KONINKLIJKE BIBLIOTHEEK 2370 2639 I Ing. f 1.15 Geb. „ 1.50 CENT POÈMES FRANCAIS GHOISIS PAR Dr. G. L. DE LIEFDE PROFESSEUR DE LANGUE ET DE LITTÉRATURE FRANCAISES AU LYCÉE MODERNE DE HAARLEM QUATRIEME ÉDITION DEN HAAG - G. B. VAN GOOR ZONEN's U. H. N.v. - 1931 Mede verscheen: POÈTES FRANCAIS choix de passies francaises a 1'usage des classes supérieures des écoles moyennes. par Dr. C. L. DE LIEFDE Avec 17 portraits par Anny Leusink Deuxième édition. VOORBERICHT. Deze bundel gedichten is samengesteld voor de laagste drie klassen van H. B. S. of Gymnasium en zal misschien ook op Handels-, M. U. L. O.- en Kweekscholen dienst kunnen doen. Bij de keuze is rekening gehouden met de leeftijd der leerlingen; daarom is bijna uitsluitend verhalende of beschrijvende poëzie gekozen, die vaak geschikt is uit het hoofd geleerd en bijna altijd zich er toe leent naverteld te worden. Bovendien is zorg gedragen voor een geleidelijke opklimming in moeilijkheid. Heerenveen. C. L. DE LIEFDE. In de tweede druk verving ik een achttal gedichten door andere, die gemakkelijker waren. De derde druk was ongeveer gelijk aan de tweede. Het lijkt mij bij de bewerking van de vierde druk gewenscht wederom een achttal te vervangen door eenvoudiger of geschikter gedichten. Haarlem, December 1930. C. L. DE LIEFDE. 1. QUAND JE SERAI GRAND. Quand je serai grand, j'aurai des moustaches, Un chapeau de soie, un bel habit noir; J'aurai des chevaux, des moutons, des vaches; J'aurai de 1'argent tout plein mon tiroir. Je pourrai manger ce que je préfère, Par du chocolat remplacer mon lait, Me lever plus tard, enfin toujours faire, Sans être grondé, tout ce qui me plait. — Quand tu seras grand, mon cher petit homme, Si ta bourse est pleine, ouvre-la souvent; Le meilleur argent, vois-tu, c'est en somme, Celui qu'en bienfaits et joie on répand. Th. Monod. 2. LES TROIS GOSSES. Tous trois se tenant par la main S'en allaient, le long du chemin, Trois petits enfants du même age! Les cloches sonnaient dans le ciel: Noël! Noël! A tous les clochers du village. Un vieillard, qui les vit passer, S'arrêta pour les embrasser (II parait que c'était Saint Pierre). II leur dit, d'une voix de miel: „Noël! Noël! Fait es tous trois une prière!" Les petits enfants aimaient Dieu, lis firent tous les trois un voeu, L'espoir allumait leur prunelle, „Ah! (dit je ne sais plus lequel) „Noël! Noël! Je voudrais un polichinelle." 5 Le second, ce ne fut pas long, Dit: „Je veux un soldat de plomb!" Le plus petit restait derrière. „Et toi?" dit Pierre, paternel, „Noël! Noël! Un morceau de pain pour ma merel" Michel Carré. 3. LES PETITS FUMEURS. Au lieu d'apprendre leurs lecons Fumaient quatre petits garcons. Sur le bureau de leur papa, lis avaient trouvé du tabac. Chacun, n'ayant pas de papier, Avait découpé sqn cahier. L'un se brulé avec un charbon Et dit: „Fumèr, c''ést vraiment bon!" Le second prènd un fier maintien Et dit: „Ma foi, 9a va trés bien!" Avec des larmes dans les yeux, L'autre dit: „C'est délicieux!" Le plus petit, crachant, toussant, Dit: „Je suis un homme a présent!" Le soir ils se mirent au lit, Grelottant et le front pali. On les soigna longtemps, longtemps, Ils redevinrent bien portants. Ils furent sages désormais, Ils ne fumèrent plus jamais. 6 4. LES CINQ DOIGTS DE LA MAIN. Voici ma main: elle a cinq doigts. En voici deux, en voici trois! Celui-ci, le petit bonhomme, C'est mon gros pouce qu'il se nomme. L'index, qui montre le chemin, C'est le second doigt de ma main. Entre l'index et 1'annulaire, Le majeur parait un grand frère; L'annulaire porte un anneau: Avec sa bague, il fait le beau. Le minuscule auriculaire Marche a cöté de l'annulaire; Regardez les doigts travailler! Chacun fait son petit métier. O. Aubert. 5. L'ONCLE AMUSANT. Si le soleil en se couchant, Laisse un ciel pur et flamboyant, Mon oncle dit d'un air joyeux: „Mes chers enfants, soyez heureux; Demain le temps sera trés beau!" Le lendemain 1'eau tombe a flots! Oh! mais a flots, a flots, a flots! Mais si le ciel est nuageux Et le soleil d'un jaune ardent, L'oncle gémit: „C'est bien facheux, Mais pour demain, quel mauvais temps! Oh! les canards seront heureux!" Le lendemain le ciel est bleu! Oh! mais tout bleu, tout bleu, tout bleu! 7 Un autre jour on vcut sortir, Mais le ciel gris fait réfléchir; Mon oncle arrivé, et sur de lui, Nous dit: „Allez sans parapluie. II fera beau, le vent est bon." ■ Mais a cent pas de la maison, II pleut si fort que nous rentrons. Un beau matin notre minette, Tout occupée de sa toilette Porte sa patte a son oreille. Et Tonele dit: „Ca, c'est mauvais. L'eau va tomber, je m'en doutais!" Ah! cette fois Tonele a raison! L'orage éclate et nous crions: „Ha! ha! mon oncle est amusant, Car il prédit toujours le temps!" Franfois Jasmin. 6. LES DEUX CHEMINS. Un enfant, au bord d'une route, Trouva tout a coup deux chemins. II s'arrêta, rempli de doute, Roulant son chapeau dans ses mains. Fallait-il prendre a gauche, a droite, Ou bien rester la jusqu'au soir? Sur un arbre, une planche étroite Portait un avis peint en noir. Mais Tenfant ne savait pas lire. II eut beau se gratter le nez, La planchette ne put lui dire: „C'est par ici, petit, venez." Par bonheur, une paysanne Vint et le tira d'embarras. 8 Elle lui dit: „Suis bien mon ane, Et jamais tu ne te perdras." Le jeune enfant baissa la tête, Et contre lui-même il boudait D'être conduit par une béte Et d'être plus sot qu'un baudet. Mme de Pressensé. 7. LE BABA. Entre ses trois enfants, un jour, un grand-papa, Le grand-papa gateau, partageait un baba. „En veux-tu, Madeleine? „Oui, iin-elle, grand-père, un peu. — „Toi, Frédéric? — „Oh! moi, beaucoup, j'espère." Et Paul accourant au galop: „Et, moi, grand-père, j'en veux trop!" Un peu, beaucoup et trop, les trois parts demandées Sur le champ furent accordées. Mais bientöt après son régal Le petit Paul criait: „Oh, j'ai mal! Oh, j'ai mal!" Et toute la journée il fut mélancolique, Et 1'on disait tout bas qu'il avait.... la colique. Louis Ratisbonne. 8. PETIT PAUL A TABLE. A la soupe toujours, Paul, — c'était son défaut, — Faisait mille facons. C'était froid ou bien chaud; On avait trop rempli 1'assiette; On avait mal mis sa serviette; II avait mal au pied, a la gorge, a la tête, II était trop bas ou trop haut; II n'était pas bien sur sa chaise; Enfin, la soupe était mauvaise; Et d'ailleurs, il n'avait pas faim. 9 Petit Paul n'aimait pas la soupe, c'est certain. „Si vous voulez grandir," lui dit un jour la bonne, „II faut aimer, monsieur, tout ce que 1'on vous donne." — „Eh bien, je le promets, ma bonne, tu verras.... Mais ne me donne plus ce que je n'aime pas." Louis Ratisbonne. 9. LA FUITE EN EGYPTE. Un ang' du ciel est descendu Droit a Marie il a paru: Marie, Marie, faut vous en aller, Car le roi Hérod' cherche a vous tuer. Marie entre en son cabinet, De bleu, de blanc s'est habillée, Et pardessus tous ses beaux habits, Entre ses bras tenait Jésus-Christ. Elle ne fut pas milieu du bois, Un rossignol chantait trois fois: — Chante, chante, petit oiseau joli, C'est pour réjouir mon fils Jésus-Christ. En avancant dans le chemin, Vit laboureur semant son grain: — Semez, semez, laboureur, votre blé, Car dans peu de temps vous le couperez. Elle ne fut pas sitöt passée, Le roi Hérode avec son armée: — Bon laboureur, dis-moi, mon ami, As-tu vu passer une dame ici? — Oui, le roi Hérode, je 1'ai vue passer, Oui, le roi Hérode, je 1'ai vue passer, C'était pendant que je semais mon blé Et maintenant le voila coupé. 10 — Retournons-nous-en, mes amis, Ce que nous cherchons n'est pas ici. Tous les enfants que nous trouverons, Dans leurs berceaux nous les tuerons. Le roi Hérode retourne au chateau, Fit tuer les enfants au berceau. II fit tuer jusqu'a son propre fils, Pensant que c'était Jésus-Christ. Chanson populaire. 10. LA GRENOUILLE QUI VEUT SE FAIRE AUSSI GROSSE QUE LE BCEUF. Une grenouille vit un boeuf Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle et travaille, Pour égaler 1'animal en grosseur, Disant: „Regardez bien, ma soaur; Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore? — Nenni. — M'y voici donc? — Point du tout. — M'y voila? — Vous n'en approchez point." — La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages: Tout bourgeois veut batir comme les grands seigneurs; Tout prince a des ambassadeurs; Tout marquis veut avoir des pages. La Fontaine. 11. LA LECTURE. Maman apprend a lire a Bébé qui grandit; II épelle, trés fier, son premier mot; il sue Dans la difficulté de ce labeur maudit, Mais, enfin, la lecon est sue! 11 „Papa," dit la maman, „viens voir Comme Bébé sait lire et fait bien son devoir." Alors, devant ce nouveau maitre, Peut-être ému, distrait peut-être: „P, è, pè, r, e, re, papa!" Dit le gamin et s'échappa. „P, è, pè, r, e, re, papa!" va, tu t'animes, Bébé, du plus tendre souci; Tu trouvas le meilleur, le plus logique aussi, Le plus jus te des synonymes, Et si tu veux ton père heureux jusqu'au trépas, Fais que pour toi, toujours, il reste, n'est-ce pas, P, è, pè, r, e, re, papa! Guillot de Saix. 12. LA CHANSON DU BLÉ. Dans la bonne terre j'ai caché le grain. Le bon Dieu, j'espère, Me le rendra bien. Le blé que je sèmé, ji 1'arrosera, Le bon Dieu nous aime La moisson viendra! La neige qui tombe A tout recouvert; Le grain dans la tombe Passera 1'hiver. Ma pauvre semence! Mon pauvre blé mort.... Mais tout recommence Pendant que tout dort. 12 Le blé germe, germe, L'herbe pointe un brin. L'épi devient ferme, L'épi sort du grain. L'or couvre la terre, L'or qui fait du pain; Nous allons, ma mère, Moissonner demain. L'oiseau de 1'aurore Chante sa chanson, Le blé qui se dore Attend la moisson. Qu'on les mette en gerbes En un tour de main, Les épis superbes Qui seront du pain. Philippe Godet. 13. LA CIGALE ET LA FOURMI. La Cigale, ayant chanté Tout 1'été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue. Pas un seul petit more eau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la fourmi, sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu'a la saison nouvelle. „Je vous paierai," lui dit-elle, „Avant 1'aoüt, foi d'animal, Intérêt et principal." La fourmi n'est pas prêteuse 13 C'est la son moindre défaut. „Que faisiez-vous au temps chaud?" Dit-elle a cette emprunteuse. — „Nuit et jour a tout venant Je chantais, ne vous déplaise." — „Vous chantiez? j'en suis fort aise; Eh bien! dansez mamtenant." La Fontaine. 14. LES ÉCOLES DE FRANCE. Notre mère, la douce France, La chère France, dit un jour: „Notre ennemi, c'est 1'ignorance, II faut le vaincre par 1'Amour.... Au bord des mers, le long des fleuves, Dans la vallée et sur les monts, Batissons des Ecoles neuves Pour les petits, que nous aimons.... Les livres prirent la parole Quand lés macons furent partis. Et 1'on vit courir vers 1'Ecole Tout le peuple des tout petits. Le cartable battant 1'échine, Ou bien leurs cahiers sous le bras, Les uns la-haut sur la colline D'autres dans la plaine la-bas.... Tous allaient vers la maison blanche: Ceux-la se tenant par la main, Ceux-ci retardés par la branche, Qui met des fleurs sur le chemin.... Or, depuis que la France libre A des Ecoles par milliers, : • C'est son ame même qui vibre Dans son rücher plein d'écoliers. Jean Aicard. 14 15. LE SOUHAIT DE LA VIOLETTE. Quand Flore, la reine des Fleurs, Eut fait naitre la violette Avec de charmantes couleurs, Les plus tendres de sa palette, Avec le corps d'un papilion Et ce délicieux arome Qui la trahit dans le sillon: „Enfant de mon chaste royaume, Quel don puis-je encore attacher," Dit Flore, „a ta grace céleste?" „Donnez-moi," dit la fleur modeste, ,,Un peu d'herbe pour me cacher!" Louis Ratisbonne. 16. LE CORBEAU ET LE RENARD. Maitre corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maitre renard, par 1'odeur alléché, Lui tint a peu prés ce langage: „Hé, bonjour, monsieur du Corbeau: Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte a votre plumage, Vous êtes le phénix des hötes de ces bois." A ces mots le corbeau ne se sent pas de joie; Et pour montrer sa belle voix, II ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le renard le saisit, et dit: „Mon bon monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui 1'écoute. Cette lecon vaut bien un fromage, sans doute." Le corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu'on ne 1'y prendrait plus. La Fontaine. 15 17. TEUF, TEUF! Teuf, teuf! Teuf, teuf! La chaise est mon automobile! Prends garde, toi! Tu vas faire ere ver mon pneu! Nous allons lentement, nous sommes dans la ville, Mais après, vous verrez, on va filer tui peu! J'ai frotté mon mouchoir a la lampe a pétrole, En sentant on pourrait s'y tromper, n'est-ce pas? Ca sent 1'automobile. On croirait, ma parole, Que 1'on remise ici la machine a papa. Teuf, teuf! teuf, teuf! teuf, teuf!.... Tiens, recule la table, Tu vois bien que 9a va produire un accidant! .... Au fond, 9a va trés vite, et c'est trés confortable, On est tranquille comme chez soi, la dedans! Ah! nous qui tt ons la ville, on est dans la campagne.... Voila des champs, des champs de ..., je ne sais pas bien. Tiens, 9a monte! tant mieux: moi, j'aime la montagne .... Mais voila la déscente: attention! nom d'un chien! Teuf, teuf, teuf! teuf, teuf, teuf! Ah! 9a file! 9a file! Teuf, teuf, teuf! teuf, teuf, teuf! teuf, teuf, teuf! Patatras Heureusement encore qu'on n'est pas trop fragile, On pourrait se casser la tête et même un bras! Paul Gravollet. 18. LE MERLE A LA GLU. Merle, merle, joyeux merle, Ton bec jaune est une fleur, Ton ceil noir est une perle, Merle, merle, oiseau siffleur. Hier tu vins dans ce chêne, Paree qu'hier il a plu. Reste, reste dans la plaine. Pluie ou vent vaut mieux que glu. 16 Hier vint dans le bocage Le petit vaurien d'Eloi Qui voudrait te mettre en cage, Prends garde, prends garde a toi! II va t'attraper peut-être. Iras-tu dans sa maison, Prisonnier a sa fenêtre, Chanter pour lui ta chanson? Mais tandis que je m'indigne, O merle, merle goulu, Tu mords a ses grains de vigne, Ses grains de vigne a la glu. Voici que ton aile est prise, Voici le petit Eloi! Siffle, siffle ta bêtise, Dans ta prison siffle-toi! Adieu, merle, joyeux merle, Dont le bec jaune est une fleur, Dont 1'oeil noir est une perle, Merle, merle, oiseau siffleur. Jean Richepin. 19. LES PETITS LOUPS. Trois petits loups, dans un grand bois (C'est un conté de ma grand'mère), Virent passer, avec son père, Un petit garcon, une fois. Le premier loup dit: Qu'il est roset Le second loup dit: Qu'il est blancf Le troisième dit une chose Poèmes Francais. 9 17 Que je ne redis qu'en tremblant. .. . II voulait manger 1'enfant rose, Le petit enfant rose et blanc! Alors les loups, jeunes encore, Prévinrent du fait leur maman; Qui leur dit: S'il est si charmant, Rien n'empêche qu'on le dévore! Chaque louveteau partant pour Manger le petit enfant rose, Arrivèrent tous trois autour De la maison a porte close, Oü le père, alors de retour, Veille sur son fils qui repose. Mais pendant; que les petits loups Trottaient ensemble sur les routes, Le père, 1'oreille aux écoutes, Avait bien fermé les verrous Et le volet de sa demeure. Voici donc les trois louveteaux Allongeant au-.vent leurs museaux, Flairant, tournant,, faisant la guette, Arrivés a la maisonnette. Le père entend marcher encore.... Qui peut venir a pareille heure? Trois petits chiens, dit-on. — D'abord, Pour égayer 1'enfant s'il pleure, Et pour le bien lécher s'il dort. Mais ils ne voulaient autre chose Que croquer 1'enfant blanc et rose. Le premier loup gratte au volet, Qui ne s'ouvrit d'aucune sorte. Le second, en grattant la porte, Recut un coup de pistolet. 18 Le troisième fut pris au piège Que la nuit il ne voyait pas. Tant il était couvert de neige. Un seul put fuir ce mauvais paskwil» Et dans les forêts de 1'Ariège II court encore pour son repas. — La louve est morte de misère.... Ajoutait aussi ma grand'mère. A. de Chatillo, 20. IL ÉTAIT UNE FOIS. II était une fois, jadis, Trois petits gueux sans père et mère. C'est sur 1'air du de profundis Qu'on chante leur histoire amère. Ils avaient soif, ils avaient faim, Ne buvaient, ne mangeaient- qu'en rêve, Quand ils arrivèrent enfin A demi-morts sur une grève. L'Océan leur dit: — „C'est ici Que va finir votre fringale. Mangez! Buvez! Chantez aussi 1 Soyez gais! C'est moi qui régale." Et les trois pauvres goussepains / Qui n'avaient jamais vu de grève,. Ont contemplé des pains, des pains, Et de 1'eau, plus que dans leur rêve; ï Sans chercher, sans se déranger, Ils avaient la table servie, De quoi boire et de quoi manger Tout leur soul et toute leur vie. 19 Hélas! les jolis pains mollets A la croüte ronde et dorée, C'était le désert de galets Jaunis par l'or de la soirée. L'eau claire et pure, 1'eau sans fin, C'était l'eau de la plaine amère. Ils sont morts de soif et de faim, Les trois petits sans père et mère. Cette histoire est du temps jadis. Une vague me 1'a narrée Au rythme du de profundis Que leur chante encore la marée. Jean Richepin. 21. LE ROI BOITEUX. Un roi d'Espagne, ou bien de France, Avait un cor, un cor au pied; C'était au pied gauche, je pense; II boitait a faire pitié. Les courtisans, espèce adroite, S'appliquèrent a 1'imiter, Et, qui de gauche qui de droite, Ils apprirent tous a boiter. On vit bientöt le bénéfice Que cette mode rapportait, Et de 1'antichambre a 1'office, Toot le monde boitait, boitait. Un jour, un 'seigneur de province, Oubliant son nouveau métier, Vint a passer devant le prince, Ferme et droit comme un peuplier* • 20 Tout le monde se mit a rire, Excepté le roi, qui tout bas Murmura: „Monsieur, qu'est-ce a dire? Je crois que vous ne boitez pas? „Sire, quelle erreur est la votre! Je suis criblé de cors; voyez: Si je marche plus droit qu'un autre, C'est que je botte des deux pieds." Gustave Nadaud. 22. LES DEUX VOYAGEURS. Le compère Thomas et son ami Lubin Allaient a pied tous deux a la ville prochaine. Thomas trouve sur son chemin Une bourse de louis pleine; II 1'empöche aussitót. Lubin, d'un air content, Lui dit: — „Pour nous la bonne aubaine!" — „Non," répond Thomas froidement, „Pour nous nest pas bien dit: pour moi,.c'est différent." Lubin ne soufflé plus; mais en quittant la plaine, Ils trouvent des voleurs cachés au bois voisin. Thomas, tremblant, et non sans cause, Dit: „Nous sommes perdus!" — „Non!" lui répond Lubin, ,Jious nest pas le vrai mot; mais toi, c'est autre chose." ^.ela dit, il s échappe a travers le taillis. Immobile de peur, Thomas est bientöt pris: II tire la bourse et la donne. Qui ne songe qu a soi quand sa fortune est bonne, Dans le malheur n a point d'amis. F lor ion. 21 23. LA LECON A LA PQUPÉE. Je vous trouve, ma poupée, Bien souvent inoccupée: II faut vous prendre le bras Pour vous faire faire un pas. Vous souriez d'un air béte, Sans même bouger la tête. Vous ditestou jours: „Demain!" Jamais une aiguille en main! Vous n'aimez que la toilette, C'est laid d'être si coquette. Prenez un peu ce balai, Et balayez s'il vous plait! Lavez-moi cette vaisselle, Vivement, mademoiselle. Ecumez le pot-au-feu! Remuez-vous donc un peu! Mon mari, votre bon père, Travaille aussi, lui, j'espère! En rentrant, il doit avoir La soupe chaude le soir. Regardez notre voisine, Comme elle tient sa cuisine, Sa chambre, son linge et tout! Vous devez rougir beaucoup. Une fille adroite et sage Aide sa mère a votre age. Et je vous battrais, je crois, Si vous n'étiez pas de bois. Jean Aicard. 22 24. MONSIEUR DE LA PALISSE. Messieurs, vous plait-il d'ouïr L'air du fameux La Palisse? II pourra vous réjouir, Pourvu qu'il vous divertisse. La Palisse eut peu de bien Pour soutenir sa naissance; Mais il ne manqua de rien, Dès qu'il fut dans 1'abondance. Bien instruit, dès le berceau Jamais, tant il fut honnête, II ne mettait son chapeau, Qu'il ne se couvrit la tête. II brillait comme un soleil; Sa chevelure était blonde; II n'eüt pas eu son pareil, S'il eüt été seul au monde. II se plaisait en bateau, Et, soit en paix, soit en guerre, Lorsqu'il voyageait par eau, Ce n'était jamais sur terre. II eut des talents divers Même on assure une chose; Quand il écrivait en vers,. Qu'il n'écrivait pas en prose. II épousa, ce dit-on, Une vertueuse dame; S'il avait vécu garcon, II n'aurait pas eu de femme. II fut par un triste sort, Blessé d'une main cruelle; On croit, puisqu'il en est mort, Que la plaie était mortelle. 23 Regretté de ses soldats, II mourut digne d'envie; Et le jour de son trépas Fut le dernier de sa vie. II mourut un vendredi, Le dernier jour de son age; S'il fut mort le samedi, II eut vécu davantage. Chanson populaire. 