THOMAS SEBILLET ET SON ART POÉTIQUE F^ASCOYS RAPPROCHÉ DE LA DEFFENCE ET ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANCOYSE DE JOAGHIM DU BELLAY^i H. DE NOO Bzn. THOMAS SEBILLET ET SON AET POÉTIQUE FRANC O YS EAPPEOCHÉ DE LA DEFFENCE ET ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANCOYSE DE JOACHIM DU BELLAY THOMAS SEBILLET ET SON ART POÉTIQUE FRANCOYS RAPPROCHÉ DE LA DEFFENCE ET ILLUSTRATION DE LA LANGUE FRANCOYSE DE JOACHIM DU BELLAY ACADEMISCH PROEFSCHRIFT TER VERKRIJGING VAN DEN GRAAD VAN DOCTOR IN DE LETTEREN EN WIJSBEGEERTE AAN DE UNIVERSITEIT VAN AMSTERDAM OP GEZAG VAN DEN RECTOR-MAGNIFICUS Dr. H. BRUGMANS, HOOGLEERAAR IN DE FACULTEIT DER LETTEREN EN WIJSBEGEERTE, IN HET OPENBAAR TE VERDEDIGEN IN DE AULA DER UNIVERSITEIT OP DONDERDAG 12 MEI 1927 DES NAMIDDAGS TE VIER UUR, DOOR HENDRIK DE NOO Bzn. GEBOREN TE 'S-GREVELDUIN CAPELLE BOEKHANDEL EN ANTIQUARIAAT VOORHEEN J. L. BEIJERS - UTRECHT A MON PERE HOMMAGE DE PIEUSE GRATITUDE PRÉFAOE. Au moment de sou mettre la présente these a la Faculté des Lettres de 1'Universitó d'Amsterdam, je songe encore nne fois a tous ceux qui, de manière ou d'autre, m'ont soutenu dans mon travail. Mes pensées vont d'abord a mon cher maitre, M. Salverda de Grave, a qui je dois le choix de mon sujet; sans ses conseils toujours clairs, sa critique éclairée, je n'aurais jamais pu mener mon entreprise a bonne fin. En outrè je Buis 1'obligé de M. Eringa, dont les vastes connaissances littéraires m'ont été si précieuses lorsque j'ai eu a dresser le plan du livre, et de M. Alliot, a qui je dois maint renseignement utüe. M. Louis Paris, conservateur en chef de la Bibliothèque Eoyale de Bruxelles, le per sou nel de la Bibliothèque Eoyale de La Haye, celui de la Bibliothèque Nationale et de la Bibliothèque de 1'Arsenal a Paris, celui de la Bibliothèque Municipale de Troyes m'ont toujours recu avec une extréme prévenance et ont singulièrement facilité les recherches que demande 1'étude de ce XVIe siècle si touffu et si complexe. Enfin je veux nommer ici 1'homme qui a été pour moi un guide sur tant au moral que dans mes études, 1'homme dont la chère figure m'a été toujours présente a 1'esprit pendant ce travail comme pendant tout autre, mon père. TABLE DES MATIERES. Pages Introduction I—XI Chapitre I. Sebillet et 1'école de Marot . . . 1—23 II. Les éléments de la poésie francaise selon Sebillet 24—47 „ III. Les genres littéraires traités par Sebillet 48—79 „ IV. Comparaison détaillée de VArt Poétique et de la Beffmee . 80—106 ,, V. Comparaison générale entre les deux théories 107—125 L VI. Sebillet poète 126—158 Principaux ouvrages consultés 159—162 INTRODUCTIOST. En ce qui ooncerne VArt Poétique de Thomas Sebillet, on ne peut que glaner après M. Gaiffe. Mais le savant critique ne s'occupe plus du XVIe siècle; depuis longtemps déja il consacre ses loisirs au drame en France au XVIIIe siècle. C'est ce qui m'avait enhardi, il y a trois ans, a continuer ses recherches, dans Pespoir de pouvoir ajouter des détails a ceux que 1'éditeur de Sebillet a róunis et reproduits dans son Introduction. Les résultats n'ont pas été importants. J'incline a expliquer la pénurie de documents dignes de foi par le fait que la vie de Sebillet a été uné de ces existences paiftibles, presque tout entières consacrées au culte des lettres et aux devoirs professionnels et dont 1'histoire n'est le plus souvent que celle même de leurs oeuvres. Tous ceux qui se sont occupés de Sebillet ne parient que de son oeuvre de thóoricien ; on insiste peu sur son activité de poète. Dans le présent travail, ce sont encore ses théories qui auront la première place; cependant je me propose de consacrer un dernier chapitre a ses poésies. L'Art Poétique, dans son ensemble, n'a pas de sources directes, générales. Voici comment on pourrait s'expliquer la genèse du traité: Sebillet a entrepris de continuer 1'oBuvre de ceux qui, avant lui, ont écrit sur le vers francais et s'est attaché a la poétique de Marot, comme Boileau a celle du groupe de Eacine. Ses prédécesseurs, il les suit le plus prés possible, sauf a ajouter les genres nouveaux introduits par Marot et les genres anciens (élégie). M. Gaiffe ne s'est pas posé la question de savoir si 1'auteur de VArt Poétique et Marot se sont connus. Je crois qu'un homme n'apporte pas a 1'exposé d'une oeuvre contemporaine la piété dont Sebillet fait preuve, s'il n'a pas avec 1'auteur des rapports personnels; mais II c'est nne conjecture et il conviendrait d'examiner si elle est confirmée par les faits. Tout ce que je puis dire, c'est que les manuscrits se rapportant directement a Sebillet, ne nous renseignent pas sur ce point*). Cependant il est possible que les grands dépots ou les archives départementales possèdent des documents oü 1'on s'attend le moins a des informations sur Sebillet et qui montreront pourtant les traces de relations personnelles entre Marot et son théoricien. Le hasard seul peut les mettre au jour. Grace aux „trois indications authentiques et concordantes" que 1'auteur de YArt Poétique nous a laissées lui-même sur la véritable orthographe de son nom, tout le monde parle maintenant de Sebillet. La pièce 59323 des „Pièces originales 2667" dont parle M. Gaiffe (Introduction, p. VII) se compose non d'un seul recu, mais de trois recus. Les deux autres sont tous les deux d'Anthoine Sebillet, et portent les dates 1632 et 1634. Tous les deux sont signés Sebillet, aussi distinctement que le premier, de sorte que le nom de familie n'avait pas subi de modification jusqu'a 1'année 1634. En revanche la Bibliothèque Nationale possède un discours (5 pages) de notre auteur (Coll. Dupuy No. 137, fol. 168 ; cf. Gaiffe, p. XII) portant comme titre „DiBcours de Me Th. Sibüet ad09* en parlemen sur les affaires de 1'année 1589". Dans la „Table du contenu en ce Livre" on lit tout aussi distinctement Sibilet (avec les points sur les deux „i", qui manquent au fol. 168). Et la copie qu'en a la Bibliothèque Nationale (Mss. fr. 3952, fol. 304) et qui porte comme titre „Memoires po (sie) 1'histoire", rendant a la p. 304 le dit discours, écrit également Sibilet. Le No. 837 de la Coll. Dupuy, qui est un recueil de poésies latines d'auteurs francais, italiens et flamands, Théodore de Bèze, Jean Passerat, Prancesco Modesti, Florent !) A la Bibliothèque Nationale j'ai controle dans les manuscrits francais, ancien et nouveau fonds, la Collection Baluze, Collection Brienne, Cabinet des titres, Collection Clairambault, Collection Dupuy, Collection Pontanieu, Collection Joly de Fleury, Collection Moreau. III Chrestien, Francois et Eaphaël Thorius, Jean Dorat, Michel de l'Hospital, Denys Lambin, Eonsard, etc., a entre autres des épigrammes latines, oü il est questjon (au pied du fol. 191) de Sebilletus Dampetro et de Dampetrus Sebilleto. L'édition A (numérotage de M. Gaiffe) — B. N. Eés. Ye 1213 — mesure 15 centimetres sur 9. Extérieurement elle est identique a 1'édition-Corrozet de VIpMgénie d'Euripide (1549); cf. le fac-similé du titre de V Art Poétique, dans Pédition-Gaiffe, placé entre 1'Introduction et le texte. II est a remarquer que sous 1'estampille rouge „Bibliothecae regiae" on a écrit en encre noire „par Thomas Sibilet (1'i est trés distinct). Plus tard on a voulu supprimer ce renseignement postérieur, mais on 1'a mal fait, de sorte que les trois mots peuveut être reconstitués sans peine. Une autre main a écrit en rouge sur la page précédente „par Charles Fontaine". Cette seconde addition a été laissée d'abord intacte ; seulement un crayon discret 1'a biffée ensuite et a mis dessous: „Thomas Sebilet" (un 1). IV Dans 1'autre exemplaire de 1'édition A (Bés. pYe 201) une tout autre main que celle de 1'exemplaire Bés. Ye 1213, a écrit en noir: „par Thomas Sibilet", et ici on n'y a pas touché. Quant a 1'édition C je constate : a. qu'on a écrit sur le frontispice, derrière „en la Poësie Prancoyse" „par Thom. Sibilet" (gros 1, sans point; le point ne manque pas sur le second i), tandis que, derrière „de la langue Francoise" la même main a mis : „par Ch. Fontaine" ; 6. que les 118 feuillets de ce volume in-16 donnent VArt Poétique et le Quintil Horatian. Viennent ensuite dix feuillets non chiffrés. Les six premiers sont une „Table des di//ctions, et anno//tations de//ce livre". De ce livre? Mais il en précède deux, si je ne me trompe. Cette table ne s'appLique qu'au volume de Sebillet; aussi le sixième feuillet (sur lequel se lit en haut a droite le chiffre mystérieux 47) porte en bas: „Fin de la table de//l'Art poétique." On se demande pourquoi le livre d'un autre (le Quintil) se trouve ici entre les deux parties qui composent VArt Poétique, savoir entre le corps du livre et sa Table. Quels étaient, au moment de la publication de cette édition (1555), les relations entre les deux auteurs? Avaient-ils intérêt a ce que 1'on confondit leurs traités? Ce qui est sür c'est que les deux livres sont anonymes et que le feuillet 79 a entre les mots „Quintil" et „Sur" un renvoi a 1'addition écrite „Charles Fontaine" ; c. que sur le verso du feuillet 118 on trouve la poésie suivante : La Fontaine a I. D. B. A. Jamais si tost ne t'aura Claire eau de ma fontaine vive Que legier feu esteint sera De 1'huyle obscur de ton Olive. d. qu'avant les quatre feuillets dont parle M. Gaiffe (donc au verso du sixième feuillet) on lit: V A la louange de Maistre Charles de La Fontaine. Tant qu'on orra oyseaux au bois chanter, Tant qu'on voira couler les cler(c)s ruisseaux, Tant qu'on voira les cerfz au bois hanter, Tant qu'au printemps floriront arbrisseaux, Tant que bon vin on mettra en vaisseaux, Tant qu'on voira lievres courir en plaine, Tant qu'on voira aux Peintres les pinceaux, Tant on orra le loz de la Fontaine. L'édition D (Eés. 1212) est de 12 centimetres sur 7. La page du titre porte la mention écrite: „par Thomas Sibilet" (pour VArt Poétique), „par Charles Fontaine" (pour le Quintil Horatian). Et juste en face la même main a écrit: „Ménage s'est trompé quand il a cru que „Charles Fontaine auteur du Quintil l'estoit aussi de „1'art Poétique qui est de Thom. Sibilet sur lequel voyés „Pasquier Eecherches 1. 7 c. 6, 2e lettre ; { du 1. 7 (?) „lettre 4 1. 3 }, Loisel p. 523. La Croix du Maine et du „Verdier qui estropient son nom, ce dernier lui attribue „mal le Quintil". Cette édition D (1556) donne a la p. 227 „Fin de 1'art poetique//et de Quintil//Censeur". L'édition F (1573) a la même fin (a la p. 262). C'est un livre de 12 centimètres sur 8. Dans cette édition F. figure aussi VAutre Art Poétique réduit en bonne méthode, qui est identique a VArt Poétique de Claude de Boissière (1554), dont a parlé M. Gaiffe en 1913 dans les Mélcmge8-Picot. C'est a regret que je résiste a la tentation de copier ici ces préceptes clairs et a reproduire les schémas ingénieux *). ') Je fais remarquer seulement que Claude de Boissière, qui parle de neuf espèces de rimes (p. 257—260), se contente de donner sept exemples. Ce sont les mêmes que ceux qu'on rencontre dans Sebillet, excepté pour la rime fratrisée: Malheureux est, qui recuse science, Si en ce croit excuser son mesfaict, -- > Mais fait heureux la suyvre en diligence, Diligent ce sera nommé parfaict, et pour la rime couronnée : Louange a Dieu, aux saintz cieux precieux. VI Dans l'édition E (Ars. 6307 bis) il n'y a pas de note manuscrite ou atitre sur la page du titre. A la p. 22 (= Gaiffe p. 35) une main a biffé „la cotte" (Gaiffe 1. 12), „les cuisses, le ventre et la motte (Gaiffe 1. 16). Le même lecteur s'est scandalisé au passage de la p. 26 (= Gaiffe, p. 39 1. 6—12). Ce lecteur a biffé ces sept vers de huit syllabes. On y lit encore (p. 260 sqq.) un beau discours sur YExcellence de la Poësie Francoise (anonyme) dont je copie la fin : „Cependat je prieray les excellêtz espritz de la Prance de continuer a 1'illustration & embellissement de nostre langue, leur presentant ce sonnet : SONNET. L'immortel bruit, qui voz noms eternize, Ja triomphant sur la gloire des cieux, Promet un heur a voz chantz gracieux, Que de ses raiz Apollon favorise. C'est luy, c'est luy, qui la faconde prise, Et enchassant au temple precieux Du saint trouppeau de voz biens soucieux Pour vous la France en touz honneurs maistrise. Divin Ronsard, le Delien Jodelle, L'heureux bellay *), & celuy qui d'une elle Du Cygne doux lamente ses erreurs, Grave Caron, Sibillet & le Conté, Aux anciens par voz chantz faites') Authorisez voz Delphiques fureurs. Alors que l'édition E n'a aucune note manuscrite, l'édition O a, tout comme les éditions qui sont a la Bibhothèque Nationale, Pindication „Par Th. Sibillet", sur la feuille de garde (en regard du titre). Les six feuillets non chiffrés donnent une „Table des di//ctions et senten//ces notables de//ce livre". En effet cette table renvoie : 1 a Sebillet p. 3—153; 2 au Quintil Horatian. A remarquer qu'ici encore les derniers mots de la p. 227 : „Pin de Part Poétique, & de//Quintil Cen//seur" ou bien semblent indiquer une relation plus ou moins intime entre les deux auteurs ou bien semblent prouver que celui ') „Bellay" (avec majuscule) dans Ars. 6309. ') Oü est la rime du second tercet? vn qui a fait, copié, collectionné tout le volume a cru a 1'existence de cette intimité, s'il n'a pas identifié les deux auteurs ; 3 a l'Autre//art poetique//reduit en bonne// methode" p. 229—266. (II n'y a pas d'indication de „fin"). Et voici la p. 228 oü le collectionneur anonyme prend lui-même la parole: „Au Lecteur//Amy Lecteur, pour satis//faire a tes estudes & au//grand desir, que j'ay de les//avancer par tous bons moyès,//je t'ay icy mis de suite un autre art Poeti//que Frangois, abregé, & reduit la plus//part en tables, a fin que quant a ce point,//tu sois resolu en tout ce que tu y pourrois//desirer. Davantage, tu auras un. petit &//elegant Traité, touchant la poinctuation de//la langue Frangoise, ensemble des accens//d'icelle, composé par monsieur Dolet. Et//enfin trouveras la Table des matieres//principales & singulieres de//tout eet CBuvre.//A Dien" ; 4 a Partiele De la poin\\ctuation de/jla langue Franjjgoise p. 267—275. Aucune indication de „fin"; 5 a Partiele Les Accens de/jla languej'jFrancoyse (p. 276—292), qui se terrnine par: „Fin des accens de la langue Frangoyse". Ce que j'ai dit des six feuillets non numérotés et de la division s'applique également a 1'exemplaire 6307bis. C'est a la Bibliothèque Municipale de Troyes (Aube) que j'ai vu l'édition B. Sur la page du titre se trouve une note manuscrite „I. Bouhierl692", qui prouve que 1'exemplaire provient de la somptueuse bibliothèque de Bouhier, président au Parlement de Dijon. Puis il y a, tout comme dans plus d'une édition de la Bibliothèque Nationale: „Par Thomas Sibilet", et plus loin, pour désigner 1'auteur du Quintil Horatian, qui se trouve dans le même volume : „Par Charles Fontaine". Ce qui prouve qu'on a longtemps considéré les deux livres comme provenant d'un seul et même auteur, c'est que cette seconde indication était d'abord: „Par Thomas Sibilet" (même main que celle qui a mis le nom de Thomas Sibilet sous le titre de 1'Art Poétique). Puis une autre main a changé ingénieusement „Thomas" en „Charles" (les deux couleurs de 1'encre noire se reconnaissent sans peine) et VIII ensuite elle a ajouté „Fontaine". Sur le verso il y a cette note manuscrite : „L'Auteur de ce livre, est Thomas Sibilet, suivan le témoignage de Oolletet, en son discours sur 1'Epigramme, faisan partie de Son Art Poëtique p. 55 & aussi La Croix du Maine, qui dit la même chose, Et que le Quintil Horatian est de Charles Fontaine". Se basant probablement sur ce que dit Sebillet „Aus Lecteurs" en introduisant son Iphigénie „. .. .pour faire qu'en ce petit Poëme toute sorte de ryme et tous genres de vers fussent a peu prés compris, comme connoittrés que j'ay fait si vous y aviséz de prés. Car vous y lirés dés vers depuis deus sylabes jusques a tréze, et la plus grande part dés assiétes de Eyme aujourduy usurpées en nottre langue Francoise, voire jusques au Sonnét, Lay, Virelay, et ryme altérée, et n'y eusse omis le rondeau, s'il y füt autant bien venu a propos", M. Gaiffe (Introd. p. IX) a dit: „L'intérêt particulier de cette traduction consiste dans la tentative qu'a faite Sebillet d'y employer les différents mètres et poèmes a forme fixe décrits dans son Art Poétique". Je doute de cette tentative. D'abord dans cette traduction la ballade manque aussi bien que le rondeau. Et puis eet honnête homme de lettres, ce laborieux et docte théoricien, eet esprit bien équilibré a le sens beaucoup trop pratique pour vouloir en même temps traduire une tragédie antique, créer une oeuvre d'art et dresser par surcroit un catalogue d'exemples des genres dont il avait fourni la recette. D'ailleurs Sebillet n'a pas reproduit ses soidisant exemples dans les éditions postérieures de son Art Poétique; il 1'aurait fait sans doute si son Iphigénie avait été le catalogue qu'y voit M. Gaiffe. Pour le texte des poésies de Clément Marot je me sers de l'édition Jannet. Les recherches de M. Villey sur la chronologie des OBuvres de Marot en ont de beaucoup diminué le prestigéj mais c'est la seule édition (presque) compléte. C'est bien dommage que celle que Guiffrey a IX entreprise, n'ait pas été achevée. Les tomes II (570 p., 1875) et III (758 p., 1881) correspondent pour une grande partie a Jannet I (Opuscules et Epitres). Le tome I (XV p. + 572 p., 1911), auquel Eobert Yve-Plessis a consacré ses soinB, parle de la vie de Clément Marot. Quant a l'édition d'Abel Grenier (Paris, Garnier),. quoiqu'elle soit récente (postérieure a 1920), on y cherche en vain les deux épitres „A la Eoyne de Navarre" (196 vers) et „Au Eoy" (190 vers) publiées pour la première fois en 1898 par M. Gustave Macon dans le Bulletin du Bibliophile, et dans lesquelles 1'étude pénétrante publiée par M. Villey dans la Revue d'Histoire littéraire de 1919 (p. 220—245) a indiqué les longs emprunts systématiques faits a Ovide. Est-il besoin de dire que, pour la Beffence et iUustration de la langue francoyse, je m'en réfère au texte de l'édition Chamard, qui a complètement éclipsé Person et Léon Séché! Les „Notes a joindre aux annotations de l'édition critique de la Deffence publiée par M. Henri Chamard" $ laissent intacts le prestige et 1'autorité dont jouit depuis vingt ans ce travail monumental, grace au souci minutieux de la vérité, au dósir d'aller au fond des choses, a la sagaeité et a 1'étendue des investigations de son auteur. Un point sur lequel j'insiste, c'est que si Pon veut bien saisir 1'état d'esprit de ce patriote ardent qu'est Joachim du Bellay, il ne faut jamais perdre de vue que 1'immense production des rhétoriqueurs est de la qualité la plus médiocre. Pendant un demi-siècle les écrivains se sont appliqués avec une merveilleuse constance a broyer du vide et a souffler des bulles de savon. M. Guy, dans son Histoire de la poésie frangaise au XVle siècle donne la véritable, 1'unique raison de leur incurable faiblesse : ils sont les esclaves d'une tradition. L'admiration du Roman de la Rose et de ses répliques a fait tout le mal. Cette oeuvre domine et subjugue *) rmre Villey, Les sourees italiennes de la „Deffence", Appendice II, p. 147—156 (Paris, 1008). X deux siècles d'histoire littéraire. C'est a travers elle que les apprentis poètes, les disciples essayent timidement d'apercevoir la vie, ou plutöt, dit M. Guy, ils ne voient rien que 1'épaisseur de ses allógories. En ses 22000 vers il semble que toute poésie et toute science soient encloses. „Ainsi voués a un éternel psittacisme, les rhétoriqueurs puisent dans 1'urne d'autrui pour remplir leur urne, oü d'autres a leur tour puiseront la même eau morte, aux relents nauséeux. Hs n'ont pas le sens du réel. Cependant 1'activité de l'esprit, que cette besogne machinale ne satisfait pas, cherche a se dépenser: elle trouve un dérivatif, et quel dérivatif! C'est la rime!" II y a un second point qu'il faut avoir présent a l'esprit en se mettant en face du problème que pose du Bellay. C'est que 1'Italie a épuisé avant la France toutes les discussions sur 1'avenir et les mérites respectifs des langues modern es, sur la grammaire, la versification, la prononciation, 1'orthographe, la constitution du vocabulaire, les archaïsmes, les dialectes. Toutes ces questions sont déja résolues au dela des monts dans des traités spéciaux, des dialogues, semblables a ceux de Pelletier ou de H. Estienne, des dictionnaires au titre significatif Le Richezze della lingua volgare, 1543, dictionnaire tiré par Alunno presque exclusivement des ceuvres du seul Boccace. Dans cette étude je ne déverserai pas toutes les fiches que je dois a la masse de documents et de travaux relatifs au XVIe siècle nés du mouvement de sympathie dont Sainte-Beuve donna le signal en 1828. Je veux user avec discernement et une réserve suffisante des informations recueülies de la sorte. Quand on s'occupe de Sebillet et qu'on s'en tient a lui, on doit se résigner, si 1'on veut aboutir, a dépenser beaucoup de temps en recherches utiles, il est vrai, mais qui toument autour du sujet plutót que de 1'approfondir et de le mieux faire connaitre. Par conséquent les débats littéraires les plus célèbres qui ont agité la France entre 1540 et 1550 (le débat des Blasons des membres du corps féminin entre XI Marot et ses amig, la querelle de Marot et de Sagon, le concours suscité par la Parfaiete Amye d'Antoine Héroët) n'entrent pas dans le cadre que je me suis tracé. Sebillet mérite plus et mieux qu'une banale et rapide mention jetée au hasard des manuels. Sans pouvoir prétendre a une place éminente dans les rangs de la glorieuse phalange qui lutta pour 1'émancipation intellectuelle et morale, Sebillet y a tenu cependant une place honorable. Je parlerai avec sympathie de ce théoricien qui n'a pas dédaigné la pratique, sans que cette sympathie nuise aux droits de la justice; j'espère ne pas céder a la tentation si commune aux auteurs de faire pencher la balance en faveur du héros de leur choix. CHAPITEE I. Sebillet et Vécole de Marot. On a 1'habitude d'appeler Sebillet le théoricien de 1'école de Marot. Pour avoir un théoricien, il faut d'abord que 1'école existe et oette existence peut être mise en doute pour le groupe de Marot. Deux questions se posent ici : Ce groupe a-t-ü un ensemble de préceptes, des régies d'écrire fixes et déterminées, une doctrine, des principes communs? Les poètes auxquels Sebillet s'en rapporte, sont-ce les membres du groupe qui font autorité, et qui le représentent d'une facon plus ou moins compléte? Sans compter les Marot père et fils, on rencontre dans 1'Art Poétique de Sebillet oöiq noms d'auteurs, a savoir Antoine Héroët, Jean Le Maire de Beiges, Meüin de Saint-Gelais, Hugues Salel et Maurioe Scève. On peut ajouter a cette liste Bonaventure des Périers, que Sebillet ne nomme pas, il est vrai, mais a qui il emprunte son exemple de l'„énigme". Et je passé ici sous silence Antoine Macault, Jean Martin et Louis des Masures, qu'il nomme expressément, mais dont le travail1), qui ne sort pas du genre „version" du reste, est de peu d'importance, et je me crois a plus forte raison autorisé a ') C'est-a-dire au moment oü écrit Sebillet. En 1547 Louis des Masures, de Tournai, avait fait paraltre les deux premiers li vres de 1' Enéide de Virgile (Paris, Chr. Wechel, in-4°). En 1552 il en a publié les quatre premiers livres (Lyon, Jean de Tournes, in-4°). Plus tard, par sa trilogie David combattant, triomphant, fugitif, qui est de 1566 seulement, il est devenu le représentant ie plus important du drame protestant. 2 laisser de cöté ceux dont il se contente de mentionner l'ceuvre dédaigneusement sans les nommer; c'est le cas de Frangois La Salla, Eustorg de Beaulieu *) et Claude Colet. En somme Sebillet s'appuie donc sur six ou sept auteurs. Abordons main tenant la première question et essayons d'abord de définir le milieu dans lequel Marot va produire son oeuvre, les goüts et les tendances du public pour lequel il va écrire. Pour Marot lui-même et pour tous les poètes ses contemporains, il y a eu la certainement un élément d'unité, et une influence qui, même a leur insu, était peut-être capable de faire naitre une communauté d'esprit. Ce milieu, c'est la cour du roi Frangois Ier ; ce public, ce sont les seigneurs et les dames qui la composent. Dés la première enfance, Marot est, pour ainsi dire, établi dans la place, graee a son père, famüier du roi Louis XII; avant de devenir le poète attitré, 1'organisateur indispensable de toutes les fêtes mondaines, de tous les divertissements royaux, ce qu'il fut un moment2), ce poète de vingt ans (en 1615, a 1'avènement du nouveau roi) apprend sans peine son métier de courtisan. Que lui faut-ilf Savoir profiter du moindre événement public pour louer le roi ou ceux qui exercent quelque charge importante, être parfaitement au courant de tout ce qui se dit ou se fait dans le monde ') S'il a considéré Marot a juste titre comme chef de file, Sebillet a bien tort de négliger Eustorg de Beaulieu. Son nom ne se trouve, il est vrai, chez aucun des écrivains contemporains, pourtant si prodigues d'épigrammes, tandis que lui de son cöté adresse des vers a Antoine du Moulin, a Maurice Scève, a Clément Marot. Mais dans ses Divers Rapportz (1537) sont représentés tous les genres cultivés par Marot dans V Adolescente. Beaulieu a rencontré Marot a Lyon, alors que Péxilé, pour rentrer en grace, en décembre 1536, venait abjurer ses erreurs devant le cardinal de Tournon: cette scène, a laquelle Beaulieu fait allusion dans la piece qu'il lüi adresse le Ier janvier 1537, ne diminua pas le prestige du maitre aux yeux du néophyte qui quatre mois plus tard allait partir pour la cité de la Réforme. Pour de plus amples détails voir Helen Harvitt, Eustorg de Beaulieu, a disciple of Marot, Columbia-University, 1919. ') cf Guiffrey, (Euvres de Clément Marot, tome I (biographie). 3 de la cour, de toutes les inimitiés comme de toutes les sympathies ; mais surtout savoir dire ce qu'il convient avec clarté et simplicité, pour être compris de tous et ne jamais lasser; condenser son style et sa phrase, afin d'être bref; complimenter en se jouant, demander avec esprit, remercier sans s'abaisser; enfin, être a 1'aise avec tous, et mettre a 1'aise chacun, être celui qu'on est heureux d'avoir pour ami, pour confident, pour interprète, paree qu'il dit tout avec finesse et avec esprit. Ne réussit pas qui veut dans cette carrière, fructueuse, mais difficile. Elle fait dépendre le succès, et aussi pour une bonne part la valeur réelle du poète, de son tour d'esprit naturel, de son tempérament, de sa forme d'imagination et de 1'éducation qu'il a recue, bien plus que de son instruction proprement dite et de son habileté technique. On le voit clairement: 1'esprit poétique est changé en France du tout au tout, en passant de 1'école des „grands rhétoriqueurs" du règne précédent, aux écrivains de 1'époque de Marot. Certes, il y a bien d'autres raisons, qui sembleront peut-être moins extérieures que celle-la, et qui expliquent la transformation profonde de toute une littérature, et non seulement celle de la poésie. Mais si 1'on se borne a chercher quelles influences ont pu donner a la poésie de Marot, a son tour d'esprit, & sa manière de comprendre le róle du poète, une force d'expansion qui semble avoir été considérable, il faut placer en premier lieu les besoins et les goüts de la société au sein de laquelle il a vécu, ainsi que la plupart des poètes ses contemporains. Même dans ce qu'on appellera au siècle suivant „la ville", 1'esprit de la Cour prévaut et fait loi. Quoi d'étonnant a ce qu'on ait essayé d'imiter de Marot ce qui faisait de lui 1'écrivain le mieux adapté a 1'esprit de cette société! II y aurait plutót lieu de s'étonner de ne pas rencontrer bon nombre de poètes, menant la même vie que lui, dont les vers étaient appréciés la oü triomphaient les siens et dont l'ceuvre se développait dans le même sens que la sienne. 4 Victor Brodeau 1) en est un exemple frappant, il a fortement subi 1'influence du milieu oü il vivait. Marot lui adresse des vers2), et au rondeau De Vamour au siècle antique 3) correspond la Besponce par Victor Brodeau au precedent *). Marot lance la mode des „Blasons" : Brodeau écrit son Blason de la Bouche. B vaut la peine aussi de comparer les épigrammes 43 et 44 De Vabbé et de son valet et De frere Thibault6) de Marot avec celle de Brodeau A deux freres Mineurs. L'impression qu'on ressent a lire Brodeau, est la même que celle qu'on éprouve a la lecture de Marot. Jusqu'a quel point peut-on dire que les contemporains sont de l'„école" de Marot, c'est-a-dire qu'ils subissent directement son influence? Clément Marot a passé son adolescence au milieu d'un cercle de vieux auteurs •), presque tous amis de son père Jean Marot, et dont plusieurs eurent une influence marquée sur le futur „père de la poésie frangaise". Et, dans la mesure qu'on peut surprendre chez certains d'entre eux une évolution tres nette vers la simplicité de 1'expression, la solidité de la phrase, et la propriété des mots, on peut dire que ceuxla ont été les précurseurs, en même temps que, dans un certain sens, les initiateurs de Marot. Quelques-uns sont bien connus comme représentants de 1'école des „rhétoriqueurs", titre de gloire qu'ils se décernaient entre eux: ce sont Guillaume Cretin, a ce moment trésorier de la chapelle de Vincennes, et Jean Meschinot, 1'ancien maitre d'hótel de la reine Anne de Bretagne. Trés important au point de vue de la formation de Clément Marot est Jean le Maire de Beiges. On pourrait ') Cf.: Pierre Jourda, Un disciple de Marot: Victor Brodeau (Revue d'histoire littéraire, 1921, p. 30—59 et 208—228). *) C'est le rondeau 22 A celuy dont les lettres capitales portent le nom (éd. Jannet, II, p. 139). •) Jannet, II, p. 162. Voir aussi Du Bellay, (Euvres poétiques, IV, p. 211, et V, p. 75. ') Jannet, II, p. 163. •) Jannet, Hl, p. 21. «) Cf. Guiffrey, op. cit., I, p. 60—64. 5 dire qu'il fut le précurseur direct de notre poète, en même temps que son contemporain ; il semble que c'est, au plus tard, en 1524 qu'il faut fixer le décès du poéte*). Ses ceuvres sont a coup sür connues et imprimées au complet dès 1525. C'est le premier poète digne de ce nom chez lequel on saisisse le véritable esprit de la Benaissance 2). Encore mal dégagé de la pédanterie et de la lourdeur des rhétoriqueurs, il chercbe comme eux, trop souvent, la gloire dans la difficulté vaincue, aux dépens du bon sens, de la clarté de la langue et de 1'harmonie des mots. II fait dialoguer sans grace des allégories qui manquent de vie; il se forge de 1'Antiquité une idéé fausse autant que traditionnelle, c'est-a-dire qu'il la reconstitue avec les idéés, les mceurs, les coutumes de son temps a lui: il manque en somme de souplesse. Mais avec toutes ces insuffisances, üfait pressentir les temps nouveaux. D'abord par sa pensée et son attitude en religion, qui ne manquent pas d'une certaine hardiesse 3). Son Traicté de la différence des schismes et des conciles de VEglise (1511) le montre développant cette thèse que les Papes ont toujours été causes des schismes qui ont affaibli 1'Eglise, tandis que les conciles, qui 1'ont fortifiée, ont toujours été dus a 1'initiative des princes ; il attaque donc 1'institution et 1'esprit de la papauté, et il prédit a brève échéance un vingt-quatrième schisme, „grand et merveilleux". Bien que le livre soit une ceuvre de polémique, destinée a aider Louis XII dans sa lutte contre le pape Jules II, le ton n'en fait pas moins penser a certaines poésies de Marot,4) qui sont le plus fortement marquées par 1'esprit de la Eéforme. L'écrivain, chez Le Maire de Beiges, présente ') Vbir P. Spaak, Jean Lemaire de Beiges (Revue du Seizième siècle, VIII—X); Alfred Humpers, Quand Jean Lemaire de Beiges est-il mortl (Bulletin de VAcadémie royale de Belgique-Lettres, 1913, p. 408—421). J) Henri Chamard, Les origines de la Poésie francaise de la Renaissance, p. 151—172. 3) Henry Guy, L'école des Rhétoriqueurs, p. 174 sqq. *) cf. Jannet I, Le Balladin I, Opuscules, XI, p. 107—116. 6 au moins autant d'originalité. Si d'un cöté ses premiers poèmes, le Temple d'Honneur et de Vertu, et la Couronne Margaritique (1503—1504), sont bien celles d'un rhétoriqueur, déja sa Plainte du Desiré montre de la simplicité et de la force; 1'appareil symbolique est réduit au rninimum; point de jonglerie métrique, et nulle pédanterie; la Ehétorique elle-même y avoue son déclin: „pauvre, basse et humblette", elle disparaitra avec ses derniers adeptes. Mais c'est surtout dans la Concorde des deux Langages (1513), et dans les deux Epistres de VAmant verd (1510), qu'il est vraiment homme de la nouvelle „école". La foule qui, dans la première de ces ceuvres, remplit le temple de Vénus, fait songer aux Thélémites, ces gens „qui ne font rien que de vouloir délectable et cceur gay". Ici Jean Lemaire est un disciple des Italiens; il défend trés mollement la langue francaise et a ses yeux 1'italien reste la langue par excellence de 1'amour et de la poésie. Bref, il dépasse infiniment le niveau moyen de ses contemporains : son inquiétude métaphysique, ses recherches constantes, et souvent couronnées de succès, vers quelque chose d'autre, son désir de se dépasser lui-même, et d'élargir sa personnalité en cultivant plusieurs arts a la fois (car il fut également musicien, graveur de médailles, voire architecte et peintre), tout cela devait nécessairement lui donner une influence et un rayonnement considérables sur les écrivains de la génération suivante. Et de fait, il fut 1'initiateur de tous ceux qui, après lui, allèrent chercher dans la littérature italienne des modèles et des thèmes d'inspiration : pour ne parler que des contemporains de Marot, Mellin de Saint-Gelays procédé directement de lui. Quant a Marot lui-même, il reconnait 1'excellen ce de ses conseils en matière de versification: „mais 1'Adolescence ira devant, et la commencerons par la première eglogue des Bucoliques virgilianes, translatée (certes) en grande jeunesse, comme pourrez en plusieurs sortes congnoistre, mesmement par les couppes femenines, que je n'observois encor alors, 7 dont Jehan Lemaire de Beiges (en les m'aprenant) me reprint" *). H lui apprit aussi a manier le vers alexaadrin, abandonné presque entièrement au XVe siècle, et qui avait été employé pour la première fois trois siècles plus tót dans le Pèlerinage et dans Alexandre le Grand. Ce mètre était alors redevenu une grande nouveauté, et Marot s'en servit quelquefois, dans les épigrammes et épitaphes : en tout une dizaine de pièces a). Enfin, dans les vers de Marot, on trouve maintes louanges adressées a Jean Lemaire ; par exemple, dans VFpistre d Madame de Soubise, partant de Ferrare pour s'en venir en France(1536): Adieu la main qui de Flandre en Ia France Tira jadis Jean Le Maire Belgeois, Qui 1'ame avoit d'Homère le Grégeois, *) et dans la Complainte de Monsieur le general Guillaume Preud'homme (1543) : Ton Jehan le Maire, entre eulx hault colloqué Et moy, *) dl sait que son grand ouvrage en prose Illustrations des Gaules et singularitez de Troie eut un immense succès et fut classique durant le XVIe siècle. Cette idylle de la bergère (Enone et de son berger Paris est un ouvrage naïvement érudit. Mais si du Bellay reconnait en lui un ancêtre, c'est que, malgré son abus de 1'allégorie, Jean Lemaire a su se soustraire a 1'influence des grands rhétoriqueurs. II se range au nombre des disciples de Guillaume Cretin, mais fait autrement que lui. Je crois donc qu'il y a des traits de ressemblance entre Lemaire et Marot, qu'il y a la deux versificateurs habiles *) Marot IV, Préface de V Adolescence Clémentine, p. 189. ') Marot II, Gimetière 3, 7, 10, 17, 19, 24, p. 222—234. id. III, Epigrammes 11, 13, 14, 27, p. 9—15. *) Marot I, Epitres 55, p. 258. *) Marot II, Complaintes, 5, p. 270. Cependant, n'attachons pas une importance extréme a ces éloges dont les poètes contemporains sont si prodigues. 8 et corrects, mais je ne réüssis pas a découvrir une véritable cohésion dans leurs efforts, condition indispensable pour admettre 1'idée d'école. Bonaventure des Périers x) est 1'ami et Padmirateur de la familie Marot. B a célébré Clément comme père de la poésie francaise 2) et il fut le premier sur la brèche pour réclamer du Boi le rappel de son ancien protégé, exilé a Venise. Dans la dispute de Marot et de Sagon, dont M. Paul Bonnefon a raconté en détail3) les différentes phases et oü 1'animosité personnelle était 1'élément dominant, Bonaventure des Périers, Charles Fontaine et „Mcole Glotelet" — pseudonyme encore inexpliqué — sont les principaux défenseurs de Marot. Stimulé par la diversité de structure de 1'ode antique, Des Périers a créé des chants artistes de forme variée et il a réussi surtout dans ses sixains plein s de rythme. B a traduit Horace en vers blancs. Les poésies qu'il appelle modestement „petits vers mixtes", répondent aux exigences de 1'ode pour le fond et la plénitude autant que pour la forme, paree qu'il relie ses sixains gracicux a un long poème. Le Bourguignon s'efface comme poète devant Marot, mais a son tour il le surpasse en profondeur et au point de vue du sentiment de la nature. Dans ses traductions de Psaumes et de Cantiques (publiées a Lyon avec ses autres poésies, en 1544, après son suicide, par son ami Antoine Du Moulin), on retrouve le ton solennel et grave de Marot traducteur des Psaumes. De Marot il a la correction, le soin de 1'épithète, la richesse de la rime, mais non au même point la vivacité et la grace facile. Ses débuts furent d'ailleurs bien autrement difficiles ; malgré Ses connaissances de 1'antiquité grecque et latine bien plus approfondies que celles de Marot, il ne fut connu ') cf. A. Chenevière, Bonaventure des Périers, sa vie, ses poésies, thèse de Paris, 1885, p. 49 sqq, 126 sqq. ') Bonaventure des Périers, édition Lacour, I, 75. Voir C. Serrurier, Bonaventure Despérier» (Oids, 1924). ') Paul Bonnefon, Ledifférend de Marot et de Sagon (Revue d'Histoire littéraire I, p. 103—138 et p. 259—285). 