plus d'égards. ') Sur la lutte entre 1'humanisme et le francais voir F. Brunot, La Langue au Seizième Siècle, chap. XII du Seizième Siècle dans VHistotre de la Langue et de la Litt. fr., pp. 640 sqq.: Brjinot, Histoire de la Langue francaise, II, chap. I" ; Chamard, op. cit, pp. 103 sqq.; 107 sqq. ") Deffence, pp. 50 sqq., p. 309. Cf. la lettre Ti'Êtienne Pasquier a Turnèbe (1552), citée par Bourciez, op. cit, p. 143, n. 1, et Chamard, op. cit, p. 51, n. 2; Pasquier, Lettres, l II, éd. de 1723, col. 3. - Les idees de la Pléiade se trouvent en germe chez Jacques Peletier du Mans, dans une Ode intitulée A un poete qui riescrivoit qu'en Latin. éd. Séché-Laumonier, p. 110). M. Laumonier fait remarquer* (Commentaire, pp. 149 sqq.) que cette pièce contlent la paraphrase d'une réponse de 1'Arioste a son ami Bembo. Cf. aussi la dédicace de Peletier placée en tête de sa traduction de VArt poétique d'Horace, citée par M. Laumonier (Commentaire, p. 151). (a) S'il est vrai (Monseigneur) que nous ne pouvons reconnaltre è cette poésie flamande 1'élégance qui distingue les autres, elle ne doit pas pour cela être méprisée, a condition que 1'esprit ou 1'invention de la Poésie s'y manifeste clairement. 120 Du Bellay, dans sa Deffence, estime que Guillaume de Lorris et Jean de Meting „sont dignes d'estre leuz" *); que Jean Lemaire de Beiges avait „premier illustré et les Gaules et la langue francoyse, luy donnant beaucoup de motz et manieres de parler poëtiques" 2); il recommande, en parlant „du long poëme francoys", qu'on en emprunte le sujet a „quelque un de ces beaux vieulx romans.... comme un Lancelot, un Tristan, ou autres ", ainsi que 1'Arioste 1'avait fait pour son Roland furieux*). II cite même, en 1'approuvant, „certain epygramme" de Marot a Salel, oü celui-ci fait 1'énumération des bons poètes francais d'autrefois4), et dans sa Musagneeomachie il dit les noms des doctes auteurs „qui font revivre les antiques": Carles, Héroet, Saint-Gelays, „les trois favoris des Graces", „1'utile-doux" Rabelais, bien d'autres encore5). Ronsard, bien que plus réservé a eet égard, plus exclusif que son ami, mentionne dans sa Préface de 1550, Héroet, Scève et SaintGelays comme écrivains de mérite. Voici enfin le passage par lequel De Heere termine la démonstration que nous venons de discuter: „Exempel an de Fransoysen, al eyst dat heur studieuse ende gheleerde zeer neerstigh die ander spraken (die veel excellenter zijn dan haer eyghene) omhelsen en anthieren: nochtans en vergheten sij daer neffens haer moeders sprake niet alle d'eere an te doene diet heur mogelic is: die vercierende met veel wonderlicker compositien: en die oeffenende boven alle andere spraecken (a)". Cette phrase s'applique non seulement mot a mot a Ronsard et è ses collaborateurs, elle reproduit aussi 1'argument dont setait servi Du Bellay, lorsqu'il écrivait: „Toutesfoys je te veux bien avertir que tous les scavans hommes de France n'ont point meprisé leur vulgaire. Celuy qui fait renaitrè ') Deffence, p. 174. *) Deffence, p. 177. 3) Deffence, p. 235. • *) Deffence, p. 176. Cf. la note 1, p. 177 de 1'éd. crit. de Chamard, qui cite 1 Epigramme CLXXV de Marot (éd. Jannet, III, p. 71). 6) Cf. Chamard, Joachim da Bellay, p. 165. (a) Les Francais, par exemple, bien que leurs érudits et leurs savants cultivent et-étudient avec beaucoup de soin les autres langues qui sont de beaucoup supérieures a leur propre idtome, n'oublient cependant pas d'honorer de leur mieux leur langue maternelle: ils ïembellissent de bien des ouvrages admirables, et s'y appliquent plus qu'a n'importe quelle autre langue. 121 Aristophane, et faint si bien le nez de Lucian1), en porte bon temoignage ... Je ne craindray point d'aleguer encores pour tous les autres cas ces deux lumieres francoyses, Guillaume Budé et Lazare de Bayf. Dont le premier a ecrit, non moins amplement que doctement, YInêtitation du Prince ... L'autre n'a pas seulement traduict YElectre de Sophocle. quasi vers pour vers.... mais davantaige a donné a nostre langue le nom d'epigrammes et d'elegies, avecques ce beau mot composé, aigredoulx: afin qu'on n'attribue 1'honneur de ces choses a quelque autre2)". Moins provocante. plus modérée que le manifeste de Du Bellay et la Préface des Odes de Ronsard, la dédicace de Luc de Heere s'inspire d'un patriotisme aussi fervent, d'un humanisme aussi sincère. C'est la 1'esprit qui anime le recueil du poète flamand. Sans suivre „le coureur, qui galopant librement par les campaignes Attiques, et Romaines osa tracer un sentier inconnu pour aller a 1'immortalité"3), sans faire des Odes pindariques ou horatiennes, il essaya, a sa manière et dans la mesure de son talent, de relever la douce poésie flamande, imparfaite au point de vue artistique. II le fit en traduisant les poètes francais, en adaptant leurs pièces au goüt et aux mceurs de ses compatriotes. puis, allant plus loin, il appliqua le principe de Yassimilation, — de Yinnutrition comme dit Faguet4), — défendu avec tant d'ardeur par Du Bellay dans la Deffence et dans la seconde Préface de 1'OftVe6). En même temps 1'originalité du jeune écrivain, plus sür de lui dans les nouveaux genres qu'il cultive, s'accusera davantage: le greffon poussant vigoureusement sur le pied mère, étend son feuillage et së fait reconnaïtre a distance, II L'Épltre An een schoon dochter van Audenaerde. L'amour, ici comme souvent ailleurs, è contribué a cette évolution, a fait jaillir la source d'inspiration lyrique qui donne une ') Rabelais. *) Deffence, pp. 331 sqq. ') Préface des Odes de 1550. ') Seizième Siècle, p. 214. 5) Cf. Chamard, op. cif., pp. 120 sqq., 124 sqq.; Deffence, pp. 98 sqq., 103, 192, n. 1; 125, n. 2. 122 vie nouvelle a certaines Êpitres et Épigrammes de Luc de Heere. La pièce adressée par lui An een schoon dochter van Audenaerde1) (a) ést d'une sensualité moins profonde que la tendresse qu'il devait éprouver plus tard pour Éléonore Carboniers, elle mérite pourtant de nous retenir paree que le poète y exprime pour la première fois ses émotions personnelles dans un style nouveau. Le titre du poème nous dit è quelle occasion il sentit les premières atteintes de eet amour passager. Une jeune fllle d'Audenarde, consciente de ses graces, avait prié 1'artiste de faire son portrait. Celui-ci accepta dans une Épitre qui était en même temps une déclaration brülante. II débute par quelques compliments sur la beauté de la jeune personne: Ghelijck de zonne claerder blijnckt dan alle lichten Alzoo zidi in schoonhede te boven gaende Alle utnemende vrauwelicke ghezichten (b). Cette comparaison du visage féminin avec les astres les plus brillants du ciel avait été faite par Ronsard au Sonnet CXIII du Premier Livre des Amours2): Je vy ma Nymphe eutre cent damoiselles Comme un Croissant par les menus flambeaux, Et de ses yeux plus que les astres beaux Faire obscurcir la beauté des plus belles. Ronsard, dans ces vers, avait imité Horace: i ■ ... Micat inter omnes Julium sidus, velut inter ignes Luna minores3). Horace et Ronsard avaient nommé la lune, De Heere remplace la lune par le soleil, qui joue un röle analogue chez Ronsard. ') Hof en Boomgaerd, p. 70. *) Ed. Vaganay—Vianey, p. 191. 1 Horace, Odae, I, Xfl, v. 46-48. Cf. Du Bellay, Olive, s. XVI, éd. Chamard I, p. 40. (a) A une belle fllle d'Audenarde. (b) Comme le soleil brille avec plus d'éclat que toutes les autres lumières, — Ainsi ta beauté surpasse celle des plus beaux visages féminins. 123 Clément Marot avait employé la même image % mais pour marquer le contraste entre la présence et 1'absence de sa maitresse; tandis que dans les passages de Ronsard et de De Heere que nous avons rapprochés, elle fait ressortir a quel point la beauté de la dame est supérieure a celle des autres femmes 2). Après ce premier éloge adressé a la jeune fllle, Luc de Heere poursuit: Dus waer'ic Paris ghemaect ghi zoudt zijn ontfaende Den appel, als d alder schoonste in mijn harte staende(a). Nous avons rencontré a plusieurs reprises cette allusion mythologique chez les Rhétoriqueurs néerlandais3). Elle se trouve aussi deux ou trois fois chez Marot4); elle reparaït dans le Sonnet LXXXVII des Amours de 1552, 1553, oü Ronsard dit: Et si Paris, qui vit en la valee La grand' beauté dont son cceur' fut épris, Eust veu la tienne, il t'eust donné le pris. Et sans honneur Venus s'en fust allée'). Dans le vers suivant: Minen voys ghev'ick u, ö nieu Venus verheven, on reconnaitra la conclusion de 1'Épigramme An Ch. C, qui traduit YÊtrenne XVI de Marot6). Et pourtant, ici encore, nous retrouvons 1'influence de Ronsard. Car, si la forme du vers a été *) Êd. Jannet, III, Epigrammes XXX. CCVII, OCX : Ronsard. Amours, s. LXIV, CXIII, CXCVI, 234. — Cf. Mellin de Saint-Gelays, éd. Blanchemain, l p. 194; HI, pp. 44, 95; Du Bellay, Olive, éd. Chamard, I. s. II (traduit d'un sonnet de Francesco Sansovino). VII (traduit du s. XXII d'Arioste, Polldori, p. 303), XXVII (imité du s. CLXXXVII de Pétrarque, Mestica, p. 316), LXXX (a peu prés traduit d'un sonnet de Pietro Barignano), LXXXIII (inspiré d'un sonnet d'Antonio Francesco Rinieri), LXXXVIII, XCVI. 2) Cf. Du Bellay, Olive. s. L, LXVI; Baïf, Amours, éd. crit. par. M. Aug$Chiquet, Paris et Toulouse, 1909, s. XIX. ») Voir les pp. 12-13, 24, 44, 54. 4) Epistre XXIII, Épigr. CXII; éd. Jannet, I, p. 182; IQ, p. 47. 5) Cf. aussi Saint-Gelays, éd. Blanchemain, I, p. 223; Baïf, Amours, s. XIV, XLVII. *) Voir la p. 82. Le second hémstiche est emprunté a Saint-Gelays, éd. Blanchemain, III, p. 101. qui en parlant A sa Dame. s'écrie: O seconde Venus! (a) Donc si j'étais Paris, tu recevrais le pomme, — Puisque dans mon cceur tu tiens la première place parmi les plus jolies. 124 fournie indirectement par Marot, 1'idée qu'il exprime et que De Heere développe dans les deux vers suivants: Om u te prljsen, mij u amoureusheit vermaende, Ist dat anders uwen lof magh sijn beschreven (a), cette idéé lui a été suggérée par la seconde moitié du Sonnet LXXXVII des A mours: Mais s'il advient que par le vueil des deux, Ou par le trait, qui sort de tes beaux yeux Que d'un hault vers je chante ta conqueste, Et nouveau Cygne on m'entende crier, II n'y aura ny myrthe ny laurier Digne de toy, ny digne de ma teste'). II est fort naturel, du reste que De Heere n'ait pas suivi mot a mot les vers pompeux qu'on vient de lire. L'abus de mythologie qui caractérise ce Sonnet comme tant d'autres pièces de Ronsard et qui, plus tard, a valu a sa Muse le reproche de parler grec et latin en francais2), avahy des 1'apparition de ses Odes, excité la risée des Marotiques3), et le jeune Flamand, plus prudent que son modèle, aura cru sage de s'abstenir de tout excès. La modestie a dü lui sembler un sentiment d'autant plus convenable que la beauté de la jeune fille qu'il chantait déflait toute description: ') Variantes de 1552, 1553: Qu'en publiant ma prise, et ta conqueste, Oultre la Tane on m'entende crier, Iö, iö, Quel myrte, ou quel laurier Sera bastant pour enlasser ma teste? Cf. Saint-Gelays, éd. Blanchemain, II, p. 185. *) Sur la justesse de 1'arrêt de Boileau, cf. Laumonier, Ronsard poète lyrique, pp. 407 sqq.; Jusserand, Ronsard, pp. 42 sqq. jacques Peletier devanca Boileau en mettant les poètes en garde contre 1'excès de mythologie et de „certaines éruditions déconcertantes pour les lecteurs ordinaires". Cf. Laumonier, L'art poétique de ]. Peletier, da Mans (Revue de la Renaissance, 1901, pp. 257 sqq.). ?) Sur cette question, cf. Bourciez, op. rif., p. 207; Laumonier, Ronsard poète lyrique, pp. 72 sqq.; jusserand, op. cif., pp. 54 sqq. (a) L'amour que tu inspires m'exhorte a te louer, — Si du moins on peut te louer dignement. 125 Maer hoe zoud' ic u verdiende eere connen gheven? Ende u schoonheit met mijnder pennen flguereren? Als u gratiën, (emmers die ick heb' beseven) Elc om te schoonst voort doen, ende braggheren (a) ? L'impuissance du poète a célébrer dignement les perfections de la bien-aimée est aussi un thème fort développé par les poètes francais de la seconde Renaissance1). Quelles que soient leurs aspirations. quelques efforts qu'ils fassent, les graces divines de la dame surpassent tout ce que 1'imagination peut se representer. Leur orgueil s'humilie devant la beauté inexprimable de celle qu'ils adorent, et Ronsard se rencontre avec Luc de Heere. lorsqu'il écrit: Quand jappercoy ton beau poll brunissant, Qui les cheveux des Charites efface. Et ton bel ceil qui les astres surpasse, Et ton beau teint sans fraude rougissant, A front baissé je pleure gemissant, Dequoy je suis (faulte digne de grace) Sous les accords de ma rime si basse, De tes beautez les honneurs trahissant3). La réminiscence. bien que lointaine, n'en est pas moins digne de remarque. surtout paree que dans ce sonnet nous trouvons un vers que De Heere utilise un peu plus loin. En effet, le vers du poète flamand: U ooghkins in claerheit de schoon sterren beschamen, traduit celui de Ronsard : Et ton bel ceil qui les astres surpasse3). "Vcf^Du" Bellay, Olive, s. VI. VIII (traduit du s. VII d Arioste, Polidori, p 295) XX (imité d un sonnet de Glovanni Mozzarello). '*) Ronsard, Amours, s. LXV. Variantes de 1552, 1553: 1. Quand jappercoy ton beau chef jaunissant. 2. Qui lor filé des Charites efface. 4. Et ton beau sein chastement rougissant. 6. De quoy je suis (pardon digne de grace). 7. Sous 1'humble voix de ma rime si basse. 3) Cf. le s. CXIV, cité plus haut: Du Bellay, Olive. s. XVIII, XXI. ^aTNfeiTcomment pourrais-je thonorer comme tu le mérites, - Comment ma plume pourrait-elle décrbe ta heaut*? ~ Puisque tes graces (dont je me subben Su compte) - Se surpassent 1'une autre. et brillent d un éclat incomparable ? 126 Tout le Sonnet LXV, du reste, développe 1'idée que Luc de Heere énonce dans les vers cités. „Lamour pour toi m'inspiré' dit-u è sa maitresse: Om u te prijzen, mij u amoureusheit vermaende. Et Ronsard, avec plus d'emphase: ... L'amoureux ulcere Qui m'ard le cceur, vient ma langue enchanter'). De Heere déclare que sa plume est incapable de peindre les charmes de sa dame: Maer hoe zoud'ic ... U schoonheit met mijnder penne flguereren ? Comparez ces vers de Ronsard: Donque (mon Tout) si dignement je n'use L'ancre et la voix a tes graces chanter, C'est le desün, et non l'art qui m'abuse *). Luc de Heere vante ensuite les yeux de la jeune demoiselle ses joues et sa bouche appétissante, sans donner toutefois une de ces descriptions détaillées de la beauté féminine oü se complaisent les poètes imitateurs des Italiens8). Le poète flamand est trop preoccupe de son amour pour se perdre dans la pure contemplation artistique. Enflammé de passion, il entrevoit déjè le moment heureux oü la bien-aimée aura écouté ses prières et exaucé ses ') Var. de 1552, 1553: ... L'amoureux ulcere Qui m'ard le cceur, me force de chanter. *) Var. de 1552, 1553: L'ancre et la voix a tes graces vanter, Non 1'ouvrier non, mais son destin accuse, XLI CL£>nSard' i"°7'rS-,VI (d°nt 'e «»~«»«t a été'emprunté a Pétrarque). XLMüuitó en partie de Lelio Capilupi), CXXVIII. CXLIII, CLXXXIX, aki L^ ^^' "Bl $- VI1 (traduit dU S' XX" dArioste' P^ P, 303) LXXVlÏT a J™ -T dE Barto,omeo Gottlfrédi), LXXI (inspiré d'Arioste , xnf chf ?r ïïl C,hamard' 11 p"132)1 WftJS 1 ™" ?anSOn XDL: S*»»* Livre, I, II (lmité de Cornelius Gallus). III (imité ZZSTTvSiZS*dArioste): Mcllinde c- 127 D welc mi) dicmaels in droom oft visioen gheschiet Daer mi dinct (twelc tot noch meerder quellinge strect) Dat ick ergens met u int groene, oft in het riet Bancketere en triumphere zonder verdriet, Ende in u armkins ligghe, bedrivende eenpaer Menigh amoureus treexken, ick en zegghe niet Wat mi) meer droomende ghebeurt, dat lat'ic daer (a). Le mélange de pétrarquisme et de sensualité que nous constatons ici chez De Heere est un trait distinctif de la poésie francaise de la seconde Renaissance et des poètes italiens du seizième siècle que la Pléiade a imités1). Ronsard surtout s'abandonne volontiers è ses rêveries voluptueuses. II revoit en esprit 1'image de sa maitresse; plein de joie et d'impatience, il la serre dans ses bras; il goüte un bonheur suprème, quoique bientöt détruit et suivi de 1'amertume du désenchantement2). Ses descriptions sont plus riches, plus colorées, plus poétiques que celles de De Heere, dont les allusions sont tout aussi transparentes: Wegh penn' end inkt ghi comt de matery' te naer (b), écrit celui-ci en se reprenant, mais pour ajouter aussitöt: Om te doen amoureusheit waer ick nu bet ghewent Dan om meer daer af te schriven zeggh'ic voorwaer3) (c). Les deux derniers vers font songer au commentaire de Muret sur le Sonnet 238 des Amours de 1552, 1553, un des plus licencieux qu'écrivit le poète vendömois: „La pratique, dit Muret, de ce Sonet (si je ne me trompe) serait trop plus plaisante que I'exposition". ') Cf. J. Vianey, Le Pétrarquisme en France au XVIe siècle, pp. 142 sqq.; Jusserand, Ronsard, p. 84. *) Amours, s. XXIX, XXX, CXCI, CXCII, 238; Du Bellay. Olive, s. XIV; Baïf, Amours, s. XV; cf. Marot, Épigr. VIII (éd. Jannet, III, p. 7). 3) Cf. Mellin de Saint-Gelays, éd. Blanchemain, II, p.' 120. (a) Ce qui m'arrive souvent quand je réve ou songe, — Lorsqu'il me semble (et cela sert a augmenter mon tourment) — Que dans la verdure quelque part, ou dans les roseaux, — Je fais bonne chère avec toi, joyeusement et sans chagrin:— Couché dans tes bras, je folatre — Amoureusement; je ne dis pas — Ce qui en songe m'arrive encore, cela, je le passé sous silence. (b) Allez, plume et encre, vous insistez trop. (c) Je serais mieux capable de faire 1'amour — Que de le décrire, je 1'avoue franchement. 128 La conclusion, enfin, de ÏÊpitre de Luc de Heere: Maer nu mij ghebeurd is dees quellingh' en torment Als ick noch ben van u verscheeden en absent Wat meendij, wel beminde, wat mij zou ghebeuren Als ick (om u te contrefaicten excellent) Uwen persoon zoude hooren ghenaken, en speuren ') (a), rappelle, pour le mouvement, le Sonnet 232 des Amours de Ronsard: Qui eut pense, que le cruel destin Eut enfermé sous un si beau tetin Un si grand feu, pour m en faire la proïe ? Avisés donc, quel seroit le coucher Entre ses bras. puis qu'un simple toucher, De mile mors, innocent, me foudroïe. III Les poésies inspirées par Éléonore Carboniers. — Een Constenaev tot een rijcke dochter. — An zijn lief wonende in Zeeland. — L'Elegia oft claghenden Zendbrief. — Conclusion de la Troisième Partie. La passion qui inspira a Luc de Heere son Épitre An een schoon dochter van Audenaerde n'a guère duré. Le ton libre de 1'artiste a peut-être froissé la délicatesse de la jeune fllle, elle lui aura fait grise mine, et notre peintre, dépité de tant de dédain, 1'aura raillée dans cette Êpigramme : Tot een bruyn dochtere, nochtans hooverdighr Waert datmen hier als bij de Mauritanen Hachte tbruynste coleur voor tschoonste siet ■ Zo soudt ghi moghen segghen oft wanen - Dat ghi schoon waert, maer nu en zidijs niet') (b). ') Cf. Mellin de Saint-Gelays, éd. Blanchemain, II, p. 156; III, 19. *) Hof en Boomgaerd, p. 51. (a) Mais puisque cette douleur me tourmente, — Pendant que je suis encore séparé de toi et absent, — Que croirais-tu, ma bien-aimée, qui m'arriverait, — Si. (pour peindre ton exquise beauté) — Je t'entendais venir en personne et que je te voie? (b) A une jeune brune, orgueilleuse de sa beauté. Si on croyait, ici comme chez les Maures, — Le teint brun le plus beau de tous, — Tu pourrais te dire ou 1'estimer jolie, — Mais maintenant tu ne les pas. 129 Quoi qu'il en soit, nous voyons bicntöt le poète s'éprendre d'Eléonore Carboniers, la fllle du bourgmestre de Vere. Cette fois, il éprouva une affection sérieuse et profonde; au lieu de la sensualité mal déguisée d'abord, puis librement avouée, de YEpitre analysée plus haut, on trouve dans celles qu'il envoyait a mademoiselle Carboniers un respect timide, une tendresse sincère, des inquiétudes qui ressemblent a de la jalousie, un sentiment religieux qui confie a Dieu le secret de son cceur et attend de lui la réalisation de ses ardents désirs. Dans la première Ëpitre adressée a la jeune fllle, et intitulée Een Constenaer tot een rijcke Dochter*) (a) le poète s'excuse de lui dire son amour, malgré la différence de condition sociale qui les sépare. La demoiselle était riche et de bonne familie, le revenu du peintre relativement modeste. Tout ce qu'il peut espérer, c'est que leur inclination mutuelle surmontera eet obstacle. Puis il lui rappelle brièvement, mais avec flerté, les talents qu'il possède et qui lui avaient valu une brillante réputation: Nochtans als hebb'ic Croesus rijedom niet Ic hebbe (dat darf ic wel zegghen) yet Te weten scienty', hooghlic te prijsen Daer rijekdom navolght, die eere geschiet Makende mij edel (b). Ce sentiment de la dignité artistique est dü premièrement aux succès de De Heere comme portraitisre; et la lecture des poètes francais aura sans doute raffermi cette conviction que les talents priment rang social et fortune. Ronsard, suivant 1'exemple de Pindare et d'Horace, dit hautement que le poète doit mépriser 1'opinion de la foule, qu'il est 1'interprète ou le ministre des dieux, le prêtre d'Apollon qui prophétise et rend des oracles. Pour lui, les trésors de la Muse valent plus que tous ceux du Pactole; sans eux, la vertu et la gloire militaire, même celles des plus grands rois, restent ensevelis dans le silence éternel. Ronsard se promet ') Hof en Boomgaerd, p. 71. (a) L'artiste a une jeune fllle riche. (b) Toutefois, si je ne possède pas les richesses de Cr'ésus, — j'ai quelque chose, j'ose le dire, — Savoir: de Ia science, bien fort appréciable, — Que suivront les richesses, que 1'on tient en estime, — Et qui m'ennoblit. 9 130 1'immortalité, et 1'assure a tous ceux qui ont le bonheur d'être loués dans ses vers1). L'Epitre An zijn lief wonende in Zeeland, in de manie re van een Elegie oft clachtighen Zendtbrief7) (a), fait suite a la pièce que nous venons d'analyser: même crainte d'un refus, même discrétion, même appel è 1'indulgence et è la pitié de celle qu'il aime. De Heere y compare son sort a celui de Léandre, obligé de traverser une mer bouleversée par les orages pour rejoindre sa bien-aimée, puis il continue: Maer een ander tempeest vreese ick ten desen tijden, Dat is dat ghij zoudt, came ick t'uwent binnen. Met quade andwoorde mij wederstaen en bestrijden, D'welck mi) (dacht' ic) zoude bringhen in alle lijden (b). Cette image, oü la rigueur de la maitresse devient unetempête empêchant le navigateur d'atteindre le port désiré, se rencontre fréquemment dans'les Amours de Ronsard, comme chez les poètes italiens qu'il a suivis"). Voici, par exemple, le Sonnet LVII, adressé a Du Bellay: Oy ton Ronsard, qui sanglotte et lamente, Pale de peur pendu sur la tourmente, Crolzant en vain ses mains devers les cieux, En fraile nef, sans voile ne sans rame, Et loin du bord, oü pour astre sa dame Le conduisoit du Pare de ses yeux4). ') Cf. Laumonier, Ronsard poète lyrique, pp. 55 sqq., 65, 334 sqq. Voici quelques Sonnets des Amours de 1552, 1553, oü la même idee, plus ou moins variée, se retrouve: s. LXXII, LXXXVffl, CLXV, CXCIX, CCXVI. Cf. aussi Chamard, Joachim du Bellay, p. 54; Du Bellay, Deffence, pp. 197 sqq., 242 sqq., 316 sqq.; Olive, s. XVIII, Vers lyriques (éd. Chamard, III), IV, V, VIII, X, XIII; Recueil de Poësie (êd. Chamard, III), Préface, pp, 58 sqq.; Chant Triumphal sur Ie voyage de Boulogne, p. 75; Odes VI, IX, XII, XIV. Chez les Rhétoriqueurs et Marot on trouve des sentiments analogues, mais bien moins développés. Voir les pp. 26, 94—95. *) Hof en Boomgaerd, p. 74. * Cf. J. Vianey, Le Pétrarquisme en France, pp. 37 sqq. *) Variantes de 1552, 1553: Palle, agité des flotz de la tourmente, Croizant en vain ses mains devers les Dieux. Cf. Amours, s. LV, CIX; — Du Bellay, Olive, s. XI (imité du s. XVII d'Arioste, Polidori, p. 300), XLI (imité d'un sonnet de Bernardino Tomitano); Baïf, Premier Livre, s. XXXIX (imité de Bembo, Opere, Venezia, 1729, II, s. 27). fa) A sa bien-aimée demeurant en Zélande, a la facon d'une Elégie. (b) Mais je crains maintenant une autre tempête, — C'est que, si j'entrais chez toi, — Tu me résistes et me combattes par de mauvaises réponses, — Ce qui (pensais-je) me ferait souffrir mille morts. 131 Espoir et crainte se combattent dans le cceur du poète flamand, mais le désespoir flnit par prendre le dessus et lui cause de cruelles souffrances: Alzoo ben ic hopende en duchtende hier beneven: Maer meest meshopende ghelijck de minnaers leven Die ghemeenlic het quaedste eerst comt te voren') (a). Ronsard est agité d'un trouble égal: Ores la crainte et ores 1'esperance De tous costez se campent en mon cceur1). Chez lui aussi, la balance penche du cöté du désespoir: . . . Je n'ose esperer De mon salut que la desesperance *). Les derriiers vers de De Heere prouvent qu'il s'agit ici d'un sentiment de convention que 1'on retrouvera dans plus d'un Sonnet des Amours4). II y a d'autres rapprochements a faire. De Heere dit que la présence de sa bien-aimée augmente son amour: Dan vrees'ic ooc te commen in u presentie Wetende dat minen brant zoude meer ontsteken Deur u ieghenwoordicheit vul excellentie (b). Le sourire de Cassandre, son accueil gracieux ont pareillement allumé les désirs de Ronsard5). Mais la tendresse de De Heere est ici pure et chaste ; chez Ronsard, la vue de Cassandre enflamme 1'imagination et excite la sensualité. ') Cf. Mellin de Saint-Gelays: A sa Dame (éd. Blanchemain, III, p. 101): Je croy le pis comme font tous amans, Et mes souspirs croissent de vos serments. *) Amours, s. XLIII. — Variantes de 1552, 1553: Ores 1'effroy et ores 1'esperance De ca de la se campent en mon cceur. >) Amours, s. XI (variante de 1552, 1553). *) Amours. s. XCVT1I, CLXXVIII, CCXVII. - Cf. Du Bellay, OUve, s. LXVIII. ') Amours, s. CLXXXI. (a) C'est ainsi que j'espère et que je crains, — Me désespérant le plus souvent, comme c'est le sort des amoureux — Qui crolent le pire a 1'ordinaire. (b) Puis j'ai peur de me présenter devant tol, — Sachant que ma flamme serait avivée — Par la vue de tes graces exquises. 132 De Heere vante les qualités de sa dame, ses graces, sa sagesse, son éloquence, sa vertu: Alsoo soudic sien uwen persoon vul gratiën: Ende hooren u wijshelt oft bequamelic spreken, Experimenteerende u deucht vul consolatlen. Ten hende, al u cieraet, boven estimatien (a). Ronsard et Du Bellay, a 1'instar des poètes italiens, chantent les mêmes avantages chez leurs maltresses1). Enfin le Flamand, ayant supplié de nouveau sa bien-aimée de lui être favorable, lui déclare qu'il souffrira avec joie desdouleurs mortelles, pourvu qu'elle veuille lui donner un peu de consolation et d'espoir: Want gheen pine ter werelt en can mi verdrieten yet (Ja al warict ooc, totter doot toe becnaghende) Magh ic ten hende noch eens wat troosts ghenieten siet (b). Ronsard adresse a sa dame une prière a peu prés semblable: Dame, qui scais ma constance et ma foy, Voy, s'il te plaist, que le temps qui s'absente, Depuis sept ans en rien ne desaugmente ' Le plaisant mal que j'endure pour toy. De 1'endurer lassé je ne suis pas, Ny ne serois, allassay-je la bas Pour mille fois en mille corps renaistre2). ') Ronsard, Amours, s. XVIII (traduit d un sonnet de Pétrarque), XXXII, XLVIII, LXIII (traduit de Pétrarque), LXXXVIII, CXLIII, OCXVI, etc. - Du Bellay! Olive, s. XVIII (imité du s. XII d'Arioste, Polidori, p. 298), XXXII, LUI, LVII, LXV (imité d'un sonnet de Bartolomeo Gottifredi), LXIX (imité du s. CXCII dé Pétrarque, Mestica, p. 322), LXXIV, LXXXI. Cf. aussi Marot, Elégie XV féd. Jannet, II, p. 35); Saint-Gelays, éd. Blanchemain, I, pp. 220, 250; II, pp. 104, 116 146, 182; III, pp. 42, 43, 46, 58, 71, 96, Baïf, Amours, s. III, XXVIII, Chanson XL; enfin ci-dessus, les pp. 18, 23, 44, 50—51. *) Amours, s. CII (var. de 1553: Ny ne serois, tombassay-je la bas); cf. le s. XCVII et la Chanson, p. 242. — Du Bellay, Olive, s. XXIX, XXXV, XXXIX (tous les trois imités de YOrlando furioso d'Arioste et de VÊlégie VIII du même poète). — Saint-Gelays, éd. Blanchemain, I, p. 70; II, p. 185. (a) Je verrais ainsi ta personne pleine de charmes, — J'entendrais ta sagesse et ton éloquence, •— Je serais témoin de ta vertu pleine de consolations, — Bref, de toutes les perfections qui t'embellissent plus qu'on ne peut croire. (b) Car nulle peine au monde ne me rebute, — Dussé-je souffrir jusqu a la mort, — Pourvu qu'enfin je trouve un peu de consolation. 