NK0PI111.OLOGI ESK BIBLIOTHEEK Onder Redaktie van Prof. Dr. J..J. A. a. FRANTZEN, Prof. Dr. SALVERDA j>È ^SRA^Ê, Próf.J)r. "-gr?C. HESSKLING, Prof. J. H. SCHOLTE, Prof! Dr. JOS; SCHRIJNEN, Piof. Dr. K. SNEYDERS DE VDÖ^Ï^^dWa^E. H-.SWAEN. : Sekretaris det Redaktie K. R. GALLAS.. . ÉTUDE CÖMPARATIVE DES TEXTES LATINS ET FRANCAIS DE L'INSTITUTION DE LA RELIGION CHRESTIENNE PAR JEAN CALVIN PAR | J.-W. MARMËLST^IN DOCTBUR DK I/UNIVERSITÉ DE PAIÖfL bij J. b. wolters - groningen, den haag, 1921 ETUDE CÖMPARATIVE DES TEXTES LATINS ET FRANCAIS DE L'INSTITUTION DE LA RELIGION CHRESTIENNE PAR JEAN CALVIN NE0PHIL0L0G1ESE BIBLIOTHEEK Onder Redaktie van Prof. Dr. J. J. A. A. FRANTZEN, Prof. Dr. J. J. SALVERDA DE GRAVE, Prof. Dr. D. C. HESSELING, Prof. J. H. SCHOLTE, Prof. Dr. JOS. SCHRIJNEN, Prof. Dr. K. SNEYDERS DE VOGEL, Prof. Dr. A. E. H. SWAEN. Sekretaris der Redaktie K. R. GALLAS. ETUDE CÖMPARATIVE DES TEXTES LATINS ET FRANQAIS DE L'INSTITUTION DE LA RELIGION CHRESTIENNE PAR JEAN CALVIN PAR J.-W. MARMELSTEIN DOCTEUR DE L'UNFVKRSITÉ DE PARIS Pri/s . . . f 4,90 Voor inteekenaren op Neophilologus f 3,90 BIJ J. B. WOLTERS' U. M. — GRONINGEN, DEN HAAG, 1921 BOEKDRUKKERIJ VAN J. B. WOLTERS. ( KONINKLIJKE | BIBLIOTHEEK hs-G RAVEN H AG E A MON CHER ET VÉNÉRÉ MAtTRE, K. SNEYDERS DE VOGEL P R E F A C E Deux publications assez récentes viennent de mettre en lumière 1'extrême importance de 1'oeuvre de Calvin pour le .développement des idéés politiques et sodales en Europe et dans 1'Amérique du Nord. C'est d'abord M. E. Doumergue qui, dans le cinquième et dernier volume de 1'ouvrage grandiose qu|il a consacré a Calvin, établit que la crise idéaliste et individualiste qu'était la Révolution en 178Q, résulte en partie, directement et indirectement, des idéés auxquelles le grand Réformateur a donné forme et vie. La seconde de ces études, écrite par M. H.-D. Foster et parue dans XAmerican historical Review de 1916, démontre avec une abondance fort curieuse de preuves a quel degré la révolution d'Amérique relève de \'Institution. Appartenant a une nation „issue de Calvin", selon une parole connue d'un grand historiën hollandais, j'ai éprouvé, tout en m'occupant du present travail, le regret de ne pas avoir pénétré autant que je 1'aurais voulu dans les idéés du beau livre qui a fait 1'objet de mon étude, regret un peu commun a tous ceux qui s'arrêtent a la forme extérieure plutöt qu'au vrai fond des belles choses. Simple étude de textes, mon ouvrage ne traitera qu'occasionnellement du fond de la pensée de Calvin. Sous un seul rapport toutefois, le fond a été décisif pour la forme: Comme, devant 1'immense matière que présentent les textes lalins et francais des différentes éditions de VInstitution, une Iimitation du sujet s'imposait et que, par conséquent, j'étais obligé de faire un choix, je 1'ai fixé sur le deuxième des quatre livres, c'est-a-dire sur celui qui m'a toujours attiré particulièrement, paree qu'il traite d'une facpn supérieure les. problèmes les plus profonds qui aient agité Ia chrétienté, ceux du pêché originel, du libre arbitre, de la rédemption. Quoique, pour mener a honne fin mon travail, j'aie dü prendre connaissance de 1'ouvrage entier de Calvin, la plupart des confrontations qui ont eu lieu entre les différents textes, ainsi que la majeure partie des conclusions qui s'en dégagent se rapportent au second livre de VInstitution. C'est ainsi que m'est accordé 1'honneur de présenter a la Sorbon'ne une these sur un admirable ouvrage d'un des trés grands écrivains francais et je remercie sincèrement la Faculté des Lettres de 1'Université de Paris d'en avoir autorisé 1'impression. Ma reconnaissance est d'autant plus grande que YAlma mater en Hollande boude toujours les étudiants de langues modernes et jusqu'ici leur refuse le droit a la soutenance. i) 1) Juste au moment oü je corrige 1'épreuve, les journaux annoncent la raodification du statut universitaire qui comble la regrettable lacune. VI Dans cette gratitude je réserve une place toute spéciale k M. Henri Chamard, professeur a la Sorbonne, qui a bien voulu se charger de la lecture de cette étude en manuscrit et a qui je suis redevable de mainte amélioration importante. Ce m'est encore une sensible joie de dire ici un cordial merci a mon ancien maitre, M. Sneyders de Vogel, actuellement professeur a 1'Université de Groningue, a M. M. Salverda de Grave, professeur a Amsterdam, Abel Lefranc, professeur au Collége de France, H.-H. Kuyper, professeur a 1'Université libre d'Amsterdam, pour la bienveillance avec laquelle ils ont accueilli les premiers résultats de mes modestes investigations, a M. Gallas, maitre de conférences a 1'Université d'Amsterdam, qui m'a fait profiter de la rigoureuse précision avec laquelle il écrit le francais, a M. le pasteur J. Arnal d'Amsterdam, grace a qui j'ai pu faire un usage presque illimité du trés coüteux et assez rare Corpus Reformatorum. Et, ayant senti particulièrement au cours de raccomplissément de mon travail mon entière dépendance de Celui dont, comme le dit 1'hymne anglaise all blessings flow, je tiens a clore cette préface par les deux mots qui terminent tant d'écrits au bon seizième siècle: laus Deo. Amsterdam, février 1921. J -W. Marmelstein. TABLE DES MATIÈRES Préface (p. VII-VIII). Bibliographie des ouvrages utilisés (p. XI - XII). Introduction (p. 1-24). Les différentes éditions. Etude sur l'authenticité de la version frangaise de 1560. L'édition de 1536. L'édition de 1539. L'édition de 1541. Lieu de 1'impression. Les éditions de 1559 et de 1560. L'authenticité de l'édition de 1541. L'authenticité de l'édition de 1560 contestée. Les coquilles et les lapsus. Les fautes d'impression en 1560. Persistance de certaines fautes. Calvin et les imprimeurs. Les contre-sens et les non-sens. Les treize prétendus contre-sens du Tome III, Introduction Ch. VI, des Opera. Les circonstances dans lesquelles rimpression des textes de Pinstitution a été préparée. L'état ofi la copre de l'édition de 1560 fut présentée. Calvin a fait d'autres ouvrages sans les écrire. Conclusion. Première partie. Confrontations des différents textes Chapitre 25-30). Etude spéciale de VEpistre au Roy. Une édition séparée de 1'Epistre. Rapport intime entre 1'Epistre, dite de 1541, et Ia Ftaefatio de 1536. Des additions de 1539 passent inapercues. La dédicace de 1541 a-t-elle été faite entièreraent sur la Praefatio de 1536? Conclusions. Chapitre II (p. 31-41). ke texte des traductions comparé d celui des originaux. Fidélité de la traduction. Ecarts. Additions et omissions. Langage technique. Les citations bibliques. Chapitre III (p. 41-60). En quoi se révèle le caractère populaire des verslons f rang als es. Ce qui sépare la rédaction latine des versions francaises. Le grec et 1'hébreu. Suppression d'un détail trop technique. AmpHfkation. Souci d'édification. Souci d'instruction La langue familière dans lïnstitution. Sens du comique. Hardiesse d'expression. Comparaison pittoresque. Proverbes et locutions. Le mot povre Decence. Circonspection a 1'égard du nom de Dieu. Chapitre IV (p. 60-66). La version frangaise de 1560 comparée a la version frangaise de 1541. L'édition de 1560 beaucoup plus etendue que celle de 1541. Trois états du texte en 1559. Les traductions successives suivent de prés les originaux. Dans un grand nombre de cas 1560 est plus prés de 1'original que 1541. Des changements, apportés au labn, passent inapercus. VIII Deuxième partie. Observations qui résultent des comparaisons touchant la langue et le style de Calvin. Chapitre I (p. 67-89). Le style. A. Observations sur le style qu'amène une comparaison enlre l'original et la traductlon. Calvin a dü se créer une langue. Certaines particularités de la prose de 1'Institution. Conservation des métaphores. Pertes de coloris et de force expressive. L'adoucissement. La simplification. La période. Défaillances: Obscunté; maladresse; lourdeur; absence d'euphonie. B. Observations qu'amène une comparaison des textes franfais entre eux. Style-clarté. Style-esthétique. Style-cöté oratoire. Chapitre II (p. 89-98). Le lexique. Le texte est travaillé du point de vue du vocabulaire. Le redoublement. Le néologisme. L'archaïsme. Chapitre III (p. 98-112). La syntaxe. Rajeunissements de syntaxe: Mon; illec; mesmement; non; si explétif; suppression de il; absence de 1'article; dont pour d'oü; comme pour comment; suppression de que, pronom neutre; suppression de en au sens partitif; place du régime; emploi de soy; pronom atone pour pronom tonique; ne pour nègation complete; emploi du subjonctif. Régularisation de la Syntaxe: Rapport intime entre les parties du discours; structure de la phrase composée; une construction négligée; jusqu a ce que- quel que; sinon que; divers. La syntaxe se clanfie: Le pronom cède la place au substantif ou a 1'adjectif; la phrase elliptique devient plus compléte; substitution de prépositions; substitution d'un pronom a un autre; 1'idée négative rendue par une forme négative; divers. La syntaxe s'assouplit: la phrase se compose plus facilement; plus de variété dans les conjonctions, les adverbes et les prépositions. Latinismes: le pronom relatif rattachant une incidente a deux propositions; 1'emploi de servir, favoriser assister avec un datif-nom de personne, secourir avec un datif-nom de chose, détSrminer avec un genUifnom de chose; la proposition infinitive; usage frequent du génitif objectif; emploi abondant de cela . . que; emploi d'avoir pour posséder; participes absolus Résumé des conclusions auxquelles arrivé la présente étude (p. 112-116). Appendice ï (p. 116-119). Histoire d'une fameuse coquille. AppendiceII(p. 120-127). Liste alphabétique des neologismes de vocabulaire employés dans 1'Institution (surtout au H« livre). Lïste alphabétique de tous les mots dont 1'emploi ou la traduction presente quelque intérêt spécial (p. 127-131). BIBLIOGRAPHIE des ouvrages utilisés Pour les textes latins de toutes les éditions ainsi que pour le texte francais dé l'édition définitive, je me suis servi des Tomes I, II, III, IV desJohannis Calvini Opera quae supersunt omnia (Brunsvic, 1864- 1895), la célèbre édition strasbourgeoise, faisant partie du Corpus Reformatorum, publiée sous la direction des professeurs strasbourgeois Baum, Cunitz et Reuss. Quant au texte francais de l'édition de 1541, je 1'ai trouvé intégralement dans \'Institution de la Religion chrestienne de Calvin, texte original de 1541 réimprimé sous la direction de Abel Lefranc, par Henri Chatelain et Jacques Pannier, contenue dans les fascicules 176 et 177 de la Btbltothèque de l'Ecole des Hautes Etudes (Paris, 1911) Les détails sur la vie et 1'oeuvre de Calvin ont été puisés aux volumes VI, VII, VIII, X, XI, XIII, XV, XXI, LVIII, LXI, LXII des Opera précités, et au magistral ouvrage de M. E. Doumergue, Jean Calvin, les Hommes et les Choses de son temps (Lausanne, 1899-1917): Tome • I, La jeunesse de Calvin. „ II, Les premiers essais. „ III, La ville, la maison et la rue. „ IV, La pensee religieuse de Calvin. • » V, La pensée ecclésiastique et la pensée politique de Calvin. Afin de m'orienter dans 1'époque j'ai eu recours aux manuels dont tout le monde se sert, tels que Brunetière (fitst, de la Litt. fr. classtque), Faguet (Le seizième siècle), Hatzfeld et Darmesteter (Le XVIe siècle en France), Lanson, Morf (Geschichte der franz. Literatur lm Zeitalter der Renaissance, 2e Aufl., 1914), Petit de Julleville. Les autres ouvrages ou articles consultés sont: Bayle (Pierre), Dictionaire historique et critlque, T. Ier, Rotterdam, 1697. de Bèze (Théodore), Novum Testamentum ex interpretatione Theodorl Bezae (impressa Cantabrigiae, A. D , 1642). Bonnet (Jules), La première édition de l'Institution chréttenne de Calvin (Bulletin de la société de 1'histoire du protestantisme frangais, 1858). Bossert (A), Calvin (Les grands écrivafns francais, Hachette, 1914). Bossuet, Histoire des Variations des Eglises protestantes (CEuvres complètes de Bossuet, T. VII, Paris, 1846). Brunetière (F.), L'oeuvre littéraire de Calvin (Revue d. D. Mondes, 15 oct., 1900). Calvin (J ), Sermons de Calvin sur les dix commandemens de la Loy (Genève, Francpis Estienne, 1572). Chatelain (Henri), Le style de Calvin (Foi et Vie, oct. 1909). Corsmannus (Wilhelmus), Institutio ofte onderwijsingh in de Christellcke religie (Amsterdam, 1650). Demeure (J ), L'Institution chrestienne de Calvin: examen de l'authenticité de la traduction frangaise (Revue d'hist. litt., 1915). XII Foster (Herbert Darling), The political theories of Calvinists before the purttan exodus to America (The American historica! Review, april, 1916). Hauser (Henri), Etudes sur la Réforme frangaise (Paris, 1909). Herminjard (A.-L), Correspondance des Réformateurs dans les pays de langue frangaise, T. IV, V (Genève, 1878). Htiguet (Èdmond), La langue familtère chez Calvin (Revue d'hist. litt., 1916). Köstlin (J -D.), Calvin's Institatio nach Form und Inhalt (Studiën und Kritiken, 1868, p. 7 - 62, 410 - 486). Kuyper (A.), Inleiding tot den herdruk van Corsmannus' Instltutlo ofte onderwijsingh in de Christellcke religie (Doesburg, 1888). Lanson (Gustave), L'Institution chrétienne de Calvin (Revue historique, 1894). Lefranc (Abel), Introduction aux fase. 176 et 177 de la Bibliothèque de 1'Ecole des Hautes Etudes (voir plus haut). Merle d'Aubigné (J.-H.), Histoire de la Réformatlon en Europe, T. III (trad. néerlandaise, Amsterdam, 1869) Pasquier (Estienne), Les Recherches de la France, T. III (Paris, 1633). Plattard .(Jean), Jean Calvin, Institution de la reltgion chrétienne (Compte rendu de l'édition de 1541 publiée sous la direction de M. Abel Lefranc, Revue d'hist. litt., 1912). Rilliet (Albert), Lettre d M. J.-H. Merle d'Aubigné sur deux points obscurs de la vie de Calvin (Genève, Paris, 1864). Sayous (A.), Etudes littéraires sur les Ecrivains francais de la Réformatlon (2e éd., Paris, 1854) Un article de ma main, intitulé L'édition stra'sbourgeoise de l'Institution chrestienne a été publié dans une revue philologique hollandaise, Neophllologus, IV, p. 211 et suiv. (Groningen, den Haag, 1919). Pour les questions purement grammaticales on léxicologiques, j'ai recouru a: Brunot (Ferdinand), Histoire de la Langue frangaise des origines d 1900, T. II (Paris, 1906). Clédat (M.), Chrestomathie du Moyen-Age. Introduction (6e éd., Paris). Diez (F.), Etymologisches Wörterbuch der romanlschen Sprache (3e Aufl., Bonn, 1869 - 70) Estienne (Robert), Dictionaire francois-latin corrlgé et augmenté, 1549. Godefroy (F.), Dlctionnaire de l'ancienne langue frangaise et de tous ses dialectes du IXe-XV' s. (Paris, 1881 - 1902). Grosse (Karl), Syntaktische Studiën zu Calvin (Herrig's Archiv, 1879). Haase (F.), Syntaktische Notizen zu Jean Calvin (Zeitschrift für franz. Sprache und Literatur, 1890). Haase (F.), Syntaxe frangaise du XVIIe siècle, traduction de M. Obert, (Paris, 1898). Hatzfeld & Darmesteter, Dictionnaire Général de la langue frangaise (Paris). Huguet (Edmond), Etude sur la Syntaxe de Rabelals comparée d celle des autres prosateurs de 1450-1550 (Paris, 1894). Littré (E.), Dictionaire de la Langue frangaise (Paris, 1875). Nyrop (Kr.), Grammaire historique de la langde frangaise (Copenhague, 1903-1913). Sneyders de Vogel (K.), Syntaxe historique du frangats (Groningue, 1919). Tobler (Adolf), Altfranzösisches Wörterbuch, herausgegeben von E. Lommatzsch (Berlin, 1915). Van Duyl (C.-F.), Grammaire frangaise, 2e éd , revue par J. Bitter et M. Hovingh (Groningue, la Haye, 1917). INTRODUCTION LES DIFFÉRENTES ÉDITIONS. ÉTUDE SUR L'AUTHENTICITÉ DE LA VERSION FRANCAISE DE 1560. Le cas que nous présente l'Institution de la Religion chrestienne est presque unique. Qu'un auteur de langue francaise écrive un traité de religion en latin, il n'y a li rien de plus fréquent dans la première móitié du seizième siècle. Mais voici que eet auteur, afin de contribuer a la diffusion de ses idéés, s'avise de traduire son propre ouvrage dans la langue maternelle et que, après 1'avoir remanié et augmenté a plusieurs reprises, il continue de présider a la traduction de ces éditions ou révisions. La parution en langue vulgaire d'un livre de théologie et de controverse constitue déja en soi, vers cette époque, une hardiesse capitalei), grosse de conséquences pour 1'emploi du francais comme langue écrite, ainsi que pour le relèvement mental de la population entière, et dont la portie a été appréciée par plus d'un historiën de la langue2). Icï, pour l'Institution, cette nouveauté coïnride avec le fait remarquable que 1'auteur, au lieu d'écrire spontanément en langue populaire, se traduit lui-même et suit, en général minutieusement, le fil de sa pensée concue d'abord dans 1'idiome international employé par tous les savants de 1'époque. L'édition de Le premier état dans lequel l'Institution nous est 1539. parvenue est la recension de 1536. Du moins, après les études qu'y ont consacrées les éditeurs du Corpus3), RiMeH), !) Calvin, pourtant, eut un prédécesseur en la personne de Guillaume Farel qui, antérieurement a 1535, avait publié une Summaire briefve declaration daucuns lieuxfort necessaires d un chascun chrestien pour mettre sa confiance en Dieu et ayder son prochain. 2) Entre autres: Brunot, Hist. de la langue fr., II, p. 21; Darmesteter et Hatzfeld, Le XVI' siècle en France, p. 3. s) Opera, I, prolegomena, passim. 4) Rilliet, Lettre d M. Merk d'Aubigny. 2 M. E. Doumerguei), on ne saurait plus guère le mettre en doute. Imprimée a Bale, elle est toute en latin et pourvue d'une dédicace latine adressée a Francois Ier, de laquelle une traduction en francais doit avoir existé k 1'état séparé2). Selon toute probabilité 1'ódition latine de 1536 est demeurée sans traduction. D'après M. Abel Lefranc 3), Calvin, dès 1'automne de 1536, aurait eu 1'intention de mettre le texte en francais. M. Lefranc fonde son opinion sur un passage de la lettre que Calvin écrivit le 13 octobre 1536 a Francois Daniël d'Orléans*). Nous y lisons: Post amissam illam occasionem, tametsi ocii satis fuit ad scribendum, neque penitus clausa erat literis nostris via quia tarnen singulis momentis de gallica libelli nostri editione cogitabamus et spes prope certa jam esse coeperat, literas ejus accessione dotatas venire ad vos malebam quant inanes. Nous ne contesterons pas k M. Lefranc que libellus, in abstracte, puisse désigner l'Institution de 1536. Libellos même est le terme dont Calvin se sert de préférence quand il parle des premières éditions de son grand ouvrage. Mais en admettant qu'il soit question ici de l'Institution on se heurte a un obstacle assez sérieux: Le Réformateur médite a tous moments (singulis momentis) l'édition francaise d'un ouvrage; cette traduction est même tellement avancée qu'il a pensé pouvoir en joindre un exemplaire a sa lettre. Or, le livre ne serait publié que cinq années plus tard et contiendrait la traduction d'un texte latin qui n'existait pas encore au moment oü la lettre fut écrite! Loin de partager 1'avis de M. Lefranc nous serions enclin a croire que le libellus dont il est question ici, n'est autre que la dédicace au roi de France dont, nous le répétons, a dü exister une traduction en francais éditée séparément vers la même époque. '■ L'édition de Le second état de 1' I n s t i t u t i o n est représenté par 1536. l'édition de 1539, également en latin. Sortie des ateliers de Wendelin Rihel a Strasbourg, elle est précédée d'un avis au lecteur, Johannes Calvinas lectori, et de la Praefatw ad regent Qalliae. Si la dédicace n'a subi guère de modifications depuis 1536, il en est bien 1) Doumergue: Jean Calvin, I, appendice. 2) Voir le premier chapitre de la présente étude. s) Introduction au 176e fase. de la Btbl. del'Ecokdes Hautes Etudes, p. 13*. *) Opera, X, pars posterior, p. 63, et Herminjard, Correspondance des: Réformateurs, IV, n. 573. 3 autrement pour le corps de 1'ouvrage qui s'accroit du doublé et qui, au lieu de six chapitres, en compte dix-sept. Illllj L'édition de Deux années après la publication de la nouvelle 1541. Lieu de édition latine parut la traduction de celle-ci. Ici encore Pimpression. a été faite Une édition séparée de 1'Epistre au Roy, dont Herminjardi) ainsi que M. Abel Lefranc 2) signalent 1'existence. Comme l'édition latine de 1539, la traduction francaise de 1541 a été soumise a des révisions réitérées: en 1543, 1545, 1550 1553 1554 paraissent de nouvelles éditions latines. Celle de 1543 contient le plus de changements; avec toutes ses additions elle est traduite en 1545. Les autres rééditions^francaises datent de 1551, 1553, 1554 et 1557. Chose curieuse, cette édition de 1541, si importante a tant d'égards, est la seule qui ne porte aucune indication concernant le lieu de Pimpression ou le nom de 1'imprimeur. Les éditeurs des Opera penchent pour Genève, quoique, suivant eux, il ne soit pas exclu que c'ait été Strasbourg3). .11 y a, pour que ce ne soit ni Genève ni Strasbourg, un motif que le Corpus ne fait pas valoir mais qui, nous semble-t-il, mérite assez d'entrer en ligne de compte. Une indication que nous fournit un des comptes-rendus du procés de Bolsec, sur lequel nous aurons encore a revenh-4), nous fèrait supposer que l'Institution de 1541 aurait été imprimée a Neuchatel. Bolsec avait accusé le Réformateur d'avoir falsifié 1'Ecriture, entre autres „le 16 des Proverbes, oü il est dit que Dieu a tout fait pour sa gloire voire le mesch'ant au jour de sa perdition disant qu'on avait mis au lieu du meschant 1'iniquité"5). La défense relève que ni Ia première translation de NeufChastel, ni Pimpression de Geneve ne justifient cette inculpatione). Or, la seule traduction dont il puisse être question ici, est celle de l'Institution7). En effet, a la p. 481 de l'édition de 1541 le !) 0. c. (IV n°. 545, n. 1). 2) 0. c. (Introduction p. 19*). s) Opera, III, prol. XXIX. 4) Voir le premier appendice de la présente étude. 5) Opera, VIII, p. 148. «) ibid., VIII, p. 143. 7) Dans un traité intitulé De aeterna Dei praedestinatione Calvin parle également de Prov. 16, 4; mais comme il n'a paru qu'en 1552, il est exelu qu'en 1551 Bolsec ait pu en prendre connaissance. 4 16< chapitre Ües Proverbes est cité. Et ce qui nous confirme dans notre opinion qu'il s'agit de l'Institution c'est que le passage contient effectivement 1'hérésie incriminée relevée par Bolsec: Dieu a creé toutes choses d cause de soy-mesme, voire tiniquité au jour de sa perditian. Seulement la phrase, congue ainsi, n'offrant pas de sens et le latin portant a 1'endroit correspondant impium, il est manifeste a tous, sauf aux malveillants, qu'on est en présence ici d'une erreur typographique. Plus tard la faute doit avoir été rectifiée (voir 1'éd. définitive: III, 26, 6). Ce qui nous importe pour le moment c'est de constater que le secrétaire de la Congrégation des pasteurs de Genève fait sortir de Neuchatel „la première translation" d'un livre qui ne peut être que l'Institution latine. Malheureusement une circonstance affaiblit la valeuf de 1'assertion, c'est le fait que les endroits ne manquent pas dans le procés-verbal oü le même secrétaire fait preuve d'une négligence regrettable. éditions La tfoisième phase que 1'ouvrage a parcourue est de l559°etS fournie par l'édition latine de 1559, appelée définitive, de 1560. qui, divisée en quatre livres, comptant chacun un nombre considérable de chapitres, est a son tour deux fois plus étendue que celle de 1539.'Déja 1'année suivante, en 1560, la traduction francaise de eet énorme ouvrage voit le jour a Genève, chez Jean Crespin. Ce sont ces deux éditions définitives qui ont été le plus répandues a 1'étranger et traduites en anglais, en hollandais, en espagnol et en bien d'autres langues encore i). Du vivant de Calvin l'édition définitive latine se publie encore deux fois en 1561 et sa traduction sept fois entre 1561 et 1564. i) C'est de ces deux éditions que M. Foster parle dans son intéressant article intitulé The political theories of Calvinists before the paritan exodus to America: Calvin's Institutes . . . remained for centuries a Standard book among Protestants. Probably no other theological work was so widely read and so influential from the Reformation to the American Révolution. At least seventy four éditions in nine languages, besides fourteen abndgements anpeared before the Puritan exodus to America, an average of one édition annually . . Hugenots, Scots, Dutchmen, Walloons, Palatines and other Germans, and an overwhelming majority of the American colomsts of the seventeenth century (American historical review, 1916, p. 480). M le Dr A Kuyper, dans une énumération qui ne se piqué aucunement d'être compléte, mentionne douze éditions hollandaises différentes qui ont paru de 1566 a 1650 en Hollande, et dont plusieurs portent „uit het Latijn en Francois getrouwelick overgeset" (Inleiding tot Calvijris Institutie, p. 8 ss.) 5 L'authenticité Que Calvm se so't traduit lui-même, cela ne fait de de l'édition doute pour personne en tant qu'il s'agit de l'édition de de 1541. 1541. L'idée de faire paraitre un livre pareil en francais était tellement neuve, 1'ceuvre de la traduction était si grosse de difficultés insurmontables a quiconque ne serait pas aussi capable que Calvin «d'enrichir d'une infinité de beaux traicts nostre langue Francpyse" — comme le dit Estienne Pasquieri) - la version est »un si incontestable chef-d'ceuvre de simplicité, d'élégance, de concision et de vigueur" 2) qu'il serait vraiment téméraire de ne pas 1'attribuer au grand maitre lui-même. D'ailleurs celui-ci affirme expressément a deux reprises que c'est lui qui a fourni la traduction: d'abord dans le titre, qui porte: Composée en latin par Jean Calvin et translatée en francois par luy-mesme, puis dans 1'Argument du present livre: desirant de communiquer ce qui en poyoit venir de fruict d nostre Nation Francoise: tay aussi translate en nostre langue. L'authenticité Si la traduction de 1541 n'a jamais eu besoin d'être de l'édition de légitimée, il en est autrement de celle de 1560, qui n'a 1560 contestee. cess^ d'être suspecte depuis que les savants et admirables auteurs du Corpus 1'ont frappée de 1'anathème d'inauthenticité. M. E. Doumergue paraït partager leur opinion 3). M. Lanson arrivé a une conclusion tout opposée 4), conclusion qu'adopte M. Abel Lefranc 5). Ailleursö) nous avons taché de montrer que dans 1'attitude générale que les éditeurs des Op"era conservent envers la traduction de 1560 1'injustice et le parti pris ne font pas absolument défaut. Selon l'édition strasbourgeoise seuls les sept premiers chapitres du Livre Ier présenteraient une toute nouvelle rédaction, qui pourrait être de la main de Calvin. L'auteur, pour un motif demeuré obscur, se serait arrêté brusquement au 8e chapitre dans une tentative de remaniement intégral. Le reste de 1'ouvrage serait un amalgame de 1'authentique édition princeps et d'un grand nombre d'additions provenant du travail de traducteurs anonymes. *) Les Recherches de la France, VIII, p. 769. 2) Telle est 1'appréciation des éditeurs des Opera (T. III, prol. XXVII). 8) „On sait que cette traduction de l'Institution (c.-a-d. celle de 1560) n'est pas de Calvin" (Jean Calvin, II, p. 520). Ailleurs: tandis qu'on publie la traduction de 1560 . . ." (ibid., V, p. 437). 4) 'Revue historique, 1894, p. 61 ss. 5) o. c. (Introduction, p. 37* ss.) 6) Neophilologus, IV, p. 211 ss. 6 Qu'on nous pefmette de faire observer qu'il n'y a pas que les ch. 1-7 du Livre I" qui aient été rédigés de nouveau: Dans le IIe Livre, les trois premiers paragraphes du Ch. 12, et du Ch. 13, les paragraphes 2, 3, 4, 5, 6 du Ch. 14, les paragraphes 1, 2, 3, 4, 5, 6 du Ch. 15, les paragraphes 8, 9, 10, 18, 19 du Ch. 16 et le 3e paragraphe du dernier chapitre ont été remaniés de fond en comble, si bien que les éditeurs, au lieu de noter les variantes, comme ils en ont 1'habitude, sont obligés d'imprimer le texte intégral des deux éditions. Les coquilles Les auteurs strasbourgeois fondent leur opinion et lapsus, avant tout, et presque uniquement, sur la fréquence ou 1'énormité des fautes qu'on rencontrerait dans la version francaise définitive. Une observation générale, qui est presque une loi, s'applique avec une rigueur égale a tous les états dans lesquels on connaït l'Institution: rimpression du texte latin est beaucoup plus soignée que celle du texte francais. Des erreurs typographiques, on en trouve dans les éditions latines, comme partout ailleurs, mais en nombre» assez restreint. Dans les recensions francaises, au contraire, elles sont fort fréquentes. Peut-être faut-il chercher la cause de ce phénomène dans le fait que les typographes, ayant affaire a une langue qu'ils n'entendent pas, se fient moins a eux-mêmes et font plus de cas du manuscrit, tandis que, d'autre part, les écrivains sachant les dangers que court leur ouvrage entre les mains de ceux qui ne comprennent pas, surveillent la correction avec beaucoup de soin. Les fautes d'im- Nombreuses sont les coquilles qui se sont glissées pressioneni54i. dans l'édition francaise princeps. Pour s'en convaincre, il suffit de jeter un coup d'ceil sur 1'index typographique dont le regretté professeur Chatelain a pourvu le 177e fase. de la Bibl. de 1'Ecole des Hautes Etudes i). Cette liste pourtant ne peut pas être considérée comme compléte. Pour notre compte personnel nous aurions souhaité qu'elle fut plus étendue. Nous apprécions qu'on ait le moins possible touché au texte original, que l'édition publiée sous la direction de M. Abel Lefranc soit ce qu'on est convenu d'appeler une édition diplomatique; c'est a tort que M. J. Demeure dit que tout travail sérieux sur l'Institution est impossible tant que nous n'avons pas une édition critique du grand ouvrage de Calvin 2). Cela 1) p. 838 - 841. 2) Revue d'hist. litt., 1916, p. 407. 7 n'empêche pas qu'il n'y eüt eu rien d'irrationnel, si la même main qui, circonspecte et pieuse, change e confiant en [s]e confiant (p. 31,1. 32) avait ajouté dans 1'index que estant enclin (même p. 1. 8) est une faute pour est tant enclin, avait imprimé ce[l]a, au lieu de ceia (p. 33,1. 22), signalé sortent (emergunt) pour sont.Qp. 36, 1. 29), soi[en]t pour soit (p. 45, 1. 16), ont dit pour on dit (p. 45, 1. 25), ce pour se (p. 47, 1. 20), distinction pour distiction (p. 48, 1. 3), entrepregne pour entrenpregne (p. 49, 1. 23), autant y en a-U pour autant y en y a-U {p. 50, 1. 25), ihterrogues pour interrogue (p. 52, 1. 22), oyons pour voyons (p. 62, 1. 30), ils entendent pour il s'entend (p. 63, 1. 33), ils les reputent pour U les repute) p. 63, 1. 35), enseignes pour enseignées (p. 71, 1. 11), glorifles pour glorifle (p. 93, 1. 30), faces pour face (p. 103, 1. 31), ils apprennent (discant) pour ils apreuvent (p. 103, 1. 3), supplée pour supplie (p. 108, 1. 22), monstres pour monstre (p. 110, 1. 1), vie (vita) pour vice (p. 114, 1. 34), superstUion pour suspition (p. 128, 1. 5), saveur pour faveur (p. 178, 1. 5), advenement pour advencemenl (p. 434, 1. 1), // & monstre pour // a monstre' (p. 440, 1. 10), AA?/ pour A/btf/ (p. 441, 1. 5), saveur (gustum) pour faveur (p. 459, 1. 14), magnifier pour manifier (p. 461, 1. 29), connue pour comme (p. IX, 1. 2), pecheurs pour peekeus (p. XI, I. 1), faintes (fictas) pour saintes (p. XII, 1. 24), aax pour aa (p. XXXI, 1. 14), schtsmatiques pour schimatiques (p. XXXII, 1. 12). Le savant éditeur corrige invariablement les coquilles, qui ont été redressées en 1545, mais pourquoi n'en a-t-il pas fait autant pour celles corrigées par les éditions subséquentes, principalement par celle de 1560? Dans la petite liste complémentaire reproduite ci-dessus, il n'y en a pas mal qui disparaissent en 1560. Dans cette énumeration nous nous sommes borné a ne citer que les simples coquilles qui se glissent partout et qui, toute désagréable qu'est leur présence, ne font pas grand mal. Malheureusement il y a un autre genre de fautes, négligences du compositeur ou du correcteur, peu importe, qui ne sont pas si inoffensives, qui peuvent fausser le sens d'un texte et, par la, amener la postérité a suspecter un ouvrage vénérable. A la page 63, 1. 4, on lit: la vertu de louange et de vertu (de virtutis et justitiae laude). Que l'édition définitive corrige ce non-sens, parait avoir échappé aux éditeurs des Opera, mais on se demande en quoi cette faute serait moins sérieuse que cinq ou six autres, alléguées par les commentateurs afin de mettre la traduction de 1560 en état d'accusation. 8 A Ia page 72, 1. 24, 25: // est certain que la bonté de Dieu est tellement contraincte avec sa divinité. La latin donne connexa et il est de toute évidence que contraincte est une erreur pour conjoincte; la phrase, prise a la lettre, sent le bücher. La p. 57, 1. 34 ss. donne: C'est que comme les graces données d l'homme dès le commencement oultre sa nature, luy ont esté données apres qu'il est tresbusché en pêché. En latin il y a detrada esse, il n'y a pas de doute que le second données ne doive être ostées, ce qui n'empêche pas que le passage renferme une hérésie qui doit avoir causé une joie maligne aux gens de 1'espèce de Bolsec. La p. 69, l 6 ss.: Premierement il despouille l'homme de justice... pais apres d'intelligence de laquelle s'ensuit apres le signe éest que tous les hommes se sont destournez de Diea.t La phrase ne devient intelligible qu'en 1560 quand, entre inteUigence et de laquelle, on intercale du deffaut. La p. 77, 1. 15: Dieu n'aiire sinon ceulx qu'il veut estre atirez. Comme traduction de quem trahit volentem trahit c'est un contresens. Dès 1545 le latin est rendu correctement par: Dieu n'attire sinon ceux qui veulent estre attirez. La p. 171, 1. 22 ss.: II y a autant de propoz d ce qu'ils ont dict du pêché originel: appelantz pêché originel — Car ceste est leur deffinition que pêché originel est Dans tout ce passage originel est employé par erreur pour véniel. A en juger d'après les apparences qu'offre le texte Speclalis. imprimé en 1541( i«auteur aurait eu des moments oü le sens du mot speclalis (ou peculiaris) lui échappe. Tantöt il traduit bienï speciali Dei motioni > le mouvement special de Dieu (p. 89), et en bien d'autres endroits. En revanche, on rencontre de speciali illuminatione > une revelation spirituelle (p. 59); l'édition de 1545 répète cette lecon, mais en 1560 on trouve une revelation speciale (II, 2, 20). De même hanc specialem esse patris revelationem > que destoit une revelation spirituelle de Dieu (p. 59); specialis benedidio > une benediction, spirituelle (p. 36); vindieta peculiaris > une vengeance spirituelle (p. 141). Devant de pareilles bizarreries de traduction (ou de typographie), on commence a se sentir mal k Paise. Les éditions subséquentes corrigent partout cette étrange traduction. Celle de 1553 donne une ou deux fois peculier, la définitive partout particulier. 9 Les fautes Parmi les incorrections ou inexactitudes, dont le ca- d'impression ractère n'est pas toujours également anodin et qui n'ont en 1560. été redressées probablement qu'en 1560, nouscitons les suivantes1): // destruict loin (procul avocat) > destourne (II, 2, 10); confiance (notitiam) > cognoissance (II, I, 2); oblation ) objection (II, 1, 10); toutes ces reproches conviendroyent ils > elles (II, 5, ll)2); l'homme s'est perdu soy mesme avec tous les siens > biens (II, 5, 18); garantir d'une demi-mort > guerir (II, 5, 19); ciel et terre feront (transeant) > faudront (II, 7, 14); l'estude des bonnes ceuvres qui sortent hors la Loy de Dieu (quod evagatur studium) > sort (II, 8, 5); ils divisent en deux tables le dixiesme precepte ) deux parties (II, 8, 12)3); quatre eens ans > trois eens ans (II, 10, 13); attendre > apprendre (II, 8, 1); edifice > justice (II, 8, 11); de la Fóy (legis) > de la Loy (II, 8, 56); ennemys > amis (II, 8, 57). Malgré ces corrections, les lapsus ne manquent malheureusement pas non plus en 1560. II, 3, 5: . . . Souffre assez quelque effort (patitur quandam vim et ipse). Assez est évidemment une faute pour aussi. ibid.: le mot crainte pour coactio, doit être remplacé par contrainte. II, 6. 3: Achab au lieu d'Achaz. II, 7, 14: non pas qu'elle leur doyve toasjours commander ce qui est bon et sainct (non quod amplius illis non jubeat quod rectum est). Ici, il faut intercaler entre elle et leur 1'adverbe ne. II, 8, 43: portee doit etre povreté. II, 14, 3: // assujettira au Pere et ce haut nom d'Empire et la couronne de gloire. Le commentaire des Opera remarque ici a juste titre que d'Empire ne se trouve pas dans le latin, qui dit: et nomen ipsum, ce qu'il faut rapporter au nom de Mediateur. II, 15, 1: pour cachetter la vision et le Prophete (ad obsignandam visionem et prophetiam). Ici, le prophete est une faute pour la prophetie. II, 16, 13: la victoire de nostre mort consiste en sa resurrection pour la victoire de nostre foi (fidei nostrae Victoria). !) Avec la seule indication de 1'endroit oü elles se trouvent rectifiées en 1560. 2) Reproche, au XVIe S., est féminin, surtout au pluriel (Voir Nyrop Oramm. hist., III, p. 256). s) C'est la loi entière et non le commandement, qui se divise en deux tables. 10 Persistance de S'il est rare de rencontrer dans la traduction de 1560 certaines fautes. des fautes qu'on trouve déja dans le texte des éditions précédentes, quelques-unes pourtant paraissent avoir eu la vie trés dure. Au II, 8, 16 on trouve dès 1540: pour entendre d luy comme d un bat unique (aspirent tanquam ad unicum scopum). II n'y a que la révision de 1562 qui porte tendre. Au II, 16, 8 une phrase qui fait partie du raisonnement et qui est suivie de dont on peut conjecturer n'a jamais figuré dans aucune édition. Calvin et les Nombreuses sont les plaintes qu'exhalent Calvin imprimeurs. et ses collaborateurs sur 1'insuffisance des imprimeurs. Dans les Registres du Conseil de 1552 il est relaté comment Calvin blame „Messieurs" d'avoir accordé le privilège de ses ouvrages a des imprimeurs „qui ont mal imprime et ont faictz des faultes" et il réclame pour lui-même le droit de les choisir „affin qu'il en puysse voer et regarder son affaire pour soustenir son honneur". Suivent deux noms d'imprimeurs indignes de confiance. Mais s'il y a quelqu'un „qui merite cela fere," c'est M. de Beze „quest homme de lettres tant en latin qu'en francoysi)." Dix années après, Calvin doit encore reprocher aux commissaires que les imprimeurs obtiennent d'eux trop facilement d'exercer leur métier. Les livres sont généralement incorrects et pleins d'erreurs „a quoy il fauldra obvier si Ion veult maintenir lhonneur de Dieu et de la ville". II exige „quon tienne la main a ce que ceux qui ne sont propres soient deboutes de la maitrise". Calvin eut la satisfaction de voir qu'aussitöt après sa demande, refus fut fait a quatre pétitionnaires de s'établir comme maitres imprimeurs et licence retirée a Jehan Anastasie a cause des Bibles fautives sorties de ses presses % Au sujet de ce dernier personnage, les Registres apprennent encore qu'il fut incarcéré pour avoir vendu „chairement et avec gains excessifs" des commentaires de Calvin sur les Epitres. La vente de cette publication fut immédiatement suspendue „paree que nestoit lhonneur de la ville ne le profit des lecteurs qui (qu'il) fust vendu pour ses faultes lourdes et enormes en toutes sortes3)." En janvier 1559 M. Loys Henoch, ministre, et M. de Bèze demandent au Conseil 1'institution d'un corps de ministres qui soit chargé 1) Opera, XXI, p. 517, 518. 