OEUVRES COMPLÈTES DE MOLIÈRE OEUVRES COMPLÈTES MOLIÈRE PUBLIÉES AVEC DES INTRODUCTIONS ET DES NOTES PAR GUSTAVE COHEN DOCTETJR ÈS LETTRES PROFE8SEUR DE LITTËRATIJRE FRAN9AISE A L'UNIVERSITÉ DE STRASBOURG TOME 1 AMSTERDAM — S. L. VAN LOOY 192a Tous droits de reproduction et de traduction des Introductions et des notes réservés. Copyright * Ou que ce qu'il y tient s consis te en des papiers, II voudrait vous prier, ensuite de 1'instance 8 D'excuser de tantót son trop de violence, De lui prêter au moins pour ce dernier devoir... ANSELME Tu me 1'as'déja dit, et je m'en vais le voir. MASCARILLE teuf Jusques ici du moins tout va le mieux du monde. Tachons a ce progrès 8 que le reste réponde; Et, de peur de trouver dans le port un écueil, Conduisons le vaisseau de la main et de 1'ceil *. SCÈNE IV LÉLIE, ANSELME, MASCARILLE ANSELME Sortons, je ne saurais qu'avec douleur tres forte 10 1. Traiter, houorer par un don. Cf. p. 7 4 n. 3. 3. Et n'y voit pas encore trés clair. 3. Nous n'emploierions plus ce mot k propos d'un singulier, quoiquc ((bien» ait ici la valeur d'un collectif. 4. En ces parages. 5. Possède. 6. Après vous avoir prié d'excuser sa violence de tout k 1'heure (D). 7. Éd. de 168a et 173* (D). 8. A ce cours des cboses. 9. Veillons au grain, disons-nous encore, empruntant 1'argot des marins, ou menons bien notre barque. 10. Qu'avec une vive douleor. ACTE H, SCÈNE IV 89, Le voir empaqueté de cette étrange sorte 1. Las 2! en si peu de temps! il vivait ce matin! MASCARILLE En peu de temps parfois on fait Bien du chemin. LÉLIE plturant3 Ah! ANSELME Mais quoi? cher Lélie! enfin il était homme: On n'a point pour la mort de dispen se de Rome *. LÉLIE Ah! ANSELME Sans leur dire gare, elle abat les humains Et contre eux de tout temps a de mauvais desseins. LÉLIE Ah! ANSELME Ce fier 6 animal, pour 8 toutes les prières, Ne perdrait pas un coup de ses dents meurtrières: Tout le monde y passé. LÉLIE Ah! MASCARILLE Vous avez beau prêcher, Ce deuil enraciné ne se peut arracher. X. Manière. 3. Éd. de 1734. 4. Le célèbre mystique hollandais Thomas de Kempen a écrit, spirituellement,. dans sa Vallis liliorum: uNemo... impetrare potest a Papa bullam nunquam moriendi». (Anger ap. Despois, I, p. l4o, n. 3). La phrase avait dü se répandredans 1'École, oü Molière 1'aura recneillié. 5. Farouche, crnel. C'est le sens du latin uferua». 6. Malgré. 9° L'ÉTOURDI ANSELME Si, malgré ces raisons, votre ennui1 persévère, Mon cher Lélie, au moins, faites qu'il se modère. LÉLIE Ah! MASCARILLE II n'en fera rien, je connais son humeur. ANSELME Au reste, sur 1'avis de votre serviteur, J'apporte ici 1'argent qui vous est nécessaire Pour faire célébrer les obsèques d'un père... LÉLIE Ah! ah! MASCARILLE Comme a ce mot s'augmente sa douleur! 11 ne peut, sans mourir, songer a ce malheur. ANSELME Je sais que vous verrez aux papiers du bonhomme1 Que je suis débiteur d'une plus grande som me, Mais, quand par ces raisons je ne vous devrais rien, Vous pourriez librement disposer de mon bien. Tenez, je suis tout vótre, et le ferai paraitre. LÉLIE s'en allant Ah! MASCARILLE Le grand déplaisir8 que sent Monsieur mon maitre! ANSELME Mascarille, je crois qu'il serait a propos Qu'il me fit de sa main un regu de deux mots. 1. t(Ennui» a, comme ogêner», un sens trés fort dans la langue classique. Entendez: doulenr. 3. Par les titres qui étaient entre les mains de Monsieur votre pere. Le mot «bonhomme» n'avait alors rien d'ironique. Cf. supra, p. 38 n. 3 et Oeuvres de Descartes (éd. Adam et Tannery), t. XII, p. 483-4. 3. Le terme est aussi fort et k la même valeur qu'un peu plus haut <(ennui». ACTE U, SCÈNES IV et V 9* MASCARILLE Ah! ANSELME Des événements 1'incertitude est grande. MASCARILLE Ah! ANSELME Faisons-lui signer le mot que je demande. MASCARILLE Las! en 1'état qn'il est comment vous contenter? Donnez-lui le loisir de se désattrister, Et, quand ses déplaisirs 2 prendront quelque allégeance8, J'aurai soin d'en tirer d'abord votre assurance 4. Adieu: je sens mon coeur qui se gonfle d'ennui 5. Et m'en vais, tout mon saoul, pleurer avecque lui. Ah! ANSELME teul. Le monde est rempli de beaucoup de trayerses 8, Chaque homme tous les jours en ressent de diverses, Et jamais ici-bas... SCÈNE V PANDOLFE, ANSELME ANSELME Ah! bons dieux7! je frémi! Pandolfe qui revient! Füt-il bien endormi 8! Comme depuis sa mort sa face est amaigrie! Las! ne m'approchez pas de plus prés, je vous prie! J'ai trop de répugnance a coudoyér un mort. 1. Ouilest. a. Cf. p. 90, n. 3. 3. Quelque relache. 4. Votre reen. 5. Vide supra p. 90 n. 1. 6. Contrarie té*. Non» ne disons plus guère, en ce sens etau figuré, que se mettre a la traverse. 7. Cf. le «Au nom de Ju pi ter •> de plns bant (I, Tl); imitation de la comed ie antiqne. 8. Que ne s'est-il endormi tout de bon. io6 L'ETOURDI J'ai bien joué moi-méme un tour des plus adroits. JJ est vrai, je suis prompt, et m'emporte parfois; Mais pour tant, quand je veux, j'ai 1'imaginative 1 Aussi bonne, en effet, que personne qui vive, Et toi-même avoueras* que ce que j'ai fait part D'une pointe d'esprit oü peu de monde a part *. mascarille Sacbons donc ce qu'a fait cette imaginative. LÉLIE Tantót, 1'esprit ému d'une frayeur bien vive D'avoir vu Trufaldin avecque mon rival, Je songeais a trouver un remède a ce mal, Lorsque, me ramassant tout entier en moi-méme, J'ai concu, digéré, produit un stratagème Devant qui tous les tiens, dont tu fais tant de cas, Doivent, sans contredit, mettre pavillon bas*. MASCARILLE Mais qu'est-ce? lélie Ah! s'il te plait, donne-toi 6 patience J'ai donc feint une lettre avecque diligence, Comme d'un grand seigneur écrite a Trufaldin, Qui mande qu'ayant su, par un heureux destin, Qu'une esclave qu'il tient sous le nom de Célie Est sa fille, autrefois par des voleurs ravie, II veut la venir prendre, et le conjure au moins De la garder toujours, de lui rendre des soins0; Qu'a ce sujet il part d'Espagne, et doit pour elle Par de si grands présents reconnaitre son zèle, Qu'il n'aura point regret de causer son bonheur. MASCARILLE Fort bien. LÉLIE Ecoute donc, voici bien le meilleur: La lettre que je dis a donc été remise; i. L'imagination. 3. Trois syllabes. 3. D'une iinesse d'esprit qui n'est pas donnéc a tout le monde. 4. Baisser pavillon. 5. Prends. 6. De s'oceuper d'elle. ACTE n, SCÈNE XIV 107 Mais sais-tu bien comment? en saison si bien prise \ Que le porteur m'a dit que, sans ce trait falot *, Un homme 1'emmenait, qui s'est trouvé fort sot g. MASCARILLE Vous avez fait ce coup sans vous donner au diable? * LÉLIE Oui. D'un tour si subtil m'aurais-tu cru capable? Loue au moins mon adresse, et la dextérité Dont 'je romps d'un rival le dessein concerté. MASCARILLE A 8 vous pouvoir louer selon votre mérite, Je manque d'éloquence, et ma force est petite; Oui, pour bien étaler cet effort relevé, Ce bel exploit de guerre a nos yeux achevé, Ce grand et rare effet d'une imaginative Qui ne cède en vigueur a personne qui vive 7, Ma langue est impuissante, et je voudrais avoir Celles de tous les gens du plus exquis savoir, Pour vous dire en beaux vers, ou bien en docte prose, Que vous serez toujours, quoi que 1'on se propose, Tout ce que vous avez été durant vos jours, C'est-a-dire un esprit chaussé tout a rebours, TJne raison malade et toujours en débauche, Un envers 8 du bon sens, un jugement a gauche, Un brouillon, une béte, un brusque, un etourdi, Que sais-je? un... cent fois plus encor qne je ne di. C'est faire en abrégé votre panégyrique. LÉLIE Apprends-moi le sujet qui^contre moi te piqué *: Ai-)e fait quelque chose? Éclaircis-moi ce point. 1. A un si bon moment, si a propos. 1. Flaisant. 3. Qni s'est trouvé dnpé. 4. Sans vendre votre ame au diable (ironique). 5. Avec laquelle. 6. Pour. 7. Le valet reprend les termes mêmes dont s'est servi son maitre, ce qui rand plus comiqne la conclusion de la tirade. 8. Le contraire, g. T'excite. io8 L'ETOURDI MASCARILLE Non, vous n'avez rien fait; mais ne me suivez point. LÉLIE Je te suivrai partout, pour savoir ce mystère. MASCARILLE Oui? Sus donc, preparez vos jambes a bien faire \ Car je vais vous fournir de quoi les exercer. LÉLIE trui' II m'échappe. O malheur qui ne se peut forcer! Au discours qu'il m'a fait que saurais-je comprendre? Et quel mauvais office 8 aurais-je pu me rendre? 3. A bien jou er. Add. 1734. II se prodnit ici nn efiet de poursuite. Service. ACTE Hl, SCÈNE I 109 ACTE TROISIÈME SCÈNE I MASCARILLE seul J_ aisez-vous, ma bonté 1, cessez votre entretien: Vous êtes une sotte, et je n'en ferai rien. Oui, vous avez raison, mon courroux \ je 1'avoue; Relier tant de fois ce qu'un brouillon déuoue, C'est trop de patience, et je dois en sortir *, Après de si beaux coups qu'il a su divertir 8. Mais aussi, raisonnons un peu sans violence: Si je suis maintenant ma juste impatience, On dira que je cède a la difficulté; Que je me trouve a bout * de ma subtilité; Et que deviendra lors cette publique es time, Qui te vante partout pour un fourbe sublime, Et que tu t'es acquise en tant d'occasions, A ne t'ètre jamais vu court d'inventions? L'honneur, 6 Mascarille, est une belle chose: A tes nobles travaux ne fais aucune pause; Et, quoi qu'un maitre ait fait pour te faire enrager, Achève pour ta gloire, et non pour 1'obliger 6 Mais quoi! que feras-tu que de 1'eau toute claire? Traversé 4 sans repos par ce démon contraire, Tu vois qu'a chaque instant il te fait déchanter 7 Et que c'est battre 1'eau de prétendre arréter. 1. Parodie du style de la tragédie: ((Allons mon amen, etc. L'auteuranonyme de l'Histoire du po'tlte Sibus (publiée en 1661 et reproduite par E. Fournier, Variétés kisioriques et littèraires, t. VII p. 117) écrit: «Vous y verre/, [dans les tragédies] une personne parler a son bras et a sa passion, comme s'ils étaient ca pables de rentend re... Mettons la main sur la conscience: nous arrivé-t-il jamais d'apostropber ainsi les parties de notre corps?... Disons nous jamais : Pleurez, pieurez, mes yeux? non plus que: Mouchez, mouchez-vous mon nez? Ca, courage mespieds, allons-nous-en au Faubourg Saint-Germain ?» (D). Cette plaisante critiqne est en même temps une intéressan te lecon de vérité classiqne. 2. Quitter la partie. 3. Détourner, faire écbouer. 4. Au bont. 5. Vers de tragédie, bientdt suivi d'une vnlgarité. 6. Contrecarré. 7. Sortir de ton, manquer ton affaire. (Nous disons encore : II a déchanté, il a été décu). 1 ÏO L'ÉTOURDI Ce torrent effréné qui de tes artiiices Renverse en un moment les plus beaux édilices. Eb bien! pour toute grace, encore un coup du moins, Au hasard du succes sacrifions des soins 1; Et, s'il poursuit * encore k rompre notre cbance, J'y consens, ótons-lui toute notre assistance. Cependant notre affaire encor n'irait pas mal, Si par la nous pouvions perdre notre rival, Et que Léandre enfin, lassé de sa poursuite, Nous laissat jour entier s pour ce que je médite. Oui, ie roule en ma tête un trait ingénieux, Dont ie promettrais bien un succes glorieux, Si je puis n'avoir plus cet obstacle a combattre. Bon, voyons si son léu * se rend opiniatre. scène n LÉANDRE, MASCARILLE MASCARILLE Monsieur, j'ai perdu temps 5, votre homme se dédit. LÉANDRE De la chose lui-mème il m'a fait un récit; Mais c'est bien plus, j'ai su que tout ce beau mystère D'un rapt d'égyptiens, d'un grand seigneur pour père, Qui doit partir d'Espagne et venir en ces lieux, N'est qu'un pur stratagème, un trait facétieux, Une histoire a plaisir, un conté dont 6 Lélie A voulu détourner notre achat de Célie. MASCARILLE Voyez un peu la fourbe 7! LÉANDRE Et pourtant Trufaldin l. Sacrifions encore quelque effort k 1'incertitude du résultat. (Je suis donc ici le réimpression de 16S1) en omettant la virgule après «succes». 3. S'il persiste. 3. Une journee entiire. 4. Si son amour s'entêle. 5. J'ai perdu mon temps. 6. Grace anqucl. 7- Laruse. ACTE m, SCÈNE U. 111 Est si bien imprimé 1 de ce conté bad in, Mord si bien a l'appat de cette faible ruse, Qu'il ne veut point souifrir que 1'on le désabuse. MASCARILLE C'est pourquoi désormais il la gardera bien, Et je ne vois pas lieu d'y prétendre plus rien. LÉANDRE Si d'abord a mes yeux elle parut aimable, Je viens de la trouver tout a fait adorable, Et je suis en suspens * si, pour me 1'acquérir, Aux extrêmes moyens 3 je ne dois point courir, Par le don de ma foi * rompre sa destinée, Et cbanger ses liens s en ceux de 1'hyménée. MASCARILLE Vous pourriez 1'épouser! LÉANDRE Je ne sais; mais enfin, Si quelque obscurité se trouve en son destin, Sa grace et sa vertu sont de douces amorces Qui, pour tirer 7 les coeurs, ont d'incroyables forces. MASCARILLE Sa vertu, dites-vous? LÉANDRE Quoi? que murmures-tu? Acbève, explique-toi sur ce mot de vertu. MASCARILLE Monsieur, votre visage en un moment s'altère, Et je ferai bien mieux peut-être de me taire. LÉANDRE Non, non, parle. 1. Fénétré. i. Je me demande si. 3. Si je ne dois pas recourir aux moyens extrêmes. 4. En 1'épousant. 5. Changer les liens de la serritude en ceux du mariage. 6. Appas. 7. Attirer. 112 L'ETOURDI MASCARILLE Eh bien donc! trés charitablement Je vous veux retirer de votre aveuglement. Cette fille... LÉANDRE Poursuis. MASCARILLE N'est rien moins qu'inhumaine1; Dans le particulier elle oblige saus peine *, Et son coeur, croyez-moi, n'est point roche, après tout, A quiconque la sait prendre par le bon bout. Elle fait la sucrée, et veut passer pour prude; Mais je puis en parler avecque certitude: Vous savez que je suis quelque peu d'un métier ' A me de voir connaitre en un pareil gibier*. LÉANDRE Célie... MASCARILLE Oui, sa pudeur n'est que franche grimace, Qu'une ombre de vertu qui garde mal la place, Et qui s'évanouit, comme 1'on peut savoir, Aux rayons dn soleil qu'une bourse fait voir 6. LÉANDRE Las! que dis-tu? Croirai-je un discours de la sorte? MASCARILLE Monsieur, les volontés sont libres: que m'importe? Non, ne me croyez pas, suivez votre dessein, Prenez cette maloise 8, et lui donnez la main; Toute la ville en corps reconnaitra ce zèle, Et vous épouserez le bien public en elle 7. 1. Insensible. 2. En son privé, elle a des complaisances. 3. Les valets de comédie sont tous, plus ou moins, un peu entremettenrs. 4. En pareil sujet. (C'est le sens qne ce mot a aussi dans Montaigne quand il dit: «1'histoire c'est mon gibier» (I, 24)). 5. Allusion an soleil k huit rayons au dessus de la couronne, sur les écus d'or de France de Lonis XI k Lou is XIII inclnsivement. On les appelait écus au soleil. Cf. Le Blanc, Traité historigue des monnaies de France, p. 3o5 (D). 6. Prenez cette rnsée et offrez Ini votre main. 7. L'allusion est aussi fine qn'évidente: Célie a été, insinne-t-il,: „ un bien public. n8 L'ETOURDI MASCARILLE, bas, i JWtit Doucement. LÉLIE Hem! que veux-tu conter? MASCARILLE a part Ah le doublé bonrreau, qui me va tout gater, Et qui ne comprend rien, quelque signe qu'on donne1 LÉLIE Vous rêvez bien, Léandre, et me la baillez bonne *. II n'est pas mon valet? LÉANDRE Pour quelque mal comtnis Hors de votre service il n'a pas été mis? LÉLIE Je ne sais ce que c'ests. LÉANDRE Et, plein de violence, Vous n'avez pas chargé son dos avec outrance *? LÉLIE Point du tout. Moi? 1'avoir chassé, roué de coups? Vous vous moquez de moi, Léandre, ou lui de vous. MASCARILLE a part' Pousse, pousse, bourreau; tu fais bien tes affaires! LÉANDRE u Mascarille Donc les coups de baton ne sont qu'imaginaires? MASCARILLE II ne sait ce qu'il dit; sa mémoire... LÉANDRE Non, non, Tous ces signes pour toi ne disent rien de bon; s. Qu'on fassp. I. Et m'en voulp* contpr. 3. Je ne sais dp quoi il retourne. 4. Vous ne 1'avpz pas battn i outrance. 5. Cette rnbrique et la suirante viennent de 1'éd. de 1734. ACTE UT, SCÈNES IV et V »'9 Oui, d'un tour délicat1 mon esprit te soupconne; Mais pour Pinvention, va, je te la pardonne: C'est bien assez pour moi qu'il m'ait * désabusé, De voir par quels motifs tu m'avais imposé 3, Et que, m'étant commis * a ton zêle hypocritê, A si bon compte encor je m'en sois trouvé quitte. Ceci doit s'appeler un avis au lecteur. Adieu, Lélie, adieu: trés hnmble serviteur. SCÈNE V6 LÉLIE, MASCARILLE MASCARILLE Courage, mon garcon! tout beur 6 nous accompagne: Mettons flamberge au vent7, et bravoure en campagne; Faisons VOlibrius, Yocciseur d'innocents9. LÉLIE U t'avait accusé de discours médisants Contre... MASCARILLE Et vous ne pouviez souflrir mon artifice, Lui laisser son erreur> qui vous rendait service, 1. D'une ruse. i. Éd. i68a. Les autre» ont: m'a. 3. Trompe. 4. Confié. 5. C'e»t 1'éd. de 1734 qui fait, de ce qui »uit, la scène V. 6. Du latin afujgurium, d'oü dérivent aussi umal-henr» et «bon-beur». II tant entendre ici «cbance». 7. Tirons 1'épée. 8. Dans nn drame religieux VOrdo Rachelit un soldat executant au nom d'Hérode le Massacre des Innocents dit a 1'un d'eux, en le tuant, «Enfant, apprends i mourir». Les bonrreanx des Mystèrcs du moyen-ige se distinguent par leur ferocité et leur grossièreté surtout a 1'égard des petits enfant», des Saint» et de Jésus, qu'il» torturent. L'un de ce» «valets» se définit fort bien lui-même dans le Mvstere des Actes des Apotres (Paris, Nic. Cqusteau, 153;, livre IV, fol. 34 v°): C'est Daru, Bon pendeur et bon escorcbeur, Bien bruslant homme, bon trenchenr. Cf. G. Cohen, Hittoire de la Mise en icêne dans le ihi&tre religieux francait du moyen-age, (Paris, H. Champion, 1906, in 8°, pp. 5o et 268). Olibrins est un de ces bourreaux dan» le Mystère de Sainte Marguerite et ce n'eat pa» le seul souvenir de la scène médiévale qne nous retrouvions en plein XVII» siècle. 128 L'ÉTOURDI S'il faut pour 1'obtenir que tes genoux j'embrasse, Vois-moi... MASCARILLE Tarare1! Allons, camarades, allons: J'entends venir des gens qui sont sur nos talons. SCÈNE XLU LÉANDRE et sa suite, masqués; TRUFALDIN LÉANDRE Sans bruit! ne faisons rien que de la bonne sorte TRUFALDIN Quoi! masques toute nuit3 assiégeront ma porte! Messieurs, ne s*agnez point de rbumes a plaisir; Tout cerveau qui le fait est eer tes de loisir*: B. est un peu trop tard pour enlever Célie; Dispensez-l'en ce soir, elle vous en supplie: La belle est dans le lit8, et ne peut vous parler; J'en suis iaché pour vous; mais, pour vous régaler 6 Du souci qui pour elle ici vous inquiète, Elle vous fait présent de cette cassolette 7. LÉANDRE Fi! cela sent mauvais, et je suis tout ga.té8. Nous sommes découverts, tirons * de ce cóté. 1. Nous dirions aujourd'hui familièrement: tatata. 3. De Ia bonne manière. 3. Des masques toute la nuit. 4. Tout cerveau qui aime les rhumes a du temps a perdre. 5. Au lit. 6. Vous indemniser. 7. Ou devine ce que peut contenir la ((cassolette)) que Trufaldin leur vide eur la tête. Même incident grossier dans le Dom Japhet d'Arménie de Scarron (IV, Tl), mais celui-ei insiste davantage. II fallait bien amuser un parterre de 8. Sonillé. 9. Fujons. ACTE IV, SCÈNE I 129 ACTE QUATRIÈME SCÈNE I déguisé en Arménien1-, MASCARILLE MASCARILLE fagoté 8 d'une plaisante sorte! LÉLIE Tu raniraes par la mon espérance morte. MASCARILLE Toujours de ma colère on me voit revenir; J'ai beau jurer, pester, je ne m'en puis tenir *. LÉLIE Aussi crois, si jamais je suis dans la puissance, Que tu seras content de ma reconnaissance, Et que, quand je n'aurais qu'un seul morceau de pain... MASCARILLE Baste! songez a vous dans ce nouveau dessein. Au moins, si 1'on vous voit commettre une sottise, Vous n'imputerez plus 1'erreur a la surprise: Votre róle, en ce jeu, par cceur doit être su. LÉLIE Mais comment Trufaldin chez lui t'a-t-il regu? MASCARILLE D'un zèle simulé j'ai bridé * le bon si re; Avec empressement je suis venu lui dire, S'il ne songeait a lui, que 1'on le surprendrait, Que 1'on couchait en joue, et de plus d'un endroits, Celle dont il a vu qu'une lettre en avance 1. Rubrique de 1734. a. Attifé d'une pulsante maniere (s'em ploie enpore dans le sens de mal habilM). 