133 Une troisième pièce, YBlegia oft claghenden Zendbrief, Odewijs 1), ferme la série d'Êpitres envoyées par De Heere è la fllle du bourgmestre de Vere. Elle est d'une forme plus moderne, d'une composition plus savante que les deux autres; on dirait que 1'auteur y déploie tous ses talents littéraires pour émouvoir le cceur de celle qu'il aime. II y peint ses angoisses et son désespoir sous de vives couleurs, tout en assurant sa dame de son éternelle foi. II se plaint amèrement de sa rigueur, va jusqu'a lui reprocher de 1'inconstance et de la légèreté, puisqu'elle le refuse après 1'avoir écouté favorablement. Mais il en veut surtout è ces conseillers malavisés qui, par leurs faux rapports, 1'ont privé de 1'affection de la jeune demoiselle, et il proteste contre la crédulité avec laquelle elle se fie a leurs paroles menteuses: Want wat quaet (d'welc men behoort en moet Versmaden) weett ghi toch 6 lief? zeght vrij Niet dan dat de quade tonghen onvroet Valschellc versieren en belieg hen mij (a). Le thème avait été rebattu è souhait par les Rhétoriqueurs. ,,L'amant toujours éconduit, blanc comme un cierge et qui devient maigre par métaphore, se plaint de sa dame, toujours altière, et qui le repousse paree qu'elle écoute les médisants2)." Ronsard lui donna un caractère tout è fait personnel. Le poète francais, ayant déclaré son amour a Cassandre Salviati, avait été accueilli d'abord avec faveur; puis la jeune fllle, alarmée peut-être de quelques allusions peu délicates de son soupirant, et avertie par ses parents, 1'avait traité avec plus de froideur et de réserve. Elle se flanca avec Jean de Peigné, sieur de Pré, qu'elle épousa quelque temps après8). II est probable qu'au moment de la séparation déflnitive Ronsard lui adressa le Sonnet LUI, qui correspond aux vers de De Heere et dont nous citons le deuxième quatrain: ') Hof en Boomgaerd, p. 77. t Guy, op. cit, I, p. 71. — Cf. aussi De Casteleyn, Const van Rethoriken, pp. 112, 135. *) Sur les amours de Ronsard et de Cassandre Salviati, voir P. Laumonier, La Cassandre de Pierre de Ronsart {Revue de la Renaissance, 1902, p. 73); Ronsard potte lyrique, passim; H. Longnon, Pierre de Ronsard, pp. 320 sqq.; Jusserand, Ronsard, pp. 61 sqq. (a) Quel défaut qui soit a blamer — Me connais-tu, chère amie? dis-le-moi, — Nul autre que ceux que les mau vaises langues — M'attribuent a tort par leurs médisances. 134 Dame oü le del logea mon amitié Et dont la main toute ma vie enserre, Pour un flateur tu me fais trop de guerre, Privant mon cceur de ta douce pitié '). Ce refroidissement toutefois, qui entre Ronsard et Cassandre mena a une séparation déflnitive, ne fut que temporaire chez Éléonore Carboniers. Les obstacles auxquels se heurtait 1'amour du jeune Flamand n'étaient pas insurmontables, et la persévérance de Luc de Heere 1'a emporté. II semble d'ailleurs qu'au fond mademoiselle Carboniers ait toujours éprouvé pour lui unè vraie affection, s'il en faut croire le Sonnet Den Authear tot sijn huusvrauwe2) (a), que De Heere lui adressa plus tard, le manage conclu: Lief, ons liefde begonst ghelijc op eenen rijt Van God gejont, die ons dese gratie dede. Welcke liefde blijft eenvoudigh, mids dat ghi sijt, Van minen sinne, en ic ooc van den uwen mede. Dies en heeft twist noch onruste bi ons gheen stede, En wi leven aldus, in rechte weelde een paer: Want daer so danigh accoord is, paeys ende vrede Ghebonden met Gods hant, wat can ghebreken daer ? Naer dien ons liefde is zulc eenen stereken pilaer, Dat si ons inde doot selfs niet en sal begheven, Laet dit op ons graf (als wi sterven) zijn gheschreven: Hier ligbt man en wiif, nochtans gheen twee lichamen, Die gheliic en accordigh waren in haer leven Storven ooc gheliic: en leven weder te zamen (b). l) Var. de 1552, 1553: Pour un flateur qui si laschement erre Et pour quoy tant me brasses tu de guerre. Cf. Baïf, Amours, Second Livre, XXI. *) Hof en Boomgaerd, p. 59. (a) L'auteur a sa femme. (b) Ma bien-aimée, notre amour naquit au même instant, — Comme une faveur que Dieu nous accorda. — Cet amour restera sincère, pourvu que toi et moi, Nous soyons du même cceur et du même esprit. — C'est pourquoi ni désaccord ni trouble ne trouvera place chez nous, — Et nous vivrons ainsi dans le vrai bonheur. —, Puisqu'une telle harmonie, une telle paix règnent entre nous, — Que la main de Dieu a réunis, que peut-il nous manquer? — Et comme notre amour est un pilier si solide, — Que la mort même ne le renversera pas, — Puisse notre tombe, quand nous mourrons, porter cette inscription: — Ici reposent mari et femme, mais non deux corps, — Eux, qui vivaient dans un parfait accord, — Sont morts de la même facon, et vivent de nouveau ensemble 135 La forme de ce Sonnet, 1'épitaphe que le termine, rappellent encore une fois les Sonnets des Amours de 1552. 1553, dont deux. le Vceu aux Muses et le Sonnet LXII, flnissent de la même facon. Nous citons le dernier, pour le contraste qu'il forme avec la fin du Sonnet flamand; Puisse avenir qu'un poëte amoureux, Ayant horreur de mon sort malheureux, Dans un cyprés note eet epigramme: Ci-dessous git un amant vandomois, Que la douleur tua dedans ce bois, Pour aimer trop les beaux. yeux de sa dame. Dans la poésie francaise de 1'époque, 1'amour honnête que chante ici De Heere était a peine représenté. L'aimée a qui s'adressent les voeux sensuels de 1'amant est une jeune fille, ou une femme mariée a un autre. Ronsard ne fait pas exceptipn a la régie. Respectée de tous, marraine d'enfants de la région. trés belle, tres süre de sa vertu", Cassandre „nullement prude, le laissait la célébrer et décrire tant qu'il voulait. avec 1'indiscrétion autorisée par les mceurs du temps et a Vabri de laqueUe n'étaient pas les princesses même de la familie royale1)". Les pièces analysées dans les pages précédentes nous permettent de suivre jusqu'au bout chez Luc de Heere 1'évolution du sentiment lyrique inspiré par 1'amour. La passion sensuelle qui ne songe qu'aux beautés physiques de la jeune fille et ne désire que le corps a fait place a une tendresse respectueuse, fondéesur 1'estime, favorisée par la communauté d'opinions et de goüts avec la jeune fille, s'augmentant de la résistance même qu'on y opposa. Le caractère du jeune artiste s'est affermi; moins sujet aux sur- i) Jusserand, op. cif., p. 68. - L'amour chaste, cependant avait trouvé des défenseurs parmi les poètes de 1'école marotique et de la lyonnaise: Jean Bouchet (cf. P. Laumonier. Moyen age et Renaissance. Revue de la Renaissance, 1903. p. 70), Antoine Héroet dans sa Parfoicte Amye (Lyon 1542), Gilles Corrozet (?) dans le Confe du Rossignol (Lyon 1547), Francois Habert dans le Temple de Chasteté (1549), et Salmon Macrin, dans ses vers latins adressés a sa Gélonis, la Souriante, s'en étaient inspirés (cf. Bourciez, op. cit., pp. 131 sqq.; Jusserand, op. cit.. p. 59). - La conclusion du poème de De Heere, Den Temple van Cuoido, se rattache a cette conception. 136 prises des sens, il se préoccupe davantage des questions religieuses et pohtiques. Si pour 1'expression de ses idéés sur 1'organisation de la société et de 1'église, il a encore recours aux formes que lui fournissait Marot1), Ronsard lui sert de modèle lorsqu'il s'agit de rendre les sensations et les sentiments provenant de 1'amour Cet amour. la poésie du chef de la Pléiade, neuve et personnelle, s était montrée capable d'en exprimer toutes les nuances, depuis les débauches d'une sensualité raffinée jusqu'aux conceptions les plus éthérées du platonisme. Nous avons pu constater que De Heere doit les idéés énoncées dans la dédicace de son recueil a la Deffence de Du Bellay et a la première Pré/ace des Odes de Ronsard. Ajoutons que le titre de Den Hof en Boomgaerd traduit le nom de ce Bocage qui suit les Quafre premiers livres des Odes et oü Ronsard a réuni ses premières poésies. Quant aux poèmes adressés a Éléonore Carboniers, De Heere s'y est inspiré principalement des Amours de 1553 II a connu le commentaire de Muret accompagnant cette édition et il a utilisé le Sonnet CII qui y figure pour la première fois. Et eest ainsi que, allégorisant, nioralisant comme le meilleur des Rhétoriqueurs, ridiculisant femmes et prêtres, bourgeois et 'clercs catholiques et protestants, soupirant après une jeune héritière quil aimait d'amour tendre, satirique d'après Marot, élégiaque dapres Ronsard, imitant les nouveaux modèles, corrigeant les formes- anciennes, Luc de Heere mélange curieusement dans son recueil la poésie du moyen age et celles de la première et de la seconde Renaissance. - La est 1'intérêt qu'il offre au point de vue littéraire et la raison de 1'étude que nous en avons faite. ') LÉpitre Van den hane op den esel (1559) est de la même époque que les Bpttres élégiaques è M"* Carboniers. QUATRIÈME PARTIE Versiflcation. I Le vers marotique et celui des Refereynen. —~ Les innovations préconisées par De Heere dans la dédicace a Adolphe de Bourgogne. — L' Avis au Lecteur de Ghislain Manilius. — Application des théories de De Heere au vers néerlandais. La lecture de Marot avait appris a Luc de Heere les qualités du vers francais. II avait pu apprécier la clarté, la pureté, la vivacité, la grace aisée de la poésie marotique, son élégance, sa précision délicate et ferme. II avait compris que le nombre flxe des syllabes, la place flxe de 1'accent n'empêchaient point la vivacité du mouvement, la souplesse de la phrase, que bien au contraire cette régularité donnait au vers une force qui manquait a celui des Refereynen, trop prosaïque, trop lourd, impuissant è. exprimer les flnes nuances du sentiment artistique, incapable d'harmonie et d'élévation. II prit donc a tache de réformer le vers néerlandais suivant les modèles que lui fournissait la prosodie francaise. L'amour de sa langue maternelle, la certitude que, malgré ses défectuosités, la poésie flamande, bien cultivée, saurait rivaliser avec celle des autres pays, 1'excitaient a cette entreprise, a laquelle il apporta la modération, la sagacité et la prudence qui le caractérisaient. L'épitre dédicatoire de son livre, adressée a son protecteur Adolphe de Bourgogne, nous apprend les motifs de son entreprise et nous dit 1'esprit dans lequel il la concut: „En al eyst (eerweerdighe Heere) dat wij dese oft ander vlaemsche Poësie niet en connen toegheven de bevallicheyt die wel ander hebben: nochtans is zij daerom met te verachten ist dat anders den gheest oft d'invencie der Poësie daerin blijckt... Aengaende de vaersen dichten oft rithmen, ick hebbe ooc daer in, ten besten dat ic can, naerghevolght ons auder en beter exem- 138 plaers, als de Latijnsche, Fransoysche ende hooch-Duytsche meer dan den ouden vlaemschen treyn van dichten: die (om de waerheit te zegghen met oorlove) in veel zaken te ruut, ongheschict ende ruum is gheweest *) (a)." L'Avis au Lecteur de Ghislain Manilius qui précede cette dédicace précise le caractère des innovations préconisées par De Heere: „Beminde Lezer, nous dit 1'imprimeur du recueil, ick wille U.L. wel te kennen gheven dat den Autheur iegenwordigh in zijn dichten ghebruuct heeft reghels mate, dat is (opdatt verstaen die van der conste niet en zijn) alle de reghels, oft versen van een Refereyn oft ander werc, zijn vam eender mate van syllaben: zo ghij bevinden sult. Behoudens dat ghij de e sinalepha2) staende an d'hende van d'woort, niet mede en telt, alser een vocale naer volght *); ooc ') Hof en Boomgaerd, p. 3. .*) Le terme synalimphe se rencontre dans les Arts de seconde Rhétorique (1405—1525), publiés par E. Langlois (Coüection de Documents inédits sur l'Histoire de France, Paris, 1902). II est employé par Fabri et Du Pont; cf. Sebillet, Art poétique, .éd. Gaiffe, p. 48, n. 3. — Sebillet distingue Xapostrophe marquée par une virgule et comprenant 1 apocope et la syncope de le sourd, de la synalephe, suppression de l'e sourd dans la prononciation devant une voyelle; cf. Art poétique, p. 55. 3) Matthieu de Casteleyn avait formulé cette régie de la facjon suivante (C. v. R., str; 109): Dees konst accordeert qualic metten Wale, Want elcke tale heeft haer enargie. Hier nochtans ick van hem niet en fale Wanneer een dictie hendt in vocale, Ende de volghende oock ten zeiven tie, De eerste vocale blijft an d'een zie Gheabsumeert en geniedt volght dees secreten naer Zu luudt met de laetste in d'ortographie Ende en maect maer een 't blijct uten Poëten klaer (b). (a) S'il est vrai, Monseigneur, que nous ne pouvons reconnaitre a cette poésie flamande 1'élégance qui distingue les autres, ellé ne doit pas pour autant être méprisée. a condition que 1'esprit ou 1'invention de la poésie s'y manifeste clairement... Quant aux vers, en cela aussi j'ai suivi de mon mieux les exemples plus anciens ou meilleurs, comme la poésie latine, francaise ou allemande, plutöt que la vieille manière flamande qui, a vrai dire et avec votre permission, a été, sous bien des rapports, trop rade, trop disgracieuse, trop relachée. (b) Cet art s'accorde mal avec le francais, — Car chaque langue a sa propre énergie, — En ceci toutefois je ne m'en écarté pas: — Quand un mot setermine peu- une voyelle, — Suivie d'une autre [dans le mot suivant], — Alors la première, de son cöté, — Se supprime et s'amuït, voyez-en le secret, — Les deux dans 1'orthographe ne font qu'une, — Comme il résulte clairement des Poètes. 139 en wort hier niet mede gherekent de leste syllabe van het woordt, staende an d'hende van de reghels, als tsélfde woordt in den midden ende niet op d'hende stijf ut ghepronunciert word. Welcke perfectien met meer ander al schijnen zij nieuwe, nochtans bij de gheleerde gheheel bekend zijn, en de dichten zulcke gratiën gheven. dat ghij ooc die goed vinden zult, als ghij se wel verstaed(a)." La nouveauté consistait donc a donner aux vers d'un poème le même nombre de syllabes, et a y appliquer la règle de la versiflcation francaise qui veut que toute syllabe, muette ou sonore, compte dans la mesure du vers, sauf la syllabe muette a la fin du vers2) et 1'e muet placé devant une voyelle \ On sait quels sont les éléments constitutifs du vers francais : nombre flxe des syllabes, pour en déterminer 1'étendue; césure, pour rendre le rythme des grands vers plus sensible a 1'oreille; rime, pour marquer la chute du vers et pour en accroitre la sonorité. De ces trois éléments le vers néerlandais ne possédait, en défl- ') Hof en Boomgaerd, p. 2. ") Cf. Sebillet, Art poétique, pp. 35-36: „Car te fault retenlr pour règle generale et en ces vers (c.-a-d. de deux syllabes) et en tous autres, que l é fémenin tombant pour dernière syllabe du carme, fait que ceste dernière syllabe soit exundante, et pour rien contée". - Ib., pp. 43-44: „L'é fémenin se cognoistra plus aisément conféré avecques son masle: car il n'ha que demy son. et est autrement tant mol et imbécille, que se trouvant en fin de mot et de syllabe, tombe tout plat, et ne touche que peu 1'aureille". *j Sebillet, après avoir cité la Chanson XXVIII de Marot (éd. Jannet, II, p. 189) continue ainsi: „Le penultieme vers n'est que de quatre syllabes: pour ce vois-tu que l'é fémenin è la fin du mot, Gaigne a la fin, Tout ainsi aus trois premières syllabes dés trois'premiers vers, esquéles l'é de, je, et de, de, sont élidez et perdus, comme tu congnois disant: J'ay, D'avoir, D'amour : pour Jeay, De avoir, De amour. — C'est que, lorsque 1 „e fémenin" se rencontre en la fin d'un mot escrit au mylieu du vers, et le vocable suivant commence a une voléle, le plus souvent se perd et menge soubz le son de la voiéle suivante. tant en escrivant qu'en prononcant." — Art. poef., p. 47. (a) Cher Lecteur, je veux bien vous faire savoir que dans ses vers 1'auteur a employé une mesure flxe, c'est-a-dire (pour que ceux qui ne sont pas du métier le comprennent) tous les vers d'un Referegn ou de quelque autre poème ont ie même nombre de syllabes, comme vous le constaterez. Sauf que vous ne comptiez pas 1'e synalephe a la fin du mot, quand il y a une voyelle qui suit; on ne compte pas non plus la dernière syllabe du mot a la fin du vers, quand 1'accent tombe au aiilieu du mot ef non sur la dernière syllabe. Toutes ces perfections, si nouvelles qu'elles paraissent, sont tres connues des savants; elles donnent aux vers tant de grace; que vous les approuverez aussi, si vous les comprenez bien. HO nitive, que la rime. EUe seule. ou a peu prés. assurait cette continuité du rythme qui est le caractère de toute poésie et qui la distingue essentiellement de la prose. II. est vrai que la longueur du vers était aussi flxée par le nombre déterminé des accents; mais pour les poètes du moyen age et du seizième siècle il sufflsait que la majorité seulement des vers d'une pièce s'astreignït a cette règle et on y tolérait de nombreuses exceptions. La ligne qui séparait la prose de la poésie était donc peu nette, et c'est pourquoi, en vieux néerlandais et plus tard encore, il y a tant de prose rimée, la forme du vers n'empêchant pas d'y couler des phrases qu'aucune émotion rythmique ne soutenait. A 1'époque des Rhétoriqueurs une véritable disproportion s'établit entre la rime et le mètre. Tandis que celui-ci, par suite du prolongement graduel des vers et de 1'augmentation du nombre de ses syllabes, devient de plus en plus libre, au point d'effacer toute différence entre poésie et prose, celle-la au contraire absorbe presque complètement 1'attention du versificateur. La rime envahit tout, se montre au commencement, au milieu du vers; les mots flnissent par ne plus exprimer des idéés; ce ne sont plus que des sons combinés pour produire le cliquetis le plus bizarre. C'est un des mérites de De Heere d'avoir cherché a rétablir 1'équilibre. II assigne a la rime un röle plus modeste, et, se conformant a la versiflcation francaise, il flxe le nombre des syllabes.- C'était la le premier pas vers cette régularisation du vers néerlandais qui sous 1'influence de la Renaissance ira en s'accentuant au cours de 1'époque qui va suivre. Matthieu de Casteleyn s'était borné a constater que la plupart des vers néerlandais secomposaient de neuf et de douze syllabes: Neghene en twaleve useert men hier int lant'), sans imposer aucunement cette longueur a ses élèves. II leur permet de varier a volonté le nombre des syllabes : Doet oock een syllabe oft twee quellage Laet liden, en maeckt daer gheen verdeelen in*). II n'indique qu'une seule restriction et une seule règle: ce nombre ne doit pas dépasser quinze: ') C. v. R., str. 102. *) C. v. R., str. 103. 141 Stelt van uwen sylleben tot vijftienen'), et le vers aura la durée d'une haleine: Wij leeren nochtans uten Poëten;... Dat een reghel duert, onghetelt, onghemeten, Also langhe alst eenen aesseme heerden magh'-). L'innovation de Luc de Heere présente de réels avantages, a cöté de graves inconvénients. D'un cöté le rythme du vers deviendra plus perceptible a 1'oreille, surtout si 1'on combine 1'égalité du nombre avec une accentuation plus nette. Puis, la structure de la strophe sera susceptible de beaucoup plus de variété qu'auparavant. Le poète, désormais, pourra composer des pièces en alexandrins, en décasyllabes, en octosyllabes, des strophes isométriques et hétérométriques ; non content d'émettre des idéés d'une poésie plus ou moins profonde, il se rendra mieux compte de sa vocation d'artiste, il se préoccupera d'autre chose* que de la rime, il essaiera d'appliquer le grand principe de la Renaissance, qui est le principe de 1'art mêmé: exprimer une noble pensée sous une forme pure et harmonieuse. D'autre part, introduire un élément étranger jusqu'ici a la prosodie néerlandaise, c'était risquer d'en défigurer le vrai caractère, d'en diminuer les facultés d'expression, c'était soumettre son rythme naturel, fondé sur une accentuation bien équilibrée, a des régies d'une convention artiflcielle. Nous allons maintenant examiner de facon plus détaillée 1'influence exercée par la Renaissance francaise sur 1'évolution du vers néerlandais durant la période qui nous occupe et étudier successivement: a. le nombre des syllabes, b. 1'accent, c. la rime et les différentes combinaisons strophiques qui résultent de son emploi. II Élision de 1'e muet. — Valeur syllabique de a et de i. — Quelques cas de synalèphe. Avant de mesurer la longueur'du vers d'après le nombre des syllabes, il faut s'entendre sur la valeur de chaque groupe de ') C. v. R., str. 104. *) C. v. R., str. 105. 142 sons oü entre une voyelle, et sur le caractère représentatif de telle ou telle lettre écrite. II y aura aussitöt, pour le vers néerlandais, deux exceptions è faire a la règle qui demande que toute syllabe compte dans la mesure du vers. La première, c'est que 1'e sourd s'élide devant la voyelle initiale du mot suivant. Cet e sourd s'écrit quelquefois, et quelquefois 1 elison est marquée par une apostrophe: Tquaedste extolleren sij tot in den hent (a). — C. v. R., str. 52. Diveersch werckende volghende eenen sin (b). — C. v. R., str. 59. Ionste, dienst, therte en al, liet mij doen in den nood, Ende van haer en const'ic gheen confort verwerven (c). — H. e. B. p. 8. Dat van allen studiën- d'audste is musike Es sij voor dalderaudste konst ghefaemt Zoo schijnt zij macht hebbende over Rhetorike (d). — C. v. R., str. 127. Parfois les deux mots entre lesquels se produit 1'élision s'écrivent en un seul: Dan peinsick om dijn ooghen daer ik op roupe wrake (e). — C. v. R., p. 155. En wilt den penninck niet in daerde graven (f). — Ref., II, p. 179. Julianus apostaet, die Gode verachte Wert subijtelijck vermoort men wiste van wien(g). — Ref., III, p. 227. Sij ligghen in deerde als dongeachte (h). — Ref., III, p. 237. Zoo begonstic te ghevoelen mijn allende hier (i). — H. e. B., p. 7. Al scheptmer wat ut, in alzulcken wijs oft zede (k). — H. e. B., p. 44. Ja al warict ooc, totter doot toe hecnaghende (1). — H. e. B., p. 76. L'e sourd peut tomber également devant une h, qui est souvent (a) Ce qu'il y a dé plus mauvais, ils le portent aux nues. (b) Travaillant diversement, mais suivant en cela la même idée. (c) [Celle a qui j'avals donné] tout mon amour, que j'avais servie de toute mon ame, m'abandonna dans mon infortune, — Et c'est en vain que je cherchais ses faveurs. (d) Que de tous les arts la Jhusique est la plus ancienne, — Si on la dit la plus ancienne, — Elle: semble soumettre la Rhétorique a ses lois. (e) Puis, je songe a tes yeux et je m'en plains amèrement. (f) Ne veulllez pas enterrer vos deniers. (g) Julien 1'apostat, qui méprisait Dieu, — Fut assassiné soudain, sans que 1'on süt par qui. (h) Ils sont couchés au tombeau comme ceux qu'on méprise. (i) C'est ainsi que je commencai a sentir ma misère, (k) Quand même on y puise, ainsi... (1) Dussé-je m'en plaindre jusqu'a la mort. 143 muette en flamand1). Tantöt cette chute est marquée par une apostrophe, ou bien 1'e se supprime complètement: Ogh wie zoud'hem in u schoon aenschijn contempleren (a). — H. e. B., p. 69. Met een zeiveren peertse die zu hadde in dhand(b). — C. v. R., p. 65. Tantót Yh muette disparait dans 1'orthographe: D'eydensch' exempelen en zijn niet om vertellen (c). — H. e. B., p. 17. Zoo ic gh'oort hebbe dat ghi hebt een siecte groot (d). — H. e. B., p. 50. Tantót 1'e sourd élidé s'écrit: Med der voghelen zangh maecten zoete harmonye{e). — H. e. B.. p. 10. En met de Viole hoort bij de Muses ooc singhen (f). — H. e. B., p. 43. L'e sourd peut encore se supprimer devant une consonne : Schoon als de Mane, ghelijck óiSonne ghepresen (g). — C. v, R., p. 129. Ut de fónteyn' Castali' is een beke dalende (h). — H. e. B., p. 44. Ooc dat haer de vangh'nesse dinct vriheit te sine' (i). H. e. B., p. 58. l) Cf. De Casteleyn (Const van Rethoriken. str. 122): In eere en heere, schuuwt tvicieus ettere Hebben ende ebben, hopene ende opene Peynst dat aspiratie en is gheen lettere En pijnd u dit in u dicht niet te nopene(k). *) Cf. Sebillet, Art poétique, pp. 58—59: Encor se fait apostrophe irréguliere de l'é fémenin en la fin des dictions, comme trouveras és Elegies de Marot, tel' pour téle: el' pour elle: et quel' pour quéle: et auz premières personnes des prétéris imparfais, indicatifz, optatifz, et conjunctifz, comme'j'aymoy, pour j'aymoie: je voudroy, pour je voudroie: si je tuoy' pour si je tuoie. Aussi és participes fémenins terminés en, nte, comme 1'eau dormant', pour dormante: la femme courant' pour courante: souvent aussi grand' pour grande: et eau' pour eaue: si en ce dernier tu n es en 1'opinion de beaucoup qu'il faille dire naturélement, eau, non eaue. (a) Helas! qui pourrait se contemplér dans ton beau visage. (b) Avec une baguette dargent qu'elle tenait a la main. (c) Les exemples païens sont innombrables. (d) Comme j'ai appris que vous êtes atteint d'une grave maladie. (e) Ils formaient avec le chant des oiseaux un concert harmonieux. (f) Et qu'on vous entend chanter avec les Muses au son du violon. (g) Belle comme la lune, glorieuse comme le soleil. (h) Un ruisseau descend de la fontaine Castalie. (i) Et que la prison leur semble être la libert$. (k) Dans eere et heere, méfiez-vous de la mauvaise rime, — Dans hebben et ebben, dans hopene et opene; — Songez que Yh aspirée n'est pas une lettre, — Et efforcez-vous de ne pas introduire cette rime dans vos vers. 144 La combinaison ie, ien compte ordinairement pour deux syllabes: Thespis vandt der Tragediën poetrie Te sijnen tije, over sijn partage (a). — C. v. R., str. 169. Sij willen hen wachten van afgoderijen .. . En mueghen niet lijden den sanck der clergien (b). — Ref. II, p. 121. End' ooc u excellentie daer ut bekenne (c). — H. e. B., p. 45. *" Deur eerbaer exercitiën van u bemint (d). — H. e. B., p. 79. Quand 1 auteur veut en faire une syllabe, il remplace parfois 1'e par une apostrophe : Alle die hi moght onder sijn subjéctt vinden (e). — H. e. B., p. 7. Om zijn exceüenti', te doen reverencï (f). — H. e. B., p. 22. Liefde zal mij de materi' vermeeren (g). — H. e. B., p. 81. Devant une voyelle ou une h muette 1'e de ie s'élide : D'edel Poëtrie en slough Orpheus gheen swijcke (h). — C. v. R., p. 88 Sij lesen devangelie in de taveerne (i). — Ref., II, p. 137. Dat si hielt haer residentie en wist'ic niet (k). — H. e. B., p. 8. Lichtelic toestaen mijn propositi' alleene (1). — H. e. B., p. 17. Au commencement du seizième siècle cependant, la règle de 1'élision de 1'e sourd devant une voyelle paratt avoir été susceptible d'un assez grand nombre d'exceptions. Cette anomalie, pour les Rhétoriqueurs francais, 'est constatée par Godefroy dans son Histoire de la Littérature frangaise depuis le XVIe siècle jusqu'a nos jours1) : „Tantöt, dit-il, 1'e muet était compté pour rien, même devant. une consonne, tantót il formait une syllabe, même devant une voyelle. Gaillard a remarqué que, dans un recueil de différentes épïtres composées du temps de Louis XII ou de Fran- *) Op. rif., P. 389. (a) Thespis, pour sa part, inventa en son temps la tragédie. (b) Ils veulent se garder d'idolatrie — Et ne peuvent souffrir les chants déglise (c) Que j'y découvre votre supériorité. (d) Par des exercices honorables que vous aimez. (e) Tous ceux qu'il pourrait trouver soumis a son pouvoir. (f) Pour s'incliner avec respect devant sa supériorité. (g) L'amour fera abonder la matiére. (h) Orphée excella dans la noble poésie. (i) Os lisent 1'Êvangile au cabaret, (k) Je ne savais oü elle résidait. (1) [Vous] admettrez ma sans doute ma proposition. 