1. LA BOUDE DU DIABOLO. Joli diabolo Tourne, chante, vire, vole, En 1'air, fais la cabriole, Et reviens sur le oordeau, Joli diabolo. Atteins la plus haute branche Du cerisier du jardin ; De fruits, couleur de carmin, Fais tomber une avalanche ; Mais ne vas pas, follement, Par un brusque mouvement, Casser lys, rose, ou pervenche! Joli diabolo Tourne, chante, vire, vole, En 1'air, fais Ia cabriole, Et reviens sur le cordeau, Joli diabolo. Rejoins la vive hirondelle Qui revient, 1'hiver fini: Demande-lui si le nid, Qu'un beau soir, a tire d'aile, Elle a, 1'an dernier, quitté, N'a pas été regretté, Aux rives d'azur, par elle. Joli diabolo 6 Tourne, chante, vire, vole. En 1'air, fais la cabriole, Et reviens sur le cordeau, Joli diabolo. Traverse le blanc nuage Qui nous cache 1'inconnu. Quand tu seras revenu, Tu diras a Penfant sage, Qui t'attend, trés anxieux, Tout ce que voient dans les cieux Les bons diables en voyage. Joli diabolo Tourne, chante, vire, vole, En 1'air, fais la cabriole, Et reviens sur le cordeau Joli diabolo! Peancine Loree. 2. LA BAVAEDE. Comme un fin robinet d'eau claire, La bavarde va bavardant: De quoi ? oe n'est pas la Pafïaire, Ba varder, voila 1'important. Taratati, taratata, Et patati, patati, patata ! Elle a toujours monts et merveilles A vous débiter en chémin: Quelle est donc la paire d'oreilles Qui va lui tomber sous la main ? Cherchons par ci, cherchons par la, Et patati, patati, patata! 7 Sur le trottoir ou sous la porte Elle en cueüle une en un instant: C'est fille ou o'est garcon, n'importe, Ba varder, voilé. 1'important! Taratati, taratata, Et patati, patati, patata! Aussitót, ma jeune linotte De babilier, encor, encor ; Tout en babiüant, le pied trotte: Langue et pied vont fort bien d'accord; Et o'est ceci, puis c'est cela, Et patati, patati, patata ! Et les „on dit" et les ,,ma chère" Se pressent en se débitant; Ce que Pon dit ne compte guère, Bavarder, voila 1'important. Taratati, taratata, Et patati, patati, patata ! La classe, hélas ! force a se taire ! Mais a peine en tient-on la fin, Que notre langue de portière Recommence a trotter bon train. Et en veux-tu, et en voila, Et patati, patati, patata ! Enfin, voici la nuit venue, Et la bavarde au lit s'endort; Mais tous ceux qui Pont entendue Se figurent Pentendre encor ... Taratati, taratata, Et patati, patati, patata! Maukice Moeel. 8 3. LES QUESTIONS. „Paul, déshabillez-vous, et pliez votre veste ! — Qui donc, demande Paul, aimant a babilier, A d'abord deviné qu'il fallait s'habiller, Mettre des pantalons, un gilet et le reste ? — C'est quelqu'un, répondit la bonne a 1'ingénu, Ou faché d'avoir froid, ou honteux d'être nu. Voyons, Paul, maintenant, faites votre prière! — Mais qui donc a, ma bonne, inventé de prier ? —Quelqu'un probablement qui ne pouvait crier, Etouffant ou de joie ou de douleur amère. Allons, allons, il faut un peu plus se presser. Assez de questions pour aujourd'hui, de grace Couchez-vous douoement, pour que 1'on vous embrasse. — Mais qui donc a, ma bonne, inventé d'embrasser V' A cette 'fois, la bonne allait s'embarrasser Lorsque la mère entrant: „Celle qui la première A donné le meilleur baiser, c'est une mère. Dors, mon bijou, voici le mien!" Et Paul, fermant les yeux, ne demanda plus rien. Louis Ratisbonne. 4. LE CHEVAL DU EOULIEE. „Ohé, oh ! dia huo, dia hue !" La rampe est dure et sans 'arrêts : Tendant 1'épaule et les jarrets, Le vieux cheval qui s'exténue Soufflé et sue. „Ohé, oh ! dia huo, dia hue ! Dia huo !..." c'est le cri du jour ; 9 Et le fouet claque avec amour. Mais le cheval, béte fourbue, Reste sourd. C'est un vieux cheval de roulier: Dix ans de labeur journalier Ont usé ses sabots de corne : II va, viotime d'un métier Dur et morne. Dans les prés, dans les champs de blé, Les fleurs dansent et sont en f ête ; Mais sans rien voir, courbant la tête, Le vieux cheval va, 1'ceil troublé, Aveuglé. Sacs de charbon, ou bloes de pierre, II tire — ici, c'est une ornière; H tire — et la, c'est un talus. Ah ! rendez donc a ce perclus Sa litière! Sa litière ! a lui! allons donc ! Bloes de pierre et sacs de charbon, II tirera le long des cötes, Tant qu'il aura, valide, aux cötes, , Un tendon. Et le vieux cheval que Pon tue Va toujours, sur la rampe ardue, Tandis que le joyeux roulier Fouette, et lui crie, a plein gosier. „Ohé, oh ! dia huo ! dia hue !" Maubice Morel. 10 5. LA GEEJTOUILLE QUI VEUT SE FAIEE AUSSI GEOSSE QUE LE BCBUF. Une grenouille vit un boeuf Qui lui sembla de belle taille. Elle qui n'était pas grosse en tout comme un ceuf, Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille, Pour égaler 1'animal en grosseur, Disant: — Regardez bien, ma sceur, Est-ce assez ? dites-moi; n'y suis-je point eneore ? —Nenni.—M'y voici donc «—Point du tout.—M'y voila ? — Vous n'en approchez point. La ehétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages ; Tout bourgeois veut batir comme les grands seigneurs ; Tout petit prince a des ambassadeurs; Tout marquis veut avoir des pages. La Fontaine. 6. JOOEISSE SUE SOÏT ANE. Jocrisse, un jour, était en belle humeur; Enfourché sur son ane, il allait de bon coeur A la fête de son village. „Suis-je heureux ! disait-il, Jeannette est de mon age, A ce soir la polka ! .... je pétille d'ardeur." Pour tempérer le plaisir du voyage, Le soleil de midi fait sentir sa chaleur. On cherche vainement une ombre hospitalière: Le vent du sud soulève la poussière; Jocrisse en a plein le gosier . . . Et point de cabaret . . . il ne sait comment faire. La Pfovidence, bonne mère, Offre a ses yeux un superbe poirier, 11 Et le proverbe alors lui revient en mémoire : II faut pour la soif une poire. II la oonvoite; elle était un peu haut; Nul moyen de tenter 1'assaut! Notre homme s'ingénie, et sur 1'ane se dresse; Mais au lieu de saisir le fruit avec prestesse, II s'admire, se loue, et, fier de son esprit: „Qui mieux que moi, dit-il, de cette circonstance Aurait su faire son profit ? . . . . Jocrisse est moins sot qu'on ne pense; Cependant si quelqu'un passait Et s'avisait De crier : „hue ! hue ! hue !" Imprudente parole, Qui, dite a haute voix, mit la béte en gaité. Voila Jocrisse démonté; Jocrisse fit la cabriole. Ceci prouve qu'en bien des cas II est bon de penser tout bas. Stassart. 7. LE COQ. Cocorico ! Dans le village II fait nuit, et tout dort encor. Mais déja le coq, dans sa cage, A fait retentir son cri d'or. Cooorico ! ce cri réveille Dix dormeurs, et plus, d'un seul coup : Cri gaillard, qui chante a 1'oreille: „Alerte, braves gens ! debout!" La plume vernissée et lisse, Franc du b'ec et franc du jabot, Une queue en feu d'artifice, Le coq est fier, le coq est beau. 12 Pour lui, jardins, ruelle ou plaine Sont autant de pays conquis. Cocorico !... II s'y promène Avec des airs de vieux marquis. Vingt poules forment son escorte, Mais c'est lui qu'on voit tout d'abord: Chacune, qu'il entre ou qu'il sorte, Le suit comme un tambour-major. II guide, il surveille, il leur cause: Graine ou grain, paille ou vermisseau, Quand il a trouvé quelque chose, Royal, il leur en fait cadeau. Mais gare au rival téméraire Qui prétendrait lui faire échec ; H le regarde, et c'est la guerre: A coups d'ergots, a coups de beo. II tape, il s'acharne, il déchire : Le voila tout ensanglanté. Mais 1'autre a fui, de son empire Le laissant maitre incontesté. Alors, l'oeil ivre et fou de gloire, Le coq se perche haut, bien haut, Et lance son cri de victoire: Cocorico, cocorico 1 Mattrice Morel. 8. LES DEUX VOYAGEUES. Le compère Thomas et son ami Lubin Allaient a pied tous deux a la vüle prochaine. Thomas trouve sur son chemin Une bourse de louis pleine; 14 — Ah ! quel malheur ! dit-on : las ! il chantait si bien t De quoi donc est-il mort ? Certes, c'est grand dommage ! Le oorbeau crie encore et ne manque de rien .... Flobian. 10. ENFANT TEEEIBLE ! Si j'en juge d'après mon frère: Petit Paul . . . six ans et demi . . . Les enfants, a leurs père et mère, Ca cause vraiment de 1'ennui. Ca répète ce qu'on raconte; Jamais 9a ne reste en repos; Et sans savoir, 9a vous fait honte Devant le monde, a tout propos. Gar9on ou fille, c'est tout comme ! Moi, c'est différent, j'ai douze ans ; J'apprends le grec : je suis un homme ! . . . Mais c'est terrible, les enfants ! „Non, vois-tu, le cousin Émile, Disait père, un soir, a maman, Je n'en connais pas un sur mille D'aussi toqué que lui, vraiment!" Le cousin vient faire visite. Petit Paul avait remarqué Le mot de père ; il accourt vite : „Tiens ! bonjour, mon cousin toqué !" Maman cherche a le faire taire . . . Mais, avec des airs trioinphants : „Sais-tu qui dit 9a ? . . . c'est p'tit père ! . . ." Vrai! c'est terrible, les enfants ! L'autre jour, ma tante Eugénie Vient diner chez mes parents ; 15 Et devant la table servie, On prend place, petits et grands. „Ah ! c'est toi qui vas êt' contente, Lui dit Paul d'un ton dégagé, Tu vois bien ce poulet, petit' tante ? C'est celui qu'hier on a mangé. Maman a dit que la carcasse, C'était assez bon pour toi,! Prends . . . ." Oh ! tante a fait une grimaoe! . . . . Vrai! c'est terribley les enfants ! Monsieur Bloch, toutes les semaines, Dine chez nous exactement. II ne donne jamais d'étrennes, Même a la bonne, au jour de 1'an. Un beau jour, ü arrivé. — „Aboie ! Lui dit Paul. — Comment, mon ami ? — Aboie un peu, monsieur, que j'voie Si bobonne n'a pas menti. Ell' dit que tu fais des épates, Mais que t'es ohien ; tu comprends ? C'est-il vrai qu' tu march' a quat' pattes ? Oh ! o'est terrible, les enfants ! Bref, il commet cent maladresses. A 1'un il dit: „Monsieur, pourquoi Que chez nous tu reviens sans cesse ? . . . Maman dit qu'ell' n'y est pas pour toi! . A 1'autre, sans que rien 1'arrête, En faisant des yeux de velours : „T'es bien gentil, mais t'es trop béte, Tonton Ernest le dit toujours !" Ah! quel gamin ! et quelle affaire Pour le surveiller !... Je Pentends. Au revoir! ... quand je serai père, Moi je n'aurai jamais d'enfants. EüGÈNE ADENIS. 16 11. LA GARONNE. Si la Garonne avait voulu, Lanturln ! Quand elle sortit de sa source, Diriger autrement sa course, Et vers le Midi s'épancher, Qui dono eüt pu 1'en empêeher ? Tranchant vallon, plaine et montagne, Si la Garonne avait voulu, m Lanturlu ! Elle allait arroser 1'Espagne. Si la Garonne avait voulu, Lanturlu! Pousser au Nord sa marche errante, Elle aurait coupé la Charente, Coupé la Loire aux bords fleuris, Coupé la Seine dans Paris, Et, moitié verte, moitié blanche, Si la Garonne avait voulu, Lanturlu ! Elle se jetait dans la Manche. Si la Garonne avait voulu, Lanturlu ! Elle aurait pu boire la Saöne, Boire le Rhin après le Rhöne, De la, se dirigeant vers 1'Est, Absorber le Danube a Pesth, Et puis, ivre a force de boire, Si la Garonne avait voulu, Lanturlu ! Elle aurait grossi la mer Noire. Si la Garonne avait voulu, Lanturlu ! 17 Elle aurait pu dans sa furie Pénétrer jusqu'en Sibérie, Passer 1'ÓuraI et le Volga, Traverser tout le Kamschatka., Et d'Atlas déchargeant 1'épaule, Si la Garonne avait voulu, Lantudu ! Elle aurait dégelé le póle. La Garonne n'a pas voulu, Lanturlu ! Humilier les autres fleuves. Seulement, pour faire ses preuves, Elle arrondit son petit lot, Ayant pris le Tarn et le Lot, Elle confisqua la Dordogne. La Garonne n'a pas voulu, Lanturlu! Quitter le pays de Gascogne. GüSTAVE NADATXD. 12. LE PAON. „Léon ! Léon !" Qui done appelle Quelqu'un qui jamais ne répond ? Le cri retentit de plus belle: Entendez-vous ? „Léon ! Léon !" On sent que celui qui le lance S'annonce d'avance a vingt pas : Mais chut! chut! ne plaisantons pas ! Le paon s'avance. II vient, couronné de Paigrette, Insigne de sa royauté; II vient, et porte haut la tête: Salut, tous, a Sa Majesté! Lect. Class. N°. 10, 2« éd. 2 18 A Sa Majesté faites place, Et surtout tachez d'ouvrir l'ceil Pour contempler, ivre d'orgueil, Le paon qui passé. Loin d'ici, dindons et volaille, Canards au coin-coin roturier! Loin d'ici toute la canaille Dont la place est sur le fumier! Prés du paon, il ne faut personne. Sinon, gare les coups de beo ! D'un air hautain, mais vif et sec, Le paon les donne. Puis a droite, a gauche, il parade, Et soudain, d'un beau vol soyeux, Se perche sur la balustrade Pour mieux s'exposer a nos yeux. Sur sa queue aux plumes fleuries, Rubis, saphirs, et sur ses flancs, Ce sont des jardins ruisselants De pierreries. Puis, redescendant sur la terre, II parade, il parade encor Et se promène, solitaire, Avec le perron pour décor. Soudain, le voila qui s'ébroue : Beau comme un oiseau de vitrail, Tout son plumage en éventail, II fait la roue. Sous les yeux de la galerie De la parade, encore un peu ; Profitez-en bien, je vous prie : Sa Majesté vous dit adieu. Adieu ! que nul ne Ie rejoigne ! Satisfait d'avoir été vu, 19 Et seul, ainsi qu'il est venu, Le paon s'éloigne. Matjrioe Morel. 13. DU MOURON POUE LES P'TITS OISEAUX Grand'mère, fillette et garcon Chantent tour a tour la chanson. Tous trois s'en vont levant la tête: La vieille a la jaune binette, Les enfants aux roses museaux. Que la voix soit rude ou jolie, L'air est plein de mélancolie: Du mouron pour les p'tits oiseaux ! Le mouron vert est ramassé Dans la haie et dans le fossé. Au bout de sa tige qui bouge La fleur bonne est blanche et non rouge. II sent la verdure et les eaux ; II sent les champs et 1'azur libre Oü Palouette vole et vibre. Du mouron pour les p'tits oiseaux ! C'est ce matin, avant le jour, Que la vieille a fait son grand tour. Elle a marché deux ou trois lieues Hors du faubourg, dans les banlieues, Jusqu'a Clamart ou jusqu'a Sceaux. 1 Elle est bien lasse sous sa hotte! Et 1'on ne vend qu'un sou la botte Du mouron pour les p'tits oiseaux ! Clamart et Sceaux sont situés au sud de Paris. 2* 20 Les petits, trouvant le temps long, Trainent, en allant, leur talon. La soeur fait la grimace au frère Qui, sans la voir, pour se distraire, Trempe ses pieds dans les ruisseaux, Tandis qu'au cinquième peut-être On demande par la fenêtre Du mouron pour les p'tits oiseaux ! Mais la grand'mère a vu cela. Un sou par-ci, deux sous par-la! C'est elle encor, la pauvre vieille, Qui le mieux des trois tend Poreille, Et dont les jambes en fuseaux, Quand a monter quelqu'un 1'invite, Savent apporter le plus vite Du mouron pour les p'tits oiseaux! Un sou par-la, deux sous par-ci! La bonne femme dit merci. C'est avec les gros sous de cuivre Que 1'on achète de quoi vivre, Et qu'elle, la peau sur les os, Peut donner, a 1'heure oü 1'ón dine, Du mouron pour les p'tits oiseaux ! Jean Richepin. 14. LE EOI ALPHONSE. Certain roi qui régnait sur les rives du Tage, Et que 1'on surnomma le Sage, Non paree qu'il était prudent, Mais paree qu'il était savant, Alphonse, fut surtout un habile astronome ; II connaissait le eiel bien mieux que son royaume. Et quittait souvent son conseil Pour la lune ou pour le soleil. 24 L'auto file, et 1'on se demande Oü, quand l'auto s'arrêtera : Qui le dira, qui le dira ? .. .. L'auto file, et la terra est grande. Soudain, malheur et patatra ! Arbre oü 1'on butte, Tout est cassé, L'auto culbute, Dans un fossé. Maubice Morel. 