25. PETIT PIOUPIOU. — Petit pioupiou, Soldat d'un sou, Qu'as-tu rapporté de Crimée? C'était le temps oü notre armée, Toujours sans trève ni repos, Portait a travers la fumée, Troués de balles, nos drapeaux! Mais de ces vingt champs de victoire, Ou 1'aigle ardent prenait son vol, Qu'as-tu rapporté pour ta gloire? — J'ai rapporté Sébastopol. — Petit pioupiou, Soldat d'un sou, Qu'as-tu rapporté d'Italië? C'était le temps de la folie; Nous nous battions comme des preux. • A quoi bon? Comme on vous oublie, Quand viennent les jours malheureux! Mais de ces vingt champs de victoire De nos frontières a 1'Arno, Qu'as-tu rapporté pour ta gloire? J'ai rapporté Solférino. 24 — Petit pioupiou, Soldat d'un sou, Qu'as-tu rapporté d'Allemagne? C'était le temps oü la campagne De notre pur sang s'arrosa: La Guerre, ayant pris pour compagne La Déroute, nous écrasa. Mais de 1'invasion infame Qui t'assombrissait 1'avenir, Qu'as-tu rapporté dans ton ame? — J'ai rapporté le souvenir. Albert Delpit. 26. LE ROI DAGOBERT. Le bon roi Dagobert Avait sa culotte a 1'envers; Le grand Saint Eloi Lui dit: „O, mon roi! Votre Majesté Est mal culotté. — C'est vrai, lui dit le roi, Je vais la remettre a 1'endroit." Le bon roi Dagobert Fut mettre son bel habit vert; Le grand saint Eloi Lui dit: „O mon roi! Votre habit paré Au coude est percé. — C'est vrai, lui dit le roi; Le tien est bon: prête-le-moi." 25 Le bon roi Dagobert Faisait peu sa barbe en hiver; Le grand saint Eloi Lui dit: „O mon roi! II faut du savon Pour votre menton. — C'est vrai, lui dit le roi; As-tu deux sous? prête-les-moi." Le bon roi Dagobert Chassait dans la plaine d'Anvers; Le grand saint Eloi Lui dit: „O mon roi! Votre Majesté Est bien essouflé. — C'est vrai, lui dit le roi; Un lapin courait après moi." Le bon roi Dagobert Avait un grand sabre de fer; Le grand saint Eloi Lui dit: „O mon roi! Votre Majesté Pourrait se blesser. — C'est vrai, lui dit le roi; Qu'on me donne un sabre de bois." Le bon roi Dagobert Voulait s'embarquer sur la mer, Le grand saint Eloi Lui dit: ,,0 mon roi! Votre Majesté Se fera noyer. — C'est vrai, lui dit le roi; On pourra crier: Le roi boit." Le bon roi Dagobert Se battait a tort, a travers; Le grand saint Eloi 26 Lui dit: „O mon roi! Votre Majesté Se fera tuer. — C'est vrai, lui dit le roi; Mets-toi bien vite devant moi." Chanson populaire. 27. L'AVARE ET SON FILS. Par je ne sais quelle aventure, Un avare, un beau jour, voulant se bien traiter, Au marché courut acheter Des pommes pour sa nourriture. Dans son armoire il les porta, Les compta, rangea, recompta, Ferma les doublés tours de sa doublé serrure, Et chaque jour les visita. Ce malheureux, dans sa folie, Les bonnes pommes ménageait; Mais, lorsqu'il en trouvait quelqu'une de pourrie, En soupirant il la mangeait. Son fils, jeune écolier, faisant fort maigre chère, Découvrit a la fin les pommes de son père. II attrape les clefs, et va dans ce réduit, Suivi de deux amis d'excellent appétit. Or, vous pouvez juger le dégat quils y firent, Et combien de pommes périrent! L'avare arrivé en ce moment, De douleur, d'effroi palpitant. „Mes pommes!" criait-il; „coquins, il faut les rendre, Ou je vais vous tous faire pendre." „Mon père," dit le fils, „calmez-vous, s'il vous plait; Nous sommes d'honnêtes personnes; Et quel tort vous avons-nous fait? Nous n'avons mangé que les bonnes." Florian. 27 28. LA HARANGUE. Certain jour, le bon roi Henri, Revenant d'assez long voyage, Allait entrer a Montlhéri, Et vite et vite a son passage, Accourent tous les habitants. Le curé s'est mis a leur tête, A le haranguer il s'apprête; Mais, n'ayant eu que peu d'instants Pour préparer ce qu'il doit dire, II se présente et lui dit: „Sire, Les habitants de Montlhéri Sont charmés de votts voir ici." — „Bien," dit le vainqueur de la Ligue, „Votre harangue me plait fort; Mais je voudrais Tentendre encore, Bis, si cela ne vous fatigue." — „Point du tout, Sire!" Et sur-le-champ D'une voix plus ferme et plus nette, Notre bon curé lui répète Son court et naïf compliment. „Encore mieux!" dit le roi, „j'ordonne Que pour ses indigents 1'on donne Cent écus au digne pasteur." — „Bis, Sire!" répond 1'orateur. — „Ventre saint-gris! j'aime eet homme," Dit le bon monarque en riant. „Eh bien, soit. Je doublé la somme." L'ordre s'exécute a 1'instant; Et, pour terminer mon histoire, Le roi, le curé, 1'auditoire, Tout le monde s'en fut content. Gustave Nadaud. 28 29. LE TRAVAIL. Si tu veux être libre et fort, Travaille! Si tu veux gagner sans effort, Le Repos final de la mort, Travaille! Si tu veux être respecté, Travaille! Si tu veux garder ta fierté, Ta belle humeur et ta santé, Travaille! Si tu veux soutenir tes droits, Travaille! Si tu veux que ta grande-voix Ait plus de force qu'autrefois, Travaille! Si tu veux forcer ton destin, Travaille! Si tu veux que sur ton déclin Ton frère te tende la main, Travaille! Xavier Privas. 30. PETIT PAUL. „Paul, déshabillez-vous, et pliez votre veste!" — „Qui donc," demanda Paul, aimant a babiller, itr rd deviné 9u'il fallait s'habiller, Mettre des pantalons, un gilet et le reste?" — „C'est quelqu'un," répondit la bonne a 1'ingénu, „Uu taché d avoir froid, ou honteux d'être nu. Vovo°s., Paul, maintenant, faites votre prière!" „Mais qui donc a, ma bonne, inventé de prier?" 29 — „Quelqu'un proBabföment qui ne pouvait crier, Etouffant ou de joie ou de douleur amère . . . Allons, allons! il faut un peu plus se presser. Assez de questions pour aujourd'hui de grace: Couchez-vous doucement, pourque 1'on vous embrasse.' — „Mais qui donc a, ma bonne, inventé d'embrasser?" A cette fois, la bonne allait s'embarrasser, Lorsque la mère entrant: „Celle qui la première A donné le meilleur baiser, c'est une mère. Dors, mon bijou, voici le mien! ' Et Paul, fermant les yeux, ne demanda plus rien. Louis Ratisbonne. 31. LE VOYAGEUR SAUVÉ PAR LA SERVANTE. Entre Paris, Versailles, II y a un beau logis. Y passé un gentilhomme Pour y loger: — Entrez, mon gentilhomme, Entrez, entrez. Appelle la servante: „Petite Jeanneton, Mène coucher eet homme La oü tu sais, Dans la plus haute chambre La oü tu sais." Tout en montant, la belle, Elle se prend a pleurer: • '■''■i— „Que pleurez-vous la belle, A tant pleurer? Dedans ma compagnie Y a pas de danger." 30 „Hélas! ce que je pleure? Y a bien de quoi pleurer! Dans la plus haute chambre Oü vous allez, Y a pour sur trois hommes Assassinés." — ,,Comment faut-il donc faire Pour y passer la nuit?" — „Faut prendre un de ces hommes, Et le coucher, Et vous, derrièr' la porte, Vous vous sauv'rez." Sur le coup de onze heüres, Onze heures ou le minuit, Le bourgeois, la bourgeoise Montent en haut Pour égorger eet homme, Leur grand couteau. Sur le coup de six heures, Gentilhomme s'est levé, Le bourgeois, la bourgeoise Bien étonnés De voir levé eet homme, L'avoir tué. Appelle la servante: '3-É — „Petite Jeanneton, Tu m'as sauvé la vie Dans cette nuit; Tu auras récompense Du roi Louis." Chanson populaire. 31 32. LE SOLEIL DE MA BRETAGNE. „La mer m'attend, je veux partir demain: Soeur, laisse-moi, j'ai vingt ans, je suis homme, Je suis Breton et je suis gentilhomme; Sur 1'Océan je ferai mon chemin!" — „Mais si tu pars, mon frère! Que ferai-je sur terre? Toute ma vie a moi, Tu le sais bien, c'est toi. Ah! ne va pas loin de notre berceau; Reste avec moi, ta sceur et ta compagne; Mon frère, on vit heureux dans la montagne; Et puis de la Bretagne Le soleil est si beau!" „Sur un vaisseau qui portera ton nom, Je reviendrai dans trois ans capitaine; J'achèterai ces bois, ce beau domaine, Et nous serons les seigneurs du canton." — „Mais, n'as-tu pas, dit-elle, Notre pauvre tourelle, Pour trésor le. bonheür? Ah! ne va pas loin de notre berceau; Reste avec moi, ta soeur et ta compagne; Mon frère, on vit heureux dans la montagne; Et puis de la Bretagne Le soleil est si beau!" Mais il partit, quand la foudre grondait; Deux ans passés de lui point de nouvelles! Prés du foyer, sa compagne fidéle Pleurait toujours et toujours attendait. Un jour a la tourelle Un naufragé 1'appelle, Lui demande un abri: — „C'est lui, mon Dieu, c'est lui!" — „Oui, sceur, c'est moi, je reviens au berceau 32 J'ai tant souffert loin de toi, ma compagne, Mais je 1'oublie en voyant ma montagne; Oh, ma chère Bretagne, Que ton soleil est beau!" Anatole le Braz. 33. LE COMTE ADICK. La trompette des alarmes A sonné dans les chateaux. Le comte Adick prend ses armes Et rassemble ses vassaux. A 1'appel de la patrie, Jamais magnat de Hongrie N'a tardé, même d'un jour. II met sa cotte de maille; Son bon cheval de bataille Hennit au pied de la tour. Une belle et noble Dame Regarde tous ces apprêts, Et sourit, la mort dans 1'ame, D'un sourire pur et frais: C'est la jeune fiancée, Qui concentre sa pensée Sur le Comte, ses amours, Qu'elle voit, de sa fenêtre, Partir pour longtemps peut-être, Et peut-être pour toujours. „Je pars, ma blonde Gisèle; Mais je te rappor ter ai Et mon cceur aussi fidéle, Et mon nom plus honoré. Cet anneau de fiancée Poèmes Francais. — 3 33 Tient mon ame a toi fixée D'un nceud qu'on ne peut briser!" Puis il prend sa main petite, Et sur la bague bénite II dépose un doux baiser. Soudain la trompette sonne; L'adieu se perd dans le bruit. Sur le coursier qui frissonne Le Comte part: tout le suit. Au soleil, dans la poussière, Flotte la rouge bannière Et luit main te armure en feu: Gisèle en pleurs suit leur tracé, Et le dernier bruit qui passé Lui porte un dernier adieu. Adick, aux champs de carnage, Fait briller son noble coeur. La gloire aime le courage; Adick est partout vainqueur. Cependant sa fiancée, D'un mal dévorant blessée Voit de bien prés le tombeau; Et le venin qui ravage Marqué a jamais son passage Sur ce front hier si beau. La beauté n'est rien pour elle; Cependant a son miroir Elle court, pauvre Gisèle, Et frémit de s'y revoir! Un deuil affreux la dévore; Comment plaira-t-elle encore A ce héros des combats, Qui déja revient peut-être, Et, la voyant apparaitre, Ne la reconnaitra pas? 34 „Oh! je voudrais être morte! Pourquoi voir encor le jour, Si le mal qui fuit m'emporte Mon bonheur et mon amour? Tandis qu'a son apanage Adick joint, par son courage, La gloire d'un nom vanté, Je perds ma seule richesse, Mon seul titre a sa tendresse, Ma couronne de beauté!" Tandis qu'elle fond en larmes, Partout résonne a la fois Le bruit des pas et des armes. Du comte Adick c'est la voix: ,,Oü donc es-tu, ma Gisèle? •> : Viens! viens! celui qui t'appelle, C'est ton bien-aimé; c'est moi!" Elle frémit de 1'entendre. Ce cri d'une voix si tendre Lui remplit le coeur d'effroi. „Ne m'approche pas," dit-elle Dans son douloureux émoi, „Fuis! Jjai cessé d'être belle; Je suis indigne de toi....!" Et ses deux mains, avec crainte, D'une convülöive étreinte Voilaient son front agité. Mais lui: „Viens a moi, je t'aime! Si ton amour est le même, Que m'importe ta beauté!" — „Non! a mon ame éperdue Épargne ce désespoir; Tu frémiras a ma vue!" — „Mes yeux ne peuvent plus voir Elle regarde.... A la guerre 35 D'une atteinte meurtrière, Le comte a perdu les yeux. „Adick, 6 toi que j'adore, Tu peux donc m'aimer encore! Soyez bénis, justes cieux!" Partout la jeune comtesse Conduit 1'aveugle adoré; Et si d'une gaze épaisse Elle a le front entouré, Ce n'est pas qu'elle regrette Sa forme autrefois parfaite: Elle craint, d'un cceur jaloux, Que sur sa beauté perdue Quelque parole entendue N'attriste son noble époux. Prosper Blanchemain. 34. NOËL. Ainsi qu'ils le font chaque année, En papillotes, les pieds nus, Devant la grande cheminée Les bébés roses sont venus. A minuit, chez les enfants sages, Le joli Jésus, qu'a genoux On adore sur les images, Va, les mains pleines de joujoux Du haut de son ciel bleu descendre; Et de crainte d'être oubliés, Les bébés roses, dans la cendre, Ont mis tous leurs petits souliers. 36 Derrière une büche, ils ont même, Tandis qu'on ne les voyait pas, Mis, par précaution suprème, Leurs petits chaussons et leurs bas. Puis, leurs paupières se sont closes A 1'ombre des rideaux amis.... Les bébés blonds, les bébés roses, En riant se sont endormis. Et jusqua 1'heure oü 1'aube enlève Les étoiles du firmament, Ils ont fait un si joli rêve Qu'ils riaient encore en dormant. Ils rêvaient d'un pays magique Oü 1'alphabet fut interdit. Les arbres étaient d'angélique, Les maisons de sucre candi. Et sur les trottoirs de réglisse, On rencontrait, — c'était charmant! Des bonhommes de pain d'épice Qui vous saluaient gravement. Dans ce doux pays de féerie, A Guignol on va chaque jour, Et I on voit, sur 1'herbe fleurie, Les lapins jouer du tambour! Sur de hautes escarpolettes, Bercé par les anges, on dort; La, tous les chiens ont des roulettes, Tous les moutons des cornes d or. Mais comme venait d'apparaitre En personne le Chat botté, Le jour, entrant par la fenêtre, A mis fin au rêve enchanté.... 37 Alors, en d'adorables poses, S'étirant sur leurs oreillers, Les bébés blonds, les bébés roses En riant, se sont réveillés. > Rosemonde Gérard. (Mme Edmond Rostand.) 35. SAINT NICOLAS. II fait noir dehors; il neige, il bruine; La bise de nuit tourmente les eaux. Et Saint Nicolas qui dans 1'air chemine!.... — Comment dormiront en mer les vaisseaux, Et dans la forêt les pauvres oiseaux? — Et Saint Nicolas, vieux comme grand-père, Pourra-t-il porter, a travers les champs, A mon sage enfant tout ce qu'il espère, Et venir fouetter les enfants méchants? II fait noir dehors; il vente, il bruine, A 1'intérieur, il fait chaud, bien clair; Dans chaque maison 1'on rit et I on dïne; Mais comment feront les vaisseaux sur mer, Et Saint Nicolas qui chemine en 1'air? Ecoutez, c'est lui!.... je crois que 1'on sonne! Les méchants enfants palissent encor; L'enfant sage ouvrit; ce n'était personne Que le vent de nuit dans le corridor. II fait noir dehors; il neige, il bruine; Comment dormiront les oiseaux dans les bois? Et Saint Nicolas, vieux, courbant 1'échine, Mes pauvres enfants — je vous plains! — je crois Qu'il ne pourra pas venir cette fois! Les méchants enfants font meilleur visage, Mais la porte s'ouvre, et Saint Nicolas: — „J'apporte un jouet pour toi qui fus sage; „Des verges pour vous qui ne 1'êtés pas!" 38 II fait noir dehors; il neige, il bruine. .. . — „L'enfant est méchant, mais 1'enfant est mien; Ne point pardonner de la part divine, Grand Saint Nicolas, ce n'est pas trés bien! II est si joli, mon petit vaurien!" Leur mère ainsi parle, et la joie est grande, Et le père, ötant perruque et manteau, Fait au plus méchant de toute la bande, Mais au plus petit, le plus beau cadeau. Jean Aicard. 36. LE CHEVAL ET LE POULAIN. Un bon père cheval, veuf et n'ayant qu'un fils, L'élevait dans un paturage Oü les eaux, les fleurs et 1'ombrage Présentaient a la fois tous les biens réunis. Abusant pour jouir, comme on fait a eet age, Le poulain tous les jours se gorgeait de sainfoin, Se vautrait dans 1'herbe fleurie, Galopait sans objet, se baignait sans envie, Ou se reposait sans besoin. Oisif et gras a lard, le jeune solitaire S'ennuya, se lassa de ne manquer de rien. Le dégoüt vint bien tót: il va trouver son père: „Depuis longtemps," dit-il, „je ne me sens pas bien; Cette herbe est malsaine et me tue; Ce trèfle est sans saveur, cette onde est corrompue, L'air qu'on respire ici m'attaque les poumons; Bref, je meurs si nous ne partons." — „Mon fils," répond le père, ,,il s'agit de ta vie, A 1'instant même il faut partir." Sitöt dit, sitöt fait, ils quittent leur patrie. Le jeune voyageur bondissait de plaisir. Le vieillard, moins joyeux, allait un train plus sage, Mais il guidait l'enfant, et le faisait gravir Sur des monts escarpés, arides, sans herbage, 39 Oü rien ne pouvait le nourrir. Le soir vint, point de paturage; On s'en passa. Le lendemain, Comme 1'on commencait a souffrir de la faim, On prit du bout des dents une ronce sauvage. On ne galopa plus le reste du voyage; A peine après deux jours allait-on même au pas. Jugeant alors la lecon faite, Le père va reprendre une route secrète Que son fils ne connaissait pas, Et la ramène a la prairie Au milieu de la nuit. Dès que notre poulain Retrouve un peu d'herbe fleurie, II se jette dessus: „Ah! 1'excellent festin, La bonne herbe!" dit-il; „comme elle est douce et tendre! Mon père, il ne faut pas s'attendre Que nous puissions rencontrer mieux; Fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux. Quel pays peut valoir eet asile champêtre?" Comme il parlait ainsi, le jour vint a paraitre: Le poulain reconnait le pré qu'il a quitté; II demeure confus. Le père avec bonté Lui dit: „Mon cher enfant, retiens cette maxime: Quiconque jouit trop est bientöt dégoüté; II faut au bonheur du régime." Florian. 37. COMPLAINTE D'ARMORIQUE. Dórs, petit enfant, dans ton lit bien clos! Dieu prenne en pitié les bons matelots! -'• Chante ta chanson, chante, bonne vieille, La lune se léve et la mer s'éveille. Quand tu seras mousse, hélas! c'est le vent Qui te bercera dans ton lit mouvant! 40 Chante ta chanson, chante bonne vieille, La lune se léve et la mer s'éveille. Tes yeux ont dé ja la couleur des flots Dieu prenne en pitié les bons matelots! Chante ta chanson, chante bonne vieille, La lune se léve et la mer s'éveille. Dors, petit enfant, dans ton lit bien doux Car tu t'en iras, comme ils s'en vont tous! Chante ta chanson, chante bonne vieille, La lune se léve et la mer s'éveille. Anatole le Braz. 38. L'AIMABLE VOLEUR. — „Pardon, monsieur le voyageur, Vous manquez un peu de prudence A passer seul, la nuit, sans peur, Dans un bois oü plus d'un voleur Fixe, dit-on, sa résidence. Si 1'on vous attaquait ici, Vous pourriez bien crier merci Sans être Mandrin ni Cartouche On vous tuerait comme une mouche. Si vous pouviez prendre le temps De m'accorder quelques instants Nous causerions la, sur la route. D'ailleurs, j'ai la deux pistolets...." — „Oui, je les vois, retirez-les... . Parlez monsieur, je vous écoute." — „Ah! vous me faites trop d'honneur; Merci, monsieur le voyageur." 41 — „Pardon, monsieur le voyageur: Vous voyez quelle est ma toilette; Je négligé trop ma santé: Je sors, 1'hiver comme 1'été Avec une simple jaquette. Si 1'on m'offrait un habit neuf, Doublé de soie, en drap d'Elbeuf, Un manteau garni de fourrures, De bonnes et fortes chaussures, Du linge fin, — j'y tiens beaucoup, Pour vivre au bois, on n'est pas loup — Mon Dieu, je changerais de mise.... D'ailleurs, j'ai la deux pistolets...." — „Oui, je les vois, retirez-les... . Voici la clef de ma valise." — „Ah! vous me faites trop d'honneur Merci, monsieur le voyageur." — „Pardon, monsieur le voyageur: Je ne tiens pas a la fortune; J'ai la quelques propriétés: La route oü vous vous arrêtez, Et des forêts au clair de lune. J'ai lu dans plus d'un bon auteur Que l'or ne fait pas le bonheur, Et Bias trouvait qu'en voyage On a toujours trop de bagage. D'aucuns en sont embarrassés; D'autres n'en ont jamais assez. Quand j'ai soif, je vais a la source. .. . D'ailleurs, j'ai la deux pistolets...." — „Oui, je les vois, retirez-les.... Voulez-vous accepter ma bourse?" — „Ah! vous me faites trop d'honneur; Merci, monsieur le voyageur." — „Pardon, monsieur le voyageur: lei, nous n'avons pas de cloche; 42 On n'a jamais bien su pourquoi Des philosophes tels que moi N'ont pas de montre dans leur poche. Des astres nous savons le cours; Mais les jours sont plus ou moins courts, Et pour rentrer dans sa demeure, On aimerait a savoir 1'heure. Si, par hasard, au coin d un bois, II me tombait entre les doigts Un chronomètre de rencontre.... D'ailleurs, j'ai la deux pistolets...." — „Oui, je les vois, retirez-les.... Pourrais-je vous offrir ma montre?" — „Ah! vous me faites trop d'honneur; Merci, monsieur le voyageur." — „Pardon, monsieur le voyageur: Un mot encore, et je vous quitte. Grace a moi, d'un cas imprudent Vous vous tirez sans accident; Souffrez, que je vous félicite. Quoi qu'en disent les dégoütés, La vie a quelques bons cötés; Je vous la laisse saine et sauve; Monsieur, 1'occasion est chauve. Pressez-moi donc sur votre coeur En m'appelant votre sauveur. . . . Si toutefois c'est votre envie.... D'ailleurs, j'ai la deux pistolets...." — „Oui, je les vois, retirez-les.... C'est a vous que je dois la vie." — „Ah! vous me faites trop d'honneur; Adieu, monsieur le voyageur." Gustave Nadaud. 