2) ibid., p. 772. s) ibid.'p. 773. 11 de la correction et de la censure. «Les impressions disent ils, qui sortent de ceste cité ont grand autorité partout oü il y a des fideles, mais il y a du danger, car aucuns corrigeans mettent des erreurs et choses mauvaises i)." Ce qui n'empêche pas qu'en mai 1563 Calvin et Bèze adressent au Conseil des plaintes sur l'imprimerie, de laquelle la ville recoit encore «grands blasmes et hontes". Ils signalent entre autres »ung scandale irreparable quils ont trouve et nagueres appercu. Cést quaux abcd imprimes premierement par Vincent Bres, apres par Michel Blanchier et Francois Estienne y a une heresie damnable touchant la divinité voulant inferer que Jesus Christ nest pas dieu 2)." Quant a 1'idée que Calvin avait de la tache de correcteur, elle se résumé peut-être le mieux dans une lettre que le Réformateur adresse au Sénat de Berne et oü il écrit combien il se sent »grevé" qu'une certaine faute lui soit imputée, «comme s'il estoit correcteur dimprimerie. Ce qui n'est pas son mestier 3)." Les contre- Après ce que nous avons dit sur les négligences sens et imputables a la typographie de 1'époque, on serait les non-sens. étonné s'il n'y avait pas de contre-sens. Ce qui est sür, c'est que l'édition définitive en contient beaucoup moins que ne donnerait a penser ce que nous savons sur la confection du texte*). L'édition princeps est loin d'en être exempte: Non enim possumus aut primam Car nous ne pouvons penser ny a originem aut quorsum conditi sumus nostre origine, ny a la fin a laquelle cogitare, quin ad meditandam immor- nous sommes creés, que ceste cogitataütatem expetendumque Del regnum tion ne nous soit comme un aiguillon pungamur. pour nous stimuler et poindre d me- diter l'immortalité du royaume de Dieu (1541, p. 32). Tout ce que le commentaire des éditeurs strasbourgeois dit a propos de ce passage (1560, II, 1, 3), le voici: et desirer est une addition de 1560. La traduction telle quelle n'est pourtant pas exacte et fournit une assertion dont le sens nous échappe: qu'est-ce qu'on pourrait bien entendre par méditer rimmortalité du royaume de Dieu ? Dans 1'addition de 1560, qui alourdit la phrase et qui y fait monter le nombre d'infinitifs jusqu'a quatre, on pourrait reconnaitre le besoin !) Opera, XXI, p. 710. 2) ibid., XV, p. 550. 8) ibid., XXI, p. 802. 4) voir p. 20—22 du présent ouvrage. de rendre expetendum, si elle n'accusait pas davantage 1'inexactitude de la traduction. homines in juramentis superiorem se que les hommes en leurs sermens ipsis appellare. appellent Dieu comme leur superieur (1541, p. 141). 1560 maintient cette version (II, 8, 25). Quoique le Corpus s'abstienne de commentaire, on pourrait demander k juste titre si le traducteur a compris ici le latin. Comme nous 1'avons déja dit, les savants éditeurs Les treize du CorpuSi amenés a nier l'authenticité de la traducPftre-cens du"" hon 1560, fondent principalement leur verdict sur la Tomé lil, In- fréquence des fautes, contre-sens ou non-sens, qu'ils traduction, Ch. y auraient découverts. Dans le VIe chapitre de 1'IntroVI des Opera. duction du Xorne ^ jis produisent une collection de ce qu'il y avait k leurs yeux de plus frappant en matière de fautes. Quoiqu'ils. n'y attribuent pas une valeur absolue, ils n'en font pas moins une sorte de pièce de résistance, destinée qu'elle est a convaincre le lecteur du premier coup de 1'inauthenticité de l'édition définitive. Aussi est-ce un fait qui donne k penser que la collection a été deux fois soumise a un examen scrupuleux. La première fois par M. Lansoni), la deuxième par M. J. Demeure2). Nous croyons devoir procéder une troisième fois a une modeste investigation dans ce sens. I, 5, ii. Parmi les contre:sens cités, il y en a qu'un lecteur, armé tant soit peu de bonne volonté, considérerait sans peine comme des inadvertances qui peuvent échapper a un auteur même exercé. Telle, par exemple, est la faute qui est a la tête de la collection. Calvin, en prétendant que nous tous, de par notre nature, sommes enclins a quitter Dieu et a nous confier a des idoles que nous nous sommes forgées nous mêmes, dit: Quo morbo non plebeia modo et ob- Auquel mal non seulement le simple tusa ingenia sed praeclarissima et populaire et les genz de lourdz espris singulari alioque acumine praedita sont subjectz; mais aussi les plus excelimplicantur. lens en prudence et doctrine. Telle est la trad. de 1541, tandis que 1560 en fait: duquel vice non seulement les hauts et excellens esprits du commun peuple sont entachez mais les plus nobles et aigus y sont aussi bien enveloppez. 12 1) Revue historique, 1894, article cité. 2) Revue d'hist. litt., 1915. 13 On voit, dans cette dernière rédaction, le louable effort de rendre acumen et implicare ainsi que celui d'enjoliver la phrase en établissant une gradation entre les petites gens qui sont entachés du mal, dans lequel les grands esprits sont enveloppés. Or, pourrait-on admettre que celui qui, en connaissance de cause, soigne tellement la dernière rédaction ait été assez ignorant en latin pour traduire obtusa ingenia par hauts ef excellens esprits? N'est-ce pas ici le cas de parler d'un simple lapsus au lieu de dire avec M. Lanson et M. Demeure que c'est un énorme non-sens? II en est *de même pour la «faute" capitale qui, selon les éditeurs des Opera, pourrait tenir lieu a elle seule de toutes les autres. On lit dans 1560: ceux qui cuydent que la foy precede la penitence, ce qui est juste le contraire de ce qu'il faudrait qu'il y eüt: quibus autem videtur fidem praecedere poenitentia. M. Demeure, dans son article, cite un exemple d'une faute analogue dans l'édition non-suspecte de 1541. On pourrait en dresser toute une liste et en prendre dans toutes les éditions. Nous désirerions faire entrer dans la classe des bagatelles le fameux ombrage tournant (conversionis obumbratio) que, dans son article M. Demeure même trouve une faute inexplicable. Si Pon intercale seulement de entre les deux substantifs, on obtient le meilleur francais du monde. Quand on admet que la «faute" résulte de 1'ignorance du traducteur, on se heurte a un obstacle presque insurmontable: le latin n'offre rien de particulièrement difficile et le texte est emprunté a une parole de saint Jacques, connue de tous ceux qui connaissent la Bible. Supposé que Calvin eüt confié a un tiers la dernière rédaction de son ouvrage, aurait-il choisi quelqu'un dont 1'ignorance en matière de latin et en matière biblique eüt été si stupéf iante ? II nous semble que la même objection se présentera souvent si Pon adopte 1'hypothèse des éditeurs du Corpus qui, ne pouvant admettre de pareilles ignorances ou négligences chez Calvin lui-même, les attribuent de ce fait a un tiers. II va sans dire qu'au I, 15, 8 la traduction de NuUa imposita fuit Deo necessitas quin illi daret fendu par nutte necessité ne luy a esté imposée de Dieu, est erronée. Mais il coüte si peu d'en faire quelque chose de net qu'on est en droit d'y voir un lapsus dü a 1'inadvertance de 1'imprimeur. v Les éditeurs strasbourgeois n'en font-ils pas autant quelquefois quand il s'agit de 1'éd. de 1541 ? Je n'ai qu'a citer la n. 4, p. 379, T. III, oü il y a: 14 Nous lisons dans le texte latin: Aliud est enim secedere ab homine. La traduction qui se trouve dans Véd. de 1541: s'esloigner de la grace de l'homme, est si singulière et a si peu de sens qu'elle ne peut pas provenir de Calvin lui-même; il faut y voir une simple erreur typographique, qui se trouve rectifiée dès 1545. D'autres fois il est diffictle de se soustraire a rimpression que les éditeurs strasbourgeois ont été un peu trop prompts a condamner tel endroit et qu'ils n'ont pas été assez pénétrés du respect que réclame un texte vénérable. Ils citent par exemple: I,ii,8. A praeeunte ergo ima- En somme, ils vouloyent avoir quelque gine volebant cognoscere Deum itineris image qui les menast d Dieu. sibi esse ducem. oü 1541 traduit, suivant de trés prés cette assertion: Pourtant (= pour cela) par quelque image ils vouloient congnoistre que Dieu les conduysist en leur chemin. En apparence, il n'y a aucun doute que le texte de 1541 ne soit correct, tandis qui celui de 1560 est mutiléau point qu'on ne peut plus y retrouver le véritable sens. Pourtant nous avons lieu de croire qu'il en est un peu autrement. Dans le chap. 11 du Livre V 1'auleur traite de 1'idolatrie. Au § 8 il arrivé a parler de la source de 1'idolatrie et alors il établit qu'elle provient du désir de s'approcher de Dieu par la vue d'objets matériels et ensuite que, de ce point de vue, il n'y a pas de différence essentielle entre le culte des images qu'observe 1'Eglise catholique et celui auquel les Païens et quelquefois les Juifs se sont abandonnés. Cette idéé de rapprochement de la divinité au moyen d'images comme origine d'idolatrie domine les §§ 8 et 9. Nous y lisons: Que telle soit la source d'idolatrie assavoir que les hommes ne croyent point que Dieu leur soit prochain, sinon qu'ils l'ayent present d'une facon charnelle. Plus loin: mais ils ne se fioyent pas qu'il leur fust si prochain. Plus loin encore: Et n'y a eu dage depuis la creation du monde auquel les hommes pour obeir a ceste cupidité insensée, ne se soyent dressez des signes et figures, auxqelles ils ont pense' que Dieu se monstrast d eux. Encore: c'est que, ne se contentans point d'avoir cogneu Dieu spirituellement, ils en ont voulu avoir une cognois'sance plus familière par images visibles et encore au même § 9: ils ont pensé que Dieu ne voulatt monstrer sa vertu\ que sous les images. Ecart Or, en guise d'illustration, Calvin cite 1'histoire du veau conscient. d'or: Qu'on nous face, disoyent-ils, des dieux qui marchent devant nous. Ils cognoissoyent bien que celuy qui leur avoit fait 15 sentir sa vertu en tant de miracles, estoit Dieu: mais ils ne se fioyent pas qu'il leur fust prochain, s'ils ne voyoyent d l'osil quelque figure corporelle de luy, qui leur fust comme tesmoignage de sa conduite. C'est a eet endroit que divergent les deux versions de 1541 et de 1560. 1541, conformément au latin, formule une conclusion qui découle forcément des deux prémisses: a les Israélites désirent des images qui les précédent; b ils savent que c'est Jéhova qui les a conduits. Donc: »par quelque image precedente ils vouloyent congnoistre que Dieu les conduysoit en leur chemin." 1560 supprime la conclusion qui s'impose d'elle-même, s'écarte sciemment du latin, mais en revanche, nous découvre ce qui est a la base du désir illicite du peuple d'Israël: en somme, ils voloyent avoir quelque image qui les menast a Dieu, qui les approchat de Dieu. La phrase finit par un doublé point, après lequel 1'auteur continue: et l'expérience monstre tous les jours cela, que la nature des hommes ne se peut tenir quoye jusques d ce qu'il ait rencontré quelque masqué en fantosme, respondant d sa follie pour s'y esjouir comme en la remembrance de Dieu. Force nous est donc de maintenir la valeur du passage incriminé qui a beau ne pas être identique au passage correspondant du texte latin mais qui n'en porte pas moins la marqué de 1'esprit de Calvin. Pour ce qui concerne le passage au I» '7» 5- nam quia ex ea pendent Nous disons que toutes choses depen- quaecunque contingunt, ergo, inqui- dent d'icelle et qu'il ne se fait larrecin unt nee furta, nee adulteria perpe- ne, etc. trantur quin Dei voluntas intèrcedat. taxé également de faux dans l'édition strasbourgeoise, M. Lanson a si bien démontré que la traduction est parfaitement correcte i), qu'il serait superflu de le reprendre ici. Qu'il suffise d'ajouter que 1'expression qui, selon M. Lanson, semble a Calvin décidément trop forte pour qu'il la prenne a son compte, entre absolument dans le cadre des idéés de 1'auteur sur la Providence. Comme Moïse, Calvin distingue a la volonté de Dieu deux cötés. D'abord il y a la volonté qui n'est pas lointaine de nous et qu'il ne faut point chercher pardessus les nuées ni aux abimes, étant familièrement exprimée en la Loi; et puis 1'autre volonté cachée, dont les secrets sont connus de Dieu seul, la Providence, «laquelle est une loy immuable". II est i) art. c. p. 63. 16 parfaitement calvinien de dire ce que les méchants s'efforcent d'expliquer en leur faveur: nous disons que toutes choses dependent dicelle, comme de leur fondement: et pourtant que (= c'est pourquoi) il ne se fait ne larrecin, ne paillardise, ny homicide, que la volonté de Dieu n'intervienne. Peu itnporte qu'il y ait en latin inquiunt et en francais nous disons, l'assertion en vaut tout autant; il n'y a que les conséquences du raisonnement dont 1'auteur ne prend pas la responsabilité. Dans le même § il y a le passage suivant: Ils] repliquent, que nous ne le ferions (= le mal) pas, s'il ne le vouloit. Je le confesse: mais le faisons-nous afin de luy complaire? et plus loin: je dy davantage que les larrons et meurtriers et autres malfaiteurs sont instrumens de la providence de Dieu, desquels le Seigneur use a executer les jugemens qu'il a decretez: mais je nie que pour cela ils puissent prendre excuse aucune ou en bon latin: Ego plus concedo: fures et homicidas et alios maleficos, divinae esse providentiae instrumenta, quibus Dominus ipse ad exsequenda quae apud se constiïuit judicia utitur. Atqui eorum malis ullam inde excusationem deberi nego. Nous faisorts observer qu'un exemple analogue de changement se rencontre II, 1,10, oü on lit dans la dernière rédaction: Voyent (= aillent) maintenant ceux qui osent attribuer la cause de leur pêché d Dieu: quand nous dis ons que les hommes sont naturellement vicieux, la oü la première rédaction offre: voisent maintenant ceux, qui osent attribuer la cause de leur pêché d Dieu: quand on dit que les hommes sont naturellement vicieux. Seulement, cette fois-ci, les deux versions sont d'accord avec les textes latins; quia dicimus naturaliter vitiosos esse homines et quod dicantur naturaliter vitiosi homines. A en juger d'après ces changements on dirait qu'a travers les phases qu'a parcourues l'Institution 1'expression devient plus hardie et que Calvin prend a sa charge les ultimes conséquences de son raisonnement. III, 2,12. Itaque bonam conscientiam arcae comparat, in qua custoditur fides: quia multi ab illa excidendb circa hanc naufragium fecerunt. Parquoy il accompare la bonne conscience d un cqffre auquel elle (= la foi) est gardee, disant que la foy est perie en plusieurs d'autant qu'elle n'estoit point munie de ceste garde. 17 Une méta- On connaït le motif qui fait dire aux auteurs des phore ? O p e r a que le traducteur n'a pas compris le texte latin: »le traducteur substitue a 1'arche un coffre, paree qu'il ne s'est pas rendu compte de 1'image." M. Lanson renchérit sur ce jugement, en disant: «Calvin,, dans son latin, comparaït une bonne conscience a 1'arche de Noé, arcae, et le traducteur comprend un coffre, ce qui le fait barbouiller terriblement dans la fin de sa phrase, oü il est question de naufrage, métaphore congruente a Varche, terriblement incohérente avec le coffre" i). Tout au rebours de ces critiques, nous avons lieu de croire qu'il n'est pas question, qu'il ne peut pas être question ici d'une continuité d'image. Si M. Lanson, n'étant pas théologien, est excusable d'avoir voulu y trouver une métaphore, les professeurs de théologie qui ont formulé cette critique, ne le sont pas. Calvin renvoie a la fin du § 12 a la première Epitre a Timothée, I, 19, oü nous lisons que 1'Apótre recommande k son pupille de garder la foi dans une bonne conscience - qui résulte d'une vie conforme k la foi - et 1'avertit ensuite de ne pas faire comme ceux qui perdent volontairement cette bonne conscience et qui, en conséquence, font naufrage par rapport a la foi (retinens fidem et bonam conscientiam qua expulsa, nonnulli naufragium fidei fecerunt) 2). Qu'on veuille remarquer que c'est la bonne conscience qui sauvegarde la foi: qui désire conserver la foi intacte doit 1'entourer d'une bonne conscience résultant d'une vie pieuse. Calvin, un peu plus haut dans le même paragraphe, compare la foi a un trésor. L'image, vraiment, s'impose. La conscience est le coffre dans lequel ce trésor est le mieux gardé. Pour ce qui concerne facere naufragium, 1'expression est la traduction exacte du verbe grec vavayéiv dont 1'Apótre se sert et qui sans figure signifie pdtir, se perdre. Le traducteur a rendu la première partie de la phrase latine tout en gardant l'image, qui est de Calvin: arca = coffre; dans la deuxième il traduit en laissant la Ia figure: facere naufragium == périr. A supposer que arca ait ici le sens d'arche, on aurait en effet I'avantage de découvrir une métaphore, mais on serait forcé de faire rapporter ab Ula excidendo k arca, comme circa hanc se rattacherait a fides. Hélas, ce serait la découverte d'une méthaphore cocasse sans rémission: devant nos yeux ébahis surgirait cette arche de Noé insubmer- !) o. fc, p. 61. 2) Version du Novum Testamentum de Bèze. 2 18 sible par définition, naviguant au-dedans de nous et sonant des naufragés partout oü elle passé. Atyue'haec ratio est, cur Putto, ad Et voila pourquoy Platon, suivant homericam fabulam alludens, regum la fable dHomère, dit que les enfans filios creari dicat aliqua singulari des Rois sont composez d'une masse nota insignes. precieuse. Réfutation de Comme M. Lanson le fait remarqueri), pour ne pas M. Lanson. être littérale, la traduction ne manque pas de rendre 1'idée générale du texte latin. Si on prend la peine de remplacer le mot masse, qui choque le plus dans la traduction, par son synonyme matière, auquel nous sommes plus habitués, on se tiendra convainctt de la justesse de cette remarque. L'examen attentif des endroits signalés par le Corpus au II, 5, 8, ainsi qu'au U, 10, 23, prouve également que les éditeurs strasbourgeois ont été trop prompts a rejeter ce qui était excellent en sou Pour ce qui concerne l'examen, critique des endroits incriminés qu'il nous soit permis de renvoyer a 1'article précité de M. Lanson. Pour ce qui concerne le .contre-sens" suivant, M. Demeure se contente de dire que la .faute" se trouvait déja dans 1'éd. de 1541, dont personne ne conteste 1'autorité. Nous croyons qu'il ne serait pas trop difficile d'établir que la version elle-même n'est pas fautive: H, 8, 31. , „ . Param enim interest; modo myste- Car il nlen peut gueres challotr, moyen- rium, quod praecipue delineatur, nant que la signification du mystere maneat, de perpetua nostrorum ope- demeure : c'est que le peuple fust inmm quiete. se demettre * 363 CBUvres- Une traduction ** * CorPUS Croit ^ ^ dC ^ correcte futur et éternel. N'est-ce pas un peu trop prendre a condamnée? ja iettre perpetua? Le sens du mystère, et tout ce qui précède le prouve abondamment, est celui-ci: La vie du croyant ne doit, ne peut être qu'un constant et continuel effort a la sanctificatión, a la crucification de sa chair. L'institution du sabbat n'est qu'un' des nombreux appels adressés au chrétien afin qu'il se rende conforme a son Créateur. Le jour du repos aux yeux de Calvin (n'est-ce pas admirable combien sa conception du sabbat est large> ést avant tout le symbole de 1'abandon complet des ceuvres de la i) o. c, p. 63. 19 chair. La traduction francaise rend cette idéé avec toute la clarté désirable t). En parlant de Pétat d'abaissement de Christ, Calvin dit: II, 14, 3- * accepta servi forma depositaque ma- 1 en prenant figure de serf il s'est jestatis specie. aneanty, et s'estant demis de sa I majesté en apparence. Aujourd'hui nous n'employons en apparence que dans un sens qui nous fait dire que la traduction est fautive. Mais on peut se demander si cette locution adverbiale au XVIe siècle était déja si couramment employée dans son unique sens actuel et si nous ne sommes pas autorisés a lire: s'étant démis de sa majesté telle qu'elle avait apparu (c.-a-d. dans les cieux). II, 13, 2, donne: Le corps de fesusChrist n'estoit qu'un fantosme, pource qu'il est fait en simUitude d'homme, et qu'il a esté reputé comme homme en figure (et figura compertus ut homo). Et plus loin: Car que veulent dire ces mots, qu'il a esté trouve' comme homme en figure. Au même endroit, mais dans 1'éd. de 1541: lï est dict quelque part qa'il a esté faict en simUitude d'homme et a esté trouvé en apparence comme homme. II, 14, 8, parle du Flls en ombrage (umbratilis fuit filius) 2), III, 2, 8. Qua ratione obedientia vocatur fidei Pour laquelle cause 1'obeissance de cui nullum aliud obsequium praefert la foy est tant louée que Dieu ne Dominus, quando illi sua veritate pretere nul autre service a icelle; et nihil est praetiosius. a bon droit, veu qu'il n'a chose si pretieuse que sa venté. Ici encore il y a lieu de s'étonner de la légèreté avec laquelle le Corpus condamne. S'il est certain que obedientia vocari fidei, en soi, soit autre chose que tant louer 1'obeissance de la foi, il est certain également que la phrase entière éveille parfaitement cette idéé d'éloge 1) Nous avons éprouvé un grand contentement, en voyant que notre opinion est absolument dlccord avec la belle traduction hollandaise, donnée en 1650 par Wilhelmus Corsmannus, qui donne ici: Want er hanght weynigh oen d'uytleggtngh, als moer die verborgentheyt die daer in voornemelick beduydet wordt, vast blijft, te weten, dat wy gheduerigh moeten rusten van ons' eyghene werken. 2) Godefroy cite dans son Appendice un exemple A'en apparence lequel est pris dans une ordonnance de 1'année 1571, et qui signifie: ayant une belle apparence: „faire bastir et dresser ung lieu propre et commode et en aparence." 20 exprimée par tant louer. Des libertés, telles que 1'auteur s'en permet ici une, sont assez nombreuses, surtout quand il s'agit d'une parole biblique bien connue. A tout hasard j'ouvre 1'authentique édition de 1541 oü, a la page 59, on lit: „nul ne peut bien parler de Christ sinon par le Sainct Esprit; le texte latin, qui y correspond, donne: ...neminem posse dicere dominum Jesum, nisi in spiritu sancto. Les auteurs strasbourgeois n'auraient certainement pas manqué de taxer de faux la traduction si le passage se trouvait dans l'édition de 1560. 11 en est de même pour le passage suivant (a la même page): qu'il (= S. Jean-Baptiste) n'a rien proffUé entre ses disciples par tant de predications qu'il leur avoit faict de Christ, traduction du latin: quod tot verbis Christum commendaverit discipulis suis, nihil se profecisse. Un peu plus loin il y a: Sinon que la grace luy soit donnée, la oü nous lisons en latin: nisi ipsius beneficio. Un lecteur peu bienveillant pourrait en conclure que le traducteur n'aurait pas bien saisi la valeur de ipsius. Aucune des éditions ultérieures n'apporte le moindre changement a la rédaction de cette page, auprès de laquelle la traduction que nous nous efforcons de justifier ne parait pas trop libre. Ni de l'examen des prétendus contre-sens, ni de la justification des passages incriminés on ne saurait conclure a l'authenticité du texte de 1560. En revanche, nous avons le droit et 1'obligation de constater ici que les preuves fournies par les éditeurs des Opera sont loin de suffire pour le condamner. Les circon- S'il est difficile de se faire une idéé, même approxistances dans mative.de 1'énormité du labeur accompli par Calvin et lesqueiies 1'im- (jes SOUcis incessants qui 1'ont harcelé, il parait que pr"S8tiosnddees lors de la publication de l'édition francaise de 1541 la l'Institution a vie du Réformateur fut relativement tranquille. Quoiété préparée. qu'on ne sache pas au juste, comme nous 1'avons dit plus haut, oü le livre fut imprimé, ni la date précise de 1'impression, il n'en est pas moins certain que la préparation de l'édition a été élaborée dans la dernière partie du séjour a Strasbourg, pendant lequel Calvin trouvait le loisir de se marier, oü il n'avait pas encore assumé 1'immense tiche de 1'organisation de 1'Eglise et du gouvernement de Genève, tandis que les maladies paraissaient encore épargner son pauvre corps Certes, a Strasbourg, les occupations ne manquaient pas. N'estelle pas datée de Strasbourg et de 1539, cette lettre a Farel, dans laquelle il écrit: „Jé ne me rappelle pas dans toute cette année un 21 jour oü j'ai été aussi écrasé par diverses affaires (obrutus variis negotiis). Quand ce messager est venu pour prendre le commencement de mon livre, il m'a fallu relire environ vingt feuilles. De plus j'avais une lec,on, un sermon, quatre lettres a écrire, une certaine controverse k apaiser, et plus de dix interpellateurs auxquels il me fallait répondre" Mais vers 1560, il est déja miné par les maladies, „qui estoyent la pierre, la goutte, les hemorrhoides, une fievre phthysicque, difficulté d'haleine, outre son mal d'ordinaire, la migraine"2). C'est a Genève qu'il écrit: „Depuis que je suis ici, je ne me rappelle pas avoir passé deux heures sans être dérangé" 3). Les secrétaires que le Réformateur a eus a son service et sur qui on trouve des notes si intéressantes dans 1'ouvrage de M. Doumergue, Denys Raguenier, Bauduin, Francois Villier et Nicolas de Gallars dit Galasius, Budé, Dejonvilliers, c'est pendant ce second séjour a Genève qu'il recourt a leur aide, le temps »des fascheries et des rompemens de teste qui interviennent pour interrompre vingt fois une lettre, ou encore davantage4)." II n'aurait pas été étonnant que l'édition définitive se fut ressentie beaucoup plus qu'elle ne le fait de eet état de choses si néfaste a des travaux de large envergure: l'édition latine de 1559, menée a bonne fin a travers mille tribulations, est loin d'être inférieure a celle de 1539. Que Calvin, même dans cette période de sa vie, n'ait pas dédaigné de s'occuper sérieusement et effectivement de 1'humble besogne de se traduire lui-même, c'est de Bèze qui nous 1'apprend: „Pareillement en ses dernieres maladies . . . . il a traduit luy-mesmes de bout en bout ce gros volume de ses commentaires sur les quatre derniers livres de Moyse, reconferé Ia translation du premier, fait ce livre sur Josué, et reveu la plus grand part de la traduction et des annotations du Nouveau Testament, de sorte qu'il n'a jamais cessé de dicter que huict jours devant sa mort, la voix mesme luy defaillantö)." !) Herminjard, o. c, V, n. 782. Suivant la note 2, le livre dont il est question dans ce passage, est la deuxième édition latine de \'Institution. 2) Opera, XXI, p. 33 s. , ») ibid., XI, p. 364. 4) Jean Calvin, III, appendice. 5) Opera, XXI, p. 33 s. 22 Une circonstance surtout a eu bien des conséquences copie°de facheuses pour 1'état dans lequel l'édition de 1560 nous l'édition de est arrivée. La première traduction a été remise aux 1560 fut typographes en manuscrit et ceux-ci, après s'être faits présentée. ^ pécriture de 1'auteur, laquelle était excessivement difficile a déchiffrer, n'ont plus guère rencontré d'obstacles. Pour ce qui concerne la dernière traduction, il en a été tout autrement. Ecoutons d'abord le témoignage de l'imprimeur Jean Crespin: „Pource que la copie de l'Institution presente estoit difficile et fascheuse a suyvre a cause des additions escrites les unes en marge du livre, les autres en papier a part, il s'est peu faire, encore que nous y prinssions garde de pres, qu'il ne soit demeuré quelques fautes et omissions lesquelles vous excuseres et corrigeres ainsi.1)." Ensuite, il y a la fameuse lettre de Colladon 2), sur laquelle Köstlin a le premier attiré Pattention 3). M. Lanson la reproduit en latin, comme en francais et, tout en constatant que les éditeurs du Corpus en ont fait trop peu de cas, il en tire les conclusions suivantes, auxquelles nous n'avons rien a ajouter: 1. Calvin a préparé lui-même le texte francais de 1560; 2«. il n'a pas écrit, mais dicté les additions 4); 3". il a découpé lui-même ou fait découper sous ses yeux, la version précédemment imprimée pour répartir chaque page a sa nouvelle place; 40. il n'a pas préparé le dernier état du manuscrit, 1'état définitif sur lequel se fait Pimpression, Colladon s'est chargé de ce soin. Un cinquième fait n'a pas été confirmé, mais peut en être déduit: il n'a pas revu les épreuves. Colladon ou Antoine Calvin ont dü s'en occuper. _ . . ... Nous savons par d'autres témoignages encore que Calvin a fait r .. , , . , , d'autres ou- Calvin, qui était souvent ahte, faisait de longs ouvrages vrages sans sans prendre la plume en main. Lui-même écrit le 7 les écrire. mars 1559; „j'ai récemment publié mes méditations sur Esaïe .... mais écrites par des Gallars. Car je n'ai pas assez de temps pour écrire. II a noté ce que je disais, puis il Pa rédigé chez lui. Je relis et quand ma pensée n'est pas bien exprimée, je corrige b)." Francois Villiers nous apprend en tête de la traduction en 1) Opera, III, prol. XXXVIII. 2) ibid., I, prol. XLI. s) Studiën, und Kritiken, 1868, p. 19. *) Nous nous permettons de faire remarquer que la lettre ne dit que: dictasset multa. Mr^n 6) Opera, XIII, p. 536. 23 latin du traité de Calvin, intitulé Advertissement contrel'Astrologie qu'on appelle judiciaire, que Calvin avait fait et non écrit ce livre en francais, car jamais il n'avait pris la plume en main, mais il le lui avait dicté a lui, Villiers, selon que ses occupations le lui avaient permis, ou, textuellement: „Scripserat hunc libellum Calvinus (confecerat, dicere potius debui quod enim vere adfirmare possum, numquam ejus scribendi causa calamum in manus sumpsit, sed eum mihi, quoad per occupationes licuit, dictavit) confecerat igitur hunc libellum Calvinus*). Nous ne parions pas de ses sermons ni de plusieurs de ses cours, paree que tout le monde sait qu'il y avait des sténographes qui les recueillaient fidèlement a mesure qu'il parlait. C'est un de ces recueils de sermons «recueillis sur le champ et mot a mot" qui, dans un avis au lecteur, nous fournit un renseignement curieux sur la sollicitude avec laquelle, malgré tout, Calvin veillait sur ce qui se publiait sous son nom. Nous y lisons: «Ce qu'il faut aussi que je confesse de ceux-ci (sc. les sermons): car jamais il ne m'eust permis de les imprimer, en ayant desja esté requis d'autres fois, sinon que je 1'eusse pressé et souvent importuné. Non qu'il soit si chagrin et difficile de sa nature; mais d'autant que toute son attente est a ce que les ceuvres qu'il met en lumiere, sortent avec tous leurs ornemens, il luy fait mal que ce qu'il a presché simplement et nuement pour s'accomoder a la rudesse du peuple sans appareil ni disposition exquise, soit subit mis en lumiere2)." Ceux qui, sur la seule présence des non-sens, contre- Conclusion. * . sens, additions oiseuses, etc, se refusent a admettre l'authenticité de la rédaction définitive du texte francais, rencontreraient de sérieux obstacles, dont le plus grand est qu'ils seraient forcés de rejeter en même temps la non-suspecte édition princeps. Quiconque prétend qu'il est absurde et matériellement impossible que Calvin, dans le plus fort de la mêlée a Genève, rongé de plusieurs maladies, ployant sons le fardeau des fonctions de prédicateur, de président du Consistoire, de professeur, d'exégète, de polémiste ait passé son temps a se traduire lui-même, oublie que eet homme !) Opera, VII, p. 38. Ailleurs, a propos du Dernier avertissement contre Westphal: „Car il y a de bons tesmoins et beaucoup qui savent que j'ay fait le livre k Ia haste, ayant un homme qui escrivit sous moy" (citation prise dans Doumergue, Jean Calvin, V, p. 369). 2) Sermons de Jean Calvin sur les dix commandemens de la Loy, a Genève, par Francois Estienne, MDLXIl. 24 prodigieux disposait d'une activité sans pareille et que, tout en n'écrivant pas toutes les parties de sa traduction, il a pu diriger et a dirigé constamment et effectivement la confection du texte francais lequel, destiné a un public si nombreux, n'avait pas cessé d'être d'une importance capitale, et enfin — mais ceci est d'un ordre plus subjectif — que l'édition de 1560, quoique moins originale que celle de 1541, et malgré son caractère tant soit peu hybride, demeure toujours un chef-d'ceuvre de prose philosophique. C'est ainsi que, depuis Antoine Calvin, qui en 1559 présenta une supplique au Conseil „pour obtenir le privilege pendant trois ans de imprimer l'Institution de Monsr Calvin son frere, tant en latin qu'en francoys", c'est-a-dire l'édition définitive, que celui-ci „avoit renouvellée et recogneue et augmentée tellement que c'est oeuvre excellente" et dont „son dict frere lui avoit données les copiesi)", c'est ainsi, depuis Antoine Calvin jusqu'au moment oü le troisième volume des Opera vit le jour, que tous, Francais et étrangers, calvinistes et non-calvinistes ont pris l'édition frangaise définitive de l'Institution pour un ouvrage de Calvin tout comme le Traité des Reliques ou les Sermons sur le Deutéronome. i) Opera, XXI, p. 715. PREMIÈRE PARTIE CONFRONTATIONS DES DIFFÉRENTS TEXTES CHAPITRE I Etude spéciale de 1'Epistre du Roy Comme nous 1'avons déjè fait remarquer, l'édition latine de l'Institution de 1536 est demeurée selon toutes les vraisemblances sans traduction. ün serait tenté d'admettre qu'il en a été de même pour la Praefatio de 1536. Aussi, quoique 1'Epistre au Roy de France porte en toutes lettres la date du vingt-troysiesme d'Aoust mil cinq eens trente cinq et que cette date, sauf 1'indication du quantième, se perpétue a travers les éditions subséquentes y compris la dernière, les historiens de la littérature n'en disent-ils pas moins qu'elle ne parut d'abord qu'en latin et ne fut traduite qu'en 15411). Une édition Herminjard 2), ainsi que M. Abel Lefranc 3), admetséparée de tent 1'existence d'un tirage k part de 1'Epistre, ou 1'Epistre. fout au moins d'une édition séparée ce qui pourrait plaider en faveur de 1'idée défendue entre autres par Jules Bonnet 6) et adoptée par Merle d'Aubigné 6) mais combattue par Rilliet 7) comme par les éditeurs des Opera8), c'est-a-dire que la lettre a Francois 1°" a été publiée dès 1535 en latin et en francais. Bonnet suppose que la lettre francaise a été envoyée au roi et la latine aux docteurs alle- !) Tels: Lanson, Hist. de la litt.fr., 10* éd., p. 259, et Bossert, Calvin, p. 44. 2) o. c, IV, n». 545. ») o. c, p. 19*. 4) Comme on doit en trouver dans 1'exemplaire de l'Institution ayant appartenu a feu M. Ernest Stroehlin a Genève. 5) Buiktin de Puist, du protestantisme fr., 1858, p. 137. 6) Histoire de la Réformatlon, III, p. 250. 7) Lettre d M. J.-H. Merle d!Aubigné. 8) Opera, I, p. XXVIII: et satis temere sumit (sc. J. Bonnet) ejusdem plures emissiones quas dicere liceat (hodie Gallis tirages appellantur) misse. 26 mands. II a été nécessaire, dit eet auteur, que 1'Epistre fut rédigée en francais, Francois ICT étant un des rares monarques auxquels le latin était absolument étranger. A quoi on a objecté que, bien que ce prince ne süt ni le latin ni le grec, les auteurs n'ont pas manqué qui, pour lui dédier leurs ouvrages, se sont servis de 1'idiome de Sénèque et même de celui de Platon. Néanmoins tout le monde sera d'accord qu'il y a une notable différence entre des dédicaces purement littéraires et un cri de cceur tel que fut 1'Epistre. Calvin, pour réhabiliter le pauvre troupeau calomnié et accusé des pires extravagances, ne demande qu'a être entendu. On se figure le grand homme qui, après avoir achevé son touchant plaidoyer, s'agenouille et, de toute son ame, prie Dieu pour que sa parole puisse pénétrer jusqu'au cceur du roi. Avec les éditions subséquentes, 1'Epistre change de caractère. Elle reste 1'objet des soins constants de 1'auteur, aussi bien quant a 1'impression que pour la langue, mais on a dü quitter tout espoir qu'elle influenc&t tant soit peu les décisions du roi. Elle figurera en tête de chaque édition comme pour dire: regardez donc a quel touchant appel le roi n'a pas voulu prêter 1'oreille. C'est donc une chose absolument plausible que la lettre au roi, dans 1'été de 1535, a paru presque simultanément en latin et en francais. II est vrai que Rilliet prouve mathématiquement qu'il est impossible qu'un tirage a part ait pu se faire, mais il commet 1'étrange erreur de prouver cela pour la Praefatio latine de l'édition latine. Le tirage qu'Herminjard mentionne, porte comme titre Epistre au Treschrestien Roy de France en laquelle sont demonstrees les causes dont procedent les troubles qui sont aujounThuy en VEgüse et est daté de 1541. Comme c'est un in-40 et que l'Institution de 1541 est un in-8", M. Abel Lefranc a parfaitement raison en disant que cette édition séparée ne constitue pas un simple tirage a part. Faute de matériaux suffisants, nous n'avons pu arriver entre^EpjstTe, a un résultat tout a fait positif. Mais en comparant dite de 1541, 1'Epistre, telle qu'elle se trouve reproduite dans la et la Praefatio belle édition parue sous la direction de M. Abel Lefranc, de 1536. avec la praefati0 de 1'année 1536, et avec celle de 1539, nous avons acquis la certitude qu'il y a un rapport indéniable entre 1'Epistre, dite de 1541, mais portant pour millésime 1535, rapport trop intime pour ne pas croire a 1'existence d'un prototype de 1'Epistre sur lequel a été remaniée la dédicace qui parait en 1541. 