ESSAIS DE SYNTAXE FR ANQAISE MODERNE EttËX BE BOER La place de 1'adjectif attributif. 1 Une des plus anciennes monographies que je connaisse sur la place de 1'adjectif attributif commence par cette phrase: «Wohl keiner der Redeteile der altesten französischen Sprachdenkmaler ist weniger Gegenstand einer Spezialuntersuchung gewesen, als gerade das Adjektiv1.» La plus récente débute par la phrase suivante: «Die Stellung des attributiven Adjektivs im Französischen ist seit langer Zeit Gegenstand zahlreicher Untersuchungen gewesen*.» II existe, en effet, un grand nombre d'études sur ce sujet entre les deux travaux que je'viens de citer, et qui datent de 1879 et de 1906. Les premières monographies sérieuses datent de 1890 et de 1891: ce sont les études de Deint, Zur Theorie der Stellung des französischen Adjektivs, (Stendal, 1890, Progr.), et de j. Cbon, Die Stellung des attributiven Adjektivs im Alt französischen, (Diss. StraBburg, 1891), dont la seconde est de beaucoup la plus importante. Elle marqué une date dans l'historiographie de notre sujet Cron commence par un résumé des travaux de ses prédécesseurs, auteurs de grammaires (Diez, Maetzner, Schmitz) ou d'études générales (Tobler*), et auteurs de monographies sur 1'ordre des mots soit dans un auteur (Le Coultre4, Riese6, List", Morp', etc.), soit dans un groupe d'auteurs (Paul * Dr.L.EicHELMANN, ÜberFlexion und attributive Stellung des Adjektivs in den altesten französischen Sprachdenkm&lem bis zum Rolandsliede einschliefilich. (Heilbronn, Hennlger, 1879.) * j. von dek Driesch, Die Stellung des attributiven Adjektivs im Altfranzösischen. (Diss., Strafiburg, 1905.) » Zeitschrift für Völkerpsychologie. Bd. VI, p. 167, 1869. * De l'Ordre des Mots dans Chrétien de Troyes. (Dresde, 1876.) Le Coültrb ne parle que A'Yvain et A'Erec et Enide. * Étude sgntaxique sur la Longue de Froissart (Halle, 1880.) «Syntaktische Studiën über Voiture, dans Französlsche Studiën, I, 1—40 (1881). ' Die Wortstellung im altfranzösischen Rolandsliede, tlans Romanische Studiën, UI (1878). Morf base son étude sur le seul manuscrit 8 La place de 1'adjectif attributif. Kroger», Volcker', Höpener8, Phujppsthal*, Wagner*). Ce qui distingue 1'étude de Cron de celles de ses prédécesseurs, Xc'est que ces derniers, j'entends les auteurs de monographies se contentent d'appliquer les principes formulés dans les grammaires — ce qui fait qu'ils se trompent toutes les fois que les grammaires se trompent, et qu'il leur arrivé souvent d'être incapables d'expliquer des cas que les grammairiens n'ont pas prévus —, tandisque Cron a compris la nécessité de reconnaitre avant tout «der Psychologische Radix jeder einzelnen Erscheinung aus dem Zusammenhang». II insiste sur le fait qu'on prétend a tort que «das Französische und speziell das Altfranzösische verfahre meistens willkürlich bei der Stellung des Adjektivs, und richte sich gewöhnlich nach den Anforderungen des Rhythmus und des Wohlklanges»*. Plus loin il fait remarquer que «Die den verschiedenen Eigenschaftswörtern innewohnende Bedeutung kann bewirken, daB die einen eher affektisch, die andern eher distinguierend gebraucht werden; aber nicht der objektive Inhaltdes Eigenschaftsbegrifls, sondern die Anschauung des Redenden, der Gebrauch, den er in jedem einzelnen Fall davon machen will, ist bei der Stellung des Adjektivs das Entscheidende7». Enfin, pour citer encore une de ses conclusions*, il fait remarquer que «wenn auch im Altfranzösischen bei der Stellung des Adjektivs ganz nach d'Oxford; Eichelmann se base sur le même manuscrit, en le corrigeant en route! Cette dernière étude n'a aucune valeur pour ce qui ooncerne le Roland. 1 Über die Wortstellung in der französischen Prosaliteratur des 13. Jahr- hunderts. (Berlin, Kamlah, 1876.) 1 Die Wortstellung in den altesten französischen Sprachdenkm&lern, dans Französische Studiën, DU, 1882. I/auteur oomprend encore dans le groupe des plus anciens textes le fragment de Gobmond et Isenbabt. 'Die Wortstellung bei Alain Chartier und Gerson. (Grimma, 1888.) *Dle Wortstellung in der altfranzösischen Prosa des 16. Jahrhunderts. (Diss., Halle, 1886.) 5 Stellung des attributiven Adjektivs in altfranzösischen Prosatexten von Anfang des 13. bis Anfang des 15. Jahrhunderts; Teil l (Diss., Grelfswald, 1890.) 6 P. 85, no. 1 de ses «Conclusions». 'P. 85, na 4. * P. 86, no. 6. 10 La place de 1'adjectif attributif. kommt es an, in welchem Seelenzustand an und für sich der Eedende wahrend der Zeit seiner Rede sich befindet, sondern vielmehr nur darauf, wie er der besthnmten Vorstellungsverbindung, die er im einzelnen Falie mittels Adjektivs und Substantivs ausdrückt, in dem Moment ihrer Apperzeption gegenübersteht»1, et cette autre idéé que: «Nur ausgepragt logisch distinguierend gebraucht, folgt das Adjektiv seinem Substantiv, in jedem anderen Falie geht es ihm voran»2. La dernière étude que je connaisse est celle de von dek Driesoh, dont j'ai cité plus haut la première phrase. II a étudié la place de 1'adjectif attributif chez Vhxehardouin, Henri de Valenciennes, Robert de Clary, le Ménestrel de Reims et Joinvtlle. II arrivé aux conclusions suivantes3: «Das nachgestellte Adjektiv dient auch im Altfranzösischen dazu, Gegenstande oder Personen durch Angabe einer objektiven, von jedermann wahrnehmbaren Eigenschaft von anderen ihrer Art zu unterscheiden, «logisch zu distinguieren». Das vorangestellte Adjektiv dient anderseits zum Ausdruck der subjektiven Bewertung von Dingen und Personen durch den Sprechenden; die Eigenschaft wird «aftektisch attribuiert» .. . «Durch die haufige Verwendung mancher Adjektive in derselben Stellung und in Verbindung mit demselben Substantiv wurden Analogiesierungen hervorgerufen, welche durch die unmittelbare Wirksamkeit des SteUungsprinzips begründet erschienen. Andere Abweichungen von der Regel erklarten sich aus dem Verblassen und Zurücktreten des Substantivbegriffes, wieder andere waren durch die Absicht, eine besondere rhetorische Wirkung auszuüben, veranlaBt.» Je ne connais pas de monographie plus récente sur notre sujet. L'étude d'ELiSE Richter, Zur Entwicklung der romanischen Wortstellung aus der Lateinischen (Halle, Niemeyer, 1908) est antérieure a celle de von der Drdssch et ne parle qu'incidentelle- 1 Op. eit, p. 326. * Op. cit, p. 340. * Von der Dbiesch, op. cit, p. 52 et 97. La place de 1'adjectif attributif. 11 ment de la place de 1'adjectif attributif; cf notamment p. 45, suiv, Pour plus de détails bibliographiques je renvoie aux études de Cron et de von der Driesch. La question de la place de 1'adjectif attributif a été traitée encore par deux de nos compatriotes: Baale, La Place de l'Adjectif exprimant la Couleur, dans Taalstudie, (X, 1898), p. 65—73, et Robert, dans ses Questions de Grammaire et de Longue francaises élucidées, (1886). Voila donc oü en est aujourd'hui 1'étude de la place de 1'adjectif attributif en frangais. Toutes ces études, que je n'ai résumées que trés incomplètement, contiennent une foule de remarques intéressantes et justes, mais 1'impression finale est celle d'un «grand ordre dans beaucoup de désordre». Les auteurs mettent les unes a cöté des autres les choses les plus hétérogènes; on ne distingue ni la grammaire, c'a-d. 1'élément collectif, du style, c'è-d. de 1'élément personnel, ni même toujours la syntaxe de la morphologie. Je crois qu'ici comme ailleurs 1'école de De Saussure pourra introduire la perspective nécessaire qui manque encore. La «description» d'une des «parties du discours», 1'article, a été donnée pour la première fois scientifiquement et p. c. pour la première fois d'une facon exacte, par un des élèves de De Saussure, M. Sechehaye1. Je voudrais tacher de faire ici la même chose, sur la même base, pour la question de la place de 1'adjectif attributif. L'autre pilier de cette modeste construction reposera naturellement sur le terrain de la psychologie hnguistique. Je me bornerai ici & la réunion du substantif avec un seul adjectif. n. Si la logique seule gouvernait la langue, 1'adjectif, symbole hnguistique de nature distinctive, se placerait toujours après le substantif qu'il détermine, comme c'est le cas dans les différents langages des gestes, p. e. celui des Indiens de 1'Amérique 1 Germ. Bom. Monatschrift, VI, p. 288 et 841. 12 La place de 1'adjectif attributif. dn Nord et celui des Napolitains', et même encore dans 59 des 114 langues ou groupes de langues non-indoeuropéennes que Fr. Müller a étudiées, a ce point dé vue, dans son Orundrifi der Sprachwissenschaft, tomes I—IV\ Mais la langue n'est pas du tout exclusivement logique, et ce n'est donc pas la logique seule qui détermine la place de 1'adjectif. | «Une langue ne s'attache guère aux catégories purement logiques; elle met volontiers a leur place les catégories psychologiques de 1'imagination*». II s'agit maintenant de savoir jusqu'a quel point c'est le cas pour la combinaison d'un substantif avec un adjectif en francais moderne. M. Sechehaye distmgue de la syntaxe ce qu'il appelle la «symbolique». Par 1'influence de la «vie», il se forme dans la langue des «unités secondaires», ou «constructions»*, dont la combinaison psychologique du substantif avec 1'adjectif qui le détermine en est une. Parmi ces combinaisons il en est que peu a peu, d'après M. S., on ne sent même plus comme des constructions, mais comme de véritables unités. A partir de ce moment elles ne seront donc plus soumises aux lois auxquelles obéissent les constructions vivantes; elles se sont figées jusqu'a devenir des «symboles». Dès lors, tout en continuant a appartenir a la grammaire — puisqu'elles continuent a faire partie du système collectif qu'on appelle «grammaire», par opposition a ce qui est purement individuel — leur place n'est plus dans la syntaxe — puisque la oü il n'y a plus de construction il n'y a plus de syntaxe. Ainsi une expression comme pour le coup, un mot comme Le-Hóvre, sortis de la «syntaxe», ne font plus partie 1 Cf. Wündt, Die Sprache, I, p. 216—26. 'D'après Schoningh, pp. cit, p. 64, qui donne un schéma intéressant des résultats obtenus par M&ller. Dans 37 de ces langues ou groupes de langues 1'adjectif précède toujours; dans 18 seulement la place est, plus ou moins, facultative. • Ainsi la définition purement logique p. e. de 1'article est «la détermination individuelle», mais la définition réelle en francais moderne est «l'accompagnement naturel du substantif, son indice, pour ainsi dlre». (Sechehaye, loc. cit, p. 296). 1 Dans la terminologie de M. van Ginneken. La place de 1'adjectif attributif. 13 quedela «symbolique».Pourreconnaltreces «symboles»,nousnous servons de la méthode qu'on appelle aujourdTmi la »stylistique». On peut se placer aussi a un autre point de vue, un peu différent de celui oü se place M. Sechehaye. Dans un «symbole» comme fausse-clef, on continue a sentir, malgré son unité psychologique, la combinaison d'un adjectif avec un substantif, quelque grande que soit cette unité, qui n'est jamais que relative. A ce point de vue il y a donc encore de la «syntaxe» dans ce symbole, puisque «syntaxe» veut dire «construction». D serait dono tout aussi possible de ne pas placer un symbole de ce genre en dehors de la syntaxe, et de parler ici non pas de symbolique, mais de syntaxe flgée, loeutionnelle, en réservant le nom de syntaxe (vivante) aux combinaisons qui ne sont pas senties comme des unités, comme p. e. un grand malheur. Plus loin, dans les essais sur la place du sujet nominal et sur le subjonctif, nous verrons que la il est même nécessaire de distinguer entre «syntaxe vivante» et «syntaxe flgée ou loeutionnelle», paree que la le nom de «symbolique» cacherait trop le fait que même dansles locutions figées il y a de la syntaxe, c'a-d. de la construction1. Mais même au chapitre de 1'article, que traite M. S., ou dans celui de la place de 1'adjectif, dont nous parions ici, nous préférons le nom de syntaxe flgée, ou loeutionnelle, a celui de «symbolique», d'autant plus qu'il ne s'agit pas ici d'une simple différence de nom, d'un arrangement de la matière, mais d'une différence de principe, qui nous semble essentielle. Ainsi M. Sechehaye range parmi les cas de «symbolique» au chapitre de l'article, 1'expression Von, pour on, aussi bien que p. e. pour le coup, ou Le-Hdvre. Or, il y a, il me semble, une différence essentielle entre Von et les deux autres «symboles», différence dont le système de M. S. ne rend 1 De la construction phraséologique, pour ainsi dire, par opposition aux constructions morphologiques, oü il s'agit de préflxes, sufflxes, etc, — éléments linguistiques qui n'ont pas de vie en dehors des mots dont ils lont partie — ou de combinaisons que la syntaxe ne connait pas, comme choufleur = subst. + subsi, ou portemonnaie = Impératif (?) + subst. sans article, etc. 14 La place de 1'adjectif attributif. pas compte: dans pour le coup, ou dans Le-H&vre, il y a encore un article — quoiqu'il soit tout a fait vrai que eet article vit d'une toute autre vie que p. e. 1'article dans le port — tandis que dans Von il n'y a plus d'article du tout! En d'autres mots: pour le coup et Von sont tous les deux des unités, mais, tandis que pour le coup représente un emploi de 1'article (dans la syntaxe flgée), Von n'a plus rien de commun avec 1'article et ne saurait donc en aucune facon représenter un cas de syntaxe, même «flgée»: Von n'est plus qu'une seconde forme de on, et nous répétons que cette différence entre «symbofique» et «syntaxe flgée» nous semble essentielle dans une description syntaxique. Nous admettons donc, a cöté des constructions syntaxiques vivantes (le port; un grand malheur), des constructions syntaxiques figées (Le-H&vre; pour le coup; fausse-clef), qu'ü faut distinguer de tous les symboles, (mots simples, mots composés, f ormes verbales simples, etc.), oü il n'y a pas de syntaxe du tout. En nous servant de ce terme de «syntaxe flgée», nous rendons compte aussi Wen de 1'élément-construction que de 1'élémentsymbole: ce sont des unités, comme tout autre symbole, mais oü 1'on Sent pourtant encore les deux éléments syntaxiques dont elles se composent: article + substantif; adjectif -f- substantif, etc. Et même si on refusait de sentir un article dans un nom propre comme Le-H&vre, ce qui me semblerait tout a fait légitime1, le raisonnement qui précède s'appliquerait en tout cas a une expression comme pour le coup: il me semble difficile de ne pas sentir la différence entre d'un cöté des symboles comme Von, lendemain, lierre, de 1'autre cöté des constructions figées syntaxiques comme fausse-clef ou pour le coup. Nous parierons donc de syntaxe flgée (ou loeutionnelle), et nous rangeons dans cette syntaxe figée des cas comme ceux-ci: a) fausse-clef; coffre-fort; femme-galante; nouveau-riche; le Saint-Empire; Vendredi-Saint; le Saint-Siège; la Terra-Sainte; la Chambre-Haute; le Nouveau-Monde; 1 Ainsi on ne sent certainement pas d'article dans Den Haag, Den Helder, mais bien dans p. e. De Lage Vuursche. 16 La place de 1'adjectif attributif. La grammaire est un système au service de la communauté, tout comme p. e. la justice, ou 1'ensemble de ce qu'on appelle «les bonnes manières». Tous ces systèmes sont en principe les mêmes, quelque différente que soit la sphère de leur activité; tous représentent des systèmes1 collectifs formés peu a peu et servant a rendre possible ou a faciliter une partie déterminée de la vie sociale: la grammaire sert a rendre intelligibles a d'autres nos pensées et nos sentiments. Chacun de ces systèmes a ses «lois» ou ses «régies», qui ont de commun e. a. les points suivants: le, elles n'ont pas besoin d'être logiques; 2*, a tout moment tout individu peut les violer, mais non sans se placer par la en dehors de la vie sociale. A ce point de vue un voleur ne fait pas autre chose que quelqu'un qui mange avec ses doigts, ou qui parle de masculin genre; 3», ces «régies» ne sont des régies que pour le moment qu'on décrit; lorsqu'un grand nombre d'individus «pêche» a plusieurs reprises contre ces régies, de sorte que la communauté flnit par considérer ces emplois individuels comme normaux, alors, mais alors seulement, la règle existante jusque la se trouve remplacée par une autre règle, ou, si 1'on veut, se trouve changée, modiflée; 4e, toutes ces «régies» sont le résultat relativement stable* — comme le dit si bien M. Sechehaye — de la collaboration entre la communauté, représentant 1'élément collectif, et 1'individu; le résultat de 1'action réciproque d'éléments «logiques» et d'éléments «affectifs». C'est «de la logique appliquée a la vie». la préposition de 1'adjectif dans des combinaisons de ce genre était parfaitement permise: qui ne se rappelle la «vendomoise Lyre» de Ronsard, pour ne citer qu'un seul des centaines d'exemples? 'Plutöt qu'organismes ou organisations. * Stable, paree qu'elles s'imposent au moment que la grammaire décrit; relativement stable, paree qu'un moment peut arriver oü elles n'existeront plus, ou, du moins, seront, plus ou moins, modiflées. La place de 1'adjectif attributif. 17 Admettons maintenant qu'un individu «pêche» contre une règle grammaticale telle que nous 1'avons définie plus haut, en disant p. e. l'anglaise démocratie. Si eet emploi individuel est imité è plusieurs reprises par un grand nombre de personnes, il peut devenir grammatical, comme règle nouvelle, comme exception è une règle, comme modification d'une règle, comme on le voudra: c'est une question de simple tactique. Mais tant que eet emploi reste purement individuel, c'a-d. tant que la communauté ne 1'a pas encore accepté comme normal, // n'appartient pas encore a la grammaire, il est encore antigrammatical. Ici encore il ne sera pas toujours facile de savoir si tel emploi est encore individuel ou déja grammatical. Mais cela n'empêche que M. Sechehaye a parfaitement raison de dire qu'il s'agit ici d'une distinction essentielle, et qu'il faut séparer aussi nettement que possible les cas anti-grammaticaux de ceux qui sont déja devenus grammaticaux. H faut donc placer en dehors de la grammaire un emploi comme celui-ci, cité par Plattneb: Les courtisans de la chinoise impératrice1, tout comme p. e. dans d'autres chapitres de la syntaxe des cas comme: AUemagne, pour l'Allemagne (V. Hueo, Hernani), ou: Bien, dtt-on, qu'il nous ait nul (Behanger, Souvenirs du peuple). Ces emplois individuels n'ont rien a faire avec la grammaire, qui ne doit pas les enregistrer — ce qui ne veut pas du tout dire que la communauté devrait reprocher sans plus ces emplois aux auteurs qui sen servent! Quod licet Jovi non heet bovi! Mais c'est exclusivement au style, a la stylistique, de nous les expliquer, ce que les historiens de la langue aussi bien que les grammairiens modernes perdent trop souvent de vue*. 1 Tandis que des emplois comme ceux-ci: Un tres parisien camarade; La normande obstination du peüt garcon, également cités par Blattner (H, p. 27), ne me semblent pas anti-grammaticaux, mais tomber sous la règle que nous allons donner plus loln. 'II faut donner aux dictionnaires le droit d'enregistrer même ce qui O. de Boer, Essais de syntaxe frangaise moderne. 