43 39. LE SECRET DE BÉBÉ. Je connais depuis 1'automne Un bébé des plus charmants Dont la sceur, pauvre mignonne, Est poitrinaire a quinze ans. Quand je vis la blonde tête De ce gracieux bambin, II parcourait en cachette Les sentiers d'un grand jardin. Ses menottes potelées Tenaient un fil qu'il roulait Autour des branches fanées Que parfois il atteignait. „Que fais-tu la, petit homme?" Surpris il me regarda, Puis, souriant, voici comme A voix basse il me paria: „Tu me plais; je vais te dire Quel est mon s eer et a moi, Si tu me promets, sans rire, De bien le garder pour toi. Et d'abord, je dois t'apprendre Que je m'appelle Bébé, Que j'ai, ce qui doit surprendre, Mes cinq ans depuis 1'été." „Pour jouer a la cachette, Je suis tout seul a présent, Car bien malade est sceurette, Et le docteur vient souvent. Ce docteur est trés sévère. Mais il ne parait pas méchant. Cependant, petite mère Toujours pleur e en 1'écoutant... 44 „Aussi, j'ai voulu connaitre Ce qui la faisait pleurer, J'étais curieux, peut-être; Monsieur, tu vas me gronder? Sous un meuble avec mystère, Hier je me suis caché. Le docteur causait a mère, De la, j'ai tout écouté." II dis ai t: „Voyez par ter re Combien de feuilles dé ja; Quand tombera la dernière, La chère enfant s'en ira." Voila pour quoi je r attaché Les feuilles qui vont tomber. Mais, c'est une grande tache; Dis, Monsieur, veux-tu m'aider?" Provansal. 40. LE RAT DE VILLE EN LE RAT DES CHAMPS. Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs, D'une facon fort civile, A des reliëfs d'ortolans. Sur un tapis de Turquie Le couvert se trouva mis. Je laisse a penser la vie Que firent ces deux amis. Le régal fut fort honnête; Rien ne manquait au festin;. Mais quelqu'un troubla la fête Pendant qu'ils étaient en train. 45 A la porte de la salie ■ Ils entendirent du bruit; Le rat de ville détale; Son camarade le suit. / Le bruit cesse, on se retire: Rats en campagne aussitót;> Et le citadin de dire: ; „Achevons tout notre rót." — „C'est assez," dit le rustique; „Demain vous viendrez chez moi. Ce n'est pas que je me piqué De tous vos festins de roi; Mais rien ne vient m'interrompre; Je mange tout a loisir. Adieu donc: fi du plaisir Que la crainte peut corrompre!" La Fontaine. 41. NOËL. Le ciel est noir, la terre est blanche; — Cloches, carillonnez gaiment! Jésus est né; la Vierge penche Sur lui son visage charmant. Pas de courtines festonnées Pour préserver l'enfant du froid; Rien que les toiles d'araignées Qui pendent des poutres du toili. 46 II tremble sur la paille fraiche, Ce cher petit enfant Jésus, Et pour 1'échauffer dans sa crèche L'ane et le bceuf soufflent dessus. La neige au chaume coud ses franges, Mais sur le toit s'ouvre le ciel Et, t<ïut en blanc, le chceur des anges Chante aux bergers: „Noël! Noël!" Théophile Gautier. 42. LA CONSIGNE. Le caporal, d'un air digne, Met son homme en faction Sur la Seine: „Attention," Dit-il, „voici la consigne: „Les Prussiens sont la. . . . Morbleu! Ouvre 1'ceil; vers la rivière Si tu vois une lumière, Ne bronche pas et fais feu!" Le caporal rentre boire Un doigt de rhum au gourbi; Resté seul, 1'homme ébaubi Fouille des yeux la nuit noire. II est novice au métier. Pauvre garcon frêle et mince, II enseignait en province L'algèbre, 1'été dernier. Vint la guerre... . Adieu, sciences! Bien qu'il fut peu résolu, Comme un autre il a voulu Marcher Mais quelles vacances! 47 Frissonnant, ne bougeant plus, II écoute plein d'angoisse... . Rien, que la bise qui froisse Les broussailles du talus. II revoit son vieux logis, Sa table oü sommeille un livre, Son fauteuil aux clous de cuivre, Par 1'atre flambant rougis. Ses yeux se ferment. II songe Qu' auprès d'un feu de sarment II öte son fourniment, Et qu'en son lit il s'allonge.... Un bruit 1'éveille.... O, stupeur! Est-ce un rêve ou berlue? Une lumière remue A cent pas, dans la vapeur; Errante, au bord de la berge Elle jette un rayon bleu.... vtsQ „Allons, ferme!" II tremble un peu En armant son fusil vierge. II tire.... Grande rumeur! On accourt, on se démène, On jure.... Lui, sur la Seine Montre 1'étrange lueur.... A la fin, tout se dévoile.... „Malheur!" dit le caporal, „II a fait feu, 1'animal, Sur le reflet d'une étoile." André Theuriet. 48 43. LA TORTUE ET L'AUTO. Une tortue assez agile Vit, un jour, une automobile, Et son ceil n'en fut point surpris: Cela se passait a Paris. Son bon maitre, amateur de sport, Avait failli causer sa mort! Et si grande était sa rancceur Qu'on entendit parler son cceur: „J'ai sur votre compte, ö mon maitre, Quelques plaintes a vous soumettre." Le chauffeur, excellent garcon, Quitta le siège, sans facon. „Quoi de neuf," dit-il, „chère amie?" Elle, alors: „C'est une infantiel On ne peut plus rêver ici Sans risquer d'être raccourci! C'est odieux, foi de tortue! Jen perds le boire et la laitue; J'«n suis affectée a ce point Que, malgré le rade pourpoint Dont le Bon-Dieu m'a cuirassée, Je me senstoute menacée. Et qu'ai-je fait pour être morte? Ai-je embarrassé votre porte? Non, monsieur, je n'ai fait qu'un tour De promenade en votre cour. Encor s'il était une excuse A ce péril qui vous amuse! Mais aucune! Qu'espérez-vous Avec vos allures de fous? Vous donner des ai les, peut-être? Trouver au ciel une fenêtre? Le bonheur au bout du parcours? Tournez, roulez, tournez toujours. Poémes Francais. — 4 49 Quand je vois 1'homme qui voyage, Je pense a 1'écureuil en cage! Et c'est résolu: je m'en vais, Je quitte ce pays mauvais Pour achever ma destinée Au beau rivage oü je suis née. J'y mettrai quelque temps, sans doute, Mais j'aime les fleurs de la route." Le maitre, un instant interdit, Conciliant, lui répondit: „Tu veux décamper? A merveille! Nous déjeunerons a Marseille." II se baisse, prend aussitöt Notre bavarde a 1'air pataud, L'installe avec lui, demi-morte, Et 1'auto, démarrant, 1'emporte. Et le chauffeur a voyagé Sans que la tortue ait bougé. „Tu ne dis rien?" lui dit son maitre, Vers le centième kilomètre. La tortue, intrigée alors, A risqué son minois dehors; Et son extase est sans pareille, D'apercevoir sitöt Marseille! „Faut-il toujours t'abandonner?" Dit le maitre, après déjeuner. „J'ai réfléchi," fit la tortue Qui, quoique lente, est peu têtue. „Oü trouver un höte plus doux? Je rentre a Paris avec vous." Et le chauffeur, a grande allure, Ramène la béte en voiture. Beaucaire, Valence, Lyon.... Ils passent comme un tourbillon. „Tu ne dis rien?" lui dit son maitre, Au cinq centième kilomètre; 50 „Faut-il ralentir? Trembles-tu?".... Et la tortue a répondu A cette gracieuse invite: ^jja $g , Si nous allions un peu plus vite?" Fernand Ferrier. 44. LAVEUGLE ET LE PARALITIQUE. Aidons-nous mutuellement, La charge des malheurs en sera plus légèrej Le bien que 1'on fait a son frère, Pour le mal que 1'on souffre est un soulagement. Confucius 1'a dit: suivons tous sa doctrine, Pour la persuader aux peuples de la Chine, II leur contait le trait suivant: Dans une ville de 1'Asie, II existait deux malheureux, Lun perclus, 1'autre aveugle, et pauvres tous les deux. Ils demandaient au ciel de terminer leur vie; Mais leurs voeux étaient superflus: Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique, Couché sur un grabat dans la place publique, Souffrait sans êtrèplaint; il en souffrait bien plus. L'aveugle, a qui tout pouvait nuire, Etait sans guide, sans soutien, Sans avoir même un pauvre chien Pour 1'aimer et pour le conduire. Un certain jour il arriva Que 1' aveugle, a tatons, au détour d'une rue, Prés du malade se trouva; II entendit ses cris, son ame en fut émue: II n'est tels que les malheureux Pour se plaindre les uns les autres. „J ai mes maux," lui dit-il, „et vous avez les vótres; Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux." — „Hélas!" dit le perclus, „vous ignorez, mon frère, 51 Que je ne puis faire un seul pas; Vous-même vous n'y voyez pas: A quoi nous servirait d'unir notre misère? ' |(A quoi!" répond 1'aveugle. „Ecoutez: a nous deux, Nous possédons le bien a chacun nécessaire: J'ai des jambes; et vous, des yeux; Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide: Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés; Mes jambes, a leur tour, iront oü vous youdrez. Ainsi, sans que jamais notre amitié décide Qui de nous deux remplit le plus utile emploi, Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. Florian. 45. LE BON GITE. Bonne vieille, que fais-tu la? II fait assez chaud sans cela, Tu peux laisser tomber la flamme. Ménage ton bois, pauvre femme, Je suis séché, je n'ai plus froid. Mais elle, qui ne veut m'entendre, Jette un fagot, range la cendre: „Chauffe-toi, soldat, chauffe-toi." „Bonne vieille, je n'ai pas faim. Garde ton jambon et ton vin; J'ai mange la soupe a 1'étape. Veux-tu bien m'öter cette nappe! C'est trop bon et trop beau pour moi." Mais elle, qui n'en veut rien faire, Taille mon pain, remplit mon verre: „Refais-toi, soldat, refais-toi." 52 „Bonne vieille, pour qui ces draps? Par ma foi, tu n'y penses pas! Et ton étable? et cette paille Oü 1'on fait son lit a sa taille? Je dormirai la comme un roi." Mais elle qui n'en veut démordre, Place les draps, met tout en ordre: „Couche-toi, soldat, couche-toi!" — Le jour vient, le départ aussi. — „Allons! adieu.... Mais qu'est ceci? Mon sac est plus lourd que la veille. ... Ah! bonne hötesse! ah! chère vieille, Pourquoi tant me gater, pourquoi?" Et la bonne vieille de dire, Moitié larme, moitié sourire: „J'ai mon gars soldat comme toi!" Paul Déroulède. 46. ENFANT TERRIBLE. Si j'en juge d'après mon frère: Petit Paul.... six ans et demi.... Les enfants, a leurs père et mère, Ca cause vraiment de 1'ennui. Ca répète ce qu'on raconte; Jamais 9a ne reste en repos; Et sans savoir, 9a vous fait honte Devant le monde, a tout propos. Garqon ou fille, c'est tout comme! Moi, c'est différent, j'ai douze ans; J'apprends le grec: je suis un homme! Mais c'est terrible, les enfants. 53 „Non, vois-tu, le cousin Emile;" Disait père, un soir a maman, „Je n'en connais pas un sur mille D'aussi toqué que lui, yrahnent!" Le cousin vient faire visite. Petit Paul avait remarqué Le mot de père; il accourt vite: „Tiens, bonjour, mon cousin' toqué! Maman eherche a le faire taire Mais, avec des airs triomphants: „S«is-tu qui dit 9a? c'est petit père! Vrai! c'est terrible, les enfants? L'autre jour ma tante Eugénie Vient diner chez mes parents; Et devant la table servie, On prend place, petits et grands. „Ah! c'est toi qui vas êt' contente,' Lui dit Paul d'un ton dégagé, „Tu vois bien ce poulet, petit' tante? C'est celui qu' hier on a mangé. Maman a dit que la carcasse, C'était assez bon pour toi! Prends Oh! tante a fait une grimace! Vrai! c'est terrible, les enfants! Monsieur Bloch, toutes les semaines, Dine chez nous exactement. II ne donne jamais d'étrennes, Même a la bonne, au jour de 1'an. n Un beau jour, il arrivé. — „Aboie!"^ Lui dit Paul. „Comment, mon ami?" „Aboie un peu, monsieur, que je voie Si bobonne n'a pas menti. Elle dit que tu fais des épates, Mais que t'es chien, tu comprends? C'est-il vrai que tu marches a quat' pattes? Oh, c'est terrible, les enfants! 54 Coupé la Seine dans Paris, Et, moitié verte, moitié blanche, Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Elle se jetait dans la Manche. Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Elle aurait pu boire la Saöne, Boire le Rhin, après le Rhöne, De la, se dirigeant vers 1'Est, Absorber le Danube a Pesth, Et puis, ivre a force de boire, Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Elle aurait grossi la mer Noire. Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Elle aurait pu dans sa furie Pénétrer jusqu'en Sibérie, Passer 1'Oural et le Volga, Traverser tout le Kamschatka, Et d'Atlas déchargeant 1'épaule, Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Elle aurait dégelé le pöle. La Garonne n'a pas voulu, Lanturlu! Humilier les autres fleuves Seulement, pour faire ses preuves, Elle arrondit son petit lot, Ayant pris le Tarn et le Lot, Elle confisqua la Dordogne. La Garonne n'a pas voulu, Lanturlu! Quitter le pays de Gascogne. ; Gustaue Nadaud. 59 50. LES OIES. (Fable). Une longue perche en main, Pierrot, au marché prochain, Menait une troupe d'oies; Et pressé qu'il était, fort cavalièrement, Les hatait, les chassait, les poussait en avant, Sans les laisser, d'un pas s'écarter de leurs voies. De colère gonflés, nos oisons cheminaient, Et de leur guide, entre eux, vivement se plaignaient, Quand survint un passant; tous ensemble, a tue-tête, Les voila de piailler en dressant leurs longs cous. — „Vbyez, homme de bien, voyez comme on nous traite, Ce rustre, ce manant ? des oisons tels que nous. Nous descendons tout droit de ces saintes volailles Qu'on vit du Capitole affranchir les murailles. Karamzin et d'Hozier sont d'accord sur ce point." — „Messieurs, je vous en crois, et la fidéle histoire De vos nobles auteurs a consacré la gloire. Mais ca, parions de vous: vous ne dérogez point? Vous soutenez, j'espère, une origine ilftistre?" — „Vraiment de nos aieux, nous partageons le lustre." — „Sans doute en imitant ce qu'ils ont fait de beau? C'est fort bien; de vos faits tracez-moi le tableau, J'écoute." „Nos aieux.... „Eh oui! je sais, de reste, Que leur instinct sauva Rome d'un joug funeste; Mais vous, messieurs, mais vous?" „Nos ancêtres „Fort bien. Mais vous, quels sont vos droits? qu'avez-vous fait?" „Nous, rien." Rouget de Lisle. 60 51. LES BCEUFS. J'ai deux grands bceufs a mon étable, Deux grands bceufs blancs marqués de roux; La charrue est en bois d'érable, L'aiguillon en branche de houx. C'est par leur soin qu'on voit la plaine Verte 1'hiver, jaune 1'été; Ils gagnent dans une semaine Plus d'argent qu'ils n'en ont coüté! S'il me fallait les vendre, J'aimerais mieux me pendre; J'aime Jeanne, ma femme; eh bien, j'aimerais mieux La voir mourir que voir mourir mes bceufs. Les voyez-vous, les belles bêtes, Creuser profond et tracer droit, Bravant la pluie et les tempêtes, Qu'il fasse chaud, qu'il fasse froid? Lorsque je fais halte pour boire, Un brouillard sort de leurs naseaux, Et je vois sur leur corne noire Se poser les petits oiseaux. S'il me fallait les vendre, J'aimerais mieux me pendre; J'aime Jeanne, ma femme; eh bien, j'aimerais mieux La voir mourir que voir mourir mes bceufs. Ils sont forts comme un pressoir d'huile, Ils sont doux comme des mout ons; Tous les ans, on vient de la ville Les marchander dans nos cantons, Pour les mener aux Tuileries, Au Mardi gras, devant le roi, Et puis les vendre aux boucheries; Je ne veux pas, ils sont a moi. 61 Aimez-la bien, la sceur ainée, Retenez-la dans votre nid; C'est pour vous qu'elle nous est née, Et votre père la bénit. Victor de Laprade. 60. LES SOUVENIRS DU PEUPLE. On pariera de sa gloire Sous le chaume bien longtemps. L'humble toit, dans cinquante ans, Ne connaitra plus d'autre histoire. La viendront les villageois Dire alors a quelque vieille, Par des récits d'autrefois, Mère, abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encore le révère, Oui, le révère. Parlez-nous de lui, grand'mère; Parlez-nous de lui. Mes enfants, dans ce village, Suivi de rois, il passa. Voila bien longtemps de 9a: Je venais d'entrer en ménage. A pied grimpant le coteau Oü pour voir je m'étais mise, II avait petit chapeau Avec redingote grise. Prés de lui je me troublai, II me dit: Bonjour, ma chère, Bonjour, ma chère. — II vous a parlé, grand'mère! — II vous a parlé! L'an d'après moi, pauvre femme, A Paris étant un jour, 72 Je le vis avec sa cour: II se rendait a Notre-Dame. Tous les cceurs étaient contents; On admirait son cortège, Chacun disait: Quel beau temps! Le ciel toujours le protégé. Son sourire était bien doux, D'un fils Dieu le rendait père, Le rendait père. — Quel beau jour pour vous, grand'mère! — Quel beau jour pour vous! Mais, quand la pauvre Champagne Fut en proie aux étrangers, Lui, bravant tous les dangers, Semblait seul tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends frapper a la porte; J'ouvre, bon Dieu, c'était lui Suivi d'une faible escorte. II s'asseoit oü me voila, S'écriant: Oh! quelle guerre! Oh! quelle guerre! — II s'est assis la, grand'mère! — II s est assis la! J'ai faim, dit-il; et bien vite Je sers piquette et pain bis; Puis il sèche ses habits, Même a dormir le feu 1'invite. Au réveil, voyant mes pleurs, II me dit: Bonne espérance! Je cours de tous ses malheurs, Sous Paris, venger la France. II part; et comme un trésor J'ai depuis gardé son verre, Gardé son verre. — Vous 1'avez encore, grand'mère! — Vous 1'avez encore! 73 Le voici. Mais a sa perte Le héros fut entrainé. Lui qu'un pape a couronné, Est mort dans une ile déserte. Longtemps aucun ne 1'a cru; On disait: II va paraitre. Par mer il est accouru; L'étranger va voir son maitre. Quand d'erreur on nous tira, Ma douleur fut bien amère! Fut bien amère! — Dieu vous bénira, grand'mère; — Dieu vous bénira. Jean Pierre de Béranger. 61. LA CHANSON DU ROUET. O mon cher rouet, ma blanche bobine, Je vous aime mieux que l or et 1'argent! Vous me donnez tout: lait, beurre et farine, Et le gai logis, et le vêtement. Je vous aime mieux que l'or et 1'argent, O mon cher rouet, ma blanche bobine! O mon cher rouet, ma blanche bobine, Vous chantez dès 1'aube avec les oiseaux, Eté comme hiver, chanvre ou laine fine, Par vous, jusqu'au soir, charge les fuseaux. Vous chantez dès 1'aube avec les oiseaux, O mon cher rouet, ma blanche bobine! O mon cher rouet, ma blanche bobine, Vous me filerez mon suaire étroit, Quand, prés de mourir, et courbant 1'échine, Je ferai mon lit éternel et froid. Vous me filez mon suaire étroit, O mon cher rouet, ma blanche bobine. Leconte de Lisle. 74 62. LA LECON DE LECTURE. „Monsieur Jean, vous lirez 1'alphabet aujourd'hui." J'entends encore ce mot qui faisait mon ennui. J'avais six ans. J'aimais les beaux livres d'images; Mais suivre ces longs traits qui noircissent des pages, Ce n'était point ma joie, et je ne voulais pas. Pourtant, quand je voyais un peu d'écrit au bas Des villes, des bateaux, des ciels aux blanches nues, J'étais impatient des lettres mal connues, Qui m'auraient dit le noro des choses et des lieux. Savoir est amusant, apprendre est ennuyeux: J'aurais voulu savoir et ne jamais apprendre! Et lorsqu'on me parlait d'alphabet, sans attendre Qu'on eut trouvé le livre effrayant, j'étais loin! Oü? qui le sait! L'enclos a plus d'un coin. Un jour, on me trouva dans un figuier perché; Un autre jour, prenant au bon moment la porte, J'entrai dans les grands blés du champ voisin, en sorte Que j 'entendis ces mots derrière notre mur: „II n'a pas pu sortir!" — „En êtes-vous bien sur?" — „Certes! le portail sonne et la muraille coupe." Et grand-père ajoutait: „Je 1'attends a la soupe!" Comme 1'oiseau privé fuit, mais retourne au grain, II fallait revenir, le soir, d'un ton chagrin Dire a mon grand-papa: „Demain, je serai sage!" Un jour: „Monsieur 1'oiseau, je vais vous mettre en cage," Dit le bon vieux, sévère, „et vous n'en sortirez Qu'après avoir bien lu" — „Mais mon grand-père" Entrezl" J'étais pris par le bras comme un oiseau par 1'aile; Nous poules, dans l'enclos, piquaient 1'herbe nouvelle: Leur cabane était vide; on m'y fit entrer seul, Et le livre s'ouvrit dans les mains de 1'aïeul! Et que de fois les gens qui venaient en visite Me virent a travers la barrière maudite, Et tous riaient, disant: „Ah, le petit vaurien!" Ou: „Le joli pinson! et comme il chante bien!" C'est qu'appuyant mon front aux losanges des grilles II fallait tout nommer, lettres, accents, cédilles, Sans faute, et la prison me fut bonne, en effet, Car pour vite en sortir, que n'aurais-je pas fait? Jean Aicard. 75 63. UN HOMME A LA MER. Sous la nuit sombre et sans étoiles, Par grosse mer et loin du port, On a cargué les hautes voiles, II vente de plus en plus fort. Sous le flot qui déferle et gronde, Ils se hatent, les francs gabiers, La cloche appelant tout le monde Pour le bas ris dans les huniers. De 1'arrière au mat de misaine, Hatons-nous! le vent n'attend pas; Ainsi le veut le capitaine Du grand trois-mats. L'équipage dans la mature Sur tous les points s'est élancé, Et sur la vergue a 1'empointure Le plus leste s'est avancé.... Quand tout a coup un cri sauvage Sonna plaintif et sans espoir, Et dans les lueurs du sillage Un matelot passa tout noir. De 1'arrière au mat de misaine, Hatons-nous! le vent n'attend pas; Ainsi le veut le capitaine Du grand trois-mats. Le capitaine a dit: „Silence! Sauvons d'abord le grand trois-mats; Quand le danger pour tous commence, Non, pour un seul je n'attends pas.... Que la vague lui soit légère! Et si nous revoyons le port, Nous dirons a sa vieille mère, Nous lui dirons.... qu'il ventait fort." 76 Du grand mat au mat de misaine, Hatons-nous! le vent n'attend pas; Ainsi le veut le capitaine Du grand trois-mats. Gustave Mathieu. 