145 cois I" sous les noms du seigneur de Craon, de Louis de la Trémouille, de sa femme, de sa maitresse, 1'e muet élidé par la voyelle suivante est toujours marqué par une barre qui semble annoncer que cette élision était une invention nouvelle (Histoire de Francois Ia, t. VIII, p. 21)." — II est plus difScile de donner des indications précises sur la conservation ou 1'amuissement de 1'e sourd chez les Rhétoriqueurs néerlandais, vu 1'incertitude concernant le nombre des syllabes du vers. Mais si 1'on admet chez Luc de Heere 1'identité du nombre syllabique, on rencontre assez fréquemment des cas oü 1'e sourd ne s'amuit ni devant une voyelle, ni devant une h muette. En voici des exemples; Den wilden God Pan, wonende//in groen ghehuchten (a). — H. e. B., p. 10. Laet altijt dagh en nacht de poorte//openstaen (b). — Ib., p. 12. Dat daer Vaste Liefde (na de welcke//ic vraeghde(c). — Ib., p. 15. Biddende, neemtse // in dancke gheheel (d). — Ib., p. 46. Alle // utnemende vrauwelicke ghezichten (e). — Ib., p. 69. Ic hadd' eenen cnape, // ut Gascoeignen gheboren (f). — Ib., p. 85. Ic dachte (dit ziende)//hier ben ic ooc int ghetal(g). — Ib., p. 11. En (d'oorlogh' latende)//hem gheven tot deser plecken(h). — Ib., p. 12. Mij altijt te//hauwene an desen goeden cant(i). — Ib., p. 16. Anvaerdt de // harpe, pilen, coker ende pesen (k). — Ib., p. 45. Daer hi mijn twee peerden vindende, // het quaetste liet (1). — Ib., p. 85. D'autre part, il y a, chez De Heere, des cas è noter oü telle voyelle perd sa valeur syllabique dans le corps du mot. On peut supposer des cas de syncope ou d'apocope dans les vers suivants: Den Nachtegale ende and[e]re commende van boven (m). — H. e. B., p. 13. Dies vermaect' ick mij, als den hongh[e]righen met spise(n). — Ib., p. 15. (a) Pan, le dieu sauvage, vivant au milieu des halliers. (b) [II] laisse nuit et jour la porte grande ouverte. (c) Que Ferme Amour, que je demandais. (d) Vous priant de 1'accepter gracieusement. (e) Tous les visages féminins excellant en beauté. (f) J'avais un valet, né en Gascogne. (g) Le voyant, je me dis: Je suis de ceux-la. (h) Et, abandonnant la guerre, se rendre en ces lieux. (i) M'en tenir toujours a cette bonne régie. (k) Acceptez la harpe, les flèches, le carquois, la corde. (1) Oü, trouvant mes deux chevaux, il me laissa le plus mauvais. (m) Les rossignols et les autres oiseaux, descendant d'en haut. (n) C'est pourquoi je me délectais, comme un homme affamé est heureux de manger. 10 146 Zoo zal ic bij exemp[e]len, vele, ende niet al(a). — Ib., p. 17. Nochtans wild'ic in uws herten taf[ejreel (b). — Ib., p. 46. Is gheraect (elas) int dood[e]lic perket (c). — Ib., p. 65, Cf. les orthographes temple, pijlcokre, watre, andre, è cöté de tempel, cóker, water, andere. A peut s'amuir dans le vers: Datse op de Cyth[a]re constich dank (d). — H. e. B., p. 33. ' / placé devant une voyelle peut former avec celle-ci une seule syllabe dans le corps du mot: Eene dewelcke Urania hiet (e). — H. e. B., p. 30. Maer ic certifter' u, de duvd moet mi halen (f). — Ib., p. 50. Ghelijc dit een ghemeen ceremoniael besluut is (g). — Ib., p. 62. Voici pour tant quelques exemples oü, a lui seul, il fait syllabe: Veel injurren van hem, daer in ic blameerde (h). — H. e. B., p. 7. Melodieosdicken zinghende alle nachten (i). — Ib., p. 10. O precieusen ende schoonen pand (k). — Ib., p. 53. Ic zend' u een groot miltoen saluten (1). — Ib., p. 89. Enfin il y a des cas de synalèphe tels que les suivants, et qui se rencontrent surtout dans la poésie populaire: Ghij hebt noch eenen vrijer die hem vermeett (m). — H. je. B„ p. 83. Maer ic hebb' een langh mes, daermé ic afsmite (n). — Ib., ib. Om u te prijsen mij u amoureusheit vermaende (o). Ib., p. 70. Omdat ghij (al soudyer mede rellen) (p). — Ib.. p. 78. (a) Par des exemples nombreux, mais sans épuiser le nombre. (b) Cependant je voudrais être peint dans ton cceur. (c) La mort — hélas ! — 1'a emporté. (d) Qu'elle jouait avec art de la cithare. (e) Une qui s appelle Uranie. (f) Mais je vous assure, et le diable m'emporte. (g) Comme une cérémonie qu'on observe généralement a la mort. (h) Le blamant fort et 1'injuriant. (i) Chantant mélodieusement toutes les nuits. (k) O gage tout beau et tout précieux. (1) Je t'envoie un million de saluts. (m) Vous avez un amoureux qui se permet. (n) Mais j'ai un long couteau avec lequel je couperai.' (o) Tes graces m'excitent a ta louange. (p) Paree que (dusses-tu t'en moquer). 147 III La syllabe finale inaccentuêe. — La dernière syllabe accentuée suivie d'une ou de deux syllabes atones. Nous avons vu plus haut — et c'est la deuxième exception a la règle qui détermine la valeur des syllabes dans le vers ■— que la syllabe finale inaccentuêe ne compte pas dans la mesure. C'est la rime féminine de la prosodie francaise '), mais qui, en néerlandais, présente une diversité considérable, toutes sortes de syllabes pouvant être atones a la fin du vers: Onlanghs wandelende na wandelaers manieren. Om nieumare ghesonden van onsen Bisschop mignoot, 3. <• Menich wild waut lidende, menighe riviere, Menighe duwiere, menigh heyland groot. Vonden ons in dhende ind Italiaensche conroot: Vandaer in Colchos, dies ons rees verlies an, Daer Jason hier vuertijds dede schoon exploot Als hi] met Hercules tgulden vlies wan (a). — C. v. R., p. 64. O ghuldene weerelt, waer sijdij nu bleven, Daer voormaels de poëten veel af streven 1 In Saturnus leven, doen hij tvolck regeerde, Hij triompheerde (b). Nieuwe Refereinen, XX. Zal ic voor Minerva wel dorren spreken van wijsheit Ende voor Mercurio eloquent sijnl Zal ic voor Apollo (daer elc te recht' af pry s seit)' Ghebruucken miin plompheden die sonder hent siin (c). —> H. e. B., p. 79. *) Cf. Sebillet, Art poétique, pp. 44—45; „Prononcant, aimée, desestimée, tu sens bien le plein son du premier e masculin en la syllabe mé: et le mol et le flac son du second ê fémenin en la syllabe dernière, e: Lequel... tombant en la fin du vers, . le fait plus long- d'une syllabe n'estant pour rien contée... Ce que n avient pas seulement quand il se trouve seul, mais aussi quand il tombe en fin de vers avecques s: comme és pluriers, testes, bestes: ou avecques, nt, comme és plurieurs, battent, crient." (a) L'autre jour, notre cher évêque nous ayant envoyé recueillir des nouvelles, nous parcourflmes, en nous promenant, plus d'une forêt sauvage, nous tra versamens plus d'une riviere, plus d'un antre, nous visitames plusieurs ïles; enfin nous nous trouvames en pays italien, de la nous passames en Colchide, oü Jason conquit avec Hercule la toison d'or, en accomplissant de grands exploits, et ce voyagela nous perdit. (b) Age d'or! ques-tu devenu, — Toi, que les poètes ont chanté! — Saturne, qui pendant sa vie gouverna les hommes, — Eut un règne plein de gloire. (c) Voir la p. 107. 148 II est quelquefois malaisé de distinguer en néerlandais la rime féminine de la masculine. Si la dernière syllabe renferme quelque voyelle sonore, 1'accent peut passer de la pénultième a la finale dans une série de vers qui riment ensemble. Matthieu de Casteleyn blame sévèrement cette négligence: Als spellen sij onghelijck, alleene om dat sij voen Een accent, verschuuwtse, handt an dit appeel: Op ghelt, ghewisselt, tzij zulck zom oft gheheel Laet varen wildij van dees konst over ut spreken: Verdijnghe, op gherijnghe, schuut in elck tenneel Want die voor syllabe wilt haer te stijf utsteken ') (a). Ce qui ne 1'empêche pas de la commettre une ou deux fois lui-même: Dus gevick u-lien Jonghers t'uwer offltie Oodmoedich te zine, dwelck elcks advys greit Want den leer are tuught om schuwen die vitie In ooveerdighe ziele en quam nooit wijsheit (b). — C. v. R., str. 194. Luc de Heere ne sren garde pas toujours non plus: Ziet dit is (ende ooc anders niet) dat mi belet doet Van bi u te commene naer mijn eerste opset goed, Anders waer ic al bij u. God si mi t'oorconden, Ja al waert dat Neptunus, Aeolus met vloet End' ooc alderley tempeesten daer teghen stonden,... Mij dinct, ic zwomt wel over in curten termijne (c). — H. e. B., p. 75. La dernière syllabe tonique peut aussi être suivie de deux syllabes inaccentuées. Ces deux atones équivalent, au point de vue ') C v. R., str. 131. (a) S'ils n'ont pas la même orthographe, c'est uniquement — A cause de la différence d'accent qu'il faut les avoir en horreur, tenez-vous-en a cette règle: Laissez la les vers en ghelt, ghewisselt, qu'ils riment ainsi tous ou en partie, — Si du moins vous voulez juger en matiére de versiflcation; — Évitez absolument des rimes telles que verdijnghe, gherijnghe, — Car 1'avant-dernière syllabe est ici trop accentuée. (b) Donc je vous recommande, mes disciples, — D'être humbles, ce qui est agréable è tout le monde, — Car 1'ecclésiaste nous exhorte a fuir le vice, — Et la sagesse est loin dei'Sme orgueilleuse. (c) C'est la seule chose, vois-tu, qui m'empêche — De te voir, comme je me 1 etais proposé d'abord, — Sans cela, Dieu m'est témoin, je t'aurais rejoint depuis longtemps, ~ En dépit de Neptune, d'Éole chassant devant lui les Hots, — En dépit des tempêtes,... — Je crois qu'en peu de temps je passerais la mer a la nage. 149 de la longueur du vers, a une syllabe portant 1'ictus, ou, comme le dit De Casteleyn: Zo wie dobbel dicht int dichten verkoos Die heeft altoos syllebe d'avantage'). Nous en donnons un ou deux specimens: Dit sprutende water zeer wel gheraeckt Twelck menighen smaeckt delicieuselick. Niet bij artificien ommestaeckt, Maer bi) rechter Natueren toeghemaeckt, Elcks herte verblijdende courajeuselick Ghelijckt wel Creusis de Fonteyne pompeuselick Int waut van Ida, daer vremt gedierte binnen lach, Daer Paris met CEnone zat amoureuselick, Ende daer hij de naeckte drie Goddinnen zach (a). — C. v. R., str. 3. C'est aussi le cas de la terminaison ie, ien, qui forme le plus souvent deux syllabes inaccentuées a la fin du vers; Alsoo soudic sien uwen persoon vul gratiën Ende hooren u wijsheit oft bequamelic spreken Experimenteerende u deucht vul consolatien Ten hende al u cieraet, boven estimatien (b). — H. e. B., p. 74. Dans d'autres cas 1'accent tombe sur \'i: Tullij wei-spreken, zou mij gebreken En de Poëterie Van Ovidio net oft Virgilio bet Vul gratiën blie (c). — H. e. B., p. 23. L accent peut même frapper 1'antépénultième du vers, ce qui augmente davantage le nombre syllabique: *) C. v. R., str. 103. (a) Cette fontaine, d'un jet superbe, — Dont maint homme a bu 1'eau délicieuse, — Que la vraie nature fit jaillir, — Sans que l'art humain y mït des bornes, — Cette onde qui réjouit le cceur, — Ressemble a la splendide fontaine de Créuse, — Dans la forêt d'Ida, pleine d'animaux sauvages, — Oü Paris et CEnone s'aimaient — Et oü il vit les trois déesses nues. (b) C'est ainsi que je verrats ta gracieuse personne, — J'entendrais ta sagesse et ton éloquence. — Je ferais 1'expérience de ta vertu pleine de consolations, — Enfin j'admirerais tous tes charmes inestimables. (c) II me faudrait l'éloquence de Tullius — Et la poésie — du charmant O vide ou, mieux encore, ~ Du gracieux Virgile. 150 Christus hier strange wegen passerende was. God, die hemel en eerde regerende was, Hinc voor ons scandelijc naect ende bloot. Die heere hem om den knecht vernerende was. Wie leeft, die dit te dege gronderende was Oft exalterende was sijn ootmoet groot (a)? — Ref. I, V. IV De Heere a-t-il applique rigoureusement la regie du nombre flxe des syllabes? Toutes les considérations que, dans les deux chapitres précédents, nous avons faites a propos du nombre flxe des syllabes, ne suffisent cejpendant pas a expliquer les nombreuses exceptions a cette règle qu'on découvre dans les vers de De Heere. Dans plusieurs poèmes de Den Hof en Boomgaerd le nombre des syllabes varie d un vers è 1'autre, et on trouve è peine une pièce de quelque étendue ou la flxité du nombre syllabique soit scrupuleusement observée. Den Temple van Cupido, qui se compose de vmgt-deux strophes de onze vers, renferme sur 197 „alexandrins" deux vers de neuf. dix de dix, dix-neuf de onze, onze de treize et trdis vers de quatorze syllabes. Het Gendsche Helicon en Parnassus, composé de dix-sept strophes de huit vers, contient 124 octosyllabes, deux vers de six, sept vers de sept, un de dix. Van het schoon Mammeken, qui est une pièce de quarantequatre vers, en a un de huit syllabes, sept de neuf, a cöté de trente-six décasyllabes. Van de leelicke mamme compte six ennéasyllabes, deux endécasyllabes, vingt-huit décasyllabes. An een schoon dochter van Audenaerde a un vers de dix, un de onze, deux de treize, trente-cinq de douze. VElegia oft claghenden Zend-brief, se composant de quinze strophes de quatre vers, a quatre vers de neuf, deux de onze. et cinquante-quatre décasyllabes. Dans la pièce Ut d''Epistel die Marot zand totten Coninc — soixante-quatorze vers — nous trouvons un décasyllabe, onze endécasyllabes, un vers de treize, parmi soixante et un „alexandrins". II en est de même pour les Sonnets. II y en a dont les vers (a) Christ suivit ici-bas une voie douloureuse: - Dieu, qui gouvernait ciel et terre, - Pendit pour nous en croix, honteusement nu; - Le Maïtre s'humilia pour 1'amour du serviteur. - Quel homme a jamais sondé ce mystère, - Qui a jamais glorifië, comme il le faut, sa grande humilité ? 151 présentent le même nombre de syllabes, tels que An M. Pieter de Rijcke, An me Vrau van den Nes, Nazaretfen, etc, qui sont 1'un et 1'autre en vers décasyllabiques, puis le Sonet van het excellent stick schilderijen (a), écrit en „alexandrins". Mais il y a un vers de onze parmi ceux de douze dans les Sonnets An Joos Borluut, An Carolum Utenhove, Den autheur tot zijn huusvrauwe; le Sonnet ut een Epigramma van Martialis, écrit en „alexandrins", renferme un vers de onze et un de treize; An M. Laurens de Metz, deux vers de onze et deux de treize; le Sonnet An mijn Heere van Watervliet, cinq vers de onze syllabes. Quant aux Épigrammes et Étrennes, on en trouve de parfaitement régulières au point de vue du nombre syllabique: telles les Étrennes An me Vrauwe van Wackene, An Marie van Ghelre, An M. Francois Hieman, An M. de Galleye; et les Épigrammes Van de droufheyt eens Quidams, Van een Neen, tot een jonghe dochter. En revanche, 1'Étrenne An me Vrauwe van Wallebeke se compose de quatre vers qui sont respectivement de onze, dix, neuf et dix syllabes; An M. Christophle van der Beke présente un vers de onze sur sept „alexandrins"; An zijn lief, die hij zant heur pourtraiture a un vers de neuf sur six décasyllabes; An een ionghe Dochter compte deux vers de onze a cöté de quatre vers de dix; 7of eenen zijnen vtient se compose de deux vers de onze sur six „alexandrins". L'Épigramme Remedie jeghens de Peste consiste en un vers de neuf sur sept décasyllabes et se termine par un vers de douze; celle qui s'intitule Van een Joncker die feghens zijn wijff speelde, contient un vers de huit, un de onze, et neuf décasyllabes. Enfin nous faisons remarquer que les pièces suivantes qui ont la même disposition de rimes (a a b b a), différent plus ou moins quant au nombre des syllabes: 1. An me Vrauwe van den Nes, Nazaretten, etc Syll. 7 + 4 + 7 + 7 + 4. 2. An M. V. H. „ 8 + 5 + 8 + 7 + 5. 3. An Ch. C. „8+4 + 8 + 8 + 4. II importe donc de se rendre un compte plus exact de cette „liberté dans la contrainte" qui caractérise 1'ceuvre du poète flamand. D'un cöté on se trouve sans doute en présence d'un manque (a) Sonnet sur une tres belle peinture. 152 d'habileté peu étonnant chez un novice comme Luc de Heere. dont la poésie en outre, n'occupait pas toute la pensee, toute la vie, et qui, après 1'avoir cultivée, 1'abandonna pour des affaires politiques et Bnancières. D'autre part — et ceci mérite bien de retenir notre attention - ce jeune poète de la Renaissance était avant tout le disciple des Rhétoriqueurs, qui se souciaient plus de la rime et de 1'accentuation que de la longueur du vers compté par syllabes. Pour De Heere il sufflsait donc que la majeure partie des vers d'un poème présentat les dimensions vouhies, et il se réservait le droit de s'écarter de la règle posée par lui-même. toutes les fois que les exigences d'un rythme supérieur 1'y obligeaient ou que les commodités de 1'ancienne versiflcation le lui permettaient. Nous constatons chez lui dlieureux effets de style. une liberté d'allure la oü le rythme devait lui paraitre sufflsamment assuré par le mètre et la rime. avec cè et lè certaines négligences qu'expliquent la rapidité de 1'exécution et la nouveauté de 1'entreprise. V Le nombre des syllabes dans les petits vers. - La vers de huit et de dix. - Dans les vers tres courts le nombre des syllabes est tres varié. bien qu'ici. plus qu'ailleurs. la suppression ou 1'addition d'une syllabe diminue ou augmente considérablement la longueur du vers C'est le cas de 1'Ode intitulée Den Welcomme van edelen en weerden heer Adolphe van Bourgoignen (a). Cette pièce se divise en trente et une strophes de quatre vers. dont le deuxième et le quatrième riment ensemble, tandis que le premier et le troisième. qui ne riment pas entre eux. ont une rime intérieure a la césure. II est donc permis de regarder ce quatrain comme un sixain du type aabccb. Le nombre syllabique. dans les vers ainsi dédoublés et réduits a la dimension des autres. varie de trois è six; tel vers peut avoir le doublé de la longueur de celui qui offre la meme rime. ou qui y correspond dans une autre strophe. Malgré leur étendue différente, le rythme des vers se laisse parfaitement distinguer. leur chute étant marquée par une rime qui comprend (a) Bienvenue au tres noble Seigneur Monseigneur Adolphe de Bourgogne. 153 jusqu'a trois syllabes (affectie: correctie; slachtende: verachtende). Leur brièveté y contribue également. Les vers de quatre, cinq ou six syllabes sont les plus fréquents, et, ce qui favorise la stabilité du rythme, le poète ne passé, guère d'un extréme a 1'autre en faisant succéder un vers de trois è un vers de six, ou vice-versa. La diversité du mouvement résultant du nombre inégal des syllabes exprime la vive allégresse du poète au retour de son protecteur qui a si bien plaidé les intéréts de la ville de Gand auprès du roi d'Espagne. Beaucoup plus régulières quant au nombre, sont les pièces en octosyllabes et en décasyllabes. Les poèmes en vers de huit ne sont guère fréquents chez De Heere: trois Étrennes et une Ode: Het Gendsche Helicon en Parnassus, présentent seuls ce type. Chez les Rhétoriqueurs, le long vers tel que nous 1'avons vu définir plus haut par Matthieu de Casteleyn1) s'est substitué plus ou moins au vers octosyllabique, si répandu au moyen age. M. Van der Eist, dans son trés intéressant article sur Het Isochronisme in het Nederlandse vers2), affirme que les poètes néerlandais du moyen age ont une préférence particulière pour la syllabe accentuée, précédée ou suivie d'une syllabe atone, comme élément constitutif du vers. Le vers moyen-néerlandais ayant généralement trois ou quatre syllabes accentuées, il faut en conclure que le vers de six ou de huit prédomine généralement a cette époque. Les recueils de chansons du seizième siècle renferment pareillement un trés grand nombre de vers hexasyllabiques et octosyllabiques parfaitement réguliers. Voici une strophe de la Chanson XXX de 1''Antwerpsch Liedeboek dont les vers sont tout a fait dans le genre de ceux de VOde de Luc de Heere: Die mint, die vint een heim[e]lic lijden i Hi ducht, hi sucht in allen daghen, End[e] hem den troost dan moet vermijden, Sijn cleyn Voorspoet mach hi wel claghen. Ick weet die sulcke moet verdraghen Ende lijden een swaer verdriet, Lijf ende goet soud[e] hi wel waghen Om haer, nochtans en acht zijs niet (a). ') Voir les pp. 140—Hl. ') De Nieuwe Taalgids, Groningen, 9e annee, premier fascicule, p. 19. (a) Qui aime söuffre secrètement, — II craint, il soupire tous les jours, — Et alors la consolation lui fait defaut, — Ha lieu de se plaindre de son peu de 154 Xa prosodie francaise se rencontre ici avec la néerlandaise. D'après Sebillet, le vers de huit pieds est pour les Francais ce que le mètre élégiaque était pour les Anciens, celui de dix pieds, le plus usité de tous, correspond au mètre héroïque des Grecs et des Latins; quant a 1'alexandrin, il est rarement employé è cause de sa lourdeur. Au sonnet convient le décasyllabe; a la ballade, le décasyllabe ou 1'octosyllabe, mais le premier a plus de gravité. et le second s'approprie surtout è des sujets légers et gais1). II n'est donc guère étonnant que parmi les poèmes de De Heere, ceux en octosyllabes donnent le mieux 1'impression de régularité rythmique; et 1'accentuation y concourt avec la longueur du vers a produire eet effet: Diana diemen Luna naemde Cybele en Ceres ic daer zagh, Met boghe en pijl alzoot betaemde Licht ghecleedt, nacht en dagh, Gheweyich zoot te geschien plagh, Zij hadde hond, en tswijn bij haer staende Den zwijnspriet bij haer stondt oft lagh Den pijlcokre is van haer niet gaende (a). Parmi les pièces en décasyllabes écrites par De Heere, il y en a six dont les vers sont constamment de dix, plusieurs autres n'ont qu'un ou deux vers de huit, neuf ou onze syllabes; les vers de huit ou de douze sont extrêmement rares. Plus encore que pour les poèmes en octosyllabes, 1'influence du vers francais se fait ici sentir. Marot „s'est voué de prédilection au vers de dix syllabes; vers heureux et naïf, qui, sur ses deux hémistiches inégaux, unit dans son allure tant de laisser-aller avec tant de prestesse, et duquel on pourrait dire comme du distique latin, que cette irrégularité même est une espièglerie de 1'Amour: ') Cf. Pellissier, L'Att poétique de Vauquelin de la Fresnaye, Paris, 1885, p. XIII. prospérité. — Je sais que celui qui doit supporter une chose semblable, — Qui doit souffrlr un chagrin aussi amer, — II hasardérait volontiers son corps et ses biens — Pour 1'amour de sa bien-aimée qui n'y prend garde. (a) Diane qu'on appelle aussi la Lune, — Cybèle, Céres, je les y voyais toutes, — [La première] armée de 1'arc et des flèches, comme il cönvenait, — Légèrement vêtue, nuit et jour, — Pleine de majesté, comme on la voyait ordinairement; — Le chien et le sanglier étaient a ses cötés, — Le javelot debout ou gisant auprès d'elle, — Et le carquois qu'elle ne quitte point. 155 ... Risisse Cupido Dicitur, atque unum subripuisse pedem. (Ovide). Ce vers déja si familier a Villon,... Marot ne le fait pas, il le trouve et le parle; c'est son langage de conversation, de correspondance, on concevrait a peine qu'il püt s'en passer... Après le vers de dix syllabes, c'est celui de huit qu'il préfère. Quant a 1'alexandrin, 1'idée ne lui vient presque jamais d'y recourir: qu'en faire en des sujets si peu solennels. II le voit du même ceil qu'il verrait la Joyeuse de Charlemagne ou une vieille armure trop pesante, et ne se sent pas de force è le porter. L'honneur d'avoir soulevé et commencé a dérouiller le vers héroïque appartient en entier a Ronsard et a son écoleMais Ronsard lui-même, dans ses premières Odes et dans le premier livre des Amours emploie de préférence le vers de dix syllabes ou de huit; 1'alexandrin ne sera définitivement adopté qu'a partir de 1555. Ceci posé, tachons d'expliquer les anomalies qui se présentent dans le vers néerlandais de huit ou de dix syllabes tel que Luc de Heere la concu. 1°. Dans 1'Ode Het Ghendsche Helicon en Parnassus, deux vers de six et deux de sept, se terminant par une rime masculine et achevant la période, finissent chacun la première moitié d'une strophe de huit vers, qui de cette facon se divise en deux moitiés de quatre vers. La diminution du nombre des syllabes divisant la strophe en deux parties égales produit ainsi un effet analogue a celui de la césure a la fin de 1'hémistiche: Vand ic- dese Nimphen vroet (a). 'Licht gheclëedt, nacht en dagh (b). Die naer den hemel ziet (c). Met veel blomkens naer den tijd (d). Dans un des vers de six: Licht gheclëedt, nacht en dagh, — la césure, fortement marquée, forme un arrêt dont la durée équiyaut a celle d'une syllabe atone. ') Sainte-Beuve, Tableau historique, pp. 31—32. (a) Je trouvai ces Nymphes, pleines de sagesse. (b) Légèrement vêtue, nuit en jour. (c) Qui regarde le del. (d) Paree de fleurs, suivant la saison, 156 Dans un certain nombre de vers de neuf, disséminés parmi les décasyllabes, on rencontre également un arrêt plus ou moins prolongé, soit au milieu, soit a la fin. La pause a la fin du vers termine quelquefois la période: Steect ooc daer onder staut. fraey en coen (a). — H. e. B., p. 50. Vliende groven costt want dien is quaet (b). — H. e. B., p. 50. Waert datmen hier als bi) de Mauritanen Hachte tbruynste coleur voor tschoonste siet Zo zoudt ghi moghen segghen oft wanen... Dat ghi schoon waert, maer nu en zidijs niet (c). — H. e. B., p. 51. 2°. Dans les vers irréguliers quant au nombre syllabique, les accents se font nettement entendre, le poète n'ayant supprimé ou ajouté que des syllabes atones, de sorte que ie rythme ne se trouve point interrompu. Les vers de six et de sept qui se rencontrent parmi^ ceux de huit, ont le premier accent sur la première syllabe, tandis que les octosyllabes commencent par une ou deux syllabes atones avant 1'accent initial: Vand ic dese Nimphen vroet (d). Ic zie haer een croone draghen (e) II en est de même pour les vers de huit ou de neuf au milieu des décasyllabes: Want ic beghinne mi) ziet'te schoene (f). — H. e. B., p. 53. Vraghe ic u wat quaet hebdij beseven (g). — H. e. B., p. 78. Par contre, si le nombre des syllabes dépasse la moyenne, il y a souvent deux syllabes trés peu accentuées dont la quantité égale celle d'une syllabe pleine; ou trois dont la durée est celle de deux autres, tout comme dans la musique les tribiets s'exécutent dans le même espace de temps que deux autres notes de la même figure. An n spelen, Mars flguere oft^ersonnaige (h). — H. e. B„ p. 46. Mids dat men an u lief te gheender spatie (i). — H. e. B., p. 77. Mg en sul/en ooc gheen moy ctotss'banden gTiebreken (k). — H. e. B., p. 83. (a) Se cache dessous, hardi, belle et intelligente. (b) A vostre disner userez — De viandes creuses et legieres (Marot). (c) Voir la p. 128. (d) Voir la p. 155. (e) Je la vois porter une couronne. (f) Car vous me voyez devenir de plus en plus belle. (g) Je vous demande quel défaut vous m'avez trouvé. (h) [Je voudrais] jouer auprès de toi le röle de Mars. (i) Puisque chez toi, ma bien-aimèe, on ne voit aucunement... (k) Je ne manqüerai pas d'avoir de belles jarretières. V 157 3°. L'accent et le nombre des syllabes déterminent le mouvement du vers. Peu de syllabes, avec le même nombre d'accents qu'a 1'ordinaire, en ralentissent la diction qui doit s'adapter au sentiment exprimé. Dans VElegia oft Claghenden Zendbrief, 1'amant exhale sa plainte dans les vers suivants: Maer naer u belofte zo en zoudt ghij Heur gheen ghehoor oft audienti' gheven Voor dat ghi iet quaets an mij vondt, daerbij Vraghe ic u wat quaet hebdij beseven (a). — H. e. B., p. 78. Une syllabe occupant la place de deux autres peut produire un certain effet plastique: Mammeken mignon, hups en delicaet Twelc wijt en verre van dander staet (b). — H. e. B., p. 52. Le poète veut-il souligner sa pensée, il diminue le nombre des syllabes: Neen hij is niet doot die trecht leven smaect En wiens wercken leven lanx om bet (c). — H. e. B., p. 65. Une plus grande vivacité provoquée par un plus grand nombre de syllabes donne au vers un caractère particulièrement expressif: Maer ic duchte dat mijn lamentatie En zuchtende woorden, zijn voor niet: Mids dat men an u lief te gheender spatie Eenighe ontfermherticheit merckt oft ziet (d). — H. e. B., p. 77. VI L'alexandrin francais et le long vers des Rhétoriqueurs néerlandais. L'alexandrin est le mètre qui se rencontre le plus souvent dans la poésie francaise depuis le XVIe siècle. „Au moyen age il est d un emploi assez rare. Le genre épique cependant en offre un (a) Mais tu m'avais promis — De ne point les écouter, — Avant que tu me trouves en défaut; — Je te demande quel défaut tu m'as trouvé. (b) Tetin gauche, Tetin mignon [et délicat], — Tousjours loin de son compaignon (Marot). (c) Non, celui-la ne mourra point — Qui vit par son oeuvre d'autant plus longtemps. (d) Mais j'ai peur que mes plaintes, — Et mes soupirs soient inutiles, — Puisque chez toi, ma bien-aimée, — On ne voit point de miséricorde. 