BIBLIOTHÈQUE de la REVUE DE LITTÉRATURE GOMPARÉE Dirigée par MM. Baldensperger et Hazard ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE DANS LA. PREMIÈRE MOITIÉ DU XVII' SIÈCLE DU MÊME AUTEUR HiTnir%df-lar^e m $Cène dam 16 Thédtre r^9ieux francais du MogenAge. Paris, Champion, 1906 : un vol. in-8», pl]. (êpuisé). Le même ouvragè, traduit en allemand par le D' C Baueb Leipzig, W. Klinkhardt, 1907; in-8», pil. ÜER' Rabelaiset le Thédtre (extrait de la Revue des Etudes rabelaisiennes) Paris, Champion, 1911 ; un vol. in-8», pil. (êpuisé). ^enmaj. Mgstères et Moralités du Manuscrit 617 de Chantilly, publiés pour la première fois et précédés d'une étude linguistique S fittéraire Paris Champion, 1921; un vol. in-4°, pil. * EN PRÉ PA RAT ION Ecrivains francais en Hollande dans la seconde moitié du XVII» siècle. Le Liure de scène du Mgstère de la Passion fouê d Mons en 1501. X OllTHAlï IKJiDIT DE UESCARTES PAR FRANS HALS. (Colleclion Ny-Carktad a Copenhayué). Grustave COHEN DOCTEUR ÈS LETTRES CHARGÉ DE COURS A L UNIVERS1TÉ DE STRASBOURG ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVHE SIÈCLE Liv. I: „La éuerrier qui deffend, nompareil en vertus. De 1'acier de César, les raisons de Brutus". (Jean de Schelandee, gentilhomme verdunois). Liv. II: „Ce peuple ne sera plus ou sera toujours libre". (Guez de Balzac, Discours fiolitiquc sur l'Estat des Provinces-Unies). Liv. III: „Quel autre pays du monde oü 1'on puisse iouir d'une , liberté si entière?" (Lettre de Descartes a Balzac). LA HAYE PARIS MARTINUS NIJHOFF | ÉDOUARD CHAMPION 1921 DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOUS PAYS Y COMPRIS LA HOLLANDE, LA SUÈDE ET LA NORVÈGE. Copyright 1920 by Gustave Cohen A MON MA1TRE GUSTAVE LANSON En témoignage de respectueuse admiration et d'affectueuse gratitude. G. G. Tirage limité & 1000 exemplaires numérotés y° 520 INTRODUCTION Nous avons voulu apporter ici une contribution a 1'histoire de 1'expansion francaise a 1'étranger dans la première moitié du xvne siècle. C'est un fait extrêmement connu que la Révocation de 1'Edit de Nantes a jeté en Hollande quelque cent mille réfugiés qui ont augmenté la prospérité de ce pays, y ont fait souche, et dont les descendants ont, jüsqu'a nos jours, gardé Pusage du francais dans leurs églises. Encore fallait-il expliquer pourquoi les persécutés avaient préféré la Hollande a beaucoup d'autres contrées qui leur étaient plus faciles d'accès. C'est, disons-le d'un mot, qu'ils suivaient la voie tracée par leurs pères pour qui la Hollande avait été, bien avant 1685, pendant tout le cours du xvne siècle, non seulement un refuge, mais surtout un séjour de prédilection. Elle 1'était pour les protestants francais, mais aussi, dans un grand nombre de cas, pour les catholiques, lorsque ceux-ci avaient soif d'indépendance et de liberté. On ne 1'ignorait pas en ce qui touche 1'un d'eux, le grand Descartes; on a bien lu également, quelque part, soit dans une de ses biographies, soit ailleurs, dans des manuels, des phrases comme celles-ci : « De jeunes gentilshommes francais se rendaient aux PaysBas pour y servir sous Maurice » ou bien : « L'Université de Leyde était fréquentée par des étudiants de diverses nations ». A ces phrases vagues, a ces notions imprécises, il fallait substituer, selon les exigences de la méthode moderne, des faits, des dates, des noms et, selon d'autres exigences non moins impérieuses, sans lesquelles cette méthode n'est qu'un parcheminement de 1'histoire, sous ces noms, mettre des êtres et dans ces êtres, si possible, une étincelle de vie, en sorte qu'il puisse 8 ÉGÏtIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE nous paraïtre avoir été mêlés nous-mêmes aux cohortes de ces lointains pionniers de notre civilisation de jadis. Fréquentation profitable, car ce n'étaient pas que des maitres d'armes, des « friseurs », des « perruquiers » et des danseurs, que nous envoyions au dehors, c'étaient de brillants officiers, comme Odet de la Noue, les deux Béthunes, les deux Chastillons, les Hauterive, les Courtomer, les Bouillons, dont 1'un s'appelle Turenne, les La Force, les d'Estrades; mais, pour prendre part aux combats de ces Régiments francais au service des Etats et pénétrer leur existence, ne valait-il pas mieux se placer dans leurs rangs aux cötés d'un simple soldat, qui fut en même temps un vrai poète : « Jean de Schelandre »? et ce sera notre premier livre. Le Livre II est réservé aux combats plus pacifiques de 1'intelligence. Ce que la pensée francaise a apporté a YUniversité de Legde, et, partant, a la civilisation hollandaise, en son « Siècle d'Or », comme 1'appellent ses historiens, on ne le dira jamais assez. Ses deux premiers professeurs, en 1575, Feugueray et Cappel, sont deux Francais. Son premier programme est rédigé par un Francais, le même Feugueray et, après eux, dont le séjour fut de courte durée, c'est un défilé des meilleures de nos gloires dans le Cloitre des Béguines voilées, puis dans celui des Dames blanches. En théologie, après les deux pasteurs que nous avons nommés, c'est Lameert Daneau, de Beaugency-sur-Loire, Du Jon, qui est de Bourges, Polyander, qui est de Metz, Saravia et Trelcat, qui sont de 1'Artois, Du Moulin, qui est des environs de Paris et plus tard Rivet, qui est du Poitou. En droit, ce n'est rien moins que 1'émule de Cujas, le célèbre Hugues Doneau qui y fonde les études juridiques. En science, c'est le grand botaniste De L'Escluse, d'Arras ; mais c'est surtout dans les lettres que nous donnons a la vieille Université hollandaise un éclat extraordinaire, en lui cédant le plus grand philologue du xvie siècle, Joseph Juste Scaeiger : non pas pour occuper une chaire, car il n'a pas 1'obligation d'enseigner, mais pour recevoir un traitement, considérable pour 1'époque, a seule fin d'enrichir l'Université de sa présence et celle-ci, comme son historiën M. Molhuysen le reconnait et comme 1'avouait aussi un savant allemand, M. von Wilamovitz-Möllendorf, lui doit en grande partie sa réputation. L'expérience fut si heureuse introduction 9 qu'elle fut recommencée et, Scaliger étant mort en 1609, oh laissa sa place vide, jusqu'a ce qu'un Francais encore, qui est a la philologie du xvne siècle ce que Scaliger est a la philologie du xvie, Claude Saumaise, fut appelé a 1'occuper dans les mêmes conditions, ce qu'il fit jusqu'a sa mort, survenue en 1653. La vie de Descartes, a laquelle nous consacrons notre IIIe livre, semble en faire une synthèse des deux prédécents, car, si, en 1618-1619, nous le trouvons, a Bréda, soldat deMaurice et mêlé aux autres gentilshommes francais qui se formaient a 1'école du prince d'Orange, nous le retrouvons, en 1629, immatriculé a la petite Université de Franeker-en-Frise et, en 1630, a celle de Leyde. Mais toute son existence, de 1629 a 1649, c'est-a-dire pendant ses années de production, n'est-elle pas étroitement mêlée a celle des universités hollandaises, oü il recrute des disciples a la philosophie nouvelle, et parmi les maitres et parmi les élèves ? Ne suit-il pas Reneri a l' «École illustre» de Deventer en 1632, ne s'installe-t-il pas auprès de lui a Utrecht, en 1635, ne guide-t-il pas la les recherches de son élève Begius ? Tout ceci ne va pas sans luttes et nous assisterons aux duels a la plume de Descartes contre Voetius, le professeur de 1'Université d'Utrecht, contre Schoock, le théologien de 1'Université de Groningue, contre Revius et Triglandius, les théologiens de 1'Université de Leyde. Mais malgré ces « chahuants », comme les appelle Descartes, la lumière se répand. « Tels esprits, dira le pasteur Colvius en 1657, empeschent le cours libre de la verité, qui neanmoins percera avec le temps tous ces obstacles \ » Le fantöme d'Aristote recule pas a pas dans les ténèbres, effaré du plein jour de la vérité. Ce n'est pas le moindre honneur des Universités hollandaises d'avoir été les premiers foyers du Cartésianisme, qui est toute la pensée moderne, car la notion de Dieu même n'y est recue qu'a la condition d'être fondée en raison, et la raison est « 1'instrument universel » 2. La biographie de Descartes est une merveilleuse lecon de tolérance donnée au monde par un philosophe francais, vivant en terre hollandaise. Ce catholique y exerce, sans entraves, 1. CEuvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, t. XII, p. 485, note d. 2. Ibid., t. VI, p. 57, 1. 8-9. 10 ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE son culte avec ses amis, Corneille van Hoghelande a Leyde, les abbés Ban et Bloemaert a Harlem, Cater a Alkmaar. Cela ne 1'empêche pas d'avoir des disciples protestants, comme Reneri, Begius, Heereboord, des amis protestants, comme Constantin Huygens, van Surck, de Wilhem; de laisser baptiser une fille naturelle, Francine, au temple; de guider enfin dans les sentiers ardus de la philosophie indépendante et dans la métaphysique des Passions, une calviniste fervente, la princesse Elisabeth. « Vivant ici avec 1'espoir d'y pouvoir jouir de la liberté de religion... », écrit Descartes aux Curateurs de 1'Université de Leyde. C'est a cette liberté, tant politique que religieuse, que Balzac consacre sa dissertation scolaire, rédigée dans la même Université de Leyde, en 1613, et que nous donnerons ici, pour la première fois, depuis 1'édition de 1665; c'est cette liberté encore qui y conduit Scaliger comme en un port de refuge contre la tempête des guerres de rebgion; c'est cette liberté enfin qui y retient un Saumaise, malgré les inconvénients du climat, la mauvaise humeur de son épouse et la jalousie de ses collègues. De la dissertation de 1'élève Balzac, a la lettre du comte de Mirabeau Aux Bataves sur le Stathoudérat (1788), il y a une chaine continue, dont le Discours de la Méthode, de Descartes, et les Pensees sur la Comète de Bayle, sont les anneaux. La théorie francaise de la liberté politique trouvait « chez le plus ancien des peuples libres » \ des applications et des modèles sur lesquels nos Francais de Hollande et nos voyageurs ne cessaient d'attirer 1'attention de leurs compatriotes. D'avoir été ainsi par ces illustres hötes et par de plus humbles : étudiants, savants, hommes de lettres, un des asiles de choix de la pensée francaise, un des lieux oü celle-ci s'est développée et épanouie avec le plus de vigueur et d'indépendance, poussant plus droit que si elle avait dü croitre seulement dans 1'ombre du vieux Louvre, cela crée a la Hollande un éternel titre de gloire, et, a la France, une dette de reconnaissance sacrée envers elle. Que le Discours de la Méthode, quintessence de 1'esprit francais en même temps que chef-d'ceuvre de la prose francaise, 1. Aux Baiaves sur le Stathoudérat, par le comte de Mirabeau, 1788; un vol. in-8°. L'ouvrage commence ainsi : « C'est un jour de deuil pour 1'Europe que celui oü l'invasion prussienne a déconcerté vos nobles projets, infortunés Bataves t » introduction 11 ait été concu, écrit, imprimé, en Hollande, n'est-ce pas déja un symbole ? Nous publions ici, pour la première fois, le contrat d'édition de ce Discours de la Méthode, signé par René Descartes et son éditeur Jean Maire et rédigé en francais par un notaire de Leyde. C'est dire que, pour établir rauthentique ancienneté de 1'influence francaise dans les Pays-Bas du Nord, sous les auspices d'une alliance poütique et militaire d'un demi-siècle, de 1"598 a 1648, nous avons exploré leurs archives et leurs bibüothèques, mais, si consciencieuses qu'aient été nos recherches, en vue d'ouvrir leurs trésors è notre histoire littéraire tant francaise que latine *, elles sont sans doute restées incomplètes et des chercheurs plus heureux y feront certes encore de fécondes découvertes. Ce serait un résultat suffisant, si le présent ouvrage pouvait les leur facihter et leur être un guide dans leurs explorations. Nous faisons appel aux archivistes, aux professeurs et aux étudiants néerlandais, pour qu'ils veuillent bien corriger, amender, compléter, développer cette étude d'un étranger, sincèrement attaché a la Hollande, précisément paree qu'elle lui offrit spontanément, a lui aussi, une hospitalité hbérale, bienveillante et amicale. Gustave Cohen. Puisque j'ai parlé des archivistes et de bibliothécaires hollandais, qu'il me soit permis d'adresser ici mes remerciements a MM. Fruin, directeur du Rijksarchief; Byvanck, bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Royale; A. V. Byvanck, conservateur des manuscrits; Japikse, directeur des publications historiques a la Haye; Blok, conservateur des archives de 1'Université de Leyde; de Vries, bibliothécaire en chef de la même Université ; Buchner, conservateur des manuscrits; Overvoorde, directeur des Archives municipales; Bijleveld, archiviste au même dépót; le pasteur Cler, conservateur de la Bibliothèque ■wallonne a Leyde; van Sommeren, bibliothécaire en chef de 1'Université d'Utrecht; S. Muller, archiviste d'Utrecht; Henkei, conservateur, Mlle Blok, attachée; Beets, ancien conservateur adjoint du Cabinet des Estampes au Rijksmuseum; Burger, bibliothécaire en chef de 1'Université d'Amsterdam et k 1. Une fois de plus apparaltra, en 1'occasion, cette vérité que 1'histoire littéraire latine doit être étudiée parallèlement a Ia littérature nationale, aussi bien au_xvne siècle qu'a la Renaissance et au moyen-age. II y a la pour nos jeunes travailleurs des mines immenses a creuser. 12 ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE Mme Berg, bibliothécaire adjointe, ainsi qu'a mes anciens élèves de 1'Université d'Amsterdam : MM. Fransen, Riemens et Tielrooy, a qui je dois divers renseignements. Je ne saurais oublier non plus 1'accueil que j'ai recu a Londres au British Museum, de la part de MM. les bibliothécaires Pollard et Wood ; a la Bibliothèque Nationale, de la part de M. Omont; a la Bibliothèque de 1'Arsenal, de la part de M. Bonnefon: a la Bibliothèque de 1'Histoire du protestantisme francais, de la part de M. Weiss. Enfin ce serait une singulière ingratitude que de ne pas dire bien haut tout ce que mon travail doit d'améliorations et de remaniements utiles a la critique du Maitre de 1'Histoire littéraire de la France, ~fai nommé M. Gustave Lanson, sous les auspices duquel eet ouvrage a été présenté a la Sorbonne pour 1'obtention du titre de Docteur ès Lettres. LIVRE I RÉGIMENTS FRANCAIS AJJ SERVICE DES ÉTATS UN POÈTE SOLDAT : JEAN DE SCHELA1NDRE GENTILHOMME VERDUNOIS « Le Septentrion d'oü nous verrons esclorrc et espanouïr un Oriënt cramoisi, plain d'esclairs, qui produira ses orages violents. » (Agrippa d'Aubigné, Histoire Universelle). « Le guerrier qui deffend nompareil en vertus, De 1'acier de César, les raisons de Brutus >. (Jean de Schelandre) CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION On connait assez bien 1'ceuvre littéraire de Jean de Schelandre surtout depuis que M. Haraszti a réédité, dans 1'excellente collection de la «Sociétê des textes francais modernes», la version originale de la tragédie Tyr et Sidon (1608) *. C'est que Jean de Schelandre est en effet un des bons tragiques « précornéliens » du xvne siècle et qu'il tient une place honorable a cöté d'un Antoine de Montchrestien 2, dans la période de calme succédant a 1'orage des guerres de religion, a un moment oü une sociétê, aspirant a la régularité et a 1'ordre, traduit cette tendance, sur la scène, par des tragédies a forme presque classique, et, dans la poésie, par les Odes et la doctrine de Malherbe. Mais, après 1'assassinat d'Henri IV, le trouble qui agite les esprits, se reflétera dans le triomphe d'une forme d'art plus 1. Société des textes francais modernes : Jean de Schelandre, Tyr el Sidon ou les funestes amows de Belcar et de Meliane, tragédie. Edition critique publiée par Jules Haraszti. Paris, Cornély, 1908, 1 vol. in-18, lxx-172 pp. J^ai examiné les exemplaires connus, celui du British Museum (1073 a 23) et celui de la Bibliothèque de 1'Arsenal. A tous deux manque le privilège accordé a Daniël d'Anchères, anagramme de Jean de Schelandre. II fait défaut aussi a un troisième exemplaire que M. Haraszti h'a pas connu, celui de la Bibliothèque Nationale (Réserve Yf 4264), qui a appartenu a Asselineau. Voici la reproduction de la feuille de titre de Londres: Les Funestes Amows de Belcar et Meliane, dediées au Boy d'Angleterre, par Daniël D'Anchères, gentilhomme Verdunois. A Paris, chez Jean Micard, tenant sa boutique au Palais en la Gallcrie allant a la Chancellerie, 1608, Avec Privilege du Roy; 1 vol. pet. in-24. L'exemplaire du British, qui comprend 96 + 72 pages, comme celui de Paris, est précédé de 13 feuillets non paginés, les huit premiers avec signatures (a 8). II est rehé (au dos, une couronne royale et la marqué J. R. moderne) avec L* Semaine ou Crealton du Monde du Sieur Christofle de Gamon, contre celle du Sieu» du Bartas... Paris, Gedeon Petit, 1609, 1 vol. de 12 feuillets et 128 pages. U est évident que la f euille de titre de Londres a dü être imprimée pour le roi d' Angleterre et en vue de son seul exemplaire, conservé au British Museum, car le titre de celui de la Bibl. Nationale est tout a fait différent: Tyr el Sidon, Tragédie, ou les Funestes Amours de Belcar et Meliane. Avec autres meslanges Poëtiques par Daniël d'Anchères, gentilhomme Verdunois. A Paris, etc. (Le reste comme dans le volume de Londres). 2. Pour la bibliographie, se reporter a 1'indispensable Manuel bibltographique de la Littérature francaise moderne (1500-1900) de M. G. Lanson. Nouvelle ed., Paris, Hachette, 1914, in-8°, n<» 4751-4742 bis (Schelandre) ; n»» 2898-2908 (Montchrestien) ; noa 4751-4754 (Alexandre Hardy). 16 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS indépendante, plus relachée, et ce seront la Pyrame et Thisbé de Théophile \ les Bergeries de Racan 2, puis surtout, la prodigieuse fantaisie d'un Alexandre Hardy 3. Le poète aux gages de Valleran Lecomte 4 fait régner au théatre la tragédie a dénouement heureux ou, comme on disait alors, a « succez » favorable, chatoyante d'aspect et trépidante d'action, sans laquelle le Cid n'est même pas concevable. Séduit par la vogue des pièces de Hardy, Jean de Schelandre, vingt ans après avoir publié, en 1608, sa tragédie régulière de Tgr et Sidon, la reprend, a 1'invitation de ses amis, la remanie, la transforme en tragi-coffiédie, la farcit d'épisodes grotesques et parfois obscènes, l'allonge en deux joürnées et dix actes 5, y promène le spectateur a travers le décor simultané d'une scène unique e, de Tyr a Sidon et de Sidon a Tyr, sur des bateaux et dans des prisons, par les rivages des mers et les pentes des montagnes, si bien que son oeuvre primitive, laquelle d'ailleurs ne fut peut-être pas jouée, en devint méconnaissable. Le public, habitué a une Felismène 7 oü la scène, qui, au premier acte, est en Espagne, passé en Allemagne au second, sans changement de décors, dut être ravi. Ne 1'eüt-il pas été, qu'une préface retentissante de Francois Ogier 8, embouchant pour 1'au- 1. Entre 1617 et 1619 ou bien 1621 et 1623, cf. Gustave Lanson, Etudes sur les origincs de la tragédie classique en France, dans la Revue d'hisloire littéraire de la France, 108 année, 1903, p. 228. 2. 1622-1623. Cf. G. Lanson, ibid., p. 229 et Histotre de la llttéralure francaise, 12' éd., Paris, Hachette, 1912,1 vol. in-18, p. 384. (Euores de Racan, éd. Tenant de Latour, 1857, 2 vol. in-16 (Bibliothèque Elzévirienne), p. 28 a 135 au tomc I. 3. Cf. E. Rigal, Alexandre Hardy. Paris, Hachette, 1889, in-8». 4. E. Rigal, Le Thédtre francais avant la période classique; Paris, Hachette, 1901, 1 vol. in-18, p. 83 et suiv. 5. Viollet le Duc, Ancien Thédtre francais. Paris, Jannet, 1854 et s., au tome VIII (1856) (Bibliothèque Elzévirienne), p. 5 a 225. L'exemplaire de 1'édition princeps a la Bibliothèque Na' ionale (Réserve Yf 4075) porte pour titre: Tyr el Sidon, tragicomédie divisée en deux joürnées. A Paris, de 1'imprimerie de Robert Estienne, rue S'-Jean-de-Beauvais. Avec privilège du Roy, 1628. 6. Voir notre Histoire de la Mise en scène dans le thédtre religieux francais au Moyen-Age. Paris, H. Champion, 1906, 1 vol. in-8°, p. 11, pp. 72-73 et YEvolulion de la Mise en Scène dans le Thédtre francais. (Bulletin de la Société d'Histoire du •Thédtre, 9e année, janvier-avril 1910, p. 81-99.) 7. Felismène, tragi-comédie, par Alexandre Hardy, Parisien, dans le Thédtre d'Alexandre Hardy, Parisien, tome II. A Paris, chez Jacques Quesnel, 1626 ; p. 143 et s. de la réimpression de E. Stengel, t. III. Marburg. Elwert, 1883, in-18°. 8. On la lira en tête de Tyr et Sidon, tragi-comédie divisée en deux joürnées. Paris, Robert EsUenne, 1628. L'auteur n'est nommé que dans le privilège et dans la préface, qu'on trouvera au tome VIII de 1'Ancien théatre francais, pp. 9 a 23. II a toujours régné dans 1'histoire littéraire la plus grande confusion au sujet des relations entre la pièce de 1608 et celle de 1628. Tout récemment encore, dans une trés bonne Anthologiepoétique francaise, XVII'siècle; Paris, Gander, s. d., 2 vol. in-18, au 1.1, p. 159, M. Maurice Allem reporte erronément a 1608 la préface de Fr. Ogier et la tragicomédie. Par contre il appelle «édition nouvelle, donnée en 1628» ce qui est, en fait, une véritable «refacon », pour employer un mot cher a Gaston Paris. INTRODUCTION : JEAN DE SCHELANDRE 17 teur la trompette de la Renommée, 1'aurait persuadé qu'on était en présence d'un authentique chef-d'oeuvre, devant lequel devaient céder toutes les régies pseudo-aristotéliciennes, dont la tyrannie commencait déja a peser *s Les étapes de 1'histoire littéraire sont souvent marquées par des préfaces. Avoir suscité, neuf ans avant la querelle du Gïda, et deux siècles avant la préface de Cromwell3, un manifeste contre les Unités, c'est le principal titre de gloire de Jean de Schelandre et le seul qui lui ait fait conférér les honneurs des manuels, ces panthéons de la réputation. Cependant, ce n'est pas ce mérite-la qui a'appelé sur lui notre attention, mais plutöt cette circonstance particulière du séjour qu'il fit en Hollande et de sa doublé activité bttéraire et militaire en ce pays. Le point de départ de notre recherche fut cette phrase 4 d'une biographie perdue, oeuvre du poète Colletet5, utilisée jadis par Asselineau 6 dans une brochure que cite M. Haraszti 7 : «il fut envoyé en Hollande pour y faire ses premières armes ». « Entré simple soldat dans 1'armée de Turenne, il passa 1. A la même date, dans sa province, le jeune Cornetlle ne semble pas encore en avoir entendu parler, s'il faut en croire le début de VExamen de Clilandre :« Un voyage que je fis a Paris, pour voir le succes de Mérite, m'apprit qu'elle n'étoit pas dans les vingt et quatre heures: c'étoit 1'unique règle que 1'on connüt dans ce tempsla » ((Euvres de P. Corneille, éd. Marty-Lavaux, Les grands Ecrivains de la France, t. I, p. 270). 2. En 1637. Cf. Gasté (Armand), La querelle du Cid. Paris, Weiter, 1899, u>8°. 3. Maurice Souriau, La Préface de Cromwell. Paris, Soc. fr. d'imp. et de librairie, 1 vol. in-18, 1897. 4. Que voulut bien me signaler M. Gallas, le distingué lecteur de littérature francaise a 1'Université d'Amsterdam. 5. G. Colletet, Vie des poëles francals, manuscrit détruit en 1871, dans 1'incendie de la Bibliothèque du Louvre (cf. Manuel bibliographique de G. Lanson, n° 1909). Une restituUon de ce manuscrit a été entreprise par M. Ad. van Bever, qui la fera parattre chez Ed. Champion. La vie de Jean de Schelandre ne flgure pas hélas I parmi les copies contenues dans le Ms. n. acq. fr. 3073 de la Bibliothèque Nationale. Celle que fit jadfe Ch. Buvlgnier a dispara et, malgré mes efforts, je n'al pu la retrouver ni a Nancy, ni a Bar-le-Duc, ni a la Bibliothèque Nationale, car le fonds Buvlgnier, qu'elle a récemment acquis, ne contient, comme voulait bien me le dire récemment M. Omont, aucun papier appartenant a 1'érudit verdunois. 6. Asselineau (Ch.), Notice sur Jean de Schelandre, pokte verdunois, 1585-1635. 2e éd. Alencon, 1856, 1 br. in-8°. 7. Dans la préface de son édition de Tyr et Sidon, p. vi, n. 1. Aux indlcations trop sommaires de ladite note, il faut joindre les n03 4740, 4742, 4742 bis du Manuel bibliographique de G. Lanson, enfin la notice que 1'on trouve dans la France Pror testante des frères Haag, 1" éd., t. IX, article sur Thin (Robert de). Qu'11 nous soit permis de dire ici tout ce que nous devons a ce monument de 1 éruditlon francaise. On ajoutera encore : une communication de M. 1'abbé Delabar dans les Mémoires de la Sociélé philomathique de Verdun (Meuse), t. XV, 1901, in-8°, p. xcilxcm, séance du 9 janvier 1901 sous la présidence de M. Bonnardot, et Mémoires de la Sociélé des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, 3« s., t. X, pp. 333 a 347: Conflscatlons exercées sur les défenseurs de Jametz par le duc de Lorraine (15891590), par C. Chévelle; L'abfuration d'Anne de Schelandre dans l'Eglise d'Autuiche en 1683..., par le baron Max de Finfe de Saint-Pierremont. Sedan, 1908, in-8°. (Extr. de la Revue d'Argonne). On trouvera dans la même revue 1'étude du Dr Jailliot sur le Protestantisme dans le Rethelois et dans 1'Argonne. 18 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS successivement aux grades de lieutenant et de capitaine. Depuis lors, il ne se passa guère de campagne, sans qu'il rendit au roi, tantót comme capitaine, tantöt comme volontaire, le service d'un gentilhomme de sa condition. » Erreur évidente, écrit M. Haraszti, car « Turenne n'entra au service de Hollande qu'en 1624 \ alors que Schelandre avait quarante ans environ. Celui-ci dut donc commencer sa carrière sous Maurice de Nassau, le célèbre stathouder de Hollande. Le premier volume de Schelandre, paru en 1608, contient en effet plusieurs poèmes panégyriques sur ce prince : Le Procez d'Espagne contre Hollande, Plaidé des Van 1600, après la bataille de Nieuport. Dédié d très-sage et très-valeureux capifaine, Maurice de Nassau, duc de Grave, etc. — Ode pindarigue sur le voyage fait par Varmee des Estats de Hollande au pais deLiège Van 1602. Item sur la prise de Grave. » « Schelandre était-il déja soldat vers 1602 ou même vers 1600, se demande M. Haraszti2, c'est-a-dire a 1'age de quinze ou dixsept ans ? On sent dans ces vers 1'homme de métier... Dans un sonnet publié en 1608, il prend congé de la « troupe guerrière d'Avignon », les soldats de cette ville qu'il appelle «témoins de ses travaux passés ». A cette époque il avait donc un certain passé militaire et même il devait dès lors quitter le service, du moins provisoirement ». 1. Ici M. Haraszti se trompe a son tour. Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, petit-fils de Guillaume le Taciturne et futur maréchal de France, lut au service des Etats, comme capitaine dans le régiment de Maisonneuve, de 1633 a 1637. Voyez la Résolution du Conseil d'Etat du 5 janvier 1633 et celle du 11 novembre 1637 citées par le général F. de Bas et le cólonel F. J. G. ten Raa dans leur savant ouvrage Het Staatsche Leger, 1568-1795. (Bréda, De Koninklijke Militaire Academie, in-8», pil. t. I, 1911; t. II (1588-1609), 1913; t. III, 1915; t. IV, 1918 ; cf. p. 104, n. 4, au tome IV. L'ancienne biographie de Turenne, de « du Buisson », La Vie du vicomte de Turenne, nouvelle éd., La Haye, H. van Bulderen, 1688, in-12, p. 27, porte ceci : « Madame de Bouillon... le fit partir pour la Hollande oü il amva le treizième avril 1627. Le comte Maurice et son frère Henry de Nassau, ses oncles, lui firent mille caresses, aussi bien que le duc de Bouillon (son alné Frédéric-Maurice qui avoit déja aquis quelque réputation en ce païs-la). Ce fut donc a quinze ans cinq mois et deux jours qu'il commenca a faire la guerre, car, aussitöt qu'il fut arrivé, le comte Maurice lui fit prendre un mousquet, ne lui voulant pas donner de charges qu'il n'eüt appris auparavant comment il falloit obeir ». L'anachronisme que commet du Buisson consiste a parler de Maurice en 1627, alors qu'il était mort deux ans auparavant, le 23 avril 1625. Au reste M. Roy traite, non sans raison, de roman cette biographie, oeuvre de Courtilz de Sandras. Cf. Roy (Jules), Turenne, sa vie, les institutions militaires de son tempé, 2e éd. Paris, A. Le Vasseur, 1896, m-8°. Je ne sais sur quoi s'appuie M. Roy pour faire venir Turenne en Hollande dès 1621. II est bon de faire observer que, dans le passage de Colletet, Turenne pourrait designer, non le célèbre maréchal, mais son père Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, duc de Bouillon (1555-1623), (Cf. le tableau généalogique qui figüre a la page 314 de Het Staatsche Leger, t. III), mais ce duc de Bouillon n, a jamais été?a proprement parler, au service des Etats. 2. Tyr et Sidon, introduction, p. vr. . . ; . introduction : jean de schelandre 19 C'est a ces questions du savant hongrois que je vais essayer de répondre aujourd'hui, a 1'aide des documents les plus authentiques. Pour le tenter, il fallait partir des poèmes dédiés a Maurice, mentionnés par M. Haraszti, mais non reproduits par lui }. En les lisant attentivement, on est frappé, non seulement, comme il 1'a été déja, par la perfection de la facture, qui est d'un poète et d'un bon poète, mais aussi par une rigueur dans le détail qui ne laisse pas de surprendre un peu. Si le Procez d'Espagne n'apporte dans son titre qu'une date, celle de la bataille de Nieuport, en 1600, connue d'ailleurs de toute la France, oü ce fait d'armes avait eu un grand retentissement, 1'autre pièce, YOde Pindarique sur le voyage fait par l'armée des Estats de Hollande au pais de Liege Van 1602, item sur la prise de Grave, ne pouvait avoir été écrite que par quelqu'un de trés familier avec 1'histoire des Pays-Bas et probablement même, par un soldat ayant pris part a la campagne qui y était célébrée. II suffisait en effet d'ouvrir une chronique contemporaine, celle de van Meteren 2 par exemple, pour retrouver dans le poème des détails stratégiques remarquables d'exactitude. Ce n'est pas tout. A propos du siège de Grave, non seulement 1'auteur mentionnait les grands chefs comme Maurice, le Prince Guillaume, le Prince Henry, les colonels francais Béthune, Chastillon, Dommarville, mais aussi il citait d'autres noms d'autant plus curieux qu'ils étaient plus ignorés et devaient être ceux d'humbles capitaines connus de lui seul : Du Puy, Hamelet, Mont-Martin, La Gravelle. Ces notes en vers semblaient d'un témoin. Restait a le prouver. II existe a la Bibliothèque Wallonne de Leyde un immense répertoire sur fiches, constitué par la Commission 3 de 1'Histoire 1. On les trouvcra réimprimés ici, pour la première fois, dans nos Pièces justifi•catives I et ii. C'est m. Bonnefon, 1'érudit bibliothécaire de 1'Arsenal, qui a eu la bonté de nous les faire copier et d'en collationner la copie sur 1'exempUttre de Tyr ei Sidon (1608) que possède la bibliothèque de la rue de Sully. Qu'il veuille trouver ici 1'expression de notre gratitude. 2. L'Histoire des Pays-Bas, trad. francaise par J. de La Haye. La Haye, 1618, in-fol. 3. Cette Commission publie. 1'important Bulletin de la Commission pour 1'Histoire des Églises- wallonnes, lre série, t. i a iv, 1885-1892 ; 2e série, t. i a iv, 1896-1909 ; 3e série, 8 Uvraisons parues, la dernière en 1918. Sur ces églises, restées .aujourd'hui encore fidèles a notre langue, voir G. Cohen, Une Eglise francaise en Hollande (Revue Bleue, 7 octobre 1911) et surtout : Poujol (d. F.), Histoiré et influence des églises wallonnes dans les Pays-Bas. Paris, Fischbacher, 1902, 1 vol. . in.-S°- Nous-mèmes consacrerons une étude a cette manifestafion de 1'activité réformée francaise a 1'étranger. Bien de plus intéressant 'que 'cette bibliothèque wal- 20 régiments francais au service des états des Églises wallonnes et consacré aux Réformés beiges et francais, réfugiés aux Pays-Bas dans le cours des siècles. Malheureusement notre poète n'y figurait ni a Schelandre ni a Chelandrej il faut prévoir en effet les fantaisies des scribes. Par contre, parmi les fiches Bethune, se trouvait celle-ci : « Bethune, cap. Ostende, 1601. Col., avril 1602. Comp. Dussau, du Fort, Hamelet, Du Puy, Chalandre, du Buisson, Ceridos, Montmartin ; comp. 145 h. » Sur cette seule feuille, quatre noms de la pièce de vers, outre celui du poète. Mais les fiches de la BibUothèque .Wallonne ne portent pas toujours,'malheureusement, 1'indication de la source. Seule la couleur bleue du papier faisait présumer que, comme d'autres de la même teinte, dont la provenance était indiquée, celle-ci avait été prise aux Archives de 1'Etat a La Haye. Guidé par le savant livre de M. Waddington 1 et par les conseils avërtis du directeur, M. Fruin, j'explorai les fonds du « Staet van Oorloge », c'esta-dire du budget de la guerre, les « Commissie-Boeken », dont les séries présentent de regrettables lacunes, les Résolutions des Etats-Généraux, etc. Or, dans le « Staet van Oorloge », de 1599 a 1604, le nom de Schelandre m'apparut deux fois et a 1'année 1599 et en 1604, en 1'un et 1'autre endroit comme capitaine, avec le nombre de ses hommes et les sommes affectées a 1'entretien de sa compagnie. II n'était pas seul : autour de lui se groupaient, en un chceur guerrier, les noms des officiers figurant dans le poème invoqué plus haut. II y avait plus. Comme a cóté de la seconde mention découverte aux Archives de La Haye se lisaient ces mots: « Nu naer Oostende gegaen », c'est-a-dire :«Maintenant parti pour Ostende », je consultai le Belegheringhe der Stadt Ostende ou Siège d'Ostende de Philippe Fleming 2. Le nom de Schelandre y était plusieurs fois cité. lonne de Leyde et il n'est pas de bibliothécaires plus complaiSants que M. le Pasteur Oer et sa fffle, M»« Andree Cler. 1 Ta Mniibliaue des Provinces-Umes, la France et les Pays-Bas espagnols de 1630 è 1650 Pan. G toson, 2 vol. in-8», t. i (1630-42), 1895. T- ii (1642-1650), 1897. 2 Oue voulut bien me signaler le vénérable historiën de la littérature hollandaise, mnii ancien collèflue, J. Te Winkel, protesseur honoraire a 1'Université d'Amsterdam Le titre complet de 1'ouvrage est Oostende vermoerde, gheweldighe, lanek,h,,,r'inhe ende bloediqhe Belegheringhe, Bestorminghe ende stoute Aewatten (c'est-adire • le famcux, toimldable, long et sanglant siège d'Ostende, les assauts furieux m hardis\ etc., ghedaeh inde Jaren, 1601, 1602, 1603 ende 1604... beschreven !w PhiliDDe Fleming, auditeur van het Garnison... ende Secretaris van de Gouverneura .la Haye, Acrt Meuris, 1621, 1 vol. pet. in-4-, pil. ■ Planche II a. L'Eedboek ou registre des sermekts prétés par les capitainls au service des Etats. ignalurcs de Robert do Schelandre, Dupuy, Monlcsquicu de Rocques, Dommarville, Fourmcnlicres, Hallart, du Buisson, Pomarède, Fulgous, etc.) (Archives du Boyaume a la Haye, n° 1928, p, 16 el 17). introduction robert de schelandre 21 Cependant 1'essentiel était de démontrer sa participation a la campagne de 1602 et sa présence au siège de Grave, que faisait présumer déja le seui examen de son Ode. Cette preuve, le Journaal si complet et si scrupuleux du « procureur fiscal » Antoine Duyck *, semblait la fournir. Schelandre était mentionné en effet dans mainte et mainte page de ce fidéle compte rendu. La démonstration paraissait compléte et 1'identification du Schelandre des Archives de La Haye ou des documents historiques hollandais avec notre poète s'imposait, lorsque le colonel Ten Raa me signala le registre même oü les capitaines au service des Etats inscrivaient leurs noms a la suite de leur prestation de serment. Schelandre y figurait a la page de 1'année 1601,. mais avec le prénom de Robert. Ce fut une désillusion, tout était a recommencer. II fallait identifier maintenant ce Robert de Schelandre. Je retrouvai bientót son nom et sa signature, absolument pareiïle a celle de La Haye, comme il est aisé a constater par la comparaison de nos deux fac-similés (pl. I et II a), sur un recu, parmi les Pièces originales au Cabinet des Titres, département des Manuscrits, ala Bibliothèque Nationale. En voici le texte:«En presence de moy, Notaire et secrétaire du Roy, Robert de Schelandre, paige de la Chambre dudit Sieur Roy, a confessé avoir eu et receu comptant de M. Estienne Puget, consei/Zer de Sa Majesté et Tresorier de son Espargne la somme de deux centz escus a luy ordonnée et dont sa dïc/e Majesté luy a faict don pour le recompenser de ses services pour son hors de paige, de laquelle somme de IIC escus le dict'Schelandre s'est tenu et tient pour contan, bien payé et en a quicté et quicte ledit Sr Puget, Tresorier de 1'Espargne susdict et tous autres. Tesmoing mon seing manuel cy mis; enregistré a Paris le dixiesme Jour de Janvier mil Vc quatre vingt dix huit; [s.] Schelandre, [s.] Breart. » Donc, le 10 janvier 1598, Bobert de Schelandre, page du roi, quitte la Cour de ce dernier et recoit pour son « hors de page » 200 écus. Que fait-il ? Encouragé sans doute par son royal maitre, 1. Journaal van Anthonis Duyck, advokaat fiskaal van den Raad van State (1,591-1602), uitgegeven op last van het departement van oorlog, met inleiding en aanteekeningen door Lodewijk Muller, kapitein der infanterie. La Haye, M. Nij hoiï, 3 vol. in-8°, t. 1, 1862 ; t. ii, 1864 ; t. iii, 1866. 22 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS il s'engage au service de Hollande et, eri 1601, il signe, comme capitaine, Ie registre des Etats. Est-ce a dire qu'il n'ait pas commandé et combattu plus tót ? NuÜement, puisque son nom figure dans le Budget de la guerre de 1599; et, désormais, partout oü dans les pièces authentiques de cette période nous lisons Schelandre, il faut entendre Robert de Schelandre. Mais alors, aurions-nous fait fausse route et Jean n'aurait-il pas été au service des Etats ? C'est impossible, car son ami Colletet raffirme, nous 1'avons vu, dans la biographie qu'il lui a consacrée et 1'étpnnante précision des poèmes le confirme. Que faut-il en conclure ? Que Jean comme Robert a servi en Hollande et que, si celui-ci est le capitaine des documents officiels, 1'autre est un soldat qui a participé aux mêmes combats, sans doute sous ses ordres. Ceci n'aurait rien d'étonnant, car Jean est le frère cadet de Robert, qui 1'aura pris sous sa protection et sous sa garde. Tous deux sont fils de Robert Thin de Schelandre, qui se rendit fameux dans la défense de la forteresse de Jametz que son maitre, le duc de Bouillon, lui avait confiée. Nous sommes en mesure de prouver cette nliatron par le testament de Robert Thin de Schelandre qu'a publié M. Ernest Henry, 1'érudit sedanais \ et qui est daté du 27 mars 1591 : « Par devant nous Philippe Ducloux et Jan Stasquin, notaires jurez et établis en la ville et souveraineté de Sedan soussignez, fut present en sa personne honoré seigneur Robert Thin de Schelandert, escuyer, sr de Soumazannes, lequel, estant en son lit, malade,... a voulu, fait et ordonné son testament... qu'il nous a dicté... » «Item veult et ordonne le dit sr testateur que la dite damoiselle Agnetz de Lisle, sa femme, soit et demeure tutrice de Robert, Jan, Héleyne et Charlotte, enffans dudit sieur testateur et de la dite damoiselle sa femme,; lesquels ses enffans il a institué et institué pour ses vrays et légitimes heritiers universelz et pour curateur Maitre Sebastien Richier... » Le testateur ordonne encore que « la couppe de ses boys de Soumazannes » et « les deux mille escus que feu monseigneur 1. Ballei in mensucl de la Sociélé des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, novembre 1904, p. cxxx a cxxxii. L'original du testament est déposé aux minutes de 1'étude de M° Foucart, notaire a Sedan. (Cf. Beo: d'Antenne et d'Argonne, 1902, a' 3 ; Mémoires de la Société des Lettres, t. X (1901), p. 333 et Bulletin, 1903, p. xx et ixvi). Planche III. S E R M E N T Pour la Milice a faire a Ia Generalité. promets & jure d'eftre loyal & fidele m^sl ïSKl aux ^J^ats Genwauxdes Provinces Vnies , quidemeureront en 1'Vnion , Sc maintienjKp^ p^J dront 'a Religioa Rcformée , 6c nommement aux EAacs de N N. qui nu paycnr fui |g^ïig_ J^J^ 'eur rcPart'c'onj femblablcmenc aux Eftats des aulcres Piovinces, efquelles je feray em ——= s—' ployé, comme aufsi aux Magiftrats des Villes tant dedans que dehors Iefdites Provin ces, efquelles ie feray mis en Guarnilbn , de les fervir loyalement & fidelemcnt , foubs la conduicte des Chefs Sc Commandeurs , qui iontjon fcront mis & eftabh's'firr moy , Et aufsi de refpecter & obeïr aux Commandcments Sc ordres qui me lèront donnez defdits Seigneurs Eftats Generaux , Sc particuliers. qui me payent, Enfcmblc des Eftats des autres Provinces Vnies. efquelles je fer.iv mis en Gaar* nii on, & employé, comme aufsi des Gouverneurs d'icclles, ou iI y en a, ou par apres y en pourra eftre, aufqucls y aura ede deferé la charge Sc le commandement fiir la Milice , ou par apres"y pourroic eftre defcré, Sc des autres Chefs, qui auront charge ou Commandement defdics Eftats , duranr le temps que je feray employé dans lefdites Provinces & Villes , & qu'au refte, lemc gouverneray felon les Arricles Sc Ordonnances defia faiétes touchant lc fervice Militaire, ou qui fc pourront fairea l'avcnir, &fbccialement de n'obeyr ou refpecter aucunes Parentes, finon celles qui fcront eunditionées, comrr.es s'cnfuic. Afcavoir, foubs la Paraphure du Trefident, avec laSignaturc de deux autres Deputez dans la Generalité, foubfeription du Grcfficr, imprefsion du Scau des Eftats Generaux, Parapfiïïre du Prelïdent du Confeil d'Eftar, foubfeription du Secretaire, Sc 1'imprcfsion du Seaududit Confcil d'Eflat, auxquelles lèront fpiiiais les Palcüies des Eftats des Provinces, hors ou dedans lefcjuelles m'aura efté commandc de forrir ou d'entrer» Bieo entendu qii'cftantdcdans quelcunc des Provinces Vnies, jc me tranfporreray fur la Patente particuliere des Eftats de ladite Province, oude leun authorifez en uneautrc Ville ou place de laditc Province, comme aufsi dans les Villes Sc Forts, immediatement reförtants foubs la Genera, lité, 4c derechef hors defdites Villes Sc Forts, dedans la Province, hors laquelle j'auray efte ««vcryé, Sc cela autapt de fois, & fi fouvent que les Eftats de laditte Province, pour leur lèrvice ou celuy de la Generahté irouveront neceflaire, de m'ordonner, qu'aufsi en cas de paffer par vue des Provinces Vnies, je ne feray aucune hoftilité, roule ou aultre outrage quelconque que ce puifle eftre aux Inhabitants de laditc Province, ny aufsi 'permettray que par mes Soldats leur en foit faiét. aufsi n attenteray, n'y permetrray que par mes Soldats foit attenté , cc qui pourroic tendreou redondcral'intcreft, dommagc, charge , oii prejudice de laditte Province, Membre, ou Villes tTicclle, Et en cas que quelqu'vn de la part des Eftats de tclle Province, ou de leurs Authorilcz, deucment pourveu dé pouvoir, me fuft envoyé au devant a fin de me conduire audit paflagc, que i c luivray en cccy pundhiellement fon Ordrc: Que venant pres de quelque Villc defdittes Provinces Vnies, je n'y marcheray pas dedans, fans premierement en avoir adverti le Magiftrat de ladite Villc, ains que )e demeureray hors d'icelle, attendant leur ordre & confentement foit pour paflèr a traven de ladite Villc, ou a fentour d'icclle, (èlon qu-'ils ordonneront • AinlT m'ayde Dieu ■. Formule du serment aux Etats. (Archives du Royaume a la Haye). introduction : jean de schelandre 23 le duc de Bouillon luy a donnés et légués par testament », soient employés « par ladite damoiselle sa femme en 1'achapt de leur terre pour et au nom de Jan, son nis puisné, afin de décharger d'autant la terre de Soumazannes au pro fit de Robert son fils aisné... » II est donc bien étabü que 1'ancien gouverneur de Jametz a deux fils, dont Robert est 1'ainé et Jean le puiné.Leur histoire a tous deux va être si intimement mêlée qu'elle se confondra dans les pages qui vont suivre. CHAPITRE II LES PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE. Jean de Schelandre, selon Colletet, naquit vers 1585, en ce chateau de Soumazannes (Meuse), dont nous venons de parler. Les recherches que nous avons faites dans les registres de baptême de la communauté protestante de Sedan, dont les copies nous ont été obligeamment montrées par M. Weiss a la Bibliothèque de la Société d'histoire du Protestantisme francais, ne nous ont pas fourni malheureusement de fiche sur notre poète. Outre le testament déja cité, le plus ancien document qui le concerne est son inscription sur les registres de 1'Université de Heidelberg en même temps que Junius, de Metz, tous deux «injurati propter aetatem», c'est-a-dire non admis au serment, a raison de leur jeune age, le 11 aoüt 1596 *. « Joannes Scelander » aurait eu alors onze ans et cela n'est 1. Toepke (Dr Gustav), Die Matrikel der Vniversitaet Heidelberg uon 1386 bis 16G2, t. II (1554-1662). Heidelberg, C. Winter, 1886, in-8°. La référence de M. Haraszti n'est pas exacte. C'est bien sous le n° 80, mais a la page 184 que figure la mention : noa 79 Joannes Junius, Metensis 80 Joannes Scelander, Sedanensis; injurati propter aetatem; 11 [aoüt 1596]. Le contexte montre que 11 désigne la date et non 1'age. Ce ne doit pas être de notre écrivaln, mais peut-être de son a!né, Robert, qu'il s'agit dans la lettre de Charles de Lorrainc, datée du 2 juillet 1588, et oü il est question du «jeune Selandre » qui se rend en Allemagne : « II est aussy très-certain que, de .jour et le plus souvent de nuict, clandesünement, lesditz de Jametz praticquent et négotient avec ledit de Moncassin, qui leur donne ouverture des portes de ladite ville de Metz, quand bon leur semble, comme 11 est advenu récentement que les S" d'Esüvaulx, Coppe et le jeune Selandre, accompagné de dix ou douze cuirassés qui, allant en Allemaigne, ont esté receuz de nuict en la dite ville de Metz, y séjourné et conféré fort longuement de leurs affaires avec ledit Sr de Moncassin, qui. a veue d'oeuil et sans aulcune dissimulation, les favorlse et support, comme aussy tous ceulx de la nouvelle religion, lesquelz il a rappelé et introduit en ladite ville, oü ilz sont présentement avec toutë licence et liberté. » L'éditeur de ce texte, M. Henri Lepage (Recueil de documents sur 1'histoire de Lorraine. Nancy, Wiener, 1864, 1 vol. in-8", p. 46), croit qu'il s'agit de Jean de Schelandre (en allemand Schellnder), sieur de Vuydebource, frère de Robert; 1'existence de ce « Jean » ne me semble nullement prouvée; voir plus loin, page suivante, note 5. 26 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS pas tout a fait impo'ssible, si 1'on songe que 1'Université, comme nous le verrons au Livre II, comprenait aussi des lycéens et qu'un autre Junius \ fils d'un professeur de 1'Université, il est vrai, y est immatriculé a 1'age de sept ans. Qui put bien détourner vers la carrière militaire le jeune étudiant ? Assurément 1'exemple de son père, Robert de Thin, seigneur de Schelandre, dans 1'héroïque défense de la petite place de Jametz (Meuse)2 contre le duc de Lorraine. Sa belle résistance emporta 1'admiration des assiégeants euxmêmes, contre lesquels il tint deux ans, jusqu'en juillet 1589. L'impartial de Thou 3 en parle aussi bien qu'Agrippa d'Aubigné «. Robert de Thin, seigneur de Schelandre, était le fils ainé de Jehan Thin von Schelnders ou de Schlandres, vieux capitaine de reitres, un peu pillard, tres redoute de son voisin 1'évêque de Verdun et a qui Jean de la Marck, duc de Bouillon, avait donné 1'investiture des 'liefs de Soumazannes et de Gomvaux. Henri-Bobert de la Marck, successeur de Jean, lui avait en outre, dès 1571, confié la forteresse de Jametz, au commandement de laquelle Bobert de Thin avait été préposé en 1584 5. En 1598, le 2 mai, la paix de Vervins avait mis fin a la guerre 1. Toepke, op. cit:, p. 146, anno 1589, n° 151:« Casimirus Junius Otterburgensis, doctoris Francisci Junii, theologise professoris in hac academia filius, injuratus propter aïtatem gratis. » Or ce fils du célèbre théologien francais, Francois du Jon, étantne en 1582, avait a ce moment sept ans. (Cf. Fr. W. Cuno, Franciscus Junius der AeUere, Professor der Theologie u. Pastor (1545-1602). Amsterdam, Scheller, 1891, in-8», p. 219. Le père avant été nommé professeur a 1'université de Leyde, y fait immatriculer le même Jean Casimir a treize ans en 1595 (cf. Album studwsorum Academise Lugduno Batavse, 1575-1875. La Haye, 1875). 2. Canton de Montmédy. . ., _ 3. Jac Augusti Thuani..., Bisloriarum sui temporis contmualio (t. IV). Auretianx, ap. heredes Petri de la Bovière, 1630, in-fol., fol. 177 ab; a° 1587, f° 270 a b. Lacapitulatión de Jametz est du 24 juillet 1589. Cf. aussi Descoffler (Jean), Veritable discours de la guerre et siè.qe de la ville et chateau de Jamels, le sieur de Schelandre y commandant, 1590, in-8° (Mémoires de la Ligue, t. III, p. 565-664), cité par M. H. Hauser dans les Sources de 1'Histoire de France, XVI' siècle, t. III, p. 312, n° 2488. Cf. surtout, Ch. Buvignier, Jametz et ses seigneurs. Verdun, Pierson, 1861, in-8". 4 Histoire Universelle, édition publiée pour la Société de 1'Histoire de trance par le baron Alphonse de Ruble, t. VII. (Paris, Renouard, 1893, p. 365 et 163 sqq.). 5. Ch. Buvignier, op, cit., p. 28-29,36. Le nom de tous les enfants du vieux reitre nous est fourni par les Lettres Patentes du Trésor des Chartes de Lorraine (Arch. de Meurthe-et-Moselle, registre B 59, fol. 252 v°, reproduites par M. C. ChéveUe dans Mémoires de la Sociélé des Lettres, Sciences ét Arts de Bar-le-Duc, 3' s., t. X, 19U1, in-8", p. 333 a 347) par lesquelles, a la suite de la capitulation, le duc de Lorraine confisqua leurs Wens au profit du chef des assaillants, African d'Haussonviüe. La pièce, datée du 5 juillet 1590, porte pour titre : « Donnation, pour le sr de Haussonville, des biens de Robert de Xelandre, s' de Soumasane, Francois de Xelandre, s' de Wuidebourgs, Gobert de Xelandre, s' de Chaumont, Helesne de Xelandre, vefve de feu sr de Wandreher... » L'initiale x n'a rien qui doive surprendre ; c est la graphie lorraine et wallonne de la spirante palatale sourde ch. Ce document, le seul authentique que nous possédions et que les historiens de la littérature n'ont pas encore utilisé, est si formel qu'il ne permet pas de supposer un Jean de Schelandre, frere de Robert de Thin et dont notre poète serait Je fils, comme le veut H. de S. (imer- PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE 27 entre la France et 1'Espagne, de même que 1'Edit de Nantes,. signé un mois auparavant, avait, pour un temps, apaisé les luttes religieuses. Mais pour la jeunesse francaise, toujours frémissante a 1'appel des armes et dont 1'activité guerrière se trouvait sans emploi, les Provinces-Unies offraient un admirable champ d'action. Pour les protestants surtout, désireux de servir leur foi en même temps que la cause du « Béarnais », auquel ils restaient attachés malgré le « parjure », Tattirance septentrionale était grande. Et puis, quel prestige que celui des « Gueux » qui avaient relevé une inj ure pour s'en faire un drapeau et qui, presque seuls, avaient, pendant plus de trente ans déja, te nu tête a la plus formidable puissance militaire du temps, 1'Espagne unie au Saint Empire romain germanique. Le Francais a le culte des héros : il f allait que son admiration s'incarnat dans un homme ; or, la Réyolution du xvie siècle, le soulèvement des Pays-Bas espagnols contre le tyran « papiste » Philippe II, s'étaient personniflés pour ainsi dire dans 1'austère et male figure du Taciturne, de Guillaume d'Orange, nimbée de 1'auréole du martyre depuis que, le 10 juillet 1584, il était tombé a Delft sous les coups de 1'assassin Balthasar Gérard en murmurant ces mots : « Mon Dieu, aie pitié de mon ame et de ce pauvre peuple ! ». Son fils Maurice, qu'il avait eu en 1567, de sa seconde femme, Anne de Saxe, avait hérité de la gloire de son père, avec ce quelque chose de plus hardi que donne la jeunesse et de plus résolu, qui commande la confiance. En compagnie de son cousin, GuillaumerLouis, stathouder de Frise, il se plongeait dans les ouvrages de stratégie et de tactique et s'instruisait aussi au contact des modernes, le Beige Simon Stévin, les Francais Alleaume et David d'Orléans l, médiaire des Chercheurs ei des Curieux, 25 aoüt 1876, col. 505), suivi par M. Haraszti. L'opinion exprimée ici est simplement un retour a Haag (La France Protestante, lre éd., t. IX, article : Thin) et a Asselineau qui, tous deux, s'appuyant évidemment sur Coiletet, font de Jean, le fils de Robert. Signalons en passant que, dans une lettre de Henri IV a M. de Fresnes (éd. Berger de Xivrey), datée du 11 déc. 1589, il est question d'un colonel de reïtres, French Schelender ; mais les documents contemporains 1'appellent simplement Frentz ou Franch. Ce peut être le Francois de Schelandre, sieur de Vuidebourse, que nous yenons de mentionner. Dans les Pièces originales 730, a la Bibliothèque Nationale (Mss.), il est question d'un don fait par Henri IV, le 29 janvier 1594, au s1 de Chaumont. Dans le bas de la pièce, on a écrit Gobert de Schelander. 1. Nous parierons d'eux plus loin, au Livre III, a propos de Descartes a Bréda. Sur Simon Stévin, on peut consulter Van der Aa (A. G.), Biographisch Woordenboek der Nederlanden, nouv. éd., p. K. J. R., et G. D. J. Schotel en 21 vol. in-8» (le 21* est ■28 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Pouvait-on ignorer cela dans la principauté de Sedan d'oü les Schelandre étaient originaires ? C'est impossible, car la maison de Bouillon, qui la possédait, avait, avec la maison •d'Orange-Nassau, les plus étroites attachés. Henri de La Tour d'Auvergne, comte de Turenne, duc de Bouillon, n'avait-il pas épousé, le 15 avril 1595, en secondes noces, Elisabeth de Nassau, fille de Guillaume le Taciturne et ■d'une princesse francaise, Charlotte de Bourbon-Montpensier, sa troisième femme 1 ? Témoignage entre mille, des rapports qui unissaient alors la Hollande a la France, mais, dans le cas particulier de Sedan, état quasi indépendant, ce n'était pas seulement le hasard des alliances princières, mais aussi la communauté de confession calviniste et d'intérêt économique qui déterminait ces relations. « Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent oü 1'on veut aller », a écrit Pascal 2. La Meuse conduisait en Hollande, en passant par les terres des évêques de Liège, qui irestaient neutres dans les guerres. C'était une des routes que suivaient les voyageurs se rendant de France en Hollande. «C'était celle que longeaient les tisserands et les filateurs de Sedan allant chercher fortune vers le Nord, pour avoir leur part d'une miraculeuse prospérité qu'on sentait naitre; ce fut peut-être aussi la voie que prirent Robert et Jean de Schelandre. A quelle levée se présentèrent-ils ? k celle de la Noue probablement. A ce moment, ce n'était plus Henri IV qui appelait les Provinces-Unies a son secours, comme en 1595 et en 1596 8; c'étaient elles qui cherchaient a reprendre les régiments de la Noue, rendus disponibles par la paix franco-espagnole. Celle-ci de 1878), Harlem, J. J. van Brederode et la Biographie nationale de Belgique. Sur Jacques Alleaume, qui était d'Orléans, on lira un article d'un jeune savant a qui je dols beaucoup d'indicaUons précieuses, M. de Waard, au t. II du Nieuw Nederlandsen Biografisch Woordenboek publié sous la direction de M. P. C. Molhuysen et du professeur P. J. Blok. Dans ce dictionnaire, qui n'en est encore qu'au T. IV (Leyde, A. W. Sijtboff, 1918, in-8°), on trouvera, a chaque tome, les notices déja prêtes, de A a Z, et, notamment, au même T. II, une étude de M. de Waard sur notre mathématicien Girard de Saint-Mihiel. 1. Cf. Delaborde (le comte Jules), Charlolle de Bourbon, princesse d'Orange. Paris, Fischbacher, 1888, 1 vol. in-8°. Sur le mariage d'Elisabeth de Nassau, voir Het Staatsche Leger, t. II, p. 17, n. 1. La soeur d'Ensabeth, Charlotte-Brabantine, -celle que Maurice appelait sa « belle Brabant », avait épousé le 11 mars 1589, Claude de la Trémoille, vicomte de Thouars, duc de Laval et prince de Talmont (1566* 1604). Se reporter au tableau généalogique de Het Staatsche leger, t. III, p. 314. 2. Opuscules et Pensees, éd. Brunschvicg. Paris, Hachette, in-12, sect. I, n° 17. 3. Cf. la lettre de Henri IV, datée du 13 janvier 1596, citée par Bor (Pieter), Vervolch van de Nederlandsche Oorloghen... Amsterdam, s. d., in-fol., f°. 8 recto. PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE 29 emportait pour conséquence de laisser les Etats Généraux seulsen face de leur redoutable ennemi. Ils devaient accroitre d'autant leurs effectifs et Henri IV, tout en ayant traité, n'était pas faché de continuer a susciter des difficultés a ses adversaires d'hier en encourageant, en même temps, ses bons et loyaux amis hollandais, a qui il continua a payer d'importants subsides, destinés a 1'entretien des troupesfrancaises. Jusqu'a sa mort, ses yeux n'allaient pas se détourner des frontières de 1'Est. II vit donc certainement sans déplaisir les négociations que le prince Maurice ouvrit en 1599 par ordre des Etats, avec Odet de la Noue de Téhgny, fils du célèbre Francois de la Noue dit le « Seigneur d'un bras ». C'est ainsi qu'il est appelé dans une lettre adressée en juillet 1572 au comte Louis de Nassau. II avait été blessé en 1570 et on avait été forcé de 1'amputer : « De bons ouvriers lui firent un bras de fer dont il porta depuis le nom » 2. II s'agissait de recruter 2.000 Francais, répartis en un régiment de 13 compagnies, la compagnie colonelle devant être forte de 200 hommes, les autres de 150, bientöt réduites a 113 par Résolution du 29 septembre 1599 3. Le lieu de rassemblement était Arnhem 4. C'est par une décision des Etats-Généraux en date du 7 janvier 1599 6qu'Odet de la Noue fut désigné comme chef de ce régiment, sur la proposition du prince Guillaume-Louiset du Conseil d'Etat. On lui adjoignit comme lieutenant-colonel, Guillaume de Hallot, seigneur de Dommarville 6, gouverneur du jeune prince Henri de Nassau. Celui-ci demi-frère de Maurice, et qui devait être en 1625 son successeur au stathoudérat, était né, le 29 janvier 1584, du mariage de Guillaume d'Orange avec 1. Van Meteren, trad. fr. de 1618, fol. 451 r°. • Ils [les Etats] donnèrent pareillement charge au sieur de la Noue, de leur amener deux mille Francois en Hollande, de ceux qui avoient longtemps servy le Roy a leurs despens et, par ce moyen, ilsespéroyent que le Roy seroit d'autant plus prompt a rembourser les deniers qui avoyent esté payés a ces gens, en sa guerre, notamment puisque eest argent avoit esté employé et payé a ceux de sa nation. » 2. Amirault, Vie de la Noue. Leyde, 1661, p. 63. Cf. Archives... d'Orange-Nassau, t. III de la 1" série, p. 469. 3. Cf. Het Staatsche Leger, t. I, oü 1'on trouvera aux pages 164 a 166 une brèveesquisse de 1'histoire des régiments francais au service des Etats pour la première décade du xvii" siècle. 4. Rés. des Etats Généraux du 6 avril 1599. Les recherches obligeamment entreprises pour nous a ce sujet, aux archives d'Arnhem par 1'archiviste, a la demandcde M. Ie professeur Lacomblé, n'ont pas donné de résultats. 5. Het Staatsche Leger, t. II, p. 164. 6. Rés. des Etats Généraux du 11 mars 1599. II resta lieutenant-colonel sousHenri de Chastillon, en 1601. Cf. Het Staatsche Leger, loco laudalo. 30 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS sa quatrième femme \ une Francaise encore, Louise de Coligny 2, fille du célèbre amiral massacré a la Saint-Barthélémy. Presque tous les noms que nous venons de citer se retrouveront dans les poèmes de Jean de Schelandre et c'est pourquoi il est utile d'en faire mention ici. Ce la Noue, lui aussi, était poète a ses heures et 1'on peut «upposer que son exemple n'aura pas été sans exercer une influence sur la vocation de notre jeune écrivain. Odet avait de ■qui tenir, car son père, Francois de la Noue 3, n'était pas moins remarquable par sa campagne aux Pays-Bas que par ses Discours polüiques et militaires, modèles d'éloquence sobre et contenue, composés par lui en captivité a Spa et qui continuaient dignement la tradition des Commentaires de Blaise de Montluc. On lit d'Odet de la Noue un quatrain laudatif en tête des Cent cinquante Psaumes mis en musique par Claudin le jeune ende 1460 Verneuil :... 113 \ roers 1460 Halardt 113 / 1460 Etc... Considérons ce tableau. Le premier chiffre représente le nombre des soldats, le second, le montant du prêt, recu par le capitaine, pour un mois, compté a 36 jours. 1.460 livres pour 113 hommes^ cela fait tout prés de 13 liyres, un peu plus qu'en France, oü le vétéran en touche 12 a la même époque *. Sur cette page de registre officiel, Anglais et Francais frater- 1. « Vuyt de ongerepartieerde », c'est-a-dire troupes dont la charge incombe a toutes les provinces et n'ont pas encore été réparties entre elles. Même mention dans le Budget daté de 1599 et de la main même d'Oldenbarneveldt, qu'a bien voulume signaler M. Japikse (Rijksarchief. Holland, 2605). 2. Lavisse, Histoire de France, t. VI, 2« partie, p. 322. « Le reste de la compagnie est payée a 12 L par moys », est-il écrit cependant a la fin de la * Liste des Appointz de la Cu de Mr de Chastillon » (1609. Budget, ibid.). 36 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS nisent comme sur le champ de bataille. En tête, c'est le célèbre général Vere, dont pariera Schelandre a propos de la prise de Grave: La, les superbes Anglois Tremblent, grand Veer, sous ta voix. (Strophe ix). Puis vient le frère du général, le colonel Horatio Vere; plus loin, deux autres Vere, simples capitaines, Edouard et Daniël, car c'est toute une tribu qui s'est mise au service des Etats *. Mais, avant ces deux derniers, apparait le seigneur de la Noue, Odet, avec ses«150 sp.», c'est-a-dire ses 150«spiessen», les longues piqués dressées, qui le suivent dans la bataille, mouvante forteresse carrée, telle qu'on en voit dans les estampes de Callot 2. Cent cinquante hommes, n'est-ce pas un effectif a peine supérieur è celui d'une compagnie ? Sans doute, mais le colonel était alors, plutót que commandant de régiment, commandant de la compagnie colonelle, c'est-a-dire tête de colonne, ouvrant la marche dans les défilés, apres la « monstre » ou revue, et toujours la plus nombreuse comme la plus choisie. Quant a Chalander, déformation orthographique ou, si 1'on veut, orthographe phonétique 3, sous laquelle il n'est pas difficile de reconnaitre Schelandre, dont un autre budget transcrira d'ailleurs correctement le nom, il ne mène que 113 hommes ! C'est encore pour 1'époque une forte compagnie. On aura remarqué, derrière 1'accolade, les mots : Spiessen ende roers, qui signifient, littéralement, piqués et armes a feu, celles-ci comprenant les mousquets se tirant sur fourquine et les arquebuses qui s'épaulent4. Toutefois, comme on n'avait pas encore su adapter 1'arme blanche du corps a corps a 1'arme 1. Dictionary of national Biography, edited by Sidney Lee, t. LVIII, p. 233 ; Sfr Clements R. Markham, The fightlng Veres, 1888,1 vol. in-8°, et The commenlaries of Slr Francis Vere, published by W. Dillingham, Cambridge, 1657, 1 vol. in-8°, pil. L'éditlon de Tyr et Sidon (1608) imprime « VVer ». Veer est une orthographe fréquente dans les documents hollandais ; la forme la plus correcte est « Vere ». 2. Et dans la gravure de la bataille de Nieuport reproduite ici pl. IV. 3. Le * Ch » n^i rien qui doive étonner; U correspond a la prononciation. Louise de Coligny, dans son testament, parlë d'une Mlle de Chelandre (Correspondance de Louise de Coligny, p. p. Marchegay, p. 334). La graphie er pour re représente une prononciation hollandaise qui a toujours altéré ainsi le suffixe « re » dans les mots d'emprunt. Cf. Salverda de Grave, L'influence de la langue francaise en Hollande d'après les mots emprunlés. Paris, Ed. Champion, 1913, 1 vol. in-16. P4. M. Mariéjol, au t. VI (2e partie) de Y Histoire de France de Lavisse, p. 325, inteWeatitcesdéflniüonsquis'appuient sut les gravures etexplications du Maniemeni d'armes, d'arquebuses, mousquetz et piqués, etc, de Jaques de Gheyn. La Haye, 1608, in-foL, voir plus loin, Pil. IX a b et X a b. PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 37 a feudu combat a distance, il fallait que les piquiers protégeassent les tireurs contre une trop grande approche de rennemi et alors, leurs piqués de dix-huit pieds *, soudain abaissées, hérissaient le carré. Ce chiffre de 113 soldats, si on 1'interprète a la lumière de la Résolution du 29 septembre 1599, ramenant les compagnies du régiment de la Noue, de 150 a 113 hommes, semble attester que le budget a été étabb dans le dernier quart de 1599 2 et ce n'est donc que dans cette partie de 1'année que la présence de Robert de Schelandre se trouverait certifiée. Si nous avions conservé pour les années 1598 et 1599 le Journaal du fiscai 3 ou docteur Duyck, lequel suivait les armées en notant au jour le jour leurs faits et gestes, nous pourrions peut-être établir ce que fit Schelandre en 1599 ; mais le quatrième livre d'Antoine Duyck étant perdu, il faut se borner a feuilleter son oeuvre au livre cinquième «contenant tout ce qui s'est passé dans les sièges dë Crèvecceur et de Saint-André et dans la terrible bataille de Flandre, prés de Nieuport... depuis le ler janvier 1600 jusqu'au dernier de décembre suivant inclus, n'indiquant guère que les conséquences toutes nues et les événements les plus remarquables. 4 » Nous ne savons pas si Robert de Schelandre 5 était avec la Noue, lorsque le régiment participa, sous Maurice, a la prise du fort de Crèvecceur sur la Meuse (25 mars 1600) et du fort de Saint-André (8 mai) sur le Waal 6. C'est d'autant plus probable 1. Chiffre donné par van Meteren, fol. 451. 2. Cependant le budget était généralement établi pour 1'année suivante. II est vrai que ce budget-ci est exceptionnel, ayant été préparé pour cinq ans, en vue d'une grande et longue offensive. 3. Cf. Mariéjol, dans Lavisse, Histoire de France, t. VI, 2" partie, p. 337. « D (Manty) propose d'établir en chaque escadre, comme chez les Hollandais, un flscal ou docteur qui Uenne le journal du bord, transmette les ordres de 1'amiral, etc. » 4. Journaal van Anthonis Duyck, éd. Mulder, t. II, p. 495:«Vijfdebouck, daerinne vervat is alle tgene in de belegeringen van Crevecuer ende St An dries, ende in den swaeren veltslach in Vlaenderen bij Nieuwpoort voorgevallen is, mitsgaders in andere aenslaegen... tsedert den eersten Januarij 1600 totten letsten Decembris daeraenvolgende incluys, houdende meestal niet dan de naeckte effecten mette notabels te geschiedenissen >. 5. Quant a Jean, qui n'est pas capitaine, il ne faut pas s'attendre a trouver son nom dans les budgets de la guerre ; tout au plus serait-il dans une « monsterrolle » oü « état des monsires ». La plupart sont perdus. II en est cependant un de cette date oü apparatt sous les ordres de Jan Gentil, sieur du Fort, un certain Pont Challandiëre, mais je ne crois pas pouvoir 1'identifier avec notre poète. « Rolle geleverd by Jan Gentil, lieutenant van den heere van Corbeke, 18 jan. 1599 » (« Lias lopende Staten Generaal, n° 4709 »)■ La liste, qui n'est constituée presque que de noms francais, est d'ailleurs intéressante'. 6. Cf. Bor (Pieter), Vervolch van de Nederlantsche Oorloghen, livre 37, fol. 6 v° et 14 r° ; Duyck, II, p. 552, 558, 586. 38 - régiments francais au service des états que le Halardt du tableau précédent s'y trouve, ainsi que ce du Hameiet1 qui devait périr au siège de Grave, en 1602, et ce Marescot dont Schelandre va reprendre la compagnie, deux mois plus tard. Dès le 9 juin 1600 2, Son Excellence, c'est-a-dire le Stathouder, fait rassembler les vaisseaux, dans le dessein de se transporter en Flandre avec toute son armée, forte de 125 enseignes de fantassins, 25 cornettes de cavaliers, 100 chariots, 250 chevaux de trait, 16 canons lourds, 14 mortiers et 7 pièces de campagne 3. Le 14, on commence a embarquer. Le 17, le Prince quitte La Haye en compagnie de Chastillon, Vere, Solms et d'autres encore afin de prendre le bateau a Delfshaven pour Dordrecht. Le 18, les Etats Généraux eux-mêmes se décident a se rendre en Flandre, se transformant ainsi en commissaires de la République pour surveiller la campagne et veiller a ce qu'elle prïtbien pour objectif Dunkerque. II s'agissait en effet de détruire ce nid de corsaires et d'assurer a la Hollande la possession de toute la cóte beige et, par conséquent, la maitrise de la mer du Nord. Cette méfiance a 1'égard du jeune chef, c'est le Pensionnaire de Hollande, le célèbre Oldenbarneveldt, qui 1'inspire et Maurice ne 1'oubliera jamais. Le 22 juin 1600, le prince débarque ses troupes au fort Philippine, pres de Terneuzen, sur la rive gauche de 1'Escaut, en Flandre zélandaise. Son armée est divisée en trois corps4 confiés, le premier, au comte Ernest de Nassau, que nous retrouverons dans le poème de Schelandre; le second, au général Francois Vere, qui conduit les Anglais et les Frisons; le troisième, au comte Georges de Solms a la tête des régiments de Gistelles, de Huchtenbroeck, des Suisses, des Wallons et des Francais. Ceux-ci, sous la Noue, comprennent, outre sa compagnie colonelle et celle de Dommarville, les compagnies Rocques, Du Sau, La Simendière, Marescot, Hameiet, Halxart, Brusse, Cormières, du Fort, Fourmentières, Verneuii. et Pont-Aubert5. 1. Journaal de Duyck, II, p. 610. II signe Du Hameiet sur VEedboek, p. 10, après avoir prêté serment le 10 avril 1599. J'ai retrouvé sa « commission » dans le Commissieboek van den Raad van Staate, 10 mei 1591-6 déc. 1599: Commissie voor Francois des Essars... heer van Hameiet. 2. Ibid., II, p. 629. 3. Duyck, II, p. 635 et 636. 4. Duyck, t. II, p. 638-639. 5. Duyck, t. II, p. 639. n n'est pas sür que la Noue ait été présent, k en juger par le texte de Fleming, Belegeringhe der stadt Oostende, p. 32; a part cela, sa liste correspond a celle de Duyck. Je ne tiens pas compte des altérations orthographiques, PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 39 Les noms imprimés en petites capitales, sont ceux qui figurent au budget de 1599 a 1604, a cóté de celui de Schelandre. Oü est-il, lui, a ce moment et oü est du Buysson ? On ne sait. Le 23 juin, 1'armée s'ébranle, la cavalerie indépendante du comte Guillaume-Louis, formant pointe d'avant-garde, les régiments de Soims et par conséquent les Francais le suivant. On passé par Ecloo, les maisons brulent, marquant les étapes de 1'invasion, puis on traverse Oudenburch, au sud d'Ostende, laissant Bruges de cöté. Maurice ordonne a Solms d'enlever 1'ouvrage Albert, situé dans les dunes, a Fouest d'Ostende, cette ville étant toujours, comme on sait, aux mains des Etats. II éprouve quelque peine a pousser ses approches1 dans le sable sec et mouvant oü il choisit ses emplacements de batterie, 1'un sur 1'estran, 1'autre sur les dunes. Quelques Francais audacieux livrent des escarmouches jusque devant les retranchements Isabelle, qui confinent au fort Albert : le capitaine Cormières est tué, le corps traversé de part en part; effrayée par un feu d'artillerie, d'ailleurs peu meurtrier, la garnison du fort Albert se rend le 29 a. Lentement, le long du rivage, Solms s'achemine vers Nieuport fortement oceupé par les Espagnols. II vise a s'emparer de la digue et des écluses. Maurice et Guillaume-Louis le rejoignent a la hauteur de Leffinghe, ainsi que les Anglais et le comte Ernest, tandis qu'il s'étabüt lui-même a Westende, face a 1'Ouest. Nous sommes le 30 juin. Le ler juillet, par un beau temps, le Stathouder avance encore et, trouvant 1'embouchure de 1'Yser presque a sec, a marée basse, il la franchit avec Vere et Solms, le comte Guillaume-Louis et le comte Henri-Frédéric, sans rencontrer de résistance. Par un vent favorable, des bateaux partis d'Ostende, ne tardent pas a amener vivres et munitions 3. Stratégiquement, la position est dangereuse. On n'y reconnait pas la prudence habituelle de Maurice, car, n'était la maitrise de la mer, il serait coupé de sa base et pris entre trois feux : Bruce pour Brusse, Mariscot pour Marescot, etc, ni des traductions du « de », van Sau pour du Sau. Au reste nous n'avons pu toujours contróler la vraie forme. Rocques est Jacques de Rocques, baron de Montesquieu, dont il sera souvent question plus loin. Cf. Het Staatsche Leger, t. II, p. 409,277,165. 1. Boyau ou galerie destiné a approcher des remparts a couvert. 2. Duyck, t. II, p. 649-651. 3. Duyck, t. II, p. 658. 40 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Furnes, Dunkerque, Nieuport, sans compter la menace de 1'archiduc qui s'avance de Bruges avec toute une armée pour dégager Nieuport, reprenant en passant Oudenburch et Leffinghe, comme s'il avait voulu suivre le Hollandais a la tracé1! Les Etats, qui ne se sentent pas trop en sécurité a Ostende] s'afïolent. Maurice même est surpris. On ne croyait plus 1'ennemi si agressif ni si fort. Le comte Ernest est envoyé au nord de Leffinghe, avec mission de garder ouverte la route de la cóte. Le 2 juillet 1600, dit le chroniqueur, commence a poindre, par un beau temps et un vent d'ouest assez fort, le jour sanglant de la grande bataille. C'était un dimanche, anniversaire de la Visitation de Notre-Dame Marie, trés honorée par les « papistes »2. Au point du jour, le comte Ernest, avec deux régiments, comprenant dix-neuf enseignes de fantassins, quatre cornettes de cavalerie et deux mortiers, se dirige vers Mariakerke, mais 1'archiduc Albert, partant de Leffinghe et profitant de ce qu'on avait omis de rendre la route impraticable, 1'y devance. Ernest se met en bataille ; la panique s'empare de ses troupes, il perd beaucoup de monde. Albert a raison d'écrire a ceux de Bruges, qu'il a battu 1'avant-garde de Maurice, mais il a tort de dire qu'il 1'a coupé de sa base. L'histoire apprend qu'il ne faut pas trop tot chanter victoire. Cependant, a Bruges, on sonna les cloches. L'archiduc dispose de 8.000 fantassins et 1.600 cavaliers. II reste a Maurice 96 enseignes a pied, 18 a cheval, soit 10.000 fantassins et 1.200 cavaliers. A la faveur de la marée basse, il les transporte dèshuit heures sur la rive droite de 1'Yser et il se range en bataille, adossé au fleuve et sentant qu'il a tout è perdre ou tout a gagner. II fait savoir a Vere, commandant 1'avant-garde et qui propose de se retrancher, qu'il entend ne pas s'abriter ailleurs que derrière des piqués et des mousquets, qu'il veut livrer bataille et qu'en ce jour, le sang coulera. II avait fait passer aussi sur la rive droite le gros 3 composé des régiments francais, wallons et suisses, conduits par le comte Georges de Solms et flanqués des cavaliers du jeune Henri- 1. Duyck, t. II, p. 661. 2. Duyck, t. II, p. 661 a 680. On pourra suivre son récit égaiement sur le plan que nous reproduisons ici, pl. IV. Cf. plus loin, page suivante? note 1. 3. Qu on appelait alors «la bataille ». PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 41 Frédéric, les fantassins répartis en quatre bataillons, les cavaliers, en quatre escadrons. Le comte Ernest reste sur la rive gauche pour observer la garnison espagnole de Nieuport. Les seigneurs de Chastillon, Grey, Holstein, ne quittent pas Maurice. Tandis que ce dernier envoie ses cavaliers en reconnaissance, il éloigne ses vaisseaux, leur faisant regagner Ostende pour öter aux troupes tout espoir de retraite. Les six mortiers sont en batterie sur 1'estran. L'ennemi tarde a paraitre : Maurice en profite pour exhorter ses soldats a se conduire vaillamment. Voyant les vaisseaux cingler vers Ostende et croyant qu'ilstransportent le Stathouder lui-même et son état-major, 1'archiduc Albert se décide a attaquer et marche vers Nieuport le long de la cóte, appréhendant d'être inquiété sur ses derrièrespar la garnison d'Ostende qui, au reste, ne bougea pas. C'est a midi que les estradiots espagnols prennent le contact. Dix ou douze coups de canon tirés a bref intervalle les accueillent et les dispersent dans les dunes. La marée montant, 1'une et 1'autre armée ne tardent pas a s'y réfugier. Sentant qu'il va être attaqué, le stathouder appelle le comte Ernest et lui fait prendre position, après avoir coupé les ponts sur 1'Yser, pour qu'ils ne livrent point passage aux fuyards. Maurice a pour lui le vent et bientót le soleil qui, raprès-midi, aveuglera 1'adversaire, puisque celui-ci fait face a 1'ouest. L'armée espagnole gagnant de plus en plus, 1'artillerie hollandaise commence a donner de ses cinq mortiers mis en batterie dans les dunes, et de son canon unique, resté sur le rivage. Le stathouder déploie sa cavalerie dans les « polders ». L'avantgarde a pied comprend quarante-trois enseignes, tandis que le gros n'en a que vingt-quatre, réparties en quatre bataillons, dont deux de Francais *. Vers trois heures de raprès-midi, 1'ennemi avait tellement approché que les éléments avancés en viennent aux prises et qu'un feu assez vif d'arquebuse éclate, faisant un bruit terrible, 1. Duyck, t. II, p. 671. On les voit indiquées sur la gravure trés rare du Cabinet des Estampes qu'on trouvera reproduite ici, pl. IV. On en lira la description dans Muller (Fred), De Nederlandsche Geschiedenis in Platen, beredeneerde Beschrijving van nederlandsche Historie Platen, Zinneprenten en historische Kaarten, verzameld, gerangschikt, beschreven door —. Amsterdam, F. Muller, 1863, 4 vol. in-8».. La collectlon compléte ayant été acquise par le cabinet des estampes d'Amsterdam, 11 sufftt d'indlquer le numéro de Muller : n° 1136 au t. I. 42 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS -si bien qu'on entendait un roulement confus « de mousqueterie, de cris, de tambours et de trompettes». Voyant son infanterie •engagée, Maurice fait charger la cavalerie du comte GuillaumeLouis, du comte Henri et de la Sale sur les escadrons ennemis. qu'elle met en fuite. Albert soutient son avant-garde, qui a le dessous, par sa « bataille », c'est-a-dire par le gros. Les Anglais fléchissent un peu; le général Vere est blessé et va se faire panser *, mais son frère Horatio rétablit la situation en foncant sur le parti ennemi le plus important, a la tête de six ou sept cents hommes. II fit preuve d'une telle opiniatreté que 1'Espagnol ne parvint pas a 1'ébranler. Cependant Anglais et Frisons eussent fini par céder, si Maurice n'avait amené en ligne, a son tour, le gros de ses forces. Les nouveaux Wallons chargèrerit bravement mais, avant le corps a corps, voici que les fantassins de Vere lachent pied. II faut faire donner les Suisses et puis les Francais, en deux troupes, mais ils n'arrivent ni a faire reculer 1'ennemi, ni a arrêter la débandade des Anglais. L'armée du Prince perd dune après dune, sans que les charges partielles de sa cavalerie, prenant 1'Espagnol en flanc, parviennent a rétablir la situation. II ne reste au stathouder qu'a faire avancer son arrière-garde, exhortant ses cavaliers a rester en bon ordre, puisqu'aussi bien ils n'ont pas d'autrealternative que de vaincre ou d'être tués ou noyés, ce qui avait été, au reste, le sort d'une partie du train des équipages. La panique commence a se mettre dans cette cohue. On entend les cris effarés des femmes et des enfants qui 1'accompagnent2 et, pour comble de danger, 1'ennemi ayant apercu ce désordre, engage son arrière-garde, pour tenter de forcer la fortune des armes. L'infanterie hollandaise est en recul sur toute la ligne et Maurice ne réussit même pas a remettre de 1'ordre dans sa cavalerie. La situation parait désespérée : « II semblait que le Seigneur Dieu voulüt laisser périr et accabler le florissant Etat de Néerlande ». L'ennemi avance si vite que 1'artillerie tombe entre ses mains. Seul, le Prince est sans crainte : ii appellé, il supplie chacun de maitriser ses terreurs, de mourir plutöt en combattant. C'est alors qu'il mande ses trois dernières enseignes de cava- 1. Duyck, t. II, p. 672-673. 2. Duyck, t. II, p. 674. PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 43 liers qui, s'élancant avec furie, portent le désordre dans les rangs ennemis.Lès Anglais de Vere se ressaisiscent ainsi que les Frisons qui, au nombre de cent cinquante piquiers, jettent un parti espagnol a bas des dunes1. Tout a coup des matelots et des canonniers se mettent a crier:«Chargez ! chargez !» 2 et d'autres, sans raison d'aüleurs : « Victoire ! victoire !... » et toute 1'armée hollandaise se met a presser 1'adversaire, qui ne tarde pas a céder. Le prince le harcelle sur ses flancs avec un groupe de cuirassiers qu'il a ralliés. Le recul des Espagnols se change bientöt en une fuite éperdue. Maurice reste maitre 'du champ de bataille, il couchera le soir a Westende. Commencée a trois heures et demie de 1'après-midi, la lutte a duré jusqu'a sept heures du soir. Cette victoire de Maurice, si remarquable, paree que c'était la première qu'il remportait en rase campagne sur « cette redoutable infanterie de 1'armée d'Espagne », jusqu'alors partout victorieuse, lui avait coüté cher : mille morts, donc le dixième de son effectif, et sept cents hommes grièvement blessés. Les Anglais avaient perdu cinq capitaines, les Francais, deux : La Simendière et Marescot3. II est vrai que 1'ennemi avait laissé sur le terrain trois mille morts et six cents prisonniers et, parmi ces derniers, i 1'Almirante d'Aragon » Francisco de Mendoza4, don Luys del Villar et le sénéchal de Montéümar, comte de la Fère, qui mourut a Ostende des suites de ses blessures. De plus, il abandonnait tous ses bagages, ses drapeaux, quatre mortiers, deux canons de campagne ou couleuvrines et des murdtions. Malheureusement, Maurice ne sut pas ou ne voulut pas exploiter son succès. II se conténta d'avoir rouvert la route d'Ostende et y délibéra avec les Etats sur les trois objectifs qui s'offraient a lui : L'Ecluse, Nieuport, Dunkerque, d'oü partaient les galères et les brigantins pour inquiéter et surprendre ces 1. Duyck, t. II, p. 675. 2. « Val aen, val aen », ibidem. 3. Duyck, t. II, p. 677. 4. C'est a eet amiral que Maurice dit a table, en francais: t Monsieur 1'Admirante a esté plus heureux que pas un de son Armée, car il a fort désiré, plus de quatre années continuellement, de voir 1'Hollande; maintenant il y entrera sans coup férir. » Le propos a été entendu et noté par Fleming, Belegeringhe..., etc, p. 45. 44 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS routiers des mers qu'étaient déja les marins de Hollande et de Zélande. i En attendant une résolution définitive, le Prince procédé au remaniement de ses troupes, fusionnant probablement des compagnies, quand leurs pertes avaient été trop lourdes et surtout quand elles avaient été privées de leur chef, donnant notamment celle de Cormières, tué au fort Albert, a du Puy *, celle de la Simandière, tué, a Pomarède et celle de Marescot, également tué, a Schelandre 2 que nous retrouvons donc ainsi cité en fin de bataille et qui a été 1'occasion de ce récit. L'événement eut en Europe et surtout en France un retentissement considérable. Elisabeth en rend graces a Dieu. Henri IV recoit d'Aerssen, ambassadeur des Etats, a onze heures de la nuit et « manifeste une telle joie que beaucoup se scandalisèrent de lui voir trop ouvertement montrer son affection et sa sympathie pour le succès de Leurs Hautes Puissances. II s'arrête même de jouer et ordonne a Monsieur le Grand de lire a haute voix les dépêches 3. » 1. J'ai retrouvé Ia Commission de Guillaume du Puy, datée du 15 décembre 1598 (Commissieboek van den Raad van State, 10 mei 1591-decemb. 1599, fol. 88). De graves lacunes de ces registres nous ont empêché de mettre la main sur le brevet de Schelandre. Ce du Puys, dont nous reparlerons encore, fut arrêté a la Haye le 26 octobre 1600 (cf. Duyck, t. II, p. 571) pour avoir, dans une « monstering », abusé des « passe-volants », hommes de paille destinés a grossir frauduleusement les effectifs des compagnies pour les jours de revue, n ne tarda pas a être relaché. 2. Dont le nom apparatt cette fois estropié par Duyck en Chilandre, ce qui n'a rien d'étonnant si 1 on songe qu'un descendant du poète a rclevé, dans les documents francais du temps, les formes : Scheland, Chelandre, Schlandres, Thin von Schelnder, ce qui est la propre signature du père du poète, le gouverneur de Jametz (cf. VIntermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 25 juillet 1876, col. 422 et 25 septembre 1877, col. 566). Voici le texte de Duyck (t. II, p. 684), a la date du 5 juillet 1600 : « De compagnie van la Simandière gaf hij aen Pommarède, die van Cormières aen du Puys ende die van Mariscot aen CHILANDRE. » 3. Lettre d'Aerssen aux Etats Généraux, 19 juillet 1600, citée par van der Kemp (C. M.), Manrits van Nassau, t. II. (Rotterdam, van der Meer et Verbrusaen 1843, in-8°, p. 264-265). La bataille de Nieuport en 1600. D'après une taille douce de Henri Hondius, au Cabinet des Estampes d'Amsterdam. Collection F. Muller, 1136. (N" il et 42 : Les enseignes francaises de La Noue). 2 3 Sf CD CHAPITRE IV LE POÈME DE JEAN DE SCHELANDRE SUR LA BATAILLE DE NIEUPORT. C'est au même moment oü la présence d'un Schelandre, que nous devons supposer être Robert, est attestée a Ostende par le Journaal de Duyck, qu'un poème de son frère Jean nous montre qu'il y arrivé aussi. II y écrit en effet è propos de ce fait d'armes: Le bruit d'un tel exploit dans mon ame fit naistre Un esguillon de Mars, un desir de cognoistre Le guerrier qui deffend, nompareil en vertus, De 1'acier de César, les raisons de Brutus 1. Le poète va nous habituer a une telle exactitude, qu'il est permis de demander au lecteur, sous bénéfice d'inventaire, d'accepter qu'il s'agit la d'un détail biographique exact et que Jean rejoint son ainé au lèndemain de la bataille de Nieuport, a laquelle, six ans après2, selon ses indications toujours, il consacre un poème de large facture intitulé : Le Procez d'Espagne contre Hollande. Plaidé dès Van 1600 après la bataille de Nieuport. Dédié a très-sage et très-valeureux capitaine Maurice de Nassau, Duc de Grave, etc. Cette pièce de vers, toute en alexandrins 8, appartient a la familie des songes et visions, qui ont fait tant de tort a notre littérature didactique et dramatique, au moyen-age comme au 1. Admirable vers a souligner en passant et qui sert d'épigraphe a ce livre I. 2. Sur cette date, voir plus loin. 3. Pour la Sluartide, publiée en 1611, 1'auteur rejettera 1'arexandrin (cf. Argument de la Sluartide, p. 33) : < Quant a la qualité des vers 1'autheur a suivy (plus tost par devoir que par inclination) 1'exemple et 1'opinion de nostre Apollon vandosmois, qui juge les Alexandrins mal convenables a un subject Heroïque, comme a la vérité la plus courte cesure de ceux-cy leur donne je ne scay quelle retenuë qui les rend plus graves, plus relevés et moins licentieux, laissant tant plus de loisir aux pro» fondes conceptions de se faire bien peser avant que d'estre exprimées ». 46 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS xvie siècle, mais elle se rachète par une réelle éloquence et une grande chaleur de sincérité. Le poète est endormi, Morphée lui apparait et 1'enlève aux cieux, vers le père tonnant Assis en majesté sur un throsne eminent et, devant le Souverain juge, il voit amener « deux nymphes d'icy-bas », 1'Espagne et la Hollande : L'Espagne basannée, Orgueilleusë en son dueil, dolente en son orgueil, Portoit la rage au frond et les larmes a rceil. Sa démarche estoit grave et sa robbe tissue De metail de Peru rayonnoit a la veüe Son sein estoit blanchi de perles arrengées, Et de chaïnons d'or fin, ses espaules chargées ; Dans un «torrent de larmes », elle dresse sa plainte contre la « rebellion d'Hollande sa sujette » et invoque le droit divin des rois. Celle-ci a « un Alexandre esleü », Maurice. Au ToutPuissant, de foudroyer le révolté. A tant se teüt Espagne et sur pied se dressa, Puis d'un humble maintien Hollande s'advanca. L'or de ses blonds cheveux, oü Cupidon se joue, D'un humide réseau, sans parade, se noue. Son front, illuminé de flambeaux azurés, *-es ^s ^e son teint frais, de rose colorés, L'embonpoint de ses bras mi-couverts de la manche, Son voile a cent repüs de fine toile blanche, Tiroieirt au fond des cceurs plus de rayons ardants, Que 1'Espagnole pompe aux yeux des regardants. II y; a peut-être* ub souvenir d'amour ou d'amourette dans cette description si précise. Nous n'avons plus affaire a une abstraction. Ce n'est pas la Hollande, c'est une Hollandaise quiest ici décrite avec des touches de peintre et telle que le Francais 1'a vüe : cheveux blonds, yeux bleus («les flambeaux azurés »), les joues vivement enluminées de rose, 1'avant-bras découvert, en son costume national, que Tallusion a la coiffe de fine toile de Hollande achève d'évoquer, comme eu un tableau de Vermeer: Deux traits de ce costume, le bras découvert et les cent LE POÈME DEiJEAN DE SCHELANDRE 47 replis de cette coiffe indiquent un modél e pris en Zélande *. La simplicité de 1'habit se retrouve dans le langage. Si 1'Espagne a parlé devant le souverain juge du droit divin des rois sur leurs sujets, la Hollande se dresse en défenseur des opprimés et ses alexandrins vibrants plaident la cause des « Monarcomaques », des peuples faiseurs de rois et défendent la théorie des Vindicix contra tgrannos de Languet» qui n'étaient autre chose que 1'apologie de Guillaume d'Orange en révolte contre son suzerain, pour des causes politiqaes aussi bien que religieuses. Les Roys sont vos nepveux, s'ils gouvernent en paix, S'ils briguent, en douceur, l'amour de leuis subjets Mais si, bridants les cceurs et les langues craintives, Des peuples asservis, ils transiorment les noms De Prinxes en Tyrans, de Caesars en Nerons, Si, pour souverain cbef, ils. ne vous recognoissent, Si, brutaux, de rapïne et de meurtre ils se paissent, II faudra prendre en gré la rage qui les poind ? Nous sentirons les coups et n'en soufflerons point ? Ne voila-t-il pas des accents dignes des Tragiques d'un Agrippa d'Aubigné, qui pourtant ne paraitront que dix ans plus tard, en 1616 ?3 Suit un véritable réquisitoire contre la barbarie espagnole, qui a crucifié les. deux mondes : Soit oü d'éternel chaud les nègres sont pressés, Soit öü les flots baveux en niarbre sont glacés, 1. En 1601, nous verrons la compagnie Schelandre en garnison a Berg op-Zoom, a la limite du Brabant septentrionat, maas e» face de la Zélande. Tous les dessins se rapportant a la Hollande du Noxd et que j'ai vus au Cabinet des Estampes d Amsterdan, montrent qüe les paysannes de CeS contrées ont des manches longues, de même que les bourgeoises et grandes dames du temps. Ce detail du bras découvert lacalise donc exactement le poeme. Pour les plis de la. coiffe de Goes e» Zélande par exemplie, voir A. Diirers Niederlaendiscke Reise (Betïht, 1018, 2 m-fol.) par un artiste bien connu, Jan Veth et 1'éminent archiviste d'Utrecht, M. S. Muiter Fz. 2. Cf. de Jong, Eenige Opmerkingen over de Rechtsleer der Monarchomactiert (Thèse de lettres de la « Vrije Universiteit», ou Universite libre d'Amsterdam) 1914, Rotterdam, P. de Vries, 1 voJ.ï»-8°, et Itjeshof Jz., fl» Werkzaamheid vanDu Plessts-Mornau in dienst van Hendrik van^avarre in de jaren 1576 tot 1581, 1 hese de lettres de 1'tjhfversftêde Leyde, 1917, Kampen, Kok, 1917,1 vot fti-S". M. Kj<*hof a tort d'attrlbuer les Vindicise a Du Plessis-Mornay malgré la démonstraUon de M. Joseph Barrère en faveur de Languet. Cf. Observations sur quélques ouvrages pstitiques anonymes du XVI' siècle, dans la Revue d'Histoire littéraire de la France, 21° année, n° 2, a\friHMin 1914, p. 377-382. ; " 3. Manuel bibliographiquei.dfe G. Lanson, n° 1813. Vo»r tes heaux bvres de S. Rocheblave, Agrippa d'Aubigné, Paris, Hachette, 1903»tvol. in-16, (Les Granas Ecrivains) et La vie d'un héros : Agrippa d'Aubigné, Paris»Hachette, 190O, I. vak in-16. 48 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Vous ne voyez climat oü chacun ne deteste De leur ambition la dommageable peste. L'Espagnol est un feu, qui tant plus se fait grand Du mal de ses voisins et tant plus entreprend. C'est un chien en sa fov. c'est un Paon en sa gloire, Un regnard en sa guerre, un tigre en sa victoire. Puis vient un résumé, évidemment tendancieux, de 1'histoire d'Espagne, qui atteste chez 1'auteur une grande connaissance des faits, et, par conséquent, une certaine instruction *, mais qui est un peu déparée au début par un mauvais jeu de mots sur Christophe Colomb : N'appellons a tesmoin le monde ja desert, Par un vol de Coulombe autrefois descouvert, Oü Ferrand *, par le sang, par la chaine servile, Preschant le métail jaune 3 au lieu de 1'Evangile, Fit aux peuples dontés plus de mortel ennuy Que les Demons d'enfer qui regnoient avant luy. Ensuite, une brève allusion a 1'accession de Charles-Quint è 1'Empire, en 1519 : Je tairay leur Cesar, qui gaigna, p*ar amorce, Les Allemans peu fins, les gouverna par force. Enfin, une évocation des conquêtes d'Italie, des intrigues de Philippe II en Angleterre avec Marie Tudor et un tableau de la France ravagée par les invasions successives : Mais abaissez les yeux, 6 Fondateur du Tout, Contemplez a loisir, de 1'un a 1'autre bout, La France encore en pleur pour ses villes bruslées, Pour ses fleuves sanglants, ses terres desolées. C'est 1'Espagnol encore qui, chez elle, a provoqué les querelles intestines : Une civile horreur luy dechirant les flancs, Vouloit ses plus beaux lis aussi rouges que blancs. a 1n 9,f-Ass^!!neau,' NotUx sur Jean de Schelandre, 2" éd., p. 5. Selon la Biographie ien que la poésie. D après le même biographe, Schelandre avait fait des études brillantes a 1'Université de Paris (Ibid.). •2. Ferdinand d'Aragon. 3. L'or du Pérou. LE POÈME DE JEAN DE SCHELANDRE 49 Mais Dieu a suscité Un Henry sans pareil qui tiendra désormais Toute 1'Espagne en peur, toute la France en paix. Aussi le Seigneur ne peut-il pas moins faire que de lancer contre la fourbe Espagne ce ■formidable anathème : Ha I qu'en vain, contre moy, ces feintes sont dressées, A qui seul appartient de sonder les pensées. Ou ce regard farouche, ou ce geste me dit Que la langue me prie et le cceur me maudit. Ouy, j'ayme le bon droit: Tant que ta gloire vaine Haussera ton mespris sur la nature humaine, Je me rendray partie, et, te versant a bas, Te briseray du tout, si tu ne fleschis pas. J'ay souffert jusqu'icy ta barbare malice Pour en donter les miens qui se plongeoient au vice, Mais garde-toy du feu... Le soleil jaunit Fhorizon, un rayon vient dessiller les yeux du rêveur qui demeure « estonné, comme tombé des cieux », et c'est la fin du long poème. Y trouverait-on quelques détails utilisables pour la biographie de son auteur, en dehors de la date de composition, 1606, établie par la phrase: «Ja Flore, par six fois, de nouveau s'est parée... » ? D'abord, plusieurs vers montrent une connaissance nette, non pas seulement de 1'histoire de France (allusions aux guerres de religion, a la Ligue, a 1'assassinat de Henri III, a la pacification de la France par Henri IV) mais aussi de 1'histoire d'Espagne (Ferdinand, Charles-Quint, conquête du Pérou), ainsi que des circonstances particulières de la révolte des PaysBas. II faut notamment souligner le passage oü il est question du duc d'Albe : Un Duc d'Albe sans foy, qui voudra, résolu, Fonder sur le massacre un pouvoir absolu, Qui semble conjurer par bourreaux et par guerres De peupler 1'Achéron aux despens de nos terres. et du tragique massacre d'Anvers connu sous le nom de Furie Espagnole 1: 1. Placée sous le duc d'Albe au mépris de la chronologie. En effet, le duc d'Albe avait déja quitté les Pays-Bas. 4 50 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Nous verrons chasque jour, au gré de leur furie, Un carnage d'Anvers et cent autres turies ? Pourtant, ce qui nous intéresse ici davantage, c'est une parfaite connaissance de la campagne de Maurice. Elle commence par un débarquement en Flandre : Ja Flore, par six fois, de nouveau s'est parée Depuis qu'un bel instinct de victoire asseurée Vous fit entrer en Flandre, et, costoyant ses bords, Paver ses flots de naus et ses sables de morts ; « costoyant ses bords » : c'est bien la marche par la cóte, d'Ostende vers Nieuport, qui ouvre les opérations. < Paver les flots de naus et les sables de morts » Oui, la mer était couverte de navires faisant voile vers 1' Yser et escortant les troupes en marche qui, du rivage, les suivaient des yeux. I Paver les flots de naus et les sables de morts » N'est-ce pas un rappel de choses vues au lendemain de la mêlee, car c'est dans le sable des dunes et de la plage que se livra le sanglant combat et que gisaient, glacés et rigides, les trois mille morts qu'abandonnait 1'ennemi. Au même tableau répond cette plainte de 1'Espagne : Voyez mes bataillons a 1'estran terracés, Mes plus illustres Hls a monceaux renversés. .Si nous n'avons pas affaire a la même exactitude que dans la pièce que nous analyserons plus tard, nous sommes loin cependant-de la froide abstraction habituelle aux songes poétiques. L'horreur de la vision du champ de bataille et de ses monceaux de cadavres se^ trahit ici. CHAPITRE V RETRAITE DE FLANDRE. LES CAMPAGNES DE 1601 ET DE 1602. Reprenöns le fil des événements. Le stathouder rend graces au ciel et fait entonner, en francais, le psaume 116. Ainsi de Bèze et Marot, sur la grave polyphonie vocale d'un Bourgeois ou d'un Goudimel, célébraient la victoire hollandaise. Au reste, le fameux « Wilhelmus » n'était-il pas aussi un vieux chant historique francais ? 1 Quoique Albert ait ralhé sous Bruges ses troupes en déroute, Maurice fait, dès le 6 juillet, reprendre a toute són armée la direction de Nieuport2. L'essentiel était alors de s'emparer des places; c'était la tactique hollandaise, celle qui convenait le mieux au tempérament obstiné de ce peuple, et, d'ailleurs, 1'objectif primitif de Dunkerque n'était point abandonné. De nouveau, on passé 1'Yser et le grand chef va camper a 1'ouest du chenal. Les soldats creusent des fossés et construisent des abris sous une pluie persistante. Le mauvais temps empêche les travaux d'approche, 1'eau envahit les tranchées de 1'Yser. Néanmoins, on arrivé a dresser, a force de gabions, les emplacements de batterie : douze pièces au Nord-Ouest de la ville, quatre a 1'Est. On perce une digue pour tenter d'inonder toute la région et interdire aux assiégés 1'arrivée de renforts, mais la digue principale, qui protégeait tout le « métier » de Furries, ne put être atteinte; chaque jour, par la venue des troupes fraiches et par 1'artillerie qu'il recoit, on voit croitre la résistance de 1'assiégé. L'ingénieur David d'Orléans est blessé au pied; ses direc- 1. Voyez la démonstration du musicologue J. W. Enschedé, Les Origines du Wilhelmus van Sassauwe, dans le Bulletin de la Commission de 1'Histoire des Églises wallonnes, 2e série, t. II, p. 341-386. 2. Pour ce qui suit, voir Duyck,11. II, p. 684-694. 52 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS tives vont manquer aux travaux du génie. Une éclipse de soleil, a midi, le 10 juillet, semble encore un mauvais présage ; dans le port les vaisseaux se heurtent sous un vent violent soufflant du Nord-Ouest. Toutes ces difficultés croissantes ne laissent pas de provoquer un certain flottement et les ordres sont suivis de contre-ordres. On retire quatre pièces, cela enlève conflance aux hommes, qui ne se sentent plus soutenus; le généralissime même parait découragé, d'autant plus qu'une pointe poussée vers Dixmude rencontre une forte opposition. Sans cesse enhardie, la garnison fait des sorties. Successivement, après en avoir délibéré avec les Etats, Maurice renvoie a Ostende ses douze pièces, puis quatre enseignes de Francais, deux de Wallons, cinq de Frisons. Le 15 juillet enfin, il se résoud tout de bon a abandonner 1'entreprise ; le 17, les dernières troupes s'embarquent sur des bateaux qui bientöt les ramènent dans Ostende, que les Etats Généraux, fort dépités, ont déja quitté. Le Ier aout 1600, le Stathouder envoie ses soldats en Zélande, ne laissant de Francais et de Wallons que les compagnies Du Sau, Pomarède, du Buysson, Francois Marischal, Fr. Marlye, Gilson, sous le commandement de Du Sau. La compagnie de Schelandre est probablement avec le prince et, comme le reste du convoi, échappe a la menace des galères de 1'Ecluse, que le mauvais temps empêche de déboucher du Zwijn1. Arrivés a Middelbourg, les Francais restent en garnison en Zélande, ainsi que les Anglais. Furent-ils visités la par le marquis de Rohan, qui, avec son frère, arriva a La Haye, le 15 septembre, venant d'Italië, « après avoir passé par 1'Allemagne et dans le dessein de se rendre en Angleterre et de voir ainsi du pays » ? 2 Nous ne savons, mais inutile de s'attarder a des hypothèses. Le 30 septembre 1600, comme les députés, fatigués de la guerre, veulent licencier toutes les troupes « non réparties » (ongerepartieerde) 3, le Stathouder, assisté du Conseil d'Etat, sorte de directoire exécutif, fait porter au compte de la province de Hollande, la compagnie colonelle de La Noue (150 hommes). deradSrStaj1^ ensablée' a Vest de l'**»* Zeebrugge, et ayant servi jadis i AsMÏÏf^.Lïi/- 734"74£. 011 leur,°mt< a ,a Haye. «» banquet, le 3 octobre. Le récit de ce voyage nous a été conservé è la suite des Mémoires du duc de Rohan..., ensemble le Vouage du mesme auteur, fait en Italië, AUemagne, Pais-Bas-Vnt, toiyl'^Tmtltr^ 16°°- A PariS' SUF ''«-P^é VLeyden, cher 3. Sur ce tenue, voir plus haut , p. 35, note 1. ■ retraite de flandre. campagnes de 1601-1602 53 et les compagnies Fourmentières, Schelandre \ du Buysson, Verneuil et Hallart, chacune de 113 têtes. Robert de Schelandre passé donc du service de la Généralité des Provinces-Unies, oü nous 1'avons vu figurer, dans le précédent document, au service de la riche province de Hollande qui, grace aux droits d'entrée de ses grands ports : Rotterdam, Dordrecht, Amsterdam, Hoorn, Enkhuijzen, Zaandam, Monnikendam, et des impöts de ses cités industrielles : Leyde, Delft, Harlem, supportait a elle seule le plus lourd poids de la guerre 2. Comme 1'écrivait déja en 1593 a Scaliger, 1'ambassadeur. de France, Buzenval, « ces pays » ont « ce bonheur, par-dessus les aultres, que la guerre qui les aultres fait faner, les faict florir » 3. La province maritime de Zélande en était, en second lieu, 1'ème et le nerf. A elle échoient les compagnies Du Sau, Rocques, Brusse, du Puys, Dommarville, du Fort, du Hameiet, Denis et Madison, qui nous sont devenues familières aussi. Les compagnies de Pomarède, Massau, Hanicrot ressortiront a Groningue et a son Omland ou au « Pays et campagne » (Stad en Lande) comme on appelait cette province septentrionale, extrêmement particulariste et qui, avec la Frise, s'était donné un Stathouder séparé, le comte Guillaume-Louis. L'année 1601, a laquelle correspond le sixième Uvre du Journaal d'Antoine Duyck, n'a guère d'importance au point de vue des opérations militaires." La Noue n'ayant pas répondu, nous le savons, aux rappels successifs qu'on lui avait adressés et ayant écrit en dernier lieu qu'il ne reviendrait que si on lui accordait 1.200 livres par mois de trente jours4, les Etats estimèrent ces prétentions intolérables, 1'avisèrent qu'ils renoncaient a ses services et le relevaient de sa charge de colonel 1. Encore estropié par Duyck, t. II, p. 757, en Chilandre. Les autres noms sont orthographiés correctement; 1'ordre et 1'effectif sont exactement ceux du budget de 1599 reproduit plus haut, p. 35. 2. Sur ces répartitions, les relations entre Etats de Hollande et Etats Généraux, voir, outre la grande Geschiedenis van het Nederlandsche Volk du professeur de Leyde, P. J. Blok, en 4 vol. in-4», 2« éd., Leyde, a. W. Sijthoff (1912 a 1915), 1'article de a. Waddington dans VHistoire générale de Lavisse et Rambaud, t. VI, p. 469 et s.; une remarquable synthèse de Lavisse dans VHistoire de France, t. VII, 2« partie, p. 211 sqq. et surtout : R. Fruin, Geschiedenis der Staatsinstellingen in Nederland tol den val der Republiek uitgegeven door Dr H. t. Colenbrander. La Haye, M. Nijhofl, 1901, 1 vol. in-8. 3. Lettre de Buzenval du 2 janvier 1593, publiée a la p. 242, par Mr. P. C. Molhuysen dans ses Bronnen tot de Geschiedenis der Letdsche Universiteit, t. I, 1574-1610. La Haye, M. Nijhofl, 1913, in-4°. (Riiksgeschiedkundige Publicatien, n» 20). 4. Duyck, t. III, p. 20. 54 régiments francais au service des états pour la confier au seigneur de Chastillon, lequel était depuis un certain temps déja dans le pays. Ce dernier prêta serment devant les Etats Généraux le 19 janvier. Au début de juin, de grandes fêtes se préparent a Arnhem pour les fiancailles du comte Louis de Nassau avec la veuve du comte de Valkensteyn. Les banquets succèdent aux banquets, ^elui du comte de Hohenlohe a celui du comte de Solms et a ce lernier, celui de 1'illustre fiancé. Mais toutes ces réjouissances ne sont que feintes destinées a tromper 1'Espagnol et, tandis que le 6, dans la grande église de la capitale de la Gueldre, le comte Louis mène sa fiancée a 1'autel, des péniches chargées de canons et de munitions couvrent les eaux jaunatres du Rhin et les troupes se massent au «tolhuys » ou maison de péage, que la campagne de Louis XIV rendra célèbre en 1672. La, sont les Anglais avec 20 enseignes, la aussi les Francais avec 14 enseignes : Chastillon, Dommarville, Du Sau, Brusse, Rocques, du Fort, Fourmentières, Schelandre \ du Puy2, Pomarède, Du Buysson, Fulgous, du Hameiet et Hallart 3. Les ponts jetés, tout ce monde traverse 1'abondante Betuwe, les Francais faisant partie de l'arrière-garde. Le 10 juin, Maurice met le siège devant Rhinberc, fortement occupé par don Loys Bernardo d'Avila *. L'Espagnol fit trois sorties les 20, 24 et 28 juin ét a chaque fois c'étaient les Francais qui « avaient la garde». Ala première de ces sorties, Chastillon fut atteint a la cuisse. Le jeune colonel payait de sa personne. En ce même jour périrent le lieutenant du capitaine de Pomarède et un riche gentilhomme francais nommé La Barre5. Du Buysson fut blessé avec beaucoup d'autres. Rocques le fut a 1'attaque du 24 juin 1601 et tomba aux mains de 1'ennemi ainsi qu'un nommé La Caze, lieutenant de Schelandre 8, dont la compagnie fut donc certainement engagée ce jour-la. Dommarville, lui, était tombé 1. Cf. Duyck, t. III, p. 66. Le nom de Schelandre apparatt cette fois sous la forme Filandre, qui doit être une erreur de lecture de M. Mulder. 2. Sans doute remis en liberté, voir plus haat, p. 44 n. 1. 3. Altéré en Hallert; les autres noms sont également rectifiés d'après YEedboek (R. v. St., 1928), p. 16 (cf. pl. II). 4. Cf. van Meteren, trad. franc, de 1618, fol. 497. La forme originale du nom est Rheinberg, au sud de Wesel, dans les provinces rhénanes. 5. Duyck, t. III, p. 76. 6. Duyck, t. III, p. 80. Cette fois altéré en Slandre, altération voisine de celle que 1'on trouve dans fes documents lorrains oü on Ut parfois Schlandres, orthographe phonétique, car I'e de la première syllabe n'est pas un é. Duyck écrit: « een lieutenant van Slandre genaemt La Case ». Nous reverrons plus loin ce La Caze comme successeur de Robert de Schelandre, a la tête de la Compagnie. RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 55 dans une tranchée, oü il s'était cassé la jambe, son porte-fanion était blessé également. A la mine, Maurice fait sauter une contre-escarpe, oü se jettent trois cents Francais. Le 30 juillet, la garnison se rend avec les honneurs. C'est a ce moment qu'a 1'armée de Son Excellence arrivent encore de France les fils du seigneur de Sancy et les fils du gouverneur de Thou, pour voir Farmée h Comme pendant chaque affaire sanglante, on a dü procéder a des remaniements et a des nominations; Fulgous ayant été tué 2 le 16 juillet 1601, Maurice remit, le 19, sa compagnie t a un gentilhomme francais, le seigneur de Béthune, de la maison de Melun, cousin du sieur de Bhosny»3. C'est donc ici qu'apparait pour la première fois, dans un document d'une authenticité certaine, ce parent de Sully, lequel nous a déja occupé. Quant a la compagnie de feu Jonas Durant, le prince la réserve, paree qu'il aurait voulu la donner a un noble francais nommé Ceridos, beau-frère du seigneur van Asperen et que les Wallons avaient pris en grippe, mais il finit par la confier, le 22, au lieutenant de Durant, Wassé ou Harincourt, un Wallon, cousin de Marquette 4. Comme Henri de Coligny, seigneur de Chastillon, veut être oü 1'on se bat, il demande a être envoyé a Ostende. II emmène six enseignes de Francais, quatre de Frisons, cinq d'Allemands, quatre d'Ecossais et quatre de Wallons; il sera sous Francois Vere, qui y dirige la défense depuis longtemps. Le 16 aoüt, il léve 1'ancre a Dordrecht pour cingler vers la Flandre. II n'est en vue de Blankenbergh que le 22, et ne pénètre dans le port d'Ostende que le 24. On lui fait ^avoir qu'on n'a 1. Duyck, t. III, p. 117. Mulder a lu Saucy pour Sancy. J'ignore qui sont ces jeunes gens ; en tous cas, il ne faut pas identiner 1'un d'eux avec le malheureux aml de Cinq-Mars, car Francois-Auguste de Thou, fils ainé de Jacques-Auguste, 1'historien, ne naquit qu'en 1607. 2. Enterré a Wesel, le 18, ainsi que Jonas Durant (Duyck, t. in, p. 101). A la même page, Duyck signale farrivée d'un gentilhomme nommé La Mouillerie. 3. Duyck, t. III, p. 103 : « den heere van Bethune uyten huyse van Melun, een neef! vanden heere van Rhosny ». En hollandais « neef » signifle a la fois neveu et cousin, mais ici le doute n'est pas possible, il s'agit de Léonidas de Béthune, fils de Francois, seigneur de Congy. On distingue dans la grande maison de Béthune, la branche de Rosny a laquelle appartient Maximilien, baron de Rosny, duc de Sully depuis 1606, et la branche de Congy a laquelle appartiennent Florestan de Béthune et ses deux fils, Léonidas et Cyrus; dont il sera question ici. Cf. Eugène et Emile Haag, La France Protestante, 2e éd., p. Henri Bordier (arrêtée au t. VI, au mot Gasparin) ; Paris, Fischbacher, 1879, fn-8°, t. II, article Béthune, coL 479 4 494. 4. Duyck, t. III, p. 105. 56 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES, ÉTATS pas besoin de lui ni de ses 23 enseignes. II en renvoie donc 17 en Zélande, mais réussit a se faire admettre avec ses six compagnies francaises *. C'est une puissante place forte qu'Ostende. De simple havre de pêcheurs, incapable de rivaliser avec 1'Ecluse, elle est devenue, depuis la capitulation d'Anvers (17 aoüt 1585), le seul point d'appui que les Etats Généraux possédassent encore dans les Pays-Bas méridionaux, qu'ils n'ont pas perdu 1'espoir de ramener a eux. L'Angleterre ne s'intéresse pas moins a son sort que la Zélande et la Hollande 2. On flanqua la place de tant de fossés et de contrescarpes, qu'elle passa a bon droit, dès 1600, pour imprenable entre toutes. C'est pourquoi 1'archiduc Albert a écrit a Henri IV en un mouvement d'orgueil : « Je m'en vois prendre Ostende ! ». A quoi Henri, éclatant de rire, s'écria: «Ventre Sint Gry prendre Oisteynde !» 3 Mais cela ne fait qu'échauffer le désir de 1'archiduc. A peine débarqué, Chastillon veut être partout. Comme 1'ennemi ne bouge point, lui et ses Francais insistent, le 10 septembre 1601, pour qu'on parte a 1'assaut4, ce qui, a la plupart, semble imprudent, paree que les tra'nchées ennemies étaient « hautes et bien armées ». « Or, comme il faisait une ronde avec d'autres de ces messieurs, pour se rendre compte ou essayer de persuader ses compagnons du point d'oü pourrait par'tir 1'attaque et de la facon de 1'exécuter, un boulet lui emporta la tête.»Nous avons lu les détails de cette mort.« Plusieurs avaient prédit cette fin en le voyant partir en reconnaissance, tant il était d'un tempérament de feu et tant il avait de cceur a la besogne. On regretta beaucoup qu'il eüt si prématurément perdu la vie, paree qu'il semblait franc et loyal et trés dévoué a la religion, do'nt il devait être, en France, 1'espoir et le soutien. Peut-être était-il trop prompt et trop impétueux pour faire un prudent général, ce que 1'on ne devient qu'a la longue, mais il eut au moins 1'honneur de tomber, au service, et en témoignant de son dévouement a la cause. »6 1. Duyck, t. III, p. 128-132. Les compagnies du Fort, Fourmentières, duBuvsson. tiennent garnison a Rhinbcrc. J • 2. Van Meteren, trad. fr., de 1618, fol. 498. 3. Duyck, t. III, p. 107. En francais dans le texte. 4. Duyck, t. III, p. 144. 5. D'après Duyck, t. III, p. 135. C'est sur le « Santhil », position dont il sera q^estwnjplus lom (n« 1 de notre planche VII), que Chastillon est tombé. (Van Metcren, fol. 499). Pomarède fut tué le 22 septembre 1601. Cf. Duyck, t. III p 161-162 et aussi fol. 19 r° de VHistoire remarquable et vérüable de ce qui s'esl passé 'chacun jour RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 57 « Que de belle bravoure se déploya ici, et tout cela avec si peu de peur, raconte van Meteren, qu'on a jamais rien veu de semblable, car il sembloit que la coustume eust osté toute crainte *. » Et les nótres sourient au péril: « Un soldat ayant achapté un pain et le monstrant a d'autres, enl'élevant en hault, un boulet en emporta la moitié et re tint encore le reste en sa mam tellement qu'il se mit a dire que c'estoit un vray coup de soldat, de ce qu'il luy avoit encore laissé la plus grande partie. » A cóté de 1'insouciance francaise devant le danger, le flegme britannique : « Un gentilhomme anglois, aagé d'environ vingt ans, estant en une sortie, eust le bras droit emporté, qu'il ramassa luy mesme, et le fit emporter avec lui ches le Chirurgien; comme on 1'eust pansé, sans en estre malade 2, il print ce bras en sa main gauche et 1'emporta en son logis, disant que c'estoit ce bras qui, a disné, avoit servi les autres 3.» Robert de Schelandre était-il auprès du jeune Henri de Coügny quand celui-ci mourut ? Rocques en tous cas se trouvait a Ostende *. C'est vers cette date que Robert semble avoir signé, en-dessous de du Puy, que son frère célébrera 1'année suivante dans ses vers, le registre des serments du Conseil d'Etat conservé au Rijksarchief a La Haye 5. Continuons a suivre la chronique de Duyck. Le 26 octobre 1601, Schelandre est certainement revenu en Hollande, car, a cette au siège de la ville d'Ostende... A Paris, Jérémie Périer, 1604, in-16. C'est a la fin du jeune colonel que se rapporte le poème «sur la Mort de M. de Chastillon », qui flgure au fol. 62 r° de 1'Album de Louise de Coligny a la Bibliothèque Royale de La Haye, du moins si 1'on admet les arguments du regretté A. G. van Hamel (L'Album de Louise de Coligny. Extr. de la Revue d'Histoire littéraire de la France d'avril-juin 1903). 1. Van Meteren, fol. 499 verso. Un Francais, parlant de ses camarades et des officiers hollandais, disait: « n parait qu'ils vont a la mort comme s'ils devoient ressusciter le lendemain et comme s'ils avoient une autre vie* dans leur coffre »; cité par le Jhr. C. A. van Sypesteyn, Hel merkwaardig Beleg van Ostende; La Haye, \V. P. van Stockum, 1887, in-12, p. 12, n. 2. Dans un tableau, dressé par I'auteur a la fin du volume, flgure, a la p. 128, de Chalandre, comme res té vivant, et, a la p. 131, Schelander, comme ayant été tué au siège d'Ostende. Dans le même tableau, David d'Orléans étant porté parmis les tués, alors qu'il est mort a quatre-vingt-deux ans, le 22 avril 1652 (Cf. F. Nagtglas, Zelandla tllustrala... Mlddelbourg, Altorffer, 1880, 2 vol. in-8°, t. II, p. 448), on ne peut se fier en toute sécurit^é aux renseignements de M. van Sypesteyn, qui parie aussi, en 1600, de Francois de la Noue, tué en 1591 (p. 28-29). 2. Sans qu'il en fut incommodé. 3. Van Meteren, f° 499 v°. 4. Duyck, t. III, p. 234-5. Selon van Meteren (F° 500 r°), Chastillon aurait emmené avec lui 23 compagnies francaises, mais cela n'est rien moins que sür, étant donné le récit de Duyck rapporté plus haut. J'ai trouvé aux Archives de 1'Etat, a La Haye (S'-Gen, 4725, Lias Lopende, 1602) une requête signée par les ca pit ai nes Rocques, Hameiet, Hallart, du Puy et Silve, relative a leur solde d'Ostende et tendant a < faire fayre leurs descomptes depuis le XX aust 1601 jusqu'au III mars 1602.» 5. Eedboek, Raad van Staate, n° 1928, p. 17 (cf. notre pL II a). 58 régiments francais au service des états date, sa compagnie fait partie des 53 enseignes rassemblées pour aller assiéger Weert en Limbourg h Le « Fiscaal » les énumère par les noms de leurs capitaines : Fourmentières, du Fort, Du Sau, du Buysson, Dommarville, Brusse, Bethune et Schelandre. II les appelle encore les Francais de Chastillon, malgré la disparition de leur chef, mais il a soin de préciser que c'est Du Sau, comme étant le plus .ancien capitaine, qui les commande. Bientöt, on résolut de changer de destination et on alla mettre le siège devant Bois-le-Duc; 1'objectif stratégique est toujours le même, faire une diversion pour attirer 1'ennemi et dégager Ostende, tout en s'emparant d'une ville, capitale de la Meyerie et qui était la clé du Brabant septentrional. II était si difficile de la forcer « qu'on 1'appeloit Bolduc la pucelle2». Dès le début des opérations, le 5 novembre, probablement devant la porte de Vucht, « le capitaine SCHELANDRE recoit une balie de mousquet dans la poitrine, non sans péril pour sa vie»s. II a payé 1'impót du sang. Le 20 novembre, périrent un gentilhomme nommé de L'Essart, trois soldats et un sergent francais 4. Toutes ces pertes et le froid de plus en plus vif affaiblissent le moral de ba troupe. Toujours est-il que, pour reprendre un mot cher a Bassompierre, le siège, se porta bien puisqu'il fut levé le 27 novembre, et elle pourrait être de Jean de Schelandre cette inscription latine laissée a Vucht :. « Ce n'est pas 1'épée d'Albert mais le froid et la glacé qui sauvèrent Bois-le-Duc assiégée 6. » Duyck omet de dire oü. les Francais prirent leurs 1. Duyck, t. iii, p. 180. n cite a tort Pomarède, tué a Ostende, le 22 septembre (cf. iii, 161-2). Schelandre est orthographié cette fois : Chalandre. Notons encore un exemple d'altération de noms francais chez Duyck (t. iii, p. 385) : le président Jainnin pour Jcannin, ailleurs il écrit Jamijn (p. 341). 2. Cf. Mémoires de Frédéric Henri (attribués a Constantin Huygens), Amsterdam, p. Humbert, 1733, 1 vol. in-4», p. 61. Ce n'est que le 14 septembre 1629 que le prince d'Orange réussit a s'emparer de la ville. A ce siège, se distingua le frere ainé de Turenne, le duc de Bouillon, a la tête d'un corps d'armée (Op. c/f., p. 58). Vitenval, devenu sergent-major, c'est-a-dire sorte de Maréchal de Camp, y fut tué (ibid., p. 73), de même que le colonel Jean-Antoine de Saint-Simon, baron de Courtomer. (Ibid., p. 101). L'autre clé du Brabant, Bréda, étant déja aux mains des Etats depuis le 4 mars 1590, cf. van Goor (Th. Ernst), Beschrijving der stadt en lande van Breda; La Have, 1744, 1 vol. in-fol., p. 11. Reprise par Spinola et ses Espagnols, le 2 juin 1625, elle retomba aux mains de Frédéric-Henri le 14 décembre 1636. (Cf. Waddington, La République des Provinces- Unies, etc, t. i, p. 295-296). 3. Journaal de Duyck, t. iii, p. 190 : «Den capiteyn Salandre'werd met een musquet in de borst geschoten, niet sonder pericule ». 4. Duyck, t. iii, p. 207. 5. Duyck, t. iii, p. 215 : « Non Ducis obsessa; servavit moenia Silvre Alberti gladius, frigida sed glacies. » RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 59> quartiers d'hiver et oü Robert se remit de sa grave blessure, mais une pièee manuscrite inédite, annexée a une lettre de Maurice .de Nassau, datée du 3 décembre 1601 et ayant trait aux compagnies a pied et a cheval qui ont été en campagne avec lui (St. Gen. 4722), montre que c'est a Bergop-Zoom que Schelandre est en garnison a ce moment-la. Voici ce tableau des cantonnements des diverses compagnies francaises. Toutes, affirme Maurice,. dans sa lettre du 30 novembre, sont trop harassées pour pouvoir partir pour Ostende: 2 Décembris 1601. Compaignien die te velde geweest en zoozij nu in garnisoen gesonden zijn. FRANCOYSCHE : Cap" Dussau binnen Gorinchem de compnie van wijlen den heer van Chastillon. binnen Vianen Dommarville Ter Goude Brusse Amersfort Le Fort Asperen de heere van Bethune Heukelum Formentieres Woudrichem CHALANDRE Bergen op Zoom Buisson Heusden * Robert doit être encore a Berg-op-Zoom, au moment oü le Commissaire des Etats, Bomberghen, recoit, pour lui, a Middelbourg, une vingtaine de recrues, a qui il paye, pour leur transport et leur solde, entre le 26 avril et le 13 mai 1602, la somme de 39 livres : 25 May Aen 20 nyeuwe aengekomen voor de compie van Cap" CHELANDER, zedert den voorss. 26 aprilis totteh 13 May ende hunne schipvracht XXXIX £ . 1. Obligeamment communiqué par M. van Rosmalen, attaché aux Archives de 1'Etat a La Haye. • ' ■ vi 1; . . . 2 St Gen. 4725. Lias lopende.« Staetken van de Ontfanch ende Vuytgheven van de Commissaris Bomberghen »... Aen Recreutten. On y mentionne encore les compagnies de Béthune, de Montmartin, de Sarocques et Selidos. Dans la lettre de Bomberghen au Conseil d'Etat, datée de Middelbourg, 17 mai 1602, et dont le compte ci-dessus n'est qu'une annexe, on lit : « Op t sluyten vande. poorten zyn alhier gearnveert de Capiteynen Sarrocques ende SeUdos met eenige soldaten daeraff ick alsnocli de nombre nyet en weet, maer cleyn is, nae lek verstae ende eenighe van capn. Chelandkh. Morgen vroeg moeten die by my komen om opgeschreven te worden ende gheinrolleert ; daerna moet lek gaen naer Armuyden om aen die van Capn. Montmartin hunne leeninghe te gheven. »La mention qui, dans le compte, concerne •60 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS C'est a Berg-op-Zoom que Jean de Schelandre, accompagnant son frère Robert, aura pu se rendre compte des effets ■de la ruée des flots sur les digues, telle qu'il la décrit dans le Modelle de la Stuartide (Brit. Museum, 16 E xxxin, fol. 18 r°) : Ainsi le Roy de la plaine escumeuse Alla trapper la carène odieuse Du mesme outil qui souvent met a fonds Le grand travail des digues et des ponts, Pour escarter les Holandoises villles Parmi les flots et les sables mobiles. Mais sa présence aux cótés de son frère sera bientót attestée par des arguments plus décisifs. Le thème stratégique arrêté pour 1'offensive du printemps était une grande expédition en Brabant, en direction de Louvain et de Bruxelles, toujours dans le dessein de diminuer la pression qui s'exerce sur Ostende, et cela en attirant sur les frontières septentrionales du Brabant les forces ennemies. « Le prince Maurice, écrit van Meteren, ne se trouvoit guere enclin a ce voyage \ mais bien quelques uns des Etats avec le colonnel Veer 2, qui, pour ce faict, avoit esté en Angleterre. La Reyne se monstra fort libérale tant k envoyer des gens qu'a •envoyer de 1'argent. -Le Roy de France se monstra aussi fort enclin, tellement que le prince Maurice avec le reste y consentit aussi. > Dès mars, commencent les premiers mouvement» de troupes et les premiers préparatifs. A Ostende, le général Vere passé une revue, le 3, et s'embarque, le jour même, pour la Hollande, avec dix des enseignes de feu Chastillon et de van Loon 3 Le 16 février déja, le lieutenant colonel Dommarville était rentré de France a La Haye, annoncant de la part du roi ce dernier, est celle-ci : « Aen cp. van Mons. Montmartin... VIII« HIP™ V £. 1. s IX d. A propos de La Haye, il est dit : < Aen 18 nyeuwe overgekomen tot recréuè van de comp. van wylen cap. Foriant (?), jegenwoordigt van capiteyn La Haye zedert den 26 Aprilis totten 15 May ende hunne schip vracht: HIP» VII £. » - J- Van Meteren, fol. 513 recto. Ceci est confirmé par notre ambassadeur Buzenval qui écrit, a lai date du 24 juillet 1601 : « M. le Prince Maurice m'avoit fait toucher au doigt la dimculte ou plus tost 1'impossibilité de 1'entreprise ». Archives d'OranqeNassau, 2'■série, t..IL p. 144, cité par M. Mulder dans son édition du Journaal de Duyck, t. III, p. 381, n. 1. i' En réalité, le général. II était colonel général et on lui donne souvent le premier titre seulement. 3. Duyck, t. HL p. 318. RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 61 (Henri IV) un subside de trois cent mille couronnes dont 1'ambassadeur Buzenval allait incessamment apporter le tiers 1. Cependant les capitaines Piset et Jacques de Visé s'cccupent a recruter une cornette de cuirassiers dans le pays de Liège et en Lorraine jusqu'aux environs de Metz s. D'autre part, sept gentilshommes francais sont envoyés en France même, pour faire des recrues destinées a porter le régiment francais a 21 enseignes et chaque compagnie a 150 hommes. Leurs noms sont Saint-Hilaire, Vitenval, Sarocques, Ceridos, Montmartin, Gonnevet et 'Sancy *, tous camarades de Robert de Schelandre. Nous les retrouverons a leur retour. En les attendant, on procédé, le 16 avril 1602, a un regroupement des unit és et, comme le frère de feu Chastillon tarde a arriver. on les répartit en deux régiments, dont Dommarville aura 1'un, avec le capitaine Rocques* pour lieutenant-colonel, et dont 1'autre échoira au seigneur de Béthune (Léonidas), avec le capitaine Du Sau pour lieutenantcolonel, les colonels au traitement de 400 fl. par mois, les lieutenants-colonels a 100 livres par mois de trente jours 5. Une fois de plus, le point de rassemblement des Francais est le fameux tolhuys, a la bifurcation du Rhin, en amont de Nimègue. Le 17, le générahssime passé la revue de ses troupes. II n'y a pas moins de quarante-huit enseignes d'Anglais, soit six mille sept cent trente-six hommes, répartis en deux régiments, celui du général Vere et de son frère Horatio; dix enseignes de Dommarville, soit 1.291 hommes; dix enseignes de Francais sous Béthune, soit 1.217 hommes; au tot al, avec les Ecossais d'Edmond, les Frisons du comte Guillaume-Louis et du comte Frédéric - Henri, les AHemands du comte Ernest Casimir, 18.942 hommes, dont 17.000 combattants6. II s'y vient a] out er le régiment de cavalerie de Maurice, celui de Hohenlohe, celui de La Salie, etc. 1. Duyck, t, III, p. 308 2. Duyck, L III, p. 312. Duyck écrit Viset au lieu de Visé. Ibid., p. 354. Au commencement de mai 1602, arrivé Jacques de Visé avec deux nouvelles compagnies ainsi qu'Adam Mulqueau et ses fantassins. Voir aux Archives de 1'Etat a La Haye, Resolutie Staten General, 28, A° 1602, 23 avril, fol. 134 r». 3. Duyck, t. III, p. 321 écrit Vuytenval et Mon Maröjn. A la date du 9 mai 1602, il sïgnale (p. 356) le débarquement en Zélande de quelques-unes des compagnies nouvellement levées et, a la date du 28, rarrivée du reste. (Ibid., p. 370). 4. Duyck, fu 111. p. 341. 5. Duyck, L III, p. 342. A la page 345, est signalée la mort, le 27 avril 1602, a Ostende, du capitaine Fourmenüères, bel homme et courageux, dont la compagnie: passé a La Have son KeutenanL 6. Duyck, L III, p. 391. <62 régiments francais au service des états Schelandre est dans le régiment de Béthune avec Du Sau, du Fort, du Hameiet, du Puy, du Buysson, Ceridos, Vitenval et Montmartin, ce qui donne les dix enseignes. Sous Dommarville sont : Rocques, Brusse, Hallart, Sancy, Silve, du Motet, La Haye \ Sarocques, Saint-Hilaire, donc encore dix enseignes. Le 18 juin, ce qui était alors une immense armée, s'ébranla, avec, comme point de direction, Saint-Trond. Cette ville limbourgeoise se trouvait dans le pays de Liège, mais la neutralité de 1'évêque était de celles dont lui-même faisait bon marche, pourvu que les ravitaillements qu'il aurait a fournir'a toutes ces troupes hérétiques lui fussent grassement payés. Le 21 et le lendemain 2, le comte Ernest s'emploie a jeter un pont sur la Meuse a la hauteur de Moock. L'armée est répartie en trois corps, dont 1'un est sous Maurice, 1'autre sous Guillaume et, nominalement, sous le jeune Henri-Frédéric, que son oncle initie au röle de chef d'armée, Vere étant a la tête du troisième. Ils négügent, sur leur droite, la forteresse de Grave et, sur leur gauche, les places fortes de Venlo et de Ruremonde, toutes trois aux mains des Espagnols, qui les ont laissés passer. C'est tout au plus si, du haut de ses remparts, Venlo leur lache au passage une ou deux salves de coups de canon. On a quelque difficulté a s'approvisionner. Les Anglais dévorent trop vite la xatian de pain qui leur avait été assignée pour dix jours et, sans pain, ils ne peuvent avancer. On a peur de la maraude et les députés de Liège sont venus supplier le Prince de ne pas ranconner le pays et de maintenir la discipline pendant le passage sur le territoire liégeois. Cependant, on apprend que rennend se concentre a Tirlemont sous V «Almirante » d'Aragon avec prés de 8.000 hommes ét de 3.000 chevaux, des transfuges disent même 8.000 fantassins et 5.000 cavaliers, peut-être pour effrayer Son Excellence. Le 2 juillet, la question du pain ayant été finalement résolue par des moyens de fortune, 1'armée de Maurice atteint Luydt, sur la rive gauche de la Meuse, Maeseyck et Maestricht. Certains Francais, notamment dans le régiment de Béthune, désertent, paree que«beaucoup d'entre eux étaient des papistes. Son Excellence les fait rattraper ou abattre a coups de fusil »3. '1. Duyck, t. iii, p. 391, écrit par érreur Brus au lieu de Brusse, Saucy au lieu de Sancy, La Hay, au lieu de La Haye. 2. Duyck, t. iii, p. 394. 3. Tout ceci d'après le Journaal de Duyck, t. iii, p. 397 & 414 ' ' La campagne de 1602 (Régiments francais : Béthune et Dommaiwille). (jyapris une gravure de Lambert Cornelisz imprimée en 1603. Cabinet des Estampes d'Amsterdam, Collection Muller, n° 1178). RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 t3 Le 4 juillet, 1'armée campe aux environs de Tongres, dans le Limbourg liégeois, oü un vrai magasin de vivres a été depuis longtemps créé a son intention, mais les bourgeois hésitent fort a ouvrir leurs portes a ce monde un peu trop turbulent. On arrivé alors aux environs de Saint-Trond, ville « neutrale » \ qu'on dépasse, n'y laissant pénétrer que les vivandiers et les cantinières. Avancant encore, Maurice parvient sur la rive droite de la petite Gète, oü il se mét en bataille 2. Sa cavalerie seule la franchit pour reconnaitre 1'ennemi, qu'elle trouve retranché sur des collines couvrant Tirlemont; mais 1'adversaire reste immobile et ne se préoccupe même pas de disperser les estradiots. II est visible qu'il refuse d'accepter le combat que lui offrent les Etats et ceux-ci ne savent ni s'il faut pousser outre, vers Louvain et Bruxelles, ayant sur les flancs la constante menace d'une armée intacte de 16 a 17.000 hommes, ni s'il faut se replier et alors s'amuser a quelque siège en Gueldre espagnole. C'est a cette seconde alternative que députés et chefs militaires se résolvent et, le 10 juillet déja, la rMssante armée bat en retraite sur Hasselt s, süivie a bonne distance par r«Amirante» d'Aragon qui 1'observe, mais ce dernier obüque bientót vers Diest. Maurice, n'étant pas même inquiété par rennend, ne tarda pas^ a arriver a destination. Le 28 juillet, il s'établit a 1'est de Grave, a la ferme de Gasel, tandis que Guillaume et Vere campent a 1'ouest. On fait amener, de Gennep, les pontons qui ont servi a 1'aller et on jette une passerelle sur la Meuse, en amont de la ville, un grand pont devant être construit, par la suite, en aval. Grave avait été assez bien mis en état de défense, par crainte d'un coup de main, lorsque 1'armée hollandaise s'était ébranlée en juin, mais on achevait encore le « courador » ou chemin de ronde couvert. La ville et la plus grande partie de ses défenses 1. Richelieu appelle Wittenhorst un gentilhomme « neutral ». Cf. Waddington, op. eit., t. I, p. 346, n. 1. On peut suivre ces diverses étapes daas Le Théatre de la guerre ; Amsterdam, Pierre Mortier, s. d., alias portal If du voyageur pour les dix sept provinces des Pays-Bas par le S' Sanson ; 1 vol. in-12, voir carte 8 ou. notre Planche finale. Les corps d'armée et menie les compagnies francaises sont indiqués sur Ie plan, signalé par M. Fr. Muller dans. son catalogue comme rarissime (n° 1178), et reproduit ici, pl. V, d'après ïexemplaire, probablement uriique, du cabinet des Estampes d'Amsterdam. Le fleuve est bien représenté dans 1'estampe 1180» de la Collection Muller. i» />.-., • .;!<■■'<.' 2. Duyck, t. III, p. 412-3. .. u*. ItnÏHf , 3. Duyck, t, UI, ». 414-5. «néuKV •* - ''V/- ,, ; «t« A. 64 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS étalent situées sur la rive gauche ou méridionale de la Meuse, mais, sur la rive droite, une sorte de demi-lune la protégeait. C'est cette demi-lune que le comte Ernest eut ordre de réduire d'abord K II la canonne avec sa batterie de six demi-canons, au point que les pionniers et les défenseurs espagnols ne tardèrent pas a 1'abandonner, tandis que Vere se retranche a 1'ouest et le comte Guillaume au sud. Le stathouder ayant recu des Etats, le 23 juillet, 1'autorisation qu'il attendait, ordonne d'achever autour de la ville une circonvallation ininterrompue. Cependant 1'amirante d'Aragon, don Francisco de Mendoza, se décide a tenter quelque chose' pour délivrer Grave, dont il s'approche lentement en descendant la Meuse. Heureusement, le 31 juillet, le comte de Hohenlohe a amené de diverses garnisons un renfort d'infanterie 2, qui vient a point pour remplacer le comte Ernest et les siens (compagnies du Fort, Marischal, du Motet), qu'il a fallu, dès le 28, envoyer garder Rhinberc 3. Le stathouder, par ordre des Etats, passé, le 4 aoüt 1602, la revue de ses troupes. La compagnie-colonelle de Béthune ne compte plus que 17? hommes, celle de son lieutenant-colonel Du Sau, 107, celle de Schelandre, 105, de du Hameiet, 103, de du Puys, 103, de du Buisson, 102, de Céridos, 91, de Vitenval, 120, de Montmartin, 105 4. Le régiment de Dommarville n'a pas moins fondu, puisque sa compagnie-colonelle n'a plus que 173 hommes, celle de son lieutenant-colonel Rocques, 118, deBrusse, 68, de Hallart, 91, de Silve, 107, de La Haye, 86, de Sancy, 122, de Saroques, 114, de Saint-Hilaire, 104. Le soir même, Maurice, de son quartier d'Esteren, prés de la digue de'la Meuse, commence les approches. Le comte Guillaume fait de même, le long des « fromenteux seillons », comme dira Schelandre, au sud de la Hampoorte et Vere, le long de la Meuse, en aval et a 1'ouest de la cité *. C'est Béthune, le chef de Schelandre, qui sollicita et obtint 1. Van Meteren, lol. 515 r°. 2. Duyck, t. III, p. 430. 3. Duyck, t. III, p. 428. D'Aubigné (Histoire Universelle, éd. de Ruble, t. VII, p. 25») écrit Rimberg et M. de Ruble, en note, Rhinberg. L'orthographe adoptée ici est celle de la traduction de van Meteren. 4. Duyck, t. III, p. 432. II orthographie cette fois, presque correctement, Che- ' i.andre, forme qu'adoptent Louise de Coligny dans ses lettres et A. d'Aubigné (ffisL Univ., éd. de Ruble, t. VII, p. 163) ; par contre, il altère Dussau en Dessau, Ceridos en Seridos, Vittenval en Vitteval, Montmartin en Montmartijn. - 5. Suivre sur le plan (pl.^rr)-ou-les quarUcn généraux des-ehefs sont indiqués. T RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 65 l'honneur d'ouvrir la première sape l. L'assiégé ne reste pas immobile: dans une sortie, le 8 aoüt, il tue a Hallart son lieutenant, un sergent, quinze soldats et lui blesse 36 hommes, ce qui réduisait la compagnie de plus de la moitié de son effectif 2. « L'Amirante», continuant a descendre la Meuse, en longeant la rive gauche avec son gros et la rive droite avec une flancgarde, est déja, le 10 aoüt, a Grand-Linde s. La partie de 1'armée de Maurice, qui s'appuie a la Meuse, a 1'est de la 'ville, depuis Gasel jusqu'a Es ter en, c'est-a-dire les corps de Béthune et de Hohenlohe, vont devoir, en partie, faire face en arrière et seront ■ pris entre les feux de la forteresse et ceux de 1'agresseur. Si celui-ci montre un peu de mordant, la situation, incontestablement, peut devenir périlleuse. Maurice, qui garde toujours son sang-froid, fait élever des parapets également dans la direction de 1'assaillant et y met du canon *. Après minuit, on doublé les petits postes. Le comte Ernest avec du Motet, le Maire, Marischal, etc, a été rappelé précipitamment de Rhinberc. De Houmen, sur la rive droite, au marais du sud de GrandLinde, 1' « Admirante » 5 se retranche pour garantir sa ligne de bataille. Pleins de 1'espoir d'une prompte délivrance, les assiégés s'agitent. Dans le secteur francais, un certain corps de garde passé plusieurs fois de mains en mains, non sans pertes pour nous, puisque le capitaine du Hameiet est blessé au cöté et le capitaine du Buysson a 1'épaule. Le 22 aoüt, un mouvement se manifeste dans le camp del'« Amirante»*, oü s'élève une grande rumeur. Maurice est inquiet et multiplie ses rondes. II apprend que, dans les tranchées anglaises, Vere a été blessé au visage, sous 1'ceil, par une balie perdue : personne, même de sa nation, ne le plaint, paree qu'il était arrogant, méprisait ses hommes et les payait mal. Ils auraient autant aimé le voir tué 7. Le soir, dans le camp hollandais, le bruit court, répandu on ne sait par qui, que l'ennemi va déclencher une attaque de nuit et tous les hommes de Son Excellence s'arment. Vers les onze heures, 1'Espagnol ouvre le feu, et c'est un grondement qui va 1. Duyck, t. HL p. 433. - 2. Duyck, t. III, p. 439. 3. Duyck, t. III, p. 441. 4. I bidon. 5. < Almirante », amiral, en espagnol. 6. Duyck, t. III, p. 451. 7. Ibidem. 5 66 régiments francais au service des ét ats se prolonger, mais, vers les deux heures, on le voit mettre le feu a son camp, ce qui laisse supposer qu'il bat en retraite. Cette même nuit, le pauvre du Hamelet meurt de ses blessures. Dans la matinee du 23, des transfuges apportent la nouvelle que 1'ennemi se retire \ protégé aux vues par un épais brouillard, qui empêche la poursuite, mais, le soir, la brume s'étant dissipée, le Stathouder occupe les lignes et le camp de Francois de'Mendoza; on n'entendra plus parler de lui. Le siège continue, avec ses sanglantes alternatives d'attaques 'et de contre-attaques, d'assauts et de travaux du génie. Les Francais, s'exposent, le 27 aoüt, a une surprise oü ils laissent le capitaine Montmartin, qui reste parmi les morts 2. Pressé d'en finir et débarrassé de toute inquiétude sur ses derrières, Maurice, aidé de ses ingénieurs, pousse vivement les approches, que creusent des paysans réquisitiónnés de paftout 3. Le 6 septembre, le capitaine Du Puy est tué, tandis que le capitaine Jacques de Visé et un lieutenant de Céridos sont blessés et faits prisonniers, en s'emparant d'une demi-lune qu'iis doivent bientót abandonner, y étant pris d'enfilade par le feu de 1'adversaire. Du Sau est blessé le 9. Ce même jour, comme on avait fait sauter une mine, le capitaine La Gravelle, qui venait de succéder a du Hamelet, s'établit dans 1'entonnoir et y tombe sous une balie de mousquet 4. L'assiégeant continue a avancer a la mine et a la sape et, cette fois, il parvient a se maintenir dans la demi-lune qui avait coüté la vie a Du Puy. Le 18 septembre, 1'assiégé se sentant de plus en plus pressé de toute part, envoie, a midi, un tambour avec une lettre, pour offrir la reddition5. Les capitaines Hallart, Rassard ét Le Prince, pénètrent dans la ville pour discuter de 1'armistice et de la capitulation, qui est signée le 19: la garnison sera autorisée 1 Duyck t. iii, p. 452. Cf. surtout au Rijksarchief (Lias Lopend», St. Gen. 4726)' la lettre de'Maurice de Nassau aux Etats : « Gisteren morghen, omtrent twee uren voor den daghe. is den Almirante van Aragon... met zyn leger opgebroken », etc. La lettre est datée du 24 aoüt 1602. 2 Duyck, t. III, p. 457. 3' Andries de Roy, fingénieur, tué, a été remplacé (Duyck, t. iii, p. 443). On lira'sa signature en-dessous- de ceÜe de Schelandre, pl. ii". 4 Duvck, t. iii, p. 467. .' . 5 Duyck t. iii, p. 476 et s. Texte de la capitulation, en francais, dans Lias Lopende (St.' Gen. 4727), 19 septembre 1602. retraite de flandre. campagnes de 1601-1602 67 a sortir le ïendemain, avec armes et bagages, pour rejoindre a Diest 1'armée de 1' « Amirante ». Le célèbre pasteur Wtenbogaert fit, dans Grave, un sermon en francais, suivi d'actions de graces 1. Le 21 septembre, une immense revue termine 1'heureuse entreprise du «maistre ouvrier en ce mestier»2. Béthune y paralt a, la tête de ses 145 hommes ?, Du Sau, avec 80,.la Grange avec 60, Schelandre* avec 60 aussi, au lieu de ses 105 du début du siège et de ses 113 du commencement de la campagne. La compagnie Du Puy, qui a perdu son chef, est passée de 103 a 53 têtes; du Buysson a encore 90 hommes, Céridos 58, Vitenval 75, Cuissy 59, du Fort 86 s. Dans le régiment de Dommarville, c'est sa propre compagnie qui a fait les pertes les plus sévères, puisqu'il n'a plus sous la main que 39 soldats. II en reste 97 a de Rocques, 93 a Brusse, 70 a Hallart, 88 a Silve, 112 a du Motet, 64 a La Haye, 85 a Sancy, 76 a Sarocque. L'ensemble donne 4.625 cavaliers et 12.322 fantassins6 : ce qui restait des 18.942 hommes du début; tout ce monde fut embarqué sur la Meuse, le dernier jour de septembre. On n'a pas grand détail sur la dislocation des troupes, mais les compa- 1. Ce ne peut être naturellement le 12, date indiquéc par Fredrich van Vervou dans son journal intitulé : Enige Gedenckweerdige geschiedenissen..., etc., édité par Het Provinciaal Eriesch Genootschap... Leeuwarden, Suringar, 1841, 1 vol. in-80, p. 138 : « Den 12 septembris is deur Johannem Vtenbogaert, een wel begaeff t predicant, ene predicatie in de Graeft, gedaen nae de waere Gereformeerde religie. Dese predicant is van Utrecht geboren ende reyset gemeenliken alle jaeren met Sijne Excellentie int leger, prediket ordinaerlijcken in de Fransche tael, somtijts oyck in Niderduyts ». Sur ce fameux pasteur « remonstrant » ou « Arminien », voir Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. II, col. 1469 et s. 2. C'est ainsi que 1'ambassadeur d'Angleterre a La Haye, Winwood, qualifle Maurice dans sa lettre a Salisbury du 22 aoüt 1610, citée par Dalton (Ch.), Life and times of... Sir Edward Cecil... (Londres, 1885, 8°), p. 195 : « The honour of the conduct of the siege, no man will detract from the Count Maurice who is the maistre ouvrier in that mestier ». 3. II en avait, au début, 117, et Du Sau, 107 ; voir plus haut. 4. Orthographié Schelandre par Duyck. Celui-ci fait 1'état de cette « Monstering » au t. III, p. 482-483. 5. Les nouveaux capitaines sont La Grange et Cuissy au lieu de du Hamelet et Montmartin tués. Que Cuissy alt remplacé Montmartin, c'est ce qui résulte du tableau de payement d'octobre 1602 (lectum, 18 october 1602), St. Gen. Lias Lopende 4727.-Ce tableau ne comprend que quelques noms : Franche Compen Cap. Sancy V C £. [500 livres] Sarocques V C £. St*Hiüaire IV C £. Seridos III C £. Vitanval IV C £. Cuissy voor Montmartin III C £. Somma van de Franchoisen : II M V C £. [2.500 livres]. 6. Duyck, t. III, p. 488. 68 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS gnies de Béthune, de Vitenval, du Motet, Céridos, Cuissy, Sancy, Saint-Hilaire, du Fort, sont expédiées a Ostende oü elles débarquent, par un vent favorable, le 25 octobre % t. Duyck, t. III, p. 498. CHAPITRE VI l' « ode pindarique » de jean de schelandre sur le « voyage fait par l armée des etats de hollande..., l'an 1602 » et « la prise de grave )). Voila tout ce que nous apprénnent, sur la campagne d'été 1602, les chroniques et autres documents historiques. Ecoutons maintenant parler ou chanter le poète. Ce n'est rien de moins qu'une Ode Pindarique que Jean de Schelandre consacre au Voyage fait par 1'armée des Estats de Hollande au Pais de Liege, Van 1602 et è La Prise de Grave 1. Le mot de voyage, au sens d'entreprise militaire, n'a rien qui doive étonner. C'est celui dont se sert le traducteur 2 de van Meteren au début de son récit : Voyage du prince Maurice en Brabant aux mois de juin et de juillet. Le Père Monet, dans son Abrégé du parallèle des langues francoise et latine*, en 1635, ne le connait plus dans ce sens, mais il est courant au moyen-age et jusque dans la première décade du xvue siècle 4. Le choix du sujet est déja un peu surprenant, car, nous 1'avons vu, 1'expédition de 1602 n'eut rien de glorieux et n'eut 1. Le titre complet est Ode pindarique sur le voyage fait par 1'armée des Estats de Hollande au Païs de Liege Van 1602. Item sur la prise de Grave. Le poème flgure a la page 43 de 1'édition de Tyr el Sidon de 1608 (Bibliothèque de 1'Arsenal), voir aussi Pièces justiflcatives n° ii. 2. Jean de La Haye, fol. 514 v°. 3. 5° édition, in-4°. 4. Cf. les exemples donnés dans F. Godefroy, Dictionnaire de l'ancienne longue francaise, t. viii (1895), p. 278-9, verbo : voyage. Le troisième sens donné est : expédilion militaire, croisade (veage de la croix): «A quele quantité de gens d'armes me porés vous servir en ce voiage. » (Froissart, Chroniques, vi, 218, éd. Luce). Ni M. Edm. Huguet dans son utile Petit glossaire des Classiques francais du XVII' siècle (Paris, Hachette, 1907, 1 vol. in-12»), ni M. Lalanne, dans son Lexique de la langue de Malherbe, au t. v de son édition des CEuvres, n'ont enregistré cette signiflcation du mot voyage; cependant c'est celle qu'il faut lui donner dans le titre de 1'Ode : Au roi Henri le Grand sur l'heureux succes du voyage de Sedan, oü il s'agit de 1'expédition de 1606 contre le duc de Bouillon (Oluvres de Malherbe, éd. Lalanne, t. i, p. 87). Au contraire, une pièce précédente, de 1605 (ibid., p. 69), et qui se rapporte a un voyage au sens ordinaire du mot, est intitulée: Prière pour le roi Henri le Grand, allant en Limousin. 70 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS aucun retentissement, mais c'est surtout le titre qui frappe, car il révèle, au premier examen, une sérieuse information historique et politique. L' armée est bien, en effet, celle des Etats1 et non celle de Maurice et 1'offenrive n'ayant guère dépassé la petite Gète, Schelandre est ici plus rigoureux que van Meteren parlant d'un « voyage » en Brabant. Les villes auprès desquelles on campa, sont toutes a 1'évêque de Liège, mais il f allait être singulièrement versé dans les enclaves, proéminences et bizarre configuration de sa Principauté, pour savoir que des cités Umbourgeoises et flamandes de langue, comme Saint-Trond, Tongres, Hasselt en dépendaient. L'exactitude de la date est moins frappante, mais c'est en suivant le texte, strophe par strbphe, que 1'étonnement augmente. La strophe I semble annoncer eet enthousiasme a froid qui caractérise la plupart des odes historiques du temps; les accessoires mythologiques et rimitation de la Pléiade n'y font point défaut. L'eau de la source Hippocrène et le doublé sommet du Parnasse y voisinent avec Apollo. II ne manque vraiment que le chceur des Muses. Dès 1'antistrophe, il est question, comme dans le titre, du grand voyage Oü ce nourrisson de Mars Conduisoit nos estendards, Maurice, honneur de nostre aage. La suite annonce la deuxième partie du poème, le siège de Grave. L'exposition est parfaite, un peu scolastique, mais trés francaise par sa netteté : Puls je veux chanter comment D'un terreux retranchement, EPODE Cest Heros tant brave Brida 1'Amirand. 1. Schelandre aurait pu ajouter « Généraux », car ce ne sont pas uniquement les Etats de Hollande qui ont organisé ce « voyage >, dont pourtant ils sont 1'ame, mais de ces derniers dépend la compagnie de Robert de Schelandre. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 71 . L'« Amirand», c'estrarrdral d'Aragon, «1'Almirante1», comme disent les chroniqueurs, empruntant le mot espagnol, Francisco de Mendoza, terreur de la Chrétienté 2, fait prisonnier a la bataille de Nieuport en 1600, mais qui, libéré en 1602, avait repris le commandement de 1'armée. Par la strophe II, nous n'apprendrons rien, si ce n'est que Jean de Schelandre a trop lu Ronsard dont il pratique encore, avec excès, les agacants et mièvres diminutifs. Ce sont « faultettes mignardelettes »3 : La dans la verte ramée Se nichoit maint oyselet; Un petit zephir follet, Caressant sa Flore aymée, Frisoit son poil nouvellet D'un souspir mignardelet. L'antistrophe exposé par contre, avec une rigueur qui ne laisse rien a désirer, 1'objectif stratégique. II s'agit d'opérer une diversion qui fera lacher prise au « chappeau rouge », c'est a-dire a 1'archiduc Albert, le cardinal-inf ant, et sauvera Ostende: Les Estats trop ennuyez De voir que le chappeau rouge D'entour Oostende4 ne bouge, Siegant ses murs poudroyés, Mettent leurs gens en campagne, Pour faire prise quitter A ces corneilles d'Espagne. Le Brabant nous traversons Et droit a Liege passons. On aura souligné le « nous » qui indique la présence de 1'auteur parmi les troupes, mais ces deux derniers vers ont besoin d'être commentés. C'est bien par 1'Est du Brabant septentrional5 que les troupes s'acheminèrent vers le Limbourg liégeois, 1. Van Meteren écrit < 1'admirante », cf. fol. 514 verso, mais ce d, pas plus que I devant m ne se prononcait en francais. ti ■ ,Z* t ... 2. Bor, Vervolch van de Nederlantsche Oorloghen, 37» L, fol. 41 v°, oü 1 on verra son portrait. II y en a un de Ravesteyn au Rijksmuseum a Amsterdam. 3. Expression citée par F. Brunot dans un paragraphe de son Histoire de la languê irancaise, t. II, p. 193-194, auquel il faut se reporter sur ce point. 4. On remarquera cette orthographe flamande, que je me garde bien de corrlger. Cf. le vers de la Sluartide (de 1611), p. 71: Du bon Pllotte Oostene * qui contoit. * [en marge] fondateur d'Ostende. 5. Cf. encore van Meteren, fol. 513 v° : « Comme 1'armée debvoit marcher en Brabant, les Estats des Provinces Unies firent imprimer et pubher une certaine déclaration... » 72 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS EPODE Sous tant de charettes La terre fremist Et le ciel gemist Au son des trompettes. La Meuse ne peüt, Par nous retenue, Payer son tribut A la mer chenue. « Sous tant de charettes » : « bien trois mille chariots de service, écrit van Meteren * tant pour mener le bagage qu'autrement, et a chasque chariot il y avoit trois chevaux. » Faut-il s'étonner « si la térre fremist », surtout sous le roulement des douze « demy-canons », des trois pièces de campagne, de leurs affüts et de leurs caissons 2 ? Ce sont les lourds pontons de Moock, mandés de Gennep qui ont, pendant le long défilé, empêché la Meuse d'aller rejoindre la mer blanche d'écume. L'Aragonnois, un peu froid, Ne nous osant entreprendre En plain camp, nous vint attendre Sur ün malaisé destroit : Pour nous arrester, il gaigne Le trop avantageux bord D'un petit fleuve qui dort Prés d'une large campagne Et, pour bouclier contre nous, Se targua de son flot doux. Excellent exposé de la position tactique et qui est d'un homme du métier. II est bien vrai que si 1'Aragonnais, appelé plus haut «1'Amirand », avait eu plus d'esprit d'offensive, il eüt dispersé le camp de Maurice sous Tongres ou Saint-Trond. Qu'il ait préféré s'abriter derrière « Un petit fleuve qui dort » 8, c'est-a-dire la Petite Gète, pour se bomer a couvrir Tirlemont, cela est non moins incontestable. La comparaison de l'Amiral d'Aragon avec une vache luttant contre un lionceau, qui est naturellement Maurice, est de moins bon goüt : 1. Fol. 513 r°. :-•?.■;»*;. 2. Fol. 513 v». 3. Ce fleuve est représenté dans 1'estampe 1183* de la Collection Muller au Cabinet des Estampes d'Amsterdam. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 73 Ainsi pourroit quelquefois Une paresseuse vache Braver la mine bravache Du plus fier Hoste des bois, Sur le sueil de son estable, Quand, de pied ferme attendant, D'un lionceau gros grondant1 La fureur espouvantable, Luy presente seulement Un front armé durement. EPODE Lionceau qui crève, Bouillant de courroux, Qui son poitral roux Herissant esleve, Qui les flancs se bat Des noeuds de sa queüe, Huchant au combat La beste cornüe. Ce qui suit est mieux, car nous quittons les comparaisons plus ou moins poétiques pour le terrain solide de la réalité : Son Excellence voyant Sa prime en reprise vaine l, S'estant campé dans la plaine, L'ennemy va deffiant. Des ja le genest a 1'erte, A pleins naseaux hannissant, Fougueux, 1'oreille dressant, Frappe du pied 1'herbe verte, 1. Voila qui sent son Du Bartas, et il n'était pas difflcile de trouver aux Pays-Basun exemplaire de ses ceuvres. Cf. A. Beekman, Influence de Du Bartas sur la littérature nëcrlandaise, these de Doctor at de 1'Université, Faculté des Lettres de Poitiers; Poitiers, A. Masson, 1912,1 vol. in-8° et n°3 1789 a 1797 du Manuel bibliographique de G. Lanson. Le gros grondant est exactement calqué sur le « flo-flottant séjour », les « sou-soufflantes voiles»,«le feu pe-petillanl»et autres gentillesses, dont le bon poète de la Semaine était assurément trés fier. (Cf. Haag, La France Protestante, 1" éd., t. IX, p. 126-7). Citons, a ce propos, ce passage caractéristlque du Bar bon de Guez de Balzsc (OBuvres^ éd. de 1665, t. II, p. 702) : « n tient que 1'enthousiasme de la Poesie francoise a cessé depuis qu'on ne dit plus la Terre porte-moissons et le Ctel porte-flambeaux, depuis qu'on n'use plus de la flo-flottante Mer et de la clo-clotante poule. II ne trouve rien de meilleur dans les CEuvres de Ronsard, que sa chère Entelechie, quand il parle k sa Maistresse, que son amelette Ronsardelette, quand il veut changer de charactère et passer du grave au delicat. » 2. Prime et reprise peuvent être tous les deux des termes de jeu aussi bien que des termes d'escnme, mais je pencherais pour cette dernière hypothèse a raison du contexte. Littré définit :« 3) prime, la première garde ou position, qui est celle oü le corps se rencontre en achevant de tirer 1'épée ». Le sens serait donc:«Maurice, voyant que sa prime ne conduirait pas a une reprise ou k un engagement. » 74 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Eschaufïé d'un beau desir De combattre a son plaisir. Et il est exact que Maurice, campé dans la plaine sur la rive droite de la petite Gète, tandis que l'ennemi occupe les hauteurs de la rive gauche, le harcèle et le provoquedesa cavalerie frénüssante. Le reste de 1'armée n'est pas moins impatient de combattre, Mals ceste belle espérance, Naissant au cceur des soldats, Enfin ne succeda pas l. L'autre, manquant d'asseurance, Comme un renard casanier, Se tapit en son terriër. EPODE Bien qu'égal de nombre (sans doute, puisqu'il a plus de 16 a 17.000 hommes) 2 Son peu de valeur Le met en frayeur D'un second encombre. C'est 1'amer souvenir de sa défaite a Nieuport qui le rend si capon : Ce tant brusqu'abord, Suivi de victoire Aux champs de Nieuport Lui vient en mémoire. STROPHE V '■ -'■'"~2 Trois fois 1'astre Delien Fraya sur nous sa carrière... Ainsi se trouvent désignées les trois joürnées des 7, 8 et 9 juin, que les adversaires ont passées a s'observer 3. La « quatriesme nuit », le « grand Cesar de Nassaux », pendant son sommeil, a une vision. Ici le chroniqueur d'occasion redevient poète. Mars présente au Prince le pommeau d'une épée et 1'immense «targe » ou bouclier que le dieu tient du bras gauche, couvre 1. Ne réussit pas, sens bien connu. • Arr«et,*# 2. Cf. Duyck, t. III, p. 413. 3. Cf. Duyck, L III, p. 410. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 75 De son ombre large* 3if*>(*" Les murs importants D'une place forte Que ja, de longtemps, Un prestre menace..'.1. C'est Ostende serré de prés par Albert. Mars désigne une forforteresse en Gueldre (c'est-a-dire Grave), qui consolera le héros de s'être vu refuser la bataille qu'il offrait : Dresse la pointe guerrière De tes indontez soldats Contre quelque forteresse Et, vivement guerroyant, Va, la Gueldre nettoyant De ceste engeance traistresse, Puis que le sort envienx N'a pas secondé tes vceux. « L'Hercule des Hollandois » obéit a cette inspiration du ciel et Tous ses drapeaux il remeine Vers la forte garnison Qui garde en toute saison EPODE De Grave les terres. «Remeine » indique assez que 1'armée a refait en sens inverse le chemin qu'elle a déja parcouru. En langage militaire cela s'appelle une retraite, qu'on nommera stratégique, si 1'on veut embellir la chose. Et comme un Autour Estend a 1'entour Quatre fortes serres Sur cette perdrix Qui, fort desirable, A beaucoup d'esprits Sembloit imprenable. II est permis de ne pas goüter non plus cette nouvelle comparaison, du moins celle de la perdrix, mais les «quatre serres» désignent au contraire, avec une rigueur suffisante, les quatre 1. Plus loin on précisera : Ne craignant Albert Ny sonlsabelle. 