LES NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES DANS LEUR LUTTE CONTRE L'ESPRIT PHILÖSOPHIQUE THE NATIONAL CENTRAL LIBRARY STORE STREET, LONDON, W.C1 With the Compliments of the Librarian 57 LES NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES DANS LEUR LUTTE CONTRE L'ESPRIT PHILOSOPHIQUE L ' LES |; NOUVELLES ECCLÉSIASTIQUES DANS LEUR LUTTE CONTRE L'ESPRIT PHILOSOPfflQUE ACADEMISCH PROEFSCHRIFT TER VERKRIJGING VAN DEN GRAAD VAN DOCTOR IN DELETTEREN EN WIJSBEGEERTE AAN DE UNIVERSITEIT VAN AMSTERDAM OP GEZAG VAN DEN RECTOR-MAGNIFICUS DR. P. RUITINGA, HOOGLEERAAR IN DE FACULTEIT DER GENEESKUNDE, IN HET OPENBAAR TE VERDEDIGEN OP DINSDAG 27 OCTOBER 1925 DES NAMIDDAGS OM 4 UUR IN DE AULA DER UNIVERSITEIT DOOR JAN CHRISTIAAN ADOLF HAVTNGA GEBOREN TE HELDER BOEKDRUKKERIJ S. W. MELCHIOR - AMERSFOORT AAN MIJN VROUW Het heeft iedereen — en dus ook mij —, Hooggeleerde Salverda de Grave, getroffen, dat U altijd bereid gevonden wordt de hand te bieden aan hen, die U om voorlichting vragen, ook al zijn zij nooit, in engeren zin opgevat, Uw leerlingen geweest. Daarom zij het mij, bij het eindigen van mijn taak, vergund, U mijn dank te betuigen voor de vriendelijke wijze waarop indertijd mijn verzoek om aan de Amsterdamsche Universiteit te promoveeren is ontvangen en aanvaard. Verder aan U, hooggeachten Gallas, de verzekering van mijn waardeering voor Uw bijstand en hulpvaardigheid. Maar ik zou aan mijn verplichtingen te kort komen, zoo ik naliet, U te gedenken, Hoogeerwaarden C. Wijker; in Uw studeervertrek toch werd zoo vaak om raad gevraagd, uit Uw boekerij werd zooveel geleend! En dan den Heeren Herrmann en Boulan, dragers van Franschen geest en Fransche beschaving, een woord van erkentelijkheid, die des te grooter is, daar wij in een van hen den kenner bij uitnemendheid eeren van alles, wat betreft de geschiedenis van ons geliefd Port-Royal. Helaas! het was mij niet gegeven aan eenige gewezen leermeesters te bewijzen, dat hun naam steeds in mijn gedachten is; behalve C.-R,-C. Herckenrath en E.-E.-B. Lacomblé zijn zij allen vroeger of later heengegaan. Aan deze twee overlevenden van de oude garde dus de hulde gebracht, die ook A.-G. van Hamel. C-F. van Duijl en A. Bourquin ten volle toekomt. Ten slotte dank aan allen, in 't bijzonder aan enkele collega's en oud-collega's en aan de ambtenaren der verschillende bibliotheken in ons land, die belangstelling en medewerking hebben getoond, toen zulks gevraagd werd voor dezen arbeid. TABLE pages Avant-Propos. Introduction. 1—10 Chapitre Premier Autour du Concile de Trente 11—19 Chapitre Deuxième La Feuille 20—30 Chapitre Troisième Montaigne-Moréri-Bayle 31—41 Chapitre Quatrième Leibniz-Le Courayer-Pope 42—51 Chapitre Cinquième Accusations et Contre-accusations 52—62 Chapitre Sixième L'abbé de Prades-Montesquieu 63—73 Chapitre Septième L'EncycIopédie et 1'Histoire naturelle 74—84 Chapitre Huitième Voltaire 85—98 Chapitre Neuvième Rousseau et quelques auteurs de second ordre . 99—109 Conclusion 110 Ouvrages consultés ou étudiés 111—117 ERRATA ET CORRIGENDA p. 5, ligne 4 du bas: aucum; lisez aucun. p. 7, lignes 16-17: Guillame; lisez Guillaume. p. 9, note 1, première ligne: aux XVUe siècle; lisez au. p. 11, ligne 4 du bas: réligieuse; lisez religieuse. p. 14, note 2: .Ou voit; lisez „On voit p. 23, note 1: „Nouvellistc"; lisez „Nouvelliste". p.24, ligne 11 du bas: ordres; lisez d'ordres. p. 24, note 2: cetle déclaration; lisez cette. p. 27, ligne 10: caractéres; lisez caractères. p. 39, ligne 7: une levèe; lisez levée. p. 41, lignes 6-7: Saint-Augustin et de Saint-Thomas; lisez Saint Augustin et de Saint Thomas, p. 45—46, note 3: éléve; lisez élève. p. 47, ligne 3: sous; lisez nous. p. 54, note 2: dc penser; lisez de penser. p. 62, ligne 9: enclyclopédistes; lisez encyclopédistes. p.63, ligne 8 du bas: Jésus; lisez Jésus-Christ. p. 65, ligne 18: oppobre; lisez opprobre. p. 71, ligne 20: périssabfes; lisez périssables. p.71, ligne 12 du bas: Ports-Royalistes; lisez Port-Royalistes. p. 71, ligne 9 du bas: et le disciple; lisez et pour le disciple. p. 78, ligne 3: (accordées è YEnc); lisez accordées (a YEnc). p. 86, ligne 12: crédulite; lisez incrédulité. p. 90, note 1, dernière ligne: (N. N. E. E. du 24 avril juiltet...); lisez (N. N. E. E. du 24 avril et du 31 juillet...). p. 91, ligne 17: les amis de Vérité; lisez les amis de la Vérité. p. 91, ligne 11 du bas: tempëte; lisez tempête. p. 92, ligne 7: ajouta; lisez ajoutait. p. 94, note 1: „qu'ils s'est trompé; lisez „qu'il s'est trompé. p. 104, ligne 14: consuré; lisez censuré. En outre lire, dans la position XII, Strohmeijer au lieu de Strohmeier. AVANT-PROPOS La thèse que nous avons 1'honneur de soumettre a la faculté de littérature et de philosophie de rUniversité d'Amsterdam, n'a d'autre prétention que celle d'ajouter quelques pages a 1'histoire de Port-Royal, reprise après la destruction du célébre monastère. Tous ceux qui s'intéressent a 1'histoire de ce qu'on est convenu d'appeler le jansenisme — remarquons en passant qu'il n'y a rien dont on ait plus abusé qne du nom de jansénistè, titre que les anciens catholiques de chez nous n'ont pas même voulu accepter sous bénéfice d'inventaire — tous les amis de PortRoyal n'ignorent pas combien les solitaires de la Vallée de Chevreuse inquiètent les sphères gouvernementales depuis 16361). D'oü vient qu'on ne peut s'empêcher d'en chercher la cause, une fois qu'on s'est engagé dans la voie des investigatioris religieuses et littéraires des derniers siècles? i) Dans la feuille „De Oud-Katholiek?' du mois d'aoflt 1901 (page 95), on trouve sous le titre: J.-K. Huysmans, Sainle-Lydwlne etc. (5e éd.), un article rédigé par M. P.-J. van Harderwijk, curé de Schiedam; ce prêtre reproche a 1'auteur de Sainte-Lydwine d'avoir avancé plus d'une contrevérité. „M. Huysmans ne fait que parler de „jansénistes" et ne trouve que du „mal a dire de ces gens-la. C'est que nous sommes d'affreux hétérodoxes, „des protestants déguisés; mais, en revanche nous sommes lort riches. „La preuve? „En a-t-on besoin, de preuves? „M. H insinue même que nos ancêtres auraient dérobé des reliques. „Au nom de mon église, je proteste énergiquement... „Et puis, poursuit M. v. Harderwijk, on nous nomme partout jansénistes. „C'est une appellation injurieuse contre laquelle nous ne cesserons de „protester. Quelqu'un a-t-il su répondre a la question: Qu'est-ce qu'un „jansénistè?..." Question a-laquelle il est difficile de répondre. II en est de Port-Royal comme de tant d'autres choses dont on regrette la perte: on ne parvient pas è les remplacer. En attendant on a beau fouiller les nombreux ouvrages des biographes de ces „Messieurs", on a beau lire les écrits de leurs admirateurs et de leurs détracteurs, il reste au fond du cceur un sentiment de désir inassouvi et de doute. — A-t-on bien saisi la portée de ces questions si subtiles sur la grace? — Pascal a-t-il été injuste en composant les ProvincUües? — Pourquoi Lancelot, eet Elisée de 1'abbé de Saint-Cyran, regrette-t-il la mort de son maïtre, quand les défenseurs de Port-Royal vont faire le pas décisif qui lui semble fatal? — Et Pascal lui-même, refusant de suivre le grand Arnauld dans le dédale des raisonnements sur la question „du fait et du droit", n'est-il pas mieux inspiré — grace au noble exemple donné par sa soeur Jacqueline — que le jour oü, embrassant la cause des persécutés, il leur offrit les ressources de son génie? — A quoi bon toutes ces vexations, toutes ces cruautés commises contre des innocents — des opiniatres — comme on se plaisait a le dire? Car, malgré la parole conciliante de Clément IX, un de ses successeurs, Clément XJ, publie la fameuse Bulle Unigenitus, qui mettra tout le pays en feu. Quoi qu'il en soit, les constructeurs de monuments littéraires, parmi lesquels nous mettons Sainte-Beuve au premier rang — ont fait tant et si bien qu'il ne reste guère aux macons et aux manoeuvres que quelques pierres a poser, quelques lacunes a combler. La riche bibliothèque du séminaire des anciens catholiques de la ville d'Amersfort, dont on a bien voulu nous ouvrir 1'antique porte, ne contient que peu d'inédits. Après la belle moisson du XVIIIe et du XLXe siècle, il n'y a plus que quelques glanures a faire. C'est ainsi que, poursuivant ces matières, d'étape en étape, nous étions arrivé a la volumineuse correspondance Leibniz- Bossuet-Pellisson-Molanus-Spinola, etc, publiée parle comte A. Foucher de Careil, lorsqu'une nouvelle question s'est posée: — Quelle position les Port-Royalistes ont-ils prise vis-a-vis de la philosophie de leur temps? Leur doctrine était des plus orthodoxes, et pour eux, comme pour tous les autres catholiques romains, les décisions du Concile de Trente étaient irrévocables. Adeptes fervents du cartésianisme, ils n'ont toléré aucune innovation par rapport a la philosophie et la théologie qui leur convenaient, de sorte que les nouvelles idéés en cette matière ont eu peu de prise sur eux. Par conséquent le projet de Leibniz visant a une réconciliation entre catholiques et protestants leur cause de 1'ombrage. Les progrès du rationalisme les alarment encore plus fort. Quoiqne bientót isolés au milieu de la tourmente, ils ne transigeront point. II s'est donc produit au XVHe siècle un mouvement politique, religieux et philosophique, appelé communément „Essais iréniques" 1), anticipant sur les événements qui nous occuperont, il est vrai, mais contenant la cause première du conflit, comme nous allons voir. Les deux tomes de Foucher de Careil (CEuvres de Leibniz) et les publications de C.-L. Grotefend (Briefwechsel zwischen Leibniz, Arnauld und dem Landgrafen E. v. Hessen-Rheinfels) nous ont conduit dans nos recherches jusqu'au commencement du XVffle siècle, mais nous ne parierons qu'incidemment de cette première période, trés intéressante. Les publications du rédacteur, jadis introuvable, des Nouvelles ecclésiastiques ont pu nous servir de guides jusqu'au seuil du XLXe siècle. i) cipq») = paix. reproduction (réduite) du frontispice gravè en 1731 pour les nouvelles ecclésiastiques INTRODUCnON Parti pris du „Nouvelliste". Le Passé. Nulle Solution de Continuité. Rationalisme naissant. Rationalisme chrétien. „Essais iréniques". Attitude des Port-Royalistes. Victoire de la Philosophie. Les livres ont leur histoire. On ne saurait comprendre la destinée des Nouvelles eeclésiastiques (N. N. E. E.), sans avoir pris connaissance des motifs qui les ont fait naitre: le besoin qu'éprouvaient les prétendus jansénistes d'un organe fait pour exposer la pureté de leur doctrine et pour protester contre la condamnation des Réflexions morales sur le Nouveau Testament du P. Quesnel. Les N. N. E. E. sont donc une feuille de combat, et leur origine est analogue a celle des Provinciales. Comme la bulle d'Innocent X et le formulaire d'Alexandre VII ont préparé et autorisé les persécutions qui ont duré jusqu'è la destruction de PortRoyal, de même la bulle Unigenitus a causé bien des troubles dans 1'Eglise de France du XVIIIe siècle. A en croire 1'auteur de notre feuille, appelé communément le „Nouvelliste", ce siècle aurait été bien incrédule. Mais il ne faut pas perdre de vue que c'est un théologien qui parle, et que sa doctrine est des plus rigoureuses. Malheur au soutenant d'une thèse tant soit peu anti-augustinienne, ou infectée d'erreurs „pernicieuses"! Point de théatres1), ni de concerts mondains; les bals sont des amusements interdits aux fidèles, et 1'on ne manque pas de montrer au doigt le collége oü les maitres tolèrent ces „indécences". i) „Les théatres sont la peste des mceurs", disent les N.N.E.E. (7Nov 1780, p 180). 1 2 Ce n'est pas tout: il s'est trouvé parmi les apologistes de 1'Eglise catholique du temps de Voltaire un prêtre nommé 1'Abbé Bergier. Pourquoi eet homme tres honnête, qui n'a eu d'autre tort que celui d'avoir trop présumé de ses forces, n'a-t-il pu trouver grace auprès du „Nouvelliste" ? C'est qu'il a approuvé la tragédie des Druides de Leblanc de Guillet, qu'il a propagé 1'ultramontanisme dans son Dictionnaire de Théologie, et que, dans son Déisme réfuté par lui-même, il a falsifié des textes des Pères *). C'est grave, mais il y a de pires adversaires: 1'Abbé Yvon, p. e., un des théologiens de Y Encyclopédie, auteur de 1'article Doute, qui paralt avoir juré aux jansénistes une haine irréconciliable, car il ose prétendre dans YAccord de la Philosophie avec la Rellgton que le livre de YAction de Dien sur les Créatures (de Boursier) a été pulvérisé par son ami, 1'abbé Condillac2); retiré a Berlin, Yvon s'est lié avec 1'auteur des Lettres juives. C'est tout dire. Et puis, il y a 1'abbé de Fontenay, ex-jésuite, il est vrai, qui donne le scandale de remplir ses ïeuilles hebdomadaires d'annonces emphatiques de pièces de théatre, tandis qu'un laïque (Desprez de Boissy) continue de décrier ce fatal amusement. Heureusement les Réflexions morales, polltiqnes, historiques et littéralres sar le Théatre du P. de la Tour, secrétaire perpétuel de 1'Académie de Montauban, sont ia pour servir d'antidote au Théatre d VUsage des jeunes Personnes, publié par M. Gaillord, Académicien. Faut-il s'étonner que M. le Roy (Charles), professeur émérite d'Eloquence (C. L. R. P. E. D E.), ait attaqué, dans une brochure intitulée Le Commerce vengè, le „Nouoelltste" en lui reprochant son humeur atrabilaire? En effet, notre gazetier n'y va pas de main morte, sa haine contre les spectacles lui fait regretter que le curé de Saint-Jean de Latran, è Paris, ait célébré un service pour le fameux Crébillon; il ne comprend pas le zèle des Pères de rOratoire de Saint-Honoré, qui se sont laissé surpTendre et qui ont accordé i) 20 aout 1772; idem 9 juillet 1788; idem, 9 avrH 1792. ») N. N. E. E., 27 février 1777. 3 jusqu'a deux services au musicien Rameau, privé des sacrements pour n'avoir pas voulu promettre de renoncer au théatre, s'il revenait en santé; il se plaint amèrement de ce que des voix et des violons de 1'Opéra, cette académie „lubrique", ont été admis même a Notre-Dame, le samedi saint, pour y relever un motet en grande symphonie, qui s'y chantait tous les ans devant la chapelle de la Sainte-ViergeSévère pour lui-même comme pour les autres, notre „Nouvelliste" ne saurait transiger: Ie moindre écart suf fit pour qu'on soit traité de Pyrrhonien, de Saducéen, de Socifljen, de Manichéen, de Pélagien, de mécréant ou d'athée8). Les N. N. E. E. s'appellent aussi Mémoires pour servir è l'Hlstoire de la Constitulton Unlgenitus. A Ce compte-la notre feuille ne serait donc qu'un périodique traitant des questions de nature exclusivement religieuse. Les circonstances en ont décidé autrement; sans oublier les intéréts de la saine doctrine, le „Nouvelllste" se mêle aussi d'autres affaires: la critique de livres dangereux3). Nous nous sommes proposé de suivre notre controversiste dans ses rares démêlés avec le bras séculier et dans sa polémique contre les Encyclopédistes. Mais avant d'en arriver la, il faudra s'occuper du passé. Les lecteurs de notre journal ne 1'avaient pas oublié, ce passé glorieux, témoin de la lutte hérolque des solitaires de la vallée de Chevreuse. Le rédacteur des N. N. E. E. se regardait comme le successeur des Port-Royalistes du XVIIe sièele, tels que 1'abbé de Saint-Cyran, Amauld, Pascal, Bossuet, Quesnel, et il prenait souvent exemple sur eux. De sorte que le lien entre les deux périodes du mouvement jansénistè, que Sainte-Beuve a cru pouvoir couper comme s'il maniait les ciseaux de la Parque, est plus solide qu'on ne pense 1) N.N.E.E., 22 roai 1765. 2) Les déistes sont tous des mécréants, les calvinistes ne valent guère mieux: „... le célèbre médecin genevois (qui soignait Voltaire), M. Tron„chin, qui étoit croyant, quoique calviniste ..." (N. N. E. E. du 16 janv. 1784.) *) „La liaison des progrès de rfncrédulité avec les autres maux... ne „permit pas a M. Fontaine de garder le silence" (N. N. E. E., 27 mars 1771). 4 en général: les colonnes des N. N. E. E. sont remplies de témoignages de vénération pour les illustres prédécesseursl). La rédaction d'une feuille dite ecclésiastique demande des taients multiples et des connaissances variées; il ne suf fit pas d'être versé dans la théologie, il faut encore qu'on soit au courant du mouvement philosophique de son temps. Et comme la lutte du „Nouvelliste" contre les philosophes du XVIIIe siècle est 1'objet de notre étude, il conviendra de rappeler les noms de quelques-uns de ces penseurs qui, développant leurs théories nouvelles souvent au détriment du prestige de la théologie proprement dite, ont le plus contribué aux progrès du rationalisme. Jusqu'a 1'époque de la grande Renaissance toute idéé contraire aux dogmes et a la tradition de 1'Eglise passait pour être hérétique, le critère de la vérité d'une opinion quelconque étant sa conformité avec les maximes de la religiën chrétienne, autorité devant laquelle tout le monde devait s'incliner. A partir du XVIe siècle, toutefois, les deux concepts de la raison et de la foi, inséparables au moyen-age, ont divergé lentement mais sensiblement et 1'on voit la ligne de démarcation s'accentuer entre le domaine de la „raison pure" et celui de la croyance. Poussée par ce mouvement mystérieux appelé „progrès", Ia science se dégage de 1'étreinte dogmatique, et les premiers philosophes réclament — bien timidement, il est vrai — une certaine liberté au nom de 1'évidence. Michel de Montaigne est un des premiers a entrer en lice: lisez sa curieuse „apologie" de Raimond Sebond! Ensuite c'est le tour de Descartes. II y a eu parmi ses adeptes d'assez mauvais chrétiens, bien qu'il ait toujours protesté de $a fidélité pour la religion catholique, dont il n'entendait pas contester les vérités révélées. Pascal, lui, immole cette superbe raison, idole è laquelle il avait sacrifié le meilleur temps de sa jeunesse; il la malmène, cette science, pour nous en montrer les erreurs et 1'insuffisance. Pourtant, les plus grands saints ont eu leurs moments de fai- i) Cf. Gazier. Hist. gén. da Mouvement jam., I, p. 278. 5 blesse, ne l'oublions pas; l'étude des mathématiques charme Pascal, 1'obsède; il a fallu une ceinture garnie de pointes de fer pour 1'en détourner et pour le faire rentrer en lui-même. Leibniz fait un pas décisif: il met Ia cognée a 1'arbre dogmatique. Ses „essais iréniques", son explication des miracles, son optimisme même en sont une preuve irréfutable. Sa Thêodicée a toutes les apparences d'une justification de la religion révélée, mais qu'on ne s'y trompe pas: Leibniz a eu parfaitement conscience de la force destructive du rationalisme en matière de religionx). C'est dans les „Essais iréniques" que se trouve le début du conflit né de 1'opposition croissante entre la religion naturelle et le dogme chrétien. II sera donc nécessaire d'y revenir en temps et lieu. L'influénce de notre compatriote Spinoza s'est d'abord bornée a une élite; il suffira donc de mentionner dans eet exposé qu'il a contribué, lui aussi, è 1'émancipation intellectuelle du XVIIIe siècle. D'autre part Malebranche, enseignant que „la vraie religion et la vraie philosophie sont identiques", n'entrerait guère en ligne de compte, s'il avait su ménager la susceptibilité de Bossuet et du grand Arnauld. Mais cela n'étant pas...2). Quant a Bayle, „1'honnête Bayle", plus sceptique et plus impartial dans ses idéés qu'aucu$ autre philosophe ne I'avait été jusqu'alors, il a composé pour ses admirateurs un vademecum des esprits forts. Ajoutons encore Locke, auteur du Christianisme raisonnable !) „Plüt a Dieu que tout le monde fut déiste", écrit-il a Bumet, et ce n est pas la première fois qu'il craint de voir 1'athéisme süccéder au déisme triomphant. Cf. Leibniz, Opera, éd. Dutens, tome VI, p. 236. 2) „Le systême de 1'Oratorien... étoit trés dangereux pour la Religion, „puisque par ses conséquences il tendoit au pur optimisme", disent les N.N.E.E. du 24 juillet 1781, et aüleurs: „La grande ressource de M. Camuset (Principes contre l'Incrêdulité, a „l'occasion da Système de la Nature), c'est le nom, le nom sacré de „Malebranche... L'Eglise n'approuve pas tout ce qu'elle ne condamne „pas distinctement,..." (3 avril 1771). 6 et antagoniste de 1'hypothèsa des idéés innées, et nous aurons énuméré ceux qui étaient a la tête du mouvement philosophique lorsque les premières feuüles imprimées des N. N. E. E. parurent1). A cöté de ce rationalisme international ou mondain il y a eu un rationalisme issu de la Réforme2). II est remarquable de pouvoir constater que c'est au sein de l'Eglise de Luther et de Calvin que 1'on a vu paraïtre ces tendances anti-dogmatiques qui seront propagées par les Encyclopédistes et abhorrées du Clergé de France, puisque les disciples de Saint Augustin et les constitutionnaires ne semblent d'accord que sur ce point-la. Le principe du libre examen posé avec tant d'assurance par les premiers réformateurs a eu des conséquences imprévues: exégèse, tolérance, réorganisation du culte, schisme. Le cartésianisme admis pour principe en matière de foi a 1'école de Saumur a causé de graves dissentiments dans les rangs des réfugiés. Quelque temps après la révocation de 1'Edit de Nantes on a recours a de fortes mesures: pour maintenir la discipline et 1'orthodoxie, on va même jusqu'a imposer 1'obligation de la signature de certain formulaire, suivant 1'auguste exemple des ennemis de Port-Royal. Seulement ici c'était la loi de la tolérance civile qui protégeait les opprimés3). Par contre toutes ces disputes avaient provoqué une réaction en faveur d'une réunion des cultes, après réorganisation, autre effet de la tolérance. x) „Le philosophe anglais écrivit un livre sur le Christianistne raison„nable, qui servit d'évangile aux déistes du XVIIIe siècle. Ce sont ses „principes de tolérance et de liberté qui séduisirent la France pour le moins „autant que ses théories sur 1'origine des idéés" (Laurent, Philosophie du XVIII* siècle, p. 28). 2) „Nous disons qu'il y a un lien providentiel entre la philosophie et „la réforme..." (Laurent, o. c, p. 36). 3) „Si la révocation de 1'Edit de Nantes compromet la politique de „Louis XIV, elle donne naissance a une importante controverse, dont la «Tolérance civile fut le sujet. Ainsi fut reprise... cette question de la To„lérance, discutée avec tant d'apreté aux jours de Calvin, et qui allait „passionner tout le XVIII8 siècle" (Puaux, Précurseurs de la Tolérance, Préface, VIII). 7 Les „Essais iréniques" ne laissent pas de nous intéresser, paree qu'ils se trouvent être une des escarmouches précédant la grande bataille qui nous occupe, et dont 1'enjeu était e. a. 1'aecuménicité du Concile de Trente. Le mot „irénique" pourrait induire en erreur: on aurait lieu de croire que ces affaires ne sont que 1'expression des sentiments les plus désintéressés, 1'exemple du plus beau sacrifice fait a la divine Concorde. Les apparences sont trompeuses! Voici ce qui était arrivé: Quelques années après la bataille sur la Boyne Leibniz reprit en main 1'affaire des „Essais iréniques", a la prière d'Antoine Ulrich, duc de Brunswick-Wolfenbüttel. Pour bien comprendre rimportance de ces intéressantes négociations, il faut savoir que plusieurs princes allemands, parmi lesquels étaient les ducs de Hanovre, persuadés par 1'empereur Léopold Ier, avaient songé a une réconciliation avec Rome. Mais après les succès de Guillame d'Orange, qui fit triompher en Angleterre la cause du protestantisme et du libéralisme, la branche cadette des ambitieux Guelfes n'eut plus aucune envie de poursuivre des entreprises dont la réussite devait entraïner 1'exclusion des descendants de 1'Electrice Sophie du tröne héréditaire des Stuarts. Leibniz se vit alors obligé de suivre ce revirement d'opinion et négligea une affaire a laquelle s'étaient intéressés e. a. Pel' lisson et Bossuet. Au bout de quelque temps cependant, la correspondance fut reprise entre Bossuet et Leibniz sous (e patronage du représentant de la plus ancienne branche de la maison d'Este. Malgré les avantages d'une si haute protection les nouvelles négociations n'eurent pas plus de suites que les premières, si ce n'est la conversion d'Antoine Ulrich et de ses deux fils. Les „Essais iréniques" étaient un projet impossible aréaliser. Ce que Leibniz entendait par conciliation ne faisait pas 1'affaire de Bossuet, qui voulait opérer la conversion du philosophe au catholicisme. Aussi le ton s'aigrit-il graduellement, et bientöt 1'aigle de Meaux se trouve aux prises avec un des plus redoutables adversaires qu'il ait jamais eu a combattre. 8 Vers Ia même époque quelques pasteurs francais*), découragés par la lutte inégale que les huguenots avaient a soutenir dans leur patrie, firent de vains efforts pour s'entendre avec le parti gallican. On dirait donc que de pareilles aspirations, poursuivant la fraternisation entre protestants et catholiques, sont destinées a rentrer dans le néant; évidemment le contrat serait fatal aux deux partis. Mais elles montrent par 1'opiniatreté même de leurs réapparitions qu'il y a eu toujours des idéalistes désireux de trouver un remède a chose faite, afin que leur rêve de bonheur et de prospérité s'accomplisse2). Quelle a été dans ces circonstances 1'attitude des Port-Royalistes, dont le grand Arnauld était alors le chef? Chassé et persécuté comme il 1'était, surtout après la mort de Mme de LongueVille, il doit avoir compris que la paix de Clément IX n'avait été qu'une trève des hostilités et que le sort des Huguenots serait aussi celui des prétendus jansénistes. „Plus royaliste que le roi," il accablait les Réfugiés de son mépris, accusait les protestants d'être cause qué tant de libertins niaient la divinité des Ecritures, allait même jusqu'a faire de Spinoza un calviniste3). S'il a pu caresser 1'espoir de rentrer en grace lors du second ministère Pomponne, il aura été bientót désabusé. Louis XIV avait juré la perte de cette secte de rebelles qui faisait ombrage a son despotisme. Cette méfiance du roi de France était-elle fondée? Arnauld n'a pas cessé d'être le plusloyal sujet de S. M. Très-Chrétienne; son dévouement n'a pas diminué pendant son exil4). Lorsque, 1) D'Huisseau e. a., qui a publié a Saumur chez René Pean, un livre intitulé: La Réunion du Christianisme, ou la montére de rejoindre tous les chrétiens sous une seule confession de foy, 1670. 