LA PASSÉ DES WIELINGEN DROITS ET INTÉRÉTS PAR Ie Dr. BRUGMANS, Professeur a l'Université d'Amsterdam. 8888 8888 LA HAYE — 1920. KONINKLIJKE BIBLIOTHEEK 2370 7513 LA PASSÉ DES WIELINGEN. LA PASSÉ DES WIELINGEN DROITS ET INTÉRÉTS. par ie Dr. B R U G M A N S, Professeur a l'Université d'Amsterdam. V. E. sfait quel poids gist en icele contrée & si onques icy afoit lieu attacque aucune, en quels parits tomberoient les Provincas Unies. Commission des Etats de Zélande a Leycester 24 oct. 1587. LA HAYE — 1920. /depot ned.publ 9 La Passé des Wielingen. — Sans doute le nom de cette passé n'est-il guère demeuré dans la mémoire de nombre de Néerlandais qu'a 1'état de souvenir d'écoliers au temps oü ils avaient a étudier la géographie des Pays-Bas. Sans doute aussi auront-ils appris alors que les Wielingen forment la bouche principale de 1'Escaut et constituent la voie empruntée par le trafic de la grande navigation de Flessingue et d'Anvers. Admettons même qu'ils 1'aient aussi retenu. Mais qu'il existat la une difficulté d'ordre international, que des eaux de 1'embouchure de 1'Escaut put s'élever un conflit entre les Pays-Bas et la Belgique, en un mot qu'il existat ou du moins qu'on put soulever un jour une question des Wielingen, voila ce que la plupart de nos compatriotes n'auront sans doute jamais supposé, su encore moins. Aujourd'hui cependant led moineaux chantent sur les toits que les Wielingen font 1'objet d'un sérieux conflit diplomatique. Mais plus d'un dans le public se demande en vain ce qui peut bien se passer la sur 1'Escaut, pourquoi les droits séculaires des Pays-Bas sont contestés par la Belgique. Et sans doute y aura-t-il nombre de gens qui se demanderont quel intérêt les Pays-Bas peuvent bien avoir aux eaux dont il s'agit et demanderont en hésitant si les intéréts des Pays-Bas y sont d'une importance si grande et si prépondérante que leur maintien puisse justifier un conflit aigu avec la nation soeur. On demande donc en premier lieu quels droits notre pays peut faire valoir sur les Wielingen et ensuite, 6 dans le cas oü les Pays-Bas possèderaient effectivement des droits inattaquables sur cette passé importante, s'ils y possèdent aussi des intéréts si considérables qu'ils doivent maintenir a tout prix leurs droits envers la Belgique et envers quiconque voudrait soutenir la Belgique? Les pages qui suivent sont destinées a servir d'information aux Néerlandais qui posent ces questions ou d'autres analogues. Nous voulons éclairer nos compratiotes sur la situation réelle, sur les droits que notre pays possède sur les Wielingen et en même temps développer les raisons pour lesquelles il ne peut pas abandonner ces droits, mais doit aU contraire les maintenir avec la plus grande énergie. Nous croyons pouvoir démontrer par 1'examen du développement historique de la question quels sont nos droits, et par la situation existant actuellement pourquoi ces droits doivent être défendus. Enfin nous espérons pouvoir démontrer également que le maintien de ces droits ne touchera ni ne sera préjudiciable a aucun intérêt beige, car ce dernier point constitue aussi un élément d'appréciation nécessaire pour qui veut pouvoir juger de la question. Les droits que 1'on possède historiquement ne peuvent être abandonnés que dans deux cas. D'abord dans le cas oü le maintien de ces droits n'aurait plus qu'une importance minime, vu 1'absence ou le peu d'importance d'intérêts propres s'y rattachant. En second lieu dans le cas oü, par suite de ce maintien, les intéréts d'autrui seraient gravement lésés. Or ni 1'une ni 1'autre éventualité ne se présente dans la question des Wielingen: ce que les Pays-Bas y possèdent historiquement conserve toujours une grande valeur pour notre pays. Pour cette seule raison nous devrions déja maintenir nos droits, même s'il devait en résulter quelque dommage sérieux pour la Belgique. Mais comme il est évident que cela n'est nullement le cas, la défense de ces droits constitue pour 7 notre Gouvernement ni plus ni moins qu'un devoir. La question des Wielingen ne fait pas une forte impression sur 1'imagination de notre peuple. Tout en étant un peuple de navigateurs, les Néerlandais n'attachent pas facilement 1'idée de territoire a 1'élément liquide; les droits qu'on peut avoir sur des eaux leur semblent aussi flottants que ces eaux elles-mêmes. Dans la pratique 1'eau est un territoire franc dans le sens le plus littéral et 1'idée de patrie n'y est pas rattachée. Dans la grande guerre qui vient de finir cela est apparu de la fagon la plus évidente. Nous avons supporté, peut-être aussi avons-nous été contraints de supporter beaucoup, énormément même de la part des partis belligérants. Mais il y a une cfaose qu'aucun des belligérants n'a osé nous faire, et c'est justement ce que nous n'aurions supporté sous aucune condition et dans aucun cas: la violation de notre domaine national terrestre. II est une chose dont noUs étions tous trés sürs, c'est que nous aurions renonce a notre neutralité si quelqu'un eüt osé fouler notre sol a main armée; celui-la se serait trouvé en face du peuple néerlandais en armes, unanime, coude a coude. Mais en a-t-il bien été de même en ce qui «oncerne notre domaine fluvial? Certainement non. Ce n'est pas la une hypothèse, c'est un fait. Car différent en cela de notre domaine terrestre, notre domaine maritime a été traversé plus d'une fois par des navires belligérants, et parfois aussi on s'est servi de nos eaux comme d'un terrain de combat. Justement sur ces mêmes Wielingen, sur lesquels nous possédons, aussi bien que sur le Sud du Limbourg, des droits établis et anciens, en réalité plus anciens encore, notre territoire a été violé a plusieurs reprises par les belligérants. Des mines ont été placées dans nos eaux, qui fermèrent 1'accès de Flessingue, notre port de 1'Escaut. Pourtant le peuple néerlandais n'a pas couru alors aux armes. Le gouvernement 8 d'alors a souffert et supporté cette violation, et cela sans doute d'abord paree qu'il s'agissait la d'un territoire contesté, mais certainement aussi paree qu'en poursuiyant nos droits jusqu'a 1'extrême il n'aurait pas eu derrière lui la nation unie et convaincue. Ce dernier raisonnement est certainement exact. Le fait de 1'entrée dans un hameau néerlandais d'un détachement -étranger, donc ennemi, fait vibrer dans nos coeurs toutes les cordes du patriotisme; mais le passage d'un navire de guerre étranger par nos eaux ne parle pas a notre imagination nationale. La conviction du peuple fait ici une différence qui cadre entièrement avec le droit de guerre. C'est aussi pour cette raison que la question des Wielingen excite encore si peu d'intérêt chez nous. Nous voulons espérer que notre exposé éveillera chez nos compatriotes la conviction que cette question est pour nous d'une importance égale a celle que les Beiges y attachent a juste titre. Alors aussi les Néerlandais pourront être persuadés de leur bon droit. Et peut-être 1'étranger pourra-t-il également être persuadé que les droits des Pays-Bas ont une valeur plus grande que les revendications de la Belgique. Peut-être aussi pourra-t-on se convaincre que celui qui crie le premier et surtout qui crie le plus fort, n'est pas nécessairement pour cela celui qui a raison. II n'y a au contraire qu'une cause faible qui ait besoin d'être tapageuse. Orientons-nous d'abord sur les lieux; la carte ci-annexée pourra ici trouver son utilité. Entre 1'ile de Walcheren et la Flandre, fEscaut se jette dans la mer du Nord par trois passes dénommées, en partant du nord: 1' Oostgat, le Deurloo et les Wielingen. La première passé suit la cöte occidentale de Walcheren; la dernière baigne la cöte flamande, le Deurloo se fraye un passage a travers les bancs, entre les Wringen et 1'Oostgat. L'Oostgat 9 est li mi té a Pest par les raz de Domburg ou Kueerens et la cöte de Walcheren, a 1'ouest par le Kaloo, le Botkil, les raz et le banc de Zoutelande; la partie méridionale de 1'Oostgat, entre Walcheren et les cötes nord-est d'Elleboog et de Nolleplaat, s'appelle Galgeput. Le Deurloo est limité au nord par les raz et le banc de Zoutelande, au sud par la plaine du Raan, le Raan,. le Walvischstaart et 1'Elleboog. Les Wielingen enfin sont limités au nord par le banc du Wandelaar, la plaine du Raan avec le banc de Schooneveld, le Ribzand, le banc de Knocke et le Hompel; au sud nous trouvons devant la cöte flamande le banc de Wenduyn, le Zand et le Binnen-Paardemarkt. De ces trois passes seule celle des Wielingen est en réalité propre a la grande navigation. Sans doute ily a bien des navires de grand tonnage qui passent par 1'Oostgat, mais de 1'avis des experts le danger d'ensablement y est trés grand. Le Deurloo, d'autre part, est bien navigable pour les bateaux de pêche et autres navires de petites dimensions, mais le peu de profondeur y rend impossible toute grande navigation. A cela s'ajoute que les deux passes sont déja par elles-mêmes d'une navigation difficile; le vent et le courant y causent toutes sortes de difncultés aux marins. La passé des Wielingen constitue donc le seul acces utilisable a 1'Escaut, a Flessingue, a la Zélande. C'est ce qu'il importe de ne jamais perdre de vue, si 1'on veut voir exactement et sous ses véritables proportions 1'importance de la question des Wielingen: il s'agit ici d'une des grandes voies d'accès de notre pays. Cela, comme il va de soi, ne veut nullement dire que cette embouchure ne présente pas aussi un grand intérêt pour la Belgique. Au contraire Anvers ne respire que par 1'embouchure de 1'Escaut, donc par les Wielingen. Cet intérêt d'Anvers est naturellement compris et reconnu ira- 10 médiatement par tout le monde. II en est de même en ce qui concerne Zeebruge. Ce nouveau port beige est situé en réalité sur la passé des Wielingen et ne peut donc être atteint que par les eaux néerlandaises. II est évident que pareille situation peutentrainer pour la Belgique des conséquences désagréables et même facheuses. A mesure que Zeebruge se développera ces inconvénients iront aussi croissants. Nous recortnaissons donc volontiers 1'intérêt qu'a la Belgique a un règlement satisfaisant de la question des Wielingen. Seulement il ne pourra être déduit de eet intérêt aucune conséquence par rapport aux droits de souveraineté sur les Wielingen. En effet, si eet intérêt 1'emportait exclusivement dans la balance en ce qui concerne 1'autorité souveraine, ce même argument vaudrait pour 1'Escaut occidental tout entier aussi bien que pour ses bouches. Peut-être en Belgique oserat-on tirer cette conséquence, mais il est évident que pareil raisonnement ne tient pas debout. Mais cela étant il ne peut Uon plus être déduit des intéréts beiges aucun argument en faveur des droits beiges sur 1'Escaut occidental et sur ses bouches. D'autant moins que de notre cóté il atoujours été tenu compte de ces intéréts et qu'a vrai dire il ne