2 18 La place de 1'adjectif attributif. Nous allons passer maintenant a une analyse psychologique systématique de la combinaison d'un substantif avec un adjectif dans la syntaxe vivante. Cette combinaison, comme on le sait, représente une «unité secondaire» ou «construction». Jeconsidère comme connues ces idéés — qu'il ne faut pas confondre avec les idéés de «phrase», ou de «période», ou de «composition» — et je me borne ici a rappeler que M. van Ginneken, en combinant des théories de Sievkrs, Hibt, Wundt, e. a., admet une «unité secondaire» partout oü, dans une combinaison de mots, il y a unité d'«accent» et unité d'«assentiment», et que ce même savant a démontré que les parties dont se compose une «unité secondaire» ne sont pas nécessairement placées les unes a cöté des autres, mais qu'elles peuvent même être trés éloignées les unes des autres1. Quelle que soit la place qu'occupent ces parties dans la phrase, il y a «unité secondaire», lorsqu'on les sent comme psychologiquement unies: M. van Ginneken appelle cela: «vouloir a terme». On peut citer comme exemples trés simples d'unités secondaires a distance, pour ainsi dire, des combinaisons comme ne—pas, ne — quidezn. Les unités secondaires se divisent en deux groupes: il y en a qui sont fortement senties comme unités psychologiques, et d'autres eü 1'on se rend beaucoup mieux encore compte du fait que ce sont des constructions. Au premier groupe appartiennent en hollandais des expressions comme oudejaarsdvond, wildzwijn, Ooudse-pijp. Toutes ont en notre langue 1'accent sur la dernière syllabe; c'est l'«accent d'unité» (van Ginneken), le »Einheitsdruck« (Jespersen), 1'accent qui domine dans la synthèse, et qui, comme on le sait, tombe sur la dernière partie, paree que «la dernière syllabe d'une expression hnguistique est anti-grammatical, p. e. un mot comme ridicoculiser,'tacgé par Rostand. Pour les auteurs de dictionnaires, qui ne doivent être que pratiques, le crltère ne doit pas être 1'emploi grammatical ou antigrammatical d'un mot: ils doivent enregistrer même ces derniers, pourvu qu'ils se trouvent dans des ouvrages beaucoup lus. : 'c'est e. a. par cela que ces «unités secondaires» se distinguent de ce qu'on pourrait appeler «les unités secondaires» dans la phonologie: le groupe de soufflé, et la syllabe. La place de 1'adjectif attributif. 19 a 1'avantage dé la fin et de la conclusion . De la 1'habitude de se servir de 1'accent flnal surtout quand on veut exciter 1'interlocuteur a réunir les drfférentes parties composantes en une unité monarchique». Au second groupe appartiennent en hollandais des combinaisons comme tuinkamer, sektie zéven, te grónde gaan. Elles portent l'«accent de nouveauté», 1'accent qui domine dans les constructions analytiques, et qui, dans les langues a accent mobile, comme le hollandais, peut être aussi bien initial que médial ou flnal: il tombe sur la partie la plus «nouvelle»1. En hollandais, langue a accent mobile, 1'ordre des mots a donc pu devenir fixe: 1'adjectif y est préposé au substantif. En francais, au contraire, langue a accent fixe flnal, les nuances en question doivent être indiquées e. a. par 1'ordre des mots. Et c'est justement dans la combinaison substantif + adjectif que cette différence entre le francais et le hollandais se manifeste trés clairement; c'est pourquoi ici justement une comparaison entre les deux langues peut si bien nous faire comprendre 1'état des choses en francais. Quelles sont maintenant les conséquences de cette mobilité d'accent en francais pour Ia combinaison d'un substantif avec un adjectif? Ceci d'abord: 1'adjectif se place devant le substantif partout oü, sans encore être entrée dans la syntaxe flgée, la combinaison adjectif + substantif est trés fortement sentie comme une unité, et oü donc il y a synthèse. Le substantif est alors 1'élément de beaucoup le plus fort psychologiquement; c'est donc lui qui doit être placé sous 1'accent, qui est ici 1'accent d'unité*. 1 Comme on le sait, l'«accent de contraste» est une variante de 1'accent de nouveauté. Nous parions ici exclusivement de 1'accent de force, en négligeant, dans cette étude de syntaxe descriptive, 1'accent de hauteur et tout ce que la psychologie Hnguistique comprend encore sous le nom d'«aocent». • Des expressions comme coffre-fort, femme-galante ne contredisent en aucune facon cette théorie. Elles appartiennent a la syntaxe flgée. Elles sont devenues des expressions figées a un moment oü 1'adjectif ESSAIS DE SYNTAXE FRANQAISE MODERNE PAR C. DE BOER P. NO ORDHOFF — 1922 — GRONINGEN Avant-propos. Les trois essais que nous publions ici sont le résultat d'études préparatoires en vue de la publication d'une syntaxe compléte du francais moderne. Si nous les publions dès maintenant, c'est que l'achèvement de cette syntaxe compléte, si jamais nous réussissons k réaliser ce projet, prendra sans doute encore plusieurs années! Si nous 1'avons entreprise, c'est que nous sommes profondément convaincu de deux choses: d'abord que les syntaxes actuelles ne sont ni scientifiques, ni même pratiques — ce qui serait encore une circonstance atténuante —, ensuite que nous n'aurons pas, que nous ne pouvons pas avoir la syntaxe véritablement historique scientiflque, tant que nous n'aurons pas la véritable syntaxe moderne scientifique. «La grammaire historique ne constituera une explication que le jour oü elle pourra faire voir tous les facteurs grammaticaux et psychologiques qui ont été déterminants pour chaque transformation. Or, cette recherche ramène le linguiste è l'étude des états de longue et k la psychologie du langage. C'est la la base de toute science du devenir. II est inutile de chercher a renverser les termes.» Ces paroles de M. Sechehaye renferment tout notre programme. Quant k la question si débattue de savoir s'il convient de partir du système des f onnes grammaticales ou du système abstrait des idéés syntaxiques, je crois qu'on ne pourra se prononcer sur cette question que le jour oü les deux systèmes auront réussi a nous donner une description syntaxique compléte et exacte: le résultat final pourrait bien être exactement le même. Ou plutót: doit être le même, pourvu qu'on donne k chaque élément — grammaire, style, symbolique, etc. — la place qu'il convient de lui donner. En attendant, j'ai préféré partir des formes grammaticales, ce qui me semble non seulement la route la plus süre, mais aussi la plus logique: nous nous servons d'un système 1* 4 Avant-propos. de signes; dès lore, pour décrire ce système de signes, ildoit être possible de prendre ces signes comme point de départ de la description. Ai-je besoin d'ajouter que ce n'est qu'en hésitant que je publie ces trois études? H est difflcile de se décider a faire paraitre un «travail de réflexion»: le danger d'errer est si grand! Puissé-je du moins ne pas m'être trompé dans les cboses essentielles! La place de 1'adjectif attributif. La place de 1'adjectif attributif. 9 denselben Prinzipien verfahren wird wie im Neufranzösischen, so mussen doch notwendigerweise Falie vorkommen, die infolge einer verschiedenen Anschauung und Auffassung der Dinge zu jener Zeit, oder infolge eines Wandels in der Bedeutung der Wörter, im Vergleich zum neufranzösischen Gebrauch, befremdend oder abweichend zu sein scheinen. Und da nun die Schriften des Mittelalters im allgemeinen weniger gelehrt, sondern mehr popular und der gewöhnhchen Umgangssprache Shnlich gehalten sind, so kann es nicht auffallen, wenn die Adjektive, die einen affektischen Sinn haben oder vertragen, öfter in Anwendung kommen und überhaupt mehr vorangestellte Attribute vorkommen als im Neufranzösischen1*. Avec Cron la question avait été transportée du domaine purement empirique et statistique dans le domaine psychologique. Après lui il faut citer d'abord 1'étude de Theodor Schoningh: Die Stellung des attributiven Adjektivs im Französischen, Diss., Kiel, 1898). Schoningh rejette la conclusion générale de Cron, et arrivaa son tour, par une comparaison du francais moderne avec «les langues indogermaniques», avec le laidn (classique et vulgaire) et avec le vieux francais, a cette conclusion que la place de 1'adjectif est déterminée par trois facteurs: «Logik, Affekt und Asthetik». En francais moderne ces trois éléments «luttent encore», mais «1'élément affectif y joue un röle moins prépondérant qu'en latin et en vieux francais». La question a encore été traitée par Clédat', qui, en négligeant trop le cöté psychologique de la question, ne considère trop souvent que la signiflcation objective de 1'adjectif; et par Kalepky', qui met surtout en avant cette idéé que «Nicht darauf 1 On avait déja remarqué qu'au moyen-fige il y avait beaucoup plus de cas oü 1'adjectif précède que de cas oü il suit le substantif. La plupart des grammairiens, e. a. Morf, voyaient la une influence exclusivement germanique, thèse dont Beroaigne, La place de 1'adjectif épithète en vieux francais et en latin, (1884), avait déja montré 1'inadmissibilité. Voir des tables statistiques chez Wagner, op. cit, p. 114. **La Place de VAdjectif en francais, dans la Revue de Philologie francaise, XV (1901), p. 241. ' Zeitschrift für romanische Philologie, XXV, (1901), p. 324. La place de 1'adjectif attributif. 15 qui sont devenus des noms spécifiques ou des noms propres'; b) des expressions comme: d plat ventre; en flagrant délit; pleurer è chaudes larmes; faire la sourde oreille; etc. Dans tous ces cas nous avons, en effet, affaire a des unités. Et le critère n'est pas la circonstance qu'elles sont désormais soustraites a 1'influence de 1'initiative individuelle — dans ce cas il faudrait les mettre dans la même rubrique que des expressions comme mes propres mains k cöté de mes mains propres, qui représentent pourtant des cas de syntaxe vivante —, mais elles appartiennent a la syntaxe loeutionnelle paree qu'elles sont senties comme des unités'. Nous voilé donc débarrassés, pour ainsi dire, des cas de syntaxe «figée»; tout ce qui reste appartient a la syntaxe proprement «vivante». Pour arriver maintenant k une description exacte syntacticosynchronique des combinaisons substantif -f- adjectif senties encore comme des constructions vivantes, non-figeés, il faudra d'abord enregistrer les cas qui représentent des régies grammaticales, c. q. avec leurs exceptions et les exceptions k ces exceptions. Mais qu'est-ce qu'une règlë grammaticale? Prenons comme exemple la règle — que nous ne formulons pas encore M — d'après laquelle il faudra dire, avec postposition de 1'adjectif: un animal quadrupède; le genre mascuUn. H est évident qu'on ne pourra pas dire impunément: un quadrupède animal; le masculin genre3. Mais pourquoi pas? Quel est ici le sens de 1'expression «pas impunément»? 1 De la les majuscules. Ce n'est pas a la grammaire descriptive qu'il appartient d'expliquer ces cas — il s'agit d'expliquer dans chaque exemple a part la place de 1'adjectif — mais è la grammaire historique, qui devra souvent avoir recours a la psychologie, p. e. pour expliquer la différence entre Terre-Sainte et Saint-Siège. Le moment important est celui oü Pon voit passer la combinaison de la syntaxe vivante dans la syntaxe flgée, le moment oü 1'ordre des mots s'immobilise, «se fige». * Aussi 1'élément-adjectif ne saurait-il être le prédicat de 1'élémentsubstantif. " Dans la syntaxe moderne, bien entendu! Dans la syntaxe des poètesde la Pléiade p. e. — qui est autre chose que la syntaxe du 16e siècle! — 20 La place de 1'adjectif attributif. Pour ce qui concerne, ensuite, les cas oü notre combinaison est fortement sentie comme une pluralité, et oü donc ftp a deux accents, ici la question de rordre des mots est plus compliquée. Lorsque, dans ce cas, c'a-d. dans 1'analyse, 1'adjectif n'a pas, outrès peu de force affective, la grammaire oblige Vindividu a le placer après te substantif. H n'y a pas d'accènt d'unité alors, ou, du moins, il est trés faible. Le substantif, étant 1'élément «le plus commun», «le plus actuel»1, garde la première place. Les deux éléments se partagent, pour ainsi dire, 1'accent.— Mais il peut arriver aussi que 1'adjectif a beaucoup de force affective. Dans ce cas aussi il peut, évidemment, se placer derrière le substantif. Mais, comme on le sait, un membre de la phrase ayant une telle force se place volontiers au début de la phrase, principe qui est évidemment applicable aussi a la combinaison substantif + adjectif, et notre règle sur la place de 1'adjectif attributif dans 1'analyse ne sera donc pas compléte sans que nous ayons ajouté: Dans les cas oü 1'adjectif, dans 1'analyse, est fortement affectif, on peut le placer devant le substantif: une Idche agression; la nor mande obstination de ce garcon, (quelle brute d'homme). YoUk donc la règle générale grammaticale de la place de 1'adjectif attributif en francais moderne. D s'agit maintenant de savoir si tous les exemples qu'on rencontre sont de simples applications de cette règle, et nous allons entrer ainsi dans le domaine du style, c'a-d. de l'application des régies par Vindividu. H y aura des exemples oü la règle se trouvera appliquée. Le style sera d'accord alors avec la règle grammaticale; rindividu s'y placait, pour une raison quelconque, après le substantif. C'est a la grammaire diachronique, non pas a la grammaire synchronique de nous les expliquer. Ce sont des question de sêmantique on de sémasiologie. La grammaire descriptive n'a qu'a constater le fait, qui, nous le répétons, n'est en aucune facon en contradiction avec notre règle. 1 «Le membre qui est le plus commun, le plus actuel, se met en tête»> (van Ginneken, Principes de Hnguistique psychologique, p. 531.) 'Nous avons ici la «série d'intensité» de Bally. La place de 1'adjectif attributif. 21 ne se sera pas soustrait aux régies que la communauté lui impose, et n'aura usé de libertés que pour autant que la communauté les lui permet par les régies citées. La grammaire n'aura donc rien de nouveau a enregistrer: la règle reste intacte. Une énumération systématique de ces emplois n'est a sa place que dans un manuel de stylistique. Un manuel de grammaire francaise moderne ne peut les donner que comme exemples, comme applications de la règle. Prenons quelques exemples: La garde, espoir suprème et suprèmepensée; trois chevaux vrais, montés par de mais jockeys, sont lancés a fond de train; une garde nombreuse garde Ventrée; de filandreuses, doucereuses et larmoyantes explications1: une idéé une (et indissoluble); une tour carrée; des dmes profondément émues; marcher la tête haute; du cognac vieux; du vieux cognac; des pensées noires; de noires pensées; un enfant idiot; Ouillaume premier; le premier moment; un homme grand etmaigre; une lêche agression; cettemauditeguerre; etc, etc. Quelles que soient les raisons de la préposition ou de la postposition de 1'adjectif dans tous ces exemples, et quelque difficile qu'il puisse être quelquefois de se rendre compte de ces raisons, il est évident, et 1'analyse stylistique le prouve au besoin, que 1'individu n'a partout usé ici que des libertés que la communauté lui permet; tous ces exemples sont des cas de style grammaticaux, s'expliquant tous par la règle que nous avons donnée. Si donc, dans une description grammaticale, on tient k mentionner k part p. e. les cas de chiasme, il n'y a aucune raison de ne pas mentionner aussi tout autre cas d'application de la règle générale. De même: toutes les monographies sur la place de 1'adjectif attributif sont pleines de remarques intéressantes stylistiques, c'a-d. d'applications des régies, mais •«Femprunte ces trois exemples è 1'étude de Schoningh, qui insiste beaucoup, comme on se le rappelle, sur le röle que joue l'«Aesthetik» dans la question de la place de 1'adjectif, sans se rendre compte que nous sommes la sur le terrain Hustyle, de l'application. Personnellement j'ai été frappé par le grand nombre d'adjectifs préposés dans les Confessions de Verlaine. 22 La place de 1'adjectif attributif. la aussi on confond encore trop facilement ce qui est règle grammaticale avec ce qui n'est qu'appücation de la règle. De 1'ordre dans le désordre! La grammaire n'a donc rien è changer ici a la règle générale telle que nous 1'avons formulée. En est-il de même des cas suivants: Une seule femme; une femme seule; une tête sacrée; une sacrée tête; un grand homme; un homme grand*; un pauvre banquier; un banquier pauvre*. H est clair que nous avons ici affaire a des emplois parfaitement grammaticaux, mais qui pourtant ne représentant pas du tout de simples applications de notre règle. Oe ne sont pas non plus des locutions, des cas de syntaxe figée. Donc: la description grammaticale aura a noter ici quelque chose de nouveau! Et nous complétons notre règle en enregistrant 1'exception suivante: Certains adjectifs attributifs ont une place fixe devant ou derrière le substantif d'après le sens qu'on vent leur faire exprimer. D y a encore d'autres adjectifs qui ont une place fixe par rapport au substantif, mais qui différent de ceux du groupe précédent en ce qu'ils se placent toujours devant le substantif: il faudra donc ajouter une seconde exception a notre règle: Certains adjectifs attributifs ont une place fixe devant le substantif: tout, feu', etc. ' H est amusant de constater qn'homme petit s'opposerait a grand homme, tandis que petit homme s'oppose a homme grand. a Tandisqu'entre ün riche banquier et un banquier riche il n'y a qu'une différence de nuance, 11 y a iel une différence de sens: 1'adjectif riche tombe encore sous la règle générale; pauvre n'enreprésente plus une simple application. •Certains grammairiens considèrent le mot feu comme une préposition; a tort, il me semble, malgré l'invariabilité du mot. D'après 1'Académie, prétendu se placerait toujours devant le substantif, mais Blattner (D7, 31) donne plusieurs exemples de la postposition de prétendu, même la oü le mot ne se rapporte pas a un adjectif suivant: Son dieu prétendu n'est qu'un être malfaisant (J. J. Rousseau); Son droit prétendu (Guizot). La place de 1'adjectif attributif. 23 En dernier lieu on peut rencontrer des emplois franchement anti-grammaticaux, des emplois individuels, que la communauté n'accepte pas comme normaux, quelque «poêtiques», quelque «artistiques» qu'ils puissent être quelquefois. Ces cas de style restent donc en dehors de la grammaire, qui non seulement n'a rien de nouveau a enregistrer ici, mais qui ne peut même pas les citer comme des exemples: 1'individu qui s'en sert se place lui-même a 1'écart du groupe. C'est ce que M. Sechehaye appelle des «désolidarisations» qui ne sont pas encore devenues grammaticales; il cite comme exemples de désoMarisations redevenues grammaticales: sur le terrain de la lexicologie le mot grève dans le sens de «chömage voulu», et sur le terrain de la syntaxe le pronom latin ille devenu en francais article défini et pronom personnel1. Nous avons donc constaté qu'il y a deux «exceptions» a notre règle générale. II se pourrait qu'il y eüt encore des exceptions a ces exceptions. Plus ces exceptions deviennentsubtiles, plus la grammaire doit être prudente avant de les enregistrer comme telles, car plus elle se rapprochera du domaine oü ce qui était collectif devient individuel. Une fois arrivée jusque la, la grammaire doit s'arrêter: elle ne doit enregistrer, soit comme règle grammaticale, soit comme exemple, c'a-d. commecasdestylegrammatical, que ce qui est senti par la communauté comme normaf. Voici donc comment, a notre avis, la grammaire doit «décrire» la question de la place de 1'adjectif attributif*, description oü les exemples représentent le domaine du style, et dont il faut écarter tout ce qui est antigrammatical: i Ici encore c'est a la grammaire historique de nous renseigner sur les causes de ces «désoMarisations»: ce sont la encore des qiiestions de sémantique. Sur le rdle que peut Jouer ici la psychologie on pourra consulter, a cöté d'autres ouvrages plus anciens, 1'étude de Hans Sperber, Über den Affekt als Ursache der Sprachveranderung (Halle, Niemeyer, 1914). a Qu'on se rende bien compte surtout de ceel que «normal» n'est pas du tout synonyme ici de «banal»! De trés grandes hardiesses de style ne sont pas du tout nécessairement anti-grammaticales I 3 Je répète que nous nous bornons iel a 1'emplol d'un seul adjectif attributif. 