2) A la paix de Westphalie on n'avait pas renoncé a une fusion des partis protestant et catholique, ei plus d'un aröcle de ce traité en ouvre la perspective. Quelques apötres de la tolérance, Grotius, Georges Calixte. le maltre d'Antoine Ulrich de Brunswick, avaient tenté de nobles efforts pour „reconstituer une seule Eglise chrétienne", même avant la conclusion de la paix de Munster. 3) Cf. Laurent, o. c, p. 34. *) C'est lui probablement qui a lancé lors de 1'expédition de 1688 le 9 après bien des tribulations, le „petit frère" de la mère Angélique, ftgé de quatre-vingt-deux ans, rendit enfin 1'ame dans sa maisonnette de Bruxelles, Boileau luiconsacra quelques strophes de sa Xe épitre: A mes Vers. Racine, dit-on, a lu ce passage au Roi. La période finie, Louis le Grand esquissa un geste approbateur, rassurant Racine, attentif. Sa Majesté a bien voulu reconnaïtre les mérites „posthumes" de celui que son gouvernement avait traité si durement, du grand Arnauld exilé. Sa Majesté était difficile! Tous les Port-Royalistes, il est vrai, n'ont pas subi le même sort: Bossuet, p. e., a su se maintenir malgré ses dispositions pour la morale jansénistè. A en croire les historiens, Quesnel, successeur d'Arnauld, aurait été suspect d'intelligence avec 1'ennemi après la saisie de ses papiers a Bruxelles. Voltaire prétend que la condamnation des Réflexions morales devait atteindre non seulement le Cardinal de Noailles, mais aussi 1'auteur en personne, „qui était allé grossir le nombre des savants, littérateurs, théologiens, polémistes qui protestaient contre la tyrannie religieuse et politique de Louis XIV et des jésuites, au nom de la liberté humaine" 1). C'est probable, mais que signifient ces faibles protestations auprès de la haine des huguenots? Les victimes du formulaire et de la bulle Unigenltus n'ont jamais déserté a 1'ennemi. Etait-ce a cause de leur confiance absolue en la vérité de leurs principes? Les prétendus jansénistes s'appellent amis de la Vérité, et c'est pour défendre cette Vérité que les N. N. E. E. parurent après la promulgation de la Constitution de Clément XI. Le XVHIe siècle a été plus favorable au parti anti-constitutionnaire que la fin du règne de Louis XIV ne 1'avait fait prévoir. La suppression de 1'Ordrè des Jésuites, 1'édition des (Euvres complètes du grand Arnauld pendant le pontificat de Benoït XIV, combient les voeux des lecteurs de notre feuille. pamphlet du Vray Portrait de Guillaume Henri de Nassau, publié a Bruxelles. i) Cf. le Siècle de Louis XIV, p. 746, note 1: „C'est cette opposition qui, axoi XVIIe siècle, prépare celle des philo„sophes au siècle suivant. Voltaire, qui ne voit en tout ceci que disputes „de théologiens, n'a pas compris la véritable portée de cette opposition". 10 Pourtant, sans 1'aide des Parlements, remis en possession de leurs „prétendus" droits par le duc d'Orléans, la lutte entre les Port-Royalistes et les Jésuites aurait été trop inégale pour finir par 1'expulsion de ces derniers. Et encore cette victoire n'a-t-elle pas été décisive. Dans le procés que firent les apötres du rationalisme aux défenseurs de la foi et de la confession chrétiennes, ce sont les philosophes qui ont eu — provisoirement—gain de cause. Dans cette lutte générale les droits de 1'Eglise et de la Royauté absolue allaient être sacrifiés aux droits de 1'Homme. Nous allons voir dans les chapitres suivants comment 1'auteur de notre publication hebdomadaire a rempli son devoir. CHAPITRE PREMIER AUTOUR DU CONOLE DE TRENTE Conséquences de la Tolérance. Suite des .Essais iréniques." Rhynwyk. Premiers indices d'une ère nouvelle. Caroline d'Anspach. Triomphe de la Tolérance. Reprise du débat sur 1'oecuménicité du Concile de Trente. A l'invasion du protestantisme 1'Eglise de Rome avait opposé une meilleure discipline et une nouvelle organisation. Le Concile de Trente, destiné è conjurer le danger des dissidences, avait réussi è rétablir 1'unité du culte et a conserver 1'orthodoxie et la tradition dans ses décisions. Grace h cette réforme intérieure, le Catholicisme répara ses pertes, montrant une force vitale qu'on ne lui connaissait pas, et, pendant que la variation des Eglises protestantes produisait d'autres sectes au milieu d'un désordre apparent, 1'Eglise de Saint Pierre se maintenait entière, dans son unité séculaire. Au nom de la liberté de conscience, les protestants avaient demandé ène pas être contrariés dans 1'exercice de leur culte, ce qui leur fut accordé è la paix de Westphalie. Mais les choses n'en sont pas restées la: le terme .conscience" est trop vague et se prête aux plus diverses interprétations. Les obstacles d'un dogme inébranlable et d'une tradition inaltérable une fois levés, les opinions qualifiées jusqu'alors de pélagiennes ou autres circulent partout, et de la tolérance civile, qui a pris force de loi, on passé a la tolérance r^ügieuse, dont *1'urgence semble problématique; c'est du tolérantisme, disent ies N. N. E. E. Examinons la question de la tolérance religieuse, paree qu'elle a eu des suites impliquant contradiction, savoir, 12 un besoin de réconciliation et un motif de division. Et, chose curieuse, ce sont les mêmes difficultés qui se présentent dans 1'un et dans 1'autre cas: histoire d'esprits réfractaires, de critiques injustes, de fausses interprétations, de textes altérés. II en résulté un paradoxe: 1'Eglise est également hostile a ceux qui lui présentent des conditions de paix et a ceux qui lui déclarent la guerre. Timet Danaos... 1'orthodoxie ne connaissant que la soumission. Quoique la polémique strictement religieuse n'entre pas dans le cadre de eet ouvrage, il n'est pas toujours possible de séparer nettement la matière philosophique de celle qui regarde la religion seule. Par 1'universalité de son caractère, la tolérance embrasse les deüx parties du programme du „Nouvelliste", et, généralement parlant, le principe de la liberté de conscience a favorisé le schisme aux dépens de 1'esprit de discipline et d'ordre, qui sacrifie 1'individu a la cause commune. Ainsi 1'idée d'obéissance aveugle, d'union étroite, fait place a celle d'indépendance, même par rapport aux prescriptions de 1'Evangile, surtout en Angleterre. Locke et ses disciples la préconisent, Lessing veut la même chose. Et Voltaire, auteur trés spirituel, mais penseur médiocre auprès de Leibniz, dont il a fait cette amusante caricature de Pangloss, n'a-t-il pas été avant tout le champion de la tolérance? Toutes les réformes réclamées par les Encyclopédistes, omnipotence de la raison, royauté constitutionnelle ou république, égalité de tous devant la loi, instruction publique confiée aux laïcs, auraient été autant de chimères, si 1'on n'avait admis au préalable le principe de la tolérance, clef de voüte des systèmes philosophiques du XVIIIe siècle. II ne faut donc pas s'étonner que tout ce qui caractérise la littérature du XVIIIe siècle, période de progrès, sorte du même courant d'idées, puise ala même source: réaction contre le dogmatisme, contre 1'absolutisme du siècle précédent. Nous venons de dire que 1'antipathie des orthodoxes contre une réconciliation réalisée au prix de certaines concessions importantes est peut-être aussi forte que leur aversion pour le schisme et 1'infidélité.' C'est que 1'une et 1'autre de ces dispo- 13 sitions trahissent une mentalité incompatible avec les sentiments d'un zélateur de la foi, de sorte que les „Essais iréniques" et la lutte des N. N. E. E. contre 1'esprit philosophique du XVIB« siècle suscitent une polémique sur des sujets analogues, dont un des principaux est rcecuménicité du Concile de Trente. Reprenons les choses de plus haut et rendons-nous compte des résultats apparemment minimes des „Essais iréniques" de Leibniz et de ses collaborateurs. Le moment critique de ces négociations, qui prirent bientöt le caractère d'une dispute en régie, malgré la répugnance du philosophe de Hanovre pour les aménités de la controverse1), la phase décisive de ce concours, ce fut un échange d'opinions et d'appréciations sur la validité des décisiorts du Concile de Trente. L'Allemand la contestait aussi énergiquement que Pellisson, Bossuet et le fameux abbé Pirot 1'affirmaient. L'Eglise catholique est une et indivisible et elle ne revient jamais sur ce qu'on a arrêté dans les Conciles, disait M. de Meaux. Cette unité n'est pas telle que vous voulez la faire paraïtre, répondait son adversaire, vous savez que les contestations n'ont pas manqué a vos Conciles. Pour arriver a un compromis, Leibniz proposa de révoquer jusqu'è nouvel ordre les articles condamnant les erreurs des protestants, et de les soumettre a un nouveau Concile oü seraient convoqués des représentants des deux religions catholique et néo-catholique, c.-a-d. protestante. La partie adverse n'a pas voulu consentir a ces conditions, et le Concile de Trente est resté le mur qui sépare les deux cultes. Si pour le „Nouuelliste" ce Concile est la boussole qui lui indique la route è suivre, dés qu'il risquerait d'échouer sur un écueil, pour 1'auteur de la Théodicée c'est un obstacle que ni son crédit ni son optimisme n'ont pu enlever. Découragé du peu de succès qu'il avait eu en sa qualité de parlementaire, Leibniz passa en vain è 1'offensive dans les „Essais iréniques": la place n'a pas capitulé. Ils étaient pourtant formidables, les coups que le philosophe portait è 1'autorité du Concile de Trente, i) „Vereor ne crabrones irritet" (Lettre de Leibniz a Fabrice, théologien de Helmstadt, 17 mars 1712). 14 a tel point qu'on se sent assez désillusionné en lisant la correspondance Leibniz-Pellison-Bossuet sur cette question. II semble que le résultat inévitable de ces sortes de disputes soit une religion dénimbée. En outre roptimisme, qui a eu sa part a cette oeuvre de démolition et qui va se répandre dans la philosophie de 1'avenir ne semble pas fait pour rassurer des chrétiens austères, tels que Bossuet et les auteurs des N. N. E.E.1). Grace a la liberté de conscience que la République des Pro vincesUnies accordait aux étrangers, plusieurs Port-Royalistes avaient suivi 1'exemple d'Antoine Arnauld, préférant „I'apre exil" dans un pays protestant et hospitalier aux vexations de toute sorte qu'iis devaient endurer dans leur patrie. Quand les prétendus Jansénistes sont arrivés dans notre pays, la pacification entre catholiques et protestants avait déja commencé sous les auspices du gouvernement et de Johs. van Neercassel, vicaire apostolique et évêque de Castorie. Or, il est évident que ces Messieurs auront su apprécier les bienfaits d'une législation libérale. Les N.N.EE. du moins se sont toujours déclarées en faveur de la tolérance civile 2). Au XVII© siècle plusieurs dignitaires de 1'Eglise d'Utrecht avaient épousé la querelle des Port-Royalistes et cela s'explique par la correspondance de leurs sentiments: disciples de Saint Augustin ils avaient pius d'une fois montré une irrévérence prononcée pour 1'ultramontanisme. Ainsi s'étaient liés d'amitié 1'abbé de Saint-Cyran et Jansénius; J) ,On auroit désiré que la Censure (de Bélisaire) en parlant de I'op„ timisme de Leibniz, y eüt donné quelque improbation..." (N.N.E.È., 26 mars 1768). „L'homme, a dit 1'abbé Mably, est aussi parfait qu'il peut être... (N.N. „E.E., du 8 oct. 1784, art. sur les Principes de Morale censurés par la Sorbonne). Lire aussi Les Mémoires sar la Philosophie de Leibniz publiés par A. Foucher de Careil, p. 36 seq. „L'optimisme... est développé dans sa réponse: les principaux arguments „de la Théodicée s'y trouvent..." 2) A 1'occasion de la Censure de Bélisaire p.e. les N.N.E.E. du 18 avril 1768 contiennent le passage suivant: „OU voit qne la Faculté (de théologie) a encore parmi ses membres des fanatiques qui ne respirent que persécution et cruautés. 15 ainsi le grand Arnauld, la mère Angélique, Pontchateau, Tillemont et d'autres solitaires avaient eu une grande estime pour van Neercassel et ses diocésains. Legros, Petitpied, Duguet firent un séjour plus ou moins prolongé dans notre pays, et 1'exode reprit après la promulgation de la Bulle Unigenitus. Dans les premiers temps ces expatriés avaient trouvé un asile chez leurs nombreux amis; le grand Arnauld p.e. avait été 1'höte de M. van der Graft, propriétaire d'une maison de campagne située prés d'Alphen, ou van Erkel était curé. Mais on ne tarda pas a trouver un pied-è-terre chez quelques Orvalistes acquéreurs de Rhynwyk aux environs de Zeist. Lorsque ceux-ci s'y établirent vers 1725 sous la direction de J.-J. Hoffreumont, c'était pour se soustraire a I'obligation d'accepter la Bulle Unigenitus et de signer le formulaire d'Alexandre VII. Eloignés de leur pays pour des raisons analogues, les anticonstitutionnaires francais trouvèrent désormais une retraite deins ce séminaire de cisterciens. La fondation de la maison de Rhynwyk a été de la plus grande importance pour la publication des N. N. E. E., car c'est aux environs d'Utrecht que se formera un cercle d'intellectuels qui auront soin de faire imprimer des exemplaires de cette feuille „suivant la copie de Paris". Le dernier rédacteur de notre gazette sera même 1'abbé Mouton, de 1'école de Rhynwyk1). Une correspondance ininterromque s'établit de cette facon entre les membres dispersés de cette communauté d'antibullistes, dont quelques-uns n'ont pu s'acclimater, tandis que d'autres sont restés. Parmi ces derniers nous devons nommer le célèbre Legros, a qui fut confié le gouvernement de la maison; Dominique-Marie Variet, évêque de Babylone, eet envoyé de de la Providence, par 1'intermédiaire duquel furent sacrés les successeurs de Codde; et Gabriel Dupac de Bellegarde, qui prit une part active aux tentives de l'ancien clergé d'Utrecht pour arriver a une réconciliation avec Rome sous le pontificat de Clément XIV, et qui contribua aussi au Concile d'Utrecht (1763) *) „M. Louis Paris Vaquier mourut le 4 janv. 1764 a Utrecht. Daprocuré ,1a 2e éd. des N. N. E. E. qui se fait a Utrecht" (feuille da 26 déc. 1765). 16 et a 1'édition de Lausanne des CEuvres du grand Arnauld1). II résuite de ce qui précède que ces Frangais dépaysés n'avaient jamais perdu leur caractère national, formant un grand contraste avec leurs compatriotesréformés, appelésa disparaïtre dans la foule. Les N. N. E. E. n'auront pas manqué d'entretenir les relations des anciens catholiques hollandais avec ces disciples de Saint Augustin. On peut se demander ce qu'était devenu entre-temps le rationalisme, qui avait évolué en Angleterre a partir de Locke, et était arrivé au déisme. C'était du temps de Fleury et du théatin Boyer, ancien évêque de Mirepoix, „1'ane de Mirepoix", disait Voltaire. D'abord le rédacteur de notre feuille semble tellement préoccupé de la fameuse Bulle qu'il n'a pas le temps de s'en inquiéter, quoique 1'ceil percant de 1'évêque de Senez, Jean Soanen, adversaire de la Bulle et victime du „brigandage" d'Embrun, eüt déja signalé quelques écrits jugés dangereux et nuisibles a la bonne doctrine et a la paix de 1'Eglise de 1'Etat. Parmi ces livres nouveaux il y en avait quelques-uns de la main du P. Le Courayer, chanoine régulier, genovéfain et docteur de TUniversité (protestante) d'Oxford. Grand admirateur de la liberté de conscience qu'il avait trouvée en Angleterre sous George II, il avait voulu propager en France ses idéés sur la tolérance2). Et il n'était pas seul enthousiaste du régime anglais: les N. N. E. E. disent qu'il était allé rejoindre a Londres des amis pensant comme lui. !) „Cette école, encouragée par M. d'Etémare... qui finit par s'y fixer, „compta parmi ses premiers membres M. Dupac de Bellegarde... Nous „devons a une telle correspoftdance cette quantité considérable de nos „articles..." (feuille du 25 déc. 1790). 2) L'auteur des Tables des N.N.E.E., vol. I, p. 287, résumé ainsi ses impressions: „Le P. Le Courayer donne une relation historique et apologé„tique de ses sentimens... y avance des principes hardis et des erreurs for„melles... sur la tolérance... Lettre de M. de Caylus, évêque d'Auxerre, „contre ses sentimens... regarde ce P. comme ayant fait naufrage dans „la foy; a horreur de la profession faite par ce Religieux de marcher comme „au milieu entre 1'Eglise catholique les sectes séparées... 17 Quel était le grand attrait qu'offrait a ces religieux assez excentriques la capitale de la Grande Bretagne? A quelle influence faut-il attribuer 1'apostasie de quelques pasteurs francais entrés, après réordination, au service de 1'Eglise anglicane ? Est-ce è la liberté de conscience qu'on est redevable de tous ces excès? Claude avait condamné trés sévèrement cesconversions; Jurieu avait même supplié la reine d'Angleterre de faire cesser ce scandalex). Elle y était donc pour quelque chose ? C'est plus que probable. Une autre reine d'Angleterre était encore princesse de Galles lorsque Leibniz lui adressa une des dernières lettres publiées par le comte Foucher de Careil au sujet des „Essais iréniques"2). II faut se rappeler que Leibniz, après avoir travaillé sans succès a une réunion des protestants avec les catholiques, s'était tourné vers 1'Angleterre et vers la Prusse pour effectuer une réunion des réformés entre eux, et qu'il croyait avoir trouvé un précieux auxiliaire en la personne de Caroline d'Anspach. C'était une femme de beaucoup d'esprit, ayant a ses cötés un mari médiocre, si ce n'est insignifiant, — conjonction traditionnelle, paraït-il, dans la dynastie hanovrienne a cette époque. Arrivée en Angleterre, la princesse de Galles transporta de Herrenhausen et de Charlottenbourg a Saint-James son goüt pour les sciences et son penchant pour la théologie et la philosophie. Les philosophes (Walpole, Newton, Leibniz) de leur cöté ne négligeaient pas d'entretenir une amitié aussi précieuse que 1'était celle de S. M. britannique, qui avait aussi recu les hommages de Voltaire et de Montesquieu. En 1736 le P. Le Courayer fit paraïtre une traduction (en 1) Cf. Puaux, o.c, p. 121. 2) George Ier avait déclaré a son avènement au tröne d'Angleterre qu'il n'avait pas besoin de changer de religion, puisque les deux Eglises anglicane et luthérienne ne différaient que de rite. „Et je ne doute point que „V.A.R. ne soit dans le mesme sentiment", ajoute Leibniz (Foucher de Careil, CEuures de Leibniz, II, p. 492). 2 18 francais) de 1' Histoire du Concile de Trente de Fra Paolo Sarpi, livre que Leibniz avait mis a contribution dans ses argumentations iréniques. S'inspirant de Sarpi, le philosophe y plaide la tolérance en maüère de religion, spécialement pour ceux qui sont dans une ignorance invincible. En comparant YEpttre dédicatolre et la longue Préface de la traduction du P. Le Courayer on découvre 1'influence de Leibniz dans eet ouvrage dédié a la reine d'Angleterre*). Est-il besoin de dire que nous avons été bien surpris de trouver ce courant d'idées provenant du principe de la tolérance, propagé, élargi par Leibniz et les déistes anglais, qui a pénétré en France au mécontentement de la rédaction des N. N. E. E. ? C'est ainsi que le rationalisme protestant a collaboré avec le rationalisme mondain pour fonder ce culte de la Raison qui a rempli d'enthousiasme certains encyclopédistes et plusieurs révolutionnaires. Le clergé de France a refusé de suivre la voie delaRéforme: il s'en est tenu aux prescriptions du Concile de Trente; le „Nouvelliste", cela va de soi, ne fait pas exception a la régie. 11 y a eu cependant une nouvelle protestation contre ce Concile. Ce fut au moment du concordat que le premier Consul Bonaparte voulait conclure avec Pie VII, a la veille du jubilé de 1'année 1800. D'abord dans la feuille du 10 avril 1800 sous le titre d'Oöservattons adressées au rédacteur des Annales de la Religion, qui avait inséré dans son journal une Instruclion sur les Indulgences; ensuite dans celle du 24 oct. 1801, oü se trouve 1'analyse d'une adresse au gouvernement intitulée: La France en danger par l'Ultramontanisme; et enfin le 13 février 1802, lorsque Ie „Nouvelliste" réfute M. Agier, auteur du Mariage dans ses i) „Mon dessein... a moins été de m'ériger en controversiste, que de „donner des idéés qui puissent servir ou a faire cesser toutes les disputes „de mots,.... ou enfin a réconcilier des sentimens... qui sont également „vrais dans le point de vue oü chacun les considère. C'est ce qui a été „déja tenté par d'habiles théologiens catholiques et protestans avant „moi..." (p. XXI). 19 rapports avec la Religion et avec les Loix nouvelles de la France. Un Italien fit encore 1'apologie du Concile de Trente dans une Lettre d'un Ecclésiasüque au Rédacteur des Annales de la Religion, dont parient les N.N.E.E. du 3 juillet 1802. Ce dernier écrit est une récapitulation de tout ce qu'on a dit pour et contre l'cecuménicité du Concile de Trente; on n'y a pas oublié Leibniz-Pellisson-Bossuet, ni Fra Paolo, ni Diègue de Payva, ni 1'abbé Mignot, ni Jurieu, ni le P. Le Courayer; 1'histoire se répète, et les griefs formulés contre les décisions de ce Concile ne sont pas nouveaux1). x) „II est toujours plus ètonnant que des Evêques et des Prêtres Francois .disent et répètent sans cesse le Saint Concile, tandis qn'il ne devroient .pas ignorer qu'il n'est pas cecuménique et que, si nous crayons les dogmes .qu'il a décidés, ce n'est pas en vertu de sa décision, mais comme doctrine ancienne ..." (N. N. E. E., du 10 avril 1800). „II y a depuis longtemps en France des Ecrivains qui... ont contesté „a ce Concile son oecuménicité. Mais ce qu'on ne voyoit pas autrefois... ,c'est le ton de mépris avec lequel on parle de ce Concile..." (idem, du 24 oct. 1801). .Dans 1'Ouvrage sur le Mariage, 1'Auteur oppose au Concile de Trente: „1°. défaut d'cecuménicité dans sa convocation: 2°. Iésion de liberté dans „ses décisions: 3°. manque d'universalité dans son acception..." (idem, 3 juillet 1802). CHAPITRE DEUXIÈME La Feuille Origine et destination des feuiiies. Parlement de Paris. Réquisitoire de M. Gilbert de Voisins. Réponse du „Nouvelliste". Nouvelles difficultés. Union conclue entre Gaüicans et Parlementaires. Un imprimé de quatre modestes pages divisées en deux colonnes, orné, le premier de 1'an, d'une jolie vignette et d'un caractère élégant placés devant 1'article de fond, illustré même de temps en temps d'une ravissante gravure au burin représentant les grands événements de 1'année (Concile d'Embrun, Lit de Justice du 3 avril 1730, Concile d'Utrecht), et destiné a défendre les intéréts de 1'Eglise gallicane contre les innovations nuisibles, ou jugées telles, voilé ce que les lecteurs des N. N. E. E. recevaient toutes les semaines depuis 1728 jusqu'en 1795. Alors il y eut pour la première fois une interruption dans le mouvement de la distribution, qui ne fut reprise régulièrement — quoique a de plus grands intervalles — que le 28 janv. 1796. Un avertissement placé en tête de ce numéro fait savoir au public que la rédaction a été obligée de passer immédiatement de 1'année 1794 a 1'année 1796, pour remettre les affaires au courant, et qu'elle se propose de remplir le vide par une série d'articles bi-mensuels. En effet les deux années 1795 et 1796 des N. N.E.E. réunies ne forment qu'un tome et désormais notre gazette parait tous les quinze jours, a Paris, chez Le Clere, libraire, rue Saint Martin, prés celle des Ours, n°. 254, et a Utrecht, chez J. Schelling Libr. et P. Muntendam Imp. Les conditions de 1'abonnement nous semblent modiques: a partir de 1796 on demande cinquante sols pour les exemplaires 21 qui se distribuent en Hollande et trois florins dix sols pour ceux qui s'envoient en pays étranger, par an bien entendu. On offre même les années précédentes séparément a deux florins 1'année et la collection compléte au prix de soixante florins. Décidément ce n'était pas trop demander: il faut bien que les lecteurs aient été nombreux pour que les profits de ce commerce intellectuel se montent a des sommes aussi considérables que le prétend Voltaire1). Publiées au cours du XVIIIe siècle, les N. N. E. E. avaièüt pour mission la déïense des adversaires (appelants et réappelants) de la bulle Unigenitus ou Constitution (sous Tanden régime). Durant soixante-quinze ans (1728—1803) cette feuille — longtemps anonyme et imprimée clandestinemeut — a informé les intéressés en France et en Hollande du sort des victimes de la trop fameuse bulle, par laquelle la Cour de Rome a condamné les Réflexlons morales du P. Quesnel. Impossible de donner un récit détaillé de toutes les injustices commises contre tous ceux qui ont refusé d'accepter cette bulle, même après qu'elle avait été proclamée loi de 1'Etat et de 1'Eglise; ce serait résuntt* plus de la moitié du texte de notre périodique depuis son origine jusqu'a 1'époque des grandes remontrances du Parlement et de la loi du silence imposée en mil sept cent cinquante-quatre. Et quand les persécutions ont cessé, quand d'autres orages s'abattent sur le pauvre royaume de France, le „Nouvelliste" ne se fait pas faute d'accuser encore les partisans de la bulle, source de maux infinis. II faut avoir recours a la calomnie, dit-il, pour trouver les appelants coupables; ils ne soutiennent aucune erreur, nenientaucune vérité; ils ne sont pas les auteurs du schisme, mais bien leurs adversaires. Ceux-ci rétorquent ces arguments en rendant le „Nouvelliste" et ses amis responsables du progrès de 1'incrédulité. La preuve en est que „eet énergumène de Nouvelliste" met sa plus grande satisfaction a exposer la religion aux risées de ses !) Remerciement sincère a un Homme charitable; voir plus loin au chap. VUL 22 ennemis et qu'il multiplie ainsi le nombre des réfractaires et des incrédules1). C'est dans la maison de Francois de Paris, le saint diacre des N. N. E. E., bien connu du reste par 1'histoire des convulsionnaires de Saint-Médard, qu'il faut chercher la genèse de notre ouvrage. A partir de mil sept cent treize les anti-bullistes avaient commencé a répandre des bulletins, d'abord manuscrits, puis imprimés, au moyen desquels ils transmettaient aux fidèles soit un mot d'ordre, soit un exposé des derniers événements2). Or, le „brigandage" d'Embrun mit le comble a 1'indignation des „défenseurs de la Vérité", qui résolurent de protester et de se préparer a une résistance förmelle. Signalons parmi les fondateurs des TV. N. E. E. le célébre Jacques Duguet, celui-la même qui a écrit plus tard une lettre trés dure contre le „Nouvelliste". Mais ce fut surtout aux deux frères Dessessart et a 1'érudit Boursier que les N. N. E. E. durent leur naissance. La rédaction en fut longtemps confiée a Jacques Fontaine de la Roche (1688—1761); Claude Guénin, abbé de de Saint-Marc (1730—1807), de 1'école de Rhynwyk, et 1'abbé Mouton, du même séminaire, furent ses successeurs. En outre plusieurs théologiens y ont collaboré, p.e. 1'abbé d'Etémare et son disciple Dupac de Bellegarde, 1'un et 1'autre réfugiés en Hollande 3). Nicolas Godonnesche (mort en 1761) a gravé les tailles-douces des frontispices, comme nous 1'apprend la feuille du 19 mai 1761, p. 87. La Censure sévissait au XVffle siècle contre les uns et prodiguait ses faveurs aux autres d'une facon assez arbitraire. Pour éviter ces rigueurs on publiait beaucoup de livres sans nom d'auteur et sans privilège, en vertu d'une permission tacite ac- !) N.N.E.E., 5 mars 1780. 