9 que beaucoup plus tard. Son originalité la plus frappante, c'est la sensibilité profonde et le don d'émotion qu'il apporte dans ses ceuvres amoureuses; c'est cette sorte de culte brülant et discret a la foia, qu'il voue a sa maitresse la Eeine Marguerite, qui se voit contrainte d'éloigner en 1538 son infortuné valet de chambre devenu trop compromettant depuis la publication du Cymbalum mundi. Cependant, dit Chenevière, „dans ses veines et dans celles de Marot coule un même sang poétique. Tous deux, vivant dans le même temps, dans la même société lettrée, eherchant a plaire a la même reine, sont membres de la même familie poétique et ont conservé certains traits communs a tous leurs frères". M. L. Delaruellex) dit également qu'on trouve chez Des Périers des poésies de circonstance, épitres, épigrammes, rondeaux „telles que nous les pouvions attendre d'un disciple enthousiaste de Marot". Le Cymbalum. mundi, que je viens de nommer, „livre plus fameux qu'il n'est gros" est une série de quatre dialogues obscurs et parfois railleurs. C'est la première ceuvre francaise qui manifeste, entre les deux théologies également intolérantes, 1'existence d'un tiers parti de libres philosophes. La citation de Juvénal „Probitas laudatur et alget" rappelle les plaintes de Marot, qui n'a cessé de répéter que le talent est apprécié mais peu rémunéré. A 1'opposé dé Félix Franck 2) et d'Abel Lefranc 8), qui considèrent le Cymbalum mundi comme un contre-évangile, un pamphlet et une prophétie, M. Delaruelle est d'avis que „si 1'on fait état seulement des allusions précises, l'ceuvre commence comme une critique toute générale des minuties auxquelles s'attarde la religion catholique; elle continue et se termine comme une satire de la réforme. En aucun endroit elle n'attaque les dogmes essentiels de la religion chrétienne". En effet, Des l) L. Delaruelle, Etude sur le problème du „Cymbalum mundi" (Revue d' Histuire littéraire, 1025, p. 1—23). ') Félix Franck, Cymbalum Mundi, Paris, 1873. ») Abel Lefranc, (Euvres de Rabelais, III (1922), p. LXI. 10 Périers a tourné ici son ardeur de polémiste surtout contre les réformés. Et dans ses Nouvelles récréations et ioyeux devis — collection d'anecdotes — il a ri aux dépens des prêtres, des moines, des médecins, des juges, des savants et des femmes *). Ainsi, sans avoir poursuivi un but en commun, Marot et Des Périers présentent souvent le même badinage élégant, leur esprit jaillit de source; mais Des Périers doit son charme au soufflé de la Eenaissance italienne, Marot a son génie naturel: les spectacles qu'a dü lui offrir 1'Italie de la Eenaissance ne Pont jamais touché. Hugues Salel — un compatriote de Marot, originaire du Quercy — abbé de Saint-Chéron, a regu les legons de Guillaume Budé, sait donc bien le grec et est trés érudit. B écrivit a peu prés dans tous les genres oü Marot excella; il était, comme lui, valet de chambre du roi Frangois Ier. Marot lui dédia un rondeau fort louangeur8) et une épigramme, dans laquelle il glorifie le Quercy d'avoir fait naitre deux poètes aussi grand s : Salel et lui-même Quercy, Salel, de toy se vantera, Et (comme croy) de moy ne se taira *). Ce fut un grand traducteur ; en 1545 paraissent les dix premiers chants de sa traduction de Vlliade; les livres 11 et 12 ne furent publiés qu'en 1554, après sa mort. Au moment du grand succès des blasons marotiques, il écrivit aussi les siens (Blasons de Vanneau, de Vépingle). C'est paree que Jean Lemaire s'est conBtamment abstenu d'observer la régie de 1'alternance dans les longs vers a rimes plates, que Hugues Salel a l) Comme 1'a remarqué M. Lanson, Histoire illustrée de la liüérature francaise, t. I, p. 190, ce livre soulève une question d'authenticité. A la fin de la nouvelle V (p. 24 de 1' édition-Jacob, Paris, Oarnier, sans date), le livre III de Pantagruel est cité. Or, ce livre III parut deux ans après la mort de Des Périers. *) Marot II, Rondeau 74, p. 171. *) Marot III, Épigramme 175, p. 71. 11 témoigné tout d'abord de 1'indifférence pour ce procédé de versification. Le dauphin Henri ayant eu un fils après dix années d'attente, ce fut dans la familie royale une grande joie, dont on trouve un écho dans les ceuvres de Marot et de Salel (Marot, I, 64 ; Salel, De la nativité de Mongr andseigneur le Duc, fils premier de Mongrandseigneur le Dauphin). Salel est tout au moins autant le précurseur immédiat de 1'école de 1550 que le partisan de Marot: lui comme Habert et Gh. de Sainte-Marthe sont parmi les premiers qui se rallient a 1'école de Bonsard, qui passent dans le camp des adversaires. II fait comme Jacques Peletier du Mans, qui reconnait les mérites, grands quoique divers, des chefs des deux écoles, il associé leurs noms dans 1'éloge de la renaissance poétique. On peut dire que, pour Salel, Jean Lemaire est un homme qui fait autorité; je me demande si, aux yeux de Salel, Marot a le même prestige. Si 1'on considère, comme de droit, le Chant auquel Cupido est tourmenté par Vénus de Salel (imité d'Ausóne) et quelques-unes de ses épigrammes, entre autres celle intitulée Chant amoureux d'un vieülard, comme de vraies odes, si 1'on pense qu'en 1552 H. Salel adressant un sonnet „Aux seigneurs de Eonsard et Du Bellay" leur demande le secours de leur muse pour 1'aider a chanter d'amour, si 1'on pense a la préface de la première édition de VOKve, publiée en même temps que la Deffence, oü 1'auteur qui „ne cerche point les applaudissements populaires", nomme Salel parmi les sept ou huit personnes qu'il aime a considérer comme ses futurs lecteurs, si enfin on se rappelle 1'épitaphe élogieuse de Salel par Eonsard („Qui des premiers chassa le Monstre d'Ignorance"), on hésitera a compter Salel parmi les disciples de 1'école de Marot. Mellin de Saint-Gelais fut 1'ami de la première heure de Marot, son parrain auprès du roi Frangois; de plus, il 1'initia a 1'Italie, dont il connaissait trés bien la langue et la littérature; il 1'aida a accroitre sa connaissance du 12 latin, qui était fort imparfaite 1). Spectacle rare, rhomme en place 2) aida le nouveau venu a conquérir le rang que son talent méritait, et jamais leur bon accord ne se démentit par la suite 8). Cet homme spirituel, extrêmement doué, d'une culture universelle, représente dans le groupe de Marot Pitahanisme. Saint-Gelais accueüle a sa table 4) humanistes et philologues. Ce n'est pas une réunion fortuite, car Vulteius s) était déja en relations d'amitié avec presque tous ces convives de Saint-Gelais qui s'adonnent uniquement a 1'étude et a 1'imitation des littératures antiques ; et Saint-Gelais ne se doute pas ») La Croix du Maine, éd. 1772, I, p. 156, nous apprend ceci: „Marot traduisit les Psaumes de David selon la traduction que lui en faisait en prose francaise Mellin de Saint-Gelays et autres hommes doctes de ce temps-la." D'autre part M. Villey (A propos des sources de deux épttres de Marot, Revue d'histoire littéraire, 1919, p. 220—245) croit que les témoignages du Toulousain Jean de Boyssonné et de Marot luimême qu'on allègue d'ordinaire a ce sujet ne doivent pas être pris a la lettre: „II ne faut pas oublier que pour un érudit de la trempe de Boyssonné, savoir le latin c'est le savoir a sa manière a lui, prétendre en latin a 1'ample rotondité de la période cicéronienne". Quand, dans la préface de sa traduction, Marot lui-même dit des Mètamorphoses d'Ovide: „si peu que j'y connaisse", M. Villey ne voit la qu'une formule de modestie; Marot pense aux Budé, aux Dolet, ses amis. M. Villey reconnait qu'au début de sa carrière poétique, sa science du latin était peu profonde ; on sait que durant son séjour è Ferrare Marot en a poursuivi 1'étude avec la pensée que sa poésie en tirerait profit. •) Villey, Marot et Rabelais, Paris, 1923, p. 14: „Mellin de SaintGelais apparaissait au fils du petit bourgeois de Caen dans tout le prestige que confèrent la fortune et la facilité brillante"; et la p. 17 „Par son excellente culture d'humaniste encore, Saint-Gelais était homme a servir d'exemple a son jeune ami". *) H.-J. Molinier, Mellin de Saint-Gelays, sa vie et ses ceuvres, thèse de Paris, 1910, qu'on consultera avec prudence: tantót (p. 59) Molinier allègue une affirmation de Colletet, pour défendre ce que lui, Molinier, soutient, tantót il ruine 1'autorité de ce témoin en lui refusant le sens critique. 4) Louis Delaruelle, Un diner littéraire chez Mellin de Saint-Gelays (Revue d'histoire littéraire, 1897, p. 407—411). *) Jean Visagier (Vulteius) appartient au groupe littéraire du Toulousain Jean de Boyssonné duquel font également partie Antoine du Moulin et Nicolas Bourbon de Vandeuvre (voir Délie, édition Parturier, Introd. p. IX). 13 qu'ils prendrönt dans 1'étude de 1'antiquité le goüt d'une poésie plus élevée, plus sérieuse que la sienne. Au moment de la lutte de Marot et de Sagon, Mellin se tint un peu a l'écart, mais on savait bien a qui allaient ses sympathies. II avertit Marot, par lettre, des projets de Sagon, avant la publication du Dieu gard de celui-ci. E't Marot le remercia par cette épigramme : Ta lettre, Merlin, me propose Qu'un gros sot en rithme compose Des vers par lesquelz il me poinct; Tien toy seur qu'en rithme n'en prose Celuy n'escrit aucuno chose ■ Duquel 1'ouvrage on ne lit point II contribua a apaiser la bataille par sa Ballade du Milan et du Chat. Quant a son ceuvre, elle se développe a cóté de celle de Marot, et d'une allure toute semblable. On trouve chez les deux, des „étrennes" poétiques, des échanges de devises, des vers écrits pour des amants inhabiles. Ils traitent a plusieurs reprises des sujets communs: par exemple, Anne Malade 2), le Doux Baiser3), De Ouy et Nenny 4). On ne peut faire parfois le départ de leurs vers. Ils se sont peut-être provoqués entre eux dans des tournois poétiques, si 1'on en croit ce passage de Marot: Une aultre foys, pour 1'amour de 1'amye, A touts venants pendy la challemye: Et ce jour la, a grand peine on scavoit Lequel des deux gaigné le prix avoit, Ou de Merlin ou de moy ....6). Dans sa vie et sa poésie Saint-Gelais représente le catholicisme léger, épicurien d'une société qui croit *) Marot III, Épigramme 81, p. 36. ') Mellin de 8. Gelays, éd. Blanchemain, II, 270, et Marot II, Chant» divers, 10, p. 117. •) Mellia.de S. Gelays, II, 45, et Marot III, Épigramme 126, p. 52. •) Mellin de S. Gelays, I, 115, et Marot, III, Épigramme 68, p. 29. *) Marot, I, Opuscules, 3, Eglogne au Boy sous les noms de Pan et de Robin, p. 43. 3 14 prouver sa foi en brülant les hérétiques. II est le type accompli de 1'abbé galant, de 1'abbé de cour; personne n'a plus de disposition que lui a traduire le Cortigiano de Castiglione. II chante et joue lui-même ses gentils riens sur des mélodies de sa composition. II transforme 1'art élégant et léger de Marot en une poésie gracieuse, bouffonne ou douce: ses contemporains aiment a le nommer „Melin tout de miel". II est bien de la même école que Marot, qui fut a tel point poète de cour qu'il connut jusqu'a 1'art futile mais malaisé de rimer pour ne rien dire et sans sujet apparent. Tous les deux, Clément Marot et Saint-Gelais, ne craignent pas de parler aux dames du plus haut rang dans une langue tres verte ; „chaque siècle a son degré de décence et 'de dégout !" La diffórence entre eux deux est que Marot tend la main, du reste avec grace, avec esprit, même avec une sorte de fierté, tandis que Saint-Gelais n'a pas besoin de quémander. Marot et Saint-Gelais portent un rude coup aux anciens genres lyriques par 1'introduction du sonnet de Pétrarque. On est en droit, d'après mon idéé, d'admettre une étroite communauté d'esprit entre ces deux poètes ; en tous cas, Marot traita toujours SaintGelais avec beaucoup de déférence, et dans sa maturité s'adressa toujours a lui comme a un égal en science et en valeur poétique. Avant de quitter Saint-Gelais j'appelle encore 1'attention Bur deux points. Marot ayant écrit a la fin de 1'année 1535 1'épigramme du Beau Tétin, une fureur d'imitation s'abattit sur le Parnasse francais ; tout ce qui avait un rang en poésie, comme tout ce qui aspirait a en obtenir un, prit part a la joute poétique. H n'est jusqu'a Mellin de Saint-Gelais qui n'ait composé ses „blasons", bien que Marot dans son Epistre A ceulx qui apres Vépigramme du beau Tetin en feirent d'aultres oü le commandant fait le dénombrement de ses troupes, ne semble pas les connaitre: >) cf. Marot, I Epitre 41, p. 210. 16 O Sainct. Gelais, creature gentile, Dont le scavoir, dont 1'esprit, dont le stile, Et dont le tout rend la France honnorée, A quoy tient il que ta plume dorée N'a faict Ie sien? M. Frédéric Lachèvre *) se demande si la date de la composition du Blason des cheveux coupés: „Cheveux, seul remède et confort", et de celui de VOeil: „Oeil attrayant, oeil arresté" de Mellin de Saint-Gelais peut être la cause de cette ignorance. Et il continue : „En tout cas Marot n'y a fait aucune allusion, mais, quoi qu'il en soit, Melin de Saint-Gelais n'a rimé aucun contreblason". Et Guiffrey 2) croit que Saint-Gelais en avait pris a son aise et que ces vers n'étaient point arrivés a temps pour que Marot püt leur attribuer leur part d'éloges. „Peut-être Saint-Gelais avait-il mis quelque retard dans 1'envoi de son oeuvre, ou ne s'ótait-il décidé qu'a la dernière heure a entrer en lice avec ses rivaux". Le second point c'est que la poésie Qu'est-ce qu ''Amour% citée par Sebillet a la p. 171, a en croire M. Pierre Jourda 3), n'est pas de Mellin de Saint-Gelais. L'étude du manuscrit francais 2336 de la Bibliothèque Nationale et celle du Becueil de vraie poésie francaise le porte a croire que cette poésie et neuf autres forment une série de pièces écrites par le cardinal de Tournon, par Chappuis, par Brodeau. Molinier, hésitant ici comme en plusieurs autres endroits, fait des réserves sur l'authentfcité des pièces attribuées a Mellin, mais il n'a pas taché de jurtifier ces réserves. Dans la période qui m'occupe fleurit a Lyon une véritable école poétique. La sensualité de la Eenaissance avait trouvé en Italië un correetif dans les théories spiritualistes de Platon. Par la combinaison de ce spi- l) Frédéric Lachèvrë, Bibliographie des recueils coUectifs de poésies du XVIe siècle, Paris, 1922, p. 42, n. 3. *) Guiffrey, o. I. III, p. 405, n. 1. ») Pierre Jourda, Sur quelques poésies faussement attribuées a SaintGelais (Revue d'histoire littéraire, 1924, p. 303). 16 ritualisme et 1'imitation de Pétrarque il se crée a Lyon un lyrisme qui s'oppose au badinage léger de Marot. Du Verdier *) appelle Antoine Héroët „1'heureux illustrateur du haut sens de Platon". Tout comme Marguerite, Héroët s'est tournó vers „le divin Platon", comme vers le guide et le consolateur par excellence. M. Abel Lefranc 2), dans sa belle étude sur Le Platonisme et la Littérature en France a V'époque de la Renaissance, a loué, avec la facture aisée des vers d'Héroët, „1'élégance et la précision de ce style poétique, manifestement en avance sur celui de 1'époque". Eien n'est plus remarquable en effet que ce goüt d'un poète qui bannit de ses vers les ornements superflus et les métaphores ambitieuses pour rendre des idéés élevées dans un style simple et ferme. Cet évêque de Digne, moins poète que philosophe, publie en 1542 une traduction de 1' Androgyne. Sa Parfaite Amye (1543), poème didactique de 1'amour spirituel, imprégné des sublimes conceptions de 1'auteur du Banquet fut une réplique a la cynique Amie de Court de Jean Boireau de la Borderie, favori de Marot : ici la théorie de 1'amour dégagé des Hens de la matière, les idéés platoniciennes enfin s'opposent a 1'esprit gaulois. V Amie de Court avait été inspirée par la traduction que Jacques Colin fit du Courtisan de Balthasar Castiglione. B est inutile d'entrer dans le détail du débat que souleva la conception platonicienne de 1'amour, développée par Héroët. B y gagna un renom de poète philosophique et savant. B fut célébré par Salmon Macrin dans des hendécasyllabes „ad Antoninum Heroicum", et par Louis le Boi dans son Commentaire sur le Banquet. Quant a Marot, au moment du tournoi il éprouvait de la gêne ; il finit par y prendre part, dans son Epistre a son amy Papillon en abhorrant jol amour3), ») Bibliothèque francoise de la Groxx du Maine et de Du Verdier, édit. Rigoley de Juvigny, III, p. 123. ') Article de la Revue d'histoire littéraire, 1896, p. 1—44. ») Cf. Marot I, Epitre 65, p. 287—289. 17 oü il se range du cóté de Héroët, mais sans grande conviction, inutile de le dire : Qu'est ce qu'amour? Voy qu'en dit Sainct Gelays, Petrarque aussi, et plusieurs hommes lais, Prestres et iólircs, et gens de touts estophes, Hebreux et grecz, latins et philosophes: Ceulx la en ont bien dict par leurs sentences Que de grandz maulx petites recompenses. Marot, dans la Complainte de Monsieur le general Guillaume Preud' homme *) a beau attester que la France possède alors trois grands poètes : Dont tu es 1'un, Sainct Gelais angelique Et Heroet, a la plume heroïque, lui et Héroët n'ont jamais eu un programme commun, un ensemble d'idées sur 1'art, sur le rölé du poète dans la société, sur la valeur des influences qui s'exercent sur lui, sur les modèles qu'il doit se proposer, et la facon dont il doit rivaliser avec ces modèles. Et 1'école poétique qui s'est formée a Lyon a un chef reconnu ; c'est Maurice Scève. Par quelques-ünes* de ses compositions de jeunesse (je pense aux blasons du sourcil, du front, des larmes, imitations des deux blasons du Beau et du Laid tetin du sensuel Marot), il trahit 1'influence qu' a d'abord exercée sur lui maitre Clément. Mais en 1544 il publie sous le titre de Bélie, objet de plus haute vertu une collection de poésies en 1'honneur de la „vertueuse et gentille" Pernette du Guillet. Dans ce poème, commencé dès 1527, on reconnait les étapes successives qui conduisent de'la passion charnelle au parfait amour. Maurice Scève a été un des premiers a exploiter en France, pour une ceuvre de haute inspiration, cette matière poétique. A son retour en France, Marot a connu Scève a Lyon, oü il fit un assez long séjour, recu chez tous les poètes l) Marot II, Complainte 6, p. 272 ; cf. aussi le vers de du Bellay Héroët aux vers heroiques (Ode XIII, A Héroët, (Euvres poétiques, III, p. 136, vers 13). 18 et poétesses qui faisaient alors de la cité du Ehöne un centre littéraire presqu'aussi brülant que celui de la cour Eoyale. II vit au „Cercle de 1'Angélique", Etienne Dolet, en ce moment établi a Lyon ; Scève et ses deux soBurs Claudine et Sybille, Pernette du Guillet et bien d'autres encore (Louise Labé, la „belle Cordière" n'avait en 1536 que onze ans). L'amitió de Scève fut précieuse a Marot, paree qu'il le rapprochait des Italiens et des Latins 1). Quant a la note qu'il introduisit dans le concert poétique du temps, elle est assez originale : „poète retiré du chemin tracé par 1'ignorance", comme devait dire de lui plus tard du Bellay, on trouve chez lui une aspiration vers 1'idéal, un goüt de 1'abstraction et des formes générales de la pensée, qui le font parent de Héroët. Pétrarque eut une grosse influence sur sa mystique amoureuse ; par la il annonce directement certains poètes de la Pléiade. B écrit d'une manière plus serrée et plus obscure que Marot, avec des néologismes fréquents, que les contemporains eux-mêmes lui reprocheront souvent. B fut trés admiré, par contre, de tous les „doctes" de la trdupe poétique. La Borderie écrivait: A Scève au sens profond, Pelletier et Tyard O Muses, elevez trois colonnes a part»). Charles Fontaine, qui s'établit a Lyon en 1540, se lie d'amitié avec Scève et le déclare „divin et trés érudit". Antoine du Moulin compare ses „doctes conférences" aux „véritables réponses de 1'oracle delphique", et Charles de Sainte-Marthe, qui tente d'appliquer son platonisme a la piété chrétienne et qui abhorre le naturalisme païen dans lequel le culte de 1'antiquité a fait tomber quelques lettrés de son temps, lui'fait la part belle dans ce huitain: Chacun Marot escrivant ne peut estre Pour attirer le lecteur par doux stile; ') Cf. La Croix du Maine, et Goujet, Biblioih. franc., XI, p. 442 sqq. *) Joseph Aynard, Introduction al'édition des Poètes Lyonnais, Paris, 1924, p. 49. 19 Un chacun n'est comme Scève bien dextre Pour fulminer d'invention subtile. Chacun n'a pas son esprit tant fertile Que Sainct-Gelais: il ne s'ènsuyt pourtant Que celuy-la qui n'en peut faire autant En ses escripts soit du tout inutile. L'amour pur que chante Maurice Scève, est exempt de toute souülure charnelle. C'est également le cas pour Antoine Héroët. La différence entre ces deux c'est qu'aux yeux d'Héroët 1'amour pur est exempt de souffrance, tandis que dans Scève eet amour est plus tourmenté. Scève est érudit, trés érudit, trop érudit; 1'allure pénible de ses vers permet de dire qu'il est obscur dans sa gravité. Quant a Marot, rien n'est sorti de sa plume qui ne soit limpide et d'un tour aisé. Ces différences foncières entre Scève et Héroët d'un cóté et Marot de 1'autre montrent que le cénaele lyonnais, qui veut arracher la poésie au vulgaire pour 1'isoler dans un monde idéal, ouvert aux seuls initiés, ne marche pas a la suite de Marot, n'est pas de son „école". Le sommaire que je viens de faire de l'oeuvre des auteurs en question et les rapprochements que j'ai établis entre eux et Marot, suffiront a justifier une réponse négative a la première des deux questions posées au début : on ne saurait dire ni ce qu'a voulu le groupe ni dans quel sens il marche et veut faire marcher les autres. II n'y a ni communauté de programme ni accord de tempéraments. H est certain qu'il y a des traits de parenté, qu'il y a le plus et le moins dans le degré de cette parenté, mais 1'analyse ne permet pas de découvrir les éléments d'une doctrine, d'un système auquel les collaborateurs consacrent leur vie, pour la réalisation duquel ils engagent leur parole. Et ceia ne nous étonne pas. Car Marot, dont la jeunesse s'est écoulée a vagabonder dans les campagnes du Quercy, ne s'est jamais défait des goüts de l'„arondelle qui vole". TJn homme qui ne s'attache a rien un peu passionnément, qui est superficiel autant que spirituel, chez qui 1'on constate „une certaine inaptitude a dócrire, une absence d'im- 20 pressions profondes en face de la nature *) ou des grands déploiements de 1'activité humaine" n'est pas de taille a prendre en mains la direction d'un mouvement, littéraire ou autre. Et Brunetière est peut-être en droit de se demander si c'est être en vérité poète que de n'avoir eu que de 1'esprit, de la malice et de la clarté2). Un esprit comme celui de Jean Lemaire de Beiges doit moins a Marot qu'inversement. Cependant il y a des faits qui prouvent que celui-ci a exercé une certaine autorité. C'est d'abord d'avoir lancé un genre poétique nouveau, le „blason" dont le succes est sans aucun doute un témoignage d'une certaine influence exercée par Marot sur ses contemporains; il a fort bien conscience du róle d'animateur qu'il joue, car il poursuit son avantage, et propose a ses admirateurs de „contre-blasonner" ce qu'ils viennent de blasonner : il leur envoie un modèle, son blason du Laid Tétin, avec la manière de s'en servir : Mais, je vous pry, que chascun blasonneur Veuille garder en ses escriptz horineur; Arrière motz qui sonnent sallement et le vainqueur, pour récompense suprème, De verd lierre une couronne aura, Et un dixain de Muse Marotine, Qui chantera sa louenge condigne. Ces derniers vers n'eurent pas d'échos ; seul, La Huetterie, qui s'était abstenu la première fois, se dédommagea la seconde en écrivant dix-sept contre-blasons, qu'il réunit ensuite en volume, avec une épitre dédiant le tout a Sagon. En second lieu, dans la querelle de Marot avec Sagon, 1'argument essentiel employé contre Sagon est d'avoir voulu, lui, poète médiocre, attaquer un grand poète. De 1'autre cóté de la barricade, le mot de „dis- ') On rencontre cependant dans 1'églogue Au roy soubz les noms de Pan et Robin un sentiment de la nature qui n'est pas familier a Marot. s) Ferdinand Brunetière, Histoire de la littérature francaise classique, I, p. 96. 21 ciples" est constamment appliqué par Sagon aux amis de Marot qui prennent sa défense. En troisième lieu la réforme de la césure, concue par Jean Lemaire, n'est devenue regie définitive qu'après que Marot 1'a adoptée. Mais Marot est trop irrésolu, trop indécis pour diriger un mouvement. Avec ses apparentes inconséquences, avec ses élans vers Dieu joints a son mépris des rites et des observances catholiques et a 1'impatience avec laquelle il supporta le joug calvinien, il semble être un écho de la pensee érasmienne. Mais il n'a jamais, comme Erasme, senti douloureusement le vide des études classiques quand elles ne cherchent pas leur fin en dehors. d'elles-mêmes 1). En 1544, c'etrt-a-dire huit années après la scène de Lyon, il écrit encore son Balladin, oü il se montre toujours pénétré de 1'esprit évangélique tel qu'Erasme 1'avait interprété. Ce ne sont pas ses grandes pensées qui ont fait de Marot le centre du groupe, c'est peut-être son malheur. Car c'est par pitié plutót que par respect que ses amis se groupent autour de lui toutes les fois qu'il court risque „d'être mis en cage". Bester tranquille après un emprisonnement, ce n'était pas dans sa nature. Et c'«Bt ainsi que tantót des mceurs jugées mauvaises, tantót 1'accusation d'hérésie font du gentil poète que Pfancois Ier n'a pas cessé de chérir, le centre de 1'intérêt officiel, ce qui n'est pas la même chose que le centre de 1'intérêt artistique. On comprend que ses amis 1'aient considéré comme un chef d'école pendant les sept bonnes années qui s'écoulent entre son retour de Venise (1536) et son trop grand succès qui 1'a perdu, je veux dire la traduction des Psaumes de David. Mais Thomas Sebillet, qui écrit trois ans après sa mort, aurait pu puiser dans son oeuvre la grande majorité de ses exemples sans le considérer comme 1'esprit qui guide ses contemporains. Et nous autres qui le voyons a distance, nous le prendrons plutót pour le bon ouvrier littéraire qui a parfois ') cf. Huizinga, Erasmus, p. 138-139. 22 parlé en précurseur intelligent de la Pléiade x); pour nous il est artiste par ses tours de phrases, son choix de mots et de rythmes, mais il n'est pas chef d'école. Ceci posé, je ne vais pas me dérober a 1'usage établi de parler de 1'école de Marot. L'expression a 1'avantage d'être commode et j'ai déja démontré que, 1'école lyonnaise mise a part, les autres auteurs ont entre eux assez de points de contact pour les considérer comme formant un groupe qui se caractérise par une supériorité technique universellement reconnue, un esprit conforme aux goüts du public lettré. Si 1'école de Marot n'est ni un groupement théorique, ni une rupture dans 1'évolution littéraire, elle est le résultat d'une influence toute pratique, elle est la conséquence même d'une évolution. En somme je crois que les auteurs dont je viens de parler — toutes ces choses sont vraies en gros, mais contestables dans le détail — montrent tous leur propre tendance qui les porte a se mouvoir dans une direction déterminée, de sorte qu'on pourrait parler du caractère hétérogène de 1'école de Marot. Après ce qui précède, la réponse a la seconde question que j'ai posée, celle de savoir si les poètes choisis par Sebillet sont représentatifs de leur groupe, est facile a donner: elle est affirmative. H est vrai que Sebillet ne mentionne pas Jean Bouchet, Victor Brodeau, le „füs" de Marot, Charles Fontaine, La Borderie, Marguerite de Navarre, Frangois Habert, Gilles Corrozet et quelques autres dont le nom revient souvent dans toute étude qui s'oeeupe de cette époque littéraire, mais leur oeuvre n'ajoute aucun élément nouveau a ce que 1'analyse des poésies du groupe de Marot ou du groupe lyonnais révèle comme étant 1'essence de la poésie du temps. Et 1'on peut trés bien être le théoricien de telle époque sans se préoccuper de choisir scrupuleusement ses exemples dans tous les poètes qui y appartiennent. Sebillet a vécu a ') A propos des lais de Villon il dit: , qui voudra faire une oeuvre de longue durée, ne prenne son sujet sur telles choses basses et particulières". 23 une époque de transition, comme on aime a le dire. Je ne m'exprimerai pas de la même manière, car la poésie — comme tout ce qui vit — passé continuellement d'un état a 1'autre, de sorte que ce mot de transition ne dit pas grand'chose. Cependant il est indéniable que 1'esprit du moyen age se mourait au moment oü travaüle Sebillet et que 1'esprit nouveau n'a pas encore pris conscience de lui-même, pas plus de ses idéés que de ses rythmes, de ses images, de ses mots, de ses rimes. Sebillet est entre ces courants qui se croisent. II y a deux faits qui, a eux seuls, pourraient suffire a expliquer la naissance de 1' Art Poétique de Sebillet: la grande ressemblance entre Marot et Saint-Gelais, et 1'influence réelle qu'exerca Marot sur ses contemporains qui ont cultivé les genres secondaires, influence qui ressemble a une direction, et qui finit par former un lien, assez fragile du reste, entre les poètes en question. Voyons-le maintenant a l'ceuvre, ce Sebillet, qui en effet craint de rompre avec les formes consacrées par la mode, mais qui dans ce qu'il a de mieux, montre de 1'intelligence; nous verrons qu'il n'a pas été du tout un révolutionnaire en poésie, mais que c'est un homme tourmenté du désir de faire mieux. CHAPITEE II. Les éléments de la poésie francaise sélon Sebillet. § 1. Au chapitre premier Sebillet traite de 1'antiquité, c'est-a-dire 1'ancienneté trés reculée, le grand age de la poésie, et de son excellence. La vertu et les arts remontent a la même source qu'est „ce profond abyme celeste ou est la divinité". „La joie de congnoistre lés choses" (= vertu) et „la perfection de lés bien faire" ( = les arts) s'égalent au point de vue de 1'effet. Science l) et arts sont frères. L'étincelle du feu divin reluit „en plus vive et plus apparente splendeur" dans 1'art poétique. On doit avoir été touché par le feu divin pour être „pöéte de vraye merque", car celui-ci ne chante ses vers que lorsqu'il est „inspiré de quelque divine afflation". Sebillet prête a la poésie un caractère „religieux"; il croit a 1'inspiration; le travail qu'il entreprend n'est que „la nue escorce de Pöésie". II cite quelques noms de 1'antiquité juive et païenne pour définir encore le caractère de la poésie2). Ce caractère divin explique l) Sebillet disant que „science est chose propre a la divinité", renvoie au chapitre IV du premier livre de Moïse. M. Gaiffe constate qu'il doit y avoir erreur ici, et demande si Sebillet fait confusion avec le chapitre III. En effet, on lit au verset 6 du chapitre III: „La femme donc voyant.... que eet arbre était désirable pour donner de la science, en prit du fruit". ») A 1'opposé de M. Gaiffe (p. 11, n. 2) je considère Daniël, versets 17 et 18, comme le cantique des trois jeunes Hébreux dans la fotirnaise. HHfiB ii 25 le succès des poètes de 1'antiquité; plus tard il en a été de même pour Dante et Pétrarque, et ensuite pour Alain Chartier, Jean de Meung et Jean Lemaare de Beiges. Ceci lui donne 1'espoir de voir la poésie „dedans peu d'ans autant sainte et autant auguste que elle fut soubz le Gesar Auguste" 1). Voila pourquoi ü veut tacher de renseigner le „lecteur studieus de la Poésie Francoise" sur „Part qu'on appelle Eyme". § 2. Nulle part peut-être la défectoosité de la composition de VArt poétique ne se montre d'une manière aussi manifeste qu'a propos de ce que Sebillet veut nous apprendre au sujet de la rime. Pour connaitre ses idéés sur ce chapitre fondamental de l'art poétique il faut chercher a cinq endroits différents savoir i Livre I, chapitre 2, en entier 5 pages | „ | 7, en entier 12 „ „ | „ 8, p. 84/88 4 „ II i 1, p. 106/107 3 lignes \ J „ 15, en entier 13 pages. M. Chamard 2) dit „si Sebillet tenait encore pour la rime équivoque, en revanche il reléguait a la fin de son livre, dans un dernier chapitre, les rimes bizarres de jadis, rimes kyrielles, concaténées, annexées, etc, les déclarant „de la vieille mode" et désormais sans usage „entre ceus qui ont le né mouché". Ce serait donc par dédain pour ces bizarreries que Sebillet n'y aurait donné que la dernière place dans son ouvrage. Mais les termes dont se sert Sebillet en nous les présentant ,sont loin d'être méprisants. D'abord il croit que le lecteur ne trouvera pas mauvais que „pour bonné bouche il lui mette en ce dernier chapitre lés sucrées douceurs et mïellées confitures desquéles le Pöéme, le vers et la ryme sont i) Cf. Jannet II, p. 35, Elégie XVI. ») Henrl Chamard, Joaehim du BeUay; Lttle, 1900, p. MS. 26 par fois afriandis". Cette phrase ne me fait pas Peffet d'avoir été inspirée par un sentiment hautain. En second lieu il dit expressément et trés sérieusement qu'il ne veut rien omettre „qui puisse faire a ton instruction" (= instruction du lecteur). Troisièmement il appelle ces agencements recherchés de rimes des „enrichissemens" que les „anciens Pöétes, et les jeunes aussy .... ont trouvéz dons et gracieus", jugement qu'il ne critique pas, lui qui ne ménage guère la vieille rhétorique. Quatrièmement Sebillet ne se sert des deux expressiqns citées par M. Chamard que par rapport a la rime rétrograde, c'est-a-dire tout a la fin du chapitre en question, de sorte que M. Chamard étend le jugement de Sebillet a des rimes dont celui-ci n'a pas parlé sur ce ton. Et en dernier lieu avant de commencer son énumération des rimes en question, il se sert une seconde fois de ce mot d'„instruction". Je constate encore que généralement parlant Sebillet ne sépare pas les parties moins appréciées d'un sujet de celles auxquelles il fait honneur. Je croirais plutöt qu'en finissant il a voulu combler des lacunes que présenta son traité, afin de ne pas être en reste avec d'autres théoriciens. Mais quand même Sebillet aurait montré un certain dédain pour les rimes annexées et autres en les mentionnant dans un dernier chapitre, la remarque, qui alors encore n'aurait de valeur que pour un des cinq morceaux que je viens de signaler, n'explique, pas plus qu'elle n'excuse, un pareil démembrement. Je tacherai de réunir les parties séparées avec si peu de raison. Sebillet se plaint, et a juste titre, que ses prédécesseurs n'aient distingué la rime ni du vers ni du poème; ce manque de clarté dans les définitions dénote en effet un degré de développement peu élevé des prédécesseurs en question. Sebillet juge le nom de „rymeur" indigne des véritables poètes. Seulement, s'il met une certaine animosité a ajouter que „le rude et ignare populaire ne retient des choses offertes que les plus rudes et ap- 27 parentes", il exprime une vérité générale qui aurait justement dü rempêcher de se mettre en colère comme il le fait. Car le peuple „ignare" n'en peut mais s'il ne pénètre pas plus avant dans Pessence de la poésie, et s'en tient a la forme extérieure, c'est-a-dire a la consonance de la terminaison accentuée du mot final dans les vers. Son explication condamne son indignation, qui est légitime lorsque les lettrés appellent rimeurs ceux qui ont le don céleste. Sebillet flagelle impitoyablement les rimeurs détestés en disant qu'ils nomment bons les vers „a la fin desquelz, apres dés moz temerairement assembléz, comme buehettes en un fagot, y a deuz ou trois lettres pareillee qui servent de riorte" (= de „lien"). Au chapitre 7 il distingue cinq espèces de rimes. L'ordre qtPil observe est louable. Nature des rimes. La rime équivoquée est celle qui répète a la fin du vers les 2, 3 ou 4 dernières syllabes qui forment ensemble plus d'un mot. Pour expliquer le terme Pasquier2) dit: „Nous n'appellons pas Equivoque, ainsi que le latin, quand un mesme mot a doublé signification, mais quand d'un nous en faisons deux qui se rencontrent en mesme terminaison". Eabelais se moque en prose de cette bizarrerie3). Sebillet veut que ces syllabes soient simplement „de mesme son ou seulement de mesme orthographe ou de mesme son et de mesme orthographe". II est clair que dans le deuxième cas il n'y a pas de rime ; du reste, aucun des 26 vers de son exemple (pris >) Les paysans de mon village natal (au Brabant), s'ils veulent recommander a leurs enfants d'apprendre une jolie petite poésie — poésie de circonstance évidemment — pour telle ou telle fête, disent couramment „ge mot 'n wakkere rijm leere veur moeders verjaordaag". *) Etienne Pasquier, Recherches de la France, VII, 739. 3) Voir Pantagruel, II, chap. XV, p. 153 (édition Louis Moland) cette phrase: „Un bon esmoucheteur qui, en esmouchetant continuellement, esmouche de son mouschet, par mousches jamais esmouché ne sera. Esmouche, eouillaud, esmouche, mon petit bedeau, je n'arresteray gueres." II y a du calcul dans cette accumulation incoherente des mêmes sons. 28 dans Marot) ne répond a la définition x). II nomme la „ryme equivoque" pen usitée, mais il la trouve „la plus élégante", la plus „poignante 1'ouye". Huit pages plus loin il remarque encore qu'on peut rimer le simple contre le composé, comme ont fait Marot, Saint-Gelais, Salel, Héroët, Scève, mais il avertit que si deux mots semblables riment 1'un contre 1'autre, il faut qu'ils soient de différentes significations ou bien deux parties du discours différentes. De nos jours on appelle rime riche celle qui comprend la dernière voyelle accentuée, 1'articulation qui suit et celle qui précède. Pour Sebillet la rime riche est celle qui recherche la similitude de deux ou plusieurs syllabes de mots différents. Les dictionnaires ne donnent pas Phistorique de 1'emploi technique du mot riche (dans „rime riche"). M. Kastner2) cite deux exemples antérieurs a Sebillet de plus de cinquante ans. Sa troisième espèce est celle oü il y a une syllabe et demie qui se ressemblent. Naïvement il ajoute ici — on est étonné autant de ces sortes de.remarques elles-mêmes que de la facon dont il les introduit au moment oü 1'on s'y attend le moins — que la „parité du son" est plus importante que la „similitude de 1'orthographe". H ne s'élève pas a des considérations plus hautes en nous apprenant que la „demie syllabe en ryme" n'a pas besoin d'être exactement la moitié des lettres qui constituent la syllabe. La quatrième espèce comprend „une syllabe seule" (la rime riche moderne, par conséquent). En lisant ce qu'il dit de la „demie syllabe en rime" on a déjaregretté qu'il n'ait pas commencé par faire ressortir la nécessité de 1'identité d'une syllabe accentuée; on sent plus vivement encore cette lacune en lisant une niaiserie comme celle qui consiste a condamner la rime de „possible" contre „agréable". 