76 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS corps du comte Ernest, du comte Guillaume, de Vere et de Maurice lui-même *, Leurs quartiers généraux sont inscrits en toutes lettres sur notre planche VI. Au reste, si 1'on doutait de cette interprétation, la strophe VIII suffirait a la justifler. Sur les fromenteux seillons, Prés de l'ombreuse feuillade, Logea sa belle brigade, Cinq aguerris bataillons, Mais sur la plaine jonchée, Prés des marets limoneux, De Guillaume, sage preux, La bande y fut retranchée Et du beau Prince Henry Aussi bien né que nourri. L' « ombreuse fueillade », ce sont les bosquets prés desquels est établi le quartier de Son Excellence. Le graveur n'a eu garde de les oublier. Que Guillaume-Louis, le stathouder de Frise, guidant le jeune prince, qui était le demi-frère et le successeur désigné de Maurice et qui tenait de Henri IV son prénom, ait retranché ses troupes prés des marais (moeras), situés au sud de la place, rien de plus exact2. Bien né, le fils de Louise de Coligny et du Taciturne 1'était et si on le dit bien « nourri », c'est-a-dire bien éduqué, c'est a Dommarville qu'en revient le mérite 8. Mais Schelandre, avec une pointe d'orgueil national, n'oublie pas de célébrer les indomptables Francais : La, sur toute nation, Parmy cette grande armée, Parust la fleur renommée Des nepveux de Francion, La noblesse aux armes duites *, Des indontables Francois, Qui, par La Noue 5 autrefois Et par Chastillon conduites, 1. Cf. van Meteren, fol. 515 r» et Duyck, t. III, p. 437. 2. Cf. Duyck, t. III, p. 434 et 445 ; se reporter aussi au plan (pl. VI, oü les marais sont indiques par le mot hollandais « moeras », au sud de la ville, c'est a dire en haut sur le plan). 3. Henri est le vrai nom du Prince et celui que lui donnent alors tous ses contemporains ; ce n'est qu'après son accession au stathoudérat qu'on 1'appela, le plus souvent, Frédéric-Henri. 4. Participe passé du verbe « duire ». Le mot est encore dans le dictionnaire de 1'Académie de 1696, cité par Littré, verbo, «fuif, avec le sens de «faconné, dressé ». 5 Le texte de 1608 porte La Neue, simple faute d'ünpression. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 77 De Dommarville despend, Digne d'un fardeau si grand. Les quatre derniers vers résument toute 1'histoire des unités francaises, telle qu'elle a été exposée plus haut : la formation du régiment sous Odet de La Noue autrefois, c'est-a-dire de 1599 a 1601 ; Chastillon qui lui succède, de janvier 1601 a la mort, en septembre de la même année, suivi par Dommarville qui, cependant, ne s'en voit confler que la moitié, 1'autre devant former le régiment de Léonidas de Béthune. Comment ce dernier serait-il oublié, puisqu'il est le chef de Jean de Schelandre qui lui voue, cela se sent dans ses vers, 1'affectueuse et familière admiration que les Francais ont toujours professée pour leurs supérieurs : Et de ce Béthune *, De qui le Démon Promet a son nom Plus belle fortune, De qui le grand cceur, Plein de belle audace, Seconde 1'honneur De sa noble race. Cette louange est méritée, puisque Béthune sollicita et obtint, nous 1'avons vu, la faveur d'ouvrir les premières approches. Assez loin de lui, a 1'ouest de Grave, sont les camarades anglais : Plus loin de la sont butez 8 Les fantassins d'Angleterre. « Plus loin » serait vague, si le chroniqueur-poète n'ajoutait aussitót: Oü la Hollandoise terre Jette les commoditez. Par ce lieu, la providence Des Senateurs bien liguez, Sur les soldats fatiguez, Espandit toute abondance. Cela n'est pas trés joliment dit, mais il s'agit d'une chose dont 1'utiüté excluttout lyrisme, c'est le ravitaillement.«Commo- 1. Le « de ♦ s'explique par le verbe de 1'antistrophe. Simpliflée, la phrase serait : La noblesse qui, autrefois commandée par La Noue et puls par Chastillon, dépend aujourd'hui de Dommarville et de Béthune. Rien de plus exact (cf. pl. V). 2. Retranchés. Cf Duyck, t. III, p. 421, 427 et le plan (pl. VI)«hetquartiervan den generael Francisco Veer >. 78 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS ditez », selon le P. Monet \ signifie « aisance de bien, suffisante abondance de richesses » et en effet, c'est du cöté du quartier général de Vere, en aval de la place, que sont amarrés les bateaux envoyés par les commissaires des vivres pour la nourriture des troupes, comme il se voit sur le plan (pl. VI), oü on lit 1'inscription « amonitie schepen » 2. Les deux vers qui terminent la,strophe peuvent être une allusion a la terreur qu'inspirait le général anglais Vere, dont la méthode était de se faire craindre plutöt que de se faire aimer 8 : La les superbes Anglois Tremblent, grand Veer, sous ta voix *. II n'y en a pas moins la 1'expression d'une admiration sincère pour 1'auteur des Commentaries, le défenseur d'Ostende, un maitre homme de guerre. Non moins véritable sans doute est le sentiment de vénération qu'inspire au poète, le comte Ernest, c'est-a-dire Ernest-Casimir R de la maison de Nassau, né a Dillenburg, en 1573, et qui, en 1620, devait succéder a son frère Guillaume-Louis comme stathouder de Frise. II prit une part active, avec Maurice, au premier siège de Rhinberc, en 1597 (20 aoüt) 8. C'est ce qui lui vaut dans notre pièce, le titre de « des Julesques 1'honneur », ce qui veut dire 1'honneur du pays de Juliers, légère erreur géographique, Rhinberc étant dans le pays de Clèves a sept lieues du duché de 1. Abrégé du Parallèle des Languês franeoise et latine, 5e éd. Paris, 1635, in-4°. 2. Cf. van Meteren, fol. 515 r° : « Le Comte Guillaume de Nassau estoit campé du costé méridional de la ville et les Anglois sous le Général Veer, du costé Occidental, oü 1'on dressa encore un pont sur la rivière. Incontinent beaucoup de bateaux. d'Hollande y arrivèrent avec toute sorte de vivres. » Sur 1'estampe 1183* de la collection Muller, on lit, au même endroit, une inscription plus précise: < Victuailie en amonitieschepen ». 3. Dans une lettre en francais (Lias Lopende St. Gen. 4729; Archives de La Haye), Vere se plaint de 1'indulgence des conseils de guerre a 1'égard de ses officiers « mes capitaines, convaincus d'avoir volu mutiner leurs soldats, de m'avoir mal traitté de parolles et menacé ma personne, etc. » 4. L'édition de 1608 imprime « VVer ». Van Meteren (par ex^mple fol. 673 r°) et beaucoup de documents manuscrits orthographient Veer. La vraie forme est Vere. Cf. Clements R. Markham, The Fighting Veres... Londres, Sampson, etc, 1888, 1 vol. in-8°. La campagne de 1602 y est fort mal racontée, la blessure de Vere le priva de toute parücipation aux opérations militaircs ultérieures. < Cest habile et sage seigneur mourut le 8 septembre 1609»(van Meteren, fol. 673j°). Sur sa tombe, a Westminster, on grava cette curieuse épitaphe : When Vere sought Death, arm'd with his sword and sheild, Death was afraid to meet him in the Feild ; But when his weapon he had laid aside, Death, like a eoward.'stroke him, and he dy*d. (Camden, Remains, cité par Dalton, Str Edward Cecilrp. 401). ■ 5. On trouvera sur lui une notice du professeur Blok, dans le Nieuw Nederl. Biogr. Woordenboek, t. I, col. 833-834. 6. Cf. Histoire de Belgique de Pirenne, t. IV, p. 213. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 79 Juliers 1. II n'importe? c'est la qu'il fut blessé a la main; il était brave et ferme : « Constant» était sa devise; il est la souche de la branche frisonne des Nassau, d'oü descend la reine actuelle des Pays-Bas. Ce ne sont donc pas vaines flatteries, en dépit de 1'incontestable échec qu'il subit au début de la bataille de Nieuport, a la tête de 1'avant-garde, que les vers suivants : Mais des Julesques 2 1'honneur, Ernest, le miroir des Princes, L'Achille de ces provinces, Et d'Espagne la frayeur, Peuple la digue terreuse Et le petit fort quitté, Séparé de la cité D'un seul contour de la Meuse. Exposé minutieux des premières opérations du siège. II suffit de jeter un coup d'ceil sur un plan de la forteresse de Grave, tel qu'on le trouve par exemple, dans le Tegenwoordige Staat der Vereenigde Nederlanden3 ou sur celui de notre pl. VI» pour voir que, si la cité entière est massée sur la rive gauche, au sud de la Meuse, elle est néanmoins gardée sur la rive droite, au nord, par des ouvrages avancés, une demi-lune, qui la protégé contre une attaque partie du Rhin. II n'y a pas jusqu'au détail du « contour », qui ne soit conforme a la réalité, car le cours de la Meuse n'est pas rectiligne en eet endroit, mais formê une légere courbe. Nous avons vu, en suivant simplement le récit de Duyck, que c'est a Ernest, que fut confiée la tache de réduire cette demilune, que les défenseurs, vivement canonnés, ne tardèrent pas a quitter (22 juillet)4 . II y a bien la aussi une « digue terreuse La suite retrace 1'investissement complet de la placé par une ceinture de retranchements continus : Tous ces quartiers au dehors Furent conjoincts en un corps. Van Meteren 5 parle a peine autrement, mais avec moins de 1 Carte 29 du Théatre ie la Guerre de Sanson, cité plus haut. 2 Dans 1'édition de 1608, p. 8, Judesques. C'est une faute d'impresslon. 3. Amsterdam, Isaac Tirian, 1740, in-8», 2" vol., en face de la p. 268. 4. Duyck, t. III, p. 422-423. . , .... 5 Fol. 515 r°. n est bon de noter que la traducUon citée ici n a paru qu enlblö- et que Schelandre n'a pH 1'utiliser pour sa pièce composéë sans doute dès 1602-et publiée en 1608. 80 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS concision : « On mit incontinent toute diligence a retrencher le camp et les retrenchements, et si fort qu'on n'en avoit point veü beaucoup de semblables auparavant. Le fossé estoit de la profondeur d'une picque et demye et tous les Boulevarts flancquoyent 1'un sur 1'autre avec beaucoup de redouttes et de petits Forts, qui n'estoyent qu'a un traict de Mousquet 1'un de 1'autre. II y en avoit bien soixante ou septante qui estoyent comme les Tours et Chasteaux a 1'entour d'une ville bien munie d'artillerie, chasque quartier1 estoit ainsi retrenché toutal'entour, et chasque Tetrenchement estoit aussi grand que la ville mesme, et estoyent joincts run d 1'autre. La longueur, depuis 1'Orient jusqu'a 1'Occident, estoit bien d'une demy-lieue d'Allemagne, sans compter ce qui estoit de 1'autre costé de la rivière, oü il y avoit aussi de tels et semblables retrenchemens, depuis un pont jusques a 1'autre, presque aussi de la longueur d'une lieuë. » Ceci justitie les termes de 1'épode de la strophe IX : Si longue muraille, Tant de garnisons, Fermant de gasons Un champ de bataille, Rompirent le cours De leur admirande Menant au secours Mnltitude grande, Nous touchons la a Tévénement le plus sensationnel qui interrompit la monotonie du siège : la tentative de dégagement opérée par 1' « Almirante » d'Aragon, Francisco de Mendoza, dont il a été question plus haut. Les Francais n'aiment pas la guerre de tranchées, ils ne la font que lorsqu'on les y contraint. Aussi fut-ce grande joie dans leur camp, lorsqu'il fallut qu'une partie d'entre eux fit face en arrière, pour attendre de pied ferme le choc des Espagnols descendant la Meuse : Pres de nous il se logea Et de la part que le fleuve Les champs de Mastricht abreuve Nostre ost [armée] assiégeant, siégea *. L'amiral, nous 1'avons vu, a sa droite appuyée a la Meuse en 1. Secteur occupé par le camp et le corps d'un général 2. C'est-a-dire : assiégea 1' assiégeant. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 81 amont de la ville, donc dans la direction de Maestricht, et il y établit son camp, au Grand-Linde, en face d'Es teren, oü campent les Francais. Voyez la carte 4 du Thédtre de la guerre. Mais cette men ace d'une formidable armée intacte, n'était qu'une rodomontade et 1'Espagnol n'ose. même pas attaquer. Cet abandon d'un glorieux dessein aiguise la satire du soldat-poéte : Gallante Rodomontade *, Si son courage abaissé Tel dessein n'eust délaissé D'une Espagnolle boutade Et, de nostre ombre craintif, Quitté tout préparatif. ANTISTROPHE Mais, pauvres gens, dites moy, Qui vous esmouvoit de faire Si notable vitupère [bonte] A 1'orgueil de vostre Roy ? Avoir fait si belle monstre, Nous avoir veüs de si pres Pour eviter, par après, Le devoir d'une rencontre, Se retirer sans subject 1 O 1'admirable project I Les regards des Espagnols pouvaient plonger dans le camp des Franco-Hollandais et les adversaires étaient si proches que, du milieu des tentes espagnoles, on entendait s'élever une longue rumeur, annonciatrice d'attaque. De motif ni même d'excuse a une retraite il n'en est point *, si ce n'est celle qu'invente Schelandre par esprit de corps et conscience de la bravoure francaise : Que si la foiblesse D'un si grand amas Redoutoit le bras De nostre noblesse, 1. On attribuait toujours aux Espagnols des rodomontades. Cf. les Rodomontades Espagnolles de Brantöme (CEurres complilcs, éd. J. A. C Buchon. Paris, 1838, gr. in-S°, t. II. p. 3 et s.'l. Cf. aussi Bononrs. Siège d Ostende, éd. 1628. p. 558-9, a 1'année 1604 : « Aux Rodomontz ensemble et Prescheurs Espagnolz... Les Francois combatans a la deffense d'Ostende. » "-• A moins peut-ètre la crainte de rébellion, justifiée par ce qui se produisit pour Tescadron Eletto. 6 82 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS C'estoit vostre honneur, Sans monstrer la teste, De masquer la peur D'une excuse honnête. Cependant, il y a dans le camp ennemi une velléité d'attaque de nuit. Schelandre en parle longuement. Le comte «Holloe » c'est-a-dire Hohenlohe qui, nous le savons par Duyckl, est arrivé depuis le 31 juillet, avec un important renfort d'infanterie, donne 1'éveil. Qu'il soit en liaison avec le régiment de Béthune, c'est évident, puisque son poste de commandement est établi dans une maison sur la digue prés de Gasel 2, au sud-est et a Ia droite des Francais. Mais 1' Eternel qui, d'en haut, Avisa toute une armée Concordement animée Pour attendre eet assaut, Qui vit nostre chef en armes, Ce comte Hollac si vaillant * Et tout le champ fourmillant De six milliers de gendarmes, Qui vit 4 border nos f ossez De bataillons bérissez. Le comte Philippe de Hohenlohe, beau-frère de Guillaume le Taciturne, était né en 1550 et il combattait aux Pays-Bas depuis 1575 déja. II était vaillant et s'exposait même parfois a la légère, comme au siège de Geertruidenberg oü il fut blessé en 1593. II mournt en mars 1606, a 56 ans. La strophe XII évoque les préparatifs des Espagnols qualifiés de demi-Arabes : Les demy-Mores hönteux D'avoir porté les eschelles Les picqs, les planches, les paisles, Pour un efïort beüiqueux. Ceci est une allusion a une reconnaissance de cavalerie de Maurice, dont parle Duyck, a la date du 21 aoüt, et qui fit décou- 1. T. HL p. 430 et ici plus haut, p. 64. 3 VaTtór^Aa (A." JX Biographisch Woordenboek der Nederlanden, 18» vol., D 917 et sutv., art. HoSenlo. Hohenloe est 1'orthographe adoptee par Duyck : le texte de 1608 porte Hollae, simple faute d'impression; « Hollac » est la forme üsueDe des textes francais. 4. « Qui» a pour antécédent « champ ». ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 83 vrir, sur la route de Beers, les « échelles, pelles, bèches, f ascines, planches garnies de piqués » \ rassemblées pour 1'assaut par les Espagnols. Puis d'avoir faict la retraite Parmy 1'horreur de la nuict S'estre espouvantez au bruit D'une sourdine secrette. En effet, c'est dans la nuit du 22 au 23 que 1'ennemi, sans avoir rien accompli, battit en retraite et que le généralissime avait alerté le camp, sans doute au son de la « sourdine » ou trompette sourde, comme le 11 aoüt 2. Avant de se retirer, Mendoza, a trois heures du matin, met le feu a ses tentes3, ce qu'exprimera le poète par une image mythologique : Logent dès le lendemain, Dans leurs cabanes, Vulcain. Schelandre semble s'intéresser moins aux opérations du siège même, qui va pouvoir être poussé avec énergie; il les résumé, -cette fois, en une seule strophe : Nostre sage Agamemnon, • Délivré de tant d'affaires, Pressé les murs adversaires D'un plus poignant esperon, Si qu'après trente joürnées Fismes a 1'extrémité Desloger de la citév Leurs Phalanges mal-menées. Entre la retraite de 1'ennemi, le 23 aoüt au matin, et la reddition qui fut signée le 19 septembre 4, il s'écoula quelques vingthuit jours, toutefois il y en a trente jusqu'a la revue et solennelle prise d'armes, a laquelle assista Bobert de Schelandre, le 21 septembre 5. 1. Duyck, t. III, p. 450. On les trouve dessinés sur la gravure de Orlers « Den Nassauschen Laurencrans», n° 1185 de Muller. M. le général Boucabeille, notre ancien attaché militaire a La Haye, veut bien me faire observer que cette exactitude minutieuse des estampes représentant des batailles au xvii» siècle est trés fréquente et qu'il en a eu mainte preuve pour les campagnes qu'il étudiait lui-même a TEcole de Guerre. Chez un poète, par contre, cette exactitude est plus rare que chez les igraveurs. 2. Duyck, t. III, p. 442. 3. Duyck, t. III, p. 452: «Maer omtrent drie uyren sach men dat se t hëele leger In de brant staken >. 4. La garnison ne sortit que le lendemain. 5. Duyck, t. III, p, 482 et ici même, supra, p, 67. 84 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS On a souligné le pluriel « fismes », assez inattendu, puisque le sujet de la principale est « nostre sage Agamemnon », mais qui s'explique par le désir du poète d'affirmer sa participation aux opérations. L' « heureuse journée » est arrivée, mais elle n'a pas laissé d'être assombrie par des pertes cruelles et Schelandre, qui a du cceur, dans tous les sens du mot, s'émeut: Non sans perdre en eest honneur Testes de grande valeur... Toutefois, n'est-ce pas le fragile destin des «gens de guerre»? Ne sont-ils pas brisés comme verre ? Mais quoy ? gens de guerre, Tant chefs que soldats, Semblent en ce cas La tasse de verre, Que son maistre veut Souvent estre veüe, Qui durer ne peut, Tant de fois tenue... Peut-être est-ce en vidant, non sans mélancolie, quelque coupe de vin du Rhin que « notre brave Schelandre », qui « boit toujours en Alexandre », 1 comme dit Ogier, songeait a la fragilité de 1'existence humaine et concevait cette triste strophe. Pourtant ce n'est pas des larmes qu'il faut au soldat mort, mais des chants de flamme : Muse, mon sacré soucy, Hé ! de grace que la flame Qui tient en fureur mon ame, Ne s'estaigne point icy 1 II s'agit de trouver des accents males, dignes des chefs aimés, tombés au champ d'honneur, et a qui il veut envoyer son suprème salut : Mon cceur ne permets-tu pas Que sur mes cordes je range Du bon DU PUIS la louange, DU PUIS, 1'amour des soldats, Que baignant en pleurs, je sonne Le dommageable destin 1 Ode d'Ogler a la Charnais, cltée par Haraszti, p. xvn. ode pindarique de j. de schelandre 85 D'HAMELET et MONTMARTIN Et qu'encore je mentionne LA GRAVELLE en qui les Dieux Estallèrent tout leur mieux ? Le «bon Du Puis», c'était le'capitaine suisse qu'il avait déja dü connaitre, sinon a Nieuport, du moins a Ostende, et deux ans de communs dangers, c'est long pour une fraternité d'armes et une camaraderie de combat. On goüte fort cette louange qui indique un rapport affectueux entre le chef et les hommes : DU PUIS, l'amour des soldats. Ce n'est pas une phrase a fourhir une rime. Lorsqu'a 1'attaque du 7 septembre 1602, les Francais et les Wallons virent tomber le capitaine Du Puy, furieux, ils s'élancèrent a 1'assaut de la demi-lune, qui protégeait la «Berchpoort», la forcèrent et en chassèrent 1'ennemi, qui y abandonna dix cadavres 1: leur capitaine était vengé. Le 22 aoüt 2 déja, précisément dans la nuit de 1'alerte, le capitaine Du Hamelet était mort des suites des blessures qu'il avait recues au flanc le 13 8. La chirurgie de guerre d'alors était si indigente de science et de moyens que c'était miracle d'en réchapper, comme 1'avait fait Robert de Schelandre. Pour Montmartin, c'était le 27 aoüt qu'il avait été tué, lors d'une surprise tentée par rassaillant sur une galerie de mine des Francais, oü ceux-ci, avec leur coutumière insouciance, s'étaient mal gardés *. On voit que les chefs ne cherchaient pas souvent refuge dans les profondes « galeries » creusées sous terre a 1'abri des feux d'artillerie. A peine La Gravelle avait-il, le 9 septembre, succédé a Du Hamelet, mort il y avait a peine plus de quinze jours, que le voila qui tombe a son tour sous la mousqueterie ennemie 5. Pauvre capitaine de tant d'avenir, au témoignage de Schelandre, et qui eut deux semaines de grade. Au moins auront-ils la consolation du héros, la gloire éternelle, et celle-ci, la voix de leur chantre la leur assurera: 1. Journaal de Duyck, t. III, p. 465 et van Meteren, fol. 515 r°. 2. Duyck, t. III, p. 452. 3. Duyck, t. iii, p. 444. 4. Duyck, t. iii, p. 457. 5. Duyck, t. iii, p. 467. 86 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Que si leurs années Furent icy bas * Parmy les combats Trop tost terminées Au moins que leur los [louange], Reduit en mémoire, Couronne leurs os D'immortelle gloire. On ne peut pas s'attarder a ces regrets: ils affaibliraient le moral du combattant. Les fleurs une'fois jetées sur les tombes, f leurs de la nature et fleurs de la poésie, il faut aller a d'autres exploits. C'est le sens de la strophe XIV, rappelant 1'embarquement après la revue, sur des bateaux qui, bientöt, iront jeter 1'ancre en quelque port paisible de Hollande ou de Zélande, oü 1'armée prendra ses quartiers d'hiver et oü le poète « recordera » ses souvenirs: Mais non, dedans moy je. sens, Je sens ta main qui me pousse, D'une soudaine secousse Pour me remettre en bon sens : Or sus abaissons les voiles, Je sens amortir le vent Qui s'eslancoit en avant Dans mes demi-rondes 1 toiles Et mouillons en attendant Le Ier a deux crocs mordants. Le poème va finir avec rexpédition qu'il a célébrée, mais il y manque 1'adresse que traceront 1'antistrophe et 1'épode, pareilles a 1'Envoi d'une ballade : Prince, non pas le Phoenix Mais le soleil de prouesse, L'appuy, la force et 1'adresse De tant de peuples unis, S'il vous vient a gré de lire, Libre de soucis plus grands, Ces fredons que j'entreprends Sur la Pindarique lire, Prenez, mon Prince clément, En gré mon bégayement. 1. C'est-a-dire gonflées. Le sens est précisé par ces deux jolis vers du Modelle de la Sluartide (Ms. British Museum, 16 E. XXXIII, fol. 18 v°) : La barque est droitte et ses toiles mi-rondes, Toutes au large, empaument le bon vent. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 87 Maurice a-t-il recu le poème ? Sans nul doute, mais eet homme d'action était peu soucieux des papiers, surtout de ceux que remplissent mal les lignes inégales et sonores, oü ces fous de poètes mettent leur rêverie, et le manuscrit original n'a pu être retrouvé dans les Archives de la Maison d'Orange-Nassau *. Pourtant, est-il assez humble celui qui 1'offre, comparant joliment ses dons a ces petits ruisseaux dont la mer accepte 1'hommage aussi bien que celui du Rhin majestueux : Voyez qu'Amphitrite Recoit en ses eaux, Des moindres ruisseaux La rente petite, Et du Rhin puissan L'onde fréquentée. « Ohacun f aict présent « Selon sa portee. » 2 Tel est ce long poème qui, sans doute, méritait de nous arrêter quelques instants ; aurait-il été de moindre valeur littéraire, qu'il eüt encore été profitable de 1'analyser, strophe par strophe, a cause de son exactitude, désormais assurée, et a titre de document. Mais cette exactitude même est, pour une ode historique, chose si rare dans la seconde moitié du xvie siècle et la première moitié du xvne, que déja, elle conférerait a 1'auteur une place a part. II n'est que de comparer le poème que Ronsard consacre a Michel de 1'Hospital et qui fait partie du cinquième livre des Odes, paru a la suite des Amours en 1552 8, et oü, a chaque strophe, répond aussi une antistrophe et une épode. Pour louer le Surintendant 4, d'avoir restauré le règne de la poésie, Ronsard évoque Mémoire, mère des neuf Muses, qu'elle eut de Jupiter, la conception et accouchement d'icelles, leur visite a leur père au banquet offert par.Thétis, au sein de 1. Malgré les recherches faites obligeamment pour moi par rarchiviste, M. Krii- 2.' Idéé chère a Jean de Schelandre, puisqu'elle se retrouve dans la dédicace de Daniël d'Anchères a Jacques I8r (Funestes Amours, etc, a II, v°) : « qu elle [Ia Cour du roi] en est aujourd'huy la mer oü tous les ruisseaux sont tributaires : cnacun toutes fois selon sa portée. » . 3. Laumonier (Paul), Tableau chronologique des ornvres de Ronsard, 1" éd. Fans, Hachette, 1911, 1 vol. in-8°, p. 5 et 11. . 4. Ronsard, CEuores choisies p. Sainte-Beuve; nouvelle éd., p. L. Moiana; fans, Garnier (1879), 1 voL in-8°, p. 95 et s. 88 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS 1'Océan. Après un premier séjour sur terre, les Muses se réfugient auprès de Jupiter : elles assistent a la fabrication de Michel de 1'Hospital : Luy tout puissant prent une masse De terre et devant tous les dieux Imprima dedans une face, Un corps, deux jambes et deux yeux, Deux bras, deux flancs, une poitrine. Arrêtons la cette analyse, qui pourrait être longue encore, et louons Jean de Schelandre de nous avoir épargné la naissance de Maurice et sa conception dans quelques Champs Elyséens. Evidemment, il y a encore beaucoup «trop de tintamarre la-dedans, trop de brquillamini », comme dirait le Bourgeois Gentilhomme, et surtout trop de mythologie. C'est un héritage du moyen-age et du xvie siècle, qui se transmettra a travers la poésie lyrique du xvme siècle, jusqu'au début du xixe. Passé encore pour 1'Apollon du début et son astre dellen, pour le Mars du milieu et 1'Amphitrite de la fin, mais on ferait grace de la « corne de cheval », entendez de Pégase, du cristal de la fontaine Hippocrène et de la guerrière Enyon. La pièce gagnerait aussi a être privée de ses deux apparitions, celle de Mars a Maurice, lui conseillant d'abandonner le Brabant pour le siège de Grave, et celle, moins précisée, du feu roi d'Espagne essayant de déchainer sur 1'armée hollandaise les frayeurs « dépeschées » par les enfers. Divinité pour divinité, on préfère celle de 1'antistrophe, citée plus haut, car 1'Eternel qui y parait est le Dieu des Armées qu'invoquent ces protestants dans leur psaume1: Que Dieu se monstre seulement Et 1'on verra soudainement Abandonner la place, Le camp des ennemis espars Et ses haineux de toutes parts Fuir devant sa face. Pourquoi faut-il que chaque héros, au lieu de se contenter d'être un chevalier sans peur et sans reproche, ne puisse être moins qu'un Hercule ou un Achille ? La loi du genre le veut 1. Elle semble être née aussi a Strasbourg cette Marseillaise huguenote. Cf. Tier•ot, Histoire de la Chanson populaire en France. Paris, Pion, 1889,1 vol. in-8°,p. 274. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 89 ainsi. Maurice sera 1' « Hercule des Hollandois » (str. VII), « nostre sage Agamemnon » (str. XII), « le Phcenix », le « Soleil de Prouesse », tandis que le comte Ernest est « rAchille de ces provinces ». L'excuse de notre Schelandre est que Malherbe puise ses traits au même arsenal poétique. Parle-t-il de Marie de Médicis arrivant a Aix en 1600, pour aller partager le tróne et le lit de son futur époux, il nomme ce dernier : Cet Achiüe de qui la piqué Faisoit aux braves d'Ilion La terreur que fait en Afrique Aux troupeaux, 1'assaut d'un lion f. Dans 1'Ode du même Malherbe sur «1'heureux succes du voyage de Sedan», composée dès 1606 2, Henry le Grand devient aussi* un Hercule : Qui ne confesse qu'Hercule Fut moins Hercule que toi ? A la vérité, on ne pouvait alors moins dire, sous peine d'être mal poli, pas plus qu'on ne pouvait écrire moins que ceci : . 100 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ETATS lesquelles estoyent faictes de telle facon que le dedans estoit remply de pierres. » Les assiégés les leur brülaient a coups de «boulets ardens ». Tant et si bien que « ce siège a esté comme une Academie et Escole pour les gens de guerre, tant pour les Gouverneurs, Officiers et Capitaines, que pour les Canonniers, Pilotes, gens de marine, Ingenieurs, Medecins, Chirurgiens et semblables : tellement qu'il n'y avoit pas un, qui, ayant esté quelques mois en ceste Escole, qui ne devint maistre en son art, tant a offencer qu'a deffendre, de sorte qu'en matière de siège, ils pouvoyent scavoir et discourir de tout ce qui estoit necessaire pour bien garder une place, de quoy, auparavant, on ne scavoit point tant a parler. Un ingenieur, qui pouvoit long temps avoir estudié en ses bvres, estoit contraint de confesser qu'il n'estoit qu'un apprentif au regard de 1'expérience. Medecins et Chirurgiens apprindrent plus la, en une sepmaine, qu'ailleurs en un an » Ecole de marine et d'artillerie, aussi bien que de médecine 2 et de génie : « Matelots y apprenoyent a bien gouverner leurs batteaux, afin d'éviter les coups de canon ; les canonniers a bien planter le canon... et comment il falloit dresser les contrebatteries, rompre ou demonter les canons de 1'ennemy, ce qui estoit cause de la perte de beaucoup de gens de part et d'autre. On compta qu'ès premiers vingt mois, on avoit tiré, contre la ville, plus de deux cent cinquante mille boulets, chaque boulet pesant trente et cinquante livres. Car, tandis que 1'Infante estoit a Nieuport, quand elle n'entendoit point tirer, elle n'estoit pas bien contente, de sorte qu'elle commanda qu'on eust a tirer continuellement. Ceux de la ville, qui ne vouloient point estre redevables aux assiegeans, tirèrent pareillement èsdict(e)s premiers vingt mois plus de cent mille coups. »3 De si longues opérations ne vont pas sans quelque commodité que 1'on se donne, pour faire diversion par un peu de relache. On allait en permission, même sans permission4, et on recevait des visites galantes ou sérieuses : « Et combien qu'on ne cessoit de tirer et que la peste et la pauvreté estoit grande en la ville, si est que les gens de Hollande et Zélande ne laissoyent pas de 1 Vfln ÏYIctcrcn fol 544. 2' Un des chirurgiens qui furent nommés le 4 juillet 1603 (Cf. Fleming, p.397) était probablement un Francais, répondant au nom ou au sobriquet assez plaisant de Samucl Poil-Blancq. 3. Van Meteren, fol. 544 V. -jj '. • . _ „..^ 4 Ce qui rendit nécessaire 1'interdicUon promulguée par Maunce (cl. r-leming, p. 400) qui, chaque semaine, exige un état des eflectifs, a fournir par le capitaine. 3 8»" 3 o rara Le siège d'Ostende (i6oi-i6o4) par Bapt. van Deukekom, Cabinet des Estampes £ Amsterdam, Collection F. Muller, 1162. (JV 1, Le « Santhil » ; 3, Le « Parc-épic »). LE SIÈGE D'OSTENDE 101 venir ordinairement visiter leurs amis, avec femmes et enfans. Quelques capitaines y amenoyent leurs femmes et enfans. Mesme plusieurs gentilshommes, seigneurs et grands maistres, y venoyent de France et d'Angleterre, pour voir comment on se defendoit, comme aussi plusieurs Princes d'Allemagne et mesme le frere du roy de Danemarc : lc mesme faysoit on aussi au camp des assiegeans, afin de voir comment on offencoit et ce nonobstant tous les grans dangers ». Ostende avait fait une extraordinaire consommation de gouverneurs. A Francis Vere, blessé au siège de Grave et désormais hors de combat, avait succédé Frédéric van Dorp, qui commandait encore en juin 1603, mais, dès le 13 juillet, lui succède le vidame Charles van der Noot *. Le 5 juillet, jour anniversaire de rinvestissement de 1601, Schelandre dut assister a la grande fête annuelle qui consistait, pour les assiégés, « a battre sur des chaudrons et a descharger toute 1'artillerie, au lieu de sonner les cloches, d'autant qu'ils n'en avoient point et puis on faysoit, ce jour, un presche pour remercier Dieu. »2 Au moment de poursuivre son récit pour juillet 1603, le bon Fleming s'excuse de ne plus parler d'original, pour les six semaines qui suivent, car il a obtenu enfin une permission, lui, qui avait fini par oublier, dit-il, jusqu'a 1'aspect des fruits de la terre, la couleur des arbres et les formes des animaux8. Mais, recourant aux récits des autres il n'en est pas moins méticuleux et il continue a noter soigneusement toutes les relèyes 4 et a dresser la liste des pertes, que, chaque jour, le feu terrible de 1'assaillant allonge lamentablement. Au commencement de décembre, le capitaine La Caze 5 aide le gouverneur a faire une enquête sur la gabegie constatée en matière de poudres. Le 9 décembre 1603, sans qu'il y ait relation certaine entre les deux ffaits, van der Noot est remplacé au poste de gouverneur par le colonel Pierre de Gistelles 6. Le 20, il fait 1'inventaire des canons francais, demi-canons ou couleu- 1. Fleming, p. 400. 2. Van Meteren, tol. 544 v° et Fleming, p. 397-398. 3. Fleming, p. 398. pour ?^^em.^ P'415> Pour novembre 1603 ; p. 405, pour aoüt 1603 ; p. 402, c.ih>ita.iCaSn * Fleming» P- 417. Jïnsiste surtout sur ce successeur de Robert de 6. nenungapCe4?8e 16 SUpp0Se ^ le 'eune Jean était resté dans sa compagnie. 102 RÉGIMENTS*" FRANCAIS AU SERVICE DES ÉT ATS vrin.es, des serpentins de faible calibre, qu'a la place du capitaine Pouvillon, parti, le capitaine Dodo van Inhausen et Kniphausen va gérer en qualité de général de 1'artillerie (décembre 1603) >. II a sous ses ordres les gentilshommes de 1'artillerie, les « constables » 2, canonniers, conducteurs, artiflciers, charrons, forgerons, charpentiers et, parmi eux, maint Francais. L'unité de direction dans cette arme était ainsi garantie, de même que l'unité dans la défense de la place était assurée par 1'autonté suprème du gouverneur, assisté de son conseil de guerre. Aux quatre compagnies francaises que nous connaissons, est confiée la défense d'un des plus importants ouvrages, nommé le Porc-Epic* (cf. pl. VII, n° 3). A leur gauche, et faisant également face dans la direction de Nieuport sont les Ecossais, au « Ravelin » ou redan occidental. Sur leur droite, les Francais sont couverts par le « Santhil» ou colhne de sable, que les Anglais appelaient, selon Vere, le « Ironhill > ou « colhne de fer » paree que, comme 1'écrivait un témoin fran- . cais, ü « sembloit un mur de fer ■ oü «on oyoit les boulets donner les uns contre les autres » 4 (pl. VIL n° 1). II importait de faire bonne garde, car le roi Henri avait fait avertir que 1'ennemi allait tenter des attaques brusquées sur les principaux ouvrages, notamment sur celui qui était dit«la demilune espagnole », a 1'est5. Nous ne nous arrêterons pas a la monotonie de ces lentes approches que creuse 1'ennemi, a ces détails de parapets surélevés, de fossés approfondis, de gabions posés, d'explosions de mines, de grenades lancées, de bouts de tranchées passant de mains en mains, qui sont la menue monnaie de ce genre de guerre, dangereuse, lassante et sans gloire. Au bout de huit mois de redoutables gardes et veilles aux remparts, nos quatre compagnies francaises apprirent que Maurice se proposait, dans sa lettre du 3 mars 1604 «, de les remplacer par cinq autres de la même nation, celle du lieutenant-colonel Montesquieu de Rocques l' ^r^'ime^est le moven néerlandais Conlncstavel (Fr. connétable), mals avU%ensW B?dXZ^J&ÏÏ& ^JSX^Z^è^hxre^ que le 4 taln 1604, tandis que le Santhil succomba en aoüt 1W4. (Cl. van meieren, «». 4. Van Sypesteyn, op cit., p. 18 et 19 6. Siuf'eSeS^rdue (Fleming, p. 462-464). L'auteur écrit Attart. LE SIÈGE D'OSTENDE» 103 et celles des capitaines Silve, Hallart, La Pailleterie, Haucourt. Suivant le même ordre de route, les compagnies a relever étaient celles des : Capitaine Brusse, Capitaine Buisson, Capitaine La Haye, Capitaine La Case. Avant de partir, deux d'entre eux, Brusse, La Caze et certains officiers particulièrement engagés dans la défense du Porc-Epic et autres ouvrages importants \ signent, avec le gouverneur Gistelles, une lettre aux Etats, datéë du 12 mars 1604 2, et «remonstrant » a Leurs Hautes Puissances le péril qui menacait la vaillante place, tout en affirmant leur résolution de combattre jusqu'a la mort. En annexe a la lettre, était ajoutée une liste de capitaines absents, parmi lesquels un Francais, qui, malheureusement, n'est pas nommé. Les onze compagnies de relève débarquent sans encombre, mais privées de leurs chefs, qui avaient sans doute oublié de rejoindre leur unité 3. Les Etats songent a sévir contre ces absences, en cassant aux gages les coupables et en leur substituant leurs lieutenants, ou d'autres, qualifiés, mais, momentanément, ils renoncent a ces mesures de rigueur. Cependant les pertes augmentent. David d'Orléans est blessé le 20 mars, en inspectant quelque ouvrage. II sera pour longtemps hors de combat4. Le lendemain, c'est le gouverneur lui-même qui tombe, frappé mortellement d'une balie de mousquet5. Provisoirement, il sera remplacé par le colonel van Loon, qui ne devait pas même lui survivre un mois *. Ces morts successives entrainent des changements dans le haut commandement, qui ne sont pas sans provoquer un certain désordre. Les capitaines se réunissent pour élire un gouverneur, mais, ne pouvant se mettre d'accord sur un nom, confient le pouvoir a une sorte de 1. Fleming, p. 470. 2. Cette lettre a été retrouvée par van Sypesteyn au Rijksarchief (Lias lopende) et publiée par lui dans son Beleg van Oostende, p. 75 et s. A la suite de chaque signature a été ajouté ultérieurement le destin de chaque officier : Le capitaine de La Caze porte 1 indication : «tué ». 3. Fleming, p. 476-477. 4. Fleming, p. 478. 5. Fleming, p. 479. 6. II mourut des suites d'une blessure a la cuisse, le 26 mars 1604. Cf. Fleming, p. 492. 104 RÉGIMENTS» FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS conseil, composé du colonel Rocques, a qui on adjoint le lieutenant-colonel van der Burcht, pour lui servir d'interprète en hollandais 1 et du colonel anglais Draecke, assisté du colonel Bevry pour le même motif. La minorité proteste et, parmi les signataires de la protestation du 30 mars 1604, on est étonné de trouver La Caze. Malgré rarrivée des compagnies de Bocques, les quatre compagnies ne sont donc pas encore parties a la fin de mars. Ce qui achève de le prouver, c'est que le capitaine La Haye, camarade de Bobert de Schelandre, est signalé comme tué le 29 avril2, tandis qüe le commandant Bevry est blessé. « Ainsi, ajoute Fleming avec mélancolie, nous perdions peu a peu nos officiers les meilleurs et les plus expérimentés. » La Caze signe encore, avee d'autres, un ordre daté du 17 avril, contre les soldats qui ne montent point la garde, selon les ordres donnés, ou qui y arrivent en état d'ivresse. D'ailleurs, 1'ordre du 19 avril 3 porte que le régiment du colonel Montesquieu de Rocques, a la tête de neuf compagnies, occupera le boulevard d'Hellemont (cf. planchp VII) et la moitié de la courtine, dans la dirèction du boulevard de 1'ouest. Comme on ne mélangeait guère les troupes de diverses nationalités, c'est donc que Rocques a probablement gardé les quatre compagnies qui devaient être relevées. On a de ces déceptions. Au moins avaient-elles eu la satisfaction de changer de secteur et, pour le soldat, tout changement est une consolation. Rocques n'exerce plus le commandement suprème qu'il a passé a Berendrecht, nommé gouverneur. Sur ces entrefaites, un espoir de délivrance a surgi pour ces malheureux. Le bruit a couru a la fin d'avril, que Son Excellence a débarqué en Flandre. Sans doute, il médite quelque grande expédition qui mettra un terme a leur cauchemar et a leur isolement, que la mer libre ne suspend que par intermittence. La nouvelle est exacte et il est vraiment temps que 1'on fasse quelque chose; 1'ennemi a réussi a prendre pied dans la corne du « Porc-Epic » et 1'on n'est plus séparé de lui que par une longueur de piqué. C'est ce qu'écrivent a Son Excellence et aux 1. Fleming, p. 489. 2. Fleming, p. 507. 3. Fleming, p. 514. LE SIÈGE D'OSTENDE 105 Etats, le 3 mai 1604, les colonels et capitaines et, parmi eux, Montesquieu de Rocques, Silve, La Caze, Grenu H Une nouvelle lettre du 11 mai apprend aux « Gecommitteerde Heeren »2 que 1'ennemi commence a miner le Porc-Epic et que les soldats sont forcés de se défendre nuit et jour, les armes a la main, ou de monter la garde ou de travailler aux remparts. Ils déploient un courage inouï, soutenus qu'ils sont par 1'espoir de la délivrance. A si courte distance, on ne combat pas seulement a la mine et a la grenade, on tache d'affaibür le moral de la défense, en lui présentant des proclamations au bout d'un baton 3; Fleming y répond par des billets en francais, flamand, italien et espagnol qu'on envoie dans lestranchées ennemies, attachés a un carreau d'arbalète. Le capitaine La Croys, chef des mineurs, est tué le 24 mai, toujours au Porc-Epic. Le 29, 1'Espagnol fait sauter a la mine le fameux ouvrage et prend d'assaut 1'entonnoir malgré une héroïque et coüteuse défense. Le 2 juin, une nouvelle mine fait, au rempart du Polder, une brèche de quarante pieds de large : on la répare sous un feu intense. Les bonnes nouvelles du siège de 1'Ecluse encouragent une résistance qui devient désespérée. Mais la nécessité de relever des troupes, épuisées par les fatigues de continuels assauts, s'impose de plus en plus. Les effectifs des compagnies fondent a vue d'oeil. Tout cela, Montesquieu de Rocques et d'autres colonels, essayent de le faire entendre a Maurice 4. On leur répond de tenir, jusqu'a ce que 1'Ecluse soit tombé. Seule des compagnies francaises, celle du capitaine Brusse est renvoyée5 par Marquette,le nouveau et énergique gouverneur. La sortie qu'il tente n'empêche Spinola, ni de mordre toujours sur les remparts de 1'ouest ni de détacher des troupes pour tenter de dégager 1'Ecluse. L'échec de 1'Espagnol dans cette direction ne profita pas a la défense des Ostendais car, si 1'Ecluse tomba effectivement le 27 aoüt 1604, cette capitulation6 n'eut d'autrerésultat 1. Fleming, p. 5247 2. Bureau permanent des Etats. Cf. Fleming, p. 527. 3. Fleming, p. 528. 4. Fleming, p. 547 et 559. 5. Fleming, p. 570. Encore peut-il s'agir de son homonyme anglais, distingué par un autre prènom et parfois par une autre orthographe (Henry Bruce). 6. Dans une intéressante lettre relaUve aux opérations devant 1'Ecluse, adressée 106 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS que d'inspirer aux Etats ce raisonnement : Puisque Ostende a été défendu avec tant d'acharnement, comme uniques base nayale et point d'appui possédés par les Hollandais sur la cöte de Flandre, cette obstination n'a plus sa raison d'être, du moment oü, avec 1'Ecluse, on acquiert 1'excellent port du Zwyn, directement relié par la terre a la Flandre zélandaise. Suf ces entrefaites, 1'ennemi fait sauter le boulevard de 1'ouest et, le 13 septembre \ prend d'assaut le Santhil, clé de la défense occidentale, malgré la brave résistance de Sarocques, qui s'y fait tuer sur place, après s'y être maintenu en dépit de 1'ordre de repli qu'il avait recu 2. A un nouvel appel désespéré de la garnison, les Etats répondent par une demande de tenir encore vingt jours, mais les forces humaines ont des limites : le gouverneur et les colonels déclarent qu'ils ne peuvent durer une heure de plus. Le colonel anglais Fairfax est tué, tandis que Montesquieu de Rocques est mortellement blessé, au « grand deuil de toute la garnison, car c'étaient des officiers habiles et expérimentés » *. Son cousin, le grand philologue Scaliger, dont nous parierons plus loin, écrivait de Leyde a ce propos a de Thou 4: « J'ai faict cette perte [il s'agit de Douza], après avoir perdu mon pouvre cousin, le sieur de Montesquieu de Rocques, qui commandoit aux neuf compagnies des Francois en la ville d'Ostende. II a survesqü dix jours, après avoir receü une arquebusade au-dessus de la cuisse». Son père, Jacques de Secondat de Rocques, baron de Montesquieu, prit plus tard sa place et devint lieutenantcolonel le 12 mai 1608 6. Ce sont des ancêtres de 1'auteur de 1'Esprit des Lois qui, lui aussi,. ira en Hollande. Les jours de la citadellesont comptés. Elle va bientót être forcée dans le réduit de sa défense. Marquette se décide a trailer et, le 20 septembre 1604, arrête avec Spinola les articles de la par le comte Ernest-Casimir, a son frère le comte Jean de Nassau-Siegen, il est question des six compagnies francaises de Chastillon (il s'agit de Gaspard II, le ïutur maréchal) et des six compagnies de Dommarville (Archives ou Correspondance inédite de la Maison d'Orange-Nassau, 2° série, t. II, p. 291-308. Lettre du 7 juin 1604 ; voir, notamment, p. 293). 1. Fleming, p. 574. 2. Fleming, p. 575. 4. ColL^uPuy, vol. 838, fol. 68. Lettre du 19 octobre 1604, citée par Tamizey de Larroque, Lettres francaises inédUes de Joseph Scaliger; Paris, 1881, in-8", p. 335, n. 1. 5. Het Staatsche Leger, II, p. 165. LE SIÈGE D'OSTENDE 107 capitulation 1 : La garnison sera autorisée a s'embarquer pour Flessingue ou même a rejoindre 1'Ecluse par terre, sans être inquiétée, avec armes, étendards déployés, tambours battants, mêches d'arquebuses allumées, mousquets chargés, tous ses bagages, mais n'emportant que quatre pièces d'artillerie 2. Ainsi tomba cette « nouvelle Troie » dont la défense avait coüté bien « des colonels, capitaines, officiers et soldats, qui y avoient été tués, jusqu'au nombre de 72.124», du cöté des assiégeants, et autant, sinon davantage, du cöté des assiégés, « nombre presque incroyable », ajoute le naïf van Meteren *. « II en est mort beaucoup et de toutes sortes de gens, seigneurs, gentilshommes et autres, qui estoyent venus de longtain pays a celle fin de voir ce renommé siège et qui mesme se sont laissé employer comme volontaires ès assauts et combats. Depuis, on vint encore visiter la ville de tous costés, mais ce n'estoit plus qu'un monceau de pierres et de sables, tant elle avoit esté renversée ès derniers retrenchemens. » ilHlft C'est ce qui justifie la plainte latine que le jeune Hugo Grotius 4 prête a la malheureuse ville, avant la capitulation, et que Malherbe, un peu plus tard, devait traduire ainsi : Trois ans déja passés, théatre de la guerre, J'exerce de deux chefs les funestes combats Et f ais émerveiller tous les yeux de la terre De voir que le malheur n'ose me mettre a bas. A la merci du ciel, en ces rives, je reste, Oü je souffre 1'hiver, froid a 1'extrémité ; Lorsque I'été revient, il m'apporte la peste Et le glaive est le moins de ma calamité. Tout ce dont la Fortune afflige cette vie, Pêle-mêle assemblé, me presse tellement, Que c'est parmi les miens être digne d'envie, Que de pouvoir mourir d'une mort seulement. 1. Fleming, p. 578-580. 2. Fleming, p. 578, art. II de 1'acte de capitulation : « ... met hare Wapenen, vliegende Vendelen, slaende Trommelen, brandende Lonten, Kogels in den mondt, met alle hare Bagagien >, etc. 3. Fol. 546. 4. C'est le célèbre auteur du De Jare belli et pacis (1625), dont le professeur francais de 1'université de Groningue, Jean Barbeyrac, donna,- en 1724, une traduction (Amsterdam, Pierre de Coup, 2 vol. in-4°). La pièce sur Ostende est dans Grotii (Hugonis), Poëmata collecta..., ed. a fratre Guilielmo Grotio. L. B. ap. A. Clovovium, 1637, in-12, p. 58-59. M. P. C. Molhuysen prépare une édition monumentale des (Euvres de Grotlus, laquelle rendra les plus grands services et dont le premier volume vient de paraitre. 108 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Que tardez-vous Destins ? Ceci n'est pas matière Qu'avecque tant de doute, il faille décider ; Toute la question n'est que d'un cimetière, Prononcez librement qui le doit posséder K Songez a ces mots de Grotius : «Nee perimit mors una semel», Que c'est parmi les miens être digne d'envie Que de pouvoir mourir d'une mort seulement, et vous sentirez tout ce que'dut souffrir le pauvre Schelandre par la faim, la soif, le froid, le chaud, le feu, pendant le temps qu'il assista au siège d'Ostende. Au reste, il n'est plus besoin de faire d'hypothèse a ce sujet, car ce sont de véritables impressions de bombardement que Jean de Schelandre a consignées dans un passage de la Sluartide, qui flgure déja dans le Modelle 2 manuscrit du British Museum offert a Jacques Ier et qui est resté jusqu'a présent inconnu des historiens de la littérature : Ainsi encore, aux mazures d'Oostende, Fond un boulet de la dune Flamende, Et par dessus un terreux logement Vient le couvert effleurer seulement; La, le soldat, qui, avant ce vacarme Se deslassoit d'un silenique charme, Parloit d'amour ou dormoit a recoy Change vizage et sursaute d'effroy, Puis les tuilots et la poudre secoüe Et, tout rassis, au peril fait la moüe, De mesme aussi, etc... N'est-il pas du soldat francais de faire ainsi la nique au danger ? 1 Malherbe, (Euwes, éd. Lalanne, t. I, p. 56-57. D'après un passage de la Vie de Peiresc de Gassendi, Malherbe écrivit en 1604 ces belles stances, qui parurent d'abord dans le Ptvnasse des plus excellents poètes de ce temps (au t. II) et non pas, comme dit Lalanne, dans les Delices de la noeste francoise, en 1615. La rectifleation est de M F. Lachèvre, dans sa grande Blbliographie des Recucils collectifs de Poésies, publiés de 1597 a 1700, t. I. (Paris, Hachette, H. Leclerc, 1901, in-4°), p. 234. 2. British Museum, Royal Ms. 16 E XXXIII, fol. 13 r° (du foliotage moderne). Le texte reproduit ci-dessus est celui de 1'imprimé (éd. de 1611, au British Museum, Impr. 1073 e 25, p. 45). Une seule variante a noter dans le ms.: «et disnoit a recoy », qui convient évidemment mieux que la correction de 1'édition : « ou dormoit a recoy » Au vers suivant, le manuscrit orthographie: visage, sursaulte, esfroy. CHAPITRE VIII LA GUERRE RALENTIE. LA TRÊVE DE 1609. JEAN DE SCHELANDRE A AVIGNON, PUIS AU SIÈGE DE JULIERS (1610). A partir de la chute d'Ostende, les événements militaires perdent beaucoup de leur impor lance et de leur intérêt. II faut mentionner seulement une offensive avortée sur Anvers, en mai 1605, et la bataille de Mulheim-sur-Ruhr \ oü le comte Henry, après avoir bravement chargé, fut sauvé par 1'héroïque résistance des Anglais du chevalier Horatio Vere. Ceux-ci n'échappèrent, eux-mêmes, que grace aux Francais de Dommarville, qui périt dans cette affaire et fut fort regretté. La situation de 1'avant-garde eüt été trés compromise, si Maurice n'était survenu. Cette fois, ce fut au comte de Chastillon a dégager 1'infanterie anglaise sur laquelle les Espagnols s'étaient furieusement jetés. Le Stathouder battit en retraite, ayant perdu deux cents hommes. « Quelques capitaines furent pareillement prins prisonnier, entre lesquels le Sieur de Bethune 2, qui fut incontinent delivré par eschange pour Nicolas Doria : semblablement le Bitmaistre La Sale, le capitaine Pigot et Ratleyf... Cecy advint le 9 d'octobre [1605] et donna grande occasion au prince Maurice de ne se fier plus tant en sa cavallerie, veu qu'il estoit foible d'infanterie et fut cause qu'il n'osa plus tant avanturer. » Tandis que le comte de Bucquoy se jette sur Wachtendonck 8, en Gueldre espagnole, le Prince, pour lui barrer la 1. Van Meteren, fol. 575 v° a 576 r». 2. C'est Cyrus, le frère de ce Léonidas, qui fut tué k Geertruidenberg, en 1603. Sur Cyrus de Béthune, qui succéda k Dommarville en novembre 1605 (Commission du 24 novembre, St. Generael, n° 3250, fol. 248), voir Het Staatsche Leger, II, p. 166. Les auteurs disent que Cyrus est le fils de Léonidas ; si 1'on en croit la généalogie qui est dans Haag, La France protestante, 2e éd., t. II, 1™ partie, col. 494, ce serait son frère. M. Bordier a tort d'écrire en parlant de Cyrus : « Fait prisonnier avec La Salie dans la retraite qui suivit le combat de Brouck, en 1605, il rentra en France €t Jut tué en duel. > II exerca en effet son commandement jusqu'en 1613. 3. Sur la Niers, affluent de droite de la Meuse. Cf. van Meteren, fol. 577 v°. 110 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS route, tente de surprendre Gueldre, en aval de la même rivière, mais le pétard qui devait faire sauter le pont-levis n'ayant fait nul effet, Falarme fut donnée et la surprise échoua. « En ce voyage mourut le fils du sieur de Plessis, surnommé Mornay \ fils d'un docte Pere, renommé Conseillier en France et gouverneur de Saumur ». Le père était celui a qui son autorité et son talent avaient fait donner le surnom de pape des protestants. L'échec de cette campagne ne découragea pas les Etats, bien qu'elle les inclinat a passer, en 1606, de 1'offensive a la défensive. Néanmoins, non seulement on ne congédia pas de «gendarmes » 8, mais on se décida même « derechef a avoir recours a la levée des Francois, pour fortifier les enseignes; mais on avoit attendu si longtemps que les compaignies franeoises ne peurent estre levées ni les autres renforcées, a cause que le Roy de France levoit luy mesme des gens contre le Duc de Bouillon. »3 « Enfin ils [les Etats] receurent quelque infanterie et cavallerie et notamment cincq eens chevaux, sous la cónduitte de Monsieur de Rohan et de son frère Monsieur de Soubyse, accompagné de plusieurs gentilshommes, tous bien montés. »4 « Le Prince Maurice, le 4 de juillet 1606, arrivé a Arnhem, oü il manda toute sa gendarmerie et le 15 il alla a Doesbourgh. » Le général Dubois, secondé par M. de Rocques et deux compagnies francaises 5, empêche 1'ennemi de débarquer en amont de Nimègue (21 juillet). Pour se dédommager, Spinola, qui cherche en Hollande le point.vulnérable par lequel attaquera plus tard Condé, assiège Grol, qui se rendit le 14 aoüt. Cependant, pas plus que 1'année précédente en Frise, il n'osa poursuivre sess avantages. Mis en goüt cependant par ce succès, il assiège Rhinberc 6. Le prince Henri y jette, le 25 aoüt 1606, des compagnies de secours et « quelque huictante gerttilshomm.es Francois de qualité..., entre lesquels estoit le sieur de Soubyse, frère du sieur de Rohan, et parent du Roy, pareillement le 1. II fut tué, comme le montre lauubrique marginale de* vair Meieren (fol. 576 v°):. < Le sieur du Plessis tué »; ce doit être le 22 ou 23 octobre 1605. 2. Van Meteren, fol. 583 r°, -année '1606. 3. C'est 1'expédition ou « voyage » de Sedan, dont il a été question plus haut, p. 69, et qui aboutit a 1'accord signé a Donchery, le 23 mars 1606, grace a la médiation des Etats et du Prince de Nassau (Van Meteren, fol. 585 V). 4. Van Meteren, fol. 585 v°. 5. Van Meteren, fol. 594 v°. 6. Ibidem. LA GUERRE RALENTIE. LA TREVE DE 1609 111 sieur de Varennes, qui estoyent tous bien montés, et se comporterent fort valeureusement. » Le 28 aoüt, les assiégés firent une sortie par-dela le Rhin, • souz la conduitte de quelques Francois »; dans une autre, «le comte de Flessehes, qui s'estoit par trop esloingné, fut prins », tandis que, peu après, Edmond, colonel des Ecossais et vieux soldat de valeur, est tué. Le ler octobre Ia ville que Maurice a renoncé a délivrer, capitule. « Les Seigneurs et Gentilhommes Francois en sortirent aussi avec honneur 1»(2 octobre). «La perte de Rhinberck ne •causa point peu d'espouvantement et perplexité ès Provinces Unies... » Maurice tente de reprendre Grol, mais Spinola 1'en empêche (10 novembre). C'est la fin de la campagne d'été de 1606. On peut supposer que, a ce moment, pour s'attirer une faveur que sa première pièce sur le siège de Grave n'avait pu lui ménager; Jean de Schelandre composa son Procez d'Espagne contre Hollande, plaidé dès Van 1600 après la bataille de Nieuport, dedié a trés sage Prince et trés valeureux Capitaine Maurice de Nassau, duc de Grave. Le poème, nous 1'avons vu, est daté de Fété ou de 1'automne 1606, avec une précision suffisante, par ces vers : Ja Flore par six fois, de nouveau s'est parée Depuis qu'un bel instinct de victoire asseurée Vous fit entrer en Flandre... La pièce entière, par la majesté et 1'ampleur du vers, la largeur de la conception, semble attester plus de maturité que l'Ode pindarique, analysée ici après elle, pour fespecter la chronologie des événements historiques. De cette guerre ralentie et, dans sa" derrière phase, assez infructueuse pour les Etats, il résulte si peu de chose, que 1'on commence a prêter Toreille aux propositions de suspension d'armes, que Jean de Neyen, général des Frêres Mineurs, vient apporter a La Haye, en février 1607, de la part de 1'Archiduc. Le 24 avril suivant, 1'armistice est signé pour huit mois, prenant cours au 4 mai (n. s.)2. A 1'étranger, 1'étonnement fut général. « Es Provinces Uries- 1. Van Meteren, 595 r°. 2. Nouaïllac (J.), Villeroy. Paris, Champion, 1909, 1 vol. in-8", p. 461 et s.; Pirenne, IV, 239 ; Blok, III, p. 510. 112 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS plusieurs aussi n'en estoyent pas bien contens, mesme on disoit que le Roy de France aspiroit a la souveraineté des ProvincesUnies et que, pour y parvenir, il avoit moyenne ceste trefve; ce qui ne plaisoit pas a plusieurs qui n'aymoient pas les Francois »1. Pure calomnie, car, au contraire, Henri s'inquiète de cette trève qui contrecarre sa politique générale, en permettant è 1'Espagnol de reprendre haleine. Aussi envoya-t-il en Hollande une ambassade extraordinaire composée du « President Jeannin, du Sieur de Roussy, et du Sieur de Buzenval» 2, ce dernier ïlyant été chargé d'affaires en Hollande depuis 1592. Ils arrivèrent a La Haye, le 24 mai, eurent audience le 28 et se plaignirent auprès de Leurs Hautes Puissances de ce que Celles-ci n'avaient pas pris conseil du roi qui les avait constamment soutenues de ses deniers, promettant de les aider encore, aussi bien pour faire la paix que pour continuer la guerre. A leur demande, la Hollande désigna son Pensionnaire Oldenbarneveldt, la Zélande, le Sieur de Malderé et les autres provinces, quelques délégués, pour discuter avec les ambassadeurs de France. .Les Etats, ne voulant pas d'une poütique unilatérale, «requirent pareille assistance du Roy de la Grande Bretaigne et a cette fin lui envoyèrent, au mois de juillet 1607, les sieurs Jean Berck,... et Jacob de Malderé... accompagnés du Sieur Noël de Caron, ambassadeur résident en Angleterre ». Le Boi les recut fort bien, les congédia et leur promit d'envoyer a La Haye le chevalier Richard Spencer et le chevaher Ralph Winwood, qui les suivirent de prés *. L'armistice, qui devait expirer le 4 janvier 1608, fut renouvelé * Ce n'est que le prélude de la paix. Contre celle-ci, souhaitée par tous les belligérants, s'élevait un triple obstacle 5: la question religieuse, oü la Hollande exigeait une überté d'action allant jusqu'a rinterdiction du culte catholique, la question de la souveraineté, que les Etats voulaient faire reconnaitre pleine et entière et enfin le trafic des Indes, oü les grandes Compagnies 1. Van Meteren, fol. 609 r°. „ , 2 II mourut de maladie a La Haye, en cette même année 1607. Cf. van Meteren, jol. 615 V>. M. le comte de Bylandt a bien vouln, a ma demande, rechercher sa tombe et fa retrouvée dans la « Groote Kerk » 4 La Haye. ..... , „. . 3. Van Meteren, foL 609 r", et Winwood (Ralph), Memorialsof Af fairs of State, 1725, in-fol., pp. I-III. 4. Van Meteren, fol. 614. 5. Van Meteren, foL 632 V. LA GUERRE RALENTIE. LA TRÊVE DE 1609 113 d'Amsterdam et de Middelbourg exigeaient la porte ouverte a leur commerce x. Les députés de 1'Archiduc et, parmi eux, le président Richardot arrivent a Bréda, le 29 janvier 1608, pour se rendre de la, en traineau ou en voiture a La Haye, oü un vrai congrès européen va se trouver réuni. La Hollande, afin de se couvrir contre tout danger de reprise des hostilités, au cas de rupture des négociations, conclut une alliance avec la France, le 25 janvier. L'alliance anglaise, également proposée, ne put se faire, faute de pouvoirs suffisants des délégués britanniques. Fêtes et banquets, comme il convient, entrecoupent et égayent les négociations. Les députés espagnols ihvitent le comte Ernest, M. de Chastillon et d'autres seigneurs et les traitent fort bien, puis ils visitent « M. Jeannin, qui ne les reconduisit que jusqu'a 1'huys de la chambre, chargeant le sieur de Russi de les mener jusques a leur coche ». Les Anglais imitèrent ces nuances protocolaires «en quoy, ils voulurent tous monstrer que leurs maistres n'estoyent pas moindres que le Roy d'Espaigne ». Cela était d'autant plus nécessaire que Spinola cherchait a les éblouir tous par ses aiguières d'argent et « tout ce qui pouvoit servir a fanfare et magnificence »2. Le 28 avril 1608, le président Jeannin fait dire aux Etats « qu'il falloit qu'il allast faire un tour en France »8. Le plus étrange est « qu'il avoit aussi demandé congé pour les deux colonels, Messieurs de Chastillon et de Béthune, de pouvoir faire un tour avec luy en France » * Cela éveille des soupcons, mais, parti le 2 mai 1608 pour Rotterdam, il arrivé en Zélande oü une tempête le retient « soit qu'il eust peur ou pour ce qu'il avoit receü autre charge de son maistre ». II retourna a La Haye le 5 mai, ce qui ne 1'empêcha pas de partir effectivement vers le 17 juin 1608 5. La coïncidence de ce voyage avec celui de Don Pedro de Tolède a Paris, fait appréhender une collusion, appréhension que le retour du président Jeannin a La Haye, dans la nuit du 14 aoüt4 ne tarda pas a dissiper, d'autant plus que, le 18, il fit aux députés 1. Van Meteren, fol. 629 v° : * Les Pays-Bas ne peu vent demeurer en leur fleur sans la navigation des Indes. » cur' 2. Van Meteren, fol. 625 r°. 3. Van Meteren, fol. 638 r°. 4. Ibidem. 5. Van Meteren, fol. 639 r°. 6. Van Meteren, fol. 650 r». 8 114 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS des Etats le récit de son voyage et des négociations de Don Pedro, dont il tut d'ailleurs 1'essentiel, c'est-a-dire le projet des mariages espagnols. Le 23 aoüt 1608 \ après une dernière déclaration peu satisfaisante des délégués des Pays-Bas sur le fait de la reiigion cathoüque et dn tralie des ïndes, les députés des Etats rompent les négociations, par des lettres datées du 25 aoüta. La paix ayant ainsi échoué, les ambassadeurs des Grandes Puissances, et les Francais surtout, suggèrent, le 27, 1'idée d'une trêve prolongée, que les Etats refusent. Le 30 septembre, les députés des Pays-Bas méridionaux sont recus en audience de congé. Tout espoir de paix ou de trêve semble perdu. Le président Jeannin ne se lasse pas d'essayer de persuader les Etats de conelure un accord, dont, au fond, ils avaient grande envie. « Les Anglois ne se monstrerent pas moins vehemens et userent de grandes persuasions, mesme de menaces »». II faut que le roi Henri IV confirme aux méfiants Hollandais que son ambassadeur traduit sa véritable pensee. Tous firent si bien que, le 23 décembre 1608, on recommenca a conférer sur une trêve prolongée. Le 9 février 1609, les ambassadeurs francais et anglais * se rendent a Anvers, pour y rencontrer les délégués des Espagnols, et les députés des ProvincesTJnies les y rejoignent le 25 mars. C'est vers ce moment qu'amve en Hollande, pour s'engager dans les armées des Etats, Honorat de BueU, seigneur de Racan 5, qui devait être plus tard Ie déticieux poête des Bergeries, récrivain du xvir* siècle quieut, avec La Fontaine, le plus vrai sentiment de la nature. Comme il 1'écrivit, lui-même, par la suite, a Chapelain, Menage et Conrart\ il était né trop tót ou trop tard : « Toutes les guerres de Henry le Grand se passèrent pendant mon enfance; je n'avois 1. Van Meteren, fol- 652 v°. 2. Van Meteren, fol. 653 v». . 3 Van Meteren, tol. 656 r». *• ^r^T^nolitvT'Genliltiomn^ de lettres au XVII' siMe Honorat de WÊmmÊËmmsmgm C m?lnl\ t I d 323 Conrart, dans sk noUce manuscrite, éent : «De la (c est-adZede CalaisUl pissaTen Hollande, mais comme la Tresve s estoit fa.te un peu dmji" aa'ü n'v avoit plus d'apparence de guerre, son voyage fut fort court. » Hrevint donc fparis' selonAmould (p. 66, n. 2), vers le mois d.'avnl ou de mai ieo9. la guerre ralentie. la trêve de 1609 115 que neuf ans, quand on Ut la paix de Vervins. Elle ne laïssa que la guerre des Espagnols et des Hollando's, oü ce grand prince envoyoit tous ceux qui avoient 1'honneur de porter ses livrées. J'y courus comme les autres, en sortant de page, mais ce fut trop tard; cette longue trêve qui a duré doaze ans, estoit déjè. faite ». En effet, dès le 14 avril, la Trêve de Douze ans est proclamée publiquement. « Partout on sonna les cloehes, on fit des feux de joye, et on deschargea tout le canon. A Anvers on sonna la grande cloche, a laquelle il f alloit employer vingt-quatre hommes; elle estoit si grande, qu'on en pouvoit ouyr le son jusques 4 Ordam et Lino, voire a quatre lieuës de la... Le peuple demena joye, firent des banquets et se congratuTerent 1'un 1'autre, de sorte que la ville estoit partout pleine de feux et de joye... » « On célébra ce jour de prières [22 avril 1609] par tout, es Provinces Unies, au hen dn Te Deum Laudamus, et ce suivant 1'escriture saincte et l'exemple des bons Róys de Juda, et ce non sans cause de part et d'antre, quand on considère les troubles, guerres, misères, pauvretés, famines, tueries et massacres d'une infinité de persónnes, qu'on a veü es Pays-Bas, 1'espace de quarante-trois ans, en contant depuis 1'an 1566, le cincquiesme d'Avril, que les troubles commencerent par la presentation de la Requeste des NoMes, laquelle fut presentée contre 1'introduction de nouveaux Evesqnes et de "'Inqutsition d'Espaigne, a la Regente, Duchesse de Parme, par le Sieur de Brederode, les comtes de Culenbourgh, de Berghe et le comte Ludovic de Nassau, accompagnés de trois ou quatre eens Seigneurs et Gentilshommes, a cause de quoy, ils furent appelés güeux par leurs adversaires, pour ce qu'ils n'avoyent point faict de bien a la Religion Catholique *. t> On hra dans van Meteren 2, les trente-huit articles de la trêve, garantie et contre-signée par les ambassadeurs des Grandes Puissances et notamment par le « Sieur Pierre Jeannin, chevalier, baron de Chagni et Montheu, conseiller du Tres-Chresüen Roy en soa Conseil d'Estat et son ambassadeur extraordinaire pres des susdits Sienrs Estats, et le Sieur Eüe de ia Place, Chevaher, Sieur de Russi, vicomte de Machault, etc. » Phiüppe IV, roi d'Espagne et les archiducs, souverains des 1. Van Meteren, fol. 658 r». 2. Van Meteren, fol. 658 v° et suiv. 116 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Pays-Bas, reconnaissent les Provinces-Unies, « les tenant pour pays, provinces et Estats libres sur lesquels ils n'ont rien a pretendre » (Article Ier). La cause de la liberté, pour laquelle se sont battus La Noue, Dommarville, les deux Chastillons, les deux Béthunes, les deux Montesquieuxetles deux Schelandres a triomphé. Les «Gueux» sont rois! Une puissance nouvelle, qui sera bientöt une grande puissance, se trouve créée. ■ j Après avoir conclu une alüance avec la Hollande,le 21 juml609, les ambassadeurs anglais quittent La Haye le 27, aussitot suivis par le Président Jeanninl. ^éé^sfi « Cette Trefve pour douze ans ayant esté arrestée, on commenca de part et d'autre a congédier la gendarmerie. On faysoit courrir le bruit qu'on casseroit * quinze mille pietons et douze eens chevaux, tant Anglois qu'autres; mais qu'on retiendrmt la plus part des Capitaynes et officiers, en amoindnssant les compagnies et les reduisant a cincquante et soixante testes, en donnant a ceux qu'ils casseroyent leur plein payement et encores un daler par dessus II y eust peu ou point de Francois casses, tellement que deux régiments et quelques chevaux demeurerent au service des Estats et a la charge du Roy de France, pour estre employez oü il leur plairoit. » * " C'est au milieu de tous ces événements d'ordre plutót pacifique, que se place le séjour de Jean de Schelandre a Avignon et son voyage en Angleterre, tous deux antérieurs a 1608, date de publication de Tyr et Sidon..., tragedie avec autres Meslanges par Daniël d'Anchères, gentilhomme verdunois, dans lequel on a reconnu depuis longtemps 1'anagramme de Jean de Schelandre 4. . On lit, entre autres, dans les Meslanges, le sonnet que voici:5 i. Van Meteren, fol. 660 v° et 661 r°. 3'. Van Meteren, fol. 661 r" donynJ Ul g'fvdt^ïXom a'changcr pour faire 1'anagramme de son nPrepS par AUe- (Maurice) Af ^ p^Sk^le'^ les Amours d'Anne de Montaut. LA GUERRE RALENTIE. LA TRÊVE DE 1609 117 ADIEUX A LA VILLE D'AVIGNON Adieu, beau roe, oü deux Palais dresséz Levent en 1'air une face tant fiére ; Adieu, beau pont; adieu, belle riviére, Adieu, beaux murs, belles tours, beaux fossez. Adieu, cité dont je ne puis assez Chanter la gloire et 1'excellence entiére ; Adieu noblesse ; adieu troupe guerriére, Amis, tesmoins de mes travaux passéz, Adieu ballets, dances et mascarades, Adieu beautéz, dont les vifves ceillades Ont de ces lieux banni 1'obscurité, Adieu sur tout, belle rebelle fille, Dont les rigueurs m'ont chassé d'une ville Oü vos douceurs m'avoient tant arresté. Ce sonnet a Avignon reste une énigme et ce n'est pas a nous qu'il incombe de la résoudre, puisque seuls les séjours de nos écrivains en Hollande sont 1'objet des présentes investigations. Pourtant, la question se pose de savoir quand, pourquoi, a quelle occasion, Jean de Schelandre s'est rendu a Avignon. Cette ville est la capitale du Comtat Venaissin, dont la principauté d'Orange n'était qu'une enclave. Sont-ce les rapports de Maurice avec la principauté d'Orange qui auraient pu faire envoyer le poète dans ces parages, ainsi que M. Gustave Lanson 1'a suggéré a M. Haraszti ? Ce n'est pas impossible, mais il importe de remarquer qu'a ce moment Maurice de Nassau n'est pas encore prince d'Orange; il ne le sera qu'en 1618, au moment oü il héritera de son frère ainé Philippe, comte de Buren, qui, en 1608, en est encore seul possesseur. Comme Philippe est catholique et tout inféodé a 1'Espagne, oü il a été enlevé et élevé, il y a aussi peu de motifs pohtiques a alléguer en faveur d'un séjour de Schelandre a Orange, qu'a Avignon, ville papale. On se tromperait moins en 1'attribuant a 1'attirance des beaux yeux d'une insensible 1 ou des danses sur le pont bien connu. II reste a expliquer 1'adieu a ses compagnons d'armes : 1. Je songe a « Anne de Montaut, rocher de cruauté », « d'Avignon la lumiere plus vive », cf. Haraszti, p. vu et Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, t. X, col. 566, oü H. de S. 1'appelle Anne Arles de Montaud. 118 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Adieu troupe guerrière, Amis, têmoins de mes travaux passé». Peut-être ce Lorrain s'est-il laissé entrafner vers les pays au chaud soleil par ses camarades du Midi rentrant chez eux, puisqu'on riavait plus besoin de leurs services chez les Gueux. On pourrait encore penser que Maurice de Nassau aurait envoyé Schelandre et d'autres seigneurs de plus d'importance le représenter au mariage de son frère Philippe avec la sceur du prince de Condé, mariage célébré Ie 23 novembre 1606, a Fontainebleau, et par lequel 1'ainé de la Maison d'Orange obtint 1'entière possessio-n et souveraineté de sa principauté, oü il alla s'établir aussitöt ». Quelle serait maintenant la cause de ce voyage en Angleterre dont il n'a «sceu différer 1'occasion»*? On serait tenté de la mettre en relation avee 1'envoi de délégués hoöand»s a Jacques I, ambassade de Berck, Malderé et Caron (juillet 1607) et ensuite de délégués anglais a La Haye (Winwood, Spencer) pour procurer Ia paix. C'est en effet sur ce röle de médiateur joué par Jacques I« qu'insiste le poète, dans les belles stances qu'il lui dédie en 1608: Mes vers estants nés de la paix Seroient comme enfants de vipère, S'ils n'estoient a vous désormais, Vous estant de la paix le père. Les feux briDoient de toutes palts Soubs la Diane qui precede 8, Mais oü est 1'estoüle de Mars Dès que vostre Aurore succede ? Par la, vous gaignez les laariers Sur touts les guerriet* de la terre, La guerre assomme les guerriers, Vous avez assommé la guerre. Pour s^eslever, les autres Rois Font eslever force gensi-d'armes ü. Van Meteren, fol 599 v». Philippe d'Orange virrt en HoHande en 168», sa femme le reioignit a Bréda, veis Va fla de 1609. Cf. van Meteren, fol. 663. 2 HMasztï p xiiret YAvis au Lecteur, p. 7, des Trois premiers de tepttalleanx de Penitence, par Daniël d'Anchères : « prenant cependant en paye 1 excuse de mon vovage, dont ]e n'ay sceu différer 1'occasion... ». JeTeproduis lel (pl. XIV), d apres 1'exemplaire unique da British Museum, le frontispice au lavi» ffai y remplace la feuilk de titre. 3. Alhuion a la sonnerie du réveil LA GUERRE RALENTIE. LA TRÊVE DE 1609 119 « Mais reigner par la seule voix, «■ C'est avoir les plus lortes armes. Le ciel soustient vostre grandeur, .Aussi tout-divin je vous nomme, Veü" que, sans 1'humaine douceur, Vous n'avez rien tenant de I'homme *. ' II est certain, comme le dit> sans énoncer de date, on biographe anonyme, qu'a ce moment« a 1'approche de la paix, J. de Schelandre songe a quitter 1'épée pour la plume * * et que, comme un Malherbe ou un Théophile, il cherche a être a quelqu'un: il choisit le roi d'Angleterre. 3 Mais ce prince de la paix qui avait « assommé la guerre » ne 1'avait pas empêchée de ressusciter sur les bords du Rhin, par suite de 1'ouverture de Ia succession de Clèves et de Juliers, revendiqués, a Ia mort du duc Jean Guillaume (25 mars 1609), a la fois par 1'Electeur de Brandebourg, Jean-Si gismond, et l'Electeur palatin de Neubourg, Wolfgang-Guillaume *. Henri IV attend de cette compétition, non 1'exécution d'un grand dessein, lequel n'exista que dans 1'imagination de Sully, mais une occasion d'humilier et d'abaisser 1'Espagne et i'Empepereur, qui se pose en médiateur. Peut-être veut-il surtout passer par les Pays-Bas, pour y requérir d'amour « la nouvelle Hélène », comme 1'appelle le respectable Pecquius> c'est-a-dire la princesse de Condé, que son mari a enlevée a Bruxelles, pour la soustraire aux entreprises du Vert Galant 5.\ 1. Pièce reproduite d'après Haraszti, p. 5, mais collationnée sur I'édition princeps a. Londres, au British Museum. {Les Funestes Amours, etc, 1608, fol. a III V). 2. Haraszti, p. vi, n. 2. 3. Haraszti, p. xm. Dans un des sonnets de Daniël d'Anchères, celui-ci insiste sur le savoir de Jacques Ier, tres en honneur, disons-le en passant, auprès des théoïogiens de Hollande, dont les querelles passionnaient le roi d'Angleterre. La fin de ce sonnet'est fort belle et mérite d'être citée (Les Funestes Amours de Belcar et Meliane..., 1608, fol. a. III v°). Bien heureux est 1'estat dont le Roy se demonstre Aussi grand en scavoir cru'en honneur il est haut; Qui, tenant en sa main rune et 1'autre Minerve, Paisible quand il pent, guerrier quand il le faut, L'olivier ou la palme a son choix se reserve. Que Schelandre ait été recu a la cour de Jacques, c'est ce que nous apprend le sonnet a Mgr le duc de Lennox, en tête de la Sluartide, 1611 (p. 14) : Puisque lss estrangers dont ceste Court abonde Sorrt tous receüs de vous d'un visage courtois, Que, par vous introduit, i'ay receü quelques fois I/accez du meüleur Roy de la machine ronde. J'ai en vain eherché au Record Office, a Londres, avec Ia collaboiation d'un érudit hollandais, M. del Court, des traces de ces audiences. 4. Cf. Mariéjol, dans VHistoire de France de Lavisse, L VI,. 2" partie, p. lid et suiv. 5. Cf. Henrard (P.), Henri 1 V et la princesse de Condé, Bruxelles, 1885,1 vol. in-8°; van Meteren, fol. 679 et suiv., anno 1609, fin novembre ; PVrenne, Histoire de Belgique, t. IV, p. 245. 120 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Le poignard de 1'assassin vient brutalement, le 14 mai 1610, arrêter ses projets, au moment oü il songeait a mener des troupes vers Juliers, par le Luxembourg, a travers lequel Albert lui avait accordé le passage ». Marie de Médicis, cette fois, sent que son honneur est engagé et poursuivra 1'expédition. Maurice qui, lui aussi, avec la France, soutient les deux Electeurs, va prendre les devants et mettre le siège devant Juliers, pour leur assurer la possession de la capitale, en 1'enlevant aux Impériaux 2. Que Jean de Schelandre ait participé a cette nouvelle opération militaire, cela résulte assez clairement de ce passage de la préface de la Sluartide, parüe en 1611 : « Je poursuivray donc, Sire..., pourveu que nous n'ayons pas touts les ans le divertissement d'un voyage de Juilliers » s. Nous savons désormais le sens du mot voyage, sous la plume de Jean de Schelandre aussi bien que sous celle de Malherbe : il veut dire « expédition ». Schelandre a donc été au siège de Juliers, place qui succomba, non le ler septembre 1609, comme dit M. Haraszti4, mais le ler septembre 1610. « Schelandre a-t-il quitté 1'Angleterre, avec les troupes anglaises qui prirent part au siège, se demande eet érudit, ou bien est-il venu en France prendre rang dans 1'armée du maréchal de La Chatre ? » On pourrait supposer plutöt qu'il aurait suivi les colonels des régiments francais au service des Etats; toujours est-il que, le 20 avril de la même année, Messieurs de Chastillon et de Béthune sont en permission a Paris et qu'avec de Vülebon, La Tuillerie, La Force et autres, ils y allèrent a la rencontre de 1'ambassade extraordinaire hollandaise, composée des sieurs de Bréderode, van der Mylen et de Malderé 5, venus pour remercier le roi Henri de ses bons offices, lors de la conclusion de la trêve «. Cela n'empêche pas Chastillon et Béthune d'être présents avec les Anglais du général Cecil a la grande revue ou «monstre » 1. Van Meteren, fol. 699 v°. 3' run^ïU*p^^Je^ini reporté au British Museum a rexemplaire unique de la StuaMte (1073 e 25), p. 5. Laphrase qui suit est a noter aussi: « L'universelle paixrqïï ooftaujo^'nui nos fourreaux sur nos espées symbohze 4 mes intjmüons e f ai? mi e ,ne pouvant exercer en quaüté de soldat, j'ay recours a celle de Poete, laqurile^ne repute pas tant odieule que fait le commun de nostre siècle... » 4. Cf. p. xv. t vTe a^trr^nbtsfde Extraordinaire, au même moment, est allée,1e 22 avril, remplh le même office prés du roi Jacques. Le duc de Lennox, protecteur de Schelandre, fut parmi ceux qui la recurent. Cf. van Meteren, fol. 696 r". LA GUERRE RALENTIE. LA TRÊVE DE 1609 121 que Maurice fit de ses troupes, le 11 juillet 1610, au fort de Schenck, d'oü devait partir 1'expédition. Nous n'avons plus les « róles » de cette « monstre », mais j'ai trouvé, au dos de la gravure du siège de Juliers, reproduite ici1 d'après 1'exemplaire unique du Cabinet des Estampes d'Amsterdam, une liste, qui semble compléte, des colonels et capitaines, tant de Maurice que de La Chatre. Ni dans le régiment de Chastillon ni dans le régiment de Béthune ne figure Schelandre. C'est qu'il n'est pas encore capitaine. Par contre les anciens chefs n'y manquent point : Rocques, Vitenval, du Buysson, de la Force, etc, dans l'unité commandée par Chastillon. Au régiment de Béthune, on en voit d'autres encore: Allard, devenu lieutenant-colonel, d'Anchies, sergent-major.'Sarrocques, SaintHilaire, Hauterive, etc. Dans les troupes du maréchal de La Chatre, un seul nom nous frappe, celui d'un « commandeur », Jofre. Mais si Schelandre ne figure pas au dos de 1'estampe en question, il est mentionné peut-être sur une feuille détachée, insérée dans le budget de la guerre préparé dès juin 1609 et qui est fort curieuse 2. C'est une liste « des apointz de la Compagnie de Monsieur de Chastillon ». Sur cette liste, qui semble bien se rapporter, non au principal de la solde, mais a des suppléments, les capitaines coudoient les sergents, les tambours et les caporaux. En voici un extrait: Capn Forquier 15 £. SCHALANDIERE 15 £ Capn Guilhome 15 £. Mons1 La Garde 15 £ d'Assas 15 £. Capn Regis 15 £ Etc. Brusse, par moys 15 £. 10 s. Schalandiere est-il Jean de Schelandre ? C'est possible, mais nullement certain, car un Pont-Challandière nous est déja apparu dans un « état » de 1599, et un « Balthazard Chalandière, 1. Pl. VIII. oene Bud6«*s établis par et pour Oldenbarneveldt: Staten van Oorlog, Holland,. 2605, aux Archives de 1'Etat a La Haye. 122 régiments francais au service des états capitaine reformé au regiment de Sault» nous est révélé, en 1669, par le Cabinet des Titres de la BibMothèque Nationale H D'autre part, ks « Resohitien » duiRaaad van State » * parient, a la date du 26 aoüt 1609 d'un « Salander, ciurassier, onder Viïlebon, habeat voor drye maenden b, qu'on pent identifier plutót avec notre poète, lequel aurait a ce moment reen trois mois de permission correspondant a un de ses séjonrs en Angleterre, Esquissons maintenant la campagne de Juliers. Maurice dispose de « cent trente-six enseignes de gens de pieds et trent&Jiuiet cornettes de Cavallerie, tous braves soldats et bien en ordre, tellement qu'ü y avoit une belle et grande trouppe de gens ensemble » a. Boissize, 1'ambassadeur de France, attend le stathouder a Düsseldorf 4. Dès le 29 juillet, la ville de Juliers est cernée et les quartiers ou secteurs assdgnés. Le maréchal de la Chatre est encore a Trèves avec les Francais, tres « jaloux de ce qu'on avoit commencé Ié" siège sans les attendre », et qui, a cause de cela, refusent d'avancer, quoi qu'on leur ait envoyé le comte de Solms avec quelques capitaines francais aa service des Etats, pour les en persuader. Cela n'empêche pas Maurice de pousser énergiquement les o pér ations avec les moyens et les f orces dont 3 dispose. Le 15 aoüt, le Prince charge les Anglais d'assailtir une des demi-lunea et les Francais 1'antre. « Les Anglois prindrent la lenr et la retiadrent, mais les Francois furent repoussés, raas, de nuict, ilsrecommencèrent, tellement qu'ils la prindrent aussi et la retiadrent. De sorte que, par ce moyen, ceux de la ville se trouverent desnués de leurs retranchemens » 5. « Voyant aussi que le Prince Maurice commencoit è avoir de 1'avantage sur la ville », La Chatre « passa enfin la Moseüeet arriva au camp devant Juliers, avec ses tronppes, le dix-liuictiesme d'Aoust. Le dix-nenf, il mit ses trouppes en bataille, que les Princes et le Prince Maurice allerent voir. La cavallerie francoise estoit bien montée. II y en avoit beaucoup qui avoient des armes dorées, mais celle du Pays-Bas estoit plus ehargée de fer et d'acier. C'estoient les Cornettes de plusieurs grands sei- 1. Va re$u de sa main, daté du 2 aoüt 1669, est conservé dansles Pièces oiiginales 648 (fr. 27132). 2. n° 27, 26 aoüt 1609, fol. 103. 3. Van Meteren, fol. 702 r°. 4. Van Meteren, fol. 702 v°. 5. Jbidem. ^ïVvSr LA GÜERRE RALENTIE. LA TREVE DE 1609 123 gneurs, car il y avoit la moitié de la compagnie des bandes d'Ordonnanee du Roy, conduitte par le sieur de Vitry : la coraette des Chevaux legers du Roy; les Cornettes, des ducs d'Orleaas, d'Anjou, de Nevera et de Vendosane, celle du Chevalier de Vendosme et le Marquis de Vefrjaeaïl, avec six cornettes de Carrabins et beaucoup de Noblesse. L'Infanterie estoit assez, bien armée, mais les armes n'estoient pas si pesantes que eelles des Flamands. II y avoit les Régiments de Navarre, de Baligny et de Yaulbecourt, qui faysoient ensemble 26 enseignes, chasque enseigne de deux eens hommes, le Regiment des "Suisses dn colonel Galatin estoit de 12 compagnies, ehasque compagnie de trois cents testes, mais üs n'estoient armés qu'a demy, le reste n'ayant que des picques. «Après celale Prince Maurice fit voir au Mareschal ses treatehuict Cornettes de Cavallerie en bataille, avec toutes leurs armes, que luy et les autres seigneurs Francois regar derent avee admiration, et confesserent qu'elle surpassoit leur Cavallerie. Le Mareschal estant au camp sembloit avoir oublié toutes les jalousies precedentes et fit eest honneur au Prince Maurice, de deeiarer onvertement qu'on ne suivroit point la d'autre commandement que le sien h » A 1'aide de traverses de bois, Maurice fait faire des « galeries és fossés, qui estoient secs, a celle fin de poavoir veair aux ramparts pour ainsi eommencer a sapper, miner et a faire bresche, et se rendre maitre de la ville » 2, de telle sorte que le boulevard des remparts fut miné dès le 26 aoüt. « Le vingt-septième, le Prince Maurice fit sommer la ville ». Le 30, 1'assiégé fit sans résultat sauter une contre-mine. « Le der nier d'aoast, on commenca dereehef a miner. Le Prince Maurice, ayans appereeu que ceax de la ville contre-minoyent et craignant qu'on Ie previendroit, fit ea haste estoupper3 la mine et y fit mettre deax tonneaux de poudre» puis la fit sauter, et par ce moyen », la contre-mine des assiégés, bourrée de trois tonneaux de poudre» fit explesion en même temps. Ce camouilet provoqua une grande brèche daas le rempart et, le même jour,«après midi, les Impériaux envoyèrentun tambour, pour demander congé que la femme du Gouverneur peust 1. Van Meterea, iaL 703 r«, ce qui évita t toute emulatie» » (fol. 704 r4). 2. Van Meteren, tol 702 ■% et 70» r°. 3. Bourrer. 124 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS sortir pour parler au Mareschal de la Chastre. » üiie esperaii peut-être apitoyer un galant général francais, mais Maurice fit répondre qu'on ne pouvait parler a personne qu'aux Pnnces « et que s'ils ne vouloient pas rendre la ville, qu'ils n'avoient que faire de parler a eux. >» Le 1« septembre 1610, au soir, la capitulation est signée | Le maréchal de Rauschenbourgh sortit, le 2 septembre, avec ses 1 500 soldats. II prit fort honnêtement congé, donna la main au maréchal la Chatre. « II voulut faire le mesme au Prince de Brandenbourgh, mais il [celui-ci] le refusa et luy donna un regard de travers, comme firent aussi les autres [pnnces] et luy dirent qu'il eust a aller son chemin, parlans ainsi a luy comme a leur subject »2. II y eut de part et d'autre des pertes séneuses. Dans les rangs de Maurice; périt le baron de Sedlinsky 8, sergent-major de 1'armée, sorte de chef d'état-major. « Le sieur de la Force, gentilhomme francois y fut pareillement tué 4 et fort regrette : c'estoit un capitaine, au service des Estats ». «Le huictiesme de septembre, le Prince Maurice fit mettre toute ses trouppes, tant a pied qu'a cheval en bataille, pour les faire voir au Mareschal, mesme leur fit faire quelque exercice, tellement qu'en disant seulement un mot ou deux, on les faisoyt avancer, reculer, aller de costé, se reserrer, s'ouvrir et marcher comme on vouloit, ce que le mareschal loüa fort et estoit estonné de eest ordre, des belles trouppes et de leurs bonnes et pesantes armes. .. t „ n„„flMmp rip sentembre. le Mareschal parut avec les Francois vers Luxembourg et Mazieres... et... print congé des Princes, du Prince Maurice et des autres Seigneurs, avec beaucoup de complements, ceremonies et courtoysies 5. » La dislocation des troupes se fit, le 18 septembre, au fort de Schenk « d'oü chacun devoit estre renvoyé en sa garnison ». Nous perdons ici de nouveau la tracé de Jean de Schelandre, dont nous ne savons plus que deux choses pour 1'année suivante, 1611, 1'une, que ce fut celle oü il publia Les deux premiers 1. Van Meteren, fol. 703 r». |- Tué ïllsTóüL-cS'un capitaine polonais servant avec les Francais et VTsTcomT#lut ra^enéei^nTCmmes et le surplus (50), fut réparü entre les compagTef rCntesquieu et de Vitenval qui nous sont b.en connues (Rés. des Etatsi Gén., 1" octobre 1610, dans Het Staatsche Leger, III, p. 167, n. 4). 5. Van Meteren, fol. 704 r°. Planche VIII. Le siège de Juliers en 1610. Cabinet des Estampes d'Amsterdam, Collection F. Maller, n' 1281. (A gauche : les enseignes de Chastillon et de Béthune). ■Bi la guerre ralentie. la trêve de 1609 125 Livres de la Stuartide,1 dans lesquels il est démontré que Jacques Ier descend de Gathelus, fils de Cecrops et de Scota, en passant par Hercule; 1'autre, que ce fut aussi 1'année de son mariage avec Marie Le Goullon, célébré le 13 novembre 1611 2. Elle lui donna deux filles: Madeleine, mariée, le 19 avril 1643, avec Richard de Chavenel, son cousin, cavalier dans la compagnie de Vaubecourt, et Judith, morte a quarante-cinq ans, le 19 juillet 1669, qui avait épousé Jean Lambert de Streff de Lawenstein, maréchal des camps et armées du Roi 3. Ce sage établissement du guerrier, s'il mit fin momentanément a ses campagnes *, n'interrompit point cependant les relations des Schelandre avec la Hollande. Le 29 juillet 1619, Louise de Coligny n'écrit-elle pas de La Haye a la duchesse de la Trémoille, sa belle-fille : « Je vous supplie, mandez-moi si vous aurez avisé sur le voyage de Chelandre et de cette autre fille que je vous mandois qui pouvoit venir avec elle ». 5 La demoiselle a dü se rendre a La Haye, témoin la lettre du 7 mars 1620 6, adressée de cette ville par la princesse a la même correspondante : « Madame ma fille, j'ai appris par des lettres que Madame de Chelandre a écrit a sa fille, que vous étiez a Paris »... Cette dernière est évidemment celle a qui, dans son 1. Les deux premiers livres de la Sluartide en 1'honneur de la Très-IUustre Maison des Stuarts dédiée au Serenissime Roy de la Grande-Bretaigne, par Jean de Schelandre, sr de Soumazennes en Verdunois. A Paris, par Fleury Bourriquant, au mont S. Hilaire, prés le puits Certain, aux Fleurs Roy alles, 1611, in-18 (British Museum, exemplaire unique, 1073 e 25), 150 p. C'est le seul livre de Schelandre oü son vrai nom flgure sur le titre. Au début de la Préface, il rappelle, dans les termes suivants, la promesse faite a Jacques I" dans la dédicace des Funestes Amours en 1608 (fol. a III r» : je feray retentir au ^arnasse Francois le divin subject de ses loUanges) : « Voicy les effects de mon offre, sinon tout entiers, du moins suffisants pour me garentir du tiltre de faux prometteur... » (p. 3) ; « ils seront aucunement bien receüs, puisque le seul argument imparfait et manuscrit a remporté le nom de belle invention. » En 1609, dans la dédicace des Trois premiers de sept tableaux de Penttenre, Daniël d'Anchères a encore renouvelè la promesse de 1608, que tiendra Schelandre : « Dans 1'ame, un desirextresme d'estre un jour aussi capable d'entonner la trompette herolque a 1'iminortel honneur des Stuarts comme je suis resolu d'en projetter le travail. > 2. Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux, 25 juillet 1876. Marie Le Goullon mourut veuve, a 77 ans, le 31 mars 1668, selon H. de S. 3. Intermédiaire..., 25 aoüt 1876, col. 505. 4. L'érudit archiviste de Meurthe-et-MoselIe a Nancy, M. E. Duvernoy, a bien voulu m'envoyer la copie d'un contrat du 17 octobre 1618, relatif k la vente par Jean de Schelandre, seigneur de la Cour et Vuidebourse, au duc de Lorraine, Henri II, de la maison dite «du flet de la Cour», a Jametz, et de plusieurs eens es, a Jametz ct aux environs (Layette B 656, n° 9, parchemin scellé). Je ne crois pas que ce Jean de Schelandre soit notre poète, paree qu'il ne porte pas le titre de sr de Soumazannes ; il doit s'agir d'un fils de ce Francois de Schelandre, s* de Wuidebourgs, dont il a été question plus haut, p. 26, n. 5. 5. Correspondance de Louise de Coligny..., recueillie par P. Marchegay, publ. par L. Marlet. Paris, Picard, 1887, in-8°, p. 328. 6. Correspondance de Louise de Coligny, p. 330. 126 régiments francais au service des états testament *, dressé au « chateau de Fontainebleau, le dfananche huitième jour de novembre mil six cent vingt, a onze heures du soir t>, Ijonise de Coligny, fait un don important : « Item a donné et legué a Mlle de Chelandre la somme de six mil livres touraois, une fois payée ». On serait porté a identifier cette jeune fille avec Renée de Schelandres, qu'épousa Louis de Jaucourt, sieur d'Etrechya, qui servit en Hollande comme capitaine dans le régiment de Chastillon et dont la sceur, Renée, épousa Benjamin Aubéry, sieur dn Maurier, ambassadeur en Hollande en 1622. Mais nous sommes, a notre grand regret, hors d'état d'établir la fihation ou la parenté de cette demoiselle avec notre poète et nous faisons appel aux Intermédiair es el Curieax pour nous y aider. Francois Ogier fait observer a la fin de sa préface de 1628: « Monsieur de Schelandre..., faisant profession des lettres et des armes comme il fait..., neseroit pas homme pour entretenir le théatre de combats en peinture, tandis que les autres se battent a bon escient 8... » Dès qu'il ne fut plus retenu par « des considerations importantes, qu'il n'est pas besoin que tu scaches », écrit Ogier, et qui « luy donnoient malgré luy le kasn- de solliciter des procez et de faire des livres...», il ne se consola pas longtemps « de la perte des occasions on i'on acquiert des lauriers plus sanglans » que ceux de la poésie et, une nouvelle fois, a 1'age de quarantecinq ans, sinon davantage, il reprit du service. Selon la notice de Colletet, il suivit Turenne, entré en 1630 au service de la France, et prit part a la guerre en Allemagne sous le général-commandant La Valette. Pendant la retraite de ce cardinal, en 1635, U fut blessé et succombaa ses blessures dans son chateau de Sousmazanne, agé de cinquante ans4. Digne fin d'un poète^soldat 1 1 Publié par Marchegay et Marlet, CorresponAmee ck Louise de Coligny, p. 334. ■2. Haag, La France Protestante, 1" éd., t. VI, p. 44, art. Jaucourt. 3. Ancien Théatre francais, t. viiï, p. 22. . 4 Cf Haraszti, p. 20. J'ai cnerché en vain le nom ue Schelandre dans le récit très'circonstancié de la campagne, rédigé par Jacques Talon, secretaire du Cardinal, que sÖn p" re avait baptisé lui même « Cardinal-Valet ?. ii a été pubhé sous le titre de Mémoires de Louis de Nogaret, Cardinal de La Valette, genera! des Armé* du Roi, en AHemagne, en Lorraine, en Flandre et en Italië..-.., t. hArmees 1635,1636 1G37 Paris 1772 in-16. Même sflence dans les Memoires de 1 abbe Arnauld, qui prït .part a 'cette campagne de 1635. (Michaud et Poujoulat Nouvelle ^£™* éd. Paris, Renouard, s. d., in-8°, p 294 3. Voir les estampes de Jacques de Gheyn, pil. IX a et b et X a et b. L inventaire de 1'arsenal d'Ostende (Fleming, p. 437), en janvier 1604, porte : « 40 corseletten k la preuve ». II m'a été impossible de découvnr un portrait de Schelandre, ni au Cabinet des Estampes de Paris, ni a celui d'Amsterdam, ni au British Museum, ni dans les musées de Hollande ou de Paris. ?A rt Aa 4. « Motz de commandement desquelz les capitaines doibvent user ». Cf. de Gheyn, éd. fr. de 1608, fol. 3 r°. . _ . .. . . 5. Maniement d'armes ; en tête de la troisième partie. Certains «capitaines de picorée et de pétrinaux», comme écrit Agrippa d'Aubigné, se moquaient des piquiers Plancfce IX fr. L'ECOLE DU PlQUIER. (Gravures de Jacques de Gheyn le vieux, dans le « Maniement d'armes », 1607 et 1608). VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 129 de cavalerie et protéger contre elle les mousquetaires, tandis que ceux-ci tirent, appuyant le canon sur la fourquine. Elle est donc justifiée, dès le commencement du siècle, cette phrase qu'écrira Rebersac, en 1656, au roi de France : « Effectivement, Sire, on croit être dans l'armée de V. M. C'est le même exercice, et presque tous les ordres se portent en frangois »; et Pomponne mandera, le 30 janvier 1670:«Ils [les régiments francais] y gardent encores le drapeau, 1'escharpe blanche et la marche francoise K » Mais tout cela n'est que le geste, on aimerait aller jusqu'a 1'ame de ces jeunes, de ces trés jeunes gens, presque des enfajits, mêlés aux vétérans barbus, si 1'on en juge par les gravures de de Gheyn. Ce sont tous des « sang-bouillants », comme écrit le greffier de Béthune, Le Petit2, les Francais notamment. Beaucoup valent ce hardi et ingénieux Charles de Héraugière, qui, se cachant avec ses compagnons dans la péniche chargée de tourbe du marinier van Bergen, pénètre, le 4 mars 1590, dans le chateau de Bréda et s'empare de la ville. Daucye, le « sergent-major » des Francais devant Rhinberc, fait donner 1'alarme le 19 juillet 1601, uniquement paree qu'il a envie de se battre 3. Les nötres aiment bien mieux risquer leur peau que de travailler la terre et, quand on les y force, « ils passént la moitié du temps a rire ou a jouer »; dans ce domaine, un seul Frison « fait plus en un jour que quatre Francais »4. Malheureusement leur impétuosité ne se manifeste pas seulement dans les batailles : combats singuliers, duels et rixes en remplissent les intervalles 5. Ce fut une sérieuse affaire que celle oü fut engagé un gentilhomme catholique6 francais, nommé Breauté, le 5 février 1600, aux portes de Bois-le-Duc. ü-X^!ngUes pi5üü? de toi-brtt pieds, les appelant«abateurs de noix ». Cf. Mémoires S5ÏÏ^n^p^^UWgné' PUbUéS Par L"d- Lalanne- Paris' Charpenüer! 1. F. Brunot, Histoire de la Langue franfaise. Paris, Colin, 1917, t. V, p 232-233 cJmtSt^"^ C^oniqne ancienne et moderne de Hollande, Zélande, etc. Dordrecht! Guillemot, 1601, 2 vol. in-fol., t. II, p. 656. 3. Duyck, III, p. 103. 4. Het Staatsche Leger, II, 284. 5. Cf. Mémoires d'Agrippa d'Aubigné, éd. Lalanne, appendice, p. 389 • « Le r°n "e wulott pas «Pie le mot de discipliAe sorttat de la bouche scïvQ&Tn s:ePba1See.^US ^ dhotent qUC' SaHS Ce manè8e' lb „A 3^^S *out PWticnUèrement sur ce mot « catholique »; on croit trop sou^} . Breauté relève le dén, malgré 1'interdiction de Maurice. La mêlée fut chaude. Au premier choc, Breauté abat Leckerbeetgen, tandis que, parmi les aotres Plisson et Beau Hubert restent sur le carreau. Mais Breauté, au üeu de raUier les siens se laisse entrainer par sa fougue dans les rangs ennemis oü, successivement, il a deux chevaux tués sous lui. Cajou, Moriau, Le Coin, tombent encore; la Tarte, la Pierre et du Lyon, malgré son nom, s'enfuient honteusement. Breauté, resté presque seul, dèsarconné et combattant a pied, finit par se rendre avec son neveu du Tibau et les cavaliers La Rose, du Noyer et Bremont, moyennant promesse d'avoir laviesauve. , Le gouverneur de Bois-le-Duc, Grobbendonck, en depit de cette promesse, et furieux de la mort de son heutenant, les fit tous massacrer, en commencant par leur chef1. L'assassinat de Breauté excita en France une telle colère que son neveu, Hocquincourt, passa la mer expres pour venir provoquer Grobbendonck et bien d'autres gentilshommes, disait-il, étaient prêts a en faire autant. Le vieux père, en vrai Don Diègue d'avant Corneüle, mande a Maurice qu'il a rappele luimême d'Italië son autre fils pour venger 1'injure faite a son sang et que, si celui-ci ne le faisait pas, il le renierait 2. Grobbendonck se déroba, disant qu'il ne pouvait, en sa qualité de gouverneur, se laisser impliquer dans des querelles personnelles sans solliciter 1'autorisation de 1'Archiduc. Hocquincourt partit sans attendre la réponse. Albert interdit le duel et 2. ^«e^lvan hete vader ,, exemple dun père bouillant, ajoute Duyck (III, p. 540), avec effarement. Planche XI a. Planchc XI 6. Le Modelle de la Sluartide. Dédicace probablement autographe de Jean de Schelandre. (Unique manuscrit connu de Jean de Schelandre, découvert au British Museum, Ms. 16 E XXX11I). VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 131 le Flamand ne put que faire part de cette décision a Mongommery, venu a son tour pour venger Breauté * Hélas I ce n'était pas toujours contre les ennemis que se déployait cette « furia francese ». Sous 1'influence de la boisson, ou 1'excitation du jeu, elle s'attaquait parfois aux amis. C'est ainsi que, le 12 avril 1600, s'émut grande noise entre Francais et Frisons, a cause de deux d'entre eux qui s'étaient disputés aux cartes et pour lesquels leurs camarades avaient pris parti. On dégaina, on s'attaqua a coups de batons et de pierres. II fallut que les capitaines francais Cormières et Brusse se jetassent entre eux, non sans se faire blesser assez cruellement dans la mêlée, oü périt, d'ailleurs, un page du roi, nommé Rerac 2. En 1603, le 5 aoüt, a Geertruidenberg, ce fut avec les Anglais qu'ils se prirent de querelle et c'est la que fut blessé a mort le malheureux Béthune en se précipitant inconsidérément parmi les Anglais pour tenter de les contenir 8. Bretteurs, joueurs, débauchés, héroïques, tels ils sont tous ces soldats de fortune, ou peu s'en faut. i La blessure de M..dê Bréauté ne sera rien, écrit notre ambassadeur a La Haye, Buzenval, a M. de Villeroy, le 20 juillet 1599; je crois que sa bourse luy fait plus de mal que sa playe; mais il faudroit de bien expers medecins pour retenir le flux d'icelle, principalement quand il est échauffé au jeu, oü il débauche tout ce qu'il rencontre. Je 1'ay fait assister de ce que j'ay pu en 1'état auquel je suis 4. » Débauche s'entend la du jeu, mais il s'applique non moins aux femmes. Ah ! que de cotillons troussés et d'amours éternelles jurées. Cela commence par un témoignage d'admiration, une protestation de fidélité, une affirmation de patience, pour finir par une invitation a « 1'amoureuse volupté », que protégera la sécurité du mystère et de la nuit : Belle, si pour tirer les dames Au reciproque de nos flames, Ce n'est rien de la loyauté i. Duyck, II, p. 560. Mul-dKour Clérac565- J' ^ demande - " n'6St paS ™ mauvai- ^cture de 3. Van Meteren, fol. 533 v°. 4. Lettres et négociations de Paul Choart, seigneur de Buzenval ef a* Mai d'Aerssen..., publié par G. G. Vreede. Leyde, Luchtmans, 1846/1 vol in4.fp?236 132 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Sans les hamecons d'éloquence, Que n'ay-je autant de bien-disance Comme vous avez de beauté ! Ou si vostre ame plus subtile, Jugeant la parolle inutile, Veut voir un amour arresté, Fidéle en sa perseyerance, Que n'ay-je autant de recompense Comme j'ay de fldelité ! Ou si vostre ceil inexorable Se plaist a voir le miserable Eternellement tourmenté, Pour vous complaire en ma soufïrance, Que n'ay-je autant de patience Que vous avez de cruauté ! Ou si la rumeur du vulgaire Vous retient de me satisfaire En 1'amoureuse volupté, Pour trahir toute médisance, Ah 1 que n'ay-je autant de licence • Comme vous d'opportunité 11 N'oublions pas qu'en 1608, date de publication de ces vers,, règne encore le roi Henri, et que nous sommes plus prés des Dames Gallantes que de la Guirlande de Julie. L'amour même, exprimé dans ces poèmes passionnés, n'est souvent qu'une feinte et 1'auteur ne s'en cache point : J'escri... Aux dames pour 1'amour ou pour la feinte au moins 2. Mais 1'esquisse de cette ame des débuts du xvne siècle serait. bien noire, si 1'on n'y voyait que brutaüté et galanterie. Une sincère piété, une réelle ferveur protestante anime encore ces capitaines, fils des héros des guerres de religion et dont le sang ne fait qu'un tour au seul nom de la Saint-Barthélemy. La paix avec 1'Espagne, son tyran, son inquisition sombre est faite depuis 1598, mais pour eux la guerre dure encore et par la plume et par 1'épée. Et quel plus beau terrain pour exercer 1'une 1 Publié par M. Allem, Anthologie poélique francaise (xvne s.),.t. I, p. 161 et collationné par moi sur Védition princeps, p. 17. 2. Haraszti, p. 14. Planche Xtt. Fin de la dédicace signée par Daniël d'Anchères, ANAGRAMME de JeAN de SCHELANDRE. (British Museum, Département des Manuscrits, Ms. 16 E XXXIII). VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 133 et 1'autre que chez ces gens « a qui le desespoir avoit donné des armes, unis par les intérestz, reliez par la religion..., d'agneaux devenus lions, de marchans, capitaines » (d'Aubigné) \ Au prince de Galles, le futur Charles Ier, Schelandre lance eet appel de croisade : Sur tout, que vous jettant aux terres infldèles, Releviez 1'Evangile en son premier honneur,Marquant la eroix de sang sur le dos des rebelles, Qui auront refusé de la porter au cceur *. Ailleurs il dira : J'escri pour le devoir a la Majesté Sainte 3. On ne s'étonnera donc pas de retrouver les chefs de Schelandre, Gaspard II de Chastillon, de Courtomer, et d'autres encore, a 1'assemblée de Saumur, en mai 1611 sous la présidence du vénérable gouverneur du Plessis-Mornay 4. Religion, guerre et poésie, sont les trois fées qui se sont penchées sur le berceau de Schelandre et lui ont octroyé leurs dons : la foi, la bravoure, le talent. Guerre et poésie surtout restent, pour lui, intimement, étroitement, indissolublement liées.«II aimait, écrit son ami Colletet, les choses males et vigoureuses »5. Non seulement il a mis en rimes ses campagnes, comme nous 1'avons montré, mais les images empruntées a la vie militaire se dressent naturellement sous sa plume. « Ce ne sont icy que trois avant-coureurs equippez a la legere », dira-t-il en parlant des Trois premiers des sept tableaux de Penitence tirés de la Saincte Escriplure (1609) faisant allusio n sans doute a ces « sauteurs », « aventuriers » ou voltigeurs, si redoutés des Espagnols. ^ 1. Appendice aux Mémoires, éd. Lalanne, p. 390-1. C'est ;i la p. 387 que se trouve 1'épigraphe mise en tête du présent chapitre et qui se rapporto aux guerres des Pays-Bas. 2. Haraszti, p. 9. Collationné sur 1'exemplaire du British Museum des Funestes Amours de Belcar et Meliane, fol. a VI r°. Texte identique, dans la venion de ses stances, profondément remaniée cependant, que Jean de Schelandre a donnée en 1611, en tête de sa Sluartide (p. 12-13), exemplaire*unique du British Museum (1073 e 25)^ 3. Haraszti, p. 14, et le Sonnet « A Dieu », p. 8, des Tableaux de Penitence (1609). Schelandre en voulait beaucoup a ses amis et a Colletet lui-même d'avoir aidé a la conversion de sa femme qui, selon le biographe, fit abjuration publique entre les mains du P. Athanase. 4. Cf. Mémoires de Philippe de Mornay, t. III, Amsterdam, Elzevier, 1652, p. 302 s. 5. Haraszti, p. xix et Asselineau, Notice sur Schelandre, 2° éd., p. 6. 6. Haraszti, p. xn. Je les ai lus dans 1'exemplaire unique du British Museum (c. 44, c. 12), dont le titre est calligraphié (Pl. XIV). La nuhiature qui flgure dans 134 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS La même année, il tracera dans Le Modelle de la Sluartide, que j'ai trouvé parmi les manuscrits du British Museum, un pittoresque portrait des « soldats de fortune »:1 Viennent après six soldats de fortune, J'appelle ainsi ceux qui, de la commune, Lèvent la teste en hazardeux desseins Pour pervenir ; qui, produits par essains, Sans pere ou mere, au dezert d'indigence, (Fort peu civile et peu fidele engeance), Courent après la fortune et souvent S'y rendent gros, mais les bulles de vent Ne durent moins que de ceste gent rogue Dure le gain, la mémoire et la vogue Ils sont de par le monde envoyés, Prodiguement aux guerres employés Et, la plus part, lardés de coups d'épées, Embalafrés, bras ou jambes couppées ; Mais des plus sains et des plus resolus Elle en mit douze, entre un millier esleus : L'Orme, des Champs, la Planche, du Noyer, Le Jonc, du Lac, le Sable, du Vivier, La Fleur, du Pré, des Jardins, la Verdure, Sont touts leurs noms, leur surnom : 1'Avanture 1 La pièce, qui est en quelque sorte son « Art Poétique », son acte de foi littéraire, sa r'-daration de guerre a Malherbe, en 1628, a la veille de ia publication posthume de ses ceuvres ét du triomphe des régies, flnit par une comparaison empruntée aux armes : 2 J'aime du Bartas et Ronsard ; Toute censure m'est suspecte, Quelque raison que 1'on m'objecte, De celui qui fait bande a part8. le coin k droite, est ik remarquer : c'est un heaume, k visière baissée et gorgerin, reposaAtsuVun'livre, excellent symbole de la doublé profession que 1'auteur fait, d6l aBritteh Mule^oyal Ms. 16 E XXXIII, fol. 28 y» (Cf. pil XI a XIII). Le texte reproauit ici est celui de la Stuartide; Paris, 1611 (exemplaire a Londre^ au BriUsh Museum, p. 86-87). Le ms. ne présente qu'une variante sans intérêt : « leur Ee Avanture . pour: « leur surnom; 1'Avanture »; la correction de rimpnmé est bome. iï j a un La Fleur qui obtient une permission, Res. Raad van Staate, ^.ISaag"!La Fnutce Protestante, 1» éd., t. IX, article Thin ;rapprochezle Sonnet aux poètes de ce temps, pubHé dans Ancien Théatre francais, t. VIII, p. 225. 3. « De » signifle :« au sujet de, sur ». Planche XIII. I4O LE It. LIVRE DE Si 1'on n'y tornt vn externefecours, g<^L£?, Tel qu'vn re jus * qu'il ent dans peu de iours deen**,*. Don[ [e ^ept fermt comme de fUnche Pour le porter ou Vambition panche. KCe fut alors qu\n enragé regret * \Jfon Pj/lade il defcouure en jecret: ^ I ^\Qoufin3dit-il,pilier de laCouronne, * }~\Le plus vaillant que cepecle nous donne, & ;s £ 10 de mon caur la meiÜeure moitié, * 5 % (Maijlre ahfolu de ma forte amitié9 % Si*! cher Bancbon, nimporte plus en rien o 1^1 D'ejlre coüards ou d'eftre gens de bien j» o Désqu'vn ingrat on a receu pourmaijhe, |" Qui nefgait pas les merites cognoiflrel \ |. ;jHrf' qu'il ff dur de riduoirqu'vn mejjpis | r? 5 Pour des bienfatfls fineflimable fr'tx\ S^p^ Si nous vfïons au lieu du motdenoftre ^5 4 De tien de mien,fi tu eflots V» autre | | 3L J qui mon faift nimportaji pointfifort § Ê 1/ Quauovrtoutsdeux effow^emefmefort: \ vj/ ^ m riaupif rendtt tant de feruices, En Vain dontê les enncmisjes vices, Et les mut'ms en deuoir retenus Tant foubs touuert quefoubsle dos lantts, Pagis i4o de La Sluartide, d*après l'exemplaire chique au British Museu avec uke additiok, probablement autographe, de jeax de schelandre. VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 135 C'est fort bien d'enrichir son art, Pourvu que trop on ne 1'affecte ; Mais d'en dresser nouvelle secte, Notre siècle est venu trop tard. O censeur des mots et des rimes, Souvent vos ponces et vos limes Otent le beau pour le joli 1 En soldat j'en parle et j'en use : Le bon ressort, non le poli Fait le bon rouet d'arquebuse *. Enfin, dans cette même Tyr et Sidon, refaite, en 1628, en deux joürnées, c'est tout un tableau de la vie des soudrilles francais que tracé La Ruine, soldat de Sidon, au début de 1'acte V de la Première journée 2 : Enfin, je suis honteux de mon piteux estat :' C'est un meschant mestier d'estre pauvre soldat. Le service est pour nous ; Messieurs les capitaines En ont la recompense au despens de nos peines, Et, pour paroistre en mine, ils nous rendent tous gueux, Combien qu'aux bons eflets nous paroissions plus qu'eux. S'ils tombent quand et nous en disette importune, Ou si d'une desroute ils craignent 1'infortune, Ces pennaches flottans, ces veaux d'or, ces mignons, Pour estre plus au seür nous nomment compagnons. Vous croiriez, a leur dire, et mesme des plus chiches, Qu'au sortir du combat ils nous feront tous riches ; Qu'en pères des soldats, partageans le butin, Nos piqués nous seront des aulnes a satin. Mais, si tost qu'ils ont veu 1'occasion passée, La libéralité leur sort de la pensée. Si nous sommes vainqueurs, 1'honneur en est a tous ; Mais le fruit du travail n'en revient point a nous : Le gain remonte aux chefs, la risque estant finie, Qui, sur nostre pillage, usans de tyrannie, La poule, sans crier, des bons hostes plumans, Ne nous laissent jouyr que des quatre elemens. Si nous sommes battus, chaqu'un lesche sa playe Et tel doit au barbier deux fois plus que sa paye 1. L'arquebuse è rouet n'est pas encore connue de de Gheyn, dont le Maniement ÉS*!? w £ ^°7iéd; holl:««a«e). Sur ce mécanisme, voir W. Boenel^S buch der Waffenkunde, Leipzig, E. A. Seemann, 1890, in-8», t. VII p 477 et Au» Demmin, Gmde des Amateurs d'armes. Paris, Renouard, 1869 1 vol in-8» 2. Ancien Thédtre francais, t. VIII, pp. 100 et 101. 136 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Qui, le soir de sa monstre, a peine aura de quoy Nourrir en sa personne un serviteur du roy. Jamais nostre bon temps n'arrive qu'en cachettes, Car nostre bien public sont des coups de fourchet'.es ; De fatigues sans fin nous portons le fardeau, A peine ayans le saoul de mauvais pain et d'eau. Cependant ces Messieurs veulent que, pour leur plaire, Nous ayons 1'oeil gaillard, 1'armure toujours claire, Desrouillans nostre fer et dehors et dedans, Cependant que le jeusne enrouille tout nos dents. II est vrai que souvent nous faisons la desbauche D'un demy-tour a droitte, un demy-tour a gauche, Dancant par entre-las des bransles differents, Pour serrer et doubler nos files et nos rangs ; Si bien qu'a regarder nos jambes sans nos trongnes, Un passant nous prendroit pour un balet d'yvrongnes. Aussi sommes-nous saouls jusqu'a nous en fascher, J'entends saouls de marcher, aflamez de mascher : Car, quant a 1'appetit, rarement il nous quitte, Estant d'autant plus grand que la solde est petite. Enfin, lorsqu'un de nous en sa poste est campé, S'il dort, c'est d'estre las, non d'avoir trop souppé... A n'en pas douter, tout, dans cette tirade, est chose vue ou entendue: or, Jean de Schelandre, vingt-cinq ans après la prise de Grave, nous apparait, une fois de plus, poète réaliste, et il ne faut pas oublier que 1'amour de la vérité est un des traits dominants du classicisme, que, par la, ce « romantique » annonce malgré lui. Le couplet débute par un réquisitoire contre la rapacité des chefs et 1'ambassadeur hollandais a Paris, Francois d'Aerssen, n'est pas moins dur pour eux, dans sa lettre a 1' «Avocat» de Hollande, Oldenbarneveldt: «La venalité est toute introduicte en noz regimens francois, les charges sont a 1'encan. Serocques a eu deux milles pistolets pour sa compagnie. Roqües met sa lieutenance-colonelle et compaignie a dix mil escus *.» Fondés ou non fondés, c'est le propre du soldat francais d'adresser des reproches a ses chefs, mais, sonne 1'heure du danger, il leur fait un rempart de son corps. C'est ce qu'expriment bien les sonnets si peu connus de Jean de Schelandre intitulés : 1. Cité dans Hel Staatsche Leger, t. III, p. 37. Sur 1'absentéisme des chefs, voir ibid., p. 49. VIES ET 5ICEURS DES GENS DE GUERRE 137 Le Soldat Mal-Content, car ce n'est pas seulement a 1'Amour •qu'il pense quand il écrit : 1 Mon petit colonnel, je veux mourir pour toy, J'espancheray mon sang pour gage de ma foy. et ailleurs : Je suis vostre soldat et vous mon capitaine, J'ay choisi vostre enseigne entre les bataillons. Si 1'on en rapproche les strophes émues, consacrées par Schelandre a ses chefs tombés a ses cótés au siège de Grave, il acquiert nne plus grande valeur d'humanité et nous nous sentons rapprochés de celui qui n'était guère tout è 1'heure qu'un inconnu et presque un étranger. Aussi trouvera-t-on moins inutile qu'on ait songé a s'enquérir de sa vie, a préciser les dates de són séjour en Hollande entre 1599 et 1610, a le suivre dans son aventureuse carrière militaire, comme dans ses débuts littéraires, qui en portent le si fidéle reflet : telle cette Ode pindarique... sur la Prise de Grave en 1602, dont 1'exactitude est si parfaite qu'elle rivalise avec celle du chroniqueur officiel Antoine Duyck. Autour de Schelandre, en Flandre, en Brabant et en Gueldre, nous avons vu évoluer, puis tomber successivement ses chefs, Henri de Chastillon, a Ostende, en 1601, Léonidas de Béthune, a Geertruidenberg, en 1603, Dommarville, a Mulheim, en 1605, Du Puy, du Hamelet, Montmartin, La Gravelle, tués a Grave en 1602, jeunes et vaillants soldats qui, comme Schelandre, avaient répondu a 1'appel de Maurice, pour défendre contre la tyrannie espagnole, la « Liberté Belgique ». Beau sang francais, versé sur la terre étrangère! N'en fallait-il pas chercher ici la tracé, puisque, des sillons qu'il arrose, léve toujours quelque moisson, dont s'enrichit 1'humanité ? „ h ? 01-5 de^ * Sonnets d'amour et autres meslanges poétiques » a la suite de Ia Tyr et Sidon de 1608. FIN DU LIVRE PREMIER Planche XIV Titre dessiné pour l'exemplaire des Tableaux de Pènitence de J. de Schelandre offert par lui a JaCQUES L (British Museum). LIVRE II PROFESSEURS ET ÉTÜDIANTS FRANQAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE (1575 a i648) A PROPOS DE BALZAC ET DE THÉOPHILE M% (i6i5) « Ce petit coin du monde qui commence a dominer 1'Océan. » (Scaliger). « Ce peuple ne sera plus ou sera toujours libre. » (Guez de Balzac). « La douceur de la liberté y est si grande qu'en nul. »(Lettre de Buzenval. a Scaliger.) INTRODUCTION Dans 1'Album Sludiosorum de 1'Université de Leyde *, gros registre sur lequel les « Recteurs magnifiques » ont, depuisplusieurs siècles, inscrit, lors de la prestation de serment, les noms des étudiants immatriculés, on lit, a la date du 8 mai 1615, deux mentions dont voici la copie littérale 2 (cf. pl. XXVIII) : vnf Johannes-Ludouicus Balsatius, Zanctonensis, studiosus Jurisprudentiae. Annorum XX, bij Lowys de Moije. Theophilus Viarius, Vasco, studiosus Medicinae. Annor. XXV, bij d' selve, vicinum R. V. Dni. Joh. Polyandri.» II y a longtemps que sous eet habillage latin, M. Eugène Ritter 3 a reconnu deux des plus fameux écriyains de la première moitié du xvne siècle, le charmant lyrique Théophile et eet éloquent Guez de Balzac, que M. Gustave Lanson a justement appelé un des principaux ouvriers du classicisme. Pourquoi Balzac et Théophile se sont-ils rendus a Leyde ? Qui a pu leur en donner 1'idée ? Quel profit ont-ils pu tirer de leur voyage ou de leur séjour aux Pays-Bas? Quelles en ont été les conséquences pour le reste de leur carrière littéraire ? Pour répondre au moins a la première de ces questions, il faudra faire une esquisse de 1'histoire de 1'Université de Leyde, en insistant sur la part qu'a prise la science francaise a ses origines et a son développement. 1. Publié par M. du Rieu, sous le titre suivant •■ Album Sludiosorum Academies Lugduno-Batavee (1575-1875), accedunt. nomina Curatorum et Professorum per eadem secula. La Haye, Nijhofl, 1875, 1 vol. in-4°. 2. C'est la première fois qu'elles sont reproduites au complet et avec exactitude, d après le manuscrit original. 3. Balzac et Théophile. Revue d'Histoire littéraire de la France, 9° année, 1902, pp. 131 et 132. CHAPITRE PREMIER LA FONDATION DE L'UNIVERSITÉ DE LEYDE C'était en 1574, au plus fort des guerres des Pays-Bas en révolte contre la tyrannie de Philippe II h Naar den, aux portes d'Amsterdam, avait été pillé et brülé (ler décembre 1572), Haarlem, après six mois de résistance, s'était rendu aux Espagnols (12 juillet 1573), qui avaient passé la garnison au fil de 1'épée. Le duc d'Albe, le duc de sang, ayant été forcé de lever le siège d'Alkmaar (8 octobre), se rabat sur Leyde, qu'il assiège le 30; mais il n'est déja plus gouverneur des malheureuses terres qu'il a opprimées ou réduites. II quitte, le 18 décembre, les Pays-Bas, oü Don Louis de Requesens continuera, avec non moins de fermeté mais plus d'habileté, son entreprise. La petite place résiste héroïquement sous les Bronckhorst, les van der Does, les van der Werff2. Pour se sauver, les Hollandais usent du moyen qui, dans rhistoire, leur réussit tant de fois contre 1'envahisseur : ils rompent les digues. Les eaux ne montent que lentement, lorsque, tout a coup, survient la haute marée de I'équinoxe de septembre et la flotte de Boisot parait devant Leyde. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 1574, 1'ennemi se retire, il était temps : la ville était a bout de forces. L'impression de ce succès des Gueux fut immense. Pour la perpétuer, Guillaume d'Orange offrit, dit-on, a la ville héroïque, en récompense de sa piété et de sa résistance, une exemption d'impóts ou la fondation d'une Université 8. Elle choisit 1'Université ou « Académie », qui fut 1. Cf. E. Lavisse et A. Rambaud, Histoire générale. (Paris, CoHn), t. V, chap. IV, par le regretté professeur de 1'UniveraHe de Gand, Paul Frédéricq. 2. Cf. Blok, Geschiedenis van het Nederlandsche Volk, t. II, 2" éd., p. 99. 3. Blok, Geschiedenis van het Nederlandsche Volk, p. 102, et Geschiedenis eenier Hollandsche Stad, t. III : Eene Hottandsche Stad onder de Republiek. La Haye, M. Nijhofl, 1916, un vol. in-8», pp. 63-4. II n'y est pas question de ce choix. 144 professeurs et étudiants francais installée le 8 février 1575 1 et c'est encore a cette date-la que, chaque année, avec la fidéhté due a un si glorieux souvenir, elle célèbre son « dies natalis ». Réfléchissons un instant sur ce choix. Entre un bien matériel et un bien spirituel, une « Vroedschap » ou municipalité hollandaise, choisit le bien spirituel. Immortelle lecon, donnée au monde par un peuple de marchands, qu'on n'a pas entièrement pénétré et compris, quand on le croit uniquement préoccupé de la poursuite d'un gain et du développement de son commerce 2. II sait ce que la science apporte de lustre a la cité et que 1'éclat dont le savoir brille, plus durable que celui de 1'or, perce seul les brumes de 1'avenir. Sans doute un van der Does, mieux connu sous son nom latin de Douza, sans doute un Jan van Hout, ou encore un Bronckhorst, vont ainsi fixer le choix de leurs concitoyens, paree qu'ils sont des humanistes et que 1'esprit d'Erasme de Botterdam habite encore en eux. Sans doute, a leurs heures perdues, ils font des vers latins, qui valent ceux de leur compatriote Jean Second ou de 1'Ecossais Buchanan et ils lisent les odes de Ronsard, mais la foi de Calvin les anime, la foi de Calvin, non pas celle de Luther, c'est-a-dire une pensée francaise, quand même elle a passé par Genève, et non pas une pensée germanique. Différence capitale, qui donne a la civilisation hollandaise son individualité propre : la Hollande est une nalion germanique ó foite culture fiancaise. Puisque le Calvinisme a pénétré dans les Pays-Bas du Sud par la voie de Valenciennes, de Tournai, pour arriver en Zélande et en Hollande, via Gand et Anvers, et qu'il a été 1'ame de la révolution du xvie siècle et de la lutte pour 1'indépendance, il n'est pas étonnant que Guillaume d'Orange lui assure une large place a 1'Université de Leyde. Le premier professeur qu'il désignera sera le Parisien Louis Cappel, le second sera le Bouennais Guillaume Feugueray. C'est a Louis Cappel, Sieur de Monjaubert ou Mongombert, que revient 1'honneur d'inaugurer solennellement la nouvelle 1. Cf. Paul Frédéricq, loco cilalo, p. 193. . 2. D n'y a pas tracé dü choix lalssé è la ville dans les archives de 1 Universite de Leyde, publiéeS par M. Molhuysen, sous le titre de 'Bronnen tot de Geschiede,m,der Leidsche Unloerlttett , (Rijks Geschiedkundige Publicatien), t. I, 1574, au 7 février 1610; La Haye, M. Nijhofl, 1913, 1 vol. ^V^^U^l^XJ^^h La Haye, M. Nijhofl, 1916, un vol. in-4»; t. III, 8 février 1647-18 février 1682, La Have, U. Niihoff, 1918, un-vol. in-4». Ces volumes seront cités désormais.« Bronnen Leidsche Universiteit ». Toutefois M. Paul Frédéricq accepte la tradltion. LA FONDATION DE l'üNIVERSITÉ DE LEYDE 145 institution en prononcant une harangue, que Meursius a publiée en tête de son Athenae Batavae. 1 Bien que proposé comme professeur de théologie par Guillaume, peut-être a 1'instigation de son chapelain francais Loyseleur de Villiers, dès le 26 avril 1575, le 22 aoüt, il n'a encore recu pour tout salaire, depuis quatre mois qu'il 'est la que 50 florins de frais de voyage et de séjour. II est toujours present a Leyde, le 22 juin 1575, puisqu'il signale a 1'attention de Gmllaume une belle «hbrairie» monastique, a Middelbourg et une autre a Veere en Zélande, que 1'on pourrait faire transporter pour servir de bibliothèque universitaire 2.. A partir de cette date, on perd sa tracé dans les archives ■ c'est qu'il a rejoint en Flandre 1'armée de 1'Electeur palatin Jean Casimir, en qualité d'aumónier 8 Si nous n'avons pas le droit d'oublier que ce fut un Francais qui ouvnt les cours de 1'Université de Leyde, nous n'avons pas le droit d'ignorer non plus que 1'autre professeur de théologie, etil n'y en avait que deux, était un Francais aussi, Feugueraeus ou Feugueray, et que c'est a lui que revient 1'honneur d'avoir concu et formulé le premier programme de cette Université. Ce Guillaume Feugueray, seigneur de La Haye, appartenait a la noblesse normande et était né a Rouen. II mourut è un age trés avancé, vers 1613* Sa vie est peu connue, mais elle mériterait de 1'être davantage. Pasteur, il s'était fait un nom par ses preches dans diverses villes de Normandie et par les conférences de controverses qu'il avait tenues, le23juillet 1565, avecLeHongre docteur de 1'Université de Paris. A la Saint-Barthélemy, étant mimstre a Longueville, il s'était sauvé en Angleterre et c'est de la qu'il fut appelé en Hollande. Nous avons conservé les pièces se rapportant a cette « vocalion >,, dans les archives du « Sénat,., nom que porte aujourd'hui 1 Joannis Meursi,Athense Batons... libri duo ; Leyde, 1625 netit in-4' 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t L p. 2 et d 4 • cf anstl n r& Tipü,étalti>né,a Faris' ï? 15 i™*™ 1534> ^ s'«ait réfugié en Angleterre • cf Haae 10 146 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS encore la-bas, 1'assemblée des professeurs, et dans les archives des « Curateurs > ou administrateurs de 1'Université-de Leyde. Ces archives font en ce moment 1'objet d'une publication magistrale du Dr P. C. Molhuysen, bibliothécaire du Palais de la Paix a La Haye, et qui en est a son troisième volume, paru en 1918. Sans ces Bronnen tot de Geschiedenis der Leidsche Universiteit, le présent livre n'eüt pu être écrit. Dans la lettre du Prince Guillaume d'Orange aux Etats (26 décembre 1574) proposant 1'érection d'une Université pour les Etats du Nord\ afin d'être particulièrement agreable a Dieu et de répandre grandement la gloire de son nom, empecher crue 1'ennemi ne puisse ériger a nouveau sa tyrannie ou oppnmer nar la f orce ou par la ruse la rehgion et la liberté de ces contrées, ü n'est pas encore question de Leyde, mais simplement d un boulevard et protection pour tout le pays, d'un hen infrangible de leur unité. , , . L'exemple que cite, quelques jours plus tard, la «Résolution de Hollande », du 2 janvier 1575, est celui de Cologne Paris et la Rochelle, et ce n'est que la qu'il est question de a proposition de Guillaume de choisir Leyde comme le beu le plus appropriè a la nouvelle fondation. C'est probablement Jacob Tayaert, 1'émissaire du Prince et son fondé de pouvoir pour cette question, qui aura fait au nom de ce dernier, cette désignaÜon, et celle-ci ne se sera produite qu aprèsdespourparlersaveclamumcipahtédelaville,laqneUeadonc nu être placée devant 1'alternativedont onparlaittout al heure. Dans cette Résolution des Etats de Hollande * du 2 janvier, il est question d'un Collége des Trois Langues (Latm, Grec, Hébreu), oü 1'on sent le souvenir de Louvain, a qui il s agissait de faire pièce, et du Collége de France, fondé par Francois I«. Deux professeurs de théologie sont prévus, on enseignerait aussi la philosophie et les mathématiques; la medecine et le droit viendraient plus tard. . Le 6 janvier 1575, van der Does ou Douza, Coninck et Hoogeveen sont désignés comme Curateurs et le convent de SainteBarbe, sur le Rapenburg, est indiqué comme local.^On ne M pas sans surprise, a la même date, une Licence de Pluhppe II r -j „i,„ TThi,w>iUpü I t> 2*. La pagination avec astérisque se rap- la fondation de l'tjNIVERSITÉ de leyde 147 pour 1'érection de eet établissement d'enseignement supérieur, qui allait faire une rude concurrence, a la fois a 1'Université de Louvain et a celle de Douai et devenir la métropole intellectuelle du protestantisme dans les Pays-Bas du Nord, mais ce n'est qu'en 1581, ne 1'oublions pas, que la déchéance de Philippe II fut proclamée. Par sa lettre du 22 avril 1575, le Prince Guillaume prie les Curateurs d'installer « Monsr. Feugeret », qu'il leur a adressé en qualité de professeur de théologie \ au traitement annuel de 600 florins, et de lui assurer en outre un logement. Le 4 juillet, Feugueraeus ou Feugueray présente son programme d'études, qu'il avait concu dès le 8 février 2 et dont il devait être fier, puisqu'en 1579, il le publie dans ses Lugdunensia Opuscula, au moment;»*, disons-le en passant, Montaigne écrit son chapitre de YInstitution des enfants s. II est a peine nécessaire de marquer que ce programme, comme le discours inaugural de Louis Cappel, est en latin, langue unique de 1'enseignement universitaire d'alors, et qui est restée, aujourd'hui encore, aux Pays-Bas, celle des soutenances de theses de lettres classiques, celle du programme ofïiciel ou « Series Lectionum », affiché au début de chaque année scolaire « aux valves » de 1' « Aula », dans les quatre Universités du Pays : Leyde, Utrecht, Groningue et Amsterdam. Nous ne serions pas a 1'époque de la Renaissance, si le docte auteur n'invoquait les anciens, au début de son programme, mais il faut lui savoir gré d'avoir cité Platon, « ce fameux et divin Platon, que Cicéron appelle le Dieu des philosophes », « diyinus ille Plato, quem Tulhus Philosophorum deum appellat», quoiqu'il se range aussitót après sous la loi d'Aristote. »nltBr°nneS Leidsche Universiteit, t. I, p. 18*. La lettre de Guillaume d'Orange SS. ™t,qVe Feu|ue,ray «v«t commencé ses cours le 3 mars 1575 ; il est précisé que son entretien est a la charge de la ville. a-li. (?uiliel- Feugueraei Rothomagensis Lugdunensia Opuscula ad illustr. principem ^^1"™^^^,^^^ inBata., apud Andrajam Schoutenum, ^°/;m,lV-rlm"2i (B^^-Nat., D* 7694); en-appendice : Schola Lugdunensis exoptimis quibusque de re sckolastica scriptis et prseslantiss. antiqaee et nostrie a-lalis scholarumexemphs expressa, Guilelmi Feugueraei Th. pp. opera. A la dernière page, 2? „ ' *,t"0fum a«tem studiorum, utramque praxin ex decreto ülusmi principis et consultissimoruini Ordinum Magistratu urbis Lugdunensis, una cum Dominis S £ ls- Curatonbus Academise, jubente, VI Idus Februarii superioris inchoatam t' rantl «sMuti graüa, aUquantisper intermissam, designati professores IV die Julu anno 1575, Deo favente repetent. » F«»/f SH^hi^ ' éd^S°Wikit *' l' P' 187 et s- Ct- Les soarces et l'evolulion des ëramtiolf (TheSe de Paris' 1908>' Par P^rre Vüley, a la vaste d^JH»?^ tJK \ ■ pro^«nun1e de Feugueray semble avoir échappé. Sur la date ue l essai de Montaigne, voir Villey, t. I, p. 290. 148 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Feugueray prend 1'enfant a parür de sept ans ex i ou vu. comment 1'enseignement supérieur est étroitement he a 1 ensSment secondaire, qui y mène et qu'on commencait Pa créerTour préparer a 1'autre et, en quelque sorte, le nournr. II ne faut donc pas s'étonner de voir inscrits sur les registres umversSres des enfants de onze ou de quatorze ans, comme nous l'avons dit au hvre I. ., lu « gymnase », 1'enfant consacrera les trois premières annees a 1'étudfgrammaticale du latin et du grec: «La première annee nous lui apprenons a déchner les noms et a conjuguer les verbes, ITvïkJI parler, par des exemples et par 1'usage plus que par les régies». C'est déja la méthode directe, comme la pratique, a Wd de son fils, le père de Montaigne. Peu de syntaxe. Les Bucoliaues de Virgile, la Batrachormjomachie d'Homere, quelque fomédle de Térence, a cause de la familiarité de son langage ou aT-se facile (1 ?) de quelques lettres de Cicéron, seront es textes de cette première année. S'étonnera-t-on encore du proeramme de Gargantua ? seconde année renforcera efcomplétera chez 1 enfant a connaissance de la grammaire et de ^^ff^nlSS contact avec les plus grandes ceuvres de Virgile, Ciceron, Homere et Aristophane (sic). La troisième année est consacrée a la SyTelXees't le cycle de 1'école triënnale d'oü, vers 1'age de dix ou onze ans, les enfants vont a 1'école publique de «1 Académie » «in publicam AcademiaB scholam »>, qui serait aujourd hm le lycée La quatrième année qu'ils y entament les imtie a la rhétorique, le premier des arts majeurs. C'est p^ la récitation et la diction qu'on arnve a comprendre et a imiter les principaux poètes et orateurs de 1 antiquite. De science, dans tout cela, ni de la langue maternelle, ni des langues étrangères, il n'est pas question L enj^^^e t purement verbal et exclusivement gréco-laün. Tont au plus la Talectique de la cinquième année ^PP^^^^ nement1 « Nous ne nous contentons pas des regies de la dialec- 'XfiTtnsTa slxième année de 1'étude libérale ou des arts libêraux, arriventlesmathématiques, « dignes de la connaissanee même des rois ». Malheureusement c'est encore dans Archytas et Archimède qu'on les étudiera. Planche XV. LA FONDATION DE l'uNIVERSITÉ DE LEYDE 149 La Morale et la Physique occupent la septième année et, chaque fois, un auteur, poète ou orateur, les illustrera. « Toutes les Géorgiques de Virgile sont de la physique, Lucrèce aussi est un vrai physicien, les Questions de Senèque sont de 1'Histoire Naturelle et l'CEuvre divine de Pline est toute une physique encore, >> Celui qui aura accompli ce premier cycle est appelé Doctor artium, Docteur ès arts ; ce serait pour nous le bachelier. Mais c'est la «description des facultés supérieures », qui nous intéresse surtout. Le septennat suivant est ou théologique ou juridique ou médical. Le maitre d'Hébreu, autant que possible, se servira de cette langue, le maitre de grec, du grec, dont il aura pénétré les trés difficiles secrets. Le Magister Artium exposera moins des sophismes que le vrai contenu de 1'Ancien et du Nouveau Testament, le premier dans le texte hébreu, le second dans le texte grec. On les éclaircira 1'un et 1'autre par des « déclamations et des disputes ». Après les avoir longtemps pratiquées comme candidat, 1'étudiant est renvoyé avec le titre de docteur en théologie. Feugueray passé assez légèrement sur les études de droit, pour lesquelles cinq ans de cours, d'exercices oratoires, de discussions ou disputes lui paraissent suffire. La médecine 1'intéresse davantage \ aussi entre-t-il dans plus de détails; non seulement il prévoit 1'étude des corps animés, des végétaux et des métaux, mais la dissection, les dissolutions et les transmutations. Hippocrate et Gallien seront les guides de 1'étudiant: il les admire, les imite et recoit les insignes avec le titre de docteur, quand il a témoigné n'être plus un danger pour les malades et qu'il s'est montré un digne ministre de la nature pour rappeler et conserver la santé. Souhgnons une phrase finale oü, sans doute, se retrouve le Francais faisant une place a sa langue, mais qui est, en même temps, un témoignage important de la diffusion de celle-ci aux Pays-Bas : « Afin de ne négliger en rien les intéréts pubhes, pour que 1'on puisse étudier ici cette langue francaise dont 1'usage est si fréquent dans tous nos Pays-Bas, aussi bien dans les affaires politiques qu'ecclésiastiques, nous illustrons publiquement les régies de la langue francaise par les exemples et la lecture expliquée du plu's éloquent auteur de cette langue *» 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 42* 2. Feugueraei... Opuscula déja cité, dernièrë page :« ne autem reipubUcse uüa in 150 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Cet auteur n'est pas nommé, je gagerais que c est Laivin, mais ceci importe peu. II faut souligner avant tout le fait que le francais fut enseigné a 1'origine de la première et de la plus illustre des Universités hollandaises, et que, dans le pays, aujourd'hui encore, notre langue est inscrite au programme des ecoles ' primaires et est la seule dont se servent dans leurs cours les professeurs de francais des universités, même lorsqu'ils sont de nationalité hollandaise K Ce qu'il faut souligner aussi, c'est que le francais n apparait pas comme une langue étrangère, mais comme un parler dont l'usaee est trés répandu aux Pays-Bas. Or il ne s'agit pas, remarcnions le bien, des provinces wallonnes, dont la destinée se separait de plus en plus de celle des provinces du Nord et qui allaient bientöt former 1'Union d'Arras (6 janvier 1579), contre laquelle se dressera 1'Union d'Utrecht (Hollande, Zélande, Utrecht, Gueldre, Frise, Overyssel, Groningue, 23 janvier lo79). Mais les rapports avec la bourgeoisie flamande et les autorites espagnoles, le contact des députés des Etats Généraux entre eux, faisaient du francais une seconde langue officielle, meme en Hollande et en Zélande. N'était-ce pas celle que maniait le plus facilement le prince Guillaume, n'était-ce pas celle dans laquelle son conseiller Marnix de Sainte-Aldegonde écrivait ses chelsd'ceuvre et dans laquelle le jeune Constantin Huygens correspondait avec ses parents, au début du xvue siècle 2 ? Surtout, le francais était 1'organe de lapuissante Eghse Wallonne des Pays-Bas, créée par les réfugiés du Hainaut et de la Flandre, lors du premier Befuge, et dont la constitution avait servi de modèle a celle de 1'Eglise Réformée hollandaise. La confession de foi de cette dernière est une adaptation de celle de Guy de Bray qui elle-même s'inspire de celle de Théodore de Beze. Si en 1579, 1'église de langue flamande invita 1'Eglise Wallonne a s'associer a elle, a abandonner ses propres Synodes, ses propres re desimus ut Gaine* lingu* (cujus noctempore, toto hoe Bdgio tam in BcdoU* lïffiantu^^Tï^ ^ doetorat de 1'Université de Paris, présentee par M. K. J. RiemensTU^Li'hïstorigue de Venseignemerd da francais en Hollande, dn XVI' au ,- tiwvera aussi de biüngues. Cf. également Riemens, op. cit. LA FONDATION DE L'UNIVERSITÉ DE LEYDE 151 « Classes », en un mot, son autonomie et si celle-ci s'y refusa, ce n'était pas par hostilité envers les frères flamands, bien loin' de la, mais pour garder la langue qui était celle de ses premiers fondateurs et de ses martyrs. Cette organisation autonome et cette langue, 1'Eglise Wallonne, qui s'appellerait plus justement francaise, depuis qu'elle a étérenforcée, après la Révocation, par le second Refuge de 1685, les a gardées jusqu'è nos jours et, dans chaque grande ville de Hollande, chaque dimanche, sur les fldèles descendants des Huguenots de jadis, tombe, du haut de la chaire, une parole purement et vraiment francaise, commentant celle du Christ. Dès le 8 février 1576, Feugueray est recteur, en dépit de 1'article III du Règlement, qui exige la connaissance du hollandais. Guillaume d'Orange lui est reconnaissant, peut-être, d'avoir, avec d'autres théologiens protestants, en juin 1575, déclaré valable son union avec Charlotte de Bourbon, conclue le 12, bien que la précédente épouse, Anne de Saxe, convaincue d'adultère, fut encore en vie. On possède V i Avis de M. Feugheran touchant le mariage du Prince » et résumant les motifs « qui semblent plus que suffisans pour satisfaire a ce que sembleroit avoir defailly k la formahté dont il est question » K Le séjour de Feugueray en Hollande ne fut pas de longue durée. Au bout d'un an, a cause de 1'irrégularité des payements, il songe a partir, sous prétexte que sa Communauté de Rouen le réclame. Comme celle-ci redouble ses instances, les Etats envoient un messager exprès au Synode des Églises de France pour le prier de leur laisser Feugueray en attendant que 1'on ait pourvu k son remplacement. Guillaume demande aux Curateurs de tacher de conserver ce théologien, qui a 1'avantage de prêcher en francais 2, a la fois pour ceux qui ignorent le hollandais et pour ceux qui veulent dj1* V?irIla„?0ti'?e de M- le professeur Knappert dans le Nieuw Nederlandsen Biografisch Woordenboek de MM. Molhuysen et Blok, t. III (1914) col 399 On rr^Vaain^bpfretqpade la ™oire du PrXt^tome franS 54° Ji ^ i Sa nts-pères, Paris, une copie signée par le pasteur Jean Taffln de 1'acté fiUedeMtt*ïïtrZ?ïïg\entTe Mëlle Prince d'Orange et MademTlseTdeBourbon! des l- ,d" r Montpensier. Cette copie est datée du 12 juin 1575; elle provient de| Zls\Ae, 'Académie de Sedan et porte le numéro 336 bis, pièce 183. rlS'. i ? 4« prince GuiUaume adressée aux Curateursf 9 mai 1579 (Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 65*). Parlant de 1'Kalien Zanchius óui D^ourrait SezXe„mnen ITét^f^^' Ü d" =«.Wesende een ïtXen" eghTen Fermoen wm^ilen dnet ttil FfapcI?01?.' z?°,wij verstaen, dat de vooïs. Feugheray somwijlen doet, d welck grootelyck dient den genen, die de spraecke van den lande nyet en verstaen ende andere willende leeren de voors. Franchoischc spraecke. . 152 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS apprendre le francais; sa science, sa piété, sa fidélite, avaient rendus de si grands services a la fondation, que son départ risquerait de faire disparaitre 1'institution a peine créêe. Mais Feugueray partit pour Rouen, après avoir passé par Anvers, d'oü il signe le 15 octobre 1579, la dédicace de ses Opuscula, présentés au Prince d'Orange *. Celui qui, deux ans après, allait prendre sa place, devait être un Francais encore, Lambert Daneau, dont nous parierons plus loin. . II faudrait cependant se garder de voir dans 1 Universite de Leyde une sorte d'institution francaise, mais, sur huit professeurs dont les traitements sont établis le 17 juillet 1575 2, il y a néanmoins, pour cinq Hollandais, deux Francais et un Westphalien Hermannus Reinekerus. Celui-ci, malheureusement, il f allut le congédier par Résolution du 1« mars 1576, suspendue, pms reprise, le 9 mai 1578, pour grossièreté et ivrognene. II avait, sauf respect, montré son derrière a son hötesse, en prononcant des mots malhonnêtes; il s'enivrait journellement avec de la racaille, au point d'en vomir. Ainsi parle le vieux-hollandais qui ne mache pas ses mots8. Le personnel enseignant du début se renouvelle rapidement et bientöt y prendra place 1'élément beige, représenté par des hommes de valeur comme Drusius, né a Audenarde, Vulcamus, né a Bruges, Bolhus de Gand et enfin, grand entre tous, JusteLipse, nommé, le 5 avril 1578, professeur d'histoire et de droit, au traitement de 500 florins, porté ensuite a 600, le 10 aoüt 1578 * Revenons a la chaire de théologie, a la vacance de laquelle 11 n'avait été pourvu que provisoirement par la nomination du Hollandais Crusius, de Delft 6. 1 Cf Nieuw Ned. Biogr. Woordenboek, t. III, col. 401. Le départ de Feugueray est 1. Cl. nieuw ' . 1t.'79 . cf Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, Bronnen,\ I, p. 4, n. 1. Voir aussi I. Douzae Poëmata (1609), p. 79. 4. Bronnen Leidsche Universiteit, t I, p. 5 et b. 5. Ibid., t. I, p. 76*. Planche XVII a. BlBLIOTHEC A PÜBL1 CA. La Bibliothèque de l'Université de Leyde, oü travaillait Scaliger. Planche XVII 6. Le Jardin des Plantes de l'ümversité de Letde dirigé par de l'Escluse d'Arras. (d'aprës Meursius, Athenae Bataoae, 1625). CHAPITRE II un théologien du XVJ.e siècle : Lambert Daneau (1581-1582) Lambert Daneau était né, vers 1530, a Beaugency-sur-Loire Son historiën, M. de Félice *, le quahfie «un des théologiens réformés les plus laborieux et les plus distingués du xvi* siècle », et, ailleurs, «un de nos plus grands théologiens du xvie siècle..! il est des premiers du second rang », le premier rang étant celui de Calvin et de de Bèze. II fit ses études de droit, successivement a Orléans, sous Anne du Bourg, dont le martyre devait, en 1559, entrainer pour Daneau la conversion et bientöt 1'exil. C'est dans cette ville qu'il connut le célèbre ami de Montaigne, La Boëüe, qui lui adressa un distique latin ainsi concu : «Lorsque je me que tu sois jeune, tu me contredis, Daneau; mais tes paroles sérieuses trahissent un vieillard » Le jeune vieillard se rendit a Bourges, oü il recut le grade de docteur des mains de Cujas. II s'y ha avec le professeur Hugues Doneau, que nous retrouverons, auprès de lui, è Leyde. Arrivé a Genève, le 24 avril 1560, il y passa un peu moins d un an, mais, influencé par Calvin, il se décida a quitter le droit pour la théologie. Nommé pasteur a Gien, oü il exerce de 1560 a 1572, il est sept fois chassé, sept fois rappelé, condamné, absous, toujours errant, jusqu'a ce qu'il se fixe a Genève le 10 octobre 1572 ; il y devient pasteur et professeur de théologie, le 25 juillet 1574. Beaua°encu ^Zle^t UntThéolo9i^ da XVI' siècle: Lambert Daneau de jieaugcncy-sur-Lolre, pasteur et professeur de théoloaie nssO-l.Wi) nouvelle édition; Paris, Colin, 1898, 154 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Dès 1'année suivante, par nne lettre a Bastingius ou Jerome Basting, alors étudiant a Heidelberg, oü professait Doneau nous le voyons en relations avec les théologiens des Pays-Bas méridionaux, réfugiés la, notamment Dathenus, et préoccupê du Synode d'Ëmbden et de la Confession de foi . Quoi d'étonnant si, le départ de Feugueray decide, les Curateurs de 1'Université de Leyde, a qui incombent les nominations offrent a Daneau la chaire de théologie devenue vacante Celui-ci répond, le 16 mai 1579, a leur émissairéRatloo, avec cette humihté orgueilleuse, qui caractérise les savants du xvi* siècle dans leur correspondance. Le vrai motif de son refus il 1'indique, maas le maitre, de Bèze, dans sa lettre du 29 mai 1579 aumeme Ratloo, le précise, en déclarant que, a cause de son grand age et de son état de santé, il ne saurait se passer des services de son collègue Daneau. Quant I celui-ci, au fond, cette .vocation >, le tente et ce n est pa? uniquement par reconnaissance qu'il dédie, en 1580 a rUniversité, son Livre des Sentenees, ce qui lui vaut quatre pièces d'or aux armes de la ville, décernées par les Cyateure, le 27 octobre 1580 *. Peu de temps après, en effet, te 1« décembre, le collége des Bourgmestres et Régents de la ville de Leyde nomme L. Danaeus, Premier professeur de théologie au traitementae 800 florins, avec une indemnité de voyage de 400 flonns. Us écrivent a Bèze de vouloir bien faciliter son depart Le messager, chargé d'apporter ü Genève les medailles lui remet en même temps la lettre des Bourgmestres et Réeents, datée de décembre 1580, lui demandant d accepter la nlace pour laquelle ils n'ont trouvé jusqu'a present aucun tiSre" capabte: . Ton érudition, 6 trés illustre dans les Lettres divines et les Saints Mystères, est connue de tous et la bfenveillance que tu nous a témoignée, nous a donné confiance de pouvoir obtenir ta collaboration pour notre Université. >> A 1'élégance du latin de cette épitre, on reconnait sans peine la main de Juste Lipse, dont les Archives des Curateurs gardent Tucere la minute. Non moins élégante est celle qu'U a redigee a l'adresse de Théodore de Bèze, le priant, au cas ou il ne pouiait procurer et favoriser 1'adhésion de Daneau, de 1 Bulletin Églises Wallonnes(1"'série), tIV, PP- 292 a 294. ■ 2 Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 14-1». 3. Ibid., t. I, p. 16 et pièce 67, p. 84 . UN THÉOLOGIEN j LAMBERT DANEAU (1581rl582) 155 designer quelque autre candidat. Les relations se resserrent entre Leyde et Genève qu'un auteur appelait récemment: « La pépinière du Calvinisme hollandais »% Le 26 janvier, Daneau accepte, et, dans sa lettre aux Bourgmestres et aux Régents, il raconte qu'il se prépare, qu'il vend son mobilier, qu'il emballe ses livres et fait ses malles 2! Ce n'est pas une mince affaire qu'une pareille expédition avec sa femme, Claude Péguy, fille d'un prévöt des marchands d'Orléans 3, trois enfants, Samuel, Marie et Anne, dont 1'ainé n'a pas même six ans, et un domestique. Aussi profitera-t-il de la foire de Francfort, qui se tient au printemps, pour faire route avec les marchands et, sans doute, pour y prendre connaissance des dernières nouveautés de la hbrairie européenne. Daneau prie donc les Bourgmestres et Régents de le recommander aux Hollandais qui en reviendront, pour qu'il puisse les accompagner et être plus promptement et plus sürement rendu. Notre savant n'a pas 1'air bien entreprenant, une fois sorti de'sa théologie. II retiendra le messager de la ville de Leyde, car lui-même ignore 1'allemand et ne saurait faire une aussi longue expédition sans interprète 4. Quoique se dépouillant avec douleur de eet insigne ornement de son Eglise, Théodore de Bèze consent au départ de Daneau, dont 1'amitié lui tenait au cceur: le 8 février, le Magistrat de Genève le décharge de ses fonctions 5. Malgré toutes les précautions prises, le voyage ne se fit pas sans enco.mbre. L'incident le plus marquant fut qu'il faillit être arrêté a Strasbourg, oü son bateau était arrivé après deux jours de navigation. II avait voulu rendre visite au célèbre pédagogue Jean Sturm qui, converti en 1540, y avait fondé un gymnase, bientót transformé en Académie avec quatre cents disciples, et qu'on peut considérer comme 1'origine de notre Université de Strasbourg. Or, Daneau venait de publier un *bL£f Vries (Herman) Genève, Pépinière du Calvinisme hollandais; Fribourg (Suisse), Pragnière frères, 1918, 1 vol. in-8». II y est question de Daneau aux pp. 7273. Voir aussi le livre récent de Léonard Chester Jones : Simon Goulart (1543-1628). et: 360 °9raphlque et bibliographique; Paris, Champion, 1917, 1 vol. in-8°, p. 357 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. ïj p. 85*. ihJ£)e s,étt?jt #ftig!ée e? Suisse et u 1'avait épousée en secondes noces en 1573. Appartiendrait-elle a la même familie que 1'auteur du Mystère de Jeanne d'Arc. Charles Péguy, mort au Champ d'honneur en 1914 ? " *euiuu a jirc, 4. Bronnen Leidsche Universiteit, t. j, p. 85* 5. Ibid., t. I, p. 86*, et Du Rieu, op. cit. 156 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS examen critique du livre de Chemnitz, sur les deux natures en Christ et si vive était alors la querelle entre Sturm et les théologiens ubiquitaires, que ceux-ci firent interdire les auberges a Daneau et qu'il se vit refuser 1'accès « du Bceuf ». Ayant trouvé asile ailleurs, grace a des amis, il fut arrêté au sortir d un déjeuner chez Sturm, et un sergent le conduisit chez le bourgmestre Ce dernier, après 1'avoir fait attendre trois heures, 1'interrogea pendant deux, lui reposant sans cesse les memes questions (il était d'ailleurs ivre) et s'enquérant s ü n avait rien écrit contre la formule de Concorde. On finit par le relacher, et le 14 mars 1581 \ Daneau arrivé a Leyde, salué, le lendemain, a son auberge, par le Recteur etles professeurs, quilui ofïrent un banquet Le 18 mars 1581, il est recu dans 1'assemblée des professeurs au Sénat, en présence du Curateur Douza : ses cours auront lieu régulièrement a trois heures. Lalecon inaugurale qui, dans toutes les Universités hollandaises est aujourd hui encore une solennité, fut donnée, disent les « Acta Senatus», le 26 mars 1581, au milieu d'un grand concours de monde. Le Magistrat lui demande de prêcher tous les dimanches en francais. Ce fut, après les sermons de Feugueray, mais d'une facon plus directe encore, 1'origine de la fondation de 1'Eglise wallonne ou fran?aise de Leyde, dont 1'existence n'était pas peu faite pour attirer dans cette lointaine ville de Hollande les étudiants protestants de chez nous2. , . Si ces prêches en notre langue, dont le premierse fit également, le dimanche26 mars, dans 1'église desBéguines voilees (cf. pl. XV), eurent 1'approbation du Magistrat, il n'en fut pas de meme lorsque Daneau prit, sans le consulter, 1'initiative de former un Consistoire francais, avec un Collége des Anciens et un Collége des Diacres. Cependant, le 18 décembre 1581, le Magistrat autorisa ce Consistoire a distribuer, de concert avec Daneau, la Sainte Cène, en choisissant pour cela un jour convenable, pourvu qu'il admit a la distribution exclusivement ceux qui sont de langue francaise. L'Eglise wallonne de Leyde est désormais instituée : elle existe encore aujourd hm avec deux pasteurs, tous deux Francais. Leur communauté est petite, mais fidéle ; 1'un représente en matière de religion des tendances orthodoxes, 1'autre des tendances hbe- 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 17. 2. Bulletin Églises Wallonnes, t. 1,1" série, p. 81. Planche XVIII. Lambert Daneau, théologien protestant francais, professeur a l'Umversité de Leyde (i58i-i582). (D'aprhs une gravure conservée & la Bibliothèque wallonne, « Leyde). UN THÉOLOGIEN ! LAMBERT DANEAU (1581-1582) 157 rales, mais ces nuances n'empêchent pas leur collaboration. Les conflits d'alors étaient plus aigus et le Magistrat, dont 1'inspiration est i libertine » comme celle de Guillaume d'Orange \ reproche bientót a Daneau son intolérance calviniste et 1'accusé de vouloir faire peser sur les consciences des bourgeois un nouveau joug, aussi insupportable que celui de la papauté. Dans une lettre adressée aux Etats de Hollande, le 5 avril 1582, Daneau se défend d'avoir « rien voulu de plus que la discipline ecclésiastique genevoise, mais surtout pas d'inquisition ». Daneau, lui aussi, avait des sujets de mécontentement : peu satisfait de son logement2, il se plaignait également, dans ses lettres, du climat froid et humide et des gens du pays, qu'il trouve entêtés et orgueilleux; il écrit a Gaultier, le 13 octobre 1581 3 : « Pour moi, je trouve ce climat détestable, maritime, trop lourd, couvert, 1'atmosphère presque constamment troublée par les vents les plus violents, d'oü résultent des catarrhes et des rhumes, qui sont la peste des gens voués a la vie sédentaire. Enfin je le supporte autant que je peux; ma familie, les enfants surtout, s'y adaptent mieux et s'accommodent de la nourriture de ce pays. A mon age, au seuil de la vieillesse, c'est plus difficile ». II se plaint du nombre trop restreint de ses disciples : rares sont ceux qui se consacrent a 1'étude de la théologie, quoiqu'il y ait disette de bons ministres4. Cependant, il n'a qu'a se louer des étudiants, qu'il trouve studieux et zélés et qui le soutiennent dans ses démêlés avec le théologien Coolhaes. Leur intervention envenime le confht; le magistrat affirme qu'ayant fait tête a 1'inquisition d'Espagne, il saura résister aussi facilement a celle de Genève, a quoi le professeur réphque qu'il ne saurait demeurer en un pays, oü la discipline de Genève, conforme alaparole de Dieu, est assimilée a 1'Inquisition d'Espagne et qu'il offre sa démission5. Le 2 mars 1582, Vulcanius, secré- ^A*«^Sa 1^tre' duJ,3 ??ohTe i581' adressée a GauIUer, et qu'on trouvera chez tïJlt '„ Pj 3571 Daneau donne en passant, sans le voulolr.un magnifique témoignage de tolerance au prince d'Orange : « Princeps Auriacus, tum propter vanas alias occupationes, tum etiam quod suapte quadam natura sit Itaar/Spatrrit %?a'J™ \ °fmn 2. II habitait au Rapenburg. 3. Cf. de Félice, Lambert Daneau.., p. 351, n° 51, lettre latine. 4. Même lettre, p. 358. ■98*'etAïol*SenatUS' 9 tévlia f582' dans Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 28, 158 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS taire du Sénat académique, communiqué au Prince d Orange la requête de Daneau, tendant a être relevé de ses fonctions en avril. Le Prince ne tarde pas a répondre, le 10 mars, demandant plus de détails et suppliant qu'on le retienne, de crainte de voir déserter la Faculté 1. Cela n'empêcha pas Lambert Daneau de partir pour Gand, oü le calvinisme régnait alors en maitre et oü on le garda a la Faculté de théologie protestante, qui y avait été fondée. II y fit, le 30 mai 2, son discours inaugural. Le chroniqueur van Campene, qui 1'a entendu professer, n en fut pas enchanté, car «il lisait ses lecons dans un cahier », mais, par après, il le nomme « clarissimus vir Lambertus Danaeus ». Le 14 juillet 1582, a deux heures de 1'après-midi, quarante propositions furent affichées dans 1'éghse des Dominicains. Le même jour, elles furent soutenues, sous la présidence de Daneau, par un jeune homme de Lille, nommé Dominique Baude : nous le retrouverons, plus loin, professeur a Leyde, sous le nom de Baudius. Un des inspecteurs de la Faculté de Gand était Adnen Saravia, dont nous reparlerons aussi. " Daneau ne devait pas rester longtemps dans cette ville, il n y passa qu'une année jusqu'au 15 mai 1583 3, une « vocation »> de 1*Académie d'Orthez ayant haté son retour. II la suivit a Lescar, puis il passa a celle de Castres, oü il entra le 29 octobre 1593. II y mourut le 11 novembre 1595 *. Son petit-fils Lambert, un siècle plus tard, devait, après la Révocation, se réfugier a Leeuwarden, oü il s'éteignit en 1099. Ainsi se marqué la continuitê de 1'histoire et s'explique le Refuge en Hollande de plus de cent mille réformés. Les petits-fils suivaient, forcés par la persécution, la voie que jadis leurs grandspères avaient prise, attirés les uns comme les autres par ce phare de liberté qui les guidait vers le Septentrion. 1 Tean de Nassau frère du Taciturne, écrit a celui-ci, le 14 juillet 1582 : « en ce m,i ronrerne VUnfvêrsUé de Leyde, ellê se porte fort mal, attendu que le docteur l^r^sTjXS^ thlologien que ïon puisse t.7«W*S es? parti'pour Gand oü ü est devenu professeur »J^^^^^,}^^ Af naneaii 1'Université marche a reculons a la maniere des ecrevisses i geuei ucu Kremaanck) C?P Frédéricq : L'enseignement public des calvinistesa GfninS»^&^SL^ duefur,qpratique d'histoire nationale de P. Frédéncq, 1« fascicule, Gand et La Haye, 1883, in-8», p. 81-82. 