17. LA TAUPE ET LES LAPINS. Chaoun de nous souvent connait bien ses défauts, En convenir, c'est autre chose: On aime mieux souffrir de véritables maux, Que d'avouer qu'ils 1 en sont cause. Je me souviens, a ce sujet, D'avoir été témoin d'un fait Port étonnant et difficile a croire; Mais je 1'ai vu. Voici 1'histoire. Prés d'un bois, le soir, a 1'écart, Dans une superbe prairie, Des lapins s'amüsaient sur 1'herbette fleurie, A jouer au colin-maillard. Des lapins! direz-vous, la chose est impossible. Rien n'est plus vrai pourtant: une feuille flexible Sur les yeux de 1'un d'eux en bandeau s'appliquait, Et puis sous le cou se nouait. Un instant en faisait Paffaire. Celui que ce ruban privait de la lümière Se placait au milieu; les autres alentour 1 Ils se rapporte k défauts! 25 Sautaient, dansaient, faisaient merveilles, S'éloignaient, venaient tour a tour Tirer sa queue ou ses oreiIIes. La pauvre aveugle alors, se retournant soudain, Sans craindre pot au noir, jette au hasard Ia patte, Mais. Ia troupe échappe a la hate; II ne prend que du vent, il se tourmente en vain, II y sera jusqu'a demain. Une taupe assez étourdie, Qui sous terre entendit ce bruit, Sort aussitöt de son réduit, Et se mêle dans la part ie. Vous jugez que, n'y voyant pas, Elle fut prise au premier pas. — Messieurs, dit un lapin, ce serait conscience, Et la justice veut qu'a notre pauvre sceur Nous fassions un peu de faveur; Elle est sans yeux et sans défense ; Ainsi je suis d'avis ... — Non, répond avec feu La taupe, je suis prise, et prise de bon jeu ; Mettez-moi le bandeau. — Trés volontiers, ma chère ; Le voici; mais je crois qu'il n'est pas nécessaire Que nous serrions le nosud bien fort. — Pardpnnez-moi, monsieur, reprit-elle en colère, Serrez bien, car j'y vois . . . Serrez, j'y vois encor. Flobian. 18. CO QUE DIT LA PLUIE.1 M'a dit la pluie : Êcoute Ce que chante ma goutte, Ma goutte au chant perlé. Et la goutte qui chante M'a dit ce chant perlé : 1 C'est un gueux, un vagabond qui parle. 26 Je ne suis pas méchante, Je fais mürir le blé. Ne sois pas triste mine ! J'en veux a la famine. Si tu tiens a ta ohair, Bénis 1'eau qui t'ennuie Et qui glacé ta chair; Car c'est grace a la pluie Que le pain n'est pas cher. Le ciel toujours superbe Serait la soif a 1'herbe Et la mort aux épis. Quand la moisson est rare Et le blé sans épis, Le paysan avare Te dit: Crève,1 eb.! tant pis I Mais quand avril se brouille, Que son ciel est de rouille Et qu'il pleut comme il faut, Le paysan bonasse Dit a sa femme: il faut Lui remplir sa besace, Lui remplir jusqu'en haut. M'a dit la pluie : Bcoute Ce que chante ma goutte, Ma goutte au chant perlé. Et la goutte qui chante M'a dit ce chant perlé: Je ne suis pas méchante, Je fais mürir le blé. Jean Richepin. Crever = mourir 27 19. LE GRILLON. Un pauvre petit grillon Caché dans 1'herbe fleurie, Regardait un papilion Voltigeant dans la prairie. L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs; L'azur, le pourpre et 1'or éclataient sur ses ailes. Jeune, beau, petit-maitre, il court de fleurs en fleurs, Prenant et quittant les plus belles. — Ah ! disait le grillon, que son sort et le mien Sont différents ! Dame nature Pour lui fit tout, et pour moi rien. Je n'ai point de talent, encor moins de figure; Nul ne prend garde a moi, 1'on m'ignore ici-bas ! Autant vaudrait n'exister pas. Comme il parlait, dans la prairie Aussitöt les voila courants Après ce papilion dont ils ont tous envie; Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent a 1'attraper. L'insecte vainement cherohe a leur échapper, II devient bientöt leur conquête. L'un le saisit par 1'aile, un autre par le corps ; Un troisième survient, et le prend par la tête; II ne fallait pas tant d'efforts Pour déchirer la pauvre béte. Oh! oh ! dit le grillon, je ne suis plus faché; II en coüte trop oher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde! Pour vivre heureux, vivons caché. Floeian. 30 22. LE VIEUX BATEAU. • Jadis, sapin au vert panache, J'habitais sur les monts boisés. Un jour sous les coups de la hache, Je m'abattis, les reins brisés. Que fit-on de moi ? Je 1'ignore. Mais, sous la scie et le marteau, Et dans un tapage sonore Que j'entends encore, On me fit renaïtre bateau. Bateau j'étais, non pas sur Seine, S'il vous plaït, ni vil remorqueur, Mais avec la mer pour domaine Et pour maitre un brave pêcheur Un matin, la poupe fleurie, Je partis pour mon premier tour: Brise douce, et voile qui plie, Et la mer jolie ! ... Ah ! ce jour-la fut un beau jour. Quinze ans, vingt ans, et plus peut-être, J'ai couru, léger voltigeur, lei, la, partout oü mon maitre Flairait le butin voyageur. Retiré par un bras qui ploie, Que de fois j'ai vu, hors des eaux, Le filet, enlevant sa proie, Sur le pont, 6 joie ! Verser le poisson par monceaux! Et, lorsque la mer était dure, Que de fois, toujours la bravant, Ma hardie et souple voilure A subi les assauts du vent! Siffle et soufflé! fais ton tapage ! 31 Fais rouler la vague en galops : Moi, riant au nez de 1'orage, Quand il faisait rage, Je dansais au milieu des flots. Vive le péril qu'on affronte ! On en sort, content comme un roi. Toujours, au port, en fin de compte, Nous rentrions, mon maitre et moi; Et, quand il avait repris terre, J'entendais des enfants joyeux, La-bas, au seuil d'une chaumière, Crier : „Bonjour, père !" Et rire, les larmes aux yeux. 'Aujourd'hui, o'est les Invalides. Je suis vieux : on me laisse au port. Adieu, mer ! adieu, jours limpides ! Adieu, rire et chansons du bord ! .. . Du moins, si mon maitre se lasse, Un jour, de rouler sur les eaux, Puisse-t-il, avec ma carcasse, Me faire Ia grace De chauffer longtemps ses vieux os! Maurice Morel. 23. LA BETE. Jeanne songeait, sur 1'herbe assise, grave et rose; Je m'approchai: „Dis-moi si tu veux quelque chose, Jeanne ?" — car j'obéis a ces charmants amours, Je les guette, et je cherche a comprendre toujours Tout ce qui peut passer par ces divines têtes. — Jeanne m'a répondu : „Je voudrais voir des bêtes." Alors je lui montrai dans 1'herbe une fourmi. 36 Dans ta clarté blonde Menons notre ronde D'été! Zon ! zon ! La vieille ménagère Cueille les prunes dans son clos: Zon ! zon ! Notre troupe légère Bruit au logis en repos ! Dans un coin, la chatte S'endort sur la patte Du chien : L'un dort en silence, Et l'&utre ne pense A rien I Le nez de la chatte est tout rose, Et celui du chien est tout noir: Zon ! zon ! Que chacune s'y pose Pour irriter leur nonchaloir ! Agitant 1'oreüle, La chatte sommeille, Rêvant: Croyant qu'il nous happe, Le vieux chien attrape Du vent! Zon! zon ! Vibrons, laissons-nous vivre, Et, sous le plafond enfumé, Autour des bassines de cuivre, Voltigeons sur le rythme aimé ! La noire araignée Demeure éloignée D'ici: Un balai fidéle Prend constamment d'elle Souci! 3? Pendant le bal, tout ce qu'on aime Se fcrouve au bahut mal ferme : Le beurre en mottes, et la crème, Et le miel, régal embaumé ! Les plaisirs du monde Sont pour notre ronde Aisés: Longues rêveries, Danse et sucreries, Baisers ! Quand par la fenêtre on nous chasse, Nos essaims effarés et prompts Tournent un instant dans 1'espace, Et par la porte nous rentrons. Zon ! zon ! Tout repose. La cuisine est close : Disons, Par bandes errantes, Mille susurrantes Chansons! Chaeles Gbandmougin. 28. LE LION EN GAGE. H dormait, roi déchu, le grand lion sans antre, Dans sa geöle aux larges barreaux; La respiration lui soulevait le ventre, Longue et paisible, a temps égaux. L'ceil plein de visions sous sa lourde paupière, Sans doute il songeait vaguement Aux bois oü 1'on vit libre, aux cavernes de pierre, Aux sources sous Ie firmament. 38 La foule des passants, curieux sans courage, Regrettaient de ne pas le voir Debout et frémissant s'indigner de sa cage, Et leur rugir son désespoir. „Quoi! c'est la le vaincu, si noble, si farouche, Que 1'on admire et que 1'on craint! Un baladin le montre, un gardien vil le touche Et mêle ses doigts a son erin! „Qu'il se léve du moins! Allons! des coups de tringle!" Le gardien dit alors : „Debout!" Et sa barre de fer le torture et le oingle, Avec un bruit söurd, coup sur coup. Le lion s'est levé . . . Pour la main qui le fouaille II n'a qu'un mépris nonchalant... Comme un homme dirait: „Vous m'ennuyez !*' lui, baille, Et retombe sur 1'autre flanc. Car il sait, le lion, il sait qu'on le tourmente Lachement, en sécurité ; Que la révolte est vaine, et sa force impuissante, Qu'il n'est rien sans liberté ! Jean Aicabd. 29. L'AVBUGLE ET LE PARALYTIQUE. Aidons-nous mutuellement, La charge des malheurs en sera plus légère; Le bien que 1'on fait a son frère Pour le mal que 1'on souffre est un soulagement. Confucius 1 1'a dit; 'suivons tous sa doctrine : Pour la persuader aux peuples de la Chine, H leur oontait le trait suivant. 1 Confucius, le plus célèbre pbilosophe de la Chine, fondateur d'une religion. (561—479 av. J.-C.) 39 Dans une ville de 1'Asie II existait deux malheureux, L'un perclus, 1'autre aveugle, et pauvres tous les deux. Ils demandaient au ciel de terniiner leur vie: Mais leurs cris étaient superflus, Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique, Couohé sur un grabat dans la place publique, Souffrait sans être plaint; il en souffrait bien plus. • L'aveugle, a qui tout pouvait nuire, Était sans guide, sans soutien, Sans avoir même un pauvre chien Pour Talmer et pour le conduire. Un certain jour, il arriva Que Taveugle a tatons, au détour d'une rue, Prés du malade se trouva; II entendit ses cris, son ame en fut émue. II n'est tel que les malheureux Pour se plaindre les uns les autres. —■ J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vótres: Unissons-les, mon frère, ils seront moins affreux. — Hélas ! dit le perclus, vous ignorez, mon frère, Que je ne puis faire un seul pas ; Vous-même vous n'y voyez pas : A quoi nous servirait d'unir notre misère ? — A quoi ? répond l'aveugle; écoutez : A nous deux Nous possédons le bien a chacun nécessaire: J'ai des jambes, et vous des yeux. Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide: Vos yeux dirigeront mes pas mal assurés; Mes jambes, a leur tour, iront oü vous voudrez. Ainsi, sans que jamais notre amitié déoide Qui de nous deux remplit le plus utile emploi, Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. 50 38. APRÈS LA BATAILLE. Mon père, ce héros au sourire si doux, Suivi d'un seul housard qu'il aimait entre tous Pour sa grande bravoure et pour sa haute taille, Paroourait a cheval, le soir d'une bataille, Le champ couvert de morts sur qui tombait la nuit. H lui sembla dans 1'ombre entendre un faible bruit. C'était un Espagnol de 1'armée en déroute Qui se trainait sanglant sur le bord de la route, Ralant, brisé, livide, et mort plus qu'a moitié, Et qui disait: ,,A boire, a boire par pitié I" Mon père, ému, tendit a son housard fidéle Une gourde de rhum qui pendait a sa, selle, Et dit: „Tiens, donne a boire a ce pauvre blessé." Tout a coup, au moment oü le housard baissé Se penchait vers lui, 1'homme, une espèce de Maure, Saisit un pistolet qu'il étreignait encore, Et vise au front mon père en criant: „Caramba !" Le coup passa si prés que le chapeau tomba, Et que le cheval fit un écart en arrière. „Donne-lui tout de même a boire," dit mon père. Viotob Hxtöo. 39. UN GÉNÉEAL. Parmi ses officiers, il va, revient, s'arrête, Die te un ordre précis tout en se promenant. Un homme entre, hagard ... Sa voix sourde halète : „Mon général, mon général. .. Le lieutenant!.. ." „Quel lieutenant ? . . . Mon fils ? . . ." — „Tout a 1'heure ... une balie .. ." Et le chef a compris. Son front s'est incliné. La lèvre qu'on devine est a peine plus pale. Mais le corps est de marbre et n'a pas frissonné. 51 Le père cependant, en un éclair rapide, A revu son enfant tel qu'il était parti; II voit la mère en pleurs ... il le revoit petit. Mais des vaillants sont la sous son regard humide, Et fier, se redressant, prêt a croiser leurs yeux, Ce soldat n'a qu'un mot: „Continuons, Messieurs I" Matteicb Allotjt. 40. L'BLU. C'est aujourd'hui dimanche et la chapelle est pleine. Celles qui sont en deuil, celles qui le seront, Ayant abandonné pour un moment la laine, Viennent s'agenouiller pour ceux qui sont au front! De ces femmes en noir, une, la chatelaine, A dit, dès le début: „Mes trois fils partiront." L'ainé, le lieutenant, est couché dans la plaine, Une balie ennemie a traversé son front. Elle 1'ignore encore. Ami de la familie, — II maria le père et baptisa la fille — Le curé, qui le sait, 1'apercoit a 1'autel. H s'avance vers elle, a la trés sainte table, Mais la mère, en voyant son émoi concevable, L'interroge d'un mot, d'un simple mot: „Lequel ?" Pélix GaLIPATJX; 4* 52 41. LE SINGE QUI MONTBE LA LANTERNE MAGIQUE. Messieurs les beaux-esprits, dont la prose et les vers Sont d'un style pompeux et toujours admirable, Mais que 1'on n'entend point, éooutez cette fable, Et tachez de devenir clairs. Un homme qui montrait la lanterne magique Avait un singe dont les tours Attiraient chez lui grand concours. Jacqueau (c'était son nom), sur la corde élastique Dansait et voltigeait au mieux, Puis faisait le saut périlleux, Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne, Le corps droit, fixe, d'aplomb, Notre Jacqueau fait tout du long L'exercice a la prussienne. Un jour qu'au cabaret son maitre était resté (C'était, je pense, un jour de fête), Notre singe en liberté Veut faire un coup de sa tête. II s'en va rassembler les divers animaux Qu'il peut rencontrer dans la ville: Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux Arrivent bientöt a la file. — Entrez, entrez, messieurs! criait notre Jacqueau; C'est ici, c'est ici qu'un spectacle nouveau Vous charmera gratis. Oui, messieurs, a la porte On ne prend point d'argent, je fais tout pour 1'honneur ! A ces mots, chaque spectateur Va se placer, et 1'on apporte La lanterne magique; on ferme les volets; Et, par un discours fait exprès, Jacqueau prépare 1'auditoire. Ce morceau, vraiment oratoire, Fit bailler; mais on applaudit. Content de son succès, notre singe saisit Un verre peint qu'il met dans sa lanterne. 53 II sait comment on le gouverne, Et crie en le poussant: — Est-il rien de pareil ? Messieurs, vous voyez le soleil, Ses rayons et toute sa gloire. Voici présentement la lune; et puis Thistoire D'Adam, d'Eve et des animaux. . . Voyez, messieurs, comme ils sont beaux! Voyez la naissance du monde ; Voyez... Les spectateurs, dans une nuit profonde, Ecarquillaient leurs yeux et ne pouvaient rien voir: L'appartement, le mur, tout était noir. — Ma foi, disait un chat, de toutes les merveilles Dont il étourdit nos oreilles, Le fait est que je ne vois rien. — Ni moi non plus, disait un chien. — Moi, disait un dindon, je vois bien quelque chose, Mais, je ne sais pour quelle cause, Je ne distingue pas trés bien. Pendant tous ces discours, le Cicéron1 moderne Parlait éloquemment et ne se lassait point. II n'avait oublié qu'un point: C'était d'éclairer sa lanterne. Floeian. 42. LES SOLDATS DE PLOMB. conté de noël De Noël c'est le soir. Petit Paul, plein d'espoir, A mis devant sa cheminée Ses brodequins d'enfant, Puis s'endort en rêvant Dans sa couchette satinée. 1 Cicéron, oélèbre orateur roruain, Cicero. 