24 La place de radjectif attributif. Syntaxe figèé Exemples: serre-chaude; a plat ventre; faire la sourde oreille; la Terre-Sainte; le Saint-Siège, etc. Syntaxe mobile* Règle: Dans la synthese 1'adjectif attributif se place devant le substantif. Dans 1'analyse il se place après le substantif, mais peut précéder, lorsqu'il a beaucoup de force affective. Exemples: Exceptions: a) Certains adjectifs attributifs ont une place fixe devant le substantif: tout, feu, etc. b) Certains adjectifs attributifs ont une place fixe d'après le sens qu'on veut leur faire exprimer. Exemples: Une tête sacrée, une sacrée tête; une femme seule, une seule femme; un pauvre homme, un homme pauvre. in. Quelques remarques encore avant de finir. / ^ 1. D'abord: N'avons-nous pas un peu trop simplifié les choses? D. est vrai que la grammaire — pour ne signaler que quelques cas — n'a pas a se demander pourquoi p. e. grand se place le plus souvent devant le substantif, de 1'époque de la Chanson de Roland* jusqu'a nos jours, ni pourquoi p. e. 1 Om «loeutionnelle». ' Ou: «vivante». * Mobf a compte dans la Chanson de Roland 155 cas de préposition de grand, contre 7 cas de postposltion (loc. cit. p. 267). Wagner a compte dans ses textes 2393 exemples de préposition de grand, contre H exemples seulement oü eet adjectif suit le verbe (loc. cit. p. 86): Froissart le place 1453 fois devant le substantif, contre 1 fois après 1 La place de 1'adjectif attributif. 25 saint a une tendance presque aussi forte a se placer devant le substantif, ni pourquoi on ne dira guère p. e. un ignorant fieffé, un achevé fou, un foncé républicain1. La stylistique nous apprend que nous avons affaire, dans tous ces cas, a des applications de nos régies, quoiqu'il ne soit pas toujours facile de voir le pourquoi de ces emplois. Ce n'est pas non plus une question grammaticale que de savoir si c'est pour des raisons d'euphonie ou non qu'on ne dira guère un mou tit fef. unemolle couche), un sourciïleux roe, un vert pré (et une verte prairie), un laid mot, des chapeaux mous gris*, un see coup, un vif feu, etc. Dans tous ces cas encore c'est a la styüstique de nous dire s'il y a synthèse ou analyse, et pourquoi, mais la description grammaticale n'a pas a les enregistrer spécialement: ce sont encore des applications de la règle. Le mot excepté ne représente pas non plus une exception k quelque règle sur la place de 1'adjectif: c'est une préposition. Et ainsi de suite. Mais: n'aurait-il pas fallu enregistrer comme une règle p. e. le fait, que nous signalent tous les manuels, que les adjectifs formés de noms de peuples se placent toujours derrière le substantif? Est-ce vraiment une simple application de notre règle? Est-ce de par leur nature que ces adjectifs sont impossible dans la synthèse, et ne peuvent-ils jamais avoir assez de force affective pour se placer, dans 1'analyse, devant le substantif? Comment expliquer alors qu'on les trouve préposés quelquef ois au moyenfige? Nous dirons d'abord que même aujourd'hui on les trouve quelquef ois préposés: en voici quelques exemples, pris dans la grammaire de Plattner: Une anecdote qui a toute la saveur de la plus parisienne actualité (H. Tessier); La 1 (credere-habeó)' > (croirai). Nous constatons la même chose dans la série suivante: (captum) (habeo) > (captum-habeo) > (ai-pris) > (Je) (ai-pris) > (j'ai-pris). Si le raisonnement qu'on vient de lire est exact, ce dont personne ne doute, je crois, il faut 1'appliquer également a la forme moderne du subjonctif. Au point de vue morphologique le subjonctif n'a qu'une seule forme, la forme verbale simple (soit, fasse). Or, certaines syntaxes, en parlant d'une expression comme Qu'il vienne, nous disent que le subjonctif y est précédé de la conjonetion que. U est évident que la syntaxe doit enregistrer et ne pas confondre ces subjonctifs avec ou sans que. Mais il n'est pas moins évident, il me semble, que, au point de vue de la syntaxe vivante, les trois éléments de la phrase Qu'il vienne forment une unité: le mot que n'y fonctionne en aucune facon comme conjonetion. II n'y a pas plus trois éléments syntaxiques vivants dans Qu'il vienne qu'il n'y en aurait trois dans la forme latine Veniat — et c'est confondre la morphologie avec la syntaxe* que de parler ici d'une conjonetion et de voir — comme on le fait trés souvent aussi — dans une phrase comme Qu'il vienne une «subordonnée dont la principale serait sousentendue». Soit et qu'il soit représentent tous les deux des unités syntaxiques. 1 On remarquera que pour Ia forme de la troisième personne l'unité n'est pas (encore?) aussi forte, puisqu'on peut dire lal portalt; ce qui tlent peut-être au fait que le sujet de la troisième personne est trés souvent un substantif, de sorte qu'on se sert souvent de la troisième personne d'un verbe sans IL * En vieux-provencal on pouvait encore séparer les deux éléments même par un autre mot 9 Ou plutöt, comme nous le verrons tout a 1'heure, c'est confondre la syntaxe flgée avec la syntaxe vivante. Le subjonctif. 75 II faut aller plus loin: dans une forme comme Puisse-t-il réussir ü y a également unité syntaxique; c'est une des trois f ormes du subjonctif du verbe réussir, et nullement le subjonctif de pouvoir + 1'inflnitif de réussir — tout comme il y a unité dans une forme latine comme Pereat1. De sorte que, si la morphologie ne connait qu'une seule forme du subjonctif (soit, fasse), la syntaxe en connait trois, qu'on pourrait appeler: 1. la «forme simple»; 2. la «forme avec que»; 3. la «forme avec pouvoir». IV. Le plusqueparfait du subjonctif. Nous avons dit plus haut que nous considérons le subjonctif du plusqueparfait comme un cas syntaxique tout a fait spécial. En effet, quelles que soient les fonctions que nous allons trouver au subjonctif moderne, le subjonctif du plusqueparfait n'en a plus qu'une: permettre aux auteurs francais de donner, pour des raisons purement esthétiques ou stylistiques, une teinte «littéraire» au plusqueparfait ou au conditionnel passé modes. Ainsi le subjonctif est impossible p. e. après les conjonctions après que, ou paree que, mais on peut trés bien.se servir après ces conjonctions du plusqueparfait du subjonctif! Le subjonctif, et même le conditionnel, sont absolument impossibles après si conditionnel, mais rien n'est plus normal que de trouver une phrase comme celle-ci: II Veüt fait, s'il m'eüt écouté. Cet emploi du subjonctif est absolument différent de celui de n'importe quel autre subjonctif vivant; les régies qui régissent 1'emploi du subjonctif en général ne s'appliquent pas du tout III n'y a que des différences secondaires et morphologiques; ainsi pereat et puisse-t-il réussir ont tous les deux des tormes spéciales pour le pluriel, mais pereat n'a pas de forme spéciale pour le féminin, comme puisse-t-il réussir. 76 Le subjonctif. a celui du subjonctif du plusqueparfait, qui uit ainsi d'une toute autre vie. — II en était tout autrement en ancien francais, comme on le sait, et encore au XVII6 siècle. — «Le subjonctif du plusqueparfait a aujourd'hui déjè — du moins selon nous — quelque chose de légèrement recherché et archaique. Ses concurrents sont seuls admis dans un style vif, léger et naturel. De la vient par exemple que le plusqueparfait de rindicatif est seul admissible dans la subordonnée avec si employé par figure comme exclamation: Oh! alors, mes enfants . . ., si vous aviez vu cela! — si vous eussiez vu cela! nous semblerait mauvais, presque impossible.» Cette remarque de M. Sechehaye, a la page 403 de son étude sur L'imparfait du subjonctif et ses concurrents dans les hypothétiques normales en francais*, me semble plutöt conflrmer ce que nous venons de dire sur le caractère spécial de cette forme du subjonctif, qui peut être un simple ornement stylistique] Nous verrons plus loin que cette définition ne s'applique k aucun autre emploi du subjonctif moderne, pas plus qu'elle ne s'applique a 1'emploi du subjonctif du plusqueparfait en ancien francais. Et, puisque on ne peut pas non plus le ranger parmi les emplois du subjonctif dans la syntaxe «loeutionnelle» — on le trouve aussi bien dans la syntaxe «vivante» — je répète ce que j'ai dit plus haut: il vit d'une autre vie que les autres subjonctifs en francais moderne, et c'est ce qu'il importe d'enregistrer dans une description synchronique de 1'emploi de ce mode. II va sans dire que le subjonctif du plusqueparfait, qui n'en est pas moins un subjonctif, peut fonctionner aussi comme le subjonctif normal, p. e dans une phrase comme celle-ci: II était parti sans que je m'en fusse apercu. La il est réeÜement la transposition au mode subjonctif de rindicatif du plusqueparfait. Mais il n'en reste pas moins vrai qu'on peut s'en servir aussi p. e. après après que, et qu'il occupe donc bien une place tout k fait spéciale dans la syntaxe moderne. D faudra donc distinguer les cas: 1 Romanische Forschungen, xix, 2. Le subjonctif. 77 a) oü on s'en sert én vertu des régies qui dé terminent 1'emploi de tout autre subjonctif aussi, p. e. après sans que. b) oü il n'est qu'un ornement stylistique, p. e. dans la phrase principale, ou après si ou après que. V. Syntaxe «figée» ou «loeutionnelle». II y a dans la langue, a cöté des mots et des phrases, des expressions qui tiennent.des mots par le fait qu'elles ne se présentent que comme unités, et qui tiennent des phrases, paree qu'elles se composent de plusieurs mots. Faut-il donc les étudier dans la morphologie ou dans la syntaxe? Or, en résprvant le nom de «morphologie» a 1'étude des mots, il faut considérer ces locutions comme des cas de syntaxe, puisque dans ces locutions il y a, malgré. leur unité, toujours construction «phraséologique», et par. conséquent syntaxe. Mais, pour les distinguer des autres phrases, nous allons distinguer de la syntaxe qu'on pourrait appeler «vivante», une syntaxe «loeutionnelle», ou «figée»1. Tachons de justifler cette distinction. Prenons comme point de départ les deux phrases suivantes: (1) Qu'il ne le fasse plus! (2) Le diable soit de [l'amitié]! Dans la phrase (1) on reconnait tout de suite une construction vivante: nous avons la la forme subjonctive de la phrase: II ne le fait plus. On peut imaginer la même phrase avec un autre verbe (qu'il ne le dise plus), ou mettre le verbe a un autre temps de 1'indicatif ou du subjonctif (II ne leferaplus; Je supposais qu'il ne le fit plus, etc.). On peut donner au verbe un sujet substantif; ou remplacer la forme négative par la forme positive ou interrogative; ou encore se servir d'un autre adverbe négatif; ou introduire dans la phrase p. e. un 1 Comme nous 1'avons déja fait dans les deux études qui précédent. 78 Le subjonctif. circonstanciel de temps. En un mot: nous sommes dans la syntaxe «vivante», ou «mobile». Dans la phrase (2) rien de tout cela! On ne peut rien y changer: ni mettre le verbe k un autre temps ou a une autre personne, ni le mettre a rindicatif, ni le remplacer par un autre verbe, ni rien changer au sujet ni a la préposition. En un mot: nous ne sommes plus ici dans la syntaxe vivante; nous avons affaire a une «locution», a une expression figée. ïï faut donc faire une distinctioh entre ces deux phrases, tout en avouant que dans 1'une et 1'autre il y a construction, donc syntaxe, puisque syntaxe est synonyme de construction. Le plus logique et le plus pratique sera alors, il me semble, d'appeler la syntaxe dont les régies régissent la construction dans la phrase (1), la syntaxe «vivante», ou la syntaxe «mobile», et de donner k la syntaxe non-vivante que nous sentons dans la phrase (2), qui représente une locution, le nom de syntaxe «loeutionnelle» ou de syntaxe «figée». Nous allons fclcher de réunir maintenant un certain nombre de cas oü le subjonctif se rencontre dans une expression ou formule toute faite. Mais comment les reconnaltre? Quelquefois ce sera assez facile, ne fütce que par leur caractère tout archaique1: personne n'hésitera, je crois, a reconnaltre des cas de syntaxe figée dans les constructions suivantes: Vive (le roi); Sauve qui peut; Cóute que cóute; Qu'a cela ne tienne; ... óme qui vive; de même que dans: Fais ce que dois, advienne que pourra, et nombre d'autres proverbes encore k forme franchement archaïque. 1 Ce qui caractérise surtout les cas de syntaxe figée, c'est, comme nous 1'vaons vu plus haut, rimmobilité définitive de 1'ordre des mots. Le subjonctif. 79 Tous ces cas ne sont pas la «mise au subjonctif», pour ainsi dire, de quelque phrase a rindicatif, mais des expressions toutes faites, oü le subjonctif vit donc d'une autre vie que dans les constructions de la syntaxe vivante. M. Soltmann cite dans une même série d'exemples, 1'une a cöté donc de 1'autre, les deux phrases suivantes: Je n'ai pas prononcé une parole que je n'aie pas pensée, et: Je n'avais pas encore vu óme qui vive1. Or, qui ne sent que dans la première phrase nous avons un subjonctif qui s'exphque par les régies de la syntaxe de la phrase relative, dans la seconde phrase un subjonctif faisant partie d'une expression, oü il est impossible de rien changer et qu'on choisit comme on choisit un mot. 11 y a la deux syntaxes, et le fait qu'on ne pourra se servir de 1'expression óme qui vive qu'après un verbe accompagné d'une négation ne change rien a cette constatation. Remarquez encore que p. e. dans le style indirect (libre ou non) le. subjonctif présent de la première phrase se changerait en subjonctif imparfait: (Elle disait qu'elle n'avait pas prononcé une parole qu'elle n'eüt pas pensée), tandisque celui de la seconde resterait au présent: (Elle disait qu'elle n'avait pas encore vu óme qui vive.) II est encore intéressant de constater que ces subjonctifs dans la syntaxe flgée sont les seuls cas oü ce mode vit encore même dans le langage parlé des idiomes qui ne connaissent plus en général le subjonctif que dans le style maniéré ou pompeux, comme le hollandais: les trois premières expressions citées plus haut se traduisent en hollandais: Leve (de koning); Redde zich wie kan; Het koste wat het wil; c'a-d par des expressions figées avec subjonctif; une expression comme óme qui vive ne saurait se traduire par geen ziel die leeft — ce serait alors de la syntaxe vivante — mais par geen levende ziel, une expression toute faite! Rien ne justitie peut-être mieux que cette comparaison avec le hollandais la distinction que nous croyons devoir faire entre syntaxe figée et syntaxe vivante: on peut prévoir que, si jamais le subjonctif meurt en francais, on con1 Op. cit. p. 64. 80 Le subjonctif. tinuera a le retrouver dans la syntaxe figée jusqu'au moment oü la dernière «locution» aura disparu — tout comme c'est le cas aujourd'hui en hollandais. Je n'hésite pas non plus a ranger dans la syntaxe flgée 1'expression: N'en déplaise a ; quoiqu'il y ait la un semblant de construction vivante par le fait qu'on peut dire aussi Ne vous en déplaise. Nous avons un autre cas dans la locution: Ainsi soit-il, . tandis que 1'expression Qu'il en soit ainsi est aussi vivante que possible avec son «subjonctif avec que*: c'est la «mise au subjonctif» de II en est ainsi Aussi 1'ordre dans lequel les termes se suivent, anormal dans Ainsi soit-il, est-il normal dans Qu'il en soit ainsi. Je range aussi dans la syntaxe loeutionnelle ou figée la formule: Soit.' qui n'est en aucune facon la «mise au subjonctif» de (il) est La conjonetion soit que n'appartient même plus, évidemment, a la syntaxe, mais déjè a la morphologie. Par contre, 1'expression soit dans une phrase comme:. Soit [mon père], soit [le vötre] me semble encore appartenir a la syntaxe (figée), mais pas encore a la morphologie, comme le holl. hetzij. Appartiennent encore a la syntaxe figée les locutions: Tant soit peu; Soit dit en passant; Le diable soit de1 [ . De même: que je sache; Qui vive? Soit donné [ ; 'Hollandais: De duivel hale [... Le subjonctif. 81 puis des formules comme: Comprenne qui pourra1; Parte qui voudra; A Dieu ne plaise; Plüt d Dieu que. Pour ce qui concerne ces deux dernières expressions, M. Lerch fait remarquer que «der Wunschkonjunkidv im Imperfektum flndet sich im Französischen von Anfang bis heute»; puis il cite un certain nombre d'exemples. Or, dans tous ces exemples, dont un seul est pris dans la langue du moyen-age, il y a le verbe plaire: nous comprenons maintenant pourquoi: cette nuance du subjonctif ne vit plus que dans la syntaxe figée, c'a-d. dans certaines formules; il serait radicalement impossible de traduire p. e. Mocht hij toch weldra beginnen, par: Commencót-il bientóf! Je vois encore des locutions dans: Grand bien lui fasse! [Une innocente] s'il en fut'; Passé encore pour ; Vaille que vaille; N'eüt été ; , soit [i7 soldats en tout]*; il est inutile de tacher d'être complet ici sur ce point. Que faut-il faire des formules de souhaits solennels ou des imprécations, construites avec ou sans inversion, et avec la forme sans que du subjonctif: Fasse le ciel que; Dieu vous garde; Béni soit le ciel; etc.? Nous les avons déja rencontrées dans notre étude sur la place du sujet nominal, oü nous sommes arrivés a cette con- 1 Hollandais: Begrijpe wie het kan; Vertrekke wie wil; God verhoede; God geve. 2 M. Lerch traduit, a la page 20 de son étude, une phrase: Qu'il vtntt par: O, daB er doch k&mel II se trompe, s'il croit que c'est du francais. * Subjonctif après si, ce qui est absolument impossible dans la syntaxe vivante. * Oü 11 y a non-a ccord! C. de Boer, Essais de syntaxe francaise moderne. 6 82 Le subjonctif. clusion qu'il faut ranger parmi les «locutions» celles oü 1'ordre des mots est immobile: Dieu vous garde; Vive [le roi]; Dieu me damne; etc. «Dès qu'on introduit la forme du subjonctif avec que — pour autant que ces formules s'y prêtent encore —, 1'ordre des mots devient normal et vivant: Que le roi vive; Que les dieux vous gardent; Que vous gardent les dieux. Elles entrent alors dans la syntaxe vivante et perdent leur caractère de formule. Remarquez encore qu'on se sert souvent de ces formules sans que, et avec ordre immobile des mots, comme cris, ou comme jurons, ce qui semble confirmer notre facon de voir1». Est-ce qu'il faut considérer comme une locution 1'expression: Je ne sache pas que ? D'un cóté, on ne peut dire ni p. e. Je sois certain, ni: Je ne voie pas, ni: Je ne susse pas: le subjonctif n'est possible ici qu'avec le seul verbe savoir, au présent Cette circonstance semble nous inviter a considérer Je ne sache pas que comme une sorte de formule. De 1'autre cóté, on trouve des phrases avec nous (Nous ne sachions pas que ); ce qui semble prouver que nous avons un cas de syntaxe vivante, capable de créer des analogies. On peut donc comparer ce cas a un autre, que nous avons rencontré plus haut: Ne vous en déplaise, a cöté de N'en déplaise d [madame], JA nous n'avons pas hésité; je crois qu'il ne faut pas le faire non plus ici: Je ne sache pas est une transposition, dans la principale, de la formule que je sache; toutes les deux appartiennent a la syntaxe figée. En effet: ces deux formules avec subjonctif pourront tres bien contmuer a vivre telles quelles au moment oü le francais aura perdu son subjonctif; leur vie ne dépend pas du tout du plus ou moins de vitalité du subjonctif; elles vivent de la vie des «symboles», 1 Voir plus haut, page 37. •3 Le subjonctif. 83 des «locutions», des formules «figées'»; ce sont des expressions toutes faites. Nous rencontrerons plus loin d'autres arguments en faveur de cette conception. Une dernière remarque générale encore. Si une description syntaxique du subjonctif n'avait a tenir compte que de 1'élément psychologique, on n'aurait aucun motif de distinguer de la syntaxe «vivante» une syntaxe« figée», puisque la «racine psychologique» y est la même, évidemment, que dans la syntaxe vivante. Mais d'abord: les facteurs psychologiques ne déterminent pas, dans les locutions, 1'emploi d'une forme modale du verbe, mais rendent possible ou impossible le choix — pour des raisons d'ordre stylistique — de toute 1'expression. Puis: les facteurs psychologiques sont loin d'être les seuls éléments dans une description compléte: nous 1'avons assez dit plus haut. Enfin, une locution est un «symbole», tandis qu'une phrase vivante est une «série de symboles*. — D est trés possible qu'on ne soit pas d'accord avec nous sur le caractère «vivant» ou «locutionnel» de plus d'une des expressions que nous avons considérées dans ce paragraphe comme des formules ou des chchés. H y a évidemment des cas de transition, qu'il est difficile de classer. L'essentiel est de savoir si le principe de notre distinction est bon, même la oü on se séparerait de nous a 1'occasion de telle apphcation particuhère. Nous allons passer maintenant a la syntaxe «vivante«. Vt Syntaxe «vivante». Nous avons donc donné une place a part a tous lés emplois du subjonctif oü ce mode ne vit plus que comme un des éléments d'une locution, d'une expression toute faite. 