27 A la page 5 de 1536 (Opera, I, p. 10) on lit: Ne quis haec injuria nos queri existimet, ipse nobis testis esse potes, Rex Nobilissime, quam mendacibus calumniis quotidie apud te traducatur, quod non aliorsum spectet, nisi ut regna omnia et politiae subvertantur, pax perturbetur, leges omnes abrogentur, dominia et possessiones dissipentur, omnia denique sursum deorsum volvantur. L'édition de 1539 (Opera, I, p. 288), a partir de nisi, modifie sensiblement la phrase: ut regibus sua sceptra ex manibus praeripiantur, tribunalia judiciaque omnia praecipitentur, subvertantur ordines omnes et politiae, pax et quies populi perturbentur, leges omnes, etc. A la page 7, de 1'Epistre de 1541, il y a: k fin que nul ne pense que nous complaignons de ces choses k tort, toymesme nous peuz estre tesmoing, Tresexcellent Roy, par combien faulses calumnies elle est tous les jours diffamée envers toy. C'est a scavoir, qu'elle ne tend a autre fin, sinon que tous regnes et polices soienl ruinées, paix soit troublée, les loix abolies, les seigneuries et possessions dissipêes: brief, que toutes choses soient renversées en confusion. Le premier coup d'ceil convaincra le lecteur que le texte de 1541 est Péquivalent de celui de 1536 plutót que de celui de 1539. II en est de même pour les morceaux suivants: Sic enim loquuntur, er- Car ilz parient en ceste Sic enim modesti homi- rorem et imprudentiam maniere: appellans la nes loquuntur: errorem vocantescertissimamDei tres certaine verité de et imprudentiam vocan- veritatem et imperitos Dieu imprudence et tes, quam norunt certis- homines, quos Dominus ignorance et ceux que simam esse Dei verita- coelestis sapientiae my- nostre Seigneur a tant tem; imperitos homines, steriis dignatus est. estimez qu'il leur a com- quorum ingeniumDomi- (p. 8, Opera I, p. 11.) muniqué les secretz de nus, etc 1536. sa sapience celeste, gens (Opera, I, p. 259.) simples, (p. 9). 1541. 1539. L'Epistre, ici, ne tient aucun compte des développements de 1539. A la page 22 (Opera, I, p. 18), 1536 porte: igitur modum praetereunt, cum faciunt reale et substantiale. L'édition de 1539 amplifie ce passage considérablement. Elle donne: Igitur modum praetereunt qui fingunt desinere substantiam panis et vini verbis Domini recitatis, ut in corpus ac sanguinem transsubstantietur (Opera, I, p. 267). La traduction donne, a peu prés conformément au texte le plus ancien et contrairement a 1'amplification: Ilz excedent donc la mesure quand ilz disent que le corps du Christ est ld encloz localement (p. 24). 28 1536 {Opera, I, p. 19) donne: verum quam late sese oratio nostra effunderet. 1539 modifie la phrase et en fait: verum latius justis spatiis sese oratio nostra effunderet (Opera, I, p. 269). La traduction suit a la lettre la première version: Mais comment s'espandroit au large nostre raison (p. 26). 1536 (p. 27, Opera, I, p. 19) porte: in sede Romanae ecclesiae et praesulum ordine constituunt. 1539 intercale entre praesulum et ordine le pronom suorum (Opera, I, p. 271). La traduction négligé cette addition: qu'ilz constituent icelle forme au siege de 1'Eglise Romaine, et en l'estat des Pielatz (p. 29). II n'y a que l'édition définitive qui fournit: de leurs Prelats. Papa, inquiunt, Roma- Le pape de Romme, Pontifex, inquiunt, qui nus, qui sedem aposto- disent ils, qui tient le sedem apostolicam tenet, licam tenet, et episcopi siege apostolique et les et qui ab eo in anstitites alü ecclesiam repraesen- autres Evesques repre- sunt inuncti et consetant et pro ecclesia sentant 1'Eglise, et doi- crati, infulis modo et haberi debent. vent estre reputez pour lituis insignitisint, eccle- (p. 29, Opera, I, p. 21.) 1'Eglise. (p. 32). siamrepraesentant.etpro 1536. 1541» ecclesia haberi debent. (Opera, I, p. 272.) 1539- Ici non plus on ne saurait mettre en doute que ce soit le texte de 1536, et non celui de 1539, que la traduction suit. Quant au passage qui va suivre, il est moins inportant, mais joint a ceux qui précédent, il entre également en ligne de compte: Nihil restet, praeter Tellement qu'il ne nous Nihil restet unam ejus misericor- reste rien de quoy nous diam, qua salvi nullo glorifier devant Dieu nostro merito, facti su- sinon sa seule miseri- mus; apud homines vero, corde: par laquelle sans apud vero homines non praeter nostram infirmi- quelque merite nostre, ita multam, praeter nostatem, quam vel con- nous sommes sauvez. tram infirmitatem quam fiteri, summa inter eos Ne envers les hommes, vel nutu confiteri. ignominia est. sinon nostre infirmité (Opera, I, p. 260.) (p. 9, Opera, I, p. 12.) c'est a dire ce que tous *539' 1536. estiment grande ignominie. (p. 11.) 1541. Bien entendu, que ni non ita multam ni nutu ne sont traduits, céla peut constituer une simple omission, comme il y en a tant dans le corps même de l'Institution. Considéré en soi, cela ne prouverai* rien. C'est k peu prés le cas pour un autre passage, oü il est question 29 de la paresse des moines: cum otiosos monachorum ventres (p. 21, Opera, I, p. 17), 1539 en fait: quum otiosos ac doliares monachorum ventres (Opera, I, p. 267), la oü la traduction ne montre que: des ventres oysifz des Moynes (p. 33). Des additions H y a encore trois additions datant de 1539, que le de1539passent traducteur de 1'Epistre parait ne pas avoir vues. inapercues. j_a première est: vel quoque modo exagitate (Opera, I, p. 259). La deuxième est plus longue: Quod ipsum nos quoque certe experiremur, nisi nostra ingratitudine corrumperemus hoe tam singulare Dei beneficium, ac in exitium nostrum verteremus, quod nobis unicum salutis praesidium esse debuerat (Opera, I, p. 276). La troisième en est encore une de peu de longueur: qui tanta securitate nunc exsuüant (Opera, I, p. 278). L'édition définitive traduit parfaitement ces deux dernières additions. Nous le répétons, en ellemême 1'ottlission en 1541 de ces additions de 1539 n'a guère de force probante. II y a même une phrase datant de 1536 qui n'est traduite que dans l'édition définitive: Adversus totam prophetarum nationem solus Jeremias mittitur, qui a Domino denunciet: fore ut lex pereat a sacerdote, consilium a sapiente, verbum a propheta (Opera, I, p. 22). On aurait pourtant une idéé fausse de 1'état des La dédicace de . .... 1541 a-t-elle choses« en croyant que la lettre au roi était une traété falte entiè- duction fidéle de la Praefatio de l'édition de 1536. rement sur la II y a, au contraire, bien des passages dans YEpistre Prale^Üo d* de 1541« o."» montreni que 1'auteur tient compte des 1530? . r changements apportés en 1539. 1536 donne (p. 11, Opera, I, p. 13) fictas praeparationes, liberum arbitrium, merita.... 1539 change ce passage comme suit: fictas praeparationes, liberum arbitrium et meritoria salutis aeternae opera cum suis etiam supererogationibus (Opera, I, p. 261). La traduction donne conformément a Ia dernière lecon: preparations sainctes, le Liberal arbitre, les oeuvres meritoires de salut etemel, avec leurs supererogations (p. 12). 1539 intercale: modo, ne quis adversus sedis apostolicae primatum et sanctae matris ecclesiae auctoritatem digitum tollat (Opera, I, p. 262). Nous lisons dans la traduction de 1541: moyennant que personne ne sonne mot contre lauctoriié de nostre mere saincte Eglise (p. 14). On voit que cette traduction présente une lacune. Le texte de 1560 la comble, en ajoutant: selon leur intention, du siege Romain. 1536 donne (p. 21, Opera, I, p. 17), horrenaam esse abominationem 30 in Christianorum templis. 1539 (Opera, I, p. 267): horrendam esse abominationem, videre depictam vel christi, vel sancti ullius imaginem in christianorum templis; la traduction présente: que c'estoit une horrible abomination de voir une image ou de Christ, ou de quelque sainct aux temples des chrestiens (p. 24). Une addition importante de 1539 est parfaitement rendue en 1541: Et sane id jam summi vitii loco — praesidere (Opera, I, p. 271) > Et de faict S. Hilayre masques (p. 30). 1. II doit avoir existé une Epistre dédicatoire Conclusions. ^ Roy de France( se important a la Praefatio qui a paru dans l'édition latine de l'Institution de 1536. 2. Les matériaux dont nous disposons ne nous permettent pas de dire laquelle des deux a été composée la première: la lettre latine ou la francaise. Ce que nous savons sur la plupart des autres ouvrages de Calvin parus en francais et en latin, nous amènerait a admettre que la lettre francaise présente la traduction de la latine. 3. Comme il n'est pas probable qu'il y ait eu une traduction francaise de l'édition de l'Institution de 1'année 1536, et encore moins que l'Institution ait eté primitivement écrite en francais, il faut que la première lettre au roi ait existé comme édition séparée, destinée, soit a être envoyée a Francois Ier, soit a être employée pour la propagande en France. 4. La dédicace étant datée de 1535, date qui subsiste a travers toutes les éditions, il n'est pas permis de mettre en doute qu'elle a été composée a cette époque. 5. L'Epistre de 1541, se compose de deux couches successives, la première est la lettre frangaise originale, la deuxième est composée de la traduction des additions latines de 1539, parmi lesquelles il y en a qui ont été négligées. Les procédés dont use 1'auteur pour la confection de 1'Epistre de 1541, sont identiques a ceux qu'il emploie pour ses révisions de l'Institution elle-même. 31 CHAPITRE II Le texte des traductions comparé a celui des originaux Si nous parions ici des traductions, il est clair qu'il s'agit des deux phases principales de la traduction, les éditions de 1541 et de 1560. Quoique celles-ci soient sépareés 1'une de 1'autre par des différences notables dans le vocabulaire, la syntaxe et le style, les procédés de traduction dont 1'auteur use a ces deux époques ne divergent pas sensiblement, de sorte qu'il serait superflu de les traiter séparément. Afin que le lecteur puisse faire lui-même cette constatation, nous ajouterons a chaque citation le millésime de l'édition oü elle a été prise1). Fïdéiité de Ia L'impression générale qui se dégage de la compa- traduction. raison entre les traductions et les textes latins est celle de la fidélité. Des paragraphes entiers ont été rendus par le traducteur littéralement ou peu s'en faut 1541. Ergo, ne quid communi hominum judicio absurdum traderent, scripturae doctrinam cum Philosophiae dogmatibus dimidia ex parte conciliare studium illisfuit: praecipue tarnen secundum illud spectasse, ne desidiae locum facerent, ex eorum verbis apparet. Habet Chrysostomus alicubi: Quoniam bona et mala in nostra Deus potestate posuit, electionis liberum donavit arbitrium: et invitos non retinet, sëd volentes amplectitur. II, 2, 4. 1560. Accedit et socordia et ingratitudo: quia nee mentes nostrae, ut sunt excaecatae, quid verum sit cernunt, et, ut pravi sunt omnes sensus Parquoy afin de ne rien enseigner qui fust contrevenant a 1'opinion commune des hommes, ils ont voulu a demy accorder la doctrine de 1'Escriture avec celle des Philosophes. Toutesfois il appert de leurs parolles qu'ils ont principalement regardé le second poinct, c'est de ne point refroidir les hommes en bonnes ceuvres. Chrysostome dit en quelque passage: Dieu nous a mis le bien et le mal en nostre election, nousdonnant liberal arbitre de choisir 1'un ou 1'autre: et nous tire point par contrainte, mais nous recpit si nous allons volontairement a luy. II y a aussi la brutalité et 1'ingratitude pource que nos esprits, selon qu'ils sont aveuglez ne regardent point a ce qui est vray: et selon que nous avons !) Nous rappelons ici que, pour ne pas compliquer plus qu'il ne le faut 1'indication des passages cités nous nous contenterons de n'ajouter que la place que leur assigne définitivement Ia dernière édition. 90 charge. Mais que de variété dans cette monotonie: Ses adversaires pourquoi arrachent-ils les barnes des Apostres? S'ils veulent que les limiies solent observées, pourquoi les outrepassent-Us si audacieusement? lis rompent les limiies, quand ils . . . Ils ont outrepassé ceste bonte... II s'en faut beaucoup qu'ils ne gardent ces limites ... Ils ne regardent ceste borne. Ils excedent donc la mesure, Ils ont osté ces limites. Ils ont oublié ceste borne. Ils sont eschappez outre ceste borne. Ils ne se sont point tenuz en ces barres. Ceux-cy rompent bien telle borne. Se gardent-lis dedans ces marches, quand ils ne font autre chose en toute leur vie que d'ensevelir et d'obscurcir la simplicité de 1'Escriture? Mais combien loin s'espandroit mon propos, si je vouloye annombrer combien hardiment ils rejettent le joug des Peres, desquels ils veulent estre veuz obeissans enfans? Un peu plus épars, ce trait de la traduction se retrouve partout: Au II, 8, 20, oü le second commandement est traité, on lit: ceste punition advient; Venfant ne souffrira point la peine pour le pêché de son pere; ils enduroyent tant de maux; ils endurent pour leurs propres fautes; il les punit; la mine est appareiüée d tous ceux qui.... ils paissent par leur propre iniquité. Même, il se produit que la traduction, quant au choix des mots, est plus „travaillée" que l'original. C'est ainsi que, pour ne citer qu'un exemple dans une seule phrase au II, 6, 2, oü le latin présente deux fois percutere foedus, on lit establir alliance de paix et ratifier alliance permanente. Le redou- La oü un seul mot dans la traduction n'arriverait biement. pas a couvrir entièrement le sens du mot latin, l'auteur a souvent recours a 1'emploi de deux mots: il nous faut toute nostre vie aimer justice et appliquer nostre étude d icelle (colere justitiam) II, 8, 2; la hardiesse et intemperance (lascivia) de [entendement humain (II, 8, 5); sa faveur et liberalité (benignitas) - II, 5, 91). D'autres fois le second terme, plus populaire, sert a expliquer le premier, plus ou moins savant: propice ou enclin d merci (exorabilis) II, 6, 3; ni efficace ni fermeté (inefficax) - II, 11, 4; prerogative et dignitê (praestantia) — II, 13, 3. II arrivé encore que le traducteur use de deux mots quand le second i) L'édition de 1541 avait ici benignüé mais, comme presque partout ailleurs, l'auteur, lors de la rédaction définitive, évite de se servir de ce substantif. 91 renchérit sur le premier et qu'ils forment ainsi une sorte de gradation ascendente: la cheute et revolte d'Adam (II, 10, 7), mettre bas et aneantir (II, 1, 9). On pourrait voir dans le redoublement aux exemples précités une manifestation du génie de Calvin qui le fait triompher des obstacles rencontrés au cours de la traduction. Les cas sont pourtant assez fréquents oü cet emploi de deux mots pour un seul équivaut a une redondance et ne manque pas de relacher sensiblement la force du discours, et alors ils constituent une des faces de la prose du XVIe siècle en général. Dans la Deffence et Illustration de la langue f rancoyse*-), je note au hasard de la lecture: copieuse et riche, pauvre et nue, je confesse et soutiens, vil et abject, etc. Le traducteur montre un certain laisser-aller quand il jette a travers ses belles phrases des combinaisons comme: reigle et patron, pareil et egal, but et intention, noises et combats, ferme et solide. , , . II serait superflu de dire que le vocabulaire de Le neologisme. .... . . 1 Institution releve dans une large mesure du latin. Etant le premier a écrire un ouvrage d'une si grande nouveauté, de tant de portée et d'une si large envergure, et n'ayant a son service qu'un idiome dont tous les contemporains sont d'accord pour reconnaitre 1'indigence, Calvin naturellement et forcément recourt a des moyens d'expression qui ne sont pas tout a fait autochtones, a des néologismes. Et oü les aurait-il pris, sinon a la source toujours jaillissante oü depuis trois ou quatre siècles, tous les clercs avaient puisé, savoir le latin écrit, dont la copia verborum formera le fonds verbal la* plus importante du francais moderne? Chez Calvin il y a identité presque totale et constante entre néologisme et latinisme. Malheureusement pour ceux qui étudient la prose ou la poésie du XVIe siècle, il n'est pas aisé de dire ce qu'il faut, aujourd'hui, entendre par ce qui fut néologisme a cette époque-la. On est enclin a voir dans excogiter, extoller, contemptible, probation (= preuve), substance (= fortune), vegeter (■= renforcer), permettre (= sacrifier), etc, des latinismes. Le sont-ils davantage que diriger, négliger, hésiter, obliger, certitude, débile, facile et discours? On pourrait le mettre en doute. Tous ils ont été empruntés du latin a des dates qui ne différent pas sensiblement. La seule différence qui existe entre ces deux groupes, c'est que les uns n'ont pas su se !) Édition xrrtique par M. Henri Chamard, Paris, 1904. 92 maintenir et sonnent faux a nos oreilles, tandis que les autres ont acquis droit de cité. En effet, ils nous paraissent si bien francais. II faut faire effort pour se figurer qu'un verbe comme diriger par exemple, employé aujourd'hui partout et de tous, n'a pas toujours appartenu au lexique francais. Et pourtant ce fut, lors de la publication du grand livre de Calvin, un néologisme d'origine toute récente, et dans cet ouvrage même, il y a des indices irrécusables qu'il a paru tel aux yeux du Réformateur, qui, d'ailleurs, n'en a usé qu'avec la plus grande circonspection. D'un grand nombre de mots empruntés on sait la date approximative oü ils ont été employés pour la première fois et le Dictionnaire Général a eu soin de mettre ces dates a la portée de tous les étudiants. Mais ces indications ont le grave défaut de ne donner que le premier emploi connu ou relevé jusqu'ici dans le francais écrit et littéraire, tandis qu'elles ne fournissent aucun renseignement sur la fréqaence du terme a telle ou telle époque. Et c'est la pourtant ce qui importe le plus. Du fait que dans un écrit du XIIIe siècle on rencontre discerner, dans un autre régime et mutation, il ne s'ensuit pas qu'au XVIe siècle ces termes aient moins sonné comme mots savants qu'intercéder, ou difficile que le Dictionnaire Général fait dater respectivement du XVe et du XVIe siècle. II faudrait avoir a cöté de la date du premier emploi des indications concernant la fréquence avec laquelle le mot en question se rencontre i). Pour la majeure partie des mots, il serait fort difficile de fournir ces indications et si 1'étude comparative du vocabulaire de l'Institution dans ses différentes rédactions est instructive, c'est particulièrement paree qu'elle nous renseigne si bien a cet égard. L'auteur se montre extrêmement discret dans 1'emploi de mots nouveaux et savants. On comprend sans nulle peine combien dans son livre d'apologie et de controverse il aurait pu profiter de termes comme culte, antithése, orthodoxe, contexte, exégèse et tant d'autres, tous des mots, importés au XVIe siècle. Et pourtant, l'auteur évite de s'en servir. Culte: legitimum cultum > le droit honneur que nous luy devons !) II est vrai que 1'indication que tel mot se trouve dans le Thesaurus de Robert Estienne de 1539 ou dans celui de 1549, est particulièrement importante: Avant d'être incorporé dans un dictionnaire il faut qu'un mot soit déja suffisamment répandu. 93 (II, 8, 17), ou, au même paragraphe le droit service qui luy est deu; cultus nominis sui > son Eglise (II, 8, 15). Au II, 8, 2, cultus est traduit par honneur legitime, au II, 8, 34, par Ie service de Dieu. Antithése. Antithesis est traduit au II, 17, 5, par comparaison oü il oppose 1'un a 1'autre, par comparaison (II, 9, 4) et par comparaison d l'opposite (II, 3, 6). D'autres fois un néologisme, écarté le plus souvent, est employé avec une circonspection évidente, par exemple: Symbole. Symbolum est traduit par enseigne (II, 8, 37), signe (II, 15, 5), marqué visible (II, 16, 6), signes et sacremens (II, 10, 5). Mais au II, 16, 5, il est dit: Le sommaire de la foy qu'on appelle le Symbole des Apostres et puis, après cette explication, le texte le reproduit hardiment, sans la moindre retenue: ceste sentence a esté inserée au Symbole (II, 16, 8), leur chagrin de ne la point admettre au Symbole (ibid.), et a la fin du chapitre: 1'ordre du Symbole. Diriger. Rien n'est curieux comme le sort de mots tels que diriger, benignité et négliger, a travers les éditions. Dans la plus vieille traduction on parait s'en servir sans scrupule, quitte a les expulser avec rigueur du texte lors de la rédaction définitive. La conclusion s'impose: l'auteur se sent obligé de revenir sur une hardiesse de langue qu'il s'était permise d'abord. Diriger est un mot du XVIe siècle. Le Dictionnaire Général le fait dater de 1549 avec un exemple de R. Estienne. Les exemples suivants, pris en majeure partie, dans l'édition de 1541, prouvent que Ia date donnée par le Dictionnaire Général doit être corrigée. Que leur fin y soit dirigée > que leur fin s'y rapporie (II, 8, 15); par laquelle noz ames soient dirigées d Dieu > pour s'appliquer du tout d Dieu (II, 8, 16); en quelle certitude et perspicuité dirige-il toute sa doctrine') rappotte //...(II, 10, 15); // dirige nos entendemens > il guide et conduit... (II, 11, 1). Diriger se trouve encore être remplacé par adresser, guider, conduire, compasser, tourner, dresser (passim). Pourtant il parait que le traducteur a d'autres soucis encore que celui de délatiniser le texte f rangais de 1541. II aime a varier son discours: dans un entourage oü les termes dresser, fléchir, tourner reviennent a plusieurs reprises, il n'hésite pas a mettre ou a maintenir ce verbe qu'il proscrit autre part. De même pour moderer (= moderari) dont il n'use qu'exceptionnellement. Benignité. Benignité ne parait pas être un néologisme en tant que le Dictionnaire Général cite déja un exemple datant du XIIe siècle. 98 Nouvelleté. D'après Godefroy ce mot se dit encore au XVIIe siècle. Mais ilz ne pouvoient pas estre si attentifz d escouter les Propheties, que la nouvelleté ne les esmeut bien fort (II, 11, 12). 1560 le change en nouveauté. Dans 1'Epistre nouvelleté $r maintient: duquel la sacrée parotte ne meritoit point d'estre notée de nouvelleté (Ep., p. 16.). Referer, vieux pour raconier (Godefroy). Pourtant les Evangelistes referent que les Saducéens . . . (II, 10, 9). 1560 y substitue: racontent. Au II, 5, 2, il cède la place a réciter: desquels il refere les paroles. Regiber, forme vieille suivant Godefroy, dialectale suivant Littré, de regimber. Car comme un cheval rebelle, disent-ttz, ayant jetté en bas son conducteur, regibe sans mesure . . .; 1560 donne ici regimbe (II, 2, 3). CHAPITRE III La syntaxe A plus d'un égard le XVIe siècle a été, en France particulièrement, une époque agitée de luttes et de tempêtes. Pour ce qui concerne la langue, c'est-a-dire la langue écrite, on a I'impression que 1'éclosion puissante des idéés la prend au dépourvu et qu'elle a de la peine a faire face aux exigences qui la surprennent. Elle a 1'air de tater le terrain avant d'y poser définitivement le pied, se retire quelquefois des sentiers oü elle s'était engagée déja, quitte a se lancer avec impétuosité dans un autre. La langue traverse une véritable crise auprès de laquelle la crise du francais d'aujourd'hui parait peu importante. Partout, dans 1'orthographe et le lexique, dans la morphologie et la syntaxe règne la confusion. A bien des égards c'est une époque d'anarchie que caractériseraient de loin ces paroles de l'auteur anonyme du Livre des Juges: In diebus illis non erat rex in Israël, sed unusquisque, quod sibi rectum videbatur, hoe faciebat. Ce qui rend 1'étude de la syntaxe des différentes traductions de l'Institution si intéressante c'est que, dans 1'espace de dix-neuf ans qui s'écoulent entre la première édition et la définitive, on assiste a la vie du langage, on voit les formes évoluer, cela veut dire tres souvent hésiter, mais non moins souvent se moderniser, se régulariser, s'assouplir, se préciser. 99 Rajeunisse- Les endroits sont nombreux dans la rédaction frangaise ments de définitive oü, la pensée ne subissant aucune modification, syntaxe. i'auteur établit une correction dans la forme extérieure de ses phrases, une retouche qui rapproche davantage sa prose du francais moderne. Quoique Calvin ne soit nulle part archaïsant de propos délibéré, comme le fut quelquefois Rabelais par exemple, il reste ca et la dans la vieille édition et même plus tard des vestiges de 1'ancienne langue Mon (= certainement): Mais assavoir-mon (vero) si les Eglises ont adjoustéfqy d son tesmoignage (IV, 7, 11) i). Illec (= la): // s'ensuit donc qu'il a coUoqué illec le siege de sa primauté (IV, 6, 11). Mesmement (= surtout). N'exaucera-il point les pleurs et gemissemens de ses enfans le prians pour euxmesmes, mesmement puisquil les y convie et exhorte (III, 20, 37). Non devant verbe: fe respon que non font (IV, 20, 19). Ceste coustume est receue et usitée, de non ordonner pour Pasteurs des Eglises, sinon barbiers, cuisiniers, . . . (IV, 5, 2). Or, il est curieux de voir que, dans les rédactions successives souvent les archaïsmes se trouvent être proscrits, et remplacés par des tournures plus jeunes. Et la oü la langue du XVIe siècle semble hésiter, Calvin se décide fréquemment pour le sens dans lequel le francais s'est développé ultérieurement. Quelquefois même, comme guidé par ce qu'on serait tenté d'appeler un certain flair, l'auteur de l'Institution est en avance sur son temps. Sur les points en litige, qui ne se résoudront qu'au cours du XVIIIe siècle, il statue conformément a 1'arrêt suprème prononcé par 1'usage moderne. Si explétif, intraduisible et si fréquent dans les écrits du moyen-age2), se maintient jusqu'au XVII* siècle S). Un des rares endroits de 1'ancienne édition, oü il se rencontrait dans la matière du IV livre, le supprime en 1560: or il n'y a nulle doute que la grace de Christ ne soit nostre par communication, et que par icelle nous n'ayons vie (II, 1, 6); en 1541: Or s'il n'y a . . . !) Le même mon s'emploie encore chez Molière: „Ca mon, ma foi, j'en *U1Ü ™iS' après ce que Je rae suis fait " (Le Bourgeois Qentilhomme, l,sc II) 2) Clédat, Chrestomathie du Moyen-dge, II, p. XXXI. ») Brunot, Hist. de la langue fr., II, p. 378. Si présente beaucoup d'analogie avec le ja explétif des Allemands et des Hollandais du cótéde Groningue. 4) Un. autre exemple de ce si se rencontre au premier livre (éd. de 1541)' Si n'est-il pas toutesfois aisé (II, 1, l). La nouvelle rédaction fait disDaraltre toute la phrase. 100 Non-emploi de il dans les locutions impersonnelles. // est, au XVIe siècle, plus souvent supprimé que les autres pronoms. Cependant, chez Calvin il manque rarement. Et ne faut que celuy qui (II, 8, 43). Et n'est pas sans cause qu'il requiert (II, 8, 51). Une fois, au IIe livre, 1560 1'intègre: Par ainsi il ne sera point necessaire (II, 5, 6), en 1541: par ainsi ne sera . . . Pour la suppression des autres pronoms personnels, elle est rare dans l'Institution: Car voulant espovanter les Corinthiens, . . . il use de ceste preface (II, 10, 5). Anciennement il y avait use sans pronom. Par contre 1561 offre: d ce que ne presumions d'assajettir Dieu (II, 8, 17), tandis qu'on y lit en 1541: d ce que nous ne presumions1). Absence de 1'article. Dans la vieille langue 1'article manquait le plus souvent devant les noms abstraitsï). Cest ainsi que nous lisons: Davantage, que justice et droiture luy sont plaisantes, au contraire iniquite' abominable (II, 8,2), 1560 introduit 1'article au II, 1,7: estant souillé par le pêché, anciennement: par pêché; au II, 8, 45: lesquelles choses ne viennent point d la cognoissance des hommes, anciennement: d congnoissance. C'est ainsi que charité-sü\ti (11,8,51), unité-comrA. direct (II, 10, 2), hayne-comrü. indirect (II, 8, 4), sont employés sans article en 1540 et avec 1'article en 1561. Dont pour d'oü. L'emploi de dont pour d'ou ne se rencontre en francais moderne que dans les locutions figurées oü il s'agit d'exprimer une descendance 3). II est trés fréquent, entre autres, chez Racine et Corneille. 1560 corrige pourtant: chercher sa beatitude ailleurs qu'en Dieu, d'ou viennent ces mouvemens (II, 8,58), anciennement: dont viennent; d'ou procédé cela (II, 4,7), anciennement: dont procédé cela. Une autre fois d'ou procédé cela sort de dont vient cela (1,3,2). La oü 1560 maintient: or dont vient cela que quelque capidité... entre en ton entendement (II, 8, 50), une des premières révisions de l'édition définitive (celle de 1561) établit la correction: or d'ou vient, etc. Comme pour comment, est fréquent encore au XVIIe siècle, même chez les auteurs classiques. Chez Calvin comment 1'emporte 1) Pourvu que nous ne devions pas voir dans 1'omission de nous en 1560 une incorrection de 1'éd. strasbourgeoise qui, en tout cas, négligé de signaler Técart avec le texte de 1541, quand même il existerait. 2) Nous estimons pourtant que M. Sneyders de Vogel va trop loin en disant que „1'article manquait le plus souvent, même au XVIIe siècle" (Syntaxe hist. du francais, § 17). 3) Van Duyl, Gramm.fr., p. 303. 101 de beaucoup sur comme. M. Haase dans son article si substantiel des Syntaktische Studiën zu Jean Calvin, indique trois exemples avec comme dans l'édition de 1560 et ajoute ensuite: «Comme kommt selten vor. Comment herrscht bereits ganz überwegend" i). II aurait fallu ajouter dans la dernière rédaction, paree que la vieille présente plusieurs exemples de comme qui, le plus souvent, se trouvent plus tard être corrigés: tu monstres comment l'homme a une bonne nature (II, 5, 18); nous avons suffisamment prouvé comment l'homme est tellement tenu captif (II, 4, 1); quand il parle comment le royaume de Dieu sera multiplié (II, 8, 23). Omission de que, pronom neutre. Que] prédicat du verbe être devant le sujet postposé remonte haut dans la langue. M. Sneyders de Vogel en donne un exemple, pris dans Christine de Pise2). La tournure sans que s'employait beaucoup au XVIe, même au XVIIe siècle. Mais 1'usage moderne exige d'une manière plus impérieuse que celle du XVIle siècle la présence de que 3). Chez Calvin on trouve également des phrases oü que est supprime qu'est-ce l'homme que tu as souvenance de luy (II, 13, 2). Une fois, pourtant, au IIe livre, que est introduit: il faut entendre que (= ce que) dest que jurement (II, 8, 23), anciennement: il faut entendre que dest jurement. Non-emploi de en au sens partitif. Cette suppression, fréquente même encore au XVIIe siècle4), se rencontre dans l'Institution: Ils ne peuvent alleguer d'autres, sinon ceux que nostre Seigneur advoue pour ses disciples (I, 11, 7). Une fois 1560 introduit en: Car il y en a d'aucuns (II, 10, 22), ajiciennement: Car ily a d'aucuns. Place du régime. Tout le monde sait que 1'ancien francais accorde beaucoup de liberté au régime quant a la place qu'il occupe dans la phrase. II en reste des traces au moyen-francais. C'est ainsi qu'on lit en 1541: pour cela monstrer, archaïsme qui disparait en 1560: pour monstrer cela (II, 3, 4). Emploi de soy. Au XVIe siècle, il y a hésitation dans 1'emploi de soy d'un cöté, et luy, elle, eux, elles de 1'autre. Dans l'Institution "-) Zdtschrift fur fr. Spr. und Lit., 1890, p. 201. 2) o. c, § 116. s) Haase, Syntaxe fr. du XVIU S., p. 74. *) ibid., p. 23. 102 on trouve beaucoup de soy, la oü 1'usage actuel réclamerait luy, etc.: Qu'il parle de ceux qui sont regenerez, il appert de ce qu'ayant dit qu'il n'habitoit aucun bien en soy, il adjouste . . . (II, 2, 27). M. Haase considère cet emploi comme un latinisme !). Pourtant, dans un passage, le soy de 1'ancienne version est remplacé par luy: David requiert au Seigneur qu'il crée en luy un nouveau cour (II, 3, 9). Mais il est clair que la substitution a eu lieu en vue de la clarté de la phrase, plutót que pour aucun autre motif. Pronom atone pour pronom tonique. Le moyen-francais hésite beaucoup entre les deux pronoms 2). Aujourdhui parler, appartenir, etc., s'emploient avec le pronom préposé (le livre lui appartient), d'autres comme penser, aller avec le pronom postposé (nous pensions a lui), sans qu'il y ait une régie bien établie. Dans un passage oü 1541 produit le pronom atone, 1560 présente, conformément a 1'usage actuel, la forme lourde: C'est raison qu'elles luy soient referées, devient c'est raison qu'elles soyent referées d luy (II, 8, 13). Luy, pronom sujet, se rencontre aussi assez fréquemment chez Calvin. En 1541 nous trouvons: d laquelle recongnoissance Dieu nous esveille suffisamment, ce a quoi 1560 substitue: d laquelle recongnoissance luy nous esveille (II, 2, 14). Nous ne disons pas que la substitution soit un progrès sous tous les rapports, mais le changement donne a la phrase une allure toute moderne. La même construction se retrouve aüieurs: Luy s'est contenté de distinguer... (II, 11, 10). Ceste allegorie que luy nous met en avant (II, 12, 7). Ne pour négation compléte. L'ancien emploi de la négation lequel survit dans tant d'expressions appartenant a 1'idiome d'aujourd'hui, est généralement évité par Calvin. Dans un endroit oü le vieil usage est observé, la rédaction définitive établit la forme moderne: Pource que je vous ay appelez et n'avez point respondu (II, 5, 11). Un trait analogue se rencontre dans l'édition de 1595 des Essais de Montaigne oü 1'on a ajouté des pas ou point partout oü ils manquaient dans celle de 15883). !) Ein Latinismus, welcher im Altfranzösischen nur bei bestimmter Anlehnung am lateinischen Original sich hin und wieder findet und in der Institution selbstverstandlich am allerwenigsten befremden kann (Zeitschr., art. dié, p. 194). 2) Sneyders de Vogel, o. ft, § 69. 8) Brunot, o. c, IL p. 472. 103 Emploi du Subjonctif. ün sait que les régies du subjonctif en vigneur dans la langue littéraire actuelle, étaient loin d'étre établies jadis. Nous n'irons pas jusqu'a prétendre que Calvin les ait pressenties, mais c'est un fait curieux que les rares fois qu'il apporte un changement au mode dans son vieux texte, il se rapproche de la langue de nos jours: Nous avons dit que le prineipal point estoit... que nous apprenions parfaite humilité (II, 8, 1), anciennement: apprenons. - Pour ce qu'elle contient (II, 8, 37), anciennement: contienne. — Car ce seroit chose ridicule que celuy qui contemple les pensees du caur. . . riinstraysist d vraye justice que ... (II, 8, 39), anciennement: instruist Réguiarisation Par endroits, l'Institution, dans sa constante de Ia syntaxe. évolution, fait pressentir le siècle de Louis XIV, oü, après le magnifique effort de Richelieu, tout sera soumis a 1'ordre, au pouvoir central, depuis la religion, les beaux-arts, 1'orthographe, jusqu'a raménagement des jardins et dont le francais sortira plus apte a jouer le róle mondial qui lui est échu en partage. Rapport intime entre les parties du discours. L'ordre exige la répétition de 1'antécédent: Or s'il y a une mesme necessilé entre nous, que celle d laquelle le Seigneur a voulu remedier . . . que nul n'allegue . . . (II, 8, 32), anciennement: une mesme necessilé d laquelle. L'ordre réclame la conformité entre le pronom et le substantif auquel il se rapporte: La reigle de conformer nostre vie d icelle (II, 2, 13), anciennement: sa vie. Si 1'on songe qu'immédiatement précède la cognoissance de Dieu et de sa volonté, il est évident que sa ne peut pas être correct. Pareillement leur est une négligence dans un contexte oü il est question de l'homme au singulier et oü 1560 met: F entendement des hommes pour ce qui s'y trouvait d'abord (II, 2, 24): leur entendement. La construction de la phrase deyient également plus régulière, plus logique dans les deux passages suivants: Si les lecteurs ayment mieux . . . je suis content de luy satisfaire > ... je tascheray d cecy (II, 10,7). — Disant que Dieu tire bien les hommes selon leur volunté ei non pas par contraincte, mais que la volonté, est cela qu'il a formé en eulx >... est celle qu'il a formée en eux (II, 3, 13). Dans 1'exemple suivant le pronom indéfini de 1560 est mieux a sa place que le pronom personnel de 1545: // n'est pas en la puissance d'un chacun de garder chasteté hors mariage, mesme qu'il y eust 104 devotion et qu'on s'efforcast de le faire > même qu'on y eust devotion et qu'on s'efforcast de le faire (II, 8, 43). L'ordre veut qu'il y ait un accord parfait entre le sujet et le verbe: Or 1'un et 1'autre se peut despescher en un mot > ... se peuvent... (II, 10, 2). Je suis la vigne, vous estes les ceps, et mon Pere le vigneron >... et mon Pere est le vigneron (II, 3, 9) i). Structure de la phrase composée. Souvent la phrase composée présente dans la vieille édition de légères anomalies qui ne peuvent pas trouver grace devant le réviseur: D'avantage, la pureté qu'il desire, en l'appellant creature de Dieu, il luy attribue toute la vertu > Davantage, en appelant la pureté qu'il desire, Creature de Dieu, il luy attribue toute la vertu d'icelle (II, 3, 9). La le?on de 1560, quoique un peu rigide, est préférable a 1'ancienne non seulement par rapport a la régularité, mais encore a la clarté. Si la force luy defaut pour domter et veincre la concupiscence de sa chair, il entende par cela que... (1545) >... qu'il entende... (II, 8, 43). L'introduction par que de la principale au subjonctif, est nécessaire: dont rapporterons deux choses: Premierement... comment il y a beaucoup d dire, que nous ne satisfacions d la volunté de Dieu: et pourtant que nous sommes indignes... Puis en considerant noz forces, que non seulement... La lecon de 1560 change comme en que (II, 8, 3). II est clair que, dans un raisonnement pareil: premierement quepuis queoü les éléments sont parfaitement coordonnés comment constitue une dérogation a la stricte régularité» Au II, 8, 5, on lit dans la traduction définitive: Le meilleur est d 'avoir ceste cogitation... que la Loy nous a estébaillée du Seigneur, ...et qu'en icelle n'est point enseignée autre justice ...et ainsi que c'est pour neant que... et que plustost au contraire... 1541 interrompt la chaïne de 1'énumération des déductions. L'avant-dernière assertion y a la forme d'une principale: c'est pour neant, etc. Malheureusement a la fin, la subordination est reprise: Plustost au contraire que l'estude... Malgré sa longueur, la lecpn de 1560 est préférable a 1'autre. Dans les deux exemples ci-dessous 1560 remet dans une phrase composée les verbes au temps qu'il faut. C'est que le vieil Testament^ du temps que la verité estoit encore absente, la representoit par images, et a eu l'ombre au lieu du corps (II, 11,4), anciennement: represente. Comme le peuple d 'Israël n'y voyoit rien qui ne luy causast horreur !) Telle est la correction qu'apporte la révision de 1561. 