3. Je ne puis m'en empécher. 4. Dupe. uSire» (senior) est 1'ancien cas sujet du vieux francais, correspondant au cas régime «seigneur» (seniórem). II ne s'emploie plus qu'en apoetropbant un souverain ou dans certaines expressions: un pauvre sire. 5. La rime est en «è» et parfaitement conforme a la prononciation du temps. 9 LELIE, ous voila •i3o L'ETOURDI Avait si faussement divulgué la naissance; Qu'on avait bien voulu m'y mèler quelque peu; Mais que j'avais tiré mon epingle du jeu, Et que, toucbé1 d'ardeur pour ce qui le regarde, Je venais 1'avertir de se donner de garde De la, moralisant, j'ai fait de grands discours Sur les fourbes * qu'on voit ici-bas tous les jours; Que, pour moi, las du monde et de sa vie infame, Je voulais travailler au salut de mon ame, A m'éloigner du trouble, et pouvoir longuement Prés de quelque honnéte homme être paisiblement; Que, s'il le trouvait bon, je n'aurais d'autre envie 'Que de passer chez lui le reste de ma vie; Et que même a tel point il m'avait su ravir, Que, sans lui demander gages * pour le servir, Je mettrais en ses'mains, que je tenais certaines8, Quelque bien de mon père et le fruit de mes peines, Dont, avenant • que Dieu de ce monde m'ótat, J'entendais tout de bon que lui seul héritat. C'était le vrai moyen d'acquérir sa tendresse, Et comme, pour résoudre avec votre maitresse Des biais qu'on doit prendre a terminer vos voeux, Je voulais en secret vous aboucher tous deux ■", Lui-même a su m'ouvrir une voie assez beUe De pouvoir hautement vous loger avec eUe, Venant m'entretenir d'un fils privé du jour8, Dont, cette nuit, en songe, il a vu le retour. A ce propos, voici 1'histoire qu'il m'a dite, Et sur qui j'ai tantót notre fourbe construite 9. LÉLIE C'est assez, je sais tout: tu me 1'as dit deux fois. 1. Pénétré. 2. De prendre garde. 3. Ru ses. 4. De gages. 5. Que je tenais pour süres. 6. S'il arrivait. 7. Comme pour Teilier anx. moyens de réaliser vos voeux, je voulais vous rapprocher. 8. Mort. 9. Sur laquelle j'ai aussitót bati notre ruse... On remarquera un accord du participe tres nsnel en ancien francais et d'oü dérive d'ailleurs 1'usage actuel. Voyel a ce sujet la Syntaxe historique du francais de Sneydera de Vogel (Groningue, "Wolters, 1919, in 8°, p. ao3—208). ACTE IV, SCÈNE I i3i MASCARILLE Oui, oui, mais, quand j'aurais passé jusques a trois, Peut-être encor qu'avec toute sa suffisance \ Votre esprit manquera dans quelque circonstance. LÉLIE Mais a tant différer je me fais de reffort *. MASCARILLE* Ah! de peur de tomber, ne courons pas si fort! Voyez-vous, vous avez la caboche un peu dure: Rendez-vous affermi dessus cette aventure*. Autrefois Trufaldin, de Naples est sorti, Et s'appelait alors Zanobio Buberü\ Un parti qui causa quelque émeute civile, Dont il fut seulement soupconné dans sa ville 3 (De fait, il n'est pas homme a troubler un Ëtat) L'obligea d'en sortir une nuit sans éclat6. Une fille fort jeune et sa femme laissées 7 A quelques pas de la se trouvant trépassées, JJ en eut la nouveUe, et, dans ce grand ennui8, Voulant dans quelque ville emmener avec lui, Outre ses biens, 1'espoir qui restait de sa race, Un sien fils, écolier, qui se nommait Horace, B. écrit a Bologne, oü, pour mieux être instruit, Un certain maitre Al bert, jeune, 1'avait conduit; Mais, pour se joindre tous, le rendez-vous qu'il donne, Durant deux ans entiers, ne lui fit voir personne; Si bien que, les jugeant morts après ce temps-la, 11 vint en cette ville, et prit le nom qu'il a, Sans que, de cet Albert, ni de ce fils Horace, Douze ans aient découvert jamais la moindre tracé. Voila l'histoire en gros, redite seulement Afin de vous servir ici de fondement. 1. Capacité, science. 2. Je souffre. 3. Pendant ce long récit, par nn jen de scène traditionnel, et qnand il s'agit de Molière, la tradition orale dn théatre francais n'est point négligeable, Lélie, distrait, joue avec ses manches et sa ceinture. Mascarille, surtout interprété par Coquelin, le réveille par de brusques éclats de voix, qui animent d'ailleurs un peu le long récit. 4. II faut être sur de vous en cette aven tu re. 5. Et dont on le soupconna d'ètre. 6. Sans bruit.. 7- Quittées. 8. Chagnn. i3i L'ETOURDI Maintenant, vous serez un marchand d'Armenië, Qui les aurez vus saius, 1'un et 1'autre, en Turquie. Si j'ai, plutót qu'aucun \ un tel moyen trouvé, Pour les ressusciter sur ce qu'il a rêvé *, C'est qu'en fait d'aventure il est trés ordinaire De voir gens pris sur mer par quelque Turc corsaire, Puis être a leur familie, a point nommé, rendus, Après quinze ou vingt ans qu'on les a crus perdus. Pour moi, j'ai vu déja cent contes de la sorte. Sans nous alambiquer *, servons-nous-en; qu'importe? Vous leur aurez ouï leur disgrace * conter, Et leur aurez fourni de quoi se racbeter s; Mais que parti plus tót, pour chose nécessaire °, Horace vous chargea de voir ici son père, Dont il a su le sort, et chez qui vous devez Attendre quelques jours qu'ils seraient7 arrivés. Je vous ai fait tantót des lecons étendues 8. LÉLIE Ces répétitions ne sont que superflues: Dès 1'abord 9 mon esprit a compris tout le fait. MASCARILLE Je m'en vais la dedans donner le premier trait10. LÉLIE Ecoute, Mascarille, un seul point me chagrine: S'il allait de son fils me demander la mine? MASCARILLE Belle difficulté! Devez-vous pas11 savoir Qu'il était fort petit alors qu'il 1'a pu voir? Et puis, outre cela, le temps et 1'esclavage Pourraient-ils pas avoir changé tout son visage? i. De préférence a tout autre moyen. 3. Peu après qu'il lea a rev us v ivants en songe. 3. Sans nous mettre martel en téte, sans chercher plus loin, sans plus rafliner. V Leurs malheurs. 5. Payer leur rancon. 6. Mais vous direz que comme vous deviez partir avant pour affaire urgente. Horace etc. 7. Soient. 8. Je vous ai tout k 1'heure stylé dans le détail. 9. Au premier abord, aussi tot. 10. Je m'en vais entamer 1'intrigue. 11. Ne devez-vous pas. ACTE IV, SCÈNE I i33 LÉLIE JJ est vrai; Mais dis-nioi, s'il connait qu'il m'a vu \ Que faire? MASCARILLE De mé moiré êtes-vous dépourvu? Nous avons dit tantót qu'outre que votre image N'avait dans son esprit pu faire qu'un passage, Pour ne vous avoir vu que durant un moment, Et le poil* et 1'habit déguisaient grandement. LÉLIE Fort bien. Mais, a propos, cet endroit de Turquie...? MASCARILLE Tout, vous dis-je, est égal, Turquie ou Barbarie *. LÉLIE Mais le nom de la ville oü j'aurai pu les voir? MASCARILLE Tunis. II me tiendra, je crois, jusques au soir! La répétition, dit-il, est inutile, Et j'ai déja nommé douze fois cette ville. LÉLIE Va, va-t'en commencer; il ne me faut* plus rien. MASCARILLE Au moins, soyez prudent, et vous conduisez 5 bien; Ne donnez point ici de 1'imagiiiative 8. LÉLIE Laisse-moi gouverner''. Que ton ame est craintive. MASCARILLE Horace dans Bologne écolier, Trufaldin Zanobio Ruberti, dans Naples citadin, Le précepteur Albert... 1. S'ilmereconnait. 3. Les Etats Barlraresques: Tunisie, Algérie, Maroc. 4. II ne me manque plus rien. 5. Condniaet-Tons bien. 6. Ne laissez pas agir votre imagination. 7. Faire. .34 L'ETOURDI LÉLIE Ah! c'est me faire honte Que de me tant prècher! Suis-je un sot, a ton compte1? MASCARILLE Non, pas du tout; mais bien quelque chose approchant2. SCÈNE II' LELIE, seul Quand il m'est inutile, il fait le chien couchant; Mais, paree qu'il sent bien le secours qu'il me donne, Sa familiarité jusque-la s'abandonne. Je vais être de prés éclairé des beaux yeux Dont la force m'impose un joug si précieux; Je m'en vais sans obstacle, avec des traits de flamme, Peindre a cette beauté les tourments de mon ame: Je saurai quel arrêt je dois...4 Mais les voici. SCÈNE LU TRUFALDIN, LÉLIE, MASCARILLE TRUFALDIN Sois béni, jus te Ciel, de mon sort adouci! MASCARILLE C'est a vous de rêver et de faire des songes, Puisqu'en vous il est faux que songes sont mensonges. TRUFALDIN a Lelie* QueUe grace, quels biens 8 vous rendrai-je, Seigneur, Vous, que je dois nommer 1'ange de mon bonheur? LÉLIE Ce sont soms superflus, et je vous en dispense. 1. Selon toi; me prends-tu pour un sot? 3. Dans la Emilia (II, i), trad. fr. 1609 (f° 52 r°), 1'esclave Flaviaonblie aussi Ie róle qne vent lui faire jouer Crisoforo (D). Nous dirions: icd'approchan t». 3. L'introduction d'une scène nouvelle ici appartient k 1'éd. de 1734. 4. Je dois attendre. 5. Cette indication et la suivante, u Mascarille, sont de 1734. 6. Bienfaits, bons offices. Cf. Mad. de Sévigné, t. VI, p. 3? 1 : <(U est comblé des biens et des manières obligeanles de M. de Vardes». (D). ACTE IV, SCÈNE IV i3g Un rebut de 1'Egypte, nne fille coureusé, De qui le noble emploi n'est qu'un métier de gueuse? J'en ai rougi pour vous encor plus que pour moi, Qui me trouvé compris dans 1'éclat1 que je voi. Moi, dis-je, dont la lille, a vos ardeurs promise, Ne peut, sans quelque afiront, soufFrir qu'on la méprise. Ah! Léandre, sortez de cet abaissement! Ouvrez un peu les yeux sur votre aveuglement. Si notre esprit n'est pas sage a toutes les heures, Les plus courtes erreurs sont toujours les meüleures. Quand on ne prend en dot que la seule beauté, Le remords est bien pres de la solennité2, Et la plus belle femme a tres peu de défense Contre cette tiédeur qui suit la jouissance. Je vous le dis encor, ces bouillants mouvements, Ces ardeurs de jeunesse et ces emportements Nous font trouver d'abord quelques nuits agréables; Mais ces félicités ne sont guère durables, Et notre passion, alentissant son cours, Après ces bonnes nuits donne de mauvais jours: De la viennent les soins, les soucis, les misères, Les fils déshérités par le courroux des pères. LÉANDRE Dans tout votre discours je n'ai rien éconté Que mon esprit déja ne m'ait représenté. Je sais combien je dois a cet honneur insigne Que vous me voulez faire, et dont je suis indigne; Et vois, malgré relfort dont je suis combattu8, Ce que vaut votre fille et quelle est sa vertu: Aussi veux-je tacher... ANSELME On ouvre cette por te: Retirons-nous plus loin, de crainte qu'il n'en sorte Quelque secret poison dont vous seriez surpris. l. Impliqué dans le scandale. a. Du mariage. On a ici un exposé de la pensee fbncière de la bourgeoisie francaise snr Ie mariage de convenance, sur le mariage de raison, sur le mariageétablissement, tel qu'il se pratique trés généralement au XVIIe siècle et souvent de nos jours. La créa'tion d'une celluie sociale, en est 1'élément essentiel plutót que la passion. 3. Malgré un combat intérieur. i4o L'ETOURDI SCÈNE V LÉLIE, MASCARILLE MASCARILLE Bientdt de notre fourbe on verra le débris \ Si vous continuez des sottises si grandes. LÉLIE Dois-je éternellement ouïr tes réprimandes? De quoi te peux-tu plaindre? Ai-je pas réussi En tout ce que j'ai dit dep ais? MASCARILLE Couci-couci *. Témoin les Turcs par vous appelés hérétiques, Et que vous assurez, par serments authentiques, Adorer pour leurs dieux la lune et le soleil: Passé. Ce qui me do nne un dépit non pareil, C'est qu'ici votre amour étrangement s'oublie Prés de Célie: il est ainsi que * la bouillie, Qui par un trop grand feu s'enfle, croit jusqu'aux bords, Et de tous les cötés se répand au dehors. LÉLIE Pourrait-on se forcer a plus de retenue? Je ne 1'ai presque point encore entretenue. MASCARILLE Oui, mais ce n'est pas tout que de ne parler pas: Par vos gestes, durant un moment de re pas, Vous avez aux soupcons donné plus de matière Qne d'autres ne feraient dans une année entière. LÉLIE Et comment donc? MASCARILLE Comment? Chacun a pu le voir *. l. L'avortement (D). 3. II en est comme de. ^ ' 4. Le passage est imité de l'Angelica, III, ra (D). ACTE IV, SCÈNE V t4i A table, oü Trufaldin 1'obligë de se seoir \ r, Vous n'avez toujours fait qu'avoir les yeux sur elle. Rouge, tout interdit, jouant de la prune Ile, Sans prendre jamais garde a ce qu'on tous serrait, Vous n'aviez point de soif qu'alors qu'elle buvait; Et dans ses propres mains tous saisissant du verre, Sans le Touloir rincer, sans rien jeter a terre, Vous buTiez sur son reste, et montriez d'affecter 9 Le cóté qu'a sa boucbe elle avait su por ter; Sur les morceaux toucbés de sa main délicate, Ou mordus de ses dents, tous étendiez la patte Plus brusquement qu'un chat dessus 3 une souris, Et les ava liez tout ainsi que des pois gris *. Puis, outre tout cela, vous faisiez sous la table Un bruit, un triquetrac5 de pieds insupportable, Dont Trufaldin, neurté de deux coups trop pressants, A puni par deux fois deux chiens trés innocents, Qui, s'ils eussent osé, vous eussent fait querelle. Et puis après cela votre conduite est belle? Pour moi, j'en ai souffert la gêne 4 sur mon corps. Malgré le froid, je sue encor de mes efforts. Attaché dessus3 vous comme un joueur de boute Après le mouvement de la sienne qui roule 7, Je pensais re ten ir toutes vos ac tions, En faisant de mon corps mille contorsions. LÉLIE Mon Dieu! qu'il t'est aisé de condamner des choses Dont tu ne ressens point les agréables causes! Je veux bien néanmoins, pour te plaire nne fois, Faire force 8 a 1'amour qui m'impose des lois. Désormais... 1. Des'asseoir. 1. Et atïectiez de choisir («montriez», deux syllabes). 3. Sur. naire de L'Académie, i6g4) (D). 5. Trictrac: «un menar di piedi sotto la tavola» etc. (L'Angelica, III,m)(D) 6. La torture. 7. Joliecomparaison, peut-etreinspiréede Rabelais, Pantagruel, Quart Livre ch. XX (D). 8. Faire violence. 142 L'ETOURDI SCÈNE VI LÉLIE, MASCARILLE, TRUFALDIN MASCARILLE Nous parlions des fortunes d'Horace. TRUFALDIN Cest bien fait1. (A Lélie *.) Cependant me feriez-vous la grace Que je puisse lui dire 3 un seul mot en secret? LÉLIE II faudrait autrement être fort indiscret. (Lélie entre dans la maison de Trufaldin.) SCÈNE VII4 TRUFALDIN, MASCARILLE TRUFALDIN Ecoute, sais-tu bien ce que je viens de faire? MASCARILLE Non, mais, si vous voulez, je ne tarderai guère, Sans doute, a le savoir. • TRUFALDIN D'un cbène grand et fort Dont prés de deux cents ans ont fait déja le sort, Je viens de détacher une branche admirable, Choisie expressément de grosseur raisonnable, Dont j'ai fait sur-le-champ, avec beaucoup d'ardeur, (II montre son bras.) Un baton a peu prés... oui, de cette grandeur, Moins gros par 1'un des bouts, mais, plus que trente gaules Propre, comme je pense, a rosser les épaules, Car il est bien en main, vert, noueux, et massif. l. Fort bien. 3. Cette indication et la snivante appartiennent k 1'éd. de 1734. 3. De me permettre de lni dire. 4. Séparation de scène dne k 1'éd. de 1734. k laquelle j'emprunte aussi le IL montre son bram, qni est (Tailleurs déja dans 1'éd. de 1683. ACTE IV, SCÈNE VH 143 MASCARILLE Mais pour qui, je vous prie, un tel préparatif? TRUFALDIN Pour toi, premièrement; puis pour ce bon apótre, Qui veut m'en donner d'une, et m'en jouer d'une autre "> Pour cet Arménien, ce marchand déguisé, Introduit sous 1'appat d'un conté supposé. MASCARILLE Quoi? vous ne croyez pas...? TRUFALDIN Ne cherche point d'excuse: Lui-méme heureusement a découvert sa ruse, Et, disant k Célie, en lui serrant la main, Que pour elle il venait sous ce prétexte vain, II n'a pas apercu Jeannette, ma fillole 2, Laquelle a tout ouï, parole pour parole *; Et je ne doute point, quoiqu'il n'en ait rien dit, Que tu ne sois de tout le complice maudit. MASCARILLE Ah! vous me faites tort. S'il faut qu'on vous affronte* Croyez qu'il m'a trompé le premier k ce contée. TRUFALDIN Veux-tu me faire voir que tu dis vérité •? Qu'a le chasser mon bras soit du tien assisté: Donnons-en k ce fourbe et du long et du large 7, Et de tout crime après mon esprit te décharge. MASCARILLE O ui-da, trés volontiers, je 1'épousterai 8 bien, 1. Qui veut me donner Ie change. i. c.Toute la cour dit fdleul et filleule, et toute la ville fillol etfiUole.» (Vaugelas, Remarqua sur la langue francoise) (D). 3. Mot pour mot. 4. Si réellement on vous fait cet affront. 5. Far ce conté. 6. Que tu dis la vérité. 7. Et en long et en large. 8. Je 1'époussetterai. i44 L'ETOURDI Et par lk vous verrez que je n'y trempe en rien. (A part \) Ah! vous serez rosse, Monsieur de 1'Armenië, Qui toujours gatez tout! scène vm LÉLIE, TRUFALDIN, MASCARILLE TRUFALDIN & Lélie, après avoir heurté & sa porie Un mot, je vous supplie. Donc, Monsieur 1'imposteur, vous osez aujourd'hui Duper un honnête homme, et vous jouer de lui? MASCARILLE Feindre avoir vu son fils en une autre contrée, Pour vous donner chez lui plus aisément entree! TRUFALDIN bat Lélie Vidons, vidons2 sur 1'heure! LELIE u Mascarille, qui le bat aussi Ah! coquin! MASCARILLE C'est ainsi Que les fourbes... LÉLIE Bourreau! MASCARILLE Sont ajustés icis. Gardez-moi bien cela. LÉLIE Quoi donc! je serais homme... MASCARILLE le battant toujours en le chassant Tirez, tirez*, vous dis-je, ou bien je vous assomme! 1. Cette indication et les sept suivantes viennent de 1'éd. de 1734, qui semble bien nne fois de plus «Toir suivi la tradition orale de la Maison de Molière i laqnelle on pent d'antant plns se fier qn'on était plus prés de la mort du Maitre. Mais que ces «batteries» sont donc encore loin du grand art qn'il atteindra. 3. Vidons les lieux. 3. Sont arrangés ici. 4. Retirez-vous, fuyez. i56 L'ÉTOURDI MASCARILLE Moi souis ein criant t'honneur, moi non point Maquerille Cbai point fentre chamais le fame ni le fille ». LÉLIE Le plaisant baragouin 2! il est bon, sur ma foi! MASCARILLE Allez fous pourmener, sans toi rire te moi s. LÉLIE Va, va, léve le masqué, et reconnais ton maitre MASCARILLE Partieu, tiable, mon foi! chamais toi cbai connaitre*. LÉLIE Tout est accommodé s, ne te déguisé point. MASCARILLE Si toi point t'en aller, che paille ein coup te poing «. LÉLIE Ton jargon allemand est superflu, te dis-je; Car nous sommes d'accord, et sa bonté m'oblige: Pai tout ce que mes voeux lui pouvaient demander, Et tu n'as pas sujet de rien appréhender. MASCARILLE Si vous êtes d'accord par un bonheur extréme, Je me dessuisse 7 donc, et redevieris moi-méme. i. Je suis homme d'honneor et non m.... Je n'ai jamei» vendu ni femme ni fille. L'abominahle jen de mot qne fait le valet sur son propre nom s'expl ique par le fait que Vê devant consonne ne se prononcait pas et que le Parisien pas plus au XVII* qn'au XV* siècle ne distinguait bien entre er et ar. «Place Maubartn, écrit certain scribe vers i47o. a. Dn breton bara, pain etgtrin, vin. Baragouin = bas-bretnn. langage incompréhensible pour le Francais comme le haut-aLlemand dans Rabelais. 3. Allei vous promener, sans vous moquer de moi. 4. Par Dieu et le diable, ma foi, je ne te connais point. 6. Si tu ne t'en vas point, je te baille un coup de poing. 