:: :: COLLECTION :: :: „Les meilleurs auteurs francais" □ □ □ □ No. 1. MOLIÈRE, Le Bourgeois gentilhomme, par C. R. C. Herckenrath. 3e édition. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 2. MOLIÈRE, L'Avare, par C. R. C. herckenrath. 3e édition ƒ 0.80, rel. ƒ 1.30 , 3. A. DAUDET, Lettres de mon moulin (Choix) et Contes du lundl par P. van Duinen. 2e édition ƒ 0.85, rel. f 1.35 . 4. H. DE BALZAC, Mercadet, par Th. Stille ƒ0.85, rel. f 1.35 . 5. J. RACINE, Phèdre, par P. van Duinen 2* édition ƒ0.75, rel. ƒ1.25 , 6. V. HUQO, Hernani, par J. L. P. M. van Duck. 3e édition ƒ0.95, rel. ƒ 1.45 i 7. Petite Anthologie des Prosateurs francais, par G. Walch. Vol. L 3e édition: Au. db Viqhy, La canne de jonc. E. About, Le grain de plomb. L. Collas, Le facteur rural. Erckniann—Chatrian, Le vieux tailleur. A Daudet, L'enfant espion. P. Mérimée, Mateo Falcone. A. Theuriet, Une partie de pêche. P. Arehe, Chien d'aTeugle. J. Claretie, BoumBoum. VlOT. Sardou. L'obus. ƒ1.15, rel. ƒ1.65 . 8. J. RACINE, Britannicus, par K. R. Gallas. 2e édition ƒ0.85, rel. ƒ1.35 \ 9. H. DE BORNIER, U Fille de Roland, par Th. stille. 5e édition . . . ƒ1,10, rel. ƒ1.60 . 10. LA FONTAINE, Fables (Choix) par J. L. P. M van Duck et K. R. Gallas. 2« édition. ƒ0.85, rel. ƒ 1.35. ,11. H. MALOT, Sans Familie, Édition siraplifiée et abrégée pour I'école, par C. Roovers. 7e édition .... ƒ 1.10, rel. f 1.60. No. 12. P. MÉRIMÉE, Colomba, par C. roovers. 2e édition ƒ0.85, rel. ƒ1.35 . 13. J. SANDEAU, Mademoiselle de la Seiglière, par A. Zeller. 3e édition. ƒ 0.85, rel. ƒ 1.35 . 14. E. SCRIBE et E. LEGOUVE, Bataille de dames, par Th. Stille . ƒ 0 75, rel. ƒ 1.25 . 15. V. HUGO, Ruy Bias, par J. L. P. M. van Duck. 2e édition ƒ0.95, rel. ƒ1.45 , 16. MOLIÈRE, Les Femmes savantes, par K. R. Gallas 2e éd ƒ 0.75, rel. ƒ 1.25 . 17. Petite Anthologie des Prosateurs francais, par O. walch. Vol. II, 3e édition: J. Sasdeau, Le roi de Tamboulina. E. Richebourg, Le magnien. A. Theuriet, Lei pêches. F. Coppée, Man ami Meurtrier. A Daüdet, La chèvre de M. Séquin. Gut de Maupassant. La Mère Sauvage. E, Zola, L'Attaqje du Moulin. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 18. C.DEBEAUMARCHAlS.LeBarbierdeSéville, par H. J. F. Kip. 2e édition. f 0.85, rel. ƒ 1.35 . 19. A. LICHTENBERGER, Mon Petlt Trott, Éditon arrangée pour 1'école, par J. Berdenis van Berlekom ƒ1.10, rel. ƒ1.60 , 20. Petite Anthologie du théatre francals, par Th. Stille. Vol. I: Maitre Pierre Pathelin. Molière, Le dépit amoureux. Molière, Let précieuses ridicules. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 „ 21. Petite Anthologie du théatre frar^ais, par Th. Stille. Vol. II: A. db Musset, ii faut qu'une poite soit ouverte ou ferrrée. Mme de Girardin, La joie fait peur. o. Feüillet, Le Village. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 , 22. A. DE VIGNY, Servitude et grandeur militalres, par C. Roovers. ƒ0.85, rel. ƒ1,35 , 23. LESAGE, Histoire de Gil Bias de Santlllane, Édition abrégée et arrangée pour 1'école, par L. J. corbeau ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 24. P. CORNEILLE, Le Cid, par Ed. Borlé. 3» édition ƒ0.75, rel. ƒ 1.25 No. 25. Petite Anthologie du théatre francais, par Th. Stille. Vol. III: F. Coppêe, Le Luthier de Crémone. A. Theuriet, Jean Marie. Th. Eotrel et G. de Saix, Le Grenadier breton. ƒ 0.95, rel. ƒ 1.45 , 26. Petite Anthologie des Prosatenrs francais, par g. Walch. Vol. III: Alf. de Vignt, Le cachet rouge. R. Toepffek. Le Lac de Gers, R. Toepffer, La bibliothèque de mon oncle. H. Wurger, La vie de bohème. e. About, Le Roi des Montagnes. Fr. Coppée, La vieille tunique. A. Daudet, Le sous-pré ft t aux champs. A. Daudet, L'agonie de la Sé* millante. A. Daudet, Le turco de la Commune. E. Zola, L'inondation. ƒ 0.95, rel. ƒ1.45 , 27. J. SANDEAU, Sacs et Parchemins, par A. Zeller ƒ1.45, rel. ƒ1.95 . 28. J. RACINE, Athalie, par J. W. Marmel- stein 2e édition ƒ0.85, rel ƒ1.35 . 29. ERCKMANN-CHATRIAN, Histoire d'un Con- scrit de 1813, par J. L. p. M. van Duck. 2e édition ƒ0.95, rel. ƒ1.45 , 30. Maitre Pierre Pathelin, Farce du XVe Siècle, par Th. Stille. ƒ0.75 . 31. H. MALOT, Romain Kalbris, par J. A. Dijkshoorn. 3e édition . . ƒ1.10, rel. ƒ1.60 . 32. Petite Anthologie des Poètes francais, par g. Walch, Vol. l 3e éd. . ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 33. J. RACINE, Andromaque, par K- R. gallas. ƒ0.75, rel. ƒ1.25 . 34. Petite Anthologie des Poètes francais, par O. Walch, Vol7 II. 2e éd. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 35. Histoire de Napoleon, racontée par divers auteurs. Annot. par E. J. Bomli. Avec de nombr. illustrations .... ƒ1.15, rel. ƒ1.65 , 36. Petite Anthologie des Poètes francais, par a Walch. Vol III 2e éd. . ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 37. A. DUMAS (père), Impressions de voyage, par C. Goedeljée. Illustr. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 38. ERCKMANN-CHATRIAN, L'Ami Fritz, par A. Haringx 2e éd ƒ1.15, rel. ƒ1.65 1 No. 39. E. AUGIER et J. SANDEAU, Le gendre de M. Poirier, par A. Zeller. ƒ0.76, rel. ƒ1.25 . 40. JULES VERNE, CInq semalnes en ballon, par H. J. F. Kn> ƒ0.95, rel. ƒ1.45 . 41. HENRI GRÉVILLE, Perdue, par M. A. du crocq—v. d. BURQ et H. G. du crocq. /0.95, rel. ƒ1.45 , 42. GEORGE SAND, La Petite Fadette, par M. A. du Crocq—v. d. Buro et H. G. du crocq ƒ1.15, rel. ƒ1.65 . 43. XAVIER DE MAISTRE, La Jeune Sibérienne, par A. Zeller ƒ0.75. rel. ƒ 1.25 . 44. A. de VIGNY, Chatterton, par M. A. du Crocq—v. d. Buro et H. G. du crocq. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 , 45. VOLTAIRE, Zaïre, par C. Roovers. ƒ0.75, rel. ƒ1.25 . 46. LICHTENBERGER, Le petit Rol, 2e édition arrangée pour la jeunesse, par A. van Kempen. ƒ0.95, rel. ƒ1.45 , 47. ERCKMANN-CHATRIAN, Madame Thérèse, par A. D. J. van 't Hooft. ƒ1.25, rel. ƒ 1.75 , 48. EDOUARD PAILLERON, Le Monde oü 1'on s'ennule, par H. J. F. Kip. ƒ0.85, rel. ƒ1.35 . 49. GEORGE SAND, Francois le Chatnpi, par M. Premsela ƒ0.95, rel. ƒ 1.45 . 50. Auteurs Modernes, par C. L. de Liefde. ƒ1.15, rel. ƒ1.65 . 51. A. LICHTENBERGER, Llne, édition arrangée pour 1'école, annot par E. A. C. Bunk. ƒ0.85, rel. ƒ1.35 , 52. H. BORDEAUX, La peur de vivre, roman, annot par J. Fransen . . ƒ1.25, rel. ƒ1.75 , 53. V.HUGO, LesTravallleurs de Ia mer, annot par J. A. dijkshoorn. . . ƒ0.85, rel. ƒ1.35 , 54. L. HÉMON, Maria Chapdelaine, annot par J. Fransen ƒ 1.40, rel. f 1.90 Les titres des volumes a paraltre seront annoncés dans un prochain volume. PETITE ANTHOLOGIE Dü THÉATREFRANCAIS 1* LES PRÉC1EUSES RIDICULES d'apfèS MOREATJ-LE-jEUNE. LES MEILLEURS AUTEURS FRANCAIS TH. STILLE PETITE ANTHOLOGIE DU THÉATRE FRANCAIS MA1TRE PIERRB PATHELTN Molière, LE DÉPTE AMOUREUX Molière, LES PRÉCIEUSE8 RIDICULES Deuxième Édition J. M. MEULENHOFP. — AMSTERDAM. INTRODTJCTION. Dans ce premier volume de notre petite Anthologie du théatre francais nous avons réuni trois oeuvres dont personne ne contestera 1'intérêt ni 1'agrément. Ce sont: les principales scènes de Maitre Pierre Pathelin, farce en vers du XV« siècle, le Dé-pit amoureux, comédie de Molière, composée pendant sa longue tournéè en province, enfin les Précienses ridicules, farce en prose, qui lui valut, rentré a Paris, les applaudissements de la cour et de la ville. I. MAlTRE PIERRE PATHELIN. Au moyen age la farce était soit un intermède comique, venant interrompre pour quelques instants, la représentation 'solennelle d'un mirade ou d'un mystère, soit une petite pièce ordinairement trés VI ANTHOLOGIE DU THÉATRE. eourte, et inspirée par 1'observation de la vie de tous les jours. L'action en est assez faible et les personnages peu nombreux. On a conservé une bonne centaine de farces appartenant au XV» et au XVI» siècle. „Ce sont, d'ordinaire, de menues scènes de la vie conjugale, bourgeoise ou populaire, oü, comme 1'on pense, les maris sont généralement bernés, mais oü. souvent aussi 1'entêtement des femmes et leur prétention a dominer sont raillés avec verve; d'autres fois les farces ridiculisent les pédants, les fanfarons, les hypocrites, öu mettent complaisamment en scène de bons tours joués par d'adroits filous"1). Quelques-unes, comme Pathelin, attaquent les vices et les travers des juges et des avocats. Elles sont écloses, sans doute, dans ce monde bruyant des clercs du Palais de Justice, qui, réunis en corporation, appelée Basoche, s'étaient fait une spécialité de la représentation des farces. La célèbre pièce dont nous donnons plus loin quelques scènes en langage rajeuni, s'écarte du type ordinaire en ce qu'elle est née de 1'habile combinaison dé deux données comiques: la mésaventure d'un drapier, trompé et volé par Pathelin, et les vilains tours joués par un simple berger non seulement a son maitre, le drapier, mais aussi, l) G. Paris, Ésquissc historique de la littératurc fran^aisc au moyen dge, p. 281. INTRODUCTION. vn finalement, a Pathelin, son défenseur. Ces deux éléments, réunis en une seule farce, donnent a celle-ci les allures d'une comédie moderne. Cependant, sa structure est bien celle d'une oeuvre dramatique du moyen age. Elle n'est coupée ni en actes ni en scènes. Le théatre est divisé en trois compartiments, appelés Ueux: la boutique de Joceaume, la maison de Pathelin et la place publique. D'après les exigences de 1'action, les acteurs passent d'un compartiment dans 1'autre, et 1'on assiste souvent a des scènes „simultanées". Ainsi, quand Pathelin, après sa visite au drapier, est rentré chez lui et montre triomphalement a sa femme le drap obtenu par ruse, nous voyons en méme temps Joceaume, dans son échoppe, se préparant a partir pour aller réclamer son argent chez son aimable cliënt qui Pa invité a venir boire du vin et manger de 1'oie. L'auteur de Pathelin n'est pas connu. On a songé autrefois a Francois Villon, le grand poète de la fin du XV» siècle, a Pierre Blanchet, un joueur de farces, a Antoine de la Salie, l'auteur des Cent nouvelles Nouvelles, mais aucune de ces hypothèses n'a paru assez solide pour se maintemr longtemps. Dès son apparition, le succès de la Farce de Maitre Pierre Pathelin a été immense, et 1'on peut dire qu'il n'est pas encore épuisé. Au XV« siècle on en trouve déja des imitations, telles que le Nouveau Pathelin et le Testament de Pathelin; en 1479, 1'humaniste Reuchlin reproduit dans une comédie, vin ANTHOLOGIE DU THÉATRE. intitulée Henno, les piincipales scènes de la farce de Pathelin; au commencement du XVJ8 siècle, le Parisien Alexandre Connybert la traduit librement en. vers latins sous le titre de Veterator („1'aigrefin"); vers la même époque on donne un résumé de la seconde partie dans un recueil de contes anglais (A Hundred mery Tdles and Quiche Answers); Brueys et Palaprat la modernisent au XVIII8 siècle, et en tirent une comédie en trois actes et en prose. C'est sous cette forme rajeunie qu'en 1706, elle fait son entrée au Théatre-Francais. Le Pathelin de Brueys et Palaprat a été souvent traduit, notamment encore en 1905 en anglais par S. F. 6. Wbitaker. Le Dr. J. A. Worp signale trois traductions en néerlandais1), et nous venons d'en trouver une adaptation amusante en dialecte maastrichtois, intitulée Den Avekaot Pluekvink2). Rappelons enfin qu'en 1856 Francois Bazin, le spirituel compositeur du Voyage en Chine, a mis le Pathelin en opéra-comique. Depuis 1872, on joue au Théatre-Francais la vraie Farce de Maitre Pathelin par Fournier, qui J) Ce sont: Den Advocaet Pathelin, 1754, door J. F. Cammaert; De Advocaat Patelijn, 1779, 1795,1736, door J. N. Esgers; De Advocaat Patelijn, sans annéo, door A. Lamme (v. Dr. J. A. Worp, Geschiedenis van het drama en van het iooneel in Nederland I, 457). Dans le même ourrage on trouvera montionné une farce du XVHe siècle par J. Klaerbout, De Klucht van't Kalf (1662), inspirée par le Pathelin du XVe siècle. «) Den Avekaot Pluekvinck of de Kunst um door de wereld te komme, euvergezat in 't Mastreegs en gearrangeerd veur enzen theater door Momus Krantz, veur te drage op do Vastolaovend van het Jaor 1832 en XI door do Leefhonbbers van de sociëteit Momus. Maastricht, Bnry-Lefobvre, 1843. INTRODUCTION. IX reproduit assez fidèlement en francais moderne l'original du XV» siècle. En présence de cette vogue et de cette popularité qui se sont maintenues des siècles durant, on ne s'étonnera pas que plusieurs mots et locutions, appartenant au Pathelin soient entrés dans la langue commune1), ni que, depuis son apparition jusqu'a nos jours tant d'esprits d'élite y aient puisé maint trait d'ironie et de fine malice. „Rabelais en est véritablement hanté, dit M. Gustave Cohen, les allusions se retrouvent si nombreuses que je ne suis pas sur de n'en avoir point laissé échapper".8) * * * Sur tout ce qui, dans ce volume, se rapporte a la farce de Pathelin, j'ai consulté avec grand profit 1'édition du texte original, précieuse quoique de dimensions fort modestes, que le professeur F. Ed. Schneegans a publiée dans la Bibliotheca romanica (Strasbourg, Heitz). Notre traduction des principales scènes est le plus souvent littérale. Quelquefois nous avons resumé, tout eu t&chant cependant de n'omettre rien d'essentieL ï) Citons, d'après le Dklionnaire général: 1'adjectif patelin, patelim (qui cajolo pour duper), le verte pateliner et ses dérivés patelinage, patelineur. Rabelais (in, 22) cmploie patelineux et La Fontaine (IX, 14) archipatelin. Dans les notes, placées a la fin de ce volume, on trouvera quelques autros omprunts. *) Gustave Cohen, Rabelais et le théatre, Paris, Champion, p. 52 (Revue des Etudes rabelaisiennes, tomo IX). X ANTHOLOGIE DTJ THÉATKE. Les illustrations qui accompagnent notre