LECTURES CLASSIQUES Ne. 69 THËODORE DE BANVILLE GRINGOIRE COMÉDIE ANNOTÉE PAR H. SIRE DEUXIËME ÉDITION N.V. UITGEVERS-MAATSCHAPPIJ W. E.). TJEENK WILLINK, ZWOLLE f 0.70 UITGAVEN VAN W. E. J. TJEENK WILLINK TE ZWOLLE numéro LECTURES CLASSIQUES 38 MOLIÈRE. Les Prccieuses Ridicule». Annoté par E. J. Bomli. 3me édition 0.65 45 MOLIÈRE. Le Malade Imaginaire. Annoté par M. H. P. J. Horbaeh. 3me édition . . . 0.80 80 MOUTON, EUGENE. Voyages et Aventures du capitalne Marlus Cougourdan. Annoté par F. C. Dominicus . . ... ... . . 1.25 75 MUSSET, ALFRED DE. II ne faut jurer de rlen. Suivi de II fant qu'une porte solt ouverto ou fermée. Annoté par A. J. S. A. Smit . . t'. . . . . . 0.85 54 OHNET, GEORGES. Le Maltre de Forges. Annoté par F. P. Visser 1.50 10 Poètes et Chansonniers I. Vers francais choisis par P. Valkhoff. Nouvelle édition . . . . ~ï. \, J. .-. . 0.80 15 RACINE. Brltannlcus. Annoté par E. J. Bomli. 3me édition . . . . p . . 0.65 36 RACTNE. Andromaque. Annoté par E. J. Bomli. 3me éd. 0.70 61 RACINE. Athalie tragédie tlrée de 1'écrlture salnte. Annoté par I. M. J. Hoog V ... . 7S- -> . . . . 0.80 56 RENARD, JULES. Poll de Carotte. Annoté par I. M. J. Hoog 1.— 47 ROLLAND, ROMAIN. Jean Chrlstophe, L'Aube. Met aanteekeningen van M. H. P. J. Horbaeh. 5me éd. 1.25 79 ROMAINS, JULES. Donogoo-Tonka ou les MIracles de Ia sclence, conté cinématographique par P. Valkhoff 0.95 12 ROSTAND, EDMOND. Cyrano de Bergerac, Annoté par M. Hovingh & J. Bitter. 8me édition . 2.— Prix y compris Autour de Cyrano. 3me édition . . 2.90 14 ROSTAND, EDMOND. L'AIglon. Annoté par M. Hovingh & J. Bitter, 3me édittón . . 1.75 53 ROSTAND, EDMOND. Les Romanesques. Annoté par M. Hovingh & J. Bitter . . . ... . 1.25 52 ROSTAND, EDMOND. La Prlncesse lolntalne. Annoté par I. M. J. Hoog . . ... . ; '•; ... 1.25 1 SAND, GEORGE. La Mare au DIable. Annoté par I. M. J. Hoog. 2me édition 0.75 5 SANDEAU, JULES. La Roche aux Monettes. Annoté pari. M. J. Hoog. 3me édition ... . . . 1.— 20 SCHULTZ, JEANNE. La Neuvaine de Colette. Annoté par I. M. J. Hoog. 2me édition ...... 0.95 70 SCRIBE, EUGENE. Les Indépendants. Annoté par I. M. J. Hoog. . i. . r. . . . . . . 0.75 43 THEURIET, ANDRE. L'Oncle Sclplon. Annoté par A. Dijkshoorn. 3me édition 1.— Woordenlijst bij idem . . \; , -. . 0.25 24 TERNE, JULES. Le Tour du Monde en 80 Jours. Annoté par L. J. Corbeau. 3me édition 1.40 Questionnaire hierbij behoorende Ing. 0.55, geb. 0.80 2 VIGNT, ALFRED DE. La fin de CInq Mars. Annoté par I. M. J. Hoog. 2me édition tt— 51 VOLTAIRE. Candide. Annoté par M. Premsela . . . . 0.90 LECTURES CLASSIQUES :-: No. 69 THÉODORE DE BANVILLE GRINGOIRE COMÉDIE ANNOTÉE PAR H. SIRE n.v. UITGEVERS-MAATSCHAPPIJ W.E.J. TJEENK WILLINK, ZWOLLE, 1935 3 INTRODUCTION Théodore de Banville, poète frangais, naquit a Mouüns (Allier) en 1823, et mourut a Paris en 1891. Poète avant tout, et, partisan surtout d'une forme impeccable, Banville d'après la plupart des critiques, a négligé souvent le fond pour s'occuper exclusivement de la forme. II a voulu jongler, pour ainsi dire avec les mots et avec les rimes, et a ce jeu, il fut plus fort que Leconte de Lisle lui-même, dont la métrique est pourtant déja si remarquable. Banville est un de ces poètes de transition qui relient les grands poètes romantiques (V. Hugo, Lamartine, Alfred de Vigny et Alfred de Musset) aux Parnassiens (Leconte de Lisle, De Hérédia, Sully-Prudhomme et F. Coppée). Théopbile Gautbier annoncait la fin des Romantiques ; Banville annonce 1'avènement des Parnassiens. Ses principales ceuvres poétiques sont: Les Cariatides (1842). Les Stalaciites (1846). Les Odelettes (1856). Les Odes funambulesques (1857). Le< Exilés (1866). Nouvelles Cdes funambvle ques (1869). Idylles prussienne (1871). Les Princesses (1874). Trente-six ballades joyeus es (1875). 4 Mais, malgré ces nombreuses ceuvres poétiques, qui forment, nous 1'avons dit, la partie principale de son oeuvre, Banville trouva encore le temps de s'adonner au Feuilleton littéraire et même d'écrire pour le théatre. De 1857 a 1885, il ne se passé presque pas d'année qu'il n'écrive une ou plusieurs petites comédies, soit en prose, soit en vers. II suffira de mentionner : Le cousin du roi (1857), en vers. Les fourberies de Nérine (1864), en vers. Diane au bois (1864) en vers. La pomme (1865) en vers. Gringoire (1866), en prose. Florine (1870), en vers. Riquet a la houppe (1884), oomédie féerique. , Cependant, parmi toutes ces ceuvres théatrales, Gringoire est la seule dont le succes se soit maintenu, et la seale qui figure encore au répertoire de la Comédie Franc aise. 5 REMARQUES SUR LES PERSONNAGES. Des six personnages qui figurent dans cette comédie, trois sont historiques : Louis XI, roi de Prance, Olivier Le-Daim, son favori, et Gringoire (ou Gringore), poète. Afin que le leoteur puisse juger par lui-même de la valeur bistorique de cette comédie, nous avons cru nécessaire de donner ici quelques détails sur les caractères de ces trois personnages, tels que 1'histoire nous les représente. I. LOUIS XI (roi de Prance, de 1461 a 1483). N'étant encore que Dauphin, il s'était révolté, deux fois contre le roi Charles VII, son pèro, et s'était enfui a la cour de Bourgogne, pour échapper au chatiment qu'il méritait. A la mort de Charles VII, il revint a Paris, oü il fit de belles promesses pour monter sur le tróne de France. Une fois roi, il oublia toutes ses promesses, augmenta les impöts et effraya par des supplices cruels les habitants des villes, qui manifestèrent leur mécontentement, comme Reims et Angers. II passa une grande partie de son règne a lutter, contre Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. C'était auquel des deux serait le plus fort et le plus rusé en politique. Tousiles moyens furent bons a Louis XI pour assurer sa victoire finale. Mais comme la lutte avait eu des alternatives de succès et de revers, comme Louis XI avait vécu de trés mauvais jours, comme il avait été plus d'une fois sur le point d'être tué ou empoisonné 6 par ses ennemis, ou même par ses amis, que ses ennemis corrompaient, il était devenu d'une méfiance extraordinaire. D'un caractère emporté, il paspait sans aucune transition, de la colère la plus violente au calme le plus extraordinaire, pour faire, immédiatement après, pendre ou assassiner le premier venu qu'on lui dénoncait. II éloigna de lui les hommes de la plus illustre naissance et donna toute sa confiance a des gens obscurs tirés du plus bas peuple; tels que Olivier Le-Daim, son barbier, et le prévót Tristan qu'il nommait son compère. Louis XI était perfide, cruel, vindicatif, superstitisux et surtout dissimulé. II avait pour maxime: „Qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner." Malgré tous ses vices, il a pourtant rendu de grands services a la France, a 1'unité de laquelle il a trés puissamment collaboré. II. Oltvier Necker (surnommé Le-Daim ou le Diable) naquit a Tbielt, prés de Courtrai (Flandre). II fut d'abord valet de chambre puis barbier du roi Louis XI, au service duquel il entra vers 1469. II gagna la confiance du roi par un dévouement exagéré par des cruautés inutiles, fut anobli en 1477, et fait comte de Meulan et gouverneur de Saint-Quentin. II se rendit ridicule par son luxe et son orgueil de parvenu, tandis qu'il abusait de son pouvoir et de son influence sur le roi pour commettre toutes sortes d'injustices. Après la mort de Louis XI, il fut jugé par le Parlement et pendu a Paris, le 19 mai 1484. III. Pieree Gringoire — 1'histoire le nomme Gringore — poète dramatique francais, naquit a Caen(?) en Normandie, vers 1475, et mourut en Lorraine en 15B8. II éerivit d'abord deux poèmes allégoriques: le 7 Chateau de Labour (1499), et le Chateau d'amour. De 1502 a 1515, son nom figure souvent dans les registres de la Prévöté de Paris, avec le titre de compositeur ou facteur de Mystères. En 1505 il écrit le poème des Folies Entreprises, dans lequel il soutient la politique de Louis XXI contre le pape Jules II. En 1510 il revient a la charge avec la „Chasse du Cerf des Cerfs", parodie du titre que se donnaient les papes „servus servorum Dei". C'est la même cause qu'il soutint sur la scène le mardi-gras, 24 février 1512, dans son „Jeu du Prince des Sots", ou il encourageait Louis XDI a engager la lutte contre 1'Eglise. Gringoire est le fondateur de la comédie politique en France, et un trés intéressant interprète de la bourgeoisie d'alors. Nous avons encore de lui un Mystère de Monseigneur Saint Loys, et diverses poésies politiques, religieuses ou morales. 8 DATE DE L'ACTION L'auteur place la date de 1'action de sa pièce en 1469. Cette date peut convenir assez bien pour Louis XI et pour Oh'vier Le-Daim. Quant a Gringoire, en 1469, il n'était pas encore né. II y a donc la une transposition de date évidente. Banville a voulu faire rencontrer Louis XI et Gringoire, alors que, bistoriquement parlant, Gringoire n'a vécu que plus tard, et que c'est sous Louis XII (de 1499 a 1515) qu'il a ioué le röle important que 1'on sait. Mais nous pouvons admettre que, dans sa pièce, Banville a surtout voulu nous montrer 1'existence misérable que menaient les poètes au moven-age, la pauvreté lamentable dans laquelle ils vivaient, malgré leur génie incontestable, dont la flamme savait parfois subjuguer Fame de leurs auditeurs de sang noble ou royal. Et pour rendre son poète plus intéressant, pour lui donner un cachet plus historique, il Fa appeié Gringoire, sans s'occuper si les dates de la naissance et de la mort du Gringoire de Fhistoire, concordaient avec 1'époque oh il situait 1'action de sa comédie. 9 GRINGOIRE COMÉDIE Représentés pour la première fóis a Paris, sur Ie Théatie-Francais, par les comédiens ordinaires de 1'Cmpereur, Ie 23 juin 1866 10 PERSONNAGES Louis XI, 46 ans. PlERRE GRINGOIRE, 20 (MIS. Simon Fourniez, marchand, 48 ans. Oltvier-le-Daim . Loyse, fille de Simon Fourniez, 17 ans. Nicole Andry, savur de Simon Fourniez, 24 ans. Pages du Roi, Valets de Simon Fournxez.Ofitoiers ET ArCHERS DE LA GARDE ÉCOSSAISE. La scène est a Tours, chez Simon Fourniez, au mois de mars de 1'année 1469. 11 GRINGOIRE Le thédtre représente une belle chambre gothique, meublée avec le luxe sérieux de la bourgeoisie opulente. Le fond est occupé par une grande cheminée de pierre a colonnes accov.pl es1 et annelées 2, ornée de trois figurines posées sur culs-de-lampe. De chaque cêté de la cheminée, une porie d deux vantaux, faisant portie du lambris de chêne qui rec™ivre les murs jusqu'a la moitié de leur hauteur. Ces portes donnent sur un palier d'escalier éclairé par deux fenêtres tri'obées 8, un peu basses, a petits vitraux en losanges. Plafond a solives 4 peintes, étoïlées de rosacés d'étain. Sur les parois latérales, deux fenêtres a ébrasement5 profond, garnies de rideaux de serge. A gauche, un grani dressoir a trois étagères et baldaquins saiïlants, chargé de vaisselle d'argent et de mets réjouissants a voir. A droite, une horloge en cuivre, dont les rouages, le marteau et le timbre sont apparents. Sur le pavé, une épaisse natte de sparterie*. Ghaires1, table carrée et escabeaux 8 en chêne. Au lever du rideau, Olivier-le-Daim est debout pres de la fenêtre de droite. Deux pages du Roi se tiennent '■ accouplées, plaoées deux a deux. 2 annelées, ornées de dessins en forme d'anneau (ringvormig)- 3 trüobées, klaverbladvormige. 4 solives, dwarsbalken. 5 ébrasement, espace compris entre la fenêtre proprement dite et la ligne intérieure des murs prolongée (vensteropening). Plus les murs d'une maison sont épais, plus eet espace est profond. 6 sparterie, sparto-of-alfagras. 7 chaires, chaises lourdes et tres ornementales de ce temps-la. Auj. chaire = preekstoel of leerstoel. 8 escabtovr, sièges de bois, sans bras ni dossier. H 12 immobües devant le dressoir. Louis XI, assis dans une grande ehaire sculptée, garnie de coussins d'écarlate et d'or ; Simon Fourniez et Nicole Andry sont réunis autour d'une table encore chargée de fruits et de cruches d'argent remplies de vin. Nicole, en achevant le conté qu'élle vient de dire, se léve pour verser a boire au Roi. SCÈNE PREMIÈRE. — LE ROI, SIMON FOURNIEZ, NICOLE ANDRY, OLIVLER-LE-DAIM, Deux Pages. Nicole, se levant et versant a boire au Roi. — Oui, Sire, c'est ainsi que, sous le règne du feu roi, votre père1, la demoiselle Godegrand épousa un pendu, que des écoliers2 avaient déoroché par plaisanterie et mis dans la chambre de la vieille fille, pendant qu'eUe était a vêpres8. Le Roi, riant. — A la bonne heure. Messire Olivierle-Daim, que dites vous de cette plaisante bistoire ? Oltvier-le-Daim. — Je dis, Sire, que le jeune garcon avait été mal pendu. Le Roi. — Naturellement. Tu vois d'abord le vrai des choses. (A Nicole Andry.) C'est égal4, voila un réjouissant propos. C'est plaisir de vous entendre, belle Nicole. Pourquoi vous tenir si loin de moi ? Nicole. — Par respect, Sire. Le Roi. — Approchez ! Nicole. — Je n'oserais. Le Roi. — Eh! bien, j'oserai, moi! Nicole. — Oh ! Sire ! 