64. LES HIRONDELLES. Captif au rivage du Maure, Un guerrier courbé sous ses fers, Disait: Je vous revois encore, Oiseaux ennemis des hivers. Hirondelles, que 1'espérance Suit jusqu'en ces brülants climats, Sans doute vous quittez la France: De mon pays ne me parlez-vous pas? Depuis trois ans je vous conjure De m'apporter un souvenir Du vallon oü ma vie obscure Se bercait d'un doux avenir. Au détour d'une eau qui chemine A flots purs, sous de frais lilas, Vous avez vu notre chaumine: De ce vallon ne me parlez-vous pas? L'une de vous peut-être est née Au toit oü j'ai recu le jour; La, d'une mère infortunée Vous avez dü plaindre 1'amour. Mourante, elle croit a toute heure Entendre le bruit de mes pas; Elle écoute, et puis elle pleure. De son amour ne me parlez-vous pas? 77 Ma soeur est-elle mariée? Avez-vous vu de nos garcons La foule, aux noces conviée, La célébrer dans leurs chansons? Et ces compagnons du jeune age Qui m'ont suivi dans les combats, Ont-ils revu tous le village? De tant d'amis ne me parlez-vous pas? Sur leur corps 1'étranger, peut-être, Du vallon reprend le chemin; Sous mon chaume il commande en maitre; De ma sceur il trouble 1'hymen. Pour moi plus de mère qui prie, Et partout des fers ici-bas. Hirondelles de ma patrie, De ses malheurs ne me parlez-vous pas? Jean Pierre de Béranger. 65. LE SOIR, AU COIN DU FEU. Le soir, au coin du feu, j'ai pensé bien des fois A la mort d'un oiseau, quelque part, dans les bois. Pendant les tristes jours de 1'hiver monotone, Les pauvres nids déserts, les nids qu'on abandonne, Se balancent au vent sur un ciel gris de fer. Oh! comme les oiseaux doivent mourir 1'hiver! Pourtant, lorsque viendra le temps des violettes, Nous ne trouvons pas leurs délicats squelettes Dans le gazon d'avril, oü nous irons courir. Est-ce que les oiseaux se cachent pour mourir? Frangois Coppée. 78 66. UNE LÉGENDE. En ce temps-la, Jésus, seul avec Pierre, errait Sur la rive du lac, prés de Génésareth, A 1'heure oü le brülant soleil de midi plane, Quand ils virent, devant une pauvre cabane, La veuve d'un pêcheur, en longs voiles de deuil, Qui s'était tristement assise sur le seuil, Retenant dans ses yeux la larme qui les mouille, Pour bercer son enfant et filer sa quenouille, Non loin d'elle, cachés par des figuiers touffus, Le maitre et son ami voyaient, sans être vus. Soudain, un de ces vieux dont le tombeau s'apprête, Un mendiant, portant un vase sur sa tête, Vint a passer et dit a celle qui filait: „Femme, je dois porter ce vase plein de lait Chez un homme logé dans le prochain village. Mais, tu le vois, je suis faible et brisé par 1'age. Les maisons sont encore a plus de mille pas, Et je sens bien que, seul, je n'accomplirai pas Ce travail, que 1'on doit me payer une obole." La femme se leva sans dire une parole, Laissa, sans hésiter, sa quenouille de lin, Et le berceau d'osier oü pleurait 1'orphelin, Prit le vase, et s'en fut avec le misérable. Et Pierre dit: „II faut se montrer secourable, Maitre, mais cette femme a bien peu de raison D'abandonner ainsi son fils et sa maison, Pour le premier venu qui s'en va sur la route. A ce vieux mendiant, non loin d'ici, sans doute, Quelque passant eut pris son vase et 1'eüt porté." Mais Jésus répondit a Pierre: „En vérité, Quand un pauvre a pitié d'un plus pauvre, mon Père Veille sur sa demeure et veut qu elle prospère. Cette femme a bien fait de partir sans surseoir." 79 Quand il eut dit ces mots, le Seigneur vint s'asseoir Sur le vieux banc de bois, devant la pauvre hutte; De ses divines mains, pendant une minute, II fila la quenouille et berca le petit; Puis, se levant, il fit signe a Pierre, et partit. Et quand elle revint a son logis, la veuve, A qui de sa bonté Dieu donnait cette preuve, Trouva — sans deviner jamais par quel ami — Sa quenouille filée et son fils endormi. Franfois Coppée. 67. LETURCO. C'était un enfant, dix-sept ans a peine, De beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus. De joie et d'amour sa vie était pleine, II ne connaissait le mal ni la haine; Bien aimé de tous, et partout heureux. C'était un enfant, dix-sept ans a peine, De beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus. Et l'enfant avait embrassé sa mère, Et la mère avait béni son enfant. L'écolier quittait les héros d'Homère; Car on connaissait la défaite amère, Et que i'ennemi marchait triomphant. Et l'enfant avait embrassé sa mère, Et la mère avait béni son enfant. Elle prit au front son voile de veuve, Et 1'accompagna jusqu'au régiment. L'enfant rayonnait sous sa veste neuve; L'instant de 1'adieu fut 1'instant de 1'épreuve: „Courage, mon fils!" — „Courage, maman!' Elle prit au front son voile de veuve, Et 1'accompagna jusqu'au régiment. 80 Mais lorsque 1'armee eut gravi la pente: „Mon Dieu!" disait-elle, „ils m'ont pris mon cceur. Tant qu'il est parti, mon ame est absente." Et l'enfant pensait: „Ma mère est vaillante, Et je suis son fils, et je n'ai pas peur." Mais lorsque 1'armée eut gravi la pente: „Mon Dieu!" disait-elle, „ils m'ont pris mon coeur. Le petit Turco se battait en brave: Mais quand vint 1'hiver, il toussait bien fort. Et le médecin, voyant son ceil cave, Lui disait: „Partez, mon enfant, c'est grave!" L'enfant répondait: „Non, non, pas encor!" |Ig^ Le petit Turco se battait en brave: Mais quand vint 1'hiver, il toussait bien fort. „Non, je ne veux pas quitter notre armée „Tant que les Prussiens sont dans mon pays. „Je veux jusqu'au bout chasser ces bandits; „Je veux pouvoir dire a ma mère aimée: „Si je te reviens, c'est qu'ils sont partis. „Non, je ne veux pas quitter notre armée „Tant que les Prussiens sont dans mon pays." Pendant quelques jours, le sort nous fit fête, Et les Allemands fuyaient devant nous. Mais ils s'étaient fait un camp de retraite; Devant ces fossés leur fuite s'arrête, Et tous ces renards rentrent dans leurs trous. Pendant quelques jours, le sort nous fit fête, Et les Allemands fuyaient devant nous. Les remparts sont hauts, la plaine est immense. Tout ce qui s'approche est bientöt détruit. On fuit, on revient, 1'assaut recommence, Et le régiment des Turcos s'élance, Et le régiment des Turcos périt. . . . Les remparts sont hauts, la plaine est immense. Tout ce qui s'approche est bientöt détruit. .ime. Francais. _ 6 81 L'enfant est tombé, frappé d'une balie, Mais un vieux soldat 1'a pris sur son dos. II ne connait pas la fuite fatale; La mort a dé ja cerné son front pale; Ses yeux sans regards sont a demi clos. L'enfant est tombé, frappé d'une balie, Mais un vieux soldat 1'a pris sur son dos. Et le grand Arabe est la qui le garde, Au bord d'une source, au fond d'un ravin. Au loin le canon mugit et bombarde; Levant doucement sa tête hagarde, Son regard mourant s'anime soudain. Et le grand Arabe est la qui le garde, Au bord d'une source, au fond d'un ravin. „Oü sont les Prussiens? Réponds, réponds vite. „Les avons-nous bien vaincus cette fois? „Sommes-nous en France, et sont-ils en fuite? ' Et l'enfant, voyant que 1'Arabe hésite, Reprit tristement de sa douce voix: „Oü sont les Prussiens? Ah! réponds-moi vite! „Dis, les avons-nous vaincus cette fois?" Et le vieux Turco se prit a lui dire: „Oui, petit Francais, tu les as vaincus. „Alors! je m'en vais, veux-tu me conduire? „O ma chère mère! " Et dans ce sourire L'enfant s'endormit et ne paria plus. Et le vieux Turco ne cessait de dire: „Oui, petit Francais, tu les as vaincus." Paul Déroulède. 82 68. LA FIN DU MONDE. Sur les bancs de 1'école un bruit avait couru; „Demain la fin du mondei" Et moi qui 1'avais cru, Lorsque tinta la cloche, a 1'heure oü de 1'école La troupe des enfants avec des cris s'envole, Je m'en allai muet, triste, vers la maison. „Nous allons tous mourir! on 1'a dit. C'est demain!" Je répétais ces mots tout le long du chemin; J'en tirais clairement toutes les conséquences, Je pensais: „Tous mourir! Et si prés des vacances! En été, quand les blés sont mürs, bons a couper! Vienne donc la moisson, le soir après souper Nous n'irons pas sur 1'aire, oü les pailles sont molles, Courir et nous pousser avec des cabrioles, Et nous asseoir ensuite en écoutant les vieux Quand la lune est tout prés de terre, au bas des cieux!" Puis songeant a 1'école, a 1'air grave du maitre: „Encore si cette fin du monde pouvait être Un jeudi, mais aller a 1'école, en prison, Pour mourir! et peut-être en disant ma lecon!" Ainsi je raisonnais d'une facon profonde, Et je rêvai la nuit de cette fin du monde! „Si grand-père voulait, me dis-je a mon réveil, II ne m'enverrait pas en classe, un jour pareil! Si j'osais lui parler du malheur qui s'approche!" Pourquoi n'osai-je pas, quand d'un ton de reproche II vint me dire: „Jean, que fait-on ce matin? Travaille, si tu veux qu'on te mette au latin! A 1'école!" — II fallut partir, coüte que coüte; Je partis, mais le cceur me défaillit en route. „Je veux mourir ici: je n'irai pas plus loin!" C'est pourquoi je m'assis dans un grand tas de foin, Oü je fondis en pleurs!.. „Plus de jeux dans les herbes, Plus de rires le soir sur les meules de gerbes! Adieu le ciel, l'enclos, mon grand-père et mon chien!".. Quand tout a coup 1'aïeul apparaissant: „Eh bien, 83 Que fait-on la?" J'entends sa voix douce et qui gronde; (iOh! lui dis-je pleurant, j'attends la fin du monde! Et comme il souriait d'un grand air de raison J'ajoutai: „J'ai voulu mourir a la maison!" Jean Aicard. 69. LE GRAND-PÈRE ET SA PETITE-FILLE. Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir, Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir, J'allai voir la proscrite en pleine forfaiture, Et lui glissai dans 1'ombre un pot de confiture Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité, Repose le salut de la société, S'indignèrent, et Jeanne, a dit d'une voix douce: Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce; Je ne me ferai plus griffer par le minet. Mais on s'est écrié: Cette enfant vous connait; Elle sait a quel point vous êtes faible et lache. Elle vous voit toujours rire quand on se fache. Pas de gouvernement possible. A chaque instant L'ordre est troublé par vous; le pouvoir se détend; Plus de régie. L'enfant n'a plus rien qui 1'arrête. Vous démolissez tout. — Et j'ai baissé la tête, Et j'ai dit: — Je n'ai rien a répondre a cela, J'ai tort. Oui, c'est avec ces indulgences-la Qu'on a toujours conduit les peuples a leur perte, Qu'on me mette au pain sec. — Vous le méritez certe. On vous y mettra — Jeanne alors, dans son coin noir, M'a dit tout bas, levant ses yeux si beaux a voir, Pleins dé 1'autorité des douces créatures: Eh bien, moi, je t'irai porter des confitures. Victor Hugo. 84 70. CE QUE C'EST. La guerre, mon ami, je peux bien te le. dire Ca n'est pas si terrible en somme que 1'on croit. Jette-moi ces journaux bavards qu'on te fait lire Qui n'a rien vu, doit rester coi. Ils tont mis sous les yeux d'effroyables images? Je m'en doutais. Du sang? de la neige? Parbleu! Et puis la „morne Plaine?" Ah? c'est du bel ouvrage Faut-il être béte, mon Dieu! Ecoute; moi je parle en connaissant la cause Car il me semble un peu, la guerre qu'„on" la fait! Eh! bien, c'est bien moins rouge et c'est un peu plus rose.. La guerre.... ecoute ce que c'est. Matin. Réveil. „Oh! oh! c'est blanc partout! „Le givre (Je suppose qu'il a gelé pendant la nuit) Eh bien! mais c'est charmant, sur un ciel de vieux cuivre Ce jeune argent qui craque et luit! Les hommes, un par un, sortent de leurs tanières, „Comment va?" — „Hé! Frisco!" — „Bien dormi?" — T, . , „ , [„Bien dormi!" J ai rêvé Lun vient d'Agen; 1'autre d'Asnières, L'autre A propos, et 1'ennemi? "L'ennemi? Tiens, c'est vrai, que le diable 1'emporte. Mais, mon Dieu, le voila! Regardez!" En effet Ca vient, 9a fume Et qui fumerait de la sorte? Le voila? C'est lui! le Café! Le soleil monte. On voit revenir le village: L'affüt d'hier, le bois que le soir avait pris Et le ruisseau prudent qui cache son visage „Vraiment c'est un joli pays " Voici, voici venir le courrier des families; A qui donc ce bonheur va-t-il être octroyé 85 De pouvoir a cöté de sa femme et ses filles Un instant s'asseoir au foyer? Et dans le bon terriër, dortoir et réfectoire Qui nargue la sifflante et se rit de 1'éclat L'on rentre, et 1'on attend la prochaine victoire En grignotant du chocolat. Le soir vient. De plus prés on songe a 1'adorée; On rêvasse; on répond aux „petits mots" recus, Puis on s'endort enfin dans la paille dorée Ainsi que le petit Jésus. Voila, mon cher ami, ce que c'est que la Guerre; Qui t'en parle autrement par la gorge a menti! La vérité, vois-tu, c'est qu'on n'y souffre guère Que de 1'absence, mon petit. La Guerre, c'est tout 9a. Le reste est prétentaille Cependant, tout a 1'heure, ils ont tous remarqué Que je ne t'avais pouit parlé de la Bataüle: C'est la place qui m'a manqué. Louis Gendreau. 71. DEPUIS. Ma mère avait sa chambre a cöté de la mienne. Le matin, j'entendais qu'on ouvrait sa persienne, Et de mon lit, les yeux éveillés a demi, Je lui criais: „Bonjour, mère! as-tu bien dormi?"^ Et rien que sa réponse: „Et toi?" m'emplissait d'aise Car nous avions subi plus d'une heure mauvaise Et mon père et mon frère et les deux beaux petits, Et d'autres, tant des miens étaient dé ja partis, Et j'avais tellement peur de la voir les suivre Que tout mon cceur sautait a la rentendre vivre Et qu'après tant de chers êtres perdus j'avais 86 Comme 1'impression que je la retrouvais! Quand jerentraistroptard pour quelleeütpum'attendre, Et quelle était couchée et dormait, quel soin tendre Je prenais de ne pas la réveiller, marchant Sur la pointe du pied et vite me couchant Après avoir fermé doucement ma croisée, Pour que le lendemain la trouvat reposéeJ Ah! maintenant je peux marcher d'un pas pesant, Sans troubler son sommeil! Dans son lit d'a présent, Quelque bruit qui se fasse, on dort sa nuit entière. Je me suis assuré ma place au cimetière Tout contre celle oü nous 1'avons couchée, afin De sentir la tout prés la mère au cceur divin Que vivante j'aimais et que mor te j'adore; Et, comme si cela nous rapprochait encore, Je veux qu'a son tombeau le mien soit ressemblant. Ainsi mourir n'aura pour moi rien de troublant, Et ce sera reprendre une habitude ancienne Que de ravoir ma chambre a cöté de la sienne. Auguste Vacquerie. 72. L'UN OU L'AUTRE. Le nouveau condamné, sans même avoir frémi, Se levait, embrassait a la hate un ami Et répondait: „Présent!" a 1'appel sanguinaire. Mourir était alors une chose ordinaire; Et tous, les gens du peuple et les gens comme il faut, Du même pas tranquille allaient a 1'échafaud. Le Girondin mourait comme le royaliste. Or, un jour de ces temps affreux, 1'homme a la liste, En faisant son appel dans le troupeau parqué, Venait prononcer ce nom: „Charles Leguay!"'' Quand, parlant a la fois, deux voix lui répondirent, Et du rang des captifs deux victimes sortirent. 87 L"home éclate de rire en disant: j . .. „J'ai le choix.' L'un des deux prisonniers était un vieux bourgeois, Débris de quelque ancien parlement de province, En poudre et qui gardait, sous son habit trop mince, L'air digne et froid qu'avaient les députés du tiers; L'autre, un jeune officier, au front calme, aux yeux fiers. Trés beau sous les haillons de son vieil uniforme. L'homme a la liste, ayant poussé son rire énorme, ^ Reprit: „Vous avez donc tous deux le même nom?" „Nous sommes prêts tous deux," dit le vieillard. — „Non, non," Dit le greffier, „il faut s'expliquer, quand je parle!" Tous les deux se nommaient Leguay; tous les deux Charles, Tous les deux, de la veille ils étaient condamnés. Alors l'autre, roulant ses gros yeux avinés: „Du diable, si je sais qui des deux je préfère! Img&t Citoyens, arrangez entre vous cette affaire, ^ Mais sans perdre de temps; car Samson n'attend pas." Le jeune vint au vieux et lui paria tout bas; L'héroïque marché fut trés court a débattre: „Marié, n'est-ce pas?" — „Oui." — „Combien d'enfants?" [— „Quatre." Le greffier répétait en riant: „Dépêchons!" „C'est moi qui dois mourir," dit 1'officier. „Marchons!" Frangois Coppée. 73. LA MÈRE ET L'ENFANT. J'avais plus d'une fois fait 1'aumöne, le soir, A certaine pauvresse errant sur un trottoir, Maigre, déguenillée et pressant dans ses bras Un pauvre corps d'enfant que 1'on ne voyait pas: Cher fardeau, qu'un haillon emmaillote et protégé, Et qui dormait en paix, sous la pluie et la neige. Un soir, je vis la femme a vingt pas devant moi; 88 Elle précipitait sa course avec effroi: On la suivait. Un homme, un agent 1'interpelle, Et traversant la rue, il marche droit sur elle; II la saisit, du geste écarté brusquement Le chale oü reposait le pauvre être dormant, Prend le bras qui résiste et l'enfant tombe a terre! L enfant, non: pas un cri ne sortit de la mère. Quelques haillons, noués d'un mauvais fichu blanc, Jusqu'au bord du ruisseau vont en se déroulant; Et comme j'approchais, l'homme au cruel office De 1'informe paquet me fit voir 1'artifice. Un éblouissement me passa sur les yeux; J aurais voulu douter du spectacle odieux; Et, bienqu'on m'eüt déja conté ce stratagème, J'éprouvais un dégoüt a le toucher moi-même! Ces enfants en dor mis que je rêvais si beaux, N'étaient plus désormais que langes et lambeaux! J'allais m'enfuir,. laissant la misérable aux prises Avec 1'agent, moins tendre a de telles surprises, Quand j 'entendis, tremblante et brisée, une voix Qui m'implorait: „Monsieur! c'est la première fois! Si vous voulez me croire, et venir, et me suivre, Vous verrez l'autre: il vit! car le petit veut vivre! C'est lui qu' hier je port ais; mais ce soir II fait si froid! l'enfant est si chétif a voir; Et, quand il tousse, on est si navré de 1'entendre, Que je n'ai pas voulu, pour cette fois, le prendre, Car c'était le tuer, — vous comprenez cela? Et c'est pourquoi j'ai fait bien vite. . . . celui-la! Qu'on ne m'arrête point! vous êtes charitable: Venez, et vous verrez l'enfant, — le véritable." Et la femme aux haillons devant moi sanglotait; Et j'ai cru, comme vous, ce qu'elle racontait. Eugène Manuel. 89 74. LE ROI DE THULÉ. II était un roi de Thulé A qui son amante fidéle Légua, comme souvenir d'elle, Une coupe d'or ciselé. C'était un trésor plein de charmes Oü son amour se conservait: A chaque fois qu'il buvait Ses yeux se remplissaient de larmes. Voyant ses derniers jours venir, II divisa son héritage, Mais il excepta du partage La coupe, son cher souvenir. II fit a la table royale Asseoir les barons dans sa tour: Debout, et rangée a 1'entour, Brillait sa noblesse loyale. Sous le balcon grondait la mer. Le vieux roi se léve en silence. II boit, frissonne, et sa main lance La coupe d'or au flot amer. II la vit tourner dans l'eau noire, La vague en tournant fit un pli; Le roi pencha son front pali.... Jamais on ne le vit plus boire. Gérard de Nerval. 90 75. LE MARQUIS DE CARABAS. (Novembrc 1816). Voyez ce vieux marquis Nous traiter en peupie conquis; Son coursier décharné De loin chez nous 1'a ramené. Vers son vieux castel Ce noble mortel Marche en brandissant Un sabre innocent. Chapeau bas! chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Aumöniers, chatelains, Vassaux, vavassaux et vilains, C'est moi, dit-il, c'est moi Qui seul ai rétabli mon roi. Mais s'il ne me rend Les droits de mon rang, Avec moi, corbleu! II ver ra beau jeu. Chapeau bas! chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Pour me calomnier, Bien qu'on ait parlé d'un meunier, Ma familie eut pour chef Un des fils de Pépin-le-Bref. D'après mon blason Je crois ma maison Plus noble ma foi, Que celle du roi. Chapeau bas! chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Qui me résisterait? La marquise a le tabouret. Pour être évêque un jour 91 Mon dernier fils suivra la cour. Mon fils le baron, Quoique un peu poltron, Veut avoir des croix; II en aura trois. Chapeau bas! chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Vivons donc en repos, Mais 1'on m'ose parler d'impöts! A 1'Etat pour son bien, Un gentilhomme ne doit rien. Grace a mes créneaux, A mes arsenaux, Je suis au préfet Dire un peu son fait. Chapeau bas! chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Curé, fais ton devoir: Remplis pour moi ton encensoir. Vous, pages et variets, Guerre aux vilains, et rossez-les! Que de mes aïeux Ces droits glorieux Passent tout entiers A mes héritiers. Chapeau bas! chapeau bas! Gloire au marquis de Carabas! Jean Pierre de Béranger. 