adaptation, reproduisent les jolies gravures dont Boutet de Monvel a orné 1'édition de Gassies des Brulies (Paris, Delagrave). II. LE DËPIT AMOUREUX. Autres temps, autres mceurs ... autre langue! Prés de deux siècles séparent le Dépit de Pathelin, la comédie classique de la farce du moyen age. Tandis que celle-ci représente la tradition réaliste francaise, celle-la se ressent des courants multiples qui ont amené tant de changements dans les goüts et dans les opinions, et qui, a 1'avènement de Louis XIV, ont fait éclore ce qu'on appelle 1'art classique. Car on a beau dire que le théatre comique, pour se développer et produire des cbefs-d'ceuvre, aurait pu se passer de tout élément étranger, il n'est pas douteux que 1'art de Molière n'existerait pas tel que nous le connaissons, si les humanistes du XVI° siècle n'avaient montré aux dramaturges francais le chemin de 1'antiquité, si les Itahens ne leur avaient fourni le modèle de la comédie d'intrigue, si la société djstinguée de 1'Hötel de Rambouillet n'avait pas contribué a faire passer dans la langue de la conversation comme dans celle des livres la décence et 1'urbanité. INTRODUCTION. XI De 1645 a 1658, Molière, comme on sait, a promené sa troupe a travers la France. C'est a cette période d'apprentissage et de tatonnements qu'appartiennent deux farces: la Jalousie du Barbouillé et le Médecin volant, et deux comédies d'intrigue: YEtourdi, représenté a Lyon en 1653, et le Dépit amoureux, dont le public bifeejiojs eut la primeur vers la fin de 1656. Dans le Défit amoureux, comédie en cinq actes et en vers, se trouvent réunis deux éléments bien distincts: Le premier est une suite d'intrigues, un imbroglio, dont une comédie italienne, VInteresse („la cupidité") de Nïcolö Secchi, a fourni le modèle; — le second ne comprend qu'une dizaine de scènes originales, offrant une situation de cceur toujours jeune, toujours vraie, la brouillerie de deux amants, situation que Molière reprendra plus tard dans Tartuffe et dans le Bourgeois gentilhomme. Poussés par le besoin de rattacher partout et toujours une oeuvre littéraire a une autre oeuvre littéraire, certains érudits ont cru devoir remonter a 1'antiquité pour trouver la source oü Molière aurait puisé 1'idée première de ces vivants tableaux de brouille et de réconciliation. Ils citent a ce propos VAdrienne de Térence et VOde d Lydie d'Horace1). *) Ifotammeat le vers: Amantium irae, amoris integratio („dépits d'amants, renouvellement d'amours") et Ia célèbre odo Donec gratus tram «M, dont Molière lui-même donne une tradnction dans les Amants magnifiques, oommoncant par le vers „Qaand je plaisais a tes yens". XII ANTHOLOGIE DU THÉATRE. Celui que Boileau appelait „le Contemplateur" était parfaitement capable, croyons-nous, de tirer de son propre fonds tout ce qu'il fallait pour écrire les scènes originales du Dépit. La pièce a été jouée telle que Molière 1'avait concue, c'est>a-dire en cinq actes, d'abord a Béziers et plus tard a Paris, avec un grand succès, sur Ie théatre du Petit-Bourbon, en 1658. Raconté en bref, le contenu de la comédie revient a ceci: Eraste et Valère, deux jeunes élégants, font la cour a Lucile, fille d'Albert. Le cceur de la jeune fille penche pour Ëraste. Voila le valet de son rival, Mascarille, qui vient jeter le trouble dans 1'ame d'Ëraste en lui apprenant que, depuis quelques jours dé ja, Lucile et Valère sont unis par un lien secret. Furieux, Ëraste charge Marinette, servante de Lucile, d'annoncer a la perfide que tout est rompu entre eux. Par ïicochet, GrosRené, le valet d'Ëraste, renonce a 1'amour de Marinette. Hatons-nous de dire que Lucile a une sceur, Ascagne, „fille sous 1'habit d'homme". Ce déguisement s'explique par le fait que le cupido Albert, son père, ne veut pas manquer 1'héritage qu'un oncle a destiné a un enfant male. Donc Ascagne, remplacant sa sceur Lucile avec cette habileté qui caractérise les personnages de la comédie italienne, s'est unie en tout secret a INTEODUCTION. XIII Valère, qui croit fermement avoir fait la conquête de Lucile. Au dernier acte nous voyons Valère se consoler facilement de sa méprise. II épouse la charmante Ascagne et abandonne sans peine a son rival Ëraste la main de Lucile. Et ce que les jeunes maïtres ont fait en beau langage, le valet et la suivante le font a leur facon et en termes moins choisis: ils se réconcilient. A paitir du XVIIIe siècle, on a retranché du Dépit amoureux toute la partie que Molière avait empruntée a Secchi, pour ne conserver que les scènes de dépit et de raccommodement qui, dès 1'origine, avaient charmé le public. On a joué la pièce .en un acte, et, plus tard, en deux. „C'est, a ce qu'il semble, sous Louis XVI que Valville, acteur de la Comédie-Francaise, mit la pièce en deux actes, telle qu'on la joue aujourd'hui"x). Cette réduction, inspirée par le désir de sauver les scènes charmantes d'une pièce qui, dans sa ferme primitive, ne pouvait plus intéresser le public, a été généralement approuvée. On regrette cependant qu'elle ait nécessairement amené la suppression de quelques scènes d'un excellent comique, conduites avec eet art incomparable dont Molière, étant encore en tournée, avait déja le secret. Nous pensons surtout a la scène du deuxième acte, oü Albert consulte le pédant Métaphxaste sur la conduite de son fils Ascagne, scène qui ») Lu Grondt Eorivaint de la Francs. Eugène Despois, (Euvru de Moltere, tome premier, p. 392. XIV ANTHOLOGIE DU THÉATRE. sera reprise plus tard dans le Mariage forcé, et cette autre du troisième acte, que Molière renouvellera dans Tartuffe, oü nous voyons a genoux 1'un devant 1'autre les deux pères, Albert, celui d'Ascagne-Lucile, et Polydore, celui de Valère, 1'un se sentant coupable d'avoir caché le sexe d'Ascagne, 1'autre venant implorer le pardon pour son fils, 1'épouseur secret de la prétendue Lucile. . * * * Notre texte est, a peu de cboses prés, celui dont on se sert, a la Comédie-Francaise. Nous avons suivi les indications, données dans la Notice de 1'édition des Grands Ecrivains, (Euvres de Molière, tome premier, p. 392—3941). Le Dépit amoureux a trouvé un traducteur néerlandais. Le Dr. Worp2) cite une pièce de 1708, intitulée Spijt der Verliefden. ïtl. LES PRÉCIEUSES RIDICULES. De retour a Paris depuis plus d'une année, la troupe de Molière joue, le 18 novembre 1659, les Préeieuses ridicules. La pièce, arrivée de bonne l) Par 1'tatermédiaire d'un ami dévoué et grace a 1'obligeance de M. Couet, nous avons pn consulter a la bibUothèque de la Comédie-Francaise le texte qui sert aux représentations. i) Dr. J. A. Worp, Geschiedenis van liet drama en van het totmeel in Nederland, II 817. INTRODUCTION. XV heure a la célébrité, a donné lieu a de nombreuses études et les savants sont loin d'être d'accord sur bien des questions qu'elle soulève. C'est ainsi qu'on s'est demandé si fes Précieuses étaient déja écrites avant la rentrée de Molière a Paris; si, oui ou non, Molière avait imité un modèle. On a taché d'expliquer le fait que la pièce a été interdite, pendant une quinzaine de jours, immédiatement après la première représentation; on a écrit pour et contre la société „précieuse". II y a des savants qui prétendent que Molière a visé les „vraies" précieuses, il y en a d'autres qui soutiennent qu'il n'en a voulu qu'aux „ridicules", aux „pecques provinciales"; enfin il y a la question des noms des personnages et celle du genre littéraire auquel appartient la pièce: Cathos représente-t-elle Catherine de Vivonne, marquise de Rambouillet, et Magdelon „1'illustre Sapho", c'est-a-dire Madeleine de Scudéry? Faut-il voir dans les Précieuses ridicules une farce ou une comédie? j^rNe pouvant songer a discuter dans cette courte introduction tout ce qui s'est publié au sujet de 1'interprétation des Précieuses ridicules, nous nous contenterons de fournir les renseignements que nous croyons indispensables a ceux qui veulent arriver a une juste compréhension de la pièce. Bien que toutes les éditions portent le titre de comédie, les Précieuses sont une farce. Nous allons dire pourquoi. La farce, d'abord, se passé des compHcations de 1'intrigue, telle qu'elle nous 2 XVI ANTHOLOGIE DU THÉATRE. apparait dans la comédie littéraire du XVII8 siècle. II suf fit de se rappeler ce que nous avons dit du Dépit amoureux. ,Jja. farce se compose d'une suite de scènes bouffonnes/ qui reproduisent, en les grossissant, en les ridiculisant, les événements de la vie de tous les jours. Les acteurs ne se cachent pas ou se cachent a peine sous leur déguisement et prêtent souvent leur nom au röle qu'ils jouent. Dans les Précieuses La Grange, Du Croisy, Jodelet, Magdelon (Madeleine Béjart?), Cathos (Catherine de Brie?) et Marotte (Marotte Ragueneau?) sont des noms de personnages, mais aussi des noms d'acteurs et d'actrices. Beaucoup de roles ont un caractère traditionnel; ainsi Gorgibus et Mascarille des Précieuses se rencontrent aussi, le premier dans le Médecin volant ét Sganarelle, le second dans VEtourdi et le Dépit amoureux. Enfin il était permis aux acteurs des farces de glisser dans leurs röles p toutes sortes de jeux de scène et de facétieg «e^ leur invention, ce qui ne serait guère admissible dans une oeuvre d'un genre plus relevé1). ^ Passons maintenant a 1'intrigue des Précieuses-, elle ] est toute simple. Deux jeunes seigneurs, La Grange et Du Croisy, recherchent en mariage Magdelon, la fille, et Cathos, la nièce du riche bourgeois Gorgibus. Ils sont recus avec une impertinence irritante et La Grange, qui a a son service une sorte de 1) Dans ce qui précède nous avons résumé quelques pages intéressantes que M. Eugène Bigal en consacrées aux Précieuses dans son Molière 1 100—118, Paris Hachotte. INTRODUCTION. XVII valet bei-esprit, nommé Mascarille, jure de se verjger. Mandées par Gorgibus, les deux précieuses déclarent qu'elles ne pourront jamais être a des bommes qui ne se modèlent pas sur les héros du Grand Cyrus et ne saven t pas déchiffrer la Carte du Tendre. Le bonhomme, exaspéré, leur donne le choix entre le mariage et le couvent. Bientót le marquis de Mascarille annonce sa visite. Dès qu'il est en présence des jeunes personnes, il leur sert mille compliments en langage affecté, promet de les introduire dans la société précieuse de Paris, vante son mérite littéraire, récite des vers archiridicules, dont il a soin de faire ressortir les beaux traits, et émerveille les deux sottes jjrovinciales par 1'élégance de ses rubans, de ses canons et de ses plumes. Leur extase at teint son maximum, quand le vicomte de Jodelet, un „brave a troispoils", vient présenter ses hommages aux jolies précieuses. A deux inaintenant, les soi-disant grands seigneurs rivalisent de bolmonnerie et de vantardise.' Et Magdelon et Cathos de se pamer* en ecMtant le récit des exploits imaginaires du marquis et du vicomte. Quel rêve exquis! Le réveil sera brutal. On se prépare a une petite sauterie. A peine les musiciens ont-ils lancé leurs premières notes dans le salon, que La Grange et Du Croisy reparaissent brusquement, batonnent leurs valets et s'en vont, laissant les deux „pecques" honteuses et humiliées. Elles doivent en outre endurer les reproches indignés de Gorgibus, furieux contre la 2* XVIII ANTHOLOGIE DU THÉATRE. littérature romanesque et la préciosité, qui leur ont attiré cette mésaventure. ** Ce qui fait des Précieuses ridicules une oeuvre immortelle, ce n'est pas, ce ue peut pas être, on s'en apercoit, cette intrigue si faible et si peu originale. mais c'est évidemment la spirituelle satire, l'mtéresBant tableau de mceurs qu'elle renferme. * * A 1 Molière attaque dans sa farce un travers, trés répandu dans la première partie du XVII» siècle, celui de la préciosité. Elle provient d'une forte aspiration a la distinction et a 1'élégance dans les relations mondaines comme dans le style et le langage. Notons que d'autres temps que le XVII» siècle et d'autres pays que la France ont connu cette même recherche. l**-+U- y Voici quelques renseignements sur 1'origine et le développement de la société précieuse en France: En 1608, Catherine de Vivonne, après son mariage marquise de Rambouillet, cesse de paraitre a la cour de Heriri IV, prétextant la, délicatesse de sa santé, mais en réalité /rByoltée de la grossièreté de ce milieu. Elle se retire en son magnifique hötel et recoit dans la Chambre bfeue grancls seigneurs et grandes dames, écrivains, abbés et magistrats. C'est la que se rencontraient Condé et sa soeur, la future duchesse de Longueville, La Rochefoucauld. les marquises de Sablé, de La Fayette, de Sévigné, RjcheJieu déja cardinal. ensuite les littérateurs les INTRODUCTIOX. XIX plus distingués du temps: SWhjerpe, Racan, BaJzac, Voitute, Chapelain. Corneille dans 1'éclat de sa gloire et Bossuet encore tout jeune1). On ne saurait imaginer une société plus brillante que celle que présidait „1'incomparable Arthénice" *). t „Parler, c'était la grande affaire . . . Avec 1'éterw#tifcAAr/. Dame, c'est que la porte est etroite. Vous avez voulu aussi que nous soyons entrés jusqu'ici. mascarille, sortant de sa chaise. Je le crois bien. Voudriez-vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclé- 88 anthologie du théatre. mences de la saison pluvieuse? et que j'allasse imprimer mes souliers en boueT Allez, ötez votre chaise d'ici. second porteur, venant d lui, le ehapeau d la main. Payez-nous donc, s'il vous plait, Monsieur. mascarille. Hem? second porteur. Je dis, Monsieur, que vous nous donniez de 1'argent, s'il vous plait. mascarille, hii donnant un soufflet. Comment, coquin, demander de 1'argent a une personne de ma qualité! second porteur. Est-ce ainsi qu'on paye les pauvres gens? et votre qualité nous donne-t-elle a diner? (11 remonte prés du premier porteur.) mascarille, traversant d droite, trés insolent. Ah, ah, ah, je vous apprendrai a vous connaitre. Ces canailles-la s'osent jouer a moi. premier porteur, prenant un des batons de sa chaise, venant prés de Mascarille et posant brusquement le bout de son baton d terre. Qa, payez-nous vitement1. mascarille. Quoi? premier porteur. Je dis que je veux avoir de 1'argent tout a 1'heure. mascarille, se rodoucissant. II est raisonnable. les précieuses ridicules. 