1 Tornau, Syntaktische und stilistische Studiën über Descartes (Diss., Leipzig, 1900), cite la phrase suivante de Descartes: Et je ne sache plus rien ici de digne de remarque, (V, 209), qui est une variante dé Je ne sache pas que, et qu'il appelle un .latinisme». 6 84 Le subjonctif. Parmi les subjonctifs dans la syntaxe «vivante», celle qui va nous occuper maintenant, ü y en a oü ce mode est 1'expression indépendante d'une nuance de la pensée ou du sentiment. Prenons la phrase suivante: Cet homme, que Dieu punisse, est un traitre. Bien n'annonce ici le subjonctif; aucun mot ne lui vient, pour ainsi dire, én aide: il rempht une fonction indépendante, il f onctionne seul, il exprime a lui même une nuance de la pensée, tout comme dans la phrase principale: Que Dieu punisse ce traitre. Quelle que soit la «racine» psychologique du subjonctif en général, sa signification psychologique f ondamentale et originelle — «sentiment», «subjectivité», «potentialité», «irréalité», etc. — il est évident que nous sommes déja loin ici du sens que ce mode avait originairement. Et lorsque nous examinons les différents cas du subjonctif que les manuels et les monographies font dénier devant nos yeux, nous constatons que: 1. Le subjonctif dans la principale sert è exprimer la notion optative. La nuance optative est déterminée par deux choses: la forme du subjonctif et le contexte. Ainsi la «forme avec pouvoir» exprime un souhait: Puisse-t-il réussirl La «forme sans gae» exprime une notion optative solennelle, qui, par le contexte, peut suggérer l'idée soit d'un souhait solennel, soit d'une imprécation, mais le subjonctif ne peut exprimer ici que la notion optative solennelle, sans plus: dans la phrase Le diable te confonde la notion d'une imprécation se dégage de la signification des mots: diable; confondre; c'a-d. cette notion est exprimée par: le «subjonctif sans que» + le sens du mot diable + le sens du mot confondre. Bemplacez diable par Dieu et confondre par bénir, on aura une bénédiction; une nuance optative solennelle favorable. Le subjonctif est absolument incapable d'exprimer seul des notions aussi précises; il ne les exprime pas, en tout cas, puisque la nuance dépend du sens des mots de la phrase! C'est la une constatation, un principe, qui dominera toute notre conception de 1'emploi du subjonctif, et sur lequel Le subjonctif. 85 nous aurons a revenir plus d'une fois. Le «subjonctif avec que» n'exprüne également qu'une notion optative trés générale et vague; c'est encore le contexte qui suggère alors l'idée d'un ordre (Qu'il se taise, ou je le flanque ö la portel), (Qu'il s'approche! Je veux le voir de plus prés), ou d'une permission (Qu'il reste, s'il y tient), en passant par le simple souhait, toujours plus ou moins emphatique (Oh, qu'elleguérisse! Que lapeste Vétouffef)1 2. Le subjonctif dans la phrase relative explicative sert a exprimer également la notion optative, rien de plus. Et ici encore c'est le contexte qui suggère la nuance. [3. A moins de considérer, avec nous, 1'expression Je ne sache pas comme une locution, un cas de syntaxe figée, le subjonctif exprimerait dans ce seul cas absolument isolé, Vatténuation (de l'idée de savoir)?! Or, ne sent-on pas que c'est toute 1'expression qui exprime cette nuance, ou plutöt cette idéé, et que nous avons ici un emploi du subjonctif dans une locution?] Nous avons donc vu que dans la phrase principale ou relative explicative le subjonctif exprime la notion optative. Prenons maintenant une phrase oü la langue, dans une subordonnée, peut se servir aussi bien de 1'indicatif que du subjonctif, suivant la pensée a exprimer: Je cherche une maison qui a (ait) dix chambres. Quelle est la fonction du subjonctif ici? Exprime-t-il la «qualité requise»? Faut-il 1'appeler un subjonctif de désir? Exprime-t-il «dieUnsicherheitdes Gewollten»? Non! ün'exprime rien de tout cela, rien d'aussi précis: le subjonctif dans la subordonnée n'exprüne jamais que la subordination d'idée, la subordination psychologig ue. Le subjonctif sert a subordonner une idéé a une autre idéé; rien de plus! C'est cette thèse que nous allons défendre et appliquer dans les pages suivantes. 1D est évident qu'on peut aussi exprimer un souhait p. e. par pourvu que + subjonctif. C'est une question de stylistique. Nous rencontrerons ce cas tout a 1'heure; nous verrons alors que le subjonctif n'exprime pas la une nuance optativet 86 Le subjonctif. Prenons la relative, citée plus haut, avec indicatif. II y a dans cette phrase une subordination grammaticale — qu'il ne faut pas confondre avec la subordination d'idée, la subordination psychologique! — mais l'idée de «avoir dix chambres» reste psychologiquement indépendante de l'idée de «chercher».. Dans la phrase avec le subjonctif, par contre, l'idée de «avoir dix chambres» est subordonnée psychologiquement a l'idée «chercher», et cela suffil pour créer Yeffet voulu. Grace k cette seule. subordination a une idéé volontive, on sait qu'on cherche non seulement une maison, mais qu'on veut que cette maison ait dix chambres. On aurait pu dire aussi — c'est une question de style — Je cherche une maison qui doit avoir dix chambres, ou: — — — —, oü je veux qu'il y ait dix chambres; etc. Mais au lieu d'une de ces tournures-la, oü le fait qu'on veut dix chambres se trouve exprimé par des formes spéciales (doit; je veux), sans qu'il y ait la moindre subordination psychologique a l'idée de la principale, on se contente, par 1'emploi du subjonctif, de subordonner cette idéé psychologiquement k l'idée de «chercher», et cela suf fit. Le sens du verbe chercher + la subordination d'idée exprimée par le subjonctif suffisent pour produire 1'effet qu'on appelle «la qualité requise», mais que le subjonctif n'exprime pas, ne peut pas exprimer! Un second exemple: Dites-lui que son frère vienne me voir demain matin. Ici encore la simple subordination d'idée au moyen du subjonctif suffit pour avoir 1'effet voulu. Si le subjonctif exprimait ici la notion optative, comme c'est le cas dans la phrase principale, on devait pouvoir s'en servir invariablement après n'importe quelle forme de ce verbe déclaratif. Or, rien n'est moins vrai: on ne peut se servir ici du subjonctif que dans les cas oü la valeur du verbe déclaratif (déterminée par la forme et le contexte') + la simple subordination d'idée créent l'idée d'une volonté: sile verbe déclaratif ne contient pas, dans le contexte, cette valeur, la subordination 'Le contexte comprend aussi la signiflcation du verbe' Le subjonctif. 87 aurait un tout autre effet, et la grammaire ne la permet pas. H est donc tout naturel que le subjonctif soit fréquent après 1'impératif, mais qu'après les autres formes du verbe on préfére, pour plus de clarté, une phrase p. e. avec devoir, oü il n'y a pas de subordination psychologique: II me dit que je dois venir; ce qui est trés possible aussi, évidemment, après rimpératif, mais beaucoup moins nécessaire. Et voici qui prouve encore que la subordination d'idée sufflt, et qu'il ne s'agit pas d'autre chose ici. On peut dire aussi: Ditea-lui de venir; il me disait de venir. L'effet est le même qu'avec un subjonctif. Or, dira-t-on que rinfinitif exprime ici la volonté? Dira-t-on que c'est un «infinitivus optetivus», un «inflnitif de volonté»? Évidemment non: 1'mfinitif aussi ne sert ici qu'a subordonner psychologiquement une idéé a une autre idéé, ce qui sufflt pour produire, dans le contexte, c'a-d. avec d'autres éléments, l'effet voulu. Un troisième exemple: Onmange pour qu'on puisse vivre (ou: pour qu'on vive). Dira-t-on ici que le subjonctif exprime une nuance de désir? Non, et c'est bien pour cela que la présence de la conjonetion finale est absolument nécessaire pour que l'effet de la subordination soit un effet flnal: la phrase on mange+subordination d'idée nesauraient suffire pour suggérer une idéé de but. S'il y avait dans notre phrase une conjonetion concessive, on se servirait également du subjonctif, qui riexprimerait pas plus alors la «concession» qu'il n'exprime «la volonté» dans la phrase avec pour que. Le subjonctif exprime-t-il la concession dans une phrase comme celle-ci: Coutdt-il tout le sang qu'Hélène a fait répandre, Je ne balance point? Non; ici encore il ne sert qu'a subordonner psychologiquement, et c'est cette subordination + 1'inversion + le contexte qui suggèrent ici l'idée d'une concession, qui ne se trouve exprimée ici par aucun signe grammatical, puisque, avec les mêmes éléments linguistiques dans la subordonnée, on obtient un tout autre effet dans une phrase comme celle-ci: Lui restdt-il un soupcon, un seul, elle était perdue! 88 Le subjonctif. Un dernier exemple encore. Prenons la phrase: Que cela soit vrai, c'est certain. Ce cas embarrasse beaucoup les grammairiens. M. Lerch s'exprime ainsi: «Der que-Satz schwebt hier sozusagen in der Luft und wird deshalb zunachst als unsicher hingestellt (selbst wenn das folgende Verbum spater seine Tatsachlichkeit beweist)». Mais il est bien certain qu'è aucun moment celui qui parle ne veut laisser de doutes sur la réahté du contenu de la subordonnée. Ce serait un véritable cas d'anacoluthe, ce qui n'est certainement pas le cas. Pour M. Soltmann il s'agit ici d'une «ganz auBerliche und törichte Regel», qu'il ne s'explique guère. Or, notre théorie me semble trés bien rendre compte de 1'emploi du subjonctif ici: en se servant du mode de la subordination psychologique on veut simplement faire sentir tout de suite que nous avons affaire ici d une subordonnée. Rien de plus! Nous avons alors la subordination d'idée + (et a) une expression de certitude, ce qui ne crée aucune nuance d'irréalité, d'mcertitude1. Si le verbe être certain précédait, on ne subordonnerait pas: il n'y aurait aucune raison de le faire! D. reste que la subordination d'idée dans notre phrase s'impose trés peu,* et qu'il y a donc un fort élément conventionnel dans la règle moderne qui exige ici la subordination. Mais nous ne parions ici que du cóté psychologique de la question. En résumé, dans les différents cas que nous avons examinés ici, la fonction grammaticale du subjonctif n'est que de subordonner une idee è une autre. Ainsi la fonction de 1'élément modal est partout le même; il n'y a que l'effet qui ne Test pas, puisque celui-ci est déterminé, dans chaque exemple, par d'autres éléments aussi: signiflcation du verbe, contexte, etc. La modalité ne représente qu'une des causes qui concourent a produire ces effets: il s'agit de ne pas confondre la valeur d'un 1 De la justement l'embarras de tant de grammairlens, qui veulent que le subjonctif exprime la «volonté» ou «1'incertitude» ou «rirréalité»! 2 «Tal trouvé dans ma documentation un seul exemple pris dans un auteur du moyen-age; 11 est a rindicatif: Wace, Hou, TL, 3417: Que de la cité prendre nient est, ceo savez. Le subjonctif. 89 exemple déterminé avec ce qu''exprime, dans cet exemple donné, 1'élément modal, c'a-d. 1'élément subjonctif! Mais, si la fonction du subjonctif dans la subordonnée est exclusivement la subordination d'idée, pourquoi ne trouve-t-on jamais, dans la langue moderne, le subjonctif après Je sais que; II est certain que; II est vrai que; etc? En principe cela serait en effet tout a fait possible. Mais: l'idée de la subordonnée est ici fortement indépendante, l'idée de la principale est fortement objective et a, par conséquent, trés peu de force subordonnante: dès lors il n'y a aucune raison de ne pas se servir la de 1'indicatif, et il est tout naturel que la communauté ait fait de cet emploi de 1'indicatif une règle absolue'. Nous allons entrer maintenant dans les détails de 1'emploi du subjonctif subordonnant psychologiquement. Dans une analyse compléte, que nous n'avons pas 1'intention de donner encore ici, il faudrait commencer, pour chaque cas, par formuler la règle, c'a-d. par établir le rapport entre la communauté et rindividu. On verrait alors si la règle formulée est une véritable règle, ou seulement une application d'une règle plus générale. Ensuite il faudrait déterminer dans chaque règle la part de 1'élément psychologique et de 1'élément conventionnel, formel. Enfin il faudrait déterminer la nuance, c'a-d. l'effet produit et voulu par la subordination. Dans une description compléte, des «Remarques» pourraient servir a faire des observations historiques, stylistiques, (p. e. mesurer dans chaque exemple la force de la psychologie individuelle, dépendant du plus ou moins de liberté que la communauté laisse a 1'individu et des besoins stylistiques de 1'individu), des comparaisons avec d'autres langues, etc. 1 Le latin ne défendait pas absolument 1'emploi du subjonctif après savoir l 90 Le subjonctif. I. Fonction du subjonctif dans la phrase substantive. «Après les verbes qui expriment la pensée, on emploie toujours rindicatif, quand ils sont employés affirmativement; ces verbes demandent en général le subjonctif, quand ils sont employés dans une proposition négative, interrogative ou conditionnelle.» Prenons le verbe croire, employé affirmativement. H y a dans l'idée de «croire» un élément positif, objectif — qu'on sentira le mieux en comparant cette idéé a l'idée de «•Wttloir» — et un élément non-positif, subjectif, qui manque p. e. dans l'idée de «savoir». Prenons maintenant la phrase suivante, citée par M. Soltmann1: II ne résista point, croyant que ce fut encore une cérémonie (A. Hermant, Le Joyeux Oarcon, 319). Cet emploi est exceptionnel. «Man will zu verstenen geben», dit M. S., «dafi das Glauben zu einer blofien Annahme herabsinkt, so dafi er den Inhalt des Glaubens als etwas ledighch Angenommenes darstellt.» En d'autres mots: l'effet de la subordination psychologique, au moyen du subjonctif, a une idéé de croyance positive est: de faire valoir dans le verbe croire la subjectivité, 1'élément non-positif qu'il contient, et d'introduire cette nuance dans l'idée subordonnée. On arrivé ainsi tout naturellement a la nuance constatée par Tobler* dans les exemples médiévaux du subjonctif après croire, et notamment après cuidier: «croire a tort», «croire une chose qui n'est pas vraie ou du moins mcertaine». Au moyen age, on trouve assez fréquemment le subjonctif après croire employé affirmativement; on le trouve beaucoup plus souvent encore au 16e siècle"; la grammaire moderne, par 1 Op. cit p. 78. 1 Li Dis dou vrai Aniel, 2e éd. a. Tobler (Leipzig, Hirzel, 1884), p. 26. 3 Cette circonstance pourrait s'expliquer par le fait que le moyen-age avait encore le verbe cuidier, qui avait un sens plus subjectif, moins positif que croire, de sorte qu'on se servait de croire surtout la oü la nuance était plutót positive, objective, et invitait donc moins a la subordination d'idée. Cuidier est beaucoup moins employé déja au 16e siècle. Le subjonctif. 91 contre, en défend 1'emploi après croire affirmatif. Ces faits prouvent qu'il y a dans la règle moderne un élément traditionnel, conventionnel trés fort: si la règle moderne, c'a-d. rinterdiction du subjonctif, était entièrement a base psychologique, on ne trouverait certainement pas non plus le subjonctif au 16e siècle, ni au moyen-age, époque oü la grammaire laissait encore 1'individu trés hbre dans son choix du mode'. L'histoire conflrme donc les conclusions que nous permettait déja notre analyse du cas. Mais comment exphquer la règle moderne? H est évident que la force subordonnante de croire est sensiblement moins grande que celle p. e. d'un verbe exprimant un «mouvement de 1'ame», comme être content Ce dernier groupe de verbes in vitera plus souvent è la subordination qu'a la non-subordination; pour un verbe comme croire ce sera plutöt le contraire. Or, la grammaire a, pour ainsi dire, voulu régulariser ces deux tendances, et en est arrivée ainsi a exiger la subordination d'idée après les verbes exprimant un «mouvement de 1'ame», (lorsqu'ils sont suivis de que% et a défendre la subordination d'idée après le verbe croire. Nous comprenons facilement aussi maintenant pourquoi la grammaire demande la subordination d'idée après croire négatif: dans ce cas 1'élément subjectif, et surtout 1'élément non-positif, se trouvent beaucoup renforcés par la négation, et invitent donc beaucoup plus facilement a la subordination; l'idée de la subordonnée est ici peu »indépendante«. Pourtant, la force subordonnante restera toujours beaucoup moins grande ici qu'après p. e. un «mouvement de 1'ame». De la cette différence entre 1'emploi du subjonctif après je suis content que et après je ne crois pas que: dans le premier cas on subordonne toujours; dans le second cas on peut ne pas subordonner, 1II n'y a pas de plus grande erreur que de croire que le moyen-age fut une époque d'anarchie au point de vue de 1'emploi des modes! Bien au contraire, les bons auteurs sont d'admirables stylistes a ce point de vue, qui ont un sens tres fin des nuances, notamment Chbetien de Tboyes, qui est un trés grand écrivain, un styliste admirablement douél 2 Nous revlendrons tout a 1'heure sur ce cas. 92 Le subjonctif. lorsqu'il s'agit, dans la subordonnée, d'un fait senti comme réel La force subordonnante n'est pas toujours assez grande alors pour vaincre ce qu'on pourrait appeler la «résistance», le «désir d'indépendance» de l'idée contenue dans la subordonnée. Ce désir d'indépendance tient au fait que psychologiquement l'idée de la subordonnée était déjè concue avant la conception de l'idée de la non-croyance: II ne croyaitpas que vous étiez malade. Ce cas, c'a-d. le sentiment de l'indépendance psychologique de l'idée de la subordonnée par rapport a la principale peut se présenter aussi lorsque la subordonnée se trouve déjè sous la dépendance d'une autre idéé: Je ne crois pas qu'il Vaurait fait, si on Vavait averti a temps. Ici on se servira pourtant souvent du subjonctif, préférant alors subordonner psychologiquement l'idée de la substantive a lïdée de la principale. On aura un troisième cas d'indépendance psychologique la oü 1'on voudra trés fortement insister sur la futurité du fait contenu dans la subordonnée: Je ne crois pas qu'il le fera. Dans ces trois cas le subjonctif serait obhgatoire après Je suis content que. Après croire interrogatif, les conditions pour 1'emploi du subjonctif sont sensiblement les mêmes qu'après croire négatif. II reste deux cas dont nous aurons encore a dire un mot: le cas oü le verbe croire se trouve dans une phrase conditionnelle (Ju-ai avec toi si tu crois que je le doive, citée par Van Dun,, p. 105), et celui oü croire est aecompagné d'une expression comme c'est une erreur de, d tort, etc. (II avait tort de croire que cet homme était [ou füt] son ennemi). Si je ne me trompe, la grammaire laisse dans ces deux cas une liberté beaucoup plus grande è rindividu que ne le feraient croire les régies formulées par nos manuels, ce qui n'est pas pour nous étonner: ces emplois de croire se trouvent, pour ainsi dire, è mi-chemin entre croire affirmatif et croire négatif. Pour ces deux cas la règle, qui laisse è rindividu entière Uberté de subordonner ou de ne pas subordonner, est d'accord avec la psychologie, et ne contient aucun élément conventionnel. Le subjonctif. 