1) Cette Petite epistre au Roy, citée par Sebillet (Jannet, I, 149) est de la fin de 1517 ou du commencement de 1518, c'est-a-dire du temps oü florissait la rime équivoquée. *) Kastner dans Ia Revue des langues romanes, 1904, p. 5. 29 Un cinquième procédé consiste a rechercher la similitude de la „demie syllabe". II 1'appelle rime pauvre. Molinetx) 1'appelle rime rurale, nous 1'appelons suffisante 2). Elle offre une ressemblance du son de la voyelle, et non de 1'articulation entière. En lisant ici: „Ceste espèce est comme la precedente excusée aux masculins, singuliérement ceus contre lesquelz est malaisé de trouver dictions symbolisantes d'une entiére syllabe", on ne peut s'empêcber d'y opposer une autre citation au risque d'être accusé de ce défaut de composition que j'ai signalé dans mon auteur. Yoici: Sebillet est presque 1'antipode de Th. de Banville 8), qui dit: „Etant donné qu'un mot type, qu'un mot absolu doit, pour la plus grande partie, susciter J'image voulue, il doit être bien difficile (cf. le „malaisé" de Sebillet) dira-t-on, de trouver le mot qui doit rimer avec celui-la et compléter le tableau qu'il peint, en même temps qu'il formera avec lui un accord parfait. Non, cela n'est aucunement difficile, et toujours pour la même raison. C'est que si vous êtes poète, le mot type se présentera a votre esprit tout armé *), c'est-a-dire accompagné de sa rime! Vous n'avez pas plus a vous occuper de le trouver que Zeus n'eut a s'occuper de coiffer le front de sa fille Athènè du easque horrible et de lui attacher les courroies de sa cuirasse, au moment oü elle s'élanca de son front, formidable et sereine comme 1'éclair qui déchire la nuée. La rime jumelle sHmposera a vous, vous prendra au collet, et vous tCaurez nullement a la chercher" ! ') Jean Molinet, L' Art de Bhétorique p. 249 dans E. Langlois, Recueil d'arts de seconde rhétorique, Paris, 1902. *) Auguste Dorchain, L'art des vers, Paris, sans date, dit a la p. 119 : „C'est un minimum de rime, qu'on doit, presque toujours, considérer comme insuffisant, malgré son nom". *) Théodore de Banville, Petit traité de poésie francaise, Paris 1922, p. 50/51. *) Malheureusement on sait que, dans les dernières années de sa vie, pour l'édition définitive de ses ceuvres, il modifia tous les passages oü „ame" rimait avec „femme" (deux syllabes, dont 1'une est longue et 1'autre brève, formant une rime trés médiocre). Théorie et pratique ! 4 30 On voit la distance qui sépare l'„escrivain en ryme" du poète! Sebillet consacre six lignes a la rime goret qu'il mentionne avec le mépris qu'il mérite 1). Ici mon auteur me force a quitter provisoirement le Livre I, chapitre 7, car il se met a parler d'autres sujets. A la page 194 il commence une nouvelle série de sortes de rimes. D'abord la rime en JcyrieUéf qm répète périodiquement un même verg. G'est donc un refrain 2). Suivant Sebillet palinod n'est qu'un autre nom pour cette rime3), tandis que Jean Molinet4) fait de la „taille palernoise" un genre spécial dont la caractéristique est la reprise de certains vers. Palinod a donc deux significations : celle d'un genre qui tient de la nature du lai et du virelai, et celle d'une ligne de répétition dans le *) Sebillet a le tort de ne pas nous renseigner sur ce qu'on entend par rime goret. Le Larousse Universel et le Dictionnaire Général n'en parient pas. Le Goffic et Thieulin disent qu'elle leur paratt être constituée par un retour a 1'assonance (M. Gaiffe p. 67, note 2, la nomme aussi „une vague assonance") et ces métriciens en donnent un exemple Öre de P„Art de rhétorique pour rimer en plusieurs sortes de rimes". (Recue.il de Montaiglon, 1856). Godefroy (Supplément) le définit „rime mauvaise, qui ne rime pas." II donne trois exemples „Sébile" contre „estrine"; „Marces" contre „patriacles"; „prince" contre „rice", tirés de Philippe Mouskes, Ohronigues. La meilleure définition, a mon avis, est celle du Traité de rhétorique (anonyme), cité par E. Langlois (Arts de seconde Rhétorique, VI, p. 253): Je, rime en goret, Le menre des rimes Je suis; en appert") Vous le veez par signes. *) Littré dit: „Kyrielle ou rime lcyrielle est une ancienne pièce de poésie francaise formée de vers octosyllabes a rimes plates, divisée en petits couplets égaux et terminés par le même mot qui servait de refrain". ') Littré dit aussi: „palinod, pièce de poésie dans laquelle on devait amener la répétition du même vers a la fin de chaque strophe." ') Langlois op. cit. p. 233. o) Variante: si je suis appert. 31 chant royal et la pastourelle. Ce vers de répétition s'appelle „refrain" dans la ballade1). La rime concaténée commence et finit chaque couplet par un vers semblable, disent Le Goffic et Thieulin 2). Mais pour Sebillet c'est le dernier vers du couplet A et le premier vers du couplet B qui sont les mêmes. La rime annexée est celle oü un vers commence par un mot de la même familie [„conjugata, c'est-a-dire descendans d'une mesme racine"] que le dernier mot du vers précédent. Le premier exemple est le même que celui que donnera six ans plus tard Claude de Boissière; le second exemple ne répond pas a la définition, la similitude se bornant a une syllabe des mots en question. La définition d'Eustache Deschamps 3) — il appelle cette rime „equivoque retrograde" — me semble plus claire. La rime fratrisée ouvre le vers B par le dernier mot du vers A. La rime enchainée lie les vers „par gradation". C'est tout ce que dit Sebillet. Je crois comprendre par la lecture de 1'exemple qu'il donne que, pour lui, cette rime reprend dans chaque vers suivant plutót le sens que la forme d'un ou de plusieurs mots du vers précédent. Selon Langlois4), il faut en effet une acception différente dans la reprise, au début d'un vers, de la ou des syllabes finales du vers précédent. C'est donc tout a fait *) Cf. Zschalig, Die Verslehren von Fabri, Du Pont und Sibilet, p. 40 et p. 40, n. 1. ') Op. cit., p. 59. Le D. O. et Littré n'en parient pas. ') „Et sont les plus fors balades qui se puissent faire, car il couvient que la derreniere sillabe de chascun ver soit reprinse au commencement du ver ensuient, en autre signification et en autre sens que la fin du ver precedent. Et pour ce sont telz mos appellez equivoques et retrogrades, car en une meisme semblance de parler et d'escripture ilz huchent et baillent significacion et entendement contraire des mos derreniers mis en la rime". (Eustache Deschamps, L'art de dietier, p. 277 dans Gaston Raynaud, (Euvres complètes de Eustache Deschamps, VII, Société des anciens textes francais). *) Langlois, op. cit., p. 442. 32 la rime équivoque rétrograde d'Eustache Deschamps. Le Goffic et Thieulin identifient la rime enchainée avec la rime fratrisée. Claude de Boissière cite le même exemple que Sebillet. La rime senée fait commencer tous les mots d'un vers par la même lettre. Claude de Boissière choisit encore une fois le même exemple. La rime couronnée répète deux fois la dernière, les deux dernières ou les trois dernières syllabes d'un vers. C'est la „rethorique a doublé queue" de Jean Molinetl) et de 1'Anonyme 2) du traité VII. jt^yjUs La rime empérière fait la même répétition trois fois au lieu de deux. Sebillet 1'ayant triomphalement nommée „triple couronne", se voit obligé d'en donner un „lourd exemple" trés vieux — il ne nomme pas le rimeur — car Marot lui fait faux bond. L'exemple analogue du traité VII 8) est pris a une „balade couronnée" de la Departie d'Amours de Blaise d'Auriol. La rime couronnée annexée est la combinaison des moyens rythmiques nommés a propos de la rime annexée et de la rime couronnée. Encore une fois — cela commence a devenir monotone — même exemple dans Claude de Boissière. La rime en écho répète la dernière syllabe ou plusieurs syllabes — toujours la même ou les mêmes — en dehors du vers. Sebillet dit que la „vertu" de toutes ces couronnes est d'être „tant fluidement cohérente que 1'aureille n'y soit en rien offensée". Je veux bien, mais je suis heureux que, sans le vouloir évidemment, il joue sur les mots au milieu de toutes ces distinctions ingénieuses, ennuyeuses, dénuées de valeur littéraire. B dit: La couronne ne doit pas être „tirée par lés cheveus". N'y touchons donc pas. Et toujours : même exemple dans Claude de Boissière. ') Langlois, op. cit., p. 226. *) Langlois, op. cit., p. 283. *) Langlois, op. cit., p. 320. 33 La rime batelée ne se pratique que dans les vers décasyllabiques et tour a tour (2e, 4e, 6e vers, eto.). Elle consiste a faire rimer le dernier mot du vers A avec la quatrième syllabe du vers B. Le B. O. et Littré n'en parient pas et ce que Sebillet dit de 1'origine de la dénomination est inadmissible, a moins qu'on ne croie que cette rime a changé de nom. Car si les vieux poètes en ont fait usage et que „depuis" les bateleurs s'en soient servis en lui laissant leur nom, celui de la rime doit avoir été un autre avant 1'époque oü les bateleurs s'en sont mêlés. Du reste, Sebillet n'est pas seul a avoir mal compris le terme; Pabri n'avait pas plus saisi la définition de Molinet, qui dit „elle a un autrè son et reson a la 4e sülabe a maniere de batellage" c'est-a-dire des cloches qu'on bat. La rime rétrograde est „de la vieille mode", dit-il. Elle offre dans chaque vers une série de mots qu'on peut lire a reculons. Cette inversion peut se faire mot par mot, syllabe par syllabe, ou lettre par lettre. Sa description de la nature des rimes se termine en queue de poisson. A mesure que nous approchons de la fin, les exemples se raréfient; pour la rime rétrograde il n'y a pas d'exemple du tout et quant au „rébus de Picardie" et le „contrepetis de court" il croit en ötre quitte pour en avoir mentionné le nom. J'ai commencé mon étude du chapitre 15 en laissant de cótó les deux premières pages, oü Sebillet parle des vers „non rymez", que depuis Voltaire nous appelons „vers blancs" 2). II dit que Bonaventure des Périers est leseul poète frangais qui ait fait des vers sans rimes: une traduction en vers de huit syllabes d'une satire d'Horace. Comme 1'autorité de Bonaventure des Périers ne lui suffit pas, il recommande a ceux qui veulent faire ») Voir Guiffrey, III, p. 365, et le fac-similé du dessin d'un rébus qui a eu son heure de popularité (p. 721). ') Dans l'„Avertissement du traducteur" de sa traduction de Jules César Voltaire a dit: „Les vers blancs ne coütent que la peine de les dicter, cela n'est pas plus difficile a faire qu'une lettre". 34 des vers blancs de les faire en sextines comme Pétrarque. Les langues qui pour établir 1'unité rythmique, disposent de ressources qui manquent au frangais, peuvent faire des vers blancs. Mais „1'élément de variété et de surprise" x) manque dans les vers non rimés frangais, de sorte que Sebillet a bien fait de les condamner („.. .. vers, qui sans ryme demeurent autant froys, comme un corps sans sang et sans ame"). Sebillet croit nécessaire de remarquer a la fin du chapitre I, 8, que la diphtongue et la simple lettre qui „ont mesme son ou bien peu différent" riment ensemble. Si Marot (Marot?), dont les nombreux exemples cités prouvent qu'il a largement usé de ce procédé, a reproché a Sagon et a la Hueterie2) d'avoir rimé fére contre affaire, il 1'a fait „plus par haine que par raison"; il a tout aussi bien rimé le simple contre le composé, bien qu'il désapprouve cette combinaison. Naïvement Sebillet ajoute que „plus la ryme se resemble de son et d'orthographe ensemble, plus est parfaite et plaisante". Par rapport aux exemples des p. 84 et 85, je constate encore que Sebillet y est trop large. La rime „aller" contre „air" provenant de „aëre" oü il y a eu plus tard seulement combinaison de deux voyelles originairement en hiatus, est discutable, et la rime „peine" contre „clyméne" semble peu admissible; car au moyen age une diphtongue nasale est résultée de e fermé suivi d'une nasale, de sorte qu'on a prononcé l) Aug. Dorchain, op. cit., p. 22 et 23. *) Epistre a Sagon et a la Hueterie, par Charles Fontaine, mal attribuée par ci-devant k Marot (1536). M. Gaiffe cite ici quelques vers de la fameuse épltre (p.86n. 1). Guiffrey (III, p. 663, n. 2) n'a pu découvrir la pièce qui aurait présenté la rime défectueuse La Fere contre affaire, pas plus que celle oü 1'auteur a fait rimer cueurs avec obscurs. Mais maistre rime sinon avec remettre, avec admettre dans un Chant royal a la louange de Francoys premier par Sagon. La critique qui suit s'adresse au passage suivant de 1'Epistre de Sagon aux deux soeurs de Clement Marot: Pensez doncq, soeurs, si Clement, vostre frere, A bien raison de se plaindre et desplaire. 35 pêyne, et 1'évolution par laquelle pèyne, par dénasalisation, se réduit a pene, semble ne s'être achevée qu') L'emploi de 1'expression „rimes suivies" a cóté de „rimes plates" est tout récent. Claude Lancelot (1681) Jean Bouchet (1536) et Gracien du Pont (1539) se servent du terme „rimes plates" (Kastner, art. citê). ») C'est a tort que Le Goffic et Thieulin, op. cit., p. 74, n. 1. attribuent ces vers a Octovien (ils disent: Octovien) de Saint-Gelais. On s'explique cette erreur de la manière suivante. Notons d'abord qu'il est sür que Saint-Gelais a la priorité dans l'emploi de 1'alternance; c'est Jean Bouchet lui-même qui nous apprend dans une épitre que sur ce point il a imité Saint-Gelais Qui feit telz vers es Epistres d'Ovidt. Se rappelant les quatre vers de Jean Bouchet, Le Goffic et Thieulin ont eu présent a 1'esprit plus naturellement le nom de Saint-Gelais que celui de Bouchet, paree que Saint-Gelais a joué un róle plus important dans Pétablissement de cette règle, sans toutefois s'en faire une religion, comme dira plus tard du Bellay. Depuis les articles de M. 36 Je treuve beau mettre deuz feminins En rime plate avec deuz masculins Semblablement quand on les entrelasse En vers croisez, oü Greban se solace. Sebillet a oublié de parler des rimes embrassées au chapitre 7 ; il les mentionne brièvement au chapitre premier du deuxième livre. II assure qu'„il y a maintes autres maniéres de situer et varier lés vers fraternizans". Pourquoi ne pas en parler alors? Le fait qu'elles n'ont pas „appellation certaine" et que la description „seroit osuvre long pour moy (Sebillet) et inutile pour le lecteur", ne suffit pas pour excuser celui qui a entrepris ce qu'a voulu faire Sebillet [„instruire les jeunes studieux"]. Bnsuite, quoiqu'il parle de „m a i n t e s autres maniéres de situer les vers", les rimes continue» et les rimes redouble'es sont les seules1) que je ne retrouve pas parmi celles qu'il a nommées, et elles se prêtent a une description si facile que je ne comprends pas son silence a leur sujet. § 3. Se basant sur 1'autorité de Macrobe et continuant la tradition francaise, qui se sert du même mot Kastner nous bornons le róle d'Octovien de Saint-Gelais dans la genese de la règle de 1'alternance des rimes a celui d'un préparateur. C'est Guillaume Crétin qui le premier 1'appliqua strictement, tandis que le rhétoriqueur poitevin 1'adopta presque aussitöt. Marot ne 1'accepta pas, du moins dans les rimes plates (ce qui explique peut-être le silence de Sebillet). C'est 1'exemple de Ronsard qui a imposé le principe de 1'alternance, tandis qu'il faut aller jusqu'a Malherbe pour avoir la forme défiriitive de la règle. Pour de plus amples renseignements, surtout par rapport au röle joué par Crétin, voir Langlois, op. cit., Introduction p. LXXVII—LXXXV. ') C'est-a-dire au moment oü écrit Sebillet. Car le système de rimes tiercées n'est en usage que dans Ia terza rima; ce rythme a été remis en honneur a la fin du XVIe siècle, par Etienne Jodelle et Philippe Desportes après avoir été négligé depuis Rutebeuf et Adam de la Halle qui 1'ont employé. Aussi Ph. Martinon va trop loin en disant (Revue d'Histoire littéraire, 1909 p. 62—87) que les premières rimes tiercées (terza rima) écrites en francais se trouvent dans le Temple d'Honneur et de Vertus de Jean Lemaire. Et enfin une dernière espèce, celle des rimes mêlées, est une importation italienne du commencement du XVIIe siècle, nouveauté contre laquelle Sorel s'est élevé dans un passage du Berger extravagant (1627). 37 pour indiquer la prose (rhétorique vulgaire) et la poésie (rhétorique métrifiée), Sebillet assure que 1'art de la prose et celui de la poésie se valent, sauf que le poète est „plus contraint de nombres" que le prosateur. Pour le poète Vinvention est une qualité requise avant toute autre, „car aussy peu profite le vide son des vocables, soubz lesquelz n'y a rien de solide inventlon, comme le papier lavé de couleurs que légére mouüleure legérement efface". Horace a dit qu'il faut l'egprit divin pour mériter 1'honneur du nom de poète. Sebillet accorde dans la poésie une place plus importante a la nature qu'a l'art (Munt oratores, poetae nascuntur); sur ce point il se sépare d'Horace, qu'il suit le plus souvent: „il se faut conseiller a sa nature comme première et principale maistresse". H attribue a un motif de tactique le désir d'Horace de traiter la nature et l'art a titre d'égaux, son dessein étant de „retenir tant les rudes que les ingenieus en 1'amour et suite de la pöésie". H rappelle que Quintilien a été du même avis. Si le „premier point de 1'invention se prend de la subtilité et sagacité de 1'esprit" x), le poète empruntera „le surplus de 1'invention aux Philosophes et Eheteurs". Les bons auteurs dont il recommande 1'étude sont Alain Chartier et Jean de Meung. Cependant il est d'avis que la lecture de Marot, Mellin de Saint-Gelais, Hugues Salel, Antoine Héroët et Maurice Scève, qu'il considère comme „imbus de la pure source francoise", sera plus profitable encore. La distinction qu'il fait ici entre les deux groupes nommés plus haut s'expliqué difficilement, car comme modèles a proposer a la „jeunesse studieuse", les représentants des deux groupes se valent*). i) Ayant distingué „deux musiques, dont 1'une est artificiële et Pautre est naturele", Eustache Deschamps dit aussi „L'autre musique qui est appellée naturele pour ce qu'elle ne puet estre aprinse a nul, se son propre couraige naturelment ne s'i applique, et est une musique de bouche en proferant paroules metrifiées" (Op. cit., p. 270). •) M. Gaiffe dit également qu'on ne voit pas bien ce qui pouvait altérer „la pure source francoise" chez les poètes du moyen age. 38 Sans faire de transition il consacre la fin du chapitre III a la troisième „partie de bien dire", c'est-a-dire a la disposition. H faut mettre ensemble ce qui va ensemble et ne pas imiter le „sot cousturier" qui remplissait „les quartiers d'une robe noire d'une pièce rouge ou verte." Quoique les auteurs francais nommés puissent lui servir de modèle, le poète étudiera avec plus de fruit encore — et pour 1'invention et pour la disposition du poème a faire — les Grecs et Latins, ces classiques auxquels les meilleurs des contemporains de Sebillet doivent tant; cette dette „les plus braves poètes" de son temps seront tout disposés a en reconnaitre 1'existence, „car, a vray dire, ceuz sont les Cynes, dés ailes desquelz se tirent les plumes dont on escrit proprement". § 4. S'appuyant sur 1'autorité de Cicéron, Sebillet dit, a propos de Vélocution, qu'il faut prendre les mots „de la bouche de chacun". Seulement, qu'on le fasse avec discernement, que 1'on imite 1'abeille domestique qui préfère les plantes odorantes a celles dont les feuilles sont armées de piquants. Sebillet rappelle la douceur du style de Marot et de Mellin de Saint-Gelais. L'auteur remarque que le vocabulaire du poète peut être enrichi par 1'étude des traducteurs (il nomme Antoine Macault et Jean Martin) et il place ici sa théorie sur le néologisme: l'art et 1'industrie sont singulièrement nécessaires pour la formation de mots nouveaux. Le poète doit être „rare (latinisme pour „sobre") et avisé en la novation dés mos". Si, pour „descouvrir par notes recentes lés secretz dés choses", il est contraint d'emprunter des mots, qu'il le fasse „modéstement et avec tel jugement, que l'aspreté du mot nouveau n'égratigne et ride lés aureüles rondes" 1). II met le futur poète en garde contre 1'envie, dont la nature est de trouver „neu au jonc", c'est-a-dire de compliquer les choses. Venant a parler ici de la Délie de Maurice Scève, Sebillet mêle le blame a ') II est permis de supposer que c'est 1'exemple de Maurice Scève qui a suggéré a Sebillet cette prudence. 39 1'éloge. La oü les propres amis de Scève, tèls que Charles Fontaine et Guillaume des Autelz1), s'expriment en termes satiriques- sur 1'cBuvre du Lyonnais, Sebillet en prend la défense: sans l'emploi de beaucoup de mots nouveaux nous aurions ignoré „bonne part de la conception de 1'autheur," mais il ne peut s'empêcher d'ajouter avec une naïveté pleine de candeur: „laquéle avecques tout cela demeure encore malaisée a en estre extraite". En effet, loin de sacrifier rien a la clarté, Maurice Scève estime que le premier devoir est de ne pas se livrer a chacun. Ainsi il arrivé a un symbolisme artificiel, oü disparalt toute pensée vivante. Eugène Parturier a pu dire: „Dans ce platonisme, il ne reste rien de Platon". H semble que cette cryptographie ait un peu dérouté les contemporains. On avait trop admiré d'avance (le poème, sur le chantier depuis 1527, parut en 1544). C'est a ces résistances que Sebillet fait allusion 2). § 5. Comme le vers frangais est syllabique, c'est-adire composé d'un nombre déterminé de syllabes, tandis que chez les Grecs et les Latins, ils sont métriques, c'esta-dire mesurés sur la quantité des syllabes longues et brèves, Sebillet nomme les Frangais „beaucoup soulagéz au régard des Grecz et Latins". Comptant le nombre de syllabes dans le vers, il distingue neuf sortes (2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 10 et 12 syllabes). Parmi les neuf exemples il y en a trois de Saint-Gelais, les autres sont de Marot. L'octosyllabe et le décasyllabe sont particulièrement en faveur. Après avoir expliqué la denornination de Palexandrin a), il en réserve l'emploi aux matières „fort !) Deffence p. 183 n. 2. *) E. Bourciez, Les mceurs polies et la littérature de cour sous Henri II, p. 128, parle également de „railure pénible et tóurmentée" des dizains de Délie. *) L'anonyme qui a écrit au premier tiers du XVe siècle Les Regies de la seconde rhétorique dit déja. (Langlois,.op. cit, p. 28): „Rime alexandrine, pour faire rommans, est pour le present de douze silabes chascune ligne en son masculin et de XIII ou feminin". Pierre Fabri n'en fait pas grand cas. 40 graves" en ajoutant que Marot s'en est servi parfois „en épigrammes et épitaphes". Le décasyllabe se rencontre dans le poème épique. L'heptasyllabe et les autres se prêtent le mieux aux „chansons, odes, psalmes et Cantiques". Mais il nous avertit que cette remarque ne doit pas être prise au pied de la lettre. Je constate encore qu'au commencement de ce chapitre sur le nombre des syllabes il a cru devoir insérer la règle que Ye muet final ne forme pas syllabe. § 6. Ce chapitre (c'est-a-dire le chapitre VI), le plus long de tout YArt poétique (19 pages), commence par une distinction entre Yé masculin et Yé féminin. Ce que nous appelons é fermé est pour lui „Yé masculin qui emplit la bouche en prononcant". On 1'a appelé alors „masculin" „a cause de sa force, et ne say quéle virilité qu'il ha plus que le fémenin" 1). La dernière syllabe du vers, dont Yé muet, seul ou suivi des lettres s ou nt, ne se prononce pas, ne compte pas. Son exemple est une épigramme de Marot. Dans les formes de 1'imparfait disoient, wooient les parties en italique forment une seule syllabe „estimée masculine" 2). Au présent, dans voïent, croïent, envoïent les parties voi, croi, envoi se séparent nettement de -ent dans la pro- ') Les appellations „masculin" et „féminin" Pamènent a badiner. II nomme Vé masculin „assez bon homme, et tant peu fascheus qu'il n'est point besoin d'en faire plus long procés" ; il compare Vé féminin k son „masle"; plus loin il déclare „lés Iunes et éclipses fémenines" de 1'é féminin; il dit que eet é féminin n'est „contée pour rien non plus que lés femmes en guerres et autres importans affaires". A propos de e suivi de s ou de nt il dit „encore que eest é femenin soit accompaigné, il est néantmains tant efféminé, qu'il ne peut oublier sa mollesse". *) Fabri (p. 7) est ici beaucoup plus précis, en disant: „En plusieurs contrees et vers le Mayne, 1'en profere „alloyent, venoyent, disoyent" de trois sillaibes plaines, et les aultres contrees, ilz proferent „disoynt, venoynt, alloynt" de deux sillaibes.... L'Infortuné elegant acteur, qui a en eest art singulierement recueilly.... a dict que les feminins terminez en nt sont appellez masculins feminisez, pource qu ilz se orthographient comme masculins, et se proferent comme feminins". 41 nonciation, ent y garde sa valeur de syllabe et Fe continue a être e féminin. Pour mieux établir cette différence, il donne la règle que dans les imparfaits comme battoient, couroient, véoient, de même que dans des formes comme soient, avoient, -oient est une seule syllabe. Beaucoup de gens écrivent même disoint, soint, avoint, eouroint. A propos de Félision *) (ü appelle cette suppression aussi „éclipse"), il dit fort bien qu'elle a lieu lorsque, dans le corps d'un vers, la dernière syllabe d'un mot est terminée par un e muet, et que le mot qui suit commence par une voyelle. B appelle ce petit signe qui marqué Félision, apostrophe.. Selon M. Gaiffe ce terme lui est propre. Le Dictionnaire Général ne Fa pas relevé avant 1550 (J. Peletier, dans Godefroy, Supplément). J'arrive a ce qu'il dit de la „couppe fémenine" qu'on ne remarque que dans les vers de dix et de douze syllabes. Sans se servir du terme de „césure" 2) ü dit que dans les vers décasyllabiques Fe muet de la cinquième syllabe se supprime dans la prononciation devant la voyelle initiale de la sixième, et que dans 1'alexandrin il en est de même de Fe muet de la septième syllabe. B assure que Fe muet est inadmissible dans la quatrième syllabe du vers décasyllabique3) comme dans la sixième de 1'alexandrin. A propos de ses exemples (qui manquent de parallélisme), 1'absence d'une syllabe forte a 1) C'est Sebillet qui fournit selon M. Kastner le plus ancien exemple du substantif élision et du verbe ilider. 2) Le plus ancien exemple de l'emploi du terme de „césure", recueilli par M. Kastner (l. I.) est dans le passage suivant de YArt Poétique de Peletier du Mans (1555): „Ces deus derniers ganres de vers francoes (il parle des vers de 10 et de 12 syllabes) sont ceus qui ont césure: car tous les autres n'an ont point '. Ici le terme s'emploie donc dans le sens moderne et non dans celui d'élision, que le Dictionnaire Général cite en s'appuyant sur VArt Poétique de Ronsard. ») Sebillet, dans une note, renvoie a une épltre de Marot Le Dieugard a la court. M. Griffe (p. 51 n. 2) dit: „Nous n'avons trouvé nulle part la variante: „Remerciez ce noble roy de France". J'ai rencontré cette variante dans l'édition Abel Grenier, I, p. 246. 42 1'hémistiche le fait parler d'un „son rompu, qui ne touche point pleinement ton aureille". Sebillet a trés bien senti que, pour indiquer la césure, le repos, il faudrait appuyer sur 1'e muet suivi d'un * ou de nt, bien plus que ne le permet la prononciation francaise, si ces groupes étaient placés a 1'hémistiche : voila pourquoi il les bannit de la quatrième et de la cinquième syllabe du vers décasyllabique et de la sixième et de la septième syllabe de 1'alexandrin. Dans la quatrième syllabe du vers décasyllabique et dans la sixième de 1'alexandrin il admet le groupe de lettres ent s'il forme une seule syllabe avec oi qui précède ; malheureusement il met sur le même plan vouloient, voudroient et revient, retient: inutile de dire que 1'e de ces deux présents n'a jamais été muet. II termine cette partie intéressante — intéressante a cause de sa netteté relative et malgré 1'absence d'un principe conducteur1) — en nous rappelant que Marot, d'après son propre témoignage, n'a observé la „couppe fémenine" que dans la seconde partie de sa vie. En effet maitre Clément ne pratiquait pas tout d'abord la césure classique ; il commenca par suivre 1'exemple de Crétin, préférant aux césures lyriques celles que depuis Diez nous appelons épiques. Aux XlVe et XVe siècles on ne connaissait guère que la césure lyrique. Cependant, même au XVIe siècle beaucoup de poètes, comme Marguerite de Navarre, admettaient encore une syllabe muette en surnombre a la césure, exactement comme a la fin du vers (Je dis „muette", car de féminine qu'elle était a 1'origine, elle était devenue muette plus tard). Cette césure épique se rencontre a cette époque surtout dans les poètes indépendants. L'autorité et la „gloire incontestée" de Marot ont mis fin a ces irrégularités et ont imposé la césure classique avec élision obligatoire de 1'e *) Parlant dans les Mélanges Picot (Paris, 1913) de VArt Poétique Abrégé de Claude de Boissière, M. Gaiffe assure que quelques lignes ont suffi au Dauphinois „pour débrouiller la théorie si complexe de la syllabe féminine, délayée bien inutilement par Sebillet en deux chapitres différents de son traité" (1. I. chap. 5 et 6, p. 3ö-36 et 43-60).— 43 muet. Quoique Sebillet (p. 42) parle encore de „eest e vulgairement appellé femenin, aussi fascheus a gouverner qu'une femme, de laquéle il retient le nom", il est, on vient de le voir, partisan de la césure classique 1). Passant a la distinction orthograpbique de 1'apostrophe et de la synalèphe : la lettre perdue par apostrophe se remplace par le signe de l'„apostrophe", 1'e synaléphé — car 1'e seul supporte la synalèphe — s'écrit ,,©"'. L'aspiration ou la non-aspiration dépend „de 1'usage", non „du sain jugement", de sorte que Sebillet déclare qu'il ne saurait donner une règle sure. Quant a 1'apostrophe de i, il ne trouve rien a redire a celle de la conjonction conditionnelle „si", mais il rejette Félision de i dans „qui est". L'a „s'apostrophe" dans Partiele et les pronoms ma, ta, sa. II reprend Marot d'avoir élidé les formes masculines du singulier des pronoms cités et il explique ou il excuse eet abus de 1'apostrophe en mettant sur le tapis „la liberté de noz majeurs, que Marot en eest endroit comme en d'autres a quelque fois suivie". II laisse entrevoir la possibilité de considérer cette dernière élision comme „composition" plutót que comme apostrophe. II termine ce paragraphe en parlant de ce qu'il appelle l'„apostrophe irrégulière". Mais cette fin de paragraphe n'a rien a faire avec l'art poétique. n confond apostrophe et apocope. Avee faymoie, je voudroie, je tuoie, qui cèdent la place a j'aymoy, je voudroy, je tuoy, on est en présence de faits d'ordre étymologique et non d'un besoin de la poésie. II en est de même pour eaue devenant eau2). On s'étonne d'autant plus l) cf. Ph. Martinon, Etudes sur le vers francais. Revue d'histoire littéraire, 1909, p. 62-87. *) „Korting (Lat. rom. Wörtbch. 2. Aufl.) glaubt, dass in Anlehnung an die Wörter auf ... eau = ... ellu eaue sein finales > verloren habe. Dieses in einen Vokal auslautende Wort war gewiss sozusagen pradestiniert, seines ganz wertlos gewordenen finalen Vokals verlustig zu gehen, zumal viele Wörter auf... eau diesen Schwund noch vollends bewirkt haben konnten". (Clara Hürlimann, Die Entwicldung des lateinischen aqua in den romanischen Sprachen. Inaugural-Dissertation, Zürich, 1903). 44 de cette confusion qu'un peu plus loin, a la fin du chapitre, notre théoricien prouve clairement que la diffórence entre apostrophe et apocope ne lui est pas inconnue, de même qu'il distingue, conformément a 1'usage ancien et moderne, 1'apocope qui enlève une ou plusieurs lettres ou syllabes a la fin d'un mot de la syncope, qui retranche une lettre ou une syllabe au milieu d'un mot. II justifie son emploi du mot et du signe „apostrophe" comme une espèce d'indication générale pour „toutes cés figures" en disant que cette appellation unique pour des phénomènes différents a le mérite d'être „brève" et „facile". § 7. (Sebillet, chap. VIII). Je laisserai ici de cöté autant que possible tout ce qui ne regarde pas la prosodie, car un Art poétique n'est pas un traité de prononciation. Cependant quelques observations ont une certaine valeur pour connaitre la facon de compter les syllabes. Sebillet appelle diphtongue „coalescence de deus voiéles en un son", mais dans ses listes de diphtongues il introduit ea de songea, eoi de bourgeois, changeois, quoiqu'il donne a propos de la „diphtongue" eo dans Oeorge une note oü il dit en propres termes „IV ne sert que d'indice de la molle prononciation". Pour autant que j'ai pu contröler les exemples de sa liste p. 76 1. 9 — p. 77 1. 7 1), il indique la prononciation conformément a 1'usage de son temps. M. Gaiffe a fait observer que c'est a tort que Sebillet prétend que Marot dans les tristes vers de Beroulde sur le jour du Vendredy Sainct a fait juif de deux syllabes. Sebillet aurait pu donner comme exception a sa règle eet exemple du Roman de la Rose. E par juïs par paiens2). Un des prédécesseurs de Sebillet a nommé certaines diphtongues des synalèphes. Sebillet le combat, seule- l) M. Gaiffe a déja fait observer (p. 78 n. 4) qu'on ne saurait en dire autant de celle de la p. 78 L 3—10. *) Édition Langlois, tome IV, vers 19165. 45 ment il ménage singulièrement ce théoricien en parlant „de (son) autrement bon esperit en maint autre (endroit)" : la synalèphe *) n'a rien a faire avec une diphtongue. Mais Sebillet n'est pas belliqueux. II trouve qu'en ces questions de diérèse et de synérèse ,,1'authorité et la raison sont bien souvent divisées". § 8. (Sebillet, chap. IX). Dans le dernier chapitre du premier livre Sebillet marche sur les brisées des grammairiens. Ayant écrit six bonnes pages il s'en apercoit et il s'écrie : „Je n'entreray point plua avant en ce propos, de peur que je ne te semble enseigner plus la grammaire que l'art Poétique". L'excuse qu'il allègue, n'a pas une fort grande valeur. II prétend que si le poète avait dit faimissions2) ou vous rendzssiéz, son papier „ne seroit estimé bon a autre chose qu'a enveloper du beurre, ou a encorneter dés espices", mais beaucoup de grammairiens 3) du temps considèrent les formes avec i a la première et la deuxième personne du pluriel de 1'imparfait du subjonctif des verbes en er comme parfaitement concectes. (Evidemment aucun d'eux n'a jamais défendu „faimissions : le phénomène de la substitution de la forme du pluriel a celle du singulier se borne a 1'indicatif présent). Ensuite le poète qui se trompe dans l'emploi des bonnes formes exigées par la grammaire, se dégrade comme connaisseur de la langue non l) Worcester, A dictionary of the English language, Boston 1866 dit que la synalèphe est „the principle or usage by which, when a word ends with a vowel, or a diphthong, and the nekt begins with a vowel, the final vowel or diphthong of the first is eut off, and the final syllable of the one runs into the first of the other, as „UT ego" for „ille ego". *) Si le terme „anacoluthe" dont on se sert généralement pour indiquer une construction grammaticale qui n'est pas suivie jusqu'au bout et que Sebillet emploie par rapport & un manque de suite dans la conjugaison comme „j'aimasse, nous aimtssions" est a sa place ici, ce mot offre un exemple si curieux d'élargissement du sens qu'il est digne d'être admis parmi les exemples donnés par Bréal dans son Essai de sémantigue, Paris 1904, Chap. XI, p. 117 a 128. *) Le Poitevin Pillot, R. Estienne, J. Garnier, Meurier (voir Brunot, Seizième Siècle, p. 339 et suiv.). 5 46 comme poète. Mais peut-être Sebillet a voulu faire ressortir que pour être bon poète il faut connaitre 1'instrument dont on se sert: car c'est le poète que veut former Sebillet. Les formes condamnées ne constituent pas un solécisme, comme il dit, car il n'y a pas la de faute contre les régies de la syntaxe, mais un barbarisme, par ce qu'il s'agit de la déformation d'un mot dont se sert le poète critiqué par Sebillet. Littré dit que le „barbarisme de mots" est celui qui tombe sur le mot lui-même en le dénaturant, et il cite comme exemple „vous disez" au lieu de „vous dites". x) M. Gaiffe semble assez content de la distinction établie entre solécisme et barbarisme par Fabri, qui travaille vingt-sept ans avant Sebillet, mais sa définition me semble plutot confuse. A la p. 113 il donne la formule suivante pour le barbarisme: „Barbarisme, c'est vice d'escripture ou de incongru langaige, qui se prent en plusieurs maniéres, comme par incongrue application de termes deshonnestement sonnans, ou de langaige parcial *) en termes barbares, gergon et aultre parler non congneu que en lieu parcial". Au fur et a mesure qu'il débite les exemples a la file, il consacre neuf pages a élargir encore le terrain du barbarisme au lieu de le définir. Enfin, a la p. 123 il se décide a dire qu'il y a „soloecisme, quant on approprie mal sa substance par muer ') Worcester dit aussi que le barbarisme est „an offence against purity of language, by the use of uncouth, antiquated, or improper words; an unauthorized word or inflection". Aussi „barbarism relates to single words, solecism to the construction of words; solecism is false synfiÉV. Le „Penny Cyclopaedia" oppose encore plus clairement les termes en question en disant: „Modern grammarians designate by solecism any word or expression which does not agree with the established usage of writing or speaking. But as customs change, that which at one time is considered a solecism, may at another be regarded as correct language. A solecism, therefore, differs from a barbarism, ïnasmuch as the lat ter consists in the use of a word or expression which is altogether contrary to the spirit of the language, and can, properly speaking, never become established as correct language". *) particulier. 