s'est jamais élevé du cóté beige de plaintes sérieuses contre 1'exercice des droits de souveraineté des Pays-Bas sur 1'Escaut occidental. Aussi 1'agitation actuellement dirigée contre les Pays-Bas est-elle caractérisée par ceci qu'il lui manque en réalité toute base effective .de droits ou d'intérêts. C'est justement pourquoi la question pourrait être résolue a 1'amiable avec une facilité relative. On ne Pa pas voulu du cóté beige. Pourquoi? Cela n'est guère facile a deviner. Mais ce qui est clair, c'est, comme on dit en hollandais, qu'il ne s'agit nullement ici „des biHes"; est-ce bien véritablement la partie qui est ici en question, surtout cette partie-ci ? cela reste a savoir. On n'en pourra juger que lorsque toutes 11 les cartes seront sur table, ce qui est loin d'être le cas jusqu'a présent. La souveraineté que les Pays-Bas possèdent sur les Wielingen découle de celle qu'ils ont sur 1'Escaut en tant que ce fleuve traverse le territoire néerlandais. Que ce droit de souveraineté appartienne aux Pays-Bas et soit exercé par eux, c'est parfaitement clair et c'est irréfutable' au point de vue historique. Qu'on nous permette de démontrer, par un court exposé historique, que 1'Escaut a été depuis des siècles un fleuve néerlandais. Par 1'Escaut nous entendons naturellement ce fleuve a partir de Saeftingen; les Pays-Bas n'ont jamais revendiqué la partie située en amont. II va de soi que lorsqu'il s'agit d'un fleuve qui, comme 1'Escaut, traverse différents pays, il est toujours difficile de peser les différents intéréts avec précision et en conséquence d'établir exactement la situation. Mais ces difficultés ne sont pas nécessairement plus grandes que ce n'est le cas en règle générale, la oü des parties ayant des aspirations, des intéréts et des droits différents se rencontrent pour établir un arrangement valable pour toutes. Eten aucun cas aucune des parties ne doit pouvoir y trouver une occasion de contester les droits des autres; un accord bon et durable n'est possible que sur la base des droits réciproques. Le fait que du principal port beige la mer ne peut être atteinte qu'a travers les eaux néerlandaises constitue certainement pour la Belgique une difficulté singulière; sous ce rapport Brême et Hambourg sont certainement avantagés, sans parler d'Amsterdam et de Rotterdam. Mais le fait que 1'embouchure de 1'Escaut est territoire néerlandais est établi par une histoire séculaire et doit donc être reconnu par la Belgique sans hésitation ni réserve aucune. Si la Belgique s'y refusait, si elle voulait contester le développement historique de 12 la question, les Pays-Bas auraient alors aussi toute raison de remettre a 1'ordre du jour Faffaire de 1'Escaut. Et dans ce cas pourrait et devrait se poser aussi de nouveau d'elle-même la question de savoir si cette affaire ne serait pas susceptible de recevoir une solution autre que celle qui consisterait a faire beige 1'embouchure de ce fleuve. Mais 1'Escaut occidental n'est pas beige et ne Fa jamais été. II y a bien eu, il y a des siècles, une lutte apre et tenace pour la possession des bouches de 1'Escaut. Cette lutte nous reporte loin dans le moyen-age, a 1'époque oü la Hollande et la Flandre prétendirent a la possession de la partie de Zélande située a 1'ouest de 1'Escaut. La Zélande a 1'est de ce fleuve a été, autant que nous sachions, d'ancienne date en la possession des comtes de Hollande. Les droits de ceux-ci sur la Zélande a 1'ouest de 1'Escaut, c.-a-d. sur Walcheren et Beveland, n'étaient pas établis avec autant de force. En -1168 les comtes de Hollande et de Flandre conclurent un traité par lequel une administration commune, un condominium, fut institué sur le territoire contesté. 1) Mais ainsi qu'il est arrivé pour d'autres traités semblables, celui-ci ne fut pas maintenu et ne prévint donc pas de nou vel les luttes. Nous n'entrerons pas ici dans des détails. Nous voulons seulement constater que la lutte fut décidée enfin définitivement en faveur de la Hollande par le traité de Paris du 6 mars 1323.2) Louis Ier de Flandre céda alors a Guillaume III de Hollande tous droits de vassalité sur „aucunes ylles et aucunes parties de la terre de Zélande". II est évident que les eaux zélandaisei y étaient également comprises. La possession des iles de la Zélande seules n'aurait naturellement pas eu de valeur et, a vrai dire aussi, 1) Van den Bergh, Oorkondenboek. 2) Van Mieris, Charterboek II, 276; Kluit Historia Critica, Cod. dipl. II 2, 1042. 13 pas de sens. Par „aucunes parties" il fautdonc comprendre certainement aussi les eaux zélandaises. Le Hont ou Escaut occidental était-il aussi compris parmi ces eaux zélandaises? Ce n'est pas douteux, quoique cela ait été contesté plus d'une fois. Kluit a déja démontré de toute évidence que la Zélande visée dans le document de 1323 comprend tout le pays (et naturellement aussi 1'eau) situé entre le Bornisse et Heidensee. ') Le Bornisse est la passé, depuis ensablée, entre Goedereede et Flakkee oü se trouvait Tanden péage comtal de Geervliet. Heidensee était située prés d'Ecluse; c'était une eau dans laquelle débouchait le Zwin. II en résulte donc que 1'Escaut occidental en entier devint en 1323 territoire zélandais in contesté; les comtes de Hollande avaient d'ailleurs fait de tous temps des revendications en ce sens. Cela est assez curieux et prouve certainement bien que les droits de la Hollande étaient fortement établis. En effet 1'Escaut occidental était devenu après 1323 a proprement parler le fleuve frontière entre la Zélande et la Flandre; on pourrait doncs'attendre ou bien a ce qu'on y eüt établi une administration commune ou bien a ce que la frontière füt tracée par le thalweg, comme ce fut le cas alors et plus tard pour tant de fleuvesfrontières. Cependant rien de tout cela; depuis 1323 1'Escaut occidental est sans aucun doute territoire zélandais jusqu'a la rtve flamande. Toutefois il në faut pas exagérer 1'importance du fait, L'Escaut occidental n'avait nullement avant 1400 1'importance qu'elle acquit plus tard et surtout qu'elle possède actuellement. La grande voie de communication par eau au moyen-age c'était le Bornisse cité plus haut. De la on se rendait par 1'Escaut oriental ou vers 1'ouest vers le i) Kluit oeuvre cltée Excurtm 1103 n< 14 „gat" de Veere, ou vers 1'est derrière Zuid-Beveland vers 1'Escaut; ainsi on pouvait arriver a Bruges, plus tard surtout a Anvers. L'Escaut occidental n'avait a vrai dire pas de valeur comme voie de transit; elle n'avait pas de bonne communication directe avec la mer. II existe même une vieille tradition d'après laquelle on pouvait se rendre autrefois a pied sec de Walcheren au marché de Bruges. Quelle que soit la valeur de cette relation, il est certain que la bouche de 1'Escaut occidental était sans importance pour la navigation. Mais au commencement du quinzième siècle les ïles de la Hollande méridionale et de la Zélande eurent a subir de violentes inondations. On se rappellera qu'en 1421 la marée de Ste Elisabeth inonda le „ZuidHollandsche Waard" et fit naitre ainsi le „Biesbosch". Environ a la même époque doit avoir eu lieu le grand débordement a 1'embouchure de 1'Escaut occidental; alors seulement se forma 1'énorme estuaire de 1'Escaut, qui donna au Hont sa valeur comme voie de communication et ne rendit effectivement possible qu'a partir de ce moment la fortune d'Anvers. L'importance entièrement nouvelle de 1'Escaut Occidental donna naturellement naissance a toutes sortes de complications, et cela encore plus lorsque la Hollande ou plutót la Zélande al la percevoir un péage sur le fleuve dont l'importance par rapport au commerce allait toujours grandissante. II est évident qu'Anvers se plaignit de ce péage. II est de même évident que la Flandre aussi s'occupa de 1'affaire. Que le Brabant eüt de son cóté ses objections, nous pouvons nous y attendre. Le Brabant étendit même ses revendications si loin qu'il déclara que 1'Escaut occidental était un fleuve brabancon sur lequel son duc avait un droit exclusif, également celui de péage. Le conflit aurait certainement abouti a une lutte sanglante a une époque 15 antérieure. Mais au quinzième siècle la situatiën était différente. Philippe le Bon, duc de Bourgogne et comte de Flandre, était depuis 1430 également duc de Brabant et depuis 1433 en même temps comte de Hollande et de Zélande. Les trois pays en lutte avaient donc depuis 1433 le même seigneur: une guerre entre eux était donc impossi ble. II ne leur restait d'autre voie que celle de droit; c'était une voie longue, il est vrai; mais elle aboutit a une sol ut ion décisive et favorable pour la Zélande et les droits qu'elle possèdait de longue date. Le 11 octobre 1504 le Haut Conseil de Malines, auquel étaient soumises la Hollande et la Zélande aussi bien que le Brabant et la Flandre, émit le jugement final 3). Ce jugement donnait entièrement raison a la Zélande. La prétention des Etats du Brabant d'après laquelle 1'Escaut était un fleuve brabanoon fut déclarée non fondée; 1'appel a une charte douteuse de 1304 fut repoussé. Faisant justice, le Haut Conseil, qui avait été augmenté pour cette occasion de six conseillers des cours de Brabant, de Flandre et de Hollande» déclara que le pouvoir et par conséquent le droit de péage du comte de Zélande s'étendait sur tous les cours d'eau de la Zélande, également sur 1'Escaut Occidental. Ainsi le droit séculaire de la Zélande sur le Hont était maintenu sans contestation. L'Escaut occidental était et restait un fleuve zélandais. Que les bouches de 1'Escaut occidental étaient considérées comme appartenant également a ce fleuve, cela va de soi, même si cela n'était mentionné nulle part expressément. Car de même qu'il est évident que la bouche fait partie du corps humain de même 1'autorité sur un fleuve doit également comprendre celle sur son embouchure. Nous re- ') Kluit. Historia. Cod. dipl. II 2 1081. Van Limburg Brouwer, Boergoensche Charters. 19. 