158 certain nombre d'exemples dans les chansons de geste du cycle antique et du cycle de Charlemagne... On le retrouve dans les satires de Rutebeuf et d'Adam de la Halle. La Pléiade comprit quel parti pouvait être tiré de ce mètre grave qui prête a la période, et elle 1'adopta généralement dans ses imitations des tragédies et des comédies anciennesL'école de Marot, d ailleurs, prépara la voie a la Pléiade. „Au commencement du XVIe siècle, le mètre a la mode est évidemment le vers de dix syllabes: l'alexandrin est si bien tombé en désuétude que dans la poétique de Fabri deux mots én passant lui sont a peine consacrés et qu'il est dédaigneusement traité d''antique manière de rithmer2) ". „Ceste espece, dit encore Thomas Sebillet, est moins frequente que les autres deux precedentes, et ne se peut proprement appliquer qu'a choses fort graves, comme aussi au pois de 1'oreille se trouve pesante3)". Cependant, Jean Lemaire de Beiges sen était servi dans la Concorde des deux langages (1513) et dans quelques pièces antérieures 4). Chez Marot le vers de douze figure dans une douzaine de poèmes monostrophiques et non-strophiques, quand il s'en sert, il le mentionne expressément comme pour accentuer la rareté de son emploi. Après lui, l'alexandrin devient peu a peu plus fréquent. En 1543—'44 Jean Martin insérait quelques strophes en vers de douze dans sa traduction de 1'Arcadïa de Sannazar. „La présence de l'alexandrin dans ces chants pastoraux, ainsi que dans cinq longues chansons de la traduction que Martin donnait 1'année suivante des Azolains de Bembo, marquait un... grand progrès dans 1'évolution rythmique de 1'Ode6)". Vers le même temps (avant 1545) Pernette de Guillet accordait également a l'alexandrin droit de cité dans la poésie lyrique: ses Rymes contiennent en effet, au milieu d'une douzaine de chansons de rythmes antérieurs, une pièce platonicienne en 8 cinquains de trois alexandrins, uh hexasyllabe et un alexandrin, du type aaabb. En septembre 1547 J. Peletier publiait parmi ses CEuvres poëti- ') Ch. Le Goffic—Ed. Thleulin, Nouveau Traité de Versiflcation francaise. Paris. 1903, pp. 44—45. *) M. Bourciez dans YHisioire de la Langue et de la Littérature francaises n, chap. III, p. 87. *) Art poétique, p. 41. 4) Guy, op. cit., pp. 195, 206, n. 343. ') Laumonier, Ronsard poète lyrique, pp. 660, 661. 159 ques une série de dix-huit Odes horatiennes, dont une en huitains hétérométriques de trois alexandrins, un hexasyllabe, trois alexandrins, un hexasyllabe (type a a a bcccb); Marguerite de Navarre admit l'alexandrin dans ses Chansons spirituelles (1547), Pontus de Tyard dans la première édition de ses Erreurs amoureuses (1549). Lazare de Baïf avait le premier usé de l'alexandrin comme vers tragique dans le récit et le dialogue de son Electra (1537) et de son Hecuba (1544). II y avait deux sonnets en alexandrins parmi les 196 sonnets traduits de Pétrarque que Vasquin Philieul de Carpentras avait publiés en 1548. II y en avait un dans les Amours de Méline de Jean-Antoine de Baïf (1552): Puissé-je me venger de toutrage de celle...1). Mais il est encore si peu en honneur que pas une fois, dans la Deffence de Du Bellay, il n'en est question2). Ce n'est qu'après 1553 que l'alexandrin supplante définitivement le vers de dix syllabes dans la poésie francaise, et jusque-la les deux poètes que De Heere a le plus imités s'en sont a peine servis. Marot nous 1'avons dit, composa une douzaine de pièces en alexandrins: les Cimetières III, X, XVII, XIX, XXIV, les Épigrammes XI, XIII, XIV, XXVII, CCLXXXI, 1'Oraison V3). Ronsard écrivit dans ce genre de vers trois Odes de 1550 *), ainsi que deux sonnets des Amours de 1553: J'ai cent fois epreuvé les remedes d'Ovide... et A ton frere Paris tu sembles en beauté5). En 1555 seulement Jean-Antoine de Baïf publia sa Francine, Ronsard sa Continuation des Amours, deux recueils oü le triomphe du vers de douze est assuré. La même année, Ronsard donne ses Hymnes, oü l'alexandrin se trouve admirablement approprié au récit épique6). Mais il n'est guère probable que De Heere ait suivi jusque-la son évolution. La plupart de ses emprunts sont de Marot, et 1'influence de Ronsard sur le poète flamand s'arrête des 1554, toutes les réminiscences du chef de la Pléiade se retrouvant dans les publications de Ronsard antérieures a cette date. ') Ëd. Chiquet, s. IX. — Cf. Laumonier, op. cit., pp. 663, 673, n. 1. *) Éd. Chamard, p. 219, n. 4. ') Éd. Jannet, II, pp. 222, 226, 230, 231, 234; III, pp. 9, 10, 15,113; IV, p. 55. 4) Ed. Laumonier, II, pp. 21, 45, 57. — M. Laumonier se trompe en en donnant quatre: Blanchemain II, 253 est en hexasyllabes. *) Éd. Vianey—Vaganay, s. 234, 235. *) J. Vaganay, Le Pétrarquisme en France au XVIe siècle, pp. 178—179,234—235. 160 En revanche, le vers de douze syllabes est trés fréquent chez les Rhétoriqueurs néerlandais de la première moitié du seizième siècle. Nous avons cité plus haut les passages oü Matthieu de Casteleyn pose une longueur de quinze syllabes comme la limite extréme du Vers néerlandais, tout en constatant que ceux de neuf et de douze sont les plus usités1). En parcourant son Const van Rhetoriken et les Refereynen d'Anna Bijns on trouve régulièrement des vers qui varient de neuf a quinze syllabes. Nous donnons deux exemples empruntés aux deux auteurs pour illustrer ce fait, en soulignant les vers de douze: Daerom zeit Fabius van deser konsten kracht Dat Tullius bedacht, t'onser baten batelick. Niet met scheerpe, maer blijnckende wapen vacht: Dat is te zegghene, metter woorden macht Gheillustreert ende verchiert boven maten matelick, Dus verheft dijn redenen vul staten statelick. Wilt naer schoon vocabelen op elck saysoen spoen, Mea zietse verachten ende haten hatelick, Die alle haer redenen met daghelicks sermoen voen (a). — C. v. R., str. 66. Hoe sal men den boom doch connen geprijsen goet, Wiens vrucht elc deuchdelijc herte afgrijsen doet? Mij wondert, dat yemant so seere verblint es. Maer lacen! het dunckt den zommigen wijsen goet, Dwelc tslmpel volc uten wege bijsen doet, Dat duer de geleerde verkeerde gescint es. Den boom is quaet, ghij moghet aenscouwen claer; Lueghenen, achterclap nu seere gemint es, _ Tkint tsegen den vader, de vader tseghen tkint es, Ongehoorsaemheit, dit sijn de vruchten voorwaer, Vrijlijc te sondigen, sonder eenigen vaer Van correctien, in steden in ghehuchten, De santen versmaden, Gods tempel ende altaer, Gods dienaers onteeren, met liegen openbaer, | Wildij den boom kennen, merct wel sijn vruchten (b). — Ref. I, IV. ') Voir les p. 140—141. (a) C'est pourquoi Fabius, a propos de la force de eet art, — Dit que 1'intelligent Cicéron, è notre pront, — Ne combattait pas avec des armes tranchantes, mais brillantes, — C'est-a-dire qu'il avait recours a la force de la parole, — Embellie et enrichie au plus haut point. — Rendez donc vos discours majestueux, — Efforcez-vous toujours d'user de belles paroles; — On voit les hommes mépriser et haïr — Ceux qui parient un langage commun et vulgaire. (b) EsMl possible de louer 1'arbre — Dont le fruit fait horreur au cceur vertueux. — 161 Si maintenant on examine la liste des pièces en alexandrins que renferme Den Hof en Boomgaerd der Poësien, on est frappé d'abord de la différence numérique entre les poèmes traduits ou imités des poètes francais et les pièces originales, ces dernières étant bien plus nombreuses que les autres. Sur quarante et un poèmes. il n'y en a que trois qui soient des traductions de Marot, un que De Heere ait traduit de Mellin de Saint-Gelays, et sept oü pour le fond, 1'influence de Marot et de Ronsard soit plus ou moins évidente. La proportion est tout autre pour les pièces en décasyllabes, dont neuf sur vingt-trois montrent des traces directes de 1'influence francaise. II est vrai que parmi les traductions de la première catégorie figure aussi Den Temple van Cupido, qui est le plus long poème du recueil. Mais c'est la justement une des pièces de Luc de Heere oü le contraste entre les origines de fond et de forme est le plus remarquable. Dans Den Temple van Cupido, Paradoxa, An zijn lief wonende in Zeeland, De Heere a suivi la structure strophique des Refereynen; uné grande partie de 1'Épïtre An Dominicus Lampsonius est originale, et seuls les Épigrammes Van de droufheyt eens Quidams, Tot eenen zijnen vrient, et le Sonnet ut een Epigramma van Martialis peuvent être regardés comme des compositions tout a fait modernes. En continuant de rapprocher les pièces en alexandrins de celles en décasyllabes, nous constatons que pour les Epigrammes et Étrennes la proportion est a peu prés égale ; une douzaine de ces poèmes étant en alexandrins, treize en décasyllabes, et parmi ces derniers les Blasons Van het schoon Mammeken et Van de leelicke mamme, Par contre il y a huit Sonnets en alexandrins sur deux en décasyllabes. Mais les Sonnets de Luc de Heere, loin de répondre è la définition du sonnet frangais ou italien, rappellent pour la forme les strophes des Refereynen. Ses Refeeynen eux-mêmes sont presque tous en vers de douze. Je m'étonne que quelqu'un soit si aveugle! — Mais, hélas! il y a des prétendus sages qui tapprouvent, — Ce qui fait errer les gens simples et ignorants — Que 1'enseignement des savants a mal disposés. — L'arbre est mauvais, cela saute aux yeux; •— On aime le mensonge et la médisance, — L'enfant halt Ie père, le père l'enfant, — Les fruits que porte eet arbre, ce sont la désobeissance, — Le pêché librement commis et sans que 1'on en craigne — Le chatiment; c'est mépriser, dans les villes et les hameaux, — Les saints, le temple et 1'autel du Seigneur, — C'est déshonorer, par des mensonges évidents, les serviteurs de Dieu: — Si tu veux connaitre 1'arbre, examine ses fruits. 11 162 Lorsqu'enfln on compare les pièces traduites de Marot avec leurs modèles francais, on s apercevra que, généralement, les vers de De Heere sont plus longs que ceux de Marot. Voici le tableau qui permet de s'en rendre compte. Nous soulignons les titres des pièces les plus longues. Pièces de De Heere. Nombre syll. du vers. Den Temple van Cupido 12 An sijn lief, die bij zant heur pour- traiture 10 An Ch. C 8 ou 4 Van een Neen, tot een ionghe dochter. 10 Tot eenen zijnen vrient 12 Remedie ieghens de Peste 10 Van een Joncker die ieghen sijn wijff speelde 10 Van het schoon Mammeken 10 Van de leelicke mamme 10 An M. Pieter de Rijcke 10 Ut d'Epistel die Macot zand totten Coninc. 12 Pièces de Marot. Nombre syll. du vers. Le Temple de Cupido 10 ou 8 Épigramme XXVIII 10 A Madame de Montpensier... 7 ou 3 Épigramme LXVIII .'. 10 Épigramme CLV 10 Épigramme CCLXV 8 Épigramme CCXLVfl 10 Épigramme LXXXVIII. 8 Épigramme LXXIX. 8 Épigramme XXXVIII 10 Epttre au Roy, pour avoir esté derobé 10 L'originalité du fond d'un grand nombre de pièces en vers de douze syllabes, la structure des longs poèmes et des sonnets en alexandrins, le fait que les Refereynen de De Heere présentent en majeure partie ce vers, la tendance du poète a allönger les vers francais qu'il traduit, tout porte a croire que l'alexandrin du Rhëtoriqueur flamand est le long vers néerlandais, régularisé sous 1'influence du principe du nombre égal des syllabes. De Heere réduit autant que possible les vers d'une seule pièce au même type de dix ou de douze, et ne s'en écarté que pour des raisons spéciales de style et de versiflcation. Le décasyllabe et l'alexandrin sont pour lui des formes authentiques dont 1'ennéasyllabe, 1'hendécasyllabe et le vers de treize ou de quatorze ne sont que les variétés. En ceci De Heere se soumet encore a la doctrine des Rhétoriqueurs francais et des Marotiques, pour qui les vers de neuf et de onze étaient des licences, il se rencontre également avec Ronsard, qui n'a jamais usé du vers impair avant 1554 ) Cf. P. Fabrl, Grant et vray Art de pleine rhétorique, rééd. Héron, Livre O, pp. 6, 14; Sebillet, op. cit., I, ch. V; Faguet, Seizième siècle, p. 72; Pelissier, op dftt 163 Certaines pièces en alexandrins composées par De Heere, sont aussi régulières que celles en décasyllabes. Elles forment cependant une minorité. L'irrégularité du nombre syllabique se manifeste surtout dans deux ou trois Refereynen, tels le Refereyn an M. Omaer Coolman et le Referein en lof van den name Jesu, dans quelques pièces modernes: l'Ode sur un tableau de Van Eyck, 1'Epigramme Tot eenen zijnen Vrient, le Sonnet An mijnen Heere van Watervliet, Ut d'Epistel die Marot zand totten Coninc, Invectivae, enfin dans quelques passages de Den Temple van Cupido et du Paradoxa an Marcus van Vaernewijck. Pour expliquer chez De Heere le plus grand nombre d'anomalies dans le vers alexandrin comparé au décasyllabe, nous faisons remarquer que la lecture des poètes francais avait déterminé la forme de ses vers de dix plutót que de ses vers de douze, qui sont d'origine traditionnelle et oü se fait avant tout sentir le rythme des Rhétoriqueurs néerlandais. II y a ensuite le fait que l'alexandrin, plus long que le vers de dix, permet un mouvement plus libre, une allure plus dégagée, ce qui augmente ou diminue facilement le nombre des syllabes atones dans le corps du vers. Les exceptions è la règle de 1'égalité du nombre syllabique se laissent d'ailleurs comprendre de la même facon que les variétés du vers de dix. 1°. Un arrêt au milieu du vers, une pause a la fin, pour terminer la période, ou bien au commencement, pour en annoncer une nouvelle, diminuent le nombre des syllabes: p. XIII. — J. Peletier du Mans, dans son Art poétique (1555), remarque encore 1'absence du vers de neuf syllabes dans la poésie francaise; cf. P. Laumonier, L'Art poétique de J. Peletier du Mans (Revue de la Renaissance, 1901, pp. 257 sqq). — Ronsard ne fit qu'une seule ode ennéasyllabique, cf. Laumonier, art. cit., p. 259 et la note; il fit deux tentatives pour doter la poésie francaise de la strophe sapphique, cf. Du Bellay, Deffence, p. 229, n. 3 de M. Chamard. — Du Bellay avait préconisé 1'introduction de 1'hendécasyllabe: „ Adopte moy aussi en la familie francoyse ces coulans et mignars hendecasyllabes, a 1'exemple d un Catulle, d'un Pontan, d'un Second: ce que tu pourras faire si non en quantité pour le moins en nombre de syllabes'' (Deffence, p. 228). — Ce conseil ne fut pas suivi. Etienne Pasquier constatera plus tard que ni 1'ennéasyllabe ni 1'hendécasyllabe ne sont supportables aux oreilles francaises (éd. de 1723, I, col. 711; cf. Deffence, p. 229, n. 3 de M. Chamard). — Sur la date respective des poèmes de Ronsard, voir Laumonier, Ronsard poète lyrique, et son Tableau chronologique des CEuvres de Ronsard, Paris, 1911. 164 ... Wicn ic vond, ic vraeghde hemlien onbeschaemt Hebdij niet ghesien, in dese contreye oft stede De blomme der mommen Vaste Liefde ghenaemt (a)? — H. e. B., p. 9. Maer hoe zoud'ic u verdiende eere connen gheven? Ende u schoonheit met mijnder pennen figureren? Als u gratiën (emmers die ick heb' beseven) Bic om te schoonst voort doen, ende braggheren ?... (b) — H. e. B., p. 70. So en suldi- dan niet verliesen onder al, Dan tghelt en tverloop. — O Coningh excellent, Jalours beminder der neghen Musae bekent (c). — H. e. B., p. 87. 2°. Une série de syllabes atones se prononce plus rapidement que le reste du vers: Dat de Nature loochent in de schoonheit de Hen, Dat gheeft si hemlien in meerder zaecken, ut dim Vinden wij zo begaeft Esopus en die persoonen Die schoon naer der zielen is, en is niet om verschoonen (d). — H. e. B., p. 20. Snachts sijn sonder sorghen, ende ooc in de dagh niet swaer (e). — H. e. B., p. 62. 3°. Le nombre des syllabes, diminué ou augmenté, ralentit ou accélère le mouvement du vers suivant le sentiment ou la pensée qu'on exprime. Dans Den Temple van Cupido le vers: Coninghen, Princen, Princessen, groot en cleene1) (f), se prononce plus lentement pour faire ressortir 1'importance les triomphes de 1'Amour et le haut rang de ceux qu'il soumet a son pouvoir. Le rythme du vers: Dwelc mij (elaes) duysent dooden dede stervens) (g), ') H. e. B.. p. 8. 5) H. e. B., p. 10. (a) Oü je trouvay gens de divers regard, — A qui je dy [effrontément]: „Seigneurs, si Dieu vous gard, — En ceste terre avez vous point cogneuz — La fleur des fleurs... Qui Ferme Amour s'appelle (Marot)". (b) Voir la p. 125. (c) Je la feray tant se ure (si Dieu plaist) — Qu'il n'y perdra que 1'argent et 1'attente. — O [excellent] Roy, amoureux des neuf Muses (Marot). (d) Ce que la Nature refuse, quant a la beauté, -—■ Elle le donne sous plusieurs autres rapports, et c'est pourquoi — Des hommes tels qu'Ésope sont tellement doués. — On ne peut embellir la beauté de 1'ame. (e) N'avoir point de soucis la nuit, et peu le jour. (f) Rois, princes, princesses, grands et petits. (g) Ce qui me fit, hélas I mourir mille morts. 165 symbolise la douleur de 1'amant. Ailleurs le poète déplore 1'indifférence de ceux que 1'amour fraternel devrait unir: Nu wi sien d een broeder den anderen ooc haten Ic zwighe dat si elcanderen verlaten ') (a). Dans le vers: Omrijnght met vrughten, groen, schoon, en rijckelic3) (b), le poète appuie sur chacune des beautés du jardin d'Amour. Voici encore deux ou trois exemples: Heur tubicinen ooc d'ander slachten« Want si trommelen, en fluten, vul melodijen Schalmeyen, luten, violen, die zoo verblijen3) (c). (L'arrêt qui suit le vers de neuf annonce la symphonie de tous les instruments de musique). Maer daer volght wel naer (hoe sijt bedriven) Druc, verdriet, ende een bederven der iongher ieucht ) (d). (La lenteur avec laquelle se dit le premier vers appelle particu- lièrement 1'attention sur le second). Maer op dat ghi gheen quaet en soudt presumeren Oft niet en meent, dat ic u wille bedrieghen , Sal ic u cedulle gheven (zonder liéghen) U te betalen, en dat t'uwen eersten luste5) (e). Le vers de treize ou de quatorze, au contraire, accélère le rythme. Dans le passage: ') H. e. B., p. 58. *) H. e. B., p. 10. *) H. e. B., p. 12. <) H. e. B., p. 15. ') H. e. B., p. 86. (a) Maintenant que nous voyons les frères se ha'fr, — Pour ne pas dire: s'aban donner tout a fait. (b) Environné de beaux fruits en abondance, au milieu de la verdure. (c) Leurs instruments de musique sont pareils aux autres, — Car ils jouent du tambour, de la flüte mélodieuse, — Du chalumeau, du luth, duviolon, quiré)ouissent le cceur. (d) Mais il en resulte, quoi qu'ils. fassent, — Des soucis, des chagrins et la perte de la belle jeunesse. (e) Mais, pour que vous n'en ayez aucune mauvaise pensee, — Et ne croyiez pas que Je veuille vous tromper, — Je vous signerai (sans mentir) la promesse — De vous payer des qu'il vous plaira. 166 ... Nochtans besloot ic int leste Van heur te gane: en te zoucken eene, te weten Onder alle Goddinnen ghedacht voor d'alderbeste t Dats Vaste Liefde l) (a),... le poète se héte de nous dire le nom de cette divinité qu'il adore. Ailleurs la rapidité du mouvement exprime la joie et le bonheur: D aerdsche Nymphen, welcke navolghen constantelic Bosschen, beemden, hoven, fonteynen, en rivieren blije Med der voghelen zangh, maecten zoete harmonije (b). — H. e. B., p. 10. Den Nachtegale ende andere commende van boven Zinghen op lessenaerkens van groene schoone meyen Haers liefs hymnen, en amoureuse loven (c). — H. e. B., p. 13. La règle posée par Luc de Heere, les exceptions qu'elle permet, découlent donc d'un seul et même principe, qui est la préoccupation constante chez le poète de donner a ses vers la même longueur. Si par une cause quelconque, le vers se trouve allongé, il rétablit 1'équilibre en diminuant le nombre des syllabes; si, au contraire, le vers eüt été abrégé par suite d'une diction plus rapide, le nombre des syllabes s'accroït. Pour flxer 1'étendue du vers, pour le rendre isochrone au point de vue de sa durée totale, les poètes francais n'avaient qua faire toujours pareil le nombre des syllabes, la durée moyenne des atones n'étant pas trés variable dans cette langue. Pour le vers néerlandais, oü la longueur des syllabes varie davantage, la question était plus compliquée, il fallait plus de liberté dans 1'arrangement pour obtenir un résultat semblable, et même les licences apparentes de 1'auteur assuraient a ses vers une régularité dont il avait besoin pour soutenir le rythme poétique, pour conduire la période, pour êtré capable d'harmonie et d'expression. ') H. e. B.. p. 8. (a) Néanmoins je me décidai — A la quitter, et a en chercher une autre, — Estimée la meilleure parmi les Déesses. — Ferme amour... (b) Les Nymphes terrestres, qui hantent toujours — Les bois, les prés, les jardins, les fontaines et les joyeuses rivières, — Mêlent leurs chants, doux et harmonieux, a la voix des oiseaux. (c) Les rossignols et autres oiseaux, descendant sur' les arbres, — Chantent devant des pupitres de belles branches vertes — Des hymnes en 1'honneur de leurs bien-aimés. 167 VII L'accent dans le vers néerlandais et la césure du vers francais. Cependant jl aurait bien fait de songer un peu plus a la disposition régulière des accents dans le corps de ses vers, disposition qui en aurait bien mieux marqué la cadence et qui était devenue d'autant plus nécessaire que le vers néerlandais avait pris peu a peu une longueur plus considérable. On a*pu constater 1'effet que produit legalité du nombre syllabique, lorsqu'elle se combine avec une succession tant soit peu rythmique d'accents, on peut même dire que, moins cette loi de 1'accentuation était observée, plus le vers des Rhétoriqueurs flamands était boiteux, disgracieux, prosaïque. Ils 1'ont si bien senti eux-mêmes qu'ils ont eu recours a différents moyens pour y remédier et pour assurer la chute de leurs vers. Ces moyens sont au nombre de six: 1° 1'allitération et 1'assonance, 2° les rimes intérieures, 3° les rimes ultrariches a la fin du vers, 4° 1'alternance des syllabes accentuées en non-accentuées, 5° la césure, 6° le demi-vers1). Outre le long vers, qui est sans doute le plus fréquent chez les auteurs dont nous avons entrepris 1'étude. on trouve des vers beaucoup plus courts, surtout dans les recueils de chansons oü il semble mieux s'approprier a la musique que le vers de douze syllabes et davantage. Dans ï'Ode de Luc de Heere, Den Welcomme van Adolph van Bourgoignen, la rime médiane divise le premier et le troisième vers de chaque strophe en deux vers de deux accents, suivi d'un petit vers qui présente également deux arsis. Ce vers de deux pieds se rencontre pareillement dans \'Antwerpsen Liedeboek et les Diversche Liedekens de Matthieu de Casteleyn, oü il se combine volontiers avec le vers de quatre arsis: Tfij dér valscher ialosien, Ghi valt mi teghen in partien, Dat ic mijn lief. Met gherief Moet derven, hoe sonde icx mij verblijen. •) Cf. aussi C.-G.-N. de Vooys, Opmerkingen over de Nederlandse Versbouw, (Taal en Letteren, 15e année, p. 143). - La bibliographie concernant la prosodie du moyen-age a été faite par L.-D. Petit, Bibliographie der Middelnederlandsche Taal- en Letterkunde. Cf. aussi Kalff, Inleiding tot de stadie der Literatuurgeschiedenis, p. 168, n. 1; p. 184, n. 1, 168 Wel roepen ic mach, Met geclach, Tsi nacht of dach. Dat io oeyt sach Diet mi doet. Die gon ic goet; Met woorden soet, Moet ic mi lien. Tfü der valscher ialousien (a). — A. L., CLIV. Le fait que ces petits vers ont été mis par paires les uns è cöté des autres, ne saurait ici changer le point de vue: on les écrivait souvent ainsi pour gagner de 1'espace. Le vers octosyllabique de l'Ode de De Heere qui s'intitule Het Gendsche Helicon en Parnassus a quatre arsis dispósées de telle facon qu'une syllabe tonique est précédée ou suivie d'une atone. Le vers ainsi accentué est tres fréquent aussi dans \'Antwerpsen Liedeboek et dans les Diversche Liedekens, oü il se rencontre assez souvent avec celui de deux ou de trois accents: Ick weet een vrauken amoureus Die ic met herten minne Haer wesen is so gracieus Si staet in minen sinne Gestadich is si in alder stont Men vindt er niét seer vele Want si heeft eenen rooden mont Twee borstkens ront Ende een snee witte kele (b). — A. L., CTV. Mocht men met kruyde oft medicijnen Ghenesen mijnder liefden brant, Ick waer ghenesen vander pijnen, Maer neent, ten helpt zulck onderstant Dies gaet t helas aen mijnen kant (a) Fi, perfide jalousie! — Tu t'opposes a mon désir. — Je perds la joie — De «voir ma maitresse. — Ah, comme Je serais heureux! — Je peux bien crier — Et me plaindre - Les nuits et les jours - Que j'ai vécu. - Celle qui me cause ce chagrin, — Je lui souhaite le bonheur: — Je dois me servir — De douces paroles. — Fi,' perfide jalousie! (b) Je connais une charmante petite femme, — Que J'aime de tout mon cceur. — Elle est si pleine de graces, - Elle est lobjet de toutes mes pensees, - Elle est toujours d'humeur égale, - II n'y en a pas beaucoup comme elle, - Car elle a la bouche vermeille, - Deux seins ronds - Et la gorge blanche comme neige. 169 Deur dlast der minnen strale Ick vlouck den afgodt die mij bant Met Venus bitter dwale (a). — D. L., XXII. Si le vers a moins de huit syllabes, les atones se suppriméht ordinairement, surtout celle qui précède le premier accent. Le nombre syllabique est-il de plus de huit, les non-accentuées se prononcent plus rapidement: Diana diemen Luna naemde Cybele en Ceres ic daer zagh Met boghe en pijl alzoot betaemde Licht gecleedt, nacht en dagh (b). — H. e. B., p. 30. O Venus ghi moordadighe vrouwe Ghi schiet er veele met uwen strale Dat machmen wel aen mi beschouwen Ghi worpet mi boy ten vruechden pale O Venus ghi zijt die princepale Die mi dicwils doet verdriet Adieu ick blijve in droefheyts sale , Om haer, nochtans en acht zijs niet (c).'— A. L., XXX. II n'est pas rare que 1'accent se transporte d'une syllabe paire è une syllabe impaire. Ce déplacement peut avoir pour conséquence, d'un cöté de séparer les ictus par 1'interposition de plus d'une syllabe atone, d'autre part, de provoquer la rencontre de deux syllabes toniques. Comme ce déplacement de 1'arsis rompt la monotonie du rythme, il produit quelquefois un effet heureux: Ghelijc gout is haer hayr van coluere Twee oochkens ter amoureusheyt snel Twee borstkens root, soet van natuere (d).