93 Prenons encore un autre verbe de la pensée: aavom Ici il n'y a aucun élément négatif-subjectif, donc une force subordonnante rrdnimale dans la principale. Le fait dont on parle dans la subordonnée est toujours réel, donc facilement senti comme indépendant. La subordination, quoique possible, n'aurait aucun sens; tout invite a se servir dans ce cas du mode de la réalité indépendante. II n'y a aucune raison de ne pas se servir la de rindicatif, et il est tout naturel que la communauté ait fait de cet emploi une règle absolue. Même le moyen-age, 1'époque de la plus compléte liberté, ne connait guère la subordination après savoir positif; les rares exemples qu'on rencontre s'expliquent presque toujours soit comme des négligences — on n'en trouvera pas dans un styliste aussi fin que Chrétien de Troyes! — soit comme des formes dues aux besoins de la rime (Or, sachiez bien trestout de voir, Que Durbans fiat bien pourvêoir, Cléomadès, ains qu'il meust,De ce qu'ilsot que mestiers fust), soit comme des cas d'assimilation psychologique (ou syntaxique) progressive'. Dès que savoir est accompagné d'une négation, la subordination devient psychologiquement plus possible; aussi la communauté la permet-elle a 1'individu; Je ne savais pas qu'il eüt un frère. Comme force subordonnante la principale contient surtout un élément négatif: l'effet de la subordination doit donc être un effet négatif, mais bien faible: par la subordination on diminue un peu le sentiment conscient de la réahté, mais si peu, que le fait n'est pas un instant senti comme irréel, malgré la dépendance (psychologique) d'une idéé négative^ H est donc tout naturel de trouver plutöt la non-subordmation que la subordination, qui exprime ici encore la subordination d'idée; rien de plus. Et il est tout naturel aussi que la subordination soit impossible dès que le fait est fortement senti «Cléomadès, 11996, cité par E. Wolff, Zur Syntax des Verbs bei Adenet le Roi. (Diss., Kiel, 1884), p. 28. 2 Je ne retrouve pas 1'exemple que j'avais noté comme preuve de cet emploi. 94 Lé-subjonctif. comme réel, donc rndépendant': Je ne savais pas que la reine a déja plus de quarante ons*. Insistez maintenant un peu sur l'idée de ne pas savoir; diminuez le sentiment conscient et voulu de la réalité du fait: la subordination devient possible: II ne savait même pas que feusse un frère (oü le mot même renforce 1'expression), surtout lorsqu'on augmente aussi la subjectivité de 1'expression en mettant le verbe a la première personne: Je ne savais même pas qu'il eüt un frère. Insistez maintenant sur la réahté du fait: la non-subordination, c'a-d. 1'indépendance psychologique, s'impose de nouveau: Je ne savais pas qu'il y avait quelqu'un dans la chambre. En d'autres mots: la règle sur 1'emploi du subjonctif après savoir (affirmatif, négatif, interrogatif, conditionnel) est presque entièrement conforme a la psychologie et ne contient qu'un élément conventionnel minime: la subordination est, en effet, psychologiquement presque impossible après savoir affirmatif — il y a un léger élément conventionnel dans la règle qui défend ici le subjonctif, comme le prouve le latin8 — trés possible après savoir négatif, etc., pourvu que 1'indépendance du fait ne soit pas sentie avec une certaine force, lorsque ce fait est réeL La subordination ne s'impose jamais. La communauté impose la subordination d'idée après la formule Je ne sache pas: ne faut-ü donc pas faire ici une restriction a la règle qui permet la non-subordination après ne pas savoir? NuUement. La raison psychologique de cette exigence est claire: «7e ne sache pas a une grande force subordonnante, a cause de son sens d'expression de doute. Allons plus loin, et rangeons 1'expression parmi les verbes qui ex- 1 Un fait réel n'est pas nécessairement un fait positif, ni nécessairement un fait présent: il peut être un fait négatif, ou un fait futur! 2 Qu'on ne dise pas surtout que la subordination est impossible par le fait seul qu'il s'agit d'une réalité! Dans la phrase Je suis content que tu sois venu, le fait est aussi réel que possible, et pourtant la subordination est ici obligatoire! * P. e. Pladt., Asin., 62 suiv,: equidem scio lam fltius quod amet meus istanc meretricem; cf. Löfstedt, Philologischer Kommentar zur Peregrinatio Aetheriae, (Uppsala, 1911), p. 118. Le subjonctif. 95 priment le doute. Elle en a le sens et la syntaxe, et je vois la un argument de plus pour ranger cette expression parmi les formules, dans la syntaxe loeutionnelle. Je ne aache pas que n'est la mise au subjonctif ni de Je ne sais pas que, ni de Je ne sais pas si. C'est une expression exprimant le doute! Nous n'avons donc pas de restriction a faire ici. D'ailleurs, le contenu de la phrase subordonnée est toujours «irréel», donc facilement »dépendant«, de sorte que a ce point de vue-la aussi la règle s'applique fci normalement. Hya certains verbes de la pensée qui, employés affirmativement, ne se construisent guère avec le subjonctif, tel que penser; leur syntaxe est donc conforme a celle de croire. D'autres 1'admettent beaucoup plus facilement, tel que s'imaginer: M. Soltmann fait iei la remarque que tous les exemples qu'il a notés avec le subjonctif montrent l'impératif dans la principale1. Imaginez qu'un jeune homme de trente ans ait encore du coeur (Boürget, Physiol de l'amour mod., 283'): nous comprenons trés bien que la force subordonnante de 1'impératif est plus grande que celle de 1'indicatif du présent. Après comprendre, la subordination, permise par la communauté, a pour effet «dafi man den Worten nach den ausgesagten Inhalt zwar begreiflich findet, oder daB der Inhalt plausibel gemacht wird, dafi er aber scblieBhch doch nicht so ganz unanfechtbar ist'»: Je comprends que cela vousparaisse étrange, peut-être bldmable, mais cela est, cf. II ne comprend pas que la terre est ronde. Par la subordination d'idée on fait donc prévaloir 1'élément subjectif que contient le verbe comprendre; plus l'idée de la subordonnée sera sentie comme indépendante, moins la force subordonnante du verbe comprendre sera grande, car plus la compréhension sera purement intellectuelle, objective. Après supposer, la subordination d'idée fait prévaloir 1'élément subjectif, et le verbe se traduit de préférence par «aannemen», «veronderstellen»; la non-subordination fait pré- 1 Soltmann, § 97. 2 id., § 99. 96 Le subjonctif. valoir l'idée objective, intellectuelle, positive, et le verbe se traduit par «vermoeden». La fórce subordonnante des verbes ou expressions exprimant le doute est trés grande: aussi la subordination est-elle exigée par la communauté'. Mais, lorsque ces verbes sont employés négativement ou interrogativement, il s'introduit dans la pensée un élément si fortement objectif, que la non-subordination, 1'indépendance psychologique, devient possible, et nous comprenons pourquoi «1'indicatif gagne ici du terrain, surtout dans la langue parlée"». Les verbes de pensée exprimant la négation, tel que ignorer, subordonnent également souvent psychologiquement, mais la aussi 1'emploi négatif du verbe (Je n'ignore pas) introduit 1'élément positif qui rend la non-subordination d'idée possible, p. e. lorsque la subordonnée contient un fait futur dans le passé ou dans le présent (Je n'ignorais pas qu'il y aurait une fêle le lendemain), ou lorsque l'idée de la subordonnée est déja intimement hée a une autre idéé, ce qui lui donne une grande force de résistance (Je n'ignore pas qu'il l'aurait certainement fait, si je le lui avais démandé). Voici maintenant un cas oü, après un verbe de la pensée, l'effet de la subordination d'idée est un effet volontif. On peut de servir du subjonctif après 1'expression être d'avis de (ou: ce m'est avis, ou: il m'est avis). Exemple: Devant cette poussée, M. Claveret fut d'avis que Von céddt le pas aux plus impatients; (H. de Régnier, Romaine Mirmault', 1A moins qu'on ne se serve de si, bien entendu; voir plus haut, p. 69. J Van Duyl, Grammaire', p. 106. 5 Au moyen-age, Chrétien se Troyes fait une différence entre moi est avis (ind. ou sub].), et ce m'est avis (ind.), évidemment a cause de la valeur du pronom ce, qui, a cette époque, avait encore une valeur nettement démonstrative. Or, et c'est la le fait qui nous intéresse ici, nous constatons que la subordination d'idée après moi est avis ne se trouve pas avoir, chez Chrétien*, pour effet une nuance optative, comme c'est le cas en francais moderne après je suis d'avis. Ces deux expressions ne sont donc pas tout a foit synonymes dans les deux langues puisque le subjonctif dans la phrase subordonnée ne fait que subordonner une idéé a une autre, et n'«exprime» pas des nuances qui ne peuvent être «exprimées» que par le contexte: valeur des mots + subordination d'idée; cf. p. 103. Le subjonctif. 97 p. 7). Par la subordination d'idée au moyen du subjonctif on produit un effet volontif, quelque faible qu'il soit. — Avec 1'indicatif dans la subordonnée, donc avec non-subordination d'idée, on exprime simplement la pensée objective du sujet de la phrase: Je suis d'avis qu'il n'est pas bon de trop écouter leurs plaintes. — La subordination est possible, est déterminée par la nuance subjective optative que 1'expression en question peut impliquer dans le contexte. Elle n'est pas obhgatoire, bien entendu: on peut trés bien faire valoir l'idée optative p. e. par 1'emploi, avec non-subordination d'idée, du verbe falloir, ou devoir, etc. dans la subordonnée. Remarquons encore que être d'avis que est le seul verbe de la pensée derrière lequel la subordination d'idée concoure è produire un effet volontif: après je trouve, p. e. le subjonctif n'est même pas possible; après il me semble la subordination produit un tout autre effet qu'après il m'est avis que — tout cela prouve de nouveau que ce n'est pas le subjonctif qui exprime la nuance optative, mais qu'il n'est qu'un des éléments qui servent a produire cet effet I Passons maintenant a un autre groupe de verbes: ceux qui expriment la volonté. Ici la communauté exige la subordination d'idée, excepté: 1. après le verbe espérer (affirmatif), après lequel la subordination d'idée est tout a fait exceptionelle; 2. après les verbes qui expriment une volonté dont la réalisation peut être sentie comme assurée, et qui, dans ce cas, admettent la non-subordination. La force psychologique individuelle, stylistique est évidemment nulle après les verbes de volonté, puisque la communauté exige le subjonctif; par contre, la force psychologique grammaticale y est trés grande. Même dans le langage du peuple on se sert d'instinct ici du subjonctif, et si on y entend souvent rindicatif, cela tient surtout a la disparition, dans la langue du peuple, du subjontif en général: «Le subjonctif tend a C. de Boer, Essais de syntaxe francaise moderne. 7 98 Le subjonctif. disparaïtre du langage populaire»1. Au moyen-age et au XVIe siècle on trouve également rindicatif de temps en temps: Por Dieu vos proi, et por son fil, Que vos ne me tenez por vil (Perceval, 1763)*; Le poète nous deffent et le saige, Qu'avec trois gens ne faisons aliance, D'affinité par loy de mariage (Eustache Deschamps, II, 129, l)s; mais cet emploi est trés rare, quoiqu'assez fréquent encore pour nous prouver qu'il y a pourtant un élément conventionnel aussi dans 1'emploi obligatoire* du subjonctif ici dans la langue moderne. Le moyen-age connait encore un autre emploi curieux après les verbes de volonté suivis de que: les formes faites et dites, et cet emploi est même assez fréquent; on en trouve des exemples jusqu'au XvTI* siècle': Pourtant vous prie humblement que faces oster les draps de dueil et faictes remettre qui soient de plaisir (Cent Nouv. Nouv., 39, 247); Je vous prie que vous me dictes si elle vous paria oncques puis de moi (Pierre de Provence, 18, 0); Je vous eonjure, sur armes et amours, que me dietes la vérité (Jehan de Saintré, 399)°. Dans la première phrase on pourrait penser a une construction paratactJque; dans la seconde, et surtout dans la troisième, il s'agit, si je ne me trompe, d'une contamination avec rimpératif', 1 Henri Bauche, Le langage populaire, grammaire, syntaxe et diction- naire, du francais tel qu'on le parle dans le peuple de Paris (Payot, Paris, 1920), p. 126. II ne faut jamais oublier, quand on parle de langage populaire, qu'il y a des contrées en France oü le peuple, les paysans, se sert trés généralement du subjonctif et sans hèsitation. On retrouve la è peu prés 1'emploi du subjonctif dans les bons auteurs du moyen-age. 2 Bischoff, op. cit, p. 40. 'H. Bode, Syntaküsche Studiën zu Eustache Deschamps. (Diss., Leipzlg, 1900), p. 60. 4 Cet emploi est-il absolument obligatoire? Faudrait-il donc considérer comme franchement fautive encore la phrase suivante de Lavedan, citée par M. Soltmann (p. 180): Je voudrais que vous vous verriez dans une glacé? Cf. encore Lori, Ramuntcho, IV, 1: J'aurais mieux aimé qu'elle serait morte (également citée par M. Soltmann). 5 Cf. Zeitschrift für neufranz. Sprache und Literatur, TV, 161, 3, note. 6 Cités par Biedermann, op. cit, p. 5. 'C'est aussi 1'opinion de Biedermann, op. cit, p.6. Meyer-Liübke, Grammaire des Langues romanes, UI, § 579 parle également ici de Le subjonctif. 99 ou, si 1'on veut, d'une anacoluthe; cf. une phrase comme celle-ci: Et te prie vueille-moi recevoir pour compagnon (Amyot, Plutarqué)1. Dans certains auteurs du moyen-age on trouve assez fréquemment le futur, p. e. chez Adenet le Roi: Talent li prent que Roume aprochera (Enf. Og., 1567*). Nous n'avons a insister, il me semble, ni sur la trés grande force subordonnante des verbes de la volonté — on n'a qu'a penser au fait que même le hollandais peut se servir ici du subjonctif dans le style trés élévé —, ni sur l'effet de la subordination. Passons donc a nos deux exceptions. Les enfants hollandais, en apprennant a écrire le francais, ont une tendance tres marquée a mettre le subjonctif après espérer, ce qui semble prouver qu'ils sentent trés fortement 1'élément volontif dans ce verbe. Or, il est curieux de constater que de tout temps la subordination d'idée a été rare en francais, ce qui semble prouver que l'idée positive, objective y a prédominé toujours. II y a, en effet, la différence suivante entre un verbe comme vouloir et le verbe espérer: tous deux contiennent un élément subjectif+le sentiment de la réalisation future, mais dans vouloir ce dernier sentiment s'efface plus ou moins devant 1'élément subjectif — ce qui exphque 1'emploi régulier du subjonctif — tandis que dans espérer le sentiment de la réalisation future est plus fort, la subjectivité de l'idée de volonté moins forte. Le hollandais confirme cette analyse: on dira beaucoup plus facilement: Ik hoop dat hij zal komen (= futur après «espérer») que: Ik wil dat hij zal komen (= futur après «vouloir»). D est donc assez naturel de trouver régulièrement «discours direct Introduit par que». FoutTobler, par contre, «11 est certain que faites et dites s'employaient aussi avec la valeur d'un subjonctif». (Mél. de Gramm. fr., I, p. 36). 1 Cite par H. Keuntje, Der Syntaktische Gebrauch des Verbums bei Amyot (Diss., Leipzlg, 1894), p. 28. On est un peu étonné de ne trouver rien sur cette construction dans 1'ouvrage de Dübislav: Satzbeiordnung für Êatzunterordnung im Altfranzösischen. 2 Wolpf en clte un trés grand nombre dans sa tnèse Zur Syntax des Verbs bei Adenet le Roi (Kiel, 1884), p. 2a 100 Le subjonctif. la non-subordination après espérer, quoiqu'il soit compréhensible aussi que la subordination d'idée se trouve quelquefois, ce qui sera notamment le cas après 1'expression dans l'espoir que, oü, si je ne me trompe, il y a plus de subjectMté que dans le verbe espérer. M. Soltmann cite la phrase suivante: L'espoir qu'on put vaincre cet océan de /lammes paraissait une pensée risible et absurde (Hlustration du 8 nov. 1902, p. 378)', oü le subjonctif s'explique è merveille. Nous comprenons aussi maintenant pourquoi le moyen-age, et même, tout a fait exceptionellement, la langue moderne, met quelquefois le futur après vouloir, et qu'il y a, comme nous 1'avons déja dit plus haut, un léger élément conventionnel dans la règle moderne qui exige, ou a peu prés, la subordination après vouloir et la défend, ou a peu prés, après espérer. Nous n'avons pas besoin, je crois, dlnsister sur les causes du fait que les «verbes de résolution» demandent la non-subordination, c'a-d. le futur, de même que les verbes exiger et ordonner «quand il est question d'édits, d'ordres émanant d'un souverain, des cours de justice, d'une autorité quelconque»: Levainqueurexigeaque toutes les fortifications seraient rasées. Tous ces verbes expriment une volonté dont la réalisation peut être sentie comme assurée, ce qui donne une grande indépendance psychologique a la subordonnée. Et nous arrivons a cette conclusion que la règle grammaticale sur la subordination ou la non-subordination d'idée après les verbes de volonté est a peu prés entièrement k base psychologique; 1'élément formel, conventionnel est tout è fait minime ici. Prenons maintenant les verbes ou expressions qui expriment «un mouvement de 1'ftme»; oonstridtes avec que ils exigent aujourdTiui le subjonctif. On sait qu'au moyen-Sge on rencontre souvent après ces expressions la non-subordination d'idée; la grammaire, c'a-d. la 1 Soltmann, op. cit, p. 78. Le subjonctif. 101 communauté, laissait a rindividu une entière Uberté sur ce point, comme c'est encore le cas dans le langage populaire1. Puisqu'il s'agit trés souvent, dans la subordonnée, d'un fait absolument réel, donc indépendant, et que, d'autre part, la force subordonnante de l'idée prmcipaleesttrèsgrande,üyauratoujotBl une véritable lutte entre ces deux tendances, lutte qui se manifeste de la facon suivante. Au moyen-fige 1'indicatif prédomine dans certains auteurs, p. e. chez Wace et chez les grands chroniqueurs. Chez d'autres, notamment chez les styUstes comme Chbétien de Troyes, ou comme 1'auteur du Chevaüer aux deux Epées, on trouvera plus souvent la subordination psychologique; la oü ces auteurs veulent laisser a l'idée de la subordonnée son indépendance, ils se servent souvent de quant, por ce que, si, ou même de la «question indirecte avec sens concessif». Mais la Uberté de ne pas subordonner après que reste. Au 16e et au 17e siècle les mêmes tendances continuent a se manifester: «rien n'indique encore que cette syntaxe va changer»*. Or, aujourd'hui la communauté exige la subordination d'idéé après que. Et voici qui prouve que cette tendance. grammaticale a pris beaucoup de force. L'individu peut souvent encore échapper k la subordination en se servant de de ce que. Mais la tendance k subordonner est teUement entrée dans 1'habitude de 1'auteur francais moderne — la tendance a la subordination est une tendance littéraire, antipopulaire — qu'on voit de plus en plus paraitre la subordination même après de ce que, et changer ainsi la construction de ce que en conjonetion. — II résulte de ce que nous venons de dire qu'il y a dans la règle actueUe qui exige la subordination psychologique un fort élément conventionnel. Si ce n'etait pas le cas, c'a-d. si la règle actueUe était a base purement psychologique, la force subordonnante de l'idée principale n'aurait pas assez de force pour vaincre toujours, 1 Voir p. e. J. Siede, Syntaktische Eigentümlichkeiten der Umgangssprache weniger gebildeter Pariser... (Diss. Berlin, 1885), p.60: Cest dommage que vous étlez pas au commencement (Henhi Monnieh, Scènes populaires, i, 12). 2Brunot, op. cit. d, 446; iii», 666. 