1 votre père, Charles VU, roi de Franoe, de 1422 a 1461. 2 écoliers, étudiants. 3 vêpres, office religieus catholique qui se chante 1'après-midi. 4 c'est égal, hoe het ook zij. 13 Le Roi. — Quel age avez-vous comme cela Nicole. — J'ai vingt-quatre ans, Sire. Le Roi. — N'est-ce pas vous qu'on nomme partout la belle Drapière ï Nicole. — Oh! Sire, on me nomme ainsi, paree que j'ai été célébrée sous ce nom-la dans une chanson qui est devenue fameuse aux veillées d'hiver. Le Roi. — Et qui a fait cette chanson ? Nicole. — Sire. C'est Gringoire ! Le Roi. — Qu'est cela a, Gringoire! Oltvter-le-Daim. Rien du tout, Sire. Simon Foubnebz. Un comédien, un farceur bien réjouissant. Ma foi! il est bien le plus effaré et le plus affamé des enfants perdus. Le Roi. — Ce qui ne 1'empêche pas, a ce qu'il parait, de s'y connaitre en beauté. Nicole, a Simon Fourniez. Voyez-vous pas3 que le Roi me taquine: Mon frère, défendez-moi! Simon Fotjbniez. — Oh! notre sire le Roi aime a rire; mais tu es bien femme, a te défendre toi-même. Nicole. — Alors, Sire, laissez-moi boire a votre santé. S'agenouiUant devant Ze Roi et élevant on verre. Je bóis a la santé du Roi ! a ses longs jours ! Le Roi, a'arrêtant. — Contre une femme d'esprit, le diable perd ses peines. 4 Nicole. — A son triomphe sur tous ses ennemis ! Simon ForntNiEZ. — Bien dit, ma sceur. Et si le Roi est le plus vaillant capitaine de son royaume, il 1 comme cela, maintenant. * qu'est cela, forme populaire pour „qui est-ce que" ou „qui est-ce que c'est que". 3 voyez-vous pas, form. pop. pour ne voyez-vous pas. 4 perdre sa peine, vergeefse moeite doen. en est aussi le seigneur le plus juste, et le moins fier, peut-être! C'est pourquoi j'ose le remercier de la grace qu'il nous a accordée en daignant s'asseoir a table chez un de ses bourgeois. Le Roi. — Dis chez un de ses amis, Simon Fourniez. Tu n'es pas pour moi un simple bourgeois et le premier venu1! Je n'ai pas oubhé les bonnes heures que nous avons passées dans ton jardin, celui-la même qui entoure cette maison amie, quand je n'étais encore que dauphin de France2. Au moment si <*ruel oh je faisais a mes dépens le dur apprentissage de la vie, toi, humble et fidéle serviteur, tu m'as aidé de ta bourse ; bien plus, tu as risqué ta vie pour moi. Je sais comment! Ce sont des souvenirs que rien ne peut effacer, mon brave et digne ami Simon. Sans compter que ta fille Loyse est ma filleule! Simon Fottrntez. — Ah ! Sire, pardonnez. Je pleure de joie. Je n'ai pas attendu, moi, pour me donner a vous, que vous fussiez le roi et le maitre tout-puissant, car il ne nous avait fallu qu'un moment pour nous entendre8 ! Bourgeois né dans le peuple, pensant et sentant comme lui, je devinais avec quelle ardeur vous aimiez notre pauvre pays déchiré4. Or, il nous fallait un chef, un chef a la main rude et vaillante, qui fut un père pour nous, un maïtre inflexible pour les bergers5 qui tondaient de trop prés notre laine . Vous étiez notre homme, et le comprenions ! Le Roi. — Voila pari er. Vive Dieu ! Simon Fourniez, tu as raison, mon peuple ét mes bourgeois sont 1 le premier venu, de eerste de beste. 2 dauphin, titre que portalt en France le prince héritier de la couronne. * entendre, comprendre. 4 déchiré, divisé par la politique. 5 bergers, les fermiers-généraux (belastingpachters) qui écrasaient la bourgeoisie d'impóts. 15 ce que je préfère a tout au monde. Si je suis venu aujourd'hui te demander a souper, c'est que, Dieu merci, je puis enfin prendre un peu de repos : je 1'ai gagné ! Je veux jusqu'a ce soir me réjouir librement avec vous et me donner la récréation1 de n'être plus le roi. Les mauvais jours de Péronne8 et de Liège3 sont passés, mes amis ! (Se frottant les mains.) Mon cousin de Bourgogne4 perd son temps du cóté de la Gueldre et du landgraviat d'Alsace5 ! Nicole. — Mais on assure que le sournois6 veut étabür en Champagne Monseigneur votre frère de Normandie7 . . . Simon Fourniez. — Pour se ménager8 un passage entre ses Ardennes et sa Bourgogne ! Le Roi. — Oui, il a été question de cela. Oh! le duc Charles est fin et rusé! Simon Fourniez, devinant le Roi. — Mais on peut trouver plus fin et plus rusé que lui ! Le Roi. — Que dirais-tu, par exemple, ami Simon, si, en renoncant a la Champagne, mon frère recevait de moi en échange la Guyenne et l'Aquitaine9 ? 1 récréation, le plaisir. 2 Péronne, Entrevue de Péronne (1468) entre Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, et Louis XI. Ce dernier y fut retenu prisonnier, jusqu'a ce qu'il accepta les conditions auxquelles le duc de Bourgogne le forca de souscrire. 3 Liège, Louis XI avait soulevé les Liégeois contre le duc de Bourgogne. A Péronne, Charles le Téméraire ne rendit la liberté a Louis XI qu'a condition que ce dernier 1'accompagnat a Liège et 1'aidat a reconquérir la ville révoltée. * cousin, Charles le Téméraire. 5 Umdgraviat, pays soumis a un landgrave, titre porté par certains princes allemands. 6 sournois, genieperd. ' Normandie, Charles, duc de Normandie, frère du roi, qui était en bonnes relations avec le duc de Bourgogne. 8 se ménager, se procurer. 9 Aquitaine, la Guyenne et l'Aquitaine sont deux anciennes provinees francaises, dont la ville principale était Bordeaux. 16 Sxmon Fourniez. — Je dis que ce serait un bon tour1! Le Roi. — Et un bon troc8! pour un jeune homme arm du plaisir, comme 1'est monsieur notre frère. Aussi ne le refusera-t-il certainement pas. Olivier-le-Daim, s'avangant. — Vous le croyez Sire ? ' Le Roi. — Si je le crois, Olivier ? (Avalant une gorgée de vin.) C'est La Balue8 que j'ai chargé de la négociation. Je compte sur La Balue: c'est un serviteur fidéle4, celui-la. Oijvier-le-Daim. — Tellement fidéle8 que le Roi ne tardera pas a en être surpris ! Le Roi, posant son verre. — Que veux-tu dire ? Oltvter-lb-Daim. — Moi, Sire ? Rien. (A part). Laissons-lui sa bonne humeur. Elle m'est nécessaire. Le Roi, se levant et allant a lui. — Qu'est-ce donc, maitre OHvier ? Qu'avez-vous a murmurer ainsi entre vos dents ? Nierez-vous par hasard que je n'aie en mains les cartes 6, et que 1'avantage ne me soit revenu ? Oltvter-le-Daim. Non pas, Sire. II n'aurait pas été naturel que le plus fin joueur perdit sans cesse ! 1 tour, een mooie zet. * troc, échange (ruil). * L°[.^alvf' Cardinal, ministro d'Etat sous Louis XI. Caraotère actif et intrigant, il entretint avec les ducs de Berri et de Bourgogne, ennemis du roi, une correspondance secrète, dans laquelle il leur livrait, les secrets de 1'Etat. On réussit a saisir ces lettres. Louis XI voulut le juger, mais le Pape s'y opposa Par£e qu'ü était cardinal. Toutefois Louis XI le fit arrêter (1469) et enfermer onze ans dans une cage de fer que La Balue, dit-on, avait lui-même inventée. II fut mis en liberté en 1480. H mourut a Rome en 1491. 1 fidéle, Louis XI ne sait pas encore que La Balue le trahit. tellement fidéle, (ironique). Le-Daim connait déia la trahison du cardinal. 0 cartes, avoir les cartes en mains (être maitre de la situation). 17 Le Roi. — Aussi ramasserai-je les enjeux1, mes enfants. Donc, réjouissons-nous, Simon, et verse-nous ton vieux vin qui est le sang vermeil de la belle Touraine. Simon Fourniez, remplissant le verre du Roi. — Tl est a vous2, Sire! Les valets et les pages portant la table dans un coin de la saUe et préparent le fauteuil du Roi. Le Roi, après avoir bu. — Et maintenant, je vais te montrer que, si tu m'aimes, tu n'as pas affaire a un ingrat. Semon Fourniez. — Ah ! Sire ! Le Roi. — La guerre n'est pas tout, mon compère 3. Le commerce, tu le sais, est aussi la force d'une nation. Or, j'ai de graves intéréts a débattre avec mes amis les Flamands. Simon" Fourniez. — Bon! Le Roi, s'asseyant dans son fauteuil. — Et il m'est venu a 1'esprit de faire de toi mon ambassadeur. Simon Fourniez. — Ambassadeur! Moi! Votre Majesté a daigné songer a moi pour une telle mission ! Mais c'est impossible; je ne saurais parler comme il faut a des seigneurs. Le Roi. — Ce n'est pas avec des nobles que tu vas négocier, mais avec des chaussetiers4 et des batteurs de cuivre.5 Mieux que personne, tu fais mon affaire.6 Simon Fourniez, avec embarras. — Oui. .. mais ma boutique, Sire! Le Roi. — Bon! Elle est la plus achalandée de 1 enjeux, ramasser les enjeux (gagner la partie). 2 * VOU8> politesse vis a vis du roi. Ce vin est a vous, comme tout ce que nous avons est a vous, car nous vous appartenons corps et ame. ' compère, mon vieux. * chaussetier, fabricant de bas (kous) en et de chaussettes (sokken). cuivre, koperslagers, aujourd: ehaudronniers. 6 affaire, tu me conviens. 18 toute la ville ! Au besoin, tes draperies1 se vendraient toutes seules. Nicole. — Sire, je devine bien la pensée de mon frère. Ce n'est pas son commerce qui 1'inquiète; c'est Loyse, qu'il n'oserait confier a personne. Simon Fourntez. — Si encore Loyse était mariée! Le Roi. — Qu'a cela ne tienne2. Marions-la. Sehon Fottentez. — Si Votre Majesté croit que c'est facile ! Je n'ai jamais formé d'autre vceu que celui-la. Mais Loyse y met de 1'entêtement; jusqu'a présent elle m'a résisté. Le Roi. — Peut-être aurai-je plus de crédit auprès d'elle. Simon Foubnibz. — Mais encore faudrait-il trouver un épouseur *! Oijvier-le-Daim, a'approcliant. — Ce n'est pas la le difficile, maitre Simon. Mademoiselle Loyse n'estelle pas jolie comme une petite fée? Le Roi, regardant Olivier. — Tu t'en es apercu ? Olivteb-le-Daim. — Qui ne s'en apercevrait, a moins d'être aveugle ? Le Roi. — C'est jaste. Et a ce charme de gentillesse et de beauté, Loyse en réunit d'autres encore. Elle a un père qui possède des prés . . . Simon FotrBNiEZ. — Des prés superbes! Le Roi. — Des vignobles . . . Simon Fourniez. — Qui produisent le meilleur vin de Tours! Le Roi. — Et sur les coteaux voisins . . . 1 draperies, étoffes. 2 tienne, dat komt er niet op aan. 3 épouseur, terme familier pour prétendant (aanzoeker). 19 Simon Fourniez. — De beaiix et nombreux moulins que le vent ne laisse pas dormir ! Le Roi. — Puis Loyse est notre filleule. C'est un bon parti. Simon Fourniez. — Un parti superbe pour un riche bourgeois de notre bonne ville. C'est ce que je lui dis chaque jour. Mais elle ne m'écoute pas. Otjviek-le-Daim. — Si alors vous lui proposiez quelque chose de mieux ? Simon Fourniez, blessé. — De rrieux qu'un bourgeois ! Le Roi, ironiquement. — Tu ne devines pas, Simon? Messire Olivier, par exemple, qui, après une jeunesse pleine de travaux et d'aventures, me semble trés désireux de faire une fin1! Simon Fourntez, affectant2 la modestie. — Une pareille fin n'est pas digne de monsieur votre barbier, Sire! La Providence, sans doute, lui en garde une meilleure.8 Oltvter-le-Daim . — Hein ? SmoN Fourniez, avec bonhomie. — Je dis ce que tout le monde dit. Le Roi. — Eh bien ! nous consulterons Loyse ellemême. Sois tranquüle, mon compère4, j'ai fait des choses plus difficiles. Mais a propos 6, qu'est-elle devenue, ma gentille Loyse ? Est-ce qu'elle nous tient 1 faire une fin, mettre fin a une vie trop libre (met pretmaken ophouden) donc : se marier. 2 affectant, feignant (veinzend). 3 meilleure, Olivier Le-Daim qui fut anobli par, Louis XI en 1477, pouvait espérer un meilleur parti que la fille d'un drapier; d'ailleurs tout le monde le disait, ainsi que 1'affirme Simon Fourniez. 4 compère, Voir note 3 page 17. 8 a propos, dat is waar ook. 20 rigueur1 ? II me tarde pourtant de la voir sourire, et d'écouter son gracieux babil! Simon Fourntez. — Tenez, Sire, la voici. II semble qu'elle ait devinó le désir de Votre Majesté ... et le mien. 1 rigueur, tenir rigueur (être faché oontre quelqu'un). 21 SCÈNE II. - LE ROI, SIMON FOURNIEZ, NICOLE ANDRY, OLIVIER-LE-DAIM, LOYSE. Le Roi, souriani a Loyse, avec bienveillance. — C'est toi, ma Loyse ? Loyse, s'agenouillant sur un coussin aux pieds du Roi. — Oui, Sire. Oh ! je ne vous oubliais pas ! Le Roi. — Sais-tu ce que me disait mon ami Simon? II prétendait que tu m'es comme lui toute dévouée, et que, de même que lui, tu ne saurais me refuser nulle chose au monde. Loyse. — Essayez, Sire. Le Roi, lui tenant la tête entre ses mains et la regardant avec tendresse. — Écoute. Je veux que tu sois contente. II n'y a pas de chose a quoi je tienne davantage, car, (en confidence) je ne te l'ai jamais dit, (gravement) si les étoiles ne mentent pas1, j'ai de bonnes raisons de croire que mon bonheur est lié au tien. 2 Loyse, avec elan. — Alors, faites-moi bien vite heureuse! Lr Roi, a part. — Chère ame de colombe 3! (A Loyse). Veux-tu m'obéir ? Loyse. — Oh! de tout mon coeur. 