54 Mais de tous les joujoux Ce qu'il voudrait surtout C'est une boïte magnifique De beaux soldats de plomb, Avec fort en carton. Brave petit cceur héroïque! Au milieu de la nuit, En entendant du bruit, Petit Paul tout a coup s'éveille; Dans ses souliers il voit Le jouet de son choix. Mais, 6 ! surprise sans pareille ! De la boïte en carton Tous les soldats de plomb Sortent et, fusil sur 1'épaule, En bon ordre ils s'en vont. Et le petit garcon Les voyant partir se désole! Mais, sautant du lit doucement, Aux soldats il dit, suppliant: „Petits, petits soldats de plomb, „Pourquoi quitter ma cheminée ? „Voyez mon désespoir profond, „Pourquoi cette fuite obstinée ?" Alors un des soldats de plomb Lui répondit : „Petit garcon, Nous ne restons pas dans la tienne : C'est une cheminée prussienne !!" Cami. 43. BALLADE DE NOËL. C'est vrai qu'il vient et qu'on le crie! Mais non sur un clair olifant,1 Olifant = cor. C'est le nom du cor du paladin Roland. 55 Quand on a la gorge meurtrie Par 1'hiver a 1'ongle griffant. Las !1 avec un rale étouffant II est salué, chaque année, Chez ceux qu'il glacé en arrivant, Ceux qui n'ont pas de cheminée. II parait, la mine fleuris, Plus joyeux qu'au soleil levant, Apportant fête et g&terie, Bonbons, joujoux, cadeaux, devant Le bébé riche et triomphant. Mais quelle apre et triste journée Pour les pauvres repris de vent, Ceux qui n'ont pas de cheminée! Heureux le cher enfant qui prie Pour son soulier au nooud bouffant, Afin que Jésus lui sourie ! Aux gueux le sort le leur défend. Leur soulier dur, crevé souvent, Dans quelle cendre satinée Le mettraient-ils, en y rêvant, Ceux qui n'ont pas de cheminée ? Envoi. Prince, ayez pitié de 1'enfant Dont la face est parcheminée. Faites Noël en réchauffant Ceux qui n'ont pas de cheminée. Jean Richbpin. 44. LE PETIT GOEET. Quoi! vas-tu mener, Jean-Pierre, Mon doux goret au marché ? . 1 Las ! = bélas l 58 — Oh ! Oh ! quelle caresse ! et quelle mélodie ! Dit le maitre aussitót. Hola, Martin-baton! Martin-baton accourt: 1'ane change de ton. Ainsi finit la comédie. La Fontaine. 46. LA MOET DE EAPHAËL.1 Dans le grand cabinet, plein de livres épars Dont je faisais des forts, des soldats, des remparts, Pour des guerres sans nom, folies, désordonnées, Combien, ayant trois ane, j'ai passé des journées. Mon père, quelquefois, m'enlevant dans ses bras : „Tous les livres qui sont a terre, tu pourras, Disait-il, en jouer; mais sois bien raisonnable, Et ne touchons jajnais aux papiers sur ma table!" C'est la qu'un jour, parmi cette odeur de oombats, Je ramassai (quel vent 1'avait jeté a bas ?) Une image par terre; a terre elle était mienne; Et quand mon père entra, sa gravure ancienne Etait en trois morceaux entre mes mains d'enfant, Etr je me proclamais général triomphant! Je 1'avais lentement et trés bien déchirée. Ah ! quel regard me fit mon père a son entrée! II ne me gronda pas, mais froncant le sourcil: „Sais-tu ce que tu viens de faire, Jean ?" dit-il; Et des débris rejoints recomposant 1'image : „Vois-tu bien, me dit-il, ce jeune et beau visage ? Tu 1'as détruit! Pourtant ton cceur n'est pas mauvais. C'était un homme doux et fier. Si tu savais ! II faisait des tableaux si beaux que chacun Paime! 1 Raphaël, célèbre peintre, sculpteur et arcbitecte de 1'école roraaine (1483—1520). 59 On y voyait la vierge et le bon Dieu lüi-même, Des enfants endormis et des anges du ciel.. . Et tu l'as déohiré ! mon pauvre Raphaël!" Mon oceur, a chaque mot, se gonflait de tristesse ; Bon Dieu! quel désespoir et quel malheur étaient-ce 1 J'éclatai, sanglotant, et pleurant a grand bruit Tous les pleurs de mes yeux sur Raphaël détruit! Ce remords, quelque temps, m'a gaté toute joie : H ne fera donc plus des tableaux oü 1'on voie Des enfants endormis et des anges du ciel! Et je me reprochais la mort de Raphaël. Jeak Aicard. 47. LA LETTRE DU GABIER. Hier matin, notre commandant Nous a dit que le batiment S'en allait partir a la guerre : Par la présente, votre fieu,1 S'en vient vous dire son adieu, Bonne grand'mère! J'aurais bien voulu, core2 un coup, Mettre mes bras a votre cou, Tout comme au temps de mon enfance; Mais, 1'un et 1'autre, oublions pas Qu'a présent votre petit gas 3 Est a la Prance ! Les camarades du pays, A leurs parents, a leurs amis, Font aussi leurs adieux, bien vite, \ Fieu = fils. * Cor = encore. * Gas = garcon. 60 Espérant que la lettre-ci Vous trouvera vaillants, ainsi Qu' elle nous quitte. Parait qu'on va voir les Chinois ; J'espère bien qu'avant six mois Ils seront battus par les nötres ! Si r on débarque, faudra voir ... Je saurai faire mon devoir .. . Comme les autres ! Je veux être le mieux noté Pour m'en revenir breveté Peut-être même quartier-maitre ! Avee mes galons frais cousus Je rirais si vous n'alliez plus Me reconnaitre. Si je nieurs — dam! faut tout prévoir Vous prierez pour moi, chaque soir, Madame la Vierge Marie: Dites-vous, dans votre chagrin, Que je suis mort, en bon marin, Pour la Patrie ! Voici qu'on sonne le départ!.... Embrassez, tout doux, de ma part, Celle... a qui chaque jour, je pense, Qu'elle me conserve son eceur : ^ II sera, si je suis vainqueur Ma récompense. Adieu ! pour de bon cette fois .... D'autant que, vraiment, je ne vois § Plus rien autre chose a vousTmettre; Votre Yvon, élève gabier, Qui, sans finir de vous aimer, Pinit sa lettre!" 61 48. BEPONSE DE LA GE AND 'MÊBE. J'ai bien recu, mon petit-fieu, La Iettre oü tu me dis adieu Avant de partir en campagne, Et je dicte la lettre-la Que tu liras bien loin déja De Ia Bretagne ! Je suis fille d'un matelot, J'ai mon homme et trois gas dans 1'eau . . La vie est quelquefois bien rude ! J'en ai tant dit des „Au revoir" Que je devrais bien en avoir Pris 1'habitude; Pourtant, j'ai le cceur plein d'émoi: C'est qu'aussi je n'ai plus que toi, Plus que toi, tout seul, en ce monde! Las !1 Que ferais-je, désormais, Si je ne voyais plus jamais Ta tête blonde ? Mais je console mes chagrins En me disant que les marins Ne meurent pas tous a Ia guerre: Vas-y gaiment, mon petit gas . . . Et reviens vite dans les bras De ta grand'mère! Pense a moi, souvent, trés souvent. Et, chaque fois que le grand vent Viendra de la oöte bretonne, Laisse-le te bien caresser : II t'apportera le baiser Que je lui donne. Las ! = hélas ! 62 Je prierai Ia Vierge d'Arvor Bien que j'invoque, et mieux encor, Sainte Anne, lorsque je suis seule; C'est Elle qui doit, dans les Cieux, Protéger tous les petits-fieux, La bonne Aïeule! Retiens bien ce que je te dis : Celle a qui tu donnas, jadis, L'anneau d'argent des accordailles, Sera fidéle a votre amour, Et t'espérera jusqu'au jour Des épousailles! Sans adieu, mon petit Yvon! Je dicte ces mots, qui s'en vont Sonner bien doux a ton oreille, A ta cousine Lénaïk, Et je signe: Veuve Rouzik, Ta pauvre vieille." Théodoee Botbbl. 49. LES FOURMIS. Enfant, quel démon t'a permis, En ta turbulence écolière, De troubler notre fourmilière En nous tuant quinze fourmis ? Le soleil chauffait par. Ia lande — Mesurant sa féconde ardeur •— Les clochettes et les odeurs De nos bruyères en guirlande, Et 1'apre terre du chemin, Lourde, sèche et pourtant vivace, Se creusait de mille crevasses, Telles les lignes d'une main. 63 ... Sur ce tertre jaune oü s'allient D'humbles fleurs de Petit Poucet, La fourmilière se dressait, Ronde, rouge, rousse et remplie! La face pourpre de 1'été, Ouvrant, a 1'abri des feuillées, Ses prunelles écarquillées, Protégeait son activité. Comme un filet aux souples mailles, S'étalait son dos arrondi, Entre-croisé, vers les midi, De pattes et de brins de paille. En la paix dont nul curieux N'avait encor rompu le charme, Elle poursuivait, sans alarme, Son grouillement laborieux, Et mes sceurs, dardant par centaines Leur gros ceil actif et percant, Se disaient bonjour, en passant, De la pointe de leurs antennes. „Votre santé, ma sceur ? Votre mari ? Vos ceufs ? Vos parents, dites-moi, voyagent-ils encore ?" „Je vais bien. Mes ceufs vont éclore. Mes parents sont rentrés chez eux. Pour mon mari (je suis sinoère), II ne fait que dormir ou ronger mon butin; Je le tuerai demain matin Puisqu'il ne m'est plus nécessaire." „Bravo ! Que portez-vous ?" „Trois pépins de raisin. Quel fardeau ! J'en deviens bossue. Je me traine. J'ai chaud. Je sue. Mais je les veux cacher en ce couloir voisin, Au plus creux de mon magasin." „Le lot, certes, vaut la corvée! „Vos réserves d'hiver, ma sceur, sont aohevées ?" „Ne m'en parlez point! Les petits Montrent si féroce appétit 64 Qu'il ne me reste plus qu'un vieux quartier de pomme.' „Une fourmi, bientót, mangera plus qu'un homme !' „Une noix, ce soir, y passa !... Ah ! si ma mère avait vu ca, Qui, même avant son mariage, Avait 1'horreur du gaspillage !" „Saviez-vous que la Frivolet La fille de Pique-Hardie, Püt prise au bec d'un roitelet Comme elle se chauffait au soleil ?" „u ciiuuiuie ! „Mais écoutez ceci, ma sceur: Ce roitelet, soudain blessé par un chasseur Vient — Paventure est singulière — De tomber sur la fourmilière. Les nötres, par le bout de ses deux ailerons, Dans Pespoir de faire ripaille, L'entrainent jusqu'ici." „Sus ! nous les aiderons ! Sus !" „L'animal est des plus ronds" Et de tout a fait belle taille!" „Un roitelet, ma soeur !" „Courons, ma sceur!" „Courons !" Ainsi, dans la tiède atmosphère, Le petit peuple frétillant S'abordait, tout en travaillant, Pour se raconter ses affaires. Cependant, tu passais, nonchalant ccolier, A cette heure oü midi leJong des fronts ruisselle, Trainant au bout d'une ficelle Ton livre en friche1 et ton cahier, 1 Une terre en friche = une terre laissée un eert aio temps sans culture (braakliggend); un livre en friche = un livre dont on ne se sert pas, qu'on n'étudie pas. 65 De Pallure rampante et lasse De chenille ou de limacon Que prennent, pour aller en classe, Ceux qui ne savent leur lecon. Tu passais, face courte, ingrate1 et dépeignée, Irrité d'être en faute et prêt, pour t'apaiser, A tout détruire, a tout briser, Arrachant de 1'berbe a poignées ! Surgit notre maison. Vite, il faut 1'écraser! II faut réduire — quelle aubaine ! — Ces travaüleurs oouleur d'ébène, Ces gens, moqueurs a leur facon, Qui savent si bien leur lecon ! Mon enfant, 1'injuste reproche ! Beau prétexte d'un coeur jaloux !... Tout en ricanant tu t'approches Et, dressant ton soulier ferré de larges clous, Meurtris la place la plus proche! „Voila quand on m'embête, na!" Jusqu'au fond des terriërs le sol en résonna. Chacune de nos ouvrières De frayeur bondit en arrière. „Quoi ? Qu'arrive-t-il ? Qu'est ceci ?" Les males s'éveillaient aussi, Eux que, cependant, rien n'éveille. Jamais épouvante pareille: Quinze des nótres, 6 noirceur! — Quelle ame un tel coup représente! — Gisaient en tas, les pauvres soeurs, Soit mortes, soit agonisantes. Patte-Aiguille, Petit-GLil-Ein, Je-Récolte et Je-Me-Promène, Et jusqu'a Trottinette enfin, Une vieille de six semaines 1 Face ingrate = qui n'est pas graoieuse. Lect. Class. N°. 10, 2» éd. 5 66 Qui, mourant sans discours oiseux, Dit simplement; „Sauvez mes ceufs !" Cependant, enfant détestable, Cosur maifaisant, affreux cerveau, Tu levais sur nous a nouveau Cette semelle épouvantable, Quand, étirant son corselet De tout le vouloir de sa force, La fourmi rouge, Gratte-Ecorce, Atteignit, d'un bond, ton mollet: Cric ! sous~ la cuisson que prooure A 1'épiderme bien tendu La prompte et directe piqüre, Tu t'enfuis, burlant, éperdu. Toi qui, sous les doigts tachés d'encre, Sous les dix doigts d'un petit cancre, Péris d'un trépas désolant Aux plis d'un bas rouge a pois blancs, Toi qui mourus sans sépulture, Poudre d'atome au gré du vent, De mort héroïque, en sauvant Ton peuple et sa progéniture, Gratte-Ecorce ! que 1'avenir T'honore, 6 fourmi-chevalière, Et transmette ton souvenir De fourmilière en fourmilière! Et toi, paresseux et méchant, Poulain laché qui caracoles Par les sentiers, a travers champs, Puyant la grand'route et récole, Puisses-tu, ce soir, endormi, Voir, au bord de ton drap posées, Les Ombres des quinze fourmis Roulant leurs gros yeux ennemis Et te suppliant a demi De leurs pattes entre-croisées ! Gabbiel Nigond. 67 50. LES AVIATEUES. La gauche fléchissait... D'un ton autoritaire Le général — grand chef dont le nom doit se taire — Dit aux aviateurs qui Pentouraient: „Voici: „Pour survoler ce bois qu'on apercoit d'ici „II me faudrait, messieurs, trois d'entre vous, trois hommes „De bonne volonté. Vous le voyez, nous sommes „Trés menacés. II faut reconnaitre a tout prix „Ce bois . .. Mais c'est la mort presque süre .. . Compris ? „Que trois lèvent la main ... Combien êtes-vous? Treize." D'un même élan joyeux, ardent, a la francaise, Treize mains brusquement se levèrent: „Parbleu! „J'en étais sür .. . Brigands !" Sa voix tremblait un peu ; Mais pour ne point paraïtre ému, d'un air bravache, D ün doigt vif, il frisait le bout de sa moustache. „Allons ! ... Tirons au sort... Les nomö dans un képi. .. „Et vite . . . Regardez ! ... 1'ennemi s'est tapi „Au fond de la vallée, et son attaque est prête. . ." Les trois noms sont tirés, comme pour une fête. Déja les trois élus s'éloignent, triomphants ... Mais : „Halte !... Demi-tour ! Depuis quand les enfants „(Si la mode est réoente, elle ne me plait guère), „S'en vont-ils a la mort sans embrasser leur père ?" Noble étreinte! si brusque et si tendre a la fois ! En leurs fiers avions les voici tous les trois Qui montent hardiment vers le ciel, vers la gloire. O mon Pays ! Inscris cela dans ton Histoire! Jacqxjbs Nobmand. 5* 68 51. LE CHEVALIEE PEISTTEMPS. C'est moi que Dieu sur terre envoie Dans un rayon de son soleil Pour mettre la nature en joie, Pour faire un monde tout vermeil. Quand 1'Hiver m'a crié: „Qui vive !" J'ai dit: Fais-moi place, il est temps ! Du Paradis tout droit j'arrivé: Je suis le chevalier Printemps!" Vêtu de vert, de bleu, de rose, Le nez au vent, 1'oeil aüumé, Plus frais que la plus fraïche rose, Plus parfumé qu'un jour de mai; Avec un charmant caractère Et la plus heureuse santé, Je m'en viens passer sur la terre Trois mois d'amour et de gaité! J'ai des fleurs a ma boutonnière; J'ai des flacons pleins de senteur, De 1'espoir plein ma bonbonnière Et des chansons tout plein mon coeur 1 Or, il suf fit que je me montre, Et les plus froids vont s'animer: L'ami Soleil régie ma montre Qui dit toujours 1'heure d'aimer. Le char céleste qui m'apporte Par des papülons est oonduit: .Un essaim d'abeilles 1'escorte, Tout un orchestre ailé le suit. Au loin, dés qu'on me voit paraïtre, L'insecte et le bourgeon naissant Se mettent vite a la fenêtre Pour me saluer en passant. 69 Chemin faisant, a gauche, a droite, Sur les gazons, dans les bosquets, Je lance d'une main adroite Des guirlandes et des bouquets; Et les refrains de mon cortège Réveülent les petits Amours Qui dormaient blottis sous la neige, Attendant Paube des beaux jours ... Dans les vergers, dès ma venue, D'herbe se couvrent les sentiers, Et pour me réjouir la vue, De fleurs se parent les pommiers. On dirait, a voir leur parure, Qu'ils vont fake, en procession, Au grand autel de la nature Leur première communion! Sous les brises de mon haleine Aux sillons s'en vont les semeurs; Les ruisseaux s'en vont a la plaine, Et sous les branches les rimeurs . . . Les bergers s'en vont aux prairies, Les gazelles au fond des bois, Les beaux enfants aux Tuileries Et les colombes sur les toits, . . C'-eat moi que Dieu sur terre envoie Dans un rayon de son soleil Pour mettre la nature en joie, Pour faire un monde tout vermeil. Quand 1'hiver m'a crié : „Qui vive /" J'ai dit: ,,Fais-moi place, il est temps ! Du Paradis tout droit j'arrivé: Je suis le chevalier Printemps !" Édouard Ploüviee. 