7. Auger rapproche celle plaisante formation de ces deux versd'Amnhitrvon (III, vu): 1 J ... L'on me des-sosie enfin Comme ou vous dés-amphitryonne. ACTE V, SCÈNES VU, VUT et IX i57 ANDRÈS Ce valet vous servait avec beaucoup de feu: Mais ie reviens a vous, demeurez quelque peu. scène vin1 LÉLIE, MASCARILLE LÉLIE Eh bien, que diras-tu? MASCARILLE Que j'ai 1'ame ravie De voir d'un beau succes notre peine suivie. LELIE Tu feignais 2 a sortir de ton déguisement, Et ne pouvais me croire en cet événement. MASCARILLE Comme je vous connais, j'étais dans 1'épouvante, Et trouve 1'aventure aussi fort surprenante. LÉLIE Mais confesse qu'enfin c'est avoir fait beaucoup; Au moins j'ai réparé mes fautes a ce coup, Et j'aurai cet honneur d'avoir fini 1'ouvrage. MASCARILLE Soit, vous aurez été bien plus heureux que sage. scène ix CÉLIE, MASCARILLE, LÉLIE, ANDRÈS ANDRÈS N'est-ce pas la 1'objet dont vous m'avez parlé? LÉLIE Ah! quel bonheur au mien pourrait être égalé? i. SubdiTirioii introdnite per 1'éd. de 1734. Cf. L'Inavvertito, IV, eeine XYl(D). a. Tuhésitais. i58 L'ETOURDI ANDRÈS II est vrai, d'un bienfait ie vous suis redevable: Si ie ne 1'avouais, je serais condamnable; Mais enfin ce bienfait aurait trop de rigueur, S'il fallait le payer aux dépens de mon cceur. Jugez, dans1 le transport oü sa beauté me jette, Si je dois, a ce prix, vous acquitter* ma dette; Vous êtes généreux, vous ne le voudriez* pas: Adieu pour quelques jours: retournons sur nos pas. SCÈNE X* LÉLIE, MASCARILLE MASCARILLE Je ris, et toutefois je n'en ai guère en vie. Vous voila bien d'accord, il vous donne Célie, Et..., vous m'entendez bien. LÉLIE C'est trop: je ne veux plus le demander pour moi de secours superflus; Je suis un chien, un traitre, un bourreau détestable, Indigne d'aucun soin, de rien faire incapable 6! Va, cesse tes efforts pour un malencontreux Qui ne sauroit souflrir que 1'on le rende heureux. Après tant de malheurs, après mon imprudence, Le trépas me doit seul prêter son assistance. SCÈNE XI MASCARILLE, seul Voila le vrai moyen d'achever son destin; II ne lui manque plus que de mourir enfin, Pour le couronnement de toutes ses sottises. Mais en vain son dépit pour ses fautes commises 1. Éd. 168a: J. doncle... 3. M'acquilter de. 3. Deux syllabes. 4. Scène X de 1'éd. i734, k qui appartient aussi Ia transformation du monologue de Mascarille en scène XI (D). • 5. Incapable de faire quoi que ce soit. ACTE V, SCÈNES XI et XII ibct Lui fait licencier1 mes soins et mon appui: Je veux, quoi qu'il en soit, le servir malgré lui, Et dessus son lutin 9 obtenir la victoire. Plus 1'obstacle est puissant, plus on recoit de gloire; Et les difficultés dont on est combattu Sont les dames d'atour 8 qui parent la vertu. SCÈNE XII MASCARILLE, CÉLIE CÉLIE ü Matcarille, qui lui a parli bat* Quoi que tu veuilles dire, et que 1'on se propose, De ce retardement5 j'attends fort peu de chose. Ce qu'on voit de succès 8 peut bien persuader Qu'ils ne sont pas encor fort prés de s'accorder. Et je t'ai déja dit qu'un cceur comme le nótre Ne voudrait pas pour 1'un faire in justice a 1'autre, Et que trés fortement, par de différents noeuds, Je me trouve attachée au parti de tous deux: Si Lélie a pour lui 1'amour et sa puissance, Andrës, pour son partage, a la reconnaissance, Qui ne souffrira point que mes pensers secrets Consultent jamais rien7 contre ses intéréts: Oui, s'il ne peut avoir plus de place en mon ame, Si le don de mon coeur ne couronne sa flamme, Au moins dois-je ce prix a ce qu'il fait pour moi, De n'en choisir point d'autre, au mépris de sa foi, Et de faire a mes voeux autant de violence Que j'en fais aux désirs qu'il met en évidence8. Sur 9 ces difficultés qu'oppose mon devoir, Juge ce que tu peux te permettre d'espoir. MASCARILLE Ce sont, a dire vrai, de tres facheux obstacles, 1. Lefaitrenoncera... 3. Dames qui président a la toilette d'une reine. 4. Ajonté par réd. de 17 34. 5. De ce retard. 6. Derésultat. 7. Ferment aucun dessein. 8. Qn'il montre. i6o L'ETOURDI Et je ne sais point Tart de faire des miraclesMais je vais employer mes efforts plus puissants l, Kemuer terre et ciel, m'y prendre de tout sens • £our tacher de trouver un biais salutaire Et vous dirai bientót ce qui se pourra faire, scène xm CÉLIE, HIPPOLYTE HIPPOLYTE Depuis votre séjour, les dames de ces lieux Se plaignent justement des larcins de vos yeux, fci vous leur dérobez leurs conquêtes plus belles » de tous leurs amants faites des infidèles. 11 n est guère de coeurs qui puissent échapper Aux teuts dont a 1'abord* vous savez les frapper, at mille hbertés, a vos chaines offertes, Semblent vous enricbir chaque jour de nos pertes K ^uant a moi, toutefois, je ne me plaindrais pas Du pouvoir absola de vos rares appas, Si, lorsque mes amants sont devenus les vótres Un seul m'eüt consolé de la perte des autres. Mais qU inhumainement vous me les ótiez tous, C est un dur procédé dont je me plains a vous. CÉLIE Voila d'un air galant faire une raillerie: Mais épargnez un peu celle qui vous en prie. Vos yeux, vos propres yeux, se connaissent trop bien, £our pouvoir de ma part redouter jamais rien: lis sont fort assurés du pouvoir de leurs charmes, Et ne prendront jamais de pareüles alarmes. HIPPOLYTE Pourtant en ce discours je n'ai rien avancé Qui dans tous les esprits ne soit déja passé; Et, sans parler du reste, on sait bien que Célie A cause des désirs a Léandre et Lélie. • . L» plu. puisMnto (F„rm, „.„rfle de .„perUtif«» XVI« „iècle). 3. Ve toutes les facons. ' 3. Les plus belles. 4. A Ia première entrevue. raient^as * ^ amphiSouri9ne ïue ,es *ricUuu* les plus ridicule* ne renie- ACTE V, SCÈNE Xffl et XIV 161 CÉLIE Je crois qu'étant tombés1 dans cet aveuglement, Vous vous consoleries de leur perte aisément, Et trouveriez pour vous 1'amant peu souhaitable Qui d'un si mauvais choix se trouverait capable. HIPPOLYTE Au contraire, j'agis d'un air8 tout différent, Et trouvé en vos beautés un mérite si grand, J'y vois tant de raisons capables de défendre L'incohstance de ceux qui s'en laissent surprendre, Que je ne puis blamer la nouveauté des feux Dont envers moi Léandre a pariuré ses voeux, Et le vais voir tantót, sans haine et sans colère, Ramené sous mes lois par le pouvoir d'un père. SCÈNE XIV MASCARILLE, CELIE, HIPPOLYTE MASCARILLE Grande, grande nouvelle, et succès3 surprenant, Que ma bouche vous vient annoncer maintenant! CÉLIE Qu'est-ce donc? MASCARILLE Ecoutez, voici sans flat ter ie... CÉLIE Quoi? MASCARILLE La fin d'une vraie et pure comédie. La vieiUe Egyptienne a 1'heure même... CÉLIE Eh bien? MASCARILLE Passait dedans* la place, et ne songeait a rien, 1. Que s'ils sont tombés. (Sorte d'ablatif absoln. Cf. Sneyders de Vogel, Syntaxe historique du Jrancait déja cite, pp. 197 a 200. 3. Résultat. 4. Dans. pour l'dme, qu'elle préserve de la mélancoüe, et une vertu éducatrice pour l'esprit, dont elle aiguise la finesse. On donnera ici, en une série de ij petits volumes, non pas seulement les comédies classiques dont Pétude est imposée aux écoh'ers, maïs toutes les oeuvres, en une série continue, dont Parare est déterminé por la chronologie. Chaque piéce sera précédée d'une Introduction, qui en precisera la date, les sources et la valeur. Un /8' volume renfermera une biographie de Molière et uue étude générale. Ld ou ily aura lieu, sera jointe, notamment pour les Comédies-baUets, une étude musicale due d la plume autorisée de man collègue Gerold, prof esseur d'histoire de la musique d P Université de Strasbourg. L'emploi de jolis caractères, datant de la seconde moitié X-VIII' siècle et provenant de la fonder ie parisienne de Nicolas Pierre Gando, coulés d nouveau sur les anciennes matrices, por les bons imprimeurs de Harlem, les Enschedés, achève de donner sa valeur d eet hommage de la Hoüande lettrée d notre immortel Comique. Gustave Cohen. NOTICE SUR LA JALOUSIE DU BARBOUILLE La Jalousie du Barbouillé est une de ces farces qui datent des «années d'apprentissage» de Molière, pendant lesquelles, après 1'échec de sa première tentative parisienne, celle de PlUustre thédtre, il promène son jeune talent a travers la province, a Lyon, dans le Languedoc, sous- les auspices du prince de Conti; a Béziers, a Grenoble ou a Rouen. C'est la que Corneille, déja barbon, tombe amoureux de «la Marquise», Marquise1 Thérèse de Gorla, femme de 1'acteur du Pare, une des actrices de Molière, a laquelle il dédie les fières stroplies: Marquise, si mon visage A. quelques traits un peu vieux, Souvenez-vous qu'a mon dge Fous ne vaudrez guère mieux. II est fort difficile de reconstituer le répertoire de la troupe et de dire la part qu'y avait le génie propre de son directeur. Le plus souvent, c'est une sorte de Commedia dell'arte, dont les acteurs improvisent les scènes sur un canevas donné. L'imitation des Italiens y occupe une grande place, comme on le constatera dans le présent volume, dont toutes les pièces appartiennent a cette, époque. II ne faut point les dédaigner, car elles furent 1'École des chefs-d'oeuvre et 1'une d'elle, qui est perdue, le Docteur amoureux, servit au jeune auteur d'introduction auprès de la Cour. Nous avons, sur ce point, le témoignage des deux comédiens La Grange et Vinot, auteurs présumés de la préface a 1'importante édition collective de 16822: « Ses compagnons, qu'il avait laissés a Rouen, en par«tirent aussitót; et le 24» octobre i658, cette troupe u commenca de paraitre devant Leurs Majestés et toute «la Cour, sur un théatre que le Roi avait fait dresser dans «la salie des Gardes du vieux Louvre. Nicomède, tragédie « de M. Corneille 1'ainé, fut la pièce qu'elle choisit pour « eet éclatant début. Ces nouveaux acteurs ne déplurent i. ((Marquise» élait son prénora. i. Reprodnite au t. I de» Oatvret ie Moltere, éd. Despois, p. XII XX. La présente citation est anx pp. XIV-XV. ÏO LA JALOUSIE DU BARBOUELLÉ « point, et on fut surtout fort satUfait de 1'agrément et du «ieu des femmes. Les fameux comédiens, qui faisaient alors « si bien valoir 1'Hótel de Bourgogne, étaient présents a « cette représentation. La pièce étant achevée, M. de Mo«lière, vint sur le théatre, et, après avoir remercié Sa « Majesté, en des termes trés modes tes, de la bonté qu'Elle « avait eue d'excuser ses défauts et ceux de toute sa troupe, « qui n'avait paru qu'en tremblant devant une assemblee « si auguste, il lui dit que 1'envie qu'ils avaient eue d'avoir «1'honneur de divertir le plus grand roi du monde, leur « avait fait oublier que Sa Majesté avait ason service d'ex« cellenta originaux \ dont ils n'étaient que de trés faibles « copies, mais, puisqu'Elle avait bien voulu soufirir leurs « manières de campagne, il La suppliait très-humblement « d'avoir agréable qu'il lui donnat un de ces petits diver«tissements qui lui avaient acquis quelque réputation et « dont il régalait les pro vinces. « Ce compliment, dont on ne rapporte que la substance, «fut si agréablement tourné, et si favorablement recu, « que toute la cour y applaudit, et encore plus a la petite «comédie, qui fut celle du Docteur amoureux. Cette co«médie, qui ne contenait qu'un acte, et quelques autres «de cette nature, n'ont point été imprimées: il les avait «1'aites sur quelques idéés plaisantes, sans y avoir mis la «dernière main, et il trouva a propos de les supprimer, «lorsqu'il se fut proposé pour but, dans toutes ses pièces, « d'obliger les hommes a se corriger de leurs défauts. Comme «il y avait longtemps qu'on ne parlait plus de petites co« médies, 1'invention parut nouvelle, et celle qui fut repré« sentée ce jour-la divertit autant qu'elle surprit tout le «monde. M. de Molière faisait le Docteur, et la manière « dont il s'acquitta de ce personnage le mit dans une si «grande estime, que Sa Majesté donna ses ordres pour « établir sa troupe a Paris. La salie du Petit-Bourbon * lui « fut accordée pour y représenter la comédie alternative« ment avec les comédiens italiens. Cette troupe, dont M. « de Molière était le chef, et qui, comme je 1'ai déjk dit, 1. Les Comédiens de 1'Hótel de Bourgogne, dont les nouveanXTenuadeTaient craindre la jalousie. 1. Flus loin on lit: «An mois d'octobre de la méme année [l65g], la salie du Petit-Bourbon fut démo! ie pour ce grand et magnifique portail dn Louvre, que tont le monde admire au jou rd'hui.i) II s'agit de la colonnade da Lou vre, oeu v re de 1'architecte Perrault. NOTICE 11 «prit le titre de La troupe de Monsieur1, commenca a « représenter en public le 3e novembre i658 et donna pour «nouveautés L' Etourdi et Le Dépit amoureux, qui n'a« vaient jamais été joués a Paris.» Ce récit, que j'ai reproduit en entier paree qu'il nous fait assister aux débuts de la troupe de Molière a Paris, devant le grand Roi, est authentiqué par une ment ion plus laconique du fameux Registre de Lagrange 2, source capitale que nous invoquerons souvent: «La. troupe de Monsieur, frère unique du Roi, commenca au Louvre, devant Sa Majesté, le 24«octobre i658 (un jeudi), par Nicomède et le Docteur amoureux.» Si La Grange, par la suite, ne mentionne plus cette pièce, c'est que son registre n'est tenu régulièrement qu'a partir du 28 avrfl. 165g 3. On peut donc supposer, avec M. Despois, que le Docteur amoureux aura été représenté plusieurs fois pendant 1'hiver précédent et c'est alors que Boileau aura pu 1'entendre. «M. Despréaux, qui ne se lassait point d'admirer Molière, est-il dit dans le Bolaeana *, regrettait fort qu'on' eut perdu sa petite comédie du Docteur amoureux, paree qu'il y a toujours quelque chose de saillant et d'instructif dans ses moindres ouvrages.» 11 y a encore d'autres premiers essais de Molière, dont nous n'avons plus que les titres: les trois Docteurs rivaux, représentés le 27 mars 1661, le Docteur pédant en 1660, 1661 et i663, le Maitre d'école ou Gros René écolier, en i65g et i664, Gorgibws dans le sac, en 1661, i663 et i664, ébauche peut-étre des Fourberies de Scapin et enfin, d'attribution tout-a-fait incertaine, La Casaque, Plan plan (= Don Garde de Navarre?), le fin Lourdaud ou le Procureur dupé °. Passons a la Jalousie du Barbouillé et au Mèdecin volant. Ces pièces furent publiées pour la première fois, en 1819, par Viollet le Duc, mais elles faillirent paraitre, en 1734, d'après le manuscrit que possédait a Bruxelles, en exil, le poète Jean-Baptiste Rousseau. Interrogé en 1731 sur ces 1. C'est k dire Gaston d'Orléans, frère dn roi Louis XIV. 3. Publié par M. Ed. Thierry, un vol. in-4°, 1876. 3. Notice de Despois, 1.1, p. 5. 4. 1743, tn-13, p. o\, cité p. M. Despois, p. 6. 5. Cf. Notice snr les premières farces attribuées a Molière, au t. I des Oeuvres p. 7 i 9. 11 LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ pièces par le futur éditeur de Molière, Chauvelin de Beauséjour, inspecteur général de la librairie, J.-B. Rousseau avait répondu:1« Quant aux petites pièces que notre auteur «représentait en province, il est vrai qu'il m'en est tombé « deux entre les mains, mais il est aisé de voir que ce n'est « pas lui qui les a écrites. Ce sont des canevas tels qu'il les « donnait a ses acteurs, qui les remplissaient sur-le-champ, « a la manière des Italiens, chacun suivant son talent. Mais « il est certain qu'il n'en a jamais digéré aucun sur le papier, « et ce que j'en ai est écrit d'un style de grossier comédien « de campagne, et qui n'est digne ni de Molière ni du public. « Les plus grands hommes n'ont pas toujours été grands en «tout: ils n'ont pas même toujours voulu 1'être.» A Brossette qui 1'interroge sur le même sujet, J.-B. Rousseau répond le 18 octobre 1731: «Quant aux deux « farces que j'ai envoyées a M. Chauvelin sur ses instances « réitérées, 1'une est intitulée le Médecin volant, et 1'autre «la Jalousie du Barbouillé. CeUe-ci est la première idéé de « Georges Dandin; mais 1'une et 1'autre ne sont que des ca« nevas remplis grossièrement par quelqu'un qui n'a j amais « su écrire.» Nous ne serons pas aussi sévères. J.-B. Rousseau se laisse trop hypnotiser par la perfection des chefs-d'oeuvre postérieurs pour apprécier ces ébauches, mais nous qui nous plaisons a considérer toutes choses en leur évolution, nous ne saurions les négliger. El les nous permettent de mesurer mieux le chemin parcouru par 1'auteur des Femmes Savantes, de comprendre les traits de comique vulgaire qui subsistent dans les pièces de sa maturité. Le Barbouillé (peut-être le barbouillé de blanc ou 1'Enfariné) est un personnage des farces de 1'Hótel de Bourgogne que Jean-Baptiste Poquelin a du voir dans son enfance. Ils choquent moins les bonnes mosurs Que le Barbouillé de la farce conclut, a propos de ses propres vers, le poète Maynard, dans une épigramme publiée en i646 *. La Jalousie du Barbouillé ayant mis en reliëf le comédien du Pare dit Gros-René, qui en jouait le principal 1. Itid.,p. 10—11. 2. ffid., p. 18. SCÈNES XII et xm 33 LE BARBOUILLÉ Moi, pardon! j'aimerais mieux que le diable 1'eüt emportée. Je suis dans une colère que je ne me sens pasl. GORGIBUS Allons, ma fille, embrassez votre mari, et soyez bons amis. SCÈNE XLU LE DOCTEUR (d la fenêtre, en bonnet de nuit et en camisole), 3 LE BARBOUILLÉ, VILLEBREQUIN, GORGIBUS, ANGÉLIQUE LE DOCTEUR Hé quoi! toujours du bruit, du désordre, de la dissenaion, des querelles, des débats, des difFérends, des combustions s, des altercations éterneUes? Qu'est-ce? qu'y a-t-il donc? On ne saurait avoir du repos. VILLEBREQUIN Ce n'est rien, Monsieur le Docteur; tout le monde est d'accord. LE DOCTEUR A propos d'accord, voulez-vous que je vous lise un cbapitre d'Aristote *, oü il prouve que toutes les parties de 1'univers ne subsistent que par 1'accord qui est entre elles? VILLEBREQUIN Cela est-il bien long? LE DOCTEUR Non, cela n'est pas long: cela'contient environ soixante ou quatre-vingts pages. VILLEBREQUIN Adieu, bonsoir! nous vous remercions. 1. Une colère telle que je ne me commande plu». ■2. II &nt donc supposer qne le fond de la scène est occupé p«r deux maisons voisines, celle du Docteur et celle du Barbouillé, les actes se jouant dans la rue, qu'elles bordent. ' v. t. Voir plus haut p. a3, n. a. 4. Ces railleries sur 1'abus qn'on faisait d'Aristote dans l'Ecole montrent en Molière un disciple de Gassendi, autenr des Exercitationes adnersus Aristoteleoa <.693). 34 LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ GORGIBUS TI n'en est pas de besoin K LE DOCTEUR Voos ne le voulez pas? GORGIBUS Non. LE DOCTEUR Adieu donc! puisqu' ainsi est; bonsoir! lat ine, bonanoxK VILLEBREQUIN Allons-nou8-en souper ensemble, nous autres. 1. II n'est pas nécessaire, 9. En latin, bonne nuit. NOTICE SUR LE MÉDECIN VOLANT Nous avons Ara, k propos de la Jalousie du Barbouillé rhistoire du texte du Médecin volant, dont le manuscrit était également k BruxeUes, en 1731, entre les mams de J.-B. Rousseau et a été retrouvé, de nos jours aussi, a la Mbliothèque Mazarine, k Paris. Somaize, qu'on confond k tort par Ibis avec le grand philologue du XVII" siècle Saumaise,1 écrivait k propos de cette pièce, dans la préface de ses Féritables précieuses, en 1660: «D. [Molière] est singe en tout ce qu'il fait... et... il a imité, par une singerie dont il est seul capable, le Médecin volant et plusieurs autres pièces des meines Italiens, qu'il n'imite pas seulement en ce qu'ils ont joué sur leur théatre, mais encore en leurs postures, contrefaisant sans cesse sur le sien et Trivelin et Scaramouche». 