1 étoiles, Louis XI était trés superstitieux, et consultait sans oesse son astrologue (sterrenwichelaar). * au tien, mon bonheur dépend du tien. 8 colombe, de colombe (innocente. La colombe est le symbole de 1'innocence. Le Rot. - Eb. bien! ma mignonne, il faut que tu te maries. Loyse. — C'est cela que vous vouliez me demander? Le Roi. — Oui. Loyse, avec regret. — Oh! quel dommage ! Le Roi. — Et pourquoi cela, brunette ? Te voila grande, jolie, rose comme un Avril en fleur ; un tel trésor ne peut pas rester sans maitre. Dis un mot, et tu auras le plus généreux 1 des marchands de Tours! Tu souris ? Je crois te comprendre. Les drapiers et les merciers de notre bonne ville ont des terres, des vignes au soleil2, maisils ont aussi pour la plupart le chef blauc3 et le dos voüté. Et celui a qui tu penses quand tu es toute seule est un jeune apprenti aux cheveux blonds qui n'a que son aune *! Ce n'est pas la un obstacle. Par ma patronne8 ! j'enrichirai si bien 1'apprenti qu'il pourra festoyer8 son ancien maitre sur une nappe peluchée, dans une bonne et solide vaisselle d'argent. Ainsi, nomme-le sans crainte. Loyse. — Sire, jene me soucie pas plus d'un apprenti que d'un marchand. Simon Fourntez, avec colère. — Peut-être que tu nous trouves de trop basse lignée pour toi! Loyse, au Hoi. — II ne m'appartient pas de rabaisser i'état que mon père exerce avec honneur, Simon Fourntez. — Eh bien, alors ? 1 généreux, mild. 1 au soleil, onder de zon. * le chef blanc, o. a. d. la tête blanche, les cheveux blancs, (ils sont vieux). 4 aune, ancienne mesure de longueur différente suivant les contrées. Ifavoir que son aune signifie n'avoir que ses bras pour travailler, mais être jeune. * patronne, beschermheilige. " festoyer, recevoir avec éclat (feestelijk ontvangen). 23 Loyse, continuant. — Mais je ne vois pas de différence entre une boutique et une prison. Quoi ! rester ainsi dans cette ombre1, dans eet ennui, quand tout le monde est si grand, quand il y a tant de cieux, tant de terres, tant de rivières, tant d'étoiles ! Le roi. — Tu ne veux pas d'un marchand ? . . . Tu te tais f Loyse. — Sire ... Nicole. — Soyez tranquille, Sire. Loyse me dit tout, et je la confesserai 2. Loyse. — Je n'ai pas de secrets, ma tante. Le Roi le sait bien, ma mère était fille d'un drapier de Tours. Toute petite enfant, comme elle jouait sur les bords de la Loire, elle avait été enlevée par des Bohémiens 3. Douze ans plus tard on la retrouva par miracle, restée sage4, vertueuse et douce, mais elle avait gardé de sa vie errante 1'amour de vivre au grand air et le désir de 1'espace infini. Mon bon père 1'a épousée avec une sincère amitié et l a rendue heureuse, - Simon Fourntez. — Ma pauvre femme! Loyse. — Et cependant elle est morte jeune, quoique entourée de soins et d'amour. Elle songeait toujours aux pays bénis ou les fruits et les fleurs naissent ensemble dans la lumière. J'ai dans les veines le sang de ma mère : voila pourquoi, Sire, je ne veux pas épouser un marchand. Simon fourniez. — Princesse ! Le Roi. — Veux-tu un soldat ? Loyse. — Non, Sire. Rester a la maison quand mon 1 ombre, vie obscure (vergeten leven). 2 confesserai, je lui ferai raconter son secret. (eonfesser = biechthoren). 3 Bohémiens, Zigeuners. 4 sage, braaf. 24 mari subirait1 les hasards et les dangere de la bataille! Ne serait-ce pas endurer lachement un supplice de toutes les minutes ? Le Roi. — Ainsi ton cceur ne dit rien ? Nicole, au Roi. — Rien, Sire. Loyse, naïvement. — Si fait. Mais ce qu'il me dit est bien confus. (Elle s'approche doucement du Roi et, pensive, appuie sa tête contre la chaire dans laqueüe ü est assis.) U me semble que j'aime un homme qui, sans doute, n'existe pas, puisque je le voudra's vaillant com i e un capitaine 8 et capable d'une action héroïque, mais doux comme une femme. Et voyez si mes rêveries sont folies! quand je songe a eet ami inconnu, je le vois parfois malade et chétdf, et ayant besoin de ma protection, comme si j'étais sa mère! Vous voyez bien que je suis une petite fille, ne sachant pas même ce qu'elle veut, et qu'il faut me laisser du temps pour qae je lise plus clairement en moi-même. Simon Fotjbntez. — Autant laisser a un chat le temps de dévider 8 un peloton de fil! Ah ! tu ne veux pas de mari ! Eh bien je te promets une chose, c'est que tu en auras un avant qu'il soit peu. Loyse. — Non, mon père, laissez-moi libre, avec mes fleurs, au grand air et au grand soleil! Simon Foubniez, outré* — Au grand soleil! (Au Roi.) Sire, ordonnez-lui de m'obéir. Le Roi. — Ah! Simon, ici, je ne suis pas le roi! 1 subirait, eourrait. 2 capitaine, héros (krijgsheld). * dévider. afwinden, (een klos garen afwinden) Plus le chat aura joué longtemps avec ce peloton de fil, plus il sera diffioile a démêler: plus Loyse attendra longtemps pour se marier, plus elle sera diffioile £ marier. 4 outré. indigné. 25 Loyse avec cdlinerie. — Mon bon père, gardez-moi *. Ne me chassez pas. Simon Fourniez. — Tiens, sais-tu ce que je finirai par faire, un beau jour ? Je t'enfermerai a doublé tour 8 dans ta chambre, et tu n'en sortiras que lorsque tu seras soumise a ma volonté. Loyse avec une révérence. — Ne vous fachez pas, mon père. J'irai moi-même. J'y vais tout de suite, mais (joignant les mains) ne me mariez pas. (Au Roi.) Au revoir, mon parrain ! Le Roi. — Pauvre Loyse! Loyse sort avec une gracieust mutinerie enfantine. 1 gardez-moi, gardez-moi ehez vous. En la mariant, Simon Fourniez oblige sa fille a quitter la maison paternelle. * tour, fermer a doublé tour — op het nachtslot doen. 26 SCÈNE III. — LE ROI, SIMON FOURNIEZ, NICOLE ANDRY, OLrVTER-LE-DATM. Le Roi. — Tu Pas encore mise en fuite, Simon! Simon Fourniez. — Je veux la réduire a 1'obéissance! C'est a moi de montrer de la fermeté, puisque Votre Majesté n'a pas voulu décider sa filleule a être heureuse! Le Roi. — Bah ! les gens n'aiment pas plus a tenir leur bonheur des mains d'un autre 1 que les anguilles a être écorchées vives ! Oltvter-le-datm. — Ceux dont parle Votre Majesté sont les ingrats. Le Roi. — Autant dire : tout le monde! Simon Fourntez. —Ah! Sire, je suis un père volé, assassiné. Adieu mon ambassade ! je ne verrai pas vos batteurs de cuivre2. Le Roi. — Calme-toi. Le refus de Loyse tient8 tout simplement a ce qu'elle n'aime encore personne. II ne s'agit que de chercher celui qu'elle peut aimer. Nicole, au Roi. — Et notre Loyse n'aura plus guère souci de tant voir les pays lointains, le jour oü quelqu'un sera devenu pour elle tout 1'univers ! Le Roi. — Bon! Mais encore faut-il trouver ce 1 d'un autre, les gens n'aiment pas qu'un autre les rende heureux (les jeunes filles veulent ohoisir elles-mêmes leur futur époux). * batteurs de cuivre. Voir page 18, note 5. 3 tient a ce que, vient de ce que. 27 queiqu'un. (On entend au dehors un grand bruit et des éclats de rvre prolongés.) Quel est ce tumulte? (Simon Fourniez va a la fenêtre d droite, et tout a coup éclate de rire.) Qu'est-ce donc ? Simon Fourniez, riant. — Sire, c'est Gringoire! Oltvter-le-D hm, d part. — Gringoire ! Ici! Les maladroits le laissent approcher de cette place ! Simon Fourniez. — Oh ! le voila devant la boutique de mon voisin le rötisseur *. Ses yeux semblent vouloir décrocher les poulets dorés2. II mange la fumée, Sire ! Ma foi, Gringoire est un dróle de corps. Oltvter-le-Daim, d Simon Fourniez. — Oui, et ce dröle de corps3 s'arrête souvent sous les fenêtres de votre maison; particuüèrement sous celles de votre rille. Nicole. — Oh est le mal ? Simon Fourniez. — II a de si bonnes chansons ! (II chante.) Satan 4 chez nous s'est fait barbier ! II tient le rasoir . . . (Rencontrant le regard d'Olivier-le-Daim et achevant entre ses dents). dans sa griffe ! (A part). Oh ! le diable ! j'oubliais ! Oltvter-le-Daim. — Ces chansons, maitre Fourniez, il paraït qu'on les écoute ici ? Nicole, avec résólution. — Sans doute. Oltvter-le-Datm. — Prenez garde. II ne faudrait pas trop vous en vanter. 1 rótisseur, celui qui fait rötir les viand.es pour les vendre (gaarkok) 2 dorés, bruin gebraden. * corps, un dröle de corps = een rare snaak. 4 Satan, Olivier Ledaim, surnommé le Diable, (Satan) était le barbier du roi. 28 Le Roi. — Pourquoi cela ? Oltvter-le-Daim. — C'est que, parmi ces chansons effrontées, qui ne respectent personne, — Le Roi. — Je le vois. Oltvter-le-Daim, continuant. — II y a une certaine ballade1 des pendtxs, comme on 1'appelle, qui doit mériter la corde2 a celui qui 1'a composée. Nicole, a part avec e ff roi. — La corde ! Le Roi. — Eh quoi ! Nicole, c'est ce brave compagnon dont vous meparliezqui met ainsi en émoi tout le populaire8? Stmon Fourntez, au Roi. — Sait-il seulement ce qu'il fait ? Gringoire, Sire, est un enfant. Oltvter-le-D\tm. — Un enfant méchant et dangereux, comme tous ses pareils ! Les rimeurs4 sont une sorte de fous qu'on n'enferme pas, je ne sais pourquoi, bien que le plus sain d'entre eux soupe du clair de lune 5, et se conduise avec moins de jugement8 qu'une béte apprivoisée. Nicole, indignée. — Oh ! {Au Roi.) Est-ce la vérité, Sire? Le Roi. — Pas tout .a fait, et messire Olivier-leDaim est un peu trop fier. Vous semblez, Nicole, vous intéresser vivement k ce rimeur, qui vous a chantée ? Nicole. — Oui, Sire. J'avoue hautement que je 1'aime. 1 Ballade. Ancien poème francais qui se composait de 3 strophes ordinairement de 8 vers et d'un envoi de 4 vers. Le même vers se répétait a la fin de chaque strophe et de 1'envoi. 2 la corde, mériter la corde — faire condamner a être pendu. * le populaire, la populace (plebs). * rimeurs, faiseura de rimes (terme de mépris a 1'adresse des poètes). 5 clair de lune, souper du clair de lune (aller se couoher sans souper). 0 jugement, avec moins de jugement = moins sensément (niet zo verstandig). 29 Le Roi. — Vous 1'aimez ? Nicole. — Cordialoment. Et si Gringoire n'était fier comme 1'empereur des Turcs, il aurait toujours chez nous une place au foyer et un bon repas. Quand je le vis pour la première fois, c'est il y a trois ans, par le rude biver qu'il fit alors, ou pendant deux mois la terre fut toute blanche de neige. Gringoire était assis sous le porche d'une maison de la rue du Cygne ; il avait sur ses genoux deux petits enfants égarés qu'il avait trouvés pleurant après leur mère1, et grelottant de froid. 11 avait öté de dessus ses épaules son méchant pourpoint* troué pour les envelopper dedans, et, resté a demi nu, il bercait les petits, en leur disant un cantique 3 de la sainte Vierge. Le Roi, après avoir rêvé. — Je veux voir ce Gringoire. Oltvter-le-Daim. — Ah! Nicole. — Ah ! Sire ! vous avez la une idee de roi. Pauvre garcon! le voila dé ja qui triomphe de son étoile*! Oltvter-le -Daim. — Appeler devant le Roi ce baladin s! Le Roi. — J'ai dit: je veux. Oltvter-le-Daim, changeant de pensee. — Soit! (Tl 8'incline devant le Roi, et va donner un ordre aux officiers placés dans la pièce voisine.) Le Roi, ne'gligemment. — Le jeu en vaut un autre. 1 leur mère, demandant leur mère en pleurant. 2 pourpoint, (wambuis) sorte de vêtement d'homme que 1'on portalt au moven age et qui couvrait le haut du corps, du cou a la ceinture. 3 cantique, (lied) chant religieux en langue vulgaire. La chanson est aussi en langue vulgaire mais ene n'est pas religieuse. 4 étoile, triompher de son étoile = être fier de son bonheur inespéré. ' baladin, comédien ambulant (potsenmaker). Peut-être aussi Ledaim fait-il un jeu de mots, en pensant a baladin (faiseur de ballades). 30 Et je trouve qu'il n'y a pas de festin excellent, s'il ne se termine par quelque bonne drólerie et joyeuseté *. Simon Foubnibz. — C'est mon avis. Gringoire nous dira une de ses farces . . . bien salées 2 ! Celle de Pathelin, par exemple . . . Bée . . . bée . . . bée . . . bée ! Oltvter-le-Daim, au Roi. — Votre Majesté va être obéie. Gringoire va venir, et je lui ferai dire quelques rimes. Seulement, je n'assure pas qu'elles amuseront votre Majesté ! Le Roi. — Nous verrons bien! et pour peu que ses chansons soient moins méchantes que tu ne le prétends, puisque Gringoire est si afïamé, nous avons la de quoi lui faire fête. (On 'sert les mets sur la table.) Ca. ne lui déplaira pas. Simon Foubnibz, aUant vers la porte. Le voici. 1 joyeuseté, drólerie et joyeuseté, (mots anciens aujourd. peu usités. Drólerie = grappenmakerij, et joyeuseté =■ mop. 2 salées, risquées (gewaagd). 