47 le gerre *), ou 1'espece, ou le nombre oultre le commun usage". Si Sebillet dit que la rime de léger contre berger est plus douce que celle contre haranguer (celle de facon contre glacon plus douce que celle contre flaccon) il ne me conyainc pas plus de 1'a-propos de ce chapitre. Car, ainsi que nous 1'avons vu en parlant de la rime, ces deux rimes sont bonnes toutes les deux, mais elles ne sont pas d'égale valeur. Pourquoi nous mettre en garde contre une rime admissible et admise par 1'auteur lui-même? Un défaut de ce dernier chapitre est qu'il traite deux questions différentes, un sujet d'orthographe (prononciation des consonnes fermées vélaires) et un sujet de grammaire proprement dite (conjugaison des verbes). En revanche, il faut savoir gré a 1'auteur de s'être montré zélé partisan de 1'orthographe simplifiéej „Mon avis est et, si tu veus croire ton sain jugement, sans favoriser a 1'antiquité, sera le tien, qu'escrivant le Frangois, tu n'y dois mettre lettre aucune qui ne se prononce". *) genre. CHAPITRE III. Les genres Uttéraires traités par Sebillet. Après avoir discuté dans le premier livre „lés élemens de Pöésie Frangoise", Sebillet, ainsi que le dit la Préface du Second Livre, se propose de montrer dans cette deuxième partie „toutes lés formes et differences dés Pöémes usurpées en l'art Poétique Francois" ; il ajonte „et au passé, et au présent". Ainsi il ne songe pas a faire oeuvre originale ; il se borne a résumer, a synthétiser ce qui existe, et, sans perdre de vue le développement ultérieur de la poésie francaise, il ne parle pas de 1'avenir. Je m'écarterai ici de 1'ordre suivi par Sebillet dans ses quinze premiers chapitres, paree qu'au point de vue de la division des genres, 1'économie du livre laisse a désirer1). Le dernier chapitre n'est pas a sa place dans le second livre : Sebillet y abandonne le domaine des genres Uttéraires et, ainsi que 1'a remarqué Zschalig*), cette dernière partie doit être considérée comme un complément au chapitre 2 du premier livre oü Sebillet a dé ja parlé, d'une f acon peu compléte il est vrai, de la rime *). A. GENRES LYRIQUES. I. Ode. Vers la fin du 6e chapitre Sebillet s'excuse plus ou moins d'y avoir distingué cantique, ode et chanson, qui ') Cf. le début du chapitre 13 du I Ie livre. *) Zschalig, op. cit., p. 72. *) Voir p. 26 et suiv. de cette étude. 49 méritent la dénomination commune de chanson, mais en même temps, pour 4justifier sa distinction, il essaie de préciser la différence de forme et de style que les trois genres comportent. II est vrai qu'on ne voit pas trop ce qu'il y a de spécial dans le cantique. La ressemblance entre les trois formes en question et les différents chants traités dans le chapitre précédentl) parait se borner au seul nom de chant, tandis qu'ils différent au point de vue de la forme et du sujet. Sebillet assimile le cantique au psaume „Hébreu ou Latin" et pour proüver qu'il en a le droit, il fait remarquer que les cantiques de Marot sont pleins d'invocations et de prières adressées directement ou indirectement. aux Dieux ou aux Déesses2). Quant a la forme du cantique, elle est libre par rapport a la longueur des vers et a la rime ; tout óe qu'il exige du poète c'est de choisir la rime „avec proportion",' exigence légitime, mais trop générale et qui n« caractérise en aucune fagon la forme d'un poème. II va jusqu'a dire a propos de la forme qu'il „n'y a rien de limité". fl eite des exemples a 1'appui, empruntés a Marot et a la Eeine Eléonore d'Autriche, pour répéter a la fin que y4e Cantique est variable en sa forme et structure", et puis c'est tout; sur le style, pas un seul mot. Voila une explication bien peu satisfaisante de ee que le cantique a de caractéristique comparé au chant lyrique et a la chanson. II y a des critiques modernes — je pense a M. Martinon 3) — pour qui la traduction des Psaumes de Marot contient tout 1'essentiel de la lyrique moderne; Marot aurait été illuminé brusquement par une foi «rtistique nouvelle et aurait abjuré ses erreurs passées. Mais il ne ') „Chant royal et autres chans usurpéz en Poésie Francoise". tyGe pluriel n'a rien de païen, comme 1'a remarqué M. Gaiffe, car Marot a composé des psaumes oü il déifie par exemple la Santé. Le but évident de Sebillet a été de rester fidéle a 1'inspiration chrétienne et en même temps aux modèles antiques. ») Ph. Martinon, Les Strophes, étude historique et critique sur les formes de la poésie lyrique en France depuis la Renaissance. Paris, 1912. 50 faut pas perdre de vue que, dans ses Psaumes, Marot fait ceuvre de propagande; son but n'est rien moins que littéraire; sa version marqué la décadence de son talent de poète1). Ce n'est qu'après la mort de Marot que ses Psaumes ont servi spécialement aux protestants ; pendant sa vie on pouvait les lire et les chanter librement, et Claude Goudimel, le musicien du psautier huguenot, assassiné le 28 aóut dans la nuit de la SaintBarthélemy lyonnaise, était encore attaché au catholicisme. Pour Marot, le soin de s'adapter a des timbres de musique populaire préexistants a été bien souvent la déterminante dans la composition des Psaumes. Selon Sebillet le „chant lyrique" et l'„ode" sont identiques. A 1'inverse de ce qu'il dit vers la fin de son chapftw^ il n'est pas plus exigeant pour la forme de 1'ode que pour le cantique; „le chant lyrique", dit-il, „se faconne ne plus ne moins que le Cantique". II préf ère les vers courts aux autres a cause de la musique sur laquelle 1'ode se chante; il associé donc intimement le vers a la musique. Ensuite il rogne les ailes a 1'ode en lui accordant comme sujet principal — il n'en donne pas d'autre — les mouvements de 1'ame des amoureux. Pour lui 1'ode est donc exclusivement un chant d'amour qu'on chantait avec accompagnement du luth. Après avoir spirituellement comparé la variabilité de la physionomie et de la mise des amoureux a celle de la structure et de la rime de 1'ode, il recommande comme modèles Pindare, Horace et SaintGelais, auteurs qui a coup sur seront assez surpris de se rencontrer en matière érotique. Mais il ne faut pas aller demander une ceuvre d'historien littéraire a un homme du XVIe siècle, surtout lorsqu'il écrit un éloge funèbre et qu'il a fréquenté le mort dont il célèbre les mérites. H cite sous le nom d'ode une chanson du poète angoumoisin et le vers initial de quatre autres odes „en autre forme" du même poète. Pour Sebillet 1'ode et la chanson se confondent; entre elles il y avait l) Cf. Partiele de Charles Comte et Paul Laumonier, Ronsard et les musiciens du XVIe siècle (Revue d'Hist. litt., 1900, p. 341—381). 51 tout au plus différence de degré, nullement de nature: Somme toute, il ne mentionne donc que 1'ode sacrée (le cantique) et 1'odelette (ode amoureuse) et ne connait pas encore 1'ode héroïque, ni 1'ode morale, ni 1'ode badine, la cantate 1). Enfin, le chapitre 6 parle de la chanson que 1'auteur identifie avec 1'ode a tel point qu'elle n'est pour lui qu'une ode légère. Pour le prouver il dit: a. qu'elles se ressemblent de son et de nom; b. que les deux manquent de „constance en forme de vers, et usage de ryme"; c. que la matière est toute une2) (il nomme comme sujets „Venus, sés enfans, et sés Charites : Bacchus, sés flaccons, et sés saveurs"); d. que la chanson a moins de couplete que le chant lyrique. Et il finit pas indiquer une légère nuance entre les deux par rapport a la „facon" et le style qu'il croit être plus variables dans la chanson, nuance qu'il attribue a la manie de mettre toute chanson en musique. B recommande la lecture de Marot comme un excellent moyen d'appendre 1'essence de la chanson. Après cette analyse il est clair, je crois, que la distinction de ces trois formes de poésie repose sur une base peu solide. II. Petits poèmes lyriques. 0. A FORME LIBRE. 1. li'élégie (la déploration et la complainte). Le théoriciea qui, dans son chapitre 6, a fait une distinction qu'il est a peine possible d'appliquér, ici va a 1'autre extréme en eonfondant des poèmes de nature l) Si c'est a tort que Ronsard, parlant de 1'ode, s'attribue „1'invention du mot comme de la chose" (Préface des Odes, 1550, édition Blanchemairi, II, 10), Sebillet n'a pas davantage inventé ce nom: on tröttve le mot chez Rabelais, Jean Martin, Barthélemy Aneau, Jean Bouchet et Jean Lemaire de Beiges, cf. H. Chamard, L'Invention de l'Ode (Bev. d'Hist. litt., 1899, p. 43). ») M. Gaiffe va donc un peu loin en disant (p. 151, n. I) que „pour Sebillet 1'ode et la chanson différent seulement par la matière traitée et par le nombre des couplets". 52 vraiment différente. Quoique, comme il le rappelle, Marot ait distingué les épltres et les élégies, il s'avise de les traiter en un seul et même chapitre, car „la différence en est tant petite, qn'il t'y faut aviser de bien prés pour la discerner". M. Gaiffe trouve a bon droit rassimilation de 1'épitre a 1'élégie „bien discutable" ; aussi j'en parlerai en traitant le genre didactique. Mais il faut reconnaitre que plusieurs epitres de Marot sont vraiment des élégies ; par exemple les vers mélancoliques «62—78 de 1'Epitre A la Royne de Navarre qui sont la traduction d'Ovide Epistulae ex Ponto, II, 7, 5—18. Les vers tristes et plaintifs 103—129 de la même épitre rendent aussi littéralement ceux d'Ovide o. I., I, 2, 33—48. Une autre épitre adressée Au Roy fait des emprunts aussi textuels, mais plus étendus encore a Ovide, Tristia, III. Les emprunts s'expliquent par la ressemblance que présente le sort des deux auteurs, quoique celui du poète romain ait été beaucoup plus dur. La réunion de deux formes de poésie assez peu semblables en un seul chapitre s'explique peut-être aussi par le fait que Sebillet est le premier Francais a décrire 1'élégie. Voici une autre explication proposée par M. Villey 1). A Porigine 1'élégie marotique doit fort peu aux influences étrangères. Marot y parle simplement d'épitres, tout comme le fait Frangois Ier pour ses lettres a ses maltresses. Le nom d'élégie parait pour la première'fois dans l'édition de 1534, sans doute pour ennoblir cette espèce de poésie. Et Sebillet aura nommé Ovide comme le modèle de Marot, en vue de le grandir aux yeux des savants. L'élégie est de sa nature „triste et flebile". Dans les Contramours Platine dit a Stelle (p. 246) „Mais encores 1'Elégie tant célébrée par les Poëtes ; que nous enseigne-telle autre chose; sinon que les jeunes hommes appris par leur *) mésavantures et instruis par 1'exemple ') Pierre Villey, Marot et Rabelais p. 47 sqq. (Bibliothèque littéraire de la Renaissance, Paris, 1923). *) C'est la Porthographe de 1'exemplaire de la B. N. 53 d'autruy, fuyent le golphe d'Amour". Elle parle en particulier des „passions amoureuses, lesquéles tu n'as guéres veues ni oyës vuides de pleurs et de tristesse". Sebillet suggère donc ici la distinction entre 1'ode sentimentale et 1'élégie qui traitent tous les deux d'amour; seulement 1'élégie est un chant de douleur ou de joie qui peut être gracieux et passionné, mais oü la note dominante reste la mélancolie et la tendresse. Comme exemple de 1'élégie il nomme Ovide, ou „mieux" encore Marot, considéré, dans ce genre comme le prince des poètes, dont, d'après lui, la plupart des élégies représentent „tant vivement 1'image d'Ovide qu'il ne s'en faut que la parole du naturel". L'éloge est douteux, car oü est le mérite de 1'invention, si les mots seuls distinguent de l'original ces élégies, qui s'annoncent comme un travail personnel! II désigne le décasyllabe comme le vers normal de 1'élégie, et la rime plate comme „plus douce et gracieuse". Au lieu de parler dans le chapitre 7 de la déploration et de la complainte qui, comme il le dit lui-même, tiennent de la nature de 1'élégie, il leur consacre un chapitre spécial, le chapitre 12. n ne distingue pas la déploration de la complainte, ce qui revient a dire qu'il y a dans le titre un nom de trop. Ce qu'il ajoute par rapport a la forme de la complainte, qui peut être celle de Pépitaphe, de 1'élégie, de 1'églogue et du dialogue, ne justifie guère 1'existence de ce chapitre spécial. Le sujet de la complainte est „mort facheuse et importune" ou „amoureuse deffortune". 11 recommande la rime plate et le vers décasyllabique, qu'il croit devoir nommer „plus aigre 'ddtüoureux) et poignant" 1). Le seul mérite de ce chapitre est d'avoir distingué 1'élégie funèbre de 1'élégie amoureuse. 2. Vépithalame, le madrigal. Sebillet ne se sert pas du mot épithalame, dont le premier emploi, d'après le Dictionnare général, ne re- ») Je trouve dans Littré: „Ce bruit aigre et poignant que font les limes" (Montaigne, II, 367). 54 monte qu'a 1559, et il emploie lë terme „chans nuptiaus" (II, 5, p. 141) auxquels il indique, tout comme aux „Chans Pastouraus", une place „a 1'ombre et imitation" du chant royal. L'édition Jannet et d'autres classent les chants nuptiaux (e. a. le célèbre Chant nuptial du mariage de Madame Benée, fille de France, avec le duc de Ferrare, oü Marot imite trés directement 1'épithalame de Catulle) parmi les „Chants divers". L'absence du terme de madrigal peut surprendre, car Delboulle, cité par le B. O., en donne un exemple datant de 1542. II est curieux de le voir mettre les titres de ces différents „chants" plu tót sur le compte de „1'arbitre de 1'imprimeur" que sur celui de „la phantasie de 1'autheur". Les détails qui suivent a cette même p. 141, font ressortir que les poèmes en question ne sont pas fixés par des régies précises. II revient enfin sur la nécessité d'observer 1'analogie en faisant ces chants. On pourrait s'é-" tonner qu'il nomme le chant nuptial tout d'une haleine avec les autres chants, car sans tomber dans la prolixité, il aurait pu remarquer a propos de cette poésie ingénieuse et galante que la brièveté n'en est pas une condition essentielle. On aurait pu s'attendre a une remarque de ce genre, d'autant plus que Marot a écrit des madrigaux d'une certaine étendue. 3. Chanson. Nous avons déja parlé de la chanson en traitant de 1'ode. b. A FORME FIXE. 1. Le lai. Le chapitre 13 ouvre par un aveu: 1'auteur allait oublier de mentionner le lai et le virelai, ce qu'il aurait regretté paree que ces formes de poésie, presque abandonnées de son temps, ont été d'un usage fréquent au moyen age, qu'il dit vénérer comme „notre mere et maistresse". Libre dans le choix du sujet, le faiseur de lais doit tenir compte des „diverses assiettes dés vers, et dés symbolisations qui y sont a observer". Dans sa défi- 55 nition trés large Sebillet demande seulement que les vers différent en longueur. H laisse toute liberté „en ce que touche la croisure ou symbolisation dés vers" et par rapport au nombre des vers. II déconseüle d'aller an* dessus de „deus Lisiéres (= „terminaison du Carme") en chaque couplet", et au-dessus de huit syllabes *) par vers. II explique le nom d'„arbre fourchu" en désirant „lés uns vers plus cours que lés autres", et on se rappelle l'observation typographique que fait a ce propos Th. de Banville8). B faut lui savoir gré d'avoir donné comme exemple un lai d'Alain Chartier, car c'est a peine si 1'on rencontre encore un autre lai que le poème tres connu cité par le Père Mourgues 3). Sur 1'appui du monde Que faut-il qu'on fonde D'espoir? „On n'a plus guère sous la main d'autre exemple du Lai que celui dont le Père Mourgues donne quelques vers et que citent après lui tous les Traités de Poésie". Alors qu'en parlant de 1'ode il mentiónne 1'influence de la musique, Sebillet, qui ne veut pas faire „tort a 1'antiquité" (= le moyen age) oublie pourtant de dire ici qu'au moyen age le nom de lai fut donné aussi a un récit chanté a rimes plates. ») Le D. O. et Littré sont d'accord pour appeler le lai un poème „en vers de huit syllabes", mais 1'exemple du Père Mourgues est, comme le dit Théodore de Banville, „une suite de vers féminins de cinq syllabes écrits sur une même rime et séparés de deux en deux par des vers masculins de deux syllabes écrits sur une rime également invariable". >) „En copiant ou en imprimant le Lai ou le Virelai Ancien, on place le petit vers, non sous le milieu du grand vers comme dans les vers de strophes d'ode, mais exactement sous le grand, de facon a ce que la première lettre de 1'un soit placée sous la première lettre de 1'autre. Et c'est ce qui a fait que, dans 1'origine, on a appelé le Lai Arbre fourchu, paree que le Lai copié ou imprimé a en effet quelque chose de 1'aspect d'un arbre fourchu dont les branches nues, attachées au tronc, s'étendent dans le vide". (Th. de Banville, o. c, p. 218). 3) Th. de Banville, o. c, p. 215. 56 2. Le virelai. Sebillet accorde a ce poème les mêmes libertés qu'au lai „en la variation de la croisure dés vers, nombre d'icens, et dés coupletz". Mais, contrairement a ce que 1'on constate pour le lai, les vers du virelai présentent le même nombre de syllabes, de sorte qu'il n'a pas de branches plus courtes les unes que les autres. M. Gaiffe *) nomme la définition du virelai „bien incomplète dans Sebillet". Celui-ei donne comme exemple un poème d'Alain Chartier; malheureusement ce poème 2) n'est pas intitulé virelai et il ne correspond pas 3) au virelai ancien décrit par Th. de Banville *). Sebillet est d'avis que le lai et le virelai feraient bonne figure dans les tragédies „ou traités de choses autrement tristes". B croit qu'on peut les former „proprement" sur le modèle des vers trochaïques des tragiques grecs. 3. Bondel, rondeau, rondeau redoublé, triolet. Le chapitre 3 est consacré a ces formes de poésie et *) F. Gaiffe, L'art poétique abrégé de Claude de Boissière (Mélanges Picot, Paris, 1913). *) Alain Chartier, Livre de VEspérance ((Euvres, p. 269). *) En revanche le schéma qui accompagne la définition de Cl. de Boissière, correspond trés exactement a 1'exemple d'Alain Chartier. *) Th. de Banville (op. cit., p. 216) dit encore que le nom de „virelay" vient de „virement". Selon lui on aurait imaginé de faire „virer", c'esta-dire tourner la rime. Mais le D. O. dit a 1'article „virelai": „anc. franc, „vireli", probablement onomatopée de refrain. Le changement de „vireli" en „virelai" est dü a 1'influence de „lai". Gaston Paris (La ittt. fr. au moyen age, § 121) est également d'avis que: „virelai" n'est qu'une altération de ce mot (c'est-a-dire „vireli") sous 1'influence de „lai". Cf. le même dans le Journal des Savants, 1891, p. 738 n. 2. M. Kastner, dans son article Histoire des termes techniques de la versification francaise (Revue des langues romanes, 1904) a dit: „Les plus anciens exemples du mot „virelai" qui remontent a la première moitié du XIIIe siècle, et qui apparaissent sous les formes „virenli" „vireli" aussi bien que „virelai" a), qui est rare a cette époque, désignent non pas un poème a forme fixe, comme plus tard, mais un air populaire, un „dorenlot" ainsi que le fait remarquer Paul Meyer (Romania, XIX, p. 26). a) On trouve encore dans Jean Lemaire de Beiges: Faictes chapeaux, dansez au „viroly". 57 s'ouvre par une étymologie discutable du mot „rondeau"1). II reconnait que le rondeau est a son déclin; en effet il est le dender théoricien qui en parle en détail. H explique la défaveur du genre en disant que ce sont le sonnet et 1'épigramme, traitant la même matière, qui Pont supplanté. Aussi Mellin de Saint-Gelais, Maurice Scève, Hugues Salel, Antoine Héroët ont-ils fait peu de rondeaux. Sebillet a remarqué que les rondeaux de Clément Marot datent de sa jeunesse. H professe encore une fois son respect pour le moyen age en donnant tout de même une description minutieuse du genre qui est en train de disparaitre. Théoricien de 1'école marotique, ü ne distingue plus que quatre Bortes de rondeaux. D'abord le „trioiét" dont il donne le type ab/aA/abAB, c'est-a-dire la forme la plus usitée du rondeau a base de deux vers. „A cause de sa facécie et légereté" le triolet demande plutót les vers de „huit syllabes ou moindres". Sebillet restreint l'emploi du triolet aux „Farces et Moralités des Picars"; il ne parle donc pas du rondeau a base de trois vers. Sans mentionner le terme „rondel", Sebillet passé ensuite au „rondeau simple". Et pourtant „le rondeau est insensiblement sorti du rondel par de lentes métamorphoses, comme le rondel était lui-même sorti du triolet, dont il n'est qu'une sorte d'extension *). B décrit le rondeau (simple) comme suit: abba/abA/abbaA ouabba/abE/abbaB8) et il donne un exemple de Marot conforme au second type. Cependant il l) La forme la plus ancienne est „rondet" qui apparatt plusieurs fois dans le Roman de Renart. Quant a la forme „rondel", le D. O. reproduit 1'exemple cité par Littré et tiré de Machaut, et Godefroy ne donne qu'un seul exemple fourni par le Roman de Floriant, dans lequel le mot est employé au sens de „danse en ronde". Cependant le mot „rflüdel" se trouve déja a la fin du XHIe siècle comme rubrique des rondeaux d'Adam de la Halle.et aussi dans la „Panthère d'amours" de Nicole de Margival, qui vivait et composait a la méme époque qu' Adam de la Halle (Kastner, article eitè). *) Auguste Dorchain, op. cit., p. 366. ») R = répétition du premier hémistiche du premier vérs. 58 nomme le premier type le rondeau simple „parfait". Ici encore la composition du livre de Sebillet laisse a désirer, paree qu'a eet endroit il entame une digression sur le rondeau doublé et qu'il parle a la même page de la règle de la césure tandis que c'est seulement deux pages plus loin — la oü il parle d'une autre sorte de rondeau — qu'il dit préférer pour ce type le vers de huit syllabes „pour sa légéreté". Pour les exemples du type 1 il renvoie aux „vieuz Poètes" et aux moralités et farces, car ses contemporains (il nomme les deux Marots) „se fachans de tant longue reditte", se sont servis du type 2. II a trés bien vu que la reprise de 1'hémistiche „rentrant proprement n'ha moins de grace" que la reprise du vers entier. Th. de Banville») dit que ce refrain est plus et moins qu'un vers, car il joue dans 1'ensemble du rondeau le róle capital; c'est la „pointe" dit M. Gaiffe a la suite de M. Ghatelain 3). Son troisième type est le „rondeau doublé" de la forme aabba/aabB/aabbaE, c'esta-dire notre „rondeau ordinaire" ou „rondeau cinquain" dans lequel a excellé Voiture 4). Sebillet en donne un exemple emprunté a Marot; il exige dans ce poème le vers décasyllabique „pour sa gravité". Le quatrième type est le „rondeau redoublé ou parfait". Ce poème n'est pas le redoublement du rondeau tel qu'il vient d'être décrit. Sebillet attribue son nom a sa longueur deux fois plus grande que celle du rondeau ordinaire, mais sa structure est tout autre que celle du rondeau. Selon lui on peut prendre comme base le quatrain de son type 2 et le cinquain du type 3. Les vers 1, 2, 3, 4 du premier quatrain sont, chacun a son tour, le dernier ») Se basant sur Delboulle, op. cit., le D. O. admet que „la Défense" a le premier employé le terme „hémistiche", alors que M. Kastner art. cit. le relève déja dans Sebillet. *) Th. de Banville, op. cit., p. 207-208. ') Chatelain, Le vers francais au X Ve siècle, p. 180. *) „Mais le dernier mot du secret appartient a Voiture, qui, bien consulté, dira tout (Th. de Banville, loc. cit.). 59 vers des quatrains 2, 3, 4, 5; ce vers repris fait corps avec les trois premiers vers des quatrains 2, 3, 4, 5. Du quatrain 6 il ne dit rien. 11 aurait au moins pu ajouter que celui-ci a comme cinquième vers un. refrain formé par leB premiers mots du premier vers du premier quatrain. II négligé aussi de parler des deux rimes du rondeau, dont il donne un exemple emprunté a Marot. On se demande qui sont les „anciens" parmi lesquels ce rondeau-ci „estoit estimé souverain". Peut-être faut-il attribuer les lacunes que je viens de signaler dans la description au manque de sympathie du cóté de Sebillet pour ces sortes de poèmes (il nomme ces exemples „plus prolixes que profitables"); on sent ici 1'effort qu'il fait pour se délivrer de ce joug de tours de force. Car Th. de Banville a beau dire que le grand art est de ramener les différents vers „sans effort, sans contournement" et indiquer au vers-refrain le „charmant róle de rappel de couleur et d'harmonieux écho" *), les exigences en question peuvent compromettre le peu de naturel, le peu de sentiment que 1'on rencontre dans les poésies oü la forme est tout. Mais Sebillet touche a la fin de la description du genre. B exprime ici une vérité générale : „il est autant aisó de bastir sur lés fondemens, comme il est facile d'ajouter aus choses trouvées". M. Gaiffe est bien fondé a dire que Sebillet songe constamment a Marot dans son exposé qui, dans son ensemble, est beaucoup plus net que les précédents. En, décrivant les genres, M. Villey*) fait remarquer que le rondeau surtout convient au tour d'esprit ingénieux de Marot, qui en a composé 65 environ3). Quand Sebillet dit l) Du reste Sebillet appuie également sur ce point qu'il appelle „la vertu première au Rondeau". *) Pierre Villey, Marot et Rabelais, p. 32-69. *) Tandis que M. Gaiffe attribue encore 80 rondeaux a Marot, M. Villey, ayant éliminé les rondeaux apocryphes que Jannet et autres lui prétent en laisse 65 a son actif. . 60 (p. 120) „eens de Marot sont plus exercices de jeunesse fondés sur 1'imitation de son pere, qu'ceuvres de téle estofe que sont ceus de son plus grand eage: par la maturité duquel tu trouveras peu de rondeaus creus dedans son jardin", il a embrassé d'un coup d'oeil tres juste cette partie de l'ceuvre de Marot. Car il semble qu'après 1527 Marot ne pratique plus guère le rondeau que dans les circonstances d'apparat; le seul rondeau a CharlesQuint est postérieur a 1538. Eappelons ici Pexplication claire et definitive que M. Villey 1) a donné de 1'évolution du genre: „Aux jours de grande solennité, tout naturellement il semble que les formes consacrées par la tradition ont seules la dignité que requièrent les événements, et 1'on se ferait scrupule de ne pas revêtir 1'habit de cérémonie". Si la cour te pièce la plus caractéristique de la manière de Marot avant 1527 est le rondeau, c'est que celui-ci répond aux gouts et exigences de la cour. H excelle dans l'art de ramener le refrain et pourtant les mots du refrain sont souvent a peu prés indifférents. M. Villey est d'avis que le moule du rondeau est si famüier a 1'oreille de Marot que, même a une époque avancée, il lui arrivera d'en user tout a fait a contretemps (rondeau pour célébrer la paix de Cambrai); 1'illustre critique excuse cette forme en disant que ces contre-sens ne sont que la rancon d'une longue tradition. Ce raisonnement permet de supposer que Marot s'est servi plus longtemps des formes lyriques compliquées des grands rhétoriqueurs qu'il ne l'eüt souhaité. 4. Ballade. Sebillet ayant décrit dans les trois premiers chapitres du livre II 1'épigramme, le sonnet et le rondeau, déclare que la ballade est „pöéme plus grave que nesun des précédens", ce qu'il explique en alléguant deux causes. La première c'est qu'a 1'origine ce poëme s'adressait aux princes. Ce n'est qu'une vérité relative, car on sait qu'„en ') Villey, op. cit., p. 37 sqq. 61 réalité le mot Eoi eommencant 1'Envoi de la Ballade désigna d'abord le roi d'un concours poétique; mais un mot ne peut être longtemps détourné de son son propre, et ce sont la de trop subtiles fictions, avec lesquelles rompt tout de suite le bon sens populaire" 1). Et ensuite (et sur tout!), au commencement non seulement les ballades, mais tous les poèmes ont été faits pour les rois et les seigneurs. Cette première „cause" ne prouve donc pas beaucoup. En second lieu il déclare que la ballade ne traite que „matiéres graves et dignes de 1'aureille d'un roy". Mais, ajoute-t-il, peu a peu on a élargi le cadre, de sorte qu'„aujourd'huy la matière de la Balade est toute téle qu'il plaist a celuy qui en est autbeur", quoique „facécies et légéretéz" continuent a se prêter moins bien a faire une ballade. B ne parle pas de 1'origine du nom comme il 1'a fait pour le rondeau2). La ballade, dit-il, a trois couplets de huit ou de dix syllabes, parfois de sept ou de onze. Les trois couplets ont le même nombre de vers, construits sur des rimes semblables et semblablement disposés. B n'oublie pas, comme le fait de Banville, cette regie fondamentale — il est vrai qu'il ne la cite qu' une bonne page plus loin — que le dernièr vers du premier couplet doit se répéter a la fin des deux autres couplets et de 1'envoi. A 1'opposé du rondeau ce vers compte comme vers constituant le couplet. L'envoi ou épilogue mesure sa longueur sur celle des couplets, en général la moitié du nombre de vers des couplets (huitain: envoi quatre vers; dizain: envoi cinq, parfois sept vers; onzain: envoi cinq, six, sept vers; douzain: envoi sept vers). L'envoi, espèce de demi-strophe, est comme la seconde l) Th. de Banville, op. cit., p. 192, n. 1. *) Gaston Paris, La littérature francaise au moyen age dit au § 121: „La ballette, qui traite avec une vivacité et une mutinerie souvent pleines de grace un petit sujet d'amour, est d'ordinaire en rimes consécutives (le mot „balades" apparait dans le Jeu du Pèlertn § 133 comme titre de pièces composées par Adam le Bossu, mais nous n'en trouvons pas dans ses ceuvres ; ce mot est d'origine méridionale, bien que ce qu'on a plus tard appelé „ballade" ne semble pas importé du Midi)", u 6 62 moitié d'un quatrième couplet, écrit sur des rimes pareüles a celles des trois premiers couplets. Brusquement il se rappelle, a la cinquième et dernière page de ce chapitre, qu'il a omis de dire en parlant du nombre des vers que le huitain est plutót approprié aux „choses légéres et plaisantes", et il consacre tout un alinéa a réparer eet oubli. Par contre, il se tait sur 1'habitude d'arrêter le nombre des vers du couplet au "nombre des syllabes du vers choisi, ce qui est „la loi stricte" 1). Le dernier paragraphe est de grande importance; il prie le futur poète d'avoir soin que le refrain ne soit point „tiré par lés cheveus pour rentrer en fin de couplet". Que 1'effort soit donc ingénieusement dissimulé! Malheureusement il y a encore un défaut de composition a signaler: cinq lignes avant la fin du chapitre, il recommande d'ouvrir l'envoi par le mot prince ou princesse pour tomber, ici encore, dans une redite sur „la majesté et le prix" qui appartiennent au caractère de la ballade. On lui aurait su gré d'avoir consacré deux mots a Frangois Vülon, „1'ouvrier invincible" de la Ballade et a son ülustre émule Charles d'Orléans. M. Villey 2) a fait remarquer que, comme du rondeau, Marot s'écarte lentement de la ballade, montrant en même temps un goüt croissant pour les formes les plus simples. Toutes ses quinze ballades étaient composées avant 1532; il en a publié quatre après cette date, mais sous la rubrique des chants divers comme pour marquer qu'il se détache du genre. Et tandis qu'au début prédominent les strophes de dix, onze et douze vers, la strophe de huit vers semble a la fin avoir eu ses préférences. 5. Chant royal. Selon Sebillet le chant royal est a la ballade ce que le rondeau est au triolet et il le prouve en disant que le chant royal est une espèce de ballade de grande *) Dorchain, op. cit., p. 362. *) Villey, op. cit., p. 38. 63 dimension et d'un caractère élevé x). Le chant royal se compose de cinq strophes de onze vers décasyllabiques chacune, écrites sur des rimes pareüles a celles de la première et suivies d'un envoi2) dont la longueur, variant de sept a cinq vers, dépend de „1'interprétation de 1'allégorie". Son nom vient de ce qu'il est destiné a être chanté devant les „Bois mortels et immortels3)" dont il loue les hautes qualités *). Son sujet est une „allégorie obscure". De Banville ne dit-il pas que le chant royal tout entier doit être une grande Allégorie, pour continuer : „je n'ose dire, car ce serait le rabaisser, une Enigme"? Sebillet ne dit plus rien de la rime, mais 1'exemple qu'il prend dans Marot, présente la forme normale :ababccddede. L'envoi est comme la seconde partie d'une sixième strophe; il ouvre par le mot Prince. La vertu essentielle du chant royal est pour notre théoricien „1'élégance et pertinente déduction de 1'allégorie". B fruit son chapitre en parlant de certaines formes de poèmes que j'ai cru devoir traiter sous le numéro 2 des petits poèmes lyriques a forme libre. Si sa description du chant royal est assez compléte au point de vue technique, le chapitre 5 n'a qu'une médiocre valeur historique. II se borne a citer le nom de Marot, dont l'ceuvre ne contient d'aüleurs que peu de ') M. Kastner, art. cit., dit que 1'expression chant royal apparalt déja au XlIIe siècle; elle désigne alors une chanson de danse sans aucune forme particulière, mais plus étendue que les chansons ordinaires. Appliquée au poème a forme fixe, Pexpression n'apparalt pas antérieurement a Froissart. 2) Zschalig, op. cit., p. 44 signale que le palinod est indispensable au chant royal et rappelle: „Maistre Guillaume le Munier wurde vom „Puy de Dieppe" mit einem chant royal zurückgewiesen, weil der Palinod fehlte". ') Encore un pluriel qui s'explique par legrand respect que Sebillet a pour 1'antiquité. Voici la définition de Baudet Herenc (1432) a laquelie Langlois attaché du reste peu d'importance .... „et s'appelle chant royal pour ce que 1'on commence et fine en telle maniere que 1'on veult". 4) C'est ici, dans le chapitre qui traite le chant royal, que Sebillet propose une étymologie — exacte d'aüleurs — du mot „ballade". 64 specimens de ce genre d'apparat; tous ses cinq chants royaux sont antérieurs a 1680. 6. Sonnet. Pour Sebillet le sonnet est trés voisin de 1'épigramme, tant pour la matière que pour la mesure. Le sonnet est d'origine italienne ; il le traite a part paree que sa forme diffère de celle de 1'épigramme. II exclut „la matière facécieuse" des sujets qui se prêtent a être traités dans un sonnet; Pétrarque a déja préféré pour ses sonnets „affections et passions gréves". Remplissant la promesse faite a ses lecteurs en tête de sa tragédie d'IpJWgénie, Sebillet fait prononcer un sonnet par la fille d'Agamemnon. D nomme sa structure „un peu facheuse", ee qui veut sans doute dire „pénible" ou „importune", appréciation remarquable de la part d'un théoricien, appartenant a un temps oü la poésie demandait plus a l'ingéniosité et a la patience des poètes qu'a 1'inspiration véritable. II donne le type lyonnais abba/abba/ccd/eed, laissant cependant pour les tercets une liberté limitée seulement par 1'analogie et la raison. II ne connait que le sonnet en vers décasyllabiques, et il attribue sa vogue a „sa nouveauté et sa grace". II cite comme exemple le sonnet de Marot Pour le may planté par les imprimeurs de Lyon devant le logis du seigneur Trivulse 1). M. Gaiffe, se conformant a 1'opinion généralement acceptée, et s'appuyant sur 1'autorité de Vaganay et de Jasinsky, dit que le Mai nommé est le premier sonnet francais que nous possédions; il le date de 1529. M. Villey 2) est d'avis que ce sonnet est seulement de 1538 et que le premier sonnet de Marot est celui que Jasinsky place le troisième, celui fait pour la duchesse de Ferrare 3), ») Jannet III, p. 59, oü il est classé parmi les épigrammes. II convient de remarquer que cette poésie est de 1529 selon Jannet, qui emprunte couramment a la chronologie fantaisiste de Lenglet-Dufresnoy des dates érronées ou suspectes. *) Villey, Marot et le premier sonnet francais (Revue d'Hist. litt. de la France, 1920, p. 538). 3) Jannet, III, p. 76. 65 qu'il date au plus tót de juin ou juillet 1536; ce sonnet n'aurait pas été publié tout d'abord, paree qu'il était fort désobligeant pour le duc de Ferrare. Le manuscrit de Chantüly permet de conclure qu'il fut composé pendant le séjour de Marot a Venise. Le second est sans doute un sonnet qui a été publié seulement en 1898 par M. Gustave Macon dans le Bulletin du bibliophile. Le sonnet que M. Gaiffe nomme le premier vient en troisième lieu. Les six sonnets traduits de Pétrarque1) appartenant probablement a la fin de la vie de Marot, M. Villey admet donc dix sonnets marotiques, et si Marot en a fait d'autres, ils seront selon toute apparence postérieurs a celui adressé a la duchesse de Ferrare, car il est naturel que Marot ait cultivé ce genre tout italien d'abord en Italië. Le raisonnement de Jasinsky sur la date (1533) d'un sonnet de Mellin de SaintGelais 2) ne doit pas nous faire ülusion. II est peu probable que Mellin de Saint-Gelais ait prêté a une enfant de cinq ans les propos modestes du sonnet en question. Après avoir tancé avec sévérité le peu de profondeur du Tableau chronologique des sonnets de Mellin de Saint-Gelais dressé par Molinier3), M. Villey fait ressortir le manque d'autorité du témoignage de du Bellay (2e préface de YOlive) par rapport au droit d'ainesse du sonnet de Saint-Gelais. Si du Bellay a nommé SaintGelais le père du sonnet frangais, c'est qu'il était désireux de se rapprocher alors de ce poète; pour le flatter, il était simple de dépouiller Marot. Ainsi il ne nous reste aucune raison plausible de croire qu'un seul sonnet de Saint-Gelais soit antérieur au premier sonnet de Marot. M. Villey retarde de six ou de sept années 1'introduction du sonnet en France. On comprend que sa vogue commence vers 1550, en admettant que le ») Jannet, III, p. 148. *) Réponse d Siméoni pour Mlle de Travee. ') H.-J. Molinier, Mellin de Saint-Qelays, Paris, 1910, p. 596. 