16 marquons que 1'embouchure de 1'Escaut était donc considérée comme appartenant au territoire de Zélande dans une période oü la rive méridionale de 1'Escaut était encore flamande. De ceci il résulte donc directement que la frontière du territoire néerlandais a 1'embouchure de 1'Escaut ne peut être déduite de la frontière actuelle de la Flandre Ze'landaise. Du ooté beige on a 1'habitude de prolonger cette ligne frontière prés de Cadzand par les eaux et de limiter la juridiction néerlandaise a ce qui se trouve situé a 1'est de cette ligne frontière fictive. S'il ne s'agissait pas ici d'une frontière d'eau on pourrait dire que c'est Ia une ligne complètement „en 1'air". Mais que cette ligne est purement arbitraire, la chose est prouvée par ce simple fait que toutes ces eaux appartenaient déja a la Zélande avant que la frontière en question de la Flandre Zélandaise existat. Non seulement il va de soi que 1'embouchure de 1'Escaut appartenait a la Zélande, mais nous pouvens aussi le démontrer. Le bailü d'eau de Zélande, qui résidait a Middelbourg, étendait également son autorité sur les Wielingen; de la jusqu'a Saeftingen il possédait la surveillance suprème et la juridiction sur 1'Escaut occidental. Aussi dans les documents du bailliage d'eau de Zélande est-il toujours question de batiments qui entrent dans les Wielingen et tombent alors immédiatement sous la juridiction de ce fonctionnaire Les Wielingen faisaient donc d'ancienne date partie de 1'Escaut occidental. Peut-être en convient-on en Belgique, mais on y contesté que les Wielingen s'étendissent d'ancienne date aussi loin au sud-ouest qu'on 1'affirme actuellement de 1) Comptes du bailli d'eau. Archives de 1'Etat en Zélande. Dans le compte de 1519/20 fol. 46 le ressort de la juridiction du bailli d'eau eit défini ainsi; „commencant dans les Wielingen et par les Wielingen en montant le Hondt jusqu'a Saeftingen le long de la Flandre, vu que lei officiers de Flandre n'ont pas de juridiction". 17 notre cóté. A eet égard il ne doit pas non plus y avoir de doute. Depuis des temps reculés on ne pouvait pas approcher du port de Bruges, c. a. d: du Zwin, sans passer par le domaine oü s'étendait la juridiction du bailli d'eau de Zélande. Aussi 1'autorité de ce dernier s'étendait en tout cas jusqu'au-dela du Zwin, donc a 1'ouest de la frontière actuelle de la Flandre Zélandaise. Ceci est confirmé par 1'article quatorze bien connu du traité de Munster, qui outre 1'Escaut ferme également le Sas (de Gand) et le Zwin a la navigation. Cette disposition n'aurait évidemment pas de sens, si 1'autorité des Etats-Généraux ne s'était pas étendue plus loin que 1'embouchure du Zwin. D'anciennes cartes') indiquent également les Wielingen a cette place. Mais voici ce qui est décisif. La juridiction de la Zélande s'étendait au temps de la République „aussi loin en mer que les bornes extrêmes de Flandre2)". Comme cela est compté a partir de la Zélande on doit avoir en vue la frontière de France et de Flandre, ainsi même encore plus loin que Nieuport3). Telle était la situation juridique de 1'Escaut occidental et de ses embouchures, donc aussi celle des Wielingen. Nous avons indubitablement a faire ici a du territoire zélandais. Mais 1'autorité exercée par les Pays-Bas septentrionaux sur 1'Escaut occidental fut naturellement encore confirmée et fortifiée dès que la rive méridionale du fleuve 1) Ainsi la carte de Jacob van Deventer qui porte le nom de Wielingen avant Heyst jusqu'a Blankenberghe. Aussi Zacharias HeynS dans le "Nederlandenschen Landt-Spiegel" etc. 2) Coutumes, ordonnances et statuts de la ville de Middelbourg (1771). 3) Au surplus Smallegange le de'montre dans sa „Kroniek van Zeeland" page 152 ou il place la frontière encore plus a 1'ouest: „Tous les sables situés entre le „Gat" d'Ecluse et Cales sont appelés Bancs Flamands, sur lesquels la Ze'lande a la juridiction, la Flandre n'ayant donc absolument aucune juridiction en mer". Telle était donc la situaüon vers 1'année 1700. 2 18 vint également en notre pouvoir. Ceci a eu lieu au cours de la guerre de quatre-vingts ans. Les Etats-Généraux iugeaient a juste titre nécessaire pour la sécurité de la République de conquérir de 1'autre cóté des grands fleuves une large bande de territoire, qui put être considérée et organisée comme un rempart avancé des sept provinces. La conquête du Brabant des Etats et de la Flandre des Etats, finalement aussi celle du Limbourg des Etats furent faites en exécution de cette idée. Maurice et Frédéric-Henri apportèrent chacun leur part a la conquête de la Flandre d'Etat. Maurice occupa en 1604 Ecluse, Aardenburg, Oostburg et Yzendijke, en 1606 Axel. Après 1640 Frédéric-Henri conquit dans les dernières années de la guerre de quatre-vingts ans la ville de Hulst, qui avait déja été occupée en 1591 par Maurice maisavait été perdue de nouveau en 1596; enfin Sas de Gand Ainsi la rive méridionale de 1'Escaut occidental était devenue territoire des Pays-Bas. Cette partie de la Flandre tomba naturellement sous 1'autorité directe des Etats-Généraux; elle devint „pays de la Généralité". Seulement une petite partie de ce territoire, dite committimus de Zélande, fut administrée par les „Gecommitteerde Raden" de Zélande; cette partie était formée d'Axel, de Terneuzen et de Biervliet avec la campagne y attenante et les forts de Liefkenshoek etc. Cette situation juridique singulière, a laquelle le Conseil d'Etat faisait, comme il est facile de le comprendre, parfois des objections, était née au commencement de la guerre de quatre-vingts ans, lorsque la Zélande avait commencé pour sa propre sécurité a exercer des fonctions administratives de 1'autre. cóté de 1'Escaut i). 1) Brugmans. De Republiek der Vereenigde Nederlanden in 1648,62. 2) Brugmans. De Republiek der Vereenigde Nederlanden in 1648,64. 19 Ainsi les deux rives de 1'Escaut occidental étaient devenues possession des Pays-Bas Septentrionaux. De droit 1'Escaut restait naturellement un fleuve zélandais. Toutefois il va de soi que les Etats-Généraux, auxquels revenait pour une bonne part la haute autorité sur la rive méridionale, allaient aussi de leur cóté prendre des mesures militaires et autres sur les eaux de ce fleuve et cela d'autant plus quetjustement ce territoire est resté théatre de guerre durant de longues années. Aussi n'avons-nous a vrai dire a faire dans la suite qua des mesures des Etats-Généraux, quoique 1'autorité souveraine des Etats de Zélande sur 1'Escaut n'en fut nullement aflèctée. De même, bien loin d'empêcher les Etats de cette province de prendre aussi de leur cóté des mesures pour la sauvegarde de 1'Escaut, cela les y encouragea. Ce fut .le cas surtout dans les premières années de la révolution, alors que 1'autorité des Etats-Généraux était encore trés faible. La principale de ces mesures fut celle que 1'on désigne généralement par fermeture de 1'Escaut. On a 1'impression que ces mesures n'ont pas eu a vrai dire au début d'autre objet que de créer la possibilité et en même temps la faculté de lever des droits nouveaux et élevés sur le trafic commercial avec le pays ennemi. Dès le 5 avril 1572 Flessingue suivit 1'exemple de Brielle et arbora le pavillon du Prince d'Orange; apparemment le Prince d'Orange avait par la révolution le dessein d'occuper les ports de mer situés aux embouchures des fleuves. De Flessingue on pouvait exercer la domination sur 1'embouchure de 1'Escaut, aussi 1'Escaut fiit-il immédiatement fermé et le trafic commercial sur Anvers empêché. Seulement — il en alla ici comme si souvent en temps de guerre — on défendit le transit pour se le faire racheter a prix d'or. Ainsi fut établi a Flessingue un bureau oü 1'on pouvait se procurer 20 contre paiement des licences pour le voyage a Anvers.J) II est évident qu'Anvers, qui était déja accablé par 1'état de guerre, éprouva un grand dommage du fait de ce système de licences. La fermeture de 1'Escaut fut naturellement abolie dés que les dix-sept provinces du Nord et du Sud se furent toutes révoltées contre 1'Espagne' et d'un commun accord se furent unies a cette fin par la pacification de Gand en novembre 1576. L'accord ne fut cependant qu'apparent et ainsi les crevasses, qui se montrèrent bientót dans 1'édifice de 1'Union Générale, apparurent irréparables. La scission des provinces wallonnes entraïna bientót aussi les provinces flamandes; la Belgique naquit sinon comme état séparé du moins comme juridiction séparée. Cette juridiction obtint de nouveau son ancien port lorsque le duc de Parme recouvra Anvers par le traité du 16 aoüt 1585. Aussitöt les Zélandais fermèrent de nouveau 1'Escaut. On délivra bien aussi alors des licences — on se rappellera avec quelle force Leycester s'opposa a ce système de faire commerce avec le pays ennemi — mais la prospérité d'Anvers étah brisée. L'Escaut était fermé et le resta durant la guerre. II le resta, parceque peu a peu un nouvel élément se révélait dans cette politique consistant a mettre délibérément obstacle au commerce d'Anvers en faveur de celui de la Hollande et de la Zélande. Finalement, en effet, ce devintun article de foi que les villes de commerce hollandaises et zélandaises ne pourraient pas prospérer tant qu'Anvers aurait la communication libre avec la mer. De la aussi que la fermeture de 1'Escaut 'devint un système politique, et que la pratique en devint constante. Lors de 1'armistice la théorie n'était pas encore bien précise, ni la 1) Becht. Bijdrage tot de handelsstatistiek der Republiek in de Zeventiende eeuw. p. 34 ss. 21 pratique réglée définitivement; 1'Escaut a été ouvert, ou peu s'en faut, de 1609 a 1621. Mais ensuite il fut de nouveau fermé. Et alors toute la question revêtit des formes tellement arrêtées que la République put faire passer dans le traité de paix de Munster en 1648 1'insertion de 1'article 14 bien connu: „Les rivières de 1'Escaut comme aussi les canaux de Zas, Zwijn et autres bouches de mer y aboutissants seront tenues closes du cóté des dits Seigneurs Etats" ') Dans 1'article suivant furent presents au roi d'Espagne les droits qu'il aurait la faculté de lever sur ces eaux. Depuis la paix de Munster 1'Escaut fut donc tenu fermé en droit par la République. En fait se trouvaient prés des forts de VEscaut Lilloo et Liefkenshoek les gardes-cötes connus qui empêchaient la navigation de batiments de mer. Seul était permis le trafic des petits bateaux de rivière, mais les bateaux beiges ne pouvaient descendre le fleuve que jusqu'aux forts susmentionnés oü ils devaient remettre leur cargaison a des batiments néerlandais. Inversement ils pouvaient reprendre des bateaux néerlandais la cargaison de ceux-ci a destination d'Anvers. Naturellement un péage était levé dans 1'un et 1'autre cas. Si les Pays-Bas Méridionaux avaient montré aux 17e et 18e siècles une grande prospérité économique, ils n'auraient certainement pas supporté longtemps pareille pression économique. Mais il n'y avait guère de vie dans la société beige de ces femps; il ne faut vraiment pas attribuer a la fermeture de 1'Escaut seule le dépérissement économique 1) Nous avons fait voir plus baut que eet article démontre de facon décisive que les Etats-Généraux avaient autorité devant la bouche du Zwin, donc devant la cöte flamande. cf. p. 13. Le Zwin tui-même resta en 1648 au roi d'Espagne. Seulement de 1715 a 1785 la frontière de la République s'étendit au-dela du Zwin. En 1785 1'ancien e'tat fut de nouveau rétabli de sorte que la frontière suivait la rive droite du Zwin. Cf. la carte de la République en 1795, du docteur Beekman p. 16. 