105 et estonnement, en telle sorte que Moyse mesme en estoit espovantê (II, 11, 9), anciennement: veoit. Au II, 2, 19, il y a en latin: Hoe pulcherrime docet Johannes, ce que 1541 traduisait par: ce qui nous est bien monstre de Sainct Jean. La substitution de ce qui a hoe est ici moins heureuse, la portee de hoe est assez vaste pour s'étendre par-dessus la partie de la phrase précédente. L'auteur, en 1560, fait commencer sa phrase un peu autrement: ce que j'ay dit nous est bien monstre de sainct Jean. Une construction négligée. Après tout ce qui précède, nous n'avons plus besoin de dire que le réviseur de l'Institution n'a pas toujours été conséquent avec lui-même. S'il en est loin, il y a cependant une tournure qu'il modifie avec une rigueur qui ne connait pas de défaillance. C'est le type de phrase suivant: Mais c'est un grand mot que nous avons au Pseaume, que si l'homme estoit contrepoisé avec la vanité, qu'il seroit trouvé plus vain qu'icelle mesme (II, 3,1). Que devant // seroit présente une sorte d'incorrection, une anacoluthe qui, pourtant, contribue a la force de 1'expression et qui, par conséquent, est chérie des orateurs. On dirait qu'après la conditionnelle, le besoin se fait sentir d'appuyer la principale par un que répété. Nous croyons que, sans porter trop préjudice a la régularité de la syntaxe, il aurait pu garder sa place modeste. Tel n'est pas I'avis de l'auteur de l'Institution. Impitoyablement, il bannit cette légère infraction a l'ordre général. En cela il est d'accord avec les grammairiens du XVIIe siècle1), quoique, suivant M. Haase, les plus anciens auteurs de ce siècle emploient volontiers cette construction tant soit peu négligée2). Nous nous contenterons d'en citer encore deux exemples qui produisent la correction: disant que si Dieu a occupé le lieu en la volonté de l'homme... (qu')il la conduit de bonne mesure (II, 4, 1)... que si un homme naturel a esté doué d'une telle integrité de cceur (que) la facullé d'aspirer d bien ne defaut point d la nature humaine (II, 3, 4). Jusqu'a ce que. „Jusques et jusques que, dit M. Brunot, étaient encore trés communs au XVe siècle... Ils semblent disparaitre au XVIe siècle devant jusqu'a ce que"Z). Dans l'Institution on trouve des formes intermédiaires qui montrent combien, en ce temps-Ia, la !) Sneyders de Vogel, o. c, § 345. 2) Haase, Syntaxe fr. du XVW s., p. 388. s) o. c, II, p. 384. 116 XXXII. Relativement rares sont les endroits oü la traduction pêche par maladresse, par une certaine lourdeur, un manque d'euphonie ou par un abus de latinismes. XXXIII. Une comparaison entre le style de 1541 et celui de 1,560 est a 1'avantage de celui-ci. II est plus litnpide, plus soigné, plus oratoire. La forme plus oratoire de la prose de Calvin a cependant les défauts de ses qualités: la facilité apparente avec laquelle les périodes sont formées conduit quelquefois a une espèce de verbiage a cóté duquel la sobriété et la nudité du vieux texte font un sanitaire effet XXXIV. La prose des traductions porte des marqués irrécusables d'être „travaillée" quant au lexique. L'emploi de deux mots pour 1'un, si ordinaire au XVIe siècle et par lequel Calvin arrivé a rendre avec exactitude le contenu de l'original, amène de temps a autre un certain relachement du style. XXXV. L'attitude de Calvin envers le néologisme est tout a fait curieuse. L'auteur ne saurait s'en passer: il lui faut de nouvelles unités d'expression pour des concepts nouveaux; XXXVI. mais il s'en sert avec infiniment de précaution. Tel terme neuf, employé en 1541 sans scrupule apparent, est éxpulsé des éditions subséquentes. Tel autre néologisme s'introduit au cours des révisions. XXXVII. Chez Calvin néologisme équivaut dans la grande majorité des cas a latinisme, mais il emploie aussi des mots de provenance populaire (francaise, provencale, italienne) et grecque. XXXVIII. Le plus souvent il est tres difficile d'établir quels termes doivent être qualifiés de latinismes. XXXIX. Quant aux archaïsmes de vocabulaire, ils sont en général peu fréquents comme, d'ailleurs, les archaïsmes de syntaxe. Quelquefois une unité vieillie ou vieillissante de 1'ancienne édition doit céder la place a une unité plus jeune. XL. Une étude comparative des textes successifs de l'Institution révèle a quel point le XVIe siècle a été une époque de lutte en matière syntactique. A travers les éditions subséquentes on voit la syntaxe de Calvin évoluer, cela veut dire trés souvent hêsiter, mais non moins se modemiser, se régulariser, s'assouplir, se préciser, bref, se rapprocher de 117 cette perfection qu'atteindra la langue francaise moderne et qui fera d'elle pendant plusieurs siècles Ie moyen de communication préférée des nations les plus diverses du monde. APPENDICE I Histoire d'une fameuse coquille1) A la page 481 de l'édition de 1541 de l'Institution on lit une phrase dont la fin n'a aucun sens: Premierement il faalt que nous tenions tous pour resolu, ce que dit Salomon: que Dieu a creé toutes choses d cause de soy mesme: voire Piniquité au jour de sa perdition. Le latin portant a 1'endroit correspondant le mot impium, il est clair, comme nous 1'avons déja dit2) qu'on se trouve en présence d'une faute d'impression. Aussi une des éditions subséquentes a dü apporter la correction 3). Au moins celle de 1560 donne: voire linique au jour de sa perdition (III, 23, 6), ce qui non seulement est correct en soi, mais encore est conforme a la parole de Salomon (Prov., 16, 4). De pareilles méprises — confusion entre un nom d'action et un nom d'agent — sont rares, mais se rencontrent un peu partout: impius - Ie mensonge (II, 8 47), prophetia - le prophete (II, 15, 1). Toujours est-il qu'en lisant la faute en question, on est a cent lieues de la longue série d'ennuis que sa malencontreuse présence a suscités au grand écrivain. Ce fut vers la fin de la congrégation du vendredi, 16 octobre 1551, après un sermon de M. Saint André et une improvisation de Maistre Guillaume Farel, qu'un pasteur originaire de Paris, Maitre Jéröme Bolsec, prit la parole et attaqua avec véhémence la doctrine de Ia prédestination, telle qu'elle avait été interprétée par Calvin et par les autres pasteurs de Genève. On peut lire dans le procés-verbal de la congrégation comment x) Cet appendice doit son origine a quelques indications que M. H.-H. Kuyper, professeur de théologie a 1'Université 'libre d'Amsterdam, a eu 1'obligeance de me fournir. 2) p. 4. *) Les commentateurs des Opera n'ayant pas apercu la faute, négligent de dire quand elle a été rectifiée. 118 Bolsec accusait Calvin entre autres d'avoir falsifié a dessein plusieurs passages de TEcriture, parmi lesquels „le 16 des Proverbes, oü il est dit que Dieu a tout faict pour sa gloire voire le meschant au jour de sa perdition disant qu'on avoit mis au lieu du meschant 1'iniquité." t) Selon toute vraisemblance cette accusation vise le seul endroit dans l'Institution oü Prov., 16, 4, est cité et que nous venons de mentionner. Dans le septième des treize articles oü les accusaüons de Bolsec sont résumées par la Vénérable Compagnie, les choses sont représentées d'une facon quelque peu embrouillée. Nous y lisons: «Entre autres il (sc. Bolsec) a alleguée le 16 des Proverbes disant que la translation francoise portoit que Dieu a creé le meschant au jour de 1'iniquité, qui est une calomnie meschante. Car la première translation de Neuf-chastel a: au jour mauvais. Et 1'impression de Genève a: au jour de la calamité."2) Si 1'exposé manque de clarté, ce n'est pas que la première translation soit dite originaire de Neuchatel, paree que, après tout, il est possible que 1'impression s'y soit faite, comme nous 1'avons déja dit 3). Mais aucune édition ne porte au jour mauvais (quoique le latin dise: ad diem malam) ni au jour de la calamité. De plus, on se demande oü serait „la calomnie meschante" si on faisait d'un jour mauvais un jour de la perdition. Dans les articles présentés d M. M. les ministres pour faire interroguer le dict Me. Hierosme la confusion continue: „Notamment, sil n'allega pas le seiziesme des proverbes et dist qu'il y a une translation francoise laquelle il falloit corriger qui meet que Dieu a creé le meschant au jour de 1'iniquité"*). Mais la déposition de Caracciolo (nommé plus souvent Monsieur le marquis, un des témoins profanes) le redresse: „sur le quatriesme il (Bolsec) dict que tout est vray sinon quil lui semble quil dict que le passage des proverbes avoit que Dieu a creé 1'iniquité au jour de sa perdition et quil falloit corriger cela." 5) On sait Tissue du procés: Bolsec non seulement pour sa calomnie méchante, bien entendu, mais pour bien d'autres choses encore, fut 1) Opera, VIII, p. 143. 2) ibid., p. 148. 3) p. 3. *) ibid., p. 186. 6) ibid., p. 191. 119 condamné au bannissement et Genève compta dès lors un turbulent de moins. Mais les tracas que 1'inadvertance de 1'imprimeur causait a l'auteur ne durent pas se terminer avec la sentence. Le Conseil de Berne, appelé en 1555 a se prononcer dans VAffaire de Zèbédée et Consorts, reconnut „que ledict maistre Jehan Calvin mesme confesse la faulte et erreur non estre par luy mais par 1'imprimeur commise", mais on n'en maintint pas moins que „ayants consideré la faulte par limprimeur faicte estre de grande importance et consequence et que a maistre Jehan Calvin autheur dudit livre appartenoit de corriger la dicte faulte avant que laisser imprimer et publier ledict livre et par ce obvier au scandale par ce advenu," et conclut que Terreur que Calvin prétendait imposer a Timprimeur lui devait être imputée et que ses excuses en cet endroit n'étaient pas „admectables" t). On voit que le Conseil de Berne n'était pas tendre pour Calvin. Celui-ci jugea nécessaire de protester. Dans une lettre adressée au sénat de Berne et qui nous renseigne un peu sur les idéés du Réformateur touchant la correction, il est écrit: „Quant k la faulte que chascun voit estre venu de Timprimeur, le dict exposant se sant fort grefve (= se sent grevé) de ce quelle luy est imputée, comme sil estoit correcteur dimprimerie. Cequi nest pas son mestier. Et mesme ce nest pas faulte dimportance, veu quil ny a si rude idiot jusque aux petis enfans que le fil du texte ne redresse en la mesme ligne" 2). II est vrai que la sentence du sénat de Berne parle du livre de la predestination et de la providence de Dieu^). Mais une lettre du sénat de Genève a celui de Berne fait voir manifestement qu'il s'agit de VInstitution, et plus spécialement du passage duquel Bolsec avait pris ombrage: „Quant a la faute que vous taxez en l'Institution de Maistre Jehan Calvin nous croyons quil sen est tellement purgé devant vous quil nest ja besoing den rien reiterer. Car il nest pas correcteur dimpremerie et la faute sappercoit pour juger quelle nest pas de luy. Et puis cest ung passage des Proverbes, avec cottation 1) Opera, XV, p. 542 ss. 2) ibid., p. 550. S) Nous rappelons ici qu'il est impossible qu'il soit question dans ces discussions du traité De aeterna Dei praedestinatione (voir la note en bas de la p. 3). 120 du chappitre, tellement quil faudroit que Salomon en fut coupable, sion la vouloit imputer a lautheur de la sentence" t). Cette lettre est du 6 mai. Le 11 avril de la même année 1555 le Conseil de Genève avait déja décidé qu'il serait défendu de calomnier le nom de Calvin a propos de cette faute. Mais énervé du bruit qu'avait soulevé une seule maladresse du typographe il y ajouta en guise divertissement, adressé a tous ceux qui se mêlaient d'écrire „de non imprimer livre concernant si haute matière de la providence de Dieu ny des secretz dicelluy qui tombent plustost a scandalle que ediffication" 2). APPENDICE II LIste alphabétique des néologlsmes -de vocabulaire employés dans l'Institution (surtout au IIe livre) 3) A chaque terme la date du premier emploi donnée par le Dictionnaire Général sera ajoutée, date que nos lectures permettent quelquefois de reporter plus haut. Toutes les fois que l'édition de l'Institution n'est pas indiquée, le terme appartient dès 1541 au texte francais de ce livre. Abrogation, XVIe s. Elles (sc. les cérémonies) contiennent en soy la cause de leur abrogation (infirmitas) - II, Mi 8- Absurdité, XVIe s. Or tous ceux qui sans regarder Christ^ s'amusent en observations exterieures de la Loy, tombent en teller absurdité (IL 11, 10). Le mot absurde est évité dans la traduction. Absurdas est rendu pax hors de raison (II, 15, 5) repugnant d raison (II, 10, 11). Accomoder, 1539, R. Estienne. Accommoder est d'un usage trés fréquent chez Calvin. Nous citons 1'exemple de la première page de 1'Epistre au Roy, lequel est le plus ancien, de 1535: Laquelle mienne deliberation on pourra facilement appercevoir da livre: en tant que je 1) Opera, XV, p. 610. 2) ibid., XXI, p. 601. S) Nous nous bonierons a donner un seul exemple, mais, en revanche, nous signalerons toutes les particularités de 1'usage que fait Calvin de tel ou tel terme. Ici encore nous indiquerons les passages par 1'endroit que leur donne l'édition définitive, sauf quelquefois pour 1'Epistre. 121 l'ay accomodé d la plus simpte forme d'enseigner. Ailleurs accomoder se trouve être remplacé en 1560 par deux verbes synonymes. Ils accommodent la justice d leur entendement devient ils pltent et conforment (II, 8, 6). Adjuration, XVIe s. Cest article a esté prins de la predication de sainct Pierre, selon que sainct Loc recite, et de 1'adjuration notable que fait sainct Paul d Timothée (II, 16, 17). Advenir, 1539, R. Estienne, remplace en \56Qfut(e)ur (voirp.95). Affliger, XVIe s., remplace en 1560 aftire (voir p. 94). Agacer, 1530, Palsgr., remplace en 1560 aycer (voir p. 97). Analogie, X VIe s. Quand S. Paul a voulit que toute prophetie feust conforme d l'analogie et simUitude de la Foy (Ep., p. 12). A remarquer que le terme est accompagné d'un synonyme, alors plus connu. Ancestre, XVe s. Combien qu'il ne raconte point te pere et les ancestres de Marte .... (II, 13, 3; 1560). A r i d e, XVIe s. Au contraire sont asprement corrigez ceux qui se sont fouyz des puis arides (Ep. p. 13). En 1560 il y a secs. Attenter, XVIe s. // monstre qu'il n'est licite d nul d'attenter de rompre par divorce ce Hen indissolubte (II, 12, 7; 1560). Babil, XVes. (voir p. 95). Badin, XVe s. (voir p. 95). Badinage, XVIe s. (voir p. 95). Badiner, 1549, R. Estienne (voir p. 95). Blasphemer, XVIe s. Ceux donc qui despouUlent Christ ou de sa Divinité, ou de son humanité, non seulement blasphement contre sa grandeur .... La rédaction de 1560 ne 1'emploie plus ici: Parquoy ceux qui despouUlent fesus Christ ou de sa divinité, ou de son humanité, diminuent sa majesté et gloire (II, 12, 3). Brocarder, XVe s. (voir p. 95). Brouillon, XVIe s. (voir p. 95). Calomnie, XVe s. Les absurditez qu'ils mettent en avant, contre nous, sont pleines de calomnies puerUes (II, 13, 4; 1560). Capacité, 1486. Le Seigneur fesus . . . accomodé aucunement son oraison d leur capacité (II, 10, 6). Captif, XVIe s. Peu de temps apres U entend que les ennemis l'emmenent captif (II, 10, 11). Certitude, 1539, R. Estienne. Rien ne nous defaut pour avoir afflaence de tout bien et certitude de salut (II, 10, 8). Clemence, 1549, R. Estienne. II nous donne acces par son 122 intercession d son throne, nous y preparaat grace et clemence (II, 16, 16). Cet exemple date de la première édition, donc de 1541. Colere, 1512. Comment d present, comme ayant moderéi) sa colere, il punist plus doucement et peu souvent (II, 11, 3). Concerner, XVe s. Tout ce qui concerne l'office de Mediateur, n'est pas simplement dit de la nature humaine, ne de la nature divine (II, 14, 3; 1560). Confusement, XVe s. ...comme si elle avoit esté convertie en chair, ou confusement meslée (II, 14, 1). Consolateur, 1539, R. Estienne. Si je m'en vay, le Consolateur ne viendra point (II, 16, 14). Construire, 1549, R. Estienne. Noëli) consume une grande partie de sa vie a construire 1'arche avec grande fascherie et moleste. Dans cette phrase, qui est de 1541, la rédaction définitive remplace construire par bastir (II, 10, 10). Contrevenir, XVe s., remplace contredire (voir p. 94). Convier, 1539, R. Estienne. Jesus Christ convioit d boire de l'eau vive tous ceux qui avoyent soif (II, 16, 14). Cooperer, 1525. Cest que Dieu parfait en cooperant, ce qu'il a commencé en operant (II, 3, 11). Dans le même paragraphe il y a plusieurs autres exemples. Cupidité, XVe s. Et quant d nous, nous sommes injustement accusez de cupiditez (Ep. p. 40). La lecon de la dernière rédaction offre telles entreprinses. Debile, XVe-XVIe s. fe commenceray par un argument qui sera estimé debile (II, 10, 7; 1560). Deceder, XVe s. Cest que Christ est descendu aux omes des Peres qui estoyent ja auparavant decedez (II, 16, 9; 1560). Delicatement, XVe s. Car combien que les uns se traictent delicatement en abondance, les autres vivotent en rongeant des croustes (Ep. p. 15). Detracter, 1530. // commande de mettre d mort celuy qui aura detracté de pere et de mere (II, 8, 36). Difficile, XVe s qui de soy mesme n'est pas trop difficile, 1560 donne ici: une chose laquelle n'estoit point trop obscure de soy (II, 13, 1). 1) Ancienne lecpn: amoderer. 2) Faute pour Noé. 123 Diriger, 1549, R. Estienne (Voir p. 93). Discours, 1539, R. Estienne. C'est que par le discours de r origine estans conduits jusques d David et d Abraham, elles (sc. les ames des fidèles) cognoissent mieux et plus certainement que nostre Seigneur Jesus est ce Christ, qui avoit esté tant renommé et celebré entre les Prophetes (II, 12, 3). Docile, 1549, R. Estienne. Neantmoins elle aura grande importance envers toutes personnes dociles et de sain jugement. La phrase est de 1541. A 1'endroit correspondant, 1560 donne: envers toutes gens de raison et de jugement (II, 10, 7). Autre part (II, 15, 5), docile se recontre avec traitable: les debonnaires, qui se rendent dociles et traitables. Equipage, XVe s. // est impossible que Ie diable avec tout tappareil et equipage du monde, efface jamais 1'Eglise (II, 15, 3; 1560). Eriger, 1466. // erige le regne des fideles, predisant la ruyne et desolation desiniques. 1560éviteiciérigerety substitue establit (II, 10,17). Erroné, XVe s. Je say bien de quelle sophisterie les esprits erronés depravent ceste sentence (II, 14, 2; 1560). Dans un autre endroit 1560 introduit erroné: Une telle conception qu'on a de Dieu vagabonde et erronné (I, 4, 3). 1541 avait ici: incertaine et desreiglée. Eschappatoire, XVe s. (voir p. 95). Exorbitant, 1490. Les concupiscences quelquefois sont si enormes et exorbitantes (II, 7, 11). Experimenter, XVe s. // a experimenté tous les signes que Dieu monstre aux pecheurs (II, 16, 11). E x p 1 i c i t e, XVIe — XVIIe s. lis nyent la vraye pietépovoir consister 1 si toutes ces choses ne sont creuës et tenues par Foy tres explicite (Ep. p. 15). Facile, 1512. Or il n'est pas facile de discerner laquelle des deux precede et produit 1'autre. 1560 dit au lieu de facile aisé (I, 1, 1). Fadaise, XVIe s. (voir p. 95) Gratifier (= gratificari = rendre service), XVIe s. Et de fait on peut voir d l'anl, quand la superstition veut gratifier d Dieu, en combien de follies elle s'enveloppe comme en se jouant (I, 4, 3). 1541 avait ici: quand elle tache de luy complaire. Hebraique, XVe s. Selon 1'usage commun de la langue Hebraique (II, 14, 6; 1560). Hereditaire, XVe-XVIe s. Le Seigneur est ma portion hereditaire, et tout mon bien (II, 11, 2). Ignominie, XVe s. La majesté du royaume d'Israël fut abbattue 124 pour la plus grande partie et translatée d un homme privé, avec grande ignominie et opprobre (II, 15, 3; 1560). Implicite, XVIe s. ... que par Foy (comme ilz disent) implicite, il submette son sens'au jugement de t Eglise (Ep. 14). Qu'on veuille observer ici que la parenthese excuse ce qu'il pourrait y avoir de trop hardi dans 1'usage de 1'adjectif. 1560 change implicite en enveloppée. Importun, XVe s. La simUitude, dont ilz nous veulent griefver, est importune, changé en 1560 en: la simUitude . . . ne vient point icy d propos (II, 5, 14). Impudence, 1539, R. Estienne.' Cest une impudence aussi detestable que ridicule (II, 14, 7; 1560). Impudent, XVIe s. Qui est-ce qui eust pensé que jamais homme mortel eust esté si impudent, de repliquer d rencontre (II, 13, 1; 1560). Imputation, XVe s. Voyla dont vient Fimputation de justice sans ceuvres, dont il est si souvent parlé (II, 17, 5; 1560). Inconsiderément, 1504. Et ainsi dest inconsiderément fait, d'opposer le merite de fesus Christ d la misericorde de Dieu (II, 17, 1; 1560). Inculquer, 1549, R. Estienne. Parquoy on auroü beau inculquer les choses qui sont enseignées en ceste seconde Table (II, 8, 50). L'exemple date de 1541. Indubitable, 1539, R. 'Estienne. 11 est question destre icy bien arresté en certitude pleine et indubitable (II, 16 1; 1560). Infecter, XVIe s. // met toutes les meschancetez dont ceux qui se sont desbordez en injustice souUlent et infectent les parties de leurs corps (II, 3, 2). A remarquer ici encore que le nouveau terme est accompagné d'un verbe connu. Inferer, XVIe s. Toutesfois par cela nous ne voulons inferer, que Dieu ait jamais esté ou adversaire ou courroucé d son Christ (II, 16,11). I n f i r m e, XVIe - XVIIe s. Jeretnie appelle bien aussi la Loy morale une alliance infirme et fragUe (II, 11, 8). Infirmité, XVe s. II a conjoint la nature humaine avec la sienne, pour assujettir l'infirmité de la première d la mort (II, 12, 3). Interceder, XVIe s. Mais U faUloU aussi qu'U sentist la severUé du Jugement de Dieu: d fin d'interceder, et comme s'opposer que son ire ne tombast sur nous (1541, p. 256) *). Intermission, XVe s. Nous avons dit cy dessus combien que i) La phrase disparaït dans la nouvelle rédaction. 125 Dieu ait continué anciennement denvoyer des Prophetes auxjuifs, les ons sur les autres sans intermission (continua serie) . . . (II, 15, 1). Li mi te, XVIe s. La benediction de Dieu leur serail prolongée outre les limites de la vie terrienne (II, 10, 9). Liquider. Calvin emploie liquider dans une acception que le Dict. Général, aussi bien que Littré ou Godefroy ont négligé d'enregistrer, c-a-d. dans celle de rendre clair au figuré. Godefroy le cite, mais son exemple donne le sens littéral. Ni Godefroy ni Littré ne manquent de donner Uquidement adverbe dans le sens de clairement. Dans 1'exemple suivant le sens figuré est indéniable: Et en la fin de la mesme Epistre, combien qu'il dise que dest la publication du secret qui avoit esté caché de tout temps: pour mieux liquider son sens, il adjouste que ce mystere a esté manifesté par les Escritures des Prophetes (II, 9, 4; 1560). En latin il y a: sententiam hanc addita explicatione mitigat. Locution, XIVe-XVe s. Ce qui a esté faid en son humanité, par une locution impropre et toutesfois raisonnable, est transferé d sa nature Divine (1541, p. 248). i) Dans un autre endroit 1560 change locutions en fagons de parler (II, 4, 3). Magistral, 1449. Ilz ont oublyéceste borne: quand ilz ont conclud tant de constitutions, canons et determinations magistrales (Ep. p. 25). Masqué, 1539, R. Estienne. Car la benediction n'a pas estépromise ou en une semence celeste, ou en une masqué d'homme (II, 13, 1; 1560). Maxime, 1539, R. Estienne. Tenons donc ceste maxime comme une clef de droite intelUgence (II, 14, 3; 1560). Mediter, 1549, R. Estienne. Ils se recognoissent avoir une vie meilleure ailleurs qu'en terre, pour ld mediter en mesprisant ceste vie corruptible (II, 10, 10). L'exemple se trouve dans le texte de 1541. Memorable, XVe s. Ce passage d'lsaye entre les autres est memorable (II, 15, 1; 1560). Meslinge (= mélange), XVe s., (voir p. 95). Ministère, XVe s. Le premier (sc Testament) est ministère de damnation (II, 11, 8). Mosaique, suivant Littré du XVIe s. 1541 parle de sacrtfices mosaiques (p. 252), a quoi 1560 substitue anciens sacrifices de Moyse. C'est une omission du Dict. Général de ne pas relever cette acception du mot J) La phrase disparalt dans la-nouvelle rédaction. 126 Mutuellement, XVIe s. Les choses qui sont particulièrement d l'ame, sont transferées au corps, et du corps d l'ame mutuellement(11,14,1). Negliger (voir p. 94). Notamment, XVe s. Et que notamment (ac proprium) // se veut monstrer plus excellent qu'Abraham (II, 14, 2; 1560). Michée declaire notamment (= diserte) que le Roy passera devant eux (II, 6, 3). Obmettre, 1539, R. Estienne. Christ n'a rien obmis ne laissé derrière de tout ce qui estoit requis (II, 9, 3). Ici obmettre se trouve accompagné d'une explication. Ailleurs, et fréquemment obmettre est employé sans commentaire et même, au II, 12, 1, le laisser derrière luy de 1'ancienne édition cède la place a obmettre. Observateur, XVIe s des justices exterieures, lesquelles ne pouvoyent rendre leurs observateursparfaits selon la conscience (II, 11,4). Odieusement, XVIe s. Car l'Apostre parle plus odieusement de la Loy que le Prophete (II, 11, 7). Opiniastre, 1539. R. Estienne. Je say bien que ce tesmoignage ne sera point estimê de grand poids envers les opiniastres (II, 14, 7). Particule, 1484. Ceste particule n'estoit pas du tout arrestée entre les Eglises. 1560 évite le mot, en disant cest article (II, 16, 8). Pedagogie, XVIe s. Pourtant le Seigneur les a entretenus en ceste pedagogie (II, 11, 2). Permettre (= abandonner), 1539, R. Estienne. Or il a eu cela divers de nous, qu'il s'est permis d la mort (quod morti permisit) comme pour estre englouty d'icelle (II, 16, 7). Perspicuité, 1556. Neantmoins en quelle perspicuité ét certitude rapporte-il t) toute sa doctrine d ce but (II, 10, 15). L'exemple date de 1541. Polluer, 1539. R. Estienne. Non seulement nous rompons la foy que nous luy avons donnée en mariage, mais aussi nous polluons nostre ome par paUlardise (II, 8, 18). Un vieux participe passé, pollu, qui s'emploiera jusqu'au XVIIIe siècle, se rencontre dans l'édition princeps, p. 2. Presider, 1485 . . . le Fils unique, combien qu'il ne fust point vestu de chair humaine, ayant recueilly les hommes et les Anges sous soy, eust presidé sus eux en sa gloire (II, 12, 7; 1560). Pretieusement, 1539, R. Estienne. Pour laquelle raison sainct *•) L'ancienne lecon présente dirige-il. 127 Paul dit, que nous avons esté rachetez pretieusement (II, 17, 5; 1560). Une réédition de 1562 donne rorthographe moderne. Primauté, XVIe s. Jesus Christ a tousjours esté chef, et premier nay de toutes creatures, pour avoir primauté en tout (II, 14, 5). Prodigieux, 1539. R. Estienne. Et neantmoins quand ilz seroient les plus prodigieux et admirables qu'on scauroit penser (Ep. p. 18). La phrase appartient a la plus ancienne rédaction de 1'Epistre, est donc de 1535. La version définitive écarté le mot prodigieux en le supprimant. Propiciateur, 1512. En oultre, qu'est-il plus propre d la Foy, que se prometre Dieu pour un Pere doax et bening, quand Christ est recan* gneu pour frere et propiciateur (Ep. p. 13). Recit, 1539, R. Estienne (voir p. 95). Reconciliateur, 1512. Pource qu'il nous a esté donné pour reconciliateur en son sang (II, 16, 5; 1560). Refuter, 1549, R. Estienne. De refuter icy tant de lourdes et enormes Ulusions . . . il seroit utile . . . (II, 14, 8; 1560). Rembarrer, XVe s. (voir p. 96). Remunerateur (subst), XVIe s. Mais auconiraire ne les recoyt pas moins volantiers pour correcteur des meschans que pour remunerateur des bons. La phrase ne se trouve qu'en 1541 (p. 9). Rudiment, 1560. Rudiment s'emploie assez souvent dans 1 'Institution, entre autres II, 9, 4 et II, 7, 16. Nous citerons le plus ancie» exemple, celui de 1535: Seulement mon propos estoit, düenseigner quelques rudimens: par lesquelz, ceux qui seroient touchez daucune bonne affection de Dieu, feussent instruictz d vraie pieté (Epistre, seconde phrase). Saccager, XVIe s. Et davantage, que ses fils pour en faire la vengeance, saccagent une ville (II, 10, 12). Sacramental, XVIe s. Apres que les parolles sacramentales sont recitées (Ep. éd. 1560, Opera, III, p. 22). Sacrificateur, 1539, R. Estienne. Car puis que le Pere l'a constitué Sacrificateur eternel, il est certain que la sacrificature Levitique est ostée (II, 11, 4). Sacrificature, XVIe s. (voir l'exemple précédent). Segreger, 1552, Ch. Estienne. De ld ils concluent sans aucune doute, que Dieu avoit segregé les Juifs des autres peuples (II, 11, 1). La phrase appartient a la rédaction dès 1541. Souillure, XVIe s. (voir p. 96). 128 Stupidité, XVIe s. Comment il s'est fait que les Saddudens soyent anciennement tombez en si grande stupidité (II, 10, 23). Subjuguer, XVe s. Veu que leur cceur n'est encore domté ne subjugué (II, 7, 10). S u b v e n i r, 1539, R. Estienne. Pareillement s'ils sont en quelque danger au perplexité il est necessaire de leur aider et subvenir (II, 15,5; 1560). Le néologisme subvenir se présente ici dans la compagnie protectrice d'un verbe trés connu. Au même paragraphe il se trouve seul dans le texte: afin de nous subvenir d tout besoin. Symbole, XVIe s. (voir p. 93). Tardivité, 1539, R. Estienne (voir p. 96). Tergiverser, admis par 1'Académie en 1718. Qui eust attendu qu'il y eust peu avoir hommes si effrontez, que de tergiverser en cest endroit? (1541, p. 245). La rédaction définitive dit. ici: que jamais homme mortel eust esté si impudent, de repliquer d rencontre (II, 13, 1). Autre part, le verbe s'y maintient: afin que les contredisans soyent tant plus conveincus et ne puissent tergiverser cy apres (II, 10, 7). Testif ier, XVIe s. Tellement qu'ils ne peurent nier que Moyse n'eust testifié la resurrection des morts en ce passage (II, 10, 9). Tutele, 1474. Celuy, qui a la vie et la mort en sa puissance, les a receuz en sa tutele et protection (1541, p. 440), 1560 dit: en sa garde et protection (II, 10, 9). • Vehemence, 1502. Cest que pour la vehemence de sa destresse, les gouties de sang luy sont tombées de la face (II, 16, 12; 1560). Vocable, XVIe e. Nous voyons qu'aucuns des Anciens ont douté comment ils devoyent exposer ces vocables (II, 16, 17). Voltiger, XVIe s. (voir p. 96). Voyant, XVIe s. (voir p. 96). LISTE ALPHABÉTIQUE DE TOUS LES MOTS DONT L'EMPLOI OU LA TRADUCTION PRÉSENTE QUELQUE INTÉRÊT SPÉCIAL Page I abba (= père) 43 Abdias, homme pieux .... 50 abrogation 120 absurdité 120 accomoder 120 accroire (se faire —) 56 acumen 13 adjuration .120 advenir 95 affliger 94 aflire 94 agacer 97 allouer en acquit 55 amoderer 121 amuse-fol 55 analogia 45 analogie 120 ancestre 121 avziXvTQOv 44 antithesis 45 antonomasia 45 Apollinaire 50 apotheosis 45 apparence (en —) 19 appointement (en —) .... 44 apprehension (terme philosophique) 50 approuver (= démontrer)... 96 arca 17 arche (= coffre) 17 Archelaus (philosophe).... 49 aride 121 article (absence d' —) . . . .100 attenter 121 Attilius Regulus 46 aucunement 69 Page Augustus . 46 avxs^ovatos 44 avenir 95 aveuglé (= aveuglant) . . . .106 avoir (= posséder) 112 aycer 97 babil 95 badin 95 badinage 95 badiner ; . 95 bagage (remuer —) 56 battelerie 55 Beseleel et Oliab .49 benignité 93 bigarrer 56 blasphemer 121 bordel 45 borgne (faire du —) 54 bornes (arracher les —). . . . 89 bouche (résonner a pleine —) 57 bouclier (faire un —) . . . . 56 bride (tenir la —, lacher la —) . 56 briganderie 97 brocarder 95 brocanter 56 broche (couper la — a). . . . 56 brouillon 95 calomnie . 121 capacité 121 captif 121 catalogus 45 cavillation 57 cedule 45 cela .... que 112 certitude 121 xaoiofia 44 marmelstein, Etude Comparative. 9 130 Page chair (ni-, ni poisson). ... 56 chant a quatre parties .... 33 ■ chere (faire -) 56 cherubins (les-) 51 cheveux (tirer par les-) < . • 56 chirographum 45 cleraence '*Mt* • • 121 colere 121 comme (= comment) .... 100 concerner. 121 conciter -97 concubitus 58 confusement . . .' . . • .121 consilium . . ■ 51 Consistoire (le-) 51 consolateur 121 construire 121 contextus 93 contrevenir 94 convier 122 cooperer 122 cornes (dresser les-) . . . . 55 cornu 37 cornus 37 cultus 92 cupidité 122 debile. 122 débonnaire 37 deceder 122 delicatement 122 depestrer 56 desplaisant 69 detracter 122 Deus (bone-) 59 dicuntur (= nous disons) . . 16 difficile 122 dü 60 diriger 93 discours 122 docile 122 dont (= d'oti).' 100 doute (sans-) 69 douter 69 dresser (les cornes) 55 effet. (en-) 69 Page en (suppression de - ) . . . .101 entaché 13 epitheton 45 equipage 122 eriger 122 erroné 122 ès . 108 escarmoucher (s') 57 eschappatoire 95 espardre 97 esplucher 57 estonner 69 estonnement 69 estranger (verbe) 97 Eucherus, evesque de Lyon . . 49 Eutyches (hérésie de) .... 50 Evesque cornu ...... b4 exegesis 92 exorbitant 123 experimenter 123 explicite . .123 facile 123 facere naufragium 17 fadaise 95 fanfreluche .56 farci 55 festu 56 figure (en-) 19 fredon . 33 frein (prendre le - aux dents) . 55 fringot 33 funiculus 37 gaudisserie 57 gazouiller 57 gergonner 56 gonds (se jeter hors des -) . • 56 gratifier 123 gueule (mot de —) . . . • . 56 guygner 55 hanap 40 hebraïque 123 hereditaire 123 hostie . ". 46 hypostase .45 hypostasis 45 131 Page hypostatique 45 hypothesis 45 iceluy (réuni avec dé) ■ . ■ ■ 68 ignominie 123 il (non emploi de-) . . • • 99 IXaazrjOiov 44 illec 99 impius 4, 117 iraplicare 13 implicite 123 importun 123 impudence 123 impudent 123 imputótion 123 inconsiderément 123 inculquer 123 indubitable 124 infecter 124 inferer 124 infirme 124 infirmité 124 inique 117 iniquité 4,117 interceder 124 intermission 124 Jacob (bénédiction de —). . . 54 Juges (les — ) ....... 51 jusques a 105 jusques a ce que 105 xaKo^r/Xog 44 lavement (= ablution) ... 86 leger (passer de—) 56 libellus . . .2,60 limite 124 liquider (= rendre clair) . . .124 locution . . . . ' J24 Lyconides 46 lyesse 97 magistral 124 maquerellage 57 masqué (f.) 124 masse 18 mathemata 45 maxime . 125 medecine. ........ 51 Page mediter 125 Melchon, idole 46 memorable 125 menstrualis 58 meretrix 57 meslinge 95 Messias 50 mesmement 99 ministère 125 miracleur 54 moderer (= moderari) . . . .121 modulus 72 mon (= certainement) .... 99 Monothelites 50 mordre (= comprendre) ... 55 mosaïque (= de Moïse) . • .125 mutuellement 125 vavaytiv 17 ne (= ne pas) 102 negliger 94 non (devant verbe) 99 notamment . novelleté 97 obmettre ......... 125 observateur 125 occamicus 46 odieusement 125 oeconomia 45 Oinct (= Christ)...... 50 ombrage (en — ) 19 ombrage tournant 13 omettre (cf. obmettre) opiniastre . . 125 ovösvia 44 Ovide 50 paillarde 57 nadoe 44 paedagogia 45 particule 125 passer de leger . . . '. . . 56 peculier 8 pedagogie 125 percutere (foedus) 90 perdition 4, 117 permettre (= sacrifier) . . . .125 132 Page perpetuus 18 perspicuité 125 qpiXavria 44 Platon 50 Plautus 46 plege (et rancpn) 44 pollu 126 polluer 126 pouppe (vent en-) 55 pour (= par) HO pource que HO pour exemple HO pourtant (= partant) .... 69 pouvoir (emploi absolu de-) . 69 povre 57 premier (= d'abord) .... 69 presider • 126 pretieusement 126 j primauté 126 probation (= preuve) .... 91 prodigieux 126 portion hereditaire 40 proeme 45 propiciateur 126 propiciation 44 prophete 9, 117 prophetia 9, 117 propiciatoire 44 proscynèsis 45 prostituere 58 prouvoir (= pourvoir).... 79 proximus 37 pseudo-apostolus 45 que (suppression de-, pronom 49 neutre). . 101 quel . . que 106 quelconque ... que . . • .106 racha (injure) 43 Rachab 57 Rachel. & recit (= récitation) 95 reconciliateur 126 refuter 126 referer (= raconter) 98 regiber (= regimber) .... 75 Page rembarrer 96 reproche (f.) 9 remuer bagage 56 remunerateur 126 resonner k pleine bouche ... 57 rompu (musique-e) .... 33 rudiment 126 saccager 126 sacramental 126 sacrificateur 127 sacrificature 127 segreger 127 Samaritaine (la) 51 seiche .70 Sehon, roi 50 Sennacherib 49 sermo Dei 37 Servet 73 si explétif 99 sinon que 106 Sire 74 souillure 96 stupidité 127 soy (emploi de —) 101 specialis ° spirituel ° I substance (= fortune) .... 91 subjuguer 127 substantif entre deux adjectifs . 69 subvenir 127 symbole (le — des Apötres) . . 93 synecdocha(e) • 45 tardiveté 96 tellement quellement .... 56 tergiverser _< • • 127 testifier 127 Themistius, philosophe ... 49 Thomas Dacquin 49 tout (du-) 69 train (suivre un même train). . 56 Triconius (regulae Triconii) . . 46 tutelle I27 Veau d'or (histoire du -) . . 14 vegeter (= renforcer) .... 91 vehemence 127 133 Page vent (n'être que - et fumée). . 56 vertu 69 vertueusement 69 vertueux 69 vocable 127 Page voisent (= aillent) 16 volée (a la-) 56 voltiger 96 voyant (= prophéte) .... 96 CORRIGENDA A mon grand regret et par suite de circonstances qu'il serait inutile de détailler ici, il m'a été impossible de confronter les citations des trois premières feuilles (p. 1-48) que j'avais en copie avec les originaux. Je prie donc le lecteur de vouloir excuser les inexactitudes qui peuvent s'y être glissées en matière d'orthographe et de ponctuation, lesquelles, surtout dans X'Institution de 1541, sont absolument fantaisistes. Qu'on veuille mettre 1539 a la place de 1536 et inversement (p. 1 & 2), et lire elle pour il (p. 15 1. 16), representent pour representant (p. 28, première citation), faculté pour election et ne nous tire point pour nous tire point (p. 31, première citation), //, 8, 39 pour II, 8, 30 (p. 40, première citation) et //, 13,1 pour //, 3, 1 (sixième citation), de 1'air pour en Vair (p. 41, dernière citation), propiciatoire pour propiciation (p. 44, 1. 9), dedans pour dans (p. 50, quatrième citation). UITGAVEN VAN J. B. WOLTERS — GRONINGEN, DEN HAAG. DOCUMENTEN EN KLEINE TEKSTEN ten gebruike bij de studie van Vaderlandsche Geschiedenis, Taal- en Letterkunde ONDER REDACTIE VAN Dr. J. W. MULLER en Dr. C. G. N. DE VOOYS. No. 1. De „Resolutiën" betreffende de taal van den Statenbijbel, met de bijbehoorende stukken. Uitgegeven door Dr. J. HEINSIUS. Prijs • ■ ƒ 1,20 No. 2. Proeven van Zestiende Eeuws Oosters Nedérlands. Uitgegeven door Dr. J. A. VOR DER HAKE. Prijs ƒ1,20 No. 3. Fragmenten uit Middelnederlandse Bijbelvertalingen. Uitgegeven door Dr. C. H. EBBINGE WUBBEN. Prijs ƒ 1,60 No. 4. Bloemlezing van Lyrische Poëzie. Uitgegeven door Dr. G. KALFF. Prijs ƒ1,90 No. 5. Uit „Den Nederduytschen Helicon" (1610). Fragmenten met Franse parallel-teksten. Uitgegeven door Dr. C. G. N. DE VOOYS en Dr. P. VALKHOFF. • Prijs ƒ1,40 BY Dr. A. W. DE GROOT. L History of Greek Prose-metre, Demosthenes, Plato, Philo, Plutarch and others. Bibliography, curves, index. Prijs f 6,50 UITGAVEN VAN J. B. WOLTERS — GRONINGEN, DEN HAAG. uitgave van j. b. wolters — groningen, den haag. LATIJNSCHE LEERGANG VOOR GYMNASIA EN LYCEA DOOR Dr. P. C. DE BROUWER, Prof. Dr. F. MULLER Jzn. en Dr. E. SLIJPER. Deze leergang voor het Latijn bestaat uit: t BUIGINGSLEER, door Dr. E. Slijper . . f 2,90 OEFENINGEN BIJ DE BUIGINGSLEER, door Dr. P. C. de Brouwer en Dr. E. Slijper . f 2,75 II. SYNTAXIS, door Prof. Dr. F. Muller Jzn., f 2,75 OEFENINGEN BIJ DE SYNTAXIS, door Dr. P. C. de Brouwer en Dr. E. Slijper. le deeltje: CASUSLEER . . . . .# . . f2.25 2e deeltje: LEER VAN HET VERBUM, ter perse Schr. heeft inderdaad uit de gegeven stof een min of meer zelfstandige keuze gedaan, en niet de gewone grammatikale stof onzer leerboeken met een enkele bijvoeging of weglating overgenomen. Als ik mijn eindoordeel over deze grammatica in het kort samenvat, zou ik dat zoo kunnen formuleeren: in de gedachte, waarvan schr. is uitgegaan en ook in de uitwerking ligt veel goeds., Weekbl. v. Gymn. en Middelb. Onderwijs. . Ziedaar een leercursus die belangstelling en aanbeveling overwaard is Blijkbaar was het den uitgever er om te doen, een degelijk paedagpgisch werk samen te stellen, want hij heeft ervaren talenten opgeroepen uit Amsterdam, Utrecht en Tilburg. Hij moge dan ook zijn doel bereikt hebben, 't Stelt den leeraar wel te moede te zien hoe van meet af de leerling er van overtuigd wordt dat een taal niet een samenstel is van een eindeloos aantal mogelijkheden, maar een organisch geheel met meer regelmaat dan uitzondering. Daarom wordt, gansch het werk door, gestadig gewezen op den ontwikkelingsgang en den samenhang van het latijn; zoo doet de leerling niet enkel taalvormen op, maar ook cultuurbegrippen, te meer daar door studie van parallelisme men verwijst naar het Grieksch en het Fransch. Kan men ernstiger opvatting vinden van leerstof en vak? De Standaard (België). uitgave van j. b. wolters — groningen, den haag. UITGAVEN VAN J. B. WOLTERS — GRONINGEN, DEN HAAG. WOORDENBOEKEN OUDE TALEN. DR. J. MEHLER, nederlawdsch-latunsch. 