2. II était arrivé le 20. Cf. Frédéncq, op. cd., p. 79. f! KÏ-'tóAfaLfc. 2- éd., t. V, col. 68, et Nieuw Nederl. Biografisch Woordenboek, t. I, col. 686. GHAPITRE III UN GRAND JURISTE : HuGUES DoNEAU (1579-1587) Le meilleur appui de Daneau, dans sa lutte contre le magistrat de Leyde, avait été un autre protestant francais beaucoup plus illustre, 1'émule du grand Cujas lui-même, Hugues Doneau ou Donellus. Les Bronnen der Leidsche Universiteit apportent, sur le long séjour qu'il fit a Leyde, bien des détails curieux. , Doneau était né a Chalon-sur-Saone, le 23 décembre 1527 n'une familie de «robins» trés considérée dans la ville \ Etudiant aBourges,ilyenseigna bientöt aux cötés de son maitre, Duarenen 1555, Cujas lui ayant été préféré, malgré 1'appui de Michel de 1 Hopital, pour la chaire de Baudouin, il en concut une vive jalousie, qu'il manifesta en rendant la vie impossible a Cujas, ce qui n'empêcha pas celui-ci, après une année d'éloignement, de succéder a Duaren en 1558. Les deux rivaux se supportèrent jusqu'en 1566, date a laquelle Hotman succéda a Cujas ; TSl^A J* lm fUr6nt susPendus co»me suspects d'hérésie en 1071 A la Samt-Barthélémy, déguisé en valet d'étudiant allemand 2, Doneau s'enfuit a Genève, oü il fut admis comme habitant, le 26 septembre 1572. Sur la prière du Conseil, il y donna quelques lecons, mais bientöt il repondit a 1'appel de 1'Electeur Palatin, qui lui offrit la première chaire de droit a 1'Université de Heidelberg. Louis VI hls de 1 Electeur palatin, ayant succédé a son père, destitua tous les professeurs calvinistes, sauf Doneau. «i^ft8'!^^^^ 2° éd- l- V' co1- 448 et Niea» Ned. Biogr. Woor- 160 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Selon Bayle et la Biographie Universelle, il se rendit en HollandTdès Ï575. Paquot et Spangenberg, dans VEncyclopêdie d'EÏeh et Gruber, r'eculent son départ de Heidelberg jusqu'en 1579 • discussion inutile, les Bronnen résolvant la question . c?est 'en effet, le 14 juin 1578 seulement, qu'il est fait mention de Doneau pour la première fois dans les Acta Senatus, _ Devant cette haute assemblée, le professeur de physique, Alexandre Ratloo rend compte de la mission dont ü d*£ nar le Sénat pour tenter de recruter des professeurs en Alle™gne Auprè* du Francais Francois Hotman l ses efforts ont Ttetlt de même auprès de 1'Italien Zanchi, de Daniël Toussain (Tossanus), alors professeur a Neustadt sur Hardt, et d'un troisième Francais : Junius Seule une con versatlon avec Doneau laisse quelque espo., ce qui decade le Sénat a demander aux Curateurs d'adresser a ce dernier une lettre officielle8. . ..r™ Une Résolution des Etats de Hollande, du 21 ,u n 1579, «rtte que le docteur Hugo Donellus, ^^.^^Z delberg sera invité a occuper la chaire de droit de Leyde, au tttement annuel de mille livres de gros, c'est-a-dire mille SST* iui sera accordé trois cents üvres pour s ^TelVoctobre, on annonce, en séance du Sénat, que le savant -arrivera le soir même, heureuse et favorable nouvelle (quod Sx et faustum sit) : un banquet lui sera offert dans la maison dtLcteur JusteuU5- EUes allaient donc se^trouver en face 1'une de 1'autre «ces deux merveilleuses lumières, les yeux de cette université» «: Doneau et Juste Lipse. Le27 octobre, Doneau c reTdans le collége des professeurs et admis au serment de fidéhte aux statuts, en présence de deux Curateurs et du Senat ncadémique, dans la maison du Recteur . 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. Lp. 12. e de gaster el de Sér. II, t XII 2- P-, Harten. 1911, 1 vol. £-4° ^ des A^^^n^^^ qui conceme Doneau, dont le nom se confond facilement avec celui de Daneau. 4. Bronnen Leidsche Unwersüed, t. I, p. IA 5. Ibid.,t. I,p. 10. „'«.vnriment les Bourgmestres écrivant au Prince 6. Ibid., t. U }}*:k*™*è'neerlycke lichtel ende oogen deser Universi£U^«^ nier m eeren noemen).. 7. Bronnen Leidsche UnioersdeU, L 1, p. i"- Planche XIX. HUGO DONELLUS IC. ET IURIS PROFESSOR. Le grand juriste francais Doneau, professeur a l'Université de Leyde (1579-1587). (D'après Meursius, Athenae Batavae, 1655). UN GRAND JURISTE ! HUGUES DONEAU 161 Un mois après, le 23 novembre, il fait sa première lecon Dès le ler février 1580> „ est adjoint au Recteur eQ ^ d assesseur, « quoique ne sachant pas le hollandais ». Son enseignement avait une telle valeur et son nom était une telle garantie que la Cour d'Utrecht admit aussitót a la profession du Barreau deux docteurs en droit, recus par lui, le 3 mai 1580, après soutenance publique de leur thèse K ^ Dans sa lettre, déja citée, du 13 octobre 1581, Daneau, après s'être plaint du petit nombre de ses auditeurs, ajoute : • La plupart des étudiants, presque tous, suivent le droit civil, pour lequel nous avons Doneau, un maitre qui dépasse tous les autres. Pour les belles-lettres nous possédons ce fameux Juste Lipse, dans lesquelles personne ne peut être plus versé » *. Ayant appuyé, dans 1'affaire du Consistoire wallon, Daneau son compatriote, Doneau songe a 1'imiter dans sa retraite et, dès le 14 octobre 1582, il accepte la chaire que lui offre 1 umversité d'Attorf ». Mais Guillaume d'Orange qui, décidément, n'avait pas de chance avec ses Francais, refuse de laisser partir eet homme, dont le nom seul et 1'érudition unique apportaient a 1'Université de si riches et si insignes moissons «. Altorf revint è la charge au printemps 1584. C'est sans doute pour retenir Doneau qu'on lui accorde une augmentation de 300 florins. Le 13 septembre 1585, les étudiants demandent aux professeurs de tacher de le garder : ils avaient appris qu'il se préparait a s'en aller, la ville n'ayant pas tenu les engagements des Curateurs. Les Etats de Hollande, par Résolution du 18 septembre, hu garantissent son traitement de 1.300 florins5. Sur ces entrefaites, étaient survenus des événements d'une grande importance pour 1'histoire des Pays-Bas, et auxquels Doneau allait être étroitement mêlé. Privées de leur souverain legitime, déclaré déchu de ses droits, le 26 juillet 1581, les Pro- 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I p 14 in^D^ sur Doneau, dans Revue du Droit franfal 7t1^845 sfs ' B°det' ^ 4. Bronnen Leidsche Universiteit, p. 110* et 118* 5. Ibid., p. 40 et 41. 11 162 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS vinces Unies avaient offert le gouvernement a Francois d Alen con, duc dAnjon. La malheureuse aventure d'Anvers, la Furie francaise et bientót la mort du duc en 1584, avaient mis fin a cTproiets d'union avec le royaume de France, et c'est du cote de Sgleterre que les Etats, se sentant trop f aibles pour lutter seuls contre la puissant* Espagne, cbercbèrent leur salut. g Elisabeth, comme 1'avait fait le roi de France, re^l, souveraineté pour elle, mais désigna comme son conseiller auprès des Etats, son fameux favori Robert Dudley, comte de Leicester, demandant comme gage, Flessmgue, La Bnelle et Rammekens (20 aoüt 1585) \ L'ambitieux Leicester^sirntait ^peu de pouvoir et du peu de moyens qui lui étaientconieres eïson mécontentement s'accrut lorsque les Etats de Hollande élevèrent le 1« novembre 1585, le jéune Maurice de Nassau a la dignité de Stathouder, Capitaine et Amiral général, avec le comte de Hohenlohe comme Lieutenant. Le 7 janvier 1586, Leicester fut recu par les Etats généraux Les députés representant le parti des Régents, c'est-a-dire 1'ohgarchie des grandes villes, lui offrirent le souverain pouvoir, qu'il hésita a accepter par crainte d'Ehsabeth; mais bientót, il prêta serment, dans la vaste salie du Binnenhof, en qualité de gouverneur des Paysr Bas, a la grande fureur de la reine, qui finit par s apaiser. Lin• terdiction de faire du commerce avec 1'ennemi et la défense d ex..pGrter des vivres et des munitious irritèrent les marchands kollandais, qui prétendaient continuer a trafiquer, «neme avec les adversaires de leur propre patrie; ceci le bromlla avec les Régents des grandes villes. . Une sorte de coup d'Etat a Utrecht, le 30 jum, marqué par 1'arrestation de PaulBuys, que Leicester considérait comme fe principal obstacle a ses desseins, accrut la défiance d un pays fort ombrageux a 1'égard de la tyrannie. Leicester nommé des gouverneurs comme Sonoy, en Hollande septentnonale, sans même consulter le Stathouder. Parti pour 1 Angleterre, le 4 décembre 1586, il n'en revint que le 6 juillet 1587. Quau début de septembre, il ait projeté de s'emparer du pouvoir absolu, cela n'est pas douteux. Oldenbarneveldt (Pensionnaire de Hollande depuis le 3 mars 1586), cherche refuge aupres 1 Voir l'article Leicester par M. Haak dans Nieuw' Ned. Biogr. Woordenboek, t. rV, col. 891 a 901. UN GRAND JURISTE ! HUGUES DONEAU 163 Z lT!r^mTiCe Ct d6S EtatS de HoHande a Ddft. tandis qne les Etats Generaux se rassemblent a Dordrecht Les négociations entamées par Leicester avec 1'Espagne Ini ahenerent, en octobre, jusqu'a ses amis calvinistes et Ls nréS cants eux-mêmes commencérent a réagir. L'arresStLt L?vde du capitaine Cosme de Pescarengis, fiTdécouvrirla" rameSe c.nspiraüon dans laquelle était hnpliqué le professeuTsaravSu M^utdeToufhTe t '' ' »* * ^S^^ ~rleS RégCntS' «»* Le 17 décembre, Leicester signe son abdication, qui ne narent par suite d'un hasard, dit-on, a la connaissanceTes ELaïL Generaux que le 11 avril 1588 i Cest précisénient de la longue absence du Gouverneur en 1587, que profitéren! les Régents de Leyde et en paiSfer IWa, pour chasser Doneau, que son orthodoxie faS avée raison soupconner d'être en relations étroites avec LWer * oe Nassau, le prmce de Hohenlohe, ouvre le feu, par sa plainte Xae^l^6 ^ et ttelïZt , e i^"6 • APres avoir rappelé ses propres titres et ^ merite^ Hohenlohe se piaint de quelques étrang rl qu n'ava^t W Ls EtaÏetf ■^?Tté' répaQdu 60 iBvectives ^ntre La lettre de Hohenlohe est du 13 avril iw • iLL tarda nuirp 4 r»„ , . aYTU 10«' ; 1 execution ne ^J^^J^. — - -quête aux Etats, 7f^^^ï^^m/^^atut empoisonné: en tous cas, il 1867, un vol.WM rotaett^"** ^ W™« ^• *™neni„-^ 23-36, 85-92' ^ vie ei se? ouvrages> 332_3;„"'«■ P- 142*-4*. Traductxon ap. Eyssell, Doneau, 4. La déosion des Curateurs fut prise le 14 avril 1587 ■ rt n c dvru 1587, Cf. Bronnen Leidsche 164 professeurs et étudiants francais « Messeigneurs. . Comme ^ ^~0^^^ affligez'soulager et mainfaire droiet e^u^\Ce(n^^^ oppressez et, singulièrement, te"%CTiu™t aux vefv^s^ orfeüns et estrangers, an nombre pour faire jugement^ ' ayantreceue, ces jours passez, tetS rrmeS d'aLuns miens ennemis, une PtPwScrindigne,parlasentence de cejilx qm moms me de résister, ,e n ^^^S^t Jatieux quejeme suis ^^KSÏÏfn -t afvenu ces jours passés, promis de vostre equiie et j d»Apvril dernier passé, que MesseigneursJ s^rf ae ^mversté de Leijden, ascavoir Messieurs les Curateur^de BuSj ensemble les Monsieur de Noort^k e ^ ^ Vuniversité3 au Burgemaistres de la dicte ™^ , t faict venir, Hen destiné par eux a sans aulcune forme de par leur mandement par^ ^ f ^ ^ Pr.°C^ I"ïonZ "cun beu de me purger et defendre en ce m'ouyr ou me donn«r feirent pr0noncer par le secre- S^rSS— q«i s'ensuyct, en franeoiseten ces rité de Leyden et Messieurs, i « del'estat et degrè ^e, p„m «^S^ISit de teüe nouveau..», d*tet TeestfJ^ de —"oir'eendere uug ainsi soit que toute.tapuamte^ouscovert™ des faveur a ceulx qm sont.'^dvoeat et deteu- . . . ri-tir^sé le lendemain. La requête cit., P- 339. UN GRAND JURISTE : HUGUES DONEAU 165 ont soudain après, envoyé quérir Monsieur le Recteur Lipsius, auquel ayant declairé la sentence susdicte contre moy, luy ont défendu. d'entreprendre en ceste cause aulcune défense pour moy, c'est-a-dire pour celuy auquel par tout debvoir de son office il doit toute assistence, adjoustans qu'ils vouloient qu'il le feisse entendre aux aultres professeurs, leur défendant a tous de s'entremesler aucunement en ceste affaire, ayans aussy, a toutes requestes a eulx faictes, refusé de dire les causes qui les avoit esmeus de donner telle sentence, pour ne me laisser aucun beu de me pouvoir défendre. Une telle injustice s'estant espandue sur moy et m'estant faict un tort si évident, auquel ils persistent constamment, rien ne m'est laissé que d'avoir recours, après Dieu, aux puissances supérieures, comme présentement je fay a vos 1 Seigneuries, Messeigneurs, vous suppliant en toute humihté et obéissance deüe, de ne me dénier, en ceste2 affaire, vostre secours et justice. Et si j'ay esté appellé jadis par eux de lointain pays pour vous venir faire service; si, en ma charge, je me suis porté avecq fidelité et diligence, avecq le contentement de tous gens de bien et d'honneur; si j'ay désiré, de tout temps, de porter et ay porté en conscience a vos Seigneuries toute honneur et affection serviable, comme Dieu me commande, quelcque chose que taschent autrement me denigrer aülcuns miens ennemis; si, d'abondant, ayant dernièrement voulu suivre la vocation honorable de Heydelberch et estant sur le poinct de partir, il a semblé bon a vos Seigneuries, par commandement et instance anuables de vos lettres réiterées, me divertir et comme contraindre de laisser la susdicte vocation et de demeurer, et, a ceste fin, adjouster un instrument autenticque, qu'il pleüt a voz Seigneuries m'envoyer8, par lequel vous ordonnies que, tant que je voudroy demeurer icy en ma profession, les gages que vous y ordonnez me seroyent payés, commandans estroictement aux Curateurs et Bourgemaistres de Leyden qu'ainsy füt faict et qu'ils eussent a se reigler selon vostre ordonnance : Ces choses considérées, vostre bon plaisir soit maintenir vostre ancien serviteur contre ung tel tort faict contre tout droict et mesmement contre 2 Le Wp |ronnen P°rte * vous ». Eyssel, loco citalo, « Vos ». o' ~e p^/es Bronnen a par erreur « c'est »; Eyssel : « eest >. Iltot, PS 161 mésmXJ6tó0lriti0n des Eïat5 de Hollande mentionnée plus l'Universit* d'Aiwr I»?*** 1^5)' Do,ne«» av»it ^té appelé non seulement par i universite d Altorf, mais aussi par celle de Heidelberg. 166 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS vostre arrest et ordonnance susdicte. Et, pour eest effect, si la sentenee susdicte contre tout droict divin et humain, donnée contre ung homme non ouy, est de soy mille par toutes lo«. vostre plafsir soit la déclarer telle et suyvant ce, me declairer estre demeuré et demeurer encore de present, comme auparavant au mesme degré qu'il vous a pleü m'ordonner de touts temps et singulièrement par vostre dermere ordonnance. Ce St, Messeigneurs, vos Seigneuries feront chose digne de kur hónneur et grandeur, c'est-a-dire raison et lusüce, et, ^ticuh'ement, eL m'accroystront le desir et alfection que f.av de tont temps de leur faire trés humhle service. » 1 Ne voM-t-ü pas un excellent modèle d'éloquence judtciaire francaise au xvi« siècle ? La requête peint la comparution ÏÏ'Spé devant les Curateurs, son étonnementen entendant itbr^exécution, prononcée en francais, et ne lui arrache qu'une exclamation de stupeur : « Eh bien 1 » Le~ Etats ayant soumis ce digne document a ^PP-^on des Curateurs et Bourgmestres constatuant le conseil 6 ^adrmmstration de 1'Université, ils répondirent en formulant leurs TespTce^que nous parions d'un juriste, c'est un décTatoire de compétence; les Etats ont aussi peu a voir dans unf destitution de professeur que les Curateurs et Bourgmestres dans la mise a pied d'un ritmaistre, colonel, capitaine ou autre offlclr Cest 1'affirmation la plus nette a la fois des franchases nZcipales et de la liberté académique. Les Curateurs et Bourgmesties donnent néanmoins d'autres raisons encore et discuten iTlettre point par point, non sans longueurs, ainsi qu il est de règleles documents offieiels hollandais. Doneau ne se tient pas pour battu. H fait appel, le 21 mai, a la sohdante de ses Sègtes et solücite 1'appui du Recteur, Juste Lapse demandant que S-ci contresignat au nom de tout le Sénat la supphque au Magistrat de Leyde rédigée en Hollandais par le « famulus • Everard Blanchard Maatrat Les étudiants soutiennent leur maitre mais le Mfffdxat se venge de Blanchard, considéré comme le meneur, en lui reU rant la franchise des droits sur la bière. II y a encore d'autres pièces au dossier. Les Etats, par lettre \ Ci. nonnen LeUscke UnbemUU, t. L p. 48 et Bisschop, W^Unaen, cité pU» haut, p. 34. UN GRAND JURISTE : HUGUES DONEAU 167 du 4 juütef 1587 \ continuent a retemr 1'affaire, ce dont s'irritent les Bourgmestres et Curateurs. Le 6, était rentré Leicester et eeci va redoniier confiance a ses partisans et ses amis. Le Gouverneur anglais intervient même personnellement en faveur dé Doneau, lors d'une visite a Leyde en octobre, mandant auprès de lm les Bourgmestres et Curateurs, pour les prier de reprendre le professeur et de le restitaer en sa charge. Dans leur séance du 15 octobre suivant, les Bourgmestres et Curateurs maintiennent leur décision, affirment que son retour ne fera que provoquer de nouveaux troubles dans un milieu formé en grande partie d'éléments étrangers, trop accessibles aux « nouvelletés,,. De plus, la facon d'enseigner habituelle a Doneau n'avait été de grande utilité ni è 1'Université ni aux étudiants. Ceux-ci, a en juger par 1'ardeur qu'ils avaient mise a défendre leur maitre, en témoignaient autrement et c'était probablement une calomnie des magistrats, qui n'osaient exprimer ouvertement au Gouverneur les raisons purement pohtiques de cette destitution. C'était aussi se consoler un peu facilement que de dire, comme il était écrit dans la lettre aux Etats du 20 mai 1587 \ que le dommage résultant pour 1'Université du départ de Doneau n'était pas si grand qu'on le cnait. n Alavérité, ce célèbre représentant de notre école juridique etait venu apporter aux Pays-Bas le « mos gallicus » » et, servi par sa grande éloquence, il avait réagi a Leyde comme a Heidelberg, comme a Bourges, contre 1'étude des glossateurs et postglossateurs, desgloses et des gloses de gloses, poury substituer étude des textes mêmes, ce qui sera toujours, en toute matière, la bonne doctrine francaise. Au reste, son talent ne devait pas être longtemps sans emploi; 1 Umversité d'Altorf allait se 1'associer, tandis que Corneille de Groot, Bronchorst et Sosius se mettaient trois pour le remplacer. A Altorf, ü retrouva. Scipio Gentihs son ancien élève de Leyde,«qu'il aimait comme son fils », et celui-ci prononca après la mort du juriste, survenue le 4 mai 1591, une oraison funèbre, 1. Bronnen Leidsche Universiteit, d. 149* 2. Ibid., t. I, p. 148*. J:i^I%itüXMku^T^ Niewn Ned-Bioar- w™d«*°*. 1.1, 168 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS qui débute par un magnifique éloge de la science francaise . II n'avait donc pas survécu longtemps a son départ de Leyde ; a 60 ans, ses infirmités pouvaient le faire paraitre plus que son age. Quand 1'Université de Leyde avait été défimtivement contrainte d'abandonner 1'égüse des Béguines voilées, qui avait été son berceau, le Recteur Juste Lipse et son secrétaire Vulcanius demandèrent pour Doneau 1'autorisation d'y conünuer ses cours, car il montait avec peine les escahers, et eet abandon d un local oü il professait depuis nombre d'années, rendrait trop évident son manque de mémoire, probablement paree que dans sa distraction, le savant continuerait a s'y rendre par habitude , trait fugitif qui transforme tout a coup un document en un tableau, oü 1'on voit le petit homme a barbe courte et pointue, au regard pénétrant mais distrait, a la fraise modeste a peu de phs, s'avancant en robe, a pas machinal, vers 1 amphitheatre oü 1'attendent ses auditeurs. Opera Omnia,t. I, Luques,1752^ m-fol. Les^^^„^{„duitede 1840 laveur en ItaUe que les •taw ifrld. du xvih necie wrera v ^ ^ s^mêmeTourtas^ par Gêntilis, le 7 mai 1591 (cf. p. I«, n. 11. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 141 . CHAPITRE IV UN GROUPE de THÉOLOGIENS ! SARAVIA, Du JON, Du MoULIN, Trelcat, Basting Doneau ne devait pas être la seule victime francaise des troubles leicestériens : une autre exécution universitaire allait suivre la sienne, celle d'un professeur de théologie cette fois, nommé Sara via. Selon les fiches de la Bibliothèque Wallonne de Leyde, que nous avons inyoquées maintes fois«: Monsieur de Sarravia et sa femme ont été recus membres de 1'Eglise de Leyde en 1584 » K Dès la même date, il est question de lui dans le Livre Synodal des Églises Wallonnes 2. La « Classe » ou assemblée provinciale des Églises de Hollande et de Zélande, réunie le 29 octobre 1584, accorde aux membres de 1'Eglise de Leyde, « attendu le nombre suryenu en ceste Eglise depuis quelque temps », de choisir leur Ministre. Saravia leur communiquera ces décisions (Art. 2). En 1584 aussi, son nom apparait dans les sources de 1'histoire de 1'Université de Leyde 8. Le 12 mai de cette année, les Curateurs et Bourgmestres ayant accepté la démission de Sturmius proposent Adrien Saravia, comme professeur de théologie, au traitement de 600 florins. Le 4 septembre suivant, il est admis dans le Collége des Professeurs ordinaires. II est déja Recteur au commencement de la nouvelle année « académique », le 8 février 1585, quoique étranger, puisqu'il était né a Hesdin, en Artois, vers 1530. a Jï ^^^o6. t?tt^ flche:un Thomas Sarravia est aussi recu membre de 1'Eglise de Leyde en 1584. La fiche atée m'empêche d'admettre avec M. Gagnebin (Bulletin Eghses Wallonnes, t. i, p. 14) que Saravia a remplacé Daneau comme pasteur de 1 Eglise W allonne, en novembre 1582. Sur Doneau, il n'y a rien a trouver dans le nchier wallon. ii est cependant plus que probable qu'il fit partie de la Communauté. I. Livre Synodal conlenant les articles résolus dans les Synodes des Églises Wallonnesdei: Pays-Bas, publié par la Commission de 1'Histoire des Églises Wallonnes, tJhLÏ:6,oL685- La,Ha£e' M' Nijhoff, 1896, in-8»; t. ii, 1686-1688, La Haye isrjnoll, 1904, un vol. in-8°. - 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. i, p. 40. 170' PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS La théologie a Leyde retombait en des mains francaises. Le nouveau Recteur connaitra bientót, a ses dépens, la difficulté de sa situation. Le 4 janvier 1586, le Sénat décide que Saravia se rendra a La Haye, pour congratuler Leicester, mais en son nom personnel. Celui-ci, sur la proposition des Curateurs, le maintient comme Recteur, pour 1'année 1586 K Dans une réunion des Curateurs, des Bourgmestres (ces derniers quaüfiés pompeusement, en latin, de Consules) et du Sénat, tenue le 6 mai 1586, on adresse un avertissement au Recteur, paree qu'il va trop souvent a la Cour, chez le Gouverneur, et qu'il fait irrégulièrement ses lecons, ce dont il s'excuse sur ce qu'il est mandé par le Comte pour affaires ecclésiastiques. Dans la même séance, interrogé sur les projets de celui-ci a 1'égard d'un transfert éventuel de FUniversité de Leyde a Utrecht \ centre d'influence du parti de Leicester, Saravia déclare ne rien en savoir. Pourquoi alors est41 a Utrecht, le 25 juin, et pourquoi, le surlendemain encore, est-il absent, lors de la « promotion » d'un nouveau Docteur, a laquelle, de par sa charge, il était tenu d * 3.s sister ? Sous le Rectorat de Juste Lipse, 1'année suivante, les difficultés ne font que s'accroitre, nous 1'avons vu a propos de Doneau, et, par décision du 2 novembre 1587, les Curateurs et Bourgmestres congédient Saravia, pour avoir trempé dans les mutinenes entreprises, dans cette ville de Leyde, contre le bien public 3. Cest en vain qu'ü supphe les Curateurs dans sa requête du 30 janvier 1588 de le rétablir dans sa charge *. II proteste contre le fait qu'il a été condamné sans même avoir été entendu : le sort de Doneau aurait pu lui faire prévoir le sien. On croirait qu'après ces expériences, les Curateurs de 1'Université de Leyde se seraient dégoütés des étrangers en général et des Francais en particulier. B n'en est rien. On fait encore appel a un de nos compatriotes, Luc Trelcat, né a Erin, prés d'Arras, en 1542 5, et qui avait été, a Paris, 1'élève de Mercier et de Ramus. Déja avant qu'ü ne fut question du départ | frri^"^^ Lafondation récenbla no^umversit^de Fra/eker causait aussi a Leyde de gros souas. 3. Bronnen,*. I, p. 53, et pièces jusüücatives, n° 137, p. 159 . 4. Ibid., t. I, p. 161*, n° 140. 5 Haag, La France Protestante, 1" éd-, t. ix, p. 41**. LES TRELCATS 171 de Saravia, le 4 mai 1587, les Curateurs et Bourgmestres nomment provisoirement Lucas Trelcat, qu'ils intitulent « Minister van de Walsche Gemeynte deser stede van Leyde » (c'est-a-dire pasteur de 1'Eglise wallonne de Leyde) professeur extraordinaire de théologie, au traitement de 300 florins, en remplacement deHolman *, Les étudiants 1'ayant demandé, après le départ de Saravia comme professeur ordinaire, les Curateurs se bornent, par leur délibération du 9 février 1588, a 1'augmenter a 400 florins a condition qu'il fera quatre lecons au heu de deux par semainê K Le 10 aoüt 1591, ils lui accordent les 600 florins du professeur « ordinaire », ce qui veut dire titulaire. Beaucoup de fiches wallonnes a Leyde concernent les Trelcat D'après mes recherches aux Archives municipales de Leyde,~ le père et le fils se firent admettre comme « bourgeois de la ville 3 » : « Mr. Lucas Trelcat, de oude, en Mr. Lucas Trelcat de jonge, beyde, dienaren des Woorts alhier, hen tot burgers ontfangende hebben overzulx den burgereedt gedaen, etc » On conserve a la bibüothèque de 1'Université d'Utrecht une partie de ses cours écrits * Ü exerca ses fonetions jusqu'a sa mort survenue fin aoüt 1602». Son fils lui succéda provisoirement' mais mourut en 1607, date a laquelle le fameux Arminius le* remplaca. C'est a la même époque (10 aoüt 1591) que les Curateurs decident d'appeler a eux, en qualité de Premier professeur de théologie, un Francais célèbre, Francois du Jon, plus connu peut-être sous le nom de Franciscus Junius 6. II était né a Bourges en 1545, et y avait été 1'élève et 1 ami de Doneau. II faillit être massacré a Lyon en même temps que son autre maitre Barthélemy Aneau et partit 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p 62 350. Im'' P' 53"54' ö* aUSSi Sur TKle«t' Leto-f francaises de Scaliger, p. 344, 349- 3. Poorterboek, 1588-1602, f" 169 recto 4. Ms. Utrecht 455 (Eccl. 511) : Loei communes theologise. 5. Bronnen Leidsche Universiteit,, t. i, p. 139. Acta Senatus 1602 29 aoflt • tiS^trRASrïiriïa-d- Ut ad 30 Professores conveniant^laü! SSSSd « funus Roi. Clarissimique p. m. viri d. Lucae Trelcatii, hora 3a Domeridiana » 2. éd.° tl SPU600 "oT^T ^ Geschiedenis vak Z^defSIc^o^ calvinismeaux pi'Jnl, u ^ "* r^es h"ë™nois qui aient influeacéte KV? S°8rpnt2eL ibUOgraPhik Sur "vée1! 172 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS pour Genève, oü il arriva le 17 mars 1562. En 1565, il se dirige avec Pérégrin de La Grange, du Dauphiné oü ils se trouvaient alors, vers Valenciennes, pour y prêcher « sous la Croix», c'est-a-dire au milieu des persécutions, oü son compagnon connut le martyre. Nommé ensuite pasteur a Anvers, il fut exclu de cette ville, en vertu de Taccord conclu entre Guillaume d'Orange et les députés des Églises Réformées; le 2 septembre 1566, il alla exercer a Limbourg ; ensuite, nous le retrouverons a Heidelberg, puis a Metz, oü il remplace Taffin. Jean Casimir lui donne une chaire a Neustadt et enfin, de nouveau, a Heidelberg * Son róle dans la formation des Églises Wallonnes et, par elles, du calvinisme hollandais, fut considérable et, s'il n'a pas rédigé • la Confession de Foi, dont 1'original est conservé a la bibliothèque wallonne de Leide, au moins les retouches de langage sont-elles de lui 2. Aussi était-ce a du Jon qu'a 1'instigation du célèbre écrivain bruxellois, Marnix de Sainte-Aldegonde, bras droit du Taciturne, et de Loyseleur de Villiers, on avait songé pour remplacer Feugueray, en 1579. Le 30 octobre 1579, les Curateurs et Bourgmestres lui offrent un traitement de 600 florins3. II est tenté, mais le synode de Francfort auquel il remet la décision, aux termes de sa lettre du 31 décembre 1579, datée d'Otterburg, oü il avait fondé une Eglise francaise, refusa sans doute de le laisser partir *. La lettre des Curateurs a Junius, qui constitue leur troisième appel déja, est datée du 19 aoüt 1591. Ils mettent le prix : 800 florins. La vie a renchéri, les professeurs aussi. De plus, il aura 200 «daler» comme viatique. Honneur et profil sont, dans une même phrase, étroitement mêlés :«Songez, ó homme illustre, quel accroissement et quel assistance vous allez apporter a notre Université, quel secours a 1'Eglise des Pays-Bas et aux fidèles 1 Ct Vita Francisci Junii Bitwicensis ab ipso nuper conseripta et edita a Paulo MerulaL. B 1594 óu 1595, in-4», réimprimée en tête des Opera tbeologwa, Genève, i607 2 volL ïn-loloVtYouvera des lettres de lui dans le recueil des EpisMaeAe Vo^'iut Londres 1690, in-fol., éd. par Colomiès et aussi dans les volumes 103 a 105 S que 268; de la collection du Puy a la Bibliothèque Nationale. II y en a Vi'üntrpi a Raie et dans divers manuscrits cités par Haag. 1 Selon son autobiographie. C'est dans un synode réuni a Anvers au commencement de ma^ 1565 auquel il assista en même temps que Marnix ^ S«lnte-Aldegonde et AdrienTaravia, quSil f.t approuver la revision de la Conlession de foi qu ü avait latte Aa demande d^s EglisesPPCf. Livre Synodal, p. 12, préface• de Bo^er. 3? Cl. Bronnen Leidsche Universiteit, t. L p. 13 et pièces 56 et 58,31 décembre 15/». Le refus est du 26 avril 1580, p. 13. 4. Bronnen Leidsche Universiteit, pièce 58 p. 77*. ■ DU JON 173 de la vraie Religion; songez enfin au solide honneur et au bénéfice que vous en retirerez *. » L'exprès, qui a apporté cette lettre, est un personnage qui, aujourd'hui encore, joue, dans les Universités hollandaises, un röle important : c'est le « Pedel » ou bedeau. Huissier, massier, appariteur, factotum, secrétaire, il est tout cela et bien plus encore. Dans le cas présent, il a un nom, et un nom destiné è devenir illustre, c'est Loys Elzevier, 1'imprimeur et libraire de 1'Université, installé dans une loge a 1'entrée des amphithéatres et ancêtre d'une célèbre dynastie. Le 28 octobre 1591 », il rentre de Heidelberg, sans avoir pu rencontrer Junius, parti pour la France. Les Curateurs et Bourgmestres proposent d'écrire a Tuning, qui est en ce moment, dans ce pays, a la recherche de Scaliger: il est probable qu'il trouvera du Jon dans 1'entourage du roi Henri IV. On décide de faire récrire a Junius a Heidelberg, par Douza, le 8 février 1592 3 car, aux termes d'une lettre que le théologien a écrite è Vulcanius, le 4 décembre précédent, il y a des chances pour qu'il vienne et, le 3 mars 4, il annonce a celui-ti son arrivée. II n'est quelquefois pas mauvais de se faire prier, car, le 8 aoüt 1592 5, les Curateurs et Bourgmestres le nomment Premier professeur de théologie, au traitement de 1.200 florins, avec effet rétroactif au 20 juillet et deux cents «rijksdaalders» de frais de voyage. En 1597, il remplace, en qualité de professeur d'hébreu, Raphelengius ou Raphelengien, décédé (Résolution du 11 aoüt 1597). II abandonne cette chaire en 1601 et recoit une coupe de cent grammes (Résolution des 8-9 aoüt)«. Sa fin est proche. Cependant, le 29 juillet 1602, il écrit dans VAlbum amicorum de Boot, et nous invoquerons souvent ces sources précieuses et presque inexplorées que sont les « Album amicorum » que les étudiants faisaient signer a leurs maitres et a leurs amis : Non hic ivipou toSJov sed veritatis campus In quo Deus dux nobis est, et fldes lux ; quicumque * twB™nnenILei£iche. Universiteit, t. I, p. 182*. Sur Louis Elzevier (tl617) voir A. Willems, Les Elzevier... Bruxelles, 1880, in 8", not d xli 2. Ibid., t. I, p. 66. 3. Ibid., p. 70. 4. Ibid., pièce n» 186, p. 198*. 5. Ibid., p. 71. 6. Ibid., p. 136. 174 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS vivimus non nos, sed Christus vivit in nobis. In his esto, mi Booti, ut maneas in Christo et Christus in te. Fr. Junius Everharto Bootio discessuro scripsi. Lugduni Batavorum a. d. IIII Kal. August. MDCII \ La pieuse ame du doux théologien est tout entière dans oes ügnes; cette ame, il allait la rendre a son Dieu, le 23 octobre 1602, car, le lendemain de cette date, les « Actes » du Sénat2 portent : « Decrétum 1) ut per literas significetur D. D. Curatoribus D. Franciseum Junium ad 23 hujus mensis diem suum obiisse ; efferendum 25, hora 2a pomeridiana ; 2) ut vocetur ad funus universus Magistratus. 3) ut D. Gomarus habeat orationem funebrem, statim a fuuere# 4) ut Programmate vocentur studiosi et membra Acad. ad deducendum funus. » Tout est prévu: 1'enterrement, qui aura Ueu le 25 octobre 1602; a deux heures de 1'après-midi, les convocations a la municipalité, aux étudiants, a tous les membres du corps universitaire et «nfin Ie discours fnnèbre de Gomar ou Gomarus, a l'issue de la cérémonie. Gomarus célébrant Junius, singulier rapprochement. Non pas que du Jon fut cfuir calvinisme moins rigoureux ou moins orthodoxe, mais combien sa religion était plus conciliante que celle de ce théologien, qui allait devenir le farouche adversaire d'Arminius et qui allait fomenterles querelles théoiögieo-politiques, oü son pays pouvait sombrer * Du Jon n'avait-il pas dit dans son ouvrage préférê, nlpfl&Sf sive de Paee Ecclesiae catkolicae inter Ckristianos \ publié a Leyde, en 1593, que protestants et cathoKques, habitant la demeure du même Père, doivent se traiter en frères ? II est vrrai qu'il ajoutart que les premiers sont obHgés de se retirei' dans un corps de logis particulier, pour éviter rinfection, mais ceci n'est qu'une concession a 1'esprit du temps. II tenait a ces t. Ms. de la Bibliothèque de FUnrversité (Tutrecht, n° 1686, Album E. C. Boot, f 2 Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 140. 3 Gomar avait été professeur & 1'Académie protestante de Saumur, comme le fut 'un peu plus tard Burgersdijk. Sur Gomar voir : Lettres francaises de Scaliger, éd. Tamizey de Larroque, p. 344, 349-350. 4. Haag, La France Protestante, 2« éd., t. V, col. 718, n° XXI. DU JON 175 idéés de tolérance relative, puisqu'U les développe dans son Amiable Confrontalion. On éprouve une certaine satisfaction a constater que la France h'exportait pas uniquement les plus purs produits de 1'intolérance calviniste. Au reste, si les Hollandais se gardèrent d'appeler chez eux Castellion, 1'admirable apótre de la tolérance, au moins publièrent-ils ses ceuvres, dans 1'original et en traduciion, dès 1613 K Junius ou du Jon devait laisser aux Pays-Bas autre chose que des ceuvres de papier : allié è la fille de Jean Corput, bourgmestre de Bréda, la deuxième des quatre épouses qu'il eut, il engendra plusieurs enfants, dont Elisabeth, connue par son mariage, le 18 aoüt 16072, avec le célèbre pbilologue Gérard Vossius, un des premiers professeurs et fondateurs de 1' « Athenaeum illustre » d'Amsterdam. De son troisième mariage avec Jeanne Lhermite, d'Anvers, il eut un fils, qu'il appela Francois, comme lui, et qui, né a Heidelberg, en 1589, devint un des bons philologues du swne siècle, ancêtre de nos germanistes actuels, par ses études sur 1'anglo-saxon et le frison 3. II vécut surtout en Angleterre, a Oxford, on il attira son neveu, Isaac Vossius. II y mourat le 19 novembre 1677. Le tableau de 1'enseignement francais de la théologie a 1'Université de Leyde, entre 1592 et 1602, avec ses deux professears, Francois du Jon et Luc Trelcat, serait incompiet, si 1'on ne faisait une place a deux hommes, dont il convient de dire quelques mots. Le premier est Jeremie Bastingius ou Basting, né a Calais en 1554 *, de parents originaires d'Ypres. Les Curateurs avaient, maintes fois aussi, essayé de 1'attirer auprès d'eux 5. II avait été nommé, en 1593, en remplacement de Keuchlin, directeur du Collége des Théologiens, boursiers des Etats», mais des troubles Ca ; ^ue Louis ^ Mouhn, autre fils du célèbre mimstre, était déja devenu docteur en médecine \ y 23 janVier 1630 2' et occuPa ensuite a Oxford Ia chaire d histoire, pendant le protectorat de Cromwell 3 • si 1'on Temarque enfin que la petite-fille du patriarche protestant épouse, *ü A fCqUeS BasnaSe et P^se en Hollande avec eet illustre réfugié de la Révocation « 1'on verra se nouer les fils conducteurs du grand Refuge5. Ainsi, entre 1592 et 1602, tout un petit groupe de professeurs francais se forme a 1'Université de Leyde • du Jon ou Jumus, Luc Trelcat ou Trelcaüus, Basting ou Bastingius, du ^ d V", rUtS',.et' étant d°nnée la Verve toute P^sienne de du Mouhn, dont 1'espnt était trés acéré «, 1'on ne devait pas aennuyer, car Pineau écrivait un jour a son oncle Rivetf a propos de M. de Sardigny : . J'ay souvent pris un singulier plaisir, a le voir avec Monsieur du Mouhn a Sedan : c'étoit •entreux a qm en diroit le plus et des meilleurs ». La gaieté irancaise est éternelle, même parmi les théologiens ! 2.1éd"co1~ Un™r°il«'. t- n, p. 243 et Haag, La France Protestante, 2. Cf. Bronnen, t. II, p. 144. 4' ¥?*&' nC! FrSn^ Prolestante, 2" éd., L V, col. 827 4. Cf. Bulletin Églises Wallonnes, 2« série, t. fv n 368 5. Ce n'est pas tout: par le même Bulletin 2« Férie t m „ Ka •Cyrus du Moufin, en 1634, pasteur a I imhnZ'nl ■' V11^0- 59' on ven-a que «1636 ; et ou'eA 1664 HeSrySouZ fik dePpfer?e'ft ?! E.sPagnols> est déltvré est appelé a Middelbourg, le te aoüt! comme pasfeuf ' * Venant du Havre> X&l^A£E$£ïï£ t^TiïZ%?0 ^tfm0^1645 • d* la Sardigny 1 un des plus deliez cóvuteans de son temn? fl S agit de M°^ieur de -ayec lui. J'ay souvent pris un singuUer nlaLsir ifFtSi St bl™ mo.rt des bons mots -etc.» * MURiuier piaisir a Ie voir avec Monsieur du Moulin... li CHAPITRE V TJN FAMEUX BOTANISTE ARTÉSIEN : CHARLES DE l'EsCLUSE (1593-1609) Comme les amis de Boileau allaient le retrouver dans son jardin d'Auteuil pour converser avec lui, il est probable que les quatre théologiens francais, curieux qu'ils étaient des ceuvres de Dieu, se rendaient parfois, après leurs cours, dans le grand « Hortus » ou jardin botanique, situé, alors comme aujourd'hui, derrière la vieille éghse abritant 1'Université, et qui s'étendait jusqu'au fossé de la ville, dit « blanc fossé » ou « Witte Singel »». La les accueillait un illustre vieillard, un Francais encore, qu'on appelait Clusius, dans le verbiage érudit du temps, mais qu'ils nommaient plus familièrement de son vrai nom, M. de TÉscluse, car il était d'Arras. C'était déja un vénérable septuagénaire : il était né en 1524. Seul il avait été jugé digne de succéder a Leyde au Flamand Dodonée », et il est encore tenu aujourd'hui pour un des plus grands botanist es qui ait jamais existé. Sa" carrière avait été mouvementée, comme celle de presque tous les grands savants de la Renaissance, surtout quand ils étaient nés dans ces Pays-Bas d'oü partirent tant de messagers et d'annonciateurs de la civilisation européenne. On le rencontre en son jeune age a Gand, a Louvain, oü, en 1546, il fait son droit; a Marbourg, oü il étudie la philosophie; a Wittemberg, oü il voit Melanchton ». En 1550, il visite Francfort, Strasbourg, la Suisse, Lyon, et enfin Montpellier, oü il devient médecin, comme 1. Beaucoup de professeurs habitent encore le long de ce « fossé » I nt>w idC 110S ^^urs botaiiistes du xvi« siècle : Mathieu de Lobel ou Lobelms (d oü le nom de la familie des Lobéliacées), né a Lille en 1538, avait été, a hi 'Jim , ?°lo parUfu ^r de Guülaume d'Orange. II passa ensuite en Angleterre. oü ü mourut le 3 mars 1616. Cf. Haag, La France Protestante, 1» éd., t VIL p.104 i. Haag, La France Protestante, V éd., t. VII, p. 26. 182 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS naguère Rabelais. Rondelet, chez qui il prend pension, dirige ses études avec Laurent Joubert. II retourne a Arras, passé deux ans a Paris. En 1564, il explore 1'Espagne et le Portugal, pour en étudier la flore. Maximihen II 1'appelle a Vienne, oü il dirige ses jardins, pendant quatorze ans. En 1587, il se fixe a Francfort h Une luxation de la hanche le force a ne marcher qu'avec des béquilles. C'est pourtant, a ce moment même que, malgré cetteinfirmité, 1'Université de Leyde songe a lui confier la direction de son « Hortus ». Ce dernier datait du jour, 17 mars 1587 2, oü les Curateurs demandèrent aux Bourgmestres de transformer le terrain sis derrière rUniversité (« de plaetse achter de Universiteit ») en jardin médical, car la botanique eut la même difficulté que la chimie et les autres sciences a se dègager de 1'utilitarisme. Notre Jardin des Plantes lui-même n'est-il pas le « Jardin des Plantos médicinales », créé, en 1626, par Guy de la Brosse ? A cause de son invalidité, dans 1'incertitude sur les conditions trop modiques qui lui sont faites, de 1'Escluse refuse « de prefecture van den hof der medicynen ». Tel est le sens de sa lettre, que Fr. van Hogelande, frère de ralchimiste Theobald, communiqué aux Curateurs et Bourgmestres dans leur séance du 8 février 1592 » Après une seconde lettre, adressée au même correspondant, les Curateurs et Bourgmestres décident de lui accorder un traitement de 300 rijksdaalders et ses frais de voyage; ceci, après une nouvelle missive qu'il a écrite a Hogelande. Elle est admirable de probité et de naïveté. De 1'Escluse n'est pas ambitieux ni avare, ni f atiguê de la modicité de son sort, mais, a son age, il a besoin d'une nourriture un peu plus délicate. II lui faut, pour ses besoins quotidiens, du bois, une chandelle, des livres et un 1. Th. van Hogelande y adresse encore ga lettre du 5 novembre 1592: * m die behaussing von Doctor Vetter op den Oldenkorenmarckt ». Cf.. Jaeger (Dr F- f-)> mtShf Studiën, Bijdragen tot de kennis van de geschieden» der naiuurweten"happen in de Nederlanden gedurende de 16» en \T eeuw. (c'est-a-dire : contributie fflh des sciences naturelles aux Pays-Bas auxxvietxvii«siècles); Groningue, J' f' Broiïfn leiïschïunll^^^ ne date donc pa» da 1577. comnfe"eXentpa^ erreur Meyer, GetófcWe der Botanik, t. IV p. 263 et Tannery, dans Lavisse et Rambaud, Histoire Générale, t. V,p. 461. Le Jardin Royal de Paris, au Louvre, est de 1597 ; celui de MontpeUier, de 1 année suivante. 3ïBonnen[Leidsche Universiteit, t.% p. 70. L'épitre, fort intéressante et fort belle, est publiée page 193*, n» 180; voir aussi n° 190. Planche XXII a. Planche XXII 6. Vlr^u^c 6t Gznia. I~HjjAum 'Bctteworwm. xfV. C/d-Hovernkr m o «C itdeulc lulimma. AüTOGRAPHE DE DE L'EsCLUSE DANS I/ALBUM AMICORUM DE BoOT. (Bibliothèque de 1'Université (Tutrecht, n' 1686). UN BOTANISTE ARTÉSIEN : CHARLES DE l'eSCLUSE 183 serviteur qui 1'aide aux soins du Jardin aussi bien que pour faire ses courses en ville, car il est impotent. Mais, lui ferait-on un pont d'or, et ici se marqué la conscience du savant, il ne saurait venir avant 1'automne de 1'année 1593 \ car il lui faut non seulement achever ses travaux, mais attendre une saison appropriée pour transplanter les tubercules » qu'il cultive dans son jardin et qu'il veut emporter è Leyde. Peut-être s'agit-il de la pomme de terre, dont il répandit la culture, notamment en Picardie. Dans leur lettre du 12 aoüt 1592 », les Curateurs et Bourgmestres, abandonnant l'intermédiaire de Hogelande, s'adressent directement a Clusius, lui exposent leur désir de voir un homme de sa rèputation, exposer a jours et a heures fixes, dans 1'Hortus, - en vue du progrès des sciences médicales et naturelles, les vertus des simples. Ce sont en somme des lecons de choses, fondées sur Pobservation de la nature, qu'on lui demande, et non plus 1'étude des textes anciens. Pas de cours pubhes: mais que, seulement, 1'été, quand il fait beau, c'est-a-dire lorsque les plantes poussent vigoureusement, chaque jour, raprès-midi, au moment du coucher du soleil, il se rende au jardin pour expliquer è ceux qui le lui demanderont, les noms des herbes et dise, sur leur histoire et leurs vertus, ce que bon lui semblera. Qu'en biver il se borne, deux fois par semaine, pendant une heure, a montrer les aromates, les pierres, les terres, les métaux et les autres produits servant è la médecine ou, si cela lui est trop pénible, qu'il se contente d'assister le professeur chargé de eet enseignement. Les 300 dalers par an et les frais de voyage qu'il demande, il les aura, tant on tient a 1'ornement que sa présence apportera a 1'Académie. Le 6 septembre 1592, de 1'Escluse adhère a roffre qui lui est faite, a condition de ne pas être forcé de faire des cours 4 : il est un peu tard pour débuter et entrer dans 1'arène a soixante-six ans. S'il se sent assez valide, il se propose, par 1. La lettre a été écrite ver» le 21 juin 1592. 2. • Expectanda tarnen esset commoda tempestas eximendi bulbaceas et tuberusas sürpes »; cf. Bronnen Leidsche Universiteit. L I, p. 203*. 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 204*. n° 193 4. Ibid., lettre n» 202, p. 231*. 184 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS contre, de faire, avec les étudiants, des excursions dans les dunes pour en explorer la flore. II prie qu'on le dispense aussi des cours prévus pour 1'hiver, paree que, avec une modestie rare au xvie siècle, il avoue son ignorance relative, au sujet des métaux. Les conditions qui lui sont faites, il les accepte, puisqu'elles lui assureront une frugale aisance et il rappelle que, dans le transport du mobilier, doivent être compris oignons et tubercules, « ses déüces ». Comme ses semences lui tiennent autant a cceur que si c'étaient ses enfants, avec des recommandations et des précautions maternelles, il en envoie aux Curateurs et Bourgmestres, dès le 15 novembre 1592 % Réguüer comme une plante qui pousse, le bon vieillard arrivé a Leyde au moment fixé, le 19 octobre de 1'année suivante, puisque van Hout 2, secrétaire des Curateurs, introducteur et ami de la Pléiade francaise aux Pays-Bas, note dans son journal: « Clusius quam binnen dezer stede, den 19 octobris 1593 3 ». II aura donc pu prendre part a la déübération a laquelle le Collége des Bourgmestres convie, le 9 janvier 1594, les professeurs de médecine et de physique, a la requête de la cour suprème de Hollande, pour savoir si les sorcières, jetées a 1'eau surnageaient! Le chemin de la vraie science était encore bien long a parcourir. A mesure que les ans pesaient plus lourdement sur lui, ses fonctions semblent être devenues simplement honorifiques, et il n'est désormais question dans les documents, que de Cluyt ou, après la mort de ce dernier, en 1598, que de Petrus Paau, comme « praefectus horti ». Cependant, on convoque encore Clusius aux funérailles d'un curateur, le 2 décembre 1601 4. En 1598, il tracé d'une main 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 238*, n° 213. On y trouvera un inventaire des pïantes envoyées, qui constltue le n° 2i4. 2. Sur van Hout, voir 1'ouvrage de M. Prinsen (J. Lzn), devenu, depuis, professeur de littérature néerlandaise a 1'Université d'Amsterdam : De nederlandsche Renaissance-dichter Jan Van Hout, Amsterdam, Maas et van Suchtelen, 1907, pet. in-4°, pl. Du même, un article dans le Nieuw Ned. Biogr. Wdb., t, II, col. 608 5 612 et une étude dans la Revue de la Renaissance, t. VIII, 1907, p. 121. Voir aussi la these récente de doctorat de 1'Université de Paris, sur L'Alternance binaire dans le vers néerlandais du XVI' siècle, par M. J. van der Eist, Groningue, Jan Haan, 1920, in-8. 3. Bronnen, t. I, p. 77. Bronchorst dans son Diarium (1591-1627), éd. p. J. C. van Slee, La Haye, 1898, 8°, p. 65, ne mentionne point 1'arrivée de Clusius. On trouvera au t. I, p. 294*, n° 263 des Bronnen, une lettre de Clusius & Douza, du 10 mars 1594. Dans une missive des Bourgmestres a ce dernier, Cluyt, pharmacien, est désigné comme assistant de de 1'Escluse. 4. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 134 : « Placuit Senatui et ut id ipsum significetur etiam DD. Scaligero, Clusio et Cuchlino. » UN BOTANISTE ARTÉSIEN l CHARLES DE L'ESCLUSE 185 nette mais un peu tremblante, avec une écriture assez apprêtée, sur 1'album d'Everard Boot, ces mots (cf. pl. XXII): «Virtute et genio »,• devise qui s'adaptait admirablement a sa vie. II s'endormit doucement a Leyde, le 4 avril 1609, dans sa quatre-vingt cinquième année *. De 1'Escluse est enterré dans 1'église Saint-Pierre de Leyde, ce Panthéon des gloires hollandaises, oü reposent aussi lê grand Huygens, le physicien; Jan Steen, le peintre; Dodonée, 1'émule de Clusius; notre génial Scaliger et Polyander, si bien que ce Panthéon n'est pas moins dédié è nos gloires qu'a celles des Pays-Bas et que ceux d'entre nous qui ont le culte des ancêtres et le respect de notre passé scientifique, doivent venir méditer sous ces voütes en tiers-point et dans ces nefs que le calvinisme a dénudées de tentures et d'images. ' 1. Haag, La France protestante, 1™ éd., t. VII, p. 26. CHAPITRE VI LE PLUS GRAND PHILOLOGUE DU XVI*8 SIÈCLE : JOSEPH-JUSTE SCALIGER (1593-1609) J'ai nommé Scaliger; il fut 1'ami de de 1'Escluse pendant toute la durée, sensiblement la même, de leur séjour a Leyde, et ils s'y éteignirent en même temps, aux limites de la vieillesse. Ce que la découverte d'une fleur était pour de 1'Escluse, et elle 1'emplissait d'une joie aussi grande que s'il avait trouvé un trésór, la découverte d'un manuscrit 1'était pour Scaliger. La précision merveüleuse que le premier mettait a classer une plante, celui-ci 1'appliquait a décrire un palimpseste. Nulle rivalité entre eux, puisque 1'objet de leurs soins était bien différent. Un zèle pieux pour la vraie religion, selon eux, la doctrine de Calvin, les réunissait dans le temple wallon, qui» a la même date fatale de 1609 et dans la même ville de Leyde[ devait assembier leurs os a la place, dit-on, d'oü ils écoutaient le sermon. Plus tard, en 1823, on transporta leurs cendres dans cette église de Saint-Pierre, dont nous parlions a la fin du chapitre précédent. II m'a fallu longtemps pour y retrouver la tombe parmi les dalles : elle était a demi cachée sous les gravats des réparations et les planches destinées aux échafaudages. Bientót, sous le balai du bedeau, dans un coin du transept nord, se dessinèrent les lettres en creux de 1'inscription (cf. pl. XXV), dont voici la restitution : JOSEPHUS JUSTUS SCALIGER JUL. CAES. F. HIC EXPECTO RESURRECTIONEM. TERRA HAEC AB ECCLESIA EMPTA EST NEMINI CADAVER HUC INFEHRE LICET l. p. 9Ï*tetH ert delTVoriS.^6™' Beschruvtn9 der siad ^yde, t I, 1762, «JZ ^ercje u-jeune ft'sayant heUéniste de 1'Université de Bruxelles, M. H. Gré- fe d!Ü™h ^wuluhrelTe le, Ch?pitre consacre a celui ^'U considère comme ie plus grand phüologue de tous les temps. 188 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « Joseph Juste Scaliger, fils de Jules César; en ce lieu j'attends la Résurrection. Cette terre a été achetée a 1'Eglise; il n'est permis a personne d'y ensevelir un cadavre. » Hélas 1 des Vandales ont brisé la pierre sacrée, sans doute, lors du transfert du corps, pour la faire entrer dans je ne sais quel groupement de dalles nobibaires. Aujourd'hui, les professeurs mêmes de 1'Université qu'il honora, ignorent souvent 1'existence de cette tombe. Pourtant 1'homme qui dort la, s'il fut petit de corps, fut grand par 1'esprit. C'est un des géants du xvie siècle, un de ces hommes dont le savoir encyclopédique illumina les ages et dont, aujourd'hui encore, la philologie comme 1'histoire, continue a exploiter les découvertes. II est, en lui-même, la Renaissance, car 1'antiquité entière revivait en ce vaste cerveau. II en savait les textes par cceur, il en recherchait les monuments et les manuscrits; malheureusement il croyait qu'ils étaient toute la science humaine; ce passé était si grand et si cher è ses yeux qu'il suppléait le présent et contenait 1'avenir. C'était la clé magique de tous les problèmes qu'il pensait posséder et c'est pourquoi il traita, avec une incompétence égale, mais une érudition formidable, de la quadrature du cercle, du percement des isthmes et de la médecine; mais son Emendatio tempomm, malgré les préjugés anti-papistes qui la rapetissent, reste un monument remarquable et Tamizey de Larroque a pu diré è bon droit que Scaliger était le créateur de la science chronologique et de la science épigraphique l. Au reste, quand même 1'ceuvre entière serait caduque et inutilisable, ce qui n'est point, Scaliger est un des hommes dont 1'exemple et 1'action furent immenses. II est 1'honneur de la philologie francaise qui, après 1'italienne, avec plus d'exactitude et moins d'imagination que celle-ci, devanca toutes les autres; il fut 1'honneur aussi de 1'Université de Leyde, qui sut se 1'attacher. Lorsqu'un historiën francais, Charles Nisard, voulut, dans un livre, d'ailleurs passionnément injuste, et qui, en ce qui touche notre auteur, a plutöt les allures d'un pamphlet que d'une étude, rassembler trois des plus grands savants du temps, sous une même rubrique : Le Triumuirat Littéraire au XVIe siècle 2, il 1. Lettres francaises de Scaliger, éd. Tamizey de Larroque, p. 8. 2. Paris, Amyot, s. d., in-8» [1852]. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 189 réunit Juste Lipse, Joseph Scaliger et Isaac Casaubon. N'est-il pas curieux que 1'Université de Leyde se soit associé les deux premiers et qu'elle faillit avoir le troisième, que 1'Angleterre garda ? Joseph Juste de 1'Escale ou de la Scala était né a Agen, dans la nuit du 4 au 5 aoüt 1540 \ le dixième des quinze enfants que Jules César Scaliger eut de sa femme Andiette de RoquesLobéjac. II remontait, ce fécond médecin-philologue, aux princes souverains de Vérone ; Scioppius le nie, mais ni lui ni son illustre fils ne permettaient qu'on en doutat et, par une faiblesse fréquente chez les grands hommes, ils tenaient encore plus a ces hochets de la vanité humaine qu'aux titres de gloire acquis par eux dans les lettres latines. A onze ans, Joseph-Juste était allé en ce fameux Collége de Guyenne, a Bordeaux, oü 1'avaitprécédé Montaigne, etil y profita comme lui des lecons de Muret et de Buchanan. II y passa trois ans avec deux de ses frères, puis revint a Agen, pour être 1'élève de son père, qui lui faisait copier ses poésies latines et faire une dissertation par jour dans la langue de Cicéron, ce qui 1'amena a composer une tragédie d'CEdipe a seize ans. Le père étant mort le 21 octobre 1558, il se rend a Paris, a dix-neuf ans, pour y apprendre le grec chez Turnèbe, mais, lassé de la lenteur de ses méthodes, il s'enferme dans une chambre et, en vingt et un jours, il achève la lecture d'Homère en s'aidant d'une traduction latine. Au bout de deux ans, il possède toute la httérature grecque qu'il explore sans dictionnaire et sans grammaire 2. Bientot ce champ devient trop étroit pour son avidité de savoir; il apprend 1'arabe et compose.un Thesaurus linguae arabicae. II acquit peu a peu treize langues, ce qui arracha a du Bartas, ce cri d'admiration, dans ses Poètes Francois, au deuxième Jour de sa deuxième Sepmaine 3 : Scaliger, merveille de nostre aage, Le Soleil des scavans, qui parle eloquemment Hebrieu, Gregeois, Romain, Espagnol, Alemant, 1. Haag, La France Protestante, 1" édition, t. VII, p. 1. 2. Sandys (John Edwin), A Hislory of Classical Scholarship, t. II, Cambridge University Press, 1908, in-8°, p. 199. 3. En tête des E pis tres francaises des personnages illustres et docles a Monsr. Joseph Jusle de la Scala, mises en lumière par Jaques de Reves. A Harderwyck, chez. la vefve de Thomas Hcnry, pour Henrv Laurens, libraire a Amsterdam, 1624(Bibliothèque Nationale, Z 14322), 1 vol. in-12. 190 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Francois, Italien, Nubien1, Arabique, Syriaque, Persan, Anglois et Chaldaïque Et qui, chameleon, transflgurer se peut, O riche, 6 souple esprit I en tel aucteur qu'il veut, Digne fils du grand Jule et digne frere encore De Sylve, son aisné, que la Gascogne honnore. Dans ces quatre années de Paris, il se rapprocha des Protestants et écouta leurs prêches, oü Ie mena M. de Buzenval, frère du futur ambassadeur de France en Hollande, qui jouera un róle dans rarrivée de Scaliger a Leyde. En 1563, il se Me avec Louis Chasteigner, sieur de La RochePozay, en Poitou. II devait, plus tard, être le précepteur du jeune Henry de La Boche-Pozay, le futur évêque de Poitiers qui, en 1596, se vante d'être son *recognoissant disciple », et, en 1607, se plaint qu'il n'ait pas inscrit comme dédicace, sur 1'Eusèbe qu'il lui offre, « alumno » 2. Dans sa retraite au chateau de Preuilly, il écrit ses commentaires sur Varron, son premier ouvrage, et, en 1565, il accompagne a Rome, Louis de La Roche-Pozay. II reste en Italië jusqu'en 1566 et Muret 1'y présente a des érudits. II visite Vérone, berceau de ses ancêtres, mais travesti et sous un faux nom, paree que, dit-il : « Si les Vénitiens me tenaient, ils me eeudraient dans un sac », II recueille des inscriptions que Groter insérera, en 1602, dans son Thesaurus inscriptionum. Après avoir visité 1'Angleterre et l'Ecosse, il semble avoir pris 1'épéeen 1569, dans les Guerres de religion, puisqu'il écrit, en 1571, a Pierre Pithott : « Quamdiu fui in militia ». En 1570, nous le trouvons a Valence auprès de Cujas. Ce séjour fut pour lui décisif, il en parle en termes enthousiaste*. Cujas 1'engage a faire du droit et le tient en si haute estime qu'il écrit : « Doctissimus J. Scaliger a quo pudet dissentire », et, en 1581, peu après la perte de son fils : « J'ai céans M. de la Scala, de qui la douce compagnie m'a tiré du sepulchre oü j'étois misérablement tombé et m'a essuyé une partie de mes piteuses larmes 3. » 1. Sur les connaissances de Scaliger en éthiopien, voir plus loin p. 211 n. 3. 2. II écrit de Paris, 30 mars 1607 (Epistres, p. 9) : • me plaignant seulement de ce que, au bout de mon nom, vous n'avez écrit Alumno dans 1'Ensebe qu il vous a pleü me donner, car c'est une qualité que je tiendray, toute ma vie, aussy chere que celle que jé prends', Monsieur, de vostre tres humble et tres obeissant serviteur. Abain. » , „ , ,. . „ . 3 €f Haag, La France protestante, lr* éd., t. VII, p. 4. Sur les relations de Cujas et de Scaliger, on lira avec pro fit 1'article que M. P. F, Girard a poblié dans la Nouvelle un philologue du xvie siècle j J.-J. scaliger 191 C'est aïissi a Valence, dont 1'école de Droit était alors célèbre, qu'il se lia avec de Thou et avec Monluc, évêque fort épris d'humanisme K Ce dernier voulait 1'emmener en Pologne comme secrétaire, mais, a Strasbourg, Scaliger, ayant appris le massacre de la Saint-Barthélemy, décida de se réfugier en Suisse pour s'y faire recevoir habitant de Genève, le 8 septembre 1572, et y accepter une chaire de philosophie 2. II ne se récusa point, comme le prétend Charles Nisard, qui, par une contradiction singulière, 1'accuse, a ce propos, a la fois de trop d'orgueil et de trop de modestie. Elu professeur le 21 octobre, il demanda et obtint son congé en septembre 1574. II expliquait YOrganon d'Aristote et le De Finibus bonorum de Cicéron, mais il n'était pas propre, dit-il lui-même, a « caqueter en chaire et a pedanter » et, profitant de 1'accalmie, il rentre en France pour retourner auprès de M. de La Roche-Pozay, au chateau d'Abain 8. C'est la qu'il prépara ce fameux De Emendatione temporum (1583) 4, qui mit le sceau a sa réputation et resta un des fondements de la science de la Chronologie, sur laquelle nos grand Bénédictins des xvii» et xvin» siècles allaient s'exercer. Cet ouvrage devait appeler sur Scaligér 1'attention de 1'Université de Leyde, au moment oü celle-ci songe a pourvoir au remplacement de Juste Lipse 6, Justus Lipsius, que Revue historique de droit francais et étranger, aont-décembre 1917, p. 403 a 424, sous Strr^fJw XÏ* \ ■ ?i ie C?&^ d.e ScaUaer- On y trouvera une intéressante épitre laüne de celui-ct h Samt-Vertunten, découverte par M. Seymour de Ricci. 4nimG/Vi^7of'.°P- V'-'.1" éd-' ** VI1' P- 488- Choisnin disait de Scaliger, dès cette époque (1572) :«qui est pour son aage un des plus rares de ce royaume. » o t Fe8|?tre A de & Compagnie des pasteurs, cité par Haag i«^Ti te*gne.r' s' VQ*** <*.de La Roche-Pozay, fut ambassadeur a Rome, ™ ?™li n. 'f.ï ' 'n ^te mialité, la-bas, la visite de Montaigne. Cernl-cf, dans trt fiï^ifJ^paS T »^on,de ScaUaer et ne semble donc pas l'y avoir rencontré, in is Toin de Montaigne, p. p. L. Lautrey, 2' éd.. Paris, Hachette, 1909, ^ ï'l'Jhi;;;^" % A T01?5 "ï" a,ne m P81111»le» * autres scavans » qui, a la table d?Amyotf discutent, avec Montaigne et Muret, de la valeur de la traductlou nnkJLaïJ?~t P1as ^r'"" autrc Fj-ancais, Beroald, le précéda avec sa Chro¬ nologici, qni est de 1577. Cf. Haag, La France protestante, 2" éd., t. ii, col. 403. r,,lnr»^.,^ ^lp?e'le.Hwe * Nisard déja cité, L. Galesloot, Paritin %nn J^ A 2!f ! J^&PseJAnwdes de la Sociéti d'émulatton pour Vétude de In ?fiidf t t. Séllt' r l' Brngei.' 1876-7>- Un Moixdes Epttres de Juste Lipse parut Sam 1 ««"V 'i fres '"^.''f* ont été publiées par G. H. M. Delprat, Amster- hX/„78 at tlr enCore un a^ele de M. Roersch dans la Biographie Nationale de JrlT, onta'8ne Parle de J^e Lipge dans ses Bssais, L 26; ii, 12; ii, 334 T™tit JeM}ro?r'.p- 4?); Les Politiques ont été traduits par Goulkrd, 1594. Cf. S, V,°Vunf Ll,pse f le mouyemeul anti-Cicéronien d la fin du XVI' el au ri^nart LrLi slécl">J*™J*Jievue du XVI' siècle, 1914, t. ii, p. 200. Sur son " ^ 4 *" 6° aui°urd'hul4 Ce qui est encore 1'usage dans les Universités hollandaises. 13 194 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS flambeau, ils le supplient de se hater et de ne pas faire attendre plus longtemps aux candidats de la Faculté des lettres 1 erudrüon du Phoenix de la Gaule. ». *k.i«m La lettre du Prince Mauricea Henn IV, datée du 6 octobre iö»lf est moins ampoulée : le tempérament de ces deux soldats ne s'y orête pas. Peut-être même 1'homme de guerre se trompe-t-il de terme, car il émet le voeu que « la dicte Université, comme fondation de feu Monseigneur le Prince d'Aurange, demeure proveüe de telz officiers, comme elle en a1 besoing pour son accroissement*» II s'agit d'un ordre. Qu'il plaise donc a Henn «d'interposer son authorité, affin que le sieur Joseph Scaliger {celui-ci eut préféré del'Escale ou de la Scala) qui, par sa doctrine et aultres bonnes qualitez est enrenommée par tonte l Europe, vienne par deca a deservir la place du dict Lipsius^ » La missive des Etats de Hollande a Henri IV est datée du lendemain et est plus fleurie : le Sr Joseph Scaliger y est encore qualiné «le Phoenix de I'Europe » et ils invoqnent, pour obtenir 1'appui du roi, «I'interest trés évident que la Gloire de Dieu et service de la cause commune en rapporteroyent ». Dans une autre lettre, du même jour, a Scaliger, ils lui donnent de « Vostre Seigneurie », par quatre fois en huit Bgnes, et eest bien plus adroit • «Qu'il plaise è Vostre Seigneurie semr de flambeau et esperon aulx estudes languissans de la jeunesse par deca, a 1'avancement de la gloire de Dieu et service de la cause commune, asseurans Vostre Seigneurie qu'en tous endroicts, elle se trouvera rencontrée du faveur et respect que sa trés noble race et doctrine L'histoire des deux ambassadeurs de la science hollandaise auprès du savant francais est bien amusante. M. Molhuysen a pu la suivre, jour par jour, ponr ainsi dire, par les comptes de Tuning». Premier contretemps : en Zélande, Baudius, embarrassé dans des discussions avec des marchands, refuse de sembarquer avec lui et promet de le rejoindre a Caen. Le premier rapport de Tuning, en hollandais, est daté du camp de Henn IV TiLrnetal sous Rouen, le 2 décembre 1591*. II s'est dingé d'abord vers Caen, centre commercial et universitaire tres 1. Ms. . aiqui est une faute, a moins qu'il n'y ait une coquiUe dans le texte de M. Molhuysen. . T *at* r,o irr li S^T&^SwS^ Ltfle^Levde, 1912. Vu vol. in-4». 4. Bronnen, t. I, p. 187*, n" 173. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 195 fréquenté des Hollandais. Non sans périi ni peine, il a été retrouver le roi dans son camp è quatre kilomètres de Rouen qu'ü assiège. Introduit dans sa chambre a coucher, il n'a obtenu d'Henri que cette réponse:« Je ne pense point qu'il ira 1 1», ce qui n'empêche pasle souverain de faire rédiger par son secrétaire des lettres pour Scabger. Tuning communiqué alors une série de nouvelles des opérations mililaires et, visiblement inquiet, le paisible professeur hollandais ajoute : « Pendant que je vous écris de nuit, les mousquets font tiaf, tiaf, n'a/»*; cela lui donne un air de bravoure et une teinture d'homme de guerre. Suit un croquis d'Henri IV, pris sur le vif: «Sa Majesté veille, jour et nuit, avec une audace indicible, au point de ne pas hésiter a sortira cheval, dans la nuit noire, avec quatre ou cinq gentilshommes, comme il le fait en eet instant. Partout c'est la misère, la pauvreté, le chagrin et une cherté excessive de tout ce qui est nécessaire pour vivre ». Ah! la guerre en Hollande, pensait-il sans doute, ce n'est pas la même chose, car elle y va de pair avec 1'abondance. Mais ici « sur toutes les routes, c'est 1'angoisse et la crainte d'être assassiné, pillé, volé et fait prisonnier. » C'est pourquoi il a été forcé de se faire faire de mauvaises nippes d'homme du peuple, pour avoir 1'air d'un charretier allant par les routes. Dans sa lettre aux même Curateurs et Bourgmestres, datée du 28 décembre 1591, Tuning insère une copie légahsée de la lettre qu'Henri IV a écrite, le 3 décembre précédent, a Scaliger: « Monsr. Scaliger, les Sieurs Estats de Hollande, soigneux de ne laisser esteindre les belles lumières de doGtrine et vertu que leur Université de Leiden a produictes jusquesici au proflet du public et de rechercher les moyens plus propres, la oü ils se peuvent trouver, pour la maintenir en sa splendeur, ont-particuhèrement jeté les yeulx sur vostre personne »... La dépêche est assez pressante. Ch. Nisard insinue qu'ehe 1'est plus que le savant ne 1'eüt souhaité, car il aurait préféré qu'on le retïnt. Toujours est-il que Henri invoque, outre «le devoir que chacun a de communiquer au pubhc les graces que Dieu luy a departies...», «le merite et honneur » qu'il y pourra acquérir, sa propre amitié pour les Etats, 1'intérêt de la chrétienté, car le bien qui dérive de cette 1. En francais dans Ie texte. 2. Bronnen, L p. 188*. Void roriginal de cette curieuse phrase : « Dit schrivende ni nacht gingen de roers : «tiaf, tiaf, tiaf ». 196 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS source de Leyde peut se répandre partout. Brochant sur le tout, une promesse «de quelque bonne gratificationet recognoissance » de la part du roi, vient fortifier 1'intercession *. Les dangers immenses et angoissants qui environnent le bon Tuning de toutes parts, a ce qu'il écrit, lui feraient volontiers renoncer a poursuivre son ambassade de Caen a Tours, oü les chemins sont particuüèrement peu sürs, les paysans euxmêmes assassinant souvent, par méfiance, les passants. Cependant, il va se mettre en route, le lendemain matin, a pied, avec un seul serviteur et, vêtus tous deux en laboureurs2, ils se joindront a une troupe d'autres voyageurs. Quant a Baudius, enfin arrivé a Caen, la grandeur du péril le retient au rivage. D'Alencon, le jour de 1'an 1592, Tuning confie a van Hout sa navrante mésaventure : il avait loué a Falaise un messager et 1'avait envoyé, chargé de ses lettres, un peu en avant de la petite troupe de marchands de poisson, a laquelle lui-même s'était joint. II avait probablement peur d'être pris par ceux de la Ligue. La précaution, si elle était peu courageuse, n'était pas superflue, car c'est ce qui arriva au messager, dont la bonne foi n'est peut-être pas hors de cause. A 1'arrivée de la petite troupe, dans les bois aux portes d'Alencon, les Ligueurs assailürent le messager, qui la précédait d'un quart de mille, le laissèrent complétement' nu et lui volèrent ses lettres. Tuning et ses compagnons se gardèrent bien de s'élancer a son secours et s'estimèrent heureux de passer inapercus, pour parvenir jusqu'a Alencon. Ils sont a Tours, le 6 janvier, et commencent par s'y renipper de pied en cap. Le médecin Charles Falaizeau prête, a Tuning un cheval, au serviteur de celui-ci un mulet, et, sous la conduite du Prévót de Loches, ils s'acheminent en eet équipage, le 15 janvier, vers Preuilly oü, le 16 au soir, les accueille Louis de Chasteigner de La Roche-Pozay, Seigneur d'Abain, son fils HenriLouis, le futur évêque, et son savant précepteur, M. de la Scala. Le pauvre Tuning est tout éploré d'avoir perdu ses lettres. Néanmoins, il remplit fidèlement et oralement sa mission. C'est ce que Scaliger raconte aux Etats dans sa lettre du 21 jan- 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 190*, n» 175. „ , . , „ 2 ibid p 209*: «Voor de boereclederen die ic voor mi ende miin dienaerieü aoen mai'cken om'te veiliger door de perickelen op Tours te geraicken betaelt: 34g.15 st. » Je signale aux historiens tout ce compte d'un voyage en France en 1591-loa^, p. 206* a 214* au tome I des Bronnen. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 197 vier 1592, déja imprimée au xvne siècle, dans ses Epistolae 1. II a confié au professeur qui les répétera de vive voix, les motifs de son refus, sur lequel il ne sera pas plus explicite dans sa missive a Douza, de même date 2. Le 23, Tuning quitte Preuilly et le 27, Tours, en brillante compagnie cette fois, avec «Mons. de la Trimouille » et le premier Président du Parlement de Paris « Achilles Harley » 8, qui le conduisent au quartier du Maréchal de Biron, dans le camp royal, sous Rouen. Notre maitre ne doit plus se sentir d'orgueil. Ce sentiment fait place a la terreur, quand, le 15 février, il s'agit d'échapper a la menace du duc de Parme, pour gagner Dieppe. II s'y embarque pour 1'Angleterre, gagne Londres et Gravesend, d'oü enfin il atteint, le 12 mars, Armuyden, en Zélande. Après' avoir rendu compte aux Curateurs, le 8 aoüt, il est, en récompense de ses peines, nommé professeur ordinaire au traitement de 500 florins 4. Ainsi finit heureusement cette malheureuse expédition. Le 14 aoüt 1592, les Curateurs et Bourgmestres, prirent Pinitiative, pour satisfaire au voeu de Scaliger, transmis par Tuning, de faire faire, par le fameux graveur Henri Goltzius, pour 216 florins, deux planches, représentant 1'une, Jules César Scaliger, 1'autre, son fils Joseph. Tout ceci n'est que travaux d'approches en vue d'un nouvel assaut. Le ler novembre, les Curateurs et Bourgmestres5 insistent auprès de Scaliger, pour qu'il vienne restaurer chez eux par sa présence, sa noblesse, son génie, sa science, son « humanité », le royaume des lettres. Ils s'adressent encore le même jour a deux médecins de ses amis a Tours, Fr. de Saint-Vertunien, Sr de Lauvau, et Charles Falaizeau, afin qu'ils s'entremettent auprès de 1'homme incomparable 6. L'effort est parfaitement combiné. Les Etats de Hollande, dans leur lettre en francais du 26 novembre 1592, le pressent de leur cöté 7: « Venez doncques non seulement pour estre en repos et seureté, mais aussi aymé, 1. niustriss. Viri Josephi Scaligeri, Julli Caes. a Burden F. Epistolae omnes quae reperiri potuerunt, nunc primum collectae ac cditae... Lugduni Batavorum, ex officina Bonaventurae et Abrahami Elzevlr. Academ. Typograph. 1627 (Bibliothèque Nationale, Z 14002, 1 vol. in-12. L'exemplaire porte cette note manuscrite sur la feuille de garde : liber prohibitus). 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 197*. 3. Ibid., p. 210*. Compte de Tuning. 4. Ibid., t. I, p. 71. 5. Ibid., p. 72 et n» 205, 206, 207, pp. 233* a 235*. 6. Ibid., p. 235*. 7. Ibid., p. 236*. 198 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS chery et respecté, tenant pour asseuré qu'estes attendu icy de si bonne devotion et d'aussi prompte bonne volenté que nous souhaittons d'estre recueiUies noz recommandations trés affectionnées, priant 1'Eternel... etc. » Comme les Curateurs et Bourgmestres se sont assuré deux auxiliaires, les Etats s'en assurent deux aussi, formant pointe d'avant-garde, et ils sont d'importance, J. A. de Thou, le grand historiën catholique, auquel ils s'adressent dans les termes que voici : « Monsieur, D'aultant que prenons bien au cceur 1'accroissement et splendeur des Lettres, nous avons trouvé convenable d'envoyer iterativement vers Monsr. de la Scala pour lui rendre 1'honneur que merite sa tres noble et singulière vertu et doctrine, estans d'opinion que, se retirant du milieu des guerres civiles et troubles aiguz, qui courent par toute la France et allentissent la gaillardise des bons esprits, il auroit fort bon moyen, par decha, de mettre en lumière ses tres precieuses ceuvres qui, aultrement, periront par 1'iniquité du temps présent et demeureront enseveües dans le cercueil d'oubüance. » L'autre appel a du Plessis-Mornay n'est pas moins ardent, pour que M. de la Scala1 vienne « servir d'ornement et Splendeur des Lettres en 1'Academie... a Leyden ». Le Prince Maurice écrit également a Scaliger, le 27 novembre 1592, et enfin a Louis de Chasteigner de La Roche-Pozay en ces termes 2: « Monsieur, 1'Academie de Leyden a besoin, pour son accroissement, d'un personnage tel que Monsr. de la Scala, qui la puisse par son grand scavoir et renom rendre celebre ». II écrivit aussi, car tout ici se fait par deux, a Monsr. le conseiller d'Emmery, c'est-a-dire a de Thou. Mais il f allait une couronne de fleurs a joindre a tous ces parchemins : ce fut une femme qui la tressa et 1'offrit; elle portait un nom cher et glorieux entre tous. Elle aimait les poètes, comme en témoigne 1'Album conservé a la Bibhothèque de La Haye8, elle vénérait les savants : c'était Louise de Coligny. « Ils ont icy, écrit la Princesse a Scaliger, le 9 janvier 1593 4, le repos et la tranquillité autant assuré qu'en nulie région de 1'Europe, suget requis pour y convier et retenir les Muses. Mais 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 236*. 2. Ibid., p. 237*. 3. Cf. van Hamel, L'Album de Louise de Coligny, dans Revue d'Histoire Littéraire de la France, 1903, p. 232. 4. Bronnen, t. I, p. 244*. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 199 ils auroient besoin d'un homme rare en doctrine comme vous, pour donner nom et bruict a cett' Academie. U est en vous de la faire fleurir par vostre presence... et vous puis asseurer, monsieur Scaliger, que vous serez caressé et honoré en ce lieu, autant ou plus qu'en autre province oü vous puissiez choisir vostre demeure... » Bien plus, elle donnera 1'exemple en lui confiant son fils Frédéric-Henri : « et me donnez ce contentement... de vous voir en lieu oü mon fils ait ce bien de vous approcher, car je me delibere mesmes de 1'envoyer dans quelque temps a Leyden. II commence a apprendre les Lettres; j'estimeray que vostre seule ombre puisse beaucoup a le faire devenir savant. » Louise est femme et elle est Francaise, elle comprend, pour 1'avoir éprouvé, qu'on souffre a être loin de la Patrie et qu'il est dur a monter l'escalier de 1'étranger: « Vous quitterés la France, mais aussi bien n'est-elle pas maintenant elle-mesme et vous en trouverés icy quelque portion. » Est-ce elle qu'elle désigne ou songe-t-elle aux autres Francais qui sont dans le pays, ou a sa chère Eglise Wallonne ? ou veut-elle dire simplement, ce qui est vrai, qu'il y a_ la tant d'amour pour la France que 1'exil y est un peu moins pénible a supporter ? Notre ambassadeur Paul Choart, seigneur de Buzenval, allait joindre ses instances a celles de la Princesse. Sa lettre est, de beaucoup, la plus intéressante, paree qu'elle a les allures d'une confidence et qu'elle nous initie aux idéés, impressions et sentiments qu'un Francais pouvait avoir sur la Hollande d'alors. Elle est datée du 2 janvier 1593 et adressée a Scaliger, qu'il avait rencontré, vingt ans auparavant, en Savoie, et qu'il y avait fréquenté aussi familièrement que sa propre « jeunesse et rudesse», pouvaient approcher de sa «meureté et pollissure ». Depuis, il avait déserté les études pour la diplomatie, qu'il avait exercée, depuis deux ans, aux Pays-Bas, oü il a « enduré beaucoup d'incommoditez, pour les misères et pauvretez de nostre France », mais oü il a aussi « receü du contentement pour y avoir trouvé des moyens, et aulx plus grands besoings de nostre Estat, de bien servir et secourir Sa Majesté et tant d'affection au bien de ses affaires que nous n'en pouvions espérer davantage *. » 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 242*. 200 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « Or ces pays, contimie-t-il, ayants ce bonheur par-dessus les aultres que la guerre, qui les aultres faict faner, les faict florir, ha cherché avecq beaucoup de soing, despuis quelques années en ca, de se faire valoir par les lettres et n'ont rien espargné pour appelier en leur Université de Leyden les plus doctes hommes desquel ilz se sont peü adviser. Ilz ont perdu (plutost luy mesme s'est esgaré), despuis quelque temps, Lipsius. Ilz ont recouvert Franciscus Junius, grand personnaige en toute sorte de lettres et principalement en théologie \ Mais, quelques richesses qu'ilz ayent, ils s'estiment pauvres, s'ils n'ont Monsieur Scaliger. Ilz disent n'avoir rien de si précieux qu'ilz ne changeassent volontiers a un tel acquest. » C'est Buzenval qui, voyant leur désir, s'est offert a les aider 2 : « Ils ont en adnüration vostre ombre et de la jugez combien ilz reverent vostre presence...; ilz demandent un nom qui face croistre celuy de leur Université, qui est encores naissante et presque en son berceau. Hz scavent qu'ilz n'en peuvent avoir de plus célèbre que le vostre. Prestez le leur pour un an, prestez le leur pour dix, pour tant et si peu que vouldrez, ilz s'estimeront obligez a vous. » Vient maintenant un argument plus concret et qui devait atteindre le cceur de ce savant tout en lettres écrites, pour qui rimprimé était, après le manuscrit, le souverain bien et le but suprème de 1'existence : « Ilz ont la plus belle imprimerie de ces pays et tout ce qui estoit de bon dans celle de feu Plantin et Raphalingius3, docte personnage et professeur es-langues hébraïque, syriaque, qui y préside ; tant de beau labeur que vous tenez soubz la clef et en tenèbres, pourront, par ce moyen, veoir la clarté. » Scaliger, qui cherchait en vain a ce moment des caractères syriaques, devait se sentir attiré vers ce centre de la librairie hollandaise oü allaient fleurir bientót les Elzevirs, successeurs de Raphelèngien et de Plantin. 1. « Recouvert» n'est pas tout a fait exact. II n'y avait eu que des tentatives pour avoir Junius, avant 1592. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, L I, p. 243*. 3. Le gendre de Plantin, Raphelingius, de son vrai nom Raphelèngien, etait né le 27 février 1539 a Lannov, pres Lille, dans la Flandre francaise (cf. p. 71, de A. J. van der Aa Biographisch Woordenboek, 9e éd., t. XV). IIétait donc Francais, comme 1'était son beau-père Chr. Plantin, né a S*-Avertin, en Touraine, en 1520, et dont M. Abel Lefranc vient de célébrer le róle dans un éloquent discours prononcé a Anvers a 1'occasion du quatrième centenaire de la naissance du grand imprimeur (cf. Le Temps du 10 aoüt 1920). UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE ! J.-J. SCALIGER 201 « Quand a la facon de vivre de ce pays, croyez que j'y trouve peu de différence a la nostre ; en quelque chose, vous y trouverez. plus de pollissure, en d'aultres plus de simplesse. Mais la douceur de la liberté y est si grande qu'en nul(le). » La douceur de la liberté, voila qui devait plaire a ces protestants du xvi« siècle et, plus tard, a la fois a eux et au grand philosophe du xvne, soucieux de pouvoir développer et pubüer ses pensées sans être inquiété par le pouvoir royal et les puissances ecclésiastiques. « Vostre esprit ny vostre honneur ne sera asservy. C'est un angle du monde, oü toutes nations abordent, oü toutes vivent a leur guise, oü toutes apportent quelque chose de leur veü.» Conception de la Hollande-refuge, de la Hollande-carrefour des nations, a laquelle aujourd'hui encore ce peuple entend rester fidéle. « Quant au climat duquel 1'élévation pourroit faire peur a quelques ungs, croyez moy que je n'y trouve point les hyvers plus aspres qu'en celuy de Parys, mais nous havons icy plus de commodités de les passer doucement, pour la grande quantité des boys et des tourbes, dont ce pays est fourni, estant le chauffage de luy 1 aussy commun et aussy bon marché que 1'aultre et vous diray plus, que celuy qui se prend soubz terre, qui sent les tourbes, n'ha rien qui puisse offenser les plus déhcates personnes, soyt en odeur, soyt en vapeur ». Vérité contestable, car 1'odeur de la tourbe est caractéristique des villes hollandaises, 1'hiver, et frappe tout de suite désagréablement les narines de 1'étranger. Buzenval conclut : « Hz vous desirent, ilz vous attendent; vous ne scauriez rien desirer ny espérer d'eulx que tres facilement vous n'obteniez. II semble que les troubles et agitation de nostre estat vous invitent assez a venir jouyr du repos de cestuy-cy. » Reste a combattre 1'absurde préjugé du Francais, trop porté a confondre esprit hollandais et esprit allemand : « Si je cognois le goust de ces pays, il me semble que vous estes * viande 3 propre a leur appetit, car il est assez différent de celuy des Allemans en molière de Lettres et doctrine. » LTourbe était alors masculin; le mot et la chose étaient presque aussi inconnus en France que la houille, employee surtout dans les Pays-Bas du Sud. 2. Ms. ♦ estez », Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 243*. 3. Nourriture. 202 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Style a part, la lettre a 1'air ècrite d'hier; elle se termine par des protestations d'amitié et des offres d'un constant commerce « pour y regouster, dit-ü, les souaves fruits de vostre vertu et la doulceur de vostre conversation », et, en effet, Scaliger fréquenta Buzenval a La Haye et le pleura a sa mort h Les Curateurs et Bourgmestres donnent mandat a un certain marchand anversois établi a Tours, Hans Joostens, de faire, en leur nom, les avances nécessaires a Scaliger pour son voyage, lui promettant bonne récompense, s'il parvient a le persuader. Baudius, qui est maintenant a Tours, continue a s'entremettre dans cette affaire, et il en profite pour tirer une lettre de change sur les Curateurs et Bourmestres, que ceux-ci refusent d'abord de payera. La réponse qu'il a recue de Scaliger et qu'il leur communiqué n'a cependant rien d'un acquiescement : « J'ai décidé, écrit-il en latin, de mourir dans ma patrie et avec ma patri e s'il le faut. » Ceci en dit long sur le sentiment patriotique au xvie siècle, bien plus grand, chez les protestants comme chez les catholiques, qu'on ne le croit ordinairement. Ce n'est pas la première preuve que nous en trouvons en chemin. Un autre motif capital, a ce qu'expüque Baudius a Douza ou Le Baudier a van der Does, dans sa lettre datée de Tours du 20 janvier 1593 » est qu'il ne se sent pas capable de rempür 1'emploi qu'on veut lui confier. En vérité, il a peur d'entrer daas 1'arène, comme il dit, (Clusius exprimait de même une pareüle appréhension de renseignement) : « La solitude, ajoute Baudius, lui est une consolation, il vit avec lui-même et il s'y parle a lui-même. » Douza, dans sa lettre du 29 mars, malmène durement le courtier lillois Baudius et se plaint de ses vantardises de Flamand 4. Enfin, la réponse du 27 mars, de Scaliger a Douza, est, avec mille excuses, une acceptation : II viendra, mais il emmènera avec lui soa élève Henri-Louis de Chasteigner de La RochePozay, fils de Louis, tête chère que le père lui confie comme 1. Lettres francaises de Scaliger, éd. Tamizey de Larroque, p. 356. 2 17 décembre 1592. La lettre de Baudius figure dans Baudu (Domiiüd) Episfotóe, Amsterdam, Louis Elzevir, 1654, i» wl m-12, p. 44. Elfc est du 18 novembre 1592. . „-__', 3. Bronnen Leidsche Unwersdeit, T. I, p. 257*. -r 4. Ibid., t. I, p. 258* : « ita Flandrum in morem se ïactat atque ampuüatur.». UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 203 gage de retour. Maitre protestant, élève catholique, la SaintBarthélémy n'est pas tout le xvi* siècle francais! Ajoutez que Scahger a pour amis les Du Puy, Pithou, de Thou et 1'évêque de Valence. .Hans Joostens, dans sa lettre en francais a Tuning (2 avril 1593), confirmant le prochain départ de Scahger, dépeint la désolation des amis du grand érudit1 : « Je vous asseure que tous les gens de scavoir sont trés maris de son partement. Monsr d'Abein a pleuré plus de deux grosses heures, quand Monsieur de la Scala print résolution d'aller aux Pays-Bas... Et son filz vient avec Monsr. de la Scala en notre pays, lequel aime tant Monsr. de la Scala qu'ü ne le peut laisser. II pleuroit tousjours sans cesse jusques a tant que Monsr. d'Abein avoit permis dele laisser aller avec Monsr. de la Scala. » Celui-ci est exigeant, il demande une escorte, deux chevaux et un fort mulet pour porter ses coffres. Baudius, la mouche du coche, continue è se vanter d'avoir triomphé de la Tésistance du savant 2. Une série de billets trés curieux écrits par Scahger a Joostens, du 13 avril au 29 juin 1593, ont trait aux préparatifs du voyage. II pense surtout a ses livres « qu'il ne saurait porter sans coffres » et « au filz de Monsieur d'Abein », qu'il emmène « pour le regret » qu'il avait « de le laisser » • Scahger est faché que les vaisseaux de guerre, envoyés a sa rencontre par les Etats, soient allés en vain 1'attendre a Caen 4; il suggère de s'embarquer a La RocheUe comme plus facile a atteindre de Tours, car, s'il faut se « submectre a la mercy des Gouverneurs des Provinces, il faudra plus de quatre mois pour aller de Tours è Caen. » A Tours, il demandera raison au célèbre mathématicien Viète, qui 1'a bafoué, non sans motif d'ailleurs, a propos de la quadrature du cercle 5. II parvient dans cette vüle, le mardi 29 juin, avec tous les gentüshommes, qui 1'ont délivré des voleurs épiant, jour après jour, son départ. La princesse de Condé cherche 1. Bronnen Leidsche Universiteit, p. 260*. 2. Ibid.,v. 262*, 11 avril 1593. en honneur en vostre Républycque, et dehors la reputation de voz armes redoubtables, argument certain de 1'heur et prospérité 1. Le texte paratt fort corrompu; je suppose que c'est le peu d'instruction de Joostens ou son Imparfaite connaissance du francais qui est en cause. 2. Manuscrit fr. 23254, p. 164, n° 239. 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 271*. 206 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS asseurée de vostre estai, laquelle je supplie V. S. vouloir tousjours conserver, maintenir et accroistre d sa gloire et repos de nostre France, de laquelle, estant si proehe de vous, le bien et mal aussi vous touche.» La recommandation qui suit, en faveur de Scaliger, est bien touchante et ré vele le grand cceur de celui qui 1'a tracée : « Cependant, je vous suppüeray tres affectueusement avoir pour recommandé ce cher gaige qu'avecq tant d'affection et honorables conditions, vous avez recerché et voulut avoir et luy donner moien, pendant que vous le posséderez, de faire veoir au publycq une infinité de belles lucubrations, qu'il pourra, estant par dela et aiant la commodité de 1'impression, mectre en lumière, dont le profyt sera a la postérité, si le siècle present s'en rend indigne, et la gloire et honneur immortel a vous. » Le compte remis par Hans Joostens aux Curateurs et Bourgmestres nous initie a tous les détails du voyage et en précise les moindres dates. Le 10 juillet, a eu beu le départ de Tours avec M. de Lescaüe et d'Abain, leurs gens et neuf chevaux. Vendöme est atteint le 12, Chartres le 16, Saint-Denis le 20. C'est la évidemment que Scaliger a dü voir le roi. Poissy, Mantes, Gisors, NeuchateL sont les ëtapes vers Dieppe, oü six tambourins sont venus donner 1'aubade a Monsieur de Lescalle, probablement chez Salomon des Landes, « oste a 1'enseigne de la ville d'Amsterdam ». On embarque le 17 juillet et, le 19, on est déja a Schiedam, en aval de Rotterdam. A Delft, des amis viennent saluer la petite troupe, qui est accueilhe a la Cour a La Haye. Le 25 aoüt, vers six heures du soir, se conformant aux ordres dela Section permanente des Etats, et sans doute a leur propre désir, les Bourgmestres recoivent Scahger comme un souverain. Le professeur Bronchorst, dans son Diarium, note: « Le 25, est. arrivé Scahger a Leyde, avec une grande compagnie, quatre chars, et après avoir été fêté a La Haye, en un magnifique banquet : ici aussi, lui a été offert un repas d'honneur, auquel assistaient le Becteur, Heurnius et du Jon.» Ces largesses s'ajoutèrent aux 3.534 florins, 18 stuyvers, que coüta le voyage (quelque 20.000 francs de notre monnaie), somme que les Bourgmestres trouvèrent excessive. En plus, après un long marchandage entre ceux-ci, les Curateurs et Joos* tens, caissier de 1'expédition, on accorde a ce dernier une UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 207 indemnité de 6Ó0 florins et le cheval abandonné par Scaliger a Dieppe K A cela s'additionne ce qui a été consommé par Scaliger et sa suite au logis de Jean Mercusz d'Ypres,« Au Lion Combattant », Breestraat *. Le traitement avait été aussi peu prévu que les frais de roule. Déja Scaliger, si on ne lui donnait pas de larges satisfactions, menacait de s'en aller et brandissait les offres de la princesse de Condé avec pièces a 1'appui. La question du logis avec pension compléte, fut réglée la première. Les Curateurs et Bourgmestres* avaient d'abord songé a le mettre chez « Maitre Franchois Raphelengen », savant orientaliste, dont la société et le contact lui eussent été agréables, paree qu'il était de la Flandre francaise, ou chez Lochorst, auberge oü logeaient la plupart des étudiants francais. Mais, dans leur délibération du 27 aoüt 1593, ils s'étaient décidés pour la maison du jonkheer ou vidame Bartel Brandt, locataire de 1'immeuble du jonkheer Franchois van Lanscroon, situé sur le Bapenburg, en face de rUniversité, aujourd'hui numéros 40 a 42. Moyennant 1.300 florins par an, de Brandt s'engageait a entretenir largement Scahger, deux gentilshommes, deux serviteurs et a leur assurer logement, nourriture, boisson, feu, lumière, blancbissage, depuislemardi31 aoüt 1593jusqu*auler mai 1594*. Quant au vin, Scahger le fera venir du dehors a ses frais et, pour ses invités, on paiera a Brandt 9 stuyvers ou gros sous par tête. Enfin, les 8 et 12 octobre 1593, le traitement est aussi déterminé par les Curateurs et Bourgmestres. Considérant que Scahger est incontestablement un si haut personnage et que sa seule présence apporte a rUaiversité grand honneur, accroissement et réputation, il ne sera pas tenu de faire, comme les autres professeurs, des lecons pubhques, mais il tiendra chez lui, a son gré, pour quelques-uns, des conférences particuhères 5. Les Curateurs et Bourgmestres, après en avoir référé au 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, pp. 272*, 273* h 275*. 2. Ibid., p. 76. 3. Ibid. 4. Ibid., p. 270*. 5. Ibid., p. 282*. 208 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Pensionnaire de Hollande, Oldenbarneveldt \ fixent le traitement a 1.200 florins, plus une gratification de 800 florins a la charge du pays. Plus tard, par Résolution des Etats de Hollande du 14 septembre 1595 2, Scahger obtint encore 200 florins d'indemnité de loyer. Mais 2.000 florins, prés de 20.000 francs en valeur actuelle, étaient, a 1'époque (le traitement moyen s'élevant a €00 florins) une somme considérable et d'autant plus remarquable qu'elle ne correspondait pas a des fonctions effectives. Assurer a un grand savant, et a un grand savant francais, le toit et le couvert, lui servir une rente, simplement pour qu'il soit la, assistant, a 1'occasion, de ses conseils et en son particulier, les jeunes érudits, mais en ayant a peine 1'obligation; verser de 1'huile è cette illustre lampe de savoir, afin qu'elle éclairat la Chrétienté et que sa lueur attirat vers la ville du VieuxRhin ceux qui, dans toute 1'Europe, poursuivaient 1'ambitieuse quête de la science universelle, tel était 1'exemple et la lecon que donnaient aux rois cette Répubhque de marchands et son Athènes batave. Scaliger lui-même écrit è Pierre Pithou, le 6 septembre 1593 3 : « Je suis fort content de 1'honneur et bon accueil qu'on m'a fait icy. Si cela continue, je n'ai poinct de regret a la France », et a Claude du Puy : « Je suis arrivé ici il y a quinze jours, oü j'ai receü pareil accueil a celui qu'on me promettoit. Et n'ai de quoi jusques aujourd'hui me plaindre ni du païs ni des hommes. L'Université commence a estre plus fréquentée. Mesmes, sur mon advènement, il y est arrivé de France plus de vingt escoliers.» En effet, nous verrons qu'il y eut autant de Francais immatriculés cette année-la a 1'Université de Leyde que dans les dix-huit premières années de son existence prises ensemble. Les étudiants tenaient a honneur d'avoir son nom dans leur album; il signa ceux d'Esaïe Du Pré, de Guillaume Rivet * d'Antonius Blonck, de Veere6 et de Mostart6; dans celui du jeune Boot, d'Utrecht, il écrivit cette phrase, que 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 77. ... 2. La Hollande est restée trés généreuse en matière de traitements universitaires. A 1'Unlverslté municipale d'Amsterdam, ils commencent k 7.500 florins et fmissent a 10.000, maximum qu on obtient après nuit ans de service. 3. Lettres francaises, éd. Tamizey de Larroque, p. 298, note, d après le manuscrit 496, i°> 196 et 121. 4. Bulletin Églises Wallonnes, 1™ série, t. I, p. 327. 5. Son Album se trouve dans la Bibliothèque de la Société de Littérature Néerlandaise k Leyde. 6. Publié dans la revue Stemmen voor Waarheid en Vrede, 1873, t. X, p. cfyy. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 209 j'ai retrouvée et dont je donne ici le fac-similé (pl. XXIV) : Humana vita est alea, in qua vincere Tam fortuitum est quam necesse perdere Josephus Scaliger Jul. Caes. F. Scribebam Lugduni Batavorum VII Eid. ' Mai Juliani MDXCIX 1. En dessous,Te philologue a ajouté la devise « Fuimus Troes » et 1'étudiaht a dessiné sur la page précédente les armes des Scaliger : 1'échelle a laquelle montent deux ours et qui est sommée de 1'aigle bicéphale couronné. Comme le grand savant ne fait pas de cours, son nom ne figure pas sur le programme affiché ou « Series Lectionum ». Pas plus que Clusius, il n'assiste aux séances du Sénat. Les comptesrendus ne font donc pas souvent mention de lui, si ce n'est a 1'occasion de funérailles ou de solennités auxquelles on le convie et oü il marche a gauche du Recteur 2. II usait beaucoup de la riche bibliothèque universitaire (cf. pl. XVII), dont il avait les clés : « Ce jour d'hui troisiesme septembre, dit un bulletin qu'on y conserve encore, j'ai receü de Mons. Merula, professeur de ceste Université de Leyden, d'aultres clefs de la librairie, nouvellemerit faictes, et lui ai rendu les premières le mesme jour. Faict a Leyden, le mesme jour 1598. Joseph de la Scala » 3. II reconnut les services que cette institution lui avait rendus en lui léguant tous ses papiers avec défense de publier ceux de ses écrits auxquels il n'avait pas mis la dernière main 4; il lui laissait aussi ses manuscrits hébreux, arabes, syriaques et chaldéens, appelés, aujourd'hui encore, les « Codices Scaligerani », que Francois et Joost van Ravelengen (Raphelèngien), exécuteurs testamentaires, remirent entre les mains de Daniël Heinsius, le bibliothécaire 5. Si les seize ans de Leyde ne furent pas la période la plus L Bibliothèque de 1'Université d'Utrecht, Ms. 1686, Album E. C. Boot, f° 78 verso et 79. « La vie humaine est un jeu auquel il est si hasardéux de gagner qu'il est fatal qu'on perde. » 2. Bronnen. Leidsche Universiteit, t. I, p. 117. 3. Ibid., t. I, p. 109, note 2. 4. Haag, La France protestante, lre éd., t. VII, p. 14. 5. Bronpen, t. I, p. 183 et notes. Voir aussi C. Molhuysen : Geschiedenis der Universiteits Bibliotheek te Leiden et Heinsii oratio III, dans Danielis Heinsii Oraliones, editio hövatj Leyde, Louis Elzevhy 1615, in-18, p. 23 et s. 14 210 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS décisive de la production de Scaliger, elle n'en fut pas moins féconde. II donne chez son collègue et ami Francois Raphelèngien une nouvelle édition du De Emendatione Temporum, tellement remaniée qu'elle peut être considérée, dit-il, presque comme un ouvrage nouveau. Le même éditeur entreprit une réimpression des Cgclometrica elementa'duo (1594), dédiée aux Etats de Hollande, oü était proposée la solution de la quadrature du cercle que Viète n' avait pas eu de peine a renverser, ce qui lui attira les foudres du susceptible et orgueilleux érudit; mais, par la suite, selon de Thou, il se repentit de 1'avoir ainsi maltraité, ne sachant a qui il avait eu affaire }, La même année, il exposa ses titres de noblesse dans son Epistolü de vetustate et splendore genlis Scaligerae 2 et donna a Paris, chez Frédéric Morel, une nouvelle édition de ses proverbes grecs en vers llapoiu.ïai eu-u-sipou En 1595, il dédie au Pensionnaire de Hollande, Oldenbarneveldt, son édition du Canon paschalis, de 1'évêque Hippolyte. Le commentaire de César est de 1606. Son Thesaurus temporum (1606), dans lequel il restitue la Chronique d'Eusèbe, compléte ses études de chronologie3. Ses coniectures, au "sujet de la nature et du contenu du premier livre d'Eusèbe, furent confirmées, longtemps après, paria découverte d'une version arméniehne, en 1818, renfermant également, comme il 1'avait pensé, les hstes olympiques de Juhus Africanus *. Sa vie se passé en partie a se défendre, lui et son illustre généalogie, contre les attaques furieuses des Jésuites Scioppius et del Rio5. Ce n'est qu'après sa mort que devaient paraitre ses Poëmata (1615), les Epistres franeoises des personnages illustres et doctes è Monsieur Joseph Juste de la Scala (1624) et ses Epistolae (1627). II est f acile de s'imaginer la vie du savant a Leyde : de temps a autre, une visite a Buzenval ou a la Cour a La Haye.6, une con- 1 Haas, La France protestante, lre éd., t. IX, p. 487, verbo Viète. 2' et Jut. Caes. Scaligeri oila... Lugduni Batavorum, ex oflicina Plantiniana apud Franciscum Raphelengium, 1594, in-4°, 123 pp., précédé d'une dédicace a Douza, d'un tableau généalogique et d'un portrait du père de Scaliger, Jules César. (Bibliothèque de 1'Université d'Utrecht. Historia litteraria; quarto, 142). 3 Cf Lettres francaises, éd. Tamizey de Larroque, p. 335. 4' Cf. Sandys, Hislonj of Classical Scholarship, t. II, (1908), pp. 202-203. 5 Cf Nisard, op. cit., qui s'appesantit longuement sur cette querelle. 6 Cependant il n'y allait pas tres souvent : « II y a dix mois que je n'ai salué UN PHILOLOGUE DU XVI6 SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 211 versation rni-latine, mi-francaise avec Douzaj une causerie d'une vivacité toute gasconne avec 1'accent, qu'il a conservé 1, les interlocuteurs étant 1'Artésien Clusius, les Lillois Baudius et Raphelingius, les Gantois Vulcanius et Heinsius. Avec celui-ci et Douza, il échange des vers grecs ou latins. A ce dernier il envoie par exemple une pièce latine, dont le manuscrit est a 1'Exeter College a Oxford 2, sur les miracles de la terre hollandaise, et dont voici le résumé : « Votre terre, Douza, est vraiment incroyable, vous n'avez pas de troupeaux et vous avez des fabriques de laine; vos greniers croulent sous ie blé et vous ne cultivez pas de céréales, vos celliers regorgent de tonnes, et vous n'avez pas de vignobles. Vous habitez au milieu des eaux, mais vous n'en buvez point ». Et ceci devait plaire au Gascon qui louait ses compatriotes de n'avoir qu'un mot pour « bibere » et « vivere ». Ses veillées se prolongent tard, penché sur les gros in-folio reliés en veau et couverts de caractéres hébreux, syriaques, chaldaïques, éthiopiens3. II aurait pu, pour animer 1'Antiquité, essayer de regarder au dehors, contempler le ciel, se mêler a la foule, y retrouver les identités éternelles, mais tout est trop différent : le ciel est gris et bas, la vie est terne et lourde, les ames sont taciturnes et lentes : il vaut mieux se plonger dans les livres, c'est de la lettre que ressuscitera 1'esprit. Scahger pense en Latin ou en Grec, il n'est pas de ce monde, son Excellence », est-il dit dans les Scaligeriana (p. 317), recueillis par les frères Vassan: Scaligeriana sioe Excerpta ex ore Jcsephi Scaligeri, par F. F. P. P., Genevae apud Petrum Golumesium,, 1666. Un vol. in-24». 1. Scaligeriana. 2. J'ai pu en collationner le texte sur la copie qui m'a été obligeamment envoyée par le bibliothécaire M. Bernard W. Henderson ; le poème se trouve déja dans les Opuscula. 3. Scaliger était un des trés rares hommes dè son temps qui süt 1'éthiopien, qu'on appelle parfois 1'abyssin. On a, a ce sujet, le témoignage de 1'Allemand Ludolf : < Post haec Scaliger peritiam hujus linguae'edito sacrorum Ecclesiae aethiopicae temporum computo demonstravit. Elegantissimam eam vocat, si modo cultura adhibeatur; seque institutiones illius olim scripsisse narrat; verum illae lucem non viderunt»(Iobi Ludolfi, Grammatica aelhiopica editio secunda, Francfort s /M-. 1702, lre page de la préface, au bas). Voir aussi G. FumagalU, Bibliografia eliopica, 1893, p. 236, n° 2299, Scaliger, oü 1'auteur renvoie a la page 670 du de Emendatione* On lit encore dans Iobi Ludolfi ad saam Historiam aethiopicam... Commenlarius {Francfort, 1691, p. 17, § 84):«Josephus Scaliger in abstruso operé suo De sacrorum temporum emendalione, Computum Ecclesiae aethiopicae orbi literato dedit, cum nullum unquam hujus linguae praeceptorem habuisset. Vir iste sagacissimus iri dissertatione ad Computum illnm multa rectissime conjecit ab alils nondum tradita... ; multa recte negat quae alii male crediderunt. Attamen Inter 'tot egregia quaedam paulo incautius, quaedam obscurius, quaedam pro more suo paulo confidentius.tradit. » Je dois ces intéressantes indications a mon cousin, M. Marcel Cohen, professeur d'abyssin a 1'Ecole des Langues Orientalés a Paris et directeur d'études pour 1'éthiopien a 1'Ecole des Hautes Etudes. 212 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS il est d'un autre, passé pour la plupart des hommes, présent pour lui et d'une jeunesse éternellement vivante avec ses dieuxr ses vestales, ses monuments, ses discours et ses plaidoyers. Parfois cette possession de tout un temps, envisagé, non comme un long devenir, mais comme un monument unique et achevé, 1'enivre d'un sentiment de jouissance et de maïtrise • parfois au contraire, il sent 1'immensité de la tache impossible, les lacunes des textes et des manuscrits perdus, qu'il ne peut pas restituer toujours par voie de conjectures, comme les chapitres de son Eusèbe. Celui-ci même le désespère parfois, si 1'on en croit les propos recueilbs par les Vassan et publies dans les Scaligeriana » : « Je ne pense voir mon Eusèbe acheve f ie deviens aagé, je ne dors que trois heures, je me couche a dix, e me resveille a une et demieet ne puis plus dormir depuis. »> Dans ces moments-la, ü en arrivé a désespérer de la science même dont il lui semble apercevoir le néant : « Si j avois dix enfans ie n'en ferois estudier pas un, je les avancerois aux Cours des Princes.»»Le Francais se plait a médire de ce dont il s'occupe. Scaliger en usait ainsi, mais il ne tardait pas a retourner a son établi en prononcant un mot qui annonce celui de Voltaire dans Candide : « Je m'en vois bescher la vigne >». Et il concluait une autre fois : « J'honore les Grands, mais je n'avme point les Grandeurs. Je ne pense pas qu'il y ait homme en Hollande qui travaille plus que moi »I. II lui arnvait d envier 1'argent des marchands des Pays-Bas : « Mea nobibtas mihi est dedecori ; j'aymerois mieux estre fds de van der Vee, marchand, i'aurois des escus »3. . L'esprit de domination le hante, associé au souvenir de son père Jules César* : « Mon père estót honoré et respecte de tous ces Messieurs de la Cour. II estoit plus craint nu'avmé a Agen; il avoit une autorité, Majesté et Representa^ Son il estoit terrible et crioit tellement qu'ils le craignoient tous'» Dorat disait que Jules César Scaliger était semblable a un ■iTouCa un Empereur. «II n'y a Boy ni Empereur qui eut li belle iaeon que luy. Regardez moy, je luy ressemble en tout et par tout, le nez aquilin. » 1. P. 313. . édition nouvelle des Scaligeriana, faite sur une copie 1 a&ée ■fX'v^é^ M- A" M0n°d' pr°feSSeUr 3 1 Um" versité de Montpellier. 3. Ibid., p. 317. 4. Ibid., p. 315. ?/•' »' •« Planche XXIII. portrait Dü célèbre philologüe francais joseph scaliger, d'AgEN, professeur a l'Universite de Leïde (i5g3-iGoa). (Salie da « Sénat académique »). UN PHILOLOGÜE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 213 Le portrait s'arrête la, il le faut achever, d'après celui qui figure aujourd'hui encore (cf. pl. XXIII), dans cette salie du Sénat que Niebuhr appelait un des plus nobles beux du monde. Une longue barbe, grise et blanche, pendant sur la poitrine, les tempes rentrées, le visage émacié, les cheveux trés courts ; le regard est fixe, .scrutant le passé. La simarre rouge couvre un corps maigre. II est assis a sa table de travail et sa main transparente aux veines saillantes tient la plume d'oie qui s'est arrêtée de tracer sur le papier des caractères arabes : «Je n'écris point si bien en nulle langue qu'en Arabe, et je n'escris "bien que lorsque j'ay une bonne plume. » Parfois il sortait sur le Rapenburg, le chateau des navets, le long du canal aux eaux vertes et jaunes, revêtues d'algues moussues, aux redans brusques comme un fossé de rempart. Les arbres qui le bordent se réfléchissent dans 1'eau et, 1'été, ■donnent une ombre épaisse et fraiche : il le franchissait sur les ponts surélevés aux pentes raides, pour aller au vieux cloitre des Dames blanches, qui sert d'Université,; assister a une soufenance de thèse. Or les passants regardaient avec étonnement et respect le petit vieillard, dont la seule présence enrichissait la Cité. II devait faire un long chemin, passer prés de la vaste église gothique, la « Pieterskerk », oü reposent aujourd'hui ses os, pour se rendre a 1'éghse wallonne et y écouter le sermon. Le milieu lui déplaisait: «les Wallons puent, je ne puis endurer la puanteur, lorsque j'entre au Temple des Wallons, loquuntur belgice » 1. • En janvier 1609, il se sentit faiblir. Ce sédentaire avait toujours souffert des intestins. Qu'on se souvienne des railleries de Henri IV ! Lui-même plaisante sa maladie et se compare, a eause de 1'énormité de son ventre, a Diogène dans son tonneau; Le zélé protestant ne craignait pas la mort : il écrivait dans 1'album de Guillaume Rivet : « Formido mortis morte pejor; non potes vitare mortem sed potes contemnere », c'est-a-dire : « La crainte de la mort est pire que la mört; on ne peut éviter la mort, on la peut mépriser »2. 1. Scaligeriana, p. 364. 2. Bulletin Églises Wallonnes,lT* série, 1.1, p. 327.. L'autographe, est signé Josephus Scaliger, Jul. Caes. F. scribebam Lugduni Batavor. VI Kal. Sextilis Juliani.' Fuimus Iroiae. 214 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Daniël Heinsius, son disciple préféré, 1'assiste avec sollicitude : « Daniël, mon fils, lui dit-il, voici la fin. Je puis a peine endurer ce que je soufïre. Mon corps est êpuisé par la maladie et 1'habitude du lit, mais mon esprit conserve toute sa force. Si mes ennemis me voyaient, ils attribueraient mes souffrances a la vengeance divine. Tu sais ce qu'ils ont déja pubbé sur moi: tu peux être mon témoin. Poursuis comme tu as commencé et fais cela afin de défendre religieusement la mémoire de celui qui t'aime tant. Mais Dieu aussi t'aime sans doute. » Puis, humilitè suprème de eet orgueilleux : « Fuis la présomption et 1'orgueil. Garde toi autant que possible de 1'ambition et surtout garde toi de rien faire par calcul contre le vceu de ta conscience. Tout ce qui est en toi est en Dieu ; -rfxvov y 1'honneur de 1'Université, que Scaliger fut un Francais. . ii est un endroit, aBennèbroek, prés de Harlem, oü on a conservé sa tradition sous une forme étrange. C'est dans une auberge oü se rencontraient, a mi-chemin de leurs deux villes, les avocats de la Haye et d'Amsterdam pour y trailer de leurs affaires et y manger un excellent saumon, sauce verte. L'eiiseigne représente un personnage, affublé du costume légendaire dü savant du xvie siècle et portant une longue échelle ; en dessous, on lit cette iaseription : « De geleerde man », ce qui veut dire en hoHandais, parun jeu de mot impossible a rendre en francais, a la fois, homme al'échelle et homme savant. Un érudit, M. Aert Veder, donna un jour, en un banquet, la vraie solution du rebus en tradmsant en latin : Scahger. Cette solution est si juste que je suis en mesure de prouver, par un document trouvé aux archives municipale» de Harlem \ que Scaliger a réellement séjourné dans 1'auberge de Reyer Simonsz, aubergiste, a 1'enseigne de la Cigogne, le 1610 in-4° n 119), intitulée Dialribae de Europaeoramlinguis, «" ta . j r> • , . 1 1672 ' ^ M- D- R- 5 de Paris, le 22 janvier auteur. Cf. aussi le Dictionnairc historique de Bayle, article Baudius ' Qe cel 222 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS L'année de la mort de Baudius est celle du rectorat de Polyander a Kerckhoven qui, pendant prés de dix ans, devait être le seul représentant de 1'érudition francaise a 1'Université de Leyden et quiy enseigna jusqu'a sa mort, survenue en 1646. II y avait été appelé en octobre 1611, après qu'on eut en vain essayé d'y ravoir Pierre du Moulin, alors ministre de la communauté protestante dë Charenton * Le nom complet de notre théologien était Jean Polyander van den Kerckhoven. II était né a Metz, le 26 ou 28 mars 1568 2. Son père, originaire de Gand, s'était réfugié en Lorraine et y avait été pasteur adjoint, a.Metz, en 1561, a cöté de Pierre de Cologne, de Jean Taffin, de Garmer, auteur de YInstitutio linguae gallicae3, et de Louis Desmazures, 1'auteur tragique tournaisien. Forcé de se retirer en Allemagne avec sa femme, Chrétienne, fille de Noël Dubois de Nieuwkerke, il avait mis son fils a 1'Université de Heidelberg, oü il devint 1'élève de Francois du Jon, dont il devait plus tard occuper la chaire a Leyde. On voit donc que, pour plusieurs des hommes qui nous intéressent, Doneau, du Jon, Polyandre et même le jeune Schelandre, Heidelberg fut une étape vers Leyde, qu'elle avait précédée en tant qu'Université germanique du Be'fuge. A vingt ans, il fréquenta 1'autre centre des études protestantes, Genève, sous de Bèze, la Faye et Chandieu. C'est la qu'il recut vocation de différentes églises wallonnes des Pays-Bas 4. II y exerca son ministère, en même temps que le professorat, pendant un demi-siècle. Les actes synodaux d'avril 1646 expriment « les regrets de la perte d'un si grand personnage qui a rendu a nos églises des services signalés pendant cinquante-cinq années 5. » II avait remplacé Arminius, dont il ne partageait d'ailleurs pas les idéés et il fut membre de la Commission chargee de dresser les Canons et de pubher les Actes du Synode de Dordrecht (1620), in-4». II fit partie également du Comité a qui les Etats Généraux avaient donné mission de reviser la traduction hollandaise de la Bible. Jean, son fils 1. Cf. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 20. 2 Haag, La France protestante, !" éd., t. VI, p. li». 3'. Cf. Ibid., 2" éd., t. VI, col. 849. 4 Bulletin Églises Wallonnes, t. IV, p. .217. .... 5 Ibid Sar Polyander, voir encore Liure Sunodal, Synode de Leyde, 1611, p. 227 art / et smv^ZTredevient pasteur de leglise de Leyde cf. p. 235, art. o ; cf. encore Catalogue de la Bibliothèque Wallonne, t. I, pp. 144, 146, 187. POLYANDER, DE METZ 223 unique, sieur de Heenvliet, lui fit dresser un beau monument qui existe encore dans 1'église Saint-Pierre > ,Quels (Iue fussent le nombre et la valeur 'de ses ouvrages ils n étaient pas de tel ordre qu'ils pussent attirer deux jeunes nobles, tels que Balzac et Théophile, en 1615. II faut donc attnbuer leur présence a une cause plus générale : 1'afflux constant d'étudiants a 1'Université de Leyde, depuis les débuts Nous avons parlé jusqu'a présent des professeurs francais de 1 Université, disons quelques mots des étudiants. p. 119." tr°UVera Une bibIi°8rapMe de Polyander dans Haag, op. cit., 1». éd., t. VI, È CHAPITRE VIII étudiants francais a l'université de leyde de 1575 a 1615 Les sources principales qui sont a notre disposition sont l Album sludiosorum ou registre d'immatriculationT^ Résolu tions du Senat et des Curateurs, les positions de theses les libums" amicorum et le fiehier wallon. II peut y en avoir d'llte^ncTe mais le seul examen de V Album, même dans p*Hi«« • f aite de M. du .Rien, est déja fonZtrlZ " ^ ^ Ce n'est pas tout d'affirmer que de ieimp* » • souventseperfec^ le nombre, la qualité, les noms, la provenance iautensavoir Dés 1'année rectorale qui va du 8 février 1576 au 8 février 1577 ÏÏL t n^ ïïSClitS)iI y S déjè deux ^nca^s Lazarus Rebertus (Lazare Robert ?), de Rouen, qui étudie les artïïrT raux et a pu être attiré par la présence de son comTatiÏote" Feugueray, recteur cette année-la. Un autre FranoT ! Antoninus Puteanus (Antonin Dupuy ?) est m^ ? même branche, le 23 juillet. Aucon^ni^^^ Lannee suivante, s'en montrent deux ou trois dont' SI 2 et Joseph Taurin, de Paria, étudiant de leïïres ' 3UdlUS Sous le premier rectorat de Juste Lipse en 1570. ilv „ dont un, et des plus intéressants, n'a pasIZon i^S, jusqu'a présent. C'est Nicolas Barnardus Alil • é comme étudiant en théologie le 27 ian^ier S0 v ' mSClit qu;on trouve alternativfmenf ï^B^J^T^ qui est son vrai nom. II nous apprend lutmTrne en têfeTs ' Quadrtga Aurifera, qu'il était né a « ChrZl a l ^ &°n l LMT ?'"rfKfosorum Andemiae Lugduno-Batavae. 157*.™,. t L „ ^. waag, La France protestante 2e iSH * nr , . a 853. Voir aussi I'arricle du Die('onnaire hÜ,w' C°, *572' «ddWons et col 840 ^Xn%°ZdD^^ Paris, 1872, p. 91. HTiTs? aal0lre ae 1 A<*Mmie protestante Z Die', 226 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS II était neveu du sénéchal Jean Barnaud. Bordier ne 1 avait trouvé a Leyde qu'en 1597 et 1599 et a Gouda en 1601 \ mais il ne m'a pas été possible de vérifier son affirmation, quoique ie puisse maintenant étabür sa présence aux Pays-Bas dès 1579. Y serait-il resté constamment jusque vers 1600 ? c est peu probable, puisqu'on le signale a Prague et a Genève ; en tous cas, il apublié en Hollande des ouvrages d'alchimie, s'y est adonne aux sciences occultes, a la recherche de la pierre philosophale et y a été au début du xvn« siècle et sans doute avant, un des fon dateiirs de la secte des Rose-Croix, dont nousreparlerons al'occasion de Descartes. II n'est pas inutile de remarquer que le Historisch Verhael de Wassenaer, raconte qu'au début du xvne siècle un Francais nommé Bernard ou Barnaud aurait ete envoyé en Hollande a Ter Gouwe pour y trouver la pierre philosophale *. On cherchera plus loin, au livre III, si Barnaud n'a pas, a certains égards, .montré le chemin a Descartes, dont on verr'a 1'intérêt pour les mystères rosicruciens. Sous le deuxième rectorat de Juste Lipse (1580), deux étudiants francais un de Paris, pour le droit, 1'autre de Cambrai, docteur en méde'cine. En 1581, huit Francais, dont cinq pour les Lettres. Une s'agit par conséquent nullement de futurs pasteurs protestants venus pour achever en liberté leurs études de théologie. Ces huit étudiants sont-ils restés 1'année suivante, c'est possible, mais ils ne sont grossis d'aucune recrue nouvelle et, 1'année d'après, on ne signale que le seul Baudius. Pour 1584, une inscription süre, deux douteuses; il n'y en a que deux de certaines pour 1585 3, aucune pour 1586. Le quatrième rectorat de Juste Lipse en 1588, attire deux étudiants, dont un d'Orleans ; celui de Beima (1589) également deux; 1'année suivante, 1590, « c v docteur J Huges, professeur au lycée, consulté a ma demande par 1 Selon ledocteuiR-^"u|^ 'f ^ dan^ le Poorterboek de Gouda,.entrc ^tÏ'bIO R en dans^fXer waL. J'ai par contre trouvé, grace a M. Buchper 1599 et 161Ü. f"™^"^ Nicolas Barnaud, a la Bibliothèque de 1'Université .de une lettte ^ ^ „ M } orthographe Leyde. II n y a donc pms Théobald van Hogelande, publiée dans Chemisch Barnaijd, dansi son emoe su Hogelande, par contre, n'a pas tort de tÏÏ&%B^duslcar'on-distinguait mal Jitre . er »et« ar »; M. Jaeger donne WW^^ der ^ ^ Haarl F Bohn iX fö V- 38, 467 47* M. Meijer (p. 46) 1'appelle, erronément aussi, ^^n^Xc^^^ Pns4criptions se rapportant a des noms d'aspectArm?• ^e J,t nas accompagnées de la mention «Gallus »ou du nom d'une ville cais et qui nesontv»^ ™ ^enom de la ville avec la terminalson -ensls, n'indique fe*ncaise tradm. en laa£ > £ £ is fois ,e Iieu d>oa ron vient. Disons en paspas toujoursTe beude navssanc ^ occupons en principe que des person- •?a«es nés dans les Umites de la France d'aujourd'hui. ÉTUDIANTS FRANCAIS A l'uNIVERSITÉ DE LEYDE 227 H y a un Francais seulement, Josse Elsevire, de Douai \ étudiant en Lettres; deux en 1591, mais quatre en 1592, la plupart de families connues : Petrus Regius Builoneus, Parisiensis, étudiant de Lettres, qui doit être un Pierre Leroy-Bouillon ou Bulhoru un Francois Petit de Caen, un Denis Reboul (Rebullus), de la Meuse pour les mathématiques, et enfin, 8 octobre, Pierre du Moulin, d Orléans. De ces quatre étudiants, dont le dernier sera bientöt un professeur on bondit brusquement, en 1593, a quelque trente-sept ou trente neuf plus que la somme de tous ceux de nos compatriotes qui s étaient fait immatriculer jusqu'a cette date a 1'Université de Leyde, et toutes ces inscriptions sont postérieures au 5 juin cest-a-dire quelles coïncident sensiblement avec 1'arrivée dê Scaliger (25 aoüt suivant). Ainsi on peut mesurer par un chiffre le niveau de la réputation du grand humamste, la perte que son départ constituait pour la ^lCeh M -gT V rePrésentait P°ur Leyde, sans compter que, sa celebnte etant grande dans le reste de 1'Europe, ily attirait aussi bien des Allemands et des Polonais. Exammons de plus pres 1 origine des nouveaux venus: onze sont de La Rochelle vTentTÏ P°iteVinS' huit Saint0"g^s, un Gascon; un vient de Bordeaux, un autre de Tours, un troisième d'Angers- trois seulement sont Parisiens. La plupart sont donc de la Francê de 1 Ouest ou du Sud-Ouest, d'oü Scahger était originaire ,™ ï" 1 ^ 86 faire inSCrire lui"même' le 2 septembre lmó U se fit accompagner de tout un cortège, d'une cour de quatorze étudiants poitevins, roehelois et saintongeais. C'estie sur endemain, le 4, que se fait porter, sous le nom de Ma cus deux TS„ rrgmS BurdeSalensis' ce Acteur en droit de Bor! deux, M. de Gourgues, dont il a été question, comme d'un des compagnons de voyage de Scahger; mais ce n'est que le 31 ót cembre de cette même année 1593 que le disciple l ce dernier Henn-Louis de La Roche-Pozay, se fit immatriculer Tvec I^n ^ R°Che-Po-y' <* P-re Morin, de PremUy II sont a la Faculté des lettres et, sur nos trente-sept Francais il y en a dix-neuf dans ce cas, ce qui atteste encore une fois le prestige de Scahger; les philosoohes. m,i *p meme groupe, sont quatre, les juristes, trois. 1. Quatrième fils de Louis I, et plus tard libraire aussi. 228 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Le comte Henri-Frédéric se fait immatriculer le ler janvier 1594 et il n'est pas douteux qu'il ait fréquenté Scaliger, a qm Louise de Coligny voulait le confier, et cette brillante jeunesse troublait souvent le recueillement du savant, habitué d ailleurs a s'abstraire du bruit, comme 1'érudit dont parle Montaigne Beaucoup d'incertitude sur 1594, on a négligé souvent de mentionner, a cóté des noms, le lieu d'origine ; mais on peut la conjecturer francaise pour onze d'entre eux, tandis que deux seulement sont sürs. Pour 1595, quinze Francais authentiques^ dont Samuel Petit, Saintongeais, étudiant en théologie de vingt ans inscritle 23 septembre, avec trois camarades de Dieppe et un de La Rochelle, et qui n'est autre que le futur théologien de Montpellier, oncle de eet étrange aventuner de lettres, Samuel Sorbière, a qui il apprendra la route de la Hollande Casimir Junius, inscrit le 1« octobre, a 13 ans, est le fils du professeur du Jon ; nous 1'avons vu déja immatriculé, par egard nour celui-ci, a 1'Université de Heidelberg, a 1'age de sept ans. Un autre personnage connu est Philippe du Plessis-Mornay, inscrit a la Faculté des lettres, le 22 novembre 1595, et^age alors de seize ans. C'est celui qui se fera tuer en 1605, a Mulheim-sur-Ruhr, sous Maurice de Nassau." II n'était donc pas ignorant, ce jeune guerrier, et il suivait la tradition de son pere, d'Agrippa d'Aubigné, de la Noue, de Scaliger lui-meme, qm tous avaient manié la plume comme 1'épée 2. En cette même année 1595, il n'y a pas moins de trois Francais qui soutiennent des thèses, deux en théologie : Jacques Clemenceau, Poitevin, le 18 février, « Sur la prédestination», Zacharie Launaeus (de Launay ?), Poitevin aussi, le 19 jmllet, « Sur la Personne du Christ Médiateur >», et enfin Gilles Bouchereau, Angevin, le 25 septembre, « Sur 1'usufruit »3. En 1596, le nombre d'étudiants francais semble tomber a six. Les années suivantes donnent des chiffres modérés; 1597 sept ou huit, si 1'on ajoute Paul L'Empereur, de Cologne ; 1598, six dont le plus important est Guillaume Rivet, frere aine d'André Bivet, le futur professeur de Leyde. L'Album amicorum de ce Guillaume, agé de 17 ans, a été conservé et est 1 Livre III, ch. 13, Les Essais, éd. Motheau et Jouaust, t. VII, p. 32. Le passage pourrait lort bien se rapporter a Scahger. 2. Cf. Livre Icr. ...... T oan* 3". Bronnen Leidsche Unwersiteit, t. 1, p. dt>/ . ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVF*SITÉ DE LEYDE 229 publié dans le Bulletin pour 1'histoire des Églises Wallonnes I 1599 atteste une nouvelle progression avec treize inscriptions et 1'on ne saurait s'empêcher de remarquer qu'elle coïncide avec la formation des Régiments francais de La Noue. Soldats et étudiants voyageaient sans doute ensemble, 1'ainé peut-être entrainant parfois le cadet. En 1600, nouvelle augmentation : quinze Francais, dont le théologien Benjamin Basnage, qui ouvre la liste et dont le nom mérite de nous arrêter a plus juste titre encore que celui de Guillaume Rivet, car les Basnage seront parmi les plus illustres chefs du Refuge d'après la Révocation. Par 1'exemple de cette familie la aussi, il est facile de comprendre comment et pourquoi la Hollande fut la Terre promise du Refuge. Benjamin Basnage \ né en 1580, pasteur dés 1601 a Sainte-Mère Eglise, dont Carentan sous Bouen était alors annexe, y exerce le ministère pendant cinquante et un an, et y meurt en 1652. II laisse deux fils : Antoine, sieur de Saint-Gabriel et de Flottemanville, né en 1610, pasteur a Bayeux, et qui se retire en Hollande en 1685, pour aller mourir a Zutphen en 1721 3. L'autre fils est Henri Basnage, sieur de Franquesney, né le 15 octobre 1615, avocat a Rouen, oü il s'éteint en 1695. Celui-ci est le père de Jacques, né dans la même ville en aoüt 1653, et qui sè réfugié, en 1684, en Hollande ; il y sera le redoutable adversaire de Bayle. C'est de ce Basnage que Voltaire dira qu'il était plus fait pour être ministre d'un Etat que d'une Eglise. II meurt en 1723, le 22 décembre, a La Haye; il avait épousé Suzanne du Moulin, petite fille de Pierre 4. Le frère de Jacques, Henri Basnage, Seigneur de Beauval, n'est pas moins connu. Né a Rouen en 1656 et expatrié en 1685,' il continue en 1687 les Nouuelles de la Bépublique des Lettres', fondées par Bayle en Hollande en 1688, et il leur donne le titre nouveau de Histoire des ouvrages des Savants, par M. B*, docteur en droit8. Enfin, leur sceur Madeleine épousa Paul Bauldri dTberville, qui fut nommé, en mai 1685, professeur extraordi- 1. Deuxième série, t. I, p. 321 a 350. 2. II ne faut pas I'identifler avecce Time Leyde, le 22 avril 1601 (flchier wallon). gratia dès 1600. Voir La France protestante, 3. Bulletin Églises Wallonnes, I, p. 37. 4. Ibid., 2» série, t. IV, p. 370. 5. Ibid., p. 159, note 3. thee Basnage, recu membre de 1'Eglise de Benjamin souüent des theses exercitti 2' éd., verbo Basnage, col. 922 et s. 230 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS naire d'Histoire ecclésiastique a 1'Université d'Utrecht, oü ü mourut en 1706 h On voit donc combien il est erroné de faire remonter a la Révocation, comme on le fait le plus souvent, les relations littéraires de la France et de la Hollande et 1'installation des Francais aux Pays-Bas. En 1601, fléchissement apparent : dix inscrits, venus de partout, de Normandie, notamment de Caen et de Rouen, de Champagne, de Bourges, de Metz et du Poitou (Renatus Textor). Le Champenois est Daniël Tronchin (Troncinus) ; c'est un étudiant en médecine de 24 ans. J'ai dit fléchissement apparent, paree que les étudiants de 1'année précédente sont en partie restés, témoin 1'Album de 1'Utrechtois Boot, que j'ai souvent invoqué. Même Guillaume Rivet, immatriculé en 1598, le 28 octobre, signe encore eet Album en 1602. Celui-ci est un vrai nid de noms francais : ceux des maitres, Francois du Jon, de 1'Escluse, Basting, Scahger, y voisinent avec ceux des étudiants : Samuel Bouchereau, de Saumur 2, Nathanael Marius (« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?»), Daniël Bourguignon, d'Orléans» Abraham de la Cloche, de Metz 3, Guillaume Rivet, Bouvin 4, Normand, Pierre de la Place, Normand aussi, qui écrit le 3 aoüt: Pour mourir bienheureux, a vivre faut apprendre; Pour vivre bienheureux, a mourir faut entendre. Samuel de Lescherpiere, Sr de la Rivière, est le plus savant ou le plus pédant d'eux tous ; il tracé deux lignes de syriaque, une hgne d'hébreu, une de grec, une de latin, une d'espagnol, quelques vers en allemand, en anglais, en hollandais, une devinette absurde en Italien, et une conclusion idiote en francais (cf. pl. XXVII). Plusieurs de ces noms manquent a 1'Album Studiosorum, qui 2. n^avait été envoyé en Hollande aux frais de 1'Eglise de Saumur et y est rappeié par du Plessis en 1602, pour y occuper une chaires a 1'Académie protestante. Cf Haag, La France protestante, t. VII, 1» éd., p. 530. Nous avons vu qu'un Güles Bouchereau, Angevin, avait soutenu des theses en septembrel595. Cf. p. 22S. TS défend des thèses . exercitü gratia»en 1602 et en 1603, cf. Bronnen Leia^che Universiteit, t. I, p. 468*. Ces thèses se trouvent encore a la Bibliothèque de 1 Unl- VT^eutêt%didenUciue a Jean Bouvin, qui épouse Marie Destombes, dont U eut unflb, Jean? baptisé le 31 juület 1614 (BvuXetin Églises Wallonnes, 2° série, t, I, p. 339). ÉTUDIANTS FRANCAIS A l'üNIVERSITÉ DE LEYDE 231 est donc loin de nous présenter tous les jeunes Francais de Leyde Ceux de 1602, les nouveaux du moins, sont peu nombreux, cinq seulement, par contre, il y a quatre genevois qui devaient les rechercher beaucoup. Relèvement a huit en 1603, parmi lesquels je note un Jean Huet, un Robert Oudart, un Benoit Turretin Le Bulletin des Églises Wallonnes *y ajoute Jacques Bertrand, de Saint Fulgent, étudiant en médecine. Nouvelle progression pour 1604 : neuf inscrits, et la plupart de 1'ouest, dont deux Orléanais, deux Poitevins, deux Bretons L'un de ces derniers est André Le Noir, agé de vingt ans et étudiant en théologie, suivi a trois ans d'intervalle (23 aoüt 1607), par son frère cadet qui, au même age, entreprend la les mêmes études, et, si je m'arrête a ces deux noms, ce n est pas qu'ils désignent des hommes d'une valeur particuhère mais paree qu'ils montrent comme la tradition du voyage en Hollande se perpétua dans les families protestantes francaises au cours du xvne siècle. Lisons en effet cette requête adressée par le Pasteur Philippe Le Noir, ministre de la Duchesse de Rohan, au Synode assemblé a Harlem, en avril 1683, pour lui recommander son fils Jacques * : « Outre cela, je voulois qu'en qualité d'estudiant, il se format et perfectionnat sous les grands hommes de vostre République et, qu'ayant faict cincq ou six ans de théologie a Saumur, il y mit la dernière main dans vostre celebre Université de Leiden oü son ayeul, Guy Le Noir, et son grand-oncle, André Le Noir, S' de Crevain et de Beauchamp, firent en entier leurs estudes de Theologie a 1'entrée du siècle que nous finissons et oü leur course pastorale a esté bien longue en cette province. » Signalons, en passant, Théodore Tronchin de Genève qui, en 1605, soutient des thèses«exercitü gratia», en même temps que Benoit Turretin «. Le Rectorat du fameux Arminius semble avoir attiré beaucoup de nos compatriotes, car j'en compte, en 1605, environ quinze : Francois Petit, de Paris, un Saintongeais et quatre étudiants de la Rochelle. Elévation a dix-sept en 1606, dont dix Normands. Quatre Rouennais de dix-huit a vingt ans, se font inscrire, le 7 octobre, a la Faculté de droit et, huit jours après, les 13 et 14, un nouvel étudiant 1. 2° série, t. L p. 336, 2. Bulletin Egllses Wallonnes, t. I, p. 206-8 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 472*. 232 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS de Rouen et deux du Havre de Grace. Les Normands ne sont pas moins bien représentés dans les dix de 1607, Caen surtout. Ce chiffre est dépassé d'une unitè pour 1608. En 1609, huit étudiants seulement, parmi lesqttels un certain Juste, qui est le « famulus » ou serviteur de trois comtes de Bismarck, de la Marche de Brandebourg. Pour 1610, cinq inscrits sürs seulement, mais pour 1611 il y en a de nouveau neuf, tandis que 1'année 1612, n'en offre que sept^ont Louis Cappel, de Sedan, vingt-sept ans, le célèbre théologien, immatriculé le 4 septembre, fils de celui qui avait inauguré 1'Université. L'année 1613, celle du rectorat de Polyander, ne fournit que sept noms nouveaux, mais ils exigent une attention particulière, paree que nous approchons du moment oü arriveront Balzac et Théophile et que c'est parmi ces étudiants qu'on sera tenté de chercher ceux qui auront entrainé vers ces ten-es lointaines les deux jeunes nobles de 1'ouest. Je signale donc, le 15 février 1613, Samuel de Limay de Bezu, Briensis (de Brie), vingt et un ans ; Antoine de Montauban, dix-huit ans, étudiant en droit; David de Codelonge, Gascon, vingt-cinq ans, pour la théologie. En 1614, il n'y a que cinq inscriptions francaises nouvelles, mais il en 'est une qui a pu jouer un röle dans la décision du jeune Balzac, c'est celle du comte Gabriel de Montgommery, sans doute le comte de Lorges, mort en 1635. Son immatriculation est du 25 janvier 1614. Quelques jours avant, le 7, s'est fait inscrire Corneille Aerssen, 13 ans,mentionné comme Parisien, mais qui ne 1'est qu'accidentellement, paree que ce doit être le fils de Francois Aerssen, ambassadeur des Etats a Paris. Enfin, en scrutant avec attention la page de 1615, onyrelève douze immatriculations francaises nouvelles, chiffre qui n' avait plus été atteint depuis une dizaine d'années. Autour de Balzac et de Théophile de Viau, inscrit le 8 mai, rien d'intéressant a signaler, mais, le 27 novembre, Louis, comte de Montgommery, a suivi 1'exemple de son frère qu'il a sans doute rejoint. Mentionnons en passant Jean de Chaumont, Normand. étudiant en droit, et Jacques de 1'Escluses, étudiant en médecine de Rouen (vingt-six ans). Arrêtons ici cette statistique instructive, mais quil vaut mieux suspendre quelques instants, pour examiner ce que les sources nous révèlent des mceurs et de la vie de ces étudiants. CHAPITRE IX VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS En se rendant ainsi en lointains pays pour y parfaire leur instruction, les jeunes Francais semblaient suivre le conseil que leur donnait Montaigne : « A cette cause [1'exercice de 1'entendement] le commerce des hommes y est merveilleusement propre, et la visite des pays estrangers, non pour en rapporter seulement a la mode de nostre noblesse francoise, combien de pas a Santa Rotonda, ou, comme d'autres, combien le visage de Néron, de quelque vieille ruine de la, est plus long et plus large que celui de quelque pareille médaille, mais pour en raporter principalement les humeurs de ces nations et leurs facons et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d'autrui ». «Je voudrois qu'on commencast a le promener dès sa tendre enfance, et premièrement, pour faire d'une pierre deux coups, par les Nations voisines oü le langage est plus esloigné du nostre et auquel, si vous ne la formez de bonne heure, la langue ne se peut plier l. » II est certain cependant que 1'auteur des Essais, a la date oü il écrit, n'a pu songer a la Hollande, mais il aura pensé a 1'Italië et plus encore a 1'AUemagne,« oü le langage est plus esloigné du nostre. » C'est a Padoue, en effet, que Hubert Languet (né en 1518) va prendre le bonnet de docteur. C'est dans la même ville qu'en 1581, Montaigne, en son voyage, laisse M. de Casehs comme écolier. A propos de 1'Université de .Bologne, il écrit : « Le meilleur de ses escoliers estoit un jeune homme de Bordeaus, nomé Binet » 2. C'est 1'Italie que visite Francois de la Noue3, 1. Essais, I, 26. 2. Montaigne, Journal de voyage, publié par Louis Lautrey, 2* éd.. Paris Hachette, 1909, 1 vol. in-18, p. 170 et 183. 3. Haag, La France protestante, 1" éd., t. VI, p. 264 et 281. 234 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS mais c'est vers 1'AUemagne que se dirige, en 1596, nous 1'avons vu, le jeune Schelandre. Jacques Esprinchard \ Sr du Plomb, baptisé a La Rochelle, le 16 décembre 1573, est envoyé d'abord en Angleterre et plus tard seulement a Leyde, «a cause des beaux exercices de toute science qu'on y voit». Après avoir dédié a Scahger sa thèse sur les tutelles, il part le 3 mars 1597, pour 1'Allemagne, et rentre a La Rochelle, le 24 mai 1598, oü il s'occupe de la fondation d'une Bibliothèque publique, qui fut ouverte deux ans après sa mort, survenue en 1606. Henri IV reconnait 1'Université de Leyde en accordant, en janvier 1597, a ses étudiants, les mêmes privilèges, «exemptions et immunitez » que ceux dont jouissent les écoliers des autres Universités étrangères, sans toutefois leur donner le droit de « hre publicquement », c'est-a-dire de faire des cours en France, sans autorisation 2. Cette ordonnance ne semble pas résoudre, dans un sens favorable, la question de 1'équivalence, demandée par les Curateurs au roi Henri IV, dès la fin de 1591, pour les doctorats conquis a 1'Université de Leyde par les Francais, « attendu, dit la Résolution 3, qu'il y a ici- présentement des étudiants francais, qui désireraient prendre leurs degrés dans cette Université, mais ne 1'osent, craignant que leur diplome ne soit pas valable en France 4. » L'Université hollandaise avait donc la préoccupation des étudiants étrangers et le souci de les attirer, notamment les Francais 5. Ils étaient d'ailleurs plus aisés que les Allemands, dont beaucoup étaient de pauvres « clerici vagantes », qu'il fallait assister et qu'on poursuivait parfois en les appelant « mof maff » 6, car au peuple néerlandais «le nom d'AUemand est plus odieux que celui du démon», écrit le Poméranien Boucholt dans sa requête du 9 février 1600. Bien que n'ayant pas, comme en France, le droit de se constituer en Nations, les étudiants de même nationalité ou de même langue, se rassemblaient volontiers. Ce qui frappe dans 1'Album 1. Haag, La France protestante, 2e éd., t. V, col. 110. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 370*, 371*. 1 Jftirf.' Pp. 154 : Un Anglais demande a 1'Université 1'équivalence pour son dipl'óme de docteur en médecine, de Caen. 6 iuMoi ^ est encore aujourd'hui en hollandais un terme péjoratif, trés usité dans le peuple, pour designer les Allemands. Ce curieux passage est au tome I, p. 395*, note, des Bronnen. 1 VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 235 stvtdiosorum, c'est que, le plus souvent, un groupe d'étudiants francais se présente ensemble, surtout quand ils sont de même origine, auquel cas ils auront fait route en commun, sans doute. Qu'ils aient vécu en bonne intelügence avec les Hollandais, c'est ce qu'attestent, par exemple, les termes affectueux dont se servent les compagnons de chambre d'Everard Boot, d'Utrecht, en écrivant dans son Album amicorum 1 : « Suavissimo contubernali meo », dit Pierre de la Place, Normanus Gallus; «suavissimo contubernali et amico perjucundo in nunquam interiturae amicitiae signum », écrira le Messin Abraham de la Cloche (1602), et, de la part d'un Lorrain, habituellement plus réservé, cela ne saurait être un compliment a la francaise, comme on dit aux Pays-Bas. Daniël Bourguignon d'Orléans n'est pas moins enthousiaste de celui a qui, è jamais, il « demeurera humble valet et affectionné ami ». Au moment de quitter le même Everard Boot, pour rentrer en France, le ler avril 1601, il lui dédie ces vers 2. Ta docte piété et ton humeur courtoise, Tes discours gracieux, T'ont acquis ceste main et ceste ame francoise Qui te peut oublier, s'elle oublie ses yeux. Cela n'est pas trés éloquent, mais on est satisfait de retrouver sur ces feuillets d'Album ces traces oü revivent les ames de nos étudiants de jadis pour qui, isolés du monde, les camaraderies de chambrée remplacaient un peu la familie absente et toujours regrettée. Aujourd'hui encore, on lit dans toutes les rues de Leyde cette affiche en latin : « Cubicula locanda », mais, a 1'habitation chez le bourgeois8, 1'étudiant francais préférait souvent 1'auberge, plus bruyante, plus grouillante de vie, oü la tablée est plus joyeuse, la conversation plus variée par les récits des voyageurs, entrecoupée parfois par les cris des rouliers et les disputes des postillons. L'une de ces auberges est a 1'enseigne de 1'Empereur ; c'est la, par exemple, que logeait, le 11 novembre 1600, un jeune 1. Ms. 1686, k la Bibliothèque d'Utrecht. 2. Ibid., f» 185 recto. 3. «La Cloche, en mai 1601, habitait chez Honweg, tailleur, Houtstraat; Daniël Bourguignon, le 14 février 1601, chez un nommé la Haye (Bulletin Églises Wallonnes, 2» série, t. I, p. 341); « Esprinssart, een Franchois, wonende by Honeste Lopes ► (Bronnen, t. I, p. 296*, note 1). 236 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS théologien de seize ans, Lanfran de Canquigny ou Cancbiné *, et, a la même date, Jacques Miffantius. D'autres préfèrent la maison Lochorst (Huize Lochorst), dans la petite rue qui porte encore aujourd'hui ce nom 2, en face de 1'élégant « Gymnase » qui existe toujours. Cette pension était tenue par MUe Pétronille van Ostrum et, en 1593, des professeurs mêmes, comme le Beige de Smet-Vulcanius, « féru de dez et de boisson » 3 autant que d'érudition, y habitaient. Nous avons déja parlé de la « Porte du Ciel » et du « Lion Combattant », que fréquentaient les étudiants, mais malheureusement aussi certains maitres. Souvenons-nous de la phrase d'Erasme, se plaignant, au commencement du xvie siècle, des formidables beuveries et mangeries de Hollande; la phrase reste vraie, un siècle après, sauf en ce qui touche l'érudition et le mépris de la science : « In Hollandia, caelo quidem juvor, sed epicureis ilhs comessationibus offendor, adde hominum genus sordidum, incultum, studiorum contemptum praestremum, nullum eruditionis fructum, invidiam summam *. » D'autres étudiants, les plus studieux peut-être, sont en pension chez des professeurs, qui se créaient par la des ressources supplémentaires. Tel le jeune de la Roche-Pozay, chez Scahger, mais le père le rappelle bientót, paree qu'il n'y a pas encore a Leyde d'Académie oü le futur évêque « se puisse exercer a monter a cheval et a tirer des armes»5, lacune dansl'enseignement hollandais qui fut combïee plus tard. Pourtant le sport n'e6t pas absent des préoccupations de ces jeunes gens qui réclament, les Allemands surtout, un terrain pour leurs ébats en 1598 6. On 1'appellera le i paUe-malle ». Quelques-uns se hvrent au plus noble jeu du théatre et, en 1590, jouent la Médée de Senèque 7; en 1602, ils demandent 1'autorisation de donner 1'Amphitryon de Plaute8. Les élèves de Snelhus montent, en 1592, quatre tragédies d'Euripide et une de Plaute et recoivent, en récompense, du Bectew, 13 florins 1. Bulletin Églises Wallonnes, 2e série, t. I, p. 340, 347. 2. Cf. Molhuysen, De komst van Scaliger in Leiden, p. 12. 3. Scaligeriana. 4. Renaudet, Préréforme et humanisme (1494-1517), Paris, Champion, 1916, in-8». These de Lettres, Paris, p. 426, note 1. 5. Epistres francaises a M. de Ia Scala, p. 54. 6. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 111 et p. 114. 7. Ibid., p. 168*. 8. La requête des étudiants aux Curateurs est intéressante pour 1'histoire du théatre scolaire ; cf. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 407*, 408*, n° 349. VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 237 16 stuyvers1. En 1594, on donne, en francais, VAbraham sacrifiant, de Théodore de Bèze, dont la première représentation, fameuse dans 1'histoire du théatre, avait eu heu a Lausanne en 1549 ou 15502. Scaliger écrit en effet a de Thou, de Leyde, le 13 décembre 1595 3 : I Ceste tragédie, 1'esté passé, fut jouéeici par quelques enfants Sans Souci, de si bonne grace et si naïvement, que touz les spectateurs en furent tous ravis et y en eust qui pleurèrent 4. » En 1595 5, ils recoivent 18 florins pour le Plutus, d'Aristophane, la Troade de Sénèque, le Miles gloriosus, de Plaute 6; le 16 juillet, les élèves de Snellius obtiennent encore 10 florins pour YAululaire de Plaute, et les étudiants frisons, 18 florins, le 7 septembre, pour avoir représenté trois pièces latines. On se contente, en 1597, d'amener des comédiens anglais, contemporains, peut-être compagnons de Shakespeare, dans le cloitre des Béguines, lesquels gênèrent grandement les professeurs, pendant leurs cours, par leurs tambours et leurs trompettes 7. Les étudiants aiment le bruit et j'ai honte de dire, è la; charge de nos bouillants compatriotes qu'ils étaient parfois parmi les fauteurs de ces rixes avec le guet, duels, etc, dont les annales universitaires sont pleines et qui appelaient la sévérité du Sénat des Professeurs, juge naturel de la population scolaire. C'est Daniël Durant, Nicolas Loyer et Denis Beboul, Galli studiosi, qui, par un tapage nocturne, furent cause des troubles universitaires qui marquèrent 1'année 1594*. Le 8 février, le Sénat leur ordonne par affiches de comparoir devant lui. Les trois Francais s'étaient battus, le 19 janvier précédent, avec d'autres étudiants et avaient blessé 1'un d'eux grièvement, ce qui amena le Sénat, le 3 février 1594, a interdire aux 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 249*. 2. Cf. G. Lanson, Les Origines de la tragédie classique, dans Revue d'Histoire Littéraire de la France, 1903, p. 185. 3. Lettres francaises de Scaliger, éd. Tamizey de Larroque, p. 311-312. 4. Un de mes anciens élèves de l'Universlté d'Amsterdam, M. Fransen, prépare une these de Doctorat de 1'Université de Paris sur 1'Histoire du théatre francais en Hollande. 5. Bronnen, t. I, p. 88 : Le Sénat interdit aux étudiants d'organiser des représentations sans son autorisation. n considère d'ailleurs ces jeux comme inférieurs a la dignité des membres du corps académique. G. Bronnen, t. I, p. 366*. 7. Ibid., t. I, p. 98. 8. Scbotel, Een studenten oproer in 1594. Cf. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, 238 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS étudiants le port de 1'épée; ceux-ci, frustrés d'un privilège qui marquait leur dignité et les assimilait aux gentilshommes, protestèrent avec. indignation. La lutte, a ce sujet, entre le Sénat et les étudiants dura jusqu'a la fin de 1'année. En juin, il fallut même suspendre les cours a cause de ces « applaudissements de pieds », qui se pratiquent, aujourd'hui encore, dans les Universités allemandes. La présence des troupes francaises était une cause nouvelle d'algarades a main 'armée, contre le bourgeois; aussi du Jon, de Groot et Tuning partent-ils pour La Haye en novembre 1600, pour demander au Pensionnaire Oldenbarneveldt de les éloigner. D'autres désordres proviennent des maisons mal famées oü le « bedeau-appariteur » Bailly conduit, en 1598, les étudiants, souvent masqués, et oü ils perdent argent et santé \ C'est surtout dans cette malheureuse année 1594 que des désordres se produisirent encore au commencement de novembre; on jeta despierres sur la porte de Franck Duyck, le Bourgmestre'président, on cassa les vitres du Collége des théologiens, en même temps qu'on endommageait la pyramide élevée a 1'honneur. de Son Excellence devant son palais. La même nuit, les « eschohers » se ruèrent sur la maison du secrétaire Jan van Hout, et ils jetèrent a 1'eau plusieurs personnes au risque de les noyer. Les duels, qui sont restés jusqu'a 1'heure actuelle en vigueur dans les universités d'outre-Rhin sous le nom de « mensur », sont interdits le 3 mars 1600 par le Sénat, comme contraires a la loi divine ét humaine. On aurait tort de croire que les querelles occupaient seuls la vie de 1'étudiarit; celui-ci savait en mêler la pétulance au soin de 1'étude, et, le dimanche matin, a la sévérité des exercices religieux. Bien que la majorité füt protestante, toutes les confessions étaient admises. La proclamation annoncant la fondation de 1'Université 2 est formelle a eet égard, et le futur évêque de Poitiers n'avait pas besoin de se faire violence. Au reste il ne faut pas croire que le cathohcisme avait disparu des Pays-Bas du Nord. Interdit en principe, il était pratiqué, en fait, dans les campagnes et même dans les villes, sous 1'ceil indulgent du 1. Bronnen, t. I, p. 108 et 313*. 2. Ibid., t. I, p. 57* VIE ET MCETJRS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 239 Magistrat. Pourtant, c'est au culte réformé que la cloche1 appelle les étudiants, pour lesquels on prêche en latin, s'ils sont Hollandais, en francais, s'ils sont Francais, Genevois ou Wallons. Sur les bancs de 1'église, comme sur ceux de 1'Université, se coudoient des jeunes gens de tout age. Sans doute il ne faut pas prendre au sérieux toutes les inscriptions de 1'Album, qui sont souvent «honoris eausa», c'est-a-dire gratuites, pour des fils de professeurs, afin de leur assurer les exemptions d'accises sur la bière et le vin, qu'entraine la qualité d'étudiant, mais les écoliers de la cinquième classe de la grande école ou école latine, usaient souvent du privilège qu'on leur accordait de se faire immatriculer dès 1'age de treize ans 2. En tous cas, la formule de serment arrêtée par le Sénat, le 14 février 1595 3, s'apphque a tous les étudiants agés de plus de quatorze ans ; le 10 février précédent, les Curateurs4 avaient décidé que ceux qui seront en-dessous de eet age feraient une simple promesse. Si 1'on est indulgent pour les inscriptions, par contre, pour conquérir la hcence, il faut avoir au moins vingt-trois ans et vingt-cinq pour le doctorat, qui coüte 40 florins pour les indigènes et 60 pour les étrangers. Beaucoup des inscrits ne sont pas vraiment des étudiants, ils sont simplement des « famuli » et des précepteurs. Parmi eux, les Francais sont nombreux, notamment auprès des nobles polonais ou prussiens. Cent francs de gages étaient courants au milieu du xvne siècle a Paris 6, mais je doute qu'Estienne Fouace en ait eu autant pour devenir précepteur du fils de M. Hauthin, gouverneur de 1'Ecluse, en 1632 6 et, vers 1600, les salaires devaient être plus bas encore, puisqu'un certain Cassedenier, qualifié de savant et qui enseigne le francais a Leyde, recoit du Recteur 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 34. 2. Cf. du Rieu dans Bulletin Églises Wallonnes, 2« série, t. I, p. 325, note 1, et p. 333. 3. Bronnen, t. I, p. 87 et n° 288. 4. Ibid.,.v. 90. • 5. Cf. Bibliothèque de 1'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. I, f» 100. Lettre d'André Pineau k André Rivet, de Paris, le 2 avril 1644 : «lui faisant savoir qu'ü no vouloit donner que cent francs de gages et que M. Amyraut lui avoit fait trouver un homme a ce prix-la. Je voy bien que la demande que je faisois de cent escus a cause qu'il y a trois enfans a gouverner luy aura fait peur. » 6. Livre Synodal, Synode de septembre 1632, art. 12 (p. 373-4) : « Sur la demande d'Estienne Fouace,de Saint-Loo en Normandie, estudiant en théologie, maintenant précepteur du fils de M. Hauthin, gouverneur de 1'Escluse... » 240 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS le 18 mai de cette année une aumöne de 2 florins 5 deniers *. En dehors des cours assez nombreux qu'ils suivaient et qui avaient lieu entre sept heures du matin, heure dont se plaint Baudius, et cinq heures du soir, la grande affaire des étudiants étaient les « disputations » et les thèses dont les « promotions » ou soutenances s'accompagnaient d'une certaine solennité avec une affluence de camarades, de professeurs et de curieux dans le décor du grand amphithéfttre, qui existe encore, et qu'on revêtait pour la circonstance de tapisseries prêtéès par 1'appariteur. Les trompettes mêmes ne sont pas interdites pour la proclamation. Les épreuves du doctorat, consistant en plusieurs disputes, étaient certes plus sérieuses a Leyde, a la fin du xvie siècle et au commencement du xvne, qu'a Orléans vers 1660, s'il faut en croire Jean Rou : « J'endossai la, écrit-il dans ses Mémoires ?, la vénérable robe de Cujas (car c'est ainsi qu'on appelle une vieille souquenille qui, depuis plus de six-vingt ans, traine dans la poussière d'une salie oü 1'on examine les réponses des divers candidats qui se présentent a toute heure); le point principal est sans doute de savoir s'ils ont sur eux les vingt écus dont ils doivent payer leurs licences » 8. Est-ce pour cela que tant de Hollandais préféraient conquérir, tel le poète Jacob Cats 4, leurs degrés, a Orléans ou a 1'Université de Caen, dont la réputation d'indulgence provoqua un arrêt du Parlement de Rouen5 ? Cependant Barleüs y mit deux ans a obtenir son doctorat en mëdecine. Douza écrivait : « La plupart de nos savants visitent la France, plusieurs vont en Allemagne, quelques-uns en Italië »6. 1 Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 402*. comptes du Recteur _pour 1600, 18 inai: « gegeven aan een geleert man genaemt Cassedenier die doceerde Gallicam linguani ende nu verarmt was : 2 g. 5 st. ». 2 Cité Dar Haag, La France protestante, 1" édition, t._IX,p. 11. 3 Cf Lolseleur(J.), L' Université d'Orléans pendant la période de décadence. 4 CA Derudder, Cats, sa Vie et ses (Euvres, Calais, 1898, in-8». . <\' Cf Recueil éarrêts de règlement donnés au Parlement de Normandie par Louis Froïand d 593 au sujet de 1'arrêt du Parlement de Rouen défendant aux docteurs derUniveretói de Caen de passer aucuns licenciés ni docteurs sans être examinés *mvaTiyordonnance; cité par Bouquet, Potnts obscurs... de la vie de Corneille, p. 22 6 Fmin, Tiert Jaren, 1899, p. 211, apud Riemens, Esquisse hislorique de renseianement du francais en Hollande du XVI' au XIX' s. Leyde, 1919. Citons paZi les savante hollandais établis en France, Lévin Lesme (Manuel WW. Théophile se rencontre ici avec Ej r 9.SÏIX6 Surtout ce qui 1'excède, c'est la discipline dans la débauche, dont les étudiants allemands ont seuls gardé la tradition dans leurs « Kommers » : « Tous ces messieurs du Pays-Bas ont tant de regies et de ceremonies a s'ennyvrer que la discipline m'en rebute autant que 1'excez ■ ... Cela ne 1'empeche pas de s'y laisser entrainer tout de même, témoin la suite «, tableau réaliste a la facon des petits maitres flamands, chez qm il y a toujours quelqu'un qui évacué quelque chose, par la bouche ou autrement: « Sydias, couché tout plat sur les carreaux, la moitié des escuelles a terre, presque un muid de vin ou vomy ou renversé, une musique de ronflemens, une odeur de tobac, des chandelles allumees comme devant des morts; bref tout m apparoissoit d'un visage si estranger que, si je ne me fusse retiré de la, je m'allois imaginer de n'estre plus en France, tant cela tenoit des ceramesses du Pays-Bas.»Lisez«kermesses» et songez aBrouwer 1 Théophile alla-t-il souvent au cloitre des Béguines voilées ? 1. (Euvres de Théophile, t. II, p. 27. %' Fragment d'une Histoire Comique, ibid., p. 25. 4. Ibid., p. 31-32 et Procis de Théophile, t. I, p. 11. BALZAC ET THÉOPHILE 261 Assurément, ce réaliste curieux des choses de la Nature, devait se passionner pour la dissection des cadavres humains que Janoon, le domestique de la Faculté, va chercher jusqu'a Delft1 et d'ailleurs, s'il n'avait été qu'un simple passant ou un simple voyageur, il ne se serait pas plus fait immatriculer que Montchrestien ou le duc de Mantoue. Qu'il ne soit pas resté longtemps après cette immatriculation, c'est incontestable, puisque, dès le mois d'aoüt, selon M. Lachèvre 2, on le trouve au chateau de Castelnau-Barbarens, chez le comte de Candale. Pourtant ce séjour a Leyde, si court qu'il ait pu être, (et rien ne dit, nousl'avons vu, qu'il n'ait été que de deux ou trois mois), aurait eu, selon le même érudit, des résultats décisifs 8:«Le contact du Poète avec les Hollandais, eut une conséquence plus facheuse encore. II n'était jusque-la qu'un viveur, il rapporta des PaysBas un peu du mépris des Protestants a 1'égard des papistes, objets de leurs railleries et il oublia que ce qui était spirituel a Leyde devenait crirnjnel a Paris. Désormais, il va mêler la religion ou plutót les pratiques rehgieuses du catholicisme a ses propos grivois, il prendra un malin plaisir a se moquer de la Vierge et des Saints et è afficher son incréduhté. » Ceci est un peu contradictoire. S'il est une chose qu'on ne pouvait apprendre a Leyde, c'est 1'incrédulité. Si 1'on y raillait les saints (mais non pas toutefois les Pères et docteurs de 1'Eglise), on y avait le respect de la Vierge, bien qu'on ne lui dédiat point de culte particulier. Quant aux plaisanteries sur les papistes, le protestant francais qu'était Théophile, 1'élève de Saumur n'avait pas a les apprendre, il n'avait qu'a lire Rabelais, Henri Estienne ou Agrippa d'Aubigné. Ce n'est donc pas la qu'il faut chercher une action du milieu hollandais sur Théophile, mais plutót dans 1'influence du parti arminien, de tendance largement tolérante et avec les doctrines duquel son ami Bertius a pu le familiariser. Le terme même de «libertijn » était d'usage courant a Leyde, car on était au plus fort de la lutte entre Arminiens et Gomaristes. Arminius ou Armjjn, le professeur de théologie qui avait succédé a du Jon en 16024, était mort en 1609, mais son enseignement, 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 75*. 2. Procés de Théophile, t. I, p. 10. 3. Ibid., p. 11. F j-t,/8™""!" Leid*ehe v**»eT*it*it< t» h P- 147 et 144 et Maronier (J. H.), Jac. Arminius, Amsterdam, 1905, in-8°. ' 262 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS contre lequel s'était élevé, avec violence, son collègue Gomarus, ancien professeur a Saumur \ avait inspiré la fameuse «Remonstrantie » ou « Remonstrance » du 14 janvier 1610 2. Un grand principe animait celle-ci, celui de la liberté humaine : bberté dans 1'ordre métaphysique, ce qui signifiait opposition a la doctrine rigoureuse de la Grace selon Calvin ; Uberté dans 1'ordre pobtique, ce qui signifiait la tolérance, chère aux Régents des villes, odieuse a Maurice de Nassau et au petit peuple excité par ses pasteurs calvinistes. Ainsi c'est aux Pays-Bas que s'est posé d'abord au xvne siècle le problème de la Grace et on a tort, quand on en étudie 1'histoire, de la limiter a 1'étude de la controverse entre Jésuites et Jansénistes. Peut-on oubher que Corneille Jansen étudia en Hollande et qu'il se rencontra avec Saint-Cyran a Paris et, sans doute, a Louvain 3 ? II faut se préoccuper aussi de la querelle protestante entre Amyralistes ou Saumuriens et Antiamyrahstes et ne pas oubher que le livre d'Amyraut sur La Prédestination * est de 1634, que Moïse Amyraut fut étudiant a Leyde en 1620, que le Synode de Dordrecht, qui résolut la question de la prédestination dans le sens le plus énergiquement calviniste, est de 1619 et qu'il eut un grand retentissement en France; qu'avec la condamnation d'Oldenbarneveldt, il entraina aussi l'emprisonnement de Grotius, lequel s'évada de la forteresse de Loewenstein par la ruse de sa femme 5 et se réfugia en France 6; que Bertius, qui appartenait au même parti Arminien, suivit eet exemple et tout cela n'est pas indifférent è 1'histoire des idees de tolérance et de liberté métaphysique en France. t. Voir plus haut, p. 240 n. 6. 