22 d'Anvers et des Pays-Bas méridionaux. II est vrai cependant que les Beiges le considéraient ainsi; la fermeture de 1'Escaut a fortement indisposé les Pays-Bas du Sud et excité violemment la haine contre la République hérétique. II est toujours plus difficile d'attribuer le déclin a sa faiblesse et a son indolence propres qu'a la forte concurrence des autres et aux mesures prises en conséquence par ceux-ci. Que la fermeture de 1'Escaut était en attendant particulièrement nuisible aux Pays-Bas méridionaux, le fait est clair; tel était aussi le but dans lequel la mesure avait été prise. Car au 17e et au 18e siècle une telle politique était habituelle et a tous égards licite II n'est donc pas étonnant que tous les traités depuis 1648 aient confirmé la fermeture de 1'Escaut. Seulement vers la fin du 18e siècle il vint de 1'opposition du Sud. Après que 1'empereur Charles VI eut tenté en vain, en créant la compagnie d'Ostende, d'éviter la question de 1'Escaut, son petit nis Joseph II tomba sans ménagement sur la République en tentant de forcer 1'Escaut. Sa tentative, comme la plupart des mesures qu'il prit, échoua complètement. La République montra une énergie inattendue, elle gagna en outre la France comme alliée. Ainsi fut conclu le traité de Fontainebleau du 8 novembre 1785. La République dut faire quelques concessions, elle évacua et démantela la „Kruisschans" et le fort FrédéricHenri, ce qui diminua quelque peu le territoire d'Etat de la Flandre Zélandaise; par la les frontières' furent rétablies telles qu'elles avaient été fixées par la paix de Munster et les acquisitions que la République avait faites par traité spécial en 1715 furent de nouveau abandonnées. Puis les EtatsGénéraux „voulant donner a S. M. 1'Empereur une nouvelle preuve de leur désir de rétablir la plus parfaite intelligence entre les deux Etats" cédèrent les célèbres forts Lilloo et Liefkenshoek. Mais ce qui était le principal, 1'Escaut resta 23 fermé. L'article 7 du traité établit d'abord le pouvoir impérial sur 1'Escaut d'Anvers a Saeftingen, mais ajouta expressément: „Le reste du Fleuve, depuis la Ligne démarquée jusqu'a „la mer, dont la souveraineté continuera d'appartenir aux „Etats-Généraux, sera tenu clos de leur cóté ainsi que les „canaux du Sas, du Swin et autres bouches de mer y „aboutissans, conformément au traité de Munster" Ce fut la dernière feis que la République put invoquer le traité de Munster pour tenir 1'Escaut fermé. La fermeture de tout un fleuve était trop en contradiction avec le droit naturel, en ce temps généralement écouté et estimé, pour pouvoir être longtemps maintenue. La révolution francaise, qui croyait pouvoir rompre entièrement avec le passé, ne faisait pas cas de pareils droits historiques. Dés que les Francais se furent, dans 1'automne de 1792, rendus maïtres des Pays-Bas du Sud, ils décidèrent d'ouvrir 1'Escaut. Déja avant que les Francais ne fussent a Anvers, le Conseil exécutif de la République Francaise prit, en se basant sur le droit naturel des peuples de naviguer sur les fleuves qui traversent leur territoire, une décision oü il est dit que •,1e général commandant en chef des armées francaises „dans 1'expédition de la Belgique sera tenu de prendre „les mesures les plus précises et d'employer tous les moyens „qui sont a sa disposition pour assurer la liberté de la „navigation et des transports dans tout le cours de 1'Escaut „et de la Meuse" *). Les Etats-Généraux protestèrent immédiatement le 24 novembre contre cette décision unilatérale. La République Francaise non seulement ne s'occupa pas de cette protestation, mais déclara en outre le Ier février 1793 la guerre aux Etats- 1) Le traité chez de Martens, Recueil II No. 134. 2) 16 Novembre 1792. Recueil des actes du Comié de Salut Public. 1,232. 24 Généraux, ou plutót formellement au Stadhouder. Cette guerre eut d'abord un cours trés défavorable pour la France, de sorte que 1'Escaut put rester fermé. Mais en 1794 les armées francaises remportèrent partout en Belgique des victoires; en janvier 1795 elles occupèrent la Hollande. Les conséquences ne manqüèrent pas de se produire. La nouvelle République Batave dut conclure le 16 mai 1795 avec la France un traité qui apporta justement a 1'Escaut une importante modification. En vertu de 1'article 12, les Pays-Bas cédèrent a la France „la Flandre hollandaise y compris tout le territoire qui est sur la rive gauche du Hondt". L'art. 13 stipulait 1'établissement d'une garnison francaise a Flessingue. L'art. 14 stipulait même: „le port de Flessingue sera commun aux deux nations en toute franchise". Enfin l'art. 18 établissait: „la navigation du Rhin, de la Meuse, de 1'Escaut, du Hondt et de toutes leurs branches jusqu'a la mer sera libre aux deux nations francaise et batave; les vaisseaux francais et des Provinces-Unies y seront indistinctement recus et aux mêmes conditions" Nous remarquons que par la cession de la Flandre des Etats il ne fut nullement dérogé aux droits établis de la Zélande sur le Hont, droits qui dans le nouvel ordre de choses passèrent a la République Batave, donc aux Pays-Bas. La possession en commun de Flessingue pouvait bien donner lieu a des complications singulières par lesquelles les droits néerlandais auraient aisément pu être menacés, mais cela n'empêche pas que, de même que jadis, 1'Escaut occidental et par conséquent aussi son embouchure, les Wielingen, restèrent en possession des Pays-Bas. La liberté de 1'Escaut, de grande importance au point de vue théorique, n'avait cependant pratiquement pas Ia 1) Le traité chez de Martens, Recueil VI, No. 68. 25 moindre signification; le blocus anglais fermait 1'Escaut non moins hermétiquement que 1'avait fait auparavant la République. La situation juridique se modifia naturellement lorsque Napoléon forca son frère, le roi de Hollande, è céder, par le traité de Paris du 16 mars 1810, la Zélande entière a la France. C'est pourquoi Ie décret de Rambouillet du 14 juillet suivant, qui annexa le royaume entier de Hollande a la France, n'eut aucune importance pour 1'Escaut et pour la Zélande. Les évènements de 1812 et de 1815 mirent fin a 1'empire francais. Par ce fait aussi les Pays-Bas reconquirent leur indépendance; a la base de la proclamation du Gouvernement Général en date du 21 novembre aussi bien que de celles du Prince Souverain des 2 et 6 décembre 1813 se trouve 1'idée que les anciens Pays-Bas sont de nouveau rétablis dans la plénitude de leurs droits. Nous insistons spécialement sur le fait que le Décret Souverain du 15 décembre 1813 ') stipule en particulier „que le département des Bouches de 1'Escaut .... fait partie comme jadis de 1'Etat des PaysBas Unis." De la sorte la Zélande, donc 1'Escaut occidental et par conséquent aussi les Wielingen étaient de nouveau revenus aux Pays-Bas. II n'est donc nullement étonnant qu'encore en décembre 1813 le balisage vdes Wielingen fut de nouveau assuré par les soins des Pays-Bas. Aussi dans les différents traités les Pays-Bas furent-ils rétablis dans leurs anciens droits; en 1814 ils furent réunis en un état unique avec la Belgique. En ce qui concerne 1'Escaut, 1'article 3 de la partie secrète du traité de Paris du 30 mai 1814 stipule que la libre navigation sur 1'Escaut sera réglée de la même manière que celle sur le Rhin. Or nous lisons dans 1'article 1) Journal officiel 1813 No. 11. 26 5 du traité public: „La navigation sur le Rhin, du point oü il devient navigable jusqu'a la mer et réciproquement sera libre." ]). Ceci vaut donc également pour 1'Escaut. Dans le célèbre acte final de Vienne du 9 juin 1815 de nombreux règlements sont encore arrêtés, prescrivant la libre navigation sur les différents fleuves; de plus, divers règlements furent annexés a 1'acte réglant la libre navigation en détail. Parmi ces règlements il en est aussi un sur la navigation du Neckar, du Main, de la Moselle, de la Meuse et de 1'Escaut. Dans 1'article Ier de ce règlement la libre navigation est établie pour toutes ces rivières „du point oü chacune de ces rivières devient navigable jusqu'a leur embouchure." L'art. 7. ajoute encore la disposition auivante: „tout ce qui aurait besoin d'être fixé ultérieurement sur la navigation de 1'Escaut, outre la liberté de la navigation sur cette rivière prononcée a 1'article I, sera définitivement réglé de la manière la plus favorable au commerce et a la navigation et la plus analogue a ce qui a été fixé pour le Rhin".2) Tout cela n'était pas immédiatement nécessaire pour 1'Escaut. Car différemment du Rhin, 1'Escaut était depuis la fondation du royaume des Pays-Bas en mars 1815 un fleuve qui, en ce qui concerne sa partie navigable, était devenu territoire néerlandais. 11 n'y avait plus de différence de souveraineté entre 1'Escaut en amont et en aval de Saeftingen. Anvers possédait son fleuve qui obéissait au même roi que la ville elle-même. Aussi ne se présenta-t-il pas de difficultés au sujet de 1'Escaut. II ne fallait plus passer par un pays étranger pour atteindre la mer en venant 1) Le traité chez de Martens, Recueil VI No. 1. 2) Le traité et les règlements chez de Martens, Recueil VI No. 41. 27 d'Anvers. II n'existait pas de question de 1'Escaut, il n'y avait pas non plus de question des Wielingen. Cette situation fut naturellement modifiée sur le champ par la révolution beige de 1830. Déja par décret royal du 7 novembre 1830 Guillaume Ier déclara Ia cöte flamande et les ports d'Anvers et de Gand en état de blocus. II est vrai que le roi retira bientót ce décret a la demande de la Conférence de Londres, mais en fait le blocus et par la la fermeture de 1'Escaut demeurèrent pourtant maintenus. La situation resta telle jusqu'au règlement final de 1839. Ce règlement final fut préparé par les différents protocoles qui ont été rédigés par la Conférence de Londres. En premier lieu fut établi le protocole de janvier, qui fut adopté par Guillaume Iar mais rejeté par le gouvernement beige. Ensuite la conférence arrêta les dix-huit articles du 26 juin 1831 qui furent adoptés par la Belgique mais repoussés par les Pays-Bas. Finalement les Puissances tombèrent d'accord après la campagne de dix jours, le 15 octobre 1831, sur les vingt-quatre articles ; ils furent adoptés par Léopold Isr mais repoussés par Guillaume Iar. Ce sont ces articles qui devinrent la base du traité final avec la Belgique, lequel fut signé le 19 avril 1839. On parle habituellement du traité final. II y a a vrai dire trois traités: un traité conclu entre les Puissances et les Pays-Bas, un second entre les Pays-Bas et la Belgique, et enfin un troisième conclu entre les Puissances et la Belgique. ') Pour nous le premier est le plus important paree qu'il contient la base sur laquelle la séparation des Pays-Bas et de la Belgique a été acceptée de notre cóté. Ce qui importe immédiatement pour la question qui nous occupe, c'est que dans le traité il n'est pas fait mention 1) Les traités dans les Journaux Officiels 1839 No. 26; De Martens Recueil XX, 2, No. 59. ijolfq., 28 de la Flandre Zélandaise. Et cela est naturel puisque la Flandre Zélandaise avait appartenu depuis 1814 a la province de Zélande; en 