89 premier porteur. Vite donc. mascarille, se fouillant et lui donnant de Vargent. Oui-da, tu parles comme il faut, toi; mais 1'autre est un coquin qui ne sait pas ce qu'il dit. Tiens, est-tu content? premier porteur. Non, je ne suis pas content; vous avez donné un soufflet a mon camarade, et. . . (Levant son béton.) mascarille, lui redonnont de Vargent. Doucement; tiens, voila pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne facon. Aüez, venez me reprendre tan tot pour aller au Louvre au petit coucher1. (Les porteurs sortent avec la chaise par la droite. Marotte entre par la gauche.) Scène VUL MAROTTE, MASCARILLE. marotte. Monsieur, voila mes maitresses, qui vont venir tout a 1'heure. mascarille. Qu'elles ne se pressent point; je suis ici posté commodément pour attendre. marotte. Les voici. (Elle montre la porte de gauche, puis ort par la porte d droite. Cathos et Magdelon entrent de gauche. Echange de saluts trés exagérés. Mascarille a gagné d droite.) 90 ANTHOLOGIE du théatre. Scène LX. MAGDELON, CATHOS, MASCARILLE, ALMANZOR. mascarille, après avoir salué. Mesdames1, vous serez surprises, sans doute, de 1'audace de ma visite; mais votre réputation vous attire cette méchante affaire, et le mérite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout après lui. magdelon, d gauche, minaudant. Si vous poursuivez le mérite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. cathos, au milieu, même jeu. Pour voir chez nous le mérite, il a fallu que vous 1'y ayez amené. mascarille, magdelon, Hélas! qu'en pourrions-nous dire? II faudrait être 1'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau* des merveilles, le centre du bon goüt, du bel esprit et de la galanterie.. mascarille. Pour moi, je tiens que, hors de Paris, il n'y a point de salut pour les honnêtes gens*. cathos. C'est une vérité incontestable. mascarille, se penchant vers Cathos. II y fait un peu crotté; mais nous avons la chaise. (II se^redresse.) magdelon. II est vrai que la chaise est un retranchement les précieuses ridicules. 93 merveilleux contre les insultes de la boue, et du mauvais temps. mascarille. Vous recevez beaucoup de visites: quel bel esprit est des vötres? magdelon. Hélas! nous ne sommes pas encore connues; mais nous sommes en passeTde 1'être, et nous avons une amie particuliere, qui nous a promis d'amener ici tous ces messieurs du Recueil des pièces choisies1. cathos. Et certains autres, qu'on nous a nommés aussi, pour être les arbitres souverains des belles choses. mascarille, avec importance. C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne; ils me rendent tous visite, et je puis dire que je ne me léve jamais sans une demi-douzaine de beaux-esprits. magdelon. (Mascarille se penche vers Magdelon.) Eb! mon Dieu, nous vous serons obligées de la dernière obhgation, si vous nous faites cette amitié, car enfin il faut avoir la connaissance de tous ces messieurs-la, si 1'on veut être du beau monde^Ce sont ceux qui donnentïe Branie* a la réputation dans Paris; et vous savez qu'il y en a tel dont il ne faut que la seule fréquentation pour vous donner ' bruitde connaisseuse, quand il n'y aurait rien autre chose que cela. Mais pour moi, ce que je considère particulièrement, c'est que, par le moyen 94 anthologie du théatre. de ces visites spirituelles1, on est instruite/de cent choses qu'il faut savoir de^hecessitê2, ét qui sont de 1'essence d'un bel-esprit. On apprend par la, chaque jour, les petites nouvelles galantes, les jolis commerces8 de.prose et de vers. On sait a point nómme: „Un tel a composé la plus jolie pièce du monde sur mr-^el sujet; une telle a fait^des^a^oles sm■.un tel arjrj celui-pi a fait un madrigai*sür une jóuissance5; celui-la a composé des stances'sur une infidélité; monsieur un tel écrivit hier au soir un sixain a mademoiselle une telle, dont elle lui a envoyé la réponse ce matin sur les huit heures;#un Tel auteur a fait un tel dessein6; celui-la en est a la troisième partie de son roman; eet autre met ses ouvrages sous Ia ptesse." C'est Ik ce qui vous fait valoir dans les compagnies; et, si 1'on ignore ces choses, je ne donnerais pas un clou de tout 1'esprit qu'on peut avoir. cathos. (Mascarille se penche vers Cathos.). ., En effet, je trouve que c'est renchénr suri le ridicule, qu'une personne se piqué d'esprit et ne sache pas jusqu'au moindre petit qua train qui se fait chaque jour; et pour moi, j'aurais toutes les hontes du monde s'il fallait qu'on vint a me demander si j'aurais vu quelque chose de nouveau que je n'aurais pas vu. mascarille, se redressant. II est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait; mais ne vous mettez pas en peine; je veux établir chez vous une Académie les précieuses ridicules. 95 de beaux-esprits; et je vous promets qu?il ne se fera pas un bout de vers dans Paris que vous ne sachiez par cceur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux; et vous verrez courir de ma facon, dans les belles ruelles1 de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épigrammes2, et plus de mille madrigaux, sans compter les énigmes et les portraits. tUA<,\ magdelon. Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits; je ne vois rien d'aussi galant que cela. mascarille, gravement. Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond. Vous en verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas. cathos. Pour moi, j'aime terriblement les énigmes. mascarille, légèrement. Cela exerce 1'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai a deviner. magdelon. Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournes. mascarille. C'est mon talent particulier, et je travaiüe a mettre en madrigaux toute 1'histoire romaine. magdelon. Ah! certes, cela sera du dernier beau; j'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer. 96 anthologie du théatre. mascarille, s'étendant dans son fauteuil. Je vous en promets a chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-dessous de ma condition; mais je le fais seulement pour donner a gagner aux libraires, qui me persécutent. magdelon. Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé. mascarille, se redressatU. Sans doute. Mais a ce propos, il faut que je vous die1 un impromptu2 que je fis bier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter; car je suis diablement fort sur les impromptus. cathos. L'impromptu est justement la pierre de touche de 1'esprit. mascarille. Ecoutez donc. magdelon. Nous y sommes de toutes nos oreilles. mascarille, disant les deux: oh! oh! trés fort. Oh! oh! je n'y prenais pas garde: Tandis que, sans songer a mal, je tous regarde, Votre ceil en tapinois me dérobe mon cceur, Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur! (11 iétend dans son fauteuil.) cathos. Ah! mon Dieu! voila qui est poussé dans le dernier galand.^ les précieuses ridicules. 97 mascarille, se redressant. Tout ce que je fais a Pair cavalier1; cela ne sent point le pédant. magdelon. II en est éloigné de plus de deux mille lieues. mascarille. Avez-vous remarqué ce commencement oh, oA? Voila qui est extraordinaire: oh, oh\ Comme un homme qui sjayise, tout d'un coup: oh, oh\ La surprise: oh, ohl ^ Me, (i^CfilpcJj^-^n^^ ' magdelon. Oui, je trouve ce oh, ohl admirable. mascarille. II semble que cela ne soit rien. -tuft^*- cathos. Ah! mon Dieu, que me dites-vous? Ce sont la de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer. magdelon. Sans doute; et j'aimerais mieux avoir fait ce oh, ohl qu'un poème épique. mascarille. Tudieu! vous avez le goüt bon. magdelon. Eh! je ne 1'ai pas tout a fait mauvais. (Rire des trois personnages.) mascarille. Mais n'admirez-vous pas aussi, je n'y prenais pas gordel je n'y prenais pas garde, je ne m'apercevais pas de cela: facon de parier naturelle, je n'y prenais pas garde. Tandis que, sans songer d mal, tandis 7 98 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. qu'innoceinment, sans malice, comme un pauvre mouton; je vous regarde, c'est-a-dire, je m'amuse a vous considérer, je vous observe, je vous contemple; Votre cbü en tapinois... Que vous semble de ce mot tapinois ? n'est-il pas bien cboisi? CATHOS. Tout a fait bien. MASCARILLE. Tapinois, en cacbette: il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris: tapinois. (II imite le chat : Miaou\) MAGDELON. II ne se peut rien de mieux. MASCARILLE. Me dérobe mon cceur, me 1'emporte, me le ravit. Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur! Ne diriez-vous pas que c'est un bomme qui crie et court après un voleur pour le faire arrêter? Au voleur! au voleur! au voleur! au voleur! MAGDELON. II faut avouer que cela a un tour spirituel et galanóx/ MASCARILLE. Je veux vous dire Pair que j'ai fait dessus. CATHOS. Vous avez appris la musique? MASCARILLE. Moi? point du tout. CATHOS. Et comment donc cela se peut-il? les précieuses ridicules. 99 mascarille, avec importance. Les gens de qualité savent tout, sans avoir jamais rien appris. magdelon. Assurément, ma chère. mascarille. Écoutez si vous trouvez 1'air ,a votre goüt. Hem, hem. La, la, la, la, la. La brutalité de la saison a furieusement outragé la délicatesse de ma voix; mais il n'importe, c'est a, la cavalière. (H c/wmte1), Ohl Ohl je n',y prenais pas garde From, from, from. (II imite la contrébasse sur sa canne.) Ohl Ohl je n'y prenais pas garde! Tu, tu, tu, tu. (II imite la flüte.) Tandis que sans penser a mal, Tandis que sans penser a mal, Ta, ta, ta. (II imite le piston.) Je vous regarde, je vous regarde, Je vous rega-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-a-arde, Votre oeil en tapinois Me dérobe mon cceur. Votre ceil en ta, ta, ta 1 Votre oeil en pi, pi, pi, pi, I j. Votre oeil en nois, nois, nois, nois, | Me dérobe mon coeur. ) Au voleur, au voleur! (bis) Au, au, au, au voleur! (bis) Au, au voleur! (bis) Au voleur I (II s'enfonce dans son fauteuil, épuisé.) 7* 100 anthologie dij théatre. cathos. Ah! que voila un. air qui est passionné! Est-ce qu'on n'en meurt point?1 magdelon, pdmée sur son siège. II y a de la chromatique1 la-dedans. mascarille, se redressant. Ne trouvez-vous pas la pensee bien exprimée dans le chant ? au voleur ... Et puis comme si 1'on criait bien fort, au, au, au, au, au, au voleur1 Et tout d'un coup, comme une personne essoufflée, au voleur \ 4*t magdelon. C'est la savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure; je suis enthousiasmée de 1'air et des paroles. cathos. Je n'ai encore rien vu de cette force-la. mascarille. Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans étude. magdelon. La nature vous a traité en vraie mère passionnée, et vous en êtes 1'enfant gaté. mascarille. A quoi donc passez-vous le temps? cathos. A rien du tout. magdelon. Nous avons été jusqu'ici dans un jeune effroyable de divertissements. les précieuses ridiccles. 101 mascarille. Je m'offre a vous mener 1'un de ces jours a la comédie, si vous voulez; aussi bien on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble. magdelon. Cela n'est pas de refus. mascarille. Mais je vous demande d'applaudir, comme il faut, quand nous, serons la,y car ie ,me suis engagé de faire valoiri^ piece, ét 1 auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici qu'a nous autres gens de condition, les auteurs viennent lire leurs pièces nouvelles, pour nous engager a les trouver belles, et leur donner de la réputation; et je vous laisse a penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous contredire. Pour moi, j'y suis fort exact; et quand j'ai promis a quelque poète, je crie toujours: „Voila qui est beau!" devant que les chandelles soient allumées1. magdelon, s'éventant. Ne m'en parlez point: c'est un admirable keu que Paris; il s'y passé cent choses tous les jours qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse être. cathos. C'est assez: puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous écrier comme il faut sur tout ce qu'on dira. 102 anthologie du théatre. mascarille. Je ne sais si je me trompe; mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comédie. magdelon, minaudont. Eh! il pourrait être quelque chose de ce que vous elites. mascarille. Ah! ma foi, il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai composé une que je veux faire représenter. cathos. Hé, a quels comédiens la donnerez-vous ? mascarille. Belle demande! Aux grands comédiens. H n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses; les autres sont des ignorants, qui récitent comme 1'on parle; ils ne savent pas faire fenfler les vers et s'arrêter au bel endroit: et le moyen de connaitre oü. est le beau vers, si le comédien ne s'y arrête, et ne nous avertit par la qu'il faut faire le bö^ahaH. ^5Ö^'*^-«^*/VCATH0S. En effet, il y a manière de faire sentir aux auditeurs les beautés d'un ouvrage, et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir. mascarille, montrant les rubans de son tablier. Que vous semble de ma petite oie*? La trouvezvous assez congruante3 a 1'habit ? 1 f^^jtV^^ Tout a fait. P ^U4*+isJ> *M ** les précieuses ridicules. 