L'ARC-EN-CIEL POËSIES A;L'USAGE DES ÉCOLES COURS GRADUÉ EN QUATRE SÉRIES RECUEILLIES ET ARRANGÉES PAE J. H. SAUVEUR Professeur de Langue et de Littérature Francaises au Lycée Moderne de Haarlem DEUXIÈME SÉBIE DEUXIÈME ED1TION HAARLEM H. D. TJEENK WILLINK & PILS L'AROEN-CIEL L'ARC-EN-CIEL POÉSIES A L'USAGrE DES ÉCOLES COURS GRADUÉ EN QUATRE SÉRIES BECUEILLIES ET AEBANGÉES PAK J. H. SAUVEÜK Professeur de Langue et de Littérature francaises au Lycée Moderne de Haarlem DEUXIÈME SÉRIE DEUXIÈME ÉDITION HAARLEM H. D. TJEENK WILLINK & FILS 1918 BOEK-, COURANT- EN STEENDRUKKERIJ G. J. TNIEME, NIJMEGEN. VOORBERICHT. Op verzoek van den uitgever stelde ik dit Fransch werkje samen in den geest van „The Rainbow* en ,Der Regenbogen", respectievelijk van de heeren Drs. A. S. Kok en G. van dbe Waals. Daarbij liet ik mij leiden door de volgende beginselen: 1°. De geheele inhoud dient uit geschikte lectuur te bestaan; geen stukken mogen derhalve worden opgenomen, of ze moeten met jongelui gelezen kunnen worden. 2°. De opvolging in de vier deeltjes moet in overeenstemming met ontwikkeling en leeftijd gebracht worden, 3°. De bundels moeten in. ieder opzicht aanlokkelijke lectuur bevatten. 4°. In de beide laatste deeltjes, voor de hoogste klassen bestemd, moeten zooveel mogelijk stukken in hun geheel worden opgenomen ten einde bij het onderwijs in de letterkunde gebruikt te kunnen worden. 5°. Er dient op gelet te worden, dat de deeltjes ook stukken bevatten geschikt tot memoriseeren en het maken van kleine opstellen. Haarlem, d' r"-'""laar- 1910. J. H. SAÜVEÜR. VOORBERICHT VOOR DEN TWEEDEN DRUK. Eenige gedichten, die mij in de praktijk te moeilijk zijn gebleken voor onze leerlingen, heb ik door andere vervangen. Ook de aanteekeningen aan het einde van dit deeltje heb ik eenigszins uitgebreid. Voor het overige verwijs ik naar het voorbericht voor den eersten druk. Haarlem, 1918. De Verzamelaar, J. H. s. TABLE DES MATIÈRES. NATURE. Page. Sagesse Paul Veblaine 3 Premier Sourire dn Prin- temps Théophilb Gautieh 3 Saison des Seraailles Victob Huao 5 Mars Alfred de Musset 6 Lee Cerises Fbahcois-Albx. Pibdaqhel 6 Chanson des Brises Louis Bouixhbt 7 La Fenille J. F. M. Boibabd 9 La Fleur Charles-HubshtMjxlbvotb 9 Octobre Louis-Honoré Fréchette. 10 L'Automne Alphonsk de Lamartine. . 10 Janvier M. Babillot 12 La Terre Jean Richkpin 13 Le Colibri Georqes Boctelleau .... 15 La Bergeronnette André Theubiet 15 Le Roitelet „ 16 La Source Théophile Gautieb 17 Promenade sur 1'Ean André Theubiet 18 La Mer Alphonsb de Lamartinb.. 19 Ooeano Nox Jbah Richepin 21 La Chanson du Fer Albebt Delpit 23 Voijc secrètes Edoüabd Gbenieb 24 Larme et Perle Prospeb Blancheuain. ... 25 La Rose Albert Montémont 26 PORTRAITS, DESCR1PT10NS, TABLEAUX, CONTES ET LÉGENDES, POÉSIES DIVERSES. Page. Le petit Mar in Sophie Hue 29 A mon Fils Abmand Masson 30 Le Moineau et la Colombe. Gbenus 31 L'Amitié Eugène de Lonlay 32 Conseil Sully Pbüdhomme 32 La Diligence 33 Dans la Rue Fbakqois Coppéb 33 Lorsque 1'Enfant paralt.. Victob Hüoo 34 Le Roi au Monlin 36 Rêves ambitieux Joséphin Soulaby 38 Les deux Routes Alfbed de Musset 38 L'Enfant aveugle Mlle Sassebho 39 Retour Ahdbé Lemoyhe 40 Les Lapins Lehebt 41 Les petits Loups A. de Chatilloh 45 A ma Fille Mme Chaude Auqé 47 Epouvantail Josephih Soulaby 48 Le Pendu Mac Nab 49 Le Mandat-Poste 50 La Plainte d'une Momie . Louis Bouilhbt 52 Le Diamant Emile Deschamps 54 Les cinq Aetes de la Vie. La pbincesse de Salm ... 56 Maimon X*** 57 Le Parasite congédié .... Piebbe Capblle 58 Au Bains de Mer Fbahqoib Coppée 59 Les Chateaux en Espagne. d'après Colli»d'Hablevillb 60 Pour les Pauvres Victob Hugo 62 L'Un ou L'Autre Fbahoois Coppée 64 Les Hirondelles Piebbe-Jean db Bébanoeb 66 Première Douleur Jean Reboul 67 Le Baiser (Tune Mère.... Les trois Gosses Une Idéé de Maitre Jean. Les Souvenirs du Peuple. Un Evangile Les Bottines La petite Mendiante La Chanson du Rouet.... L'Enseigne du Cabaret... L'Anniversaire La Glu Est ce que les Oiseaux se cachent pour mourir ?.. Trois Jours de Christophe Colomb La Tombe et la Rose.... Le pauvre Matelot Le vieux Vagabond La Mère et ses deux Fila. Les deux Lièvres A Duperrier sur la Mort de sa Fille L'Ecole buissonnière Ne pleure pas Un Nid brisó Mort de Jeanne d'Arc ... Le petit Mitron Les Fourmis Le Coffret Waterloo Page. H. H. Bramtot 69 Michkl Carré 70 Jean Aicabd 71 Pierrf-Jean de Béranger 72 Franijois Coppéb 74 Alphonse Daüdet 76 Boucher de Perthes .... 78 Leconte dx Lible 79 Pierre Lachambeaudie. .. 80 Ciiables-HdbebtMixi 53. Régnier, M > 113 (6). Régnier, H. de „ 101. Rodenbach, G , 79. Rouget de 1'Isle ■ Ml- Rousseau, J. B „ 88. Richepin, J 12, 19, 64. Salm, La Princesse de ... , 45. Sasserno, MUe a 35. Soulary, J 33, 40. Sully Prudhomme , 28, 29, 75. Theuriet, A 14, 15, 17, 74. Vassé • 113 (5). Verlaine, P » 1. Yirenque, C „ 112. Voltaire, F. M. A. de , 113 (23). NATURE. 316 frappe nos sens par diversea images. Deltllk. i I SAGESSE ') Le ciel est," par dessus le toit, Si bleu, si cal me! Un arbre par-dessus le toit Berce sa palme. La cloche, dans le ciel qu'on voit Doucement tinte. Un oiseau sur 1'arbre qu'on voit, Chante sa plainte. Mon Dieu, mon Dieu, la vie est la, Simple et tranquille. Cette paisible rumeur-la Vient de la ville. — Qu'as-tu fait, 6 toi que voila Pleurant sans cesse, Dis, qu'as-tu fait, toi que voila De ta jeunesse? ■ PitTL VkRLAINE. II PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS. Tandis qu a leurs oeuvres perverses Les hommes courent haletants, Mars qui rit, malgré les averses, Prépare en secret le printemps. ■) Voir notes et explications, page 155. 4 Premier Sourire du Printemps. Pour les petites paquerettes, Sonrnoisement lorsque tont dort, II repasse des collerettes Et cisèle des boutons d'or. Dans le verger et dans la vigne, II s'en va, furtif perraquier, Avec une honppe de cygne, Poudrer a frimas 1'amandier. La nature au lifse repose; Lui, descend au jardin désert Et lace les boutons de rose Dans leur corset de velours vert. Tout en composant des solfèges, Qu'aux merles il siffle a mi-voix, 11 sème aux prés les perce-neige Et les violettes aux bois. Sur le cresson de la fontaine Oü le cerf boit, 1'oreille au guet, De sa main cachée il égrène Les grelots d'argent du muguet. Sous 1'herbe, pour que tu la cueilles, II met la fraise au teint vermeil, Et te tresse un chapeau de feuilles, Pour te garantir du soleil. Puis lorsque sa besogne est faite, Et que son règne va finir, Au seuil d'avril tournant la tête, II dit: .Printemps, tn peux venir!* Théophilï Gaotibb 1811—1872. Saison des Semailles. 5 in SAISON DES SEMAILLES. (J'est le moment crépusculairé. J'admire assis sous un portail, Ge reste de jour dont s'éclair e La derniöre heure da travail, Dans les terres, de nuit baignées, Je contemple, ému, les hai 11 ons D'un vieillard qui jette a poignées La moisson future aux sillons. Sa haute silhouette noire Dom ine les profonds labours. On sent a quel point il doit croire A la fuite utile des jours. II marche dans la plaine immense,' Va, vient, lance la graine au loin, Rouvre sa main, et recommence, Et je médite, obscur témoin, Pendant que, déployant ses voiles, L'ombre, oü se méle une rumeur, Semble élargir jusqu'aux étoiles Le geste auguste du semeur. Victob Hugo 1802—1885. 6 Mars. IV MARS: Le carnaval s'en va, les roses vont éclore; Sur les flancs des coteaux déja court le gazon. Cependant da plaisir la frileuse saison Sous ses grelots légers rit et voltige encore, Tandis que, soulevant les voiles de 1'aarore, Le printemps inquiet paralt a 1'horizon. Da paavre raois de mars il ne faut pas médire, Bien que le laboorenr le craigne justemênt. v L'anivers y renait; il est vrai que le vent, La pluie et le soleil s'y disputent 1'empire. Qu'y faire ? Au temps des fleurs le monde est un enfant, Cest sa première larme et son premier sourire. Alfbed de Musset 1810—1857. V LES CERISES. Au flaneur, le long du marché, Mai, qui sourit, fait des surprises: Far hasard m'étant approché, J'ai vu les premières cerisés! Ces beaux fruits, ronds, brillants, charnus, Sar des lits épais de fougère, Pour nous tenter sont revenus Avec la fraise bocagère. Dès ce soir, les petits enfants Aux lèvres pures et vermeilles, Après leur diner, triomphants, Se metfront des pendants d'oreilles. Les Cerises. Plas' tiird, dépouillant les buissons, Et barbouillés du jus des müres, lis iront jaser, gais pinsons, A 1'ombre des vertes ramures. Mais mon coeur se serre. — Pourquoi? — Je songe a ma lointaine enfance, Aux rires de si bon aloi, Pleins de naïve insouciance ... En ce temps, ma mère a son cou Me prenait (ó douceurs exquises!) Et, tres fier d'un bonquet d'un sou, J'avais les premières cerises 1 Fbahoozb-Alxxandrk Pixdagnel 1831—1903. VI CHANSON DES BRISES. Réveillez-vous, arbres des bois! Tressaillez tontes a la fois, Förets profondes! Et; loin des rayons embrasés, A la fraïcheur de nos baisers Livrez vos ondes. Aimez-nons! Chantez tous, Pins et boux, Fougères! Nous passons, Nous glissons, Nons valsons Légères! 8 Chanson des Brises. Oh! comme avec un bruit joyenx Nos ailes battent sous les cieux, Grandes ouvertes! Ohl le délire et la douceur De se rouler dans 1'épaisseur Des feuilles vertes! Quels donx sons! Les chansons Des pinsons, Des merles! Bois bénis, Tons vos nids Sont garnis De perles! Quand nous anrons quelques instants Joué sous les berceaux flottants De vos ramures, Nous reviendrons dans les cités Mêler un peu de vos gaités A leurs murmures. ' Ouvrez-vous Devant nous, Pins et houx, Pongères! Nous passons, Nous glissons, Nous valsons, Légères! Louis Bouiliiet 1822—1869. La Feuille. — La Fleur. 9 VII LA FEUILLE. De la tige détachée Pauvre feuille desséchée Oü vas-tu? — Je n'en sais rien. L'orage a frappé le chêne Qui seul était mon soutien. De son inconstante haleine Le zéphir ou 1'aquilon Depuis ce jour me promène De la forêt a la plaine De la montagne au vallon. Cédant au vent qui m'entraine, Sans me plaindre ou m'effrayer, Je vais oü ra toute chose, Oü va la feuille de rose Et la feuille de laurier. J. F. M. Boisakd 1743—1881. VIII LA FLEUR. Fleur mourante et solitaire, Qui fus 1'honneur du vallon, Tes débris jonchent la terre, Dispersés par 1'aquilon. La même faux nous moissonne; Nous cédons au même Dieu: Une feuille t'abandonne, Un plaisir nous dit adieu. Cbaque jour, le temps nous vole Un goüt, une passion; Et chaque instant qui s'envole Emporte une illusion, 10 OeCÓbre. — L'automne. L'homme, perdant sa chimère, Se demande avec douleur: Quelle est la plus éphémère De la vie ou de la fleur. Chakles-Hubert Muxivoye 1782—1816. IX OCTOBRE. Les feuilles des bois sont rouges et jannes, La forêt commence a se dégarnir; L'on se dit déja: 1'hiver va venir, Le morose hiver de nos froides zones. Sons le vent du nord tont va se ternir... II ne reste plus de vert que les aulnes, Et que les sapins dont les' sombres cönes Sous les bl'ancs frimas semblent rajeunir. Plus de chants joyeus, plus de fleurs nouvelles Aux champs moissonnes les lourdes javelles Font sous leur fardeau crier les essieux. Un brouillard dormant eouvre les savanes; Les oiseaux s'en vont, et leurs caravanes Avec des cris sourds passent dans les cieux. Lotjis-Honohé Fbéohitte 1839. X L'AUTOMNE. Salut, bois couronnés d'un reste de ver dure! Feuillages jaunissants sur les gazons épars! Salut, derniers beaux jours! Le denil de la nature Convient a ma douleur, et plalt a mes regards. U Automne. 11 Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire; J'aime a revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil palissant, dont la faible lnmière Perce a peine a mes pieds 1'obscurité des bois. Oui, dans ces jours d'automne oü la nature expire, A ses regards voilés je trouve plus d'attraits; C'est 1'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais. Ainsi, prêt a quitter 1'horizon de la vie, Pleur ant de mes longs jours 1'esp oir é Van oui, Je me retourne encore, et d'un regard d'enrie. Je contemple ces biens dont je n'ai pas joui. Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau! L'air est si' parfumé! la lumière est si pure! Aux regards d'un mourant le soleil est si beau! Je voudrais maintenant vider jusqu'a la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel: Au fond de cette coupe oü je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de mieL Peut-être 1'avenir me gardait-il encore Un retour de bonbeur dont 1'espoir est perdu. Peut-être, dans la foule, une ame que j'ignore Anrait compris mon ame, et m'aurait répondu. La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire; A la vie, au soleil, ce sont la ses adieux: Moi, je meurs; et mon ame, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux. ALPHON8X DX XiAMAItTINE 1791—1869. 12 Janvier. XI JANVIER. Baton en main, barbe de glacé, Voici le vieux Janvier Cheminant avec sa besace, Suivi d'un loup-cervier; II va, parconrant les campagnes, Boire tous nos ruisseaux! De neige il convre nos montagnes Et fait peur aux oiseaux! Apporte un fagot, Marguerite; Gasse dn bois, fais un bon feu! O mon Dienl Bien heureux celui qui s'abrite Qnand, rbiver, le ciel est si bleu! Déja le givre met des franges D'argent a nos volets; La fouine déserte les granges Et saigne nos poulets. La-baut, la grande étoile brille, L'étoile de 1'hiver! Dans 1'atre le bois vert pétille Et fait un grand feu clair. Hélas! quand des glacés polaires Descend le vieux Janvier, Ses yeux mornes ont des colères Qui font peur au bouvier! On ne voit plus de feuilles mortes; Le vent siffle aux buissons, Et se glisse a travers les portes De nos vieilles maisons! La Terre. 13 Des filles avec des serpettes S'en vont, fronts cbevelus, Dans les bois, couper des branchettes Qni ne flenriront plas. Pour réchanffer mainte familie Que bleuirait le froid, La forêt veut que le feu brille, Le soir, sous le vieux toit. Les animaux ont leur fourrure, Les blés ont les sillons. Plaignons, au temps de la froidure, Les pauvres en haillons. Janvier, père de la misère! L'indigent est sans feu; De ses larmes fais un rosaire Pour le porter a Dieu! Mais donne un fagot, Marguerite; Casse du bois, fais un bon feu! Prions Dieu! Bien heureux celui qui s'abrite Quand, 1'hiver, le ciel est si bleul H. Barillot 1818. xn LA TERRE. Chantons aussi la vieille terre! Elle a du bon: C'est elle qui fait du charbon Et le cidre qni désaltère. Elle a du bon, Chantons la terre! 14 La Terre. Chanto)is ,aussi la vieille terre, Mère da pain, Mère da chêne et da sapin! Elle a ses voix et son mystère. Mère du pain, Chantons la terre! Chantons anssi la vieille terre! C'est la maison Oü las da lointain horizon, On repose en propriétaire. C'est la maison, Chantons la terre! Chantons anssi la vieille terre! Nos chers petits Auprès de 1'atre y sont blottis. Quand ils plenrent, son fea fait taire Nos chers petits. Chantons la terre! Chantons anssi la vieille terre! Elle a des flears, Elle a de gais oiseaux sifileurs Qai font joyeax le plas austère; Elle a des fleurs. Chantons la terre! Chantons anssi la vieille terre! C'est le grand lit Oü, mort, on vous ensevelit; Qai dort la n'est pas solitaire, C'est le grand lit. Chantons la terre! JKAN ItlCHBPIN 1849. Le Colibri. *— La Bergeronette. 15 XIII LE COLIBRI. J'ai vu passer aux pays froids L'oiseau des ïles merveilleuses. 11 allait frólant les yeuses Et les sapins mornes des bois. Je lui dis: „Tes plages sont belles, Ne pleur es-tu pas leur soleil?" II répondit: „Tont m'est vermeil. Je porte mon ciel sur mes ailes." Oborof.9 Boutri.leau 1840. XIV LA. BERGERONNETTE. Ceint de joncs et de menthe, Le moulin tourne et chante A fleur d'eau; Sur les berges pierreuses Les battoirs des laveuses Font écho. Dame bergeronnette Mire sa górgerette Au flot clair; En haut, en bas, sans cesse Sa queue avec souplesse Bat dans 1'air. Elle semble, la belle, Un maïtre de chapelle Blanc et noir 16 Le Roüelet. Qui rythme la cadence Du moulin et la danse Du battoir. Sa grace nonchalante Vous amuse et vous tente ; On la snit... Du rivage a la plaine La fantasque vous mène Et vous fuit. Elle court sur le sable Et s'envole, semblable Au désir Qui toujours vous devance Et s'enfuit, quand on pense Le saisir. Andek Theubiet 1833—1907. XV LE ROITELET. Rapide comme un rêve, Vif comme un feu follet, Tu voltiges sans trêve Du chene au serpolet, Aile alerte et mignonne, Petit porte-couronne, Roitelet. Sous la branche qui pousse Comme un vert mantëlet, Ton nid, berceau de mousse, Fuit roeil du tiercelet. C'est la qu'est ton royaume; L'odeur des pins 1'embaume, Roitelet. La Souree. 17 C'est la qu'est Ia nichée: Dix ceufs blancs comme lait; Ta pondense cachée Les couve, et ton filet De voix joyeuse et frêle, Dit partout la nouvelle, Roitelet. * Même en hiver encore, L'arbre entend ton sifflet, Ta huppe a crête anrore Y laisse nn chaad reflet, Et les bois blancs de givre Par toi seul semblent vivre, Roitelet. Le vienx fendeur fredonne A ta vne nn couplet, Ta galté 1'aiguillonne; Tu mets, brave oiselet, Tont en joie a la ronde... Ami dn panvre monde, Roitelet. A. Theurikt. XVI LA SOURCE. Tont prés dn lac filtre une sonrce, Entre deux pierres, dans nn coin; Allègrement 1'ean prend sa conrse Comme ponr s'en aller bien loin. Elle mnrmnre: „Oh! qnelle joie! Sons la terre il faisait si noir! Maintenant ma rive verdoie, Le ciel se mire a mon miroir. 2 18 Promenade sur TEau. Les myosotis aux fleurs bleues Me disent: Ne m'oubliez pas; Les libellules de leurs queues M'égratignent dans leurs ébats. A ma coupe 1'oiseau s'abreuve; Qui sait? — Après quelques détours Peut-être deviendrai-je un fleuve Baignant vallons, rochers et tours. Je broderai de mon écume Ponts de pierre, quais de granit, Emportant le steamer qui fume A 1'Océan oü tout finit." Ainsi la jeune source jase, Formant cent projets d'avenir; Comme 1'eau qui bout dans un vase, Son flot ne peut se contenir. Mais le berceau touche a la tombe; Le géant futur meurt petit; Née a peine, la source tombe Dans le grand lac qui 1'engloutit. Tbéophile Gadiiek. XVII PROMENADE SUR L'EAÜ. Les saules frissonnent. La lune Argente la rivière brune Du reflet de ses bleus regards; La barque sous les hautes branches Glisse a travers les roses blanches Des nénuphars. La Mer. 19 Parmi les feuillages, dissoute, La fraicheur du soir, goutte a goutte, Répand des pleurs mystérieux, Et leur chute dans 1'eau qni tremble Nous berce avec un chant qui semble Tomber des cieux . . . O mes arms, la nuit sereine! Riez, mais qu'on entende a peine Vos rires... Ne réveillez pas La réalité douloureuse Qui dans une ombre vaporeuse S'endort la-bas! .. . Chantez!. .. Sous la voute qui pleure, Les yeux mi-clos, oubliant 1'henre, Je vais rêver au fil de l'eau, Comme un enfant que sa nourrice Caline, afin qüil s'assoupisse Dans son berceau . . . Andbé Theuhie XVIII LA MER. Que j'aime a flotter sur ton onde, A 1'heure oü du haut du rocber, L'oranger, la vigne féconde Versent sur ta vague profonde Une ombre propiee au nocher ! Souvent, dans ma barque sans rame, Me confiant a ton amour, Comme pour assoupir mon ame, Je ferme au branie de ta lame Mes regards fatigués du jour. 20 La Mer. Comme nn coursier sonple et docile Dont ont laisse dotter le mors, Toujours vers qnelqne frais asile Tn ponsses ma barque fragile Avec 1'écnme de tes bords. Ah! berce, berce, berce encore, Berce ponr la dernière fois, Berce eet enfant qni t'adore, ■ Et qni depnis sa tendre aurore N'a rêvé que 1'onde et les bois. ' Le Dien qni décora le monde De ton élément gracieus, Afin qu'ici tont se réponde, Fit les cienx ponr briller snr 1'onde, L'onde ponr réfléchir les cienx. Aussi por que dans ma paupière, Le jour pénètre ton flot por, Et dans ta brillante carrière Tu sembles ronler la lumiêre Avec tes flots d'or et d'aznr. Anssi libre que la pensée, Tn brises le vaisseau des rois, Et dans ta colère insensée, Fidéle an Dien qni t'a lancée, Tu ne t'arrêtes qu'a sa voix. De 1'infini sublime image, De flots en flots 1'ceil emporté Te suit en vain de plage en plage, L'esprit cherche en vain ton rivage, Oomme ceux de 1'éternité. Oceano Nox. 21 Ta voix majestueuse et donce Fait trembler 1'écho de tes bords, Ou sur 1'herbe qui te repousse, Comme le zéphir dans la mousse Mnrmure de mourants accords. AlFHONM DX LAMAKTINX. XIX OCEANO NOX. Dans lé silence Le bateau dort Et bord sur bord II se balance. Seul a 1'avant Un petit mousse D'nne voix douce Siffle le vent. Au couchant pale Et violet Flotte un reflet Dernier d'opale. Sur les flots verts, Par la soiree Rose et moirée Déja couverts, Sa lueur joue Comme nn baiser Vient se poser Sur une joue. Oceano No» Puis, brusqnement, II fait, S'efface, Et sur la face Du firmament Dans 1'ombre claire On ne voit plus Que le reflnx Crépusculaire. Les flots déteints Ont sous la brise La couleur grise Des vieux étains. Alors la venve Aux noirs cheveux Se dit: „Je venx Faire 1'épreuve De mes écrins " Dans cette glacé." Et la Nuit place Parmi ses crins, Sous ses longs voiles Aux plis dormants, Les diamants, De ses étoiles. 