—A. L., XXXVI. II arrivé aussi que 1'accent frappe une syllabe qui aurait dü rester atone. C'est la une maladresse tendant è affaiblir le rythme, (a) Si les simples ou les remédes — Pouvaient guérir 1'ardeur de mon amour, — La douleur me quitterait; — Mais non, un tel secours est inutile, — Voilé pour quoi, belas! Je porte tout le dommage, — Causé par la flèche de 1'amour, — Je maudis le dieu qui m'inflige — L'amère erreur que cause Vénus. (b) Voir la p. 154. (c) O Vénus, déesse meurtrière, —« Vous en blessez beaucoup de votre flèche. — Moi, j en suis la preuve vivante, — Vous m'avez chassé loin de la joie. — O Vénus,~c est vous surtout *— Qui m'attristez souvent. — Adieu, je reste dans 1'affliction — Pour elle, qui toutefois n'y prend garde. (d) Sa chevelure est blonde comme 1'or, — Ses yeux sont prompts a inspirer de 1'ampur, — Elle a deux seins roses et doux. 170 a détruire 1'équilibre du vers, a donner un vers de trois arsis au lieu des quatre qu'il fallait: Insghelijcx zat daer ooc beneven Eene dewelcke Urania hiet. Met de Sphera hooghe verheven, Pie^ naer den hemel ziet. Zi speelde op de Lyra haer liet En draeght van biau blomkens een croone (a). — H. e. B., p. 30. Dans le vers de dix syllabes environ les accents sont régulièrement au nombre de quatre. Disposés dans le corps du vers de la manière la plus variée, ils sont séparés par une, deux, quatre et même cinq atones : Vast quam hij te mijwaert recht toe recht an, Vroom als een man, met zeer koelen bloede,' Juppiter was den vader die hem wan; Het was Mercurius die de konst wel kan (b). — C. v. R., str. 15. Nochtans dat zi verdoolt zijn in dees daet En datter is weynigh oft gheen different Tusschen onser beeder goet, weet uwen raet; Maer zijn hoorende doof, en siende blent (c). — H. e. B., p. 78. Deux syllabes peuvent même se süccéder immédiatement ou n'être séparées que par une pause: Diveersch weerekende volghende eenen zin (d). — C. v. R., str. 59. r Wanneer sijn venijn Mars hadde gheschoten (e), — Ib., p. 76. O lustelijcken Mey, vol van virtuten (f). — N. Ref., VII. Troost mij, bone Jesu, ic hebs groot noodt (g). — Ib., XLFV. (a) De même, une autre y êtait assise, — Celle qui se nomme Uranie, — Avec la haute Sphère — Et regardant le ciel. — Elle jouait sa mélodie sur la lyre, Et porte une couronne de fleurs bleues. (b) Tout droit il vint a moi, résolument, — Courageux comme un homme plein de sang-froid; — Jupiter fut le père qui lé fit naïtre. — C'était Mercure, qui sait bien les arts. (c) Cependant vous n'ignorez pas — Qu'ils s'y trompent lourdement, — Et que la différence entre nos biens n'est pas grande; — Mais ils font la sourde oreille, et feignent de ne rien Voir. (d) Travaillant diversement, mais suivant en cela la même idéé, (e) Lorsque Mars eut lancé son ven in. • (f) Mal, plein de délices et plein de vertus. (g) Consolez-moi, doux Jésus, j en ai grand besoin. , 171 S'il y a plusieurs atones entre deux ictus, une d'entre elles porte souvent un accent secondaire, qui peut se renforcer de facon a donner au vers cinq accents au lieu de quatre: Maect den vooys daarop terstont metten ganghe (a). — C. v. R., str. 174. Blijscap ongemeten wij oeit voort stelden (b). ■—• N. Ref. XXVI. Dwoort wert vleesch, dwelck Godt in Mariam saeyde (c). — Ref. III, LXX. Berimpelt vel, wit als een cave of schauwe (d). — H. e. B., p. 53. Par contre, un des quatre accents principaux peut s'affaiblir au point de devenir secondaire ou de s'effacer complètement: Waer is Jupiters zilveren Landauwe (e). ■— C. v. R., p. 124. Wiens glorie men in Troyen sach blincken (f). — Ref. III, IV. Een Joncker ut ghenought en in den Mey (g). ■— H. e. B., p. 51. Ic moet huwen, dus gheeft mij eenen man (h). —■ Ib.. p. 54. L'allitération, 1'assonance ou une rime intérieure soulignent plus d'une fois 1'arsis du vers : Zo wie dobbel dicht int dichten verkoos (i). — C. v. R., str. 10. Want mate en maniere is tschoonste virtuut (k). — Ib., str. 181. Maer emmers zijn wij ontschepen onteerd (1). — Ib., p. 65. Met herpen, met luten, zelck sang, zelck sprang (m). — N. Ref., VII. Dat u hand wordt van den hemelschen Troon Beweeght en gheleedt, gheve u dan den loon (n). — H. e. B., p. 44. La césure est assez régulièrement employée dans le vers décasyllabique. Elle se rencontre après la deuxième syllabe tonique: Nooit verlangde Apol//lo naer Daphnen schoone. Noch Paris naer Helee//nen wel ter talen, Noch d'Auden die Susa//nen brachten in qualen, * Noch Piraem naer Thts//be sijns herten kies. (a) Faites la mélodie immédiatement avec le mètre. (b) Joie démesurée, telle qu'on ne se 1'est jamais imaginée. (c) La Parole devint chair, Dieu la fit concevoir a Marie. (d) Peau ridée, blanche comme une cave ou une cheminée. (e) Oü est le pays d'argent de Jupiter. (f) Dont ont vit briller la gloire a Troie. (g) Un gentilhomme, pour s'amuser au mois de mai,... (h) II faut que je me marie, donnez-moi un époux. (i) Quiconque a choisi la rime équivoquée. (k) Car la modération est la plus belle des vertus. {1) En effet, nous voila déformés, déshonorés. (m) On chantait, on dansait, au son de la harpe et du luth. (n) Que le tröne céleste conduit les mouvements de votre main, — Qu'il récompense vos talents. 172 Noch Isiphile//, als Jason was gaen halen, Int Heylant van Col//chos tschoon gulden vlies, Als ick doe, sich//tent dat dees liefde wies (a). — Cv. R., p. 164. Souvent elle est marquée par une rime intérieure qui divise ainsi le vers en deux hémistiches de même longueur, ou en deux partjes, une de quatre, 1'autre de dix syllabes : De Baladen, welc clausen zijn net end eerbaer, Wijst ons al klaer//Martiael onsen koek (b). — C. v. R., str. 170. Mjj en verhuecht rethorijeke oft- snaergeclanck, Maer u aenschijn blanck // doet mij druck vergeten. Als wij lief bij malcan//deren sijn geseten, Blijscap ongeme ten wij oeyt voort stelden. U bijsijn begeer//ic, maer tes goet om weten: Mijns herten begeer//te gebuert mij zelden (c). — N. Ref., XXVI. De lè au demi-vers qui en sépare deux autres plus longs, il n'y a qu'un pas: Prlnsche ic mach mijn ongeluck wel vloeken Waer zal ic een hertelijck liefken soeken, Och in wat hoeken? Heeft trouwe nu genomen haren loop? En canse niet vinden; ic wil mij vervloeken En gaen studeeren in ander boeken, - Geen liefte meer zoeken, etc. (d). — N. Ref., XXVI. Les coupes de 5 + 5 et de 4 + 6 sont les plus fréquentes, le demi-vers est surtout de quatre ou de cinq syllabes. On ne se (a) Jamais Apollon ne dëslra tant la belle Daphné, — Ni Paris Hélène qui si bien parlait, — Ni les Anciens qui causèrent de si -grands tourments a Suzanne, — Ni Pirame Thisbé que son cceur avait choisie, — Ni Hypsipyle, lorsque Jason était allé chercher la belle toison d'or dans 1'ïle de Colchos, — Que je fais, depuis que eet amour a poussé. (b) Martial, notre cuisinier, nous montre clairement — Quelles strophes conviennent fort proprement aux Ballades. (c) La Rhétorique ni le son des cordes ne me réjouit, — Mais ton visage blanc me fait oublier mes ennuis. — Lorsque, mon bien-aimé, nous nous trouvons ensemble, — Nous éprouvons une joie démesurée. — Je désire ta présence. mals, il est bon de le savoir, — Le désir de mon cceur ne s'accomplit guère. (d) Prince, je peux bien maudire mon malheur, — Ou trouver une aimée qui me chérisse de tout son cceur, — Hélas! en quel lleux? — La fldélité s'en estelle allee maintenant? — Je ne la trouve pas; je me maudis — Je men vals étudier dans d'autres livres, — Et je renonce è 1'amour. 173 soumet a aucune règle concernant leur emploi dans une seule et même pièce. A preuve le Sonnet suivant de De Heere, adressé s • . An me Vrau van den Nes, Nazaretten, etc. Men weet wel tis//een verdriet'licke zaecke Voor een ionghe vrau//we te sine absent. Van haren lieven man, // die si bekent Voor goet, ende seer//wel t'haren ghemaecke. Want hoe wel si haer // voor die felle draecke Der (aloursi//e, niet en laett verleeden, En niet en acht // de ghemeen achterspraecke, Die ghebeurt als twee//ghehuwde soo scheeden. Ende al sijnse ghetrou//we onder hem beeden, Deur Gods gra//cie, diet al vermagh alleene. En doet dat zwaer // is, wesen licht en deene, Nochtans soo heeft si oor//zaeck' ongheblaemt. Om vreesen dat ee//nighe dief'ghe onreene Haer sau rooven den schat // die haer betaemt (a). — H. e. B., p. 60. Voici pourtant un exemple oü prédomine la coupe 5 + 5. Aey ml) vrau Ve//nus wat doet ghi) mi) plaghenl Ick en kan verdra//ghen mijn lijden groot, Och Anteros wilt // dees liefde verjaghen 1 Aey mij vrau Ve//nus wat doet ghij mij plaghenl Dies hende ick' helaes // pijn Jonghe daghen In drouven en kla//ghen tot in de doot. Aey mij vrau Ve//nus wat doet ghij mij plaghenl Ick en kan verdra//ghen mijn lijden groot I (b). — C. v. R., p. 53. Dans la strophe suivante, au contraire, c'est la coupe de 4 + 6 qui s'emploie exchisivement, marquée en outre par une rime intérieure: (a) On sait que c'est une chose bien triste, — Pour une jeune femme, d'être absente, — De son cher époux, qu'elle sait bon — Et qui lui convient a merveille. — Car, bien qu'elle ne se laisse pas tenter — Par le terrible dragon de la jalousie, — Et ne prend nulle garde a la médisance, — Si commune, quand deux époux se séparent ainsi, — Pourtant elle a sujet de craindre, — Sans blame, que quelque voleuse impure — Ne prenne le trésor qui lui appartient. (b) Hélas! Dame Vénus, est-ce assez de tourments! — Je ne peux plus porter mes cruelles souffrances, — Ah! Antéros, veuillez chasser eet amourI — Hélas! Dame Vénus, est-ce assez de tourments! — Ainsi je flnis mon jeune age, hélas 1 — Dans le chagrin, me plaignant jusqu'a la mort, etc. 174 Hoe coemt dat bi//scoon lief laat mi dat weten. Dat ghi nu mi // vol drucx laet ongemeten Ghi wist dat wi//wisten Venus secreten Noch meer weet ghi//hoe moechdijt vergeten. Seer opstinaet // sidij van uwen sinne. Oft quaden raet II is u ghegeven inne. ■ Dus sterve ick ut lief//den door u minne (a). — A. L., LXIV. Toute la piece a été construite suivant le même système, et nous parait un spécimen assez curieux de 1'influence de la prosodie francaise. Chez De Heere il n'y a qu'un poème de quelque étendue oü la césure se place assez régulièrement après la quatrième syllabe; c'est YElegia oft claghenden Zendbrief. Voici lesvers du type indiqué relevés par nous dans cette pièce, qui se compose de quinze strophes de quatre vers chacune: Str. I. Hoe sal ic zin//ghen met bedroufden gheeste. Hoe sonde ic con//nen ghepoetiseren. II. De bevende hand //, en wilt niet consenteren.. De tranen val//lende zonder cesseren. III. Maer wat mi lett//, ten magh mij niet vernoeyen. De liefde moet // ut mijnder herten bloeyen. V. Och ic en meen//de (al eist anders gheschiet) Miin hope niet // te vergheefs te stellen Op u ghena//de: nemaer als een riet Zidij nu om//ghekeert, d'welc mi doet quellen. VI. Waerom veran//dert ghij (mocht ic vertollen) U eerste goed// propoost ? Ic zegghe goed. Geen cause en hebt//, waerom ghijs niet en doet, VII. Want wat quaet (d'welc men behoort en moet Versmaden) weett//ghi toch 6 lief? zeght vrij. Valsch[e]lic versie//ren, en belieghen mij. VIII. Hun gheen ghehoor//oft audienti' gheven. IX. Elas I al zulc // een cause eyst toegheschreven Maer tis alleen' // om minen cleenen staet Want had' ic goeds//ghenough om bij te leven Zo biet ic goed//, maer nu hachtmen mij quaet. X. Nochtans dat zi//verdoolt zijn in dees daet. , . XI. De beste re//den diese hebben ten hent. Meer goeds behuuwt //, mij achtende te cleene. XII. Is dit oorza//k[e] (daer en is anders gheene). (a) D'oü vient, ma belle, faites-le-moi savoir .— Que tu me laisses plein d'un tourment infini? — Tu savais bien que nous savions les secrets de Vénus, — Tu sais plus encore, comment 1'as-tu oublié, — Tu t'obstines a me repousser, — On on t'a donné un mauvais conseil, — Ainsi je me meurs pour 1'amour de toi. 175 XIH. Dan u faveur // ionste, grati' oft deucht. Gheeft mij het le//ven want ghi sulx vermeught. XIV. Ende veran//dert (ö bloeyende ieught) U bitter woor//den, in troost en confoort. Ghelijct u goe' // natuere toebehoort. XV. Die noyt en was // soo vergramt of ghestoort. Hoe saut ghi con//nen dooden met een woort (a). Les coupes des vers de neuf et de onze se laissent facilement dériver de celles que présente le vers de dix, soit par le retranchement, soit par 1'addition d'une syllabe. Les coupes de 4 + 5, 5 + 6, 6 + 5 correspondent au .type 5 + 5, celles de 3 + 6, 4 + 7 a la coupe de 4 + 6. Ainsi concus, les ennéasyllabes, décasyllabes et hendécasyllabes se réduisent a deux types principaux, celui de 5 + 5 et de 4 + 6. Le premier nous semble être d'origine traditionnelle. Le long vers des Rhétoriqueurs néerlandais, en effet, peut être divisé le plus souvent en deux moitiés a peu prés égales, dont la première est de cinq ou six syllabes. La rime intérieure et le demi-vers soulignent encore ce dédoublement du vers que d'ailleurs la structure du vers moyen-néerlandais explique suffisamment. D'autre part la coupe de 5 + 5, qui au moyen age se rencontre encore dans la poésie francaise, était tombée en dêsuétude au seizième siècle, et avait été remplacée par celle de 4 + 6, dont (a) I. Comment chanterai-je, avant 1'ame si triste, — Comment pourrais-je écrire des vers. — II. La main tremblante n'y consent pas. — Les larmes coulent sans cesse. — III. Mais quelque douleur que j'éprouve, elle ne peut m'arrêter. — II faut que 1'amour grandisse en mon cceur. — V. Ah! je croyais (mais je me trompais) — Que je n'espérerals pas vainement — En votre gracieuse bonté, mais vous voila ■— Inconstante comme un roseau, ce qui m'afflige profondément. — VI. Pourquoi changez-vous les bonnes paroles — D'autrefois? Je dis qu elles étaient bonnes. — II n'y a pas lieu de ne plus parler ainsi. — VII. Quel défaut (qu'il convient de mépriser) — Quel défaut savez-vous, ma bien-aimée, dites-lemoi franchement. — [Ils] inventent des mensonges pour médire de moi. — VIII. [Vous ne deviez] peis les écouter. — IX. Hélas! On 1'attribue a cette cause, .— Mais c'est uniquement ma fortune médiocre. — Si j'avais assez de bien pour vivre, —1 On m'appellerait bon, mais maintenant on m'estime peu de chose. X. Cependant ils se trompent étrangement. XI. La meilleure raison qu'ils ont enfin. — [On veut] que vous fassiez un plus riche mariage, on m'estime trop petit. — XII. Est-ce la la cause, et il n'y en a pas d'autre. XIII. Que votre faveur, vos bontés, vos graces, vos vertus. — Rendez-moi la vie, vous le pouvez. — XIV. Changez, o vous, si jeune et si belle, — Vos paroles amères en consolations, — Comme il convient a la bonté de votre cceur. — XV. Vous, qui jamais ne fütes irritée ou mécontente, — Comment pourriez-vous tuer d'un mot. - 176 Marot et Ronsard se servent exclusivement. La présence de ce type chez De Heere est donc en partie due è 1'influence de ses deux maitres. Déja avant lui on trouve des spécimens de cette coupe,* et d'une structure parfois fort réguliere. II n'en est pas moins digne de remarque qu'elle se dessine chez lui avec plus de netteté que chez ses prédecesseurs, surtout dans les Épigrammes An een ionghe dochter, An zijn lief die hij zant heur pouriraitare. Remedie eghens de Peste, et dans YElegia oft ciaghenden Zendbrief. Dans l'alexandrin comme dans le décasyllabe, il n'y a que le dernier accent qui, chez les Rhétoriqueurs, occupe une place nettement déterminée, les trois autres étant séparés par un nombre variable de syllabes atones: Die aenmerct in wat ongherustheit, swaerheit, pijne Quaet en schande dat vallen int ghemeene Die schoon en moy van ghedaente zijn, sal ten fijne Lichtelic toestaen mijn propositi' alleene: Dattet beter is leelic sijn, mesmaect en cleene Dan schoon of welghemaect van leden ende wesen (a)..— H. e. B.,p. 17. Le premier accent peut être précédé d'une anacruse d'une, deux ou trois atones. La première ou la deuxième de ces trois inaccentuées est souvent un peu plus fortement articulée que les deux autres: De weerelt wert voortijts gecompareert Vanden auden Poëten bij den gonde claer; Dat was doen, maer nu, alsment wel estimeert V En isse nau ijseren, dit vinden wij waer, Leest Daniehs in tweeste, siet wat staet daer Van dbeelt, dat Nabachodonosor sach prijken; Thooft was gout, de borst silveren, de beenen maer IJseren en de voeten eerden oft slijcken (b). — Ref. Dl, LXX. Alsoot in Homero blijct te menigher stont (c). — Cv. R., str. 32. De zuver Duve, de dochter van paeys en vrede (d). — H. e. B., p. 9. Gelijck de zonne claerder blijnckt dan alle lichten (e). — H. e. B., p. 69. (a) Qui considère en quelles inquiétudes, difficultés, peines, —r En quels maux, en quelle honte tombent les femmes — Qui sont belles et bien faites, il admettra facilement — Ce que j'avance ici: — Qu'il vaut mieux etre laide, contrefaite et petite, — Que detre jolie ou d'avoir la taille , bien prise. (b) Voir la p. 59. (c) Comme Homère le prouve en plus d'un endroit. (d) La pure colombe, fllle de la paix. (e) Comme le soleil brille avec plus d'éclat que tous les astres. 177 Un léger * renforcement de eet accent secondaire augmente le nombre des accents principaux : Dat elck woort scheen een vuile sententie zijnde (a). — C. v. R., str. 51. Wilt naer schoon vocabelen op elck saeysoen spoen (b). — C. v. R., str. 66. Elck sonder vreese in verkeerde weghen slaet (c). — Ref. II, XXI. - Hooft, arm, metten schouderen wert hem afgehouwen (d). — Ref. III, II. ... Want die ic bood Jonste, dienst, therte en al, liet mij doen in den nood (e). — H. e. B., p. 8. Dans le corps du vers deux accents peuvent être séparés par plusieurs syllabes atones. Si le nombre de ces atones est de trois ou davantage, il y en a une qui peut prendre un accent secondaire, lequel en se renforcant accroitra le nombre des ictus: Dwelc den Schilder niet wel en konst gebrijngen bij (f). — C. v. R.,str. 79. Ander zegghen dat Apis van Egypten was (g). — C. v. R., p. 74. Wannéér wij onversien malcanderen ontmoeten (h). — N. Ref., LIV. Wat lief om lier mach lijden, lief niet en claeght (i). — N. Ref. LVI. Zinghende discant, elcs gheest te recht veriolijst (k). — H. e. B., p. 35. On rencontre aussi des vers oü, par suite de l'affaiblissement d'un des accents principaux, le nombre des arsis se réduit a trois: Eurealus droech sacken ghelijck eenen knecht (1). — C. v. R., p. 106. Int overlegghen, mach ick zegghen, met ghekive (m). — C. v. R., p. 119. Datse de beelden willen werpen uter kereken (n). — Ref. II, VII. Die daer ghebood, datmen zijn ooghen soude ontbinden (o). — H. e. B., p. 7. In verwaentheit, ópgeblasenheit, êh vermeten (p). — H. e, B., p. 19. , L'assonance, 1'allitération et la rime soulignent parfois 1'accent du vers: (a) Que chaque mot semblait être toute une sentence. (b) Appliquez-vous a trouver de belles paroles. (c) Chacun prend sans crainte la voie du pêché. (d) On lui coupa tête, bras et épaules. (e) Celle a qui j'offrais mon amour, mes services, mon cceur et tout, elle m'abandonna. (f) Que le peintre ne savait appliquer comme il le fallait. (g) D'autres disent que c'était le dieu Apis d'Egypte. (b) Quand nous nous rencontrons inopinément. (i) Ce qu'on souffre pour celle qu'on aime, on ne s'en plaint' pas. (k) [Les anges qui] chantent le dessus réjouissent 1'esprit. (1) Euryale portalt des sacs comme un valet. (m) En discutant, j'ose le dire, a grand brult. (n) Qu'ils veulent jeter les images hors de 1'église. (o) Qui ordonna qu'on lui ötat le bandeau. (p) En arrogance, sotte vanité et présomption. 12 178 Wij hoorden Zephyrum zoo vriendelic verzuchten Den fraeyen Tityrum zinghen zeer plaisantelic: Den wilden God Pan, wonende in groen ghehuchten Met zijn veld-Goden maecten vreught abundantelic. D'aerdsche Nymphen, welcke navolghen constantelic Bosschen, beemden, hoven, fonteynen, en rivieren blije Med der voghelen zangh maecten zoete harmonije (a). — H. e. B., p. 10. La césure est fort bien perceptible dans les vers de douze. Elle les divise le plus souvent en 6 + 6, 5 + 7, 7 + 5 syllabes, les deux membres sont donc a peu prés de la même étendue: In den ntcommenden tijd// als de schoone Flora ' De velden bedek//te met alderleye blommen Daer onder dat Zephy//rus (bijzonder in Aurora) Cam al triumphe//rende doen zagh ic voortcommen Dat iongh kind d'welc wij ghemeen//lic Cupido nommen Die daer ghebood, dat men zijn ooghen soude ontbinden Om t'anschauwene (want dit//was van sine waerommen) Alle die hi moght // onder zijn subjecti' vinden (b). — H. e. B., p. 7. Le demi-vers de six ou sept syllabes correspond évidemment aux coupes de 6 + 6/ 7 + 5. Ils s'emploient xoncurremment avec ceux de quatre ou de cinq syllabes: De Centauren droncken ut kostelicke koppen Als zij onderlinghe streden. Eens in een ghevecht, Theseus vul onvrederi Slough Euritum ter doot Met dén nap, die vuer hem stont, in tiden voorleden Peinst dien kop was groot. — C. v. R., p. 154. Pour résumer ce qui a été dit sur le développement du vers néerlandais sous 1'influence de la versiflcation francaise, nous faisons ici les constatations suivantes: (a) Y souspiroit le doux vent Zephyrus, — Et y chantoit le gaillard Tityrus (Marot), — Pan, le dieu sauvage, habitant les verts ombrages, — S'y réjouissait grandement avec ses dieux champêtres, — Les Nymphes terrestres qui hantent toujours — Les bois, les prés, les jardins, les fontaines et les joyeuses rivières, — Mêlaient leurs chants, doux et harmonieux, a la voix des oiseaux. (b) Sur le printemps que la belle Flora — Les champs couverts de diverse flour a, — Et son amy Zephyrus les esvente — Quand doulcement en 1'air souspire et vente, — Ce jeune enfant Cupido, dieu d'aymer, — Les yeulx bandez commanda deffermer, — Pour contempler de son throsne celeste — Tous les amants qu'il attainct et moleste (Marot). (c) Les Centaures buvaient dans des coupes superbes, — Quand ils se battaient entre eux. —- Un jour, dans un combat, Thésée, furieux, tua Euryte — En le/ frappant de la coupe qui était devant lui: — Jugez donc si elle était grande. 179 1°. Luc de Heere applique a ses vers la règle de 1'égalité du nombre syllabique, négligée jusqu'ici par les Rhétoriqueurs, tout en se réservant la liberté de se soustraire a ce précepte lorsque les besoins d'un rythme supérieur et de 1'expression poétique 1'y engagent. * 2°. Cette règle de 1'égalité du nombre des syllabes a pour premier résultat de séparer 1'octosyllabe du décasyllabe, le décasyllabe de l'alexandrin; elle crée la possibilité de composer des pièces et des strophes d'une structure plus variée. Les Rhétoriqueurs, en dehors des vers de six et de huit qui présentent déja une assez grande régularité, mêlaient les vers de neuf a quinze en y ajoutant parfois des demi-vers de quatre a sept syllabes. Luc de Heere écrira des pièces en vers de huit, de dix ou de douze, y joignant, s'il le faut, des demi-vers, composant ainsi des strophes isométriques ou hétérométriques, suivant son goüt ou son désir. Si parmi ses octosyllabes, décasyllabes et alexandrins se rencontrent des vers de sept, de neuf, de onze, ou de treize, les vers de sept ou de neuf syllabes sont des variantes du vers de huit, les vers de neuf et de onze sont des variantes du vers de dix, les vers de onze et de treize des variantes de l'alexandrin. 3°. L'octosyllabe est d'un usage courant dans la poésie du moyen Sge et du seizième siècle. Le décasyllabe, dans quelques poèmes avant De Heere et plus particulièrement dans Den Hof en Boomgaerd der Poësien, trahit 1'influence de la prosodie francaise /par la régularité de son accentuation et 1'emploi de la césure après la quatrième syllabe. L'alexandrin, adopté déflnitivement par les poètes francais en 1555 ne saurait exercer une influence semblable sur la poésie des Rhétoriqueurs; dans la prosodie néerlandaise ce n'est que le grand vers de douze syllabes environ, régularisé plus ou moins par De Heere qui y applique le précepte de 1'égalité du nombre. 4°. Le nombre flxe des accents concourt avec le nombre flxe des syllabes a déterminer le rythme du vers. La plupart des vers des Rhétoriqueurs ont quatre arsis. Le type le plus régulier de l'octosyllabe est celui oü chaque syllabe accentuée est précédée ou suivie d'une atone. Le décasyllabe et l'alexandrin ont une césure dont la place varie souvent d'un vers è l'autre. Le décasyllabe présente en général les coupes de 4 + 6 et de 5 + 5, dont la première peut être d'origine francaise. L'autre, qui divise le 180 vers en deux moitiés a peu prés égales, correspond aux coupes de 6 + 6, 5 + 7 et 7 + 5 qui sont les plus fréquentes dans les vers de douze. Enfin on rencontre parmi les décasyllabes et les alexandrins des espèces de vers ternaires résultant de la suppression d'un des accents emphatiques. | VIII Genres de rimes. — Les Rhétoriqueurs frangais. — Marot. — Ronsard. — Matthieu de Casteleyn, Anna Bijns. — Luc de Heere. On sait quel développement extraordinaire les Rhétoriqueurs frangais ont donné a la rime. Ils s'attachent a la rendre toujours plus savante, plus compliquée, plus bizarre, au point d'entraver complètement la libre expression du sentiment poétique. Déja au' XVe sièle, Jean Meschinot écrit, en 1'honneur de la Vierge, une brève litanie composée d'éléments interchangeables, et, fier de son oeuvre, se complaït a en vanter lui-même les artifices: „Ceste oraison, déclare-t-il, se peut dire par huit ou seize vers, tant en retrogradant que aultrement, tellement qu'elle se peuk lire en trente-deux manières différentes et plus, et a chascune y aura sens et rime, et commencera toujours par motz differents qui veult." Depuis, on a observé que Meschinot s'était montré bien modeste, et qu'en réalité son huitain (ou son seizain) n'offrait pas moins de 254 combinaisons ')• Nicole Dupuy, de Dieppe, composa en 1519 un rondeau qui pouvait se lire de douze manières au moins2).. André de la Vigne, parlant au nom de la Basoche contre la Corporation des tripiers, semble, en huit décasyllabes trés labourieusement ajustés, trahir son parti et glorifier ses adversaires r mais qu'on y regarde de plus prés, et 1'on verra qu'il suffit de „syncoper" le passage a 1'hémistiche pour avoir, dans la colonne de gauche, une apologie des clercs du Palais et, dans celle de droite, une satire de la triperie. Usant du procédé analogue, Molinet, le Bourguignon, feint de rendre justice a la France, et lui décerne des compliments qui, si 1'on s'avise de renverser 1'ordre des mots, ') Guy, Histoire de la Poésie francaise au XVIe siècle, p. 97; A. de la Borderie, Jean Meschinot, sa ine et ses ceuvres, Paris, 1896, pp. 114—115. *) Fougard, Les trois siècles palmodiques, I, 260 (cité par Guy, op. cit p 101 n. 152). 181 deviennent autant d'injures. Jean Bouchet adresse aux grefflers et procureurs un hommage insidieux, et lóue en ces termes les gens de sa province i Poitevins sont loyaulx, non caulx Feables, non voulans mefaire ... Lisez a 1'envers, et vous aurez: Caulx, non loyaulx, sont Poitevins Mefaire voulans, non feables ). Le titre d'un livred'Octovien de Saint-Gelays signale, comlne attrait, qu'il s'y rencontre „de toutes les tailles de rimes que 1'on pourrait trouver", et on y admirera en effet, des poèmes „en virelai unisonnant, redoublé, rétrograde a tous sens", ou „en ballade unisonnante, bordonnée, par équivoques males" et une infinité d'autres merveilles. Les Rhétoriqueurs francais composent des vers qui riment d'un bout a l'autre, des strophes dont tous les mots commencent par la même lettre2); Molinet écrit des couplets oü les assonances se résolvent en longues suites de calembours: ') Guy, loc. cit. *) Cf. ce texte de Jean Lemaire, oü il est question de Marguerite d'Autriche: il s'agit de prouver qu'elle était, par son nom même, prédestinée a une vie de tristesse: Puis on voit M. du nom de Marguerite, Qui signifle, et sans mon demerite. Meschef, malin, martyre et mal austere. Si croy de vray que souz ceste M. habite Misère et mort ou malheurté maudite Marrisson morne et tout mauvais mystère. — CEuvres, III, 122. Bouchet „a inséré dans son Amoureux transy sans espoir. douze vers dont tous les mots ont la même initiale..." André de la Vigne „ne connalt point de bornes, il quitte tous les rivages, et semble quelquefois, — lui si lucide è d'autres heures, — en proie a la frénésie. Le terme sans doute est fort; mais qu'on lise les.invectives d'André de la Vigne contre „la scabreuse Atropos", et 1'on se rangera a notre avis: Tric, trac, troc, trousselant, trique troque, Trainc trés terreux, trep de triquenoque, Traistre trousson, triquenique, tribraque. Truye troussine, triquedondayne troque, Triste traande, triple trouble tibroque, Tresvil trect traict, trafflque tripliarque, Tracé trouvez, tribullante trymarque". Recueil de Montaiglon, XIII, 393. — Guy, op. cit., p. 92. 