1830 et plus tard nulle part ici on n'entendit exprimer le voeu de se joindre a la révolution beige; la Flandre Zélandaise était devenue une portion du territoire des Pays-Bas. Seulement pour le règlement de 1'écoulement des eaux des Flandres il est référé au traité susnommé de 1785, et pour la libre navigation sur 1'Escaut a 1'acte final de Vienne. De plus d'importance pour 1'avenir était l'art. IX § 2 qui introduisit sur 1'Escaut des règlements entièrement nouveaux et y diminua quelque peu le droit de souveraineté des Pays-Bas. Ce paragraphe stipule ce qui suit: „En ce „qui concerne spécialement la navigation de 1'Escaut et de „ses embouchures, il est convenu que le pilotage et le „balisage, ainsi que la conservation des passes de 1'Escaut „en aval d'Anvers, seront soumis a une surveillance commune, „et que cette surveillance commune sera exercée par des „commissaires nommés a eet effet de part et d'autre. Des „droits de pilotage modérés seront fixés d'un commun „accord, et ces droits seront les mêmes pour les navires „de toutes les nations. „En attendant et jusqu'a ce que ces droits soient arrêtés, „il ne pourra être percu des droits de pilotage plus élevés „que ceux qui ont été établis par le tarif de 1829 pour les „bouches de la Meuse, depuis la pletne mer jusqu'a Helvoet, „et de Helvoet jusqu'a Rotterdam, en proportion des distances. „Tout navire se rendant de la pleine mer en Belgique, „ou de la Belgique en pleine mer par 1'Escaut pourra „prendre a son choix tel pilote qu'il voudra; et il sera „conséquemment loisible aux deux pays d'établir dans tout „le cours de 1'Escaut et a son embouchure, les services de „pilotage qui seront jugés nécessaires pour fournir les pilotes. 29 „Tout ce qui est rclatif a ces établissements sera déter„miné par le règlement') a intervenir conformément au § 6 „ci-après. Le service de ces établissements sera sous la „surveillance commune mentionnée au commencement du „présent paragraphe. Les deux Gouvernements s'engagent, „chacun pour sa partie du fleuve, a conserver les passes „navigables de 1'Escaut et de ses embouchures, et a y „placer et y entretenir les balises et bouées nécessaires *)," Nous avons reproduit ce paragraphe textuellement tant en raison de ce qu'il contient que pour ce qu'il ne contient pas. II contient un règlement du pilotage et balisage de 1'Escaut occidental, qui accorde des droits considérables aux autorités beiges. La souveraineté des Pays-Bas sur le fleuve entier a partir de Saeftingen demeura bien intacte, mais la Belgique recut pourtant dans des services déterminés sur 1'Escaut le droit de participer a 1'administration sur un pied d'égalité avec les Pays-Bas eux-mêmes. C'était lè quelque chose d'entièrement nouveau; aussi cela doit êtreconsidéré comme une concession importante faite par Guillaume Ier; en définitive après des pourparlers de longue durée, Paccord désiré par chacune des parties intéressées ne pouvait pas échouer sur cette question. La Belgique avait grand intérêt a la navigation sur 1'Escaut; Guillaume voulait la paix; voilé pourquoi cette concession fut faite aux Beiges. Mais le paragraphe a aussi son importance par ce qu'il ne contient pas. D'abord la souveraineté des Pays-Bas sur 1'Escaut occidental n'y est pas établie expressément. Ensuite 1) Ce § 6 stipulait que des commissaires se réuniraient de part et d'autre dans le délai d'un mois pour convenir de tous règlements nécessaires. 2) Dans le § 3 de ce même article IX est réglé le péage de 1'Escaut qui est de moins d'importance dans la question qui nous occupe, puisqu'il a été racheté en 1863 par traité entre les Pays-Bas et la Belgique et ea conséquence aboli. Journal Officiel 1863, No. 117. 30 les Wielingen n'y sont pas indiqués expressément comme faisant partie des eaux fluviales néerlandaises. Mais la raison en est facile a deviner et est aussi la même dans les deux cas; c'étaient la deux choses qui allaient en efFet de soi, au sujet desquelles il n'existait pas de dinerend et qui en conséquence n'avaient nul besoin d'être réglées. Vouloir tirer du silence du traité sur ces deux questions la conclusion qu'elles étaient résolues dans un autre sens, du moins qu'elles étaient douteuses, serait aussi étrange que de vouloir prétendre que 1'indépendance du royaume des Pays-Bas n'est pas établie depuis 1839 paree qu'elle n'est pas reconnue expressément dans le traité de séparation. L'expérience a appris a tout historiën que les droits incontestés sont les plus difficiles a établir documentairement; en effet ce qui est établi et n'est mis en doute par personne est rarement fixé dans un traité, une loi ou autre document. Les Pays-Bas ont donc conservé en 1839 tous les droits qu'ils possédaient sur le Hónt en 1790 et en 1815 et qui ne pouvaient naturellement se perdre par suite de 1'uriion avec la Belgique. Or c'était 1'intention des Puissances de rétablir les anciens Pays-Bas avec tous leurs droits et toutes leurs obligations. Aussi au cours des négociations qui eurent lieu entre 1830 et 1839,1'année 1790 est-elle citée a plusieurs reprises comme le point de départ pour la délimitation des Pays-Bas. L'art 1 du traité lui-même cite expressément 1'année 1815 comme 1'année normale, dont il n'est dévié que pour la hxation de la frontière limbourgeoise. L'art. 4, qui traite du Limbourg, cite encore 1'année 1790 comme point de départ. L'art. 8 réfère même encore au traité du 8 novembre 1785 conclu entre la République et Joseph II. Ce sont la raisons suffisantes pour établir qu'en 1839 on a, a part les exceptions citées expressément, voulu rétablir les anciens Pays-Bas indépendants. 31 Avec ceci s'accorde le fait qu'aussi après 1839 les PaysBas ont continué a exercer la souveraineté sur les Wielingen. Aussi était-il évident qu'après 1839 cette souveraineté a été reconnue de fait par toutes les Puissances, la Belgique comprise. Aussi lors du règlement du balisage, on partit tacitement de 1'idée qu'il s'agissait ici d'eaux néerlandaises. Le traité de 1839, sur la révision duquel on insiste aujourd'hui passionnément du cóté beige, a été complété et modifié depuis de différentes manières. Et son exécution a été naturellement 1'objet de nombreux règlements et décrets royaux. ') Nous ne les mentionnerons pas tous, mais seulement les principaux, qui ont de l'importance pour la question des Wielingen. Déja le 23 octobre 1839 fut arrêté un règlement provisoire relatif a la surveillance commune sur le balisage et 1'éclairage et sur le service du pilotage de 1'Escaut. 2) Pour mettre fin aux difficultés qui s'étaient élevées a ce sujet, les Pays-Bas et la Belgique conclurent, le 5 novembre 1842, un nouveau traité en exécution du traité conclu a Londres le 19 avril 1839.3) Dans ce traité 1'éclairage et le balisage de 1'Escaut ainsi que le pilotage sont réglés en détail; la passé des Wielingen n'y est pas citée non plus. Déja le 20 mai 1843 il fut conclu un nouveau traité avec sept règlements y annexés 4); il s'y trouve aussi des règlements sur la navigation, le pilotage, la pêcherie etc* sur 1'Escaut: la aussi il n'est pas fait mention des Wielingen. II n'en est pas fait mention non plus dans le traité 1) voir' Tractaten en tractaatsbepalingen de Schelde betreffende sinds 1648, 'sGravenhage 1919. 8. 2) Journal officiel 1839, No. 50 Le même jour fut arrêté le règlement provisoire sur le pilotage de 1'Escaut. Journal officiel 1839, No. 51; le lendemain celui sur le droit de navigation sur 1'Escaut et ses embouchures. Journal officiel 1839, No. 52. 3) Journal officiel 1843, No. 3. 4) Journal officiel 1843, No. 45. 32 du 8 aoüt 1843 relatif a la délimitation '); dans ce traité d'ailleurs il n'est question que de la frontière terrestre des frontières de Prusse jusqu'aux Wielingen. Par le traité du 12 mai 1863 le péage de 1'Escaut fut rachetë par la Belgique pour la somme de 17.141.640 florins.J) Le 19 septembre de cette même année le pilotage de 1'Escaut fut réglé a nouveau par traité.3) Ce dernier traité est de quelque importance paree que, a la fixation des droits de pilotage, la passé des Wielingen y est mentionnée expressément comme bouche de 1'Escaut a cóté du Deurloo et de 1'Oostgat. 4) D'importance est également le traité du 31 mars 1866 pour 1'établissement d'un nouveau système d'éclairage sur 1'Escaut occidental. Par ce traité sont approuvées les dispositions signées le 26 décembre 1865 a Anvers. Dans ces dispositions il fut désigné pour les Wielingen: „A. Un bateau-feu, dans la partie extérieure de cette passé, prés de la bouée noire No. 2 dans 1'alignement de Bruges par Lisseweghe. Ce ba timent montrera un feu a éclats rouges; B. Deux feux blancs d'alignement sur la digue de mer, prés de 1'endroit dit Nieuwe Sluis". D'après l'art. 2 un autre feu placé prés du banc dit Paardenmarkt était ainsi devenu inutile et devait par suite être enlevé. La Belgique se réservait cependant le droit d'y placer de nouveau un bateaufeu. „Toutefois, ajoute le traité, le Gouvernement Néerlandais maintient la réserve qu'il a faite antérieurement a 1'occasion du placement de ce bateau." En vertu de l'art. 4 tous les bateaux-feux devaient être construits et placés par la Belgique, excepté ceux qui devaient servir sur le territoire néerlandais. 1) Journal officiel 1844, No. 12. 2) Journal officiel 1863, No. 117. 3) Journal officiel 1863, No. 136. 4) Artikel 39. 33 Le traité ne dit rien au sujet de ce qu'il faut comprendre par tenritpire néerlandais. Bref c'est a partir d'alors seulement que nous voyons apparaitre la tracé d'une question de souveraineté sur les Wielingen. Dans les dispositions d'Anvers du 26 décembre 1865 il ne se trouve rien a ce sujet. Mais dans le traité du 31 mars 1866, oü lesdites disposition* sont approuvées, se trouve cette réserve: „Quant au bateaufeu mentionné a l'art.