102 Le subjonctif. après que, la résistance de l'idée eontenue dans la subordonnée, qui représente si souvent un fait réel, donc facilement senti comme indépendant. Et encore une fois: le subjonctif n'exprüne pas Virréalité; il ne marqué que la subordination a l'idée de la principale. Le fait ne devient pas «irréel»: l'effet de la subordination est simplement de lui öter son indépendance psychologique et de le teindre ainsi de la subjectivité dont l'idée principale est si fortement chargée; procédé dont les auteurs aiment a user, mais que le peuple applique rarement, pas plus que ne le faisaient autrefois des auteurs peu «raffinés» comme Wace ou comme les prosateurs du 12e et du 13e siècle, comme Villehardoüin ou Joinvtlle. Prenons encore un cas de subordination d'idée après des verbes déclaratifs de la parole. On peut se servir du subjonctif après certains verbes déclaratifs de la parole suivis de que1, p. e.: La sage-femme lui répétait qu'elle ne s'avisdt pas de faire un enfant (E. de Gonooubt, La fille Elisa, p. 14). Par la subordination d'idée on produit ici l'effet d'une volonté; d'après le contexte ce sera un ordre, ou une simple permission (Dites-lui qu'il vienne, s'ily tient), ou, comme dans 1'exemple cité plus haut, un conseil trés pressant; etc. Avec rindicatif, donc avec non-subordination psychologique, il s'agit, dans tous ces cas, d'une simple communication. La subordination est déterminée par la nuance subjective optative que peu vent impliquer dans le contexte certains verbes de la parole, notamment lorsqu'on s'en sert a Timpératif, ce qui explique le fait qu'on trouve la subordination d'idée ici surtout après Timpératif. La force stylistique du subjonctif, c'a-d. de la subordination d'idée, trés petite p. e. après vouloir, est trés grande ici. II est clair que rindividu éprouvera presque toujours le besoin de se servir ici de formes spéciales pour exprimer la nuance volontive; évidemment paree que la force subordonnante de l'idée principale volontive est trés petite après les verbes de la 1 Voir aussi plus haut, p. 86. Le subjonctif. 103 parole: Dites-lui qu'elle fera bien de ne pas venir; Dites-lui qu'il doit — - —, etc. Dans 1'ancienne langue on trouve quelquefois des subjonctifs sans que l'effet de la subordination soit une nuance volontive; le verbe de la parole n'implique la évidemment aucune nuance de ce genre dans le contexte. En voici qüelques exemples: Quant le roi entendi les enfans il leur dist que mieulx aimast leur demoure que leur departement, (Antoine de la Sale)1; Je voudrois bien passer un accord avec les medecins par lequel il fust dit que toutes les choses agreables fussent bonnes et qu'on se pust guerir en sentant des fleürs, au Ueu que les remedes sont de seconde maux qui viennent après les autres, (Balzag, éd. de 1665,1,15'). Dans la première phrase il peut s'agir d'une simple graphie, mais dans la seconde il y a subordination d'idée. Or on constate que: le la communauté, la grammaire estintervenuedepuisl'époque de Balzac pour délimiter le terrain oü peut se faire valoir la subordination d'idée, puisqu'elle déf end la subordination, lorsque celle-ci n'aurait pas pour effet une nuance volontive. 2* le subjonctif, ici encore, n'exprüne pas la notion volontive - puisque la subordination d'idée peut avoir un tout autre effet — mais cette notion ressort de, est déterminée par la subordination •+• le contexte. Faisons ici une petite expérience. Admettons qu'on puisse dire en francais aussi bien: II me disait que je vüisse tout de suite3, que *Il me disait qu'il vmt tout de suite, en admettant que dans la seconde phrase le sujet de la subordonnée désigne la même personne que le sujet de la principale. La seconde phrase ne saurait contenir une nuance volontive, puisque les deux sujets sont identiques: aussi est-elle impossible en frangais. Mais elle existe en alle- 1 Cité par A. Biedkbmann, Zur Syntax des Verbums bei Antoine de la Sale; (Diss. Basel, 1907), p. 11. * Cité par W. Leest, Syntaktische Studiën über Balzac; (Diss. Königa- berg, 1889), p. 38. 'II est évident que personne ne choisirait cette forme pour exprimer l'idée volontive, mais elle est grammaticalement .possible au moins. 104 Le subjonctif. mand avec subordination d'idée: Er sagte rnir (dafi) er kante. L'effet n'est pas du tout, comme on le voit, un effet volontif; ce serait impossible; mais kame est un des éléments ici qui expriment ensemble la notion du discours indirect1. Admettons maintenant que le premier Er ne soit pas la même personne que le second er: l'effet pourra être un ordre! En d'autres mots: en analysant les trois phrases en question: II me disait que je vinsse (tout de suite); Er sagte mir, er kame (sofort); Er sagte mir, Karl kame (sofort); nous constatons une fois de plus que le subjonctif dans la subordonnée ne fait que subordonner psychologiquement, mais que la nuance dépend du contexte, et n'est donc pas exprimée par le subjonctif. Comment se fait-il que le subjonctif soit beaucoup plus fréquent après il semble qu'après il me semble? La force subordonnante serait-elle plus grande dans la première que dans la seconde expression? Parfaitement: il me semble est synonyme de je crois, et a, par conséquent, une valeur beaucoup plus objective que il semble; sa force subordonnante sera donc beaucoup moins grande; aussi faut-il considérer, il me semble, comme erroné le raisonnement suivant de M. Soltmann1: «II me semble hat entschieden subjektivischeren Charakter als il semble, und vielleicht gerade darum ist, namentlich in der modernen Sprache, nach il me semble haufig der subjonctif und nach il semble der indicatif anzutreffen.» On comprend, au besoin, le subjonctif après il me semble, comme après je crois, et même un peu mieux, mais il me semble n'est pas du tout plus «subjectif» ou «affectif» que il semble. C'est le contraire qui est vrai! Erroné me semble aussi le raisonnement de M. Lerch: «So hat auch il semble bereits unverneint den Konjunktiv — il me semble dagegen bekanntlich 1 On sait que le francais ne se sert pas du subjonctif dans le style indirect, mais transpose le verbe de la subordonnée dans le passé: il me disalt que je viendrais. 2 Soltmann, op. cit, p. 92. Le subjonctif. 105 den Indikativ, und das dürfte keinen andern Grand haben, als die Befürchtung, il me semble qu'il vienne könnte allenfalls miBverstanden werden als: «ich halte es für das beste, daB er kommen móge» (Konjunktiv des Begehrens)»'. Or, jamais un Francais moderne ne risquerait de voir dans la phrase II me semble qu'il vienne un désir! Quoi qu'il en soit, ici encore le subjonctif ne fait que subordonner psychologiquement: c'est le sens de toute la phrase, le contexte, qui suggère la nuance et produit l'effet voulu. Comme on le sait, on rencontre, en général, rindicatif après 1'expression: Heureusement que, tandisqu'après: II estheureux que, on se sert du subjonctif. Cette différence est jusqu'a un certain point conventionnelle, mais la psychologie 1'explique pourtant en grande partie. Dans la phrase avec: Heureusement que le fait de la subordonnée est, pour ainsi dire, le point de départ de la pensée, ce qui lui donne une grande indépendance psychologique; avec: II estheureux que, le fait de la subordonnée n'est pas nécessairement connu d'avance, et se subordonne donc beaucoup plus facilement, tendance dont la communauté a fait une règle. Et nous constatons encore que le subjonctif ne fait que subordonner psychologiquement. Soit donnée maintenant la phrase: Qu'il ait réussi, c'est heureux. Ici le fait de la subordonnée est également le point de départ de la pensée, et on s'attendrait donc k un indicatif, c'a-d. k la non-subordination. Mais nous avons ici le cas, que nous avons déja signalé plus haut, d'une subordination fortement conventionneüe, qui s'explique a peine psychologiquement par le désir de «faire sentir tout de suite que nous avons affaire ici k une subordonnée*»: il faut rapprocher notre phrase d'une phrase comme celle-ci: Que les objections que M. Foerster fait valoir contre l'attribution de «Philomena» ö Chrétien de Troyes soient trés graves, c'est certain\ .» Lerch, op. cit, p. 78. 2 Voir plus haut, p. 88. »Revue des Langues romanes, LUI, p. 527. Rien n'est moins certain, mais cela ne nous regarde pas lei! ÏÖ6 Le subjonctif. Nous avons dit plus haut que nous n'avions pas 1'intention de donner ici une analyse ou une description dé tous les emplois du subjotfctif. Nous croyons en avoir analysé un assez grand nombre dans la phrase substantive pour avoir le droit de conclure: partout dans Ia phrase substantive le subjonctif ne fait que subordonner psychologiquement l'idée de la subordonnée d celle de la principale. Ce mode n'y exprime jamais autre chose, n'a jamais d'autre fonction. n. Fonction du subjonctif dans la phrase adjective déterminative. II y a, dans la phrase relative, un élément qui manque dans la substantive et qui représente un des éléments principaux dans la question de la subordination d'idée dans la relative: l'antécédent Ce qu'il importe ensuite de noter dès maintenant, c'est le fait que la relative déterminative forme psychologiquement un tout avec l'antécédent, ce qui la distingue de la relative explicative, oü, comme nous 1'avons vu, le subjonctif a une fonction indépendante du contenu de la principale. Notons encore que la subordination psychologique est impossible, lorsque l'antécédent est senti comme réel, déterminé et objectif: Je cherche la maison que nous avons vue hier. Ces trois observations nous feront comprendre 1'emploi du subjonctif dans la relative déterminative. a) La communauté exige la subordination a la principale contenant une idéé négative, toutes les fois que cette subordination est possible. Nous avons déjè dit plus haut qu'elle ne 1'est pas lorsque l'antécédent, qui forme un tout avec la relative déterminative, est senti comme réel, déterminé et objectif. Exemples: Je ne vois pas la maison que nous avons vue hier: la principale est négative, mais la subordination est impossible. Je ne vois pas une seule maison qui soit quelque peu • jolie: la subordination est possible; dès lors la communauté Le subjonctif. 107 1'impose. L'effet de la subordination psychologique est évidemment d'éloigner du sentiment de la réalité objective et indépendante la relative, qui forme psychologiquement un tout avec l'antécédent. On «nie alors 1'existence de l'antécédent tel qu'il est déterminé par la subordonnée». L'analyse est la même lorsqu'on «met en doute 1'existence de l'antécédent tel qu'il est déterminé par la subordonnée». b) La communauté préfère la subordination a la principale contenant une idéé volontive, a moins que, ici encore, l'antécédent soit senti comme réel, déterminé et objectif. La communauté permet au besoin 1'indépendance psychologique; la nuance volontive est introduite alors dans la relative par une forme spéciale, futur, conditionnel, verbe auxiliaire. L'effet de la subordination est la fameuse «qualité requise», ce qui veut dire que la nuance volontive de la principale se communiqué, par la subordination d'idée, a la relativ e. Exemples: Je cherche la maison que nous avons vue hier. Je cherche une maison qui ait dix chambres. Je cherche une maison qui doit avoir dix chambres. Je cherche quelqu'un qui voudra bien me rendre ce service. Quand on dit: Je cherche l'homme qui veuille me rendre ce service, il est clair que le mot homme, malgré la présence de 1'article déflni, n'est pas senti ici comme «réel, déterminé et objectif», mais est synonyme de un homme, de sorte que la communauté permet ici la subordination. c) La communauté préfère la subotdination d'idée lorsque, avec antécédent non senti comme «réel, déterminé et objectif*, la phrase qui contient cet antécédent est une subordonnée conditionneUe ou concessive. Ici la communauté permet même la non-subordination avec 1'indicatif présent, ce qui' prouve que la force subordonnante de la «principale» est moins forte encore que dans notre cas b). Exemples1: Si c'est un homme d qui on 1 Je prend les deux premiers exemples dans la grammaire de Van Dun., p. ua 108 Le subjonctif. puisse se fier, faites-en votre ami (Doümio); Quel que fat le nombre d'invitations qui püt lui arriver, il n'en acceptait aucune (J. J. Rotjsseau); Si c'est un homme a qui on peut se fier (indicatif possible); Si c'est la l'homme que vous m'avez recommandê (indicatif nécessaire); Quel que soit le nombre d'invitations que je pourrai recevoir, je n'en accepterai aucune (indicatif possible), etc. d) Nous voici arrivés au fameux subjonctif employé «quand la proposition adjective détermine un superlatif ou une locution qui en a la valeur». Voyons de plus prés ce cas. Le groupe préfère aujourd'hui la subordination d'idée après une idéé superlative relative, mais ne l'exige pas toujours et partout. Le groupe permet au besoin la subordination d'idée après ce que j'appellerai un adjectif «subjectif»1 employé emphatiquement dans 1«3( construction «un des ». Le groupe préfère la subordination après une idéé «restrictive»: le seul, le premier, etc. Le groupe permet la subordination après tout, pour obtenir une nuance que nous déterminerons plus loin. Pour ce qui concerne 1'emploi exceptionnel du subjonctif p. e. après le vingtième, ou un des quatre: nous croyons que dans ces cas il n'y a pas de subordination d'idée du tout. Voila donc les régies pour le cas d). Passons maintenant a quelques analyses. Les grammairiens ont 1'habitude de traiter comme un seul cas 1'emploi du subjonctif dans la phrase relative après un superlatif relatif, une locution «qui en a la valeur» (Ze seul, l'unique, le premier, le dernier), ou «un comparatif de supériorité ou d'inégalité, ou même un adjectif au positif». Mais ils sont loin d'être d'accord sur la raison de 1'emploi de ce subjonctif, k cöté duquel on trouve aussi rindicatif. II y en a qui, dans une phrase comme: C'est la plus grande maison que nous 'Nous déterminerons plus loin le sens précis de ce mot «subjectif». Le subjonctif. 109 ayons habitée, expliquent le subjonctif par le besoin d'atténuer dans une certaine mesure ce que le superlatif peut avoir en soi de trop absolu. «D. faut avouer», dit M. Delibes, dans un bel article sur ce sujet dans le Neophilologus, (V, p. 97 suiv.), «qüe le moyen parait d'une efficacité douteuse et d'ailleurs la nature même de ces phrases ne permet pas toujours de supposer pareüle intention chez la personne qui parle.» Pour d'autres «seul hat im absoluten Sinn den Indikativ, im relativen Sinn den Konjunktiv* (Laveaux, cité par Plattner II, UI, 75). Pour Plattner on met «Indikativ, falls man eine Tatsache, Konjunktiv, falls man eine Beurteilung aussprechen wül» (II, m, 75). D'après Tobler on met le subjonctif lorsque l'antécédent présente simplement un caractère vague, un caractère d'mdétermination numérique: «Der Konjunktiv ist hier der Ein- raumende Er deutet an, daB der Redende will dahin- gestellt sein lassen, ob der möghchen Aufwendungen [= la plus forte dépense qu'on puisse faire] viel oder wenig sei.» M. Delibes, dans 1'article cité plus haut, a réfuté cette théorie par une argumentation serrée et absolument convaincante; puis il 1'a remplacée par une autre exphcation, qu'il résumé ainsi a la fin de son étude: «Les constructions avec superlatif relatif (ou, ce qui revient sensiblement au même, avec adjectif employé emphatiquement) ne constituent pas un cas indépendant, mais sont de même nature que celles avec il n'y aque, (il y d) peu, un des rares, le seul (l'unique), le premier, le dernier. L'emploi du subjonctif est conditionné par l'idée de relativité, par 1'élément de comparaison qu'elles renferment, et il est justifié par l'idée négative, portant sur l'antécédent, qui en découle». La même idéé a peu prés a été exprimée en même temps par M. Lerch (op. cit, p. 81), mais sans argumentation et d'une facon moins catégorique: «Man kann den Konjunktiv hier als Ausdruck der Subjektivitat erklaren (so Soltmann, S. 49); man kann auch annehmen, daB sich mit der superlativischen Vorstellung: Orphée était le plus habile musicien que l'on eüt jamais entendu die négative kreuzt: II n'y avait pas de 110 Le subjonctif. plus habile musicien que Von ait jamais entendu (so daJ3 der Konjunktiv genau so zu erklaren ware wie in: il n'y a personne qui le sache), und ebenso bei le seul: «es gibtkeinen andern», i bei le premier^«es gibt keinen spateren», und bei le dernier I «es gibt keinen früheren», und die Tatsache, dafi mit Ze premier, le dernier und Ze seul im Grande gar nichts Subjektives ausgesagt wird, spricht vielleicht eher für die zweite Annahme.». Déjè dans sa Syntaxe de 1909', M. Haas avait exphqué le subjonctif ici par «die durch Einschrankung erzeugte négative Nebenvorstellung», mais dans sa nouvelle Syntaxe de 1916*, il 1'explique par le besoin «d'atténuer le caractère trop absolu de la phrase principale»*. 11 est évident que, ici encore, la seule fonction du subjonctif est une subordination d'idée. En se servant de 1'indicatif on rend è l'idée de la relative son indépendance. Constatons d'abord que cette conception n'est pas du tout incompatible avec celle de M. Delibes et de M. Lerch. Ensuite: en parlant du cas du superlatif, M. Delibes fait remarquer que «c'est è bon droit qu'on assimile è ce cas celui de Ze seul (l'uniquë), le premier, le dernier», qui «renferment toutes un élément commun. Et, en effet, qu'il s'agisse d'exception, de restriction ou d'idée superlative, toutes servent è exprimer, essentiellement, un état de relativité, une rartaine valeur exceptionnelle, évaluée par comparaison». D'accord! M. Delibes continue en faisant remarquer que «toute comparaison d'inégalité comporte en soi une idéé négative, éteblir pareil rapport entre deux termes revenant évidemment è nier 1'égahté entre ces deux termes. Or, cette même idéé négative ne peut-elle pas avoir été sentie de même dans les constructions qui nous occupent et qui, nous 1'avons dit, comportent aussi un élément 1J. Haas, Neufranzösische Syntax, 1909 (Niemeyer, Halle), § 841. 2 J. Haas, Französische Syntax, 1916 (Niemeyer, Halle), § 462. 3 M. M. J. Bitter et M. Hovingh rapprochent également nos phrases de celles oü le subjonctif se trouve déterminé par «des antécédents négatifs tels que tien, personne, aucun, pas un (avec un subst)»: V. D. p. 115. Le subjonctif. 111 de comparaison». C'est parfait; et voici une page qui semble confirmer l'idée de M. Delibes d'une facon éclatante; je la trouve au chapitre «Adverbium» d'une étude de M. George Caro sur Syntaktische Eigentümlichkeiten der französischen Bauernsprache im Roman champêire1: «In den folgenden Beispielen finden wir in einem Belativsatz, der einen Superlativ positiv determiniert, ein pas. Wie ist dies zu erklaren? Vous êtes l'homme le pu aimable que fasse pas connaissu; (George Sand, Jeanne, p. 113). C'est ben ga la plus chétive nuit que fasse pas veillée (id. p. 116). Haben wir in diesem «pas» eine Verstarkung «irgend» zu sehen? Vielleicht ist diese Erscheinung anders zu erklaren. Sollte hier nicht dieselbe Mischung zweier Vorstellungen zugrunde liegen, wie in der guten Sprache im Vergleichungssatze nach dem Komparativ Vous êtes l'homme le plus aimable und Je n'ai pas connu d'homme plus aimable*. Hierfür dürfte wohl folgende Stelle von entscheidender Bedeutung sein: II a une dróle d'idée de se eoiffer de la plus vilaine qu'il n'y ait pas dans toute l'assemblée; (Petite Fadette, 126).» Donc: nous admettons avec M. Delibes que 1'emploi du subjonctif est déterminé3 par l'idée négative qui découle de 1'élément de comparaison que renferme tout superlatif relatif. Mais M. Delibes va plus loin encore: a la fin de son exposé il arrivé a la conclusion suivante: «Toutes les phrases relatives en question viennent se ranger, a la suite de plusieurs autres, sous la règle générale: On emploie le subjonctif chaque fois 1 Diss. de Berlin, 1891, p. 29. Je ne cite pas tous les exemples que donne M. Caro. 2 On a reconnu la thèse de M. Lerch et de M. Delibes. 3 Nous ajoutons: «originairement». 