2. Heering, Groenewegen, etc De Remonstranten, Leyde, 1919, in-8°. 3. Cf. Sainte-Beuve, Port-Rogal, t. I, p. 293. Sur les rapports entre la doctrine janséniste et la doctrine protestante de la grace, il y a un passage intéressant du huguenot Conrart dans une lettre a André Rivet, 13 décembre 1647 (ap. Kerviler, Valentin Conrart, p. 406) : «Les Jansénistes et les Arnaldistes, qui ne craignent rien tant que d'estre accusés d'avoir des opinions conformes a celles des Calvinistes, ainsi qu'ils nous appeHent, nous accablent d'injures atroces, sans sujet et souvent hors de propos, dans les livres qu'ils font contre les Jésuites, quoi que leur créance sur la matière de la grace, qm est le point fondamental du salut et de la religion chrestienne, soit semblable ou du moms fort peu différente de la nostre. M. de Balzac suit cette erreur commune... » 4. Haag, La France Protestante, 28 éd., V" Amyraut, col. 187 et 192. 5. Elle le fit échapper en 1'enfermant dans un coffre, circonstance célèbre en Hollande et populariséc par la gravure. Le chateau de Loewenstein sur la Meuse existe encore* 6. Cf. G. Macon, Grotius dans la région de Senlis en 1623 (Extrait des Memoires du Comité archéologique de Senlis). Senlis, impr. E. Vignon fils, 1917, in-8. BALZAC ET THÉOPHILE 263 Pierre Bertius ou Pieter de Bert, auquel nous avons fait allusion, était né en Flandre, è Beveren, le 14 novembre 1565 1; son père, Pierre Bert, avait été un des premiers adhérents de la Rêforme dans Ia Flandre francaise et Pavait prêchée a Dunkerque, d'oü il s'était réfugié en Hollande avec ses fils. Pierre II avait été mandé d'Angleterre par son père, d'abord a Leyde, oü on le trouve dès 1577 et oü il est immatriculé gratuitement, le 10 février 1589; il y soutient ses thèses sur le pêché, le 31 mars de 1'année suivante. II y devint bientöt Recteur de 1'école latine, terme dont on se sert aujourd'hui eocore, en Hollande, pour désigner le Provisear; il se read alors k Heidelberg, a Strasbourg et, le 8 février 1592, les Curateurs de 1'Université de Leyde, 1'invitent a entrer dans le corps professoral 2. Le Journal du secrétaire Jan van Hout parle alors de lui comme d'un jeune homme de vingt-cinq a vingt-six ans, Petrus Bertius, né en Flandre, qui a étudié plusieurs années a 1'Université de Leyde, y a fait de grands progrès et s'y est révélé homme de singulier entendement ét jugement. On lui donnera une bourse de cent florins pour poursuivre son voyage d'études dans les Universités allemandes et s'y perfectionner en théologie et en philosophie 3. Le 14 mai 1593, Bertius est nommé « sous-régent » du College des Théologiens des Etats, au traitement de 500 florins, avec logement et exemption d'impöts *. C'est aussi le moment oü Pierre du Moulin est nommé professeur extraordinaire de logique, et 1'arrivée de Scahger est proche. Le 1^ février 1595 5, Bertius est autorisé a faire un cours sur YEthique d'Aristote, mais a peine est-il monté en chaire, Ie 4, pour sa lecon inaugurale, qu'il est accueilli par une telle terapête de cris qu'il ne peut articuler une parole. Heurnius, Pauw, Vulcanius, Raphetengius, du Moulin, Wtenbogard, venus exprès de La Haye, assistèrent a cette déconvenue. La cause du tumuite parait être un chatioment infligéparlui au boursier Alting, du collége de théologie, qui avait insulté Mme Bertius et participé a une bruvante manifestation. au cours de laquelle on avait cassé des vitres. L'exécution du chatiment et ts'mNieUW Biografisctt Woordenboek, de P. J. Blok et Molhuysen, t. L eol. 320 mw- ^li"""1 LJÏ,dsehe Universiteit, t. I, p. 70 et n° 179. Rien dans les fiches de la BiMwthèque wallonne sauf celle-ci, qui ne peut se rapporter a mi:« Aangeteekend te Leiden, den 1 dec 1634, Bert (Pieter de) van Leyden en Reyiers (Syhilfi\.. » 3. Bronnen Letdsche Universitm, L I, p. 193*. 4. Ibid., p. 75. 5. Ibid., p. 82 284 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS avait entrainé de nouveaux troubles. Bertius, accusé par Alting de crimes contre nature, fut acquitté par le tribunal universitaire (Academisch Vierschaar) le 15 novembre 1595 *. Proposé comme secrétaire par le Sénat, il est 1'objet du veto des Curateurs, paree qu'il est haï des étudiants 2. Patiënt et obstiné, il reprend son cours sur 1'Ethique d'Aristote, qu'il professera, par exemple en 1599, a ses risques et périls, diront les Curateurs 3. En 1607, il remplace Cuchhnus comme Régent du Collége de théologie 4. Malgré les attaques auxquelles il continue a être en butte de la part des Gomaristes et contre lesquelles il se défend éloquemment5, il est recu le 14 juillet 1615, au nombre des « professeurs ordinaires », après avoir abandonné, le 5 avril précédent, la direction du Collége 6. Le 8 mai 1617, Bertius montre aux Curateurs certain brevet, le nommant Historiographe du roi de France 7. Assurément il se prépare les voies a une exode qui pourra devenir nécessaire ; mais qui s'est interposé pour lui obtenir cette faveur ? Ne seraitce pas le duc de Montmorency, protecteur de Théophile et peutêtre a la requête de celui-ci? 1619 est la date qui règle son sort en même temps que celui de la Hollande. Le Synode de Dordrecht a heu : il condamne les doctrines arminiennes, la Bemonstrance de 1610 et, avec elle, le parti des Régents dont le chef incontesté est le vieux pensionnaire de Hollande, Oldenbarneveldt qui, après une caricature de procés, est exécuté dans le Binnenhof a La Haye, le 13 mai 1619, quoique notre ambassadeur Aubery du Maurier et deux envoyés extraordinaires Thuméry, Sieur de Boissize et M. de Chastillon 8 se soient interposés, usant auprès de 1'inflexible Maurice de toute leur influence. « Nil scire tutissima fides », disait Barneveldt. C'était peut-être le principe de Bertius. En tout cas, celui-ci ne parait pas trés fidéle a ses convictions. Aux Curateurs, qui lui signifient, au nom 1. Bronnen Leidsche Universileit, t. I, p. 83, note 2. 2. Ibid., p. 90. 3. Ibid., p. 116-117. 4. Ibid., p. 175. 5. Ibid., t. II, p. 1* a 3*. 6. Ibid., t. II, p. 56 et 59. , . 7. Ibid., p. 78 et p. 126*. Une copie du brevet, datée du 23Iévner 1617, se trouve dans les Archives des Curateurs. > *dW 8. Waddington, La France el la République des Provinces Unies, t. 1, p. 7b, et Bibliothèque de 1'Université d'Utrecht, n» 1868, f° ln-11 a: «Aub. du Maurier aan de Staten betr. Oldenbarnevelt » et réponse. Copie du xviii» siècle. BALZAC ET THÉOPHILE 265 de Son Excellence et de Leurs Nobles Puissances les Etats de Hollande, qu'ils ne pensaient plus pouvoir utiliser ses services et qu'ils le considéraient, ainsi que Caspar Barlaeus, comme congédiés au 31 aoüt 1619 *, Bertius répond que les mesures prises contre lui ne 1'avaient pas été sans raisons et qu'il n'articulerait aucune plainte. L'échafaud deBarneveldt oulaprison de Grotius hallucinent ses regards; et puis quelqu'un lui a préparé une retraite en France, serait-ce encore Théophile ? Les deux lettres latines que le poète a adressées a Bertius 2, datent de 1'exil de Théophile, mai 1626. Elles ne témoignent pas d'une grande intimité, mais sont établies sur la base de services réciproques, c'est tout ce qu'on en peut dire. Bertius, bien que converti au catholicisme le 25 juin, ne dédaigne pas de solliciter 1'appui de 1'exilé Théophile, auprès du Comte de Béthune. L'abjuration de Théophile est de aoüt-septembre 1622. Celle de Bertius devait être plus profitable, car elle valut a ce dernier une chaire d'éloquence au Collége de Boncourt,le 20 octobre 1620, en même temps d'ailleurs qu'une excommunication majeure a Leyde, a Paques 1621 8. En 1622, Louis XIII lui confie une chaire nouvelle de géographie au Collége de France4 : il mourut a Paris, le 3 octobre 1629. Ses fils, Pierre (Petrus a Matre Dei) et Abraham (Caesarius)5, devinrent Carmes tous deux et furent envoyés, vers le milieu du xvne siècle, comme missionnaires cathohques, le premier a La Haye, le second a Leyde 6. Ainsi la Hollande avait fait présent a la France d'un «libertijn » qui se convertit au catholicisme, peut-être par intérêt, peut-être aussi paree que la doctrine arminienne sur la grace était plus proche de celle des Jésuites que de celle de Dordrecht, et ce «libertin»ne fut pas sans influence sur Théophile. En échange, la France rend a la Hollande deux Carmes du même sang, qui firent beaucoup pour la diffusion du catholicisme aux Pays-Bas, toujours vivace dans 1. Bronnen, t. II, p. 126*. 2. (Euvres de Théophile, pp. 421-422 au T. II et le Procés de Théophile, 1.1, p. 615. 3. Nieuw Biografisch Woordenboek, t. I, col. 323. 4. Cf. Abel Lefranc, Histoire du Collége de France... Paris, 1893, 8° p. 383. 5. Nieuw Biografisch Woordenboek, t. I, col. 318. 6. Ibid. Abraham Bertius, mort a Leyde. le 4 octobre 1683, est fauteur de Les fleurs du Carmel francois, 1670, et de Historia missionis sive clara relatio missionis hollandicae et provinciarum confederatarum, 1658, éditée par C. Deelder, Rotterdam, 1891. 266 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS les couches profondes de la population et notamment parmi les ouvriers francais de 1'industrie textile a Leyde. Voila un aspect tres inattendu et trop peu connu de 1'influence francaise en Hollande : 1'action catholique. CHAPITRE XI DEUX DEVOIRS d'ÉCOLIERS A. L' « Ode » de Théophile. A part les passages que nous avons cités sur la débauche aux Pays-Bas, les souvenirs de Hollande sont rares dans rceuvre de Théophile et l'impression que lui fit ce séjour ne dut pas être trèsfavorable. Je pense eneffet que c'est a cette contrée qu'il songe quand il écrit « a un Sot amy »1 : « Qu'irois-je faire en un pays oü mes habitudes ne sont point, oü les coustumes sont contraires a ma vie, oü la langue, les vivres, les habits, les hommes, le ciel et les élémens me sont estrangers ? Quel plaisir me peux tu promettre en un climat oü toute 1'année n'est qu'un hiver, oü tout 1'air n'est qu'une nuée, oü nul vent que la bize, nul promenoir que ma chambre, nulle délicatesse que le toubac, nul divertissement que 1'yvrongnerie, nulle douceur que le sommeil, nulle conversation que la tienne ? » Pourtant il semble avoir rapporté de la-bas une ode Au Tres puissant et tousjours vidorieux Prince Maurice de Nassau, qui parut d'abord dans un de ces recueils collectifs dont M. Lachèvre a si patiemment fait la bibliographie : Le Cabinet des Muses, Rouen, David du Petit-Val, 1619 2. Si, dans 1'édition de 1621, 1'ode porte pour titre : Au Prince d'Orange, c'est que Maurice avait, comme nous 1'avons vu3, acquis ce titre par la mort de son frère ainé Philippe, le 21 fé- 1. (Euvres de Théophile, éd. AU eau me, t. II, p. 329. 2. Le Cabinet des Muses ou nouveau Recueil des plus beaux vers de ce temps. A Rouen, de 1'imprimerie de David du Petit-Val... 1619. La pièce qui nous intéresse est au t. II, qui continue la pagination du premier, aux pages 656-663. Nous avons collationné le texte sur 1'exemplaire de la Bibliothèque Nationale, Ye 11440. Cf. F. Lachèvre, Bibliographie des Recueils collectifs de poésie, t. I, p. 319, et Procés de Théophile, t. I, p. 12. 3. Cf. Livre I", p. 117. 268 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS vrier 1618. On peut donc conclure que 1'ode primitivement dédiée « Au Prince Maurice de Nassau », est antérieure a cette date et on serait assez tenté de la reporter, comme inspiration et probablement comme exécution, au passage par Leyde en 1615, sinon avant. L'Ode est du type malherbien plutót que ronsardien, mais elle n'en vaut pas davantage. Si la Mythologie y est plus discrete, 1'enthousiasme n'en est pas moins absent et, malgré la pureté de sa langue, elle ne soutiendrait pas la comparaison avec beaucoup de strophes, d'antistrophes et d'épodes de Jean de Schelandre. Ce qui distinguait celui-ci c'était la sincérité, 1'émotion résultant de la chose éprouvée. Ici, Ostende et Nieuport ne sont que des souvenirs historiques recueillis a 1'Université et la difïérence se marqué au premier aspect: Paver les flots de naus et les sables de morts, avait dit Schelandre \ La terre se noya de sang, réphque Théophile 2. Cependant, que ce dernier ait parlé précisément d'Ostende et de Nieuport, comme va le faire son camarade Balzac, dans le discours dont nous allons nous occuper, cela nous ferait penser qu'il s'agit d'une gageure, d'une sorte de concours, oü le prosateur et le poète se seraient proposé de traiter le même thème. Déja le motif conducteur est semblable : le combat pour la liberté. Le prestige de ce mot pour ces jeunes Francais était immense; la lutte contre le tyran, qui n'était plus, dans leur pays, qu'un thème scolaire, un lointain écho des guerres de religion, était ici réalité vécue. C'est la liberté qui arrache au bouillant Gascon ses accents les plus vrais 8 : L'Espaigne, mere de 1'orgueil, Ne preparoit vostre cercueil Que de la corde et de la. roue Et venoit avec des vaisseaux Qui portoient peintes sur la proue Des potences et des bourreaux. 1. Cf. Livre I", p. 50. 2. CEuvres de Théophile, t. I, p. 155. 3. Le Cabinet des Muses, p. 658. l'ode de théophile 269 Les vostres que mordit sa rage, Mourant, disoient en leur courage1 : O nos terres ! ó nos citez 1 2 Si vous n'estes plus asservies, Ayant gaigné vos libertez, Nous voulons bien perdre nos vies 1 O vous que le destin d'honneur Retira 8 pour nostre bon-heur, Belles ames, soyez apprises Que 1'horreur de vos corps destruicts 4 N'a point rompu nos entreprises Et que nous recueillons les fruicts Des peines que vous avez prises. La liberté n'est pas mortelle 1 Ainsi s'entonnait ce paean qui devait se prolonger d'échos en échos du xvie siècle jusqu'a la Révolution francaise. Assurément, ce n'est ici, comme chez Balzac, qu'un murmure, murmure frondeur s'échappant des lèvres fermées d'un écoher sur les hancs de la classe, mais il n'est pas douteux que tous ceux de nos écrivains, de nos savants et de nos penseurs, qui ont passé jadis par la Hollande et surtout y ont séjourné, y ont respiré 1'air de la liberté, qu'ils s'en sont dilaté la poitrine au point de trouver, au retour, 1'atmosphère politique et rehgieuse de la France, plus difflcilement respirable. A tout le moins ont-ils rapporté cette idéé qu'un peuple pouvait vivre sans roi et protégé par la seule majesté de la loi et le respect des droits de chacun. Cette conviction, ils la transmettent a leurs amis et a leurs descendants, a qui ils enseigneront les privilèges de cette terre d'élection. Ces descendants qui sontils ? des Basnage et des Jurieu ? Sans doute, c'est-a-dire des intolérants attirés moins par la liberté rehgieuse que par 1'austérité calviniste, mais bien d'autres aussi, qui y seront non moins è. 1'aise, un Bayle, un Voltaire, un Montesquieu, un Diderot, un Mirabeau. Du xvie siècle a la Révolution francaise, il ne manque pas un anneau a la chaine. Revenons a l'ode de Théophile. Comme forme, avec sa 1. Le Cabinet des Muses, p. 658, a « Mourans > et, plus loin, « ayans ». 2. Ibid. : « Clartez » au lieu de « citez ». 3. Ibid. : « malheura » au lieu de « retira »; le poète a bien fait de supprimer celte pointe conslstant dans 1'antithése de < malheura » et de « bonheur >. 4. Ibid. : « que la mort qui vous a destruits ». 270 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS succession monotone de sizains du type F F M F' M F' et de septains de type MMFM'FM'F, elle n'est ni trés variée ni trés riche. Le poète a tort de se vanter de son talent : Prince, je dis sans me louer Que le ciel m'a voulu douer D'un esprit que la France estime Et qui ne fait point mal sonner Une louange legitime Quand il trouve a qui la donner. Quand au destinataire, Maurice, malgré les coups droits de flatterie sur ses yeux dont le feu reluit Dans le sang et parmy la poudre Comme aux orages de la nuict Brillent les flammes de la foudre, il dut envoyer l'ode de Théophile rejoindre au fond d'un cabinet»' YOde pindarique de Jean de Schelandre. B. Le « Discours » de Balzac. Une folie de jeunesse, voila comment Balzac quahfie son Discours politique sur FEstai des Prouinces-Unies. On 1'a reproduit ici en appendice, d'après 1'édition hollandaise originale, car il est assez malaisé de 1' aller chercher dans le dernier des deux gros in-folios de 1665 des (Euvres1. La note marginale de Conrart ou de 1'abbé Cassagne, qui procura cette édition, porte eed : « Ce discours fut fait par Monsieur de Balzac en Hollande, a l'age de vingt ans et en ayant laissé une copie a un de ses amis, il y fut imprimé fort longtemps après sans son seü. » On ne peut accept er cette note marginale, a raison de la lettre que nous avons citée plus haut2 et oü il affirme 1'avoir composé a dix-sept ans, ce qui nous reporterait aux lecons de Baudius en 1612 ou 1613. On sait d'ailleurs par M. E. Roy, que Balzac com- 1. Les (Euvres de M. de Balzac, divisées en deux tomes. A Paris, chez Thomas Jolly. Au tome IL on trouve, parmi les Disserlalions Pöliiiques, ce discours qui constitue Ia dissertation VII, p. 482 a 485. L'édition que nous donnons en appendice est faite sar la plaquette originale intitulée : Discours Politique sur Vestal des Provinces Vnies des Paus-Bas, par J. L. D. B., gentilhomme francois. A Leyde, chez Jan Maire, 1638, quatre feuillets petit in-4°, signés Jean Louis de Balzac, et insérés dans le Ms. fr. 17861, f° 269 a 272 de la Bibliothèque Nationale. Autre exemplaire avec additions manuscrit es, encarté dans le tome 517 de la Collection Dupuy. Z CL pp. 244-245. LE DISCOURS DE BALZAC 271 posa un autre discours politique intitulé Harangues Panegyriques au Roy sur l'ouverture de ses Etats, etc, dont le privilège est du 3 décembre 1614 1. L'ami ou le pseudo-ami dont il est question est, nous le savons, le bonhomme Heinsius, qui lui joua le mauvais tour de publier le Discours sans son assentiment, en 1638. « Véritable déclamation d'un écoher », dit M. Moreau 2, qui s'abstient de la pubher; mais ce caractère seul serait une raison de nous intéresser, car rien ne sert mieux notre dessein que de pouvoir donner une idéé des travaux que des étudiants francais pouvaient faire en francais, pour leurs maitres francais de 1'Université de Leyde, car, j'insiste sur ce fait, un Hollandais eut-il accepté un travail concu et rédigé en langue vulgaire ? Heinsius, a qui on pourrait songer, mais qui enseignait le grec, 1'eüt repoussé avec dédain; seul le Lillois Baudius me semble avoir pu 1'admettre et le priser. Discours d'élève si 1'on veut, mais d'une telle fermeté de pensée et de style, en dépit d'une recherche trop grande de 1'antithèse, qu'aucune ne justifie mieux la prédiction de Malherbe 3:« Ce jeune homme ira plus loin, pour la prose, que personne n'a encore esté en France. » Le plan, car il y a un plan, annonce déja ces dissertations de philosophie, dont 1'heureuse tradition s'est conservée jusqu'a nos jours et s'accorde si bien avec les qualités propres de 1'esprit francais. Si le travail est destiné a Le Baudier-Baudius, qui enseigne a la fois 1'histoire et le droit, rien ne s'exphque mieux que eet hymne a la Liberté Belgique, dont ce professeur a célébré la conquête sur 1'Espagnol dans son De Induciis belli belgici libri III 4. Le discours "débute par cette fiére affirmation qui sent 1'enseignement des Vindiciae contra tyrannos, que le Sénat avait essayé en vain de réprimer en interchsant, après 1'assassinat d'He nri IV, les thèses et disputes pubhques sur les tyrainV cides s. 1. Bibliothèque Nationale Lb30 352, publié par Em. Roy, op. cit. en appendice. i. (Euvres choisies de Balzac, t. I, p. 210. 3. Tallemant des Réaux, Historiettes 3° éd. Monmerqué et P. Paris, t. IV, p. 89 n. 1. 4. Cf. Blok, Geschiedenis, 2e éd., t. II, p. 674. 5. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 2. RésoluUons du Sénat, 1610, Jul. 12 : t Visum est Mg" Rectori et Senatui Theses de Tyrannide et interflciendis tyrannis, publico programmate ad hoe facto, damnandas esse ». 272 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « Un peuple est libre pouroeü qu'il neveuille plus servir. Après avoir combattu long-temps pour la vie, il combat enfin pour la victoire... » L'exemple des Provinces-Unies est proposé par 1'écolier a tous les rois et a tous les peuples de la terre : « Les Provinces du Pays-Bas qui ont eschappé des mains du Roy d'Espagne pour les avoir voulu trop serrer, doivent leur Uberté a 1'extrémité de leur servitude, jouissent de la paix pour avoir esté contraintes a la guerre, font une belle lecon a tous les Souverains de ce qu'ils doivent envers leurs peuples et donnent un exemple memorable a tous les peuples de ce qu'ils peuvent contre leurs souverains. » On concoit que le courtisan de 1638 n'ait pas vu reparaitre avec plaisir cette invitation a la révolution. L'antithése qui suit ne lui devait pas être plus agréable, car elle heurtait de front la thèse du droit divin:«Elles méritent d'avoir Dieu seul pour Roy, puis qu'elles n'ont pü endurer un Roy pour Dieu et de ne relever que de sa puissance, puis qu'elles ont combattu pour sa seule querelle. » C'estcela « qui ne craint pas assez les foudres de Rome», car le Dieu des Provinces-Unies est celui de Genève. Un tyran qui abuse de ses droits cesse d'en avoir, c'est la thèse que Schelandre avait fait soutenir a la Hollande dans son Procez d'Espagne. « Celuy qui estoit leur maistre, estant devenu leur ennemi, a perdu les droits qu'il avoit sur elles... Voulant traiter ses subjects en bestes, il les a contraints de se souvenir qu'ils estoient hommes et, ayant rompu le droit des gens par la mort de leurs ambassadeurs, il les a obhgez a recourir au droit de nature par 1'acquisition de leur liberté. » L'allusion al'ambassade de Bergh et Montigny en Espagne et a 1'exécution du premier en 1570, est des plus nettes l. L'élève a bien profité de ses cours et quant a 1'exercice du droit de nature, il annonce Bousseau, a moins qu'il ne rappelle Bodin. Balzac insiste, avec de nouvelles antithéses et avec de ces pointes 2 que Corneille pratiquera encore : « Point de merveilles,' s'il a perdu le Pays duquel il a voulu perdre le peuple, si ceux qu'il a violentez en leur foy se sont oubhez de leur fidéhté ». Le jeune catholique est décidément trés enveloppé par les doctrines huguenotes. 1. Cf. Pirenne, Histoire de Belgtque, t. IV, p. 17. 2. Cf. G. Lanson, Manuel d'Histoire de la Llttérature francaise. 110 éd. p. 382, note. LE DISCOURS DE BALZAC 273 « Les Tyrans plus subtils 1 et ingéhieux a 1'invention des cruautez extraordinaires qui furent jamais ne s'estoient point encore advisez de s'attaquer a 1'esprit, ne scachans par oü le battre. Philippe second a esté le premier qu'on peut a bon droit nommer le Tyran des dmes. » Ce qui suit est un acte d'accusation contre lTnquisition, lequel ne manque pas d'éloquence : « II a trouvé le moyen de les faire endurer [les ames], il les a mises a la gesne 2, pour les faire deposer contre la verité et, après avoir employé toutes les peines de ce Monde pour tourmenter le Corps, il s'est a la fin servi de celles de 1'Enfer pour tourmenter 1'ame... Levons le masqué a cette 1 sanglante Tragedie. N'est-ce pas détruire son peuple, sous couleur de le vouloir instruire ? tuer les Subjets pour les guerir ? brusler r son Pays pour le nettoyer ? n'est-ce pas faire servir la Religion a sa tyrannie ? rendre Jésus-Christ ministre de ses passions ? et, au nom du Roy CathoUque, venger la cruauté du Roy d'Espagne ? » Vient alors un tableau de la résistance et il est d'une singulière vigueur de touche : « Ce pauvre peuple alors, ne trouvant point de milieu pour se sauver, fut contraint de chercher sa seureté dans les perils de la guerre et prit les armes a 1'extre- ; mité. » On sent naitre la le maitre de la prose francaise et il a des accents que 1'on ne retrouvera plus que chez Bossuet. Au tyran, les succès apparents eux-mêmes, n'ont pas réussi; le meurtre du Prince d'Orange a fait capitaines ses deux fils, Maurice et Frédéric-Henri, dont «le plus jeune seroit trop digne » ; de « commander, si son frere ne 1'estoit encore plus »3. « Ils luy emportent ses meilleures villes, pendant qu'il s'opiniastre après un cimetiere ». Rappel des vers de Grotius déja cités, sur Ostende, dont le siège est évoqué peu après, a la suite de la bataille de Nieuport: « Ils [les Hollandais] ont gardé Ostende, ne restant plus que la place oü elle avoit esté, ils ont eu assez de terre pour combattre, tant qu'ils en ont eu pour s'enterrer. » La fin se rapporte aux négociations de la Trève de 1609, |dont nous avons longuement parlé au Livre précédent4 et a laquelle Baudius avait consacré son ouvrage.«II faut donc crier: 1. Archaïsme pour «les pluS subtils ». 2. Torture. I™?,".Je ne T0?8 donc P** avec M- E- R°y» °P- cil-, P- 99, que « 1'autre frère » soit Philippe, qui était 1 atné des trois. 4. Voir Livre I, chap. vin. 18 274 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS c'est assez! et mettre bas le premier les armes comme il [le tyran] les avoit prises le premier. Ses Capitaines luy servirent plus a demander la paix qu'a faire Ia guerre. II les envoya vers les Hollandois, non pas pour les forcer de servir, mais pour les prier de se contenter de leur überté. II les reconnut pour Souverains, ne pouvant les faire Esclaves. II leur donna ce qu'il ne leur pouvoit pas oster et fut contrahit, traitant avec eux, de baptizer leur Gouvernement du nom de Republique Souveraine ». L'apprenti juriste a bien compris le problème de droit international, posé par les Etats lors des négociations de la Trève, mais le jeune Cicéronien doit le revêtir de sa rhétorique enflammée : «Si 1'on demande les titres de cette souveraineté, ils sont inscrits en lettres rouges, ils ont esté signez de la propre main de leurs parties. Si on doute de la durée de cette République, elle est éternelle, puisqu'eüe a Dieu pour fondateur et la Religion pour fondement. Si on mesure sa grandeur par celle de la mer, oü elle commande, elle est des plus grandes, si on compte ses années par ses victoires, elle est des plus anciennes. » La dissertation se termine par une flatterie a 1'égard de ses maitres : Ce peuple ne fait « rien qui ne merite d'estre escrit de ses grands Personnages, Domo, Grotius, Heinsius, Baudius, esprits qui n'escrivent rien qui ne merite d'estre leü ». Tous ces personnages nous sont famüiers maintenant, Douza, comme poète latin et Curateur de 1'Université, décédé en 1604 *, Grotius, comme poète latin aussi, futur auteur du De Jure Belli ac Pacis, et qui allait passer si longtemps a Paris, après son é vasion de Loewenstein. Quant a Daniël Heinsius, nous allons voir bientöt quel röle il joua dans la vie et les préoccupations de Balzac. . La conclusioa du Discours, trés brève et tres nette, garde encore aujourd'hui toute sa portee : « Concluons hardiment que cette liberté, qui se rencontre si souvent en ce discours, ne finira point qu'a la fin de la République et que ce peuple ne sera plus ou sera toujours libre. » 1. Cf. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 154-5. CHAPITRE XII Balzac et Daniël Heinsius Qui que tu sois, bien grand et bien heureux sans doute, Puisque Deheins en parle et qu'il restime tant \ écrit Théophile, én un sonnet, pubUé dans les (Euvres, en 1621. Deheins, c'est Daniël Heinsius, le disciple chéri de Scahger. Heinsius était né a Gand en 1580 ou 1581 2. L'apport beige a TUniversité de Leyde, sans être 1'équivalent de l'apport francais, a son importance cependant, si 1'on songe que de Smet {Vulcanius), Drusius, Juste Lipse, Simon Stévin, Heius (Heinsius), venaient des Pays-Bas du Sud. II est vrai que celui-ci avait été transporté en Zélande dès l'age de trois ans, mais ee fut aussi un carrefour d'influences beiges, francaises, anglaises et hollandaises que cette province maritime. Après des études a 1'Université de Franeker, il se fit immatriculer è Leyde le 30 septembre 1598 et le 11 octobre 1600. II avait été le préféré de Marnix de Sainte-Aldegonde, le célèbre auteur du Tableau des Différends de la Religion, qui était mort a Leyde en 1598, de Janus Douza, et de Scaliger. Avec le dernier soupir de celui-ci, il avait recueilli la grande tradition delaRenaissance, mais devait la prolonger ainsi que son rival Saumaise, a une époque oü elle cadrait moins avec la loi du siècle. Dès le •8 mai 1602, les Curateurs 1'autorisent, après une lecon d'épreuve, a faire un cours hbre de littérature latine ; il donne aussi une tragédie en 1'honneur du Prince d'Orange : Auriacus sive Jibertas saucia (1602) s. 1. Procis de Théophile, t. I, p. 10, note 3. 2. Nieuw Biografisch Woordenboek, t. ii (1912), col. 554 k 557. Les dates qu'on trouvera ci-après sont rectiflées d'après les Bronnen. 3. Publiée a Leyde ; cf. Nieuw Biogr. Wdb., t. II, col. 556. 276 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Le 9 novembre 1602, ils lui donnent une gratification de 50 florins pour avoir, pendant un certain temps, expliqué les odes d'Horace ; quoique simple étudiant, les Curateurs lui accordent, les 9-10 février 1603, 300 florins de gratification par an pour les cours de poésie qu'il fait1. En 1605, il devient professeur de langue grecque a 700 florins. Comme il s'était occupé du catalogue des manuscrits dès 1606, il remplace, moyennant un supplément de 150 florins, les 30 aoüt-ler septembre 1607, en qualité de Bibliothécaire 2, Merula décédé. Le 18 novembre 1613, les Curateurs et Bourgmestres nomment Heinsius, qui, cette année-la, a enseigné la politique, professeur d'histoire au lieu de Baudius, mort le 22 aoüt précédent 8. Si donc ce n'est pas pour ce dernier que Balzac a fait le Discours dont il a été question plus haut, ce ne peut guère être que pour Heinsius 4, qui en a, en tout cas, conservé le manuscrit, qu'il devait publier plus tard. La situation scientifique de celui-ci était, dès cette époque, sohdement établie. D'abord il était 1'héritier des papiers de Scahger et c'était déja un titre de gloire que d'avoir été distingué et élu par le grand homme, qui 1'appelait le premier né de ses fils et que lui, nommait son divin maitre et son patron5. Sous la direction de Heinsius en 1615, notre ambassadeur du Maurier avait commencé ses études de philosophie, a l'age de 49 ans6; mais ce qui avait déja mis le sceau a la réputation du philologue était la publication, en 1610-1611, de la Poétique d'Aristote, a propos de laquelle M. Lanson a pu écrire : « qu'elle n'aura de véritable action en France qu'au xvue siècle, vulgarisée par le petit traité de Heinsius »7; ce petit traité c'est le De Tragoediae Constitutione. II a été attiré vers la Poétique, par 1'exemple de Joseph Juste Scaliger, publiant celle de son père. Innombrables sont les citations de Heinsius dans les écrits théoriques de Corneille, Scudéry ou Chapelain. Heinsius est par excellence-le 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. L pp. 145, 150, 151. 2. Ibid., pp. 167 et 175. 3. Bronchorst, Diarium, p. 136 et Bronnen, t. II, p. 49. 4. On peut songer aussi a Cunaeus, dont Balzac demandera plus tard les ceuvres. et qui, le 8 février 1614, est chargé du cours de politique, tout en continuant & cnseigner les lettres et 1'histoire. 5. Cf. Heinsii, Orationes, 1615, p. 16. 6. Grotius lui adressa même, a ce sujet, une sorte de programme fort admiré. Cf. Ouvré, Du Maurier, p. 317. 7. G. Lanson, Manuel bibliographique de la litléralure francaise moderne, n° 4891 et Histoire de la Littérature francaise (12e éd.), Paris, Hachette, 1912, p. 414. BALZAC ET DANIËL HEINSIUS 277 savant en « us » dont on se jette le nom è la tête dans les batailles littéraires, comme étant 1'interprête et le prophéte du Dieu Aristote, contre lequel il n'est pas permis de blasphémer et qu'on respecte d'autant plus qu'on 1'a moins lu. Si on 1'avait fait, on y aurait simplement découvert dans la Poétique (V, 8), cette innocente constatation qui n'a rien d'un impératif catégorique : « yi uiv (c'est-a-dire Tpavcpoia) Sri pAXtora Tceipiwu. utiö aiav rapïooov §ktou etvai /) paxpov è^aXXa-TTS'.v, 71 os èirairoüa etc. » \ dont on peut tout au plus induire la régie des vingt-quatre heures, a moins que ce ne soit celle des douze heures, car tout dépend du sens qu'on donne a TceptoSo?. Or, dans le commentaire de Heinsius on ne pouvait voir autre chose que ceci : « Primo ut unius non excedat Sohs ambitum». II avait fallu que Jean de la Taille, dans son Saül Furieux, complétat la formule et qu'elle fut reprise par Mairet pour qu'on arrivat a celle de Boileau. Donc il n'y a pas a attribuer au traité de Heinsius une influence prépondérante sur la formation des régies des trois unités. Surtout a cause du retentissement qu'eut, en 1636, dans le monde des lettres la querelle de Heinsius et de Balzac, dont nous allons parler, Scudéry et Chapelain cherchent a s'associer comme auxihaires les deux adversaires. Scudéry, dans les Obseroations sur le Cid 2, dira : « Et voila pourquoy le docte Heinsius a trouvé que Buchanan avoit fait une faute dans sa, tragedie de Jephté... » et Chapelain, dans les Sentiments de 1'Académie3 pariera de « ce qu'Aristote et Heinsius lui ont enseigné sur cette matière. » Le De Tragoediae Constitutione a servi aussi de répertoire a Pierre Corneille et lui a fourni plusieurs développements pour ses préfaces, sur le vrai et le vraisemblable (p. 22), 1'action simple et complexe (p. 34), 1'altération de 1'histoire (p. 46), 1' « agnitio » ou reconnaissance (p. 53), les péripéties, la pitié, la terreur (ch. IX), et les sentences (ch. XVI). Dans YExamen de Polyeucte * Corneille invoque a la fois Heinsius et Grotius : < Le 1. Breitinger (H.), Les Unités d'Arislole avant le Cid de Corneille, Etude de littérature comparée, Genève, Georg; Paris, Fischbacher, 1895, 1 br. in-18, p. 51. 2. Cf. A. Gasté, La querelle du Cid, 1899, in-8°, p. 79.; p. 86, on reconnattra facdement du Heinsius dans ce qui est dit de 1'Episode simple ou mixte. ..A Cf- Les sentiments de VAcadémie sur le Cid, par J. Chapelain, éd. Collas, Paris, 1912, in-8°, Thèse de lettres de Paris, p. 10. 4. Corneille (Pierre), (Euvres, éd. Marty-Laveaux, t. III, p. 479. Voir aussi dAubignac, Pratique du Thédtre, p. 8 et p. 105; cf. encore Préface de Don Sanche, Corneille, (Euvres, t. V, p. 409, et Le Menteur, au t. IV, p 133. 278 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS célèbre Heinsius, qui non seulement a traduit Ia Poétique de notre philosophe, mais a fait un Traité de la Constitution de la Tragédie, selon sa pensée, nous en a donné une sur le martyre des Innocents. L'illustre Grotius a mis sur la scène la Passion même de Jésus-Christ et rhistoire de Joseph et le savant Buehanan a fait la même chose de celle de Jephté et de la mort de Saint Jean-Baptiste. » Je ne veux pas dire que le Herodes Infanticida ait pu famiiiariser Corneille avec 1'idée du Théatre réligieux, qu'il connaissait j bien par les représentations scolaires des Jésuites, mais la polémique engagée contre cette pièce latine de Heinsius, n'avait pas été sans retenir son attention et il ne commit assurément aucune des fautes que Balzac reproche au trop savant poète des PaysBas. Elle avait para en 1632. Bien que Hofman Peerlkamp, qm fit 1'histoire de la poésie latine en Hollande et fonda, a 1'Académie d'Amsterdam, un concours dont le prix se décerne encore , ait loué cette pièce, on ne prendra pas a sa lecture un tres grand plaisir; non qu'on n'y trouve de beaux vers et de jolis traits, mais 1* auteur a certainement contrevenu au précepte qu'il avait donné lui-même dans son écrit théorique, a savoir que le poète tragique fait agir ses personnages * Le premier acte consiste en effet en un long monologue de 1'ange, servant de prologue et suivi du choeur des prêtres. A 1'acte II parait Joseph, et c'est lui qui, célébrant Jésus et la Vierge mère, trouve ces gracieux accents qu'adrmrera Balzac : nic complexum petens Et e pudico dulce subridens «nu Matrem fatetur... s Saepe cum blandas puer Aut a sopore languidas jactat manus, Tenerisque labris, pectus intactum petit; Virginea subitus ora pertundit rübor, Laudemque matris, virginis crimen putat. Quid casta trepidas 1 Lcipzig, 1869, 8° n'en «arte ni a la page 38, ni a la page zii. 3. Herode» InfanUetaa, p. 220. BALZAC ET DANIËL HEINSIUS 279 II y a du charme dans ce petit tableau de 1'enfant qui tend les ï mains vers le sein de sa mère : ce n'est plus ici imitation de 1'anti; uuité, mais de la douce réahté du foyer. Affirmation de foi sincère aussi que : Mater unius Dei Et casta virgo, castior mater tarnen. Ce n'est certes pas auprès de Heinsius que Théophile a pu j apprendre a railier la Vierge. Le principe de la liaison des scènes, qui est une des plus dafficiles et des plus belles conquêtes de notre théatre classique, est inconnu de Heins. Aussi, sans transition, apparaissent les trois Mages. Ils décident de regagner leurs pays pour échapper au j massacre résolu par Hérode. La rubrique de ce que 1'on peut j appeler la scène suivante bien qu'elle n'en porte pas le titre» I indique que Heinsius a songé a la représentaüon et a été influencé I par les mystères vus dans sa jeunesse : «Angeli qui in superiori theatri parte cunas Domini ducunt ac subinde monstrant ». Le chceur des prêtres s'ajoutant aleur monologue achèvel'acte II. Le protagoniste Hérode n'apparait qu'au troisième acte et i s'entretient avec les « legati » qu'il a envoyés a la poursuite de R'enfant-roi few7-a„ Mvle t m>« mii fut tué en 1637. au siège de Bréda, avait épousé Madeleine van der Myie, flSf ue^roni^(1579-1642), gendre de Barneveldt et Curateur de 1'Université de 1 evde de 1606 a 1619, puis de 1640 a sa mort. . . . 4 Ce ne fut que son fils Nicolas, excellent philologue et poete latm qui eut la pensioï r^oyak^au moment oü Louis XIV cherchait a attirer a lui tewwaLs S°gL. Le r i écrivait, en 1668 «> comte f^^^V^l^^ü comme pa\^ vostre- simple curioslté, quelle» sont dam «»:»^tt^Spa^e" Unies et même dans les autres des Pays-Bas de la dominaüon du Roi d üspagne, le? nerson^enes plus insignes et qui excellent notablement par-dessus les autres en tout ° eml de prof essions et de sïiences, et de m'en envoyer une taste bien exacte contenantTes drconstances de leur naissance, de leurs richesses ou pauvreté, du "284 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS •en tous cas elle est méritée 1 : « II faut que vous me juriez que vous estes Hollandois pour me le persuader et je ne puis croire que sur vostre serment une verité si difficile. Vous escrivez le langage que nous parions avec autant de grace que si vous «stiez né dans le Louvre. » Et maintenant au tour de Heinsius, car l'«unico eloquente» a des ressources infmies dans 1'éloge: « Je scay qu'il est le Docteur de nostre Siècle et qu'il le sera de nostre Posterité, je ne dis pas que j'ay de 1'estime, ce terme est inférieur a mon sentiment, mais j'ay une espece de devotion pour tous ses ouvrages 2. » II faut bien cependant en venir a la critique, d'abord indirecte : « Je ne trouve point estrange, Monsieur, qu'un Juif, dans une Tragedie latine, parle a la mode de Rome et se serve des mots -d'Acheron, de Styx, de Bacchus et de Ceres 3... Je ne m'estonne pas qu'Herodes paroisse demi Juif et demy Payen », mais voici 1'attaque directe : «Je me persuaderois avec peine qu'un homme constant pust estre de deux Partis et porter les couleurs de divers Maistres. Cette Nouveauté, a dire vray, me semble un peu dure et je ne puis m'imaginer sans gesner mon imagination que, dans un poème oü un Ange ouvre le Théatre et fait le Prologue, Tisiphone se vienne monstrer, accompagnée de ses autres sceurs et avec le terrible equipage que luy a donné le Paganisme. Je vous demande si cette partie a dela proportion avec son Tout et si ce bras est de cette teste. Je vous prie de me dire si les Anges •et les Furies peuvent compatir ensemble. » Bientöt Balzac s'échauffe et s'élève a la grande éloquence 4 : # La Matiére dont il s'agit est toute nostre et toute Chrestienne. II me semble que les fausses Divinitez n'y ont point de part et n'y peuvent entrer que par violence. Le grand Pan est mort par la naissance du Fils de Dieu, ou plustost par celle de sa Doctrine ; il ne faut pas le ressusciter. Au lever de cette lumlere, tous les phantosmes du Paganisme s'en sont enfuis, et il ne les faut pas faire revenir. II est juste que le changement du stile travail auquel elles s'appliquent et de leurs qualités. L'objet que ie me propose en cela est d être informé de ce qu'il y a de plus excellent et de plus exquis dans chaque pays, en quelque profession que ce soit, pour en user apres ainsi que ie I'estimerai a propos pour ma gloire et pour mon service »; cité par Lavisse, Histoire de France. t. VII, 2' partie, p. 83, note 2. H<,h (Eu!>res ^ J-L. de Guez, sieur de Balzac, pub. p. L. Moreau. Paris, J. Lecoffre, lo04, t. I, p. SZl. 2. Ibid., p. 322. 3. Ibid., p. 324. 4. Ibid., p. 325. Wmf'è BALZAC ET DANIËL HEINSIUS 285 accompagne le renouvellement de 1'Esprit, que le poison qu'a vomy nostre cceur ne demeure pas dans nostre bouche, que le dehors rende tesmoignage du dedans... Veritablement cette mauvaise coustume a besoin d'estre reformée et merite bien que nous en considerions 1'importance. Cette bigarrure, Monsieur,, n'est pas recevable. Elle travestit toute nostre Religion; elle choque les moins delicats et scandalise les plus indevots. Quand la Piété en cela ne souffriroit rien, la Bienseance y seroit offensée et, si ce n'est commettre un grand crime, c'est commettre horsde' temps une mascarade. Quelle apparence de peindre les Turcs avec des Chapeaux et les Francois avec des Turbans ? de mettre les fleurs de Lis dans leurs Drapeaux et le Croissant dans lesnostres ?» Tout ceci est d'une certaine importance pour la connaissance des idéés littéraires au xvne siècle. Le souci des « mceurs », de la couleur psychologique locale, la préoccupation de la vraisemblance apparaissent ici avec une trés grande force. C'est le même reproche qu'adressera Scudéry a Corneille de ne pas faire vrai et c'est encore celui que Saint-Evremond et Mme de Sévigné adresseront a Bacine. Suit alors un acte d'accusation contre les philologues, contre les humanistes qui vivent dans le passé et en gardent le langage, parient des Dieux immortels au heu du Dieu Immortel, desorgies pour les fêtes et du crime de «perduellion» pour 1'hérésie. « Ces Messieurs sont si accoutumez aux lettres Profanes qu'ils ne s'en peuvent defaire dans les matieres les plus Rehgieuses 1 », et il rappelle eet ambassadeur de Constantinople a Rome, qui appelait le pape «le Grand Turc des Chrestiens ». Balzac quitte bientót la plaisanterie pour retourner a des déclarations de principes 2 ; « Si j'osois tirer une consequence de tout ce Discours, je dirois que, premierement, nous devons nous souvenir qui nous- sommes et, en second heu, quel est le suojet sur lequei nous xravaillons... et si nos compositions sont Chrestiennes, elle le doivent estre aussi bien en la forme qu'en la matière. J'ayme la Discipline et la Justesse, mais je hay le Pedantisme et VAffedation. » Au lieu de broder sur ce thème, ce qui eüt contribué a nousrévéler, a la veille du Cid, quelques-unes des lois de 1'esprit francais a cette époque, Balzac s'égare dans 1'érudition, cite da 1. OEuvres de Balzac, t. I, p. 328. 2. Ibid., p. 332. 286 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS grec et reparie en détail des Furies en général et de celles de 1''Herodes Infanticida en particulier. II se refuse a les admettre comme symbole des fureurs qui agitent Hérode ou de sonremords. Or, eontinue-t-il, « Dans vostre poème il n'en est pas ainsi l. Les Furies n'y sont pas des ülusions; elles y sont de veritables objets; Herodes ne se les imagine pas, le Poète les fait. Elles s'arment de tous leurs Flambeaux et n'oublient pas un de leurs Serpents pour faire peur a la compagnie. Mariamne les évoque a haute voix et les tire après elle du fond de 1'Abysme. » La longue dissertation sur Mariamne, qui fait suite, a peut-être attiré 1'attention de Tristan L'Hermite sur 1'héroïne de son futur chef-d'ceuvre *. Ici Balzac critique son intervention : « C'est un personnage peu convenable a 1'action oü elle s'occupe et un instrument fort mal propre a estre employé dans un massacre. II falloit chercher une autre instigatrice du Tyran et un autre guide des Furies.» Balzac demande encore a Huygens * :« Si le principal personnage d'une Tragédie devant estre plus malheuTeux que meschant afin d'exciter en 1'ame du Peuple plus de pitié que de haine, Herodes est un personnage de cette nature... » II est temps d'en revenir aux compliments et de s'incliner d'avance devant « cette sóuveraine Critique, qui prononce ses Arrests a Leiden, et qu'on va consulter des dernières parties de i'Europe », il loue le discours de 1'Ange, la Thèse morale, Y è Hypothese historique » et le tableau de la nativité, «la plus belle Nativité qu'on ait jamais veüe...». « J'ay veü des Images de la Saincte Vierge de la main de Raphaël d'ürbain; j'en ay veü de celle de Michel Ange, mais je n'en ay point veü du prix et du merite de ceile-cy et j'advoue que la Peinture pariante a beaucoup d'avantage sur la muette, » 4 Balzac n'aime point les sentences dont Corneille usera encore beaucoup : « Je laisse les sentences è ceux qui les aiment et au peuple qui les demande, ainsi que le remarque Aristote.» Sous couleur d'éloge, il signale quelques inütations et il en profite pour manifester a 1'égard des anciens un irrespect tout moderne, dont le philologue néerlandais dut être profondément froissé. La Querelle des Anciens et des Modernes5 agite surtout la seconde 1. (Euvres de Guez de Balzac, t. I, p. 341 2. Cf. ici p. 279, n. 2. 3. (Euvres de Guez de Balzac, t. I, p. 345-347 4. lbid,t. I, p. 348. 5. Cf. Gillet (H.\ La Querelle des Anciens et des Modernes... Thèse de Lettres Paris; Paris, Ed. Champion, 1914, in-8". " BALZAC ET DANIËL HEINSIUS 287 moitié du siècle, mais, dès son début, elle est résolue eu faveur de ceux-ci et c'est par son indépendance envers 1'Antiquité, en dépit de nombreuses marqués de vénération, que le xvne siècle se distingue le plus du xvi« :.« Je n'ay pas assez de foy pour m'imagiaer un Mystere sous chaque mot d'un Ancien et pour croire que toutes les vieilles erreurs sont raisonnables et réguUères. » Balzac connait son Heinsius; il appréhende les fureurs du savant hollandais, dont 1'orgueil est si altier qu'il est impatient de la contradiction : « Je veux croire de plus, Monsieur, qu'il... temperera ses Escrits d'une telle discretion qu'il n'y aura pas un mot qui sente la passion des Partis et 1'aigreur de la Laspute, qui ne puisse estre souscrit de tous les Chrestiens... II ne voudroit pas... se fermer les portes de Rome, oüses livres ont esté si plausiblement receus et son nom est en si bonne odeur au Vatican. » On pourrait voir la un avertissement, même une menace, un appel aux foudres de 1'Eglise et de la Congrégation de 1' Index, ce qui ne serait pas trés courageux K Heinsius, malgré les compliments qui lui étaient assénés, fut trés piqué, et ne laissa pas de répondre, non par une lettre, ce qui eut été trop peu, mais par une longue dissertation oü il y a moins d'injures qu'on n'attendrait de la part d'un aussi susceptible personnage ; il y perce surtout le dédain pour le David qui a osé s'attaquer a ce Goliath. La réphque, qui est de juin 1636, est intitulée : Epistola qua dissatationi D. Balzaci ad Htrodem Infanticidam respondetur2. Elle est fondée sur les principes du De Tragoediatz constitutione qui, étant considéré par son auteur comme la quintessenee de la pure doctrine aristotélicienne, a droit au même respect qu'un livre sacré; il en copie des pages entiéres qui servent d'argument. Après avoir cité des évêques et des vies de saints, qui employent le mot Tartare, il définit les Furies, des passions de 1'ame divinisées; il nie que ce soient des Déesses et il aflirme son droit de les mêler a des personnages de rantiquité judaïque. Au reste, pour oser toucher a celle-ci, il f audrait savoir 1'Hébreu et Heinsius prie Huygens de remontrer a son ami Balzac d'agir avec plus de circonspection, car la matière exige non moins d'érudition quedejugement. 1. GEuores de Guez de Balzac, L I, p. 358. . • ■ „ 2 Editore Marco Zverio Boxhonuo. Leyde, Elzevir, 1636. (Bibl. Nat., xc 6). 288 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS II conclut avec modestie que son Hérode doit être absous ou 1'antiquité condamnée. Ces « gladiateurs de la République des Lettres » ne sont jamais tout seuls : ils ont toujours derrière eux le bataillon carré des Anciens. Elevant le débat, Heinsius met en garde contre ceux qui cherchent secrètement è désunir les Hollandais et les Francais, et il affirme son admiration pour les Scahger, les Casaubon, les du Maurier, les de Thou, les du Puy, les Gaumain, les Rigault, les Hérauld h II engage Balzac a lui écrire directement. Ce dernier, dans une lettre a Huygens 2 observera:« U s'esgaye sur des choses dont j'estois demeuré d'accord avec luy et change 1'estat de la question ou ne la touche que legerement». Balzac ayant invoqué Rome, Heinsius appelle le pape t ipsum etiam Ecclesiae caput », ce qui fit au Souverain Pontife un sensible plaisir, atténué par la rectification comique de 1'errata : « Ecclesiae romanae caput ». La même lettre fait allusion a 1'intervention de Saumaise, 1' « Incomparabilis », qui n'avait pas figuré, et pour cause, parmi les savants francais admirés de Heinsius, et qui, enchanté d'être désagréable a son adversaire de Leyde en prenant parti pour Balzac, adressa a Ménage une épitre intitulée : « Claudii Salmasii ad Aegidium Menagium epistola super Herode Infanticida, Heinsii tragoedia et censura Balzacii 8. » Ici finissent les relations épistolaires de Balzac et Constantin Huygens 4 qui, toujours è 1'affüt des nouveautés, se tournera plutót vers 1'étoileascendantedugrand Corneille 5 et vers celle de René Descartes qu'il a plus a sa portée et dans son voisinage, mais Balzac ne lachera pas plus Heinsius que Heinsius n'oubliera Balzac, exemple de ces mémorables querelles scientifiques et littéraires dont notre temps n'a pas absolument perdu le secret. Tout un entretien de Balzac, le vingt-cinquième 8, dédié a Monsieur Girard, traite « de son procédé et de celuy de Monsieur Heinsius en leur querelle ». « Si le chagrin de Monsieur Heinsius estoit de mesme nature, il feroit difference entre les Compli- 1. Ibid., p. 236. 2. Briefwisseling van Constantijn Huygens, t. III, p. 5. 3. Parisijs, apud Viduam Mathurini Dupuis, 1645. Haag signale une éd. de 1644, in-4» (La France protestante, 1'« éd., t. IX, p. 166). 4. CL Worp, huygens en Balzac extr. de Oud-Holland, t. XIV; notamment p. 5, note 2. y ' 5. Cf. Worp, Lettres du Sr de Zuylichem è Pierre Corneille, déja cité. Les AEntreliens de feu Monsieur de Balzac; A Leiden, chez Jean Elsevier, 1659, in-12, p. 348. BALZAC ET DANIËL HEINSIUS 289 mens et les Injures, entre Balzac et Schioppius : il ne se jetteroit pas indifféremment sur 1'Hoste et sur le Larron »; Scioppius est 1'odieux pamphlétaire, adversaire de Scaliger. Quant a 1' « Hoste », ce mot n'a-t-il qu'une signification symbolique ou veut-il dire que Balzac a été jadis 1'hóte de Heinsius ? « Pour ne rien dire de pis de ce grand Adversaire, il a mal pris ma bonne intention et n'a pas receü mes civilitez comme il devoit. Je n'ay eu dessein que de luy donner matiere de s'égayer; je luy ay parlé avec toute sorte de deference ; je luy ai demandé instruction sur quelques endroits de sa Tragedie, intitulée Herodes infanticida: voila ce que j'ay fait. Luy, tout au contraire, n'a pas voulu recevoir mes civilitez, il s'est effarouché de mes eomplimens; je luy ay demandé instruction et il m'a jetté des pierres. Jugez qui de nous deux a le tort, car voila au vray ce qui s'est passé entre nous. « II est vray aussi que je ne croyois pas mon objection si forte de moitié et c'est péut-être ce qui 1'a fasché. ... II est riche en lieux communs et traitte quantité de belles matieres en sa deffense... il ne les traitte pas assez clairement.» Enfin Balzac 'raille de nouveau son adversaire sur le «ipsum Ecclesiae Caput», rectifié dans 1'errata : «1'un est pour Rome, 1'autre pour Leyden. Par le premier il veut plaire au Pape, qui ne lit pas, non plus que les autres hommes, YErrata, qu'on met a la fin des Livres; par le second, il veut avoir de quoy se justifier envers les Ministres, si on 1'accusoit d'estre mauvais Huguenot et d'avoir intelligence avec 1'Ennemy... Comme, dans sa Tragédie, il est Juif et Payen, il croit que, dans sa Dissertation, il peut estre Catholique et Huguenot *. » La vivacité et 1'aigreur du conflit ne priva pas le fils de Daniël Heinsius, Nicolas, 1'excellent philologue et poète latin, de «hercher a connaitre 1'ennemi de son père. Les manuscrits des lettres échangéessont a la Bibliothèque de 1'Université de Leyde.2 Dans 1'une d'elles, écrite de Paris en avril 1646, Nicolas rappelle sans déhcatesse, cette querelle, ce qui ne 1'empêcha pas d'être 1/ (Euores de Balzac, t. I, p. 352. 2. Ms. B. P.L. 246. Balzac adrcssc ses lettres: « A Monsieur de Heins, Gentilhomme Hollandois, a Paris» (15 janvier 1646); une autre est datée d'Angoulême, 15 juin 1649, et porte comme suscription: < A Monsieur Heinsius le fils, Gentilhomme Hollandois a Leyde (recommandé k la courtoisie de Monsieur Chapelain) ». Une troisième datée du 24 décembre 1653, est libellée «A Monsieur Heinsius, gentilhomme hollanI dols a Florence ». Les brouillons des lettres écrites par Nicolas Heinsius sont dans la même chemise ; une copie, faite sans doute par Heinsius, d'une épitre de Balzac k du Moulin (20 sept. 1637) est dans le dossier B. P. L. 293 B. 19 290 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS recu par Balzac dans son « Désert ». Celui-ci aimait ces importunités de 1'étranger dont il affectait de se plaindre : « II est la butte de tous les mauvais compliments de la Chrestienté, pour ne rien dire des bons, qui lui donnent eneore plus de peine. II est persécuté, il est assassiné de civibtez qui lui viennent des quatre Parties du Monde, et il y avoit hier au soir, sur la table de sa chambre, cinquante Lettres qui luy demandoint des Responses, mais des Responses eloquentes, des Responses a estre monstrées, a estre copiées, a estre imprimées... II faut bien se garder d'une si dangereuse familiarité, traitant avec ces gens-la. II faut qu'on s'ajuste, qu'on se pare, qu'on se fardé mesme pour plaire a des yeux si délicats et la condition de celuy qui a dessein de leur plaire est pour le moins aussi malheureuse que celle d'un homme qui seroit obligé ou de ne parler jamais qu'en musique ou d'estre sur un Théatre depuis le matin jusques au soir ou de passer toute sa vie en jours de Ceremonie et avec un autre habillement que le sien. » « Ce n'est pas tout que cela. On luy envoye du Francois de Castelnau-d'Arry, des vers de basse-Bretagne, du Latin de Gothie et de Vandalie, de la raillerie de Bruscambille et de Turlupin pour en avoir son Jugement, dans une Dissertation reguliere, car le nom de Lettre ne contente pas assez 1'ambition des Faiseurs de questions... » « Pour 1'achever, il vient icy des importuns en personne, quelquef ois de plus de cent lieues et tout expres, si on les veut croire, qui luy donnent le dernier coup de la mort, luy disant, pour leur premier compliment, que sa haute reputation et la celebrité qu'il a donnée au lieu oü il est, les ont obligez de venir voir cette Personne si connue et ce Village si renommé ; qu'il ne doit point trouver mauvaise une si juste et si honneste curiosité que la leur. Un de ces Curieux luy commenca il y a quelques jours sa Harangue, par le respect et la veneration qu'il avoit Ïoös/obts eut pour luy et pour Messieurs ses Livres. II n'est rien de plus historique que cecy et vous pouvez voir paria jusqu'oü peut aller le stile des Complimens 1. » II n'y a aucune exagération dans ce passage, Balzac recevait des visites de partout. J'ai trouvé un de ses autographes dans 1' Album Amicorum du philologue allemand Gronovius, ami a la 1. Les Enlretiens de Fen Monsieur de Balzac, pp. 161 a 163. Planche XXIX. Altograpiie inédit de Balzac (daté do i5 septembre iG4o) dans l'album de gnohovius. (Bibliothèque Royale de La Haye). BALZAC ET DANIËL HEINSIUS 291 fois de Saumaise et de Heinsius et qui devint professeur a «1'Athenaeum illustre » de Deventer; plusieurs lettres de Guez a ce savant font allusion au séjour de Gronovius a Balzac. Le 15 septembre 1640, le solitaire traca dans YAlbum conservé a la Bibliothèque Royale de La Haye, les lignes suivantes: Etiam de Deo vera dicere periculosum «Nobilissimo, eruditissimo et humanissimo Gronovio, hoe grati animi qualecumque monumentum relinquit Joannes Ludovicus Balzacius. Ann. MDCXXXX. Sept. XV » (cf. pl. XXIX) *. André Pineau dans une lettre inédite a André Bivet, datée de Paris, 21 février 1648, parle d' « un jeune Gentilhomme alleman, neveu de Monsr. de Borstel... Son oncle 1'a envoyé depuis peu a 1'Academie [de.M. de Vaux] au retour de chez Monsieur de Balzac, sous lequel il vient de faire son cours en Langue francoise et luy écrit par tous les ordinaires. » Balzac, professeur de francais pour étrangers et continuant ses lecons par correspondance, voila une révélation un peu surprenante des manuscrits de Leyde 2. Dans une autre lettre du même au même, datée du 21 aoüt suivant, il est question de la visite de Heinsius en Saintonge : « Monsieur Heinsius le fils est aussi revenu sain et sauf de son beau voyage d'Italie, d'oü il a apporté quantité de raretez pleines d'attraits pour 1'esprit et pour les yeux. II m'a obligé de sa visite ce matin... Mr. Heinsius a passé par 1'Angoümois oüil a vu 1'Oracle de Charente, Monsr. de Balzac, qui etoit en un deplorable état de santé. II lui a fait présent de son livre nouveau dont vous estes a la veille d'avoir un exemplaire 3. » Les deux adversaires devaient mourir presque en même temps: Balzac le 18 février 1654, Daniël Heinsius le 25 février 1655, emportant dans la tombe leur querelle et leur rancune. 1. Manuscrit, Bibliothèque royale de la Haye, 130 E 32. Selon la notice autographe du professeur Brugmans, il faut se reporter, pour la visite de Gronovius, au Sylloge epislolarum... de Burman, t. III, p. 96, 266, 303, 331. Dans 1'édition de 1648 des Lettres Choisies de Balzac, il y a trois lettres a Gronovius ; par celle du 14 aoüt 164i, Balzac le remercie pour une élégie et lui ofïre 1'hospitalité pour le mois suivant afin de le dédommager du court séjour de 1'année précédente ; dans une lettre du 1" octobre suivant, il le félicite de son retour a Paris après son aventureux voyage; dans sa troisième (7 mars 1644), Balzac 1'accable de protestations d'amitié. 2. Manuscrit Bibliothèque de 1'Université de Leyde, B. P. L, Q 286, t. IV, f° 15 recto. 3. Ibid., f" 53 verso. CHAPITRE XIII UN GRAND THÉOLOGIEN ORTHODOXE ! ANDRÉ RlVET (1620-1632) Reprenons 1'histoire de 1'Université de Leyde au point oü nous 1'avons laissée, c'est-a-dire è la grande crise que représentent pour elle, comme pour toutes les institutions hollandaises le Synode de Dordrecht et les événements qui ont suivi. Nous avons vu, a propos de Bertius, que 1'Université avait été purgée de tous ses éléments « remonstrants » ou suspects. II s'agissait d'y rétablir 1'orthodoxie la plus compléte et 1'on sohgea, une fois de plus, a remonter aux sources du Calvinisme et a recourir a des théologiens francais. Le plus illustre était sans conteste Pierre du Mouhn. Déja, nous 1'avons vu, pour remplacer Arminius décédé et Gomarus parti, et remettre de 1'ordre dans 1'Université profondément troublée par la querelle de leurs partisans respectifs, on avait songé a lui, en 1611, pour porter «un esprit de paix et de tranquilhté et empescher que la robbe de nostre Seigneur Jesus ne soit dechirée »\ II n'était pas éloigné d'accepter, ce qui montre qu'il avait gardé bon souvenir de son professorat de 1593. II aurait été le compagnon de Vorstius, la béte noire des Gomaristes et son autorité eüt fait contrepoids a la sienne. Trés nobles sont les termes de sa réponse, datée du 6 mai 16112:«J'ay receü vos lettres et veü les offres et conditions que vous et Messieurs vos collegues m'offrés. Elles sont telles que j'ay tout sujet de m'en contenter. Ce neantmoins, j'oseray vous dire que ce ne seront jamais les profits ou avantages qui me feront changer de condition. J'ay d'autres raisons plus fortes qui me poussent a condescendre a vostre desir et a me donner a vostre academie. Le repos, la seureté, 1'honneur de vostre 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 12*. Termes de la lettre de van der Mijle a du Moulin, le 21 avril 1611. 2. Ibid., p. 14*. 294 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS amitié, le redressement de mes estudes qui se dissipent et surtout le desir que j'ay de servir 1'église de Dieu avec plus de fruict que je ne fais icy, sont les causes qui me touchent le plus, car les difficultés, que vous me proposés, qui pourroient degouster un autre, sont celles qui m'encouragent et me font desirer d'estre employé en un travail si important et si necessaire et apporter quelque addoucissement a ceste playe, laquelle j'ay tousjours estimé ne se devorr guarir par disputes mais par prudence, veü que la pluspart du mal vient de vouloir trop scavoir. Joint que je voy entre les parties des aigreurs inveterées ausquelles nul ne s'interposera avec fruict, s'il ne vient avec un esprit non preoceupé et s'il n'apporte avee la douceur, une überté framehe pour dire aux uns et aux autres ee. en quoy ils violent kt charilé ou resistent a la verité... II n'y a riem si pernicieux en la religion que de vouloir monstrer sa subtiMté, veü que ce n'est point seulement un combat de scavoir, maas une aemulation de probité ét d'innocemce. » Maas ni l'intervention des Curateurs, ni celle de la Commission permanente des Etats de Hollande, ni celle de Louise de Coligny ou du Prince Maurice, ne purent amener le Consistoire de 1'Eglise de Paris a donner congé a som Pasteur, d'autant plus que le peuple a'en était ému h: «< Plusieurs sont verrasyécrit dn Moulin a van der Mijle, former de grosses plaintes. eoróre mes compagnons et contre les Anciens, comme desireux de me chasser ou peu soigneux du bien de 1'église, disants que Feglise n'en recevroit point un autre en ma place; que j'avois peur; que vous me corronapies par argent; que les Jésuites seroient desormais intollerables et se vanteroient de m'avoir chassé ; que le Symodie n'y a pas consenti; qae toutes les egbses de France y ont inte>ïest; que mon pere en mourra de triatess*. et plusieurs choses semblables que peut suggerer une affeetion indiscrete d'un peuple qui me j-uge de la necessité de 1'egbse que par ce qu'il voit devant ses yeux. » II f aut se presser. La lettre die van der Mijle, du 31 aoüt 1611, 2 est une mise ea demeure, quoique empreinte d'une grande amitié personnelle : («Si la vostre résolution est negative, j>e regrettemy tousjours que eest amour et respect m'auront privé de vostre 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 20*-21*. 2. Ibid., p. 28*. UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 295 corwersation, laquelle j'ay de langtemps aimé et haneré », ce qui prouve qu'ils se sont connus et fréquentés a Leyde jadis. Le 11 septembre suivant, les chefs de familie, réunis a 1'église de Paris, dont le culte se célébrait, nous 1'avons dit, a Charenton, refuse de céder du Moulin. II souhaite qu'on trouve quelqu'un qui entre tien ne 1'accord entre les Églises francaises et hollandaises et que eelles-ci se fassent représenter aux Synodes nationaux de France *, Cette tentative manquée, les Curateurs Ia renouvellent en juillet 1619, cette fois, en reprenant le procédé qui avait réussi pour Scaliger, c'est-a-dire en envoyant un ambassadeur universitaire, qui sera 1'orientahste Erpenius, dont les instructions sont datées du 22 2. II fallait d'autant plus d'adresse que le roi Louis XIII, dont le ministre, du Maurier, avait tout tenté pour sauver Barn'ïveldt, avait interdit a du Moulin et a ses codélégués de représenter les églises francaises au Synode de Dordrecht. On offre 1.200 florins et 300 florins d'indemnité de logement, sans parler d'autres émoluments ordinaires et extraordinair. II aura la seconde chaire, Polyander, a cause de son age et de son ancienneté, ne pouvant être rétrogradé 3. Si le traitement ne parait pas sufïisant, les Curateurs ajouteront deux a trois cents florins et iront jusqu'a 1.200 florins pour le déménagement. Dans leur lettre du 22 juillet 1619 au Synode, réuni a Paris, lea Curateurs insistent sur les services que 1'enseignêment de du Moulin a Leyde rendra a toutes les églises réformées et même aux égtises francaises, dont la jeunesse a coutume de se préparer au ministère a 1'Académie de Leyde 4. Ils se servent du même argument auprès de du Plessis-Mornay a Saumur. Recu au Consistoire de Paris, Erpenius y est aceueilli par des paroles nombreuses et flatteuses, enveloppant un refus formel de céder un homme aussi indispensable au salut de 1'Eghse de France que du Moulin5. Les nouvelles instructions sollicitées parle chargé de mission prévoient que du Moulin sera demandé en prêt pour deux ou trois ans. Si on échoue, on soïhcitera Rivet, 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. IL. p. 31*. 2. Ibid., p. 86*. 3. Ibid-rp. 87*. 4. Ibid.,p. 91* : « Ecclesiis omnibus Reformatïs, etiam -vestris qnarum juventus In hac Academia nostra ad ministerium üTarum praeformari solet ». 5. Ibid., p. 94*" 296 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « paree que les Curateurs sont d'avis qu'il faut a leur université un théologien francais »1, et que le pasteur de Thouars leur parait indiqué tant par la valeur de ses ouvrages que par les recommandations dont il est 1'objet. On recourra a 1'influence de la duchesse de la Trémoille, Charlotte-Brabantine de Nassau, fille de Guillaume le Taciturne, a laquelle les Curateurs et Bourgmestres s'adressent en francais 2: Ma Dame, Vostre Excellence n'ignore pas combien il est nécessaire, notamment en ces derniers jours dangereux, que les Academies, seminaires de 1'Eglise de Christ et des conducteurs d'icelle, soyent bien pourveües d'excellens Docteurs en Theologie orthodoxes, doués de singulière science, piété, intégrité de vie et autres dons rares et convenables k leur profession. C'est ce que, hélas 1 nous avons expérimenté a nostre grand intérest en nostre République depuis quelques années en c&. A quoy, nos Illustres et Puissans Seigneurs, les Estats de Hollande et West-Frise, ayans eu esgard, ils ont jugé, après meure délibération, n'estre rien plus conseillable pour remédier a nos playes que de remettre la faculté théologique de nostre Académie, principale source de nos maux, en sa première fleur et dignité. A quoy, ayans besoing de Théologiens conscientieux, fort scavans et renommés tant de saine doctrine que de saincte vie, par ce que nous n'en avons poinct par de cd en telle abondance qu'il seroit a désirer et que nous estimons estre de nostre devoir d'orner nostre Université de quelques luminaires de dehors, nous avons trouvé bon de requérir instamment votre pasteur, Mr Rivet, homme qui, par ses escrits, s'est monstré capable de la charge de professeur Théologique en nostre Académie, de la vouloir accepter. Et comme ainsi soit qu'en cela il despendra entièrement [de] 1'adveu et advis de vostre Excellence, nous la supplions bien affectueusement d'y condescendre, espérans qu'elle prestera d'autant plus promptement 1'oreille a nostre requeste qu'elle cognoist trop bien (pour avoir esté naguerres en ce païs) la trés grande nécessité d'icelle et le bien qu'en recevra toute la Christienté reformée et notamment les Églises de France par la fidéle instruction que leurs Escoliers pourront par ce mogen recevoir par deed de 1'un de leurs propres pasteurs en nostre Académie. En conflance de quoy, etc. De Leyde, ce dernier d'Aoust 1619. D'après ce que du Moulin dit a Erpenius, Rivet est assez solide en controverse, mais pas trés sur de son latin, ce qui le fera 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 97*, deuxièmes instructie-ns données k Erpenius par les Curateurs, le 31 aoüt 1619 : « Ende alzoo de voors. Heeren oordelen dat op dese tljt de voors. Universiteit wel dient geprovideert met een Fransen theologant, zoo is verstaen dat geprocedeert zal werden tot het beroup van D"° N. Riveto. » 2 Ibid., pp. 100*-101*. UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 297 hésiter a accepter, puisqu'il doit enseigner en cette langue. C'est aussi ce qui, jadis, faisait réfléchir Wtenbogart car, observait-il, les étudiants de Leyde ont 1'oreille délicate a eet égard 1. Du Moulin semble sincèrement marri de ne pouvoir, cette fois encore, accepter2 : « J'honore et respecte vos personnes, écrit-il aux Etats, et desire avec passion la prospérité de vostre estat et voudrois y pouvoir contribuer, estimant vostre bien estre le nostre et me souvenant des meilleures années de ma jeunesse.» Rebuté de nouveau par le Consistoire de Paris, même pour un prêt, Erpenius, d'ordre des Curateurs, se rabat donc sur Rivet. II s'informera auprès de Duplessis-Mornay et du professeur hollandais de Saumur, Pierre Franconi Burgersdijk, si, avec de 1'exercice, le pasteur de Thouars ne pourrait pas arriver a professer en latin. A Paris, on conseille beaucoup a Erpenius de s'adresser plutöt a Daniël Chamier (1570-1621), professeur k Montauban. • Ce ne sont peut-être pas formules de feinte modestie, que les explications de Rivet dans sa lettre. Né a Saint-Maixent le 2 juillet 1572 3, il a été appelé a exercer le saint ministère, dès 1595 4, avant d'avoir ses vingt-quatre ans accomplis et après avoir conquis, sous Daneau, a 1'Acadèmie d'Orthez, le grade de maitre-ès-arts, en 1592. C'est a peine si le soin de son troupeau lui a laissé des loisirs pour continuer a s'instruire; il a peu le don des langues et ne maitrise guère que la sienne, dans laquelle il a accoutumé d'exprimer ses pensées. Cependant 1'insistance des autres 1'enhardissent a prendre confiance; c'est a eux, au prochain Synode du printemps, qu'il laissera la décision de savoir s'il lui faut quitter sa patrie, son père, octogénaire, ses parents et ses amis, pour 1'avènement du Royaume de Dieu. Quoiqu'il en soit, son esprit n'a jamais cessé d'être tendu vers les Églises des Pays-Bas, et dans leur prospérité et dans leur • 1. On se demande si ces étudiants hollandais comprenaient bien leurs mattres Sua?d ceu?-cl falsaient leurs coars en latin, car la prononciation de nos wt* étf"f s™*meni> aio" comme aujourd'hui, singulièrement différente de la /i°llandals ont', ainsl y q 4. Cf. Meursius, noüce de VAthenae Batavae, Leyde, 1625, in-4», p. 316. 298 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS afflietion. Cela est vrai, puisque son frère Guillaume Rivet avait fait ses études ,a Leyde et que son maitre, Lambert Daneau, y avait assumé la charge de professeur de théologie K En esprit il a assisté au Synode de Dordrecht, n'ayant pu le faire en personne a cause de 1'interdiction royale. Rivet avait-il fait rehre sa lettre ? je n'en sais rien, mais toujours est-il qu'elle est écrite en excellent latin. La réponse de la duchesse de la Trémoïlle qui l'accompagne est en francais, mais n'est pas moins intéressante; elle témoigne de la fidéfité de la princesse a son pays natal r « II est question de mon propre pais, oü j'ay reeeü, après ma naissance, mon éducation en la pieté, oü je possède encores les tesmoignages que ces Provinces rendent a la mémoire des travanx de feu Monsieur mon Père 2 ». Bien qu'elle regrette d'abandonner son chapelain, elle se soumettra a la décisïon des Synodes qui se tiendront au printemps prochain, et elle signe: « Charlotte Brabantine de Nassau, duchesse doariere de la Tremoüle. » Du Plessis-Mornay est trés élogieux pour Rivet et ne dissimule pas aux Curateurs les difficultés que feront le Synode provineial de mars et le Synode national de mai. Erpeniusrentre de France et dépose, le 10 février 1620, le rapport qu'il a rédigé sur son voyage, avec la note de ses frais, qui ne sont pas aussi élevés que ceux de Scaliger, car ils se mon tent a 750 florins seulement. Mais il est a peine rentré qu'on le fait repartir, tant Rivet tient a cceur aux Curateurs, dont les nouvelles instructions sont datées du 19 mars suivant. Erpenius doit plaider la cause de 1'Université auprès des Synodes provinei aux et nationaux et amener le pasteur aussitot avec toute sa familie et son mobilier, en offrant 300 florins pour la traversée 3. A la rigueur, 1'Université de Leyde serait satisfaite si le Synode lui prêtait Rivet pour cinq ou six ans» Résumer les lettres adressées le 7 mars par les Curateurs au Synode provincial du Poitou, réuni a Fontenay, et au Synode national, assemblé è Alais, serait s'exposer aux plus fastidieuses redites. Citons seulement la phrase : « Ceterum cum non eam virorum ad hoe idoneorum apud nos copiam habeamus, quam desideremus, nostrique esse officii videatur ut de lumine ahquo extero et 1. Cf. plus haut, chapitre n. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 113*. 3. Jéid-, 136*. UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE ï ANDRÉ RIVET 299 quidem e regna Gatiiae petito, Academiae nostrae prospkiamns...1 » D'autres lettres, datées du 20 naars, en francais cette fors,, somt adressées par les Curateurs. au duc de la TréruoïllB a la duchesse, qut va être privée du parécepteur de son fils, le futur prince de Tarente, et par le Prince Maurice au Synode national, au Consistoire de Thouars et enfin a sa sosur. Malgré toutes ces belles reeommandations, Erpenius est assez mal aeeueilli par 1'intéressé. lui-même, dont la femme: n'a aucune eavie d'aller en Hollande 2. Leurs pères qui ont, chacun, passé quatre-vingts ans, fout beaucoup d'objectrons et düsent que eette séparation « mettrait leurs cheveux hlancs au tombeau »; tout cela sans préjudice des difficultés que feront les Synodes. Cependant Rivet s'incünera devant leur volontê et celle de Dieu. Un jeune Hollandaisv qui est le pensionnatte du pasteur, eunfirme a Erpenius que la femme de Rivet a fait des scènes a san mari: Laménagèrehésite, non qu'elle tienne aTargent, mais paree qu'il est dur de quittersapatrie, oü 1'on a un traitement suffisant pour vivre et même pour faire des économies, et d'aller s'étaMir dans un pays étranger, oü la vie est chère, et avec un trartement qui ne permettrait pas de joindre les deux bouts. Rivet n'est pas mal imstalié, a une belle maison, est aimé des siens et de ses amis;. pour gagner 1'épouse, il faudrait peut-être offrir un trartement supérieur. En somme, le pasteur espère que les Synodes refuseront; cependant, plus Erpenius le fréquente, pms ik lui parait 1'homme qu'il faut a 1'Université. Aussi est-ce avec éloquenee qu'il plaide devant les chefs de familie de Thouars, leur remontrant qu'il parfait au nom des Etats de Hollande et de sou Excellence le- Prince d'Orange, lesqnefs avaient tant fait paar la Religioin Réformée et avaient tant d'affection pour les Églises de France qu'eux et leurs sujete souffraient de leurs malheurs comme si c'étaient les leurs ; mais Erpenius a 1'impresutm de se cogner ia tête au mur, comme il le dit Inir-même a. Si grande, est la eélébiité de Rivet que beaucoup d'étudianto en théologie comptent le suivre s'il se rend a Leyde 4. Déja ils vienoent des. académies, de France, pendant les vacanees, dans 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, d. 140*. 2. Ibid.,. p, 152* et 172*. 3. J&a£„ p. 158*. 4. Ibid., p. 162*. 300 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS ce « trou de Thouars, pour apprendre de lui 1'art de la prédication et de 1'exposition », au reste les discours théologiques qu'Erpenius lui a entendu prononcer lui ont extraordinairement plu et ont accru son désir de 1'obtenir du Synode provincial, remis au 4 juin. En attendant, il briguera le concours de Monsieur Clémenceau, de Poitiers, qui a beaucoup d'influence sur le Synode et qui est sans doute le même que celui que nous avons vu immatriculé a Leyde. II se rendra aussi a Saumur pour s'y entretenir avec Monsieur du Plessis et y revenir un instant, dans la bibliothèque, a ses chères études. Le 11 mai 1620, les Curateurs permettent a Erpenius d'offrir a Rivet, outre le traitement pro mis de 1.200 florins, quatre ou cinq cents florins de gratification, sous prétexte de prêches dans la conimunauté francaise de Leyde, bien que celle-ci soit pourvue de pasteurs réguliers 1. Enfin, le 8 juin, le Synode provincial réuni a Fontenay, accorde Rivet a Erpenius, sous réserve de 1'approbation du Synode national, a qui 1'église de Thouars en appelle 2. Le Synode affronté, il s'agit de gagner la femme et c'est plus difficile; elle se tient si mal que le bon Erpenius ne sait comment la dépeindre. Elle dit qu'elle ne veut pas partir et ne partira pas, que si son mari veut y aller, il y aille tout seul et, si elle ne trouve pas a se nourrir, qu'elle se mettra en service. Elle tient des propos si excessifs qu'on la croirait folie, dit son mari, qui n'ose plus lui parler. Elle ne veut pas même écouter la lettre de son beau-frère, Monsieur de Chanvernon8, et elle dit que c'est la cupidité et 1'ambition qui poussent son mari a accepter; c'est pourquoi elle ne veut pas le suivre : qu'il parte avec les enfants, cela lui est égal, elle ira mendier.«En somme, ajoute Erpenius avec cette espèce d'humour particulier aux Hollandais, «Mademoiselle»Rivet a une tête, et ellem'accuserait justement de mensonge si je disais qu'elle n'en a point. » Erpenius lance sur « Mademoiselle »Rivet, pour la calmer, la duchesse de la Trémoïlle elle-même, mais en vain. Elle aime mieux mourir toutde suite que de partir pour la Hollande. On craint qu'elle ne 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 163* : « Franchoysche gemeente ». 2. Ibid., p. 168*. La conversation d'Erpenius et de Rivet, rapportée par 1'ambassadeur de 1'université avec les longueurs habituelles aux Hollandais, qui sont volontiers < uitvoerig > et « breedvoerig >, est amusante; elle est malheureusement traduite en néerlandals. 3. Guillaume Rivet, sieur de Chanvernon. II avait été inscrit a 1'Université de Leyde, le 28 octobre 1598 et y avait étudié pendant quatre ans, d'après ce que dit Erpenius, p. 173*. Cf. aussi plus haut, p. 230. UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 301 devienne malade; elle menace de tomber dans 1'inconduite et 1'impiété, sans qu'elle puisse en être, aiiirme-t-elle, rendue responsable devant Dieu. Hélas ! la pauvre dame avait raison de craindre. Suzanne Oyseau devait succomber, après vingt-cinq ans de mariage, quelques mois après le départ de son mari. C'est un vrai cas de pressentiment funeste, comme il y en a dans les tragédies de 1'époque x. En eet orage domestique, Rivet flotte dans la plus grande indécision, craignant également de mécontenter son êpouse et les Etats. II sufïit que le mari ait 1'air de céder, pour que la femme se contente de sa victoire sans 1'exploiter. Elle accepte une transaction proposée par Erpenius : le ministre promet de partir pour deux ou trois ans seulement, laissant son ménage a Thouars. II n'emmènera que ses deux ainés, dont le plus agé a déja vingt ans, quelques livres, un peu de linge et des meubles. Rivet a si peur qu'elle change d'avis qu'il demande a Erpenius de rester jusqu'au départ, fixé au mois d'aoüt, d'autant plus que les Académies de Saumur, Nimes et Montauban se mettent è faire des démarches pour avoir un professeur si prisé a 1'étranger qu'ils commencent a en comprendre la valeur. Le bagage sera embarqué a Nantes, tandis qu'eux passeront par la Belgique, avec des passeports accordés par Marie de Médicis. En attendant, Erpenius s'assure par un contrat en due forme, qui est du 10 aoüt2 et qui confère au pasteur la deuxième chaire de théologie (Explication du Vieux Testament) pour 1.200 livres francaises de vingt sous, plus 300 livres d'indemnité de logement, plus 500 livres pour 1'Eglise Wallonne s, soit 2.000 livres ou francs, c'est-a-dire 666 écus de France, plus 40 sous. Peut-être les Hollandais gagnaient-ils au change a stipuler en francs, non en florins, alors nominalement équivalents. Donc après vingt-cinq ans de ministère, a l'age de quarante-huit ans, André Rivet quitte Thouars, le duc de la Trémoïlle, son élève, la duchesse et ses propres ouailles, « suorum visceribus avulsum », arraché a leurs entrailles, comme écrira du Plessis-Mornay aux Curateurs et Bourgmestres *. Le jeune Pineau, encore enfant, fut si frappé Tw«,;iiRivet Se üelmü*ia **** *te ' u éPOUse, dès Ia fin aoüt 1621, a Londres, Marie du d^AmiènsSOeUr 6t V6UVe dU caPitalne Antoine des Guyots, tué au siège 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, d. 185*.6* 3. Ibid., p. 186*. 4. Ibid., p. 194*. 302 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS que, vingt-six ans plus tard, il écrira a son oncle, le23 novembre 1646 1: « Je me souviendray toute ma vie de ceux {des regrets] qui furent fcémoignés par tout le général de notre pais, mesme par les adversaires, lorsque vous pristes congé du Poitou. 11 semble y avoir encore quelque Echo dans nos bois de la Trónière, qui retentit des cris éclatans qui y furent jettés par la bonne compagnie, qu'une affection extraordinaire avoit obhgée de vous y venir conduire. » Erpenius, Rivet et ses deux fils, partis de Thouars, le 21 aout pour Paris, arrivent a Leyde le 26 septembre 1620, après avoir passé par Sedan, Namur, le Brabant, la Flandre et la Zélande 2. Thomas van Erpen, car c'est la le vrai nom d'Erpenius, condensera ses impressions de voyage en France en un guide, dont La préface est datée de Leyde, 29 octobre 1624 : «De Peregrinatwite Gallica utililer inslüuenda Tractatm 3 », oü il exige avant tout du jeune voyageur la parfaite connaissance du francais, qu'il possédait certainement aussi. Le 28 septembre, Rivet est salué par le vice-Recteur et ses assesseurs; le 13 octobre il est consacré docteur en théologie par son collegae Polyander; le 14, il fait sa -lecon inaugurale. Une semaine auparavant 4, les Curateurs et Bourgmestres avaient fait savoir a du Moulin: «André Rivet est enfin parmi nous, sain et sauf, et nous nous en iélicitons beaucoup pour nos Universités et nos Églises. » Le même jour, ils s'étaient adressés aussi au Synode National d'Alais, pour qu'il confirmat la décision du Synode provincial du Poitou, ce qui fat fait le 28 novembre 1620 avec accompagnement de féhcitatioas pour avoir étouffé la peste de 1'Arminianisme. On trouve la la marqué de du Moulin, auteur de YAnatome Arminianismi, para a Leyde en 1619. Rivet, que les signataires de la lettre conv sidérent comme une des principales lumières de leurs Églises, est accordé par eux pour deux ans seulement : il en resta trente. Un peu avant, 31 juillet, les «Pilgrim Fathers»avaient quitté la maison de Robinson, qui est en face de 1'Eglise Saint-Pierre de Leyde, pour se rendre en Amérique sur le May Fiower. Ils débarquent, le 22 décembre 1620, dans la baie d'Hudson, au cap 1. Bibliothèque de 1'Universlté de Leyde, Ms. Q 286, t. III, f° 83 r°. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 194*. 3. Cf. Brunot (F.), Histoire de la longue francaise, Paris, Colin, in-80-, L V, 1917, p. 229. 4. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 191*. Planche XXX. André Rivet, théologien francais, PROFESSEUR a l'ÜNIVERSITÉ DE LeïDE (l620-l63a). (D'après Meursius, 'Alhenae Batavae, 1620). UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 303 Cod et y Mussent New-Plymouth \ date immense dans 1'histoire du monde ! Peut-être Rivet s'intéressa-t-il a eux, car sa sympathie allait naturellemen t aux persécutés, quand ils par lage aient son rigorisme. Sa présence a Leyde y a attiré beaucoup d'étudiants en théologie francais, puisque, écrivunt au duc de la Trémoïlle, le 8 mai 1623, pour qu'il leur laisse Rivet, les Curateurs et Bourgmestres 2 parient de « continuer icy son service, non seulement a nos églises, mais aussi a celles de France, lesquelles, depuis son arrivée, g ont lous jours eu bon nombre d'escholiers, qui ont besoin, pour directeur de leurs estudes, d'un professeur de leur nation * « et puis que le dit Sr Rivet, continuent-ils, est accoustumé avec nous et que sa demeure en ce heu a si bien succedé, il importe, pour le public des uns et des autres, que sa vocation ne soit point interrompue. « Cette lettre et d'autres de semblable teneur, Rivet les emporte en France, oü il a été autorisé a retourner pour trois mois, afin d'y mettre ordre a ses affaires. Un peu plus tard, par leur missive du 13 aoüt 1623, adressée au Synode national siégeant a Charentpn3, ils prient que, cette fois, on leur abandonne déïïnitivement Rivet. Ceci est refusé, mais on le leur aceorde jusqu'au Synode suivant, en faveur des nombreax étudiants francais qui vont étudier a Leyde les Belles-Lettres et la Théologie sacro-sainte. A son retour, Rivet réclame le prix du transport de ses meubles et de sa bibliothèque, par mer, de Nantes a Rotterdam : on lui donna 200 florins * Le synode national d'Apt demande Rivet pour PAcadémie de Montauban ou celle de Saumur, mais les Curateurs ne réagissent pas s. L'Eglise de La Haye, de son coté, 1'appelle comme pasteur de 1'Eglise francaise, décision que ratifie le Synode des Églises Wallonnes, tenu a Leyde en avril 1630 6. En janvier 1632 7, le Prince d'Orange, par 1'intermédiaire de son secrétaire, Constantin Huygens, obtient des Curateurs qu'on lui cède le professeur Rivet, a qui il veut confier V «institution et nourriture » de son fils, le jeune prince Guillaume. 1. Lavisse et Rambaud, Histoire Générale, t. V, p. 946. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, ,p. 200*. 3. Ibid., p. 201*. 4. Ibid., p. 116-117. Résolution du $ février 1624. 5. ÏSM., p. 209*. Lettre du Synode dm 7 octobre 1626. 6. Livre synodal, p. 353. 7. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 163. Résolution du 26 janvier 1632. 304 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Rivet garde le titre de professeur honoraire de théologie a 1'Université de Leyde, sa place au Sénat lui étant conservée ainsi que son rang. II fait, au début de mai 1632, sa lecon de clöture, mais ses rapports avec 1'Alma Mater restent constants H II intervient dans la nomination de Saumaise, dans 1'appel adressé a Jacques Godefroy a Genève 2. II s.'interpose avec Polyander et Isaïe du Pré, pasteur de 1'Eglise francaise de Leyde entre Saumaise et Heinsius, en mai 1640 3. C'est lui encore qui •sert d'intermédiaire pour faire venir Spanheim, de Genève a Leyde, en 1642 4. A la Cour, son róle dépasse les devoirs de sa charge de précepteur et de chapelain. II fut chargé d'aller négocier en Angleterre le mariage de Marie, fille d'Henriette et de Charles I, donc petite-fille de Henri IV et de Marie de Médicis, et il 1'obtint pour son élève, le futur Guillaume II5. En 1646, ses services devenus inutiles, il est choisi oomme curateur d'une nouvelle Université hollandaise, 1'Ecole illustre de Bréda, qu'il inaugura, en 16466, par un sermon en francais. II n'eut rien de plus pressé que d'y appeler, comme professeur, un théologien de ses compatriotes, nommé Dauber, alors que précisément un autre théologien francais, Desmarets, avait succédé a Gomar a la chaire de 1'Université de Groningue, dés 1642. La théologie protestante francaise, malgré la mort de Polyander en 1646, gardait ses droits et sa place aux Pays-Bas. Rivet s'éteignit la plume a la main, après douze jours de cruelles souffrances, le7 janvier 1651, a 78 ans 6 mois 7, soutenu par sa seconde femme, Marie du Moulin ; mais il n'avait pas besoin d'une telle aide : il avait celle de Dieu et la sienne propre, en cette méditation sur la bonne vieillesse, dont les préceptes ont dü 1'aider dans 1'épreuve 8. 1. L'usage des lecons solenneUes de clöture s'est conservé en Hollande, de même que celui des lecons inaugurales ; a partir de ce moment, Pineau adresse ses lettres : < M. Rivet, gouverneur de Mongr. le jeune prince d'Orange a La Haye » (Bibliothèque de Leyde, Ms. B. P. L. Q 286, T. I). 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 229. Rés. 11 janvier 1639. 3. Bronnen Leidsche Universiteit, II, p. 247. 4. lbid.,y. 268 a 270. 5. Haag, La France Protestante, 1" éd., t. VIII, p. 441. 6. Van Goor (Th. E.), Beschryving der Stadl en Lande van Breda ; La Haye, 1744, un voL in-fol. pil. 7. La dernière lettre du t. IV de la correspondance de Pineau, f° 135 verso, est datée de Paris, le 9 décembre 1650. J'ai sous les yeux la copie du testament fait par Rivet et qui se trouve aux Archives municipales de La Haye. 8. Ms. B. P. L. Q 286, t. IV, f° 123 recto :« Nous attendons avec impauence votre UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE ! ANDRÉ RIVET 305 Nous ne pouvons songer a donner ici un tableau de la multiple activité de ce digne ministre. Ce ne serait pas trop de consacrer un livre au grand théologien orthodoxe francais établi en Hollande, et qui n'est pas moins considérable en son genre, bien que la portée de son oeuvre soit moins générale, qu'un Doneau, un Scahger, un Saumaise. Pour notre dessein, il suffit de marquer sa place et de dire que, pour la période de 1620 a 1632, c'est lui qui représente, a 1'Université de Leyde, non sans éloquence et non sans éclat, la pensée francaise sous son aspect calviniste, comme de 1579 a 1587,1'y avait représentée Doneau, comme de 1593 a 1609,1'y avait incarnée Scahger, comme de 1632 a 1653 la personnifiera Saumaise. Calviniste, il Pest, ce quinquagénaire déja connu en 1620 par son Isagoge seu Introductio generalis ad Scripturam sacram V. et N. Testamenti (Dordrecht, 1616), et le reste de son existence se passera è maintenir la doctrine du Synode de Dordrecht sur la prédestination. II 1'avait approuvée a 1'avance, paree qu'elle était selon son cceur, sa foi, sa tradition. Quoi d'étonnant si la Maison d'Orange s'associe Rivet, puisque sa puissance s'appuie sur les mêmes dogmes, bien qu'elle les envisage, Frédéric-Henri surtout, sous 1'angle politique plus que sous 1'angle religieux. La bataille ne se livre plus guère sur le territoire hollandais, oü 1'orthodoxiel'a emportépar 1'exécutiond'Oldenbarneveldt, paria prison, puis 1'exil d'un Bertius et d'un Grotius ; mais justement e'est en France que Grotius apporte la semence de bonne doctrine «remonstrante» et libérale et il y trouve un grand disciple : Amyraut. Contre la prédestination calviniste, 1'école de Saumur, dont celui-ci est le chef, érige le principe universahste, qui n'exclut personne de la Grace et se rapproche singulièrement, sur ce point, des opinions jésuites. Ainsi dans le courant du xvne siècle, et précisément vers la même date de 1640, les deux camps, catholique et protestant, se divisent sur la même question (qui, au fond, est celle de la destinée humaine) du bien et du mal, de la toute puissance et de 1'intervention de Dieu dans les actes et dans le cceur de 1'homme. épitre de Seneetute bona ; Ibid, f" 126 recto, 10 octobre 1650 : « Mr Conrart, lequel xl-^l- ^e vous avez envie de nous donner en plus d'une langue votre méditation sur la bonne vieillesse. > Ibid., f» 128 recto, de Paris, 5 nov. 1650: «J'ai trouvé [chez le ais de M. Le Vasseur] 13 exemplaires de vdtre excellente EpItre JJe Jbeneclute bona, » 20 306 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Sans vouloir analyser 1'oeuvre de Rivet, on peut trouver dans les nombreux papiers que conserve la Bibliothèque de 1'Université de Leyde, des traces vivantes de son activité. II y a surtout la correspondance de son neveu André Pineau ; nous y avons déja puisé souvent et nous voudrions attirer sur elle 1'attention des historiens de la littérature. André Pineau, neveu et filleul d'André Rivet, n'est ni un génie ni un grand écrivain, c'est un honnête précepteur protestant, mais qui, aimant passionnément Paris, s'y accroche, s'y engage dans des families influentes et finalement échoue chez 1'ambassadeur de Hollande, fréquentant des gens en vue, les libraires de la rue Saint-Jacques et ceux du Palais, a 1'affüt des nouveautés et des scandales et ponctuel a en instruire son vieil oncle, assez Mand de ce qui se passé dans la répubhque des lettres et a la Cour, sur lesquelles Son Excellence Frédéric-Henri, le secrétaire Constantin Huygens et les princesses ne manquent pas de 1'interroger. Source précieuse, que ces missives d'un homme instruit, dont 1'élégance et la facilité de style nous permettent, par comparaison avec celui de Rivet lui-même, de mesurer le progrès que 1'influence de Balzac a fait faire a tous les lettrés. Ses allées et venues jettent un jour singulier sur la tolérance fonciére de la première moitié du xvne siècle. Zélé huguenot, André Pineau ne manque pas un prêche de Charenton, pas un Synode, pas une visite chez M. Daillé, M. du Mouhn, M. Sarrau, auprès desquels il sert de messager a son oncle, mais il ne va pas moins aux Minimes, chez le Père Mersenne, qui 1'accable de gentillesses a 1'intention d'André Rivet. Rien de plus touchant aussi que les visites hebdomadaires de Pineau au couvent de Montmartre oü ces dames s'enquièrent avectendresse du vieillard calviniste, dont M. de Condé achète les ceuvres a la foire Saint-Germain l. Dans les lettres de Pineau, il n'est pas seulement question de la Cour, oü il accompagne 1'ambassadeur de Hollande, qui 1'a pris comme précepteur de son fils, mais d'un Daillé, dont les sermons ne sauraient être oubhés dans une histoire de la chaire francaise. «J'ay été auditeur et un des admirateurs de ce grand Prédicateur», 1. Bibliothèque de 1'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. I, f» 91 recto ; de Paris, le 27 février 1644 : < Je vous diray avoir veü vendre quelques exemplaires de votre Prince Chrestien dans une boutique de la foire Saint-Germain, oü M. le Prince de Condé, fort curieux de livres, favoit entre les mains, ce que j'ay aussi veü. » UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 307 écrit Pineau de Paris le 17 mai 1647 : « II est aujourd'huy écouté avec un applaudissement universeL ayant ce don particulier de 1'agrément et de rendre la Théologie bien disante...»i; « aussi sont-ils [ces sermons] 2 des plus estimez, mesmes par les plus grands Prédicateurs de 1'Eglise romaine, qui les recherchent curieusement chez nos hbraires et en admirent 1'éloquence. » Ce souci de la forme répond auxexigences d'un pubhc qui est aussi celui de nos premiers classiques : « Madame nótre Duchesse [de la Trémoïlle] a trouvé le nouveau temple [de Thouars] fort beau et bien rempli le jour de la Sainte Céne. Mais on dit qu'elle fait un peu la dégoütée des Ministres de campagne et regrette toujours les presches de Charenton. Les deux dimanches derniers, nous y avons esté preschés par des Pasteurs du Pays A'Adieusias, qui n'étoient pas bien intelligibles aux habitans de celui de Dieu vous conduise. Ils ont le zèle meilleur que la Langue. Leurs expressions faisoient quelques fois tort è leurs pensées, ce qui ne plaisoit pas a la déhcatesse de ceux qui ne peuvent souffrir de stile tant soit peu hcentieux, et qui appellent barbare tout ce qui n'est pas de la Cour. » « Ils ont de la peine, poursuit Pineau s, d'écouter les Prédicateurs qui ne veulent rien donner a 1'agrément et qui croyent que c'est faire chose mjurieuse a la Théologie de la rendre bien disante. C'est en quoy ils disent que Monsr. Daillé leur fait honte, le nommant 1'Incomparable et étans ravis de voir que sa profonde doctrine est toujours si dignement secondée de son éloquence. i Chez ce disert Poitevin, fréquentent le pasteur Drelincourt, qui fera en 1649 un «excellent sermon sur la paix »* et aussi Sarrau, quand il n'est pas en son siège de Rouen, et Conrart6, quand il n'est pas aux eaux de Bourbon-l'Archambault ou au Louvre, car la «bonne société protestante » tient le haut du pavé et est fort bien en cour chez le Cardinal de Richelieu comme chez le Cardinal de Mazarin. Sarrau ou Sarravius est ce conseiller au Parlement de Rouen, dont le nom se retrouve, comme celui de Conrart, a toutes les pages de rhistoire httéraire de la première moitié du xvn« siècle. II semble s'être brouiHé avec Rivet a cause des Amyralistes : « Quant a 1'interruption du 1. Bjbüothèque de 1'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. III, fo t26 verso i. Ibid., f» 122 recto : lettre du 26 avril 1647. .**•. f0 49 verso ; de Paris, le 6 juillet 1646. 4. IbicL, t. I-V, fo 80 verso. 5. Ibid., t. IV, f» 130 verso. 308 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS commerce de M. Sarrau avec vous, Monsieur, écrit Pineau le 15 juin 1646 x, je ne scay pas a quoy 1'attribuer; mais j'ay remarqué en plusieurs rencontres qu'il soutient et défend la cause de Monsr. Amyraut avec beaucoup de véhémence et que, de juge, il est devenu partisan. » Vers 1650, Rivet et Amyraut2, sous 1'influence de la duchesse de la Trémoïlle, se réconcilièrent : Rivet, approchant de sa fin, voulait faire sa paix avec les hommes avant de la faire avec Dieu. Avec un apostat comme La Miiletière, par contre, aucun rapprochement n'était possible 8. II serait injuste cependant de ne voir en 1'ancien pasteur de Tnouars qu'un fanatique étroit : il lit et accueüle les productions des catholiques, comme les Lettres Spirituelles et Chrestiennes de feu Monsieur de Saint-Cyran. II est vrai qu'il se trouvait sur la question de la grace, nous 1'avons vu, plus en harmonie avec les Jansénistes qu'avec les Amyralistes. Rivet est un homme grave, il abhorre les perruques qui commencent a être a la mode en Hollande, vers 1645, et il en proscrit 1'usage dans un écrit latin. II déteste et condamne le théatre et c'est pourquoi, malheureusement, Pineau ne lui parle pas des chefs-d'oeuvre de Corneille ; il n'a pas moins horreur de la danse, mais il ne répugne pas au badinage: « Nous avons veü, lui écrit Pineau4, en une mesme semaine le commencement et la fin du Synode. On y a déposé un Ministre, pour cause d'Adultère avec une veuve de son diocèse, quoy qu'il ait encorè sa femme, a laquelle il n'a point fait conscience de planter des cornes. Elle n'a pas de quoi lui rendre la pareille, a ce que 1'on dit. Je ne scay ce qu'il veut faire de deux femmes, puisque tant d'autres de ses collègues se trouvent bien empeschés d'une seule. » II s'enquiert de Scarron, sur qui Pineau lui donne, le ler octobre 1650, les renseignements que voici6 : « Quant a 1'Autheur de la Requeste Burlesque, dont vous m'escrivés, il est le propre fils de ce Monsieur Scarron FApostre, que vous avés autrefois veü a Paris. Je vous puis bien assurer que cettui-ci est encore 1. Bibliothèque de 1'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. III, f° 43, recto. 2. Ibid., t. IV, f° 110 recto. Sur la querelle de Rivet et Amyraut de 1644 a 1650, voir Haag, La France Protestante, 2« éd., t. I, col. 187-189, col. 197, col. 200. 3. Ms. Q 286, t. II, f» 21 recto. 4. Ibid., t. III, f° 118 verso; de Paris, le 5 avril 1647. 5. Bibliothèque de 1'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. IV, f° 124 verso et 125 recto. Planche XXXI. Lettre inédite de Rivet. (Bibliothèque « Remonstrai.te », fonds Vossius, a Amsterdam). UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 309 moins Papiste que son Père et qu'il n'est pas ennemi de notre Religion. II a veü, par mon moyen, les excellens sermons de Monsr. du Moulin et ceux de Monsr. Daillé, a cause de leur élégance. J'ay le bonheur de le voir souvent, comme étant son voisin d'environ cent pas. » Rivet ne refuse même pas un rondeau assez raide sur les Amours de Monsieur de Chabot et de Mademoiselle de Rohan * si raide que nous n'osons pas le reproduire ici, bien que le théologien de Leyde ait pris soin de le faire relier avec les lettres de son neveu. II est vrai que Rivet est né au xvie siècle et la pudeur verbale du xvne lui est inconnue. II ne recule pas devant le mot, s'il a horreur de la chose : le siècle oü il mourut faisait peut-être 1'inverse. Grace a la correspondance de Pineau et de Rivet il n'est pas difficile de pénétrer en son privé. II travaille debout : « Je leur fis remarquer, écrit le neveu le 18 juin 1650 \ que vous n'estes jamais assis en vostre Bibliothèque et, par conséquent, c'est a bon droit que vous avez envie, aussi bien qu'un ancien Empéreur de mourir debout en vos exercices spirituels. » Ce détail est confirmé par lui-même au début du traité de la bonne vieillesse3, écrit a 78 ans, auprès de sa femme: «Je suis venu devant vous prés de neuf ans entiers, et il n'y a pas long temps, scavoir au second de juillet au nouveau style qu'on appelle, quel'an 78 de mon aage s'est achevé, auquel Dieu par sa grace, m'a jusques a present conservé Marie du Moulin, ma femme, laquelle compte la 76« année de sa vie, et de nostre mariage, la 30e. Tous deux graces au Seigneur, jouissons d'une vieillesse assez vigoureuse moy particulièrement qui, d'ordinaire, me pourmène ou me tiens debout le plus souvent, lisant et escrivant; qui suis rarement assis et n'ay encore besoin de lunete, quoy que, depuis plusieurs annees, elles ayent esté necessaires a ma femme comme aussi a son tres celebre Frere, quimesurpasse en aage presque de quatre ans et lequel, par un rare exemple, jouit a present d'une ferme santé, avec les mesmes poinctes d'esprit, desquels il n'a rien rabbatu, faisant encore ses charges en 1'Eglise et en 1'eschole avec grand édification et progrès de ses auditeurs et de ses estudiants. » 2. /w^^wcto^^618^ de Leyde'Ms- Q 286> h ht010 rect0- 3. La Bonne Vieillesse, p. 3. 310 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Mari et femme souffrent d'incommodités, elle, de rhumatismes articulaires, et lui, de coliques nëphrétiques, mais ils se maintiennent. Leur familie est nombreuse, comme il convient a un pasteur, mais il s'y fait des vides cruels, telle la perte de ce Monsieur de Montdevis, son fils ainé, qui sert Frédéric-Henri comme gentilhomme 1 et dont la mauvaise conduite lui avait causé maint tourment. II se console par la présence du petit-fils qu'il a recueilli et il lui apprend a bien garder cette tradition de la langue francaise que les réfugiés de Hollande n'ont jamais voulu perdre. « Que sa prononciation, écrit Pineau, soit aussi bonne, aussi distincte et aussi agréable que la votre. » Sans doute, Rivet sait que son style n'a pas la politesse du temps, qu'il sent trop le provincial et qu'il garde trop d'archaïsmes, il s'en excuse auprès de Conrart dans la dédicace de la Bonne Vieillesse, Bréda, le 15 décembre 1650 : « Vous n'y trouverez pas un agencement de paroles digne de vos oreilles, ni un style du temps qui puisse passer pour bon entre ceux qui raffinent a present un langage duquel je n'ay jamais appris la politesse. Vous prendrez en considération, Monsieur, que je suis Poictevin et qu'il y a trente ans que j'habite entre les estrangers de ma nation. Ce sera donc assez si j'ay pu exprimer intelhgiblement mes conceptions, en sorte que je puisse estre entendu. Je le seray aisement par vous, qui scavez parfaictement 1'elegance de nostre langue et qui vous pouvez toutesfois accommoder au plus grossier dialecte des provinces. » II n'en demeure pas moins qu'André Rivet fut un des maitres d'éloquence de 1'Eglise Wallonne et chacun sait que celle-ci a profondément agi sur 1'éloquence de la chaire hollandaise. Seulement, on avait coutume d'attribuer cette influence aux grands réfugiés d'après la Révocation, aux Basnage, aux Saurin, aux Jurieu 2 et c'est a Rivet et a Des Marets qu'il faut, en partie, en faire remonter 1'origine. 1. Bibliothèque de 1'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. III, f° 107 recto. Pineau écrit de Paris Ie 8 février 1647 : « J'ay été tacroyablement surpris de la triste nouvelle que j'ay trouvée dans la derniere lettre dont vous m'avés honoré du 23e du passé. » Dans la lettre suivante, 22 février, Pineau lui offre des consolations un peu rudes (f° 108 recto)': « Je m'asseure qu'après ces premières pointes de douleurs vous n'aurés pas manqué de vous servir sagemcnt des remèdes qui vous sont salutaires... » Le frère de Pineau, du Breuil, s'était engagé aussi au service de Hollande. Cf. t. III, fo 7 r° et passim. 2. Dans les lettres de Pineau, il est maintes fois question de M. Jurieu, le pasteur de la Rochelle et aussi de la petite Mademoiselle Jurieu, qui a été en Hollande : encore des conducteurs du Refuge. II est question également de la fille de Pierre du Moulin, qui s'appelait Marie, comme sa tante, < Mademoiselle Rivet». CHAPITRE XIV LE PLUS GRAND PHILOLOGÜE DU XVIIe SIÈCLE : ClAUDE SAUMAISE (1632-1653) Si, de 1620 a 1632, Rivet représenta la France a rUniversité de Leyde, c'est a Saumaise que revint 1'honneur de le faire, avec combien plus d'éclat, de 1632 a 1653. Saumaise, c'est le Scahger du xvne siècle. II 1'est, quoique avec moins de génie, a tous le6 égards et de toutes les f acons. C'est sa f aiblesse, car 1'époque n'est plus a la science envisagée comme renaissance des lettres et du savoir antique, mais c'est aussi sa force, car sa connaissance des Grecs et des Romains n'est pas moins remarquable que celle de son illustre prédécesseur. Que ce soit 1'Université de Leyde qui, une seconde fois, ait offert un sur et honorable asile au plus grand philologue francais du temps, a vingt ans de distance, ce n'est point un hasard, c'est un choix, une volonté bien arrêtée; c'est aussi et surtout une preuve de ces rapports intellectuels étroits entre la France et la Hollande, que nous avons pris a tache de montrer dans la première moitié du xvne siècle. Saumaise, selon son propre témoignage \ était né le 15 avril 1588, k Semur-en-Auxois, d'une familie noble de Bourgogne ; son père, Bénigne Saumaise, était seigneur de Tailly, Bouze et Saint-Loup, et conseiller au Parlement de Dijon, depuis 1592 jusqu'a sa mort, survenue le 15 janvier 1640. Érudit, comme beaucoup de ses confrères, il traduisit en vers francais la géographie de Denys d'Alexandrie.«Poene te solo praeceptore usus », écrit Saumaise a son père dans la dédicace du de Pallio. II était catholique, mais sa femme, Elisabeth Virot, était huguenote. 1. Haag, La France Protestante, 1" éd., L IX, p. 149 a 173. 312 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Le jeune Claude, ainé des fils, est envoyé a Paris en 1604. Comme pour Erasme et Scaliger, 1'influence de la capitale sorbonique fut, sur lui, décisive. Sa philosophie achevée, il demande a son père, sur les conseils de Casaubon, 1'autorisation d'étudier a Heidelberg, auprès de Godefroy : « Allez donc », lui répondit-il, car «je vous veux monstrer en cela que je suis plus indulgent père que vous n'estes obeissant fils. » Allusion, sans doute, a ce qu'il pratiquait ouvertement la rebgion réformée, sans tenir compte de la volonté de son père qui, sous 1'empire de considérations humaines, désirait qu'il ne la professat que secrètement. Ainsi s'exprime Casaubon, dans sa lettre au Conseiller Lingelsheim. II parle de lui a Scahger comme d'un jeune homme «ad miraculum doctus». Saumaise s'épuise a passer au travail deux nuits sur trois; il découvre a la Bibhothèque Palatine, dont Gruter lui facilite 1'accès, le recueil d'Epigrammes d'Agathias. Casaubon le morigène doucement en latin : « Souviens-toi, trés docte Saumaise, de ce que je t'ai si souvent prêché dans mes lettres, d'être prudent, d'avoir égard a la santé de ton petit corps débile. Je savais 1'ardeur de ton esprit et sa propension a imposer au corps plus que ses forces ne pouvaient supporter. » N'ayant pas écouté les conseils du vieillard, ce qui est le propre des jeunes gens, il tombe malade et se voit prescrire un repos complet, mais ce Bourguignon ardent le supporte mal et il cherche a se guérir du travail par 1'amour, dans lequel il se jette avec la même violence. II se prend «non pas a aimer», ditil, car il n'aime vraiment que les livres, mais « a faire 1'amour ». II guérit de 1'asthénie et de la passion, puis se met a son Florus. Après trois ans de séjour a Heidelberg, rentré a Dijon en mars 1609, il se fait recevoir, le 19 juillet 1610, avocat au Parlement. II va souvent a Paris, d'oü Nicolas Bigault lui permet généreusement d'emporter les livres de la Bibhothèque du Roi. Le 5 septembre 1623, il épouse Anne Mercier, une des filles du Savant Josias Mercier, sieur des Bordes, et vécut avec elle dans la terre de son beau-père, a Grigny, prés de Paris. II en voulut toujours a La Milletière et a Didier Hérauld, responsables de cette alliance de philologues, qui rappela plus souvent Socrate et Xanthippe que Philémon et Baucis. «La femme de Monsieur de Saumaise, fille de Josias Mercier, a donné bien des chagrins a UN PHILOLOGÜE DU XVIie SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 31* eet homme docte », est-il dit dans le Laritiniana, oü le Conseiller Lantin rapporte aussi les vers latins qu'on avait faits sur ce mariage : Vir clare ex scriptis, uxorem ducere noli, Foemina cum Libris vix bene conveniet Ergo, Salmaside, si fldo credis amico, Cura tenax calami sit tibi, non thalami. « Ces vers latins, continue le Lantiniana, ne sont guère bons, quoi qu'ils contiennent un bon avis. Voici des vers francois encore moins bons que les latins sur le même sujet: Des neuf Muses, Doctes Pucelles, II estoit toujours amoureux ; II estoit toujours chéri d'elles Comme le favori des Dieux. Une dixième survenue, Qui n'estoit Muse néanmoins Fut par lui plus chère tenue Mais neuf en valoient une au moins % Jaloux des lauriers de Scahger, rêvant peut-être déjè de lui succéder, après s'être vu refuser, pour cause de religion, en 1629 la charge de son père, il se met a 1'hébreu et a 1'arabe, puis au syriaque, au chaldéen et au persan qu'il étudie sans maitres II semble avoir reconnu plus tard la parenté de cette langue avec le germanique \ Mais il se rend compte que «les siècles futurs ne produiront jamais le semblable de Scaliger et que, dans les siècles passés, personne ne 1'avait égalé 3. Pourtant, ce dernier lui-même disait qu'il s'instruisait a lire les lettres du jeune homme. C'est a la séance des Curateurs du 20 juin 1630 que M. de Sommelsdijck, qui n'est autre que 1'ancien ambassadeur des Provinces-Unies a Paris, un Bruxellois d'ailleurs, propose de reprendre d'urgence les négociations avec Saumaise, devenu 1. Bibliothèque Nationale, Ms. fr. 23254, p. 122, n° 101 pri^,L^dT?656 X^^™\^\\ PeiTC (¥^asü Epislolarom Liber 3. Haag, La France protestante, 1™ éd., L VII, p. 7, art. L'Escale. 314 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Salmasius, pour le faire venir a Leyde, illustrer rUniversité par les livres qu'il écrirait, sans faire aucune lecon publique *, indiquant assez, par la, qu'il s'agissait, dans son esprit et dans celui de ses collègues, derecommencer, avec ce savant, 1'expérience qui avait si bien réussi pour Scaüger. Rivet est autorisé a 1'informer dès lors des intentions des Curateurs, qui destinent a Saumaise un traitement de 1.500 florins. On se sert aussi de Monsieur Justel, secrétaire du duc de Bouillon et fondateur de la Bibüothèque de Sedan, pour sonder les intentions du philologue 2. Un des Curateurs, le Président, semble manifester une certaine répugnance, avoir des objections ou «bezwaar », qui jouent un grand röle dans les délibérations des Sociétés ou comités hollandais. Ceci retarde la décision finale jusqu'au 8 aoüt 1631, date a laquelle les Curateurs et Bourgmestres consultent Gérard Vossius 3. II affirme que « le dit Salmasius est un des personnages les plus érudits et les plus versés dans les antiquités religieuses et profanes ainsi que dans 1'histoire, qu'on püt trouver en toute la chrétienté, que cependant il n'avait pas connaissance de son éloquence orale et que, par conséquent, il ignorait s'il serait capable ou non de faire des lecons en public». Bien que Cromholt, qui a lui-même rapporté eet avis compétent, formule encore des «bezwaren», après müre déhbération, a l'uuanimité, les Curateurs décident d'inviter le Sr. Claude Saumaise a venir résider dans la ville de Leyde et a en illustrer 1'Université par sou nom et par ses écrits, a traiter en particulier d'Histoire Teligieuse et a réfuter notamment les Annales de Baronius, le tout moyennant un traitement annuel de 2.000 florins, payables par trimestre, auxquels s'ajoutent 600 florins pour le transpórt de son mobilier, a condition qu'arrivé a Leyde, il n'accepte 1. Bronnen Leidsche Universiieit, t. II, p. 150. Je croirais volontiers que 1'intermédiaire dort avoir été Grotius, qui habitait Paris. 2 Le nom de Justel revient souvent dans la correspondance de Pineau (Cl. Blbl. Univ Leyde, Ms. Q 286, t. II, f° 82 verso ; Paris, 9 décembre 1645): «J'en donneray avis a Monsieur Justel, qui le [le sieur Elzévir] veut charger de quelques exemplaires de son Histoire pour vous et pour ses autres Amis de Hollande ». II y aun autographe de Justel dans \'Album Amicorum de Gronovius a la Bibl. Roy. de La H3yeh est dit dans le Lantiniana, Ms. fr. de la Bibliothèque Nationale 23254, p. 120 : « Monsieur de Saumaise a toujours esté ami de Vossius le père. II le croyoit Ie plus docte, le plus judicieux et le plus laborieux critique des Hollandois II lé préféroit a Grotius. J'ai une lettre latine de lui oü il dit toutes les raisons qu'il a de pref erer Gerard Vossius a Grotius. Cette lettre de Monsieur de Saumaise n a pas esté imprimée. » UN PHILOLOGÜE DU XVIIe SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 315 aucune autre charge ailleurs sans le consentement des Curateurs *j La lettre écrite a Saumaise, en exécution de cette Résolution», le 15 aoüt 1631, est concue en latin, dans les termes les plus flatteurs : « Telles sont la renommée de votre érudition et la célébrité de votre nom, établies par tant d'ceuvres de premier ordre, que personne d'un peu cultivé n'ignore combien vous doit la République des lettres et combien elle est en droit d'attendre encore de votre esprit, si, a ses dons naturels, s'ajoute 1'opportunité de les exploiter et de les divulguer. » Les Curateurs le louent d'avoir mis ses talents au service de 1'Eglise, entendez de celle de Calvin, et lui offrent les 2.000 livres de France, qu'ils ont votées, plus les 600 livres du déménagement. Aucun cours ne lui est imposé : il vivra, plein d'honneur et de loisir, personne ne le troublant dans ses études et en compléte liberté. La réponse de Saumaise, si elle n'est pas brève, est catégorique : c'est une acceptation de principe, enveloppée seulement des amples formules d'une modestie qu'on voudrait croire sincère. C'est plutöt a Leyde de « votre coin d'heureuse Hollande que 1'on pourrait appeler, de toutes les parties de la terre, des érudits ». Les seules réserves que fasse le savant francais concernent la rigueur du climat, a laquelle il n'est pas accoutumé, le mauvais état de santé qui eh pourrait résulter et qui pourrait 1'obliger a regagner le sol natal afin d'y respirer un air plus clément. II demande qu'on ajoute au traitement, comme on le fit pour Scahger, dont le flatteur souvenir s'évoque a son esprit, 300 livres pour le logement. II fera 1'impossible pour partir dès le début de 1'hiver et s'est mis déja è prendre ses dispositions, ^STr^f ri^'Sfï f7"1'1*™17/0' £ }h PV161: ,Bv «sumptie van't stuck der beroepinghe Dm Claudii Salmasii refereert de Heer GVomholt, hoe hem D. M. Gerardus Z°«T " HddC verkIfrt dat °y «en voorn. Salmasium' oordeelde envandege? leertste ende errorentste personen in de kerckelicke ende profane antiquiteyten ende ïhSSTrtESTSyi6 WeSen'.dIe men nVn de §eheele ChristenheySdVkoMeS l ^ 'a a \ ,at hy ^ Mlne «nondelinghe welspreeckentheyt egeene kennisse hebbende, derhalven oock niet en konde weten off hy tot het doen van publycaue Srim^SSTS S°Ude WeS6Ii °ïte nlet " : geresolveert den voorn. DnumQauS SbeIW 0m te komen resideren binnen de stadt Leyden ende d'Uni«m t met rfjnen naem ende geschriften te illustreren ende insonderheyt om te tracteren Histonam ecclesiasticam, mitsgaders te wederleeehen Annales rafflrmat'f™ H^P?" \° a,d°n-C pas lieu de mettre en doute. «>mm on1'afait, 1 afflrmation de Paquot sur ce dernier point. cum plina foertate.!.! .l" ***** °Uo et qulete' n*mine studia tua interturbante. 316 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS mais il est a Dijon et doit s'arrêter a Paris pour mettre ordre a ses affaires 1. C'est la que, le 23 octobre 1631, il recoit la visite de deux fils de professeurs de Leyde, Joh. Walaeus et Fr. Thysius, chargés de lui remettre copie des propositions des Curateurs 2. L'émerveillement des deux jeunes Hollandais devant cette bibhothèque animée, « èu.-}uyov (3ij3Xio8ijx7iv», ce musée vivant, cette ame pure, cette parfaite vertu, comme ils disent, est vraiment touchante. Ils trouvent Saumaise déja occupé a empaqueter ses livres : il abandonnera au besoin le reste et s'est déja inquiété de ses passeports et de louer ou de vendre ses biens; mais tout cela demande du temps. Sa femme, enceinte, ne sera pas en état de supporter le voyage, ni par mer, ni par terre ; un de ses enfants est trés déhcat: décidément,il vaut mieux remettre 1'expédition au printemps prochain. Ces raisons, Saumaise, dans sa lettre du 25, les répète aux Curateurs, ajoutant que, sans cela, il volerait vers eux. En conséquence, le 9 février 1632, les Curateurs et Bourgmestres décident de lui louer une maison, sans engager par la 1'avenir, mais la lettre de Saumaise au Curateur Wevelinchoven, du 31 aoüt suivant, montre qu'il est toujours en France; une fois c'est le xiüXlxov to^o;, une autre fois, la fièvre qui 1'empêchent de partir. Par Résolution du 15 novembre suivant, les Curateurs et Bourgmestres prennent a bail, a son intention, pour la somme de 145 florins par semestre8, la maison de Jan Jansz. van der Vecht, dite de la Commanderie, prés de l'Eglise Saint-Pierre; c'est aujourd'hui le numéro 23 du Kloksteeg4. A ce moment, il est arrivé, puisque les Curateurs et Bourgmestres font faire un siège spécial pour lui dans 1'amphithéatre de théologie, a droite de ceux des Curateurs, portent a 1.000 florins son indemnité de déménagement et prennent a leur charge ses frais de séjour au Keysershof a La Haye et a la Corne d'or a Leyde. Sa réception fut un renouvellement de celle de Scaliger: «quanto applausu, quanto gaudio, quanta exultatione, quanto honore », 1. La lettre de Saumaise du 19 septembre 1631 se trouve dans les Bronnen, t. II, pp. 254* a 256*. 2. Ibid., p. 284*. 3. Ibid., p. 178. 4. Bronnen Leidsche Universileil, t. II, pp. 178 et 287. Voir aussi Crenii Animadversiones, t. II, p. 97 et Bronnen, t. II, p. 298* note. Planche XXXII. UN PHILOLOGÜE DU XVIIe SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 317 écrit son biographe et disciple Clément» «quanto omnium ordinum et aetatum confluxu exceptus sit, longum foret hic referre. » Pourtant, malgré tant d'honneurs et d'égards, le mariage de Saumaise et de 1'Université ne fut, pas plus que le sien propre, une lune de miel. D'abord, comme tous les Francais, comme Daneau, comme Scaliger, il se plaint de la rigueur du climat. Dans 1'intéressant volume de ses lettres a Dupuy, n° 713 de la collection qui porte ce nom a la Bibliothèque Nationale, il écrit le 22 novembre 1632 2: « Monsieur, J'eus regret de partir de Paris pour sortir de France, sans vous avoir veü, mais je ne pouvois arrester davantage, n'ayant eu tout juste que ce qu'il me falloit de temps pour arriver en ces quartiers avant 1'hiver, qui commence tousjours ici de bonne heure et flnit bien tard, et c'est tout ce qui me desplait de ce païs, oü toute chose au reste m'agrée fort et sur tout la liberté. Nostre France n'est plus France pour ce subjet et c'est la cause qui me la fera moins regretter. » Les cürieux Mémoires de Hollande3, oü il y a, a cöté de tant d'imagination, tant d'exactitude, lui attribuent un mot cruel et que je veux croire apocryphe : « c'est un pays oü les quatre éléments ne valent rien et oü le démon de 1'or, couronné de tabac, est assis sur un tröne de fromage ». « Car, dit le commentateur, dans cette province d'ailleurs si célèbre, la terre ne porte point de fruits, 1'eau n'est pas bonne a boire, 1'air est ordinairement épais comme de la fumée et le feu y sent si mauvais par la matière qui sert a 1'entretenir, qu'on est contraint de le cacher pour s'en servir. Avec cela, le fromage, qui est la principale nourriture des Hollandais, se peut aussi bien nommer leur soutien, comme le tabac leur divertissement ordinaire et enfin 1'or, dont 1'autorité est partout si grande, règne ou du moins régnait alors chez eux avec une telle abondance qu'il semblait que tout le Pérou y eüt été transporté. » La vérité est que le Francais n'est jamais satisfait nulle part oü lui manque «la douceur de la patrie » : « Osté cette douceur de . ^taaud" Sataasii, viri maximi Epislolarum liber primus, Accedunt de laudlbus ^en! ^5JrfnTPr° g°mena' accurante Antonio ClemenUo • Leyde, Adï. Wyngaer- 2.' F» 13 recto. 3. Mémoires de Hollande, p. p. A. T. Barbier, Paris, Techener, 1856, pet in-16 L'éditeurattribue a tort k M« de La Fayette eet écritqueplus justementM Waddln^pnue, 1898, p. 268£_Le mot de Saumaise est a la p. 83 des Mémoires. 318 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS la patrie qu'il est difficile d'oüblier, écrit le savant a Dupuy, le 15 janvier 1633, je suis assez bien pour mon contentement; le mal que j'y trouve seulement est que je ne puis contenter tout le monde et que j'en voi qui ne m'y voient qu'a regret et d'un fort mauvais oeuil. Je n'eusse jamais creü qu'en des gens d'une si haulté condition, il se rencontrast si peu d'humanité, veü mesmes qu'ils en font profession pubüque et qu'ils sont payés pour cela. Ils ne peuvent dissimuler leur mal talent et, comme si j'estois venu pour roigner leur prebende, peu s'en fault qu'ils ne me courent sus... Je porte tout patiemment et peut estre qu'a la fin je les vaincrai ou creverai de courtoisie l. » Ces ennemis, en tête desquels figure Heinsius, qui va jusqu'a lui refuser des livres de la BibUothèque qu'il dirige, font courir le bruit qu'il ne sait même pas parler latin : « Ils ne peuvent plus se mosquer de moi de costé la, écrit-il le 29 janvier 1634, car je m'en escrime a present aussi bien qu'eux », voir même qu'il les dépassa, s'il faut en croire le Conseiller Lantin:« J'ai eu, dit-il, plusieurs conversations avec Monsieur Saumaise, lorsqu'il revint passer quelques mois a Dijon en 1'an 2, il passoit toute la matinee et toute la soirée è travailler a ses ouvrages et a lire, mais il se promenoit volontiers 1'après-dinée. II estoit trés agréable en conversation et n'y parloit point de sciences, a moins qu'on 1'exj.geat de lui. II s'expliquoit plus facilement en latin qu'en francois. Je me souviens qu'on le pria un jour de parler de 1'histoire du Bas-Empire et qu'il pria a son tour qu'il lui füt permis de s'en exphquer en latin. II le fit, pendant plus de trois heures, et dit des choses admirables. II se plaisoit a faire des contes agréables et j'aurois bien fait un Salmasiana, c'est-adire un Recueil des bons mots de Mr de Saumaise, si je 1'avois vü plus longtemps. J'en ai dit quelques-uns a Monsieur le Conseiller de la Mare, qui a écrit sa vie en latin 8 et qui a ajouté a la fin de cette vie quelques bons mots de ce scavant homme.» A la fin de janvier 1633, Saumaise écrit a Dupuy : « L'air commence è ne m'estre guères favorable et moins encore a ma 1. Bibliothèque Nationale, Fonds Dupuy, T. 713, f ° 18. 2. Bibliothèque Nationale, Ms. fr. 23254," Lanliniana, recueillis par Pierre Le Gouz; p. 160, n° 226. La date est en blanc dans le manuscrit; ce doit être 1640. 3. II s'agit de la vie manuscrite latine de Saumaise, qui se trouve a la Bibliothèque de Dijon. II y en a deux copies a la Bibliothèque Nationale, fonds latin 17712-3 (avec matériaux ayant servi a ce travail) et 18350 avec notes de Fr. Oudin. Voici d'autres manuscrits du même fonds interessant Saumaise : 10350, Lettres origiiiales de Sarrau a ce dernier; 17891, Salmasii opuscula (au'ogrj. UN PHILOLOGÜE DU XVIIe SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 3f9 familie ; je tascheray néanmoins de m'y accommoder et accousturner. J'aime mieux vivre ici que vivre en France, mais j'aimerois mieux vivre en France que de mourir ici.» Vers 1'automne de la même année, il est gravement malade : les médecins galénistes 1'avaient déja condamné, lorsqu'un allemand de saconnaissance, le docteur Elichmann, dont nous reparlerons a propos de Descartes, le guérit au moyen de pilules extraites des eaux de Spa. II songe a partir :« Je fais estat, écrit-il è Dupuy, le 26 septembre, de passer encore tout 1'hyver, a cause de quelques livres que je ne trouverois point en France et pour voir achever 1'édition de mon Arnobe, duquel le texte est desja fait et d'un aultre de Plantes et Aromates et de quelques aultres, mais tout cela va fort lentement, comme il plait a nos imprimeurs d'ici»; même plainte que chez Scaliger. Au printemps 1634, il se trouve « plus empesché après la cure de son corps qu'a la culture de son esprit». Cependant, en été, il se met a sa Milice des Romains, que le prince d'Orange lui a demandée. 11 écrit a ce propos a Pierre Dupuy, le 7 janvier 1635 lz « II me faut faire un petit traicté de 1'ancienne Milice et de la manière de camper des Romains, en francois, pour le Prince, et je me trouve empesché a rendre en bons et propres termes plusieurs choses usitées dans 1'art militaire antique, qui ne sont point cognues dans la nostre, en laquelle aussi je ne suis guères scavant» et, le 8 avril: « Je n'avois dessein que de faire un petit abbrégé pour faire entendre la manière de camper des Romains et celle de ranger en bataille. II [le Prince] a trouvé bon que je m'estendisse plus long et que je lui expliquasse tout 1'estat de la milice romaine, ce que je fais. Si je ne 1'achève ici, j'aurai plus de moyen de le mieux polir en France, principalement pour ce qui est du stile, que je n'ay jamais eu guères bon en nostre langue, pour ne m'y estre pas exercé et qui s'est encore achevé de gaster, depuis que je suis en ce beau païs, parmi ces ventres de bière, oü je suis devenu fort flegmatique et catarreux, mais c'est pour cracher toujours du latin. Si je ne m'entretenois quelquefois avec vous, j'aurois desja, longtemps il y a, oublié tout ce peu que ma nourrice m'en avoit apris. » Le fait que Saumaise était payé sur les fonds de l'Universitè 1üiL'?tre nitée par Haa& La Prance protestante, 1" éd., t. IX, art. Saumaise. Le traité dont ü s'agit a été publié après sa mort, mais en traduction latine (Leyde. 1657 ; cf. Haag, p. 179, n° XXXXV). 320 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS ■sans être tenu de faire de cours, n'était pas sans susciter les j alousies de ses collègues, qui, pourtant, ne brillaient pas toujours par leur assiduité a s'acquitter de leurs obligations professorales. Rien n'a plus d'importance dans une république aristocratique comme 1'était la Hollande, et même dans une répubüque démocratique, que les questions de préséance et de protocole, surtout quand il s'y mêle des j alousies de femmes et la sienne n'était déja pas trés commode de nature. Madame Saumaise était fort irritée de se voir traitée de « Mademoiselle » et .d'être ainsi assimilée aux autres femmes des professeurs. Celles-ci ont, depuis, monté en grade dans la société hollandaise ■et sont devenues des « Mevrouw», des Madames; èl'époque, elles n'étaient que des « Juffrouw», des Mademoiselles, comme le sont aujourd'hui encore les petites bourgeoises et les femmes du peuple, eussent-elles douze enfants légitimes ! La susceptibilité de Madame Saumaise est la principale raison pour laquelle son mari sollicita et obtint, en septembre 1635, un brevet de Conseiller au Conseil d'Etat : c'était aussi une porte de sortie en cas de besoin. A lire la plainte de Saumaise sur le rang qui lui est assigné dans les banquets officiels et les •« promotions » ou soutenances de thèses, on croirait vraiment qu'il s'agit d'une affaire capitale et d'une injuremortelle. Dans sa lettre du 6 juin 1635 1 aux Curateurs, Saumaise s'excuse de n'avoir rien pu faire depuis qu'il est a Leyde. Pendant deux ans, le mauvais climat 1'a empêché de travailler et il a eu a lutter «ontre une maladie opiniatre. Cependant il a tenu bon, ne cédant pas aux conseils de ses amis et de ses médecins, qui lui prescrivaient le retour dans sa patrie comme 1'unique remède. Maintenant que, grace a Dieu, le voila rendu a la santé et è 1'étude, les hommes se mettent a la traverse. Lui, qui possède la place que Scaliger avait obtenue par la seule réputation de son savoir, il n'a pas le rang de gentilhomme qu'il occupe dans sa patrie. II est traité comme un ane parqué avec des chevaux 1'on nous met a terre, par un temps oü 1'eau du ciel n estoit point espargnée a ceux qui marchoient sans parapluie. En eet estat, il nous convint estre sur le pavé, trois heures durant, sans pouvoir trouver de couvert ni hostellerie oü 1'on entendist nostre langage, car d eslre ailleurs nous ne pouvions, n'ayans personne qui put demander cè qui nous falloit et nous avions besoin de plusieurs choses. « Enfin, après avoir bien cherché, un soldat de la garnison qui dasticotoit un peu de francois nous adressa a un petit cabaret oü nous [nous] mismes a I abri de la pluye, bien heureux d'avoir si bien rencontré, et si tost, veu la necessité, qui nous pressoit de plus d'un costé. II faloit premierement se secher, ce qui ne fut si prompt, car le feu de tourbe est aussi lent que ceux qui s'en servent. Après avoir esté un peu reschauHés nous demandasmes un lieu pour aller ad requisita naiurae, car la mer ï. BibUothèque Nationale, collection Dupuy, vol. 713, f» 122 et 123 Tamizev de Larroque 'a publlée, mais d'après un autre manuscrit différent, dans le recueil cité •ci-dessus (cf. p. 313 n 2 in fine) p. 359 a 365 avec quelques variantes l. La lettre précédente avait été écrite de Dieppe, le 22 décembre 1636. 324 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS nous avoit un peu laschés: on nous conduisit sur les murailles de la ville, qui n'estoient pas loing de la. «n f alloit pourtant passer une assez longue rue avant que d'y parvenir: la necessité fait tout trouver bon et aise. Ce cabaret, au reste, estoit doublé, car c'estoit aussi un bourdel. Et, pour vous monstrer ci comme le bonheur nous accompagne tousjours, nous y trouvasmes de la cognoissance : un Francois, Bourguignon, qui souffloit du tabac dans ce vénérable [lieu], voiant entrer des gens qui n'estoient pas du tout faits comme lui, demanda a mon laquai qui nous estions ; ce coquin me nomma, 1'aultre me cognut et dit qu'il estoit de Dijon et qu'il avoit servi le prestre Desgan, lequel prestre, sans offenser 1'ordre et la religion, a la reputation [d'estre] un insigne maquereau et 1'est en effet, car personne n'en doubte en mon pais. « Pour me tirer de ce mauvais pas, je m'advise, aprés le disné, d'aller voir un des ministres ou pasteurs de la ville; s'il ne parloit francois, il pourroit parler latin. Je m'adressai si bien qu'il savoit 1'une et 1'aultre langue; je lui dis 1'incommodité de mon logement et si, par son moyen, je pourrois point trouver a loger chez quelque bourgeois qui entendist quelque mot de ce que je dirois. II me promit de s'y emploier et qu'au* reste j'estois logé dans le plus infame lieu de la ville et qu'il se falloit bien garder d'y coucher ; que, si nous ne trouvions devant la nuit, qu'il avoit un liet pour ma femme et pour moi, et que, pour ma petite et la demoiselle de ma femme avec le laquai, ils y coucheroient encore une nuit. Nous cherchons toute la journée et en vain. II me vouloit mener coucher en son logis, ce que je refusai pour ne pouvoir me séparer de mesgens et puis, de laisser une fille seule en un lieu tel qu'il me le depaignoit,. il ne me sembloit pas k propos et qu'il vailloit mieux y coucher touts. Nous y couchons donc et, le lendemain, dés le matin, nous nous remettons. en queste. « II devoit prescher cette mattinée la, mais il pria son collègue de faire la journée pour lui, et puis vous dirés que ces gens ne sont pas obligeants. Après avoir couru toute la journée, sur le soir, nous trouvasmes, de bonne fortune, une honneste maison bourgeoise, oü nous avons demeuré prés de trois semaines, avec autant de desgoust et de goust que les trois mois que j'ai passé k Dieppe. i Des glacés nous empeschoient d'en sortir. Dés le premier jour qu'on me dit que 1'ouverture estoit faite et qu'il partoit un batteau pour Rotterdam, je me mis dedans contre le conseil de mon ministre, qui jugeoit que je risquois trop de partir par le premier batteau et qu'il falloit voir rompre la glacé deux ou trois jours, premier que de s'y fier; que, pour lui,, il ne le feroit pas, et je le croirois bien car il estoit chez lui. Je me repentis pourtant de ne 1'avoir creü: a demi-lieue de Rotterdam, nous trouvasmes tant de glacé que, si le vent n'eust esté extremement fort, aidé encore de la marée, nous y fussions demeuré. Nostre vaisseau fust arresté plus. d'une demi-heure, sans pouvoir ni advancer ni reculer. « Ceux qui n'aiment pas la Hollande, je vous laisse k penser ce qu'ils pouvoient dire alors et de quelle facon je pouvois les consoler. Nous voilèdonc enfin k Rotterdam et de la a La Haye oü nous arrivasmes a huict heures du soir, au bout de la ville, le logis oü nous devions aller estant a 1'aultre, sans lumière, sans personne qui nous pust conduire. Ce n'a pas [esté] le moindre inconvenient oü je me sois trouvé dans mon voiage, c'est pourquoi je vous le marqué. «Au bout de tout, je suis venu ici malade et ai esté plus de dix jour»- UN PHILOLOGÜE DU XVIie SIÈCLE ! CLAUDE SAUMAISE 325 sans pouvoir dormir, a cause d'une grande angine que j'avois dans 1 nypocnondre droit avec tumeur et tension. Pour m'en guairir bien tost J ai trouvé que mes professeurs avoient fait les diables contre moi pendant mon absence. Ils se sont teüs long temps, sur la creance qu'ils avoient que je ne viendrois pas... » Le pasteur dont il est question dans cette amusante lettre, est Cloppenburg, dont la rencontre fut décisive, car c'est dé la discussion que Saumaise eut avec lui que sortit le livre sur Ie pret a intérêt dont nous reparlerons plus loin. Quant a 1'allusion de la fin, elle se rapporte aux manoeuvres occultes de 1'éternel ennemi, Heinsius. Heinsius contre Salmasius, voila bien encore un de ces jobs exemples de haine entre savants, qui n'en finissent pas de déverser 1'un sur 1'autre des flots d'encre et d'injures. L'origine de la querelle était certainement la jalousie du bibliothécaire-philologue, dont la notoriété, qui était grande, se trouvait éclipsée par la gloire du nouveau venu. Peut-être' aussi faisait-il des comparaisons avec son vénérable maitre Scabger, et Saumaise lui semblait usurper cette place, qu'il aurait aimé garder pour lui-même. Au reste, Scabger étant au tombeau lui portait moins d'ombrage : il est permis aux morts d'être grands. II y avait la conflit de deux susceptibilités a vif, sinon écorchées. A Heinsius qui lui disait un jour : « Si 1'on mettait dans un plateau d'une balance les travaux de tous les philologues de 1'Europe et dans 1'autre les nötres, ils s'équilibreraient », Saumaise avait répondu, dit-on, négligemment: « On pourrait même, aux leurs, ajouter les vótres. » II n'était bruit a Leyde que de la dispute des deux professeurs : aussi, comme elle faisait scandale, les Curateurs et le Sénat se crurent obligés d'intervenir, le 9 mai 1640, a la suite d'une plainte formulée par Nicolas Heinsius. Les arbitres désignés sont tous Francais, Polyander,«Recteur magnifique », Rivet et Esaïe du Pré, ministre de 1'Eglise wallonne ou francaise de Leyde l. Un accord signé par les deux rivaux, mais en février 1644 seulement, stipule 2: les deux éminents personnages, ornements de 1'Université, s'engagent a ne plus rien publier 1'un contre 1'autre et a ne plus s'attaquer dans leurs écrits. Mais les bbraires hollandais, surtout les Elzévirs, dont 1'un faisait 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, pp. 247-250 2. Ibid., p. 343*, n* 651. 326 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS toujours la navette entre Paris et Leyde, excellaient a inonder rapidement le marché francais de leurs produits, et le livre de Saumaise contre Heinsius en faveur de Balzac1 se vendait encore, en dépit de la signature du compromis. II fallut que les Curateurs achetassent le stock restant a Paris, par rintermédiaire de Jean Elzévir 2, qui dut faire la une bonne petite affaire, d'autant plus que, s'il faut en croire Heinsius, Jean et Bonaventure Elzévir continuèrent a en vendre d'autres a Leyde, sous le manteau. Si Saumaise avait a se plaindre de Leyde, Leyde n'avait pas moins a se plaindre parfois de Saumaise, qu'elle traitait pourtant en enfant gaté. Sans doute, après deux ans de silence, le savant s'était remis au travail et avait donné, en 1638, le De Usuris, son chef-d'oeuvre, qui séduisait d'autant plus les commercants hollandais, soucieux de mettre leur intérêt d'accord, si possible, avec leur conscience, que Saumaise y démontrait que le prêt a intérêt n'était contraire ni au droit naturel ni au droit positif divin. Ce fut une tempête chez les juristes qui, sauf Grotius 3, le taxèrent d'incompétence, et chez les pasteurs, qui 1'accusèrent d'hérésie. « Ce qui fache nos ministres, écrit-il a Dupuy, le 10 mai 1638, est que je monstrcparl'antiquité.quel'usure doit seulement estre deffendue aux ministres de 1'autel et non point au peuple. Ils n'osent dire que c'est ce qui les fait crier, mais en effect c'est la 1'enclouüre.» « Un peu après que mon livre des Usures fust imprimé, dit encore Saumaise, il [le professeur Cunaeus] me vint quereller ceans sur ce que j'avois entrepris de soustenir une opinion qui choquait toute la theologie de ce pays et les decrets des Eghses Belgiques et la prattique d'icelles. Nous en vinmes aux gros mots4... » II reprit la même question dans son De modo usurarum liber, Leyde, 1639, qu'il envoya comme le précédent a Descartes 5. Saumaise se mêle, par son De Coma, a la question des cheveux longs et des perruques, fort agitée vers 1645, surtout dans le monde des pasteurs. II traite des maladies endémiques; il prouve, 1. Epistola D. Saunasii ad Aegidium Menagiam super Herode infanücida, citée Pl25 Broimm^idsche Universiteit, t. II, p. 286 : les Curateurs payent 225 florina pour trois cents exemplaires achetés a Madame du Puis a Paris. 3. Haag, La France protestante, 1" éd., t. IX, p. 164. . 4. Cité par MM. Adam et Tannery, au t. X des (Euvres de Descartes, p. 561. 5. Cf. Ibid., p. 557-558. UN PHILOLOGÜE DU XVIIe SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 327 non sans raison, qu'elles proviennent de 1'air, du climat, de la nourriture et pas de la conjonction des astres j simple conversation avec le ministre de France, en présence d'un singulier aventurier de lettres, Isaac Lapeyrère, et qu'il a rédigée. Enfin, il visera a la haute pohtique, en prenant, plus tard, la défense de Charles Ier contre Cromwell, pour faire sa cour a la princesse Marie, femme du Stathouder Guillaume et fille du malheureux décapité. Toutefois, il se heurte a un redoutable adversaire, Milton, qui opposa a La Defensie regia pro Carolo I sa Défense pour le peuple anglais. « Ces deux ouvrages d'un pédantisme dégoutant sont tombés dans 1'ouhli», déclare Voltaire, qui confond le livre de Saumaise et «Le cri du sang royal contre les parricides de Charles I», de Pierre du Mouhn. Bayle reproche a Saumaise d'avoir défendu d'abord contre le pape les principes républicains et de défendre, quelques années après, contre les rebelles d'Angleterre, les principes aristocratiques. En somme, en ce qui touche les publications, Saumaise, depuis 1638, s'acquittait largement de sa dette envers les Curateurs, mais il n'en était pas tout a fait de même en ce qui concerne la présence a Leyde, qui était la deuxième obligation qu'il avait contractée. Le 18 juillet 1636, les Curateurs et Bourgmestres se voient déja forcés d'écrire a Saumaise è Paris pour lui rappeler qu'ils ne lui ont accordé qu'un congé d'un trimestre a passer en France et qu'ils 1'ont attendu en vain depuis plusieurs mois. II n'est pas possible que les affaires de familie pour lesquelles il a prétendu partir, 1'aient retenu si Iongtemps. Ils ne peuvent croire que Saumaise ait fui la rigueur de leur climat, puisqu'il était guéri grace a Dieu. Quant a la peste qui avait affligé la ville de Leyde, il n'y en avait plus de tracé et, la semaine dernière il n'y avait eu que douze décès, ce qui ne s'était pas produit depuis un siècle. Ils le rappellent sérieusement a son devoir et lui ordonnent de rentrer, au plus tót, a rUniversité \ Mais, craignant d'en avoir trop dit, et d'avoir blessé la délicate et susceptible merveüle, ils ajoutent a la lettre officielle, seule destinée a être montrée, un billet presque tendre,quicommence par des excuses et finit par des conseils de précautions è prendre pour sa précieuse santé. A qui Ia lettre comminatoire était-elle 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 313, n« 621 et 622. 328 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS destinée ? Aux puissants amis qu'il avait dans 1'entourage de la Cour et qui voudraient garder en France, nous 1'avons vu, cette lumière du savoir, avec la secrète arrière-pensée de la mettre sous le boisseau de 1'Egbse Catholique et de la dérober a la R. P. R. L'idée prit corps sous Mazarin. Le Cardinal, désireux de réserver a sa patrie d'adoption toutes les grandeurs, désireux peut-être aussi de voir Saumaise célébrer Son Éminence, ne voulait pas renouveler Terreur ou la négligence d'Henri IV, et lui fait accorder par Louis XIV un brevet de pension de 6.000 livres, daté du 25 septembre 1644 et subordonné a son retour a Paris }. Louis XIV, ou du moins celui qui tient la plume de 1'enfant royal, y ajoute une lettre particulière, qui fut remise a Saumaise par notre chargé d'affaires Brasset, et qui dut faire au savant, un singulier plaisir. Son pays et son Roi lui rendaient enfin le tardif hommage que 1'étranger lui avait depuis longtemps décerné : «Louis, par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre, a nos amez et feaux conseillers.. salut. Estans bien informez que 1'eminente doctrine du sieur Saumaize, Conseiller en nostre Conseil d'Estat et sa singuliere érudition en toutes sortes de sciences, joinctes aux belles qualitez qui accompaignent ordinairement ceux qui ont de si grandes lumieres d'esprit, 1'ont faict rechercher par divers princes et republiques, pour servir d'ornement a leurs estats et rendre plus illustres par la demeure qu'y feroit un si grand personnage, Nous avons estimé a propos le dict sieur de Saumaise, estant nay nostre sujet d'ancienne et noble race de nostre duché deBourgoigne, de 1'appelier de la ville et université de Leyden en Hollande, oü il est depuis plusieurs années en grande consideration en la place de defunct Sieur de 1'Escale, et lui. donner moyen dans notre royaume et parmy les siens, de produire avec repos et tranquillité d'esprit, ce que ses longues et laborieuses estudes luy peuvent fournir de plus rare et de plus exquis. Pour ces considerations, de 1'ad vis de la Reyne Regente, nostre trés honorée dame et mère, avons, par ces presentes signées de nostre main, accordé et accordons au dict Sieur de Saumaize la somme de six mil livres de pension par chacun an... Donné a Fontainebleau le treziesme jour de septembre, 1'an de grace 1644, et de nostre reigne le deuxième. » 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, pp. 289 et 346*, n" 655 et 656. UN PHILOLOGÜE DU XVIIe SIÈCLE I CLAUDE SAUMAISE 329 La lettre particuliere a laquelle nous faisions allusion est ainsi concue : « Après avoir esté informé des bonnes qualitez que vous possedez, de vostre grande cognoissance et lumière extraordinaire en toutes sortes de sciences et de la glorieuse reputation que vous avez acquise dans 1'université de Leyden, oü vous avez souvent faict paroistre les talents da votre esprit. Je me suis facilement engagé a une affection particulière pour vostre personne et a vous escrire cille-cy..., pour vous dire que vous ayez, incontinent après que vous 1'aurez receüe, a venir icy recueillir les fruicts de 1'estime que je fais de vostre vertu... Vous aurez donc, en vous retirant, a vous separer des Srs. les Estats Generaux des Provinces-Unies avec quelque bienseance, puisque vous avez long temps travaillé dans leur université si celebre et que vous ne les quictez que pour retourner en vostre patria, oü vous devez croire que vous aurez toute sorte de satisfaction... Escrit a Paris le 4 novembre 1644 l. » Saumaise s'empressa de montrer ces lettres aux Curateurs, tant pour s'en targuer auprès d'eux et leur prouver le cas qu'on faisait de lui dans son pays que pour en battre monnaie et se faire accorder une augmentation, qui ne lui fut d'ailleurs pas refusée. Le Prince d'Orange, consulté a ce sujet2, déclare qu'il est incompatible avec 1'honneur et 1'intérêt de 1'Université de laisser partir pour la France un tel personnage et qu'il fallait essayer de le ratenir par tous les moyens, sans s'arrêter a la dépense. Aorès une entrevue avec Saumaise, Weveiinchoven propose, h 15 novembre, d'augmenterle savant, de 1.000 florins ce qui la met a 3.000. C'est après eet accord, et comme pour couper les ponts, qu'il publie son De Primatu Papae (1645), qui rendait désormais son retour impossible, bien que le Cardinal Mazarin refusat d'éCouter las plaintes portées contre eet ouvrage par le clergé de Franc 3 d avant le Parlement de Paris. Une nouvelle entreprise allait essayer de détacher Saumaise de la Hollande. Elle venait de la Sémiramis du Nord, de celle que tous las écrivains francais accablaient de leurs flatteries, car rien ne les séduisait davantage qu'une reine qu'ils imaginaient belle, trónant dans un lointain septentrion. Elle avait attiré Descartes, qui en devait mourir, mais cette Sirène était une 2. Tb°™,ep.^itChe Unioersiteil>l' lI> PP- 346* et 347*, n°» 655 et 656 330 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS ogresse et voulait une nouvelle proie, non moins ülustre : elle choisit Saumaise. Le 8 février 1650, trois jours avant la mort de Descartes, les Curateurs délibèrent sur la permission que demande Saumaise de répondre a 1'invitation de Christine, ce qu'ils lui accordent pour la durée de six mois. II tira même une traite sur son traitement d'absence en faveur d'Adrien Pla, commercant a Leyde1. Saumaise se mettra en route en juillet. Peu de temps auparavant, il avait diné avec Constantin Huygens, qui le raconte au grand Corneille après avoir recu le Don Sanche, précédé de la flatteuse dédicace bien connue. II n'est pas de document qui nous introduise mieux dans la société littéraire franco-hollandaise du temps, que cette lettre, datée du 5 octobre 1650 2 : « Nous disnames ensemble en bon lieu, tost après que vostre pacquet m'eust esté rendu et comme donc ce premier point fut vuidé, il [Saumaise] leüt vostre epistre imprimée et s'engagea soudainement a maintenir que la qualité des Actions faict la Tragédie et non pas le subject, qui souvent se trouve peu ou point funeste dans des Poèmes que les anciens n'ont pas laissé de nommer Tragiques, a raison du cothurne de leurs personnages. La chose ne se passa point sans debat, car toute la compagnie estoit lettrée, mais enfin ce grand homme ne scauroit se resoudre a se demettre de la possession de vaincre et regner partout. » « Tost après, il partit pour Suède et se troüva lors mesme dans 1'embaras des preparatifs pour un si grand voyage. C'est ce qui me le fit espargner, mais, sans ceste consideration, vous en eüssiez veü un bien ample discours de sa main, qui ne [lui] eust guères plus cousté qu'une lettre de six lignes, car sa liberalité le porte d'ordinaire a des reparties au centuple, ce que je scay de beaucoup d'experience. Encor, Monsieur, vous en feray-je taster, si vous le desirez, a son retour, duquel cependant nous n'avons pas toute la plus forte esperance, considerant la rigueur du climat oü il va et la foiblesse de son pauvre petit corps goutteux 3. » Pour pénétrer dans 1'intérieur de Saumaise, il faut joindre a 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, pp. 41, 57-58. 2. Worp, Lettres du Seigneur de Zuglichem ó Pierre Corneille, Paris et Groningue, 1890, pp. 9 et 10. 3. Le Supplément du Menagiana, Ms. fr. 23254 de la Bibliothèque Nationale, dit: «Mr de Saumaise aimoit un peu Ie bon vin et c'est ce qui lui causa la goüte. M. le Planche XXXIII a. UN PHILOLOGÜE DU XVII» SIÈCLE : CLAUD-E SAUMAISE 331 ce récit eelui de Sorbière \ qui le fréquenta beaucoup dans les années qui précédèrent le départ pour la Suède : « J'ai eu le bonheur de converser deux ans assez familierement avec feu Monsieur de Saumaise de qui j'étois voisin a Leyden, oü je pratiquois la Médecine. Je le visitois reglement, deux fois la semalne, et je merendois chez lui particulierement le Dimanche, au sortir du diner, paree qu'il n'alloit pas au Prêche du soir et qu'ainsi nous demeurions seute deux ou trois heures, après quoi j'étois bien aise de voir la compagnie qui y arrivoit. « II s'y formoit un cercle de quinze ou vingt personnes de remarque, telles qu'étoient Messieurs 1'Empereur, de Laët, Golius, etc. Et il y avoit beaucoup de plaisir et de profit en ces conversations. Nous étions la plu-part du tems a 1'entour d'un grand feu, dont il occupoit un coin et Madame de Saumaise tenoit 1'autre, se mélant dans tous nos discours et ne permettant point qu'aucun se retirat sans avoir recü quelque trait de sa raillerie... «Je puis donc dire, après avoir tant étudié Mr. de Saumaise, que je l'admirois autant dans ses familiers entretiens que dans ses livres. II paraissoit fort froid et ne se produisoit point avec empressenemt. II y avoit même de la peine a le faire parler: mais, lorsqu'il étoit en train, il faisoit paroltre une grande fecondité de pensée et une vaste érudition. Jë me souviens d'y avoir amené un gentilhomme Francois, qui ne 1'avoit jamais vu ; en y allant, nous nous proposames de Ie faire parler de la chasse : nous le mimes sur ce discours la et mon ami, en revenant, me dit qu'un vieux veneur, tel qu'il étoit, n'en eüt pas scü discourir plus pertinemment. II étoit fort étonné d'oü un homme de cabinet et de manuscrits et d'ailleurs si mal a cheval, en avoit peü tant aprendre, car il ne parloit pas tant seulement de ce qu'il avoit lü dans les Auteurs, mais de ce que 1'on ne peut scavoir qu'après avoir battu beaucoup de païs et fait mourir force gibier. « La conversation étoit souvent infestée (pour me servir d'un terme qui exprime le dépit que nous en avions) par un Professeur en Pnilosophie. nommé David 2 Stuard, Ecossois, qui contredisoit maussadement a la plupart des choses qui y étoient avancées et ce tousseux nous faisoit beaucoup perdre de 1'entretien de Mr de Saumaise, auquel nous nous plaignions de ce qu'ü ne rembarroit pas assez ce réveur, lui qui avoit accoutumé de poursuivre a outrance dans ses livres ceux qui osoient lui resister. » Un an après son départ, le 15 juillet 1651, il n'est pas encore rentré au bercail 3 et Christine de Suède, par une lettre datée du 31 raai *, a demandé qu'on lui laissat eet homme dont 1'inté- Cardinal de Richelieu lui ayant envoyé d'excellent vin, aussi bien qu'a un autre scavant, pour boire a sa Santé, on 1'avertit que, s'il en büvoit, il auroit la goüte. U ditqu il aimoit mieux avoir la goüte que de ne point boire de«e bon vin la. »• 1. Sorberiana, déja cité, pp. 192 a 194. 2. II s'appelait en réalité Adam Stuart. David est son fils, devenu docteur en pnilosophie, le 2 oct. 1646 (cf. Bronnen, II, p. 302). 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 57. J'ai fait photographier aux Archives de Stockholm le contrat d'engagement de Saumaise et le publierai ultérieurement 4. Ibid., p. 21*, n° 680. 332 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS grité, les travaux littéraires et la connaissance approfondie de toutes choses, autant que des dons singuliers, recommandent de tant de manières. L'argument qu'emploie Christine est bien mauvais : elle n'a pu profiter de lui autant qu'elle 1'aurait voulu, a cause de la mauvaise santé dont il avait été affligé ■depuis son arrivée. L'air de la Suède était beaucoup plus nuisible a nos grands hommes que celui de la Hollande, mais Christine, qui avait déjè tué Descartes en le forcant a la venir entretenir de grand matin, ne s'en souciait guère, pourvu que sa Cour et par conséquent elle-même, vissent accroïtre leur éclat par la présence « du citoyen le plus honoré de la république des lettres 1». Le 18 juillet 1651, les Curateurs répondent qu'ils supporteraient aussi difficilement de priver le monde de 1'Astre du jour que leur Académie de ce « Musarum sacrario ». Or il y a déja, non pas six mois, mais un an, que 1'Université et 1'Eglise sont privées de ce soleil dont elle veulent être illuminées e,t réchauffées. On espère donc que la reine permettra qu'avant 1'hiver, Saumaise ait regagné son poste. . Ce ne devait pas être pour longtemps : comme è Descartes, la Suède lui avait glacé le sang. II ne fit plus que végéter : « Je n'ouvre plus un livre que je n'y sois forcé»2, mauvais signe chez ce livresque qui écrivait sur le tissage d'après les auteurs anciens sans s'aviser des métiers de Leyde. II partit pour Spa, comme Juste Lipse, jadis, mais il n'en devait point revenir. II y mourut, le 3 septembre 1653; son corps fut transporté a Maestricht, oü il futinhumé dans 1'Eglise francaise 3. M. Fairon, 1'archiviste de Liège, n'a pu découvrir les traces de son décès et M. Flament, 1'archiviste de Maestricht, n'a pu retrouver sa tombe. Ainsi, d'un si grand nom il ne reste même plus, comme pour Scaliger, sur la terre hollandaise, une dalle brisée. Le 4 octobre 1653 4, le Sénat exprima ses condoléances a la 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 21*, n° 6S0. 2. Haag, La France protestante, lre éd., t. IX, p. 161. 3. Cf. van der Aa, Biogr. Woordenboek. 4. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 71. Mon éminent collègue de 1'Université de Strasbourg, M. F. Baldensperger, veut bien me commnniquer la lettre de Christine de Suède a la veuve de Saumaise, par lui copiée aux Archives de Stockholm (Biographiska S.). La reine lui reproche la destruction des manuscrits du grand homme qu'elle a < ai mé comme un Père» et lui promet cependant d'avoir soin de son fils. Sur ce dernier et ses déportements j'ai trouvé un dossier intéressant a la Bibliothèque de 1'Université d'Utrecht. Je possède aussi la photographie de toutes les lettres de Saumaise a Boulliaud qui se trouvent a la Bibl. de Vienne (Autriche). UN PHILOLOGÜE DU XVII6 SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 33a veuve qui, se préparant a rentrer en France, obtint des Curateurs 3.000 florins de viatique. Le conseil du bibliothécaire Thysius *, estimant que 1'intérêt et 1'honneur de 1'Université commandaient de racheter les manuscrits orientaux et les livres annotés du défunt, ne semble pas avoir été suivi. Beaucoup ont vu passer le nom de Salmasius et des générations de professeurs et d'étudiants hollandais ont contemplé son portrait a 1'Université, sans reconnaitre, sous 1'universelle terminaison latine, le nom d'un grand savant francais. Un trudit allemand, dans un ouvrage publié en 1915, se trompait, involontairement sans doute, en écrivant : « die Schriften des Hollaenders Saumaise»2. Pour moi, je n'ai jamais pu le contempler sans un affectueux respect dans la salie de la Faculté des Lettres d'Amsterdam, oü je siégeais avec mes collègues hollandais : son portrait (cf. pl, XXXII) était accroché au mur, en face de celui de Scahger, avec lequel il voisine aussi dans la salie du Sénat de 1'Université de Leyde : la figure est ravagée et anguleuse, les méplats saillants, le regard ironique, la bouche dédaigneuse. Les professeurs de philologie classique d'aujourd'hui ne les reg'ardent pas, ces glorieux ancêtres francais de la science hollandaise. Le perfectionnement de leurs méthodes critiques, autorisent jusqu'a un certain point ce dédain, mais si, de leur part, il est un peu injuste, de la notre il serait coupable, et nous n'avons pas le droit de laisser tomber dans 1'oubli aucun des titres de noblesse et de gloire de Ia science francaise et de 1'esprit francais. 1. Md., pp. 79, 87, 88, 90 ; p. 69», une lettre de Clément, Hls du pasteur wallon de Zienczee, sur ces manuscrits. Clément, 1'éditeur du premier tome (seul paru) des Lettres de Saumaise, Claudii Salmasii viri maximi Epistolarum iiber primus, accedunt de laudibus et vitae ejusdem prolegomena accurante Antenio Clementio, Levde Aar. Wyngaerden, 1656, 1 vol. in-4», est immatriculé a Leyde le 17 mai 1656 • il mourut en 1657. La maison de Thysius et sa belle bibliothèque existsnt encore au Rapenburg. H. Sieveking : Grundzitge der neueren Wirtschaftsgeschichle oom 17 Jhd bis zur Gegenwarl, Leipzig. Teubner, 1915, 2«édiÜon,p. 10 (Extrait du « Grundriss der Gescluchtsivissenschaft hsgg. v. Aloys Meister). CHAPITRE XV Du Ban et les origines du cartésianisme a l'université de leyde II convient, afin d'être complet, de mentionner encore, brièvement, pour cette période de 1633 a 1653, en dehors de Polyander, quelques maitres ou lecteurs francais de pnilosophie ou d'éloquence, dont le principal est Francois du Ban, né a Autun vers 1592, qui avait enseigné a l'université de Ponta-Mousson et aux colléges de la Flèche, de Reims et de Mo'ulins. II fut, a la Flèche, un des professeurs de Descartes, mais le maitre s'en souvint mieux que 1'élève. A Paris, il se convertit au protestantisme et, sur la recommandation du Comte de Lansberg, devint précepteur des enfants du « Roi d'un hiver», comme on dit en Hollande, c'est-a-dire de 1'Electeur palatin, roi de Bohème. La Hollande est aussi un refuge de princes en exil. Du Ban est inscrit comme étudiant en théologie a 1'Université de Leyde, le 1« février 1630 et eut 1'honneur d'être candidat contre Reneri, 1'élève et 1'ami de Descartes, a 1'Université d'Utrecht, quatre ans plus tard. II ne fut pas choisi. Van Baerle et Vossius le recommandèrent de nouveau, cette fois a Leyde, et, le 21 aoüt 1635 \ les Curateurs et Bourgmestres lui permettent d'enseigner la logique jusqu'au 8 novembre, a titre d'épreuve, épreuve qu'ils prolongent d'un an au-dela de cette date, en lui accordant le titre de Professeur de Logique 2 et un traitement de 400 florins avec le droit de présider les soutenances de thèses en cette matière. Toutefois, ce n'est que le 11 aoüt 1636 3 qu'il fut nommé définitivement professeur extraordinaire de logique au traitement de 500 florins, plus 100 florins d'indemnité, ce qui ne 1. Bronnen Leidsche universiteit, t. II d 197 2. Ibid., t. II, p. 199. 3. Ibid., p. 204. 336 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS 1'empêche pas, cela se comprend, d'être cousu de dettes 1. Le Recteur, qui tenait, semble-t-il, a mériter son titre de magniflque, propose de lui accorder 1.000florins pour les payer. Afin de rafïermir sa situation, les Curateurs et Bourgmestres lui accordent, a sa demande, le 9 février 1638,1'enseignement de la Physique, selon Aristote bien entendu, avec un traitement de 400 florins. En 1639, du Ban est admis a tous les examens, disputes et soutenances des candidats au baccalauréat ou a la licence de philosophie; mais du Ban a gagné son jeune collègue Heereboord a la philosophie cartésienne et tous deux se voient invités a faire désormais leurs lecons, selon le texte d'Aristote. Du Ban semble s'inchner puisque, d'accord avec Triglandius, Schotanus, Heinsius, 1'Empereur, Heereboord et le Becteur Heurnius, il établit le programme2 de 1'enseignement de la philosophie, daté du 8 aoüt 1641. Descartes a, depuis quatre ans, publié a Leyde même son Discours de la Méthode, mais il semble que ce soit en vain, puisque le dit programme commence comme suit : « Que le précepte général soit celui-ci, que le texte lui-même d'Aristote soit lu avant toute chose et exphqué littéralement et qu'Aristote soit commenté par Aristote, ainsi que par ses interprètes anciens, les grecs surtout. » Donc ce dernier, en 1641, est encore le philosophe unique, le divin péripatéticien. Le progrès relativement au moyen-age, le résultat des conquêtes du xvie siècle est seulement qu'on recourt au texte grec même et non a une traduction latine ou a des commentateurs : progrès parallèle a celui que Doneau a fait faire aux études juridiques. II est même interdit au maitre de se servir des vocables dela scolastique etil est prescritde n'enseigner la philosophie qu'en pur latin 3, mais les Curateurs ne peuvent concevoir d'autre base a la philosophie que 1'ceuvre d'Aristote; il reste la somme et la quintessence de toute doctrine. Encore, si 1'on n'en tirait que les Logicae et les Ethicae Praelectiones, mais c'est aussi de lui que 1'on apprend la physique et voila pourquoi du Ban peut passer d'une chaire de logique et de morale a une chaire de physique, comme fit du Mouhn, alors que c'est 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. ÏI, p. 216. 2. Ibid., p. 259 a 260 et p. 331*, n» 639. 3. Ibid., p. 333* : « In praelectionibus nulla barbara vocabula scholastica, artisque termini monstrosi usurpentur, ut que puro sermone Latino Philosopbia tradatur. » ORIGINES DU CARTÉSIANISME A LEYDE 337 le contraire qui pourrait seul, k la rigueur, se produire auiourd'hui. J Rien d'étonnant donc si Descartes rencontre dans les milieux universitaires de Leyde, comme dans ceux d'Utrecht, une violente et farouche opposition dont nous reparlerons au livre III; mais c'est en vain qu'on cherche a entraver la vérité nouvelle] du Ban fait encore soutenir des thèses cartésiehnes le 23 mars 1643 \ Sa mort, survenue au mois de mai, ne fut pas celle du Cartésianisme, auquel la nomination de 1'Ecossais Adam Stuart, dont nous a parlé Sorbière et celle du théologien genevois Spanheim, ami da Rivet, devaient, dans 1'esprit des Curateurs, opposer une barrière. Stuart avait professé longtemps a 1'Académie de Sedan et se servait du francais, d'ailleurs assez mal, dans sa correspondance avec les Curateurs 2. Disons un mot, pour finir, de seigneurs de moindre vakur • les nommés Pierre Jarrige et Jean Botté, tous deux apostats. On attachait aux apostats une énorme importance, car leur conversion était un témoignage de la vitahté et de la force attractive des Eghses réformées. De plus on se souvenait que tant des mailleurs prédicants du xvi« siècle avaient été des moines suivant 1'exemple de Luther. Aussi leur faisait-on bon accueil et les Articles synodaux mentionnent les secours qu'on leur accorde : Synode de Flessingue, septembre 1644 3, art. 22 : « A Jehan Botté, ont esté accordés, pour la dernière' fois, 30 florins»; Synode de Middelbourg, septembre 1648, art. 9 :'«Le S' Pierre Jarrige, cy-devant Jésuite, profès du 4™e vceu et prédicateur-, s'estant presenté en ce Synode..., la Compagnie, ayant esgard aux bons tesmoignages et recommandations de' 1'Eglise de Leyde et de quelques doctes et signalés personnages et aux dons que Dieu luy a despartis, déclare luy accorder dispense..., etc. » Dans les Bronnen, le nom de Botté apparaït souvent a partir de 1643, sous la forme de Johannes Bottesius, de Grandville, naguère Docteur et professeur de théologie dans 1'ordre deè 1. Cf. la notice de de Waard dans Nederl. Biogr. Woordenboek t III n pU179,e80Ole 3 Slegenbeek' l' 149' 153! n> 121> 269i eï ffi™ debescaïïés, l IV, t TT^or?^^"' *' ft* 17*' n/674- 11 avait éte aPPele ^ 1644 ; cf ibid t. II, p. 287 ; Spanheim avait été nommé en 1642. 3. Lwre Synodal, pp. 479 et 484. 22 333 PROFESSEURS 'ET^ ÉTUDIANTS 'FRANCAIS Dominicains *), A la date du 17 novembre 1643, tes Curateurs et Bourgmestres lui conf èrent la ücence de présider a des « disputations »sur dessujets de, logique, mais nonl'autorisation de faire des cours, a condition que le dit Bottesius se maintiendra dans les limites dela philosophie d'Aristote, recuedans cette Académie, sans introduire de « nouvelletés » quelconques, a quoi le Sénat aura a veiller. Ceciest contre Descartes avec qui Botté est en rapport, nous le verrons plus loin. Du Ban mort, on se mêfie de la sympathie des Francais pour leur compatriote. Au reste, cette autorisation est toute provisoire et ne donnera a Botté aucun droit a prétendre a.une chaire. II recoit cinquante florins pour son livre Disputation.es Logicae. Par décision du 23 aoüt 1644 2, il est maintenu jusqu'a 1'arrivée du professeur Adam Stuart, a qui on en référera* L'avis de ce dernier fut sans doute défavorable, puisque, le 8 février 1646, les Curateurs et Bourgmestres repoussent une nouvelle requête de Botté, mais il fut admis a, nouveau a professer pendant un an, après une interventiön de Saumaise en. sa faveur, le 25 mai 3. Quant a 1'ancien jésuite Pierre Jarrige, converti a « la vraierehgion chrétienne de 1'Eglise réformée », les « Gecommiteerde Raden » ou Commission permanente des Etats de Hollande, ont décidé de pourvoir è son entretien, par Résolution du 28 juin 1648, jusqu'a ce qu'il ait trouvé une situation et le recommandent è la sollieitude des Églises francaises de Hollande et de 1'Université de Leyde 4. Celle-ci 1'autorise a apprendre la rhétorique a la jeunesse en des cours privés, mais lui défend de faire un discours public sur son livre contre les Jésuites. Toutefois, on lui accorda de parler pubhquement de tout sujet qui ne touchera ni a la politique ni a 1'Etat. L'épreuve fut assez concluante pour que, le 15 novembre 1649, les Curateurs et Bourgmestres lui permissent d'enseigner 1'éloquence, dans ramphithéatre de philosophie, deux fois par semaine 6, le mercredi et le samedi, entrant ainsi en concurrence avec Antoine Thysius le fils, professeur extraordinaire de poésie, a qui une 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 279 : « Joh. Bottesius de GrandiviUa, quondam in ordine Dominicauorum Theologiae ac philosophiae doctor et professor.» 2. Ibid., p. 288. 3. Ibid., p. 305. 4. Ibid., t. III, p. 22. 5. Ibid., t. III, pp. 30 et 31. ORIGINES DU CARTÉSIANISME A LEYDE 339 tache analogue est confiée. On sait que Jarrige rentraplus tard dans le sein de 1'Eglise catholique après une deuxième apostasie, non moins retentissante que la première, mais peut-être plus avantageuse. Je ne dirai rien du Lyonnais Pierre La Mole, inscrit le 7 juin 1636, at qui enseigne le francais aux étudiants, ni de 1'ancien acteur Antoine de La Barre, autorisé a faire deux fois par semaine un cours public de francais dans une salie dépendant de 1'Université, et ce malgré 1'opposition des théologiens, mon ancien élève, M. Riemens ayant longuement parlé d'eux dans son Esqnisse historique de 1'enseignement du irancais aux Pays-Bas *. % voÏÏn-i"dplL°Ct0rat dC rUniversit« Paris, déja citée ; Leyde, Sijthofl 1919, CHAPITRE XVI ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE DE 1616 A 1648 II nous reste a examiner le mouvement des étudiants francais pour la période allant de 1616 a la paix de Westphalie en 1648. Sous le recteur Guillaume Coddaeus, en 1616,15 inscriptions, dont celle du Parisien Jacques Bigot et de 1'Orléanais Gilles Jove, se répartissant comme suit : six étudiants en théologie, six en droit, deux en lettres, un en médecine ; on voit donc que les théologiens ne sont pas majorité. A cóté d'eux, il faut noter le Beige Henricus Reneri, inscrit le 15 mars 1616 : il sera plus tard le disciple et 1'ami de Descartes. En 1617, même nombre; un nom a retenir:«Albertus Gerardus Metensis», 22 ans, Math., immatriculé le 28 avril. C'est le célèbre Girard de Saint-Mihiel1 qui, avec Simon du Chesne, de Dóle, professeur de mathématiques è Delft, Alleaume et David d'Orléans, ingénieurs au service de Maurice, représente dignement la mathématique francaise aux Pays-Bas2, a la fin du xvie siècle et au commencement du xvn«, avant Descartes. Le même Albert Girard, i Samielois », revise VArithmétique de Simon Stévin (Leyde, Elzévir, 1625). Constantin Huygens, dans une lettre è Golius s, datée de décembre 1629, 1'appelle : « Vir stupendus Albertus Girardus » et ce Gohus, un des correspondants de Descartes, entretenait avec Girard desrapports suivis. Celui-ci étudiait les lois de la réfraction, un des pro- }'-Xoiï/ur lni ta notice de de Waard dans Nieuw Biogr. Wdb., L II. col. 477 s qui «te Hagers Bouwstoffen et Dannreuther (H), Le Mathématicien Albert Girard 2. Notons en passant, pour conférer le passé au présent, qu'elle est représentée iLu PJonrd'hui par mi des plus distingués mathématiciens de la jeune éQO e{ ^?e?10J' "PP*** en 1917 al Université d'Utrecht, et qui y enseigne en francais la théorie des fonctions. 3 CU!,clëne en iran- 3. CS. Korteweg, Descartes et les Manuscrits de SheUius, Revue de MélaDh'jsiouc et de morale, juillet 1896, p. 10 du tirage a part. meiapnjsiquc 342 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS blèmes qui préoccupèrent le plus le philosophe francais, au début de son séjour en Hollande. Suivant les fiches wallonnes de Leyde, Girard pubhe ses bans a Amsterdam, le 12 avril 1614, au moment d'épouser Suzanne des Nouettes, agée de 18 ans. Lui, en a 19 et se donne pour joueur de luth, habitant derrière la Halle; la muSique, étant fondée sur le nombre, a eu toujours une singuhère attraction sur les mathématiciens. Le 5 février 1615, il est encore a Amsterdam, oü il fait baptiser, ala Vieille Eglise, son fils Daniël. C'est donc en 1617 qu'il s'est établi a Leyde, et c'est la qu'il fait baptiser sa fille Marie a 1'Eglise SaintPierre, le 15 juillet. Après avoir réédité la Fortification de Marolois (1627) \ il assiste au siège de Bois-le-Duc, avec Henri de Bergaigne, a qui il dédie son Inoerdion nouvelle en Algèbre (Amsterdam, 1629) 2. II songe a un Traité de Voptique, sans oublier les réfractions, mais il a de la peine a réahser ses projets, « estant en pays estrange, sans Maecenas et non sans perte », et il pense aussi a un traité de musique. L'identité de son plan de recherches avec celui de Descartes est frappante. « Obüt heu 1 Alb. Girardus, vir incomparabilis », note Huygens dans son Dagboek 3. II est enterré a La Haye, le 11 décembre 1632, dans la Groote Kerk sous le nom de «Monsieur Albert, ingénieur». II «n'a laissé qu'une bonne réputation, écrit sa femme, d?avoir fidèlement servi et employé tout son temps a la recherche des plus beaux secrets des mathématiques. » Le regretté Paul Tannery écrit a son sujet 4 : « Elève et successeur de Stévin, Girard, dans son Invention nouvelle en Algèbre (1629), exposé nettement la composition des coefficients d'une équation algébrique en fonction des racines. II donne également, le premier, la mesure de la surface des triangles et polygones sphériques d'après la mesure de leurs angles. », Pour 1618, une douzaine d'immatriculations nouvelles, dont une remarquable, celle de«Fridéricus Tremolius, com. Lavalli, natus Thouarei, 15, P.», c'est-a-dire de la Trémoïlle, comte de ï. Samuel Marollois ou Marlois était né dans les Pays-Bas du Nord vere 1572,., et mourut a La Haye avant 1637 (cf. Nieuw Ned. Biogr. Wbd~ t. II). U est 1 auteur de: Fortificatiën ou architecture militaire, tant offensive que deffenswe, La Haye, 1615. 2. Lettres de Peiresc, t. IV, p. 201. 3. Cité dans (Euvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, L XII, p. . i . 4. Les Sciences en Europe (1559-1648), dans E. Lavisse et A. Rambaud, Histoire Génerale... Paris, Colin, in 8« t. V (1895), p. 471. A L'.UNïVERSCrÉ DE LEYDE DE 1616 A 1648 343 Laval,. 1'élève de Rivet, Je petit-fils du Taciturne, le futur prince^ de Tarente. . Les troubles de 1'année 1619, marqués par 1'abominable exécution d'Oldenbaraeveldt, n'amènent pas une diminution des Francais, qui seront 14 : a signaler, un groupe de deux jeunes gens, Jean-Antoine de Couvert et son frère Arthur, jumeauix de 20 ans, accompagnés deleur «ephorus» ou précepteur, Michel du Roy, agé de 24 ans et de leur domestique, Carohas Le Fevre. Nombreuses restent d'ailleurs les inscriptions de domestiques et souvent ceux-ci servent des nobles de Lusace ou de laMarche.deBrandebourg : ne méprisons pas ces modestes agents de 1'influence francaise. L'arrivée de Rivet en 1620, fait affluer les étudiants francais, comme les.Curateurs 1'avaient prévu. Autour de lui, se groupent 28 inscriptions nouvelles, en y comprenant celle de ses deux nis, Samuel et Claude. Lë plus étonnant, c'est qu'avec lui, semble être arrivé son fameux adversaire de plus tard, Amyraut, porté le 16 octobre, comme « Moses Admiraldus, Andegavensis' 23 ans, T.1» On s'étonne moins.de voir apparaitre, le 28 novembre, « Johannes Dailleus, Picto, 27, T. », qui est le prédicateur Jean Daillé * que nous avons vu vanter plus haut et enfin Samuel Bochard3, de Rouen, 21 ans, plus tard membre de 1'Académie de Caen et auteur de la fimeuse Géographie sacrée (1646), homme d'un génie divin, selon Casaubon le jeune. Samuel Bochard est inscrit pour la théologie 4 également, toutefois il est bon de remarquer que, sur ces 28 immatrieulations de 1620, il y en a a peine une dizaine pour cette branche: il est vrai que parmi elles, il est au moins trois noms qui seront célèbres, Amyraut, Daillé et Bochard, mais ceci montre une fois de plus qu'il ne faut pas exagérer le röle de la religion dans 1'anrax ' des Francais aux Pays-Bas. Pour 1621, on saute brusquement k 49 inscriptions nouvelles : le chiffre de 1'année d'arrivée de Scahger (1593 : 37) est largement dépassé. Peut*être 1 expédition de Louis XIII dans le Sud-Ouest, marquée notamment par la prise de Saumur et la L Cette inscripüon semble avoir échappé a M. Bordier qui n'en fait nas mention n«-fta T?* S"Ariraut (Haa8' La V™* Protestante^' 6dJ t^X^S.'ïgS s) U otar^ MfA?""1"^?1' eaTouraine, au mois de Septembre 1596. 2. Daülé était né a ChateTlerault, le6 janvier 1594 (Haag, op. cit., 2" éd t V col 33 et s.), voir aussi plus haut, p. 307. ' ' 3. U étatt né è Bouen te10 mai 159». CS. Haag, op. cit., 2' éd., t. II, col 649 et s 4. n soutint une these De Idolatria, qui parut k Leyde en 16WV 344 PROFESSEURS- ET ÉTUDIANTS FRANCAIS fermeture momentanée de son Académie, en est-elle cause, car les étudiants de La Rochelle, par exemple, ne sont pas moins de quinze, dont un groupe de cinq, le même jour, mais rïnfluence de Rivet y est certainement pour une plus grande part. Les Saintongeais aussi continuent a être nombreux : 1'un d'eux a un nom dans 1'histoire, c'est « Benjaminus Pritolaus, Xanto S. Angeliacus, 20. T. », 19 mai, et qui est Benjamin Priolo, de SaintAngely, en Saintonge. Beaucoup d'autres Francais m'échappent sous la forme latine donnée a leur nom. Les inscriptions de 1622 s'élèvent encore è 42 : Comme les étudiants de 1'année précédente ont du rester, cela fait peutêtre prés d'une centaine d'étudiants francais présents a Leyde, cette année-la. Maximihen du Maurier, de Paris, est inscrit comme étudiant de lettres, a 14 ans, le 9 avril: c'est le fils de notre ambassadeur a La Haye; 1'année suivante, le 28 février, son frère, le futur écrivain, Louis Aubéry du Maurier, imite son exemple a 12 ans. Tous deux ont pour précepteur le Benjamin Priolo, dont nous venons de parler. Je ne sais qui est Isaac de Sainct-Mars, Normand, inscrit, le 6 aoüt. Quant a Francois et Philippe de Jaucourt, Bourguignons de 14 et 11 ans, ils doivent appartenir a une familie qui donna d'illustres représentants au Befu ge de 1685. II y a encore 30 immatriculations nouvelles en 1623. Est-ce pour cela que Louis XIII défendit, a cette date, d'envoyer les jeunes candidats au saint ministère faire leurs études hors du royaume ? Aussi le chiffre s'abaisse-t-il a 22 pour 1'année suivante, parmi ïesquelles il n'y a que cinq théologiens. Deux gentilshommes sont mentionnés sans que leurs études, peut-être assez vagues, soient précisées : Jean Frotier, Sr de La Rochette et Pontius de Besque, Sr de Montmarnes, tous deux agés de 27 ans1. Pierre du Mouhn, Parisien, 23 ans, inscrit le 5 mai 1624 a la Faculté de théologie, est le fils de 1'ancien professeur de 1'Université de Leyde ; aussi est-il dispensé de droits. Sous le rectorat de Walaeus, en 1625, 10 inscriptions seulement, mais une importante, celle de Samuel des Marets, Picard, 26 ans, candidat en théologie (19 juin),futur professeur de 1'Université de Groningue, de 1642 a 1673, qui devient docteur dès le 8 juillet 2.1626 : relèvement a 16, parmi lesquels je ne compte 1. Notons aussi Francois Passavant, de Bfile, étudiant en théologie, de 21 ans. 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 120. a l'université de leyde de 1616 a 1648 345 pas un Toussain Dormieux, indiqué comme étant de Francfort et qui pourrait être Francais ainsi que beaucoup d'autres étudiants aux noms a consonnance francaise, venant de Hollande ou d'AUemagne. L'année 1627 est celle du quatrième rectorat de Polyander : 22 immatriculations environ, dont celles de deux fils de Pierre du Moulin, Louis, étudiant en médecine de 21 ans, qui deviendra docteur le 23 janvier 1630 \ et Théophile, qui a 20 ans et étudie les mathématiques (inscrit le 12 janvier 1628). 1628 : environ 27 Francais, parmi lesquels Francois de Buisson, de Metz, étudie les mathématiques. t Jacobus Moyzantius Cadomensis, 18 J.», 26 aoüt, ne nous frapperait pas, si nous ne nous avisions que c'est Moysan de Brieux, fondateur de 1'Académie de Caen, un des plus brillants poètes latins du xvii" siècle 2 et dont un descendant du même nom, gendre de du Bosc, passera en Hollande au Refuge. ^ 1629 : 23 inscriptions nouvelles, dont celle, le 13 octobre, d' «Henricus Reigneri, Leodiensis», 36 ans, «M. Art. Mag.», qui est eet ami et disciple de Descartes que nous avons vu déja a la date du 15 mars 1616. II n'y a pas moins de 6 inscriptions francaises dans cette année 1629, a 1'Université, pour les mathématiques, en attendant celle de« Renatus Descartus, Picto, 33,Math.», immatriculé le 27 juin 1630, dont on ne lit pas le nom sans émötion dans l'Album Studiosorum. II y a encore cinq autres étudiants francais de mathématique autour de lui, notamment Paul La Grange et Henri Cohn, de Metz, 21 et 20 ans, et Petrus Bordier, au total 22 immatriculations nouvelles. Un peu après le nom de Descartes, on voit, a la date du 24 aoüt, la mention suivante, qui 1'aurait inquiétè s'il 1'avait lue : Francois Merlanges, connu chez les papistes, d'oü il a fait défection, sous le nom de Durand Caudel, Gascon, agé de 26 ans. 1631 : 16 immatriculations. 1632 : 23 ou peut-être 27 immatriculations, car c'est l'année de 1'arrivée de Saumaise. Deux noms illustres, Mauritius a Coligniaco, 14 ans, et Gotspar a Coligniaco, 12 ans, deux fils du maréchal de Chastillon, dont 1'un portait le prénom de Maurice de Nassau, 1'autre celui du célèbre amiral Gaspard de Coligny. 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. II, p. 144 pblè.Haag' £a FrtmCe Proteslante' v° éa> t- VII> P- 431 et suiv. avec bibliogra- 346 PROFESSEURS ET. ÉTUDIANTS FRANCAIS' Le portrait de Gaspard a été peintpar ;Rembrandt1.. Leur précepteur, agé de 33 aas,,.et docteur en droits est Jean Huguetan, immatriculé luwnêrne le 15 février 1633. A sa suite, son famulus et une dizaine d'étudiants francais. Mi&ïiM 1634 : 23 inseriptions, dont Samuel de Torci; Normand, et Philippe deGlarges. Plus connu est«Nteolaus Perrotus, Catalaunensis», 28 ans, porté le 5 octobre pour la théologie. C'est le traducteur le plus adnüré de son temps, Perrot d'Ablancoiuv qui venait de reprendre la religion de Calvin, après avoir étè catholique, par amour pour Mme de Saint-Didier. Bayle 1'appelle 1'un des bons et des beaux esprits de ce siècle. Evidemment, la présence de Saumaise 1'attirait a Leyde : cette influence devait être dêcisive et entrainer son neveu Erémont d'Ablancour a aller lui aussi, plus tard aux Pays-Bas 2. 1635 : sixième rectorat de Polyander, environ 26 immatriculations, mais dont beaucoup de « servi et famuli», dont on ne sait jamais si ce sont de simples domestiques ou des étudiants pauvres accompagnant de riches gentilshommes pour les servir, tout en continuant leurs études. Un Ehe de Polignac, de 22 ans, étudie les mathématiques. Le 8 mars, sïïascrit, Charles de Limay, sieur de Beau, Agé de 46 ans, et, le 22 juin 1635 : «Isaacus Heraldus, Gallus Parisiensis, fil. D. Heraldi, 22 ans a, fils de 1'avocat au Parlement de Paris, Didier Hérauld, ami intime de Saumaise,. avec qui il se brouilla plus tard, a cause des plaisanteries du philologue a 1'adresse des avocats». 1636 : 23, par exemple (25 février),«Johannes Gillot, Gallus, 22 ans, math.», qui est certainement le domestique et 1'élève de Descartes, doat.il sera question plus loin; et, le 3 mai, « Joh. de Loges, Santo, 22, P.», qui doit être un fils de Mme des Loges, peut-être celui dont Balzac pleurera la mort au siège de Bois-leDuc, oü il fut tué en 1637. Qui est Joh. de la Mot, noble parisiea de 22 ans, étudiant en philosophie ? Asignaler, pour la curiosité des noms, le domestique Louis Aristote et le Sedanais Frédéric Poilblanc \ . . i 1. Cf. Jean Veth, op. cit. supra p. 33 n. 4. 2. Haag, La France protestante, 1" éd., t. VIII, p. 197 et le Supplement aux Menagiana, par Pierre-le Gonz (Ms;ïh'23254, p, 34) : * M. d'Ablancourt a changé de rehgion deux fois. Estant devenu amoureux de Madame de Saint-Didier, qui estoit catholique, il se fit catholique. M. d'Ablancourt estant allé en Hollande, y reprit ses premières opinions et la religion de Calvin. » La suite est aussi assez latéressante pour la connaissance de ce personnage. 3. Haag, La France protestante, L V, p. 507. a l'université de leyde de 1616 a 1648 347 1637 : 11 étudiants seulement, dont le.grammairien Nathar aiel Duez 1 et le Provencal Et. Chaix, 45 ans, Dr. en médecine, 1638 :. sous le rectorat de Constaniin 1'Empereur, qui n'est pas Francais en dépit de.som nom : 16 ou 19 immatriculations, parmi lesquelle&iCeUes de Charles de Poncet, chevalier, Sr de Brétigny, 24 ans, étudiant en mathématiques. i 1639 : 10, dont il faut retrancfier Nathaniel Duez, de Metz* réinserit,. «I'sabi. 1640 : environ 21, peut-être 23, suivant qu'on y ajoute Daniël de la Bassecourt et Jacques Agache, élèves du Collége wallon de théologie, auquel il eut fallu consacrer une notice, car c'est une des institutions annexées a 1'Université de Leyde, oü la pensée et la langue francaises.sont le plus vivaces. Les « Reigles et loix du College des Églises wallonnes estably a Leyde», avaient été arrêtées au .Synode de Ziericzee, le 12 avril 1606. Daniël de Cologne, Louis de Dieu, Daniël Massis, en furent successivement directeurs. La mort de ce dernier marqua la fin de eet organisme, devenu d'ailleurs moins utile, au moment oü le Refuge allait grossir a la fois le troupeau des fidèles et la cohorte des pasteurs. 1641 : 12, dont Claude Rivet, frère du professeur, noble francais, 35 ans, inscrit honoris causa, c'est-a-dire gratuitement». pour les mathématiques. Pour la même branche, se fait immatriculer un noble daupbinois de 20 ans, Francois de Brunei des Areniers. Par contre, c'est a la Faculté de droit que 1'on trouve,: le 22 juin, le Messin Paul Ferry. II est fils du pasteur Ferry] connu pour ses collections de documents sur 1'histoire de Lorraine. Rivet s'intéresse a ses études et les surveille, püsqu'il écrit au père 2, a la date du 1" mars 1642 : «Ayant faict depuis peu, deux voyages a Leyde, oü j'ay mon fils aisné marié, j'ay v^ü vostre fils et me suis soigneusement enquis de ses comportemens et de ses progrès. Je n'en ai appris que des choses bonnes et louables. Mons. Schotanus, auquel je 1'ai parlteuhèrement 1 a. Bulletin Églises wallonnes, 2° s., t. IV, pp. 100 a 107 et p. 218 : Montder. Apereu general des destinét* des Églises wallonnes des Pays-Bas. II y avait aussi des Lcoles wallonnes, dont 11 est quesüon dans différents passages du livre Synodal (voir la table analytique). H en existe encore, a cóté de toutes les églises wallonnes oü a ■■ peu pres, pour la préparation des catéchumènes. Parmi les plus importantes sont ceues du pasteur Giran, qui malheureusement vient dé' quitter son Importante communauté d Amsterdam. p 1LC Ms*- ^4bliothè 1S*01>. i> P- 57 ets. M. de Waard veut bien me signaler a Ia Bib.iotheque Barberini, a Rome (Ms. Fiandra, XXXI, f° 58), une biographie de de Crroot (Grotius) écnte par un neveu de Samuel Peüt ét qui doit être de S. Sorbière. 4. Cette Judith Renaud était la fille de Daniël Renaud et de Catherine Tournemelne. Llle fut baptisée a La Haye, le 22 mars 1620, et recue membre de 1'Eglise ai La"aye'le 7 ayril 1635; Daniël Renaud. devenu veuf, se remaria, le 15 mars 1648, a La Haye, avec Elisabeth Bouche, veuve de M. Griffith. 350 'PROTESSÉURS'ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « Recus metebres de I'Eglisë de Leide, juin 1647, Sorbière, Samuel, Dr. en médecine et Renaud Judith, sa femmè;- par témóignage de 1'Eglise de la Haye ». (i Baptisé le 24 avril 16F0 a La Haye, Sorbier Henri, fils dé Sorbier et de Judith'Renaud. » Extrayons enfin des Sorberiana 1 cette heureuse notation du •caractère néerlartdais : «les Hollandais peuvent être comparés' a leur tourbe; qui s'allume lentement et qu'il ne faut point hater, mais qui, étant une fois allumée, tient son feu ». II dit aussi et plus durement, leur fait aux Francais a 1'étranger 2 : 'SI (m 1 lii\f' V ! M' \YFm 161510 3 2 3 1 1 (Théophile) \ 2 (Balzac) \ \ \ 5 \ \ 1 (totanf) 1 :::::::::: 2. . 6 2 ^ 1 - Ml 3 iw 6 :::::::::: " 5 2 1 2 i+iW 2 10» 2 1619 13 6 1 2 3 1 4 . 3 1 (Arras) 1 1620 i irriw «le 26 4 5 2 10 ' 5 M 3 1621 |Rivet. 50 22 2 3 17 3 1 25 3 13 7 (**«*} !622 39 13 fi 5 12 3 3 10 1 2 11 2 B.iurgogne) j jg23 29 C 4 1 5 1 1 (Provence) 6 1 (Orléans) 3 3 3 6 1624^ 20 3 1 2 5 1 2*wj|gS 3 3 11 1625 10 3 , 3 1 KM f 2(lCh»p,pe) 162819 1 4 2 6 4 .3 3 1 6 2 Ï69922 4 7 2 5 1 4 1 1 3 7 i0Zy_ 6 (ilunl Des- „ 1 12 13 1630 19 2 5 c&rtes) 3 1 12ia sT-- - ? : 1 1 1 3 2 1 1 i 5 \ JS24 4 2 4 2 2 1 \ li* l 11 4 12 1 1 1 (Piw«c«) , N « 4. , 1637 li 0-0 o t; "> 2 (Pitardie) 1 (Stmkwfj) 1638 lb 3 2 2 5 1 3 1639 94221 1 2 1 2 1640 13 3 3 1 2 1 2 1641 12 2 2 1 6 1 2 1 1642 9 1 3 1 1 3 1643 12 1 1 5 3 2 3 1 4 1644 15 1 1 5 4 2 3 2 1645 20 5 1 5 2 2 3 1646 n 1 4 1 3 2 3 2 1 1 2 1647 25 3 1 3 6 7 2 1648 11 1 1 ? 3 J 1 1 (Slrasbonrg) 1649 7 3 1 3 1 CONCLUSION Quoi qu il en soit, de 1575 a 1648, la collaboration francaise è la fondaüon et au progrès de 1'Université de Leyde est coS rab e : on peut même la qualifier, sans exagération, d'essenüelle ; non que 1'Université de Leyde, sans ellefn'eüt véeu S bien que celle de Franeker, mais elle doit a un Scaliger ou TZ Saumaise, par exemple, la réputation universelle qu'ehe a soutenue, notamment en philologie, jusqu'a nos jours et il ne tmt pas aux Curateurs que la tradition philologique franeaise ne füt continuée, après la mort de Saumaise par Ta„a2i Faber i. ahas Tanneguy-Lefèvre, père de D£ier Cependant ce ne serait pas assez de ne retenir que deux grands noms d'humanistes. Comment oublier que deux^ancal Cappel et Feugueray, furent les premiers professems de eette' oubtrTu'enThVr 'T* W ^ k Pr™<* Commen oubher quen théologie leur succéda Lambert Daneau et plus tard un Trelcat un du Jon, un Polyander et surtout un Svet ? Comment oubher que le rival de Cujas, Doneau, y fonda 1'enseignement du droit, tandis qu'un Le Bandier ou Ludius qui malgré ses défauts n'était pas sans valeur, continue ÏÏÏÏ^S tradition de Juste Lipse ? Comment oubher que 1'Arraeeols de 1 Esc use ou Clusius veillait sur le Jardin botanique qXorga! msait a tiran les étudiants de sciences comme son ZïèJaeet ami de 1 Escale ou Scahger attirait les étudiants de le S ? iani H °Ut °! d°nt U faUt 86 S0uvenir' que Hol. offrani* •U,l(1admiraUfl exe*Ple *> générosité intelligente e„ de 1593 a ifiOQ ^ de rEscluse et Scahger" de 1593 a 1609, Saumaise, de 1632 a 1653, un asile, non contrê les P3rsécutions, car ils n'étaient pas proscrits, mais l?re les efset ^ ~ et je modifie, quand il le faut, la ponctuaUon. 2. Ibid., p. 349. 3. Exemple dans le Discours de ia Méthode, 5e partie ; t. VI, p. 46. . 4. Nous adoptons pour le séjour a La Flèche, les dates de 1606 a 1614 ou 1615. établies par M. Adam aux pages 564 a 565 du t. XII. Ces dates ont été conflrmées par Mgr Monchamp, auteur d'une Histoire du Carlésianisme en Belgique, dans une brochure posthume intitulée : Notes sur Descartes, I, Descartes au collége de La Flèche ; II, Chronologie de la vie des Descartes, depuis sa sortie du collége jusqu'a son établissement déflnlUf en Hollande (1614-1629). Liège, 1913, in-8». 5. Cf. le P. Camille de Rochemonteix, Un Collége de Jésuites aux XVII' el XVIII' siècles. Le Collége Henri IV de La Flèche. Le Mans, 1889, 4 vol. m-8°j employé par M. Adam, ENFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) 361 en 1604, par privilège d'Henri IV et avec 1'intention évidente d énger une citadelle universitaire catholique, en face de la citadelle universitaire protestante de Saumur. L'école devint avant le Collége de Clermont, fondé a Paris en 1619, «1'une des plus célèbre de 1'Europe»», bien que son Recteur, le P. Chastellier n eüt pas 1'envergure d'un Duplessis-Mornay : la force de la « Société » suppléait a celle de 1'individu. Le P. Charlet allié aux Brochard, fut pour René « un second père ,,, et le distingua entre les autres écoliers, lui donnant une chambre a part qui n est pas celle que 1'on montre aujourd'hui sous le nom d'observatoire de Descartes. Selon le témoignage de Lipstorp \ on le laissait prolonger au lit sa maünée, la position couchée étant favorable a la fois a sa chétive santé et a ses méditations. C'est un peu le violon du pere de Montaigne : Descartes lui, s'éveillait au bourdonnement confus de ses pensées. « Ce fut, en effet, dit Lipstorp, en son latin, une habitude constante chez lui de s'éveiller de bonne heure mais de s'abandonner ensuite, toujours couché, a la réflexion jusqu a midi, ce dont témoignent ses familièrs et tous ceux qui ont éprouvé la puissance de son génie. C'est ainsi qu'il composa son Algèbre. » L'abbé Baillet, 1'ancien biographe de Descartes, confirme cette observation. Comme le philosophe avait fui un jour k Paris la demeure de M. Le Vasseur, pour se dérober a 1'importunité de ses anus, un valet de chambre vendit le secret : « II luy conta toutes les manières dont son maitre se gouvernoit dans sa retraite et lui dit entre autres choses qu'il avoit coütume de le laisser au ht tous les matins, lorsqu'il sortoit pour exécuter ses commissions et quil esperoit 1'y retrouver encore a son retour. II étoit nrès d onze heures, et M. Le Vasseur, qui revenoit du Palais, voulant s assurer, sur 1'heure, de la demeure de M. Descartes, obligeale valet de se rendre son guide et se fit conduire chez Monsieur Descartes. Lorsqu'ils y furent arrivez, ils convinrent qu'ils entreroient sans bruit et le fidéle conducteur, ayant ouvert doucement 1 antichambre k M. Le Vasseur, le quitta aussitöt pour aller donner ordre au diner. M. Le Vasseur s'étant glissé contre la porte de la chambre de M. Descartes, se mit a regarder par le trou de la serrure et 1'appercut dans son Ut, les fenêtres de la Leyde, 1653, 362 ' IbfèSCARTES EN HOLLANDE chambre ouvertes, le ridéau levé et le guéridon avec quelques papiers prés du chevet. II eut la patience de le considérer pendant un tems considérable et il vid qu'il se leüöit d demu-corps de tems èn tems pour écrire et se recouchoit ensuite pour médüer. L'alternative de ces postüres dura prés d'unë demi-hèure, a la vue de M. Le Vasseur. M. Descartes S'étant levé ensuite pour s'habiller, M. Le Vasseur frappa a la porte de la chambre comme un homme qui ne faisoit que d'arriver et de monter 1'esca- lier. *1 , Entré en sixième, le jeune Descartes suit le cours régulier des études qu'il nous a assez fidèlement décrit au début du Discours de la Méthode : ï J'ay esté nourri aux lettres, dès mon énfance, et pöur ce qu'on me perSüadoit que, par leur moyen, on pouvoit acquerir une Connoissan'ce Claire et assurée de tout ce qui est litfle a la vie, j'avois un extreme desir de les apprendre. Mais sitost que ftti achevé tout ce cours d'estudes \ au bout duquel on a coustume d'estre receü au rang des doctes, je changeay entièrement d'opinion, car je me trouvois embarrassé de tant de doutes et d'erreurs qu'il me sembloit n'avoir fait autre profit en taschant de m'instruire, sinon que j'avois découvert de plus en plus mon ignorance.» 8 Ce souvenir d'enf ance est une attaque de coup droit contre 1'éducation des xvi« et xvir* siècles en général et des Jésuites en particulier : trop de littérature, pas assez de raisonnement. Expérience qui sera renouvelée par les trois plus puissants philosophes de cette époque : Montaigne, Descartes, Pascal, qui tous partent du doute pour y retourner ou en sortir, par des voies, diversés d'aboufissement, identiques de point de départ. « Et néanmoins, j'estois en 1'une des plus celebres escholes de 1'Europe, oü je pensois qu'il devoit y avoir des scavans homm'és, s'il y en avoit en aucun endroit de la terre. J'y avois 1 D'anrès une relation manuscrite de M. Le Vasseur, rónsnïtèe par [A. B^.p'estAdïien BaiUeL La Vie de Monsieur Deseartis i'A Paris, chez Daniël Horthem^ru^nWa^iTAH Mécénas, 1691, avec privilège ; 2 tomes en 1 vol. in-4° ; t. I, pp. 153-4. ■ ï '«"Adam au tome XII, p. 21, a lort bien remarqué que les souvenirs de Descartes, seTappórtant T ses études, reproduisent la marche du c«irs^=ence nar les fables Phèdre, Les Mélamorphoses d'Ovide et les Htttoires correspondant aux la véracité du témoignage de Descartes sur ses propres études. ENFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) 363 appris tout ce que les autres y apprenoient et mesme ne m'estant pas contenté-des sciences qu'on nous enseignoit, j'avois parcouru tous les livres traitant de celles qu'on festime les plus curieuses et les plus rares, qui avoient pü tombef entre mes rhains. Avec cela, je scavois les jugements que les autres faisoient de moy et je ne voyois point qu'on m'1 estimast inferieur a mes cöridisciples, bien qu'il y en eust desja entre eux quelques-uns qu'on destinoit a remplir les places de nos maistres. » Qui sont ces condisciples ? On aurait aimé qu'il les nommat. Son ïutur ami, le P. Marin Mersenne, ne peut guère être ici désigné, puisqu'il est plus sagè que lui de sept ans et demia et qu'il prend 1'habit des Miümes dès 1611. Ce ne peut être non plus René Le Clerc, depuis évêque de Glandèves, également plus %é, mais ce peut bien être le futur mathématicien Chauveau. Ces jeunes gens, au témoignage de Descartes 8, viennent «detous les quartiers de la France; ils y font un certain mélange d'humeurs par la conversation les uns des autres, qui leur' apprend quasi la même chose que s'ils voiageoient. Et enfin 1'égalité qüe les Jésuites mettent entr'eux, en ne traittant guères d'autre facon les plus relevés que les moindres est une invention extrémement bonne pour leur oster la tendresse et les autres défauts qtfïls peuvent avoir acquis par la coustume d'estre chéris dans les maisons de leurs parens. » • Je ne laissois pas toutefois, continue Descartes, d'estimer les exercices ausquels on s'occupe dans les escholes. Je scavois que les langues qu'on y apprent, sont necessaires pour 1'intelligence des hvres anciens. » II s'agit donc du latin, que Descartes mamait parfois plus facilement que sa propre langue, et du grec, qu'il négligea, comme le faisaient ses maitres. « Que la gentillesse des fables resveillent 1'esprit, que les actions inemorables des histoires le relevent et qu'estant leües avec discretion, elles aydent a former le jugement». C'est 1'histoire a la facon de Plutarque et de Montaigne, 1'histoire source d'exentples moraüx, qui est un progrès sur 1'histoire-imagination en attendant 1'histoire-vériteV oeuvre des époques süiVantes 1. « m' » manque dans 1'édition Adam et Tannery, p, 5,:t. VI < ■ / • •) i£t ï™ 21. éWt né 16 * sePtembre IS»» ^ OysafdWle Maine. Cf. Baillet, op. Ji.p'sW.^6 PM BaUlet' P" 33; dans lédition Adam f* Tannery, (Euvres, 364 DESCARTES EN HOLLANDE « Que la lecture des bons livres est comme une conversation avec les plus honnestes gens des siècles passez, qui en ont esté les autheurs et mesme une conversation estudiée, en laquelle-ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées 1; que 1'Eloquence a des forces et des beautez incomparables ». Descartes reste bien francais en cela ; c'est pourquoi il aimera Balzac et sera, sans dessein prémédité d'ailleurs, comme lui, un des créateurs de la prose francaise moderne. « Que la Poësie a des delicatesses et des douceurs trés ravissantes ; que les Mathématiques sont des inventions trés subtiles et qui peuvent beaucoup servir, tant a contenter les curieux qu'a faciliter tous les arts et diminuer le travail des hommes ; que les escris qui traitent des mceurs contienent plusieurs enseignemens et plusieurs exhortations a la vertu, qui sont fort utiles ; que la Theologie enseigne a gaigner le ciel; que la Philosophie donne moyen de parler vray semblablement de toutes choses et se faire admirer des moins scavans, que la Jurisprudence, la Médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses a ceux qui les cultivent et en fin qu'il est bon de les avoir toutes examinées, mêmes les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connoistre leur juste valeur et se garder d'en estre trompé. » « Mais je croyois avoir desja donné assez de tems aux langues et mesme aussy a la lecture des livres anciens et a leurs histoires et a leurs fables, car c'est quasi le mesme de converser avec ceux des autres siècles que de voyasger. II est bon de scavoir quelque chose des meurs de divers peuples affin de juger des nostres plus sainement et que nOus ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coustume de faire ceux qui n'ont rien vü. Mais lorsqu'on employé trop de tems a voyasger, on devient enfin estranger en son païs et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquoient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en cetuy-cy. Outre que les fables font imaginer plusieurs evenemens comme possibles, qui ne le sont point, et que mesme les histoires les plus fideles, si elles ne changent ni n'augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes d'estre leües, au moins en omettent-elles presque tousjours les 1. Idéé joliment développée par Ruskin dans Sesame and Lilies. ENFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) 365 plus basses et moins illustres circonstances, d'oü vient que le reste ne paroist pas tel qu'il est et que ceux qui reglent leurs meurs par les exemples qu'ils en tirent, sont sujets è tomber dans les extravagances des Paladins de nos romans et a concevoir des desseins qui passent leurs forces. » Allusion a Don Quichotte, connu par les traductions de Cesar Oudin (1616) et de Francois de Rosset (1618) \ qui nous montrent un Descartes précurseur, en un sens, è la fois du roman réaliste et de 1'histoire intégrale, la recherche de la vérité restant en toutes choses, la tendance essentielle de son être. « J'estimois fort 1'Eloquence et j'estois amoureux de la Poësie, mais je pensois que 1'une et 1'autre estoient des dons de 1'esprit plutost que des fruits de 1'estude ». Descartes est un volontaire. La facihté de 1'expression n'est pas pour le séduire, la forme Pintéresse moins que le fond. « Ceux qui ont le raisonnement le plus fort et qui digerent le mieux leurs pensées, affln de les rendre claires et intelligibles peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils ne pariassent que le basbreton et qu'ils n'eussent jamais apris la Rhetorique, et ceux qui ont les inventions les plus agreables et qui les scavent exprimer avec le plus d'ornement et de douceur ne lairroient pas d'estre les meilleurs Poëtes, encore que 1'art Poëtique leur fust inconnu ». Aussi 1'enfant fuit-il souvent 1'éloquence, trop adroite a dissimuler le vide des pensées, et la poésie, dont cependant le charme 1'attire, pour se réfugier dans les mathématiques : « Je me plaisois surtout aux Mathématiques, a cause de la certitude et de 1'evidence de leurs raisons, mais je ne remarquois point encore leur vray usage et, pensant qu'elles ne servoient qu'aux Arts Mechaniques, je m'estonnois de ce que leurs fondemens estans si fermes,et si solides, on n'avoit rien basti dessus de plus relevé. » Tout le germe de la recherche cartésienne est la, dans ces premières conceptions d'enfant génial.aqui ses maitres. n'apprennent queTutilité pratique des mathématiques, appli-. quées au commerce et a 1'industrie ou encore a la curiosité, et qui se demande déja si 1'évidence de leurs principes ne pourrait pas devenir le fondement de toute évidence et la base d'une philosophie oü tout se ramènerait au nombre et a 1'axiome. II n'y a pas lieu de révoquer en doute ces confidences et de croire Ct\^ièh^°Pn^°?mém0rat^n -de Molière, Racihe, Corneille, Shakespeare et ^ervantis a la Comidie francaise, Paris, Ed. Champion, 1919, in-4", p. 10. " 366 JDESCABXES. EN HQLLANDE qjae,. par une sorte de phénomène de. paramémoirev Deseartes reporte a sou enfance des méditations de l'age mür ou del'adolescence ;, seulement,. ce. qui, plus tard devait. devenir systeme n'est ici encore qu'intuition confuse, ... ,.,,.,...,.i.„i,. « Je reverois nostre Theologie et pretendoiis,. autant, qu'aucun autre a gaigner le cielx, mais,, ayant appris, comme chose trés assurée, que le chemin. n'eu est pas moins ouvert aux plus ignorans qu'aux plus doctes et .que les veritez, revelées, ,qui y conduisent, sont au dessus de nostre intelligence, je n'eusseioséles soumettre a la foiblesse de mes raisonnemens et je pensois que, pour entreprendre de.les.examiner et y reussir, il estoit besoin d'avoir quelque extraordinaire assistente du Ciel et d'estre plus qu'homme. ».. •» >4|3ii Mênae en dégageant de cette déclaratiou la prudence qu'exigeait la publication d'idées nouvelles. avec la volonté de les dérober aux foudres de 1'Eglise, 1'attitude de Descartes en matière de religion se trouve suffisamment définie dans ce passage., II en vient.alors a. la philosophie. Celle-ci était enseignée au Collége de la Flèche. et même bien enseignée,. si 1'on en croit la lettre de Descartes publiée par Baillet-1, dans laquelle le philosophe détourue up pèrcd'envoyer son fils étudier cette science. a l'Université de Leyde, comme-il en avait manifesté Tintention : * Encore que mon opinion ne soit pas.que toutes; les choses qu'on enseigne en Philosophie soient aussi- vray es que PEvangile, toutesfois, a cause qu'elle. est la clef des autres sciences, je crois qu'il est trés-utile d'ea. avoir estudié le cours entier en. la facon qu'il s' 2 enseigne dans les Ecoles des Jésuites, avant qu'on entreprenne d'élever son esprit au-dessus de. la pedanterie,, pour se faire scayant de la bonne sorte. » Justification. de la classe de .philosophie de nos lycées, qui man que tant a 1'étranger. « Et je dois.rendre eet honneur a mes Maistres, poursuit-il, que de dire qu'il, n'y a lieu au monde ou je juge qu'elle s'enseigne mieux qu'a la Flèche. » . Cela ne lui donnait pas d'ailleurs une plus haute, idee de la. scolastique, dont il lui resta pourtant bien des traces, t. Vie de Descartes; t. I, pp: 32-33. Dans Tédition Adam et Tannery, la fettrë flgure au tome II, p. 377-9; elle est supposée par les éditeurs être du 12 septembre 1638, mais Cterseher, 1'ancien éditeur des Lettres, ne dit pas a qui elle est adressée. 2. Baillet': ♦ De la'manière qu'on 1'». im^it . r- •» ;.?,•••'..->■. ift.'^ -'sS i ENFANCE ET ADOLESCENTE (1.6Q6-1617) 367 comme M. Qilson 1'a dé.mqntrédans une thèse récente 1 ; « Je ne djray rien de. & .Philosophie, continue le Discours de la Méthode, sinon que,. voyant qu'ejlle, a. esté, cqltivée, par. les plus excellens esprjlts qui ayent yescu. depuis plusieurs siècles, et que neanrnoins, il ne s'y trouve encore aucune chose, dont pn. ne. dispute et, par consequent, qui ne, soit douteuse, je n'ayois, point assés de presomption pour esperer d'y reucontrer, mieux que les autres et que, considerant combien il peut y avoir de diverses opinions touchant. une mesme matiere,, qui soient soustenues par des.gens doctes* sans, qu'ü y en puisse avoir jamais plus d'une seule qui soit vraye» je reputois. presque pour faux tout ce qui n'estoit que vraysemblable.,» Les sciences, dans 1'état oü elles. étaient alprs, ne ponyaient dayantage étancher sa soif de vérité et surtout de certitv(de.; « Puis, pour les autres sciences,, d'autant qu'elles empruntent leurs principes de la Philosophie, je. jugeois qu'on ne pouvoit avoir rien hasti qui fust solide sur des fondemens si peu fermes et ny 1'honneur ny le gain qu'elles prontettent n'estoient.suulsans pour me, convier a les apprendre, car je ne me sentois point, graces a, Dieu, de conditiën qui m'obligeast a faire un mestier de la science pour le soulagement de ma fortune et quoy que je ne fisse pas professio.n de mespriser la gloire en Cynique, je faisois néanmoins,lort peu d'.estat de celle que je n'esper.ois. point pouvoir acquerir qu'a faux titres »2. A cóté des. vraies sciences, il y avait les fausses ou plutót les vraies sciences étaient presque toutes faussées,. étant détournées de. leur objet propre, qui est la recherche du. vrai, vers des fins eudémoniques et utilitaires, 1'astronomie s'appliquant enfiore a lire dans les astres la destinée humaine, la chimie a nechercher la pierre philosophale, la physique a étudier des phénomènes météqrologiques ou a faire des tours de prestidigitation. , , « Enfin pour les mauvai§es doctrines,Je pensois desja c,on.r noistre assés ce qu'elles valoient pour n'esfre plus sujet a estre teompé, ny par les promesses d.'un Alchemiste, ny par les predi,c* tions d'un Astrologue,, ny par les; impostures d'un Magicien, 1. La Liberté chez Descartes et la Théologie ; Paris, Alcan, 1913, in-8; et du même auteur, 1 Index scolastico-carlesien (Paris, Alcan, 1913); L'Innéisme cartésien et la theologie (Extr. de la Reoue de Métaphusique et de Morate), 2. dSuvrts, t. VI, pp. 8 et 9. 368 DESCARTES EN HOLLANDE ny par les arfiflces ou la venterie d'aucun de ceux qui font profession de scavoir plus qu'ils ne scavent. » Dans cette phrase se traduit la déception qu'il éprouva a hre 1'Art de Raymond Lulle, les livres de Corneille Agrippa, que ses maitres eurent la largeur d'esprit de lui laisser entre les mains, bien que leur possession ait fait condamner a mort, a Moulins, un pauvre bonhomme, comme sorcier, en 1623 encore l. « C'est pourquoy, sitost que 1'aage me permit de sortir de la sujetion de mes Preeepteurs, je quittay entierement 1'estude des lettres et, me resolvant de ne chercher plus d'autre science que celle qui se pourroit trouver en moy-mesme ou bien dans le grand livre du monde, j'employai les restes de ma jeunesse a voyasger, a voir des cours et des armées, a frequenter des gens de diverses humeurs et conditions, a recueilhr diverses experiences, a m'esprouver2 moy mesme dans les rencontres que la fortune me proposoit et, partout, a faire telle reflexion sur les choses qui se presentoient que j'en pusse tirer quelque pro fit. » Ceci se rapporte aux quelque quinze années de vie errante (1614-1628) qui vont précéder vingt années de production scientifique et philosophiqüe (1629-1649) : germination, floraison ; préparation, construction.'- C'est une chose digne de remarque, et qu'on n'a peut-être pas assez soulignée, que la vie du plus grand philosophe francais, et du plus abstrait, commence par: 1'action, par une prise de contact voulue avec la réalité, par une vaste enquête poursuivie hors des frontières de son pays et étendue aussi bien aux mceurs des hommes qu'è 1'aspect des choses. Ce sont ces quinze ans de contact avec la vie qui préservent Descartes de se perdre dans les constructions sans bases de la métaphysique, qui 1'empêchent de créer un système du mondte dédaigneux de la réalité, qui le portent a tenir compte de ce bon sens qu'il a observé parmi les hommes et qui lui font admettre la relativité des connaissances humaines, la variété des mceurs, des rehgions et des doctrines. La philosophie a laquelle il aboutit, loin d'être aussi déductive qu'on le croit généralement, se différenciera nettement des formules a priori de la philosophie allemande et-il s'affirmera trés Francais encore en ceci que, si abstraits qu'ils soient, nos tl muvres, t. XII, p. 31. 2. C'est-è-dire faire Vessai de soi-même, selon le langage de Montaigne, au contact de la vie, comme on éprouve un mét al & Ia pierre de touche. ENFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) 369 philosophes restent fidèles au « bon-sens h ne dédaignent pas te « sens commun * ne font abstraction ni de la réahté ni de la société dans laquelle ils vivent. Le réahsme hollandais qui n est pas aussi exclusif que celui des Anglais, ne pouvait que renforcer chez Descartes une tendance déterminée par sa race et par son milieu, ce milieu de Touraine si semblable a celui de la Grece antique et oü le regard est souvent ramené des sommets et des espaces infinis vers le sourire de la nature Les temoignages se rapportant aux années postérieures a la sortie du college de La Flèche * sont rares et incertains. M Adam* ne relève pour cette période que quatre documents. Descartes est parrain a Poitiers, le 21 mai 1616, et il prend ses degrés de bacheher et de hcencié en droit a 1'Université de cette ville, les J1 VtT"? ? ^ la même année' Ce Per*et de ^pposer quil fit des etudes junduques réguhères, au moins pendant un semestre ou meme pendant un an, sans qu'il soit nécessaire de limaginer, comme le suggère M. Adam, suivant des cours de médecine et de droit a La Flèche. Par contre il peut y avoir eonquis les titres de licencié et maitre ès arts et il semble bien y etre reste jusqu en 1614 8. Les 22 octobre et 3 décembre 1617, enfin, il signe deux actes, comme temoin, a Sucé, au diocèse de Nantes. De tout cela on serait tente de conclure qu'il passa les années 1616 et 1617 dans 1 Ouest. Sejourna-t-il a Paris, comme le veut Baillet, c'est possible, mais, provisoirement, rien ne le prouve. Scnóo?e„7rdes E annoK'sa main^ou^ S ^ de La (Euores, i. X, p 646 les ae sa mam et ^"serait intéressant de retrouver. Cf 2. XII, p. 35. NÏteïlu?^^ 107" C'est aussil'opinion de MgrMonehamp, le JésuUeFS^^ Mgr Monchamp, serait 24 CHAPITRE III DESCARTES VOLONTAIRE AU SERVICE DES ÉTATS (1618-1619) LA RENCONTRE AVEC BEECKMAN Quoi qu'il en soit, 1'avenir de son «jeune philosophe »pouvait «Hre pour son père une source de préoccupations, mais la solution dut lui apparaitre bientöt : René était cadet de familie; un cadet, cela s'envoie aux années, tandis que 1'ainé héritera des charges paternelles. En 1618, la France n'est pas en guene, la Hollande non plus ; elle est en pleine paix; la trêve de douze ans, conclue en 1609, n'expirera qu'en 1621; mais Maurice de Nassau reste dans tout 1'éclat de sa gloire de guerrier savant. A quelqu'un qui lui demande qui est le plus grand capitaine du siècle, il a répondu, ce dit-on, après un instant d'hésitation, que Spinola était Ie second. Son « Krijgsspel » inaugure la guene scientifique et son prestige s'accroit de celui de son cousin Guillaume, de son jeune frère Frédéric-Henri, si connu a la cour de France, et de son vieux conseiller Oldenbarneveldt. ^ Tout cela, on le sait bien en France, soit par des rapports de 1'ambassadeur Aubéry du Maurier, ou par 1'ambassadeur de Hollande a Paris, M. de Langerack, soit par les jeunes gens qui revenaient de la-bas et qui parlaient de leurs exploits lointains au point d'en être insupportables, a entendre Balzac, qui écrit a son frère, le le' janvier 1624 : « Pour éviter la rencontre de ces grands causeurs je prendrois la poste, je me mettrois sur mer, je m'enfuirois jusqu'au bout du monde... mais particuherement ils me font mourir quand ils oiennent freschement de Hollande ou qu'ils commencent a estudier en mathematique »*, De ceux-ci beaucoup, nous Ie savons maintenant, ont, comme Balzac 1. Cité par M. Adam au tome XII, p. 41, note a. 372 DESCARTES EN HOLLANDE et Théophile, fréquenté l'université de Leyde, oü les étudiants de 1'ouest de la France, nous 1'avons vu, étaient légion. Frédéric, comte de Laval, né a Thouars, est immatriculé a 1'Université de Leyde, le 31 octobre 1618, a l'age de quinze ans, pour la philosophie, avec Pierre Thorius, Angevin, agé de vingt-sept ans et Abraham Grouel, de Caen, agé de seize ans, suivi, bien tót après, le 12 novembre, de Charles Vallée (Carolus Vallaeus), Poitevin, dix-neuf ans, également étudiant en philosophie. Mais notre cadet a assez des Universités : ses études de La Flèche et de Poitiers lui suffisent; c'est «le grand livre du monde » qu'il veut feuilleter : la guerre doit être pour lui 1'apprentissage de la vie. Les deux régiments francais dont nous avons raconté au livre I les origines, sont toujours au service des Etats. lis sont commandés, a ce moment, par Saint-Simon, baron de Courtomer, qui a succédé a Cyrus de Béthune, et par 1'illustre Gaspard de Chastillon, le futur Maréchal de France, « colonnel general des gens de guerre a pied francois » depuis 1614 *. Le budget de la guerre pour 1618, conservé aux Archives de 1'Etat a La Haye, ne contient malheureusement que les noms des chefs, jusqu'aux capitaines inclusivement, et notre cadet René Descartes, sieur du Perron, n'a jamais été qu'un simple volontaire, ne prétendant a aucun grade ni a aucune solde, puisqu'il raconte avoir toujours gardé en souvenir, le seul doublon qu'il aurait gagné a ce titre, celui de son engagement. Malgré la Trêve, les dépenses, pré vues par le budget de 1619 2, s'élèvent encore a 524.350 florins. Les troupes wallonnes y entrent pour une large part, ainsi que les Francais, sous Sailly, Jehan de la Sale, Robert de Billy, Bernard Plouchard, Guillaume de Vitry, LaBarbe, Foullau, Estienne de laBuissière, Claude de la Foreest. Les compagnies comptent 70 hommes seulement; ajoutez-y Jean de Poictiers, dit Cadet, qui, pour ses 70 cavaliers, recoit par mois 2.457 livres et les «gentilshomm.es de 1'Artillerie»: 1. Le registre St. Generael, n° 3250, Commissien 1586 tot 1625, contient, a la date de 1613, au folio 292 verso : « Commission pour le Sr le Baron de Courtomer, Colonnel »; en 1614, f° 301 : « Commission pour Gaspard, le sieur de Chastillon, Colonnel General des Gens de guerre a pied francois »; au f° 301 même année : « Commission pour le Sieur de Hauterive, Colonnel d'un Regiment francois »; enfin en 1615, f» 312 : «Commission pour le Sr Baron de Courtomer, Lieutenent Colonnel generael des gens de guerre a pied francois. » 2. « Staet van Oorloge voor de Reeckencamer van den Jaere 1618 » (R. v. St. 1243). Le dépouillement des Lias Lopende Staten Generaal (S. G. 4777 & 4782) n'a rien donné, pas plus que le dépouillement des Résolutions des Etats Généraux, des Etats de Hollande et du Conseil d'Etat. VOLONTAIRE AU SERVICE DES ÉTATS (1618-1619) 373 Flamigny, le capitaine Ferné, Lebrebiettes; mais il faut relever surtout dans ce budget le nom des ingénieurs et mathématiciens célèbres qui entourent Maurice et dont les noms ne devaient pas être pour René Descartes une mince attraction : Simon Stévin, Jacques Alleaume, David d'Orléans. Voici les mentions qui se rapportent k ces illustres ingénieurs beige et francais : Meester Symon Stevin, Ingenieur 50 £ Jacques Alleaume1 100 £ David van Orliens, Ingenieur 25 £ Je n'ai pas eu le bonheur de rencontrer, comme pour d'autres années, dans les Lias Lopende ou « séries courantes » des Etats Généraux conservées aux Archives de La Haye, les róles com^ plets de 1618 ou 1619; s'il en tombait entre les mains d'heureux investigateurs, je les avertis qu'ils ont peu de chance d'y trouver René Descartes et beaucoup d'y voir mentionner ie Sieur du Perron, qui n'était pas un nom de guerre, mais celui d'une petite terre qu'il avait héritée de sa familie materneHe en Poitou. Que Descartes ait dü se trouver coude k coude avec beaucoup de protestants, cela résulte du fait que les deux régiments francais ont chacun leur pasteur : Guillaume Remondt, Predicant van de fransche Regimenten xxv £ Richard Jean de Nerée, idem xxv £ Christiaen de la Quewellerie se borhe k s'occuper du Régiment wallon. J'ignore si « Joannes Nicasius, minister inde Bourtange », qui recoit 300 livres par an, exerce aussi son office auprès des troupes. Ce contact avec les protestants, au reste trés nombreux en Poitou, n'était pas pour effrayer 1'ancien élève des Jésuites, pas plus qu'ü n'avait effaré 1'élève de Scahger, le jeune de La RochePozay 2 plus tard évêque de Poitiers, ni, quelques années après, le gentühomme normand Breauté8. Cependant le futur Oratorien Charles de Condren demanda a son père « que le voyage füt io V7iAd9In,iÏL 3 janvier : ordonnancé 200 florins nour 1 9nqnUfi A>wnie « Declftenr extraordinaris » et 75 florins par Zo s?Tev^H Muhne! aD' 5 féVrier' f° 9°' ÖÜ 16 nom 651 orthograPphié^o^esTLe 2. Voir plus haut, au livre II, p. 196. 3. Cf. livre I, p. 129. 374 DESCARTES EN HOLLANDE changé en celui de Hongrie, qu'il avoit de la peine d'aller chez des hérétiques et qu'il combattroit bien plus volontiers contre les TurcB que contre des catholiques » h Au seigneur du Perron, ceci était profondément indifférent ; il s'agissait d'expérience de la vie et d'apprentissage de 1'action et il pouvait se faire la main aussi bien sur le dos de ses coreligionnaires, d'aiUeurs ennemis de son pays, que sur celui des Infidèles, alliés anciens de la monarchie. Au reste, il s'est même vanté, plus tard, dans sa lettre a Servien, d'avoir combattu 1'Inquisition d'Espagne, sous les ordres de Maurice de Nassau. C'est la un mirage du souvenir, car je ne vois pas trop a quels combats il a pu prendre part pendant la Trêve de douze ans. La phrase est celle-ci 2 : « Car je me suis assuré qu'ils [les Curateurs de 1'Université de Leyde] n'approuveront pas qu'après tant de sang que les Francois ont répandu pour les aider a chasser d'icy lTnquisition d'Espagne, un Francois, qui a aussi porté les armes pour la même cause, soit aujourd'huy soumis a lTnquisition des Ministres de Hollande » 8. Le vieux biographe de Descartes, Baillet, veut que celui-ci soit parti pour la Hollande er. mai 1617. M. Adam le nie, a cause des deux actes qu'il signe comme témoin a Sucé, prés Nantes, le 12 octobre et le 3 décembre 1617, mais ce fait ne prouve rien, car il a pu passer 1'été aux Pays-Bas et revenir en automne dans le Poitou. Ainsi on arriverait aux quinze mois de séjour a Bréda, dont Descartes parlait un jour a Frans van Schooten *. Toutefois, comme nous n'avons, a eet égard, aucune certitude, il vaut mieux reporter au printemps 1618 le départ de Descartes pour Bréda, quoique sa présence la-bas, pendant 1'été 1618 ne soit pas plus assurée que celle de 1'été 1617. La première preuve décisive, précise, incontestable, de la présence de René Descartes a Bréda, dans le Brabant Septentrional, est une mention du Journal de Beeckman, a la date du 10 novembre 1618, et il est bon de s'arrêter un instant a cette 1. Cf. Adam, L XII, p. 41, note ; sur le mot voyage au sens d'expédiüon, voir Hvrè I", p. 69. 3. L^matoprétaüoPa de'Ia phrase n'est pas absolument süre. Descartes ne se référerait-il pas a son engagement en AUemagne? D semble bien cependant que la 11 ait été dans les rangs des Impériaux. 4 «Mansit autem Bredae per 15 menses unde in Germamam discessit, dum ïntestina bella ibi orirentur, ut mini ipse narravtt.» Ce texte important mais non daté, figure a la suite du ms. du Compendium musicae découvert a la BibUotn. de 1 université de Groningue par M. C. de Waard (cf. (Euvres, t. X, p. 646). VOLONTAIRE AU SERVICE DES ÉTATS (1618-1619) 375 source capitale, récemment découverte par un érudit hollandais de grande valeur, le Dr C. de Waard et dont nous nous servirons pour le présent exposé. C'est en 1905 que celui-ci trouva a Middelbourg, a la Bibhothèque provinciale de Zélande, le Journal, dont 1'existence était connue par les lettres de Descartes de 1630 et par des extraits pubhés, en 1644, par Abraham, frère d'IsaacBeeckman. M. C. de Waard sr propose de publier in extenso le gros registre et nous souhaitons a ce mathématicien, qui connait aussi bien 1'histoire des lettres que 1'histoire des sciences au xvne siècle, de pouvoir mettre bientöt son projet a exécution. Pour 1'instant, contentons-nous des amples extraits que M. de Waard a fournis a M. Adam et qui, pubhés dans le tome X 1 des (Euvres de Descartes, en 1908, ne sont pas encore trés connus. Par bonheur, Isaac Beeckman, qui était un homme aussi soigneux que curieux, a inséré dans son Journal des copies fidèles des lettres qu'il avait recues de Descartes lors du premier séjour de celui-ci en Hollande et cette période si importante pour la formation s'en trouve singulièrement éclairée. Beeckman était un de ces savants comme on en trouve dans les provinces les plus reculées des Pays-Bas, méditatif et solitaire, se livrant peu, ne fréquentant guère ses confrères, tout absorbé par la vie familiale et le travail de 1'esprit. II avait cependant voyagé hors des hmites de sa province de Zélande, oü il était né, a Middelbourg, le 10 décembre 1588. II est inscrit dans le fameux Album sludiosorum de 1'Université de Leyde, qui nous est si familier désormais, le 21 mai 1607 et le 29 septembre 1609, en qualité d'étudiant en philosophie et lettres. . Ainsi que tant d'autres de ses compatriotes, un Oldenbarneveldt, un Cats, un Grotius, il fait, en 1612, son tour de France et il y retourne, en 1618, pour conquérir, le 18 aoüt, cinq jours après avoir débarqué en Normandie, ses grades de bachelier et de licencié devant la Faculté de Médecine de 1'Université de Caen ; il fut docteur, le 6 septembre. II serembarque, le 21, au Havre, pour rentrer en Zélande et arriver a Bréda le 16 octobre, non pas afin de fréquenter la cour de Maurice, qui venait de s'y installer au chateau de son frère Philippe, après lui avoir succédé comme Prince d'Orange 2, mais, plus prosaïquement, afin 1. Pp. 17 et s. 2. On serait tenté de se demander même si Descartes n'aurait pas été d'abord au 376 DESCARTES EN HOLLANDE d'aider Tonele Pierre a abattre ses pores et aussi afin d'y chercher femme1. Beeckman était un jeune médecin de trente ans ; il n'était encore ni adjoint au principal (conrector) du Collége latin d'Utrecht, ce qu'il ne devint que le 26 novembre 1619, ni principal (rector) du Collége latin de Dordrecht, ce qu'il ne fut que le 2 juin 1627. On a toujours su que Descartes avait séjourné dans la johe petite vüle du Brabant que Héraugière avait, par sa ruse, ravie en 1590 a 1'Espagnol2 et qui faisait partie de la Généralité, province conquise appartenant en commun a toutes les autres. D'abord le Compendium Musicae, publié en 1650, après la mort du philosophe, sans doute d'après les papiers mêmes de Beeckman, est daté de Bréda, 31 décembre 1618 3. Ensuite il se rattache a ce séjour une anecdote trop célèbre pour n'être pas un peu suspecte, surtout paree qu'on en raconte une a peu prés semblable sur Viète. La voici toujours, paraphrasée de Lipstorp, qui 1'enjolive moins que son successeur Baillet : « Lorsqu'il quitta la France pour la première fois, il avait vingt et un ans [?]. Comme il brülait d'être a la fois spectateur et acteur de la Comédie humaine, il s'enröla comme volontaire en Hollande, sous le glorieux Prince Maurice, Stathouder et capitaine général des Provinces-Unies. Ce Prince ten ait alors garnison avec toute son armée autour de Bréda en Brabant, alors soumis a Leurs Hautes Puissances les Etats généraux et qui n'avait pas encore été reprise par Spinola (1625). II arriva que, comme notre Descartes séjournaitaBréda, un pauvre mathématicien, désireux d'améliorer son propre sort, proposa, par voie d'affiche, au public, quelque problème a résoudre. Les passants s'arrêtaient, et, parmi eux, notre Descartes ; mais, récemment arrivé aux Pays-Bas, il n'en possédait pas encore la langue et c'est pourquoi il pria son voisin (que par la suite il sut être un philosophe et mathématicien assez connu, Beeckman, proviseur du Lycée de Dordrecht) de lui expliquer service du catholique Philippe d'Orange ou de sa femme la princesse de Condé. Sur ceux-ci, voir plus haut, livre Ier, p. 117-118. 1. « Voor de slachttijt des jaers 1618, ben icte Breda gecomen om Pieteroom te helpen wereken en te vrijen oock. »(F° 94 v°). 1. Vide supra, p. 129. 3. (Euvres, t. X, p. 141 : «Bredae Brabuntinorum pridie Calendas Januarias anno MDCXVIII completo». Cf. aussi t. X, p. 89, note a. Le Journal de Beeckman con tient un manuscrit du traité avec la dédicace : «René Isaco Beeckmanno. » C'est une copie imparfaite de 1'original et qui n'est pas de la main de Beeckman ; ce dernier a ajouté: «Du Peron sive Des Chartes ». Le manuscrit de Leyde porte sur la couverture: « Compendium Musicae R. des Chartes Isaaco. » DESCARTES ET BEECKMAN 377 la donnée du problème, soit en francais, soit en latin. Celui-ci acquiesca a sa demande et lui donna son adresse afin qu'il lui fft parvenir la solution. Beeckman ne fut point décu, car Descartes, rentré chez lui, ayant examiné le problème selon les régies de sa méthode, en triompha avec autant d'art et de rapidité, que, jadis, Viète, qui, en trois heures, avait résolu la difficulté proposée a tous les mathématiciens de la terre par Adrien Romain. Aussi, fidéle a sa promesse, se rendit-ü sans tarder, chez Beeckman, pour lui apporter non seulement la solution mais la marche a suivre. Le Hollandais admira eet esprit qui dépassait son attente et il conclut avec Descartes une amitié éternelle... » II est permis de professer une certaine tendresse pour la légende, mais il ne 1'est point de la préférer a la vérité. Celle-ci est plus sèche et plus simple ; elle tient dans ces lignes du Journal de Beeckman, a la date du 10 novembre 16181: « Descartes n'est pas arrivé a prouver qu'il n'y a pas d'angles : « Hier, qui était le 10 novembre, a Bréda, un Francais du Poitou s'efforcait de prouver qu'en réalité il n'existe point d'angle et cela par le raisonnement que voici : » II semble bien tout de même que ce soit autour d'un problème, et d'un problème assez paradoxal que s'est faite la rencontre de Beeckman et de Descartes et nouée leur amitié, mais pourquoi Schooten n'en a-t-il pas raconté la donnée a Lipstorp ? On se demande même si ce n'est pas le jeune cadet en personne qui, par manière de défi et pour amuser ses loisirs, n'aurait pas, par voie d'affiche, proposé la difficulté. Le second passage du Journal \ qui se rapporte a Descartes et oü celui-ci est appelé cette fois Renatus Picto, René le Poitevin, est au folio 99 verso, a la date du 17 novembre : « Pourquoi le* sabot ou toupie des enfants reste debout en tournant... René, le Poitevin, me fit songer qu'un homme pouvait se maintenir dans les airs... » Dans un troisième passage, après le 23 novembre 1618, Renatus Picto 3 apparait déja préoccupé des problèmes du son. II en est de même dans les fragments V et VI, mais le plus intéressant, paree qu'il est le plus personnel, est le quatrième (fc 100 herï fSTStSo 'nóv 6 m fiA?igULUmHnuUlrm1esse5?aIe Pr°bavit Des Cartes. Nitebatur re^erThoc arïïmTto! f181' BredaC' GaUuS Plcto probare nuUum ««» "MP*™ 2. (Euores, t. X, pp. 51 et 42. 3. Ibid., pp. 52 et 42. 378 DESCARTES EN HOLLANDE verso), également du 23 novembre ou de trés peu postérièur, et que je traduirais'ainsi': « Mon Poitevin est hé avec beaucoup de Jésuites et d'autres hommes d'étude et de savants »*; ceci semble justifier Baillet du reproche que lui adresse M. Adam de faire remonter trop haut les relations de Descartës avec Mersenne et Mydorge, qui peuvent être visés ici.«Cependant il dit qu'a part moi, il n'a jamais rencontré pérsonne qui üriit étroitement dans ses études la physique et la mathématique et je m'en réjouis. Moi, de mon cöté, je n'ai parlé a personne qu'a lui de ce genre d'études ». On ne saurait assez insister sur 1'importance de ce passage qui nous initie aux enfances d'un génie. L'anecdote, telle que la tradition la conté, nous montre un escamoteur de difficultés, un curieux de problèmes, ainsi qu'il y en avait alors tant parmi les gens du monde, dont 1'arithmétique ou 1'algèbre était la distraction favorite, comme, au xvme siècle ce furent les sciences naturelles, par une succession qui n'est pas du tout fortuite. Ici, c'est le constructeur de systèmes qui apparait et qui se plait a ramener les phénomènes physiques a des lois mathématiques, en attendant qu'il fasse de 1'axiome la formule même de 1'évidence. Sur ce point il se rencontre avec Beeckman qui, sentant sans doute, et cela lui fait honneur, la supériorité de ce jeune esprit, sans toutefois en mesurer encore toute 1'enyergure, ne laisse pas de tirer quelque vanité de cette coïncidence. Peut-être sont-ce ses propres idéés que le Poitevin admire en son nouvel ami. Dans la proposition VII, consacrée a la musique, Renatus Descartes Picto est nommé plus complètement et, dans la VIIIe, sur la racine carrée, il est aussi appelé Renatus Descartes a. Une simple phrase nous apprend qu'a la requête de son ami hollandais, il a rédigé son traité de la musique. Nous sommes assurément en décembre 1618 : « Mr Duperon, le Poitevin se nomme René Des Cartes dans ce traité de la Musique, qu'il écrit a mon intention... »3. A ce hvre se rapporte la proposi- 1. Ibid., p. 52: IV, Physico-Malhematici paucissimi: HicPicto cummultis Jesuitis aliisque studiosis virisque doctis versatus est. Dicit tarnen se nunquam hominem reperisse, praeter me, qui, hoe modo quo ego gaudeo studendi utitur accurateque cum Mathematica Physicam jungat. Neque etiam ego, praeter fflum,nemimlocutUs sum hujusmodi studii. » 2. (Euvres, t. X, p. 54. 3. Ibid., pp. 56 et 44, n° IX : t Mr Duperon Picto, Renatus Des Cartes vocaturin ea Musica quam meS causa jam describit. » DESCARTES ET BEECKMAN 379 tion X, tandis que les deux suivantësV XI- et XII, cherchent la loi de la chute des corps, c'est-a-dire nous ramènent a un autre chapitre de physique : l'unité de conception reste incon*testable. Les articles XII a XIV 1 sont postérieurs a la rémise du De Musica a Beeckman par « M. Duperon » et le premier d'entre eux est daté du 2 janvier 1619. C'est avant cette date, probablement entre le 23 novembre et le 26 décembre, que Descartes a rédigé, a la demande de Beeckman et a son intention aussi, « René du Perron mihi», un traité que M. Adam appelle Physico-mathematica, contenant une étude de la pression de 1'eau sur les parois du vase qui la contient, et une autre se rapportant a la chute des corps. Celle-ci est intitulée en latin : « De combien croit a chaque moment le mouvement de la pierre tombant dans le vide et se dirigeant vers le centre de la terre, selon Descartes*». Les deux problèmes ont été aussi mentionnés dans le Journal, ce qui permet de dater le traité. La fin du Compendium Musicae2 est toute personnelle et. mérite par conséquent que nous y revenions un instant: « Maintenant je vois la terre, je me hate vers le rivage; j'omets ici bien des choses, beaucoup par souci de concision, beaucoup par oubli, davantage par ignorance. Cependant je permets a eet enfant de mon esprit, informe comme il 1'est, a mon « ours »3, d'aller vers vous, pour qu'il soit un souvenir de" notre intimité et la plus süre affirmation de mon affection pour vous : a cette condition toutefois qu'éternellement caché dans 1'ombre de vos coffres ou de votre cabinet, il n'ait pas a affronter le jugement des hommes. Ceux-ci ne détourneraient pas les yeux, comme je m'assure que vous le ferez, de ses imperfections, pour les fixer sur les pages oü je ne nie pas que soient tracés, pris sur le vif, quelques linéaments de mon esprit. Ils ne sauraient pas surtout que tout ceci a été composé a la hate, pour vous seul, parmi 1'ignorance des soldats, par un homme oisif 4, soumis a un genre de vie entièrement différent de ses pensées. De Bréda en Brabant, 31 décembre 1618. » 1. Ibid., pp 61-63. 2. (Euvres, t, X, pp. 140-141. 3. Ibid.: « quasi ursae foetum nuper editum », 4. II y a dans le texte : t desidioso et libero », mais je crois, avec M. Adam, qu'il faut lire < non libero >. 380 DESCARTES EN HOLLANDE A partir du 2 janvier 1619, les relations orales, résumées dans le Journal, cessent, Beeckman datant de Geertruidenberg, même jour, une observation de lui sur les conditions du vol des oiseaux. Le 10 janvier, il est a Middelbourg, mais, si le nom de Descartes apparait dès lors plus rarement dans le Journal (il n'y a qu'un passage important en mai sur lequel nous reviendrons), nous avons, pour suppléer a son silence, des lettres de Descartes, trés privé du contact de son ami et que M. de Waard a pubbées en aoüt 1905, dans le Nieuw Archief voor Wiskunde1. Rien de plus curieux que cette correspondance du jeune gentilhomme, la plus ancienne que 1'on connaisse, car elle nous fait pénétrerdans les replis intimes de son cceur et de son esprit, alaveille de 1'éclosion grandiose et un peu mystérieuse de novembre 1619. Un mot d'abord sur la langue dans laquelle elle estécrite: toute la correspondance révélée par M. de Waard est en latin. Est-ce a dire que les deux nouveaux amis pariassent entre eux cette langue ? il est permis d'en douter. Le latin est alors pour Descartes le seul idiome dont il se soit servi au Collége pour exprimer ses pensées d'ordre scientifique ou mêmè littéraire. L'algèbre, il 1'avait apprise dans les livres du P. Clavius, celui que ses confrères de la Société de Jésus appelaient le nouvel Euclide. Mais Beeckman, ayant voyagé en France et séjourné quelques mois a Caen, devait savoir le francais, assez pour converser, sinon pour s'en servir comme d'instrument pour la science, ainsi que le fera de préférence son compatriote Christian Huygens, dans la seconde moitié du xvne siècle 2. Traduisons et commentons les passages essentiels de ces curieuses épitres. La première dont Beeckman ait inséré la copie dans son Journal 8, débute par les marqués de 1'amitié la plus vive, mais sans rien de 1'exagération propre aux correspondances du temps : « Votre lettre si impatiemment attendue, m'est parvenue et, dès le premier abord, je me suis réjoui quand 1. 2e série, t. VII, sous ce titre : Eene Correspondentie van Descartes uit de jaren 1618 en 1619. M. Adam a reproduit ces lettres au t. X de sa grande édil ion, et c'est a ce tome que nous renvoyons. 2. Ses (Euvres sont en cours de publication par les soins du savant professeur honoraire de 1'Université d'Amsterdam, D. J. Korteweg. C'est une source importante pour 1'histoire littéraire et scientifique du xvne siècle. 3. Non pas k leur date, mais plus tard, en 1627, au moment oü, sans doute, Beeckman remet en ordre ses papiers', après son arrivée a Dordrecht. Cf. (Euvres, t. X, p. 28. DESCARTES ET REECKMAN 381 j'y ai vu des notes de musique. Comment m'auriez vous pu témoigner plus clairement que vous vous souveniez de moi ? mais il y avait autre chose que j'attendais surtout : des détails sur le lieu oü yous étiez, sur ce que vous faisiez, sur votre santé. Ne croyez pas, en effet, que je ne m'inquiète que de votre science et non de vous; de votre esprit, qui en est, il est vrai, la partie principale et. non de votre personne tout entière. » Ensuite quelques notes sur lui-même, qui sont sans prix : « En ce qui me touche, je reste oisif selon mon habitude, j'ai a peine écrit le titre des livres que je me propose de rédiger a votre instigation. Pourtant, ne me croyez pas oisif au point de gaspiller mon temps sans aucun pro fit; au contraire, je 1'emploie assez utilement, mais en des matières que votre esprit, livré a de plus hautes préoccupations, considérera avec dédain du haut de 1'empyrée de la science : a savoir la Peinture, 1'Architecture militaire et surtout le hollandais *. Vous verrez bientót ce que j'ai fait de progrès dans votre langue, car je compte être a Middelbourg, si Dieu le veut, pour le prochain Carême. » Voila donc a quoi s'occupait Descartes, a 1'école de Maurice, dans cette sorte d'Académie militaire comme il en existe encore une aujourd'hui au même heu, a la même place, et oü des maitres de choix, peut-être Stévin, David d'Orléans et Jacques Alleaume, enseignaient aux jeunes nobles, venus de partout, le dessin, 1'architecture militaire ou 1'art des fortifications et le hollandais, car Stévin, nous a révélé M.Brunot2, était trés féru de son flamand. N'avait-il pas été « Professor in de Duytsche Mathematik », a Leyde, c'est-a-dire qu'il y enseignait en hollandais 1'arithmétique que Girard de Saint-Mihiel 3 devait, plus tard, tourner en francais. II faut insister sur 1'architecture, car ainsi s'explique que le Discours de Ia Méthode fourmiïle de comparaisons empruntées a un art particulièrement cher a Descartes, paree qu'il exprime le mieux son génie constructeur et ordonnateur, qui est aussi celui de son siècle : « Ainsi voit-on que "les bastintens qu'un seul Architecte a entrepris et achevez, ont coustume d'estre plus beaux et mieux ordonnez que ceux que plusieurs ont tasché- JL p 169 3. Discours de la Méthode, au t. VI, p. 17. 388 DESCARTES EN HOLLANDE pas une simple hypothese, car il est question des célèbres F. R. C. dans les Cogitationes privatae de janvier 1619x. C'est de France que les myStérieux Frères étaient venus aux PaysBas, aux termes de 1'accusation forrnelle affichée a Harlem, le 19 juin 1625, par ordre des Etats de Hollande, accusation que confirme 1'Historisch Verhael ou récit de Wassenaer (1624-5) qui invoque une traduction de la Fama fraternitatis Roseae Crucis 2, semblable a la déclaration originale éditée a Cassel en 1614, et dont la traduction hollandaise serait due a ce singuher Nicolas Barnaud dont nous avons parlé au livre II 8. Celui-ci, dans un manifeste lancé de Gouda, avait fait connaitre que les Frères de la Rose-Croix de France avaient décidé de communiquer leurs découvertes a Henri IV, pour que la fabrication de 1'or ne tombat pas en des mains criminelles. II priait les Frères hollandais de s'unir a lui et de faire part de leurs trouvailles au Prince Maurice. Barnaud avait publié a Leyde un livre sur 1' autorité de la Sainte Ecriture et une traduction des ceuvres de ce Socin, dont on retrouve le nom sous la plume de tous les hétérodoxes. Barnaud prêchait 1'union des théosophes et des cabalistes pour la recherche de la panacée % Plus que la quête de la pierre philosophale, c'est la tache que s'assignent les Rose-Croix, qui sont presque tous des médecins. Pouvons-nous oublier que Beeckman en était un et que Descartes, petit-fils du médecin Pierre Descartes et arrière-petit-fils, par sa mère, d'un autre médecin, JeanFerrand, fut toujours tres attiré par Tart de guérir, qu'il pratiqua même, comme nous le verrons plus tard ? Disons encore que Beeckman était protestant et qu'a ce moment les Rose-Croix tendaient a être absorbés par le Protestantisme, surtout en Allemagne, mais la doctrine de large tolérance et d'union de tous les cultes contenue dans la Fama était 1. CEuvres, t. X, p. 214. „02- „D' Meijer, De Rozekmisers of de Vrijdenkers der XVII" eeuw, Harlem, F. Bohn, 1916, petit in-4", p. 66. 3. P. 225. M. Meijer 1'appelle a tort Bartaud ou Bernard Montaux. D résulte d'un long échange de lettres que j'ai eu avec 1'excellent Spinoziste, qu'il est d'accord avec moi sur 1 Identification des deux personnages. Aucun doute ne saurait subsister sur son nom : j ai sous les yeux une photographie d'une lettre autographe adressée Bkh*?!.?Utr«c,v' le„5 a?ut 1598. «n professeur Heurnius et qui est conservée a la bibhothèque de Leyde. C'est aussi a Leyde, en 1616, selon Baillet, que parait 1'Apologie (des Rose-Croix) de Robert Fludd, gentilhomme anglais. Cf. (Euvres de Descartes, t. X, p. 200. Gassend a réfuté le même Fludd 4. Cf. Meijer, op. cit., pp. 46 et 47. DESCARTES ET BEECKMAN 389 assurément incompatible avec 1'aspect que prenait en ce moment le calvinisme aux Pays-Bas. On n'a pas assez remarqué que le premier séjour de Descartes en Hollande colncide exactement avec les délibérations du f ameux Synode de Dordrecht, qui s'ouvrit le 13 novembre 1618 et se clötura le 9 mai 1619. II s'occupait, nous 1'avons dit, de résoudre la controverse sur la prédestination entre les «libertins»arminiens et les orthodoxes gomaristes pour aboutir a une doctrine officielle, a une confession de foi \ qui serait imposée a tous les pasteurs et professeurs de théologie du pays. Le Synode, auquel des délégués des églises étrangères furent conviés, se prononca, onle sait, dans le sens du calvinisme le plus rigoureux. On ne se fait pas toujours une idéé trés exacte de la tolérance hollandaise. Ce pays est d'abord, plus que le nótre, celui de 1'anarchie intellectuelle : toutes les sectes, fussent les plus insensées, y ont toujours des adeptes, dans ces isolés livrés a leur orgueilleuse méditation sohtaire et qui n'en sortent que pour se grouper en petites chapelles. Aujourd'hui encore, il y a, a cóté de 1'Eglisé officielle calviniste,' une Eglise remonstrante qui continue Arminius, des Vieux Catholiques s'opposant aux cathohques Romains, desMennonites, des Anabaptistes et que sais-je encore. Ces Églises se tolèrent, ce qui ne veut pas dire qu'elles se supportent. Malgré les Synodes, il en fut è peu prés ainsi pendant tout le xvne siècle, 1'autorité fermait les yeux et laissait coexister ces sectes, par nécessité pohtique et économique, peutêtre plus que par la conviction profonde de ceux qui exercent le pouvoir. En leur for intérieur, ils ont pris parti, et 1'indulgence souriante d'un Montaigne n'est pas leur fait. Si un jour alors, ils s'apercoivent que leur puissance est en jeu, ils sont capables de toutes les intransigeances : en 1619, ils allèrent jusqu'au crime. Ce n'est pas pourtant que Maurice, adversaire du Pensionnaire füt bien zélé en matière de foi. On lui attribue ce mot, prononcé ason lit de mort, que 1'article principal de son credo était: deux et deux font quatre a. 1. Voir ceDe que signèrent a travers tout le xvii* siècle, et même après, les pasteurs de 1'Eglise Wallonne et dont 1'original est conservé a Leyde k la Bibliothèque wallonne. J'en donner ai bientót une édition critique. 2. Balzac et Tallemant le racontent l*un comme 1'autre (cf. (Euvres de Descartes, t. XII, p. 41). Qu'ïl ait dit cela a un ministre protestant, par exemple a Rivet, je me permets d'en douter. 390 DESCARTES EN HOLLANDE Or n'a pas assez remarqué non plus que le départ du philosophe coïncide avec le procés d'Oldenbarneveldt, dans lequel est in*phqué un homme que Descartes, juriste et latiniste, ne pouvait s'empêcher d'admirer, Hugo Grotius ; la lacheté avec laquelle il abandonna ses amis ne le sattva pas d'une condamnation. Descartes doit s'embarquer le 29 avril 1619. Le 13 mai suivant, la tête du grand Pensionnaire tombe sur l'échafaud. Comme Jean de Nérée, pasteur des régiments francais, traduit les actes du Synode, Descartes n'a rien puignorer de ces.séances, qui d'ailleurs se passaient dans une ville voisine, ni de la préparation de la tragédie de La Haye, qui en fut le résultat. II dut se sentir mal a 1'aise. II lui parut sans doute qu'il tombait de 1'intolérance cathohque dansTintolérance protestante, mais, assurémentj il perdit le souvenir de ces impressions puisque, dix ans après, nous le retrouverons en Hollande. S'embarqua-t-il efïectivement le 29 avril 1619 ? il n'y a pas heu d'en douter. car il écrit a Beeckman: « Aujourd'hui.je m'embarque pour visiter le Danemark » \ M. Adam trouve le détour trop. grand pour permettre a Descartes d'assister aux fêtes dü couronnement de 1'empereur Ferdinand2, qui eurent heu a Francfort, entre le 20 juillet et le 9 septembre 1619. Maisn'a-Ul pas eu le temps, du 29 avril au 20 juillet, de gagner cette ville, même en consacrant quelques jours a Copenhague, comme il en a 1'intention : « Je resterai quelque temps dans la ville de Coppenhaven 8 oü j'attends Une lettre de vous. Chaque jour, des navires partent d'ici pour le Danemark et, quoique vous ignoriez mon hotel, je m'informerai si diligemment des marins qui apporteraient quelque chose peur moi, qu'elle ne risque pas de se perdre. » Si donc Descartes avait été empêché de s'embarquer le 29, il lui était facile de prendre le bateau suivant; s'il avait renoncé a la voie de mer, une nouvelle lettre a soa fidéle Beeckman nous en eüt fait part. Celle qui est bien la dernière, du moins, pour cette période, se termine par un message pour Pierre van der Merck 4 et enfin par une phrase d'affection : « Je n'ai plus rien 1. (Euvres, t. X, p. 165. 2. Ibid., t. VI, p. 11. 3. Remarquer «ette forme, qui se rapproche du danois beaucoup plus que celle dont nous nous servons d'ordinaire. 4. (Euvres, t. X, p. 166. II s'agit d'un marchand et, je suppose, a propos de lettre p2CQ2ange,; 'Voyeala róle de Joostens a Tours, a 1'égard de Scaliger. Cf. Livre IL DESCARTES ET BEECKMAN 391 a ajouter, si ce n'est que je vous demande de m'aimer et que je vous souhaite d'être heureux. Adieu! A Amsterdam, 29 avril 1619. Vótre autant que sien, Du Perron. » Beeckman répondit le 6 mai a son «rare » ami, mais sa lettre ne 1'atteignit point. Elle traite sommairement et avec mépris d'Agrippa et de Lulle et se termine par ce vceu et ces recommandations : « Que Dieu donne que nous vivions pendant quelque temps ensemble pour pénétrer dans le champ de la science jusqu'a 1'ombüic ! cependant, veillez sur votre santé, soyez prudent pendant votre voyage, de crainte que vous ne paraissiez ignorer la seule pratique de cette science dont vous faites tant de cas. Songez a rédiger ma Mécanique et la vótre. Vous avez 1'habitude d'être fidéle a vos promesses... Vous êtes maintenant dans la capitale de ce pays1. Ne manquez pas d'y examiner tout ce qui s'y trouve de science, ne manquez de visiter aucun savant, afin que rien de ce qu'il y a de bon en Europe ne vous échappe ou plutót afin que vous expliquiez votre système aux autres savants2. Je me porte bien. » Excellents conseils de 1'ainé au cadet, mais qui ne trahissent pas la même tendresse que celle que Descartes éprouvait a 1'égard de son initiateur « vir ingeniossisimus » s, « studiorum promotor et primus author » 4. 1. Evidemment du Danemark, sans cela 11 eüt écrit: «hujus regni»et non « ejus.». 2. Je ne suis pas sur du sens, le texte porte : < aut potius ut rationem tui ad reliquos doctos intelligas. > (Euvres, X, p. 169. 3. Cogilationes privaiae, au t. X, p. 219 : « Contigit mihi ante paucos dies familiaritate uti ingeniosissimi viri ». Tous ces passages témoignent d'une pénétration réciproque des deux esprits. 4. (Euvres, t. X, p. 162. CHAPITRE IV LES ANNÉES ü'ALLEMAGNE (1619-1621) L'lNVENTION MERVEILLEUSE DU 10 NOVEMBRE 1619 « J'estois alors en Allemaigne, oü 1'occasion des guerres qui n'y sont pas encore finies, m'avoit appelé et, comme je retournois du couronnement de 1'Empereur vers 1'armée, le commencement de 1'hyver m'aresta en un quartier, oü, ne trouvant aucune conversation qui me divertist et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucuns soins ny passions qui me troublassent, je demeurois tout le jour enfermé seul dans un poësle, oü j'avois tout loysir de m'entretenir de mes pensées ». II est peu de passages plus célèbres que ce début de la Seconde partie du Discours de la Méthodel. Pour le commun des hommes, le philosophe dans sonc poèle» résumé même toute la biographie de Descartes, comme 1'accident du pont de Neuilly, celle de Pascal. Mais, si cette dernière anecdote est suspecte, 1'autre ne 1'est point et le philosophe y a assez insisté pour nous permettre de nous y arrêter a notre tour. II y revient encore plus loin, comme s'il tenait a marquer exactement les hmites de sa méditation fondamentale : « Et d'autant que j'esperois en pouvoir mieux venir a bout [il s'agit des préjugés sur les mceurs] en conversant avec les hommes qu'en demeurant plus long-tems renfermé dans le poësle oü j'avois eu toutes ces pensées, 1'hyver n'estoit pas encore bien achevé que je me re mis a voyager. » II n'est pas besoin d'exphquer le sens de poële, puisque le mot est dans le Journal de voyage de Montaigne2, dansle Thresor de la Langue francoyse de Nicot, avec le sens de hypocaustum ou chambre chauffée et qu'il a survécu dans le patois lorrain et 1. CEuores, t. VI, p. 11. 2. Ed. Lautrey, p. 92 et Euals, III, 13. Je reproduis ces textes a la fin de mes .Fieces juslificatives. 394 DESCARTES EN HOLLANDE en Alsace 1. On le trouvera aussi dans le Glossaire des Classiques francais de M. Huguet. II s'applique mieux encore a ces chambres d'Allemagne oü 1' « altdeutscher Ofen » répand la douce chaleur de sa colonne de céramique, dans le bas de laquelle des sièges sont aménagés. Mais on peut marquer avec plus de précision que par le Discours de la Méthode, les termes de eet hiver décisif, en recourant aux petits écrits de jeunesse de Descartes, en partie perdus, mais que M. Adam a reconstitués au tome X de son édition. Baillet les connut par 1'abbé Legrand, qui les avait hérités de Clerseüer (1684), lequel les tenait lui-même de son beau-frère Chanut, notre ambassadeur en Suède. Ils nous ont été conservés en partie par les copies qu'en fit faire Leibnitz a Paris ou en Hollande, oü ils circulaient. Parmi ces opuscules, celui qui nous intéresse le plus, en ce moment, c'est le discours intitulé Olympica. II porte la marqué d'une exaltation étrange, de ce mysticisme cartésien que je voudrais mettre en reüef, paree qu'il fait apparaitre moins isolé, au xvne siècle, le cas de Pascal et qu'il trahit un des caractères que cette époque unit souvent a son réalisme. Or donc, on lit; en tête des Olympica, dont le titre nous porte déja sur les sommets:«X novembris 1619 cum... mirabilis scientiae fundamenta reperirem», 2«le 10 novémbre 14319, lorsque je découvris les fondeménts d'une science merveilleuse ». II n'est pas difficile de rapporter cette date au premier passage que nous avons cité du Discours de la Méthode. Descartes • est parvenu de Copenhague a Francfort, oü, entre le 20 juillet et le 9 septembre, il a assistê au couronnement de 1'Empereur Ferdinand s. II est friand des grands spectacles oü se pressent la cohue bariolée des hommes d'habit varié et de coutumes diverses. Le mêtaphysicien, chez lui, n'est pas indifférent a 1'homme, son point de départ et son objet: il ne s'isole pas en son moi, qu'il confère sans cesse a celui des autres.' Sans doute, ce n'est pas ce qu'il cherchait : il veut une mêlée plus ardente que celle des foules, et surtout le danger. II s'est admifé déja d'être sans crainte dans la tempête. 1. A Strasbourg, on Ut sous une enseigne, faubourg de Pierres : « Zur Gaertner Stube >, la traduction : «Au poële des jardiniers. » 2. (Euvres, t. XII, p. 50. 3. (Euvres, t. X, p. 186, note b. années d'allemagne (1619-1621) 395 Comment se condinra-t-il au combat ? c'est une question qui préoccupe 1'homme de cceur qui réfléchit, se méfiant des lachetés de son pauvre corps et désireux de « s'esprouver ». Connut-il 1'exaltation et les angoisses de la bataille ? il semble que oui, car le Père Poisson1 dit : « J'ay des memoires entre les mains que M. Descartes a faits a la guerre, oü 1'on peut voir combien eet exercice est utile a un homme qui scait faire usage de toutes choses et qu'un esprit bien fait trouve dans le milieu d'un camp de quoy servir d'entretien a ceux qui frequentent aussi le Lycée ». Ceci ne prouverait pas encore qu'il ait été engagé, mais 1'observation que voici a bien 1'air d'avoir été prise sur le vif 2 : « Un Gendarme revient d'une mêlee : pendant la chaleur du combat, il auroit pu estre blessé, sans s'en appercevoir... ». II est parfaitement exact et il s'est vérifié plusieurs fois qu'on peut être blessé sans le savoir : c'est le privilège de T « état de choc ». On ne voit pas cependant qu'il y ait eu une campagne de TEmpereur Ferdinand, dans la fin de 1'été 1619, et M. du Perron; passant des troupes protestahtes de Maurice aux troupes catholiques de Maximihen de Bavière8, au début de la guerre de Trente ans, y rencontre la même déception de 1'inaction forcée; celle des quartiers d'hiver lui eüt été plus sensible encore, s'il n'y avait trouvé un asile pour 1'éclosion de ses pensées. 10 novembre 1619. Comment n'a-t-on pas observé que c'est 1'anniversaire, jour pour jour, de la reneontre avec Beeckman è Bréda ou, du moins, de la première mention que celui-ci fait de DesGartes dans son Journal. Simple coïncidence ? ce n'est guère possible, car, l'année suivante, c'est encore le 10 4, qu'il note, en marge des Olympica toujours :«X novembris 1620, coepi intelligere fundamenium Inventi mirabilis»,«le 10 novembre 1620, je commencai a concevoir le fondement d'une invention admirable. » II doit attacher a cette date, décidément, une grace triple, dont la série s'établirait ainsi : 10 novembre 1618 : rencontre de 1'annonciateur ; T0 novembre 1619 : réflexion prolongée sur eet 1. Dans une observation sur un passage du Discours de la Méthode ft. VI o 91 citée par m. Adam, fc X, p 255. > f J> 2. (Euvres, t. XII, p. 61, note c. 3. Lipstorp, Specimina Ptiilosophiae Cartesianae, 1635, cité au t. X, p. 252 Le passage est important 4. Le 10 novembre est Ia date donnée dans les Cogitationes ((Euvres, L X, p 216) d apres les Olympica. Baillet, d'après les mêmes Olympica, donne le 11 novembre 1610. Comme il peut s'agir de la nuit du 10 au 11, la différence est peu impor- 396 DESCARTES EN HOLLANDE anniversaire et annonciation de la science nouvelle et universelle ; 10 novembre 1620 : invention admirable qui en serait 1'application. Sommes-nous fondés a attribuer au plus positif de nos philosophes et au plus rationaliste, des visions qui tiennent plutót d'un Pascal ou d'une Sainte-Thérèse ? Oui, de par le reste des Olympica et la relation qu'il nous donne du songe qu'il fit en cette étrange nuit du 10 au 11 novembre 1619. La recherche de la vérité « jetta son esprit, nous dit Baillet *, dans de yiolentes agitations qui augmentèrent de plus en plus par une contention continuelle oü il le tenoit, sans souffrir que la promenade ni les compagnies y fissent diversion. II le fatigua de telle sorte que le feu lui prit au cerveau et qu'il tomba dans une espèce d'enthousiasme, qui disposa de telle manière son esprit déja abatu qu'il le mit en état de recevoir les impressions dès songes et des visions. » « II nous apprend que, le dixième de novembre mil six cent dix neuf, s'étant couché, tout rempli de son enthousiasme et tout occupé de la pensée d'avoir trouvé ce jour la les fondemens de la science admirable, il eut trois songes consécutifs en une seule nuit qu'il s'imagina ne pouvoir être venus que d'en haut. » A analyser attentivement cette phrase, dont le contenuest relativement garant! par une nouvelle réfèrence marginale de Baillet renvoyant a Cartesii Olympica, on y distingue deux choses : la découverte des «fondemens de la science admirable », qui a eu heu dans la journée du 10 novembre, et les songes, qui ne sont pas exempts de 1'étrangeté particulière au travail mental pendant le sommeil ou le demi-sommeil. La découverte diurne ne porte que les caractères d'une illumination soudaine, éclatant en quelque sorte d'un bouülonnement de pensées contenues pendant une année entière, celle qui a précédé la date fatidique. II y a pourtant, aux yeux de Descartes, un élément mystique dans cette illumination même, et on peut le prouver par la hantise d'une formule dont il se servira de nouveau l'année suivante, a la date anniversaire, et puis, plus jamais par la suite. Le mot « mirabilis » semble avoir ici autant le sens de miraculeux que celui d'admirable. 1. CEuores de Descartes, t. X, p. 181. Baillet mentionne en marge la source, quine nous est connue malheureusement que par lui, Cart. Olymp. init. Ms., c'est-a-dire le début du manuscrit des Olympica de Descartes années d'allemagne (1619-1621) 397 Les songes de la nuit, eux, sont si fous, qu'on aimerait mieux que Descartes n'y eüt pas attaché assez d'importance pour les noter et les décrire, quoique Baillet ait pu les amplifier encore et en accentuer les éléments religieux. Donc, dans le premier, il croit marcher par les rues, mais il se sent si faible du cóté droit qu'il est obligé de se renverser du cóté gauche pour pouvoir avancer. Un tourbillon lui fait faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. II se traine jusque dans la cour d'un collége, oü une personne lui dit« que, s'il vouloit aller trouver Mr. N., il avoit quelque chose a lui donner. M. Descartes s'imagina que c'étoit un melon qu'on avoit apporté de quelque pais étranger. » « Ce melon », dira-t-il plus loin, « signifioit les charmes de Ia solitude», interprétation singulière qui provoquera, plus tard, en 1693, les railleries de Huet, dans un pamphlet, oü il fera demander par Chanut au philosophe « comment il avoit reconnu que toutes ces visions étoient des revelations du Ciel et non pas des songes ordinaires, excitez peut-être par les fumées du tabac ou de la bière ou de la melancholie », remarquant aussi qu'ils arrivaient « pendant une nuit qui suivit une soiree du jour de Saint Martin, après avoir un peu plus fumé qu'a 1'ordinaire et ayant le cerveau tout en feu »1. Baillet avait prévu 1'objection et observé que Descartes « avoit passé le soir et la journée dans une grande sobriété et qu'il y avoit trois mois entiers qu'il n' avoit bü de vin» V Le second songe, survenu au bout de deux heures, commence par un bruit aigu et éclatant, qu'il prit pour un coup de tonnerre. « Ayant ouvert les yeux, il appercut beaucoup d'étincelles de feu répandues par la chambre. La chose lui étoit souvent arrivée en d'autres tems et il ne lui étoit pas fort extraordinaire, en se réveillant au milieu de la nuit, d'avoir les yeux assez étincellans pour lui faire entre voir les objets les plus proches de lui » 8. Le jeune philosophe est donc sujet a des hallucinations. « Le troisième songe n'eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier, il trouva un livre sur sa table, sans scavoir qui 1'y avoit mis. II 1'ouvrit, et, voyant que c'étoit un 1. QSuvres, t. X, p. 185, note a. 2. C'est-6-dire depuis les fètes du couronnement de 1'empereur Ferdinand. Cf, Md., p. 186, note b. 3. Baillet, t. i, p. 82 s. 398 DESCARTES EN HOLLANDE DidionRaire, il en fut ravi, dans 1'espérance qu'il pourroit lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui étoit pas moins nouveau, ne scachant d'oü il lui étoit venu. II trouva que c'étoit un recueil des Poësies de différens Auteurs, intitulé, Corpus Pottarum, etc. II eut la curiosité d'y vouloir lire quelque chose et, a 1'ouverture du livre, il tomba sur le vers : Quod vitse sectab oriter ? 1 « Au même moment, il appercut un homme qu'il ne connoissoit pas, mais qui lui présenta une pièce de Vers commencant par « Est et non », lui demandant s'il la connoissoit ». Descartes répond affirmativement, veut la chercher dans le Recueil des poètes, qui était sur la table. «L'homme lui demanda oü il avoit pris ce livre et M. Descartes, luirépondit qu'il ne pouvoit lui dire comment il 1'avoit eu, mais qu'un moment auparavant, il en avoit manié encore un autre qui venoit de disparoitre, sans scavoir qui le lui avoit apporté ni qui le lui avoit repris. II n'avoit pas achevé qu'il revit paroitre le livre a 1'autre bout de la table, mais il trouva que ce dictionnaire n'étoit plus entier comme il 1'avoit vu la première fois». Ayant voulu montrer alors.a 1'inconnu, dans le Recueil des poètes, la pièce: « Quod vitae sectabor iter », il tomba sur « divers petits portraits grayez en taille douce, ce qui lui fit dire que ce livre étoit fort beau, mais qu'il n'étoit pas de la même impression que celui qu'il connoissoit. II en étoit la, lorsque les livres et l'homme disparurent et s'effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller ». Voici maintenant 1'interprétation concue dans le sommen* encore : « II jugea que le Didionnaire .ne vouloit dire autre chqse que toutes les sciences ramassées ensemble et que le Recueil de Poësies, intitulé le Corpus podarum,. marquoit en particulier et d'une manière plus distincte la Philosophie et la Sagesse jointes ensemble. » Descartes attribue d'ailleurs une grande valeur a 1'intuition du poète. Ne dit-il pas dans les Cogitationes Privatae, qui sont de la même époque 2: «. II peut sembler étonnant qu'on trouve d'importantes sentences dans les écrits des poètes plus que dans ceux des philosophes. La raison en est que les poètes 1. Quel chemin suivrai-je dans la vie ? i2" t??6"8^, suivante est extraite du Recueil que Foucher de CareU a découvert et punlié, qu il a appelé Cogitationes privatae et qui fut commencé, encoreaBréda, ie l janvier 1619. II y est question aussi du songe de novembre 1619 et du L'lNVENTION DU 10 NOVEMBRE 1619 399 écrivent sous 1'empire de 1'enthousiasme.et par la puissance de l'imagination. Or il en est des semences de savoir qui sont en nous, comme du feu dans la pierre, les philosophes l!en peuvent tirer par leur raisonnement, les poètes le faire' jaillir avec plus d'èclat par l'imagination ». ■>* ,s Par la pièce de vers « Est et non », qui est le oui et le non, le « val xal oü i de Pythugore, il entendait la Vérité et la fausseté dans les connaissances humaines. Et qui est l'homme inconnu ? « II fut assez hardi, écrit Baillet, pour se persuader que c'étoit 1'Esprit de Vérité, qui avoit voulu lui ouvrir les tresors de toutes les sciences par ce songe. » Comme tout cela n'est pas trés orthodoxe et que, si le dernier songe lui avait donné un sentiment agréable,les deux premiers n'avaient pas laissé de lui inspirer une certaine terreur, il prit celle-ci pour un avertissement du ciel sur ses péchés et il promit a la Sainte Vierge de se rendre en pèlerinage a Notre-Dame-deLorette u la fin de novembre, promesse qu'il ne tint point. Ce vceu n'est pas une invention de Baillet1, car on le retrouve dans les Cogitationes Privataei qui m'ont presque, 1'air d'être composées de fragments des Olympica : i Avant la fin de novembre, j'irai a N. D. de Lorette a pied depuis Venise, si c'est la coutume et si c'est pratiquable mais, sinon, au moins le plus dévotement qu'il se puisse faire.» Entre cette phrase et la précédente sur les poètes, il y a celle-ci: «les doctrines des sages peuvent se réduire a quelques régies générales»,2 oü 1'on trouve en germe 1'idée. de formuler, en peu de points, la Méthode. Etrange mélange de rationalisme, de religion et de mysticisme; mais c'est trop s'arrêter aux bas-fonds troubles d'oü jaillit la clarté si pure de 1'évidence et il est temps de se demander quelle est 1'invention merveüleuse que fit Descartes en cette journée du 10 novembre 1619, disons bien journée, pour distinguer des rèves fantastiques de la nuit suivante. Quod vtlae, etc. Cf. (Euvres, t. X, p. 216:« Somnium, 1619,nov. inquo cannen 7 cujus initium : Quod vitae sectabor iter ? (Auson). • Ceel plaide en faveur de l'exactitude de Baillet dans son analyse des Olympica ; 1'idée est sensiblement la même que dans les Cogitationes^ Cf. aussi Revue de Métaphysique et de Morale, mars-avril 1618. On se reportera également aux articles de M. Muhaud, Une crise mystique chez Descartes en 1619, clans la même Revue, septembre 1916, et L'(Euvre de Descartes pendant l'hiver 1619-1620, dans Scientia, t. XXIIL 1918, pp. 1-8, 77-90\ 1. Baillet, t. I, p. 85 et 86. 2. Qiuvres, t. X, p. 217 : « Dicta sapientium ad paucissimas regulas generales possunt reduci. > 400 DESCARTES EN HOLLANDE Ce ne peut être, comme nous 1'avons observé déjè a propos d'une lettre de Beeckman a Descartes *, une marche a suivre générale applicable a divers ordres de problèmes. Serait-ce, se demande M. Adam, la mathématique universelle dont 1'idée hantait déjè les Pythagoriciens et qui est la science des rapports de grandeur et de proportion, que ce soit entre les figures ou les nombres, les astres ou les sons ? «Mathématique universelle ou science des proportions, voila donc une première invention de Descartes et qui suffirait a expliquer son enthousiasme ». (Ch. Adam). En voici une autre : Aux caractères cossiques2 exprimant la racine (R), le carré (Q), le cube (C), Descartes substitue les nombres 2, 3; il désigne les quantités connues par des minuscules, c'est ce qu'il appelle son a b c 3; les inconnues par les majuscules ABC, plus tard par les dernières de 1'alphabet, x y z. Ainsi dans les équations, les nombres seront remplacés par des lettres et les caractères cossiques par des nombres. « Cette seconde invention, dit M. Adam, n'était-elle pas admirable autant que la première ? » 4 En voici une troisième et une quatrième : « toutes les quantités entre lesquelles existent des relations numériques peuvent être exprimées'par des lignes », ce qui fait que, comme dit si bien quelque part Paul Tannery 8, le plus grand mérite de Descartes n'est peut-être pas d'avoir appliqué 1'algèbre a la géométrie, mais la géométrie a 1'algèbre. Toute la physique qui, jusqu'alors, avait été assimilée a la médecine ou a la philosophie 4 est ramenée, elle aussi, au Nombre. L'unité foncière de la Science apparait. Or c'est la, a mon sens, la grande découverte du 10 novembre 1619. C'est celle que fait pressentir la lettre a Beeckman, du 26 mars précédent: « Scientiam penitus novam tradere cupio » 7... «Infinitum quidem opus est, nee unius. Incredibile quam ambitiosum, sed nescio quid luminis per obscurum hujus scientiae chaos aspexi, cujus 1. Cf. plus haut, p. 383. 2. De 1'italien Cosa quadrata, cf. (Euvres, t. X, pp. 261, 262. 3. Oiuvres, t. XII, p. 212. 4. Ibid., p. 53. 5. Dans son arUcle de La Grande Encyclopédie. 6. Voyez plus haut, au livre II, pp. 177 et 336, ce qui est dit a propos de Pierre du Moulin ; c'est lui qui, philosophe, est chargé de la physique. Ainsi encore pour du Ban, du temps même de Descartes. Heureux quand on ne confiait pas ce cours è un simple philologue. 7. CEuvres, t. X, pp. 156-8. L'lNVENTION DU 10 NOVEMBRE 1619 401 auxilio densissimas quasque tenebras discuti posse existimo ». C'est ce rayon de lumière qui, en avril 1619, guide le penseür dans la pénombre du subconscient et qui, brusquement, après six mois d'alternance de réflexion et de pressentiments obscurs, jaillit en un torrent de lumière et suscite 1'enthousiasme dé celui qui voit sortir du creuset la coulée de lave incandescente. i^WH^ « Toutes les sciences sont Uées comme par une chaine, a-t-il écrit dans un de ses fragments manuscrits1, et on n'en peut tenir une, parfaitement, sans que d'autres ne suivent d'elles* mêmes et qu'on n'embrasse en même temps 1'encyclopédié tóut entière. » Que serait alors la découverte merveilleuse du 10 novembre 1620 ? selon notre hypothèse, ce serait 1'application, le moyen d'arriver a la science une, concue le 10 novembre précédent; c'est-a-dire la Méthode. On remarquera que les termes dont Descartes se sert a 1'occasion de la première des deux dates sont a la fois plus lyriques et plus généraux: « X novembris 1619 cum plenus forem Enthousiasmo et mirabilis scientiae fundamenta reperirem ».: Le 11 novembre 1620, ce n'est plus d'une science qu'il parle, mais d'une invention remarquable : « XI novembris 1620, coepi intelligere fundamentum Inventi mirabilis ». Le travail de 1'hiver du « poële » devait, dans 1'esprit du jeune volontaire de 1'armée impériale, aboutir a un livre. Dès février 1620, il est en quête d'un imprimeur. Comme les Olympica, les Cogitationes Privatae, qui, sur ce point, de nouveau les décalquent, disent : « J'aurai complètement terminé avant Paques mon Traité et, si je 1'en juge digne et si je trouve un éditeur, je le publierai comme je 1'ai promis aujourd'hui, le 23 février 1620 ». Pourquoi cette date ? Est-ce encore un vceu ? En tous cas, si c'en est un, il ne fut pas plus tenu que celui du pèlerinage de Lorette, du moins a ce moment. Que devint-il alors « un peu avant la fin de 1'hiver », pour reprendre le terme dont il se sert dans le Discours de la Méthodel On n'en a pas de témoignage certain. Selon Lipstorp 2 il aurait repris du service, è moins qu'il ne 1'ait continué, comme volontaire dans 1'armée que le duc de Bavière, Maximilien, rassemblait 1. (Euores, T. X, p. 255 : t Quippe sunt concatenat.se omnes scientiae i. 2. Ibid., p. 252.. 26 402 DESCARTES *EN HOLLANDE contre le comte Ffédérïc, 1'Electeur Palatin, élu röi de Bohème et qui, par une étrange rencontre, était le père de la princesse Elisabeth, pour laquelle Descartes écrivit le Traité des Passiöns. Mais les ambassadeurs du Roi Trés Chrestien procurèrent la paix entre la Ligue évangélique et Maximihen; les négociations s'étant engagées a Ulm, le 6 juin, le traité fut signé, le 3 juillet 1620. Voila notre gentilhomme décu une seconde fois 1 Toutefois la Bohème, révoltée, depuis 1619, contre l'Empèreur, n'étaht pas comprise dans le traité \ les troupes cathohques furent lanéées contre 1'Electeur, qui perdit la couronne, ala bataille de la Montagne Blanche, sous Prague, le 8 novembre 1620. Descartes y prit-il part ? le plus ancien de ses biographes, Piérre Borel21'affirme, mais il a la manie de le faire assister a des bataillés oü il ne fut jamais. S'il avait vu ce grand événement historique, il 1'aurait noté dans ses Olympica, d'autant plus qu'il mentionhe la découverte du surlendemain. Lipstorp8 n'en dit rien non plus, mais place après le traité d'Ulm la visite de Descartes a Faulhaber, qui est loin d'être sans importarce 4. On peut faire bon marché des détails qui se rapportent aux interrogations du savant au cadet, dont la présomption 1'étonne et dont bientöt la science le stupéfié, après qu'il lui a vu résoudre des problèmes de plus en plus difficiles : cela semble trop une réphque de 1'aventure avec Beeckman, mais qu'il est impossible cette fois de contröler. Le principal n'est peut-être pas le contact qui s'établit entre le philosophe francais et 1'école bavaroise d'oü venaient tant de mathématiciens allemands, mais le fait qu'au sortir de sa crise mystique, Descartes se rencontre avec un membre de la confrérie des Rose-Croix. Comment, dans 1'état d'esprit oü il est, ne serait-il pas au moins attiré par le symbole de la rose, qui représente la chair et la puissance créatrice de la nature, embrassant la Croix qui est la Mort, mais aussi la Résurrection? II ne se figure pas que le nom des adeptes vienne de leur maitre Rosenkreutz, mort en 1484 (?) et qui a tous les caractères d'un héros fabuleux, mais assurément, il est prédisposé a se rattacher a uhe de ces branches qui, telle la légende du Saint- 1. Vie de Descartes, par M. Ch. Adam,' au t. XII, p. 60. 2. Compendium vilae Benati Cartesii, petit in-12° de 55 pages, imprimé a Castres. Cf. (Euvres, t. I, p. xvi. 3. (Euvres de Descartes, t. X, p. 252. 4. M. Adam la met en 1619, je ne vois pas trop pour quelles raisons. -LES. ROSE-CROIX 403 Oraal, poussent sans cesse du tronc inépuisable de la Croix. Comme nous 1'avons vu préoccupé de 1'Art de Lulle, il doit se demander ou, selon notre hypothèse, se redemander, ainsi qu'il 1'avait déja fait en Hollande, s'il n'y a pas la quelque secret -occulte dont la vraie science pourrait profiter. Mais petit' est le nombre des adeptes : il suffit que chacun d'entre eux se choi«isse un successeur qu'il initie peu a peu et prépare a attendre la venue d'Elia Artista, d'Elie Artiste. Le vieux savant d'UIm ^arrête la curiosité impétueuse et peut-être indiscrète du jeune Francais qui, dans les phrases de son Studium bonae mentis * traduites par Baillet, s'en justitie en ces termes : « Si c'étoient des imposteurs, il n'étoit pas juste de les laisser jouir d'une réputation mal acquise aux dépens de la bonne foy des peuples » et « s'ils apportoient quelque chose de nouveau dans le monde, qui valüt la peine d'être scu, il auroit été malhonnéte a luy de vouloir mépriser toutes ces sciences parmi lesquelles il s'en pourroit trouver une dont il auroit ignoré les fondemens ». Enfin Baillet nous fournit une seule citation en texte original et qui est comme une conclusion : « Necdum de illis quidquam certi compertum habeo » (Stud. B. M. Ms. art. 5), qu'il rend inexactement par :« Une scavoitrien des Rose-Croix.» II parait bien, au contraire, que, sans avoir été initié en Allemagne, a 1'époque oü il tracé ces lignes, il a pu 1'être plus tard. Est-ce une mystification que 1'affiche qui fut placardée sur les murs de Paris en 1625 : « Nous, députés du Collége principaldes Frères de la Boze-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville par la Grace du Trés Haut, vers lequel se tourne le cceur des justes. Nous monstrons et enseignons sans livres ny marqués a parler toutes sortes de langues de pays oü voulons être pour tirer les hommes, nos semblables, d'erreur de mort... » Si c'est une plaisanterie, dont les Parisiens sont fort capables, elle ne s'explique que paree que 1'attention du pubhc était attirée vers les mystérieux confrères; leur influence était telle que le P. Mersenne, dans ses Quaestiones celeberrimae in Genesim (1623) et Gabriel Naudé, dans son Instruction d la France sur la uerité de 1'histoire des Frères de la Roze-Croix (Paris, 1623), éprouvèrent le besoin de mettre en garde les bons chrétiens contre ce nouveau danger qui les menace, remarquons-le, en même 1. (Euvres, t. X, p. 193. Ce sont les seules phrases, de ce traité crai aient été con -servées et les seules on Descartes ait parlé des Rosc-Groix. 404 DESCARTES EN HOLLANDE temps que le libertinage. C'est 1'époque du Procés de Théophile et de la condamnation de Jean Fontanier, de Montpellier, qui fut brülé vif a Paris pour avoir enseigné qu'il révélerait aux hommes un trésor inestimable l. On serait tenté de se demander si lè tapage fait autour des Rose-Croix, a Paris, n'est pas une des raisons du départ de Descartes en 1628. Le bruit avait couru, a son retour d'Allemagne, qu'il était affilié a 1'Ordre2 et il fallut démentir. Personne ne peut affirmer avec certitude qu'il 1'ait été, mais il est impossible de ne pas mentionner un certain nombre de traits qui sembleraient 1'attester. Et d'abord Descartes, comme tous les Confrères, pratique la médecine gratuitement, quoique rien ne 1'y prépare particulièrement : les soins aux malades sont de 1'essence de la Société. A la fin du Discours de la Méthode, il annonce son intention de ne plus se consacrer qu'a cela : « Je diray seulement que j'ay resolu de n'employer le temps qui me reste a vivre a autre chose qu'a tascher d'acquerir quelque connoissance de la Nature qui soit telle qu'on en puisse tirer des regies pour la Médecine plus assurées que celles qu'on a eues jusques a present » 3. En second lieu, plusieurs de ses amis de Hollande sont des Rose-Croix connus, comme le docteur Wassenaer, auteur de VHistorisch Verhael, et Corneille van Hogelande, dont nous reparlerons, fils de l'alchimiste Théobald van Hogelande4. Ensuite, comme tous les frères « longlivers », ainsi que se nomment les disciples de Fludd, il tient pour assuré qu'il vivra jusqu'a cent ans (eux disent cent vingt) et Descartes 1'avait tellement persuadé a ses amis que ceux-ci ne voulurent pas croire a la nouvelle de sa mort prématurée a l'age de cinquante-quatre ans. «L'abbé Picot, écrit Baillet5, étoit si persuadé dela certitude de ses connoissances sur ce point, qu'il auroit juré qu'il luy auroit été impossible de mourir comme il fit, a cinquante quatre ans et que, sans une cause étrangère et violente (comme. celle qui deregla sa machine en Suede), il auroit yecü cinq eens ans, après avoir trouvé 1'art de vivre plusieurs siècles ».« Ses oracles l'ont bien trompé», écrit, a ce propos, Christine a Saumaise, et la Gazelle d'Anvers, au témoignage de Christian Huygens (12 avril 1. Cf. F. Strowski, Pascal et son temps, t. I, p. 140-1 et Meijer, op. cit., p. 46. 2. (Euvres, t. X, p. 197. 3. Ibid., t. VI, p. 78. 4. Cf. Jaeger, op. cit. ; vide supra p. 182, n. 1. 5. Baillel, t. II, p. 452, cité au t. XII des (Euvres, p. 552, note a. LES ROSE-CROIX 405 1650), a publié le dimanche précédent «dat in Suede, een geck gestorven was, die seyde dat hy soo langh leven kon als hy wilde »,« qu'un fou était mort en Suède, qui prétendait vivre aussi longtemps qu'il le voudrait» *. Les lettres de Constantin Huygens ne sont pas moins péremptoires. Celui-ci ayant demandé a Descartes, s'il laissait après lui le moyen de vivre plus que nous ne faisons 2, il répond, le 25 janvier 1638 8 : « Je n'ay jamais eu tant de soin de me conserver que maintenant et au lieu que je pensois autresfois què la mort ne me put oster que trente ou quarante ans tout au plus, elle ne scauroit désormais me surprendre qu'elle ne m'oste 1'esperance de plus d'un siècle, car il me semble tres-evidemment que, si nous nous gardions seulement de certaines fautes que nous avons coustume de commettre au regime de nostre vie, nous pourrions, sans autres inventions, parvenir a une vieillesse beaucoup plus longue et plus heureuse que nous ne faisons, mais pour ce que j'ay besoin de beaucoup de temps et d'experience pour examiner tout ce qui sert a ce sujet, je travaille maintenant a composer un abregé de Médecine, que je tire en partie des livres et en partie de mes raisonnemens, duquel j'espere me pouvoir servir par provision a obtenir quelque delay de la nature et ainsi poursuivre mieux cy-après, en mon dessein ». Dans sa réphque4, Huygens parle du « siècle que vous avez resolu de vivre ». Ce n'est pas tout. II est de règle que les Frères se rendent invisibles et, pour cela, changent sans cesse le lieu de leur séjour : n'est-ce pas aussi ce que fait notre philosophe errant, dont les cendres même ignorèrent le repos5? Comme les RoseCroix, il a pris pour devise le mot d'Epicure: «Bene qui latuit, bene vixit », qui s'est bien caché, a bien vécu. M. Adam fait observer que Descartes a pour cachet R. C. et non pas R. D. II est vrai que ces deux lettres peuvent correspondre a la traduction latine de son nom, Renatus Cartesius, mais il ne cesse de pro tester, notamment auprès de Regius; 1. Cf. (Euvres de Descartes, t. V, p. 630 et D' W. Meijer, De Rozekruizers, p. 58. 2. (Euvres de Descartes, t. L p. 463. 3. Ibid., p. 507. -1. Ibid., p. 509. 5. Cf. (Euvres, t. XII, pp. 585 a 628 et W. Meij er : Het Leven na den dood van René Descartes (extr. du Tijdspiegel, 1911); Over Descartes' leven na den dood; Ibid., 1916; Wat er met net vermeende stoffelijke overschot van Descartes is geschied': (Ibid., 1917). a 406 DESCARTES EN HOLLANDE contre ce travéstissement. Or, óri ne sauraitoublier que la cinquième règle des statüts' révélés par Michel Mayer dans la Thèmis aurea (Francfort, 1618) oblige les Frères a prendre pour cachet celui de la Congrégation : R; C. *. II est juste de dire que le passage sur la longévité peut s'interpréter dans le sêns de la découverte d'une hygiène, pro pre a 1'assurer, et que, dans le Discours de laMéthode, Descartes-s'élève avec force contre les « artifices óu la venterie... de ceux qui fónt profeSsion de scavoir plus qu'ils ne scavent »2 et aussi contre ceux qui détiennent un secret 3, la vérité scientifique n'étant pas du domaine des trésors qu'on ait ie droit de dérober aux regards et a la connaissance des hommes; La doctrine de large tolérance et d'unité finale des croyances s'accorde miéux avec la pensée de Descartes que 1'obligation du secret. Dans 1'exemplaire de la Pia Admonitio de fratribus Roseae Crucis de Henricus Neuhusius (1622), a la Bihothèqué Royale de La Haye, on ht une remarque en francais, a propos de la réplique de Fludd a Mersénne, et qui est ainsi concue : « S'il est vrai qu'ils [les Frères Rose-Croix] ont retrouvé cette clef de connoissance par laquelle ils connoissent le divin mystère dte Moïse et Ehe, cachés au monde, et ce que leurs prophéties [nous dit] de 1'arrivée du Lion, de la reparation du monde, de la destruction de la dernière monarchie avec le faux prophéte et dfe la reduction de 1'Univers a 1'obeissance du seul Tout-Puissant et roi des Rois, cela, pour toute éternité, s'accorde en tout avec la Sainte Ecriture »*. Le catholicisme de Descartes et de Hogelande pouvait se trouver rassuré par des raisonnements pareibL II n'est donc pas possible de répondre affirmativement en toute certitude a cette question : Descartes a-t-il été Rose-Croix ? mais il n'en est pas moins démontré que grandes ont été ses préoccupations a 1'égard des Frères, qu'il en a fréquenté plusieurs, Faulhaber a Ulm, Wassenaer et Hogelande éii Hollande; qu'ü les a certainément écoutés, sinon par sympathie, du moins par curiosité d'esprit, et qu'il a retenu de leur enséignement mainte doctrine, comme celle de la longévité, de 1'exercice gratuit de t. (Euvres, t. X, pp. 196 et 197. 2. Cf. Ibid., t. VI, p. 9. 3. Ibid., p. 73 : »Et pour les experiences que les autres ont desja f aites, quand bien mesme ils les luy voudroient communiquer, ce que ceux qui les nomment des seciet» ae feroient jamais, elles sont, pour la pluspart, composées de tant de circonstances ou d'ingrédiens superflus qtt'll luy seroit trés malaisé de dechiffrer la verité. » 4. Découvert et cité par le D' Meijer dans ses Rozekruizers, p. 28. LES ROSE-CROIX 407' Tart deguérir, et peut-être le, goüt des changements de résidence, destinés a éhider 1'importunité des profanes De la période qui va du 10 novembre 1620, oü il est encore en Allemagne, au 3 avril 1622, oü il écrit de Bennes a son frère ainé, on ne sait rien de précis, mais c'est a ce moment, sans doute, qu'il visita la font ai ne miraculeuse d'Hprnhausen, entre Aschersleben et Schoeningen, a quarante kilomètres au sud-ouest de Magdebourg, et dont il pariera. plus tard a la princesse Elisabeth 2. A cette même période se rattacherait une aventure assez curieuse, qu'il a contée longuement dans ses Experimenta. Son récit a été traduit par Baillet, qui rapporto 1'anecdote a la fin de novembre 1621 : « Etant sur le point de partir [du Danemark] pour se rendre en Hollande avant la fin de novembre de la même année 1621, il se défit de ses chevaux et d'une bonne partie de son équipage et il ne retint qu'un valet avec luy. II s!embarqua sur 1'Elbe, soit que ce füt è Hambourg, soit que ce füt a Gluckstadt, sur un vaisseau qui devoit luy laisser prendre terre dans la Frise Oriëntale, paree que son dessein étoit de visiter les cótes de la mer d'Allemagne a son loisir. II se renüt sur mer peu de jours après, avec résolution de débarquer en West-Frise, dont il étoit curieux de voir aussi quelques endroits i 3. Si, comme il est probable, Baillet paraphrase les Experimenta, qu'il citera nommément un peu plus loin, en marge, il faut noter ce détail. Descartes aura entendu parler de Franeker, dont 1'Université était la rivale de celle de Leyde et ici aurait germé déja son dessein, réalisé plus tard, de s'y retirer. Baillet continue: « Pour le faire avec plus de liberté, il retint un petit bateau a luy seul, d'autant plus volontiers que le trajet étoit court depuis Embden jusqu'au premier abord de West-Frise. Mais cette disposition, qu'il n'avoit prise que pour mieux pourvoir a sa commodité, pensa luy être fatale. II avoit affaire a des mariniers qui étoient des plus rustiques et des plus barbares qu'on püt trouver parmi les gens de cette profession. II ne fut pas long-tems sans reconnoitre que c'étoient des scélérats, mais, après tout, ils étoient les maitres du bateau. M. Descartes 4 n'avoit point d'autre 1. On trouvera d'autres détails sur 1'histoire des Rose-Croix dans Sédir, Les Rose-Croix, Paris, Libr. du xx' s., 1918, In-12, et au t. X des (Euvres de Descartes. p. 193 et s. 2. (Euvres, t. IV, pp. 523 et 525. Les eaux de cette lontaine furent beaucoup utülsées pendant la Guerre de Trente ans. 3. (Euvres, t. X, p. 189. 4. En marge de Baillet : « Cartes. Frag. cui titul. Experimenta. » 408 DESCARTES EN HOLLANDE conversation que celle de son valet, avec lequel il parloit Fran-: cois. Les mariniers qui le prenoient plütöt pour un marchand forain que pour un cavalier, jugèrent qu'il devoit avoir de 1'argent. C'est ce qui leur fit prendre des résolutions qui n'étoient nullement favorables a sa bourse... Ils voyoient que c'étoit un étranger venu de loin, qui n'avoit nulle connoissance dans le pays et que personne ne s'aviseroit de réclamer quand il viendroit a manquer. Ils le trouvoient d'une humeur fort tranquille, fort patiënte, et, jugeant a la douceur de sa mine et a 1'honnêteté qu'il avoit pour eux que ce n'étoit qu'un jeune homme qui n'avoit pas encore beaucoup d'experience, ils conclurent qu'ils en auroient meilleur marché de sa vie. Ils ne firent point difficulté de tenir leur conseil en sa présence, ne croyant pas qu'il scüt d'autre langue que celle dont il s'entretenoit avec son valet et leurs délibérations alloient a 1'assommer, a le jetter dans 1'eau et a profiter de ses dépouilles. «M. Descartes, voyant que c'étoit tout de bon, se leva tout d'un coup, changea de contenance, tira 1'épée, d'une fierté si imprévue, leur paria en leur langue1 d'un ton qui les saisit, et les menaca de les percer sur 1'heure, s'ils osoient lui faire insulte. Ce fut en cette rencontre qu'il s'appercut de 1'impression que peut faire la hardiesse d'un homme sur une ame basse. Celle qu'il fit paraitre pour lors eut un effet merveilleux sur 1'esprit de ces misérables. L'épouvante qu'ils en eurent fut suivie d'un étourdissement qui les empêcha de considérer leur avantage et ils le conduisirent aussi paisiblement qu'il put souhaiter. » 2 Sans douter de la véracité de ce récit, M. Adam voudrait le placer en avril 1619, plutöt qu'en novembre ou décembre 1621, paree qu'il ne lui semble pas vraisemblable que Descartes eüt abordé en West-Frise sans aller voir son ami Beeckman, en Zélande, ou sans lui écrire. L'argument ne me semble pas décisif. Descartes pouvait avoir de bonnes raisons pour passer incognito par la Hollande, s'il venait de combattre dans les armées catholiques contre un ami et un parent du Prince Maurice, 1'ElecteurPalatin Frédéric; ensuite, la Trêve de Douze ans avait pris fin, j.A* Je**01116 fut en frison, mais il put se faire comprendre de ces marins d Oost-r- nse, parlant sans doute le bas-allemand ou le«plattdcutsch », en employant spit le haut-aUemand qu'il avait dü apprendre, soit le néerlandais qu'il avait retenu de son séjour a Bréda. 2. A. Baillet, Vie de Monsieur Des Cartes, t. I, pp. 102-103. Cf. (Euvres de Descartes, t. X, p. 189-190. AVENTURE DE FRISE 409 la guerre de la Hollande avec 1'Espagne avait recommencé et 1'on n'eüt pas admis, è Bréda, que le jeune cadet manquat cette nouvelle occasion de passer de la théorie a la pratique. Pour lui, il avait vu assez de la guerre pour savoir qu'elle n'était pas son lot et qu'il était fait pour la méditation plus que pour 1'action. Déjè l'année du « poële » avait été assèz féconde pour lui fournir de la matière a dix ans de spéculation philosophique. CHAPITRE1 V VOYAGES EN FRANCE ET EN ITALIË (1622-1628) « Et en toutes les neuf années: suivantes. \ jene fi autre chose que rouler ca et la dan» le monde, taschant d'y estre spectateur plutost qu'acteur en toutes les Comedies qui s'y jouent et faisant particuherement reflexion, en chasque matiere, sur ce qui la pouvoit rendre suspecte et nous donner occasion de nous mesprendre, je déracinois cependant de mon esprit toutes les erreurs qui s'y estoient pü ghsser auparavant. » Ainsi parle le Discours de la Méthode. Neuf années après la sortie du « poële•», avant la fin de 1'hiver 1619-1620, cela nous met a 1628-1629: ce sont donc elles que nous avons a parcourir maintenant. On pourrait les appeler les années de mondanité et les rapproeher d'une période analogue que connut plus tard Pascal, sous 1'influence de Méré et de Miton. Le contact de la « société pohe », qui est alors dans sa formation, la fréquentation même des « jeunes veaux », comme le père Garasse appelait les Libertins, n'est pas seulement utile au gentilhomme, mais au philosophe, s'il veut que son expérience soit totale. Une fois de plus la philosophie francaise révèle ici son cóté humain. Rentré en Poitou, après une si longue absence, Descartes se préoccupe avant tout de mettre ordre a son patrimoine. C'est une lettre d'affaires ou plutót un engagement qu'il envoie a son frère Pierre, le conseiller au Parlement de Bretagne, le 3 avril 1622 % et qui est daté de Rennes, oü lui-même se trouve auprès de leur père; Celui-ci a re mis a René le tier s des biens pro ven ant de la succession de feu Mme Descartes. Ent ré en possession des dits 1. (Euvres, t. VI, p. 28. Un peu plus loin, p. 30, 4 la fin de la Troisiime partie, on lit: < Toutefois ces neuf ans s'escoulerent, etc. » 2. (Euvres, t. I, p. 1. 412 DESCARTES EN HOLLANDE biens, il n'a rien de plus pressé que de les vendre; la Grand' Maison et le Marchais, a un marchand nommé Pierre Diéu-lefüs, pour onze mille Uvres tournois (6 juin 1623); le fief du Perron avec les droits seigneuriaux et la terre de la Bobinière, a M. de Chatillon, gentilhomme poitevin, pour trois mille livres seulement (8 juillet 1623). La maison de Poitiers fut cédée peu après pour dix ou onze mille livres. Ces réalisations f aites, quelque six a sept mille livres de rente lui étaient assurées; chiffre de Borel, que Baillet estime trop élevé l. II 1'est en tout cas pour cette période, oü il n'a pas encore hérité de son père. C'était, sinon la richesse, du moins 1'indépendance assurée. II cherchait une occasion de partir pour 1'Italië, ce qui complétera le cycle des voyages qu'un gentilhomme cultivé du temps doit avoir faits : il lui manquera toujours 1'Angleterre, oü il a cependant plusieurs fois pensé se rendre. Le prétexte de 1'expédition n'est pas, comme on s'y attendrait, 1'exécution du pèlerinage a N.-D.-de-Lorette, mais la mort du mari de sa marraine; M. Sain, commissaire général des vivres pour 1'armée d'au-dela des Alpes. Peut-être songeait-il a lui succéder en cette charge. Dans une lettre du 21 mars 1623 2, il fait part a son frère et a son père de son projet : « s'il ne revient plus riche, au moins en reviendra-t-il plus capable »; mais il s'attarda d'abord a Paris et ce n'est qu'en septembre qu'il se met en route. Sur ce voyage qui, pourtant, a pu être décisif, on ne sait rien; rien, si ce n'est ce que nous en apprennent Borel et Baillet qui, a défaut d'informations précises, lui font suivre simplement le guide du voyageur en Italië ou du pèlerin a N.-D.-de-Lorette : arrêt a Venise pour y contempler la cérémonie du mariage du doge et de 1'Adriatique; grand Jubilé de Noël 1624, a Rome; de plus, visite a Florence au célèbre Galilée, et siège de Gavi en Piémont. Tout cela est vraisëmblable mais, surtout quand il s'agit de Descartes, il vaut mieux préférer le vrai. A nos amis italiens d'entreprendre une enquête. Le sujet en vaut la peine. Dans 1'ceuvre du philosophe, on relève peu de passages se rapportant a 1'Italië : il en est un sur le climat, auquel nous 1. Cf. (Euvres, t. XII, p. 548, note a. 2. Ibid., t. I, p. 4. VOYAGES EN FRANCE ET EN ITALIË (1622-1628) 413 reviendrons, mais un autre, dans les Météores, se réfère a la. traversée des Alpes : « En mesme facon que je me souyien d'avoir vu autrefois dans les Alpes, environ le mois de May, que les neiges, estant eschauffées et appesanties par le soleil, la moindre esmotion d'air estoit suffisante pour en faire tomber subiternent de gros tas qu'on nommoit, ce me semble, des avalanches 1 et qui, retentissant dans les valées, imitoient assésbien le bruit du tonnerre »2. Ajoutons encore cette observation sur les chemins en lacets des montagnes : « En mesme facon que les grans chemins qui tournoyent entre des montaignes devienent peu a peu si unis et si commodes a force d'estre frequentez, qu'il est beaucoup meilleur de les suivre que d'entreprendre d'aller plus droit en grimpant au-dessus des rochers et descendant jusques au bas des precipices »3. .s^Va Au retour, il passé de Lyon en Poitou et écrit a son père, le 24 juin 1625, pour lui demander conseil au sujet d'une charge de Lieutenant-général qu'on lui offre a Chatelleraut pour cinquante mille livres, mais dont il ne veut donner que trente mille.. Pour acquérir la pratique nécessaire, il s'ira mettre chez un procureur du Chatelet4. II se rend a Paris, en juillet, pour aller luimême chercher la réponse et il y restera, quoique son père eüt déja regagné la Bretagne. Le « bonhomme % comme on disait sans ironie alors, dira plus tard de son « cadet » : « De tous mes enfants, je n'ai de mécontentement que de la part d'un seuL Faut-il que j'aie mis au monde un fils assez ridicule pour se faire relier en veau ! » 5 On peut considérer que, de 1'été 1625 a 1'automne 1628, la capitale fut son quartier général et le séjour qu'il y fit ne fut interrompu que par des voyages en Bretagne ou en Poitou, comme celui qu'il entreprit au commencement de 1626 avec son ami Levasseur d'Etioles. C'est alors qu'il argumenta a une soutenance de thèses au Collége des Jésuites de Poitiers 6. Son père lui parle de son établissement, dont il se préoccupe, 1. Passage intéressant pour rhistoire du mot qui, pas plus que t dune », n'était encore fort répandu. 2. (Euvres, t. VI, p. 316. 3. Ibid., p. 14. 4. Ibid., t. I, p. 4. 5. Le propos est authentique. Cf. M. Adam, au t. XII, p. 433, oü il cite S. Ropartz,. La Familie Descartes en Bretagne (1586-1762): Mémoires de l'association bretonne, 1876, p. 100. k 6. (Euvres, t. XII, p. 74. 414 DESCARTES EN HOLLANDE et il entend-par la aussi bien-Une charge qu'un mariage, mais, pouT le philosophe, c'est tout un, et il rejette avec la même énergie 1'un que 1'autre. Tl aime tant sa liberté qu'on peut lui appliquer a lui-même le mot qu'il éGrira plus tard au sujet de Balzac, i que même ses jarretières et ses aiguillettes lui pesoient». Cependant, une jeune demoiselle de naissance, la future Mme du Rosay, se vantait d'avoir attiré ses hommages ; sa poursuite, s'il y en eut une, ne fut pas toujours trés galante, car il lui dit une fois « qu'iZ ne trouvoit point de beautez comparables d celle de la Vérité » \ et ce sont la comparaisons qu'une femme ne tolère point. Une autre fois,'étant dans le monde, il assura qu'une belle femme, un bon livre et un parfait prédicateur, étaient les •choses les plus difficiles a trouver. Dans le traité des Passions de.F óme, dédié pourtant a la Princesse Elisabeth, est consignée cette opinion de misogyne : « Lors qu'un mary pleure sa femme morte, laqueUe (ainsi qu'il arrivé quelquefois) il seroit fasché de voir resuscitée, il se peut faire que son cceur'est serré par la Tristesse, que 1'appareil des funérailles et 1'absence d'une personne a la conversation de laquelle il estoit accoustumé, excitent en luy, et il se peut faire que quelque reste d'amour ou de pitié, qui se presente a son imagination, tire de veritables larmes de ses yeux, nonobstant qu'il sentei cependant une Joye secrete dans le plus intérieur de son ame. »2 A madame du Rosay se rapporterait pourtant, selon le manuscrit du P. Poisson, une aventure a la d'Artagnan que le religieux raconte ainsi: « Monsieur Descartes, retournant un jour de Paris, oü il 1'avoit accompagnée avec d'autres dames, avoit été attaqué par un Rival sur le chemin d'Orléans et... 1'ayant désarmé, il luy rendit son épée, disant qu'il devoit la vie a cette Dame pour laquelle il venoit d'exposer luy même la sienne». 8 René a lu Amadis et... don Quichotte. Quand un philosophe veut être mondain, il 1'est avec passion, et nous devons 1'imaginer a 1'occasion bretteur (il composa un Art d'escrime et pratiqua le fleuret, même en Hollande) 4 et 1. Baillet, t. II, pp. 501 et 549, cité par M. Adam, (Euvres de Descartes, t. XII, pp. 70, jiote *, et 71. 2. (Euvres, t. XI, p. 441. 3. Ibid., t. X, p. 538. 4. Ibid., p. 535 et s., et, au t. IV, p. 319, le récit du- maitre d'armes francais, qui « se vantoit de [le] connoltrë mieux que personne pour 1'avoir hanté en différents endroits de la Hollande». séjour a paris (1625-1628) 415 joueur, car le jeu a, pour les mathématiciens, 1'attrait de 1'inconnu, dont ils vëulent se rendre maitres par des calculs de probabilités. Songez encore a Pascal. II fréquente, bien qu'avec la prudence que cornmandent les retentissants procés de 1623 et de 1625, les libertins. II ne transcrit pas souvent des vers francais, mais il cite par cceur, a Chanut, dans une lettre, un quatrain de Théophile, fort médiocre d'aillëurs, qu'il a lu dans le Parrïasse satyrique K Est-il chaste ? il n'y a pas lieu de le penser. II écrira plus tard en latin a Voetius, qui 1'accuse d'avoir eu dés enfants naturels : « Eh! si j'en avais, je ne le nierais pas; j'ai été jeune...; je n'ai jamais prononcé de vceu de chasteté ni voulü passer pour un saint; mais le fait est que je n'en ai point » 2. Cette mondanité ne va pas sans certain regret. Au milieu de ce tourbillón, Descartes se sent parfois pris de remords qui ne sont pas d'ordre religieux. Ne gaspille-t-il pas les dons qu'il a recu d'en haut, n'est-il pas infldèle au serment qu'il s'est fait a lui-même, en 1619,«d'employer toute sa vie a cultiver sa raison et a s'avancer... en la connoissarice de la Vérité suivant la Methode » ? 3 Souvent lui revient, sans doute, ala mémoire, le vers du Livre des Poètes, posé sur la table par l'homme inconnu : Quod vitse sectabor iter ? Il s'est isolé, en juin 16264, au faubourg Saint-Germain, dans la rue du Four, « Aux trois Chappelets », mais ses amis, le P. Merserine, ce Minime curieux de tout, un « maitre moine », comme 1'appellera Constantin Huygens, et qui habite en un couvent situé prés la Place Royale ; Claude Mydorge, le trésorier de France a Amiens, qui s'occupe de catoptrique, c'est-a-dire des miroirs, tandis que Descartes se consacre a la dioptrique, c'est-adire aux lunettes ; de Villebressieu, 1'ingénieur; Jean-Baptiste Morin, Professeur au Collége de France5, astrologüe autant qu'astronome, 1'accablent de leur empressement, si bien que sa retraite se change en lieu de conférence. Morin lui écrira 1. (Euvres, t. IV, p. 617. 2. (Euvres, t. XII, p. 337, note e. 3. (Euvres, t. VI, p. 27. 4. BaiDet cite a ce propos une lettre de Descartes a son frère, datée de Paris, 16 juillet 1626. Cf. (Euvres, t. I, p. 5. 5. Ibid., t. XII, pp. 89-90. 416 DESCARTES EN HOLLANDE plus tard, le 22 février 1638 1 : « Dès 1'heure que j'eus 1'honneur de vous voir et de vous connoistre a Paris, je jugé que vous aviez un esprit capable de laisser quelque chose de rare et d'excellent a la postérité. » Le refuge qu'il prit chez un ami de son père, Le Vasseur d'Etioles ne lui réussit pas mieux, II fut forcé de s'enfuir et nous avons vu plus haut2 comment celui-la découvrit sa retraite, le ramenant ensuite a Mme Le Vasseur, « qui s'étoit cru méprisée dans la manière dont il avait abandonné sa maison ». « M. Descartes lui fit toute la satisfaction qu'elle pouvoit attendre non d'un Philosophe mais d'un galant homme, qui scavoit 1'art de vivre avec tout le monde. » 3 Baillet nous donne d'autres détails encore : « II étoit servi d'un petit nombre de valets, il marchoit sans train dans les rues. II étoit vêtu d'un simple taffetas vert, selon la mode de ces tems-la, ne portant le plumet et 1'épée, que comme des marqués de sa qualité, dont il n'étoit point libre a un gentilhomme de se dispenser»4. Les témoignages écrits de son activité intellectuelle en cette période agitée sont, comme il faut s'y attendre, des plus restreints, mais nous avons cependant, sur ses projets, un témoignage important de Guez de Balzac. Celui-ci, ayant pris parti contre Théophile, nous 1'avons vu au livre II5, tous les amis du poète s'étaient ligués contre le prosateur; d'autres s'étaient mêlés a la querelle et il en était résulté une polémique littéraire assez vive. Descartes ne consulte que son goüt et, d'instinct, il sent ce que le style de Balzac a a la fois d'élégant.et de rationnel, préparant 1'instrument dont lui-même se servira, au lieu du latin, et il envoie a Balzac uii dithyrambe sur les Lettres qui, chose singulière, est rédigé précisément dans cette langue : « Dans quelque disposition d'esprit que je lise ces lettres, que je les soumette a une sérieuse analyse ou que simplement je m'en délecte, elles me causent une si grande satisfaction que, non seulement je ne trouve rien a y reprendre, mais qu'entre tant de choses excellentes, j'ai peine a distinguer celle qu'il convient 1. Ibid., t. I, p. 537. 2. P. 361. 3. Cf. (Euvres, t. XII, p. 73, note a. 4. Ibid. 5. P. 256. séjour a paris (1625-1628) 417 ■de louer davantage. II y a la une telle pureté dans 1'expression qu'il en est d'elle comme de la santé dans le corps, laquelle est d'autant mejjleure qu'on n'en a point le sentiment. «II y a la encore une telle élégance, une telle grace qu'il en est d'elles comme de la beauté chez une femme parfaitement belle, dont on ne peut louer une qualité sans risquer par la d'en accuser d'autres d'imperfection». II le vante, en outre, de ce que cette élégance et cette grace n'enlèvent rien a la véhémence du style et a sa puissance pas plus qu'a sa force de persuasion et a sa sincérité dans 1'expression de la pensée *, Voila de ces éloges comme Balzac les aimait et dont il faisait volontiers son pain quotidien. Dans sa lettre du 30 mars 1628 il en accuse réception et il envoie a Descartes les trois Discours du Socraie Chrestien, qu'il lui a dédiés et dont il composait a Paris le dernier, au moment oü le philosophe 1'a quitté pour se rendre en Bretagne ; car c'est la que ce dernier semble avoir séjourné pendant les trois premiers mois de 1628 8. Balzac a tenu sa promesse, que Descartes tienne la sienne : « Au reste, Monsieur, souvenez vous, s'il vous plaist, de l'Histoire de vostre Esprit. Elle est attendue de tous nos amis et vous me 1'avez promise en présence du Père Clitophon, qu'on appelle, en langue vulgaire, Monsieur de Gersan4. II y aura plaisir a lire vos diverses aventures dans la moyenne et dans la plus haute region de 1'air, a considerer vos prouesses contre les Geans de 1'Escole, le chemin que vous avez tenu, le progrez que vous avez fait dans la vérité des choses, etc. » On ne saurait douter que ce ne soient la les termes mêmes dont Descartes se sera servi dans ses entretiens avec Balzac, car e'est tout le programme du début du Discours de la Méthode, lequel est, désa présent, concu, moins comme un traité dogmatique que comme 1'histoire d'une ame. La phrase « le progrez que vous avez fait », va se retrouver presque littéralement, au point L (Euore* de Descartes, t. i, p. 7 et s. 2. M. Adam ne 1'ayant retrouvée qu'après 1'achèvement de son tome 1,1'a placée en appendice, pp. 570-571. 3. ii fut parrain, le 22 janvier 1628, k Elven, d'un fils de son frère ainé. Cf. t. i, p. 6, au bas. 4. Cf. t. i, p. 572 ; Francois de Soucy, Sieur de Gerzan. Voili donc un ami ou un familier de Descartes et c'est, de nouveau, un hermétiste et un médecin. Je soupconnerais même un Rose-Croix, car il s'est occupé a la fois de 1'art de guérir et de la fabrication de 1'or. n a écrit un Sommaire de la médecine chymique (Paris, -1632, in-8°) et, plus tard, Le grand or polable des anciens philosophes, (Paris, 1653,' 27 418 descartes en hollande qu'on serait tenté de croire a la communication par Descartesa Balzac d'un projet, d'uftë ébauche du Discours de la Méthode1, qui aurait eu pour titre celui que Balzac imprime en petites capitales : Histoire de' mon Esprit. On lit en efïet dans le Discours de la Méthode 2: « Je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'estre rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit a des considerations fet des maximes dont j'ay formé une Methode par laquelle il me semble que j'ay moyen d'augmenter par degrez ma connóissancë et dè 1'eslever peü a peu au plus haut point auquel la mediocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie luy pourront permettre d'atteindre. Car j'en ay desja recueilly de tels friiits... que... je ne laisse pas de recevoir une extreme satisfaction du progrès que je pense avoir desja fait en la recherche de la verité... » •■* « Toutefois, il se peut faire que je me trompe et ce n'est peut estre qu'un peu de cuivre et de verre que je prens pour de 1'or et des diamans... mais je seray bien ayse de faire voir, en ce ' discours, quels sont les chemins que j'ay suivis' et d'y représenter ma vie comme en un tableau, affin que chacurt en puisse juger... » « Ainsi 3 mon dessein n'est pas d'enseigner icy la Methode que chacun doit suivre pour bien cohduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ay taséhé de conduire la mienne... Ceux qui së meslent de donner des preceptes se doivent estimer plus habiles que ceux ausquels ils les donnent et, s'ils mahquent en la moindre chose, ils en sont blasffiables. Mais, ne proposant eet escrit que comme une histoire ou, si vous 1'aymèz mieux, que comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu'on peut imitfer, on en trouvera peut-estre aussy plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espere qu'il sera utile a quelques-uns, sans estre huisible a personne et que tous me scauront gré de ma franchise. »4 Dans ce passage, les mots eri itaüque sónt a peu prés identiques a ceux qu'a reproduits Balzac dans sa lettre de 1628. S'attaquer aux Géants de 1'Ecole, dit encore celui-ci: le pluriel n'est ici qu'une prudence pour qu'Aristote ne soit pas reconnu ; L L'hypotbèse n'est pas trés hasardeuse, car les Regulae ad direclloéem ingenii ' paraissent bien de Ia même époque. 2. (Euvres, t. VI, p. 3. 4 On rêmarqnera en passant aussi la ressemblance de ce dessein avec celui de Montaigne, même dans Ia. facon dontïl est exprüné, Ce rapprochement n est d ailleurs pas lè seul qui s'impose entre le Discours de la Méthode et les Essais. séjöür a paris (1625-1628) 419 c'était bien contre lui cependant ques'élevait la haf die entte* prise que le philosophe avait dès lors concue. Descartes sortait de la mathématique universelle, dont personne ne pouvait prendre ombrage, pour la muer en philosophie Universelle^ fondée sur 1'axioine et le nombre. L'entrepriSe était aussi'Uudai cieuse que dangereuse. Non qu'elle fut tout a fait isolée. Bacon a donné en 1620 son Novum Organum, mais c'était en Angleterre,' et son livre, s'il est connu de Descartes, ne Vest pas encore du grand public. Gassend 1 n'a publié jusqu'alors que ses Exercita-> tiones paradoxicae advtrsus Aristótdeos (Grenoble, 1623). Aristote n'est pas seulement le Géant de 1'Eeole, il en est le Dieu et un Dieu qui a a son service le bras séeulier. Ce fut au cours du second procés de Théophile qu'éclata, en effet, en 1624, 1'affaire des1 thèses contre Aristote, qui devaiént être disputées publiquement, le samedi 24 et' le dimanche 25 aoüt par Jean Bitault, Etienne de Claves, «medednéhymiste», et Antoine Viüon, de soldat philosophe ». Mille personnes étaierit déja rassemblées pour les entendre, dans une des plus belle* salles de Paris, lorsque vint 1'ordre du Premier Président d'évacuer la salie Ala requête de la Sorbonne, le Parlement, par arrêt du 4 septembre 1624, fitlacérer les thèses et en exila les auteurs hors du ressort: de la Cour de Paris. Défense füt faite en outre; « a peine de la vie», d'enseigner rien contre les anciens auteurs \ Descartes n'avait pas manqué de connaitre eet arrêt, au moins par le P. Mersenne et par J.-B. Morin, qui 1'approüvèrent. Sans craindre le sort de Lucilio Vanini, « Prince des athées », brülé a Toulouse, le 9 février 1619, ni celui de Jean Fontanier, brülé a Paris, en Place de Grève, en 1621 3 ni celui de Théophile, brülé en effigie, le 19 aoüt 1623, il pouvait craindre, lui qui pourtant n'était pas athée et se donnait même pour bon catholique, le sort des trois adversaires d'Aristote. Beaugrand ne lui infligea-t-il pas un jour a lui aussi 1'épithète, qu'il méritait mieux que le Villöri en question, de « soldat philosophe » 4 ? Or le Discours, qu'il médite déja, n'est qu'une perpétuelle attaque contre la philosophie de 1'Ecole et contre Aristote, qu'il de Dweartei61? XIT^^/*^ ^re* c?mme k ™dait Paul Tannery (Cl. (Euvres HmpuUsantCf "uPss?t' XU,%.'loT 'te m0t' ™ P°ète' ^ aveC 1'. %'id* Biof/2aphie de Descartes, par M. Adam, au t. XII, pp. 85 et 86. 4. Ibid,'p. 252. 420 DESCARTES EN HOLLANDE essaye en vain de dissimuler sous son ironie1 : «Je m'assure que les plus passionnez de ceux qui suivent maintenant Aristote, se croyroient heureux, s'ils avoient autant de connoissance de la Nature qu'il en a eu, encore mesme que ce fust a condition qu'ils n'en auroient jamais davantage. Ils sont commè le lierre, qui ne tend point a monter plus haut que les arbres qui le soutiennent et mesme souvent qui redescend après qu'il est parvenu jusques a leur faiste; car il me semble aussy que ceux-la redescendent, c'est-a-dire se rendent en quelque facon moins scavans que s'ils s'abstenoient d'estudier, lesquels, non contens de scavoir tout ce qui est intelligiblement expliqué dans leur autheur, veulent, outre cela, y trouver la solution de plusieurs difficultez, dont il ne dit rien et ausquelles il n'a peut-estre jamais pensé. Toutefois leur facon de philosopher est fort commode, pour ceux qui n'ont que des esprits fort mediocres, car 1'obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent, est cause qu'ils peuvent parler de toutes choses aussy hardiment que s'ils les scavoient et soustenir tout ce qu'ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'on ait moyen de les convaincre. « En quoy ils me semblent pareils a un aveugle qui, pour se battre sans desavantage contre un qui voif, 1'auroit fait venir dans le fonds de quelque cave fort obscure, et je puis dire que ceux-cy ent interest que je m'abstiene de publier les principes de la Philosophie dont je me sers, car estans tres simples et tres evidens, comme ils sont, je ferois quasi le mesme, en les publiant, que si j'ouvrois quelques fenestres et faisois entrer du jour dans cete cave oü ils sont descendus pour se battre. » Projeter du jour dans la cave oü se débattent les ignorances humaines, quelle admirable image et combien symbolique de 1'ceuvre cartésienne, mais, pour le faire utilement, il fallait dérober la source de lumière a ceux qui avaient intérêt a la mettre sous le boisseau : c'était 1'exil. 1, Ibid., t. VI, p. 70. CHAPITRE VI DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) «Toutefois 1 ces neuf ans s'escoulerent avant que j'eusse encore pris aucun parti, touchant les difficultés qui ont coustume d'estre disputées entre les doctes ny commencé è chercher les fondemens d'aucune Philosophie plus certaine que la vulgaire. Et 1'exemple de plusieurs excelens espris qui, en ayant eu cy-devantle dessein, me sembloient n'y avoir pas reussi, m'y faisoit imaginer tant de difficulté, que je n'eusse peut-estre pas encore si tost osé 1'entreprendre, si je n'eusse vu que quelques uns faisoient desja courre le bruit que j'en estois venu a bout. « Je ne scaurois pas dire sur quoy ils fondoient cette opinion et, si j'ay contribué quelque chose par mes discours, ce doit avoir esté en confessant plus ingenuëment ce que j'ignorois que n'ont coustume de faire ceux qui ont un peu estudié et peut estre aussy en faisant voir les raisons que j'avois de douter de beaucoup de choses que les autres estiment certaines plutost qu'en me vantant d'aucune doctrine. » Tout ceci est excès de modestie et de prudence. Nous savons maintenant par la lettre de Balzac que L'Histoire de mon Esprit est a 1'état d'ébauche, au début de 1628, et d'ailleurs il semble bien que les Regulae ad directionem ingenii, les régies pour la conduite de 1'esprit2, soient de la même époque. « Mais, ayant le cceur assez bon pour ne vouloir point qu'on me prist pour autre que je n'estois, je pensay qu'il faloit que je taschasse par tous moyens a me rendre digne de la reputation qu'on me donnoit et il y a justement huit ans que ce desir me fit h (Euvres, t. VI, pp. 30 a 31. 