70 52. LE PETIT CHAT. C'est un petit chat noir, effronté comme un page. Je le laisse jouer sur ma table, souvent. Quelquefois il s'assied sans faire du tapage ; On dirait un joli presse-papier vivant. Rien en lui, pas un poil de son velours ne bouge ; Longtemps il reste la, noir sur un feuillet blanc, A ces minets tirant leur langue de drap rouge, Qu'on fait pour essuyer les plumes, ressemblant. Quand il s'amuse, il est extrêmement comique, Pataud et gracieux tel un ourson drölet. Souvent je m'accroupis, pour suivre sa mimique, Quand on met devant lui la souooupe de lait. Tout d'abord de son nez délicat il le flaire, Le fróle, puis, a coups de langue trés petits, II le happe; et dés lors il est a son affaire, Et 1'on entend, pendant qu'il boit, un clapotis. 11 boit, bougeant la queue, et sans faire une pause, Et ne relève enfin son joli museau plat Que lorsqu'il a passé sa langue rêche et rose Partout, bien proprement débarbouillé le plat. Alors, il se pourlèche un moment les moustaches, Avec 1'air étonné d'avoir déja fini, Et comme il s'apercoit qu'il s'est fait quelques taches, II se lisse a nouveau, lustre son poil terni. Ses yeux jaunes et bleus sont oomme deux agates ; II les ferme a demi, parfois, en reniflant, Se renverse, ayant pris son museau dans ses pattes, Avec des airs de tigre étendu sur le flanc. Edmond Rostand. 71 53. UN ËVANGILE. En ce temps-la, Jésus, seul avec Pierre, errait Sur la rive du lao, prés de Génésareth,1 A Pheure oü le brülant soleil de midi plane, Quand ils virent, devant une pauvre cabane, La veuve d'un pêcheur, en longs voiles de deuil, Qui s'était tristement assise sur le seuil, Retenant dans ses yeux la larme qui les mouille, Pour bercer son enfant et filer sa quenouille. Non loin d'elle, oachés par des-figuiers touffus, Le maitre et son ami voyaient sans être vus. Soudain, un de ces vieux dont le tombeau s'apprête, Un mendiant, portant un vase sur sa tête, Vint a passer, et dit a celle qui filait: „Femme, je dois porter ce vase plein de lait Chez un homme logé dans le prochain village. Mais, tu le vois, je suis faible et brisé par 1'age. Les maisons sont encore a plus de mille pas, Et je sens bien que, seul, je n'accomplirai pas Ce travail, que 1'on doit me payer une obole." * La femme se leva sans dire une parole, Laissa, sans hésiter, sa quenouille de lin, Et le berceau d'osier oü pleurait 1'orphehn, Prit lë vase, et s'en fut avec le misérable. Et Pierre dit: „II faut se montrer seoourable, Maitre! mais cette femme a bien peu de raison D'abandonner ainsi son fils et sa maison, Pour le premier venu qui s'en va sur la route. A ce vieux mendiant, non loin d'ici, sans doute Quelque passant eüt pris son vase, et 1'eüt porté." 1 Génésareth = lac de Palestine. a Obole = petite monnaie grecque. 72 Mais Jésus répondit a Pierre: „En vérité, Quand un pauvre a pitié d'un plus pauvre, mon Père Veille sur sa demeure et veut qu'elle prospère. Cette femme a bien fait de partir sans surseoir." Quand il eut dit ces mots, le Seigneur vint s'asseoir Sur le vieux banc de bois, devant la pauvre hutte; De ses divines mains, pendant une minute, II fila la quenouille et berca le petit; Puis, se levant, il fit signe a Pierre, et partit. Et, quand elle revint a son logis, la veuve, A qui de sa bonté Dieu donnait cette preuve, Trouva — sans deviner jamais par quel ami — Sa quenouille filée et, son fils endormi. Feancois Coppée. 54. LA CHANSON DU VANNIEE. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Brins d'osier, vous serez le lit frêle óü la mère Berce un petit enfant aux sons d'un vieux couplet: L'enfant, la lèvrè encor toute blanche de lait, S'endort en souriant dans sa couche légère. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Vous serez Ie panier plein de fraises vermeilles Que les filles s'en vont cueillir dans les taillis. Elles rentrent le soir, rieuses, au logis, Et 1'odeur de fruits mürs s'exhale des corbeilles. 73 Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Vous serez le grand van oü la fermière alerte Fait bondir le froment qu'ont battu les fléaux, Tandis qu'a ses cótés, des bandes de moineaux Se disputent les grains dont la terre est oouverte. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier Lorsque s'empourpreront les vignes a 1'automne, Lorsque les vendangeurs descendront des coteaux, Brins d'osier, vous lierez les cercles des tonneaux Oü le vin doux rougit les douves et bouillonne. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Brins d'osier, vous serez la cage oü 1'oiseau chante, Et la nasse perfide au milieu des roseaux, Oü la traite, qui monte et file entre deux eaux, S'enfonce, et tout a coup, se débat frémissante. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Et vous serez aussi, brins d'osier, 1'humble claie Oü, quand le vieux vannier tombe et meurt, on 1'étend, Tout prêt pour le ceroueil. — Son convoi se répand, Le soir, dans les sentiers oü verdit 1'oseraie. Brins d'osier, brins d'osier, Courbez-vous, assouplis sous les doigts du vannier. Andbé Theubjbt. 74 55. LES SOUVENIBS DU PEUPLE. On pariera de sa gloiie1 Sous le chaume bien longtemps. L'humble toit, dans cinquante ans, Ne connaitra plus d'autre histoire. La viendront les villageois Dire alors a quelque vieille : Par des récits d'autrefois, Mère, abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu'il nous ait nui, Le peuple encor le révère, Oui, le révère, Parlez-nous de lui, grand'mère; Parlez-nous de lui. Mes enfants, dans ce village, Suivi de rois, il passa. Voila bien longtemps de 9a : Je venais d'entrer en ménage. A pied grimpant le coteau Oü pour voir je m'étais mise, II avait petit chapeau Avec redingote grise. Prés de lui je me troublai, II me dit: Bonjour, ma chère, Bonjour, ma chère. — H vous a parlé, grand'mère! II vous a parlé! L'an d'après, moi, pauvre femme, A Paris étant un jour, Je le vis avec sa cour: B se rendait a Notre-Dame. Tous les cceurs étaient contents; On admirait son cortège. 1 De la gloire de Napoléon Ier. 75 Chaoun disait: Quel beau temps ! Le ciel toujours le protégé. Son sourire était bien doux, D'un fils Dieu le rendait père, Le rendait père. — Quel beau jour pour vous, grand'mère ! Quel beau jour pour vous ! Mais, quand la pauvre Champagne Fut en proie aux étrangers, Lui, bravant tous les dangers, Semblait seul tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui, J'entends frapper a la porte; J'ouvre, bon Dieu ! c'était lui Suivi d'une faible escorte. II s'asseoit oü me voila, S'écriant: Oh ! quelle guerre ! Oh ! quelle guerre ! — II s'est assis la, grand'mère! II s'est assis la ! J'ai faim, dit-il; et bien vite, Je sers piquette et pain bis; Puis il sèche ses habits, Même a dormir le feu 1'invite. Au réveil, voyant mes pleurs, II me dit: Bonne espérance ! Je cours de tous ses malheurs, Sous Paris, venger la France. B part; et comme un trésor' J'ai depuis gardé son verre, Gardé son verre. — Vous 1'avez encor, grand'mère! Vous 1'avez encor! Le voici. Mais a sa perte Le héros fut entrainé. 76 Lui, qu'un pape a couronné, Est mort dans une ile déserte. Longtemps aucun ne 1'a cru; On disait: II va paraitre. Par mer il est accouru; L'étranger va voir son maitre. Quand d'erreur on nous tira, Ma douleur fut bien amère ! Put bien amère! — Dieu vous bénira, grand'mère; Dieu vous bénira. Bébangee. 56. LA GE AND 'MÈRE. Ma petite Jeannette est morte En son lit grand comme un berceau; Voila sa chambre oü son cerceau Pend encor derrière la porte. Et voioi son tablier bleu Pour porter du grain a ses bêtes, Son beau chapeau des jours de fête, Son manteau gris pour quand il pleut, Puis sa bonne Vierge Marie, — Une rose sur chaque pied, — Son dé, ses ciseaux, son papier, Sa laine et sa tapisserie. Avant sa soupe, au soir tombant, Les jeux finis, les fleurs coupées, jElle cousait pour ses poupées, Assise sur son petit banc, 77 Ou bien épelait sans tapage, Tout haut, pour ne point bredouiller. Et le rond de son doigt mouiüé Marquait 1'angle de chaque page. Je la trouvais, au jour levant, Telle qu'au soir je 1'avais mise, Roulée en sa longue chemise Comme un petit paquet vivant. O ma Jeannefcte, ma Jeannette, Qui, s'éveillant, disais : „Coucou !" Et, grimpant bien vite a mon cou, Faisais chavirer mes lunettes ! Nous nous en allions promener, Sa menotte en ma main blottie, Mais, maintenant qu'elle est partie, Je vais mourir, vous comprenez. Jamais, bien sür, le temps n'efface Un chagrin comme celui-la! Puisque mon enfant s'en alla, — Que voulez-vous donc que je fasse ? Dans le pré des coquelioots, — Rousse, chataine, brune ou blonde, — Les fillettes dansaient la ronde, Et je tricotais mon tricot. Coquelicot, pervenche et mauve! Au premier tour, faut s'embrasser, Au deuxième tour, faut passer, Au troisième tour, on se sauve 1 „C'était un sire de Bordeaux, Epoux d'une reine Eglantine ..." Ses petits bas sur sa bottine, Son chapeau flottant sur son dos, 78 Elle se sauvait, ma Jeannette, Ma mignonne aux cheveux clorés, Son rire tintait sur les prés Comme une argentine sonnette. Puis, dés qu'on la voulait saisir, Elle m'appelait a son aide. Je sentais son coeur d'oiseau tiède Battre de crainte et de plaisir. Le soleil a tari la source Et desséché le vert roseau, O pauvre petit coeur d'oiseau Qui B'est arrêté dans sa course ! De mes vieilles mains j'ai planté Des fleurs sur elle, au cimetière; Sa tombe embaume, tout entière, Sous les lis et les roses-thé. Mais je m'en reviens, je pénètre Dans sa chambre claire, en tremblant, Je revois le banc de bois blanc, En place, contre la fenêtre. Je voudrais pleurer, pas moyen! O mon Dieu, des douleurs pareilles ! Les enfants et les bonnes vieilles Ensemble s'accordent si bien ! Daignez, mon Dieu, daignez m'entendre 1 Je n'ai plus a vivre, a présent, Je suis seule, a quatre-vingts ans, Et me sens si lasse d'attendre! Gabribl Nigond. 79 57. JOSEPH BAEA. Partout 1'on s'équipe, 1'on s'arme : La Franco, en proie a Pétranger, A jeté son grand cri d'alarme Et la patrie est en danger. Bara 1'entend, ce cri de guerre. Adieu, maman ! adieu, chaumière ! B a douze ans, et ce n'est guère: Q'en est assez pour s'engager. B offrit ses bras a la France, Et la France y mit un tambour: Tambour trop grand, mais sa vaillance Ne le trouva jamais trop lourd. En avant donc ! et sous les balles Qui pleuvaient sur lui par rafales, Le tambour, auprès des cymbales, Se mit a rouler comme un sourd. Parfois arrivait au village Une lettre du régiment. La lettre disait: Bon courage, Mère! je vais trés rondement. Ca va bien quand on se dévoue. Ci-joint la solde qu'on m'alloue, Plus deux baisers sur chaque joue, Car c'est coup doublé, avec maman." Ainsi parlait ce fils modèle, Puis retournait, le coeur joyeux, Rouler du tambour de plus belle, La rage aux doigts, la flamme aux yeux. Or, un jour, dans une embuscade B tomba ^ pas un camarade ! Mais, tout prêts a la fusillade, Dix fusils, lui seul devant eux. 80 „Tu vas crier : A bas la France! Petit, sinon tu vas mourir." Pour Bara, dans la circonstance, Ce fut bientöt fait de choisir. — „Vive la France 1" A pleine bouohe Le cri jaillit, noir et farouche; Sur son cceur le fusil fit mouche. B tomba, héros et martyr. Mattrice Morel. 58. LE PETIT MENAGE DU PÊEE. Un petit doigt frappe a ma porte; J'en connais le son argentin: „Entrez !..." je sais que 1'on m'apporte Mon bonheur de ohaque matin. Les voila! toujours les premières A remplir ce joyeux devpir ... On entend la-bas les grands frères S'ébattre en leur bruyant dort oir. Mais en avril comme en décembre, Toujours, épiant mon réveil, Les deux sceurs entrent dans ma chambre, Plus exactes que le soleil. Et, si noire que soit la brume, A leur sourire familier, Une vive clarté s'allume Dans mon coeur, dans mon atelier.1 Ma nuit, ma triste nuit s'envole; Leur voix douce m'a raffermi 1 Atelier; o'est le eabinet d'étude du poète. 81 Avec cette simple parole : „Père, avez-vóus un peu dormi ?" Longtemps je les garde embrassées: Et quels bons rires entre nous ! Mais voila mes deux empressées • Qui s'écbappent de mes genoux. Car on veut tout remettre én place, Livres, papiers, tout 1'attirail, Pour que 1'ordre et la bonne grace Ornent ma table de travail. L'encrier, garni de ses plumes, M'invite, et prend un air charmant; Sur mes rayons les gros volumes S'ahgnent par enchantement. Sur les bronzes de 1'étagère, Sur les cadres d'or du trumeau,1 Comme une hirondelle légère On fait voltiger le plumeau. La bruyère, en sa porcelaine, Le tapis et ses larges fleurs, Le blason du coussin de laine, Tout reprend de vives couleurs. Et tandis qu'on passé et repasse, Sur mes genoux, en fredonnant, On revient, et vite on embrasse Le front du père rayonnant. Durant tout ce petit ménage Qu'on achève avec tant d'amour, Le poète a repris courage Pour son labeur de chaque jour. 1 Trumeau = glaee qui occupe un espace de mur entre deux fenêtres, ou^au-dessus d'une cheminée (penantspiegel). Led. Class. N». 10, 2» éd. 6 82 J'ai retrouvé toute ma flamme Et toute ma sérénité .. . Et je bénis, du fond de 1'ame, Les Muses qui m'ont visité. Victof. de Lapkade. 59. • LE MAL 1 Claire est la nuit, les bois verdissent; Le chemin est tout embaumé De muguets qui s'épanouissent, Et c'est demain le premier mai. A minuit, parmi les cépées, Voila qu'on entend a la fois Un fracas de branches coupées Et de joyeux éclats de voix. Ce sont les garcons du village Qui se glissent dans les taillis, Troublant les chevreuils au pacage Et les rossignols sur leurs nids. Au fond des combes ténéhreuses Ils vont, narguant les forestiers, Dérober pour leurs amoureuses Un mai vert aux bois printaniers. A la porte de la mignonne, Demain, quand le soleil luira, Le mai bercera sa couronne Enrubannée, — et 1'on rira ! .. . En route ! gare a qui s'attarde ! L'endroit n'est pas sür, hatez-vous, Garcons ! . . . Nuit et jour, le vieux garde Sur sa forêt veille en jaloux. 1 Mai = arbre enrubanné qu'on plante le Ier raai devant la porte de quelqu'un. 83 Fusil au dos et 1'air morose, Travaillé par mille soupcons, II se léve quand tout repose Et fouille déja les buissons ; II jure en découvrant la tracé De plus d'un hêtre frais coupé . .. Vain dépit et folie menace, Les maraudeurs ont décampé ! Penaud, dans les ronces mouillées, Le garde revient au logis. — Les alouettes, réveiÖées, Vers les cieux que 1'aube a rougis Montent, montent.. . Sur la Iisière, Les nids gazouülent tour a tour; Dans la rosée et la lumière Les champs fument. — Voici le jour. II s'approche du seuil: „Ah ! traitres !" Le plus beau baliveau du bois, Un grand mai s'étale aux fenêtres Et raille le garde aux abois . . . Sa fille, droite sur ses hanches, Sourit en tordant ses cheveux, Et 1'on voit luire entre les branches Ses bras blancs et ses clairs yeux bleus. Andké Theukeet. 