112 Le subjonctif. qu'on nie ou qu'on met en doute l'antécédent tel qu'il est déterminé par la relative». Cette thèse implique l'idée que 1'emploi du subjonctif après un superlatif relatif serait déterminé exclusivement par l'idée négative que contient ce superlatif, tout comme c'est par l'idée négative seule que s'explique le subjonctif dans une phrase avec «antécédent nié ou douteux»: II n'y a personne qui ne sache que . Nous allons tacher de démontrer qu'ici M. Delibes est trop exclusif; que l'idée négative ne détermine pas seule 1'emploi du subjonctif, et qu'il faut donc séparer nos cas de ceux oü il s'agit d'un «antécédent nié ou douteux». Je ferai remarquer d'abord que toute comparaison d'inégalité comprend, a cóté de 1'élément négatif, un élément positif; il n'est donc pas du tout impossible a priori que cet élément positif joue aussi un röle dans 1'emploi du subjonctif. Ensuite: Dn des mérites de 1'étude de M. Delibes est d'avoir transporté la question qui nous occupe ici du domaine du raisonnement et de la logique dans celui de la psychologie: il insiste p. e. sur le fait que «il ne s'agit pas [dans une phrase comme Je fis un des bons diners que j'aie faits] de rechercher a 1'aide du raisonnement1 quel est en théorie dans ces phrases l'antécédent logique ou grammatical. La question est de savoir quel est, en fait, celui des termes de la principale qui a été senti comme antécédent par les écrivains». Or, n'est-il pas certain qu'on sent, a cóté de 1'élément négatif, un élément positif dans un superlatif relatif, ou dans le seul, ou le premier? On restreint une idéé a un seul objet, en excluant tous les autres. Voila l'idée négative. Mais en restreignant ainsi trés fortement, on concentre trés énergiquement la pensée sur cet objet, et cela crée un sentiment positif, sentiment qui sera même plus fort a mesure qu'on restreindra et p. e. concentrera la pensée plus énergiquement D est difficile de démontrer une assertion pareflle, mais il m'est impossible de le sentir autrement. Pour moi le hollandais de enige (ou de enigste), de grootste, etc. 1 C'est Tobler qui «raisonnait» sur l'antécédent. Le subjonctif. 118 représentent des idéés au moins aussi positives que négatives. Beste a savoir, évidemment, si 1'emploi du subjonctif est déterminé par la nuance négative seule ou par les deux nuances, négative et positive, combinées dans une formule trés énergique. Ensuite: d'après la théorie de M..Delibes on insisterait,par 1'emploi du subjonctif, sur l'idée négative dans une phrase comme celle-ci: Le chien est le seul animal dont la fldélité soit d l'épreuve: par le subjonctif on insisterait donc sur le fait qu'«ü n'y a presque pas d'animaux dont, etc.»; par rindicatif on insisterait sur l'idée que la fldélité du chien est (eff ectivement) a l'épreuve. Cette analyse me semble plus ou moins vraie pour ce qui concerne 1'indicatif, mais je me demande si 1'emploi du subjonctif aurait réellement l'effet voulu: il me semble que, qu'on se serve de 1'indicatif ou du subjonctif, on sentira toujours une idéé positive a cöté de l'idée négative; je me demande même si 1'élément positif contenu dans le mot seul sera beaucoup plus fortement senti avec indicatif qu'avec subjonctif, et surtout, si l'idée négative sera beaucoup plus fortement sentie avec le subjonctif. Sinon, l'effet voulu par 1'emploi du subjonctif serait manqué. En tout cas, et c'est la 1'essentiel pour le moment, 1'élément positif sera fortement senti' même avec le subjonctif. Ensuite: si le sentiment négatif dominait dans nos phrases, ne trouverait-on pas beaucoup plus souvent ne dans la phrase subordonnée, comme c'est le cas dans les phrases comparatives d'inégahté: II est plus grand que je ne le croyais? Je n'en ai jamais vu que dans 1'étude citée plus haut de M. Caro, et M. Delibes n'en cite pas une seule: quelques exemples avec ne auraient pourtant bien fait son affaire, et je suppose donc qu'il n'en connaissait pas. II ne faut pas pousser trop loin, d'ailleurs, cette comparaison: la subordination psychologique 1 Inconsciemment, bien entendu, comme dans tous les cas oü nous parions ici de «sentir une nuance»; il faudra souvent une analyse pour découvrlr ce sentiment. 11 ne faut pas confondre ces analyses psychologlques avéc des analyses logiques, telles que Tobler en donne quelquefois dans ses célèbres études syntaxiques. C. de Boer, Essais de syntaxe francaise moderne. 8 114 Le subjonctif. est beaucoup plus difficile lorsque par ne on a, pour ainsi dire, donné de 1'indépendance a la subordonnée, comme c'est le cas dans la comparative. Puis, et surtout, le sentiment négatif est trés fort dans la comparative, trés faible dans la relative après un superlatif; c'est bien pour cela qu'on a mis tant de temps k le découvrir par 1'analyse! H y a donc, a cöté de 1'élément négatif, un élément positif trés fortement sensible dans un superlatif ou expression équivalente. Serait-ü possible de prouver que cet élément positif joue un róle dans 1'emploi actuel du subjonctif, k cóté de 1'élément négatif ? Ce sera difficile. Mais voici ce qu'on pourra faire en tous cas. II est évident que, pourque cet élément positif puisse oontribuer a déterminer la subordination d'idée, ü faut qu'il ait une certaine valeur subjective, affective; sinon, cet élément positif n'aurait aucune force subordonnante. Or, je crois que c'est en effet le cas, et c'est la une chose qu'on pourrait du moins essayer de prouver. Prenons les deux phrases suivantes: C'était le seul parent qui lui restdt; C'était le seul parent qui lui restait De la formule par laqueUe M. Delibes explique le subjonctif dans une phrase comme la première, je retiens deux choses: qu'ü s'agit dans une phrase pareille, de même que dans une phrase avec superlatif relatif, d'un état de relativité, et d'une évaluation, ünpüqués tous les deux dans cette idéé de comparaison d'inégalité sur laquelle M. Deltbes insiste partout dans son étude. Mais alors, puisqu'on évalue — ce qui est autre chose que de «calculer», d'«énumérer», de «constater», idees qui ne contiennent aucun élément subjectif — ü y a dans ces phrases, a cöté de 1'élément négatif, aussi un élément positifaubjectif. Par le subjonctif, c'a-d. par la subordination psychologique d'idée, ce sentiment (positif-)subjectif se répand sur toute la phrase, et est donc pour quelque chose dans 1'emploi de ce subjonctif. Le subjonctif. 115 L'bistoire nous prouve que le subjonctif — que le latin ignoraitici — s'est beaucoup moins facilement introduit après le premier, le dernier, qu'après Ze seul et après le superlatif: ainsi dans un prosateur comme Villehardouin, aussi bien que dans un poète comme Chrétien de Troyes, qui connaissent déjè le subjonctif après le seul et après un superlatif, on ne rencontre encore que rindicatif après le premier ou le dernier— [A moins que la forme verbale en question ne se trouve dans 1'apodose d'une phrase hypothétique: Si fust cou la cose première, Dont je vos fesisse proiiere, Que vostre nom me deissies, Se defendu nel m'eüssies (Perc., 9728), cf. Bischoff, op. cit, p. 96] — Or, 1'élément négatif étant certainement plus fortement senti dans Ze seul et dans un superlatif relatif que dans Ze premier, le dernier, nous voyons lè un nouvel argument en faveur de la thèse de M. Delibes — et en même temps un joli exemple de la facon dont 1'étude historique de la langue peut contribuer è éclaircir certains problèmes posés par 1'étude de la langue actuelle. Mais il est clair également, me semblet-ü, que 1'élément positif-subjectif aussi, la «subjectivité de 1'évaluation» est plus grand dans Ze seul et dans le superlatif relatif que dans Ze premier, le dernier, et cette circonstancelè peut tout aussi bien être une des causes de l'introduction tardive du subjonctif après ces derniers mots — ce qui me semble un argument pour Ja thèse que nous défendons ici et qui compléte celle de M. Delibes. Voici encore un cas oülaprésenced'unélémentsubjectif-affectif me semble évident Prenons la fameuse phrase de Bodsseau, citée par Tobler1: Je fis pour mes cinq ou six sous un des bons diners quej'aie faits de mes jours. L'adjectif emphatique bon aurait-il réellement la valeur d'un superlatif relatif, comme on le prétend? B m'est difficile d'en être certain, et même de le croire. D'abord: pourquoi Boussead n'aurait-il pas mis alors meilleurs? Mais surtout: la valeur d'un adjectif emphatique ne peut être, il me semble, que celle d'un superlatif absolu 1 Tobler, Vermischte Beitrage zur Französischen Grammatik, ii, p. 15. 8* 116 Le subjonctif. — ce qui est tout autre chose — et je traduirais volontiers le mot bon, dans la phrase citée, non pas par lekkerste, pas plus que par lekker, mais par (de) heerlyke. — Cette traduction n'est pas trés «naturelle», mais qu'on n'oublie pas surtout que la tournure eUe-même non plus n'est pas naturelle; elle est même trés rare1. Beau se traduit alors par «prachtig», grand par «enorm», «superieur», etc., vaillant par «uitblinkend» ou «buitengewoon dapper», etc. Ces mots doivent avoir dans la traduction la même force emphatique trés grande qu'ils ont dans le texte, force si grande, qu'il devient possible, sans que cela nous choque trop, de donner a la relative, plus ou moins par analogie, une forme nullement logique, ni même «correcte», mais négligée', qui ne serait «correcte» qu'après un superlatif relatif. Mais cela ne change pas encore 1'adjectif emphatique en superlatif relatif! — Cette valeur de superlatif absolu ne sufflt pas, évidemment, pour permettre la subordination d'idée; nous tacherons de montrer qu'elle est pourtant pour quelque chose dans la possibilité de subordonner psychologiquement. Je relève dans 1'exposé de M. Delibes cette remarque; «le propre de la tournure un des est, en particulier, de faire ressortir clairement la relativité». Voila donc 1'élément qui crée la possibilité de subordonner. Mais comment se fait-il alors que la subordination ne se trouve jamais dans une phrase comme celle-ci: Cest l'une des innombrdbles victimes que la guerre a faites? Je crois, d'abord, que en soi la subordination n'est pas impossible ici, grace a la présence de un des, qui accompagne 1'adjectif. Mais 1'adjectif innombrable, quand on le compare a un adjectif comme bon, a un caractère, pour ainsi dire, mathématique, si peu «relatif», si peu «subjectif* en tout cas, qu'il n'admet pas même un superlatif absolu'! Alors nous avons, dans la phrase avec 'Lorsqu'on trouve ces phrases dans la prose d'un homme comme Bbunetière, il s'agit d'un artiflce de style, bien entendu. JLa relative s'efface, pour ainsi dire, devant la trés grande emphase de 1'adjectif, qui domine tout, jusqu'a la fin de la phrase. * C'-a-d. on ne pourra pas dire p. e. trés Innombrable, comme on peut dire p. e. trés bon. Le subjonctif. 117 bon, la formule un des + adjectif emphatique, combinaison qui a juste assez de force subordonnante pour ne pas empêcher la subordination; dans la phrase avec innombrable nous avons la formule un des -f- adjectif «mathématique», combinaison qui a encore moins de force subordonnante, si peu même, que rindividu ne sent guère le besoin de subordonner, et que la communauté, en tout cas, ne le lui permet pas*. Ce qui prouve que la nature plus ou moins subjective de 1'adjectif est pour quelque chose dans 1'emploi du subjonctif dans la phrase avec un des -f- adjectif. Comment faut-il expliquer 1'emploi du subjonctif après une phrase avec adjectif subjectif emphatique sans la formule un des, c'a-d. sans 1'élément qui rendait la subordination d'idée possible dans les phrases avec adjectif emphatique dont nous venons de parler? En voici un exemple, cité par M. Delibes: Le dessein que vous avez entrepris est la grande proposition qui se soit fait au monde (G. de Balzac). Ces phrases sont trés rares: on se rappelle que Tobleb en niait même l'existence*. Eh bien, je crois qu'ici nous avons le droit de considérer 1'adjectif emphatique comme un véritable superlatif relatif, gr&ce a la présence d'un article fortement accentué. En effet: prenons les deux phrases hollandaises suivantes: Ziedaar het grote wonder der natuur! (avec accentuation trés forte de 1'article), et: Een van de grote wonderen der natuur (sans accentuation de 1'article). Dans la première phrase il est impossible de ne pas sentir la valeur d'un superlatif relatif; dans la seconde on ne sent pas du tout nécessairement un superlatif relatif. Nous avons dans la première de ces deux phrases le cas de i'adjectif emphatique sans la formule un des, comme dans la phrase de Balzac; ce cas.n'est donc pas le même que celui.de la phrase de Boüsseau sur un des bons diners; et le subjonctif s'explique donc dans la phrase de Balzac comme une subordination 1 Dans la théorie de M. Delibes il faudrait remplacer dans cette argu¬ mentation l'idée de superlatif absolu par celle de superlatif relatif, puisque M. D. volt dans 1'adjectif emphatique un superlatif relatif. 2 Tobleb, op. cit, p. 19. »; '■;'« 118 Le subjonctif. d'idée après un superlatif relatif sous forme d'un adjectif emphatique précédé de 1'article déflni psychologiquement accentué. Enfin le subjonctif est encore possible après tout, pourvu que le contexte donne a ce mot une nuance d'évaluation, donc de relativité, de subjectivité. Exemples: Je garde aux ardeurs, aux soins qu'il me fait voir, Tout le ressentiment qu'une dme puisse avoir. Anvers surpasse toutes les autres villes que faie vues. M. Delibes fait remarquer qu'il y a souvent dans ces phrases une idéé de superlativité relative, ce qui me semble tout a fait vrai, et ce qui explique évidemment le subjonctif. Je relève encore dans son exposé cette remarque intéressante, (p. 104, note), qu'on peut rapprocher de ces phrases «certaines phrases soi-disant concessives»: Rome en a plus porté qu'aucune autre ville qui eüt été avant elle (Bossuet) : «aucune a ici le sens de toute et n'est amené que par l'idée négative résultant de la comparaison». Uya pourtant cette différence que aucun n'est que négatif, tandisque dans tout il y a aussi une idéé positive! Quant au subjonctif après p. e. le vingtième, ou un des quatre, dont M. Soltmann cite des exemples, je crois qu'il faut le considérer comme a peu prés complètement analogique et formel: la psychologie ne me semble être pour rien dans cet emploi. Nous croyons donc avoir prouvé que, a cöté de 1'élément négatif, il y a un élément positif dans les phrases avec «superlatif relatif ou expression équivalente», et que cet élément positif peut être lui aussi pour quelque chose1 dans la possibilité de subordination psychologique d'idée ici, paree que cet élément positif a une certaine valeur subjective, affective*: En résumé: nous croyons donc, avec M. Delibes, que «1'emploi du subjonctif dans la phrase relative après un super- 1 Kt même peut-être pour beaucoup! 8 Sans cet élément positif 1'emploi du subjonctif se serait-il aussi facilement généralisé et imposé? L'élément négatif, qu'on a eu tant de pelne a üécouvrir, aurait-il suffl a rendre 1'emploi du subjonctif presque obligatoire f Le subjonctif. 119 latif relatif ou autres tournures exprimant une idéé de relativité est conditionné par cette idéé de relativité, par 1'élément de comparaison qu'elles renferment, et il est justffié par l'idée négative, portant sur l'antécédent, qui en découle». Mais nous admettons, a cöté de cet élément négatif, 1'influence d'un élément positif-subjectif, et nous n'acceptons donc pas sa conclusion que «toutes les phrases relatives en question viennent se ranger, è la suite de plusieurs autres, sous la règle générale: On emploie le subjonctif chaque fois qu'on nie ou qu'on met en doute l'antécédent tel qu'il est déterminé par la relative». Pour nous, les phrases en question ne sont pas de simples applications de la règle générale sur 1'emploi du subjonctif après un «antécédent nié ou douteux». Nous n'en avons pas encore fini avec nos phrases; nous avons écarté jusqu'ici la question importante de savoir jusqu'a quel point il faut actuellement considérer 1'emploi du subjonctif dans ces cas comme réellement psychologique, et jusqu'a quel point cet emploi est déja devenu plus ou moins formel, traditionnel, conventionnel. Nous allons tècher de monteer qu'ü y a déjè un élément fortement conventionnel dans cet emploi, beaucoup plus que M. Delibes n'a 1'air de 1'admettee, qui, pour expliquer le subjonctif dans la phrase suivante: Le jardm zoologique possède un des plus beaux spécimens de tigres que Yon puisse voir, a recours è 1'analyse suivante: «D. n'y a pas de spécimens de tigres que 1'on puisse voir aussi beaux que celui que possède le jardin zoologique que les plus beaux.» Consultons d'abord 1'histoire. II y a, au moy en-ftge, des auteurs, comme Wace p. e., qui mettent toujours rindicatif. Un styhste raffiné comme Chrétien de Tboyes connait déjè 1'emploi du subjonctif, mais il s'en sert beaucoup moins souvent qu'un auteur moderne. Dans Jean de Paris, oeuvre en prose de la fin du moyen-age, on ne trouve encore que 5 subjonctifs contre 39 indicatifs. Pour ce qui concerne 1'époque moderne: dans la langue du peuple le subjonctif est trés rare. Dans la langue 120 Le subjonctif. parlée des gens cultivés on 1'entend rarement, de même qu'on ne le trouve pas souvent dans le style familier épistolaire. Tout cela semble prouver que la oü nous trouvons aujourd'hui trés souvent le subjonctif, ce qui est bien le cas dans le langage que nous décrivons ici, il y a dans cette préférence un fort élément conventionnel. II n'y a la rien d'étonnant: il est bien certain que en soi la force subordonnante d'un superlatif relatif est assez petite, beaucoup plus petite que p. e. la force subordonnante de l'«antécédent nié ou douteux», qui exige, en effet, le subjonctif. Et voici une petite expérienoe qui achève de nous convaincre qu'il y a un élément fortement conventionnel dans 1'emploi du subjonctif dans nos cas, et que la force psychologique de ce subjonctif est petite. Je demandais a un de mes amis pourquoi, a son avis, Henri de Régnier s'était servi du subjonctif dans la phrase suivante: Elles attendaient leur petite nièce, que la mort de son père faisait orpheline et qui venait chercher asile chez les seules parentes qui luirestassent (Romaine Mirmault). II me répondit: «Je crois que chez H. de R. il ne s'agit pas de langage ni de grammaire, mais de goüt; le subjonctif s'est présenté a lui non comme plus juste mais conmie plus joli. Et je m'engage ici dans une explication aventureuse: je divise la dernière partie de la phrase en trois groupes rythmiques: «qui venait chercher asile chez les seules parentes qui lui restassent». Remarquez que les trois finales sont des syllabes muettes, la forme subjonctive a pu être suggérée par 1'oreille. Remontez aux deux groupes précédents, qui se terminent aussi en muette (nièce, orpheline): la phrase forme une petite période qui se dépose plus agréablement par cette muette. Puis «1'instinct hnguistique» de M. de Regoter a approuvé cette suggestion, oü il a entre vu non pas le plus ou moins de réahté, mais un caractère d'émotion dérivé de 1'incertitude ou du doute qu'exprime souvent le subjonctif». Quoi qu'il en soit de cette johe Le subjonctif. 