66 premier date de 1536 et que les deux premiers n'ont pas été imprimés tout de suite. B. GENRE EPIQUE. B faut aller chercher avec une lanterne ce que Sebillet pense de ce genre. B a placé les vingt lignes qu'il consacre au poème épique, dans le chapitre 14, „De la version", paragraphe „Grand'ceuvre". B nomme Homère, Virgile et Ovide. S'il n'en parle que superficiellement, c'est que ses contemporains ont a peine abordé le genre. B cite le Roman de la Rose, oeuvre a laquelle il prodigue ses éloges *), quoiqu'il préfère que le poète épique „se forme au miroir d'Homére et Vergile". Selon lui la pénurie d'oeuvres épiques doit être attribuée au manque de matière, ou a la peur qu'ont les „Pöétes famés et savans" qu'on leur vole 1'honneur qui leur revient de droit pour une oeuvre originale; se laissant guider par cette peur, les grands poètes se contentent de traduire au lieu de créer. En somme, tout ceci est vague autant qu'insignifiant. C. GENRE DRAMATIQUE. I. Le drame sérieux. C'est bien la partie la moins soignée de tout le livre. Sebillet ne dit rien des mystères, peut-être par prudence: on sait qu'en 1548 le Parlement avait interdit la représentation de pièces religieuses. B parle du dialogue qui, malgré le titre de ce chapitre VIII, n'est pas une espèce du genre dont nous parions maintenant, ni un genre en soi, comme dit Sebillet ici, mais une forme que peut prendre le poème. Au lieu d'être un „nom generique", c'est tout simplement la condition essentielle de tout poème dramatique. Je ne dirai rien ici de 1'églogue qu'il a appelé une des espèces du dialogue ; il parait du reste reconnaitre un peu plus loin, que „1'Eclogue se fait ') On sait que Marot a publié une édition rajeunie du Roman de la Rose. 67 élégamment de perpétuel fil d'oraison". Et quant a la question de savoir si le dialogue est un genre, il s'empresse d'en effacer les limites, car il cite une épigramme de Marot et une épitaphe de Saint-Gelais, toutes deux sous forme de dialogue! C'est que, pour lui, la formeprimait. Quant aux „moralités" dont il parle, il se borne a deux types, dont du reste il ne mentionne pas le nom spécial. Mais ce qu'il en dit nous permet d'identifier la première avec ce qu'on appelle les „histoires"; elle „traitte fais graves et Principaus", et dans les „histoires" on met en drame tel ou tel récit instructif, pouvant servir d'illustration a 1'enseignement moral qu'on veut donner. Cette moralité diffère de la tragédie grecque et latine en ce que la fin n'est pas „toujours triste et doloreuse". Cela tient a ce que les Francais n'imitent pas servilement; ils restent originaux dans „1'information (conception) de mceurs et vie" qui se réflète dans le dénouement des moralités. Par sa définition de la moralité Sebillet a fait connaitre en même temps sa conception de la tragédie ; en y assignant un sujet grave et important avec un dénouement funeste, il a exposé la doctrine traditionnelle. Et en somme notre théoricien a distingué la représentation, essentieile au drame, de la poésie dialoguée. Dans la comparaison entre 1'état du théatre ancien et celui de son temps en France, il fait ressortir que ces jeux se font dans son pays „pour y gaigner, et en faire profit", tandis que le théatre ancien avait pour but „de gaigner suffrages" : c'est la la cause du manque de perfectionnement du théatre frangais. Sebillet a 1'air de regretter que les spectacles soient des entreprises privées. n parle aussi de la moralité allégorique, qui personnifle les vertus et les vices et les représente agissant et parlant comme des individus en chair et en os. Cette moralité est donc la forme dramatique appliquée a la poésie didactique. Sebillet y admet toutes sortes de vers „amassés comme morceaus en fricassée" ; il recommande celui de dix syllabes. Eappelant le „Omne tulit punctum qui miscuit utile dulci" d'Horace, il signale 68 le mélange des genres qui donne lieu a la naissance de la moralité comique. II. Le drame eomique. L'auteur commence par nous mettre en garde contre une confusion entre la farce et la comédie latine. II assimile la sottie a la farce dont le sujet commun se forme par „toutes sotties esmouvantes a ris et plaisir", et les farces aux „Mimes ou Priapées" des Latins1), paree qu'un rire démesuré est la fin de 1'un et de 1'autre et que „toute licence et lascivie y estoit admise". II recommande le vers octosyllabique et la rime plate, et il finit par dire que tout dialogue doit sa véritable valeur a la facon dont il est prononcé. M. Gaiffe nomme 1'assimilation de la farce a la sotie „discutable", et il croit que la farce se rapproche plus souvent de la moralité allégorique. II est en effet souvent difficile de dire a quel genre comique appartient telle ou telle pièce. Si plus d'un sermon joyeux peut s'appeler aussi monologue 2), il est encore plus difficile de distinguer la sotie de la farce. Mortensen 3) dit: „Au moyen age plus d'une sotie portait le nom de farce, et de nos jours on a même défini la sotie une farce oü paraissent des sotó". Voila pourquoi il propose pour les drames de ce genre le nom de „moralités comiques". La nuance que croit saisir M. Gaiffe entre la farce et la sotie est que la dernière est souvent a un niveau plus bas que la première. D. GENRE DIDACTIQUE ET PHILOSOPHIQUE. Les sujets de poème didactique appartiennent a tous les ordres d'idées, de sorte qu'une classification com- *) Des tentatives ont été faites pour rattacher directement le développement de la comédie médiévale aux derniers produits du drame antique, a ces mimes et pantomimes et autres spectacles indecents contre lesquels s'élevaient les Pères de 1'Eglise (Mortensen, op. cit., p. 199). *) Sebillet ne parle ni du sermon joyeux ni du monologue. *) Mortensen, op. cit., p. 223. 69 plète et absolue est impossible; cela n'empêche pas que le fait que les espèces de poésies rentrant dans ce genre, sont disséminées sur les chapitres I, VII (en partie), IX, X et XI, est une nouvelle preuve que la charpente de l'ceuvre est défectueuse. Sebillet se tait sur le poème didactique proprement dit, mais il aborde le poème descriptif, qui en est l'abus. Définition, description. L'auteur dit que ces deux formes de poésie tiennent le nom et la forme du latin. La définition exprime „la sustance de la chose définie" et la description „peint et colore la chose descrite". II ajoute que ces deux sortes de poésies „élégantes" sont „encore" peu usitées, ce qui semble indiquer que Sebillet leur attribue dans sa pensée un certain succès. H donne une „définition" de Mellin de Saint-Gelais en tierces-rimes sur 1'amour et une „description" (même sujet) de Marulle qu'un anonyme a traduite du latin en frangais. II dit que le poète est libre dans le choix de la rime et du nombre des vers (le vers décasyllabique étant cependant le plus commun). La rime la plus usitée est la terza rima 1). Blason. C'est une forme de poésie que Sebillet est seul a traiter; on peut en dire autant de la „définition" et de la „description". Ce terme désigne 1'éloge des qualités, des mérites d'une personne, et, par ironie, le blame, la raiüerie. C'est donc „la peinture détaillée soit de 1'une des parties du corps, soit d'un être animé ou même d'un objet quelconque, pourvu que la chose, vivante ou non, sur quoi porte la description, soit menue de taille et — suivant que 1'on se propose une caricature ou un portrait — ridicule ou gracieuse"2). Sebillet tache d'expliquer le nom de blason en rappelant le rapport qu'il y a selon Horace entre le peintre et le poète. H recommande les blasons courts et aigus en *) cf. Paul Laumonier, Eonsard, poète lyrique, 1909, p. 648 n. 2; Emile Faguet, Seizième siècle, p. 274; ma note 1 de la p. 36. *) Henry Guy, Les source* francaises de Ronsard (Revue d'Histoire littéraire de la France, 1902, p. 217). 70 conclusion. La rime plate et le vers octosyllabique lui vont trés bien; cependant le vers décasyllabique s'y prête aussi. C'est a Ferrare que Marot composa 1'épigramme ou blason du Beau Tetin, qui eut un succès fou a cette cour, et qui est resté le modèle du genre. La fleur des poètes de 1'époque prit part a ce tournoi poétique. B se trouve a la Bibliothèque de 1'Arsenal un recueil1) contenant une liste des blasons qui furent publiés a ce moment; Bourciez 2) a bien raison de dire que la plupart de ces poètes semblaient par une sorte de défi lieencieux s'attacher aux parties les moins nobles du corps féminin; seul Maurice Scève veut fixer 1'immatériel, et cherche a définir le Souspir. Sebillet assure que le Blason du Sourcil du même poète (en vers décasyllabiques) est ,,le mieus fait" selon Marot8), jugement ratifié par la cour de Ferrare. Enigme. Encore un genre, variété de la „Description" dont il nous est difficile de saisir la valeur littéraire. Cathos, dans les Précieuses ridicules, nous avoue qu'elle aime „terriblement" les énigmes; 1'abbé Cotin, qui en publia en 1638 un recueil, nous apprend que les précieuses „s'envoyoient visiter par un rondeau ou une énigme, et que c'étoit par la que commencoient toutes les conversations" et le „parvenu de la littérature" *) qu'est 1'universel Marmontel en a donné une définition irréprochable 5), mais Quintilien, cité par mon auteur, 1'appelle a juste titre „vice d'oraison". La forme de 1'énigme est „une perpétuéle déscription". Le charme ') Les Blasons anatomiques du corps humain. *) Bourciez, op. cit., p. 127. 3) Cf. aussi 8. Eringa, La Renaissance et les rhétoriqueurs néerlandais, thëse de Paris, 1920, p. 85 sqq., et Guiffrey-Robert Yve-Plessis, Oeuvres de Marot, I, p. 267-278. *) Lanson, Hist. de la littérature francaise, Paris, 1903, p. 726. *) L'énigme, proprement dite, est une définition de choses en termes vagues et obscurs, mais qui, tous réunis, désignent exclusivement leur objet commun, et laissent a 1'esprit le plaisir de le deviner (Marmontel, Eléments de littérature, Paris,- 1825, tome II, p. 291). 71 de 1'énigme consiste a être entendue avec effort („aprés s'y estre quelque peu appliqué"). „Les dés, 1'oeil, la chandéle, la balie", etc. peuvent en former le sujet. II faut avoir soin qu'une seule réponse soit possible. La rime plate est la meüleure, et la „grave obscurité" de 1'énigme rend le vers de dix syllabes préférable. Sebillet donne un exemple de Bonaventure des Périers; „a l'aventure" Marot n'en a pas fait. A ces poésies descriptives se rattache 1'épitre. Epitre. L'épitre en vers a pour sujet „plaisir" ou „desplaisir", „amour" ou „haine". Son cadre est peu étendu, c'est une „missive mise en vers". Sebillet nomme les épitfes d'Ovide et indique la traduction qu'en a faite Octovien de Saint-Gelais. B mentionne encore celles de Marot, et c'est tout; ce n'est qu'après lui qu'il deviendra nécessaire de faire une théorie spéciale de l'épitre. Cependant on peut regretter que Sebillet n'ait pas plus remarqué la prédilection avec laquelle Marot a cultivé l'épitre que 1'évolution du genre sous la plume de ce poète. Pour le décrire il aurait pu tirer notre attention sur les éléments qui se retrouvent dans les grandes épitres : le récit d'un malheur subi, d'une méconnaissance éprouvée, 1'éternelle plainte de courtisan besogneux qui trouve qu'il n'est pas payé de ses peines, suivie d'une demande pour réparer ces torts. Dans les premières épitres dé Marot on trouve la rhétorique de la vieille école aü lieu du ton de la causerie familière qui domine dans les vers de la seconde manière : ici le sujet est devenu trés simple; c'est a peine s'il y en a encore un. L'esprit, le ton de faniiliarité, 1'élégance sont devenus les caractéristiques du genre, et le vers de dix syllabes cède sa place a 1'octosyllabe ou au vers plus petit encore. En mesurant la distance qui sépare les Épitres de F Amant vert de Jean Lemaire de Beiges de celle que Marot composa en 1538 Pour la petite Princesse de Navarre a Madame Marguerite 1), on constatera, !) Guiffrey, III, p. 608 sqq. 72 a cóté du développement que Marot a su donner au genre, 1'air naïf, le tour léger qui a fini par caractériser l'épitre marotique. Satire. Je laisse de cóté le début du chapitre IX, qui est une déclaration en faveur des langues anciennes. H assimile a la satire le „coq-a-l'ane" dont il explique la dénomination en alléguant „la variété inconstante dés non cohérens propos", qui font songer au „saut du Coq a 1'asne". H ajoute que les coq-a-l'ane sont anonymes: on y reprend sous le voile de Panonymat „lés vices de chacun". Les vers y sont de huit syllabes, la rime est plate. n se permet ici un „rapprochement sacrilège" *) entre Marot, Horace et Juvénal. Ainsi que Pont fait remarquer Pleuret et Perceau2), on est porté a sourire en lisant que „les satyres de Juvénal, Perse et Horace sont „Coqs a 1'asne Latins". „-Mais Sebillet n'entendait qu'établir un rapport, en vérité assez lointain, entre la composition variée de la Satire latine et le décousu propre au Coq-a-l'ane. Ce genre de satire n'était guère destiné qu'a la médisance, a cause de la facüité qu'il offrait de railler la cour et la ville sous de prudente s allusions, et de passer rapidement en revue les évónements les plus divers". M. Gaiffe assure que 1'invention du coq-a-l'ane remonte a Marot, en quoi il a raison en un certain sens 8). Cependant ce savant dit lui-même (p. 168, n. 4) qu'Eustorg de Beaulieu4) semble avoir précédé Marot, en composant un coq-a-l'ane dés 1530. Mais on aurait tort d'en déduire que Marot a eu ' ') Chamard, Deffence, p. 218, n. 1. *) Fernand Fleuret et Louis Perceau, Les satires francaises du X Vie siècle, Paris, 1922, tome I, p. X. *) Les „coq a l'Ane", désignés au moyen age sous le nom de „fratrasies" (fatras) ou „resveries", étaient des pièces incohérentes formant une sorte de jeux d'esprit. Marot leur donna un caractère nouveau en se servant habilement de cette incohérence apparente pour voiler la hardiesse de certaines satires et s'attaquer sans péril a des adversaires redoutables (Darmesteter-Hatzfeld, op. cit., p. 89). Cf. aussi Eringa, o. I., p. 99. ') cf. Helen Harvitt, op. cit. 73 le premier 1'idée de cette combinaison des deux substantifs. Littré donne deux exemples du XVe siècle oü 1'on rencontre la combinaison des deux substantifs comme expressiou toute faite1). II faut donc enten dre la remarque comme ayant uniquement trait au genre de poésie en question, et non pas au nom. On a dit que la locution vient de 1'histoire du coq et de 1'ane, qui, voyageant ensemble et en compagnie du chat, font, la nuit, un grand vacarme et produisent une confusion épouvantable 2). Littré, se basant sur les exemples de son „Historique", a bien fait de remarquer que non le désordre du coq et de l'&ne, mais Le passage du coq a 1'ane forme le sens ; „cette ancienne poésie satirique affecte une forme incohérente, pour paraitre burlesque ou pour voiler des allusions trop hardies" (D. G.). Et comme 1'anglais parle de „a cockand-bull-story", le conté bleu cité ne saurait être le point de départ de la dénomination. Gentillet, cité par Guiffrey3) fait remonter le nom „a ces propos décousus par lesquels les mauvais plaisants de la domesticité royale s'amusaient a embarrasser leurs nouveaux compagnons" : Lors ilz iectoient plusieurs propos ensemble Dont 1'un a 1'autre aucunement ne semble, Saultant du coq a 1'asne sans raison. C'est la la véritable origine du mot. Marot, dans Vepistre du coq a Vastte a Lyon Jamei de Sansay en Poictou *) dit a la fin : 1) a. De moi vraiment Vous vous raillez; T-rop vous faillez Car vous saillez Du coq en 1'asne Evidemment. (Le loyer des folies amours, p. 315 dans Lacurne). 6. C'est bien sauté du coq o Vasne. (Leroux de Lincy, Proverbes, I, p. 173). 2) Grimm, Die Bremer Stadtmusikanten, p. 146, dans Kinder- und Hausmdrchen, édition Wolgast, Leipzig, 1907. *) Guiffrey, op. cit., III, p. 207 renvoie a Gentillet, Discours de la court. *) Guiffrey, III, p. 206. 74 Or, Lyon, puis qu'il t'a pleu veoir Mon epistre iusques icy, Ie te supply m'excuser si Du coq a 1'asne vay saultant. Les imitateurs se sont imaginés qu'il s'agissait d'une lettre écrite par le coq a 1'ane; alors ils ont composé des épitres du coq a la geline, de la poule au baudet. Sebillet remarque qu'on a abusé de la chose autant que du nom „je ne say quelz, non Pöétes, mais rymeurs, ne creignent tous lés jours de publier dés rymasseries, qui ne meritent nom de Coqs a 1'asne, ne de Satyres, tant sont licencieuses, lascives, effrenées et autrement sottement inventées et composées" 1). Marot a fait quatre coq-a-l'ane. Le second, celui de Ferrare *), répond a la définition de Sebillet. Aucun des quatre ne ressemble a la satire antique, et cela s'explique; Sebillet a perdu de vue que la fratrasie3), genre littéraire qui consistait en un pot pourri d'allusions timides ou embrouillées et qui était en vogue au XVe siècle, est a la base de la satire marotique. Ainsi que nous 1'apprennent quelques exemples cités par le Quintil Horatian, le coq-a-l'ane n'a pas nécessairement un but satirique. L'esprit frondeur de Marot s'est contenté de se venger dans ces quatre produits Uttéraires d'ennemis personnels (gens de justice, Sagon) ou coUectifs (les sorboniqueurs qui sont ennemis de la vérité et de la science). En outre la place occupée par Marot a la cour oü il est resté un tout petit personnage, a la merci d'un caprice, a toujours été pour lui un empêchement de s'élever a la grande dissertation satirique : il lui fallait être prudent. Et puis le soufflé lui aurait manqué. On ne se heurtait pas a la fantaisie traditionneUe de la fratrasie l) La licence, que Sebillet reproche aux „rymassiers", devait^fatalement y entrer comme moyen comique, et 1'abus du moyen ne pouvait qu'entrainer a la dégénérescence que Sebillet déplore (Fleuret et Perceau, loc. cit.). ") Guiffrey, III, p. 327. Les deux derniers se lisent a la p. 428 et a la p. 451. *) Cf. p. 72, n. 3. 75 continuée et appliquée par Marot dans ses coq-a-l'ane moins prétentieux que la satire a portée générale. Son Enfer occupe une place a part. Épigramme. J'arrive maintenant au chapitre Ier que Sebillet déclare avoir consacré a 1'épigramme, paree qu'elle est „le plus petit et premier ceuvre de Pöésie". Au début, en Grèce et en Italië, on ne la trouvait que comme inscription des batiments, conformément a ce que 1'étymologie du mot nous dit. Elle était nécessairement courte; la meilleure épigramme était pour les Eomains le distique; plus tard on 1'a allongée selon les exigences du sujet a traiter. Parmi les „épitaphes" (inscriptions placées sur un tombeau) il y en a de trente ou quarante vers dans Marot. Sebillet croit que la grace de 1'épigramme diminue a mesure que le nombre de vers augmente; voila pourquoi les bons poètes frangais n'en font pas de plus de douze vers. L'auteur parle alors brièvement de 1'épigramme de : a. deux vers: les deux exemples sont empruntés a Marot.; b. trois vers: elle est rare, paree que „le nombre de trois en ryme est nombre baillant et rompu" ; ii donne et traduit un exemple itaüen; c. quatre vers : 1'exemple est pris dans Marot; la rime est plate, croisée ou embrassée ; d. cinq vers; type a b a a b: exemple de Marot; e. six vers; type a a b a a b: exemple de Marot; ƒ. huit vers; type a b a b bc bc: exemple de Marot; comme cette poésie a „je ne say quel accomplissement de sentence et de mesure qui toufche vivement 1'aureille", elle est trés en vogue parmi les contemporains de mon auteur. Elle se prête plutót „aus matiéres plus légères et plaisantes" et demande le vers de huit syllabes; g. sept vers ou neuf vers; type : ababbcc etabab b c b b c: pas d'exemple; Ti. dix vers ; type rababbccdcd: exemple de Maurice Scève. C'est 1'épigramme „le plus communément 76 usurpé dés savans". Sebillet recommande les vers de dix syllabes. Le sujet se prend facilement „dans les matiéres plus graves et sententieuses"; i. onze vers; type :ababbccdccd: exemple de Sebillet (vraisemblablement); k. douze vers; types rababbcbccdcd et abab bccddada: exemples de Marot (Sebillet ne donne que le vers initial de ces deux poèmes; cf. Jannet I, p. 1 et III p. 63). II dit et répète que „l'autheur peut a sa phantaBie ( = volonté) asseoir lés vers symbolisans". Et il finit en disant qu'il préfère a toute autre 1'épigramme aiguisée et cite comme des modèles en ce genre Marot et SaintGelais. Ainsi le mot épigramme a commencé par désigner, chez les Grecs, les inscriptions mises sur les monuments, les statues, pour passer de cette signification primitive a un sens plus étendu, et être appliqué a toute pièce de vers qui ne dépassait pas la longueur d'une inscription. Vauquelin de la Presnaye (chant III, vers 289/294) appuie sur le caractère satirique en nous disant: Sur tout breue, r'entrante et subtile elle soit: De Poeme le nom trop longue elle recoit: Elle sent 1'Heroic, et tient du Satyrique; Toute graue et moqueuse elle enseigne et si piqué. L'Épigramme n'estant qu'un propos racourci; Comme une inscription, courte on 1'escrit aussi. Pour être épigrammatiste il faut savoir forger le trait final vers lequel tout semble converger. Ce n'est pas, selon 1'insinuation de du Bellay*), que les neuf premiers vers puissent être vides de sens pourvu que le dernier vers „ait le petit mot pour rire". Non: par ce trait final, qui est la forme de composition caractéristique du genre, l'épigrammatiste atteint 1'apogée de son art. Marot y excelle, soit qu'il choisisse son sujet dans un petit événement du jour, soit qu'il se mette a écrire sans l) Deffence, édition Chamard, p. 205-206. ?7 sujet bien limité. Car parfois il fait 1'impression de ne pas savoir au premier vers de quoi il va parler au second ; pourtant il remplit alors le cadre de 1'épigramme et il finit par une pointe qui porte. Ceci est vrai au moins pour les épigrammes faites après 1537 : au début on retrouve moins facilement 1'effort, de condensation que demande ce genre. M. Villey *) a prouvé que c'est a tort qu'on a cherché une marqué de 1'influence italienne dans la grande place que''Marót a faite au huitain parmi ses épigrammes; il croit plutöt a 1'influence de la tradition nationale, celle de Villon surtout, beaucoup plus qu'a celle des strambottistea. Grace au milieu humaniste dé Lyon, Marot s'est inspiré de modèles latins, dit 1'éminent critique; vers 1538 il se met a traduire et a adapter Martial, dont il cherche a s'assimiler l'art. C'est que „la densité du parler de Bome, si séante dans 1'épigramme, 1'a séduit". II faut noter encore que Marot, qui a fait paraitre trente-neuf épigrammes avant 1537 sous le titre modeste de „Menu", n'a adopté le titre savant d'épigramme — signe de 1'influence anti que — que dans son édition de 1538. Avant de quitter le genre didactique je fais remarquer que Sebillet oublie la fable et le conté. E. GENRE PASTORAL. Sebillet a tort de considérer 1'églogue comme une des espèces du dialogue et donc d'en parler dans son chapitre VIII. Non pour la raison qu^H1 donne lufe-même (p. 160, 1. 9—12) „Laquéle (= 1'églogue)1trouvant sans interloquution de personhes et forme de Dialogue, retien que 1' Eclogue se fait élégamment de pérpétuel fil d'oraison", car il ajoute tout de'suite la restriction ,,en sorte cependant que les Prosopopées entrémeslées au fü/SujM plent 1'interlöctttion", de sorte que 1'églogue reste ainsi pour luf^une espèce de dialogue affaibli, mais paree que l*öbjet de la poésie pastorale est beaucoup plus caracté* ') Villey, op. cit., p. 113-sqq. 7 78 ristique pour ce genre que la forme. Quant a celle-ci, on peut trés bien traiter 1'églogue (dialoguée ou non) en même temps que le dialogue, car la poésie pastorale est la peinture dramatique des mceurs et des beautés champêtres, de même que, si 1'on fait attention au caractère narratif de cette poésie, on peut la classer parmi les poèmes épiques, et que si 1'on se rappelle qu'elle est descriptive, on pourrait la rapprocher du poème didactique. Si le genre pastoral a droit a une place a part, c'est que son but, qui est d'inspirer aux habitants des villes 1'amour de la nature en leur peignant les beautés et les plaisirs de la campagne, lui confère un caractère propre. Je n'oserais pas avec M. Gaiffe (p. 160, n. 5) nommer „arbitraire" le classement de 1'églogue parmi les différents genres de dialogue. Car 1'églogue, telle que Sebillet 1'entend, n'est pas une petite pièce sur un sujet champêtre, les bergers ne s'y entretiennent pas de la vie des champs *), il lui réserve les grands sujets „mortz de Princes, calamitéz de temps, mutations de Republiques, joyeus succés et evenemens de fortune, louenges Pöétiques", de sorte que cette conception, selon laquelle 1'églogue „sous une forme artificiellement champêtre, parle d'histoire contemporaine et de faits personnels", prête au genre un caractère plus élevé: cette conception allégorique donne du reliëf a ce qu'il y a de dramatique dans la poésie pastorale, remet ce trait au premier rang. Sebillet cite comme exemples Théocrite, Virgile, Marot, et il nomme trois églogues du poète cadurcien, parmi lesquelles il y en a une traduite de Virgile. II recommande la brièveté, le vers décasyllabique et la rime plate, tout en ajoutant que la rime croisée „n'y ha pöint mauvaise grace". Sur les trois églogues citées par Sebillet les numéros 2 et 3 répondent a sa définition. II aurait pu ajouter comme numéro 4 VAeglogue sur la naissance du füz de Monseigneur le Dauphin (1544), qui l) Boileau, Art Poétique, chant II, vers 11 sqq. 79 a un sujet analogue. De ces trois (c'est-a-dire les numéros 2, 3, 4) une seule est en forme de dialogue, les deux autres étant de „perpétuel fil d'oraison". Dans ces poésies, qui sont toutes les trois des pièces d'apparat, on sent 1'influence latine. Pourtant Marot n'est pas le premier a choisir le genre pastoral pour traiter les grands événements: 1'auteur du „Temple d'honneur et de vertu" 1'avait devancé. li'églogue au Roi sous les noms de Pan et Robin est une forme nouvelle donnée a un sujet banal, on sait combien familier a Marot; ici encore il postule les faveurs du roi. Docile en ce moment (1539), il demande a Pan un abri contre le froid. On peut regretter que Sebillet n'ait parlé que de 1'églogue allégorique, car on trouve dans l'ceuvre de son chef de file des exemples de 1'églogue familière, qui, a proprement parler, eonvient mieux a son génie. H y a d'abord 1'églogue traduite indiquée plus haut (numéro 1) et qui traite un sujet champêtre; nommons ensuite la Complaincte d'un pastoureau chrestien faicte en forme d'églogue rustique (Grenier, I., p. 85-93), et encore le Chant pastoral a Monseigneur le cardinal de Lorraine (Jannet, II, p. 90), qui par sa forme (trois strophes de onze vers décasyllabiques, type ababccddede, et un envoi de cinq vers) rappelle la ballade. Ainsi Sebillet n'a vu qu'un seul cóté de la poésie pastorale de Marot, mais, comme pour Marot 1'églogue n'a été au fond qu'un accident, je signale cette lacune sans insister. Oonstatons pour finir que Sebillet se tait sur Vidylle. CHAPITRE IV. Comparaison détaillée de VArt Poétique et de la Deffenee. Dans ce chapitre je tacherai de tracer un parallèle entre VArt Poétique Francoys de Thomas Sebillet et»la Deffence et Jllustration de la Langue Francoyse &e Joachim du Bellay, et d'indiquer les différences et les points de contact dans les coneeptions des deux auteurs. Je réserve pour un autre chapitré la discussion des idéés générales des théoriciéns en question. Prenant d'ordinaire Sebillet comme point de départ, je suivrai dans eet exposé 1'ordre des deux chapitres précédents. § 1. Les termes de rime et rimeurs. Sebillet (p. 16— p. 19) et du Bellay (p. 270—p. 272) sont d'accord pour critiquer le terme de rime. Sebillet le fait plus longuement (51 lignes), donnant les détails de la signification et de l'emploi des termes icarme, versy métre, rythmos, rime, omoioteleuton. Du Bellay, malgré sa brièveté (14 lignes), ajoute une remarque importante qui manque dans Sebillet: „les vers, encores qu'ilz ne finissent pöint en un mesme son, generalement se peuvent apeller rythme". B admet donc le vers blanc, ou tout au moins le vers assonancé. Bs rejettent tous les deux la restriction du sens primitif de „rythme" a „rime". De même ils s'inscrivent en faux contre 1'appellation de „rimeur". (Sebillet p. 19—20 et du Bellay p. 305—306). Cette fois encore Sebillet décrit et démontre mieux que son concurrent, qui s'en tient a nommer cette appellation „ridicule". 81 §2. Poésie. Musique., J&oip Sebület „la Musique soutient latemment la modulation du carme, en 1'harmonie de laquéle 'les üuuBons et!üe*aveS font les plua douz et par* faiz accords". (p: I9).(fltour du Bellay» a«BS%» „le vers ne epatèfrteTai'moinflil'oireille, qu'une bien armonieuse mnxr swgue itumbante en um'bon et parfait accord" (p. 263). GVsst une théorie que tt?eüt pas désawquée Th. de Banville, qui ditx) „Le vennes*, la parole humaine ihysthmée de fa^on a pouvoin être chantée, et, avoix accómmodée a toutes les affections (= sentiment) que tu voudras exprimer en tes vers", et éviter „toutes choses apres et ludes .... en modulation de § 3. itfièwe des rimes> Sebillet >a de 1'admiration pour la rime équivoquée (p. 63), du Bellay (p. 263-rrrp. 265) faifr ses réserves, et recommande la rime riche (p. 261), qui est pour lesi.Francais ,yce qu'eat ,la quantité aux Grecz et Latins". Cette rime doit être „volunfcaro??> „receüe", „pBopre", „naturelle''^ exigenceaique: M* Gaiffe (pv 63, n. 2>(«ésume en disant que du Bellay impose a la rime riche 1'obligation de ne pas nuire au sens. L'attitude hostile de duBeiiay)»mrers la rirnd du simple contie ') Op.hn'ï., p. 3 sqq. *) II existe entre les deux théori'ciensla même différence qu'entre les deux écoles qu'ils représentent. Ainsi que 1'ont démontré Charles Comte et Paul Laumonier dans leur article Ronsard et les musiciemsdu XVIe siècle (Revue d'Histoire littéraire, 1900, p. 341—381) Marot et Ronsard se sont tous les deux préoccupés des procédés de versification qui communiquent au vers' Iel eharme destiné è captiver 1'oreille. Tous les deux ils ont combiné leurs mesures et leurs rimes de facon a faciHter la t&che du musicien, mais Ronsard 1'a fait plus rigoureusement et plus artistement. En outre Ronsard a soumis aux principes établis par le musicien des genres de poésie antérieurement indépendants de la musique. Ce .sont en premier lieu les exigences musicales qui ont fait du sonnet un genre a forme fitte. u,'| 82 son composé (p. 263—p. 265) est diamétralement contraire a celle de Sebillet (p. 70—p. 71), qui suit en cela la coutume du siècle de Guillaume Cretin. Je n'oserais dire avec M. Chamard (p. 263, n. 5) que du Bellay proscrit les rimes équivoquées; il eD limite l'emploi aux cas difficiles, rejetant la rime d'un mot contre son homonyme, car la proposition conditionnelle de la phrase : „Ces equivoques donq' et ces simples rymez avecques leurs composez, comme un baisser et abaisser, s'üz ne changent ou augmentent grandement la signification de leurs simples, me soint chassez bien loing" a rapport aux deux membres du sujet. C'est du Bellay qui a triomphé et les équivoques sont tombées en désuétude jusqu'au jour oü Th. de Banville a taché de les remettre en honneur. § 4. AUernance des rimes. J. du Bellay se fait 1'interprète hésitant de la règle de 1'alternance des rimes: „Je treuve cete diligence fort bonne, pourveu que tu n'en faces point de religion jusques a contreindre ta diction pour observer telles choses". AUleurs (Au Lecteur, voir CEuvres poétiques, III, p. 3) il dit: „Je n'ay (Lecteur) entremellé fort supersticieusement les vers masculins avecques les feminins, comme on use eD ces vaudevilles et chansons qui se chantent d'un mesme chant par tous les coupletz, craignant de contreindre et gehinner ma diction pour 1'observation de telles choses. Toutesfois affin que tu ne penses que j'aye dedaigné ceste diligence, tu trouveras quelques odes, dont les vers sont disposez avecques telle religion : comme la Louange de deux Bamoizéües : des Misères et Calamitez humaines : le Chant du Desesperé et les Louanges de Bacchus. C'est a bon droit qu'Etienne Pasquier1) a blamé le réformateur du Bellay de ne pas avoir interprété la règle de 1'alternance des rimes avec plus de rigueur; si du Bellay ne *) Etienne Pasquier, Recherches de la France, émet le jugement suivant: „Je ne puis recevoir cette excuse en payement, de la part de celuy que 1'on disoit estre venu pour apporter nouvelle reformation k Ia poësie ancienne" (cité par Chamard, loc. cit, p. 3). 83 voulait pas trop s'engager dans cette voie, on aurait salué avec reconnaissance un peu plus de sérieux dans son argumentation. Sebillet se tait sur ce sujet (cf. ci-dessus p. 35). § 5. Vers blancs. Sebillet (p. 192—p. 194) n'aime pas ces vers, qui n'ont jamais réussi en France. Au contraire les vers dépourvus de rimes inspirent une certaine sympathie a du Bellay*), (cf. p. 80) qui les veut „bien charnuz et nerveuss", en guise de compensation de la rime absente, et qui, aux exemples cités par Sebillet, ajoute (p. 265—p. 266) celui du Florentin Luigi Alamanni. B veut ce surcrolt de soins de la part du poète, tout comme il attend du peintre ou du statuaire travail* lant sur le nu qu'ils poussent 1'exactitude jusqu'a la minutie. La comparaison frappe agréablement et prouve que, pour du Bellay aussi, la rime est un des éléments sur lesquels se fonde le vers, principe qu'on ne saurait enlever sans y substituer un élément de première valeur, ce qui ne nous empêche pas de nous étonner du désaccord que nous constatons entre le théoricien de la Pléiade et la pratique de sa propre école. M. Villey2) émet 1'hypothèse que 1'attAtude prise par du Bellay dans ce problème s'explique par 1'existence du vers blanc en Italië. Trés cnltivé par les classicistes, il semble être une imitation de 1'hexamètre classique. La rime est „principe de liberté et de contrainte tout ensemble, 1'une servant 1'autre", et Sebillet 1'a mieux senti que du Bellay. § 6. DipMongues a la rime. Sebillet (p. 84) et du Bellay (p. 266—p. 267) se montrent également indulgents pour la rime de la diphtongue contre la simple „lettre" du même son. Sebillet admet maistre contre estre, du Bellay ') L'expression „vers libres" ne se rencontre pas avec la valeur qu'on lui donne aujourd'hui avant le commencement du XVIIe siècle (cf. Kastner, Histoire des termes de la versification francaise, dans la Revue des langues romanes, 1904, p. 5—28). J. du Bellay s'en sert ici comme équivalent de 1'italien „versi sciolti" ou vers non-rimés. !) Op. cit., p. 80. 84 maisire contre prestre; Sebillet laisse passer congnoistre contre naistre, du Bellay donne le même exemple. B nomme les difficultés de ce genre de „petites choses", auxquelles il ne veut pas que le poète regarde si„supersticieusement". Du Bellay! assure que les „praticiens" ont „dépravé" (défiguré) 1'orthographe, sans s'expliquer sur les raisons qxri 1'amènent a prononcer ce jugement. Ailleuré *) Sebillet insinue que les praticiens, étant payés a la page, ont intérêt a noircir du papier et se tróu-: vent être pour cela les ennemis acharnés de la simplif ication de 1'orthographè. § 7. Syllabe longue rimant contre syllabe breve. J. du Bellay (p. 269) nous met en garde contre cette rime, qui est en effet médiocre. B donne quatre exemples de ces rimes faibles: passé contre tracé, maitre contre• mettre, checelure contre hure et bast contre batf il n'y a donc pas d'exemple de 'rimes oü entre la voyelle o, et c'est précisément la que l'oreüle est frappée le plus désagréablement, o bref et o long différant beaucoup plus que par exemple u long et u bref. II ne parle pas non plus de la consonne d'appui qui peut jusqu'a un certain point remédier a ce manque de ressemblance des voyelles a la rime : tandis que femme et dme forment une rime faible, on ne se plaindra pas de la différence entre 1'a bref et 1'a long dans une rime telle que femme et infame. Sebillet nö dit rien par rapport a cette question. § 8. Césure. Sebillet reconnait la règle de la césure classique avec 1'élision obligatoire de 1'e muet; quoiqu'il aime qu'on se plie a cette règle, il Be plaint des difficultés de Papplication (cf. p. 43). J. du Bellay ne parle plus dé cette règle, suffisamment connue mais appliquée avec une certaine désinvolture. II prête son attention a un autre cóté de la question. Voici le „default bien usité et de tres mauvaise grace" : „C'est quand en la quadrature (= césure) des vers heroïques la sentence est trop abruptement coupée" p. 289, autrement dit, la césure doit l) Dans 1'épitre Aus Leeteurs ouvrant sa traduction de VIpkigénie d'Buripide. 85 se marquer sans faire tort au sens de la phrase. Ici, comme bien souvent ' ailleiirs, une explication moins concise eüt été a sa place. § 9. Etendue de la notion rhétorique. Sebillet (p. 21— p. 22) et du Bellay (p. 161)iserti»uvent anwrir la même conception de^Pétehdue de la rhétorique. Elle embrasse pour I'un et 1'autre la prose»et la poésie: la prose c'est la rhétorique vulgaire, la poésie la rhétorMjJtte;métrifiée. Du reste > Söbülët ne fait que se rallier a 1'opiniön de Macrobe, qui s'est demandé quel est le plus grand ihé> toricien, du poète Virgile ou de 1'orateur Cicéron. b § 10. Eapports de Vort et de la nature. Nous avons déja expliqué plus longuement (jvoir p. 37) que Sebillet se f ie Bürtout a -iVinspirabian. J. du i Bellay i introduit danB la poésie 1'art comme élément nouveau ; le titre du chapitre II, 3, le dit explicitement ; le poèteioy recommande la lecture attentive des örecs, des Bomains, des Italiens et des Espagnols. Les vingtrquatre lignes de la p. 196—p. 199 sont d'unfc grande beauté. EHes montrent que d'après du Bellay le poète doit faire valoir pa* lin travail sérieux lies talentevqurtl possèdél B réfute la théorie de la décadencey en démontrant que les Frangais ont,!:pour employer 1'expression de Montaigne, les reins assez fermes pour eutreprendre de marcher avec les Anciens et qu'il ne tient qu'a eux de les dépasser. Nous sommes loin du ,,Fiunt oratores, poetae nascuntur", cité par Sebillet.rB démontre aussi que: ,,ce seroit cbosë trop facile, etl pourtant contemptible, se faire éternfel par renommee, si la félicité de nature donuée mesmes aux plus indoctes etoit suffisante pour faire choSe'digne de 1'immortalité". Pour que le poète puisse agir fortement sur les ames, il lui faut la science autant que le géi^ie„ § 11. Théorie de Vimitation. Sebillet ne traite pas ce sujet systématiquement. 