76. LES DEUX ILES. II est deux iles dont un monde Sépare les deux océans, Et qui de loin dominent 1'onde, Comme des têtes de géants. On devine, en voyant leurs cimes, 92 Que Dieu les tira des abimes Pour un formidable dessein: Leur front de coups de foudre fume, Sur leurs flancs nus la mer écume, Des volcans grondent dans leur sein. Ces iles oü le flot se broie Entre des écueils décharnés, Sont comme deux vaisseaux de proie, D'une ancre éternelle enchainés. La main qui de ces noirs rivages Disposa les sites sauvages, Et d'effroi les voulut couvrir, Les fit si terribles peut-être, Pour que Bonaparte y put naitre, Et Napoléon y mourir. — „La fut son berceau! — La sa tombe!" — Pour les siècles c'en est assez. Ces mots, qu'un monde naisse ou tombe, Ne seront jamais effacés. Sur ces iles, a 1'aspect sombre, Viendront a 1'appel de son ombre, Tous les peuples de 1'avenir; Les foudres qui frappent leurs crêtes, Et leurs écueils, et leurs tempêtes, Ne sont plus que son souvenir! Loin de nos rives, ébranlées Par les orages de son sort, Sur ces deux iles isolées Dieu mit sa naissance et sa mort; Afin qu'il put venir au monde Sans qu'une secousse profonde Annoncat son premier moment; Et que sur son lit militaire, Enfin, sans remuer la terre, II put expirer doucement. Victor Hugo. 93 77. LA MARSEILLAISE. (Hymne National). Allons, enfants de la patrie Le jour de gloire est arrivé; Contre nous de la tyrannie L'étendard sanglant est levé. Entendez-vous dans les campagnes Mugir les féroces soldats? Ils viennent jusque dans vos bras Egorger vos fils, vos compagnes.... Aux armes, citoyens! formez vos bataillons! Marchons, marchons! Qu'un sang impur abreuve nos sillons! Que veut cette horde d'esclaves, De traitres, de rois conjurés? Pour qui ces ignobles entraves, Ces fers dès longtemps préparés? Francais, pour nous, ah! quel outrage! Quels transports il doit exciter! C'est nous qu'on ose méditer De rendre a 1'antique esclavage! Aux armes, citoyens! etc. Quoi! ces cohortes étrangères Feraient la loi dans nos foyers? Quoi! ces phalanges mercenaires Terrasseraient nos fiers guerriers? Grand Dieu! par des mains enchainées Nos fronts sous le joug se ploieraient! De vils despotes deviendraient Les maitres de nos destinées! Aux armes, citoyens! etc. Tremblez, tyrans, et vous perfides, L'opprobre de tous les partis; Tremblez! vos pro jets parricides 94 Vont enfin recevoir leur prix. Tout est soldat pour vous combattre; S'ils tombent, nos jeunes héros, La terre en produit de nouveaux Contre vous tous prêts a se battre! Aux armes, citoyens! etc. Nous entrerons dans la carrière, Quand nos ainés n'y seront plus; Nous y trouverons leur poussière Et la tracé de leurs vertus! Bien moins jaloux de leur survivre Que de partager leur cercueil, Nous aurons le sublime orgueil De les v eng er ou de les suivre! Aux armes, citoyens! etc. Amour sacré de la Patrie, Conduis, soutiens nos bras vengeurs! Liberté, liberté chérie, Combats avec tes défenseurs! Sous nos drapeaux que la victoire Accoure a tes males accents; Que tes ennemis expirants Voient ton triomphe et notre gloire! Aux armes, citoyens! etc. Rnuóet do T.islo 78. LA CHANTEUSE. La pauvre enfant, le long des pelouses du Bois, Mendiait; elle avait des larmes véritables; Et, d'un air humble et doux, joignant ses petits doigts Elle courait après les ames charitables.. 95 Elle allait aux passants, les suivait pas a pas, Et disait, sans changer un mot, la même histoire, De celles qu'on ecoute et que 1'on ne croit pas: Car notre conscience aurait trop peur d'y croire. Elle voulait un sou, du pain, — rien qu'un morceau! Elle avait, je ne sais dans quelle horrible rue, Des parents sans travail, des frères au berceau, La familie du pauvre, a peine secourue! Puis, qu'on donnat ou non, elle essuyait ses pleurs, Et s'en retournait vite aux gazons pleins de mousses, S'amusait d'un insecte, épluchait quelques fleurs, Des taillis pr in taniers brisait les jeunes pousses, Et chantait! le soleil riait dans sa chanson! C'était quelque lambëau des refrains populaires; Et, pareille au linot, de buisson en buisson, Elle lancait au ciel ses notes les plus claires. Puis, bientót s'éveillant, prise d un souvenir, Elle accostait encor les passants, triste et lente; Son visage a 1'instant savait se rembrunir, Et sa voix se trainait et larmoyait dolente! Mais, quand elle arriva vers moi, tendant la main, Avec ses yeux mouillés et son air de détresse: „Non" lui dis-je. „Va-t'en! et passé ton chemin! Je te suivais: il faut, pour tromper, plus d'adresse. „Tes parents t'ont montré cette douleur qui ment. Tu pleures maintenant: tu chantais tout a 1'heure!" L'enfant leva les yeux et me dit simplement: „C'est pour moi que je chante, et pour eux que je pleure." Eugène Manuel. 96 79. LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE. Un mal qui répand la terreur, Mal que le ciel en sa fureur Inventa pour punir les crimes de la terre, La peste (puisqu'il faut 1'appeler par son nom), Capable d'enrichir en un jour 1'Achéron, Faisait aux animaux la guerre. Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés: On n'en voyait point d'occupés A chercher le soutien d'une mourante vie; — Nul mets n'excitait leur envie; Ni loups ni renards n'épiaient La douce et 1'innocente proie; Les tourterelles se fuyaient; ; «fst^ Plus d'amour, partant plus de joie. Le lion tint conseil et dit: „Mes chers amis, Je crois que le Ciel a permis Pour nos péchés cette infortune. Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux: Peut-être il obtiendra la guérison commune. L'histoire nous apprend qu'en de tels accidents On fait de pareils dévouements. Ne nous flattons donc point; voyons sans indulgence L état de notre conscience. Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons, J'ai dévoré force moutons. Que m'avaient-ils fait? nulle offense; Même il mest arrivé quelquefois de manger Le berger. Je me dévouerai donc, s'il le faut; mais je pense Qu'il est bon que chacun s'accuse ainsi que moi: Car on doit souhaiter, selon toute justice, Que le plus coupable périsse." — ..Sire," dit le renard, „vous êtes trop bon roi; Vos scrupules font voir trop de délicatesse. Poèmes Francais. — 7 97 Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espècè, Est-ce un pêché? Non, non! Vous leur fites, seigneur, En les croquant, beaucoup d'honneur; Et quant au berger, 1'on peut dire Qu'il était digne de tous maux, Etant de ces gens-la qui sur les animaux Se font un chimérique empire." Ainsi dit le renard, et flatteurs d'applaudir! On n'osa trop approfondir Du tigre, ni de 1'ours, ni des autres puissances, Les moins pardonnables offenses: Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples matins, Au dire de chacun étaient de petits saints. L'ane vint a son tour, et dit: „J'ai souvenance Qu'en un pré de moines passant, La faim, 1'occasion, 1'herbe tendre et, je pense, Quelque diable aussi me poussant, Je tondis de ce pré la largeur de ma langue. Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net." A ces mots on cria haro sur le baudet. Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'oü venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger 1'herbe d'autrui! quel crime abominable! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait: on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. La Fontaine. 80. LE VASE BRISÉ. Le vase oü meurt cette verveine D'un coup d'éventail fut fêlé; Le coup dut 1'effleurer a peine, Aucun bruit ne 1'a révélé. 98 Mais la légere meurfrissure, Mordant le cristal chaque jour, D'une marche invisible et süre En a fait lentement le tour. Son eau fraiche a fui goutte a goutte, Le suc des fleurs s'est épuisé; Personne encore ne s'en doute: N'y touchez pas, il est brisé. Souvent aussi la main qu'on aime, Effleurant le cceur, le meurtrit; Puis le cceur se f end de lui-même, La fleur de son amour périt. Toujours intact aux yeux du monde, II sent croitre et pleurer tout bas Sa blessure fine et profonde; II est brisé, n'y touchez pas. Sully Prud'homme. 81. ADIEUX DE MARIE STUART. Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! te quitter c'est mourir. Toi que j'adoptai pour patrie, Et d'oü je crois me voir bannir, Entends les adieux de Marie, France, et garde son souvenir. Le vent soufflé, on quitte la plage, Et peu touché de mes sanglots, Dieu, pour me rendre a ton rivage, Dieu n'a point soulevé les flots! Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! 99 Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! te quitter c'est mourir. Lorsqu'aux yeux du peuple que j'aime Je ceignis les lis éclatants, II applaudit au rang suprème Moins qu'aux charmes de mon printemps; En vain la grandeur souveraine M'attend chez le sombre Ecossais: Je n'ai désiré d'être reine Que pour régner sur des Francais. Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! te quitter c'est mourir. L'amour, la gloire, le génie, Ont trop enivré mes beaux jours, Dans 1'inculte Calédonie De mon sort va changer le cours. Hélas! un présage terrible, Doit livrer mon cceur a 1'effroi! J'ai cru voir, dans un songe horrible, Un échafaud dressé pour moi. Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! te quitter c'est mourir. France, du milieu des alarmes, La noble fille des Stuarts, Comme en ce jour qui voit ses larmes, Vers toi tournera ses regards. Mais, Dieu! le vaisseau trop rapide Dé ja vogue sous d'autres cieux; Et la nuit, dans son voile humide, Dérobe tes bords a mes yeux! 100 Adieu, charmant pays de France, Que je dois tant chérir! Berceau de mon heureuse enfance, Adieu! te quitter c'est mourir. Jean Pierre de Béranger. 82. PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS. Tandis qu'a leurs ceuvres perverses Les hommes courent haletants, Mars qui rit, malgré les averses, Prépare en secret le printemps. Pour les petites paquerettes, Sournoisement lorsque tout dort, II repasse des collerettes Et cisèle des boutons d'or. Dans le verger et dans la vigne, II s'en va, furtif perruquier, Avec une houppe de cygne, Poudrer a frimas 1'amandier. La nature au lit se repose; Lui, descend au jardin désert Et lace les boutons de rose Dans leur corset de velours vert. Tout en composant des solfèges, Qu'aux merles il siffle a mi-voix, II sème aux prés les perce-neiges Et les violettes au bois. Sur le crésson de la fontaine Oü le cerf boit, 1'oreille au guet, De sa main cachée il égrène Les grelots dargent du muguet. 101 Sous 1'herbe, pourque tu la cueilles, II met la fraise au teint vermeil, Et te tresse un chapeau de feuilles Pour te garantir du soleil. Puis, lorsque sa besogne est faite, Et que son règne va finir, Au seuil d'avril tournant la tête, II dit: „Printemps, tu peux venir!" Théophiïe Gautier. 83. LE PETIT MITRON. C'était un pauv' petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. Quand il pétrissait la farine, II était blanc comme de 1'hermine. Tout' la journée il travaillait, Et la nuit, quand il sommeillait, C'était sur un sac, sur la dure: L' patron n' fournit pas d' couverture. C'était un pauv' petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. Un soir d'hiver, par les grands froids, Fallut porter 1'gateau des Rois Tout fumant, bien rose et bien tendre, Chez des rich's qu'aimaient pas attendre. L' patron lui dit: „Tu soup'ras demain. Si t'as froid, soufflé dans ta main; Si t'as soif, y a de la neige a boire; Puis, t'auras p'têt' deux sous d'pourboire." 102 Cétait un pauv' petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. II marcha longtemps. A la fin, Transi de froid et mourant d'faim, Comme un criminel qu'on pourchasse, II s'blottit au fond d'une impasse. II allait mordre au grand gateau, II sentit sa gorge a 1'étau Un' voix criait: „Mieux vaut la tombe!" Tombe la neige, tombe, tombe! C'était un pauv' petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. II se r'mit en marche, tout seul, Enveloppé d'un blanc linceul. C était comme un manteau d' froidure Qui lui v'nait jusqu'a la ceinture. Quand il marchait, ses jambes tremblaient; Quand il pleurait, ses larmes g'laient. Tout a coup, pris par 1'avalanche, II tomba raid' sur la neig' blanche. C'était un pauv' petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. II s'endormit prés du gateau Et rêva qu'en un blanc chateau Trois rois aux simarres étranges, Le petit Jésus et les anges, Vêtus de neige et de satin, L'invitaient a leur blanc festin. Les mets étaient de blanche neige, De blanche neige de Norvège. C'était un pauv' petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. 103 Au point du jour, un chiffonnier, Quêtant pour emplir son panier, Vit dans la neige un' guenill' blanche. II marche, il écoute, il se penche: C'était comme un soupir d'enfant; On aurait dit qu' c'était vivant. Queq' chos' s'envola d'un' poitrine: C'était blanc comme un peu de farine. C'était 1'ame du petit mitron, Qui mitronnait des pains d'un rond. Maurice Boukay. 84. LA MORT DE JEANNE D'ARC. Silence au camp! la vierge est prisonnière; Par un injuste arrêt Bredford croit la flétrir: Jeune encore, elle touche a son heure dernière.... Silence au camp! la vierge va périr. A qui réserve-t-on ces apprêts meurtriers? Pour qui ces torches qu'on excite? L'airain sacré tremble et s'agite.... D'oü vient ce bruit lugubre? oü courent ces guerriers Dont la foule a longs flots roule et se précipite? La joie éclate sur leurs traits! Sans doute 1'honneur les enflamme, Ils vont pour un assaut former leurs rangs épais: Non, ces guerriers sont des Anglais, Qui vont voir mourir une femme. Qu'ils sont nobles dans leurs courroux! Qu'il est beau d'insulter un bras chargé d'entraves! La voyant sans défense, ils s'écriaient, ces braves: „Qu'elle meure; elle a contre nous Des esprits infernaux suscité la magie...." Laches, que lui reprochez-vous? 104 D'un courage inspiré la brülante énergie, L'amour du nom francais, le mépris du danger: Voila sa magie et ses charmes, En faut-il d'autres que des armes Pour combattre, pour vaincre et punir 1'étranger? Du Chris t, avec ar deur, Jeanne baisait 1'image; Ses longs cheveux épars flottaient au gré des vents! Au pied de 1'échafaud, sans changer de visage, Elle s'avancait a pas lents. Tranquille, elle y monta, quand, debout sur le faite Elle vit ce bücher qui 1'allait dévorer, Les bourreaux en suspens, la f lamme dé ja prête, Sentant son cceur faillir, elle baissa la tête, Et se prit a pleurer. Ah! pleure, fille infortunée! Ta jeunesse va se flétrir Dans sa fleur trop tót moissonnée! Adieu, beau ciel, il faut mourir! Tu ne reverras plus tes riantes montagnes, Le temple, le hameau, les champs de Vaucouleurs, Et ta chaumière et tes compagnes, Et ton père expirant sous le poids des douleurs. Chevaliers, parmi vous qui combattra pour elle? N'osez-vous entreprendre une cause si belle? Quoi? vous restez muets! aucun ne sort des rangs! Aucun pour la sauver ne descend dans la lice! Puisqu'un forfait si noir les trouve indifférents, Tonnez, confondez 1'injustice, Cieux, obscurcissez-vous de nuages épais; Eteignez sous leurs flots les feux du sacrifice, Ou guidez au lieu du supphce, A défaut du tonnerre, un chevalier francais. Après quelques instants d'un horrible silence, Tout a coup le feu brille, il s'irrite, il s'élance Le cceur de la guerrière alors s'est ranimé; A travers les vapeurs d'une fumée ardente, 105 Jeanne, encor menacante Montre aux Anglais son bras a demi consumé. Pourquoi reculer d'épouvante, Anglais? son bras est désarmé. La flamme 1'environne et sa voix expirante Murmure encore: „France! ö mon roi bien-aimé!" Ah! qu'une page si funeste De ce règne victorieux, Pour n'en pas obscurcir le reste, S'efface sous les pleurs qui tombent de nos yeux! Qu'un monument s'élève aux lieux de ta naissance, O toi, qui des vainqueurs renversas les projets! La France y portera son deuil et ses regrets, Sa tardive reconnaissance; Elle y viendra gémir sous de jeunes cyprès; Puissent croitre avec eux ta gloire et ta naissance! Que sur 1'airain funèbre on grave des combats, Des étendards anglais fuyant devant tes pas, "L . { Dieu vengeant par tes mains la plus juste des causes. Venez, jeunes beautés; venez, braves soldats: Semez sur son tombeau les lauriers et les roses! Qu'un jour le voyageur, en parcourant ces bois, Cueille un rameau sacré, 1'y dépose et s'écrie: „A celle qui sauva le tróne et la patrie, Et n'obtint qu'un tombeau pour prix de ses exploits." Casimir Delavigne. 85. LE CHIEN DE BERGER. Chien Parpillon, tu fais, en cercles, bien des lieues, Les crocs aux jarrets des troupeaux; Tu lèches ton poil, au repos, De ta langue rapeuse et bleue. 106 Tu forces parfois un lapin A la cour se: il est pour ton maitre. Ton ventre, 6 Parpillon, n'a le droit de connaitre Que de l'eau trouble et du vieux pain. Manger? Est-ce enfin 1'heure? Oui, le berger En sifflant, 1'écuelle de bois. [t'apporte, Elle est pleine. Elle fume. Oh! tes bonds, tes abois! Mangel L'écuelle est sur la porte, Morceaux doublés: quatre a la fois! Tous les lits sont bons a ton somme: Sol cru, foin sec, gazon roussi; Au sillon, a 1'étable aussi, Etendu, roulé, même assis, Partout tu ronfles sans souci; Et dors en rêvant comme un homme. Songes de chasse ou de combat.... O, 1'étrange aboiement de ta gueule endormie! Voix menacante ou voix amie?.... Tu dors. Tu rêves. Sous ce poil rude, un cceur bat.... Parfois, réfléchissant: — „Serais-je moins fidéle „Si j'attrapais, pour la croquer une hirondelle? — „Voici que ma soupe est mangée: „Gardons-en 1'odeur au palais. — „C'est une obsession que j'ai: „Comment de vient-on enragé? La fermière sent le pain frais, La bergère la berger ie, Les lapins la sauge fleurie Et le bücheron la forêt. — „Les noix, les prunes et les pommes „Ne sont bonnes que pour les hommes." „Je me dresse dès qu'il arrivé.... Je sais de vin er son desseins Je pille la caille ou la grive Et je respecte le poussin. 107 J'aspire 1'adorable baume (Garder les moutons, quel ennui!) Qu'un gros lièvre laisse après lui, Quand il a passé sur un chaume." — „L'eau, que ma langue fait plier, Me montre une tête pareille A la mienne, avec mes oreilles, Mes yeux, mon nez et mon collier.... Jusqu'a mes quatre dents pointues Qui se découvrent quand je bois! J'avais peur la première fois, Mais a présent, je m'habitue! — „J'aime tous les pains: blancs ou bis, La poussière et la solitude. — „Quand les gens ont leur beaux habits, Ils sont plus laids qu'a 1'habitude." — „Défense, a 1'église, d'entrer! Pas de chiens, surtout le dimanche, Quand le gros homme noir, curé, A passé sa grand' blouse blanche! De la porte, j'entends pleurer Alleluia, Miserere. „Cet étranger, m'a fait un signe. II n'a point 1'air de se facher. Sa main s'avance, son ceil cligne; Approchons-nous Vais-je approcher? S'il m'allait vouloir attacher? Pourtant cet os qu'il me désigne.... Eh bien, non! Courons nous cacher! Je suis lache, imbécile, indigne, Mais la crainte est la plus maligne: J'ai peur de me laisser toucher! — „Quand je vais boire a cette mare Oü, sous le fouillis des roseaux Coupants comme de longs ciseaux 108 La vieille barque est a 1'amarre, Au soir, quand les portes se ferment Et que les grillons font leur. bruit, Mes frères jusqu'a la mi-nuit, Ils gueulent, vaniteux plaisir, Cambrant leur échine efflanquée, Les bourrades qu'ils ont risquées, Les morceaux qu'ils ont pu saisir Et les puces qu'ils ont croquées." Quand Thomas pousse la barrière, Devant 1'étable, aux soirs d'été, Chien Parpillon, sur son derrière, Regarde la lune monter Gabriel Nigond. 86. LA CHANSON DU VANNIER. Brins cFosier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Brins d'osier, vous serez le lit frêle oü la mère Berce un petit enfant aux sons d'un vieux couplet; L enfant, la lèvre encor toute blanche de lait, S'endort en souriant dans sa couche légère. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Vous serez le panier plein de fraises vermeilles Que les filles s'en vont cueillir dans les taillis. Elles rentrent le soir, rieuses, au logis, Et 1'odeur des fruits mürs s'exhale des corbeilles. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. 109 Vous serez le grand van oü Ia fermière alerte Fait bondir le froment qu'ont battu les fléaux, Tandis qu'a ses cötés des bandes de moineaux Se disputent les grains dont la terre est couverte. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Lorsque s'empourpreront les vignes a 1'automne, Lorsque les vendangeurs descendront des coteaux, Brins d'osier, vous lierez les cercles des tonneaux Oü le vin doux rougit les douves et bouillonne. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Brins d'osier, vous serez la cage oü 1'oiseau chante, Et la nasse perfide au milieu des roseaux, Oü la truite, qui monte et file entre deux eaux, S'enfonce, et tout a coup se débat frémissante. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Et vous serez aussi, brins d'osier, 1'humble claie Oü, quand le vieux vannier tombe et meurt, on 1'étend, Tout prêt pour le cercueil. — Son convoi se répand, Le soir, dans les sentiers oü verdit 1'oseraie. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. André Theuriet. 