2) „Nos Nouvelles dans 1'origine n'étoient également que des bulletins „écrits... Bientót... on fut obligé de recourir ala voie de 1'impression" (Idem). s) Les N. N. E. E. du 16 juillet 1764 contiennent une nécrologie de Dessessart, celles du 21 mai 1776 une de Boursier, celles du 27 mars 1771 parient de Fontaine de la Roche, et celles du 13 et du 20 février 1771 de 1'abbé d'Etémare. 23 cordée a ceux qui n'étaient pas en contravenüon. Mais les Parlements étaient jaloux de leur autorité et plus d'un écrivain a dü sentir la force du bras de la justice. Ne nons étonnons donc pas que les N. N. E. E. aient subi le sort de tant d'autres ouvrages, savoir celui d'être brülées et lacérées par la main du bourreau. De plus elles ont été mises a YIndex. Ainsi le 9 février 1731 les cinq premières feuilles de 1'année furent condamnées au bücher „par arrest de la Cour du Parlement", c.-a-d. de la Grand'Chambre. Cet arrêt porte e.a. que la Cour défend a toute sorte de personnes de composer, faire imprimer et distribuer lesdites feuilles ou autres semblables, qu'elle enjoint au public d'en apporter incessamment les exemplaires au Greffe et qu'elle ordonne au Lieutenant Général de Police de faire toutes les diligences nécessaires a ce sujet1). Que ceux qui s'imagineraient que les mesures prises contre notre feuille auraient eu des conséquences facheuses, se rassurent: les poursuites judiciaires de ce genre étaient alors nombreuses. Plus d'une fois on a vu un paquet de livres ou de brochures s'en aller en fumée, sans que cet holocauste ait arrêté ou même diminué le débit des ceuvres mcriminées. On peut dire même que la Censure a souvent manqué le but et que la destruction d'un opuscule, brülé au pied du perron du Palais de Justice, n'a eu d'autre résultat que de le faire renaïtre de ses cendres. Aussi, n'est-ce pas la crainte qui a poussé le „Nouvelliste", lorsqu'il a taché de se disculper; il savait d'avance que son journal, imprimé et distribué sans autorisation, était classé. Nous ne pouvons pas examiner de trop prés cette affaire, relatée dans les N. N. E. E. du 7 janv. et du 24 févr. 1731. Qu'il suffise de constater que 1'arrêt en question avait affecté péniblement notre journaliste. Car il n'est pas un pauvre folliculaire, il a sa mission sacréel De quoi s'agissait-il? M. Gilbert, Avocat Général, avait dit e.a. dans son Réquisitoire que notre journal était fait clandes- i) „... ce qu'il exécutoit d'avance depuis long-tems..." ajoute le „Nouoellistf (24 févr. 1731). 24 tinement et sans aveu, imprimé sans autorité, publié contre la prohlbition expresse de la Déclaration du 10 mai 1724, par un anonyme, un inconnu, qui n'avait de garant que 1'obscurité qui le couvralt. A quoi le délinquant dit' que ce reproche est des plus immérités: la faute en est a la bulle Unigenitus. C'est pour garantir 1'Eglise et le Royaume des ravages causés par ce fatal Décret que 1'auteur des N. N. E. E. s'est mis en devoir de le discréditer. Car il ne peut souffrir que tant d'innocents soient emprisonnés, bannis de leur patrie, dépouillés de leurs bénéfices ou de leurs droits. C'est donc pour la Justice et pour la Vérité, qu'il réclame. Enfin, quand 1'accusé se croit suffisamment excusé, il passé a l'offensive: ce n'est pas sur lui que tombe le blame, mais sur 1'adversaire. Nul doute que M. Qilbert ne reconnaisse de quel cóté est 1'innocence, mais, s'il en est ainsi, pourquoi ne pas employer son ministère pour réprimer les abus ? II ne serait pas difficile de confondre les coupables 1). Une pareille conduite serait digne d'éloges; est*il besoin de rappeler a M. Qilbert que, depuis le mois de juillet 1726, prés de neuf cents personnes, de tout sexe et de toute condition, ont été atteintes mais nullement convaincues par cette multitude d'ordres „surpris a sa Majesté", uniquement paree qu'elles n'ont pas de la bulle Unigenitus la même idéé que M. 1'Avocat Général? Pour bien saisir lesintentions secrètes du „défenseur de la Vérité" il faut savoir que Ie Parlement, après la mort du Cardinal de Noailles, s'était vu obligé d'enregistrer une nouvelle déclaration royale exigeant la signature pure et simple du vieux formulaire d'Alexandre VII et faisant de la bulle Unigenitus une loi de 1'Eglise et de 1'Etat2). Les membres du Parlement de la capitale étaient des gallicans intrépides et ils n'avaient jamais dissimulé leur antipathie pour la constitution. Ainsi, malgré Daguesseau, !) .Nous les dénoncons tous les jours...; et comme ce que nous en „rapportons est tiré d'Ecrits publics, Sermons, Thèses, Cahiers, Mandemens, „Livres imprimés souvent avec privilege..." V) Cetfe déclaration fut enregistrée dans un lit de justice (3 avril 1730). Cf. A. Gazier, Hist. du Mouu. jansénistè, II, p. 298 seq. 25 Fleury et Charies-Gaspard de Vintimille, archevêque de Paris, les maeistrats ne refusaient pas leur protection aux opprimés II est donc clair que 1'auteur des N.N.E.E. n'aura rien négligé pour conserver 1'amitié des gens de robe i). C'est pourquoi il ne manque pas de témoigner son estime pour la personne du magistratoffensé, protestant qu'il n'a pas du tout pensé a eensurer le discours de M. 1'Avocat général a 1'occasion de la eensure d'un petit écrit (Auia aux Fidèles... sur ce qulls ont ü eraindre .. des Confesseurs qui acceptent la Constltutton) qui a été la cause du malentendu. Reste un autre point a éclaircir: la manière dont la gazette a rapporté les faits était-elle injuste? Est-ce que les N. N. E. E., durant les trois premières années de leur existéhee, avaient publié en vérité „des faits ramassés au hasard, des imputations calomnieuses, des soupcons atroces,.... "des traits satiriques souvent contraires au respect dü aux rw "sances Séculières et Ecclésiastiques" ? Est-ce qu'il n'y avait eu dans la critique du „Nouvelliste" „nulle circonspecton nulles mesures gardées, nulle subordination, nulle bienséance ? L auteur ne peut en convenir; sa conscience le rassure la-dessus. W a déja plus d'une fois exposé ses sincères dispositions sur ce pomt, e.a. dans sa feuille du 29 nov. 1730. Réfutant ensuite son accusateur sur tous les potats, le Nouvelliste" croit être sur de n'avoir jamais dépassé les bornes. Au reste son apologie pour ce genre d'écrire est faite par deux des plus grands hommes que la France ait jamais produits: Pascal et Arnauld2). N ont-ils pas dit que la charité commande d'attaquer et de combattre les ennemis de la Vénte par des traits „vifs, forts et piquans"? S'il a donc lancé des traits satiriques, ga été dans le but d'atteindre ceux qui „par leur opposition persévérante a la saine Théologie" n'ont cessé de nuire a la Religion. Pourquoi ne pas direcequiestde notoriété publique, pourquoi ménager lhomme i) „M. 1'Avocat Général voudroit-U leur ravir 1'unique soulagement tem^£ ?c3ÏÏ Provinciale et dans nne des lettres (150e) d'Arnauld, p. 215 du second vol. de ses osuvres. 26 qui se soucie si peu de sa réputation? „Pour ceux-la, le public nous les abandonne". Et encore ne faut-il pas oublier qu'on s'est toujours abstenu de propos diffamatoires dans les N. N. & E. Oü trouver ces „imputations calomnieuses", cette faussetéinsigne? Le rédacteur rejette avec horreur la calomnie, n'ignorant pas que Dien n'a pas besoin de notre mensonge. La moindre inexactitude glissée dans les comptes rendus sera rectifiée dans le plus bref délai et on sera reconnaissant de chaquerenseignement qu'il sera facile de faire parvenir jusqu'au rédacteur i). En outre notre journaliste rapporteur de cette mémorable assemblee du Parlement se demande pourquoi M. 1'Avocat Général se plaint de ce que „des yeux étrangers osent porter des regards profanes sur les Mystères" (sic) de la Cour souveraine. Est-ce le fait même de ces publications qui a déplu? Ce ne peut guère être autre chose, car les N. N. E. E. n'ont jamais dérogé a leur habitude de dire la vérité. L'article que nous venons d'analyser finit a peu prés comme il avait commencé, savoir par des réflexions sur les devoirs du journaliste, surtout par rapport a ses responsabilités 2). Ce préambule lui sert de motif pour passer en revue les points litigieux et pour faire un sincère retour sur lui-même, demandant pardon des fautes commises a son insu, et se promettant bien de s'en tenir aux paroles des Pères et aux préceptes de l'Evangile: quelque indigne qu'il puisse être de défendre la Vérité, il est tranquille sur ce que M. Gilbert appelle „le caractère inséparable de ses légitimes défenseurs". Nous nous félicitons d'avoir trouvé dans un des premiers numéros de 1'année 1731 un exposé des idéés — morales et religieuses — de ces esprits militants qui ont rédigé les Nou- J) .... nous prenons la Iiberté de 1'assurer de notre promte déférence „pour des avis qu'il lui seroit aisé, comme on sait, de faire passer jusqu'è „nous." Ces lignes ont provoqué des rumeurs auxquelles M. Gilbert de Voisins a opposé un démenti formel. 2) „Nous y (c.-a-d. dans cet Arrêt) trouvons e.a. divers avis, qui nous „rappellent a des régies auxquelles nous tacherons de nous confonner dans „la suite encore plus exactement, s'il est possible." 27 velles eccléslasüques, et, songeant aux responsabilités assümées, une autre scène se présente a notre esprit: nous voyons dans notre imagination le grand Arnauld assistant a 1'agonie de sa mère. Le mot d'ordre que le chef avait recu a ce moment solennel est resté celui du „Nouvelliste", tous les deux ont a cceur de défendre la Vérité et rien que la Vérité; tous les deux nous semblent trop autoritaires, si ce n'est despotiques, pour souffrir la moindre opposition. On doit respecter la droiture de ces caractéres, tout en regrettant la dureté des opinions. Fidéle a la tradition, le rédacteur se conforme a la méthode d'argumentation des grands prédécesseurs, dont 1'exemple devait être suivi par les héritiers de la Boite a Perrette. II est vrai que l'article rédigé par 1'intrépide ecclésiastique ne manque pas de modération, et pour cause. Placé entre l'enclume et le marteau, exposé aux attaques des bullistes^et des gouvernants, le prétendu jansénisme a fini par s'assurer 1'appui des Parlements, mais il a fallu du zèle pour y parvenir. Aussi cet article, sorte d'oratio pro domo, peut-il passer pour un des mieux réussis. On a voulu faire preuve de sa bonne volonté, on tient a se laver d'une accusation qui pèse d'autant plus qu'elle vient de la part des Gens du Roi. Froissé par les paroles du magistrat, 1'apologiste plaide sa cause avec douceur, il passé condamnation, mais se reprend aussitót, il avoue ses torts, sauf pour 1'anonymat, sauf pour la fausseté de ses accusations, sauf... Reprenons 1'histoire de notre feuille au moment oü d'autres difficultés allaient se présenter. En avril 1732, 1'archevêque de Paris, M. de Vintimüle, dirigea en personne 1'attaque contre le „libelle infame". Les N.N.E.E. (27 mars 1771) prétendent qu'on a profité du trouble causé par la fameuse Lettre de 1'abbé Duguet pour engager ce prélat a condamnerdansunmandementl'organe des anti-constitutionnaires. Peu de temps après, le roi tint un lit de justice et exila cent quarante membres du Parlement a cause de leur attachement aux libertés de 1'Eglise gallicane, qui se manifestait par une attitude hostile è la légitimation de cette intruse, la bulle Unigenitus. 28 L'alliance est scellée a partir de 1'année mil sept cent trente-deux entre les Parlements et la propagande dite jansénistè. Cette union durera — a quelques interruptions prés — jusqu'a la veille de la Révolution. Dans un ouvrage de la grosseur d'une grande encyclopédie, tous les articles ne sont pas de la même force, cela va sans dire. La correspondance se développa graduellement, surtout lorsque Dupac de Bellegarde recevait des informations de tous cötés. La feuille du 10 avril 1785 annonce qu'il y a en ce temps-la deux périodiques semblables aux TV. TV. E. E. et „dirigés dans le même esprit", ce sont les Annales Ecclésiasiiques imprimées en italien a Florence, chez Pagani, et les Nouvelles Ecclésiastiques publiées a Vienne en Autriche et a Milan. Bien que la note gaie ne manque pas totalement, le ton sérieux, légèrement sarcastique prédomine dans notre journal. Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle la lecture en est peu variée, les questions méologiques qu'on y traite se rapportant pour la plupart a 1'autorité du dogme, de la tradition et du Concile de Trente. Seul le testament spirituel de quelque pauvre curé de campagne mort en protestant de son immuable amour en Dieu et en réitérant son appel, touche par 1'élévation du style pascalien. Sauf le livre du P. Le Courayer et quelques autres écrits venus de Londres, véritables comètes présageant les désastres de la période encyclopédique, rien ne trouble notre auteur assez pour qu'une catastrophe lui semble possible. L'Eglise déchirée par des querelles religieuses ne paraït pas trop souffrir des ravages de 1'incrédulité. Vers le moment oü Diderot et ses amis se réunissent pour tenir tête au cléricalisme, cependant, les choses vont prendre une autre tournure: en présence de 1'ennemi commun, jansénistes et jésuites, les TV. TV. E. E. et le Journal de Trévoux, feront bloc contre les philosophes. Avait-on compris le grand danger qui menacait la monarchie absolue et 1'Eglise catholique sous la forme du rationalisme capable de saper les fondements de 1'une et de 1'autre? C'est alors que la lutte, proprement dite, commence, et cette 29 seconde étape nous occupera sans cesse. La troisième et dermère n'importe guère a notre étude. Pendant cette longue carrière les idéés du „Nouvelliste" changeront peu: » n'a quun mot. Ainsi il condamne partout et sans exception „i'usure" a-d-d. les intéréts d'argent; pour lui, non seulement 1'autorité de 1 Eglise auspirituel, mais aussi celle du roi - pendant 1'ancien régime au temporel, émanent directement de la volonté de Dieu.Point de faussetés, nul abus de crédit en cette matière. Les Nouvelles ecclésiastiques, dit M. Gazier, sont rédigees .par un homme de talent, avec une grande exactitude et une "süreté d'information extraordinaires pour le temps" x). " M Lanson a une opinion bien moins iavorable: „Deux journaux firent une guerre acharnée a la philosophie: Les Nour "velles ecclésiastiques parlaient au nom du jansénisme, le Jour"nal de Trévoux était 1'organe des jésuites. C'était des deux "cotés sous des formes plus apres ou plus doucereuses, même étroitesse d'esprit, même inintelligence des besoins intellectuels "des temps, même indigence de talent et d'éloquence que ne "compensaient pas suffisamment la violence ou la maligmté " Tout en reconnaissant que cette critique est juste, elle nous semble trop sévère par rapport aux qualités du style. Ce style a des mérites: il est solide. Et puis on peut se fier au „Nouvelliste" pour la partie historique de son ouvrage: les faits et les détails qu'il donne ont été scrupuleusement vénfiés 8). Les nombreuses citations dont nous aurons besoin dans la suite de notre travail suffiront pour fournir la preuve deceque nous avons avancé. En résumé il résulte de ce qui précède: ïo Que la personne du Roi est sacrée aux yeux des prétendus jansénistes; ., 2° Que notre feuille poursuit activement toutes les mamfes- 1) Mouv. jansén., I, p. 311. 2) Cf. Lanson, Hist. Utt. fr., 17e éd., p. 731. s\ Les N N E E sont des Mémoires aussi précieux pour 1 nistoire parlementaire de la France que pour rhistoire religieuse du XVUI» siècle (Mouv. jans., I, p. 314). 30 tations de 1'esprit humain qui lui semblent suspectes ou dangereuses; 3° Que la rédaction de ce journal n'hésite pas, au besoin, a faire amen de honorable; 4° Que les „Amis de la Vérité" imputent — a tort ou a raison — aux conséquences de 1'adoption de la bulle Unigenitus la morale relachée et beaucoup d'autres désordres qu'ils trouvent partout dans la société de leur temps; 5° Qu'on trouve les anti-constitutionnaires toujours sur la brèche quand il s'agit de défendre les libertés de 1'Eglise gallicane et les droits du Parlement; 6° Que notre périodique est, sinon un des mieux rédigés, du moins un des mieux renseignés de 1'époque. Ajoutons pour finir qu'il faut lire les N. N. E. E. „avec précaution" comme 1'avoue M. Gazier lui-même et qu'elles sont „plus passionnées" que les ProvinctaUs „sans comparaison possible" !) Mouo.jans., I, p. 311. A consulter, pour savoir les secrets de la distribution de notre feuille, Gazier, o. c, I, p. 313. En outre on trouvera des détails sur le débit des N.N.E.E. en Hollande dans De Oud-Katholiek, Ier nov. 1901; et, sur la vente de ces feuilles en France, dans le n». des N.N.E.E. du 13 juin 1770. CHAPITRE TROISIÈME Montaigne-Moréri-Bayle Deux groupes de philosophes. L'abbé Talbert. Les Dictionnaires. (MorériBayle). L'abbé Goujet. L'abbé de Marsy. Le succès de Bayle. Quelques arrêts du Parlement de Paris. Avant d'aborder la question des causes de la lutte darts laquelle les philosophes du XVffle siècle et les auteurs des N.N.E.E. ne tarderont pas è se voir engagés, il sera bon de savoir 1'opinion de notre feuille sur quelques grands penseurs qui avaient été les précurseurs des encyclopédistes, en tant qu'ils avaient voulu remettre la raison d'accord avec la foi. Pour le „Nouvelliste" ce problème est bien simple: il relegue la science au second plan en matière de religion: les vérités révélées ne sauraient être contestées. Descartes, Pascal, Arnauld, Rollin et les autres amis de la Vérité lui suffisent: il trouve dans leurs écrits une grande consolation. Mais ce n'est plus la même chose, quand il s'agit de ces esprits qui s'en rapportent trop aux faibles lumières de notre raison, au üeu de se soumettre a 1'autorité de la parole divine. Et même parmi les adversaires de ces derniers ü y en a eu quelques-uns qui ne font pas les délices des orthodoxes. Nous n'aurions pas su grand'chose de ce que le „Nouvelliste pense de Montaigne et de son oeuvre, si l'abbé Talbert, chanoine, académicien de Bordeaux, n'avait eu 1'idée de faire dans un écrit 1'éloge de 1'auteur des Essais. Lorsque la critique de YEloge de Michel de Montaigne parut dans notre feuille du 23 oct. 1778, l'abbé Talbert avait défópuMié un Eloge de Bossuet, analysé dans les N.N.E.E. du 16 janv. 32 1674, et un Eloge de M. le Duc d'Orléans, dont parle le n°. du 2 oct. 1778. Ces premières esquisses historiques avaient valu a leur auteur Ia gloire d'un prix académique, mais elles lui avaient aussi attiré une correction de la part du rédacteur de notre journal. Car l'Eloge de Bossuet avait suggéré è l'abbé Talbert 1'idée de médire des prétendus jansénistes et de condamner 1'attitude des Religieuses de Port-Royal, lorsqu'elles refusèrent de se soumettre en signant purement et simplement le détesté formulaire. II aurait fallu autre chose qu'une littérature légère pour parler avec tant d'impertinence; si Bossuet, si respectable a d'autres égards, avait été moins timide, il aurait ouvert 1'ame de Louis XIV aux impressions de la vérité et son coeur aurait été indigné des vexations qu'enduraient ces pauvres Religieuses. Voilé, selon notre journaliste, ce qu'il aurait fallu répondre a ceux qui ne cessent de colomnier les Port-Royalistes. Mais ces erreurs — bien que regrettables — proviennent de 1'ignorance; ce qui est assez curieux, c'est que 1'apologiste de Bossuet ait cru nécessaire d'excuser ce prélat pour s'être déclaré contre le théatre. Dans 1'appréciation des mérites de M. de Meaux ces deux esprits ne peuvent se rencontrer*). L'Eloge de M. le Duc d'Orléans les éloigne encore davantage: toujours les mêmes bévues, s'écrie le „Nouvelliste", quand il s'agit de la lutte que nous avons eu asoutenir contre les jésuites; est-ce la malveillance ou 1'incompétence qui fait parler de la sorte cet homme? On dirait M. Talbert prévenu contre nous, dispositions qui semblent peu heureuses au moment oü nos adversaires sont sans crédit2). Du reste, on a beau être enthousiaste de la politique du Régent „luttant contre la fureur des partis" qui divisaient alors 1'Eglise !) Selon l'abbé Talbert, Bossuet était Thomiste et non pas Jansénistè. „A la bonne heure, dit notre rédacteur, mais que cet Académicien ait la „complaisance de nous expliquer en quoi consiste ce jansenisme doctrinal" (16 janv. 1774). 2) „... on trouve singulier qu'il prenne si mal son tems...; nous pouvons „lui reprocher d'être trop visiblement injuste envers ceux qu'il appelle leurs ennemts (c.-a-d. des jésuites)." 33 de France, on a beau imiter Voltaireon n'en est pas moins un penseur médiocre. Les deux premiers essais d'éloquence du lauréat de plusieurs académies nous montrent un ecdésiastique assez accoromodant, qui se moque un peu de ceux qui n'avaient cessé d'attaquer ou de défendre un livre „qui n'était point lu". Cet esprit de condliation qui 1'anime fait présumer qu'il est enfant de son siècle rationalvste. L'éloge qu'il composa pour célébrer la mémoire de Michel de Montaigne en fut la preuve décisive. Seulement, a en croire le „Nouvelliste", les idees de l'abbé Talbert n'étaient pas originales, et elles étaient assez superficielles2). Grand admirateur de Voltaire, imbu de la pbilosopbie du maïtre, l'abbé académicien exalte Montaigne pour avoir inauguré une ère nouvelle. Ce sera un age d'or exempt de préjugés, une période de félicité universelle, de prospérité sans fin et de progrès sans nombre. On croyait dans ces temps-la que 1'entendement humain était infiniment perfedible et capable d'opérer des merveilles. Tout cela n'empêchait pas quelques incrédules de ne pas accepter ces belles théories comme paroles d'évangile, et parmi ces pessimistes se trouvait naturellement 1'auteur de notre feuille. II ne faut donc pas s'étonner que le „Nouvelliste" ait recu le demier mémoire de l'abbé Talbert avec réserve: a un point de vue théologique, louer le malicieux Périgourdin, surtoutala facon de cet idéologue, c'était se compromettre sérieusement % Tout de même notre abbé doit reconnaitre que Montaigne travaille sans méthode et sans suite, mais cela ne tire pas a 1) „Cette dernière réflexion... indique assez la source oü M. Talftert ^pmise" ses idéés... On croit en effet lire le fameux chap. du Jansénisme „dans le Siècle de Louis XIV" (2 ooi. 1778). 2) „... parolt avoh beaucoup d'émulation ponr les prix académiques „non pour ceux qui exigent des étude» sérieuses, mais pour les Eloges qui „ne supposent que de 1'imagination" (2 oct 1778). a) „L'éloge d'un homme dont les ouvrages sont si dangereux pour la „foi et pour les moeuis, étoit une entreprise délicate pour un prêtre. Mais '9U. l'abbé Talbert parott n'en «voir pas vu les dangers 4 n'en a évité „aucun" (23 oct. 1778). 34 conséquence. II trouve son héros si grand qu'il ne tarit pas ladessus, et qu'il en veut a Pascal, Elisée trop oublieux des bienfaits d'Elie1). Le „Nouvelliste" trouve les hyperboles de l'abbé Talbert déplacées; ne va-t-il pas jusqu'a vouloir diminuer le génie de Pascal! Dans ses transports cet aduïateur n'admire pas seulement les Essais de Montaigne comme un livre amusant, mais encore comme un traité de morale, dans lequel il a retrouvé des trésors, car cette morale est fondée sur la véritable philosophie. Dans quel temps vivons-nous, se demande le critique. Et quels sont donc les principes de cette incomparable morale et de cette haute philosophie ? Est-ce qu'ils consisteraient uniquement en ce que Montaigne se moque de la Révélation en fixant les régies de sa morale? L'apologiste de Montaigne préconise une entière liberté dans notre fagon de penser, il revendique 1'indépendance de nos ames „qu'aucune puissance n'a le droit d'assujettir". Son langage est assez prolixe, son exaltation excessive2). La prose de l'abbé Talbert ne manque pas de lieux communs. Les mots magie, préjugé, imposture, superstition, erreur, ignorance, y alternent avec les vocables raison, sentiment, indépendance morale, religion naturelle. Ceux qui sont au courant des termes philosophiques du dix-huitième siècle savent combien de fois des esprits subaltemes en ont abusé. Aussi le „Nouvelliste" se demande-t-il en quoi cet homme d'église, qui se dit philosophe, se distingue de ses confrères qu'aucun engagement n'attache aux ordres. II veut une Philo- !) „Oui, dit-il, 1'éloquent Pascal eüt été plus éloquent encore, s'il eüt „substitué 1'étude des Essais è la triste manie de les censurer" (23 oct. 1778). 