-1 des susdites dispositions, sous A' il demeure expressément entendu que l'établissement par la Belgique de ce feu sera considéré comme ayant uniquement pour but de faciliter la navigation de nuit vers Anvers. toute question de Souveraineté réservée de part et d'autre." Voila la question des Wielingen. Mais elle n'est pas encore brülante; on ne la soulève qua peine pour 1'enterrer aussitót sans bruit. Mais elle existait et on peut facilement deviner par qui elle a été appelée a 1'existence. Evidemment par la Belgique; pour les Pays-Bas elle n'avait jamais, existé. De notre cóté, les Wielingen avaient toujours été tenus pour une eau néerlandaise; c'est ainsi que les navi^ gateurs de toutes les nations les avaient toujours coasidérés. La réserve en question n'a également de sens que si 1'on admet qu'un bateau-feu beige se trouve placé dans une eau néerlandaise, une telle réserve n'aurait a vrai dire pas de sens s'il s'était agi d'une eau beige. II est évident qu'il était loisible a la Belgique de placer un bateau-feu dan» ses propres eaux, il ne lui fallait nullement pour cela le consentement ou 1'autorisation des Pays-Bas. On ne peut donc reconnaïtre quelque sens a ladite réserve que si 1'on admet qu'elle a été faite par les Pays-Bas. Ce n'est que par. courtoisie qu'il a été admis de notre cóté que la Belgique ferait aussi une réserve semblable. En attendant il est clair que la Belgique prétendait en 1865 a la souveraineté sur les Wielingen. Sur quoi elle 34 * basait ses prétendus droits, il n'en est pas fait mention, mais il est facile de le découvrir. La question est que les Wielingen baignent la cöte de Flandre et que la Belgique peut donc avoir des avahtages spéciaux a contester les droits séculaires des Pays-Bas. II n'y avait encore, il est vrai, sur cette cöte que peu de ports d'importance. Zeebruge n'existait pas encore. Mais il existait bien des projets dans ce sens et pour 1'avenir de la cöte flamande il pouvait être important d'émettre déja des prétentions sur le fleuve qui longeait la cöte. Peut-être serons-nous peu éloignés de la vérité en admettant que le nouveau roi des Beiges, Léopold II, qui vesait de succéder a son père en 1865, ait voulu avec son esprit de prévoyance, annexer les Wielingen comme devant être dans 1'avenir une passé beige, et soit allé contester dès cette époque-la les droits néerlandais. II va de soi que ces intéréts beiges ont leur importance et qu'une prise en considération bienv*ftlante de ces intéréts de notre part constitue une politique sensée. Mais si la Belgique veut obtenir quelque chose, elle ne peut pas se réclamer de ses droits, mais seulement de ses intéréts. Car les droits des Pays-Bas sur les Wielingen sont séculaires; ils datent d'une époque beaucoup plus reculée encore que celle oü naquit la notion d'eaux territoriales. On sait que cette notion a été introduite dans le droit international par notre grand jurisconsulte Bijnkershoek. Or ce dernier vivait au 18e siècle c.-a-d. a une époque oü le droit des Pays-Bas sur les Wielingen était déja établr depuis des siècles. Après 1866 la question des Wielingen ne fut provisoirement plus soulevée. Le traité du 2 aoüt 1873 concernant 1'amélioration et 1'extension du système d'éclairage de 1'Escaut occidental 1) s'occupe aussi peu des Wielingen que 1) Journal officiel 1873 No. 132. 35 celui du 9 février 1881 concernant 1'amélioration du balisage de 1'Escaut. J) Le traité du même jour, relatifa 1'amélioration de 1'éclairage de 1'Escaut 2), trahit encore 1'existence de la question des Wielingen. L'art. Ier de ce traité stipulait le mouillage d'un nouveau bateau-feu prés du banc dit „Wandelaar"; dès que ce bateau-feu serait établi, le bateaufeu dit „Wielingen" devait être déplacé et mouillé a un endroit déterminé. Ici nous nous trouvons donc de nouveau en plein terrain contesté. Que les deux parties le sentaienï fort bien, cela résulte de 1'article suivant oü il est dit textuellement: „II est entendu quant au placement du bateau-feu prés du Wandelaar et au déplacement de celui des Wielingen que toute question de souveraineté est réservée de part et d'autre." Ainsi la question avait surgi .de nouveau des ondes grises de 1'Escaut; de nouveau elle s'y était enfoncée aussi vite qu'elle était apparue a la surface. Elle resta sous Peau lors de la conclusion du traité du 25 mars 1891 tendant a modifier et a améliorer 1'éclairage et le balisage de 1'Escaut occidental 3), et de celui du 5 avril 1905 concernant 1'amélioration de 1'éclairage de 1'Escaut occidental et de ses embouchures *). Si nous avions voulu en déduire que par la la question des Wielingen était éliminée pour de bon, nous nous serions trompés. Elle est réapparue depuis peu sous une forme si épineuse et même si menacante que le conflit depuis longtemps pendant entre les Pays-Bas et la Belgique est devenu aigu a l'extrême justement dans cette question-Ia. En Belgique en eflêt, contrairement aux Pays-Bas, on 1) Jouraal officiel 1881 No. 45 2) 1881 „ 46 3> » „ 1892 „ 170 4» g j 1906 „ 7 36 n'a jamais oublié 1'affaire des Wielingen. En temps de paix la question présentait d'ailleurs une importance beaucoup moins. grande qu'en temps de guerre. Aussi lorsqu'au commencement du mois d'aoüt 1914 la grande guerre éclata, la question de la souveraineté des Pays Bas sur les Wielingen devint tellement urgente qu'il est trés remarquable qu'on en ait si peu entendu parler a cette époque. La raison en est cependant claire: durant la guerre le gouvernement néerlandais a jugé plus opportun de ne pas étendre sa neutralité aux Wielingen, paree qu'il connaissait la vieille question et ne voulait pas, dans ces temps difficiles, soulever de nouveaux points de controverse embarrassants. Lorsqu'en aoüt 1914 1'embouchure de 1'Escaut fut barrée au moyen de mines par la marine néerlandaise, ces mines ne furent pas posées plus loin a 1'ouest que la ligne tirée par 1'embouchure de 1'Escaut en partant de Cadzand en prolongement de la frontière terrestre néerlandaise; une grande partie des Wielingen n'y était donc pas comprise. Le gouvernement beige, qui s'informa avec intérêt jusqu'oü les Pays-Bas comptaient étendre le barrage, recut cette déclaration jrassurante que des mines ne seraient pas posées dans les eaux situées a 1'ouest de la ligne susdhe, donc dans une grande partie des Wielingen, mais que tous les droits que possédaient les Pays-Bas depuis des temps reculés sur cette passé étaient cependant maintenus. Ce fait a assurément une grande importance, aussi pour les conséquences qu'il a eues durant la guerre. L'attitude du gouvernement néerlandais était certainement beaucoup trop complaisante pour ne pas dire faible. II renonca sans beaucoup de peine, semble-t-il, a des droits néerlandais établis depuis longtemps; il négligea en tout cas d'exercer ces droits. Ainsi il abandonna aux chances alternantes de la guerre des eaux qui avaient toujours été considérées 37 comme juridiction néerlandaise. Aussi a-t-il dü tolérer qu'a tour de röle les différentes puissances belligérantes aient fait des Wielingen un terrain d'opérations de guerre, surtout naturellement la Grande-Bretagne et 1'Allemagne. On concoit clairement l'importance du fait si 1'on se rappelle ce qu'a été la lutte sur la cóte flamande. Sans la possession de cette cöte la guerre sous-marine allemande aurait a peine été possible; que serait-il arrivé si cette cöte avait été isolée de la mer du Nord par une passé néerlandaise? Inversement la Grande Bretagne a passé a plusieurs reprises par les Wielingen lors de ses attaques contre Zeebruge, Ostende et autres ports de mer flamands. Des deux cötés aussi des mines furent posées dans les Wielingen, occasionnant même souvent de la gêne et du dommage a la navigation néerlandaise. Tout cela fut la conséquence de la décision prise par le gouvernement de se retirer des Wielingen au commencement du mois d'aoüt 1914. C'est pourquoi les Pays-Bas furent dans 1'impossibilité de se plaindre plus tard auprès des belligérants lorsque ceux-ci tïrent tout simplement des Wielingen un terrain d'opérations de guerre: ils avaient commencé par y renoncer eux-mêmes. Le Gouvernement pouvait certainement produire des arguments en faveur de sa facon d'agir ou plutöt de son abstention. On ne sait jamais a quoi peut mener une guerre et 1'on ne saurait nier que les Wielingen ne fussent des eaux trés exposées et par la même trés difficiles a défendre contre une violation de la neutralité. D'ailleurs qu'aurait, en fait, pu faire le gouvernement si la neutralité des Wielingen, une fois proclamée par lui, avait été violée? Aurait-il osé affronter un conflit aigu? Le peuple néerlandais se serait-il tenu uni derrière son Gouvernement si celui-ci avait risqué une lutte armée pour la défense de nos droits séculaires sur les 38 Wielingen, droits dont la plupart de nos compatriotes n'ont qu'une notion vague? II est difficile de le croire. Toujours est-il que si 1'on peut comprendre en cette circonstance 1'attitude du Gouvernement, celle-ci n'est certainement pas excusable. Le fait que les Pays-Bas se retirèrent des Wielingen dès le premier coup de canon, n'apparait pas trés héroïque. D'autant plus qu'il s'agissait la du maintien de droits néerlandais séculaires, droits que nous ne pouvons pas abandonner, auxquels on renonca, du moins alors, sans nécessité et qui en outre auraient pu aussi être défendus alors sans danger. Est-il bien certain en effet que les belligérants eussent violé la neutralité des Wielingen, si celle-ci avait été proclamée dès le début de la guerre? N'auraient-ils pas respecté notre territoire aussi bien que celui de 1'Escaut occidental, lequel apportait pourtant toutes sortes d'entraves tant aux opérations de la GrandeBretagne qu'a celles de 1'Allemagne? On ne 1'a pas essayé, ni osé, ni même demandé, paraït-il. C'est ainsi grace a la prudence timorée du gouvernement qu'on put reporter la limite des eaux néerlandaises a Cadzand et au Zwin et considérer les Wielingen comme mer libre ou, pis encore, comme mer littorale beige. Cela a tort naturellement. Car il est évident que nous n'avons pas perdu nos droits sur les Wielingen pour ne pas les avoir exercés pendant quelque temps dans des circonstances menacantes. Encore jamais droit n'a-t-il été périmé du fait que le possesseur fut empêché d'en faire effectivement usage. Aujourd'hui surtout qu'on veut dans les relations internationales faire primer le droit sur la violence, un droit ne doit et ne peut jamais être périmé par le fait que la force des circonstances a empêché de Pexercer d'une manière continue. Cependant nos droits sont aujourd'hui menacés, par le 39 même état, naturellement, qui les contestait déja autrefois. Et cela bien que la Belgique ait tout motif de prendre a 1'égard des Pays-Bas une attitude bienveillante. Est-il nécessaire que nous rappellions ici quel accueil les réfugiés beiges ont recu aux Pays-Bas ? En aucun pays Ia sympathie pour la Belgique opprimée et martyrisée n'a été si grande que chez nous, nulle part elle n'a en outre été de meiUeur aloi puisque dénuée de toute intention politique. Nulle part on ne s'est réjoui du rétablisseraent de 1'indépendance beige autant que chez nous. II est vrai que les Pays-Bas ne devaient pas compter pour cela sur la reconnaissance des Beiges — la reconnaissance est rare en ce monde et en politique c'est a peine si elle constitue un facteur de quelque valeur; mais une négligence si parfaite, un oubli si absolu de ce que les Pays-Bas ont fait pour la Belgique pendant la guerre, voila certes ce a quoi on ne pouvai* pas s'attendre, même de la part des Beiges qui sont facilement sujets a s'émotionner. II y a pis encore. Non seulement on oublia complètement les années difficiles de la guerre, mais on organisa une campagne contre les Pays-Bas, comme si ce pays s'était injustement emparé d'un territoire beige, comme s'il avait usurpé des droits beiges. Chacun sait, chacun peut du moins savoir