103 mascarille. ^ U^/vViM^^-1^ Le ruban est bien choisi. MACxDEIX)n/y, ^t^t^t^Xt, Ê** ^ Fnrieusement1 bien. C'est jgeré^ón^tont pur. mascarille. levant ses deux jambes pour montrer ses ^ canons.' Que ditez-vous de mes canons? MAODELON. Ils ont tout a fait bon air. mascarille. Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier8 de plus que tous ceux qu'on fait. MAGDELON. II faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut 1'élégance de 1'ajustement. mascarille, leur tendant les mains. f^Xjr^ J Attacbez un peu sur ces gants la réflexion de votre odorat. magdelon, sentant. Ils sentent terriblement bon. cathos, même jeu. Je n'ai jamais respiré une odeur mieux conditionnée 4. \ t***^****^*- %.t+ f^i^-r-C* mascarille, Et celle-la? (II se penche én arrière et fait sentir sa perruque d Cathos, puis se penche en avant et fait sentir le haut de sa perruque d Magdelon. Les deux femmes s'extasieni.) 104 anthologie du théatbe. magdelon. 'Ce w£ «k-<_. Elle est tout a fait de qualité; le sublime1 en est touché délicieusement. mascarille. Vous ne me dites rien de mes plumes, comment les trouvez-vous ? cathos. Effroyablement belles. mascarii1ü& «(.&. Savez-vous que le brin*"me coüte un louis d'or8? Pour moi, j'ai cette manie, de vouloir donner8 généralement sur tout ce qu'il y a de plus beau. magdelon. Je vous assure que nous sympathisons vous et moi. J'ai une délicatesse furieuse pour tout ce que je porte; et, jusqu'a mes chaussettes*, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière. mascarille. se levant et gagnant d droite, tandis que les deux dames se lèvent et gagnent d gauche. Abi, ahi, ahi, doucement! Dieu me damne, Mesdames! c'est fort mal en user; j'ai a me plaindre de votre procédé; cela n'est pas honnête. cathos. Qu'est-ce donc! qu'avez-vous? mascarille, venant au milieu a/pres un temps. Quoi? toutes deux contre mon cceur, en même temps! M'attaquer a droite et a gauche? Ah! c'est contre le droit des gens; la partie n'est pas égale, et je m'en vais crier au meurtre. (II regagne d droite.) LES PRÉCIEUSES RIDICÜLES. 105 CATHOS. II faut avouer qu'il dit les choses d'une manière particulière. MAGDELON. II a un tour admirable dans 1'esprit. CATHOS. Vous avez plus de peur que de mal, et votre cceur crie avant qu'on 1'écorche. MASCARILLE. Comment diable! il est écorché depuis la tête jusqu'aux pieds. Scène X. MAROTTE, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON. Marotte entre de droite et reste pres de la porte. Almanzor entre derrière Marotte, et remonte les trois sièges sur une seule ligne, en biais a gauche, puis il gagne le fond a droite. MAROTTE. Madame, on demande a vous voir. MAGDELON. Qui? MAROTTE. Le vicomte de Jodelet. MASCARILLE. Le vicomte de Jodelet? MAROTTE. Oui, monsieur. CATHOS. Le connaissez-vous ? 106 anthologie du théatre. mascarille. C'est mon meilleur ami. magdelon. Faites entrer vitement. (Marotte soit porte d droite.) mascarille, donnant sa canne d Almanzor. II y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure. cathos. Le voici. (Jodelet entre de droite. Mascarille va d. lui, les bras ouverts. Jodelet s'y jette. Ils s'embrassent avec affectation. Almanzor pose la canne au fond.) Scène XL JODELET, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON, MAROTTE. mascarille. Ah! Vicomte! jodelet, s'embrassant Vun Vautre. Ah! Marquis! mascarille. Que je suis aise de te rencontrer! jodelet. Que j'ai de joie de te voir ici! mascarille. Baise-moi donc encore un peu, je te prie. (Ils s'embrassent encore.) magdelon, d Cathos. Ma toute bonne, nous commencons d'être connues; les précieuses ridicules. 107 voila le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir. (Mascarille et Jodelet descendent au milieu et saluent trés bas. Cathos passé devant eux en saluant, et va d droite; Magdelon reste d gauche.) mascarille, frenant la main droite de Jodelet. Mesdames, agréez que je vous présente ce gentilhomme-ci. Sur ma parole, il est digne d'être connu de vous. jodelet. II est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit, et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. magdelon. C'est pousser vos civiktés jusqu'aux derniers confins de la flatterie. cathos. Cette journée doit être marquée dans notre almanach, comme une journée bienbeureuse. magdelon, d Almanzor. Allons, petit garcon, faut-il toujours vous répéter les cboses? Voyez-vous pas qu'il faut le surcroit d'un fauteuil1? uni^A^^^tkiu^ (Almanzor prend la chaise de droite et la pousse d droite, puis il descend le fauteuil du fond d coté, d gauche, et rapproche du milieu le fauteuil et la chaise de gauche. Ils. s'asseyent, Magdelon d gauche. Mascarille prés d'elle, Jodelet prés de lui, et Cathos d droite.) 108 anthologie du théatbe. mascarille. Ne vous étonnez pas de voir le Vicomte de la sorte; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pale comme vous le voyez1. jodelet. Ce sont fruits des veilles de la cour, et des fatigues de la guerre. mascarille. Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le Vicomte un des vaillants hommes du siècle? C'est un brave a trois poils2. Vous ne m'en devez rien , Marquis; et nous savons ce que vous savez faire aussi. (Rires: Hi! Hi!) mascarille. II est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans Poccasion. (Rires: Ou! Ou!) jodelet. Et dans des heux oü il faisait fort chaud. (Rires: Oh! Oh!) mascarille, les regardant toutes deux. Oui, mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai! jodelet. Notre connaissance s'est faite a 1'armée; et la première fois que nous nous vimes, il commandait un régiment de cavalerie sur les galères de Malte4. mascarille, II est vrai; mais vous étiez pourtant dans 1'emploi avant que j'y fusse; et je me souviens que je n'étais les fréch5uses ridicules. 109 que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux. jodelet. La guerre est une belle chose: mais, ma foi, la Cour récompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous. mascarille, d Magdelon. C'est ce qui fait que je veux pendre 1'épée au croc. cathos. Pour moi, j'ai un furieux,, tendre pour les hommes d'épée. magdelon, se penchant vers Mascarille. Je les aime aussi; mais je veux que 1'esprit assaisonne la bravoure. mascarille. >\^y\P^-) lAl^r***, Te souvient-il, Vicomte, de cette demi-lune1 que nous emportames sur les ennemis au siège d'Arras2? jodelet. Que veux-tu dire, avec ta demi-lune? C'était bien une lune tout entière.3 mascarille. Je pense que tu as raison. jodelet. II m'en doit bien souvenir, ma foi: j'y fus blessé a la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marqués. Tatez un peu, de grace, vous sentirez quel coup c'était la. (II tend la jambe gauche, s'apercoit qu'il se trompe et tend la droite.) cathos, après avoir touché Vendroü. II est vrai que la cicatrice est grande. 110 anthologie du théatre. mascarille. Donnez-moi un peu votre main, et tatez celui-ei, Ia, justement au derrière de la tête: y êtes-vous? magdelon, ayant la main derrière la tête de Mascarille. Oui, je sens quelque chose. mascarille. C'est un coup de mousquet que je recus la dernière campagne que j'a faite. jodelet, découvrant sa poitrine. Voici un autre coup qui me perca de part en part a 1'attaque de Gravelines1. mascarille, se levant et mettant la main sur le bonton de son haut-de-chausses*. Je vais vous montrer une furieuse plaie. magdelon. II n'est pas nécessaire, nous le croyons sans y regarder. mascarille. Ce sont des marqués honorables, qui font voir ce qu'on est. cathos. Nous ne do ut ons point de ce que vous êtes. (On se léve, Almanzor rentre de droite et va ranger les deux fauteuils au fond, de chaque cöté de la porte, puis repousse les deux chaises d droite et d gauche, et remonte fond d droite.) mascarille. Vicomte, as-tu la ton carrosse? les précieuses ridicules. 111 jodelet. Pourquoi ? mascarille. Nous mènerions promener ces dames hors des portes1, et leur donnerions un cadeau2. /-jiJÜu magdelon. Nous ne saurions sortir aujourd'hui. mascarille. Ayons donc les violons pour danser. jodelet. Ma foi, c'est bien avisé. magdelon. Pour cela, nous y consentons; mais il faut donc quelque sucrojt de compagnie» mascarille. Hola, Champagne, Picard, Bourguignon, Casquaret. Basque, La Verdure, Lorrain, Provencal, La Violette! Au diable soient tous les laquais! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul. magdelon. Almanzor, dates aux gens de Monsieur qu'ils aillent quérir des violons, et nous faites venir ces Messieurs et ces Dames d'ici pres, pour peupler la sohtude de notre bal. (Almanzor gort d droite.) mascarille, regardant Magdelon. Vicomte, que dis-tu de ces yeux? jodelet, regardant Cathos. Mais toi-même, Marquis, que t'en semble? 112 anthologie du théatre. / y 77. . IJ . . . /' mascarille. Moi, je ais que nos libertés auront peine a sortir d'ici les_braies nettes K Au moins, pour moi, je recois d'étranges secousses, et mon cceur ne tient qu'a un filet2. ^Ci^i^^y' magdelon. Que tout ce qu'il dit est naturel! H tourne les cboses le plus agréablement du monde. cathos. II est vrai qu'il fait une furieuse dépense en esprit. mascarille. Pour vous montrer que je suis véritable, je veux faire un impromptu la-dessus. (II médite.) cathos. Eb! je vous en conjure de toute la dévotion de mon cceur: que nous ayons quelque chose qu'on ait fait pour nous. jodelet, d Cathos. J'aurais envie d'en faire autant: mais je me treuve un peu incommodé de la veine poétique, pour la quantité des saignées que j'y ai faites ces jours passés. (Mascarille s'apprête d parier, tous se rapprochent pour écouter dans eet ordre: Magdelon, Mascarille, Jodelet, Cathos. II cherche et ne trouve rien.) mascarille. Que diable est cela? Je fais toujours bien le premier vers; mais j'ai peine a faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop pressé; je vous ferai un impromptu a loisir, que vous trouverez le plus beau du monde*. LES PRÉCIEUSES RIDICULES. 113 jodelet. II a de Pesprit comme un démon. magdelon. Et du galand, et du bien toutné. mascarille, trés haut, pour ces dames. Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-U longtemps que tu n'as vu la comtesse? jodelet. II y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite. - mascarille. Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener a la campagne, courir un cerf avec lui? magdelon. Voici nos amies qui viennent. (Deux violons entrent de droite, traversent au fond et vont se placer prés de la porte de gauche. Almanzor a repoussé les deux chaises d droite et d gauche, et remonté les deux fauteuils de chaque cóté de la porte du fond. Magdelon est d gauche, Mascarille prés d'elle, puis Jodelet et Cathos. Almanzor sort d droite.) Scène XII. JODELET, MASCARILLE, CATHOS, MAGDELON, MAROTTE, LUCILE. magdelon. Mon Dieu, mes cbères, nous vous demandons pardon. Ges messieurs ont eu fantaisie de nous 8 114 anthologie djj théatre. donner les ames des pieds1, et nous vous avons envoyé quérir pour remplir les vjj^ides2 de notre assemblee. <4ew«<«>dt lucile. Vous nous avez obligées, sans doute. mascarille. Ce n'est ici qu'un bal a la hate; mais 1'un de ces jours nous vous en donnerons un dans les tormes. Les violons sont-ils venus? almanzor. Oui, monsieur; ils sont ici. cathos. Allons donc, mes cbères, prenez place. mascarille, dansant lui seul, comme par prélude. La, la, la, la, la, la, la, la. magdelon. II a tout a fait la taille élégante. cathos. Et a la mine de danser proprement. %JLij\Jjl A mascarille, ayant pris Magdelon,, Ma franchise3 va danser la courante4 aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence. Oh! quels ignorants! II n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte! ne sauriez-vous jouer en mesure? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme, ö violons de vülage! jodelet, dansant ensuite. Hola! ne pressez pas si fort la cadence, je ne fais que sortir de maladie. les précieuses ridicules. 115 (Mascarille donne la main droite d Magdelon. Jodelet la gauche d Cathos. Les violons jouent. Ils iavancent les uns vers les autres en se sahtant. La Grange et Du Croisy entrent de droite, tenant chacun un baton. La Grange vient prendre la main gauche de Mascarille, Du Croisy, celle de Jodelet, et ils les font tourner autour d'eux en les battant. Les deux dames effrayées se sauvent d droite et d gauche. La Grange et Du Croisy sont au milieu.) Scène XIII. DU CR0E3Y, LA GRANGE, CATHOS, MAGDELON, LUCILE. CÉLLMENE, JODELET, MASCARILLE, MAROTTE, Violons. la grange, un baton d la main. Ah! ah! coquins, que faites-vous ici? il y a trois heures que nous vous cherchons. mascarille, se sentant battre. Ahy! ahyl ahy! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi. jodelet. Ahy! ahy! ahy! la grange. C'est bien a vous, imfames que vous êtes, a vouloir faire rhomme d'importance. du croisy. QynyWt^Jt^^ Voila qui vous apprendra a vous connaifcr*. (La Grange et Du Croisy sortent d droite.) 8* 116 anthologie du théatre. Scène XIV. CATHOS, MAGDELON, LUCTLE, CÉLLMÈNE, MASCARILLE, JODELET, MAROTTE, violons. magdelon, se rapprochant de Mascarille. Que veut donc dire ceci? jodelet. C'est une gageure. cathos, même jeu. Quoi? vous laisser battre de la sorte! mascarille. Mon Dieu, je n'ai pas voulu faire semblant de rien; car je suis violent, et je me serais emporté. magdelon. Endurer un affront comme celui-la, en notre présence! ./^ mascarille. . ^rr*v Ce n'est rien: ne laissons pas d'achever. Nous nous connaissons il y a longtemps, et entre amis on ne va pas se piquer pour si peu de chose. (Ils se remeüent en place. Les violons jouent. La Grange et Du Croisy rentrent de droite.) Scène XV. DU CROISY, LA GRANGE, MAGDELON, CATHOS, CÉLIMÈNE, LUCUjE,MASCARILLE, JODELET, MAROTTE,Violons . la grange. Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres. (Entrent deux valets qui se placent au-dessus de Mascarille et Jodelet.) LES PRÉCIEUSES RIDICULES. 117 MAGDELON. Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte, dans notre maison? DU CROISY. Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux recus que nous ? qu'ils viennent vous faire 1'amour a nos dépens, et vous donnent le bal? MAGDELON. Vos laquais! LA GRANGE. Oui, nos laquais: et cela n'est ni beau, ni bonnête, de nous les débaucber comme vous le faites. MAGDELON. / O Ciel, quelle insolence! (EUe s'assied sur la chaise d gauche, Cathos sur celle de droite.) LA GRANGE. arf^ Mais ils n'auront pas 1'avantage de se servir de nos babits, pour vous donner dans la vue -, et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les depouille sur-le-cbamp. Adieu notre oraverie2. (Les valets aident Mascarille et Jodelet d se deshabiller. Mascarille óte son manteau, son pourpoint et sa perruque, que le valet prend. Jodelet óte sa perruque, son habit et sept ou huit gilets qu'il a 1'un sur Tautre. II est en cuisinier dessous et rabat son tablier qui était roulé autour de sa taille.) 118 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. MASCARILLE. Voila, le marquisat et la vicomté a bas. jJjp//^ DU CROISY. jjl*"**^ [1Ha! ha! coquins, vous avez 1'audace d'aller bui nos brisées!2 Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agréables aux yeux de vos belles, je vous en assure. _ ,', ^CtjLtJ sc-tJ*C1^' Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant. Nous allons servir de fable et de risee a tout le monde, et voila ce que vous vous êtes attiré par vos extra vagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. f1 Et vous, qui êtes cause de leur folie, sottes biüevesées, pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiezvous être a tous les diables!] (Gorgibus sort par le fond.) FIN. 122 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. CHANSON DE MASCARILLE1 vous re-gar-ae Je vous re - gar - ae vo- 1 Air de tradition vulgarisé par Régnier. * Imitation énergique da ooap d'arciiet de la contre-bassé. * Imitation des oordes pinoées de la guitare. 4 Imitation da son guttural du basson. 6 Imitation de la flüte. I.ES PRÉCIEUSES RIDICULES. 123 tre oail en ta-pi - nois (brrrrou) me dé - ro be mon tre oeil en pi Vo - tre obü en nois Vo - tre oeil en pi pi pi pi Vo - tre oeil en nois, nois nois nois me dó - ro be mon cceur Au vo-leur 1 Imitation du roulement sourd de la timbale. J Imitation de la fanfare d'une trompette. 124 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. Au vo - leur! Au NOTES EXPLICATIVES. 1 NOTES EXPLICATIVES. Outre les livres mentionnés dans 1'Introduction, j'ai consulté pour 1'explication des textes: le Dictionnaire Général de la Langue francaise par M.M. A. Hatefeld, A. Darmesteter et A. Thomas, Paris, Delagrave. (D. G.) les (Euvrea de Molière, par M. Eugène Despois (Les grands Ecrivains de la France). Paris, Hachette, 1873. (Desp.) Ch. Livet, Précieux et Précieuses, Paris 1870, 2» éd. I. LA. FARCE DE MAITRE PIERRE PATHELIN. Page 3, note i. De fine famine. Dans cette expression, qui se trouve dans le texte original, 1'adj. fin a le sens de „extréme". Cp. le fin fond. n. 2. Chaperons: capuchons, portés par les deux sexes, couvrant la tête et le cou jusqu aux épaules. Le chaperon des femmes avait une longue queue pendante. Page 4, n. f. Par saint Pierre: Pathelin ne se contente pas de jurer par Saint Pierre, son pation, il invoque a tout propos, comme du reste les autres personnages de la farce, Dieu le père, Sainte Marie, Saint Jehan, monseigneur Saint Gilles, Sainte Magdalène, Saint Georges, notre Dame de Boulogne, Saint Jacques, Saint Gigon, enfin tous les sainctz de_ Paradis (vs. 1150). Cette habitude l* 4 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. ou cette manie n'a presque pas laissé de tracé dans les farces et les comédies du XVII6 siècle, notamment dans celles de Molière. Page 5, n. 1. Vaillant backelier: brave garcon. 11 va sans dire que 1'expression ne saurait indiquer ici le grade universitaire. n.2. Prudhomme: homme d'une parfaite loj&uté.fD.G.) n. 3. II prêtait ses denrées d qui les voulait: il mettait ses denrées, c.-a-d. ses rnarchandises, a la disposition de tout le monde. (Le mot denree, anciennement deneree, est un dérivé de denier.) Page 6, n. 1. Cuir de Cordoue: Cordoue, ville d'Andalousie, était autrefois fameuse pour la fabrication des cuirs, appelés cordouans. Les ouvriers en cordouan s'appelaient cordouaniers, plus tard, sous 1'influence du mot cordon, cordonniers. n. 2. Fouler des drops: les presser pour en rendre le tissu plus serré, nl. vollen. n. 8. Ecu, ancienne monnaie (d'or et d'argent) portant sur une de ses faces 1'écu de France. (D. G.) Page 8, n. 1. Béjaune: naïf, béte. n. 2. En ai-je? Ce „petit mot de Pathelin", comme dit Rabelais, Livre IV, Prologue de l'auteur, traduit toute la satisfaction de 1'esoroc qui a travaillé avec succes. n. 3. Cotte: ou cotte hardie, robe longue. Page 9, n. 1. Ni sou ni maille: rien du tout. La maille est une petite pièce de monnaie, la moitié d'un denier. n. 2. Billet: promesse de payer plus tard. Page 10, n. 1. Le denier d Dieu: denier offert au moment de conclure un marché. n. 2. Par ce dit: par ces mots. n. 3. Partiront: partageront. Page 11, n. 1. Marsouin: sorte de dauphin, a museau obtus et arrondi, dit vulgairement „pourceau de mer"; allemand Meerschwein. (D. G.) NOTES EXPLICATIVES. 5 n. 2. Babouin: sorte de singe cynocéphale, a lèvrcs proéminentes (D. G.); NI. baviaan. n. 8. Le geste qui exprime une quantité infinement petite, consiste a mettre 1'ongle du pouce sous les dents d'en haut en le faisant claquer hrusquement. n. 4. En monnaie de singe: en paroles. n. 5. La fdble du corbeau: Nous avons ici une remarquable imitation d'une fable qui a été racontée, entre autres, par Phèdre, par le poète du Roman de Renarl et par La Fontaine. Page 12, n. 1. Rigoler: s'amuser, se divertir, plaisanter. Page 16, n. 1. On ne lui /era flus prendre des vessies pour des lanternes: on ne le trompera plus grossièrement. Dans le texte original on Ut: Me voulez vous faire entendant De vecies que ce sont lanternes? n. 2. Et bona dies etc.: „et que la journée vous soit bonne (c'est-a-dire: bonjour!), trés cher maitre, trés révérend père". — Par allusion, dit M. Gustave Cohen dans son importante étude sur Rabelais et le Théatre, p. 54, par allusion aux jargons étranges par lesquels le fourbe, faisant le malade, accueille le marchand, qui vient réclamer son payement, Rabelais appelle tout charabia incompréhensible patelinois ou patelin: „Parlez-vous christian, mon amy,ou langaige patelinoys ?", ce qui, selon M. Sainéan (L'Argot ancien, Paris, 1907) a donné notre mot „patelin", qui a pris le sens de village, après avoir signifié sans doute le lieu oü 'Ion baragouine un patois. Page 17, n. 1. La elavelée: maladie contagieuse des moutons. n. 2. Truand: gueux. Page 18, n. 1. Le défendeur (terme de droit): dans un procés, la partie contre la quelle est int ent ée la demande. (D. G.) Page 28, n. 1. Sergent: agent de police. 6 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. n. 2. S'il me treuve: On a ici une forme de la conjugaison du verbe trouver en ancien francais, forme qu'on rencontre encore dans les auteurs du XVII» siècle. (Voir le Dépit amoureux p. 41, n. 1.) n. 3. Explicit: formule de scribe indiquant la fin d'un ouvrage. (D. G.J. II. LE DEPIT AMOUREUX. Page 31, n. 1. Dans la Bibliographie Moliéresque, p. 129, Paul Lacroix signale une édition du Dépit en deux actes par Letourneur (dit Valvüle, comédien), Marseille, Jean Mosoy, 1773. Cette réduction contient en tête de la pièce une scène qui explique la confusion qui se produit aans l'esprit d'Éraste. On 1'a reprise, il y a deux ans, a la Comédie-Francaise. Mais cette tentative est restée isolée et nous avons cru qu'il n'y avait pas lieu d'insérer ici cette scène d'ailleurs apocryphe. n. 2. Veux-tu que je te die? La forme, die qu'on trouve encore ca et la au XVII0 siècle, est un reste de la conjugaison du présent du subjonctif de dire en vieux francais. n. 3. En une bonne assiette: Le mot assiette, qui marqué a 1'origme la manière dont on est assis, est employé ici au figuré et indique 1'état dans lequel se trouve 1'ame d'Éraste. n. 4. Ma prud'homie: (vieilli) loyauté parfaite. (D. G.) n. 5. Homme fort rond: Allusion a la rotondité de Facteur du Pare. (Despois.) On voit que même dans la comédie littéraire, Molière se sert quelquefois de procédés qui appartiennent plutót k la farce. Voir FIntroduction p. XVII. Page 32, n. 1. Sur quoi vous avez pu prendre martel en tête: k propos de quoi vous avez pu vous inquiéter. n. 2. Flammes: amour. — Les feux, Vardeur, les jlammes, la chaine, les transport», les tribui», la foi, la grdce, Vobjet, termes qu'on rencontera a plusieurs reprises dans le Dépit amoureux, comme du reste dans toutes les notes exflicatives. 7 comédies de Molière, font partie de 1'attarail des relations galantes du XVII9 siècle. Désignant „ramour" et „la personne aimée", ils peuvent entrer dans toutes sortes d'expressions et de combinaisons. n. 3. Les douze vers renfermés entre crochets sont supprimés a la représentation. n. 4. Dessus: au sujet de. Dans la langue moderne dessus, préposition, est remplacé par sur. (Voir plus loin: dedans 1'indifférence.) Page 38, n. 1. Fatal: a quoi la destinée est attacbée, qui décide de notre sort. (Desp.) n. 2. Voient: de deux syllabes (Desp.). Depuis le XVII8 siècle, les poètes comptent de moins en moins comme syllabe Ye dit muet qui suit une voyelle accentuéo: De 1'autre cöté des tombeaux Les yeux qu'on ferme voient encore. (Sülly-Prudhomme) . Tandis qu'ils voient grandir ces lointaines collines. (Coppée). n. 8. Que je m'aille affliger: aujourdTiui on dirait plutöt que j'aüle m'affliger. n.4. Sans sujet ni demi: sans sujet ni demi-sujet. (Desp.) n. 5. Laissons venir la fête avant que la chómer: Dans ce vers, d'allure proverbiale, le mot fête est employé ironiquement. Le verbe chómer „interrompre le travail" 8'emploie tantöt avec tantót sans complement. n. 6. Mémes: L's qui termine le mot même, est eet s adverbial dont 1'emploi était si fréquent dans la vieille langue. Le fran9ais moderne a conservé certes, jadis et quelques autres. Au XVIIe siècle, les formes qui ont conservé eet s sont rares (voir K. Nyrop, Grammatre historique de la langue francaise III, p. 282). Page 84, n. 1. Baise: Tandis que le substantif baiser est d'un usage courant, le verbe se remplace ordinairement par embrasser. n. 2. Tout mon soul: tant que je pourrai. Le mot mul ou saoul „plein de vin, ivre" est trivial. ANTHOLOGIE DU THÉATHE. 8 n. 3. Je meure: Nous sommes ici en présence d'une tournure appartenant a la vieille langue. C'est une sorte d'optatif, qu'on trouvait souvent autrefois en rapport avec une supposition ou une condition exprimée ou sousentendue. Minnette veut dire: Que je meure, ou je veux mourir, si ce que je viens de dire n'est pas vrai. Mais il est trés probable que dans la langue parlée la locution n avait plus que la valeur d'une affirmation énergique. Page 36, n. 1. Au temple, au cours . .. dans la grande place: Faut-il mettre la scène a Béziers, a Paris ou ailleurs ? En la mettant k Paris, comme fait Péditeur de 1734, nous pouvons supposer que la grande place désigne la Place Royale, que le cours est le Cours Saint-Antoine; quant au temple, ce sera soit Yéglise soit le jardin du Temple. Mais il vaut mieux voir dans ces noms d'endroits des ïndications tout aussi vagues que le marché qui se trouve plus loin (p. 38), et convenant également 1 une ville quelconque. (Desp.) Page 36, n. 1. Badin: sot, niais. En francais moderne 1 adjectif n'a plus ce sens. n. 2. Comme: comment. n. 3. Se mettre mal: se faire du tort. Page 37, n. 1. Se rendre ... misérable d crédit: Dans le Misanthrope. III, 1, Molière emploie 1'expression figurée aimer d crédit et faire tous les frais („aimer sans rien recevoir en retour"), oü le sens primitif des mots d credit se retrouve facilement, quand on remplace aimer par vendre. Mais dans se rendre misérable d crédit, nous sommes plus éloignés du sens propre de cette locution: Ici, elle a abouti k la signification: „inutilement, sans raison." n. 2. déité: divinité; terme poétique, qui se rencontre trés rarement. Page 38, n. 1. Ce transport: ce mouvement de colère, cette jalousie. n. 2. Courrière:féminin de courrier „porteur de lettres". Le mot ne se rencontre qu'en poésie. n. 3. Tout proche du marché: voir p. 35, n. 1. 9 NOTES EXPLICATrVES. Page 39, n. 1. De sa grêce: de son plein gré, de son propre mouvement, sans être sollicité. (Desp.) n. 2. Je doi. C'est Pancienne forme sans s, dont les poètes modernes se servent quelquefois a la rime. n. 3.^ Pauvre honteuse. Gros-René se moque de la „honte" dont Marinette vient de parier. H fait, trés probablement, un jettsde mots, car 1'expression pauvre honteuse a un doublé sens: elle ne signifie pas seulement „honteuse digne de pitié", mais aussi „pauvre qui cache sa misère". Page 40, n. 1. Alors comme alors: alors on fera ce qu'on pourra. (Cp. A la guerre comme d la guerre.) h. 2. Faites votre pouvoir: faites votre possible. L'expression se trouve dans le Cid, II, 6: J'ai fait mon pouvoir, Sire, et n'ai rien obtenu (cité par M. Despois, d'après Auger). ; n. 3. Le succes: le résultat. Aujourd'hui le mot ne semploie plus qu'en bonne part, c.