31 SCÈNE IV. — LE ROI, OLIVIER-LE-DAIM, NICOLE ANDRY, SIMON FOURNIEZ, GRINGOIRE, les archers. (Gringoire entre au milieu des archers, pdle, grelottant, et comme ivre de faim.) Gringoire. — Ah 9a, messieurs les archers, oü me conduisez-vous ? (Aux archers.) Pourquoi cette violence1? (Les archers se taisent.) Ce sont des gendarmes d'Écosse2 qui n'entendent pas le francais. (Sur un signe d'Olivier-le-Daim, les archers lachent Gringoire, et sortent ainsi que les pages.) Hein ? Ils me lachent a présent! (Apercevant le Roi et Olivier-le-Daim.) Quels sont ces seigneurs ? (Flairant le repos.) Dieu tout-puissant, quels parfums ! On me menait donc souper ? On me menait, de force, faire un bon repas ! La force était inutile. J'y serais venu de bonne volonté. (Admirant Vordonnance du repas.) Des patés, de la venaison, des grès3 plein de bon vin pétfllant! (Au Roi et a Olivier-le-Daim). Je devine, vous avez compris que messieurs les archers me conduisaient en prison sans que j'eusse soupé, et alors vous m'avez fait venir pour me tirer de leurs griffes ... de leurs mains, veux-je dire, et pour me donner 1'hospitaüté, comme les potiers de terra* firent a Homérus ! 1 violenee, Pourquoi user de violence ? (geweld gebruiken). 8 Ecosse, la garde éeossaise, une des gardes chargées de veiller sur la personne du roi. H existe encore aujourd hui une garde éeossaise au Vatican, k Rome. 8 grés, des cruchons de grès (aarden kruiken). 4 terre, fabricants de pots en terre. 32 Le Roi. — Dites-vous vrai, maitre Gringoire ? Vous n'avez pas encore soupé ? Gringoire. Soupé ? Non, messire. Pas aujourd'hui. Nicole, s'avancant, au Roi. — Cela se voit du reste. Regardez son visage défait et blême. Gringoire, rassuré. — Madame Nicole Andry ! Simon Fourniez, s'avancait a son tour. — II meurt d'inanition Gringoire. — Maitre Simon Fourniez ! Dans mon trouble, je n'avais pas d'abord reconnu votre maison. Oltvter-le-Daim, a Gringoire. — Vous n'avez pas soupé ? Alors, vous accepterez bien une aile de cette volaille ? Gringoire, comme halluciné. — Oui. Deux ailes. Et une jambe2! Oltvter-le -Daim . — Voila un vin de vignoble qui réveillerait un mort. Gringoire, s'avancant vers la table. — C'est mon affaire. Oltvter-le-Daim, l'arrêtant du geste. — Un instant! Serait-il honnête de vous attabler ainsi sans apporter votre écot8 et payer votre part du souper ? Gringoire, décontenancé. — Payer ? Je n'ai pas un rouge liard.4 Oltvter-le-Daim. — Si les Muses ne dispensent6 guère Por et Pargent, elles ont su vous prodiguer d'au- 1 inanition, manque de force (krachteloosheid) oecasionné par la privation de nourriture. 2 jambe, (aujourd'hui) une cuisse (kippeboutje). 3 écot, apporter son écot = zijn aandeel bijdragen. 4 rouge-liard, ancienne monnaie de cuivre qui valait le quart d'un sou. Ne pas avoir un rouge-liard (geen rode duit hebben). * dispenser, distribuer (uitreiken). 33 tres trésors. Vous avez 1'imagination, les nobles pensées, le don des rimes. Gringoire, tristement. — De pareils dons ne servent de rien quand on a grand'faim, et c'est ce qui m'arrive aujourd'hui. Que dis-je ? aajourd'hui ! Tous les jours. Oltvter-le-Daim. — Comprenez-moi. Je veux dire qu'avant de satisfaire votre appétit, vous nous direz une de ces odes que les Muses vous ont inspirées. Grtngoire. — Oh! messire, mon appétit est plus pressé que vos oreilles. (II va pour s'approcher de la table.) Olivier-le-Daim, Varrctant. — Non pas. Vos vers d'abord. Vous boirez et mangerez ensuite. Gringoire. — Je vous assure que ma voix est bien malade. Nicole, d Gringoire. Bon courage! Gringoire, d part. — Allons, le parti le plus court est de céder, je le vois bien. (Haut.) Voulez-vous que je vous dise quelque morceau tiré de mon poème des Folies Entreprises ? Oltvier -le -Daim . — Non. Gringoire. — La Description d-e Proces et sa figure f1 OIjIVTEB-le-Daim, l'interrompant. — Non. Une ballade plutöt. Cela sent son terroir gaulois I1 Gringoire, agréablement surpris. — Eb bien, celle qui a pour refrain : Car Dieu bénit tous les miséricords * ! Oltvieb-le-Daim. — Non. Déclamez plutót cette ballade ... la . . . que vous savez ... qui court8 la ville, et qui réjouit si fort ceux a qui on la chante tout bas? 1 terroir, sentir^son terroir-zijn oorsprong niet kunnen verloochenen. La ballade est un poème d'origine certainement gauloise. 8 misèricord, ancienne forme de miséricordieux (barmhartig). * court, qui est a la mode (in trek is). L. C. No. 60 „ 34 Nicole, d part. — Ah! je devin». enfin! Gringoire, avec méfiance. — Je ne sais pas de quoi vous voulez parler. Nicole, a part. — Le méchant homme ! Oltvter-le-Daim. — Bon. Allez-vous dire que vous ne connaissez pas la ballade des pbndtjs ? Gringoire, réprimant un tressaillement. — Qu'est-ce que cela ? Oltvteb-lb-Datm. — La dernière ballade que vous avez composée. Gringoire, tres effrayé. — Ce n'est pas vrai. Nicole. — Certainement. Le Roi. — Laissez, dame Nicole. Ecoutez. Nicole, d part, regardant Gringoire avec pitié. Ah ! le pauvre! Le barbier1 n'en laissera pas une miette ! Oltvieb-lb-Daim. — Et qui pourrait de nos jours, hors rillustre poète Gringoire, composer une ballade pareille a celle-la, dont les rimes se répondent si exactement d'un couplet a 1'autre, comme des appels de cor dans la forêt! Gbtngoibe, flatté. — II est certain que les rimes en sont assez congrument * agencées ! Oltvteb-lb-Datm. — Ah! vous la connaissez ? Grtngoire, d part. — Mon renom me trahit. (Haut.) Je serais, je vous 1'assure, bien empêché de vous la dire. Je ne la sais pas. Oltvter-le-Daim. — Je vous croyais, comme nous, un fidéle serviteur du souverain, mais ayant le courage de penser haut et de dire la vérité a tous, même au Roi, — 1 barbier, le barbier (Olivier Le-Daim) va 1'écraaer si complètement (vermorzelen) qu'il n'en restera rien. Le chat joue avee la souris avant de la tuer. 1 congrument, oonvenablement (comme il faut). 35 Gringoire, un peu ébranlé. — Ah! ce sont la vos facons ! Oltvter-le-Daim. — Mais, puisque je me suis trompë, Dieu vous garde, messire Gringoire. Voici la porte de la rue. Grtngoire, avec regret. — Quitter ce logis, ces parfums *! sans avoir mangé ! Oltvter-le-Daim. — C'est vous qui le voulez bien. Gringoire. — C'est le supplice de Tantalus8, qui avait volé un chien d'or en Crète ! J'ai cent fois plus faim que tout a 1'heure. (Avec désespoir.) Messires . . . Ctjvter-le-Daim. — N'en parions plus. Quittonsnous sans rancune. (II le pousse vers la porte.) Gringoire, désolé. — Oui. Oltvter-le-Daim. — Notre pauvre souper, qui restera avec sa courte honte8! Acunirez cette oie. Gringoire. — L'eau m'en vient a la bouche. Oltvter-le-Daim, prenant le plat sur la table et le montrant a Gringoire. — Voyez quelle chair grasse et succulente! (77 s'approche de Gringoire et lui passé le plat sous le nez.) Gringoire. — Suave odeur! Ce seigneur a raison. Tl pense librement, mais il a bon cceur. (Entra né par la faim.) Ailons, puisque vous Texigez . . . Nicole, avec effroi. — Que va-t-il faire ? Oltvter-le-Daim, arrétant Nicole du regard. Sévèretnent. Dame Andry! 1 parfums, Podeur des viandes cuites qu'il a sentie. 2 Tantalus, En punition de ses crimes, Tantalus avait été précipité dans les enfers et plongé dans un fleuve, mais sans qu'il put approcher ses lèvres de l'eau et saisir les fruits que les arbres penchaient sur sa tête. L'eau et les fruits se retiraient, condammant Tantalus a une faim et a une soif éternelles. 3 courte honte, een schaamte,, die spoedig komt. Notre souper sera honteux, regrettera bientöt de ne pas vous avoir servi. 36 Gringoire. — Vous aussi madame, vous voudriez l'entendre ? Eh bien, puisque tout le monde le désire... Le Roi. — Sans doute. Gringoire. — Je vais vous dire la ballade des pendus. (Au Roi, avec orgueil et confidentiellement.) Elle est de moi. (Naïvement.) C'est une idee que j'ai eue en traversant la forêt du Plessis1, ou il y avait force gens branchés 2. On les avait mis la, peut-être, de peur que la rosée du matin ne mouillat leurs semelles! Nicole, a part. — II ne se taira pas ! Le Roi, d Gringoire. — Eh bien ? Grtngoire. — M'y voici. BALLADE DES PENDUS Sur ses larges bras étendus 8, La forêt oü s'éveille Flore*, A des chapelets 5 de pendus Que le matin caresse et dore. Ce bois sombre, oh le chêne arbore Des grappes 8 de fruits inouis Même chez le Turc et le More, C'est le verger du roi Louis. 1 Plessis, Plessis ; localité, située prés de Tours. (auj. Plessis-lesTours). Dans les environs se trouvait la forêt oü Louis XI faisait pendre ses ennemis. * branchés, se dit ordinairement des oiseaux au lieu de perohés. Ici, branchés signifie pendus aux branches. 3 étendus, „les bras étendus" sont ici les branches des arbres. 4 Flore, Déesse des Fleurs et des Jardins, elle habitait, selon la mythologie, dans les forêts. * chapelets, longues rangées de pendus, bien alignés, comme les grains d'un chapelet (rozenkrans, rozenhoedje). 6 grappes, trossen. Ces grappes de fruits, ce sont les pendus, si nombreux que le poète les compare k des grains de raisins, formant des grappes. De plus, ce spectacle est inoui c. a-d. inconnu même en Turquie et en Mauritanië, c-a-d. chez les Barbares. 37 Omveer-le-Daim. — Cela commence bien! Nicole se tourne vers le Roi et le supplie. Nicole, au Roi. — Par pitié ! Le Roi, tranquillement, d Gringoire. — La suite ? Gringoire. Tous ces pauvres gens morfondus1. Roulant des pensers 2 qu'on ignore, Dans les tourbillons éperdus Voltigent3, palpitants encore. Le soleil levant les dévore*. Regardez-les, deux éblouis, Danser dans les feux de Vaurore, C'est le verger du roi Louis. Oltvter-le-Daim, répétant le refrain avec ironie. Le verger du roi Louis ! Le Roi, toujours calme. — Fort bien. (A Gringoire.) Poursuivez. Gringoire. — La troisième strophe est encore plus réjouissante. 8 Le Roi. — Est-ce vrai ? Gringoire. — Vous allez voir. Ces pendus du diable entendus, Appellent6 des pendus encore. 1 morfondus, transis de froid, pénétrés de froid. 3 pensera, forme ancienne du mot „pensée". 1 voltigent, se balancent au hasard, agités par le vent qui soufflé en tourbillon (wervelwind). 4 dévore, dessèche. Le soleil les réchauffe, et cette chaleur fait que ces cadavres se dessèchent. C'est comme si le soleil en dévorait chaque jour une partie. 5 réjouissante, amusante. * appellent, Ces pendus crient pour demander de nouveaux pendus. Ces oris sont entendus du diable, c.-a-d. de Olivier Le-Daim, qui était un des dénonciateurs officiels des ennemis du roi. Tout cela pour dire que quand on a commencé a jouer le róle de bourreau, il fout le jouer jusqu'au bout. Le crime appelle le crime. 38 Tandis qu'aux deux, d'azur tendus, Ou semble luire un météore, La rosée en Vair s'évapore, Un essaim d'oiseaux réjouis Par-dessus leur téte picore. C'est le verger du roi Louis. Nicole, d part. — Ah! malheureux! (Gringoire se retourne. Tous gardent le silence.) Grtngoire. — Eh bien, qu'en dites-vous ? (A part.) Ils ne se dérident1 pas. II n'y a que le vieux qui a 1'air trés content. Celui-la s'y connait, sans doute. Le Roi, d Gringoire. — Mais, n'est-il pas d'usage qu'il y ait un envoi2 après les trois coupïets ? Gringoire. — Oui! je voyais bien que vous n'étiez pas un profane8. Le Roi. — L'envoi doit commencer, j'imagine, par le mot Prince. Gringoire. — Oh! cela est indispensable, comme les yeux d'Argus4 sur la queue du paon. Prince! Seulement, vous comprenez, je ne connais pas de prince. Le Roi. — C'est facheux5! Gringoire, avec finesse. Je sais bien que je pourrais toujours offrir ma ballade au duc de Bretagne ou a monseigneur de Normandie. Le Rol — En effet. Qui t'en empêche ? Grtngoire, simplement. — C'est que j'aime bien 1 dérident, ne pas se dérider= donker kijken. a envoi, dernière strophe (4 vers) de la ballade. 3 profane, un profane - een leek. 4 Argus, Prince argien, qui avait cent yeux, dont cinquante restaient toujours ouverts, et qui fut chargé par Ju non de garder la vache Io. Mercure parvint a 1'endormir tout a fait au son de sa fiüte et lui coupa la tête; Junon sema ses yeux sur la queue du paon. 5 facheux, c'est facheux = het is jammer. 39 trop la France... et même le roi Louis . .. malgré tout! Mais je suis comme vous. Je lui dis aussi ses vérités. Qui aime bien . .. Le Roi. — Chatie bien. C'est juste. Voyons 1'envoi. Gringoire. — Envoi. Prince, il est un bois que de'core Un tas de pendus, enfouis 1 Dans le doux feuillage sonore 2. C'est le verger du roi Louis / Oltvter-le-Daim, a Gringoire. — Maitre Gringoire, on ne saurait polir des vers d'un tour plus agréablement bouffon ! Gringoire, avec modeMie. — Ah ! Messire ! Le Roi. — Vous pouvez être sensible a ces éloges. On s'accorde a louer le goüt de messire Oüvier-le-Daim! Gringoire, effrayé. — Olivier-le-Diable! Olivier-le-Daim. — C'est a vous que je le dois, Sire. Gringoire. — Le Roi! Le Roi. — Oui, le Roi. Gringoire, avec accablement. — Le Roi! Je ne souperai mie3. Gringoire affolé reste immobile. Tous se taisent. Le Roi, a Gringoire. — Vous ne elites plus rien ? Gringoire. — Sire, pour rester muet4, je n'en pense pas moins. Le Roi. — Vous songez peut-être qu'après avoir si bien chanté les pendus . . . 1 enfouis, cachés. 