8 Nous pouvons 1'en croire, puisque Boursault, qui donne, en novembre 1662, a 1'Hótel de Bourgogne, une comédie en un acte et en vers, le Médecin volant, écrit, en 1'imprimant, en janvier i665: «Le sujet est italien; il a été traduit en notre langue, représenté de tous cótés». D'ailleurs le recueÜ manuscrit des canevas kdévelopper a Pimprovisade, écrit par le célèbre Arlequin Dominique et conservé dans la traduction francaise du procureur Gueullette, k la Bibliothèque Nationale (Ms. fr. 9328) renferme aux pages g5 k 107 3 un Medico volante. Médecin volant de Molière, semblable de thème, mais trés différent dans 1'exécution, figure sur le Registre de IJl Grange, comme ayant été représenté, le 18 avril i65g, au Louvre, et repris chaque année, plüsieurs fois, jusqu'a i664. Le sujet en est simpte: cette fois, ce n'est plus un mari, mais un père, Gorgibus, qu'il s'agit de tromper, et c'est un autre personnage traditionnel, le valet, Sganareue, qui s'en charge. Pour éviter le mariage qu'on veut lui imposer, Lucue contrefait la malade (trait que nous retrouverons dans le Médecin malgré lui). Conseillé par Sabine, cousine de la j. Sur ce Bourgnignon qni fut, de i63a 4 i653, profesMUT sans chaire 4 1'UniTersité de Leyde, voir Écrwairu francaUm Holland*, Li v re II,chap. XIV. a. Cite par Despois dans sa Notice, au 1.1, p. 47. 3. Ibid. p. 4g. 36 NOTICE jeune fille, Valère dépêche a celle-ci Sganarelle, déguisé en médecin. L'examen des urines qu'il prescrit est une scène répugnante, que nous ne donnons ici que pour montrer le progrès que la comédie francaise avait encore a accomplir. Elle n'étonnera pas trop ceux de nos lecteur» qui connaissent leur théatre néerlandais du XVII* siècle. Le faux Docteur ordonne une cure d'air, que Lucile fera dans un pavillon au fond du jardin. Gorgibus surprend ensemble Valère et Sganarelle en qui il reconnait Ie Médecin de tout a 1'heure, dont, par une heureuse invention, le valet se prétend le frère jumeau et auprès duquel il supplie Gorgibus de le faire rentrer en grace. Dans une série de transformations et de travestissements rapides, qui justifient le titre de la pièce, il reparait ensuite en médecin, puis en valet. Pour en avoir le cceur net, Gorgibus 1'enferme dans la maison, le mali n saute par la fenêtre, se réfugié chez lui, contrefait, grace a ces changements de voix, que connut déja notre théatre du moyen age \ une dispute avec son frère le médecin, mais finit par se faire prendre. Pendant ce temps, les amants se sont rejoints dans Ie pavillon, et la pièce se termine par un pardon général. PERSONNAGES: VALERE, amant de Lucile SABINE, cousine de Lucile SGANARELLE, valet de Valère GORGIBUS, père de Lucile GROS-RENÉ 2, valet de Gorgibus LUCILE, fille de Gorgibus Un Avocat i . Cf. G. Cohen, La mine de TAvengle et de ton valet, extrait de Romania, S. Nom de théatre de René Berthelot, dit dn Pare, mari de Mlle du Pare, la célèbre «Marquise» (Marquise Thérèse de Gorla), a qui le grand Corneille dédia les jolies strophes citées dans mon introduction. LE MÉDECIN VOLANT COMÉDIE SCÈNE PREMIÈRE VALÈRE, SABINE» VALÈRE Hé bien! Sabine, quel conseil me donneras-tu? SABINE Vraiment, il y a bien des nouveUes. Mon oncle veut résolument que ma cousine épouse Villebrequin *, et les affaires sont tellement avancées, que je crois qu'ils eussent été mariés dès aujourd'hui, si vous n'étiez aimé; mais, comme ma cousine m'a confié le secret de 1'amour qu'eUe vous porte, et que nous nous sommes vues a 1'extremité 8 par 1'avarice de mon vilain oncle, nous nous sommes avisées d'une bonne invention pour différer le mariage. C'est que ma cousine, dès 1'heure que * je vous parle, contrefait la malade; et le bon vieiUard, qui est assez crédulè, m'envoie quérir un médecin. Si vous en pouviez envoyer quelqu'un, 8 qui fïït de vos bons arnis, et qui fut de notre inteUigence 6, il conseillerait a la malade de prendre 1'air a la campagne. Le bonhomme ne manquera pas de faire loger ma cousine a 1 ce pavillon qui est au bout de notre jardin, et par ce moyen vous pourriez 1'entretenir a 1'inau 1. La cousine rem place ici Ia suivanle, con Eden le habitué] le des jeu nes iilles de la comédie. a. Sur ce nom, voir plus haut p. 33, n. Q. 3. Dans une situation désespérée. 4. Au moment oü. 5. Nous dirions simplement uh. 6. C.-a.-d.: d'intelligence, d'accord avec noria. 38 LE MÉDECIN VOLANT de notre vieillard, 1'épouser, et le laisser pester tout son soul avec ViUebrequin. VALÈRE Mais le moyen de trouver sitót un médecin k maposte \ et qui voulüt tant hasarder 8 pour mon service? Je te le dis franchement, je n'en connais pas un. SABINE Je songe k une chose: si vous faisiez habiller votre valet en médecin; il n'y a rien de si facile k duper que le bonhomme s. VALÈRE C'est un lourdaud qui gatera tout; mais il faut s'en seivir faute d'autre. Adieu, je le vais chercher. Ou diable trouver ce maroufle k présent? Mais le voici tout apropos. SCÈNE II VALÈRE, SGANARELLE VALÈRE Ah! mon pauvre SganareUe, que j'ai de joie de te voir! J'ai besoin de toi dans une affaire de conséquence *; mais, comme je ne sais pas ce que tu sais faire... SGANARELLE Ce queje sais faire, Monsieur? employez-moi seulement en vos affaires de conséquence, en quelque chose d'importance: par exemple, envoyez-moi voir quelle henre il est k une horloge, voir combien le beurre vaut au marché, abreuver un cheval, c'est alors que vous connaitrez ce que je sais faire. VALÈRE Ce n'est pas cela; c'est qu'il faut que tu contrefasses le médecin. I. A ma converuuic. (D). Risquer. 3. «Le bonhomme» n'a pas nécessairement un sens injurieux au XVII* siècle. «Je veoy par nne lettre du bonhomme de pfere qu'il est un peu serré» écrit. en 16 4 7, Brasset k M. de Brisacier, k propos de M. du Laurens, Conseiller du Roi et President en 1'Election d'Angers. Cf. Écrivaina francais en Hoüande, p. 5o3 et n. 1. 4. D'imporLance. scène n 39 SGANARELLE Moi, médecin, Monsieur! Je suis prêt a faire tout ce qu'il vous plaira; mais, pour faire le médecin, je suis assez votre serviteur1 pour n^en rien faire du tout ; et par quel bout m'y prendre, bon Dieu? Ma foi, Monsieur, vous vous moquez de moi. VALÈRE Si tu veux entreprendre cela, va, je te donnerai dix pistoles *. SGANARELLE Ah! pour dix pistoles, je ne dis pas que je ne sois médecin, car, voyez-vous bien, Monsieur, )e n'ai pas 1 esprit tant*, tant subtil, pour vous dire la vérité. Mais, quand je serai médecin, oü irai-je? VALÈRE Chez le bonhomme Gorgibus, voir sa fille, qui est malade; mais tu es un lourdaud qui, au lieu de bien faire, pourrais bien... SGANARELLE Hé' mon Dieu, Monsieur, ne soyez point en peine; je vous réponds que je ferai aussi bien mourir une personne qu'aucun médecin qui soit dans la ville. On dit un proverbe, d'ordinaire: Après la mart, le médecin; mais vous verrez que, si je m'en mèle, on dira: Après le médecin, gare la mort! Mais, néanmoins, quand je songe, cela est bien difficile de faire le médecin; et si je ne fais rien qui vaille...? VALÈRE II n'y a rien de si facile en cette rencontre: Gorgibus est un homme simple, grossier, qui se laissera étourdir de ton discours, pourvu que tu parles d'Hippocrate et de Galien*, et que tu sois un peu efironté. SGANARELLE C'est-a-dire qu'il lui faudra parler philosophie, mathé- ,. L'expression «je «ni. votre serviteur», employee ironiquement, peut «u»i traduire un rel'us. 3. La pistole valait 10 francs. i' La connaissance des oeuvres des celebres médecins grecs, était la meüleure part de la science des médecins d'alors, témoin le programme de 1'TJniveraité de Leyde tracé par Fengueray en i579. Cf. G. Cohen, op. cit., p. i49. 4o LE MÉDECIN VOLANT malique. Laissez-moi faire; s'il est un homme facile, comme vous le dites, je vous réponds de tout; venez seulement me faire avoir un habit de médecin et m'instruire de ce qu'il faut faire, et me donner mes licences1, qui sont les dix pistoles promises. [Valère et Sganarelle s'en vont] SCÈNE LU GORGIBUS, GROS-RENÉ GORGIBUS Allez vitement«[chercher un médecin, car ma fille est bien malade, et dépêchez-vous. GROS-RENÉ Que diable aussi! pourquoi vouloir donner votre fille a un vieillard? Croyez-vous que ce ne soit pas le desir qu'elle a d'avoir un jeune homme, qui la travaiile ? Voyezvous la connexité qu'il y a, etc... (Galimatias *) CORGIBUS ; Va-t'en vite; je vois Wen que cette maladie-la reculera bien les noces. GROS-RENÉ Et c'est ce qui me fait enrager; je croyais refaire mon ventre d'une bonne carrelure*, et m'en voila sevré. Je m'en vais chercher un médecin pour moi, aussi bien que pour votre fiUe; je suis désespéré. [Ilsort] SCÈNE IV SABINE,'/>OBGIBUS, SGANARELLE SABINE Je vous trouve a propos, mon oncle, pour vous appren- 1. Grades universitaires. 2. Cet adverbe ne s'emploie plus guère. 3. Ici I'acteur improvisait comme dans la Commedia dell'Arte italienne. Sur la mot galimatias, voir 1'article de M. Weerenbeck dans Neophilolorm t VI, pp. 1—5. 4. Carrelure, «les semelles neuves qn'on met k des souliers, k des bottes On dit proverbialement et figurément d'un homme affamé qui a fait nn bon repas, qn'il s'est fait nne carrelure, nne bonne carrelure de ventre». (Dictionnaire de VAcadémie, 1694). 1,'acteur dn Pare, qui joua probablement le róle, était fort corpulent. SCÈNES XI et xn 47 est arrivé depuis pen en cette ville, qui fait des cures admirable* { GORGIBUS Oui, ie le connais: il vient de sortir de chez moi. SGANARELLE Je suis son frère, Monsieur: nous sommes gémeaux1; et, comme nous nous ressemblons fort, on nous prend quelquefois 1'un pour 1'autre. GORGIBUS Je me dédonne 3 au diable si je n'y ai été trompé. Et comme 8 vous nommez-vous ? SGANARELLE Narcisse, Monsieur, pour vous rendre service. 11 feut que vous sachiez qu'étant dans son cabinet j'ai répandu deux fioles d'essence qui étaient sur le bord de sa table j aussitó t il s'est mis dans une colère si étrange contre moi, qu'il m'a mis hors du logis, et ne me veut plus jamais voir, tellement que je suis un pauvre garcon a présent sans appui, sans support*, sans aucune connaissance. GORGIBUS Allez, je ferai votre paix: je suis de ses amis, et je vous promets de vous remettre avec lui. Je lui parlerai d'abord que 6 je le verrai. SGANARELLE Je vous serai bien obligé, Monsieur Gorgibus. [Sganarelle sort et rentre aussitót avec sa robe de jnédecm] SCÈNE XII SGANARELLE, GORGIBUS SGANARELLE II feut avouer que quand les malades ne veulent pas. 1. Jumeaux. 2. Cf. plu» bant La Jalousie du Barbouillé, p. aa, n. 5. 3. Comment. 6. Dès qne. 48 LE MÉDECIN VOLANT suivre 1'avis dn médecin, et qu'ils s'abandonnent a la débauche, que...1 GORGIBUS Monsieur le Médecin, votre très-humble serviteur. Je vous demande une grace. SGANARELLE . Qu'y a-t-il, Monsieur? est-il question de vous rendre service? GORGIBUS Monsieur, je viens de rencontrer Monsieur votre frère, qui est tout a fait faché de...2 SGANARELLE C'est un coquin, Monsieur Gorgibus. GORGIBUS Je vous réponds qu'il est tellement contrit de vous avoir mis en colère... SGANARELLE C'est un ivrogne, Monsieur Gorgibus. GORGIBUS Hé Monsieur, voulez-vous désespérer ce pauvre garcon? SGANARELLE Qu'on ne m'en parle plus; mais voyez 1'impudence de ce coquin-la, de vous aller trouver pour faire son accord; je vous prie de ne m'en pas parler. GORGIBUS Au nom de Dieu, Monsieur le Médecin! et faites cela pour 1'amour de moi. Si je suis capable de vous obliger «n autre chose, je le ferai de bon cceur. Je m'y suis engagé, et...1 SGANARELLE • Vous m'en priez avec tant d'instance, que, quoique j'eusse fait serment de ne lui pardonner jamais, allez, touchez la: je lui pardonne. Je vous assure que je me fais 1. La suite de nouveau Iaissée a 1'improvisation de 1'actenr 3. Même observation que ci-dessus. scènes xii, xiii et xiv 49 grande violence, et qu'il faut que j'aie bien de la complaisance pour vous. Adieu, Monsieur Gorgibus. [Gorgibus rentre dans sa maison, et Sganarelle s'en va] SCÈNE XIII VALÈRE, SGANARELLE VALÈRE II faut que j'avoue que je n'eusse jamais cru que Sganarelle se füt si bien acquitté de son devoir. [Sganarelle rentre avec ses habits de valei] Ah! mon pauvre garcon, que je t'ai d'obligation! que j'ai de joie! et que...1 SGANARELLE Ma foi, vous parlez fort a votre aise. Gorgibus m'a rencontré; et, sans une invention que j'ai trouvée, toute la meche * était découverte. [Aperceuant Gorgibus] Mais fiiyez-vous-en s, le voici. [ Valère sort] SCÈNE XIV GORGIBUS, SGANARELLE GORGIBUS Je vous cherchais partout pour vous dire que j'ai parlé a votre frère: il m'a assuré qu'il vous pardonnait; mais, pour en ètre plus assuré, je veux qu'il vous embrasse en ma présence; entrez dans mon logis, et je 1'irai chercher. SGANARELLE Ah! Monsieur Gorgibus, je ne crois pas que vous le trouviez a présent; et puis je ne resterai pas chez vous: je crains trop sa colère. GORGIBUS Ah! vous demeurerez, car je vous enfermerai. Je m'en vais a présent chercher votre frère: ne craignez rien, je vous réponds qu'il n'est plus faché. [Gorgibus sort] 1. Même observation que ci-dessus. 2. On dit éventer la mèclie, la mèche qui doit faire sauter la pond re, dans le sens de découvrir un complot; métaphore militaire empruntée k 1'arme du génie. 5. Au XYIr3 siècle, dans senfuir, en était encore séparable. 4 5o LE MÉDECIN VOLANT SGANARELLE [de Ui fenétre'] Ma foi, me voila attrapé, ce coup-la; il n'y a plus moyen de m'en échapper. Le nuage est fort épais, et j'ai bien peur que, s'il vient a crever, il ne grêle sur mon dos force coups de baton, ou que, par quelque ordonnance plus forte que toutes celles des médecins, on m'applique tout au moins un cautère royal1 sur les épaules. Mes affaires vont mal; mais pourquoi se désespérer? Puisque j'ai tant fait, poussons la fourbe 1 jusqu'au bout. Oui, oui, il en faut encore sortir, et faire voir que Sganarelle est le roi des fourbes. [Sganarelle saute par la fenétre et s'en va] SCÈNE XV GROS-RENÉ, GORGIBUS, SGANARELLE GROS-RENÉ Ah! ma foi, voila qui est dróle! comme 8 diable on saute ici par les fenètres! D. faut que je demeure ici et que je voie a quoi tout cela aboutira. GORGIBUS Je ne saurais trouver ce médecin; je ne sais oü diable il s'est caché. [Apercevant Sganarelle qui revient en habit de médecin] Mais le voici. Monsieur, ce n'est pas assez d'avoir pardonné a votre frère; je vous prie, pour ma satisl'action, de 1'embrasser: il est chez moi, et je vous cherchais partout pour vous prier de faire eet accord en ma présence. SGANARELLE Vous vous moquez, Monsieur Gorgibus; n'est-ce pas assez que je lui pardonne? je ne le veux jamais voir. GORGIBUS Mais, Monsieur, pour 1'amour de moi. SGANARELLE Je ne vous saurais rien refuser: dites-lui qu'il descende. [Pendant que Gorgibus entre dans la maison par la porte, Sganarelle y entre par la fenétre] i. Marqué imprimée au fer rouge sur l'épaule (les galériens. 1. Laruse. 3. Comment. SCÈNE XV 5i GORGIBUS [a la fenétre] Voila votre frère qui vous attend la-bas: il m'a promis qu'il fera tout ce que je voudrai. SGANARELLE [« la fenétre] Monsieur Gorgibus, je vous prie de le faire venir ici: je vous conjure que ce soit en particulier que je lui demande pardon, paree que sans doute il me ferait cent hontes, cent opprobres devant tout le monde. [Gorgibus sort de sa maison par la porte, et Sganarelle par la fenétre] 1 GORGIBUS O ui-da, je m'en vais lui dire... Monsieur, il dit qu'il est nonteux, et qu'il vous prie d'entrer, afin qu'il vous demande pardon en particulier. Voila la clef, vous pouvez entrer; je vous supplie de ne me pas relüser, et de me donner ce contentement. SGANARELLE II n'y a rien que je ne fasse pour votre satisfaction: vous allez entendre de quelle manière je le vais traiter. [A la fenétre] Ah! te voila, coquin! — Monsieur mon frère, je vous demande pardon, je vous promets qu'il n'y a point de ma faute. — II n'y a point de ta faute? Klier de débauche! coquin! Va, je t'apprendrai a vivre. Avoir la hardiesse d'importuner M. Gorgibus, de lui rompre la tête de ses sottises! — Monsieur mon frère... — Tais-toi, te dis-je! _ Je ne vous désoblig... — Tais-toi, coquin!1 GROS-RENÉ Qui diable pensez-vous qui soit chez vous a présent? GORGIBUS C'est le médecin et Narcisse son frère; ils avaient quelque différend, et ils font leur accord. I. La succession de ce» apparition» et disparitions du Médecin volant, repidement exécutées par un acteur assez agile peut être fort dróle. 1. Cette feinte du changement de voix qni permet k nn acteur de jouer simultanément deux personnages et de se quereller avec lui-mém. se trouye de,a dan» la pin» ancienne larce francaise. Cf. Le Garcon et lAveugle éd. par M. Roque» dans les Classiques francais du Moyen-Age et G. Cohen, La scène de VAveugle et de son valet dans Romania, 1911. On y lira comment Saudret, garcon d'aveugle, trompe son maitre, le bat et le vole, simulant d'étre nn de» chevaliers anglai» qui gardent le tombeau du Christ {sic). LE MÉDECIN VOLANT GROS-RENÉ Le diable emporte M ils ne sont qu'un. sganarelle [i la fenétre] Ivrogne que tu es, je t'apprendrai a vivre! Comme il baisse la vue 2! il voit bien qu'il a failli, le pendard! Ah! 1'hvpocrite, comme il fait le bon apótre! gros-ren^: Monsieur, dites-lui un peu par plaisir s qu'il fasse mettre son frère a la fenétre. gorgibus Oui-da... Monsieur le Médecin, je vous prie de faire paraitre votre frère a la fenétre. sganarelle [de la fenétre] Jl est indigne de la vue des gens d'honneur, et puis je ne le saurais souffrir auprès de moi. gorgibus Monsieur, ne me refusez pas cette grace, après toutes celles que vous m'avez faites. sganarelle [de la fenétre] En vérité, Monsieur Gorgibus, vous avez un telpouvoir sur moi, que ie ne vous puis rien refuser. Montre, montretoi, coquin. [Après avoir dispara un moment, Use remontre en habit de valei] Monsieur Gorgibus, je suis votre obligé. [II disparaü encore et reparait aussitót en robe de médecin] Hé bien! avez-vous[vu] cette image de la débauche? gros-rené Ma foi, ils ne sont qu'un; et, pour vous le prouver, dites-lui un peu que vous les voulez voir ensemble. gorgibus Mais faites-moi la grace de le faire paraitre avec vous, et de 1'embrasser devant moi a la fenétre. sganarelle C'est une chose que je refuserais a tout autre qu'a vous; l. On dit plutót aujourd'hui: m'emporle. a. Les regards. 