22 JlAH BICHEPIN. La Chanson du Ier. XX 23 LA CHANSON DU PER. Le Per est posé sur 1'enclume, Et, prêt au labeur journalier, Déja de forgeron allume Le feu rouge de 1'atelier; Puis, joyeux, 1'ouvrier commence La chanson qu'il dit en cadence, Au bruit dn marteau régulier: „— O Perl tu possèdes une ame, Car j'entends souvent ton sanglotl Quand tu sortiras de la flamme, Ici-bas, quel sera ton lot? ...* — Forgeron! que ma voix réponde! Tu forges le malheur du monde... La guerre éclatera bientót. „— O Fer! une moisson parue D'un pays solde la rancon: Te mettra-t-on a la charme Comme soc ou comme étancon? . .." — Forgeron! l'erreur est vulgaire: Tn forges la faux de la guerre Qui détruira toute moisson. ,— O Fer! seras-tu la croix sainte Oü Dieu saigne éternellement, Que les mères, folies de crainte, N'implorent jamais vainement? ...* — Forgeron! pourquoi ces chimères Tu forges les larmes des méres Qui priront le ciel inclément. 24 Voix Secrètes. ,— O Fer! sois «locher de village! Le temps est clair, 1'air embanmé... Ta chaïtteras dans un nuage Le doux retour da mois de mail* — Forgeron! 1'Orient frissonne! Tn forges le battant qni sonne Le long tocsin de 1'opprimé. ,— O Fer! ta sórviras sans doute Au savant qni tracé on chemin, Pour faire une nouvelle route Onverte a tont le genre hnmain!..." — Forgeron 1 le hasard est maltre. Tn forges on boaiet, peut-être, Qai türa ce savant demain. „ — O Fer! dans sa bonté profonde, T)iea te garde un destin plas beau; Au nouveau-né qui vient au monde, Tu pourras servir de berceau!... — Forgeron! la bataille est proche; Hélas! tu forges la pioche Qui creusera plus d'un tombeau. Albekt Dslfxt 1849—1892. XXI VOIX SECRÈTES. La nature conseille et partout fait entendre Sa voix tendre. L'étoile qui rayonne au fond du ciel d'azur Dit : Sois pur! Sous les vents' déchainés, faible et tremblant, 1'arbuste Dit: Sois jus te! Larme et Perle. 25 L'aigle qni plane aux cienx snr le nnage errant Dit: Sois grand! L'abeille qni remplit de miel sa ruche en paille Dit: Travaille! L'arbre qni donne a tous des frnits dans la saison Dit: Sois boni Le saphir dit: Apprends qne rien n'est méprisable; Je suis sable. La fleur dit, en s'onvrant a 1'air ponr rembaumer: Sache aimerl Le fleuve dit: Choisis la pente qn'il faut suivre; Sache vivre! La feuille tombe et dit: Sache aussi te flétrir, Puis mourir! Et fleuve, étoile, abeille, arbre, fleur, tout en somme Dit: Sois homme! xxn LARME *ET PERLE. Oü vas-tu, perle brillante Qui sors du fond de la mer? — Oü vas-tu, larme brnlante, De la douleur fruit amer? — Moi, d'une couronne altière Je vais orner le milieu. — Moi, je porte la prière Et le deuil d'une ame a Dieu! pe09peh Blanchemain 1818—1879. 26 Lu Rosé. xxin LA ROSÉ. Dn dooi printemps aimable fleur, Que tu me plais, rose chériet Mais, hélas! a peine fleurie, Tu perds ta brillante couleur. Toutefois, quand le sort funeste A décidé la triste fin, Au lièu de son éclat divin, De toi quelque parfum nous reste. Ainsi, quand d'un sage ici-bas Soudain la paupière est fermée, II nous reste apres son trépas Le parfum de sa renommée. Albebt Mobtiémoht 1788—1862. P0RTRA1TS, DESCRIPTIONS, TABLEAUX, CONTES ET LÉGENDES, POÉSIES DIVERSES. Soyous saus morgue et saus détour, Ecartons ce qui nous divise, Aimons le Vrai, Ie Beau 1'Amour C'est du Poute la Devise! 3ÜAUBICE BOUKAT. XXIV LE PETIT MARIN. J'ai vu la mer a Saint-Malo, La pleine mer, bleue et profonde. Rien n'est anssi beau dans le monde: Je serai marin, c'est mon lot! Pour commencer, je serai monsse; Je grimperai le long des mats Sans qu'on me tienne par le bras, Et riant a chaqne secousse. Je ponrrai courir et sauter Sur le pont, qui vaut bien la plage. Et puis les gens de 1'éqnipage Ont tant d'histoires a conter! Je veux aller d'abord en Ghine, Le pays des magots branlants, Et de la porcelaine fine Oü sont peints des dragons volants. A grand'mère, tou jours en peine Ponr de vieux plats fêlés qu'elle a, J'en apporterai par douzaine, Et qui seront tout neufs, cenx-la! Le danger ne m'importe guère; Vent ni canon ne me font peur, Je gagnerai la croix d honneur Si mon batiment fait la guerre. A mon Fils. J'ai vu la mer a Saint-Malo, La pleine mer, bleue et profonde! Rien n'est anssi beau dans le monde: Je serai marin, c'est mon lot! Sophtk Hui. XXV 30 A MON PILS. Mets ta cocarde a ton chapeau, Et va, sans peur et sans reproche: Ne dissimule dans ta poche Ni ta chanson, ni ton drapeaul Ta chanson, chante-la siHcère! Chante-la par dessus les toits A la barbe dn bon bourgeois Et sous le nez du commissaire. Ton drapeau, brandis-le, hautain, Et maiutdens-le, quoiqu'il en coüte. Marche droit et sur de ta route, Vers ton but formel et certain. Sois accessible a la souffrance De tont ce qui souffre ici-bas; Sois homme et ne t'enferme pas Dans un donjon d'indifférence. Vide ta bourse; emplis ton coeur! Que ta maison bospitalière Soit une anberge familiêre Au vaincu plutöt qu'au vainqnenr. La Moineau et la Colombe. Avec ta foi ponr viatique, Combats, souffre, et ne rougis pas Si 1'on va disant sur tes pas: — Ce garcon-la n'est pas pratiqne! Abhand Masson. 31 XXVI LE MOINEAU ET LA COLOMBE. Le Moineau Comment se fait-il donc, ma soeur, Que 1'on t'aime, qn'on me rejette; Que 1'on t'accueille avec douceur, Qu'avec humeur on me maltraité? Cependant, je suis plus adroit; Je pais, par mainte gentillesse, Charmer le mattre et le maltresse; J'ai cent fois plas d'esprit que toi. La Colombe. C'est, mon frère, qu'on vous accuse D'étre ün gourmand, d'être nn voleur; Vous prenez ce qn'on vous refuse, Moi, ce qn'on m'offre de bon coeur, Vous avez plus d'esprit, mon frère, Plus d'adresse, plus de savoir; Maïs, lorsqu'on 1'emploie a mal faire, II vaudrait mieux n'en point avoir. Grekus. 32 L'Amitié. — Conseil. XXVII L'AMITIÉ. Sur terre, toate chose A sa part de soleil; Toate épine a sa rose, Toate nait son réveil. Pour le pré Dieu fit 1'herbe; Pour le champ, la moisson; Pour l'air, 1'aigle superbe; Pour le nid, le buisson. Tont arbre a sa verdure, Toute abeille, son miel ; Tonte onde, son murmnre; Toute tombe, son ciel. Dans ce monde, oü tout penche Vers un centre meillenr, La fleur est pour la branche Et 1'ami ponr le coeur. EUGÈNE DB LONLAY 1815—1886. xxvni CONSEIL. Pour vous, enfant, le monde est une nouveauté; De leur nid vos vertus, colombes inquiètes, Regardent en tremblant les printanières fetes Et cherchent le secret d'y vivre en süreté. La Diligence. 33 Le yoici: n'aimez 1'or qne pour sa pureté; N'aimez que la candeur dans vos Manches toilettes; Et si vous vous posez au front des violettes, Aimez la modestie en leur simple beauté. Qüainsi votre parure a vos yeux soit 1'embleme De toutes les vertus qui font la grace même, Ce geste aisé du ccenr dont le luxe est jaloux; Et qu'au retour d'un bal innocemment profane, Quand vous déponillerez 1'ornement qui se fane, Rien ne tombe avec lni de ce qui pint en vous! Sullï Peüdhomme 1839—1908. XXIX LA DILIGENCE. Clic! clac! hola! gare! gare! La foule se rangeait Et chacun s'écriait: sPeste! quel tintamarre! Quelle poussière!... Ah! c'est un grand seigneur! — C'est un prince du sang! — C'est un ambassadeur 1" La voiture s'arréte, on accourt, on avance: C'était... la diligence, Et... personne dedans Du bruit, du vide — amis, voila, je pense, Le portrait de beaucoup de gens. 3 34 Dans la Rue. — Lorsque VEnfant paraU. XXX DANS LA RUE. Les deux petites sont en deuil; Et la plus grande — c'est la mère — A conduit Tantra jusqüau seuil Qui mène a Pécole primaire. Elle inspecte, dans le panier, Les tartines de confiture Et jette un coup d'oeil au dernier Devoir du cahier d'écriture. Puis, comme c'est un matin froid, Oü Peau gèle dans la rigole, Et comme il faut que 1'enfant soit En état d'entrer a l'école, Ecartant le vieux chale noir Dont la petite s'emmitonffle, L'aïnée tire un mouchoir, Lui prend le nez et lui dit: .Soufflé". Frahcoib Ooppé» 1842—1908. XXXI LORSQUE L'ENFANT PARATT. >) Lorsque 1'enfant paraat, le cercle de familie Applaudit a grands cris; son doux regard qui brille Fait briller tous les yeux, Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-etre, Se dérident soudain a voir 1'enfant paraltre, Innocent et joyeux. •) Voir notos et explications, page 155. Lorsque VEnfant parait. 35 Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre Fasse autottr d'un' grand feu vacillant dans la chambre Les chaises se toucher, Quand 1'enfant vient, la joie arrivé et nous éclaire. Ou nt, on se récrie, on 1'appelle, et sa mère Tremble a le voir marcher. QuelquefoiB nous parions, en remuant la flamme, De patrie et de Keu, des poètes, de 1'ame Qui s'élève en priant; L'enfant parait, adieu le ciel et la patrie Et les poètes saints! la grave causerie S'arrête en sonriant. Lanuit,quand lliomme dort,quand 1'esprit rêve.a 1'heure Ou Ion entend gémir, comme une voix qui pleure, L'onde entre les roseaux, Si 1'aube tont a coup, la-bas, luit comme un phare, Sa clarté dans les champs éveille une fanfare De cloches et d'oiseaux. Enfent, vous êtes 1'anbe, et mon ame est la plaine Qui des plus douces fleurs embaume son haleine Quand vous la respirez; Mon ame est la forét dont les sombres ramures S emphssent pour vous seul de suaves murmnres Et de rayons dorés. Car vos beaux yeux sont pleins de douceur infinies, Lar vos petites main» joyeuses et bénies, N'ont point mal fait» encor; Jamais vos jeunes pas n'ont touché notre fange, lète sacrée! enfant aux cheveux blonds! bel ange A 1'anréole d'ör! 36 Le Roi au Moulin. Vóus êtes parmi nous la oolombe de 1'arche. Vos pieds tendres et pars n'ont pointrageoül'onmarche, Vos ailes sont d'aznr. Sans la comprendre encor, vons regardez le monde. Doublé virginité! corps oü rien n'est immonde, Ame oü rien n'est impur! II est si beau, 1'enfant, avec son doux sourire, Sa douce bonne foi, sa voix qui vent tont dire, Ses pleurs vite apaisés, Laissant errer sa vne étonnée et ravie, Offrant de toutes parts sa jeune ame a la vie Et sa bouche aux baisersl Seigneur I préservez-moi, préservez ceux que j'aime, Freres, parents, amis, et mes ennemis même Dans le mal triomphants, De jamais voir, Seigneur, 1'été sans fleurs vermeilles, La cage sans oiseaux, la ruche sans abeilles, La maison sans enfants! Viotob Huoo. XXXII LE ROI AU MOULIN. Au fond d'un pays sauvage, Chez les mécréants, Vivait un roi jnste et sage, Voila bien longtemps. U était bon comme un père Et riche comme la terre. Jean, fais tourner le moulin Mon sac n'est pas encore plein'. Le Roi au Moulin. Ses snjets se révoltèrent Contre le bon roi Et da tröne le chassèrent On ne sait poorqnoi. II erra de ville en ville: Un moulin fut son asile. Jean, fais tonrner le moulin, Mon sac n'est pas encore plein. La, sans gloire, mais sans crainte, Le roi travaillait; Sans faire entendre une plainte Le meunier chantait. II dormait la nuit entiöre, (Jadis il ne dormait guère) Jean, fais tourner le moulin, Mon sac n'est pas encore plein. Mais un jour, dans sa chanmière, Vinrent bien des gens Qni 1'avaient chassé naguère; lis sont si changeants! — Eeprenez votre couronne. — Non, dit-il, je vous la donne. Jean, fais tourner le moulin, Mon sac n'est pas encore plein. — Ma femme sera meunière, Meuniers mes enfants. L'eau coule dans la rivière, Le blé ponsse aux champs; Tont le reste change, change, Mais le pain tonjonrs se mange. Jean, arrête le moulin, Voila que mon sac est plein. 37 38 Rêves Ambitieux. — Les deux Routes. xxxm RÊVES AMBITIEUX. Si j'avais nn arpent de sol, mont, val on plaine, Avec nn filet d'eau, torrent, source on roissean, J'y planterais nn arbre, olivier, sanle on frêne, J'y batirais nn toit, chaume, tnile on rosean. Sar mon arbre, on dons nid, gramen, da vet ou laine Retiendrait un chanteur, pinson, merle ou moineau Sons mon toit un doux lit, hamac, natte on berceau Retiendrait une enfant, blonde, brune ou chataine. Je ne veux qüun arpent; ponr le mesurer mieux, Je dirais a 1'enfant, la plas belle h mes yeux: „Tiens-toi debout de van t le soleil qni se léve; Anssi loin que ton ombre ira sur le gazon, Anssi loin je m'en vais tracer mon horizon Tont bonhenr que la main n'atteint pas n'est qüun röve.' Joséphin Soulast 1815—1891. XXXIV LES DEUX ROUTES. II est deux routes dans la vie: L'une solitaire et neurie, Qni descend sa pente chérie Sans se plaindre et sans soupirer. Le passant la remarqne a peine, Comme le rnisseau de la plaine, Que le sable de la fontaine Ne fait pas même murmnrer. L'Enfant aveugle. 39 L'autre, comme un torrent sans digne, Dans une éternelle fatigue, Sons les pieds de 1'enfant prodigue Roule la pier re d'Ixion. ') L'une est bornée et l'antre immense; L'nne meurt oü l'autre commence; La première est la patience, La seconde est 1'ambition. Alibed de Musset. XXXV L'ENFANT AVEUGLE. On dit que le soleil est beau, Et qne les fleurs vers le ruisseau S'inelinent avec tant de grace: Que 1'oiseau qni chante si bien, Et qne 1'in sec te aérien Volent éclatants dans 1'espace; On dit qne, la nuit, dans les cienx Brillent des fenx mystérieux Qn'on nomme dn doux nom d'étoiles, Et qne snr la mer, dont les flots Sont tristes comme des sanglots, Glissent des nefs aux blanches voiles; On dit que le parfum des fleurs Est moins suave que les couleurs Qui rayonnent sur leurs pétales; Que les vallons et les coteanx, Les montagnes, les prés., les eaux Les bois, les aubes virginales, Voir notes et explications page 157. 40 Retour. Ont des attraits si pnrs, si doux, Qn'il fant tomber a denx genoux Devant tant de magnificences. Mais, moi, je ne regrette pas, Ni la mer qne j'entends la-bas, Ni des fleurs les belles nuances, Ni les cieux, ni le doux soleil, Ni les bois, ni le fruit vermeil, Ni les oiseaux, ni la lumière.... Non, de tous les biens d'ici-bas, O Dieu! je ne voudrais, bélas! Que le bonheur de voir ma mère!.... Mlle Sassjckno. XXXVI RETOUR. L'absent qu'on n'osait plus attendre est revenu. Sans brnit il a poussé la porte. Son chien, aveugle et sourd, au flair 1'a reconnu, Et par la grande cour 1'escorte. L'enfant blond d'autrefois est un homme aujourd'hui. Par dela 1'équatenr sa trentaine est sonnée, Et voila bien dix ans qn'on n'a rien su de lui; Par les soleils de mer sa peau rude est tannée. Du vieux perron de pierre il monte 1'escalier. Les fleurs d'un cbèvrefeuille antique Versent, comme antrefois, leur baume hospitalier Au seuil de la maison rustique. Les Lapins. 41 11 hésite, il a peur, quand son pied touche an senil. C'est un pressentiment fnnèbre qui 1'arrete: Qui va-t-il retrouver? les siens portant son deuil, Ou des êtres nouveaux dont le coeur est en fête? On 1'apercoit d'abord: „Quel est eet étranger Qui chez les autres se hasarde Sans éveiller la cloche, et semble interroger Si gravement ceux qu'il regarde?' Servantes et valets ne le connaissent pas, Mais la maltresse, assise et prés du feu courbée, Se léve toute droite et lui tend ses deux bras: En étouffant un cri de mère elle est tombée. Axdeé Lemoyne 1822—1907. xxxvn LES LAPINS. Jeunes et vieux, ici-bas chacun aime A se faire servir: c'est le bonheur snpréme! Nous devons donc envers nos gens, Bien qu'ils aient des défauts, nous montrer indulgents, Puisqu'on ne peut tont faire par soi-même. Monsieur Bonnaud, tout le premier, Assurément pense de même, En dépit du tour qu'hier lui fit son cuisinier. En rentrant de la chasse, il va dans sa cuisine: „Eh! Jean! — Monsieur? — Tu vois dans mon carnier Ce» trois lapins: prends-les; mets-les dans un panier; Chez mon ami Charpins, porte-les; j'imagine Que ce cadeau peut lui faire plaisir. 42 Les Lapins. II aime le gibier, et j'ai su le choisir. Comme ta vois, ils ont fort bonne mine. Dispose-toi snr-le-champ a partir ... Abï... je te charge aussi de lui remettre, Avec les trois lapins, ce petit mot de lettre: Ta m'entends? —Oai, monsieur! —Avantlafindnjonr Tn penx, je crois, être ici de retour, N 'est-il pas vrai ? — Monsieur, la course est un pen forte, Les chemins sont mauvais, le paquet lourd: n'importe; Je vais me dépêcher ... — Ah! ah! je te comprends, Tn voudrais boire nn conp! Tiens, voilé de quoi: prends; Snrtont sois sobre, Jean! —Monsieur, soyez tranquille; Vous savez bien d'aillenrs que jamais ma raison N'a chancelé; chacun dans la maison Me rend justice. Et puis tont me semble facile Ponr voos servir; car monsieur est si bon!... — Tuveuxdoncmetromper?... Tu me flattes, fripon. — Ah! monsieur! — Allons, pars, et tache d'être agile. J'attends nne réponse, et, qnand tn rentreras, Tont aussitöt ta me 1'apporteras." Ce Jean était nn être assez docile, Laborienx, trés honnête garcon, Dn reste, fin antant qn' habile, Mais quelquefois trop sans facon. D a déja passé trois bornes d'une haleine; II s'apercoit alors qne son panier le gêne. „Ces trois lapins, dit-il, me pèsent sur les bras; Au moins, si je voyais nn ane, nne voiture, Je les mettrais dessus; ma mauvaise aventure Vent qne snr ce chemin je n'en rencontre pas... Mais qnel est ce bouchon de si belle tournure? Je connais cette auberge: entrons-y de ce pas; Je vais me reposer et casser nne croüte. Mon inaitre m'a permis de boire nn coup en route; Mais je ne boirai pas sans manger; c'est tont clair. J'ai de 1'argent; le vin n'est pas trop cher: Je vais me régaler. Mettons-nons en dépense... Les Lapins. 43 Oui! mais 1'auberge du Bel-Air N'est pas trop bien fournie; on a maigre pitance Pour son argent... Eh! parblen! quand j'y pen se, Je suis bien sot, ma foi! j'ai la de quoi manger! Je porte trois lapins: — ponrquoi les ménager? L'ami, si j'en mange nn, en aura deux de reste: C'est bien assez, deux lapins... Malepeste!... Et d'aillenrs mon panier en sera plus léger; Cette seule raison paralt bien suffisante ... Ainsi, régalons-nous! . .. Hola! garcon! servante! Apportez-moi de suite nn broc dn meilleur vin Que vous ayez; et puis, prenez-moi ce lapin; Qn'on le mette a la broche, et qn'on se diligente! Je suis pressé, je meurs et de soif et de faiml" Pour le servir alors chacun s'empresse, La fille, la valet, le maltre et la maltresse, Tout enfin, dans 1'auberge, est sens dessus dessous Pour le lapin. — Tandis qu'on le prépare, Voyez ce que c'est que de nous! Dn coeur de Jean un scrupule s'empare: Comme bientöt notre raison s'égare, Dit-il, lorsque 1'on vent surtout, En bravant son devoir, satisfaire son goüt! Malheureux! qu 'ai-je fait h.. tont mon coeur se décroche; L'ombre de ce lapin va me suivre partout!... Mais, d'un autre cöté, j'entends tourner la broche, II faut bien maintenant que j'aille jusqu'au bout. Au diable les remords! ce sont des trouble-fête: II en arrivera, ma foi, ce qu'il pourral" Pendant ce temps, sur la table on appréte Nappe, pain, broc, couvert et caetera; Et puis après on apporte la béte ... Bien que gourmand, Jean craini d'arriver tard. En hate, il mange, boit, se léve, paye tot j>art. Puis bientöt il arrivé au but de son voyage. U pose a terre son bagage, Remet la lettre et se tient a 1'écart, 44 Les Lapins. En attendant une réponse. „Eh bien! lui dit 1'ami Charpins, VoyoniMes donc, ces superbes lapins! — Les voici. — Mais, mon cher, cette lettre m'annonce Trois lapins. — Oui, monsieur, trois lapins. — C'est au mieux, Mais dans votre panier, moi, je n'en vois qne deux... — Oni, monsieur, deux lapins. — Eh bienlpar cette lettre Mon ami m'en annonce trois. — Oni, monsieur, trois lapins. — Mais, encore une fois, Je n'en vois la .que deux, peut-être... — Oui, monsieur, deux lapins. — Vous me comprenez mal; Vous m'apportez deux lapins a cette heure? — Oni, monsieur, deux lapins. — li m'en fant, au total, Trois, vous dis-je. — Oui, monsieur, trois lapins. — Que je meure Si j'ai vu de ma vie un tel original! Ecoutez-moi, mon cher, avec vous je m'explique Tres clairement, je crois... Voici bien deux lapins; le fait est sans réplique. — Oui, monsieur, deux lapins. — Eh bien! U m'en faut trois. — Oui, monsieur, trois lapins. — Ennuyeuse bourrique! Tenez, chez mon ami retournez au plus tót, Et de ma part remettez-lui ce mot... Ah! si 1'esprit se vendait en boutique, Vous ne feriez pas mal d'en prendre nn fameux lot; Vous en avez besoin! Allez ..." Jean, sans mot dire, Repart. Au milieu du chemin, II revoit son auberge; il pense a son lapin Et ne pent s'empêcher de rire. Mais enfin au logis le voici de retour: „Jean! qu'est ce donc? Que vent dire ce tour? Tantót dans ce panier ne t'ai-je pas fait mettre Trois lapins ? — Oni, monsieur, trois lapins. — Par sa lettre Les petits Loups. 