2 sonore, ruisend. * mie, ne ... mie: une des anciennes formes de 1'adverbe de négation; il correspond a peu prés a ne ... pas. Je ne souperai mie = Je ne souperai pas. 4 muet, pour rester muet = si je reste muet. 2* 40 Grtngoire. — Rien ne saurait m'empêcher ... Oltvteb-le-Dalm . — D'être pendu vous-même. Gringoire, qui se sent déja étranglé. — Ah ! Nicole, suppliant Ze Roi. — Sire! (Le Roi regarde Nicole d'un air d'intelligence.) Le Roi, montrant Olivier-le-Daim. — II a parlé sans mon ordre. Mais il peut avoir dit vrai. Nicole, bas au Roi. — Je vous ai vu sourire. Le Roi pardonne. Le Roi, avec bonhomie. — Je ne dis pas cela. Grtngotre. — Pendu ! (Au Roi, ingenument.) Sans souper ? Le Roi, Ze regardant. — Tu pourrais souper ? Grtngoire. — Oui. Je pourrais très-bien. Mais le Roi ne voudra pas que je soupe. Le Roi, riant tout a fait. Pi! Quelle idéé as-tu la ? C'est me prêter un esprit de vengeance indigne d'un chrétien et d'un gentÜhomme. Je n'envoie pas mes amis se coucher a jeun. Tu souperas. Gringoire. — Enfin! Le Roi. — Mange a ta faim et bois a ton désir ... si le cceur t'en dit! Gringoire, Ze visage illuminé et allant a la table. — Je crois bien! Le Roi, a Nicole. — Dame Nicole, vous avez la sous la main tout Fattirail de la meilleure buverie1. C'est vous qui remplirez son verre. Nicole. — Pour cela, oui, pauvre agneau ! (A part.) 11 est dans son bon jour*! 1 buverie, tout Fattirail de la meilleure buverie = tout oe qu'il faut pour bien boire. * jour, hij heeft heden zijn goede dag. 41 Simon ForrRNiEZ. — C'est bien le moins qu'il boive1. Le Roi. — Vous, Olivier, vous servirez notre hóte. Gringoire. — Oh ! je me sers tout seul. Oltvter-le-Daim, humilié. — Moi, Sire ! Le Roi. — Vous le pouvez sans déroger2, sachezle. Je n'oublie pas que je vous ai anobH 8. Mais un seigneur peut servir un poète. Grtngoire, fièrement. — Est-ce donc ainsi ? Eh bien' Sire, (mettant ungenou a terre.) pardonnez-moi! J'ai été coupable envers vous, mais puisque vous me prenez ma vie, je ne puis vous donner plus ! Le Roi, a part. — Bien. {Montrant la table d Gringoire.) Assieds-toi vite. Gringoire, se relevant. — C'est juste, je n'ai pas de temps a perdre, (II s'assied d table et mange. Olivierle-Daim le sert, Nicole Andry lui verse d boire.) si ce festin que je vais faire doit être le dernier que je fasse jamais ! (Le Roi s'est assis dans un fauteuil pres de Gringoire et s'amuse d le regarder; Gringoire boit et mange avec une avidité désespérée.) Le dernier, que dis-je! c'est bien le premier! (II entame un paté enorme.) O le paté mirifique4 avec ses donjons et ses tours ! Me croirez-vous ? Eh bien, voila, ce que je rêve depuis que je suis au monde. Comprenez ! J'ai toujours eu faim. Cela va bien un an, deux ans, dix ans ! mais a la longue on a faim tout de même. Tous les matins, je disais au soleil levant, tous les soirs aux £toiles blanches: „C'est donc aujourd'hui jour de jeune!" Elles me répondaient, les douces étoiles, mais 1 boive, il ne peut pas moins faire que de boire. 2 sans déroger, zonder zich te verlagen. 3 anobli, Olivier Le-Daim ne fat anobH qu'en 1477; 1'auteur avance considérablement cette date, pour le besoin de la eause. 4 pdté mirifique, paté merveilleux, dont la forme est celle d'un chateau féodal avec ses donjons et ses tours. 42 ©Hes ne pouvaient pas me donner de pain. Elles n'en avaient pas. (A Olivier-le-Daim, qui lui passé un plat.) Mille graces1, messire. (Au Roi.) Comme cela doit être facile d'être bon, quand on mange de si bonnes choses ! Moi, je suis très-bon, croyez-moi, j'ai souci des plus misérables créatures, — Nicole, au Roi. — Bonne ame innocente! GBiNGomE, continuant. — Et pourtant, voila la première fois que je touche, même des yeux2, a de telles victuailles8. (A Nicole Andry, qui lui verse d boire.) Merci, madame. Oh! le joh vin clair! Ah ! (II boit.) cela vous met dans la poitrine la joie, le soleil, toutes les vertus. Comme je vais bien vivre ! Qui donc prétendait que j'allais être pendu ? Je vous assure que je ne le crois plus du tout. (Au Roi.) A quoi cela vous servirait-il de pendre un nourrisson de Calliope* et du saint chceur parnassien 5, qui peut, Sire, raconter vos exploits a la race future, et les rendre aussi durables dans la mémoire des hommes que ceux d'Amadis de Gaule 6, et du chevaher Perséus 7? Le Roi. — Tu as si bien commencé ! Grtngoire, piteusement. — Pas trop bien. Le Roi. Ces pendus, du diable entendus. Appellent des pend«is encore. 1 mille graces, duizendmaal dank. 1 toucher des yeux, voir. * victuailles, mets, provisions de bouche. 4 Calliope, une des Muses, mère de la poésie épique et de 1'éloquenee. Un nourrisson de Calliope est un poète. 5 parnassien, Le Parnasse est une montagne de Grèee, consacrée autrefois a Apollon et aux Muses. 8 Gaule, Amadis de Gaule, surnommé le „Chevalier au lion," est un héros de ehevalerie qui joue en Espagne le même róle que le roi Arthur en Angleterre, et Charlemagne en France. ' Perséus, héros grec, nis de Jupiter et de Danaé. II coupa la tête de Meduse, épousa Andromède, devint roi et fond» la ville de Mycènes. 43 Gringoire, avec une expression de doute. — Oh! ils les appellent! . . . Voyez-vous Sire, le bon sens n'est pas mon fort *. (Modestement). Je n'ai que du génie. Ah ! d'ailleurs, pendez-moi, que m'importe ! Je suis bien bon 2 de m'occuper de cela. (II e leve.) Que me reste-t-il a faire sur cette planète, déja refroidie ? J'ai aimé la rose et les glorieus lis, j'ai chanté comme la cigale, j'ai joué des mystères3 a la gloire des saints et je ne vois pas ce que j'ai omis. La seule chose que favais négligée jusqu^a présent, c'est de souper. Et j'ai bien soupé. J'avais offensé le roi notre Sire, je lui ai demandé pardon a genoux. Mes affaires sont en régie, tout va pour le mieux, et a présent maitre Simon Fourniez, je bénis le soir d'été oü pour la première fois j'ai passé devant votre maison. Simon Fotjrntez. — Quel soir d'été ? Gringoire s'accoude d'abord sur le fauteuil du Roi, puis sans prendre garde a ce qu'il fait, s'y assied tout d fait. Olivier-le-Daim s'élance vers lui furieux, mais le Roi, du regard, arrête le barbier, et lui fait signe en souriant de ne pas troubler Gringoire. Gringoire, se laissant aller il Vextase de sa rêverie, et peu a peu finissant par oublier la présence de ceux qui l'entourmt. — Voyez-vous, un poète qui a faim ressemble beaucoup a un papilion affolé Le soir que je yeux dire (c'était a 1'heure oü le soleil couchant habille le oiel de pourpre rose et de dorure,) en passant sur le Mail 4 du Chardonnere , j'avais vu flambover dans leurs mailles de plomb vos vitres qu'il remplissait d'éclairs et d'in^endies, et, sans savoir pourquoi, 1 fort, mon oóté fort. C'est la mon fort = Daarin ben ik een baas. 8 bon, bon avec exagération = sot - (dwaas). * mystères, drames religieux populaires joués pendant tout le moyen age, jusqu'a Ia Renaissance. * Maü, promenade publique plantée d'arbres. (Conf. Maliebaan). 44 i'étais allé a la flamme1! Je m'approchai, et a travers ces belles vitres de feu, je vis resplendir la pourpre des fruits, je vis briller les orfèvreries 2 et étinceler les écuelles8 d'argent, je compris qu'on allait manger la, et je restai en extase. Tout a coup, au-dessus même de cette salie, une fenêtre s'ouvrit, et une tête de jeune fille apparut, gracieuse et farouche comme celle de Phcebé4, la grande nymphe au cceur silencieux, quand elle aspire 1'air libre de la forêt. Les rayons d'or qui se jouaient dans sa chevelure et sur son front vermeil lui faisaient une parure céleste, et je pensai tout de suite que c'était une sainte du paradis! Nicole, bas au Roi. — C'était Loyse! Gringoire. — Elle semblait si loyale, si fiére ! Mais après, je compris que ce n'était qu'une enfant, en voyant un sourire empreint d'une ineffable bonté voltiger dans la lumière de ses lèvres roses. Alors, vous comprenez, mes pieds étaient cloués au sol et je ne pouvais détacher mes yeux de cette maison, oü se trouvait justement réuni tout ce que j'étais destiné a ne posséder jamais, un bon souper servi dans une riche vaisselle, et une enfant, digne de l'adoration des anges! Le Roi, bas a Nicole. — Eh bien! Nicole, voila un pauvre songeur qui adrnire comme il faut ma chère filleule ! Que dis-tu de cela ? Simon Fourniez, a part. — Beau régal pour ma fille, d'être dévisagée par ce fantóme, qui est transparent comme la vitre d'une lanterne! 1 flamme, Gringoire, aperoevant la lumière du soleil dans les vitraux de Simon Fourniez, s'en était approché comme un papillon, le soir, vole vers la flamme. 1 orfèvreries, garnitures et vaisselle d'or qui servaient a parer la table. 1 écuelles. sortes d'assiettes profondes dans lesquelles on mangeait au XV8 siècle. * Phoebé, nom mythologique de la lune. 45 Gringoire. — Je suis revenu chaque jour, car rien ne nous attire mieux que le sourire décevant des Chimères ! Mais, comme Fa dit un sage, a la fin tout arrivé, même les choses qu'on désrre. Aujourd'hui enfin, j'ai festiné comme Baltassar1, prince de Babylone. Mais je formais une autre souhait, car Fhomme est insatiable. Le Roi, venant a'accouder sur le fauteuil oü Gringoire est osais. — Ce souhait, quel est-il ? Gringoire, s'opercevant de sa méprise, et se levant précipitamment. — J'aurais voulu apercevoir une fois de plus cette belle jeune demoiselle de la fenêtre. Simon Fourniez. — Pour cela, non. Olivter-le-Daim, a part. — Bien. Gringoire, qui n'a pas entendu Simon Fourniez, continuant. — Mais je la reverrai, puisque vous mé faites partir devant elle, et que vous m'envoyez 1'attendre au ciel, oü sont tous les anges. Donc, rien plus2 ne me soucie, et si le moment est venu a votre caprice, je puis gaiement et bravement mourir. Le Roi, a part. — 11 y a la un hom me! Nicole, a part. — Le Roi ne dit pas encore qu'il fait grace! Le Roi, bas a Nicole. — Nicole, dis-moi : crois-tu que Loyse . . . pourrait aimer ce Gringoire ? Nicole. — Comment ? Le Roi. — Ne t'étonne pas. Pourrait-elle Faimer. Nicole. — Plüt a Dieu ! Mais .. . Eüe lui désigne le maigre visage de Gringoire. BaMassar, dernier roi de Babylone, fameux par sa vie de plaiairs et de festins oontinuels. * rien plus, forme vieillie de: rien ne me soucie plus. 46 Le Roi. — Je te comprends. (A part.) Elle a peutêtre raison. (Après avoir rêvé, et comme a lui-mème.) C'est égall, dans ce petit monde qui tiendrait au creux de ma main, je vois 1'homme et les fils 2 qui le remuent, tout comme en des intrigues plus illustres, et cela m'amusera de voir la fin de notre conté. Ouvier-le-Daim. — Sire, puisje a présent emmener d'ici maitre Pierre Gringoire ? Le Roi, contrarié de l'obsession d'Olivier-le-Daim. — Non. Qu'il reste. Je veux 1'entretenir seul un moment. Oltvieb-le-Daim. — Eh ! quoi ? Le Roi, sévèrement. — M'avez-vous entendu ? Sortez, et ne rentrez pas ici que je ne vous rappelle. Ouvieb-le-Daim, d part. — Ce roi, ne vaut rien quand il est bon. II va faire quelque sottise. Mais, patience! (11 s'incline devant le Hoi et sort avec une ragesourde*. Le Roi. — Mon cher Simon, et vous dame Nicole, laissez-moi seul, je vous prie, avec maitre Gringoire. J'ai a lui parler. Gkingoike, a part, tandis que Simon Fourniez et Nicole Andry prennent congé du Roi et sortent. — Me parler! Bon saint Pierre, mon patron4 que veut-il me dire ? 1 c'est égal. Voir page 12 note 4. 1 les fis, pluriel de fil (draad). * sourde, contenue (bedwongen). 1 patron, beschennheilige. 47 SCÈNE V. — LE ROI, GRINGOIRE. Le Roi. — Pierre Gringoire, j'aime tes pareils, lorsqu'ils parient bien la langue rythmée.1 Je te pardonne. Gringoire, tombant d genoux. — Ah! Sire! Dieu bénit tous les miséricords V Le Roi. — Oui, je te pardonne. A une condition. Gringoire. — Paites de moi ce qu'il vous plaira. Le Roi. — Je veux te marier. Gringoire. — Oh! Sire, pourquoi ne pas me faire grace tout a fait ? Le Roi. — Comment! poète affamé ! seras-tu si fort a plaindre d'avoir prés de ton foyer une bonne ménagère ? Gringoire, se levant. — Sire, ne voulez-vous pas me punir plus cruellement que je ne le mérite ? Je ne me sens pas le coeur8 d'épouser quelque douairière*, contemporaine du roi Charlemagne. Le Roi. — Celle dont je te parle a aujourd'hui dixsept ans d'age. 1 rythmée, la langue mesurée = la poésie. 2 miséricord. Voir page 33 note 2. 8 coeur, courage. 4 douairière, femme noble et veuve, qui jouit d'un douaire. Le douaire se composait des biens, dont le mari assurait la propriété a sa femme b'U mourait avant elle. Comme toutes les douairières sont ordinairement agées, Gringoire pense que, le roi va lui proposer comme épouse une femme riche, sans doute, mais trés vieiUe. 