3. Pour voir. SCÈNE XV 53 mais, pour vous montrer que je veux tout faire pour 1'amour de vous, je m'y résous, quoique avec peine, et veux auparavant qu'il vous demande pardon de toutes les peines qu'il vous a données. — Oui, Monsieur Gorgibus, je vous demande pardon de vous avoir tent importune, et vous promets, mon frère, en présence de M. Gorgibus que voila, de faire si bien désormais, que vous n'aurez plus lieu de vous plaindre, vous priant de ne plus songer a ce qui s'est passé. (II embrasse son chapeau et sa fraise) [gu'il a mis an bout de son couae] GORGIBUS Hé bien! ne les voila1 pas tous deux? GROS-RENÉ Ah! par ma foi, il est sorcier. SGANARELLE [sortant de la maison en médecin] Monsieur, voila la clef de votre maison que je vous rends; je n'ai pas voulu que ce coquin soit descendu avec moi, paree qu'il me fait honte: je ne voudrais pas quon le vit en ma compagnie, dans la ville, oü je suis en quelque réputation. Vous irez le faire sortir quand bon vous sémblera. Je vous donne le bonjour, et suis votre etc. [// font de s'en aller, et, après avoir mis bas sa robe, rentre dans la maison par la fenétre] GORGIBUS 11 faut que j'aille délivrer ce pauvre garcon; en vérité, s'ü lui a pardonné, ce n'a pas été sans le bien maltraiter. [II entre dans sa maison, et en sort avec Sganarelle en habit de valet.] SGANARELLE Monsieur, je vous remercie de la peine que vous avez prise, et de la bonté que vous avez eue ; je vous en serai obligé toute ma vie. GROS-RENÉ Oü pensez-vous que soit a présent le médecin? GORGIBUS n s'en est allé. l. Ne les voili-t-il. 58 L'ETOURDI Le public ri'avait pas non plus, dans le domaine de la comédie la haute éducation que Corneille lui avait donnée dans le domaine de la tragédie. Une intrigue compliquée, des enfants perdas, puis retrouvés, une esclave qui est une princesse, un valet subtil et insolent, des plaisanteries assez grossières assaisonnées de bastonnades, suffisent a le divertir et il n'a pas, a 1'égard du genre, d'autres exigences. Qu'on y ajoute une invention ingénieuse, ceUe du maitre Etourdi qui, par ses maladresses, se met a la traverse des savantes intrigues ourdies par son valet, et la satisfaction devient compléte. Qu'importe si 1'auteur applaudi a emprunté cette invention a 1'Italie. Cette origine même est une garantie de bonne facon et les vins de ce cru sont a la mode. Pour nous, nous préférerions un caractère, pris sur le vif, étudié plus a fond et qui ne serait pas purement uil ressort a intrigues. Au moins pouvons-nous nous rabattre sur quelques jolies parodies littéraires, le couplet de Mascarille (III, i) sur «1'honneur» que lui vaut sa réputation de «fourbe sublime», les «stances» a sa bonté: «Taisez-vous ma bonté...» une ardeur toute juvénile, qui brule les planches, et entraine 1'attention sans lui permettre de s'attarder aux inconséquences et aux invraisemblances, enfin un style que critiquait Voltaire et louait Hugo pour la même raison, paree qu'il est prime-sautier, vert et noueux, comme la gaule de Trufaldin. Le Molière qui joua a Lyon en i653 et i655 n'est pas encore arrivé a la Comédie de caractère, mais déja il pratique la comédie littéraire qu'il ranime de sa vis comica, de sa verve, de sa fougue. II amuse, délasse, mais n'instruit pas encore.1 1. UEsiourdy ou les Contre-lcmps. Comédie, representée sur le théatre du Palais-Koyal, par J. B. P. Molière, tut publié k Paria, chez G. Quinet, en i663. L'achevé d'imprimer est du 21 norembre 166:1, Le Privilege est daté du dernier jour de Mai 1660. Si Molière n'en profita pas plus tót, c'ert que lea directeurs de troupe hésilaient k publier leur répertoire que pillaient aussitöt leurs concurrent» de Pari» et de la province. Le» larcins étaient méme d'antre aorte et il eat poasible, comme Ie croit M. Despois (p. 98) qu 'u ne édition snbreptice de VEtourdi ai t étéfaitedès l658. L'ÉTOURDI OU LES CONTRE-TEMPS COMÉDIE1 ACTEURS: LELIE, fils de Pandolfe CÉLIE, esclave de Trufaldin MASCARILLE, valet de Lélie HIPPOLYTE, fille d'Anselme ANSELME, vieillard* TRUFALDIN, vieillard PANDOLFE, vieillard LÉANDRE, fils de familie ANDRÈS, cru Égyptien ERGASTE, valet Un courrier Deux troupes de Masques La scène est d Messine [dans une place publique] 8 I,e Mémoire de Mahelot, Laurent et d'autres décorateurs de 1'Hótel de Bourgogne et de la Comédie Francaise au XV1P t^fc, manuscrit de la Bibliothèque Nationale, pnblié tout récemment par H. Carringlon Lancaster (Paris, Ed. Champion, 1921, in-8°) porte comme indicalion: (cL'E-roinun: [Le] théatre est des maisons et deux port es snr le devant avec leurs fenétres. II faut un pot de chamtre, deux battes [sabres de hoi» d'Arleqnin], deux flambeanx.ii 1. Le texte de 168a compléte: «Comédie représenté* pour la première foi» i Paris, sur le théatre du Petit-Bourbon au mois de novembre i658, par la troupe de Monsieur, frire uuique du Roi» (D). 1. Les éditions de 1734 et de 1773 modifient les titres des personnages comme «uit: «PiirooiM, pire de Lélie — Anselms, pire d'Hippolyte — Ergastk, ami de Mascarille» (D). 3. Ces quatre derniers mots ajoutés par 1'édilion de 1734 (D). 6o L'ETOURDI ACTE PREMIER SCÈNE I LÉLIE Eh bien! Léandre, eh bien! il faudra contester: Nous verrons de nous deux qui pourra 1'emporter, Qui, dans nos soins 1 communs pour ce jeune miracle, Aux voeux de son rival portera plus * d'obstacle s. Préparez vos eflbrts, et vous défendez bien, Sur que de mon cóté je n'épargnerai rien. SCÈNE II LÉLIE, MASCARILLE LÉLIE Ah! Mascarille! MASCARILLE Quoi? LÉLIE Voici bien des affaires; J'ai dans ma passion toutes choses contraires *: Léandre aime Célie, et, par un trait fatal, Malgré mon changement, est toujours mon rival *. mascarille Léandre aime Célie! LÉLIE II 1'adore, te dis-je. mascarille Tant pis. LÉLIE Eh, oui, tant pis, c'est la ce qui m'afflige. J. Expression alors usitée pour designer la cour que 1'on fait a la femme dont on est épris. 3. Le snperlatif, exprimé par le simple comparatif «plus», est encore presqne aussi fréquent dans Ia langage classique qu' au XVIe siècle. 3. Tiendra mienx son rival en échec. 4. Tout est contre moi. 5. Paree que, après avoir aiiné tous deux Hippol vte, le jeune Lélie et Léandre sont épris, tous deux, de Célie (D). ACTE I, SCÈNE H 61 Toutefois i'aurais tort de me désespérer; Puisque j'ai ton secours, je puis me rassurer; Je sais que ton esprit, en intrigues fertile, N'a jamais rien trouvé qui lui fut difficile; Et qu'en toute la terre... MASCARILLE Eh! trêve de1 douceurs. Quand nous faisons besoin *, nous autres misérables, Nous sommes les chéris et les incomparables; Et, dans un autre temps, dès le moindre courroux, Nous sommes les coquins qu'il faut rouer 8 de coups. LÉLIE Ma foi! tu me fais tort avec cette invectiye *. Mais enfin discourons un peu de ma captive; Dis si les plus cruels et plus 1 durs sentiments Ont rien d'impénétrable a des traits si charmants 8. Pour moi, dans ses discours, comme dans son visage, Je vois pour 7 sa naissance un noble témoignage; Et je crois que le Ciel dedans un rang si bas Cache son origine, et ne 1'en tire pas 8. MASCARILLE Vous êtes romanesque avecque vos chimères Mais que fera Pandolfe en toutes ces affaires? C'est, Monsieur, votre père, au moins a ce qu'il dit; Vous savez que sa bile assez souvent s'aigrit, Qu'il peste contre vous d'une belle manière, 1. Assez de. 3. Quand on a besoin de nous. II existe encore une expression du même type, employee absolument: «faire faute», pour cimanquern. 3. «Rouer» signifie originairement attacher sur la roue de torture, de li simplement, torturer, frapper. 4. Nous employons plutót ce mot an plnriel. 5. Cf. la note a de la page précédente. 6. Le cararleplusdurpeut-ilresterinsensibIeasescharmes?Survivancedi la phraséologie des Precieuses che. le satirique qne devait les railier le plu» crnel- 7. En faveur de. 8. Elle n'est pas issue d'une si hnmble condition, mars y cache, au contraire 9. Avec vos folies imaginations. 62 L'ETOURDI Quand vos déportements lui blessent la visière K II est avec Anselme en parole1 pour vous Que de son Hipolyte on vous fera 1'époux, S'imaginant que c'est dans le seul mariage Qu'il pourra rencontrer de quoi vous faire sage; Et, s'il vient a savoir que, rebutant * son choix, D'un objet* inconnu vous recevez les lois, Que de ce fol amour la fatale puissance Vous soustrait aux devoirs de votre obéissance, Dieu sait quelle tempéte alors éclatera, Et de quels beanx sermons on vous régalera. LÉLIE Ah! trêve, je vous prie, a votre rhétorique! MASCARILLE Mais vous, trêve plutót a votre politique! Elle n'est pas fort bonne, et vous devriez 6 tacher... LÉLIE Sais-tu qu'on n'acquiert rien de bon a me facher, Que chez moi les avis ont de tristes salaires, Qu'un valet conseiller y fait mal ses affaires? MASCARILLE (A part) 8 11 se met en courroux (Haut)l Tout ce que j'en ai dit! N'était rien que pour rire et vous sonder 1'esprit. D'un censeur de plaisirs ai-je fort 1'encolure?8 Et Mascarille est-il ennemi de nature?8 Vous savez le contraire, et qu'il est tres certain 1. Quand votre inconduite 1'offense. Dans la scène I dn ldisanthrope, Molière emploiera 1'expression orompre en visière k tout le genre humain». 2. En pourparlers. II s'est mis d'accord avec Anselme pour que... 3. Rejetant, refusant. 4. L'objet ou le bel objet, est, dans le vocabulaire galant de ce temps, la femme aimée, dont on «recoit la loi». 5. La terminaison de ce conditionnel ne compte ici que pour une syllabe. 6. Additinn de 1'éd. de 1734 (O). 7. Add. de 1'éd. de 1773 (D). 8. L'encolure est littéralement la partie du corps comprise entre la tête et les épaules (surtout pour le cheval); de li au figuré, comme ici, le port de tête, 1'aspect. 9. II faut souligner ce vers pour préciser la philosophie du grand comique ami de la Nature, élève de Gassendi et sur ton t de Rabelais. ACTE I, SCÈNE H 63 Qu'on ne peut me taxer que d'ètre trop humain. Moquez-vous de» «ermons d'un vieux barbon1 de père: Pouasez votre bidet *, vous dis-je, et laissez faire. Ma foi! j'en suis d'avis*, que ces penards chagrins Nous viennent étourdir de leurs contes badins*, Et, vertueux par force, espèrent, par envie, Oter aux jeunes gens les plaisirs de la vie. Vous savez mon talent, je m'offre a vous servir. LÉLIE Ah! c'est par ces discours que tu peux me ravir. Au reste, mon amour, quand je 1'ai fait paraitre 5. N'a point été mal vu des yeux qui 1'ont fait naitre. Mais Léandre, a 1'instant, vient de me déclarer Qu'a me ravir Célie il se va préparer: C'est pourquoi dépéchons, et cherche dans ta tête Les moyens les plus prompts d'en faire ma conquête. Trouve ruses, détours, fourbes 8, inventions, Pour frustrer mon rival de ses prétentions. MASCARILLE Laissez-moi quelque temps rêver? a cette affaire. (Apart)* Que pourrais-je inventer pour ce coup nécessaire? LÉLIE Eh bien, le stratagème? • MASCARILLE Ah! comme vous courez! Ma cervelle toujours marche a pas mesurés. J'ai trouvé votre fait10: il faut... Non, je m'abuse11. Mais si vous alliez... 1. Homme d'Sge mor. i. Poussez votre petit cheval; au figuré: faites votre affaire. 3. C'ert bien mon avis, qne ce» vieux libertins nsé» 4. De leurs sots propos. 5. Quand je 1'ai dévoilé. 6. Fourberies. (Nou» n'emplovons plus ufourbe» que pour qnalifier 1'auteurd'une fourberie). 7. Réilëchir, songer. g. Add. de 1'éd. de 1734 (D). 9. La ruse. 10. Votre affaire. 11. Je me trompe. 92 L'ETOURDI PANDOLFE D'oü peut donc provenir ce bizarre trans port*? ANSELME Dites-moi de bien loin quel sujet vous amène. Si, pour me dire adieu, vous prenez tant de peine, C'est trop de courtoisie, et véritablement Je me serais passé de votre compliment *. Si votre ame est en peine et cherche des prières, Las! je vous en promets, et ne m'efi'rayez guères 8: Foi d'homme épouvanté, je vais faire a 1'instant Prier tant Dieu pour vous que vous serez content. Disparaissez donc, je vous prie; Et que le Ciel par sa bonté Comble de joie et de san té Votre déf unie seigneurie. * PANDOLFE riant Malgré tout mon dépit, il m'y faut prendre part6. ANSELME Las! pour un trépassé vous ètes bien gaillard! PANDOLFE Est-ce jeu? dites-nous, ou bien si c'est folie 8, Qui traite de défunt une personne en vie? ANSELME Hélas! vous êtes mort, et je viens de vous voir. PANDOLFE Quoi! j'aurais trépassé sans m'en apercevoir? ANSELME Sitot que Mascarille en a dit la nouvelle, J'en ai senti dans 1'ame une don leur mortelle. l. Emotion. 3. De la politesse que vous me faites. 3. Plus. 4. Remarquer ce changement de rythme pour les quatre octosyllabes de las plaisante priere d'Anselme au pseudo-mort. 5. Ceder an rire. .6. Cette cnriense tournure sjntaxiqne dans laqnelle on passé de 1'interrogation directe k 1'interrogation indirecte précédée d'un «ou» est encore en usage dans le parler familier. ACTE H, SCÈNE V 93 PANDOLFE Mais enfin, dormez-vous? ètes-vous éveillé? Me1 connaissez-vous pas? ANSELME Vous êtes habillé D'un corps aérien qui contrefait1 le vótre, Mais qui, dans un moment, peut devenir tout autre. Je crains fort de vous voir comme un géant grandir, Et tout votre visage alïreusement laidir. Pour Dieu! ne prenez point de vilaine figure *, J'ai prou * de ma frayeur en cette conjoncture. PANDOLFE En une autre saison 8, cette naïveté Dont vous accompagnez votre crédulité, Anselme, me serait un charmant badinage, Et j'en prolongerais le plaisir davantage; Mais, avec cette mort, un trésor supposé, Dont, parmi les chemins, on m'a désabusé 8, Fomentent7 dans mon aine un soupcon légitime. Mascarille est un fourbe, et fourbe fourbissime 8, Sur qui ne peuvent rien la crainte et le remords, Et qui pour ses desseins a d'étranges ressorts *. ANSELME M'aurait-on joué pièce et fait supercherie10? Ah! vraiment, ma raison n, vous seriez fort jolie! Touchons un peu pour voir: en effet, c'est bien lui. Malepeste 18 du sot que je suis aujourd'hui! De grace, n'allez pas divulguer un tel conté: 1. Ne me. 3. Aspect. 4. Assei. On dit encore parfois: pen ou prou (l»t. prout); peu ou beauconp. 5. A un autre moment. 6. Dont on m'a dé trompe sur les routes oü 1'on m'a feit conrir. 7. Font naitre. 8. Cet amusant superlatif est imité de ceux qne crée, i volonté, 1'italien a 1'aide d'une terminaison presque identique. 9. Fait jouer d'étranges ressorts, use de singuliere» machinations. 10. Ce serait-on joué de moi et serais-je 1'objet d'une supercherie ? 11. Mon esprit. 11. Littéralement: mauvaise peste; c'est-i-dire: la peste soit dn sot... 94 L'ETOURDI On en ferait jouer quelque farce a ma honte 1, Mais, Pandolfe, aidez-moi vous-mème a re tirer1 L'argent que j'ai donné pour vous faire enterrer. PANDOLFE De 1'argent, dites-vous? Ah! c'est donc 1'enclouüre s? Voila le nceud secret de toute 1'aventure? A votre dam *. Pour moi, sans m'en mettre en souci, Je vais faire informer 6 de cette affaire-ci Contre ce Mascarille, et, si 1'on peut le prendre, Quoi qu'il puisse coüter, je veux le faire pendre. ANSELME seul^ Et moi, la bonne dupe a trop croire un vaurien, II faut donc qu'aujourd'hui je perde et sens et bien. 11 me sied bien, ma foi, de porter tête grise, Et d'être encor si prompt a faire une sottise, D'examiner si peu sur un premier rapport...! Mais je vois... SCÈNE VI LELIE, ANSELME LÉLIE ' Maintenant, avec ce passe-port, Je puis a Trufaldin rendre aisément visite. ANSELME A ce que je puis voir, votre douleur vous quitte. LÉLIE Que dites-vous? Jamais elle ne quittera Un coeur qui chèrement toujours la nourrira. ANSELME Je reviens sur mes pas vous dire avec franchise Que tan tót avec vous j'ai fait une méprise; i. Pour me faire hc-nie. 4 Ravoir. 3. La difficulté (de uenclouer», blesser nn cheval en le ferrant). 4. Dommage; tant pis pour vous. 5. Ordonner une enquête sur. 6. Éd. 1683. 7. Sans voir Anselme. ACTE H, SCÈNES VI et VU Qne parmi ces louis, quoiqu'ils semblent trés beaux, J'en ai, sans y penser, mêlé que je tiens 1 faux; Et j'apporte sur moi de quoi mettre en leur place. De nos faux monnayeurs 1'insupportable audace Pullule en cet État d'une telle facon, Qu'on ne recoit plus rien qui soit hors de soupcon: Mon Dieu! qu'on ferait bien de les faire tous pendre! LÉLIE Vous me faites plaisir de les vouloir reprendre; Mais je n'en ai point vu de faux, comme je croi 2. ANSELME Je les connaitrai bien, montrez, montrez-les-moi: Est-ce tout? LÉLIE Oui. ANSELME Tant mieux. Enfin je vous raccroche, Mon argent bien ai mé: rentrez dedans ma poche. Et vous, mon brave escroc, vous ne tenez plus rien. Vous tuez donc des gens qui se portent fort bien? Et qu'auriez-vous donc fait sur moi, chétif beau-père? Ma foi! je m'engendrais 3 d'une belle manière, Et j'allais prendre en vous un beau-fils fort discret! Allez, allez mourir de honte et de regret. LÉLIE teul* D. faut dire: «J'en tiens». Quelle surprise extréme! D'oü peut-il avoir su sitót le stratagème? SCÈNE vn MASCARILLE, LÉLIE MASCARILLE Quoi? vous étiez sorti? Je vous cherchais partout. Eh bien! en sommes-nous enfin venus a bout? 1. Qnejecroi.. 2. A ce que je pense. Cf. p. 70, n. 8. 3. Je ne donnais un gendre. Le mot a le même sens dans La Sasur de Rotron, imprimée en 1647 n): vous vous engendriex mal: c'est nn fou (D). (II y a cependant 14 nn calembour évident). 4. Addition 1734. ■96 L'ETOURDI Je le donne en six coups au fourbe le plus brave. •Qa, donnez-moi que j'aüie acheter notre esclave: Votre rival après sera bien étonné. LÉLIE Ah! mon pauvre garcon, la chance a bien tourné! Pourrais-tu de mon sort deviner 1'injustice? MASCARILLE ■Quoi! que serait-ce? LÉLIE Anselme, instruit de 1'artifice, M'a repris maintenant tout ce qu'il nous prètait, Sous couleur de changer de 1'or que 1'on doutait K MASCARILLE Vous vous moquez peut-être? LÉLIE II * est trop véritable. MASCARILLE Tout de bon? ' LÉLIE Tout de bon; j'en suis inconsolable. Tu te vas emporter d'un courroux sans égal. MASCARILLE Moi, monsieur? quelque sot! * la colère fait mal; Et je veux me choyer, quoi qu'enfin il arrivé: Que Célie, après tout, soit ou libre ou captive, Que Léandre 1'achète ou qu'elle reste la, Pour moi, je m'en soucie au tant que de cela s. LÉLIE Ah! n'aye 8 point pour moi si grande indifférence, Et sois plus indulgent a ce peu d'imprudence! 7 1. Dont on doutait, qne 1'on tenait pour suspect. 3. Ce n'est que trop vrai. 3. Envérité? 4. Ce serait bon pour un sot. 5. II fait, parun geste familier, claqner 1'ongle du poncedroit contre les dent». «f. p. 19 n. 3. 6. Denx syllabes. 7. Ponr cette petite imprudence. ACTE II, SCÈNE VII 97 Sans ce dernier malheur, ne m'avoueras-tu pas Que j'avais fait merveüle, et qu'en ce feint trépas J'éludais un chacun 1 d'un deuil si vraisemblable, Que les plus clairvoyants 1'auraient cru véritable. MASCARILLE Vous avez en effet sujet de vous louer. LÉLIE Eh bien! je suis coupable, et je veux 1'avouer; Mais si jamais mon bien te fut considérable 2, Répare ce malheur, et me sois secourable. MASCARILLE Je vous baise les mains s, je n'ai pas le loisir. LÉLIE Mascarille, mon fils. MASCARILLE Point. LÉLIE Fais-moi ce plaisir. MASCARILLE Non, je n'en ferai rien. LÉLIE Si tu m'es inflexible, Je m'en vais me tuer. MASCARILLE Soit, il vous est loisible. LÉLIE Je ne te puis fléchir? * MASCARILLE Non. LÉLIE Vois-tu le fer prêt? MASCARILLE Oui. i. Je trompais chacun par... a. Si jamais tu as pris a coeur mon bonheur. 3. Je tous remercie. Cf. p. 3<) n. 1. 4. Je ne puis te... 7 9» L'ETOURDI LELIE Je vais le ponsser. MASCARILLE Faites ce qu'il vous plait. LÉLIE Tu n'auras pas regret de m'arracher la vie? MASCARILLE Non. LÉLIE Adieu, Mascarille. MASCARILLE Adieu, monsieur Lélie. LÉLIE Quoi!... MASCARILLE Tuez-vous donc vite: ah! que de longs de vis M LÉLIE Tu voudrais bien, ma foi, pour avoir mes habits, Que je fisse le sot, et que je me tuasse. MASCARILLE Savais-je pas qu'enfin ce n'était que grimace, Et, quoi que ces esprits jurent d'eflectuer, Qu'on n'est point aujourd'hui si prompt a se tuer? SCÈNE vin LÉANDRE, TRUFALDIN, LÉLIE, MASCARILLE (Trufaldin parle bas a Léandre dans le fond du théatre) 2 LÉLIE Que vois-je? mon rival et Trufaldin ensemble! II achète Célie; ah! de frayeur je tremble! l: Propos. 1. Addition 1734, mais dont les cinq premiers mots, sont déja dans 1'éd. de 1682 et dans 1'éd. hollandaise de i6g3 (D). La fin duaecond acte est ton t rntière imitéc de l'Inavvertito, II, n (D). ACTE D, SCÈNE vu 99 MASCARILLE H ne faut point douter qu'il fera ce qu'il peut, Et, s'il a de 1'argent, qu'il pourra ce qu'il veut. Pour moi, j'en suis ravir voila. la récompense De vos brusques erreurs, de votre impatiene«v LÉLIE Que dois-je faire? dis, veuille me conseiller. MASCARILLE Je ne sais. LÉLIE Laisse-moi, je vais le quereller MASCARILLE Qu'en arrivera-t-il? LÉLIE Que veux-tu que je fasse. Pour empêcher ce coup? MASCARILLE Allez, je vous fais grace; Je jette encore un oeil pitoyable sur vous: Laissez-moi 1'observer; par des moyens plus doux Je vais, comme je crois, savoir ce qu'il projette. (Lélie sort) * TRUFALDIN a Léandre Quand on viendra tantót, c'est une affaire faite. (Trufaldin sort) MASCARILLE a pari, en ten aUant 11 faut que je 1'attrape, et que de -ses desseins Je sois le confident, pour mieux les rendre vains. LÉANDRE teul Graces au ciel, voila mon bonheur hors d'atteinte! J'ai su me 1'assurer, et je n'ai plus de crainte. Quoi que désormais puisse entreprendre un rival, 11 n'est plus en pouvoir 3 de me faire du mal. l. Lui chercher querelle, le provoq n er. a. Cette indication scéniqne et le» cinq suivantes appartiennent a 1'ed. de 1734, qni ene aussi la scène IX. Cf. I'InavvertUo II, rx (D). 