45 Mon ami me répond qu'il n'en recoit qne deux. — Oni, monsieur, denx lapins. — Le fait est mer veil leux! Mais cependant tu de vais lui reine tt re De ma part trois lapins ? — Oni, monsieur, trois lapins. — Mais je te dis qne mon ami Charpins M'écrit n'avoir recu que deux lapins... Pécore! Tu m'entends? — Oni, monsieur, oui, deux lapins.— Encore, Lourdaud ... Mais ce matin je t'en ai donné trois... — Oni, monsieur, trois lapins. — Ah 1 brisons cette fois: Tes réponses, maraud, me font tourner Ia téte... 11 en manque un! Mais tont examiné, De ce lapin, dis-moi, n'anrais-tu point dlné ?... — Ahl ah! monsieur, vous n'êtes pas si béte Que votre ami, vous m'avez devinél" Leneiït. XXXVIII LES PETITS LOUPS. Trois petits loups, dans nn grand bois (C'est un conté de ma grand' mère), Virent passer, avec son père, Un petit garcon, nne fois. Le premier loup dit: Qu'il est rose! Le second loup dit: Qn'il est blanc! Le troisième dit une chose Que je ne redis qu'en tremblant... II voulait manger 1'enfant rose, Le petit enfant rose et blanc! Alors les lonps, jeunes encore, Prévinrent du fait leur maman; Qui leur dit: S'il est si charmant, Bien n'empêche qn'on le dévore! 46 Les petits Loups. Chaque louveteau partant ponr Manger le petit enfant rose, Arrivèrent tous trois autottr De la maison a porte close, Oü le père, alors de retour, Veille sur son fils qui repose. Mais, pendant qne les petits loups Trottaient ensemble sur les routes, Le père, Poreille aux écoutes, Avait bien fermé les verrous Et le volet de sa demenre. Voici donc les trois louveteaux Allongeant au vent leurs mnseaux, Flairant, tournant, faisant la guette, Arrivés a la maisonnette. Le père entend marcher encor ... Qui peut venir a pareille beure? Trois petits chiens, dit-on. — D'abord, Pour égayer 1'enfant s'il pleure, Et pour le bien lécher s'il dort. Mais ils ne voulaient autre chose Que croqner 1'enfant blanc et rose. Le premier loup gratie au volet, Qui ne s'ouvrit d'aucune sorte. Le second, en grattant la porte, Reent nn coup de pistolet. Le troisième fut pris au piège Que la nuit il ne voyait pas, Tant il était couvert de neige. Un seul put fair ce mauvais pas, Et dans les forêts de 1'Ariège D conrt encore pour son repas. — La louve est morte de misère... Ajoutait anssi ma grand' mere. A. de Chatillon 1813—1881. A ma Fille. A MA FILLE. Hier encore, en notre maison, Gazouillant ta jeune chanson, O ma Suzette! Et si fralche montait ta voix, Que nous t'appelions quelquefois Notre fauvette. Hier encore, dés le matin, S'égrenait le trille argentin De ton bon rire; Ce charme-la, qui fut le tien, Poète ni musicien Ne peut le dire. Hier encore, c'était chez nous Propos joyeux, baisers bien donx, Galté sans voile, Lorsque sur I'ombre de nos jours, Brillait ton regard de velours, Vivante étoile! Hélasl hélas! en la maison Plus ne résonne la chanson De la fauvette; Les rires se sont envolés; Et nons restons inconsolés, O ma Suzette! Hélas! hélas! les joHs yeux Se sont fermés, et dans nos cienx L'étoile est morte; Le souvenir, vêtu de deuil. S'est pour toujours assis au seuil De notre porte. 47 48 Epouvantaü. Tu vécus, 6 triste destin! Le conrt espace d'un matin, Comme nne rose. La mort crnelle, en sa fureur, Te moissonna, ma jeune fleur, A peine éclose. Mignonne adieu! tont passera, Et la mort nous réunira, Quand viendra 1'heure; En attendant je pense a toi. Et Dieu qui prend pitié de moi Fait que je plenre. Mme Claude Adoé. XL EPOUVANTAIL. Sous son coqnet chapeau de paille d'Italie, Dès qu'elle se montrait, les rnoineaux, fol essaim, S'en venaient picorer dans le creux de sa main La cerise pour eux snr la branche cueillie. Jamais cour plus fidéle, et reine plus jolie! La reine avait grand coeur: sa cour avait grand' faim; L'avare jardinier maugréait; mais en vain II rêvait d'en finir avec cette folie. Elle est morte. Un matin, le méchant jardinier Dn chapeau de 1'enfant coiffe le cerisier, Comme un épouvantail contre la gourmandise. Artifice trompeur! Les oiseaux, familiers, Pensent re voir leur soeur, accourent par milliers: Le cerisier, le soir, n'ent plus une cerise. JOSÉPHIN SOULARY. Le Pendu. XLI LE PENDU. „Un jeune homme vient de se pendre I Dans la forêt de Saint-Germain, Pour une fillette au coeur tendre Dont on lui refnsait la main. Un passant, le coeur plein d'alarmes, Voyant qu'il respirait encor, Dit: „Allons cher cher les gendarmes! Peut-être bien qu'il n'est pas mort.' Le .brigadier, sans perdre haleine, Enfourcha son grand cheval blanc. Arrivé chez le capitaine, D conta la chose en tremblant: ,Un jeune homme vient de se pendre! „A son age, quel triste sort! „Paut-il qu'on aille le dépendre! „Le pendn vit peut-être encor!" L'officier, frisant sa moustache, Se redresse et répond soudain: „ Vraiment c'est nne noble tache „Qne de soulager son prochain. „Cependant, je n'y puis rien faire; „Ge n'est pas de notre ressort. „Voyez donc chez le commissaire: „Le pendu vit peut-étre encor." Le commissaire sur la place Descendit, c'était son devoir; D'un coup d'oeil embrassant 1'espace, II cria de tont son ponvoir: „Un jeune homme vient de se pendre, „Debout, villageois, courez fort. „Emportez de qnoi le dépendre, „Le pendu vit peut-être encor." 4 49 50 Le Mandat Poste. Dans le bois, on arrivé en troupe, On se hate, on s'essouffle un peu! On saisit la corde, on la coupe! La cadavre était déja bleu. Sur 1'herbe foulée on le coucbe; Un vieux s'approche et dit: — D'abord „Soufflez-lui de 1'air dans la bouche „C'est pas possible qu'il soit mort." Ses amis pensaient: „Est-ce dróle De se faire périr ainsi." La fillette comme une folie, Criait: „Je veux mourir aussi." Mais les parents, miséricorde! Disaient en guise d'oraison: „Partageons-nous toujours la corde, „C'est du bonbeur pour la maison!" Mac Naü. XLII LE MANDAT-POSTE. Un pauv' garcon dans la puree Recut un jour de ses parents D'province, — aubaine inespérée! Un mandat-poste de vingt francs! Comme il n'avait plus rien en poche, Tont de suite il se présenta Au bureau d'poste le plus proche Afin d'y toucher son mandat. L'employé lui dit; Paut m' remettre Un' pièc' quelconque a votre nom. — Voici 1'enveloppe et la lettre, Lui répondit le brav' garcon. Le Mandat Poste. — Ce n'est pas suffisant, fit l'autre, Ponr prouver votre identité: Ce nom-la, est-ce bien le vötre? Vous me permettrez d'en douter ! — Que vous faut-il ? demanda 1'homme — Mais ... votre carte d'ólecteur Suffit pour toucher cette somme. — Je ne suis pas encor majeur 1 — Un diplóme universitaire Peut aussi... — Monsieur 1'employè Je n'ai qu'une instruction primaire . .. Comment fair' pour être payé? — Avez-vons un permis de chasse? — Ma foi, non, monsieur 1'employé ... — Alors montrez-nous a la place Votre quittance de loyer. Je vis en pension chez ma tante! .. . — Ah 1 sapristi! c'est agacant!... Vous avez bien une patente? — Non ... je ne suis pas commercant! . . . — Et vot' contrat de mariage? — Monsieur, je suis encor garcon! — Vot' pass' port? — Jamais j' ne voyage, J' suis un pauvre ouvrier macon!... — Un titre ? — Je n'ai rien sur terre!. .. — C'est triste! conclut 1'employé, Mais le plus clair de cette affaire C'est que je ne puis vous payer!" De désespoir, le pauvre diable Fut tont droit se jeter dans l'eau, Mais un marinier secourable Vint le repêcher aussitót, 51 52 La Plainte d'une Momie. Et lui dit: ,Pérdiez-vous la tête? — Non, fit l'autre, non, mais j' pensais Toucher enfin ma pauvr' galette Avec mon acte de décès. XLIII LA PLAINTE D'UNE MOMIE. Aux bruits lointains ouvrant 1'oreüle-, Jalouse encor du ciel d'azur, La momie, en tremblant, s'éveille Au fond de 1'hypogée obscur. Elle soulèvé sa poitrine Et sent couler de son ceil mort Des larmes noires de résine Sur son visage fardé d'or.... Oh! dit-elle avec sa voix lente, Etre morte et durer toujours! Henrense la chair pantelante Sous 1'ongle courbé des vantours! Heureux les morts qn'un vent d'orage Plonge au fond des gouflres salés; Et qui s'en vont, de plage en plage, Reluisants, verdis et gonflés! Henreux trois fois ceux qu'on enterre Tont nns, dans les sables mouvants, Et dont le corps tombe en poussière Qui tonrbillonne au gré des vents! La Pluinte d'une Mum ie. 53 Hs vivrontl ils verront encore A la natnre se mêlant Les frissons roses de 1'aurore Sur le lit bien da ciel brülant!... Hélas! hélas! la destinée, M'accablant d'honneurs importuns, Garde ma forme emprisonnée Dans 1'éternité des parfums!... Ici, jamais ni Tent ni pluie N'ont rafraichi mon front pondrenx: Depois vingt siècles je m'ennuie A regarder, de mon ceil creux, Le sphinx de pierre aux froides griffes, Accroupi dans mon antre obscnr, Avec 1'oiseaa des hiéroglyphes, Qai ne s'envole pas da marl Ponr plonger dans ma nuit profonde, Chaqne élément frappe en ce lieu: Nous sommes l'air! nous sommes 1'onde! Nous sommes la terre et le feu! Yiens avec nous 1 la steppe aride Yeut son panache d'arbres verts! Viens, sous 1'azur du ciel splendide, T'éparpiller dans 1'univers !... Yiens 1... la nature universelle Chérche peut-être en ce tombeau Pour le soleil une étincelle, Pour la mer nne goutte d'eau!" 54 Le Diamant. Alors, me réveillant dans 1'ombre, Je raidis mes membres perclns; Sons les bandelettes sans nombre, Mes pieds maigres ne marchent plns! Et, dans ma tombe impérissable, Je sens venir avec effroi Les siècles lourds comme dn sable Qni s'amoncelle antour de moi! Ah! sois maudite, race impie Qni, de 1'être arrêtant 1'essor, Garde ta laideur assonpie Dans la vanité de la mort. Louis Bouilhet. XLIV LE DIAMANT. Un père avait trois fils; un jour, il les appelle: , J'ai fait de tous mes biens, dit-Ü, trois parts.... La mort „Peut venir... J'ai voulu tont régler avant elle, „Et chasser d'entre vous eet esprit de querelle „Qui divise les fils pour quelques pièces d'or. „Mais il me reste encore un bijou de familie „Qu'on ne peut partager ... C'est un beau diamant! „Si le ciel m'eüt donné le bonheur d'une fille, „II eüt dans son écrin brillé splendidement. „Dieu ne 1'a point voulu; je ne suis point rebelle; „Qne son nom soit béni!... Mais ce trésor sera „A celui de vous trois qui nous apportera „L'action la plus belle „Dans nn an, quand ce jour solennel reviendra." Le Diamant. 55 A 1'époque marquée, au foyer da vieux père Tous trois étaient assis; Dans leurs yeux on lisait ce mot tonchant: J'espère. Ds commencèrent les récits. Le premier dit: „ Un riche étranger, en chemin, „Me remit un sac d'or sans recu de ma main. „II mourut. Je pon vais, faute d'aucune preuve, „Garder tout... J'ai rendu le sac d'or a sa veuve." Le père répondit: „Faisant cela, tu fis „Une bonne action ; mais ce n'était, mon fils, „Qüun devoir rigoureux de rendre cette somme; „Garder le bien d'un autreestd'unmalbonnêtehomme." „Un jour, dit le second, que je passais devant „Un trés grand lac, je vis s'y noyer un enfant; „Je m'élancai, plus prompt que la foudre qni tombe, „Et je le retirai sain et sauf de sa tombe." „Ton action, mon fils, est fort louable aussi, „Dit le pére, c'est vrai; mais tu n'as fait ainsi „ Qne suivre la lecon du Maitre a ses apötres: „Secourez-vous, en tous périls, les uns les autres. Le dernier dit: „Un soir, je vis mon ennemi „Au bord d'un précipice, et tout seul endormi. „Au moindre mouvement il roulait dans 1'ablme. „Je le sauvai, dussé-je être après sa victime." „Mon cher fils, répondit le père, embrasse-moi, „Et donne-moi ta main, car la bague est a toi. „Servir nos ennemis est la vertn suprème, „C'est le bien ponr le mal, c'est imiter Dien même." Emile Deschamps. 1791—1879. 56 Les cinq Actes de la Vie. XLV LES CINQ ACTES DE LA VIE. Le drame de la vie, hélas! est pen de chose: An drame de la scène on pent le comparer: Jnsqnes an dénoüment jamais on n'y repose; Bien on mal, pauvre on riche, on doit y figurer. An premier acte on nalt; avec peine on s'avance A travers mille écneils vers un bnt ignoré. Au second, on s'éclaire, on pressent 1'existence; A de vagues désirs on est déja livré. Au troisième, emporté par nne aveugle ivresse, Par le monde, 1'amour, les renaissants plaisirs, On 08e, on brave tont, on s'égare sans cesse, On s'apprête souvent d'éternels repentirs. Au quatrième, las 'de vaines jonissances, Le coeur d'autres besoins, d'autres feux se remplit; L'orgueil, 1'ambition, leurs transports, leurs souffrances Viennent tout remplacer ... Cependant on vieillit. An cinquième arrivé, le corps, 1'esprit s'affaisse, Chaque jour, chaque instant voit briser un lien; On pense, on parle encor... mais la toile se baisse, Le spectacle finit, et 1'homme n'est plus rien. La princesse de Salm. 1767—1845. Maimon. 57 XLVI MAIMON. Un chevalier dont la victoire Conronnait souvent la valeur, D'un tournoi revenait vainqueur, Bien lassé, mais couvert de gloire. En son chemin il trouva son valet, Le bon Maimon, qui, d'un air bénévole, Tranquillement, a pas lents s'en allait, Sans jeter un regard, sans dire une parole. ,Oü vas-tu? hoi dit-iL" Le valet froidement: ,Je vais, monsieur, cbercher un logement," Jaloux d'en apprendre la cause, Le maltre s'en informe avec un air d'effroi: „Qüest-il donc arrivé chez moi? — Rien, monsieur. — Mais encor ? — Pas grand' chose, Seulement, votre jeune chien Que vous aimiez si fort... — Eh bien ? — nest mort. — Etcomment? — Votre beau chevalpie, Que 1'on pansait alors, par malheur a santé, L'a renversé, foulé, laissé sans vie, Et, dans un puits, lui-méme il s'est précipité. — Mais qui donc a fait peur au cheval ? — Notre maitre, C'est monsieur votre fils qni, par une fenêtre, A ses pieds venait de rooier. — O ciel! et que faisaient et sa bonne et ma femme ? S'est-il fait mal?— Oui, sire, il est mort, — Etmadame? — En est tombée anssi morte, et sans plus parler. — Coquinl au lieu de fuir, il fallait donc aller Demander dn secours. — On n'en a plus que faire; Prés dn lit de madame, en faisant la prière, Le sommeil a gagnó Marotte; une lnmière A mis le feu; tont finit de bruter; J'ai vu choir la poutre dernière." 58 Le Parasite congédié. Ainsi le chevalier tombait en pen d'instants, Dans nne misère profonde: II perdait a la fois chateau, bêtes et gens, Et tont allait le mienx du monde. XLVII LE PARASITE CONGÉDLÉ. Du monde ayant fait mal 1'étude, Le chevalier de B... contracta 1'habitude De diner tous les jours dans la même maison, Chez d'honnêtes bourgeois de moyenne fortune, A la table desquels sa visite importune, Au bout de quinze jours, devint hors de saison. On le lui fit sentir autant qu'il fut possible, Sans cependant lui faire affront; Mais, oonservant le même front, A tous les quolibets se montrant insensible, Chez ses amphitryons, seul ou devant témoins, Notre homme n'en dlnait pas moins. Suzon, tont a la fois honnête chambrière Et gouvernante et cuisinière, Lui disait vainement, avec son gros bon sens: „Monsieur le chevalier, mes maltres sont absents. — C'est égal, répondait 1'entêté parasite; A leur petit Fanfan je vais rendre visite... Et toi-même, Suzon, comment cela va-t-il? Hein I pas trés mal, je crois?..." Ou bien, adroit, subtil, Et sachant braver tout scrupule, II disait dans son vil caquet: „3e vais, dans le salon, parler an perroquet." Ou bien: „Je vais régler ma montre a la pendule." Et la pauvre fille crédule, Aux Bains de Mer. 59 N'osant pas trop, «Tailleurs, brusquer le chevalier, De peur de se rendre blamable, Dans le salon feignait de 1'oublier, En attendant que Ton se mlt a table. Au maltre, enfin, ce manége déplut; II consigna Tintrigant a la porte, Et sermonna Suzon de telle sorte Que, quand le lendemain le dlneur accourut, Suzon, qui le guettait, postée a sa fenêtre, Lui cria, dans la rue, en le voyant paraitre: „Monsieur le chevalier, retournez sur vos pas; Mes mal tres sont sortis ; monsieur Fanfan sommeille; Le perroquet est mort; je me porte a merveille, Et la pendule ne va pas.* Pierbe Capelle 1772 on 75—1851. XLVIII AUX BAINS DE MER. Sur la plage élégante au sable de velours Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds, Tels que des vers pompeux aux nobles hémistiches, Les enfants des baigneurs oisifs, les enfants riches, Qui viennent des hotels voisins et des chalets, La jaquette troussée au-dessus des mollets, Courent, les pieds dans 1'eau, jouant avec la lame. Le rire dans les yeux et le bonheur dans 1'ame, Sains et superbes sous leurs habits étoffés Et d'un mignon chapeau de matelot coiffés, Ces beaux enfants gatés, ainsi qu'on les appelle, Creusent gaiment, avec une petite pelle, Dans le fin sable d'or des cananx et des trous *, Et ce même Océan, qui peut dans son courroux 60 Les Chdteaux en Espagne. Broyer sur les récifs les grands steamers de cuivre Laisse, indnlgent aïeul, son flot docile suivre Le chemin qne lui tracé nn caprice d'enfant. ïïs sont la, l'osil ravi, les cheveux blonds au vent, Non loin d'une maman brodant sous son ombrelle, Et tronvent, a coup sur, chose bien naturelle Que la mer soit si bonne et les amuse ainsi. — Soudain, d'autres enfants, pieds nus comme ceux-ci Et laissant monter Teau sur leurs jambes bien faites Des moussaillons du port, des pécheurs de crevettes Passent, le cou tendu sous le poids des paniers. Ce sont leS fils des gens du peuple, les derniers Des pauvres, et le sort leur fit rnde la vie. MaiS ils vont, sérieux, sans nn regard d'envie Ponr ces jolis babys et les plaisirs qn'ils ont. Comme de courageux petits marins qu'ils sont. Ils aiment leur métier pénible et salutaire Et ne jalonsent point les heureux de la terre; Car ils savent combien maternelle est la mer Et que pour eux anssi soufflé le vent amer Qui rend robuste et belle, en lui baisant la joue, L'enfance qui travaille et 1'enfance qui joue. FEAN90IS Coppée. XLIX LES CHATEAUX EN ESPAGNE. On pent bien qnelquefois se natter dans la vie. Moi, par exemple, j'ai mis a la loterie, Et mon billet enfin pourrait bien être bon. Je conviens que cela n'est pas certain: Oh! non; Mais la chose est possible et cela doit suffire. Puis, en me le donnant, on s'est mis a sourire, hes CMteaux en Espagne. 61 Et 1'on m'a dit: „Prenez, car c'est la le meillenr." Si je gagnais pourtant le gros lot, qnel bonhenr! J'achèterais d'abord nne ample seigneurie... Non, plntöt nne bonne et grasse métairie, Oh! ooi, dans ce canton, j'aime ce pays-ci; Et ma femme, d'ailleurs, s'y plait beauconp anssi. J'anrai donc a mon tour des gens a mon service. Dans le commandement, je suis nn pen novice; Mais je ne serai point dor, insolent, ni fier, Et me rappeller ai ce que j' ét ais hier. Ma foi, j'aime déja ma ferme a la folie, Moi! gros fermier!... J'anrai mabasse-courremplie De poules de poussins qne je verrai courir; De mes mains, chaque jour, je prétends les nonrrir. C'est nn coup d'ceil charmant, et puis cela rapporte. Qnel plaisir, qnand le soir, assis devant ma porte, J'entendrai le retour de mes moutons hélants, Qne je verrai de loin revenir, a pas lents, Mes chevanx vigonrenx et mes belles génisses! lis sont nos serviteurs, elles sont nos nonrrices... Et mon petit garcon, sur son ane monté, Fermant la marche avec nn air de dignité! Je serai plus heureux que le roi sur son tröne, Je serai générenx et je ferai 1'aumöne; Tout bas, sur mon passage, on se dira: „Voila Ce bon monsieur Victor." Cela me touchera. Je puis bien m'abuser, mais ce n'est pas sans cause; Mon projet est au moins fondé snr quelqne chose; Sur un billet. (17 cherche.) Je veux revoir ce cher ... Eh ! mais... Oü donc est-il ? Tantót encore je 1'avais .,. Depuis quand ce billet est-il donc invisible? Ah I 1'aurais-je perdu ? Serait-il bien possible ? Mon malheur est certain : me voila confondu ! (11 crie:) Que v ais-je de venir ? Hélas ! j'ai tout perdu! [D'apres] Collin d'Harleviixe. 1765—1806. 62 Pour les Pauvres. L POUR LES PAUVRES. Qui donne au pauvre prête a Bien. Dans vos fêtes d'hiver, riches, henrenx dn monde, Quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde, Qnand partout a 1'entonr de vos pas vous voyez BriUer et rayonner cristanx, miroirs, balustres, Gandélabres ardents, cercle étoilé des lustres, Et la danse, et la joie au front des conviés; Tandis qu'un timbre d'or sonnant dans vos demeures Vous change en joyeux chant la voix grave des heures, Oh! songez-vous parfois que, de faim dévoré, Peut-etre un indigent dans les carrefours sombres S'arréte, et voit danser vos lumineuses ombres, Aux vitres du salon doré? Songez-vous qu'il est la, sous le givre et la neige, Ce père sans travail que la famine assiège? Et qu'il se dit tout bas: «Ponr un seul que de biens! A son large festin qne d'amis se récrient! Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient! Rien que dans leurs jouets que de pain pour les miens 1" Et puis a votre fète il compare en son ame Son foyer oü jamais ne rayonne une flamme, Ses enfants effamés, et leur mère en lambeau; Et, sur un pen de paille, étendue et muette, L'aïeule, que Puiver, hélas! a déja faite Assez froide pour le tombeau. Car Dien mit ces degrés aux fortunes humaines. Les uns vont tout courbes sous le fardeaudes peines; Au banquet du bonheur bien pen sont conviés. Pour les Pauvres. 63 Tous n'y sont point assis également a 1'aise. Une loi, qui d'en bas semble injuste et mauvaise, Ditauxuns: „Jouissez!" auxautres: .Enviezl* Cette pensee est sombre, amère, inexorable, Et fermente en silence au coeur du misérable. Eicbes, heureux dn jour, qu'endort la volupté, Que ce ne soit pas loi qui des mains tous arrache Tous ces biens superflus oü son regard s'attache; Ohl que ce soit la charité! L'ardente charité, que le pauvre idolatrel Mère de cenx ponr qui la fortune est maratre, Qai relève et soutient cenx qn'on foule en passant, Qui, lorsqu'il le faudra, se sacrifiant toute, Comme le Dieu martyr dont elle snit la route, Dira: ,Buvez! mangezl c'est ma chair et mon sang." Que ce soit elle, oh 1 oui, riches t que ce soit elle Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle Perles, saphirs, joyaux toujours faux toujours vains, Pour nourrir l'indigent et ponr sauver vos ames, Des bras de vos enfants et dn sein de vos femmes Arrache tout a pleines mains I Donnez, riches I L'aumöne est sceur de la prière. Hélas! quand un vieillard, sur votre senil de pierre, Tout raidi par 1'hiver, en vain tombe a genoux; Quand les petits enfants, les mains de froid rougies, Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies, La face du Seigneur se détourne de vous. Donnez I afin que Dieu, qni dote les families, Donne a vos fils la force et la grace a vos filles; Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit. Afin qüun blé plus mür fasse plier vos granges; Afin d'être meilleurs; afin de voir les anges Passer dans vos rêves la nuit! 64 L'On ou L'Autre. Donnez! il vient nn jonr oü la terre nons laisse. Vos anmönes la-haut vous font une richesse. Donnez! afin qu'on dise: „D. a pitió de nous!* Afin que 1'indigent que glacent les tempêtes, Que le pauvre qui sonffre a cötó de vos fêtes, Au seuil de vos palais fixe un oeil moins jaloux. Donnez! pour être aünés du Dieu qui se fit homme, Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme, Pour que votre foyer soit calme et fraternel; Donnez! afin qn'un jour, a votre heure dernière, Contre tous vos péchés vous ayez la prière D'un mendiant pnissant au ciel. Victob Heao. LI L'UN OU L'AUTRE. C'était en Thermidor a la Oonciergerie Ils étaient la deux cents, parqués pour la tnerie, Pêle-mêle, arpentant le sinistre préan. La Terreur redoublait. Derniers coups du fléau Sur les épis! Derniers éclairs de la tempête! . Sur Paris consterné, le sanglant coupe-tóte Ponctionnait sans trêve. Ils étaient la deux cents, Condamnés ou du moins suspects, tous innocents! Chaque matin, un homme, a tigure farouche, Entrait; puis, retirant sa pipe de sa bouche Et lisant bien on mal ses immondes papiers, Appelait, par leurs noms souvent estropiés, Ceux qu'attendait dehors la fatale charrette Mais 1'ame de chacun a partir était prête; Le nouveau condamné, sans même avoir frénii, Se levait, embrassait a la hate un ami ') Voir notes et explieatiom, page 158. L'Un ou L'Aulre. 65 Et répondait: .Présent I" a 1'appel sanguinaire. Mourir était alors une chose ordinaire; Et tous, les gens du peuple et les gens comme il faut, Du même pas tranqnille allaient a 1'échafaud. Le Girondin mourait comme le royaliste. Or, un jour de ces temps affreux, l'homme a la liste, En faisant son appel dans le tronpeau parqué, Venait de prononcer ce nom: „Charles Leguay"; Quand, parlant a la fois, deux voix lui répondirent; Et du rang des captifs deux victimes sortirent. L'homme éclata de rire en disant: „J'ai le choix*. L'un des deux prisonniers était nn vienx bourgeois; Débris de quelque ancien parlement de province, En poudre, et qni gardait, sous son habit trop mince, L'air digne et froid qu'avaient les députés du tiers; L'autre, nn jeune officier, au front calme, aux yeux fiers, Trés beau sous les haillons de son vieil uniforme. L'homme a la liste, ayant poussé son rire énorme,' Reprit: „Vous avez donc tous deux le même nom? — Nous sommes prêts tous deux, fit le vieillard. — Non, non, Dit le greffier, il faut s'expliquer quand je parle." Tous les deux senommaientLeguay;tousles deux Charles; Tous les deux, de la veille ils étaient condamnés. Alors l'autre, roulant ses gros yeux avinés: „Du diable si je sais qui des deux je préfèrel Citoyens, arrangez entre vous cette affaire, Mais sans perdre de temps; car Samson n'attend pas." Le jeune vint au vieux et lui paria tout bas; L'héroïque marché fut trés court a débattre: „Marié, n'est-ce pas? — Oui. — Combien d'enfants ? — Quatre." Le greffier répétait en riant: „Dépêchons! — C'est moi qni dois mourir, dit 1'officier, Marchons!" Francois Coppée. 5 Les Hirondelles. 66 Lil . LES HIRONDELLES. Captif an rivage da Maare, Un guerrier, couché sous ses fers Disait : Je vous revois encore Oiseaux ennemis des hivers. Hirondelles, que 1'espérance Snit jusqn'en ces brttlants climats, Sans donte vons quittez la France; De mon pays ne me parlez-vous pas? Depnis trois ans je vous conjure De m'apporter un souvenir Du vallon, oü ma vie obscure Se bercait d'un doux avenir. Au détour d'une eau qui chemine A flots purs, sous de frais lilas, Vous avez vu notre chaumine; De ce vallon ne me parlez-vous pas? L'une de vous peut-être est née Au toit oü j'ai recu le jour. La, d'une mère infortunée. Vous avez dü plaindre 1'amonr. Mourante, elle croit a toute henre Entendre le bruit de mes pas; Elle écoute, et puis elle pleure; De son amonr ne me parlez-vous pas Ma soeur est-elle mariée ? Avez-vous vu de nos garcons La foula, aux noces conviée, La céléber dans leurs chansons? Première Douleur. 67 Et 'ces compagnons dn jenne age Qni m'ont snivi dans les combats, Ont-ils re vu tous le vil! age? De tant d'amis ne me parlez-vous pas? . Snr leur corps, 1'étranger peut-être ' Du vallon reprend le chemin: Sons mon chaume il commande en malt re De ma soenr il trottble 1'hymen. Ponr moi, plns de mère qni prie, Et partont des fers ici-bas, Hirondelles, de ma patrie, De ses malheurs ne me parlez-vous pas? Pieere-Jean de Béranger. LUI PREMIÈRE DOULEUR. Mon père m'appela qu'a peine il était jour. „ Viens, me dit-il, aux champs nous irons faire nn tour. „Prends mon sac et mets-y le rets aux grandes mailles; „Le temps est magnifiqne, et nous aurons des cailles." Je sautai de mon lit plein d'un joyeux émoi; L'aurore était alors si nouvelle ponr moi! C'était an mois d'avril, j'étais enfant; eet age Voit plus beau le soleil, les fleurs et le feuillage. Parmi les blés mouillés des larmes du matin, Nous allions tous les deux, quand, snr notre chemin, S'essayant a voler, de la branche d'un saule Un jeune passereau tomba sur mon épaule. Mon père le saisit d'une subite main Et délicatement le glissa dans mon sein Afin qu'il- retrouvat la chaleur naturelle 68 Première Douleur. De son nid recouvert par 1'aile maternelle; * Et pnis il va snr 1'herbe étendre son filet. De revoir mon oisean le désir me brülait. Je le retire an jour et 1'admire et le baise, Laissant mon père au loin^chasser tont a son aise, De retour au logis, j'émiettai de mon pain, J'instruisis mon captif a le prendre en ma main, A venir, en volant, au son de ma parole, Se percher sur mon doigt on bien sur mon épanle De son bec turbulent agiter mes cheveux; A partager enfin mes repas et mes jeux. Ma jeune sceur avait, d'une main délicate, Pestonné pour sa crête une ótoffe écarlate Qui, dans un suc gluant imbibée a demi, Se fixa sur le front de notre doux ami. Cet ornement semblait lui changer sa nature; C'était un petit coq, nne miniature, J'en étais fou. Sortant de 1'école, le soir, C'était lui le premier que je voulais revoir. En me voyant venir il agitait son aile, Sa joie a mon aspect était toujours nouvelle, Et moi, je redoublais de tendresse et de soin. Mais un jour, de nos jeux hypocrite tómoin, Le gros chat du voisin d'un coup de griffe enlève Et met entre ses dents mon malheureux ólève... La foudre ne m'eüt pas produit pareil effet: Sous ce coup accablant je restai stnpéfait. Mais bientót, saisissant la broche, dans ma rage, Je suivis le brigand jusqu'au troisième étage, Oü dans un noir grenier, a travers les sarments, Aux lueurs de ses yeux, infernaux diamants, Je le surpris, venant de dévorer sa proie Et se léchant encor dans sa barbare joie. Mais le monstre en son trou sut si bien se blottir, Que je ne pus jamais 1'atteindre et le punir. Alors, dans ma douleur ou plutüt ma colère, J'arrachai mes cheveux et me roulai par terre, Le Baiser d'une Mère. 69 Et ma mère accourut a mes pleurs, a mes cris, Et me dit: „Qu'as-tu donc a plenrer, o mon fils? „Ponr nn sujet plus grave il fant garder tes larmes „La vie anra ponr toi de plns rndes alarmes. „Ponr nn oisean perdn fant-il te désoler?* Mais ancnne raison ne pnt me consoler. Jean Kebodl 1790—1864. LIV LE BAISER D'UNE MÈRE. J'aime, après un bean jour, une nuit vaporeuse, Et le ciel parsemé de mille étoiles d'or, Et la lune d'argent, qni vient, mystérieuse, Epandre sa paleur snr le monde qni dort. J'aime anssi du matin la senteur embanmée, La rose émaillant 1'arbuste de ses pleurs; J'aime du doux zéphir 1'baleine parfnmée, Et 1'oisean s'éveillant dans les bosqnets en flenrs. Lorsque tombe le soir avec mélancolie, Que frissonne dans 1'air un soufflé harmonieus, J'aime du rossignol la fraiche mélodie, Vois pure qu'on prendrait pour une vois des cieus, J'aime un bel. enfant blond, et sa mine éveillée, Et son regard parfois si mutin et si fou, Et ses propos naïfs, charmes de la veillée, Et ses chevéus flottants tout bouclés sur son cou. Mais j'aime mieus encor les baiserS d'nne mère, Son sourire divin, son amour consolant; J'aime mieus les accents de la douce prière Qu'elle fait bégayer a son plus jeune enfant. H. H. Bramtot. Les trois Gosses. 70 LV LES TROIS GOSSES. Tous trois se tenant par la main S'en allaient, le long du chemin, Trois petits enfants du même age! Les cloches sonnaient dans le ciel: Noël! Nofll! A tous les clochers da village. Un vieiüard, qai les vit passer, S'arrêta pour les embrasser (II paralt que c'était saint Pierre). II leur dit, d'une voix de miel: „Noël! Noël! Fait es tous trois une prière! Les petits enfants aimaient Dieu, Ils firent tous les trois un vceu, L'espoir allumait leur prunelle, „Ah! (dit je ne sais plus lequel) Noël! Noël! Je voudrais un polichinelle." Le second, ce ne fut pas long, Dit: „Je veux un soldat de plomb." Le plus petit restait derrière. „Et toi?" dit Pierre, paternel. „Noël! Noël! Un morceau de pain ponr ma mère!" MlCHEL CAEBÉ 1819 Une Idéé de Maitre Jean. 71 LVI UNE IDÉÉ DE MAITRE JEAN. Le petit Jean travaille, il conjugue un long verbei Cela lui paralt dur: il ferait bon, sur l'herbe Courir, le nez au vent, après les papillonsl II baille, puis reprend: ,11 était Nous étions.... — Un petit tempsa'arrèt... C'est pour suivre une mouche Qui descend sur son nez.... Bon! le voila qui louche! Cet ennuyeux devoir ne sera jamais fait: C'est a peine s'il a terminé 1'imparfait!.... Le petit Jean médite' un grand coup de théatre; B a 1'air tout rèveur, et, de son oeil folatre, 11 fixe obstinément une fleur du tapis: II mordille sa plume Un gros paté 1.... „Tantpis! Anssi, c'est toujours lui qui doit sans cesse écrire, Et Papa ne fait rien que s'amuser et rire; Je comprends qu'il le puisse! „Et Jean de s'écrier: „Grand-pèrel Je voudrais bientöt me maner!" Le grand-père lisait la Gazette de France, Commodément assis dans un fauteuil immense; Ses lunettes, dn coup, lui tombèrent du nez. Et jamais on ne vit regards plus étonnés; Un fou rire courut tout le long de ses rides, Mais de son sérienx il tint pourtant les brides: „Tu yeux te.... Ma parole I il n'y a plus d'enfants!" — Mais c'est pour en avoir! dit Jean, les yeux brillants. — Miséricordel Jean, pour qnoi faire, de grace?" — C'est.... pour les envoyer au lycée a ma place." Jean Aicaed. 72 .Lea Souvenirs du Peuple. LVH LES SOUVENIRS DU PEUPLE. On pariera de sa gloire ') Sons le chanme bien long temps; L'hnmble toit, dans cinquante ans, Ne connaltra plns d'antre histoire; La viendront les villageois Dire alors a qnelqne vieille: „Par des récits d'antrefois, Mère, abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encore le révère, Oui, le révère. 1'arlez-nous de lui, grand' mère; Parlez-nous de lui. — Mes enfants dans ce village, Suivi de rois, il passa, Voila bien longtemps de 9a: Je venais d'entrer en ménage A pied grimpant le coteau Oü pour voir je m'étais mise, II avait petit chapeau Avec redingote grise. Prés de lui je me troublai! II me dit: Bonjour, ma chère, Bonjour, ma chère. — II vous a parlé, grand mère! II vous a parlé! — L'an d'aprés, moi, pauvre femme, A Paris étant nn jour, Je Ie vis avec sa cour: B se rendait a Notre Dame. Tous les coeurs étaient contents.; *) Voir notes et explications, page 158. Les Souvenirs du Peuple. 73 On admirait son cortègel Chacnn disait: Qnel bean tempsI Le ciel toujours le protégé. Son sonrire était bien dons: D'nn fils Dien le rendait père, Le rendait père. — Qnel bean jour ponr vous, grand' mère! Quel beau jour pour vousi — Mais quand la pauvre Champagne Put en proie aux étrangers, .Lui, bravant tous les dangers, Semblait senl tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends trapper a la porte: J'onvre. Bon Dien! c'était lui, Suivi d'une faible escorte! II s'asseoit oü me voila, S'écriant: Oh ! quelle guerre! Oh ! quelle guerre! — II s'est assis la, grand'mère I 11 s'est assis la! — J'ai faim, dit-il; et bien vite Je sers pi que t te et pain bis. Puis il sèche ses habits; Mème a dormir le feu 1'invite. Au réveil, voyant mes pleurs, II me dit: Bonne espérance! Je cours, de tous ses malheurs, Sous Paris, venger la France. II part, et comme un trésor J'ai depuis gardé son verre, Gardé son verre. — Vous 1'avez encor, grand'mère! Vons 1'avez encor 1 ft- eic 74 Un Evangile. — Le voici. Mais a sa perte Le héros fat entralné. Loi qa'an pape a cooronné Est mort dans ane Üe déserte. Longtemps aacan ne 1'a era, On disait: II va paraïtre, Par mer il est accouru L'étranger va voir son maltre. Qnand d'errenr on nqüs tira, Ma douleur fut bien amère, Pat biea amère, — Dieu vous bénira, grand'mère! £„ . Dieu vous bénira. Piebre-Jean de Bébanger. Lvm UN EVANGILE. En ce temps-14, Jésns, seul avec Pierre, errait Sur la rive du lap, prés de Génésareth, A 1'heure, oü le brülant soleil de midi plane, Quand ils virent, devant une pauvre cabane, La veuve d'un péchenr, en longs voiles de denil, Qui s'était tristement assise sur le seuil, Ketenant dans ses yeux la larme qni les mouille, Pour bercer son enfant et filer sa quenouille. Non loin d'elle, cachés par des figuiers touflus, Le maltre et son ami voyaient sans ètre vus. Soudain, un de ces vieux dont le tombeau s'apprête, Un mendiant, portant un vase sur sa tête, Vint a passer, et dit a celle qui filait: „Femme, je dois porter ce vase plein de lait Chez un homme logé dans le prochain village. Un Evangile. 78 Mais, ta le vois, je suis faible et brisé par 1'age. Les maisons sont encore a plus de mille pas, Et je sens bien qne, seul, je n'accomplirai pas Ce travail, qne 1'on doit me payer une obole." La femme se leva sans dire nne parole, Laissa, sans hésiter, sa qnenouille de lin. Et le berceau d'osier oü pleurait Porphelin, Prit le vase, et s'en fut avec le misérable. Et Pierre dit: „II fant se montrer secourable, Maitre ! mais cette femme a bien pen de raison D'abandonner ainsi son fils et sa maison, Ponr le premier, venn qui s'en va sur la ronte. A ce vieux mendiant, non loin d'ici, sans doute Quelqne passant eüt pris son vase, et 1'eüt porté." Mais Jésus répondit a Pierre: „En verité, Quand nn pauvre a pitié d'un plus panvre, mon Père Veille sur sa demeure et vent qn'elle prospère. Cette femme a bien fait de partir sans surseoir." Quand il ent dit ces mots, le seigneur vint s'asseoir Sur le vieux banc de bois, devant la pauvre hutte; De ses divines mains, pendant une minnte, II fila la qnenouille et berca le petit; Pais, se levant, il fit signe a Pierre, et partit. Et quand elle revint a son logis, la veuVe, A qni de sa bonté Dien donnait cette prenve, Trouva — sans deviner jamais par qnel ami — Sa qnenouille filée et son fils endormi Francois ■ Coppée. Les Bottines. LIX 76 LES BOTTINES. .... Ce brult charmant des talons qui résonnent sur le parquet: clic! clac! est le plus joli the me pour un rondeau. i Moitié chevreau, moitié sa tin, Quand elles courent par la chambre, Clic! clac! II faut voir de qnel air mutin Leur fine semelle se cambre. Clic! clac! Sous de minces boucles d'argent, Toujours trottant, jamais oisives, Clic 1 clac! Elles ont 1'air intelligent De deux petites souris vives Clic! clac! EUes on le marcber d'un roi, Les élégances d'un Clitandre, Clic! clac! Par la dessus, je ne sais quoi De fon, de raifieur et de tendre, Clic! clac! II En hiver, au coin d'un bon feu Quand le sarment pétille et flambe, Clic! clac! Elles aiment a rire un peu, En laissant voir un bout de jambe. Clic! clac 1 Les Bottines. 77 Mais, quoique assez lestes, an fond, Elles ne sont pas libertines, ! Olie ! clac I Et ne feraient pas ce qne font, La plnpart des aatres bottines, Clic! clac! C'est tont an plus si nous allons, Deux fois par mois avec décence, Clic! clac 1 Nous trémonsser dans les salons, Des bottines de connaissance. Clic! clac! Puis quand nons avons bien trotté, Le soir nons faisons nos prières, Clicl clac! Avec toute la gravité De deux petites soenrs tourières. Clic! clac t III Maintenant, dire oü j'ai connn Ces merveilles de mignature, Clic! clac! Le premier chroniqueur venu Vous en contera Paventure. Clic! clac! Je vons avonerai cependant, Que souventes fois il m'arrive, Clic! clact De verser, en les regardant, Une grosse larme furtive. Clic ! clac! 78 La petüe Mendiante. Je songe que tont doit finir, Même un poème d'humouriste, Clic! clac! Et qu'un jour prochain pent venir Oü je serai bien seul, bien triste. Clic! clac! Alphonse Maudet 1840-1898. LX LA PETITE MENDIANTE. C'est la petite mendiante Qni vous demande nn peu de pain; Donnez a la pauvre innocente Donnez, donnez, car elle a faim. Ne rejetez pas sa prière! Votre coeur vous dira ponrquoi... J'ai six ans, je n'ai plus de mère; J'ai faim, ayez pitié de moi! Hier, c'était fête au village, A moi personne n'a songé; Chacun dansait sous le feuillage, Hélas! et je n'ai pas mangé. Pardonnez-moi si je demande, Je ne demande que du pain; Du pain! je ne suis pas gourmande; Ah! ne me grondez pas, j'ai faim. N'allez pas croire que j'ignore Que dans ce monde il faut souffrir; Mais je suis si petite encore! Ah! ne me laissez pas mourir. La Chanson du Róuet. 79 Donnez a la pauvre petite, Et ponr vons comme elle priera! Elle a faim, donnez, donnez vite, Donnez, qnelqn'nn vons le rendra. Si ma plainte vons importune, Eh bien 1 je vais rire et chanter, De 1'aspect de mon infortune Je ne dois pas vons attrister. Quand je plenre, 1'on me rejette, Chacun me dit: ,Eloigne-toi !* Ecoutez donc ma chansonnette; Je chante, ayez pitié de moi! Boucheb de Perthes 1788—1868. LXI LA CHANSON DU ROUET. O mon cher ronet, ma blanche bobine, Je: vons aime mieux qne 1'or et 1'argent! Vons me donnez tont, lalt, beurre et farine, Et le gai logis, et le vêtement. Je'Vons aime mieux qne Tor et 1'argent, O mon cher ronet, ma blanche bobine 1 O mon cher rouet, ma blanche bobine, Vons chantez dès 1'anbe avec les oiseanx; Eté comme hiver, chanvre on laine fine, Par vous, jusqu'au soir, charge les fuseanx. Vons chantez dès 1'anbe avec lés oiseanx, O mon cher ronet, ma blanche bobine. 80 L'Enseigne du Cabaret. O mon cher ronet, ma blanche bobine'; Vons me filerez mon suaire étroit, Quand, prés de mourir et courbant 1'échine, Je ferai mon lit éternel et froid. Vous me filerez mon snaire 'étroit, O mon cher ronet, ma blanche bobine! Leconte de Lisle 1818—1894. LXII L'ENSEIGNE DU CABAEET. De van t nn cabaret, ces mots étaient écrits: Anmnrri'hni vnns naifirfi7. fi nain. e Vin. la Viann Demain vons mangerez gratis.* Janot, qne 1'enseigne affriande, Dit: „Aujourd'hui je n'entre pas, Q fandrait payer la dépense; Mais demain je veux faire nn fameux répas Que le cabaretier s'en souviendra, je pense.