11 permet 1'imitation de tous les bons modèles, au nombre desquels il compte aussi les poètes frangais du XlVe et du XVe siècle (p. 26—p. 27); ailleurs (p. 148) se rencontre sa fameuse phrase : „que tu imites a pied levé Saingelais és (odes) Frangoises, qui en est 86 Autheur tant dous que divin". J. du Bellay au contraire développe toute une théorie. Qu'est-ce qu'il entend par imitation? Dans le chapitre I, 7 (p. 99) „Comment les Bomains ont enrichy leur langue", il assure qu'ils ont imité „les meilleurs aucteurs grecz, se transformant en eux, les devorant, et apres les avoir bien digerez, les convertissant en sang et nóuriture". M. Chamard x) en conclut qu'ils ont pratiqué „1'assimilation"; Faguet2) appelle cela la théorie de l'„innutrition". J. du Bellay veut que la puissante imagination de 1'auteur soumette ses modèles a ses propres convenances; 1'auteur, après avoir consciemment enrichi ses connaissances, ses idéés, ses conceptions par la lecture des grands écrivains, après s'en être imprégné, doit imiter inconsciemment, sans y songer. B veut doter la France d'une littérature nourrie du suc et de la moelle des Anciens, mais profondément marquée a 1'empreinte nationale et moderne. Ainsi que 1'a rappelé M. Brunot8), Guillaume des Autels a repoussé cette imitation des anciens (Béplique contre Meigret). Est-ce pour voiler ses plagiats 4) que du Bellay place une partie de ses idéés au chapitre I, 8 (p. 103—108) et le reste au chapitre II, 3 (p. 193—200)! En tous cas, cette séparation ne s'explique pas par le fait qu'il n'a jamais revu „la production fiévreuse de son esprit". A la p. 103, du Bellay dit qu'„ü n'y a point de doute que la plus grand'part de 1'artifice ne soit contenue en 1'immitation". L'imitation est donc une des bases sur les- ') Chamard, op. cit., p. 124. 2) Faguet, o. I., article Ronsard, p. 214. ') Brunot, H. de l. I. fr., XVIe siècle, p. 84. 4) „Une lecture minutieuse des traités de rhétorique et de philosophie de Cicéron, des poésies d'Horace, de 1'Institution Oratoire de Quintilien, du Dialogue des Orateurs de Tacite m'a révélé Porigine insoupconnée d'une foule de phrases du fameux manifeste" (Chamard, p. XV de la Préface de son édition de la Deffence). Cf. aussi Pierre Villey, Les sources italiennes de la Deffense et illustration de la langue francoyse de Joachim du Bellay, Paris 1908 (Bibliothèque littéraire de la Renaissance). 87 quelles repose 1'art, car 1'imitateur doit fixer son attention sur le fond plus que sur la forme. Seulement elle n'est pas facile : „Mais entende celuy qui voudra immiter, que ce n'est chose facile de bien suyvre les vertuz d'un bon aucteur, et quasi comme se transformer en luy, veu que la Nature mesmes aux choses qui paroissent tressemblables, n'a sceu tant faire, que par quelque notte et difference elles ne puissent èstre discernées. Je dy cecy, pource qu'il y en a beaucoup en toutes langues, qui sans penetrer aux plus cachées et interieures parties de 1'aucteur qu'ilz se sont proposé, s'adaptent seulement au premier regard, et s'amusant a la beauté des motz, perdent la force des choses". A 1'inverse de Sebillet, du Bellay condamne 1'imitation des auteurs frangais : „aussi est ce chose grandement a reprendre, voyre odieuse a tout lecteur de liberale nature, voir en une mesme langue une telle immitation".J) Pourquoi? „(Cette imitation est) chose certes autant vicieuse, comme de nul profict a nostre vulgaire". Du Bellay reprend cette idéé dans 1'ode IV A Madame Marguerite d'escrire en sa langue (CEuvres poétiques, III, p. 97—100): Quicunque soit qui s'estudie En leur langue imiter les vieulx, D'une entreprise trop hardie II tente la voye des cieulx, Croyant en des ailes de cire, Dont Phebus le peult déplumer, Et semble, a le voir, qu'il desire Nouveaux noms donner a la mer. B emploie une seconde fois son expression de la p. 327 en continuant cette ode de la manière suivante: ') Ronsard a dit également: „L'imitation des nostres m'est tant odieuse que je me suis esloigné d'eux prenant stile a part, sens a part, oeuvre a part, ne desiraht avoir rien de commun avec une si monstrueuse erreur'% 88 II y met de 1'eau, ce me semble, . , , Et pareil (peut estre) encor' est A celuy qui du bois assemble, Pour le porter en la forest. Et il finit cette partie de sa démonstration par une remarque importante présentée sur un ton railleur : „veu que ce n'est autre chose (o grande liberalité!) si non luy donner ce qui estoit a luy". C'est au chapitre II, 3, p. 193, que du Bellay continue en disant qu'il faut choisir les modèles avec soin „je ne veux pas que sans election et jugement tu te prennes au premier venu. II vauldroit beaucoup mieux ecrire sans immitation que ressembler un mauvais aucteur. x) Même dans les bons modèles tout n'est pas a imiter: choisissez-y donc avec, un soin méticuleux : „regarde nostre immitateur premierement ceux qu'il voudra immiter, et ce qu'en eux il pourra, et qui se doit immiter, pour ne faire comme ceux qui voulans aparoitre semblables a quelque grand seigneur, immi£eront plus tost un petit geste 2) et facon de faire, vicieuse ') Pour la seconde fois du Bellay interrompt son exposé: il intercale ici sa théorie sur les rapports de l'art et de la nature. II vaut la peine d'opposer a cette théorie sa poésie A Bertran Bergier, poète' dithyrambique ((Euvres poétiques, V, p. 117—123): Pour avoir songé en Parnase, Et kumé de Veau de Pegase, Ascree en un moment fut j'at'et ' De bouvier potte parfaict: Montrant que la seule nature Sans art, sans travail et sans curt Fait naistre le poète, avant Qu'il ayl songé d'estre •seavant. s) Cf. Schiller, Wallenstein I: Wallensteins Lager, Sechster Auftritt. „Der erste Jager" y dit: Sie bekam Euch (sc. les soldats) übel, die' Lekiion. Wie er (sc. Wallenstein) rduspert, und wie er spuckf, Das habt Ihr ihm glücklich abgeguckt; Aber sein Genie, ich meine sein Geist Sich nicht auf der Wachparade weist. Et Armande (Molière, Les Femmes savantes, I, 1 vers 73-76) s'ex- 89 de luy, que ses vertuz et bonnes graceiilV Mais que L'imitateur ne présume pas trop de ses forces afin de ne pas saruendi» ridicule: „Avant toutes choses, faalt qu'il ait'tee. jugement de cognodtre ses forces et tenter co m bien seajepaules peuvent pdrter : qu'il sonde diligemment son naturel, et aeiCompose ia.l'immitation de celuy dont il se sentira approcher de plus pres. Autrement son immitation ressembleroit celle du siiïge. 1)" prime ainsi: Quand sur une personne on prétend se régler, C'est par les beaux cótés qu'il lui faut ressembler ; Et ce n'*eit 'point du tout la prendre pour modèle, Ma smur, que de touseer et de cracker commeelli'. <;' Enfin Börel (voir M. Roy, <Étud» sur Ckarles Sorel, p. 98),s,'adrtiftttt „aux mauvais singes" de Balzac>: ileur dit: Ce stylèl vous rend fprt ridicules. Gardaziyous d'imiter les auteurs en ce qu'ils font de mal et d'impertinent: ce'n'esjt pas imiter un homme de ne faire que tousser et cracher comme lui" (Francion, 1. XI, p. 441). ') Faguet (pp. cit., p. 215) a démontré qu'il y a une comraflfcfton dans cette théorie, surtout si on la compléte par la profession de foi personnelle de du Bellay, telle qu'elle se lit dans la Préface de VOlive. „Du Bellay (I, 11 p. 147—158) jette feu et flammes contre les Cicéroniens et Iers VWgiliens. Il'lsérhble oublier que le raisonnement peut se retourner contre lui et qu'on pourra lui reprocher. a lui aussi, de reblancHfïPses nftSfailles et de piller les idéés dè riih, les vers de 1'autre. La■ seufle "4ifférence sera qup les latinisateurs le font en lalm 01*1*»* qjli anront été; fppmésift,Védele de du Bellay„oen ifranicais^. -Faguetié raison, mais la différence qu'il signale est essentielle: les.lffl^ateurs francais enrichissent „le vulgaire", les autres ne le font pas. Quoique la contradiction signalée par Faguet soit réelle et que le. savant critique ait observé a juste titre „qu'un siècle entier sera nécessaire «) pour que la véritable doctrine et la vraie pratique de 1'imitation originale soient établis", le mérite de du Bellay, qui par les cqnseUs, qu'il donne ici enrichit en réalité la langue, reste entier et le raisonnement de Faguet ^j^.Jptaet, rhonnenr Uttéraire et patriotique de du Bellay. a) Ailleurs, dans un article de la Revue Bleue, V'Humanisme francais, le même critique a remarqué: „Ce n'est qu'après son retour sur sa théorie de l'iBWtfttion,(qui*stenseignée dans.la.9e. pfcéface de VOlive) que du Bellay verra 1'Antiquité non pas comme un modèle a contrefaire, mais a imiter, et non pas tant a imiter qu'a atteindre, et non pas tant même a atteindre qu'a surpasser". 90 Constatons enfin que M. Gillot *) parle de cette théorie sur uq ton d'ironie: „(Ronsard et) du Bellay n'imitèrent pas seulement les Anciens, ils voulurent qu'un chrétien orthodoxe parlat comme un Païen et que 1'on invoquat Phoebus pour bien parler des choses saintes. N'allèrent-üs point, dans leur zèle, jusqu'a sacrifier avec Jodelle un bouc a Bacchus?" § 12. La disposition. Si Sebillet remarque (p. 27) que le poète doit faire attention „au progrés de son pöéme" en joignant „les unes choses auz autres", du Bellay se contente de dire qu'il ne pariera pas de la disposition, car les événèments, et les circonstances dans lesquelles ils ont lieu sont innombrables, de sorte que régies ni préceptes ne sont un guide sur; 1'esprit de discemement est ce dont 1'auteur a besoin. § 13. Le mépris du vulgaire. On sait que le mépris du vulgaire a été un des principes de la Pléiade. Ronsard a chanté Populaire ignorant, grosse masse de chair, Qui a le sentiment d'un arbre ou d'un rocher, Tralne a bas sa pensée et de peu se contente. Les précurseurs de cette école poétique, Héroët et Scève, ont déja voulu réserver la poésie aux seuls initiés. Maurice Scève a connu sa tour d'ivoire en glorifiant la vie solitaire : Je vois cherchant les lieux plus solitaires De desespoir, et d'horreur habitez »), et, plus loin : Pour admirer la paix, qui me tesmoingne Celle vertu lassus recompensée, Qui du Vulgaire, aumoins ce peu, m'esloingne 3); ') Hubert Gillot, La querelle des anciens et des modemes en France, Paris, 1914, p. 275. ') Maurice Scève, Délie, dizain 262, édition Parturier, Paris 1916. 3) Ibidem, dizain 412. 91 encore une fois : Aussi j'y vis loing de 1'Ambition, Et du sot Peuple au vil gaing intentifJ). En délivrant la poésie des jeux de prestidigitation indignes d'elle, d'une „versification ardue et puérile qui s'embarrassait a plaisir dans ses propres rets", du Bellay a malheureusement commis la faute de vouloir faire rompre le poète avec la foule, pour le faire s'adresser a une éüte de savants (II, 11, p. 316—p. 317). M. Chamard (p. 316, n. 7) cite deux vers de du Bellay ((Euvres poétiques, III, p. 52) qui renferment la même idée. J'ajoute un autre passage ; dans les Poésies diverses, au numéro XXI A Madame Biane de Poietiers, duchesse de Vdlentinois (ibid., V, p. 371) le poète dit: L'ignorant populaire Telle faveur n'attent, A qui rien ne peult plaire Si non ce qu'il entent, Et dont jamais les yeulx Ne s'elevent aux cieulx *). En effet, cette réforme poétique n'a intéressé qu'un public restreint. On a 1'impression que même la cour de Henri II se laisse entrainer par le bel enthousiasme des nouveaux poètes plutót qu'elle ne se porte spontanément vers une poésie qui dépasse, en somme, les goüts, les habitudes d'un public courtois, admirateur par inclination de Marot et de son école. M. Gaiffe est d'avis que Sebillet et du Bellay sont également sévères pour la „touTbe" des mauvais poètes (p. 3, n. 2, a propos du passage: „Lesquelz voiant avilis, et quasi ensevelis soubz l'obscure troupe de cés telz quelz escrivains, "). Et le mot „tourbe" de du l) Ibidem,, dizain 414. *) On pourrait multiplier les citations a 1'appui. Pour permettre de juger de la décision avec laquelle il parle, je renvoie encore aux (Euvres poitiques, IV, p. 174, vers 211—220 (Ode au Seigneur des Essars sur le discours de son Amadis). 92 Bellay (p. 185) revient en effet sous la plume de Sebillet a la p. 20. „Et laissans la tourbe ignare appeller les ignaves et leurs ceuvres, rymeurs et rymes". II est sür que le mot „tourbe" a dans ce passage un sens défavorable, quoique M. Chamard (p. 185, n. 1) fasse remarquer qu'au milieu du XVIe siècle „tourbe" n'avait pas le sens péjoratif qu'il a. pris depuis lors x); 1'association des mots „tourbe" et „ignare" le prouve. Cependant, je n'en eoneluspas avec M.-Gaiffe que les deux théoriciens prennent la même attitude devant le peuple et Sebillet n'a pas eu, je crois, présent a 1'esprit le vers d'Horace : Odi profanum vulgus et arceo ; car au début du chapitre IV du Ier livre il écrit: „Encores icy recourrons nous a nos péres les Grecz et Latins, Bheteurs et Pöétes : qui enseignans 1'usage dés mos, ont dit qu'il les faut prendre de la boucbe de chacun, pource quHl est le Monsieur, au gré duquel les plus huppéz s'esforcent escrire". C'est aussi 1'idée émise par Cicéron : „dicendi autem omnis ratio in medio posita, communi quodam in usu, atque in hominum more et sermone versatur". S'èfforcer d'écrire au gré de chacun n'est pas faire de la poésie l'„apanage exclusif" d'une élite.2) '*) M. Chamard, loc. cit., se base pour ce jugement sur la définition de R. Bstienne, Dictionnaire fran(ais-lalin,2e édit., 1549, sur un exemple pris dans Ronsard et sur un autre de du Bellay. *) II faut sóparer le Sebillet d'avant du Sebillet d'après la Deffence. II semble en effet que SebiJlpt a subi sur ce point 1'influence de du Bellay, car dans la préface de sa traduction d'Euripide il dit: „j'écry aus Muses et a moy". D'un autre cóté — curieuse réciprocité — le dédain af fiché en 1549 pour les Jeux Floraux, bons tout au plus a couronner des „épisseries" et a soutenir les vieilles formes désuêrtes de la poésie, contraste singulièrement avec 1'intérêt que prit du Bellay en 1558 a Phommage rendu par le collége de rhétorique de Toulouse a Pierre de Ronsard. En 1554 ce college avait déja accordé au chef de la Pléiade le prix de l'églantine des Jeux Floraux; en 1565 le Collége augmenta le prix et fit exécuter par un orfèvre de la ville une Pallas d'argent. Trés flatté, Ronsard offrit a son tour le don au 93 § 14. Les remanieurs de romans. Sebillet (p. 31) assure au futur écrivaki beaucoup de succès auprès de ses lectrices s'il choisit comme sujet une histoire d'amour écrite en langage „dous et savoureuz", «ïais'il avait dit d'abord: „Le futur Poéte peut enrichir son style de la lecon des Historiens et Orateurs frangois". Du Bellay (p. 236—p. 238) parle avec un certain dédain du style des romans, qui est „beaucoup plus propre a bien entretenir damoizelles qu'a doctement eenre",*) mais il recommande aussi de dépouiller les anciennes chroniques pour en faire une histoire, „y entremeslant a propos (les) belles concions (discours) et harangues". Bs sont donc tous les deux fidèles a la tradition nationale. M. Gaiffe trouve ce passage 2) de Sebillet „singulièrement confus" (p. 31, n. 1). II demande s'il s'agit d'écrire pour plaire aux dames ou de les faire* parler en vers. A mon avis Sebillet dit que 1'auteur peut être assuré de la sympathie des dames s'il parle „avec Amadis ou Oriane", c'est-a-dire s'il 'choisit leur langage courtois roi Henri II. Une des six courtes pièces latines composées par du Bellay commence comme suit: Our, Ronsarde, novo atque inusitato Decreto tibi nobilis Tholosa Caelatam modo detulit Minervaml Ut qui scilicet usitata Gallis Sic vestigia linquit.... Voir l'article de Pierre de Nolhac: Un humaniste ami de Ronsard, Pierre de Paschal, historiographe de France, dans la Revue d'Histoire littéraire, 1918, p. 245. *) Dans 1'ode (déja citée) qu'il adresse a Herberay des Essarts, du Bellay a émis une opinion qui est le contre-pied de ce qu'il dit ici (cf. du Bellay, (Euvres poétique*, IV, p. 176-176, vers 241— 250). *) Voici le passage tout au long: „Et s'il est besoin de nommer, s'il éscrit au gré dés Damoiselles (lesquéles de toute ancienneté ont esté la plus frequente matière du carme, et la sont aujourd'huy plus que jamais) il se trouvera toujours avoué d'elles parlant avec Amadis ou Oriane : le langage desquelz est receu en la bouche d'elles, comme plus dous et savoureuz". 8 94 comme forme et leurs préoccupations comme thème, car il n'y a pas de différencc entre Amadis et Oriane*) quant a leurs sentiments et leur facon de parler. Ni 1'expression „en- la bouche d'elles", ni le nom d'Oriane ne suggèrent au futur écrivain un choix entre la rhétorique vulgaire et la rhétorique métrifiée. Les mots „le langage desquelz (= d'Amadis et d'Oriane) est receu en la bouche d'elles, comme plus dous et savoureuz" ne font qu'ajouter a 1'idée déja énoncée ce détail que les dames aiment a se servir de ce langage exquis: cette phrase ne fait donc pas partie du précepte donné par Sebület2). § 15. Le neologisme. 3. du Bellay (II, 6) dit qu'il ne faut pas craindre d'inventer, adopter et composer3) quelques mots frangais ; les Grecs en ont fait autant, Horace aussi. Les nouvelles choses „principalement és ars" ont besoin de noms ; ouvriers, laboureurs, artisans ne sauraient se passer de mots nouveaux dans leur travail. Au chapitre II, 11, p. 303, il recommande l) Pour Amadis et Oriane, cf. ce que dit Morf, (Oeschichte der französischen Literatur im Zeitalter der Renaissance, Strasbourg, 1914, p. 76—79) de la légende d'Amadis selon Garci-Ordönez de Montalvo, dont nous devons une traduction francaise a Nicolas d'Herberay des Essarts, publié en partie (livre I, les livres II—IV sont en préparation) par Hugues Vaganay dans les publications de la Société des textes francais modernes. ») Pour faciliter 1'interprétation de ce passage je rappelle ce qu'a dit un autre auteur. En publiant 1' Histoire Palladienne de Colet, accomplissant par la, presque malgré lui, la promesse faite a 1'auteur mort, Jodelle, qui, en disciple dévoué de Ronsard, ne fait pas grand cas de „tous ces beaux Romants presque moysis a demy", excuse Colet d'avoir écrit ces „Romants, oü il s'adonnoit plustost pour le contentement des Damoyselles de nostre siècle". Afin d'expliquer la vogue du genre. Jodelle dit que cette littérature est „agreable et bien receué des Gentilz-hommes, et des Damoyselles de nostre siècle, et qui fuyent 1'histoire pour sa severité. et rejettent toute autre discipline pour leur ignorance". Ici aussi les demoiselles sont les lectrices, les juges, si 1'on veut; elles ne sont pas auteurs (Cl. Colet, Histoire Palladienne, Paris, 1554, „Epistre au lecteur" de Jodelle, cité par Bourciez, op. cit. I, 3). 3) „redondance oratoire" (Chamard, p. 248, n. 3). 95 aux auteurs pour Penrichissement du vocabulaire le commerce des gens du métier, afin d'apprendre leurs termes tecbuiques et de pouvoir s'en servir a son tour. Le contraire serait „retraindre notre langaige". Mais il faut innover „avecques modestie, analogie et jugement de Poreüle", sans se soucier „qui le treuve bon ou mauvais". J. du Bellay a confiance dans le jugement de la postérité. B ajoute qu'il faut franciser les noms propres anciens ; seulement qu'on „use en cela de jugement et discretion". Et enfin il se montre partisan du rajeunissement d'archaïsmes: „le moderé usaige de telz vocables donnera grande majesté tant au vers comme a la prose". Somme toute, le néologisme est justifié par le fait qu'on en a besoin; et il recommande trois points: la modestie, 1'observation des lois de 1'analogie, le jugement de 1'oreille („Pourquoy je renvoye tout au jugement de ton oreillq,"). En effet, son école a enrichi la langue d'une foule d'expressions merveilleusement belles. Si Pon compare ce que Sebillet a dit sur ce sujet (voir ci-dessus, p. 38), on constatera que du Bellay suit presque pas a pas son émule, mais en traitant la matière plus a fond. Le mérite d'avoir le premier respectó dans ce domaine le génie de la langue revient donc a Sebillet, car Peletierx) ne mettait pas encore de bornes a l'emploi du néologisme: „Le precepte genera! an cas d'innovacion de moz ét que nous eyons 1'astuce de les cacber parmi les usitez, de sorte qu'on ne s'apercoeve point qu'iz soét nouveaus" 2). Et Eonsard dit qull faut faconner les mots nouveaux „sus un patron desja receu du peuple" 3) Du reste, la perfection ■1 ï, VIII, 38 (Bibl. Nat. Rés. p. Yc, 612). *) On a dit que la phrase de Peletier serait „une recommandation de modestie et de circonspection". En effet, celui qui cache ses mots nouveaux prend bien garde a ce qu'il fait, il est circonspect. Mais oü est la modestie? Comme Peletier dit qu'il nous faut avoir 1'astuce de cacher les mots nouveaux parmi ceux que tout le monde emploie déja, ce n'est pas la modestie qui le fait parler. *) Deuxième préface de la Franciade, III, 32. 96 de la langue dépend pour lui du nombre de ses mots. Si 1'on tient compte de la circonspection pratiquée dans cette matière par du Bellay et Ronsard, on sera d'accord avec M. Chamard, qui remarque qu'on a trop accusé la Pléiade d'avoir voulu en francais „parler grec et latin". Le souci toujours croissant qui absorbe les théoriciens, de ne pas exagérer 1'innovation du vocabulaire s'explique par la déception qu'avait laissée la lecture de textes oü 1'on avait introduit des mots nouveaux sans compter. „La nouveauté des mots donne, au moins au premier abord, une idéé avantageuse de la nouveauté du fond" 1). Détrompé plus tard sur la valeur du fond, on a senti le besoin de mettre un frein a cette fureur d'innovation et les théoriciens comme du Bellay se sont faits 1'interprète de ce besoin de restriction. § 16. L'alexandrin. Je renvoie au chapitre II, § 5, de cette étude oü on lit ce que Sebillet dit de 1'alexandrin. La Deffence n'en parle nulle part. § 17. L'orthographe. Sebillet (p. 97—p. 98) demande la suppression des lettres qui ne se prononceut pas2). J. du Bellay (p. 346—p. 347) se prévaut de 1'opportunité pour maintenir 1'ancienne orthographe: il eüt diminué la chance d'avoir 1'oreüle du public, s'il avait présenté dans un habit nouveau des idéés encore peu répandues. On sait du reste (cf. ce qu'il dit II, 7, p. 268) que le système de Louis Meigret a sa sympathie. Dans la seconde Préface de VOlive il s'exprime de la manière suivante: „J'ay peu curieusement regardé a 1'orthographie, la voyant aujourd'huy aussi diverse qu'il y a de sortes d'ecrivains. J'appreuve et loue grandement les raisons de ceux qui Pont voulu reformer: mais l) Brunot, Histoire de la langue francaise, tome II, Paris, 1922, p. 163. *) Sans doute il a pensé a ce passage en disant dans 1'Avis auxLecteurs de son Iphigènie: „Quant a Portographe je ne m'amuseray icy a m'en excuser: car j'ay en autre endroit dit les raisons pour lesquelles je m'assujetty avec le grand César Auguste a exprimer par 1'écriture le naïf de ma prononciatioil*V'Ml1 97 voyant que telle nouveaulté desplaist autant aux doctes comme aux indoctes, j'ayme beaucoup mieulx louer leur invention que de la suyvre". § 18. Ode1). Pour le chapitre un peu confus que Sebillet consacre a ce sujet, voir ci-dessus chapitre III, p. 48— 51. Nous y avons constaté que les traits communs entre le Cantique, 1'Ode et la Chanson étaient assez importants pour qu'on put les considérer comme les variétés d'un même genre. Le théoricien de 1548 a le mérite d'avoir mis en place d'honneur les nouvelles variétés du genre lyrique. En insistant sur la souplesse des formes de 1'ode, Sebillet 1'oppose aux anciennes variétés du genre lyrique (chant royal, ballade, etc.) dont le caractère général est la raideur. J. du Bellay (II, 4, p. 208—p. 212), naturellement réfractaire aux vieilles routines, rejette la théorie de Sebillet et s'y oppose avec une certaine véhémence (voir la fin de sa tirade). B élargit le cadre de 1'ode et reeommande 1'ode sacrée (c'est la matière du cantique), 1'ode héroïque, 1'ode morale, 1'ode badine et 1'ode sentimentale („louanges des dieux et des hommes vertueux, le discours fatal des choses mondaines, la solicitude des jeunes hommes, comme 1'amour, les vms libres, et toute bonne chere"). Suivant en cela la conception des Grecs, spécialement de Pindare, il exige dans toute ode „quelque vestige de rare et antique erudition", tandis que 1'ode doit être en premier lieu 1'expression du moi. Ce qui la caractérise, c'est la nature de ses sujets, la sublimité du style, 1'éclat des figures et des images. Ainsi que 1'a remarqué M. Marcel Baymond2), du Bellay est encore poète moyen au moment oü il publie la Deffence, VOlive (les 50 premiers sonnets de VOlive ont paru au mois de mars de 1549) et ses premiers Vers lyriques. B est permis de supposer que du Bellay jusqu'en 1550, lorsque Eonsard publia les Quatre ') Cf. Chamard, Uinvention de 1'ode (Revue d'Histoire littéraire, 1899, p. 21—54), et Laumonier, op. cit., p. XIX et XX. *) M. Raymond, Ronsard et du Bellay (Revue d'Histoire littéraire, 1924, p. 573—603). 98 premiers livres des Odes, n'avait pas goüté sans réserve la haute poésie de 1'ode pindarique. On en retrouve les traces dans la Deffence. Son horreur pour le vulgaire se montre, ici encore : „sur toutes choses, prens garde que ce genre de poëme soit eloingné du vulgaire". II donne pour s'en moquer trois odes dont deux sont citées aux p. 148 et 150 de Sebillet. La troisième est une pièce de Pernette du Guillet. Je n'ai pas besoin d'insister sur le fait que du Bellay, en admirateur des anciens, veut que le poète accorde son luth „au son de la lyre greque et romaine". B se trompe en disant que les odes sont „incongnues encor' de la Muse francoyse". Jean Lemaire de Beiges en donne le plus ancien exemple, en 1511x). § 19. Elégie. Tandis que Sebillet préfère Marot a Ovide comme modèle de 1'élégie, du Bellay ne cite que Tibulle, Ovide et Properce et il passé Marot sous silence. § 20. Sonnet. Le du Bellay de la Deffence a sur le sonnet 1'idée qu'en a tout le monde a ce moment, c'est-a- *) M. Chamard a signalé la confusion causée par la doublé signification du mot „ode". Ce n'est qu'en se rappelant ce doublé sens qu'on peut comprendre les vers suivants qu'on lit dans une ode que du Bellay adresse en 1550 a Ronsard i Peletier me fist premier Voir 1'ode, dont tu es prince. Qu'est-ce que Jacques Peletier du Mans lui a fait connaltre! L'ode horatienne, découverte entre 1541 et 1543 par Ronsard, révélée en 1543 par Ronsard a Peletier, et en 1546 par Peletier a du Bellay (en 1546 du Bellay n'avait pas encore fait la rencontre de Ronsard, mais 1'un et 1'autre avaient isolément des rapports avec Peletier). Revenu du Mans a Paris, Ronsard, grace a de nouvelles études sous la direction de Dorat, a découvert Pindare et concu une ode nouvelle, plus sublime que l'ode horatienne. C'est dans l'art de composer cette ode plus relevée, l'ode pindarique, que Ronsard est prince selon du Bellay. Pour plus de détails, entre autres pour les divergences dans les écrits contemporains sur le point de 1'invention de l'ode, je renvoie le lecteur a 1'article déjè cité de M. Chamard, auquel je dois les données de cette note. 99 dire que c'est une forme rythmique qui se prête tout particulièrement a exprimer la joie et la douleur de 1'amour. II songe a donner au sonnet une pointe, tout comme a 1'épigramme. Car il dit expressément dans la 2e préface de VOlive : „Quelques ungs voyant que je finissoy', ou m'efforcoy' de finir mes Sonnetz par ceste grace, qu'entre les aultres langues s'est faict propre 1'Epigramme frangois etc." C'est la la conception de Sebillet, pour qui le „Sonnet n'est autre chose que le parfait épigramme de ritalien". Sebillet exclut pour le sonnet „la matière facécieuse", la Deffence ne parle pas des sujets du sonnet a moins que 1'on ne considère comme une indication 1'assimilation du sonnet a 1'ode. Ce n'est que plus tard que du Bellay a concu le sonnet humoristique et satirique1). Dans sa brièveté regrettable la Deffence ne parle pas de la vogue plus ou moins grande dont jouissait le sonnet en 1549 ; Sebillet a dit que „le sonnet aujourd'huy est fort usité". J. du Bellay ne précise pas en quoi „certains vers" du sonnet sont „reiglez et limitez", en d'autres termes, il ne dit rien de 1'agencement des rimes; Sebillet en donue une description tres suffisante. Sebillet cite Marot comme modèle, du Bellay 1'école pétrarquiste. Si du Bellay constate luimême 2) que 1'honneur de 1'introduction du sonnet en France revient a 1'école de Marot, constatons d'un autre *) Exemples: Les Regrets, V, XV, XVIII, LXIX et autres (édition Chamard t. II); cf. aussi Vauquelin de la Fresnaye, (Euvres complètes, t. II de l'édition Julien Travers, Caen 1869: Ce fut toy, Du-Bellay, qui des premiers en France D'Italië attiras les Sonets amoureux: Depuis y sejournant, d'un goust plus savoureux, Le premier tu les as mis hors de leur enfance. l) „Etant le sonnet d'italien devenu francois, comme je croy, par Mellin de Sainct-Gelais" (passage de la 2e préface de VOlive, auquel il a déja été fait allusion a la p. 65). M. Joseph Vianey (Revue de la Renaissance, février 1903) a montré que, lorsque Marot emprunta le sonnet aux Italiens, il en modifia profondément la métrique. 100 cóté que c'est a VOlive que nous devons Pacclimatation du sonnet en France. § 21. Poème épique. Celui qui attend de du Bellay, dans son chapitre II, 5 „Du long poëme francoys", le développement d'une théorie du genre se trouvera décu. H y rencontrera des digressions comme celle dont nous avons parlé plus haut, des plaintes comme celle d'après laquelle les plaisirs de 1'amour, la gourmandise et la paresse ont éteint dans 1'homme la soif de 1'immortalité, mais c'est en vain qu'il y cherchera des vues précises. Cette pénurie d'idées, constatée déja dans Sebillet (voir p. 66), s'explique pour celui-ei par le fait que jamais 1'école de Marot n'a songé a faire un poème épique. Cette explication n'est pas applicable au théoricien de la Pléiade, dont le chef était constamment occupé du désir d'en composer un. Le début oratoire du chapitre énumère les qualités requises dans le poète épique et pose en principe que 1'épopée est le poème P&r excellence : „ce sera toy (= le poète épique) veritablement qui lui (= au langage) feras hausser la teste". Du Bellay mentionne respectueusement 1'Arioste, qu'il ose presque comparer a Homère et a Virgile, nommés également par Sebillet. Comme sujets il indique Lancelot, Tristan, c'est-a-dire les vieilles légendes, les romans de chevalerie (Sebillet cite le Roman de la Rose et pour le reste il ne voit pas de sujets appropriés au genre). L'auteur tache de cacher sa pauvreté d'idées en soulevant et en aplanissant toutes sortes de difficultés, comme la question de savoir s'il ne décourage pas ceux qu'il veut précisément voir se mettre au travail (p. 238—p. 240) ou bien celle du róle des Augustes et des Mécènes. Une idéé trés juste termine le chapitre: „Bspere le fruict de ton labeur de 1'incorruptible et non envieuse posterité: c'est la gloire, seule echelle par les degrez de la quele les mortelz d'un pié leger montent au ciel et se font compaignons des dieux". Mais le long poème est bien mal étudié dans ce chapitre; si Sebillet n'en dit qu'un mot en passant, le luxe de détails de du Bellay ne nous 101 initie pas mieux aux secrets de la composition d'un poème épique 1). § 22. EpUre. Traitant de l'épitre, Sebillet n'exprime pas son opinion sur cette poésie fort en honneur auprès de 1'école marotique. Du Bellay dit franchement qu'il n'en fait pas grand cas, paree qu'elle „(ést) voluntiers de choses familieres et domestiques". Cependant, admirateur de 1'antiquité comme il 1'est, il ne saurait négliger ce genre de poésie; il tache de la relever et ü cite Ovide et Horace, c'est-a-dire il recommande l'épitre triste et l'épitre grave2). Les deux auteurs voient un lien étroit entre l'épitre et 1'élégie. „Le stile populaire" (Sebillet p. 155) de l'épitre empêche selon du Bellay que ce produit vienne „enrichir grandement nostre vulgaire" (Deffence, p. 215). § 23. Satire. A 1'inverse de Sebillet, qui confond le coq-a-l'ane et la satire, du Bellay dédaigne le premier, auquel il dispute même le droit a 1'existence. Sebillet demande le vers de huit syllabes, du Bellay celui de dix; il recommande la modération dans la critique exercée dans. la satire. Sebillet et du Bellay désirent tous les deux qu'elle soit impersonnelle. § 24. Épigramme. Tout comme pour l'épitre, du Bellay maintient 1'épigramme pour la seule raison que c'est un genre d'origine antique, mais il n'y tient pas plus qu'a la première (voir p. 75 et suivantes pour la théorie de *) M. Chamard, parlant de la phrase „non ignorant des parties et offices de la vie humaine" (p. 233) rappelle que Person explique „parties" dans le sens du latin partes — „róles". A son tour il propose le sens de „phrases". M. J. Derocquigny (dans la Revue d"Histoire littéraire, 1904, p. 652) rapproche la phrase francaise du latin „officia atque partes" „pars atque officium". En effet, „parties et offices" est une formule redondante comme „voies et moyens". *) M. Chamard, qui dans sa belle étude sur la date et 1'auteur du Quintil Horatien, avait dit que du Bellay rejette l'épitre „comme trop vulgaire" (Revue d'Histoire littéraire, 1898, p. 67), ajoute plus tard (Deffence, 1904, p. 215. n. 1) que du Bellay demande qu'on rehausse 1' épitre, comme les autres petits genres, en la faisant ou triste, a la facon d'Ovide, ou grave, a la facon d'Horace. 102 Sebillet; on aura surtout remarqué le soin avec lequel il fait son exposé). II croit donner a l'épigramme plus d'éclat „en la rapprochant de 1'antiquité"; il blame, sans dire pourquoi, la recherche de la „pointe"; il remplace le modèle de son devancier par le poète latin licencieux Martial, mais afin que cette affirmation de la „lascivité de l'épigramme" n'entre pas en conflit avec son désir de la relever, il rappelle Horace, qui, dans l'épitre aux Pisons, a dit: „Omne tulit punctum, qui mi8cuit utile dulci". On sent ce qu'il y a d'indécis, de peu accusé dans ce passage. *) § 25. Eglogue. Les deux théoriciens s'entendent a merveille sur ce genre poétique. Du Bellay trouve 1'églogue „plaisante" et aux trois modèles nommés par Sebillet il ajoute le Napolitain contemporain de Léon X, Jacques Sannazar, qu'on a surnommé le Virgile chrétien, mais dont 1'Arioste a dit, paree qu'il a écrit des églogues marines, qu'il a fait descendre les Muses des montagnes pour habiter les arènes. Dans l'ode déja citée A Madame Marguerite d'escrire en sa langue:2), du Bellay revient a lui: Qui veiya la vostre (= la gloire) muëtte, Dante, et Bembe a 1'esprit hautain? Qui fera taire la musette Du pasteur Nëapolitain? *-) M. Chamard (p. 206, n. 1) pense que du Bellay fait allusion è Sebillet en condamnant ceux qui sont contents, „pourveu qu'au dixiesme (vers) il y ait le petit mot pour rire". Aurait-il vraiment en vue le codificateursi tranquille, si peu dangereux au fond? Ne viserait-il pas plutöt celui qui, depuis cinq ans déja. Marot étant mort en 1544, était le chef de 1'école marotique et qui continuait a profiter du prestige que lui assuraient ses postes de grand aümönier du dauphin et de protonotaire apostolique avec le titre de Monseigneur? J. du Bellay garde sur Mellin de Saint-Gelais un silence absolu. Et c'est Mellin de Saint-Gelais qui se distinguait par le piquant et 1'imprévu du trait final de ses dizains, lesquels, du reste, n'avaient souvent pas d'autre mérite. En tous cas la théorie de du Bellay est la contre-partie de celle de Sebillet. *) Du Bellay, (Euvres poétiques, III, p. 99-100. 103 Les trois modèles donnés par Sebillet? En effet, marqnons d'une pierre blanche le fait que du Bellay parle avantageusement d'un produit littéraire de Marot, savoir de son Eglogue sur la naissance du filz de Monseigneur le Dauphin. Est-ce dans une intention malveillante que du Bellay a cité le Napolitain comme modèle de 1'églogue marine alors que, déja avant 1'apparition de la Deffence, Hugues Salel „de 1'école marotique" avait composé une églogue marine mettant en scène Mellin de Saint-Gelais et Victor Brodeau qui pleurent la mort d'un jeune membre de la familie royalef ") § 26. Thédtre. Sebillet et du Bellay parient tous deux des farces et des moralités ; ils se taisent sur les miracles et les mystères. Sebillet assimile la moralité a la tragédie, du Bellay désire le retour a la tragédie antique, et le remplacement de la farce par la comédie. Sebillet dit (p. 162): „En quoy véritablement nous sommes loin reculéz de la perféction antique, a cause que la faveur populaire desirée en première ambition par lés anciens Grecz et Bomains, est morte entre nous, qui avons Monarques et Princes héréditaires". Ainsi, il voit dans le caractère privé des spectacles la cause de leur défectuosité, comme nous 1'avons vu plus haut, mais il s'abstient de tirer la conclusion quHmpose cette constatation. C'est du Bellay qui continue ce raisonnement par induction en disant (p. 230—p. 232): „Quand aux comedies et tragedies, si les roys et les republiques les vouloint restituer en leur ancienne dignité, qu'ont usurpée les farces et moralitez, je seróy' bien d'opinion que tu t'y employasses, et si tu le veux faire pour 1'ornement de ta langue, tu scais ou tu en doibs trouver les archetypes". Ainsi, au lieu de s'adresser aux poètes, du Bellay demande aux rois et aux états („republiques") de prendre 1'initiative de la restauration du théatre antique. B appelle 1'attention sur les archetypes de la tragédie, ce qui revient a dire qu'au lieu de recommander ») Bibl. Nat. Rés. Ye 1666. 