-a-d. dans le sens de „heureux résultat". n. 4. Albert: le père de Lucile. Ce röle a été suppnme cnhèrement dans la réduction en deux actes du Dépit atruureux. Page 41, n. 1. Pauvre hère: homme misérable. Page 42, n. 1. Treuve: Toutes les éditions, sauf la première et celles de 1675 A et de 1693 A, donnent trouve. (Desp.) Voir p. 28, n. 2. n. 2. II est trés naturel: cela est trés naturel; comme nous disons encore il est vrai. (Desp.) n. 3. Mes tributs: le tribut ou 1'hommage de mon amour. (Voir p. 32, n. 2.) Page 43, n. 1. Présomption: défaut de celui qui préf™* k;oP de soi. (D. G.) Qu'on se rappelle les amours de Valère et de Lucile-Ascagne, dont nous avons dit quelques mots dans PIntroduction, et Pon comprendra l'assurance avec laquelle s'exprime le soi-disant rival d'Éraste. ■■ Page 44, n. 1. Ou s'il demeureP: ou demeure-t-il ? (Voir plus loin: ou si c'est raülerie?) Cette construction ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 10 intéressante, absolument inusitee aujourd hui, nous lalt voir un mélange de 1'interrogation directe: Detneure-t-il? et de Pinterrogation indirecte: Je demande s'ü demeure. Elle appartient a Pancienne langue et se rencontre souvent au XVII» siècle. (Dans Haase-Obert, Syntaxe francaise du XVII» siècle, p. 430, on en trouvera plusieurs autres exemples.) Page 45, n. 1. dés-enamourée. Le composé désenamourer, „faire cesser Paction d'être amoureux", a été forgé par Molière, probablement d'après désenchanter, désennuyer, désülusionner, etc. Quant a enamourer, qui existe et est ordinairement accompagné de se, il appartient au groupe des „parasyntbétiques". Cp. encadrer, embarquer, etc. n. 2. Ou si c'est raillerie?: ou est-ce raillerie? Voir p. 44, n. 1. n. 3. Etroites faveurs: faveurs que peuvent s'accorder deux personnes intimement liées. Cp. Une étroüe liaison, 'une étroüe amitié. n. 4. Tirer son épingle du jeu: se retirer adroitement d'une affaire délicate ou mauvaise. (D. G.) n. 5. Eepaissaü: Imparfait de repaïtre, nourrir. Page 47, n. 1. II est donc vrai?: Cela est donc vrai ? (Desp.) Voir p. 42, n. t. n. 2. Eraste: L'édition de 1734 ajouté: tirant son épée. (Desp.) Page 48, n. 1. Vüement: Cette forme ne s'emploie guère aujourd'hui. Dans les Précieuses ridicules elle se rencontre plusieurs fois. n. 2. Tirer ses chausses: détaler (Desp.), c.-a-d. s'en aller. Les chausses étaient une partie du vêtement que portaient autrefois les hommes, sorte de culotte qui tantót n'allait que jusqu'aux genoux, haut-de-chausses, tantót avait un prolongement, bas-de-chauses, d'oü par abréviation: bas. (D. G.) n. 8. Si j'impose ... la moindre chose: si i'invente le moindre détail. Cet emploi tranedtif du verbe imposer est assez rare. 11 XOTES EIPLICITIVES. n. 4. Faire un pas de clerc: commettre une bévue par inexpérience. (Le contraire serait: faire un coup de maitre.J Remarqueï 1'effet comique que Molière obtient en attribuant a la langue un mouvement qui ne peut être exécuté, au propre, que par les jambes. n. 5. Ncsu: c'est 1'ancienne forme. Le d a été ajouté plus tard par préoccupation étymologique. n. 6. La violente amour. Le mot amour a commencé par être féminin. Au XVII* siècle, il y a hésitation entre les deux genres. De nos jours, il s'emploie au masculin, bien que Ie féminin se rencontre aussi quelquefois, mais toujours en poésie. „On a dit autrefois: On revient toujours d ses premières amours; on dit main tenant: On revient toujours d ses premiers amours." (Nyrop, Qrammaire historique de la langue francaise, III, p. 358.) Page 49, n. 1. Les quatre vers renfermés entre crochets sont supprimés a la représentation. n. 2. Nous en tenons tous deux, si 1'autre est vèrüable:' si Mascarille a dit la vérité, nous avons été bernés 1'un et 1'autre. n. 8. Leur concert: 1'accord secret qui, d'après Eraste, cxiste entre Valère et Lucile. Cp. le concert europeen. n. 4. Que c'est une baie.. . le paie: que „eet écrit" de Lucile est une ruse que celle-ci a inventée pour dissimuler son amour pour Valère. Page 50, n. 1. Quelle moucke le piqué?: Pourquoi se fache-t-il? n. 2. Crocodile trompeur: Dans gl'Inganni („les Tromperies") II, 7, comédie du signor Secchi, un des personnages s'écrie: O marivola, tu mi fai piangere con queste 'ue lagrime di cocodrillo; et dans la traduction de Larivey, auteur du XVI6 siècle, on trouve: O mauvaise, vous me faites pleurer avec vos larmes de cocodrille. (Desp.) n. 8. Lestrygon: Les Lestiygons sont un peuple de léants anthropophages, dont il est question dans Wdyssée, X, vers 81—132. (Desp.) Page 51, n. 1. Ne pèse rien: ne considère rien. (Desp.) ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 12 Page 52, n. 1. L'aventure me passé: je ne comprends rien a cette aventure; et fy perds mon latin: tout mon latin, c.-a-d. toute ma science est incapable de 1'expliquer. n. 2. Me donnait. . . de la déité: m'appelait „déité". Voir pour ce mot p. 37, n. 2. n. 3. Nous en tenons, madame: nous avons été trompées, madame. Ce sont exactement les termes dont s'est déja servi Gros-Bené (voir p. 49, n. 2). Page 58, n. 1. Foin de notre soUise: a bas notre sotte crédulité. — L'interjection foin, suivie ou non de la préposition de, marqué le dédain, le mépris, 1'aversion. n. 2. Mairimonion: ancienne prononciation populaire de mairimoniumr mariage. On francisait ainsi la terminaison de certains mots latins employés habituellement;. on disait et quelques personncs disent encore penson et factoton (pour pensum et factotum). Mais les seuls mots pour lesquels cette prononciation soit universellement conservée sont dicton (dictum) et toton (totum). (Desp.) Notons en passant k propos de pensum et factotum qu'a ujourd'hui on prononce couramment pinsom et faktótóm. n. 3. Nesdo vos: je ne vous connais pas. Cette formule est empruntée a FEvangile, oü elle se trouve plusieurs fois, notammant dans la parabole des Vierges sages et des Vierges folies; Matthieu, ch. XXV, vers et 12 (Desp.). Page 54, n. 1. Beau valet de carreau: „On appelle figurément valet de carreau un homme de rien" (Dictionnaire de F'Académie, 1694). „Valet de carreau est devenu un terme d'injure, dit M. Littré d'après la Bibliothèque des chasses, sans doute paree que dans les anciens jeux de carte du commencement du dix-septième siècle, ce valet porte la qualité de valet de chasse, tandis que le valet de piqué est dit valet de noblesse, le valet de cceur valet de cour, et le valet de trèfle valet de pied." — Tout a la fin du cinquième acte, Marinette se sert de 1'expression as de piqué, qui a k peu prés la même valeur que valet de carreau. Page 56, n. 1. Tenir son quant-d-moi ou se tenir 13 JÏOTES EXPLICATIVES. sur son quant-d-moi: prendre un air réservé et fier, ne répondre qu'avec circonspection. f Dictionnaire de 1'Académie, 1835.) n. 2. Beau valet de carreau: voir p. 54, n. 1. n. 8. Message, écrit, abord: communication verbale lettre, entrevue. Page 57, n. 1. Mettre au rang des vieux péchés: ne plus s'occuper de, ouhüer complètement, renoncer a. Page 58, n. 1. Femme. Ce passage, oü Gros-René dit les choses les plus incohérentes, oü il „bafouUk?*, comme on dit famihèrement aujourd'hui, pour prouver que les jemmes ne voient pas le diable, ressemble, comme allure, a cette scène du Médecin Malgré lui, II, 6, oü Sganarelle explique a Géronte, dans un jargon pédant, émaillé de termes latins et de mots qui ne sont d'aucune langue, la maladie de Lucinde, pour arriver a cette conclusion grotesque: Voild justement ce qui fait que votre fille est muette. Yoici la note que M. Despois consacre dans 1'edition des Grands Ecrivains, Dép. om. vers 1252, au discours de Gros-René: „Ce passage est traduit de YEloge de la Folie, d'Eiasme. Après avoir appelé la femme animal stultum atque ineptum, verum ridiculum et suave, la Folie ajoute: Quemadmodum, juxta Graecorum proverbium, simia semper est simia, etiamsi purpura vestiatur, ito muiier semper muiier est, hoe est stulta, quamcunque personam induxerit. (Erasmi Colloquia famüiaria et Encomium Moriae, éd. de Leipzig, 1828, II, 312.) „De même, selon Ie proverbe grec, qu'un singe est toujours singe, même vêtu de pourpre, ainsi la femme est toujours femme c'est-a-dire folie, sous quelque masqué qu'elle se montre." n. 2. Un sable mouvant: Nous ne savons si un Grec avait comparé la femme a un sable mouvant; mais un moderne 1'avait fait déja: La femme est un roseau qui branie au moindre vent, L'image d'une mer et d'un sable mouvant. (Pichon, les Folies de Cardenio, 1629, II 2.) — H parait ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 14 assez clair que la plaisanterie consiste, ici et plus loin (Le cousin Aristote ... la compare d la mer), a faire attribuer par Gros-René a des Grecs des comparaisona que bien des gens pouvaient se rappeler avoir lues dans des écrits de date récente. (Desp.) n. 8. La parti-e brutale: Ces mots forment un demivers, et nous voyons qu'au XVII* siècle, comme dans la poésie du moyen age, 1'e dit muet non élidé comptait pour une syllabe. M. Despois fait remarquer qu'ici, dans 1'hésitation de Gros-René, qui s'embrouille et cherche ses mots, la prononciation tramante de eet e est plaisamment imitative. n. 4. A dia, .. d hurhaut: dia, cri des charretiers pour faire aller leurs chevaux a gauche; hurhaut, huhaut, ou simplement hue, pour les faire tourner a droite. (Desp.) n. 5. Girouette. Le mot n'a ici que deux syllabes plus e muet. C'est que ou a été traite comme une consonne c.-a-d. comme un son non-syllabi que. La prononciation actuelle agit de même pour les mots fouet, fouetter, rouet, etc. Les poètes cependant, aussi bien ceux du XVII* siècle que ceux de nos jours, font de eet ou une voyelle syllabique. Ainsi dans ce vers de Francois Coppée, qu'on trouvera dans Petits Bourgeois, une des pièces du recueil intitulé les Humbles: Voyez, le toit pointu porte une girouette, le dernier mot a trois syllabes plus e muet. n. 6. Le cousin Aristote: voir plus haut, n. 2. Ce n'est pas la seule fois qu'un poète co mi que ait employé par plaisanterie le nom du célèbre fondateur de 1'école péripatéticienne. Thomas Corneille, le frère du grand poète, fait dire a 1'un des personnages de sa comédie le Festin de Pierre (1677) : Quoi qu'en dise Aristote et sa docte cabale, Le tabac est divin, il n'est rien qui F égale. n. 7. La mer. A propos de cette comparaison, M. Despois cite un vers de Malherbe (Aux Ombres de Damon, dernière strophe): La femme est une mer aux naufrages fatale. 15 NOTES EXPLICATIVEB. n. 8. o il vous plait: 11 y a ici un jeu de scène traditionnel. Eraste, impatienté de ce galimatias, fait un mouvement pour se retirer: „Mon maitre, s'il vous plait", lui dit Gros-René d'un ton suppliant, c'est-a-dire, laissez-moi achever. (Desp.) Page 59, n. 1. Plait... s'accroit. Oroitre et s'accroitre se prononcaient craüre et s'accraüre. (Desp.) Cela n'est pas tout k fait exact. Le latin crescere est devenu en francais creitre, ensuite croitre. Cette diphtongue oi avait d'abord la prononciation de oy dans 1'anglais boy; plus tard oi se prononce de, puis öè, enfin w è qui était la prononciation du XVII9 siècle, d'après laquelle les deux verbes en question rimaient normalement: p 1 è: s a k r w è. (Cp. Nyrop, Grammaire historique de la langue francaise, I, p. 142—146.) n. 2. Remu-ménage: pour remue-ménage; licence d'orfhographe, en vue de la mesure. (Desp.) n. 3. Au grenier: Ici, suivant la tradition, Gros-René, en achevant de se débattre dans le chaos de ses idéés, doit perdre jusqu'a lïnstinct du geste, et montrer la cave sur sa tête et le grenier sous ses pieds. (Desp.) n. 4. Compétiter: Ce verbe n'existe pas. S'il existait, il pourrait signifier „rechercher qq. c. en même temps qu un autre". Mais, comme Gros-René s'en sert dans une crise aiguë de folie raisonneuse, cette question n'a aucune importance. Page 60, n. 1. Possible que: peut-être que. n. 2. Les huit vers renfermés entre crochets, se suppriment k la représentation. Page 62, n. 1. Ce bracelet. Ces bracelet» étaient des gages que les hommes recevaient des femmes, et que sans doute ils portaient secrètement. (Desp.) Page 65, n. 1. Vous soucie. On ne peut plus dire, soucier quelqu'un „inquiéter quelqu'un , comme font Lucile et le moucheron de la fable de La Fontaine. La construction se soucier de quelqu'un ou de quelque chose est la Beule qu'on emploie actuellement. ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 16 Page 67, n. 1. Ardez: pour regardez, abréviation populaire. (Desp.) n. 2. Ton beau galand de neige: C'est un nceud fait avec une dentelle sans valeur. (Desp.) n. 3. Nompareüle ou nonpareiUe. On appelle ainsi une sorte de ruban fort étroit, et une sorte de dragée fort menue. (Dictionnaire de 1'Académie, 1694.) n. 4. Epingles de Paris: L.'édition de 1682 a aiguilles de Paris. (Desp.) n. 5. Avec tant de fanfare: avec tant de bruit. n. 6. six blancs. Blanc veut dire, d'après le Dictionnaire de 1'Académie, 1694, une espèce de petite monnaie valant cinq deniers. M. Despois ajoute: „II n'y a pas longtemps que six blancs se disait fréquemment a Paris pour deux sous et demi". n. 7. Laiton: métal formé d'un alliage de cuivre et de zinc, dit aussi cuivre jaune. (D. G.) Page 68, n. 1. rapatrier: amener a une réconciliation. (D. G.) D'autres éditions ont repatrier. n. 2. Une affaire conclue. Gros-René, après avoir dit qu'en rompant la paille, 1'affaire sera réglée définitivement, ramasse un fétu. n. 3. Ne fais point les yeux doux: H y a ici un jeu de scène de tradition. Gros-René et Marinette sont dos a dos; de temps en temps ils tournent la tête a droite et a gauche, et quand leurs regards se rencontrent, ils les détournent brusquement et reprennent un air boudeur, tandisque Gros-René tend par-dessus son épaule le brin de paille que Marinette s'abstient de toucher. (Desp.) n. 4. Dulcifié: Au XVIIe siècle dulcifier, „adoucir p. e. un liquide en en tempérant 1'acreté", était un terme scientif ique dont Molière se sert ici par plaisanterie/D.G.) Page 69, n. 1. acoquiné: attaché. n. 2. Que M. est sotte après son G.