121 explication d'un cas de style, il est évident qu'elle n'est possible que la oü l'idée de subordination psychologique ne domino pas trop et n'empêohe donc pas toute considération artistique: dans une phrase substantive après vouloir p. e. il est complètement impossible de faire du style avec le subjonctif, non seulement paree que la communauté impose le subjonctif a 1'individu, mais aussi paree que la subordination est trop forte par elle-même. L'analyse qu'on vient de lire prouve donc encore une fois que dans 1'emploi du subjonctif après un superlatif il y a peu de psychologie, même grammaticale, et par conséquent un élément conventionnel trés fort: sinon Henri de Régnier n'aurait pas pu faire servir ce subjonctif a des intentions purement artistiques. Comme on a pu le constater, le subjonctif dans la phrase relative déterminative n'a donc également qu'une seule fonction, la même qu'elle a dans la phrase substantive: la subordination d'idée. Nous allons voir que c'est également le cas dans la phrase subordonnée conjonctionnelle ou adverbiale, a laquelle nous allons passer maintenant. m. Fonction du subjonctif dans la phrase adverbiale. U y a, dans la phrase adverbiale, un élément qui manque dans la substantive et dans la relative, et qui représente un des éléments principaux dans la question de la subordination psychologique dans 1'adverbiale: la conjonetion. Faisons remarquer ensuite que la conjonetion + l'idée exprimée dans la subordonnée forment psychologiquement un tout. Troisième observation importante: par la subordination d'idée on subordonne ce «tout» a l'idée de la principale. Ces trois constatations nous feront comprendre 1'emploi du subjonctif dans la subordonnée conjonctionnelle. II y a d'abord des cas oü la subordination d'idée, exprimée par le subjonctif, s'impose a cause du fait que la conjonetion 122 Le subjonctif. exprime une idéé qui n'a pas d'indépendance psychologique par rapport a la principale, p. e. pour que ou sans que. Dans ces cas, le «tont» formé par la conjonetion -f- l'idée exprimée dans la subordonnée est déja psychologiquement subordonné a l'idée de la principale par sa nature même, par le sens même de la conjonetion. Même avec indicatif il y aurait subordination d'idée: c'est pourquoi les langues oü le subjonctif vit encore dans la syntaxe vivante se servent toujours ici de ce mode, et a toutes les époques. II y a ensuite les cas oü la conjonetion est que, forme aussi «neutre» qUe possible, et qui, pour cela, n'impose pas absolument la subordination d'idée. Celle-ci servira alors a introduire la nuance désirée; c'est la nature de l'idée contenue dans la principale qui déterrnine alors la subordination — et non pas, comme dans le cas précédent, la nature de la conjonetion. Ainsi on pourra dire: Venez que je vous embrasse, a cause de la nature de l'idée de la principale; on ne pourra pas dire: *Il vient que je Vembrasse: le sens de la principale s'oppose k la subordination d'idée; le contexte ne ferait pas naltre l'idée d'un désir: il faudrait pour cela, après vient, une conjonetion: II vient pourque je Vembrasse. Nouvelle preuve du fait que le subjonctif n'exprime que la simple subordination psychologique d'idée! Prenons encore la phrase: Vous êtes donc des voleurs, que vous cassez tout? Ou cette autre, qui représente le même cas: II n'y a personne, que la maison est vide? Pour M. Lerch' il s'agit dans ces phrases, lorsqu'on les met au subjonctif, d'un subjonctif d'«irréalité», exprimant «dieUnsicherheit einer rein individuellen Erkenntnis». Pour M. Soltmann il s'agit ici de «Fragen der Verwunderung in subjektivistischen Finalsatzen (?), die oft stark konsekutiven Charakter zeigen»*. Les manuels se taisent en général sur ces phrases. Ce qui est encore 1'essentiel ici, c'est que dans le cas du subjonctif il y a subordination d'idée, dans le cas de 1 Lerch, op. cit, p. 85. » Soltmann, pp. cit, § 273 et 264. Le subjonctif. 123 1'indicatif on ne subordonne pas psychologiquement. L'indicatif donne par la beaucoup plus d'indépendance, donc plus d'énergie a la seconde partie de la phrase, celle qui exprime le «Erkenntnisgrund». Ce qui amène la subordination d'idée, c'est le désir de concentrer 1'attention sur la question, en glissant sur l'idée causale: la subordination d'idée est, en effet, un excellent moyen pour produire cet effet. Remarquez encore que le subjonctif a ici beaucoup de force psychologique individueUe, puisque la communauté préfère nettement rindicatif. Dans une phrase causale introduite par que, p. e. Qu'avez-vous, que vous ne mangez pas, la subordination est possible, pourvu qu'il y ait dans la principale une question. Dès qu'on se sert dans la subordonnée de paree que, conjonetion essentiellement logique et objective, la subordination d'idée devient impossible. Notons encore que, combinée avec une idéé volontive, la subordination d'idée après que souligne une nuance finale: Approchez, que Von vous voie, mais notons surtout que cette nuance existerait aussi avec 1'indicatif! Combinée avec une idéé négative, elle accentué la nuance négative, qu'on peut aussi introduire par la conjonetion sans que, p. e. Vous ne sortirez pas que vous ne m'ayez rendu mon urgent Combien il est évident que le subjonctif n''exprime pas toutes ces nuances! Les langues sans subjonctif se servent tout aussi bien de ces constructions: on a alors la simple subordination psychologique, sans le signe grammatical qui 1'exprime expressément, et cela sufflt. n y a ensuite le cas des conjonctions composées «neutres», p. e. de sorte que, qui exprime la conséquence. Nous avons alors en principe la même.chose qu'avec que, c'a-d. il faut qu'il y ait dans la principale une idéé subordonnante: Travaillez, de sorte que vous réussissiez, a cöté de: J'ai bien travaillé, de sorte que j'ai réussi. — Soit dit en passant: si le subjonctif «exprimait» le but, pourquoi ne serait-il même pas possible dans la seconde phrase? — Et il faut que la force subordonnante soit assez forte ici pour vaincre la «résistance*offerte par la nature objective-réelle, donc indépendante, de la 124 Le subjonctif. conjonetion exprimant la conséquence: aussi n'est-il pas étonnant qu'il n'y a qu'une nuance volontive capable de déterminer ici la subordination d'idée; la «négation» ou le «doute» ne sont pas assez forts i>our cela: on ne pourrait jamais dire p. e. *Je n'ai pas été paresseux, de sorte que faie réussi: iln'y apas de subordination psychologique possible ici. Ti y a enfin le cas des conjonctions exprimant une idéé purement logique, comme paree que, qui, par IA, ont une telle force d'indépendance, qu'il est impossible de les subordonner, quelle que soit l'idée exprimée dans le principale. Les conjonctions temporeUes de postériorité et de simultanéité se placent entre les conjonctions «neutres» et les conjonctions «logiques». La subordination d'idée n'est pas inconcevable ici en soi, mais elle ne se trouve guère; la communauté ne 1'admet pas'. Après les conjonctions temporelies d'antériorité la subordination d'idée s'explique trés bien au contraire: aussi la langue a-t-elle fini par 1'imposer. Ce qui précède pourrait suffire pour notre démonstration du fait que le subjonctif dans la subordonnée adverbiale aussi a pour seule fonction la subordination d'idée. Entrons pourtant encore dans quelques détails. Lorsque jusqu'a ce que est suivi de rindicatif, on ne marqué que la limite temporelle, le «terminus ad quem»; la subordonnée est psychologiquement indépendante: L'enfant cria jusqu'a ce que la mère rentra. Prenons maintenant la même phrase avec subjonctif: L'enfant cria jusqu'd ce que la mère rentrdt Ici la subordonnée peut suggérer — cela dépend du contexte — l'idée d'un but, ou plutöt la phrase entière peut suggérer l'idée d'un effort pendant lequel on pense déja a 1'action qui doit en être la fin et qui peut en être le résultat voulu. Est-ce le subjonctif qui exprime cette nuance? Évidemment non, puisque avec le subjonctif cette idéé finale peut être 'A moins que ce soit le plusqueparfait du subjonctif. Ces emplois prouvent bien qu'il y a pourtant de temps en temps une tendance a subordonner, & moins que ce soit par analogie avec avant que. Le subjonctif. 125 complètement absente: Nous avonspatiné jusqu'a ce que lesoleil se fut couché. Cette circonstance prouve que dans 1'emploi presque constant du subjonctif après jusqu'a ce que il y a un élément trés fortement conventionnel. II faut que le contexte y invite pour qu'il puisse y avoir dans la phrase avec subordination psychologique une idéé finale. L'idée d'antériorité se subordonne facilement: aussi trouvet-on réguhèrement le subjonctif. Ici encore il y a, d'ailleurs, un élément fortement conventionnel dans 1'emploi obligatoire du subjonctif, puisqu'il faut s'en servir aussi lorsque la subordination ne s'impose pas du tout psychologiquement, p. e. lorsque la phrase est au passé: II était venu avant que je fusse rentré. Dans les deux phrases suivantes: II avait disparu que je regardais encore; Tous me regardaient que j'en étais honteux; la subordination d'idée ne serait peut-être pas psychologiquement impossible, mais est absolument inutile; rien n'invite a la subordination; aussi' la communauté ne 1'admet-elle pas. Remarquez que par le subjonctif on n'introduirait dans la phrase ni une idéé d'irréalité, ni une idéé de volonté: on n'introduirait que la subordination d'idée! Prenons encore les conjonctions concessives. Leur dépendance psychologique est trés grande; d'autre part, le fait que contient la subordonnée sera souvent senti trés fortement comme réel et donc comme indépendant: de la une véritable lutte, qui rappelle, pour ce qui concerne sa violence, celle que nous avons observée dans la phrase substantive après les verbes exprimant un «mouvement de 1'ame». Cette lutte est trés visible dans 1'ancienne langue, comme encore aujourd'hui dans le langage populaire, de même qu'elle se manifeste dans la tendance d'auteurs comme Zola ou Baebusse a se servir de rindicatif, notamment après bien que. Si donc la grammaire actuelle impose, ou a peu prés, la subordination d'idée, il y a dans cette 126 Le subjonctif. règle un fort élément conventionnel, de même que dans la règle qui prescrit la non-subordination après tout-que, la subordination après quelque-que ou si-que, comme nous 1'avons déja fait observer plus haut. Conclusion. Quels sont maintenant les résultats auxquels nous sommes arrivés? Nous avons taché de démontrer que dans une description syntaxique synchronique du subjonctif il faut distinguer entre: a) les cas de syntaxe «flgée» ou «loeutionnelle» et les cas de syntaxe «vivante» ou «mobile»; b) ce qui appartient a la grammaire et ce qui appartient au style; c) ce qui est psychologique et ce qui est conventionnel; d) ce qui est psychologie grammaticale et ce qui est psychologie stylistique ou individuelle. Nous avons donné une place a part au plusqueparfait du subjonctif. Nous avons insisté sur le fait qu'il y a trois formes du subjonctif au point de vue syntaxique: la forme simple, la forme avec que, la forme avec pouvoir. Nous avons enfin taché de prouver que le subjonctif n'a plus que deux fonctions en francais moderne: a) dans la phrase principale et dans la relative explicative il exprime la notion optative, rien de plus; la nuance ressort du contexte. b) dans la phrase subordonnée, a 1'exception de la relative explicative, il n'exprime que la subordination d'idée; ici encore la nuance se dégage du contexte, du sens des mots. Dans ce chapitre nous avons particulièrement insisté sur 1'exphcation de 1'emploi du subjonctif dans une phrase relative avec «superlatif relatif ou expression équivalente». Le subjonctif. 127 c) II y a enfin quelques rares cas oü le subjonctif n'a aucune base psychologique et n'est que mécanique, par analogie, p. e. après le vingtième. Le subjonctif a donc perdu beaucoup de terrain depuis lé latin classique II n'a conservé dans la principale, et dans la relative explicative, que la fonction optative, mais ne peut plus exprimer dans la principale la simple potentialité, qui était son sens primitif. Dans la subordonnée il a continué a exprimer la subordination d'idée: en latin aussi Un'avait que cette fonctionlö dans la subordonnéel Car dans une phrase comme celle-ci: Tibi praecipio ut hoe opus perficias, ce n'est pas le subjonctif — le «conjunctivus finalis» — qui exprime la volonté: toute la phrase suggère cette idéé; le subjonctif n'est qu'un des éléments qui concourent a produire cet effet De même dans accidit ut -f- subjonctif, facere non possum quin + subjonctif, etc. etc., le subjonctif ne marqué jamais que la subordination d'idée. Toutes les grammaires latines sont a revoir sur ce point. Elles éviteront ainsi p. e. Terreur de voir dans les différents cas du subjonctif latin, et francais, dans la subordonnée — conjunctivus «finahs», «consécutivus», etc. — des «affaiblissements du conjunctivus optativus»1, au lieu de se rendre compte du fait que le subjonctif francais, et latin, dans la subordonnée, loin de dériver du subjonctif-optatif, est plus prés que ce subjonctifoptatif du sens primitif du subjonctif, qui, comme nous Tapprend la hnguistique psychologique, n'exprimait originairehient que la potentialité. Volonté (dans la principale) et subordination psychologique (dans la subordonnée) sont toutes les deux des sens dérivés de ce sens primitif, et de ces deux frères, fils d'un même père (Potentialité), Volonté ne me semble pas être Taïné, mais plutöt le cadet! 1 F. Muller, Latynsche Leergang, II: Syntaxis, (Groningen, Wolters, 1919), § 168; cf. § 127. 128 Le subjonctif. Post-scriptum. Au moment même oü j'achevais la rédaction définitive de ce travaü, je rencontrai dans une thèse aUemande sur 1'emploi du subjonctif en roumain' le passage suivant: «Ebenso aus einem Sprachbedürfnis heraus den Konjunktiv zu erklaren, unternimmt Venzke (Zur Lehre vom französischen Konjunktiv, Stargard, 1890; Progr. zum Jahresbericht des Königl. und Gröningschen Gymnasiums zu Stargard i. P.). Nehmen wir als feststehend an, dafi jeder Satz der sprachhche Ausdruck für die Verbindung mehrerer Vorstellungen oder Vorstellungsgruppen in der Seele des Redenden und zugleich der Trager ebendieser VorsteUungen hinüber in die Seele des Horenden ist und wenden wir uns gleich den mannigfachen Arten der Satzunterordnung zu, so sehen wir, dafi einerseits unter der Form des Indikativs jede dieser Verbindungen mehrerer Vorstellungen selbstandig und nur in loser Beziehung zu einander stenen kann — das Bild einer Vorstellungsreihe, deren Auflösung Vorstellungen in der Form von indikativischen Hauptsatzen ergeben würde. Anderseits aber kann im denkenden Subjekt eine Vorstellung sogleich Ursache einer zweiten werden, die jene mit aufnimmt. Es entsteht also ein Vorstellungskomplex, keine Vorstellungsreihe. Für diese nfitinbegriffene Vorstellung, die vom denkenden Subjekt nur mit und an der von ihm hervorgerufenen Vorstellung Geltung hat, also nicht mehr selbstandig ist, ist eine neue Ausdrucksform nötig, urn im Hörer dieselbe Verbindung zu verursachen. Das Bedürfnis, diese dem Bedenden nur als verblinden mit der zweiten vorschwebende Vorstellung dem Hörer im selben Sinne' zu übermitteln, veranlafite die Sprache zur Schaffung des Konjunktivs. So wird, urn ein lateinisches Beispiel anzuführen, in Persaepe accidit ut utititas cum honestate certet, die Vorstellung, «dafi 1 Al win Piekenhayn, Der Gebrauch des Konjunktivs im Rumanischen. Diss. Leipzig, 1903, p. 8. 2 D. h. nicht als eine selbstandige, f reischwebende Vorstellung, sondern als eine unselbstandige, zusammengehörige. Le subjonctif. 129 Nutzen mit Ehre streitet», als wahr bestatigt durch dje sie aufnehmende Vorstellung «es kommt sehr haufig vor». Zu beachten ist, daJ3 für den Redenden der GedankenprozeB wohleindoppelter ist, daB er es aber nicht mit zwei, sondern mit einer Vorstellung zu tun hat. Bei dem Bestreben, die beiden für ihn zur Einheit gewordenen Vorstellungen auch dem Hörer als einheithch zu übermitteln, entstand die Ausdrucksform des Konjunktivs». J'ai réussi a me procurer 1'étude de M. Venzke. B commence sa démonstration en constatant que c'est surtout en latin archaïque que le besoin de subordonner (= die Unterordnung) se montre trés fortement: «selbst bei den Verben der geistigen Tatigkeit, wo wir am ersten ein Parallelsetzen der Vorstellung mit dem Ausdruck der Geistestatigkeit erwarten, finden wir die Unterordnung. Pladt, Asin., 1, 8, 87 heiBt es: Equidem scio iam filius quod amet meus»1; hier soll das Lieben des Sohnes nur als Inhalt seines Wissens aufgefaBt werden». Cet exemple, avec plusieurs autres, prouve que le latin archaïque aüait beaucoup plus loin encore dans la subordination psychologique que le francais même ancien. M. V. voit même une simple subordination dans 1'emploi du subjonctif dans la principale. «B est indéniable, dit-il, qu'un subjonctif ne peut pas être compris sans le contexte». «Der Indikativ eunt verbindet Verbalbegriff und Subjekt zu einer freischwebenden und selbstandigen Vorstellung, der Konjunktiv eant will diese Verbindung an eine höhere Vorstellung gebunden wissen, zu deren Inhalt er gehören soll.» Je ne puis accepter cette facon de voir. B y a certainement eu un moment oü dans la phrase principale aussi le subjonctif n'exprimait que la subordination, et qu'il y avait donc une sorte d'elhpse psychologique. Mais je crois que ceci n'est plus vrai pour le francais de nos jours, ni p. e. pour le latin, et que le subjonctif, par un travaü séculaire, a flni depuis trés longtemps par pouvoir exprimer une idéé volontive dans la principale, et que le con- * Nous avons cité plus haut le même exemple, plus complet, d'après Löfstedt; voir p. 94. O. de Boer, Essais de syntaxe franchise moderne. 9 130 Le subjonctif. texte ne sert plus qu'a suggérer la nuance, comme nous 1'avons dit plus haut. Et c'est même pour cela que le subjonctif n'exprüne jamais que la volonté dans la principale, comme dans la relative explicative; s'il ne faisait encore que subordonner, bien d'autres nuances seraient possibles1, Nous ne suivrons pas M. V. dans les différentes analyses qu'il fait des cas traités dans la grammaire bien connue de LückqïG;;, nous nous contentons de constater avec satisfaction que, sans être toujours d'accord avec lui pour les détails, son idéé générale sur le caractère subordonnant du subjonctif correspond exactement a ce que nous avons cru constater dans rimmense majorité des cas de 1'emploi du subjonctif dans la subordonnée. Cette coïncidence ne prouve pas que nous ayons bien vu dans cette partie de notre travail, évidemment, mais n'est pas précisément décourageante non plus! M. V., d'ailleurs, ne traite, au fond, que le subjonctif dans la phrase substantive; il passé beaucoup trop rapidement sur la relative, et négligé complètement la phrase adverbiale. La théorie de M. Venzkb n'a pas été acceptée, semble-t-il, et a été condamnée e. a. par Koschwitz dans un 'compte-rendu dans la Zeitschrift für Französische Sprache und Literatur, Bd. XID?, P- 223. Koschwitz proteste contre la théorie de Venzke au nom de rhistoire, et voici son raisonnement, Le latin préhistorique a eu un optatif et un subjonctif; plus tard ces deux modes n'en sont devenus qu'un. «Mit dem formalen Zusammenfall gingen naturgemaB die ursprünglichen Grenzen der Gebrauchsspharen beider Modi verloren; aber es ist unmöglich, den aus zwei verschiedenen Modi zusammengeschmolzenen lateinischen Konjunktiv aus einem Sprachbedürfnis heraus zu erklaren», Cette critique me semble exacte dans ce sens que, d'après nous aussi, M. V, a eu le tort de ne pas voir qu'en 1 Nous voyons la un argument de plus pour considérer 1'expression Je ne sache pas, transposition de que je sache dans la principale, comme une locution, une unité flgée. Le subjonctif. 181 francais la subordination n'est pas la seule fonction du subjonctif. Koschwitz me semble avoir raison aussi lorsque, un peu plus loin, il reproche a M. V. de ne pas avoir vu que le subjonctif est devenu «oft rein formell»; c'est encore un point oü nous ne sommes pas non plus d'accord avec M. V., qui admet partout de la psychologie; nous admettons un élément formel, conventionnel dans plusieurs emplois du subjonctif, comme on a pu le constater plus haut. H n'en reste pas moins vrai que Koschwitz a eu tort, nous semble-t-il, de condamner pour ees raisons toute la théorie de M. Venzke, oü nous avons retrouvé au moins un des principes qui nous ont guidé dans 1'étude sur le subjonctif qu'on vient de lire. Table des matières. Page L La place de 1'adjectif attributif 5 II. La place du sujet-nominal dans la phrase non-interrogative ..... 81 DJ. Le subjonctif 59 L But de cette étude 61 n. Grammaire et style; convention (forme, tradition) et psychologie; psychologie grammaticale et psychologie individuelle 65 III. Les trois f onnes du subjonctif 78 IV. Les plusqueparfait du subjonctif 75 V. Syntaxe «figée» ou «loeutionnelle» 77 VI. Syntaxe »vivante» ou «mobile» 83 a) le subjonctif exprimant la notion volontive 81 b) le subjonctif exprimant la subordination d'idée . . 85 1. dans la substantive 90 2. dans la relative déterminative 106 3. dans 1'adverbiale 121 Conclusion 128 Post-scriptum 128 f