48 Gringoire. — C'est donc que le ciel 1'a affligée d'une laideur bizarre et surnaturelle V- Le Roi. — File est aussi belle que jeune, et toute pareille a une rose naissante. Grtngoire, pdlissont. — Je devine, Sire. Mais libre et sans tache sous le ciel, je me vois trop pauvre pour me passer d'honnêteté 2 et de renom 8. Le Roi. — Tais-toi! la jeune fille dont tu seras 1'époux est pure comme 1'bermine, dont rien ne doit ternir la blancheur sacrée. Gringoire. — Tout de bon? 4 (Revenant a lui.) Mais je n'ai d'autre lit que la forêt verte et d'autre écuelle 6 que ma main fermée : je ne peux pas me mettre en ménage6 avec si peu de chose. Le Roi. — Ne t'inquiète de rien. Tu dois bien penser que je n'oblige pas a demi. Gringoire. — Sire, vous êtes généreux7 comme le soleil de midi ! Mais qui décidera la jeune demoiselle a devenir ma femme ? Le Roi. — Qui ? Toi-même. Tu la regarderas comme tu regardais tout a 1'heure le souper de maitre Simon et tu lui diras : „Voulez-vous être ma femme ?" Gringoire. — Je n'oserai jamais. Le Roi. — H faut que tu oses. 1 surnaturelle, extraordinaire. 2 honnêteté, vertu. * renom, bonne réputation. D faut être riche pour pouvoir se passer de vertu et de bonne réputation. 4 tout de bon. Est-ce sérieux ? 6 écueüc. Voir page 44 note 3. 6 ménage, se mettre en ménage — se marier. 7 généreux, mild. 49 Gringoire. — Autant me proposer d'accompagner1 1'Iliade2 surun chalumeau3 de paüle. Le Roi. — II ne s'agit que de plaire. Gringoibb. — Justement. Avec le visage que voila! Je me sens laid et pauvre, et quand j'ai voulu bégayer des paroles d'amour, elles ont été accueillies si durement que je me suis jugé a tout jamais. Tenez, Sire, un jour (c'était dans la forêt qui est proche), je vis passer sur son cbeval frémissant une jeune chasseresse égarée loin des siens. Son visage brillait d'une lumière divine, et elle était couverte d'or et de saphirs. Je me jetai a ses genoux en tendant les mains vers cette nymphe héroïque, et je m'écriai: „Oh! que vous êtes belle ! " Elle arrêta son cheval et se mit a rire, si fort et si longtemps que j'eus peur de la voir mourir sur place. Une autre fois, j'osai parler d'amour a une paysanne, aussi pauvre que moi, et vêtue a peine de quelques haillons déchirés. Oelle-la, ce fut autre chose, elle me regarda d'un air de profonde pitié, et elle était si affligée de ne pouvoir me trouver beau, que sans rien dire, elle en versa deux grosses larmes. Les anges sans doute les ont recueillies. Lb Roi. — Ainsi tu t'abandonnes toi-même *. Quand je te donne un moyen de vivre! Gringoibb. — Chimérique! Le Roi. — O couardise 6 ! Rare lacheté d'un homme qui hésite, ayant a son service une arme plus forte que les lances et les épées ! Quoi, tu es poète, par conséquent habile aux ruses et aux caresses du langage, et 1 accompagner, begeleiden. * l'Iliade, épopee grecque, qui raconte 1'histoire de la guerre de Troie (ou Ilion), et dont 1'auteur supposé est Homère. * chalumeau, strohalm — herdersfluit. 4 toi-même, tu n'as pas confiance en toi-même =» tu désespères. * couardise, vieux mot pour lacheté. 50 1'amour de la vie ne t'inspire rien! Sache ceci : tant que notre salut dépend de quelqu'un, et que nous n'avons pas la langue coupée, rien n'est perdu. II y a un an Gringoire, ce roi qui te parle a présent, oh étaitil ? Tu t'en souviens ? A Péronne }, chez le duc Charles. Prisonnier du duc Charles. Prisonnier d'un vassal intéressé a sa perte, violent, ne sachant lui-même s'il voulait ou ne voulait pas le sacrifier: c'est ce qu'on éprouve dans les commencements obscure des grandes tentations ! Qui voyait-il autour du duc ? Ses ennemis a lui, des transfuges ! Son geolier voulait se croire offensé. Pour logis de plaisance2, il avait une tourelle sombre oü avait coulé le sang d'un roi de France, assassiné par un Vermandois8 ! Son or ! on le croyait si bien perdu que ceux par qui il 1'envoyait a ses créatures 4 le mettaient dans leur poche. Bien ne pouvait le tirer de la, que sa pensée agila ; mais, Dieu merci! il a pu parler a son ennemi, et le voici la, redouté, vainqueur, maitre de lui et des au tres, et prenant ses revanches. Et toi, Gringoire, toi qui as gouté le miel sacré 8 tu as a convaincre qui 1 une enfant, une fillette capricieuse, une femme, un être variable et changeant qui se pétrit comme de la cire molle ! et tu as peur! Gringoire. — Oui. Lb Boi. — Et tu trouves plus facile de mourir! 1 Péronne. Voir page 16, note 2. * plaisance, logis de plaisance — lusthuis. * Vermandois, Charles le Simple, roi de France, y fut retenu prisonnier par le comte de Vermandois, Herbert II et y mourut, dit-on, assassiné en 929. * créatures, Louis XI prisonnier faisait tout son possible pour faire parvenir de 1'argent a ses plus dévoués partisans, mais, les messagers craignaient si peu le roi que 1'argent n'arrivait jamais a destination. ' miel sacré, les Muses habitaient sur le mont Parnasse, et se nour. issaient du miel des abeilles du mont Hymette, (Myth.), L'auteur compare 1'inspiration poétique au miel dont se nourrissaient les Muses. 51 Gringoire. — Oui, Sire. Car si je parle, comme vous le voulez, a cette jeune fille inconnue, je sais bien ce qui arrivera. Elle se mettra a rire a gorge déployée1, comme la jeune Diana2 de la forêt du Plessis. Lb Roi. — Elle ne rira pas. Gringoire. — Alors, elle pleurera, comme la mendiante. C'est 1'un ou 1'autre. On ne m'aime pas, moi ! Et je n'aimerai plus. Le Roi. — Tu n'es pas sincère. Mais je te devine. Tu redoutes, dis-tu, celle a qui je veux flaneer8 1'espoir de ta vie ? Tu dis qu'elle ne peut t'aimer, Gringoire ? Mais alors, pourquoi donc as-tu gardé dans tes yeux le vivant reflet de sa beauté angélique ? Pourquoi as-tu le cceur plein d'elle ? Pourquoi voulaistu la revoir tout a 1'heure ? Gringoire. — Qui cela, Sire ? Le Roi. — Elle, pardieu ! la jeune fille de la fenêtre, celle que tu as aimée en la voyant, celle que je veux te donner et que tu refuses, la fille de Simon Fourniez, Loyse! Grlngoire, éperdu. — Quoi ! Le Roi. — Eh bien oui, les deux ne font qu'une. La crains-tu toujours ? Veux-tu encore mourir ? Gringoire, prés de défaillir. — Oh ! Sire ! ne me dites pas qu'il s'agit d'elle, car alors c'est tout de suite que je mourrais. Le Roi, observant curieusement Gringoire. — Je te croyais plus brave. Que sera-ce donc quand tu la verras, ici, tout a 1'heure ! 1 a gorge déployée = luidkeels. * Diana, déesse de la chasse. Ce nom ent employé ici pour désigner la jeune chasseresse que Gringoire avait renoontrée, un jour, dans la forêt. 3 flaneer, ancienne signification: confier, engager. 52 Gringoibb. — A cette seule pensee, mes jambes se dérobent *, et je sens que mon coeur va m'étouffer2! Lb Roi. — Allons, allons, il faut en finir. (II va a la porte et appelle). Hola, compère Simon! dame Nicole ! (Riant, a Gringoire.) Ma foi, j'ai cru que tu tomberais en pamoison8, comme une femme! 1 se, dérobent, mes jambes se dérobent = mijn knieën knikken. s m'étouffer, mon coeur bat si fort qu'il m'empêche de respirer. 8 tomber en pamoison, s'évanoui* (flauw vallen). 53 SCÈNE VI. — LE ROI, GRINGOIRE, SIMON FOURNIEZ, NICOLE ANDRY, LOYSE. Nicole, entrant. — Ha pardonné ! Simon Fourniez, amenant Loyse que le Roy ne voit pas d'abord. — Sire, nous voici. Le Roi, a Simon Fourniez. — Eh bien, Simon, ta fille? Simon Fourniez, piteusement. — Sire, je n'ai pas eu le courage de la laisser au cachot dans sa chambre. Je me suis sottement attendri, comme un vieil oison1. (Le Roi sourit.) Vous me trouvez faible, n'est-ce pas? Le Roi, riant. — Au contraire. Fais-la venir. Gringoire, a part. — C'est elle! (II s'appuie sur un meuble, prêt a'tomber en faiblesse 2.) Loyse, au roi. — Sire, je suis délivrée avec tous les honneurs de la guerre! (ÉUe embra&se Simon Fourniez qui se laisse faire et essuie une larme.) On m'a ouvert les portes de la citadelle, et je n'ai pas rendu mes armes !8 1 oison, jeune oie. On dit béte comme une oie; béte comme un vieil oison signifie donc: béte comune oie tombée en enfance (kinds geworden). 4 faiblesse, tomber en faiblesse = flauw vallen. 3 mes armes, elle est sortie de la citadelle c.-a-d. de sa chambre, sans avoir promis de se marier. Voila les armes qu'elle n'a pas rendues. 54 Lb Roi, gaiement. — Bon ! Mais il te reste a obtenir le pardon du Roi. Loyse, riant. — Oh! le Roi, je n'en ai pas peur ! (Bas au Roi.) II est juste, lui ! Le Roi. — Tu as raison. (II prend Loyse sous son bras, et parle a demi-voix de facon a n'être entendu que de Loyse et de Nicole). Dis-moi, (Montrant Gringoire.) Comment trouves-tu ce garcon ? Loyse, cherchant des yeux. — Oh donc ? Le Roi. — La bas. Loyse, après avoir reqardé Gringoire. — II n'est pas beau. II a 1'air triste, hurnUié. Nicole, bas au Roi. — Je vous 1'avais bien dit, Sire. Le Roi, a Nicole. — J'en aurai le coeur net.1 Je saurai si la lumière de 1'ame intérieure ne saurait embellir paribis un pauvre visage, et si la flamme subtile d'un esprit ne peut suflire a éveiller 1'amour! (A Loyse.) Pierre Gringoire, mon serviteur, a quelque chose a te demander de ma part. II faut que tu lui accordes un moment d'audience. Simon Fotjentez. — Lui, Sire, ce meurt-de-faim2 parler pour vous ! (Riant.) Ah ! ah ! ah ! la bonne folie! Le Roi, d Simon Fourniez. — Tu peux bien, n'est-ce pas, sur ma foi de gentilhomme, laisser quelques instants notre Loyse seule avec lui ? Simon Fottbntez. — Oh ! pour cela, Sire, tant qu'on voudra! voila qui est sans danger. Gringoire, n'est qu'un mannequin bon pour effrayer les oiseaux !8 1 ccBur net, en avoir le coeur net ■= weten wat er van de zaak is. ■ meurl-de-faim, hongerlijder. 8 oiaeaux, mannequin pour effrayer les oiseaux (vogelverschrikker): 55 Gringoire, d part, douloureusement. — Elle entend oela! Le Roi, a Loyse. — Écoute ce jeune homme, je t'en prie. Veux-tu, Loyse ? Loyse. — Oh! de grand coeur! Le Roi. — Bien, ma fille. (Voyant la porie s'ouvrir.) Mais qui vient ici sans mon ordre ? „Olivier ! 56 SCÈNE VII. — LE ROI, GRINGOIRE, SIMON FOURNIEZ, LOYSE, OLIVIER-LE-DAIM, NICOLE ANDRY. Lb Roi, a Olivier-le-Daim. — Je vous avais interdit monsieur, et par égard pour vous1, d'assister a un entretien dans lequel j'entends décider du sort de Loyse. Oltvter-le-Daim, a part. — J'arrive a temps. (Haut.) Quand il s'agit des intéréts de Votre Majesté, ne dois-je pas, s'il le faut, enfreindre ses ordres ? Lb Roi. — Je connais ces prétexbes hypocrites. Vous devez obéir, et rien de plus. Oltvter-le-Daim. — Même lorsque les plus chers pro jets de mon roi sont menacés ? Lb Roi. — Quels projets ? Parlez, monsieur. Oltvter-le-Daim, montrant les personnages présents. Devant eux ? Le Roi. — Devant eux ! Parle, te dis-je, et malheur a tof" si tu m'alarmes en vain ! Oijyteb-le-Daim. — Plüt a Dieu, Sire, que Votre Majesté eüt seulement a punir la désobéissance de son fidéle serviteur. Mais elle aura a chatier d'autres crimes plus dangereux que celui-la. Le Roi. — Que veux-tu dire ? 1 pour vous, par considération pour vous, Olivier Le-Daim était un prétendant offioieux a la main de Loyse. 57 Oltvter-le-Daim. — Cet éohange1 de la Guyenne contre la Champagne . . . Le Roi, tressaillant, et d'un geste éloignant Loyse. — Eh bien, cet échange ? Olivter-le-Daim. — Cet échange n'aura pas lieu. Le Roi. — Vous ditos ? Oltvter-le-Daim. — Monseigneur votre frère le refuse. Le Roi, hors de lui. — II le refuse ! Oltvter le-Dadh. — Vous vouliez que le duc de Bourgogne ignorat vos intentions ? Le Roi. — Oui. Oltvter-le-Daim. — II les connaït. Le Roi. — Quel est le traitre ? Oltvter-le-Daim. — Le traitre, Sire, est celui qui par ses lettres avertissait de vos projets le duc Charles! J'ai pu enfin saisir un de ses courriers. Lisez, Sire! (II lui presente une lettre ddpliée.) et Votre Majesté dira si j'ai fait mon devoir. Le Roi, après avoir jeté un coup d'oeil sur la lettre. — La Balue !2 Lui, ma créature! (Lisant.) „Croyezen toute vérité Monseigneur3, un serviteur discret qui est bien moins 1'homme du Roi que le votre !" Ah ! La Balue ! mon ami, pour regretter de 1'avoir écrite, cette lettre, tu auras a toi une nuit si longue, si noire et si profonde, que tu auras besoin d'un effort de mémoire pour te rappeler 1'éclat du soleil et la clarté du jour! Loyse, qui ne peut entendre, mais que la colère du } échange, Louis XI avait eu 1'intention de donner a son frère le duo de Normandie la Guyenne au lieu de la Champagne, pour 1'isoler du duo de Bourgogne. 2 La Balue. Voir page 16, note 3. s memseigneur, s'adresse a Charles le Téméraire duc de Bourgogne. 