* — Le lendemain on voit entrer Janot, Qui va se mettre a table, et s'écrie aussitöt: „Servez vite, maltre Grégoire! Servez! jusqu'a la nuit je veux manger et boire; Apportez du meilleur; je suis de vos amis!" A peine le couvert est mis, fln'il tanr. vmr miwi . annt. des flenr.s laire merveii Et vider bel et bien les plats et les bouteilles. — S'étant lesté la panse, il se léve gaiement, Et sans cérémonie il regagne la porte. Mais Grégoire 1'appelle et lui dit brusquement: Mon brave! il faut payer avant que 1'on ne sorte ■— Vous riez, dit Janot, vraiment, Et la plaisanterie est forte; L'Anniversaire. 81 Voos deviez anjonrd'hui, si je m'en sounens bien, ■ Nons servir a diner ponr rien!... — Oh! répond 1'hótelier, votre errenr est extréme, Car je dis aujourd'hui ce qu' hier je disais. Regardez: tous les jours mon enseigne est la même. Vous ne m'y prendrez plus, dit l'autre, désormais; Et vous ne m'eussiez pas leurró par un vain conto, Si j'avais su qu'a votre compte, Demain signifiat jamais.* Pierre Lachambeaddie 1800—1872. Lxra L'ANNIVERSAIRE. Hélas! après dix ans je revois la journée Oü 1'ame de mon père aux cienx est retournée. L'heure sonne: j'écoute ... O regrets! 0 doulenrs! Quand cette heure ent sonné, je n'avais plus de père: On retenait mes pas loin du lit funeraire; On me disait: ,11 dort', et je versais des pleurs. Mais, du temple voisin, quand la cloche sacrée Annonca qu'un mortel avait quitté le jour, Chaque son retentit dans mon ame navrée, Et je crus mourir a mon tour. Tout ce qui m'entourait me racontait ma perte: Quand la nuit dans les airs jeta son crêpe noir, Mon père a ses cótés ne me fit plus asseoir, Et j'attendis en vain a sa place déserte Une tendre caresse et le baiser du soir. Je voyais 1'ombre auguste et chère M'apparaltre toutes les nuits; Inconsolable en mes ennuis, 6 82 La Glu. Je pleurais tous les jours, même auprès de ma mère. Ce long regret, dix ans ne 1'ont point adouoi; Je ne puis voir un fils dans les bras de son père, Sans dire én soupirant: „J'avais un père anssi 1* Son image est toujours présente a ma tendresse. Ah! quand la pale Automne aura jauni les bois, O mon pèrel je venx promener ma tristesse Aux lieux oü je te vis pour la dernière fois. Sur ces boids qne la Somme arrose, J'irai chercher 1'asile oü ta cendre repose: J'irai d'une modeste fleur Orner ta tombe respectée, Et sur la pierre, encor de larmes humectée, Rédire ce chant de douleur. Chables-Hubert Millevote. LXIV LA GLU. Y* avait un' fois un pauv' gas, Et Ion la laire, Et Ion lan la, Y avait un' fois un pauv' gas, Qu'aimait cell' qni n' 1'aimait pas. Eli''lui dit: Apport' moi d'main Et Ion la laire, Et Ion lan la, E1T lui dit: Apport' moi d'main L'coeur de ta mèr' ponr mon chien. Va chez sa mère et la tne Et Ion la laire, Et Ion' lan la, Est-ce que les Oiseaux «e eachent pour mourir? 83 Va chez sa mère et la tue, Lui prit l'coeur et s'en courut. Comme il courait, il torn ba Et Ion la laire, - Et Ion lan la, Comme il courait, il tomba, Et par terre l'cceur roula. Et pendant qne l'coenr ronlait, Et Ion la laire, Et Ion lan la, Et pendant qne l'coenr ronlait, Entendit l'coenr qni parlait. Et l'cceur lui dit en plenrant, Et Ion la laire, Et Ion lan la, Et l'coenr lui dit en plenrant, T'est-tu fait mal, mon enfant? Jean Richepin. LXV EST-CE QUE LES OISEAUX SE CACHENT POUR MOURIR? Le soir, au coin du fen, j'ai pensé bien des fois A la mort d'un oiseau, qnelqne part, dans les bois. Pendant les tristes jours de ï'hiver monotone, Les pauvres nids déserts, les nids qn'on abandonne, Se balancent an vent snr le ciel gris de fer. Oh 1 comme les oiseaux doivent mourir Ï'hiver 1 Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes, Nons ne tronverons pas leurs délicats sqnelettes Dans le gazon d'avril, oü nons irons courir. Est-ce que les oiseaux se cachent ponr mourir? Fbancois Coppée. , 84 Trois Jours de Christophe Colomb. LXVI TROIS JOURS DB CHRISTOPHE COLOMB. „En Eorope I en Europe! — Espérez! — Plus d'espoir 1 „— Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde. Et son doigt le montrait, et son ceil, pour le voir, Percait de 1'horizon 1'immensité profonde. II marche, et des trois jours le premier jour a lui; II marche, et 1'horizon recnle devant lui: H marche, et le jour baisse. Avec 1'azur de 1'onde L'azur d'un ciel sans borne a ses yeux se confond. H marche, il marche encore, et toujours, et la sonde Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond. Le pilote, en silence, appuyé tristement Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres, Ecoute du roulis le sourd mugissement Et des mats fatigués les craquements funèbres. Les astres de 1'Európe ont dispara des cienx; L'ardente Croix du Sud épouvante ses yeux. Enfin 1'aube attendue, et trop lente a paraltre, Blanchit le pavillon de sa douce clarté: „Colomb! voici le jour! le jour vient de renaltre! „Le jour! et que vois-tu? — Je vois 1'immensité.* Le second jour a fui. Que fait Colomb ? II dort; La fatigue 1'accable, et dans 1'ombre on conspire. „Périra-t-il? Aux voix: — La mort! — la mort! — la mort! „Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire." Les ingrats! Qnoi! demain il aura pour tombeau Les mers ou son audace ouvre un chemin nouveau! Et peut-être demain leurs flots impitoyables, Le poussant vers ces bords que cherchait son regard, Les lui feront toucher, en roulant snr les sables L'aventurier Colomb, grand homme un jonr plus tard! La Tombe et la Rose. 85 Soudain du haut des mats descendit nne voix. „Terre I s'écriait-on, terre, terre 1...* II s'éveille : II conrt: oni, le voila, c'est elle, tn la vois. La terre 1... O doux spectacle I ö transports! ö merveille! O généreux sanglots qu'il ne pent retenir! Qne diront Ferdinand, PEurope, Pavenir? II la donne a son roi, cette terre féconde; Son roi va le payer des mans qn'il a soufferts : Des trésors, des honneurs en échange d'un monde, Un tröne, ah! c'était pen!... Que recut-il? des fers. Casimir Delavigne 1794—1843. LXVII LA TOMBE ET LA ROSE. La tombe dit a la rose: „Des pleurs dont 1'aube t'arrose Que fais-tu, fleur des amours?" La rose dit a la tombe: „Qne fais-tu de ce qui tombe Dans ton gouffre ouvert toujours?" La rose dit: „Tombean sombre, De ces pleurs je fais dans 1'ombre Un parfum d'ambre et de miel." La tombé dit: „Fleur plaintive, De chaque ame qui m'arrive Je fais nn ange du ciel !* Victor Huao. Le pauvre Matelot. 86 LXVIII LE PAUVRE MATELOT. Revenant d'un lointain voyage, Un matelot chantait joyeux. II allait revoir ses deux vieux, Ses vienx parents dans le village... Ah! j'ai passé les vents.et les courants, Ponr revoir mes parents! Mais il trouve la porte ouverte. Autour de la maison en deuil, L'herbe pousse et cachè le seuil. II entre : la chambre est déserte! Ah! j'ai passé les vents et les courants: Oü sont mes vieux parents? Nnl ne répond dans la chaumière! Seul un chien gémit sur ses pas, Marche devant et, le front bas, Le mène jusqüau cimetière ... Ah! j'ai passé les vents et les courants, Et sont morts mes parents 1 Disant ces mots, il perd courage, SUr leur tombe il cueille une fleur, Et rembarque, fóur de douleur, Malgré la tempête et 1'orage. Ah! dans la mer le matelot monrant A rejoint ses parents! Mabo Legrand. Le vieux Vagabond. 87 LXIX LE VIEUX VAGABOND. Dans ce fossé cessons de vivre; Je finis vieux, infirme et las. Les passants vont dire: II est ivre; Tant mieux! ils ne me plaindront pas, J'en vois qni détournent la tête; D'autres me jettent quelques sons. Courez vite; allez a la fête. Vienx vagabond, je puis mourir sans vous. Oui, je meurs ici de vieillesse, Paree qu' on ne meurt pas de faim ; J'espérais voir de ma détresse L'hópital adoucir la fin. Mais tout est plein dans chaque hospice, Tant le peuple est infortuné; La rue, hélas! fut ma nonrrice. Vieux vagabond, mourons oü je suis né. Aux artisans, dans mon jeune age, J'ai dit: Qu'on m'enseigne un métier! — Va, nous n'avons pas d'ouvrage, Répondaient-ils, va mendier. Riches, qui me disiez: Travaille, J'eus bien des os de vos repas; J'ai bien dor mi sur votre paille. Vieux vagabond, je ne vous mandis pas. J'aurais pu voler, moi, pauvre homme; Mais non : mieux vaut tendre la main. Au plus, j'ai dérobé la pomme Qui mürit au bord du chemin. 88 La Mère et ses deux Fils. Vingt fois pourtant, on me verrouille' Dans les cachots, de par le roi; De mon senl bien on me dépouille. Vieux vagabond, le soleil est a moi. Le pauvre a-t-il une patrie? Que me font vos vins et vos blés, Votre gloire et votre industrie, Et vos orateurs assemblés? Dans vos murs ouverts a ses armes Lorsque 1'étranger s'engraissait, Comme un sot j'ai versé des larmes. Vieux vagabond, sa main me nourrissait. Comme un insecte fait pour nuire, Hommes, que ne m'éerasiez-vous ? Ah! plutöt vous deviez m'instruire A travaüler au bien de tous. Mis a 1'abri du vent contraire, Le ver fut devenu fonrmi; Je vous aurais chéris en frère, Vieux vagabond, je meurs votre ennemi. Pierre-Jean de Béranger. LXX LA MÈRE ET SES DEUX FILS. Ecoutez un mot, mes amis, Qui me parait beau de tendresse. D'une mère entre ses deux fils, L'une de huit ans, l'autre de dix, Les soins se partageaient sans cesse. A leur tour ces objets chéris, . Les deux Lièvres. 89. A celle qni les intéresse Rendaient caresse ponr caresse. „Maman, lni dit nn jour 1'aïné, Vons m'avez sürement donné Des preuves d'un amour extréme; Malgré tout votre attachement, Vous ne pouvez pas cependant M'aimer autant que je vous aime. — Quoi! mon fils, de mes sentiments, Méconnais-tu le caractère? — Non, mais vous avez deux enfants, Moi, je n'ai qu'nne mère. Prtlipfe de la Madelaise. LXXI LES DEUX LIÈVRES. Jean Lelièvre a Léporin. „Mon cher Léporin, Cette lettre Qu'en tes pattes quelqu'un s'est chargé de remettre T'annonce que demain matin, Vingt-quatre juin, A 1'occassion de sa féte, Jean Lelièvre régale et traite En son logis Tous ses arms;. Que pour toi, Léporin, le couvert sera mis, Et que dans les plaisirs, Ta joie et la folie, Avec philosophie, Ensemble nous rirons des chagrins dè la vie. Réponse, s'il te plalt. Adieu, j'ai bien 1'honneur D'être ton humble serviteur, Ton meilieur ami, Jean Lelièvre.' 90 A Duperrier, sur la Mort de sa Fitte. Réponse de Léporin. „Si Léporin n'est pas retenu par la fievre, On bien par tont autre accident, II se propose De ne point perdre nn conp de dent, De ne point rester bonche close, Et de faire honneur an festin. A demain! Adieu. Ton ami, Léporin." Las! an bont d'un quart d'heure a peine - Une meute de chiens courants, Le mufle aux vents,. Les sent, leur soufile au poil, les poursuit dans la plaine. Blessés par des chasseurs, nos lièvres expirants Se rencontrent aux mêmes champs, Epuisés, hors d'haleine, Contre la mort luttant en vain. „Hélas! — dit Jean Lelièvre en pleurs a Léporin, Hélas! je vois que c'est folie, Dans cette vie, De compter sur le lendemain." FBÉDEBIC jAOgUIEB. LXXII A DUPERRIER, SUR LA MORT DE SA PILLE. Ta douleur, Duperrier, sera donc éternelle ? Et les trlstes discours Que te met en 1'esprit 1'amitié paternelle L'augmenteront toujours. A Duperrier, sur la Mort de sa Fitte. 91 Le malheur de ta fille au tombeau descendue Par un cotnmun trépas, Est-ce quelque dédale oü ta raison perdue Ne se retrouYe pas ? Je sais de quels appas son enfance était. pleine; Et n'ai pas. entrepris Injurieux ami, de soulager ta peine Avecque son mépris Mais elle était du monde, oü les plus belles choses Ont le pire destin; Et rose, elle a vócu ce que viverit les roses, L'espace d'un matin. - La mort a des rigueurs a nulle autre pareilles: On a beau la prier; La cruelle qu'elle est se bouche les oreillês# Et nons laisse crier. Le pauvre en sa cabane, oü le chaume le couvre, Est sujet k ses lois; Et la garde qui veille aux barrières du Louvre N'en dófend pas nos rois. De murmurer contre elle et perdre patience II est mal a propos; Vouloir ce que Dieu veut est la seule science . Qui nous met en repos. Francois db Malhebbk 1555—1028. 92 L'Ecole buissonnière. Lxxm L'ECOLE BUISSONNLERE. Trois enfants an babil mutin S'en allaient nn jour a 1'éeole. On était au printemps, on était au matin, Des boutons d'or 1'opulente corolle S'épanouissait dans le thym. Nos écoliers a tête folie Couraient se tenant par la main, Riant an papillón qui vole, Riant aux arbres du chemin. Tont a coup 1'nn des trois s'arréte: Teint lumineux et blonde tête, Vrai visage de chérnbin, Un rayon de soleil lui tombait sur la joue: „ Autour de nous tont rit et joue: Si nous jonions ? dit le bambin. Voyez 1 les animaux ne font rien ... Pas de classe Pour eux 1 pas de pensums, de férule a genoux ... Prions chaque animal qui passé De venir jouer avec nousl* Sitót dit, sitót fait. — Les voila tous en quëte, Interrogeant les bois touffus. Suppliant les oiseaux de partager leur fête; Mais, ö surprise! chaque béte Les accueilht par nn refus. „Moi, je n'ai pas le temps, répondit la fauvette; Je couve; mes petits de chaleur ont besoin! Veuillez me laisser seule, allez jouer plus loin. — Moi, je n'ai pas le temps, répondit 1'alouette; Je pars! D faut que demain sur la tour, J'annonce le lever du jour.' Un peu déconcertés et ne comprenant guère Ce que voulait dire 1'oiseau, L'Ecole buissonniève. 93 Nos enfants vont plus loin. Ils trouvent nn rnisseau, Une ferme. — Un beau coq poussait Sön cri de guerre En se pavanant prés de 1'eau. „Vous, monsieur, votre vie est bien inoecupée; Pour partager nos jeux, quittez votre fumier! — Saint Georges 1 dit le coq redressant son cimier, De quel air ces gens-la parient aux gens d'épée! Rien a faire? et le gnet? et la police? et puis Les assauts et les escarmouches ? Par le bruit que je fais, jugez ce que je puis! Foi de gentilhomme ! je suis Autre chose, messieurs, qu'un attrapeur de mouchesl" Ce mot fut entendu d'un voisin, un pinson, Qui s'escrimait du bec aux branches d'un buisson. D. trouva le terme un pen leste. „Sac a papier! fit-il, croyez-vous que je reste Les bras croisés ? Je chasse en chantant ma chanson; J'égaye et je nourris mes petits, ma femelle: Les mouches sont pour eux, la chanson est pour elle. Vous me traitez d'une étrange facon 1* Confus de la réponse et de la repartie, Et voyant ses projets échoués en partie. Le trio s'éloigna, cótoyant le rnisseau ... Les fourmis rassemblaient les pailles en faisceau, Des essaims bourdonnants d'abeilles Allaient pomper le miel au sein des fleurs vermeilles. La fraise du sentier se hatait de mürir, Et le blé de pousser, et le flot de courir... Dn travail 4 leurs yeux tout retracait 1'image. „Mais qnoi! ne pas jouer 1 Ce serait bien dommage!" Dirent-ils. Et voila qn'au levrant qui passait Ils présentèrent leur placet,' „Merci de votre politesse, Dit le quadrupède trottant; Mais Dieu, pour m'en servir, m'a donné la vitesse; Je ne puis avec vous rester nn seul instant; Mon mnseau n'est pas propre, il faut que je le lave." 94 Ne pleure pas. II s'échappe en disant ces mots, Non sans avoir, de son air le plus grave, Pris congé de nos trois marmots. Les enfants, refusés par tous les animaux, Depuis le coq au cri superbe Jusqu'au lourd hanneton construisant un pont d'herbe, S'adressèrent enfin au ruisseau murmurant, Qui tantót comme un lac, tantöt comme un torrent, Abreuvant de ses eaux la terre desséchée, Obéissait aux lois de sa pente cachée. „Ne fuyez pas si vite! Arrêtez-vous un peu! Dirent-ils au ruisseau ... Soyez de notre jeu . .. — Non, non! dit le ruisseau, qui blanchissait d'écumes... N'entendez-vous donc pas retentir les enclumes ? La meule du moulin au monotone bruit Compte sur moi... Je vais, je marche jour et nuit! M'arrêter! Et qui donc féconderait la plaine? Qui brolrait le froment? qui laverait la laine? Qui ferait manoeuvrer tous ces mille marteaux? Qui, si je m'arrêtais, porterait les bateaux? Arrière, paresseux!" — Poursuivant sa carrière, Le ruisseau murmura ces mots: „Arrière! arrière!" Et s'éloigna. — Ceci compléta la lecon. Nos trois enfants, traités de si rnde facon, Eeconnurent que Dieu n'a rien fait de frivole. Profitant de 1'avis du coq et du pinson, Ils retournèrent a 1'école. COBDKLIEB DKI.ANOUE. LXXIV NE PLEURE PAS. Sais-tn combien d'étoiles Brillent au firmament? Sais-tu combien de voiles Luttent contre le vent? Un Nid brisé. 95 As-tu compté les mouches Que fait naltre un rayon ? Sais-tu combien de bouches, Soupirent un saint nom? Dieu le sait!... sa paupière Ne se ferme jamais: II voit 1'aigle en son aire, Le ver qu'on foule aux pieds. Et tu perdrais courage ? N'as-tu jamais ouï L'hymne dans le bocage ? . . . Ecoute et chante aussi! Andeé Theubiet. LXXV UN NID BRISÉ. Sous leur nid tombé, pêle-mêle, Gisent leurs pauvres, petits corps, La patte inerte, inerte 1'aile, Les uns mourants, les autres morts. Suspendus au lien fragile Qu'un coup de vent rompt aujourd'hui, Que d'amours dans ce pot d'argile, Que d'espoirs brisés avec lui! La mère n'en sait rien encore: Dans les champs, dès le point du jour, Pour sa familie elle picore; Elle reviendra ... Quel retour! 96 Mort de Jeanne d'Arc. Déserteurs du ciel solitaire Dont leB hötes sont mal nourris, Bien des moineaux plus prés de terre Acceptent de nous leurs abris. Oiseaux! n'acceptez rien des hommes, Nichez loin de nous, dans 1'azur; Tout asile est traitre, oü nous sommes, Le nid pesant, le clou pen sür. SuI.LY PRUDHOMMK. LXXVI MORT DE JEANNE D'ARC. *) Silence au camp! la vierge est prisonnière; Par un injuste arrét Bedford croit la flétnr : Jeune encore, eüe touche a son heure dernière... Silence au camp! la vierge va périr. A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers? Pour qui ces torches qu'on excite? L'airain sacré tremble et s'agite... D'oü vient ce bruit lugubre ? oü courent ces guerners Dont la foule a longs flots roule et se précipite? La joie éclate sur leurs traits! Sans doute 1'honneur les enflamme, Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais: Non, ces guerriérs sont des Anglais, Qui vont voir mourir une femme. Qu'ils sont nobles dans leur courroux! Qu'il est beau d'insulter au bras chargé dentraves. La voyant sans défense, ils s'écriaient, ces braves: „Qu'elle meurel elle a contre nous f Des esprits infernaux süscité la magie ... >) Voir notes et explieations, page 158. Mort de Jeanne éCAre. 97 Laches, qne lui repröchez-vous? D'un courage inspiré la brülante énergie, L'amour du nom francais, le mépris du danger; Voila sa magie et ses charmes. En faut-il d'autres qne des armes Pour combattre, pour vaincre et punir 1'étranger ? Du Christ, avec ardeur, Jeanne baisait 1'image; Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents! Au pied de 1'échafaud, sans cbanger de visage, Elle s'avancait a pas lents. Tranquille elle y monta. Quand, debont sur le faite, Elle vit ce bücher qui 1'allait dévorer, Les bourreaux en suspens, la flamme déja prête, Sentant son coeur faillir, elle baissa la tête, - Et se prit a pleurer. Ah! pleure, fille infbrtunée! Ta jeunesse va se flétrir Dans sa fleur trop tot moissonnée! Adieu, beau ciel, il faut mourir! Tn ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vauconleurs; Et ta chaumière et tes compagnes Et ton père expirant sous le poids des douleürs. Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle? N'osez-vous entreprendre une cause si belle? Quoi! vous restez muets! aucnn ne sort des rangs! Aucun ponr la san ver he descend dans la lice ! Puisqüun forfait si noir les trouve indifférents, Tonnez, confondez 1'injustice, Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais, Eteignez sous leurs flots les feux du sacriSce, Ou guidez an lieu dn supplice, A défaut du tonnerre, un chevalier francais. 7 98 Le petit Mitron. Après quelques instants d'nn horrible silence, Tont a conp le fen brille, il s'irrite, 0 s'élance.. . Le coeur de la guerrière alors s'est raminé: A travers les vapenrs d'une fumée ardente, Jeanne, encore menacante, Montre anx Anglais son bras a démi consumé. Pourquoi reculer d'épouvante? Anglais, son bras est désarmé. La flamme 1'environne et sa voix expirante Mnrmure encore: ,0 France! ö mon roi bien-aimé 1" Qüun monument s'élève au Keu de ta naissance, O toi, qui des vainqueurs renversas les projets I La France y portera son deuil et ses regrets, Sa tardive reconnaissance; Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès; Puissent croltre avec eux ta gloire et sa puissance! Que sur 1'airain fünèbre on grave tes combats, Des étendards anglais fuyant devant tes pas, Dieu vengeant par ta main la plus juste des causes. Venez, jeunes beautés 1 venez, braves soldats! Semez sur son tombeau les lauriers et les roses. Qu'un jour le voyageur, en parconrant ces bois, Cueille un rameau sacré, 1'y dépose et s'écrie: „A celle qui sauva le tröne et la patrie, Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits. y -EOt* Casimir Delavigne. LXXVII LE PETIT MITRON. C'était un pauv' petit mitron Qui mitronnait des pains d'un rond. Quand il pétrissait la farine, D était blanc comm' de 1'hermine. Le petit Mitron. 