3. En sïtuation. IOO L'ETOURDI SCÈNE IX1 LÉANDRE, MASCARILLE MASCARILLE dit eet deux vers dam la matton, et entre sur le théatre Aïe! Aïe! a 1'aide! au meurtre! au secours! on m'assomme! Ah! ah! ah! ah! ah! ah! O traltre! 6 bourreau d'homme! LÉANDRE D'oü procédé cela? 2 Qu'est-ce? que te fait-on? MASCARILLE On vient de me donner deux cents coups de baton. LÉANDRE Qui? MASCARILLE Lélie. LÉANDRE Et pourquoi? MASCARILLE Pour une bagatelle. 11 me chasse, et me bat d'une facon crue I Le. LÉANDRE Ah! vraiment, il a tort. MASCARILLE Mais, ou je ne pourrai, Ou je jure bien fort que je m'en vengerai. Oui, je te ferai voir, batteur que Dieu confonde, Que ce n'est pas pour rien qu'il faut rouer le monde, Que je suis un valet, mais fort homme d'honneur Et qu'après m'avoir eu quatre ans pour serviteur, II ne me fallait pas payer en coups de gaules s, Et me faire un affront si sensible aux épaules; Je te le dis encor, je saurai m'en venger: Une esclave te plait, tu voulais m'engager A la mettre en tes mains, et je veux faire en sorte Qu'un autre te 1'enlève, ou le diable m'emporte! l. Division et rubrique des édilions de iy34 et 1773. 3. D'oü vient cela ? 3. Le loog baton üexible des abatteurs de noix. ACTE U, SCÈNE IX 101 LÉANDRE Écoute, Mascarille, et quitte ce transport *» Tu m'as plu de tout temps, et je sounaitais fort Qu'un garcon comme toi, plein d'esprit et fidéle, A mon service un jour püt attacher son zèle: Enfin, si le parti te semble bon pour toi, Si tu veux me servir, je t'arrête avec moi 2. MASCARILLE Oui, monsieur, d'autant mieux que le des tin propice M'ofFre a me bien venger, en vous rendant service, Et que, dans mes efforts pour vos contentements s, Je puis a mon brntal trouver des chatiments; De Célie, en un mot, par mon adresse extréme... LÉANDRE Mon amour s'est rendu cet office lui-même: Enflammé d'un objet qui n'a point de défaut, Je viens de 1'acbeter moins encor qu'il ne vaut. MASCARILLE Quoi? Célie est a vous? LÉANDRE Tu la verrais paraitre, Si de mes actions j'étais tout a fait maitre; Mais quoi? mon père Pest: comme il a volonté, (Ainsi que je 1'apprends d'un paquet apporté), De me déterminer a 1'hymen d'Hippolyte, J'empêche qu'un rapport de tout ceci * 1'irrite. Donc avec Trufaldin (car je sors de chez lui) J'ai voulu tout expres agir au nom d'au trui; Et, 1'achat fait, ma bague est la marqué choisie Sur laqué 1 Le au premier s il doit livrer Célie. Je songe auparavant a chercher les moyens D'óter aux yeux de tous ce qui charme les miens, A trouver promptement un endroit favorable Oü puisse être en secret cette captive aimable. i. Cette fmeur. 3. Je te retiens pour moi. 3. Pour assurer votre contentement. 4. An sujet de tout ceci. 5. Au premier qui la demandera. 102 L'ÉTOÜRDI MASCARILLE Hors de la ville nn peu, je puis avec raison D'un vieux parent que j'ai vous offrir la maison: La, vous pourrez la mettre avec toute assurance, Et de cette action nul n'aura connaissance. LÉANDRE Oui, ma foi, tu me fais un plaisir souhaité; Tiens donc, et va pour moi prendre cette beauté: Dès que par Trufaldin ma bague sera vue, Aussitót en tes mains elle sera rendue, Et dans cette maison tu me la conduiras, Quand... Mais chut! Hippolyte est ici sur nos pas. SCÈNE X HIPPOLYTE, LÉANDRE, MASCARILLE1 HIPPOLYTE Je dois vous annoncer, Léandre, une nouvelle; Mais la trouverez-vous agréable ou cruelle? LÉANDRE Pour en pouvoir juger et répondre soudain, II faudrait la savoir. HIPPOLYTE Donnez-moi donc la main Jusqu'au temple2; en marchant je pourrai vous 1'appren- LÉANDRE u Mascarille' C**1* Va, va-t'en me servir, sans davantage attendre. SCÈNE XI MASCARILLE seul Oui, je te vais servir d'un plat de ma facon. Fut-il jamais au monde un plus heureux garcon? 1. Cf. L'Innavrerlilo, 11, x, dont on trouvera le texte k Ia p. 286, au 1.1 de 1'éd. Despois des Oeuvres de Molière. Mais la scène est italienne n'est qu'une fade conversafion entre Cinthio (= Léandre) et Lavinia (= Hippolyte). 2. Nous sommes censés être dans le monde païen, du moins au point de vue des croyances; cf. plus haut I. VI: Au nom de Jupiter. 3. Add. de 1'éd. de 1734, qui, la première, fait du monologue suivant une scène séparée, la XI*. ACTE h, SCÈNES XI, XII et XjU io3 Oh! que dans un moment Lélie aura de joie! Sa maitresse en nos mains tomber par cette voie! Recevoir tout son bien d'oü 1'on attend le mal, Et devenir heureux par la main d'un rival! Après ce rare exploit, je veux que 1'on s'appréte A me peindre en héros, un laurier sur la tête, Et qu'au bas du portrait on mette en lettres d'or: Vivat Mascarillus \ fourb&m imperator! SCÈNE XII TRUFALDIN, MASCARILLE MASCARILLE Hola! TRUFALDIN Que voulez-vous? MASCARILLE Cette bague connue Vous dira le sujet qui cause ma venue. TRUFALDIN Oui, je reconnais bien la bague que voila. Je vais quérir 1'esclave; arrêtez* un peu la. SCÈNE XIU LE COURRIER, TRUFALDIN, MASCARILLE LE COURRIER i Trufaldin' Seigneur, obligez-moi de m'enseigner * un homme... TRUFALDIN Et qui? LE COURRIER Je crois que c'est Trufaldin qu'il se nomme. 1. La Comédie de Uatcariiiut (aiiui j appela-t-on VÉtourdi) etait au nombre des aapt pièces de Mollire repiesentées i Torgau, au carnaval de 1690, devant 1'Électeur de Saxe, par la troupe de maitre Velthen, comédien et traducteur. Cf. Éd. Devrient, Histoire de l'art dramatique en Allemagne, 1.1, p. »63 (D). Le latin de Mascarille est du latin de cuisine. 2. Attendez. 3. Add. 1734. 4. En m'indiqnant. io4 L'ETOURDI TRUFALDIN Et que lui voulez-vous? Vous le voyez ici. LE COURRIER Lui rendre 1 seulement la leltre que voici. TRUFALDIN Ut' Le del, dont la bonté prend souci de ma vie, Vient de me faire ouïr, par un bruit assez doux, Que ma fille, a quatre ans, par des voleurs ravie, Sous le uom de Célie est esclave chez vous. Si vous si'ites jamais ce que c'est qu'être père, Et vous trouvez sensible aux tendresses du song, Conservezmoi chez vous cette fille si chère, Comme si de la vótre elle tenait le rang. Pour Paller retirer je pars d'ici moi-meme, Et vous vais de vos soins récompenser si bien, Que par votre bonheur, que je veux rendre extréme, Vnis bénirez le jour ou vous eau se z le mi en. De Madrid Don Pedbo de Gusman, Marquis de Mtruuin. (II continue) Quoiqu'a leur nation s bien peu de foi soit dne, Ils me 1'avaient bien dit, ceux qui me 1'ont vendue, Que je yerrais dans peu quelqu'un la retirer, Et que je n'aurais pas sujet d'en murmurer; Et cependant j'altais, par mon impatience, Perdre aujourd'hui les fruits d'une haute espérance. (Au courrier) * Un seul moment plus tard tous vos pas étaient vains, J allais mettre en 1'instant * cette fille en ses mains. l. Lui remettre. 1. La Lettre révélatrice faisait partie des accessoires obligés de la tragi-comédie et de la comédie d'alors. (Cf. UInavvertito. III, xinj. Les mots Tbumtjdin Ut appartiennent k 1'éd. de l73», deméme qne les rubriqrjesIIcontinue, Le Courrier tort (T>). 3. Aux Bohémiens. 6*- Cette rubrique et les mots A Mascarille figurenI dans diverses éd, depuis 5. A 1'iustant. ACTE ü, SCÈNES Xffl et XIV i o 5 Mais suffit, j'en aurai tout le soin qu'on désire. (Le Courtier sort) (A Mascarille) Vous-même vous voyez ce que je viens de lire: Vous direz a celui qui vous a fait venir Que je ne lui saurais ma parole tenir, Qu'il vienne retirer son argent. MASCARILLE Mais 1'outrage Que vous lui faites... TRUFALDIN Va, sans ranser davantage. MASCARILLE u-ui1 Ah! le facheux paquet que nous venons d'avoir! Le sort a bien donné la baye 1 a mon espoir; Et bien a la male-heure 8 est-il venu d'Espagne, Ge courrier, que la foudre ou la grèle accompagne: Jamais, certes, jamais plus beau comme neem ent N'eut en si peu de temps plus triste événement *. SCÈNE XIV LÉLIE riant6; MASCARILLE MASCARILLE Quel beau transport de joie a présent vous inspire? LÉLIE Laisse-m'en rire encore avant que te le dire. MASCARILLE Ca, rions donc bien fort, nous en avons sujet. LÉLIE Ah! je ne serai plus de tes plaintes 1'objet. Tu ne me diras plus, toi qui toujours me cries *, Que je gate, en brouillon, toutes tes fourberies: .. i73*(D). ■2. Ital. dar la baia, se nioquer (D); faire la nique h. 3. Idttéralement, a la mauvaise heure; pour mon malheur. 5. Éd. 1734. Cf. L'Inawertita III, II (D). 6. Me gourmaudes. Cf. JCcole des Femmes, V, rr: Pourquoi me criea tous? acte m, scènes n et m ii5 LÉANDRE Quelle surprise étrange! MASCARILLE"; pari' D. a pris 1'hamecon1; Courage: s'il s'y peut enferrer* tout de bon, Nous nous ótons du pied une facheuse épine. LÉANDRE Oui, d'un coup étonnant ce discours m'assassine. MASCARILLE Quoi? vous pourriez...? LÉANDRE Va-t'en jusqu'a la poste, et voi * Je ne sais quel paquet qui doit venir pour moi. (Seul, après avoir rêvè bJ Qui ne s'y fut trompe? jamais 1'air d'un visage, Si ce qu'il dit est vrai, n'imposa 6 davantage. SCÈNEJ(ni LÉLIE, LÉANDRE LÉLIE Du chagrin qui vous tient quel peut être 1'objet? LÉANDRE Moi? LÉLIE Vous-même. LÉANDRE Pourtant je n'en ai point sujet. LÉLIE Je vois bien ce que c'est, Célie en est la cause. LÉANDRE • Mon esprit ne court pas après si peu de chose. i. Éd. i734. i. II a mordu. 3. Terme d'escrime succédant a un terme de pêche, pourexprimerle même fait. 4. L'us» de cet impératif n'est pas étjmologique, mais est omïs ici par licence poétique. 5. Après avoir réfléchi (rubrique des éd. de 1682 et 1734). 6. Ne trompa. 8 ii4 L'ETOURDI lelie Pour elle tous aviez pourtant de grands desseins; Mais il faut dire ainsi, lorsqu'ils se trouvent vains. léandre Si i'étais assez sot pour chérir ses caresses, Je me moquerais bien de toutes vos finesses. lélie Quel les finesses donc? léandre Mon Dieu! nous savons tout. lélie Quoi? léandre Votre procédé de 1'un a 1'autre bout. lélie C'est de 1'hébreu pour moi, je n'y puis rien comprendre. léandre Feignez, si vous voulez, de ne me pas entendrel; Mais, croyez-moi, cessez de craindre pour un bien Ou ie serais faché de vous disputer nen 8, J'aime fort la beauté qui n'est point profanée, Et ne veux point bruler pour une abandonnée 8. lélie Tout beau, tout beau, Léandre. léandre Ah! que vous étes bon! Allez, vous dis-je encor, servez-la sans soupcon: Vous pourrez vous nommer homme a bonnes fortunes. II est vrai, sa beauté n'est pas des plus communes; Mais en revanche aussi le reste est fort commun. lélie Léandre, arrêtons la ce discours importun. Contre moi tant d'efforts qu'il vous plaira pour elle; >. Comprcndre. 3. Que je regretterais de vous disputer. acte m, scène m n5 Mais, surtout, retenez cette atteinte mortelle1: Sachez qne je m'impute a trop de lacheté D'entendre mal par Ier 2 de ma divinité; Et que j'aurai toujours bien moins-de répugnance A souffrir votre amour qu'un discours qui 1'offense. LÉANDRE Ce que j'avance ici me vient de bonne part. LÉLIE Qniconque vous 1'a dit est un lache, un pendard: On ne peut imposer de tache a cette fille °; Je connais bien son coeur. LÉANDRE Mais enfin Mascarille D'un semblable procés est juge compétent: C'est lui qui la condamne. LÉLIE Oui? LÉANDRE Lui-méme. LÉLIE 11 prétend D'une fille d'honneur insolemment médire, Et que peut-être encor je* n'en ferai que rire? Gage * qu'il se dédit. LÉANDRE Et moi, gage que non. LÉLIE Parbleu! je le ierais mourir sous le baton, S'il m'avait soutenu des f'aussetés pareilles. LÉANDRE Moi, je lui couperais sur-le-cbamp les oreilles, S'il n'était pas garant6 de tout ce qu'il m'a dit. i. Épargnez-moi cette mortelle injure. 1. Dire du nul. 5. Réussir a ternir le répu talion de cette jeune fille. 4. Substanlif: Je garanlis par un gage qu'il se dédira. 5. S'il ne maintenait pas, en donnant des preuves (D). u6 L'ETOURDI SCÈNE IV LELIE, LÉANDRE, MASCARILLE LÉLIE Ah! bon, bon, le voila: venez ca, chien maudit! MASCARILLE Quoi? LÉLIE Langue de serpent fertile en impostures, Vous osez sur Célie attacher vos morsures, Et lui calomnier1 la plus rare vertu Qui puisse faire éclat1 sous un sort abattu? MASCARILLE, bm, a Lélie' Doucement, ce discours est de mon industrie *. LÉLIE Non, non, point de clin d'oeil et point de raillerie: Je suis aveugle a tout, sourd a quoi que ce soit; Fut-ce mon propre frère, il me la 6 payerait; Et sur ce que j'adore oser porter le blame, C'est me faire une plaie au plus tendre de 1'ame 8. Tous ces signes sont vains: quels discours as-tu faits? MASCARILLE Mon Dieu, ne cherchons point querelle, ou ie m'en vais. LÉLIE Tu n'échapperas pas. MASCARILLE AU! LÉLIE Parle donc, confesse. l. Et calomnier en elle (D).* 3, Qni puisse briller dans une coudition misérable ? 3. Add. de 1734. 4. Invention (D). 5. Le. 6. II parait que Hugo admirait ces deux vers, 1'ipre critique des Précieuses et de la préciosité ne leur eüt pas été si indulgent. 7. II lui tire les oreilles. ACTE JU, SCÈNE IV »»7 MASCARILLE, bat, i Lélie1 Laissez-moi, ie vous dis que c'est un tour d'adresse. LÉLIE Dépêche, qu'as-tu dit? Vide entre nous ce point. , MASCARILLE, bat, a Lélie J'ai dit ce que j'ai dit: ne vous emportez point. LÉLIE meltant l'épée a la main Ah! je vous ferai bien parler d'une autre sorte. LÉANDRE l'arrétant Halte un peu: retenez 1'ardeur qui vous emporte. MASCARILLE a part Fut-il jamais au monde un esprit moins sensé? LÉLIE Laissez-moi contenter mon courage offensé. LÉANDRE C'est trop que de vouloir le battre en ma présence. LÉLIE Quoi? chatier mes gens n'est pas en ma puissance? LÉANDRE Comment, vos gens? MASCARILLE a part Encore! H va tont découvrir. LÉLIE Quand j'aurais volonté de le battre a mourir, Eh bien, c'est mon valet. LÉANDRE C'est maintenant le nótre. LÉLIE Le trait est admirable! Et comment donc le votre ? Sans don te... i. Cette rubrique et les suivantes de cette page provienuent de 1'édition de 1734. 120 L'ETOURDI Et par qui son amour s'en était presque allé? Non, il a 1'esprit franc, et point dissimulé. Enfin chez son rival je m'ancre avec adresse, Cette fourbe1 en mes mains va mettre sa maitresse: B. me la fait manquer avec de faux rapports. Je veux de son rival alentir1 les transports, Mon brave, incontinent, vient qui le désabuse8: J'ai beau lui faire signe, et montrer que c'est ruse: Point d'affaire; il poursuit sa pointe jusqu'au bout* Et n'est point satisfait qu'il n'ait découvert tout. Grand et sublime effort d'une imaginative JÏQ* Qui ne le cède point a personne qui vive 5! C'est une rare pièce 8, et digne, sur ma foi, Qu'on en fasse présent, au cabinet7 d'un roi. LÉLIE Je ne m'étorine pas si je romps tes attentes 8: A moins d'ètre informé des choses que tu tentes, J'en ferais encor cent de la sorte. MASCARILLE Tant pis. LÉLIE Au moins pour t'emporter a de jus tes dépits, Fais-moi dans tes desseins entrer de 9 quelque chose. Mais que de leurs ressorts la porte me soit close, C'est ce qui fait toujours que je suis pris sans vert10. i. Som. *. Ralentir. 3. Voili mon brave qni, aussitót, vient le détromper. 4. Montrer qne c'est nne ruse: rien k faire, il pousse jusqu'au bont. 5. Encore la reprise comiqne des vers de plus haut, p. 106. 6. C'est nn rare chef-d'ceuvre. 7. Les rois, les grands seigneurs et les riches bourgeois possédaient des «cabine ts de cu riosi tés», qne nous appelleriona au jou rd'hu i musée, galerie ou collection. 8. Si je décois ton attente, si je déjone tes entreprises. 9. Pour.. >0. Mais c'est paree qne j'en ignore les ressorts qne je me trouvé pris an déponrru. On dit encore: on ne me prend pas sans vert. Le Dictionnaire de Furetiere (1690) ezpliqne ainsi cette expression: «On dit qn'un homme a Uipris tan* vert, pour dire k 1'impourvu, par al lusion dn jeu qu'on jone au mois de mai, dont la condition est qu'il faut toujours avoir du vert sur soi, sous peine de recevoir nn seau d'ean sur la tete, on d'ètre livre k la discrétion de 1'autre, ce qui ne déplaiaait pas tonjours aux galants, ou aux galantes». (Cf. note de M. Despois an 1.1, p. 178-9 des Oeuvres de Molière). Voir aussi Rabelais, Pantagruel, Tiert livre, ACTE UI, SCÈNE V 131 MASCARILLE Je crois que vous seriez un maitre d'arme expert1: Vous savez a merveille, en toutes aventures, Prendre les contre-temps et rompre les mesures. LÉLIE Puisque la chose est faite, il n'y faut plus pensen Mon rival, en tout cas, ne peut me traverser *; Et, pourvu que tes soins, en qui s je me repose... MASCARILLE Laissons la ce discours, et parions d'autre chose: Je ne m'apaise pas, non, si facilement; Je suis trop en colère. II faut premièrement Me rendre un bon office *, et nous ven-ons ensuite Si je dois de vos feux 6 reprendre la conduite. LÉLIE S'il ne tient qu'a cela, je n'y résiste pas: As-tu besoin, dis-moi, de mon sang, de mon bras? MASCARILLE De quelle vision sa cervelle est frappée! Vous étes de 1'humeur de ces amis d'épée 4 Que 1'on trouve toujours plus prompts a dégainer Qu'a tirer un teston ï, s'il fallait le donner. LÉLIE Que puis-je donc pour toi? 1. Le texte de 1683 et de 1734 donne pour cette réplique, nne version absolument différente, mais qni n'« pas de caractère d'anthenticité. Mascarille afleclionne les images empruntées k 1'escrime et celles-ci se trouvent conunentées par le Dictionnaire de Furetière (1890): uContre-tempt, chei les maitres en fait d'armes se dit lorsqne les denx ennemis s'allongent en même temps ce qni nrodnit le conp fonrré. Le contre-temps se dit aussi quand I'ennemi prend un temps qu'on lui k présenté k dessein par quelque appel Ou temps faux qui est hors de la mesure, afin de prendre le dessus ou le dessous, ou de quarter anivant 1'occa— sionn (D). 2. Contrecarrer. 3. Tes efforts sur lesqnels je me repose, auxqnels je me fie. 4. Me rendre nn service. 5. Devosamours. 6. Tont disposés k servir de seconde dans un duel (D). 7. o Testons. Cette mon na ie snccéda aux Grot tournoit. Louis XII la fit commencer an mois d'avril i513. Cette espèce fut appelée teston, k cause de Ia tete dn Roi qni y est gravée (it. testone). Ils valaient 10 sols. Henri III en interdit la fabrication en i5y5. Ils valaient [alors] i4 sols 6 derniers» (Le Blanc, Traité historique des rnonnaies de France, p. XIV) (D). 111 L'ETOURDI MASCARILLE C'est que de votre père U faut absolument apaiser la colère. LÉLIE Nous avons fait la paix. MASCARILLE Oui; mais non pas pour nous. Je 1'ai fait, ce matin, mort pour 1'amour de vous : La vision le choque, et de pareilles feintes Aux vieillards comme lui sont de dures atteintes, Qui, sur 1'état prochain de leur condition, Leur font faire a regret L ris re réflexion. Le bonhomme, tout vieux \ chérit fort la lumière, Et ne veut point de jeu dessus1 cette matière; D. craint le pronostic 8, et, contre moi faché, On m'a dit qu'en j us tice il m'avait recherché *. J'ai peur, si le logis du Roi fait5 ma demeure, De m'y trouver si bien dès le premier quart d'heure. Que j'aye peine aussi d'en 8 sortir par après. Contre moi dès 7 longtemps 1'on a force décrets; Car enfin la vertu n'est jamais sans envie 8, Et dans ce maudit siècle est toujours poursuivie. Allez donc.le fléchir. LÉLIE Oui, nous le fléchirons: Mais aussi tu promets... MASCARILLE Ah! mon Dien, nous verróns. Lélie sort9. Ma foi, prenons haleine après tant de fatigues, Cessons pour quelque temps le cours de nos intrigues 1. Toni vieux qu'il est. 2. Sur. 5. Présage. (Pronostic ne s'einploie plus aujourd'hui que dans le laogage sportif). 