2. On les trouvera, en texte original, au t. X de 1'édltion Adam et Tannery, pp. 351 et s , et, en traduction, dans 1'édition Victor Cousin (t. XI, p. 201 et s.) & laquelle il faut rendre ici hommage, car elle fut la première édition critique compléte des (Euvres de Descartes (Paris, Levrault, 1824, 11 vol. in-8"). 422 DESCARTES EN HOLLANDE resoudre d m'esloigner de tous les lieux oü je pouvois avoir des connoissances et d me retirer icy en un païs, oü la longue durée de la guerre a fait estdblir de tels ordres que les armées qu'on g entretient ne semblent servir qu'd faire qu'on g jouisse des fruits de la paix avec d'autant plus de seureté, et oü, parmi la foule d'un grand peuple fort actif et plus soigneux de ses propres affaires que curieux de celles d'autruy, sans manquer d'aucune des commoditez qui sont dans les villes les plus frequentées, j'ay pü vivre aussy solitaire et retiré que dans les desers les plus escartez ».1 On s'étonnera peut-être de 1'abondance des citations que nous extrayons du Discours de la Méthode. II y a, a cela, deux raisons, la première, c'est que ce Discours contient la seule autobiographie que nous possédions de Descartes et qu'elle semble vraiment sincère ; la seconde est dans l'avertissement qu'il contient a notre égard et que nous n'avons pas le droit de négliger 2 : « Je suis bien ayse de prier icy nos neveux de ne croire jamais que les choses qu'on leur dira vienne de moy, lorsque je ne les auray point moy mesme divulguées. » Ceci ne doit pas nous priver d'ajouter, a son exposé a lui, des conjectures, a condition qu'elles soient historiquement fondées. Donc, le seul motif allégué par Descartes pour son refuge en Hollande est la recherche de la paix et de Fisolement favorables au travail. II n'est pas persécuté, si ce n'est par 1'importunité de ses amis. Ceux-ci sont de bons cathohques, comme le P. Mersenne ou le P. Bérulle, supérieur-de 1'Oratoire, ou des gens bien en Cour, comme les Conseillers Debeaune et Mydorge ou des professeurs orthodoxes eomme Morin. II n'a rien a craindre, pour le moment du moins. C'est librement qu'il vient chercher asile dans les Pays-Bas du Nordv Quel passant, allant par leurs plaines et s'arrêtant dans un de leurs villages ou de leurs bourgs aux maisons basses et nettes, aux places ombragées d'arbres, aux canaux somnolents, n'a rêvé d'une retraite qui s'éceulerait la, douce et paisible, dans la solitude absolue ? Telle a dü être 1'impression de Descartes; lors de son premier séj our dans le Brabant septentrional et en Zélande. Les prairies s'étendent au loin, découpées en carrés verts par des fossés; aucun accident, si ce n'est, ca et la, un rideau de saules étêtés, 1. (Euvres, L VI, pp. 30-31. 2. Ibid., pp. 69-70. ;v«*»0 DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) 423 ne limite la vue et la pensée suit le regard vers 1'infipi, surtout .quand le yert de la prairie se prolonge dans celui de la mer, sans barrière, sans transition, au point qu'ils se confondent presque, .comme au bord du .Zuyderzée. La prairie pres de la mer, c'est le lieu que Descartes élira presque partout. Sa poitrine est trop faible pour supporter, 1'hiver, le vent violent de 1'océan ; peutêtre aussi de brusques sautes troubleraient-elles 1'équilibre de ses idéés. II choisira donc, le plus souvent, un yillage, a quelque distance de la cöte, d'oü le soufflé du large lui arrivé par bouffées et oü il peut aller'respirer et songer, mais a son heure. Les lieux oü il séjournera le plus longtemps, pendant vingt ans, correspondent a cette définition : Franeker en Frise, Endegeest en Hollande méridionale, Egmond ou Santpoort en Hollande septentrionale. Comme le dialogue avec 1'océan ne suffit pas a un homme du xvne siècle, il choisira ces lieux pas trop loin d'un centre intellectuel, oü il trouve une société intermittente et une bibhothèque, dont il use peu, car sa science est en lui, mais dont encore il peut avoir besoin. Franeker a une université et par conséquent une « hbrairie », Endegeest est a cóté de Leyde, Egmond n'est qu'è une petite journée d'Amsterdam et Santpoort est aux portes de Harlem. II connaitra presque toutes les villes, groupées d'ailleurs dans ce petit pays comme des ruches : Leyde, Deventer, Utrecht, Amsterdam, La Haye, dont la Cour et 1'ambassade 1'éloignent, lui rappelant trop le Louvre, les souverains et tout ce que leur doit celui qui a qualité nobfliaire. Bien que, plus tard, la cité aux cent canaux et aux nobles maisons, sises sur le Fossé des Seigneurs (Heerengracht), le Fossé de 1'Empereur (Keizersgracht) et le Fossé du Prince (Prinsengracht) lui semble trop bruyante, il se sentira a 1'aise parmi ce peuple de marchands, le gentilhomme au chapeau de feutre a plume et 1'épée au cöté, semblable a tant de Francais et qui ne s'inquiète pas de lui. C'est la portée de la phrase citée plus haut, écrite certainement a Amsterdam et pour Amsterdam : « oü, parmi la foule, etc. ». Peut-être est-ce a Balzac qu'il a emprunté la notion et le mot de « desert » qui, pour un homme du xvne siècle, représente la 'retraite, mais c'est la un besoin général du temps, même chez 424 DESCARTES EN HOLLANDE les mondains, chez un de Bussy, chez une Mme de Sévigné, chez un maréchal de Chastillon, de faire une part a la vie spirituelle, a la vie inférieure, loin des fêtes. Pourtant, bien que les raisons données par Descartes soient plus impérieuses que les leurs et d'un ordre plus général, elles ne suffisent pas a exphquer son choix, car d'autres pays qu'il connaissait, pouvaient aussi appeler ses préférences. Mais, et c'est la la portée des présentes études, la Hollande est le pèlerinage naturel et en quelque sorte national des Francais de toute espèce, commercants, soldats, hommes d'état, savants, écrivains. Si la Hollande aime la France, la France apprécie la Hollande comme un miracle physique et un miracle politique : un mjracle physique, 1'industrie de l'homme y ayant, par la digue, triomphé du flot; un miracle politique, la petite nation, fervente de hberté, ayant, a force d'audace et de patience, triomphé de la puissante Espagne. II plait aux Francais que le petit, quand il est juste, triomphé du grand, quand il n'est que fort. Puis, la Hollande n'est pas pour la France une étrangère, car notre langue y est si répandue que, pas plus alors que maintenant, ceux qui ignorent le néerlandais ne s'y sentent embarrassés. II résulte de la thèse toute récente de M. Riemens \ qu'il y a, a cette époque, aux Pays-Bas, deux catégories d'écoles, 1'école latine, qui prépare a 1'Université, 1'école francaise, qui est 1'école moderne et prépare au commerce ou a la vie. (Euvre privée, fondée par des instituteurs flamands, wallons ou francais, elle est adoptée, peu a peu, et subsidiée par les municipalités au milieu du xvne siècle. L'école francaise deviendra par la l'école officielle. II n'y a pas d'école « néerlandaise ». Surtout et avant tout, la Hollande est la terre de la Liberté; elle a eu beau avoir, en 1619, sa crise d'intolérance et, le grand crime de meurtre de chef d'état, que le destin n'a épargné a aucune des trois autres mar r ai nes de la hberté, Angleterre, France, Amérique, elle 1'a commis aussi; mais, en 1625, elle a repris son équihbre. Frédéric-Henri est le plus tolérant, le plus élégant et le plus souriant de tous les princes, ce qui ne 1'empêche pas d'être fort; et combien il est Francais avec son entourage, le 1. Esquisse hislorique de 1'enseignement du francais en Hollande, Leyde 1919, déja, roiei DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) 425 prince de Bouillon, Frédéric de la Tour et son cadet Turenne, le maréchal de Chastillon et le mar qui s d'Hauterive, Alphonse de Pollot et le fidele écuyer Deschamps, sans parler de seigneurs de moindre importance. Quand .Guillaume II, fils de FrédéricHenri, aura épousé la fille d'Henriette de France, Marie d'Angleterre, qui rédige ses lettres en notre langue, Louise de Coligny sera remplacée par une grace plus juvénile, qui est encore une grace francaise. II est bien vrai que certains de ces éléments ne doivent pas plaire absolument a Descartes. II méprise et craint 1'orthodoxie étroite d'un Rivet, mais il apprécie sa science et sait que 1'Université de Leyde est un grand centre scientifique, fréquenté par ses compatriotes, oü il espère bien trouver des partisans de marqué pour sa doctrine, ce qui ne manqua point. Descartes se gardera d'écrire contre les protestants, il ne le fera que contraint par les attaques d'un Voetius; il n'est pas attiré par leur rigidité, mais celle-ci ne 1'éloigne pas. II trouve, a s'approcher d'eux, une objection plus grave : il est a la recherche de la vérité et d'une vérité unique qui rendrait compte de toutes les autres; comment n'apercevrait-il pas d'emblée la confusion de leurs sectes, 1'émiettement de leur doctrine, 1'êpreté et le vide de leurs controverses ? C'est sans doute a leur propos qu'il écrit:«II se pourroit trouver autant de reformateurs que de testes, s'il estoit permis a d'autres qu'a ceux que Dieu a establis pour souverains sur ses peuples ou bien ausquels il a donné assez de grace et de zele pour estre prophetes, d'entreprendre d'y rien changer ». Cet homme, qui cherche 1'ordre et la hiërarchie dans les pensées, n'admet pas le renversement de 1'ordre social. II accepte la forme républicaine aristocratique du pays dont il est 1'hóte, il ne songera jamais a 1'imposer ou même a la conseiller a son pays. « Ces grands cors, écrit-il, en parlant des institutions sont trop mal aysez a relever, estant abatus, ou mesme a retenir, estant esbranlez, et leurs cheütes ne peuvent estre que tres rudes. Puis, pour leurs imperfections, s'ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, 1'usage les a sans doute fort adoucies et mesme il en a evité ou corrigé insensiblement quantité, ausquelles on ne pourroit si bien pour voir par prudence et enfin elles sont quasi tousj ours plus supportables que ne seroit leur changement... C'est pourquoy 426 DESCARTES EN HOLLANDE je ne scaurois aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquietes de ceux qui, n'estant appelez, ny par leur naissance, ny par leur fortune, au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d'y faire tousjours en idee quelque nouvelle reformation.» C'est la condamnation des Bouillon, des Rohan, des protestants et, par avance des Frondeurs hi Moderne en tout et précurseur de la pensée contemporaine, il 1'est encore en ceci qu'il tient la Beligion pour le support de la Société, auquel il préfère ne point toucher. La première des régies de morale tirées de la Méthode est celle-ci: « obeir aux lois et aux coustumes de mon pais, retenant constamment Ia religion en laquelle Dieu m'a fait la grace d'estre instruit des mon enf ance et me gouvernant en toute autre chose, suivant les opinions les plus modérées et les plus esloignées de 1'excés qui fussent commun^ment receües en pratique par les mieux sensez de ceux avec lesquels j'aurois a vivre. » 2 Pour satisfaire a cette maxime, a laquelle il reste obstinément fidele, Descartes observe avec exactitude les rites. II est essehtiel de remarquer que dans quatre des heux que nous avons déja nommés : Franeker, Endegeest, Santpoort, Egmond, il peut pratiquer sa religion, paree qu'il a des catholiques autour de lui; leur culte est interdit, mais ils 1'exercent néanmoins, privément, sous les regards indulgents des Bégents. Ceux-ci se garderont surtout d'inquiéter ces obstinés, quand ils appartiennent a 1'aristocratie du pays. N'est-il pas notable que le chateau de Franeker, oü Descartes trouvera son premier asile, soit la propriété de la grande familie catholique frisonne des Sjaerdema; que le cMteau d'Endegeest, qu'il habitera quelques années après, appartienne a une autre familie de nobles catholiques, les van Foreest ? Ajoutez qu'ü Santpoort, il fréquentera les abbés Blommaert, Ban et Cater. Cela ne 1'empêchera nullement d'entretenir un commerce suivi avec des protestants comme Reneri et Regius, qui seront ses meilleurs disciples, ou avec Constantin Huygens et Saumaise, mais, pas plus pour lui que pour son correspondant de Paris, le P. Mersenne, ou les Cardinaux Richeheu et Mazarin, qui «uivent la tradition politique d'Henri IV, la pratique du catholicisme n'impHque 1'exclusion des protestants. II est bien 1. Oluvres, t. VI, p. 14. 2. Ibid., p. 22"-2S. • DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) 427 vrai que la religion romaine a exercê, par rintermédiaire des pouvoirs politiques, d'étranges et de cruelles rigueurs, maisil n'en reste pas moins que c'est dans les pays catholiques, surtout en France, et chez des catholiques, que s'est levée la conception moderne de la tolérance et de la libre-pensée. Cëlles-ci doivent plus a un Rabelais, a un Montaigne et même a un Descartes, qu'a un Luther ou a un Calvin. Une fois en règle avec la société, dont 1'Eglise est pour lui partie intégrante, Descartes se sent libre, absolument hbre et son Dieu métaphysique, garant de la vérité des axiomes et fondement de toute évidence, qui prête son concours ordinaire a la Nature et la laisse agir suivant les Iois qu'il a ètablies, n'a presque rien du Dieu de la religion. Ce qu'il y a peut-être de plus hardi dans le Discours de la Méthode n'est pas ce qui y est, mais ce qui n'y est point, Dieu se trouvant reculé dans le métaphysique et tenu a Fécart de 1'exercice quotidien de la raison souveraine : « D n'y a rien qui soit entierement en notre pouvoir que nos pensées »; « nous ne nous devons jamais laisser persuader qu'a Fevidence de nostre raison»1; «ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse evidemmentestre telle». Ce n'était pas encore sur le sol francais que pouvaient fleurir ces fières maximes de la raison indépendante de la foi et ce fut une singulière entreprise que celle du Cardinal de Bérulle et plus tard des Oratoriens avee Malebranche de se les annexer pour Cn faire des étais. Aux Pays-Bas oü les libraires, queUe que füt leur opinion, battaient monnaie avec toutes les pensées, les plus hautes comme les plus sottes, les plus orthodoxes comme les plus hétérodoxes, il était aussi f acile de les concevoir que de les pubher. Et puis eet original que les paysans considéraient avec une curiosité, vite lassée par 1'accoutumance, ne troublait ni 1'ordre public, dont il était par nature respectueux, ni les articles du Synode de Dordrecht que, n'étant pas fonctionnaire, il n'avait pas a contresigner. Ce n'est que du jour oü ses idéés s'infiltrèrent par ses disciples dans les Universités hollandaises, a Deventer, a Utrecht, a Leyde, qu'il rencontra sur son chemin les féroces théologiens orthodoxes, 1. (Euvres, t. VI, p. 39. 428 DESCARTES EN HOLLANDE devenus un peu moins dangereux depuis que Frédéric-Henri leur refusait le bras séculier, que leur prêtait Maurice. S'il avait su ce que Voet serait pour lui, Descartes ne serait peut-être pas venu aux Pays-Bas, mais, au fait, il savait: de Gomar a Voetius il n'y a que la différence d'une perruque et d'un quart de siècle. Le Synode de Dordrecht pouvait lui faire prévoir les foudres d'Utrecht. Qu'importe, il les craignait moins que le bücher de 1'Eglise romaine, qui brul ait encore aussi bien les hommes que les livres. II gardait ses bons maitres les Jésuites ët ses amis Oratoriens et Minimes qui 1'en préservaient. D'ailleurs il était décidé a toutes les concessions, même au sacrifice d'idées tres chères, dont il garderait le secret par devers lui. La seule chose sur laquelle il serait intransigeant, c'est 1'indépendance a 1'égard des pouvoirs établis : « Et particuherement, je mettois entre tous les exces toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose de sa hberté » \ Sur ce point surtout, son refuge en Hollande est un acte presque rèvolutionnaire. Ses pages de vérité et de certitude, il ne les dédiera ni a Louis XIII, ni a Richeheu, ni a aucun des puissants d'un instant. Pas de flagornerie, comme chez un Corneille; pas d'adulation, comme chez un Balzac. Entre la Cour et lui, il a coupé les ponts qui mènent aux honneurs, aux richesses et aux servitudes dorées : « De quoy je fais icy une declaration que je scay bien ne pouvoir servir a me rendre considerable dans le monde, mais aussy n'ay je aucunement envie de 1'estre et je me tiendray tousjours plus obhgé a ceux, par la faveur desquels je jouiray sans empeschement de mon loisir, que je ne serois a ceux qui m'offriroient les plus honorables emplois de la terre » 2. 1. (Euvres, t. VI, p. 24. 2. Ibid., p. 78. CHAPITRE VII VISITÉ CHEZ BEECKMAN A DORDRECHT (8 OCTOBRE 1628) INSCRIPTION A L'UNIVERSITÉ DE FRANEKER (16-26 AVRIL 1629) Quand commence le second séjour de Descartes en Hollande, le principal et le plus long, puisqu'il occupe vingt années de sa vie et des plus importantes, les années de production ? On répond d'habitude : 1629; il faut dire : 1628. Le Journal de Beeckman vient, ici encore, nous apporter des clartés nouvelles. Aux motifs généraux mentionnés au chapitre précédent, ajoutez un motif particulier : Beeckman. Sans doute, il 1'avait bien négligé son ancien ami, son « promoteur » et son « auteur ». Pas un mot, pas une ligne, en ces neuf ans de vie errante et dissipée, pour rallumer les cendres d'un foyer prés de s'éteindre. Pourtant le souvenir est resté au fond du cceur, le sentiment d'une parenté intellectuelle, d'une affinité d'esprit unique, est demeuré et, si la pensée de Beeckman n'a pas été déterminante ou si elle n'a été, pour fixer le choix, qu'une cause occasionnelle, du moins son premier soin, en abordant en Hollande, est-il d'aller le surprendre et de lui rendre visite. Oü cela ? dans cette même ville de Middelbourg oü il était destiné a le manquer ; car son ignorance du sort de son ami est telle qu'il ne sait ni la nomination a l'école latine d'Utrecht, en 1619, ni 1'accession ultérieure a la dignité de Recteur du Gymnase ou école latine de Dordrecht, en 1627. Ayant fait le voyage par mer et s'étant embarqué probablement è Calais, puisque c'est la seule voie qu'il conseille, 1'été suivant, a Ferrier1, il va f rapper a la porte connue. L'ami Isaac s'est envolé; il le suit a Dordrecht, 1'y trouve. Que fut la 1. (Euvres, t. I, p. 13. 430 DESCARTES EN HOLLANDE rencontre ? embrassades, effusions ? les Hollandais ne sont pas démonstratifs : on ne s'embrasse pas entre hommes et, s'il y eut accolade, elle fut unilaterale. Peut-être y eut-il pourtant plus d'émotion que n'en marqué le Journal de Beeckman, a la date du 8 octobre 1628 K Souhgnons cette date, elle était inconnue avant la découverte du manuscrit, dont tout le passage mérite d'être traduit, car il est des plus importants. II porte pour titre : HISTOIRE DE DESCARTES ET DE SES RELATIONS AVEC MOI « Le Sr René des Cartes du Peron, qui, en 1618, a Bréda en Brabant, avait écrit pour moi le traité de la Musique, dans lequel il me révéla ses opinions Sur eet art et qui ést encarté dans mon Journal; le Sr des Cartes, dis-je, est venu a Dordrecht pour me rendre visite, le 8 octobre 1628, après s'être rendü d'abord de Hollande a Middelbourg, pour m'y chercher. »2 Arrêtons-nous un instant pour un bref commentaire. Descartes* était en Hollande, c'est de ia qu'il s'est rendu en Zélande pour retourner ensuite a Dordrecht. Ces détours n'ónt guère pu durer moins de huit jours : il faut, par conséquent, fixer sou départ de France a la fin septembre au plus tard. II n'a pu aS6ister a la prise de La Rochelle, comme le veut Borel. Encore up siège de moins, et nous en avons déj-a re tranche quatre. Tout au plus, aura-t-il pu suivre les opérations en été. Le Journal continue :-. « II me disait qu'en fait d'Arithmétique et de Géométrie, il ne lui restait plus rien a désirer, C'est-a-dire qu'il avait fait dans ces branches, en neuf ans, autant de progrès qu'esprit humain en pouvait faire. » Cette formule orgueilleuse n'est pas trés .dans le style de Descartes,. mais il Be peut qü'en conversation, il se soit laissé gagner par l'enthousiasme; en mesurant le chemin parcouru par son esprit dfcpuis neuf années. On rpmarquera ces his növerti annis, qui permettent d'interpréter plus exactement qu'on ne 1'a fait jusqu'a présent, les « neuf ans 4 dont il est question, par deux fois, dans le Discours de la Méthode3: « En toutes les neuf années suivantes » et«toutefois ces-neuf ans L (Euvres, t. X, p. 331. 2. Ibid. : « Is, inquam, die 8° mensis octobris 1628, ad me visendum venit Dortrechtum, cum prius f rustra ex Hollandla Middelburgum venisset ut me ibi quacre- ret ». 3. (Euvres, t. VI, pp. 28, 30, 31. CHEZ BEECKMAN A DORDRECHT (8 OCTOBRE 1628) 431 s'escoulèrent». Le point de départ est le 10 novembre 1619, date de la méditation essentielle. Ajoutez neuf ans de vie errante et vous obtenez 1'automne 1628. Le Discours de la Méthode ne fait donc que reproduire le propos tenu a Beeckman a Dordrecht, que confirme encore le <* et il y a justement huit ans » que nous lisions en tête de ce chapitre, car nous verrons que; le Discours ayant été achevé au début de 1'hiver 1636-1637,1'expressie»nous reporte, une fois de plus, a 1628.. La suite de la conversation, qui est ici prise sur le vif, n'est pas moins intéressante : « Cette affirmation, il m'en donna des preuves décisives, me promettant de m'envoyer söus peu, dé Paris, son Algèbre, qu'il dit achevée et par laquelle non seulement il parvient a une parfaite connaissance de la Géométrie, mais par laquelle en outre il prétend arriver a toute connaissance humaine ; peut-être va-t-il-venir ici pour la mettre au jour et la perfectionner, afin que nous achevions ensemble 1'étude de ce qui reste [a découvrir] dans les sciences ». Tout est important dans ce passage. D'abord Deseartes ne semble pas encore tout a fait fixé sur ses projets. Va-t-il retourner a Paris et envoyer de la son Algèbre a Beeckman, ou viendra-t-il la lui montrer a Dordrecht, pour la riiettre au point avec lui avant de la pubher en Hollande ? Ensuite 1'Algèbre est écrite, il n'y a pas moyen d'èn douter, et c'est une algèbre appliquée a la Géométrie, c'esta-dire une géométrie analytique; enfin, il lui attribue une portée qui dépasse celle de 1'analyse mathématique et elle n'est concue, dès a présent, que comme une branche de la science univereellëi L'estime qu'il continue a témoigner au « rector » semble sincère, comme 1'atteste la suite de 1'entretien : « Après avoir parcouru 1'Allemagne, la France et 1'Italië, il affirme n'avoir pu trouver personne que moi avec qui il püt discuter selon son cceur et dont il püt espérer une aide pour ses recherches. II trouve partout disette de vraie philosophie, de celle qu'il nomme 1'oeuvre des vaillants * Pour moi, je le préfère, lui, a tous les arithmétieiens et géomètres que j'aië jamais vus ou lus. » POURQUOI IL Y A SI PEU DE SAVANTS « Je crois que la raison pour laquelle il y a ici si peu de savants est que tous ceux qui sont doués pour la science, dès qu'ils ont ml'rJ^Z?' X' P' 332 : '.Tantam dicit esse ubique inopiam verae poilosophiae, quam vocat operam navantium ». * ' 432 DESCARTES EN HOLLANDE fait une décoaverte, brülent de 1'écrire et, ne se contentent pas de publier ce qu'ils ont découvert, mais, saisissant 1'occasion, reprennent les sciences aux origines en y mêlant leurs travaux récents, au point qu'ils écrasent, sous un labeur inutile et dépourvu d'originabté, leur esprit parfaitement capable de nombreuses inventions. « Celui-ci, au contraire, n'a encore rien écrit, mais, méditant jusqu'a la trente-troisième année de son age, il semble avoir trouvé mieux que les autres, la chose qu'il cherchait. Que ceci soit dit, afin qu'on soit plus tenté de 1'imiter lui, que la foule des écrivailleurs. » Yiennent ensuite, dans le Journal, a la même page, un spécimen de YAlgèbre et une étude sur 1'angle de réfraction », Le « ut enim, inquit », le « nam, inquit », indiquent assez qu'il s'agit d'une transmission orale. En traitant un troisième sujet, celui de 1'épaisseur des cordes des instruments de musique, Descartes a parlé d'un moine de ses amis a Paris, qui est évidemment le P. Mersenne. Ce qu'il rapporte aussi au sujet de la réfraction renforce la démonstration de M. Korteweg sur 1'indépendance des recherches de Descartes a 1'égard de celles de Snellius2. La démonstration sur la convergence des rayons incidents au foyer est, cette fois, extraite par Beeckman des manuscrits mêmes du philosophe, et comme ce passage voisine avec le précédent, il est impossible que ce dernier les ait envoyés de Paris. II n'a peut-être pas voulu les montrer tout de suite par timidité ou par méfiance, mais il les a livrés, peu a peu, en plusieurs visites successives a Dordrecht, a moins qu'il n'y ait séjourné d'une facon constante d'octobre 1628 a février 1629, ce que je ne pense pas. Par contre, qu'il ait rendu de nouveau visite a Beeckman dans sa ville, le ler février 1629, c'est ce que semble prouver impérativement le passage suivant : 1. (Euvres, t. X, p. 336 et s. _ . 2. Cf. 1'article du savant éditeur des (Euvres de Christian Huygens : Descartes el les manuscrits de Snellius d'apres quelques documenls nouveaux ; extrait de la Hevue de Métaphysique et de Morale, 2 juillet 1896. Snellius avait gardé en manuscrit sa découverte de la loi de la réfraction que Descartes trouva, de son cóté, d une facon indépendante. Snellius était mort en 1626. chez beeckman a dordrecht (ler février 1629) 433 l'hyperbole grace a laquelle tous les rayons parallèles viennent converger en un seul point ler février 1629 a dordrecht « Le Sr Des Chartes avait laissé sans démonstration cette proposition au sujet de l'hyperbole et m'avait demandé d'en chercher la démonstration ». C'est bien la une allusion a une précédente visite : « Comme je 1'avais trouvée, il en manifesta de la joie et la jugea exacte. La voici:». Le « gavisus est » ne peut pas s'appliquer a une expression contenue dans une lettre et si cette lettre existait, le proviseur n'eüt pas manqué de la reproduire en son Journal, pour s'en targuer. La présence de Descartes a Dordrecht, le 1" février 1629, n'est pas moins süre, a mon sens, que sa présence au même heu, le 8 octobre 1628. Ce qui le confirme, me semble-t-il, c'est la version cartésienne de la démonstration de la parabole donnée par le philosophe dans sa lettre a Beeckman, le 17 octobre 1630 \ a 1'occasion de leur grande querelle, sur laquelle nous aurons a revenir. La lettre est, comme toujours entre eux, en latin: « Mais vous prétendez a de grandes louanges au sujet de l'hyperbole que vous m'avez enseignée. Cërtes, si je ne vous plaignais d'être un malade, je ne pourrais me tenir de rire, paree que vous ne compT^niez même pas ce que c'était qu'une hyperbole, si ce n'est au sens que lui donne un marchand de grammaire. J'ai mentionné une de ses propriétés : la convergence des rayons, dont la démonstration m'était sortie de la mémoire et elle ne me revenait pas sur le moment, comme il arrivé parfois pour les choses les plus faciles, mais je vous ai prouvé sa transformation en ellipse 2 et je vous ai exphqué quelques théorèmes, d'oü la démonstration en question pouvait être si facilement déduite qu'elle ne pouvait échapper a personne qui fit tant soit peu attention. C'est pourquoi je vous exhortai a exercer votre esprit a la chercher et je ne 1'aurais certes pas fait si je ne 1'avais jugée trés facile, puisque vous veniez d'avouer que vous ne saviez absolument rien des sections coniques... Et vous auriez cherché, écrivez-vous, vous auriez trouvé, vous m'auriez montré » je me serais réjoui et j'aurais dit que 1. CEuvrei, t. i, p. 163. 2. Le texte, qui porte « ejus conversam », doit être fautif • Deut-être faiit-il lira TSmÏÏA Ti'3 16 Serait alors celui duniouvemenlelrcuPa7re,tour? ^ p.163. P : ' l"3681^11' invenisti, ostendisü mibi ». (EuDres.t. i 28 434 gjgg -^ PESGAPTES EN HOLLANDE , je me, servirajis de eette démonstiaUon, si. jamais je me proposais 4'éiemre sur cette question ! Dites-moi, avez-vous tout votre bon sens, quand voos allez jusqu'a me reprocher de ne pas têmoigner assez. de respect a mon maitre et de ne pas lui rendre hommage ? Si j'avais donné a 1'un de vos enfants, qui, alors, n'avait encore composé aucua poème, quelque épigramme a faire, dont je lui aurais fourni le canevas, au point qu'il eüt suffi d'y changer un ou deux mots pour que les vers en fussent justes, vous réjouiriez-vous, s'il les avait heureusement transposés ? »1 Le * laetatus sum » de la lettre de Descartes couvre exactement le « gavisus est» du Journal de Beeckman et le « hortatus sum ut in illa quaerenda ingenium exerceres» de la même lettre correspond précisément au «me rogavit ut ejus demonstrationem quaererem » du Journal. II n'y a que 1'interprétation qui diffère sensiblement, car Descartes avoue seulement que la démonstration lui était sortie de la mémoire; il s'accorde pourtant en ceci avec la phrase du recteur de Dordrecht : « Hanc de Hyperbola propositionem D. des Chartes indemonstratam reliquerat *. Dans un-cas comme dans 1'autre, il s'agit visiblement d'une ou plutót de deux visites, et le philosophe francais ajoute même une allusion a un des enfants de Beeckman, assurément élève au i Gymnase » dirigé par son père, Ces deux visites peu espacées semblent impliquer que Descartes faisait un court séjour a Dordrecht, oü il était peut-être 1'hóte du proviseur, ou dans une ville peu éloignée, ce qui empêchede penser a Amsterdam. C'est pourtant la que nous le trouvons a la fin de mars 1629, si c'est lui le « nobilis Gallus », dont parle Reneri, son disciple et ami, dans une lettre datée d'Amsterdam, 28 mars 1629, et reproduite par M. Adam dans son supplément a la Correspondance 2. U s'agit d'optique, et nous savons que cette partie de la physique est la principale préoccupation d« Deseartes a ce moment-la. La date suivante, a laquellè la présence de ce dernier en Hoklande est absolument attestée, est le 16-26 avril 1629, oü il se fait immatriculer comme étudiant a 1'Université de Franeker. Pour être parvenu et installé en Frise, il doit être aux Pays-Bas 1. Ibid. inWi» ,i Mx-c-:' 2. (Euvres, t. X, p. 542. A l'uNIVERSTTÉ DE FRANEKER (16-26 AVRIL 1629) 435 ^puis une quinzaine de jours, 'ce qui confirme 1'èxpÖcatioii donnée par M. Adam a la lettre de Reneri. Donc, pour nous resumer, entre le 8 octobre 1628 date de la première visite de Descartes a Beeckman a Dordrecht et le 16-26 avril 1629, date de son inscription a Franeker, il n'y a pas de temoignage irrécusable de sa présence continue en Hollande mais 1'abondance des renseignements sur les travaux dé celm-la, contenus dans les pages du Journal de Beeckman se Tapportant a 1'époque intermédiaire, les termes « inquit » «dicit» dont celui-ci se sert, 1'histoire de la démonstration sur 1 hyperbole datée du ler février, et la lettre de Reneri a la fin de mars, sont des preuves presque décisives d'un séjour ininterrompu en Hollande dans 1'hiver 1628-1629. II ne reste que quelques difficultés : la première est dans le passage de la lettre a Balzac du 15 avril 1631 1 : « Depuis deux ans que je suis dehors [Paris], je n'ay pas esté une seule fois tenté d y retourner * Or, deux ans avant, le 16 avril 1629 Des cartes est inscrit a Franeker. Ici il semble qu'il faille traduire deux ans par deux ans et demi. Seconde diffkulté, le « Is nuper huc a vobis transivit >, de Beeckman a Mersenne, mais dans une lettre non datée, et présumée par M.. Adam du mois d aout 1629 2. La troisième, encore moins grave, est 1'afflrmation contenue dans une lettre, non datée aussi, mais oui est probablement de 1648 : k Le meilleur est de ne passer d'une extrémité a 1'autre que par degrez. Pour moy, avant que je vinsse en ce pais pour y chercher la solitude, je passav un Juver en France a la campagne, oü je fis monapprentis- Cet hiver ne doit pas être celui de 1628-1629, mais les trois premiers mois de 1628, en cette région de 1'ouest, d'oü il envoie 3 Balzac le beurre qui « a gagné sa cause contre celuy de M*ela Marquise A mon goust, il n'est guères moins parfumé que les Marmelades de Portugal qui me sont venues par le mesme messager. Je pense que vous nourrissez vos vaches de marioW et de violettes. Je ne scay pas mesmes s'il ne croist point de canne de sucre dans vos Marais pour engraisser ces excellentes Faiseuses de lait * « Les marais sonf peut- 1. (Euores, t. I, p. 197. 2. Ibid., p. 30. 3. Ibid , p. 571. Lettre de Balzac, datée de Paris 30 m-ir* ikoq v • , , lei, p. 417, pour un autre passage dè la même. Volr pIus baut» 436 DESCARTES EN HOLLANDE être le Marais poitevin, qui serait, en effet, une excellente préparation a ceux de Hollande. C'est la que nous allons maintenant le rejoindre, a Franeker en Frise. . .... Si 1'auteur des Meditationes voulait une retraite lointaine, assurément il ne pouvait mieux choisir que la petite ville reléguée au nord des Provinces-Unies, dans cette sorte de presqu'ile que la Frise occidentale forme en s'avancant dans le Zuyderzée. Pourtant Franeker n'était pas alors le coin perdu et presque inaccessible qu'il est aujourd'hui-. Un gracieux hotel de ville a clocheton a jour, a pignon en escalier et a trois étages, dans le meilleur style de la Renaissance flamande, une grande église, la maison des porteurs de blé, 1'asile des vieillards, la maison Ockinga et sa tour octogonale, la maison Botnia avec ses fenêtres a ogives et meneaux, 1'emplacement du chateau des Sjaerdema, 1'auberge «in de Klok », sont autant de témoins de 1'antique splendeur de la première ville de Frise. On comprend donc que le « Landdag », ou assemblée des Etatsde Frise, réunis en cette ville, le 24 avril 1584, ait songé a y ériger une école supérieure « Hoogeschool », a 1'imitation de celle de Leyde, et que Guillaume-Louis de Nassau, élu Stathouder par ces mêmes Etats, le 26 octobre, en ait f ait proclamer, le 25 juillet 1585, la fondation. L'inauguration eut heu le 29 juillet : le «plat pays » 1'emportait sur la ville de Leeuwaarden. Les premiers professeurs n'étaient pas des inconnus, H. Schotanuspour le droit, Tiara pour le grec, Drusius pour 1'hébreu. Au moment oü Descartes arrivé a Franeker et oü il se fait immatriculer le 16-26 avril 1629, (cf. pl. XXXV1 a.)1 sous le nom de : RENATUS DES CARTES GALLUS, PHILOSOPHUS Le Recteur est 1'orthodoxe M. Schotanus, les professeurs Amesius Bouricius, Winsemius, Hachtingius, Amama \ Metius, ainsi nommé, selon Bierens de Haan, paree que le père etait de Metz. Le philosophe dut suivre les cours de eet Adnen 1 n'anrès le registre manuscrit, qui n'est pas a 1'Université de Groningue, ?p hu m Charles Adam, au t. XII, p. 123, note 6, mais aux Archives de^maTA^uward?n oü Tarch viste, M. Bems, a bien voulu faire photographier pouï-montage ZVquelle flgure Descartes. II faut transcrire la date en nouveau bt^le'rdf° DécretYu 5 juillet 1629 et Frieslands Hoogeschool en MW^fh™Ml™ te Franeker, 2f \ol, 1878-9, par W. B. S. Boeles ; ü y a un bon guide de la ville, ofe A FRANEKER (ÉTÉ 1629) 437 Metius \ dont Fromont avait parlé dès 1627, comme du frère de Jacques Metius, «le vrai inventeur primitif du téleseope », selon Peiresc 2. II était 1'auteur d'une Arithmeticae et Geometricae Practica s. Les portraits de tous ces maitres, tels qu'ils figuraient dans la salie du Sénat, ornent encore une grande chambre de 1'Hótel de Ville, dont le premier étage est transformé en musée. On y voit aussi, dans une salie plus petite, des dentelles, des dessins, des ceuvres de calligrapbie, des gravures, qui sont de cette extraordinaire femme savante du xvne siècle, Anne-Marie de Schunnann, qui, née a Cologne, le 5 novembre 1607, était venue se réfugier a Franeker, oü son père, d'origine flamande, mourut la même année; sa familie y resta jusqu'a ce que Jean Godschalk, frère d'Anne-Marie, eüt terminé ses études a l'Université. Ensuite, elle retourna avec les siens a Utrecht 4 et, le 9 janvier 1630, Barlaeus écrit de Leyde a Huygens, en latin : « II y a a Utrecht une jeune fille qui est un prodige, Anne-Marie de Schuurmans, Romaine non pas seulement en ce qu'elle possède un prénom, un nom et un surnom, mais en ce qu'elle parle le latin. Elle peint, écrit, versifie, ht le Grec et le comprend..., elle a un frère trés savant, Jean Godschalk a Schuurmans ». 5 L'éloge fait honneur è 1'élève autart qu'ü l'Université oü il se forma. De celle-ci, il ne reste plus qu'un amphithéatre dans les batiments de 1'asile d'aliénés, mais, a la fin du xvme siècle, subsistait encore 1'ancienne église faisant partie du couvent des Frères de la Croix, et qui avait servi a abriter è la fois des salles de cours et la salie du Sénat (cf. pl. XXXIV). Partout, il semble que les Universités hollandaises se soient installées dans des éghses monacales : c'est le cas a Leyde pour la « Faliede 1'on Ut. aussi des détails sur l'université et qui est in ti tule : Geïllustreerde Gids voor Franeker en omstreken. Franeker, Westerbaan's Boekhandel, s. d. 1. Né a Alkmaar en 1571, mort a Franeker en 1635 ; cf. OSuvres de Descartes t. XII, pp. 185-6. Sur les appareils de physique, que possédait Metlus, voirBoeles' ïi, \P'. i?" . Ora°betionum de 1629 porte : « D. Adrianus Metius usum utriusquê •Glom et Plamsphern explicat ». 2. Lettre de Peiresc a Dupuy, 8 novembre 1626 ; cf. (Euvres, ibid. Voir aussi C. de Waard, De Uitvinding der Verrekijkers ; La Haye, 1906. in-8° 3. Elzevier, 1611, 1626, 1640. 4. C'est le 3 novembre 1629 que Jonkvrouw Eva van Harff, veuve de Jonkheer Frédéric van Schuyrmann et mère d'Anne Marie, achète a Utrecht la maison dite « De Loodse », derrière la Cathédrale (communication de M. 1'archiviste M»ner) Descartes a donc pu ,r6mlenter la familie Schürmann a Franeker. 5. P. 273 au t. I de la correspondance de Constantin Huygens, Briefwisselina van Constantijn Huygens (1605-1687), éditée par le regretté D' J. A. Worp La Haye, M. Nijhoff, 1911, In-4» (Rijksgeschiedkundige Publicatien, L XV). 438 DESCARTES, E^T HOLLANDE Bagijnenkerk | et a Amsterdam, pour 1' « Agnietenkerk ». La science, appuyj&esurla théologie, achevait 1'ceuvre dela politique. C'est en f.ace de T Université que se logea Descartes,. dans te: chateau des Sjaerdema, au pied des remparts, a 1'est de la ville (cf. pl. XXXV) \ mais qui, alors, était en dehors de 1'enceinte. Hélas ! il fut démoli vers 1725 et -1'emplacement n'est plus qu'une prairie, que le Frison, en sa langue, qui n'a rien de commun avec le hollandais, si ce n'est qu'elle.est germanique, appelle le «Sjoekeland»2, « alde sté fen Sjaerdema »f Qne tel ait été le logement de Descartes, c'est ce qu'attestent plusieurs passages de ses lettres, dont le plus. important est contenu dans celle du 18 mars 1630, écrite au P. Mersenne a propos de Ferrier 3 : «Ce qui me faisoit plustost juger qu'il, estoit occupé a d'autres choses que non pas qu'il pensast. a venir icy, veü principalêment que, l'année passée, lorsque je 1'y avois convié, il m'en avoit osté toute esperance. Alors, j'estois d Fran[e]ker, logé dans un petit Chasteau, qui es( separé avec un fossé du reste de la ville, oü 1'on disoit la Messeea seureté, et, s'il fust venu, je voulois acheter des meubles et prendre une partie du logis, pour faire nostre ménage apart. J'avqjs desja fait provision d'un garcon qui seeüst faire la cuisine a la mode de France et me resolvois de n'en changer de trois. ans et, pendant ce temps-la, qu'il auroit tout le loisjr d'exeeuter le dessin des verres et de s'y stiler en sorte qu'il en pourroit par. aprés tirer de 1'honneur et du profit. Mais, si-tost que je sceus,. qu'il ne venoit point, je dispesay mes affaires en autre sorte... » L'indication du fossé qui sépare le chateau de la ville, confirmée par les historiens locaux, et la messe qu'on y dit librement, ne laissent aucun doute sur 1'identification : il s'agit bien du chateau des nobles cathohques Sjaerdema et, foulant du, pied le chemin de ronde des remparts, en contemplant, de la, la campagne qui s'étend jusqu'a la mer, nous sommes assurés, de suivre la tracé du philosophe, qui nequittait guère sarésidence que pour se rendre en face a l'Université, au cours de Metius, ou peut-être pour aller s'égayer avec les étudiants au « Bogt J. D'après le Tooneelder steden van de Vereenigbde HuUrlanden ; Amsterdam, J. Blaeu, 1649. Ct aussi Oud-Sjaerdema en Sfaerdemaslot ie Franeker, par D. Cannegteter: Fraaeker, T. Telenga et Het Huis oud en nieuw, 1917. 2. Du nom de Nicolas Sjoek, locataire du terraia, proprietaire de 1 auberge ou «Heerenlogement», « Bogt van Guné ». 3. (Euvres, t. I, p. 129. A FRANEKER (ÉTÉ ' 1629) 439 van Guné », a l'auberge du golfe de Gttinée, qui existe encore. Cette lettre de mars 1630 sert a en précisér une autre plus vague, a Ferrier, du 18 juin 1629 \ et qui est "éèrite de Franeker : « Si vons avez aussi quelques meubles qü'il voüs fallust laisser a Paris; il vaudroit mieux les appofter, aii moins les plus utiles ; car, si vous venez, je prendray un logis entier pour vous et pour inoy, oü nous poürrons vivre a nostre mode et a nostre aise. N'estoit que je né vous rscaurois faire donner d'argent a Paris sans mander oü je Suis (ce que je ne desire pas), je vous prierois de m'apporter un petit lit de camp, car les lits d'icy sont fort incommodes et il n'y a point de matelas ». Eternelle plainte du Francais a 1'étranger : le mauvais lit et la mauvaise cuisine! L'absence de matelas et les mets sans saveur, c'est ce dont s'offusque la délicatesse du Toürangeau-Poitevin. Voilé pourquoi il s'est assuré un cuisinier, un Beige sans doute, et qu'il demande a Ferrier de lui apporter ün bt de camp. Jusqu'a présent il a été en pension; si Ferrier vient, il louera un appartement dans le chateau, s'achètera des meubles et se mettra en ménage pour trois ans : pour lui, c'est un bien long baiL Mais qui est ce Ferrier qu'il appelle avec tant d'insistance ? Chapelain dira plus tard a Christian Huygens 2 : « J'ai veü la lettre óü estoient ces parcles entre les mains d'un nommé Ferrier, qui estoit son amn et son ouvrier ». A FRANEKER (ÉTÉ 1629) 443 n'achevasse un petit Traitté de Métaphysique, lequel fay commencé estant en Frize, et dont les principaux points sont de prouver l'existence de Dieu et celle de nos ames, lorsqu'elles sont separées du corps, d'oü suit leur immortalité. » Ainsi donc, c'était a méditer sur Dieu et 1'ame et a prouver leur existence, par les seules voies de la raison, que Descartes jmployait les longues heures que lui laissait la vie paisible du mateau de Franeker, troublée seulement de temps a autre par es cris des étudiants attablés « au golfe de Guinée », et le seul "ait qu'il ait réfléchi la, a la place oü s'étend aujourd'hui un pré rert, devant les remparts, en contemplant le ciel ouen regardant, Ie sa fenêtre, du cöté de la mer, qu'on n'apercoit pas, mais dont m devine les espaces infinis, ce seul fait nous rend ce heu sacré, :omme un des temples oü s'abrita, ne füt-ce que pendant peu de nois, la plus haute pensée francaise et humaine. CHAPITRE VIII SÉJOUR A AMSTERDAM (1629-1630). INSCRIPTION A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE (27 JUIN 1630). RETOUR A AMSTERDAM. — RUPTURE AVEC BEECKMAN. Si parfait qu'il soit a certains égards, 1'isolement dans les petites villes crée des habitudes qui ne laissent pas d'être parfois plus gênantes que 1'agitation des grandes cités. C'est ce que semble avoir éprouvé Descartes. En se plaignant de n'avoir pu décider Ferrier, il dit: « Si je 1'avois pü tirer de Paris, je 1'aurois tenu icy exprés pour 1'y faire travailler et employer avec luy les heures que je perdrois dans le jeu ou dans les conversations inutiles ». 1 « Icy » dans cette lettre, qu'on date a peu pres de septembre 1629, ce ne peut être encore que Franeker, car, a. Amsterdam, oü le philosophe va se réfugier, il ne veut plus de « 1'ouvrier ». II ne pourrait 1'y avoir « sans incommodité » et puis, il se prépare a partir pour 1'Angleterre dans « cinq ou six semaines » (ceci est écrit le 18 mars 1630 au P. Mersenne) K Mais tout de suite Descartes, qui est vrai ment un bon homme, a peur de blesser Ferrier : « II n'est point de besoin, s'il vous plaist, de luy parler de cecy ni mesme que je ne suis plus en dessein de le recevoir, sinon que vous vissiez tout a bon qu'il s'y prèparast, auquel cas vous luy direz, s'il vous plaist, que je vous ay mandé que je m'en alipis hors de ce pais et que, peut-estre, il ne m'y trouveroit plus. Que s'il pensoit venir, encore que je n'y fusse pas, pensant y estre mieux qu'a Paris (car ceux qui n'ont pas voyagé ont quelquesfois de teUes imaginations), vous le pourrez assurer qu'il y fait plus cher vivre qu'ü Paris et qu'il trouveroit icy moins de personnes curieuses des choses qu'il peut faire, 1. (Euvres, t. I, p. 21. Ce passage, qui fait allusion aux efforts qu'a faits Descartes pour attirer Ferrier en Hollande, me parait décider pour la date de septembre 1629, conformément a l'hypothèse de M. Tannery. 2. (Euvres, 1.1, pp. 130-131. 446 DESCARTES EN HOLLANDE qu'il n'y en a en la plus petite ville de France ».1 Les chercheurs hollandais vivent si isolés que 1'étranger a peine a les découvrir et ils ont si peu de contact entre eux qu'ils se dérobent même a leurs propres compatriotes. Descartes ne connait encore ni Huygens, ni Golius, ni Schooten. II se plaint du mauvais caractère de Ferrier, mais ajoute aussitót : « Ce n'est pas que je ne 1'ayme et que je ne le tienne pour un homme tout plein d'honneur et de bonté », dit-il, mais surtout il lui en veut de son inexactitude et de son irrésolution : « Aprés tout, je plains fort Mr Ferrier et voudrois bien pouvoir, sans trop d'incommodité, soulager sa mauvaise fortune, car il la merite meilleure et je ne connois en luy de deffaut, si non qu'il ne fait jamais son conté sur le pié des choses presentes, mais seulement de celles qu'il espere ou qui sont passées, et qu'ü a une certaine irrésolution qui 1'empesche d'executer ce qu'il entreprend. Je luy ay rebattu presque la mesme chose en toutes les lettres que je luy ai écrit tes, mais vous avez plus de prudence que moy pour scavoir ce qu'il faut dire et conseiller. » 2 Puis le silence se fait au point qu'au bout d'm* an, Ferrier s'en émouvra et feraintervemr Gassend auprès de Descartes, par 1'intermédiaire de Reneri. Le [2 décembre 1630] 3 il rassure Ferrier sur les sentiments qu'il nourrit a son égard, tont en continuant a 1'aecuser de manque de pèfsévérance : « J'ay, pour 1'amour de vous, abaissé ma pensée jusques aux moindres inven tions des meckaaiques * et, lors que j'ay crö en avoir assez trouvé pour faire que la chose put reüssir, je vous ay convié de venir icy pour y travailler et me suis offert d'en faire toute Ia dépense «I que vous en auriez tout kv profit, s'il s*en pouvoit retirer. Je ne voy pas encore que vous puissiez vous plaindre de moy jusques-la ». * Laissons Ferrier et revenons au départ de. Franeker pour Amsterdam. On en fixe généralement la date a octobre 1629, d'après Baillet». Dy a cependant un passage d'une lettre du & de ce mois, adressée au P. Mersenne^ qui inviterait a faire 1. Ferrier vint néanmoins en Hollande, mais beaucoup plus tard. Cf. (Euvres. t. I, p. 19. 2. (Euvres, t. I, p. 132. 3. Les dates entre crochets sont celle qui ont été établies par les sagaces inductions de MM.. Adam et Tannery. Cf. (Euvres, L I, p. 183. 4. Entendez.: « des ouvriers ». 5. (Euvres, t. I, p. 185. 6. Baillet, Vie de Descartes, I, p. 175. • SÉJOUR A AMSTERDAM (1629-1630) 447 remonterTinstallation de Descartes a Amsterdam au commencement d'aoüt, voire menie a la fin de juillet : « D y a plus de deux mois qu'un de mes amis m'en a fait voir icy une description assez ample »1. « Icy » c'est probablement Amsterdam \ la description dont il s'agit est celle des parhélies ou faux soleils, observés a Rome, le 20 mars 1629, par le P. Scheiner et que Gassend a transmise a Reneri, au cours d'un voyage en Hollande, y ajoutant son explication du phénomène. L'épitre latine de Gassend, commencée a Leyde, terminée a La Haye, au moment de partir, le 14 juillet 1629, s'exprime ainsi:«J'étais déja revenu d'Utrecht, mon cher Reneri, lorsque me fut remise votre lettre me demandant de faire honneur a ma promesse et au désir exprimé par le •noble'médecin de Wassenaer, etc.» *. Tout est important dans ces lignes du maitre de Molière et de Cyrano de Bergerac et, d'abord, le fait même du voyage de Gassend, dit Gassendi, aux Pays-Bas, au cceur de 1'été 1629, en compagnie de Luillier, un des correspondants de Théophile. II n'est pas nécessaire de supposer que celui-ci, avant de mourir, ait conseillé a son ami cette excursion ; elle fait partie de 1'éducationd'un homme de science ou de lettres, au même titre que le voyage a Rome au xvie'siècle. En juillet 1629, les deux meilleurs philosophes francais (Pascal n'est encore qu'un enfant de 6 ans) sont donc en Hollande, 1'un, pour une mission scientifique qu'il s'était donnée a lui-même ou que Peiresc, qui en a accompli une première en 1606, lorsqu'il monta a Scheveningue surle chariota voiles3, lui a conseillée; 1'autre, pour un séjour prolongé dont il n'a pas cependant décidé encore la durée. Chose étrange, ils ne se rencontrèrent point : Gassend, déja célèbre par ses Exercitationes, n'avait pas a s'enquérir d'un jeune homme inconnu et celui-ci tenait a son incognito. Catholiques, ils 1'étaient tous les deux : Gassend est chanoine de Digne et cela ne 1'empêche pas 1. (Euvres, t I, p. 22.«Icy nt'estpas et ne peut pas être Franeker. Lel2a,ChateIain'. °"as ob caasas docü nostros viri e Gallia «ffnan/e Ludovico XVI... egressi essent. Thèse de Paris 1904. Paris, Pedoml • 1. On trouvera Ie texte latin complet au t. X, p. 37, note b 2. Correspondance de Peiresc, IV, p. 201. Cf. (Euvres de Descartes, I, n 169 a« i W 86 P^urralï,(IU? cette règleeftt sa source dans un passage dé 1'Ars 'brevi, de Lulle, cité par Beeckman (Cf. (Euvres de Descartes,-t. X.-5.63-64) maifl tr^^f lescommentaires d'Agrippa : « Res omnes- Ita dividit üt nilüf ^èl%oTad alunTIm divisioms partem non possit reduci •. 4 anquam 29 450 DESCARTES EN HOLLANDE « Et le dernier, de faire partout des denombremeus si eatiers et des reveües si generales que je fusse assuré de ne rien omettre.»1 II lui a donc fallu interrompre ce qu'il avait sur le métier, c'est-a-dire les Meditatianes, pour examiner par ordre « tous les Meteores ...... « Mais je pense ;maintenant en pouvoir rendre quelque raison et suis resolu d'en faire un petit Traitté, qui contiendra la raison-des couleurs de 1'Are en Ciel... etgeneralement tous .les Phainomenes sublunaires... Au reste, je vous prie de n'en parler a personne du.monde, car j'ay resolu de 1'exposer en public, comme un échantillon de ma Philosophie et d'estre caché derrière le tableau pour ecouter ce qu'on er. dira. » Dans une oeuvre, il faut toujours.distinguer la date de puhhW cation, la date de 1'achèvement, la date de la conception, mais il est rare que 1'on puisse les établir toutes avec une rigueur suffisante : ici, c'est le Traité des Météores, dont on surprend le germe' et ce Traité est envisagé comme un échantillon de. sa philosophie, c'est pourquoi il sera précédé, en 1637, du Discours de la Méthode. L'exécution est bientót retardée par 1'élargissement du plan : « Je ne laisse pas, écrit-il, le 13 novembre 1629 2, a son fidele confiderit Mersenne, de vous en avoir tres grande obligation et encores plus de 1'offre que vous mefaites de faire imprimer ce petit traité que j'ay dessein d'escrire, mais. je vous diray qu'il nesera pas prest de plus d'un an. Car, depuis le tans que je vous avois escrit, il y a un mois, je n'ay rien fait du tout qu'en tracer 1'argumant, et, au heu d'expliquer un Phaenomene seulemant, je me suis resolu d'expliquer tous les Phaenomenes de la nature, e'est-a-dire toute la Physique. Et le dessein que j'ay me contente plus qu'aucun autre que j'aye jamais eü, car je pense avoir trouvé ün moyen pour exposer toutes mes pensées sen sorte qu'elles satisferont a quelques uns el que les autres n'auront pas oecaaon d'y contredire. •» : Le 18 décembre suivant s, il reparle de son livre, sur lequel il est résolu a ne pas mettre son nom : il le soumettra a la censure de Mersenne et d'autres « des plus habiles, principalement a cause de la Theologie, laquelle on a tellemant assujettie a Aris- 1. J>fj«»urs de la Méthode, an t. VI, pp. 18 et 19 2. (huvret, t. I, p. 70. La citation précédente est a la p. 23. 3. Ibid., p. 85. SÉJOUR . A AMSTFJIDAM, (,1629rl630) 451 tote, qu'il est presque impossible d'expliquer une autre PJuIqsophie, sans qu'elle semble d'abbord contre la foy. ». » Dans la lettre datée .« d'Amsterdam, 18 décembre 1629 »i Descartes se plaint de sa propre paresse. Les grands inventeurs sonLdes paresseux ou du moins leur inaction apparente correspond a un travail intérieur inconscient ou subconscient qui éclate soudain en traits de lumière,,« J'ay envie de me mettre un mois on deus & travailler tout de bon; je n'aypas encore tant escrit de mon traite qu il y a d'escriture e0 la moitié de cette lettre et j en ay grand hqnte ». Malgré ces belles promesses faites a soi-même, on n'est pas encore fort avancé le 15 avril 1630 * :.« Cela ne m'empeschera pas d acheyer e petit traité que j'ay commencé, mais. je ne desire pas qu on le scache, affln d'avoir tousjours la liberté de le desa- voueretjytravaillefortlentemanLpourcequejeprensbeaucoup plus de plaisir a m instruire moy-mesme que non pas a mettre parescntlepeuqueje scay. J'estudie maintenant en chymie et en anatomie tout ensemble, et apprens tous les jours quelque chose que je ne trouve pas dedans les livres... Aureste, je passé si doucemant le tans, enm'instruisant moy-mesme, que je ne me mets jamais a escrire en mon traité que par contrainte et pour nit acquiter de la résolution que j'ay prise qui est, si je ne meurs, 1wT?b5 T 6StatHdT V0US renV<,yer aU «ommencementT; annee 1633. Je vous deternune le tans pour m'y obliger davantage, etaffin que vous in'en puissiés faire reproche si j'y manque Au reste, vous vous estonnerés que je prene un si long tenne pour escnre un discours qui serusi court que je m'imagine qu'on le pourra hre en une apprés-disnée, mais c'est que j'ay plus de soing et croy qu'il est plus important que j'apprene ce qui m'est necessaire pour la conduite de ma vie, que non pas que k m amuse apubherle peu que j'ay appris. « Que si vous trouvés estrange de ce que j'avois commencé ' quelques autres traités, estant a Paris lesquels je nC 12 P^^ ^T ^ ^y la raison : c'est que, pend ai que j y travaulois, jacquerois un peu plus de connoissance que je n en avois eu en commencant, selon laquelle me voulant accom- 1. (Euvres, t. lp. 104. 2. Ibid., pp. 136-138. ptai hÏÏfE 418? n^T * 1Algèbre et aux «d directtonem tnaentt, yoir 452 DESCARTES EN HOLLANDE moder, j'estois contraint de faire un nouveau projet un peu plus. grand que le premier, ainsi que sy quelqu'un ayant commencé un bastimant pour sa demeure, acqueroit cependant des richesses qu'il n'auroit pas esperées et changeoit de condition, en sorte que son bastimant commencé fust trop petit pour luy, on ne le blasmeroit pas, si on luy en voyoit recommaneer un autre plus convenable a sa fortune. Mais ce qui m'assure que je ne changeray plus de dessein, c'est que celuy que j'ay maintenant est tel que, quoy que j'apprene de nouveau, il m'y pourra servir et, encore que je n'apprene rien de plus, je ne laisseray pas d'en venir a bout. » Le « petit Traité » dont il est question ici n'est rien moins, cette fois, que le Traité du Monde, la preuve en est dans cette phrase de la lettre du 23 novembre 1630 : « La promesse que je vous ay faite d'avoir achevé mon Monde dans trois ans ». 1 La correspondance avec Mersenne, si variée et si intéressante, dans laquelle les questions de physique succèdent a celles de métaphysique et oü 1'on trouve jusqu'a la discussion d'un projet de langue universelle 2, s'interrompt a la fin de mai 1630. C'est que le bon religieux, dont la curios;té est aussi générale que dépourvue de préventions, a voulu, non seulement rendre visite a son ami, mais interroger lui-même les érudits hérétiques de Hollande. En juin, il est a Bruxelles 3 (la guerre ne suspendait pas alors les voyages). A la fin du mois, il a dü retrouver Descartes a Leyde oü, interrompant, pour peu de temps, son séjour a Amsterdam, il s'est fait, nous 1'avons vu, immatriculer a 1'Université, le 27 juin (cf. pl. XXXVI b.) :. Rënatus Descartes Picto, studiosus matheseos, annos natus xxxiii. Bij Cornelis Heymenss. van Dam. II est impossible de ne pas prendre au sérieux cette immatriculation de Descartes, car, étant a Amsterdam, rien ne le forfait de venir s'installer a Leyde, et il y est bien installé, puisque VAlbum Studiosorum indique même son domicile. Après avoir essayé de la science d'Adrien Metius a Franeker, il aura voulu goüter aussi celle de Golius, le mathématicien orientaliste, qui lui posera, a la fin de l'année suivante, le problème de Pappus, 1. (Euvres, t. I, p. 179. 2. Ibid., pp. 76, 112, 126. 3. Cf. (Euvres, t. I, pp. 147 et 151. Planche XXXVI a. iNSCBiPTiON de Descartes sur l'Album Studiosorum de l'Université de Leïde, le a7 juin i63o. er a A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE (27 JUIN 1630) 453 et a qui il soumettra, en janvier 1632, le manuscrit dela première partie de sa Dioptrique K II retrouve, sur les bancs de l'Université de Leyde, 1'excellent astronome Martin Hortensius (1605-1639), inscrit pour les mathématiques depuis le 7 mai, qui fait des observations solaires avec Beeckman, et qui reste aussi en relations avec Descartes, même en janvier 1632 a. Peut-être celui-ci a-t-il voulu surtout rejoindre Reneri, qui y est depuis le début de janvier 1630, et cela a obligé ce dernier a laisser « a un ami fidéle et savant », qui pourrait bien être Descartes, le soin de surveiller 1'impression de 1'explication de la parhélie. L'auteur, Gassendi 8, écrit a Reneri, par 1'intermédiaire de Rivet et, le 8 février suivant, lui donne les conseils qu'il a demandés sur 1'éducation des enfants dont il est devenu précepteur4. Reneri est encore a Leyde en septembre 1630, puisque c'est Ia que Gassend lui écrit de Paris le 8 5. Descartes retourne a Amsterdam, d'oü il se re met a écrire au P. Mersenne, le 4 novembre. C'est pour parler de la mésaventure survenue au Religieux a Anvers et qui doit se placer en septembre ou octobre précédent : « Pour vostre fortune d'Anvers, je ne la trouve pas tant a plaindre et je croy qu'il est mieux que la chose se soit passée ainsi que si on eüst sceü, long-temps aprés, que vous estiez venu en ces quartiers, comme il estoit malaisé qu'on ne le sceüst». 6 Le clergé séculier et régulier n'était pas, semble-t-il, aussi tolérant en Belgique qu'en France, et, a ce que raconte Baillet 7, '« Lorsque le P. Mersenne fut arrivé a Anvers, il y trouva des gens qui avoient appris une partie de ce qu'il avoit fait en Hollande et qui pensèrent lui susciter des affaires a ce sujet. II paroit que ses confrères surtout et quelques autres catholiques scrupuleux, voulurent lui faire un crime du danger oü il avoit exposé la sainteté de sa robe et des démonstrations d' amitié qu'il avoit données et recues de plusieurs hérétiques couverts du manteau de scavans ». Allusion a Rivet, dont le neveu, Pineau, dans ï. Oiuvres, t. I, p. 234. 2. Cf. Ibid., et surtout la notice de de Waard sur Hortensius, dans Nieuw Ned. Biogr. Wdb., t. I, col. 1160. 3. Cf. la lettre qu'11 lui adresse, en janvier 1630, de Leyde. Voir Petri Gassendi Epistolae, t. VI, p. 395 de 1'éd. de Lyon, 1658, d'après la cóplé de de Waard. 4. Gassendi Epistolae, pp. 29 a 31. 5. Ibid., pp. 37-38. 6. (Euvres, t. I, p. 171. 7. Cf Ibid., p. 176. 454 DESCARTES EN HOLLANDE une correspondance encore iüèdite, va jusqu'a nommer le P. Mersenne « le moine huguenot » ! Le voyage du Minime fut 1'occasion d'un autre incident plus grave : la rupture de Descartes avec Beeckman. Celui-ci, dans maintes lettres a Mersenne, écrites en 1629 et 1630, avait employé des expressions qui avaient blessé profondément le philosophe :« C'est lui a qui j'avais communiqué, il y a dix ans, ce que j'avais' écrit sur les causes de la douceur des accords»1, écrit le recteur de Dordrecht, en aoüt 1629. Descartes répond a Mersenne, dès le 8 octobre2: «Vous m'avez extremement obligé de m'advertir de 1'ingratitude de mon amy; c'est, je crois, 1'honneur que vous luy avez fait de luy escrire qui 1'a éblouy et il a crü que vous auriez encore meilleure opinion de luy, s'il vous écrivoit qu'ü a esté mon maistre, il y a dix ans. Mais il se trompe fort, car quelle gloire y a-t-il d'avoir instruit un homme qui ne scait que trés peu de chose et qui le confesse librement comme je fais ? » II revient sur ce sujet dans une autre lettre, datée d'Amsterdam, janvier 1630 8 : « Je vous jure que, du temps que ce personnage se vante d'avoir écrit de si belles choses sur la Musique, il n'en scavoit que ce qu'il avoit appris dans Faber Stapulensis 4... je blame son peu de reconnoissance, laquelle j'ay découvert en beaucoup d'autres choses qu'en ce que vous m'avez mandé, aussi n'ay-je plus de commerce avec luy. » Ce n'est qu'une interruption des relations, ce n'est pas encore la rupture; celle-ci surviendra après que Beeckman aura montré a Mersenne son Journal tout farci de propositions cartésiennes dont il Se serait prétendu 1'inventeur. La mesure est cotnble, et Descartes, en septembre ou octobre 1630, lance sur 1'impertinent ses foudres latines : « Je vous ai redemandé 1'an dernier ma << Musique », non paree que j'en avais besoin, mais paree qu'on m'avait dit5 que vous en parliez comme si je 1'avais apprise de vous. Je n'ai pas voulu cependant vous 1'écrire tout de suite pour ne pas paraftre douter de la fidélité d'un ami, sur le propos d'un tiers. Maintenant qu'il m'est confirmé que vous préférez une sotte vantardise a 1'amitié et a la vérité, je vous avertis, en peu 1. (Euvres, t. I, p. 30. 2. Ibid., p. 24. 3. Ibid., pp. 110 et 111. 4. Lefèvre d'Etaples. 5. Sans doute Gassend, par 1'intermédiaire de Mersenne, voir plus haut, p. 448. RUPTURE AVEC BEECKMAN (1630) 455 ■de mots que, si vous elites avoir appris quelque chose a quelqu'un, quand ce serait vrai, cela est odieux; que, si c'est faux, c'est plus odieux encore ; mais que c'est le plus odieux, lorsque vous 1'avez apprise de lui-même: Sans aucun doute, vöus avez étè induit en erreur par la politesse de notre langue francaise \ quand, soit en conversation, soit par lettre, je vous ai souvent affirmé que j'avais appris beaucoup de choses de vous, que j'attendais beaucoup d'aide de vos observations... En ce qui me concerne, je me moque de toüt Cela, mais au nom de notre vieille amitié, je vous avertis que vous nuisez beaucoup a votre propre réputation en vous vantant ainsi devant ceux qui me conüaissent. Et je vous avise de ne pas leur montrer mes lettres comme preuves *, car ils savent que j'ai coutume de m'instruirë même auprès des fourmis et des vermisseaux. » Assurément 1'urbanité francaise est ici oubliée : elle 1'est davantage encore dans la lettre du 17 octobre, qui est presque un mémoire en latin s. Les reproches a Beeckman ne sont pas fondés sur une dénonciation du P. Mersenne, mais sur la lettre que le recteür lui-même vient d'écrire a Descartes, après un silence réciproque, et dans laquelle il 1'invite a revénir vers lui, s'il désire le consulter pour ses études, ajoutant qu'il y •trouverait plus de profit que chez n'importe qui. « Que votre stupidité et votre ignorance de vous-même fussent assez grandes pour croire que vraiment j'aie pu apprendre davantage de vous que ce que j'ai coutume de tirer des autres choses qui sont dans la nature, je ne pouvais le soupconner. Ne vous souvenez-vous donc pas, lorsque je m'occupais de ces études, dont vous avottiez n'être pas capable..., combien vous m'avez importuné et combien Vous avez souhaité d'en entendre plus long...? Maintenant je reconnais a toute évidence, par votre dernière lettre, que vous avez pêché, non par malice, mais par insanité...» 1. Clerselier traduit ((Euvres de Descartes, édition Cousin, t. VI, p. 142) «la civilité tM$tïïZ^Lkt ÏÏSr1*0^ : *Te ProcuI ^ubl° Gallici stJu «W» urbanitas. , Cette preuves ajoute a celles que nous avons données (p. 380 et p. 441), mie les IS cTi/tE^Tf?1 %n A Bréda, ils se sont cependant abordés en latin. Cf. la fin de la lettre du 17 octobre 1630, t. I, p. 167 f • Cum in urbe militari m qua versabar, te unum invenirem qui latine ioqueretur.» muitan ^ci^est u* tfcno'gnage d'authenticité; «'U en était besoin, des lettres de ieunesse de Descartes, insérées dans le Joumöl de Beeckmani ] 3. (Euvres, t. I, p. 157. La précédente épitre est a la p. 156. 456 DESCARTES EN HOLLANDE La suite, oü il cherche des remèdes a cette folie, est d'un pédantisme fort désagréable: «Vous comprendrez facilement que je n'aie pu apprendre plus de cette Mathématico-physique que vous rêvez avoir faite, que de la Batrachomyomachie... Vous écrivez que 1'Algèbre que je vous ai donnée n'est plus mienne ; vous avez écrit la même chose ailleurs au sujet de ma « Musique ». II 1'accuse d'en avoir demandé les autographes, dont lui-même n'a pas de copie, pour les lui faire oubher et les posséder seul et d'en être le recéleur. II invite son correspondant a croire qu'il lui écrit, non sous 1'empire de la colère ou par mauvais gré, mais par amitié véritable; ce qui ne 1'empêche pas de reparler de la maladie de Beeckman, de faire une allusion blessante a la Zélande, ile barbare, patrie des moutons et des sabotiers, comme disait Paul de Middelbourg, prédécesseur de Galilée. Heureusement le latin ne tire pas a conséquence et c'est dans tous les sens qu'il brave 1'honnêteté. Descartes, qui, au fond, était bon ami, semble avoir été pris de remords et, a son retour d'un voyage en Danemark, dans 1'été 1631, ayant appris que le recteur êtait malade, il 1'alla voir a Dordrecht}, En octobre 1631, ils dinent ensemble; Beeckman écrit en effet a Mersenne, le 7 : « Le Sr des Cartes avec qui j'ai diné, il y a quelques jours a Amsterdam, relève d'une assez grave maladie ». En tout cas, les relations s'espacent et le philosophe se garde d'écrire aussi souvent 2, mais Us se rendent visite, car, le 14 aoüt 1634, par exemple, Descartes mande d'Amsterdam au P.Mersenne3: «Le Sieur Beecman vint icy samedy au soir et me presta le livre de Galilée ; mais il 1'a remporté a Dort ce matin, en sorte que je ne 1'ay eu entre les mains que trente heures.» Lorsque Beeckman mourut, le 20 mai 1637, Descartes écrivit au pasteur Colvius, qui lui avait appris la nouvelle, un billet 4 . qui ne semble pas marquer une douleur excessive : « Monsieur, « En passant par cette ville au retour d'un voyasge oü j'ay esté plus de six semaines, j'y ai trouvé la lettre que vous avez 1. Cf. un fragment de lettre a Villebressleu, publié par Baillet. (Euvres de Des. cartes, t. i, p. 215. 2. Voir cependant (Euvres, 1.1, p- 307 et s. 3. Ibid., p. 303. > 4. Découvert a Munich par le professeur D. J. Korteweg, pubüé par 1 abbé G. Monchamp (Isaac Beeckman el Descartes, brochure, Bruxelles, 1895) et reproduit dans (Euvres de Descartes, t. i, pp. 379-380. MORT DE BEECKMAN 457 pris la peine de m'escrire, par laquelle j'apprens les tristes nouvelles de la mort du Sr Beeckman, lequel je regrette, et jem'asseure que, comme ayant esté 1'un de ses meilleurs amis, vous en aurez eu de 1'affliction. Mais, Monsieur, vous scavez beaucoup mieux que moy que le tems que nous vivons en ce monde est si peu de chose a comparaison de 1'eternité, que nous ne nous devons pas fort soucier si nous sommes pris quelques années plutost ou plus tard. Et Mr Beeckman ayant esté extremement philosophe, comme il a esté, je ne doute point qu'il ne se fust resolu dés long temps a ce qui luy est arrivé. Je souhaite que Dieu 1'ait Uluminé, en sorte qu'il soit mort en sa grace, et je suis, Monsieur, vostre tres humble et affectionné serviteur. Des Cartes. » Ce fut le seul « regret» du philosophe a son « auteur »et«promoteur » de 1'hiver 1618-1619. CHAPITRE , IX SUITE DU SÉJOUR A AMSTERDAM (HIVER 1630-1631) Après 1'exécution magistrale et un peu pédante de Beeckman Descartes se remet a son Traité du Monde et, dès le 25 novembre 1630, il rend compte, a son confident habituel, de 1'état d'avancement de 1'ceuvre. II est ennuyé de ce que le P. Mersenne ait montré a Mydorge la lettre précédente, paree que ses épitres « sont ordinairement écrittes avec trop peudesoin pour meriter d estre veües par d'autres que ceux a qui elles sont adressees »* et paree qu'il ne veut pas qu'on sache qu'il a 1'intention d'impnmer la Dioptrique. II a vraiment cette phobie de la publication, fréquente chez les hommes de valeur, en France surtout; de la facon qu'ü y travaille, « elle ne scauroit estre préte de long-temps. J'y veux inserer un discours oü je tacheray d'expliquer la nature des couleurs et de la lumière, lequel m'a arresté depuis six mois et n est pas encore è moitié fait, mais aussi sera-t-il plus long que je ne pensois et contiendra quasi une Physique toute entière en sorte que je pretens qu'elle me servira pour me dégager de la promesse que je vous ay faite d'avoir achevé mon Monde, dans trois ans, car c'en sera quasi un abregé. Et je ne pense pas, apres cecy, me resoudre jamais plus de faire rien imprimer au moins moy vivant, car la fable de mon Monde me plaist trop" pour manquer a la parachever, si Dieu me laisse vivre assez long-temps pour cela, mais je ne veux point répondre de 1'avemr...» 2 La lettre suivante au même correspondant, datée du 2 décembre, trahit toujours la préoccupation presque maladive de dérober sa personne et ses ceuvres a la curiosité publique : « Si 1. (Euvres, t. I, p. 178. ' 1' ' 2. Ibid., p. 179. 460 DESCARTES EN HOLLANDE on vous demande oü je suis, je vous prie de dire que vous n'en estes pas certain, pource que j'estois en résolution de passer en Angleterre \ mais que vous avez receü mes lettres d'icy et que, si on me veut écrire, vous me ferez tenir leurs Lettres. Si on vous demande ce que je fais, vous direz, s'il vous plaist, que je prens plaisir a estudier pour m'instruire moy mesme, mais que, de 1'humeur que je suis, vous ne pensez pas que je mette jamais rien au jour et que je vous en ay tout a fait osté la creance ». 2 Le 23 décembre, Descartes reparle de son ouvrage. Rien de plus intéressant que de pénétrer ainsi dans 1'atelier du maitre et d'y assister a la succession des esquisses et des ébauches préüminaires au chef-d'ceuvre : « Je vous diray que je suis maintenant aprés 8 a demesler le chaos, pour en faire sortir de la lumière, qui est Tune des plus hautes et des plus difficiles matieres que je puisse jamais entreprendre, car toute la Physique y est presque comprise. J'ay mille choses diverses a considerer toutes ensemble pour trouver un biais par le moyen duquel je puisse dire la vérité, sans estonner l'imagination de personne ny choquerles opinions qui sont communément receües. C'est pourquoy je desire prendre un mois ou deux a ne penser a rien autre chose. » Le philosophe cherche plus a convaincre qu'a émerveiller, a la différence de beaucoup d'alchimistes, d'astrologues et même de philologues de son temps. Une fois de plus, ses théories fussent-elles même en partie caduques aujourd'hui, il est le savant moderne, pour qui 1'effet produit n'est rien, la vérité, tout. Cette intéressante correspondance avec Mersenne subit une Jnterruption apparente de plus de neuf mois, due peut-être a la noyade des papiers de Descartes dans la Seine, lorsque Chanut, après la mort de celui-ci, les envoya de Suède en France a Clerselier. La lacune est en partie comblée par un remarquable échange de lettres avec Balzac au printemps 1631. Quand Descartes écrit « al unico eloquente », il taille sa plume avec plus de soin, la trempe dans de 1'encre dorée; il polit son 1 Toujours ce voyage qui n'eut jamais lieu. Le 11 juin 1640, Descartes dira encore -.fBieii qu'il y alt plus de dix ans que j'ay eu envie d'aller en Angleterre » Note de MM. Adam et Tannery; (Euvres, t. I, p. 192. 2. (Euvres, t. I, p. 191. . , , . , , . 3. Inutile de souligner la familiarité de 1'expression qui n est pas du francais tres littéraire, mais s'entend encore bien souvent dans la conversation. SÉJOUR A AMSTERDAM (1630-1631) 461 style qui, s'il gagne en grace mignarde, perd de ce naturel qu'on goüte dans la correspondance avec le moine. II use même d'une urbanité qui va jusqu'a la flatterie et, quoiqu'on y sente une admiration sincère, elle n'est pas exempte d'exagération 1: « Cette nouvelle [que Balzac est a Paris] m'a fait connoistre que je pourrois estre maintenant quelqu'autre part plus heureux que je ne suis icy, et, si 1'occupation qui m'y retient n'estoit, selon mon petit jugement, la plus importante en laquelle je puisse jamais estre employé 2, la seule esperance d'avoir 1'honneur de vostre. conversation et de voir naistre naturellement devant moy ces fortes pensées que nous admirons dans vos ouvrages, seroit suffisante pour m'en faire sortir. Ne me demandez point, s'il vous plaist, quelle peut estre cette occupation que j'estime si importante, car j'aurois honte de vous la dire : je suis devenu si philosophe que je méprise ha plus-part des choses qui sont ordinairement estimées et en estime quelques autres dont on n'a point accoustumé de faire cas. Toutesfois, pour ce que vos sentimens sont fort éloignez de ceux du peuple et que vous m'avez souvent témoigné que vous jugiez plus favorablement de moy que je ne meritois, je ne laisseray pas de vous en entretenir plus ouvertement quelque jour, si vous ne 1'avez point desagreable. » II a levé un coin du rideau derrière lequel il se cache pour repenser le Monde. Aussi se reprend-il aussitöt, afin de donner le change a son illustre correspondant : « Pour cette heure, je me contenteray de vous dire que je ne suis plus en humeur de rien mettre par écrit, ainsi que vous m'y avez autresfois vü disposé. Ce n'est pas que je ne fasse grand état de la reputation, lors qu'on est certain de 1'acquerir bonne et grande, comme vous avez fait, mais pour une mediocre et incertaine telle que je la pourois esperer, je 1'estime beaucoup moins que le repos et la tranqmllité d'esprit que je possede. » Puis, quelques détails précieux sur sa vie quotidienne. Le te fEvw.es, t. I p. 198. 2. Descartes gardait les brouillons de ses lettres, sans quoi il nous en manquerait beaucoup plus. Celle-ci, dans cette phrase et dans une des suivantes, parait avoir servi pour le début du Discours de la Méthode (t. VI p. 3) : « que, regardant d'un ceil de Philosophe les diverses actions et entreprises de töus les hommes, iln'y en alt quasi aucune, qui ne me semble vaine et inuUle, je ne laisse pas de recevoir une extreme satisfaction du progrès que je pense avoir desja fait en la recherche de la verité et de concevoir de telles esperances pour l'avenir que si, entre les occupalions des hommes purement hommes, il y en a quelqu'une qui soit solidement bonne et importante, j'ose croyre que c'est celle que j'ay'choisie. » 462 DESCARTES EN HOLLANDE passage est exquis et presque d'un poète : « Je dors icy dix heures toutes les nuits et, sans que jamais aucun soin me réveille, aprés que le sommeil a longtemps promené mon esprit dans des buys, des jardins et des palais enchantez, oü j'éprouve tous les plaisirs qui sont imaginez, dans les Fables, je mesle insensiblement mes réveries du jour avec celles de la nuit et, quand je m'apercoy d'estre éveillé, c'est seulement afin que mon contentement soit plus parfait et que mes sens y participent, car je ne suis pas si severe que de leur refuser aucune chose qu'un philosophe leur puisse permettre, sans offenser sa conscience. » Ce gracieux badinage compléte le portrait que nous pouvons nous tracer de Descartes. Le savant francais n'est pas exclusivement un algébriste ni un alchimiste, ni un métaphysicien, ni surtout un pédant de collége, il est un « honnête homme » au sens du Chevalier de Méré, pour qui « 1'honnêteté » est 1'art « d'exceller en tout ce qui regarde les agréments et les bienséances de la vie »J. Descartes termine par un trait qui n'est plus, cette fois, d'honnêteté, mais de galanterie : « Enfin il ne manque rien icy que la douceur de vostre conversation, mais elle m'est si necessaire pour estre heureux que peu s'en faut que je ne rompe tout mes desseins, afin de vous aller dire de bouche que je suis de tout mon cceur, Monsieur, etc. » 2 On devine le ton de la réponse que Balzac parait avoir envoyée poste pour poste 3, le 25 avril 1631 4. A la finale de la. lettre de Descartes, Balzac ne peut faire moins que de répondre par un empressement égal et une volonté de conjonction identique : « Je ne vis plus que de 1'esperance que j'ay. de vous aller voir a Amsterdam et d'embrasser cette chere teste, .qui est si pleine de raison et d'intelligence... La conqueste de la verité, a laquelle vous travaillez avec tant de force et de courage, me semble bien quelque chose de plus noble que tóut ce qui se fait avec tant de bruit et de tumulte en Allemagne eLen Italië. Je ne suis pas si vain que je pretende devoir estre compagnon de vos travaux,. 1. (Euvres de Méré, t. I, p. 264, cité par M. L. Brunschvicg dans sa remarquable édition des Pensées et Opuscules de Pascal. 6» éd.; Paris, Hachette, 1912, un vol. tat-16, p. 116. ••' -™ 2. (Euvres, t. I, p. 199. 3. Dans ce cas, conjecturent les éditeurs, la lettre de Descartes est du 15 avrQ163L. Cf. (Euvres, t. I, p. 196. 4. (Euvres, t. I, p. 199-201. LETTRE A BALZAC SUR AMSTERDAM (1631) 463 mais j'en seray pour le moins le spectateuj et m'enrichiray assez du reste de la proye et des superfluitez de vostre abondance. » « Ne pensez pas que je face cette proposition au hazard, je parle fort serieusement et, pour peu que vous demeuriez au lieu oü vous estes, je suis Hollandois aussi bien que vous, et Messieurs les Estats n'auront point un meilleur citoyen que moy, ni qui ait plus de passion pour la liberté. Quoy que j'aime extremement le ciel d'Italie et la terre qui, porte les orangers, vostre vertu seroit capable de m'attirer sur les bords de la mer Glaciale et jusqu'au fond du septentrion. ,11 y a trois ans que mon imagination vous cherche et que je meurs d'envie de mejreunir a vous, afin de ne m'en separer jamais et de vous tesmoigner... etc.,» . Pour marquer « son ressentiment,», comme on disait alors, d'une telle affection, Descartes répond, semble-t-il, aussitöt, au début de mai, pour inviter Balzac a le rejoindre ,è Amsterdam, dont il va lui faire un magnifique éloge ; il en faut peser les termes pour retenir ce qui nous initie a la vie de Descartes dans la grande cité du Nord 1 ; « Mesme vous devez pardonner a mon zele.si je vous cpnvie de choisir Amsterdam pour votre retraite et de le preferer, je ne vous diray pas seulement a tous les Convens des Capucins et des Chartreux, oü force honnestes gens se retirent, mais^ussi a toutes les plus helles-demeures.de France et d'Itahe, mesme a ce celebre Hermitage dans lequel vous estiez l'année passée. Quelque accomplie que puisse estre une maison des chams, il y manque tousjours une infinité de commoditez, qui ne se trouvent que dans les villes, et la solitude mesme qu'on y espere, ne s'y rencontre jamais toute parfaite. » C'est un souvenir, frais encore,. des inconvénients de Franeker, hts sans matelas et hótes a 1'importune bienveillance. Descartes n'a rien d'un philosophe cynique ni d'un.cénobite, il ne croit pas qu'un certain luxe soit nuisible a 1'exercice de la pensée spéculative et une maison confortable lui parait plus propre a la méditation que la grande amphore de Diogène2. Descartes oppose sa solitude, parmi la foule bruyante et les fossés hollan- 1. (Euvres, t. I, pp. 202-203. i'Jt'Jj, ^ti^^ '?tonneau' a'y en avait pas de son temps. C'est Pline J ancien qm le premier en signale I invention. 464 DESCARTES EN HOLLANDE dais, a la « vallée solitaire et au canal qui fait réver les plus grans parleurs », qu'a vantée Balzac 1 : « En cette grande ville oü je suis, n'y ayant aucun homme, exceptè moy, qui n'exerce la marchandise, chacun y est tellement attentif a son profit, que j'y pourrois demeurer toute ma vie sans estre jamais vü de personne. » « Le soujy d'amasser fit tout seul vostre étude » dira d'Hénault dans son sonnet « sur les Hollandois »2. Les marchands se hatent sous les arcades de la Bourse, sur le Dam, ou le long du Rokin ; au milieu d'une foule bariolée oü les Arméniens, les Arabes, les nègres et les princes malais arrêtent a peine les regards, comment le gentilhomme francais, a la grande cape noire, a col et rabat blancs, ne passerait-il pas inapercu ? i Je me vais promener tous les jours parmy la confusion d'un grand peuple avec autant de liberté et de repos que vous scauriez faire dans vos allées et je n'y considere pas autrement les hommes que j'y voy que je ferois les arbres qui se rencontrent en vos forests ou les animaux qui y paissent. » Ce n'est pas trés poli pour ses hótes, mais comment lui, qui n'a pas l'ceil lumineux d'un Bembrandt, pourrait-il s'intéresser aux gros « staalmeesters », aux maitres de 1'étalon du drap, bouffis de graisse et de contentement d'eux-mêmes sous leur houppelande noire. Leurs pronts ne sont pas les siens et il a pour leurs gains le même mépris qu'ils ont pour son titre, qui rapporte moins que ceux de la Compagnie des Indes. « Que si je fais quelquefois reflexion sur leurs actions, j'en recoy le mesme plaisir que vous feriez de voir les païsans qui cultivent vos campagnes, car je voy que tout leur travail sert a embellir le lieu de ma demeure et a faire que je n'y aye manque d'aucune chose. Que s'il y a du plaisir a voir croitre les fruits en vos vergers et a y estre dans 1'abondance jusques aux yeux, pensez-vous qu'il n'y en ait pas bien autant a voir venir icy des vaisseaux qui nous aportent abondamment tout ce que produisent les Indes et tout ce qu'il y a de rare en 1'Euröpe ? » 1. Lettres de M. de Balzac; éd. de 1628, livre premier, pp. 123 a 128, citées dans les (Euvres de Descartes, t. I, p. 203, note a. „„,,»„,. 2. Manuscrit 3208 de la Bibliothèqué Salnte-Geneviève, cité par F. Lachèvre, Bibliographie des Recueils collectifs de poésie, t. III, p. 313. LETTRE A BALZAC SUR AMSTERDAM (1631) 465 On sait quel cri d'adrnjration la grande ville hollandaise arrachera a Sorbière en 1660 1 : « La ville d'Amsterdam a affermé cette année son poids des marchandises, six mille Uvrês par jour, qui viennent a plus de sept mille de nostre monnoye... Elle a tracé vingt deux bastions pour son agrandissement, qui cousteront cinq eens mille livres chacun... sa Maison de Ville coustera huict millions 2 avant qu'elle soit achevée... Les Mats de six mille vaisseaux sont tousjours au Port la representation d'une grande Forest, quoy qu'il en parte quelquesfois six eens voiles dans un jour... La Banque a tousjours plusieurs millions en argent monnoyé qui croupit dans les caves, sans celuy que la ville met en usage... « II me resteroit beaucoup de choses a dire de ce miracle du monde, de cette ville assise sur la pointe de cent millions d'arbres 3, et dont le prodigieux commerce fait non seulement qu'elle abonde de tout ce qui luy manque naturellement, mais que, le distribuant aux autres peuples, elle a eu de quoy fournir a payer vingt huict de cent, c'est-a-dire plus du quart de toutes les dépenses des Provinces-Unies... Je vous representerois 1'opulence de la Compagnie des Indes Orientales, qui occupe plus de cinquante mille hommes a son service. » « Quel autre lieu, dit de son cöté Descartes, pouroit-on choisir au reste du monde, oü toutes les commoditez de la vie et toutes les curiositez qui peuvent estre souhaitées soient si faciles a trouver qu'en cettuy-cy ? Quel autre pays oü 1'on puisse jouyr d'une liberté si entière, oü 1'on puisse dormir avec moins d'inquietude, oü il y ait toüjours des armées sur pied exprés pour nous garder4, oü les empoisonnemens, les trahisons, les calomnles soient moins connues et oü il soit demeuré plus de restes de 1'innocence de nos ayeuls ?» Laissons la cette évocation de l'age d'or, destinée a flatter la manie du trés moderne Balzac de citer toujours les anciens, mais il reste vrai qu'alors qu'on se coupait la gorge quotidiennement dans les rues de Paris, Amsterdam, malgré ses bouges a marins, 1. Relations, Lettres et Discours de M. de Sorbière; Paris, 1660, in-24, p. 26 et s „„ V actuellement le palais de la Reine sur le Dam, oeuvre de 1'architecte van ViSmpcn. d^^Mre^on°tnbIties110tiS sur,esquels toutes les maisons d'Amsterdam, aujour- ln M*iï°u% UvrPaSS?f6 ^ auservi P°«» ,a„fln de »a Troisième partie du Discours de la'Methode t. VLj».31. La phrase en itaUque a été reproduite sur la plaque apposée a la maison de Descartes, voir plus loin p. 482, note 2 P^que 30 466 . 4; DESCARTES EN HOLLANDE était plus paisible. II n'y avait que quatre ans que Bouteyille et des Chapelles s'étaient battus, trois contre trois, place Royale,1 et avaient été exécutés (1627). C'était le vingt-deuxième duel de Bouteville ; de Beësse, i brave gentilhomme mais cruel », avait tué en duel dix-sept personnes et d'Andrieux, soixante douze. Aussi fut-ce un grand scandale a La Haye quand, en 1646, le marquis de L'Espinay y fut assassiné *, a la suite d'une aventure amoureuse, dont nous reparlerons plus loin. Reste, pour convaincre Balzac, a réfuter 1'objection prévue de la rudesse du climat, qui lui faisait appréhender pour Ferrier l'arrivée en automne 8. Mais le Francais exagère la rigueur de 1'hiver néerlandais. Si, 1'été, il se figure le Hollandais en sabots, fumant sur le pas de sa porte une longue pipe de porcelaine, qui y est inconnue aujourd'hui; 1'hiver, il le voit remplacant les sabots par des patins et la route par le canal, sur lequel il glisse a longues enjambées. Ceci se voit, même en dehors des tableaux de van. Ostade, mais pendant quelques semaines seulement, par exception, comme en 1650, pendant plusieurs mois. Le 22 janvier de cette année-la, Pineau écrit de Paris a son oncle Rivet a Bréda4 : « Les glacés, qui vous ont enfermé quelques mois, n'ont duré ici que fort peu de jours et, malgré elles, Ie Soleil n'a pas laissé de nous faire voir des violettes et des anémones et de produire des asperges et des artichaux. J'ay fait avouer a Mr de la Plate que les boues de Paris valent encore mieux que le froid et la gelée de son Païs, qui est sauvage au prix de ce charmant climat, » Ufi . fo qoq - _ Kataas. ü.s»a; 2. Bulletin de 1'histoire des Églises Wallonnes, T. I, p. 48 A° 1619^ dfc! ifög611^ n° 54 ACla *• Schoolraets binn™ Deventer aengevangen 5. Mot suppléé par de Waard dans sa copie. 474 DESCARTES ÉN HOLLANDE la théorie. » Rivet n'est pas moins 'chaleureux dans sa recommandation a Revius ét ceci en dit long sur I'orthodoxie du candidat. II ne faut donc pas s'étonneT de le voir nommé, le 4 octobre 1631, et faire sa première lecon le 28 novembre de la même année h II n'est pas probable que Descartes y assita. II se borne a écrire au P. Mersenne 2:«M. Renery est allé demeurer a Deventer depuis cinq ou six jours et il est maintenant la. Professeur en Philosophie. C'est une Academie peu renommee, mais oü les Professeurs ont plus de gages et vivent plus commodément qu'a Leyde ny Fr[aneker], oü M. R[enery] eust pü avoir place par cy-devant, s'il ne 1'eust point refusée ou negligée.» Ceci témoigne d'une sincère estime pour son ami, duquel il ne faut pas dire cependant, comme lefont, par mégarde, certains historiens hollandais, qu'il a été le maitre de Descartes. Les contemporains ne s'y trompaient pas, témoin la pièce en vers que le poète latin Antoine Aemihus 3 a consacrée en mars 1639: « Aux manes de Henri Reneri... professeur de Philosophie a TUniversité d'Utrecht, qui vécut dans 1'intimité du noble gentilhomme René Descartes, Atlas et unique Archimède de notre siècle, duquel il apprit a pénétrer les secrets de la Nature et les limites du Ciel.» Reneri lui-même n'écrit-il pas : « Is est mea lux, meus sol, erit ille mihi sfemper Deus » ? 4 Le fait est que le Hutois, quoique plus agé de trois ans, suit docilement 1'enseignement du maitre. II abandonne la théorie et la pratique de la médecine pour se donner a la philosophie et aux mathématiques5, non pas, dit-il, qu'il en füt ignorant, mais paree qu'il ne les a pas encore pénétrées a fond : « Je m'y livre avec d'autant plus de zèle qu'une occasion magnifiqué d'y faire de grands progrès m'est fournie par le commerce du prince des mathématiciens, le Seigneur Des Cartes, gentilhomme francais»6. Ce texte, en même temps qu'il définit dans quel sens sont, 1. Cf. (Euvres de Descartes, t. I, p. 226. 2. Ibid., p. 228. . „ . , . . . 3. Antonii Aemilii Oraliones; Utrecht, 1651, p. 412-413. Voir, sur lui, une importante notice de de Waard, laquelle intéresse 1'histoire du Cartésianisme, dans Nteuw Ned. Biogr. Wdb. (1911), L I, col. 38-39. £2 „„„ 4. Busken Huet, Het land van Rembrandt, II i, Harlem, 1912, p. 98. Mon ancien élève, M. Tielrooy, prépare une thèse sur Huet et la France. 5. Lettre a Corneille Boot, 12 décembre 1633. Bibliothèque provinciale d Utrecht: Supplement op de Catalogus van de Bibliotheek over Utrecht par Mr. S. Muller Fz., Utrecht, 1906, p. 95, d'après une copie de M. de Waard. 6. Ibid.: « per familiaritatem cum omnium qui unquam fuerunt mathematicorum principe Domino de Cartes nobili Gallo ». A DEVENTER (FIN MAI 1632 A NOVEMBRE 1633) 4~75 de Descartes a Reneri, les fapports de maitre a élève, móritre pourquoi le Beige entralne le Francais a Ie rejoindfe, au cónrmèncement de 1'été 1632. Celui-ci s'est laissé faire, d'abord paree qu'ü considère le séjour a Deventer, comme une Vülégiature 1 : «Je m'en vais passer eet esté a la campagne » ; ensuite paree que, Vülebressieu parti, il sent qu'au point óh en sont les travaux en cours, il lui faut en parler les résultats et les discuter avec un ami. C'est un besoin de chez nous cela, et notre Poitevin n'y échappe pas. Qui dira ce qu'en des conversations entre savants et étudiants francais, il s'est élaboré, et parfois dispersé a tous vents, de livres en projets et d'idées sans lendemain ? Comme interlocuteurs, outre Reneri, Descartes a Nicolas Vedel et le pasteur trés orthodoxe Revius, qui sera plus tard son adversaire, et qui lui est peut-être connu déja sous le nom de Jacques de Rève, comme éditeur des Lettres francoises adressées d M. de la Scala. Revius savait bien le francais; on a même de lui un poème en notre langue dédié a Reneri. En bon pasteur,, -ü entreprit la conversion du phüosophe et leur entretien est rapporté, en hollandais, par J. du Bois, dans sa Naecktheydt der Cartesiaensche Philosophie2 : « On va voir combien ce Descartes était entêté et déraisonnable dans sa fói papiste. Comme ü habitait Deventer, ü fut invité par un exceüent prédicant, qui vivait en grande intimité avec lui, a se convertir a la Religion Réformée. Descartes le repoussa avec douceur, ne voulant pas entrer en dispute avec un homme habitué a la controverse. II lui dit d'abord qr-'ü avait la religion du Roi, mais, comme le prédicant insistait, ü lui répóndit : « J'ai la religion de ma nourrice. » Et voila sur quelles beües raisons était fondée cette foi dans laqueüe il s'est obstiné jusqu'a la fin de sa vie. » Le brave du Bois ne comprend pas qu'ü a peut-être fourni la le mot le plus vrai, le plus profond et le plus moderne de Des- : cartes sur sa religion, envisagée par lui, ainsi que par tant d'hommes de notre temps, comme une tradition sociale et c'était peut-être aussi 1'idée de Guez de Balzac, affirmant ne vouloir « rien croire de plus veritable que ce qu'il a appris de sa mere et de sa nourrice. » 1. CEuvres de Descartes, 1.1, p. 248. ,»,fbw^ iUlr?PP1ort te$, sur. le, mouvement. de la terre. n'est pas seulement celle que lui dictent Copernïc et la raison,, c'est 1. Pièces du procis de Galilée, publiéesp. Henri aeJJEpinois,' citées par Adam et Tannery, t. I, p. 273. • -Ti 2. OEuorts, %, yi,.p..60. ,..».,. . 480 DESCARTES EN HOLLANDE aussi celle qui est la plus répandue aux Pays-Bas, d'oü Gassend écrit a Peiresc, en cours de voyage, en juillet 1629 : « Au reste tous ces gens-la sont pour le mouvement de la terre »K C'est donc 1'idée de Beeckman, que Gassend vient de voir, et celle de Golius. Aussi les Hollandais songèrent-ils a ofïrir un refuge, a Amsterdam, au grand Italien persécuté, mais le projet, pour lequel s'entremit Hortensius, n'eut pas de suite. Chose curieuse, du philosophe et du moine^ je veux dire Mersenne, celui qui songe a défendre Galilée, au besoin par un gros in-folio, ce fut le moine, mais il n'osa passer a 1'exécution 2. La correspondance se poursuit sur ce thème du Monde et de Galilée, datée, non plus de Deventer, mais d'Amsterdam, oü Descartes est retourné, dès le début de décembre 1633, après un an et demi d'absence : « Vous n'aurez que meilleure opinion de moy, écrit-il au P. Mersenne 3, de voir que j'ay voulu entierement supprimer le Traitté que j'en avois fait [de sa philosophie] et perdre presque tout mon travail de quatre ans, pour rendre une entière obeissance a 1'Eglise, en ce qu'elle a deffendu 1'opinion du mouvement de la terre. Et toutesfois, pour ce que je n'ay point encore vü que ny le Pape ny lé Concile ayent ratifié cette défense, faite seulement par la Congregation des Cardinaux establis pour la Censuré des livres, je serois bien aise d'apprendre ce qu'on en tient maintenant en France et si leur authorité a esté suffisante pour en faire un article de foy. Je me suis laissé dire que les Jésuites avoient aidé a la condamnation de Galilée et tout le livre du P. Scheiner montre assez qu'ils ne sont pas de ses amis. Mais d'ailleurs les observations qui sont dans ce livre 4, fournissent tant de preuves pour oster du Soleil les mouvemens qu'on luy attribue, que je ne scaurois croire que le P. Scheiner mesme, en son ame, ne croye 1'opinion de Copernic, ce qui m'étonne de telle sorte que je n'en ose écrire mon sentiment» Pour moy, je ne cherche que le repos et la tranquilhté d'esprit, qui sont des biens qui ne peuvent estre possedez par ceux qui ont de 1'animosité ou de 1'ambition, et je ne demeure pas cependant sans rien faire, mais je ne pense, pour maintenant, qu'ü m'instruire: moy-mesme et me juge fort peu capable de servir a instruire les autres. » 1. Lettres de Peiresc, t. IV, p. 202. 2. (Euvres, t. I, pp. 578-580. 3. Ibid., pp. 281-282. 4. La Rosa Ursina du P. Scheiner. Cf. (Euvres de Descartes, t. I, p. 283. Planche XXXVII. Habitation de Descartes a Amsterdam en mai i634 « chés Mr Thomas Sergeant in den Westerkerckstraet » (aujourd'hui Westermarkt, 6). "C'bsl 'a probablement que le philosophe connuI, Hélène et c'est la qu'une plat; ic coax^némoraüve a été apposée par 1'AUiance Francaise, le 16 octobre 1920. LA MAISON DU WESTERMARKT A AMSTERDAM 481 La lettre d'avril 1634 au P. Mersenne répète a peu prés celle de novembre 1633, qui s'est perdue en route ou qu'un cabinet noir a arrêtée au passage. Cette fois, notre auteur a vu la Patente de condamnation de Gahlee, «impnmée a Liege, le 20 septembre 1633, oü sont ees mots : « quamvis hypothetice a se illam proponi simularet» en sorte qu'ils semblent mesme deffendre qu'on se serve de cette hypothese en 1'Astronomie ■ » Cependant, ajoute-t-il « je ne perds pas tout a fait esperance qu'il n'en arrivé ainsi que des Antipodes, qui avoient esté quasi en mesme sorte condamnez autresfois et aussi que mon Monde ne puisse voir le jour avec le temps. » Descartes n'habite plus au « Vieux Prince >» ; dans la missive a Mersenne, datée « d'Amsterdam, ce 15 May 1634 » il précise qu'il est : ' logé chés M* Thomas Sergeant in den Westerkerck straet, oü vous adresserés, s'il vous plaist, vos lettres % Grace aux travaux des historiens amsterdamois, Kleerkooper 3 Six, Breen et aux fiches de la Bibhothèque Wallonne, je suis en mesure de donner quelques détails sur ce Thomas Sergeant C était, comme le porte le registre des mariages de 1'Eglise wallonne d'Amsterdam, a la date du 6 octobre 1607, un « fransche .schoolmeester >,, un maitre d'école francais, ou plutöt un maitre d « Ecole francaise », car il était né a Dordrecht, vingt-deux ans auparavant. II était d'origine francaise, comme son nom semble Undiquer : sa mère s'appelle Barbe Loyson. M. Six* le professeur d'histoire de 1'art è l'université d'Amsterdam, 'a publié une lettre de lui a son « Confrère >,, « Guilliam Willemsen, Pransoijsche schoolm. tot Haerlem »5, et qui est signée Thomas Jacobsen ; elle concerne son fils Johannes Sergeant, qui devint peintre Lm-meme, s'établit, en 1631, libraire « a 1'enseigne de Saint- 1. (Euvres, t. I, p. 288. 2. Ibid., p. 299. voor 1899; 5. Ce Willemsen est.plüs connu sous le nom de Coppenol; cf ibid ITTcobV iherbas Jac°tbsen s^4^^ m Jacob ». Ledeboer se trompe sans doute en dkant m,'n „öt •]ïe!,l:erKiercK in, même temps que libraire; il le Sonfond PrSbabTem^LaveTson ftts JeZ **™ 31 482 DESCARTES EN HOLLANDE Jacques, ..dans la i Westerkerk-straat », qui s'appelait aussi ttCfcHèaora du cimetière de 1'église de 1'ouest», aujourd'hui«cótfc silencieux»1 du «Westermarkt»; les recherches que M. Breen. a i»tes A'.ma demande ont établi que c'est au numéro 6 de ce Westermarkt. (cf. pl. XXXVII). C'est donc la qu'habitait le philosophe, en 1634, et c'est la que nos amis d'Amsterdam? ceux de 1'AlhancB francaise et. du Cerele francais de 1'Université, ont fait,. dans une séance solennelle 2, apposer une plaque eommémorative du séjour de Descartes dans. leur capitak» de 1629 a 1635, avec une interrupüon.d'un an et demi passés k Deventer. • II y est encore le 14 aoüt, oü il recoit la visite du Sieur Beeckman, venu.pour y passer la fin de lasemaine auprès de hu, dasamedtsoir au lundi matin, et qui lui laisse, pendant ce temps, feuilleter le livre de Galilée3. II lut aussi les Diaiogues da même auteur, car on vient de découvrir a Londres, a la Bibhothèque de 1' «Institution of Electrical Engineers», un exemplaire, dans la traduction latine de 1635, annoté de la main de Descartes. 4.. >.-•.;«-.;■ i- « De Noordzijde-Van' net Westerkerkhof», actuéllement«stille Zijde der Wen termarkt% B y avait acheté un, terrain, le 22 aoüt 1624 (KwLjtscheldingregister, A. 2t81 Note due' a röbngeahce de' M. Bfeeri. 2 Le 16 octobre 1920, en .présence de M, Charles.Benoist, mmjstre de France a T a Have représentant le Gouvernement francals, dè M. le Jonkheer RoeU, représentant lê Gouvernement hollandais; de M. Tellegen,. bourgmestre d Amsterdam, de M Mendès Da Costa, recteur de l'Université municipale et de M. René Doumte défégué paï'1'Académie francaise. Cf. Revue des 'dèax Mondes; 1 novembre 192».. 4*' SmmunicaUon de M.' de Waard, qui m'est parvenue trop tard pour que j'aie pu examiner le volume, loss de mon séjouc a. Londres. . CHAPITRE XI XE ROMAN DÉ; DESCARTES : HÉL^NE^ANS ET SA 'fILL>ï Vi^N&& ,Au' "**'' ces' 'occüpatións et préöceupatiöns du séjouj? rAttNtMUBr'tt' r^acer'%ii',^vêttem^tf;*mys^ètf*i la edtitrè' avec Hélène. Cöih de roman daar'une vie! gr avé, touteïrtiére v(M£teièla''B«SelriS6,',Ar^d.e du céèur'sur' Pesprit' qui satisfait notre humanité en abaissant le géant de la pensée jusqu'a notrë'fafblésse qüótidiefme: H en est de cette "histoire êommè d'üü'vèrs cbhsaeré a la'nature dans 1'abstractiond'uh pöétiie classique'• ü-a d'atrtant plus'de''charme qu'a est plusrarfe et'h'oha'répoise dela' sêchjBr'ésse ambiaht'é.1 Elle s'appelait Hèlèhe Jans. C'était urie'simptó'serVahte qm, sans doute, faisait Ie ménage du' philosophe quaud il habitait efeëz-Thomas'Sergeant, dans'Ik « Westerkerekstfaët». Etait-ellé blondè, yeux bleus'ét 'jóuesf dé briqüe; comme: le Fran^aia se représèhte vólontiers la Hollandai*fe' etf;cbmme elle-est eflectitfei ment, quand elle n'a pas le teint plombé des- maraisWest possible. Mais, a coup sur, il ne s'agit pas d'une «pèsSade», ün soir de débauche, 1'ünion est ici un r engagement», presque uh mariage. Presqüe, car elle est protestante, et lui catholique, roturièïe;et lui gentilhomme; L'abbé Bafllét ptonohee ce vöain mot : « cond*braage », comme en se signant. Nous dirions eönótrc langage «pn, par exceptiou, ést ici plus poli que celui du xvn", üne Kaison: Ijaison aSsèz intermittente, pour que, dans des notes mam»* cntes, singuüèrement placées sur le feuillet de gatde- d'ttö Mvre, et que Baillet * a vues, le philosophe ait pu noter la date de la conception de sa fille.: , « Elle s'appeloit Francine, dit le vieux biographe, et elle étoit 1. La vie de Monsieur Descartes, t. IL pp. 89-90. 484 DESCARTES EN HOLLANDE née a Deventer, le IX, c'est-a-dire le XIX de juillet 1635 1 et, selon 1'observation de son pére, elle avoit été concüëa Amsterdam, le dimanche XV d'octobre de 1'an 1634. » Nuit, dont il semble avoir gardé le souvenir, mêlé de ce charme et de ce remords, qui s'attachent, pour le catholique fervent, a rceuvre de chair accomplie hors mariage. II n'a cependant pas fait vceu de s'en abstenir et il 1'écrira a son adversaire Voet, en badinant, mais si ce vceu n'est pas formulé devant 1'Eternel, peut-être 1'a-t-il fait envers son ame en la consacrant a la vérité. Tout ce qui est donné a la chair est volé a la raison. Est-ce la le sens qu'il faut attribuer a la confidence faite a Chanut «a qui M. Descartes déclara, durant son voyage de Paris en 1644, qu'il y avoit prés de dix ans que Dieu 1'avoit retiré de ce dangereux engagement, que, par une continuation de la même grace,il 1'avoit préservé jusques-la de la récidive et qu'il espéroit de sa miséricorde qu'elle ne 1'abandonneroit point jusqu'a la mort »2 ? Baillet a pu changer les termes, forcer même le sens de la confidence, car il est par trop anxieux de nous affirmer que son héros « s'est relevé promptement de sa chüte et qu'il a rétabli son célibat dans sa première perfection, avant même qu'il eüt acquis la qualité de pére ». Nous qui ne pratiquons pas 1'indiscrétion du confesseur, jetons un voile sur les secrets de cette alcöve, mais retenons de la confidence de Descartes le mot d'engagement. Honnête homme, il ne 1'était pas seulement au sens de son siècle, il 1'était dans toute 1'acception du terme : il avait engendré un petit être, il le reconnaitrait, il se sent des devoirs envers 1'enfant de sa chair. Pour éviter qu'on jase, il éloigne la mère et il semble bien qu'il la confie a des personnes qu'il connaissait a Deventer, mais non pas a Reneri, prés duquel il va bientót habitera Utrecht. II alla voir Hélène a Deventer pendant sa grossesse, car c'est ainsi que j'interprète 1'absence de huit jours, dont il est question, au début de la lettre datée du 19 mai 1635, et d'oü il est rentré a Utrecht, par le Zuyderzée et Amsterdam 3. 1. Les protestants des provinces autres que la Hollande, n'avaient pas, par préiugé protestant, voulu adopter la réforme Grégorienne. 2. Relation manuscrite de Clerselier, citée en marge par Baillet, Vie de Descartes L II, p. 91. . , „ . 3. C'est k peine un détour : il dit bien qu'il revlent de Frise, mais c est peuvetre pour donner Te change k Golius (CEuvres, t. I, p. 317). Planche XXXVHI a. A.UTOGRAPHE INÉDIT DE DESCARTES DANS L'ALBUM DE MONTIGNY DE GLARGES. (Bibliothèque Royale de La Haye). LE ROMAN DE DESCARTES : HÉLÈNE ET FRANCINE 485 « Elle étoit née a Déventer, dit Baillet, le 9, c'est-a-dire le 19 de juillet 1635... Elle avoit été batisée a Déventer, le 28 de Juillet, selon le stile du païs, qui étoit le septiéme jour d'aoüt selon nous.» Ce dernier renseignement, on a pu le contröler, dès 1868 \ sur le registre des baptêmes, dont nous reproduisons ici une feuille (Cf. pl. XXXIX), oü on lit : Den 28 dito [juillet] Vader Moeder Kint Reyner Jochems Helena 2 Jans Fransintge Reyner, c'est René ; Jochems, c'est le fils de Joachim, qui était en effet le nom du père de Descartes. Le nom de Helena, qui n'est pas chez Baillet, va se retrouver dans une lettre du 30 aoüt 1637, et quant a Francine, elle est nommée, nous 1'avons vu, par le biographe. Francine, petite France, ce n'est pas un de ces noms choisis au hasard ; il y a la un peu de la nostalgie du pays oü son père aurait voulu la voir naitre. Les Hollandais ont la manie des diminutifs et Hélène a créé celui de « Francintje », qu'elle devait sans doute encore abréger en « Sintje ». Descartes prononcait Francinette, et c'était plus joli. Baillet dit bien que Francine a été baptisée : il omet de marquer que c'est a 1'église protestante et, si Descartes est sincèrement catholique, ce dut lui être un terrible crève-cceur : il damnait son enfant. Le pasteur Moltzer se demandait même si Descartes n'aurait pas épousé Hélène au temple, car, sans cela, Francine eüt été inscrite dans le «Kalverboek » (Livre des veaux), destiné aux enfants illégitimes; argument peu décisif, car le premier registre qui porte ce titre et que j'ai vu a Deventer, date du xvme siècle et est réservé aux enfants de soldats. Ce qu'on peut dire, c'est que 1'absence du nom de Descartes, indique une certaine dissimulation, dont le pasteur adüse faire complice.' On se demande aussi si Descartes a assisté a la présentation au baptême, c'est possible, mais alors comment aurait-il pu cacher sa qualité dans une petite ville oü il était si connu par son précédent séjour? En tout cas, jusqu'è présent, les registres des mariages ainsi que le fichier wallon, sontrestés muets; peut-être n'ont ils rien a nous apprendre. 1. Dans le Naaorscher, t. XVIII, 1868, p. 294 t». rU^c^681*iel0n moi' une faute de fecture de M. Moltzer dans (Euvres t XTT pp. 576-576, due a une haste de la ligne suivante. uiuvres, 1. aii, 486 -DESCARTES EN .HOLLANDE Tpujours est-il que Francpate devint la préoccupation constante de son père et laraoson de beaucopp, de ses déplacfauents. II a dü la cacher,d'abord avec,Hélène aux envirpns.de Leyde, oü, en 1636-1637, il surveiüe 1'impressioffl du Discour?? de la Méthode, ce qui fait écrire a Saumaise, le 4 avril 1637 Je ne vous dirai rien du personnage,.. II a tousjours esté ,€«1, ceste ville pendant 1'impression de son bbvre, maisil se cache et ne se monstre que fort rarement et vit tousjours en ce païs dans quelque petite ville a 1'escart et quelques-uns tiennent qu'il en a pris le nom d'Escartes ». Ne serait-il pas déja a Endegeest ou a Oegstgeest, mais c'est bien prés ? Ce doit être pour eberker un asile plus retiré encore qu'il fait, en mai, une absence,, de plus de six semaines 2. Au cours d'une autre absenpe, un peu plus tard, le 30 aoüt 1637, ,11 écrit la seule lettre oü, ,il ait parlé d'Hélène et oü il ait fait allusion a Francine. Nous la reproduisons ici en un Jac-similé (cf. pl. XL) d'après raujtqgrapbe qui est k 'la Bibbothèque de rUniversité d'Amsterdam et dont voici la transcription 3 : « Monsieur, « Toutes choses vont icy le mieux que scaurions souhaiter. Je parlay hier a mon hotesse peurscavoir si elle voujoit avoir icy ma niepce et combien elle desiroit que je lui donnasse pour cela. Elle, sans deliberer, me dist que je la fisse.venir quand je voudrois et que nous nous acpordoriwis aygemegit du prix,.jpour ce qu'il luy estoit indifferent si elle avoit un enfant de plus ou de moins a gouverner. » II s'agit donc d'une familie chez qui Descarjbes ,est lui-même en pension et qui, moyennant une minime rétribution, prendrait en nourrice Francine, qu'il appelle sa.uièce et qu'elle élèver.ail; pêterméie avec les autres enfants. La lettre étant du 30 aoüt 1637, la petite a deux ans. .. («Pour la servante, elle s'attend que vous luy en f ournirezune 4*.ü.luy tarde exteemement ,qu'elle ne 1'a desja, c'est pourquoy, jaffin qu'il ne luy .e^nuye trop, je vous prie ée mandor icy au .plutost a Mr Godfroy, (jpie vous penset nous en .faire trouver une et qu'on vous a desja parlé de deu^jOUitrois. raais que.ïfeus 1. Cf. (Euvres de Descartes, t. i, p. 365.. ... , •, . j iaStü..,. .» ,...s , % Ibid., pp. 36Ï 373, 379,. „ '"„.,', , ,.„„ .„•„.. ....,.,..„, ' a Elle est imprimee dans iCEu»re«, it. J,,pp,.3P3r394. , ...t . i^. LE ROMAN DE DESCARTES : HÉLÈNE ET FRANCINE 487 n'avez encore rien arestê, affin de vous pouvoir mieux raformer de la meillenre, et que, pour nous, nous n'avons point besoin de nous en mettre en peine, pour ce que nous auwms infalbblemeat 1'une ou 1'autre. » «Mr Godfroy» pourrait être le nom de la personne chez qui il feabite et oehii du futur père nourricier *. Dans le passage suivant, apparait Hélène et justement ce rapprochement et le mot i en effect» semblent prouver qu'Hélène est une simple servante et que c'est a ce titre et sous ce masqué qu'elle rejoktdra son enfant : «En effect, il faut faire qu'Helene viene icy Ie phtstost qu'iLse pourra et mesme s'il se pouvoit honnestement avant la Saiat Victor 2 et qu'elle en mist quelque autre en sa place, ce seroit Je meilleur, car je erains que nostre hotesse ne s'eanuye d'attendre trop long tems sans en avoir urne et je vous prie de me mandor ce qu'Hel. vous aura dit la dessus. » L'interprétation de ce texte est elaire : Hélène est placée, mais elle a renoncé pour la Saint-Victor, le 30 septembre, car c'est autour de la Saimt-Michel (29 septembre) que se loueat les domestiques. Si elle peut se dégagerconvenablement plus tót, qu'elle le f asse et se trouve au besoin une remplacante. Le « en avoir une » ne laisse pas de doute sur-sa qualité de servante. Descartes ajoute en marge : «la lettre que j'escris a Hel. n'est point pressée et j'ayme mieux que vous la gardfez jusques a ce «fu'Hel. vous aille trouver, ce qu'elle fera, je croy, vers la fin de cete semaine, pour vous donner les lettres iqu'ehe m'escrira, que de luy faire porter par vostre servante. » Que ne donnerait-on pas pour retrouver ces lettres! Elle était donc un peu instruite, 1'humble femme qui fut un four la tentation du Philosophe; au moins savait-elle écrira, en hollandais assurément, langue que Descartes entendait parfaitement. Y baibutiait-elle des mots d'amour ou simplement la mère ■demandait-elle timidement des nouvelles de son enfant, dont ses oocupatdons serviles la tenaient éloignée ? Toujonrs estnü que Descartes et-elle s'écrivenL II s'agit bien de lettres au plurieL .^ih^r^erch^ et ?i- Gonnet» archiviste a Harlem, oü sont déposées les Slf. * ^?m°!?v' P?.örW?ntlfier <»<3o«roy, n'ont pas abouti. 11 serait cependant wln^fn \ d,ét^s'U habitat Alkmaar, Egmondou Santpoort, ce qui aiderait ul o£?vP 4 ^terp^taüon de la lettre de Descartes. Peut-être y krrivera-t-on par iZZ ves r™111^3^ de Santpoort, qui sont a Velsen, oü je n'ai encore pu me rendre pour les consulter. r 2. Cf. (Euvres, t. I, p. 394, note a. 488 DESCARTES EN HOLLANDE d'un commerce régulier de lettres que le destinataire de la présente se charge de faire transmettre, et de rapports constants, qui durent depuis prés de trois ans déja. Ceci se concilie-t-il bien avec la déclaration a Chanut, rapportée par Baillet ? Oü habite le destinataire ? A une certaine distance, car la lettre du 30 aoüt se termine ainsi : «J'ay receü vos hvres sans qu'ils ayent aucunement esté mouillez ou corrompus, encore qu'ils ayent esté deux nuits sur 1'eau et je commencé desja tout de bon a estudier en médecine. » Ceci fait penser a un docteur, éloigné de deux jours de route, et Tannery conjecture, non sans raison, que c'est Corneille van Hogelande \ lequel habite Leyde, aux environs duquel se trouverait placée Hélène. Une allusion de Huygens, dans une lettre datée du 8 septembre suivant: « Je ne suis pas si loing de vous qu'il y a d'iey [de Bréda] a Alckmaer », montre que Descartes est aux environs d'Alkmaar, selon le raisonnement de MM. Adam et Tannery, c'est-a-dire soit a Egmond, soit même a Santpoort, qui pourtant est plus prés de Harlem. Après cela, nous sommes au bout de nos hypotheses. Ensuite, nous ne saurons plus rien de Francine que ce que nous en dira le biographe : ; « M. Descartes songeoit a la transplanter en France pour lui procurer une éducation convenable et, scachant quelle étoit la vertu de Madame du Tronchet, sa parente, mére de M. 1'Abbé du Tronchet, qui est aujourd'huy Chanoine de la Sainte Chapelle, il fit agir auprès de cette dame, afin qu'elle eüt la bonté de vouloir veüler sur la personne qu'elle seroit priée de choisir elle même pour mettre auprès de sa fille et que cette enfant püt être élevée dans la pièté sous ses grands éxemples. Pendant que les choses sembloient se disposer a cela et que Madame du Tronchet songeoit aux mesures qu'il falloit prendre pour seconder de si louables intentions, M. Descartes perdit sa chére Francine, qui mourut a Amersfort, le VII de septembre de 1'an 1640, qui étoit le troisiéme jour de sa maladie, ayant le corps tout couvert de pourpre. II la pleura avec une tendresse qui lui fit éprouver que Ia vraye philosophie n'étoüffe point le naturel. II protesta qu'elle luy avoit laissé par sa mort le plus grand regret qu'il eüt jamais senti de sa vie, ce qui étoit un effet des éxcellentes qualitez avec lesquelles Dieu 1'avoit fait naitre. » 1. (Euvres de Descartes, t. I, pp. 581-582. Planche XXXIX. feuille Dü registre DES baptêmes de l'EgLISE protestante DE deventer sur laquelle est inscr1te la fille de descartes (retner jochems) et d'Helena Jans, Francine (Frassintge), 28 juillet i635 a. s. (Avant-dernière ligne). D'après l'original conservé aux Archives de Deventer. Planche XL. Lettre de Descartes, oü il est question de sa fille et d'Hélène. (Bibliothèque de l'Université d'Amsterdam). LE ROMAN DE DESCARTES ! HÉLÈNE ET FRANCINE 489 Pourquoi Baillet a-t-il enrichi de fadaises les regrets du philosophe devant le berceau vide de 1'enfant de cinq ans qu'il avait perdue ? Que ne les a-t-ü transcrits, sans plus, pour que nous puissions recueillir pieusement ses larmes, les premières peutêtre depuis ses peines juvéniles, et qu'il versa sur la tombe, oü tout espoir d'une survivance de sa race était a jamais ensevèli ? La scène, il est a peine besoin de 1'imaginer. Descartes assista aux derniers moments de la petite et, sans doute, puisqu'il a commencé depuis trois ans a « estudier en médecine», a-t-il exercé sur elle, pour la tirer de sa scarlatine, les rudiments de son art, comme il 1'avait fait en juin au chevet de la petite Wilhem *. C'est bien aux pénibles jours d'Amersfoort qu'il fait aUusion, le 15 septembre 1640 2, dans sa lettre au P. Mersenne: « II y a quinze jours que je pensois vous envoyer les lettres qui sont jointes a celle cy, mais j'allay inopinement hors de cete ville avant que de les avoir fermées ». Huit jours après le triste événement, il a repris assez de présence d'esprit pour parler de son Traité de Métaphysique, du jet des eaux, de la graine de sensitive, de la matière subtile et des «lunetes è puces » ou microscope 3. II n'a pas perdu le dessein de passer en France 4 et le voyage sera bien lugubre, sans la petite, qu'il y aurait menée. Mais il se résigne, comme il semble qu'on 1'ait fait, au xvn« siècle, plus facilement que de nos jours, a la mort d'un enfant, et c'est sans doute en songeant a Francine qu'il termine sa lettre par ces mots de soumission mélancolique : «II est certain que tout ce qu'on concoit distinctement est possible, car la puissance de Dieu s'estend au moins aussy loin que nostre pensée. » Et Hélène ? elle a été sans doute 1'instrument de Dieu ; qu'elle aussi, avec 1'enfant, se résigne au néant! II ne sera plus question d'elle. Pas un souvenir, pas une tracé, pas un regret. Assura-t-il son sort ? S'en inquiéta-t-il ou se borna-t-il a se réjouir de ce que Dieu 1'eüt «retiré de ce dangereux engagement»? A ces questions nous ne savons que répondre, maisl'historienne pourrait être aussi indifférent que le philosophe. II garde une secrète tendresse pour la servante inconnue, quiplut un jour au penseur et qui lui donna 1'enfant, dont le sourire et les graces calines éclairèrent, pendant cinq ans, la gravité de ses méditations. 1. (Euvres, t. I, p. 581. 2. Ibid., t. III, p. 175. 3. Ibid., pp. 176-177. 4. Ibid., p. 178. f m 'CHAPITRE XII SÉJOUR A UTRECHT : 1635. iUN|!AMI DE DESGAHTES' : 'GONSTANTIN HtlYGENSV' t-^ UN DÓM'EStlQUfi-DrSCIPLE i JEAN II nous faut revenir un peu en arrière, au moment oü Descartes quitte Amsterdam pour Utrecht. La première lettre datée de cette ville est du 16 avril 1635. Ce qui.l'attirait a Utrecht, il n'est pas besoin de se le demander longtemps, c'était son disciple et ami, Reneri, qui y avait été nommé professeur a 1'Ecole Supérieure (Hoogeschool) ou Université, le 18 juin 1634. II avait, ayant même le départ de Descartes de Deventer, intrigué auprès de 1'échevin Corneille Boot, pour obtenir la chaire; il lui en écrit, le 25 octobre 1633 et le 2 décembre, le prjipt, dans cette dernière missive, rédigée en latin, de lui adresser un billet en francais ainsi concu: «Je n'ose pas encore vous congratuler, n'estant pas asseuré du bruit quy court icy que soyez appelé a Utrecht. Tousjours, cela en est certain, que la résolution est prise d'y appeler des professeurs. Vous ferez vostre profit de eet advis, si ne le scavez encores. »1 Dès le 2 janvier, sa présentation est certaine. Dans une lettre que Reneri écrit a Constantin Huygens, le 4 avril 1634, 2 un post-scriptum concerne le philosophe, qui doit être déja a ses cötés: «Monsr. des Cartes n'a point esté adverti par moy de ces lettres ». Serait-ce paree qu'il y est question de nouvelles observations « assez gentilles » touchant la représentation des objets en la chambre obscure, auxquelles il ne doit pas être étranger ? «mais je vous diray bien, en un mot, qu'il vous admire extremement et tant de belles et rares parties qu'il trouve en vous ». «^/T^^Tf1' ce D,ev^r' èi:o^!ffiBBoot è ü*«^(«rovinciaIeBÜ,llo'^m « m^hVt,WmSp de Catal°9us van de Bibliotheek over Utrecht, pa5 MA S; ^u1^ Fz-« Uteecht, 1906, p. 93, t. IV. Copie de M. de Waard. 2. Dietsehe Warande, VIII (1869), pp. 483-484. 492 DESCARTES EN HOLLANDE Cet obligeant message répond a la réabté. L'admiration de Descartes pour Constantin Huygens, cet étonnant M. de Zuylichem, dont nous avons déja parlé, comme de 1'ami de Rivet et de Saumaise, comme du correspondant de Balzac et de Corneille, n'est pas feinte, et elle est, ainsi qu'il faut s'y attendre, entièrement réciproque. Leur première rencontre date d'assez loin déja. Le ler novembre 1632, Golius, le mathématicien orientaliste de Leyde, avait mandé a Constantin Huygens, en parlant de la découverte des lois de la réfraction par Snelhus et par Descartes: « Tous deux, qui mentent d'être appelés de grands mathématiciens, sans s'être jamais connus, dans des heux et des temps divers et par des voies indépendantes, le Francais procédant par les principes et les causes, le Hollandais, au contraire, par les effets et 1'observation, sont parvenus a des conclusions identiques, diversement formulées ». II fait ensuite 1'éloge de l'homme avec qui il vient de passer deux jours et que, plus il connait, plus il aime et admire :«Sa bonté d'ame et 1'intégrité de sa vie, ne sont pas moindres que les heureuses quahtés de son génie et la valeur de sa doctrine. » II veut faire profiter Huygens de ce contact: «A la première occasion, lui dit-il, je lui ferai vos compliments, ce qui, je le sais, lui sera fort agréable et, ce qui vous le sera non moins a tous les deux, c'est une amitié mutuelle, si jamais il vous est donné de vous rencontrer. »1 Ceci eut lieu a Leyde, chez Golius, et ne fut pas une déception. « En sortant de chez vous, lui écrit Huygens le 7 avril 1632,1'image du merveilleux Francais, votre ami, m'a poursuivi. »3 L'entrevue a été trop fugitive. Huygens cherche a larenouveler, mais ce n'est qu'au début d'avril 1635, que les deux hommes semblent avoir eu une conversation plus longue, trois matinées durant 3, a Amsterdam, au cours de laquelle Descartes a lu une partie de sa Dioptrique. La patience et 1'intelhgence avec laquelle le Hollandais 1'a écouté, la bonne volonté avec laquelle il s'est offert a en faire exécuter les dessins par un «tourneur » de sa connaissance, ont séduit Descartes, qui fait de lui a Golius, dans la lettre datée 1. L'original latin a été découvert et publié par M. Korte weg, a qui les études cartésicnnes doivent beaucoup d'aussi heureuses trouvailles, p. 7 de Descartes et les manuscrits de Snellius (extr. de la Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896). 2. Ibid., p. 9. 3. Cf. (Euvres, t. I, p. 329. SÉJOUR A UTRECHT : 1635 493 d'Utrecht, 16 avril 1635 \ un magnifique éloge:«Veritablement c'est un homme qui est au delè de toute 1'estime qu'on en scauroit faire et encore que je 1'eusse ouy louer a 1'extreme par beaucoup de personnës dignes de foy, si est-ce que je n'avois pas encore pü me persuader qu'un mesme esprit se pust occuper a tant de choses et s'acqifiter si bien de toutes, ny demeurer si net et si present parmi une si grande diversité de pensées et, avec cela, retenir une franchise si peu corrompue, parmi les contraintes de la Cour a. II y a des qualités qui font qu'on estime ceux qui les ont, sans qu'onlesayme, et d'autres, qui font qu'on les ayme sans qu'on les en estime beaucoup davantage, mais je trouve qu'il possede en perfection celles qui font ensemble 1'un et 1'autre. Et je ne tire pas peu de vanité de ce que je ne luy ay sceu dire aucune chose qu'il ne comprist quasi avant que j'eusse commencé de 1'expliquer. Car, si la Metempsicose et la reminiscence de Socrate avoient heu, cela me feroit croyre que son ame a esté autrefois dans le cors d'un homme qui avoit les mesmes pensées que j'ay maintenant et je prens de lè occasion de juger que més opinions ne sont point trop esloignées de ce que dicte le bon sens, puisque, estant en luy trés parfait comme il est, elles ne laissent pas de luy estre si famiheres. Et je vous ay voulu escrire cecy tout au long, affin que vous scachiés combien je vous ay d'obligation de 1'honneur de sa connoissance, car je scay que c'est principalement a vous que je la doy. » Après cet éloge, on ne s'étonnera pas de celui de Corneille dans la dédicace du Menteur et dans bien d'autres passages. A partir de ce moment, 1'échange de lettres et de pensées entre Descartes et Huygens va croissant. Celui-ci 1'attire chez lui, et sa séduction est telle qu'elle 1'emporte sur le cénobitisme volontaire du philosophe. L'affection n'est pas exclue de ce commerce, qui fut d'abord et avant tout d'ordre intellectuel. C'est en quoi nous choque la lettre de condoléances que Descartes adresse a Constantin Huygens a propos de la mort de sa femme, Suzanne van Baerle, déeédée le 10 mai 1637, et oü il exprime un peu trop 1. (Euvres, t. I, pp. 315-316. 2. Constantin Huygens était, comme nous Favons vu, secrétaire des Commandements. L, écrit le plus important qui lui ait été consacré est 1'étude posthume du regrette J A. Worp, Hel leven van Constanlijn Huygens, extrait de Die Haghe, jaarboek 1917-1918, 1 vol. in-8° pl. Voir aussi le livre du Professeur Kalft : Cons™n''J"/*uJWe™. Harlem, 1901, ln-18 ; 1'article d'Em. Michel dans la Revue des Deux Mondes, 1893, t. CXVII, p. 568-609, puls surtout la correspondance pübliée par Worp, que nous avons souvent citée déja. 494 ©è'scartes 'en' hollande ses-«: sentimens en PMlosophe'H'Anvitant lè 'vettf/a prendre soii' parti'de cette perte,;!mainteaant'efa/il-n'y a plus du» tout de remeden •iu *m . • , -a • ■ •,,•(• ■•' ■ - r ■■• -. {• Le sujet' de deur correspondance du début estla Dioptriquej a» laquelle Descsatea travaille a' Utrecht avec plus- cPardeur que jamais : « Pour les lunettes, jé vous diray; éCrit-41 eb automutT 163^ a uu correspondant, qui doit êtr«'le P. Mersenne, que, depuis la'condamnation de*Galilée,-j'ay reven et entiereftent' achevé le Traité que j'en avois autrefois commencé et, 1'ayant ffltóerement separé idé mon Monde, je me propotee de le faire imprimer seul dans peu de temps. •» 2" Huygens- oraint toujours >que 'des .scrupules ne 1'en détournent 8 :« Je vous ■ supplie de ne pomtsourMr-^ qui vous'ont tenu en scrupule jusquês a1 present, esbratde!p$as.' ce dessen»'»>*•»♦"'-•■*•• • ' .»;f t \t-* J'ay receu'trois lettres de vostre Jean' 'Cüiöot,' depuis quelque temps, dont jé croy vous-devoir-rendre'cornpte, pour le' desir qwe* j'ay de- me conserver 1'honneur dè vos bonnes graces. Aus deux.'premières^W seioue extremement du bon traitement' qu'il recoit de vous et tesmoigne s'estimer hureus d'estre iét'vostre' service, .maisü adjouste'qu'il a fort'peu de tems' at estudief CuMathématiques et^quéses paréns^8 luy offrent de Péntreteakr'è leurs depens oü il voudra, lorsque le tems de son service sera 1. (Euvres; t. % p. 371. Voir plus haut, p:'4** 2. (Euvres, t. I, p. 322. ■>■• 3. Lettre du 28 octobre 1635, OEuvres; t. I, p. 325k - 4. Ibid. • 5. Son père s'appelalt aussi Jean Gillot. TL porte, ^'Utrecht a Leyde, la léttrtttè1 Descartes a Golius, du 16 avril 1635. Cf. (Euvres, t. Lp. 314. Dans leS fiches de Leyde; il est malaisé de voir lesquelles se rapportent au domestique de Descartes et k sols UN DOMESTIQUEnDISCrPLE : JEAN GILLOT 495- expiré, si ses arms .luy. conseiilent de vous demander son congé. Acela je luy ay, par deus fois, respondu qu'il apprenoit,beaucoup. de-ehoses en voua servant, qui luyesioient plus.necessaires que P Algèbre, quand ee/ne sejroit que Ia oiviüté,' la netteté;. la-patienceet autre* telles quatitésqui luy manqueut, èt/qu'ïl dev^craindre la liberté comme une sorciere qui .1» pourroit perdre.». 1 Le tbme II de la Correspondamenous fournit; d'autres preuves. dttoas que Descartes faisait de son ancien;serviteur qui est*. disons4een passant, un protestant f rangais réfugié aux'PaysBas..Enl638, il songe a 1'envoyer a Paris pouc-y éxposer et y répandre les principes de la Géométrie qui iait suite au Discoursdela Méthode : « Au reste je pense a un-autre moyen qui seroit beaucoup rneilleur, qui est^ue le jeune .Gillot, que vous connoissez-, est 1'un: de ces deux qui enseignent icy les Mathématiques et; presque celuy du monde-qui scait le plus de: ma. Methode.: II fut, l'année passée, en Angleterre, d'oü se& parens 1'ont retiré, au tems qu?ü comnwncoit a entrer.en reputariouretü n»k pas icy; grande fortune qui 1'obhge a y demeurer. »■ ■ «►S'il yuvmt'assurancedéaufy.ien faire'trouver une meilleure Éi Pans, j'ayassez^ie pouvoir sur luy pour luy fair© aller'et ü pourroit dormer plus cf ouverture , em une heurey pour 1'intelnV gence de ma Geometrie, que tous les escrits que je scauröi*.: envoyer.»2- ,,,,, Bien de plus touchant que 1'affection qu'il témoigne a cet ancien domestique, devenu son élève et qui n'est ni de sa fcltp^u'aer : * tepMe' d'aprèS leS copies <™'a voulu m'en-' Bkfl" Sedan„Ie 4 septembre 1607 : Jean, f,Is de Jean, chirurgie», etBeatrix Lezand P ' '6 ° 3°Üt 16i8 =* U^iüol Pierre, fils de Jean et de Jenne de la !£ifK^163£ 9ill0t Jean'né a Paris>et Marguerite DescartesT il n'est?» ?A^i,? f * D?rdr?ekt; (si ** personnage est le disciple de be«^ Bt meUrt k 393, 394 ' domestl1ue de Descartes, voir aussi Baillet, t. I, pp. 292, 361, 1. OEuvres. t I. nn ora-orz 2. Ibid., t. II, p. 89. 496 DESCARTES EN HOLLANDE classe ni de sa religion. Ceci fait grand honneur a sa largeur d'esprit. La lettre du 27 mai 1638 est adressée au P. Mersenne, qui va donc, par intérêt pour la science, s'occuper de placer a Paris le jeune huguenot: « Ce que je vous avois écrit de Gillot n'estoit point a dessein que vous vous missiez aucunement en peine de luy chercher condition, car je ne luy ay pas encore seulement demandé s'il voudroit se resoudre d'aller en France ny ne 1'ay vü il y a plus de six mois, et, en s'arrestant a Leyde ou a La Haye, il y peut aisement guaigner quatre ou cinq eens écus par an. II eut pu aussi en gaigner assez en Angleterre, mais ses parens 1'en ont retiré contre son gré, lorsqu'il commencoit a y entrer en connoissance pource qu'ils craignoient qu'il ne se debauchast, estant loin d'eux, comme ils craindroient sans doute, estant en France, qu'on ne le rendist catholique, car ils sont fort zelés huguenots, mais, pour luy, il est fort docile et, de sa fidelité, j'en voudrois répondre comme de mon frere.» Le beau mot! qu'il a déja employé a propos de 1'ouvrier Ferrier et qui atteste un cceur tendre et confiant dans 1'amitié. l En sorte que, si M. de Sainte-Croix ou quelque autre luy offre une condition que vous jugiez luy estre avantageuse, je ne lairray pas de 1'envoyer, pourvü toutefois que Rivet1 n'en soit point averty, car il a tant de pouvoir sur ses parens qu'il les empescheroit d'y consentir, sous pretexte de la Religion, bien que ce ne fust en effet que pour empescher son avancement, car c'est son humeur ». 2 Descartes croit n'avoir pas été assez chaleureux et, dans la suite de la même lettre, il accentue 1'éloge, supplie qu'on ne froisse pas le jeune homme et que son nouveau maitre le traite non en valet mais en camarade, sans exiger de lui trop d'humilité. C'est une merveille de délicatesse et qui en dit long sur la facon dont Descartes traitait ses valets en un siècle oü Arsinoé les battait et ne les payait point : « II y a regie generale pour trouver des nombres qui ayent avec leurs parties aliquotes telle proportion qu'on voudra et, si Gillot va a Paris, je luy apprendray, avant que de 1'y envoyer, mais je vous prie de me mander, si vous jugez que la condition de Monsieur Sainte-Croix fust bonne pour luy; il est 1. L'ancien professeur de Leyde, alors précepteur du jeune Guillaume II, a La Haye. Cf. plus haut, L H, chap. XIII, p. 303. 2. (Euvres, t. II, pp. 145-146. séjour a utrecht : 1635 497 trés-fidele, de tres-bon esprit et d'un naturel fort aimable; il entend un peu de Latin et d'Anglois, le Francois et le Flamand. II scait tres-bien FArithmétique et assez de ma methode pour apprendre de soy-mesme tout ce qui luy peut manquer dans les autres parties de Mathématique. Mais, si on attend de luy des sujettions, comme d'un valet, il n'y est nullement propre, a cause qu'il a toujours esté nourry avec des personnes qui estoient plus que luy et avec lesquels neantmoins il a vecu comme camarade, outre qu'il ne scait pas mieux les civilitez de Paris qu'un Estranger. Et je crains que, si on le vouloit faire trop travailler dans les nombres, il ne s'en ennnyast, car, en effet, c'est un labeur fort infructueux et qui a besoin de trop de patience pour un esprit vif comme le sien. »1 Pour le vulgaire, le mathématicien est celui qui sait bien compter et jongler avec les chiffres2; pour Descartes, c'est, selon la formule moderne, 1'analyste et 1'inventeur. Mais quittons le jeune Gillot et revenons a Utrecht, oü nous avons laissé Descartes, en 1'été 1635. Par bonheur nous savons oü il habita. On trouve aux archives de cette ville un dessin, sur lequel une main inconnue a tracé ces mots : « Het huis, waarin Descartes eenigen tijd gewoond heeft in de Maliebaan te Utrecht » (La maison oü Descartes habita quelque temps, sur le Mail, a Utrecht). On verra une reproduction de ce dessin dans notre planche XXXVIII a : un petit pavillon carré en retrait sur la chaussée, dont il est séparé par une misérable palissade interrompue par les fenêtres d'un appentis et un porche somptueux en plein cintre, fermé d'une porte en planches mal équarries. Le batiment a toit pyramidal, surmonté d'une cheminée, est percé, du cóté de la rue, de trois fenêtres assez j olies, a fronton, garnies, dans la partie inférieure, de petits volets et encadrées par des pilastres de style ionien. Toute 1'architecture est un compromis entre le style hollandais et le style francais : il rappelle la maison Thysius de Leyde et semble avoir été refait dans la seconde moitié du xvh« siècle. On en sait 1'emplacement : c'est a peu prés au coin de la rue du Rossignol (Nachtegaalstraat) et du Mail (Maliebaan) dont les pmbrages épais et les lignes d'arbres 1. (Euvres, t. II, pp. 149-150. „2: XpJï 1* réfutation de ce préjugé dans un article de M. Denjoy, Revue du Mois, 1912. 32 498 DESCARTES EN HOLLANDE rectilignes attirent et séduisent 1'étranger, mais qui n'était alors qu'un terrain vague, hors de 1'enceinte fortifiée. Dans le lointain, on apercoit la majestueuse tour ajourée de la cathédrale médiévale. Descartes y monta, auprès du carillonneur : « A propos de quoy, je vous diray, écrit-il, le 23 aoüt 1638, au P. Mersenne qu'il y a un aveugle a Utrecht, lort re nommé pour la Musique1, qui joue ordinairement sur les cloches de cete haute Tour dont vous desirez avoir les mesures, lequel j'ay vü faire rendre 5 ou 6 divers sons a chascune des plus grosses de ces, cloches, sans les toucher, approchant seulement sa bouche de leur bord et y entonnant tout bassement le mesme son qu'il leur vouloit faire imüer. »2 Au pied de la tour, est tapie l'Université, vieux cloitre entouré de jardins et oü Descartes dut se rendre souvent pour entendre son ami Reneri défendre en latin les théories révolutionnaires du Cartésianisme naissant qui tentait les routes nouvelles et s'écartait Laurens Vergeyl et signé de la propre main de René Descartes et de Jean Mai» a Leyde, le 2 décembre 1636. Nous le reproduisons en deux facsimilé* (cf. pl. XLLXLII), dont voici la transcription littérak et compléte : 'a&ë ,& Prothocol 335 Laurens Vergeyl 69 Not. public a Leyde b^^^rft2/ Decembre f163*I «omparnrent pardevant moy LA URFNF SS^c'T V**1" '* 168 tesBB0i«gs "oubsnomés, Mons' 5 5Sif ?p ™I\llS dem?urant a Present «u ceste ville d'une et JLANLE MAIRE, marchand libraire en. eest ditte ville de Levde d autre part, lesquels comparants declarereat entre eux deux estre aécordés TF M4ra°^ ^e1todit DES CARTES mettra entre les mains dudif Lli MAIRE toute la copye d'un Livre intitulé : La methode etc plus la Dwptrique, les Meteores el la Geometrie et s'employera avecq luy pour tay fan* avoir les privileges pour Fimprfmer tant en ce pays qu'en nï?T' k/ondlt™ 1™ tedr' LE MAIRE ne jouira desdte privileges que pour deux eoUions a scavoir celle quy est desja commencée en ceste SLCiUne a^Ir,C ^11 P°ura faire icy DU en France et ^'en ces deux SÏS TTiSAüf p0Bni Öner Plus de trois mffles «emptóres, lesquels estant distnbuées ou fcdïf DES CARTES s'ofïrant de ■rendrê tous ceux quy resteront aud/f LE MAIRE pour le pris qu'il aura communement vendu les autres aux libraires, ledif DES CARTES iouvra ™*d**P™a*&* tout de mesme que s'fls aveyent esté octroyés en son nom pour em wer on les transporter a luy LE MAIRE ou k tel autre libraire qu üluy plaira, en sorte que sy, apres cela ledif LE MAIRE impnmoit ledif Uvre ou en francois ou en autre langue sans Le consen- f5 CARJES' " 56 SOabSmet peiï™Z araendes ausquels seront condamnés par lesdife privileges ceux quY l^FST™"*- FUdaat * distributiott «le ces deuk prenderes editions S rA^niemenJLEt de plus' ü Promet de d°™ au susdit(s CARTES deux cents exemplaires de la première edrtion mry est commencée obhgants r«ccomplissem«tf de tout ce que dessus [part Personnes et biens, mus reservés, les soubsmettaute ètous Seigneurs et justices Requeranf etc. a»«««» 1. CEuores, p. 347. M. Bijleveld, ancien aremviste-adjoint, lemiel Ie sle-nata A iw w! J. • 504 DESCARTES EN HOLLANDE Ainsi faict & Leyde au comptoir de moy, notaire, en présence DAVID GATOU et JEAN DESPUY comme tesmoings dignes de foy a ce, avec moy, notaire, requis RENÉ DESCARTES GATOU / pour ce que dessus JAN MAIRE JAN DU PUIS Le notaire Vergeyl nous a épargné les clauses de style et il est trés facile de résumer, en quelques lignes, le précieux document : 1'impression a déja commencé par les soins de Jan Maire, que la pièce appelle « Le Maire ». Descartes s'engage a lui procurer les deux privilèges, 1'un pour la Hollande, 1'autre pour la France, mais ils ne vaudront que pour 1'édition déja commencée et pour une autre que Maire pourra faire aux PaysBas ou en France, jusqu'a concurrence de trois mille exemplaires, gros tirage pour 1'époque. Ceux-ci vendus, ou repris par 1'auteur au prix de libraire, il recouvre la propriété de son livre. II obtient en payement les deux cents exemplaires qu'il désire pour les distribuer a ses amis. Le privilège fut facilement obtenu des États de Hollande, sans doute par les soins de Huygens; celui du Roi Trés Chrétien rnjt plus de temps, pour beaucoup de raisons, dont 1'une est que les épreuves intéressaient tellement les intercesseurs qu'ils les gardaient indéfiniment entre les mains, 1'autre, que le bon P. Mersenne voulut trop bien faire et qu'il rédigea un texte pompeux dont les louanges, que 1'auteur semblait s'accorder a lui-même, dévoilant d'ailleurs son anonymat, 1'irritèrent profondément1 : « L'invention des Sciences et des Arts accompagnez de leurs demonstrations et des moyens de les mettre a execution estant une production des Esprits qui sont plus excellens que le commun, a fait que les Princes et les Estats en ont toujours receü les inventeurs avec toutes sortes de gratifications, afin que, ces choses introduites es lieux de leur obeissance, ils en devienent plus florissans. Ainsy nostre bien-amé Des Cartes nous a fait remonstrer qu'il a, par une longue estude rencontré et demonstré plusieurs choses utiles et belles, auparavant incognues dans 1. U s'excuse plus tard de son irritation auprès du P. Mersenne (cf. t. I, p. 376 des (Euores) : « Je scay bien qu'il y a force gens qui seroient bien glorieux d'en avoir un semblable, jusques-la que quelqu'un icy, en ayant vü la copie, disoit qu'il l'cstimoit plus qu'il n'eust fait des Lettres de Chevalerie. » PUBLICATION DU DISCOURS DE LA MÉTHODE 505 les Sciences humaines et concernant divers arts avec les moyens de les mettre en execution... » La suite devait le facher plus encore, car elle 1'engageait pour 1'avenir : « A ces causes, desirant gratifier ledit Des Cartes et faire cognoistre que c'est a luy que le publiq a 1'obligation de ses inventions, nous avons... accordé, permis, voulons et nous plaist que ledit Des Cartes puisse faire et face imprimer toutes les ceuvres qu'il a composées et qu'il composera touchant les sciences humaines en tel nombre de traitez et de volumes que ce soit etc.» 1 Par la lettre de mars 1637, nous comprenons que Mersenne a critique le titre qu'il a lu sur les épreuves, car Descartes lui répond : « Je ne mets pas Traité de la Methode, mais Discours de la Methode, ce qui est le mesme que Preface ou Advis touchant la Methode, pour monstrer que je n'ay pas dessein de 1'enseigner, mais seulement d'en parler. Car, comme on peut voir de ce que j'en dis, elle consiste plus en Pratique qu'en Theorie et je nomme les Traitez suivans des Essais de cette Methode, pour ce que je pretens que les choses qu'ils contiennent n'ont pü estre trouvées sans elle, et qu'on peut connoistre, par eux, ce qu'elle vaut, comme aussi j'ay inseré quelque chose de Métaphysique, de Physique et de Médecine dans le premier discours, pour montrer qu'elle s'étend a toutes sortes de matieres. » Au témoignage de Saumaise, dans une lettre a Jacques du Puy, datée de Leyde, 4 avril 1637, et que nous avons déjè citée « le livre du sieur des Cartes est achevé d'imprimer », a cette date, « mais il ne se debite point encores, a cause du privilege qu'on attend de France...»; «il a tousjours esté en ceste ville pendai t 1'impression de son libvre ». C'est ce que confirme la phrase de notre contrat : « demeurant a present en ceste ville ». II a dü y voir Monsieur de Hauterive avec sa femme et sa « compagnie Francoise ». Pendant ce séjour aussi, poursuivant ses recherches d'Amsterdam, il assiste a l'Université de Leyde, a la « lecon d'Anatomie », comme il 1'a raconté luimême plus tard au P. Mersenne 2 : 1. Le texte complet du privilège francais ne flgure pas dans 1'édition princeps, qui n en présente qu un résumé (t. VI, p. 515), mais en tête de 1'édition latine, publiée *in 50US le "tre de Renati Des Cartes, Specimina philosophiae seu dissertatio de Melhodo, etc, par Louis Elzévir (cf. (Euvres, t. VI, p. 518). Comme le privilège donne le 4 may 1637, était valable pour dix ans, on en peut conclure que Maire avait alors probablement vendu ses deux mille huit cents exemplaires 2. Lettre du 1« avril 1640, dans (Euvres, ti UI, pp. 48-49. 506 DESCARTES EN HOLLANDE « Je ne trouverois pa* estrange que la Glande Coiiariam*se trouvast corrompue en la dissectioB des iethargiques, car elle secorrompt aossi foirt promptement. en tous les autres et, la voulant voir d Leyde, il y a trois ans, en une femme qu'on anatomisoit, quoy 'que: je la cherchasse fort curieusement et sceusse fort béen oü.eöe de voit estre, comme ayant accoustumé de la trouver dans les animaux tous'fraischement tuez, sans aucune difficulté, il me fut toutesfois impossible de la reconnoistre. Et mr vieil Professeur, qui faisoit cette anatomie, nommé Valcher 2, me confessa qu'il ne 1'avoit jamais pü voir en aucun cors humain, ce que je croy venir de ce qu'ils employent ordinairement quelques jours a voir les intestins et autres parties, avant que d'ouvrir la teste. » Le Discours de la Méthode n'a pas paru, que déjè les gens bien informés de Paris jasent et demandent au P. Mersenne, a la grande colère de Descartes, de quelle religion est 1'auteur. Enfin le privilège de France, daté du 4 mai 1637, est arrivé et Maire peut composer, au-dessous, 1 aligne fatidique: «achevé d'imprimer le 8 jour de juin 1637» 3. L'auteur ne partage pas sa satisfaction, car il fait. insérer, après 1'errata, qui occupe une page entière, cette eurieuse note : « Ou trouvera aussy en plusieurs endroits des distinctions fort mal mi ses et quantité d'autres fa»tes de peu d'importance, lesquelles on excusexa facilement, quand on scaura que 1'Autheur ne fait pas profession d'estre Grammairien et que le Compositeur, dont le Libraire s'est servi, n'entend pas un mot de Francois. » II s'agit maintenant de distribuer les deux cents exemplaires. Les premiers doivent être, comme il convient a un loyal sujet, k pour le Roy », pour « Monsieur le Cardinal de Richetieu » et leur ministre a La Haye « Monsieur de Charnassé», a qui l'auteur a été présenté récemment et qui se chargera de les leur transmettre *. II n'oublie pas non plus le prince dont 1'hospitalité lui est si douce, son Altesse5 Frédéric-Henri : « Dés lors que je me resolu de quitter mon païs et de m'éloigner de mes connoissances, afin de passer une vie plus douce et plus 1. C'est la glande pinéale, oü Descartes localisait las < esprits animaux ». 2. C'est-a-dire van Valckenburg (AdrienjL CX van der Aa, Biogr. Wékt., V Fatcoburgms. 3. (Euvres, t. VLp. 514-515. 4. Cf. (Euvres, t. I, p. 387. 5. La France lui avait tout récemment accordé ce titre. DESCARTES ET- P. C. HOOFT 507 tranquiHe que je ne faisois auparavant, je ne me fusse point avisé de me retirer en t»s Pïovinces.et de les preferer a quantité d'autres endroits, oö il n'y avoit aucune guerre et oü Ia pureté et Ia secheresse de 1'air sembloient plus propres aux productions de Pesptit, si la grande opinion que j'avois de Son Altesse ne m'eust fait extraordinairement fier a sa protection et a sa conduite et depuis, ayant jouy parfaltentent du loisir et du repos que j'avois esperé trouver a 1'ombre de ses armes, je luy en ay tres-grande obligation et pense que ce Uvre qui ne contient que des f mits de ce repos, luy doit plus particuliérement estre offert qu'a personne ». 1 L'intermédiaire, ici choisi, est assurément Huygens, qui eut naturellement son exemplaire. Quant au fidéle disciple Reneri, il n'est pas oublié non plus et il recoit même la mission de dist rib uer un certain nombre de volumes a des Hoflandais de marqué. C'est ce que montre ia lettre que voici, adressée parle professeur d'Utrecht a P. C. Hooft *: Monsieur, Estant a Amsterdam pour distribuer quelques exemplaires du livre de Monsr. Des Cartes a personnes de qualité, dont ü faisoit estime pour avoir eu 1'honneur de les avoir ven et de leur avoir parlé aultre fais, il m'avoit recommandé de baitter un ou le faire tenir a Vostre Seigneurie pour le grand estime qu'il fait de vostre merite, desirant bien d'estre tenu pour vostre humble serviteur. J'espere que trouverez le livre a vostre gonst; pour moy, je n'ay encore rien veü d'approchant és aultres autheurs sur les subjets qu'ü a choisi pour eschantillon d'un oeuvre plus grand. Je n'ay rien en moy dont puisse sortir quelque chose d'approchant et si haults degrez et beaucoup moins qui soit digne d'estre veü d'an ceil d'aigle comme est celuy de vostre sublime esprit, neanmoins m'estant imaginé qne certaine nouveUe facon d'analyse, dont je suis Ie premier inventeur, pourroit avoir quelque usage es sciences, je prendray le hardiesse de vous en envoyer quelque jour un échantillon afin que je puisse recognoistre par vostre censuré si je ne me trompe... etc. [s.] Henri Reneri. d'Amsterdam, en haste ce 16e de juf». Le destinataire, Pieter Corneliszoou Hooit, n'était pas un mince personnage. Vondel, Cats, Constantin Huygens et mi sont les lumières de la littérature hollandaise, en un siècle t. (Eunres, t. I, jx 385. 2. Copie de M. C. de Waard, d'après P. C Hooft, Brieoen; Leyde, E. J. Brill. 1857, p. 215. 508 DESCARTES EN HOLLANDE qui est aussi son grand siècle. A la suite d'un voyage de France et dTtalie, de 1598 a 1601 (il était né en 1581), Hooft devient le représentant authentique de la renaissance italofrancaise. II sera pétrarquisant et ronsardisant, pratiquant le culte de la femme et de la nature. Ce qui le distinguera de son temps et de son milieu orthodoxe, c'est sa fidéhté a la hbre pensée et au doute de Montaigne qu'il appellera « le divin Gascon »,«den godlyken Gascoen » i C'est pourquoi il est curieux de voir Descartes le fréquenter; car le début de la lettre è Reneri ne laisse pas de doute sur le fait que le philosophe francais et 1'écrivain hollandais se sont vus. Ne serait-ce pas au chateau de Muiden, dont Hooft est «drossart», depuis 1609 2, è mi-chemin entre Naarden et Amsterdam, aux bords du Zuyderzée ? II y continue la tradition du poète Roemer Visscher et des deux fllles de celui-ci, les poétesses Maria Tesselschade 8 et Anne, et y entretient une véritable cour littéraire oü fréquentent le grand Vondel, qui ne se brouilla avec lui qu'après être devenu cathohque (1643), Samuel Coster, fondateur de l'Académie Hollandaise (1617), Jan Vos, etc. Hooft était aussi auteur tragique et comique (on lui doit une excellente imitation amsterdamoise de 1'Aululaire, le Warenaar), 4 mais il n'est pas moins historiën et son histoire de Henri IV, Het leven van Hendrik de Groote, parue en 1626, n'avait pas manque, sans doute, d'attirer sur lui 1'attention de Descartes. Quoi qu'il en soit, quand même celui-ci n'aurait eu avec Hooft qu'une seule entrevue, elle est intéressante en ceci que le Francais ne fuit nullement les Hollandais de marqué, que, bien plus, il semble les rechercher è Amsterdam et ailleurs, que la réputation de libre-penseur du bailli de Muiden ne 1'avait pas éloigné de lui, et cela encore est caractéristique. Quant a Reneri, auteur de la lettre que nous venons de citer, 1. Cf. Gedichten van P. C. Hooft, éd. Stoett; Amsterdam van Kampen, 1899, in-8°; t. I, p. 73. Selon M. Prinsen, a qui je dois cette indication; la poésie intitulée « Nécessité » (Noodlot) est toute imprégnée de la philosophie de Montaigne. 2. D est aussi bailli du Gooiland, le pays de bruyères qui s'étend entre le Zuyderzée et Ia ligne Amersfoort-Naarden. 3. Ainsi nommée par son père, assez singulièrement, d'après le désastre qu'avaient subi ses vaisseaux pres de Texel. 4. L'article le plus récent sur Hooft est celui que M. Prinsen, qui vient de suo-' céder a M. te Winkel, comme professeur de littérature néerlandaise a 1'Université d'Amsterdam, a insérë dans le Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, au t. IV (1918), col. 771-777, avec une bibliographie. M. Prinsen est l'auteur' d'un remarquable Handboek tol de Nederlandsche Letterkundige Ceschiedenis ; La Haye, M. Nijhofl, 1916, in-8°, ou il est question aussi de Hooft a la page 256. DESCARTES ET P. C. HOOFT 509 il n'hésita pas a prendre aussitót le Discours de la Méthode et les Essais pour sujet de ses cours a l'Université d'Utrecht. C'est ce que prouve une lettre de Saumaise 1 è 1'astronome Boulliaud, datée du 7 mars 1638, et qui en dit long sur le succès du livre en Hollande : « Je suis bien aise du jugement favorable que vous faites du livre de Monsr Des Cartes. Je le lui ferai scavoir et a ses sectateurs', qui sont en grand nombre en ses (sic) quartiers, jusques la que son livre se lit 2 publiquement en 1'Academie d'Utrech par un professeur en philosophie nommé Reyneri. II travaille tousjours, a ce que j'apprens, aprés son Monde. S'il estoit moins bon catholique, il nous 1'auroit desja donné, mais il craint de pubher une opinion qui n'est pas approuvée a Rome. » L'Université d'Utrecht peut donc revendiquer 1'honneur d'avoir été la première au monde, oü 1'on ait expliqué le Discours de la Méthode. 1. Cf. (Euvres de Descartes, t. X, p. 556-557, d'après le ms. 7050 de la Bibliothèque de Vienne, fol. 143. Saumaise n'eut pas autant de chance que Hooft et n'eut son exemplaire qu'en décembre. Je ne sais s'il y en eut un pour Rivet, dont Descartes se méfiait : « Je connois son coeur, il y a long-temps, et de tous les Ministres de ce païs, pas un desquels ne iri'est amy, mais neantmoins ils se taisent et sont muets comme des poissons ». ((Euvres, t. II, 32). 2. S'enseigne. CHAPITRE XIV SÉJOTJR A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) Le bruit qui se fait autour de sa doctrine n'étourdit pas le philosophe et f accueil favorable des Universités holiandaises ne lui donne pas d'illu si ons sur la valeur de 1'enseignement qui s'y donne. II le juge même assez durement dans cette lettre de septemhre 1638, a laquelle nous avons déja fait allusion1 et ou il déconseille a un père d'y envoyer son fris :« La Philosophie ne s'enseigne icy que tres-mal, les Professeurs n'y font que discourir une heure ie jour, environ la moitié de l'année, sans dicter jamais aucuns Ecrits * ny achever le cours en aucun temps determiné, en sorte que ceux qui en veulent tant soit peu scavoir, sont contraints de se faire instruire en particulier par quelque maistre, ainsi qu'on fait en France pour le droit, lorsqu'on veut entrer en office. » Ce genre de « répétitions » fit la. première fortune de Regius a Utrecht. C'est a celui-ci, qui s'appelait, de son vrai nom, Henri de Roy, bien qu'ü appartïat a une vieille famjlte locale^ que Descartes renvoie le père en question, s'il tient absolument a fair* étudier son fils aux Pays-Bas: «Si M. vostre fils vient en ces quartiers, je le serviray eutout ce qui me sö-a possible. J'ay logé a Leyde en une maison ofcH pourroit estre assez bien pour la nourriture ; mais, pour les études, je croy qu'il seroit beaucoup mieux a Utrecht, car c'est une Université qui, n'estant .èrigée que depuis quatre ou cinq ans, n' a pas encore eu le temps de se corrompre, etU y a uu Professeur, 1. Cf. plus haut, p. 366. et (Euvres, t. II, pp. 377-378. '", Cependant nous..avons conservé bien des cahiers de cours de ce temps ; ils s appelaient, alors comme aujourd'hui, en hollandais, «dictaat *, ce quiindique une persistance. de la mauvaise» habitude qu'óht ■ certains professeurs de dicter leurs cours. ,,,. ;, . ....,,... . v(i. . S-y°F' sur hii, une thèse récente-'de-M^d.- h. de'Vrijer V'Henriea» Itegius. Een t « fJvï?nïc" *' h°°gteeraar l aan de Utrechlsche Hoogeschool: - La :Haye;-M. Niihoö, 1917, in-8. • . «.i. .. .-.nr- aT .-. -. . . ff 512 DESCARTES EN HOLLANDE appellé M. le Roy, qui m'est intime amy 1 et qui, selon mon jugement, vaut plus que tous ceux de Leyde. » « Les scavans d'ici le tiennent pour le nompareil », dit encore quelque part Saumaise 2, a propos de Descartes. L'encens de ces fidèles devait incommoder ceux a qui il n'allait point. On le lui fit bien voir, mais ne devancons pas les événements. La période qui s'ouvre après la publication du Discours de la Méthode en juin 1637 est une période heureuse : l'auteur est soulagé de son fardeau, il est délivré ; il a « posé son paquet», eomme écrit brutalement le même Saumaise a propos de 1'accouchement de Madame de Hauterive 8 et une allégresse 1'envahit. Malgré 1'ardente polémique avec Fermat, Roberval, Étienne Pascal, sur le sujet des tangen tes et de la roulette, ses lettres respirent la joie de vivre. D'abord il est a la campagne, en Noord-Holland ou Hollande septentrionale dès aoüt 1637, soit a Egmond-binnen, soit plus probablement a Santpoort. D'ailleurs, c'est la même région: des dunes de sable, revêtues d'une herbe dure, d'un vert foncé, qu'on appelle des oyats et qui ondulent avec de jolis chatoiements gris, sous chaque brise venue de la mer toute proche. Celles derrière lesquelles s'abrite Egmond sont plus pelées et leurs arbustes ne sont que de maigres arbousiers aux baies orange, mais celles de Santpoort, qui n'est séparé de Harlem que par la vallée des fleurs (Bloemendael), sont plus boisées, ombragées par des pins maritimes aux troncs noueux et tordus, dont la forme rappelle assez les pins parasols du midi. II y a, aujourd'hui encore, trois Egmond: Egmond aan-Zee, ;qui était alors beaucoup plus important et que la mer ravagea dans une de ses brusques tempêtes 4, puis, vers 1'intérieur des terres, Egmond aan-den-Hoef, Egmond au fer a cheval5, c'esta-dire au carrefour, au point oü s'arrêtent les dunes ; enfin, a deux kilomètres plus loin encore, Egmond-binnen. Ni dans 1'un ni dans 1'autre on ne trouve plus la tracé du philosophe qui pourtant y passa tant d'années. II y a bien une vieüle auberge carrée parmi des arbres avec une enseigne peinte, des maisons 1. L'expression « intime amy » fait supposer aux éditeurs de Descartes qu'iL faudrait peut-être remplacer dans le texte « le Roy • par « Reneri ». 2. Lettre aux du Puy, du 4 avril 1637, citée au t. II, p. 642 et t. X, p. 555. 3. Cf. (Euvres de Descartes, t. X, p. 554. 4. On y voyait encore, en 1620, d'importantes ruines d'église. 