2e druk, gebonden in 1 deel f 5,90. Zelfs bii een langdurig en veelvuldig gebruik tal het blijken, dat dit woordenboek, waïïin bijna geen drukfouten zijn, een* «eer vertrouwbare *i; s' ma'' nous raPPeHe a la-foy de Jesus-Christ, laquelle ayant apparence de follie, est en desdain aux incredules. Pour témoigner de cette fidélité les citations pourraient se multiplier a 1'infini. II nous semble que ce genre de traduction s'impose: un auteur qui se traduit, pour qu'il évite de faire un livre nouveau, est obligé de suivre de prés son propre texte. M. Lanson1) en allègue encore une autre raison: Calvin a dü déposer d'abord sa pensée, lui donner ordre et forme dans le latin, le francais n'y suffisant pas. Ce n'est qu'après 1'avoir ordonnée ainsi qu'il peut la faire passer dans la langue vulgaire. Partout le latin soutient les pas, les tentatives de la prose, qui nait sous la plume même de 1'auteur. De temps a autre seulement on rencontre un passage plus on moins étendu oü la traduction se détache davantage du texte latin, oü, du moins, 1'original n'est pas suivi a la lettre. Sans être libre pour cela, la traduction présente alors un aspect qui se distingue notablement de celui qu'offrent les deux citations faites plus haut. Les exemples de ce genre de translation pourraient former une longue liste. Nous nous bornerons toutefois k n'en relever que quelques-uns. 1541. Promissionem gratiae proponit Puis apres il promet sa grace pour cujus suavitate eundem alUciat ad attirer ses fideles par douceur d suyvre sanctitatis studium. II, 8, 13. sa volonté. Nostram enim in illo beatam quietem Car nous le commencons (sc. le repos) hic inchoamus, in ea novos quotidie icy, et le poursuyvons joumeuement. progressus facimus. II, 8, 30. !) Art. cité (Revue d'histoire litt., 1896). 33 In diripienda autem ejus substantia, non minus interdum falso testimonio, quam manuum rapacitate proficitur. II, 8, 47. 1560. Tarnen inani nominis obtentu contente. II, 15, 1. Sed eorum opinioni rationes duae repugnant quibus ego facile adducor ut ab illis dissentiam. II, 16, 8. D'autre part on fait aucunesfois plus de dommage au prochain par mensonge que par larrecin. Toutesfois apres avoir proferé ce mot. mais il y a deux raisons lesquelles contreviennent a leur opinion qui me semblent estre suffisantes pour la conveincre. Ecarts. Au milieu de tous les ParaSraphes qui montrent tantöt plus, tantöt moins que 1'auteur s'ingénie a rendre Ia physionomie exacte de son texte latin, il y a un phénomène qui détonne. L'auteur s'écarte sciemment et franchement de son original. Pour être relativement rare, ce procédé n'en est pas moins manifeste. Si 1'on manquait de preuves pour établir l'authenticité de la traduction, ces licences, éparses a travers tout 1'ouvrage, suffiraient pour nous faire reconnaitre dans celui qui a travaillé la version, le souverain maitre qui dispose parfois a son gré de la matière dont il -est 1'artisan. II serait vraiment téméraire d'admettre qu'un scribe se les fut permises. D'autre part, 1'écart souvent est trop franc, trop brutal, serait-on tenté de dire, pour 1'attribuer a une maladresse ou a une inadvertance. Quemadmodum rursus quicunque ad suavitatem duntaxat auriumque oblectationem compositi sunt cantus, nee ecclesiae majestatem decent, nee Deo non summopere displicere possunt. III, 20, 32. Comme au contraire, les chants et melodies qui sont composées au plaisir des aureilles seulement, comme sont tous les fringots et fredons de Ia Papisterie et tout ce qu'ils appellent musique rompue et chose faite et chants a quatre parties, ne conviennent nullement a la majesté de 1'Eglise, et ne se peut faire qu'ils ne desplaisent grandement a Dieu. SÜfe C'est a propos de ce passage de la traduction de 1560 que M. Doumergue s'écrie „on sait que cette traduction n'est pas de Calvin"i). Que ce grand connaisseur de 1'ceuvre de Calvin permette a son indigne admirateur de demander comment il est possible de ne pas reconnaitre dans ce passage même la main et 1'esprit du Réformateur. ]) Phrase citée plus haut, p. 5, n. 3. 3 34 1541. Jam eorum impiorum facinus I Nous voyons a 1'oeil les autheurs de palam exstat. II, 4, 2. | ceste meschanceté. Ce qui confirme notre supposition, que c'est un écart volontaire et non une inadvertance du traducteur, c'est que 1'assertion est suivie d'une phrase intercalée également sur 1'initiative du traducteur: Car quand nous voyons les volleurs qui ont commis quelque meurtre ou larrecin, nous ne doutons point de leur imputer la faute et de les condamner, addition qui fait suffisamment ressortir qu'il s'agissait de mettre en reliëf eorum plutöt que facinus. Haec Pelagii quoque arma erant ad impetendum Augustinum, cujus tarnen de nomine illos nolumus praegravari. II, 5, 1. C'estoit le baston qu'avoit Pelagius pour combattre sainct Augustin et toutesfois nous ne voulons point pour cela, que leur raison n'ait point d'audience jusques d ce que nous ïaurons refutée. Si nous ne le savions pas, 1'identité entre 1'original et la traduction pourrait nous apprendre que Calvin n'écoute pas le Pélagien. Nous devons plustost nous arrester a ceste interpretation qu'a nos fantaisies. Ex illa potius interpretatione (sc. ïnterpretatione scripturae) quid lex in homine valeat considerare convenit. II, 5, 7. legem propter transgressiones positam esse. II, 5, 6. que la Loy a esté donnée pour aug' menter les transgressions. Qu'il ne soit pas question ici d'une incorrection, le contexte le prouve assez. Plus loin on lit: ut abundaret delictum, traduit par: multiplier le pêché. Si 1'idée, d'ailleurs, est parfaitement biblique (Rom. 5, 20), le texte francds n'en dit pas moins autre chose que 1'original, qui reproduit une autre parole de saint Paul (Oal., 3,. 19). et que Dieu ne parle point a eux d'une voix terrible, comme il faisoit alors. de nier la resurrection et l'immortalité des ames. ubi vox terribilis insonat quam audire omnes deprecentur. II, 11, 9. ut tum resurrectionem turn animarum substantiam negarent. li, 10, 23. 1545. Minime negaverim vel aristocratiam, vel temperatum ex ipsa et politia statum aliis omnibus longe excellere. IV, 20, 8. 1560. et gratias spiritus largius effusas, H, 11, 14. que la preeminence de ceux qui gouverneront tenant le peuple en liberté, sera plus a priser. que 1'alliance de salut a este faite avec tout le monde, laquelle n'estoit donnée qu'au peuple d'Israel. 35 Deux choses sont ici a remarquer: d'abord la liberté avec laquelle gratias spiritus est rendu, ensuite 1'extension que-la traduction donne a largius effusas. dum in paternam Dei indulgentiam tuto recumbant. II, 15, 6. ut ad veram pietatem pro suo captu erudiantur. II, 7, 11. puisque Dieu nous appelle d soy tant humainement. celuy qui doit estre amené de Ipngue main d plus parfaite doctrine. Nous n'avons pas pu être complet dans 1'énumération des passages qui accusent une hardiesse du traducteur. II importe de constater qu'on en rencontre dans toutes les éditions et qu'ils revêtent tous le même caractère: entrant, quant au fond, parfaitement dans le cadre du contexte et n'offrant rien qui soit contraire aux idéés fondamentales du livre, ils n'en disent pas moins „autre chose que le latin"i), et montrent que le traducteur, sciemment, volontairement et sans motif apparent, s'écarte de son original. Additions et L'indépendance du traducteur a 1'égard du modèle omissions. latin se révèle d'autre part dans le nombre assez grand d'additions et d'omissions qu'on relève aux textes francais depuis la première jusqu'a la dernière édition. Des substantifs synonymes, des bribes de phrase, des adverbes de modalité surtout, qui ne changent guère le fond de la pensée, se prêtent le plus a être supprimés par la traduction, ou a y être introduits. Quaeso, obsecro, respondeo ex opposito, dum. ratiocinatur, cujus aposlolus meminit, agedum, perperam, clarius, et confirmationem, optime, tanta vehementia, per totam viam, ab initio, tous pris dans les deux éditions, n'ont pas de contre-partie dans le texte francais correspondant. En revanche, dit le seigneur, faut-il entendre, quant au premier, car quel propos y a il de dire, suyvant ceste raison, quoi qu'il en soit, pour faire fin, je respon, du texte francais se trouvent sans équivalent latin. A cöté de ces omissions et additions, dont 1'importance est contestable, il y en a qui ont plus d'intérêt, bien que le caractère du texte n'en soit pas altéré: Sunt quidem ex veteribus nonnulli qui eam non praetermittant (II, 16, 3; 1541); evangelio non tontenti extraneum aliquid assuunt (II, 15, 2; 1560); etquamtumvis a veritate excidant, eum semper retineant (II, 8, 54; 1541). D'autre part: II ') Tel est le terme consacré des éditeurs strasbourgeois. 36 faut les distinguer en unissant (II, 14, 4; 1541); de conserver son Eglise et l'amener d salut (II, 15, 5; 1560); il y auroit bien pis, si nous voulions croire ce fantastique (II, 12, 7; 1560); puisqu'il habite au milieu de ceux qu'il a prins en sa garde (II, 8, 16; 1541). II n'arrive que trés rarement que le phénomène affecte un passage de plus d'étendue: qui in enumeratione hunc ordinem servat: ut uni Deo religionis obsequio serviatur, ut idolum non colatur, ut nomen Domini non in vanum accipiatur: quum ante seorsum de umbratili sabbathi praecepto loquutus foret (II, 8, 12; 1541). D'autre part: Car dest un hommage spirituel qui se rend d luy comme souverain Roy et ayant toute superiorité sur noz ames (II, 8, 16; 1541) i). Chose curieuse, les éditions subséquentes ne combient pas ces lacunes et ne retranchent pas ces superfluités. D'ordinaire les éditeurs des Opera s'appliquent a "signaler les additions et les omissions de la traduction. Malheureusement, la collection qu'ils en offrent dans leurs notes au bas des pages, est composée un peu arbitrairement et, du point de vue de 1'exactitude, laisse de temps en temps a désirer 2). Langage L'Institution est un livre essentiellement biblique technique. pour le contenu aussi bien que pour la forme, et Calvin, pour 1'écrire, a puisé a pleines mains dans le trésor de termes qu'offrent la Bible et la littérature patristique. L'Ecriture sainte présente une surabondance de formes et d'images pour rendre saisissable a l'homme »ce qu'aucun ceil n'a vu, ce qu'aucune oreille n'a entendu, ce qui n'est jamais monté au cceur de l'homme." Calvin a fait siennes ces richesses verbales, de telle sorte que les formes qui s'offrent a la traduction y sont remplacées par des formes différentes, mais évoquant des idéés analogues. Un lecteur peu familiarisé avec la Bible et la terminologie ecclésiastique s'y perdrait. II se demanderait avec stupeur si appartiennent au salut ne signifierait pas juste le contraire de unde salus dependel (II, 5, 19; 1541). Celui qui connait le Vieux Testament sait que le nom de Dieu y est absolument identique a Dieu et trouvera naturel que propter cullum 1) Pour certaines omissions de 1'Epistre au Roy voir notre premier chapitre de la première partie. 2) On trouvera des exemples frappants d'inexactitude des commentateurs dans notre article paru dans Neophilologus, IV (L'Edition strasbourgeoise de l'Institution chrestienne). 37 nominis sui soit rendu par d cause de la crainte que nous luy portons (II, 8, 15; 1541); cultus nominis sui par son Eglise (II, 8, 15; 1541); pater clarifica nomen tuum par Pere glorifie ton Fils (II, 16, 12; 1560). Se référant a un antique usage, connu de ceux a qui le Psaume 16 n'est pas étrang.er, 1'auteur dit Jacob funiculus haereditatis ejus, ce dont la traduction fait: Jacob a esté son heritage (II, 11, 11; k§41). Pour un Israélite a fluminibus usque ad ultimas orbis fines voulait dire: toute Ia terre. La traduction fournit a eet endroit: depuis oriënt jusques en occident (ibid., 1541). La traduction fait de in corpore et in anima ejus (sc. Adae): en noz corps et en noz ames, paree qu'il suppose connu chez ses lecteurs qu'en Adam est compris tout ie genre humain. Et, suivant la profonde conception de saint Jean il dit dans 1'original en parlant du Christ Sermo Dei, ce qu'il traduit, sans image, par le fils de Dieu (II, 13, 4; 1560). Ce qui ressort déja ici c'est que, dans le passage a la traduction, 1'expression devient plus simple, plus abordable aux gens d'entendement et de connaissance moyens, comme le seront pour la majorité du moins, les lecteurs de l'édition francaise. Dei mysteria et religionis principia > la doctrine (II, 10, 19; 1541); cornu ejus exaltabitur > leur force sera exaltée{U, 10,16; 1541) i); recti cum vulto tuo habitabunt > les innocens habiteront avectoy (II, 10,16; 1541). En parlant des fidèles, 1'auteur dispose d'un lexique spécial pour la traduction aussi bien que pour 1'original et, tout en traduisant, il en use sans se demander si, dans tel cas, Ie rapprochement entre les deux textes a été fait avec la plus grande rigueur: piorum > de 1'Eglise (II, 6, 2; 1560); filli Dei > les fideles (II, 7, 9; 1541); proximus > frere (II, 8, 9; 1541); in foedere > d ses serviteurs (II, 8, 21; 1541).; in foederis societatem cum Jsraele > en 1'Eglise de Dieu (II, 8, 23; 1541); filiipopuli sui > les enfansde Dieu (II, 10, 22; 1541); populi renovatio > le retablissement de 1'Eglise (II, 5, 3; 1560); erga pios > envers les debonnaires (II, 15, 5; 4560). Pour parler de leur bonheur, il en est de même: Sanctorum !) La corne étant, parmi les Hébreux, le symbole par excellence de la force, il n'est pas étonnant que la Vulgate donne a plusieurs reprises cornutus pour 1'idée exprimée par fort. C'est ainsi que nous lisons dans Ia Vulgate, Ex. 34, 30: Videntes autem Aaron et filii Israël cornutam Moysi faciem . . . Michel Ange parait avoir été 1'illustre victime d'une traduction trop littérale de ce texte. Son erreur nous a valu le Moïse au front cornu. Calvin ménage vraiment ses lecteurs francais. 38 gloria > nostre beatitude et la gloire eternelle que nous attendons (II, 5, 2; 1541); in aeternam haereditatem regni sui > en son heritage eternel (II, 6, 4; 1560); remunerationis fiducie > la confiance de salut (II, 7. 3; 1541); vitae futurae beatitudo > l'eternellt beatitude de mon Royaume (II, 8, 14; 1541). Même profusion pour ce qui touche les ceuvres de la chair: impuritas > mauvaises concupiscences (II, 3. 3); poenmiis vitiositas > la corruption (II, 3, 5; 1541); de carne vestra > en vous (II, 3, 6; 1541); juslitiae carnis > justices exterieures (II, 11, 14; 1541); carnalis homo > les hommes mondains (II, 10, 23; 1541), etc. Les citations Les paroles de la Bible, citées par 1'auteur a 1'appui bibliques. de la doctrine professée, sont également interprétées dans la traduction avec beaucoup de liberté, beaucoup plus librement que le texte qui les encadre. La question de savoir de quelle édition de la Bible Calvin s'est servi est encore un problème. Dans sa jeunesse il a dü s'être familiarisé tant soit peu avec la Vulgate Plus tard il a lu la Bible dans les langues originales. S'il est certain qu'il s'est employé activement a la traduction du Nouveau Testament, pour ce qui regarde celle de 1'Ancien, il s'en est fié a son cousin Pierre Robert de Noyon, dit Olivetanus, un des meilleurs hébraïsants de 1'époque, mais dont le francais naïf, rustique et quelquefois maladroit prêtait Irop a Ia critique. La soi-disant Bible frangaise de Calvini), ne contient pas tous les livres des Ecritures et a été composée entre autres au moyen de quelques-uns des Commentaires de Calvin. Et 1'auteur, quand il citait, le faisait-il de mémoire? Colladon affirme qu'„en faisant ses legons jamais (Calvin) n'avoit que le simple texte de 1'Escriture, et toutesfois on voit comment ce sont choses couchées par bon ordre. Mesmes quand il leut Daniël, quelques annees avant sa mort, combien qu'il y eust en certains endroits beaucoup d'histoires a amener comme on voit qu'il 1'a fait, jamais n'a eu aucun papier devant luy pour aide de sa memoire" 2). Et, après s'être étendu sur la vivacité de 1'intelligence du grand homme le biographe poursuit: »la memoire puis apres gardoit le tout fidèlement J'adjousteray encore un autre tesmoignage de sa memoire qui se voyoit tous les jours, c'est que si lorsqu'il dictoit quelqu'un fust survenu pour parler a luy, ou demie heure ou une heure, le plus 1) Opera, LVI-LVII. 2) Opera, XXI, p. 108, 109. 39 souvent il luy souvenoit de Pendroit oü il estoit demeuré, et continuoit fort bien le propos sans regarder le precedent, soit qu'il dictast quelques lettres ou commentaires ou autre chose".* Bèze pareillement: „memoriae incredibilis, ut quos semel adspexisset multis post annis statim agnosceret, et inter dictandum saepe aliquot horas interturbatus statim ad dicta nullo commonefaciente rediret" i). M. Doumergue, d'accord avec ces deux contemporains du Réformateur en parlant du Colloque de Lausanne dit que Calvin y stupéfia les auditeurs par ses citations subites et que sa réputation a ce sujet était établie même en Allemagne2). Mais quelque précieux que soient ces témoignages sur la fidélité de la mémoire du grand homme, le point qui nous occupe n'en est guère éclairci. Ce qu'il faut constater, c'est que les textes bibliques cités dans le texte latin de l'Institution sont constamment cónformes, sinon littéralement, du moins pour le fond, au texte latin du Novum Testamentum de de Bèze3) et au texte francais de Ia susdite Bible de Calvin, tandis que les citations des saintes Ecritures telles que les donnent les versions francaises de l'Institution sont des traductions, trés libres parfois, des endroits correspondants de 1'original et ne sui vent, pour autant que nous sommes capable d'en juger, aucun texte recu. Donc a en juger d'après les apparences, 1'auteur a copié les textes bibliques dont il a émaillé la prose latine de son ouvrage, quitte a se fier pour le francais a ce que ses nombreux discours lui fournissaient de réminiscences. Souvent aussi le traducteur parait guidé par le souci évident de rendre plus claire une parole quelque peu obscure de 1'Ecriture. Nous confronterons un certain nombre de textes bibliques de 1'original et des traductions entre eux et, si possible, avec la Bible de Calvin. •539—ï54"- Quicunque benedicet j Quiconque demandera prosperité, il sibi, in Deo fidelium benedicet et la demandera en Dieu et quiconque qui jurabit in terra, jurabit in Deo vero. jurera, jurera par Ie vray Dieu. II, 8, 23; Is., 65, 16. I La Bible de Calvirf donne: qui se sera beneit en la terre il se !) ibid., p. 169. *) Doumergue, Calvin, III, p. 597. 3) Novum Testamentum ex interpretatione Theodori Bezae. 40 beneira au Dieu veritable et qui jurera en la terre il jurera au Dieu veritable. Pactum est sempiterrium inter me et filios Israël signumque perpetuum. K, 8, 30; Ex., 31, 13. Car c'est une alliance perpetuelle et un signe a toute eternité. La B. d. C. parle de: entre mqy et vous en aages. de continuenda neomenia cum neomenia sabbatho cum sabbatho iiempe quum est Deus omnia in omnibus. II, 8, 30; Is., 66, 23. Au royaume de Dieu il y a un sabbath continué eternellement: assavoir quand Dieu sera tout en tous. La B. d. C: et adviendra que depuis un moys jusques d un autre moys. La vieille recension d'Olivétan donne textuellement: depuis une nouvelle lune jusqu'd son autre nouvelle lune. Dominus pars haereditatis meae et calicis mei; tu es qui conservas haereditatem meam mihi. II, 11, 2; Ps , 16, 5. Le Seigneur est ma portion hereditaire et tout mon bien. La B. d. C: Le Seigneur est la part de mon heritage et de mon hanap: tu tiens ferme mon lot. quo justitia Dei efficeremur in illo. II, 16, 6; 2 Cor., 5, 2. afin qu'en luy nous obtinssions justice devant Dieu. La B. d. C.: afin que nous fassions justice de Dieu en luy. Assez nombreux encore sont les endroits oü le latin ne cite que partiellement tel texte et oü la traduction le continue jusqu'a la fin: nos pontificem non habere qui non possit compati infirmitatibus nostris. II, 3, 1; Hébr., 4, 15. sed accessisse ad montem Sion et civitatem Dei viventis: Jerusalem coelestem, etc. II, 11, 9; Hébr., 12, 8-22. quia Johannes tradit se de verbo vitae annuntiare quod manus suae contrec-taverunt. II, 14, 7; 1 Jean, 1, 1. '559—1560- Deus erat in Christo mundum sibi reconcilians. II, 17, 2; 2 Cor., 5,19. que nous n'avons point un Sacrificateur sans compassion et pitié de noz infirmitez, veu qu'il en a esté tenté. mais qu'ils sont venus en la montagne celeste de Sion et en Jerusalem cité de Dieu vivant, pour estre en la compagnie des Anges. veu que sainct Jean dit qu'il annonce la parole de Dieu que les mains des hommes ont touchée et que les yeulx ont apperceu. Dieu estoit en Christ s'appaisant envers le monde. 41 La B. d. C: Dieu estoit en Christ reconciliant le monde d soy. non per sanguinem hircorum aut qu'il n'est entré au sanctuaire avec vitulorum, sed per sanguinem propri- sang de boucs on de veaux, mais um semel intrasse in sancta. par son propre sang. II, 17, 4; Hébr. 9, 12. La B. d. C. donne parfaitement: une fois. ut filium suum unigenitum daret. I qu'il n'a point espargné son Fils II, 12, 4; Jean, 3, 16. | unique, mais ïa livre' d la mort. non fecimus nos ipsi. I II nous a faits, ce ne sommes pas II, 3, 6; Ps., 100, 3. | nous qui nous ayons faits. puer natus est nobis. I L'enfant nous est nay, le Fils nous II, 17, 6; Is., 9, 6. | est donné. Le passage suivant nous fournit 1'exemple d'une traduction-explication: et exspoliatos principatus ac palam I et que les principautez en 1'air ont traductos. esté despouillées et que les diables, II, 16, 6; Col., 2, 15. en signe qu'ils estoyent vaincus ont I esté mis en monstre. CHAPITRE III En quoi se révèle Ie caractère populaire des versions francaises Ce qui sépare Personne ne s'est exprimé mieux que Calvin luila rédaction même sur le but et la nature de l'édition frangaise latine des ver- de l'Institution chrestienne et sur ce qui la sionsfrancaises. sépare de SQn origina, ^ Dans son Argument du present Livre, lequel se trouve en tête de toutes les éditions antérieures a celle de 1560, il est question de „gens simples" envers qui 1'office de „ceux qui ont receu plus ample lumiere de Dieu" est de „leur prester la main, pour les conduire et les ayder a trouver la somme de ce que Dieu nous a voulu enseigner en sa parole". Ensuite on y lit ce passage remarquable: „a ce qu'il peust servir a toutes gens d'estude de quelque nation qu'ils feussenti): puis apres desirant de communiquer ce qui en povoit J) Porro hoe mihi in isto labore propositum fuit, sacrae theologiae candidatos ad divini verbi lectionem praeparare et instruere (Opera, II, p. 2). 42 venir de fruict a nostre Nation Francoise: 1'ay aussi translaté en nostre langue" i). Entendons-le bien: l'Institution, comme d'ailleurs le titre 1'indique, est un livre d'instruction pour tout le monde. Mais avec 1'auteur, il faut établir une distinction entre les gens a instruire: Ce sont „les gens d'estude" a qui l'édition latine est destinée, et d'autre part, il y a la nation frangaise, le vulgaire, les membres du troupeau. Et quand, dans le même Argument, 1'auteur parle avec commisération du simple d'esprit „qui ne peut comprendre tout le contenu" et quand il conseille de ne pas se désespérer pourtant, de marchar toujours outre „esperant qu'un passage luy donnera plus familierement exposition de 1'autre", il est évident que Calvin ne vise pas ceux qui sont aptes a lire le latin, le grec et 1'hébreu, mais uniquement les lecteurs de la version en langue vulgaire. affll Le caractère populaire du texte francais se manifeste de différentes manières. Dans une étude trés documentée, intitulée La Réfortne et les classes populaires, oü M. Henri Hauser2) combat 1'opinion d'Augustin Thierry et de H. Lavallée3), et oü il se rallie a celle de Michelet et de M. Hanotaux, on trouve solidement établi que c'est surtout dans la classe ouvrière, parmi les tisserands, cardeurs, chambrières, serruriers, etc, qu'il faut chercher les premiers adeptes du Protestantisme francais et que même les prédicateurs se recrutent parmi les petites gens4). La Bible occupant une place si prépondérante dans la matière que traite l'Institution, on se demande tout d'abord quelles connaissances scripturaires Calvin a pu supposer cbez la moyenne des lecteurs appartenant a „la nation francoise". Les Bibles, vers le milieu du XVI6 siècle, étaient rares, plus rares encore étaient les pasteurs, le catéchisme ne se faisait régulièrement que dans les centres de Protestantisme. En revanche, les rares exemplaires de la Bible, échappés aux perquisitions de la justice, étaient lues avec une ardeur qui bravait 1'Inqutsition et ses tortures. Quant aux Catholiques convertis a la nouvelle doctrine, primitive- i) Opera, III, p. XXIII. l) Etudes sur la Réfortne frangaise (p. 83—103). 8) „Le peuple seul haïssait sincèrement les novateurs (p. X.)". 4) M. Hauser fait dans la recherche de la cause de ce phénomène une part trés large a des raisons d'ordre éconornique. 43 ment leur savoir des choses bibliques ne doit pas avoir dépassé de beaucoup ce qu'en savait la mère de Francois Villon, dont le seul livre d'édification ont été les vitraux peints du „moustier dont elle estoit paroissienne". On se ferait pourtant une idéé fausse du caractère des traductions, si 1'on s'imaginait que Calvin épargnat a ses lecteurs les questions épineuses. L'Institution est avant tout un livre d'instruction et de controverse. Tout en établissant les assises de la doctrine pure, fondée sur les Ecritures, 1'auteur est forcé de combaftre la fausse religion et, è eet effet, il conduit ses lecteurs a travers un véritable labyrinthe, c'est-a-dire les hérésies d'une douzaine de siècles. Tout le monde, lors de la publication du livre, étant plus ou moins théologien, obligé de traiter la question brülante et de donner dans la controverse, ceux qui utilisaient la version n'auraient pas aimé que 1'auteur leur eüt fait grace du moindre détail de fond. Donc, les opinions d'Osiander, d'Eutyches, de Nestonus, des pélagiens, des semi-pélagiens et de tant d'autres sont traitées, analysées et critiquées avec autant de minutie scrupuleuse en frangais qu'en latin. En quoi alors consistera 1'effort vulgarisateur accompli par le traducteur? Cet effort portera d'abord sur la suppression de tout détail trop technique ou purement scientifique, sur l'amplification d'une matière inaccessible dans une forme trop concise, sur 1'addition de termes expücatifs et, avant tout, sur un fréquent et large emploi de cette langue familière, qu'on est étonné de rencontrer dans un ouvrage aussi austère et par lequel Calvin a su attirer et captiver les milliers de petites gens pour qui l'Institution a été, après la Bible, Ia principale nourriture spirituelle. Le grec et La place que 1'hébreu occupe dans 1'original est tres rhébreu. restreinte - dans Ie Ile Livre il n'y a que deux mots d'hébreu (au II, 16, 6), et encore 1'auteur a-t-il eu soin de les traduire aussitöt après en latin. La version francaise ne mentionne a cet endroit même pas qu'il s'agit d'hébreu. Des quelques mots hébreux ou plutót araméens qu'on trouve tels quels dans la plupart de nos Bibles, 1'un, racha, est traduit - in/ure (II, 8, 39), 1'autre, abba, y est reproduit accompagné de son équivalent francais: abba, pere (II, 14, 5). Quant au róle que joue le grec dans 1'original aussi bien que dans la traduction, il est plus important et plus varié. En traitant des choses du Nouveau Testament et en écrivant pour des gens qui 44 1'ont lu dans le texte original, il est impossible que Calvin ne cite pas le bel idiome qui fait Ia joie de tous ceux qui le connaissent. Le plus rigoureux censeur n'y découvrirait pas une ombre d'étalage d'érudition. En revanche, il est tout aussi naturel qu'écrivant sa traduction pour ses „gens simples", il s'abstienne de citer du grec. En général 1'auteur traduit ces citations. En parlant du Christ, il dit: Chris/urn esse dnoXvrgcooiv xai dvrdvrgov xai 'daorrigiov et traduit: que Jesas Christ eust esté nostre pris et rencon, redempteur et propiciation (II, 16, 6). Ici le terme propre 'daorrigiov est rendu par le terme propre. Au II, 17, 5 le même mot est traduit par le terme abstrait en appointement; ibid.: dvrdvrgov >plege et rancon; II, 17, 2: Uaa/uog )propiciation; II, 17, 2: %agio[iay don. Les termes que Calvin emprunte a Aristote, a Platon et, en général, aux philosophes sont également assez nombreux dans 1'original: Graecos vero non pudait multo arrogantius usurpare vocabulum, siquidem avregovoiov dixerunt, ac si potestas sui ipsius penes hominem fuisset) Les Grecs n'ont pas eu honte d'usurper un mot plus arrogant par lequel ils signifient que l'homme a puissance de soy-mesme (II, 2, 4). Ici, la traduction ne souffre en aucune fagon par Ia suppression du grec puisqu'elle explique, a 1'instar de 1'original. Ailleurs la traduction supprime sans compensation. En parlant d'une distinction faite par Aristote entre 1'incontinence et 1'intempérance, il cite le mot jia&os: Ubi incontinentia regnat dicit per affectum perturbatam seu naiïog parlicularem notitiam menti eripi > Ld ou incontinence regne, dit-il, l'intelligence particuliere de bien et de mal est ostée d l'homme par sa concupiscence (II, 2, 23). Une fois, au IIe Livre, il arrivé a Calvin de citer Homère, et la il traduit textuellement (II, 2, 17). Comme on peut le voir dans les exemples cités, la traduction rend les mots grecs de l'original littéralement ou procédé par 1'explication. Plus rarement la traduction supprime, et, rarement aussi, le terme grec s'infiltre dans le texte francais. Pour ce qui concerne les explications, il y en a d'assez curieuses a relever: nebulones quidam fegis xaxoCyXoi} aucuns brouillons qui par un zele desordonné qu'ils avoyent aux ceremonies (II, 11, 7); priores partes rrj doctrines (II, 2, 15); manifestatae sunt synecdochae > /7 es/ s* notoire qu'une partie est mise pour le tout (II, 8, 8); falsa apotheosis > en deifiant les hommes (II, 8, 26); analogia) simUitude (II, 17, 4); catalogus) rolle (II, 8, 4); antithesis) comparaison oü il oppose l'un d 1'autre (II, 17, 5) ou une comparaison d t'opposite (II, 3, 6); paedagogia) ceste doctrine puerile (II, 11, 5); epitheton) tiltre (II, 15, 5) ou tiltre... qu'on adjouste avec (II, 2,4); oeconomia ) ordre et maniere (II, 5, 5). Comme on le voit, ce sont fréquemment de véritables définitions que fournit le texte francais. Nous avons dit que la traduction procédé plus rarement par omission: Nam etsi non exprimitur Christi nomen Johannes sub pronomine avro? eum designat > Car combien que le nom de Christ ne soit point exprimê le sens est assez notoire (II, 17, 5). Le détail, ici apparemment trop technique, est habilement évité. De même au II, 2, 23, oü, dans le texte latin, les termes d'hypothesis et de thesis reviennent a plusieurs reprises. En d'autres endroits c'est tantöt synecdochen (II, 16, 13), tantöt oeconomiam (II, 10, 20), tantöt per antonomasiam (éd. 1541, p. 239), qui ne trouvent pas grace aux yeux du traducteur. En revanche, ca et la, il y a des termes trés savants qui pénètrent dans la traduction. Au I, 12, 3, on Iit: une révérence laquelle se nomme en Grec Proscynesis. Au IIe Livre on se trouve tout a coup en présence du mot proeme. II est vrai que la traduction ajoute: puis apres que les dix preceptes s'ensuyvent (II, 8, 12). Par cette addition, qui n'a pas d'équivalent dans 1'original, celui qui ne connait pas le terme est renseigné. Hypostase se rencontre également a plusieurs reprises dans la traduction: Certes quand iapostre nomme Jesus-Christ Image vive de [hypostase de son pere (I, 13, 2); ce Fils unique lequel nous est aujourdhuy la splendeur de la gloire et vive portraicture de l hypostase du Pere (II, 9, 1). Au II, 14, 5,1'auteur parle d'union hypostatique. Par contre le mot est évité autre part: aeternam Sermonis hypostasin) la seconde personne qui est en Dieu (II, 14, 8); certissimam hypostasin ) le fondement et la substance (II, 16, 13). Suppression Les suppressions autres que celles dont nous venons d'un détail trop de parler, sont assez rares. Et encore sont-elles dues technique. qUelquefois au hasard. Si, par exemple, au II, 14, 8, nisi qui ex Abrahae Davidisque semine progenitus est traduit par sinon qu'il soit engendré vrayement selon la chair, on peut être. certain 46 d'avoir affaire a ce qu'on pourrait appeler un caprice de ia traduction. Mais ce n'est pas un caprice si, tout en citant saint Augustin, Ie texte latin spécifie ut quum scribit Hitario ; item Asellio / item ad Innocentiam Romanum ; tandis que dans la traduction on ne lit que: sainct-Augustin en parle souvent: comme quand il dit ; item ; item etc. (II, 7, 9). Quand, autre part, coena quam quotidie suscipitis se trouve être traduit par la cène du Seigneur (II, 10, 5), 1'auteur, par la suppression de la relative veut apparemment éviter un détail, pour le moment épineux, d'une matière qu'il traitera dans toute son ampleur au IVe Livre, Ch. 17. Une suppression analogue est produite par le passage suivant: nihil aliud afferentes nisi abrogatum esse, quod caeremoniale erat in hoe mandato (id vocant sua lingua dici septimae taxationem) remanere autem quod morale est, nempe unius diei observationem in hebdomade. II, 8, 34. ne discernans entre le Dimanche et le sabbath autrement, sinon que le septieme jour estoit .abrogué qu'on gardoit pour lors, mais qu'il falloit en garder un. Quelquefois, au lieu de les supprimer totalement, 1'auteur remplace le détail scientifique, l'allusion littéraire, par quelque chose de plus généralement connu: Le quatrième chapitre du Livre II finit par une belle image empruntée a 1'histoire romaine: Attilius Regulus angustiis dolii aculeati inclusus... Augustus, magnam orbis terrarum partem motu suo gubernans. II, 4, 8. l'homme enfermé en urie prison... quelqu'un dominant (par, ajoute l'édition de 1560) toute la terre C'est en suivant le même procédé que Plautus devient unpoete(\\, 17, 3); Lyconides > un jeune homme (ibid ); illud occamicum > leproverbe commun (II, 3, 10); Regulae Triconii) regies de la doctrine chrestienne (II, 5, 8)!), jurare per Melchon > jurer au nom de leur idole (II, 8, 23); au II, 16, 6, la différence entre victimae et expiatrices disparaït dans la traduction qui ne donne qu'un mot, hosties. Considérée extérieurement, 1'amplification constitue Amplification. ^ procédé opposé a celui que nous venons de traiter, mais cela ne 1'empêche pas de viser au même but, celui de rendre plus facilement abordable ce qui, dans la concision propre au latin i) II s'agit d'un livre de saint Augustin, Intitulé Liberdedoctrina Christktna. 47 philosophique de 1'auteur, élève de Cordier, serait plulót obscur. Tel mot de M. Lanson i) prêterait a un malentendu: on serait porté a croire que les amplifications ne datent que de 1560, ne découlent que d'un presque trop grand talent de prédicateur, d'une tendance au délayage, acquise surtout au cours des dix-neuf années qui séparent la première de la dernière édition de l'Institution. Le fait est que ces développements, quelquefois un peu prolixes, se rencontrent dans Ie texte a partir de l'édition primitive, y sont assez nombreuses et constituent, dès 1'abord, un des traits caractéristiques de Ia traduction. «53Q-I54I- hoe secundum ... de priore ... ce second point assavoir de resveiller 11,2, 1. I'homme de sa negligence et paresse... Quant au premier, de luy monstrer sa povreté. . . illa cohortatio. I ceste exhortation que le Seigneur fait II, 8, 14. I d son peuple. atqui praecedat oportet vera religio. au contraire, si nous voulons bien II, 8, 16. observer ce commandement il faut que la vraye religion precede en nous par laquelle noz dmes soyent attirees pour s'appliquer du tout d Dieu. Le procédé contribue quelquefois a donner a la prose de la traduction un aspect singulièrement délayé, comme il parait dans 1'exemple suivant: . - . . . qui illic insurgunt adversus reg- . . . tentations qui sont ennemies et num ejus ... qui edicta ejus inter- contraires au regne de Dieu ... qui pellant. II, 8, 58. ont quelque vigueur a nous esbranler, ou meitent le moindre empeschement du monde en nostre pensée a ce que Dieu ne soit entièrement obey, et sa volonté observée sans aucun contredit. 1559-1560. Sed rebus annexam gratiae promis- mais il adjouste la promesse de grace, sionem. laquelle ne doit point estre separée II, 7, 12. quant aux fideles. !) Art. cité, p. 74. 48 et hoe modo probari oportuit quod et a fallu que la sujection qu'il renpatri suo praestabat obsequium. doit a son Pere fust esprouvée en II, 16, 5. choses dures et desquelles il se fust volontiers exempté. Souci d'édifi- Souvent le traducteur a 1'air de vouloir profiter de cation. 1'occasion qui s'offre, pour adresser a ses lecteurs une exhortation a la persévérance, pour leur rappeler le bien immense que Jésus-Christ leur a acquis ou 1'abime du mal d'oü ils ont été tirés. La matière qu'il traite semble lui arracher tantöt un cri de joie ou d'admiration, tantöt un soupir de pitié. On dirait un pasteur qui parlerait a ses ouailles. Le souci constant d'édifier »ses Francois desquelz il en voyait plusieurs avoir faim et soif de Jesus-Christ: et bien peu en eussent receu droicte congnoissance", comme dit Calvin avec une touchante tendresse dans 1'Epistre au Roy, ce souci est irrécusable dans la traduction. D'ordinaire, il s'y manifeste sous la forme d'additions: «539-154» peculiari functionis gratia. I de la grace speciale') que Dieu fait II, 4, 7. I aux hommes de jour en jour. neque ista est alieni delicti obligatio. et ne faut dire que ceste obligation II, 1, 8. soit causée de la faute d'autruy seulement, comme si nous respondions pour le pêché de nostre premier pere sans avoir rien merité. En parlant de la Loi le traducteur ajoute: car c'est un hommage spirituel qui se rend d luy comme souverain Roy et ayant toute superiorité sur noz ames (II, 8, 16); a propos de la délivrance des fidèles: Finalement cecy nous doit bien aussi esmouvoir d obtemperer d nostre Dieu (II, 8, 15) et ailleurs, comme s'il voulait s'étendre sur le mystère des prières que Dieu tarde a exaucer: Comme aucunesfois il advient que nostre Seigneur ne se revele point du premier coup d ses fideles, mais les laisse cheminer quelque temps en ignorance, devant que les appeler (II, 7, 10). 