87. CE QUE DISENT LES HIRONDELLES. Dé ja plus d'une feuille sèche Parsème les gazons jaunis, Soir et matin la brise est fraiche, Hélas! les beaux jours sont finis: 110 La pluie au bassin fait des bulles, Les hirondelles sur le toit Tiennent des conciliabules: Voici 1'hiver, voici le froid! Elles s'assemblent par centaines, Se concertant pour le départ, L'une dit: „Oh! que dans Athènes II fait bon sur le vieux rempart! Tous les ans j'y vais et je niche Aux métopes du Parthénon Mon nid bouche dans la corniche Le trou d'un boulet de canon." L'autre: „J'ai ma petite chambre A Smyrne, au plafond d'un café. Les Hadjis comptent leurs grains d'ambre Sur le seuil, d'un rayon chauffé. J'entre et je sors, accoutumée Aux blondes vapeurs des chibouchs, Et parmi des flots de fumée Je rase turbans et tarbouchs." Celle-ci: „J'habite un triglyphe Au fronton d'un temple, a Balbeck. Je m'y suspends avec ma griffe Sur mes petits au large bec." Celle-la: „Voici mon adresse: Rhodes, palais des chevaliers. Chaque hiver, ma tente s'y dresse Au chapiteau des noirs piliers." La cinquième: „Je ferai halte, Car 1'age m'alourdit un peu, Aux blanches terrasses de Malte, Entre l'eau bleue et le ciel bleu." 111 La sixième: „Qu'on est a 1'aise Au Caire, en haut des minarets! J'empate un ornement de glaise, Et met quartiers d'hiver sont prêts." — „A la seconde cataracte, " Fait la dernière, „j'ai mon nid; J'en ai noté la place exacte, Dans le pschent d'un roi de granit." Toutes: „Demain combien de lieues Auront filé sous notre essaim: Plaines brunes, pies blancs, mers bleues Brodant d'écume leur bassin!" Avec cris et battements d'ailes, Sur la moulure aux bords étroits, Ainsi jasent les hirondelles, Voyant venir la rouille aux bois. Je comprends tout ce qu'elles disent, Car le poète est un oiseau; Mais, captif, ses élans se brisent Contre un invisible réseau! Des ailes! des ailes! des ailes! Comme dans le chant de Rückert, Pour voler la-bas avec elles Au soleil d'or, au printemps vert! Théophile Gautier. 88. UN SONGE. Le laboureur m'a dit en songe: „Fais ton pain, Je ne te nourris plus, gratte la terre et sème." Le tisserand m'a dit: „Fais tes habits toi-même," ^ Et le macon m'a dit: „Prends la truelle en main." 112 Et seul, abandonné de tout le genre humain Dont je trainais partout 1'implacable anathème, Quand j'implorais du ciel une pitié suprème, Je trouvais des lions debout dans mon chemin. J'ouvris les yeux, doutant si 1'aube était réelle: De hardis compagnons sifflaient sur leur échelle, Les métiers bourdonnaient, les champs étaient sémés. Je connus mon bonheur, et qu'au monde oü nous sommes, Nul ne peut se vanter de se passer des hommes; Et depuis ce jour-la je les ai tous aimés. Sully Prud'homme. 89. LES ELFES. Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elf es joyeux dansent sur la plaine. Du sentier des bois aux daims familier, Sur un noir cheval sort un chevalier. Son éperon d'or brille en la nuit brune; Et, quand il traverse un rayon de lune, On voit resplendir, d'un reflet changeant, Sur sa chevelure un casque d argent. Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine. Ils 1'entourent tous d'un essaim léger Qui dans 1'air muet semble voltiger. — „Hardi chevalier, par la nuit sereine, Oü vas-tu si tard?" dit la jeune Reine, „De mauvais esprits hantent les forêts; Viens danser plutöt sur les gazons frais.' Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine. Poèmes Francais. — 8 113 — „Non! ma fiancée aux yeux clairs et doux M'attend et demain nous serons époux. Laissez-moi passer, Elfes des prairies; Qui foulez en rond les mousses fleuries; Ne m'attardez pas loin de mon amour, Car voici déja les lueurs du jour." Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine. — „Reste, chevalier. Je te donnerai L'opale magique et 1'anneau doré, Et ce qui vaut mieux que gloire et fortune, Ma robe filée au clair de la lune." — „Non!" dit-il — „Va donc!" Et de son doigt blanc Elle touche au cceur le guerrier tremblant. Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur la plaine. Et sous 1'éperon le noir cheval part, II court, il bondit et va sans retard; Mais le chevalier frissonne et se penche. II voit sur la route une forme blanche Qui marche sans bruit et lui tend les bras: — „Elfe, esprit, démon, ne m'arrête pas!" Couronnés de thym et de marjolaine, Les Elfes joyeux dansent sur ia plaine. — „Ne m'arrête pas, fantöme odieux! Je vais épouser ma belle aux doux yeux." — „O mon cher époux, la tombe éternelle Sera notre demeure," dit-elle: — „Je suis morte!" — Et lui, la voyant ainsi D'angoisse et d'amour tombe mort aussi. Couronnés de thym et de marjolaine Les Elfes joyeux dansent sur la plaine. Leconte de Lisle. 114 90. AUX BAINS DE MER. Sur la plage élégante au sable de velours Que frappent, réguliers et calmes, les flots lourds, Tels que de vers pompeux aux nobles hémistiches, Les enfants des baigneurs oisifs, les enfants riches, Qui viennent des hotels voisins et des chalets, La jaquette troussée au-dessus des mollets, Courent les pieds dans l'eau, jouant avec la lame. Le rire dans les yeux et le bonheur dans lame, Sains et superbes sous leurs habits étoffés Et d un mignon chapeau de matelot coiffés, Ces beaux enfants gatés, ainsi qu'on les appelle, Creusent gaiment, avec une petite pelle, Dans le fin sable d'or des canaux et des trous; tt ce même Océan, qui peut dans son courroux Broyer sur les récifs les grands steamers de cuivre Laisse, indulgent aïeul, son flot docile suivre Le chemin que lui tracé un caprice d'enfant. Ils sont la, 1'oeil ravi, les cheveux blonds au vent, Non lom d une maman brodant sous son ombrelle tt trouvent, a coup sur, chose bien naturelle Que la mer soit si bonne et les amuse ainsi. — Soudain, d'autres enfants, pieds-nus comme ceux-ci tt laissant monter l'eau sur leurs jambes bien faites, Des moussaillons du port, des pêcheurs de crevettes, Passent, le cou tendu sous le poids des paniers. Le sont les fils des gens du peuple, les derniers Des pauvfes, et le sort leur fit rude la vie Mais ils vont, sérieux, sans un regard d'envie Pour ces johs babys et les plaisirs qu'ils ont. Comme des courageux petits marins qu'ils sont, lis aiment leur métier pénible et salutaire £t ne jalousent point les heureux de la terreCar ils savent combien maternelle est la mer ' tA. que pour eux aussi soufflé le vent amer Qui rend robuste et belle, en lui baisant la joue enfance qui travaille et 1'enfance qui joue. Francois Coppée. 115 91. FRANCE! Ah! beau pays de France! ah! ciel béni! culture Plantureuse! riante et robuste nature! Moissons, vignes et prés; rivières dont les eaux Promènent au soleil leurs sinueux réseaux; — Gais villages, dressant les flèches effilées De vos mille clochers le long de nos vallées; Routes, qui pénétrez jusqu'aux derniers hameaux; — Grands bois qui dans la nue élevez vos rameaux, Et, bravant la cognée et les coupes prochaines, Défendez contre nous la majesté des chênes; — Cimes des monts neigeux, beaux lacs, volcans éteints Falaises et rochers dont les phares lointains Parient a 1'océan la langue de lumière, — Greniers remplis, vergers aimés de la fennière; Chaumes, oü 1'ouvrier des champs, grave et sans bruit, Fait son labeur sacré, seul, de 1'aube a la nuit; — Opulentes cités, des grands fleuves voisines; Quais et ports; ateliers oü rien ne chöme; usines Oü la matière en feu, hors du moule grossier, Change sa fonte brute en indomptable acier; — Fournaises de 1'esprit, oü, sans cesse versée, Pour la Science et 1'Art s'épure la pensée, Oü, du foyer brülant, jusqu'aux extrémités, La f lamme du travail forge les volontés; — Ah! terre merveilleuse, ah! beau pays de France, Dont le nom dit: „Franchise", et 1'histoire „Espérance!' Eugène Manuel. 92. LE MEUNIER DE SANS-SOUCI. L'homme est bien variable! et ces malheureux rois Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois. J'en conviendrai sans peine et ferai mieux encore; J'en citerai pour preuve un trait qui les honore; II est de ce héros, de Frédéric second, Qui tout roi qu'il était, fut un penseur profond. 116 II voulait se construire un agréable asile, Oü, loin d'une étiquette arrogante et futile, II put, non végéter, boire et courir les cerfs, Mais des faibles humains méditer les travers. Sur le riant coteau par le prince choisi, S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci. Le vendeur de farine avait pour habitude D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude; Et, de quelque cöté que vint souffler le vent, II y tournait son aile et s'endormait content. Fort bien achalandé, grace a son caractère, Le moulin prit le nom de son propriétaire; Et des hameaux voisins, les filles, les garcons, Allaient a Sans-Souci pour danser aux chansons. Frédéric le trouva conforme a ses pro jets Et du nom d'un moulin honora son palais. Hélas: est-ce une loi sur notre pauvre terre Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre, Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits Tour men tera toujours les meuniers et les rois? En cette occasion, le roi fut le moins sage; II lorgna du voisin le modeste héritage. On avait fait des plans, fort beaux sur le papier, Oü le chétif enclos se perdait tout entier, II fallait, sans cela, renoncer a la vue, Rétrécir les jardins et masquer 1'avenue. Des batiments royaux 1'ordinaire intendant Fit venir le meunier, et, d'un ton important: „II nous faut ton moulin: que veux-tu qu'on t'en donne? — „Rien du tout, car j'entends ne le vendre a personne. // vous faut est fort bon, mon moulin est a moi Tout aussi bien au moins que la Prusse est au roi." — „Allons, ton dernier mot, bonhomme et prends-y [garde." 117 „Faut-il vous parler clair?" — „Oui." — „C'est que je Voila mon dernier mot." Ce refus effronté [le garde. Avec un grand scandale au prince est raconté. II mande auprès de lui le meunier indocile, Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile. Sans-Souci s'obstinait. „Entendez la raison, Sire; je ne peux pas vous vendre ma maison: Mon vieux père y mourut; mon fils y vient de naitre; C'est mon Potsdam a moi; je suis tranchant peut-être, Ne 1'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats Au bout de vos discours ne me tenteraient pas. II faut vous en passer, je 1'ai dit, j'y persiste." Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste; Frédéric, un moment par l'humeur emporté: „Parbleu! de ton moulin c'est bien être entêté! Je suis bon de vouloir t'engager a le vendre: Sais-tu que sans payer je le pourrais bien prendre? Je suis le maitre" — „Vous!.. de prendre mon moulin? Oui, si nous n'avions pas de juges a Berlin." Le monarque, a ce mot, revient de son caprice, Charmé que sous son règne on crüt a la justice. II rit et se tournant vers quelques courtisans: „Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans. Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique." Francois Andrieux. 93. LA FAUVETTE. Son instrument pendant a ses épaules, Un tout petit joueur d'accordéon, — Las de quêter de trop rares oboles, — Le long de l'eau s'en allait, sous les saules, Par un sentier large comme un sillon. 118 L'herbe montait haut que sa ceinture, Et, sous ses pas ployant, se relevant, Autour de lui faisait un frais murmure; Et le soleil, a travers la ramure, Criblait le front du Bohémien rêvant.... L'enfant s'assied enfin prés de la rive, Sous un vieux tronc par des flots dévoré, Laissant ses pieds clapoter dans l'eau vive, Et son esprit vaguer a la dérive De 1'onde bleue a 1'horizon doré. Et tout a coup, frétillante et coquette, En robe grise et frais chaperon noir, Sur une branche, au-dessus de la tête Du vagabond, une alerte fauvette A plein gosier dit sa chanson du soir. Du Bohémien le clair regard pétille Et sur 1'oiseau se braque éperdument. L'oiseau poursuit, met roulade sur trille, Gonfle son cou, s'échauffe, s'égosille Le vagabond saisit son instrument! II croit pouvoir, le brun fils de Bohème, Chanter aussi cette douce chanson; Et, lentement, plein d'une angoisse extréme, Le cou tendu vers 1'artiste suprème, Sur son clavier il cherche 1'unisson. Mais il n'en sort qu'une note fêlée Qui fait s'enfuir au loin l'oiseau moqueur. L'enfant, pleurant sa chimère envolée, Revint confus, 1'ame d'ombre voilée: Son instrument avait trahi son cceur Francois Fabié. 119 94. ROLAND. Roncevaux, Roncevaux! que ie faut-il encor! II s'est éteint 1'appel désespéré du cor. Hauts sont les puits et longs et ténébreux, mais Charles Frémissant dans sa chair, entend que tu lui parles, Et, couchés a jamais pour 1'éternel repos, Les païens gisent morts par milliers, par troupeaux, Sur le sable, a cöté des Francais intrépides. Ah! les vaux sont profonds, et les gaves rapides. Tandis que 1'Empereur a la barbe fleurie Accourt, hélas! trop tard, vers 1'affreuse tuerie, O douleur! dans le fond des défilés étroits, Au pied des roes de marbre, ils ne sont plus que trois: L'archevêque Turpin, qui, la mort sur la joue, Navre encor les païens, qu'on 1'en blarne ou 1'en loue, Et le brave Gautier de Luz, et puis Roland. Olivier est tombé, qui, dé ja chancelant, Et l'oeil au paradis qui devant lui flamboie, Hauteclaire a la main, criait encor: Montjoie! II dort, le fier marquis, auprès de Veillantif. Cependant, a venger notre France attentif, Sous son armure d'or, pale, souillé de fange, Roland, sanglant, blessé, poudreux, fier come un Ange, Combat en vaillant preux qui sait bien son métier. Turpin de son épée fait merveille; Gautier Est plus rouge partout qu'une grenade müre; Le sang de tous cotés tombe de son armure, Et Roland porte, ouverte, une blessure au flanc. Durandal avait tant travaillé que le sang Ruisselait sur la lame, et 1'enveloppait toute D'un humide fourreau vermeil, et goutte a goutte Pleuvait en même temps de tous les points du fer. On eut dit que Roland, revenu de 1'Enfer, Tint un glaive de feu levé sur les infames, D'oü sa main secouait de la braise et des flammes. Tout ce sang tombait dru sur lui, sur son coursier, Débordait. émoussait le tranchant de 1'acier, 120 Et, lorsque le héros s'élancait comme en rêve, • Bouillonnait en flot clair a la pointe du glaive. Son odeur enivrante attirait les vautours. „Ah!" s'écriait le bon Roland frappant toujours Devant lui, „si, ma main étant moins occupée, Je pouvais seulement essuyer mon épée!" II dit, et sur le front du Sarrasin maudit Frappe; alors Monseigneur saint Michel descendit Du ciel, et vers Roland, occupé de combattre, Accourut, enjambant dans 1 ether quatre a quatre Les clairs escaliers bleus du Paradis. II vint Au comte qui luttait, souriant, contre vingt Mécréants, et son fer n'était qu'une souillure. Mais 1'Archange éclatant, dont 1'ample chevelure De rayons d or frissonne autour de son front pur, Essuya Durandal et sa robe d'azur. Ensuite il regagna les cieux. Dans la mêlée Roland continuait sa course échevelée. Comme le bücheron s'abat sur la forêt, Sa grande épée, heureuse et rajeunie, ouvrait Les fronts casqués; a chaque estocade nouvelle, On en voyait jaillir le sang et la cervelle; Et les noirs bataillons qu'il touchait en marchant Disparaissaient, ainsi que les épis d'un champ Se renversent, courbés sous le vent qui les bouge. Une minute après, Durandal était rouge. Théodore de Banvüle. 95. LES MÉTIERS. Sans le paysan, aurais-tu du pain? C'est avec le blé qu'on fait la farine; L'homme et les enfants, tous mourraient de faim Si, dans la vallée et sur la colline, On ne labourait et soir et matin! 121 Sans le boulanger, qui ferait la miche? Sans le bücheron, — roi de la forêt —, Sans poutres, comment est-ce qu'on ferait La maison du pauvre et celle du riche? . . . .Même notre chien n'aurait pas de niche! Oü dormirais-tu, dis, sans le macon? C'est si bon d'avoir sa chaude maison Oü 1'on est a table, ensemble, en familie! Qui cuirait la soupe, au feu qui pétille, Sans le charbonnier qui fait le charbon? Sans le tisserand, qui ferait la toile? Et sans le tailleur, qui coudrait 1'habit? II ne fait pas chaud a la belle étoile! Irions-nous tout nus, le jour et la nuit? Et 1'hiver surtout, quand le nez bleuit? Aimez les métiers, le mien — et les yótres! On voit bien des sots, pas un sot métier; Et toute la terre est comme un chantier Oü chaque métier sert a tous les autres Et tout travailleur sert le monde entier. Jean Aicard. 96. JOYEUSE ET DURANDAL. La France, dans ce siècle, eut deux grandes épées, Deux glaives, 1'un royal et l'autre féodal, Dont les lames d'un flot divin furent trempées; L'une a pour nom Joyeuse et l'autre Durandal. Roland eut Durandal, Charlemagne a Joyeuse, Sceurs jumelles de gloire, héroïnes d'acier, En qui vivait du fer lame mystérieuse Que pour son oeuvre, Dieu voulut s'associer. Toutes les deux dans les mêlées Entraient, jetant leur rude éclair. 122 Et les bannières étoilées Les suivaient en flottant dans 1'air! Quand elles faisaient leur ouvrage L'étranger frémissant de rage, Sarrasins, Saxons ou Danois, Tourbe hurlante et carnassière Tombait dans la rouge poussière De ces formidables tournois! Durandal a conquis 1'Espagne; Joyeuse a dompté le Lombard; Chacune a sa noble compagne Pouvait dire: „Voici ma part!" Toutes les deux ont par le monde Suivi, chassé le crime immonde, Vaincu les païens en tout lieu; Après mille et mille batailles, Aucurie d'elles n'a d'entailles Pas plus que le glaive de Dieu! Hélas! La même fin ne leur est pas donnée: Joyeuse est fiére et libre après tant de combats, Et quand Roland périt dans Ja sombre journée, Durandal des païens fut captive la-bas! Elle est captive encore et la France la pleure; Mais le sort différent laisse 1'honneur égal, Et la France, attendant quelque chance meilleure, Aime du même amour Joyeuse et Durandal. Henri de Bornier. 97. LE COR. i J'aime le son du cor, le soir, au fond des bois, Soit quil chante les pleurs de la biche aux abois, Uu 1 adieu du chasseur que 1'écho faible accueille Et que le vent du nord porte de feuille en feuille 123 Que de fois, seul, dans 1'ombre a minuit demeuré, J'ai souri de 1'entendre, et plus souvent pleuré! Car je croyais ouïr de ces bruits prophétiques Qui précédaient la mort des paladins antiques. Ames des Chevaliers, revenez-vous encor? Est-ce vous qui parlez avec la voix du cor? Roncevaux! Roncevaux! dans ta sombre vallée L'ombre du grand Roland n'est donc pas consolée! II. Tous les preux étaient morts, mais aucun n'avait fui, II reste seul debout, Olivier prés de lui; L'Afrique sur le mont 1'entoure et tremble encore. „Roland, tu vas mourir, rends-toi," criait le More; „Tous tes pairs sont couchés dans les eaux des torrents. II rugit comme un tigre et dit: „Si je me rends, „Africain, ce sera lorsque les Pyrénées „Sur 1'onde avec leurs corps rouleront entrainées." „— Rends-toi donc," répond-il, „ou meurs, car les voila. Et du plus haut des monts un grand rocher roula. II bondit, il roula jusqu'au fond de 1'abime, Et de ses pins, dans 1'onde, il vint briser la cime. L— Merci," cria Roland; tu m'as fait un chemin," Et jusqu'au pied des monts le roulant' d'une main, Sur le roe affermi comme un géant s'élance, Et, prête a fuir, 1'armée a ce seul pas balance. III. Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux Descendaient la montagne et se parlaient entre eux. A 1'horizon déja, par leurs eaux signalées, De Luz et d'Argelès se montraient les vallées. L'armée applaudissait. Le luth du troubadour S'accordait pour chanter les saules de 1'Adour; 124 Le vin francais coulait dans la coupe étrangère; Le soldat, en riant, parlait a la bergère. Roland gardait les monts; tous passaient sans effroïT" Assis nonchalamment sur un noir palefroi Qui marchait revêtu de housses violettes, Turpin disait, tenant les saintes amulettes: „Sire, on voit dans le ciel des nuages de feu; „Suspendez votre marche; il ne faut tenter Dieu. „Par Monsieur Saint Denis, certes ce sont des ames „Qui passent dans les airs sur ces vapeurs de flammes. „Deux éclairs ont relui, puis deux autres encor." Ici 1'on entendit le son lointain du Cor. — L'Empereur étonné, se jetant en arrière, Suspend du destrier la marche aventurière. „Entendez-vous?" dit-il. — „Oui, ce sont des pasteurs „Rappelant les troupeaux épars sur les hauteurs," Répondit 1'archevêque, ,,ou la voix étouffée „Du nain vert Obéron, qui parle avec sa fée." Et 1'empereur poursuit; mais son front soucieux Est plus sombre et plus noir que 1'orage des cieux. II craint sa trahison, et, tandis qu'il y songe, Le Cor éclate et meurt, renait et se prolonge. „Malheur! c'est mon neveu! malheur! car, si Roland „Appelle a son secours, ce doit être en mourant. „Arrière, chevaliers, repassons la montagne! „Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de [1'Espagne!" IV. Sur le plus haut des monts s'arrêtent les chevaux; L'écume les blanchit; sous leurs pieds, Roncevaux Des^ feux mourants du jour a peine se colore. A 1'horizon lointain fuit 1'étendard du More. 125 — „Turpin, n'as-tu rien vu dans le fond du torrent?" — „J'y vois deux chevaliers: 1'un mort, l'autre expirant. „Tous deux sont écrasés sous une roche noire; „Le plus fort, dans sa main, élève un Cor d'ivoire, „Son ame en s'exhalant nous appela deux fois." Dieu! que le son du Cor est triste au fond des bois! Alfred de Vigny. 