104 la construction d'après des régies, il demande 1'imitation des modèles indiqués. § 27. Version. Sebillet traite la traduction comme si c'était ün genre poétique. II explique la grande considération dont jouit en ce moment la traduction en disant que c'est un travail de grand prix que de „rendre la pure et argentine invention dés Pöétes dorée et enrichie de notre langue". II exige du traducteur une parfaite connaissance des deux langues et déconseille la traduction trop littérale. J. du Bellay discute la question plus a fond. II termine son chapitre I, 4 (p. 81) en disant que les nombreuses traductions du grec, du latin, de 1'italien, de 1'espagnol qui doivent leur existence a 1'encouragement de Francois Ier, ont prouvé que le francais est une langue qui se prête a traiter „toutes sciences". Beaucoup plus loin (I, 10, p. 126) il paye aux traductions un juste tribut de reconnaissance en rappelant qu'elles ont fourni des termes philosophiques et scientifiques qui manquent au francais. En troisième lieu il reconnait a deux reprises (p. 84 et p. 90) comme un mérite de la traduction le service qu'elle rend a ceux qui n'ont pas appris la langue étrangère. Mais alors il commence a faire des réserves. Quant a „1'éloquution par laquelle principalement un orateur est jugé plus excellent, et un genre de dire meilleur que 1'autre", il ne croit pas que le traducteur puisse développer „la mesme grace dont 1'autheur a usé". B remarque tres judicieusement que celui qui passé de la lecture de 1'original a celle de la traduction aura le sentiment de „passer de 1'ardente montaigne d'Aethne sur le froid sommet du Caucase". B formule „la loy de traduire" „qui est n'espaeier point hors des limites de Vaueteur". En passant, il lance un coup de boutoir contre Marot, qui a taché de traduire quelques sonnets de Pétrarque. II est impossible d'apporter a un ouvrage traduit la perfection dont on désirerait le parer; la traduction sera fatalement inférieure a 1'original. Si, ajoute-t-il, Cicéron a traduit Xénophon, c'était pour que ce travail 105 put lui ■ervjr de lecon ; par sa traduction Cicéron n'a pas voulu „amplifier" le latin. La traduction des poètes a ud caractère encore plus blamable. Traduttore, traditore : c'est bien lk son idéé. II reproche vivement a Marot — sans le nommer du reste — de s'être appuyé sur une version latine pour traduire le poème d'Héro et Léandre de Musée, poète grec du Vie siècle de notre ére, et d'avoir publié sous son nom les Psaumes de David, quoiqu'il ne süt pas plus 1'hébreu que le grec1). „La divinité d'invention qu'ont les poëtes plus que les autres", leur grandeur de style, magnificence de motz, gravité de sentences, audace et variété de figures", le don de rinspiration enfin qu'ils ont, devraient nous décider a nous abstenir de la traduction. II n'admet qu'un e seule exception, la traduction de par le roi, et il termine son „réquisitoire, qui sous une forme voilée tient parfois de la philippique", par ces mots qui ne permettent aucun doute: „laisse ce labeur de traduyre, principalement les poëtes, a ceux qui de chose laborieuse et peu profitable, j'ose dire encor' inutile, voyre pernicieuse a 1'accroissement de leur langue, emportent a bon droict plus de molestie (= ennui) que de gloyre". Mais il ne tardera pas a parler un autre langage et a revenir aux idéés de Sebillet; car trois ans plus tard il a dit dans 1'épitre-préface — adressée a Jean de Morel — du Quatriesme livre de VEneide de Vergüe, traduict en vers francoys. La complainete: de Bidon a Enée, prinse d'Ovide. Autres oeuvre» de Vinvention du translateur. par I. D. B. A. (1552): „Je n'ay pas oublié ce qu'autrefois j'ay dict des translations poëtiques : mais je ne suis si jalouzement amoureux de mes premières apprehensions, que j'aye honte *) Sur cette prétendue ignorance de Marot — Brunetière, Histoire de te littérature francaise classique, tome Ier, Paris, 1921, dit formellement (a la p. 8fi) „Clément Marot, quoique contemporain des Erasme et des Budé, n'a jamais su que des bribes de latin" — cf. Pierre Villey, A propos des sources de deux épitres de Marot, dans la Revue d' Histoire littéraire de la France, 1919, p. 220—245, et ci-dessus, p. 12, n. 1. 106 de les changer quelquefois, a Pexemple de tant d'excellens aucteurs, dont 1'auctorité nous doit oster ceste opiniastre opinion de vouloir tousjours persister en ses advis, principalemeut en matière de lettres. Quand a moy, je ne suis pas Stoïque jusques la". CHAPITEE V. Comparaison générale entre les deux théories. • Au mois de juület 1548 un inconnu, n'ayant aucun lien avec les milieux Uttéraires, met en émoi le collége de Coqueret, oü un groupe de travaüleurs sérieux s'occupe depuis longtemps de la question du rajeunissement et de renrichissement de la langue maternelle. L'avocat Sebillet — c'est la 1'inconnu — sans avoir des aspirations d'une si vaste portée, s'intéresse au même sujet que la „docte brigade". Son Art Poétique permet de se faire une idéé juste de ce que, vers le milieu du XVIe siècle, était la technique de la poésie francaise. II ne s'appuie pas sur les Ehétoriqueurs, mais sur les poètes de 1'école de Marot; de ses citations les deux tiers sont de Marot lui-même, les autres de Mellin de Saint-Gelais, de Maurice Scève, etc. Selon lui, 1'essentiel de la poésie, c'est 1'inspiration. II ne plaide pas en faveur du drame antique ni de 1'épopée antique; il défend le caractère national de la littérature et se borne a recommander de développer les formes existantes au moyen de modèles étrangers ; il alüe les traditions du moyen age aux nouveautés dues a la Eenaissance italienne et a 1'imitation des Anciens. H veut que le poète s'attache a la matière de son osuvre plutöt qu'a la forme ; quoiqu'il préfère la rime riche, une rime médiocre vaut mieux pour lui qu'une homophonie parfaite obtenue au détriment de la pensée. E comprend que, dans l'art, rien ne se crée, tout se transforme. II est parfois confus, plus souvent encore incomplet, mais il vit a un moment oü des genres nou- 108 veaux sont en train de se constituer, et il s'efforce d'enregistrer ce qui existe et ce qui se forme. Souvent encore, la tradition des rhétoriqueurs Pempêche d'être lui-même. II réduit a une simple question de forme la différence entre la chanson et l'ode, tandis qu'en réalité la première est une véritable oeuvre d'art et la seconde un genre d'inspiration familière ; il ne voit pas plus la grande distance qui sépare le sonnet de l'épigramme; par la recherche de rythmes laborieux et de rimes ultra-riches, il fait trop souvent encore de la poésie un jeu de patience, un tour de force dont 1'unique mérite consiste dans la difficulté vaincue ; il élève encore les rimes équivoques et autres petits amusements a la dignité de ressources d'art. On s'étonne que lui, qui a senti qu'en assimilant le rimeur au poète, on confond 1'apparence avec la vérité, puisse louer ces vains ornements. Mais quoique le passé pèse sur lui, il a fait un effort pour s'y soustraire. Quant a la Deffenee, expliquons-en le titre. Une défense suppose des adversaires. Quels sont-ils! M. Emile Eoy x) en a dressé la liste. Ce sont les magistrats dont M. Brunot a raconté la longue opposition a 1'édit de Villers-Cotteret, document dans lequel triomphent les tendances libérales, patronnées par la royauté; les théologiens, ennemis jurés des traductions de la Bible en langues vulgaires2); les professeurs, le maitre même de la Pléiade, Jean Dorat, et les lecteurs du roi indignés contre ceux de leurs collègues qui voudraient enseigner en frangais; les érudits n'osant confier a ce francais le résultat de leurs recherches ; les grammairiens qui, pour la plupart, ne lui accordent qu'une attention dédaigneuse, qui déclarent que dans 1'infinie variété des di- *) Lettre d'un Bourguignun contemporaine de la Defense, article de la Revue d'Histoxre littéraire, 1894, p. 27. M. Félix Frank dans la même Revue, 1895, p. 598, a prouvé clairement que M. Roy se trompe sur la personne de 1'auteur de cette lettre, Jacques de Beaune. *) Cf. Ia phrase hautaine de Bossuet: „On ne confie rien d'éterne a des langues toujours changeant.es". 109 alectes et le changement perpétuel de la langue, il est impossible d'en fixer les régies et proposent pour cela le latin comme langue commune de la France; enfin ceux des poètes qui voient dans la poésie la sciencé du gai savoir ou des centons. Contrairement a ce qu'il fera pour VOlive, du Bellay ne nous a pas renseignés sur les conditions dans lesquelles il a publié la Deffence. Mais ón sait que cette publication a été hatée, a son dam, par la parution de l'ceuvre de Sebillet. Pour ne pas perdre 1'honneur de restaurer la poésie, du Bellay s'empressa de prendre position. La Deffence peint la sotte arrogance de ceux qui, aimant trop le latin et le grec, font bon marché du francais, dans 1'espoir d'égaler les Eomains en écrivant latin. En attaquant ce premier groupe d'ennemis, du Bellay considère la langue comme une partie du patrimoine national. B reconnait que les aïeux, attachant beaucoup d'importance aux belles actions et ne se souciant guère ni de la forme ni du génie de leur langue, nous ont laissé le francais „si pauvre et nu qu'il a besoing des ornementz et (s'Ü fault ainsi parler) des plumes d'autruy". On avait essayé d'illustrer le frangais en faisant des traductions d'ceuvres anciennes; or, les traductions sont insuffisantes au perfectionnement de la langue ; il faut a tout prix les abandonner et utiliser 1'Antiquité d'une autre facon, c'est-a-dire en 1'imitant. Si les Francais sont encore inférieurs aux Anciens, c'est que 1'étude des langues anciennes leur demande leurs meilleures années: du Bellay est le premier a oser dire cela en France1). Oette étude est encore nécessaire, paree que 1'autiquité est comme le livre de 1'Apocalypse, scellé de sept 1 yiUey o. c. Introduction p. XLII cite le passage suivant de Giambattista Gelli, Ragionamento intorno Ma lingua (1546) : „Nous perdons le plus dair de notre temps et de nos forces a apprendre les vocabulaires et les grammaires des langues anciennes; eet apprentissage achevé, nous n'avons plus le courage d'étudier les sciences pour elles-mêmes; nous nous arrêtons aux mots, a Pécorce". 110 sceaux; elle renferme les trésors de la science humaine; les grands savants frangais naitront, lorsque toutes ces connaissances désirables auront été décrites en frangais. En attendant il faudra continuer provisoirement 1'étude du grec et du latin, et du Bellay est convaincu que le Frangais n'entrera en apprentissage chez les Grecs et les Bomains que pour les égaler et les vaincre. L'auteur défend donc les jeunes contre les latiniseurs et les grécaniseurs qui n'estiment que ce que la mort a consacré „comme si le temps, ainsi que les vins, rendoit les poé* sies meilleures". B croit ne pouvoir mieux défendre le frangais qu'en attribuant sa pauvreté „non a son propre et naturel, mais a la négligence de ceux qui en ont pris le gouvernement". Le second groupe d'ennemis de l'auteur de la Deffence est formé par les ignorants auxquels il assure qu'il faut travailler paree que la nature toute seule ne suffit pas a faire des chefs-d'CBUvre; il est vrai que, d'autre part, la science n'est pas tout et que le génie naturel est indispensable. Si le nombre d'idées augmente, le vocabulaire s'étendra tout seul: le poète a le devoir de travailler a réaliser eet enrichissement. Malheureusement du Bellay recommande aux écrivains frangais d'enrichir le vocabulaire frangais par des emprunts latins, de même que les auteurs latins ont utilisé le grec; mais cela n'aurait pas manqué de donner quelque chose d'artificiel a la langue. Remarquons qu'a cette époque on était d'avis que la perfection d'une langue dépend entre autres de 1'étendue du vocabulaire1). J. du Bellay recommande les Anciens comme modèle, non seulement a cause de la valeur intrinsèque de leurs ouvrages, mais aussi et surtout, paree que les formes antiques, larges et simples, aident 1'inspiratioD. Le poète aura a sauvegarder la pureté de la langue en tenant le milieu entre les expressions trop répandues et les tournures trop inusitées. Ce •) „Plus nous aurons de mots en nostre langue, plus elle sera parfaitte" (Ronsard, VI, 460, édit. Marty-Laveaux). 111 sont surtout „les épithètes significatifs et non oisifs", que 1'on rencontre si fréquemment en grec, qui favorisent la formation de mots nouveaux. Les „rimeurs'' ne pourront jamais ni enrichir ni illustrer la langue; il faut qu'ils cèdent la place au véri* table poète „qui me fera indigner, apayser, enjouyr, douloir, aymer, hayr, admirer, etonner, bref, qui tiendra la bride de mes affections, me tournant ga et la a son plaisir". Comme les anciens ne pouvaient donner a du Bellay les modèles de sa versification, il était forcé de suivre ici ses devanciers. II reconnait la rime comme un élément essentiel de la versification francaise; la liberté personnelle, qui est 1'esprit de la Eenaissance, domine entre autres dans ce qu'il dit par rapport a ce sujet-ci. En évitant 1'extrême des rimes équivoquées ét celui de la rime du simple contre le composé, le poète doit rechercher la rime riche, sans se préoccuper de 1'observance scrupuleuse de toutes sortes de préceptes mesquins. L'auteur ne soulève ni la question de 1'hiatus, ni celle de 1'alexandrin ; il recommande trés spécialement l'emploi de 1'antonomase, et il termine en enseignant encore une fois le pillage méthodique des trésors de 1'antiquité. II convient de remarquer que du Bellay d'arrivé pas a définir nettement ce qu'est le renouvellement des thèmes d'inspiration qu'il tente et qu'il a méconnu ba valeur poétique des mots de tous les jours, erreur qu'on pourrait peut-être attribuer a sa condition sociale qui, inutile de le dire, n'a que faire de la „dignité esthétique". Après Sebillet, qui a dit: „Je desire pour la perfection de toy Pöéte futur, en toy parfaitte congnoissance dés langues Gréque et Latine", du Bellay se montre moins exigeant, car il soutient „celuy ne pouvoir faire ceuvre excellent en son vulgaire, qui soit ignorant de ces deux langues, ou qui n'entende la latine pour le moins". Tandis que Sebillet ne parle pas d'archaïsmes, du Bellay en recommande l'emploi tout comme celui des mots 112 dialectaux: il croit que la langue peut tirer profit de 1'introduction de termes du terroir. II est d'avis que le langage s'enrichit au contact de ceux qui s'adonnent aux arts mécaniques et aux arts libéraux. C'est dans la Deffence que s'affirme 1'idée, jusqu'alors entrevue seulement, d'une langue poétique, distincte de celle de l'„orateur"; voila ce qui explique qu'a 1'opposé de Sebillet, du Bellay ne se contente pas d'un cboix judicieux de mots, il faut aussi en créer. On peut constater que Sebillet et du Bellay sont d'accord sur ce point qu'il faut défendre la langue nationale, qu'ils veulent tous les deux travailler au progrès du génie frangais, tandis que du Bellay, subissant 1'influence de celui qu'il pille, oubhe que les Frangais ne sont pas fils des Latins au même degré que les Italiens. Celui-ci écrit des pbrases imprégnées de latinité — Sebillet du reste a le même tort — et les latinismes, tant pour la construction de la phrase que pour la formatiou et le choix des mots, creuseut un abime entre le frangais écrit et le frangais parlé. H y en a qui croient caractériser le mouvement de rajeunissement préconisé par nos théoriciens, en insinuant qu'il n'y a la qu'une forme de l'impérialisme naissant. Ainsi Morf raisonne comme suit: sous Louis XII la soif des conquêtes est le pivot autour duquel gravite tout, Claude de Seyssel met ses traductions a la disposition du roi pour servir cette politique; il explique au roi comment l'exemple des Romains avides de conquêtes doit être imité par rapport a la langue ; les Romains oot rehaussé l'éclat de l'idiome en y introduisant les trésors de la littérature grecque et ont fait de cette nouvelle langue un excellent moyen d'obtenir la souveraineté mondiale; il faut donc traduire du latin afin de se créer une littérature, antique quant au fond, qui relègue au second plan les fantaisies nuisibles d'un Lancelot, d'un Tristan. Sebillet et du Bellay ont-ils été les serviteurs obéissauts d'une tendance politique! II sera difficile de découvrir la moindre tracé d'un róle pareil dans leurs ceuvres; ni YArt Poétique de 1'un, ni la Deffence de 1'autre, ni 113 leurs autres ceuvres, ne renferment la molnare phrase qui ressemble a une indieation de ce genre. Et il est fort invraisemblable que tous les deux se fussent tu directement et indirectement d'une fagon si absolue sur un point qui eüt constitué le but même de leur travail. Songeons a 1'ordonnance de Villers-Cotterets, qui impose le frangais, déja adopté par 1'administration, aux gens de justice. Quel est le but du travail du chancelier Poyetï Faire du frangais la langue d'Etat. Quoique le frangais juridique de cette époque ne soit nullement supérieur au mauvais latin, il est important pour la langue qu'on commence a penser a un code unique, car celui-ci suppose une langue unique. Ce n'est pas „1'impérialisme naissant" de Morf mais la politique intérieure qui commande que cette langue soit le frangais: 1'unir fication du parler devait servir a 1'unification de la justice, de 1'administration du royaume. L'horizon de Sebillet, a en juger d'après sa théorie, ne s'éteiid pas même si loin, mais le livre de du Bellay est a considérer comme un symptóme de ce mouvement-la, se manifestant sur un terrain spécial. Aussi M. Hauvettex) semble avoir raison en prenant les éloges de la France qui se rencontrent sous la plume de du Bellay — et non seulement sous celle de du Bellay, mais tout aussi bien dans l'osuvre de Jean Lemaire de Beiges, de Budé, de Eonsard — comme une réponse aux déclarations de la morgue italienne2), la contre-partie des éloges de 1'Italië par les Italiens 3). B est sur que Sebillet et du Bellay ne sont pas les premiers a plaider la cause de 1'idiome maternel. Jacques Peletier du Mans, Jean Lemaire de Beiges, Charles ') H. Hauvette, f7» ezilé florentin a la cour de France : Luigi Alamanni, sa vie et son ceuvre, Paris, 1903, p. 456. *) Comme 1'a dit Joseph Texte, tous ces Italiens du XHIe au XVIe siècle se croient des Romains de la vieille roche : „ils sentent battre en eux le sang des légions de Pompée et de César ; ils ont tous été un peu vaincus a Cannes, et vainqueurs a Zama". 3) cf. Gillot, op. cit., p. 13. 114 Fontaine et beaucoup d'autres sont de zélés partisans du francais. M. Brunotx) a signalé un projet d',,enrichir, magnifier et publier" la langue francaise datant de 1509; c'est 1'introduction d'une traduction de Justin par Claude de Seyssel, que nous venons de nommer. Le Savoisien désire le développement du frangais pour la vulgarisation des sciences et disciplines, particulièrement de 1'histoire, les ouvrages historiques étant a la fois plaisants et profitables a lire ; mais nulle part il ne recommande de se servir exclusivement de 1'idiome vulgaire. Dans sa pensée, latin et frangais ne doivent pas se combattre ; il n'a pas compris qu'il est impossible qu'ils coexistent et se partagent la France pensante, que les progrès de 1'une des deux langues marquent nécessairement la décadence de 1'autre. M. Chamard *) donne une liste d'expressions (et de réflexions) que du Bellay a copiées dans Sebillet. On peut ajouter encore quelques rapprochements : 1. Le Latin a designé ensemble sa propriété et érudition („sa" = du vers) [Sebillet, p. 17 1. 10/11] — une langue inhumaine, incapable de toute érudition [du Bellay, p. 149, 1. 9/10]; érudition signifie ici v ce qui fait 1'élégance et le poli; 2. douz et parfaiz accords [Sebillet, p. 19,1. 11] — bon et parfait accord [du Bellay, p. 263, 1. 11/12]; 3. la tourbe ignare [Sebillet, p. 20, 1.11] — la tourbe mal instruicte de toutes choses [du Bellay, p. 185,1. 2/4]; 4. eest é vulgairement appellé fémenin, est aussi facheus a gouverner qu'une femme, de laquéle il retient le nom [Sebillet, p. 42, 1. 6/8] —- soubz la garde le plus souvent d'une couppe féminine, facheux et rude gëolier et incongnu des autres vulgaires [du Bellay, p. 262, h 5/7]; 5. 1'autheur peut a sa phantasie asseoir les vers symbolisans [Sebillet, p. 112, 1. 20/21] — les langues vien- !) Revue d'Histoire littéraire, 1894, p. 27 ; cf. Histoire de la langue francaise t. II, 29. *) Dans son Joachim dn Bellay, p. 93, n. 5. 115 nent toutes d'une mesme source et origine : c'est ( a savoir) la fantasie des hommes [du Bellay, p. 47, 1. 9/10—p. 48, 1. 1]. Si le mot de „fantasie" que Sebillet avait employé dans le sens de „volonté", „caprice", trouve une place dans cette série, c'est qu'il a dans la langue du XVIe siècle si bien le sens d'„imagination" et non celui de „volonté" que le Quintil Horatian a reproché a du Bellay l'emploi du mot „fantasie" dans le sens de „volonté"1). L'influence permanente du vocabulaire de Sebillet sur du Bellay se trahit ici dans ce sens que du Bellay emploie un mot dans une signification qu'il n"avait jamais eue avant Sebillet; 6. unisones (= unissonnant) [Sebillet, p. 137, 1. 13 et du Bellay, p. 267, 1. 6]. Sebillet peut avoir rencontré le mot „unisonus" dans la langue de la scolastique et il en a fait du francais ; 7. mesier le dous avec Ie profitable [Sebillet, p. 164, 1. 4/5, du Bellay, p. 207, 1. 2]. Horace est le père de 1'expression „. . . qui miscuit utile dulci" ; 8. jurer aus mots de l'auteur [Sebillet, p. 189, 1. 12/13] — jurant en leurs proses (= dans leurs écrits en prose) aux motz de 1'autre [du Bellay, p. 150, 1. 3/4]. Horace a dit: jurare in verba magistri. Nulle part Sebillet ne propose de remplacer ce qui est national par ce qui est antique; il se prononce contre 1'effort d'imiter les mètres des Anciens. A 1'opposé de du Bellay, trop enclin a déprécier le vieux passé francais, Sebillet n'estime point a si bas prix les écrits des ancêtres qu'il ne tire argument de leurs ceuvres pour prouver les aptitudes du francais a la poésie. D'après lui, la poésie nationale est en passé de se ren ou veler, non par une brusque rupture avec le passé, mais par un long procés de transformation ; tout en appréciant ce qui existe — il ne cache guère son admiration pour les anciens genres a forme fixe — il regarde d'un ceil fa. *) cf. Deffence, p. 45, n. 1. 116 vorable les genres nouveaux. J. du Bellay, lui, a dit: „Qu'on ne m'allegue point icy quelques uns des nostres, qui sans doctrine, a tout le moins non autre que mediocre, ont acquis grand bruyt en nostre vulgaire. Ceux qui admirent voluntiers les petites choses, et deprisent ce qui excede leur jugement, en feront tel cas qu'ilz voudront: mais je scay bien que les scavans ne les mettront en autre ranc, que de ceux qui parient bien francoys et qui ont bon esprit, mais bien peu d'artifice". B demande le renouveUement immédiat des formes de L'art et 1'introduction de genres nouveaux; il s'attaque a la toute populaire facilité, le terre-a-terre familier de la poésie marotique. Ainsi pour du Bellay, aristocrate de naissance, la poésie doit devenir 1'apanage de personnes de culture. On pourrait compléter ses idéés par ce qui se lit dans la première préface de VOlive: „Quand a*) ceulx qui ne vouldroient recevoir ce genre d'escripre, qu'ilz appellent obscur, paree qu'il excede leur jugement, je les laisse avecq' ceulx qui, apres 1'invention du bléd, vouloient encores vivre de glan". Le tempérament des deux auteurs diffère beaucoup. Nous connaissons Sebillet comme un homme conséquent, qui ne se dément jamais; qu'on lise son Art Poétique, la Préface de son Iphigénie, les Contr'amours, qu'il a adapté a sa langue maternelle avec une complaisance évidente. J. du Bellay au contraire change souvent.: Son opinion sur la valeur de la traduction comme genre s'est modifiéé dans le cours de quelques années ; tandis que, dans la Deffence, il parle avec tant de dédain des remanieurs de romans, il consacre une ode de trois cents vers au Seigneur des Essars Sur le discours de son Amadis2). Et la preuve qu'il le fait de tout son cceur, c'est que l'ode en question est réussie a tel point qu'Etienne Pasquier la nomme „la plus belle de toutes les siennes". Sa variabilité artistique 'semontre encore en ce qu'il ') On remarque, ici comme dans la Deffence, la fréquence de l'emploi de la locution quand A, tout comme de la lecution veu que. *) du Bellay, (Euvres poétiques, IV, p. 163 117 combat le paganisme littéraire de la poésie et qu'illoue le christianisme comme source d'inspiration poétique. Ayant assuré dans la Deffence II, 3 „que le naturel n'est suffisant a celuy qui en poésie veult faire oeuvre digne de 1'immortalité", il cbantera *) Mon trant que la seule nature Sans art, sans travail et sans cure Fait naistre le poëte, avant Qu'il ayt songé d'estre scavant. Alors que du Bellay dit dans la Deffence II, 4 „puis me laisse toutes ces.vieilles poësies francoyses aux Jeuz Floraux de Thoulouze et au Puy de Rouan:... (elles) corrumpent le goust de nostre langue", le poète, en 1588, protestë de 1'intérêt qu'il prend a 1'honneur rendu a Pierre de Eonsard par le collége de rhétorique de Toulouse.2) Après avoir méprisé en 1549 ces poètes de cour guidés, comme il dit, „sans art et sans doctrine", et après avoir apporté l'art des Grecs et des Eomains, des Italiens aussi, qui sont a 1'égard des Frangais la troisième littérature classique, il déclare en 1553 dans une satire A une dame *) qu'il a oublié „l'art de petrarquizer" et il reprend cette pièce en 1558 pour lui donner sa forme définitive dans une satire des Pétrarquistes4). B fera aussi des épitaphes dans le goüt de Marot5). L'auteur de la Deffence publiera même quatre livres de Poëmata. Est-ce qu'il convient de faire grief a du Bellay de ces nombreux changements de front et font-ils tort a la valeur de sa théorie? ') C'est d'Ascree qu'il parle ainsi dans A Bertran Bergier, faisant partie des Jeux Bustiques ((Euvres poétiques, V, p. 117). *) Voir ci-dessus p. 92, n. 2. *) (Euvres poétiques, IV, p. 205. ') (Euvres poétiques, V, p. 69. On peut rapprocher de cette satire une pièce de Mellin de. Saint-Gelaisj A une mal contente (Blanchemain, t. I, p. 196), qui figure a tort parmi les ceuvres de Clément Marot (Jannet II, p. 58). *) cf. du Bellay Epitaphe de 1'abbé Bonnet ((Euvres Poétiques, V, p. 111) et 1'Epitaphe de Jean Serre, excellent joueur de farces (Jannet, II, p. 215). 118 Non, certes. Pour un homme des talents, de Pétat d'ame, de la trempe de Sebillet il est facile, il est même logique de rester identique a soi-même; mais si 1'on entreprend d'imprimer une direction nouvelle tant a la poésie qu'a la langue, on aura a aplanir tant de difficultés d'ordre différent que les erreurs sont inévitables, même pour les mieux doués, et que les plus grands esprits, les talents les plus artistiques ne réussissent pas toujours a voir dés le début oü ils vont. C'est en partie une différence de tempérament qui explique la différence de ton entre les auteurs. Sebillet est didactique, tranquille, plein de dignité, plus ou moins lourd, sans être agressif; sa modération dans la forme révèle un esprit pondéré, conciliant, ennemi de toute exagération. Au contraire, du Bellay, inspiré par le dépit, devient dur et injuste; il tremble de colère et de jalousie. Sachaut que sa gloire d'inventeur est en jeu, son tempérament fougueux et sa vanité lui font perdre son sang-froid et il se permet a 1'égard des rimeurs de 1'époque des expressions telles qu'on se sent tenté de trouver ces poètes sympathiques ; il comprend tous les prédécesseurs dans ia même condamnation, aussi bien ceux qui avaient écrit en francais que ceux qui se servaient du latin. Afin d'atteindre plus sürement son but, il tache d'enlever aux Marotiques leurs lecteurs : la Deffence a par endroits des tournures qui donnent 1'impression que l'auteur cherche a imposer silence a son adversaire, comme si la riposte le faisait trépigner d'impatience. Plus tard il a compris lui-même ses torts et il a voulu refaire son livre, entreprise qu'il n'a pas réalisée, de sorte que son manifeste est toujours la même „production fiévreuse". Ce n'est pas la seule fois que du Bellay s'est trop pressé, ce qui prouve que la précipitation est un trait de son caractère et que ce n'est pas la crainte seule d'être devancé qui explique la hate avec laquelle la Deffence a été publiée. Dans la lre préface de VOlive il dit a propos de ce recueil qu'il s'est dépêché de „tumultuairement le jecter en lumiere" et 119 il y compare oe produit „a un fruict abortif, ou a ces tableaux ausquelz le peintre n'a encores donné la dernière main". Voila une critique qu'il aurait pu adresser avec beaucoup plus de droit a son manifeste. Cette précipitation a eu pour facheuse conséquence que la Deffence n'a pas réalisé toutes les bonnes intentions de l'auteur. Tandis que Sebillet a donné dans son Art Poétique tout ce qu'on était raisonnablement en droit d'attendre de lui, la Deffence est 1'indication de la nouvelle tache plutöt que son accomplissement. J. du Bellay émet telle idéé qu'il abandonne pour la reprendre plus tard, sans' y donner cependant le développement sur lequel on croyait pouvoir compter a cause de 1'importance du sujet. B avait une tout autre tache encore que celle que s'était assignée Sebillet: a 1'homme qui avait attaqué les rimeurs comme il 1'a fait, s'imposait le devoir de formuler des préceptes clairs et précis ; il ne les a pas donnés. B redit la richesse du sol de la France, la beauté de ses contrées, ses hautes vertus morales, mais son programme est trop vaste pour être accompli de son vivant. Cependant il ne faut pas aller jusqu'a dire que du Bellay est toujours injuste. B sait atteindre un niveau plus élevé en louant Marot a propos des églogues, en faisant justice au réel talent de Jean Lemaire de Beiges. Sa proscription des poètes a'ntérieurs est une conséquence logique du principe nouveau qu'il a formulé. L'imitation des Anciens amène 1'abandon des vièux genres poétiques, des „épisseries, de la vieille quinquaüle rouillée" pour parler avec Tahureau B conserve certains genres chers a Sebillet que 1'Antiquité avait également connus, et il a introduit comme genres vraiment nouveaux: l'ode pindarique, le poème épique et la' tragédie. Ce qu'on cherchera en vain dans Sebillet et ce qu'on rencontrera sous la plume de son concurrent, c'est la synthese systématique et enthousiaste du culte ') Jacques Tahureau, Poésies, éd. Rlanchemain, Paris, 1870, I, 25. 120 de 1'Antiquité: les idéés de du Bellay sur 1'imitation ont besoin d'être remaniées, adoucies, épurées ; ce travail accompli, elles seront la base de la pure doctrine classique. Pour Sebillet le poète est un homme qui rimera un rondeau, une epltre, une ballade toutes les fois que 1'occasion, c'est-a-dire • un fait extérieur, 1'y invitera; c'est de du Bellay que date cette théorie que le poète doit se donner tout entier et uniquement a son róle de créateur de beauté, c'est lui qui a parlé avec une éloquence nouvelle du pouvoir sacré de la poésie. Le mérite de du Bellay sous ce rapport est d'avoir groupé sous une forme frappante des idéés ébauchées par Budé, Dolet et d'autres. Sebillet est évolutionniste, du Bellay semble révolutionnaire. On dirait que, par endroits, VArt Poétique est comme traversé d'un soufflé nouveau (en introduisant le mot d'ode, en avouant que les poètes „les plus Mans" ont quitté le rondeau a 1'antiquité, en parlant d'un ton de dédain du lai et du virelai, en insistant sur le sonnet, füt-ce d'une manière maladroite). On affirme commuDément que eet Art Poétique est le „testament de la vieille école", mais cette expression me parait peu heureuse, car pour Sebillet 1'avenir est plein de promesses ; sa langue, qu'il aime aussi profondément que du Bellay, est appelée a une destinée briilante. Seulement il n'a pas 1'attitude arrogante de l'auteur de la Deffence, qui a méconnu, ignoré ou dénigré ce qui avait été fait jusqu'alors. B n'est pas assez exclusif pour faire de la poésie le privilege des personnes de culture antique. Et Sebillet n'est pas comme Barthélemy Aneau non plus, qui, de parti pris, réduit la poésie aux mes* quines proportions d'un passe-temps agréable. Sa critique, sans apreté satirique, est raisonnable, mesurée, polie „ce qu'on appréciera davantage", a dit M. Chamard, „si 1'on veut se rappeler un instant ce que fut la critique de 1'époque". Ainsi, on ne peut s'empêcher d'apprécier les idéés rassises, pondérées de Sebillet; d'un 121 autre cöté il faut reconnaitre que, malgré ses étourderies, ce n'est pas le fond de la démonstration qui nous choque dans du Bellay. Car il est certain qu'un rajeunissement de la langue, un emploi plus général de 1'idiome maternel, un sentiment plus profond de l'art étaient nécessaires. Si, a la lueur de ces rapprochements, on pardonne a du Bellay sa colère, explicable du reste, si 1'on fait abstraction de ses exagérations — plus tard reniées — trop fréquentes, on reconnaitra qu'il a rendu un excellent service en enseignant la religion de l'art. Sebillet avait simplement exposé ses idéés, ne connaissant ni ambition ni exclusivisme, du Bellay a dit avec des accents émouvants quel est le devoir du poète: De quel soleil, de quel divin flambeau Vint ton ardeur? lequel des plus haulx Dieux, Pour te combler du parlaict de son mieulx, Du Vandomois to Hst Pastre nouveau? Quel cigne encor' des cignes le plus beau Te prêta 1'aele? et quel vent jusq'aux cieulx Te balanca le vol audacieux, Sans que la mer te fust large tombeau? De quel rocher vint 1'eternelle source, De quel torrent vint la superbe course, De quele fleur vint le miel de tes vers? Montre le moy, qui te prise et honnore, Pour mieulx haulser la Plante que j'adore Jusq'a 1'egal des Lauriers tousjours verds Vers la fin de la Deffence l'auteur se promet 1'immortalité, et dans la 2e préface de VOlive il se justifie en disant qu'en cela il ne fait qu'imiter les anciens. Mais une erreur a deux est une doublé erreur et Sebillet a bien raison de se moquer de ces prétentions dans l'épitre „Aus lecteurs" de son Iphigénie. Sans doute du Bellay est en droit de ne point partager 1'opinion de Sebillet sur la valeur de la version comme ') J, du Bellay, (Euvres poétiques, I, Sonnet CXV1 122 genre, quoique ses propres traductions ultérieures montrent que son opinion est flottante, de sorte qu'on est enclin a penser qu'il ne condamne la traduction avec tant de rigueur que pour contrarier les Marotiques. A eóté du genre traduction il a usé de la traduction comme élément pour illustrer son livre, ce qui mérite 1'attention spéciale quand il s'agit d'un homme qui a déployé toute son éloquence a déconseiller la traduction en général. Et Sebillet a encore une fois raison en accusant, dans la Préface de la traduction susdite, de plagiat „celuy qui se vante d'avoir trouvé, ce qu'il ha mot a mot traduit dés autres". M. Laumonier a marqué les rapports qui unissent Eonsard aux Marotiques ; pour lui, le principal titre de gloire de la Pléiade, c'est d'avoir continué Marot, mais avec une verve „élargie, agrandie, surabondante et vigoureuse". H va jusqu'a dire *) „Après quelques excès, d'abord au dela puis en dega du juste milieu, il mit sa réforme au point et fut le Marot supérieur qu'il avait voulu être primitivement, et qu'il eut raison de rester". A vouloir ainsi rapprocher les distances, on risque de méconnaitre la véritable originalité des hommes, car Marot n'avait pas compris — ce dont du Bellay et Eonsard se sont parfaitement rendu compte — que le poète doit être le chantre de toutes les émotions humaines; du Bellay a achevé ce qu'avait préparé Sebillet, qui a son tour était un continuateur; et tous les deux sont venus traduire les idéés qui hantaient déja bien des esprits. Sans pouvoir la conduire a une solution définitive, ils ont continué avec éclat une discussion commencée avant eux. Ainsi, la Deffence est une illustration de la théorie d'après laquelle une révolution n'est jamais qu'une évolution qui s'achève. A tout prendre, le livre de 1548, tout comme celui de 1549, est un effort sympathique pour célébrer la dignité de la poésie, le second en outre un plaidoyer chaleureux — i) Op. cit., p. 712. 123 songeons par exemple au beau passage p. 244—246 — d'un bon patriote en faveur de la grandeur de l'art. Joachim du Bellay a sans doute une conception plus élevée de 1'originalité de l'auteur que Thomas Sebillet, car celuici se contente de désigner a 1'auteur-traducteur le röle du mineur qui „tire des entraiiles de la terre le trésor caché", pour le mettre a la disposition de tout le monde; or, le mineur ne change rien a la nature de ce qu'il extrait de dessous terre ; lui et la chose cherchée sont deux. Pour du Bellay les trésors de 1'antiquité sont la nourriture de l'auteur; celui-ci corrige, améliore, perfectionne au moyen de ce qu'offrent les Anciens. M. Chamard a signalé le changement d'attitude de l'auteur du Quintil Horatian devant son ancien ennemi; il a attiré notre attention sur la „préparation a la lecture et intelligence des poëtes fabuleux" qui précède la traduction de Barthélemy Aneau du troisième livre de la Métamorphose d'Ovide, qui est de 1556, et oü Padversaire d'autrefois range du Bellay parmi „les bons poëtes de present" '). Sebillet et du Bellay, eux aussi, se sont réconciliés. Mais d'abord la lutte continua encore quelque temps : ainsi, Sebillet dit en novembre 1549 2) : „Cette mienne mignardise a 1'aventure déplaira a la délicatesse de quelques hardis repreneurs: mais si je say que la friandise vous en plaise, ce me sera plaisir de leur déplaire en vous plaisant". A quoi du Bellay répond8) qu'il semble qu'il a „hurté un peu rudement a la porte de noz ineptes rimasseurs. Ce que j'ay faict, Lecteur, non pour aultre raison que pour eveiiler le trop long sillence des cignes et endormir Pimportun croassement des corbeaux. Ne t'esbahis don- ') Yoici le passage : „Et en cela m'en est prins comme aux bons PoStes de present, Du Belay et Des Masures, qui tous deux se sont rencontrez en mesme translation de 1'Aineide Vergiliane". Cette introduction n'est pas paginée (Revue ) Racine, Iphigénie, édition Lanson, p. 23 dans les „Classiques francais", Paris, 1921. 