1559—1560. a vulgari corruptione exemptus fuerit. Jesus-Christ a esté separé du rang II, 13, 4. commun pour n'estre point enveloppé en la condamnation. Souci d'in- En exposant sa doctrine, 1'auteur de l'Institution struction. promène ses lecteurs a travers le vaste champ de la littérature de la Bible et des Pères. De temps a autre même il ne x) Spirituelle dit l'édition de 1541, évidemment par erreur. 49 dédaigne pas de faire allusion a ce que Platon ou Ovide ont dit ou même de les citer. Si .les gens d'estude", alors, n'ont pas de peine a le suivre, il en est autrement pour la majorité de ceux qui le lisent en langue vulgaire. Nous avons vu plus haut que Calvin, en traduisant, ne craint pas de retrancher un détail qu'il ne juge pas strictement indispensable. Mais ce qui lui arrivé plus fréquemment c'est d'orienter son public dans la matière et de faire accompagner le détail d'une brève explication. Le commentaire que fournit ainsi la rédaction francaise sur le contenu de 1'original, jette un jour tout a fait curieux sur 1'idée que Calvin avait de la culture générale de ses lecteurs francais. 1539-1541. Thomas. II, 2, 4. I Thomas Dacquin, celuy qui a escrit | le livre de la vocation des Gentilz. Eucherus. II, 2, 9. | Euchere ancien Evesque de Lyon. Archelaus. H, 8, 44. | Un philosophe nommé Archelaus. Themistius. II, 2, 23. I Cest Themistius qui est un autre | philosophe. Le pronom cest, que 1560 supprime, ne marqué aucun mépris. II veut dire simplement que 1'auteur suppose Ie personnage inconnu a ses lecteurs i). Si enim Beseled et Oliab intelligen- Car s'il a fallu que science et artifice tiam et scientiam quae ad fabricam ayent esté donnez specialement par tabernaculi requirebatur oportuit a 1'Esprit de Dieu d ceux quiconstruispintu Dei instillari. soyent le Tabernacle au desert. II, 2, 16. Sennacherib. 1 Sennacherib, homme meschant et II, 4, 4. | pervers. istud dictum. ibid. | ce qui est dict en Job. Rachele privatur. 1 rj perd sa femme Rachel en travail II, 10, 12. | d'enfant. i) Calvin ate Themistius et ces lignes ont ceci de remarquable que, d après Köstlin (Studiën und KrUiken, 1865, p. 96), elles n'ont-été plubliées pour la première fois qu'en 1534 a Venise, ce qui fait dire a M. Doumergue^ ,A tel point C se tenait au courant de la littérature de son siècle" (Calvin, 4 50 Abdias, vir justus et timens Dei. II, 8, 27. Non ex eorum regeneratione spirituali sed generatione carnali. II, 1. 7. quod a Paulo saepius peccatum nominatur. II, 1, 8. Abdias, homme juste et craignant Dieu (comme dit l'Escriture). Non de la generation spirituelle que les serviteurs de Dieu ont du sainct Esprit, mais de la generation charnelle qu'ils ont d'Adam. que sainct Paul appelle souventesfois Pêché, sans adjouster originel. Au II, 2, 14, Calvin critique Platon, qui prétend que nos aptitudes naturelles — l'Institution les appelle apprehensions — sont des souvenances d'un état antérieur. II dit dans la rédaction francaise: combien que Platon se soit abusé pensant que telle apprehension ne fust qu'une souvenance de ce que l'ame savoit, a quoi la traduction ajoute: devant qu'estre mise dans le corps. Au II, 2, 23, on lit dans le latin le célèbre adage d'Ovide: Video meliora proboqae, Deteriora sequor, sans indication d'auteur paree que, sans doute, cela aurait été superflu pour les lecteurs latins. Le texte francais traduit littéralement, tout en y joignant cette addition: que nous voyons és livres des Payens. 1559_1560. Au II, 16, 12, il est question d'Apollinaire. La trar duction ajoute a ce nom la qualification A'ancien hereüque et au cours de la réfutation de 1'hérésie, il fait accompagner le terme de Monothélites de 1'explication: qui ont vouUi faire \accroire que Jesus-Christ n'avoit qu'une volonté. commentum, cujus autor hoe fuit Eutyches. II, 14, 8. ... scalam in visione ostensam patriarchae Jacob. II, 9, 2. Sehon regem. H, 4, 3. Apud Jesajam, nis verbis. II, 15, 2. 1'heresie d'Eutyches laquelle Servet a renouveüée. la vision qui fut donnée au sainct Patriarche Jacob de 1'eschelle, sur laquelle Dieu estoit assis. Sehon, roi des Amorrhéens. En Jesaïe, oü. Jesus-Christ parle ainsi. dictum fuisse Messiam. ibid. Dont aussi ce nom de Messias, qui vaat autant comme Christ, ou OincL 51 Quod patet ex voce illa mulieris. Comme il appert par ce que la femme II, 15, f» Samaritaine respondit d nostre Seigneur Jesus. Judices. I, 1, 3. I Les juges que Dieu a gouvernez en | Judée. cherubim. ibid. | Les cherubins et les anges du Ciel. Parfois il est remarquable combien Calvin, dans les rédactions francaises, se met entièrement au niveau du simple lecteur. Sans procéder par suppression, ni addition, ni explication, 1'auteur prend un terme familier a tous et qui est 1'a peu pres de 1'idée exprimée dans l'original. Les exemples que nous donnerons de cette méthode seront tous tirés de l'édition primitive. (Facit) reos consilio qui murmurando et coupables devant le consistoire, aut fremendo aliquam offensi animi tous ceux qui en murmurant monsignificationem dederint. II, 8, 7. strent quelque offense de courage. Consilium est un mot du Nouveau Testament dont le sens direct parait être difficile a saisir et que quelques traducteurs de la Bible i) ont taché de rendre par Sanhédrin. Calvin coupe court a toute subtilité. Pareil a ces peintres primitifs qui représentent la circoncision de 1'enfant Jésus présidée par un archevêque en grand apparat, il commet un anachronisme. Ce qui importe, c'est que les lecteurs sachent a quoi s'en tenir. De même nous lisons au II, 8, 39: qui monstre signe de courroux est coulpable d'estre condamné par toot te consistoire (consilio) 2). Autre part (II, 16, 5) consistoire traduit solium judicis. vel miles quum sacramento mili- I les sermens que les gendarmes rendent tiae adigitur. II, 8, 27. | d leurs capitaines. .... bonas omnes artes I la medecine et autres doctrines II, 2, 15. | : Dans ce dernier passage il s'agit de prouver que, nonobstant Pabjectjon totale de l'homme devant Ie Seigneur, il y a pourtant parmi !) entre autres, Segond. 2) D'ailleurs, la difficulté du passage de saint Mathieu cité a ce propos, est tant soit peu masquée. La traduction ne fait pas Ia distinction observée' par l'original a 1'instar du grec, entre les différentes transgressions et les peines qui s'ensuivaient 52 les hommes des choses bonnes du point de vue matériel et, malgré ce qu'en ont dit le Vilain Mire ou le Malade Imaginaire, le peuple, de tout temps, n'a pas cessé de vénérer la médecine et de la considérer comme un bienfait du ciel. La langue H va dire ^ ^ y a des écrits de la main de famlllère dans Calvin oü la familianté du langage a beaucoup plus l'Institution., i'occasion de se donner hbre jeu et ce sera alors a Nicolas de Gallars, un des secrétaires du Réformateur, de se plaindre du mal que lui donne la traduction en latin de ce francais familier. Dans la préface, datée de 1546, de sa traduction latine du traité Contre la secte des Libertins, il dit entre autres: .Calvin a certaines expressions qui, en latin, ne peuvent conserver ni leur grace, ni leur force (neque leporem neque vim)."i) A propos de la traduction du célèbre Traicté des Reliques, des Gallars s'excuse de n'avoir pu traduire tous les bons mots et toutes les plaisanteries (sales et jocos) dont 1'ouvrage est plein: «Cogitate suos cuique linguae esse lepores, qui interdum aliis non conveniunt."2) Quoiqu'un ouvrage austère comme l'Institution n'affecte guère ce caractère satirique presque enjoué et rabelaisien du Traicté des Reliques et de 1'Advertissement de 1'Astrologie judiciaire, le cachet de familiarité y est tout a fait visible. Après 1'article de M. Plattard3), dont la conclusion est que style triste dans la bouche de Bossuet ne veut dire que style austère, je n'ai plus besoin de réfuter un jugement, le plus souvent interprété k faux et qui ne sert quelquefois qu'a excuser 1'ignorance de ceux qui n'ont pas pris la peine d'étudier ce style. D'ailleurs, on se demande comment les paroles de Bossuet ont pu jamais être interprétées autrement que comme un éloge accordé, il est vrai, k contre-cceur: „Donnons-lui donc, puisqu'il le veut tant, cette gloire d'avoir aussi bien écrit qu'homme de son siècle: mettons-le même, si 1'on veut, au-dessus de Luther: car encore que Luther eüt quelque chose de plus original .et de plus vif, Calvin, inférieur par le génie, semblait 1'avoir emporté par 1'étude. Luther triomphait de vive voix: mais la plume de Calvin étoit plus correcte, surtout en latin; et son style qui étoit plus triste, étoit aussi plus suivi et plus chitié. Ils excellent 1) Opera, VII, p. XXVII. 2) Opera, VI, p. XXVII. ») Revue d'Hist. litt., 1912, p. 207. 53 1'un et 1'autre k parler la langue de leur pays; 1'un et 1'autre étoient d'une véhémence extraordinaire; 1'un et 1'autre, par leur talent, se sont fait beaucoup de disciples et d'admirateurs . . . ." i) Dans un excellent article, la Langue familière chez Calvin 2), M. Edmond Huguet constate qu'une locution familière fournit souvent a Calvin un moyen d'éclaircir un développement abstrait et il arrivé a conclure qu'au temps du Réformateur la familiarité n'était pas encore exclue des sujets graves - comme le prouvent d'ailleurs des écrivains catholiques, tels que saint Francois de Sales et Charron et que la religion, vers cette époque, n'était pas plus sévère que 1'érudition. Sens Prenons comme exemple un passage emprunté au du Comique. jer Livre. Ils (sc les Epicuriens) simaginent que tout se fait selon que les petites fanfreluckes qui volent en Vair semblables d menue poussiere, se rencontrent d l'aventure, qu'ils me respondent s'il y a une telle rencontre pour cuyre en l'estomac la viande et le breuvage, et les digerer partie en sang, partie en superfluitez (excrementa): et mesme qui donne telle industrie d chacun membre pour faire comme s'il y avoit trois ou quatre céns ames pour gouverner un seul corps (I, 5, 4; 1541). Tout ce passage est de la pure satire et, sauf dramatisation, aurait pu entrer dans les Femmes savantes pour faire pamer d'aise 1'immortelle Bélise qui, elle, „s'accomodait assez des petits corps". L'original latin du passage est, au contraire, sévère. La pensée, et 1'expression qu'elle revêt, acquiert, chez Calvin une hardiesse qui déconcerte quelquefois. Lui, dont la vie entière témoigne de la plus grande vénération pour la parole de Dieu, dit de Pigghius que la cuisine abbatiale fut le Saint-Esprit qui le poussaS). Quand nous lisons dans la Bible 1'histoire d'Isaac, qui bénit Jacob au lieu d'Esaü, nous n'avons d'yeux que pour la conduite indigne du supplan la compagnie de femme legitime (Ep. p. 33). 2) Opera, VI, p. 59. 59 raisonnement de bone Deus? Nous avouons franchement que cela nous est un mystère. S'il parait que les lecteurs de l'édition latine n'en ont pas été choqués, il en aurait peut-être été autrement au cas que la traduction eüt conservé ces exclamations. On ne les y trouve simplement pas. .'«.'3!' L'auteur traite au III, 4, 29 (1541), de la distinction, que font les Catholiques, entre culpa et poena et dit: Quaeista, bone Deus, desultoria levitas, Quelle legiereté est cela? Ils font culpae remissionem nunc gratuitam, maintenant la remission de coulpe prostare confitentur, quam precibus gratuite: laquelle ils commandent en et lacrymis aliisque omne genus prae- autre lieu de meriter par prieres, larmes parationibus emereri subinde doceant. et autres preparations. Au 01, 4, 39 (1541), Calvin fait une violente sortie du cöté de ceux qui s'efforcent a couvrir la médiocrité de leurs raisonnements par 1'autorité des Anciens: Et si veterum autoritate pugnandum i Est-il question de combattre par est, quos, Deus bone, veteres nobis 1'authorité des Anciens, quels Anciens obtrudunt? | nous mettent ils en avant? Au IV, 7, 24 (1541), il est question de 1'autorité du Pape. Pour prouver qu'il est le premier parmi les évêques, il s'agit d'abord d'établir qu'il est évêque ce que Calvin nie de tout son pouvoir. II y a tant de choses qui disent juste le contraire qu'il en est embarrassé : Sed hic, o Deus, unde incipiam? a Car par oü commenceray-je? par la doctrina an a moribus? Quid dicam, doctrine ou par les mceurs? Que aut quid tacebo? ubi desinam? diray-je? ou que tairay-je? et en feray-je fin? Quand l'auteur combat 1'opinion des Anabaptïstes, qui enseignent que le baptême doit précéder la Foi, il s'exclame (IV, 16, 27; 1541): Hic vero quot modis, bone Deus, A cest endroit ils faillent en beaucoup et se implicant, et inscitiam suam de sortes. produnt. Dans les citations précédentes l'auteur a tout bonnement supprimé 1'exclamation dans Ia version. II n'y a qu'un exemple oü la traduction maintient une expression analogue: En parlant de la dépravation oü est tombée 1'Eglise catholique et en y trouvant un culte de beaucoup inférieur a celui d'Israël sous le règne de Joroboam, l'auteur dit: Deus, imo quicunque mediocri judicio Dieu m'est tesmoin et aussi seront praediti sunt mihi erunt testes, et res tous ceux qui auront quelque droit etiam ipsa declarat quam nihil hic jugement que je n'amplhïe rien en amplificem. cest endroit: et la chose aussi le de- IV, 2, 9, 1560. monstre. 60 Ce qui donne une saveur quelque peu crue a 1'exclamation c'est 1'assimilation entre Dieu et les gens praedUi mediocri judicio, assimilation que la traduction conserve. A 1'origine, 1'aspect de la phrase était moins hasardé: en 1543, il n'y avait que: Dominas mihi testis est ce dont le texte francais fournissait la traduction littérale. Oserions-nous soutenir que, dans les passages cités plus haut, le traducteur ait voulu ménager ses lecteurs francais? Ces suppressions, évidemment volontaires, seraient peut-être a rapprocher d'une autre particularité de la traduction: Le mot deus se rencontre quelquefois dans le texte latin au pluriel et, comme on est plus habitué a lire dans la langue des Romains les noms des divinités du paganisme que celui du Dieu unique des chrétiens, cela n'y détonne pas. Dieux, au pluriel, par contre, ferait parfois un singulier effet dans la traduction: ... ut dus esse similes vellent. Öj 2, 10, 1541. serviebatis is qui natura du non erant. I, 4, 3, 1560. . . . ethnici poetae qui et philosophiam, et leges et bonas omnes artes, deorum inventa esse confessi sunt II, 2, 15, 1541. vouloir estre semblables d Dieu1). vous serviez ceux qui n'estoyent point Dieu de nature2). ... les poetes payens, qui ont confessé la Philosophie, les Loix, la Medicine, et autres doctrines estre dons de Dieu. CHAPITRE IV La version francaise de 1560 comparée a la version francaise de 1541 j Un avis au lecteur, en tête de l'édition définitive L'édition de 1560 beaucoup latine contient le distique suivant: plus étendue Quos animus fuerat tenui excusare libello. que celle Discendi studio magnum fecere volumen8), de 1541. £n effet je libellus de 1536 était devenu un magnum volumen. Si nous nous en tenons aux trois états du texte latin de !) II s'agit du premier couple d'hommes. 2) Le texte primitif, fait curieux, avait: d ceux qui de nature ne sont point Dieux. 8) Opera, II, p. 3. 61 l'Institution, le deuxième est deux fois plus étendu que le premier et le troisième a son tour deux fois plus volumineux que le second. Quoique le fond, au cours des remaniements successifs, reste toujours le même, il n'en est pas ainsi pour ce qui concerne la forme. qu'il revêt: les raisonnements se développent en profondeur et en longueur, les citations s'accroissent tant en nombre qu'en étendue, sans que, pourtant, cela porte le moindre préjudice a 1'unité d'expression ou de fond. Un connaisseur de Calvin a pu dire: «Pendant vingt-quatre ans chaque édition vit grossir le livre, non pas comme un édifice auquel on ajoute des parties, mais comme 1'arbre qui se développe librement, naturellement sans que son unité soit un seul moment compromise." i) Dans les révisions l'auteur ne s'est pas contenté d'augmenter 1'ouvrage primitif, mais encore il apporte des changements trés importants a la distribution de la matière: 1'admirable synopsis que les éditeurs strasbourgeois ont publiée2) en donne une idéé approximative. Les traductions successives suivent, dociles, tous les mouvements du texte latin et, dans la grande majorité des cas, tiennent compte des moindres modifications apportées a l'original. Pour ce qui concerne la confection de la traduction définitive, Calvin, qui dut y procéder avec économie, a utilisé toutes les parties de 1'ancienne traduction qui pouvaient encore servir a cet effet Mais comme nous allons voir3), le souci de retoucher, de rajeunir surtout son texte ne le quittait guère, même quand les parties correspondantes du latin étaient restées intactes. Dans le travail de découpage, de transplantation de fragments déja traduits, mais toujours utilisables pour la nouvelle édition, on rencontre, ca et Ia, des morceaux qui ont été traduits deux fois sans que cela efit été bien nécessaire et qui, en ce cas, reproduisent des textes qui se ressemblent comme deux différentes traductions fidèles d'un même original peuvent se ressembler. Un exemple frappant s'en trouve au II, 10, 1. Nous reproduisons les deux textes 1'un en regard de 1'autre et rappelons que, tous deux, ils rendent un original auquel l'auteur n'a pas changé un seul mot: ') Bungener, Calvin, sa vie, son oeuvre, p. 79. *) Opera, I, p. LI—LVIII. *) Deuxième partie de la présente étude. 62 154'- Combien que les tesmoignages que nous avons assemblez, tant de la Loy que des Prophetes, pour approuver ce que nous disions, monstrent suffisamment qu'il n'y a jamais eu au peuple de Dieu autre reigle de saincteté et religion, neantmoins pour ce que les Docteurs' font souvent de longues disputes touchant la difference du vieil et du nouveau Testament lesquelles pourroient engendrer quelques scrupules aux simples gens: il m'a semblé advis bon de faire un traicté particulier pour mieux discuter ceste matière. 1560. Or combien que les tesmoignages que nous avons cueillis de la Loy et des Prophetes suffisent a prouver qu'il n'y a jamais eu au peuple de Dieu autre reigle de pieté et de religion que celle que nous tenons, toutesfois pour ce que souvent il est parlé aux Docteurs anciens de la diversité du vieil et du nouveau Testament d'une facpn rude etaspre, et qui pourroit engendrer scrupule a ceux qui ne sont pas trop aigus, il m'a semblé advis bon de faire un traitté particulier pour mieux discuter ceste matière. II, 10. 1. Le réviseur de la dernière version a un peu 1'air d'un écolier qui veut faire passer pour sien le travail de son camarade. Les variantes se rapportent a des futilités. II serait difficile d'admettre qu'un homme sérieux et affairé comme Calvin se fut amusé a substituer exprès a assemblez, cueillis; k saincteté, pieté; k neantmoins, toutesfois; k difference, diversité; k engendrer quelques scrupules, engendrer scrupule; kpource que les Docteurs font souvent de longues disputes, une tournure oü la longueur rivalise avec 1'obscurité. La présence de cette seconde traduction offrirait une énigme malaisée a résoudre, si le morceau n'était pas immédiatement précédé d'un passage ajouté lors de la rédaction définitive et qui devait être traduite a nouveau. L'auteur, par méprise, au lieu de faire transcrire le texte tout fait, s'est remis a le traduire. Trol» états du Abstraction faite des cas intermédiaires, on distingue texte en 1559. facilement dans le texte latin définitif, a 1'égard de la remise a neuf, trois états: a. Les nouveaux passages ne laissent rien subsister de Tanden texte. II va sans dire qu'en ce cas la traduction présente un texte tout nouveau. b. Les corrections sont clairsemeés et n'ont trait qu'a des mots isolés. Le réviseur se contente de retoucher la traduction. Généralement il y procédé avec un soin minutieux. c. Les modifications sont nombreuses. Dans bien des endroits l'auteur a rayé Tanden texte comme a coups de sabre. Pour donner une idéé du caractère compliqué qu'ils affectent quelquefois, tnous 63 reproduisons ci-dessous des rectangles figurant les paragraphes et oü les grisailles représentent Tanden original, tandis que les changements, datant de 1559, sont en noir. 3E, i 3; Ch. 13, f> 2. 3; Ch. 14,2-6; Ch. 15, "--6; Ch. 16,M,io,is,i9; ch. 17,31). l) Voir notre Introduction, p. 6. f 64 On pourrait se demander si, dans ces remaniements intégraux, l'auteur a comparé sa traduction nouvelle avec 1'ancienne. Nous croyons devoir répondre négativement. Pour cela, nombre de variantes sont d'un caractère vraiment trop insignifiant: Personne) nul, declairé) expliqué, plus amplement ) plus au long, chemin ) voye, royaume celeste > son royaume, sinon)si... ne, repose)gist (II, 12, 2); il nous repute ses freres) nous sommes reputez ses freres, un sacrificateur qui ne puisse avoir compassion ) un sacrificateur sans compassion, et autres semblables ) et semblables passages (II, 13, 1). Ces variantes dont on peut allonger la liste a 1'infini, suffisent pour prouver que les deux versions des endroits oü les changements sont nombreux ont été faites indépendamment 1'une de 1'autre. Les traductions L'article de M- Lanson dans la Revue historique*) successives dit qu'en 1560 le talent oratoire que Calvin dut s'être sui vent de prés acquis au cours des dix-neuf années de prédication les originaux. jncessante, qui séparent les deux éditions francaises de 1541 et 1560, aurait nui a la sobriété, qui fut un des plus grands ornements de la version de 1541. M. Heinrich Morf n'en juge pas autrement2). Tout en concédant qu'il y ait une large part de vérité dans ces opinions, nous avons 1'impression qu'elles ne tiennent pas assez compte de la circonstance que nous avons affaire a une traduction qui, en général du moins, est fidéle et qui suit pas a pas le mouvement du texte latin 3). Parmi une foule d'exemples analogues prenons celüi-ci: 1541. Quand j'auray prouvé toutes 1560. Ces choses pourroyent estre ces choses par bons tesmoignages de tenues pour mal seures, si nous rEscriture, il se trouvera que je ne n'avions en main des passages de diz rien du myen. rEscriture tant et plus, pour prouver que rien de ce que nous avons dit n'a esté forgé des hommes. II, 14, 2. 11 y aurait k propos de ce passage, toute une théorie a faire sur les talents du traducteur en 1541 et en 1560, s'il n'y avoit pas le fait 1) art. c. 2) Morf dit que la traduction définitive est intéressante .insofern sie zeigt, wie die zwanzigjahrige Gewohnheit, theologische Fragen in französischen Predigten zu behandeln, die Sprache des Autors flieszender, Iateinrreier, ober auch weniger markig und gedrungen hat werden lassen" (Geschichte der franz. Lit. im Zeitalter der Renaissance, p. 42). 8) Voir notre premier chapitre. 65 indériable que les deux traductions sont 1'équivalent exact de leurs originaux: 1539. Horum nihil meum esse | 1559. Haec parum firma essent constabit, ubi firmis scripturae testi- nisi plurimae et passim obviae scripmoniis comprobata singula fuerint. turae phrases probarent nihil eorum fuisse humanitus excogitatum. Le latin, dans l'édition sur laquelle le francais de 1560 a été calqué, est beaucoup plus étendu, plus agrémenté et ornementé de toutes les facons, plus prolixe enfin que celui de l'édition de 1539. Ne porte-telle pas, celle-la, aucta etiam tam magna accessione ut propemodum opus novum haberi possit, tout aussi bien que la version francaise définitive: augmentée aussi de tel accroissement qu'on la peut estimer un livre nouveau? Dans un grand Trés souvent, le réviseur fait preuve d'un grand ^'éd-7d*respect pour le texte latin- soH'citude envers ïseo'est'plus l ori8inal ^ réve,e surtout la oü le latin accuse peu prés de 1'ori- de changements. S'il n'y avait que ce phénomène a ginal que observer, tout le monde serait d'accord d'attribuer la celle de 1541. dernière traduction a un scribe quelconque qui n'aurait pas osé s'écarter d'un pouce de l'original vénéré. Pour montrer en quelle mesure la traduction définitive se rapproche du texte latin nous n'avons qu'a reproduire l'original et les deux versions. Tout commentaire est superflu 1): Tïtillatur voluptatum iüecebris. I chastoufllé de volupté > chastouillé II, 2, 3. I des alleschemens de la volupté. in exitialem confidentiam evecta est. et en a on pris cause de s'enorII, 2, 7. gueillir en soy-mesme > et en a on prins cause de s'eslever en fol orgueil pour se ruiner, PalPare- H, 2, 12. | cheminer > tastonner. subodorare. II, 2, 14. | imaginer > imaginer et flairer. deploratus. II, 3, 2. | ruyné > desesperi. paulo post II, 3, 8. | puis apres > et un peu apres. quasi impulsu. II, 3, 14. | par une force > comme par une force. neque secundum merita operum neque | ce n'est point selon les merites de Ia secundum merita voluntatis. " I volonté > ce n'est point selon les ibid. I merites, ne des ceuvres de la volonté. 1) La lecon de 1541 précède 1'autre. 5 66 cum in scripturis passim, turn etiam I en 1'Escriture > tant par toute l'Esab jpso. II, l, 8. I criture qu'en saint Paul mesme. hujus defectionis si merito rei tenentur I or si tous les hommes sont coulpables universi homines. de ceste cheute > si tous sont d bon II, 5, 1. I dro#,fe««scoulpablesdetellerebellion. perpetrasset. II» 8, 7. | commettoit > commettroit. C'est ainsi que l'édition définitive parvient k combler bien des lacunes que la traduction primitive avait laissées: II y a une autre faute bien grosse, c'est qu'il ne discerne point a quoy il se doit appliquer (II, 2, 12). La première partie de la phrase manquait en 1541, ce qui rendait le passage inintelligible. Ce que recognoissait David en soy-mesme quand il demandoit qu'entendement luy fust donné de Dieu (II, 2, 25). Quand il demandoit ne date que de 1560. A propos de la plus grande exactitude de la dernière traduction, nous pourrions encore parler des fautes d'impression que le réviseur redresse. Mais il en a déja été question dans [Introduction de notre ouvrage1). Malgré le soin avec lequel l'auteur, dans la dernière menteapportés rédaction, veille a rendre l'original avec le maximum au latiit pas- de précision, il y a pourtant quelques modifications, sent inapercus. nees ja piume de 1'écrivain au cours des révisions du texte latin, et qui paraissent avoir échappé a son attention. Le latin change confusio en maledictio (II, 1, 8), le francais persiste a avoir confusion. Contemplari change en scrutari (II, 1, 10), le francais garde contempler. Affingere ausi remplace affingebant (II, 1, 11), le texte francais ne change pas. Observamus devient ob'servasse mihi videor (II, 8, 29), sans influencer la traduction. Unum se trouve être substitué a duo, le texte francais n'en montre pas moins deux arpens (II, 8,37). Dans 1'Epistre au Roy (p. 22) il y a un passage, Celuy estoit au nombre des Peres ....le corps de Christ est ld contenu, dont l'original, appartenant a la première rédaction, a été retranché au latin. La traduction le maintient. D'autre part, tout un passage de la même Epistre inséré dans le latin dès 1545, est oublié dant toutes les rédactions fran?aises: Patres erant qui uti universae . . . pro gratia et merito Christi venditant. i) Voir p. 7 s. DEUXIÈME PARTIE observations qui résultent des comparaisons touchant la langue et le style de calvin CHAPITRE I Le Style A. Observations sur le style qu'amène une comparaison entre l'original et la.traduction Calvin a dü se S'il y a quelque chose qui donne a Calvin des créer une droits a la gratitude de tous ceux qui cultivent le beau langue. francais, c'est bien Ie fait qu'il a su exprimer les idéés les plus élevées, les matières les plus ardues dans une langue accessible aux petites gens. On ne se rend pas facilement compte de 1'effort qu'a dü s'imposer un esprit habitué a manier dans ses livres aussi bien que dans ses discours le latin philosophique et théologique et qui, pour faire participer a ses idéés un peuple entier, est appelé a se servir de Ia langue vulgaire. Certes, Olivétan va trop loin lorsqu'il compare la langue vulgaire „au chant du corbeau enroué", mais jamais elle n'avait encore été affectée a I'usage que l'auteur de l'Institution allait en faire. Elle manquait tout aussi bien d'ampleur que de tournures et de termes indispensables a la matière qu'il fallait traiter. De plus, elle était loin d'avoir cette unité d'expression qu'on reconnait aujourd'hui au francais littéraire. On en était a la crise que Joachim du Bellay signale dans sa Défense, a 1'époque oü Olivétan avait le droit d'écrire: „Le Francoys parle ainsi le Picquard autrement, Ie Bourguignon, le Normand, le Provenceal, le Gascon, le Languedoc, le Limosin, Lauvergnac, le Savoysien, le Lorrain, tous ont chascun sa particuliere facon de pa'rler differentes les unes des autres" i). Calvin, et nous ne faisons que répéter ce qui a été dit par les bouches les plus compétentes, a créé !) Opera, III, p. XXIV. Citation prise dans l'Apologie qu'Olivétan a placée en tête de sa Bible. 68 la prose philosophique. Créer, c'est bien le mot. Comme le remarque Brunetière quelque part, les trouvères avaient chanté, nos conteurs avaient conté, personne n'avait encore raisonné. Calvin aurait pu faire sien tel mot d'Olivétan: «Ainsi donc par faulte dautres termes avons esté contreinctz de user des presens, en nous accomodant a nostre tems et comme parlant barbare avec les barbares." Et pour son plus grand honneur il aurait pu ajouter cet éloge que se donne ingénument le traducteur de la Bible francaise: „Au surplus ay estudié tant quil ma esté possible de madonner a ung commun patoys et plat langaige, fuyant toute qffecterie de termes sauvaiges emmasquez et non accoustumez, lesquelz sont escorchez du Latin." . Ceux qui jugent du style de l'Institution ont ^St&deUquelquefois le tort de s'en rapporter, ne füt-ce quïnprose de stinctivement, au critère qu'offre le francais moderne, l'Institution. tanciis qu'il faut se rappeler sans cesse que le XVIe siècle tolérait absolument, prescrivait souvent même, certaines tournures devenues étrangères au lecteur moderne. Ici, nous n'entrons dans aucun détail, mais pour relever quelquesuns 'des traits les plus frappants et qui „choqueraient" le plus, nous citons la phrase suivante: Si Dieu ne leur donnoit point la volonté, entre tant de tentations, leur volonté laquelle est infirme succomberoit; ainsi ne pourroyent perseverer (II, 3, 13). Ce qui imprime surtout a ce passage une allure archaïque et raide, c'est 1'emploi du pronom relatif composé et la suppression de ils. Quant a. cette suppression, a en juger d'après la majorité des cas contraires, elle commence déja a tomber en désuétude, et la réédition de 1562 rétablit conStamment le pronom sujet. Pour ce qui concerne 1'usage de lequel, M. Huguet observe que „Calvin y cherche un moyen d'arriver a cette süreté compléte dans 1'expression des idéés, qui est si nécessaire dans uh ouvrage comme le sien. Peut-être est-il l'auteur du XVI'' siècle qui a fait de ce pronom le plus continnel usage" i). De même icelay, icelle, iceux, iceUes, quoique notre oreille en soit absolument déshabituée, sont pour Calvin des instruments de clartéa). Réunis avec de et employés pour la 3e personne a 1'instar du latin, ils offrent le moyen d'éviter bien des équivoques de sens qu'amène forcément dans la langue actuelle 1'emploi de son, sa, ses"S), mais ne sont pas, i) Huguet, Syntaxe de Rabelais, p. 121. ü) Rabelais s'en serait servi par caprice (Huguet, o. c. p. 94). s) Darmesteter, Cours de Grammaire historique, IV, p. 64. 69 pourtant, sans donner un air de raideur a la prose oü ils entrent. II en est de même pour le substantif placé entre deux adjecufs. Devant que le grand jour du Seigneur et terrible vienne (II, 9, 5), ou le bon usage et licite (II, 8, 25) ou le vray sens et naturel (II, 14, 3), constituent des tournures que personne n'a le droit de trouver incorrectes a cause de la place du second adjectif, quoique ce soit a juste titre que M. Brunot dise que «rien ne donne a la phrase du XVIe siècle un aspect plus négligé" i). Afin de mesurer la capacité d'expression de certains termes de l'Institution, il ne faut pas oublier qu'il y en a qui aujourd'hui ont singulièrement perdu de leur sens. II est sür que, dans quelque voie laquelle nous conduise seurement et sans doute (rede ac solido gressu) d la volonté de Dieu (II, 8, 8), 1'expression sans doute doit être prise dans 1'èclat de sa signification littérale et prjmitive. On pourrait en dire autant pour ce qui concerne étonner dans une phrase comme: que le vieil Testament a esté pour estonner (pavorem ac trepiditationem incussisse) les consciences (II, 11, 9), et déplaisant dans toute injustice est desplaisante d Dieu (II, 8, 45), ce qui sert de traduction a abominatio est Deo. Que le lecteur moderne se mette également en garde contre 1'emploi si fréquent que Calvin fait de pourtant (-— c'est pourquoi), contre celui de vertu, vertueux et vertueusement au sens que le latin virtus donne a ces mots. Douter (craindre), aucunement (= en quelque sorte), en effet (efficaciter), du tout (tout a fait), premier (d'abord), sont des termes qui, par leur fréquence même, nous empêcheraient de saisir la véritable portée de bien des passages. Relevons encore un emploi absolu de pouvoir, lequel n'est plus guère de mise et contribue a rendre obscures des phrases comme la suivante: La conscience ne peut (facere nequit) qu'elle ne tombe en desespoir de ses forces (II, 8, 3). Conservation Les versions francaises gardent généralement les des métaphores. images du texte latin, si hardies qu'elles puissent être. Parmi les locutions figurées que Calvin transplante telles quelles en francais, il y a en premier lieu celles qui sont empruntées a la prose enflammée de la Bible: Jésus a habité dans sa chair comme dans un domicile estroict (in humili domicilio) - II, 16, 14. Gardant la même idéé, l'auteur dit que le ventre de la Vierge est devenu pour la chair x) Histoire de la langue francaise, II, p. 482. 70 du Christ un temple auquel elle habitast (templum in quo habitaret). — II, 14,1, et le Sermo Dei a esté'enserre'en une bien petite loge (II, 13,4). Allant un peu plus loin, Calvin dit que saint Mathieu n'entend pas faire seulement de la Vierge un canal par lequel Jesus-Christ soit passé (II, 13/ 3). A 1'irfstar de saint Paul l'Institution dit que Christ est le miroir (speculum) de la grace inestimable (II, 14, 5), que le vieil homme fructifie (fructificat) et que nous sommes entez (insitos) en la simUitude de la mort de Christ (II, 16, 7), que Jésus-Christ s'est acquis la palme de la victoire (II, 16, 13) et, a 1'exemple de 1'Apocalypse, que Dieu dit de cachetter (obsignare) la vision et la Prophetie (II, 15, 1). S'inspirant d'une parole d'Isaïe, l'auteur compare 1'Eglise catholique a une paroy inclinée (paries inclinatus) - Epistre, p. 12. D'autres métaphores lui ont été suggérées par la lecture des Pères: Suivant de prés saint Bernard, rl compare le nom du Christ a huyle de confUure, sans laquelle toute viande est seiche, sel pour donner goust et saveur d toute doctrine, qui autrement seroit fade, miel en la bouche, melodie aux oreilles, etc (II, 16, 1). Ce ton précieux ne lui est pourtant guère propre. II est plus a 1'aise dans la comparaison familière. C'est ainsi qu'il parle quelque part au He livre d'un treillis (cancelli) qui barre (circumdaret) noz esprits pour les empescher et decliner tant peu que ce soit cd et ld; a un autre endroit de la croix de nostre Seigneur qui change en chariot royal ou de triomphe (II, 16, 6); de 1'incertitude ete ce monde, lequel est comme une mer agitée de diverses tempestes (II, 10, 7). Un certain principe devient une seiche laquelle en jettant son sang, qui est noir comme encre, trouble l'eau dalentour pour cacher une multitude de queues (III, 11, 5). Parfois le ton trés familier, rabelaisien ca et la, se fait jour a travers la couche de 1'érudition. Aymé de Savoye est apaisé par un chapeau de Cardinal, comme un chien par une piece de pain (Epistre, p. 30). Les petits vivotent en rongeant des croustes, toutesfois Us vivent tous dun pot. Les contemporains catholiques de Calvin semblent n'avoir d'autre soin que de recueUlir de la fiente parmi de lor (Ep. p. 20) i). Calvin, qui s'attache a maintenir dans la traduction les grandes images de l'original, en use un peu autrement quant aux métaphores qui sont un peu la menue monnaie du langage. A 1'égard de celles- i) II est certain qu'en écrivant cela (in auro legere stercora) Calvin a songé au proverbe par lequel on désignait a Rome les emprunts que Virgile a faits a Ennius. 71 ci la comparaison entre les textes latins et francais accüse un déficit pour la traduction. Sans doute, il est un peu malaisé d'établir une ligne de démarcation entre la métaphore qui se fait sentir comme image et celle qui est retombée a 1'état de cliché. Le critère qu'on est toujours tenté d'appliquer, c'est-a-dire le langage dont nous nous servons habituellement, est plus ou moins faux étant d'un caractère trop individuel: ce qui est cliché pour 1'un, peut être image pour autrui. Même, telle locution qu'on trouve cliché anjourd'hui, nous impressionnera particulièrement demain, et inversement. Aussi, sans trop nous perdre dans des distinctions entre métaphoresimages et métaphores-clichés, nous bornerons-nous a dire que l'Institution francaise est bien moins imagée que la latine: Porro quoniam carnis nostrae pon- Et pour ce que la bonne volonté dere bona etiamnum voluntas obrui- mesme par la pesanteur de nostre tur, ne emergat subjunxit, eluctandis chair est retardée et opprimée il dit ejus pugnae difficultatibus .... consequemment que pour surmonter II, 3, 9. toute difficuttê .... Sed quia ingentem materiae sylvam Mais pource que je voy ceste matière fore video in qua diutius multo im- si ample qu'il nous y faudroit arrester morari necesse sit quam ferat instituti plus que ne porte ce que j'ay entrepris ratio, esset enim opus longi voluminis, de faire (car il y auroit pour remplir un simulque vel parum perspicaci lectori gros volume): davantage, pource que viam me stravisse ex superioribus je pense avoir fait ouverture cy dessus arbitror, qua inoffenso cursu pergere a tous lecteurs de moyen entendement, queat, a prolixitate non adeo in prae- en telle sorte qu'ils pourront d'eux- sens necessaria abstinebo: praemonitis mesmes comprendre ce qui en est, je me tarnen lectoribus ut viam sibi ea clavi garderay d'estre prolixe, sans qu'il en expediri meninerint, quam prius in soit grand mestier. Seulement je les manum illis dedimus. II, 10, 20. admonesteray qu'ils se souviennent d'user de la clef que je leur ay baillée pour se faire ouverture. L'allégorie du dernier exemple latin est peut-être trop précieuse pour en regretter la disparition dans le texte francais. Pertesdecoloris La traduction reste le plus souvênt au-dessous de et de force 1'original latin pour la variété autant que pour le coloris expressive. je i'expression. Dans une seule phrase animum erigere ad alqd., animos facere alc., animosum reddere sont tous les trois rendus par eslever le cceur (II, 1, 3) i). Lucta et conflictus deviennent !) II faut pourtant reconnaitre que dans la dernière édition francaise eslever est remplacé une fois par enfler. 