qu'il n'y a pas un mot de vrai dans tout cela. Jamais les Pays-Bas n'ont enlevé de territoire beige a la Belgique; jamais des droits beiges n'ont été lésés par notre pays. Mais on fait croire qu'il en est ainsi paree qu'on est pris soi-même par Fimpérialisme. Au point de vue psychólogique il n'est d'ailleurs vraiment pas inexplicable que la Belgique, participant a la victoire de 1'entente, se sente grandir et désire et recherche de 1'expansion. Mais 1'explication du phénomène ne comporte naturellement pas que nous en acceptions toutes les conséquences. Au contraire, si non 40 content de défendre ses propres droits notre voisin impérialiste vient attaquer les nötres, nous avons le devoir de tenir ferme pour leur défense et leur maintien. Et cela aussi paree qu'il ne s'agit plus maintenant d'une campagne de presse, mais d'une action politique apparem ment consciente et intentionnelle du gouvernement beige. La Belgique poursuit maintenant des desseins qui sont inconciliables avec les intéréts néerlandais et qui doivent en conséquence être repoussés. II sortirait du cadre de notre exposé d'écrire 1'histoire de nos négociations avec la Belgique au cours des dix-huit derniers mois. Ces négociations sont en grande partie étrangères a la question des Wielingen, quoiqu'elles s'y rattachent souvent étroitement % La Belgique, comme on sait, a commencé par faire valoir toutes sortes de prétentions sur certaines parties du territoire néerlandais qui n'ont été beiges que passagèrement et qui en outre désirent rester néerlandaises. Après que cette revendication eüt été écartée par le Conseil des Puissances, les Pays-Bas et la Belgique furent invités a chercher, au moyen de négociations, a se mettre d'accord sur une révision du traité du 19 avril 1839, pour autant qu'il ne s'agit pas du statut territorial ni de servitudes internationales. Ces négociations eurent lieu et amenèrent pour résultat 1'établissement d'un projet de traité qui était prêt en mai dernier a être signé par les plénipotentiaires des deux états. Rien ne nous empêché de constater qu'au cours de ces négociations les Pays-Bas firent des concessions trés importantes afin d'établir pour 1'avenir des relations bonnes et durables avec notre voisin du Sud. En ce qui concerne les canaux vers le Moerdijk et vers le Rhin, canaux que désirait la Belgique, 1) Nous suivons principalement iet la déclaration gouvernementale du 3 juin 1920, tout en ayant aussi recours a d'autres documents qui ont été publiés relativement a cette question, 41 les Pays-Bas se sont montrés trés conciliants. Quant a 1'Escaut, les droits des Beiges ont été étendus dans une large mesure. Alors que jusqu'a présent il n'existait qu'une commission mixte pour le pilotage et le balisage, il sera institué pour 1'Escaut une commission de gestion qui prendra soin des affaires de ce fleuve en ce qui concerne la navigation. Comme cette commission sera aussi formée d'un .nombre égal de représentants des deux pays intéressés, il est clair qu'ici aussi les droits des Pays-Bas se trouvent diminués dans la mesure oü ceux de la Belgique sont augmentés. Dans le projet de traité aucune disposition, a ce que 1'on dit, ne fait mention des Wielingen. 11 aurait póurtant dü en être autrement a coup sur si la question avait eu autant d'importance qu'on le présente maintenant du cóté beige. Peut-être aussi a-t-on laissé dormir la question a dessein, paree qu'en réalité elle n'a encore jamais donné lieu a des difficultés d'ordre pratique. Ou bien — et Pattitude présente de la Belgique justitie cette hypothèse, — peut-être a-t-on laissé a dessein 1'affaire des Wielingen a I'arrière-plan paree qu'on voulait la tenir en réserve comme moyen de mettre, si nécessaire, un baton dans les roues du char diplomatique. Cela ne veut pas dire que la question des Wielingen n'ait pas été mise sur le tapis au cours des négociations qui eurent lieu a Paris. Mais elle y a été mise absolument de la même manière qu'autrefois; on 1'a considérée et on 1'a laissée telle qu'elle était, sous réserve des droits réciproques. Déja en octobre 1918, donc avant la conclusion de l'armistice, le gouvernement beige adressa a notre gouvernement une note dans laquelle, se basant sur ce qui avait eu lieu durant la guerre, il exprima 1'opinion que le gouvernement néerlandais considérait apparemment comme 42 une eau beige la partie des Wielingen qui baigne Ia cóte de Belgique. II ne fat pas alors envoyé de réponse a cette note et cela paree que par suite de la conclusion de l'armistice, de 1'évacuation de la Belgique par les Allemands et des revendications nouvelles des Beiges, la question néerlando-belge entrait peu après dans une phase entièrement nouvelle. Cela se comprend, mais il est bien évident qu'ici aussi silence ne signifie pas adhésion. Ensuite commencèrent les négociations a Paris. La question des Wielingen y a bien été effleurée une fois par la délégation beige, mais n'est pas devenue 1'objet de pourparlers spéciaux. Ce n'est qu'en décembre 1919 qu'une question de rédaction concernant un article du traité économique rappela le problème. On s'est efforcé alors de part et d'autre d'écarter du traité tout ce qui pouvait préjuger la question de la souveraineté des Wielingen. On y réussit aussi. D'un commun accord on convint a Paris de ne pas statuer sur les Wielingen, c'est-a-dire, nous insistons sur ce point, justement sur la question au sujet de laquelle les négociations se sont trouvées finalement arrétées. Des pourparlers tenus il resulta cependant — il va de soi qu'il était impossible a la délégation néerlandaise d'adopter ce point de vue, — que les Wielingen étaient considérés par la Belgique comme étant une eau incontestablement beige. C'est pourquoi la délégation beige, d'ordre de son gouvernement, exprima le voeu que tout doute fat levé pour 1'avenir a 1'égard de ce point trés contesté. Comme il était justement impossible aux Pays-Bas de satisfaire en cela aux désirs beiges, pareille déclaration des Pays-Bas n'aurait eu aucun résultat. C'est pourquoi la délégation néerlandaise, autorisée a eet effet par le gouvernement, se déclara disposée a négocier au sujet du point contesté; elle se déclara en outre prête a tout arrangement raisonnable 43 et présenta même quelques solutions au problème. On se déclara de notre cóté prêt a renoncer a la plénitude des droits néerlandais et 1'on proposa un règlement aux termes duquel les Wielingen ne seraient pas considérés comme une eau néerlandaise, mais comme un fleuve frontière. Partant de ce point de vue on aurait alors pu partager les Wielingen suivant le système souvent appliqué du thalweg du fleuve c.-a-d. de la frontière de profondeur. De Ia sorte la Belgique aurait été avantagée sans qu'il en résultat un trop grand dommage pour les Pays-Bas; de la sorte Flessingue aurait pu conserver sa communication propre avec la mer du nord et en même temps Zeebruge aurait pu acquérir un acces propre a la mer. La délégation néerlandaise proposa également de laisser 1'affaire telle qu'elle était puisqu'elle n'avait pas donné lieu a une seule difficulté d'ordre pratiquc dans le passé. Finalement nous avons proposé de soumettre tout le difïérend a 1'arbitrage. On aurait pu s'attendre avec raison a ce que cette dernière idéé au moins, partagée par la masse et présentant donc de grands avantages pour une diplomatie sensée, fut acceptée immédiatement par le gouvernement beige. Tel ne fut cependant pas le cas; la Belgique revendiqua la souveraineté sur les Wielingen, droit auquel il était impossible aux Pays-Bas de renoncer sans se faire un tort sérieux a eux-mêmes. Cependant au commencement de mars de cette année une autre idéé, déja émise précédemment par la délégation néerlandaise, fut de nouveau présentée. La délégation beige fit, elle-même cette fois, au nom de son gouvernement, la proposition de laisser la question des Wielingen elle-même sans solution, étant entendu cependant que la Belgique ferait a la Commission des XIV, devant laquelle les négociations avaient eu lieu, une déclaration exposant le point de vue beige a ce sujet. Avec 1'autorisation du 44 gouvernement néerlandais notre délégation se déclara prête a accepter cette proposition, naturellement sous cette réserve que la délégation néerlandaise ferait également de son cóté une déclaration analogue a la Commission des XIV a 1'égard du point de vue néerlandais. Le tout fut accepté par la Belgique. Ainsi la question était donc de nouveau écartée. Du moins il semblait qu'il en fut ainsi. Au début tout alla a souhait et conformément au programme. Les deux délégations prièrent le Président de la Commission des XIV de convoquerune réunion; a cette séance devait être remis le projet de traité entre les Pays-Bas et la Belgique avec le rapport y annexé; ce traité devait être alors présenté aux XIV; enfin les deux déclarations relatives a la question des Wielingen devaient y être remises et discutées. La réunion en question fut fixée au 23 mars. Les délégations beige et néerlandaise y firent consécutivement leurs déclarations au sujet des Wielingen. Les deux pays maintinrent le point de vue adopté auparavant et revendiquèrent chacun pour soi la souveraineté sur cette passé. II est évident que les deux délégations ont continuellement délibéré sur ces déclarations, leur tendance et leur contenu. . Le Conseil des XIV prit acte des deux déclarations et décida qu'il en serait fait mention dans le rapport a émettre par les XIV. La délégation beige demanda ensuite a pouvoir commenter encore sa déclaration par une note ultérieure qui pourrait être annexée au procés-verbal de la séance. La délégation néerlandaise y consentit en se réservant le droit de répondre de son cóté et en son temps a cette note ultérieure par une note explicative. C'est ce qui eut lieu. La note ultérieure de la Belgique fut envoyée aux XIV le 31 mars, celle des Pays-Bas le 3 mai. C'est a cette note néerlandaise du 3 mai que la Belgique 45 fait appel pour insinuer que ce sont les Pays-Bas et non la Belgique, qui en mettant en avant la question des Wielingen, ont causé la suspension des négociations et retardé considérablement la révision du traité de 1839. II n'est vraiment pas besoin d'une démonstration ingénieuse et subtile pour se rendre compte combien sont faibles les raisons qui servent de fondement a cette accusation absurde. En effet notre note du 3 mai n'était en quelque sorte qu'un contre-coup de la note beige du 31 mars; les deux notes ne constituaient de leur cóté que le commentaire et le développement des notes que les deux parties avaient remises en date du 23 mars. Que les Beiges aient été surpris par notre note du 3 mai, cela est inimaginable: cette hypothèse trahirait dans la conduite d'importantes négociations diplomatiques une négligence que nous jugeons a peine possible chez des hommes d'état beiges et que