133 contresens d'une version grecque ou latine comme n'étant pas voulus par l'auteur, et c'est par analogie que M. Lanson aura apprécié les infidélités de Vlphigenie de Sebillet. Les Contramours ") forment un volume de 307 pages gr. in-12°, dédié „A noble et chaste dame, dame Célie de Eomirville; Miroir de tout honneur et pudicité". Sebillet explique „A tout franc et debonnaire Francois" pourquoi il a fait ce nouveau livre. En 1550, a son retour d'Italie, ü prit „hardiesse et prompte volonté" de consacrer, en guise de passe-temps, quelques heures de son „moins soigneux loisir" a traduire VAntéros de Baptiste Fulgose, gentilhomme génois, le sujet ayant le charme d'être rare autant que nouveau. Car en ce moment „en France chascun parloit et escrivoit, de 1'Amour, et pour 1'Amour; nul contre luy ; ny contre le pernicieux et damnable exercice des fois amoureux passetemps". Cette partie du volume, qui va de la p. 1 jusqu'a la p. 225 — ce qui précède, c'est-a-dire la dédicace, l'avis et les trois poèmes, n'est pas paginé — est divisée en deuxlivres et contient un prologue „a Noble et magnifique Ghevalier, M. Jean Francois Pusterle". Dans cette partie ce sont Fulgose, Platine et Claude de Savoie qui parient ensemble. En effet, Fulgose et Platine sont contemporains, ayant vécu tous deux du temps du Pape Sixte IV. Fulgose essuie de grands malheurs et ayant été banni de Gênes, il croit ne pouvoir faire un meüleur emploi de son temps que de se consacrer aux lettres ; il se met a écrire un „livre de fais et dis memorables". C'est déja bien plus tót qu'il avait combattu dans un dialogue „les foles et perilleuses delices de 1'Amour". „Pour faire un plus juste volume" Sebillet y a ajouté le Dialogue de Platine contre les Amours (p. 226*—262). Platine, natif de Crémone, ami intime de Fulgose, a l) M. Gaiffe, Introduction, p. IX, dit que Péditeur de 1581 s'appelle „Martin". Dans 1'extrait du Privilege il y a: „sans la permission et consentement du dit le Jeune". 134 été officier pontifieal a Rome. II a écrit son livre quasi en même temps que son ami; seulement il s'est servi du latin; ce „docte personnage, eloquent orateur et scavant philosophe" qui a passé beaucoup de temps en prison, a choisi comme interlocuteurs Stelle et luimême. La fin de 1'ouvrage (p. 263—307) est formée par un paradoxe contre 1'amour, oeuvre originale que Sebillet, en 1'ardeur de sa jeunesse, a laissé „escouler de sa plume passant ainsi quelquefois le temps, a escrire ou vers ou prose". H profite de 1'occasion pour protester de son patriotisme et de son amour de sa langue maternelle: „pource que j'ay tousjours singuliérement aimé 1'accroissement, Penrichissement et la splendeur de nostre Francoise langue: et me suis volontiers adonné a y escrire: me sentant plus tenu et redevable a ma patrie, qu'a autre pays estranger". De même Cicéron a utilisé sa connaissance du grec pour „accommoder et orner" sa propre langue. Si Sebillet n'a réussi qu'a demi, que le lecteur se souvienne „qu'és choses grandes il suffit d'avoir eu bonne volonté de les faire". Cicéron a dit „que a qui ne peut monter a la cyme, c'est honneur en y grimpant, d'estre demouré a my chemin". C'est dans un but démocratique que Sebillet, malgré son caractère conservateur, s'est laissé guider par PItalie, oü Pon a traduit „de toutes langues" des livres de genres fort différents „par ce moyen esclercissant tous ars et toutes disciplines : afin de faire bien et a propos parler de toutes matiéres, voire des plus hauts secrets de philosopbie; non les Dames seulement, mais aussi les tonneliers et les cousturiers d'Italie". Les dames francaises (l'auteur nomme „les deux princesses Marguerites, perles incomparables naguéres ornans nostre siècle, Les Dames des Roches, Poitevines : la damoiselle de la Guéterie, apresent Dame de Clérmont: la Dame de Liebaut, Parisiennes") ont déja commencé a „bien escrire et hautement dire des lettres, des moeurs, de la nature, et autres hautes et rares conceptions philosophiques". H attend les meil- 135 leurs résultats des versions des bons livres. II peut être hardi de prétendre qu'une bonne traduction de n'importe quel auteur remplace 1'étude des textes mêmes : la substance linguistique, étymologique, syntaxique d'un auteur est le véhicule indispensable de sa substance intellectuelle. Mais Sebillet espère que „mesmes nos artisans et mécaniques au long aller, en eest endroit égaleront, voire devanceront, 1'Italien, et tout autre estranger. Le» fidéles verston» des bons autheurs ont servy et desormais pourront proufiter a Vavancement, ornement et enrichissement de nostre langue". Ce n'est qu'après de longues hésitations que Sebillet s'est décidé a publier ce livre „pour essayer de proufiter a quelcun de vous ; ou pour le moins luy donner quelque heure d'honneste passetemps". Ensuite viennent trois poèmes que voici: Sur le contramour de M. Baptiste Fulgose, Platine au Lecteur. Tout ce que contre amour, et a son grand mespris. Se trouve escrit ailleurs, en ce livre est compris: Que Ion peut comparer au doux miël des rouches, Coeilly de toutes fleurs par le labeur des mouches. Fulgose, amy lecteur, presté icy a crédit; Car tels trezors qu"il donne onq terre ne rendit: II allègue en ce livre autheurs de toutes sortes; Et par divers escrits rend ses raisons plus fortes; Fortes, pour faire entendre aux jeunes-fols amans, Qu'amour, pour un plaisir, donne mille tourmens. Ou du rude censeur la den t ne pourra prendre: Car qui osera tant, que de vouloir reprendre Ce livre tesmoignant le jeune bon esprit De Fulgose, qui vieil a si tres bien escrit? L'industrieux labeur de Fulgose admirable, A rendu immortel son oeuvre mémorable: Et me répute heureuX d'estre souvent nommé Au livre d'un autheur comme luy renommé: Mais plus que moy ont d'heur, plus'de grace prémière, Tous beaux yeux éclercis de si belle lumiére. Dans le sonnet suivant, de la disposition familière a Sebillet (cf. p. 128) le poète donne la parole a Fulgose : 136 Jeunes Amans, le grossier et dur stile De ce livret, fascheux vous semblera: Mais leu par vous il vous révélera Des rets d'amour la surprise subtile: Tant que celuy qui 1'estima gentille, De ses douceurs plus ne se ventera: Ains repenty de 1'Amour chantera, Comme de chose, aigre, orde, et inutile. Or si 1'oyans croire ne le deignez, En vos ardeurs demourans obstinez; Comme Troyens, qui ne creurent Cassandre: Gardez que vous (ainsi que fois Troyens, De leur salut negligeans les moyens) Par vostre feu ne soyez mis en cendre. Et le dernier des trois est un sonnet adressé a Pontus de Tyard, qui dans ses Erreurs amoureuses (1549) s'est fait connaitre comme disciple de Maurice Scève et qui, comme tant d'autres poètes, se croyait obligé de chanter sa maitresse idéale, la femme accomplie. L'idéalisme platonicien du Maconnais fait que Sebillet espère rencontrer en lui un allié: Thiart, de ces fureurs; dont chascune chant ée Hautement fut par toy, et solitairement; Ores 1'une est i'cy blasonnée asprement: Mais, non comme fureur; ains furie enchantée: Aux trois autres, par moy prestee et arrestée Soit céleste origine, avéq toy hardiment: Si faut-il qu'avéq moy tu blasmes franchement, En 1'amour la quatriesme une ardeur eshontée. Bien te 1'a fait sentir ce brasier amoureux, Incessamment brulant ton las coeur langoureux, Lorsque ta Pasithée eschauffoit ta froide ame: L'or de tes sacrez vers meritoit un subjet, Et le lustre brillant de ta Muse, un objet; Trop plus haut, et plus beau, que les yeux d'une dame. Le prologue du premier Livre nous apprend que c'est sur les instances de Jean Francois Pusterlé „noble et magnifique cbevalier" que l'auteur s'est mis a écrire 137 de 1'amour. „Cicéron vray pere de 1'eloquence Latine, a escrit, que la première et principale loy de 1'amitié, est de ne refuser jamais chose honeste a son amy". Hs sont rares, les auteurs grecs, latins ou italiens qui „ont descrit au vray, qu'elle chose peut estre 1'Amour; tres bien declarans toutes ses parties". Sebillet n'excepte pas même de ce jugement Lucrèce et Platon „par qui ce nom d'Amour est plus avant declaré ; et sa nature plus amplement exprimée". Mais Lucrèce „en cela, comme en maintes autres choses, s'est grandement forvoyé : et au Phedre, 1'Amour (duquel il s'y devoit traiter) est la chose, dont il y est le moins parlé". Aussi le chemin dans lequel il s'engage est „peu frayé" et la matière a traiter „peu claire". A 1'opposé de ce que dira Boileau, Cicéron croyait „qu'il peut avenir que un homme entende tres bien ce qu'il ne peut que mal dire". Aussi Sebillet se serait-il désisté de son entreprise sans „la susdite loy d'amitié". Mais tout comme la corneille d'Esope il s'est „fait belle cceüe des plumes d'autres oiseaux", a tel point qu'on peut dire de son livre ce que disait Apollodore des livres de Chrysippe : „si les sentences des autres en estoyent ostées, les pages demeureroyent manches". II fluit par prier son ami de ne pas être indulgent en jugeant ce livre: trop de douceur ferait atteinte a la réputation des deux amis. On ne saurait accuser l'auteur d'un excès de discrétion lorsqu'il dit que les pages seraient restées blanches sans ses emprunts a d'autres écrivains. Voici la liste compléte des auteurs qu'il cite (le chiffre derrière le nom indique le nombre des citations): a. littérature profane : Alexandre d'Aphrodisie (3) ; Apulée (6); Aristote (6); Athanase (1); Aulu Geile (1); Avicenne (2); Bias (1); Bocace (1); Boëce (1); Cicéron (17); Corneille, neveu de Pline (1); Dante (1); Feste (1); Galien(l); Homère(l); Horace (6); Juvénal (5); Lacide le Philosophe (1); Lactance (1); Lucrèce (3); Macrobe (1); Ovide (13); Perse (1); Pétrarque (2); Platon (5); Plaute (2); Plotin (1); Plutarque (1); Porphyre (2); Properce 138 (3); Ptolomée (1); Puble le Syrien (1); Quintilian (1); Basis (1); Sénèque (10); Serve (1); Térence (4); Théophraste (1); Tibulle (1); Vergile (4); Zénon (1); p. Sainte Bible : David, Psaumes (1); Décalogue des Hébreux (1); Bois (1); saiut Jacques (1); saint Jean (1); saint Mare (1); saint Mattbieu (3); saint Paul (5); c. Pères de 1'EgLise: saint Ambroise (2); saint August in (8); saint Bonaventure (1); saint Grégoire (1); saint Jéróme (5); saint Thomas d'Aquin (3). Cependant ce qui nous intéresse dans cette suite de citations c'est surtout la pratique de eet auteur d'un Art Poétique. Généralement parlant, elle n'est pas au-dessous de sa théorie, mais n'oublions pas que „le fondement et première partie du Poéme ou carme" c'est-a-dire 1'invention est nulle. Cependant, ainsi que 1'a dit M. Paul Spaak "), on jugerait la poésie du XVIe siècle d'un point de vue vraiment trop étroit, si on lui déniait toute valeur paree qu'elle manque d'originalité. „L'originalité était alors, en poésie comme en tout art, la moindre préoccupation des artistes". Voici ce qu'il a pris] dans les Remèdes d'amour d'Ovide: Si tu ostes l'oisiveté, Les traits de Cupidon rebouchent, Ses ares rompent, ses flambeaux couchent Leur feu, sans prix et sans clarté. (p. 9). „et escrit encore peu pres" (dit Sebillet) En vain debatent les noiseux, Qui rendit Egiste adultere : La raison en est prompte et clere; 11 estoit faitard et oiseux. (p- 9). Les maux aux biens de prés s'approchent: Et soubs ceste-erreur, se reprochent Souvent belles vertuz, pour vices, Et les bienfais pour malefices. (P- 26). ') Paul Spaak, Jean Lemaire de Beiges, Revue du XVI6 siècle, 1921, p 212; cf. aussi Pierre Villey, Les sources italiennes de la Defjence, p. 107. 139 Guitarres, luths, voix, chants, sons d'instruments, Saults, danses, bals, tous nombreux mouvements, Branies, et tous tels battelages; Ne font qu'énerver les courages. (p. 104). On doit les vers suivants aux Amours du même poète : Toy qui nagueres as ravy mes deux yeux, Par ta beauté enviée des Dieux; Dresse moy souvent quelque ruse ; Oy moy prier, et me refuse. Quant je seray sur le ventre couché, Devant ton buis, tremblant, froid, et fasché; Laisse-me, et souffre que j'endure De la nuit la longue froidure. Ainsi me sont les jeux d'Amour plaisans. Ainsi croist-il, et se renforce aux ans: La ruse, est d'Amour la pasture, Et le refus, la nourriture. Le gras Amour, et soulé de plaisir, Trop aisément se tourne en desplaisir; Les douceurs, le coeur affadissent; Les baisers, 1'Amour refroidissent (p. 100). Si tout advient ainsi que nous voulons; L'aisance nuit, et nous nous en soulons: Je suy tousjours ce qui me fuit; Je fuy tousjours ce qui me suit. (p. 100). II y a trois passages de VArt d'aimer du même auteur: Trop et trop grand est d'Amans le malaise; Et peu advient de chose, qui leur plaise: Qui veut aymer, se tienne seur, De plus d'amer, que de douceur. Au mont Athos tant de lievres ne naissent: Au mont Hibla tant d'abeilles ne paissent: L'arbre de la guerriere vierge, De tant d'olives ne se charge: De 1'ocean les verdes-bleües filles, N'ont en leurs bords tant de blanches coquilles: Qu'en Amours il y a de pleurs, Et de tourmens, et de douleurs. (p. 78). 140 Beauté est bien de petite durée i Beauté est fleur par les ans deflorée: Fleur, qui tous les jours s'amoindrit, Et d'heure a autre se fletrit. (p. 93). Tu as beau te garder, et user de cautelle, Pour eviter les dons; si te pillera-telle: Femme trouve tousjours quelque moyen subtil De piller 1'amoureux, tant rusé soit-il. (p. 94). Tu les voirras a tiltre d'emprunt prendre Meuble et argent, pour jamais ne les rendre: Tu pers; et de bien que tu faces, Perdant, tu n'en as gré ne graces. (p. 94). Aux Métamorphoses il ne doit qn'une seule citation : Comme la paille ard, les espis ostez; Comme la haye ayant a ses costez L'ardent flambeau, que. le passant lascha Au point du jour, ou trop pres 1'approcha Ainsi le Dieu du feu d'Amour espris Ard en son cueur, de grande chaleur pris; Ou il nourrit d'esperance inutile Le vain desir de son amour sterile. (p. 14). Nous devons deux pièces a YEpitre de Sapho a Phaon Je brusle, ainsi qu'un champ fertil Auquel le vent fort et subtil, Anime le feu et la flamme, Qui les jaunes moissons enflamme: Phaon embellit en ses chants De Mongibel les cendreux champs: De Mongibel, qu'un feu consume Moins grand, que celuy qui m'allume. (p. 14). Mon pauvre frere ardit veincu d'Amour paillarde, Meslant perte de biens aveq honte souillarde: II va (devenu pauvre) or la mer escumant; Et les biens mal perduz recherchant malement. (p. 95). 141 II est a remarquer ici que Sebillet semble composer ses poésies ou quelques-unes parmi elles sans avoir le texte original sous les yeux, car il dit a propos de ces vers: „En ceste mesme sentence escrit encores docte Sapphon, parlant de son frere, comme vous entendrez par ses vers: lesquels (si j'en ay bonne souvenance) dient ainsi...." Enfin il fait parler la pucelle Canace a son ami Macareus comme suit (Épitre de Canace a Macare) Comme toy de feu fus-je esprise Et au chaud cceur me senty prise Par je ne scay quel Dieu brulant, Dont souvent je t'oioy parlant: Chaque nuit, de somme éloignée, En veillant me duroit année; Et souspiroye incessamment, Ne sentant douleur, ne tourment. De joyeuse, fraiche et refaite, Je vins triste, palle et defaite; Et mengeoy, seiche de langueur, Peu, par force, et a contrecceur: Pourtant de toute telle chose Ne pouvoy-je entendre la cause: J'aimoye ; et sentoy, mal amer ; Ne scachant que cestoit qu'aimer. (p. 15). C'est aux Satires d'Horace que nous devons les vers suivants : Si 1'homme grand et barbu se dehaite D'atteler rats a petite charette, A faire fours, jouer a pair ou non, Bastir chasteaux, chevaucher un baston; II sera fol de chacun reputé: Mais qui aura par raison disputé. Lequel des deux sera plus puerile, Des jeux d'enfans, ou de 1'Amour virile ; II resoudra, que 1'enfant de trois ans *H Qui contr'imite en ses gestes plaisans La singerie; et aux cendres de 1'atre Fait Ia poudrette, est encor moins follatre 11 142 Que 1'homme.'fait, de femme enamouré Pensif, transy, et resueur esplouré. (p. 17).; Ouïr vous faut (vous, dy-je, qui voulez Mal aux paillards) comme ils sont travaiilez De toutes parts: et de combien d'ennuis Est rompu 1'heur de leurs plaisantes nuits; • Plaisantes nuits, qui rarement se donnent, Ou grands dangers tousjours les environnent. L'un d'un haut toict s'est en rue getté: , L'autre a esté jusqu'a la mort foitté: Qui est fuyant tombe entre les. mains De fiers larrons, de voleurs inhumains: ,. Qui a son corps d'argent sec rachatté; Qui vient 3e merde et de pissat gatté. Encor-est-il quelquefois advenu, Que le mary, ou frere, survenu A le ribauld sans cceüe renvoyé, Et sans tesmoins: a tous bien employé. (p. 74). Or cesse a tant; laisse le train des Dames Duquel on puise en un jour plus de blasmes, Plus de travaux, plus d'ennuis, plus d'envie Qu'on n'en aura de bien toute sa vie. (p. 75). Femme a esté, avant le rapt d'Heleine, De forte guerre occasion villeine. Maints sont gisans morts de morts inconnues Qui ravisseurs suyvans les femmes nues (Comme Ours en rut, ou plus sauvages bestes) Aymoyent sans choix: et perdoyent bras et testes, Par les plus forts tuez et abbatus, Comme taureaux au troupeau combatus. (p. 76). Trois mille escus ta dame demandant, Contre toy crie, et t'en presse en grondant: Et te fermant son huis, la fausse beste, Encor te jette un seau d'eau sur la teste; Puis te rappelle: Arrache, pauvre fou, Ta franche teste hors de ce villain joug: Dy, te ventant de ta libre franchise; Me voyla franc du vent de la chemise: Mais tu ne peux: Car un maistre trop fier Te piqué et poingt, d'elle esclave est af fier. (p. 124). 143 Sebillet emprunte un passage aux Épitres d'Horace pour. iaire ressortir „que la fable, qui dit les compagnons d'Ulysses avoir esté par Circé transformez en ours, loups, poureeaux et Lyons et lui seul avoir retenu la forme humaine, ne veut enseigner autre chose sinon, qu'Ulysse par sa prudence jamais ne fut surpris des attraits de folie femme; de laquelle ses compagnons temerairement s'acointerent" : Par luy furent les chants des Sirenes blasmez : II connut de Circé les breuvages, charmez: Lesquels si desireux, comme amoureux mignons, II eut folement beus aveq ses compagnons. II fut villainement privé de cceur et d'ame Demeuré prisonnier de la paillarde Dame; II eut servy de chien, a- qui putain se joüe Ou eust vescu pourceau, amoureux de la boüe. (p. 70). Aux Qéorgiques de Virgile il prend Pidée pour les vers snivants : Tout animal vivant sur terre, en son espèce En furie et en feu un contre autre se dresse : Soit homme ayant raison, soit la beste sauvage, Soit poisson, soit oiseau de peinturé plumage, Soit beste a quatre pieds: un amour les transporte En furie et en feu, tous d'une mesme sorte. (p. 32). H rend la description des enfers de VEnéide de Virgile dans le passage que voici: Tous ceux-la qui vivants ont hay soeurs et freres, Ou inhumainement frappé peres et meres Ou qui ont leurs escus laisé moisir a 1'ombre A nul n'en faisans part; (lesquels sont en grand nombre) Ceux aussi qui sont morts surpris en adultere Et ceux qui ont suivy 1'enseigne refractaire Encontre la patrie, et leurs seigneurs rebelles Attendent la enclos punitions cruelles. (p. 133). 144 Les vers oü „le passionné Tibulle" se peint lui-même, dans ses Élégies amoureuses, recoivent la forme suivante sous la plume de Sebillet: J'ar; soit pour mal que j'aye fait, Soit pour mon merite; en effait J'ar: helas cruelle pucelle, Oste moy tant chaude estincelle. O ! combien me seroit meilleur, Pour .ne sentir telle douleur Que je fusse une pierre roide Dessuz une montagne froide ! Ou roq en haute mer planté Des vens enragez souffleté Que Tonde, qui fait le naufrage, Battit au plus fort de 1'orage ! Or si le jour amer me cuit, Plus aigre m'est 1'ombreuse nuit, Car toute saison de 1'année M'est de fiel empoisonnée. (p. 15). C'est dans les Élégies de Properce que Sebillet puise la description de 1'amour qu'on va lire : Quiconque fut qui le premier peignit Le dieu d'Amours, et enfant le feignit: N'eust-il en ceste invention Main digne d'admiration? Ce peintre expert connust premierement Qu'amans transis vivent sans jugement: Et que leurs plus grands biens perissent, Soubs les fois pensers qu'ils nourrissent. Encor n'eust-il mains sottes ne menteuses, En luy peignant au dos ailes venteuses ; Faisant ce dieu, que le vent meine, Voler d'affection humaine: Car les amans sont, comme en mer profonde, Tousjours gettez de 1'une en une autre onde: Et le fort vent, qui les tempeste Jamais en un lieu ne s'arreste. Bien luy fit-il aussi, les mains armées De trais crochus, et sagettes charmées: Et 1'un des flancs, d'un are Turquois ; L'autre d'un candiot carquois. 145 Car Tamoureux a coup du trait receu. Plus tost qu'Amour adversaire apperceu" Et nul, encor qu'il y essaie N'eschappe sain de telle playe. (p. 67). Voici des vers qu'adresse Properce a Cynthia (la courtisane Hostia): Ores sans moy la table est de banquets couverte: Ores sans moy ta porte est toute nuit ouverte: Si tu es sage, pren les offertes moissons, Et ton le sot troupeau de ses pleines toisons: Puis quant tu le verras par dons se consommer, Dy luy, qu'une autrefois il traverse la mer. Cynthie n'a soucy de pompes n'y d'honneurs; Elle ayme seulement les prodigues donneurs. (p. 94). Peu après le poète continue ce propos : Chascun achete amie a force de present, C'est une foire, ou nul n'est de péage exempt. (p. 95). Afin „de bien pres esplucher tout ce qu'Amour porte", Sebillet cite les Satires de Juvénal de la manière suivante: Meschans sont ceux qui de paroles fieres Plus qu'Hercules braves en leurs maniéres, Vont assaillir les paillards; et eux mesmes Sont d'infamie et paillardise blesmes: Et celuy d'eux qui plus presche vertu Et le premier de luxure abbatu. (p. 23). Dans cette deuxième satire Juvénal dit de 1'empereur Domitien: Quel fut naguere un insigne adultere Qui revoquant la loy dure et austère A tous paillars, mesme a Mars redoutable Et a Venus, soilla d'un detestable Embrassement sa lignée enlaidie, D'embrassement digne de tragedie 146 Lorsque Julie au fecond amarry Monstroit souvent a son oncle et mary D'avortement encor palle et tremblante, Pièce de chair de pres luy resemblante. (p. 23). L'un leur apporte enchantemens magiques; [ L'autre leur vend des philtres Thessaliques; Pour engamer le sot mary cocu, Et luy donner d'un coup de pied au cu. De la te vient ce rafolissement Ce tintouin, eest eblouissement De la te vient ceste oubliance encores, De tout ce qu'as nagueres fait, et ores: Mais tout cela peut estre supporté Mésque ne sois de ton sens transporté, Et furieux: comme eest oncle infame Du fier Néron, auquel la folie femme Cesonia, fit boire en faux semblant Le front entier d'un poulinot tremblaht. (p. 84). Sebillet, qui a déja pris a témoins Ovide et Properce pour montrer que les femmes ont „la main a 1'es car celle de leurs passionnez amis", rappelle que Juvénal est du même avis : Femme ne fait 1'Amour qui n'y vceille gaigner Femme aucune ne veut son amy espargner, Bien qu'elle soit ardente en amoureux desir, Si prend-elle aux tourmens de son amy plaisir Et le pille et despoille. (p. 94). Pour faire voir que „parfois le voile de déité sert de couverture des vices", il s'inspire de la tragédie Hippolyte de Sénèque qui lui fournit les vers que voici: Le doux plaisir de la volupté pute, Favorisant son orde servitute, Attribua a 1'Amour deité: Or pour gaingner plus grande liberté A ses plaisirs, sa fureur elle hausse Du titre vain de divinité fausse. (p. 58). 147 L'erreur mortel, feint un Dieu inhumain > . , D'amour volage; et lui arme la main D'un trait cruel.^d'ardent feu empenné Et si le croit encor de Vénus né, (p. 59). Quiconque a repoussé 1'Amour de ferme coeur En ses premiers assaux, en est resté veincoeur: Mais qui a mignardant le doux feu alleché Tard secoüe le joug, ou il s'est attaché. (P- 62). Enfin nous devons une belle description de la luxure a une imitation d'un des derniers représentants de la poésie latine, c'est-a-dire de Clandien: La luxure est maladie tres douce Qui les plaisirs du corps onq ne repoussé, Ains adonnée a tous ses jeux plaisans, Elle obscurcit et hebete le sens; -. 218). Le remède nouveau qu'il approuve ressemble beaucoup au précédent: „pratiquer avec plusieurs femmes" : Afin que le trop grand plaisir, Prins aveq ta dame a loisir Dans les rets d'Amour ne t'enlasse Si plein et ardent tu 1'embrasses, Embrasses-en une moins belle ■ Plus tost, devant qu'aller a elle; La grande ardeur sera passée Après la première embrassée. (p. 219). 151 La sursaturation ne lui semble pas mauvaise non plus : Si lascfie tu ne peux partir, Si lié tu ne peux sortir Des Ceps d'Amour; si sa rudesse De ses deux pieds le col te presse: Ne comba plus ; volte carrière ; Fay tourner ta nef en arriére * Trinquet, voile et timon revire, Rame la ou le flot te tire. Ceste soif te faut estancher Dont 1'ardeur te fait desécher: Or sus, liberté fest baillée; Ores boy a bride avallée. Mais boy, boy tant que tu pourras Boy plus encor que ne voudras; Boy ton soul; emply tant ta gorge Que 1'eau par le nez te regorge. •Toüy ; accolle, embrasse, baise A ton plaisir, tout a ton aise; Passé la nuit, use le jour, Au sein de ta dame, et d'Amour. Soule toy tant qu'Amour te fasche Par trop menger la faim se lasche Or que tu t'en puisses passer Ne laisse pas de Tembrasser. Comblant ton aise de plaisir: Le trop t'ostera le desir Par la saciété, la honte Te gardera d'en faire compte. (p. 221). Seulement, ainsi que le dit un des oantiques d'Alexandre Vinet: „D'ud passé qui m'humüie J'entretiens le souvenir". Aussi Sebillet continue en ces termes : Ne croy pas que ce soit assez D'avoir dame et plaisirs laissez; Arreste, loin d'elle party, Tant que le feu soit amorty: Car si tu n'as coeur et yeux fermes Contre Amour et ses fausses armes A ton retour Amour rebelle Te refera guerre nouvelle. (p. 224). 152 II accentue cette idéé en disant: Ainsi que le feu presque esteint S'il est de peu souphre atteint Se void raviver et reprendre Et sortir de dessoubs la cendre, Aussi si soigneux tu ne tuis Les plaisirs de 1'Amour adduis; De la braise naguéres morte Se levera flamme plus forte. (p. 224). Afin de répondre a la question de savoir „si ceste ardente amoureuse passion sourd du corps ou de 1'esprit, ou coule en nous de quelque autre sourse", Sebillet s'adresse a Virgile et, s'inspirant de ce qui se lit dans VEnéide, il déclare: Mais cependant la Royne ja blessée D'un grief soucy nourrit en sa pensée Ce qui la blesse, et sent dedans ses veines L'aveugle feu des amoureuses peines. (p. 145). Marchant sur les traces de Pétrarque (THomphe d'Amour) il ajoute: Je scay comme fon [lisez: son) feu dansles veines couvert, Et comme dans les os vit la secrette playe, Par qui la flamme est clere, et le tombeau ouvert. (p. 145). Au même livre de Pétrarque nous devons les vers suivants : Assuére je vy; et vy en queUe sorte Sage il adoucissoit son affection forte, Et la médecinoit: je le vy délier D'un noeu; puis tout soudain d'un autre se lier Ce mal par tel moyen se radoube et rabille Comme on tire d'un ais cheville aveq cheville. (p. 218). Sebillet s'appuie sur Lucrèce aussi, pour trouver une réponse a la question de 1'origine de 1'amour; suivant De la nature des choses il assure: 153 Lorsque le poil et la force commence Venir a 1'homme, hors s'émeut la semence Sortant de luy, la semence lassive: Qui s'égouttant par la force expulsive Des lieux premiers de sa formation, Continuant sa distillation De membre en membre, espandue et coulant Par tout le corps, enfin s'amoncelant S'arreste aux nerfs, ou nature consommé La blanche humeur dont se doit former 1'homme. Lors les conduits genitaux, chatoillcz Par les espris parmy 1'humeur broillez S'enflent émus de la semence humaine: De la se fait la volonté soudaine Et le paillard appetit de jetter Dehors du corps ce qu'il sent 1'irriter. En ce desir nostre émue pensée Cherche le corps dont 1'Amour 1'a blessée. Et tout ainsi que de Touverte playe Le sang sourdant, en jallissant s'essaye Souier celuy qui a sanglant courage, Et s'il est pres, luy rougit le visage: Aussi celuy que navre la sagette De Cupidon, soit homme qui la jette Dedans la femme, ou soit femme qui darde Le trait d'Amour en l'oeil qui la regarde; D'ou le coup vient, la Phumeur de la playe Brusle d'aller; et jallissant s'essaye D'entrer au corps, qui le cherche et desire Et qui le navre, au lieu d'ou il 1'attire. (p. 147). Sebillet a trouvé dans Lttcrèce les mêmes remèdes que dans Ovide: II faut fuir amoureuses peintures, Danses, banquets, d'Amour les nourritures, N'en faire compte, et retourner ailleurs L'esprit, nourry d'exercices meilleurs. (p. 215). De jour en jour ceste fureur glissante Son mal rengrége en 1'Ame languissante: Si par un coup second on ne s'essaye Couper chemin a la prémière playe. (p. 218). 154 Quand 1'humeur assemblé nous chatoille et époint, II le faut jetter hors; et ne le tenir point Gardé dedans le corps pour 1'expres amour d'une: Trop mieux le vaut vuider dans le corps de chacune. (p. 219). A la fin du Second Livre Claude de Savoye assure Platine qu'il lui est a jamais redevable „de ce que tant élégamment et clairement il lui a monstré combien orde et puante estoit la boüe, en laquelle il estoit veautré, comment il en devoit sortir, et se garder d'y retomber". A la p. 226 commence le Dialogue de Platine contre les folies Amours. Dans tout ce dialogue, qui va de la p. 226 a la p. 262, il n'y a que trois distiques : aussi ces 37 pages sont dépourvues d'intérêt pour 1'étude de Sebillet-poète. Du reste, nous avons a peu prés rentré la moisson poétique que fournit 1'étude de VAnteros. La dernière partie, le Paradoxe contre 1'amour, qui remplit les p.p. 263—307 ne nous offre que déüx petites poésies. Après „le poëte Mantoan" Sebillet dit: Du mal d'aymer la cfuaülé améré , ■ Du feu d'Amour les brasiers eschauffans Firent oser a sa cruéllé mére Souiller ses mains au sang de ses enfants. (p. 287). Sa dernière poésie a pour but de démontrer que „ceste amoureuse phrenésie est tres pernicieuse, puisqu'elle fait égarer hors du corps 1'esprit qui y est infus",: Ne suis je malheureux, Miserable amoureux! Qui ne puis trouver chose Ne lieu ou je repose ! Si au lit gist mon corps Mon ame' en est dehors' Et si j'en sor, alheure Mon esprit y demeure. (p. 288). Découvrir „avec bonnes raisons, authoritez et exemples la vicieuse nature d'Amour et ses pernicieux effais", 155 voila ce que Sebillet a. constamment present a 1'espritl L'Amonr est „meschant, on le doit creindre et fuM\ Dans. la dispute entre \Baptiste et Platine „ne sont entrevenuesVaucunes philosopbiques obscuritez ou logicales subtilitez" ; elle n'a été fondée sur autre chose que „sur manifestes authoritez et faciles et clairs arguments"; II est d'avis „qu'entre toutes les autres cures propres a guérir le mal d'aimer, laf imeüleure et la plus souveraine est 1'occupation et le soin d'affaires". Le soupir qu'il pousse a la p. 19: „Mais quelle infinité de maux engendre et produit 'tous ïes jours ceste* amoureuse racine" *), remplit tout le livre, car Sebillet est sür que „si quelqu'un est entaché de luxure, il ne peut jamais devenir sage" (p. 17). II me semble que le livre est bien ordonné et que la compositum, laisse peu a désirer. Les négligences comme celle de la p. 35, oü 1'on se heurte aux mots „ami Fulgose" comme apostrophe, tandis qu'il n'y a rien qui indique qu'après la p. 26, oü Fulgose a pris la parole, celui-ci y a renoncé au profit de Platine, sont rares. C'est a peine si 1'on rencontre dés fautes telles que „A semblable raison y a-t-il chose plus deshoneste [ce qui doit être: honeste'], plus noble et plus seigneuriale que la Libéralité!" (p. 28) ou „Tels passionez sans raison, ne me semblent meriter le non de nom [c'est-a-dire : „le nom de"] vrais et loyaux amans; ains de follatres insensez, et bestiaux amoureux" (p. 34). On découvre de belles maximes dans ce livre, par exemple celle de la p. 28 : „En toutes les choses de ce monde 1'excès est estimé vice, et la médiocrité vertu". Aussi une étude a part serait a faire sur Sebillet-moraliste. M. Frédéric Lachèvre2) dit que le recueil intitulé Discours de la Vie de Pierre de Ronsard, Oentil-homme l) Cf. Racine, Andromaque, II, 5 (vers 638): „Quelle foule de maux 1'amour traine 4 sa suite". *) Frédéric Lachèvre, Biblioqraphie des reeueils eollectifs de poésies du XVIe siècle, Paris, 1922, p. 255. * £*t 156 Vandomois, Prince des Poëtes Francois, Avec Une Eclogue repre'sentée en ses obsèques, par Claude Binet. Plus les vers composez par ledict Ronsard peu avant sa mort: Ensemble son tombeau recueilli de plusieurs excellens personnages, qui est de 1586 et que 1'on trouve a la Bibliothèque Nationale sous la cote Lu *' 17842, contieut une pièce francaise et une pièce latine signées par Thomas Sebillet. Voici cette epitaphe francaise qu'on rencontre a la p. 99 : . Tu as vescu, Ronsard, pour ton contentement Et pour ta gloire assez; en despit de 1'envie: Peu pour l'heur de ta France et pour son ornement, Trop pour le cruel mal qui bourrelle ta vie. La même p. 99 donne la poésie latine qui suit, et que nous citons paree que c'est, a notre connaissance, la seule fois que Sebillet a écrit en latin: Pet. Ronsardi, poetae Gallici eximij, mem. S. Actitet vere beatum Francia hocce seculum Quo fatus Ronsardus, isque stirpe clarus nobili, Nobilis splendore musae Franciam illustrat suam: Optimos aequans poëtas, quotquot olim Graecia, Quotquot et Latium tulit, tulitque nostra Gallia, Quin proeul post se relinquens, vera si Heet loqui. Singularis nee poëtae insignis uno nomine: Hoe sibi sed praeter omnes caeterosius vendicans; Ejus ex schola quod innumeri, perinde ac ex equo Trolo, Galli poëtae prodiere nobiles; Alta quorum nomen astra splendidum supervolat. Illius bustum, viator, sparge sacris floribus; Cycneis nisi novum pennis sepulchrum condere Mavelis: nam magnus hoe sub saxulo eyenus jacet. M. Gaiffe l) a déja' dit qu'en tête du Quatriesme livre de VEneide de Vergile, traduict en vers francoys. La complaincte de Bidon a Enée, prinse d'Ovide. Autres asuvres de Vinvention du translateur de J(oachim )D(u) B(ellay) ') Introduction, p. VI. 157 A(ngevin) se trouve un sonnet que Sebillet adresse a du Bellay. Ce sonnet, qui se lit a la p. 14 de l'édition de 1552, a ceci de remarquable que les tercets ont la disposition c d e—c e d. Le Mince enflë du vent de la doucine Chantant chez söy en ses accors parfais Armes, amours et leurs mortelz effais, Feit un grand lac pour baigner son grand Cyne. Le Tybre emeu de Ia douceur divine Hasta ses floz chenus et contrefais Pour la porter jusqu'aux peuples defais Par les Cesars, ou mer et terre fine. Loir Vandomois, deborde: enfle toy, Loire: Au tour d'Angiers baignez en lac nouveau Le Mantoüan Cyne en vous renaissant, Roidy ton cours, Seine, et porte la gloire Du sainct laurier a ta rive croissant Jusques aux bouts de la terre et de Peau. Je n'ai pas réussi a trouver d'autres poésies de Sebillet. B faut avouer que ce n'est pas un grand poète. Son Iphigénie mise a part, sa préoccupation est plütót de se rendre utile que d'être artiste; nous avons eu souvent 1'occasion de le constater. Jean Bicher, éditeur des Adviseivils, ne parle pas autrement; il a prié Sebillet de traduire le livre de Jean Francois Lotin. Pourquoi s'y est-il employé? C'est dans la dédicace „A Monseigneur Anne, Duc de Joyeuse, Pair et Amiral de France" qu'il donne la réponse a cette question : „suivant le desir que j'ay de profiter a ma patrie, selon ma petite puissance: de mon labeur et industrie y apporter tout ce que je puis, pour 1'avancement et contentement de nostre peuple Frangois". Lorsqu'il explique pourquoi il a traduit La vie dïApóttonius de Tyane de Philostrate, Sebillet ditx): „Tant est, Amys Lecteurs, que lisans son 2) histoire tele qu'elle est en ce ») Bibliothèque Nationale, Mss. fr. 1108, fol. 434 verso et 435 recto. *) d'Apollon le Tyanien. 12 158 Livte efierite par Philostrate (ores que ne Vouliez aioutter foy a Beaucoup de choses, qui vous pourront sembler plus miraculeuses que natureles) vous én pourrez tiret plaisir et proufit tel que je vous ay ey dessus déclaré: Mais plus de proufit (a mon advis) que de la lecture des Bommans de Htttra de Bordeaux, Perseferest, Lancelot du Lac, Miles ét Amis, V&tóntih et OröÖh, Galien Bestoré, Jean de Paris, Le petit CintréAihadis de Gaule, Palmerin d'Ölive, Giron le Courtois et autres semblables: Aux uns desquelz vöiiS iiè lirez qttê fablês sans fruit: aux autres vous remarquerez quelquë subtüitê d'invencion, succrée de mignardise de langage, sans en rapporter autre instruction. Et vraiement en cette description de la vie et fais d'Apollon, encores poüffêz-vous apprendre quelques trais et secrétz de Paneiënne PhÜosopbie et recongnoistre quelques signalées marqués de la vénérable antiquité. tflf toute tele qu'elle est en ce Langage frangois, auquel je 1'ay mise, recevez-la (frangois Lecteurs francz et debonnaires) et en iouissez a vostre aise, et plaisir ét eémmodité. Et si n'en póuvez receeillir autre fruit) au moins vous pourra-elle servir) et a la postérrité, p'óur vous faire efltendre et rémémdrer quel estoit) si non le plus pur, eu le plus affecté, au moins le plus aisé et plus cömmtinëment receti frangois idiorile, en la eourt du beü Henry second Boy de France) et en sa cour de parlement de Paris* du temps ëu'il regna : A Dieu !" Or'thögrapHié généralehiörit: (Jehatl flë) ëaiiitré. PEINOIFAUX QUVRAGES CONSULT ÉS. Barthelemy Aneau, Le Quintil Horatian sur la Deffence et Illustration de la langue francoyse. Lyon, 1556 (Bibl. Nat. Bés. Ye 1212). 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Maetus Boustan (Inleiding tot zijn uitgave van de Maximes van La Bochefotjcatjld) wil ten onrechte het pessimisme van La Bochefotjcatjld gelijkstellen met het christelijk pessimisme. VI. De uitspraak van Paul Souday in de Revue de Paris van 5 Augustus 1925 „La tragédie des connaisseurs me semble bien inférieure aux tragédies historiques de Corneille, a Cinna, même a Nicomède. Eacine est avant tout un grand peintre de 1'amour. Mais il n'y a dans Britannieus ni lyrisme ni pensée" steunt op min deugdelijke gronden. VIL Henby Chamard (1904) heeft de argumentatie van Emtle Eoy (1897) ter identificatie van den dichter, dien Joachim du Bellay bedoelt, als hij zegt (bl. 180) „qui n'a encores rien mis en lumiere soubz son nom" niet weerlegd. VIII. Max Bannee, Ueber den regelmassigen Weehsel mannlicher wad weiblicher Beime in der französischen Dichtung, beweert ten onrechte, dat Octovien de Saint-Gelais mannelijk en vrouwelijk rijm streng heeft doen afwisselen. IX. Aan de Nèderlandsche universiteiten bestaat geen opleiding voor leeraar. X. De tegenwoordige schriftelijke opgave van het Beindèxamen der hoogere burgerschool deugt niet als maatstaf voor de kennis van de vreemde taal.