5. A moins que ce nom ne signifie, comme Ie veut 1'ancien archiviste d'Alkmaar,. M. Bruinvis : « Egmond de la ferme »(hoeve) Planche XLIII. Copie de la main dë M. des Cartes de mes répliques sür une lettre de M. a M. Rivet, touchant l'Epigramme qui s'ensuit... » Note de Constantin Hüïgens sur un Autographe de Descartesretrouvé a la Bibliothèque rotale de La Hate. Planche XLIV AüTOGRAPIlE DE DESCARTES RETROUVÉ A LA BlBLlOTHEQUE ROYALE DE La HaïE. (Suite). A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 513 du temps, consistant en un rez-de-chaussée seulement, une porte, deux ou trois fenêtres a croisillons, abrité par un toit trés haut a mansarde saillante, dont la fenêtre s'aligne sur la facade et est surmontée d'un minuscule pignon en forme de proue renversée. Une de ces maisons, la plus proche des ruines du chateau, pourrait être celle qu'on montrait encore, vers 1750, comme ayant été la demeure du philosophe *. L'église, qui avait été détruite par les Espagnols venait d'être reconstruite en 1633 au frais des Etats; elle possède un gracieux clocheton a belvédère et de jolis vitrauxen grisaille. Descartes la visita sürement, mais il n'y fit pas ses dévotions, car elle est affectée au culte protestant, bien qu'il y ait dans les deux Egmond beaucoup de catholiques. C'est en 1643, que Descartes habita au Hoef; en 1637, Baillet signale sa présence a Egmond-binnen 2. Ce village, au sud du Hoef, est remarquable par les ruines d'une célèbre abbaye, dont il ne reste presque plus tracé, mais qui, alors, présentait des vestiges encore imposants. Ici, une autre tradition locale, qui n'est jamais négligeable, ferait croire que Descartes aurait habité au Waterryk, situé a nü-chemin entre Egmond aan-den-hoef et Egmondbinnen et qui est aujourd'hui une ferme que seul un vieux portique, au bord de la route, signale a 1'attention du passant. Le paysage est facile ü caractériser : des champs abondants, malgré un sous-sol sablonneux, des prairies qu'engraisse le « polder » et oü paissent d'innombrables bestiaux. Vers le nord, la hgne verte ou jaunatre des dunes; dans le lointain, les tours d'Alkmaar émergeant de leur bouquet d'arbres, comme dans les vieilles gravures des Délices des Pays-Bas et, naturellement, des moulins. Sur tout repose une paix absolue ; on n'entend même pas le bourdonnement confus de la mer, distante de deux kilomètres. Si Descartes est avec sa chère Francine a Egmond, dans la seconde moitié de 1637, en 1638, par contre, il est descendu un peu plus bas, franchissant 1'«Y» pour se rapprocher de Har- 1. On lit en effet 4 propos d'Egmond aan-den-hoef, dans le Tegenwoordige Staal der Vereenigde Nederlanden ; 8e deel, Amsterdam, I. Tirion, 1750, in-8°, p. 357 : i Men toont noch, nabij het verwoeste kasteel, de woonplaats alwaar de berug'e filosoof Deseartes eenige jaren lang zijn verblijfplaats gehouden heeft». Communication due & robligeanee de Mlle Bruining, archiviste d'Alkmaar. 2. Vie de Descartes, t. I, p. li. 33 514 DESCARTES EN HOLLANDE lem, k Santpoort. Ici, il n'est plus^besoin de faire d'hypothèses; nous avons une lettre que Descartes a adressée a Alphonse de Pollot1 et qui est datée par lui: « de Santporte, a une Ueue de Harlem vers Alkmaer \ le 6e may 1639 », mais Plempiujv le professeur de Louvain dont nous avons déja parlé, semble 1'y avoir visité déja deux ans plus tót puisqu'il écrit:«in praedio circa Harlemum » 3. Ah! le délicieux oasis de verdure dans le désert des dunes. C'est la que Descartes a louè une maison avec un grand jariiin. Un chateau ? Que non, un ermitage tout au plus. II n'osey accueillir 1'officier genevois Alphonse de Pollot, gaté par les splendeurs de la Cour de La Haye: « II est vray que j'aurois trez mauvaise grace de vous convier a prendre de la peine pour vous rendre en un lieu oü vous ne scauriez être si bien receu que vous meritez, et les regies de la bienseance me le deffendent, mais ne peuvent m'empécher de vous témoigner que si, neanmoins, il vous platt de le faire, j'en seray trez aise et vous en auray obligation. i S'il n'insiste pas davantage, ne serait-ce pas que le philosophe a avec lui Hélène et surtout sa Francine ? N'est-ce pas a elles qu'il ferait allusion dans la lettre du 12 septembre 1638 * : « Je suis environné de fievres de tous costez; tout le monde en est malade er ces quartiers et il n'y a que moy seul en ce logis qui en ait esté exempt jusques k present. MrBannius en a bien eu sa part a Harlem, mais j'apprens qu'il se porte mieux : il y afort long temps qu'il m'avoit dit qu'il vous escriroit, peutestre que son mal 1'en a empesché. » N'est-ce pas encore de la présence de sa fille que résultent eette Sérénité, cette allégresse même, qui se marqué dans tous ses propos ? Qu'on ne lui pariè pas de la vieillesse, des cheveux gris qu'il s'était observés: « II y a trente ans que je n'ay eu, écritil k Mersenne, le 9 janvier 1639 5, graces a Dieu, aucun mal qui meritast d'estre appelé mal. Et, pour ce que 1'aage m'a 1 Cf. (Euvres, t. II, pp. 544-546. 2 Cette mention de Alkmaar ferait songer a Santpoort, même pour la lettre déja citée, de aoüt 1637. « plus haut, p. 488. Cf. (Euvres, L I, p. 401 et t. XII, p. 125, note ƒ. _ > * 4 Cf (Euvres t II, p. 361. C'est le voismage deBannitts (cf; aussi t II, p. 153H Vfaii oiie Descartes se sert du counterde Harlem et non de celui de Alkmaar (cf. t IIu 174 338 437) qui me font reporter am«H638 leséjoura Santpoort et peüt- être'même 'a novembre 1637, slnon plus töt (cf. t. H, p. 450). 5. (Euvres, t. II, p. 480. A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 515 osté cette chaleur de foye qui me faisoit autrefois aymer les armes et que je ne fais plus profession que de poltronnerie et aussy que j'ay acqujs quelque peu de connoissance de la médecine et que je me sens vivre et me taste avec autant dé soin qu'un riche gouteux, 11 me semble quasi que je suis maintenant plus loin de la mort que je n'estois en ma jeunesse. Et si Dieu ne me donne assez de science pour eviter les incommoditez que 1'aage apporte, j'espere qu'il me lairra au moins assez long tems en cete vié pour me donner loysir de les souffrir. Toutefois, le tout depend de sa providence, a laquelle, raülerie a part, je me soumets d'aussy bon cceur que puisse avoir fait le Pere Joseph1 et 1'un des poins de ma morale est d'aymer la vie sans craindre la mort. » A Huygens, il mande, en juin 1639 2 : « Et pour la mort, dont vous m'avertissez, quoy que je scache assez qu'elle peut a chaque moment me surprendre, je me sens toutesfois encore, graces a Dieu, les dents si bonnes et si fortes que je ne pense pas la devoir craindre de plus de trente ans, si ce n'est qu'elle me surprenne. » • Les dents si bonnes et si fortes », toujours 1'impression de vie robuste que donne a ce corps grêle' et petit, a la poitrine trop étroite, le grand air du large et la végétation luxuriante du jardin oü il écoute 1'écho : « Je rencontray icy, dernierement3, par hasard, un autre Echo que vous trouverez peut estre assez rare, car, soit qu'on pariast haut ou bas ou qu'on frapast des mains etc, il rendoit tousjours un mesme son, qui estoit fort clair et fort aigu, semblable a celui de la voix d'un poulet, nonobstant que ceux qu'on faisoit en fussent fort different, en sorte que je pensois du commencement qu'il y eust quelque oiseau caché dans les herbes oü je 1'entendois, mais j'apperceu aussy tost aprés que c'estoit un Echo qui se formoit dans ces herbes, lesqueUes estant des cors fort petits et deliez a comparaison des tours et des rochers, oü 1'Echo a coustume de se former, estant frapées par la voix, faisoient leurs tours et retours beaucoup plus frequens et ainsy donnoient un son plus aigu. Car cet Echo estoit dans un coin de jardin oü quantité de bestes et autres herbes estoient montées 1. « L'Emlnence grise », mort Ie 18 décembre 1638. 2. (Euvres, L II, p. 552. 3. Ibid., p. 330 : Lettre a Mersenne du 23 aoüt 1638. 516 DESCARTES EN HOLLANDE en graines a la hauteur d'un homme ou davantage et la plus part de ces herbes estant coupées, 1'Echo a presque du tout cessé. » Comme Mersenne émet des doutes, Descartes se fache et le rembarre d'importance : « Pour 1'Echo \ j'adnüre que vous m'estimiez si simple que de penser que quelque Jean des Vignes m'ait abusé, car je vous assure que jel'ay observé aux champs, en mon propre jardin, oü il n'y a personne aux environs qui puisse y faire aucune fourbe ny en donner le moindre soupcon qu'on puisse imaginer. Et encore maintenant, il y a une planche de cicorée sauvage, dans laquelle il répond un peu, quand on frappe des mains, mais les grandes herbes, oü il répondait le plus distinctement, ont esté coupées. Au reste, la raison de cét Echo me semble si claire que je ne doute point qu'on ne le puisse rencontrer en plusieurs autres lieux, comme, par exemple, dans les bleds, quand ils sont fort hauts et prests a coupper. » II n'échangerait pas son ermitage pour le Louvre même : « Pour en parler entre nous, confie-t-il a son correspondant, le 27 mai 1638 2, il n'y a rien qui fust plus contraire a mes desseins que 1'air de Paris, a cause d'une infinité de divertissemenS qui y sont inévitables et, pendant qu'il me sera permis de vivre a ma mode, je demeureray tousjours è la campagne, en quelque païs oü je ne puisse estre importuné des visites de mes voisins, comme je fais icy maintenant en un coin de la Northollande, car c'est cette seule raison qui m'a fait preferer ce païs au mien et j'y suis maintenant si accoustumé que je n'ay nulle envie de le changer. » Ce n'est pas a dire qu'ü n'y recoive quelques visites. Le jardin touffu abrite souvent, de ses ombrages, les robes courtes a rabat blanc de deux prêtres catholiques de Harlem, Bannius et Blommaert *, qui deviendront et resteront ses amis et avec qui il discutera, comme il 1'avait fait a Egmond, avecleprêtre d'Alkmaar, Caterus *. «Monsieur Bannius... est non seulement catholique mais, avec cela, Prestre, écrit Descartes a Mersenne le 27 mai 16385, et t. (Euvres, t. II, pp. 396-397. Lettre a Mersenne, du 11 octobre 1638. 2. Ibid., t. II, pp. 151-152. 3. Sur ces prêtres et le Chapitre de Harlem, voir QSuvres, t. XII, p. 290 et s. 4. Cf. Ibid., et t. III, p. 265. 5. Ibid., t. II, p. 150. les abbés bannius et blommaert 517 qui a, je croy, quelque benefice dans Harlem. II est fort scavant en la pratique de la musique ; pour la theorie, je vous en laisse juger. » Bannius, c'est Jean Albert Ban, archiprêtre de Harlem, oü les canonicats sont restés debout sur les ruines de 1'Église, comme a Utrecht. On le fit un jour concourir contre Boësset de ViUedieu pour composer un air sur les vers : Me veux-tu voir mourir, insensible Climaine ? La préférence alla au musicien francais et c'est en vain que Ie, Hollandais en appela a Anne Marie de Schurman ». Ban a fait entendre un petit concert de musique vocale et instrumentale a Descartes, qui a été le voir le 13 janvier 1640, sans doute « en la rue de Saint-Jean», oü ilhabitait, du moins en juillet suivant, «vis a vis de la Commanderie »2. Le 15 octobre 1639, Bannius écrit a Constantin Huygens 8 : « Hier j'ai passé une demijournée avec le héros Descartes a parler musique. » L'archiprêtre a fait connaitre a celui-ci le digne curé « Blomert » et c'est en leur faveur que Descartes adresse a Huygens, dans ce même mois4, une requête, intéressante a bien des égards, d'abord, en ce qu'elle établit leurs relations avec leur yoisin le philosophe, ensuite, paree qu'elle nous éclaire sur la situation des catholiques en Hollande, a cette époque : « Monsieur, « Si vous n'aviez jamais dit aucun bien de moy, je n'aurois peut estre jamais eu de famiharité avec aucun Prestre de ces quartiers, car je n'en ay qu'avec deux, dont 1'un est M. Bannius, de qui j'ay acquis la connoissance par 1'estime qu'il avoit ouy que vous faisiez du petit traitté de Musique qui est autresfois eschappé de mes mains, et 1'autre est son intime amy, M. Bloemert, que j'ay aussi connu par mesme occasion. Ce que je n'écris pas a dessein de vous en faire des reproches, car, au contraire, je les ay trouvez si braves gens, si vertueux et si exempts des qualitez pour lesquelles j'ay coustume, en ce païs, d'éviter la frequentation de ceux de leur robe, que je conté 1. CEuores, t. iii, pp. 261-262. *$|M 2. Ibid., t. iii, p. 127. ^-f* lbid-> t- IL P-586 :« Heri cum Heroe Descartio mediam diem in coUoquiis musicisconsumpsi ». Dans une lettre précédente, il avait dit: «Rem omnem Heroi Descartio mihi amicissimo proposui». 4. CL ibid., t. ii, pp. 583-586. 518 DESCARTES EN HOLLANDE leur connoissance entre les obligations que je vous ay... » « Je croy les avoir assez frequentez pour connoistre qu'ils ne sont pas de ces simples qui se persuadent qu'on ne peut estre bon Catholique qu'en favorisant le party du Roy qu'on nomme Catholique *, ny de ces seditieux qui le persuadent aux simples, et qu'ils sont trop dans le bon sens et dans les maximes de la bonne Morale. A quoy j'adjouste qu'ils sont icy trop accommodez et trop a leur aise dans la mediocrité de leur conditiën Ecclesiastique et qu'ils cherissent trop leur hberté, pour tfestre pas bien affectionnez a 1'Estat dans lequel ils vivent. Que si on leur impute a crime d'estre Papistes..., c'est un crime si commun et si essentiel a ceux de leur profession que je ne me scaurois persuader qu'on le veuille punir a la rigueur en tous ceux qui en sont coupables... » Descartes se justifie de sa requête en affirmant qu'il considère aussi son propre intérêt: «II y en a en France, entre mes faiseurs d'objectións, qui me reprochent la demeure de ce Païs, a cause que 1'exercice de ma Religion n'y est pas übre; mesme, ils disent que je ne suis pas, en cela, si excusable que ceux qui portent les armes pour la deffense de cét Estat, pource que les interest en sont joints a ceux de la France et que je pourrois faire par tout ailleurs le mesme que je fais icy. A quoy je n'ay rien de meilleur a répondre, sinon qu'ayant icy la libré frequentation et 1'amitié de quelques Ecclesiastiques, je ne sens point que ma conscience y soit oontrainte. i Nous avons la un écho des conversations de familie, ou de confessionnal, dans lesquelles on reprochait è de jeunes catholiques francais d'aller servir ou s'instruire chez les protestants de Hollande. Outre les deux prêtres, deux protestants trés authentiques, sans parler de Pollot, fréquentaient la maison de Santpoort et y faisaient de courts séjours, 1'ancien et le nouveau disciples, Reneri, qui avait été rannonciateur, et Regius, qui allait devenir 1'apótre : «Mr Renery, venant icy, m'a apporté la hauteur de la tour d'Utrecht » 2, note Deseartes, le 23 aoüt 1638, mais il ne devait pas jouir longtemps ni souvent de cette hospitalité qui savait se faire si accueillante. Au début de mars, une lettre de Regius annonce que Reneri est empèché 1. Le roi d'Espagne. 2. Cf. CEuores, t. II, p. 330. A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 519 de venir « a cause de ses fréquentes indispositions ». 1 Comme celles-ci prennent une allure inquiétante, Descartes se précipite au chevet de son ami et le trouve mourant, a Utrecht, a la mi-mars * 1639 : «J'ay fort plaint la mort de Mr Renery, écrit-il de Santpoort a Pollot, le 6 mai suivant. J'allay pour le voir si tost que j'eu apris que son mal avoit passé les hornes d'une simple flevre, mais j'en avois esté averti si tard que je ne le trouvay plus en estat de recevoir aucune assistance de ses amis et mon voyage fut en tout si peu heureux que mesme je ne vous trouvay point a Utrecht oü je pensois que vous fissiés vostre demeure » *. Cette mort fut 1'occasion d'une éclatante manifestation du Cartésianisme a l'Université d'Utrecht, car iEmilius ou Melis y prononca une oraison funèbre de Reneri qui n'était qu'un long panégyrique de Descartes, a qui Regius en envoya une copie manuscrite. Ce fut aussi 1'occasion d'un avancement pour celui-ci qui, de«professeur extraormnaire» qu'il était depuis le 6 septembre 1638 seulement, devint « professeur ordinaire », le 18 mars 1639, sans que personne s'opposat au rapide avancement4 oü était arrivé 1'élève de Reneri et le fidéle disciple de la Méthode. Sa réputation est désormais étahlie et, une semaine avant la mort de son maitre, il pouvait écrire a Descartes5 que les cours de médecine, conformes aux principes cartésiens, attiraient non seulement plusieurs étudiants en médecine mais même des philosophes, des jurisconaultes, des théologiens et d'autres auditeurs étrangers. II lui annonce qu'il passera deux ou trois jours auprès de lui pour lui demander son avis sur divers projets. Si insensible qu'il soit a la flatterie, Descartes ne laisse pas d'être agréablement chatouillé par 1'hommage des jeunes, et, en sciences comme en lettres, on l'est encore a quarante an», qui est l'age de Regius, né a Utrecht en 1598 6: « Que ces gens la facent ou dient ou escrivent tout ce qu'ils 1. D'après un resumé de Baillet, cf. (Euvres de Descartes, t. II, 527. 2. D mourut, le 15 ou 16 mars 1639, peut-être dans les bras de sa jeune femme, qu'il aurait épousée in extremls, mais il ne semble pas que ce fut le jour de ses noces, comme le veut Gassend (cf. (Euvres de Descartes, t. II, p. 529), qui dit tenir son récit de Bornius. 3. (Euvres, t. II, p. 545. 4. Ibid., p. 529. 5. 9 mars 1639. Cf. Ibid., L II, p. 527, 6. Vrijer, Regius, p. 5. 520 DESCARTES EN HOLLANDE voudront, mandait Descartes a Mersenne, le 23 aoüt 1638 *, en parlai t de ses contradicteurs et après avoir recu le premier hommage de Regius ou de Roy, je suis resolu de les mespriser. Et, au bout du conté, si les Francois me font trop d'injustice, je me tournerai vers les gentils 2. Je suis resolu de faire imprimer bientost ma version latine pour ce sujet et je vous diray que j'ay receu, cete semaine mesme, des lettres d'un Docteur que je n'ay jamais vü ny connü et qui, neanmoins, me remercie fort affectueusement de ce que je 1'ay fait de venir Professeur en une Université oü je n'ay ny anus ny pouvoir. » Exagération évidente, puisqu'il y a non seulement Reneri mais jEmilius. « Mais j'apprens, qu'ayant enseigné en particulier quelque chose de que j'ay fait imprimer, a des escholiers de ce heu la, ils y ont pris tel goust qu'ils ont tous prié le magistrat de leur donner ce professeur. II y en a d'autres aussy qui enseignent ma Geometrie, sans en avoir eu de moy aucunes instructions et d'autres qui la commentent. Ce que je vous escris, affin que vous scachiez que, si la verité ne peut trouver place en France, elle ne lairra peut estre pas d'en trouver aüleurs et que je ne m'en mets point fort en peine » *. Ceci est du dépit ou je m'y trompe fort, car seule consacre la louange du grand Paris : tous les Regius du monde ne la remplaceront point. Cependant le Hollandais conjure le maitre de lui donner, auprès de lui, la place de feu M. Reneri, ajoutant que, s'il 1'accordait, il s'estimerait aussi heureux que s'il estoit elevé jusqu'au troisième Ciel. II ira le voir a la Pentecóte 4 sans doute pour lui parler de la Physique, enseignement qu'il a demandé a joindre a celui de la Botanique et de la Médecine, a quoi la municipaüté avait consenti, le 22 avril 1639. Dans les intervailes de "ces rares visites, de quoi s'occupe Descartes ? Beaucoup de la médecine, il nous 1'a dit, et, par conséquent, de la dissection. II rit de ceux qui 1'accusent d'aller par les villages pour voir tuer des pourceaux5, mais il est persuadé que la .* Aussi celle du 7 mai suivant 8, adressée a Pollot est-elle écrite de Leyde. II a déja montré le manuscrit des Meditationes a Regius et a ^milius, qui en ont été tellement en extase qu'ils n'ont trouvé a y corriger que la ponctuatión, et cette admiration un peu aveugle agace l'auteur. II est, de plus, fort engagé a ce moment en faveur de son élève Wassenaer, cet arpenteur d'Utrecht qui a relevé la gageure d'un mathématicien un peu hableur nommé Stampioen, lequel y perdit les six cents florins de 1'enjeu 4. Cette affaire, que Descartes prend fort a cceur, retarde 1'impression de cinq a six feuilles des Méditations qu'il pensait envoyer, comme spécimen, au P. Mersenne ainsi que le voyage en France auquel il songe. II s'en excuse auprès de son père, par une lettre, aujourd'hui perdue, du 28 octobre 1640, laquelle ne lui parvint point, car le conseiller Joacbim Descartes était déja mort et avait été inhumé, le 20, dans 1'Éghse des Cordeliers de Nantes 6. René, a qui son frère tarda beaucoup a faire part du décès de leur père éprouva un grand chagrin.«La dernière lettre que vous m'avez envoyée, mande-t-il au P. Mersenne, le 3 décembre \ m'apprend la mort de mon Pere, dont je suis fort tnste et j'ay bien du regret de n'avoir pü aller cét esté en France, afin de le voir avant qu'il mourust, mais, puisque Dieu ne 1'a pas permis, je ne croy point partir d'icy que ma Philosophie ne soit faite. » La blessure nouvelle rouvre 1'autre, qui n'est pas encore cicatnsée. Aussi la lettre de condoléances a de Pollot, écrite ^.M-D'doiJ être encore soit k Harderwijk, soit a Amersfoort. Peut-être a-t-il deur i X^4C\7lTpp' 13tm6ême ^ 4 karderwiik> Franetara A^ 3. Ibid., p'. 62. ' 5. (Euvres, t. III, p. 126. Lettre du 30 juillet 1640. 6. Ibid., p. 228. 7. Ibid., p. 251. 526 DESCARTES EN HOLLANDE de Leyde, en janvier 1641 \ est plus sensible, comme on disait au xvme siècle, que d'ordinaire. Le passage suivant a la valeur d'une confession sentimentale : « Je ne suis pas de ceux qui estiment que les larmes et la tristesse n'apartiennent qu'aux femmes et que, pour paroistre homme de cceur, on se doive centraindre a monstrer tousjours un visage tranquüle. J'ay senty, depuis peu 2, la perte de deux personnes qui m'estoient tres-proches et j'ay éprouvé que ceux qui me vouloient deffendre la tristesse, 1'irritoient, au heu que j'estois soulagé par la complaisance de ceux que je voyois touchez de mon déplaisir. » Malgré la tristesse, il fallut bien se préoccuper des questions d'héritage, importun et nécessaire accompagnement de la perte d'êtres qui vous sont chers. Cependant, retenu par ses Méditations, peu soucieux d'entrer en contact personnel avec les Jésuites, dont il sent croitre 1'opposition a la philosophie nouvelle, le cadet renonce a se rendre en France pour défendre ses intéréts, et il en confie la gestion a son ami de la "Villeneuve du Bouexic. II 1'établit pour procureur, dit Baillet. Rien de plus exact, car je puis produire ici, pour la première fois, la procuration même que Descartes a. signée et fait dresser k Leyde, le 13 février 1641, par le notaire public Fr. Doude 8; en voici le début et la fin 4: Aujourd'huy, le 13e jour du mois de Février 1641, comparut par devant moy, Francois Doude, notaire publicq par la Court provintiale d'Hollande, sur la nomination de messieurs les magistrats de la ville de Leyde, admis residans ,a la dite ville, et les tes moins cy aprés nommez, René d'Escartes, escuyer, seigneur du Perron 5 demeurant a present en cette ville de Leyde, lequel, en sa bonne volonté, a fait et constitué, comme il fait et constitué par ces presentes, pour son procureur genera! et special, monsr. Jacques de Bouexic, escuyer, seigneur de la Villeneuve, specialement pour et au nom du dit sieur constituant, partager et divider avecq Messieurs ses fréres et soeurs tous les biens que monsr. son feu pere et mere respectif a eux ont delaissé, soit heritages, rentes, meubles, immeubles..., aussi de pouvoir vendre au plus grand proflt du dit sieur constituant... etc. 1. (Euvres, t. III, p. 278. 2. Francine était morte le 7 septembre 1640. Cf. plus haut, p. 488. 3. Baillet en a vu une ampliation, puisque, en marge, il date correctement la procuration, du 13 février 1641. Cf. Vie de Descartes, L H, p. 95. 4. Comme pour le document précédent (cf. p. 503, n. 2), 1'honneur de la découverte de ce manuscrit, aux Archives municipales dë Leyde, revient a M. Bijleveld, ancien, archiviste-adjoint, qui en a fourni la copie aH.de Waard ; ils ont bien voulu 1'un et 1'autre m'en abandonner la publication. 5. B continue donc a porter ce titre, bien qu'il ait vendu sa terre da Perron. Cf. plus haut, p. 412. procuration inédite du 13 février 1641 527 Ainsi fait et passé a la viTe de Leyde, le jour et an que dessus, en présence de Messieurs Corneille de Hogelande et Antoine van Surcq, tous deux cohabitans de cette ville, comme croyables tesmoins de ce requis. [signé] René Descartes C. van Hogelande A. van Surck Doude, notaire public. Remarquons la présence aux cótés de Descartes, lors de la signature de cet acte, de ses deux grands amis, van Surck, qu'il a connu a Amsterdam1 et Corneille van Hogelande, qui Voccupe de médecine et avec qui il s'était trouvé au chevet de la petite de Wilhem, comme il résulte des deux lettres adressées, les 13 et 24 juin 1640 au père, le conseiller de Leu de Wilhem, beau-frère de Huygens : « Monsieur, « Nous venons de voir Mu« vostre fille, Mr Hoóghelande et moy, et nous avions aussy envoyé querir le Me Chrestien 2, mais il estoit sorti de la ville, pour estre de retour a ce soir. C'est pourquoy nous avons remis a demain, qu'on 1'avertira de se trouver, sur les deux heures, chez le Sr Gillot, oü nous irons aussy et, si c'est vostre commodité de vous trouver icy en ce tems la, on pourra commencer en vostre présence ou bien mesme, encore que vous ne veniez point, on ne lairra pas de commencer, si ce n'est que vous donniez autre ordre : a scavoir, on lairra faire le Chirurgien, pour ce qui est de 1'appücation exterieure des choses qui peuvent servir a redresser les os et Mr de Hoóghelande s'est laissè persüader d'entreprendre le reste, en quoy jé suis assuré qu'il ne manquera pas de faire tout le mieux qui luy sera possible. »3 La collaboration de ce Rose-Croix, du Chirurgien et du Philosophe ne semble pas avoir donné d'excellents résultats et, de nos jours, Descartes eüt peut-être été inculpé d'exercice illégal de la médecine. Dans sa lettre du 24 juin, il console le père en lui disant : 1. Et qui transmettra un manuscrit de Descartes a Regius, en mai 1641 (cf. CEw vres, t. iii, p. 374). 2. Le chirurgien. 3. CEuores, t. iii, p. 91. 528 descartes en hollande « Monsieur, « Je croy bien que vous ne remarquerez pas encore grand changement en MUe vostre fille et aussy que vous n'en esperez pas encore si tost, a cause qu'il arrivé bien plus ordinairement que les maladies qui vienent fort viste, soyent fort long tems a s'en aller que non pas, au contraire, que celles qui ont esté plusieurs années a se former se passent en peu de jours. « Mais si vous jugez que les remedes de Mr de Hoghelande luy soient utiles, j'ay a vous offrir, de sa part, tout ce qui est en son pouvoir ; et il dit pouvoir bien lui envoyer a la Haye quelques poudres, qui apparemment luy serviroient, mais qu'il ne pourroit pas neanmoins luy envoyer les mesmes choses qu'il luy pourroit faire prendre icy, a cause qu'il faut souvent faire la guerre a rceil et augmenter ou diminuer la force du medicament, selon qu'on a vü 1'effect des precedens. Et enfin je voy bien que ce qui le fait estre icy plus retenu est que, le mal estant fort inveteré, il n'en ose assurer la guerison, mais seulement offrir de faire son mieux. »1 II doit s'agir d'une coxalgie, mais Descartes garde une parfaite confiance dans les vertus de thaumaturge de van Hogelande ; c'est aussi a lui qu'il doit faire allusion en décembre 1640 2, quand il parle d'un ami qui lui est trés fidéle et qui est en relations suivies avec un Jésuite se trouvant alors a Leyde. Sorbière, qui y exerca également la médecine, nous a parlé du personnage en termes assez comiques 3 : « Quant au Cornelius ab Hoghelande, duquel vous avés Cogitationes de (Economia Animalis, c'est un gentil-homme catholique, grand amy de M. Descartes. Lors que je demeurois a Leyden, il exercoit une Médecine charitable et ne demandoit des pauvres gens qu'il traittoit qu'un fidelle rapport du succés de ses remedes. Et comme il estoit ravi d'entendre que les affaires succedoient bien, qu'on se portoit un peu mieux ou qu'on estoit entierement gueri, il ne se rebutoit point aussi de sa pratique, lors qu'on luy disoit que la maladie estoit empirée, qu'un tel symptome estoit survenu et qu'a la quarantiéme selle, le pauvre patiënt estoit expiré; 1. (Euvres, t. iii, p. 92-93. 2. Ibid., pp. 253-254 et ici, pius haut, p. 369, n. 3. 3. Samuel Sorbière, Lettres el Discours, 1660, pp. 444-445, cité par M. Adam dans sa biographie de Descartes au t. xii des (Euvres, p. 111, note, mais rectiné, ici, sur 1'original, in-4°. au chateau d'endegeest (1641-1643Ï 529 car n estoit fort homme de bien.il louoit Dieu de toutes choses et, voyant, par le moyen de ses trois elemens, des raisons de tous les Phcenomenes, desquelles il se satisfaisoit, il ne desesperoit jamais de remedier une autre fois aux plus fascheuxinconvements de sa Pharmacie. » « J'ay esté souvent dans son Laboratoire et je 1'ay veü plusieurs fois au vestibule de son logis, en pantoufles et en bonnet de nuict distnbuant, de 8 a 9 heures du matin et de une a deux aprés midy, des drogues qu'il tiroit d'un cabinet, qui en estoit bien • pourveu. Son pere avoit travaillé au grand (Euvre et mesme il en a escnt, si je ne me trompe. Mais le fris ne seservoit de la Uiynue que pour la Médecine et il n'employait les remedes de cét art qu'au défaut des communs et des galeniques qu'il mettoit premierement en usage. » L'importance de 1'héritage paternel était assez grande pour que René Descartes püt songer a un établissement a la fois plus considérable et plus définitif. Le 31 mars 1641, donc moins de deux mois après la procuration que nous avons citée, Descartes ajoute a sa communication hebdomadaire a Mersenne un post-scnptum ainsi concu : 4 Je vous envoye un escrit pour le hbraire, que vous ne trouverez pas daté de Leyde, a cause que je n'y demeure plus, mais en une maison qui n'en est qu'ü demi-heue, er laquelle je me suis retiré pour travailler plus commodement a la Philosophie et ensemble aux experiences 11 n est point besoin pour cela de changer 1'adresse de vos lettres ou plutost, il n'est point besoin d'y mettre aucune autre adresse que mon nom, car le messager de Leyde scait assez le lieu ou il les doit envoyer. »1 La maison a une demi-heue de Leyde, c'est ce qu'on appellerait, un peu pompeusement pour ce qu'elle était alors, le chateau d Endegeest. Pourtant, le large fossé qui 1'entoure toujours, apres les nombreux agrandissements et transformations qu'il a subis, montrent bien que nous sommes sur 1'emplacement d'un de ces anciens chateaux-forts, si nombreux encore dans tous les pays oü ils ont été batis de pierres ou de roes, et si rares en Hollande, oü 1'on n'avait a sa disposition que la brique. Endegeest avait beaucoup souffert lors du fameux siège de Ixyde en 1574 2, Ie corps principal fut incendié et seules subsisr 1. (Euvres, t. III, p. 350-351. 2. Lhbtoire du chateau a été faite par Malieveld et publiée par lui dans le 34 530 DESCARTES EN HOLLANDE taient, comme le montre un dessin du temps (cf. pl. XLV), les deux tours de droite et de gauche, mais Maerten van Schouwen le restaura et il y habitait en 1622 avec sa femme, trois enfants et quatre domestiques. En 1639, le domaine tomba entre les mains d'un enfant mineur, Pieter van Foreest van Schouwen, qui, se mettant a voyager, le loua a René Descartes ; celui-ci y habita de la fin mars 1641 a la fin d'avril 1643 \ Le propriétaire était cathohque et c'est probablement par van Hogelande qu'ils entrèrent en relation. Tout proche est le village de Oegstgeest, oü il y avait alors une petite église, affectée, aujourd'hui encore, au culte cathohque. C'est la que le philosophe allait sans doute a la messe. De Leyde a Endegeest, il n'y a pas une demi-heue francaise et 1'on y est aujourd'hui en cinq minutes, par le tramway. Le chateau a encore grand air, mais c'est un heu désagréable a visiter, car il a été transformé en asile d'ahénés et cet endroit, qui vit éclore tant de pensées ordonnées et hautes, sert de refuge aux divagations des fous. Ironie de la destinée, du genre de celles que pratiquait le moyen-age, qui aimait a faire agiter les grelots et la marotte du sot prés du bonnet des docteurs. L'aspect actuel de la demeure, oü il n'y a a visiter, en dehors des deux tours, qu'une grande salie ornée de tapisseries des Gobelins, ne nous dit qu'approximativement ce qu'elle était au temps de Descartes. Heureusement que cet étonnant Sorbière, embusqué a tous les coins de 1'histoire littéraire du xviïe siècle, se présente, a point nommé, pour nous servir de cicerone. «11 me souvient, écrit-il dans deux lettres a M. Petit, Conseiller du Roy et intendant des fortifications, 1'une du 10 novembre 1657 et 1'autre du 20 février 16582, que je courus a Endelgeest, a demie heue de Leyden, du costés de Warmont, dés que je fus en Hollande au commencement de l'année mil six cents quarante deux. J'y visitay M. Descartes, dans sa sohtude, avec beaucoup de plaisir.'.». 3 « Je remarquay avec beaucoup de joye la civilité de ce gen- Leidsche Jaarboekje de 1909 (Leyde, Sijtliofl), p. 1-44 sous «ft titre '.Geschiedenis vafi het Kasteel Endegeest. M.' Adam en a donné un résumé dans son Supplément (1913), •aux (Euvres de Descartes, pp. 37-38. ' .'.< ' -' - : .- * '- ' 1. Mes eflorts pour retrouyer le contrat de:locatipn, dans les^Axebrves de.LeydVB 'ont "étéVamS. -' .- '"' *.f 1 * ' '"', 2. Lettres et Discours de M. de Sorbière, Paris, 1660, p. 677 et p. 684, cité par MM. Adam et Tannery, t. III, p. 351. Collationné sus I'original.>-i . .f ,j 3. Sorbière^ op. cit., 67%wV 4ii * ut&lhlh 1:1' ynai^iCJ .ü au chateau d'endegeest (1641-1643) 531 tü^homme, sa retraite et son ceconornje1. II estoit dans un petit Chasteau en tres-belle situation, aux portes d'une grande et fcelle Université, a trois lieues de la Cour et a deux petites heures de la Mer. » Tout cela est exceUemment dit et avec beaucoup de précision On accède au chateau par une allée de vieux arbres qui prend a gauche, sur la route en allant de Leyde vers la mer II est ombragé d'un bois assez toufïu. La proximité de l'Université de Leyde permettait a Descartes d'y suivre les progrès de sa philosophie qu'y défendaient Heydanus et le Francais du Ban a • :1e voisinage de la Cour, c'est-a-dire de La Haye, qui, en effet' n est pas bien éloignée, soit qu'il s'agisse du « Binnenhof / soit qu'ü s'agisse de la Résidence d'été ou « Huis ten Bosch »' plus proche encore, 1'intéressait moins assurément que la mer' ju'on trouve au petit port de Katwijk, a 1'embouchure du vieux-Rhin. «II avoit, continue Sorbière, un nombre suffisant de dom.estiques, personnes choisies et bien-faites, un assés beau jardin au bout duquel estoit un verger et, tout a 1'entoür, des prairies' doü 1'on voyoit sortir quantité de Clochers plus ou moins éleves, jusques a ce qu'au bord de 1'horizon, il n'en paroissoit plus que quelques pointes. » Ceci est comme un tableau fait d'après nature, de la vue étendue dont on jouit, au dela des fossés du chateau et par une vaste clairière, des fenêtres de la chambre aux tapisseries oü uous nous sommes longtemps arrêtés. Était-ce sa salie a maneer etait-ce son cabinet de travail ? Peut-être 1'un et 1'autre mais quil art résolu la quelque problème ou quelque objection et songe a 1 ame, a 1'infiri, a Dieu, en contemplant distraitement les prairies jusqu'a la hsière des dunes, le regard a peine accroché par ces clochers qui se dressent dans la plaine, tout ceci est absolument certain, de par la description de Sorbière. « II ahoit a une journée de la, par canal, a Utrect a Delft a Roterdam, a Dordrecht, a Haerlem et quelquesfois a Amsterl dam, oü ü avoit deux miUe üvrés de rente en banque.» Par canal ? oui, on prenait le «trékschuit » öu coche d'eau ; la lenteur avec -laquelle ü chermnait, entreTes berges, sur les eaüx surplontbant la plaine par une sorte de paradoxe hydrostatique, s'accommodait 1. Nous dirions familièrement son < ménaee » 2. Voir plus" 'haut, pi 335 et s/ ' - ■ * 532 DESCARTES EN HOLLANDE mieux aux pensées du philosophe qu'a Fimpatience d'un voyageur gascon 1. « II pouvoit aller passer la moitié du jour a La Haye et revenir au logis, et faire ceste promenade par le plus beau chemin du monde, par des prairies et des maisons de plaisance, puis dans un grand bois qui touche ce village, comparable aux plus belles villes de 1'Europe. » Le village, c'est La Haye, que les diplomates appelaient ainsi et qui a gardé son allure de petite résidence royale, si propre, si nette et si noble, au milieu de ses admirables futaies. II est exact qu'on traverse le bois de Wassenaer pour y arriver en partant d'Endegeest, par la vieille route, et que, tout du long, a droite et a gauche, s'étaient les coquettes villas des « poorters » de La Haye, qui y engloutissent leurs gros dividendes de la Compagnie des Indes. « Superbe en ce temps la, par la demeure de trois Cours, dont celle du Prince d'Orange, qui estoit toute rnihtaire, attiroit deux mille gentils-hommes en equipage guerrier, le collet de bufle, Fécharpe orangée, la grosse botte et le cimeterre estant leur principal ornement. » On croirait voir la Ronde de nuit. « Celle des Estats-Generaux, poursuit Sorbière, comprenoit les députés des Provinces-Unies, faisant voir 1'Aristocratie en habit de velours noir, avec la large fraise et la barbe quarrée, qui marchoit gravement dans les Places Pubhques. La Cour de la Reine de Bohème estoit celle des Graces, qui n'y estoient pas moins de quatre, puis que sa Majesté avoit quatre Mes, vers lesquelles se rendoit, tous les jours, le beau monde d3 la Haye, pour rendre hommage a 1'esprit et a la beauté de ces Princesses... » Nous reparlerons d'elles, mais il faut se borner pour 1'instant a citer la conclusion de Sorbière : « Je louay grandement en moy-mesme le choix que M. Descartes avoit fait d'une demeure si commode et 1'ordre qu'il avoit mis ason divertissement, aussi bien qu'a sa tranquillité. » 2 Voila le cadre, on voudrait s'approcher et écouter ce qui se dit, dans les allées, parmi les vieux arbres. Schooten le jeune, le mathématicien, nous a gardé, dans une lettre8 a Christian 1. Vide supra, p. 350. 2 Sorbière, op. cf/., p- 683. 3! Du 19 septembre 1658, citée dans CEuurtt de Descartes, L III, p. 333. DIALOGUES DE DESCARTES 533 Huygens, 1'illustre physicien, fils de Constantin, un propos de Descartes, s'abandonnant a des confidences sur le Conseiller Fermat, analyste fameux: «Comme j'étais allé voir le Sr. Des Cartes a Endegeest a son retour de France, je lui racontai, tout en nous promenant, que Fermat avait inventé pas mal de belles choses, dont il se vantait beaucoup, è quoi il me répliqua »1: « Monsieur Fermat est Gascon, moy non. II est vray qu'il a inventé plusieurs belles choses particulieres et qu'il est homme de grand esprit. Mais, quant a moy, j'ay tousjours estudié è considerer les choses fort generalement, afin d'en pouvoir conclure des Reigles, qui ayent aussy ailleurs de 1'usage. » Un autre interlocuteur, dans les salles ou le pare d'Endegeest, était 1'abbé Picot, prieur du Rouvre, lequel, a 1'imitation de 1'abbé Gassend et du P. Mersenne, avait fait le voyage classique de Hollande, dans la singuhère compagnie de Jacques Vallée des Rarreaux, «1'illustre débauché », 1'ancien ami de Théophile, et devenu un conseiller sérieux, au moins d'apparence. N'avait-il pas manifesté a Balzac son désir d'aller voir Descartes en Hollande, pour chercher la vérité et le bon vin par mer et par terre, sur quoi Chapelain observe que Desbarreaux ne dépassera pas le Languedoc, paree qu'il croira « qu'ayant trouvé le vin, il aura trouvé la verité»? 2 Desbarreaux prétend écumer « toutes les délices de la France » et se rendre « en chaque heu, dans la saison de ce qu'il produit de meilleur » 3. « Mr. Picot est icy a Leyde, écrit Descartes a Mersenne, le 23 juin 1641 4 et semble avoir envie de s'y arester ; nous sommes assez souvent ensemble. Pour ses deux camerades, ils vont et vienent et je croy que, dans peu de tems, ils retourneront en France. » L'un des deux « camerades » est encore un abbé, M. de Touchelaye le jeune, 1'autre doit être Desbarreaux. Le philosophe s'applique è convertir Picot, qui s'installa au chateau même, dès la fin de 1641 *, a la métaphysique cartésienne, car « il y a plus de joye dans le ciel pour un pecheur niwff ^ en latm'mais 'es paroles de Descartes sont rapportées en francais On peut les tenir pour authentiques. WI3- 2. Cf. (Euvres de Descartes, t. XII, p. 79, note a p 332 aUemant des Réanx' üté M. Adam, au t. X, p. 532. Cf. aussi t. III, 4. (Euvres, t. III, pp. 388 et 390. 5. Cf. ibid., p. 571. En décembre 1642, il est rentré a Paris, puisnue Descartes «5crlL le 7, au P. Mersenne a Paris (cf. (Euvres, t. III, p. 601) :'«^n^scris notat a M. Picot, pour ce que je_n'ay point eu de ses lettres, a ce voyage^Kest è dire fee courner], mais je vous prie de 1'asseurer de mon service, si vous le voyez » 534 DESCARTES EN HOLLANDE qui se convertist que pour mille justes qui perseverent ». Suivant une ingénieuse et trés vraisemblable conjeeture de M. Charles Adam, tout ne serait pas perdu de ces longues discussions entre Descartes, 1'abbé Picot et Desbarreaux a Endegeest, lesqueües mettaient en présence la philosophie nouvelle, la philosophie traditionnelle et le libertinage, c'est-a-dire les grandes doctrines du temps, puisque le jansénisme est a peine né. Par badinage et délassement, sans doute aussi pour suivre 1'exemple de Platon, Descartes les aurait consignées, ces conversations, dans le Dialogue intitulé : La Recherche de la Vérité par la Lumière naturelle, conservé, mi-partie en francais, dans la copie qu'en fit faire Leibnitz a Paris, en 1676, mipartie en latin dans 1'édition des Opuscula posthuma (1701) N'a-t-il pas trois interlocuteurs ce dialogue : Eudoxe, Epis-temon, Polyandre ? Eudoxe n'a-t-il pas beaucoup voyagé2,. fréquenté les savants et examiné les plus difficiles inventions des sciences pour se retirer ensuite a la campagne en un heu solitaire, oü il invite ses amis a passer avec lui la belle saison 8, ne parle-t-il pas des plant es rares et des pierres prècieuses, en ajoutant : « qu'on rapporte icy des Indes »4 ? Picot n'est-il pas «préoccupé » des principes de 1'Ecole comme Epistemon, et Desbarreaux, qui fréquenta tant de monde, ne mérite-t-il pas le nom de Polyandre ? Quoi qu'il en soit, aucune définition ne convient mieux a 1'état d'esprit de 1'écrivain, dans son chateau d'Endegeest, que celle d'Eudoxe : « La science de mes voysins ne borne pas la mienne, ainsy comme leurs terres font icy tout autour le peu que je possede, et mon esprit, disposant, a son gré, de toutes les verités qu'il rencontre, ne songe point qu'il y en ait d'autres a descouvrir, mais il jouist du mesme repos que feroit le Roy de quelque pays a part et tellement separé de tous les autres, qu'il se seroit imaginé qu'au dela de ses terres, il n'y auroit plus rien, que des desers infertiles et des montagnes inhabitables.»6 1. Pp. 67-90, Inquisitio veritcdis, ct (Euvres, L X, p. 489 et s. 2. CL (Euvres, L X,p. 501: « Le temps que vous avés autrefois employé k voyasger, k frequenter les scavants et a examiner tout ce qui avoit été inventé de plus difficile en chaque science. > 3. Ibid,, p. 502 : « C'est pourquoy, ie vous convie tous deus de sejourner icy pendant cette belle saison, afin que j'aye loisir de vous declarer ouvertement une partie de ce que je scay.» 4. « Les herbes et les pierres qui viennent aux Indes»; traduction latine:« qutex Indiis huc perferuntur », t. X, p. 503. 5. Ibid., p. 501. CHAPITRE XVI REGIUS ADVERSUS VOETIUM A cóté de ces visiteurs permanents ou de passage, Descartes recoit souvent a Endegeest son disciple Regius. II 1'invite en des termes qui s'adressent bien plus a un and qu'a un élève : « J'ai appris par Pollot que vous aviez I'intention de venir me voir, lui écrit-il en latin, en juin 1642. Quant a moi, non seulement je vous demande de venir le plus souvent possible, mais je vous prie d'amener votre femme et votre fille; vous serez les trés bienvenus. Les arbres sont déja verts et bientót même les cerises et les poires seront mores » l. Regius-de Roy a bien besoin de ce soutien et de ce refuge, car, a Utrecht, 1'orage s'amoncelle au-dessus de sa tête et il faut revenir un peu en arrière pour en montrer la préparation. L'affaire Regius contre Voetius ou de Roy contre Voet, peut, mieux qu'aucune autre, nous introduire dans ces Universités hollandaises, a la vie desquelles notre Descartes, sans y enseigner, est si intimement mêlé par 1'action des fervents de la doctrine nouvelle. Querelle de pédants, sera-t-on tenté de dire en haussant les épaules, si on se borne a feuilleter les pièces latines du procés ! Non pas, mais phases de 1'éternelle lutte des novateurs contre les obscurantistes, vieüles erreurs résistant a 1'assaut des jeunes vérités, dernières convulsions de raristotélisme finissant, qui a conclu cet étrange mariage de raison avec les Églises et qui devra céder la place au cartésianisme, représentant alors 1'esprit moderne, jusqu'a ee que, par un retour des choses, il devienne lui-même le palladium de la réaction. La fortune du mêdecin-physicien-philosophe de Roy avait 1. (Euvres, t III, p. 568. 536 DESCARTES EN HOLLANDE été rapide, mais n'avait pas, d'abord, porté trop d'ombrage a ses collègues ni même au théologien hyperorthodoxe Voetius, qui avait, plusieurs fois, soutenu ses requêtes. Comme pour Luther, toutes proportions gardées, ce furent des thèses, qui déchainèrent le conflit, en juin 1640. Baillet ne sait si Descartes y assista, mais c'est possible, car il avait écrit, en latin comme toujours, a Regius, le 24 mai 1640 \ cette curieuse phrase : « Si vous désirez une plus ample explication sur un point quelconque, vous me trouverez toujours prêt a vous la donner par écrit ou de vive voix. Bien plus, si vos thèses sont 1'objet d'une « dispute », 2 j'accourrai a Utrecht, si vous voulez, a condition seulement que nul ne le sache et que je puisse rester caché dans la tribune de laquelle M"e de Schurmans a coutume de suivre les cours. » Détail remarquable : la célèbre femme savante, que les Précieuses, qui 1'estimaient comme la meilleure d'entre elles, appelaient Statira », assistait donc aux lecons et aux soutenances 4, « derrière un voile, invisible et présente », les personnes de son sexe n'étant pas admises, alors, en ces temples du savoir. Comme toutes ces émules, elle rêvait d'amours chimériques et spiritualisées et elle semble bien avoir été éprise du philosophe francais, qui dédaigna ses charmes et son érudition. « M. Descartes, raconte la Vie de Jean Labadie6, la vint voir chez elle, a Utrecht, et, comme il se passa quelque chose de particulier en leur conversation, dont M"e de Schurmann a voulu laisser quelque mémoire, je crois que je ferai bien de le rapporter icy fidélement. II la trouva livrée a son étude favorite qui étoit celle de 1'Ecriture sainte, d'après le texte original en hébreu. Descartes fut étonné qu'une personne de ce mérite donnat tant de temps d une chose de si peu d'importance : ce furent les termes mêmes dont il se servit. L (Euvres, t. III, p. 70. 2. Elles devaient être soutenues le 10-20 juin. Cf. ibid., t. III, p. 65, note d. l^jï'^XlX ^ul p™1" Prieiema> éd- Ch.-L. Livet, Paris P. Jannet, /rf'^fïw^1 JS? elle habitait derrière la cathédrale ou dóme, Hn 'w fniiiS"ï«&nL 4l' 51?*"8 entour^e d un cimeüère. Descartes, dans la lettre du 30 juillet 1640, adressée è Mersenne (cf. (Euvres, t. III, p. 127), écrit: «Je viens a tT0.^lesme Pacquet,pil estoit la lettre pour M. Schuerman [c'était le frère de la poétesse] que j'ayaddressée. II demeure sur le cimetiere du. Dom è Utrecht», ïd^i Une' d Anne-Marie était sur le cöté nord de la chaire de 1'« Auditorium theologicum» et fut remplacée en 1825, par un cscalier. (Cf. S. Muller, De Un versüeitsgebouwen te Utrecht. 1899, pp. 20-21). ««""=1, uc un 5. 1670, cité dans (Euvres de Descartes, t. IV, pp. 700-701. ANNE-MARIE DE SCHURMANN 537 Comme cette demoiselle cherchoit a lui démontrer 1'importance capitale de cette étude pour la connoissance de la parole divine, Descartes lui répondit que lui 4mssi avoit eu cette pensée et que, dans ce dessein, il avoit appris cette langu- qu'on appelle sainte, qu'il avoit même commencé èlire, dans le texte hébreu, le premier chapitre de la Genèse, qui traite de la création du monde, mais que, quelle que eüt été la profondeur de ses méditations, il avoit eu beau réfléchir, il n'y avoit rien trouvé de clair et de distinct, rien qu'on püt comprendre « dare et distmcte ». Alors, s'étant apercu qu'il ne pouvoit point entendre ce que Moïse avoit voulu dire et même qu'au lieu de lui apporter de nouvelles lumières, tout ce qu'il lisoit ne servoit qu'ü 1'embrouiller davantage, il avoit dü renoncer a cette étude. » « Cette réponse surprit extraordinairement Mlle de Schurmann; eüe la blessa profondément et elle en concut une telle antipathie contre ce philosophe qu'elle évita, depuis ce jour, de jamais se trouver en relation avec lui. Dans le journal oü elle fait mention de cet événement, elle avoit mis a la marge sous ce titre : Bienfaits du Seigneur, les paroles suivantes : « Dieu a éloigné mon cceur de l'homme profane et il s'est servi de lui comme d'un aiguülon pour ranimer en moi la piété et pour me faire me donner entièrement k Lui. » Descartes avait recu les thèses de Regius k correction et il y avait, dans la même lettre *, que nous venons d'invoquer, apporté maintes modifications, tant en ce qui concernait la perception des universaux qu'en ce qui touchait les mouvements du cceur. II lui reproche de le mettre lui-même trop en avant, d'accompagner son nom, souvent cité, d'épithètes trop flatteuses et surtout de raffubler d'une désinence latine: Cartesius *. II le prie d'atténuer les termes lancés aux adversaires, comme les quaüflcatifs « rüsé ou ignorant », apphqués au professeur de Louvain, Plempius, et lui demande de ne pas attaquer Walaeus ou J. de Wael, le professeur de Leyde, dont les observations a 1 appui de la théorie Harvéienne de la circulation du sang ont une réelle importance 3. ï, CEuores, t. III, p. 66 et s. 2. Ibid., t. III, p. 68. cn?j Ibid-'P- 70- Descartes cite aussi les observations d'un ieune mèdeein nnmmi dans Revue Phüosoph^noy.^Z'. 1920 ^ Descarles et HaneV> 538 DESCARTES JEN HOLLANDE Sur tous les points, le docile discipte s'incline. Descartes; au fond, en est trés fier. Son dédain de 1'École ne s'applique qu'a celle qui ne suit pas sa doctrine- Quand elle Tuccueille, il a pour elle plus de complaisance : « Je vous envoye icy d'autres Thèses, écrit-il, a ce propos, a Mersenne, le 22 juillet 1640 \ dans lesquelles on n'a rien du tout suivy que mes opinions* afin que vous scachiez que, s'il y en a qui les rejettent, il y en a aussi d'autres qui les embrassent. Peut-eatre que quelquesuns de vos Medecins ne seront pas marris de voir ces Theses, et celuy qui les a faites en prepare encore de semblables sur toute la Physiologie de la Médecine et mesme, si je luy voulois prome ttre assistance, sur tout le reste; mais je ne la luy ose promettre, a cause qu'il y a mille choses que j'ignore, et ceux qui enseignent sont comme obligez de dire leur jugement de toutes choses. » Quoi qu'il en soit, le succès des Thèses de juin déplut non seulement a Voetius mais a beaucoup de médecins de 1'ancienne école, en particuüer a un nommé Primerose, qui entreprit, en un écrit pubhé a Leyde, de réfuter la doctrine de la Circulation du sang. Regius lui répond par un de ces livres a titre latin grossier, qui sont le secret des querelles imprimées du temps : « Eponge a laver la saleté des remarques publiées par le Docteur Primerose contre les thèses en faveur de la Circulation du sang, disputées a l'Université d'Utrecht. » 2 Inutile de dire que le provocateur n'avait pas été moins violent, sinon dans son titre, qui est honnête, du moins dans son texte. Descartes, a qui Regius avait soumis son manuscrit, en atténua les termes autant qu'il put, d'accord en cela avec Voetius, Lyraeus et de Maets, a qui leur collègue 1' avait lu. Le philosophe voit clair dans le jeu du théologien et, dans une lettre a Mersenne, datée de Leyde, 11 novembre 1640, il Ie démasqué avec une verdeur digne de Molière. Le pasteur s'était adressé au moine pour 1'enröler contre les Cartésiens et leur chef. II tombait mal : « Je vous remercie des nouvelles du Sieur [Voetius]3 ; je n'y trouve rien d'estrange, sinon qu'il ait ignoré ce que je vous suis, car il n'y a personne icy, qui me connoisse tant soit peu, qui ne le scache. C'est le 1. (Euvres, t. III, p. 95-96. 2. Ibid., p. 202. 3. Ibid., p. 230-231. REGIUS. ADYERSUS VOETIUM (1640) 539 plus- franc pedant de la terre et il creve de depit de ce qu'il y a un Professeur■ de Médecine, en leur Academie d'Utrecht, qui fait profession ouverte de ma Philosophie et fait mesme des lecons particulieres de Physique et, en peu de mois, rend ses disciples capables de se moquer entierement de la vieille Philosophie. Voetius et les autres Professeurs ont fait tout leur possible pour luy faire defendre par le Magistrat de 1'enseigner, mais, tout au contraire, le Magistrat luy a permis malgré eux. Ce Voëtius a gasté aussi la Damoiselle de Schurmans car, au heu qu'elle avoit 1'esprit excellent pour la Poésie, la Peinture et autres telles gentillesses, il y a desja cinq ou six ans qu'il la possede si entierement, qu'elle ne s'occupe plus qu'aux controverses de la.Theologie, ce qui luy fait perdre la conversation de tous les honnestes gens et, pour son frere, il n'a jamais esté connu que pour un homme de petit esprit. » 1 tg&l II est bien vrai que la bonne demoiselle tomba dans une dévotion singulière et dans le plus étrange mysticisme, qui devait en faire un docile instrument entre les mains d'un üluminé francais, le pasteur deux fois apostat, Labadie 2 et de son accolyte, Pierre Yvon, de Montauban, avec qui elle fondal'Église Labadiste de Wieuwerd en Frise. La lettre du 11 novembre 1640 continue par une gaminerie a 1'égard du pédant: «J'ay fait rendre une lettre pour Voëtius au Messager, afin qu'il en paye le port, comme si elle n'estoit point venüe sous couvert et que vous soyez par la un peu vangé des six livres qu'il vous a fait payer pour ses Theses. »8 Le 16 mars, qui se célèbre encore aujourd'hui comme le « dies naialis », 1'anniversaire de naissance de l'Université d'Utrecht, Voetius est élu recteur par le Sénat et c'est précisément le début de son rectorat que Regius choisit pour le défier, en instituant une série de « Disputations » se rapportant soi-disant a la médecine, mais s'étendant, en réalité, a 1'ensemble de la physique et même de la philosophie, bien que le recteur 1. Sur Voetius on consultera les trois volumes que lui a cons acrés M. Duker (A. C.) sous ce titre: Gisbertus Voetius, Leyde, E. J. BrilL in-8°, t. I, 1897 ; t. II, 1910 ; t. III, 1914 (Cf. table; V° Descartes). Ce passage a été cité par Busken Huet, Het Land van Rembrand III, p. 98. 2. Né a Bourges, le 13 février 1610. Cf. Bulletin Églises Wallonnes, t. IV, p. 1-28, 1'article de Gerlach (J. H.): Jean de Labadie d Middelbourg d'après des documenls inédils. Cf. aussi Bulletin Églises wallonnes, t. III, p. 104 et Catalogue de la Bibhothèque wallonne, t. I, pp. 30-31, 121 et s., etc. 3. CEuvres, t. III, p. 23-1. 540 DESCARTES EN HOLLANDE eüt cherché a 1'en détourner ou, au moins, a le persuader de ne défendre les doctrines nouvelles que sous forme de corollaires, ainsi que le Sénat en avait décidé l'année précédente K Ces mémorables séances s'ouvrirent, le 17-27 avril 1641, en présence d'un auditoire, oü les théologiens étaient aussi nombreux que les étudiants en médecine. Regius présidait; celui qui soutenait les disputes sous lui était le jeune de Raey, qui iut plus tard professeur a 1'École Illustre d'Amsterdam, ancêtre authentique de 1'actuelle Université municipale de cette ville. Cela n'alla pas sans un job tapage, au cours duquel les vérités ne parvinrent pas toujours aux oreilles des auditeurs sous la forme dans laquelle elles avaient été émises : « Hinc indecorae ortae sunt contentiones et clamores animorumque distractiones; hinc carmina satyrica », dit gravement le récit officiel. • Regius avait a peine imprimé les premières thèses, qu'il les envoie a Descartes en même temps que les secondes, en manuscrit, avec les remarques de M. le Recteur Magnifique. Elles furent soutenues le 5-15 mai avec non moins d'éclat que les premières, mais causant autant de déplaisir aux professeurs de philosophie, de médecine et de mathématique, qui se sentaient lésés dans leurs droits par 1'encyclopédisme envahissant de leur collègue. Après les disputes de physiologie, il y en eut d'autres, raconte Baillet2 dans le cours de 1'été, touchant les opérations de 1'Esprit... les Passions de 1'Ame, la Substance, la Quantité, le Mouvement... « Mais ses Thèses, quoyque corrigées par M. Descartes è qui il ne donna pas peu d'exercice pendant tout le reste de l'année 1641, ne servirent qu'ü augmenter la jalousie qu'on avoit de sa réputation ». Toute la seconde partie du volume III de la Correspondance est pleine, en effet, de ces corrections et rectifications sur 1'ame triple et 1'aiumal-machine, en latin toujours: «Je n'admets pas que la faculté végétative et sensitive chez les animaux mérite le nom d'ame, comme 1'esprit dans l'homme. » Dans la première épitre importante, écrite a la réception de thèses de mai, Descartes remercie Regius et de Raey d'avoir voulu les mettre sous son nom. II répond non seulement a eux, mais aux remarques dont Voetius a enrichi les marges du manus- t. Bafllel, Vie de Descartes, t. II, pp. 139-149 et (Euvres de Descartes, t. III, p. 365 et s. 2. Cf. (Euvres de Descartes, t. III, p. 367. REGIUS ADVERSUS VOETIUM (1641) 541 crit : « Tout ce que vous m'enverrez je le lirai volontiers et, avec ma franchise coutumière, je vous écrirai ce que j'en pense. Dans la lettre de novembre 1641, qui se rapporte, cette fois, aux nouvelles thèses que de Roy fit soutenir a Utrecht, le 24 novembre ou 3 décembre 1641, sur la circulation du sang, Descartes félicite Regius d'avoir trouvé un appui dans 1'échevin van der Hoolck, avec qui il est lui-même en relation. Celles qu'il fit soutenir le 8 décembre suivant (peut-être le 18 n. s.) provoquèrent des querelles entre étudiants de philosophie, de lettres, de droit et de médecine, beaucoup plus vives, surtout a propos de 1'homme-essence accidentelle et de 1'union accidentelle de 1'ame et du corps, soutenue par Regius et qu'il maintient malgré les objurgations que Voetius lui adresse, lorsqu'il le reconduit chez lui. Descartes même, dans sa lettre de la midécembre, donne raison, cette fois, a 1'Adversaire et blame la. malheureuse phrase: «Quod homo sit ens per accidens», contre laquelle 1'étudiant en philosophie avait argumenté avec tant de succès en syllogismes, malgré les frottements de pieds de ses camarades de médecine. L'ami fidéle suggère cependant divers correctifs et lui dit qu'il sera toujours le bienvenu, s'il veut venir a Endegeest en conférer avec lui % II regrette qu'il n'ait pu venir aux vacances de Noël et du Nouvel an, car il aurait voulu discuter la conduite a tenir envers Voetius 2. Ayant appris que leurs ennemis communs avaient triomphé et qu'on interdisait a Regius d'enseigner la doctrine nouvelle, il 1'engage a se rire d'eux, car leur haine ouverte est plus glorieuse que 1'approbation des ignorants. Rien d'étonnant a ce que, avec le seul concours de la vérité et de quelques amis, on ne puisse pas triompher en un heu oü tout se décidea la majorité des voix. II lui demande ce qu'il a décidé. Voetius n'avait pas laissé de répliquer aux thèses du Cartésien, en ajoutant trois corollaires ü celles que lui-même avait fait soutenir par ses élèves, les 18 et 24 décembre (v. s.) 3. Le; premier corollaire ne le vise qu'indirectement, en s'attaquant 1. (Euvres, t. III, p. 462. 2. Ibid., p. 486. 3. Dans le Supplément (1913) aux (Euvres de Descartes, M. Adam écrit (p. 6) : «Le plus important des opuscules auxquels Ü collabora de la sorte, est un Appendice aux thèses des 23 et 24 décembre 1641, qui pa' ut au commencement de 1642; par malheur, nous n'avons pu, malgré nos recherches, en retrouver aucun imprimé ». Or, grace aux indicaüons de M. de Waard, j'ai pu Ure 1' Appendice a la Bibliothèque de l'Université d'Utrecht. 542 DESCARTES EN HOLLANDE a Gorleus, auteur de la fameuse proposition sur l'unité accidentelle de 1'être humain. Le second corollaire est bien plus important et bien plus intéressant, paree qu'il nie le mouvement de la terre et paree que 1'intolérance protestante rejoint ici Tintolérance romaine, en s'exprimant en la même langue, dans tous les sens du mot: II. «Le mouvement de rotation diurne et annuel de la Terre (que de notre temps Képler et quelques autres mathématiciens ont tiré des ténèbres de 1'oubli), répugne directement et évidemment a la vérité divine révélée dans la Sainte Écriture, etc.» 1 A défaut d'oser le proclamer lui-même, Descartes faisait donc enseigner le mouvement de la terre par ses disciples des Universités hollandaises, et 1'opposition de Voetius ne pouvait que lui être agréable, car il écrivait, un an auparavant, a Mersenne 2 : « Je ne suis pas marry que les Ministres fulminent contre le mouvement de la Terre; cela conviera peut-estre nos Predicateurs a 1'approuver. Et a propos de cecy, si vous écrivez a ce M[edecin] du C[ardinal] de B[aigné], je serois bien aise que vous 1'avertissiez que rien ne m'a empesché jusques icy de pubher ma Philosophie que la deffense du mouvement de la Terre, lequel je n'en scaurois separer, a cause que toute ma Physique en dépend, mais que je seray peut-estre bien-tost contraint de la publier, a cause des calomnies de plusieurs qui, faute d'entendre mes principes, veulent persuader au monde que j'ay des sentimens fort éloignez de la verité. » Regius, ayant surpris a 1'imprimerie les corohaires, va les -porter a 1'échevin van der Hoolck, qui s'en irrite et demande a Voetius d'en modifier un peu le libellé, pour ne pas froisser le médecin, ce a quoi le théologien consentit. La soutenance du 18 décembre n'en fut pas moins agitée et Voetius, qui la présidait, étant embarrassé par 1'ardeur avec laquelle un opposant défendait la philosophie nouvelle, « 1'interrompit brusquement pour dire que ceux qui ne s'accommodoient pas de la manière ordinaire de philosopher, en attendoient une autre de M. Descartes, comme les Juifs attendent leur Elie, qui doit leur apprendre toute vérité. »8 On voit donc combien les Universités hollan- Maillet, Vie de Descartes, t. II, p. 146 et (Eu«res,\. ïll, p. 487.'','S*W ' 2. CEuores de Descartes, t. III, p. 258'. 3. Baillet, loco cit, p. 147-148, cité au t. HL p.'49Ö'des-CEK>m- dé Descartes. REGIUS AD VERSUS VOETIUM (1641) 543 daises étaient, a ce moment-la, ouvertes aux idéés francaises ■co n tempor aines. Regius rend compte a son maitre de ce qui se passé : on dirait vraiment que Descartes enseigne è l'Université d'Utrecht par personne interposée. L'échevin van der Hoolck- semble •plus tiède et préconise le silence. Le capitaine Alphonse de Pollot, qui habite Utrecht, s'intéresse aussi a 1'affaire, en quahté de philosophe, de mathématicien et d'ami de Descartes, a qui il a rapporté de vive voix ce qui s'est passé. II engage Regius a garder le silence pendant quelque temps, a s'abstenir de disputes pubhques1 et a ne pas jeter de 1'huile sur le feu. Descartes conseille de céder sur les Formes substantieUes et les Quahtés réelles, objet du troisième corollaire de Voet: dans les Météores même (p. 164 de 1'édition francaise), elles ne sont pas absolument repoussées, quoi qu'elles n'y soient pas tenues pour nécessaires. Mais ce qui.est fait est fait; il faut veiller a défendre maintenant, le plus modestement possible, les vérités proposées et ne pas oubher que rier n'est plus louable chez un philosophe que la confession spontanée de ses erreurs. - Pour le « ens per acc'idens»-, qu'il avoue franchement n'avoir pas bien compris ce terme de 1'École et qu'il ne perde aucune occasion d'athrmer que l'homme est véritablement un être en soi et non par accident, que 1'ame est unie au corps réellement et essentiellement. Avec beaucoup de prudence, l'auteur des Meditationes s'efforce de dissuader Regius de pubher sa réponse -écrite a Voetius; il la trouve trop dure, pas assez claire; on sent qu'elle a été écrite par un esprit fatigué et sous 1'empire de 1'indignation. Descartes se donne la peine de refaire au courant de la plume, en francais ou en latin, comme cela lui .vient2 une réponse a 1' Appendix ad Corollaria TheologicoPhilosophica, dans les quelles sont contenues les thèses soutenues par van den Waterlaet, de Gemert, les 23 et 24 décembre (v. s.>: « Je voudrois, aprés, commencer par une honneste lettre a Monsieur Voetius, eh laquelle je dirois qu'ayarit veü les tresdoctes et tres-excellentes et trea-subtiles Theses qu'il a publiées -touchant les Formes • substantielies -et 'autres matieres appai»- • ^«««Vt. W* pMH.' - '*."«• I» ■: .-.i 2. Et aussipour empêcher quf. Regius ne recopiete' projet de réponse tel quel 544 DESCARTES EN HOLLANDE tenantes a la Physique et qu'il a particuherement adressées aux Professeurs en Médecine et en Philosophie de cette Université, au nombre desquels je suis compris, j'ay esté extremement aise de ce qu'un si grand homme a voulu traitter de ces matieres.,. Et mesme, que je me suis réjouy de ce que la pluspart des opinions qu'il a voulu deffendre en ces Theses, estant directement contraires a celles que j'ay enseignées, il semble que g'a esté particuherement a moy a qui il a adressé sa Preface et qu'il a voulu par la me convier a luy répondre... Que je m'estime bien glorieux de ce qu'il m'a voulu faire cét honneur. » On n'est pas pluspoli, et c'est le bel air de la Cour de France introduit dans la rudesse des Universités. II renonce a opposer d'autres thèses a ces thèses et d'autres disputes a ces disputes, paree que celles de Voetius se déroulent dans le calme dü a ses « qualitez de Recteur et de Ministre »,« sa grande pieté,... son incomparable doctrine », « au lieu que, n'ayant point'le mesme respect pour moy, poursuit le pseudo-Regius, deux ou trois fripons, que quelque ennemy aura envoyez a mes disputes, seront suffisans pour les troubler et ayant éprouvé cette fortune en mes dernieres, je croyrois m'abaisser trop et ne pas assez conserver la dignité du heu que nostre tres-sage Magistrat m'a fait 1'honneur de vouloir que j'occupasse en cette Academie, si je m'y exposois d'orénavant... Ces faiseurs de bruit ayant tousjours interrompu nos réponses, avant que de les avoir pü entendre, il a esté tres-aisé a remarquer, que nous n'avons point donné occasion a leur insolence par nos fautes, mais qu'ils estoient venus a nos disputes, tout a dessein de les troubler et d'empescher que nous ne pussions avóir le temps de faire bien entendre nos raisons. Et 1'on ne peut juger de la. autre chose, sinon que mes ennemis, en se servant d'un moyen si seditieux et si injuste, ont témoigné qu'ils ne cherchent pas la vérité et qu'ils n'esperent pas que leurs raisons soient si fortes que les miennes, puisqu'ils ne veulent pas qu'on les entende. » Comme les faiseurs de bruit sont les élèves et les amis de Voet, celui-ci n'en sera pas moins atteint a travers les flatteries, dont la moindre n'est pas le « patronum fautorem amicissimum » de la fin. L'auteur du projet blame autant que Voet les jeunes gens qui, possédant a peine les éléments de la philosophie, sifllent toute la doctrine de 1'École sans en comprendr© REGIUS ADVERSUS VOETIUM (1641) 545 même les termes, mais il n'entend pas qu'on applique cette critique a ses seuls auditeurs «car.dit-il, j'ay déja sceü que quelquesuns, estant jaloux de voir les grans progrez que mes auditeurs faisoient en peu de tems, ont tasché de décrier ma facon d'enseigner, en disant que je negligeois de leur expliquer les termes' de la Philosophie et, ainsi, que jeleslaissoisincapables d'entendre les livres ou les autres Professeurs et que je ne leur apprenois que certaines subtilitez, dont la connoissance leur donnoit, aprés cela, tant de presomption qu'ils osoient se mocquer des opinions communes. Et, pour ce sujet, je me persuadé que Monsieur Voëtius (ou Rector Magnificus etc.; donnez-luy les titres les plus obligeans et les plus avantageux que vous pourrez)1, ayant esté averty de cette calomnie... a voulu... me donner occasion de m'en purger; ce que je feray facilement en faisant voir que je ne manque pas d'expbquer tous les termes * de ma profession , lors que les occasions s'en presentent, bien que j'aye encore plus soin d'enseigner les choses. » 8 Dans la suite, Descartes oublie presque qu'il est devenu de Roy et dit : « Et je veux bien confesser que, d'autant que je ne me sers que de raisons qui sont tres-evidentes et intelligibles a ceux qui ont seulement le sens commun, je n'ay pas besoin de beaucoup de termes étrangers pour les faire entendre; et ainsi, qu'on peut bien plutost avoir apris les veritez que j'enseigne et trouver son esprit satisfait touchant toutes les principales difficultez de la Philosophie, qu'on ne peut avoir apris tous les termes dont les autres se servent pour expliquer leurs opinions touchant les mesmes difficultez et avec tous lesquels ils ne satisfont jamais ainsi les esprits qui se servent de leur raisonnement naturel, mais les remplissent seulement de doutes et de nuages. »3 Le reste du projet de réponse, en latin cette fois, est une attaque plus vive encore contre 1'abus des mots dont se mourait la philosophie de 1'École : « Ces pauvres entités, qu'on appelle formes substantielies et qualités réelles», ne servent qu'a aveugler les esprits des étudiants et a leur donner cette docte ignorance que blame le Recteur Magnifique ; il ne peut croire que celui-ci ait voulu désigner la philosophie qu'enseigne Regius 1. CEuores, t. III, p. 498. 2. Ibid., p. 499. 3. Ibid. 35 546 DESCARTES EN HOLLANDE en parlant de « cette ignorance idiote, sauvage et orgueilleuse. » La réponse sur le mouvement de la Terre est assez ambigue. Descartes oublie encore une fois qu'il écrit pour le compte d'ün autre et parle de « nostra Meteora » et de la Dioptrique, mais il s'arrête, il a été plus long qu'il ne pensait et, avec cela, il n'est même pas sür que Regius se servira de ces notes, mais si ce dernier en exprime le désir, illes continuera dans la langue que le professeur d'Utrecht préférera1. Qu'il en parle avec 1'ami van Leeuwen, « leur Nestor », ou avec Aernüius, mais surtout, « manifester de la vénération pour Voetius et éviter jusqu'au soupcon de 1'ironie, afin d'être dans une position d'autant meilleure, s'il faut un jour changer de style ». L (Euvres, t. III, p. 509. CHAPITRE XVII DESCARTES CONTRE VOETÏUS II arrivera un moment oü le philosophe ne pourra plus se contenter cTarmer son partenaire et oü il devra entrer luimême en lice pour rompre des lances avec le grand adversaire et ses partisans, d'autant plus que Regius a l'air de faiblir un peu : il craint de perdre sa place, et Descartes est obligé de le gourmander, tout en stimulant son courage 1 : « Je ne savais pas, lui dit il, toujours en janvier 1642, que cet homme régnat dans votre ville, que je supposais plus libre, et j'ai pitié d'elle, si elle soutient un pédant aussi vil et un aussi misérable tyran. » Voilü le fonds de sa pensée et néanmoins il continue ü exhorter a la patience et a la modération. Toute cette polémique n'est guère dans son tempérament, mais il s'y est trouvé engagé malgré lui et les quaütés combatives du Francais ne lui permettent pas. de céder la place. « Peut-estre que ces guerres scholastiques, écrit-il d'Endegeest a Huygens, le 31 janvier 1642 2 seront cause que mon Monde se fera bientost voir au monde et je croy que ce seroit dés è present, sinon que je veux auparavant luy faire aprehdre a parler latin; et je le feray nommer Summa Philosophiae, affin qu'il s'introduise plus aysement en la conversation des gens de 1'escole, qui, maintenant, le persecutent et taschent ü 1'étouffer avant sa naissance, aussy bien les Ministres que les Jésuites. Mr de Pollot vous en peut dire des nouvelles de ce qu'il a vü ü Utrecht, oü il a aydé ü combatre pour moy. » Les conseils de modération prodigués par Descartes, par t J'accepte I'hypo thèse formulée a Ia p. 519 du t. III par MM. Adam et Tannery, et je détache, du projet de réponse a Voetius, la fin, comme étant une lettre nouvelle, en réponse a une communication de Regius (t. III. nn. 509-510) 548 DESCARTES EN HOLLANDE Aemilius, par van der Hoolck, n'arrêtèrent pas 1'impétueux Regius et' il fit mettre sous la presse sa « Responsio seu Notae in appendicem ad Corollaria theologico-Philosophica », qui en sortit le 16 février. Descartes 1'en félicite en latin, dans ces termes:«D'après ce que j'entends dire par nos amis, personne qui ne loue vivement votre réponse a Voetius, personne qui ne se moque de lui et qui ne dise que lui-même désespère du succès de sa cause, puisque le Magistrat n'a pas la force de la défendre. Les formes substantielies, elles-mêmes, éclatent et on dit ouvertement que si toute notre Philosophie expbque ainsi le reste des choses, tout le monde 1'embrasserait. »1 Malheureusement Regius avait confié sa Responsio a un imprimeur catholique, travaillant pour le compte d'un libraire « remonstrant ». 2 II fut trahi. Le Sénat s'inquiète et s'assemble, nomme une commission pour s'aboucher, le 24 février, avec le Magistrat et le prier de mettre fin aux querelles provoquées par 1'introduction de la Philosophie nouvelle dans l'Université. Le Sénat de la ville (nous dirions le Conseil) prit un arrêté, traduit du flamand en latin le ler, publiéle 15 mars 1642, confié a 1'examen d'un comité de professeurs, approuvé par eux le surlendemain et que nous appellerons, pour cette raison, avec Descartes8, le jugement de 1'Université. Celui-ci condamne la philosophie nouvelle, sans du reste la réfuter ni nommer Descartes, mais comme étant 1'étincelle capable d'allumer 1'incendie qui pourrait détruire cette institution encore au berceau, semer la discorde entre les étudiants, les faire émigrer vers d'autres provinces. Les signataires engagent les professeurs a faire détruire les exemplaires de la Responsio, a en faire interdire la lecture et aviser aux moyens d'empêcher le « propugnator novae philosophiae », qui n'est pas nommé, mais qu'on devine être Regius, de répandre par ses cours la mauvaise doctrine. Le texte flamand est signé par Voetius, Schotanus, de Maets ou Dematius, Liraeus et même Aemilius. En suite de quoi, la délégation du Sénat et du Magistrat cita devant elle le coupable et lui intima 1'ordre de s'abstenir 1. (Euvres, t. III, p. 528. 2. Cf. plus haut, p. 246. 3. Cf. (Euvres, t. VIII, 2e partie, p. 209 : Letlre apologétique aux Magistrals d'Utrecht. Le texte du jugement est publié au t. III, p. 531. jugement de l'université d'utrecht (1642) 549 a 1'avenir de disputes philosophiques et de se tenir dans les ümites de la Médecine et de la Botanique li Selon Baillet, le Magistrat avait fait saisir 130 exemplaires du livre chez le hbraire, qui, le premier jour, en avait débité 150, tant était vif aux Pays-Bas 1'intérêt suscité par cette polémique. « De sorte que ce qui resta d'exemplaires devint exorbitammeht cher et fit rechercher le livre comme une chose trés-rare et trésprécieuse. »2 C'est ce que prévoit Descartes, en félicitant son ami de souffrir la persécution pour la cause de la vérité. Rien de plus utile a la vente que la saisie d'un livre et c'est une faveur que beaucoup d'auteurs envient. Le public s'indigne de ce que Voetius ait pu traiter son adversaire de béte féroce. « Sa colère vient de ce que votre philosophie est plus vraie qu'il ne le voudrait et que ses raisons sont si évidentes qu'elle évince Terreur sans avoir même a la combattre. »3 Descartes a confiance dans la sagesse du Magistrat et en particulier de van der Hoolck. Si même, en mettant les choses au pis, Regius était destitué, couvert de gloire, il n'aurait pas de peine a trouver a se placer ailleurs. La lettre est destinée a être montrée a van der Hoolck et c'est pourquoi elle contient ce vceu que la ville d'Utrecht puisse se vanter auprès de la postérité d'avoir été la première a admettre 1'enseignement pubhc de la Philosophie cartésienne *. Ce qu'on lui reproche, c'est d'être nouvelle, mais cela n'est-il pas au contraire a son honneur, si elle est è la fois nouvelle et vraie, alors que d'autres tirent déja vanité d'émettre des opinions nouvelles et fausses ? L'objection que la présence de Regius ferait fuir les étudiants n'est pas plus fondée, puisqu'il est prouvé au contraire qu'il attire de nombreux auditeurs et des meilleurs, séduits par les doctrines récentes, qui ne répugnent qu'aux maitres d'école parvenus a quelque renommee par une fausse science 5. Au fond, Descartes n'est pas si rassuré sur ce proces universitaire qu'il lefeintvis-a-vis de son disciple et dans le dessein de calmer les appréhensions de ce dernier. A 1'ami Pollot, il ne dissimule pas ses craintes 6 : « On ne dit rien moins a Leyde, si non qu'il 1. (Euvres, t. III, p. 533. 2. Ibid., p. 534. 3. Ibid., p. 537. 4. Ibid., pp. 538-539. 5. Ibid., p. 541. 6. Ibid., p. 550. 550 DESCARTES EN HOLLANDE [Monsieur le Roy] est desja dernis de sa Profession, ce que je ne puis toutesfois croire ny mesme m'imaginer que cela puisse jamais arriver et je ne voy pas quel pretexte ses ennemis auroient pü forger pour luy nuire. Mais, quoy qu'il arrivé, je vous prie del'assurer, de ma part, que je rn'employeray pour luy en tout ce que je pourray, plus que je ne ferois pour moy-mesme, et qu'il ne se doit nullement fascher, pour ce que cette cause est si celebre et si connue de tout le monde qu'il ne s'y peut commettre aucune injustice qui ne tourne entierement au desavantage de ceux qui la commettroient et a la gloire et mesmes peut-estre, avec le temps, au pront de ceux qui la souffriroient... ». o On m'a assuré qu'ils ont fait une Loy en leur Academie, par laquelle ils deffendent expressément qu'on n'y enseigne aucune autre Philosophie que celle d'Aristote. » C'est bien en effet ce qu'a décidé, le 17 mars 1642,1'assemblée du Sénat en condamnant la Responsio 1 : « Tertio : le Sénat rejette cette Philosophie nouvelle, d'abord paree qu'elle s'oppose a la vieille Philosophie qu'ont enseignée, dans leur souveraine sagesse, jusqu'è présent, les Universités du Monde entier et qu'elle en sape les fondements; ensuite, paree qu'elle détourne la jeunesse de la vieille et saine Philosophie et 1'empêche de s'élever aux sommets de 1'érudition...; enfin, paree que diverses opinions fausses et absurdes sont professées par elle ou peuvent en être déduites par une jeunesse imprudente et que ces opinions répugnent aux autres disciplines et facultés, en particulier a la Théologie orthodoxe. » Seuls, Aernüius et Cyprien Regneria, qu'il ne faut pas confondre avec Henri Reneri, depuis longtemps décédé, protestèrent contre cette exécution de la Responsio, mais « tant de fiel entre-t-il dans 1'ame des dévots ? », Voetius ne fait même pas grace a son adversaire tombé, et, d'autant plus libre qu'il n'est plus recteur, il lance encore sur lui son fils Paul Voet qui, né en 1619, était devenu, le 19 mars 1641, professeur de métaphysique a l'Université d'Utrecht. L'entree en jeu de ce nouvel adversaire provoque rhilarité de Descartes : « J'ai lu les thèses de 1'enfant Voetius 3, je veux 1. On trouvera le texte latin complet au t. III, pp. 552-553. 2. Ab Oosterga, Frlson de naissance. • 3. (Euvres, L IIL p. 558. La plaisanterie est plus drdle en latin : « Legi etrlsl tum theses Voétu puerl, sive infantis, filii volui dlcere..., etc.» une lettre de van baerle (10 mars 1642) 551 dire du fils Voetius, ainsi que le jugement de votre Académie et j'en ai bien ri... » II approuve la conduite d'Aemilius et de Cyprianus, il gronde Regius de se faire tant de souci et il lui annonce que 1'Adversaire fait préparer, par un moine converti, une nouvelle réponse, qui s'appellera 1'Appendix Voetii. II lui conseUle de s'incbner provisoirement et de ne plus enseigner que la médecine d'Hippocrate et de Galien, rien de plus. « Si les étudiants vous demandent davantage, récusez-vous pobment, en disant que cela ne vous est pas permis... Calmezvous, je vous en prie, et riez donc... Vous vaincrez, en fin de compte, pourvu que vous gardiez le silence en ce moment, mais, si vous préférez recommencer la lutte, fiez-vous a votre bonne fortune.»1 Toute la Hollande lettrée et savante se passionne pour le débat, sauf toutefois 1'excellent poète latin Gaspar van Baerle 8, qui enseignait la philosophie a 1'École Illustre d'Amsterdam oü, depuis le 9 janvier 1632, il était devenu le collègue de G. J. Vpssius 8 II était 1'ami de P. C. Hooft et un des plus beaux ornements de ce Muiderkring, du cercle littéraire du chateau de Muiden dont nous avons parlé. A Jean de Wicquefort, qui lui a envoyé tous ces factums imprimés, van Baerle répond par le spirituel billet que voici, daté du 10 mars 1642 : « Monsieur, « Je vous remercie trés humblement de ce que vous m'avez envoié ces écrits de controverse. Je les ai lu avec la même avidité que nous avons coutume de manger des huitres fraiches. Mais, pardonnez, je vous prie, 1'aveu que je vous fait: je n'estime pas tant les formes substantielies ou essentielles que je croïe qu'il soit maintenant tems de déclarer mon sentiment sur ce sujet. Vous scavez bien que je ne suis pas sur un pied a pouvoir condamner Aristote, sans 1'avoir entendu, et que jene me suis pas engagé non plus ü le suivre. J'ai quelque chose a dire sur le sentiment du scavant Descartes, mais je le dirai lorsqu'il sera tems et qu'il se sera expliqué plus au long et plus clairement... » 4 1. (Euvres, t. iii, p. 560. 2. Voyez sur lui la notice de Worp dans le Nieuw Ned. Biogr. Wdb., t. ii, coh 67 a 70, 3. Voir plus haut, au livre ii, pp. 175, 315 n. 1 etc 4. Lettres de m. J. de Wicquefort... avec les réponses de m. G. Barlée. $• éi. A Amsterdam, chez Balth. Lakeman, 1696 ; a Leyde chez Jean et Henri Verbeek, 1722, p. 158 ; d'après une copie communiquée par m. de Waard. 552 DESCARTES EN HOLLANDE Ceci n'allait pas tarder, et Descartes devait le faire d'abord dans sa fameuse lettre latine au Père Dinet de la Société de Jésus, Provincial de France, pubbée a la suite des Objectie-nes Septimae, achevées d'imprimer par Louis Elzévir, a Amsterdam, vers la rnj-mai 1642 *i Comme 1'écrit Huygens, le 26 de ce mois, Descartes y a bien raconté ce qui s'est passé entre lui et ses adversaires « tant de ca que dela ». Celui-ci y insiste sur 1'attraction que sa philosophie exerce sur les jeunes, maitres et élèves 2. Le portrait qu'il tracé de Voetius est si ressemblant qu'on ne peut manquer de le reconnaitre, bien qu'il ne soit pas nommé : « II passé pour théologien, orateur, disputateur; il s'est concihé les petites gens en étalant une piété fervente et un zèle indomptable pour la religion, en attaquant les gouvernants, 1'Église Romaine et toute opinion différente de la sienne propre, en chatouillant les oreilles de la populace par des brocards de bouffon. II édite chaque jour des pamphlets qui ne sont lus de personne, citant des auteurs qu'il ne connait peut-être que par leur table des matières et qui plaident plus souvent contre lui que pour lui, parlant avec autant de présomption que de maladresse de toutes les sciences, comme s'il les savait et, par la, ne passant pour savant qu'auprès des ignorants...»3 Descartes ne 1'accuse pas d'avoir provoqué par ses amis les frottements de pieds qui ont troublé les soutenances de Regius, mais il constate qu'avant ce Rectorat cela ne s'était pas produit. L'auteur de 1'Epïtre se prévaut, pertinemment, du fait que Regius a été condamné par le Sénat sans même avoir été entendu ou avoir été convoqué par le Recteur, qui fut a la fois président du tribunal académique et accusateur. Le philosophe reproduit alors la décision du Sénat, du 17 mars 1642, pour que personne ne puisse dire, si par aventure tous ces écrits se perdent, que la philosophie cartésienne a été condamnée a Utrecht par bonnes et valables raisons, mais il omet le nom de la ville, qu'il r.'était pas trés difficile, pour les lecteure hollandais du moins, de suppléer. II relève les trois chefs d'accusation contenus dans le jugement et les réfute, sentant bien que c'est lui, plutót que Regius, qui est 1'accusé t Vit^^rA26; C1J to^cf; «.Ja lettre de Huygens dans Euvres de Descartes, L III, p. 564. Le texte de la lettre de Descartes au P?Dinet est au t. VII, pp 563-603 2?SffirarleSt9vilOUS "575 5771 iCl PP' 582"599- a- aussi «• VIIL p. 209. 3.' Ibid., p'. 584. ' PP' ARRÊT DU CONSEIL D'UTRECHT (12 AOUT 1642) 553 et le condarané; mais, pourquoi le faire dans une lettre a un Jésuite francais ? C'est qu'il craint, comme dans le cas du mouvement de la terre, la concordance et 1'alliance des deux orthodoxies, des partisans protestants et catholiques du principe d'autorité en matiere de science et de philosophie. Tout cela n'est, pour un an encore, que 1'attaque indirecte; Regius reste au premier plan, comme protagoniste. Le récit des faits, établi par le philosophe dans sa lettre au P. Dinet a plu au disciple \ autant qu'elle a déplu a Voetius. Ce dernier fait convoquer le Sénat académique qui, assemblé le 29 juin 1642, nomme une commission de quatre membres pour examiner les injures a 1'adresse de l'Université d'Utrecht contenues dans la lettre de Descartes au P. Dinet2. Cette assemblée y reviendra encore, un an après, le 6 mars 1643, pour approuver 1'historique officiel de la querelle ou Testimonium Academiae Ultrajectinae et Narratio historica qua defensae, qua exterminatae novae Philosophiae (Utrecht, 1643) 3 rédigé par Paul Voet, le fils de Gisbert. Cet auxiliaire de vingt-trois ans ne suffisait pas au vieux théologien. II en trouva bientöt un autre dans la personne de son ancien élève Martin Schoock, alias Schoockius, devenu professeur a l'Université de Groningue. Celui-ci, que Regius appelle dans ses lettres «le Moine renégat », étant venu a Utrecht, se serait laissé persuader, en juillet 1642, a la suite d'un somptueux repas que lui offrit Voetius, de prendre la plume contre 1'épitre a Dinet, et il emporta les documents. D'&utre part le théologien, qui soupconne avec raison le médecin d'en avoir fourni a Descartes les éléments, s'efforce d'obtenir la destitution de celui qu'il accuse d'être un traitre, d'autant plus qu'il continue a exposer les doctrines nouvelles en regard de celles d'Hippocrate, de Galien et d'Aristote 4. Un nouvel arrêt du Conseil de la Ville d'Utrecht, en date du' 12 aoüt 1642, conclut un peu prématurément a la fin de 1'intruse, c'est-a-dire de la philosophie nouvelle, et fulmjne une peine exceptionnelle de cent florins, sans préjudice des amendes antérieurement promulguées, contre 1'importation, 1'impression, la vente et la propagation de toute espèce de « hbelles diffa- 1. Cf. (Euvres, t. III, p. 565. 2. Ibid., p. 568. 3. Ibid., p. 569. 4. Ibid., p. 574. 554 DESCARTES EN HOLLANDE matoires », ou autres écrits de « même farine » (sic), lancés contre les thèses ou corollaires proposés pour Ia dispute pubhque par MM. les professeurs ou les étudiants. Vaine digue opposée conjointement par le Magistrat et le Sénat a la marée montante des vérités nouveUes. Bien plus, la résistance qu'elle rencontre lui fait redoubler ses efforts pour en triompher. Le livre de Schoockius commencé déja a s'imprimer, mais, les premières feuilles que Descartes a pu se procurer chez Waesberge, on ne sait par quel artifice, ne portant point de nom, le philosophe a de bonnes raisons de le croire entièrement de la main de Voetius. Cette fois il ne s'agit plus de Regius, c'est l'auteur de la Méthode qui est ouvertement visé, déjè par le seul hbellé du titre : Phitosophia Cartesiana sive Admiranda Methodus novae Philosophiae Renati Descartes (Utrecht, Waesberge, 1643). Ce dernier mande a ce propos au P. Mersenne, d'Endegeest, le 7 décembre 1642 : «Le livre de Voetius contre moy est soubs la presse, j'en ay veu les premières feuilles; il 1'intitule : Philosophia Cartesiana. II est environ aussy bien fait qu'un certain Pentalogos1, que vous avez veü il y a deux ans, et je ne daignerois y respondre un seul mot, si je ne regardois que mon propre interest; mais, pource qu'il gouverne le menu peuple2, en une ville oü il y a quantité d'honestes gens qui me veulent du bien et qui seront bien ayses que son authorité diminue, je seray contraint de luy respondre en leur faveur et j'espere faire imprimer ma response aussy tost que luy son livre, car elle sera courte et son livre fort gros et si impertinent, qu'aprés avoir examiné les premières feuilles et avoir pris occasion de la de luy dire tout ce que je croy luy devoir dire, je negligeray tout le reste, comme indigne mesme que je le lise.»s Voetius n'a pas hésité de nouveau a essayer d'associer le trés docte Mersenne a sa cause et a accuser Descartes de se réfugier dans le sein des Jésuites pour échapper aux coups du Minime, ce qui provoque 1'indignation particulière du philosophe et amèhe une protestation du religieux. ü est venu a celui4a un autre allié inattendu, dans la personne 1. Allusion & 1'oeuvre d'un * chymiste boemien, demeurant a La Haye », que je ne puis identifler autrement. Cf. CEuores de Descartes, t. III, p. 249. Lettre du 3 décembre 1640. 2. Le«menu peuple »tenait en effet avec les orthodoxes, pour les princes d'Orange, contre 1'aristocratie bourgeoise qui gouvernait les villes. 3. (Euvres, t. III, pp. 598-599. ARRÊT DU CONSEIL D'UTRECHT (12 AOUT 1642) 555 de F ancien pasteur francais de F Eglise Wallonne : Samuel Desmarets ou Maresius, né è Oisemont le 9 aoüt 1599 (mort en 1673), qui avait été d'abord professeur de théologie a 1'Académie de Sedan 1; il était pasteur a Maestricht en 1629, puis a Bois-le-Duc, le 29 janvier 1636, oü il fut installé le 18 mai; le 18 décembre 1642, il avait été appelé, nous Favons vu au livre II 2, comme professeur, a l'Université de Groningue. Peu avant, il avait été impliqué dans 1'affaire de la Congrégation de Marie et il est accusé par Voet d'orthodoxie insuffisante, dans un écrit qui s'irnprime en même temps que 1'attaque contre Descartes. Ce dernier a réussi ü en surprendre aussi 3 les premières feuilles qu'il s'empresse de communiquer a son compatriote Desmarets. II offre a celui-ci une alhance défensive, dont le pasteur accepte le principe : « A cause que je croy, lui écrit le philosophe, qu'ils [c'est-a-dire les deux livres de Voetius] se suivront 1'un 1'autre de fort prés, mon opinion est que j'employeray deux ou trois pages en ma réponse, pour dire mon avis de vostre different, puis que vous ne F avez pas desagreable et ce qui m'y oblige le plus est que ce que j'écriray sera pubhé en Latin et en Flamand, car je croy qu'il est a propos que le peuple soit desabusé de la trop bonne opinion qu'il a de cét homme. » * « Je ne crains autre chose, mande Descartes a Mersenne, le 4 janvier 1643 5, sinon qu'il ait quelque ami qui luy conseille de le supprimer, avant qu'il soit achevé et ainsy qu'il me face perdre 5 ou 6 feuilles de papier que j'ay desja brouülées, non pas pour lui respondre, car il ne dit rien qui merite response, mais pour faire connoistre sa probité et sa doctrine. » « Le titre du livre de Voetius contre moy, écrit-il encore au même correspondant, le 23 mars suivant, toujours d'Endegeest 6 est Admiranda Methodus novae Philosophiae Renati Des Cartes 7 et, au dessus de toutes les pages, il a fait mettre 1. J'ai eu sous les yeux un recu signé de lui en cette qualité. & la date du 10 janvier 1629, dans le ms 4442* a la Bibliothèque de la Société d'Histoire du Protestan tisme franfais, 54, rue des Saint-Pères, Paris. 2. Cf. p. 304 et Bulletin Églises Wallonnes, t. III, p. 30 : Haas. La France Protestante, 2' éd.,t.V,coL 320 ets. 3. Par quels moyens, 11 prétend ne pas le savoir, disons qu'il aime mieux ne nas le savoir, t. III, p. 606. * 4. CEuores, t. III, p. 607. 5. Ibid., t. III, pp, 608-609. 6. Ibid., t. III, pp. 642-643. 7. L'ouvrage, d après M. Adam, est extrêmement rare en Hollande, oü 1'on n'en connait qu'un exemplaire dans une bibliothèque privée. II y en a deux, au moins 556 descartes en hollande « Philosophia Cartesiana », ce qu'il a fait pour faire vendre le livre sous mon nom et je vous en avertis, affin que vous puissiez detromper ceux qui, ayant vu ce titre, pourroient croyre que ce fust quelque chose de moy. » Descartes sait maintenant que c'est Schoockius, qu'il appelle g le badin de Groningue», qui servira de prête-nom a Voetius : « vous verrez peut estre par ce qui reussira du hvre que Voetius .a fait contre moy, sous le nom de ce badin de Groningue, que les Catholiques ne sont point hals en ce païs. Ce hvre est extremement infame et plein d'injures sans aucune apparence de vérité ny de raison... mais, pour ce que j'ay des amis a qui il importe que Voetius soit decredité, je fais imprimer une response contre luy, qui ne le chatouülera pas. »1 A la fin de mai 1643, elle parut, cette fameuse réponse, « chez Louys Elzevier, marchand hbraire a Amsterdam », alors que Descartes s'est rapproché de cette viUe, en s'installant pour un an a « Egmont op de Hoef » 2 UEpistola Renati Des-Cartes ad celeberrimum Virum D. Gisbertum Voetium,... in qud examinantur duo libri, nuper pro Voeiio Ultrajecti simul editi : unus de Confraternitate Mariand, alter de Philosophia Cartesiands, parut simultanément en latin et en hollandais (Brief van René Des Cartes, aen D. Gisbertus Voetius, etc), cette dernière version étant évidemment une traduction. en France, & Ia Bihl. V. Cousin, a la Sorbonne, et a la Bibliothèque de la Ville de Nancy. 1. Cf. CEuores, t. III, pp. 642-643. 2. Ibid., pp. 647; 672 ; 674-675. 3. Reproduit e au t. VIII, 2e partie, des (Euvres; pp. i-xni; 1-198. CHAPITRE XVIII i.'epistola ad v0et1um (1643) Je ne crois pas que YEpistola ad Voetium, publiée a la fin mai 1643, ajoute beaucoup a la gloire du philosophe; il s'est laissé un peu trop entrainer par le milieu universitaire hollandais, oü ce genre de polémique personnelle était fort en honneur. Comme, tout a 1'heure, il parlait souvent par la bouche de Regius, c'est Regius qui, aujourd'hui, parle souvent par la sienne et même aussi un pasteur protestant de 1'Église Wallonne : Samuel Desmarets. La hberté qu'autorise le latin entraine parfois des écarts de langage dont VAdmiranda Methodus de son adversaire Voetius lui donne souvent 1'exemple, de sorte qu'on aboutit a un concert de grossièretés, dont les termes de bouffon et de menteur sont la basse continue. II est vrai que les deux ennemis ne s'accusent pas de vices contre nature, c'est un progrès sur' les polémiques de la période précédente. Un autre défaut fondamental de la lettre réside dans la facon dont elle a été rédigée, par fragments, d'abord en réponse aux cinq ou six feuilles du début, que Descartes a pu se procurer et que, nous 1'avons vu, faute de titre et de préface, il croit, non sans apparence de raison, être de Voet. La publication a été interrompue, paree que celui-ci s'est mis a sa Confraternitas Mariana, qui doit être. prête pour le Synode wallon du 15 avril 1643. Le philosophe le suit sur ce terrain et réfute aussi ce hvre, d'accord avec Desmarets qui y est attaqué, et cela rompt une fois de plus l'unité de sujet. II n'empêche que, tel qu'il est, cet écrit ne laisse pas d'être plein de verve, de vivacité, d'érudition, d'esprit, qu'il est un bon exemple du genre d'éloquence dont Beaumarchais nous donnera plus tard le chef-d'oeuvre, et qu'il y a ü y 558 DESCARTES EN HOLLANDE glaner des idéés générales, exprimées avec une allure agressive a laquelle les grands ouvrages de Descartes ne nous ont pas • accoutumés, mais qui n'en indique que mieux le fond de son tempérament. La préface bu « Argumentum»1 proclame la liberté de Terreur, dont ne résulte aucun péril, car elle permet la rencontre de la vérité, qui en tirera grand profit; mais celle-ci est odieuse ö. ceux dont la doctrine cesserait d'être a 1'honneur, s'ils étaient privés de controverses. II rappelle alors la condamnation de la doctrine nouvelle par le jugement du Sénat de l'Université d'Utrecht, le 17 mars 1642, arrêt dont Voet est le véritable auteur ; 1'intervention tardive de Schoockius, embauché par Voet pour écrire, sous sa dictée, 1'Admiranda Methodus, pleine de nouvelles calomnies si abominables que, cette fois, Descartes se sent obligé de rétorquer, d'autant plus que Voetius a été jusqu'a 1'accuser d'enseigner secrètement 1'athéisme. II demande donc au Magistrat d'Utrecht la punition de ce dernier, qui s'est disquahflé aussi dans 1'affaire de Bois-le-Duc, a propos de la« Confrérie ou Sodalité de la Vierge », sur laquelle nous reviendrons. UEpistola, qui n'a pas moins de deux cent quatre-vingtdeux pages in-12, dans 1'édition princeps, et cent quatrevingt-quatorze pages in-4°, au t. VIII, 2e partie, de 1'édition Adam et Tannery, est divisée en neuf parties, dont la première réfute Tintroduction du livre appelé Philosophia Cartesiana, titre fait pour en assurer la vente et qui constitué, aux yeux de Descartes, une véritable fraude. Voet, qui a quahfié 1'Épitre a Dinet, a laquelle il entend répliquer, de bouffonne et de mensongère, sans d'ailleurs en fournir de preuves, donne tout de suite le ton a la réponse du Philosophe, qui a été traité aussi d'imposteur et de fou. Des extraits du hvre de Voet, permettent de nous rendre mieux compte de la valeur des accusations lancées contre Descartes. Sa philosophie est une philosophie a 1'usage des gens du monde, d'oisifs qui n'ont pas fait d'études et d'hommes politiques2. Elle est d'un rhéteur et d'un escamoteur. Ici le Francais a beau jeu pour répondre qu'il habite la campagne, qu'il fuit la foule, qu'il n'a jamais eu d'élèves, ce qui 1. (Euvres, t. VIII, p. 3 et s. 2. IbH.,'0. 19. EPISTOLA AD VOETIVM (jMAI 1643) 559 n'est vrai qu'au sens strictement scolaire du mot, et que, bien loin de les chercher, il les a, au contraire, évités l. La biographie esquissée par Voet est bien amusante : « Luimême se nomme René des Cartes; sa patrie est la France, astre du ciel européen. S'il faut en croire les titres qu'on lui donne, il est trés noble, ou du moins noble. Je n'envie pas cette prérogative de la naissance, qui peut échoir, par 1'effet du hasard, au plus mauvais et au plus sot »; a quoi 1'intéressé repartit qu'il n'est pas donné a tout le monde, comme a son adversaire, de naitre dans une gargote, des oeuvres d'un goujat, ou de recueilhr les premiers rudiments de la piété et des autres vertus, parmi les courtisanes et les cantinières qui suivent les années. Nous avons déja parlé de 1'accusation d'avoir des enfants naturels et de la spirituelle réponse de Descartes sur ce point 2. Voet passé alors aux qualités intellectuelles qu'il ne lui dénie pas, mais il nous donne en passant un témoignage intéressant de Tadmiration que le philosophe francais inspire a ses disciples hollandais, qui le tiennent pour un Dieu : « Eh! oui, il a du talent, mais n'en avaient-ils pas aussi ces fous furieux qu'on appelle Épicure, Lucien, Mahomet, Machiavel, Vanini, CampaneUa, Socin, le Dr Faust, Corneille Agrippa, Lipman de Mulhouse, etc. ?»Voila notre auteur bien encadré ! II reproche ensuite au disciple de Loyola d'avoir fait la guerre de siège et la guerre navale (!!?) et de s'être jeté dans la philosophie, désespérant d'arriver au grade de Maréchal ou de Général. Descartes conclut en disant que les reproches que lui fait Voetius se ramènent a ceci, qu'il est Francais, de naissance honorable, non dépourvu de talent, célibataire et qu'il a concu une philosophie fondée sur la Mathématique. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour le qualifler d'imposteur, de f ou, de daim, d'insensé, d'hypermenteur et de vendeur de fumée. Que si ces injures lui étaient lancées par une femme ivre ou un cabaretier en colère, il ne ferait qu'en rire, mais comme elles sont écrites et imprimées par un théologien, un pasteur, qui veut passer pour trés religieux, trés pieux et devrait être un exemple de modération, d'indulgence et de gravité, elles sont inexcusables 8. 1. CEuores, X. VIII, p. 20. 2. Cf. plus haut, p. 415 et t. VIII, p. 22. 3. (Euvres, t. VII, pp. 25. 560 DESCARTES EN HOLLANDE S'élevant au-dessus des questions personnelles, Descartes terrnine sa première partie par une définition de la philosophie, telle qu'avec quelques autres, il la concoit et qui n'est que la connaissance des vérités pouvant être percues par la lumière naturelle et servir a des fins humaines, d'oü il suit qu'aucune étude n'est plus honorable, plus digne de l'homme, plus utile dans la vie. Au contraire, la philosophie vulgaire qui s'enseigne dans les écoles et dans les Universités n'est qu'un chaos d'opinions pour la plupart douteuses, comme le montrent les continuelles disputes oü elles sont discutées, et tout a fait inutiles, comme en témoigneune longue expérience. Personne n'a jamais rien pu tirer pour son usage de «la matière première » , des « formes substantielles », des « qualités occultes » et aufres choses semblables. En Religion, il ne faut rien innover; en Philosophie, au contraire, rien de plus louable que d'être novateur. On regrette de ne pas trouver plus souvent dans YEpistola ad Voetium de pareilles envolées. La«pars secunda» nous ramène aux « Actes de Voetius », par lesquels ses vertus nous ont été, dès 1'abord, révélées. Descartes n'a jamais vu son adversaire et il n'avait pas plus d'opinion sur lui que sur ceux qui ne sont pas encore nés, lorsqu'il sut que le théologien 1'avait compris parmi les athées. Alors, il s'enquit et voici ce qu'il apprit : Voetius était trés zélé et trés assidu dans l'accomplissement de sa doublé charge de pasteur et de professeur; il parlait, il enseignait, il disputait plus souvent que ses collègues; le froncement de sourcils, la voix, le geste, tout annoncait la plus grande piété; il paraissait brüler d'un tel zèle pour maintenir la vérité et la pureté de la religion, qu'il blamait, avec rigueur, non pas seulement les plus légers des vices, surtout chez les puissants, mais même les petits travers, qui, pour beaucoup, ne sont pas des vices. Contre tous ceux qui n'étaient pas de son avis, il disputait et déclamait avec véhémence 1. « Cela eüt amené, continue Descartes, a vous considérer cómme un des Prophètes ou des Apótres, si 1'injuste accusation d'athéisme, lancée contre moi, ne m'avait inspiré des doutes », et il se réfugié dans ce dilemme: ou c'est un saint ou c'est un hypocrite. II n'est pas besoin de dire vers laquelle des deux 1. (Euvres, t. VIII, p. 28. EPISTOLA AD VOETIUM (MAI 1643) 561 appréciations, les cïrconstances de 1'affaire Regius ont fait pencher la balance. Les troubles, Descartes soupconne Voetius de les avoir lui-même provoqués, après avoir incité son ennemi a s'y exposer par des soutenances de thèses répétées. II reproche, non sans raison, au théologien d'avoir excédé les pouvoirs du Recteur et d'avoir condamné un collègue sans 1'entendre1. La troisième partie, qui répond aux chapitres i et n de la pseudo Philosophia Cartesiana, affirme d'abord qu'il n'y a pas de mystère dans la philosophie cartésienne, comme 1'a prétendu 1'adversaire. On retrouve ici une objection faite a toutes les doctrines d'art ou de philosophie modernes : elles sont un snobisme et exigent une initiation 2. A quoi Descartes réplique qu'évidemment les Meditationes ne sont pas aceessibles a tous sans préparation. II 1'accuse de mal citer et d'être de ceux qui, selon la parole de 1'apótre, calomnient ce qu'ils ignorent. Pour lui, il ne s'est jamais flatté de savoir toutes les difflcultés des sciences, car autre chose est de construire une méthode et de résoudre toutes les questions. Dans la quatrième partie, l'auteur se moque de 1'érudition de Voetius, qui lit les sottises des athées, des libertins, des eabalistes, des mages, et même une bouffonnerie comme le Cymbalum Mundi de Ronaventure des Périers 8. La seconde catégorie des lectures qu'il pratique est celle des livres de controverses qui lui ont monté la tête au point que, n'eüt-il lu que le quart de ceux qu'il cite, il devait passer sa vie en rixes et en quérelles, et la troisième espèce de livres que le théologien cultive sont les recueils de lieux communs, de commentaires, de résumés, et de sentences de divers auteurs. Cela fait, non un savant 4, mais un érudit, qui n'en impose qu'au vulgaire, séduit par cette facon agressive, ces injures, ces plaisanteries grossières, cette abondance verbale. Mais, a être ainsi gavées d'attaques et de disputes, il ne se peut pas que les femmes en revenant du sermon, n'imitent leur pasteur et ne troublent la maison de leurs quérelles. Au troisième chapitre seulement, réfuté par la cinquième partie, Descartes s'est apercu qu'il avait attaqué Voetius pour 1. CEuores, t. VIII, 2« partie, p. 33. 2. Ibid., p. 35. . 3. II est vrai qu'il Ie cite d'après le P. Mersenne. Cf. Ibid,, p. 42. 4. Ibid. 3S 562 DESCARTES EN HOLLANDE un livre écrit par le professeur Schoockius, mais Voetius n'at-41 pas corrigé les épreuves, le style n'est-il pas sien et aussi la facon d'injurier ? Comment Schoock eüt-il pu s'irriter a ce point de 1'Épitre au P. Dinet, oü il n'est même pas visé ? L'argumentation est convaincante : Schoock n'est qu'un prête-nom. Cependant, dérouté dans son plan par ce changement, Descartes réfutera désormais le hvre en bloc et non plus en détail; mais, comme il n'aime pas a combattre des masques, il revient au principal adversaire sur un terrain oü il ne peut lui échapper, celui de la Confraternitas Mariana. Cette polémique, qui n'est pas du tout un hors-d'oeuvre, puisqu'elle occupe toute la sixième partie et est annoncée dans la préface, est bien une des choses les plus déconcertantes de 1'activité du philosophe en Hollande. Nous allons le voir batailler ici pour un pasteur orthodoxe francais, Samuel Desmarets, contre un pasteur plus orthodoxe hollandais, Gisbert Voetius, sur le sujet de la Confrérie de la Vierge. Ne croyez pas qu'il s'agisse ici d'un plaidoyer pour le libre exercice de la religion cathohque : voici ce dont il retourne. Bois-le-Duc avait été pris par les Hollandais aux Espagnols en 1637, après un siège brillant auquel bien des Francais, comme le duc de Bouillon et son frère, le jeune Turenne, avaient pris part et oü d'autres, d'Hauterive et d'Aigueberre, avaient trouvé la mort. Comme aujourd'hui encore, les Catholiques étaient les plus nombreux a Bois-le-Duc et ceux des hautes classes étaient constitués en une sodalité ou confrérie, ainsi qu'il y en a en Flandre et en Brabant, sous le vocable de la Vierge. Banquets, fêtes, enterrements, de même que chez les Pénitents blancs de notre midi, en constituaient la principale activité. Ces confréries étant un instrument important de domination, le gouverneur hollandais, van Brederode, et treize autres protestants de marqué s'y font admettre. Aussitót que Voetius 1'apprend, notamment par le pasteur C. Lemann, il émet ou fait émettre des thèses, a 1'Univejpité d'Utreqht, dans lesquelles il anathématise les réformés qui sacrifient a l'idolatrie papiste, assistant aux funérailles de leurs frères, avec un drap rouge sur les épaules et portant une médaille ornée de cette inscription : « Comme un lis parmi les épines ». ~* - -"•**• ; • EP1STOLA AD VOETIUM (MAI- 1643) ' 563 Inquiets dans leur conscienee et ainsi gravement soupconnés ■de papisme, plusieurs des nouveaux confrères, comme Bergaigne, de Fresnes, etc, qui appartiennent a 1'Église francaise, se tournent vers leur berger Samuel Desmarets, qui les rassure et prend ouvertement leur défense en un écrit adressé a Voetius et intitulé : « Defensio pietatis et synceritatis Optimatum Sylvae* Ducensium », 1 parue en été 1642. II n'en faut pas plus pour que Voetius prenne feu et décide de foudroyer son adversaire par son Specimen assertionum ou Confraternitas Mariana2, qui •exposera la question au Synode des Églises Wallonnes lequel -doit se rassembler, en avril 1643, a La Haye. C'est pourquoi Voet a suspendu la pubbcation de la Philosophia Cartesiana. Attaqués en même temps par le même ennemi, Desmarets et Descartes s'albent, comme nous 1'avons vu. Le premier sait bien quele second n'aura pas, è 1'égard de Voetius, les ménagements auxquels lui est tenu envers son trés aimé frère en Jésus-Christ. Pour le philosophe, on esf tenté de se demander ce qu'il vient faire dans cette galère ? Est-ce amitié personnelle ? pas encore, ce n'est que plus tard qu'il nommera le professeur de théologie de Groningue son ami; -« 1'un des deux juges m'est amy », 3 dit-il en 1645 et 1648^ •en parlant de Samuel Desmarets. On voit donc, une fois de plus, combien Descartes est éclectique dans ses relations ■et combien toute intolérance est loin de sa pensée. Qu'il y ait collusion entre eux, cela n'est pas douteux. Comment pourrait-il connaitre les articles secrets du Synode Wallon, au moment oü il se tient, et les citer avec exactitude, si ce n'est que Desmarets, qui en est membre, les lui a communiqués pour en faire flèche contre 1'ennemi commun ? Aussi le Synode en concoit-il une vive irritation, formulée -dans 1'article 16 du Synode d'Utrecht (aoüt 1643) * lequel suivit celui de La Haye (avril 1643) : « Sur la proposition des Églises d'Utrecht et de Delft, a Toccasion de deux articles du Synode dernier, cités dans'un livre que le Sr René Descartes a dernièrement fait imprimer, t. Cf. (Euvres de;Beseartes,t. VIII, 2« Dartle. d 73 Sflató* 2. Ibid., p. 6. ,y-'o. u U {V • ' , 3. Ibid.) p. 245. .«!f> '. • 4, Livrei Synodal contenant les articles risolus dans les synodes des Eoltses Wallonnes des Pays-Bas ; La Haye, Nijhoff, 1896,1.1, p. 447. .7*.^..^, 564 DESCARTES EN HOLLANDE la Compagnie se sent grandement offensée de ce qu'on a communiqué a un homme d'autre religion lesdits articles et a déclaré que quiconque 1'a fait est digne de sévère censuré.» Le « quiconque » n'est pas trés difficile a découvrir et il a f ourni a son allié catholique bien autre chose, des arguments, un historique détaillé de la question et diverses armes, dont seul Desmarets pouvait disposer. C'est avec une véritable chaleur que Descartes prend la défense de ce dernier contre « 1'accusateur et 1'insulteur perpétuel, professeur par la grace de Dieu », et qui croit que les Églises Wallonnes ne peuvent subsister sans lui}. Les « deux ou trois pages » en sont devenues soixante, mais 1'exécution de Voetius n'est pas achevée. La septième partie de la réfutation de son pamphlet traite des mérites de Gisbert; on devine ce que cela peut être et il serait fastidieux d'y insister. Descartes y énumère les vertus d'un théologien et en constate naturellement 1'absence chez son ennemi, la charité surtout, et il revient, a cette occasion, sur 1'affaire de Bois-le-Duc. La huitième partie de la curieuse, mais un peu indigeste épitre, est consacrée a la préface de 1'Admiranda Methodus que Descartes n'a vue qu'en dernier lieu et qui porte en tête : «Martinus Schoockius, Philosophiae in Academia Groningo-Qmlandica» 2, dont le style et les habitudes peuvent a peine être distingués de celui du maitre, au point qu'il vaut mieux les considérer tous deux comme auteurs du livre incriminé. Cette préface est d'ailleurs intéressante a lire en ce qu'elle montre 1'attitude des orthodoxes a 1'égard du Discours de la Méthode, taxé par eux de vantardise insupportable et vis-a-vis de* Descartes, accusé de vouloir exercer une véritable dictature a l'Université d'Utrecht, par 1'intermédiaire de Regius3, et même d'acheter des suffrages en faveur de la Philosophie nouvelle. Schoock lui reproche aussi ses migrations, a la facon des Scythes, de West-Frise en Gueldre, de Gueldre en Hollande, en Overyssel ou a Utrecht, ce qui le ferait soupconner a bon droit d'appartenir a la Société des Frères de la Rose-Croix4. Mais il diffère d'eux en ce qu'il recherche la gloire et n'a rien 1 (Euvres t. VIII, 2" partie, p. 85 de YEpistola ad Voelium. 2' L' « Ommeland »est la campagne autour de Groningue et qui avait une représentation a part aux Etats. On aisait aussi Stad en Land. Voir le début de cette préface au t. VIII, p. 137, 2« partie. 4! Abid ', p'. 142, note reprodulsant ce passage de la préface, auquel Descartes ne répond pas. BPISTOLA AD VOETWM (MAI 1643) 565 d'un anachorète, car on dit qu'il fait venir chez lui des Phrynés, qu'il entretient dans les plaisirs et qu'il embrasse de trés prés. Du coup, Descartes deviert le prêtre de la chair et du monde. Cette fois il dédaigne de répondre et préfère s'en prendre aux autres points, notamment a celui d'avoir voulu flatter les Jésuites, dont il serait le valet. La dernière partie enfin traite de la quatrième seGtion de la Philosophia Cartesiana et des mérites de ses auteurs, qui ont accusé Descartes de favoriser secrètement 1'athéisme et qui ont affecté de 1'assimiler a Vanini-1, brülé a Toulouse en 1619. Ceci fait déborder 1'indignation du philosophe francais : « Je respecte, dit-il, tous les théologiens, comme étant les serviteurs de Dieu, même ceux qui sont d'une autre religion que la rojenne, paree que nous adorons tous le même Dieu. »2 Phrase peu connue, mais qu'il convient de mettre en valeur, car elle est bien remarquable pour 1'époque, « mais, continuet-il, si quelque traltre a revêtu 1'habit des ministres du Prince, cela ne doit pas empêcher ceux qui savent qu'il appartient a ses ennemis de le démasquer publiquement. Si quelqu'un se donne pour théologien mais que je le sais menteur insigne et calomniateur et que ses vices sont tels qu'ils constituent, a mon sens, un danger pour la chose publique, ce titre de théologien ne m'empêchera pas de les dévoiler : en grec, le calomniateur s'appelle « diable ». A la fin, c'est vers Schoock qu'il se tourne et vers ses collègues de l'Université de Groningue, pour leur demander justice contre lui8. Descartes frappait è la bonne porte, puisque 1'aflié Desmarets était derrière. « Je sais, dit-il, que les habitants de ces provinces jouissent d'une grande hberté, mais je m'assure que cette hberté consiste dans la sécurité des innocents et non dans 1'impunité des coupables... Je considère cette République comme libre, surtout en ce que tous y sont égaux en droit. » 4 Le crime d'athéisme, s'il est réellement prouvé, ne saurait rester impuni. II y a trois ans déja, parut a La Haye un hvre anonyme si futile qu'en France et en Angleterre on s'étonna que, dans une nation aussi cultivée que celle-ci, d'aussi grossières et inciviles absurdités 1. CEuores, t. VIII, 2e partie, p. 179. 2. Ibid., p. 180. 3. Ibid., p. 187. 4. Ibid., p. 188. « hoe praeclpue nomine hanc Rempublicam liberam püto, quod omncs in ea aequo jure utantur...» 566 DESCARTES EN HOLLANDE pussent paraïtre. Qu'y dira-t-on dans le cas présent, oü, a la, futilité des motifs est jointe 1'atrocité. de vos calomnies, dont, l'auteur principal veut être considéré comme la lumière et 1'ornement, des Églises Belgiques ? &3 Enfin il répond a 1'accusation d'être nn étranger, II y a déjü. fait allusion plus tót, en un passage qui mérite d'être traduit dans une étude sur Descartes en Hollande1 : « Au reste, c'est un fait connu que j'habite ce pays depuis' plusieurs années, au point que personne ne puisse douter que je n'aie pour lui les mêmes sentiments que celui qui y est né. II résulte peut-être même pour moi certaine prérogative du fait que j'y habite non par le hasard de la naissance mais par suite d'un choix. » tófW « Alors que, comme chacun sait, je vivais parfaitement a 1'aise dans ma patrie et qu'aucun motif ne me contraignait a m'étabhr ailleurs, si ce n'est la foule de mes amis et de mes parents, dont je ne pouvais éviter la fréquentation, et le manque de temps et de loisirs a consacrer a mes études préférées..., alors qu'aucune contrée de la terre ne m'était fermée et qu'il n'en était pas qui ne m'eüt accueiih volontiers, j'ai choisi ce pays pour y habiter, de préférence a tout autre. »2 Ce passage est a rapprocher de la péroraison, qui est celle-ci :; « II ne vous servira a rien de me quahfier d'étranger et de papiste. II n'est pas besoin de rappeler qu'en vertu des traités conclus entre mon Roi et les Souverains de ces Provinces, quand même, je serais arrivé d'hier, je jouirais ici des mêmes droits que les indigènes; mais que j'habite ici depuis tant d'années* et que j'y suis si connu des gens de bien que, fussé-je transfuge d'un camp ennemi, je ne pourrais plus y être considéré comme étranger. Et je n'ai pas besoin non plus d'invoquer la hberté de religion qui nous [c'est-a-dire aux catholiques francais] est accordée dans cette république. Je me borne a affirmer que votre hvre contient des mensonges si criminels, des injures si bouffonnes, des calomnies si abominables qu'aucun ennemi n'en pourrait proférer de semblables contre son ennemi, aucun; chrétien contre un infidèle, sans se dénoncer lui-même comme un malhonnête homme et un scélérat. J'ajoute que j'ai toujours rencontré dans cette nation tant de politesse; que j'y ai été 1. CEuores, t. VIII, 2" partie,p. 110. 2. Ibid., pp. 110-111. EPISTOLA AD VOETIUM (MAI 1643) 567 recu avec tant d'amitié par tous ceux avec qui je me suis trouvé en contact et que j'y ai trouvé tant de gens bienveillants, obligeants et si éloignés de votre grossière et importune ücence de tourmenter les gens qui vous sont inconnus, que je ne doute pas que vous ne soyez encore plus odieux a vos compatriotes qu'a des étrangers. « Enfin je connais assez le tempérament dés Hollandais pour savoir que leurs gouvernants imitent le souverain Dieu en ceci qu'ils tardent souvent et hésitent a punir les coupables, mais que, lorsque la hardiesse des méchants a dépassé la limite oü ils jugent une répression nécessaire, ils 1'appbquent sans miséricorde et sans se laisser tromper par de fallacieuses paroles. Et vous qui, en pubbant des bvres, vides de charité et de preuves et rempüs seulement de calomnies, avez déshonoré votre Profession et votre Reügion, prenez garde qu'ils ne jugent que la seule satisfaction qui convienne a celles-ci soit votre chatiment. Adieu ! » CHAPITRE XIX LE PROCÉS DE DESCARTES A UTRECHT ET A GRONINGUE UEpistola ad Voetium eut du retentissement, même a Paris; c'est ce que Descartes voulait, mais les conséquences ne furent pas toutes conformes a ses désirs. Huygens, vieux routier de la politique hollandaise et fin lettré, les prévoit et regrette, au fond, que Descartes se soit laissé aller a cette exécution, tout. en 1'approuvant d'ailleurs. C'est le sens de sa missive du 6 juin 1643 1:« J'ay veü, tout du long des chemins que nous avons faict jusques icy [a Buren] la bonne justice que vous rendez a Voetius et a son ayde de camp [Schoockius]. Ainsi fault il bien appeler vostre escrit, éar ils ont doublement merité le fouet que vous leur donnez. Quelqu'un des plus sensés d'entre MM. les Estats d'Utrecht, qui est ici, m'en jugea de mesme hier et que eest homme (ce sont ses paroles) commencé a puer en leur ville, n'y ayant plus que des femmelettes et quelques imbedlles qui en fassent cas. Cependant, je m'asseure qu'il remuera toute pierre, pour se revancher de ce que vous luy faictes souffrir d'une main si vigoureuse, qui, a tout prendre, ne s'est employee qu'aveq ce qu'il fault de ressentiment, en une trés juste defence contre la plus noire calomnie dont un Gentilhomme Chrestien puisse estre entaché. Vous disputez sagement contre llmpertinence des Predicateurs descrians, sans retenue, les pechés du peuple ou du Magistrat en chaire, mais cela en alarmera beaucoup d'autres aveq Voetius contre vous. » « Un homme estourdi me fit un jour une pl ais ante comparaison, disant que les Théologiens estoyent semblables aux porceaux, qui, quand on en tire un par la queue, tous crient. 1. CEuvres de Descartes, t. III, pp. 677-678. 570 DESCARTES EN HOLLANDE Cela vous arrivera de la part de gens de mesme farine, mais les discrets vous sauront gré, ou de les avoir confirmés en leur opinion ou de les avoir obligés d'une lecon d'importance. » « Quoy qui advienne, M[onsieur], soit icy la fin de ces ordures et ne prodiguez plus vos bonnes heures a respondre aux mauvais en leur folie. Vous avez, comme vous dites, employé tout ce qui est; en vostre pouvoir pour tirer raison de leurs accusations et la posterité le scaura. C'est la satisfaction pleniere que vous vous debviez. » Admirons, en passant, la perfection et 1'élégance du style francais de ce Hollandais cultivé du xvne siècle; il n'y a vraiment pas moyen de le distinguer de celui d'un Francais de naissance, car il en a même le naturel.' « Cela en alarmera beaucoup d'autres avec Voetius », dit Constantin Huygens ; nous le voyóhs par la lettre de Cölvius, qüi accuse Descartes de manquer, lui aussi, de charité envers Voetius \ mais Colvius est pasteur et c'est la corporation qui se sent atteinte : bien a tort, car Descartes a précisé qu'il vénérait tous les serviteurs de Dieu et ne voulait pas s'en prendre au Protestantisme que, remarquons-le, ce cathohque n'a jamais ni nulle; part otivertement attaqué. Le 28 juin 1643 a, Descartes'écrit «d'Egmont op de Hoef»* ou « du Hoef en Egmond » comme il dit, a la princëssé Élisabeth : « Une fascheuse nouvelle que je viens d'aprendre d'Utrech 4, oü le Magistrat me cite, pour verifier ce que j'ay écrit d'un de leurs Ministres, combien que ce soit un homme qui m'a calomnié tres indignement et que ce que j'ay écrit de luy, pour ma juste défense, ne soit que trop notoire a tout le mondej me contraint de finir icy, pour aller consulter les moyens de me tirer, le plutost que je pourray, de ces chicaneries. » Qu'est-il donc arrivé ? Les registres des délibérations du Magistrat d'Utrecht ou « Notulen der Utrechtsche Vroedschap » nous renSeignent suffisamment k ce sujet. Celui-ci s'est ému des attaques portées contre un de ses professeurs et pasteurs 1. (Euvres, t. III, p. 680. 2. Ibid., p. 695. 3. Cf. ibid., p. 696. On disait alors ainsl; aujourd'hui c'est Egmond aan-den Hoef (Noord-Holland). Cf. plus haut, p. 512 n. 5. 4. Les Francais ne pouvaient articuler la finale « kt» et prononf aient ou « Utrek > ou < Utre ». ASSIGNATION DU MAGISTRAT D'UTRECHT (1643) 571 legzplus vénérés et c?est-Descartes. qui a pris soin de les faire, conHaitre en adressant des, exemplaires• de -VEpistola a van Leeutven et a van der Hoolck, pour les remettre aux Bourgmestres. Dès le 5-15 juin (n. s.) 1643, une commission de deux conseillers et.de deux,professeurs, dont Dematius, 1'alter ego de Voetius et son collègue en théologie, .est nommée pour«examineren seeeker boeckgen uytgegeven 4>y D. Descartes tegens D. Voetium ». , y ••' n> u , La commission avait son jugement.fait d'avance et, le 1323 juin, la Vroedschap ou le Magistrat lance Tassignation en hollandais \ dont Descartes parle a la Princesse et dont voici une traduction abrégée : « Le Magistrat de la Ville d'Utrecht, ayant appris qu'il y a peu de temps, a été édité et répandu certain écrit, imprimé en 1643 a Amsterdam, chez Louis Elzevier, intitulé : Epistola Renati Des Cartes, etc, et, un peu auparavant une lettre portant pour suscription : « au R. P.-Dinet », que, dans cette dernière, le nom de certaine Personne occupant des fonctions pubüques dans cette ville, était constamment mis en cause et ses actions, sa vie, ses relations, ses mceurs, ses études, son enseignement décrits de telle sorte que, au jugement des hommes d'entendement et sans parti-pris, qui ont été consultés, une telle personne, répondant a ce portrait, ne serait pas seulement inutile mais nuisible, au premier chef, tant a 1'Université que dans 1'Egüse ; pour ces motifs, prenant la chose a cceur et ayant songé a la. meilleure facon d'arriver a la vérité pour la tranquülité de la ville, le service de 1'Eghse et la prospérité de l'Université et éviter tout trouble, désordre et scandale, nous avons trouvé bon de retenir la cause. » « A cette fin, nous serions d'avis de coirtraindre ledit des Cartes, s'il se tenait dans le ressort de cette ville, a fournir les preuves des affirmations contenues dans ses deux Traités, la personne visée étant entendue... » « Mais, attendu que le dit des Cartes habite en dehors de la juridiction de cette ville et qu'on est incertain du Heu de sa résidence, nous avons trouvé bon de faire publier par celles-ci que ledit des Cartes pourra se présenter dans les trois semaines, muni d'un sauf-conduit, pour que ses preuves soient examinées -1. (Euvret, t. III, p. 696. II y a une traduction au t. IV, p. 646, dont la mienne est indépendante. 572 DESCARTES EN HOLLANDE contradictoirement1... Et pour que le dit des Cartes puisse mieux en avoir connaissance, nous avons fait afficherles Présentes, comme il est de coutume pour les publications de la Ville. « Ainsi publié, au son de la cloche de 1'Hötel de ville d'Utrecht, le 13-23 juin 1643 par moi, C. de Ridder. » Descartes fut aussi alarmé qu'indigné. N'était-ce pas pourtant ce qu'il avait demandé ? et n'était-il pas naturel qu'il füt invité a fournir les preuves ? mais cet appareil judiciaire, les attendus, la citation, le sauf-conduit, le son de cloche, cela affole le malheureux savant descendu des espaces sublunaires. Ah ! s'il avait prévu ces conséquences, « selon son algèbre », il aurait renoncé a quitter la région sereine des idéés claires et distinctes. Pourtant, qui sait ? quand un homme d'étude se mêle a la vie et s'est mis dans la tête de réaliser la raison, la justice et la vérité, il la poursuit inexorablement et implacablement avec une patience et une obstination égales ou supérieures a celle de 1'hömme de loi. C'est le spectacle que va nous donner le grand écrivain pendant les sept années qui vont suivre. De procés en procés, de requête en requête, de lettre en lettre, il ne lachera pas son Voetius ni aucun de ceux qui font chorus avec lui. Ayant recu 1'assignation, le 28 juin, il répond par une lettre au Magistrat d'Utrecht; le temps de la faire traduire et imprimer en hollandais, et il 1'expédie le 6 juilleta. Elle débute trés poliment par des remerciements au Magistrat pour avoir fait droit a ses plaintes, avoir ordonné une enquête sur les faits et gestes de la personne incriminée et 1'avoir appelé lui-même a compléter ses preuves. Toutefois, il s'étonne que le Magistrat n'ordonne pas de poursuites contre 1' Admiranda Methodus, dont il importerait d'établir le véritable auteur et il les demande formellement, II est surpris de ce que Leurs Seigneuries en aient usé comme s'il était un inconnu en ces Provinces et qu'on ait paru ignorer sa résidence. II dénie, avec raison, au Magistrat d'Utrecht toute juridiction sur lui. II se déclare prêt cependant a lui fournir des éclaircissements, mais par écrit. La lettre a été recue, le 11 juillet, avec la traduction francaise, ti Cette phrase est résumée. 2. (Euvres, t. IV, pp. 9 a 12 et traduction, p. 646. ASSIGNATION DU MAGISTRAT D'UTRECHT (1643) 573 malheureusement perdue, intitulée : « Réponse du Gentilhomme René Descartes, seigneur du Perron [les titres font bien dans les démocraties], a la publication de Messieurs du Vroedschap de la Ville d'Utrecht, faite le 13 juin de l'année 1643. »1 Le 7-17 aoüt, on nomme, est-il besoin de le dire, une commission chargée d'interroger Regius, qui tergiverse et demande du temps pour délibérer, et, le 13-27 septembre 1643, le Magistrat oü Vroedschap rend un nouvel arrêt. Les considérants en sont modérés a 1'égard de Regius, visé en passant et accusé de s'être occupé de 1'affaire de René des Cartes, seigneur du Perron et de sa philosophie, plus qu'on eüt pu le désirer; superlaudatifs a 1'égard de Voetius, édifiant dans ses prédjcations, subtil dans ses disputations, détestant et détruisant les opinions athées, libertines et hétérodoxes contraires a la Sainte Écriture, etc. Son innocence a 1'égard des accusations formulées par Descartes est notoire. Ce dernier se plaint a tort d'avoir été offensé. Voetius n'est pas l'auteur de la Philosophia Cartesiana; Descartes a agi a la facon des Jésuites, dont on sait qu'il a été 1'élève et qu'il a toujours grandement révérés et honorés... En conséquence, les deux Epistolae au P. Dinet et a Voetius sont déclarées « libelli famosi », « livres fameux », comme on disait alors, libelles diffamatoires comme on dirait aujourd'hui, et la reproduction, la vente et la di ff usion en soutint erdites dans toute la vüle d'Utrecht 2. Descartes, de son coté, ne reste pas inactif. II est assailli de mille craintes. Peu habitué, malgré son long séjour en Hollande, au particularisme provincial, il appréhende que le noüvei arrêt ne soit exécutoire ailleurs que dans la province d'Utrecht, il craint une saisie, une descente, voire une arrestation, malgré la consultation que lui a envoyée Huygens et malgré son entrevue avec un avocat 3 a la suite du premier arrêt: « Aprés la lettre de femme que vous avez veüe, écrit-il a un correspondant inconnu, en octobre 1643 4, j'en ay encore trouvé icy une d'un homme, et d'un homme qui ne s'épouvante pas aisement, en laquelle il repete la mesme chose et qu'il y a un accord entre les Provinces d'Utrecht et de Holande, que les sentences qui se font la, se 1. CEuvres, t. IV, p. 648. 2. Ibid., p. 650. Textes hollandais, ibid., pp. 20-23. 3.. Probablement a Amsterdam. Cf. Ia lettre datée de cette ville, 10 juillet 1643. 4. (Buvra, t. IV, p. 31. 574 DESCARTES EN HOLLANDE peuvent executer iey. On me dit, de plus, qu'ils ont escrit pour cella a la cour de Holande, de facon que, s'ils y obtiennent ce qu'ils desirent, il pourroit arriver que, sans que j'y pensasse, on viendroit a Hoef saisir mes papiers, qui est tout le bien qu'ils pourroyent saisir, et brusler cette malheureuse philosophie, qui est cause de toute leur aigreur. » A de Wilhem, il mande, le 7 novembre 16431 :«Je ne scay si 1'article de la coustume, sur lequel mon adversaire se fonde, «e peut entendre de ceux qui ne sont point sous leur jurisdiction; car, si cela estoit, il n'y auroit personne en beu du monde, sur lequel ils ne peüssent estendre leur puissance, en faisant faire des livres contre luy, rempbs de toute sorte d'injures et calomnies, puis, s'il ose s'en plaindre, en 1'accusant d'estre luy mesme le calomniateur. De dire auSsy que j'ay escrit contre la Ville 2 ou 1'Academie, c'est chose tres fausse et sans apparence, car j'ay eu partout plus de soin que je ne devois de les espargner. Mais je voy bien qu'il n'est pas question de disputer le droit; il faut seulement que j'aye soin de me garentir de la-violen.ee et de pourvoir a ma seureté; car, pour mon honneur, il me semble qu'ils y pourvoyent eux-mesmes. Je ne voudrois pas que V[oetius] eust pouvoir de me faire arester en quelque mauvaise hostelerie, ny mesme en quelque heu que ce fust, a Gause que, cela estant, je serois obhgé d'entreprendre un procés et c'est a quoy je ne me resoudray que le plus tard qu'il me sera possible. » Descartes, qui est d'une familie de robins, sait trop ce qu'il en coüte de procéder; il préfère éviter la chicane, différant en cela de ses contemporains francais, qui ont toujours quelque affaire sur les bras. « Je ne scay, continue-t-il, et c'est la même inquiétude qui le hante, si, en cete province, il me pourroit faire ainsy arester et si, er ce cas, ce ne seroit pas devant les juges du heu oü je serois ainsy aresté que la cause devroit estre disputéè. Si cela est, je ne croy pas qu'il 1'entreprene; mais si, m'ayant fait arester icy, il pouvoit continuer ses procedures a Utrecht, j'aimerois mieux aller a La Haye, affin que, s'il me veut faire 1. CEuores, t. IV, p. 33. ' 2. Qui 1'avait fait assigner par-FEsco-utèté; dont! 1'avoué avait demandé aux juges ■X Jugement par. défaut- et prise de'corpS ■»; contre Descartes. Cf. lettre du 23 octobre 1643, au t. IV, p. 29. 'i- ; • • ,«*tawi© .•• ARRÊT DU MAGISTRAT D'UTRECHT (23 SEPT. 1643) .575 arester, ce soit plutost la qu'ailleurs. » 1 Aussi y va-t-il souvent « solliciter », suivant 1'usage francais. II récapitule les appuis qu'ü possède : de Wilhem, conseiller, Constantin Huygens, secrétaire des Commandements, Pollot, gentilhomme de la Chambre. II en trouve un nouveau en Graswinkel, auprès du Prince lui-même. Celui-ci se donne la peine d'écrire è ceux d'Utrecht, en octobre, pour étouffer 1'affaire et cela avait, momentanément du moins, comme on 1'assure a Descartes, * calmé toute la tempête ». Mais surtout, dans la détresse, il se souvient qu'il est sujet francais; il a beau nourrir a 1'égard de la Hollande tous les sentiments filiaux, qu'il a un peu exagérés, peut-être, dans son Epistola, il se réfugié sous 1'aile de la mère-patrie et fait appel a ses ministres pour obtenir leur protection. Celle-ci ne lui fit pas défaut. Nous avons perdu la lettre qu'il écrivit a Gaspard Coignet de La Thuülerie et la réponse de ce dernier, mais nous avons celle du dévoué secrétaire de 1'ambassade, Brasset, avec qui il dinait souvent a La Haye, a moins qu'il ne 1'oubliat par distraction 2, et qui est bien intéressante : elle est datée du 10 novembre 1643 3 : ;mff-%. « M. l'Amb[assadeur] travaille a leur faire connoistre que la nostre [notre nation] ne doibt pas estre censée pour estrangere dans leur Estat et qu'ils se font tort d'en vouloir bannir la vertu, qui a voulu y prendre avec vous sa retraite. Souffrez* sans offense, que je vous dye que je ne serois pas mary qu'ils vous eussent obligés (plus civilement neantmoins) a quitter leur pays, paree que le nostre en profitteroit en vous recueillant avec autant de joye que ces gens la ont de peine a vous veoyr avec des yeux qui ne peuvent souffrir la lumière. Je cedde pourtant a vostre interest et, quand il s'agira, soit de vostre inclination ou de vostre honneur, je ne suivray pas moins 1'une que je seray tousjours prest a seconder 1'autre... » Cela, ce sont les sentiments ; pour les actes, le fidéle secrétaire rentre dans une prudence trés diplomatique : « Tant y a M[onsieur] que, soubz 1'adveu de M. l'Amb[assadeur], qui prend un 1. (Euvres, t. IV, p. 34. > 2. Cf. lettre de Brasset a Chanut, 23 mars 1647 ((Euvres de Descartes, t. IV, p. 701) : < Je vous baise trés humblement les mains. M. Des Cartes, qui est icy, faict le mesme. Nous aurions hier'beu ceans a vostre santé, s'il n'eust oublié' de disner. C'est un deffault qui seroit condamnable en tout autre qu'en luy. » 3. (Euvres, t. IV, p. 653. Ê St r^* 576 DESCARTES EN HOLLANDE singulier plaisir d'estre a tout, quand il y va de vostre faict, j'ay parlé tant a S. A. qu'a tous ceux qui representent icy la souveraineté d'Utrecht. Ils m'ont promjs, unanimement et de bonne grace, de travailler a un juste et stable temperament Je voudrois bien pouvoir user d'un terme qui signifiast quelque chose plus a vostre goust. Mais quoy ? L'on dict aussy librement icy pour vostre partie principale : « Noli tangere Christbs meos », que s'il estoit un evesque sacré. Voyons donc ce que nous en pouvons tirer avec cordes de soye et croyez que jamais Vous n'en aurez tant de satisfaction comme vous en souhaitte, etc. » Ce n'est pas tout a fait ce que veut Descartes. Comme il 1'écrivait a Pollot, le 23 octobre 1643 \ pas d' « expediens pour faire que la cause ne se termine point par Sentence ». «Pour moy, dit-il, de 1'humeur que je suis, j'aimerois mieux qu'ils me condamnassent et qu'ils fissent tout le pis qu'ils pourroient, pourveü que je ne fusse pas entre leurs mains, que non pas que la chose demeurast indecise. » « S'il [c'est-a-dire van der Hoolck] veut seulement tascher d'assoupir les choses, affin qu'on n'en parle plus, c'est ce que je ne desire en facon du monde, et plutost que de m'attendre a cella, je me propose d'aller demeurer a la Haye, pour y soliciter et demander justice, jusques a ce qu'elle m'ayt esté rendue ou refusée. » II est loin de compte. Si ces MM. des Etats de la Province d'Utrecht, qui ont pris langue a La Haye, leur président en particulier, sont pour Descartes, les « Bourgmaistres et Eschevins », 2 avec une obstination toute hollandaise, sont d'autant plus contre lui. Ils menacent de saisir une rente que Descartes a dans la province. Quant a l'Université, Voetius et Aristote y sont les maitres, plus que jamais, depuis que les nouveaux Statuts du 6-16 septembre 1643 ont décrété 3 que : « Les Philosophes ne s'écarteront pas de la philosophie d'Aristote, ni dans leurs lecons publiques, ni dans leurs cours privés; les partisans des paradoxes absurdes et des nouveaux dogmes qui s'écartent de la doctrine d'Aristote ne seront pas tolérés. » 1. CEuores, t. IV, p. 28. 2. CEuores, t. IV, p. 53. Cf. Lettre de Descartes, 30 novembre. 3. Ibid., p. 53. PLAINTE CONTRE SCHOOCKIUS (22 JANVIER 1644) 577 L'attitude flottante de Regius, sa résignation a la tyTannie de 1'adversaire ne laissent plus aucun espoir du cóté de l'Université d'Utrecht. Descartes se tourne alors vers celle de Groningue, oü il compte un adversaire, Schooclrius, qui, cette année-la, en est recteur, et deux amis, Samuel Desmarets et Tobie Andreae \ un Francais et un Allemand. N'ayant pu obtenir des États et de l'Université d'Utrecht raison contre Voetius, il tachera d'être plus heureux auprès des Etats et de l'Université de Groningue contre Schoockius. II s'en explique a cceur ouvert le 8 janvier 1644 2, a son ami Pollot : « Au reste ü m'importe extremement de demander justice a Groningue, car on m'assure que Schoock a desja dit que, s'il estoit attaqué par moy, il declareroit librement ce qui estoit de luy et ce qui estoit de V[oetius], que la pref ace, qui est le pire de tout, n'est nullement de luy et que le Magistrat dit avoir veü des lettres qu'il avoit escrites a V[oetius] oü il mandoit qu'il prevoyoit bien que ce Hvre ne luy tourneroit pas a honneur et qu'il n'entreprenoit de 1'escrire que pour 1'amour de luy et qu'ü s'appuyoit sur son authorité. Ainsy peut-estre qu'on découvrira diverses choses par son moyen. Et si je puis avoir sa deposition, je ne doute point que je n'obtienne aussy justice a Utrecht Je remercieray cy aprés M. Brasset de ce qu'ü a fait pour moy et de ce qu'il a disposé aussy M. Aldringa a escrire » et le 15 » : « Je seray bien aise qu'on sache que mon intention n'est pas de faire aucun mal a Schoock, mais seulement de me dehvrer des persecutions d'Utrecht, de la continuation desqueües je suis encore tous les jours menassé, de la part des Voetius, et je ne voy point d'autre moyen pour les faire cesser qu'en' contraignant Schoock a dire la verité ou bien a estre condamné. » Aussi Descartes se hate-t-U de rédiger en latin, le 22 janvier 1644, ses trois requêtes : aux États de Groningue, oü U s'est assuré 1'appui d'Aldringa, a l'Université et enfin è 1. Né aBraunfels, le 19 aoüt 1609, mort a Gronineue le 17 nrtnw i«-?c * seur d'histoire et de Grec a 1'Université de cettè"viUe depuis if ?7 févner'S 1, «onvertit au Cartesiamsme, son ancien condiscinle do RrArt,» t„V 7^ Flbd0-11 fesseur a Herborn. n défend, après la mort"de Descarte? lllhnta/i?™^ pro" quodam (Amsterdam, 1648), 'de celui-ci contre Regiusf devenulportat ETST"6 tésienne et contre Jac Revius, cf. Effigies et vitae ProlesY E„ r ? ° Car" rÏÏSÏïSF*deC- ?fwS dans w«iEZ wbdrotTgcoi' t W ^' 7«f ■ dnAndre Desca^fs dans la !rttre du 8 juin 1644f'\(Euurel' mon 'coste \ ° ^ mande &USSy qu " * en a ™ a Groningue qui ^ut eftre de 2. CEuores, t. IV, p. 77. 3. Ibid., p. 81. 37 57» descartes en hollande La Thuülerie. Elles sont toutes a peu prés de la même teneur et, comme elles relatent des faits connus, il n'est pas nécessaire d'en parler, si ce n'est, qu'il faut mentionner la fin de celle qui est adressée a ce dernier, paree qu'elle a un caractère personnel. Le philosophe s'excuse de troubler, pour ses minces . quérelles, le diplomate habitué a traiter des plus graves affaires, mais, sa cause étant devenue pubhque, «1'honneur de la France est en jeu. II ne faut pas qu'après un séjour de 15 ans en Hollande, pendant lequel il y a vécu en pleine confiance de jouir de droits égaux a ceux des indigènes, on abuse de sa quahté d'étranger pour 1'abreuver impunément des plus horribles calomnies. »1 La lettre personnelle dont 1'Ambassadeur de France accompagne la requête du Philosophe aux États de Groningue mérite d'être eitée en entier 2 : « Messieurs, « La vertu de Mons' des Cartes est si cognue qu'il est inutile de vous en parler et il semble qu'il doit estre si cher a ces Provinces de posseder seules ün personnage de son merite, que ce que j'en pourttas dire est au dessous de ce que vous en cognoissez. Aprés cela, Mess*8-, vous ne vous'estonnerez pas que je le protégé et vous demande pour luy justice du tort qui luy est fait. Sa naissance et ma charge m'y obligent et ses pretentions, telles que vous les verrez dans la requeste qu'il m'a presentée, me forcent a vous prier qu'il luy soit fait raison. Vous le devez, puisqu'il 1'a toute entière et que le publiq a interest de tenir son esprit libre, affin qu'avec moins d'inquietude, il puisse travailler pour luy. i Je vous prie donc d'apporter pour son soulagement tout ce qu'il vous sera possible et que cette equité, avec laquelle vous satisfaites ceux qui se plaignent, vous serve de regie pour donner du contentement a celuy cy. « Croyez, Mess", qu'oü je pourray, en revanche, vous en temoigner gratitude, je le feray aussi volontiers que de bon cceur et avec verité, je vous assure d'estre etc. La Thuillerie. » 1. CEuvres, t. iv, p. 95. « Ad honorem Galliae, patriae meae », dit le texte original. 2. Ibid., p. 96. CHAPITRE XX VOYAGE A PARIS (1644). RETOUR A EGMOND Le procés n'eut pas de conclusion mimédiate et le jugement fnt fetardé d'un an par le départ de Descartes, qui n'était plu» Ia pour presser une solution. II y avait, en 1644, quinze ans qu'il n'avait pas revu la France et cela devait lui sembler bien long. Aussi songe-t-il a ee voyage depuis 1640 déja, et ce sont toujours, Soit les Méditations, soit les Principes, 'soit les affaires d'Utrecht qui le détöurnent de son projet. Ses amis hollandais aussi se méttènt a la traverse, car ils craignent de le voir partir pour tout de bon. Comme ils tremblaient pour Saumaise, ils appréhendent pour Descartes, Hnygens surtout, qui lui écrivait déja le 14 aoüt 1640 1 : « En me nommant le dessein de ce voyage, il m'a semblé d'un coup de tonnerre qui me frappoit et vous dis franchement, bien que ce me soit praevisum telum, qu'il me touche par trop vivement. » II craint que ce ne soient les vantardises stupides de Stam* pioen qui ne soient causes de cet éloignement, au deux sens du mot : « Ce que je pense y avoir preveü est le desplaisir que ce sot garcon vous aura donné, comme souvent dê mauvais objects particuhers sont capables de donner un desgoust universel de quelque païs... Si ma conjecture est faulse, au moins ranimez-nous de cette asseurance, que vous n'avez rien veü de si hideux en ma Patrie, qui vous la puisse faire abhorrer pour tousjours et scachons quel terme d'exil passif vóus nous donnez.» «Exil passif» est curieux et donne la mesure de 1'amitié de Huygens, dont la sincérité s'afflrme encore dans la fin : « Car veritablement et sans couleur[s] de cour, qui sont indignes de vostre 1. (Euvres, t. III, p. 152. 580 DESCARTES EN HOLLANDE entretien, vous ne lairrez personne icy, qui se ressente plus de vostre absence ni qui regrette plus vivement de n'avoir jamais eu moyen de vous tesmoigner d'efïect, comme il est d'entiere affection, Monsieur, vostre, etc. » Descartes le rassure, en lui écrivant qu'il n'est pas de ces bêtes sauvages dont parle Justinien qui n'ont pas 1'esprit du retour et qu'il ne se propose qu' « une course de quatre ou cinq mois ». II le rassure aussi sur le dégout que certaine personne aurait pu lui donner de la Hollande : « Je ne suis pas, graces a Dieu, d'humeur si déraisonnable... Je scay tres-bien que les plus beaux corps ont toujours une partie qui est sale, mais il me suffit de ne la point voir ou d'en tirer sujet de raillerie, si elle se montre a moy par mégarde et je n'ay jamais esté si dégoüté que d'aimer ou estimer moins, pour cela, ce qui m' avoit semblé beau ou bon auparavant. »1 Les craintes de Constantin Huygens étaient vaines : ce n'est qu'en 1644 que Descartes songe de nouveau sérieusement au voyage, pour diverses raisons, oü les affaires de familie et d'amitié avaient part, aussi bien que les préoccupatións de la science et ie désir de prendre un bain de Paris pour se laver des « brouilleries d'Utrecht». 2 « Je suis résolu, écrit-il le ler avril 1644 8 a 1'abbé Picot, d'aller voir cét Été a Paris ce qu'on y fait et si j'y trouve. 1'air assez bon pour y pouvoir demeurer sans incommodité, je seray ravy d'y jouir de vótre conversation, que je n'espére plus en ces quartiers. » II avait en effet invité en Hollande 1'abbé Picot dont il désirait la visite, mais il eut celle de Villebressieu, qu'il ne désirait point. Pourtant, ce projet de voyage ne va pas sans appréhension. S'il échappe a la tyrannie de l'Université et du Magistrat d'Utrecht, n'ira-t-il pas tomber dans celle de la Sorbonne et des Jésuites qui, en ce moment précis, persécutent le grand Arnauld ? II n'aimerait pas être, comme ce dernier, condamné par eux a un voyage a Rome 4 et n'y a-t-il pas imprudence è quitter Egmond du Hoef, qui est, au philosophe, son petit PortRoyal-des-Champs ? 1. CEuores, t. III, p. 159. 2. Expression empruntée a une lettre de Descartes au t. IV, p. IA. 3. CEuores, t. IV, p. 103. . „ , ... „ 4 Le traité De la fréquente communion est du mois d'aout 1643. Pour Ie détail de faits, voir CEuores de Descartes, t. IV, p. 104, éclairclssemenL DISCUSSION AVEC SORBIÈRE 581 Aussi Descartes marque-t-il a 1'abbé Picot, dans la même lettre 1 : « La disgrace de M. Arnaud me touche davantage que les mi en nes, car je le conté au nombre de ceux qui me veulent du bien et je crains, au contraire, que ses ennemis ne soient aussi, pour la plupart, les miens. Toutesfois, je ne scay point encore le sujet de mécontenteinent qu'il peut leur avoir donné et je me console sur ce que mes écrits ne touchent, ny de prés ny de loin, la Théologie et que je ne crois pas qu'ils y puissent trouver aucun prétexte pour me blamer. » Mais le bail de la maison d'«Egmond op de Hoef » finit le ler mai 1644 2 et le ler mai est encore aujourd'hui, en Hollande, avecle ler novembre, leterme delocation. II prend congé de son ami van Surck, a Bergen, a qui il confie le soin de distribuer les hommages d'auteur des Principia et se rend a Leyde pour y régler ses affaires, dire adieu a Hogelande et être a proximité de La Haye, oü 1'inévitable Sorbière se jette sur lui pour 1'exciter contre Gassend, envenimer la discussion des deux philosophes et faire rejailhr sur sa bruyante et papillotante personne quelques étincelles de leurs gloires entrechoquées. Sorbière écrit, de La Haye, a Gassend, en latin, le 10 mai suivant 3: « Descartes est venu ici, dans 1'intention de s'en aller en France, dès que la partie de sa Physiologie qui traite des choses inanimées aura paru ; aussitót votre lettre recue, je n'ai pas hésité a 1'aborder. » S'engage alors une discussion assez vive sur le vide, a la fin de laquelle 1'interpellé estime que les Méditations n'ont rien perdu de leur poids. Sorbière s'irrite de cette vanité qu'il avait assez durement qualifiée naguère 4 : « Comme je ne pouvois m'empescher, mande-t-il a M. Petit, de comparer M. Descartes aM. Gassendi, que j'avois laissé a Paris, je desiray en luy la simplicité, la modération, 1'ordre et la facilité que ce dernier avoit a communiquer ses pensées aux personnes qui estoient curieuses de les entendre. Je craignis d'abord que ce Philosophe n'eust pensé trop subtilement et je me defiay du succés de ses speculations, de mesme que de son detachement de 1'ambition, lors que je vis qu'il avoit de la peine a m'instruire sur le champ des choses qu'il avoit meditées, 1. (Euvres, t. IV, pp. 103-104. 2. Ibid., p. 108. 3. Ibid., p. 109. 4. Ibid., pp. 58-59, d'après Sorbière, Leitres et Discours, 1660, in-4°, pp.684-685. 582 DESCARTES EN HOLLANDE et lors qu'il me fit mystere de ce dont il devoit estre bien aise de conferer avec une personne docile et non preoccupée.» « Mon sujet de crainte s'augmenta, lors qu'en la suite du discours, il me fit paroistre de l'aigreur contre M. Gassendi, le meilleur de tous les hommes, traictant avec beaucoup de mespris ses objections contre sa Métaphysique et se moe quant des instances qu'il n'avoit pas encore pubhées : « Qu'il ne les cache point, me dit-il, ou qu'il ne les face pas courir d Paris seulement, entre les mains de mes adversaires, mais qu'il les laisse paroistre en public et je verray si elles sont dignes que j'y responde. » « Le ton de voix dont il usa et le corps de ce discours me firent comprendre que M. Descartes philosophoit avec un peu d'ambition et a dessein d'acquerir de la renommée ou mesme de se rendre chef de secte, comme il n'a pas fait difficulté de 1'avouer en divers endroits de ses ouvrages. Je vous advoue que cela me depleüt et que j'eusse bien desiré qu'il n'eust philosophé que pour philosopher, pour le seul interest de la Vérité, pour sa propre satisfaction et avec une entière indifference pour la reputation et pour le nom qui s'acquiert dans les Academies. » Pavet, qui tient pour Gassend, nous confirme cette attitude dédaigneuse de Descartes a 1'égard de celui-ci en communiquant au P. Mersenne, le 28 mars 1644 1:«Je suis avec vous que Mons. Gassend est un vaillant combatant, et je trouve son Apologie claire et bien suivie. Cependant, j'apprens que Mons. des Cartes en faict un grand mespris et dit que, pour toute response, en faisant imprimer ses Meditations, il en ostera tout ce qui est de Mons. Gassend et mettra au tittre, rejeetis objeetionibus inutilibus. J'estimay qu'il le devoit traicter plus respectueusement. » II y a encore ceci de vrai dans le récit de Sorbière, que Descartes attend pour partir la fin de 1'impression de la quatrième partie des ses Principia, achevée en janvier 1644, d'abord en francais puis en latin 2. II confié ses intéréts a Groningue au professeur Tobie d'André, son partisan.8 Puis, 1'imprimeur n'en finissant pas 4 avec les Principia auxquels il joindra les Speci- 1. (Euvres, t. IV, p. 110. 2. Ibid., p. 73. 3. Ibid., p. 123, et plus haut, ici même, p. 577 n. 1. 4. I.'achevé d'imprimer est du 10 juillet 1644. SÉJOUR A PARIS ET EN BRETAGNE (ÉTÉ 1644) 583 mina ou traduction latine du Discours de la Méthode et des Essais, f aite par le théologien protestant francais de Courcelles, réfugié a Amsterdam 1, il va prendre congé de Jean de Bever■wyck, dit Beverovicius, a Dordrecht, oü ce dender pratique comme médecin. S'étant embarqué en Zélande, Descartes arrivé a la fin de juin a Paris, oü il descend chez 1'abbé Picot, rue des Écouffes, entre la rue du Roy-de-Sicile et la rue des Francs-Bourgeois. II fréquenta aussi chez Mydorge, au Palais des Tournelles, et naturellement chez les Minimes, prés la place Royale, dans la celluie ou au parloir du P. Mersenne. Ces üeux deviennent le rendez-vous de tout ce que Paris contenait de beaux esprits méritant ce titre, c'est-a-dire plus attachés a ravir ses secrets a la nature qu'a respirer le bel air des ruelles ü 1'hótel de Rambouillet. Descartes avait quitté la gr and'ville en 1628, gentilhomme presque inconnu, si ce n'est de quelques personnes comme Mersenne, Balzac ou Mydorge, qui, dans ses yeux gris, avaient deviné 1'infini, dont les mystères s'y reflétaient déja, mais aujourd'hui il était l'auteur connu, honoré et fêté du Discours de la Méthode, des Meditationes et bientöt des Principia. Cependant il y a trop de latin la-dedans aux yeux des gens du monde qui, comme Conrart, par honeur du pédantisme, affectent de ne le point savoir, ou 1'ignorent effectivement. Aussi tót, 1'abbé Picot, encore un bon commis-voyageur en lettres, comme Mersenne en était un pour les sciences, de songer a traduire les Principia, ainsi que le duc de Luynes, oui, le duc de Luynes lui-même, se met a traduire les Meditationes, pour charmer et orner ses loisirs de grand seigneur. Mais a Paris, que Descartes a ainsi conquis du dehors, la gloire n'est rien aux yeux du monde, sans la fortune qui parfois ,1a suit. II faut que la munificence royale pare cette tête de quelques rayons dorés. Des officieux, bien en cour, s'y emploieat, mais mieux eussent valu des courbettes au grand ou au petit lever. Au reste, dans ce pal ais-la, non plus qu'au Palais Cardinal, on n'aimait trop ces exilés volontaires de Hollande qui leur dérobaient des parcelles de cette majesté impérissable que 1. Cf. CEuores de Descartes, t. IV, p. 125. C'est la traduction latine bien connue et souvent invoquée, paree que Descartes 1'a lui-même revue. Cf. 1'intéressante préface des Specimina. 584 DESCARTES EN HOLLANDE confèrent les lettres et les sciences a la majesté périssable, qui daigne les protéger. Descartes n'était pas assez servile, il n'eut pas sa « pension ».1 Peut-être n'y tenait-il guère, préférant sa liberté. Ce séjour de Paris fut interrompu par un voyage auprès des siens, en Bretagne, lequel dura du 12 au 29 juillet 1644 2. II avait vu, en passant a Blois, M. de Beaune, le conseiller-géomètre. La magistrature, nous le savons par 1'exemple de Fermat, menait souvent a la mathématique : les procés et les audiences donnent tant de loisirs! Surtout, il avait réglé ses affaires de familie avec son ainé Descartes de la Bretallière, qui ne 1'aimait point, Bogier du Crevis, veuf de leur sceur Jeanne, et M. de Chavagnes, un frère du second lit. II repassera encore en Bretagne avant la mi-aoüt, pour y signer quelques contrats de partage avec ses frères, et séjournera successivement a Kerleau, a Chavagnes, au Crevis, a Nantes. Ce n'est guère qu'a la mi-octobre qu'on le reverra dans la capitale : ses amis voudraient 1'y retenir, mais il n'y passa qu'une dizaine de jours, assez pour rendre visite au chanceher Séguier, l'homme des Privilèges d'impression, au duc de Luynes, a 1'avocat Clerselier et a Chanut, qui avait épousé la sceur de ce dernier et jouera un si grand róle vers la fin de la vie de Descartes. Celui-ci se méfie de Paris, sans être insensible a ses séductions, au charme des conversations brillantes et fécondes, oü les esprits s'aimantent, s'aiguisent, s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes par une émulation perpétuelle, en faisant assaut d'esprit et parfois de génie, mais pourquoi a leur cohorte, se mêle-t-il tant de faux-monnayeurs de 1'inteUigence, dont le bourdonnement vient troubler la méditation du penseur ? C'est a peu prés ce que Descartes écrira a Chanut, le 30 mars 1646 3, en une minute oü 1'a pris, dans son Egmond, la nostalgie du glorieux Paris : « Je me plains de ce que le monde est trop grand, a raison du peu d'honnestes gens qui s'y trouvent; je voudrois qu'ils fussent tous assemblez en une ville, et alors je serois bien aise de quitter mon hermitage pour aller vivre avec eux, s'ils me 1. C'est le moment aussi oü, par lettre patente du 3 septembre 1644, enregistrée, le 25, Saumaise faillit en avoir une de six mille livres. Cf. (Euvres, de Descartes, t. IV, p. 145 et plus haut, ici même, livre II, p. 328. 2. (Euvres, t. IV, pp. 129 et 130. 3. Ibid., t. IV, p. 378. UN AUTOGRAPHE INÉDIT (10 NOVEMBRE 1644) 585 vouloient recevoir en leur compagnie. Car, encore que je fuie la multitude, a cause de la quantité des impertinens et des importuns qu'on y rencontre, je ne laisse pas de penser que le plus grand bien de la vie est de jouir de la conversation des personnes qu'on estime. Je ne scay si vous en trouvez beaucoup aux beux oü vous estes, qui soient dignes de la vostre; mais, pour ce que j'ay quelquefois envie de retourner d Paris, je me plains quasi de ce que Messieurs les Ministres vous ont donné un employ qui vous en éloigne et je vous assure que, si vous y estiez, vous seriez 1'un des principaux sujets qui me pourroient obliger d'y aller. » A Calais, au moment de s'embarquer, au début de novembre, il est retenu par des vents contraires. II y est encore, le 10, et je suis en mesure de le prouver par un petit autographe inédit qu'il traca dans 1''Album amicorum de Montigny de Glarges, resident des États, nous dirions aujourd'hui consul, dans ce port. Nous reproduisons ces hgnes en fac-similé (cf. pl. XXXVIII b). Descartes ne s'est pas mis en frais d'imagination, il s'est borné a transcrire sa devise latine:« Dure mort que celle de l'homme qui s'éteint, connu de tous, inconnu de lui-même }, « Ceci fut écrit en témoignage d'amitié et de respect, le 10 novembre 1644. [s] R. Descartes. » Enfin rentré en Hollande, le 15, après une absence de prés de cinq mois, Descartes n'a rien de plus pressé que de regagner son Egmond, non « le Hoef » cette fois, mais Egmond-binnen, qu'il ne quittera que pour abandonner définitivement le pays. Plus que jamais, il a besoin de calme : « Depuis mon voyage de France, écrit-il a Pollot, le 18 mai 1645 2, je suis devenu plus vieux de vingt ans que je n'estois l'année passée, en sorte que ce m'est maintenant un plus grand voyage d'aller d'icy a La Haye que ce n'eust esté auparavant d'aller jusques a Rome. Ce n'est pourtant que j'aye aucune indisposition, graces a 1. Cf. la lettre & Chanut du lcr novembre 1646 ((Euvres de Descartes, t. IV, p. 537) : < ayant pris pour ma devise : < Illi mors gravis incubat Qui, notus nimis omnibus, Ignotus moritur sibi. » (Sénèque le Tragique, Thyeste, v. 400). 