2) .Montagne vint éclairer bos climats, selon lui, comme un brillant „phénomène, sous ces Règnes orageux, oü la superstition, plongeant tout „dans ses ombres, aveugloit les peuples pour les immoler..." „La première découverte qu'il attribue & Montagne, c'est que le préjugé... „règne sous des noms sacrés, commande aux loix, aux moeurs, a Ia raison. „De quel préjugé 1'auteur veut-il parler ? On diroit, & 1'entendre, que Montagne „étoit né dans les ténèbres du paganisme, et non au milieu de la lumière „de 1'Evangile... (idem). 35 sophie qui consiste a fixer les régies de la Morale indépendamment de la Religion; il est d'avis que 1'homme doit choisir pour premier oracle le sentiment, la raison, la nature, qu'il faut laisser aux mortels les erreurs qui concourent a leur félicité et placer le souverain bien dans la pratique de la vertu Voila un tonsuré qui n'est pas de 1'école de Port-Royal: il pense comme les autres déistes; Voltaire ne 1'aurait pas désavoué, ce qui justifie ce que nous avons dit de 1'analogie effective existant dans les deux rationalismes religieux et mondain. Selon l'abbé Talbert, Montaigne puisait ses principes au Tribunal suprème de la nature, le seul que le philosophe reconnaisse après celui de la Religion. Une semblable profession de foi ne peut venir que d'un homme qui sent le fagot: elle rappelle les paroles de certains renégats, qui se sont servis de cette précaution oratoire pour rendre un vain hommage a la piété. Tout ce verbiage ne nous arrêterait pas tant, s'il ne contenait des réminiscences: il semble que le cerveau de notre discoureur ne fasse qu'absorber et répéter les idéés d'autrui. II y a du Voltaire, il y a du Montesquieu. Une chose nous paralt digne d'être relevée: le passage du discours traitant de la mort. L'optimisme avait déja sensiblement modifié la manière dont on envisageait le trépas. Ce n'était, aux yeux de beaucoup de gens, qu'un phénomène naturel, mettant fin a notre existence terrestre, et dont il ne fallait pas redouter les affres. Montaigne, en cela, a été encore un des pionniers du progrès: il est plein d'admiration pour 1'exemple donné par le vertueux Caton et d'autres illustres Républicains „qui ont haté et secouru leur mort". Et puis les legons des stoïciens, si salutaires a 1'hu- J) „C'est d'après ces notions, ajoute M. Talbert, qu'il faut avouer que le „philosophe est un être précieux... Nos Incrédules, comme on sait, réclament „les mêmes privileges...; il est plus scandaleux qu'on ne peut dire, de voir „un Chanoine tenir ce langage; car dans la définition... de sa prétendue „philosophie, il n'y a pas un seul trait caractéristique, qui la distingue de „celle qui fait aujourd'hui tant de ravages" (23 oct. 1778). 36 manité, peuvent nous mettre en état de nous dépouiller denos préjugés !). Sans le dire ouvertement, Montaigne se montre indulgent pour les victimes du suicide, quoiqu'il ait combattu dans une autre partie de ses Essais 1'opinion de ceux qui trouvent la mort volontaire licite; on admire quelquefois une action devant les conséquences de laquelle on doit reculer. Excepté donc cette digression, le reste du discours est sans valeur: peu nous ünporte ce qu'il y est dit sur 1'origine de nos connaissances, sur 1'authenticité des miracles, sur la nature divine, sur le pouvoir des monarques. Tout cela se trouve mieux expliqué ailleurs. Nous doutons fort que 1'écrit dont nous parions ait beaucoup contribué a la gloire de Montaigne. Que penser d'un philosophe chrétien qui traite Pascal de vain déclamateur, Malebranche de subtil pédant2)? Après tout, Montaigne était-il bon catholique? Nous nous récuserons dès qu'il faudra trancher une pareille difficulté. Est-ce que Pope 1'était? Selon M. Talbert, 1'auteur des Essais n'était pas seulement un fils fidéle de 1'Eglise, il poussait même sur quelques points 1'exactitude jusqu'au rigorisme et au baïanisme3). Avouons qu'on serait enclin a approuver la critique impitoyable du „Nouvelliste", qui trouve tant a redire a 1'ouvrage de l'abbé x) „Quel peut donc être le fruit de pareils principes? Le voici: c'est de „nous apprendre a mourir comme ces illustres Républicains... Et ceux qui „n'auroient pas le courage d'aspirer a une si haute sainteté... pourroient „prendre pour modèles ces hommes grossiers et abrutis... qui meurent „comme des bêtes; sur quoi Montagne s'écrie: Pour Dieu, s'il en est ainsi, „tenons dorénavant école de bêtise..." „II veut persuader... qpe le cynisme de Montagne n'est que candeur .et franchise..." (23 oct. 1778). 2) „II auroit dü sentir que son procédé est peu philosophique, et qu'il „faut autre chose que des injures pour détruire des criüques aussi motivées." s) „C'est ce qu'il auroit du prouver, et tout son discours prouve plutöt „le contraire." 37 Talbertl). Mais n'oublions pas qu'il faut lire les N. N. E. E. avec précaution et que beaucoup de contemporains se sont plaints de la dureté de leur caractère2). Sans cela, que faudrait-il penser de la piètre figure que fait dans notre feuille ce foudre d'éloquence? Qu'est-ce que Montesquieu, un des fondateurs de 1'Académie de Bordeaux, aurait répondu cette fois-ci? Décidément un homme de la trempe de l'abbé Talbert est incapable de donner une juste idéé de la personnalité de Montaigne. Les N. N. E. E. ne s'attaquent pas impunément a la réputation du héros des Eloges de l'abbé Talbert, a moins qu'une main profane ne travestisse ses pensées. Si Montaigne a démérité, il n'est pas Te plus coupable: c'est plutot Bayle, auteur du célèbre Dlctlonnaire htetortque et critlque. Et pourtant Bayle s'est toujours méfié de la raison, principe de destruction, comme il dit, et non d'édification. C'est lui qui a soutenu que la révélation seule peut dissiper dans notre esprit les ténèbres et le doute3). Quel malicieux plaisir il trouve a nous faire sentir la faiblesse de nos raisonnements, le peu de discemement qui nous est tombé en partage. Ce casuiste protestant prétend aimer la religion et croire ses dogmes par un besoin de justice auquel la science n'a pu pourvoir. Malgré cela, on a fort douté de sa sinoérité. Nous touchons maintenant au fond. Le rationalisme religieux, se dépouillant de plus en plus de son élément surnaturel, snit, a contre-coeur parfois, le mouvement philosophique. Dans 1'Eglise protestante ce changement peut se faire sans secousse: une telle évolution s'explique; mais dans 1'Eglise catholique eile 1) „De tous les Ecrits marqués au coin de la nouvelle philosophie, qui „ostétéflétris depuis vingt ans nous ne savons s'il y en a aucun qui 1'eüt mieux mérité que celui dont nous venons de rendre oompte" (23 oct 1778). 2) E.a. Barbier dans son Journal (janv. 1758). On amème distribué une Consultation sur la Défense de lire le Ltore des Réflextons morales du P. Quesnel et les N.N.E.E., et une Lettre a une Religieuss sur la Défense de lire... et les N. N. E. E. (feuille du 13 févr. 1783). ») Cf. Bayle, Dlctlonnaire, art. Manichéens. Bayle semble avoir pour devise: je crois, quoique ce soit absurde, dit Laurent. 38 est intolérable. Les philosophes anglais ne cessent de se nommer chrétiens, en France les déistes sont les ennemis de 1'Eglise. Que deviendrait p.e. le dogme du pêché originel si 1'on supposait qu'il n'y a pas d'idées innées! Les dictionnaires et les encyclopédies, qui sont en quelque sorte des inventaires de notre science, réclament leur place dans cet exposé. Le Dictionnaire Morérl, un des plus grands du XVUJe siècle, est le guide par excelience du „Nouvelliste". Qu'il s'agisse de Spinoza ou d'un autre personnage, c'est a cette source qu'il puise: c'est une autorité, en matière religieuse surtout1). Au cours du XVIIIe siècle, le Dictionnaire Moréri a été 1'objet de remanieraents considérables. Sans compter la métamorphose produite par Bayle, il y a eu des refontes faites par l'abbé Drouet, qui fit paraïtre en 1758 une nouvelle édition du Dictionnaire Moréri, augmentée de 4 vol., contenant le supplément préparé en 1735 par M. Goujet; et des réhnpressions .revues et augmentées" par les soins des jésuites, assistés dans cette entreprise par l'abbé L.-J. Leclerc, sulpicien, originaire de Lyon2). Ces dernières publications sont dignes de blame pour le „Nouvelliste" par le fait seul qu'elles propagent le molinisme. Les N. N. E. E. ne font que recommander la lecture des compilations de M. Drouet, qui a réussi è conserver la saine doctrine que le cardinal de Fleury a voulu détruire dans 1'ouvrage lexicographique de l'abbé Goujet3). „On ne pouvait convaincre Bayle d'être un impie, a dit Voltaire, mais il faisait des impies". Personne n'ignore le grand T) „Moréri (Ed. 1732)... dit que ce fameux athée... se contenta d'em„prunterle secours de la philosophie pour la recherche de la vérité, et que „cette discussion trop curieuse Ie précipita dans la plus déplorable de toutes „les erreurs" (1737, p. 162). 2) „Leclerc, corrupteur d'une éd. du dict. de Moréri, pour faire plaisir „aux Jésuites" (Table des N.N.E.E., II, 1721—60). Ne pas confondre cet abbé avec Jean le Clerc (Parrhase). Cf. Quérard, Supercheries, et Des Maizeaux, Wie dS Bayle. s) .... fait avec soin et avec gout... 1'Auteur a été ... attentif a „mettre 1'exacte vérité..." (N.N.E.E., 1736. p. 87). 39 profit que les philosophes ont tiré des écrits de cet érudit Tant que la science baylienne restait le bien d'une élite d'intellectuels, d'esprits méditatifs, le mal n'était pas trop grand: on le supportait; mais ce fut bien autre chose lorsqu'en 1755 l'abbé de Marsy publia sous le voile de 1'anonyme le premier volume de Y Analyse ratsonnée de cet auteur i). Cet événement produisit une levée de boucliers, et 1'on vit les N. N. E. E, de concert avec le Journal de Trèvoux, s'opposer a cette oeuvre de désolation et de désorganisation. Quel tort ne pouvait pas faire è la cause de la Religion le scepticisme du philosophe de Rotterdam s'il se communiquait a toutes les classes de la société! Le Dictionnaire historique et critique, dit le „Nouvelliste", infiniment décrié pour la Religion et pour la Morale, sera bientöt populaire. Les incrédules vont y puiser leurs objections et leurs blasphèmes. Les libertins y trouveront mille traits qui font rougir la pudeur. Ce scandale public a déja trop duré et restera aussi longtemps qu'on permettra 1'impression de ces articles de contrebande. Et dire que ces abominations seront bientót entre toutes les mains2). En effet, il y avait de quoi s'alarmer: les feuilles jansénistes copièrent des passages empruntés au Journal de Trèvoux (mars-avril 1755) et firent semblant d'y souscrire. L'ceuvre de Bayle a été longtemps en vogue. L'auteur doit en partie cette faveur du public a la facon dont il a revêtuses idéés d'un réalisme piquant, il a même cru opportun de se justifier la-dessus3). Mais cette particularitéseule ne suffiraitpas pour expliquer la gloire de son nom, car, au XVIRe siècle on n'avait pas besoin de la „paté indigeste" de ce réfugié, si 1'on aimait rire: le roman, dit oriental, fournissait entre autres amplement de quoi satisfaire les lecteurs4). 1) Cf. Lanson, Marwei MM., nos. 9870 et 11450. 2) „Cependant il n'étoit pas encore bien ordinaire que les femmes, les „jeunêsgens,les Littérateurs médiocres osassent s'en occuper..- Or, quels [seront les effets de cette lecture?" (du 14 aoüt 1755, p. 130 ü). 3) Lire les articles PAssoud, Aeindynus.Dauid.Par rapport hAcindynus voir Lanson, Manuel bibl., n. 10341, et consulterte& EclaircissemenssurleaObscênitez, voL IV du Wet (Hn>, par rapport a 1'opinion de Bayle sur son ouvrage. *) Cf. P. Martino, L'Oriënt etc, 2e partie, L'Oriënt dans la Litt., passim. 40 Les jugements portés sur la teneur du Dictionnaire sont nombreux et variés. Une main, a nous inconnue, a tracé dans 1'exemplaire que nous avons consulté ces paroles: „Ce dictionnaire est trés dangereux". M. Knappert, moins sévère, trouve que Bayle n'a voulu prêcher que la tolérance. En tout cas personne ne dira plus aujourd'hui, a 1'instar de Jurieu, que cet homme était athée. Au rebours de Fbntenelle, notre sceptique protestant n'a pas hésité, lorsqu'il fallait ouvrir la main tout entière: il a laché la bride a sa verve, mettant sa vaste science a la disposition de tout le monde: c'est un merveilleux vulgarisateur. Mettant les hommes en garde contre des opinions passant pour incontestables, il relie Montaigne aux philosophes de 1'avenir. En outre, son Dictionnaire, arrivé a point nomrné, se trouvait être un arsenal oü les philosophes pouvaient se munir d'armes propres a combattre la théologie par la science théologique même. C'est la probablement le grand secret du succès de Bayle. Afin de lutter effectivement contre un tel auteur, les forces réunies des N. N. E. E. et du Journal de Trèvoux étaient trop faibles, puisque la Théodicée n'y a pas réussi. A peine le „Nouvelliste" a-t-il fini de reproduire I'essentiel de la philippique de son confrère contre Bayle qu'il rompt en visière avec lui, se déclarant satisfait des observations de son frère d'armes, mais ne comprenant pas pourquoi Ie gouvernement tolère la vente de ce iivre pemicieux, tout en refusant privilège et permission a des ouvrages trés utiles Dans la feuille de la semaine suivante (21 aoüt 1755), il y a encore une brouille entre les deux champions, a cause de la trop grande complaisance du Journaliste de Trèvoux pour Bayle et ses admirateurs. Les éloges prodigués au vicomte d'Alès, auteur d'un livre nommé De l'Origine du Mal ou Examen des *) „... p.e. une bonne réfutation du Livre du P. Berruyer, aussi per„nicieux en son genre que les Livres de Bayle..." (In cauda ...). Sur le livre de YHistoire du Peuple de Diea du P. Berruyer, Gazier donne quantité de détails dans son Mouv. jan». Les N. N. E. E. se sont opposées les premières aux théories de cet ouvrage. 41 principales Dtfficultés de Bayle sur cette Mattere, ont déplu. Le vicomte avait parlé de Pope, de Voltaire, de Levesque de Pouilly (Theorie des Séniimens agréables), de Toussaint (Des Mozurs) et de Diderot (Pensées phüosophlques); son modérantisme, approuvé par Trèvoux, exaspère le „Nouvelliste". Cet étourdi, ex-jésuite, se déchaine contre la doctrine de Saint/ Augustin et de SahuWhomas, charge Jansénius et Boursier de calomnies, encense les déistes les plus avérés, sans oubher même Spinoza. Puis il fait 1'apologie de 1'auteur de VAnalyse de Bayle, brülée par la main du bourreau, ose même renvoyer a 1'ouvrage impie du P. Berruyer. Le Parlement de Paris se rangea a 1'avis du Port-Royaliste: un arrêt du 9 avril, „Vendredi de la PaSsion", 1756, fit justice brève et bonne, du livre du jésuite Berruyer, de celui de son confrère de Marsy et de quelques anonymes. CHAPITRE QUATRIÈME Leibniz-Le Courayer-Pope Questions philosophiques et politiques. Débuts de Leibniz. Ses projets Ulusoires. Sa sincérité et son crédit. Reconstruction de son système philosophique en Angleterre. Pope. Le „Nouvelliste" et Ie Journaliste de Trèvoux repoussent les propositions des nouveaux théologiens. Avant de continuer il sera bon de remarquer que 1'ordre chronologique laisse beaucoup a désirer dans la majeure partie de notre publication. C'est une des conséquences de la méthode du „Nouvelliste", qui laissait au caprice du sort le soin de lui indiquer Ie moment oü il lui fallait intervenir pour conduire ses lecteurs hors du labyrinthe des jugements défectueux. S'il lui venait donc 1'idée d'écrire un article sur ou plutót contre la philosophie de Montaigne, p.e., paree que l'abbé Talbert avait fait l'éloge de cet auteur, vers 1'année 1778, nous avons été forcé de mettre au commencement de notre ouvrage des critiques placées au beau milieu ou ó la fin de notre gazette, pêlemêle littéraire, dont 1'inconvénient se fait surtout sentir quand il s'agit des morts. Car, pour les contemporains, ce n'est plus la même chose; dés que leurs écrits mettent tout le monde en émoi, notre périodique en fait mention et son rédacteur ne craint pas d'épancher son cceur, s'il est besoin. En outre, il y a eu, parmi les adversaires, des esprits apparemment trop éloignés de la Vérité pour que le „Nouvelliste" daigne s'occuper longtemps d'eux; tels sont p.e. La Mettrie, D'Argens, Levesque de Pouilly, Toussaint; c'est déja beaucoup dire si 1'on nous apprend qu'un de leurs ouvrages a été condamné par arrêt du Parlement. 43 Admettons donc que tous ces absents ont eu tort, et parions de ceux qui ont eu 1'honneur d'attirer 1'attention de notre écrivain. Le peu de cas qu'on fait dans notre feuille de 1'ceuvre de Spinoza ne nous a pas permis de constater si cette antipathie a eu des racines prof ondes, Mais en relisant les quelques lignes faisant mention de notre compatriote, on dirait que son nom n'était pour le „Nouvelliste" qu'un prétexte pour dire du mal: il ne fait que condamner la philosophie spinoziste au moyen de quelque sentence qui ne convaincra que des gens doués de la foi robuste du critique même1). Spinoza a formé le projet diabolique de renverser toutes les religions et d'établir un affreux athéisme. Au fond son système n'est qu'un composé de ceux des anciennes sectes philosophiques. Pour le pieux Malebranche il y a moins d'animadversion. Si c'était une brebis égarée, ce n'était pas en tout cas un mécréant, un enfant de perdition. Pourtant le „Nouvelliste", s'en rapportant è 1'opinion du grand Arnauld, traitant de pur galimatias les réflexions de Malebranche sur la Grace, a cru nécessaire de décrier ce sincère chrétien, préoccupé du salut des fidèles, qui n'était réalisable, selon lui, qu'en remettant la raison d'accord avec la foi2). Leibniz et Malebranche poursuivaient ainsi le même but. lis ont essayé de rendre moins dure cette désolante doctrine de la prédestination. La raison se plait a voir autrement les effets de la bonté providentielle et de la justice divine. Cette nouvelle manière d'enseigner la théologie — conséquence de 1'optimisme — a produit de grands changements. Nous avons déja parlé des résultats de 1'optimisme leibnizien. II sera raisonnable de mettre en évidence 1'importance de cette philosophie pour les affaires ecclésiastiques. ~~ïj on vit paroftre... un impie d'une trempe singulière, qui, non „content de fouler aux pieds cette sage et lumineuse philosophie (carté„sienne) attaque toutes les religions" (16 janv. 1788). 2) M. Bossuet n'hésite pas de le (système philosophique de Malebranche) traite'r d'hérésie... c'est lui qui engagea M. Arnauld a le réfuter, paree [qu'il le jugeomseul capable de renverser... tout ce que ce nouveau „système renfermoit de faux, d'insensé et de pernicieux..." (24 juillet 1781). 44 Bientöt on entendra soutenir que la grace efficace ne laisse a 1'homme qu'une liberté imaginaire, les Encyclopédistes iront jusqu'a accuser le Dieu des Chrétiens de tyrannie et de cruauté. Elargissant toujours le cercle oü se confinait le petit nombre des Elus, les libres penseurs opposeront les lois de la Religion naturelle a celle de la Religion révélée et réclameront pour tous les mortels le droit de se sauver. Le conservatisme résistera a toutes ces nouveautés en alléguant que les lois de Dieu sont immuables et que 1'homme ne pourra jamais pénétrer dans Ses dessins, qui sont autant de mystères. Entre ces partis extrêmes il y a eu des modérés, cela va sans dire. Les jésuites, p.e., nous semblent moins intransigeants que les jansénistes; quelques abbés ont même montré trop de souplesse. Re venons maintenant a Leibniz et aux „Essais iréniques". Les premières démarches faites vers 1'année 1660 par JeanPhilippe de Schonborn, électeur de Mayence, et son premier ministre, le baron de Boinebourg, pour arriver a une réunion des Eglises protestantes et catholiques, avaient mis Leibniz en état de montrer sès talents pour la politique et ses capacités en matière de philosophie. Comme on avangait en tatonnant, a cause des méfiances, des doutes, des préventions, qui entravaient la marche des affaires, Leibniz constatait non sans amertume, les progrès du socinianisme et de 1'athéisme en Allemagne1). A lire les paroles prophétiques de Leibniz, exhortant le grand Arnauld au combat, on voit que ce savant a senti les dangers de ce rationalisme dont il était lui-même un des plus illustres représentants2). Car dans son Discours de la Conformité de la Pol avec la liaison, Théodlcêe I, nos 3 et 85, U refuse de reconnaitre 1'incompétence de la raison en matière de foi3). *) A consulter: Mémoire sar la Philosophie de Leibniz, p. 38 seq. et p. 228 seq.; et Ototefend, Briefwechsel, Anhang, p. 140: „Seculum philosophicum oriri..." 2) „Te paene unum me nosse,.... qui in utroque campo confligere „possit..." ») „Or, M. Bayle dédare... a Mr. Le Clerc, qu'il ne prétend point qu'ü „y ait des démonstrations contre les vérités de la Foi; et par conséquent 45 Reuchlin, Geschichte von Port-Royal, II, p. 482, raconte que Leibniz a cru a la possibüité d'une religion universelle. Plus tard en 1691, quand les négociations avaient déjacommencé entre Leibniz d'un cóté, Pellisson et Bossuet de 1'autre, le philosophe allemand reproche a son correspondant en France un procédé peu délicat: la publication de leurs lettres, sans que Pellisson 1'en eüt prévenu. II rectifie quelques passages et fait entendre que son ambition ne va pas jusqu'a vouloir essayer la réunion cultuelle de tous les chrétiens Ainsi, après avoir tenté 1'entreprise d'une union cathohcoprotestante, projet moins illusoire que le premier, mais qui a échoué tout de même, Leibniz a voulu réconcilier les protestants entre eux. Ces vastes desseins réduits peu a peu a des plans plus concrets, cet horizon qui se resserre de plus en plus, ne sont-ce pas déja des indices certains du caractère chunénque des „Essais iréniques" ? Si Leibniz n'avait pas eu 1'ambition de contribuer au succes diplomatique des ducs de Hanovre, s'il avait été un philosophe aussi désintéressé que Malebranche, s'il s'était aussi peu raêlé de politique que Bayle, il est probable qu'il n'aurait pas epuise les ressources de son génie dans une affaire aussi épineuse, ou il n'a guère trouvé que des déceptions. Car U n'y a pas que la théologie et la philosophie dans le monde chrétien; la réalité a rompu le charme et le système de nacification „lentement et savamment élaboré" s'est écroulé tantót devant 1'indifférence ou 1'hostilité, tantót devant 1'égoïsme ou la politique des autorités. Ce que Leibniz a voulu faire n'était pas réalisable et ne 1'est pas encore Mais ses idéés lui ont survecu 3). toutes ces difficultés invincibles, ces c'ombats prétendus de la Raison "contre la Foi s'évanouissent... Ainsi les notion»samples, les veritesjie[cessaires et les conséquences démonstratives de la Philosophie ne sauroient „être contraires a la Révélation." „ 1) .... je ne voudiois pas qu'on me soupconnat d avoir donné la-dedans. (Foucher de Careil, CEuvres de Leibniz, I, p. 200). 2) Cf. Laurent, o.c, p. 266 seq., Leibniz. 8) Nous renvoyens e.a. a 1'article de M. Paul Jauet, R. d. d. M., j»y févr. 1884. Selon Coushi la philosophie ne détruit pas la foi, mais eüe 46 A tout prendre, Leibniz semble trop épris de science, trop libre dans ses conceptions, pour pouvoir se soumettre a une autre autorité qu'a celle de la raison1). Au beau milieu des négociations iréniques, il est heureux de pouvoir expliquer ses idéés sur la nature de la matière, et, pour faire diversion, il parle a Bossuet d'une nouvelle branche des mathématiques, la dynamique, dont il exposé les principes. La place unique occupée par Leibniz, chargé du röle de médiateuret de pacificateur dans les affaires politiques et religieuses dont nous venons de parler, lui avait valu 1'estime et 1'amitié de plus d'un prélat, parmi lesquels il y avait eu des membres du sacré collége. Condamner un tel homme était chose difficile. Rome, du moins, 1'avait regu a bras ouverts, et nous savons par une lettre de Leibniz è l'abbé Thorel, qui avait fait briller a ses yeux les clefs de la bibliothèque du Roi, qu'il avait refusé la garde de la Vaticane, paree qu'on y avait mis l'inévitable condition qu'il se convertirait2). Tout cela cependant n'empêchait pas le rédacteur des N. N. E. E. et son confrère au Journal de Trèvoux de voir en lui un ennemi de 1'Eglise, quoiqu'il soit traité avec quelques égards8). Cette froideur s'explique quand on veut bien se rappeler 1'histoire du Concile de Trente. Et ses recherches scientifiques avaient porté la lumière dans des sujets jusqu'alors inaccessibles a l'esprit humain, l'éclaire et la féconde et 1'éléVe doucement du demi-Jour du symbole a la pleine lumière de la pensée pure. 1) .... les plaisirs de l'esprit sont les plus purs et les plus utiles pour «faire durer la joye" (Théodicée, 3e partie, n°. 254). .Leibniz haussait les épaules quand il entendait déblatérer contre le „Déisme" (Laurent, o.c, p. 391). 2) Cf. Foucher de Careil, CEuvres de L., I, Introduction, p. LVI. 3) .Un savant du dernier siècle (Leibniz), dont les écrits ont peut-être „préparé la voie aux incrédules de nos jours, a néanmoins judicieusement „observé, que le caractère distinctif du Christianisme étoit d'avoir porté .dans le monde... une doctrine' lumineuse, une Morale incorruptible, qui „déclare la guerre a tous les vices, tracé le modèle de toutes les vertus... „Depuis le tems oü parloit Leibniz, quel progrès n'a point fait .. cette „malheureuse coutume de signer toutes sortes de Formulaires (janv. 1779, p.4). 