182 Tué tu as mon cceur dolente lente; Régente gente en la presente sente, Natente atente or nay eu ta morsure Par ta mort sure ardure dure dure'). Cretin, dun bout a l'autre de 'ses ceuvres, se tourmente a faire nmer ensemble, non pas une et même deux syllabes de chaque vers, mais un ou plusieurs mots tout entiers. Chez lui, ce qui devrait n'être qu'une agréable cadence, devient un tintamarre etourdissant; la pensée disparaït au milieu du bruit, et il faut convenir que la perte n'est pas grande pour le lecteur2). Les théoriciens de 1'époque ont soin de commenter longuement ces elucubrations. Tout le mérite des Meschinot, des Cretin, des Molinet. consiste a éblouir le lecteur par des artiflces puérils et rafflnes; ils croient avoir fait merveille quand ils ont donné a leurs pièces la forme d'un triangle ou d'une fourche; ils s'évertuent a chercher les combinaisons de rimes les plus extravagantes et jouent avec les mots comme un jongleur avec ses billes. Mais Fabri consacre la plus grande partie de sa Poétique a ces jeux de- mots. „La plus noble et excellente rithme, afflrme-t-il, se faict de termes équivoques"; et il part de la pour déBnir la rime entrelacee, la rime annexée, la rime rétrograde. etc. L'art poétique que Gracien du Pont publia en 1539 se rattache également a I ecole de Cretin et de Molinet. L'auteur renchérit encore sur babri; il le reprend d'attacher tant de prix a la rime léonine simple et atteste „qu'il y a mainctz aultres termes et rithmes plus nobles, difflciles et superieures comme coronees, retrogradees etc " Pour lui, toute rime est d'autant plus belle qu'elle impose plus de gene. II recommande un certain nombre de formes que son . ') Cf. Jusserand, Ronsard, p. 32. =) Sainte-Beuve, Tableau historique, p. 18. _ „Dans les poésies de Cretin, dit Pasqu.er j ai trouvé prou de rimes et équivoques, les lisant, mais peu de raisoncar pendant quïl s'amusoit de capüver son esprit en ces entrelacs de paroles, il perdoit toute la grace et la liberté dune belle composition". - Recherches VII 12 passage cité par Hatzfeld et Darmesteter, Le seizième siècle en France, pp.' 82-83.' SfaS T 1£ PP' 85""86: •J-'-WVoque... tend sans cesse a envahir une syllabe de plus. Ou sarrêter? Visiblement Guillaume Cretin et ses meilleurs élèves auraient souhaité ne ,point sarrêter du tout, arrêter la perfection du genre, réaliser des vers-rimes, qui eussent présenté, sur deux rangees horizontales, une série de son* .denhques. Mais la chose est-elle possible? Presque possible. Voyez plutöf 183 devancier lui-même avait omises, les rimes concatenées, fratrisées, emperiêres, réciproques Marot exécute parfois les mêmes tours de force que les Rhétoriqueurs. Chez lui aussi il y a des rimes couronnées: La blanche colombelle belle Souvent je vais priant, criant; Mais dessoubs la cordelle d'elle Me jecte un ceil friand, riant des rimes annejcées, fratrisées ou enchainées: Metz voyle au vent, single vers nous, Caron, Car on t'attend; et quand seras en tente Tant et plus boy, bonum vinum carum 3)} Quant cessera mautemps? Incontinent Qu'en cepz sera desir incontinent, Desir entends cueur de vain et lasche homme Desirant temps qu'heure vienne, et la chomme,.. Delaisse aller ces propos et que j'oye De les saller pour un temps quelque joye, Cretin, Poésies, 230. Nous sommes sur le sommet, le miracle est accompU, et I on serait attendri. je pense, par ce labeur minuüeux, si 1'on ne remarquait pas que la pauvreté du fond est proportionelle ici a la complexité de la forme". Pour d'autres exemples, voir Guy, op. cif., pp- 86 sqq. ') Pellissier. L'Art poétique de Vauquelin de la Fresnaye, pp. VI, sqq. — U. aussi H. Zschalig, Die Verslehren von Fabri, Du Pont und SjbOet, Leipzig, 1884. *) Êd. Jannet. II, p. 176. — C'est la rhétorique a douMe queue ou lacouronnée par douWe unisonance des Arts de 2e Rhétorique, pp. 225, 283, 318-319. Cf. Fabri, II, 45; Gracien du Pont, Art et science de rhétorique matrifiée, Toulduse, 1539. P XLVI, 1°. — „Couronnée est nommee la ryme en laquéle ou l une seule' ou lés deus ou trois derniéres syllabes du carme faisans mot, ont estéaussy derniéres de la diction lés précédent". - SebÜlet, Art poétique, P. 199. Elle est tres employée par Molinet et Cretin. Cf. Guy, op. cit, p. 86. =) Êd Jannet, III, p. 12; cf. II, pp. 175-176. Cf. aussi L'Infortuné (?), Le Jardin de Plaisance et fleur de Rhétorique,' Paris, 1506, f° XIII y°; Fabri. II, p 44 • Gracien du Pont, f0 XL. - „Annexée est ditte la ryme en laquéle. les vers sont anexéz, en sorte que la dernière syllabe du précédent commence toujours le suivant; ou lés mos ftnissans et commencans lés vers sont telz, qu'appellent lés Latins, Conjugata, c'est a dire descendans d>ne mesme racine... Fatrisée est nommée celle en laquéle lés vers fraternisent de téle maniére que le dernier mot du Carme précédent est répétée entier au commencement du metre suivant, soit en équivoque, ou autrement... Enchainée est celle ou lés vers sont enchainés par gradation". — Sebillet, pp. 196 sqq. 184 des rimes concatenées 1), batelées: \ Quand Neptunus, puissant dieu de la mer, Cessa d'armer carraques et galées. Les Gallicans bien le dtorent aymer Et réclamer ces granz ondes salees *); des rimes senées: • • C'est Clement Contre Chagrin Cloué, Et Est Estienne Esveillé, Enjoué. II nous donne des rimes équivoquées jusque dans des pièces seneuses telle que le Temple de Cupido: L une maudit par angoisse tres dure Le jour auquel elle se maria; L'autre se plaint que jaloux mari a; Et les saints mots que I on dit pour les ames, Comme Pater et Ave Maria, C'est le babil et le caquet des dames4). Nous citons enfin YEpistre „que Marot adressa au Roi, étant encore fort jeune vers 1518 et qui commence par ces vers que Kabelais a ïmites: H En m esbattant je fais rondeaux et rithme Et en rithmant bien souvent je m'enrime... Etv celle au chancelier Duprat (1527): Puis qu'en ce donc tous aultres precellez Je vous suppli', tres noble Pré, scellez Le mien acquist: pourquoy n'est-il scellé *) couoSt' sT""' P" 242' ~ "C°ncatenée —- la rime en laquéle les coupletz se survans ^ont concatenés en sorte que le suivant se commence par le dernier vers du précédent". ^ Sebillet, p. 195 *■ 237 ^8^'BatW68'"' ? T ^ 2e Rhét°^- PP-97. 99-100, 222, tZL ~ saPPelle la ryme, en laquéle aus vers de dis svlIafcJ 2?sm rppe ou hémistichcestrymte ia-y-riïcS^ %its y 9U6KS hora les BaIades etchans -ya-". ^e;; TÉd. Jannet, II, P. 137; cf. I, p. 136. Cf. aussi Gracien du Pont, f°XXXIV _ „Senée est celle en laquelle ou tous lés vers du couplet, ou tous les moV^' commencent dWe mesme lettre", - Sebillet. p. 198. V^ZS*"^ Mo,s x£ z sjj ~u même ,eu de mots * ■ • t PP- H9, 189; cf. Godefroy. Histoire de la littérature 185 En revanche on trouve dans les poèmes de Marot des rimes qui ne rappellent aucunement les complications inventées par les Rhétoriqueurs, è preuve les stances suivantes, „oü la netteté lumineuse s'allie a tant de grace melancolique"1), et oü les rimes harmonieuses et simples n'entravent point la libre évolution de la période: Puisque de vous je n'ai autre visage. Je m en vais rendre hermite en un désert, Pour prier Dieu, si un autre vous sert, Qu'autant que moi en votre honneur soit sage. Adieu amours, adieu gentil corsage, Adieu ce teint, adieu ces friands yeux! Je n'ai pas eu de vous grand avantage. Un moins aimant aura peut-être mieux2). Avec Marot, nous arrivons donc a une bien plus haute conception de l'art et de la poésie que ne pouvait être celle des Rhétoriqueurs, et la génération suivante va continuer la tradition du poète de la première Renaissance. Héroët, Bouchet, Scève, Théodore de Bèze, Pontus de Thiard, Pasquier, après avoir imité avec Marot les Molinet et les Cretin, finissent par seconder 1'ceuvre de Ronsard. „Nous rencontrons chez eux toutes les combinaisons de rimes et tous les jeux de mots que Fabri recommande avec tant de complaisance, mais ces stériles billevesées ne forment au moins qu'une partie de leur oeuvre3)". Cette idéé plus noble que 1'école de Marot se fait de la poésie trouve aussi son expression dans 1'Arr poétique de Sebillet. Car, bien que Sebillet regarde la rime équivoquée comme „la plus élégante" et „la plus poignante 1'ouye"i), bien qu'il indique tous les genres de vers que Fabri et Gracien du Pont avaient dénnis: rimes fratrisées, annexées, cohcaténées, etc, il les relègue, ces derniéres, a la fin de son oeuvre, „tout a fait comme quelque chose de purement accessoire" °). Du Bellay, dans sa Deffence, fait un pas plus loin. Tout en recommandant la rime riche, il proscrit la rime ') Faguet, op. cit, p. 67 ; cf. Sainte-Beuve, op. af., p. 30. ") Éd. Jannet, II, p. 192, Chanson XXXIV. ^ Pellissier, op. cit., p. X. 4) Sebillet, op. cïf:, p. 63; cf. Sainte-Beuve, op. cif., p. 18, n. '1. \ 5) Pellissier, op. cit., pp. XIII—XIV; cf. Chamard, Joachim Du Bellay, p. 92 ;Bourciez dans l'Histoire de laf Langue et de la Litt. franc., III, p. 134. 186 équivoquée en ces termes* „Quand je dy que la Tythme doit estre riche, je n'entends qu'elle soit contrainte et semblable a celle d'aucuns qui pensent avoir fait un chef d'ceuvre en francois quand ils ont rymé un imminent et un eminent, un misericordieusement et un melodieusement, et autres de semblable farine, encores qu'il n'y ait sens ou raison qui vaille. Mais la rythme de notre poëte sera voluntaire, non forcée: receüe, non appellée: propre, non aliene: naturelle, non adoptive: bref, elle sera telle, que le vers tumbant eh icelle ne contentera moins 1'oreille, qu'une bien armonieuse musique tumbante en un bon et parfait accord. Ces équivoques donq' et ces simples rymez avecques leurs composez, comme un baisser et abaisser,... me soient chassez bien léing: autrement, qui ne voudroit reigler sa rythme comme j'ay dit, il vaudroit beaucoup mieux ne rymer point, mais faire des vers libres1). Ronsard, lui aussi, rejettera tout a fait les rimes artificielles des Rhétoriqueurs. II recommandera plus tard que la rime soit „résonnante et d'un son entier et parfait", il veut que 1'on soit „plus soigneux de la belle invention et des mots que de la rime2)". Voyons cependant comment il a appliqué ce principe dans ses premiers poèmes, et plus spécialement dans les Amours de 1552, 1553: 1°. Les rimes équivoquées et ultrariches ne sont pas rares dahs les premiers sonnets du poète vendomois3): 0 ) Deffence, p. 263. — Du Bellay s'oppose ici a Jacques Peletier; celui-ci „adore les rimes riches, et passera a la posterité pour avoir fait rimer mélodieusement avec miséricordieusement, et se croit bienveillant de ne point mepriser tel poète qui a mis avantage pour rimer a dommage". — C.-D. d'Hericault chez Grépet, Les poètes francais, I, p. 633; cf. Laumonier, L'Art poétique de J. Peletier du Mans {Revue de la Renaissance, 1901, pp. 258 sqq). — Ronsard évite aussi de faire rimer le simple avec le composé, rime permise par Sebillet et ses prédécesseurs, recommandée même par Fabri (II, 4). *) Art poétique, éd. Blanchemain, VII, p. 326. T Pour Sebillet ces,rimes sont équivoquées et riches; „La première s'appelle Equivoque et se fait quant lés deus, lés trois ou lés quatre syllabes^ d'une seule diction assise en la fin d'un vers sont répetées au carme symbolisant, mafs en plusieurs mots" (p. 62). — „La'seconde espéce de ryme est appellée, riche, a cause de son abondance et plenitude et est celle de deux ou plusieurs syllabes toutes pareilles, mais en divers mos... Ceste sorte de ryme est souvent usurpée de Marot, Saingelais, Salel, Héroet, Scéve" (pp. 63—64). Les prédécesseurs de Sebillet 1'appellent aussi léonine, magistrale, parfaite, consonant, personant etc. Cf. l éd Gaiffe, p. 64, n. 2. 187 Ex.: Penelée: recclée, IV; sourcy: racourcy, XXIII; mespris: épris, Cl; épan: dépan, CIII; saisie: fantaisie, CIV, CCIX; deshonneste: admonneste, CV; adorée: la dorée, CXVI; Roger: leger, CXXV; marcher: archer, CXXVII; volonté: surmonté, CXXXIX; fortunée: fut née, CXL; dedans moy: dedans toy, CXLI; danger: estranger, CXLVI; depiter: Jupiter, CXLIX; parolle: carolle, CLXIX; la vy: ravy, CLXIII; chastement beau: chaste flambeau, CLXXII; valée: salée, CXCIII; arrivé: la rive, CXCVIII; esbranle-rocher: approcher, CCVIII. 2°. Elles sont surtout fréquentes, lorsque les deux mots rimants se terminent par le même suffixe, ont la même flexion: Ex.: Avenir; souvenir, Vceu aux Muses; desbandoit: espandoit: tendoit: descendoit, III; verdelets: jumelets, VI; secourir: mourir, XII, XLV, CX, CLVII, CCXX; passagere: messagere, XV; decocher: rocher: approcher, XVI; fleuriront: periront: fletriront: se riront, XIX; jaunissant: glissant: blandissant: ravissant, XX; pouvoir: esmouvoir, XXVIII, CXXXVIII, CLXXXVIII; pitoyable: croyable, XXXIII; ma vigueur: sa rigueur, XXXV; lamentois,: chantois: enchantois: sentois, XXXVI; doucement: commencement: lentement: gentement, XXXVIII; esperance: perse.verance, XLIII, CXIX; crespelu: fosselu: esmoulu: voulu, XLVIII; inimitié: moitié: amitié: pitié, LUI, CLXVIII; vieillard: sommeillard, LVIII; verdoyantes: ondoyantes: rousoyantes: blondoyantes, LXVI; enchanteresse: pecheresse: vangeresse: charmeresse, LXXIII; poureux: langoureux: amoureux, CXXXI; beauté: nouveauté: cruauté: loyauté, CXXXIV; greigneur: Seigneur, CXXXVII; seduisant: conduisant: luisant: lisant, CLXVIII; eslanca: offenca: commenca: panca, CLXX; accoustumé: emplumé: allumé, CLXXV; injurieux: furieux, CLXXXVII; Adonien: Telamonien, CXCV; saison: maison: poison: raison, CXCIX; ventueux; impetueux: tumultueux: tempestueux, CCXIV; pourrois: mourrois, CCXV; mourra: demourra, CCXVI. 3°. Le nombre des rimes riches est considérable: a. Consonne + voyelle + consonne: Ex.: veinqueur: cceur, I, IV, XXVI. XXXV, XLIII, LVIII, CCXIII, 235; demeure: meure, I, XVII, XLIII, LXII, LXXX; rebelles: belles, II, CLXXVI; Cassandre: cendre: descendre, IV; ombrage: rage, IX; regrette: traite, XIV; illumine: achemine, XVIII; traverse: verse, XXI, CCI; porphyre: Zephyre, XXIII; 188 race: embrasse: grace, XXIV; terre: grand erre, XXXI; adore: Pandore, XXXII; decore: encore, ib.; Loir: douloir, XXXVI; travers: divers: ouvers: univers, XXXVII; encordelle: d'elle, XXXVIII; Maistresse: tresse. XLVI; sugette: gette, XLVIII; charites: escrites, ib.; terre: laschement erre, LUI; mort: mord, LV, LXIII, CLXXVI; mon estre: fit naistre, LVI; plonge: alonge, LVIII; d'ire: dire, LXVI; gracè: Thrace: Horace, LXXII; preuve: treuve: abreuve, LXXIV; empire: respire, LXXVI; enflame: lame. LXXIX; machine: eschine, LXXXVI; entrelasse: delasse, CIV; approche: croche, CVII; s'alente: plante: violente, CIX; tente: contente: tante: attente, CXI; Saulaye: playe, CXXVJ; temple: contemple, CXXXVIII; gloire: Loire, CXXXIX; excelle: pucelle, ib.; esveille: merveille, CXLIII; inhumaine: emmeine, CXLVI; arriere: entiere: fiere, CXLIX; Erymanthe: vehemente: tourmente: augmente, CLV; ma face: me face, CLVII1; secretaire: taire: altere, CLXV; celle: estincelle: recelle: excelle, CLXVII; retraite: Crete, CLXVIII; humaine: Alcméne: promeine, CLXXII; en elle: éternelle, CLXXVI; Virgile: fragile, CLXXXVIII; delle: Dele., CCXV; O vide: vuide, 234; desseinter sainte, 241; orenge: étrange: range, 242. b. Consonne -4- voyelle: Ex.: Oublie: lie, III; supplie: relie, XII; esmoy: moy, XXIII. LXVI; don: Laomedon: brandon: guerdon, XXIV; vie: asservie: ravie: envie, XXV; nom: sinon, ib.; deliés: piés, XXXII; talons: blons: lons, XLI; tetin: destin, XLIV, 232; bien: lien: mien LI, XCVII, CLXXXI, CCXXVI; inhumain: main, LVI; lois.' carquoisj ardois: vois, LVII; separée: Cytherée: sacrée: recrée, ib.; beau: flambeau, LXIV, CXIV, CLXXII, CXCIV, 239; choisie: poësie: Asie, LXXI; je vy: ravy: envy: assouvy, XCII; liberté: escarté, CXI; ront: front, CXIII; bien: Tyrien: rien, CXV; Latmie: endormie, CLII; auprès: Cypres, CLIV; des-vie: vie, CLXIII; but(s.): but(v.): Sabut: tribut, CLXVI; rabatue: tue: s'esvertue, CLXX; chargée: Egée, CLXXI; souvent: vent, CLXXX; blanc: flanc, CXCII; arrondis: paradis, CXCIII; adoucies: propheties, CC; esclos: 1'os: flos, CCXII. 4°. Dans cette catégorie encore, plusieurs mots qui riment entre eux ont le même suffixe, la même terminaison substantive ou verbale: Ex.: a. Crystal: metal, Vceu aux Muses; retif: captif, XII; rigueur: langueur, XXII, CLXIX, CLXXVI. CXCVII; abondance: 189 prudence, XXXII; onnes: ivoirines, XXXVII; devoir, avoir, XXXIX; écloses: encloses, XL, CLXXVII; fossette: grassette, XLVIII; encloses: décloses, LX; découvers: ouvers, LXVI; racine: medicine, LXX; avoir: voir; pouvoir: recevoir, LXXIX; offrir: souffrir, CV; ardeur: verdeur: grandeur: odeur, CVII; Tyrien: Cytherien, CXV; fleurette: Cassandrette, CXVI; perseverance: ignorance: demeurance: esperance, CXIX; criminel: paternel, ib.; Troyenne: Pehenne, CXLII; pasture: nourriture: nature: peinture. CLVII; Angelette: seulette: verdelette: nouvelette, CLXIII; première: coustumiere, CXCI; coustume: amertume, CCXV; malice: police, 243; fanatique: poëtique: Attique: fantastique, 260. b. Devoit: avoit: cöuvoit: esmouvoit, II; descendue: esperdue. ib.; yeux: cieux: Dieux, V et passim; amitié: moitié, XVII; intention: passion: affection: perfection, XXI; conduit: seduit, ib.; clarté: liberté: beaulté: loyaulté, XXV; doucereux: savoureux: plantureux: amoureux, LIV; Panen: Deinen, LXXI; esmouvoit: pleuvoit, CXIV; songeant: logeant: s'allongeant: nageant, CXLIII. Ou bien, les mots sont rapprochés par le sens: Ex.: a. Malheur: douleur, I, XXXIX, CXX; name: enflame, III, LXXV, CXVIII, CLXXXIV, CCVII; soudart: dard, IV; couleur: fleur, XVI, LXI, CXXXIV, CLX; flgures: aügures, XXII; a 1'entour: tour, XXIX; lamente: tourmente, LVII; detrempe: trempe, LXVII; fort: eflbrt, LXXX; dispose: compose, LXXXI; memoire: gloire: victoire, CVIII; renforce: force, CX, CCXIII; compasse: passé, CXXXVI; licol: col, CLXXXVII; alarmes: larmes, CCXIX. b. Delié: lié, XVII; contrahit: refraint, XXI; temps: printemps, XLIII, CXXII, CXLIII, CCI; s'aisla: s'envola. LXXIV. 5°. Nous citons encore quelques rimes dont les voyelles sont suivies de la même consonne: Affole: idole, Vceu aux Muses; surmonte: honte: pronte: donte, I; ailes: immortelles, II; ire: Epire, VIII; dure-: peinture, IX; peine: Sereine: fontaine: humainerXVI; encloses: métamorphoses, ib.; fable: sable, XIX; sonde: abonde: monde: profonde, XXI; souspire: porphyre: se mire, XXIÏI; onde: vagabonde: monde: blonde, XXVI; abuse: Meduse, XXXI; trousse: douce: pousse, XXXVIII; s'habille: entortille: fille: coquille, XLI; flèche: bréche: méche: seche, XLVII; apporte: forte: sorte: escorte, LV; Naïade: verdugade: malade: ceillade, LXI; taire: ulcere, LXV; 190 estime: rime LXXII; cuide: vuide: liquide: bride, LXXXIgnef: clef: chef: nef, XCVIII; morte: apporte: escorte: sorte. Cl; Mmerve: serve, CV; reconforte: porte: morte: accorte. WUH; Lyre: remire: aspire: martyre, CXXIII; desire- ciremartire: contredire, CLXXIII; larme: gendarme, CLXXX; limite- ™X7ite:ueT: Pe"t6, CXCV; m°rte: emP°rte: sor* = forte.' ' Plllardc: 9arde: retarde: regarde, CXCVII; sainctespeintes: estreintes: pleintes, CCII; s'avale: égale, CCXI; peineve1nerhakine: pleine. CCXII; bouche: s'escarmouche: touche:' C^V, *c^ He,leSP°nte: Pronte: 9-nd'honte: surmonte, 6°. Parmi ces derniéres il y en a qu'on pourrait blamer d'être trop rapprochées quant a leur signiflcation ou leur forme étymölogique ma Sa Qui peux soulager toutes nos misères. — C'est toi, tout-puissant Dieu, qui peux nous donner le salut, — C'est toi qui nous donnés la félicité éternelle; — Comment goüterais-)e donc les joies du monde? (b) Noble princesse, que j'ai choisie, — Je vous ai cholsie, je vous ai juré fidélité, — Je 1'ai jurée; je me suis attaché a vous pour toujours, — Je me suis attaché et ne vous abandonnerai pas, — Je ne vous abandonnerai en aucun besoin, jamais je ne manquerai a ma foi, —» Si j'y manquais, mon amour serait déshonnête, — Et éprouver un amour pur, c'est vivre, — Vivre sans mourir. — Je mourrais, si vous me blamiez, — Blamé, je tremble, car vous me gouvernez, <— Vous gouvernez notre amour, ma consolation sublime, — Vous êtes sublimement écrite, empreinte dans mon ame,' — Empreinte fidèlement, maitresse excellente, — Excellente, aimable, veuillez donc répondre a mon amour, — Récompenser ma constance, soyez volontiers auprès de moi, — Mais le désir de mon cceur ne s'accomplit guère. 196 A ■ Aerdich Aerbeyt Alle Artist N N Notabelrecht Natuerlijck Noch seer Neerstelijck Nieuwe leere Niet en Neemt jonste Naeckt A Abel gheest. Als mercurist fier. Acht dan fabel meest, Al hebic gemist hier (a). Ref., II, p. 181. Chez Luc de Heere encore, les rimes artiflcielles des Rhétoriqueurs ne font pas défaut. II y en a non seulement dans ses Refereynen, mais aussi dans ses pièces plus modernes: Want gheen pine ter werelt en can mi verdrieten yet Ja al waerict ooc totter doot toe becnaghende Magh ic ten hende noch eens wat troosts ghenieten riet (b). — H. e. B.,p.76. En met tranen zi tgraf besproyen en nat maken Als minne ianckers die van niet, vele of wat maken (c). — Ib., p. 14. Men seit wel (ö Coninc) dat der fortunen strijt swaer Niet seer veel en comt, oft heur en volgt er altijt, naer Waeraf uwe Maiesteit, wel weet te spreken riet End'ic, die noch Coninc en ben, noch te reken yet Hebt selve gheprouft, en sal u vertellen wel Hoe mi qua fortuynen, d'een op d'ander quellen snel (d). — Ib., p. 84. Jalours Liefhebber van Minervams camerieren, Wilt heur so pingieren, met u hemelsce penne Dat men heur proprieteit, wesen ende manieren End' ooc u excellentie daer ut bekenne (e). — Ib., p. 45. Le plus souvent, cependant, elle est bien plus simple que chez ses devanciers. Elle consiste dans 1'identité des voyelles de la dernière syllabe accentuée, avec tout ce qui suit, consonnes et syllabes atones. Les rimes oü la consonne d'appui est identique pour les deux mots ne sont pas trés nombreuses: (a) Anna, esprit gentil, remarquable, naturel, capable, — TraVaiUe toujours trés diligemment comme une noble poétesse, — Elle tient le plus souvent toute nouvelle doctrine pour fable, <— Vous, artiste, jugez-moi uniquement selon mon mérite, quoique j'aie failli parfois. (b) Car nulle peine au monde ne peut me rebuter, — Quand même le chagrin me rongerait jusqu'a la mort, — Pourvu qu'a la fin je goflte un peu de consolation. (c) Et ils arrosent la tombe de larmes, — Comme les amoureux qui, dans leurs plaintes, font grand cas de rien. (d) Voir YAppendice Ui. (e) Jaloux amant des chambrières de Minerve, — Veuillez les peindre si bien, au moyen de votre plume céleste, — Qu'on y retrouve leur caractère propte, leur être, leurs manières, — Et qu'on y voie aussi votre supériorité. 197 Ex.: Waren: bezwaren (p. 7); wreed: breed (p. 8); ghelijckelic: publijckelic (p. 10); verwinnet al: int ghetal (p. 11); leven: ghebleven (ib.); vrauwen: ontrauwen (p. 12); croonen: patroonen (p. 13); gescriven; bedriven (p. 15); alleene: cleene (p. 17, 60, 78); plagh: lagh (p. 30); groot: root (p. 31, 54); ruut: cruud (p. 33); becliven: bliven: liven (p. 52); lack: clack (p. 53); vrauwe: ghetrauwe (p. 54); swaer: waer (p. 55); draecke: achtersprake (p. 60); ghemaect: smaect (p. 65); riet: verdriet (p. 70); stellen: vertellen (p. 77); wesen: verwesen — Un rédempteur, par son sang, — Én combattant vaillamment. Combattons donc bravement sous ce capitaine, armons-nous avec zèle; — Alors lui nous donnera la couronne de la victoire, — Si nous combattons vaillamment. 228 mais telz que lés deus vers premiers de chaque cinquain fraternizent en ryme platte: le tiers et quart tout ainsi, mais en autre terminaison et le cinquiéme symbolise avec lés deux premiers. Le second couplet est de trois vers, de ryme consonante aus trois premiers du premier couplet". Les exemples de ce type sont fort nombreux chez Marot. Les vers sont de dix syllabes; le refrain peut être de quatre syllabes]), de trois ou de deux2). Ou bien, ce qui est plus rare, les vers des couplets successifs sont de huit syllabes, le refrain de deux a cinq syllabes s). 2°. Type aabballaaRllaabbaR. Ex.: Rondeau LXV, dont les vers sont de dix, le refrain de quatre syllabes. 3°. Type a b a b II b a RII b a a b R. Ex.: Rondeau LXX. 4°. Type abball abRII abbaR. C'est le Rondeau simple de Sebillet: „Le Rondeau simple ha quattrain en premier couplet, et quattrain en dernier, unisones, dont lés premiers et derniers vers symbolisent, et lés deus du mylieu demeurent en ryme platte. Le second couplet n'ha que deus vers resemblans en ryme lés deux premiers du premier couplet: et reprend on après le second couplet, et en la fin du tiers le premier vers du premier, ou seulement 1'hémistiche"4). Ce type de Rondeau peut être en décasyllabes5) ou en octosyllabes6), avec des refrains de deux, trois ou quatre syllabes. Le Rondeau VIII, qui est en octosyllabes, a pour premier refrain tout le ') Epistre ii (deux Rondeaux, le premier ayant un refrain de trois syllabes, le second un de quatre); Rondeaux i, ii, iii, iv, v, ix, x, xi, xii, xiii xiv xv xvi, xvii, xvni, xix, xx, xxii, xxni, xxiv, xxv, xxvi, xxvm, xxix xxx, xxxi. xxxn, xxxiii, xxxvi, xxxvii, xxxvin. xlii, xun, xlv XLVI, XLVH, XLVni. XLIX, LI, LH, LUI, LIV, LV, LVI, LVII, LVIII, LIX, LX, LXI, LXH, LXm, LXVI, LXXI, LXXIII, LXXVII, LXXVIII, LXXX-! Estrene i. — Cf. Mellin de Saint-Gelays, éd. Blanchemain, i, pp. 89, 90; ii, 257 269, 304, 305, 306, 307, 308, 309, 310, 312, 313, 314; iii, 87. ") Rondeaux xxxv; xxxiv, lxvhi, lxix; cf. Mellin de Saint-Gelays, éd. Blanchemain, i, pp. 87, 304, 311. *) Rondeaux xxxix, xl, xliv, l, lxxvi; cf. Mellin de Saint-Gelays, i, p. 316. 4) Éd. Gaiffe, p. 123. ') Rondeaux lxxii, lxxiv, lxxv. 6) Rondeaux vi, vii, xxvii, xli. 229 premier vers, pour second refrain le premier hémistiche du premier vers. 5°. Type abball abABII abbaAB. Ce schéma, qui fait songer au type 3' de Matthieu de De Casteleyn 1), est représenté par le Rondeau du Guay de Marot, en vers octosyllabiques. 6°. Type ababll babA II abaB, etc. Les vers sont de dix syllabes. Ceux de la première strophe se retrouvent successivement a la fin des quatre strophes suivantes; a la sixième strophe s'ajoute aux quatre décasyllabes un vers tétrasyllabique qui est le premier hémistiche du premier vers du Rondeau. C'est le Rondeau parfaict LXYH de Marot, décrit par Sebillet sous le nom de Rondeau redoublé ou parfait2). Le Rondeau ne figure pas chez les poètes de la Pléiade. Déja Jacques Peletier du Mans ne lui accorde pas la moindre attention. Ses CEuvres poétiques n'en renferment pas un seul specimen, et dans son Art poétique il dit: „Combien de tans a été notre langue languissante an barbarie, povreté et contannement!... Combien longuement a ele sofistiqué au Balades, Rondeaux, Lez, Virelez, Triolez e s'il i an a de téz"3)! On sait quel mépris Du Bellay témoignait pour ces „episseries" de la vieille école4). Le Rondeau, dès lors, disparaït, et est supplanté par le Sonnet, que Luc De Heere va cultiver aussi. Mais les Sonnets du poète flamand sont aussi irréguliers que son Rondeau „francais". Au point de vue de la succession des rimes ils appartiennent a quatre types différents: 1°. Type ababll bcbcll cdcll cdd. C'est un huitain, combinée avec un sixain tel qu'on le trouve dans 1'Étrenne An me Vrauwe d'Utenhove van Ypre. Sonnets qui le réprésentent: 1. An mijnen Heere van Watervliet (p. 55), — alexandrins. 2. An M. Pieter de Rijcke, Advocat (p. 56), — décasyllabes. 2°. Type ababll bcbcll cdd II ede. Le huitain est le même que celui du type précédent, les deux ') Voir ci-dessus, p. 227. *) Éd. Gaiffe, pp. 127 sqq. *) Cité par H. Chamard, De J. Peletarii Cenomanensis acte poëtica, these de Paris, 1900. Cf. Laumonier, Commentaice des CEuvres poétiques, p. 183. *) Voir ci-dessus, p. 118. 230 tercets ont subi une modification. Une cinquième.rime s'est ajoutée aux autres, les quatre derniers vers sont groupés comme ceux des deux quatrains. Sonnets: 1. An Joos Borluut, Heere van Boukele, ende an Guillaume ghebroeders (p. 56), ~ alexandrins. 2. An M. Jan van Safle (p. 58). — alexandrins. 3. An Carolum Utenhove, Griecsch, Latijnsch_en Frangois Poëte (p. 58), — alexandrins. 4. Den Autheür tot sijn huusvrauwe (p. 59), - alexandrins. ■ 5. Sonet, van het excellent stick van schilderijen, staende in het hm» vart Jacob Weytens te Ghent (p. 61), - alexandrins. 3°. Type abaall bbcbll ccdll ccd. Encore un huitain joint a un sixain. Quant au sixain, nous constatons que De Heere 1'a employé dans son Épigramme An Cosijnken tsotkin van mijn Heere van Wackene. Le huitain présente une forme que 1'on cherche en vain chez Marot ou Ronsard. mais qui a pourtant une certaine analogie avec le huitain francais, par le fait que les deux quatrains se font pendant sous le rapport de la succession des rimes. Cette disposition se retrouve plus d'une fois dans les poèmes strophiques de De Heere. Elle est d'origine purement nationaleJ), et on remarquera, une fois de plus, la fusion des anciennes formes et des nouvelles, si caractéristique' chez le poète flamand. Sonnets: 1. An M. Laurens de Mets (p. 57), - alexandrins; 2. Sonet ut een Épigramme van Martialis, beginnende Vitam qui faciunt beatricem, etc. (p. 62), - alexandrins. 