-R. Expression populaire, mélange de sot, dans le sens de fou, de amoureux de, et de courir après quelqu'un. 17 XOTES EXPLICATIVES. III. LES PRÉCIEUSES RIDICULES. Page 71, n. 1. La Troupe de Monsieur frère unique du Rot: Dans son Registre, qui contient tant de précieux renseignements sur Molière et sa troupe, k partir de 1658 jusqu'a 1685, La Grange, ,,1'amant rebuté" des Précieuses, nous raconte qu'en 1658 le duc d'Anjou, frère du roi, accorda a Molière et a ses comédiens Vhonneur de sa proteciion, avec 300 livres de pension pour chaque cotnédien. Ajoutons qu'il y a en marge: Nota que les 600 livres n'ont pas été payées. Restait donc la protection, qui avait aussi sa valeur! Page 72, n. 1. Personnages: Les deux „amants" éconduits portent sur la scène les noms qu'ils portent dans la vie. La Grange est eet excellent acteur dont nous venons de parier, 1'ami et le compagnon dévoué de Molière. — Du Croisy, qui plus tard aura 1'honneur de créer le röie de Tartuffe, était entré dans la troupe de Molière k peu prés en même temps que La Grange, c.-a-d. en 1659. — Gorgibus, joué par L'Espy, de son vrai nom Bedeau, frère de 1'acteur Jodelet, est un bon gros bourgeois de Paris qui n'a pas l'habitude de „macher ses mots". — Magdelon et Cathos, dont les róles étaient tenus par Madeleine Béjart et Catherine de Brie, sont, dans la pensée de Molière, deux provinciales ridicules, deux pecques prétentieuses et insupportables. — Enfin Mascarille et Jodelet, joués 1'un par Molière lui-même, 1'autre par Julien Bedeau, dit Jodelet, qui s'était fait une grande réputation comme acteur bouffon, sont des domestiques, des valets fripons, s'amusant follement sous 1'babit luxueux de leurs maitres, aux dépens de leurs hótesses. Page 74, rn. il Ala chandelle. Au XVTIe siècle, 1'éclairage des théatres se faisait, dans la salie comme sur la scène, au moven de chandelles. — Molière fait allusion a 1'expression proverbiale: Cette femme est belle d la chandelle, mais le jour gdte tout. 2 ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 18 n. 2. La galerie du Palais: C'était dans la galerie du Palais de Justice que se tenaient les lihraires qui vendaient des nouveautés. (Desp.) — Une des comédies dc Corneille est intitulée La galerie du Palais, 1634. n. 3. Je suis tombé dans la disgrdce: j'ai eu le désagrément. n. 4. Privilege: autorisation exclusive d'imprimer un ouvrage, que donnait le gouvernement après examen de la censure. (D. G.) n. 5. Un procés: Voici ce qui s'était passé. Le libraire Ribou avait su obtenir „par surprise" Pautorisation d'imprimer les Précieuses ridicules. Quand, grace a 1'intervention du Ubraire de Luynes sans doute, ce privilège fut retiré a Ribou, celui-ci fit mettre les Précieuses en vers par Somaize, le fameuxlexicologue. L'éditionauthentique, avec privilège du roi, obtenu par le sieur de Luynes, parut le 29 janvier 1660, la version rimée, le 12 avril suivant, chez Ribou. C'est lè, la piraterie littéraire dont Molière se montre si indigné dans sa Préface. Tout se termina par un accommodement entre le libraire de Somaize et celui de Molière. — On comprend facilement que 1'envie de plaider n'ait pas été trés grande, quand on se rappelle le passage suivant des Fourberies de Scapin, II, 8: „Eh! monsieur, de quoi parlez-vous la, et a quoi vous résolvez-vous ? Jetez les yeux sur les détours de la justice. Voyez combien d'appels et de degrés de la iuridiction; combien de procédures embarrassantes; combien d'animaux ravissants (rapaces), par les griffes desquels il vous faudra passer: sergents, procureurs, avocats, greffiers, substituts, rapporteurs, juges, et leurs clercs. II n'y a pas un de tous ces gens-la qui, pour la moindre ohose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde . . . C'est être damné dès ce monde que d'avoir a plaider; et la seule pensée d'un procés serait capable de me faire fuir jusqu'aux Indes." n. 6. EpUre dédicatoire: Au XVII8 siède, les écrivains, même les plus célèbres, ne dédaignaient pas de „tenter la libérêlite" des grands seigneurs en leur adressant des dédicaces pleines de flatteries banales, plates etintéressées. 19 JïOTES EXPLICATIVES. Page 75, n. 1. Efficace: s'emploie rare ment comme substantif, même au XVII» siècle; on disait et on dit généralement „efficacité". — Au temps de Molière le grec était moins cultivé qu'au XVIo siècle. La culture du XVII» siècle, celle des Jésuites, est surtout lat ine; les heilénistes se trouvent presque exclusivement a PortRoyal. A en juger d'après les comédies de Molière, le grec était plutót considéré comme une curiosité. On se rappelle la scène des Femmes savantes oü Philamintc, Armande et la folie Bélise embrassent Vadius „pour 1'amour du grec"; enfin ces deux vers des Fdcheux oü le pédant Caritides déclare que: II n'est rien si commun qu'un nom d la latine, Ceux qu'on habiUe en grec ont bien meilleure mine. n. 2. Le Docteur de la comédie et le Capitan. Les principaux róles masculins de la Comédie italienne, trés en faveur au XVII9 siècle, sont: Pantalon, vieux marchand, avare, parfois galant, toujours berné; le Docteur, pédant ridicule, le Capitan, sorte de „Miles gloriosus", et le Valet fourbe. Les troupes italiennes jouaient deux sortes de pièces: la commedia sostenuta, pièce plus ou moins littéraire, entièrement écrite, et la commedia dell' arte, oü figurent toujours les mêmes personnages traditionnels, sorte de canevas qui permet aux acteurs de donner libre carrière k leur fantaisie. n. 3. Trivelin: un des valets „fourbes" de la comédie italienne. 11 appartient a cette confrérie qui compte parmi ses membres: Arlequin, Scapin, Mascarille, Covielle, Pierrot, etc. Page 76, n. 1. Pecques: aottes. Le mot est évidemment trés famiber et trés désobligeant; et comme on le rattacbe, de même què pécore, au lat. pecus „bétail", on songe involontairement au mot néerlandais vee et a 1'allemand Vieh, dont le sens dépréciatif peut, dans certaines circonstances, ressembler a celui de pecque. Page 77, n. 1. Faire les renchéries: faire les dédaigneuses. (D. O.) 2* ANTHOLOGIE DU-THÉATRE. 20 n. 2. Ambigu: mélange. n. 3. Pièce: farce, tour, moquerie. Page 78, n. 1. Bel esprit: quelqu'un qui se distingue par la finesse du goüt. n. 2. Homme de condüion: c'est-a-dire „de condition supérieure", homme de quaüté, appartenant au grand monde. n. 3. Se piquer de galanterie: avoir la prétention d'être au courant de tous les raffinements de la politesse des salons. Page 79» n. 1. Lait virginal: eau de toilette pour la eonservation du teint. Le Dictionnaire de luretière fournit tous les détails de la recette, que rédifion des Grands Ecrivains (Les Précieuses ridicules, p. 59, n. 2) reproduit textuellement. Page 80, n. 1. S'accommoder de: accepter comme pouvant convenir. (D.G.) (S'accommoder d: se conformer a; s'accommoder avec: s'accorder avec.) n. 2. Trouver d redire: trouver a reprendre, a bl&mer. Page 81, n. p Le bel air: les élégances du beau monde. — Gorgibus prend le mot dans un autre sens. n. 2. Faire en: se conduire en. n. 3. Cyrus... Clélie. Artamène ou le Grand Cyrus et Clélie, qui était en cours de puhlication a 1'époque des Précieuses, sont les deux grands romans de MUe de Scudéry. L'un en 1'autre ont dix forts volumes. Mandane est 1'héroïne du Grand Cyrus, Aronce le héros de Clélie. C'est dans ces livres que Magdelon et Cathos ont appris „que le mariage ne doit jamais arriver qu'après les autres aventures." n. 4. Pousser le doux: 1'exprimer avec force. Bxpression précieuse dont Molière s'est moqué dans l'Ecole des Femmes, I, 3: Héroïnes du temps, Mesdames les savantes, Pousseuses de tendresse et de beaux sentiments. n. 5. Au temple. C'est probablement pour ne pas 21 NOTES EXPtlCATlVES. froisser les convictions religieuses de ses contemporains, qui n'admcttaient pas qu'on mêlat le sacré et le profane, que Molière a évité d'employer 1'expression „a 1 église". Page 82, n. 1. Les enlèvements. Dans le Grand Cyrus Mandane est enlevée quatre fois au moins. (Desp.) n. 2. Marchand: vulgaire. n. 3. Vision: idée. Page 83, n. f* La carte de Tendre, c'est-a-dire du pays dé la galanterie. — La carte de Tendre et son explication se trouvent dans Clüie, I, p. 396—405. — Petits-soins est une petite localité par oü doivent passer ceux qui veulent de Nouvelle-Amitié aller a Tendre-surReconnaissance; Jdis-Vers, BiUet-Galant, BilletrDouz, sont trois étapes de la route qui conduit du point central de Nouvelle-Amitié a Tendre-sur- Estime. Mais, quand on mesure la distance sur Péchelle, il y a au moins quarante „lieues d'amitié" pour arriver a cette dernière ville; et encore faut-il se garder d'aller trop a droite: on arriverait au lac d'Indifférence. Quant a la grande viüe de Tendre-sur-Indination, on y arrivé rapidement porté par le fleuve même d'Indination. (Desp.) n. 2. Terres inconnues. Au dela de la mer Dangereuse, oü, sur la carte de Tendre, vient se perdre le fleuve d'Indination, après avoir réuni les eaux ü'Estime et de Reconnaissance, s'étend la région des Terres inconnues. n. 8. Une jambe toute unie: une jambe qui n'est pas garnie de rubans. n. 4. Une tête irréguliere en cheveux: non frisée. n. 5. II s'en faut plus d'un grand demi-pied... leurs hauts-de-chausses (voir p. 48, n. 2) sont trop courts d'un grand demi-pied. n. 6. Baragouin: langage inintelligible (néerl. bargoens, koeterwaals). n. 7. Nous appdez (aujourd'hui plutót appdez-nous) autrement. Les dames qui fréquentaient 1'hótel de Rambouillet et le salon de Mademoiselle de Scudéry, avaient toutes leur surnom de précieuse: aussi la marquise s'appelait Arthénice et Madeleine de Scudéry Sapho. ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 22 Dans Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand, pièce toute pleine de souvenirs des temps précieux, un des grands röles est joué par „Magdeleine Robin, dite Roxane". Rappelons le passage suivant du premier acte, scène II: Premier marquis Attention / nos précieuses prennent place: Barthénoïde, Urimédonte, Cassandace, Félixérie... Deuxième marquis Ah l Dieu ! leurs surnoms sont exquis ! Marquis, tu les sais tous? Page 84, n. 1. Polyxène: titre d'un roman d'un sieur de Molière qui avait été en vogue quelque trente ans avant le succès des Précieuses. — Aminte, italien Aminta, dans la pastorale du Tasse, est en réalité un nom d'homme. (Desp.) n. 2. Je treuve: pour je trouve. On voit avec quelle ténacité certaines formes de la conjugaison de Tanden f rangais se maintiennent. (Voir p. 28, n. 1.) Page 85, n. 1. Achevées: arrivées au plus baut degré de la folie. Page 86, n. 1. Enoncer: exprimer. n. 2. Nécessaire: laquais. n. '3. Si vous êtes en commodilé d'être visibles: si vous pouvez recevoir des visites. • n. 4. Füofie: philosophie. Page 87, n. 1. Le conseüler des graces: le miroir. L'édition des Grands Ecrivains contient une phrase oü figure une expression analogue, seulement & 1'état de comparaison. II va sans dire qu'il y a une différence énorme entre le procédé de Molière qui fait dire a Magdelon: Venen nous tendre... le conseüler des gr Aces, et celui de l'auteur cité par M. Despois, (de Grenaille, Les Plaisirs des Dames, Paris, 1641) qui écrit: Je pourrais ajouter ici que l'excdlence du miroir parait encore en ce qu'il est le fidéle conseüler de la beauté, ainsi que le poète 23 NOTES EXPLICATTVES. FappeUe. — Et M. Despois ajoute que „le poète, c'est sans doute Martial, qui commence Tépigramme XVII du livre IX par ces mots: Consilium formae speculum" —. ' La salie losse, dont Magdelon vient de parier, est ainsi nommée paree qu'elle se trouvait au rez-de-chaussée. n. 2. Chrétien: intelligiblement. Rabelais se sert de cette expression dans le passage cité p. 16, n. 2. n. 3. Par la communication de votre image: Voila un petit trait d'insolence qui justine pleinement le nom de „pecque" que La Grange vient de donner a Cathos. n. 4. La chaise d porteurs. Les chaises a porteurs du XVII» et du XVHIe siècle sont des boites hautes et étroites, a deux portes, et dont le couvercle ou ciel peut se lever a volonté. Les b&tons que les porteurs tenaient a la main, passaient dans quatre crochets fixés sur chacune des faces latérales du coffre. (Nouveau Larousse illustré.) Page 88, n. 1. Vitement: (vieilh) avec vitesse. (voir p. 48, n. 1). Page 89, n. 1. Au petit coucher. Dans la vie quotidienne du roi, toutes les actions étaient accompagnées de cérémonies compliquées et soigneusement réglées jusque dans leurs moindres détails. Voici, d'après un livre curieux, FEtat de la France en 1712, comment le roi se couchait: Après le souper, qui a lieu a dix heures, le roi reste quelque temps avec la familie royale. Pendant ce temps on prépare sa chambre. A 1'entrée de celle-ci, il trouve le maitre de la garde-robe qui lui prend des mains son chapeau, ses gants et sa canne. Le grand chambellan demande au roi a qui il veut donner le bougeoir. „Sa Majesté, ayant parcouru des yeux les rangs des courtisans, nomme alors celui a qui il veut faire eet honneur." Quand le roi a mis sa robe de chambre, les huissiers crient: Allons, messieurs, passez. La cour se retire et ce qu'on appelle le grand coucher du roi est fini. Alors commence le petit coucher. Le roi continue sa toilette de nuit, se lave le visage et les mains. A un moment donné, 1'huissiér fait