60. LA LÉGENDE DU CHEVELER. Comme ils n'ont pas trouvé place a 1'hötellerie, Marie et saint Joseph s'abritent pour la nuit Dans une pauvre étable oü Phöte les conduit, Et la Jésus est né de la Vierge Marie. 6* 84 II est a peine né qu'aux patres d'alentour, Qui gardent leurs troupeaux dans la nuit solitaire, Des anges lumineux annoncent le mystère. Beaucoup sont en chemin avant le point du jour. Tla portent a 1'Enfant, couché sur de la paille Entre 1'ane et le bceuf qui soufflent doucement, Des agneaux, du lait pur, du miel ou du froment, Tous les humbles trésors du pauvre qui travaille. Le dernier venu dit: „Plus pauvre, je n'ai rien Que la flüte en roseau pendue a ma ceinture, Dont je sonne la nuit quand le troupeau pature: J'en peux offrir un air, si Jésus le veut bien." Marie a dit que oui, s'ouriant sous son voile. .. Mais soudain sont entrés les mages d'Orient; Ils viennent a Jésus 1'adorer en priant, Et ces rois sont venus guidés par une étoile. L'or brode, étincelant, leur manteau rouge et bleu, Bleu, rouge, étincelant comme un ciel a Paürore. Chacun devant Jésus se prosterne et 1'adore; Bs offrent l'or, 1'encens, la myrrhe, a 1'Enfant-Dieu. Ébloui, comme tous, par leur train magnifique, Le pauvre chevrier se tenait dans un coin; Mais la douce Marie: „Etes-vous pas trop loin Pour voir 1'Enfant, brave homme, en sonnant la musique?" B s'avance troublé, tire son chalumeau j|| Et, timide d'abord, 1'approche de ses lèvres; Puis, comme s'il était tout seul avec ses chèvres, B soufflé hardiment dans la flüte en roseau. Sans rien voir que 1'Enfant de toute 1'assemblée, Les yeux brillants de joie, il sonne avec vigueur; II y met tout son soufflé, il y met tout son cceur, Comme s'il était seul sous la nuit étoilée. 85 Ot, tout le monde écoute avec ravissement; Les rois sont attentifs a la flüte rustique; Et quand le chevrier a fini la musique, Jésus, qui tend les bras, sourit divinement. Jban Aicabd. 61. L'AUBERGE DU HOUX. Aux petits oiseaux du bon Dieu Les halliers servent de patrie; Fougère, viorne défleurie, Ronce fauve et houx au milieu. Le vieux houx est Phótellerie Des petits oiseaux du bon Dieu. A leur vieille auberge du Houx Rs önt le couvert et le vivre; Sous la neige et parmi le givre, On y donne des rendez-vous. Plus d'un habitué s'enivre A la vieille auberge du Houx. A la vieille auberge du Houx Les moineaux sont sur le qui-vive, Quand la saison d'hiver arrivé, Et les roitelets sont jaloux En entendant voler la grive Vers la vieille auberge du Houx. A la vieille auberge du Houx Les provisions ménagées Par la grive sont ravagées ; Elle les piqué a petits coups Et les croque comme dragees A la vieille auberge du Houx. 86 A la vieille auberge du Houx On n'a pas 1'ivresse méchante; L'amoureux, de facon touchante, Y siffle de petits airs doux. Quand la faim se tait, le feceur chante A la vieille auberge du Houx. A la vieille auberge du Houx, Au crépuscule et dans la brume, Jamais chandelle ne s'allume. On s'y couche au lever des loups. Tout le monde dort sous la plume A la vieille auberge du Houx. A la vieille auberge du Houx Les lits sont faits par la nature; Chaoun se perche è, 1'aventure Et si les vents sont en courroux, On est bercé dans la toiture De la vieille auberge du Houx. Pour cave 1'auberge du Houx A le frais trésor d'une source; Le merle y fait halte en sa course. La carte 1 est la même pour tous : Nul n'a jamais vidé sa bourse A la vieille auberge du Houx. A la vieille auberge du Houx, L'or ne fleurit point sous la haie Et c'est en chansons que 1'on paie. Les oiseaux sages et les fous Ne donnent pas d'autre monnaie A la vieille auberge du Houx. Hótel des oiseaux du bon Dieu, Qui dans le fond de tes chambrettes, 1 La carte = (au restaurant) Ie menu du jour; les mets ou les vins, avec les prix; ici: la note. 1'addition. 87 A travers les ombres discrètes, Introduis le firmament bleu, Ah ! fais donc chanter les poètes Comme les oiseaux du bon Dieu. Paul Ha rel. 62. IL ÉTAIT UÏTE FOIS „II était une fois ..." On jouait; on s'arrête ; Tous les joujoux lachés quittent la main distraite; On s'assoit, bouche bée, en faisant des yeux ronds. Grand'mère, qui tricote a petits gestes prompts, D'une petite voix commence son ramage, Et 1'on reste, a 1'ouïr, sage comme une image. Le conté qu'elle dit, certe, on le connaissait. C'est le Chaperon Rouge, ou le Petit Poucet, La Belle au bois dormant, le Chat botté, Peau d'ane, Cendrillon, les Souhaits, Barbe-bleue et sceur Anne, Et Riquet a la houppe, et bien d'autres encor. Certe, on en sait par coeur 1'histoire, le décor, Les répliques ; mais comme on aime a les entendre Au chevrotement doux monotonement tendre De grand'mère qui conté en tricotant son bas Et semble quelque fée, elle aussi, de la-bas ! Soi-même, a ce la-bas, comme on y va, sincère! Quand c'est le loup qui parle, ou bien 1'ogre, on se serre L'un contre 1'autre ; on voit leurs yeux rouges ardents, Le trou blanc qu'ouvrent dans la nuit leurs grandes dents. Pauvre Chaperon Rouge, avec son pot de beurre! Heureux Petit Poucet, lui! Sa chance est meilleure; Mais il Pa joliment méritée en effet; Et s'il coupe le cou de Pogre, c'est bien fait. Ce Riquet a la houppe,. en dit-il, des folies! Et les princesses, donc, ce qu'elles sont jolies! Qu'on les veuille épouser toutes, 9a se con9oit; 88 Car chacune est toujours la plus belle qui soit, Et sa robe est couleur du temps, et tout prospère Au royaume enchanté que gouverne son père. On y vit, dans ce bon royaume; on le parcourt En long, en large; et tout voyage y semble court, Quelque vastes que soient la ville et ses banlieues, Puisque 1'on a chaussé les bottes de sept lieues. Car on est le Petit Poucet soi-même, sur, Et le Prince Charmant, aussi le Prince Azur, Ton-aimé, Belle au bois dormant, le tien, Peau d'ane, Et r un des cavaliers qu'annonce enfin Sceur Anne Quand Barbe-bleue aiguise en bas son coutelas. „Allons, mes chérubins, vous devez être las", Dit grand'mère, „voila si longtemps que je conté! „C'est assez pour ce soir. Vous avez votre oompte. „L'homme au sable a passé sur vos yeux. Vite au lit!" Et 1'on frotte ses yeux qu'en effet il remplit De sable. Un sable en or ! Mais, quand même, il picote. On se couche. Grand'mère, elle, toujours tricote, Toujours, et 1'on s'endort en rêvant de la-bas, Cependant que les cinq aiguilles dans le bas Font comme un cliquetis de petites épées, Par lesquelles seront tout a 1'heure coupées Les têtes des géants, des ogres et des loups, Afin que 1'on épouse en dépit des jaloux La princesse, de fleurs et d'étoiles ooifïée, Dont la robe est couleur du temps, dont une fée Fut la marraine, et dont le père vous recoit En vous disant qu'elle est la plus belle qui soit. Jean Richepin. 63. EN MËMOIEE D'UN ENFANT. I Ce qui nous émeut tant devant le mal d'un autre, Est-ce un pressentiment qu'il deviendra le nótre; 89 Et Phomme, en son prochain, ne plaint-il donc si fort Que lui-même, ou Pimage exacte de son sort ? Pitié naïve! — Un jour, dans mon passé prospère (Comme ce jour est loin!), je vis pleurer un père .Qui, le front nu, suivait, pale, un petit cercueil; Et jusqu'au fond de moi pénétra tout le deuil Qu'il trainait sous le ciel; et toute sa souffrance Vint assaillir mon coeur, alors fou d'espérance. „Quoi? mort, son seul enfant!. ." Hélas ! je devais bien, Dés eet instant, prévoir qu'on me prendrait le mien. II Le soir, après avoir veillé tard sur un livre, Quand ma lampe charbonne en son cercle de cuivre, Quand, au loin, dans Paris silencieux et noir, L'écho des derniers pas meurt le long du trottoir, Je sors de mon travail fiévreux, comme d'un rêve. Je dégage mon front de mes mains ; je me léve Péniblement, les yeux obscurcis, 1'esprit las. A travers ma langueur minuit sonne son glas ; II faut se reposer, c'est 1'heure coutumière. Je pousse le fauteuil, j'emporte la lumière Et je gagne la chambre a coucher. Mais devant La pièce oü sommeillait naguère notre enfant, Je crains (c'est un retour de 1'ancienne habitude).. Je crains, dans ce silene e et cette solitude, De faire trop de bruit. Je marche a petits pas, Sur la pointe du pied, tout doucement, tout bas; Et je m'arrête court, en suspens, immobile, Dés que le parquet craque en la maison tranquille.' — Comme si nous Pavions toujours la! Comme si Notre fragile espoir, notre tendre souci, Notre bel enfant rose, en attendant 1'aurore, Dans les blancheurs de son berceau dormait encore! Émile Blémont. 90 64. LES MAISONS DES DIJNES. Les petites maisons, dans les dunes flamandes, Tournent toutes le dos a la mer grande; Avec leur toit de chaume et leur auvent de tuiles Et leurs rideaux propres et blancs Et leurs fenêtres aux joints branlants, Elles ont 1'air de gens tranquilles. Leurs vieux meubles peints et repeints, En jaune, en bleu, en vert, en rouge, Sont 1'armoire d'oü sort le pain, Les bancs scellés au mur, La table et le lit dur Et puis Phorloge, oü le temps bouge. Aussi vivent-elles trés pauvrement, Toutes coites, comme encavées Dans un grand pli de sol, contre le vent dément; Mais des enfants nombreux sont leur couvée. L'homme peine sur la mer grande avec ses fils, La sceur ainée a soin de la marmaille Et la femme est nourrice, et le grand-père assis, Prés de la porte, travaille Aux filets noirs, jusques au soir, Comme on faisait jadis. Ainsi vivent-elles, les petites maisons, Sous la crainte des horizons, Pauvres chaumes, minces guérites, Pour ceux qu'elles abritent; Ainsi vivent-elles, humbles et blanches, Avec de maigres fleurs dans leurs enclos, Avec leur porc en sa cage de planches, Avec leur ane apre, têtu, falot, 91 Qui broute au loin, dans la dune verrneille, Et redit non et non, toujours, En secoutant, au long du jour, Les deux oreilles Ëmile Verhaeben. 65. LE COFFEET. Ma mère, pour ses jours de deuil et de souci, Garde, dans un tiroir secret de sa commode, Un petit coffre en fer rouillé, de vieille mode, Et ne me 1'a fait voir que deux fois jusqu'ici. Comme un cercueil, la boite est funèbre et massive, Et contient les cheveux de ses parents défunts, Dans des sachets jaunis aux pénétrants parfums, Qu'elle vient quelquefois baiser, le soir, pensive! Quand sont mortes mes sceurs blondes, on 1'a rouvert Pour y mettre des pleurs et deux boucles frisées ! Hélas ! nous ne gardions d'elles, chaines brisées, Que ces deux anneaux d'or dans ce coffret de fer. Et toi, puisque tout front vers le tombeau se penche, O mère, quand viendra 1'inévitable jour Oü j'irai dans la boite enfermer a mon tour. Un peu de tes cheveux, que la mèche soit blanche ! . . . Geoegbs Rodenbach. 92 VOCABULAIRE. 1. Virer, draaien; la cabriole, luchtsprong, capriool; le cordeau, touw; couleur de carmin, karmijnrood; une avalanche, lawine; la pervenche, maagdenpalm; a tire d'aile, pijlsnel. 2. La bavarde, babbelaarster; le robinet, kraan; débiter monts et merveilles, buitengewone dingen vertellen ; la linotte, vlasvink; wildzang; la portière, portiersvrouw. 3. Ingénu, naïef, natuurlijk; 1'ingénu, het naïeve ventje ; étoufïer, stikken; de grace, asjeblieft; s'embarrasser, verlegen worden. 4. Roulier, vrachtrijder; la rampe, de helling; un arrêt, rust, ophouden; les jarrets, pooten (eigenlijk: kniebogen); fourbu, doodop ; le labeur, arbeid ;■ le sabot, hoef; la corne, hoorn ; une ornière, wagenspoor; le talus, helling; perclus, lam; la litière, stalstroo; la cöte, helling; rib; le tendon, pees; a plein gosier, luidkeels. 5. De belle taille, flink van gestalte; s'étendre, zich uitrekken; la ohétive péoore, het nietige beest; s'enfler, zich opblazen; se travaüler, zich afmatten; nenni, neen ; m'y voici donc ? ben ik er nu ? crever, barsten. 6. Enfourché, gezeten; pétiller, trillen, tintelen; je pétille d'ardeur, ik ben vól vuur; tempérer, verminderen ; hospitalier, gastvrij; le gosier, keel; la Providence, de Voorzienigheid; convoiter, sterk begeeren, verlangen; tenter 1'assaut, den aanval beproeven; s'ingénie, breekt 93 zich 't hoofd; la prestesse, vlugheid; s'aviser, den inval krijgen; démonté, uit den zadel geworpen. 7. Gaillard, vroolijk; Alerte, wakker; vernisser, glazuren ; lisse, glad; franc, vrijmoedig, recht; le jabot, krop ; le fen d'artifice, vuurwerk ; tout d'abord, dadelijk ; guider, leiden; le vermisseau, wormpje ; gare a, pas op ; le rival, mededinger; téméraire, vermetel; faire échec, dwarsboomen ; un ergot, spoor; taper, slaan; s'acharner, woedend aanvallen; incontesté, onbetwist; se percher, gaan zitten. 8. Le compère Thomas, baas Thomas; une bonne aubaine, buitenkansje ; c'est différent, dat is wat anders ; le taillis, hakhout. 9. Le bouyxeuil, bloedvink ; le ramage, gezang ; du róti, gebraden vleesch; pour 1'ordinaire, d'ordinaire, gewoonlijk; une auge, bakje ; las ! helaas ! 10. De J 'ennui, verdriet; faire honte, schande aandoen ; devant le monde, in tegenwoordigheid van de menschen; a tout propos, bij iedere gelegenheid, telkens; c'est tout comme! 't is net eender! toqué, mal; avec des airs triomphants, triomfantelijk; dégagé, los; faire une grimaoe, een gezicht trekken; une étrenne, nieuwjaarsgeschenk ; bobonne = la bonne ; faire des épates,. drukte maken ; chien, gierig; tonton = oncle ; une maladresse, onhandigheid; faire des yeux de velours, lief kijken. 11. La course, hop ; le Midi, het Zuiden ; s'épancher, zich uitstorten, stroomen ; trancher, doorsnijden ; arroser, stroomen door . . .; pousser sa marche errante, zijn dwalenden loop richten; couper, doorsnijden; fleuri, bloemrijk; absorber, opslorpen; a force de boire, door 't vele drinken ; grossir, vergrooten ; décharger, ontlasten; pour faire ses preuves, om te toonen wat hij kan ; arrondir, afronden (door bijvoeging van ingesloten of inspringende stukken grond); le lot, aandeel; hier : gebied ; confisquer, beslag leggen op. 12. Le paon, pauw; retentir, (weer)klinken ; de plus belle, opnieuw; d'avance, te voren, vooraf; une aigrette, kuif; un insigne, kenteeken; contempler, beschouwen ; 94 le eoin-coin roturier, burgerlijk gekwaak; le fumier, mestvaalt; sinon, anders; gare, pas op; hautain, hooghartig ; soyeux, zacht als zij ; fleuri, gebloemd, met bloemen ; le rubis, robijn; ruisselant de, druipend van; hier: dicht bedekt met; s'ébrouer, zich schudden; le vitrail, geschilderd raam; que nul ne le rejoigne! laat niemand naar hem toegaan ! 13. Le mouron, vogelmuurkruid; la binette, gezicht; le museau, snuHtje; bouger, zich bewegen; la verdure, het groen; vibrer, trillers maken; le grand tour, groote tocht; le faubourg, voorstad; la banlieue, buitenwijken (rondom een groote stad) ; la hotte, draagkorf.; la botte, bosje; trainer le talon, zich voortsleepen ~ tremper ses pieds dans les ruisseaux, met z'n voeten in de goten loopen ; tendre Poreüle, luisteren ; jambes en fuseaux, spiüebeenen ; gros sou, stuiverstuk; la peau sur les os, broodmager. 14. Le Tage, Taag; prudent, wijs ; astronome, sterrenkundige ; le conseil, ministerraad; observatoire, sterrenwacht, observatorium; j'ai lieu de croire, ik heb reden om te gelooven; commun, alledaagsch; maravédis, koperen munt van ± 1 % cent; importun, hinderlijk. 