47 tels que la naissance du monde, la valeur relative du mal et du bien, 1'origine des créatureS. ^ Ainsi, dans notre feuille du 30 janv. 1788, sous avonstrouvé par quel ingénieux raisonnement Leibniz a taché d'expliquer comment la notion de ce que nous appelons le temps a pu se former. II y a eu un moment oü Dieu, s'étant décidé a créer, a fait succéder 1'indétermination a la détermination. Cette cessation d'une part et ce commencement de 1'autre, dönnent 1'idée d'une succession constitutive du temps, paree que, dès qu'elle est, il y a du temps. Les Encyclopédistes, dit notre feuille, avaient emprunté cette assertion a Leibniz, et elle n est pas difHcile a prouver. Mais ce qu'il fallait prouver, c'est la succession d'indétermination et de détermination qu'on suppose en Dieu. „Je suis le Seigneur et je ne change pas...", voilé. L'orthodoxie de Leibniz était donc sujette a caution. Mais il y avait autre .chose: plus d'un théologien avait révoqué en doute sa sincérité. Bossuet s'était refusé a voir dans les protestants des gens exclus de la communion catholique par une erreur involontaire. Le professeur Albertius de Leipzig avait manifesté son inquiétude au sujet de ce qu'on lui avait appris des concessions nécessaires pour arriver a une réunion des cultes. Leibniz n'avait pu désarmer la critique x). Pour bien juger de la sincérité de ce grand homme, il ne faut pas perdre de vue qu'il déployait sa grande activité au service des „Grands", ses maitres, et qu'il devait suivre la politique toujours inconstante de 1'illustre maison d'Este. En tout cas, dans 1'alternative, Leibniz a opté pour la science proprement dite, et non pour les symboles de 1'Evangile. i) Cf. (Euures de L., Lettre de Bossuet a Leibniz, du 28 aoüt 1679, Introduction, I, p. CV: „Cela dit, il traite les coreligiomaires de madame „la duchesse de Hanovre de peruicaces. Le mot restera, il résumé toute „la controverse de son cöté." Lire aussi: Epi&tola Albertü ad Leibntttum, et la spirituelie réponse de Leibniz, dans Appendice des mêmes CEuvres. I. „Quam impossibile porro „est, nos... vel latum unguem ab orthodoxia... recedere," „Dem theologischen Argwohn konnte seine Philosophie freilich trotzdem „nicht entgehen" (Vogt und Koch, Geschichte der D. L., II, p. 86). 48 II y aurait encore beaucoup a dire sur le röle — humiliant, selon Laurent — de Leibniz dans les „Essais iréniques", mais revenons au livre de Fra Paolo Sarpi, imprimé a Amsterdam chez Wetstein et Smith. C'est dans la feuille du 22 sept 1736 que notre auteur fait 1'examen de la traduction du livre italien et le traducteur n'en sort pas blanc comme neige: traduttore, traditore. On y trouve a peu prés les semences des mêmes erreurs que M. de Senès a découvertes dans quelques autres écrits de date récente. Le genre de catholicisme qui y règne ne saurait déplaire aux protestants: ce n'est pas celui qui a ren du les Romains odieux a Londres, puisqu'il ne consiste que dans „1'amour de 1'unité et de la paix". La Raison y marche toujours a cöté de la Religion, ou, pour mieux dire, la Raison prend le pas sur la Religion, car l'abbé Le Courayer donne partout le premier rang a la Raison. Pour ceux qui veulent redevenir amis, il y a un moyen tout trouvé: passer 1'éponge sur les anciennes fautes avant de reprendre les affaires en main. C'était 1'idéé de Leibniz dans les „Essais iréniques", c'est aussi ce que veut le P. Le Courayer. Celui-ci ne reconnait pour objet de la foi que les doctrines clairement révélées (dans 1'Ecriture) et crues des le commencement. Selon lui, ce n'est pas sortir des bornes de la catholicité, que de combattre des opinions qui, quoique généralement concues par quelque Eglise, n'ont été recues définitivement comme des dogmes que dans des temps peu reculés. II est permis de dire librement son avis sur ces décisions. Ne dirait-on pas que le P. Le Courayer en est arrivé a la phase fatale des „Essais iréniques" oü Leibniz discutait 1'cecuménicité du Concile de Trente? Leibniz avait fait une loi naturelle du miraele même, croyant que, tout en reconnaissant la sagesse divine en toutes choses, 1'homme peut se passer de Dieu dans 1'explication des phénomènes. En quoi se distinguait-il donc des déistes anglais, si ce n'est qu'il croyait aux idéés innées? Car les déistes sont d'accord sur deux points: ils nient 1'autorité infaillible de la tradition et le caractère divin du miraele. L'article du 22 sfpjtf 1736 a ét4 suivj d/un autre, naru le 6 oct. de la m^me année, ftUj n'abonde pas moins en réff^ijiatiqns. C'est qu'il s'agit de combattr$ un autre théplogiep., dc^tguïfle Sorbonne, auteur de trois Examens sur les Conu^ipöf, j'gljbé de Bonnaire, qui s'appelle luj-même „vrai sc^yant, sgayam; jflfc versel". Déadjément, ces poflypaux tb^plogiens étaient bien différents des anciens: ils admettaient le fifijicipe du libre examen, du doute uiême eu fait de doptrigfc. La répopse du ,Nouvellisto/' en cette occasion, n'jïst autre que celle de Bossuet réfutant Leibniz: ceux qui parient comme l*es P Pf CffltfW # Bonnaire sont dans 1'err^r. Un bon ca#Or lique resonnajt le principe de la sonveraine autqr#é visible de 1'Eglise, r^ême sans avoir acquis (par son nrppre examen) la certitude que ce qu'elle ensejgne & ce qu'elle propose, a ete enseigné et proposé par 1'Eglise de tous lej payg et de tous les siècles» ' Ce n'est pas sur ce principe que le P. Le Courayer ayai$ jugé lps décisions du Cqn.6#s ,de ?rep#. La tradition même n'.était p9Wr 'hü que la siraj>le parole des hommes, et ij^.ayait|ajt tm grand ugage dans ses fptes. Nous sommes a^yé en plein d$Sme II'serait oiseux d'entrer ici en plus de détails; il suffira de dire que le P. Le Courayer a olamé les décisions du Concile de Trente et qu'il a voulu persuader a 1'Eglise catholique devivre en bonne intelligence avec les sectes retranehées de son Sgm. Quelques mois s'étaient a peine écoulés que le Journaliste de Trèvoux mH le te feire une nouvelle enquête, mais, poussant ses Mvvestigations au dela du Conetle de Trente, le jésuite ayaii remonté jusqu'a 1'origine du courant rationaliste: la Théodicee, VEssal «ér l'Homme, 1'ceuvre de Bayle et mêrue de SpinoM. Dans la feuille du 4 mai 1737 se &o,uye Je prerruqr e^trait d un aj&qlcttès apprécié paru dans le Journal de Trèvoux. Et les services rendus par la a 1'Eglise, dit le „Nouvelliste", sont d'autant plus grands, que les livresnesont pas seuls a craindre: i) „Oü les auteurs^'Hn si j^micieux systêuje^ious renv(o^#Mjftn_0?.. • Jli^ous renvoient Ji la doctrine de la raison... (6 pet #36, p. 457). 49 50 une secte d'esprits forts — nombreux en Allemagne, en Hollande et surtout en Angleterre — a commencé a pénétrer en France et a y trouver des partisans1). Comme l'article qui concerne le P. Le Courayer intéresse notre auteur plus que tout le reste, et qu'il dit trés peu de 1'opinion du Journaliste de Trèvoux sur Bayle et Leibniz, et encore moins de ce que le jésuite pense de Spinoza, nous sauterons quelques pages de notre périodique pour nous occuper de Pope2). Le poème de 1'illustre Anglais passait pour être entaché de déisme, mais nulle part on n'en avait pu trouver Ia preuve. Tout ce qu'on pouvait dire, c'était que ses vers développaient les idéés optimistes de Leibniz et de Shaftesbury. Pourquoi alors cette opposition contre un homme qui faisait ouvertement profession de la Religon catholique? Probablement paree que son poème didactique, devenu trés populaire, ouvrait des perspectives contrastant trop avec les sombres tableaux qu'offrait la vie des Martyrs. En examinant ce qu'en disent Ie Journal de Trèvoux et les N. N. E. E, lesquelles, comme d'habitude, approuvent les critiques molinistes de ce genre tout en les corrigeant au besoin, on ne trouve point d'autre motif qui puisse expliquer leur colère3). 1) Cf. Lanson, Man. WW., n». 9623, Ramsay. Les N.N.E.E. du 25 sept. 1750 écrivent Fra-Macons. „Les théologiens ont toujours tenu pour certain „qu'il n'est pas permis de s'unir a cette société..." (10 juillet 1786). 2) „Le projet de tout concilier étoit digne de 1'élévation du génie de „Leibniz..." Mais comment se fait-il que cet habile négociateur ait refusé „de se réconcilier avec Bayle? „C'est un problême sur lequel 1'Europe savante „s'est partagée pour et contre la Théodicêe et son ingénieux Auteur..." „Les erreurs de M. Leibniz paroissent partir de l'esprit, les doutes „affectés de Bayle semblent partir du cceur, d'un cceur malin et critique, „qui aime a tendre des pièges, a semer des difficultés, a embarrasser les „esprits, a entraver les consciences .L'un est trompé, 1'autre veut tromper... „ils peuvent se donner la main aux deux extrémités qui les divisent tout „haut, pour les mieux réunir tout bas" (18 mai 1737). s) „... les Pères rapportent deux lettres... Le but de ces Réflexions „est de faire voir: 1 Que le célèbre poëte Anglois... parle... de la foi „naturelle d'une manière aussi pernicieuse que s'il avoit entrepris de jetter „ses lecteurs dans 1'incréduKté du Déisme; 2° Que la manière dont il en 51 Pope fréquentait aussi la Cour. Voulant se laver de 1'opprobre du déisme, il composa plus tard sa Prière imiverseUe, compositum dont Leibniz avait déja eu 1'idée. Un zélateur de la foi semble capable de trouver entre les lignes des péchés qui échappent aux yeux du commun des mortels, füt-il M. van Tieghem1). La poésie de Pope, humanitaire et didactique plutót qu'élé- giaque et dévote, n'était donc pas du goüt du „Nouvelliste" et du Journaliste de Trèvoux. Longtemps après, en 1746, trois Lettres qu'on venait de donner au public sous le titre de Poème de Pope inütulé Essat sur l'Homme convaincu d'impieté, réveillent les anciennes rancceurs % En présence de 1'ennemi commun, le „Nouvelliste" et le Journaliste (de Trèvoux) se sont donc mis en devoir de parer ensemble les coups du démolisseur. Mais cela ne veut pas dire qu'ils oublient leurs disputes. Ainsi, lorsque le Journaliste (de Trèvoux) trouve que 1'ouvrage de Fra Paolo peut avoir été approuvé en France comme une satire bien faite sans qu'on 1'estime pour cela d'une autre fagon que les Provlnclales et d'autres „semblables libelles", le „Nouvelliste" est d'avis qu'il faut pardonner cette injustice a un homme blessé, qui sent toute la profondeur de ses blessures, parle tend manifestement a sapper les londemens de la morale chré"tienne... M. Pope réalise... ce qu'on appelle 1'état de pure nature. De "lè plus de révélation, ni d'Evangile qui nous oblige aujourd'hui de pratter "une Religion différente de ce que (M. Pope) appelle la Religion naturelle. "Laissons, dit ce docteur de l'Homme, les faux zélés disputer sur les dif. [férentes manières de croire" (18 mai 1737, p. 78). C'est vers la même époque (1737) qu'on avait vu paraltre les traductions de Du Resnel (en vers) et de Silhouette (en prose) du poème. 1) Cf. les articles parus dans la Revue de Lttt. comparée, avril-juin 1923. 2) Or, ce pofime sappe la religion dans ses fondemens. C'est ce qu'on entreprend de prouver dans ces trois Lettres... Dans la troisième... on fait voir que ces prétendus sages du siècle ne sont pas moins dérafson- „nables qu'irréligieux, lorsqu'ils veulent sonder les profondeurs de Dieu avec les faibles lueurs d'une raison obscurcie par le pêché" (22 mai 1746). Cf. aussi: Lanson, Manuel WW., n«. 7954, J.-B. Gaulthier, CHAPITRE CINQWÈME ACCUSATIONS ET CONTRE-ACCtJSATlONS Etrange éeho de la dispute sw YHistoire du Concile de Trente. La question ,royale". Le „Nouvelliste" ne peut être convaincu de complicité. La thèse de Prades et l'abbé Yvon. Censures manquées. La Sorbonne. Le pius grand soüci dès philosophes du XVIIe siècle avait été de prouver que leurs idéés n'étateiit pas hérérodoxes. Ce que Leibniz craignait ie plus, c'était d'être tenu pour un ennemi de 1'Eglise. A leurS yeux la philosophie et la religiën n'étaient pas inalliables. •Seul Bayle s'oppose a cette théorie, étant d'avis que la foi ne saurait être identique a ia raison. Mais pour que les déistes du XVIlIe siècle ne Iröttvent dans la religion rien qui leur semble contraire a la raison, ils retranchent de la doctrine tous les éléments apooalyptiques, improbables, a moins que la piété ne les ait empêchés d'alïeï jusque-la. Nous avons déja dit qu'en Angleterre les déistes continuent a se nommer chrétiens et que l'esprit de tolérance leur laissait la liberté d'avoir des opinions personnelles sur quelque matière controversable. En France, au contraire, une rupture était inévitable dans ces chconstanoes. II ne faut donc pas être surpris des rétractations que les encyclopédlstes ont dü faire pour avoir la paix. M. de Montpellier, Colbert de Croissy, traite le P. Le Courayer d'hérétique, de sectaire de Ia secte la plus pernicieuse -et la plus éloignée de 'la Vérité. Et le „Nouvelliste" ne cesse de souligner ceslUOtS*). !) „Pour ce qui est des imitateurs du Frère le Courayer... tous les 53 C'est une grosse affaire pow le „NoimMtite" et ses amis, que cette Hlstoire du Concile de Trente et d'autres ouvrages répandant les mêmes erreurs et affaiblissant le fil sacré de la tradition. Du moins, après le Projet d'Ordonnance et tmtruction pastorale de 1'évêque de Montpellier, portant condamnation de ce livre, notre feuille du 28 janv. 1739 reproduit des fragment» d'une lettre de 1'évêque de Senez a M * * * au sujet d'un ouvrage postbume de Colbert de Croissy djrigé. contre le Frère Le Courayer Puis le silence se fait jusqu'au beau milieu de la guerre (de la succession d'Autriche). Un journal, le Supplément, rédigé paf les jésuites, avait insinué que les „6uppöts de J'ftlise Jansénienne" étaient de mauvais patriotes, puisqu'ils ne souffraientqu'impatiemment les réjouissances publiques produites par les ©enquêtes du roi. Le Supplémenteur osait même écrjre que le „Nouvelltefa", è 1'exemple de Courayer, son confrère dans 1'appel, était pbis attaché de cceur è Londres qu'il ne 1'éteit a Paris, A cette aceusation — un de ces traits d'impudence et de noirceur, dit notre auteur, dont un jésuite peut être capable il fallait répondre par une vive protestation, la calomnie étant une arme dangereusex), Rien n'avait pu alterer dans le parti des anti-constitutionnehes l'esprit de dévouement pour la cause du roi de France. Etait-ce a dire qu'on y approuvait la conduite des demiers Bourbons? Et coroment fermer 1'oreille aux plaintes de ceux qui souffraient? Le „Nouvelliste", chrétien austère, censeur uitransigeant, avait charge d'ames! II est donc inadmissible que cet Hercule, qui se preyait appelé a abattre 1'hydre de 1'anarchie pbilosophique, Bit été rjndiffórent spectateur de la monarchie aux abois. „jours on répand dans le public des Ubelles pleins d'impiété... Ainsi le [Déisme s'établit Ce n'est plus en Angleterre et dans des pays protestans „que i'impiété fait des progrès: c'est en France, a la cour, a la ville, et „dans les Provinces..." „Jusqu'ici le mal s'étoit concentré dans ceux qui se piquent de bel espnt: „maintenant on assure que le peuple n'en est pas exemt" (13 déc. 173»). l) „II sied bien aux meurtriers de nos Rpis d'intenter de pareilles „accusations ..." (4 déc 1746). 54 Seulement, ce soldat ne discutait pas avec sa consigne: ne peis se mêler de politique. II ne nous dira donc pas son opinion sur cette cour frivole, sur cette administration ruineuse, mais en recommandant la sage politique de Charles VI et de Marie-Thérèse dans les Pays-Bas, il trouvera moyen de critiquer 1'abus fait de l'autorité royale et la partialité de la juridiction ecclésiastique1). Toutefois le régime anglais lui déplaisait. Loin d'admirer la „libéralité" du peuple britannique, il ne cessait de blamer le zèle anti-national de ceux de ses compatriotes qui exaltaient les institutions d'Outre-Manche pour pouvoir mieux dénigrer le gouvernement de leur pays2). Le 20 juin 1770 parut dans les N. N. E. E. un grand article consacré a une brochure de l'abbé Guidi (un des rédacteurs de notre journal) ayant pour titre: Lettres ó M. Le Chevaller de*** entratné dans ïirréligion par un Libelle tntitulé: Le Militaire Philosophe3). Après avoir réfuté sur plusieurs points les théories de Naigeon et d'Holbach, — la question „royale" en est une des principales —, 1'auteur prend Ia défense non seulement des rois religieux, mais même de ceux qui écrasent les peuples sous le poids de la tyrannie. Les chrétiens, dit-il, respectent le roi, quand même les passions 1'emporteraient dans son cceur sur la Religion. Sa dureté ne peut effacer sur son front 1'auguste caractère d'Oint du Seigneur. L'abus de la puissance dans un Souverain ne le rend pas illégitime, et il faut lui obéir toutes les fois que ses ordres ne sont pas incompatibles avec les intéréts de la Religion. Mais autre chose est respecter unmaitre, autre chose est 1'aimer4). 1) Dans les feuilles du 4 sept. 1753, du 25 déc. 1753, du 9 janv. 1754, du 19 mars 1756 et du 12 juin 1759. 2) „Depuis plus de quatre-vingts ans, la liberté de penser a produit en „Angleterre une multitude d'Ouvrages impies..." (27 févr. 1778, p. 35). ») Cf. Lanson, Manuel WW., n°. 11658. 4) „Leur obéir est le premier de nos devoirs dans tout ce qui ne blesse „pas la conscience. Mais nous obéissons aux persécuteurs en priant pour eux, aux superstitieux en les plaignant, aux bons en les portant dans nos cceurs... 55 La théorie du droit divin reste intacte jusqu'au dix juillet 1790. C'est alors qne les N. N. E. E. reconnaissent qu'elle est erronée On le dirait du moins après la lecture de ce que notre feuille dit en faveur d'un ouvrage paru chez Le Clere, le libraire de la rue Saint-Martin, en 1789, et qui se nomme Origine et étendue de la puissance Royale, suivant les Liores Saints et la Tradition. Curieux démenti des solennelles assertions de Bossuet de Nicole, du grand Arnauld, et de tant d'autres 1 La Révolution n'a pas laissé d'influer sur les opinions séculaires des N.N.E.E. On s'en apercoit dans les feuilles traitant du Concile de Trente après les événements du 18 brumaire. Le „Nouvelliste" convient qu'il y a eu dans les décisions du Concile des influences politiques qu'il faut regretter2), Serait-ce au parti de l'abbé Grégoire, évêque constitutionnel, qu'il faudrait attribuer ces velléités d'opportunisme? A la fin de 1792, lorsqu'il y a pérü en la demeure, parait, chez le même Leclere, une Réclamation de la Natton, de la Lot et de la Raison en faveur de la Religion catholique. Les N. N. E. E.. du 23 janv. 1793 (üseat de cet écrit que c'est un tissu de témoignages rendus a la Religion catholique par des auteurs célèbres, dont la plupart ont frondé trop souvent ses dogmes, ses lois et ses usages légitimes. Et nous voyons apparaitre les noms de Montesquieu, de D'Alembert (Lettre a Vlmpèr ratrice de Russie), de Bayle et de Voltaire même, non pour les couvrir de mépris,,mais pour les citer en exemples aux membres de la Convention 3). 1) „Dès qu'ü est constant que 1'autorité des Rois émane de la Natton „dont ils sont les Chefs..." „L'étude du Droit public est.depuis si long-temps... interdite en France... „qu'on y est presque révolté des maximes les plus certaines. 2) Feuille du 24 oct. 1801. 8) Le même Auteur (Montesquieu) rend au Christianisme le témoignage „d'avoir adouci les mceurs..." La foi qu'exige le Christianisme, contredit et humilie la Raison; eest insulter... a la raison même, que de regarder comme humiliant un joug [qui soutient cette raison... quand elle est abandonnée a elle-même (D'Alembert). „ [ „Voltaire lui-même a reconnu qu'on a besoin d'un Dieu qui parle au 56 'Ces quelques témoignagès' d'ihdulgêfièe pour ies ërrêUrs philöSÖ^hiques et d'estiriie pour la personae dë quelques adversaireè ne suffisènt pas pour en faire canclare Vftiïl y a eu dans lè camp anti-cbnétifüttorniaire des sympathiès pour les efefcyclopédistes. Dans lëS N: N. E. E. on en chercherait en véttn les prétfves. Parmi les cent une propo'sitibns tirées dtt livrè des Réflexldns morales du P. Qtoésnel, il y Vh a tine qttï nous intéressé: c'est la nonante-unrème: „La craiiftè d'uhe excommühication injuste „ne doifc jamais nous empêcïker ttë faire notre devoir. Ón ne sort „jamais de 1'Eglise, lors mêmfe iqü'H semble qu'on 'en soit banni 'npÜt la méchancetë des hommes, quand ótt ést attaché a Brètt, „a JfesttS-Cïirist ét a 1'Egïisè merate $ar la charité" ((S. 3ean, §,22). C'étaient des paroles bien consolantes pour ceux qui plèuraient le sort de Pórt-Royal. Seulement 9fh 'aurait téftidfe vfculoir séparer ces RêflexióHk du texte bibtique auquel H fait altufciön: „La „'crainte que son père dt Sa mère (de l'aveugle-n%7 avaient des „Jüffs, les faisaït parier n*è la sóttè ^es 'èmpêchaft 'dé dire com„ment leur nïs avait recouvré "la vue)'; car 1ës Juifs avaient dé ja „conspiré \@t ïés'ó'lu ensemble "que quiconque rèconnaffr?ift fe „Ghrikt, serait 'CTriatSsé de la Synagogüè". „Pericïïïósa, suspecta, scandaldiil %t ïavens schismsfti," 'dft la Bulle. 'Mise fen 'Hfpport *a"vec les vërséfs de VEcifttirb, 'ööfle "91e Réflexiön n'a rfe% 8'aTarmant; détachée de tdtft Wntèxtè, <ëHe présente phis ^"une fadé. fLe croirtr%JbÉ9 Selon ï^mYèy, cette pensée (la nommée Réflexion) est 1'anneau 'Wifr ScpM frélie lè jansénrsmé a la philosophie 'dft XVHIe siècle*). Pdür étre d'or, cet anneau n'en a pas moins été trop fragile pour unir ces'Öferrx puissances rivales. S'il leur est arrivé de condamner les mëmes causes de corruption (abus des lettres de cachet), ce n!a pas été faute d'antipathie. Le „Nouvelliste" n'est pas un homme 'politique, et dés lors „genre humain... Bayle convient aussi... que '1'homme a "éu besoin d'une „lumière tévélee, 'tjüi suppléat aux défauts de la lumière philosophique" (23 janv. 1793). i)'Ct Roustan, Les Philosophes au ■XVIII' siècle, p. 177 seq. 11 est plus factie de moutte? du caractère. Mais cette «dépendance même aurait dü faire sentir a notre auteur combiên il est ihjuste de faire a autfui ce qu'il ne voulait pas qu'on lui fit è lui-niême: il a accüSé a Son tour les jésuites d'avoir des pensées fortement inclinées vers le philosophisme Malheureusement les preuves données a 1'appui sont trop peu solides pour qu'on puisse prendfe au sérieux les allégations du „NouvelllgH". Ainsi, dans Ia feuille du 28 aoüt 1779, nous avons trouvé de la main de l'abbé Grosier, ex-jésuite, un parallèle Wtre les jésüiteB et les philosophes, écrtt Sans doute par plaisantèrie. LeS jésuites öbéissent a un Général, les philosophes obéissaient è Voltaire, leur Pèfe Général; les jésuites ont Infecté la morale, les philosophes lont anéantie... les jésuites enseignaient qu'il peut être permis dé tuer les rots? les philosophes ont exhorté daas des écrits cfcwdestins les peupies a rentrer dans leurs droits en exterminant fes tyrans ii I Ott feöttviendra qwe c'est une comparaison plus amusante que JuWe. Malgré cela ie »Nouvellt*te" trouve que le parallèle se soutient dans teute* le* parties et il rappelie qu'a i'occasion de la tlrèse de l'abbé de fraées il parut mt «et écr» des Observations oü 1'on laisait voir combten la doctrine des jésuites se rappïöche de CéMe des philosophes, Mais, atou1e»Vü\ ces rapports sent trop ftttimes poar qu'un ea-jesuite puisse les goüter il ne feut p*s s'étonfKer que M. Grosier les ait passés sous silcncc* La these soutenue en Sorbonne par Martin -de Prades, bachelier en théologie, te 18 mv. 1751, de hutt hewes du matta jusqu'a six heures du soft, «rtira 1'attention sur VEncyclopédie, i) M. Qrosier (Journal de Littér. des Sciences et des Arts) rapporte ces «frafts 'de M. D'Alembert (Eloge de l'abbé de Choisy) contre lesïésmt* "sÉftis'etitreprendre Se lés "réfuter... Mess il S'«st avisé d'un singulier exIpédient iHJBr -dégoüter les philosophes de dire désormais da mal de la "société détruite: c'est de faire voir „qu'ils sont précisément eux mêmes lee qu'ils imputent aux jésuites 'd'avoir été; qtflte öiérttent... par leur ledndiüte ... to«s les wproChes qn'on a faits a ceux-ci; en un mot que ,les Philosophes sont auföörd'hui les Jésttites de ta>Littérature."U.Qroéka [prouve sa thèse par un parallèle étendu..." (du 28 aoüt 1779). 58 dont les deux premiers volumes furent supprimés par un arrêt du Conseil (7 févr. 1752) l). Une proposition extraite de cette thèse, qui avait fait beaucoup de bruit, avait soulevé bien de 1'émotion; elle est ainsi concue: „Toutes les guérisons opérées par J.-C, si vous les séparez „des prophéties, qui y répandent quelque chose de divin, sont „des miracles équivoques, attendu qu'elles ressemblent par „quelques endroits aux guérisons faites par Esculape". C'était donc bel et bien du déisme transplanté des bords de la Tamise au centre de Paris et défendu par un étudiant destiné au sacerdoce, collaborateur des encyclopédistes. Or, rien n'était aussi cher au cceur des prétendus Jansénistes, depuis le mystère de l'attouchement de la Sainte-Epine è PortRoyal, que ces témoignages de la grace divine. Si bien que, dans ces milieux, le moindre doute élevé contre le caractère surnaturel du miraele et 1'efficacité des guérisons opérées sur les miraculés passait pour une grande profanation. Un des grands griefs de M. Gazier contre Sainte-Beuve, c'est que ce dernier a voulu expliquer par la méthode scientihque la guérison de la fistule lacrymale de Marguerite Perrier. Les N. N. E. E. ne négligeaient aucun moyen de recommander la vertu du vrai miraele, et ne cessaient de combattre les sceptiques et les incrédules, qui taxaient de fables les histoires des livres de Carré de Montgeron. Qu'on s'imagine donc la joie du „Nouvelliste" lorsqu'il trouve que tel évêque constitutionnaire est de son avis2). La feuille du 17 avril 1780 fait mention d'un livre écrit en latin par un disciple de 1'Eglise d'Utrecht, M. Ant. de Haen, professeur de 1'Université de Vienne et premier médecin de i'Impérateice-Reine3). Ce livre, traduit en francais et publié a Paris, chez Didot le Jeune, quai des Augustins, avait pour titre: !) Cf. Gazier, Mouvement jans., chap XX. 2) „Voila donc un évêque (de Machault) d'Amiens, un évêque constitutionnaire, qui croit aux Miracles" (23 janv. 1788). *) Confrère du célèbre baron van Swieten. 