sortir ceux a qui sa Majesté a accordé la ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 24 faveur d'aesister au petit coucher et sort lui-même. Besté seul avec le premier valet de chambre, le roi prend un peu de vin et d'eau, se lave de nouveau les mains et se couche. Page 90, n. 1. Mesdames. Madame est plutöt du grand ton des romans ou de 1'étiquette du théatre: dans 1'usage, il ne se devait qu'aux femmes haut titrées; une bourgeoise n'eüt osé y prétendre et se faire appeler autrement que Mademoiselle. Du reste, Mesdames, adressé a plusieurs filles paraït plus naturel que Madame a une seule; Du, Croisy et La Grange, dans la scène XV, emploient Mesdames avec les Précieuses, sans y mettre, cfe semble, autrement d'ironie; mais il faut supposer qu'Almanzor obéit a une recommandation expresse en répondant par Madame a 1'appel de Magdelon. (Desp.) n. 2. Faire pic, repic et capot: (termes du jeu de piquet) battre complètement, surpasser. — Le verbe accuser, employé dans la même phrase, signifie „révéler". Page 91, n. 1. Les commodités de la conversation: Nous ferons remarquer, a propos de cette ridicule figure, qu'il y avait des fauteuils tout particuhèrement nommés ,,chaises de commodité". (Desp.) n. 2. Traüer de Turc d More: sans pitié, sans quartier, comme les Turcs traitaient les Maures. L'expression est encore vivante. n. 8. D'abord que: aussitêt que. C'est un archaïsme. n. 4. Se mettre sur sa garde meurtrière. Garde meurtrière est un terme d'escrime, indiquant qu'on se prépare a donner un coup mortel a son adversaire. (D. G.) n. 5. Gagner au pied: se sauver. n. 6. Caution bourgeoise: garantie. — L'expression est un terme de droit et indique une caution'solide, telle qu'un riche bourgeois peut la fournir. n. 7. C'est le caractère enjoué. Par ce trait on s'apercpit combien la précieuse Magdelon est imprégnée de la littérature du temps, puisque le ton et les manières de Mascarille lui suggèrent immédiatement un rapprochement avec un caractère qu'elle a rencontré dans les 25 NOTES EXPLICAT1VES. romans a la mode. Et la réplique de Cathos prouve bien que la mentalité de celle-ci est exactement la même. n. 8. Amilcar, personnage de Clélie, Carthaginois d'humeur galante et enjouée, type deTamant agréable. par opposition a l'amant violent et incivil, représenté par Horatius Coclès. (Desp.) Page 92, n. 1. Pruil'homie .-honnèteté. (Voir p. 31, n. 4.) n. 2. Canons: Ornement de toile, de dentelles, qu'on attachait au-dessous du genou et qui retombait sur Ia jambe en 1'entourant. (D. G.) n. 3. Bureau: réunion. n. 4. Les honnêtes gens: les gens comme il faut, sachant vivre. Page 93, n. 1. Recueil des pièces choisies. Molière semble bien avoir voulu faire allusion a un recueil qui se composé de plusieurs volumes, intitulés Poésies choisies de MM. Corneille, Benserade, de Scudéry, Boisrobert.. . et plusieurs autres. Le premier volume a été trés probablement publié en 1653. (Desp.) — L'expression être en passé, empruntée a Tanden jeu de hillard, signifie: avoir toutes les chances de réussir. n. 2. Donner le branie: mettre en mouvement. n. 3. Donner bruit de: procurer la réputation de. Page 94, n. 1. Visites spirituelles: oü Ton s'occupe surtout de ce qui intéresse Tesprit. n. 2. De nécessité: nécessairement. n. 8. Les jolis commerces de prose et de vers: les belles correspondances en prose ou en vers. — Joli est un de ces mots chers aux Précieuses. Non seulement elles en abusent, mais elles Temploient dans le sens de „beau", manie dont Boileau se moque dans la satire du Bepas ridicule, en faisant dire 4 un campagnard qui se donne Tair d'être au courant du langage a la mode: A mon gré le Corneille est joli quelquefois. n. 4. 17» madrigal: petite pcésie qui contient une pensee ingénieuse et galante. L'impromptu de Mascarille (v. page 96) est un specimen de ce genre. ANTHOLOGIE DU THÉATHE. 26 n. 5 Jouissance: faveur obtenue d'une dame. (D. G.) n. 6. Dessein: plan d'ouvrage. — Le mot stances, employé plus haut, signifie „strophes"; — le sixain est une petite poésie ou une strophe composée de six vers; — le quatrain en a quatre. Page 95, n. 1. Ruette: salon. — II y a eu un temps oü la dame de la maison, assise sur un sorte de lit paré, invitait ses amis particuliere a passer dans l'espacc assez large entre le lit et la muraille. C'est eet espace qu'on appelait ruelle. n. 2. Chansons . .. sonnets ... épigrammes . . . madrigaux .. . énigmes ... portraits. La chanson, genre qui a été cultivé a toutes les époques de la Iittérature francaise, est une pièce de vers, ordinairement simple et famflière, faite pour être chantée; — le sonnet est un poème a forme fixe, composé de deux quatrains et de deux tercets. Au troisième acte des Femmes savantes, Molière a couvert de ridicule le fameux sonnet de 1'abbé Cotin, A la Princesse Uranie sur la Fièvre (1659): Votre prvdence est endormie, De trailer magnifiquement Et de loger superbement Votre plus cruelle ennemie. Faites-la sortir, quoi qu'on die De votre riche appartement Oü cette ingrale insolemment Attaque votre belle vie. Quoi? Sans respecter votre rang Elle se prend d votre sang, Et nuü et jour vous faü outragef Si vous la conduisez aux bains, Sans la marchander davantage, Noyez-la de vos propres mains. Uépigramme, qu'on confond quelquefois avec le madrigal, est une petite pièce de vers renfermant un trait pi quant, satirique ou mordant. Voici celle que 2f NOTES EXPLICATIVES. Boileau composa „pour mettre au bas d'une méchante gravure qu'on (avait) faite de (lui)": Du célèbre Boileau tu vois ici Vimage. Quoi! c'est ld, diras-tu, ce crüique achevé! D'oü ment le noir chagrin qu'on lü sur son visagef C'est de se voir si mal gravé. Quant au madrigal, nous venons d'en parier (voir page 94, n. 4). — L'énüjme était un jeu d'esprit trés a la mode dans les salons précieux. Les vers suivants, qui sont de Voltaire, peuvent donner une idéé du genre: Cinq voyelles, une consonne, En francais composent mon nom, Et je porte sur ma personne De quoi êcrire sans crayon. Enfin, les portraits. Hs avaient été mis a la mode, a ce qu'il parait, par les romans de Mademoiselle deScudéry. Les Caractères de La Bruyère (1687) sont le chef-d'ceuvre du genre. Page 96, n. 1. Que je vous dw: voir page 31, n. 2. n. 2. Vn impromptu: petite poésie improvisée. Page 97, n. 1. Vair cavalier: 1'air aisé, dégagé. (Voir page 99: c'est d la cavalier e, lestement, sans facon.) Page 99, n. f, Voir la musique, page 122. Page 100, n. 1. Estrce qu'on n'en meurt point? Molière se moque ici des sottes exagérations dont fourmille le langage des Précieux et Précieuses. Dans les Femmes savantes, III, les louanges de Philaminte, d'Armande et de Belise sont de même nature: On n'en peut plus. — On pdme. — On se meurt de plaisir. De müle doux frissons vous vous sentez saisir. n. 2. Chromatique. Apparemment, 1'extase de Magdelon est arrivée & un el point qu'elle dérais onne et emploie des termes dont elle ne comprend pas le sens. — La gamme chromatique est celle qui procédé par succession de demitous, et la musique chromatique était considérée comme «8 propre a exprimer les sentiments doux et tendres. — Le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Cyrano de Bergerac de M. Edmond Rostand, III, 5, me semble contenir une allusion a cette exclamation enthousiaste de Magdelon. Nous voyons Cyrano renoncer a „parier comme un billet doux de Voiture" — le nee plus ultra de la préciosité — paree qu'il craint Que l'dtne ne se vide d ces passe-temps vains, Et que le fin du fin ne soit la fin des finsf Page 101, n. 1. Devant que les chandelles soient attumées. Devant que: archaïsme pour „avant que". Page 102, n. 1. Faire le brouhaha signifiait au XVII e siècle „applaudir". — Les grands comédiens, dont il est question plus haut, ce sont ceux de la troupe royale, de 1 Hotel de Bourgogne. Voila la première attaque de Molière contre ses nvaux, qui devinrent bientot pour lui des ennemis acharnés. (Desp.) Dans l'Impromptu de Versaüles (1663), il reprendra ces critiques contre la déclamation emphatique des acteurs de 1'Hótel de Bourgogne. n. 2. Ma petite oie. 11 faut chercher Porigine de cette expression dans Part culinaire, ou il désignait autrefois la tête, les ailes, le cou et les pieds d'une volaille. C'est donc ce qu'on appelle actuellement P„abatis". La „petite oie" était déja connue aux XVI6 siècle. — M. Gustave Cohen a eu Fobligeance de me signaler le passage suivant oü Rabelais (Édition Marty Laveaux II, 50—51) Pemploie: Je l'auroys encore pire et lui batteroys tant et trestant sa petite oye, ce sont braz, jambes, teste, poulmon, foye et ratelle. — Au XVII6 siècle petite oie se dit des rubans, de la garniture et de tout ce qui sert a embellir les hahits. n. 3. Congruant, ordinairement congruent: qui va bien avec. Page 103, n. 1. Furieusement. On a ici un exemple frappant de Pabus des adverbes, un des ridicules qui déparent le langage précieux. n. 2. Perdrigeon (quelquefois Perdigeon) était un mercier trés renommé. (Desp.) ANTHOLOGIE DU THÉATHE. 29 NOTES EXPLK'ATIVES. n. 3. Quartier: quatrième partie d'une auue. n. 4. Mieux conditionnée: meilleure. Actuellement on se sert surtout de ce terme dans la langue du commerce. Page 104, n. 1. Le sublime: terme précieux qui désigne „le cerveau". n. 2. Le brin me coüte un louis d'or. Le louis d'or valant au XVII« siècle au moins cinquante francs, ces mots contiennent d'abord une exagération; ils trahissent encore le mauvais goüt du laquais qui tient a ce qu'on sache exactement le prix des effets qu'il porte. n. 8. Donner sur: Cette construction, du moins dans le sens de „rechercher de préférence" (v. Littré), est trés rare. La phrase dans la quelle nous la trouvons employée ici, signifie: J'ai la manie de n'acheter et de ne porter que des articles de toute première qualité. n. 4. Chaussettes: bas de toile sans pied qu'on mettait sous les bas de dessus; (Desp.)Le sens du mot s'est modifié. Page 107, n. 1. Le sur croit d'un fauteuil: un fauteuil en plus. Page 108, n. 1. Comme vous le voyez. Ici Molière semble faire allusion a la maigreur et a la paleur de Facteur Jodelet. (Desp.) n. 2. Un brave d trois poils: (expression idiomatique assez bourgeoise) homme d'une bravoure éprouvée. — On disait au sens propre velours d trois poils, dont la tramp a trois fils de soie. (D. G.) n. 3. Vous ne m'en devez rien: vous êtes aussi brave que moi. n. 4. Un régiment de cavalerie sur les galères de Malle: La plaisanterie est d'un goüt douteux. N'oublions pas cependant que c'est un valet qui parle. Page 109, n. 1. Demi-lune: (terme militaire) ouvrage de fortification formant demi-cercle. n. 2. Le siège d'Arras. — La ville a été assiégée en 1640 et investie, par les Espagnols, en 1654. M. Despois croit plutöt que Molière a ici en vue le célèbre siége de 1640, celui auquel on assiste au quatrième acte de Cyrano de Bergerac. ANTHOLOGIE DU THÉATRE. 30 n. 3. Une lune tout entière. La balourdise de Jodelet avait été commise, parait-il,. par le marquis de Nesle. Comme on eut proposé de faire une demi-lune, il dit: „Messieurs, ne faisons rien a demi pour le service de sa Majesté." (Desp.) Page 110, n. 1. Gravelines. En 1658, le maréchal de la Ferté avait pris Gravelines sur les Espagnols. II se peut aussi que Jodelet fasse allusion a 1'attaque vigoureuse qui avait enlevé Gravelines aux Espagnols en juillet 1644. (Desp.) n. 2. Haut-de-chausses: voir page 48, n. 1. Page 111, n. 1. Hors des portes. Les lois de la galanterie (page 76 de 1'édition de 1658) recommandent aux galants de bien sa voir „en quelle saison 1'on va promener a Luxembourg et en quelle autre aux Tuileries; quand commence le cours hors la porte Saint-Antoine et dans le bois de Vincennes..." (Desp.) n. 2. Cadeau: divertissement offert a une dame. Page 112, n. 1. Sortir d'ici les braies nettes: s'en tirer sans qu'il leur arrivé un accident. — Magdelon a beau s'écrier: Que tout ce qu'il dit est naturel, l'expression n'en reste pas moins peu distinguée. — La braie est une sorte de culotte. n. 2. Mon comr ne tient plus qu'a un filet: mon cceur est en grand danger. (Filet pour fil.) n. 3. Un impromptu d loisir, que vous trouvera le plus beau du monde. A propos de 1'embarras dans lequel se trouve Mascarille, a court d'inspiration poétique, M. Despois cite un passage du Roman bourgeois de Furetière oü il est question de „certain folatre" ... qui avait toujours les poches pleines d'impromptus. Page 114, n. 1. Les dmes des pieds: les violons. n. 2. Les vuides: c'est Tancieime forme du mot vide, que 1'édition des Grands Êcrivains a conservée. n. 3. Franchise: (cp. scène IX, page 91.) Dans le langage précieux le mot désigne „Fétat de celui qui n'est pas asservi par 1'amour". (D. G.) 31 NOTES EXFLICATIVEB. n. 4. Courante: danse en vogue au XVII8 siècle. — Mascarille veut dire que sa „franchise" va prendre la fuite. Page 117, n. 1. Donner dans la vue: plaire. — On emploie aussi donner dans l'oeü ou dans les yeux. n. 2. Braverie: élégante parure. Page 118, n. 1. Le passage mis entre crochets est supprimé a la représentation. n. 2. Aller sur les brisées de quelqu'un: essayer de supplanter quelqu'un. Page 119, n. 1. Pièce: tour. n. 2. Le passage mis entre crochets est supprimé a la représentation. Page 120, n. 1. Encore un passage supprimé a la scène. n. 2. La vérité toute nue. Nous voyons que le marquis détróné recourt habilement aux ressources de la philosophie. — La pièce Unit ici a la Comédie Francaise. Page 121, n. 1. Cette dernière phrase est supprimée a la représentation. Eigendom san: Bisn* j«jh ké\aéaut-üauf>nu»i im KMiiaktijks Landtna«M. AM. Sccroeth! M Al|. OntwiktoHrrg.