4o. Type a b b a II a c a c II c d d II e d e. Ce type, variante du type 2°, est représenté par le Sonnet An me Vrau van den Nes, Nazaretten, etc. (p. 60). Dans le premier quatrain les rimes sont embrassées au lieu d etre croisées, et cette circonstance rapproche'lè dernier type du Sonnet francais, surtout du Sonnet irrégulier de Mellin de Saint-Gelays qui va être traité plus bas2>- 11 Présente d'ailleurs le seul exemple d'un quatrain ') Le type de Sonnet que nous discutons est presque identique a une Clause van XIII qui figure dans le Const van Rethoriken, p. 143, et qui présente le schéma abaallbbcbll ccdcll dd. *) Voir ci-dessous, p. 232. 231 a rimes embrassées que nóus ayons rencontrée dans Den Hof en Boomgaerd der Poësien. Et ce fait est digne de remarque, car on sait que la rime embrassée a pris une importance toute particuliêre avec le développement du Sonnet. „Connue dans les Arts de Seconde Rhétorique sous le nom de rime desjoincte, disparse, rime de rondeau ou de virelai1), elle est beaucoup moins employée au XVe siècle que la rime croisée. Ni L'Infortuné, ni Fabri, ni Gracien Du Pont ne traitent spécialement de cette disposition et dans toutes les Épigrammes de Marot il n'y a qu'un seul quatrain de la forme ab b a 2)". Pour De Heere, le Sonnet est donc une pièce de quatorze vers se composant d'un huitain et d'un sixain unis par la rime. Le huitain est formé de deux strophes de quatre vers, le premier vers du deuxième quatrain rimant avec le quatrième vers du premier quatrain. Le sixain consiste en deux tercets, Ie deuxième vers du premier tercet rime avec le deuxième vers du second. Mais les rimes des deux quatrains ne sont ni identiques, ni toujours disposées d'après le même schéma, et embrassées seulement par exception. Le groupement des rimes du sixain ne correspond en aucune facon a celui que 1'on observe dans le Sonnet francais 3). II suffit, pour constater la différence, de comparer les Sonnets de Luc de Heere avec ceux de Marot, de Mellin de Saint-Gelays, de Jacques Peletier du Mans, et du Premier Livre des Amours de Ronsard (1552-1553). Marot, le premier en France, écrivit une douzaine de Sonnets, dont 1'édition Jannet nous offre dix pièces4). II en assimila les six $ Arts de 2e Rh., pp. X, 207, 232, 292. *) Sebillet, Art poétique, éd. Gaiffe, pp. 106, n. 4; 107, n. 1 ; Marot, éd. Jannet, III, p. 23, Epigr. I; cf. aussi H. Chatëlain, Recherches sur le vers franfais au XVe siècle, Paris 1908, pp. 94, 96, 243, 244. .*) La prémière définitidn du Sonnet francais se rencontre chez Sebillet (éd. Gaiffe, p. 116): „De quatorze vers perpetuelz au Sonnet, les huit premiers sont divisez en deux quatrains uniformes, c'est a dire, en tout se resemblans de ryme; et lés vers de chaque quatrain. sont têlement assis que le premier symbolisant avec le dernier, lés deux du mylieu demeurent joins de ryme platte. Les sis derniers sont sugetz a diverse assiette: mais plussouvent lés deux premiers de ces sis fraternizênt en ryme platte. Lés 4. et 5. fraternizênt aussy en rime platte, mais differente de celle dés deuz premiers: et le tiers et siziême symbolisent aussy en toute diverse ryme dés quatre autres". 4) Éd. Jannet, ï. p. 116; III, pp. 59,62,76, 148—151; cf. H. Vaganay, Le Sonnet en Italië et en France au XV siècle, Lyon, 1902-1903; M. Jasinskt, Histoire du 232 dermers a la strophe de six vers qui présentait le plus souventle type aabccb. Les deux premiers couplets étaient des quatrains I'aTJ TÏT"?» id6nti('Ues- Cest *M q«*il obtint le type abball abball ccdll eed1). au^t fTt ^ ^/^^Gelays sont beaucoup plus variés quant a la isposiüon des rimes. Outre le premier type inventé par Marot et qui chez Saint-Gelays est représenté par neuf pièces *) on trouve encore chez ce dernier huit structures différentes: 1°. abball abball cdcll ddc3). 2°. abball abball cdcll dcd% 3°. abball abball cddll cee5). 4°. abball abball ccdll ccd% 5°. abball abball cdcll dee1). 6°. abball abball cdcll ede*). 7°. abball abball cdell ede9). 8°. ababll bccdll deell fef™).' Aucun de ces types na été imité par De Heere, qui, en outre ecnvit le plus souvent des alexandrins. tandis que Marot etSaintGelays se servent presque exclusivement du vers décasyllabique Les quinze Sonne* de Jacques Peletier du Mans qui flgurent dans les CEuvres poétiques de 1547 présentent pour les tercets les combinaisons suivantes: 1° aabllcbc (4 fois); 2°aa*6//ccfc (UOe 3° *ballbcc (2 fois); 4° abcllbac (3 fois); 5° Sonnet en France pp. 34 sqq.; J. Vianey, £e Pétrarquisme en France. p 102- mLTtT^T * PP- 389 sqq. - M. Mol^L^e' Mdhn de Sainet-Gelays eomme le véritable introducteur du Sonnet en France ) Sonnets tradnits de Pétrarque (éd. Tannet UT „„ 148 \ iS , CXLIV, CLII, CLXXXVII. ' PP' 8 ^ ÊPVramm" 1 SantemaiD' !' PP' 78' 281> 285> 291 294' 295' 297' 298; III, p. 112. ) Ed. Blanchemain, I, p. 280,-décasyllabes. 2 Blanchemain' I. P- 283, 290,-décasyllabes. * I ST !*lanchemain' P- 287, 296, 299,-décasyllabes. ) Ed. Blanchemain, I, p. 288,—décasyllabes. 2 ff BJanchemain, I, pp. 262, 301; II, v. 293,-décasyllabes. 3 Éd* ^t61113111* !1' P' 25i-décasyllabes; cf. Molinier.op. cit. pp. 398. 596. ^) Ed. Blanchemain, II, p. 300,-décasyllabes. ) Éd. Blanchemain, I, p. 284,-octosyllabes. syiLS".^: ££?uï n'admet son "* aut--v- * * 233 abc II abc (3 fois); 6° ab allb ab (2 fois). — Le troisième type se rencontre dans trois sonnets de Mellin.de Saint-Gelays, mais comme ces sonnets furent publiés après 1547, Peletier peut légitimement passer pour 1'avoir créé. Les trois derniéres combinaisons sont d'origine italienne; la quatrième, adoptée par Pétrarque dans soixante-huit sonnets, a été condamnée par Peletier lui-même dans son Art poétique paree qu'elle présente deux rimes „trop distamment séparées" *); la cinquième, trés fréquente aussi chez Pétrarque, a disparu pour une raison analogue, deux rimes correspondantes y étant séparées par deux sons différents; quant a la sixième combinaison, si familière aux pétrarquistes italiens, surtout è Tebaldeo et è ses disciples, qui 1'adoptèrent presque exclusivement, on la considéra trés vite en France comme irrégulière, parcè qu'elle se contente de deux rimes2). Le type le plus fréquent dans les Amours de 1552—1553 est le suivant: 1°. Type abball abball ccdll eed\ C est le schéma du Sonnet marotique. II est représenté chez Ronsard par 160 è 170 pièces dont une, le Sonnet 234, se compose de vers alexandrins, tandis que les autres sont en décasyllabes. On remarquera en outre que dans quelques-unes de ces poèmes la différence entre les rimes non-identiques n'est pas toujours trés grande. Ainsi dans le Voeu aux Muses, la rime féminine des quatrains ne se distingue de celle qui termine les tercets que par la marqué du pluriel: molles: escolles: carolles: parolles: affole: idole. Une telle conformité est surtout frappante si 1'on considère que dans plusieurs Sonnets les rimes du premier et du second quatrain, suffisantes pour chaque strophe prise a part, ne sont que faibles d'un quatrain a l'autre1). II y aurait donc lieu de distinguer un: 2°. Type abb all ab b all c c all dd a, et un: 3°. Type abball abball aac II ddc. La ressemblance est assez grande entre la rime masculine du premier et du second tercet des Sonnets I, XXXII, CCVIII. Elle ') Cf. H. Chamard, these latine, p. 50. 2) Cf. Laumonier, Commentaire, pp. 184 sqq. 3) Cf. Peletier, CEuvres poétiques, pp. 78, 79. 4) Cf. les s. VI, LVI, LXXXVII, C, CXIII, CLXXXVII, CCXVII, CCXXXVIII. 234 est parfaite dans \e~Sonnet CXGVIII, ce qui permet denoterun: 4°. Type abball abball ccdll ccd1). Le Sonnet CLII présente une autre variante du type 1°. Les rimes féminines des deux quatrains ne sont pas les mêmes. Cette différence est assez remarquable pour donner lieu a uri: . 5°. Type abball ace all ddell ffe. A propos de cette disposition de rimes il faut rappeleïs quïil n'est pas rare de trouver une légere divergence entre les rimes embrassées du premier et du second quatrain. Nous avons cité plus haut un certain nombre de Sonnets oü les rimes, suffisantes pour chaque quatrain pris isolément, ne le sont pas pour lescleüx strophes ensemble. Dans d'autres pièces les rimes sont riches et même ultrariches pour chaque quatrain, suffisantes seulement si 1'on compare les deüx touplets \ Le grand nombre d'exemples exclut tout hasard, d'autant qu'on pourrait citer encore des rimes riches et ultrariches oü la consonne d'appui ou 1'avant-deröière syllabe sont différentes pour les deux quatrains. 6°. Type abball abball ccdll ede. C'est le type „régulier" du Sonnet francais. II se rencontre dans les Sonnets IV, VI, VIII, XII, XXX, XLVI, XLVII, LVIII LXV, LXVII, LXXVI, LXXXVI, XC, XCVHI, CIII, CXVII, CXXII, CXXX, CXLVI, CLXVIII, CLXXX, CLXXXV, CLXXXVIII, CXC. CXCIV, CXCIX, CCXI, CCXX, 237, tous en vers décasyllabiques, et dans le Sonnet 235, oü le vers de dix se trouve remplacé par 1'alexandrin3). XIV Conclusion de la Quatrième Partie de cette étude, .,',*! - Parmi les réformes, préconisées par Luc de Heere dans la prosodie néerlandaise, une des plus importantes est la régularisation ') C'est le type 4° de Mellin de Saint-Gelays. *) Cf. les s-I, III, IX, XXII, XX.VIIi, XXIX, XXXIV, XXXV, XLIII, XLVIII LH, LXV, LXXII, CX, CXI, CXX, CXLVI, CXLVII, CLXXI. CLXXVLCLXXVIl' CXCI, CXCV, CCII, 243. — Un cas semblable se presente pour les rimes a dans les s. XIII, XIV, XV, XXXII, CXXIX, etc. 3) Le premier sonnet francais en alexandrins est le centième du recueil de PhilUeul de Carpentras (1548); cf. Jasiusky, Histoire du Sonnet en France. pp. 99 sqq. / , , 235 du vers, auquel-il assigne un nombre flxe de syllabes, tandis que Matthieu de Casteleyn permet a ses élèves de varier ce nombre comme il leur plaït. Cette üïnovation a pour premier résultat de rendre le rythme du vers plus sensible a 1'óreille, surtout si 1'égalité du nombre syllabique se combine avec la régularité de 1'accent. Elle permet ensuite une plus grande variété dans la structure des strophes. Mais, comme c'est un élément étranger a la versiflcation néerlandaise, qui se base avant tout sur 1'accent de force, elle fait proscrire bien des vers d'uné forme et d'un rythme irréprochables au point de vue esthétique. Ce qui n'empêche pas que la règle posée par De Heere a été observée pendant quatre siècles, et que depuis une quarantaine d'années seulement on a cessé de s'y conformer, pour renouer la tradition du moyen age. Toutefois, même en admettant, tantöt 1'élision, tantöt la prorion^ ciation de 1'e sourd, même en multipliant les cas de synalèphe ou de diérèse, on constate que De Heere lui-même s'est écarté de la flxité du nombre syllabique, chaque fois que 1'accent assure sufflsamment le rythme du vers, que 1'expression 'poétique le rend nécessaire, ou qu'une tradition séculaire et 1'exemple dé ses devant ciers 1'y amènent. L'influence de la versiflcation francaise, incontestable sous plus d'un rapport, se fait ici le mieux sentir dans lé décasyllabe. Quant aux vers de six et de huit, ils sont déja assez réguliers au moyen age, tandis que l'alexandrin, a 1'époque oü De Heere 's'inspire de Marot et de Ronsard, était d'un usage restreint dans la poésie francaise. L'alexandrin du Rhëtoriqueur flamand est le long vers néerlandais, régularisé sous l'influence du principe du nombre égal des syllabes. Le besoin de se conformer a la prosodie francaise produit son effet sur 1'accentuation aussi bien que sur le nombre syllabique, et c'est encore dans le vers de dix que cette tendance se manifeste le plus clairement. On voit la coupe 4 + 6 s'introduire peu a peu a cöté de celle de 5 + 5, qui est celle du vers moyen-néérlandais; on en trouve déja des specimens avant De Heere, et d'une structure parfois fort régulière. Le manque de régularité tonique obligeait les Rhétoriqueurs néerlandais de recourir a d'autres moyens, tels que rallitération et 1'assónance, les rimes intérieures, les rimes finales ultrariches, pour assurer la chute de leurs vers. A mesure que 1'accent se stabihse, appuyé par la régularité du nombre syllabique, la rime peut devenir plus simple, et tandis que Matthieu de Casteleyn et Anna Bijns se complaisent 236 encore aux rimes extravagantes des Rhétoriqueurs, De Heere suivra 1'exemple de Marot et de Ronsard en rejetant de plus en plus ces élucubrations. II fait un emploi relativement restreint des rimes intérieures, et s attaché a terminer le vers d'une facon simple et harmonieuse, tout en abusant un peu des mots étrangers qui, au point de vue intelléctuel. donnent trop souvent chez lui des rimes insuffisantes. Déja Matthieu de Casteleyn, d'ailleurs, reCömmande de n'utiliser la rime ultrariche que lorsque le sens de la phrase poétique le permet. Les Rhétoriqueurs néerlandais négligent généralement la règle de l'alternance des rimes masculines et féminines, et De Casteleyn, pas plus qu' Anna Bijns, ne s'y astreint. Marot 1'observe seulement dans les poèmes qu'il destinait a être chantés, et spécialement dans sa traduction des Pseaujnes. Ronsard 1'a pratiquée le plus souvent, et il a flni par 1'ériger en règle absblue. Quant a De Heere, l'alternance des rimes masculines et féminines se rencontre assez sporadiquement dans ses Odes, ses Épigrammes et ses Sonnets. L'enchainement des strophes par la rime est fréquent chezl'auteur de Den Hof en Boomgaerd der Poësien; a eet égard il a imité, non seulement ses prédecesseurs néerlandais, mais aussi Marot et Mellin de Saint-Gelays, qui remet la ferza rima a la mode. Ronsard rejeta les systèmes dont les strophes étaient enchainées par une rime isolée dans la strophe; chez De Heere l'enchainement ne fait défaut que dans deux Odes et dans les Invectivae, An eenen Quidam Schilder. Les Odes de Luc de Heere sont des pièces polystrophiques dont les couplets successifs ont la même combinaison de rimes. Le Rhëtoriqueur flamand en emprunte Ie nom a Ronsard; il concoit l'Ode, non comme un chant lyrique ayant pour but d'exprimer les sentiments de 1'amour, telle que 1'avait définiè Thomas Sebillet, mais comme un poème divisé en strophes, a sujets héroïques; mythologiques ou érotiques. telle que la veulent les poètes de la Pléiade. Ses Odes sont loin d'être parfaites. II y manque 1'égalité du nombre syllabfque pour les vers qui correspondent dans les strophes successives et. dans deux poèmes, l'alternance des rimes masculines et féminines qu'il aurait fallu pour les approprier a une mélodie invariable. II est probable que, a 1'instar des poètes francais, De Heere a remis en honneur les vers a rimes plates suivies. Quant a la 237 structure de ses strophes, il s'en tient le plus souvent aux schémas déja existants dans la poésie néerlandaise, seuls les types aab ba, abaab, aabab, empruntés a Marot, trahissent une influence étrangère. Dans ses poèmes a forme flxe, il n'observe guère les régies prescrites; ni ses Rondeaux, ni ses Sonnets, ne présentent la forme qu'ils ont chez les poètes francais, ses Sonnets sont plutót des strophes de Refereynen, adaptées a 1'usage moderne. II semble avoir échoué dans sa tentative de douer la poésie néerlandaise d'un type de Sonnet, assez original, assez artistique pour en assurer la viabilité. APPENDICE It MAROT ET DE HEERE. Le Temple de Cupido. Au Roy Frangoys I" (dédicace placée en tête de 1'édition gothique): .... De laquelle grace, Sire, je vous supplie d'user au besoing sur ce mien petit livre, parlant de trois sortes d'amours. Lune est ferme; l'autre legiereet la tiercé venerienne..." Den Temple van Cupido. Waerin beschreven is den haert ende train der wellustighe ende vleesschelicke Liefde, midsgaders der ghetrauwea Liefden natuere ende. wesen. Sur le printemps que la belle Flora Les champs couverts de diverse flour a. Et son amy Zephyrus les esvente Quand doulcement en 1'air souspire et vente, Ce jeune enfant Cupido, dieu d'aymer, Ses yeulx bandez commanda deffermer, Pour contempler de son throsne celeste Tous les amants qu'il attainct et moleste. Adonc il veit au tour de ses charroys, D'un seul regard, maintz victorieux roys, Haultz empereurs, princesses magnifiques, Laides et laidz, visages deiflques, Filles et fllz en la fleur de jeunesse, Et les plus forts subjectz a sa haultesse. Brief, il cogneut que toute nation Ployoit soubz luy comme au vent le sion: Et, qui plus est, les plus souverains dieux Veit trebucher soubz ses dardz furieux. Mais ainsi est que ce cruel enfant, Me voyant lors en aage triumphant, Et m'esjouyr entre tous ses souldars, Sans point sentir la force de ses dards; Voyant aussi qü'en mes ceuvres et diets In den uutcommenden tijt als de schoone [Flora De velden bedeckte med allerleye blommen Daer onder dat Zephyrus (bijzonder in Aurora) Cam al triumpherende, doen zagh ic voort[commen Dat iongh kind d'welc wij ghemeenlic Cupido [nommen Die daer ghebood, datmen zijn ooghen soude [ontbinden Om t'anschauwenê (want dit was van sine • [waerommen) Alle die hi moght onder zijn subjecti' vinden: Doen «agh hi rondom hem alle ménschen [die minden: Coninghen, Princen, Princessen groot en cleene, Aerme, rijeke, iongh, aud, schoon, leelic en [onreene. Metten curtsten, hi zagh datt hem al was subject, Ja zelfs Goden en Goddinnen hoe sterek zij [waren. En mij ziende onder andere, in den fleur perfect Verkeerende onder zijn discipels en dienaren Zonder te ghevoelen eenigh grief of bezwaren Van zjjn pilen, daer hi elcken med tormenteerde: Ende mij oock hoorende in mijn dichten verklaren 239 J'allois blasmant d'amours tous les edicts, Deübera d'un assault amoureux Rendre mon cueur (pour une) langoureux. Pas n'y faillit: car par trop ardante ire* Hors de sa trousse une sagette tire De boys mortel, empenné de vengeance, Portant un fer forgé par Desplaisance Au feu ardant de Rigoureux Refus,. j Laquelle lors (pour me rendre confus) II descocha sur mon cueur rudement. Qui lors cogneust mon extresme tourment, Bien eust le cueur emply d'inimitié Si ma douleur ne 1'eust meu a pitié; Car d'aucun bien je ne fuz secouru De celle la pour qui j'estois feru... Dont congnoissant ma cruelle maistresse Estre trop forte et fiere forteresse Pour chevalier si foible que j'estoye,... Deliberay si fort m'eslongner d'elle, Que sa beauté je mettrois en oubly;... Si feiz dés lors (pour plus estre certain' De 1'oublier) un voyage loingtain; Car j'entrepris soubz espoir de liesse D'aller chercher une haulte déesse ... C'est Ferme Amour, la dame pure et munde Qui longtemps a ne fut veue en ce monde;... Et tant allay celle dame querant Quel peu de temps après ma departie J'ay circuy du monde grand' partie. Oü je trouvay gens de divers regard A qui je dy: „Seigneurs, si Dieu vous gard, En ces te terre avez vous point cogneuz ... La fleur des fleurs, la chaste colombeBe, Fille de paix, au monde la plus belle, Qui Ferme Amour s'appelle. Helas, Seigneurs, Si le scavez, soyez m'en enseigneurs". Lors 1'un se- mist, qui me fantasia; L'autre me dict: „Mille ans ou plus y a Que d'Amour Ferme en ce lieu me souviatr. Veel injurien van hem, daerin ic blameerde Der amoureusen manieren, delibereerde Mijn herte te maken' ooc vul pine ende smerte Om eene dien ic beminne als mijn eyghen herte. Dit en failgierde hi niet, want soubijt hi doen [track Eenen pijl uten coker van doodlick dangier: Zeer sterc geveerd met twist walg hing h' end. [ongemac Hebbende eenen ijseren schicht, ghesmeedt int [vier Van wreed ontzegh, die hi (zonder eenigh ghetier En eer ic op mijn hoe was) in mijn herte schoot. Zoo begonstic te ghevoelen mijn allende hier, En wist doen wat van liefde was. Want die [ic bood Jonste, dienst, therte en al, liet mij doen in [den nood, Ende van haer en const' ic gheen confort [verwerven, D'welc mij (elaes) duysentdooden dede sterven. Merckende dat ic nieten moghtheurhertewreed Eenighsins vermorwen, naer alle mijn vermeten, Nam ic voor mij, te.reysen zo verre ende breed Dat ic metter rijt, haerHefdemoghtvergheteh: Maer Cupido, die mij maeckte op haer soo [vervleten, Street zeer daer teghén, nochtans besloot ic [int leste, Van heur te gane: en te zoucken eene, te weten Onder alle Goddinnen ghedacht voor d' alder[beste: Dats Vaste Liefde, maer in wat lantoftghe[weste, Dat si hielt haer residentie en wist'ic niet; Ten fine ic zochtse overal, met zeergroot verdriet. Wien'ick vand, ic vraeghde hemlien onbe[schaemt: Hebdij niet ghesien, in dese contreye oft stede De blomme der blommen Vaste Liefde ghe[naemt? Die zuver Duve, de dochter van paeys en vrede, Weett ghij waer si isTwijstzemij/iit is mijn bede; Maer d een zweegh, als die hem om dieswil [maecte gram, D'ander zevde (het welcke mij'-verzuchten dede) Datmen heur in hondert iaer daer noyt en vernam: 240 L'autre me dict: „Jamais icy ne vint". Dont tout, soudain me prins a despiter... Ce neantmoins, .ma pensee assouvie De ce ne fut: tousjours me preparay De poursuyvir. Et si deliberay Pour rencontrer celle dame pudique, De m'en aller au temple Cupidicque En m'esbatant: car j'euz en esperance Que Iè dedans faisoit sa demeurance. Ainsi je pars ... Le droict chemin assez bien je trouvoye:... Et, d'autre part, rencpptray sur les rangs Du grand chemin maintz pelerins errants En souspirant, disans leur advanture Touchant le fruict d'amoureuse pasture Ce qui garda de tant me soucier Car de leur gré voudrent m'associer Jusques a tant que d'entrer je fus prest Dedans ce temple, oü le dieu d amour est... Or est ainsi que son temple royal Suscita lors mes ennuyez esprits; Car environ de ce divin pourpris Y souspiroit le doubt vent Zephyrus, Et y chantoit le gaillard Tityrus. Le grand dieu Pan avec ses pastoureaux Gardant brebis, beufs, vaches et taureaux, Faisoit sonner chalumeaux, comemuses Et flageoletz pour esveiller les Muses, Nymphes des boys et deesses haultaines, Suyvans jardins, boys, fleuves et fontaines. Les oiseletz par grand joye et deduyt De leurs gosiers respondent a tel bruyt Tous arbres sont en ce lieu verdoyans; ... Et quand le cler Phebus Avoit droit la ses beaulz rayons espars, Telle splendeur rendoit de toutes pars De derde iprac, ic wane sij hier noyt en cam. Alzoo liep ic al om met thooft ieghens den muer, Lief zoucken int ongheree, werdt den minnaer [zuer. Niet te min dies en gaf ic den moed niet verloren Voor mij nemende altijt mijn opzet te vol[bringhen, Ende wiert dinckende, als dat ic zoude al voren Dees beelde meug hen vinden (wildet Godghe[hingen) In den Tempel van Cupido: daer onder ander [dinghen Vaste Liefde (dachfic) haut met rechten haer [wonste. Alzo track ic derwaert med een zeer groot [verlinghen Al en wist ic den wegh niet, doen iet eerst [begonste. Maer ic vant zo veel Peelgrims, dat ic niet en [conste Den wegghefalen: en bij dien docht mij den /ai [tijt' (Al en was den wegh langh) te zine een zeer [curt respijt Dees voorseide Peelgrims, die ic ghemoette [aldaer, Vertrocken van haer voorleen amoureuse [duchten, Ende so wi Cupidoos Tempel camen naer Begonsten wi te speuren veel lieflicke vruchten. Wij hoorden Zephyrum zoo vriendelic ver[zuchten Den fraeyen Tityrum zinghen zeer plaisantellc: Den wilden God Pan, wonende in groen ghe[huchten Med zijn veld-Goden maecten vreught abun[dantelic: D aerdsche Nymphen, welcke navolghen con[stantelic Bosschen, beimden, hoven, fonteynen, en ri- [vieren blije Med der voghelen zangh, maecten zoete har[monije. Hoe lustich was dees plaetse van buyten [int ghesichte Omrijnght met vrughten, groen, schoon, en rijekelic? 241 Ce lieu divin, qu'aux humains bien sembloit Qüe terre au ciel de beauté ressembloit, Si que le cueur me dit par previdence Celluy manoir estre la residence De Ferme Amour, que je •quéroye alors... Et pour en planter abondance [de raislns] Bien souvent y entre Bacchus A qui Amour donne puissance De mectre guerre entre bas culs... Si tost que j'euz 1'escusson limité, Levay les yeulx, et propremettt je veiz Du grand portail sur la sublimité, Le corps tout nud et le gratieux vis De Cupido, lequel pour son devis Au poing tenoit un are riche tendu, Le pied marché, et le bras estendu, Prest de lascher une flesche aguysée.. ■ Pour ses armes, Amour cuysant Porte de gueules a deux traicts, Dont run, ferré d'or tres luysant, Cause les amoureux attraictz, L'autre, dangereux plus que trés, Porte un f er de plomb mal couché, Par la poincte tout rebouché, Et rend 1'amour des cueurs estaincte, De 1'un fut Apollo touché, De l'autre Daphné fut attaincte. Si vins de pensee joyeuse Vers Bel Accueil le bien apris, Qui de sa main dextre m'a pris, Et par un fort estroict sentier Me feit entrer au beau pourpris Daer Phoebus claer aenschijn, so schoon en [fraey oplichte Dat tscheen dat d'aerde, den hemel was ghelijckelic. Ende hoe ic naerder cam dees plaetse auten[tijckelic Hoe ic meer vreugds en schoonheits zagh, [hoorde en besief: Voor den Tempel stont een hospitael publijckelic Daer Bacchus en Ceres deden alle gherief Den vermoeyden Peelgrim, die zulke daet [heeft lief, Bizonder als hi deur tverre gaen verflaud is ' Want zonder Bacchus en Ceres, Venus caud is. Aldus naerder commende, met goeder corage, Zagh ic dat voren an 't poortael dewapenstond Van Cupido (bij zijnder figuere oft ymage) Dat was eenen zwarten schild met eenen [eeckel rond. Bediedende (zo mij eenighe doen maecten cond) Priapus den vader alderkind^ren ghemeene,1)... Cupido stand, als bereed om te schieten eene Hebbende eenen looden pijl, ende eene^van [gaude, Daer mede dat hi (alst blijckende is) wonder [brande. D'looden pijlken is liefde die vul pijne en [smerte is, Diversch van tgauden pijlken vol consolatie, D'welc bediedt de reine liefde die vreugt int [herte is, En den minnaers nietaen en doet dan recreatie. Med d'een was Phoebus gheraect in curter spatie Med d'ander zijn Hef Daphne die hem zo zeer [qual... Vooren aen tincommen ghemoett' ic schoon [onthael, Die mij welcommen hiet, ghelijc hi wist te leven.' Ende leedde mij alzo binnen deur 't poortael D'welc schoon en triumphant was boven [schreven.* ') Le nom de Priape a été suggéré a De Héere par le passage suivant: Les voultes furent a merveilles Ouvrées souverainement: Car Priapus les feit de treilles De fueilles de vigne et serment. 242 Dont 11 estoit premier portier.. . Mais Faulx Danger gardoit sur le derrière Un portail faict d'espines et chardons, Et dechassoit les pelerins arriere, Quand ilz venoient pour gaigner les pardons... Bel Accueil, ayant robe verte. Portier du jardin precieux, Jour et nuict laisse porte ouverte Aux vrays amans et gracieux,. En chassant (sans grace planiere Ainsi comme il est de raison) Tous ceulx qui sont de la maniere Du faulx et desloyal Jason. ... Et la (pour toute offrande) Corps, cueur et biens a Venus fault livrer, Le corps la sert, le cueur grace demande, Et les biens font grace au cueur delivrer... Devant 1'autel, deux cyprez singuliers Je veis fleurir sous odeur embasmée, Et me dit on que c'estoient les pilliers Du grand autel de Haute Renommee. Lors mille byseaulx d'une longue ramée Vindrent voler sur ces vertes courtines, Pretz de chanter chansonnettes divines. Si demanday pourquoy ld sont venus. Mals on me dit: „Amis, ce sont matines Qu'ilz viennent dire en 1'honneur de Venus".. Les cloches sont tabourins et doulcines, Harpes et luz, instrumens gracieux, Haultboys, flageotz, trompettes et buccines, Rendans un son si tres solacieux Qu'il n'est souldard, tant soit audacieux, Qui ne quictast lances et braquemars, Et ne saillist hors du temple de Mars Pour estre moyne au temple d'amourettes, Quand il orroit sonner de toutes pars Le carillon de cloches tant doulcettes... Waeraf dat hi Poortier was en eyst ooc g helleven. Maer den achter poortier was den valschen [samblant Wiens poorte ghemaect is (soo ichebbe beseven) Van destelen en doornen an elcken cant; Desen Poortier was der peelgrems grooten viand En verstacse als zi camen om 't perdoen te [winnen, - Daerse den ander ontfingh met alder minnen. Desen voorseiden poortier met sijn groene cleed Laett altijt dagh en nacht de poorte openstaen Zoo zijnde voor alle oprechte minnaers bereed: ' Maer versteeckt alleen den onghetrouwe^oft [qua'en Die den valschen Jason slachten: en liet mij [gaen Die naer Cupidóos aultaer doen nam minen [keer, Alwaer dattet volc sacrificie heeft ghedaen Met lichaem, herte en goed, ia dat si hadden [meer. D'lichaem dient daer, en therte beghaert grati' [eer, En tgoet maect dat therte 'gratie recouvreert, Deur dees verdiensten, men daer pardoen ob[tineert. Twee Cypresboomen bij den aultaer ex~ [celjent ^ Zi voor heur gardijnpilaren des aultaers brach[ten. Daer camen ghevloghen veel voghelen ontrent, Melodieuselicken zinghende alle nachten , Ende men zeyde ons (het welcke wi niet en [dachten), Dattet waren haer vrouch-lessen ende ghetijen. Heur tubicinen ooc d'ander slachten: Want si trommelen, en fluten, vul melodijen, Schalmeyen, luten, violen, die zoo verblijen Datter gheen crijghsman is, hi en soud' ont[wecken En (d'oorlogh' latende) hem gheven tot deser [plecken. 