99 Tost' la journée il tra vaillait, Et quand la nuit il dormait, C'était sur un sac, snr la dure: L'patron n'fournit pas d'couverture. C'était un pauv' petit mitron Qni mitronnait des pains d'un rond. Un soir d'hiver, par les grands froids, Fallut porter 1'gateau des Bois, Tout fnmant, bien rose et bien tendre, Chez des rich's qu'aimaient pas attendre. L'patron lui dit: „Tn sonp'ras d'main. Si t'as froid, soufflé dans ta main, Si t'as soif, y a d'la neige a boire; Puis, t'auras p'tét' deux sous d'pourboire. C'était nn pauv' petit mitron Qui mitronnait des pains d'un rond. II marcha longtemps. A la fin, Transi de froid et monrant d'faim, Comme nn criminel qn'on pourchasse, II s'blottit au fond d'nne impasse. II allait mordre au grand gateau, II sentit sa gorge a 1'étan. Un' voix criait: „Mieux vaut la tombei* Tombe la neige, tombe, tombe! C'était un pauv' petit mitron Qni mitronnait des pains d'un rond. B se r'mit en marche tout seul, Enveloppé d'un blanc linceul. C'était comme un manteau d'froidure Qui lui v'nait jusqu'a la ceinture. 100 Le petit Mitron. Quand il marcbait, ses jamb's tremblaient; Quand il pleurait, ses laf mes g'laient. Tout a coup, pris par 1'avalanche, II tomba raid' Sur la neig' blanche. C'était un pauv' petit mitron Qui mitronnait'des pains dün rond. II s'endormit prés du gateau Et rêva qu'en un blanc chateau Trois rois aux simarres étranges, Le petit Jésus et les anges, Vétus de neige et de satin, L'invitaient a leur blanc festin. Les mets étaient de blanche neige, De blanche neige de Norvège.' C'était un pauv' petit mitron Qui mitronnait des pains d'un rond. Au point du jour, un chiffonnier Quêtant pour emplir son panier, Vit dans la neige un' gnenill' blanche. E marche, il éconte, il se penche, C'était comme un soupir d'enfant; On aurait dit qu' c*éMt';vivant Quéq' chos' s'envola d'un' poitrine: C'était blanc comme nn peu d'farine. C'était 1'am' du petit mitron. Y n' mitronna plus d'pains d'un rond. Maubice Boukay (Cbaeles-Maurice Coüïba)-1866. Les Fourmis. 101 LXXVIII LES FOURMIS. Enfant qnel démon t'a permis, En la turbnlence écolière, De tronbler notre fourmilière En nons tnant qninze fourmis? Le soleil chanffait par la lande — Mesnrant sa féconde ardeur — Les elochettes et les odeurs De nos brnyères en guirlande, Et 1'apre terre du chemin, Lourde, sèche et pourtant vivace, Se creusait de mille crevasses, Telles les lignes d'une main. ... Sur ce tiert re jaune oü s'allient D'humbles fleurs de Petit Poucet, La fourmilière se dressait, Ronde, rouge, rousse et remplie! La face pourpre de 1'été, Ouvrant, a 1'abri des feuillees, Ses prnnelles écarquillées, Protégeait son activité. Comme un filet aux souples mailles, S'étalait son dos' arrondi, Entre-croisé, vers le midi, De pattes et de brins de paille. En la paix dont nul curieux N'avait encor rompu le charme, Elle poursuivait, sans alarme, Son grouillement laborieux, Et mes soeurs, dardant par centaines Leur gros ceil actif et percant, Se disaient bonjour, en passant De la pointe de leurs antennes. 102 Les Fourmis. «Votre santé, ma scenr? Votre mari? Vos ceufs? Vos parents, dites-moi voyagent-ils encore?' „Je vais bien. Mes ceufs vont éclore. Mes parents sont rentrés chez eux. Ponr mon mari (je suis sincére), II ne fait qne dormir on ronger mon butin; Je le tnerai demain matin Puisqu'il ne m'est plus nécessaire." „Bravo! Qne portez-vons?" „Trois pépins de raisin. Qnel fardeau! J'en deviens bossne. Je me tralne, J'ai chand. Je sne. Mais je les venx cacher en ce couloir voisin, An plus orenx de mon magasin." „Le lot, certes, vant la corvée!" „Vos réserves d'hiver, ma soenr, sont achevées?" „Ne m'en parlez point! Les petits ' Montrent si féroce appétit Qn'il ne me reste plus qn'nn vieux quartier de pomme." „Une fourmi, bientöt, mangera pfns qn'nn homme!" „Une noix, ce soir, y passa!... Ah! si ma mère avait vu 9a, Qui, même avant son mariage, Avait 1'horrenr du gaspillage!" Savez-vous que la Frivolet La fille de Piqué-Hardie, Fut prise au bec d'un roitelet Comme elle se chauffait au soleil?" „L'étourdie!" „Mais éèoutez ceci, ma soenr; Ce roitelet, soudain blessé par nn chasseur Vient — 1'aventure est singnlière — De tomber sur la fourmilière. Les nötres, par le bont de ses deux aileröns, Dans l'espoir de faire ripaille, L'entraïnent jusqüici." „Sns! nous les aiderons! Les Fourmis. 103 Sus!' „L'animal est des plus ronds Et de tont a fait belle taille!" „Dn roitelet, ma soeur!" „Courons, ma soenr!" ■Courons!" Ainsi dans la tiède atmosphère, Le petit peuple frétillant S'abordait, tont en travaillant, Ponr se raconter ses affaires. Cependant, tu passais, nonchalant écolier, A cette henre oü midi le long des fronts ruisselle, Tralnant an bont d'une ficelle Ton livre en friche et ton cahier, De 1'allure rampante et lasse De chenille ou de limacon Qne prennent, ponr aller en classe, Cenx qni ne savent leur lecon. Tn passais, face courte, ingrate et dépeignée, Irrité d'être en faute et pret, ponr t'apaiser, A tont détruire, a tont briser, Arrachant de 1'herbe a poignées! Snrgit notre maison. Vite, il faut 1'écraser! II faut rédnire — quelle aubaine! — Ces travailleurs couleur d'ébène, Ces gens, moqueurs a leur facoi), Qui savent si bien leur lecon! Mon enfant, 1'injuste reproche! Beau prétexte d'un cceur jalonx!... Tout en ricanant tn t'approches Et, dressant ton soulier, ferré de larges clous, Meurtris la place la plus proche! Yoilè quand on m'embête, na!" 104 Les Fourmis. Jusqu'au fond des terriërs le sol en résonna. Chacune de nos ouvrières De frayeur bondit en arrière. „Quoi? Qn'arrive-t-il ? Qn'est ceeif* Les males s'éveillaient -anssi, Eux qne, cependant, rien n'éveille. Jamais épouvante pareille: Quinze des nótres, ö noircenr! — Quelle ame un tel coup représente! Gisaient en tas, les pauvres soenrs, Soit mortes, soit agonisantes. Patte-Aiguille, Petit-Oeil-Fin, Je-Récolte et Je-me Promène, Et jusqu'a Trottinette enfin, Une vieille de six semaines Qui, mourant sans discours oiseux, Dit simplement: Sanvez mes cents!' Cependant, enfant détestable, Coeur malfaisant, affreux cervean, Tu levais sur nous a nouveau Cette semelle épouvantable, Quand, étirant son corselet De tout le yonloir de sa force, La fourmi rouge, Gratte-Ecorce, Atteignit, d'un bond, ton mollet: Crie! sous la cuisson qne procnre A I'épiderme bien tendu La prompte et directe piqüre, Tu t'enfuis, hurlant, éperdu. Toi qui, sous les doigts tachés d'encre, Sous les dix doigts d'un petit cancre, . Péris d'un trépas désolant Aux plis d'un bas rouge a pois blancs, Toi qni mourus sans sépulture, Poudre d'atome au gré du vent, De mort héroïque, en sauvant Le Coffret. 105 Ton penple et sa progéniture, Gratte-Esbore 1 que 1'avenir T'honore, 6 fourmi-chevalière. Et transmette ton souvenir De fourmilière en fourmilière! Et toi, paresseux et méchant, Poulain laché qui caracoles Par les sentiers, a travers champs, Pnyant la grand'route et 1'école, Puisses-tu, ce soir, endormi Voir, au bord de ton drap posées, Les Ombres des quinze fourmis Roulant leurs gros yeux ennemis Et te suppliant a demi De leurs pattes entre-croisées! Gabriel Nigonu 1877. LXXIX LE COFPRET. Ma mère pour ses jours de deuil et de souci, Garde, dans un tiroir secret de sa commode, Un petit coffre en fer rouillé, de vieille mode, Et ne me 1'a fait voir que deux fois jusqüici. Comme un cercueil, la boite est fnnèbre et massive, Et contient les chevenx de ses parents défunts, Dans des sachets jannis aux pénétrants parfums, Qu'elle vient quelquefois baiser, le soir, pensive! Quand sont mortes mes sceurs blondes, on 1'a rouvert Pour y mettre des pleurs et denx boucles friséés! Hélas! nous ne gardions d'elles, chalnes brisées, Que ces deux anneaux d'or dans ce coffret de fer. 106 Waterloo. Et toi, pnisque tont front vers le tombeau se penche, O mère, quand viendra 1'inévitable jour Oü j'irai dans la boite enfermer a mon tonr Un pen de tes cheveux, qne la mèche soit blanche!... jiiïfV! 11 Georges Kodenbach 1899. LXXX WATEBLOO. ') Waterloo! Waterloo, Waterloo! morne plaine! ■ Comme une onde qui bont dans nne urne trop pleine, Dans ton cirqne de bois, de coteanx, de vallons, La pale mort mêlait les sombres bataillons. D'un cóté c'est PEurope, et de l'autre la France. Choc sanglant! Des héros Dieu trompait 1'espérance; Tu désertais, victoire, et le sort était las. O Waterloo! je pleure et je m'arrête, hélas! Car ces derniers soldats de la dernière guerre Furent grands; ils avaient vaincu toute la terre, Chassé vingt rois, passé les Alpes et le Bhin, Et leur ame chantait dans les clairons d'airain! Le soir tombait; la lntte était ardente et noire. D avait 1'offensive et presque la victoire; II tenait Wellington acculé sur un bois. Sa lunette a la main, il observait parfois Le centre du combat, point obscur oü tressaille La mélée, effroyable et vivante broussaille, . Et parfois 1'horizon, sombre comme la mer. Soudain, joyeux, il dit: „Grouchy!" — C'étaitBlücher! L'espoir changea de camp, le combat changea d'ame, La mélée en hurlant grandit comme nne flamme, La batterie anglaise écrasa nos carrés, La plaine, oü frissonnaient les drapeanx déchlrés, ') Voir notes et explicattons page 159. Waterloo. 107 Ne fat plus, dans les cris des mourants qu'on égoige, Qu'un gouffre flamboyant, rouge comme nne forge; Gouffre oü les régiments, comme des pans de mnrs, Tombaient, ou se coucbaient comme des épis mürs Les hauts tambours-majors aux panaches énormes, Oü 1'on entrevoyait des blessures difiörmes! Carnage affreux! moment fatal! l'homme inquiet Sentit que la bataille entre ses mains pliait, Derrière un mameion la garde était massée, La garde, espoir suprème et suprème pensée! — „Allons! faites donner la garde 1' cria-t-il; Et Lanciers, Grenadiers aux guêtres de coutil, Dragons que Rome eüt pris pour des légiónnaires, Cuirassiers, canonniers qui tralnaient des tounerres, Portant le noir ooiback ou le casque poli, Tous, cenx de Friedland et cenx de Riyoli, Comprenant qu'ils allaient mourir dans cette fête, Saluèrent leur dieu, debout dans la tempête. Leur bouche, d'un seul cri, dit: „Vive 1'empereurl* I Puis, a pas lents, musique en tête, sans fureur, Tranquille, souriant a la mitraille anglaise, La garde impériale entra dans la fonrnaise. Hélas! Napoleon, sur sa garde peuché, Regardait, et sitót qu'ils avaient débouché Sous les sombres canons crachant des jets de souflre, Voyait, 1'un après l'autre, en eet horrible gouffre, Pondre ces régiments de granit et d'acier, Comme fond une cire au soufflé d'un brasier. Ils allaient, 1'arme au bras, front haut, graves, stoïques. Pas un ne recnla. Donnez, morts héroïquesl Le reste de 1'armée hésitait sur leurs corps. Et regardait mourir la garde. — C'est alors Qu'élevant tout a coup sa voix dósespérée, La Déroute, géante a la face effarée, Qui, pale, épouvantant les plns fiers bataillons, Changeant subitement les drapeaux en haillons, A de certains moments, spectre fait de fumées, 108 Waterloo. Se léve grandissante an milieu des armées, La Déronte apparut an soldat qni s'émeut Et, se tordant les bras, cria: „Sauve qni pent!" Sauve qni pent! affront! horreur 1 Tontes les bouches Criaient; a travers champs, fons, éperdns, farouches, Comme si qnelqne soufflé avait passé snr eux, Parmi les lourds caissons et les fourgons poudrettx, Roulant. dans les fossés, se cachant dans les seigles, Jetant shakos, manteanx, fusils, jetant les aigles, Sons les sabres prussiens, ces vétérans, ö deuil! Tremblaient, hurlaient, plenraient, couraient! — En nn clin d'oeil, Comme s'envole au vent une paille enflammée, S'évanouit ce bruit qui fut la grande armee; Et cette plaine, hélas! oü 1'on rêve aujourd'hui, Vit fuir ceux devant qui Tunivers avait fui! Quarante ans sont passés, et ce coin de la terre, Waterloo, ce plateau funèbre et solitaire, Ce champ sinistre oü Dieu mêla tant de néants, Tremble encor d'avoir vu la fuite des géants! Napoléon les vit s'éconler comme un fleuve Hommes, ehevaux, tambours, drapeaux; — et, dans 1'épreuve Sentant confusément revenir son remords, Levant les mains au ciel, il dit: „Mes soldats morts, Moi vaincul mon empire est brisé eomme verre. Est-ce le cha timent cette fois, Dien sévère?" Alors parmi les cris, les rumeurs, le canon, II entendit la voix qui lui répondait: „Non." II croula. Dieu changea la chalne de 1'Enrope. Victob Hugo. F A B L E S. T.fis fohios ne sont nas ce qu'elles semblent être Le plus simple animal nons y tient lieu de maït Une morale nue apporte de 1'ennni, T.n Mita fait tuwsM- lfi TiréfieDte aVeC lui. LXXXI LA ROBE DE L'INNOCENCE. Ayant perdu sa robe, on dit. que 1'Innocence En vain pour la chercher courut chez le Plaisir, Chez la fortune et la Puissance: Qui la lui rapporta? — Ce fut le Repentir. PlEBRK LACHAMBEAUDIE. Lxxxn L'AIGLE ET LE LIMACON. An sommet d'un arbre grimpé, ün jour 1'oiseau du maltre du tonnerre ') T voit nn limacon: „Mes yeux m'ont-ils trompé ? Dit-il: non, c'est bien la 1'excrément de la terre; Et comment as-tu fait pour venir? — J'ai rampé. Latsz. lxxxhi l'araignée et le ver a soie. l'araignée en ces mots raillait le ver a soie: „Bon Dieu! qne de lenteur dans tout ce que tu fais! ■ Vois combien peu de temps j'emploie a tapisser un mur d'innombrables filets. i) Jopiter. 112 La Fumée et la Flamme. — L'Enfant et le Chat. — Soit; répondit le ver, mais ta toile est fragile; Et puis, a qnoi sert-elle? a rien. Pour moi, mon travail est utile; Si je fais pen, je le fais bien." niK-I'BMrt;ois t« Bailly 1756—1832. LXXXIV LA FUMÉE ET LA FLAMME. La fumée a la flamme adressait ce discours: „Ma mère, par quelle aventure, Tenant 1'être de vons, suis-je toujours obscure, Tandis que vous brillez toujours? — Cette aventure n'est pas neuve Ma fille, et vous êtes la preuve, Lui dit la flamme, qn'ici-bas On ne brillo en effet que de son propre lustre. Aux enfants il ne suffit pas D'être sorti d'un pèm-illustre." Le Bon Génie. LXXXV L'ENFANT ET LE CHAT. Tout en se promenant, nn bambin déjennait De la galette qu'il tenait. Attiré par 1'odeur, un chat vient, le caresse, Fait le gros djp,: tour ne et vers lui se dresse. „Oh! le joli minet!...* Et le marmot charmé Partage avec celui dont il se croit aimé. Mais le flatteur a peine obtient ce qu'il désire, | Qu'au loin U se retire. „Ha! Ha! ce n'est pas moi, dit 1'enfant consterné, Qne tu suivais; c'était mon déjeuner." GUIGHAKU. Le Matelot. — La Nouveauté. 113 LXXXVI LE MATELOT. APOLOGÜB OBIINTAL. Un matelot partait ponr les pays lointains; Qaelqu"an 1'en détoarnait: ,Öü vas-tu, téméraire ? Conrir a des dangers presqne toujours certains. Car enfin tous les tiens, ton père, ton grand-père, Dans lenrs frêles vaisseaux ont rencontré la mort. — On les vótres, seigneur, ont-ils fini leur sort? Auraient-ils en des destins moins contraires ? — Vraiinent! ils sont morts dans leur lit. — Eh! comment osez-vous y passer une nuit, S'il fut dans tous les temps le tombeau de vos pères? Gr/rLTVEatARrj. LXXXVII LA NOUVEAUTÉ. Au bourg oü règne la Foliö, Un jour la Nouveauté parut; . Aussitöt chacnn acconrnt, Chacun disait: „Qu'elle est jolie! Ah! madame la Nouveauté, Demeurez dans notre patrie; Plus que 1'esprit et la beauté Vous y serez toujours chérie.' Lors la déesse a tous ces fous ' Répondit: „Messieurs, j'y demeure!" Et leur assigna rendez-vous Le lendemain a la même heure. 8 114 Le Rossignol et la Grenoidlle. Le lendemain, elle parat Aussi brillante que la veille; Le premier qai la reconnat S'écria: ,Dieux! comme elle est vieille l* Ekhest Hoffman 1776—1822. Lxxxvm LE ROSSIGNOL ET LA GRENOUILLE. Un rossignol contait sa peine Aux tendres habitants des bois. La grenonille, envieose et vaine, Vonlut contrefaire sa voix. „Mes soenrs, écoutez-moi, dit-elle, C'est moi qui sois le rossignol. Vons allez voir comme j'excelle Dans le bécarre et le bémol." Aussitöt la béte aquatique, Da fond de son petit thorax, Leur chanta ponr toute mnsique: Brre ke ke kex, koax, koax! Ses compagnes criaient merveilles;' Et toujours, fiére comme Ajax, ') Elle cornait a leurs oreilles: Brre ke ke kex, koax, koaxl Une d'elles, un peu plus sage, Lui dit: „Votre chant est fort beau: Mais montrez-nous votre plumage, Et volez sur ce jeune ormeau. ') Ajax, héros de la guerre de Trole. L'Aigle et le Moineau. 115 — Ma commère, Peau qui me mouille M'empêche d'élever mon vol. — Eh bien! demeurez donc grenouille, Et laissez-la le rossignol.' Jean Baptiste Koüssiau 1679—1741. LXXX1X L'AIGLE ET LE MOINEAU. N'ayant rien autre sous la serre L'aigle fondit sur un moineau. „Ah! sire, dit le pauvre hère, Je suis un bien petit morceau! — C'est juste, répondit le sire, Mais le sort ainsi 1'ordonna: Quand on n'a pas ce qu'on désire, II faut manger ce que 1'on a. J'accomplirai ce sacrifice, Qui n'était pas dans mes projets. H faut bien qu'un roi se nourrisse Dn sang de ses pauvres sujets. J'aimerais bien mieux pour pature Un pigeon, un merle, un perdreau, Et, quoique sa chair soit bien dure, J'aimerais mieux même un corbeau. Mais, si mince que soit la proie, II m'en faut une; la voila. Va donc oü. le destin t'envoie." Ainsi, parlant, il 1'avala. C'est la loi, 1'usage, la règle, Chez l'homme ainsi que chez 1'oisean: Le moineau ne mangeant pas l'aigle, L'aigle doit manger le moineau. Gustave Nadaüd 1820. 11* L'Enfant et le Miroir. XC L'ENFANT ET LE MIROIR. Un enfant élevé dans nn pauvre village Revint chez ses parents et fut surpris d'y voir Un miroir. D'abord il aima son image; Et puis, par un travers bien digne d'un enfant, Et même d'un être plus grand, H veut ontrager ce qu'il aime, Luit fait une grimace, et le miroir la rend; Alors son dépit est extréme; II lui montre un poing menacant, II se voit menacé de même. Notre marmot, faché, s'en vient, en frémissant, Battre cette image insolente; II se fait mal aux mains. Sa colère en augmente; Et furienx, au désespoir, Le voila, devant ce miroir, Criant, plenrant, frappant la glacé. Sa mère, qui survient, le console, 1'embrasse, Tarit ses pleurs, et doncement lui dit: „N'as-tu pas commencé par faire la grimace A ce méchant enfant qui cause ton dépit? — Oni. — Regarde a présent: tu souris, il sourit Tu tends vers lui les bras, il te les tend de même Tu n'es plus en colère, il ne se fache plus: De la société tu vois ici 1'emblême; Le bien, le mal nous' sont rendus." Clabis de Florian 1755—1794. Le Lion et le Bat. — La Poule aux Oeufs d'Or. 117 XCI LE LION ET LE RAT. II faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde: On a soutent besoin d'un plus petit qne soi. De cette vérité deux fables feront foi; Tant la chose en prenves abonde. Entre les pattes d'un lion Un rat sortit de terre assez a 1'étourdie. Le roi des animanx, en cette occasion, Mon tra ce qu'il était, et lui donna la vie. Ge bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un anrait-il jamais cru Qu'un lion d'un rat eüt affaire? Cependant il avlnt qu'au sortir des foröts Le Lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire rat accourut, et fit tant par ses dents, Quüne maille rongée emporta tout 1'ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni qne rage. JEAN DE LA FoNTAINK 1621—1615. XCII LA POULE AUX OEUFS D'OR. L'avarice perd tout en voulant tout gagner. Je ne yeux, pour le témoigner, Qne celui dont la poule, a ce que dit la fable, Pondait tous les jours un ceuf d'or. II crut que dans son corps elle arait un trésor: 118 Le Ldboureur et ses Enfants. II la tua, 1'ouvrit, et la trouva semblabe A celles dont les ceufs ne lui rapportaient rien, S'étant lui-même öté le plus beau de son bien. Belle lecon pour les gens chiches! Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vns, Qui du soir au matin sont pauvres devenus, Pour youloir trop tot être riches. jean DE la fontaine. XCIII LE LABOUREÜR ET SES ENFANTS. Travaillez, prenez de la peine: C'est le fonds qui manque le moins. Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur paria sans témoins. — Gardez-vous, leur dit-il, de vendre 1'héritage Que nous ont laissé nos parents: Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas I'endroit, mais un pen de courage Vous le fera trouver; vous en vièndrez a bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait 1'ofl.t: Creusez, fouillez, bêchez, ne laissez nuUe place Oü la main ne passé et repasse. Le père mort, les fils vous retournent le champ, Deca, dela, partout: si bien qu'au bout de Tan II en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer, avant sa mort, Qne le travail est un trésor. Jean de la Fontaine. Le petit Poisson et le Pêcheur. 