15. Une enseigne, uithangbord; afïriander, aanlokken ; faire merveilles, wonderen doen; bel et bien, geheel en al; se lester la panse, z'n buikje vullen; sans cérémonie, zonder /complimenten; une erreur, vergissing; extréme, buitengewoon groot; vous ne m'y prendrez plus, je zult me er niet meer laten inloopen; leurrer, 6edriegen; un vain conté, een leugen; a votre compte, naar uw meening. 16. En coup de vent, als een windvlaag; aligné, in een rechte lijn ; éborgné, met afgesneden knoppen (zie 25) ; en dérdute, op de vlucht; déraciner, ontwortelen; disperser, verstrooien, uiteenjagen; ahuri, verschrikt; beugier, loeien; le train, vaart; butter, stooten. 17. La taupe, mol; en convenir, ze te erkennen ; a 1'écart, op een afgelegen plaats; herbette, jong, fijn gras; jouer au colin-maillard, blindemannetje spelen ; flexible, buigzaam; s'appliquer, gelegd worden; un in- 95 stant en faisait 1'affaire, 't was 't werk van één oogenblik ; sans craindre pot au noir, zonder eenig gevaar te vreezen ; le pot au noir, de zwartsel-, schoensmeerpot; se tourmenter, zich afsloven; le réduit, eenzaam hoekje; ce serait conscience, 't zou niet goed zijn; je suis d'avis, ik ben van oordeel. 18. Au chant perlé, met kristallen geluid; ne fais pas triste mine, zet geen verdrietig gezicht; j'en veux è, la famine, ik ben de vijand van den honger; tant pis ! ik kan er niks aan doen t; se brouiller, van streek raken ; le ciel se brouille, de lucht betrekt; bonasse, goejig; la besace, bedelzak. 19. Le grillon, krekel; petit-maitre, fat; la figure, voorkomen; des efforts, krachtsinspanning; la retraite, schuilplaats. 20. La serre, klauw; fondre, neerstrijken ; le pauvre hère, de arme drommel; accomplir un sacrifice, een offer brengen ; la pature, voedsel; un perdreau, (jonge) patrijs. 21. Le corail, koraal; a triple découpure, drievoudig getand; épandre, répandre, verspreiden; tenir de, iets hebben van; un essaim, zwerm; tapi, weggescholen; la guêpe, wesp; la chenille, rups. 22. Le panache, pluim; s'abattre, neerstorten; les reins, de lendenen; le remorqueur, sleepboot; la poupe, achtersteven; flairer, ruiken; braver, trotseeren ; un assaut, aanval; en fin de compte, ten slotte; les Invalides = het Hotel des Invalides (voor oud-militairen); limpide, helder. 23. Amour, schotje ; guetter, bespieden ; divin, goddelijk ; la grève, strand; rauque, schor; captiver, boeien ; 1'épouvante, schrik; le prodige, wonder; sous la main, bij de hand; surgir, oprijzen. 24. Un reflet, weerschijn ; par mégarde, bij ongeluk ; brouter, afgrazen; un marmot, kleuter; quadrumane, vierhandig; enchanter, in verrukking brengen; tenir a, houden van; effaré, ontsteld; un faux pas, misstap; cogner, stooten. 25. Eborgner, aan één oog blind maken. EBBRBB 96 26. Le coussinet, kussentje; prétendre, meenen; sans encombre, zonder beletsel, ongehinderd; court vêtue, met korte rokken; ootillon simple, één enkele rok ; troussé, gekleed; un cent d'ceufs, een honderdtal eieren; couvée, broedsel; s'engraisser, vet worden; engraisser, vet mesten; le son, zemelen; transporté (de joie), buiten zich zelf van vreugde ; la dame, eigenares ; marri, bedroefd; la farce, klucht. 27. Clos, gesloten ; susurrer, suizen; picoter, pikken, prikkelen; rester en éveil, wakker blijven; flamboyer, vlammen, flikkeren; le clos, omheinde akker, tuin ; bruit, van bruire, gonzen; irriter, prikkelen; le nonchaloir, loomheid; vibrer, trillen; la bassine, koperen pan; voltiger, heen en weer vliegen; prendre souoi de, zorgen ~voor; constamment, voortdurend; le bahut, kast, buffet; la motte, kluit; un régal embaumé, geurende lekkernij; prompt, vlug. 28. Déchu, de déchoir, vervallen; un antre, grot; la geöle, kerker; le barreau, spijl; la respiration, ademhaling ; soulever, op en neer doen gaan; la caverne, grot; le désespoir, wanhoop ; baladin, hansworst;' vil, gering; le erin, haar; la tringle, stang, roede; torturer, kwellen; cingler, striemen; fouailler, zweepen; bailler, geeuwen; la sécurité, veiligheid; la révolte, opstand. 29. Paralytique, lam; le soulagement, verlichting; la doctrine, leer; persuader, overhalen tot; le trait, staaltje; perclus, lam: superflu, ijdel; le grabat, slecht bed; a tatons, tastend; mal assuré, wankel; décider, beslissen. 30. Entrain, levendigheid, leven ; le tra la la, drukte ; délasser, ontspannen; lambiner, treuzelen; un asticot, regenworm, aas ; amorcer, aas aan de haak doen ; guigner, loeren op; raide, stijf; une angoisse, angst; détendre, ontspannen ; déranger, storen ; un goujon, grondel. 31. Passer, vergeven; le chardon, distel; le bocage, boschje ; bouche béante, met open mond ; se tourmenter, zich aftobben; parvenir a, er in slagen; la fougère, varen; champêtre, landelijk; ' se redresser, zich weer 97 oprichten; le naseau, neusgat; faire la culbute, een buiteling maken. 32. La berge, oever ; le fouillis, warboel ; la vanne, val\ of schuifdeur; la ramure, de takken; le barrage,stuw, stroomdam; le chenet, haardijzer; embaumer le sapin, ruiken naar sparrehout; la huche, broodkist; la jatte, nap, kom; un horizon, vergezicht; 1'aise, welbehagen. 33. La tortue, schildpad; a la tête légère, lichtzinnig ; faire cas do, houden van; boiteux, kreupel.; la commère, het vrouwtje; ils avaient de quoi la satisfaire, zij waren in staat haar genoegen te doen; voiturer, vervoeren; mceurs, zeden; s'attendre de (maintenant: a), verwachten ; f orger, vervaardigen; la pélerine, de reizigster; gardez de lacher prise, pas op dat je niet los laat; la guise, wijze; un oison, gansje; desserrer les dents, de tanden vaneen doen; crever, barsten ; indisorétion, onbezonnenheid ; le parentage, verwantschap; le lignage, geslacht. 34. Indéfiniment, eindeloos lang; deviner, raden; sonder, peilen; demi-tour! rechtsomkeert! La vigie, uitkijk. 35. La charpie, pluksel; effiler, uitrafelen; un lambeau de toile, lap linnen; lugubre, somber; sommer la famine, den honger sommeeren, manen (tot overgave); sans répit, zonder uitstel, rust; ingénu, oprecht; commun, gemeenschappelijk; mêlons nos pleurs, laten wij samen weenen ; empressé, ijverig; la trame, weefsel. 36. Le gite, logies; ménager, sparen; le fagot, takkenbos; rangér la cendre, de asch rakelen; manger la soupe, eten; une étape, rustplaats; se refaire, zich opknappen; a sa taille, naar zijn gestalte; elle n'en veut démordre, zij geeft 't niet op; le sao, ransel; gars, jongen: 37. Le léopard, luipaard; la guenon, wijfjesaap; courber son éohine, zijn rug buigen; la gambade, bokkesprong; la tanière, hol; débonnaire, zachtmoedig; s'associer aux plaisirs, deelen in de genoegens ; la fantaisie. Leet. Class. N°. 10, '2» éd. 7 DHHB1 98 welbehagen; la philosophie, levenswijsheid; enchanté, verrukt. 38. Housard, huzaar; la bravoure, dapperheid; sanglant, bloedend; raler, rochelen; livide, doodsbleek; la gourde, veldflesch; étreindre, vastklemmen; viser, mikken; un écart, sprong; tout de même, toch. 39. Hagard, wild; baleter, hijgen. 40. La chatelaine, burchtvrouw; ooncevable, begrijpelijk. 41. La lanterne magique, de tooverlantaarn; beiesprit, letterkundige; pompeux, hoogdravend; le concours, samenloop; voltiger, kunstige passen maken; le saut périlleux, salto mortale (halsbrekende sprong); d'aplomb, loodrecht, stevig rechtop; faire 1'exercice, exerceeren; tout du long, in de gansche lengte; a la prussienne, op z'n Pruisisch; faire un coup de sa tête, iets op eigen houtje ondernemen; a la file, achter elkaar; oratoire, welsprekend; présentement, nu; écarquiller, opensperren; étourdir, verdooven; éloquemment, welsprekend. 42. Le brodequin, rijglaars ; se désoler, zich bedroeven ; obstiné, halsstarrig; une cheminée prussienne, haard. 43. dier, uitbazuinen; meurtrir, kneuzen, kwetsen; griffer, krabben ; le rêle, gerochel; étouffant, verstikkend; la mine neurie, met blozend gelaat; la gaterie, vertroeteling ; a/pre, ruw; reprendre, weder aanvallen; le noeud bouffant, bolle strik; gueux, arme; envoi, opdracht; paroheminé, perkamentachtig, bleek en geel. 44. Le goret, varken; enfantelet, kindje; la goule = gueule, snuit; le blé-noir = le sarrasin, boekweit; des mignardises, flikftooierijen ; sous-pref et, onderprefect ; se désoler, zich bedroeven; la panse, buikje; adjoint, wethouder. 45. Forcer, geweld aan doen; lourdaud, lomperd; passer pour, doorgaan voor; mignon, lief; malaisé, moeilijk; une corne usée, een versleten hoef; Martinbaton, ezeldrijver. 46. Désorclonné, ongeregeld; raisonnable, verstandig; 99 proclamer, uitroepen tot; recomposer, opnieuw samenstellen ; la vierge, de Maagd (Maria). 47. Gabier, marsgast; la présente (lettre), deze brief ; débarquer, aan wal gaan; quartier-maïtre, bootsman; frais eousu, pas genaaid; dam! drommels ! conserver, bewaren; pour de bon, voor goed. 48. Partir en campagne, ten oorlog trekken; breton, Bretonsch; invoquer, aanroepen; les accordailles, verloving'; les épousailleB, de huwelijksvoltrekking. 49. Démon, duivel f la turbulence écolière, schooljongens-woeligheid ; chaufïer, branden; la lande, heide; mesurer, afmeten; fécond, vruchtbaar; Spre, ruw, hobbelig ; vivace, krachtig; la crevasse, spleet; Petit Poucet, Klein Duimpje; la maille, maas; entre-croisé, doorkruist ; rompre le charme, de bekoring verbreken; le grouillement, gekrioel; darder, schieten, werpen; "une antenne, voelspriet; le pépin de raisin, druivepit; le fardeau, last; le lot, partijtje; la corvée, karwei; avoir Phorreur du gaspillage, een afschuw hebben van verkwisting ; le roitelet, winterkoninkje; un aileron, vleugeltje ; faire ripaüle, geweldig smullen; Sus ! Op ! op I frétiller, spartelen, huppelen; frétillant, woelig, onrustig; s'aborder, elkaar aanspreken; rampant, kruipend; las, moe; dépeigné, ongekamd; être en faute, iets verkeerds doen; réduire, vernielen; une aubaine, buitenkansje; ébène, ebbenhout; couleur d'ébène, gitzwart; le prétexte, voorwendsel; ricaner, grijnzen; embêter, vervelen; na ! daar! le terriër, hól; le male, mannetje; la noirceur, snoodheid; gisaient, de gésir, liggen; agoniser, stuiptrekken ; discours oiseux, ij dele woorden; le corselet, borststuk ; la cuisson, het branden ; 1'épiderme, opperhuid; oancre, luie schooljongen; le trépas, de dood ; la sépulture, begrafenis ; la progéniture, kroost, afstammelingen ; transmettre, voortplanten; le poulain, veulen; caracoler, huppelen ; une ombre, schim. 50. La gauche, linkervleugel; fléchir, wijken; un ton autoritaire, toon van gezag ; bravache, gewild-dapper; élu, uitverkorene ; un avioft, vliegmachine. 7* 100 51. Vermeil, hoogrood; la senteur, geur; céleste, hemelsch; un essaim, zwerm; le bourgeon, knop; Amour, Amor, liefdegodje; la parure, tooi; le sillon, voor. 52. Effronté, brutaal; le minet, poesje; pataud, lomp , log ; un ourson, beertje; s'accroupir, neerhurken; fróler, even aanraken; rêche, ruw; se pourlécher, zich likken; se lisser, zich de haren gladstrijken; lustrer, glanzend maken, poetsen; se ternir, dof worden; renifler, snuiven. 53. Planer, zweven; la quenouille, spinrokken; touffu, dicht; le tombeau, graf; s'apprêter, bereid worden, klaar gemaakt worden; osier, teen; prospérer, welvarend zijn; sans surseoir, zonder dralen; divin, goddelijk. 54. Un brin d'osier, teenen twijg ; assouplir, buigzaam, lenig maken; le vannier, mandenmaker; le taillis, hakhout ; s'exhaler, opstijgen; le van, wan; le fléau, dorschvlegel; s'empourprer, purperrood worden; la douve, duig; la nasse, fuik; Ia truite, forel; se débattre, spartelen ; une claie, horde (van teenen); le oonvoi, lijkstoet; une oseraie, teenbosch. 55. Le chaume, stroo, stroohut; humble, nederig ; révérer, vereeren ; entrer en ménage, trouwen; le cortège, stoet; le pain bis, bruin brood; tirer d'erreur, uit de dwaling helpen. 56. Bredouiller, stotteren; Couoou ! kiekeboe ! chavirer, omvallen ; le coquelicot, klaproos; la pervenche, maagdenpalm ; la mauve malva, kaasjeskruid. 57. La rafale, stormvlaag; la cymbale, békken; je vais trés rondement, ik maak het flink; allouer, ■toekennen. 58. S'ébattre, stoeien; raffermir, versterken, moed geven; empressé, die haast heeft; s'aligner, in een rij .gaan staan; Ia sérénité, kalmte. - 59. Le muguet, lelietje der dalen; les cépées, het jonge hout; le pacage, weiland; une combe, nauw dal; narguer, tarten; morose, somber; travaillé, gekweld; le maraudeur, strooper; décamper, zijn biezen pakken; penaud, beteuterd, op z'n neus kijkend; le baliveau, jong boompje; aux abois, ten einde raad; tordre, vlechten. 101 60. Paturer, grazen; le mage, wijze; se prosterner, knielen ; 1'encens, wierook ; le train, staat; le ohalumeau, schalmei, rieten fluit. 61. Le houx, hulst; le hallier, dicht struikgewas; la fougère, varen; la viorne, sneeuwbal; défleuri, uitgebloeid ; la ronce, braam; fauve, vaalrood, ros; habitué, trouwe bezoeker; la grive, lijster; une dragée, bruidsuiker. 62. Le ramage, gekweel; zacht gefluister; Riquet a la houppe, Riquet; met de kuif le chevrotement, het beverig vertellen; un ogre, menscheneter; 9a se con9oit, dat is begrijpelijk; couleur du temps, hemelsblauw; prospérer, bloeien; gelukken; la banlieue, omtrek van de stad; le coutelas, hartsvanger; groot mes; picoter, jeuken; la marraine, peettante. 63. Prospère, voorspoedig; oharbonner, walmen; la langueur, neerslachtigheid; sonner le glas, de doodklok luiden; naguère, kort geleden; en suspens, aarzelend. 64. Un auvent, luifel, afdak; le joint, voeg; branlant, waggelend; scellé, vastgemaakt; coi, fém. coite, kalm; encaver, inkelderen; dément, waanzinnig; la marmaille, de kleuters; la guérite, huisje, hokje; apre, ruw; falot, mal. Jt, 65. Le coffret, kistje; funèbre, doodsch; le sachet, zakje; pénétrant, doordringend. 102 TABLES DES MATIÊRES. Page. 1. La ronde du diabolo 5 2. La bavarde g 3. Les questions g 4. Le cheval du roulier g 5. La grenouüle qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. 10 6. Jocrisse sur son ane , \q 7. Le coq ij 8. Les deux voyageurs .12 9. Le bouvreuil et le corbeau 13 10. Enfant terrible 14 11. La Garonne _ jg 12. Le paon ^7 13. Du mouron pour les p'tits oiseaux 19 14. Le roi Alphonse 20 15. L'enseigne du cabaret 21 16. L'auto 22 17. La taupe et les lapins 24 18. Ce que dit la pluie 25 19. Le grillon 27 20. L'aigle et le moineau 28 21. Les fraises des bois 28 22. Le vieux bateau 30 23. La béte , 32 TABLE DES MATIÈRES. 103 Page. 24. Le pot cassé 32 26. II neige! .33 26. La laitière et le pot au lait 34 27. La chanson des mouches 35 28. Le lion en cage . 37 29. L'aveugle et le paralytique 38 30. Le pêcheur a la ligne 40 31. L'ane et la flüte '. 41 32. Le moulin 42 33. La tortue et les deux canards 43 34. Christophe Colomb 46 35. La charpie 46 36. Le bon gite 47 37. Les singes et le léopard 48 38. Après la bataille 50 39. Un général 50 40. L'Élu - 51 41. Le singe qui montre la lanterne magique 52 42. Les soldats de plomb 53 43. Ballade de Noël 54 44. Le petit goret 55 45. L'ane et le petit chien 57 46. La mort de Raphaël 58 47. La lettre du gabier 59 48. Réponse de la grand'mère 61 49. Les fourmis 62 50. Les aviateurs 67 51. Le chevalier Printemps 68 62. Le petit chat* 70 53. Un Évangile 71 54. La chanson du vannier 72 55. Les souvenirs du peuple 74 56. La grand'mère 76 57. Joseph Bara 79 58. Le petit ménage du père 80 59. Le mai 82 60. La légende du chevrier 83 BH 104 TABLE DES MATTE BES. Page. 61. L'auberge du Houx . - 85 62. n était une fois 87 63. En mémoire d'un enfant 88 64. Les maisons des dunes 90 65. Le coffret 91 Vocabulaire 92 PUBLICAfoOftS DB W. B. 3, TMEENK WILLINK A ZWOLLE Lïste alphabétique des ouvrages parus dans la collectïon des nuraéro LÈCTURES CLASSIQUES 19 ABOOT, EDMOND. Le Roi des Montagnes. '• . .