98. LE NEZ DE CYRANO DE BERGERAC. Le Vicomte. Vous.. Vous.. avez un nez.. heu,.. un nez trés grand. Cyrano. Ah! non! c'est un peu court, jeune homme! On pouvait dire.. Oh! Dieu!. . bien des choses en somme... En variant le ton, — par exemple, tenez: Agressif: „Moi, monsieur, si j'avais un tel nez, II faudrait sur-le-champ que je me 1'amputasse!" Amical: „Mais il doit tremper dans votre tasse; Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap!" Descriptif: „C'est un roe!.. c'est un pic!.. c'est un cap! Que dis-je, c'est un cap?.. C'est une péninsule!" Curieux: „De quoi sert cette oblongue capsule? D'écritoire, monsieur, ou de boite a ciseaux? ' Gracieux: „Aimez-vous a ce point les oiseaux Que paternellement vous vous préoccupates De tendre ce perchoir a leurs petites pattes?" Truculent: „Ca, monsieur, lorsque vous pétunez, La vapeur du tabac vous sort-elle du nez Sans qu'un voisin ne crie au feu de cheminée?" Prévenant: „Gardez-vous, votre tête entrainée Par ce poids, de tomber en avant sur le sol!" Tendre: „Faites-lui faire un petit parasol De peur que sa couleur au soleil ne se fane! Pédant: „L'animal seul, monsieur, qu'Aristophane Appelle Hippocampéléphantocamélos 126 Dut avoir sous le front tant de chair sur tant d'osl" Cavalier: „Quoi, 1'ami, ce croc est a la mode? Pour prendre son chapeau, c'est vraiment trés commode!" Emphatique: „Aucun vent ne peut, nez magistral, T'enrhumer tout entier, excepté le mistral!" Dramatique: „C'est la Mer Rouge quand il saigne!" Admiratif: „Pour un parfumeur, quelle enseigne!" Lyrique: „Est-ce une conque, êtes-vous un triton?" Naïf: „Le monument, quand le visite-t-on?" Respectueux: „Souffrez, monsieur, qu'on vous salue, C'est la ce qui s'appelle avoir pignon sur rue!" Campagnard: „Hé, ardé. C'est-y-un nez? Nanain! C'est quelqu' navet géant ou bien quelqu' melon nain!" Militaire: „Pointez contre cavalerie!" Pratique: „Voulez-vous le mettre en loterie? Assurément Monsieur, ce sera le gros lot!" — Voila ce qu'a peu prés, mon cher, vous m'auriez dit, Si vous aviez un peu de lettres et d'esprit, Edmond Rostand. 99. LA CONSCIENCE. Lorsqu'avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes, Echevelé, livide au milieu des tempêtes, Caïn se fut enfui de devant Jehovah, Comme le soir tombait, l'homme sombre arriva Au bas d'une montagne, en une grande plaine; Sa femme fatiguée et ses fils hors d'haleine Lui dirent: — „Couchons-nous sur la terre, et dormons." Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts. Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres II vit un ceil, tout grand ouvert dans les ténèbres, Et qui le regardait dans 1'ombre fixement. „Je suis trop prés," dit-il avec un tremblement. II réveil la ses fils dor man ts, sa femme lasse, Et se remit a fuir sinistre dans 1'espace. II marcha trente jours, il marcha trente nuits. II allait, muet, pale et frémissant aux bruits, 127 Furtif, sans regarder derrière lui, sans trève. Sans repos, sans sommeil. II atteignit la grève Des mers dans le pays qui fut depuis Assur. „Arrêtons-nous," dit-il, „car cet asile est sür. Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes." Et comme il s'asseyait, il vit dans les cieux mornes L'ceil a la même place au fond de 1'horizon. Alors il tressaillit en proie au noir frisson: — „Cachez-moi," cria-t-il; et le doigt sur la bouche, Tous ses fils regardaient trembler 1'aïeul farouche. Caïn dit a Jabel, père de ceux qui vont Sous des tentes de poil dans le désert profond: — „Etends de ce cöté la toile de la tente." Et 1'on développa la muraille flottante; Et quand on 1'eut fixée avec des poids de plomb: — „Vous ne voyez plus rien?" dit Tsilla, l'enfant blond, La fille de ses fils, douce comme 1'aurorej Et Caïn répondit: — „Je vois cet oeil encore!" Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs Soufflant dans des clairons et frappant des tambours, Cria: „ — Je saurai bien construire une barrière." II fit un mur de bronze et mit Caïn derrière. Et Caïn dit: — „Cet ceil me regarde toujours!" Hénoch dit: — „II faut faire une enceinte de tours Si terrible, que rien ne puisse approcher d'elle. Batissons une ville avec sa cidatelle, Batissons une ville, et nous la fermerons." Alors Tubalcaïn, père des forgerons, Construisit une ville énorme et surhumaine. Pendant qu'il travaillait, ses frères, dans la plaine, Chassaient les fils d'Enos, et les enfants de Seth; Et 1'on crevait les yeux a quiconque passait; Et le soir, on lancait des flèches aux étoiles. Le granit rempla9a la tente aux murs de toiles, On lia chaque bloc avec des noeuds de fer, Et la ville semblait une ville d'enfer; L'ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes; Ils donnèrent aux murs 1'épaisseur des montagnes; 128 Sur la porte on grava: „Défense a Dieu d'entrer." Quand ils eurent fini de clore et de murer, On mit 1'aïeul au centre en une tour de pierre. Et lui restait lugubre et hagard. — „O mon père! L'oeil a-t-il disparu?" dit en tremblant Tsilla. Et Caïn répondit: — „Non, il est toujours la." Alors il dit: — „Je veux habiter sous la terre Comme dans son sépulcre un homme solitaire: Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien." On fit donc une fosse, et Caïn dit: — „C'est bien!" Puis il descendit seul sous cette voute sombre. Quand il se fut assis sur sa chaise dans 1'ombre Et qu'on eut sur son front fermé le souterrain, L'ceil était dans la tombe et regardait Caïn. Victor Hu go. 100. LA VEILLÉE. I. Dès que son fiancé fut parti pour la guerre, Sans larmes dans les yeux ni désespoir vulgaire, Irène de Grandfief, la noble et pure enfant, Revêtit les habits qu elle avait au couvent, La robe noire avec 1'étroite pélerine Et la petite croix dargent sur la poitrine. Elle öta ses bijoux, ferma son piano, Et, gardant seulement a son doigt cet anneau, Seul souvenir du soir de printemps oü, ravie, Au vicomte Roger elle engagea sa vie, Aveugle a ce qu'on fait et sourde a ce qu'on dit, Prés du foyer, stoïque et pale, elle attendit. Roger, quand il connut la première défaite, Comme un heureux, qu'on trouble au milieu d'une fête, Soupira, mais agit en homme brave et prompt. Prenant congé d'Irène, et coupant sur son front Un bouclé de fins cheveux il 1'avait mise Dans un médaillon d'or porté sous la chemise; Poèmes Francais. — 9 129 Puis, sans qu'on le retint ni qu'on le retardat, II s'était engagé comme simple soldat. On sait trop ce que fut cette guerre. Impassible Et de 1'absent aimé parlant le moins possible, Irène tous les jours, a 1'heure oü le piéton Descendait, sac au dos, la route du canton, Le regardait venir, assise a la fenètre; Et lorsqu'il s'éloignait sans déposer la lettre, Elle étouffait un long sanglot: et c'était tout. Le vicomte écrivait; et, jusqu'au milieu d'aoüt, Irene n'eut pas lame encor trop alarmée, Enfin il fut bloqué dans Metz avec 1'armée; Et sachant seulement d'un fuyard de la-bas Qu'il n'avait point péri dans les premiers combats Irène, devant tous domptant ses pleurs rebelles, Eut le courage alors de vivre sans nouvelles. On la vit devenir plus pieuse qu'avant; Elle passait sa vie a 1'église, et souvent Elle allait visiter les pauvres du village, Parlant plus longuement et donnant d'avantage A ceux dont les enfants par la guerre étaient pris C'était le temps affreux du siège de Paris; Gagnant toute la France ainsi qu'une gangrène, L'invasion touchait presque au chateau d'Irène; Des uhlans fourrageaient dans le pays voisin. Le curé de 1'endroit et le vieux médecin . Avaient beau, chaque soir, au foyer de familie, Ne parler que de mort devant la jeune fille, Elle n'avait au cceur aucun pressentiment. — Roger était a Metz avec son régiment; A sa dernière lettre, il était sans blessure; II vivait, il devait vivre, elle en était süre. — Et, forte de 1'espoir des fidèles amours, Le chapelet aux doigts, elle attendait toujours. II. Un matin, elle fut en sursaut réveillée. La-bas, au bout du pare, sous 1'épaisse feuillée, 130 Des coups de feu pressés annoncaient 1'ennemi. La noble enfant rougit d'abord d'avoir frémi: Elle voulait, ainsi que Roger, être brave. Comme s'il ne se fut rien passé de plus grave, Calme, elle s'habilla, puis, ayant achevé Sa prière du jour sans omettre un Avé, Descendit au salon, le sourire a la bouche. Ce n'était presque rien, une simple escarmouche; Des soldats bavarois, venus en éclaireurs Et brusquement surpris par quelques francs-tireurs S'enfuyaient. Tout, au loin rentrait dans le silence. „II faudrait établir," dit-elle, „une ambulance," En effet, on avait jus temen t ramassé Sur le lieu du combat un officier blessé, Un Bavarois, le cou traversé d'une balie; Et quand on apporta ce grand jeune homme pale, Les yeux clos et saignant, sur un vieux matelas, Sans trembler d'un frisson, sans pousser un hélas, Irène le fit mettre avec sollicitude Dans la chambre oü Roger demeurait d'habitude, Quand, pour faire sa cour, il venait au chateau; Elle porta dehors la veste et le manteau Tout noirs de sang, pendant qu'on couchait le malade Gronda le vieux valet qui prenait 1'air maussade Et qui ne montrait pas assez d'empressement, Et quand le docteur fit le premier pansement, L'assista de ses mains ainsi qu'une sceur grise, Enfin quand, le regard tout rempli de surprise Et de reconnaissance heureuse, le blessé Se fut parmi les doux oreillers affaissé, Elie s'assit devant cette tête assoupie, Demanda du vieux linge et fit de la charpie. — C'était ainsi qu'Irène entendait le devoir. Le soir du même jour, le docteur vint revoir Son malade, et, faisant étrangement la moue, II dit entre ses dents: „Oui, le sang a la joue, 131 Le pouls trop vif.... Allons! une mauvaise nuit.... La fièvre, le délire et tout ce qui s'ensuit." — „Mourra-t-il?" dit Irène, un frisson sur la lèvre. — „Qui sait? Je vais tacher de couper cette fièvre. Cette formule-ci souvent a du succès. Mais il faut que quelqu'un observe les accès, Le veille jusqu'au jour et soigne avec zèle." — „Je suis prête, docteur." — „Non pas, mademoiselle. L'un de vos gens peut bien...." — „Non, docteur, car Roger Peut-être est prisonnier, malade, a 1'étranger. S'il lui fallait les soins que ce blessé demande, Je voudrais qu'il les eüt des mains d'une Allemande." — „Soit!" dit le vieux docteur en lui tendant la main. „Vous allez donc veiller ici jusqu'a demain. II suf fit d'un accès de fièvre pourqu'il meure; Donnez la potion de quart d'heure en quart d'heure. Au jour je reviendrai pour juger de 1'effet." Puis il partit, laissant Irène a ce chevet. III. Elle était la, depuis une minute a peine, Lorsque le Bavarois, se tournant vers Irène, Et sur la jeune fille ouvrant 1'oeil a demi; „Ce médecin," dit-il, „me croyait endormi; Mais j'ai tout entendu. Merci, mademoiselle, Merci du fond du cceur, moins pour moi que pour celle A qui vous me rendrez et qui m'attend la-bas.' Elle lui répondit: „Ne vous agitez pas. Dormez: C'est du repos que dépend votre vie." — „Non," reprit-il, „il faut d'abord que je confie Le secret que j'ai la; car la mort peut venir. J'ai fait une promesse, et je veux la tenir." — „Parlez donc," dit Irène, „et soulagez votre ame." 132 — „La guerre.... Non, la guerre est une chose infame! C'était le mois dernier, sous Metz.... J'eus le malheur De tuer un Francais...." Pour cacher sa paleur, Irène de la lampe abaissa la lumière. II reprit: „Nous allions surprendre une chaumière Ou les vötres s'étaient fortifiés. Ce fut Comme font les chasseurs quand ils vont a 1'affüt. Vers le poste fran9ais, par une nuit trés sombre, L'arme prête, muets, nous nous glissons en nombre, Le long des peupliers disposés en rideaux. J enfonce, le premier, mon sabre dans le dos Du soldat qui faisait sentinelle a la porte; II tombe sans avoir même crié main-forte; Nous prenons la masure, et tout est massacré!" Irène se cache les yeux. „Tout effaré Dix combat, je sortais de ce lieu de carnage, Quand la lune soudain déchirant un nuage, Me fit voir, éclairé de son pale reflet, Un soldat se tordant par terre et qui ralait, Le soldat que mon sabre avait percé, le même! Me sentant pris pour lui d'une pitié suprème, Je me mis a genoux, voulant le secourir; Mais il me dit: „II est trop tard. ... Je vais mourir Vous êtes officier.... gentilhomme peut-être...." — „Oui." — „Que puis-je pour vous?" — Seulement me De renvoyer ceci," dit-il en saisissant [promettre Un médaillon caché dans sa poitrine en sang, „A " Mais son dernier soufflé emporta sa pensée. Le nom de son amante ou de sa fiancée Par le pauvre Fran9ais ne fut pas achevé. En voyant un blason sur le bijou gravé, Je 1'emportai, gardant pour plus tard 1'espérance De découvrir parmi la noblesse de France 133 La femme a qui revient ce legs du soldat mort. Le voici, gardez-le, mais jurez-moi d'abord, Si la mort ne doit pas ici me faire grace, Que vous accomplirez ce devoir a ma place." Et sur le médaillon offert par 1'étranger Irène reconnut le blason de Roger. Alors, le cceur tordu d'une douleur mortelle: „Je le jure, monsieur. Dormez en paix" dit-elle. IV. Le blessé, soulagé d'avoir fait cet aveu, S'est assoupi. Le sein palpitant, 1'ceil en feu Irène prés de lui reste debout sans larmes. Oui, Son amant est mort! Ce sont bien la ses armes, C'est bien la son blason aussi fameux qu'ancien, Et le sang qui noircit ce bijou, c'est le sien! Ce n'est pas d'une mort héroïque et guerrière, Qu'a succombé Roger, mais frappé par derrière, Sans pouvoir appeler ses amis, sans crier; Et cet homme qui dort la, c'est son meurtrier! C'est bien son meurtrier; il s'est vanté de 1'être, D'avoir frappé Roger dans le dos, comme un traitrej Et maintenant il dort son lourd sommeil épais, Et c'est a lui qu'Irène a dit: „Dormez en paix!" Et, comme une suprème et cruelle ironie, Elle doit de ce front écarter 1'agonie, Rester a ce chevet jusqu'au soleil levant, Comme une bonne mère auprès de son enfant; Elle doit lui verser de quart d'heure en quart d'heure Le remède prescrit pour empêcher qu'il meure; Cet homme y compte bien; il repose, abrité Sous le toit protecteur de 1'hospitalité; Le flacon qui contient sa vie est sur la table; II attendl.... N'est-ce pas que c'est épouvantable? Quoi! lorsqu'elle se sent lentement envahir Par tout ce que contient d'affreux le mot: haïr, Lorsque gronde en son sein la colère terrible 134 Qui dirige le bras de Jahel, dans la Bible, Quand elle cloue au sol le front de Sisarah, Cet Allemand maudit, elle le sauvera! Allons donc! On n'est pas a ce point généreuse! Quand elle cède presque a la pensée affreuse, A 1'atroce désir de tirer du fourreau Le sabre avec lequel a frappé ce bourreau, Et dont brille en un coin le lourd pommeau de cuivre, Pour obéir aux vains préjugés et pour suivre On ne sait quel devoir et quel respect humain, Elle-même mettra dans cette horrible main, Par qui toute sa joie ici-bas fut ravie, Le repos, le sommeil, la guérison, la vie! Jamais!.... Cette fiole, elle va la briser. Mais non, c'est inutile. Elle n'a qu'a laisser S'accomplir le destin, pour servir sa vengeance, II semble qu'avec elle il soit d'intelligence. Ce malade, elle n'a qu'a le laissir mourir, Oui, le remède est la qui pourrait le guérir, Mais ne peut-elle pas s'être, une heure, endormie? Puis, elle fond en pleurs et s'écrie: „Infamie!" Et la lutte durait encor, quand 1'Allemand, Tiré de son sommeil par un gémissement, S'agita dans un rêve, et fiévreux dit: ,,A boire!" Irène alors leva vers le vieux Christ d'ivoire Suspendu sur le mur, a la tête du lit, Un sublime regard de martyre, et palit; Puis, 1'oeil toujours fixé sur le Dieu du Calvaire, Versa le contenu du flacon dans un verre Et délicatement fit boire le blessé. V. Mais quand le médecin, qui revint vers 1'aurore, La vit prés du blessé, le faisant boire encore Et soutenant le verre avec ses doigts tremblants, II s'apercut qu'Irène avait les cheveux blancs. Francois Coppée. 135 ANNOTATIONS. Page 10 La fuite en Egypte, chanson populaire du Nivernais. 15 Le corbeau et le renard. Le phénix — oiseau fabuleux, qui, suivant d'antiques légendes, était unique en son espèce. II se faisait périr sur un bücher et renaissait de ses cendres. Ici: un oiseau unique en son genre. 19 // était une fois. De profundis (clamavi): j'ai crié des profondeurs de 1'abime. Un des psaumes que 1'on dit dans les prières pour les morts. 23 Monsieur de La Palisse. Jacques de Chabannes, seigneur de la Palisse, capitaine francais, tué a la bataille de Pavie en 1525. Ses soldats ont composé en son honneur cette chanson, a laquelle on a ajouté plus tard plusieurs strophes. Une vérité de la Palisse = une vérité qui saute aux yeux (een waarheid als een koe). 30 Le voyageur sauvé par la servante, chanson populaire du Nivernais. 40 Complainte d'Armorique. L'Armorique est une partie de la Gaule (aujourd'hui: La Bretagne). 41 L'aimable voleur. Mandrin, brigand roué vif en 1755; Cartouche, fameux voleur, également roué vif en 1720. — Bias, un des sept sages de la Grèce, né a Priène, au VIe siècle avant Jésus Christ. — L'occasion est chauve (provJ: II est difficile de la saisir, elle échappe facilement. 136 Page 47 La Consigne: poésie datant de la guerre francoallemande (1870-71). Gourbi, hutte de branchages des Arabes; ici: cabane. 51 L'aveugle et le paralytique. Confucius, le plus célèbre philosophe de la Chine. II a fondé une religion (env. 500 av. J. C). 60 Les oies. Karamzin, historiën russe. (1765—1826), contemporain de Rouget de Lisle. Hozier, généalogiste francais (1592—1660). Quelques oies qui se trouvaient dans la forteresse assiégée, ont réveillé par leurs cris les assiégés et leur ont permis de repousser un assaut nocturne des Gaulois. C'est pourquoi les oies furent consacrées aux dieux. 64 Le rot d'Yvetot. Yvetot est le chef-lieu de la SeineInférieure. Les possesseurs du franc-alleu (propriété héréditaire affranchie de toute servitude) d'Yvetot avaient le titre de roi du XlVe au XVIe siècle. Cependant Béranger pense dans cette chanson a Napoléon I. 68 Carcassone. Limoux, Narbonne et Carcassonne se trouvent dans 1'arrondissement de 1'Aude, dont Carcassonne est le chef-lieu. Limoux est a 20 kilomètres, Narbonne a 40 kilomètres de Carcassonne. Perpignan est le chef-lieu de 1'arrondissement des PyrénéesOrientales, borné au nord par 1'arr. de 1'Aude. 72 Les Souvenirs du peuple. Béranger parle ici de Napoléon I. 76 Un homme a la mer. Un gabier est un matelot chargé du service des hunes. Le ris: partie d'une voile destinée a être serrée sur la vergue pour en diminuer la surface. 80 Le Turco. Turco est le nom familier des tirailleurs algénens qui ont pris part a la guerre franco-allemande (1870—1871). 137 Page 85 Ce que c'est. L'auteur de ce poème, Louis Gendreau, né en 1885 a la Roche-Chalois (Dordogne) est mort pour la patrie a la bataille de Crouy, le 13 janvier 1915 (Anth. des Eer. franc, morts pour la Patrie — Larousse, Paris). 87 L'un ou l'autre. Samson: le bourreau. 90 Le roi de Thulé. Chanson que Gretchen chante dans le Faust de Goethe, traduit en francais par Gérard de Nerval. 91 Le marquis de Carabas. Le marquis de Carabas est un personnage du chat botté, conté de Perrault. II s'est enrichi outre mesure par 1'habileté de son chat. Dans cette chanson il représente le type du marquis, du seigneur de la Restauration (1816). 92 Les deux iles. La Corse, La Sainte-Hélène. 94 La Marseillaise. Cet hymne, composé en 1792 pour 1'armée du Rhin par un officier, Rouget de Lisle en garnison a Strasbourg a pris le nom de Marseillaise paree que les fédérés marseillais 1'ont fait connaitre a Paris. La dernière strophe n'est pas de Rouget de Lisle. 99 Adieux de Marie Stuart. Marie Stuart, fille de Jacques V, roi d'Ecosse, reine d'Ecosse, puis reine de France par son mariage avec Francois II. Après la mort de Francois II en 1560 elle retourna en Ecosse. 104 La Mort de Jeanne d'Are. Jeanne D'Arc fut brülée vive par les Anglais a Rouen (1431). A la tête d'une petite troupe armée elle obligea le duc de Bredford qui assiégeait déja Orléans, a lever le siège, vainquit les Anglais a Patoy et fit sacrer Charles VII a Reims. Vaucouleurs, petite ville sur la Meuse. C'est au gouverneur de Vaucouleurs que Jeanne d'Arc parlait d'abord de son dessein de secourir Charles VIL 138 Page 110 Ce que disent les hirondelles. Métope = vierkante tusschenruimte tusschen de triglyphen der dorische fries; triglyphe: met drie inkervingen versierd lid der dorische zuilenorde; chibouch: turksche tabakspijp; pschent: kroon van Egyptische koningen en goden. Rückert, poète allemand auteur des Chants cuirassés, dirigés contre la France. Balbeck, anc. Héliopolis, ville de la Turquie d'Asie, en Syrië. 