72 un cotnbat (II, 2, 27). Au II, 8, 27, praestare juramenta, usurpare juramenta, jurare et exigere juramenta, adigere alqm. sacramento, sont traduits on bien par faire ou par requerir des sermens. Le latin dispose d'un riche matériel de verbes, substantifs, adverbes pittoresques la oü la traduction doit se contenter de vocables plus on moins incolores: qui si partiuntur ut tria precepta I ceux qui les divisent tellement qo!it dent primae tabulae reliqua septem y ait en la première table trois prein secundam rejiciant .... vel certe ceptes et sept en la seconde ou bien sub primo occultent. II, 8, 11. | les mettent sous le premier. ^ postquam de brevitate jluxaque et apres avoir monstré combien ceste evanida imagine humanae vitae lo- vie est brieve et fragile. quutus est. II, 10, 15. dum talibus vitiorum morbis scatet. I ayant de telles ordures. II, 3, 2. C'est ainsi que exsultare devient estre (II, 3, 9) praecipites ruere, aller (II, 8, 19), modulum, maniere (II, 3, 10) i). Comme on a déja pu le voir dans les exemples précédents, le manque de coloris du texte francais n'entraine pas que des suites d'ordre esthétique, mais 1'expression en subit encore une notable perte d'énergie. Pour s'en convaincre davantage on n'a qu'a confronter les deux rédactions des passages suivants: SensUm restringere ad verborum an- I restreindre 1'intelligence selon les pagustias. II, 8, 18. | roles. siquidem integram et incorruptam I que sa gloire soit conservée. divinitatis suae gloriam requirit. II, 8, 16. | sed in oculis suis qui abditissimas I mais devant sa face a laquelle il cordium latebras intuentur. Ibid. n'y a rien qui ne soit visible et I manifeste. Dans le passage latin chaque mot porte, tandis que le francais exprime 1'idée de la facon la plus neutre. L'emploi de deux adjectifs, oü un seul aurait suffi n'arrive pas a relever ce que la traduction a ici de terne. L'adoucis- La dureté qu'on a si souvent reprochée a Calvin, sement. c'est surtout dans la rédaction latine de l'Institution qu'il faut la chercher. Bien entendu, les dogmes eux-mêmes ne changent .i) La traduction n'efface pas partout 1'idée diminutive de modulum. Elle donne une si petite mesure, petitesse, povreté (passim). 73 pas d'un iota sur leur passage dans le texte francais et celui qui ne suit pas le Réformateur dans ses redoutables déductions, éprouvera autant de trouble, qu'il lise le livre en latin ou en francais. Mais ce qu'on ne saurait méconnaitre, c'est que la traduction jette souvent un léger voile, du flou dirait-on en peinture, sur la dureté de certains tons. Que les quatre exemples sui van ts suffisent pour le démontrer: ut nihil quam corruptum foetorem I qu'il ne peut produire que toute efflare queat. II, 5, 19. | perversité. ut semper humi serpat et in crassi- I s'arrestant tousjours a terre. oribus se prostituere libeat. II, 2, 2. crassa carnalique sabbatismi super- Ils surmontent les Juifs en opinion söWo/Wjudaeos ter süperant. charnelle du Sabbath. II, 8, 34. furiosi nonnulli ex anabaptistarum I D'aucuns Anabaptistes. secta. II, 10, 1. Nous croyons devoir faire une exception pour les endroits deTedition définitive qui se réfèrent a Michel Servet. Ils sont souvent marqués d'un accent violent, parfois étranger aux passages correspondants de l'original et ils ont pour but apparent d'inspirer une sainte horreur a tous les Francais qui auraient tant soit peu de sympathie pour les idéés anti-trinitaires du malheureux Espagnol. Si l'original traite Servet avec dédain de prodigiosus nebulo (II, 10, 1), la traduction lui décoche comme une flèche mortelle une injure et dit monstre. II est d'aillleurs rare de voir le nom de Servet sans qu'il soit accompagné de monstre, miserable ou brouillon. La Simplifi- La maitrise avec laquelle Calvin manie le beau latin cation. classique fait de l'original de l'Institution un chefd'ceuvre d'éloquence, oü la richesse le dispute a la clarté, 1'harmonie a 1'ampleur. Le francais des traductions, nous 1 'avons déja fait voir k plusieurs reprises, n'atteint pas, le plus souvent, a la hauteur du latin. Et pourtant, a un seul point de vue on pourrait le lui préférer quelquefois. II en est des deux textes comme de deux paysages. L'un, inondé de soleil, s'étend sous 1'azur d'un ciel d'orient. Le blanc des murailles éclate k cöté d'ombres profondes, des habits exotiques piquent des tons criards dans 1'ocre des routes. Au-dessus des palmiers des coupoles Manches tranchent leur galbe sur le bleu cru d'un espace sans bornes. Cela est beau, cela est radieux. Aucun détail ne nous est épargné. Mais la crudité des tons et la netteté des contours 74 frappent avec une telle persistance que nos yeux fatigués se ferment et qu'on évoque cet autre paysage septentrional, oü d'épaisses frondaisons font rentrer les chaumières dans un clair-obscur plein d'intimité, oü 1'atmosphère enveloppe les lointains dans une tonalité vaporeuse oü règne le gris1). A cöté de la prose latine riche, haute en couleurs, chargée d'épithètes et oü 1'énergie du verbe explose quelquefois, la traduction, nue et simple, fait de temps en temps un bienfaisant effet comme les Sire*) de TEpistre au Roy font du bien a cöté des Rex clarissime, Rex nobilissime, Rex invictissime, fortissime Rex, illustrissime Rex, de la Praefatio. Le latin philosophique oü Calvin avait moulé sa La Période. pensée était une iangue faite et parfaite disposant d un riche matériel de constructions et d'unités, le francais philosophique, au moment oü Calvin s'est avisé d'écrire, était une langue a créer, cherchant sa voie, nécessiteuse a plus d'un égard, incertaine encore dans les formes syntactiques, pauvre de vocabulaire pour ce qui concerne 1'élément oratoire. Nous avons 1'impression que rien ne saurait mieux nous faire mesurer 1'envergure de 1'effort accompli par Calvin traducteur que la facon dont il rend cette forme de prose soutenue qu'on appelle période. La véritable pierre de touche est la. Qualiter nocturni fulgetri coruscatio- Nous pourrons expliquer cela par nem, qui in medio agro est viator, similitudes. En temps de tonnerre si longe lateque ad momentum videt, un homme est au milieu d'un champ sed adeo evanido aspectu, ut ante en la nuict, pap le moyen de 1'esclair noctis caligine resorbeatur, quam il verra bien loin a 1'entour de soy, pedem movere queat; tantum abest mais ce sera pour une minute de ut in viam tali subsidio deducatur. temps: ainsi cela ne luy servira de II, 2, 18. rien pour le conduire au droit chemin: car ceste clairté est si tost evanouye que devant qu'avoir peu jetter 1'ceil sur la voye, il est derechef opprimé de tenebres, tant s'en faut qu'il soit conduit. 1) On sait que Petit de Julleville, en parlant du style de Calvin, emploie le terme de monochrome, tout en rejetant celui de monotone. 2) La première édition francaise, n'ayant pas encore su se détacher de ces apostrophes pompeuses, présente: tres noble Roy, tres excellent Roy, tresfort et tresUlustre Roy, etc 75 La traduction coupe ce beau passage en quelques morceaux: on dirait que le francais est incapable de le couler d'un seul jet. Nous pouvons expliquer cela par similitudes. Si ce début est un peu long et prosaïque pour servir de préambule a l'image que contiennent les lignes qui suivent, les auteurs strasbourgeois vont trop loin en disant que «Nous similitudes manque dans le latin". Au contraire, il est évident que la phrase sert a rendre qualiter. Vient ensuite la métaphore. Le cours de la phrase est interrompu d'autant plus facheusement par ainsi cela ne luy servira de rien pour le conduire en droit chemin, que cette idéé est encore reprise a la fin: tant s'en faut qu'il soit conduit. Car, ce vocable qu'au XVIIe siècle Gomberville a voulu faire disparaitre du francais, constitue dans cet entourage plutöt une entrave a la liberté d'allure de la phrase. Ubi vero semel occuparunt in animis Davantage ils confessent que quand hominum ejusmodi morbi, impoten- telles maladies ont une fois occupé tius grassari fatentur quam ut facile nostre esprit ils y regnent si fort coercere eos liceat; nee dubitant fero- qu'il n'est pas facile de les restreindre: cibus equis comparare, qui exturbata et ne doutent point de les accomratione, ceu auriga excusso, intempe- parer a des chevaux rebelles. Car ranter ac sine modo lasciviant. comme un cheval rebelle, disent-ils, II, 2, 3. ayant jetté en bas son conducteur regimbe l) sans mesure: ainsi 1'ame ayant rejetté la raison, et s'estant adonnée a ses concupiscences est du tout desbordée. Ici encore la période est coupée en deux. L'haleine parait avoir manqué au traducteur et il lui faut une pause après avoir annoncé la métaphore. La chute, formée par une voix passive, manque d'ampleur et, ainsi, rompt Téquilibre que, d'ordinaire, le traducteur sait si bien maintenir. Ce qui frappe ici comme ailleurs c'est que le mouvement serré et rapide de la période latine qui mót a mot, parait asséner un coup devient dans la traduction une marche calme, presque un état ou un repos. C'est comme si l'auteur se souciait d'abord de mettre les lecteurs francais a leur aise. La même impression se dégage du passage suivant: l) L'édition de 1541 porte regibe. Les éditeurs strasbourgeois, prenant probablement cette orthographe pour une faute d'impression, passent la divergence sous silence. Loin d'y voir le redressement d'une erreur typographique, nous constatons dans le changement la substitution d'un mot généralement francais k un mot moins usité ou dialectal. Suivant Littré regiber est encore usité dans le Berry et en Bourgogne. 76 Sed quemadmodum in proeliis, ubi Mais c'est comme si un capitaine ad manus ventum est, imbellis assembloit force gens qui ne fussent multitudo quantumlibet pompae et nullement duits a la guerre pour ostentiationis habeat, paucis ictibus espovanter son ennemi. Devant que protinus funditur ac fugatur, ita de les mettre en oeuvre, ils feroyent nobis facillimum erit illos cum sua grand'-monstre: mais s'il falloit venir turba disjicere. II, 5, 6. en bataille et joindre contre son en- nemy, on les feroit fuyr du premier coup. Ainsi il nous sera facile de renverser toutes leurs objections qui n'ont qu'une apparence et ostentation vaine. La matière de la phrase latine est distribuée sur plusieurs propositions de moindre dimension. La traduction introduit un chef d'armée qui passé ses troupes en revue, mais la clarté du francais est parfaite et le mouvement de 1'expression bien ordonné. Tout au rebours de 1'exemple précédent, celui qui va suivre est en longueur: Nam si in tanta infirmitate, in qua Car si en si grande infirmité, dit-il, tarnen ad reprimendam elationem (en laquelle pour obvier a orgueil perfici virtutem decet,. ipsis relin- et le reprimer, il faut que la vertu quatur voluntas sua, ut adjutorio de Dieu se parface) leur volonté Dei possint si velint, nee Deus " leur estoit laissée, qu'ils peussent Qperetur in illis ut velint, inter tot bien faire par 1'aide de Dieu, si bon tentationes infirmitate voluntas ipsa leur sembloit, et que Dieu ne leur succumberet; ideoqueperseverarenon donnast point la volonté, entre tant possent. - II, 3, 13. de tentations, leur volonté laquelle est infirme, succomberoit, ainsi ne pourroyent perseverer. Ici la traduction présente un maximum d'exactitude, la phrase latine est suivie d'aussi prés que possible, la structure est absolument correcte. Elle ne laisse rien a désirer, sinon du point de vue de la clarté. Quelle peut être la cause de 1'obscurité qu'on ne saurait y méconnaitre? Si la matière est abstruse, ce serait une raison de plus pourqu'il y ait clarté dans la forme. Sauf la parenthèse, qui ne date que de 1560, la phrase se compose de la principale: entre tant de tentations leur volonté succomberoit. Suivent trois subordonnées: a celle introduite par si: si . . . laissée, 6 celle introduite par que: qu'ils peussent . . . Dieu; £ celle introduite par que: et que Dieu... volonté. II faut relire plusieurs fois 1'ensemble pour découvrir que les deux propositions amenées par que ne sont pas cooHmnées, 77 mais que a et £ le sont (dans £ que remplace si conditionnel, tandis que b, oü que a la valeur de afin que, dépend de a). Une parenthèse trés compliquée, une conditionnelle si bon leur sembloit, une adjective et une peüte principale comme ajoutée après coup, achèvent de donner a 1'ensemble une armature trés acticulée. En général la traduction procédé analytiquement selon le génie du francais. II y a des exceptions regrettables. La phrase que nous allons citer est d'une construction rigoureuse, elle correspond ndèlement a l'original; mais 1'enchainement des propositions lui donne une lourdeur insupportable. Qu'on en juge: Car a cela je respon, combien que la declaration en ait esté plus obscure sous la Loy, toutesfois puis que nous avons clairement prouve qu'il ne seroit pas Dieu eternel, sinon d'autant qu'il est ceste Parolle engendrée eterneUement du Pere et mesme en la personne de Mediateur qu'il a prinse que ce nom ne luy conviendroit pas, sinon pourcequ'// est Dieu manifesté en chair, item plus, que Dieu ne pouvoit estre nommé Pere du commencement, comme // a esté, s'il n'y eust eu dès lors une correspondance mutuelle au Fils unique, duquel provient tout parentage ou paternité au ciel et en la terre (II, 14, 7). La phrase fait partie d'une grande addition datant de 1560 et se ressent peutêtre des circonstances dans lesquelles l'édition définitive a été élaborée. Toujours est-il que des agglomérations pareilles font exception. Et encore, elles ne sont pas toutes a rejeter, comme en témoigne la suivante: Et non seulement le cosur demeure tousjours mauvais, mais aussi ils hayssent mortellement la loy de Dieu: et d'autant que Dieu en est l'autheur, ils Vont en execration, teUement que s'il leur estoit possible, ils Vaboliroyent volontiers, veu qu'ils ne le peuvent endurer commandant ce qui est bon et sainct et droit et se vengeant des contempteurs de sa majesté (II, 7, 10). Quoique cette succession des d'autant que, tellement que, veu que ait de quoi nous choquer, la phrase est batie logiquement et offre un aspect satisfaisant. Même si, au lieu de les diviser en quelques parties, la traduction englobe deux ou plusieurs phrases de l'original, la clarté et 1'équilibre sont le plus souvent maintenus: Nam si in Da vide, Job, Samuele fuit non difficilis victoria, illic multo est facilior. Hanc enim oeconomiam et hunc ordinem in dispensando misericordiae suae foedere tenuit Car si la victoire ne nous a pas esté trop difficile en David, Job et Samuel, elle nous sera la beaucoup plus aisée, veu mesme que le Seigneur a tenu cest ordre de faire en dispensant 78 Dominus, ut quo propius, temporis progressu, ad plenam exhibitionem accedebatur, ita majoribus in dies revelationis incrementis illustraret. II, 10, 20. 1'alliance de sa misericorde que d'autant que le jour de la pleine revelation approchoit, il a voulu de plus en plus augmenter la clairté de sa doctrine. II en est de même pour 1'exemple suivant, qui est parfaitement équilibré: Voulant donc recevoir Abraham, Isaac et Jacob et toute leur race en l'esperance de Vimmortalité, il leur promettoii la terre Canaan en keritage: non pas afin que leur affection s'arrestast ld, mais plustost afin que par le regard d'icelle, ils se confermassent en certain espoir du vray heritage qui ne leur apparaissoit point encore, et afin qu'ils ne s'abusassent point, il leur adjoustoit aussi une promesse plus haute, laquelle leur testifioit que ce n'est pas ld le souverain et principal bien qu'il leur vouloit faire (II, 11, 2). D'ailleurs, il y a des phrases bien plus brèves et qui pourtant pèchent par un certain degré de lourdeur: Car si nous sommes delenus comme liez de nostre cupidité, en laquelle regne pêché, pour n'estre libres d obeir d nostre Pere, il ne nous faut pour nostre defense alleguer ceste necessité, de laquelle le mal est au dedans de nous et nous est d imputer (II, 8,2). Ici, la conditionnelle (ou concessive, s'il on veut) est trop éloignée de la principale, ce qui nuit a la clarté aussi bien qu'a 1'ordre, tandis que la présence de deux adjectives, qui sont toutes deux explicatives, entrave considérablement le développement de la phrase. Le passage suivant nous fournit une période boiteuse: Car le Seigneur voulant enseigner toute justice en sa Loy, Va teüement distinguée qu'il a assigné la première (sc. table) aux offices dont nous sommes redevables pour honnorer sa majesté, la seconde d ce que nous devons d nostre prochain, selon charité (II, 8, 11). Les éléments dont cette assertion se compose sont de trop inégale longueur. Selon charité forme une chute de phrase un peu sèche. D'ordinaire Calvin s'attache a bien faire tomber ses périodes. On reconnait a cela 1'orateur qui, pour faire pénétrer ses idéés dans 1'esprit de son auditoire a soin de condenser une bonne dose d'énergie dans la fin de sa phrase: Davantage, qu'eslans du tout vuides et desnuez, ils recourent d sa misericorde, se reposans entierement en icelle, se cachans sous tombre d'icelle, la prenans seule pour justice et merite comme elle est exposée en Jesus Christ d tous ceux qui la cherchent, desirent et attendent par vraye foy (II, 7, 8). Ou, plus loin, au paragraphe suivant: La Loy nous a esté donnée afin de nous faire petits, 79 au lieu que nous estions grans,. afin de nous monstrer que nous n'avons point la force de nous-mesmes d'acquerir justice, afin qu'estans ainsi povres et indigens, nous recourions d la grace de Dieu. De magno dans l'original s'est amplifié jusqu'a devenir une proposition qui contribue éminemment a équilibrer le tout. Admirable dans le dernier exemple, comme ailleurs, est 1'ordre avec lequel l'auteur pröcède a 1'expression de sa pensée. Si longue que soit sa phrase, il n'en perd pas un instant la maitrise et fait avancer ses subordonnées comme en ordre de bataille, parallèles, coordonnées, jusqu'au point culminant de la phrase. L'énergie, déployée au commencement, se poursuit au dela de ce point et la phrase tombe magnifiquement: // est donc assis en haat, afin que de ld espandant sur nous sa vertu, il nous vivifie en vie spirituelle, et nous sanctifie par son Esprit: afin d'orner son Eglise de plusieurs dons precieux: afin de la conserver par sa pro teel ion d iencontre de toute nuisance: afin de reprimer et confondre par sa puissance tous les ennemis de sa croix et de nostre salut: finalement afin d'obtenir toute puissance au ciel et en terre, jusques d ce qu'il aura veincu et destruit tous ses ennemis qui sont aussi les nostres, et qu'il aura achevé d'édifier son Eglise (II, 16, 16). Bien que construite selon 1'ordre le plus rigoureux, la période est trop longue. C'est peut-être cela seul qui 1'empêche d'être toute classique. Ce qu'il y a de sur, c'est que Calvin a écrit des phrases qui, sauf certaines particularités de vocabulaire et de syntaxe, auraient pu couler de la plume de Bossuet et qui lui auraient fait honneur: Toutesfois comme au monde l'estat prospere d'un peuple sera estimé, partie quand il aura provision de tous b 'iens d souhait, et sera paisible au dedans: partie quand il sera bien muni de force pour se defendre au dehors contre ses ennemis: aussi Jesus-Christ garnit et pourvoit1) les siens de toutes choses necessaires au salut de leurs ames, et les arme et equippepour avoir vertu inexpugnable contre tous assaux des ennemis spirituels (II, 15, 4). II est vrai que, souvent, ces périodes sont soutenues, quelquefois mème gênées, par la solide charpente qu'offre l'original latin. Mais ce n'est pas toujours le cas. Dans le passage suivant, par exemple, le latin n'a que quelques mots et voyez quelle magnifique euphonie il s'en dégage dans la traduction: Mais pour satisfaire d nostre redemption il a fallu eslire un genre de mort, par lequel il prist d soy ce que nous avions merité: et nous ayant acquité de ce que nous l) Ici comme dans bien d'autres endroits l'auteur écrit prouvoir pour pourvoir. 80 devions, nous delivrast (damnationem ad se traducens et piaculum in se recipiens) - H, 16, 5. Ceci c'est de la veritable prose rythmée, cet apanage des grands lyriques parmi les prosateurs. Le Pere estant infini en soy s'est rendu fini en son Fils, d'autant qu'il s'est conforme d nostre petitesse, afin de ne point engloutir nos sens par l'infinité de sa gloire (11, 6, 4). Voila une phrase qui non seulement pour le fond, mais encore pour la forme, fait songer a l'auteur des Pensées. Devant des phrases pareilles on comprend M. Lanson i), qui avoue être stupéfait chaque fois qu'il lit l'Institution francaise. Sans aucun éclat extérieur d'éloquence, elles sont harmonieuses, rythmées, amples, nombreuses comme la meilleure prose classique et indiquent la voie oü Bossuet, Jean-Jacques et Chateaubriand se couvriront de gloire. Dé place en place la traduction pêche par obscurité. Défaillances2). ^ ^ g^ ^ ,,auteur oppose rjnterprétation de la Loi que donnait Jésus a celle fournie par les Phariséens. Ceux-ci, enseignent que „celuy qui ne commettroit rien par ceuvre externe contre la Loy, esloit bon observateur d'icelle", mais, ajoute l'auteur, „fesus redargue cest erreur: assavoir qu'un regard impadique d'une femme, est paillardise." L'emploi de assavoir est malencontreux, cest erreur se rapportant a ce qui précède. De plus un regard d'une femme est une tournure obscure. Aussi la révision de 1562 le change-t-elle en un regard impadique sur une femme, ce qui est une amélioration. nee male fieri putatur quia in tantae et pense-on que ce n'esr-point mal hnprobitatis possessionem longa et fait, pour ce que les hommes par impunita audada ventum est. leur licence sont venuz quasi en II, 8, 25; 1541. possession de ce faire. La phrase francaise, en elle-même, est a peu prés inintelligible: la force du génitif objectif, improbitatis possessionem, se perd dans en possession de ce faire. Maledictionem et iram Dei a qua se que Jesus Christ ait craint la malettttum esse noverat non timuisse . . . diction et 1'ire de Dieu de laquelle II, 16, 12; 1560. il se sentoit asseuré. L'obscurité provient ici de ce que l'auteur, comme ailleurs, rend 1'ablatif latin avec ab par de en francais. 1) Art. c. 2) Comme on pense trop souvent que les faiblesses du texte francais ne datent que de la rédaction définitive et sont dues a 1'inadvertance du réviseur, j'indiquerai chaque fois a quelle édition les passages qui vont suivre se rapportent. ' - 81 Parquoy il ne faut doater que le Seigneur ne constitue ici une reigle universelle, selon que nous recognoissons chacun nous estre ordonné de luy pour superieur que nous leur portions honneur, révérence et amour (II, 8, 36; 1541). Sans \t latin: prout quemqu'e novimus esse nobis ejus ordinatione praefectum, Ia traduction serait incompréhensible. D'autres passages accusent une certaine maladresse: Testatur in epistola ad Romanos, non .... que la justice n'est point au esse volentis, neque currentis, sed vouloir ny en la course de l'homme miserentis Dei. II, 5, 4; 1541. mais en la misericorde de Dieu. Plus loin, II, 5, 17, le texte (Rom. 9, 6) est trés correctement rendu: le salut n'est point en la main de celuy qui veut, ne de celuy qui court, mais en la misericorde de Dieu. Mais, dans le raisonnement qui suit, on lit: qu'U y a quelque partie debile de soy en la volonté et en la course (conatus) de l'homme, et plus loin encore: ilyadonc quelque volonté et quelque course. Sed spem in coelo repositam an- I Mais demonstrant 1'esperance laquelle nuntians. II, 10, 3; 1541. | leur est preparée auciel. Demonstrer pour annuntiare et surtout preparer pour reponere ne sont pas ce qu'il y a de plus réussi en matière de traduction. En d'autres endroits Ia traduction pêche par une certaine lourdeur qui est étrangère au latin, mais qui provient pourtant de ce que le traducteur s'attache trop a la lettre de l'original. Plus haut nous en avons déja donné un exemple qui est de 1560. En voici deux autres qui se trouvent insérées au texte francais dès 1541: Car toute ceste vie est comme une course, de laquelle quand nous viendrons d la fin, le Seigneur nous fera ce bien que nous parviendrons d ce but lequel nous poursuyvons maintenant: combien que nous en soyons encore Mn (II, 7, 13). Laquelle chose quand nous leur concederons en partie, toutesfois si aurons-nous tousjours cela, veuillent-ils ou non, que fob ne pouvoit pas parvenir . . . (II, 10, 19). Parfois la lourdeur s'allie avec une absence totale d'euphonie: Si on adresse sa pensée d la raison pour laquelle le precepte a esté donné, assavoir qu'en un chacun precepte on considere d quelle fin il nous a esté donné de Dieu (II, 8, 8; 1541). Les ignorans . . . s'esmerveillent comment il y a une telle variété en Dieu: dest puis qu'il a esté si prompt et subit anciennement d 6 82 se venger rigoureusement des hommes incontinent qu'ils tavoyent qffensé; comment d present, comme ayant moderê sa colere, il punist plus doucement et peu souvent (II, 11„3; 1541). Prompt, sabit, incontinent se couvrent. La succession de comment et de comme, ainsi que celle de tous ces adverbes en -ment ou -ent, est insupponable. II est requis que le Sacrificateur pour nous faire ouverture de grace, et appaiser Vire de Dieu, intervienne avec satisfaction; dont il a fallu que fesus- Christ, pour s'acquitter de cest office, vinst en avant avec sacrifice (II, 15, 6; 1560). La rencontre de sacrificateury satisfaction, sacrifice dans un espace aussi restreint n'est pas heureuse, tandis que office et sacrifice forment une rime accidentelle qui gate la chute de la phrase. Le style laisse encore parfois a désirer au point de vue de la pureté: Le second (sc. testament) les delivre et afiranchist en liberté (II, 11, 9; 1541), fournit un pléonasme malencontreux. Encore que testat (integritas) de l'homme n'eust pas esté miné (II, 12, 7; 1560). La fin est, pource que Dieu veut que 1'ordre qu'il a con&tituê soit entretenu qu'il nous faut observer les degrez de preeminence comme il les a mis (II, 8 35; 1541). On peut alléguer ici comme excuse que Calvin, a chaque commandement qu'il traite, au ch. 8 du livre IIe, commence par dire: la somme est .... la fin est ... . B. OBSERVATIONS QU'AMÈNE UNE COMPARAISON DES TEXTES FRANCAIS ENTRE EUX Les révisions auxquelles Calvin a soumis Je style Style-clarté. de la traduction révèlent d'abord un souci évident de clarté, de logique, d'exactitude. II y a des mots, comme item ou secondement qui, sans avoir la moindre valeur artistique, sont chers aux lecteurs d'un ouvrage difficile, pour la bienfaisante influence qu'ils exercent dans un raisonnement serré. Calvin sait les intercaler a propos au cours de la révision. Tel II, 14, 7: Ils s'escarmouchent fort en alleguant ces passages pour maintenir leur erreur: dest que Dieu n'a point espargnê 83 son propre Fils. Item, que Dieu a commandé d l'Ange, que ce qui seroit nay de la vierge, fust nomme' Fils du Souverain. Quelquefois les additions, que l'auteur estime nécessaires pour la clarté, ne sont pas sans nuire tant soit peu a 1'aspect de la phrase: Nous prendrons plustost occasion de faillir en un seul mot, que nous serons instruits d la verité par une longue oraison > ... que par une longue glose qui y sera adjoustie (II, 2, 7). A en juger sur 1'apparence, la lecon de 1541 est préférable a la longueur de Ia nouvelle rédaction. Pour le sens il en est autrement. Oraison (oratio) équivaut ici k explication et s'emploie comme antithése avec verbulum unum — franc arbitre. Voici a quoi aboutit le sens de la phrase: Ie terme franc arbitre, quoique dangereux en quelque sorte, peut s'employer, a moins d'être pourvu d'une explication, d'une glose: je dy au contraire que vue Vinclination naturelle qui est en nous d suyvre faussete' et mensonge, nous prendrons plustost occasion de faillir en un seul mot, que nous serons instruits d la verité par une longue glose qui y sera adjoustée. La première liberté a esté de pouvoir non point pecher > ... de pouvoir s'abstenir de pecher (II, 3, 13). Ici la clarté gagne au remplacement, au détriment de 1'énergie expressiye. La nouvelle rédaction efface quelque peu 1'antithèse entre la liberté de pouvoir ne pas pécher, c'est-a-dire la liberté d'Adam, et la faculté de ne pas pouvoir pécher, la liberté des saints: posse non peccare et non posse peccare. Dans la plupart des cas, cependant, les changements qui contribuent a rendre la prose plus limpide, amènent en même temps une amélioration dans la forme extérieure. Toutesfois il nous faut considerer d quelle fin ceste congnoissance de Loy a esté donnée aux hommes: et lors il apparoistra jusques oh elle nous peut diriger au but de raison et verité > ... et lors il apparoistra jusques ou elle nous peut conduire pour tendre au but de raison et de verité (II, 2, 22). En 1541 cette phrase offre quelque chose qui cloche: le verbe est accompagné de deux circonstanciels de lieu qui se couvrent, donc s'excluent. En 1545 l'auteur, pour remédier a 1'inconvénient, écrit: jusques oü elle nous peut diriger pour tendre au but de raison et de verité, et attribue ainsi a diriger le complément jusques oü et a tendre le complément au but. Non content de 1'avantage acquis, l'auteur en 1560 remplace diriger par conduire. II fait bien: dans diriger et tendre 1'idée de direction est trop saillante pour souffrir que les deux verbes se succèdent immé- 84 diatement sans redondance. Le voisinage de conduire et tendre n'a rien de compromettanti). Au Mi 5. 1°. exposer une condition devient proposer une condiiion. Au II, 2, 10, que nous sqyons contens en nous-mesmes devient que nous soyons contens de noz personnes. Au II, 8,1, nous lisons: nous avons monstre, qu'on ne le peut concevoir selon sa grandeur, que incontinent ceste pensée ne vienne en l'entendement, qu'il est seul: d la majesté auquel appartient souverain honneur. Cette phrase a beau être la traduction exacte de: quin statim occurrat, eum unum esse cujus majestate summus cultus debeatur, elle n'en est pas moins obscure pour cela. La rédaction de 1560 est de beaucoup préférable: nous ne le pouvons concevoir en sa grandeur que sa majesté ne nous saisisse pour nous rendre obligez d le servir. En l'ame humaine reside la raison > La raison gist en [entendement (II, 2, 2). Dans le passage oü cette assertion est prise, il s'agit justement de. la distinction entre 1'entendement et le cceur, qui forment ensemble l'ame humaine. De plus, il y est question de situer les facultés de l'ame: entendement, le mot important, a 1'accent dans la phrase de 1560, ce qui n'est pas le cas pour le mot important de 1'ancienne rédaction. Au II, 8, 17, La première reprime nostre temerité, d ce que ne presumions d'assujettir d nostre sens Dieu, qui est incomprehensible; 1541 avait a nostre sens après incomprehensible, ce qui aurait prêté a 1'équivoque. Au II, 8, 5, il y a: Car ceste affectation folie.... s'est tousjours monstrée; 1541 avait car en tout temps (omnibus saeculis), offrant ainsi un pleonasme. Au II, 8, 2, on lit: et neantmoins ils perissent par leur propre faute et non par quelque haine inique de Dieu; 1541 n'a pas quelque. La rédaction définitive, par ce mot, confère a la phrase une teinte de respect. Dans 1'exemple suivant, le texte de 1560, par le déplacement de 1'adverbe arrivé a une plus grande énergie expressive: desquelz la consideration nous contraindroyt te plus souvent d les hayr plus qu'a les aymer).... nous contreindroit souvent d les hair qu'a les aimer (II, 8, 55). De même dans le passage suivant: or il ne esmeut pas nostre volonté comme on a longtemps imaginéyor il esmeut nostre volonté, non pas comme on a longtemps imaginé(II, 3,10). i) Plus loin, nous constaterons que 1560 proscrit constamment a peu pres de 1'ancien texte diriger, un néologisme. 85 Style- A plusieurs reprises nous avons eu 1'occasion de esthétique. constater que Calvin, malgré son austérité veille avec sollicitude a 1'extérieur de sa prose. Bien des corrections de la nouvelle rédaction doivent leur existence a ce souci. D'abord, aux endroits oü il arrivé a 1'ancienne édition d'être monotone, la nouvelle a une tendance prononcée a varier le discours. 1541 sinon qu'il parvinst jusques a luy. Or qui estoit la creature, qui y peust parvenir? Eust-ce esté 1'un des enfans d'Adam? . . . Eust-ce esté quelqu'un des AngesV 1560. . . . qu'il ne luy fust familier. Et qu'est-ce qui en fust approché? Se fust-il trouvé quelcun des enfans d'Adam? . . . Quelcun des Anges y eust-il suffit? II, 12, 1. D'un cöté donc parvenir, parvenir, eust-ce esté, eust-ce esté, de 1'autre: luy estre familier et approcher, se fust il trouvé et y eust-il suffit. C'estoit a luy a faire d'engloutir la mort. Qui povoit faire cela sinon la vie ? C'estoit a luy a faire de vaincre le pêché. Qui povoit faire cela sinon la justice? II falloit qu'il engloutist la mort: et qui en fust venu a bout, sinon Ia vie? C'estoit a luy de vaincre le pêché et qui est-ce qui le pouvoit faire sinon la justice? II, 12, 2. La monotonie du vieux texte disparait entièrement. Au lieu de Ia tournure longue et incolore, c'estoit a luy d faire de, répétée deux fois, le nouveau texte donne des expressions trés simples, mais bien variées. De plus, s'il y a dans ce petit espace quatre fois le verbe faire en 1541, la nouvelle rédaction le supprime au milieu, le remplace dans la première phrase par faillor et en venir d bout et le garde seulement une fois. En ce faisant, ilz renversent la Foy, laquelle ne peut consister fermement, sinon estant appuyée sur ce fondement. . . . . desquels ils renversent la foy, laquelle ne peut consister qu'estant appuyée sur ce fondement. II, 12, 3. La disparition des circonstanciels en ce faisant, fermement allège singulièrement Ia phrase 1). Dans un texte oü, malediction revient a plusieurs reprises (II, 7, 15), condition prend une fois la place de malediction. Pareillement consacrer, correction pour confermer dans "■) M. H. Chitelain, dans son bel article sur la forme de VInstitution (Foi et Vie, 1909) prétend que Calvin n'a pas été indifférent a la qualité phonique "des mots et que c'est la un des motifs du bannissement de tant d'adverbes en -ment et de tant de substantifs en -ion. Tout en reconnaissant la valeur de 1'assertion générale, nous avons rencontré, pour autant que se sont étendues nos investigations, trop peu d'exemples de disparitions pareilles pour faire nötre 1'opinion du regretté philologue. 86 un contexte oü ce mot est fréquent (II, 11, 4). Attribuer, attribuer dans une seule phrase devient en 1560 assujettir, reserver, tandis que attribuer est réservé pour la parenthese qui suit et qui est une insertion au nouveau texte (II, 2, 5). Au II, 3, 14, se présentent abondamment les termes de vouloir et de volonté, aussi de son bon vouloir se trouve-t-il être remplacé par de son bon gré. Ne se moque-t-il pas purement du tiltre qu'on luy baiUe, luy donnant le franc-arbitre (II, 2, 8); en 1541: en luy baillant. Or il ne peut challoir si on entend .... tesmoignage solennel qui se icy serment solennel, qui se fait en rend en jugenient ou qui gist en jugement: ou qui se fait en parolles parolles privées. II, 8, 47. privées. Nous rappelons que les images du texte francais n'émanent guère spontanément du francais lui-même, mais qu'elles ont, pour la majeure partie, leurs origines dans le texte latin. Pourtant, a 1'égard des modifications apportées au cours des révisions, on peut constater une tendance a poursuivre, a épuiser les métaphores: Si 1541 parle de petites estincelles corrompues, 1560 dit: nous avons seulement des petites estincelles de bien, allumées de nature en nostre esprit, lesquelles sont esteintes aisement par fausses opinions (II, 2, 3). Etincelles allumées qui s'éteignent, c'est bien l'image compléte, la métaphore achevée. Dans 1'exemple suivant, la continuation de la figure a un certain goüt qui n'est plus de nos jours: et de faict quel aveuglement plus grand pourroit on imaginer: que d'esperer expiation de ses pechez de la mort d'une beste brute, ou cercher la purgation de son ame en l'aspersion corporeUe d'eauê}... d'esperer la purgation de ses pechez ou chercher le lavement de son ame1). En revanche, la correction constitue une amélioration dans les passages suivants: l'ame estant submergée en ce goulfre d'iniquité)... abysmée, etc (II, 3, 2). Puisque nous avons veu que la seigneurie du pêché, apres avoir subjugué le premier homme, etc > Pais que nous avons veu que la tyrannie de pêché, depuis qu'elle a asservy le i) II est a peu prés sur que lavement n'a pas d'autre sens ici qu'action de laver (une fois en 1560 lavement remplace ablution de Tanden texte, II, 7, 17). Prise en elle-mêrae, la phrase fait songer de loin a la Seringue spirituelle pour les dmes constipées en dévotion du R. P. Garasse dont parle si spirituellernent Emile Colombey (Ruelles, Salons et Cabarets, p. 194). 