•' Annoté par S. A. Leopold. 2me édition . ïtfm*. 0 85 25 AUGIER et SANDEAU. Le Gendre de M. Poirier. Annoté par F. Doucet. 2me éd. 0 60 3 BALZAC, HONORÉ DE. Eugénie Grandet. Pages choisies par P. Valkhof!. ...... 075 42 BA YARD et MELESVILLE. La Chambre prdente. Annoté par F. P. Visser. .. ^......... . 0 80 41 BEAUMARCHAIS.. Le Mariage de Figaro. Annoté par E. J. Boroli . „ . . 0.70 29 BRETE, JEAN DE LA. Mon Onele et mon Curé. Annoté par I. M. J. Hoog. 2me édition. . ." . . 0.80 6 Comédiés Moderne? I. Annotées par F. Doucet .... 0.85 (Haraucourt, Lés Oberlé —! Zamacoïs, Les BoufEons — jSggljS' /fTapié & Oarnier, Sévérité.) 17 Comédies Modernes II. Annotées par F. Doucet. . . . 0.90 (France, Crainquebille. — Bernard, 1'Anglais tel qu'on " le parle — Franches Lippées — Les pieds nickelés.) 27 Comédies Modernes III. Annotées par F. Doucet . . . 0.85 - (Prévost, Pierre et Thcrèse — Zamacoïs, La Fleur Merveilleuse.) ,34 CQPPÉE, 'FRANCOIS. Oeuvres éhoisies, avec notice et annotations par I. M. J. Hoog. . . ... . . •; ., 0.80 21 COPPÉE, FRANCOIS. Le Luthier de Crémone. Annoté par A. H. E. Verhaegh. 2me édition. . . 0.45 13 CORNEILLE, Le Cid. Annoté par E. J. Bomli. 3me édition. . : . . , 0.55 28 CORNEILLE, Horace. Annoté par E. J. Bomli "045 4 DAUDET, ALPHONSE. Tartarin de Tarascon. ! Annoté par M. H. P. J. Horbach. 4me édtóon.. . 0.85 9 DAUDET, ALPHONSE. Tartarin sur les Alpes. Annoté par M. H. P.' J. Horbach. 2me édition. . 0.95 22 DAUDET, ALPHONSE. Le petit Chose. Annoté par M. H. P. J. Horbach. 3me édition. . L10 39 DELAVIGNE, CASIMIR. Louis XI. Annoté par I. M. J. Hoog . . . . „• •. ... . 080 32 ERCKMANN-CHATRIAN. L'Ami Fritz. Comédie. Édition compléte, annotéc par E..J. Bomli. ^ . . 0.70 26 FEUILLET, OCTAVE. Le roman d'un Jeune Homme Pauvre. Annoté par A. Haringx. . , fep . 0.80 46 FONTAINE, JEAN DE LA, FaMes (ed. Lamberi). 8e ed. revue par P. ■ Valkhof! .... : ., . . . . 0.55 40 GRÉVILLE, HENRY. Dosia. Annoté par I. M. J. Hoog . . . . . . . . ■ .fe . 0.80 48 GUERRE, Les Conteurs de la. Annoté par ffenri Smeets. 0.90 49 GUERRE, Récits de. Annoté par O Roovers 0.90 14 HALÉVY, LUD. L'Abbé Constantin. Annoté par I. M. J. Hoog. 4me édition. . 0.85 PÜBLICAT10NS DE W. & J. TJJ5ENK WILLINK A ZWOLLK LECTURES CLASSIQ U ES~ 33 HALT, M. R. Histoire d'un petit Homme. Annoté par J. Vies. 2me édition . . nsn 8 HÜGO, VICTOR. Jean Valjean. • • ■ ■ u.öu ,« r * ,^t?ié par L M- J- HooS- 2me éditi°n 0 60 16 LABICHE et MARTIN. Le Voyage de monsieur Perrichon 7 t rt-rVn«°ItU^r A- H> E' Verhi**iï- 4me édition. . . 0.80 7 LOTI, PIERRE. Pêcbeur d'Islande. Annoté rar F. Doucet. 3me édition. . n sn 18 MARGÜERITTE, PAUL & VICTOR. Poum. ' m „ 'Annoté par H. & M. du Crocq. 2me édition 0 75 23 MARGÜERITTE, PAUL & VICTOR. Zette7 ' ' Annoté par H. & M. du Crocq . ' n 7e 31 MARIVAUX. Le Jeu de 1'Amour et du Hasard ' * 1 Ïa „^.Aï,oté Ml H- R J- Horbach j 0 60 30 MOLIÈRE. L'Avare. u.ou Annoté par P. Valkhoff. 2me édition . 0 ftt 11 MOLIÈRE. Les Femmas Savantes. " ' " ,c „ Annoté par E. J. Bomh. 2me édition. 0 50 35 MOLIÈRE. Le Médeein malgré lui. ' Annoté par M. Hovingh & J. Bitter. . . 0 50 37 MOLIÈRE. Le Misanthrojle. Annoté Par M- H- p- J- Horbach ... 0 fin 38 MOLIÈRE. LeS Précieuses Ridicules. ' Annoté par E. J. Bomli „ ak 45 MOLIÈRE. Le Malade Imaginaire. Annoté par M. H. P. J. Horbach .... 060 10 Po4tes et Chansonniers I. Vers francais ohmsfc* par P. Valkhoff. 2me édition.... • n 7n 15 RACINE. Britannicus. 0 oC ~ . Annoté Par E. J. Bomli. 2me édition . . .. t o 55 - 36 RACINE. Andromaque. Annoté par E. J. Bomli. ... n 47 ROLLAND, ROMAIN. Jean-Chrlstophe', L'Aube. ' ' , Met aanteekeningen van M. H. P. J Horbach i in 44 ROSTAND, EDMOND. L'AIgion. aor^ ■ ■ MO Annoté par M.-Hovingh & J. Bitter. . 1 nu 12 ROSTAND, EDMOND. Cyrano de Bergerac. ' ' ' ' Annoté par M. Hovingh & J. Bitter. 4me édition. 1.65 i eAM^ri^?,^mpris Autour de Cyrano. 2me édition . . 190 1 SAND, GEORGE. La Mare au Diable. Annoté par I. M. J. Hoog . . n 7n 5 SANDEAU, JULES. La Roche aux Mouettes! J 12 Annoté par L M. J. Hoog. 2me édition. 0 80 20 SCHULTZ, JEANNE. La Neuvaine de Colette Annoté par I. M. J. Hoog . . ; nsn 43 THEURIET, ANDRÉ. L'Oncle Seipiön. ' Annoté par A. Dijkshoorn. . n s« 24 VERNE, JULES. Le Tour du Monde en 80 jours. ' ' Annoté par L. J. Corbeau. 3me édition ... i 20 Questionnaire hierbij behoorende Ine. 0 45 ■ ?eb O r><» 2 VIGNY, ALFRED DE. Cinq Mars g * Annoté par L M. J. Hoog . o 60 _öU26_196 2194 110 r LECTURES 1 CLASSIQUES N210 Poètes et Chansonniers Vers Francais choisis par P. VALKHOFF PREMIER RECUEIL ZWOLLE W.-E.-J. TJEENK WILLINK - EDITEUR KONINKLIJKE BIBLIOTHEFK 2370 4270 LECTURES CLASSIQUES -:- N°. 10 Poètes et Chansonniers Vers francais choisis par P. VALKHOFF Nouvelle édition, revue et augmentée ZWOLLE — W. E. J. TJEENK WILLINK — 1917 BLJ DE TWEEDE DEUK. Bij 't gebruik zijn enkele gedichtjes mij te kinderachtig gebleken voor leerlingen van de eerste en de tweede klasse van Gymnasium en H. B. 8.: de klassen waaraan ik gedacht heb toen ik 't boekje samenstelde. Ik heb ze laten vervallen, en door andere vervangen, voornamelik ontleend aan Violettes et Primevères par Maurice Morel (Larousse, Paris) en Les Poètes de la Guerre (Paris, Berger-Levrauü). Bovendien is de Vocabulaire aan 't eind aanzienlik uitgebreid. Het is niet gemakkelik aardige gedichtjes juist voor bedoelde leeftijd — 12, 13, 14 jaar — te vinden. Ik zou mijn kollega's dan ook hartelik dankbaar zijn als ze mij Franse gedichtjes, liedjes, monologen (in verzen), waarvan ze veronderstellen kunnen dat ze *mij niet bekend zijn, zouden willen toezenden. Een mogélike derde druk van dit boekje zou daarmee verrijkt kunnen worden. Hilversum. P. V. 13 II 1'empoche aussitöt. Lubin, d'un air content Lui dit: Pour nous la bonne aubaine ! — Non, répond Thomas froidement: Pour nous n'est pas bien dit; pour moi, c'est différent. Lubin ne soufflé plus ; mais, en quittant la plaine, lis trouvent des voleurs cachés au bois voisin. Thomas tremblant, et non sans cause, Dit: Nous sommes perdus ! — Non, lui répond Lubin, Nous n'est pas le vrai mot; mais toi, c'est autre chose. Cela dit, il s'échappe a travers les taillis ; Immobile de peur, Thomas est bientöt pris ; II tire la bourse et la donne. Qui ne songe qu'a soi quand la fortune est bonne, Dans le malheur n'a point d'amis. Florian. - 9. LE BOTJVEEUIL ET LE COEBEAU. Un bouvreuil, un corbeau, chacun dans une cage, Habitaient un même logis. L'un enchantait par son ramage La femme, le mari, les gens, tout le ménage; L'autre les fatiguait sans cesse de ses cris; II demandait du pain, du roti, du fromage, Qu'on se pressait de lui porter, Afin qu'il voulót bien se taire. Le timide bouvreuil ne faisait que chanter, Et ne demandait rien: aussi, pour 1'ordinaire, On 1'oubliait; le pauvre oiseau Manquait souvent de grain et d'eau. Ceux qui louaient le plus de son chant 1'harmonie N'auraient pas fait le moindre pas Pour voir si 1'auge était remplie. Ils 1'aimaient bien pourtant, mais ils n'y pensaient pas. Un jour on le trouva mort de faim dans sa cage. 21 Un soir -qu'il retournait a son observatoire, Entouré do ses courtisans : — Mes amis, disait-il, enfin j'ai lieu de oroire Qu'avec mes nouveaux instruments, Je verrai, cette nuit, des hommes dans la lune. — Votre Majesté les verra, Répondait-on ; la chose est même trop commune, Elle doit yoir mieux que cela. Pendant tous ces discours, un pauvre, dans la rue, S'approche en demandant humblement, chapeau bas, Quelques maravédis; le roi ne Pentend pas, Et sans le regarder son chemin continue. Le pauvre suit le roi, toujours tendant la main, Toujours renouvelant sa prière importune; . Mais, les yeux vers le ciel, le roi, pour tout refrain, Répétait: Je verrai des hommes dans la lune. Enfin le pauvre le saisit Par son manteau royal, et gravement lui dit: Ce n'est pas de la-haut, o'est des lieux oü nous sommes Que Dieu vous a fait souverain. Regardez a vos pieds ; la vous verrez des hommes, Et des hommes manquant de pain. Floeian. 15. L'EÏTSEIGNE DU CABARET. Devant un cabaret, ces mots étaient éorits: „Aujourd'hui vous paierez le pain, le vin, la viande ; Demain vous mangerez gratis." Janot, que 1'enseigne affriande, Dit: „Aujourd'hui je n'entre pas, II faudrait payer la dépense; Mais demain je veux faire un fameux repas Que le cabaretier s'en souviendra, je pense." — Le lendemain on voit entrer Janot, 22 Qui va se mettre a table, et s'éerie aussitöt: „Servez vite, maitre Grégoire! Servez ! jusqu'a la nuit je veux manger et boire; Apportez du meilleur; je suis de vos amis!" A peine le couvert est mis, Qu'il faut voir mon Janot des dents faire m er veilles Et vider bel et bien les plats et les bouteüles. — S'étant leste la panse, il se léve gaiement, Et sans cérémonie il regagne Ia porte. Mais Grégoire 1'appelle et lui dit brusquemènt: Mon brave! il faut payer avant que 1'on ne sorte! — Vous riez, dit Janot, vraiment, Et la plaisanterie est forte; Vous deviez aujourd'hui, si je m'en souviens bien, Nous servir a diner pour rien ! . . . — Oh! répond l'hötelier, votre erreur est extréme, Car je dis aujourd'hui ce qu'hier je disais. Regardez: tous les jours mon enseigne est la même. Vous ne m'y prendrez plus, dit 1'autre, désormais; Et vous ne m'eussiez pas leurré par un vain conté, Si j'avais su qu'a votre compte, Demain signifiat jamais." Lachambeatjdie. 16. L'AUTO. L'automobile En coup de vent File, file En avant! Des deux cötés de la grand'route, Le long des terrains alignés, Arbres, et buissons éborgnés, Se succèdent comme en déroute, L'air a demi déracinés. 23 Quand 1'auto passé, Allö, allo, Place, place, A 1'auto! Le bons paysans du village, Qui ne sont pas nés a Paris, Lèvent les bras, jettent des cris; Et 1'auto disperse au passage Le galop des veaux ahuris. L'automobile , En coup de vent File, file .. . En avant! Après le village, la plaine. Piétons, chars, et toi, petit ohien, Rangez-vous ! On vous en prévient. L'auto fait beugier sa sirène, Mais l'auto ne respecte rien. Quand l'auto passé, Alló, alló! Place, place A l'auto! Un village, une plaine encore; Des bois, des vallées et des monts. Toujours 1'espace ! . . . A pleins poumons, L'auto se lance et les dévore D'un train d'enfer et de démons. L'automobile, En coup de vent • File, file, En avant! 28 20. L'AIGLE ET LE MOINEAU. N'ayant rien autre sous la serre, L'aigle fondit sur un moineau. „Ah ! sire, dit le pauvre hère, Je suis un bien petit morceau! — C'est juste, répondit le sire, Mais le sort ainsi 1'ordonna: Quand on n'a pas ce qu'on désire, II faut manger ce que 1'on a. J'accomplirai ce sacrifice, Qui n'était pas dans mes projets. II faut bien qu'un roi se nourrisse Du sang de ses pauvres sujets. J'aimerais bien mieux pour pature Un pigeon, un merle, un perdreau, Et, quoique sa chair soit bien dure, J'aimerais mieux même un corbeau. Mais, si niince que soit la proie,, II m'en faut une : la voila. Va donc oü le destin t'envoie." Ainsi parlant, il 1'avala. C'est la loi, 1'usage, la règle, Chez 1'homme ainsi que chez Poiseau : Le moineau ne mangeant pas l'aigle, L'aigle doit manger le moineau. Gttstave Nadaud. 21. LES FEAISES DES BOIS. Quand de juin s'éveille le mois, Allez voir les fraises des bois Qui rougissent dans la verdure, 29 Plus rouges que le vif corail, Balancant comme un éventail Leur feuille a triplo découpure. Qui veut des fraises du bois joli ? En voici, En voici mon panier tout rempli, De fraises du bois joli! Rouge au dehors, blanche au dedans, Comme les lèvres sur les dents, La fraise épand sa douce haleine, Qui tient de 1'ambre et du rosier; Quand elle monte du fraisier, On sait que la fraise est prochaine. Qui veut des fraises du bois joli ? En voici, En voici mon panier tout rempli, De fraises du bois joli! Hélas ! n'entends-je pas venir Un essaim qui vient vous cueillir ? Petits garcons, petites filles ; Ils pillent fraises, fleurs et nids, Sans craindre les serpents tapis, Ni les guêpes, ni les chenilles. Qui veut des fraises du bois joli ? En voici, En voici mon panier tout rempli, De fraises du bois joli! PlEEEE DüPONT. 32 „Vois!" Mais Jeanne ne fat contente qu'a demi. „Non, les bêtes, c'est gros," me dit-elle. Leur rêve, C'est le grand. L'océan les attire a sa grève, Les ber9ant de son chant rauque et les captivant Par 1'ombre, et par la fuite effrayante du vent; Ils aiment Pépouvante, il leur faut le prodige. „Je n'ai pas d'éléphant sous la main," répondis-je. „Veux-tu quelque autre chose, 6 Jeanne, on te le doit! Parle." Alors Jeanne au ciel leva son petit doigt. „Ga," dit-elle. C'était 1'heure oü le soir commence. Je vis a 1'horizon surgir la lune immense. Victoe Htoo. 24. LE POT CASSÉ. O ciel! toute la Chine 1 est par terre en morceaux ! Ce vase pale et doux comme un reflet des eaux, Couvert d'oiseaux, de fleurs, de fruits, et des mensonges De ce vague idéal qui sort du bleu des songes, Mariette, en faisant la chambre, Pa poussé Du coude, par mégarde, et le voila brisé! Beau vase ! sa rondeur était de rêves pleine; Des bceufs d'or y broutaient des prés de porcelaine. Je 1'aimais, je Pavais acheté sur les quais, Et parfois aux marmots pensifs je Pexpliquais. Voici 1'yack ;a voici le singe quadrumane ; Ceci c'est un docteur, peut-être, ou bien un ane!... Le hibou dans son trou, le roi dans son palais,* Le diable en son enfer! Voyez comme ils sont laids! Les monstres, c'est charmant, et les enfants le sentent. Des merveilles qui sont des bêtes les enchantent. Donc, je tenais beaucoup a ce vase. II est mort. 1 Toute la Chine = toute ma porcelaine de Chine. ' Yack = espèce de buffle a queue de cheval. 33 J'arrivai furieux, terrible, et tout d'abord: „Qui donc a fait cela," criai-je. Sombre entree ! Jeanne, alors, remarquant Mariette effarée, Et voyant ma colère et voyant son effroi, M'a regardé d'un air d'ange et m'a dit: „C'est moi." Et Jeanne a Mariette a dit: „Je savais bien Qu'en répondant: c'est moi, papa ne dirait rien. Je n'ai pas peur de lui, puisqu'il est mon grand-père. Vois-tu, papa n'a pas le temps d'être en colère, II n'est jamais beaucoup faché, paree qu'il faut Qu'il regarde les fleurs, et, quand il fait bien chaud, II nous dit: — N'allez pas au grand soleil nu-tête, Et ne vous laissez pas piquer par une béte. Courez ; ne tirez pas le chien par son collier; Prenez garde aux faux pas dans le grand escalier, Et ne. vous cognez pas contre les coins des marbres. Joue\ — Et puis après, il s'en va dans les arbres." VlCTOE HlTGO. 25. IL STEIGE ! Voici la neige de décembre ! Bonjour, neige, et bonjour, hiver! Courons aux vitres de ma chambre: Arbres, toits, tout en est couvert. On croirait, sans vent ni secousse, Voir tomber des fleurs de printemps : Qa, vous fait la paupière douee, De la regarder un instant. Cette neige au' dehors m'attire : Sortons ! ... Oh ! ces flocons joyeux, Et qui vous éborgnent pour rire Quand ils vous tombent dans les yeux! Lect. Ctctss. S°. 