116 Le Meunier de Sans-Souci. Sans-Souci est le chateau royal de Prusse, prés de Potsdam. Andrieux a traduit dans ce conté en vers une anecdote populaire en Prusse. Frédéric II fut roi de Prusse de 1740 a 1786. 120 Roland. Théodore de Banville a emprunté son sujet a La Chanson de Roland, chanson de geste du Xle siècle, qui raconte la bataille de Roncevaux en 778 et oü 1'histoire et la légende sont mêlées. Le seul fait historique est qu'en 778 1'arrière-garde de 1'armée de Charlemagne fut surprise dans la vallée de Roncevaux par les Basques (dans la chanson: les Sarrasins). Les douze pairs sont attaqués par des milliers d'hommes; ils se déf endent bien, mais en vain. Quand tous les autres sont tombés, Olivier conseille a Roland de sonner du cor pour appeler Charlemagne en aide. Roland refuse d'abord. Quand enfin il le fait, c'est trop tard et il meurt par suite de ses blessures au champ de bataille (cp. Le Cor d'Alfred de Vigny). — Turpin, archevêque — Durandal et Hauteclaire sont les noms des épées de Roland et d'Olivier. Veillantif est le cheval de Roland. Montjoie était le cri de ralliement, le cri de guerre des Francais. 122 Joyeuse et Durandal sont les noms des épées de Charlemagne et de Roland. 139 TABLE DES MATIÈRES. Page Eugène Adenis. 46. Enfant terrible 53 47. Les aventures d'un cycliste 55 Jean Aicard (1848—1921). 14. Les écoles de France 14 68. La fin du monde ". 83 23. La lecon a la poupée 22 62. La lecon de lecture . rtF 75 95. Les Métiers 121 52. Nous sommes sept . . 9f* ? 62 35. Saint Nicolas 38 Francois Andrieux (1759—1833). 92. Le meunier de Sans-Souci 116 O. Aubert. 4. Les cinq doigts de la main 7 Théodore de Banville. (1823—1891).- 94, Roland . . 120 Jean Pierre de Béranger (1780—1857). 81. Les Adieux de Marie Stuart 99 64. Lés birondelles 77 75. Le marquis de Carabas 91 53. Le roi d'Yvetot 64 60. Les souvenirs du peuple 72 Prosper Blanchemain (1816—1879). 33. Le comte Adick . "~. *.a ....... 33 54. La lettre au bon Dieu 65 140 Page Henri de Bornier. (1825—1901). 96. Joyeuse et Durandal 122 Maurice Boukay. 83. Le petit mitron 102 Anatole le Braz (né en 1859). 37. Complainte d'Armorique 40 32. Le soleil de ma Bretagne 32 Michel Carré. 2. Les trois gosses . .^*f*;: 5 A. de Chatillon. 19. Les petits loups 17 Francois Coppée. (1842—1908). 90. Aux bains de mer 115 66. Une légende 79 72. L'un ou l'autre 87 65. Le soir, au coin du feu ■ . . 73 100. La veillée > 129 Casimir Delavigne. (1793—1843). 84. La Mort de Jeanne d'Arc ^Sl 104 Albert Delpit. 25. Petit Pioupiou 24 Paul Déroulède. (1846—1914). 45. Le bon gite . 52 67. Le Turco , sq Pierre Dupont. (1821—1870). 51. Les bceufs ;-A gi Francois Fabié. 93. LaFauvette >^_.£ftU . . süt. h8 Fernand Ferrier. 43. La tortue et 1'auto 49 141 Page Florian. (1755—1794). 27. L'avare et son fils 27 44. L'aveugle et le paralytique 51 36. Le cheval et le poulain 39 22. Les deux voyageurs 21 La Fontaine. (1621—1695). 79. Les animaux malades de la peste .... 97 13. La cigale et la fourmi 13 16. Le corbeau et le renard 15 10. La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bceuf 11 48. La laitière et le pot au lait 57 40. Le rat de ville et le rat des champs .... 45 Théophile Gautier. (1811—1872). 87. Ce que disent les hirondelles 110 41. Noël 46 82. Premier sourire du printemps 101 Louis Gendreau. (1885—1915). 70. Ce que c'est 85 Rosemonde Gérard (Mme E. Rostand). 34. Noël . . . / 36 Philippe Godet. 12. La chanson du blé "*. 12 Paul Gravollet. 17. Teuf, Teuf! Victor Hugo. (1802—1885). 56. Après la bataille 67 99. La Conscience 127 69. Le grand-père et sa petite-fille 84 76. Les deux iles 92 Francois Jasmin. C 5. L'oncle amusant • ■'■'■''■.■JS^ 142 Page Victor de Laprade. (1812—1883). 59. La sceur ainée 70 Leconte de Lisle. (1818—1894). 61. La chanson du rouet 74 89. Les Elfes U3 Rouget de Lisle. (1760—1836). 50. Les oies 60 77. La Marseillaise 94 Eugène Manuel. (1823—1901). 78. La Chanteuse 95 91. France U6 73. La mère et l'enfant 88 Gustave Mathieu. 63. Un homme a la mer 76 Th. Monod. 1. Quand je serai grand ï^^^l Gustave Nadaud. (1821—1893). 38. L'aimable voleur , 4j 58. Carcassonne 68 49. La Garonne 58 28. La Harangue 28 21. Le roi boiteux 20 Gérard de Nerval. (1808—1855). 74. Le roi de Thulé 90 Gabriel Nigond. 85. Le chien de Berger ]06 Mme de Pressensé. 6. Les deux chemins 8 Xavier Privas. 29. Travaille 29 Provansal. 39. Le secret de bébé 44 143 Page Sully Prud'homme. (1839—1907). 88. Un songe 112 80. Le vase brisé - , \ t 98 Louis Ratisbonne. (1827—1900). 30. Petit Paul 29 8. Petit Paul a table 9 15. Le souhait de la violette 15 7. Le baba . . .- . Jean Richepin. (1849—1926). 57. Ce que dit la pluie 67 20. II était une fois 19 18. Le merle a la glu 16 Edmond Rostand. (1868—1918). 98. Le nez de Cyrano 126 Guillot de Saix. 11. La lecture 11 André Theuriet. (1833—1907). 86. La chanson du vannier 109 42. La Consigne 47 55. Toast a la Hollande 66 Auguste Vacquerie. (1819—1895). 71. Depuis 86 AUredde Vigny. (1797—1863). 97. Le Cor 123 Chansons populaires. 9. La fuite en Egypte 10 24. Monsieur de La Palisse • 23 31. Le voyageur sauvé par la Servante ... 30 26. Le roi Dagobert |gy 25 3. Les petits fumeurs 6 144 60 21 823 2 171 589 Bref, il commet cent maladresses. A 1'un il dit: „Monsieur, pourquoi Que chez nous tu reviens sans cesse? Maman dit qu'elle n'y est pas pour toi!" A 1'autre, sans que rien 1'arrête, En faisant des yeux de velours: „T'es bien gentil, mais t'es trop béte, Tonton Ernest le dit toujours!" Ah! quel gamin, et quelle affaire Pour le surveiller!.... Je 1'entends. Au revoir!.... quand je serai père Moi, je n'aurai jamais d'enfants. Eugène Adenis. Al. LES AVENTURES D'UN CYCLISTE. La bicyclette, c'est mon Dieu! Sachant le désir qui me hante, L'autre matin, ma bonne tante M'en a fait cadeau d'une.... un pneu! Vous jugez si j'eus 1'ame en fête! Je courais. sautais de plaisir, Et n'ayant plus qu'un seul désir, T'essayer, ö ma bicyclette! J'obtins vite la permission D'aller faire une promenade Avec Henri, mon camarade Qui monte dans la perfection. Trés fiers et portant haut la tête, Le nez au vent, la bouche en cceur, Nous partimes d'un air vainqueur, Chacun sur notre bicyclette. Malheureusement, le chemin Se trouvait être détestable, Mon ami, garcon raisonnable, Me dit en descendant soudain: 55 „Ces cailloux, aux rudes arêtes, Pourraient trés bien crever nos pneus; Sur cette route, il vaudrait mieux Conduire a pied nos bicyclettes." C'était sage, je 1'approuvai. Je dus descendre de machine Et pousser, en courbant 1'échine, Ma bécane sur le pavé. „Mon Dieu, rendez la route nette," Priais-je, „qu'on puisse rouler! Je suis parti pour pédaler, Non pour trainer ma bicyclette!" „Le chemin," me disait Henri, „Devient superbe après la ville, Va, ne te fais pas tant de bilej Allons, pousse, 9a t'aguerrit." Enfin nous arrivons. Ah! chouette! La route est splendide et je crois Que je vais pouvoir, cette fois, Me servir de ma bicyclette. Ah bien oui! le ciel clair et beau En partant, s'emplit de nuages, Et le plus fameux des orages Eclate. Ah! mes amis, que d'eau! La pluie, en tombant, nous fouette Les yeux, un vrai temps de canard! A ce moment, pour un riflard J'aurais donné ma bicyclette. Nous restions la, 1'air trés benêt De la triste mésaventure, Quand, tout a coup, passé en voiture Un paysan qu' Henri connait; Vite il nous prend dans sa charrette (II allait de notre cóté) Triste facon, en vérité, De faire de la bicyclette! 56 „C'est y a Grès que vous allez?" Dit le paysan. „Y a-z-une cótej Et par c' temps-ci, 1'un pas plus qu' 1'autre, Vous n' pourrez jamais pédaler. Vaut mieux, sans tambour ni trompette, Prendr' le ch'min d'fer, c'est plus prudent. Et de Grès chez vous, comm' ca descend, Vous reviendrez a bicyclette." Henri trouve le conseil bon. Vite on nous conduit a la gare, Et nous enfournons, dare dare, Nos machines dans le fourgon.... Le train part; a Grès il s'arrête, Je cours au fourgon de nouveau; Qu'est-ce qu'on me remet? Un veau En place de ma bicyclette! „C'est une erreur," dit 1'employé. Mais le train repartait bien vite Avec nos vélos a sa suite; II fallut revenir a pied! Voila 1'aventure compléte De mon premier et grand record. Avec tout 9a, j'ignore encor' Comment roule ma bicyclette! Ettgène Adenis. 48. LA LAITIÈRE ET LE POT AU LAIT. Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait Bien posé sur un coussinet, Prétendait arriver sans encombre a la ville. Légère et court vêtue, elle allait a grands pas, Ayant mis ce jour-la, pour être plus agile, Cotillon simple et souliers plats. Notre laitière ainsi troussée Comptait dé ja dans sa pensée Tout le prix de son lait, en employait 1'argent, 57 Achctait un cent d'ceufs, faisait triple couvée: La chose allait a bien par son soin diligent. „II m'est," disait-elle, „facile D'élever des poulets autour de ma maison: Le renard sera bien habile S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Le porc a s'engraisser coütera peu de son; II était quand je 1'eus de grosseur raisonnable: J'aurai, le revendant, de 1'argent bel et bon. Et qui m'empêchera de mettre en notre étable, Vu le prix dont il est, une vache et son veau, Que je verrai sauter au milieu du troupeau?" Perrette la-dessus saute aussi, transportée: Le lait tombe: adieu veau, vache, cochon, couvée. La dame de ces biens, quittant d'un ceil marri Sa fortune ainsi répandue, Va s'excuser a son mari, En grand danger d'être battue. • La Fontaine. 49. LA GARONNE. Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Quand elle sortit de sa source, Diriger autrement sa course, Et vers le Midi s'épancher, Qui donc eut pu 1'en empêcher? Tranchant vallon, plaine et montagne, Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Elle allait arroser 1'Espagne. Si la Garonne avait voulu Lanturlu! Pousser au Nord sa marche errante, Elle aurait coupé la Charente, Coupé la Loire aux bords fleuris, 58 S'il me fallait les vendre, J'aimerais mieux me pendre; J'aime Jeanne, ma femme; eh bien, j'aimerais mieux La voir mourir que voir mourir mes bceufs. Quand notre fille sera grande, Si le fils de notre régent En mariage la demande, Je lui promets tout mon argent; Mais, si pour dot il veut qu'on donne Les grands bceufs blancs marqués de roux, Ma fille, laissons la couronne Et ramenons les bceufs chez nous. S'il me fallait les vendre, J'aimerais mieux me pendre; J'aime Jeanne, ma femme; eh bien, j'aimerais mieux La voir mourir que voir mourir mes bceufs. Pierre Dupont. 52. NOUS SOMMES SEPT. (D'après Wordsworth). Une pauvre enfant de chaumière Hier vint a moi; 1'air vagabond, Ses blonds cheveux pleins de lumière Tombaient en grappes sur son front. On eut dit une fleur sauvage, Ses habits étaient en lambeaux; Huit ans: elle me dit son age; Et ses yeux étaient beaux, très-beaux. Tout content de la voir si belle: „Frères et soeurs, dis-moi cela, Combien êtes-vous?" — „Sept," dit-elle, Et son ceil étonné brilla. $p jjt 62 „Oü sont-ils?" — „C'est sept que nous sommes; Deux sont a Cornway, n'est-ce pas? Les deux autres, qui sont des hommes, Sont partis pour la mer, la-bas. ,,Deux sont couchés au cimetière, Mon frère et ma soeur, tous les deux; Moi, monsieur, je suis la dernière; Ma mère et moi vivons prés d'eux." — „Deux sont a Cornway, ma chérie, Deux en mer; vous dites pourtant: „Nous sommes sept!" Mais, je vous prie, Expliquez-vous, en bien comptant. Deux sont couchés au cimetière, Vous n'êtes donc pas sept!" — „Mais si! Voyez, prés de notre chaumière: i On peut voir leur tombe d'ici. „Regardez comme 1'herbe est haute Sur la tombe verte au soleil! On les a couchés cöte a cöte, Pour qu'ils aient chaud dans leur sommeil. „Souvent, prés d'eux, assise a terre, Je chante en tricotant mes bas, Comme pour eux chantait ma mère, Afin qu'ils ne s'éveillent pas. „Parfois, quand la soirée est belle, Prés d'eux, pour manger mon diner, J'apporte ma petite écuelle, Mais je ne peux rien leur donner...." A ce mot, je voulus lui dire D'oü vient la mort et ce que c'est; Mais elle, avec son frais sourire: „Oh! non, monsieur, nous sommes sept!" Jean Aicard. 63 53. LE ROI D'YVETOT. (Mai 1813). II était un roi d'Yvetot Peu connu dans 1'histoire, Se levant tard, se couchant tót, Dormant fort bien sans gloire: Et couronné par Jeanneton D'un simple bonnet de coton, Dit-on. Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah! Quel bon petit roi c'était la! La, la. II faisait ses quatre repas Dans son palais de chaume, Et sur un ane, pas a pas, Par cour ait son royaume; Joyeux, simple et croyant le bien, Pour toute garde il n'avait rien Qu'un. chien. Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah! Quel bon petit roi c'était la! La, la. II n'avait de goüt onéreux Qu'une soif un peu vive; Mais en rendant son peuple heureux II faut bien qu'un roi vive. Lui-même, a table et sans suppöt, Sur chaque muid levait un pot D'impöt. Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah! Quel bon petit roi c'était la! La, la. II n'agrandit point ses Etats, Fut un voisin commode, Et modèle des potentats, 64 Prit le plaisir pour code, Ce n'est que lorsqu'il expira Que le peuple qui 1'enterra Pleura. Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah! Quel bon petit roi c'était la! La, la. On conserve encore le portrait De ce digne et bon prince; C'est 1'enseigne d'un cabaret Fameux dans la province. Les jours de fête, bien souvent, La foule s'écrie en buvant Devant: Oh! oh! oh! oh! ah! ah! ah! ah! Quel bon petit roi c'était la! La, la. Jean Pierre de Béranger. 54. LA LETTRE AU BON DIEU. „Ma pauvre fille, avec ta mère, Dans ce grenier tu meurs de faim; Mais peut-être a notre misère Daignera-t-on donner du pain; Vois! Cette lettre sollicite Un noble cceur qui répondra. Prions, prions, pauvre petite, Et le bon Dieu nous entendra." Le temps passé avec l espérance; L'écrit touchant s'était perdu. Aux pleurs amers de la souffrance Nul écho n'avait répondu. Alors l'enfant se prit a dire: — „Pourquoi pleurer comme cela? C'est au bon Dieu qu'il faut écrire, Et le bon Dieu nous répondra." Poèmcs Francais. — 5 65 — S'il était encor sur la terre, Dieu nous secourrait aujourd'hui; Mais la lettre que tu veux faire Ne monterait pas jusqu'a lui." — „Pour qu'elle arrivé a son adresse, Au tronc du pauvre on la mettra; II est si bon pour la détresse! Oui, le bon Dieu nous répondra." Prosper Blanchemain. 55. TOAST A LA HOLLANDE. A la Hollande! A la jeunesse De ses vastes prés toujours verts, Oü 1'on voit tournoyer sans cesse L'aile des moulins dans lés airs! A ses grachts oü, comme une bande De blancs oiseaux rasant le port, Les grands vaisseaux prennent 1'essor. A la Hollande! A la Hollande! A la jeunesse De ses chefs-d'ceuvre merveilleux Oü tout s'unit: force et tendresse, Pour charmer le cceur et les yeux; Oü tout: — 1'histoire et la légende, Les champs, la maison, la cité, — Est peint pour 1'immortalité. A la Hollande! A la Hollande! A la jeunesse Qui croit sur son riche terroir! A ses enfants, blonde promesse! A ses filles, douces a voir! A ses fils, robuste guirlande, Qui de la Frise a la Zélande Donne sa sève et sa vigueur Pour la patrie et pour 1'honneur!.... A la Hollande! André Tneuriet. 66 56. APRES LA BATAILLE. Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un grand housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Parcourait a cheval, le soir d'une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. II lui sembla dans 1'ombre entendre un faible bruit: C'était un Espagnol de 1'armée en déroute Qui se trainait sanglant sur le bord de la route, Ralant, brisé, livide et mort plus qu'a moitié, Et qui disait: „A boire! a boire par pitié!" Mon père, ému, tendit a son housard fidéle Une gourde de rhum qui pendait a sa selle, Et dit: „Tiens, donne a boire a ce pauvre blessé." Tout a coup, au moment oü le housard baissé Se penchait vers lui, 1'homme, une espèce de Maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père en criant: „Caramba!" Le coup passa si pres que le chapeau tomba, Et que le cheval fit un écart en arrière. „Donne-lui tout de même a boire," dit mon père. Victor Hugo. 57. CE QUE DIT LA PLUIE. M'a dit la pluie: Ecoute Ce que chante ma goutte, Ma goutte au chant perlé. Et la goutte qui chante M'a dit ce chant perlé: Je ne suis pas méchante, Je fais mürir le blé. Ne sois pas triste mine! J'en veux a la famine. Si tu tiens a ta chair, Bénis l'eau qui t'ennuie 67 Et qui glacé ta chair; Car c'est grace a la pluie Que le pain n'est pas cher. Le ciel toujours superbe Serait la soif a 1'herbe Et la mort aux épis. Quand la moisson est rare Et le blé sans épis. Le paysan avare Te dit: Crève, eh! tant pis! Mais quand avril se brouille, Que son ciel est de rouille, Et qu'il pleut comme il faut, Le paysan bonasse Dit a sa femme: il faut Lui remplir sa besace, Lui remplir jusqu'en haut. M'a dit la pluie: Ecoute Ce que chante ma goutte, Ma goutte au chant perlé. Et la goutte qui chante M'a dit ce chant perlé: Je ne suis pas méchante, Je fais mürir le blé. Jean Richepin. 58. CARCASSONNE. „Je me fais vieux, j'ai soixante ans, J'ai travaillé toute ma vie, Sans avoir, durant tout ce temps, Pu satisfaire mon envie. Je vois bien qu'il n'est ici-bas 68 De bonheur complet pour personne. Mon vceu ne s'accomplira pas:. Je n'ai jamais vu Carcassonne." „On voit la ville de la-haut, Derrière les montagnes bleues; Mais pour y parvenir il faut, II faut faire cinq grandes lieues; En faire autant pour re venir; Ah! si la vendange était bonne!.... Le raisin ne veut pas jaunir: Je ne verrai pas Carcassonne!" „On dit qu'on y voit tous les jours Ni plus ni moins que les dimanches, Des gens s'en aller sur le cours, En habits neufs, en robes blanches. On dit qu'on y voit des chateaux, Grands comme ceux de Babylone, Un évêque et deux généraux! Je ne connais pas Carcassonne." „Le vicaire a cent fois raison: C'est des imprudents que nous sommes. II disait dans son oraison Que 1'ambition perd les hommes. Si je pouvais trouver pourtant Deux jours sur la fin d'automne.... Mon Dieu . que je mourrais content Après avoir vu Carcassonne!" „Mon Dieu, Mon Dieu! pardonnez-moi, Si ma prière vous offense; On voit toujours plus haut que soi, En vieillesse comme en enfance. Ma femme, avec mon fils Aignan, A voyagé jusqu'a Narbonne; Mon filleul a vu Perpignan, Et je n'ai pas vu Carcassonne!" 69 Ainsi chantait prés de Limoux Un paysan courbé par 1'age. Je lui dis: ,,Ami, levez-vous; Nous allons faire le voyage." Nous partimes le lendemain; Mais, que le bon Dieu lui par donne! II mourut a moitié chemin, II n'a jamais vu Carcassonne. Gustave Nadaud. 59. LA SCEUR AINEE. Elle avait. ses cinq ans a peine, Qu'on admirait dans la maison, Dans la maison bruyante et pieine, Sa bonne humeur et sa raison. Toujours a bien faire occupée, Ferme et vaillante avec douceur, Elle aimait, au lieu de poupée, Elle aimait sa petite sceur. Elle veillait a ses toilettes Comme une petite maman, Présidait aux jeux, aux emplettes, Aux surprises du jour de 1'an. Elle arrangeait 1'affreux bagage Des grands frères, désordonnés, Et de jolis noeuds, son ouvrage, Leurs cous rétifs, étaient ornés. Qu'on perdit un livre d'étude, Cahier, canif et caetera.... On disait sans inquiétude: „Bah! Hélène le retrouvera!" 70 Faisant moins de bruit que personne, A peine elle avait entendu, Au négligent qui 1'abandonne Elle apportait 1'objet perdu. Et parfois, dans les cas suprêmes, A ses yeux vifs ayant recours, Le père et la maman eux-mêmes Avaient besoin de son secours. Mais c'est quand vint le petit frère, C'est alors qu'il fallait la voir! Comme elle était heureuse et fiére De bercer l'enfant chaque soir! Alors elle était grande et sage, Bonne aux plus sérieux emplois; Ce n'était point un badinage. Elle avait sept ans cette fois! Quelle prudence maternelle Aux premiers pas du gros bébé! Jamais en trottinant prés d'elle Le cher petit n'était tombé. Qu'on le taquine ou qu'on le gronde, On verra si la bonne sceur, La servante de tout le monde, Sait résister a 1'oppresseur! Se dressant de toute sa taille Et le cachant contre son sein, Elle est prête a livrer bataille: La poule défend son poussin. Si vous n'aimiez pas votre Hélène Après un passé si touchant, Votre ame serait bien vilaine, Paul, et vous seriez bien méchant! 71