59 Magie et Miracles1). Pour extirper les abus des procés de magie, on avait cru devoir nier absolument l'existence de cet ëtttMaïs une semblable méthode doit être aux yeux de notre „Nouvelliste" un remède pire que le mal, et il est heureux de constater qu'un médecin de renom a fixé des régies pour distinguer le crime de ce qui n'en a que 1'apparence: véritable service rendu a 1'humanité. Car la magie est un pacte implicite ou explicite avec le démon, produisaataveclapermission de Dieu, des effets surpassant les forces humaines. II serait donc hors de propos de douter de ce que les textes formels de 1'Ancien et du Nouveau Testament déclarent. On trouve l'existence de la magie confirmée dans la pratique et les lois de 1'Eglise, dans la doctrine des Pères, dans les expériences des grands médecins, dans les observations d'hommes éclairés et dans les témoignages d'historiens. Et 1'Eglise catholique a toujours cru et condamné la magie comme un art réellement existant. C'est en ces termes que se prononce le „Nouvelliste" sur ce qu'on a coutume d'appeler une des sciettbes occultes. Enparlantdu miraele, que M. de Haen définit, d'après Benoit XIV, „un fait qui est hors de 1'ordre de la nature, un fait i«Usité'et fort étonnant", deux écueils étaient aéviter: 1° la Religion facile a blesser, et, 2° la Superstition difficile a combattre. L'éminent clihicien parait avoir écrit sa longue dissertation sur le miraele, dont 1'Eglise catholique est seule la légitime dépositéare, et sur la magie, trop souvent identifiée avec 1'impostUre, pour s'attaquer a un prêtre allemand nommé Gassner, qui, vers le même temps jouait avec éclat le róle de thaumaturge. Au bout d'une vingtaine d*«nnées, 1'expérience avait appris a cet aliéniste qu'il y a peu d'énergumènes dans 1'univers, et qu'il y a encore moins de magiciens parmi les chrétiens: et il avait constaté avec satisfaction que plusieurs personnes condamnées au bücher, i) La même matière avait déja préoccupé Leibniz, et, avant lui, le Jésuite Frédéric Spee, auteur d'un livre sur les procés souvent monstraeux intentés aux prétendues sorcières: Cautlo criminalis, sea de processtbus contra Sagas Liber (1631). 60 lui devaient leur salut. Mais si M. de Haen a pu se féliciter des résultats obtenus dans son höpital par 1'examen des maladies causées par quelque sortilège, il n'en a pas été de même pour le miraele, dont la discussion est plus difficile. Malgré les autorités citées pour prouver contre les incrédules l'existence des miracles, notre esculape ne fonde son opinion que sur ce qu'il a lu et non sur ce qu'il a vu. II renvoie e.a. aux mandements de 1'évêque de Montauban et de 1'archevêque de Paris contre l'abbé de Prades. Qui était responsable du trait d'audace décoché en pleine Sorbonne par ce jeune ecclésiastique? C'est la philosophie dictée dans 1'Université de Paris par M. Turquet, dit le „Nouvelliste". Ce Sage Maïtre est le père d'un nouveau système de religion, mieux accommodé au temps de ia philosophie. L'abbé de Prades a été un de ses disciples (et peut-être aussi l'abbé Yvon). Ce qui est plus fort, c'est que l'abbé Yvon rend a son tour les jansénistes suspects» leur reprochant de favoriser les excès anti' religieux des philosophes. Qu'est-ce que la vénérable Sorbonne était devenue? Depuis la condamnation du grand Arnauld les choses avaient bien changé. Elle dépérissait sensiblement, de sorte que l'abbé Pucelle 1'avait traitée de Carcasse et que les N. N. E. E. désignent ses membres par le titre irrévérencieux de Carcassiens. Ainsi cette illustre faculté n'était plus que 1'ombre de ce qu'elle avait été, au dire du „Nouvelliste" du moins. Pourtant, vers le milieu du XVffle siècle la Sorbonne, sortant de sa torpeur, semblait vouloir reprendre conscience d'elle-même. Les affaires de 1'Eglise de France aUaient bien mal: 1'inqualifiable légèreté du gouvernement dans le choix des grands dignitaires avait fait du haut clergé une assemblée composée pour la majorité de grands seigneurs incapables et souvent indignes du sacerdoce. Suivant notre journaliste ces évêques-courtisans avaient pour seul mérite un grand zèle pour la Constitution Unigenitus, et il exposé a la risée ces prélats présomptueux, parmi lesquels Christophe de Beaumont occupe un des premiers rangs. On peut dire que son épiscopat a beaucoup contribué au succès des articles de Paris insérés dans nos feuilles. Quelquefois la 61 matière soumise a la crittque de notre auteur se prète a une fine retouche é'die)ie21 janv. 1746". Telle fut la fin de la gestion de la société encyclopédique confiée a D'Alembert et a Diderot. Dans la suite de notre feuille 11 n'est plus souvent question de ce duumvirat. Lors de 1'expulsion des molinistes, D'Alembert se mit en de voir de rompre une lance contre 1'ennemi resté debout: il écrivit une brochure sur la Destruitlon des Jésuites en France par un Auteur déslntèressé. Après avoir sévi contre les membres de la Société, les magistrats n'auraient pas dü ménager les jansénistes, plus intolérants que leurs adversaires, s'écrie-t-il. La réponse du „Nouvelliste" se faisait attendre; enfin elle parut dans le n°. du 11 déc. 1765 avec une forte dose de brocards: D'Alembert, auteur impudent, autre Dom Quichotte... Heureusement l'abbé Guidi fit mieux: au lieu de répondre aux invectives par d'autres invectives, il publia sa belle Lettre hun Ami sur un écrit intitulé: Destruction des Jésuites, réfutation sérieuse de ce tissu de pensées diverses, de ces fragments sur 1'Eloquence, sur la Poésie francaise et latine, sur la Politique» sur le Gouvernement, sur le Théatre, sur la Musique... „toutes „sortes de matières étrangères a 1'objet que le titre. ». sembloit „annoneer". Au dédain montré par le grand philosophe pour les commentateurs de 1'Ecriture, des Visionnaires, s'occupant de questions vides de sens, consultant et écrivant des volumes „d'oü il n'y a pas a tirer une page de vérité", l'abbé Guidi oppose un système assez ingénieux: il substitue aux expiications de 1'Ancien Testament, YHistoire naturelle de Buffon; aux ouvrages contre les Hérétiques, YHistoire unlverselle de Voltaire; au Poème de Saint Prosper, celui de la Pucelle; Candide a Saint Cyprien, YHomme-Maclüne aux Réflexions morales, etc. Après ces produits du génie philosohique, les Chrétiens n'auront qu'a brüler les écrits qui ont édifié 1'humanité pendant des siècles, les Sermons x) Avec quelques autres ouvrages, e.a. la Religion naturelle de Voltaire. L''Encyclopédie fut soumise a la critique de 9 examinateurs pour donner avis. 79 des Grégoire, des Léon, des Chrysostome, les CEuvres de Saint Bernard: ces belles Apologies de la Religion n'ont aucune raison d'être depuis YEmile et les Lettres de la Montagne, sans compter tant d'autres chefs-d'ceuvre, ajoute l'abbé Guidi, On peut dire de dures vérités, même en badinant. „Rien ne „prête tant a la risée que 1'enthousiasme fanatique d'une Secte „d'Incrédules", selon M. de Pompignan. II y avait encore ceci: en France les choses civiles étaient liées aux choses religieuses. D'Alembert voulaitune sage tolérance, qui permlt a chacun d'embrasser la religion qu'il préférerait. L'abbé Guidi ne répond pas catégoriquement, comprenant sans doute que la liberté de conscience, telle que la voulait D'Alembert, sans condition ni restriction, allait entrainer la ruine de son Eglise privilégiée. Au lieu d'examiner cette question, l'abbé Guidi se met a parler de la controverse, qu'il trouve nécessaire, utile même, pourvu que le demier mot reste a 1'autorité de 1'Eglise. Le soin du gouvernement doit se bomer a faire respecter cette régie. Si pour ce prêtre la tolérance religieuse ne va pas loin, il n'en est pas de même de la tolérance civile. Les prétendus philosophes, dit-il, écriront ce qui leur plaira, mais a deux conditions: 1° qu'ils écriront sensément; 2° qu'ils écriront avec justesse, prouvant ce qu'il s'agit de prouver; sans cela, ils exaspéreraient le plus tolérant de leurs adversaires. On reconnaftra que, pour un homme d'église, la tolérance ainsi concue n'est pas un vain mot. On est heureux d'entendre ici un son moins grêle, plus nourri, faisant contraste avec la voix du „Nouvelliste". Est-ce prendre le parti du plus sage, que de se moquer de tout cela? Un auteur qui se respecte, et qui est en même temps uu homme distingué, devrait se conduire mieux, dit Guidi Une autre réponse faite a D'Alembert sur la même question, !) „Rire des animosités des Théologiens, rire des embarras et des varia„tions de la Sorbonne, rire en silence de toutes ces disparates, rire de „l'acharnement réciproque des Jansénistes et de leurs adversaires... savoir „si bien rire de tout et mettre au-dessus des Provinclales du moins a 80 rédigée par l'abbé Reynaud et intitulée: Le Philosophe redressé, n'offre aucun détail assez intéressant pour qu'il soit besoin d'en parler. A la mort de D'Alembert, Condorcet prononca un discours des plus élogieux en l'honneur du secrétaire perpétuel de 1'Académie francaise etc, mettant le nom du fils de Mme de Tencin a cöté de ceux des plus célèbres mathématiciens, tels que Galilée, Huygens, Newton. „Plüt a Dieu, ajoute le „Nouvelliste" qu'il eüt aussi imité ces „hommes illustres par son respect envers la religion et les moeursl „Nous n'aurions pas a déplorer Ie malheur de son apostasie". Le nom de Diderot ne se rencontre qne deux fois dans notre journal, d'abord le 15 mai 1783, a 1'occasion d'une fable du P. Cerutti, YAlgle et le Hlbou. Une maigre veine de poésie glorifie dans cette fable les deux coryphées de YEncyclopédie, D'Alembert et Diderot, dont 1'un a „semé la clarté dans les „champs d'Uranie", tandis que 1'autre „au milieu des Arts a „promené son pinceau". Tous les deux, ils ont „accompagné „la Vérité hardie, 1'un tenant sa balance, et 1'autre son flambeau". Ensuite, on le retrouve le 26 nov. 1784, dans un petit article rédigé a la mémoire „d'un des principaux fabricateurs" de YEncyclopédie et de la thèse de l'abbé de Prades. Pour un homme de 1'importance de Diderot ce n'est pas une trop grande place. Nous avons dit autre part, (chap. II), que les articles de fond, placés a la tête des feuilles ordinaires au commencement d'une nouvelle année, contenaient tantöt une jolie illustration, tantöt un précieux rapport des grands problèmes a résoudre. Mais dans un siècle „qui s'achemine en ricanant vers sa chute", comme le dit M. Doumic1), et qui a approuvé les railleries de Voltaire et les critiques de Condorcet sur les Pensees de Pascal, les colères, les exhortations et les doléances du „Nouvelliste" n'ont pu corriger les incurables optimistes de YEncyclopédie. Certes, les rétractations, les explications ne manquent pas, mais elles ne changent guère les opinions. „certains égards, le chapitre sur le Jansénisme qu'on trouve dans YEssai „sar l'Histoire générale de Voltaire... n'est pas d'un homme distingué". x) Hist. de la LUI. francaise, XVMe siècle, La Comédie, fin. 81 Sans déroger a son habitude de se plaindre des progrès de 1'incrédulité et de blamer les Gavers de son siècle, te „Nouvelliste" ajoute dans la feuille du 2 janv. 1767 que la science et la philosophie se prêtent merveilleusement * la propagande. Dans nombre de livres, dit-iLl'ünmortalité de l'ame est révoquée en doute, 1'idée même de Dieu est mise au rang des préjugés de 1'enfance. Evidemment on a parlé des sciences exactes et des connaissances acquises au moyen d'expériences. Buffon est le premier de ces auteurs d'ouvrages didactiques. il est question de YHistoire naturelle et générale dans les feuilles du 6 et du 13 février 1750, c.-è-d. quelques mois après les premiers articles sur YEsprit des Lois. La théorie de la terre imprimée dans les premiers volumes des in-4 de Buffon, excita d'abord 1'indignation du „Nouvelliste". Fallait-ü s'en tenir aa récit de Moïse, ou était-il permis d'interpréter te texte biblique d'une facon moins littérale, en substituant aux „jours" révolus pendant 1'acte de fa création des laps de temps plus considérables? Les recherches des minéralogistes n'avaient pu ébranler la foi de notre théologien: M s'en tenait a la lettre, n'admettant pas le témoignage des fossiles et de la géologie en faveur de la cosmogome de Buffon. Toutes ces hypothèses ne servent a rien, Dieu ayant dit, après le déluge, qu'il n'y en aurait plus d'autre % Au rebours des éloges prodigué» a Buffon par te Journal des Savants et des douceurs dites par les papelards de Trèvoux, notre revue fera connaitre le venin de son onvrage. Le naturaliste — chose humiliante — avait cru devoir ranger 1'homme dans la dasse des animaux. Avait-ü oublié te faxte de la Genèse? De plus, dire que le mot Vérité ne fait naitre qu'une 1) „M. de Buffon entreprend ensuite d'expliquer la manière dfflSt la „terre a été formée. Dieo a déclaré a Noe... qtffl n'enverroit plus de „déluge". „... Les idéés de M. de Buffon sont bien différentes. Si on 1'en croit, „la terre que nous babitons a été longtems un fond de mer... Combien [de siècles n'aura-t-il pas fallu pour former par le flux etlereflux des eaux „toutes les montagnes qui sont sur la terre..." En effet, on est pris de vertige, rien que d'y penser. 6 82 idéé vague et qu'il n'a jamais eu de définition précise, que les vérités mathématiques n'ont aucune réalité, mais que leur valeur est toute relative; prétendre que ce qu'on appelle vérité en physique n'est que probabilité; enseigner enfin que les vérités de morale n'ont pour objet et pour fin que des convenances et des probabilités, n'était-ce pas introduire le pyrrhonisme dans la Religion et dans toutes les sciences humaines? Quant a la dernière question, celle de la morale, elle est trop délicate pour qu'on puisse s'en tirer en débitant une banalité; ainsi, mieux eüt valu 1'approfondir ou la supprimer tout a fait1). Aussi notre „Nouvelliste" se plaint-il de 1'absence, chez Buffon, de principes pouvant démontrer qu'il y a un Dieu. Les conséquences des raisonnements de Buffon nous semblent plutöt fixer 1'indépendance de la morale de la sagesse — volonté — de 1'Etre souverain, quoiqu'il ne le dise pas sans ambages. — Quel est le philosophe qui ait raisonné juste, dit notre auteur, en s'écartant des lumières de la foi? Si Buffon, pour autoriser son système, appelle en témoignage Fontenelle, le „Nouvelliste" s'en rapport e au génie de Bossuet, qui, au 2e vol. des Elévations, conseille aux philosophes de cultiver les sciences, mais de ne pas s'y laisser absorber a tel point qu'ils oublieraient que Dieu est la vérité des vérités. Buffon, plus soumis que le baron de la Bréde, fit une rétractation compléte pour effacer tout ce que son livre contenait d'offensant, dans une Réponse a Af. M. les Députés et Syndic de la Faculté de Théologie. Nos feuilles parient de cette profession de foi comme s'il s'agissait d'une mystification (année 1754, p. 101 seq.). Radl (Geschichte der biol. Theor. tn der Neuzelt) qualifie le beau geste du seigneur de Montbard de manoeuvres jésuitiques2). Vraie ou fausse, cette rétractation n'en est pas moins des plus compromettantes: la théorie de la formation de la terre n'a été qu'une pure supposition... !) „C'est ajouter 1'ingratitude et 1'impiété a la folie que de réduire & „des convenances et des probabilités les vérités de la morale. Quoi, aimer „Dieu, de tout son cceur... et le prochain comme soi-même, n'est-ce pas „un devoir essentiel..." (N.N.E.E., 6 févr. 1750). 2) Radl, o.c, p. 281. 83 Tout cela n'empêchait pas Buffon de continuer son ouvrage sur le même pied, mais le „NouvelUste" ne manque pas de mémoire et attaque de nouveau les Epoques (1781, p. 97 seq.). Le grand naturaliste avait fait pénitence en quelques belles tirades, il s'était payé de mots. Le 20 avril 1767, les N. N. E. E. font remarquer que dans le vol. de déc. 1766 dn Journal des Savants la rédaction s'étend avec complaisance sur les Recherches de M. de Mairan touchant l'Anclenneté du Monde. Ils étaient alors trois, Buffon, De Maillet (Telliamed) et De Mairan, qui soutenaient que la surface de la terre avait été couverte pendant une multitude de siècles par les eaux de la mer et que la formation des trois règnes de la nature avait exigé mille fois plus d'ancienneté qu'on n'en accordait a la terre. Un autre livre, intitulé: Quand et comment l'Amérique a-t-elle été peuplée d'hommes et d'animaux?, niait que le déluge eüt été universel et que toute 1'Ecriture eüt été inspirée de Dieu l). Faut-il s'étonner de 1'incrédulité du „Nouvelliste", qui fait penser a SaintThomas? N'oublions pas que ces théories, qui dataient du temps de Leibniz (Protagaea) et de Fontenelle (Hist. de l'Academie des Sciertces, année 1716, p. 145) étaient encore bien nouvelles et bien vagues, et, comme il arrivait souvent que les grands naturalistes se disputaient sur le bienfondé de leurs opinions et de leurs imaginations, le critique se bomait dans notre feuille a donner raison aux défenseurs de sa cause. Tels sont: l'abbé Le Large de Lignac, porte-parole de Réaumur et de Linné et adversaire de Buffon dans les Lettres a un Amérlcaln; De la Boissière, auteur des Contradicüons du Livre Intitulé: De la Philosophie de la Nature, ouvrage trés solide, trés instructif, selon notre „Nouvelliste", dirigé contre i) „... il (l'auteur) se met en devoir de nous apprendre a distinguer „ce qui est inspiré de Dieu d'avec ce qui ne 1'est pas... Que vont dire „cette fois-ci Messieurs les Auteurs du Journal des Savans?... Car com„ment les Evêques ne voient-ils pas que, sous prétexte de phisique et „d'histoire naturelle, ce sont les fondemens mêmes de la Religion qu'on „sappe?..." 84 Dellsle de Sales; l'abbé Grosier, un peu trop accommodant quand il s'agit du sens attribué par Buffon aux „jours" de la Genese, mais trés fort dans ses observations sur le système de Buffon; l'abbé Royou, qualifiant le livre des Epoques de pur radotage. C'est Le Monde de verre réduit en poudre du beaufrère de Fréron qui contient la meilleure réfutation des Epoques, bon point pour i'Année Littéraire. L'abbé Grosier, dans le Journal de Llttérature, mérite également des éloges, mais que dire de M, de la Lande (Journal des Savants) qui a applaudi sans réserve aux théories de Buffon? Radl donne quelques curieux exemples des idéés fantastiques qu'avait émises Charles Bonnet dans sa Paltngénésie philosophique (1769). Les recherches de ce protestant sur le christianisme, les pensées de ce philosophe chrétien sur ia résurrection des animaux, n'ont pu avoir pour résultat qu'un regain de colère dans les feuilles du 17 juillet 1771l). Plus tard, dans notre journal du 27 mars 1802, les N. N. E. E. se moquent du citoyen Fourrier, qui voulait prouver llnexactitude du récit de MoiSe et la justesse d'une chronique plus ancienne, paree qu'on avait trouvé des zodiaques ou almanachs égyptiens de dix-sept mille ans au moins. Impostures historiques, s'écrie le „Nouvelliste", ie déluge a tout détruit; nous réussirons a venger la chronologie mosaïque avec autant de succès que nos pères, contempteurs du calendrier chinois. i) Cf. Réidl, o.c, p. 275. CHAPITRE HUITIÈME Voltaire Mahomet. Remerctment sincère etc. Henriade. j.-a.-r. Duhamel et Boullier. Quyon. Ode sur la Mort de la Princesse de Baretth. Bélisaire de Marmontel. Lettres de quelques Juifs portugaia et ollemanda1). Diatribe d l'Auteur de Ephèmérides. Editions complètes des CEuures de Voltaire. Voltaire et 1'Orient. Autres ouvrages. Voltaire n'était encore qu'un bel esprit qui avait poussé une pointe dans le domaine des sciences, quand son chemin et celui du „Nouvelliste" se croisèrent, C'était dans l'article de fond de 1'année 1746 des N. N. E. E. Le Souverain Pontife avait gratihé son „cher fils", le Sieur de Voltaire, d'un Bref de compliment sur sa belle tragédie de Mahomet, eta ce Bref étennant te SaintPère avait joint des médailles d'or. Voila donc l'auteur des Lettres philosophiques, brülées par te. main du bourreau, en oorrespondance avec te Pape, tandis que des évêques, des prêtres, des religieux et des religieuses étaient traités d'excommuniés, qu'il fallait exclure de la grace du Jubilé, paree qu'ils ne voulaient pas se soumettre a la Bulle. Y a-tril encore de la foi sur la terre, se demande notre auteur; on dirait que la Vérité nous abandonne, puisque sa Sainteté récompense la peine d'un homme qui a eu 1'audace de lui dédier une pièce que te Ministère public a défendu de représenter sur te Théatre Francais- Qu'on juge de 1'impression que ces quelques lignes devaient faire sur Voltaire, qui répondit par une Lettre adressée au R. P. de la Tom, Principal du Collége Louis-le-Grand, se rappelant a propos *) Nous renvoyons è la thèse du Dr. S.-J. Wijier, Is. de Pinto, Apeldoorn, 1924 86 que les divertissements scéniques faisaient partie intégrante du système d'éducation des jésuites. Après tout, notre périodique avait blamé la généreuse politique de Benoit XIV autant que le zèle de son singulier thuriféraire pour Tart dramatique. Le 17 avril 1746, quelques jours avant que son adversaire prlt sa place parmi les Immortels, le „Nouvelliste" annonca la Lettre susnommée, et 1'ayant examinée, il finit par se consoler: il y a des reproches qui louent, a dit La Rochef oucauld. Voltaire n'avait pas réussi a convaincre le monde; en essayant de laver les jésuites de 1'opprobre dont Pascal les avait couverts, en insultant a un tombeau oü plusieurs de ses semblables avaient trouvé le remède a leur^rédulité, il n'avait pu se tirer des mains qui le tenaient, lui, le mauvais Chrétien, calomniateur qui se disait victime de la calomnie; lui, le grand maïtre, amateur de la vertu, soutenant dans sa Lettre qu'il n'était nullement auteur des Lettres philosophiques. L'article du 17 avril 1746 continue sur ce ton-la, comparant Arouet è un énergumène voulant échapper aux exorcismes du prêtre; a un envieux plein de haine contre Pascal, qui n'a pas seulement raillé les mauvais casuistes, mais qui a attaqué aussi les libertins et les déistes dans les Pensees, et qui a laissé a la postérité des arguments pour écraser les incrédules. Que Voltaire ait été péniblement affecté du malencontreux passage et du malveillant commentaire des N. N. E. E. que nous venons d'analyser, nul ne s'en étonnera: on le serait a moins. II est aussi tout naturel qu'il ait songé a son tour a leur rendre la pareille, surtout lorsque notre feuille eut publié, deux semaines après, la Réponse du P. de la Tour a son ancien élève, Voltaire. On la trouve courte, cette réponse, et peu honorable. Regarder cette Lettre comme la marqué de la conversion de l'auteur, quelle simplicité! Pourquoi parler a un nouveau converti sans invoquer le nom de notre Sauveur? Les jésuites ne se connaissent-ils pas en conversions? Ils auraient pu dire que les talents des élèves font honneur aux maïtres, a moins qu'il n'y ait abus et vanité. Faire de Voltaire un homme „a onctibn", était-ce assez ridicule 1 Pour ridicule, il nous semble qu'elle ne 1'était pas trop, 87 cette réponse. Mieux vaut douceur que violence dans de pareilles circonstances. Le „Nouvelliste", en cela, avait été d'un autre avis. Lorsque, au bout de quatre ans, en 1750, s'assombrissait 1'avenir de la théologie, notre chevalier sans peur et sans reproche pouvait se dire que, s'il n'entendait pas ses intéréts en gardant si peu de ménagements avec des hommes qui donnaient le ton parmi les gens du monde, il avait marché sur les traces de J.-C.; et que, s'il estimait les talents, il ne pouvait souffrir qu'on s'en servit contre la Religion; mais il n'avait pu détruire le rationalisme, ce qui lui avait arraché un cri de douleurl); conséquence de la droiture, mais aussi de 1'étroitesse du jugement de cet ecclésiastique. Cependant le vindicatif auteur de Mahomet avait attendu 1'occasion favorable, qui ne tarda pas a se présenter. La question de 1'usure débattue entre Montesquieu et Fontaine de la Roche se prêtait parfaitement a un retour offensif: en 1750 parut le Remerctment sincère è un Homme charitable. On n'aura qu'a lire cette inimitable satire pour être persuadé une fois de plus de la force d'Arouet comme pamphlétaire. Ne faites donc pas le bon apötre, Monsieur le Jansénistè. Vous tancez le marchand qui prête a intérêt, seulement, n'oubliez paslespetits profits que vous tirez de vos feuilles clandestines: elles rendent au centuple. Décidément vous coulez le moucheron tout en engloutissant le chameau2). II sera superflu de dire qu'après ces événements, un sentiment de rancune n'a plus quitté Voltaire, plus stylé a la con- 1) „Nous le disons avec douleur: II se glisse dans les Académies un „esprit qui doit allarmer ceux qui ont de la religion. Le Poéme de Pope „sur l'Homme continue de se vendre sous le privilège de 1'Académie des .Belles Lettres. M. l'abbé du Resnel... a été recu a 1'Académie Francoise „sans qu'on ait exigé de lui aucune rétractation. Voltaire même, oui Vol„taire, est devenu membre de cette Académie. Lui avoir donné son suffrage, „c'est s'être rendu presque aussi coupable que lui" (13 févr. 1750). Voltaire entra a 1'Académie par 1'influence de Mme de Pompadour, „cette heureuse grisette", de la Pucelle. Lire aussi la Préface de Tancrède. 2) Cf. Chap II p. 21 et Chap. VI p. 72 (N.N.E.E. 13 févr. 1751). 