pour cette raison nous ne pouvons admettre. L'affaire est justement 1'inverse de ce qu'on la présente; notre note du 3 mai n'ouvrait pas mais fermait justement 1'incident. La question des Wielingen sembla donc provisoirement terminée encore une fois. Le cours ultérieur des choses confirma entièrement cette manière de voir. En effet cette question épineuse étant terminée on allait pouvoir passer a 1'établissement définitif du traité. Aussi le 19 mars la délégation néerlandaise fut-elle invitée par ses collègues beiges a une réunion devant avoir lieu a Paris le 21 mai. La délégation néerlandaise se rendit promptement dans la capitale francaise afin de mettre, comme elle pouvait a bon droit s'y attendre, la dernière main au nouveau traité avec la Belgique. Elle fut fort décue dans cette attente. A Paris le 21 mai il ne fut plus question de négociations; au lieu de terminer 46 définitivement les négociations par un traité, les Beiges les interrompirent. En effet avant même qu'il put être dit ou fait autre chose, la délégation beige donna lecture d'une lettre adressée au président des XIV et faisant connaitre que le gouvernement beige arrêtait les négociations. Comme motif de cette manièred'agir tout a fait inattendue il indiquait ... la note néerlandaise du 3 mai, disant que le différend sur les Wielingen, suscité par cette note du gouvernement néerlandais, empêchait la Belgique de procéder avec les Pays-Bas a une révision du traité de 1839. La délégation beige donna simplement lecture de la lettre; ces messieurs de la délégation néerlandaise n'avaient qu'a se taire; les Beiges déclaraient ne pas être autorisés a discuter. II est probable que la délégation néerlandaise aura été fort étonnée en entendant cette communication aussi inattendue qu'inoüie. Elle exprima ... disons son étonnement, pour ne pas employer un autre terme, qu'elle-même dut certainement avoir aussi a la bouche. En effet, la déclaration de la délégation beige était en compléte contradiction avec ce qui avait déja été convenu d'un commun accord après consultation des gouvernements intéressés, et qui devait donc être considéré comme établi. La preuve que la délégation néerlandaise avait immédiatement saisi 1'intention de la délégation beige, c'est qu'elle constata sur-lechamp qu'il ne pouvait plus être question de suspendre les négociations, puisque celles-ci, a part quelques règlements de forme, avaient été menées a leur fin. Les Pays-Bas peuvent envisager cette fin avec une conscience tranquille et 1'avenir sans trop de souci. Ce qu'il importe, en effet, de faire ressortir et Ce dont le peuple néerlandais doit bien se pénétrer, c'est que ce ne sont pas les Pays-Bas, mais la Belgique qui est intéressée a la révision des traités de 1839. Ces traités, une fois qu'on 47 se fut rallié chez nous a 1'idée de la cession de la Belgique, n'étaient pour notre pays ni désavantageux, ni nuisibles; en ce qui concerne les rapports des deux pays, des arrangements furent alors pris et des dispositions furent arrêtées qui non seulement ne présentèrent pas d'inconvénient pour les Pays-Bas, mais qui ont même été profitables a notre pays. Celui-ci n'a jamais désiré la révision des traités de 1839; la Belgique par contre en avait le désir et pour autant que la réalisation de ces désirs beiges était ou pouvait être mise en accord avec les intéréts néerlandais, notre gouvernement et notre peuple ne s'y sont jamais opposés; qu'on se rappelle le rachat du péage de 1'Escaut au sujet duquel les Pays-Bas ne se sont vraiment pas montrés intéressés. Peut-être en certaines occasions aurait-on pu de notre cóté se montrer un peu plus prévenant envers les Beiges, mais par contre il faut dire que les Beiges non plus n'ont pas toujours fait tout ce que 1'on aurait pu attendre d'eux dans leur propre intérêt. Mais indépendamment de cela la Belgique est beaucoup plus intéressée a une révision des traités de 1839 que les Pays-Bas. On peut même dire que la révision entraine des inconvénients tout particuliers pour les Pays-Bas. Justement paree que les Pays-Bas y ont peu d'intérêt et que la Belgique en a beaucoup, cette révision finira probablement par des concessions de la part des Pays-Bas a la Belgique. Aux cours des négociations a ce sujet la Belgique se pose toujours en demanderesse, les Pays-Bas en défendeurs; or 1'expérience apprend combien ce dernier róle est difficile a tenir si 1'on veut conserver la paix; d'une facon presque inévitable cela finit par des concessions plus ou moins hatives faites a des demandes qui parfois ne sont vraiment pas non plus déraisonnables. Depuis 1830 la Belgique a vu son développement s'acr 48 croltre dans une mesure considérable; elle est devenue un marché économique important dans le monde. Comme tout peuple qui se développe, la Belgique a cherché et aussi acquis de 1'expansion. Elle a profité dans une large mesure de sa situation favorable pour faire d'Anvers, de même qu'au seizième siècle, une métropole commerciale d'importance mondiale. Consciente de cette importance elle rivalise avec les Pays-Bas comme centre du haut commerce a 1'embouchure des fleuves de 1'Europe centrale. Mais elle veut davantage et prétend non seulement égaler mais dépasser les Pays-Bas. De même qu'au seizième siècle, le centre du commerce aux Pays-Bas doit de nouveau, croit-elle, se déplacer vers le sud. Les Pays-Bas, il est vrai, ont tiré pendant plus de deux siècles de grands profits de leur situation extraordinaire* ment favorable a 1'embouchure des grands fleuves qui ont un arrière-pays trés étendu. La Belgique, située un peu moins favorablement, offre cependant d'autres avantages que les PaysBas n'ont pas: elle a une industrie d'importance mondiale; elle a aussi concentré son haut commerce dans un grand port unique, Anvers. Mais 1'embouchure du fleuve d'Anvers se trouve en possession des Pays-Bas et quoique au cours du siècle dernier cela n'ait jamais causé en fait aucune difficulté ni aucun dommage, on sent chez nos voisins une tendance a se rendre maitres de 1'embouchure de 1'Escaut A chaque instant la Belgique s'efforce dé s'emparer des droits sur 1'Escaut et nous avons a nous opposer a ces exigences de la part des Beiges. Et cela non pas paree que nous désirons diminuer les droits de la Belgique, mais paree que nous voulons maintenir nos propres droits. Finalement nous devons rester maitres cbez nous. Et nous ne pourrons plus 1'être tant que sera contestée notre souveraineté sur 1'embouchure de 1'Escaut. Elle est rigoureusement exacte la parole du Ministre des Affaires 49 Etrangères disant le 3 juin a la Seconde Chambre: „qui dit Wielingen dit Escaut, qui dit Escaut dit Zélande, qui dit Zélande dit Pays-Bas". Qu'il en est bien ainsi, cela est encore résulté des négociations de 1'année dernière. Dans la gestion de 1'Escaut nous avons dü céder a la Belgique des droits plus étendus qu'il n'était vraiment compatible avec notre souveraineté sur ce fleuve. En ce sens ce n'est donc nullement une calamité que les négociations aient été rompues; la Belgique seule, et non les Pays-Bas, peut gagner a une révision des traités. En se placant au point de vue néerlandais il n'y a doncaucun inconvénient a laisser reposer provisoirèment la question de la révision des traités. La facon dont les négociations ont été interrompues, a savoir par la Belgique, ne présente d'ailleurs pas de grands inconvénients pour les Pays-Bas. Ce n'est qu'a la dernière extrémité que ceux-ci auraient pu se résoudre a brusquer ainsi la situation, car nous ne pouvions encourir le reproche de rester sourds et aveugles a 1'égard des intéréts beiges. Cette difficulté nous a été évitée par 1'attitude que le gouvernement beige a cru pouvoir prendre a notre égard. Nous sommes donc actuellement redevenus libres et cela sans que nous ayons a encourir le blame de vouloir priver autrui de cette liberté a laquelle nous aspirons nous-mêmes. Mais naturellement les négociations ne sont que suspendues, nous sommes a tout moment prêts a les reprendre. La rupture s'est en outre produite sur une question qui est de la plus grande importance pour notre pays, mais qui n'a pas été soulevée par nous et dont le règlement aurait peut-être exigé de nouvelles concessions de notre part. Et toute concession au sujet des Wielingen entraine pour nous de trés graves inconvénients. II importe de ne jamais oublier en quoi consiste Ia question des Wielingen. 50 Ges eaux constituent la seule voie utilisable donnant accès a notre territoire de 1'Escaut et au port de Flessingue. Ce territoire et ce port sont indispensables pour nous tant au point de vue historique que national. Le territoire de 1'Escaut, c'est-a-dire la province de Zélande, est rattaché a la Hollande depuis les temps les plus reculés et fait depuis des siècles partie intégrante des Pays-Bas. La Zélande, la patrie de nos grands hommes de mer, Flessingue, la ville natale de 1'amiral de Ruyter, sont unies indissolublement aux Pays-Bas. De quelle importance elies étaient, Elisabeth le comprit bien lorsqu'elle mit en 1585 la main sur Flessingue, la France le comprit aussi en prenant Flessingue en 1795, Napoléon le comprit enfin lorsqu'il annexa en mars 1810 la Zélande entière a la France. Maintenant encore la Zélande constitue vers le sud le rempart des Pays-Bas; le Néerlandais qui ne le comprendrait pas n'a qu'a demander a 1'étranger, de préférence a 1'étranger ennemi, de quelle importance est le territoire de 1'Escaut. Cela prouve 1'intérêt capital qu'a notre patrie a avoir en toute sécurité les Wielingen en sa possession. Cette possession vaut la peine d'être défendue, non seulement paree qu'elle remonte historiquement loin dans le moyen-age, mais aussi paree qu'elle a encore actuellement la même importance qu'au temps oü la Hollande lutta pour 1'obtenir contre Ia Flandre. Encore une fois nous ne songeons nullement a léser les droits beiges; nous ne 1'avons jamais fait dans les Wielingen; il n'y a jamais eu pratiquement de difficultés importantes. La situation peut demeurer sans changement, pourvu qu'il y ait de part et d'autre confiance dans les intentions réciproques. Cette confiance a toujours existé depuis 1839, ce n'est que dans ces derniers temps qu'elle a été troublée par les excitations d'une certaine presse. Cest a cela qu'il faut commencer par mettre fin si 51 les Pays-Bas veulent pouvoir négocier avec la Belgique au sujet des Wielingen. Qu'en attendant le gouvernement soit tranquille. II le peut paree qu'il n'a pas le moindre intérêt a voir modifier la situation. Et une fois les négociations de nouveau engagées, qu'il se montre fort de son droit. Enfin que notre peuple comprenne qu'il s'agit ici d'un grand intérêt national qui doit être maintenu contre la défiance et la mauvaise volonté. Les Wielingen doivent rester ouverts a notre flotte, de même qu'ils 1'étaient a celle de 1'amiral de Ruyter.