4. Poursuivi. 5. Si la prison devient ma demente. 6. Qne j'aie de la dimculté k. 7. Depuis. 8. La vertu est toujours objet d'envie. g. Add. 1682 et 1734. ACTE UT, SCÈNES V et VI 123 Et de nous tourmenter1 de même qu'un lutin. Léandre, pour nous nuire, est nors de garde enfin *, Et Célie arrêtée avecque 1'artifice... SCÈNE VI ERGASTE, MASCARILLE ERGASTE Je te cherchais partout pour te rendre un service, Pour te donner avis d'un secret important. MASCARILLE Quoi donc? ERGASTE N'avons-nous point ici quelque écoutant1? MASCARILLE Non. ERGASTE Nous sommes amis au tant qu'on le peut être; Je sais tous tes desseins et 1'amour de ton maitre. Songez a vous tantót4: Léandre fait parti* Pour enlever Célie, et j'en suis averti Qu'il a mis ordre a tout, et qu'il se persuade * D'entrer chez Trufaldin par une mascarade, Ayant su qu'en ce temps, assez souvent le soir, Des femmes du quartier en masqué7 1'allaient voir. MASCARILLE Oui! Suffit; il n'est pas au comble de sa joie; Jej^pourrai bien tantot lui soufller cette proie; Et contre cet assaut je sais un coup fourré Par qui je veux qu'il soit de lui-même enferré: 11 ne sait pas les dons dont mon ame est pourvue. Adieu: nous boirons pinte a la première vuen. 1. Changement de constrnction assez hardi au point de vue ayntaxique. 2. N'est plus sur ses gardes. 3. Quelqu'un qui nous écoute. 4. Auplusvite. 5. A formé le projet de. on disait plus souvent: faireportie oufaire la portie de. 6. Je suis averti... qu'il se propose d'entrer... 7. Les femmes du monde se mettaient souvent un masqué ou aloup» de velours noir sur la figure, pour n'être pas reconnues. 9. Nous boirons ensemble, quand nous nous reverrons. 134 L'ETOURDI scène vn MASCARILLE seul1 II faut, il faut tirer a nous ce que d'heureux Pourrait avoir en soi ce proiet amoureux, Et, par une surprise adroite et non commune, Sans courir le danger, en tenter la fortune. Si je vais me masquer pour devancer ses pas, Léandre assurément ne nous bravera pas, Et la, premier que lui 2, si nous faisons la prise 3, II aura fait pour nous les frais de 1'entreprise, Puisque par son dessein déja presque éventé, Le soupcon tombera toujours de son cöté, Et que nous, a couvert de toutes ses poursuites, De ce coup hasardeux ne craindrons point les suites. C'est ne se point commettre a faire de 1'éclat, Et tirer les marrons de la patte du cbat *. Allons donc nous masquer avec quelques bons frères; Pour prévenir nos gens, il ne faut tarder guères. Je sais oü git le lièvre, et me puis, sans travail6, Fournir en un moment d'hommes et d'attirail. Croyez que je mets bien mon adresse en usage: Si j'ai recu du ciel les fourbes * en partage, Je ne suis point au rang de ces esprits mal nés Qui cachent les talents que Dieu leur a donnés. scène vin LÉLIE, ERGASTE LÉUE 11 prétend 1'enlever avec sa mascarade? 1. C'est l'édilion de ly34 qui fai t du monologu e de Mascarille u ne scène apart. 3. Avantlui. 3. Si nous nous emparons de Ia proie. 4. AUusion k la fable le Singe et le Chat, connue bietfavantLa Fontaine. témoin ces vers de Tristan Lbermite, publies en 1648 (D): Et les pat tes de vos minettes Ponr tirer les marrons du fen Ne serviront plus de pincettes. 6. Lesruses. ACTE Dl, SCÈNES VUI, EX et X, 125 ERGASTE D. n'est rien plus certain. Quelqu'un de sa brigade1 M'ayant de ce dessein iristruit, sans m'arrêter, A Mascarille lors j'ai couru tout co nter, Qui s'en va, m'a-t-il dit, rompre cette partie Par une invention dessus le champ 2 batie; Et, comme je vous ai rencontré par hasard, J'ai cru que je devais de tout vous faire part.' LÉLIE Tu m'obliges par trop avec cette nouvelle: Va, je reconnaitrai ce service fidéle. SCÈNE IX LÉLIE seul* Mon dróle assuré ment leur jouera quelque trait; Mais je veux de ma part * seconder son projet. H ne sera pas dit qu'en un fait qui me touche, Je ne me sois non plus remué qu'une souche. Voici 1'heure: ils seront surpris a mon aspect. Foin! Que n'ai-je avec moi pris mon porte-respect *! Mais vienne qui voudra contre notre personne, J'ai deux bons pistolets, et mon épée est bonne. Hola! quelqu'un, un mot! SCÈNE X8 LÉLIE, TRUFALDIN d sa fenétre'' TRUFALDIN Qu'est-ce? qui me vient voir? i. De son groupe. (Les potles de la Fléiade s'appelèrent d'abord la Brigade), a. Faire échouer ce projet par une invention concne sur le champ. 3. Nouvelle scène introduite par 1'éd. de 1773. 4. Pour mon compte. 5. aPorte-respect, dit Furetière, est nn nom que quelques uns donnent k un mousqueton ou une carabine qui a un calibre fort large. qui oblige celui k qui on la présente de porter respect et de céder k la violence de son ennemi» (D). Les rnes étaient alors peu adres, la nuit, aussi bien k Paris qu'i Messine, mais Descartes se plaisait k louer la sécurité qui, par contre, régnait k Amsterdam au XVII» siècle. 6. L'Iruivvertito, III, ix. (D). 7. Rnbrique ajoutée en 1734. 1 26 L'ÉTOURDI LÉLIE Fermez soigneusement votre porte ce soir. TRUFALDIN Pourquoi? LÉLIE Certaines gens font une mascarade, Pour vous venir donner une facheuse aubade: Ils veulent enlever votre Célie. TRUFALDIN O dieux! LÉLIE Et sans doute bien tót ils viennent en ces lieux: Demeurez, vous pourrez voir tout de la fenétre. Eh bien, qu'avais-je dit? Les voyez-vous paraitre? Chut! ie veux a vos yeux leur en faire 1'aifront:' Nous allons voir beau jeu, si la corde ne rompt SCÈNE XI* LÉLIE, TRUFALDIN, MASCARILLE et sa suite, masgués 3 TRUFALDIN Oh! les plaisant8 robi ns ■*, qui pensent me surprendre! LÉLIE Masques, oü courez-vous? Le pourrait-on apprendre? Trufaldin, ouvrez-leur pour jouer un momon 6. A MascariUe, déguisé en femme 1. La phrase est traditionnelle et se lit déja dans Rabelais. (Quart livre, ch. VI: (ill y aura bien beau jen. si la corde ne rompt»). II se pourrait que 1'image füt empmntée a la représentation des mystères oü les acteurs étaient parfois séparés des spectateurs par une corde circulaire qne lenr pression, due k la curiosité, pouvait rompre a chaque instant* On peut aussi admettre avec Génin qne la locn— lion est empmntée aux danseurs de corde, mais non, comme le Teut D., au tir 2. L'Inapeertito, III, z (D). 5. Rubrique de 1'éd. de 1734. 4. Gens de robe. Ainsi appelait-on d'ordinaire les gens de justice et même la noblesse ((de robe». 5. Un ((masqué», au sens de pièce raimée par des gens masqués. Momeries est de la même familie (AH.: Hummerei). 6. Indication de 1'éd. de 1734. ACTE m, SCÈNES XI et XII 137 Bon Dieu, qu'elle est jolie, et qu'elle a 1'air mignon! Eh quoi! vous murmurez? mais, sans vous faire outrage, Peut-on lever le masqué et voir votre visage? TRUFALDIN Allez, fourbes méchants, retirez-vous d'ici, Canaille! et vous, seigneur, bonsoir, et grand merci. SCÈ1YE XII1 LÉLIE, MASCARILLE LELIE après avoir démasqué Mascarille Mascaiïlle, est-ce toi? MASCARILLE Nenni da 2, c'est quelque autre. LÉLIE Hélas! quelle surprise! et quel sort est le nótre! L'aurais-je deviné, n'étant point averti Des secrètes raisons qui 1'avaient travesti? Malheureux que je suis d'avoir, dessous 8 ce masqué, Eté, sans y penser, te faire cette frasque! II me prendrait envie, en ce juste courroux, De me battre moi-même, et me donner cent coups. MASCARILLE Adieu, sublime esprit, rare imaginative. LÉLIE Las! si de ton secours ta colère me privé, A quel saint me vouerai-je? MASCARILLE Au grand diable d'enfer*. LÉLIE Ah! si ton coeur pour moi n'est de bronze ou de fer, Qu'encore un coup du moins mon imprudence ai t5 grace. 1. Introduite par la même édition, ainsi que la rubrique qui suil. 1. On dit encore oui-da. 5. Sous. 4. Locution empmntée aux Mystères a qui nous devons aussi 1'expressiom faire le diable a quatre. 5. Obtienne. ACTE IV, SCÈNE UI i35 TRUFALDIN a MatcariUe J'ai, je ne sais pas oü, vu quelque ressemblance1 De cet Annénien. MASCARILLE C'est ce que je disais; Mais on voit des rapports admirables parfois. TRUFALDIN Vous avez vu ce fils, oü ï mon espoir se fonde? LÉLIE Oui, seigneur Trufaldin, le plus gaillard s du monde. TRUFALDIN II vous a dit sa vie, et parlé fort de moi? LÉLIE Flus de dix mille fois. MASCARILLE Quelque peu moins, je crois. LÉLIE II vous a dépeint tel que je vous vois paraitre, Le visage, le port... TRUFALDIN Cela pourrait-il être,' Si, lorsqu'il m'a pu voir, il n'avait que sept ans, Et si son précepteur même, depuis ce temps, Aurait peine a pouvoir connaitre mon visage? MASCARILLE Le sang, bien autrement, conserve cette image: Par des traits si profonds ce portrait est tracé, Que mon père... TRUFALDIN Suffit. Oü 1'avez-vous laissé? LÉLIE En Turquie, a Turin. jf Vu quelqu'un ressemblant a cet Armenien. a. Sur lequel. 3. Le mieux portaut. i36 L'ETOURDI TRUFALDIN Turin? Mais cette ville Est, je pense, en Piémont. MASCARILLE a part O cerveau malhabile! (A Trufaldin\) Vous ne 1'entendez pas: il veut dire Tunis, Et c'est en effet la qu'il laissa votre fils; Mais les Arméniens ont tous une habitude, Certain vice de langue a nous autres fort rude C'est que dans tous les mots ils changent nis en rin, Et pour dire Tunis, ils prononcent 'lurin. TRUFALDIN B. fallait, pour 1'entendre, avoir cette lumière, Quel moyen vous dit-il de rencontrér son père? MASCARILLE (A part.) Voyez s'il répondra. (A Trufaldin, après s'étre escrimé.) Je repassais un peu Quelque lecon d'escrime: autrefois en ce jeu H n'était point d'adresse a mon adresse égale, Et j'ai battn le fer en main te et main te salie. TRUFALDIN a Mascarille Ce n'est pas maintenant ce que je veux savoir. (A Lélie.) Quel autre nom dit-il que je devais avoir? MASCARILLE Ah! seigneur Zanobio Ruberti, quelle joie Est celle maintenant que le Ciel vous envoie *! LÉLIE C'est la votre vrai nom, et 1'autre est emprunté. TRUFALDIN Mais oü vous a-t-il dit qu'il recut la clarté? I. Cette indicatie.!, de mise en scène et les quatre snivantes sont emprnntéea a 1'éd. de 1734 (D). a. Opportune intervention dn valet, car VEtourdi a onblié Ie vrai nom de Trufaldin. ACTE IV, SCÈNE UI **7 MASCARILLE Naples est un séjour qui parait agréable; Mais pour tous ce doit être un lieu fort baïssable. TRUFALDIN Ne peux-tu, sans par Ier, souffrir notre discours? LÉLIE Dans Naples son destin a commencé son cours. TRUFALDIN Oü 1'envoyai-je jeune, et sous quelle conduite? MASCARILLE Ce pauvre maitre Albert a beaucoup de mérite D'avoir depuis Bologne accompagné ce fils, Qu'a sa discré tion vos soins avaient commis! TRUFALDIN Ah! MASCARILLE d part • Nous sommes perdus si cet entretien dure. TRUFALDIN Je voudrais bien savoir de vous leur aventure, Sur quel vaisseau le sort, qui m'a su travailier... 2 MASCARILLE Je ne sais ce que c'est, je ne fais que bailler; Mais, seigneur Trufaldin, songez-vous que peut-être Ga Monsieur 1'étranger a besoin de repaltre 3, Et qu'il est tard aussi? LÉLIE Pour moi, point de repas. MASCARILLE Ah! vous avez plus faim que vous ne pensez pas *. TRUFALDIN Entrez donc. LÉLIE Après vous. 1. Ed. de 1734, ainsi que let trois rubriques suivanies (D). 2. Persécuter. 3. Senourrir. 4. Que vous ne pensez. i58 L'ÉTOURDI MASCARILLE a Trufaldin Monsieur, en Armenië Les maitres du logis sont sans cérémonie. (A. Lélie, après que Trufaldin est entré dans sa maison.) Pauvre esprit! Pas deux mots! LÉLIE D'abord il m'a sur pris; Mais n'appréhende plus, je reprends mes esprits, Et m'en vais débiter avecque hardiesse... MASCARILLE Voici notre rival, qui ne sait pas la pièce (Ils entrent dans la maison de Trufaldin.) SCÈNE IV1 LÉANDRE, ANSELME ANSELME Arrètez-vous, Léandre, et soufirez un discours Qui cherche le repos et 1'honneur de vos jours. Je ne vous parle point en père de ma fille, En homme intéressé pour * ma propre familie, Mais comme votre père ému pour votre bien*, Sans vouloir vous flatter et vous déguiser rien, Brei', comme je voudrais, d'une ame franche et pure, Que 1'on fit a mon sang6 en pareille aventure. Savez-vous de quel teil chacun voit cet amour, Qui dedans une nuit4 vient d'éclater au jour? A combien de discours et de traits de risee Votre entreprise d'hier 7 est par tout exposée? Quel jugement on fait du choix capricieux Qui pour femme, dit-on, vous désigne en ces lieux l. Qui ne connait pas 1'intrigne. a. II n'y aucun lieu entre cette scène et la précédente. Molière ne connait pas encore le grand principe francais de la liaison des scènes. 3. En homme qui ne s'intéresse qu'a sa propre familie. 4. Soucieux de votre hien. 5. A mon propre fils. 6. Au cours d'une nuit. 7. Hier est ici monosyllabe. ACTE IV, SCÈNE VIII i45 TRUFALDIN Voila qui me plait fort; rentre, je suis content. Mascarille suit Trufaldin, qui rentre dans sa maison. LÉLIE revenant A moi! par un valet, cet affront éclatant! L'aurait-on pu prévoir, Paction de ce traitre, Qui vient insolemment de maltraiter son maitre? MASCARILLE a la fenétre de Trufaldin Peut-on vous demander comment va votre dos? LÉLIE Quoi! tu m'oses encor tenir un tel propos? MASCARILLE V oila, voila que c'est de ne voir pas1 Jeannette, Et d'avoir en tout temps s une langue indiscrete. Mais, pour cette fois-ci, je n'ai point de courroux. Je cesse d'éclater, de pester contre vous: Quoique de 1'action Pimprudence soit haute, Ma main sur votre échihe a lavé votre faute. LÉLIE Ah! je me vengerai de ce trait déloyal! MASCARILLE Vous vous ètes causé vous-méme tout le mal. LÉLIE Moi? MASCARILLE Si vous n'étiez pas une cervelle folie, Quand vous avez parlé naguère s a votre idole, Vous auriez apercu Jeannette sur vos pas, Dont 1'oreille subtile a découvert le cas *. LÉLIE On aurait pu surprendre un mot dit a Célie? MASCARILLE Et d'oü doncques viendrait cette prompte sortie? i. Voili ce qne c'est de ne pas voir J. i. Toujonrs. 3. Tontesleseditionsde 1663 1 17 3o (D.) ecriyent, conformément k 1 etymologie : n'agnere (n'a gueres-, il n'y a gueres de temps). (D). 4. Le mystere. i46 L'ETOURDI Oui, vous n'ètes dehors que par votre caquet1: Je ne sais si souvent vous jouez au piquet, Mais au moins faites-vous des écarts 8 admirables. LÉLIE O le plus malheureux de tous les misérables! Mais encore, pourquoi me voir cbassé par toi? MASCARILLE Je ne fis jamais mieux que d'en prendre 1'emploi8: Par la, j'empêche au moins que de cet artifice Je ne sois soupconné d'ètre auteur ou complice. LÉLIE Tu devais donc, pour toi, fraj.per plus doucement. MASCARILLE Quelque sot *. Trufaldin lorgnait6 exactement. Et puis, je vous dirai, sous ce prétexte utile, Je n'étais point faché d'évaporer 8 ma bile. Enfin la chose est faite, et, si j'ai votre foi7 Qu'on ne vous verra point vouloir venger sur moi, Soit8 ou directement, ou par quelque autre voie, Les coups sur votre rable11 assénés avec joie, Je vous promets, aidé par le poste oü je suis, De contenter vos voeux avant qu'il soit deux nuits10. LÉLIE Quoique ton traitement ait eu trop de rudesse, Qu'est-ce que dessus11 moi ne peut cette promesse? MASCARILLE Vous le promettez donc? x. RaTardage. a. Faire un écart, se défaire de certaines cartes. L'allnsion plaisante a la dernière incartade de 1'Étonrdi est facile a comprendre. 5. Que de jouer ce rile. 4. Bon pour un sot. Cf. plus hant p. g6. 5. Épiait soigneusement. 6. De donner libre cours a ma colère. 7. Votre engagement. 8. Pleonasme. 9. Sur votre dos. Terme plaisant, paree qu'il ne s'applique guère qu'au lievre> 10. Avant que deux nuits soient passées. 11. Sur. ACTE IV, SCÈNES VIQ et IX i47 LÉLIE Oui, je te le promets. MASCARILLE Ce n'est pas encor tout. Promettez que jamais Vous ne vous mêlerez dans quoi que j'entreprenne. LÉLIE Soit. MASCARILLE > Si vous y manquez, votre fièvre quartaine1! LÉLIE Mais tiens-moi donc parole, et songe a mon repos. MASCARILLE Allez quitter 1'habit, et graisser votre dos 2. LÉLIE seul' Faut-il que le malheur qui me suit a la tracé Me fasse voir toujours disgrace sur disgrace? MASCARILLE sortant de chez Trufaldin Quoi? vous n'êtes pas loin? Sortez vite d'ici; Mais surtout gardez-vous de prendre aucun souci: Puisque je fais* pour vous, que cela vous suffise; N'aidez point mon projet de5 la moindre entreprise, Demeurez en repos. LÉLIE en sonant Oui, va, je m'y tiendrai. MASCARILLE seul II faut voir maintenant quel biais je prendrai. SCÈNE IX6 ERGASTE, MASCARILLE ERGASTE Mascarille, je viens te dire une nouvelle i. La fièvre quarle voos premie. (La fiivre quarte ou quartaine, dans 1'ancienue médecine, est celle qui revient tous les quatre jours), a. Y appliquer des onguents pour calmer la cuisson des coups. 3. Cette rubrique et les trois suivantes viennent de 1'éd. de 1734. 4. J'.gU. 5. Par. 6. Cf. L'Inawcrtito, V, m (D). i48 L'ÉTOURÜI Qui donne a tes desseins une at tem te cruelle: A 1'heure que je parle, un jeune Égyptien, Qui n'est pas noir pour tant et sent assez son bien », Arrivé, accompagné d'une vieille fort have, Et vient chez Trufaldin racheter cette esclave Que vous vouliez; pour elle il parait fort zélé*. MASCARILLE Sans doute c'est 1'amant dont Célie a parlé. Fut-il jamais destin plus brouille que le nótre? Sortant d'un embarras, nous entrons dans un autre. En vain nous apprenons que Léandre est au point De quitter* la partie, et ne nous troubler point: Que son père, arrivé contre toute espérance, Du cóté d'Hippolyte emporte * la balance, Qu'il a tout fait changer par son autorité, Et va dès aujourd'hui conclure le traité: Lorsqu'un rival s'éloigne, un autre plus funeste S'en vient nous enlever tout 1'espoir qui nous reste. Toutefois, par un trait merveilleux de mon. art, Je crois que je pourrai retarder leur départ Et me donner le temps qui sera nécessaire Pour tacher de finir cette fameuse affaire. II s'est fait un grand vol; par qui? 1'on n'en sait rien; Eux autres 6 rarement passent pour gens de bien: Je veux adroitement, sur un soupcon frivole, Faire pour quelques jours emprisonner ce dróle. Je sais des officiers, de justice altérés 6, Qui sont pour de te Is coups de vrais délibérés?'; Dessus 1'avide espoir de quelque paraguante 8, II n'est rien que leur art aveuglément ne tente, Et du plus innocent, toujours a leur profit, La bourse est criminelle et paye son déli t. l. Et qni sent son homme riche (D). a. II semble fort occnpé d'eUe. 3. Sur le point d'abandonner la partie et de ne plus nous géner. 4. Feit pencher. 5. Ces autres, c. k. d. ces Égyptiens. 6. Si 1'on met, comme certaines éditions, la virgule devant justice on empêche le jeu de mots que souligne le mot uparaguante» (pourboire). 7. Résolns. 8. Altérés de 1'espoir de quelque pourboire (Esp.para gucrntes, pour acheter des gants). ACTE V, SCÈNES I et U i4o ACTE CINQUIÈME SCÈNE I MASCARILLE, ERGASTE MASCARILLE Ah! chien! ah! doublé chien! matine de cervelle! Ta persécution sera-t-elle éterneUe? ERGASTE Par les soins vigilante de 1'exempt1 Balafré, Ton aflaire allait bien, le dróle était coffré, Si ton maitre au moment2 ne fut venu lui-même, En vrai désespéré, rompre ton stratagème: «Je ne saurais souffrir, a-t-il dit hautement *, Qu'un honnète homme soit trainé honteusement. J'en réponds sur sa mine, et je le cautionne» *; Et, comme on résistait6 a lacher sa personne, D'abord il a chargé si bien sur les recors 8, Qui sont gens d'ordinaire a craindre pour leur corps, Qu'a 1'heure que 7 je parle ils sont encore en fuite Et pensent tous avoir un Lélie a leur suite. MASCARILLE Le traitre ne sait pas que cet Egyptien Est déja la dedans pour lui ravir son bien. ERGASTE Adieu. Certaine affaire a te quitter m'oblige. SCÈNE II8 MASCARILLE, seul Oui, je suis stupéfait de ce dernier prodige: On dirait (et pour moi j'en suis persuadé) l. Homme de police. 