87 premier homme (II, 2, 1). Les deux termes de Ia rédaction définitive de ce dernier exemple, évoquent davantage l'assujetissement miserable d tout mal, dont il est question dans le titre du chapitre. Style-cöté Quoique la plus ancienne Institution francaise ait oratoire. des qualités de style, qui font d'elle un chef-d'ceuvre incontesté de prose soutenue et qu'elle fasse éppque bien plus que les versions ultérieures, a un seul égard elle le cède a la traduction définitive. Un emploi journalier de Ia parole vivante, une production abondante de toutes sortes d'écrits, lettres, pamphlets, commentaires, etc., valent a Calvin au cours des années une facilité qui aurait marqué Ia décadence de son talent s'il n'avait pas toujours eu a dire des choses nouvelles. Le grand prosateur de 1541 est devenu en 1560 un prosateur consommé. Dans 1'intervalle sa langue s'est amplifiée, arrondie, équilibreé, et elle atteint ainsi un degré de perfection oü 1'ancienne édition ne parvient guère. Ce n'est pas a dire qu'il soit toujours facile de reconnaitre la superiorité oratoire de 1560 ou qu'en lisant la grande édition on soit k' même de montrer au doigt les anciens passages et les parties remaniées ou nouvelles, mais ce qu'il y a de sur, c'est que celles-ci présentent un type de phrase rare, pour ne pas dire introuvable, dans la vieille édition: Car puisqu'il n'est terrien ne charnel, pour estre sujet d corruption, mais spirituel: il nous attire ld haat et introduit d la vie permanente, afin que nous passions doucement et en patience le cours de ceste vie, sous beaucoup de misères, faim, froid, mespris, opprobres, toutes fascheries et ennuys, nous contentans de ce bien seul, d'avoir un Roy qui ne nous defaudra jamais qu'il ne nous subvienne en noz necessitez, jusques d ce qu'ayans achevê le terme de guerroyer nous soyons appelés au triomphe (II, 15, 4). Ou bien la phrase déja citéei): Le Pere estant infini en soy, s'est rendu finL en son Fils d'autant qu'il s'est conforme d nostre petitesse, afin de ne point engloutir nos sens par l'infinité de sa gloire (II, 16, 4). Ou encore: Mais pour satisfaire d nostre redemption, il a fallu eslire un genre de mort, par lequel il prist d soy ce que nous avions merité: et nous ayant acquité de ce que nous devions, nous delivrast (II, 16, 5), cette belle période sortie de quelques mots de latin. Pour mesurer la distance entre les deux rédactions, rien n'est curieux comme le rapprochement des traductions successives d'un même texte latin: !) p. 80. 88 Sed enim Mi quoque opus habebant capite, per cujus nexum solide et indistracte Deo suo cohaererent (II, 12, 1), devient: 1541. Mais tous aussi avoicnt affaire d'un chef par lequel ilz fussent parfaictement conjoicntz avec leur Dieu. 1560. Mais tous aussi bien avoyent besoin d'un chef par la liaison duquel ils fussent affermis pour adherer k Dieu a jamais. Ejus erat mundi et aeris potestates profligare: quis hoe poterat nisi virtus et mundo et aere superior (II, 12, 2), devient: C'estoit a luy de destruire les puis- C'estoit son office de subjuguer les puissances de 1'air, qui sont les Diables. Qui povoit faire cela sinon une vertu superieure k 1'air et au monde? sances du monde et de 1'air: et qui eust peu acquerir telle victoire, sinon celuy qui est la vertu surmontant toute hautesse? At ex multis diligenda sunt ea potissime quae animis in vera fiducia aedificandis conducere queant (II, 13, 1), devient: II nous est utile de choisir principalement ceux qui peuvent servir noz ames en foy et en vraye fiance de salut. Mais il fault choysir ceux la qui peuvent edifier noz coeurs en vraye fiance. II va sans dire que cette évolution ne se révèle pas partout dans une égale mesure. Maint endroit du nouveau texte est autrement rédigé mais ni supérieur, ni inférieur sous aucun rapport a la vieille rédaction. Peu importe que l'auteur ait mis: Ceste observation sera grandement utile pour nous despescher de beaucoup de scrupules, ou: Ceste observation servira grandement d soudre beaucoup de scrupules (II, 14, 4). La forme nouvelle, plus oratoire, de la prose de Calvin a, comme on le comprend, les défauts de ses qualités. La facilité apparente avec laquelle les périodes sont lancées, conduit quelquefois a une espèce de verbiage a cöté düquel la sobriété du vieux texte fait un salutaire effet: Luy n'a.point desdaigné de prendre ce qui nous estoit propre, pour estre fait un avec nous et nous faire compagnons avec soy de ce qui luy estoit propre, et par ce moyen d'estre pareillement avec nous Fils de Dieu et Fils d'homme. II, 12, 2. II se pourrait que l'auteur füt plus explicite dans la dernière rédaction que dans la première, qu'il exprimat le mystère de la réunion des deux natures du Christ avec plus de clarté dans le deuxième que dans Ie premier texte. Tout cela n'empêche pas que, comme forme, celui-ci 1'emporte sur celui-la. Ce qui nous estoit propre, il 1'a receu en sa personne, a fin que ce qu'il avoit de propre, nous appartint: et ainsi qu'il fust communement avec nous et Filz de Dieu et Filz d'homme. 89 L'abus des adjectifs, Ie défaut commun a tant d'orateurs qui ont la parole trop facile, joue souvent un röle assez gênant dans la dernière rédaction: L'humilité devient la condition basse et contemptible (II, 16, 11). Une irreligieuse affectation de religion change en une affectation folie de religion desreiglée, tandis que le latin ne change pas: haec irreligiosa religionis affectatio (II, 8, 5). En présence de pareils passages on s'explique aisément la prédilection que tant de connaisseurs du XVIe siècle, comme M. M. Lanson, Lefranc et Chamard, ont pour le plus ancien texte francais de l'I n s t i t u t i o n. CHAPITRE II Le lexique Ce que nous avons dit du style de Calvin en général, s'applique trés spécialement a son vocabulaire: l'auteur a dü se le créer dans une certaine mesure, et 1'étude du lexique de l'Institution tel qu'il est et tel qu'il se forme a travers les remaniements successifs est des plus intéressantes. Un des soucis les plus évidents du traducteur parait être celui de bien choisir, ses mots. Tout en soignant son vocabulaire, il poursuit un but a la fois esthétique et pratique; esthétique, paree qu'il s'ingénie k rendre en langue vulgaire la grande beauté de l'original, pratique en tant qu'il veut être compris des petites gens. Au chapitre précédent nous nous sommes efforcé de prouver que, malgré la peine que se donne l'auteur, la traduction demeure audessous du latin pour Ie coloris comme pour 1'énergie de 1'expression. II n'en est pas moins vrai que les traductions francaises portent toutes les marqués d'être travaillées en ce qui concerne le vocabulaire: Dans 1'Espistre au Roy Calvin introduit a la page 22 ses adversaires, qui lui reprochent de faire violence a la tradition ou, comme ils le disent avec une parole des Proverbes, „d'outrepasser les bornes qui ont été mises de noz peres". Le défenseur de la doctrine nouvelle leur sert la réplique: Personne plus qu'eux-mêmes ne s'est écarté de ce qui avait été une fois établie c'est-a-dire de la conception de 1'Eglise primitive. Et avec une monotonie, fatigante k dessein et qui, pour Ie dire familièrement, a pour but de leur rabattre les oreilles de leur propre accusation, Calvin revient k la 94 D'après les mouvements du texte il en a été peut-être autrement aux yeux de Calvin. Au mot benignité de 1'ancienne édition est substitué liberalité (II, 8, 18; II, 10, 9), faveur (II, 5,9) bonté et largesse (II, 8, 37), faveur et liberalité'(II, 5, 9). Au II, 16, 3, et au II, 16, 19, il se maintient. Negliger. Negliger se présente dès le XlVe siècle dans des textes francais, ce qui n'empêche pas l'auteur de l'Institution de la traiter avec la prudence qu'il conserve a 1'égard de diriger. II les negligé devient dans la dernière rédaction H n'en tient pas conté (II, 2, 20); sinon d'autant qu'en negligeant les autres > sinon qu'en ne tenant conté (II, 8, 50). Au II, 4, 6, negliger est remplacé par oublier. Pour le vocabulaire, on dirait un certain instinct qui pousse le réviseur a s'éloigner du texte latin, la même oü il ne peut être question de latinismes a éviter ou a introduire: intelligentiam peccati, traduit d'abord par Pintelligence de son pêché, 1'est ensuite par tapprehension de son pêché (II, 8, 11); in totam familiam = en toute sa familie > en tout son lignage (II, 8, 19); adversarii = adversaires > contredisans (11,10,7); demonstratio=demonstration > argument(ibid.), etc. A en juger d'après de pareils procédés, le réviseur de 1560 n'aurait eu soin que d'écartér du vieux texte les termes sentant trop le kitin. II n'en est pas toujours ainsi. Quoique le procédé inverse soit le plus fréquent, et de beaucoup, il y a des néologismes qui, lors de la rédaction définitive, prennent la place d'expressions appartenant depuis un temps plus long au lexique francais. Tels sont par exemple: Affliger, qui remplace af lire dans: en toute sa vie ila tellement esté tormenté et affligé (II, 10, 11). Affliger est un mot du XVIe siède. Impudent, qui remplace effronté: qui est-ce qui eust pensé que jamais homme mortel eust esté si impudent (II, 13, 1), a quoi correspond dans la vieille édition: qui eust attendu qu'ily eust peu avoir hommes si effrontez. Impudent est du XVIe siècle. Infirmité remplace imbeciliité: il a conjoint la nature humaine avec la sienne, pour assujettir l'infirmité de la première d la mort (II, 12, 3). Infirmité est du XVe siècle. Omettre remplace laisser derrière: II le povoit bien nommer Dieu ou bien omettre le nom d'homme (II, 12, 1). Le Dictionnaire Général le fait dater de 1539. Contrevenir remplace contredire: mais il y a deux raisons lesquelles contreviennent d leur opinion (II, 16, 8). Contrevenir est du XVe siècle. Nous avons dit plus haut que, chez Calvin, les termes de néologisme 95 et de latinisme se couvrent presque. Les exemples suivants serviront a prouver que l'auteur a employé également des termes tout neufs qui, n'ayant rien a faire avec le latin écrit, descendent en ligne droite du vocabulaire que le latin parlé des soldats et des colons romains ont légué a la postérité. Advenir (subst.), remplace futeur (1541), futur (1553): ils ne font que languir et pour Vadvenir sont reservez d plus grand'peine (II, 8, 38). Le Dictionnaire Général le fait dater de 1539. Ba bil. Tout le babil d'Osiander s'esvanouit de soy mesme (II, 12, 7). Le mot est du XVe siècle. Eschappatoire. Toutesfois elle (sc. l'ame) ne s'espovante pas de frayeur qu'elle ait de son jugement, en sorte qu'elle se vueilte retirer ou cacher de luy, mesmes quand elle trouveroit quelque eschappatoire (I, 2, 2). Eschappatoire est du XVe siècle. Bad in. lis se monstrent aussi fort badins, en arguant que si fesus Christ est pur de toute corruption, .... qu'il s'ensuyvroit que la semence des femmes n'est pas impure, mais seulement celle des hommes (II, 13, 4). Badin est un mot du XVIe siècle d'origine provencale. Badinage. Osiander estime que ses badinages que fay refuté jusqu'icy sont comme oractes infaillibtes (II, 12, 7). Badinage date du XVIe siècle. Badiner. Osianderbadinetropsottement(\\, 12,6). Le Dictionnaire Général lui assigne 1549 comme date. L'exemple de Calvin appartient a la rédaction de 1560, Brocarder. Ils font gloire de brocarder et dire des mots de gueute (I, 4, 4). Le mot est du XVe siècle. ' Brouillon (= celui qui brouille), injure trop familière a Calvin pour qu'il soit besoin d'en citer ici des exemples. Le mot est du XVIe siècle. Fadaise. Tout ce qu'on peut disputer n'est que fadaise si ce nom n'y résonne (II, 16, 1). Fadaise est du XVIe siècle. Meslinge. Or son astuce tend ld, qu'en renversant la distinction des deux natures, fesus Christ soit comme une masse ou un meslinge composé d'une portion de Dieu, et d'une portion de lhomme (II, 14, 5). Le mot date du XVe siècle. Recit (= énumération). Si les lecteurs diment mieux d'ouyr un redt des tesmoignages de la Loy... (II, 10,7). Suivant le Dictionnaire Général le mot est de 1539. 96 Rembarrer (= repousser). Non pas qu'il soit difficile de les rembarrer (II, 13, 3). Rembarrer est du XVe siècle. Souillure remplace ordure dans la phrase suivante: La somme donc sera, que nous ne soyons entachez daucune souillure ou intemperance de la chair (II, 8, 41). Souillure date du XVIe siècle. Tardiveté. La vigueur que nous avons d considerer les choses terrestres n'est que pure tardiveté et eslourdissement quand il est question d'aller jusques au soleil (I, 1, 2). Tardiveté est de 1539 suivant le Dictionnaire Général. V o 11 i ge r. Ils ne font que voltiger par leur curiosité et speculations inutiles (I, 4, 1). Voltiger, d'origine italienne, se rencontre en francais dès le XVIe siècle. Voyant (= prophéte). Nous ne voyons point noz signes, disent ils: il n'y a point de Prophete entre nous: il n'y a plus de voyant (II, 15, 1). Suivant le Dictionnaire Général voyant est du XVe ou du XVIe siècle. L'attitude de Calvin envers les archaïsmes est con- L'Archaisme. forme ^ ceUe ^..j observe a i'égard du néologisme. Préoccupé qu'il est de rendre son texte plus intelligible, il les proscrit impitoyablement toutes les fois qu'ils nuiraient a la clarté désirable du texte. Cette fois-ci encore 1'effort de l'auteur se fait dans le même sens que celui dans lequel la langue s'est développée ultérieurement. Af lire, mot appartenant au vieux-francais suivant Godefroy, remplacé par affliger, (voir p. 94). Affectueusement (= serio). Nous ne pouvons pas affectueusement aspirer d luy, devant que nous aions commencé de nous desplaire (I, 1, 1). La dernière rédaction donne: aspirer et tendre d luy d bon escient. Amoderer (= modérer). Comme ayant amoderé sa colere, il punist plus doucement et peu souvent (II, 11, 3); 1560 donne la forme moderne: moderer. Apporter, suivant Godefroy vieux pour rapporter. Une espece, d laquelle il faut apporter toutes les autres (II, 8, 47); 1560 le remplace par rapporter. Approuver, suivant Godefroy vieux pour démontrer (cf. approbare = faire paraitre). De laquelle fesus Christ approave (= confirmat) que Abraham, Isaac et facob ont obtenu salut et vie eternelle (II, 8, 14); 1560 y substitue prouver. Plus loin le réviseur 97 n'y touche pas: pourtant si nous voulons approuver nostre religion d Dieu, que nostre conscience soit pure (II, 8, 16). Aycer. Les Israêtites, ayantz esté longuement affligez de diverses calamitez, avoient un proverbe commun, que leurs peres avoyent mangé du verjus, et que les dens des enfans en estoient aycées (éd. 1541, p. 136, L 31 ss.). 1560 en fait en estoyent agacées (II, 8, 20). Godefroy, ni dans le supplement, ni dans Ie corps de son dictionnaire, ne note le mot aycer. Diez veut mettre agacer en rapport avec Tallemand hetzen (vha.: hadzjan)i), tout en admettant la possibilité d'un rapport avec le latin acere. Tobler ne mentionne pas aycer (aicer) et fait dériver agacer du vieux substantif agace — pie2). Peut-être aycer aiderait-elle a éclaircir les origines du verbe agacer. Briganderie. Et au contraire celuy n'exerce point Regne, mais briganderie: qui ne regne point d ceste fin (Ep. p. 10). En cet endroit la rédaction définitive change briganderie en brigandage. Autre part elle laisse subsister le mot ancien. Par une maniere de briganderie (II, 8, 45). Conciter, selon Godefroy vieux pour inciter: Et premierement a concité la force des hommes, pour par icele, opprimer violentement la verité commenceante d venir (Ep., p. 36). En 1560: incité. Espardre. Godefroy dit qa'espardre s'est employé jusqu'au milieu du XVIIe siècle. II parait que le verbe s'est conservé en bourguignon et tout le monde connait Ie participe épars a 1'état d'adjectif. Dieu ne fait point de plus griefves menaces aux Juifz que de les exterminer de la terre qu'il leur avoit donnée: et les espardre en nations estranges (II, 11, 1). 1560 donne espandre. Ailleurs espardre est maintenu dans le texte: Dieu n'avoit point voulu espardre (dispergere) la lignée de David (II, 6,2); et ne sont point honteux despardre (vendere) en si grande clairté telles fumées (IV, 7, 11). Estranger (verbe). Du temps qu'ilz estoyent estrangez de la droicte congnoissance d'iceluy. 1560 donne ici: esgarez (I, 4, 3). Lyesse. Le langue moderne a conservé ce mot dans quelques locutions toutes faites. Au II, 10, 12, Calvin accompagne liesse d'un synonyme plus connu: A grand peine a-il eu te moindre goust du monde de quelque plaisir ou lyesse. Plus loin huyte de lyesse devient dans la nouvelle rédaction huyte de ioye (II, 15, 5). *) Wörterbuch der rom. Sprachen, I, p. 9. 2) AUfranz. Wörterbuch. 7 106 conjonction était in statu nascendi. Si on lit dans l'édition de 1543: Les autres demeurent en leur pourriture jusques apres qu'ilz soyent consummez, celle de 1560 donne jusques d ce qu'ils . . . (II, 5, 3). Pourtant, ailleurs celle-ci donne: je me retireray d part jusques d tant qu'ils deliberent en leurs coeurs de me suyvre (II, 5, 13), et jusques d tant que ciel et terre faudront (II, 7, 14), quoique, dans ce dernier passage, une véritable incorrection de 1541 se trouve redressée: faudront (transeant) pour feront. De même pour la préposition, la forme n'est pas entièrement fixée: jusques ld oh elle s'estend (1541) > jusques oh elle s'estend (II, 2, 1); l'exposition de la Loy passé oultre les parolles, mais il est obscur jusques d oh... (1541) > il ést obscur jusques oh... (II, 8, 8). Que 1 que. Des formes populaires et savantes quel.. que, lequel.. que, quelconque.. que, quiconque.. que, des tournures comme en sorte que ce soit, en fagon qui soit, etc, tout cela se rencontre chez Calvinl) et des régies généralisatrices seraient difficiles k découvrir au milieu de cette confusion apparente. Dans un seul exemple au IIe livre nous voyons d'une fagon toute curieuse, Ia forme régulière éclore. Au II, 8, 36, on lit dans le texte le plus ancien: Car quelconques qu'ilz soyent ilz ne sont point venuz sans la volonté de Dieu en ce degré, en 1545 quelzconques ilz soyent, tandis que 1560 renonce a cette forme sa van te et donne quels qu'ils soyent. Sinon que. Sinon que, forme allongée de sinon se rencontre de bonne heure en francais. A un endroit oü la plus ancienne rédaction offre sinon ce que, 1560, régularisant, dit: Sinon que: Qu'est ce que vouloit Balaam... sinon (ce) qu'il sentoit en son cceur ce que David a escrit depuis (II, 10, 14)2). Divers. L'adverbe est mis a la place qui lui convient: d'autant qu'a la reigle d'icelle nostre nature... est entièrement contraire et repugnante (II, 8, 1), anciennement: entièrement est contraire... L'adjectif au lieu d'un adverbe employé a tort: Dieu ne laisse point de demeurer constant en sa promesse (II, 8, 37), anciennement: constamment 3). L'antécédent rapproché du pronom relatif: celuy qui obeira d ses ") Haase, Zeitschrift, art. dié, p. 202. 2) A. propos des formations avec ce que M. Haase dit qu'elles sont aussi rares au XVIIe siècle que présentement (Syntaxe fr. au XVIIe s., p. 396). 8) La faute (cette fois c'en est bien une) est attribuable au constanter du texte latin, lequel s'emploie avec perseverare. 107 commandemens, ne travaiUera en vain (II, 8, 4), anciennement: celuy ne travaiUera en vain qui obeira... Le participe passé a un sens passif, contrairement au participe présent. Cette régie n'est pas absolue. II y a des participes passés au sens actif, comme réfléchi (des yeux réfléchis), entendu (un air entendu), ou pour citer un exemple trés curieux, pris dans 1'Epistre au Roy (p. 12) quelle aveuglée lumiere. D'autre part il y a des participes présents au sens passif, par exemple voyant (couleur voyante). Néanmoins, la régie veut que 1'acception passive soit inhérente au participe passé. C'est ainsi que affections intemperantes de 1541 devient affections intemperêes (II, 2, 3). La Syntaxe A travers tout 1'ouvrage l'auteur n'a pas de souci se clarifie. piUs pressant ni plus manifeste que celui de la clarté. II ne demande qu'a être compris. Calvin veut que ses lecteurs le suivent dans tous ses raisonnements, le long des pentes les plus variées, il veut qu'ils gravissent avec lui les sommets oü il s'extasiera devant 1'ineffable majesté de 1'Eternel ou qu'ils 1'accompagnent quand il descendra dans les insondables profondeurs de la misère de l'homme. Parmi les corrections établies dans l'édition définitive, il y en a un certain nombre qui attestent ce besoin d'atteindre a plus de lucidité .dans la langue. Le pronom cède la place au substantif ou a 1'adjectif. Dans un passage oü il est question d'une division établie par saint Augustin, mais oü le nom de ce père d'Eglise ne se retrouve que beaucoup plus haut, 1541 donnait: II y a seulement ceste difference entre la division que fay mise et la sienne, tandis qu'en 1560 on lit, au lieu de la. sienne: celle de sainct Augustin (II, 11, 10). II nous admonneste de noste misère, nous donnant d cognoistre combien nous repugnons d tout bien (II, 5, 10). Dans cette phrase 1541, conformément au latin, qui porte ab Ma , offre d icelle, mais le dernier substantif étant misère, cette lecon prête a 1'équivoque. La phrase, il n'habite nul bien en moy de moy mesme, veu qu'on n'en scauroit rien trouver en ma chair, devient, plus claire,.... veu qu'on ne sauroit rien trouver de bon en ma chair (II, 2, 27). Mais pource qu'une telle opinion est venue (II, 3, 11) anciennement: mais pource qu'elle est venue. Ici encore, le changement était nécessaire, la phrase précédant immédiatement traitant de fausse opinion et de grdce, deux substantifs féminins. Par contre, la oü la syntaxe est assez claire, il n'y a pas d'obstacle 108 que le substantif soit remplacé par le pronom, dès que le goüt 1'exige: Pourtant qu'on ne s'arreste plus d ceste proposition i) de noz forces avec les commandemens de Dieu, comme si Dieu eust compassé d nostre imbecillité)... comme s'il eust... (II, 5, 7). La phrase elliptique devient plus compléte. Car en ce faisant, 'non seulement nous rompons la Foy donnée au manage: mais aussi nous polluons nostre ame par paillardise )... la foy que nous luy avons donnée en mariage... (II, 8, 18). La lecon de 1541 suggérerait 1'idée de la foi donnée a 1'épouse. Le contexte le veut autrement, il s'agit de la foi donnée au Seigneur lequel nous a espousez en verité. De Ia la modification. Car ce sont deux choses bien diverses: s'esloigner de la grace de l'homme pour considerer ce qu'il fera, estant delaissé: et subvenir d son infirmité, pour confermer ses forces debiles )... que Dieu eslongne sa grace de l'homme..., et qu'il subvienne... (II, 5, 13). La lecon de 1541 renferme une erreur, que signalent les éditeurs du Corpus, mais cela mis a part, Ia construction au subjonctif exprime un sens que celle avec 1'infinitif n'est pas a même d'exprimer. Pourtant nous voyons que l'Esprit immunde est nommé de Dieu, en tant qu'il respond au plaisir et pouvoir de Dieu: et il est instrument de sa volonté)... et qu'il est instrument de sa volonté (II, 4, 5).. Et il est de 1'ancienne version constitue une incorrection, les subornonnées étant introduites par une conjonction; 1560 contracte les subordonnées au profit de la clarté2). Substitution de prépositions. L'ancienne langue faisait plus que la moderne un fréquent usage de davec, qui exprime une nuance entre de et avec. Une fois Calvin remplace de par davec: Afin d'estre discerné par ceste marqué de tous autres )... davec tous les autres (II, 14, 6). Autre part en fait place ad: Pourquoy, quiconque ne se contient, s'il mesprise de remedier d son infirmité par ce moyen, il pêche: mesme d ce qu'il n'obtempere point d ce commandement de tApostre )... en ce qu'il n'obtempere point... (II, 8, 43). Ailleurs en se substitue a d, oü le sens le requiert: s'ilfalloit que les ceremonies commandées d la Loy cessassent ) commandées en la Loy (II, 11, 4). *) Proposition, faute rectifiée plus tard: proportion (proportio). 2) Cf. p. 104. 109 Enfin la préposition ès, tombée en désuétude *), remplace d. Ce recul apparent contribue encore a la transparence de 1'expression: Si on doit attribuer quelque chose d Dieu és ceuvres mauvaises esquelles l'Escriture signifie que sa vertu y besongne aucunement (II, 4,1), anciennement: aux choses... auxquelles... (in malis, in quibus). Substitution d'un pronom a un autre. Quelquefois Calvin, au détriment de la qualité esthétique de la phrase, s'efforce d'arriver au maximum de justesse: Ferons-nous bien aux bestes de noz ennemis en leur faveur, et ne portant nulle envie d iceux (II, 8, 56), anciennement : en ne leur portant nulle amour. L'idée négative rendue par une forme négative. // nous faut garder de ne Ventendre mal (II, 1, 1); 1541 donne 1'infinitif affirmatif. La phrase, ainsi congue, renferme tant soit peu un doublé sens: Si elles dependent d'une impossibilité pour n'estre jamais accomplies (II, 5, 10), anciennement:... pour estre accompües. Divers. Que vaat nostre volonté es tant abandonnée a soy mesme (II, 3, 6), anciennement:... d l'abandonnér d soymesme. U nous faut avoir cela pour resolu (II, 1, 6); en 1541 pour manque, ce qui donne a la phrase un sens qu'elle ne doit pas avoir. Si nous n'y voyons que simples commandemens (II, 5, 7); 1541 omet y et ne rend pas, ainsi, tout a fait le latin si solum exstaret. La Syntaxe Le lexique s'enrichissant au cours des années, la s'assoupiit. syntaxe dispose d'un plus grand nombre d'unités et de formes et par la, acquiert plus d'aisance. De plus, 1'exercice continuel de la langue permet a l'auteur de manier avec plus de liberté les formes et les unités déja existantes. La phrase se compose plus facilement. Cest que Abraham et Isaac ont faict sermént d Abimelech. Si an allegue que ce soient sermens publiques... Ces deux phrases changent lors de la nouvelle rédaction en: 5/ quand Abraham et Isaac ont fait serment d Abimelec, on allegue que ce soyent sermens publiques: pour le moins Jacob et Laban estoyent personnes privées (II, 8, 27). Le début de la phrase, en 1560, est un peu dur avec la succession immédiate de deux conjonctions parentes, mais la structure est parfaite pour le reste, plus »osée" et mieux réussie. C'est un mesme exemple de ce que dit S. Jean, que Dieu a mis l) Es semblé disparaitre dans la 2* moitié du XVIe s. (Cf. Darmesteter, Gr. hist, IV, p. 196). 110 son ame pour nous devient en 1560: II y a un pareil exemple en sainct Jean; quand il dit que Dieu a exposé sa vie pour nous (II, 14, 2). La première rédaction choque: c'est un exemple de ce que... que; 1'autre marche bien. C'est luy qui donne force d celuy qui est las est changé en c'est luy qui donne force au las (II, 2, 10). La succession de c'est luy qui et celuy qui offre du point de vue phonique un inconvénient que la nouvelle rédaction évite. Puis que le sainct Esprit tant de fois par diverses bouches tant diligemment et en telle simplicité avoit exprimé cela, quy de soy mesme n'est pas trop difficile} Veu que le sainct Esprit a tant de fois et par tant d'organes, et en telle diligence et simplicité exposé une chose laquelle n'estoit point trop obscure de soy (II, 13, 1). Ici la différence est grande et k plus d'un égard relève du style plutöt que de la syntaxe. La disparition de 1'adverbe en -ment précédé de tant, ainsi que le remplacement de la combinaison cela qui par une chose laquelle constitue en matière syntactique un bon pas fait en avant. , Plus de variété dans les conjonctions, les adverbes et les prépositions. A cela ne repugnent point les dissentions et combats qui surviennent incontinent, c'est que les uns voudroyent... (II, 2, 13). Au lieu de c'est que 1'ancienne lecon présentait quand. A cause de l'union des deux natures...d cause de luy-mesme...) au regard de l'unionpour amour de luy-mesme (II, 14, 2). Car nous lisons ainsi en Exode, Observez mon Sabbath: pource que c'est un signe entre moy et vous (II, 8, 29). 1541 a, au lieu de pource que, la particule car, ce qui est d'autant plus monotone qu'il y a plusieurs autres car qyi suivent: car il nous doit estre sainct... car c'est une alliance. Au II, 16, 14, car est changé en de fait. Pour ceste raison le Seigneur par son Prophete promet aux Israelites pour une grace singuliere qu'il leur donnera entendement par lequel ils le cognoistront. .. (II, 2, 20). En 1541 il y a, après le premier pour, trois fois la préposition par. En faisant alterner par et pour, 1560 donne a la phrase une meilleure tenue *). Pour un motif que nous ignorons, l'auteur remplace quelquefois pource que par d'autant que ou par d cause que. *) Par et pour s'emploient fréquemment 1'un pour 1'autre au XVIe siècle. Pource que — paree que, pourtant = portant. (Voir Brunot, o. c, II, p. 4, 77.) Chez Calvin on lit souvent pour exemple. 111 . L , Pour Calvin le danger a été grand „d'écrire latin Latimsmes. ° en francais , en premier lieu paree que, étant théologien, le latin comme instrument de combat lui est plus familier que le francais, et puis paree qu'en traduisant il suit pas a pas le texte latin. Cependant, son souci, toujours en éveil, d'être compris des petites gens, et son merveilleux instinct de la langue maternelle, réduisent ce danger k des proportions modestes et font que la langue de l'Institution ne sent. pas beaucoup plus le latin que celle des Essais, de la Deffence et Tlllustration ou de Gargantua. M. E. Huguet cite quelques traits comme étant particulièrement propres a la prose de Calvin et qui trahissent le latiniste: a. Le pronom relatif rattachant une incidente a deux propositions. M. Huguet remarque que Calvin est peut-être, avec Rabelais, récrivain du XVIe siècle qui a fait le plus souvent usage de cette construction latine. „On pourrait en effet trés naturellement s'attendre a trouver une pareille tournure dans un ouvrage qui avait été d'abord rédigé en latin. De plus, comme une telle construction facilite le développement de la période, sans causer aucune obscurité, on ne peut s'étonner qu'elle soit assez fréquente dans l'Institution chrétienne"i). II serait superflu de donner des exemples d'un type de phrase aussi fréquent dans la littérature du XVIe siècle. b. L'emploi de servir, favoriser, assister avec un datif-nom de personne, secourir avec un datif-nom de chose, déterminer avec un génitif-nom de chose. M. Huguet n'est pas loin de reconnaitre 1'influence du latin que Calvin a subie. »Mais, ajoute-t-il, la construction parait également avoir été assez libre pour qu'ils (c-a-d. Rabelais et Calvin) aient pu s'écarter de la syntaxe francaise et se rapprocher du latin sans chercher en cela une bizarrerie de style qui ne serait guère dans les habitudes de Calvin" 2). c. La proposition infinitive est surtout continuellement employée chez Calvin après dire, penser, savoir, etc. »Si cette tournure est lourde, dit M. Huguet, elle est du moins tres claire et elle devait k doublé titre être chère a un latiniste soucieux de clarté 3)." A cóté de dire, nous relevons tesiifier: . . . le Legislateur veut 1) La Syntaxe de Rabelais, p. 142. «) o. c., p. 171. «) o. c., p. 216. 112 testifier luy estre plaisant ou desplaisant (II, 8, 8); reconnaitre (avec suppression de 1'auxiliaire): Mais a tout ce que nous recognoissons fait de luy ... (II, 8, 22); alléguer: Que nul ri allegue eette loy nous appartenir de rien (II, 8, 38); exposer: sous ces parolles les Prophetes mesme exposoyent, vie et salut et la somme de toute beatitude estre comprise (II, 10, 8). Fréquents également sont les exemples de 1'infinitif avec accusatif après les verbes de la volonté: Dieu ne veut point k droit honneur que nous luy devons, estre profane (II, 8, 27). Aux particularités énumérées par M. Huguet, nous avons a ajouter les suivantes: d. Usage trés fréquent du génitif objectif. Quelquefois le traducteur évite la construction latine: studium sanctitatis et justitiae = une affection de vivre sainctement et justement (II, 2, 12). Mais plus souvent, il la transplante telle quelle dans la version et c'est la ce qui cause 1'obscurité de bien des endroits: Un regard impadique dune femme (mulieris aspectus) est paillardise (II, 8, 7); la correction de nostre paix (correctio pacis nostrae) a esté sur Luy (II, 16, 10); Dieu destourne ses yeux du regard de noz pechez (II, 16, 16); jurement est une altestation de Dieu pour confermer nostre parolle (II, 8, 23); les dons de l'Esprit ne se peuvent vilipender sans le contemnement et l'opprobre de celui-ci (II, 2, 22). e. L'Emploi abondant de cela.... q u e s'explique volontiers par la fréquence de la tournure hoe... quod ou hoe quoque... quod dans l'original: La première consideration tend d cela qu'il cognoisse quel est son devoir (II, 1, 3); en la felicité desquels cela est notamment mis qu'ils meurent (II, 10, 17). ƒ. L'Emploi d'avoir pour posséder. Nous avons en quoy gist la force (II, 2, 4); voos avez, Sire, la venimeuse iniquité de noz calomniateurs exposée par assez de paroles (Ep. p. 35). g. Participes absolus. Son Esprit osté (ablato ejus spiritu), noz casurs soyent endurcis comme pierre: sa conduite cessant (cessante ejus directione), nous ne puissions que nous esgarer (II, 4, 3). Quand Jeremie, apres que le peuple a esté transporté en pays estrange, la terre gastee et saccagée, pleure et gemist . . . (II, 6, 2). 113 Resumé des Conclusions auxquelles arrivé la présente étude. I. II est peu probable que Calvin dans sa lettre a Francois Daniël d'Orléans, datée du 13 Octobre 1536, désigne par gallica libelli nostri editio la traduction francaise de \'Institution de 1536. II. II n'est pas exclu que \'Institution de 1541 ait été imprimée a Neuchatel. III. Les éditeurs strasbourgeois ont tort en disant que seuls les sept premiers chapitres dü Ier livre ont été remaniés de fond en comble. IV. Les fautes d'impresston sont beaucoup plus rares dans les textes latins que dans les textes francais de \'Institution. En 1541 ■elles sont dans la rédaction francaise bien plus nombreuses qu'en 1560. V. L'édition de 1560 corrige bien des inexactitudes et comble bien des lacunes des éditions antérieures. En 1560 1'ouvrage a été -soumis a une solide révision. VI. Calvin a constamment été sur Ie pied de guerre avec les imprimeurs. A plusieurs reprises il a saisi le Conseil de Genève de la prière de mettre ordre a 1'état chaotique qui y régnait en matière de typographie. Une des erreurs typographiques surtout cause a Calvin des tracas interminables (Voir Ier appendice). VII. Parmi les treize prétendüs contre-sens ou non-sens énumérés par les éditeurs des Opera (Introduction au Tome III) il y a des tournures présentant des traductions parfaitement correctes et d'autres qui sont de simples inadvertances soit de l'auteur, soit de 1'imprimeur. Sans exagération, on peut dire que cetfe liste, comme réquisitoire, est de valeur problématique. VIII. Pour expliquer certaines inégalités ou incohérences qu'on ne saurait méconnaïtre dans le texte de 1560 et qui contrastent avec 1'apparente unité de celui de 1541, il faut tenir compte d'abord des multiples tribulations par lesquelles a été caractérisée Ia dernière période de la vie de Calvin et surtout de la facon dont l'édition définitive a été confectionnée: elle a été faite sur de vieux exemplaires de 1'ancienne édition, découpés et interfoliés. Les additions doivent avoir été dictées en partie. IX. Les biographes de Calvin sont d'accord que, même dans les dernières années de sa vie et tout en étant trés malade, il n'a pas dédaigné 1'humble besogne de traducteur et qu'il a toujours pris grand soin de la forme sous laquelle ses ouvrages ont paru. 8 114 X. L'Epistre au Roy montre des rapports irrécusables avec la plus ancienne rédaction de la Praefatio. Rédigée a peu prés simultanément en francais, elle doit, dès 1535, avoir existé k 1'état séparé. XI. En 1541 il en a été fait encore une fois un tirage a part, rédigé sur le modéle modifié de la Praefatio de 1539. XII. Les versions francaises sont des traductions le plus souvent littérales de leurs originaux. Le genre de traduction fidéle s'impose. XIII. De loin en loin seulement elles accusent des libertés qui trahissent indubitablement Ia main du maitre disposant a son gré de la matière dont il est 1'artisan. XIV. Pour ce qui concerne le langage technique, c-a-d. la terminologie biblique, la lingua Canaan, Calvin se réserve des libertés plus grandes, XV. ce qui ressort surtout dans les traductions qu'il fait des citations bibliques. Celles-ci offrent dans les versions latines Ia lecon exacte des textes recus, dans les rédactions francaises des interprétations trés libres qui sont probablement des réminiscences de ses innombrables sermons. XVI. Le caractère populaire des versions francaises s'annonce franchement dans \'Argument des éditions francaises et se révèle de plusieurs manières. XVII. Les divergences entre le latin et le francais jettent un jour curieux sur 1'opinion que l'auteur parait avoir eue sur 1'instruction générale de ses lecteurs francais. XVIII. Sans porter la moindre atteinte au fond de la pensée, Peffort vulgarisateur de Calvin se manifeste dans 1'absence totale de grec et d'hébreu dans la traduction, dans la suppression de tout autre détail trop technique ou purement scientifique, dans 1'amplification d'une matière inaccessible dans une forme trop concise, dans 1'addition de termes explicatifs et surtout dans un fréquent et large emploi de la langue popolaire. XIX. En traitant la matière la plus élevée Calvin a des mots d'une surprenante familiarité et qui accusent son sens du comique. XX. Au rebours du latin la traduction voile parfois certaine» crudités d'expression et révèle en outre une circonspection particulière a 1'égard du nom du Seigneur. 115 XXI. Les éditions de 1541 et de 1560 différent notablement, mais trop souvent la critique oublie que ce ne sont que des traductions lesquelles suivent toutes les deux les mouvements des originaux trés différents entre eux. XXII. En 1541 et 1560 les différents procédés de traduction sont a peu prés idenüques et tels qu'ils ont été caracterisés aux Ch. II et III de la première partie du présent ouvrage. XXIII. Pour la constitution du texte de 1560 Calvin a utilisé toutes les parties de 1'ancienne édition qui pouvaient servir a cet effet XXIV. Toutes les fois qu'il y a beaucoup de changements apportés a Tanden texte, l'auteur a entrepris une rédaction toute nouvelle. Dans ce travail de réfection il est sur que bien des passages de l'original auquel pas un mot n'avait été changé, ont été traduits de nouveau. XXV. Sont remaniés intégralement, outre les sept premiers chapitres du Ier livre dont parient les éditeurs du Corpus, dans le IIe livre de grandes parties des six derniers chapitres. XXVI. Malgré 1'identité évidente des procédés de traduction, les rédactions de 1541 et de 1560 prêsentent des différences. 1560, en beaucoup d'endroits, respede l'original plus que 1541, s'approche davantage du sens littéral du texte latin et répare bien des fautes et lacunes que les éditions précédentés avaient laissé subsister. XXVII. Quant au style de VInstitution, il faut tout d'abord admirer 1'effort accompli par Calvin en affedant le francais a un usage auquel il n'avait jamais encore servi, et en soumettant la langue vulgaire a la discipline de la dialectique et de la théologie. XXVIII. Le francais des traductions est soutenu par le latin des originaux: II garde la plupart des grandes métaphores du latin et la strudure de la phrase latine. XXIX. Malgré une allure qui se ressent souvent de l'original, beaucoup des périodes francaises sont des merveilles d'éloquence. XXX. Sur son passage du latin en francais Texpression de la pensée fait des pertes sensibles de coloris et de force. Le style en devient moins incisif, XXXI. ce qui ne manque pas de produire de place en place un effet bienfaisant. La simplidté pladde de la tradudion est quelquefois préférable a la véhémence de l'original.