10, 2e éd. 3 34 C'est du blano partout qui se sème: Chapeaux, voilettes, cache-nez, Vous voila blancs ! et blano toi-même O petit chien noir étonné ! Et vous, les messieurs a moustache! Cachez-la bien dans le foulard: En vain elle plonge et se cache, Elle en attrape aussi sa part. Gare a la prochaine bataille ! Dans la cour d'éoole, on va voir Tout a 1'heure, en blanche mitraille, Les boules de neige pleuvoir. Tant mieux ! Plutót ca que la chambre ! Je taperai dur comme fer. Vive la neigfr de Décembre, Et vive le bonhomme Hiver! Matjeice Moeel. 26. LA LAITIÈEE ET LE POT AU LAIT. Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait, Bien posé sur un coussinet, Prétendait arriver sans encombre a la ville. Légère et court vêtue, elle allait a grands pas, Ayant mis, ce jour-la, pour être plus agile, Cotillon simple et souliers plats. Notre laitière ainsi troussée Comptait déja dans sa pensée Tout le prix de son lait, en emplöyait 1'argent, Acbetait un cent d'ceufs, faisait triple couvée; La chose allait a bien par son soin diligent. — II m'est, disait-elle, facile 35 D'élever des poulets autour de ma maison; Le renard sera bien habile S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon. Le porc a s'engraisser coütera peu de son; II était, quand je 1'eus, de grosseur raisonnable: J'aurai, le revendant, de 1'argent bel et bon. Et qui m'empêchera de mettre en notre étable, Vu le prix dont il est, une vache et son veau, Que je verrai sauter au milieu du troupeau ? Perrette la-dessus saute aussi, transportée : Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée. La dame de ces biens, quittant d'un ceil marri Sa fortune ainsi répandue, Va s'excuser a son mari, En grand danger d'être battue. Le récit en farce en fut fait; On 1'appela „le pot au lait." La Fontaine. 27. LA CHANSON DES MOUCHES. Seules : tout repose. La cuisine est close : Disons, Par bandes errantes, Mille susurrantes Chansons! Par un volet de la fenêtre Glisse un elair rayon de soleil; 11 nous picote, il nous pénètre: Tout se tait, restons en éveil. Été qui flamboie, Sois par notre joie Fêté; 3* 40 30. LE PÊCHEUE A LA LIGNE. Pêcher, j'adore 9a; Ia chasse, C'est trop d'entrain, de tra la la. La pêche, c'est 9a qui délasse: Parlez-moi de ce plaisir-Ia! D'abord, ni chiens, ni camarade! On est toujours seul: c'est plus gai. Je pars d'un pas de promenade, Je m'arrête oh cela me plait. La rivière au soleil miroite; Je m'installe sans lambiner. Les asticots sont a ma droite, A ma gauche, un bon déjeuner. Tout en amor9ant, mon ceil guigne Le poisson. Je prends bien mon temps. Et puis vlan! je jette ma ligne : La pêche commence, j'attends. J'attends une heure, ou davantage, Baide, immobile, solennel; Mon bouohon est la qui surnage, Je me dis: c'est 1'essentiel. Enfin, 9a mord ! 1'angoisse est forte ; Je tire .. . désillusion ! Ce n'était qu'une herbe. N'importe, Ca m'a fait une émotion. A midi, repos! Ouf, je mange. Manger, 9a vous détend 1'esprit; Puis, comme rien ne me dérange, Je reprends mon sport favori. 41 Dès lors, 1'attente recommenoe, Et, tandis que je vois sur 1'eau Mon bouchon qui s'amuse et danse, Le soleil me rötit la peau. Insensiblement, le temps passé: Le soleil s'en va, le soir vient, Et me trouve a la même place, » Preuve que je m'y trouvais bien. Du poisson, dame, on n'en prend guère! Quelque goujon, par-ci, par-la ; Mais tout le jour dans la rivière On en a vu : c'est toujours 9a ! Maubice Moeel. 31. L'ANE ET LA FLUTE. Les sots sont un peuple nombreux, Trouvant toutes choses faciles : II faut le leur passer; souvent ils sont heureux : Grand motif de se croire habiles. Un ane, en broutant ses chardons, Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage, D'une flüte dont les doux sons Attiraient et charmaient les bergers du bocage. Cet ane mécontent disait: Ce monde est fou! Les voila tous, bouche béante, Admirant un grand sot qui sue et se tourmente A souffler dans un petit trou ; C'est par de tels efforts qu'on parvient a leur plaire Tandis que moi. .. Suffit... Allons-nous-en d'ioi, Car je me sens trop en colère. 42 Notre ane en raisonnant ainsi, Avance quelques pas, lorsque, sous la fougère, Une Mte, oubliée en ces champêtres lieux Par quelque pasteur amoureux, Se trouve sous ses pieds. Notre ane se redresse, Sur elle de cöté fixe ses deux gros yeux. Une oreüle en avant, lentement il se baisse, Applique.son naseau sur le pauvre instrument, Et soufflé tant qu'il peut. O basard incroyable ! H en sort un son agréable. L'ane se oroit un grand talent, Et, tout joyeux, s'écrie, en faisant la culbute: Eh ! je joue aussi de la flüte! Floeian. 32. LE MOULIN. C'est par eau qu'il faut y venir. La berge a peine a contenir Le fouillis d'herbes et de branches, Ce monde petit et charmant, La grande roue en mouvement, Les vannes et leurs ponts de planches. Un bruit frais d'écluses et d'eau Monte derrière le rideau De la ramure ensoleillée. Quand on approche, il est plus clair ; Le barrage jette dans 1'air Comme une odeur vive et mouillée. Pour arriver jusqu'a la cour, On passé, chacun a son tour, Par le moulin plein de farine, Oü la mouture 1 en s'envolant, ; La meule réduit en poudre le grain du froment; o'est la mouture. 43 Blanehe et qui sent le bon pain blanc, Réjouit 1'oeil et la narine. Voici la ferme ; entrons un peu. Dans 1'atre on voit flamber le feu Sur les hauts chenets de cuisine. La flamme embaume le sapin; La huche de chêne a du pain, La jatte de lait est voisine. Oh ! le bon pain et le bon lait! Juste le repas qu'on voulait; On boit, sans nappe sur la table, Au tic tac joyeux du moulin, Parmi les bêtes, dans 1'air plein De 1'odeur saine de 1'étable. Lorsque vous passerez par la, Entrez dans le moulin. II a Des horizons pleins de surprises, Un grand air d'aise et de bonté, Et contre la chaleur d'été De la piquette1 et des cerises. Albbbt Méeat. 33. LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS. Une tortue était a la tête légère,, Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays. Volontiers on fait cas d'une terre étrangère; Volontiers gens boiteux haïssent le logis. Deux canards, a qui la commère Communiqua ce beau dessein, Lui dirent qu'ils avaient de quoi la satisfaire. — Voyez-vous ce large chemin ? 1 Piquette = boisson faitedemarederaisin(rfrui!;e»moer)etd,eau. 44 Nous vous voiturerons par 1'air en Amérique : Vous verrez mainte république, Maint royaume, maint peuple, et vous profiterez Des différentes moeurs que vous remarquerez. Ulysse1 en fit autant. On ne s'attendait guère De voir Ulysse en cette affaire. La tortue écouta la proposition. Marché fait, les oiseaux forgent une machine Pour transporter la pélerine. Dans la gueule, en travers, on lui passé un baton. — Serrez bien, dirent-ils, gardez de lacher prise, Puis chaque canard prend ce baton par un bout. La tortue enlevée, on s'étonne partout De voir aller en cette guise L'animal lent et sa maison, Justement au milieu de 1'un et de 1'autre oison. — Miraole! criait-on; venez voir dans les nues Passer la reine des tortues. — La reine ! vraiment, oui: je la suis en effet; Ne vous en moquez point. Elle eüt beaucoup mieux fait De passer son chemin sans dire aucune ehose; Car, lachant le baton en desserrant les dents, Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants. Son indiscrétion de sa perte fut cause. Imprudence, babil, et sotte vanité, Et vaine curiosité Ont ensemble étroit parentage, Ce sont enfants tous d'un lignage. La Fontainb. 1 Ulysse (Ulysse»), roi d'Ithaque (Iihaca), 1'un des chefs de l'armée grecque au siège de Troie, ne put revenir dans sa patrie qu'après avoir erré pendant dix ans sur les mers. 45 34. OHEISTOPHE COLOMB. Cieux inconnns, mer inconnue : Colomb vogue depuis des jours. Nuile terre n'est apparue. L'espoir dans les coeurs diminue. Pourtant Colomb vogue toujours. Assis a 1'avant, son oeil plonge Sur eet océan qui s'allonge Et le roule indéfiniment: Serait-ce le calcul qui ment ? Colomb est anxieux, et songe. Quand surgiras-tu, rive obscure ? . . Le calcul dit: la-bas ! la-bas ! Mais le terme fuit a mesure. Pourtant, Colomb a 1'ame süre: Non, non, le calcul ne ment pas. La-bas, s'étend un nouveau monde Que son esprit devine et sonde ... Mais 1'eau, mais les vivres, a bord, Vont manquer ... Horreur ! c'est Ia mort. L'équipage autour de lui gronde. „C'est un fou! dit 1'un. A la chaine!" L'autre : „A la mer ! Et demi-tour !" Tous : „C'est a la mort qu'on nous mène. Demi-tour I Vite ! Et qu'on revienne !" Colomb a 1'avant reste sourd. II reste sourd et solitaire. Mais soudain son grand front s'éolaire, „Debout, tous !" La-bas, sous les cieux, Montrant un point mystérieux, Une vigie a erié : Terre ! Maueice Mobei, 46 35. LA CHAEPIE. Le ciel est noir: pas une étoile; Les regards fixement baissés, Jeanne effile un lambeau de toile Pour les blessés. Son ami se bat. Pauvre fille! Elle a vu partir aujourd'hui Tous les hommes de sa familie, Tous avec lui! Elle entend gronder plus voisine La voix lugubre du canon Sommant, jour et nuit, la famine Qui répond : „Non !" L'heure est lente, le fil s'amasse. Après un labeur sans répit, Jeanne sent sa main qui se lasse, Et s'assoupit. . . Comme elle achève de la sorte Son oeuvre sainte en s'endormant, Elle entend remuer la porte Tout doucement. Une visiteuse inconnue Apparait droite sur le seuil, Blonde, a la prunelle ingénue, Pale, en grand deuil. — „Ne erains rien, Jeanne, lui dit-elle, Je porte la croix rouge au bras. D'oü je viens, comment je m'appelle, Tu le sauras. 47 „C'est Marguerite qu'on me nomme, Et j'arrivé des bords du Ehin. J'aime un cruel et fier jeune homme, J'ai ton chagrin. „Ah ! par notre commune peine, Par nos rêves, par nos vingt ans, Nous sommes sceurs! Laissons la haine Aux combattants. „Paisons de la charpie ensemble, Car le sang n'a pas deux eouleurs. Et, quand on aime, on se ressemble; Mêlons nos pleurs." Ainsi parle la jeune femme; Et déja ses doigts empressés Séparent les fils de la trame Pour les blessés. SüLLY PETJDHOMME. 36. LE BON GITE. „Bonne vieille, que fais-tu la ? II fait assez chaud sans cela; Tu peux laisser tomber la flamme. Ménage ton bois, pauvre femme, Je suis séché, je n'ai plus froid." Mais elle, qui ne veut m'entendre, Jette un fagot, range la cendre: „Chauffe-toi, soldat, chauffe-toi." „Bonne vieille, je n'ai pas faim. Garde ton jambon et ton vin; J'ai mangé la soupe a 1'étape ! Veux-tu bien m'öter oette nappe! 48 C'est trop bon et trop beau pour moi." Mais elle, qui n'en veut rien faire, Taille mon pain, remplit mon verre: „Refais-toi, soldat, refais-toi." „Bonne vieille, pour qui ces draps ? Par ma foi, tu n'y penses pas! Et ton étable ? et cette paille Oü 1'on fait son lit a sa taille ? Je dormirai la comme un roi." Mais elle, qui n'en veut démordre, Place les draps, met tout en ordre: „Couche-toi, soldat, couche-toil" — Le jour vient, le départ aussi. — „Allons ! adieu ... Mais qu'est ceci! Mon sac est plus lourd que la veille . . . Ah ! bonne hötesse ! ah ! chère vieille, Pourquoi tant me gater, pour quoi ?" Et la bonne vieille de dire, Moitié larmë, moitié sourire : :,J'ai mon gars soldat comme ooi." Paul Déroülède. 37. LES SINGES ET LELLÉOPARD. Des singes dans un bois jouaient a la main «haude; 1 Certaine guenon mauricaude, * Assise gravement, tenait sur ses genoux La tête de celui qui, eourbant son échine, Sur sa main recevait les coups. On frappait fort, et puis : devine ! 1 Jouer a la main chaude = jeu oü 1'un -des joueurs doit deviner celui qui frappe dans sa main par derrière. * Mauricaud, moricaud, (de More) = qui a le teint basané, donkerbruin. 49 II ne devinait point; c'étaient alors des ris, Des sauts, des gambades, des cris. Attiré par le bruit du fond de sa tanière, Un jeune léopard, prince assez débonnaire, Se présente au milieu de nos singes joyeux. Tout tremble a son aspect. — Continuez vos jeux, Leur dit le léopard, je n'en veux a personne : Rassurez-vous, j'ai 1'ame bonne; Et je viens même ici, comme particulier, A vos plaisirs m'associer. Jouons, je suis de la partie. — Ah ! Monseigneur, quelle bonté I Quoi! Votre Altesse veut, quittant sa dignité, Descendre jusqu'a nous ? — Oui, c'est ma fantaisie. Mon Altesse eut toujours de la philosophie, Et sait que tous les animaux Sont égaux. Jouons donc, mes amis, jouons, je vous en prie. Les singes enchantés crurent a ce discours, Comme Ton y croira toujours. Toute la troupe joviale Se remet a jouer: 1'un d'entre eux tend la main; Le léopard frappe, et soudain On voit couler du sang sous la griffe royale. Le singe cette fois devina qui frappait, Mais il s'en alla sans le dire; Ses compagnons faisaient semblant de rire, Et le léopard seul riait. Bientöt chacun s'excuse et s'échappe a la hate, En se disant entre leurs dents : Ne jouons point avec les grands, Le plus doux a toujours des griffes a la patte. Florian. Leet. daas. N°. 10, 2» éd. 4 56 As-tu donc un cceur de pierre Pour le livrer au boucher ? Je verrais ma vache grasse S'en aller, sans nul regret, Si tu voulais faire gr ace Au joli petit goret! J'ai déja bercé son père Et sa mère entre mes bras .... Mes parents m'ont dit: „Espère ! Nous te donnerons leur gas." II amuse sans tapage Notre cher enfantelet; Songe qu'il a le même age, Mon joli petit goret! II a la goule rosée Comme le blé-noir fleuri, Elle est tant et tant rusée Qu'on dirait souvent qu'il rit; II me fait des mignardises Ainsi que le sous-préfet.... Mais il dit moins de bêtises, Mon joli petit goret! Quand dans 1'étable on 1'enferme, II se désole a grands cris, Car il me suit dans la ferme, Tout comme un chien bien appris. A mes pieds il fait un somme Quand tu vais au cabaret: II est plus galant que mon homme, Mon joli petit goret! Je veux, pour sa récompense, Le nourrir avec grand soin Jusqu'a ce qu'il ait la panse Comme celle de 1'adjoint 1 57 Pour lui prouvrer que je 1'aime, Quand viendra 1'heure au pauvret .... Je le mangerai .. . . moi-même, Mon joli petit goret! Théodore Botrel. 45. L'ANE ET LE PETIT CHIEN. Ne forcons point notre talent; Nous ne ferions rien avec grace: Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse, Ne saurait passer pour galant. Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,1 Ont le don d'agréer infus avec la vie.8 C'est un point qu'il leur faut laisser, Et ne pas ressembler a 1'ane de la fable, Qui, pour se rendre plus aimable Et plus cher a son maitre, alla le caresser. — Comment! disait-il en son ame, Ce chien, paree qu'il est mignon, Vivra de pair a compagnon 8 Avec monsieur, avec madame ; Et j'aurai des coups de baton! Que fait-il ? il donne la patte ; Puis aussitót il est baisé: S'U faut en faire autant afin que 1'on me flatte, Cela n'est pas bien malaisé. Dans cette admirable pensee, Voyant son maitre en joie, il s'en vient lourdement, Léve une corne tout usée, La lui porte au menton fort amoureusement, Non sans accompagner, pour plus grand ornement, De son chant gracieus cette action hardie. 1 A qui le ciel accorde ses dons, ses faveurs. 2 Ont le don naturel de plaire. ' Vivra sur un pied d'égalité, d'intimi té