119 XCIV LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR. Petit poisson deviendra grand, Pourvu qne Dien lui prête vie. Mais le lacher en attendant, Je tiens pour moi que c'est folie; Car de la rattraper il n'est pas trop certain. Un carpeau, qui n'était encore que fretin, Fut pris par un pêcheur au bord d'une rivière. — Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin; Voila commencement de chère et de festin; Mettons-le en notre gibeciöre. Le pauvre carpillon lui dit en sa manière: —■ Que ferez-vous de moi? je ne saurais fournir Au plus qu'une demi-bonchée. Laissez-moi carpe devenir: Je serai par vous repêchée; Quelqne gros partisan m'achètera bien cher: Au lieu qu'il vous en faut chercher Peut-être encor cent de ma taille Pour faire un plat: qnel plat 1 croyez-moi, rien qui vaille. — Rien qni vaille! Eh bien! soit, repartit le pêcheur; Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur, Vous irez dans la poèle; et vous avez beau dire, Dès ce soir on vous fera frire. Un tiens vaut, ce dit on, mieux qne deux tu l'auras: L'un est sur, l'autre ne Pest pas. Jean de la Fontaine. 120 La Vieille et les deux Servantes. XCV LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES. II était nne vieille ayant deux chambrières. Elles filaient si bien, qne les sceurs filandièfes ') Ne faisaient que brouiller au prix de celles-ci. La Vieille n'avait point de plus pressant souci Que de distribuer aux servantes leur tache. Dès que Thétys cbassait Fhébus aux crins dorés, Tourets entraient en jeu, fnseanx étaient tirés. Deca, dela, vous en aurez: Point de cesse, point de relache. Dès qne 1'aurore, dis-je, en son char remontait, Un misérable coq a point nommé chantait; Aussitót notre vieille, encor plus misérable, S'affüblait d'un jnpon crasseux et détestable, Allumait une lampe, et courait droit au lit, Oü, de tout leur pouvoir, de tout leur appétit, Dormaient les deux pauvres servantes. L'une entr'ouvait un csil, l'autre étendait un bras! Et toutes deux, trés mal contentes, Disaient entre leurs dents: maudit coq! tn mourras: Comme elles 1'avaient dit, la béte fat grippée: Le réveille-matin ent la gorge coupée. Ce meurtre n'amenda nullement leur marché: Notre couple, au contraire, a peine était couché, Que la vieille, craignant de laisser passer 1'heure, Courait comme un lutin par toate sa demeure. C'est ainsi que, le plus souvent, Quand ou pense sortir d'une mauvaise affaire, On s'enfonce plus avant: Témoin ce couple et son salaire. La vieille, au lieu du coq, les fit tomber par la De Charybde en Scylla. Jean de la Fontaine. 1) Voir notes et explicatiuns page 159. La Mort et le Bücheron. 121 XCVI LA MORT ET LE BÜCHERON. Un pauvre bficheron, tont couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans, Gémissant et courbé, marchait a pas pesants, Et tachait de gagner sa cbaumine enfumée. Enfin, n'en pouvant plus d'efibrt et de douleur, n met bas son fagot, il sorjge a son malheur. Qnel plaisir a-t-il eu, depuis qu'il est au monde? En est-il un plus pauvre en la machine ronde? Point de pain quelqnefois, et jamais de repos; Sa femme, ses enfants, les soldats, les impóts, Le créancier et la corvée Lui font d'un malheureux la peinture achevée. II appelle la mort. Elle vient sans tarder, Lui demande ce qu'il faut faire. C'est, dit-il, afin de m'aider A recharger ce bois; tu ne tarderas.guère. Le trépas vient tout guérir; Mais ne bougeons d'oü nous sommes: Plutöt soüffbir que mourir, C'est la devise des hommes. Jean de la Fontaine. 122 Le Chêne et le Roseau. XCVÏI LE CHÊNE ET LE ROSEAU. Le chêne on jour dit au roseau: — Vous avez bien sujet d'accuser la nature; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent, qui d'aventure Fait rider la face de Teau, Vous oblige a baisser la tête; Cependant que mon front, au Caucase l) pareil. Non Content d'arrêter les rayons dn soleil, Brave 1'effort de la tempête. Tont vous est aqtiilon, tout me semble zéphyr. Encor si vous naissiez a 1'abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n'auriez pas tant a souffrir; Je vous défendrais de 1'orage; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. — Votre compassion, lui répondit 1'arbuste, Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci; Les vents me sont moins qu'a vous redontables; Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici ' Contre leurs coups épöuvantables Résisté sanS courber lé dos; Mais attendons la fin. — Comme il disaHfces mots, Du bout de 1'horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le nord ent portes jusqne-la dans ses flancs. L'arbre tient bon; le roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu'il déracine Celui de qui la tête au ciel était voisine, Et dont le pied tonchait a 1'empire des morts. Jean se la Fontaine. l) Voir notes et explications page 159. La Laitière et le Pot au Lait. 123 xcvm LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT. Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait, Bien posé sur un coussinet, Prétendait arriver sans encombre a la ville. Légère et court vêtue, elle allait a grands pas, Ayant mis, ce jour la, pour être plus agile, Cotillon simple et souliers plats. Notre laitière ainsi troussée Comptait déja dans sa pensée Tont le prix de son lait, en employait 1'argent; Achetait un cent d'ceufs, faisait triple couvée; La chose allait a bien par son soin diligent. — B m'est, disait-elle, facile D'élever des poulets autour de ma maison; Le renard sera bien habile S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Le porc a s'engraisser coütera pen de son; B était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable: J'anrai, le revendant, de 1'argent bel et bon. Et qni m'empêchera de mettre en notre étable, Vu le prix dont il est, une vache et son veau, Que je verrai sauter au milieu dn tronpean? Perrette la-dessus saute aussi, transportée: Le lait tombe: adieu vean, vache, cochon couvée. La dame de ces biens, quittant d'nn ceil marri Sa fortune ainsi répandue, Va s'excuser a son mari, En grand danger d'être battue. • 1 "'Le récit en farce en fut fait; Ou 1'appela le Pot au lait. Jean de itjL Fontaine. 134 Le Renard et la Gigogne. XCIX LE RENARD ET LA CIGOGNE. Compère le renard se mit nn jonr en frais, Et retint a diner commère la cigogne. Le régal fut petit et sans beanconp d'apprêts: Le galant, ponr tonte besogne, Avait nn bronet clair: il vivait chichement. Ce bronet fut par lui servi sur une assiette; La cigogne au long bec n'en put attraper miette; Et le dröle eut lapé tout en un moment. Ponr se venger de cette tromperie, A quelque temps de la, la cigogne le prie. — Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis Je ne fais point cérémonie. A lneure dite, il courut au logis De la cigogne, son hótesse, Loua trés fort sa politesse; Trouva le dïner cuit a point; Bon appétit surtout: renards n'en manquent point. D se réjouissait a 1'odeur de la viande, Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande. On servit, pour 1'embarrasser, En un vase a long col et d'étroite embouchure; Le bec de la cigogne y pouvait bien passer; Mais le museau dn sire était d'antre mesure. B lui fallut a jeun retourner an logis. Honteux comme un renard qu'une poule anrait pris, Serrant la queue et portant bas PoreMe. Trompeurs, c'est pour vous que j'ócris; Attendez-vous a la. pareille. Jean db la Fontaine. Le Lion, le Loup et le Renard. 126 LE LION, LE LOUP ET LE BENARD. Un lion, décrépit, goutteux, n'en pouvant plas, Voalait que 1'on trouvat remède a la vieillesse. Alléguer 1'impossible aux rois, c'est nn abus. Celui-ci parmi chaque espèce Manda des médecins: il en est de tous arts. Médecins au lion viennent de toutes parts; De tous cötés lui vient des donneurs de recettes. Dans les visites qui sont faites, Le renard se dispense, et se tient clos et coi. Le loup en fait sa cour, daube, an coucher du roi, Son camarade absent. Le prince tont a 1'heure Vent qu'on aille enfumer renard dans sa demeure, Qu'on le fasse venir. II vient, est présenté, Et sachant qne le loup lui fais ai t cette affaire: — Je crains, Sire, dit-il, qn'nn rapport pen sincère Ne m'ait a mépris impnté D'avoir différé eet hommage, Mais j'étais en pèlerinage, Et m'acquittais d'un vceu fait ponr .votre santé. Même j'ai vu dans mon voyage Gens experts et savants, leur ai dit la langueur Dont votre Majesté craint a bon droit la suite. Vous ne manquez que de chaleur; Le long age en vous 1'a détruite: D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau Toute chaude et toute fumante: Le secret sans doute en est beau Pour la nature défaillante. Messire loup vous servira, S'il vous plalt, de robe de chambre. Le roi goüte eet avis-la: On écorche, on taille, on démembre Messire loup. Le monarque en soupa, Et de sa peau s'enveloppa. 126 Le Lion, le Loup et le Renard. Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire; Faites, si vous pouvez, votre cour. sans vous nuire Le mal se rend chez vous au quadruple du bien. Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autfe mamère Vous etes dans une carrière Oü 1'on ne se 'pardonne rien. Jean de la Fontaine. CHANSONS PATRIOTIQUES ET MILITAIRES. Fout qui combattes-Yons et pour qui mourojc-voua t — C'est pour la France! Cl CEUX QUI RESTENT. Ton nom France est si donx, qu'il me semble, a 1'entendre, Qne 1'air en est plus par et le soleil plas bean; . Nos mères 1'ont appris a lenrs fils an berceau, Ce donx nom, qne nos fils anx leurs sauront apprendre. Des terres de 1'Alsace aux plaines de la Flandre, De la rive du Rhin jusqu'au bord de 1'Eseaut, . Autour des trois couleurs qui Torment ton drapeau, Tes enfants sont debout, France, pour te défendre! Venus de la forêt, du mont et du labour, Leurs coeurs en un seul battent d'un même amour; Un élan fraternel les emporte et les lie; Et tandis qu'a la gloire, ils s'en vont en chantant, Laisse-nous humblement, laisse-nous, 6 Patrje, Laver tes beaux pieds nns qni marchent dans le sang! HENBI DB HÉQNIUR. CII L'ECOLE EN 1914. Quand le canon prend la parole, Les beaux discours ne sont plus rien : Viens, petit, revoir ton école On le maltre parlait si bien. 9 130 VEcole en 1914. Dans toutes les salles de classe, Plns de bancs par 1'encre salis; Partout on a mis, a la place, Des Hts de fer, de tristes lits. L'école oü vons chantiez, nagnère, Votre lecon, tant bien qne mal, Attend les blessés de la guerre: Votre école est un höpital. A cette école, viens apprendre Qu'nn penple en armes te défend: Les canons sont faits pour défendre La mère et son petit enfant. La France aux voleurs fait envie, Car elle est belle, tu le sais, Et nos soldats donnent leur vie Pour garder la France aux Francais. Sacbe-le: lorsqu'on est sans armes, On voit arriver les voleurs, Qui, malgré vos cris et vos larmes, Vous prennent vos biens les meilleurs! Adieu cbeval et vache! Porge Et le blé, trésors de nos champs! On nous pile et 1'on nous égorge, Car tous les voleurs sont móchants! Veux-tu que la France périsse? D'un élan, ton coeur m'a dit: „non! II faut sontenir la jnstice Avec le sabre et le canon!" Jje petit Soldat. 181 Et c'est par la même parole Que, de leurs 'Hts» m'ont répondu Nos Messes qui dans ton école, Saignent, — pour t'avoir défendu! Jean Aicahd. cm LE PETIT SOLDAT. Toi qui, de si leste facon, Mets ton fusil de bois en joue, Un jour tu feras tout de bon Ce dur métier que 1'enfant joue. II fandra courir sac au dos, Porter plus lourd que ces gros livres, Faire étape avec des fardeaux, Cent cartouches, trois jours de vivres. Soleils d'été, bises d'hiver Mordron t snr cette peau ver ni eil le; Les balles de plomb et de fer Te siffleront a chaque oreille. Tu seras soldat, cher petit 1 Tu sais, mon enfant, si je t'atmel Mais ton père t'en avertit, C'est lui qui t'armera lui-mèmel Quand le tambour battra demain, Que ton ame soit aguerrie; Car j'irai t'offrir, de ma main, A notre mère, la Patrie I 182 Petit Pioupiou. Tu vis dans tontes les douceurs, Tu connais les amours "sincères, Tu chéris tendrement tes soeurs, Ton père, et ta mère et tes frères! Sois fils et frère jusqu'au bout; Sois ma joie et mon espérance; Mais souviens-toi bien qn'avant tout, Mon fils, il faut aimer la France 1 VlOTOB DE LAPBADB 1812—1883. CIV PETIT PIOUPIOU. «J I. Petit pioupiou, Soldat d'un sou, Qu'as-tu rapporté de Orimée? C'était le temps oü notre armée, Toujours sans tréve ni repos: Portait a travers la fumée, Troués de balles, nos drapeaux ! Mais de ces vingt champs de victoire, Oü l'aigle ardent prenait son vol, Qu'as-tu rapporté pour ta gloire? — J'ai rapporté Sébastopol. II. — Petit pioupiou, Soldat d'un sou, Qu'as-tu rapporté d'Italie? C'était le temps de la folie; ') Voir notes et explioations, page 159. Le Sergent. 138 Nons hóus battiöns comme des preux. A qnoi bon? Cötnme on vous oublie, Quand viennent les jours malheureux! Mais de ces vingt champs dö victoire De nos frontières a 1'Arno, Qn'as tu rapporté pour ta gloire? — J'ai rapporté Solfórino. m Petit pioupiou, Soldat d'un sou, Qu'as-tu rapporté d'AUemagne? C'était le temps oü la campagne De notre pur sang s'arrosa: La Guerre, ayant pris pour compagne La Déroute, nous écrasa. Mais de 1'invasion infame ■ '•-iiriï Qui t'assombrissait 1'avenir, Qu'as-tu rapporté dans ton ame? J'ai rapporté le souvenir. ALBEItT OELFTT. CV LE SERGENT. C'était un vieux sergent des guerres d'Italie, Un de cenx que la mort pendant trente ans oublie Et laisse tristement blanchir sous le galon. Un biscaïen avait fracassé son talon, Et deux balles trouaient les os de sa machoire. II mourait seul, tout senl, sans rien, même sans gloire 1 134 Crux qui sont morts pour la Patrie. Ses lèvres remuaient, mais il ne parlait pas. „Eh bienl comment est-il? dis-je an major. — Trés bas. Pauvre diablel II n'a pas cinq mimi tes a vivre." Je regardai: son oeil terne semblait me suivre, Un frisson secouait son corps a demi-nu... Tout a coup, comme au bruit d'un tambour inconnu, Ses yeux lonrds et muets se gonflèrent de larmes. II se mit lentement sur le lit, au port d'armes, Dans le raidissement de son suprème effort... D'une voix claire, il dit: „Présent! Il était mort." Albebt Delïit. CVI CEÜX QUI SONT MORTS POUR LA PATRIE. Cenx qui pieusement sont morts pour la patrie Ont droit qu'a leur cercueil la foule vienne et prie. Entre les plus beaux noms leur nom est le plus beau. Toute gloire prés d'eux passé et tombe éphémère, Et comme ferait une mère, La voix d'un peuple entier les berce en leur tombeau. Anssi, quand de tels morts sont couchés dans la tombe, En vain 1'oubli, nnit sombre oü va tout ce qui tombe, Passé sur leur sépulcre oü nous inclinons; Chaque jour, pour enx seuls, se levant plus fidéle, La gloire, aube toujours nouvelle, Fait briller lenr mémoire et redore leurs nomsl Victob Hugo. La Patrie. — Le vieux Caporal. 185 ovn LA PATRIE. Ahl je vous 1'apprendrai 1'amour de la Patrie I Le plus saint des amours... La patrie est le lieu Oü 1'on aime sa mère, oü 1'on connut son Dieu; Oü naissent les enfants dans la chaste demeure, Oü sont tous les tombeaux des êtres que 1'on pleure. En vain 1'on nous condarnne a n'y plus revenir, Notre pieux instinct 1'habite en souvenirt , Nous 1'aimons malgré tout, même injuste en cruelle. Et pour ce noble amour il n'est point d'infidèle: La haïr dans 1'exil, c'est l'impossiUé >ffort; Proscrit, nous revenons lui demander la mort, Et nons mourons joyeux si l'ingrate contrée Daigne garder nos os dans sa terre sacrée. Delphine Gat (Mme Emile Girardin) 1804-1855. CVIII LE VIEUX CAPORAL. En avant! partei, camarades, L'arme au bras, le fusil chargé. J'ai ma pipe et vos embrassades; Venez me donner mon congé. J'eu8 tört de vieillir au service; Mais pour vous tous, jeunes soldats, J'étais un père a 1'exercice. Conscrits, au pas; Ne pleurez pas, Ne pleurez pas; Marchez au pas, Au pas, au pas, au pas, au pas! 136 Le vieux Caporal. Un morveux d'officier m'ontrage; Je lui fends!... II vient d'en guérir. On me condamne, c'est- 1'nsage: Le vieux caporal doit mourir. •Poussé' d'humeur et de rogpmme Rien n'a pn retenir mon bras. Puis, moi, j'ai servi le grand homme, Conscrits, au pas; Ne pleurez pas, • Ne pleurez pas; - Marchez au pas, An pas, au pas, au pas, au pas! Conscrits vons ne.troquerez guères Bras on jambe contre une croix. J'ai gagné la mienne a ces guerres, Oü nous bouscnlions tous les rois. Chacnn de vous payait a boire Quand je racontais nos combats. Ce qne c'est ponrtant que la gloire! Conscrits, au pas; Ne pleurez pas, Ne pleurez pas; Marchez au pas, Au pas, au pas, au pas, au pas! Robert, enfant de mon village, Retourne garder tes moutons. Tiens, de ces jardins vois 1'ombrage: Avril fleurit mieux nos cantons. Dans nos bois. souvent dès 1'aurore J'ai déniché de frais appas.. j Bon Dieu! ma mère existe encore! Conscrits: au pas; Ne pleurez pas, Ne pleurez pas; Marchez au pas, Au pas, au pas, au pas, au pas! J, Bazeilles. 187 Qni la-bas sanglote et regardé? Eh! c'est la veuve da tambcrar. En Russie, a 1'arrière-garde, J'ai porté son fils nnit et jour. Comme le père, enfant et femme Sans moi restaient sous les frimas, Elle va prier ponr mon ame. Conscrits au pas; Ne pleurez pas, Ne pleurez pas; Marchez an pas, An pas, an pas, au pas, au pas! Morbleu! ma pipe s'est éteinte. Non, pas encore... Allons, tant mieux! Nons allons entrer dans 1'enceinte; Ca ne me bandez pas les yeux. Mes amis, 'faché de la peine; Surtout ne tirez point trop bas; Et qu'au pays Dieu vous ramène! Conscrits, au pas ; Ne pleurez pas, Ne pleurez pas; Marchez au pas, Au pas, au pas, au pas, au pas! Pierre-Jean de Béranger. CIX BAZEILLES »). Le blame qui voudra, moi je 1'aime ce prètre! Est-ce sa faute a lui s'il perdit la raison, Si des frissons de haine ont traversé son être, Lorsque les Bavarois, les poings pleins de salpêtre, Brülaient homme par homme et maison par maison ? ') Voir notes et explications, page 159. 138 Bazeilles. Ils avancaient ainsi, dévastant le village, Ne laissant derrière eux qne rnine et que mort. Et qu'importait le sexe, et que leur faisait 1'age! N'avait-on pas tenté d'arrêter leur passage? Féroces par calcul, ils taaient sans remords. La place de 1'Eglise était encore a prendre, Mais nos soldats luttaient d'un coeur mal assnré, Et quelques-nns déja murmuraient de se rendre, Lorsque sar le par vis an cri se fait entendre: „Aux armes! mes enfants!" C'était le vieux curé. Et passant sa soutane aux plis de sa ceinture, Faisant aux paysans signe de 1'imiter, H ramasse un fusil que la mort lui procure: Chacun s'arme, chacun s'excite et se rassure, Et la poudre aussitöt recommence a chanter. Pif! Paf! Les Bavarois s'avancent en colonnes; Derrière nn petit mar on se mit a couvert; „Feu! commandait le prêtre, et que Dieu me pardonne!' Les habits bleus tombaient comme les bois d'antomne Mais leur flot grossissait toujours, comme la mer. La lntte se finit, hélas! comme on peut croire, Mais les fiers Allemands ont regardé, surpris, Ces paysans couchés sous la muraille noire; Ce fut court, mais ce fut assez long pour la gloire Le curé de Bazeilles est mort pour son pays! Paul Déroulède. Le Régiment de Sambre et Meitse. 139 CX LE RÉGIMENT DE SAMBRE ET MEÜSE. Tous ces fiers enfants de la Ganle, Allaient sans trève et sans repos, Avec leurs fusils sur 1'épaule, Courage aux coeurs et sac au dos! La gloire était leur nourriture, Bs étaient sans pain, sans souliers, La nuit, ils couchaient sur le dure Avec leurs sacs pour oreillers. Refrain: Le Régiment de Sambre et Meuse Marchait tonjours au cri de liberté; Chercbant la ronte glorieuse Qni 1'a conduit a 1'immortalité!! Pour nous battre ils étaient cent mille, A leur tête ils avaient des roist Le général, vieillard débile, Faiblit pour la première fois. Voyant certaine la défaite, U réunit tous les soldats, Puis il fit battre la retraite, Mais eux ne 1'écoutèrent pas! Refrain: Ce fut un combat de géants, Ivres de gloire, ivre de poudre. Pour mourir ils serraient les raDgs En lancant leur terrible foudre! 