243 Devant 1'ymage Cupido Brusloit le brandon de destresse, Dont fut enflammée Dido, Biblis, et Helaine de Grece. Jehan de Mehun, plein de grand' sagesse, L'appelle, en terme savoureux, Brandon de Venus rigoureux, Qui son ardeur jamais n'attrempe: Toutesfoys au temple amoureux Pour lors il servoit d'une lampe. Sainctes et sainctz qu'on y va reclamer, C'est Beau Parler, Bien Celer, Bon Rapport, Grace, Mercy, Bien Servir, Bien Aymer, Qui les amans font venir a bon port. D'autres aussi, ou (pour avoir support Touchant le faict d amoureuses conquestes) Offrendes, voeux, prieres et clamours;... En après sont les tressainctes reliques, Carcans, anneaux aux secretz tabernacles; • Escuz, ducatz, dedans les clos obstacles; Grands chaines d'or, dont maint beau corps [est ceint, Qui en amour font trop plus de miracles Que Beau Parler, ce tres glorieux sainct... Les chantres, lignotz et serins, Et rossignolz au gay courage, Qui sur buyssons de verd boscage, Ou branches, en lieu de pulpitres, Chantent le joly chant ramage Pour Versetz, Responds et Epistres... Les dames donnent aux malades Voor den beelde van Cupido daer wi) afspreken Brandde d'licht van weemoedicheit tot elx [anschauwen: Daer Dido, en Biblis mede waren ontsteken Ooc Helena med meer ander alzulcke vrauwen: Een certeyn Autheur, nomt dit licht vol on[trauwen Rigoureusen brand van Venus, wiens hittigh' [gloed, Nemmermeer en matight, in gheenderley vauwen Maer tis in desen tempel voor een lampe goed. Nochtans als yemand, hier zijn devotie doet Liever is hi int doncker, dan int licht oft clare: Want den nacht favoriseert Venus teenegare'). De ghebeen oft Oratien, diemen doet in dees [kercke, Zijn hoofscheit, ghediensticheit, wel leven ooc [med, Schoon spreken, beleeftheit, en zuchten, soo [ic mercke: Maer men werdt alder best verhoort naer zijn [opzet, Alsmen daer offert, eenighe iuweelen net. Als schoon ringhen, ketenen, baghen ende [croonen. Waermede datmen ooc can verwerfven te bet De ionste vande voorbidders oft patroonen. Dat zijn maerten en cnapen: die de zake ver[scboonen, En d'woord voeren der minnaers, keerende [den bal: Liefde doet vele, maer gheld en goed doeghet al. Den Nachtegale ende andere commende van [boven Zinghen op lessenaerkens van groene schoone [meyen Haers liefs hymnen, en amoureuse loven, Men gheeft daer ondertusschen (also zi mij [zeyen) ') Cf. le passage suivant de Marot: Sur les autelz couverts de parementz, Qui son beaux litz a la mode ordinaire, La oü se font d'amours les sacrements De jour et nuict, sans aucun luminaire. 16 244 Qui sont recommandez aux prosnes, Rys, baisers, regards et ceillades; Car ce sont d'Amoureus les aumosnes... Ovidius, maistre Alain Chartier, Pétrarque, aussi le Roman de la Rose, Sont les messelz, breviaire et psauhier Qu'en ce sainct temple on lit, en rithme et [prose;... Lesquelz Venus apprend a retenir A un grand tas d'amoureux nouveletz Pour mieulx scavoir dames entretenir... Depuis qu'un homme est la rendu,... Incontinent on le faict moyne. Mais quoy? il n'a pas grand essoine A comprendre les sacrifices; Car d'amourettes les services Sont faictz en termes si tresclairs, Que les apprentifz et novices En scaivent plus que les grans cleres... Les prescheurs sont vieilles matrones Qui aux jeunes donnent courage D'employer la fleur de leur aage A servir Amour Ie grand roy, Tant que souvent par beau langage Les convertissent a la Loy ... Et si aucun (pour le monde laisser) Veult la dedans se rendre moyne ou prebstre, Tout aultre estat luy convient delaisser, Puis va devant Genius 1'archiprebstre... Le benoistier fut faict en un grand plain;... Pour eau beneite estoit de larmes plein;... Car les amans dessoubz tristes couleurs Y sont en vain mainte larme espandans.... Le cimetiêre est un verd boys Et les murs, hayes et buyssons, Arbres plantez, ce sont les croix; De ptofundis, gayes chansons. Les amans surprins de frissons D'amours, et attrapez ès laqs, Devant quelque huys, tristes et las, Pres la tumbe d'un trespassé, Chantent souvent le grand hélas, Pour requiescant in pace. ... Voor goede aelmoessenen, den aermen diese [verbeven, Cuskens, laghskens, loerooghskens, en zulc [paeyment, Daer dees peelgrems dicmaels om bidden en [vleyen ... Haer studeerboucken die zi daer useren Zijn de const van minnen, ende peregrijn, Oft Ovidij brieven; maer om bet te gron'deren Veneris Theologie, studeren zij fijn Inden bouc met twee blaren: nochtans cleenen [termijn: Want dees zake is zo goed, en licht om leeren Dat de schoolkinderen daer in best meesters [sijn. Heur predican ten sijn au wij f s, die zoo bekeeren Met schoon woorden, menigh vraukin van [eeren Dat zi heur begheven in dit Venus convent Daer Genius af is super-intendent. Heur Labrum dat staet in een schoon groene [plein Hetwelck (in d'ste van Lustralis) vul is van tranen Die de minnaers utstorten om haer liefste grein. AIsoo doed men hier Feralia, zoude ic wanen: Want als de minnaers heur ghestorven lief [vermanen, Gaense desolaet (ghelijc ick aerme dwaes dé) Al lamenterende zonder crucen oft vanen, En zinghen, och lief! niet requiescant in pace, Daer gaed onder tusschen menich drouf [eylaes mé, En met tranen zi tgraf besproyen en nat maken, Als minne ianckers die van niet, vele, of wat [maken. 245 Et les sainctz motz que 1'on dict pour les [ames, Comme Pater ou Ave Maria, C'est le babil et le caquet des dames. Processions, ce sont morisques Que font amoureux champions.... Les petites chapelles sainctes Sont chambrettes et cabinetz, Ramées, boys et jardinetz, Ou 1'on se perd quand le verd dure.... Et l'autre sa dame baisoit En lieu d'une saincte relique. En tous endroicts je visite et contemple, Presques estant de merveille esgaré;... De chascun cas fut a peu prés paré, Mais toutesfoys y eust faulte d'un poinct, Car sur 1'autel de paix n'y avoit poinct:... Joye y est, et deuil remply d'ire, Pour un repos, des travaulx dix; Et brief, je ne scaurois bien dire Si c'est enfer ou paradis, Mais par comparaison je dis Que celluy temple est une rose D espines et ronces enclose, Petits plaisirs, longues clamours.... A poursuyvlr soubz espoir je prins cure: Jusques au choeur du temple me transpor te: .. . Mais a grand' peine euz je veu a travers, Que hors de moy cheurent plainctes et pleurs,... Tristesse et dueil de moy furent absens: Mon cueur garny de liesse je sens. Car en ce lieu un grand prince je veis Et une dame exellente de vis, Lesquelz... Vivoient en paix dessoubz cette ramée Et au milieu Ferme Amour, d'eux aymée, D'habitz ornée è si grand avantage Qu'oncques Dido, la royne de Carthage, Lors qu'^Eneas receut dedans son port, N'eust tel' richesse, honneur, maintien et port, Combien que lors Ferme Amour avec elle De vrays subjects eust petite sequelle. ... En in d'ste van Patenosters te lesene Cauten zi van amoureusheit ut Venus brief Het heett daer ommeganghen gaen, als hef [med lief Buten gaen wandelen in becamen sayzoene: Daerse Cappellekens maken naer heur gherief Wiens Aultaren becleet zijn met tgherzekén [groene. Daer cussen zi elc andren minnelic en coene In d'ste van eenighe Reliquien dierbaer ... Wonder vand ic in desen Tempel al beziende Ja wonderlicker zaken, dan ic zaude ghescriven. Want daer en ghebrack toch ,niet van al [datter diende Dan een paeys oft paeysbert, hoe wel si [selden kiven: Emmers te wilen dat zi inden tempel bliven, Daermen meest niet en hoort noch ziet, dan [solaes en vreucht Maer daer volght wel naer (hoe sijt bedriven) Druc, verdriet, ende een bedaerven der iongher [ieught. Dies ghij desen tempel wel ghelijcken meught Bij een Rooze onder de doornen groyende: Die maer eenen zeer cleynen tijd en is bloyende. Alsoo ic hier niet en vand, dat ic meest [beiaeghde Passeerde voorts totten Choor, dinckende wel Dat daer Vaste Liefde, (na de welcke ic [vraeghde) Beters te vinden was, dan erghens el. Incommende daer, wierd'ic gheware snel De deught en vreught, van desen aerdtschen [Paradise Daer Vasté Liefde heur hielt, zonder eenigh [gequel Met heur gheselschap in behoorlicker wise:... Vaste Liefde was verselschapt ende versaemt Met trauwe, waerheit, eere ende ruste abundant, Verciert zo eerelick (ghelijct heur wel betaemt) Dat noyt Dido en was zoo fraey en triumphant Als zi iïLneam ontflngh binnen haer land... 246 APPENDICE Bi DU BEAU TETIN ET DU LAYD" TETIN. Du beau Tetin. Tetin refaict, plus blanc qu'un ceuf, Tetin de satln blanc tout neuf, Tetin qui fais honte a la rose, Tetin plus beau que nulle chose; Tetin dur, non pas' Tetin, voyre, Mais petite boule d'ivoyre, Au milieu duquel est assise Une freze, ou une cerise Que nul ne veoit ne touche aussi, Mais je gaige qu'il est ainsi... Tetin qui jamais ne se bouge Soit pour venir, soit pour aller, -Soit pour courir, soit pour balier... Tetin qui portes temoingnage Du demeurant du personnage... Tetin gauche, Tetin mignon, Tousjours loin de son compaignon . .. Quand on te volt, il vient a maintz Une envie dedans les mains De te taster, de te tenir, Mais il se fault bien contenir D'en approcher, bon gré ma vie, Car il - viendrait une autre envie... Tetin meur, Tetin d'appetit, Tetin qui nuict et jour criez: „Mariez moy tost, mariez;" Tetin qui t'enfles, et repoulses Ton gorgias de deux bon poulses, A bon droict heureux on dira Celluy qui de laict t'emplira, Faisant d'un Tetin de pucelle Tetin de femme entiere et belle. Du layd Tetin. Tetin qui n'as rien que la peau, Tetin flac, Tetin de drappeau... Tetin qui brimballe a tous coups Sans estre esbranlé ne secous ... " Van het schoone Mammeken. Mammeken dat lof end' eere betaemt, Wit als eykin, vet als een mollekin, Een Goddinnen mammeken waerd ghenaemt. Cleen wurtgen dat de Roosen beschaemt: Rood criexkin (zeghic) med zijn cleen olleken Up een effen rond yvoore bolleken. Mammeken van sattijn wit en claer. Lieflijc tepelkin aerdigh drolleken Het welcke meestendeel bedect es, maer Ick wedde om eens te besiene tis waer... Stijf mammeken, twelc niet en beeft • We'er datmen springht en danst, loopt ofte gaet. Mammeken dat vuile getughe gheeft Van de reste dat den persoon ancleeft. Mammeken mignon, hups en delicaet Twelck wijt en verre van dander staet Amoureus mammeken dat gheeft in d'hand Een begherte om eens* te tasten, iaet. Maer men mach als dan ooc, naer minen raed, Niet al te bij commen an uwen cant Ofte daer zoude (dit es mijn verstand) Een ander beghaerte zaen ut becliven... Ripe mammekens, al voor den saeysoene, De welcke doen roupen, staut ende coene: Ic moet huwen, dus gheeft mij eenen man: Want ic beghinne mij ziet te schoene Op een vive, stag het mij niet wel groene? Ogh hoe gheluckigh es den ghuenen dan Diedt gheloofve heeft dat hij mach of can Maken van dees mammekens iongh en cleehe Schoone vrauwen burstgens, ende waer van Dat groeyen mueghen (dit behoort er an) Veel zulcke fraey burstkens, ende anders [gheene. Van de leelicke mamme. Pij leelicke mamme end' u me'ghezelle. Die zoo rond zijn, als schotel doucken wack. Die hanghen en slingheren als een belle, Vuyl mottighe peynsen leelic van veile, 247 Tetin pour trippe reputé, Tetin, ce cuyde je, emprunté, Ou desrobé en quelque sorte, De quelque vieille chievre morte;... Tetin, doy je dire bezasse? Bien se peult vanter qui te taste D'avoir mis la main a la paste... Tetasse a jecter sur 1'espaule ... Tetin propre pour en Enfer Nourrir l'enfant de Lucifer ... Pour faire (tout bien compassé) Un chapperon du temps passé... Tetin grillé, Tetin pendant,... Tetin au grand villain bout noir Comme celluy d'un entonnoir;... Va, grand vilain Tetin puant, Tu fournirois bien en suant De civettes et de parfums Pour faire cent mille deffuncts.... Bren, ma plume, n'en parlez plus, Laissez le ld, ventre sainct George, Vous me feriez rendre ma gorge. Zueghen mammen (zegh ic) en natten zack, Mammen die zijn zo amoureus en lack Als een vule doode stinckende preye. Mammen de welcke men wel alle clack Up de schauderen slaet aen d'ander sije. Mammen om te zoog hen twee of drije Van lucifers welpens ende Draken: Ja daermen na tfaitsoen van auden tije Van dees hanghende capproens of mocht maken. Fij beroocten lap die men moet up haken. Berimpelt vel, wit als een cave of schauwe: Diemen wel (zonder van bij te ghenacken) Up den rueck zou volghen, zoo ic hauwe. Fij ick en wilder toch niet meer afspreken, Ofte ick zoude (met oorlove mijn heeren) Minen pater noster breken ofte keeren... APPENDICE 111$ AU ROY, POUR AVOIR ESTÉ DEROBÉ. Au roy, pour avoir esté derobé. Ut d'Epistel die Marot zand torten Coninc... On dit bien vray, la maulvaise Fortune Ne vient jamais qu'elle n'en apporte une Ou deux ou trois avecques elle (Syre). Vostre cueur noble en sgauroit bien que dire; Et moy chetif, qui ne suis Roy, ne rien, L'ay esproUvé, et vous compteray bien, Si vous voulez, comme vint la besongne. J'avois un jour un vallet de Gascongne, Gourmand, ivrongne, et asseuré menteur, Men seit wel (ö Coninc) dat der fortunèn [strijt swaer Niet seer veel en comt, oft heur en vólgter [altijt, naer. Waeraf uwe Maiesteit, wel weet te spreken, [siet End' ic, die noch Coninc en ben, noch te [reken yet, Hebt selve gheprouft, en sal u vertellen wel Hoe mij qua fortuynen, d'een op d'ander [quellen snel: Want mi nu curts ghespeelt is, een qua perte [alvoren: Ic hadd'eenen cnape, ut Gascoeignen gheboren T'welc was een recht dronckaert, swaerder [en bedrieger, 248 Pipeur, larron, jureur, blasphemateur, Sentant la hart de cent pas a la ronde, Au demourant, le meilleur filz du monde, Prisé, loué, fort estimé des filles, Par les bordeaulx, et beau joueur de quilles. Ce venerable hillot fut adverty ' De quelque argent que m'aviez departy, Et que ma bourse avoit grosse apostumef Si se leva plus tost que de coustume, Et me va prendre en tapinoys icelle, Puis vous la meit tresbien soubz son isselle, Argent et tout (cela se doit entendre). Et ne croy point que ce fust pour la rendre, Car oncques puis n'en ay ouy parler. Brief, le villain ne s'en voulut aller Pour si petit; mais encore il me happe Saye et bonnet, chausses, pourpointet cappe; De mes habitz (en effect) il pilla Tous les plus beaux, et puis s'en habilla Si justement, qua le veoir ainsi .estre Vous 1'eussiez prins (en plein jour) pour son [maistre. Finablement, de ma chambre il s'en va Droict a 1'estable, oü deux chevaulx trouva; Laisse le pire, et sur le meilleur monte, Piqué et s'en va. Pour abreger le compte, Soyez certain qu'au partir du dict lieu N'oublia rien fors qu'a me dire adieu. Ainsi, s'en va, chatouilleux de la gorge, Le dict vallet, monté comme un sainct Georges, Et vous laissa Monsieur dormir son soul. Ce Monsieur la (Syre) c estoit moy mesme... Bien tost après cette fortune la Une autre pire encores se mesla De m'assaülir,, et chascun jour m'assault Tuusscher, dief, gulsigaert, end'een onversaegt Pleger, Een bordeelbrocke, en die d'hoeren seer betminden : Anders, so wast den besten knecht diemen [mogt vinden. . Dit waerdig stic boefs, (b'haudens sijn [reverentie) Wist wel dat ghi heer Coniagh, ut goede [intentie Mijn burse hadt met u ghelt oft croonen [ghelardeert, Dies stont hi vrougher op, dan hi was ghe[costumeert, En stacs onder sijn oxelen, heb ic beseven, Ken gheloof niet dat hise nam om weder[gheven: Want noynt sichtent en hoord'icker meer af [cauten. Metten curtsten, den vilein ghinc hem noch [verstauten Te nemen cappe, rock, end'al mijn beste [habiten Daer hi hem mé cleedde (twelc mi wel magh [spiten) Soo dat hi scheen gh'eel end'al sijn meester [wesen. Aldus ghinc mijn ioncker na den stal, boven [desen, Daer hi mijn twee peerden vindende, het [quaetste liet Ende reet op het beste, ghelijck datmen siet S. Jooris gheschildert. Emmers int vertrecken, En vergat hi niet anders (heere) zonder ghecken Dan mi adieu te zegghen: God moetet hém [wreken. Maer ic magh noch wel van grooten ghe- [lucke spreaken Dat hi mi d ieven liet, want ic zeght tsijnder [eeren. Al nam hi mi peert, ghelt, end'ooc alle mijn . [cleeren, Hi liet mi sinen meester minen buuc vul slapen. Naer dees fortuyne cam mi een ergherbe[trapen, Die mi noch quellende is, ia dreeght mi metter [doot, 249 C'est une lourde et longue maladie De trois bon moys, qui m'a toute eslourdie La povre teste, et ne veult terminer, Ains me contrainct d'apprendre a cheminer Tant affoibly m'a d'estrange manière; Et si m'a faict la cuysse heronniere, L'estomac sec, le ventre plat et vague:... Que diray plus? au misérable corps Dont je vous parle il n'est demouré fors Le povre esprit, qui lamente et souspire, Et en pleurant tasche a vous faire rire. Et pour autant (Syre) que suis a vous. De trois jours 1'un viennent taster mon poulx Messieurs Braillon, Le Coq, Akaquia, Pour me garder d'aller jusqu'a quia. Tout cOnsulté, ont remis au printemps Ma guarison; mais è ce que j'entens Si je ne puis au printemps arriver, Je suis taillé de mourir en yver Et en danger, si en yver je meurs De ne veoir pas les premiers raisins meurs.., ... Or ce que me laissa Mon larronneau, long temps a 1'ay vendu. Et en sirops et julez despendu; Ce neantmoins, ce que je vous en mande N'est pour vous faire ou requeste oudemande Je ne diz pas, si voulez rien prester Que ne le prenne ... Et scavez vous (Syre) comment le payc?... A celle fin qu'il n'y ait faulte nulle Je vous feray une belle cedulle, A vous payer (sans usure, il s'entend) Quand on verra tout le monde content; Ou si voulez, a payer ce sera Quand vostre los et renom cessera... Bref, vostre paye, ainsi que je 1'arreste Est aussi seure advenant mon trespas Comme advenant que je ne meure pas.... ... O Roy amoureux des neuf Muses, Roy en qui sont leurs sciences infuses,... Roy le plus roy qui fut onc couronné, Dat is een siecte, stranghe, zwaer ende groot: Welcke alle mijn leden so iammerlic gheraect Datse van mijn beenen, nu reighersbeenen [maect. Den buyc doetse platten, t'aensicht maectse [tot vellen So dat ic schier niet en hebb' om bi te stellen: Want daer en is niet bleven, dan den aermén [gheest Die al zuchtende, al schreyende, hem poogt [aldermeest, U Heere te doen lachen in tiden ende stonden. Ende om dat ic u dienaer ben bevonden, So commen mi daghelix u Medicijns besien: Welcke naer langhe beraet, als seer wise lie'n, Mijn ghesondheit (elas) tot den Lenten utsle[pen: Dus magh ic dien niet ghebien, ic ben ghe[schepen, fe sterven in den wintere, en soo in dangiere. Van d'eerste wijndruyven, (na mijn aude maluiere) Niet rijpe te meughen eten, tot mijnder baten. Ten fine, tgheunt dat mi den dief hadde ghe[laten, Heb ic al in iuleppen, en zulc dinc verquist. Dit ontbiedic u omdat ghijs niet en wist, Maer, niet dat ic u yet veronschamelen wille. Nochtans en zeggh'ic niet, indien ghi mi al [stille Wat beghaert te leenen, dat iet sal refuseren: Maer op dat ghi gheen quaet en soudt presumeren Oft niet en meent, dat ic u wille bedrieghen, Sal ic u cedulle gheven (zonder lieghen) U te betalen, en dat t'uwen eersten luste: Te weten, als al de werelt zal zijn in ruste Oft als uwen lof, sal ophauden en vergaen. Dies sait wel zo zeker zijn, dat ghijt sult ont[faen, Alst seker is dat ic nemmer meer sterven en sal... '... O Coningh excellent, Jalours beminder der neghen Musae bekent: Coningh (zeggh'ic) bij wien alle consten [floreren: Coningh, den aldemeesten diemen magh [croneren. 250 Dieu tout puissant te doint pour t'estrener Les quatre coings du monde gouverner Tant pour le bien de la ronde machine Que pour autant que sur tous en es digne. Den hemelschen Coningh die gheve u te règieren De vier houcken des werelds in alle manieren, So wel om de welvaert van diere, t'alder tijt, Als omdat ghijt boven alle andre werdigh sijt. APPENDICE IV: DU COQ A L'ASNE. Du Coq a 1'Asne. A Lyon Jamet. Van den Hane op den Esel. An Jonch. David Pamelius. Je t'envoye un grand million De salutz, mon amy Lyon: S'ilz estbient d'or, ils vauldroient mieux:.. . Mais quoy? nous ne pouvons estre anges. C'est pour venir a 1 'équivoque Pource qu'une femme se moque Quand son amy son cas luy compte Or pour mieux te faire le compte, A Romme sont les grand pardons... On dict qu'il faict a Chambourg bon Mais il faict bien meilleur en France:.. L'empereur est grand terrien... Si disent les vieux quolibetz Qu'on ne voit pas tant de gibetz En ce monde que de larrons. Porte bonnetz carrez ou rondz, Ou chapperons fourrez d'ermines, Ne parle point, et fais des mines, Te voyla sage et bien discret. . . . Oultre plus, une femme ethique. Ne scaurait estre bonne bague. D'avantage, qui ne se brague N'est point prise au temps present... Ic zend'u een groot mihoen saluten Waren si van gaud', heurlieder virtuten Zauden u moghen beter profiteren Maer menschen en sijn gheen Inghelen: want Te Ghent resideren veel advocaten. Hoe wel, daer is gebreck in alle staten, En hieraf zal ik u een preuve gheven:,. O Vlaenderland, Ghij zijdt schoone ende zeer zoete van aerde. Den vranschen Conijngh heeft een gente [croone.... De ketters worden niet al ghevanghen Noch men zied ooc al de dieven niet hanghen...: Veel zijn meer docteurs van titels en namen Dan van weghe haerder geleertheyt certèyn. Oorconde her Matthijs ghezeit Casteleyn Die daer niet een woordeken af en roert Dees meyskins b'houfden blec of papieren Waeren haer burstkins rond, en fraey ghe- [nouch.... Alle bursen en zijn niet vast ghesnoert Want veel te goed Fransoys is paradiin Ten is niet al goed dat heeft goeden schijn.... Vu et admis a soutenance le 23 Octobre 1919: Le Doyen de la Faculté des Lettres de 1'Université de Paris, FERD. BRUNOT. Vu et permis d'imprimer: Le Vice-recteur de lAcadémie de Paris, L. POINCARÉ. BIBLIOGRAPHIE Antwerpener. Liederbuch vom Jahre 1544, herausgegeben von Hoffmann von Fallersleben, Hannover, 1855 (Horae Belgicae, pars XI). Arts de seconde Rhétorique (1405—1525), publiés par E. Langlois (Collection des Documents inédits sur tHistoire de France), Paris, 1902. . Ch. Aschenheim, Der italienische Einfluss in der flamischen Malerei der Frührenaissance, Strassburg, 1910. J.-A. Baïf, Amours, éd. crit. par M. Augé-Chiquet, Paris et Toulouse, 1909. J. du Bellay, Deffence et Illustration de la langue francoyse, éd. crit. par H. Chamard, Paris, 1904. J. du Bellay, CEuvres poétiques, éd. crit. par H. Chamard (Société des Textes francais modernes), Paris, 19Ó8—'1912. A. Bijns, Refereinen, uitgegeven door A. Bogaers en W. L. van Heiten, Rotterdam, 1875. A. Bijns, Nieuwe Refereinen, uitgegeven door W. J. A. Jonckbloet en W. L. van Heiten (Maatschappij der Vlaamsche Bibliophilen), Gent, 1886. 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I. J. A. Worp, Geschiedenis van het Drama en het Tooneel, Groningen, 1904—1908, 2 vol. TABLE.DES MATIÈRES PREMIÈRE PARTIE L'humanismc et la poésie lyrique néerlandaise. Page I. Érasme et 1'étude de la littérature ancienne. — La poésie néo-latine. — Le théatre de la Renaissance. — Traductions. — Obstacles qui s'opposént a la populari- sation de l'art classique . 1 II. La poésie amoureuse du XIVe siècle. — L'Antwerpsen Liedeboek. — Vénus, Cupidon, Fortune. — Allusions - > mythologiques . . . ; 4 III. La peinture italienne et les peintres flamands. — Sentiment de la beauté féminine "... 15 IV. Matthieu de Casteleyn et les Diversche Liedekens. — Vénus, Cupidon, Fortune. — Beauté féminine. — Réminiscences classiques • • 19 V. Le Const van Rethoriken. — Idéés humanistes de Matthieu de Casteleyn. — Analyse de 1'ceuvre: la figure allégorique représentant la déesse Rhétorique, le récit allégorique qui sert d'introduction. — Divinités et personnages mythologiques. — Autorités citées par De Casteleyn. — Définition du genre Rhétorique. ~ Terminologie scientifique. — La versiflcation de 1'époque mise en rapport avec la prosodie gréco-latine ... 25 VI. Le Const van Rethoriken (Suite). — Exemples de vers soi-disant classiques. — Comparaison homérique ou virgilienne. — Réminiscences classiques, divinités de la Fable. — Souvenirs mythologiques se mêlant a ceux de la Bible. — Sentiment de la nature. — Beautés ' et vertus de la femme aimée. — Conclusion ... 39 256 VU. Les Refereynen d'Anna Bijns. - Leur classicisme. - ^ Leurs tendances morales. - L'auteur ennemie de la Réforme. — Son manque de sens historique: .... 52 DEUXIÈME PARTIE Luc de Heere et la première Renaissance francaise. L La jeunesse de Luc de Heere. - Son recueil de vers; ^ division des poèmes qu'il renferme ... g2 II. Les Refereynen de Luc de Heere. - Comparaison du genre avec le Chant Royal ~ Les faibles traces d humanisme qu'on y découvre gg III. Communauté d'idées entre De Heere et Clément Marot. - Analogie dans la facon dont ils traitent leur sujet. - LeTWo*a et Le Riche en Povreté . 69 IV. La Version chez les Rhétoriqueurs francais et les poètes de 1ecole marotique. - Den Temple van Cupido et le Temple de Cupido 73 V. Étrennes et Épigrammes. ~ Différentes sortes d'Êpii grammes traduites par De Heere. - Du beau Tetin et Du layd Tetin 77 VI. Les Sonnets de Luc de Heere: emprunts qu'il'fait a Marot VII. Les Êpitaphes 94 VIII. Les Êpitres des Rhétoriqueurs et de 1'école marotique J Les Êpitres de Marot et leur traduction flamande. _ Au Roy, pour avoir esté dérobé. ~ Un Coqal'Asne ~ L Epistre du biau fyz de Pazy. _ Une Élégie. ~ Quelques autres emprunts .... gg XI. Emprunts faits par De Heere a'Mellin de'Saint^ Gelays. ~ Conclusion de la Deuxième Partie du présent ouvrage 257 TROISIÈME PARTIE Luc de Heere et la seconde Renaissance francaise. Page I. La dédicace de Den Hof en Boomgaerd rapprochée de YAvis au Lecteur de Ronsard (1550), et de la ' Deffence de Du Bellay . 115 II. L'Épïtre An een schoon dochter van Audenaerde . 121 III. Les poésies inspirées par Éléonore Carboniers. — Een Constenaer tot een rijcke dochter. — An zijn hef wonende in Zeeland. — UElegia oftclaghenden Zendbrief. ■— Conclusion de la Troisième Partie. . . . 128 QUATRIÈME PARTIE Versiflcation. Page I. Le vers marotique et celui des Refereynen. — Les innovations préconisées par De Heere dans la dédicace a Adolphe de Bourgogne. — L'Aw's au Lecteur de Ghislain Manilius. ~ Application des théories de De Heere au vers néerlandais 137 II. Élision de 1'e muet. — Valeur syllabique de a et de i. .— Quelques cas de synalèphe Hl III. La syllabe finale inaccentuêe. — La dernière syllabe accentuée suivie d'une ou deux syllabes atones. . . 147 IV. De Heere a-t-il appliqué rigoureusement la règle du nombre flxe des syllabes? 150 V. Le nombre des syllabes dans les petits vers. — Le vers de huit et de dix 152 VI. L'alexandrin francais et le long vers des Rhétoriqueurs néerlandais 157 VII. L'accent dans le vers néerlandais et la césure du vers francais 167 VIII. Genres de rimes. — Les Rhétoriqueurs francais. — Marot. — Ronsard. — Matthieu de Casteleyn, Anna *• Bijns. -T- Luc de Heere 180 258 IX. L'alternance des rimes masculines et féminines chez De Heere. — Influence de la prosodie francaise . . 199 X. L'enchainement des strophes par la rime. — La strophe flnale 203 XL Genres de poèmes strophiques. -L'Ode néerlandaise . 209 XII. La rime dans les strophes 214 XIII. Poèmes a forme flxe. - Rondeau et Sonnef . . . ' 225 XIV. Conclusion de la Quatrième Partie de cette étude . 234 Appendices 23g Bibliographie 251 I