58 Roi épouvante. A Simon Fourniez. — Qu'a donc le Roi ? Je ne 1'ai jamais vu ainsi. Lb Roi, se levant. — Mais que dis-je ? II s'est enfui sans doute ! Oltvter-le-Daim. — Pas si loin que je n'aie pu l'atteindre. Le Roi, respirant. — L'imbécile! Nous le tenons. Merci, Olivier, tu es un bon serviteur, un fidéle ami! Je ne 1'oublierai pas. (Avec une fureur toujours croissante.) Ah! mon courroux dormait, et on le réveille! Donc, ce n'est pas fini, messieurs les mécontents, et il vous faut des exemples profitables : vous en aurez ! Vous vous imaginiez que la France n'est qu'un jardin fleurissant autour de vos donjons1 fermés ? Non pas, mes maitres : la France est une forêt dont je suis le bücheron, et j'abattrai toute branche qui me gênera, avec la corde, avec le glaive, avec la hache! Oltvter-le-Daim. — Sire, monseigneur de la Balue est un prince de 1'Église. Le Roi. — Je le sais, sa vie est sacrée. Je ne toucherai pas a la vie de monsieur de La Balue. (Palissant de rage.) Mais je lui ménage 2 une retraite . . . Partons ! Simon Fourniez, s'approchant du Roi. — Sire! Lb Roi, se retournant. — Quoi ? qu'est-ce ? que me veux-tu ? Simon Fourntez. — Le Roi part sans me dire... Le Roi. — Qu'ai-je a te (lire ? N'ai je pas perdu assez de temps aux commérages3 de ta boutique ? Simon Fourniez, suffoqué. — Ma boutique! 1 donjons, hautes tours oarrées qui dominaient les chateaux féodaux. ! ménager, réserver. * commérages, bavardages (praatjes). 59 Lb Roi. — A ton aune, bonhomme, a ton aune!1 Simon Foubnibz, ne sachant plus ce qu'il dit. — J'y vais, Sire. Elle est en bas! Oltvteb le-Datm. — Mais Gringoire . . . Lb Roi, comme dans un rêve. — Gringoire ! qu'est cela, Gringoire ? Oijvteb-le-Daim. — Le factieux 2 qui raille la justice de Votre Majesté. Lb Roi. — II la raille ? Qu'on le pende ! Nicole. — Sire, Votre Majesté oublie qu'elle lui a pardonné. Le Roi, revenant a lui. — C'est vrai. J'ai eu tort. J'ai suivi le premier mouvement8, qui ne vaut rien. Pour un roi justicier* 1'indulgence est un crime. La bonté, le pardon, font des ingrats. Nicole. — Oh ! Sire ! IjE Rot, a Nicole. — Laissez-moi. (A Gringoire avec dvreté.) Pour racheter ta vie, je t'avais imposé une condition. Nicole. — S'il ne peut la remplir! Le Roi. — Tant mieux : Dieu ne veut pas que je pardonne. (A Gringoire.) Au surplus, cela te regarde. Dans une heure, tu auras décidé de ta vie. Ce n'est pas assez des princes et des seigneurs ? Soit: j'irai encore, s'il le faut, chercher des rebelles a chatier jusque dans la boue! (Nicole veut parler ; le Roi, dn geste, lui impost silence.) Assez ! Assez ! (II sort.) 1 aune, aune — el (mesure des drapiers). A ton aune ! signifie ici: Occupe-toi de tes affaires ! 2 factieux, oproermaker. • mouvement, suivre son premier mouvement = zijn eerste opwelling volgen. 4 justicier, handhaver van het recht. 60 Loyse, a Simon Fourniez. — Qu'est-ce donc, mon père ? qu'y a-t-ü ? (Regardant Ze Rot avec terreur.) Quel changement! Simon Fourntez, montrant le poing a Gringoire. — A ton aune ! Et c'est pour ce misérable-la que le Roi me traite de la sorte ! Un gueux sans coiffe1 et sans semelle 2 ! Oitvter-le-Daim. — Maitre Simon Fourniez, et vous dame Nicole Andry, retirez-vous, et que mademoiselle Loyse (Montrant Gringoire.) reste seule avec cet homme. Simon Fourntez. — Ce va-nu-pieds 3 avec ma fille ! Nicole, entrainant Simon. — Le Roi le veut. Simon Fourntez, a Gringoire. — Bouffon!4 baladin ! (S'arrachant de Vétreinte de Nicole et revenant sur ses pas. — Avec fureur.) Comédien! Loyse. — Au revoir, mon père. (Simon Fourniez et Nicole Andry sortent.) Olivier-le-Daim, a Gringoire. — Dans une heure. (Allant d la porte, s'adressant a l'officier placé endehors.) Veülez a ce que vos soldats gardent chaque issue5 de cette maison et que personne n'en sorte sous peine de la vie. (II disparait. — La porte se referme.) 1 coiffe, coiffure (chapeau). 2 semelle, zolen (sans semelle a ses chaussures). 3 va-nu-pieds, schooier. 4 bouffon, nar. 5 issue, sortie (uitgang). 61 SCÈNE Vin. — GRINGOIRE, LOYSE. Gringoire, a part. — Allons, Gringoire, voila qui est le plus aünple du monde. Couvert, comme tu Fes de leurs insultes, fais-toi aimer d'elle! En combien de temps, mes bons seigneurs ? En un instant, tout de suite! A la bonne heure! II fallait donc le dire plus tót: c'est si facile ! Loyse, a part. — Que se passe-t-il donc ? Quel est cet homme? Le Roi, qui veut que je Fécoute, Faccable en même temps de sa colère. Que va-t-il me demander ? Que puis-je pour lui ? (Haut a Gringoire.) Vous avez a me parler ? Gringoire. — Moi ? Pas du tout. Loyse. — Ce n'est pourtant pas ce que m'a dit le Roi. Gringotre. — Ah ! oui, le Roi m'a chargé de vous faire une proposition facétieuse1 et bizarre. Loyse. — Faites-la donc ! Gringoire. — Vous la refuserez. Loyse. — Dites toujours. Gringoire. — Le Roi m'a chargé de vous demander ... Loyse. — Quoi ? 1 facétieuse, plaisante (koddig). 62 Gringoire. — Si vous vouliez... (A part.) Les mots ne passent pas. Loyse. —Si je voulais . .. Gringoire. — Non, si, moi, je pouvais... je me trompe ! Enfin, mademoiselle, le Roi. . . veut vous marier. Loyse. — Je le sais. Le Roi me 1'a déja dit. Mais qui ordonne-t-ü que j'épouse ? Gbtnootre. — II vous laisse libre, mademoiselle. Vous avez toujours le droit de refuser. C'est 1'homme que le Roi vous propose qui serait obligé, lui, de se faire aimer de vous. Loyse. — Mais encore, quel est cet homme ? Gringoire. — Que vous importe ? (Levant les épanles.) Vous ne pouvez pas 1'aimer. Loyse. — Que vous importe aussi ? Voyons, qu'estil enfin ? Gringoire. — Ce qu'il est ? Oh! je vais vous 1'expliquer tout de suite. Figurez-vous ceci. Vous êtes toute mignonne et enchanteresse1, lui, il est laid et souffreteux. Vous êtes riche et bien attornée*; il est pauvre, affamé, presque nu. Vous êtes gaie et joyeuse; et lui, quand il n'a pas besoin de faire rire les passants, il est mélancohque. Vous voyez bien que vous proposer ce malheureux, c'est justement ofïrir un hibou de nuit a 1'alouette des champs. Loyse, a part, avec un effroi naïf. — Est-ce lui ? Oh! non! (Haut.) Vous vous jouez de moi. Le Roi m'aime; aussi n'est-il pas possible qu'il ai fait pour moi un choix pareil! Gringoire. — En effet, cela n'est pas possible. Mais cela est vrai, pourtant. 1 enchanteresse, sédiiisante (verleidelijk). 2 attornie, (mot vieilli) — parée. 63 Loyse. — Mais comment ce malheureux que vous me dépeignez a-t-il attiré Fattention du Roi ? Gringoire. — L'attention du Roi ? Vous dites bien. II Fa attirée en effet, et plus qu'il ne voulait. Comment ? En faisant des vers. Loyse, étonnée. — Des vers ? Gringoire. — Oui, mademoiselle. Un délassement d'oisit. Cela consiste a arranger entre eux des mots qui occupent les oreilles comme une musique obstinée ou, tant bien que mal, peignent au vif1 toutes choses, et parmi lesquels s'accouplent de temps en temps des sons jumeaux2, dont Faccord semble tintinnabuler * follement, comme clochettes d'or. Loyse. — Quoi! un jeu si frivole, si puéril, quand il y a des épées, quand on peut combattre! quand on peut vivre ! Gringoire. — Oui, on peut vivre ! mais, que voulezvous, ce rêveur (et dans tous les ages4 il y a eu un homme pareil a lui) préfère raconter les actions, les amours et les prouesses des autres dans des chansons oü le mensonge est entremêlé avec la vérité. 6 Loyse. — Mais c'est un fou, cela, ou un lache. Gringoire, bondissant, a part. — Un lache ! (Haut, avec fierté). Ce lache, mademoiselle, dans des temps qui sont bien loin derrière nous, il entrainait sur ses pas des armées, et il leur donnait 1'enthousiasme qui gagne les batailles héroïques ! Ce fou, un peuple de 1 au vif, peindre au vif ■- naar het leven schilderen. 3 jumeaux, des sons jumeaux = des sons semblables (des rimes). 3 tintinnabuler, klingelen. 4 ages, siècle». * vérité, ces chansons s'appellent, des chansons de gestes, (des épopées). 64 sages et de demi-dieux1 écoutait son luth comme une voix céleste, et couronnait, son front d'un laurier vert! Loyse. — A la bonne heure, chez les païens idolatres. Mais chez nous, aujourd'hui ! Gringoire, avec mélancolie. — Aujourd'hui ! C'est différent. On pense comme vous pensez vous-même. Loyse. — Mais qui a pu persuader au . . . protégé du Roi de prendre un pareil métier ? Gringoire, simplement. — Personne. Le métier que fait ce chanteur oisif, ce poète (c'est ainsi qu'on 1'appelait jadis), personne ne lui conseille de le prendre. C'est Dieu qui le lui donne. Loyse. — Dieu! et pourquoi oela ? Pourquoi condamnerait-il des créatures humaines a être inutiles, et exemptes de tout devoir ? Gringoire. — Aussi Dieu n'a-t-il pas de ces dédains cruels ! Chacun ici-bas a son devoir : le poète aussi ! Tenez, je vais vous parler d'une chose qui vous fera sourire peut-être, vous qui êtes toute jeunesse et toute grace! car vous n'avez jamais connu sans doute ce supplice amer qui consiste a souffrir de la douleur des autres, a se (lire dans les instants oh 1'on se sent le plus heureux : „En la minute même oh j'éprouve cette joie, il y a des milliers d'êtres qui pleurent, qui gémissent, qui subissent des tortures ineffables, qui, désespérés, voient lentement mourir les objets de leur plus chère amour, et se sentent arracher saignant un morceau de leur coeur!" Cette chose-la ne vous est pas arrivée, a vous ? Loyse. — Vous vous trompez. Savoir que tant 1 demi-dieux, oe peuple de sages, et de demi-dieux, (les Grecs), écoutait docilement les chants des aèdes (dichters), qui le menaient a la victoire en chantant, et oonsidérait ces mêmes poètes comme les représentants de la divinité. 65 d'êtres sanglotent, ploient sous le fardeau, succombent, et me sentir vaillante, forte, et n'y pouvoir rien, voila ce qui fait souvent que je me hais moi-même. Voila pourquoi je voudrais être homme, tenir une épée, et ceux qui sont voués a un malheur injuste, les racheter de mon sang ! Gringoibb, exalté. — Donc, vous avez un coeur! Eh bien, voulez-vous savoir ? II y a sur la terre, même dans les plus riches pays, des milliers d'êtres qui sont nés misérables et qui mourront misérables. Loyse. — Hélas ! Gbtngoibe. — II y a des serfs attachés a la glèbe1 qui doivent a leur seigneur tout le travail de leurs bras, et qui voient la faim, la fièvre, moissonner a cöté d'eux leurs petits haves2 et grelottants. II y a des tisserands glacés3 et blêmes qui, sans le savoir, tissent leur linceul!4 Eh bien, ce qui fait le poète, le voici : toutes ces douleurs des autres, il les souffre ; tous ces pleurs inconnus, toutes ces plaintes si faibles, tous ces sanglots qu'on ne pouvait pas entendre passent dans sa voix, se mêlent a son chant, et une fois que ce chant ailé, palpitant, s'est échappé de son coeur, il n'y a ni glaive ni supplice qui puisse 1'arrêter; il voltige au loin, sans relache, a jamais5, dans Fair et sur les bouches des hommes. II entre dans le chateau, dans le palais, il éclate au milieu du festin joyeux, et il dit aux princes de la terre : — Ecoutez ! 1 glèbe, la terre (grond) a laquelle étaient attachés les serfs (lijfeigene). 2 haves, maigres. 3 glacés, qui n'ont plus de sang dans les veines pour les réchauffer, donc (bloedeloos). 4 linceul, le drap dans lequel on enveloppe les morts (doodkleed). • a jamais, pour toujours. 66 Rois, qui serez jugés a votre tour, Songez a ceux qui n'ont ni sou ni maille1; Ayez pitié du peuple tout amour, Bon pour fouïller le sol, bon pour la taille2 Et la charme, et bon pour la bataiüe. Les malheur eux sont damnés, -— c'est ainsi ! Et leur fardeau n'est jamais adouci. Les moins meurtris n'ont pas le nécessaire Le froid, la pluie et le soleil aussi, Aux pauvres gens tout est peine et misère. Loysb, douleureusement. — Ah ! mon Dieu ! Gringoire. — Ecoutez encore! Le pauvre hère8 en son triste séjour Est tout pareil a ses bêtes qu'on fouaiüe*. Vendange-t-ü, a-t-ü chauffé le jour Pour un festin ou pour une épousaiUe5, Le seigneur vieni, toujours plus endurci. Sur son vassal, d'épouvante saisi, II met sa main comme un aigle sa serre, Et lui prend tout en disant: „Me voici!" Loyse, qui tombe a genoux en sanglotant. — Ah! Gringoire, avec une joie folie. — Vous pleurez ! Loyse, avec élan. — Aux pauvres gens tout est peine et misère ! Gringoire. — O Dieu! Loyse, allant a Gringoire, et le regardant avec une curiosité émue. — Et celui qui parle ainsi d'une voix 1 maille, ancienne monnaie de cuivre de tres petite valeur. N'avoir ni son ni maille = geen rooie cent hebben. 1 taille, impöt personnel qui existait en France, avant la Révolution et qui frappait tous ceux qui n'étaient pas nobles. ' hère, homme misérable, sans fortune ni considération (stakker). * fouaille, fouetter (zwepen). 5 épomailles, vieux mot pour noces (trouwpartij). 