88 troverse qu'aucun autre philosophe; le „Nouvelliste" lui a fidèlement rendu sa haine. Reprenons les N. N.E.E.A partir de 1730 ces feuilles s'occupent de la Bibliothèque jansénistè du jésuite Colonia, „libelle diffamatoire", contenant une liste des livres jansénistes, avec des notes critiques, un catalogue des livres quiétistes et un autre des ouvrages anti-jansénistes. Chaque fois que le P. Colonia a augmenté le nombre de ses compilations, la voix du „NouvelUste" indigné s'est fait entendre. Ce» articles relatifs a la Bibliothèque jansénistè ne nous auraient pas intéressé s'il n'y avait un détail a relever sur Voltaire dans le journal du 29 mai 1750; le Poème de la Ligue, dit notre auteur semble être réputé jansénistè; il est triste que la Lettre au P. de la Tour n'ait pas été écrite avant la Henriade, la Société encensée par le nouveau converti lui aurait pardonné son jansénisme et même son calvinisme; pour être jansénistè, Voltaire manque de foi1). C'est dommage que notre gazette se soit quelquefois bornée a annoncer la publication d'un écrit anonyme sans ajouter Ia moindre conjecture sur son origine. Heureusement les recherches postérieures (Quérard, Barbier et Lanson) nous ont souvent donné le mot de 1'énigme. II est regrettable toutefois que les N. N. E E. nous disent seulement des Lettres Flamandes qu'elles ont été écrites par une main „süre" contre Pope et Voltaire3). La brochure de Boullier (chap. VII, p. 76), imprimée a Amsterdam, chez Jean Catuffe, et contenant une Apologie de la Métaphysiqae d> l'occasion du Discours préliminaire de l'Encyclopédie, les Sentiments de M. *** sur la critique des Pensées de Pascal par M. de Voltaire et trois Lettres relatives a la Philosophie de ce Paète, ne paraït pas sans être remarquée par le „Nouvelliste" dans la feuille du 23 oct. 17543). L'exemplaire du 20 févr. 1756 des N. N. E. E. fait savoir que !) „Pour nous, quand nous ferons la bibliotèque des impies... nous le „mettrons dans le rang qu'il doit y tenir". 3) Cf. Lanson, Manuel bibl., n°. 11622. 3) „Dans YApologie..., il (Boullier) fait voir quelques-unes desméprises 89 le Mercure de France „annonce avec beaucoup de complaisance „le 5e vol de YEncyclopédie, lequel doit êbe... d'autant plus intéressant, que le mots esprit, éloquence, élégance, ont été tra„vaillés par M. de Voltaire"x). Nous notons au passage la saisie faite au port d'Agde d'un poème de Voltaire contre les Sacrements, ouvrage dont notre auteur ignorait l'existence2). Mats 1'année 1757 est plutot remarquable par quatre arrêts rendus par la Graad'Chambre du Parlement restée en place après les démissions données 4 la suite du Lit de Justice tenu a Versailles le 14 déc. 1756 3). Le second arrêt condamnait e.a. la Pucelle de Voltaire 4). Sur ces entref aites Voltaire avait publ ié un Recueil de ses oeuvres en vingt-deux voL in-12, complété par une brochure de l'abbé Guyon: L'Oracle des Nouveaux Philosophes etc., a Berne, 1759 5). Voila un inconnu qui venait joindre ses efforts a ceux du mNouoelliste" et de l'abbé Chaumeix, et qui avait fait paraïtre, è quelques mois d'intervalle, une Suite de 1'Oracle etc. La bonne affaire 1 Pour le prix de trente-six sols pièce, on pouvait se procurer ces deux brochures a Paris, mais il f allait des précautions, chez les libraires de la rue Saint-Jacques. Que voulaient dire ces mystères? Pourquoi un pareil ouvrage ne se distribuait-il pas avec toute la liberté que méritait la veote d'un écrit qui n'attaquait absolument que les Nouveaux Philosophes et qui montrait la source et le fondement des impiétés de Voltaire? Sauf quelques petites „de l'auteur du Discours préliminaire de l''Encyclopédie: la vérité des „idéés innées, le faux du système de Locke, et l'éloge (bien mérité) de „la Métaphysique de Descartes". !) Mercure de France, nov. 1765. 2) N. N.E.K, 18 sept. 1757, p. 153. 8) d Gazier, Hist. du Mouu. jam., II, p. 79 seq. *) Ces arrêts sont datés du 27 aoüt 1757; „condanne différens particu„liers aux Galères, au bannissement, au carcan ... pour avoir composé... „en conlravention des vers scandaleux,impies,..." dit la feuille, 23 oct 1757. *) Cf. Lanson, Manuel bibl., n. 10422. 90 omissions Pouvrage était digne d'éloges et plein de remarques utiles1). II n'en fallait pas davantage pour mettre en colère un homme du tempérament de Voltaire, dont on goütait si peu les essais de „moderniser" les récits bibliques. Frédérique-Sophie-Wilhelmine, sceur de Frédéric II, mourut en 1758. Voltaire, pour satisfaire son royal ami, lui composa une Ode, sa plume étant „la seule digne de rendre ce service „a celle qui sera le sujet éternel de mes larmes (de Frédéric)" 2). L'Ode sur la mort de la Princesse de Bareith, publiée en févr. 1759, contenait un défi jeté aux faux critiques, et, 1'alerte donnée, le poète écrivit a la suite de ses vers une espèce de Dissertatlon, „sombre et chagrine", dit le P. Bertier dans le Journal de Trèvoux3). Le „NouvelUste", peu lyrique, ne se sentait point appelé a discuter les beautés de YOde, ni les mérites de la Dissertatton qui y était jointe 4). Mais il y avait lè des passages qui regardaient les N.N.E.E. plus spécialement. Car, si le Journal de Trèvoux excitait le mépris et 1'indignation des honnêtes gens, au dire du poète, on n'avait pas moins d'horreur pour la Gazette ecclésiastique, organe scandaleux, fabriqué par des séditieux associés a des recéleurs, fuyant a tout moment la justice et se couvrant, pour comble d'opprobre, du manteau de la Religion pour attaquer leurs ennemis. Ce n'était pas tout: le cceur de Voltaire s'était serré en voyant le Roi, 1'Etat, et même — prohpudor— la Religion attaqués; les menées obscures que „1'exemple des sages et les soins paternels du Souverain" 1) „Mais qu'il nous soit permis de reprocher k 1'Auteur... de n'avoir „relevé... dans le Siècle de Louis XIV les faussetés et les calomnies évi„dentes qui y sont répandues contre Messieurs de Port-Royal... du moins „dans la première éd (Le Siècle de Louis XIV a été remanié trois ou „quatre fois). La 2' partie de YOrade contient la critique de Candide, „mauvais roman, plein d'ordures, peut-être... le plus pernicieux Ouvrage..."; ensuite les Précis de VEcclèsiaste e£ du Cantique des Cantiques subissent le même sort (N. N. E. E. du 24 avrfl^famet 1759, p. p. 72 et 128). 2) Lettre de Frédéric a Voltaire, du 23 janv. 1759. 3) Feuille du mois de juillet 1759, vol. I. 4) Feuille du 28 aoüt 1759. 91 n'avaient pu réprimer, avaient blessé le philosophe; les deux partis (moliniste et jansénistè) s'acharnant 1'un contre 1'autre avec „toute 1'absurdité de nos siècles de barbarie, et tout le „rafinement d'un tems également éclairé dans la vertu et dans [le crime", avaient attristé l'ame sensible de l'auteur du Pauvre Diable. Mieux valait prendre exemple sur Voltaire, apótre de la tolérance. Ce n'était pas un champion de la folie en tout cas; il est vrai qu'il avait lancé de temps a autre quelque honnête méchanceté, mais au lieu de recourir aux recéleurs, il s'était servi de la discrète valise d'un colporteur. Et quant a 1'anonymat, un Protée pouvait se passer de ces petits moyens. Voltaire avait bien raison de se plaindre; le parti clérical accusait a tort les philosophes en prétendant qu'ils étaient dangereux dans un état*). Si nous relevons encore que le Journal encyclopédique, imprimé è Liège, a eu 1'idée de mettre Voltaire historiën au^dessus de Bossuet et que cette idéé a révolté tous les amis devérité, nous aurons épuisé la matière des disputes relatives a la personne de Voltaire, jusqu'en 1760 inclusivement. La tempë'te soulevée par le roman de Bélisaire (1766), dont le XVe chap. était un manifeste, avait décidé le Patriarche de Femey è sauver Marmontel du naufrage. Les N.N.E.E. avaient donné, è cette occasion, un résumé de 1'histoire du déisme en France, véritable réquisitoire, dans lequel se multipliaient les plaintes contre le gouvernement trop faible et contre le clergé trop conciliant. Nos feuilles n'oubliaient pas de mettre en évidence que les mesures prises pour combattre le mal avaient manqué; que la nouvelle philosophie faisait tache d'huile; Marmontel acquitté, il s'en suivrait de nouveaux troubles2). 1) II est encore plus divertissant de lire que Voltaire reprochait au „Nouvelliste' ses disputes avec Montesquieu. Voir p.e. ce que M. Lanson dit sur Voltaire a la page 762 de l'Hist. de la Litt. francalse, 17« éd.. 2) Voltaire revient a la charge dans YIngénu, chap. XI, et dans \'Homme aux quarante Eens, passim. Consulter aussi Knappert, Het zedelijke Leven etc, p. 134 seq. 92 Alors parut sur la scène „1'exécuteur public"» titre d'honneur porté par Voltaire. II écrivit a Marmontel une lettre, datée du 7 „Auguste" 1767, lui apprenant que Bélisaire avait été traduit en russe, sous les yeux de 1'Impératrice, et que c'était Catherine elle-même qui avait fait & Voltaire 1'honneur de le lui mander. En même temps il y eut une traduction en anglais et en suédois du livre menacé. „Cela est triste", ajouta/ïe „vieux Suisse", „pour Maitre Riballier". La parole de .Grand Papa" faisait impression en France et a 1'étranger, le „NouvelUste'' ne 1'ignorait pas. Le succes était dur a digérer1). Comme il s'agissait de gagner le public, Voltaire exécuta une de ces volte-face qui en coütent au commun des mortels: il s'avisa d'encenser ces „scélérats en robe noire et d'autres de leur espèce". Flatter les autorités, faire imprimer 1'indicule des propositions tirées du livre a censurer a cöté de leurs contradictoires pour que le public put juger, protester contre les „turpitudes pédantesques" de la Sorbonne, — oü allait-elle se cacher? —, voila le mot d'ordre donné aux philosophes dans la lettre du 14 aoüt suivant2). Heureusement 1'arbre de la science philosophique avait grandi, couvrant de son ombre un nouveau paradis. Voltaire constatait que depuis quinze ans une révolution s'était produite dans les esprits jusqu'en Russie. Cette flèche du Parthe fit sursauter le „NouvelUste": ce que M. de Voltaire avait dit n'était que trop vrai; et les suites de de cette belle propagande? Le vol, 1'assassinatl Voila oü conduisaient les Jésuites, le Formulaire, la Bulle et la Philosophie moderne 3X *) „Cela est triste pour tous ceux qui aiment Ia Religion, et qui voient „avec douleur cette ardeur efirénée a répandre le poison" (du 19 maïs 1768). 2) „J'ose vous dire que.. I nos principaux militaires et ce qui compose „le Conseil... sont plus éclairés qu'ils ne 1'étoient dans le beau siècle de „Louis XIV. Oü M. de Voltaire et ses semblables auroient mal passé leur „tems", ajoutent les N.N.E.E. 3) „En 1767 les Cartouches, les Mandrins infestent les routes", dit Roustan, Les Philosophes de la Société francaise etc, p. p. 23 et 342. 93 Bi déïendant Marmontel, Voltaire avait aussi voulu réfuter les arguments de Coger, professeur de rhètorique, qui avait dtt dans son Examen dé Bélisaire des choses mavouables: 1° que Voltaire était l'auteur d'un poème impie sur la Reliffkn naturelle; 2° que le roi, en présence de plus de vingt personnes, avait témoigné la plus vive indignation contre le Dlctlonnaire philosophique qu'on attribuait au premier. La mercuriale a 1'adresse dutéméraïre pédant partit de Femey le 27 frrillet 1767: que M. Coger sache pour sa gouverne qu'il se trompe absolument: Voltaire avait écrit, environ 30 ans auparavant, un poème sur la Lol naturelle, ce qui est trés différent1). Et sur rautre fait Voltaire assurait n'avoir pas eu la moindre part è cette collection. La fin de cette lettre montre une fois de plus a quel point Voltaire était sensible au qu'en dira-t-on, et combien ii était habile a profiter de son attitude de viefflard respectable2). La réponse faite par Coger aux reproches de Voltaire, Oetftiihömme ordinaire de la Chambte du Roi, rend le meilleur témoignage du jugement de ce pédagogue, quinepeutsedissimuler le mal que les écrits voltairiens occasionnent parmi la jeunesse, mal que ne sauraient réparer les bienfaits publiés k son de trompe. Voltaire n'a plus réagi, mais, comme toujours, le nom de M. Coger était noté et allait reparaitre dans YHomme aux qaarante Ecus. Son adversaire, cependant, reprit la plume après la lettre du 7 aoftt dont nous avons parlé, pour administrer une nouvelle correction a 1'arbitre de Genève3). II semble que ce n'était pas une vaine rhètorique, que cette édifiante semonce d'tm profes- 1) „Cela est si différent, remarque notie auteur, que cet ouvrage est „précisément le même". 2) „Vous avez voulu outrager et perdre un vieillard... qui ne fait que „du bien dans sa retraite..." «) „Nous rendrons toujours justice, dit-il, a vos talens; et cependant „nous gémtrons sur 1'abus que vous en faites... Pourquoi... appelier „1'orage et la tempête jusque dans le port? Pourquoi verser... sur vos „derniers jours une coupe de fiel et d'amertume? De quel ceil osez-vous „envisager 1'éternité qui s'avance a grands pas?" (du 19 mars 1768, p. p. 46-48). 94 seur, hélas! trop souvent coutumier du fait, puisque le rédacteur de notre gazette n'a pas voulu en priver ses lecteurs. Les Lettres de quelques Juifs portugais et allemands donnent lieu de s'attaquer encore a Voltaire, accusé d'ignorance, de mauvaise foi, de charlatanisme 1). On a de la peine è prendre au sérieux le „NouvelUste" cette fois-ci. Voltaire traduisait-il le latin comme un écolier qui rentend trés médiocrement; parlait-il „d'Hébreu comme ne le scachant pas même lire"; ne faisait-il que brouiller les événements, les temps, les lieux, les règnes? Quoi qu'il en soit, comme historiën Voltaire a fait oeuvre qui dure, et les lauriers dont son front a été ceint, ne sont pas des couronnes d'écolier. Ce qui ne signifie pas que Voltaire soit sans fautel La critique de M. Faguet se rapproche de celle du „Nouvelliste"2). L'époque de 1'éclosion d'une nouvelle science, 1'économie politique, était lè. II serait hors de [saison de parler des systèmes de production recommandés pour obvier aux inconvénients, (aux dangers même), d'un paupérisme affreux. Les philosophes, et, parmi eux, les économistes d'abord, ne cessaient de s'occuper sérieusement du bien-être public, et c'est lè un de leurs titres de gloire. Ce n'est pas de leur faute que 1'entreprise ait échoué: Diderot disait „qu'è 1'exemple des médecins, ils travaillaient sur un cadavre". Voltaire, è qui „l'honnête superflu" n'a jamais fait défaut, agriculteur, industriel, brasseur d'affaires, s'intéressait aux finances et è la politique depuis 1'age de discernement, si ce n'est avant. Le „NouvelUste", en revanche, n'était ni politique militant ni économiste. Dans la feuille du 9 juillet 1756, il annonce une brochure: Juste Idéé d'un bon Gouvernement, suivant les Principes de M. Bossuet, sa profession de foi politique. Ne demandons pas è notre gazetier ce qu'on pense dans !) „Les (erreurs) lui fait-on toucher au doigt... loin de faire 1'aveu „qu'ils s'est trompé, il aime mieux soutenir toutes les faussetés..." du 13 févr. 1772. p. p. 26-28. *) Cf. E. Faguet, XVIII* siècle, Etudes litt, Paris, Lecène, Oudin et O, 1896, p. 232 seq. 95 son milieu de 1'absolutisme, c'est connu. Tout ce qu'il recommande, c'est de faire 1'aumóne... généreusement: la charité doit aller a tous ceux qui souffrent. Tout ce qu'il nous apprend, non du bon despote sur lequel comptaient les esprits éclairés, mais de la personne du roi, c'est qu'on trompe S. M. Trés Chrétienne. Conformément a 1'adage de son temps: „Si le roi savait", il prétend que tel ordre a été „surpris" au monarque. De plus 1'expérience faite par la critique de YEsprit des Lois lui aura fait comprendre qu'il n'y avait pas que la théologie dans le monde. Le commerce du blé, dégénéré en trafic honteux, surexcitait les imaginations tellement au XVIIIe siècle, qu'on pouvait s'attendre aux pires extravagances. Voltaire jugea le moment venu de jouer cartes sur table, et, grand admirateur de Turgot, publia sa Diatribe a l'auteur des Ephémérldes1), petite brochure de 27 pages in-12, plaidant la cause du libre-échange, ou mieux: faisant sentir les avantages de la liberté du commerce a 1'intérieur. Tout cela est fort bien, quoiqu'il n'y ait rien de neuf, dit le „Nouvelliste", mais que vient faire la Religion ici? Est-ce pour nous apprendre que cette Religion, fondée sur 1'agriculture, a été nommée depuis Paganisme, et pour faire deviner que le Christianisme est fondé sur la superstition? On nous dispensera d'en dire davantage, la feuille du 11 sept. 1775 ne fait que répéter les anciens motifs. Cependant 1'ceuvre de Voltaire se répandait dans des éditions toujours plus complètes, au grand dépit de plusieurs catholiques pratiquants. Les N. N. E. E. du 31 mai 1781 reproduisent 1'essentiel d'un mandement de 1'archevêque de Vienne en Dauphiné, Lefranc de Pompignan, plein de représentations „piontifiantes". A 1'occasion de 1'édition de Kehl, qui a fait couler des flots d'encre, notre auteur ne manque pas de placer son mot. Mais une autre question 1'intéressait davantage: 1'édition des ouvrages de Voltaire purifiés de toute tache. Frérori dans YAnnée littéraire 2), 1'archevêque de Paris, Leclerc de Juigny, dans un mandement pour le carême de 1785, une société de gens de lettres, avaient !) Qenève, 1775, anonyme. 2) Cf. Cornou, Elie Fréron, p. 430. 96 déja proposé une telle édition l). Tel était aussi le projet de l'abbé de Radonvilliew, directeur de 1'Académie francaise, knrsque, le 4 mars 1779, il répondit au Discours de Duels, prenant possession du fauteuil de 1'idole de Ferney. Nous ne savons pas si les puriteins dont notre feuille parie (17 avril 1789, p. 63) ont réussi; le „Nouvelliste" se méfie de tout ce que le „chef des mécréans" a écrit, même d'un choix de ses meilleurs ouvrages. Avant de continuer, nous voudrions faire remarquer que la question des tnissions en Oriënt était déjft d'un grand intérêt du temps des „Essais iréniques", le Talmud et le Coran occupent Bossuet et Leibniz avant qu'il s'agisse de la canonicité des livres dn vieux Testament. Ensuite les védas et 1'Inde partagent avec Zoroastre et la Perse 1'attention des Savants, jusqu'a ce que le tour du Bouddhisme soit venu. Nous ne pouvons insisternisurl'mfluence des — prétendues — mceurs orientales sur ia vie de nos ancêtres, ni sur les disputes soutevées par les cérémonies chinoises *). Mais ce qu'il importe de faire ressortir c'est qu'au XVIIe siècle on étudiait les systèmes théologiques de 1'Asie pour prouver la supériorité du christianisme è 1'égard des religions non révélées, tandis que le XVffie siècle s'en rapportera aux mceurs et aux cultes orientaux pour discréditer la bible et les Pères3). Ainsi s'expliquent la prédilection de Voltaire pour la Chine et ses gloses sur la Bible. Le „Nouvelliste" dédaigne les efforts de ce sapajou qtd se croit un autre Samson. Qu'est-ce que sa vaine parole auprès de la Vérité éternelle? Quelle aberratibn des missionnaires— i) Chez Royez, libraire, Quai des Augustins, 1789, dit la feuille du 17 avril de cette année. a) Cf. P. Martino, L'Orient amXVH* et au XVIII' siècle, 2' partie, passim. *) „C'est en effet par Mahomet et le Koran que commenca la naissante „histoire des religions..." (Martino, o.c. p. 159). „Or ils (les philosophes) s'apergurent que cet Oriënt, si vuaté par les „Jésuites, on pouvait le retoumer aimablement contre la Religion,... en „disant de Mahomet ce qu'on n'osait dire de J.-C." (idem, p. 148). 97 jésuites surtout — de coopérer a la ruine de 1'Eglise en publiant des livres pernicieux, pleins de faussetés, p.e. une Histoire générale de la Chtne du P. de Mailia1)? L'auteur des Fragments sur l'Inde et de la Bible enfin expliquée était un imposteur et un ignorant, qui ne savait pas même traduire la Vulgate; qui „faisait fouetter a coups de nerfs de bceuf" Jérémie, puisqu'il rendait ut mittas eum in nervum et in carcerem par „que vous le fassiez fouetter a coups de nerfs de bceuf..." au lieu de dire: mettre aux fers, en prison (Jérémie, qui prophétisait), et qui déduisait de ce texte mal traduit que Jérémie était fou. Notre auteur avait trouvé chez l'abbé Clémence, Réfutatlon de la Bible enfin expltquée, ces traits d'une légèreté fallacieuse, et il en cite d'autres exemples (N. N. E. E. du 16 janv. 1784, p. 9 seq.). En dépit de ces imperfections exégétiques, les commentaires du „chef des mécréans" ont trouvé des appréciateurs de marqué2). Pour combattre Voltaire avec succès, le „Nouvelliste" emprunte è droite et è gauche: au P. Richard la prosopopée de Voltaire parmi les Ombres; au Journal des Savants des arguments contre 1'idolatrie chinoise; a E. Gibert, ministre de la Chapelle Royale de Londres, des Observations sur les Ecrits de Af. de Voltaire, principalement sur la Religion (22 mars 1791); a l'abbé Francois des Observations sur la Philosophie de l'Histoire et le Dlct. philos.; a l'abbé Bullet des Réponses critiques. Aussi son indignation éclate contre l'abbé de Saint-Remi, „se disant Francais", qui a fait imprimer en 1785 a Vienne en Autriche, chez les frères Gay, un Eloge lyrique de Af. de Voltaire; contre D'Alembert, ajoutant une somme de six cents livres a la médaille d'or promise par 1'Académie francaise a celui qui ferait en vers le meilleur écrit a la louange de M. de Voltaire; contre Ducis, qui avait 1) Cf. Martino, o.c, p. 140 note 1. La feuille du 20 aoüt 1776 annonce cet ouvrage critiqué dans celle du 20 mars 1778; dans Voltaire parmi les Ombres (1776) Pascal 1'emporte trop facilement sur son adversaire. 2) Cf. Lanson, Voltaire, chap. VI, la critique de Nonnotte, et, p. 172, Critique de la bible. 7 98 invoqué dans son discours de réception le nom de Pascal en faveur de son prédécesseur a 1'Académie. Et puis, il y a des auxiliaires de renom qui collaborent a la rédaction des N. N. E. E.: Guidi, Entretiens philosophiques sur la Religion, et Larcher, Supplément a la Philosophie de l'Histoire de feu M. l'abbé Bazin... Relevons encore l'article paru le 20 janv. 1770 (examen de la Confession de Foi de Messire F.-M. Arouet de Voltaire, précédée de Pièces qui y ont rapport, a Annecy 1769), et la Question Royale et Politique, avec la décision, livre datant de la jeunesse de l'abbé de Saint-Cyran, a peu prés oublié, lorsque Voltaire s'avisa de le faire réimprimer pour montrer que Du Vergier de Hauranne avait permis — dans quel cas! — le suicide; autant dire que nos feuilles ne tarissent presque pas sur le trop fécond écrivain, Lecadre de notre thèse ünpose des coupures; nous avons dü nous restreindre dans le choix des citations, nous croyons bien faire de nommer le journal du 28 aoüt 1778, oü se trouve, trés documenté, le récit de la mort et de la sépulture du Patriarche de Ferney, et d'en rester la1). !) Ceux qui s'entéressent a la vie de Voltaire pourront trouver de quoi satisfaire leur curiostté dans la gazette du 3a janv. 1770. CHAPITRE NEUVIÈME ROUSSEAU ET QUELQUES AUTEURS DE SECOND ORDRE Parallèle entre le jansenisme et le matérialisme. La tolérance d'Helvétius. L'abbé Remy. Les Confessions et l'Emile. La Chalotais et 1'éducation. Jésuites et Port-Royalistes. Raynal. Mably. Condorcet. La Harpe. Nous touchons au bout du voyage. Devant 1'épouvantail jansénistè le monde avait reculé, épouvanté. Cette grace efficace par eile-même, ce Dieu omniprésent et tout puissant, arbitre de nos destinées dans le choix des élus, ces exigences formulées par la morale de Port-Royal ne faisaient pas 1'affaire d'une société incapable d'en apprécier la valeur; cette pauvre récompense, bien aléatoire, promise comme une faveur exceptionnelle au terme fatal, cette vie d'abnégations et de soucis était Pimage du calvaire a gravir pour arriver au bord de 1'abime, a moins qu'on n'eüt vu poindre la lumière des anges. C'étaitTascétisme qui mécontentait peut-être encore plus que le vrai spéculatif dans cette doctrine, qu'on ne peut approfondir sans émotion. Votre Dieu est un tyran sans miséricorde, s'écriaient les philosophes optimistes, votre prétendue grace est tout au plus une misérable aumöne. Le monde n'existe pas par la vertu d'une parole qu'on peut révoquer, et 1'homme qui aime la vie et les plaisirs matériels n'est pas pour cela un grand pécheur: il y a tant de choses, bonnes en elles-mêmes, dont on peut abuser. Helvétius, revenant a la charge, avait manqué de tout gater: son matérialisme était jugé grossier, sa théorie sur la perfectibilité des organes et des espèces — assez naïve— faisaitjeter les hauts cris. 100 Quand on est au fait des voies tortueuses de Messieurs de la Religion naturelle, dit le „Nouvelliste" dans son journal du 12 nov. 1758, on n'est pas leur dupe. Helvétius fait entendre que l'ame peut être matérielle aussi bien que spirituelle, sans que cela change beaucoup notre conception de la vie; ce sont des hypothèses selon lui. Mais alors rimmortalité de l'ame serait une fable 1 La liberté de notre volonté, autre chimère, si nous ne faisons qu'obéir è 1'impulsion d'un esprit sensitivo-moteur! Suivons la filiation des idéés: voilé les dangers de la doctrine de 1'équilibre jésuitique d'un cóté, du sensualisme de 1'autre. Les passions n'auront plus de frein, une morale terre-a-terre remplacera les sublimes lecons de Nicole et d'Arnauld. La législation sera meilleure dés qu'elle sera basée sur le principe pratique des fruits a recueillir ou des maux a souffrir dans la vie terrestre; au lieu de recourir è la justice divine, la morale devrait s'adapter aux besoins des temps actuels, dit 1'homme de 1''Esprit, et il ajoute une réflexion devenue un lieu commun, a savoir que la maréchaussée a désarmé plus de scélérats que la Religion. Les femmes, pour rendre possible cette magnifique organisation sociale, devraient se débarrasser „d'un reste de pudeur", afin qu'on „fasse des sultanes de celles qui ne seront pas aussi „sages que les Romaines"; les enfants qui naitraient de ces accouplements productifs seraient a la charge de 1'Etat... En voilé assez; il y a, dans le livre de 1'Esprit, d'autres preuves de 1'aberration mentale. La tolérance est une partie intégrante du système ptólosophique d'Helvétius, «Sla va de soi; elle va même un peu loin aux yeux des simples d'esprit. Mieux vaut, pour étudier le „Nouvelliste", tuteur de la tolérance, lire ce qu'il dit dans sa feuille du 12 juin 1778, sur la Conclusion de la Faculté de Théologie (de Paris), datée du mois de nov. 1777, a 1'occasion de 1'approbation donnée par deux de ses docteurs a un écrit intitulé: Eloge hlstorique de Michel de l'HÖpüal, Chancelier de France, etc. Cet écrit était un discours de l'abbé Remy, avocat au Parlement, qui avait remporté le 101 prix de 1'Académie francaise. L'auteur, conduit par son sujet a parler des troubles du Calvinisme, avait perdu de vue qu'en prenant le parti des opprimés, il n'avait pas besoin de dire du mal du catholicisme, accusé trop légèrement de fanatisme, paree que „ses défenseurs oublioient la douceur que 1'Eglise n'oublioit jamais de leur recommander". Mais l'abbé Remy avait loué dans son héros des „traits que rien ne scauroit excuser": ses vues contre le célibat des prêtres, son opposition aux décisions du Concile de Trente; il lui avait encore donné le mérite d'avoir su distinguer le dogme de la discipline de 1'Eglise, la tolérance religieuse de la tolérance civile...1). Nous avons exposé autre part ce que le „NouvelUste" prêche en matière de tolérance, qui est avec l'cecuménicité du Concile de Trente un des points cardinaux dans les disputes avec les philosophes. Le rédacteur des N. N. E. E. est tellement prévenu contre la philosophie de son temps qu'il regarde les philosophes comme des gens du même bord, ayant les mêmes qualités, ou mieux, les mêmes défauts. On s'en apercoit spécialement dans ses articles sur J.