140 Lu Marseillaise. Le régiment par la mitraille Etait assailli de partont; Ponrtant la vivante muraille Impassible, restait debout. Refrain: Le nombre ent raison dn courage, Ün soldat restait, le dernier 1 II se défendit avec rage, Mais bientöt fut fait prisonnier. En voyant ce héros farouche L'ennemi pleura sur son sort; Le héros prit nne cartouche, Jura... puis.se donna la mort! Refrain: - Le Régiment de Sambre' et Meuse Recut la mort an cri de liberté; Mais son histoire glorieuse Lui donne droit a l'immortalité. Paul Oézano. GXI LA MARSEILLAISE '). Allons enfants de la Patrie! Le jour de gloire est arrivé. Contre nous de la tyrannie, L'étendard sanglant est levé; Entendez-vous dans la campagne ') Voir notes et explications, page 160. La Marseillaise. 141 Mngir ces féroces soldats? Ils viennent jusqne dans nos bras Egorger nos fils, nos compagnes 1 Anx armes Citoyens! formez tos bataillons! Marchons! qn'nn sang impur abreuve nos sillons! Qne vent cette horde d'esclaves, De traitres, de rois conjurés? Ponr qni ces ignobles entraves, Ces fers dès longtemps préparés? Francais, ponr nons, ah qnel ontrage! Quels transports il doit exciterl C'est nons qn'on ose méditer De rendre a 1'antique esclavage.... Anx armes, etc.... Qnoi! ces cohortes étrangères Feraient la loi dans nos foyers? Qnoi! des phalanges mercenaires Terrasseraient nos fiers gnerriers? Grand Dien! par des mains enchalnées, Nos fronts sous le jong se ploiraient! De vils despotes deviendraient Les maitres de nos destinées!.». Anx armes, etc.... Nons entrerons dans la carrière Quand nos alnés n'y seront plus; Nous y trouverons leur poussière Et 1'exeniple de leurs vertus! Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil Nous aurons le sublime orgueil De les venger ou de les suivre!... Anx armes, etc.... 142 Un Héros. Amour sacré de la patrie, Conduis, sontieris nos bras vengenrs: Liberté, liberté ehérie, Combats avec tes défeDseurs! Sous nos drapeaux que la victoire Accoure a tes males accents: Qne tes ennemis expirants Voient ton triomphe et notre gloire!... Aux armes etc.... Roüqet de Lisle 1760—1830. CXII UN HÉROS. C'était un gamin de chez nous, Content de rien, content de tont, Avec eet amnsant bagont De 1'ame peuple, bien francaise; Tout fier de ses jeunes vingt ans, II partit, premier dans le rang, Et marqua le pas en chantant La Marseillaise. Plus tard, sur la ligne de feu, On n'aurait jamais dit un bleu, A voir ce gars si courageux Tirant juste et partout a 1'aise. Mais, au soir d'un rude combat, Tout a coup, le petit tomba, Tandis qu'il fredonnait tout bas La Marseillaise. Un Héros. 148 Pourtant il se dresse d'an bond, Car il ne vent pas, ce garcon, Trépasser comme un moribond; Lui, moribond ? ... A Dieu ne plaise. Et, malgré deux balles an cou, . II parvient a rester debout, Et cbante..., pas fort; pas beaucoup, La Marseillaise. Puis, il vent faire quelques pas; Mais des lèvres qu'il ne voit pas, Mettent sur son front, sur ses bras, Un grand soufflé pur qui 1'apaise. Alors il dit: „Je rneurs content, Pour la France.' Et, bien lentement, II cbante..., pas fort, pas longtemps, La Marseillaise. Brave petit gars de chez nons, Donnant tes vingt ans comrne un sou, Et sachant mener jusqu'au bout L'effort de ton ame francaise; Sur ta tombe prochainement, La musique du régiment Te jouera 1'hymne triomphant: La Marseillaise. Claire Virenqtje. ÉPIGRAMMES, SATLLIES, TRAITS, ETC. oxin EPIGRAMMES. 1. Un avare, enchainant son prodigne appétit, De faim prés de son or snccombe; On grava sur sa maigre tombe: Gaspard enfin mournt, c'est le senl bien qu'il fit. Charles Louis Moixevault 1777—1844. 2. Huissier qn'on fasse silence, Dit, en tenant audience, On président de Bangé: C'est nn brnit a tête fendre: Nons avons déja jugó Dix causes sans les entendre. 8. Quand vous méditez un projet, Ne publiez point votre affaire: On se repent toujours d'un langage indiscret, Et presque jamais dn mystère. Le causeur dit tout ce qu'il sait; L'étourdi, ce qu'il ne sait guère: Les jeunes, ce qu'ils font; les vieux, ce qu'ils ont fait; Et les sots, ce qu'ils veulent faire. Epigrammes. 145 EPITAPHBS. 4. Ci-dessous Antoine repose,' II ne fit jamais antre chose. Ici git 1'égal d'Alexandre, Moi, c'est a dire nn pen de cendre. Vasbë. 6. J'ai vécu sans nul pensement Me laissant aller doucement A la bonne loi naturelle; Et si *) m'étonne fort pourquoi La mort daigna songer a moi, Qai ne songeai jamais a elle. Mathurin Régnier 1573—1G13. 7. Mes chers amis, quand je monrrai, Plantez nn saaie an cimetière; J'aime son fenillage éploré, La paleur m'en est donce et chère, Et son ombre sera légère A la tombe oü je dcrrmirai. Alfred dk Musset. ') Pensement, action de penser (vieux mot). ') Si, aussi. 10 146 Epigrammes. 8. Jean s'en alla comme il était venn, Mangeant son fonds avec son re venn, Croyant trésor-chose pen nécessaire. Quant a son temps, bien le snt dispenser '): Deux parts en fit, dont il voulait passer L'nne a dormir et l'autre a ne rien faire. La Fontaine, ponr lni même. 9. Ami passant, qui désires eonnaitre Ce que je fus: je ne vonlus rien être; Je vécus nul, et certes je fis bien; Car, après tout, bien fou qui se propose, De rien venant et retournant a rien, D'être ici-bas, en passant, quelqne chose. Alexis Pibon 1689—177S. 10. AOBOSTIOHE, fait sous Louis XIV par quelqne solloitenr pauvre. t"1 ouis est Un héros sans penr et sans reproche O n désire le voir. Aussitót qu'on 1'approche, c] n sentiment d'amonr enflamme tous les cceurs hh 1 ne trouve chez nous que des adoratenrs; en on image est partout, excepté dans ma poche. 11. . UNE MÊPEISE. Un homme recoit par méprisè, Certain soir, des coups de baton; Et, ne pouvant modérer sa surprise, 'j Dispenser, distribuer. Epigrammes. 147 II riait. „De tos ris quelle est donc la raison? Dit un teinoin du fait. Quelle joie est la votre?" A qnoi le batonné, toujours riant, répond: „Ils sont bien attrapés, ils m'ont pris ponr un autre. 12. BPlTBB a ha moitié. Je vois la moitié du monde Se moquer de l'autre moitié; J'entends la moité dn monde Se plaindre de l'autre moitié; On sait que la moitié du monde Aime et trahit l'autre moitié; Et moi, soul au milieu du monde, Dont je méprise la moitié, Dédaignant les caquets dn monde, Dont je ne crois pas la moitié, Je veux être, en dépit du monde, Toujours fidéle a ma moitié, qüatbains mobadx. 18. A se mettre en colère on n'a pas d'avantage: Sitöt que 1'on s'emporte, on prouve qu'on a tort. On peut, en dispntant, se montrer le plus fort, Mais on doit, en cédant, se montrer le plus sage. 14. II ne faut point, enfants, toujours parler de soi, De ce que 1'on a fait, de ce que 1'on doit faire. Ou d'un sot ou d'un fat c'est 1'ordinaire emploi. Ne sait-on rien de mieux? qn'on sache au moins se taire 148 Epigrammes. 15. Offensez-vous quelqu'un, votre orgueil se refuse A demander pardon de votre emportement. Eh! pourquoi donc rougir de ce bean mouvement? La honte est dans 1'offense, et non pas dans 1'excuse. 16. La politesse est a 1'esprit Ce que la gr ace est an visage: De la bonté du coeur elle est la douce image, Et c'est la bonté qu'on chérit. 17. Enfants, il faut toujours parier bien des absents; Si 1'on en dit du mal, chercher a les défendre, Faire ce qu'on ferait s'ils pouvaient nous entendre, Et croire, en parlant d'eux, qu'ils sont toujours présents. 18. AUX PETITS RAPPORTEURS. C'est un bien grand défant que d'aller rapporter: Ne vous permettez pas Cette lache vengeance. Sr 1'on vous fait du mal, sachez le supporter; Qu'un oubli générenx suive a 1'instant 1'offense. 19. DE LA DISCRÉTION. Ne parier jamais qu'a propós Est un rare et grand avantage; Le silence est 1'esprit des sots, Et 1'une des vertns du sage. Epigrammes. 149 20. LE LIVBE DE LA VIE. Le livre de la vie est le livre suprème Qu'en ne peut ni fermer ni rouvrir a son choix. Le passage adoré ne s'y lit pas deux fois; Mais le feuillet fatal se tourne de lui-méme. On voudrait revenir a la page oü 1'on aime, Et la page oü 1'on meurt est déja sous nos doigts. Alphonse de Lamartink. 21. l'ïPI STÉBILB ET LE TONNEAU VIDE. ,Tandis que ces épis, qu'on coupera bientöt, Inclinent leurs fronts vers la terre, D'oü vient que celui-ci s'élève encore si haut? — C'est qu il n'a pas de grain dans sa tête légère. ,Ce tonneau qu'au pressoir le vigneron conduit En le poussant d'un pied rapide, Pourquoi donc fait-il tant de bruit? — Mon bon ami, c'est qu'il est vide.* L.-A. Bourguin. 22. LE VOTAGE. Partir avant le jour, a tatons, sans voir goutte, Sans songer seulement a demander sa route; Aller de chute en chute, et, se tralnant ainsi, Faire un tiers du chemin jusqu'a prés de midi; Voir sur sa tête alors s'amasser lés nuages, Dans un sable monvant précipiter ses pas; Courir, en essuyant orages snr orages, 150 Epigrammes. Vers on bat incertain oü 1'on n'arrivé pas; Détrompé, vers le soir, chercher une retraite, Arriver haletant, se coucher, s'endormir: On appelle cela naltre, vivre et mourir. La volonté de Dien soit faitel Claris le Flurjan. 23. l'amitié. Ponr les coeurs corrompus l'amitié n'est point faite. O divine amitié, félicité parfaite, Seal moavement de 1'ame oü 1'excès soit permis, Change en bien tous les maux oü le ciel m'a soumis! Compagne de mes pas dans tontes mes demeures, Dans toutes les saisons et dans tontes les heures, Sans toi tont homme est senl; il peut, par ton appui, Multiplier son être et vivre dans autrui. Fbakcois Maeie Arouet de Voltaike 16'J4—1778. 24. VERS SUB CN ALBUM. Snr cette page blanche oü mes vers vont éclore, Qu'un regard quelquefois ramène votre coeur, De votre vie anssi la page est blanche encore, Que ne puis-je y graver nn senl mot: Le bonheur. Alphonse de Lamartine. 25. LES DOÜZE COMMANDEMENTS DU PARFAIT invité. Jeune homme trés bien cravaté, Blanchi, chaussé, rasé, ganté, Qui veux partout être invité, Suis ce programme indiscuté: Epigrammes. 151 II Correct jusqu'au dernier bonton, Donx et frisé comme nn monton, D'abord, ponr être de bon ton, Par tout va poser ton „carton". m Après ton carton posé, ponr Etre gentil comme nn amonr, Ya faire ta visite an .jour" De Madame ... et sois plein d'humonr. IV Anssitöt qne t'arrivera Le billet qni t'invitera, Yite, ta plnme répondra Un bon „oui" qni t'engagera. V Au jour venu, la bouche en coeur, Revêtu du frac de rigueur, D'un air un tantinet moqueur, Entre dans la place en vainqueur. VI Cours tout droit, comme un tendre oison, A la maïtresse de la maison,. Et jenne ou vieille, belle ou non, Baise-lni la main, mon garcon, 15? Epigrammes. VII Bois et mange modérément, Mais parle intarissablement, Püt-ce même trés bêtement Et 1'on te trouvera charmant. vm Discnte sans ténacité; Change d'avis a volonté, Et si tn veux être goüté, „Débine" avec férocité. . . IX An café, ne fais pas 1'impair De filer ainsi qn'nn éclair; Mais sache (tont est 14, mon cher) T'en ... nuyer sans en avoir 1'air. X Dans les hnit jours, plein d'onction, Va rendre (horrible expression!) Ta visite, — tradition Qn'on nomme „de digestion." XI Chaque année, au premier de Pan, Envoie avec fort peu d'élan, Des sacs de bonbons, dernier „v'lan", Signés Boissier on bien Pihan. Epigrammes. 153 XII Ainsi tn seras établi .Charmant dineur . .. homme poli.* Quant a 1'estomac,... démoli, Et dans ringt ans, toi... ramolli! JAQUES NoBMAND 1848. 26. MARCHE GUERRIÈRE. Ran rataplan, gare, gare, gare, Ran rataplan, gare de devant! C'était le roi de Savoie, Oni, le roi des bons enfants; II s'était mis dans la tête De détróner le sultan. D s'était mis dans la tête De détróner le sultan. D composa une armée De quatre-vingts paysans. II composa une armée De quatre-vingts paysans. II prit pour artillerie Quatre canons de fer-blanc. 11 prit pour artillerie Quatre canons de fer-blanc. Et ponr toute cavalerie Les anes du convent; Et pour toute cavalerie Les anes du convent; Ils étaient chargés de vivres Pour nourrir le régiment. 154 Epigrammes. Ils étaient chargés de vivres Pour nourrir le régiment. Ils montèrent snr nne montagne. Pristi! Que le monde est grand! Ils montèrent sur une montagne. Pristi! Que le monde est grand! H8 virent nne petite rivière Qu'ils prirent pour 1'Océan. Ils virent une petite rivière Qu'ils prirent pour 1'Océan. En voyant venir 1'ennemi: Sauve qui peut 1 Allons-nous-en; Ban rataplan, gare, gare, gare! Ban rataplan, gare de devant! NOTES ET EXPLICATIONS. N°. I. «Sagesse" est le titre d'un recueil de poésies de Paul Verlaine. Le poète, en prison a Mons, ponr avoir blessé nn ami dans nne quereüe, pense a la ville dont il entend les brnits derrière les mnrs de sa prison. N°. XXXI. .Lorsque 1'Enfant paraït". Bien qu'il soit difficile-sinon impossible-de tradnire d'une langue dans une autre, surtout quand le génie des deux langues diffère comme celui du francais et du hollandais, Nicolas Beets a su rendre 1'admirable poème lyrique de Victor Hugo: „lorsque 1'enfant parait" en néerlandais d'une manière presque parfaite. Nous nous permettons d'insérer ici ces beaux vers que le professeur fera bien de comparer devant la classe avec le texte original dn grand écrivain francais. ALS 'T 'KINDJE BINNENKOMT. „Als 't kindje binnenkomt, juicht heel het huisgezin; Men haalt het met een lachje en zoete woordjes in; Het schittren van zijn oog deelt aan elks oog zich mede! En 't rimpligst voorhoofd (ook 'tbezoedeldste wellicht!) Klaart voor den aanblik op van 't vroolijk aangezicht, Met iedereen in vrede". 156 Notes et Skcplications. ,'t Zij we onder 't lindeloof des zomers zijn vereend, 't Zij 't snerpen van de koude ons stiller vreugd verleent En we om een knappend vuur de stoelen samenschikken : Als 't kind verschijnt, ziedaar een waarborg voor de vreugd; Men lacht, men troetelt, kust en tergt zgn dartle jeugd, En moeders harte smaakt zijn zaligste oogenblikken". „Soms spreken we om den haard, met ernst en met verstand, Van wetenschap en kunst, van plicht en vaderland, Van staat, van godsdienst, van geschriften en gezangen; Het kind komt in: vaarwel kunst, godsdienst, plicht en staat I 't Wordt: kusjes voor den mond, en kneepjes in de wangen. En hobblen op de knie, en jok en kinderpraat*. „Als, na een duistren nacht van stormwind en van regen, Een nacht, van menigeen, vergeefs ter rust gezegen, Naar 't woelig gieren hoort, daar 't kind doorheen- slaapt; als, Na zulk een nacht, het rood des ochtends, dat de kimmen Van liefelijken waas en zachten gloed doet glimmen, En blijde zangen wekt bij 't vooglenkoor des dals*: „Zoo zijt gij, dierbaar kind I waar gij verschijnt, daar vluchten, En duisternis en nacht en zware regenluchten: Gij zijt een heldre zon, een blgd en vroolijk licht; 'Door d'adem van uw mond verwekt gij vreugd en leven, Als zuivre koeltjes, die langs 't knoppig bloembed zweven, En 't blosje sterken op der rozen aangezicht. Notes et Explications. 157 „Want duizend' lieflijkheên nit uw schoone oogjes schijnen; Uw kleine handjes, die ik berg in een der mijnen, Doen nog geen kwaad: gij weet nog niet wat dat beduidt. Wat lacht gij vriendlijk, als wij ze n met speelgoed vullen! Klein heiligje, in een krans van glinsterend blonde krullen, Hoe lieflijk blinkt uw hoofdjen nit" I .Lief duifjen in onze ark 1 Uw mondje bracht den vrede, De vreugde en 't zoetst geluk in onze woning mede, Zoo vurig afgesmeekt, met zooveel angst verbeid! Gij kijkt de wereld, daar gij niets van vat, in 't ronde! Blank, lijfje zonder smet, blank zieltje zonder zonde, Ik eer nw dubble maagdlijkheid! Hoe heerlijk is het kind met lachjes op de wangen, Met traantjes soms, maar ras door lachjes weer vervangen, De goede trouw in 'toog, en 'tuitzicht zoo gerust 1 't Slaat een verwonderd oog op 's werelds bont ge- toover, En geeft zijn jonge ziel zoo blij aan 't leven over; Als 't ons zijn lipjes biedt als 't wordt goenacht gekust. „Bewaar mij, Heer! mij, en mijn broedren, en mijn vrinden, En hen zelfs, die een lust in mijne tranen vinden, Indien er zulken zijn misschien! Dat zij nooit zomertijd, aan bloemen arm, bejammeren, Of bijenlooze korve, of schaapskooi zonder lammeren, Of kinderlooze woning zienl* N°. XXXIV. „Les Deux Routes". Ixion, héros thessalien, roi des Lapithes, auquel Jupiter avait accordé un asile dans 1'Olympe. Ayant manqué de respect a Junon, il fut précipité par le maïtre des 158 Notes et Explieations. dieux dans les enfers et condamné a être attaché a nne rone enflammée qui devait tourner éternellement. Ixion fat 1'ancêtre des Centanres. N°. LI. Therin'idor, le onzième mois dn calendrier répnblicain de 1793 (19 juillet—18 aoüt). Conciergerie. Prison attenante au Palais de Justice de Paris. C'est ici qne fnt enfermée Marie Antoinette, reine de France. La Terreur. Période de la Révolution francaise sous la domination de Robespierre. Girondins. Parti politique a 1'Assemblée législative et a la Convention, formé des principanx dépatés de la Gironde. Le tiers-état. La bourgeoisie qui, sons 1'ancien régime, figurait après le clergé et la noblesse dans les Etats généranx. Samson. Bourreau de Paris pendant la Révolution. N°. LVII. Le poète parle ici de Napoléon premier. N°. LXXVL Jeanne d'Arc, surnommée la Pucelle d'Orléans, naquit en 1410 a Domrémy, prés de Vaucouleurs. En 1429 elle réussit a délivrer la ville d'Orléans assiégée par les Anglais. Elle les battit a la bataille de Patay, condnisit Charles VII a Reims et 1'y fit couronner. En 1430, ayant été faite prisonnière par les Anglais, elle fut condamnée a être brülée vive. Cette sentence fut en effet exécntée a Bonen, le 30 mai 1431. Bedford. Le duc de Bedford, frère du roi d'Angleterre Henri V, nommé régent après la mort de son frère, proclama son jeune neven Henri VI, roi d'Angleterre et de France et soutint la guerre contre le parti de Charles VIL Notes et Explications. 159 N°. LXXX. Waterloo, village de Belgrque. Napoléon y fnt vaincu, le 18 juin 1815. Wellington 1769—1852, général anglais, vainquit Napoléon a Waterloo. Grouchy 1768—1847, maréchal de France, aurait pu, en se portant sur le champ de bataille, changer en victoire la défaite de Waterloo. . Blücher 1742—1819, général prussien, décida par son arrivée sondaine la défaite de Waterloo. Friedland, 'ville d'Allemagne, célèbre par la bataille qu'y gagna Napoléon sur les Russes en 1807. Rivoli, ville d'Italie. Victoire de Bonaparte sur les Autricbiens en 1797. N°. XCV. Les Soeurs filandières. L'auteur parle ici des Parques, divinités qui présidaient a la vie des hommes et en filaient le cours: Clotho tenait le fuseau, Lachésis tenait le fil, Atropos le conpait.. Thótys. Déesse de la mer, épouse de 1'Océan. Phébus: le soleil. Les poètes snpposaient que le soleil, en se levant, sortait des eaux de 1'océan. Charybde, gouffre du détroit de Sicile. Scylla, écueil dans le détroit de Messirie, en face de Charybde. N°. XCVIL Caucase, montagne de 1'Asie. N°. CIV. Crimée. Presqu'ile de la Bussie d'Europe, dans la mer Noire. En 1854, la guerre qui éclata entre Ia France et la Russie ent la Crimée pour théatre principal. Arno, fleuve d'Italie, arrose Florence. Solférino, village d'Italie, province de Brescia. Victoire remportée par les Francais sur les Autrichiens en juin 1859. N°. C1X. .Bazeilles", village dans les Ardennes, 160 Notes et Explieations, a 4 kil. de Sedan. Bataillè. de deux jours entre Francais et Allemands, le 81 Aoüt et le 1 Septembre, 1870. N°. CXI. „La Marseillaise", cbant patriotique, devenu le chant national de la France. Composé ën 1792 pour 1'armée du Rhin, eet hymne, dü, paroles et musique, a nn officier du génie, Rouget de 1'Isle, en garnison a Strasbourg, fut chanté pour la première fois a un banquet, chez le maire Dietrich, et reent le titre de „Chant de guerre de 1'armée du Rhin"; mais des voyageni-s de commerce 1'ayant fait connaitre a Marseille, le bataillon du dix-Aoüt ou des Marseillais 1'adopta et le chanta lorsqu'il vint a Paris, et 1'hymne de Ronget de 1'Isle prit le nom de „Marseillaise", qni lui est resté. Nous en connaissons une traduction hollandaise, de notre excellent collègue et ami P. J. H. van Moerkerken. II. est dömmage que le docteur v. Moerkerken n'ait pas traduit la strophe qui commence par ces vers: „Nous entrerons dans la carrière Quand nos alnés n'y seront plus". La raison en est probablement que cette strophe n'est pas de Rouget de 1'Isle. On 1'attribue souvent par erreur a M. J. Chénier. Le journaliste Louis dn Bois et 1'abbé Pessonneanx en ont revendiqné la paternité. Bjj de keuze van deze verzameling in vier deeltjes voor H. Burgerscholen, Gymnasia en andere inrichtingen van onderwijs is het volgende in het oog gehouden: 1°. Voor iedere klasse geschikte lectuur bjjeen te brengen. 24. De opvolging der vier bundels in overeenstemming te brengen met leeftijd en ontwikkeling. 3°. Aanlokkelijke lectuur aan te bieden. 4°. Bjj de laatste deeltjes ook voor uitgebreide stukken te zorgen die, in hun geheel opgenomen, dienen kunnen bjj het onderwijs in de letterkunde. 5'. Stukken te geven ook geschikt tot memoriseeren of navertellen.