1. Au même moment. 3. A haute voix. 4. Et je me porte garant ponr lui. 5. On s'opposait k relacher. 6. Aussitöt il s'est si bien élancé sur les gens de justice. 7. On. 8. Division et rubrique introdnites per 1'éd. de 1734. Le monologue et la scène auivante correspondent aux scènes xn et xirl dn IV* acte de Vlnawertito, dont les développements sont d'ailleurs fort différents (D). i5o L'ETOURDI Que ce démon brouillon dont il est possédé Se plaise a me braver, et me Taille1 conduire Partout oü sa présence est capable de nuire. Pourtant je veux poursuivre, et, malgré tous ces coups, Voir qui Pemportera de ce diable ou de nous. Célie est quelque peu de notre intelligence 2, Et ne voit son départ qu'avecque répugnance: Je tache a profiter de cette occasion. Mais ils viennent: songeons a Pexécution. Cette maison meublée est en ma bienséance 3, Je puis en disposer avec grande licence: Si le sort nous en dit*, tout sera bien réglé; Nul que moi ne s'y tient, et j'en garde la clé. O Dieu! qu'en peu de temps on a vu d'aventures, Et qu'un fourbe est contraint de prendre de figures! SCÈNE III CÉLIE, ANDRÈS ANDRÈS Vous le savez, Célie, il n'est rien que mon cceur N'ait fait pour vous prouver 1'excès de son ardeur. Chez les Vénitiens, dès un assez jeune age, La guerre en quelque estime avait mis mon courage 6, Et j'y pouvais un jour, sans trop croire de moi6, Prétendre, en les servant, un honorable emploi?, Lorsqu'on me vit, pour vous, oublier toute chose, Et que le prompt effet d'une métamorphose, Qui suivit de mon coeur le soudain changement, Parmi vos compagnons sut ranger votre amant8, Sans que mille accidents, ni votre indifférence Aient pu me détacher de ma persévérance. Depuis, par un hasard d'avec vous séparé Pour beaucoup plus de temps que je n'eusse auguré, l. Se pleit... et va me le conduire. 3. De connivence avec non». 3. A ma disposition. 4. Si le sort nous est iavorable (Cf. Si le cceur nous en dit) (D). 5. La guerre avait fait apprécier mon courage. 6. Sans trop de présomption. 7. A quelque charge importante. 8. Votre prétendant. 9. L'amant s'était fait Bohémien comme dans la Belle Égyptienne de Cervantès. ACTE V, SCÈNES UI et IV i5i Je n'ai, pour vous rejoindre, épargné temps ni peine. Enfin, ayant trouvé la vieille Egyptienne, Et plein d'impatience apprenant votre sort, Que pour certain argent qui leur importait fort, Et qui de tous vos gens détourna le naufrage, Vous aviez en ces lieux été mise en otage, J'accours vite y briser ces chaines d'intérêt, Et recevoir de vous les ordres qu'il vous plait. Cependant on vous voit une morne tristesse, Alors que dans vos yeux doit briller 1'allégresse. Si pour vous la retraite avait quelques appas, Venise, du butin fait parmi les combats, Me gaide pour tous deux de quoi pouvoir y yivre; Que si, comme devant1, il vous faut encor suivre, J'y consens, et mon cceur n'anibitionuera Que d'ètre auprès de vous tout ce qu'il vous plaira. CÉLIE Votre zèle pour moi visiblement éclate; Pour en paraitre triste, il faudrait être ingrate; Et mon visage aussi, par son émotion, N'explique point mon coeur en cette occasion. Une douleur de tête y peint sa violence; Et, si j'avais sur vous quelque peu de puissance, Notre voyage, au moins pour trois ou quatre jours, Attendrait que ce mal eut pris un autre cours. ANDRÈS Autant que vous voudrez, faites qu'il se difiere *, Toutes mes volontés ne buttent» qu'a vous plaire. Cherchons une maison a vous mettre en repos *, L'écriteau que voici s'ofl're tout a propos. SCÈNE IV5 CÉLIE, ANDRÈS, MASCARILLE déguisé en Suisse. ANDRÈS Seigneur suisse, êtes-vous de ce logis le maitre? i. Comme avant. 1. Qne vona en soyez soulagée. 3. Netendent. 4. Pour vous y reposer. 5. Cf. L'Jrmawertito, IV, uv. Les mols déguisé en Suisse, sont de 1 ed. de i734. i bi L'ETOURDI MASCARILLE Moi pour serfir a fous \ ANDRÈS Pourrions-nous y bien être? MASCARILLE Ooi; moi pour d'étrancher chafons champre garni. Mais che non point locher te gens te méchant vi *. ANDRÈS Je crois votre maison fi-anche de tout ombrage s. MASCARILLE Fous nouvieau dans sti fü, moi foir a la fissage *. ANDRÈS Oui. MASCARILLE La Matame est-il mariage al Monsieur1? ANDRÈS Quoi? MASCARILLE S'il être son fame, ou s'il être son soeur '? ANDRÈS Non. MASCARILLE Mon foi, pien choli; fenir pour marchantisse. Ou pien pour temanter a la Palais choustiee? La procés il faut rien; il coüter tant t'archant La procurair larron, 1'afocat pien méchant 7. l• D imite la Suisse allemand confondant en fransais les sonores et les sourdes t/"et v, chetg.p et b, I et d, s et z) et inteTTertissant les genres. a. Pour étrangers «j'avons» chambre garnie, mais je ne loge point des gens de manTais visage. L'éd. Despois porte nd'estrancher chapon» (de trancher nn chapon), ce qni donne nn jen de mots amusant, mais qui ne se justifie guère ici. 3. Votre maison ne portera ombrage a personne, n'éveillera le sou poon de personne. Ou bien faut-il corriger «votre» en «notre» et entendre: notre maison est sans tache? 4. Vous êtes nouveau dans cette ville, je le vois k votre visage (avec une détestable équivoque sur «foire» = diarrhée). 5. Madame est-elle mariée avec Monsieur? 6. Est-ce sa femme ou sa soeur? 7. Ma foi, bien jolie. Venez-vous pour commercer on bien pour plaider an Palais de Justice? Les proces ne Talent rien; ils content tant d'argent, le procureur étant nn larron et Tavocat bien méchant. ,ACTE V, SCÈNES IV, V et VI i53 ANDRÈS Ce n'est pas pour cela. MASCARILLE Fous tonc mener s ti file Pour fenir pourmener et recarter la file1? ANDRÈS II n'importe. (A Célie %.) Je suis a vous dans un moment. Je vais faire venir la vieille promptement Contremander aussi notre voiture prête. MASCARILLE Li ne porte pas pien *. ANDRÈS File a mal a la tête. MASCARILLE Moi cbafoir te bon fin, et te fromage pon. Entre fous, entre fous tans mon petit maisson*. (Célie, Andrès et MascariUe enIrent dans la maison SCÈNE V6 LÉLIE, seul. Quel que soit le transport d'une ame impatiente, Ma parole m'engage a rester en attente, A laisser faire un autre, et voir, sans rien oser, Comme 7 de mes des ti 1 is le Ciel veut disposer. SCÈNE VI ANDRÈS, LÉLIE LÉLIE a Andrès, qui sort de la maison » Demandiez-vous quelqu'un dedans8 cette demeure? 1. Vous menez donc cette fille promener pour regarder la ville. a. Add. 1734. 3. Elle 11e se porte pas bien. 4. J'ai du bon vin et dn bon fromage; entrex-vous dans ma pelite maison? (Jen de mots sur «entre fous»). 5. Addition 1734. 6. L'Inavvertiio, IV, xv. Cest 1'éd. de 1704 qni fait de ce monologue une 7. Comment. 8. Dans. i54 L'ETOURDI ANDBÉS C'est un logis garni qne j'ai pris tout a 1'heure. LÉLIE A mon père pourtant.la maison appartient, Et mon valet, la nuit, pour la garder s'y tient. ANDRÈS Je ne sais; Pécriteau marqué au moins qu'on la loue Lisez. •LÉLIE Certes, ceci me surprend, je 1'avoue. Qui diantre 1'aurait mis? et par quel intérêt...? Ah! ma foi, je devine a peu prés ce que c'est: Cela ne peut venir que de ce que j'augure. ANDRÈS Peut-on vous demander quelle est cette aventure? LÉLIE Je voudrais a tont autre en faire un grand secret; Mais pour vous il n'importe, et vous serez discret. Sans don te 1'écriteau que vous voyez paraitre, Comme je conjecture au moins, ne saurait être Que quelque invention du valet que je di, Que quelque noeud subtil qu'il doit avoir ourdi Pour mettre en mon pouvoir certaine Égyptienue Dont j'ai Pame piquée1 et qu'il faut que j'obtienne, Je 1'ai déja manquée, et même plusieurs coups2. ANDRÈS Vous 1'appelez...? LÉLIE Célie. ANDRÉS Eh! que ne disiez-vous? Vous n'aviez qu'a parler, je vous aurais sans doute Ëpargné tous les soins que ce projet vous coüte. LÉLIE Quoi! vous la connaissez? 1. Dont je suis épris. 3. Plusieurs fois. ACTE V, SCÈNES VI et VH • 55 ANDRÈS C'est moi qui maintenant Viens de la racheter. LÉLIE O discours surprenant! ANDRÈS Sa santé, de partir ne nous pouvant permettre, Au logis que voila je venais de la mettre, Et je suis trés ravi, dans cette occasion, Que vous m'ayez instruit de votre intention. LÉLIE Quoi! j'obtiendrais de vous le bonlieur que j'espère? Vous pourriez... ANDRÈS allant frapper a la porie » Tout a 1'heure 2 on va vous satisfaire. LÉLIE Que pourrai-je vous dire? Et quel remerciment...? ANDRÈS Non, ne m'en faites point, je n'en veux nullement. SCÈNE VII MASCARILLE, LÉLIE, ANDRÈS MASCARILLE a part' Eh bien, ne voila pas mon enragé de maitre! II nous va faire encor quelque nouveau bissètre \ LÉLIE Sous ce grotesque habit qui 1'aurait reconnu? Approche, Mascarille, et sois le bienvenu. l. Éd. 1734. 1. Tout de suite. 3. «Bissestre, accident causé par 1'imprndence de quelqu'un, Si roue laissez entrer eet etourdi, il fera quelque bissestre en la maison. Ce terme est populaire, et est venu par coimption de bittexte, paree qne les superstitieux ont cru que [rannéebissextae]etaituneaunéemalheureuse})^yJie/JO/mniredeFuretiere)(D). »6i L'ETOURDI Alors qu'une autre vieille assez défigurée, L'ayant de prés, au nez1 1 ongtemps considérée, Par un bruit enroué de mots injurieux A donné le signal d'un combat furieus, Qui pour armes pourtant, mousquets, dagues ou flèches, Ne faisait voir en l'air que quatre griffes sèches, Dont ces deux combattants s'efforcaient d'arracher Ge peu que sur leurs os les ans laissent de chair2. On n'entend que ces mots: chienne! louve! bagasse s! D'abord leurs Escoffions * ont volé par la place, Et, laissant voir a nu deux tètes sans cheveux, Ont rendu le combat risiblement affreux. Andrès et Trufaldin, a 1'éclat du m urm ure, Ainsi que force monde, accourus d'aventure, Ont a les décbarpir 6 eu de la peine assez, Tant leurs esprits étaient par la fureur poussés! Cependant que chacune, après cette tempéte, Songe a cacner aux yeux la bonte de sa tête, Et que 1'on veut savoir qui 6 causait cette humeur, Celle qui la première avait fait la rumeur 7, Malgré la passion dont elle était émue 8, Ayant sur Trufaldin tenu longtemps la vue ': «C'est vous, si quelque erreur n'abuse ici mes yeux, Qu'on m'a dit qui viviez10 inconnu dans ces lieux,» A-t-eUe dit tout haut; «ö rencontre opportune! Oui, seigneur Zanobio Ruberti, la fortune Me fait vous reconnaitre, et dans le même instant Que pour votre intérét11 je me tourmentais tant. Lorsque Naples vous vit quitter votre familie, 1. An visage. 2. La rime n'est pas ce qu'on appelle nne rime normande, paree qne 1'r final de rinfinitif se prononcai t. 3. Ital. bagascia, femme de mauvaise vie (D). 4. Escoffions est le nom d'une ancienne coiffure du mojen age consistant en gros bourrelets de diverses formes que les femmes se mettaient sous les mêches de leur» cheveux. Cf. 6. Cohen, Mystères et Moralités du Ms. 61- de Chantilly (Paris, Éd. Champion, 1930, in 4°), p. CXJJ—CXV. • 5. Décharpzr de la laine, c'est dëmêler. 6. Ce qni. (Cet emploi du relatif neutre sans antecedent est fréquent en ancien francais). 7. Avait fait tout ce bruit. 8. Malgré le fureur dout elle était animée. 9. Ayant longuement considéré Trufaldin. 10. Sur cette construction t. Sneyders de Vogel, p. 194. 11. Oü a votre sujet. ACTE V, SCÈNE XIV iG3 J'avais, vous le savez, en mes mains Votre fille, Dont j'élevais 1'enfance, et qui, par mille traits, Faisait voir, dès quatre ans, sa grace et ses attraits. Celle que vous voyez, cette infame sorcière, Dedans notre maison se rendant familière, Me vola ce trésor. Hélas! de ce malheur Votre femme, je crois, concut tant de douleur, Que cela servit fort pour avancer sa viel, Si bien qu'entre mes mains cette fille ra vie Me faisa nt redou ter un reproche facheux, Je vous fis annoncer la mort de toutes deux; Mais il faut maintenant, puisque ie 1'ai connue, Qu'elle fasse savoir ce qu'elle est devenue.» Au nom de Zanobio Ruberti, que sa voix, Pendant tout ce récit, répétait plusieurs fois, Andrès, ayant changé quelque temps de visage, A Trufaldin surpris a tenu ce langage: «Quoi donc? le ciel me fait trouver beuren se ment Celui que jusqu'ici j'ai cherché vainement, Et que j'avais pu voir, sans pour tant reconnaitre La sou ree de mon sang et 1'auteur de mon être! Oui, mon père, je suis Horace, votre fils: D'Albert, qui me gardait, les jours étant finis 3, Me sentant naltre au coeur d'autres inquiétudes, Je sortis de Bologne, et, quittant mes études, Portai durant six ans mes pas en divers lieux, Selon que me poussait un désir curieux. Pourtant, après ce temps, une secrète envie Me pressa de revoir les miens et ma patrie. Mais dans Naples, hélas! je ne vous trouvai plus, Et n'y sus votre sort que par des bruits confus: Si bien qu'a votre quéte 3 ayant perdu mes peines, Venise, pour un temps, borna mes courses vaines; Et j'ai vécu depuis, sans que de ma maison J'eusse d'autres clartés que d'en savoir le nom.» Je vous laisse a juger si, pendant ces affaires, Trufaldin ressentait des transports ordinaires. Enfin, pour retrancher ce que plus a loisir Vous aurez le moyen de vous faire éclaircir i. Que cela héla sa fin. a. Albert, mon précepteur, étant mort. 3. Si bien qu'a vous chercher. i64 L'ETOURDI Par la confession de votre Egyptienne, Trufaldin maintenant vous reconnait pour sienne; Andrès est votre frère ; et, comme, de sa soeur II ne peut plus sónger a se voir possesseur, Une obligation qu'il prétend reconnaitre A fait qu il vous obtient pour épouse a mon maitre. Dont le père, témoin de tout 1'événement, Donne a cet hyménée un plein consentement, Et, pour mettre une joie entière en sa familie, Pour le nouvel Horace a proposé sa fille. Voyez que d'incidents a la fois enfantés! CÉLIE Je demeure immobile a tant de nouveautés \ MASCARILLE Tous viennent sur mes pas, hors les deux championnes, Qui du combat encor remettent leurs personnes, Léandre est de la troupe, et votre père aussi. Moi, je vais avertir mon maitre de ceci, Et que, lorsqu'a ses voeux on croit le plus d'obstacle, Le Ciel en sa faveur produit comme un miracle. (Mascarille sort,) HIPPOLYTE Un tel ravissement8 rend mes esprits confus, Que pour mon propre sort je n'en aurais pas plus. Mais les voici venir. SCÈNE XV TRUFALDIN, ANSELME, PANDOLFE, ANDRÈS, CÉLIE, HIPPOLYTE, LÉANDRE TRUFALDIN Ah! ma fille! ». Le speet»tenr fera de même, il «era pen émn de ce long discour». Cet embrouillamini de cireconnaissances», Célie enlevée enfant et fille de Trufaldin qui en même temps, re trouvé en Andres, son fils Horace, également perdu, est 1'ordinaire et trop facile dénouement de la comédie moyenne des Grecs et de celle de Terence dont Ie donble héritage passa aai Italiens et anx Francais de la Renaiaaance. C'est le grand mérite de Molière, arrivé k la matnrité de son talent, d'avoir contribné k débarrasser la scine moderne de ce procédé si artificiel et si éloigné de la vérité. 2. Add. 1734. 3. Stupeur. ACTE V, SCÈNE XV i65 CÉLIE Ah! mon père! TRUFALDIN Sais-tu déja comment le Ciel nous est prospère? CÉLIE Je viens d'entendre ici ce succès1 merveilleux. HIPPOLYTE & Léandre En vain vous parleriez pour excuser vos feux, Si j'ai devant les yeux ce que vous pouvez dire. LÉANDRE Un généreux pardon est ce que je désire; Mais j'atteste les Cieux qu'en ce retour soudain Mon père fait bien moins que mon propre dessein. ANDRÈS i Célie Qui 1'aurait jamais cru, que cette ardeur si pure Put ètre condamnée un jour par la nature? Toutefois tant d'honneur la sut toujours régir, Qu'en y changeant fort peu je puis la retenir a. CÉLIE Pour moi, je' me blamais, et croyais faire faute s, Quand je n'avais pour vous qu'une estime trés haute: Je ne pouvais savoir quel ohstacle puissant M'arretait sur un pas * si doux et si glissant, Et détournait mon coeur de 1'aveu d une flamme Que mes sens s'effoicaient d'introduire en mon ame. TRUFALDIN i Célie Mais en te recouvrant, que diras-tu de moi, Si je songe aussitót a me priver de toi, Et t'engage a son fils sous les lois d'hyménée? CÉLIE Que de vous maintenant dépend ma destinée. 1. Ce résultat, ce démmemenl. i. Cf. La Bmiliarv.n). 3. Je croyais être en défaut. 4. Surunseuil. i66 L'ETOURDI SCÈNE XVI1 TRUFALDIN, MASCARILLE, LÉLIE, ANSELME, PANDOLFE, CÉLIE, ANDRÈS, HIPPOLYTE, LÉANDRE MASCARILLE a Lélie Voyons si votre diable aura bien le pouvoir De détruire a ce coup un si solide espoir; Et si, contre 1'excès dn bien qui vous arrivé, Vous armerez encor votre imaginative. Par un coup imprévu des destins les plus doux Vos voeux sont couronnés, et Célie est a vous. LÉLIE Croirai-je que du Ciel la puissance absolue... TRUFALDIN Oui, mon gendre, il est vrai. PANDOLFE La chose est résolue. ANDRÈS ü Lélie Je m'acquitte par la de ce que je vous dois. LÉLIE a Matcarille JJ. faut que je t'embrasse et mille et mille fois, Dans cette joie... MASCARILLE . Aïe! aï! doucement, je vous prie: II m'a presque étouffé. Je crains fort pour Célie, Si vous la caressez avec tant de transport. De vos embrassements on se passerait fort. TRUFALDIN a Lélie Vous savez le bonheur que le Ciel me renvoie; Mais, puisqu'un même jour nous met tous dans la joie, l. Abrégée de la demière scène de l'lnavvcrtito qui a, en plus, ce trait comique de Fulvio (= Lelie) n'osant offrir sa main a Lelie de peur de commettre une dern ière bévue et il firat qne son valet lui crie: uDites qne oui, au nom du Ciel !n {D). ACTE V, SCÈNE XVI 167 Ne nous séparons point qu'il ne soit terminé, Et que son1 père aussi nous soit vite amené. MASCARILLE Vous voila tous pourvus: N'est-il point quelque fille Qui put accomnioder3 le pauvre Mascanlle? A voir chacun se joindre a sa chacune ici, J'ai des démangeaisons de mariage aussi. ANSELME J'ai ton fait. MASCARILLE Allons donc; et que les Cieux prospères Nous donnent des enfants dont nous soyons les pères s. 1. Trufaldin montre Léandre, dont le père est arrivé de Messine vers la fin dn IV acte. II faut toujours pour dénouer la doublé intrig-ne de la comédie traditionnelle, un doublé mariage final. 3. Conveniran. 3. Ici nous terminons sur un trait vraiment comique. TABLE DES MATIÈRES page L'ÉDITION HOLLANDAISE DU CENTE- NAIRE 7 LA JALOUSIE DU BARBOUILLÉ 9 LE MÉDECIN VOLANT 35 L'ÉTOURDI 55 TABLEAU DES OEUVRES DE MOLIÈRE TOMEI La Jalousie du Barbouillé Le Médecin volant L'Etourdi TOMEII Le Dépit amoureux Les Précieuses ridicules TOME III Sganarelle ou le Cocu imaginaire Dom G-arcie de Navarre TOME IV L'Ecole des Maris Les Facheux TOME V L'Ecole des Femmes La Cri tique de 1'Ecole des Femmes L'Impromptu de Versailles TOME VI Le Mariage forcé Les Plaisirs de 1'Ile enchantée La Princesse d'Élide TOME VII .Le Tartufe TOME VIII Don Juan L'Amour Médecin TOME IX Le Misanthrope TOME X Le Médecin malgré lui Mélicerte Le Sicilien ou 1'Amour Peintre TOME XI Amphitryon Georges Dandin TOME XII L'Avare TOME XIII Monsieur de Pourceaugnac Les Amants magnifiques TOME XIV Le Bourgeois Gentilhomme Psyché TOME XV Les Fourberies de Scapin La Comtesse d'Escarbagnas TOME XVI Les Femmes savantes TOMEXVn Le Malade imaginaire