67 si fiére, si éloquente, tendrement indignée, est le protégé du Roi! Pourquoi donc pensiez-vous que je ne pourrais pas 1'aimer ? Gringoire, amèrement. — Pourquoi ? Loyse. — Et ce lutteur1 si résigné, si hardi, qui pour les autres brave tous les périls a besoin d'être soutenu et consolé dans sa propre misère ! Cet homme, je veux le connaitre. Quel est-il ? Gringoire, prêt d laisser échapper son secret. — Vous voulez le connaitre ? Loyse. — Oui ... et le sauver de lui-même. Gringoire. — Le sauver ? Loyse. — Vous hésitez encore? Gringoire. — Le sauver de lui-même ... et du Roi... (A part.) Ah! lache! Tu peux avoir cette misérable pensée ! Emporté avec elle au paradis des anges, tu peux songer a redescendre dans ton ignominie et a 1'y entrainer avec toi 2 ! Meurs ! pour être digne d'un bonheur qui ne reviendra plus. Meurs! pour n'être pas moins généreux qu'elle et pour la sauver a ton tour. Loyse. — Que voulez-vous cependant que je réponde au Roi ? Le nom de cet homme ? J'ai le droit de le savoir! Grtngoire, d part. — A quoi bon, si elle ne 1'a pas deviné! Loyse, d part. — Ah! j'espérais qu'il se nommerait lui-même! Gringoire, d part. — On vient (voyant entrer Olivierle-Daim), c'est Olivier! C'est la délivrance. Grace a Dieu, ma corde sera bien a moi, car je 1'ai gagnée! \ lutteur, strijder. 8 avec toi. Devenu heureux par 1'amour de Loyse, comment peux-tu songer a 1'épouser et a 1'entrainer avec toi dans ta vie de misère ? 68 SCÈNE IX. — LOYSE, OLIVIER-LE-DAIM, GRINGOIRE, puis LE ROI, SIMON FOURNIEZ et NICOLE ANDRY. Oltvibb-lb-Daim, entrant, a Gringoire. — L'heure est écoulée. Gringoibb. — Tant mieux ! Loyse. — Dé ja ! Oltvibb-lb-Daim. — Partons done ! (A part).) Le Roi n'aurait qu'a avoir quelque sot accès de clémence *. GBiNGOrRE. — Adieu, mademoiselle. Que tous les saints vous gardent! Loysb. — Mais votre mission n'est pas terminée ! Gbtngoibb. — Pardon, mademoiselle. Messire Olivier n'aime pas a attendre. Loysb. — Et oü veut-il donc vous emmener ? Gringoire. — A une fête, oü 1'on ne saurait se passer de moi! Loysb, voyant entrer les pages qui précédent le Roi. — Le Roi! Ah ! tout va s'expliquer ! Loyse, Gringoire et Olivier-le-Daim se rangent des deux cótés de la porte. Le Roi entre sans les voir. II se frotte les mains, et son visage a une expression de joie. II traverse la scène, et va s'asseoir dans un grand fauteuil d gauche. 1 clémence, le roi n'aurait etc. =» Si le roi venait a avoir quelque sot accès de clémence, Grineoire ne serait pas pendu. 69 Lb Rot. — S'il y a sur la terre une joie compléte et sans mélange, s'il y a une volupté qui soit en efïet divine, c'est celle de chatier un traitre.1 Surtout quand la trahison a avorté et ne saurait plus nous nuire. Ah ! maintenant, je me sens bien. Rien n'a péricüté 8, au contraire, et je suis toujours le maitre des événements. (Apercevant Olivier-le-Daim.) C'est toi, mon brave, mon fidéle ? Que fais-tu la ? Oijvter-le-Daim. — Sire, j'exécutais vos ordres. Le Roi. — Mes ordres ? (II apercoit Gringoire et se rappelle tout.) Gringoire ? (Se souvenant.) Ah! un instant! Olivibb-le-Daim. — Mais . . . Lb Roi, sans Ventendre. — Tu m'as bien servi, Olivier. Je t'en saurai gré.8 Oltvteb-le-Daim. — Sire, Votre Majesté me récompense déja en daignant approuver mon zèle. Le Roi. — Nous ferons mieux encore. (Le cong 'diant du geste.) Va, Olivier, laisse-moi arranger les choses. Tu n'y perdras rien. Obivteb-le-Datm, s'inclinant. — Sire, il y a tout avantage a s'en remettre a vous ! (II sort.) Lb Roi, a lui-même. — La capitainerie du pont de Meulan4, et j'en serai quitte. (Apercevant Loyse.) Loyse ! Te voila, ma mie 5 ! Pourquoi rester la-bas ? Est-ce que je te fais peur ? 1 tra'tre, le cardinal La Balue, qu'il vient de chatier. 2 périclité, été en danger (péril). 3 savoir gré, être reconnaissant. * Meulan, une capitainerie était un territoire oü commandait, sous l'ancien régime, un capitaine des chasses du roi (Opperjagermeester). Meulan est une localité située a 43 km. ouest de Paris, en Seine-et-Oise, sur les bords de la Seine. * ma mie, ancienne expression pour mon amie. On trouve aussi m'amie. 7C Loyse. — Un peu. Vous avez été si méchant! Le Rot, comme sortant d'un rêve. — Méchant ? Ah ! oui. Ne parions plus de cela. Ta vue me rafraichit. Viens. (II embrasse Loyse au front.) Mais je ne vois pas ton père. Depuis un instant, Simon Fourniez et Nicole Andry sont entrés par la porte de gauche. Ils restent au fond de la scène, et regardant curieusement le Hoi. Loyse. — II se cache de vous. Vous 1'avez si bien traité ! Le Roi. — Moi! Que lui ai-je pu dire, a ce bon et cher ami ? Loyse, montrant Simon. Fourniez. — Tenez, le voila la-bas, qui n'ose avancer. Le Roi, a Simon Fourniez. — Pourquoi donc ? Approche, ami Fourniez. Oh étais-tu donc ? Simon Fourniez. — Oh j'étais ? (Amèrement.) A mon aune1. Le Roi. — A ton . . . (Souriant.) Brave Simon, je t'ai fait de la peine ? Ta main ! Je ne t'en veux pas. Je te pardonne. Nicole, s'avancant. — C'est bien de la bonté. Votre Majesté a daigné maltraiter si bien mon frère, qu'elle devait lui en garder rancune. Le Roi. —Nicole ! J'ai eu tort d'être distrait devant une femme d'esprit. Venez la, mes amis, prés de moi. Toi aussi, Gringoire. II y a quelque chose a terminer ici en familie. (A Gringoire.) Eh bien, mon maitre, j'espère que tu as su te faire heureux ! Oui, je suis sur que ma nlieule aura apprécié 1'homme que je lui offrais. 1 aune. Voir page 22, note 4. 71 Simon Foubnibz. — Quel homme ? Le Roi. — N'est-il pas vrai, Loyse ? Loyse, feignant malicieusement d'être distraite. — Quoi donc, Sire ? De qui parlez-vous ? Le Roi. — De 1'époux que je te destine. Simon Fourntez. — Quel époux ? Le Roi. — L'acceptes-tu ? Loyse. — Non. Le Roi; trés étonné. — Non ? Loyse, d part. — Cette fois, il faudra bien qu'il parle. Le Roi. — Tu le refuses ! Toi, Loyse! Loyse, regardant Gringoire d la dérobée.1 — Je ne puis épouser un inconnu . . . dont on n'a pas même voulu me dire le nom ! Nicole, au Roi. — Ah ! J'en étais süre! il a été brave jusqu'au bout. Loyse. — Je savais bien qu'il était en danger! Le Roi, d Loyse. — Gringoire ne t'a pas dit qu'il avait offensé le Roi son seigneur en composant une certaine. . . ballade des pendus, et que pour racheter sa vie . . . Loyse, devinant. — II devait en une heure, en un instant. . . Nicole. — Se faire aimer de toi! Loyse, poussant un grand cri de joie. — Ah ! (AUant d Gringoire qu'elle prend par la main.) Sire, je vous demandais ce matin un époux capable d'une action héroïque, un vaillant qui eüt les mains pures de sang versé: eh bien! le voila, Sire. Donnez-le-moi. Je 1'aime. C'est moi qui réclame votre parole, et je serai 1 a la dérobée, proprement: steelsgewijs. 72 fiére d'être sa compagne a toujours1, dans la vie et dans la mort 1 Le Roi, a Simon Fourniez. — Eh bien, Simon ? Simon Fourniez. — J'entends, Sire. Vous voulez mon consentement ? Le Roi. — Me le donneras-tu ? Simon Fourntez. — Vous le savez, Sire, nous n'avons pas coutume de nous rien refuser Fun a 1'autre. Le Roi, riant. — Merci, compère. (A Gringoire). Et toi, Gringoire, qu'en dis-tu ? Gringoire, éperdu de joie. — Sire! Elle ne rit pas 2! Le Roi, gaiement. — Elle ne pleure pas 3 non plus ! (Bas a Gringoire.) Faut-il lui apprendre a présent la raison que tu avais d'être si timide ? Grtngoire, désignant avec mélancólie son pauvre visage. — A quoi bon, Sire, si elle ne s'en apercoit pas ? Le Roi, d Simon Fourniez. — Mon cher ambassadeur . . . Simon Fourniez, rayonnant de joie. — Ambassadeur! Le Roi. — Voila ta fille mariée ; prépare-toi a partjr pour les Flandres. (Prenant sous ses deux bras Nicole Andry et Loyse.) Es-tu contente de moi, Nicole ? Nicole. — Oui, monseigneur. Vous êtes un vrai roi, puisque vous savez faire grace. Et qu'y a-t-il de 1 a toujours, pour toujours. Conf. a jamais. * elle ne rit pas, la chasseresse a qui Gringoire avait autrefois fait des déclarations d'amour avait ri de luL (Voir page 49). 1 eüe ne pleure pas, la paysanne, au oontraire, a laquelle il avait parlé pour la première fois d'amour, avait pleuré. Gringoire en avait conclu que jamais personne ne pourrait 1'aimer, puisqu'il ne pouvait que faire rire pu pleurer les jeunes filles a qui il s'adressait. 73 plus doux % Un pendu ne saurait être utile a ame qui vivo...1 Loysb. — Tandis qu'un oiseau des bois ou un poète qui chante sert du moins a annoncer que 1'aurore se léve et que le printemps va venir! le bideatj tombe. 1 dme qui vive, geen sterveling. UITGAVEN VAN W. E. J. TJEENK WILLINK TE ZWOLLE numéro LECTURES CLASSIQTJES 39 DELAVIGNE, CASIMIR. Louis XI. Annoté par I. M. J. Hoog 1 10 59 DUMAS et MAQUET. Le Chevalier de Maison Rouge. Annoté par F. P. Visser 115 32 ERCKMANN-CHATRIAN. L'Aml Frltz. Comédie. Édition compléte, annotée par E. J. Bomli. 2me éd. 0.85 58 ERCKMANN-CHATRIAN. lTnvasion. Annoté par I. M. J. Hoog 115 68 FABNET, MAURICE. La Glolre du peüt Potter. Annoté par H. Snel 1 78 FAUCHOIS. Prenez Garde a la Pelnture. Comédie. Annotée par J. B. Besangon 1.25 26 FEUILLET, OCTAVE. Le roman d'un Jeune Homme Pauvre. Annoté par A. Haringx. 2me édition . . . 0.95 46 FONTAINE LA. Fables. 9e édition. Revue par P. Valkhof 0.90 62 CONCOURT, EDMOND DE. Les frères Zemganno. Annoté par E. A. C. Bunk 1 40 G RE VILLE, HENRY. Dosla. Annoté par I. M. J. Hoog o!95 74 GREVILLE, HENRY. Sonla. Annoté par M. Stevense . 1.25 48 GUERRE. Les Conteurs de Ia, Annoté par Henri Smeets 1.— 49 GUERRE. Réclts de. Annoté par C. Roovers . . . l — 14 HALEVY, LUDOVIC. I'Abbé Constantln. Annoté par I. M. J. Hoog. 8me édition .... l 33 HALT, MARIE ROBERT. Hlstolre d'un petlt Homme. Édition abrégée, annotée par J. Vies, 5me édition . 0.95 72 HERVIEU, PAUL. La Course du Flambeau. Annotée par M. Stevense ...... 1 8 HUGO, VICTOR. Jean Valjean. Annoté par I. M. J. Hoog. 4me édition 0 80 16 LABICHE et MARTIN. Le Voyage de monsieur Per- richon. Annoté par A. H. E. Verhaegh. 8me édition. 0.95 66 LORBERT et PELLIER. La première Blcyclette. Annoté par H. Snel 1 67 LORBERT et PELLIER. Deux Jeunes Avlateurs.' Annoté par H. Snel ....... 1 7 LOTI, PIERRE. Pêcheur dTslande. Annoté par F. Doucet. 8e édition . ... 1 71 PIERRE LOTI. L'Ile de Pfiques. Annoté Dr. J. W. Marmelstein 0 65 18 MARGUERITTE, PAUL & VICTOR. Poum — Zette! Annoté par H. & M. du Crocq. 3e édition 1 — 31 MARIVAUX. Le Jeu de 1'Amour et du Hasard. Annoté par M. H. P. J. Horbaeh 0 75 57 MARTAN. Le Roman d'une Hérltlère. Annoté par M. G. Tardieu. 2me édition . . l 25 3? ÏSRE" 1'ATore' Annoté par P. Valkhof! 5me édlt. 0^80 1 MOLIÈRE. Les Femmes Savantes. Annoté par E. J. Bomli. 4me édition ..." o 65 35 MOLIÈRE. Le Médecln malgré lui. „„ „„Annoté par M. Hovingh & J. Bitter. 2me édition . . 0.65 37 MOLIÈRE. Le MIsanthrope. Annoté par M. H. P. J. Horbaeh. 2me édition . . . 0.85 Édition abrégée, annotée par ,T. Vies. 4me édition . 0.95 , TJE] ivrag« nnméro LECTURES CLASSIQUES 19 ABOUT EDMOND. Le Bol des Moutagnes. Annoté par S. A. Leopold. 3me édition . . . k. . 1.— 77 ACREMANT, GERMAINE. A 1'Ombre des Céllbatalres. Annoté par P. C. Rotthier 1.— 73 AGREMANT GERMAINE. Ces Dames aux Chapeaux Verts. Annoté par P.-C. Rotthier . . . . . vS? • 1-50 25 AUGIElt et SANDEAU. Le Gemlre de M. Poirler. 'r Annoté par F. Doucet. 4me édition . . . ^ ir'-; 0.75 3 BALZAC, I10NORE DE. Eugénle Graudet. Annotations de P. Valkhoff. 3me édition . . ^ . . 1.50 69 BAK VILLE, THEODORE. Gringoire. Annoté par H. Sire 2me édition ~- . , • • • • • • • • • • • ■ 0.70 42 BAYARD et MELESVILLE. La Chambre ardente. Annoté par F. P. Visser . . • 0.96 41 BEAÜ3ÉARCHAIS. Le Mariage de Figaro. Annoté par E. J., Bomli. 2me édition *J|*J> • • °-95 60 BORDEAUX, HENRY. La peur de vivre. Annoté par A. H. E. Verhaegh. 2me édition .... 1.25 65 BORDEAUX, HEN RY. La Nouvelle Crolsade des Enfants Annoté par H. Snel ..«•"•ggW" -1.—g 29 BRETE JEAN DE LA. Mon Oncle et mon Curé. Annoté par I. M. J. Hoog, 6me édition. [i-r^ V* • 1~ 61 CAZIN P. Décadi ou La pieuse Enfance. Annoté par B. Hoogeveen . . . i . . .1.— 6 Commédles Moderues L Annotées par F. Doucet. 2me éd. 1.10 (Les Oberlé—Les Bouffons—Sévérité) 17 Comédies Modernes II. Annotées par F. Doucet. 4me éd. 1.— (Crainquebille. — 1'Anglais tel qu'on le parle — Franches Lippées — Les pieds niekelés.) 27 Comédies Modernes III. Annotées par F. Doucet . . . 1.25 (Pierre et Thérèse — La Fleur Merveilleuse.) 50 Comédies Modernes IV. Annotées par A. H. E. Verhaegh (Les affaires sont les affaires. — Au téléphone. — Mitraille, Le Bien-aimé) 3me édition 1.10 55 Contes I. Voor eerstbeginnenden door E. v. Ewijk. 2e éd. 0.70 63 Contes II. .. „ .. .. °-70 34 COPPEE, FRANCJOIS. Oeuvres choisies, avec notice et annotations par I. M. J. Hoog . . . . . ... • 1-10 21 COPPEE, FRANCOIS. Le Luthler de Crémone. Annoté par A. H. E. Verhaegh. 4me édition .... 0.60 13 CORNEÏLLE. Le CId. Annoté par E. J. Bomli 6me éd. Revue par Dr. W. van der Wijk 0.65 28 CORNEÏLLE. Horace. Annoté par E. J. Bomli. 2me éd. 0.80 76 Crltique (Pages de) et d'HIstoire LIttéraires. Choisies par G. G. Baardman ^SfN . . . 0.90 4 DAUDET, ALPHONSE. Tartarin de Tarascon. Annoté par M. M. P. J. Horbaeh. 9me édition . . . 1.— 9 DAUDET, ALPHONSE. Tartarin sur les Alpes. Annotée par M. H. P. J. Horbaeh. 3me édition . . . 1.25 22 DAUDET, ALPHONSE. Le petlt Chose. Annoté par-M. H. P. J. Horbaeh. 7me édition . . 1.50