-J. Rousseau. Que pouvait-on lui reprocher? N'a-t-il pas retrempé, rasséréné son ame au contact de 1'Evangile? Aurait-il mérité un arrêt de la justice „ecclésiastique" pour avoir embrassé alternativement la religion de Genève et celle de Rome ? Légèreté èpart, était-il seul coupable d'inconstance è cet égard? Les „Essais iréniques" et tant d'autres événements historiques sont lè pour prouver Ie contraire. II ne péchait pas par une trop grande complaisance pour la vie mondaine. Ses mceurs étaient donc plus mauvaises que celles des autres enfants du XVffle siècle, sans en excepter plus d'un homme d'Eglise? i) „La différence, dit la Faculté, de ces deux tolérances est démontrée „par 1'ordre méme que Dieu a étabU entre les deux puissances... La dis„pensation de la tolérance Religieuse appartient a 1'Eglise... La dispen„sation de la tolérance Civile s'exerce par la Puissance Séculière a qui „appartient le droit de protéger la Foi et les S. S. Canons de 1'Eglise..." (p. 94). 102 Rousseau avait-il eu tort d'écrire les Confessions et de découvrir ce que d'autres ne parvenaient pas toujours a dérober aux yeux du public? Les N. N. E. E. ne lui ont pas seulement reproché cette franchise, mais encore cette licence; quelle petitesse dans leur relation de faits divers grivois empruntés a une autobiographie qui laisse une impression inef f acable de grandeur et de fierté1). Tel est le caractère de cette médiocre analyse: rien n'y fait présumer qu'un soufflé ardent d'idéalisme parcourt le testament spirituel du paradoxal Rousseau. Que le „Nouvelliste'' condamne sévèrement la conduite de Mme de Warens et „1'union et Ie bonheur qui régnoient dans son infame tripot", qu'il blame le cynisme de 1'effronté libertin dans 1'aventure du Pont-Saint-Esprit, qui s'en étonnera? Mais si les lecteurs de notre journal ont dü se faire une idéé de la personnalité du plus grand prosateur de son siècle d'après ce que notre gazette en a rapporté, ils ont été bien a plaindre. A plus forte raison il faut regretter la critique de YEmile dans plusieurs feuilles de notre périodique, a commencer par le 30 janvier 1763, lorsqu'on y peut lire, outre les démarches faites par M. de Beaumont afin de faire échouer la nomination de M. Hooke, les préparatifs de la Sorbonne a 1'effet de censurer ce livre. Le 16 mai 1763 on a fait ses conclusions au sujet de la Censure du Livre de J.-J. Rousseau, intitulé Emile, etc. En lisant ce lourd traité théologique sur le sort des enfants morts sans baptême, sur la question de savoir si 1'on peut être sauvé de la damnation, paree qu'on était involontairement dans Terreur, on se demande si c'est bien du beau livre sur 1'éducation de Rousseau que l'auteur veut parler. On se croirait plutöt au milieu de la correspondance Leibniz-Pellisson-Bossuet, de 1'histoire !) „Un pareil discours est la preuve la moins équivoque d'un orgueil „porté jusqu'a 1'extravagance... On ne scait que trop qu'il ne plioit pas „même sous 1'autorité de 1'Evangile, quoiqu'il admirat les traits frappans „de la divinité... Rien n'est plus ordinaire aux prétendus philosophes „modemes que cette fierté d'ame, comme s'ils acquéroient autant de gran„deur réelle qu'ils s'en attribuent dans leur propre estime" (4 sept. 1782). 103 du pêché philosophique, des clefs „errante" et „non-errante", de 1'état de nature, et d'autres problèmes qui attendaient leur solution. Et penser que ce sont lè les remarques d un homme qui, s'il avait été fidéle è la glorieuse tradition, aurait dti* sinott s'applaudir, du moins s'émerveilter de voir paraitre uil livre unique, digne de figurer è cóté des traités pédagogiques de Port-Royal. Vraiment, il faut en convenir, cette fois-ci nous n'avons trouvé „qu'étroitesse d'esprit, inlntelligence des besoins intellectuels du „temps, indigence de talent", comme le dit M. Lanson. Pourle reste les N. N. E. E. sont assez sobres dans leurs renseignements sur Rousseau. Mais il n'en est pas ainsi des livres qui segroupent autour de YEmtle. Le 31 oct. 1763 YEssai d'Education nationale ou Plan dEtudes pour laJeunesse par La Chalotais a été critiqué et agréé, quoique „certaines tournures, certains éloges... qui avaient donnéprise „è la calomnie" eussent affligé les amis du Procureur-Général du Roi au Parlement de Bretagne. Une main amie ayant proposé des Difficultés a M. de Caradeae de la Chalotais sar ie Mémoire intitulé etc, notre journal s'empresse d'énuntérer ces difficultés, qui sont au nombre de six: 1° On examine si ce Plan d'Etudes remplit tóttt ce qu'exige un Plan d'éducation nationale; 2° ... si ce Mémoire propose des moyens suffisants pour enseigner la Religion; 3° On discute ce que porte le Plan sur... la bonne politique ... sur la liberté des Citoyens... sur les profits qu'on peut tirer des talents; 4° ... s'il est vrai qu'avec des Livres on puisse se passer de Maïtres. II s'agit dans la 5e de ce que dit le Plan sur la nature de l'esprit humain, des idéés innées. Enfin la sixième question est de savoir si les faits constants (prescrits par la Religion) par rapport è 1'éducation se concilient avec le Plan de M. de la Chalotais, chose dont on ne parait pas persuadé. Heureusement M. de la Chalotais ayant appris qu'il s'était élevé des plaintes, notamment sur ce qu'il avait dit du Célibat 104 et de 1'Etat monastique, sur 1'exclusion totale des Religieux de 1'éducation nationale, sur l'esprit philosophique avoisinant de prés l'esprit fort et 1'incrédulité, sur les louanges prodiguées aux plus fameux Encyclopédistes et surtout a Voltaire, fut touché de ces plaintes, et promit d'épurer son ouvrage de tout ce qui avait causé de la peine a de bons esprits dans sa première édition. Vers le mois d'octobre 1764 un écrit important, une Lettre a M. de ... Docteur en Sorbonne sur la Plèce qui a remporté le prtx a l'Académie, attira 1'attention du public. La pièce de vers couronnée s'intitulait: Epttre d'un père a son flls sur la nalssance d'un pettt-ftls, et l'auteur de la Lettre susdite demandait au Docteur en Sorbonne s'il ne s'était pas trompé en croyant reconnaitre dans cette poésie les principes du Genevois que la Faculté avait proscits, de VEsprit des Lois qu'elle avait cpnsuré. Ce système d'éducation lui avait l'air de n'être qu'un „brillant „avorton de ce colosse encyclopédique qui tachait de déguiser „un complot manifeste contre la Religion". Le „Nouvelliste" s'empresse dans la feuille du 13 févr. 1765 de donner des détails sur \'Epttre en question1). Ces idéés absurdes, dit-il, n'auront pu faire de tort a ceux qui ont connu les Rollin et les Coffih, mais elles exaltent les passions, 1'avidité de la vaine gloire, idole de notre siècle. Le Mercure de France, rendant compte de cette Epttre, annoncait que 1'Académie ne recevrait désormais aucun ouvrage sans une approbation signée de deux Docteurs de la Faculté de Paris et y résidant effectivement. Quelque temps avant que cette Epttre parüt, La Beaumelle avait écrit un Préservatif pour les Fidèles, réfutation de VEmtle et de la Lettre d M. 1'archevêque de Paris. Ce fut un véritable succès pour notre feuille après la déconfiture de la Suite de la Défense de VEsprit des Lois. Notons en passant YIncrédule convaincu de Fangouse, les Lettres *) „Voici quelques-uns des endroits qui paroissent les moins susceptibles „d'excuse: 1° Le jeune poëtepeint les Colléges sous les couleurs de Prutons „dangereuses, oü les Maitres sont les esclaves de uils prèjugés, leurs legons „tfobscures erreurs, leurs Elèves les otetimes du Libertinage. C'est une „idéé de J.-J. Rousseau dont il s'est laissé éblouir". 105 critiques de Gauchat et le Philosophe Moderne (ou l'Incrédule) condamné au Tribunal de sa Raison par M. l'abbé M. D. G. (Grosley?), nouvelle éd. etc, dans la feuille du 27 nov. 1766 *). Le journal du 26 aoüt 1767 (p. 140) parle d un ouvrage qui a pour titre: Lettres d'une mère a son fik sur la Religion2). La première partie sert a prouver que la religion est conforme a la raison, dit notre feuille; la deuxième dit qu'elle doit* être révélée; la troisièmes'applique ü juger les philosophes Rousseau, Voltaire, Marmontel (Bélisaire). L'abbé Bergier n'a pas été oublié (dans le n°. du 6 févr. 1772): Le Déisme réfuté par hü-même, dont on a fait une traduction en italien, si bien que les erreurs moliniennes manquent, heureusement: il n'a plus démérité. Vient enfin l'abbé Filassier, a cause de son Eraste ou VAml de la Jeunesse, ouvrage dont la théologie a été jugée insuffisante (4 avril 1774) et dont la théorie sur l'ame des bêtes fournit des armes aux incrédules. Les N.N.E.E. combattent donc 1'influence de Rousseau en rendant sa foi suspecte et ses passions ridicules. Son optimisme, son impassibilité hautaine, sa profession de foi faite par la bouche du Vicaire Savoyard, son fatalisme, tout déplaisait; pour le „Nouvelliste", c'étaient des sentiments anti-chrétiens, une espèce de Manichéisme. Après avoir examiné les arguments employés par l'auteur des N. N. E. E. dans sa lutte contre les plus célèbres des philosophes, après avoir trouvé que ces arguments ont été les mêmes sans aucune exception, nous croyons superflu de montrer que les talents „subalternes" ont été jugés et condamnés sans acception de personne. Le Système de la Nature avait pour mission de répandre parmi les hommes des vérités qu'on ne peut apprendre qu'a 1'école de la Nature, autrement dit: „1'athéisme seul conduit 1'homme è la liberté, au bonheur, a la vertu, et non 1'Evangile", dit notre gazette (feuiUe du 24 oct. 1770). Cet ouvrage insensé 1) Lanson, Manuel WW., n«. 11624, donne une tout autre date (1782) pour L'Incrédule conuaincu, qui peut donc ètre d'un autre auteur. 2) Nous n'avons pu découvrir le nom de l'auteur. 106 ne voulait pas seulement délivrer 1'humanité du fardeau d'un culte inutile, mais aussi de la crainte des rois trop puissants. „Au surplus, tout finissant pour 1'homme avec la vie, il ne „faut pas redouter une mort qui détruira tout", de sorte qu'un fer est le seul ami qui reste... (suit 1'apologie du suicide). La belle société, que celle qui réaliserait les rêves d'un tel philosophe 1 Admettons que les choses arrivent comme il 1'a dit, en quoi serions-nous avancés ? La Nature, ce Dieu physique, est-elle sans mystères? Et les passions seules peuvent-elles rendre 1'homme heureux tant que la matière le permet? M. 1'Avocat-Général Séguier avait parfaitement raison de flétrir les perversités du baron d'Holbach, par exemplel L'opposition n'a pas tardé è.se manifester: La Nouvelle Philosophie dèvoilée et plelnement convaincue de Léze Majesté Dtvine et humaine au premier Chef (anonyme); Le Rèquisitoire de Séguier déjanommé; \'Avertissement de 1'Assemblée duClergé; les Principes contre TIncrédulité, a l'occaslon du Système de la Nature de M. Camuset (3 avril 1771); la Lettre aux Auteurs du Militaire Philosophe, du Système de la Nature de l'abbé M.-A. Reynaud, qui montre „que cette philosophie n'est qu'un amas „d'absurdités, visiblement contraires... a la Religion... au „sens commun, et au repos des Etats" (16 mai 1773); et enfin, bien plus tard, en 1799, le 13 févr., une Analyse des Apologies de Saint Justin Martyr, avec quelques réflexions par M. Tamburini, Pavie, chez Balthazar Comino, 1792. Ces réflexions regardent e.a. l'auteur — insensé — du Système de la Nature et le célèbre auteur de la Théodlcée. II est temps de penser a quelques ecclésiastiques, qui n'étaient pas toujours amis de la Vérité. L'abbé Aubert, auteur de fables, d'un drame en 3 actes sur la Mort d'Abel, avait donné lieu dans le Journal de Trèvoux (changé en Journal des Beaux-Arts et des Sciences) a des observations de la part du „Nouvelliste", paree qu'il avait encouragé le goüt du public pour le théatre et pour un mauvais livre (Principes du Droit de la Nature et des Gens par J.-J. Burlamaqui) publié par le professeur de Félicex). *) Ces observations se trouvent dans les JV. N. E. E. du 30 aoüt 1769. 107 Fréron, Sabatier de Castres, l'abbé de laPorte, Ferlet(Dtóeoars sur l'Abus de la Philosophie par rapport a la Littérature, critique des Essais de Morale), 1'abbé Grosier, et même l'abbé Royou, torment un groupe de Journalistes restés trop fidèles a la Société éteinte de Jésus. L'abbé Raynal ne le cède ni a l'auteur de 1'Esprit, ni a celui du Système de la Nature, pour la hardiesse avec laquelle il propage les excès philosophiques de leur temps, tandis que M. M.Frangois, Larcher, Guénée, Bullet, Clémence et Guidi composent avec le rédacteur de notre feuille une autre pléiade jansénistè. Et leur activité suffit a peine pour défendre la cause de la bonne doctrine et la mémoire des grands hommes de Port-Royal, attaqués par A.-A. Barruel dans les Helvlennes ou Lettres prouinciales philosophiques (feuille du 2 juillet 1784). Le P. Cerutti a fait l'éloge de Diderot et de D'Alembert (voir supra chap. Vil, p. 80), regardant YEncyclopédie comme un ouvrage trés utile, exaltant même le Bélisaire de Marmontel. II est l'auteur d'une Apologie de l'Instilut des Jésuites. L'Essai sur la Jürisprudence universelle du P. Landré peut être regardé comme le supplément de 1'ouvrage du chancelier Daguesseau (tome Xle de ses CSuvres). C'est un livre propre a protéger les lois et la morale chrétiennes:). En 1781 mourut l'abbé Pelvert, a la mémoire duquel les N.N.E.E. devaient un pieux hommage, rendu dans les feuilles du 20 et du 27 mars 1782. Cet homme combatif avait fait paraïtre plusieurs écrits dirigés soit contre les jésuites, soit contre les philosophes, et il n'est pas du tout impossible que quelques pièces anonymes venues „d'une main amie" soient de la sieane. De son vivant parurent e.a.: un Examen approfondi des difficultés de M. Rousseau de Genève contre le Christianisme Catholique (1770); des Lettres oü 1'on examlne la doctrine de quelques écrivains modernes contre les Incrédules, lancées contre les abbés de la Mare, Floris, Paulian et Nonnotte, ex-jésuites, publiées en 1776; après sa mort, une Exposltion succincte et comparatson des anciens et des nouveaux philosophes, a Paris, chez Méquignon i) A Paris, chez la veuve Desaint, 1779. 108 Junior, Rue de la Harpe, 1787, avec approbation et privilège du Roi, „panoplie compléte contre les Incrédules", dit la gazette du 16 Janv. 1788. De tous les ex-jésuites contemporains du „Nouvelliste" l'abbé Clémence seul (voir supra p. 97) a écrit un trés bon livre contre Voltaire, si bien que notre rédacteur trouve cet apologiste de la Religion „digne d'être nommé a cóté de M. M. Francois, Larcher, etc, auteurs si justement estimés des connaisseurs..." (16 janv. 1785). Mably avait toujours écrit a la satisfaction de la Sorbonne et de 1'Archevêque de Paris, lorsque ses Principes de Morale le firent connaltre autrement: la Religion avait été outragée par un de ses ministresl). En vain 1'archevêque écrivit-il è cet optimiste une lettre pour lui représenter ses erreurs, en vain la Sorbonne fit-elle une critique trés douce, l'auteur refusa net d'imiter 1'exemple de quelques autres philosophes, qui avaient évité des censures par des rétractations simulées. Disons en 1'honneur du rédacteur de notre périodique qu'il a applaudi a la franchise de Mably, quoiqu'il eüt préféré le voir s'humilier de ses égarements (8 oct. 1784)2). Le Mercure de France (n°. du 7 mai 1785), annoncant la mort de Mably, avait fait les éloges de 1'éminent moraliste, disant que toutes les nations avaient honoré cet écrivain d'une estime qu'on n'accorde jamais aux talents seuls et que méritaient M. de Mably, ainsi que J.-J. Rousseau. Le „Nouvelliste" donne une réponse a cet article, mais quelle réponse I Est-ce le fanatisme qui parle par sa bouche ou bien est-ce le langage d'unmalappris 3)7 Après le grand nombre d'hommes d'église dont les nomsont 1) „Les enfants... (car personne ne croit plus aux idéés innées de „Descartes et de Malebranche)..." (Principes de Morale, p. 386). 2) Le „Nouvelliste" regrette une omission capitale dans la Censure de la Faculté de Paris: la notion du pêché originel comme étant la cause de nos vices, chose dont Mably n'avait dit mot. Et la Censure de la Faculté était la seule condamnation qu'eüt subie 1'ceuvre en question. „N'a-t-on plus de courage? ou en a-t-on seulement quand il s'agit de „punir des innocens"? 3) „Est-ce en envoyant la Jeunesse dans les lieux les plus infames qu'ils 109 été inscrits dans le registre des N. N. E. E., nous tenons a ajouter ceux de deux laïcs: Condorcet et La Harpe. Le „Nouuelliste" s'est singulièrement trompé en croyant Condorcet — pas plus brave que les autres philsophes, disent les feuilles du 23 oct. 1775 — incapable d'un acte de grand courage. La Lettre d'un Théologien d l'Auteur du Dumonnaire des trois Siècles (l'abbé Sabatier de Castres) *) avait stimulé son amourpropre, et, bien que l'auteur du Dictionnaire ne füt pas de ses amis, il s'était senti offensé par les invectives proférées par le prétendu théologien contre la Religion, contre le Parlement, contre la prêtraille. „Vous armerez contre eux (les philosophes) vos bourreaux; „mais ils auront contre vos supplices le même courage que vous „avez contre 1'opprobre et les remords", disait Condorcet; a quoi le „Nouvelliste" ajoutait entre parenthèses: „Pure fanfaron„nade, on sait assez que ... et que notre prétendu Théologien en [particulier seroit bientöt 1'hypocrite, si on le menacpit seulement „a quitter Paris". L'avenir a démenti ces pronostics, comme on sait. Quant ü La Harpe, qui avait flétri la réputation de Bossuet tout en louant excessivement les vertus de Fénelon dans un Discours couronné par 1'Académie francaise et supprimé par un arrêt du Conseil d'Etat, La Harpe avait été signalé pour la première fois dans notre journal du 23 janv. 1772. „L'auteur termine son Discours par une prière a Dieu, laquelle „pourroit un jour trouver une place dans la Liturgie de M. M. „de la Religion naturelle". Un des grands torts de Fénelon était, aux yeux du „Nouvelliste", d'avoir écrit le Roman de Tèlèmaque. Sauvé comme par miraele de la peine de mort par les événements du 9 thermidor, La Harpe jeta le bonnet rouge qu'il avait porté ostensiblement et écrivit une Réfutation du livre de l'Esprit. Quel changement! „montrèrent 1'un et 1'autre cette sagesse de principes? II n'y a qu'un im„pudent Cynique qui osat le prétendre" (21 juillet 1785). i) Lanson, Marwei bibl., n°. 3026 et n». 11714. CONCLUSION Nous avons suivi dans les pages qui précédent la conduite d'un ouvrage destiné è défendre 1'intégrité de la religion catholique contre 1'usurpation de la philosophie. Nous avons choisi pour point de départ les „Essais iréniques" et la philosophie du XVIIe siècle, temps de gloire pour les admirateurs de Port-Royal. Nous avons vu percer la désillusion dès que Leibniz, se séparant de Descartes, a demandé des concessions que le principe catholique ne pouvait accorder (Concile de Trente). Dès lors — et la politique s'y mêlant — la question se troüble, amenant une rupture entre les Port-Royalistes et les divers réformateurs, religieux et laïcs. Le mécontentement déjè sensible chez Bossuet et Arnauld augmentera a mesure que le rationalisme pénétrera dans les esprits. La contestation sur l'cecuménicité du Concile de Trente est encore le point de départ de la polémique des N. N. E. E. contre les écrits des esprits forts venus d'Angleterre. Nous avons fait ressortir aussi 1'apreté que le „Nouvelliste" met a dénoncer et è critiquer i'csuvre des philosophes, si néfaste a ses yeux. Ni les „Essais iréniques" ni la force du rationalisme naissant, n'ont pu déranger la machine jansénistè: Ia résfstance n'a pas diminué, le cèble n'a pas fléchi. C'est la traditionnelle opiniatreté des Port-Royalistes. \ ^fe$ Cest lè probablement la cause de la grandeur et de la décadence du soi-disant jansénisme. En attendant un meilleur avenir pour ceux qui ont recu dans leur milieu, comme des frères, les derniers Port-Royalistes, nous nous inclinons profondément devant tant de dévouements méconnus, tant d'adversités supportées avec unerésignation héroTque. OUVRAGES CONSULTÉS OU ÉTUDIÉS a. Histoire etc. Bayle (Pierre), Dictionnaire hlstortque et critique, revu, corrigé et augmenté par M*. des Maizeaux, Amsterdam, Leide, La Haye, Utrecht, 1740, (5e Ed.). Bennink Janssonius (R.), Geschiedenis der Oud-Roomschkatholieke Kerk in Nederland, M.-J. 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Tieghem, (Ph. van), La Prière untverselle de Pope et le Déisme, francais au XVMe siècle, Rev. de Litt. comp., avril-juin 1923. Voltaire, Collectlon compléte des CEuvres de M. d. V., nouv. éd. etc. è Amsterdam aux dépens de la Compagnie, 1764. Idem, Collectlon complette etc. de Mr. de Voltaire, Genève, 1771. Idem, Romans de Voltaire, L'Ingénu, L'Homme aux quarante Ecus, Eloge de la Raison, etc. Paris, Firmin Didot Frères Fils et Ge, 1866. Idem, Contes, Satires, Epttres etc, Paris, Firmin Didot Frères, 1842. Vondel (J. v.), Altaergeheimenissen, dans J. v. d. Vondels Dichtwerken etc, par J.-A. Alberdingk Thijm et J.-H.-W. Unger Leyde, Sijthoff. 1894, tome V (1643—1647). Weeldenburg (N.-J.), Port-Royal, Rotterdam, Richard Reisberman (H.-F. Hendriksen), 1895. STELLINGEN i Het valt te betwijfelen, of het A. Gazier mogelijk zou zijn geweest, Voltaire op onwaarheden te betrappen in zijn hoofdstuk XXXVII, Du Jansenisme, van Le Siècle de Louis XIV. (Zie: Histoire du Mouv. jansénistè, tome II, p. 53). II Voltaire heeft een juister oordeel geveld over de geschiedenis der Réflexions morales van Quesnel dan E. Bourgeois. (Zie: Siècle de Louis XIV, Paris, Hachette et O, 1893, p. 743, noot 1). BV'ftS UI Wel verre van de woorden te onderschrijven van Dr. Ca. Serrurier, te vinden in de Pensées van Pascal (Uitg. Franscne Kunst, Leiden, A. W. Sijthoff, 1919, bl. 36), volgens welke Pascal en de overige Port-Royalisten, door vijandig te staan tegenover de dramatische kunst, „in dat opzicht veel kwaad hebben gedaan", mag gerust worden beweerd, dat hij en de zijnen, door hun afwijzende houding, veel hebben bijgedragen tot dien hoogen zielsadel, die het tooneel van de XVIIe eeuw in Frankrijk eigen is. IV De persoonlijkheid van Dominique Brienne geteekend door G. de Porto-Riche (Le Passé) is te onbeduidend, om werkelijk tragisch te kunnen zijn. V Davidée Blrot van René Bazin is „niet af", wat betreft de oplossing van de gerezen conflicten; bovendien is de behandeling van het psychologisch element in dien roman niet gelukkig. VI Le Rêve van Zola is niet een idylle, zooals vele Hollandsche lezers en vooral lezeressen zich verbeelden; uit een idyllisch oogpunt beschouwd, zou men het werk als „oeuvre manquée" moeten aanmerken. VII De Mémoires van Beaumarchais hebben weinig bijgedragen tot verzachting van het ongunstige oordeel over hem als mensch geveld. VIII De Heeren Prof. Dr. Fr. Vogt en Prof. Dr. Max Koch hebben blijk gegeven óf van verregaande slordigheid in het behandelen van een citaat, öf van gebrek aan vrij elementaire kennis van 't Engelsch, doordat zij in hun vier eerste edities van hun Geschichte der Deutschen Literaturucanlvea: „all what is, is right", als een gevleugeld woord ontleend aan Pope's Essay on Man. (Zie: het bedoelde werk, 4e Aufl., 2er B., bl. 74). IX Een der oorspronkelijkste Pensees van Pascal: „La distan ce „infmie des Corps aux Esprits, figure la distance infiniment plus „infinie des Esprits a la Charité, car elle est sumaturelle", vindt zóó weinig waardeering bij Voltaire, die daarbij aanteekent: „II „est a croire que Mr. Pascal n'auroit pas employé ce galimathias „dans son ouvrage, s'il avolt eu le tems de le faire", dat men zich afvraagt, of die ééne gedachte van Pascal niet opweegt tegen al het het „galimatias" daarover van Voltaire. Sainte-Beuve (Port-Royal, 3e éd. livre n, Ch. X, p. 113) schrijft: „Le style du gros in-folio n'est pas sans flamme, ni surtout „de ces coups bien è fond et qui pénètrent". Het voorzetsel de heeft hier een uitsluitend grammatische functie, XI Het woord kantemantinge = woordentwist, te vinden in Loquela van Guido Gezelle, (Amsterdam, L. J. Veen, 1907), wordt niet juist verklaard. XII Het is te betreuren, dat Fritz Strohmejjbr in Die Neueren Sprachen, XXIX B., H. 4/e. Aug.-Sept. 1921, Dualismus in den Französtschen Sprachgesetzen, bij zijn poging om het Fransche lidwoord in zijn wezen en gebruik te verklaren, alleen logische argumenten heeft aangevoerd. Dit standpunt is principiëel af te keuren. Xffl De Heeren Doucet en Hovingh (Cours de Francals, G.B. van Goor Zonen, Gouda) hebben, door een meer intensieve methode in te voeren, getracht het tekort aan kennis van 't Fransch bij vele leerlingen van ons Middelbaar en voorbereidend Hooger Onderwijs ontstaan door aanneming der „L. O.-wet 1920" (art. 3, lid 2) geheel aan te vullen, en zij waren daarin geslaagd, als niet de toename der onbevattelijkheid bij die leerlingen naar verhouding grooter was geweest dan die van hun onkunde. XIV Het lexicographisch werk in de laatste decennia door Nederlandsche deskundigen verricht kan als uiting van een wetenschappelijke beoefening der taalkennis met eere worden genoemd. n