2. (Euvres, t. IV, p. 205. 586 DESCARTES EN HOLLANDE Dieu, mais je me sens plus foible et pense avoir davantage besoin de rechercher mes commodités et mon repos. » A Egmond, il est a proximité de «Antoine Studler van Zureck, seigneur de Berghen en Kennemerlandt » \ pas trop pres pour que le voisinage fut importun, mais assez, cependant, pour qu'il püt 1'aller trouver commodément a quelque trois üeues, en son chateau, tapi dans les épais fourrés et les hautes futaies, abrité du vent par les dunes, entouré de fossés, dont 1'eau dormante est couverte de mousse verte ou pourpre. Cet homme riche est son prêteur et son banquier, car le Hollandais, qui aime 1'argent et passé sa vie a en gagner, est généreux envers ses amis comme envers les pauvres. La joie de van Surck, celle de van Hogelande, de Regius, au retour de Descartes, est touchante. Van Surck et Regius étaient chez de Haestrecht, a Utrecht, quand Corneille van Hogelande vient, le 17 novembre, leur apprendre la bonne nouvelle. Aussitót, ils lui écrivent une lettre collective pour lui dire leur bonheur de recouvrer celui qu'ils appelaient « la lumière éclatante de leur païs ». Les Hollandais sont bons amis et sincères. C'est pour s'adonner librement a 1'étude de la nature, en contact étroit, en communion presque avec elle, que Descartes se réfugié a Egmond, a proximité de la mer, du sable et du ciel, loin d'Amsterdam oü deux rangées de pignons dentelés, se menacant, de leurs potences biscornues, en travers de la rue, restreignent par trop les espaces stellaires. Un professeur d'Utrecht, Henri Bornius, écrit en latin a Gassend, dont il est disciple, et non sans quel que ironie, le 26 juin 16452: « Descartes s'est maintenant installé prés d'Alcmar; de nuit, de jour, sans relache -interrogeant la Nature, il s'attaché a rendre compte du caractère des animaux et des végétaux. II se promet d'expliquer par ses Principes tout ce qu'il a observé dans son Monde, de telle sorte que tout le bataillon des philosophes apercoive dans quelles ténêbres Aristote et sa séquelle ont plongé la nature des choses. » A un gentilhomme qui vient le visiter dans sa ferme-chateau d'Egmond-binnen et qui lui demande de lui montrer les hvres de physique dont il faisait sa plus ordinaire lecture : « Je vous les monstreray, luy respondit il, s'il vous plaist de me suivre t. Cf. (Euvres de Descartes, L IV, p. 149. 2. Ibid., p. 238. SON EXISTENCE A EGMOND-BINNEN (1645) 587 et, le menant dans une basse court, sur le derrière de son logis, il luy monstra un veau, è la dissectiën duquel il dit qu'il se devoit occuper le lendemain. » 1 Ce qui lui manque, dans son entourage rustique de paysans en veste courte, pantalon large et sabots blancs, il le faisait venir de la coquette petite ville voisine d' Alkmaar, par laquelle lui parvient aussi son courrier, comme en témoigne 1'envoi d'Egmond-binnen, 17 avril 1646, et qui porte le postscriptum que voici : « On adresse les lettres qu'on prend la peine de m'escrire : aen Mr Adam Spücker Meester int Weeshuys tot Alckmaer. »a C'est donc que le directeur de 1'orphelinat d'Alkmaar est en relations suivies avec lui. Baillet nous donne, d'après une lettre a 1'abbé Picot datée d'Egmond, 26 avril 1647, quelques détails sur 1'existence que le philosophe y mène 8. II (M. Descartes) « travailloit beaucoup et long-tems, non seulement avant le disner, mais encore, principalement, depuis quatre heures aprés midy, fort avant dans la nuit, et les moindres occupations le mettoient toujours dans une application trésprofonde. Mais, dans les deux ou trois derniéres années de sa vie, il parut un peu plus rebuté du travail de la plume, quoy que son esprit demeurat toüjours le même pour la méditation et pour 1'art de rêver. II donnoit volontiers le tems d'après son diner [c'est-a-dire le début de raprès-midi] a la conversation de ses amis, è la culture des plantos de son jardin, ou a la promenade. II aimoit assez les exercices du corps et les prenoit souvent dans le tems de sa récréation. II montoit volontiers a cheval, lors même qu'il pouvoit aller en gondole par les canaux; mais sa vie sédentaire le des-accoütuma tellement de cette sorte de fatigue que, depuis 1'an 1645, il ne pouvoit plus supporter d'autre voiture que celle du carrosse et du bateau. » Ceci correspond assez a ce qu'écrivait Descartes lui-même, d'une facon un peu plus abstraite, d'Egmond op de Hoef, a la 1. D'après Sorbière, Lettres, p. 690, cité aut. III des CEuvres de Descartes, p. 353, 2. CEuvres, t. IV, p. 390. 3. Ibid., p. 640. 588 DESCARTES EN HOLLANDE princesse Élisabeth, le 28 janvier 1643 1 : « La principale regie que j'ay tousjours observée en mes études, et celle que je croy m'avoir le plus servy pour acquerir quelque connoissance, a esté que je n'ay jamais employé que fort peu d'heures, par jour, aux pensées qui occupent l'imagination, et fort peu d'heures, par an, a celles qui occupent 1'entendement seul et que j'ay donné tout le reste de mon temps au relasche des sens et au repos de 1'esprit : mesme, je conté, entre les exercices de l'imagination, toutes les conversations serieuses et tout ce a quoy il faut avoir de 1'attention. C'est ce qui m'a fait retirer aux champs, car, encore que, dans la ville la plus occupée du monde, je pourrois avoir autant d'heures a moy que j'en employé maintenant a 1'étude, je ne pourrois pas toutesfois les y employer si utilement, lors que mon esprit seroit lassé par 1'attention que requert le tracas de la vie. » Comme domestiques, il n'avait guère que des Francais ou des Flamands. II prétendait que ceux-ci étaient incommodes en voyageant et que les Francais se gataient vite en Hollande. II les traitait avec indulgence et douceur et se les « assujetissoit par amour », mais il n'était pas trop assuré de leur fidéhté. « Afin de n'être jamais trompé en matiére de serviteurs et de servantes, disait-il a 1'abbé Picot, qui était mal satisfait de Louise, la cuisinière, il faut faire son conté qu'il n'y er a point qui ne puissent être infidelles, lors qu'ils en ont occasion et ne leur en donner jamais de grande, c'est-a-dire qu'il faut prendre soy-même le soin de ses affaires et être un peu diligent, malgré qu'on er ait. »2 Tout en proférant cette boutade, il lui recommandait « la fidélité de Macon, son valet, qui alloit de Hollande a Paris pour le service, et a qui il avoit confié son chien, appellé Monsieur Gr at, avec une petite chienne pour en donner de la race a cét abbé.» 8 Ainsi, comme on voit volontiers Boileau recevant La Fontaine dans son jardin d'Auteuil, faut-il imaginer Descartes cultivant son jardin d'Egmond, en compagnie de son fidéle Macon, tandis que Monsieur Grat, son chien, leur aboie aux chausses. Parfois, passé un de ces paysans de Noord-Holland ou de ces 1. CEuores, t. III, pp. 692-693. 2. Ibid., t. V, p. 133. 3. Lettre manuscrite a Picot, du 28 février 1648, citée par Baillet. Cf. (Euvres de Descartes, t. V, p. 133. SUPPLIQUE POUR LE PAYSAN MEURTRIER 589 marins d'Egmond aan Zee, rudes loups de mer, qui viennent lui parler de leurs pêches aventureuses sur les cötes d'Angleterre ou d'Islande, des migrations des poissons ou de leurs propres infortunes. Ce n'est pas une supposition. Nous possédons une requête de Descartes trés pressante en faveur d'un de ses voisins. Elle est adressée probablement a Huygens et commencé ainsi : « Je scay que vous avez tant d'occupations qui valent mieux que de vous arrester a lire des complimens d'un homme qui ne frequente icy que des paysans, que je n'ose m'ingerer de vous écrire que lors que j'ay quelque occasion de vous importuner. Celle qui se presente maintenant est pour vous donner sujet d'exercer vostre charité en la personne d'un pauvre paysan de mon voisinage qui a eu le mal-heur d'en tuer un autre. » « Ses parens ont dessein d'avoir recours a la clemence de Son Altesserafin de tascher d'obtenir sa grace et ils ont desiré aussi que je vous en écrivisse... Le paysan, pour qui je vous prie, est icy en reputation de n'estre nullement querelleux et de n'avoir jamais fait de déplaisir a personne avant ce malheur. Tout ce qu'on peut dire le plus a son desavantage est que sa mére estoit mariée avec celuy qui est mort, mais, si on adjoute qu'elle en estoit aussi fort outrageusement battue et 1'avoit esté pendant plusieurs années qu'elle avoit tenu ménage avec luy, jusqu'a ce qu'enfin elle s'en estoit separée et ainsi ne le consideroit plus comme son mary mais comme son persecuteur et son ennemy, lequel mesme, pour se vanger de cette separation, la menacoit d'oster la vie a quelqu'un de ses enfans (1'un desquels est cettuy-cy) on trouvera que cela mesme sert beaucoup a 1'excuser... J'ay sceü qu'au temps que ce mal-heur luy est arrivé, il avoit une extréme affliction, a cause de la maladie d'un sien enfant, dont il attendoit la mort a chaque moment,' et que, pendant qu'il estoit auprès de luy, on le vint appeller por secourir son beaufrére, qui estoit attaqué par leur commun ennemy... Aussi luy fut-il pardonné par tous les principaux parens du mort, au jour mesme qu'ils estoient assemblez pour le mettre én terre. Et, de plus, les Juges d'icy 1'ont absous, mais, par une faveur trop precipitée, laquelle ayant obligé le Fiscal1 a se porter apellant de leur sentence, il n'ose pas se presenter derechef devant la Justice... 1. Le Procureur. 590 DESCARTES EN HOLLANDE « Le criminel estant absent, tout ce qu'on luy peut faire n'est que de 1'empescher de revenir dans le pays et ainsi punir sa femme et ses enfans plus que luy; j'aprens qu'il y a quantitê d'autres paysans en ces Provinces, qui ont commis des meurtresv moins excusables et dont la vie est moins innocente, qui ne laissent pas d'y demeurer, sans avoir aucun pardon de Son Altesse (et le mort estoit de ce nombre) ;ce qui me fait croire que, si on commencoit par mon voisin è faire un exemple, ceux qui sont plus accoutumez que luy a tirer le couteau, diroient qu'il n'y a que les innocens et les idiots qui tombent entre lesmains de la Justice et seroientconfirmez, paria, en leurllcence. Enfin, si vous contribuez quelque chose a faire que ce pauvre homme puisse revenir auprès de ses enfans, je puis dire que vous ferez une bonne action et que cc sera une nouvelle óbligation que Vous aura, etc. »1 Le meurtrier en rupture de ban, d'après les recherches de M. 1'archiviste van Gelder, c'est Meeus Jacobsz, donc Bartholomé, fils de Jacques. Dans une requête un peu postérieure, datée du 5 janvier 1647 2, et adressée a Jean van Foreest, membre du Haut-Conseil a La Haye, Descartes revient sur cette affaire, pour éviter è la femme de Meeus, son voisin T'aubergiste, la confiscation des biens de son époux, dont ehe voulait continuerle commerce, afin de gagner sa vie et celle de ses deux petits enfants, ce qu'elle obtint, peut-être grace a 1'intervention du philosophe. Descartes sollicitant pour son voisin 1'aubergiste, sa femme et leurs petits enfants, rien ne donne une meilleure idéé de ses rapports avec les habitants du village d'Egmond-binflen. ïïs allaient chez le « Franschman », paree qu'ils le savaient simple ét bon et qu'il entendait leur langue. Ceci ne fait pas le moindre doute, car, déja, dans la requête, on retrouve le bavardage un peu embrouillé du paysan ; au reste< puisqu'il avait appris le hollandais.en 1619, comment quinze ans de Hollande et les relations avec Hélène ne 1'auraient-ils pas perfectionné dans cette langue ? Descartes blame ses compatriotes, émigrés aux Pays-Bas, de ne pas rapprendre. II écrit en effet ó son ami Huygens, en réponse a 1'envoi du Gebruyck of ongebruyck van 'f 1. CEuvres, t. V, pp. 262-265. 2. CEuores, t. X, pp. 613-617. C'est le commentaire qui oblige a changer Ia date Indiquée au t. V, p. 260-265, pour la précedente requête. SES CONNAISSANCES EN NEERLAND AIS 591 Orgel in de Kerken der Yereenigh.de Nederlanden (Leyde, 1641) : \ « Je suis bien glorieux de 1'honneur qu'il vous a plü me faire, en me permettant de voir vostre traitté Flamend, touchant 1'usage des Orgues en 1'Eglise, comme si j'estois fort scavant en cette langue. Mais, quoy que 1'ignorance en soit fatale è. tous ceux de ma nation, je me persuadé pourtant quel'idiome ne m'a pas empesché d'entendre le sens de vostre discours, dans lequel j'ay trouvé un ordre si clair et si bien suivy qu'il m'a esté aisé de me passer du meslange des mots estrangers qui n'y sont point2 et qui ont coustume de me facüiter 1'intelügence du Flamend des autres. Mais ce n'est pas a moy a parler du stile et j'aurois mauvaise grace de 1'entreprendre 3... Pour les epithètes que vous nous donnez [aux catholiques] en divers endroits, je ne croy pas que nous devions nous en offenser, davantage qu'un serviteur s'offense, quand sa maistresse 1'appelle « Schelme » [fripon], pour se vanger d'un baiser qu'il luy a pris ou plustost pour couvrir la petite honte qu'elle a de le, luy avoir octroyé, » Scène vue, entendue, peut-être vécue. Nombreux sont les écrits flamands et les lettres néerlandaise ou mi-partie néerlandaise et francaise de Descartes, mais souvent, elles sont 1'oeuvre d'un traducteur. Huygens pense que c'est van Surck : « J'adjoustray que, venant de hre la Preface qui se va pubher sous le nom Waessenaer, eUe me semble un discours véritable, judicieux et discret... J'estime que vous n'aurez pas voulu prendre la peine de 1'escrire en flamenet, de la, je vous juge heureux d'avoir trouvé de si bons interpretes, qui veritablement vous suivent dé si bonne facon et en termes si propres' que la traduction seulement n'y paroist pas, qui n'est pas un don commun a touts translateurs. Mr van Surck, qui est poli en tout, vous y pourra avoir presté de sa diügence; qui que ce soit, vous lui en avez un peu bien d'obligatior. » 4 Huygens n'eut certes pas décerné le même éloge a la lettre que Descartes écrivait d'«Egmont op de Hoef », le 18 juillet 1643, 1. CEuores, t. III, p. 153. Descartes s'est occupé de la construction des orgues. notamment de celui d'Alkmaar. Cf. G. W. Enschedé, dans Amstelodamum, octobre 1920. " >t?' .tto5,y '„., 2. Constantin Huygens, justement paree qu'il sait tant de langues etrangêres, est un puriste dans la sienhe et en écarté les mots francais qui y sont si nombreux. Cf. Ie livre de M.JSalverda de Grave. L'influence de la langue francaise en fioHcmde d'après les mots empruntés ; Lecons talles d V Université de Paris en janvier ïyió ; Paris, Ed. Champion, 1913, un vol. in-18". 3. CEuores, t. III, pp. 157-158. 4. Ibid., p. 151. H 592 DESCARTES EN HOLLANDE a son horloger Gerard Brandt, aux Douze heures, sur le« Rockinne », prés de la Bourse, a Amsterdam, et qu'il termine en s'excusant d'écrire si mal le hollandais : « Excuseert my dat ick soo quaet Duytsch schrijve. »1 Au bas de sa requête en néerlandais au Magistrat d'Utrecht, écrite d'Egmond, le 21 février 1648, figure cette note autographe 2 : « J'ay fait traduire cet escrit en Flamend, mais, pource que c'est une langue que j'entens fort peu, je prie ceux qui le hront d'avoir principalement egard au Francois, duquel seul je puis respondre. » C'est pourtant bien en hollandais, en flamand ou en «duytsch », ce qui est tout un, qu'il enseignait Dirck Rembrantsz van Nierop, cet étonnant paysan de Noord-Hollande dont nous parle Baillet et dont 1'histoire est absolument authentique 3 : « Dirck Rembrantsz étoit un païsan de Hollande, natif du village de Nierop, vers les extremitez de la Nort-Hollande, qui regarde la Frise. L'exercice qu'il faisoit du métier de cordonnier, dans le heu de sa naissance, ne luy fournissoit que fort étroitement le nécessaire... Mais il avoit trouvé les moyens de vaincre sa fortune par une connoissance exquise des Mathématiques, qu'il ne pouvoit s'empécher de cultiver, souvent au préjudice du travail de ses mains. » Les paysans, vivant sous les larges espaces étoilés, sont souvent des contemplateurs, tel ce Eise Eisingaqui, a Franeker, construisit de ses dix doigts par des moyens de hasard de 1774 a 1781, le Planetarium, qui marche encore. Dirck avait entendu dire que le « Franschman » n'était pas qu'un « goeye man », que c'était auSsi un « geleerde man »; il voulut lui exposer les connaissances qu'il avait acquises, et dont les simples sont d'autant plus fiers qu'elles leur ont coüté plus de peine a découvrir. Par la rumeur publique, II le savait d'abord facile, mais les valets étaient plus rogues que le maitre et repoussèrent durement ce f ou. Au second voyage, le Philosophe lui fit donner de 1'argent, que Dirck Rembrantsz refusa, ajoutant que son heure n'était pas encore venue et « qu'il esperoit qu'un troisième voyage luy seroit plus utile ». Sa persévérance fut récompensée. Descartes 1'accueiUit, reconnut 1. CEuvres, t. IV, p. 17. 2. Ibid., t. VIII, 2" partie, p. 275. 3. Cf. CEuores, t. V, p. 266-267, d'après Baillet, t. II, p. 553 s. LE PAYSAN-ASTRONOME : DIRCK REMBRANTSZ 593 son habileté et son mérite, lui communiqua sa Méthode et le recut « au nombre de ses amis, sans que la bassesse de sa condition le luy fit regarder au dessous de ceux du prémier rang et il 1'assura que sa maison et son cceur luy seroient ouverts a toute heure. » Ainsi, celui qu'on a tort de n'avoir jamais appelé«le bon Descartes » en avait agi avec 1'ouvrier Ferrier, le domestique Gillot, 1'arpenteur Wassenaer. « Rembrantsz, qui ne demeuroit qu'a cinq ou six lieues d'Egmond, rendit, depuis ce tems-la de trés fréquentes visites a M. Descartes et il devint, a son école, 1'un dés premiers Astronomes" de son siècle... VAstronomie Flamande ou Hollandoise qu'il a donnée en langue vulgaire, aprés la mort de notre Philosophe, et qui luy fait aujourd'huy tant d'honneur parmi les Scavans, est toute sur le système de M. Descartes et débute par 1'établissement des Tourbillons. » Ce dernier s'intéresse aussi a un autre mathématicien, francais cette fois, et qui habitait Alkmaar : « Je vous remercie, lui écrit Brasset, le secrétaire de 1'ambassade, faisant alors fonction d'ambassadeur, a la date du 4 décembre 1647, du soin que vous avez eu de veoyr nostre infirme d'Alkmar. »1 C'était un jeune Francais, nommé du Laurens, de médiocre santé, venu en Hollande, attiré sans doute par la renommée de ce pays comme terre promise des savants et des lettrés ou par 1'envie d'approcher Descartes; il aimait 1'étude pardessus tout : « Je n'improuve pas, disait Brasset a M. de Brisacier, son apphcation aux estudes, je voudrois aussy que, dans les contentemens de 1'esprit, il songeast un peu a la subsistance du corps » et ailleurs :« il s'apphque a une estude qui est charmante pour ceux qui 1'ayment, a scavoir les Mathématiques ». « Je luy mande aussy [a M. Collaye], écrit-il au même correspondant, le 14 octobre 1647, la necessité oü se trouve le pauvré M. du Laurens, accablé de fiebvre a Alkemar. Je veoy par une lettre du bon homme 2 de père qu'il est un peu serré... J'attends des nouvelles del'infirme parle moyen de M. des Cartes. » 8 Du Laurens parait céder aux instances de Brasset qui 1'exhorte ü quitter ce « mauvais quartier », « ce 1. CEuvres, t. V, p. 94. 2. Le t bonhomme » n'a, au xvn« siècle, rien d'injurieux, d'ironique, kpeine de familier. Ce « bonhomme »était, d'ailleurs, Conseiller du Roi et Président en 1'Election d'Angers. 3. (Euvret, t. V, p. 108. 38 594 DESCARTES EN HOLLANDE malheureux trou d'Alkmaar, qui est a dix ou douze lieues de la Haye et d'oü il y a autant de peine a avoir de ses lettres que de Constantinople ». Sa maladie est un « effect de corruption du sang » et est de plus « communicative », la phtisie évidemment. « J'envoie, écrit toujours Brasset, le 23 décembre 1647,1'extraict d'une lettre que j'ay receue de M. Des Cartes au suject de M. du Laurens, oü il marqué son humeur studieuse et son incommodité, qui n'est pas petite, ce mal estant fort facheux et contagieux, ce qui m'empeschera de le retirer parmy une familie a la santé de laquelle j'ay interest... », la sienne sans doute. Brasset, le 20 janvier 1648, 1'engage a rentrer en France : « La connoissance que vous avez que ce climat vous est contraire doibt vous faire resouldre a le quitter tout le plus tost que vous pourrez ». « Je tiens, mande-t-il a de Brisacier, le 3 février, que, quand il voudra se desveloper 1'esprit de cette encyclopedie aprez laquelle il court, il a de quoy se rendre propre a la fonction dont vous me parlez... II se faict fort d'escrire bien 1'italien et 1'espagnol; le latin avec cela et 1'entente de 1'aUemand et flamand n'est pas peu de chose. » Parti pour un « changement d'ayr », le 22 février, il revint en juillet pour occuper auprès de Brasset un emploi presque officiel, mais, dès la fin de l'année 1648, « 1'ayr de ce climat luy a esté si contraire qu'il a esté contraint de 1'aller restablir en nostre bon payz, oü il est arrivé, écrit Brasset le 13 janvier 1649, aprez un long circuit de peregrination douloureuse par Bordeaux et la Rochelle ».1 En passant par Paris, en juin 1648, du Laurens va trouver Descartes, ce qui prouve 1'attraction que son compatriote de 1'Anjou exerce sur lui, bien qu'il ne paraisse pas 1'avoir vu trés souvent en Hollande. C'était pourtant pour le fréquenter, semble-t-il, que Ie jeune mathématicien du Laurens, assoiffé, d'encyclopédie, s'était instaUé prés d'Egmond, è Alkmaar, oü il sue la fièvre. 1. Cf (Euvres, t. V, pp. 216 èt 218. CHAPITRE XXI SUITE DES PROCÉS DE GRONINGUE ET D'UTRECHT (1645-1648) ^ Une fois réinstallé a Egmond-binnen, Descartes écrit a Tobie d'André pour s'informer de ce qu'étaient devenues 1'affaire de Groningue et la plainte en diffamation auprès du Sénat acadédémique contre Schoockius. Ce dernier n'était plus recteur et avait été remplacé par Samuel Desmarets, aussi intéressé que notre philosophe a aboutir. Le moment était donc f avorable et, par une nouvelle requête adressée au Sénat, le 17 février 1645, Descartes insiste pour que son procés soit examiné. Les choses ne trainèrent plus : 1'affaire fut inscrite au róle, le 4 avril, et instruite, sans désemparer, les jours suivants, sous la préside'nce de Desmarets. Schoockius, qui fait figure d'accusé, répondant a son mterrogatoire, afflrme que c'est Waterlaet (encore un homme de paille de Voetius) qui a procuré 1'édition de YAdmiranda Methodus, qu'il ne 1'a pas fait seul et que, sans doute il agissait au nom d'un tiers; il n'est pas difficile de deviner f •" première entrevue 607 plutost que 1'evidence de la raison. Je ne manqueray pas de me rendre a la Haye, si tost qüe je scauray que vous y serez, affin que,, par vostre entremise, je puisse avoir 1'honneur de lui faire la révérence et recevoir ses commandemens. Et pour ce que j'espere que ce sera bientost... etc. Descartes. » Cette entrevue toute fugitive, il y fera allusion, fugitivement aussi, dans sa lettre du 21 mai 1643 \ la première de leur correspondance que nous ayons conservée : « J'aurois eu trop de merveilles è admirer en mesme temps et, voyant sortir des .discours plus qu'humains d'un corps si semblable a ceux que les peintres donnent aux anges, j'eusse esté ravy de mesme facon que me semblent le devoir estre ceux qui, venans de la terre, entrent nouvellement dans le ciel. Ce qui m'eust rendu moins capable de respondre a vostre Altesse qui, sans doute, a desja remarqué en moy ce defaut, lors que j'ay eu, cy-devant, 1'honneur de luy parler. » II vaut donc mieux « recevoir ses commandemens par escrit » que «de les recevoir de bouche», pour être «veritablementmoins esblouy » et c'est certainement cette crainte de se trouver devant le « bel objet », comme on disait alors, qui a empêché Descartes d'accomphr, dès octobre, sa promesse a Pollot d'aller faire a sa Princesse «la révérence » et lui offrir ses «tres-humbles services ». Pourtant il est la, a Endegeest, il n'a que le bois de Wassenaer et celui de La Haye a traverser pour être a ses pieds, mais justement paree qu'il est trop proche, qu'elle lui rendrait sa visite dans un trop modeste chateau, il a peur, et le fait qu'il la fuit d'abord, est justement signe d'amour. Cela n'est pas dit dans le Traité des Passions, mais cela est écrit de toute éternité dans le cceur de l'homme. II y retourne cependant, a La Haye, mais huit mois après, au commencement de mai 1643, et, remarquons-le, a un moment oü il croit ne point la trouver et oü, en effet, il ne la trouve point; a un moment aussi oü il a quitté Endegeest pour Egmond op de Hoef, beu sauvage, oü elle n'ira point le chercher. Elisabeth, n'y voit point malice et, dans la première lettre d'ebe qui nous ait été gardée, datée du 6-16 mai 1643 2, elle exprime ingé- 1. GSunf#-, t iii, p. 664. . ''"','*"„.! 2. CEuvres, de Descartes, t. iii, p. 660. , -V, 608 DESCARTES EN HOLLANDE nüment sa déception d'avoir manqué cette précieuse visite : « J'ay appris avec beaucoup de joye et de regret 1'intention que vous avez eu de me voir, passé quelques jours, touchée également de vostre charité de vous vouloir communiquer a une personne ignorante et indocile et du malheur qui m'a detourbé une conversation si profitable. » C'est Regius, interrogé par elle et embarrassé pour résoudre la question de physique qu'elle lui posait, qui 1'a renvoyée au maitre « pour en recevoir la satisfaction requise ». « La honte de vous montrer, dit-elle, un style si dereglé, m'a empesché jusqu'icy de vous demander cette faveur par lettre. » ^« Mais aujourd'huy M. Palotti [Pollot]1 m'a donné tant d'assurance de vostre bonté pour chacun et particulierement pour moy que j'ay chassé toute autre consideration de 1'esprit, hors celle de m'en prevaloir en vous priant de me dire comment 1'ame de l'homme peut determiner les esprits du corps pour faire les actions volontaires, n'estant qu'une substance pensante. » ,. Voila la conversation engagée et portée d'emblée sur le terrain psychologique et métaphysique ; elle se poursuivra pendant sept ans et ne s'arrêtera que par la mort du plus agé des deux interlocuteurs. La dernière oeuvre de Descartes, le Traité des Passions, publié en 1649 seulement, en germera et s'y développera. La jeune fille, dans sa naïveté, émet parfois des phrases qui, lues par un autre, pourraient se mal comprendre et faire sourire, car elle parle souvent un langage de femme, mais la pudeur est de 1'essence des amours de 1'esprit, qui sont les plus grandes amours. Au reste ne 1'appelle-t-elle pas, elle-même, le «médecin de son ame »; ne sera-t-il pas même bientót le médecin de son corps et n'exige-t-elle pas de lui, en commencant, ce serment d'Hippocrate qui demande a ses disciples le secret, et, dès la première lettre, elle signe de cette formule qu'elle variera a peine et qui est charmante : « Vostre affectionée amie a vous servir, Elisabeth. » Elle écrit en francais, paree que c'est la langue dans laquelle 1. La familie de'ce noble genevois était originalre des vallées vaudoises du Piémont; e est pourquoi on trouve souvent son nom sous la forme italienne. Cf. CEuvres, t. XII, p. 409, LA PRINCESSE ÉLISABETH (1642-1644) 609 elle a été élevée a La Haye ; et, enfant, elle a joué un róle dans la Medée de Corneille, a la campagne. Après avoir dit ses regrets de ne 1'avoir pas vue a La Haye Descartes la loue de ses réflexions ingénieuses autant que judi' cieuses et y répond par une dissertation sur 1'union de 1'ame et du corps, qu'on peut lire dans cette lettre du 21 mai 1643 datée d'Egmond du Hoef ou bien dans le Traité des Passions' Nous n'avons ici a retenir que ce qui touche 1'histoire de René Descartes et de la Princesse Palatine. Sur le secret qu'elle lui demande il lm répond en terminant » : « Je ne puis icy trouver place a 1'observation du serment d'Hippocrate qu'elle m'enjoint pms qu'elle ne m'a rien communiqué qui ne merite d'estre vu et admiré de tous les hommes. Seulement puiS-je dire sur ce sujet, qu'estimant infiniment la vostre que j'ay receüe' ] en useray comme les avares font de leurs tresors, lesquels ils eachent d'autant plus qu'ils les estiment et, en enviantla veüe au reste du monde, ils mettent leur souverain contentement a les regarder. Ainsi je seray bien aise de jouir seul du bien de la voir. » La lettre de Descartes du 28 juin suivant, revientsur 1'union de I ame et du corps et contient, après une confidence sur sa propre vie intellectuelle, une expression de son admiration pour la Princesse * : « J'admire veritablement que, parmv les affaires et les soins qui ne manquent jamais aux personnes qui sont ensemble de grand esprit et de grande naissance, elle ait pu vaquer aux meditations qui sont requises pour bien connoistre la distinction qui est entre 1'ame et le corps. » C'est pour sonder les hmites de cet esprit de femme, qui ne baisse pas de le déconcerter un peu, que Descartes lui pose le problème des trois cercles, mais, tout de suite, il en a reeret car, au fond, il serait désolé de la trouver en défaut • « J'av bien du remors, écrit-il a Pollot, du Hoef, le 21 octobre 1643 * a Mee,nq p ^ W°PTi frnierement Ia q^stion des 3 cercles ■a M« la Princesse de Bohème, car elle est si difficile qu'il me semble quun ange, qui n'auroit point eu d'autres instructions d Algèbre que celles que St[ampioen] luy auroit données.* 1. (Euvres, t. III, p. 668. 2. Ibid., p. 693. 3. Ibid., t. IV, p. 26. 4. Raillerie a 1'egard de 1'adversaire de Wassenaer, voir plus haut, p. 525. 39 610 DESCARTES EN HOLLANDE n'en pourroit veoir a bout saus miracle. » Aüssi devance-t-il sa réponse : « Madame, Ayant sceü de Monsieur de Pollot que Vostre Altésse a pris la peine de chercher la question des trois cercles et qu'elle a trouvé le moyen de la soudre, en ne supposant qu'une quantité inconnue, j'ay pensé que mon devoir m'obligeoit de mettre icy la raison pourquoy j'en avois proposé plusieurs et de quelle facon je les demesle. »1 La suite n'est qu'une démonstration fort compliquée, avec des figures et des formules, farcie d'x et d'y et 1'on se demande oü 1'amour va se loger, mais n'est-il pas lui-même une équation a une et quelquefois plusieurs inconnues ? En finissant, Descartes s'excuse ainsi : « Le reste ne sert point pour cultiver ou recréer 1'esprit, mais seulement pour exercer la patience de quelque calculateur laborieux. Mesme, j'ay peur de m'estre rendu icy ennuyeux a Vostre Altesse, pour ce que je me suis arresté a écrire des choses qu'elle scavoit sans doute mieux que moy et qui sont faciles, mais qui sont neantmoins les clefs de mon Algèbre. » D'autre part, il a tellement peur de la froisser en la devancant, qu'il en récrit encore a Pollot, chargé de transmettre la précédente : « Sur ce que vous m'escriviez dernierement de Mme la Princesse de B[oheme], j'ay pensé estre obligé de luy envoyer la solution de la question qu'elle croit avoir trouvée, et la raison pourquoy je ne croy pas qu'on en puisse bien venir a bout, en ne supposant qu'une racine. Ce que je fais neanmoins avec scrupule, car peut estre qu'elle aimera mieux la chercher encore, que de voir ce que je luy escris et, si cella est, je vous prie de ne luy point donner ma lettre si tost. Je n'y ay point mis la datte. Peut estre aussy qu'elle a bien trouvé la solution, mais qu'elle n'en a pas achevé les calculs, qui sont longs et ennuyeux et, en ce cas, je seray bien ayse qu'elle voyemalettre, car j'y tache a la dissuader d'y prendre cette peine, qui est superflue. »2 Elisabeth a travaillé d'arrache-pied et a établi une solution, par la méthode qu'on lui a enseignée autrefois et dont elle s'excuse, car elle n'a pas encore fait tous les progrès qu'elle aurait voulu dans la nouvelle algèbre cartésienne s. Le maitre 1. CEuores, t. IV, p. 38. 2. Ibid., t. IV, p. 43. 3. Ibid., pp. 44-45. LA PRINCESSE MATHEMATICI ÉNNE 611 n'en est pas moins aussi flatté que surpris : « La solution qu'il a plü a Vostre Altesse me faire 1'honneur de m'envoyer est si juste qu'il ne s'y peut rien desirer davantage et je n'ay pas seulement esté surpris d'estonnement en la voyant, mais je ne puis m'abstenir d'adjouster que j'ay esté aussi ravy de joye et ay pris de la vanité de voir que le calcul dont se sert Vostre Altesse est entierement semblable a celuy que j'ay proposé dans ma Geometrie. L'experience m'avoit fait connoistre que la pluspart des esprits qui ont de la facilité a entendre les raisonnemens de la Métaphysique, ne peuvent pas concevoir ceux de 1'Algèbre et, reciproquement, que ceux qui comprennent aisément ceux-cy, sont d'ordinaire incapables des autres et je ne voy que celuy de Vostre Altesse auquel toutes choses sont également faciles. II est vray que j'en avois desja tant de preuves que je n'en pouvois aucunement douter, mais je craignois seulement que la patience qui est necessaire pour surmonter, au commencement, les difficultez du calcul, ne luy manquast, car c'est une qualité qui est extremement rare aux excellens espris et aux personnes de grande condition.» 1 Cette fois, la preuve est faite, la mathématicienne, en elle, vaut la philosophe : c'est bien la confidente que Descartes vieilhssant pouvait rêver, et pourtant la jeunesse, le charme et les questions de celle-ci 1'entraineront plutót sur le terrain des passions, envisagées abstraitement s'entend, que sur celui des nombres. Telle est aussi la conclusion des rares entrevues k La Haye, de ces visites prolongées dont Descartes sort rêveur, fuyant plus que jamais les facheux et emportant, «comme les avares font de leurs trésors»,le souvenir de précieuses minutes, ce que nous fait entrevoir le début d'une assez gauche excuse k Pollot, du 8 avril 1644 2: «La rencontre de quatre ou cinq visages Francois, qui descendoyent de chezlaReyne, au mesme moment que je sortois de chez M« la Princesse de B[ohême] fust cause que je n'eus pas dernierement 1'honneur de vous revoir et que je m'en alay, sans dire a Dieu. Car, ayant ouy de loin qu'ils me nommoient et craignant que ces éveillez ne m'arrestassent avec leurs discours, a une heure que j'avois envie de dormir, je me retiray le plus vite qu'il me fut possible et n'eus loisir que de dire a un de vös gens que je vous souhaitois le bon soir. » 1. CEuvres, t. IV, pp. 45-46. 2. Ibid., p. 106. 612 descartes en hollande Le départ de Descartes pour la France, a la fin de juin 1644, espaca beaucoup les lettres, mais il avait laissè comme adieu a la Princesse un aveu public de son admiration, qui est la belle préface des Principia parus au début de juillet. Pour Paris qui, pas plus que la Hollande, ne savait rien de leur échange de lettres, ce pouvait être simplement la dédicace banale, 1'offre grandiloquente d'une oeuvre a une trés Illustre Princesse dont l'auteur cherche a s'acquérir la protection ou peut-être 1'aumóne. Pour Descartes qui, presque seul de son siècle, hait la flatterie et la servibté de cour, il y a la une étape nouvelle de sa passion intellectuelle, celle oü 1'on éprouve le besoin de faire partager au monde sa propre vénération. C'est cela qu'il faut voir dans les nobles lignes oü jamais le latin de Descartes ne s'est fait plus élégant dans sa sobriété : « A la Sérénissime Princesse Elisabeth, Fille alnée du Roi Frédéric de Bohème, Comte Palatin et Electeur du Saint Empire Romain. « Sérénissime Princesse, « J'ai recueilli le plus grand bénéfice des écrits que j'ai publiés antérieurement, puisque vous avez daigné les Ure et qu'ü leur occasion, admis a 1'honneur de vous connaitre, j'ai reconnu en vous de telles facultés qu'il m'a semblé de 1'intérêt de 1'humanité de les proposer en exemple aux siècles futurs. II ne me conviendrait ni de vous flatter ni d'affirmer quoi que ce soit qui ne füt tout-a-fait évident, surtout en tête de ce hvre oü je m'efforeerai de poser les f ondements de la vérité, et je sais que votre belle modestie préférera le simple jugement sans fard du Philosophe aux louanges plus ornées des flatteurs. C'est pourquoi je n'écrirai que ce que la raison et 1'expérience m'ont fait reconnaitre pour vrai et c'est pourquoi je philosopherai en cette préface de la même manière que dans le reste du hvre. » Après avoir donc distingué entre les vraies et les fausses vertus, Descartes conclut par ce magnifique éloge : « Ni les distractions de la Cour, ni 1'éducation qui, d'habitude, condamne les jeunes filles ü 1'ignorance, n'ont pu vous empêcher de cultiver les arts et les sciences. La haute et incomparable pénétration de votre esprit apparaït encore en ceci que vous avez considéré jusqu'au fond les secrets des sciences et qu'en dédicace des PRINCIPIA 613 trés peu de temps, vous les avez connues avec précision. J'en ai une preuve qui m'est propre, c'est que je n'ai trouvé jusqu'a présent que vous seule qui ayez parfaitement compris les traités que j'ai publiés. « A la plupart, même aux plus intelligents et aux plus savants, ils semblent trés obscurs; presque tous, s'ils sontversés en Métaphysique, ont 1'horreur de la Géométrie; s'ils ont au contraire cultivé la Géométrie, ils ne saisissent pas ce que j'ai écrit de la Philosophie première ; je ne connais que votre esprit seul a qui tout soit également et parfaitement clair et c'est donc a juste titre que je le nomme incomparable. Et quand je considéré qu'une connaissance aussi variée et si parfaite de toute chose ne réside pas dans quelque vieux sage de 1'Inde, qui a passé beaucoup d'années dans la contemplation, mais dans une Princesse enfant qui, par la taille et par l'age, rappeUe, plutót qu'une Minerve aux yeux pers ou une Muse, une des trois Graces, je ne puis m'empêcher d'être ravi en admiration. « Enfin, ce n'est pas seulement dans le domaine de la connaissance, mais dans celui de la volonté que je remarque que rien de ce qu'exige la sagesse absolue et subhme ne manque a vos mceurs. Elles unissent a la plus haute majesté, une sorte de bonté et de mansuétude, en butte aux perpétuelles injures de la Fortune et pourtant résistant a ses assauts. Et tout cela m'a tellement attaché a votre personne que, non seulement je crois devoir dédier et consacrer ma Philosophie, qui, aussi bien, n'est que le culte de la Sagesse, a cette sagesse que j'observe en vous, mais que, plutót qu'au nom de Philosophe j'aspire a celui du Serviteur le plus dévoué de votre Altesse Sérénissime h « Des-Cartes. » 1. (Euvres, t. VIII, 1" partie, pp. 1 a 4. CHAPITRE XXIII un amour intellectuel i descartes et la princesse elisabeth (suite) (1644-1645) C'est de cet hommage qu'Élisabeth «rend grace» a Descartes, dans la lettre du lei aoüt 1644\ adressée a Paris : «Le present que M. van Bergen8 m'a fait, de vostre part, m'obhge de vous en rendre grace et ma conscience m'accuse de ne le pouvoir faire selon ses merites. » Elle le remercie du « tesmoignage public » qu'il lui a fait de son amitié et de son approbation, et qui semblerait avoir été formulé sans son aveu préalable 8. « Les pedants diront que vous estes contraint de bastir une nouvelle morale pour m'en rendre digne. Mais je la prens pour une regie de ma vie, ne me sentant qu'au premier degré que vous y approuvez, le desir d'informer mon entendement et de suivre le bien qu'il connoit. C'est a cette volonté que je dois Tintelngence de vos ceuvres, qui ne sont obscures qu'ü ceux qui les examinent par les principes d'Aristote ou avec fort peu de soin, comme les plus raisonnables de nos docteurs en ce païs m'ont avoué qu'ils ne les estudioient point, paree qu'ils sont trop vieux pour commencer une nouvelle methode, ayant usé la force du corps et de 1'esprit dans la vieille. » Etre le guide des jeunes gens, voila qui devait plaire au philosophe vieillissant, a qui cet hommage des nouveaux venus 1. CEuores, t. IV, pp. 131-132. 2. C'est-a-dire van Surck, devenu seigneur de Bergen. . 3. A en iuger par la phrase de Descartes, dans une lettre d aoüt 1644, en réponse aux remerciements de la Princesse (et CEuores, t. IV, p. 136) : « La faveur que me fait vostre Altesse de n'avoir pas desagreable que j'aye osé témoigner en public combien ie 1'estlme et je 1'honore est plus grande et m'oblige plus qu aucune que je pourrois recevoir d'ailleurs et je ne crains pas qu'on m'acuse d'avoir rien changé en la Morale, pour faire entendre mon sentiment sur ce sujet, car ce que 3 en ay cent est si véritable et si clair que je m'assure qu'il n'y aura point d'homme raisonnable qui ne 1'avoue. » ™^f™ 616 DESCARTES EN HOLLANDE assurait la perpétuation de sa pensée et comme un deuxième printemps intellectuel. Après deux objections, 1'une sur le vif-argent, 1'autre sur les tourbillons, Éüsabeth conclut : « Je ne vous represente icy que les raisons de mes doutes dans vostre Uvre, celles de mon admiration estant innumerables, comme aussi celles de mon obligation, entre lesquelles je conté encore la bonté que vous avez eu de m'informer de vos nouvelles et me donner des preceptes pour la conservation de ma santé. Celles-la m'apportoient beaucoup de joye par le bon succes de vostre voyage et la continuation du dessein que vous aviez de revenir, et celles-cy beaucoup de pro fit, puisque j'en experimente desja la bonté en moy mesme. »1 Ces questions de santé et ces entretiens d'hygiène vont donner un caractère plus intime et plus personnel a leurs rapports : toujours une conséquence de cette union de 1'ame et du corps discutée dans leurs premières lettres. Descartes est réinstallé a Egmond-binnen, au retour de Paris, en mai 1645. II apprend par Pollot que la Princesse est souffrante et il s'inquiète : « Vos dernières, lui mande-t-il le 18 mai, m'ont fort obligé de m'apprendre 1'indisposition de Mme la Princesse de Boh[ême], laquelle m'a tellement touché que je serois allé a la Haye, tout aussy tost que je 1'ay sceüe, sinon que j'ay veü, a la fin de vostre lettre, qu'elle se portoit beaucoup mieux qu'elle n'avoit fait auparavant. » 2 Dans la même et aussitöt après, il se dit « plus vieux de vingt ans » qu'il n'était 1'an passé. Y a-t-il corrélation entre ces dispositions de corps et d'esprit et la longue interruption de son commerce avec Elisabeth ? On ne peut croire que 1'air de Paris ait provoqué 1'oubli, mais on peut penser que 1'éloignement lui aura permis de se ressaisir d'une attraction devenue peutêtre plus forte qu'il ne 1'aurait voulu. II a pu, dans 1'atmosphère raisonnable de sa province, mesurer mieux la distance qu'il y a d'un gentilhomme è une fille de reine, d'un homme de quarantesix ans a une jeune femme de vingt-sept, et c'est pour cela qu'il se sentirait « plus vieux de vingt ans ». Alors il se terre dans son « hermitage » et se renferme dans sa « solitude », mais la nouvelle de la maladie ranime un feu mal couvert. C'est pourquoi il 1. CEuvres, t. IV, p. 133 2. Ibid., pp. 204-205. ' la princesse élisabeth (1644-1645) 617 rompt le silence, le 18 mai 1645 \ pour assurer la princesse, « de la part qu'il prend a ses souffrances »: Madame, « J'ay esté extremement surpris d'aprendre par les lettres de Monsieur de Pfollot] que V. A. a esté longtemps malade et je veux mal a ma solitude pour ce qu'elle est cause que je ne 1'ay point sceü plutost. II est vray que, bien que je sois tellement retiré du monde que je n'aprenne rien du tout de ce qui s'y passé, toutesfois le zele que j'ay pour le service de Vostre Altesse ne m'eust pas permis d'estre si longtemps sans scavoir 1'estat de sa santé, quand j'aurois dü aller è la Haye tout exprés pour m'en enquerir, sinon que Monsieur de P[ollot], m'ayant écrit fort a la haste, il y a environ deux mois, m'avoit promis de m'écrire derechef par le prochain ordinaire, et pour ce qu'il ne manque jamais de me mander comment se porte Vostre Altesse, pendant que je n'ay point receu de ses lettres, j'ay suposé que vous estiez tousjours en mesme estat. Mais j'ay apris, par ses dernieres que Vostre Altesse a eu trois ou quatre semaines durant, une fiévre lente, accompagnée d'une toux seiche et qu'aprés en avoir esté débvrée pour cinq ou six jours, le mal est retourné et que, toutesfois, au temps qu'il m'a envoyé sa lettre (laquelle a esté prés de quinze jours par les chemins), vostre Altesse commencoit derechef a se porter mieux. » Puis, un vrai diagnostic d'homme de 1'art. Au reste Descartes, qui avait scruté la nature plus que les livres d'Hippocrate et de Galien, en savait bien autant que les Diafoirus de son temps et autres « grands. Saigneurs de la Faculté », comme il les appelle plaisamment quelque part : « En quoy je remarque les signes d'un mal si considerable et neantmoins auquel il me semble que vostre Altesse peut si certainement remedier que je ne puis m'abstenir de luy en écrire mon sentiment, car, bien que je ne sois pas Médecin, 1'honneur que Vostre Altesse me fit, 1'esté passé, de vouloir scavoir mon opinion, touchant une autre indisposition, qu'elle avoit pour lors, me fait esperer que ma hberté ne luy sera pas desagreable.» Une consultation psychologique fait suite a 1'examen physiologique et montre 1'importance que Descartes attribue a 1. (Euvres, t. IV, p. 200. €18 DESCARTES EN HOLLANDE 1'action du moral sur le physique. II y est en même temps question des malheurs de la Maison de Bohème et c'est pourquoi il la faut citer : « La cause la plus ordinaire de la fiévre lente est la tristesse, et 1'opiniastreté dela Fortune a persecuter vostre maison vous donne continuellement des sujets de fascherie, qui sont si pubücs et si éclatans, qu'il n'est pas besoin d'user beaucoup de conjectures ny estre fort dans les affaires, pour juger que c'est en cela que consiste la principale cause de vostre indisposition. Et il est a, craindre que vous n'en puissiez estre du tout délivrée, si ce n'est que par la force de vostre vertu, vous rendiez vostre ame contente, malgré les disgraces de la Fortune. Je scay bien que ce seroit estre imprudent de vouloir persuader la joye a une personne a qui la Fortune envoyé, tous les jours, de nouveaux sujets de déplaisir, et je ne suis point de ces Philosophes cruels qui veulent que leur sage soit insensible. Je scay aussi que vostre Altesse n'est point tant touchée de ce qui la regarde en son particulier que de ce qui regarde les interests de sa maison et des personnes qu'elle affectionne, ce que j'estime comme une vertu la plus aimable de toutes. Mais il me semble que la difference qui est entre les plus grandes ames et celles qui sont basses et vulgaires, consiste principalement en ce que les ames vulgaires se laissent aller a leurs passions et ne sont heureuses ou malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agreables ou deplaisantes, au heu que les autres ont des raisonnemens si forts et si puissans que, bien qu'elles ayent aussi des passions, et mesme souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure neantmoins tousjours la maistresse et fait que les afïlictions mesme leur servent et contribuent a la parfaite felicité dont elles jouissent dés cette vie. »1 On dirait que Descartes propose ici en modèle a Élisabeth une de ces Princesses de Tragédie que le grand Corneille a pu lui montrer sur la scène ou dans ses Uvrets et ce ne serait pas la première fois que la poésie aurait devancé la philosophie. On croit entendre, par exemple, Pauline disant a Sévère (Polyeucte, 11,2) * Et sur mes passions ma raison souveraine... Ma raison, il est vrai, dompte mes sentiments. 1. (Euvres, t, IV, pp. 201-202. 2. Ce quatrième cnef-d'oeuvre avait paru en 1643, deux ans avant la lettre citee. la princesse elisabeth (1644-1645) 619 Ce n'est pas tout a fait une hypothese, car Descartes évoque un peu plus loin les tragédies, sans toutefois nonuner Corneille : « Et comme les Histoires tristes et lamentables, dit-il, que nous voyons représenter sur un théatre, nous donnent souvent autant de recreation que les gayes, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux, ainsi ces plus grandes ames, dont je parle, ont de la satisfaction en elles-mesmes de toutes les choses qui leur arrivent, mesme des plus fascheuses et insuportables. Ainsi, ressentant de la douleur en leur cors, elles s'exercent a la supporter patiemment et cette épreuve qu'elles font de leur force leur est agreable.» Descartes invite son héroïne a estimer peu la Fortune « au regard de 1'Eternité »1 : il n'est pas nécessaire de chercher dans Spinoza le « sub specie aeternitatis », puisqu'il nous est ici proposé. « Je craindrois que ce stile ne fust ridicule, poursuit-il, si je m'en servois en écrivant a quelqu'autre, mais, pour ce que je considéré vostre Altesse comme ayant 1'ame la plus noble et la plus relevée que je connoisse, je croy qu'elle doit aussi estre la plus heureuse et qu'elle le sera veritablement, pourveü qu'il luy plaise jetter les yeux sur ce qui est au dessous d'eüe et comparer la valeur des biens qu'elle possede et qui ne luy scauroient jamais estre ostez, avec ceux dont la Fortune 1'a dépouillée et les disgraces dont elle la persecute en la personne de ses proches.»2 Elisabeth est trés sensible a 1'intérêt que lui témoigne son ami et elle 1'en remercie en ces termes, le 24 mai 1645 3 : « Monsieur Descartes, c Je vois que les charmes de la vie solitaire ne vous ostent point les vertus requises a la societé. Ces bontés genereuses que vous avez pour vos amis et me tesmoignez aux soins que vous avez de ma santé, je serois faschée qu'ils vous eussent engagé a faire un voyage jusqu'icy, depuis que M. de Palotti m'a dit que vous jugiez le repos necessaire a vostre conservation. » Elle apprécie a sa juste valeur la consultation psycho-physiologique : « Je vous asseure que les medecins, qui me virent tous les jours et examinerent tous les symptomes de mon 1. (Euvres, t. IV, p. 202. 2. Ibid., pp. 203-204. 3. Ibid., pp. 207-208. 620 DESCARTES EN HOLLANDE mal, n'en ont pas trouvé la cause ni ordonné de remedes si salutaires que vous avez fait de loin. Quand ils auroient esté assez savants pour se douter de la part que mon esprit avoit au desordre du corps, je n'aurois point eu la franchise de le leur avouer. Mais a vous, Monsieur, je le fais sans scrupule, m'asseurant qu'un recit si naïf de mes defauts ne m'ostera point la part que j'ay en vostre amitié, mais me la confirmera d'autant plus, puisque vous y verrez qu'elle m'est necessaire. » Ce qui suit est la plus intime des confidences : « Sachez donc que j'ay le corps imbu d'une grande partie des foiblesses de mon sexe, qu'il se ressent tres-facilement des afflictions de 1'ame et n'a point la force de se remettre avec elle, estant d'un temperament sujet aux obstructions et demeurant en un air qui y contribue fort. » II ne faut pas trop se choquer de ce détail a une époque oü les affaires intestinales, quand elles concernaient une personne royale, étaient affaires d'état et se « résolvaient » parfois en pubbc ! « Aux personnes qui ne peuvent point faire beaucoup d'exercice, continue-t-elle, il ne faut point une longue oppression de cceur par la tristesse pour opiler la rate et infecter le reste du corps par ses vapeurs. Je m'imagine que la fievre lente et la toux seiche, qui ne me quitte pas encore, quoy que la chaleur de la saison et les promenades que je fais rappellent un peu mes forces, vient de la. C'est ce qui me fait consentir a 1'avis des medecins de boire, d'icy en un mois, les eaux de Spa (qu'on fait venir jusqu'icy sans qu'elles se gastent), ayant trouvé, par experience qu'elles chassent les obstructions. Mais je ne les prendray point avant que j'en sache vostre opinion, puisque vous avez la bonté de me vouloir guerir le corps avec 1'ame. » Celle-ci est la plus difficile a soigner, paree qu'elle est accablée par la misère de ses proches, le spectacle de sa maison destituée et cette maison n'a pas plus tót pris un peu de relache qu'un nouveau désastre s'abat sur elle : « Je pense que si ma vie vous estoit entièrement cognue, vous trouveriez plus estrange qu'un esprit sensible \ comme le mien, s'est conservé si longtemps, parmi tant de traverses, dans un corps si foible, sans conseil que celuy de son propre raisonnement et sans con- 1. C'est presque le sens du xvnr* siècle. LA PRINCESSE ELISABETH (1644-1645) 621 solation que celle de sa conscience, que vous ne faites les causes de cette presente maladie. »1 II y a tant et de si intimes confessions la-dedans que 1'on comprend que dans le post-scriptum, Élisabeth demande a son ami de brüler sa lettre, ce qu'il ne fit point. Le médecin improvisé ne déconseille pas les eaux de Spa mais préconise, en les prenant, pour qu'elles soient plus- efficaces, de « délivrer 1'esprit de toutes sortes de pensées tristes et mesme aussi de toutes sortes... de meditations serieuses touchant les sciences et ne s'occuper qu'a imiter ceux qui, en regardant la verdeur d'un bois, les couleurs d'une fleur, le vol d'un oyseau et telles choses qui ne requerrent aucune attention, se persuadent qu'ils ne pensent a rien ». 2 A la confidence d'Élisabeth, il répond par cette autre sur lui-même : « Estant né d'une mere qui mourut, peu de jours aprés ma naissance, d'un mal de poumon, causé par quelques déplaisirs, j'avois herité d'elle une toux seiche et une couleur pasle que j'ay gardée jusques è l'age de plus de vingt ans et qui faisoit que tous les Medecins qui m'ont vü avant ce temps-la me condamnoient a mourir jeune. Mais je croy que 1'inclination que j'ay tousjours eue a regarder les choses qui se presentoient, du biais qui me les pouvoit rendre leplus agreables, et a faire que mon principal contentement ne dependist que de moy seul, est cause que cette indisposition, qui m'estoit comme naturelle, s'est peu a peu entierement passée. » 8 Peut-être le philosophe accentue-t-il, pour elle, un optimisme qui n'est pas trés dans sa nature, afin que les lettres qu'il lui écrit, lui servent, comme elle le dira elle-même, «d'antidote contre la mélancolie». Elle se confié de plus en plus a lui et elle en dit long cette phrase, écrite le 22 juin 4 : «le bonheur que je possede dans 1'amitié d'une personne de vostre merite au conseil duquel je puis commettre la conduite de ma vie. » II est vrai qu'elle aurait besoin de voir plus souvent son médecin et que jamais la consultation écrite ne vaudra cette consultation orale dont les yeux, eüt-on dit alors, sont les muets truchemans : « La malediction de mon sexe m'empesché le contentement que 1. CEuvres, t. IV, p. 209. 2. Ibid., t. IV, p. 220. 3. Ibid., p. 221. 4. Ibid., p. 233. 622 DESCARTES EN HOLLANDE me donneroit un voyage vers Egmond pour y apprendre les verités que vous tirez* de vostre nouveau jardin. »<» Que la phrase a de grace, car sa signification dépasse celle d'une allusion au passage d'Egmond op-de-Hoef a Egmond-binnen. Avec moins de déhcatesse mais non moinS de sincérité, Descartes lui répond : « J'ay bien plus de desir d'aller aprendre a la Haye quelles sont les vertus des eaux de Spa que de connóistre icy celle des plantes de mon jardin. » 2 Les lettres qu'il lui écrit ne troubleront pas la digestion des dites eaux : « Vous estes au moins assurée que, si elles [mes lettres] ne vouS donnent aucun sujet de joye, èlles ne vous en donneront point aussy de tristesse... Car, n'apprenant, en ce desert, aucune chose de ce qui se fait au reste du monde et n'ayant aucunes pensées plus frequentes que celles qui, me representant les vertus de vostre Altesse, me font souhaiter de la voir aussy hureuse et aussy contente qu'elle merite, je n'ay point d'autre sujet, pour vous entretenir, que de parler des moyens que la Philosophie nous enseigne pour acquerir cete souveraine felicité que les ames vulgaires attendent en vain de la fortune et que nous ne scaurions avoir que de nous mesmes. »8 Ai nsi Descartes qui, fondant tout son système sur la certitude mathématique, a le plus fait perdre au nom de philosophe son ancien sens d'amateur de sagesse et de professeur de félicité, en reprend ici la tradition en faveur de sa chère princesse et lui, qui aime si peu les anciens et méprise tant 1'érudition, se propose de remplir ses lettres, afin qu'elles « ne soyent pas entierement vuides et inutiles » de considérations tirées de la lecture du De Vita beata de Senèque, mais il est si personnel qu'il ne pourra s'empêcher de le refaire, dans sa correspondance de 1'été 1645. On remarquera qu'il ne propose pas Montaigne, que Pascal, au contraire, citera souvent: c'est parCe qu'il est trop décevant et que le doute cartésien, bien différent de celui de Montaigne, n'est pas un oreiller pour s'y reposer mais un tremplin pour s'élancer dans les espaces infinis. Ce n'est pas certes ignorance ou absence de lecture, car Descartes est beaucoup plus érudit qu'il ne voudrait le paraitre, témoin sa dissertation sur le souverain bien, selon Zénon, Aristote et 1. (Euvres, t. IV, p. 234. 2. Ibid., p. 238. 3. Ibid. p. 252. ORIGINE DU TRAITÉ DES PASSIONS 623 Épicure, dont il explique parfaitement la doctrine dans sa lettre du 18 aoüt \ pour les concilier et arriver a cette conclusion que « la beatitüde ne consiste qu'au contentement de 1'esprit », ce qui exige de « suivre la vertu, c'est a dire d'avoir une volunté ferme et constante d'executer tout ce que nous jugerons estre le meilleur et d'émployer toute la force de nostre entendement a en bien juger. » Ébsabeth a eu le loisir de s'y exercer, car sa naissance et sa fortune 1'ont forcée a employer son jugement de meilleure heure pour la conduite d'une vie assez pénible : « Je vous voudrois encore, lui demande-t-elle dans sa lettre du 13 septembre 1645 *, voir définir les passions pour les bien connoistre ». Ici est le précieux germe du Traité des Passions, qu'il lui fera en plusieurs lettres poür la satisfaire et 1' « éclaircir », en commencant par la connaissance de Dieu et la définition de ces Passions 8. Elle discute, mais elle est heureuse et songe maintenant a se conserver pour ce bonheur : « J'ay tousjours esté en une condition qui rendoit ma vie tres inutile aux personnes que j'aime, mais je cherche sa conservation avec beaucoup plus de soin, depuis que j'ay le bonheur de vous connoistre, paree que vous m'avéz montré les moyens de vivre plus heureusement que je ne faisois. » 4 Cette accalmie est de courte durée. Sans parler de « la mauvaise humeur d'un frere malade», a qui il faut faire prendre médecine en le divertissant6, la conversion aü cathohcisme de son frère Édouard, qui a épousé, en France, Anne de Gonzague, princesse de Mantoue, cause a la jeune fille de gros soucis. Cette calviniste s'en ouvre sans crainte a son vieil ami cathohque, se plaignant a lui d'une « certaine sorte de gens », qui sont évidémment les Jésuites. « II faut que je voie une personne que j'aimois avec autant de tendresse que j'en saurois avoir, abandonnée au mépris du monde et a la perte de son ame (selon ma croyance). Si vous n'aviez pas plus de charité que de bigoterie, ce seroit une impertinence de vous entretenir de cette matiere ». 6 Descartes, ainsi interpeUé Sur cette apostasie, 1. CEuvres, L IV, p. 275. 2. Ibid., p. 28» et 404. 3. Lettre du 6 octobre 1645 et Traité des Passions, au t. XI, pp. 342 et 345. 4. CEuvres, t. IV, p. 324. 5. Ibid., p. 270. 6. Ibid., p. 336. «324 DESCARTES EN HOLLANDE Tépond avec autant de franchise et non sans esprit : « S'ils [les protestants] considerent qu'ils ne seroient pas de la Religion dont ils sont, si eux, ou leurs peres ou leurs ayeuls n'avoient quitté la Romaine, ils n'auront pas sujet de se mocquer ni de nommer inconstans ceux qui quitent la leur. »1 Mais bientót un malheur plus grave que celui de la conversion du Prince Edouard va fondre sur 1'infortunée Maison Palatine. Voici ce que la Princesse écrit a son ami : « Puis que vostre voyage est arresté pour le 3me/13 de ce mois, il faut que je vous represente la promesse que vous m'avez faite de quitter vostre agreable sohtude, pour me donner le bonheur de vous voir, avant que mon partement d'icy m'en fasse perdre 1'esperance pour 6 ou 7 mois, qui est le terme le plus esloigné que le congé dela Reine ma mere, de M.monFrere et le sentiment des amis de nostre maison ont prescrit a mon absence... »2 « J'espere que vous me permettez d'emporter celuy [le Traité] des passions s, encore qu'il n'a esté capable de calmer [celles] que nostre dernier malheur avoit excité. » Cherchons le mot de cette énigme : Tallemant des Réaux va nous le donner. II y avait alors a La Haye comme capitaine-major du régiment de M. de Chastillon un gentilhomme francais, le sieur d'Espinay, qui y était venu pour fuir un passé orageux. Favori de Gaston d'Orléans, il avait été chassé par lui en mai 1639, pour 1'avoir supplanté auprès de sa maitresse Louise ou Loyson Roger. « L'Espinay chassé, raconte Tallemant *, s'en alla en Hollande, oü il eut facilement accez chezlareyne de Bohème. Comme il y entra avec la reputation d'un homme a bonne fortune, il y fut tout autrement regardé qu'un autre et, dans rambition de n'en vouloir qu'a des princesses ou a des maistresses de princes, on dit qu'il cajolla d'abord la mere, et aprés, la princesse Louyse, car les Louyses estoient fatales a ce garcon. On dit que cette fille devint grosse et qu'elle alla pour accoucher a Leyde, oü 1'on n'en faisoit pas. autrement la petite bouche.5 • 1 CEuvres, t. IV, p. 352. 2. Ibid., pp. 448-449. 3. Descartes lui en avait remis une ébauche & La Haye, le 7 mars 1646. Cf. ibid., p. 404. 4. Hisiorietles, 3e édit., publiées par Monmerqué et P. Paris. Paris, Techener, 1854, t. II, p. 287-289 ; cité aussi au t. IV des CEuvres de Descartes, p. 451. 5. C'est également a Leyde que la duchesse de Rohan cache ce jeune héritier pos- "assassinat de l'espinay (20 juin 1646) 625 « La princesse Elisabeth, son aisnée, qui est une vertueuse fille, une fille qui a mille belles connoissances et qui est bien mieux faite qu'elle, ne pouvoit souffrir que la Reyne, sa mere, vist de bon ceil un homme qui avoit fait un si grand affront è leur maison. Elle excita ses freres contre luy, mais 1'Electeur 1 se contenta de luy jetter son chapeau a terre, un jour qu'estant a la promenade a pié, il s'estoit couvert, par ordre de la Reyne, a cause qu'il pleuvoit un peu. Mais le plus jeune de tous, nommé Philippe, ressentit plus vivement cette injure et, un soir, proche du heu oü 1'on se promene a la Haye, il attaque 1'Espinay, qui estoit accompagné de deux hommes et luy n'en avoit pas davantage. II se battirent quelque temps : il survint des gens qui les separerent. Tout le monde conseilla a 1'Espinay de se retirer, mais il n'en voulut jamais rien faire. Enfin, un jour qu'il avoit disné chez M. de la Tuillerie, ambassadeur de France, il sortit avec des Loges. 2 « Si 1'on eust creü que le Prince Philippe eust osé le faire assassiner en plein jour, on n'eust pas manqué de le faire accompagner et il s'en fallut peu que M. de la Vieuvüle, qui avoit aussy disné chez 1'Ambassadeur ne prist le mesme chemin. H fut donc attaqué par huit ou dix Anglois, en présence du prince Philippe. Des Loges ne mit point 1'espée a la main; 1'Espinay se défendit le mieux qu'il put, mais ilfut percé de tant de coups que les espées se rencontroient dans son corps. II voulut tascher a se sauver, mais il tomba; toutefois, il fit encore quelque résistance a genoux et enfin, il rendit 1'esprit. » Ce drame, qui passionna non seulement La Haye, mais toute la Hollande, et dont la boue sanglante éclaboussa jusqu'aux marches du tröne, s'était déroulé le 20 juin 1646. Dans son ensemble, le récit de Tallemant, d'ordinaire suspect a cause de son goüt du scandale, est exact. Les rapports entre L'Espinay et Louise étaient, a La Haye, de notoriété publique, puisque Mme de Longueville qui passa en Hollande entre le 20 juin et le 26 juillet, en route pour Munster, et qui fréquenta la Cour de Bohème, ü La Haye, du 20 aoüt au 12 septembre 8, écrivait au lendemain de l'assassinat ; « J'ay veü la princesse Louyse thume qu'elle ne montra qu 'au bout de quinze ans et qui fut, k 1'époque, 1'occasion d'un retenüssant proces. 1. Charles-Louis. 2. Aulre fils de la poétesse Mme des Loges. 3. CEuvres de Descartes, L IV, pp. 439-451. 40 626 DESCARTES EN HOLLANDE et je ne croy pas que personne envie a 1'Espinay la couronne de son martyre. » D'ailleurs la conduite ultérieure de LouiseHollandine justitie tous les spupcons, car, le 17 décembre 1657, elle se sauva de La Haye a Paris avec un officier francais, nommé Laroque, et abjura le 25 janvier 1658, pour faire ensuite profession, le 19 septembre 1660, a Maubuisson, dont elle devint abbesse le 14 novembre 1664 \ Le résident de France, Brasset, il est vrai, plus, prudent, ne parle point d'elle, dans la lettre datée du lendemain du crime, 21 juin, oü il traite de cette « action qui a despleü a tout le monde, un des plus hqnnestes et braves gentilshommes des troupes francoyses ayant esté malheureusement tué, en plaine rue, de plusieurs mains. L'on s'estonne que M. le Pr[ince] Philippe Palatin ayt voulu estre du nombre. Je ne scaurois vous dire la cause d'un tel mouvement, mais ceux qui reverent et ont a cceur 1'honneur de cette maison, sont desplaisans que 1'affaire se soit passée de la sorte. Les Grands ont des sentimens que tous ne sont pas capables de comprendre,. » Qu'il en sache plus qu'il n'en dit, c'est ce qu'atteste une autre missive, du 22, écrite par le prudent chargé d'affaire : « II y a beaucoup de choses a, dire la dessus que le papier ne peut souffrir, ce qui touche les Grands estant tousj ours delicat. » Pourquoi d' ailleurs le peuple se serait-il ameuté autour de la maison et aurait-il menacé les princesses, au témoignage du même Brasset : « II en a cousté la vie a M. de 1'Espinay, capitaine et major du Regiment de Chastillon, 1'un des plus honnestes gentilhommes francoys que nous ayons icy. II n'y a point de valeur qui peust resister seul ü dix ou douze espees qui, aprés le malheur d'une cheutte, le percerent de douze coupz, sans que luy eust le moyen de tirer la sienne. Cela s'estant [fait] en plaine rue et en plain jour, le peuple s'en seroit esmeü, sans la prudence du Magistrat, qui mist toute la nuict garde Bourgeoyse aux environs de la Cour de Bohesme, pour la seureté des Dames, car, pour le Prfiuce], aprés le coup faict, il monta a cheval et tira de longue. » Le 3 juillet 1646, « fut proclamé a son de cloche le Prince Philippe et ceux de sa suitte qui ont commis cette belle action.» La reine de Bohème n'ose plus se promener au « Verhault » 1. Née le 28 avril 1622, elle mourut le 11 février 1709. Cf. ibid., p. 495. exil d'élisabeth (15 aout 1646) 627 (lettre Ho Descartes fi Wilhem, au t. V, p. 33). 1 c ue 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 5 : « meynende den meereenoemden Rector voor sijn advys, dat den Professoren behoort belast te werden voortaenin disputatjombus geen mentie meer noch pro noch contra te maken van de nieuwe philosophie van Cartesius. » nieuwe 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 5 :« dat dese vergaderlnge vremt vindt -dat, in sekeregedruckte Theses, onder sijn presidio gedefendeert, eenen des Cartes nominatim wert aengetast, waervan men de redenen wel soude begeeren te vers 660 DESCARTES EN HOLLANDE Les Curateurs décident enfin de communiquer a Desoartes 1'interdiction signifiée aux Recteur, Professeurs de théologie et de philosóphie de cette Université, ainsi qu'aux Régents du Collége Théologique, de faire désormais aucune mention de son nom ou de sa philosophie, ni pour la défendre ni pour 1'attaquer, espérant qu'il s'en tiendra satisfait et lui demandant de s'abstenir, de son cöté, de donner lieu a de nouvelles difficultés. Le Pensionnaire Wevelichoven met tout cela en son plus beau latin *, en accentuant la prière de se taire adressée au philosophe. Au recu de la missive, Descartes se jette sur sa plume 2 pour répondre aux Curateurs, leur demandant si vraiment il les a bien compris. Quoi! il serait permis a des théologiens de 1'accuser pubbquement d'avoir écrit que 1'idée de notre bbre arbitre est plus grande que 1'idée de Dièu ou que notre libre arbitre est plus puissant que Dieu; qu'il tenait Dieu pour fin imposteur et un trompeur, et lui ne pourrait les accuser pubbquement de calomnie. « Je ne trouve pas dans vos lettres, continue-t-il, 1'ombre d'une satisfaction. » Le silence n'est pas ce qu'il demande. II n'a jamais pu soupconner qu'aucune de ses opinions füt si abominable qu'il ne füt pas permis d'en parler. « II n'y a que les scélérats d'entre les scélérats qu'il faille appeler « innommables », paree qu'il est honteux de les nommer ». « Vos professeurs, crie-t-il aux Curateurs dans son indignation, me tiennent-ils donc pour tel ? Je ne puis croire que ce soit le sens de votre lettre et je préfère penser que je 1'ai mal comprise. » « Ma requête, poursuit-il, n'a pas d'autre but que de f oreer vos deux Théologiens a retirer leurs atroces et inexcusables calomnies. Notez que ce n'est pas une question de doctrine, mais de fait. Remarquez qu'il m'est parfaitement indifférent qu'on parle ou qu'on ne parle pas de moi dans votre Université^ mais j'estime qu'on ne peut expulser d'aucun beu mes opinions (au nombre desquelles je compte toute vérité reconnue), sans en chasser la vérité elle-même et qu'il me semble qu'on ne peut interdire a ceux qui pensent du bien d'un homme de le dire. »3 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 6*. 2. CEuvres, t. V, p. 42 :«La réponse que j'y ai faite a 1'heure mesme.» 3. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, pp. 6* a 8*. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 661 Cette éloquente épitre latine est du 26 mai 1647 ; elle fut lue en séance du Conseil des Curateurs le 26 aoüt, mais il ne fut pris aucune décision a son endroit, quoique, dans la même séance, il ait été interdit a David Stuart, lequel aspirait sans doute a jouer, a 1'égard de son père, le même róle que le jeune Paul Voet a 1'égard de Gisbert, de présider des disputes, et ils augmentent de 100 florins le traitement de Heereboord h Cependant Descartes lance feu et flammes : « L'intention de ces gens-la, écrit-il a Ebsabeth, le 10 mai 1647 2, parlant des théologiens de Leyde, en m'accusant d'un si grand crime comme est le blaspheme, n'estoit pas moindre que de tascher a faire condamner mes opinions comme tres-pernicieuses, premierement par quelque Synode, oü ils seroient les plus forts, et ensuite de tascher aussi a me faire faire des affronts par les Magistrats qui croyent en eux...». « Les Théologiens... veulent estre juges, c'est a dire me mettre icy en une inquisition plus severe que ne fut jamais celle d'Espagne et me rendre 1'adversaire de leur Religion. » De sa lettre aux Curateurs, il n'attend d'autre satisfaction « que quelques emplastres qui, n'ostant point la cause du mal, ne serviront qu'a le rendre plus long et plus importun ». II songe même a leur quitter la place, s'il ne peut obtenir gain de cause ni a Leyde ni a Utrecht. Provisoirement il renonce ü demander 1'appui de 1'Ambassadeur de France, mais, bientöt, il se décide a « faire jouer » ce qu'il appelle «le grand ressort » 3 et il écrit, le 12 mai, a Servien, donc avant même d'avoir connu la décision des Curateurs, qui est du 20. Le poste de La Haye est alors sans titulaire, mais au-dessus du chargé d'affaires, Brasset, il y a, è 1'ambassade, Servien, notre plénipotentiaire de Munster, arrivé de la-bas, le 7 janvier, pour empêcher les Hollandais de faire une paix séparée. II lui est profondément indifférent, sans doute, que deux théologastres en «us» aient traité de blasphémateur son compatriote René Descartes, mais celui-ci prend la chose a cceur : « C'est ce qui m'oblige a vous supplier d'intercéder pour moy auprès de M. le Prince d'Orange «ace qu'il luy plaise, comme 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p, 6. 2. (Euvres, t. V, pp. 16-18. 3. Ibid., p. 27. 4. Guillaume II qui a succédé comme nous 1'avons vu, a son père Frédérlc-Henri mort le 14 mars 1647. ' 662 D ESC AKTES EN HOLLANDE chef de l'Université de Leyde aussi-bien que des années de ce Païs, d'ordonner que Mess. les Curateurs me fassent avoir la satisfaction du passé et empêchent que leurs Théologiens n'envtreprenaent de se rendre mes juges a Favenir; car je suis assuré qu'ils n'appsouveront pas qu'aprés tant de sang que les Francois ont répandu pour les aider a chasser d'icy 1'Inquisition d'Espagne, un Francois, qui a aussi porté autrefois les armes pour la même cause l, soit aujourd'huy soumis a ITnquisition des Ministres de Hollande. » 2 Le même jour 3 oü il répond a 1'arrêt de silence qu'ont rendu lesi Curateurs» il exhale sa fureur a un correspondant inconnu, peut-être, de Wilhem : « Au reste, ce n'est point que je desire qu'on parle de moy en leur Academie ; je voudrois qu'il n'y eust aucun pedant en toute la terre qui sceust mon nom et si, entre leurs Professeurs, il se trouve des chahüans, qui n'en puissent suporter la lumière, je veux bien que, pour favoriser leur foiblesse, ils mettent ordre, en particulier, que ceux qui jugent bien de moy ne le témoignent point en public par des louanges excessives 4. Je n'en ay jamais recherché ny desiré de telles.; au contraire, je les ay tousjours évitées ou empeschées, autant qu'il a esté en mon pouvoir. « Mais de deffendre publiquement qu'on ne parle de moy, ny en bien ny en mal, et, qui plus est, de m'écrire qu'on a fait cette défense et voBiloir que je cesse de maintenhr les opinions que j'ay, eomme si elles avoient esté bien et legitimement impugnées par leurs Professeurs, c'est vouloir que je me retracte aprés avoir écrit la verité, au heu que j'attendois qu'on fi[s]t retracter ceux qui ©net menti en me calomniant et, au lieu dé me rendre la justice que j'ay demandée, ordonner contre moy tout le pis' qui puisse estre imaginé. » Les respectables « chahüans » de l'Université, qui ne se coatentaiemt pas de fük la lumière, mais la voulaient mettre sous le boisseau, contiauèrent leur campagne contre Heereboord. Les soutenances reprennent de plus belle; la philosophie cartésienne y est constamment cuscutée, car, en Hollande, pays d'anarchie intellectuelle et d'individuaiisme forceaé, plus encore 1. Voir plus haut, p. 374, la discussion de ce passage. 2. CEuvres, t. V, pp. 25-26. 3. Lettres du 27 mai 1647, p. 43, au t. V. des CEuvres. 4. Allusion peut-être-au discours de Heereboord, cité plus haut, et & 1'admiration dé celui-ci. LE CARTÉWAN1SME A LEVDE (1647) 663 qu'en France, les règlements sent f kits pour ne pa* être observés. Une des plus agitées de ces- Söutëenances fut celle dit 23 décembre 1647, présidée par Stuart1: H«eTeboord entre au moment oü Jean de Raei> docteur en médecine" et maitre de phi-; losophie, prenait la parole, attaquant la cinquSème thèse, oü il' est parlé de philosophes qui1 estiment pouvoir' nier Dieu et douter de son existence et demandant qui sont ces philosophes. Le président répond qu'il est défendu de Ié dire, mais que tout le monde sait) de qui ont veut parler. De Raei riposte que te décret des Curateurs défend non seulement de nommer Descartes, mais de discuter ses opinions. Le théologien se fache et fait donner 1'ancien capucin. Huées des étudiants, qui voient cet individu préféré a un homme deux fois docteur comme de Raei.. Au coup de onze heures, Stuart leve précipitamment 1'a séance. Heereboord, le lendemain, affiche « ad valvas » ses thèses de' Notüia Dei naturali que son adversaire a attaquées et qui datent déj a du 25 mars 1643. Sur les instances dü Recteur, illesremet a plus tard1, ce dont 1'Ecossais profite pour les vilipender d'ans- un libelle « tellement sale et tellement puant, écrit Heereboord, que celui-ci n'ose le mettre sous le nez des Curateurs ». Revius, de son cöté, trempe sa plüme dans du fiel pour répondre a son sous-directeur. Enfin la scène- dfe' pugilat dont nous- avons; parlé, et qui- se déroula sous la présidence de Stuart, He 7 février 1648, forca les Curateurs a le mander de nouveau auprès d'eux, pour lui faire rendre compte de 1'inobservation de leur. arrëté dü 20 mai 1647 interdisant de discuter la Philosophiè Cartésienne'1. Interrogé par les Curateurs sur les remèdës a apporter au mal' dont souffre l'Université, le Recteur Spanheim propose : 1° De supprimer tous-' le* pamphlets> iïqurieux publiés pour ou contre la philosophie cartésienne. C'est le procédé d'UrreeM. 2° De suspendre, pour un temps* tout enseignement dfe Ia métaphysique: 3° Dfe f oreer les professeurs de philosophie a communiquer les thèses a leurs collègues avant de les faire imprimer. 4° De décréter une amnistie générale. 1. Les Bronnen Leidsche Universiteit n'en font pas mention, mais on se reportera au récit de Heereboord lui-même, dans sa lettre aux Curateurs du 12 février 1648, publiée par lui dans ses Meletemala. Cf. CEuvres de Descartes, t. V, p. 126. 2. Cf. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 10, et surtout pp. 14 a 23. 664 DESCARTES EN HOLLANDE 5° De défendre par voie d'affiche les tumultes et rixes des étudiants dans les amphithéatres. Consultés è leur tour, les deux autres professeurs de théologie, Triglandius et L'Empereur, estiment que le seul remède est d'ordonner qu'on n'enseigne d'autre philosophie en cette Université que la philosophie péripatéticienne, qui y est seule recue *. Triglandius se plaint de la concurrence des disputes théologique et philosophique et affirme que, quand on apporte dans celles-ci quelques « nouveautés », la jeunesse y vole et qu'il reste a peine aux théologiens de rares auditeurs, ce qui montre 1'engouement des étudiants de Leyde pour la nouvelle philosophie francaise. Tous les témoins, de Raey compris2, ayant été entendus, le conseil des Curateurs décide : que Stuart a contrevenu a la' résolution du 20 mai relative au nom et aux sentiments d'un certain René des Cartes et qu'une traduction latine de cette résolution sera mise entre les mains dudit Stuart; que celui-ci aura a s'abstenir, jusqu'a nouvel ordre, d'enseigner la métaphysique en cours publics ou privés; qu'il se bornera a la physique en se tenant dans les limites de la philosophie aristotélicienne; qu'il lui est défendu d'injurier, de diffamer, d'accuser, ou de faire injurier, diffamer et accuser ses collègues par disputes, lecons ou libelles, de quelque manière que ce soit, sous peine de sanctions sévères. D'autre part : que Heereboord s'abstiendra dorénavant de toutes thèses, corollaires, accessoires, impertinences, annexes et autres choses semblables, en matière de métaphysique, formulés par lui ou par d'autres a son instigation. II se gardera d'enseigner cette branche et se bornera aux parties de la philosophie qui lui sont conflées, s'abstenant de les appuyer sur d'autres fondements que la philosophie aristotélicienne recue en cette Université. II se contentera d'employer les termes d'Aristote et épargnera toute injure et toute calomnie a ses adversaires. Les bourgmestres de la ville de Leyde seront invités a retirer de la circulation et è interdire les pamphlets se rapportant a 1. Bronnen Leidsche Universileil, t. III, p. 15. 2. Ibid., p. 11. LE CARTÉSIANISM-E A LEYDE (1647) 655 cette affaire, en particulier 1' Abstersio macularum 1 (le lavage des taches) de Revius, déclaré également coupable d'avoir enfreint 1'ordre du 20 mai 1647, les Vindiciae disputationum Steuarti, les Notae in Noias de Stuart, le Sermo extemporaneus de Heereboord avec ses annexes 2. Le Recteur invitera ses collègues a vivre en bonne harmonie, comme il convient a des chrétiens. Stuart et Heereboord comparaissant a nouveau pour entendre lecture de ce jugement, promettent de s'y conformer, mais Revius, plus grincheux, proteste contre la suppression de son hvre sur la Methode de Descartes, alors que les livres de celuici, pendant ce temps, s'impriment partout et en diverses langues8. Cette immense déclaration du 8 février 1648 est bien inutile, puisque, le 14 juin, le Sénat est encore forcé de signifier a de Raey de ne pas faire de cours privés sans 1'autorisation du Recteur et des Professeurs 4 et de s'abstenir de toute philosophie cartésienne, ce qui prouve que celle-ci, toute comprimée qu'elle est, continue sourdement sa marche victorieuse. Les pauvres Curateurs ont beau vouloir faire taire tout le monde, la vérité est plus forte que leur puissance. Pourtant ils se multiplient. Le 17 aoüt 1648, ils ordonnent une enquête sur ces « Collegia privata philosophica », qui se tiennent dans la ville de Leyde, et ils se proposent de les dissoudre, s'il est établi qu'on y enseigne ou favorise les opinions de René des Cartes. Sous couleur d'impartialité, ils pourchassent non moins les adversaires de ce dernier, surtout Stuart, convaincu de désobéissance et menacé des sanctions les plus rigoureuses, ce contre quoi il proteste en une lettre d'un francais détestable, oü il trouve le décret « un peu dur ». II réclame communication « des actes de tout ce qui s'est passé en eest affaire du de Cartes ». II demande aux Curateurs et aux Bourgmestres « si la paix de 1'Academie se peut conserver en permettant de vendre publiquement les livres d'Atheisme du sieur de Cartes, un Papiste, les opinions du quel sont refutés par les Papistes mesme... ou en permettant aux Cartesiens d'enseigner dans 1'Academie et nous defandant de refuter leurs opinions, lesquelles, 1. Réponse de Revius & la Prsefatio ad Nolas Carlcsii, anonyme, cf. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, p. 15*. 2. Ibid., p. 17. 3. Ibid., p. 18. 4. Voila 1'origine des « Privaat-docent >. 666 DESCARTES EN HOLLANDE selon qu'elles sont proposées par le dit des Cartes, sont athées-, comme nous sommes prest a le prouver... « Aussi ne sert a rien de dire qu'il est un estranger et qu'il ne se tient pas ici, car il n'est non plus permis aux estrangers qu'a d'auttres de publier 1'atheisme en des livres, en aucun païs du monde ; anssi est il souvent a Leyde, et le Magistrat le peut apprehender, lui faire rendre counte de 1'atheisme qu'il a ici semé en ses livres et le chastier condignement. »1 Ainsi parle cet Écossais, venu de Sedan, « qui ne scavoit, dit Sorbière 2, que la vieille game en philosophie et qui ne servoit qu'a irriter quelques fois les honnestes gens chez M. de Saumaise dans nos conversations ». Élisabeth, qui 1'a pratique, le quafifie d'homme de grande lecture, mais d'un jugement médiocre 3. En tous cas, il est d'accord avec Revius 4 pour dire que les éerits athées de Descartes « corrompent tant de monde ici», en séduisant la jeunesse ; « les erreurs de la secte cartésienne menacent, comme dit le Régent du Collége de Théologie, les églises de ces pays et de bien d'autres jusqu'aux Indes orientales et occidentales inclusivement ». Ces fureurs théologales n'empêehent pas les Curateurs, dans leur clairvoyante sagesse, de nommer, le 13 septembre 1648, « Caspar Heydanus », professeur, en remplacement de L'Empereur. Sorbière5 dit de celui-la : « Heereboord, homme scavant et lafeorieux, fut favorisé du Théologien Heydanus, grand Cartesiea, de Bornius, de Hoghelande, Zylchom 6 et de quantité d'autres gens de scavoir et de qualité, qui le seustindrent contre Revius, Regent du College en Theologie et qui a escrit plusieurs livrets peu sohdenaent contre Monsieur Deseartes. Et ainsi ce Philosophe est, eu quelque facon, venu a bout de ses souaaits, quand il a fait, de son vivant, tant de brui* en France et aux Pays-Bas, oü il a commencé une secte, qui trouvera sans doute de 1'appuy en tous ceux qui se plaisent a la Métaphysique et aux Mathématiques ou qui reverent ces deux sciences sans les examiner..» 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. III, pp. 17*-18*. 2. Cité dans CEuvres de Descartes, au t. V, p. 49. 3. Ibid., p. 46. Lettre de (mai 1647). 4. Cf. la requête de Revius du 8 juin 1648 dans Bronnen Leidsche- Universiteit, t. III, pp. 14*-15* ; elle est tres curieuse. 5. Cité dans (Euvres de Descartes, t. V, p. 49, d'après Sorbière; Lettres, p. 688. 6. Zuylichem, c'est-a-dire Constantin.Huygens, dont le nom a été altéré. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 667 Plus ferme dans ses opinions qu'un Sorbière, Heidanus, le 4 mai 1676, aima mieux abandonner sa chaire que son maitre, dont les opinions venaient d'être de nouveau interdites, le 16 janvier précédent, et il rendit a Descartes, a ce moment même, ce magnifique témoignage : « Je songe au nombre de fois oü j'ai joui de la compagnie et de 1'amicale conversation de Monsieur Descartes, a sa sincère gaité, a la bienveillance avec laquelle il répondait d'emblée a tout ce qu'on voulait lui demander, avec une telle clarté de raisonnement, comme si la philosophie même parlait par sa bouche, sans calomnier personne, jugeant de tout avec honnêteté. »1 Heidanus, c'était la Méthode, les Méditations et les Principes installés dans la vieille Université de Leyde qui, si elle ne peut disputer a l'Université d'Utrecht 1'honneur d'avoir été le berceau du Cartésianisme, peut se vanter au moins d'en avoir été le premier temple. L < Als ick daerom dencke hoe menlchmael ick 't geselchap en 't vriendelyck onthaal van d'Heer des Cartes genoten hebbe, syne ongeyeynsde vrolyckheyt, syne goetheyt in alles, dat men hem vragen wilde, op staande voet te beantworden, met sulcken klaerheyt van redenen, als of de Philosophie selfs door syn mondt sprak, sonder yemant te lasteren, maar van alles rediglijck te oordelen (Considerailen over eenige saecken onlanghs voorgevallen in de Umversilegt binnen Leyden, 1676, § 30 ; cité par Ch. Adam au t. XII, p. 110, note c). CHAPITRE XXVII le départ pour la suède (ler septembre 1649) la mort (11 février 1650) Les démêlés avec l'Université de Leyde nous acheminent vers la fin du séjour de Descartes en Hollande et le départ pour la Suède. Si la considération de la Princesse Élisabeth est pour beaucoup dans ce voyage, la présence de Chanut en Suède en: est sinon la cause, du moins Foccasion. Descartes avait fait sa connaissance a Paris, par Clerselier,, dont Chanut avait épousé la sceur, mais il n'était alors que Conseiller et Trésorier de France en la Généralité d'Auvergne \ La sympathie entre eux fut rapide, comme par une sorte d'affinité élective : « Dés la première heure que j'ay eu 1'honneur de vous voir, j'ay esté entierement a vous. »2 Le 29 septembre 1645, Descartes mande d'Egmond a de Wilhem r « On m'a escrit de Paris qu'un de mes meilleurs amis, nommé Mr Chanuyt, en devoit partir le 15 de ce mois de Septembre, pour aller en Suede en qualité de Resident pour le Roy et qu'il passeroit par ce païs. » 3 Au commencement d'octobre, il est a Amsterdam avec sa familie. Descartes quitte aussitöt sa solitude d'Egmond pour tenir campagnie a Madame Chanut, a son mari, a M. Porfier * jusqu'a leur embarquement. Amsterdam reste le port de transit de France en Suède. A bord, Porfier rencontre ce Maitre d'armes qui avait « hanté souvent » le philosophe « en diffèrens endroits de la Hollande » et le connaissait bien pour 1. CEuvres, t. IV, p. 144 et p. 301. 2. Ibid., p. 537. 3. Ibid., p. 300. 4. Ibid., pp. 318-319. €70 DESCARTES EN HOLLANDE avoir fait de nombreux assauts de fleuret avec lui. Le maitre d'armes, lui aussi, passé en Suède. Cet humble suit le nouveau courant qui entraine les Francais plus au nord. Descartes, Chanut 1'ambassadeur, Saumaise le philologue et son fils le soldat, Naudé le bibliothécaire, Huet 1'érudit, le peintre Bourdon, le maitre d'armes, agents divers de la même expansion. Sorbière, en novembre 1649, ira faire sa cour a Chanut, alors de passage a Amsterdam, espérant le suivre également en Suède, mais il lui déplut tellement que la recommandation de Brasset fut inefficace K La première lettre conservée, de Descartes a Chanut, du 6 mars 1646 2, rappelle encore leur entrevue en Hollande. II y plaint 1'ambassadeur du froid qu'il doit subir en Scandinavië et dont il juge par celui qui règne a Egmond, le plus rude « depuis l'année 1608 ». « Ce qui me console c'est que je scay qu'on a plus de preservatifs contre le froid en ces quartiers-la, qu'on n'en a pas en France et je m'assure que vous ne les aurez pas negligez. Si cela est, vous aurez passé la pluspart du temps dans un poësle, oü je m'irnagine que les affaires publiqnes ne vous auront pas si continuellement occupé qu'il ne vous soit resté du loisir pour penser quelquefois a la Philosophie. .» Descartes sait d'expérience que les « poèles » favorisent 1'éclosion des idéés. Dans une autre lettre du 15 juin suivant, Descartes lui parle de la Morale « que vous avez choisie pour vostre principale étude ». 8 Nous avons toujours eu dans notre diplomatie de ces hommes qui pratiquaient le style de 1'écrivain et du penseur aussi bien que celui des chancelleries. Tels Buzenval, du Maurier, d'Estrades et Charnacé, les deux derniers maniant de plus 1'épée. Aussi ne faut-il pas s'étonner de ce que Descartes prenne Chanut pour confident4: «Je vous diray, de plus, que, pendant que je laisse croistre les plantes de mon jardin dont j'atteas quelques expériences pour tascher de continuer ma Physique, je m'arreste aussi quelquefois a penser aux questions particulieresde la Morale. Ainsi j'ai tracé cet hyver un petit Traitté de la Nature 1. CEuvres, t. V, pp. 445-446. 2. Ibid., t. IV, p. 377. 3. Ibid., p. 441. 4. Ibid., p. 442. INVITATiQN DE CHRISTINE DE SUÈDE 671 des Passions de 1'Ame, sans avoir neantmoins dessein de le mettre au jour, et je serois maintenant d'humeur a écrire encore quelque autre chose, si le dégoust que j'ay de voir combien il y a peu de personnes au monde qui daignent lire mes écrits ne me faisoit estre negligent. » Les Passions humaines, c'est bien la un de ces sujets dont le philosophe et le diplomate se sont entretenus, car ce dernierdans sa réponse, le féücite de n'avoir plus, a 1'égard de ces faiblesses du corps et de 1'ame, le dégout qu'il manifestait a Amsterdam a. II est difftcile d'étabhr si Descartes a cherché a s'atürer la faveur de la reine Christine ou s'il s'est borné a ne pas repousser les marqués de sa bienveillance, mais, comme il était aisë d'observer a son égard la même abstention dédaigneuse et même un peu hautaine qu'il pratiquait a 1'égard de tout ce qui touchadt a la Cour de France ou aux grands Cardinaux, c'e6t la première hypothèse qui doit être la vraie. « Je n'ay jamais eu assez d'ambition pour desirer que les personnes de ce rang, écrit-il a Chanut le l61 novembre 1646 2, sceussent mon nom et mesme, si j'avois esté seulement aussi sage qu'on dit que les sauvages se persuadent que sont les singes, je n'aurois jamais esté connu de qui que ce soit, en qualité de faiseur de livres, car on dit qu'ils s'imaginent que les singes pourroient parler, s'ils vouloient, mais qu'ils s'en abstiennent, afin qu'on ne les contraigne point de travailler et pource que je n'ay pas eu la mesme prudence a m'abstenir d'écrire, je n'ay plus tant de loisirs ny tant de repos quej'aurois, si j'eusse eu 1'esprit de me taire. Mais, puisque la faute est desja commise et que je suis connu d'une infmité de gens d'Ecole, qui regardent mes écrits de travers et y cherchent de tous costez les moyens de me nuire, j'ay grand sujet de souhaitter aussi de 1'estre des personnes de plus grand merite, de qui le pouvoir et la vertu me puisse proteger.»Puis, éloge des qualités de la Reine, dédnites d'une conversation avec 1'Ambassadeur la Thuillerie que Descartes a vu, retour de Suède, et de 1'expérience de la Princesse a qui il a dédié ses Principes de Philosophie. L'Ambassadeur renchérit 8 : « M. de la Thuillerie ne vous 1. CEuores, t. IV, p. 474. 2. Ibid., p. 535. 3. CEuores, t. IV, pp. 581-582. Lettre de Stockholm, 1" décembre 1646. 672 DESCARTÉS EN HOLLANDE a point trompé, lorsqu'il vous a dit merveilles de notre Reine de Suéde. Sans mentir, vous seriez étonné de la force de son esprit. Pour la conduite de ses affaires, non seulement elle les connoit, mais elle en porte vigoureusement le poids et elle le porte presque seule. Au lieu que, dans plusieurs autres cours, on ne traite d'affaires qu'avec les Ministres, icy, nous n'avons a rendre compte qu'a la Reine et a prendre les réponses de sa bouche ». Quant a ses distractions, « elle s'égaye dans des entretiens qui passeroient pour trés-sérieux entre les scavans ». Lors d'un de ces entretiens, la conversation tombe sur la question de savoir lequel des deux dérèglements est le pire, de 1'Amour ou de la Haine. Descartes répond aussitót par une énorme épitre, datée d'Egmond, ler février 16471, qui est une vraie dissertation sur 1'amour, laquelle nous donne le premier état de ce qu'elle est dans le Traité des Passions; elle débute par cette distinction « entre 1'amour qui est purement intellectuelle ou raisonnable et celle qui est une passion ». Dans la première, « notre ame apercoit quelque bien, soit present,' soit absent, qu'elle juge luy estre convenable, elle se joint a luy de volonté, c'est-adire, elle se considéré soy-mesme avec ce bien-la comme un tout dont il est une partie et elle 1'autre ». Mais F « amour raisonnable » est ordinairement accompagnée de 1'amour « sensuelle ou sensitive »2, « car il y a une telle liaison entre Tune et 1'autre que, lors que 1'ame juge qu'un objet est digne d'elle, cela dispose incontinent le cceur aux mouvemens qui excitent la passion d'amour et lors que le cceur se trouve ainsi disposé par d'autres causes, cela fait que 1'ame imagine des qualitez aimables en des objets oü elle ne verroit que des défauts en un autre temps. » 3 Pourtant il faut se garder de prendre le desir pour 1'amour et 1'on a distingué « deux sortes d'amour: Tune qu'on nomme amour de Bien-veillance, en laquelle ce desir ne paroist pas tant, et 1'autre qu'on nomme amour de Concupiscence, laquelle n'est qu'un desir fort violent, fondé sur un amour qui souvent est foible ». 4 « Amour intellectuelle », « amour de Bien-veillance », n'est-ce 1. CEuvres, t. IV, pp. 600-617. 2. Ibid., p. 602. 3. Ibid.; p. 603. 4. Ibid., p. 606. INVITATION DE CHRISTINE DE SUÈDE 673 pas a Élisabeth qu'il songe, n'est-ce pas pour elle, plutöt que pour instruire Chanut, qu'il écrit ceci et ce qui le prouve, c'est un autre passage encore :«II est vray aussi que 1'usage de nostre langue et la civilité des comphmens ne permet pas que nous disions a ceux qui sont d'une condition fort relevée au dessus de la nostre que nous les aimons, mais seulement que nous les respectons, honorons, estimons et que nous avons du zele et de la devotion pour leur service...»1; « Je ne scay point d'autre definition de 1'amour sinon qu'elle est une passion qui nous fait joindre de volonté a quelque objet, sans distinguer si cet objet est égal ou plus grand ou moindre que nous. »2 Et c'est pour elle aussi, cette théorie de 1'amour du plus digne, de 1'amourdignité, empruntée, consciemment ou inconsciemment, au grand Corneille 8. Pour la réponse a la question principale « lequel des deux déreglemens est le pire, celuy de 1'amour ou celuy de la haine », 4 Descartes conclut que c'est la haine, car celle-ci porte a la tristesse et au chagrin, 1'amour è la bienveillance et a la joie. « L'amour, tant déreglée qu'elle soit, donne du plaisir, et bien •que les Poëtes s'en plaignent souvent dans leurs vers, je croy neantmoins que les hommes s'abstiendroient natur. Uement d'aimer, s'ils n'y trouvoient plus de douceur que d'amertume, •et que toutes les afflictions dont on attribue la cause a 1'amour ne viennent que des autres passions qui 1'accompagnent, a scavoir des desirs temeraires et des esperances mal fondées » 5, •ce qui n'empèche'pas 1'amour déréglée d'être cause aussi parfois des plus grands désastres. M. du Ryer « Francoys de nation et Médecin de la Reine », ayant vu cette dissertation entre les mains de Chanut, n'eut Tien de plus pressé que d'en parler a sa royale cliënte; c'est d'ail-. leurs peut-être pour cela qu'on la lui avait laissé voir. Christine dit : « Monsieur Descartes, autant que je le puis voir par cét écrit et par la peinture que vous m'en faites, est le plus heureux de tous les hommes et sa condition me semble digne d'envie. Vous me ferez plaisir de 1'assurer de la grande estime que je fais de luy », mais elle ajouta « que, n'ayant pas ressenti cette i> CEuvres, t IV, p. 610. 2. Cf. ibid., p. 611. 3. Ibid., surtout p. 603. . . .: 4. Ibid., p. 613. 5. Ibid., p. 614. 43 674 DESCARTES EN HOLLANDE passion, elle ne pouvoit pas bien juger d'une peinture dont elle ne connoissoit point roriginal». 1 Descartes n'est pas mécontent du tout de cette indiscrétion concertée 2. II répond, avec non moins de zèle, sur la question du Monde flni ou infini et, nous 1'avons vu, sur celle du Souverain Bien, cette fois exposée dans une épitre a Christine ellemême, datée d'Egmond, 20 novembre 1647 8. On peut voir aussi de nouvelles avances de Descartes, par allusion, dans la lettre a Chanut du 21 février 1648 4, avant le départ pour Paris : « Je pourrois dire que, pour mon interest, je ne souhaite pas d'avoir si-tost 1'honneur de vous y voir, a cause des faveurs que vous me procurez au heu oü vous estes, mais je n'ay jamais aucun égard a moy, lors qu'il peut y aller du contentement de mes amis. Et j'avoue que je ne souhaiterois pas un employ penible, qui m'ostast le loisir de cultiver mon esprit, encore que cela fust recompensé par beaucoup d'honneur et de profit. Je diray seulement qu'il ne me semble pas que le vostre soit du nombre de ceux qui ostent le loisir de cultiver son esprit; au contraire, je croy qu'il vous en donne les occasions en ce que vous estes auprès d'une Reine qui en a beaucoup. » Ce passage n'aütorise-t-il pas a penser qu'il est hanté par 1'idée de « cette chasse oü 1'on porte des livres » et de ce tröne a conquérir pour sa Philosophie ? Ce n'est pas, pourtant, que Christine ait mis trop d'empressement a répondre, car son accusé de réception de la dissertation sur le Souverain Bien 'et du Traité desPassions, qui 1'accompagnait, est du 12 décembre 1648 seulement. Sa lettre est bienveillante, sans plus, en un francais si net et si facile que « toute nostre nation, dira Descartes, luy en est tres-obhgée. »5 Elle ne mentionne pas ce détail des Principes de la Philosophie dont Chanut lui aurait lu la préface en 1'accompagnant aux mines dé la Dalécarlie, ét qui 1'auraient laissée « pensive pendant quelques jours ». 6 Peut-être cependant envie-t-elle a Élisabeth, et cette jalousie serait bien féminine, 1'hommage du philosophe. Toujours est-il qu'elle s'est enquise 1. (Euvres, t. V, p. 20. 2. Ibid., p. 50. 3. Ibid., pp. 81-86. 4. Ibid., p. 131. 5. Ibid., p. 290. 6. Ibid., p. 253. DÉPART POUR LA SUÈDE (ler SEPT. 1649) 675 de sa foT,tune et « du soin qu'on prenoit » de lui « en France ». « Je ne scay, ajoute Chanut dans la même missive du 12 décembre, si, lorsqu'elle aura pris goüt a votre Philosophie, elle ne vous tentera point de passer en Suède » : « Je seray, s'il plalt ü Dieu, pour lors en France, oü je vous pourray dire plusieurs choses qui seront considérables, si vous mettez 1'affaire en délibération. »1 Cette invitation ainsi annoncée, préparée, peut-être provoquée, ne tarda pas a lui être adressée, sans doute le 27 février 1649 a. Chanut insiste encore dans le même sens, le 27 mars, le priant de la part de la Reine de venir dès avril. Sa Majesté aime que ses ordres s'exécutent rapidement. Descartes répond par deux lettres a 1'ambassadeur, du même jour (31 mars 1649)3,l'une destinée[a être montrée et qui s'exprime ainsi : « J'ay tant de veneration pour les hautes et rares quahtez de cette Princesse, que les moindres de ses volontez sont des commandemens tres-absolus a mon regard : c'est pourquoy je ne mets point ce voyage en délibération, je me resous seulement a obeïr. « Mais, pource que vous ne me prescrivez aucun temps et que vous ne le propósez que comme une promenade, dont je pourrois estre de retour dans cét esté, j'ay pensé qu'il seroit malaisé que je pusse donner grande satisfaction a Sa Majesté, en si peu de temps, et qu'elle aura peut-estre plus agreable que je prenne mes mesures plus longues et fasse mon conté de passer 1'hyver a Stocholm. Dequoy je tireray un avantage que j'avoue estre considerable a un homme qui n'est plus jeune et qu'une retraite de vingt-ans a entierement desaccoutumé de la fatigue : c'est qu'il ne sera point necessaire que je me mette en chemin au commencement du printemps ny a la fin de 1'automne, et que je pourray prendre la saison la plus sure et la plus commode qui sera, je croy, vers lè milieu de 1'esté, outre que j'espère avoir cependant le loisir de metre ordre a quelques affaires qui m'importent. » Exphcations assez confüses que 1'autre lettre, plus personnelle, a Chanut, éclaircit 4 : « J'ay reservé pour celle-cy ce que je pensois n'estre pas besoin qu'elle vist, a scavoir que j'ay beau- L CEuvres, t. V, p. 254. 2. Ibid., p. 295. 3. Ibid., p. 324. 4. Ibid., p. 326. 676 DESCARTES EN HOLLANDE coup plus de difficulté è me resoudre a ce voyage que je ne me serois moy-mesme imaginé. » Voila 1'explication de la contradiction qu'on aura sentie : Descartes peut parfaitement avoir désiré, voire provoqué ou laissé provoquer cette invitation, et hésiter au moment de s'y rendre, en mesurant, pour la première fois, la distance de l'imagination a la réalisation. C'est un beau rêve d'avoir pour élève et disciple, après une Princesse, une Reine, mais elle vit au müieu d'une Cour, et ce nom seul veut dire servitude. Et puis, du cöté de la philosophie même, n'y aura-t-il pas aussi désülusion : « L'experience m'a enseigné que, mesme entre les personnes de tres-bon esprit et qui ont un grand desir de scavoir, il n'y en a que fort peu qui se puissent donner le loisir d'entrer en mes pensées, en sorte que je n'ay pas sujet de 1'esperer d'une Reine, qui a une infinité d'autres occupations. L'experience m'a aussi enseigné que, bien que mes opinions surprennent d'abord, a cause qu'elles sont fort differentes des vulgaires, toutesfois, aprés qu'on les a comprises, on les trouve si simples et si conformes au sens commun, qu'on cesse entierement de les admirer et, par mesme moyen, d'en faire cas, a cause que le naturel des hommes est tel, qu'ils n'estiment que les choses qui leur laissent de 1'admiration et qu'ils ne possedent pas tout a fait... » « La connoissance de la verité est comme la santé de 1'ame : lorsqu'on la possede, on n'y pense plus. »1 Lés désillusions de son dernier voyage en France lui ont appris a se méfler des promesses des Souverains; il commencé a professer pour les expéditions kintaines par mer la même horreur que jadis le bon Horace : « Les mauvais succez de tous les voyages que j'ay faits depuis vingt ans me font craindre qu'il ne reste plus, pour cettuy-cy, que de trouver en chemin des voleurs qui me dépouillent ou un naufrage^qui m'oste la vie... » 2 J'y ai « plus de repugnance que vous ne pourriez peut-estre imaginer» 8, écrit-il a Ckrselier. « Je ne croy pas... que je parte d'icy, de plus de trois mois », mande-t-il a Brasset 4, qui en avise Chanut : « Vous verrez, Monsieur, par la lettre cy joinct, la disposition de M. Descartes pour le voyage. 1. CEuores, t. V, p. 327. 2. Ibid., p. 329. 3. Ibid., p. 353. 4. Ibid., p. 332 ; 31 mars 1649. DÉPART POUR LA SUÈDE (ler SEPT. 1649) 677 Entre tout, M. de Bethune est allé a Amstredam pour profitter 1'occasion de radmiral Fleming. »1 De Bethune, un officier cette fois, se prépare donc aussi a quitter la Hollande pour la Suède. Quand Saumaise y sera allé, en 1650, notre série sera compléte et toutes les catégories de Francais des Pays-Bas que nous avons étudiées ici seront représentées dans cet exode. Enfin le moment est venu de mettre le grand projet a exécution. On dirait que le philosophe sent que ce départ pourrait être le dernier. II met ordre a ses affaires, arrête ses comptes avec son voisin, « Monsieur Anthoine Studler van Zurich, seigneur de Berghe », a qui il reconnait « devoir justement neuf mil livres, monnoye de ce pays, qui reviennent a plu's de dix mil cinq cents de la monnoye de France», pour lesquels il accepte deux traites 1'une « de cinq mil livres sur le sieur de Tremandan, Malescot et leurs associez », 1'autre « de quattre mil livres » sur «Monsieur de la Chapelle Bouëxic»2. Tout ceci est«escrit a Egmont le trentiéme jour d'Aoust, en 1'an de grace mil six cents quarente neuf, et adressé a Monsieur Claude Picot, prieur de Rouvre et demeurant presentement en la rue Geoffroy-1'Asnier a Paris ». II laisse chez M. de Hogelande un coffre, contenant des papiers et des lettres 3, en abandonnant a sa discrétion de les brüler ou de les garder après sa mort, sauf celles de Voetius au P. Mersenne, qui peuvent servir a parer a des calomnies posthumes. « II quita, dit Baillet, sa chére solitude d'Egmond, le pfémier jour de Septembre, pour venir a Amsterdam, oü, aprés avoir laissé son petit traité des Passions entre les mains du sieur Louis Elzévier, pour 1'imprimer durant 1'autonne, il s'embarqua, n'ayant pour tout domestique que le sieur Henry Schluter Allemand, qui avoit été auparavant a M. Picot et que M. Descartes avoit été bien aise d'avoir ü son service, tant a cause de sa fidélité et de son industrie, que paree qu'il scavoit passablement le francois, le latin, 1'allemand » 4 et même les mathématiques. Plusieurs de ses amis de Hollande 1'accompagnent : 1'abbé 1. Qui avait ren du visite & Descartes a Egmond, sans que celui-ci eüt bien compris & quel personnage considérable il avait affaire. Cf. (Euvres, t. V, p. 335. 2. Cf. CEuores, t. V, pp. 406-409. 3. II fut ouvert, trois semaines après la mort du philosophe, le 4 mars 1650, en présence de Louis de la Voyette, < Gentilhomme francois », de van Surck, de Schoot en le fils et de de Raey. 4. Cf. (Euvres, t. V, p. 411, d'après Baillet, t. II, pp. 386-387. 678 DESCARTES EN HOLLANDE Bloemaert, de Harlem, et, assurément, van Surck et Hogelande, a moins qu'il n'ait été voir ce dernier a Leyde, en revenant de chez Brasset, dont il alla prendre congé a La Haye. Le Résident eut peine a reconnaitre rermjte d'Egmond déguisé en homme de cour:«J'advoue, raconte-t-il, le 7 septembre 1649,1 a Chanut que, quand il me viiit dire adieu avec une coiffure a boucles, des souliers aboutissans en croissant et des gandz garniz de nege, il me souvint de ce Platon qui ne fut pas si divin qu'il ne voulust scavoir ce que c'estoit de 1'humanité et consideray que le recez d'Egmond alloit jecter dans Stockholm, un courtisan tout chaussé et tout vestu. » Cet amusant croquis de Brasset permet peut-être de rendre compte d'une différence, qui ne laisse pas d'être surprenante, entre les deux portraits de Descartes que possède le Musée du Louvre 2, celui de Bourdon, fait a Stockholm (pl. XLIX), oü le philosophe apparait bichonné, pomponné, bouclé, mignardisé, et la robuste toile, peinte a Harlem par Frans Hals (pl. XLVIII), sans doute peu avant le départ, a 1'initiative de 1'abbé Bloe- 1. (Euvres, t. V, p. 411. 2. Je tiens a remercler ici MM. les Conservateurs du Louvre et en particulie MM. Guiffrey et Demont, qui m'ont permis d'examiner de pres les deux toiles encore sans cadres, a leur retour de Toulouse. C'est une joie d'art des plus délicate* qu'ils ont réservée a un admirateur de Descartes et de Hals. Malheureusement en comparant, même sur nos planches XLVHI et LI (frontispice), le portrait de la collection Ny-Carlstad, a Copenhague, et celui du Louvre, on comprend un peu les doutes qui ont été émis sur 1'authenticité de ce dernier: les spéciaHstes jugeronL On serait tenté de dire que celui de Copenhague, que me signala M. Six et que mon ancienne élève, M"« van Ogtrop, a iait photograpbler pour moi, est 1'ébauche d'ateüer faite d'après modèle et le tableau du Louvre, Ie tableau plus« léché » fait sur 1'esquisse. Malgré 1'explication donnée ci-dessus, on hésite, on se demandera si le tableau de Bourdon (pl."XLIX) représente vraimentle philosophe. L'Université d'Amsterdam possède un Descartes que je produis aussi pour la première fois (pl. XLVII). II a peu de valeur artistlque, mais un grand caractère de vérité, et son intérêt réside dans sa présence a Amsterdam, 'parmi les collections anciennes de l'Université. D a dü être commandé par un Hollandais, amateur de philosophie. Donnons une place k part au crayon de Schooten le jeune, le professeur de Mathématiques a l'Université de Leyde, gravé en tête de sa traduction latine de la Géométrie de Descartes (2e éd.) et qui lui a valu la critique que voici de la part de. modèIe (cf- OSuvres, t. V, p. 338) : « Pour le pourtrait en taille douce, vous m obligez plus que je ne merite d'avoir pris la peine de le graver et je le trouve fort bien fait, mals la barbe et les habits ne me ressemblent aucunement. »M. Adam la reproduit en son t. XII, p. 358. M. Demont veut bien m'écrire qu'un portrait de Descartes a été signalé chez le marquls de Chateaugtron (parent du philosophe, par les femmes) en 1856, dans la Revue Universelle des Arts, t. IV, p. 507, notes. By a, au musée de Stockholm, un autre portrait fait par Beek, un Hollandals, peintre de la Reine (pl. L). On le trouvera reproduit également au t. XII, p. 546. Je ne mentionne que pour mémoire, et sans prétendre même esquisser ici une Iconographie de Descartes, celui qui est & La Haye, dans une collection particuliere, et qui pro vient d'Endegeest. Le professeur d'histoire de l'Université d'Amsterdam, mon ancien collègue, M. Six, qui a examiné la reproduction qu'en a publiée M. Bijleveld dans Ie Leidsche Jaarboekje en 1909, est d'avis quil ne peut représenter Descartes et tel avait été, dès 1'abord, mon sentiment. Planche XLVIII. Le portrait de Descartes par Fr. Hals au Musée du Louvre. Planche XLIX. Portrait de Descartes par (Musée du Louvre). Bourdon. CHRISTINE DE SUÈDE 679 maert, qui veut garder 1'im.age de son ami. Le contraste est plus violent encore avec la réplique, ou peut-être 1'original, conservée a la Galerie Ny-Carlstad, a Copenhague, et qui constitué le frontispice du présent hvre. Jamais Frans Hals, parfois théatral, tout en étoffes, en chatoiements et en coloris, n'a été plus intime et plus profond que dans cette ébauche d'ateher, demeurée jusqu'a présentinconnue. Les yeux, sous les paupières inégalement baissées, mais, toutes les deux, lourdes, surmontées de sourcils a 1'arc dur, scrutent jusqu'au fond celui qui en cherche 1'énigme. Le rictus amer des lèvres a la moustache rare et a la mouche courte, est fait pour le rebuter, a moins qu'il ne s'obstine, ne fixe a son tour ces yeux pour voir ce qu'il y a derrière de délicate bonté et d'intelhgence vraiment royale. La description de Baillet n'est pas trés différente du portrait de Hals : « Le corps de M. Descartes étoit d'une taille un peu au-dessous de la médiocre... II paroissoit avoir la tête un peu grosse par rapport au tronc. II avoit le front large et un peu avancé, mais presque en tout tems couvert de cheveux jusqu'aux sourcils. II eut le teint du visage assez pale, depuis sa naissance jusqu'au sortir du collége ; aprés, il fut mêlé d'un vermülon éteint ou passé, jusqu'a sa retraite en Hollande et, depuis, il parut un peu olivatre jusqu'è sa mort. « II portoit a la joue une petite bube qui s'écorchoit de tems en tems et qui renaissoit toujours. II avoit la lévre d'en-bas un peu plus avancée que celle de dessus, la bouche assez fendue, le nez assez gros, mais d'une longueur proportionnée a sa grosseur; les yeux d'une couleur mêlée de gris et de noir; la vue fort agréable, si ce n'est qu'elle parut un peu trouble dans les dernières années, quoi qu'elle füt bonne jusqu'a la fin de ses jours. « II avoit le visage toujours fort serain et la mine affable, même dans le fort de la dispute, le ton de la voix doux, entre le haut et le bas, mais peu propre a pousser un long discours sans interruption, a cause d'une foiblesse de poitrine et d'une petite altération de poümon qu'il avoit apportée en naissant. » 1 Les cheveux noirs sont-ils les siens ? non. II avait depuis 1. Baillet, Vie de Descartes, t. II, p. 445-446, d'après tes relations manuscrites et des memoires de Borel et de Clerselier (cité dans (Euvres de Descartes, t. XII. p. 620, note d). 680 DESCARTES EN HOLLANDE plusieurs années adopté la perruque : « II aimoit a se voir proprement coëffé, mais sans faste et sans luxe; ses perruques se faisoient toujours a Paris, même lors qu'il étoit en Suéde. Mais elles différoient peu de la forme des cheveux qu'il s'étoit fait couper. II avoit soin seulement de recommander que 1'on n'y mit point de cheveux teints, paree qu'ils changent trop tót de couleur, mais qu'ils fussent naturellement noirs, et qu'on y en mêlat quelques uns de gris. II se faisoit toujours raser, en Hollande et ailleurs, a la manière de France. II suivoit moins les modes qu'il ne s'y laissoit entrainer. •»1 Après toutes ces précautions, le testament, les portraits, après les adieux, ce n'était certes pas sans regrets qu'il voyait, du chateau de poupe, disparaitre les hautes tours d'Amsterdam, la Westerkerk, prés de laquelle il avait habité, la Nieuwe Kerk, et la tour des pleureuses (Schrijerstoren), ainsi nommée, dit-on, des larmes qu'y versent les femmes de marins sur leurs maris qui s'en. vont ou dont elles attendent en vain le retour. La il avait vécu longtemps dans les premières années de son séjour en Hollande, quand il se pl ais ait, dans sa chambre de la Kalverstraat, philosophe inconnu, a essayer de déchiffrer les énigmes de la nature. II était plus heureux alors, sans doute, en son obscurité, dans la joie des découvertes, dans la révélation angoissante d'un nouveau système du Monde, que maintenant, chargé de gloire par les uns, d'anathèmes par les autres, allant tenter a cinquante-quatre ans, si loin de sa Touraine natale, une fortune nouvelle. Arrivé au début d'octobre 1649, les désillusions 1'accueillent. D'abord, il lui manque son introducteur Chanut, attardé en France, d'oü il ne repasse par Amsterdam qu'au commencement de novembre. L'ambassadeur lui-même est décu de n'y trouver, au heu du philosophe, que Saint-Amand, le poète-goinfre, avec Verpré, « qui ne lairront point aigrir le vin dans les bouteilles », 2 en attendant le départ pour Hambourg. D'autre part Christine, qui a mieux a faire en ce moment, ne 1'a encore recu que deux fois en cinq jours. Peut-être a-t-il été décu par son physique, car sa taille est aussi « un peu au dessous de la médiocre », comme dit poliment Chanut8, et elle 1. (Euvres de Descartes, t. V, p. 335, d'après Baillet, II, 446-447. 2. Brasset, dans une lettre citee au t. V des (Euvres de Descartes, p. 445. 3. Ibid., t. IV, p. 539, d'après Baillet, II, p. 303-308. CHRISTINE DE SUÈDE 681 s'obstine a ne porter que « des souliers a simple semelles, d'un petit maroquin noir tout semblables a ceux des hommes». Elle est mal habiUée, s'étant vêtue en un quart d'heure avec « le peigne seul et un bout de ruban » pour toute coiffure, dans un complet « mépris du soin de sa personne » ; « il ne restoit presque aucune apparence de son sexe, lors qu'elle étoit couverte d'une hongrehne avec un petit collet comme les hommes » et elle n'a que faire des « desabillés parfumez », que lui envoie Mazarin, a la demande de notre ambassadeur *. Son mauvais goüt se marqué encore en ceci qu' « elle faisoit apprendre a chanter a ses demoiseUes suédoises les plus dissolues chansons qui se chantassent en France et, quand elle estoit en ses humeurs gaies, elle disoit a Mr de la Tuillerie : « M. 1'ambassadeur, je vous veux faire entendre la musique de mes filles » et, le menant dans son cabinet, elle faisoit chanter ces chansons-la par ses filles lesquelles, n'entendant pas le francois, les chantoient d'aussy bone foy que si c'eust esté quelques chansons bien sérieuses. » 2 Son visage est assez affable et un peu pensif, mais a la moindre irritation prend « un certain air troublé qui... ne laissoit pas de donner de la terreur a ceux qui le regardoient. » II est vrai que son esprit sort du commun, mais cela ne suffit pas toujours ; elle n'a pas encore la moindre initiation a la philosophie cartésienne ni ü aucune autre, et est tout empêtrée a « cultiver la langue Grecque »3 que lui enseigne Isaac Vossius, le fils de. Gérard, le professeur d'Amsterdam, que Descartes connait assurément. Celui-ci se sent incommodé par 1'air de la cour et il se promet de dire a la Reine franchement ses sentiments, même « s'ils manquent de luy estre agreables ». On a voulu tout de suite le mettre aux servitudes de cour, mais il a au moins obtenu de Monsieur Fr[einshemius] de n'aller au Chateau. qu'aux heures qu'il plaira a sa Majesté de lui donner « pour avoir 1'honneur de luy parler». II se promet déja de repartir « 1'esté prochain ». 1. (Euvres, t. IV, p. 379. 2. Ibid., p. 542. L'anecdote est racontée par le fils Saumaise, M. de Saint-Loup, qui lui aussi était passé de Hollande en Suède pour y être enseigne aux Gardes. II y a un intéressant dossier de lettres manmerites a son sujet, & la Bibliothèque de l'Université d'Utrecht. 3. (Euvres, t. V, p. 430. €82 DESCARTES EN HOLLANDE Christine, pour le fixer, parle « de le faire naturaliser et de 1'incorporer a la Noblesse suédoise », mais, tout nomade qu'il est, le philosophe a «le cceur bon francois »1 et, s'il a écrit a Christine, un jour, que s'il était « né Suedois ou Finlandois », il ne pourrait être avec plus dezèle niplus parfaitement... etc, ce n'était que pour obtenir une jolie finale de lettre. La proposition en question eut surtout pour effet de le forüfier dans son dessein de rentrer en France, surtout que, en plein hiver, et auprès des grands lacs, d'oü soufflé la bise, le service commencait a devenir pénible. II fallait se trouver dans la bibhothèque de la Reine, tous les matins, a cinq heures. Quelques Tieures de sommeil a elle lui suffisaient, elle entendait qu'il en füt de même pour ses sujets et se préoccupait peu de ce que ie philosophe eüt contracté, depuis le collége, 1'habitude des grasses matinées favorables a la méditation couchée. Encore si elle n'avait exigé de lui que des dissertations sur le Souverain Bien ou sur le bien des Souverains, mais, pour elle, un philosophe était un homme a tout faire et elle n'hésita pas a lui commander une comédie et un ballet, que la reine dansa, le 19 décembre, et qu'il composa en vers et en prose 2, d'ailleurs de bonne grace, rivalisant ainsi avec ce fou de Brégy qui 1'amuse, mais le déconcerte. Le barbon avait beau faire le courtisan, la reine préférait le jeune Vossius, qui avait trente-deux ans et savait du grec autant qu'homme de Hollande. On assure que Descartes aurait dit assez durement a Christine « qu'il s'estonnoit que S. M. s'amusast a ces bagatelles; qu'il en avoit appris tout son saoul, estant petit garcon dans le College, mais qu'il estoit bien aise d'avoir tout oubhé en 1'aage de raisonner ». 8 Le grec, ce n'était pas seulement Vossius, c'était aussi Aris- 1. Expression de Brasset a Descartes (CEuvres, t. V, p. 297) : « Neantmoins, comme vous avez le coeur bon francoys et pareillement charitable, je ne doubte point que vous ne soyez attendry par le recit de nos combustions >, et, le 4 décembre 1647 (cf. ibid., p. 93): < Vous estes trop bon francoys pour ne vous pas Inquietter de la maladie du Roy. » 2. Cf. CEuvres, t. V, pp. 458-459. Un distingué critique, M. Thibaudet, lecteur de francais k 1'Université d'Upsal, vient d'en retrouverle texte, qu'il a publié dans La Revue de Genève, d'aoüt 1920, avec M. J. Nordstrom. D'autre part, M. Huet veut bien me signaler une comédie du « citoyen • Bouilly (J. N.), René Descartes, traithistortque en deux actes et en prose; Paris, An cinquième de la République (B. N. Y th. 15304, in-18°) qui n'a d'ailleurs d'bistorique que le nom ; on y voit Voëtius, personnage heureusement muet, persécu ter René Descartes,« agé d environ 45 ans» sous Maurice de Nassau (1), également mis en scène. Cf. Frunce-Hollande, octobre 1920, pp. 105-106. 3. Ibid., p. 460. Planche L Portrait de Descartes par Beck. (Musée de Stockholm). LES DERNIERS MOMENTS 683 .tote, c'est-a-dire 1'ennemi de toute sa vie et qu'il lui fallait rencontrer encore sur sa route, au moment oü il 1'avait presque achevée. II se sent de plus en plus seul, délaissé, inutile, presque en disgrace. Rien de plus navrant, de plus désabusé que sa dernière lettre, celle qu'il écrit a Brégy de « Stockholm, le 15 janvier 1650 » 1: « Depuis les letres que j'ay eu 1'honneur de vous escrire, le 18 Décembre, je n'ay vü 'la Reine que quatre ou cinq fois, et c'a tousjours esté le matin en sa biblioteque, en la compagnie de Monsieur Fransheimius... II y a quinze jours qu'elle est allée a Upsale, oü je ne 1'ay point suivie, ny ne 1'ay pas encore veüe depuis son retour... » « II me semble que les pensées des hommes se gelent icy, pendant 1'hyver, aussy bien que les eaux...»;«je vous jure que le desir que j'ay de retourner en mon desert s'augmente tous les jours de plus en plus... Ce n'est pas que je n'aye tousjours un zele tres parfait pour le service de la Reine, et qu'elle ne me tesmoigne autant de bienveillance que j'en puis raisonnablement souhaiter. Mais je ne suis pas icy en mon element et je ne desire que la tranquillité et le repos, qui sont des biens que les plus puissans Roys de la terre ne peuvent donner a ceux qui ne les scavent pas prendre d'eux mesmes. » On dirait que ces paroles ont 1'accent grave et mélancolique des voix qui vont se taire. La tranquilhté et le repos, il allait les trouver en cette froide Suède, mais dans le linceül de 1'éternité. Voici la traduction du récit que Schluter, son domestique, envoya en hollandais * a Schooten et que celui-ci communiqua plus tard a Rembrantz, le paysan astronome : « Le trois février, a quatre heures du matin, comme Monsieur Descartes se préparait a se rendre, ainsi que tous les matins a la même heure, dans la bibhothèque dela Reine, même par les plus grands froids (or, depuis longtemps, disaient les Suédois, il n'y en avait pas eu d'aussi rigoureux, ce qui doit avoir été cause de sa mort), il fut pris d'un violent accès de fièvre, qui venait, remarquait-il, ex sua pituita... il avait en même temps trés froid et grand mal a la tête et ne prit, de la journée, que trois ou quatre cuil- 1. CEuvres, t. V, pp. 466-467. 2. On trouvera le texte original dans le Supplément aux CEuvres de Descartes (1913), p. 35. La dernière phrase de notre adaptation est en tête du récit de Schluter. 684 DESCARTES EN HOLLANDE lerées d'eau-de-vie, après lesquelles il dorrnit deux jours entiers. Le Vendredi, nous avons pu lui donner une soupe au vin, mais il commenca a se plaindre de violentes douleurs dans le cóté, au point de ne pouvoir rattraper son soufflé, et ces douleurs ne firent qu'augmenter, dégénérant en fièvre violente et en pleurésie, sans qu'il y voulut croire. Le lundi la reine lui envoie son médecin, qui lui prescrit de bons remèdes et une saignée, mais Descartes lui répond qu'il n'a pas de sang a perdre [« Messieurs, épargnez le sang francois », disait-il] 1 et qu'il ne veut pas d'autres remèdes que ceux qui viennent de la cuisine. Toutefois enfin, il se laisse faire par trois fois, mais la saignée ne donne que du sang déja corrompu et tout jaune et cela ne servit a rien. II est mort hier [11 février 1650], entre trois et quatre heures. » Voila, dans sa nudité, le récit de ce simple. Que Descartes ait communié, c'est certain; qu'il ait prononcé pour les amis qui 1'entouraient«des discours fermes et pieux... dignes d'un homme non seulement philosophe, mais rehgieux»2, c'est possible, mais non assuré. Un philosophe n'a-t-il pas le droit de mourir comme un autre, troublé, ralant, dans les affres d'une agonie, suivie d'un brusque apaisement, oü il ne reste plus rien, du moins sur cette terre, de cette lucide conscience dont 1'Univers même s'illumina ? C'est cette idéé que développa Christian Huygens, le fameux physicien, fils de Constantin, dans un poème francais qui est 1'adieu de la Hollande a celui qui 1'enrichit de sa présence : Epitaphe de Des Cartes par Chr. Huygens 3. Sous le climat glacé de ces terres chagrines, Oü rhiver est suivi de rarriere-saison, Te voici sur le lieu que couvrent les ruines D'un fameux bastiment qu'habita la Raison. Par la rigueur du sort et de la Parque infame, Cy gist Descartes au regret de rUnivers. Ce qui servoit jadis d'interprete a son ame Sert de matiere aux pleurs et de pature aux vers. L Cf. A. Baillet. La vie de Descartes, t. II, p. 418. 2. CEuvres, t. V, p. 474. Lettre de Chanut k Elisabeth. 3. Envoyée par mi k son frère Constantin le jeune, dès le 29 mars 1650. Christian avait alors vingt et un ans, étant né le 14 avril 1629. Comme Descartes avait pressenti le génie de Pascal, il pressentit aussi celui de Christian, alors que ce dernier n'avait pas dix-sept ans. U écrit en effet a de Wilhem, le 15 juin 1646 : < II y a'quelque temps que le Professeur Schouten m'envoya un escrit que le second fils de M' de Zuy- ÉPITAPHE DE DESCARTES PAR CHR. HUYGENS 685 Cette ame qui tousjours, en sagesse feconde, Faisoit voir aux esprits ce qui se cache aux yeux, Aprés avoir produit le modele du monde, S'informe desormais du mystere des cieux. Nature, prends le deuil, viens plaindre la première, Le Grand Descartes, et monstre ton desespoir; Quand il perdit le jour, tu perdis la lumière : Ce n'est qu'a ce flambeau que nous t'avons pu voir 1 Christ. Huygens, 1650, lichem avoit fait touchant une invention de Mathématique qu d avoit cherchée, et encore qu'il n'y eust pas tout a fait trouvé son conté (ce qui n estoit nullement estrange, pource qu'ü avoit cherché une chose qui n'a jamais esté trouvée de personne)? il s'y estoit pris de tel biais que cela mrassure qu'ü deviendra excejent en cete science, en laquelle je ne voy presque personne qui scachei rien. »(Cf. t IV p. 436). Selon le père, Descartes le disait de son sang (cf. Ioia.,t. X, p. Ml). Je reproduis le poème du physicien hollandais, sans chercher a en cornger les vers mal rythmés ; il y en a assez d'admirables pour faire pardonner ceux-la a un jeune Hollandais écrivant en notre langue. Dans les CEuvres de Descartes, la pièce de Huygans est au t. V, p. 480. FIN DU LIVRE III CONCLUSION II y a un passage de la correspondance de Descartes que nous n'avons pas cité et qui est assez singulier, c'est celui oü il raconte la visite qu'il fit, probablement en 1637, avec deux de ses amis1, «a une lieue de Leyde pour voir, par curiosité, 1'assemblée d'une certaine Secte de gens, qui se nomméntPro-. phetes et entre lesquels il n'y a point de Ministre, mais chacun presche qui veut... soit homme ou femme, selon qu'il s'imagine estre inspiré... Une autre fois nous fusmes entendre le Presche d'un Ministre Anabaptiste, qui disoit des choses si impertinentes et parloit un francois si extravagant que nous ne pouvions nous empescher d'éclater de rire. » Soyons plus graves cette fois que le philosophe, mais suivonsle. Les anabaptistes qu'il va voir et qui sont Francais ou Wallons, puisque c'est en notre langue qu'on leur prêche, c'est a Warmond qu'ils demeurent, nous le savons par les Sorberiana. Quant aux « Prophètes », ce sont a toute évidence les « Collegi anten » de Rhijnburg. II n'y a pas en Hollande de Colline inspirée, pour 1'excellente raison qu'il n'y a pas de collines, mais pourtant « il est des heux oü soufflé 1'esprit »2 et la campagne qui s'étend de Leyde a la mer en contient au moins trois. II n'est pas possible, quand on passé de 1'un a 1'autre, de ne point les rapprocher en pensée, plus encore qu'ils ne le sont dans la réalité: Endegeest, Rhijnburg, Warmond. Partez de Leyde, prenez la route qui va vers la mer; au bout d'un quart d'heure, engagez-vous sous 1'allée sombre des onnes, qui s'ouvre a votre gauche, vous arriverez au chateau d'Ende- 1. (Euvres de Descartes, t. II, pp. 619 a 621. 2. Maurice Barrës, La Colline Inspirée (1913), p. 1. •688 ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE geest : les arbres semblent s'y répéter encore les dialogues de notre Platon. Revenez sur la route, reprenez-la, dans la direction •de la mer; après une demi-heure, vous serez a Rhijnburg, ce qui veut dire chateau sur le Rhin. Vous en chercherez un en vain, mais vous trouverez mieux. Tapie parmi les jardins, encadrée de fermes blanches et basses, a toit rouge et k volets verts, nullement différente d'elles, si ce n'est qu'elle est plus modeste et plus humble, vous trouverez une masure : c'est la maison de Spinoza. Ferme de Rhijnburg, petit chateau d'Endegeest, palais immenses dont les pensées des philosophes qui y logeaient, reculaient les murs jusqu'aux étoiles. Le monde habite la. Or, si Spinoza a choisi Rhijnburg, c'est pour la même raison que Descartes a choisi Endegeest, c'est paree que dans « ces fins de terre », les pensées hétérodoxes fleurissent hbrement. Chassé d'Amsterdam par la Synagogue, Spinoza se met a 1'ombre de ces illuminés qu'a visités Descartes, ces « Collegianten », qui sont aussi parmi les précurseurs de la pensée libre. Un des nótres, un Francais, nommé Poiret, ira mourir a Rhijnburg, avec sa secte, en 1719. Ainsi de Warmond, troisième point de ce triangle mystique, et oü un autre Francais, bien illustre celui-la dans 1'histoire des idéés rehgieuses, le Père Quesnel, va s'éteindre, a la même date, et repose encore en son cimetière d'exil. Les routes de 1'épopée francaise, a démontré Bédier, sont jalonnées par des tombeaux, tombeaux de saints, tombeaux de preux, d'oü, selon les récits du moyen-age, germent souvent des branches fleuries. Ne les laissons pas dépérir, ces précieux rameaux de la légende. Ne laissons pas, abandonnées et privées de 1'hommage de notre souvenir, aucune des sépultures oü dorment les grands Francais qui, a la terre étrangère, loin du soleil doré qu'ils regrettaient, ont apporté des rayons de sa féconde lumière. De Grave au Limbourg et du Limbourg a Grave, k Bréda ou a Bois-le-Duc, cherchons les heux oü ils sont morts ces soldats de la «liberté belgique», du Hamelet, Montmartin, La Gravelle : Que si leurs années Furent icy bas, Parmy les combats Trop tost terminées, Au moins que leur los CONCLUSION 689 Reduit en mémoire, Couronne leurs os D'immortelle gloire. Prenons le chemin des tombes. Que nos amis de Maestricht retrouvent celle de Saumaise, comme nous avons, dans 1'Église de Saint-Pierre, dégagé celle de notre immortel Scaliger. Que partout surgissent des pierres commémoratives ou, a leur défaut, que des pèlerinages littéraires s'organisent aux lieux que les nótres ont illustrés, è Franeker, a Harderwijk, a Egmond, a Deventer, a Utrecht, dans lesquels vécut Descartes, a Amersfoort, qui est comme 1'asile du Jansenisme francais, a Amsterdam, oül'ombre de Descartes peut aussi rencontrerl'ombre de Spinoza, mais surtout è Leyde, dont nos étudiants ont oublié le chemin, et oü ils furent jadis si nombreux que partout dans les rues retentissaient ou les « A Diu sias! » ou les « Dieu vous conduise ! ». Entrez avec respect, non pas seulement dans 1'Église SaintPierre, oü reposent Scaliger, Polyander, de 1'Escluse, prés de Christian Huygens, ce qui est un symbole encore, mais dans le vieux cloitre qui abrite l'Université. Songez que dans cette salie de philosophie fréquenta Guez de Balzac, et que dans un même amphithéatre, on vit se pencher curieusement sur les cadavres et assister a la « Lecon d'Anatomie », en 1615, le c libertin » Théophile, en 1637, le croyant Descartes. Voyez passer devant la loge du « Pedel»ou bedeau, alors Louis Elzevier, moitié conciërge, moitié libraire, la toge trainante de Doneau, la robe rouge a col d'hermine du petit vieillard a barbe blanche, Joseph Juste Scaliger, « lumière de cette Université ». En ce lieu surtout 1'on comprendra combien la pensée francaise et la pensée hollandaise ont été, dans la première moitié du xvne siècle, intimement et étroitement mèlées, comme 1'étaient, sur terre, leurs armes, et sur mer, leurs pavillons, et 1'on sera tenté d'écouter, dans 1'une et 1'autre nation, la voix impérieuse du passé, pour lui demander des inspirations pour le présent et des directives pour 1'avenir. FIN PIÈCES JUSTIFICATIVES I [page 43] ODE PINDARIQUE SUR LE VOYAGE FAIT PAR LARMÉE DES ESTATS DE HOLLANDE AU PAÏS DE LIEGE LAN 1602. ITEM SUR LA PRISE DE GRAVE i. STROPHE I Piqué d'un sainct aiguillon Qui vient agiter mon ame, Boufïï de 1'enthousiame Du doux sonnant Apollon, Imbu de 1'eau qui decoule De la corne du cheval, De qui le brillant christal En cent petits plis se roule Sur le pré, verd a jamais, Du beau mont k deux sommets, ANTISTROPHE Je veux repousser les airs D'une clameur Stentorée Jusqu'a la voute etherée, Je veux enfanter des vers En faveur du grand voyage, Oü ce nourrisson de Mars Conduisoit nos estandards, Maurice, honneur de nostre aage; Puis je veux chanter comment, D'un terreux retranchement, ÉPODE Cest Heros tant brave [page 44] Brida TAmirand Et son ost courant2 Au secours de Grave, Faisant ses aprests 1. Le commentaire de cette pièce de Jean de Schelandre ayant été donné dans le corps du Livre I, les notes qui sulvent ne se rapporteront guère qu'a 1'établissement du texte. Celui-ei reproduit, sauf indication contraire, 1'édition de 1608 (Tyr et Sidon, Tragedie ou les Funestes Amours de Belcar et Meliane avec autres Meslanges Poétique (Bib). Nat., Rés. Yf. 4264), par Daniël d'Anchères, Gentilhomme verdunois. Paris, Jean Micard, 1608). La ponctuatioh est modernisée; les « i » et les « u » remplacés, quand il y a lieu, par des «j » et des « v ». Je n'ai ajouté d'accent aigu que sur V « e » fermé tonique. La paginatlon est celle de 1'édition. 2.' Édition 1608; « hoste >. oü l'«e» est fautif. Allusion aux événements qui seront racontés plus loin par le poète. 694 PIÈCES JUSTIFICATIVES Avec un tel ordre Qu'il ne fust apres Forcé de demordre. STROPHE II Le ciel, rendu plus serain, Pour r'estaller sa richesse, De sa feconde Maistresse Avoit esmaillé le sein. Jk dans la verte ramée Se nichoit maint oyselet; Un petit zephir follet, Caressant sa Flore1 aymée, Frisoit son poil nouvellet D'un souspir mignardelet. ANTISTROPHE Les Estats, trop ennuyez De voir que le chappeau rouge D'entour ÓOSMöde ne bouge, Siegeant ses mufs pöudröyez, Mettent leurs gens en campagne, Comme oyseau de Jupiter Pour faire prise quitter A ces cornetlles d'Espagne. Le Brabant nous traversons Et droit a. Liege passons. ÉPODE Soubs tant de charettes La terre fremist Et le ciel gemist Au son deS trompettes, [page 45] Ld Meuse né peut, Par nous retenue, Payer son tribut A la mer chenue. STROPHE III L'Arragonnols Un peu froid, Ne nous osant entreprendïe En plain camp, nous vint attendre Sur un malaisé destroit. Pour nous arrester, il gaigne Le trop avantageux bord D'utt petit fleuve qui doft Pres d'une large Campagne, Et pour bouclier contre nous Se targua de son flot doux. 1. Édition 1608 ;« Filore >, faute d'lmpression. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 695 ANTISTROPHE Ainsi pourroit quelquefois Une paresseuse vache Braver la mine bravache Du plus fier hoste des bois, Sur le sueil de son estable, Quand, de pied ferme attendant, D'un lionceau gros grondant La fureur espouventable Luy presente seulement Un front armé durement, ÉPODE Lionceau qui créve Bouiüant de courroux, Qui son poitral roux Herissant esléve, Qui les flancs se bat Des nceuds de sa queüel, Huchant au combat [page 46] La beste cornue. STROPHE IV Son Excellence voyant Sa prime en reprise vaine, S'estant campé dans la plaine, L'ennemy va deffiant. Desjè le genest k 1'erte, A pleins naseaux hannissant, Fougueux2, Foreille dressant, Frappe du pied 1'herbe verte, Eschauffé d'un beau desir De combattre a son plaisir. ANTISTROPHE Ja la sanglante Enyon Pour la bataille s'appreste, Faisant reluire la creste De son guerrier morion ; Mals ceste belle esperance, Naissant au cceur des soldats, En fin ne succeda pas, L'autre manque d'asseurance, Comme un regnard casanier Se tapit en son terriër. ÉPODE Bien qu'égal de nombre, Son peu de valeur 1. La rime est en « üe ». Dans 1'édition, le tréma est cependant sur 1' t e» final. 2. Ed. 1608 : « Fougoux », 696 PIÈCES JUSTIFICATIVES Le met en frayeur D'un second encombre; Ce tant brusqu'abord, Suivi de victoire, Aux champs de Nieuport, Luy vient en mémoire. strophe v Trois fois 1'astre Delien [page 47] Fraya sur nous sa carrière, De rayons de sa criniere Dora le rond terrien Et, dans la mer ondoyante, Ja pour la quatriesme nuict, Chaleureux avoit conduit La charette flamboyante, Ja soubs un voile noirci, Le monde estoit obscurci; , antistrophe Le sommeil charme-travaux, D'une liqueur distilée, La paupiere avoit colée Du grand Cesar de Nassaux, Lors, songeant, il vit paroistre Le Dieu qui, pour ses esbats, Se plaist parmy les combats, Qui, de sa nerveuse dextre, D'un coutelas grand et beau Luy presentoit le pommeau, épode Serrant une targe Au senestre bras, Qui couvroit en bas, De son ombre large, Les murs importants' D'une forte place, Que ja de longtemps Un Prestre menace. strophe vi «_Mon fils, dit-il, ne feins pas De retourner en arriére; Dresse la pointe guerriére De tes indontez soldats [page 46] Contre quelque forteresse Et, vivement guerroyant, Va la Gueldre nettoyant De ceste engeance traistresse, Puis que le sort envieux N'a pas secondé tes vceux. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 697 ANTISTROPHE Plustost les Chevreuils craintifs, Quittants des forests ombreuses 1 Les cavernes. tenebreuses, Paistront au sein de Thetis, Plustost l'horrible baleine Viendra brosser aux forests, Quittant le sein tout exprés De la bouillonnante plaine, Plustost 1'aigle ravissant Craindra Ie pigeon passant, ÉPODE Que jamais se rende A ces basanez, Contre elle obstinez, Ta superbe Oostende ; Elle est a couvert Soubs ceste rondelle, Ne craignant Albert Ny son Isabelle. STROPHE VII A tant le père ayme-sang Se guinda vers 1'Empirée, Hastant sa coche tirée Par lions a doublé rang, Coche qu'un cliquetis d'armes Va tousjours environnant, Un tonnerre cannonant [page 47] Une espouvante d'alarmes, • Puis, le sommeil chasse-ennuy Se retira quand et luy. ANTISTROPHE L'HercuIes des Hollandois, Esveillé devant 1'Aurore, Le Roy tout puissant adore, Comme eognoissant sa voix Favorablement certaine, Puis courageux, ensuivant L'oracle non decevant, Tous ses drapeaux il remeine Vers la forte garnison, Qui garde en toute saison ÉPODE De Grave les terres Et, comme un Autour, 1 Ed. 1608 : t ombrageuses». Ma correctlon est imposée par la mesure du vers. 698 PIÈCES JUSTIFICATIVES Estend k 1'entour Quatre fortes serres Sur ceste perdrix, Qui, fort desirable, A beaucoup d'esprits Sembloit imprenable. strophe viii Sur les fromenteux seillons, Pres de 1'ombreuse fueillade, Logea sa belle brigade, Cinq aguerris bataillons, Mais, sur la plaine jonchée, Pres des ma'rests limonneux, De Guillaume 1, sage preux, La bande y fut retranchée Et du beau Prince Henry Aussi bien né que nourri. [page 48] antistrophe La, sur toute nation, Parmy cette grande armée, Parust la fleur renommée Des nepveux de Francion, La noblesse aux armès duite Des indontables Francois, Qui, par La Noue 2 autrefois, Et par Chastillon conduite, De Dommarville despend, Digne d'un fardeau si grand. épode Et de ce Bethune De qui le Demon Promet k son nom Plus belle fortune, De qui le grand cceur, Plein de belle audace, Seconde 1'honneur De sa noble race. strophe ix Plus loin de la sont butez Les fantassins d'Angleterre, Oü la Hollandoise terre Jette les commoditez. 1. En petites capitales dans le texte, ainsi que les noms qui suivent : Henry, La Neve, Chastillon, Dommarville, Bethune. 2. Ed. 1608: La Neve. La correction en < La Noue > ne porte que sur le premier« e » remplacé par un « o »et est fondée sur 1'histoire des régiments francais, telle qu'elle a été retracée plus haut, pp. 26 et s. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 699 Par ce lieu, la providence Des Senateurs bien liguez, Sur les soldats fatiguez, Espandit toute abondance, La, les superbes Anglois Tremblent grand Veer *, sous • ta voix. antistrophe Mais des Julesques 2 rhoimeur, Ernest, le miroir des Princes, [page 49] L'Achilles de ces provinces. Et d'Espaigne la frayeur, Peupla la digue terreuse Et le petit fort quitté, Separé de la cité D'un seul contour de la Meuse ; Touts ces quartiers au dehors Furent conjoincts en un corps. épode Si longue muraille, Tant de garnisons Fermant de gasons Un champ de bataille, Rompirent le cours De leur admirande, Menant au secours Multitude grande. strophe x Pres de nous il se logea Et, de la part que le fleuve Les champs de Mastricht abreuve, Nostre ost assigeant siegea, Gallante Rodpmontade, Si son courage abaissé Tel dessein n'eust delaissé D'une Espagnolle boutade Et, de nostre ombre craintif. Quitté tout preparatif. antistrophe Mais, pauvres gens, dites moy, Qui vous esmouvoit de faire Si notable vitupere A 1'orgueil de vostre Roy ? Avoir fait si belle monstre. 1. Ed/1608: < VVer »; sans doute faute d'lmpresslon pour < Veer », qui est la forme courante du nom du général anglais Francois Vere dans les documents hollandais. 2. Ed. 1608 :« Judesques ».Cf. plus haut, pp. 78-79. 700 PIÈCES JUSTIFICATIVES [page 50] Nous avoir vetts de si pres Pour eviter par aprés Le devoir d'une rencontre, Se retirer sans subject I O 1'admirable project I ÉPODE Que si la foiblesse D'un si grand amas Redoutoit le bras De nostre noblesse, C'estoit vostre honneur, Sans monstrer la teste, De masquer la peur D'une excuse honneste. STROPHE XI Je scay qu'au creux infernal L'un de vos peres Monarques, Voyant sur le doigt des Parques Vostre infortune fatal, Requist au Roy des tenebres Qu'il despeschast les frayeurs Pour s'emparer de vos coeurs Pleins d'entreprise[s] funebres, Car c'est la le seul pouvoir Qu'en ces lieux il peut avoir. ANTISTROPHE Mais 1'Eternel qui, d'en haut, Avisa toute une armée Concordément animée Pour attendre eest assaut, Qui vit nostre chef en armes, Ce Comte Hollac 1 si vaillant Et tout le champ fourmillant De six milliers de gendarmes [page 51] Qui vit border nos fossez De bataillons herissez, ÉPODE « Tourne la fortune (Dit ce Pere doux), Sens dessus dessous, Sa roue importune, Laisser je ne veux A son inconstance Sur ces miens nep veux Aucune puissance. » 1. Ed. 1608. « Hollac >. Hollac est la forme francaise de Hohenlohe. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 70 f strophe xii Les demy-Mores honteux D'avoir porté les eschelles, Les picqs, les planches, les patsles, Pour un effor: belliqueux, Puls d'avoir fait la retraicte Parmy 1'horreur de la nuict, S'estre espouvantez au bruit D'une sourdine secretie, Logent dés le lendemain, Dans leurs cabanes, Vulcain. antistrophe Nostre sage Agamemnon, Delivré de tant d'affaires, Presse les murs adversaires D'un plus poignant esperon, Si qu'aprés trente joürnées Fismes a 1'extremité, Desloger de la cité Leurs phalanges mal-menées, Non sans perdre en eest honneur Testes de grande valeur : épode [page 52] « Mais quoy ? gens de guerre, « Tant chefs que soldats, « Semblent en ce cas « La tasse de verre, « Que soh maistre veut « Souvent estre veüe, « Qui durer ne peut « Tant de fois tenue. strophe xiii Muse, mon sacré soucy, He ! de grace que la flame, Qui tient en fureur mon ame, Ne s'estaigne point icy. Que ton soufflé, ma mignonne, Qui travaille, violent, Mon estomach panthelant, Au besoin ne m'abandonne, Plustost emply mon cerveau D'un Apollon tout nouveau. antistrophe Mon cceur, ne permets-tu pas Que, sur mes chordes, je range Du bon Du Puis 1 la louange, 1. Du Puls, ainsi que les noms suivants, est imprimé en römaine, alors que le texte est en italique. On remarquera que les petites capitales ont été réservées aux. 702 PIÈCES JUSTIFICATIVES Du Puis, 1'amour des soldats ? Que, baignant en pleurs, je sonne Le dommageable destin D'Hameeet et Mont-Martin, Et qu'encor je mensionne Lagravelle en qui les Dieux Estallerent tout leur mieux ? épode Que si leurs annees Furent icy bas, Parmy les combats, [page 53] Trop tost terminées, Au moins que leur los, Reduit en mémoire, Couronne leurs os D'immortelle gloire. strophe xiiii Mais non, dedans moy je sens, Je sens ta main qui me pousse D'une soudaine secousse, Pour me remettre en bon sens. Or sus, abaissons les volles, Je sens amortir le vent, Qui s'eslancoit en avant Dans mes demi-rondes toiles, Et mouillons en attendant Le fer a deux crocs mordant. antistrophe Prince, non pas le Phoenix Mais le Soleil de prouesse, L'appuy, la force, et 1'addresse De tant de peuples unis, S'il vous viént a gré de lire, Libre de soucis plus grands, Ces freclons que j'entreprends Sur la Pindarique lire, Prenez, mon Püiace clement, En gré mon begayement ; . épode Voyez qu'Amphitrite Recoit «o ,-ses eaux, Des moindres ruisseaux La rente petite, Et du Rhin .puissan L'onde frequentée : i iieï/ [page 54] « Chacun faict present . « Selon sa portée. I Mi prinees hollandaisletiaux colonels francais. « En qui les Dieux» est aussi.e» romaine, ■saus doute '.par erreur. II [page 1] LE PROCEZ D'ESPAGNE CONTRE HOLLANDE/ PLAIDË DÈS L'AN 1600, APRES LA BATAILLE DE NIEUPORT i. Dedié a très-sage Prince et très-valeureux Capitaine, Maurice de Nassau, Duc de Grave etc Grand foudre de combats, boulevard d'innocence, Beau patron de sagesse et miroir de clemence, Prince, qui, pour monter sur le throsne d'honneur, Taillez en marche-pieds 1'Espaignolle fureur, Ja Flore, par six fois, de nouveau s'est paree 2, Depuis qu'un bel instinct de victoire asseurée Vous fit entrer en Flandre, et, costoyant ses bords, Paver les flots de naus et les sables de morts. Deslors cognust Philippe, en sa perte fatale, Que la fortune estoit d'un Maurice vassale ; Ce coup, vostre beau nom par le monde porta, . Jusqu'aux murs de Madril, 1'horreur en esclata. Le bruit d'un tel exploit dans mom ame fit naistre Un esguillon de Mars, un desir de cognoistre Le guerrier qui delïend, nompareil en vertus, [page 2] De i'acier de Cesar, les raisons de Brutus 3. Flottant en ce dessein, la pesanteur du Somme, Image de la mort, tous mes soucis as somme, Lors sortant en esprit pour prendre mes esbats, Je laissay mon tombeau gisant entre les draps, C'estoit lors que le chantre a la creste vermeille Predit au laboureur que 1'Aube s'appareille, Lors vois-je ou pensay voir le fan tas tic 4 Morphé Sortir par le portail qui, de corne estoffé, Ne fait voir aux dormants que veritables songes ; « Ce ne sont (me dit-il) efïroyables mensonges Ni spectres importuns que monstrer je te veux ; Laissons ce lieu terrestre, il faut monter aux cieux. » A-tant, il me chargea sur son espaule forte, Guindé sur deux cerceaux et, d'un cl in d'ceil, ni'enporte Aux planchers etherés ; h peine eus-je le temps 1. Collalionné sur 1'exemplaire des Meslanges, qui se trouve a la Bibliothèque Nationale (Rés. Yf. 4264), a la suite de : Les Funestes Amours de Belcar el Meliane..., par Daniël d'Anchères. Paris, Jean Micard, 1608. Le Procez d'Espagne est la première pièce des Meslanges. Pour le commentaire littéraire et historique, se reporter au chapitre IV du Livre I. Les no tes qu'on trouvera ci-après ne se rapporteront en général qu'a 1'établissement du texte. Les « u» ont été remplacés par des « v», les «1» par des «j »,et inversement, quand il y a lieu. La ponctuation aété modernisée, 1'accentuation ancienne respectée, sauf quand il a fallu ajouter un accent aigu pour marquer la tpnique. 2. La pièce a donc été composéè en 1606. Voir plus haut, p. 49 . 3. Vofrplus haut, pp. 45 et 47 pour le commentaire de ces vers. 4. Ed. 1608 : «fantastique ». 704 PIÈCES JUSTIFICATIVES D'aviser en passant tant d'astres esclatants ; J'entre dans un palais, oü la salie dorée, De cent divinité[s] 1 en couronne parée, D'une odeur de Nectar me ravissoit les sens, Nectar au pris duquel ni les lis blanchissans, Ni la fleur d'Adonis, fraischement espanie, Ni les parfums Indois, les douceurs dArabie, Ne sentent rien de bon. La, le Père tonnant, Assis en majesté sur un throsne eminent, Croullait un feu bruyant, son courroux a trois pointes; L'aigle asseuré le voit, bien que, des troupes saintes Le respect, le silence, et la morne palleur Couvrent dans la poictrine une glaceuse peur. . Contemplant ces beaux lieux, ceste heureuse demeure, Tantost je voy monter sous la ronde cambreure Deux Nymphes d'icy bas, que TAthlantide aislé, Sergent et messager du Palais estoilé, Guidoit au jugement de leur noise obstinée. Première s'avancant, L'Espagne basannée, [page 3] Orgueilleuse en son dueil, dolente en son orgueil, Portoit la rage au frond et les larmes a roeil. Sa demarche estoit grave et sa robbe tissue De metail de Peru rayonnoit a la veüe, Le jayet de son poll, mignardement tressé, De briüants Soleillés estoit entrelassé a. Son sein estoit blanchi de perles arrengées Et de chainons d'or fin ses espaules chargees. Lors, baissant son * sourcil, se prosterne aux degrés Du trosne supernel et verse aux pieds sacrés Du Roy des Immortels un torrent de ses larmes. « Père, dit-elle alors, qui, "d'un trait de vos armes, Poudroyastes, ireux, sur les champs Phlegreans, Le superbe appareil des frères Aethneans, Las I je me plains de 1'injure a moy faite Par la rebellion d'Hollande ma sujette, A vous, grand Justicier, qui, tout puissant, vengez Sur 1'inique oppresseur les pauvres affligés. Pour reprimer 1'ardeur d'un peuple trop volage, Pour maintenir des loix le sacré-saint usage, Vous couronnez les Roys qui serrent en la main Le sceptre appanagé ds pouvoir souverain : Vous les eslevez haut pour redoutés les rendre Et, par signes divers, nous voulez faire entendre Qu'estans vos Lieutenans et comme issus de vous, II faut trembler sous eux et craindre leur courrous, Que l'homme, entreprenant de leur faire nuisance, Conspire en mesme temps contre vostre puissance, Qu'ü vous veut dethroner, s'eslevant comme ceux Qui entassoient les monts pour escheller les cieux. 1. Ed. 1608:« divinité». 2. < Jayet • est un synonyme de jals, que Littré signale encore, • jais : on dit aussi Jaiet». Le sens est: ses cheveux noirs sont entrelaces de brillants étincelants. 3. Édition : 1608 «leur soucil». PROCEZ D'ESPAGNE CONTRE HOLLANDE 705 Ore si voyez vous, et le souffrés encore, Que le meilleur des Roys, Philippe que j'honorè, Race du grand Cesar qui, Plus outrë passant, Feit jusques au tombeau son Empire croissant, [page 4] Soit mesprisé des siens, des peuples dont vous mesme Assortistes jadis son royal diademe. Ils ont pour leur conduite un Alexandre esleU, Mignon du Sort aveugle, et de Mars bien voulu, Qui, Nestor au conseil, Peleïde en la guerre, Joint cités a cités et terre contre terre, Nous menacant qu'un jour la terrestre rondeur Bornera sa conqueste et le Ciél son honneur. Las 1 abaissez le front, et, d'un osil de clemence, Voyez mes champs deserts oü, vainqueur, il se lance, Voyez mes bataillons a 1'estran terracés, Mes plus illustres fils a monceaux renversés Et, voyez, creve-cceur 1 courir un pauvre Prince, Ne trouvant pas lieu seur au cceur de sa Province, Et, sinon par piiié, par devoir pour le moins, Embrassez 1'equité, qui recourt k vos mains. Voire si, Roy des Roys, les majèstés humaines Sont de vostre grandeur les images certaines, Pourquoi permettez vous aux peuples alliés De se crester le chef pour les fouler aux pieds ? De quoy vous sert ce bras tout rougissant de flame ? Est-ce pour mettre en cendre un Capharé sans ame ? Pour briser en esclats un chesne de cent ans, Vaine terreur des daims ? Non, non 1 Pere, il est temps De monstrer aux mortels, d'une plus vive sorte, Le redoutable chocq de vostre ire plus forte. Ils mesprisent tout frein, comme ne pensant pas Qu'un Dieu soit soucieux des affaires d'embas. Hé ! si tant de guerriers qui n'agueres en France Causerent a leur Roy mainte dure souffrance, Sont rangés a ses loix et si les plus mutins Ont changé les combats en paisibles festins, Que ne nous faictes-vous une pareille grace ? Mon Prince at-il moins d'heur, de puissance ou d'audace [page 5] Qu'Henri tant craint au monde ? Hé I ne permettez pas Qu'ils mohtent sur son throne et le versent a bas, Arrestez ce torrent qui nos plaines ravage Ou destournez ailleurs sa bouillonnante rage. Ainsi tousjours le son de vos foudres grondans Face trembler les Dieux, contre vous se bandans, Ainsi 1'Enfant aislé n'outre-perce navrées Vos superbes beautés que de flesches dorées. »' A tant se teüt Espagne et sur pied se dressa, Puis, d'un humble maintien, Hollande s'advanca. L'or de ses blonds cheveux oü Cupidon se joue D'un humide roseau sans parade se noue; • Son front, illuminé de flambeaux azurés, Les lis de son teint frais, de rose colorés *, 1. Édition 1608 :« colorées ». 45 706 PIÈCES JUSTIEiCATIVES L'embon-point l6 (British Museum,. 1073, a 25). Le teste du premier ttwe édlté est sensiblement le" meme que celui du nis. du Modelle, mais ce dernier présente, a cdté de lacunes des vanantes importantes. 7r0 PIÈCES JUSTIFICATIVES temerité trop evidente, s'il ne prenoist 1'escuze du jardinier qui, dez les premières traces de son parterre, a besoin des benins aspects du ciel pour la reprize de son plan. Aussi me suis-je fait accroire que le fondement de mon travail ne peut estre expozé a meilleure censuré qu'a celle de V. M. a qui son interest en ce fait augmentera (si 1'on peut croistre au dela de 1'extremité) son ordinaire clair-voyance, soubs le sain jugement de laquelle, soit que 1'invention n'en semble bien conceue, soit que le stile ne soit trouvé digne de sa matiere, j'auray tousjours plus aizé, devant longue poursuite, ou de redresser le modelle au niveau de son bon plaisir, ou d'employer ci apres en autre mestier qu'a celuy des Muses les annees et [f. 2 v°] 1'aflection que j'ay vouées au service de V. M. Au contraire, si la candeur de mon zele supplée tant aux deffaults de ma plume qu'elle puisse impetrer l'honneur d'un petit adveu, je me promets qu'en despit de sa foiblesse, elle prendra haute volee a rimitation du roitelet eslevé soubs la faveur de 1'aigle, et que, puis que nous tenons ordinairement de 1'astre soubs lequel nous sommes nés, la Stuartide pourra tirer quelque influence de perfection d'un si parfait et accompli Monarque duquel je me qualifleray toute ma vie, Sire, Le tres-humble, tres-obeissant et tres-affectionné serviteur Daniël d'Anchères. Aux fos 3 k 7 r°: Fondement de tout le Poëme sur la verité de 1'histoire. Explicit : Tu acquis Astrée. F° 7 v° : Argument Particulier de ce Livre premier. F° 8 r° : Le Premier Livre de la Stuartide. Inc. : « Je chante icy l'honneur des Escossois. » F° 35 r° : Expl. : Que 1'opulent qui n'a 1'ame replette. FIN DU PREMIER LIVRE DE LA STUARTIDE. Voici la raison qui me fait croire que nous sommes en présence d'un manuscrit, dont au moins le titre, la préface et 1'argument sont autographes. Dans 1'exemplaire probablement unique de La Stuartide (édition de 1611) que possède le British Museum (1073 e 25), on trouve a la p. 140 (cf. pl. XIII) une addition marginale manuscrite, encadrée par un signe d'intercalation entre les mots « Maistre «... et «Las I »: « Ces deux vers sont obmis en 1'impression : De mon conseil 1'inépuisable source, Mon seul consort en ma penible course. Las, etc. » Le peu de soin et d'élégance avec lequel est indiquée cette ïntercation montre clairement que nous sommes en présence d'une addition d'auteur, d'après s:>n propre manuscrt, pareille k celle? qu'on reporte sur des épreuves. Or le seul Schelandre peut avoir souci d'oflrir a Jacques I un texte non mutilé. II y a donc tout lieu de supposer que 1'addition de la p. 140 est autographe. L'écriture du titre et de la dédicace du Modelle de la Stuartide étant san? conte;tation poss'ble (comme ön peut s'en assurer paria c5m;:a~a'so:i d; nos plui.hei XI-XII d'une LE MODELLE DE LA STUARTIDE 711 part, et XIII, d'autre part) absolument identique k celle ds 1'intercalatim, il parait légitirr.e d'en induire que le Ms. E xxxm de Londres est, lui aussi, autographe. J'ajoute encore ici la préface de 1'édition de la Stuartide pour qu'on puisse la comparer a celle du Modelle. LA STUARTIDE Les deux premiers Livres de la Stuartide en l'honneur, etc, 1611. P. 3. A Trés hault, tres-puissant et tres-sage Monarque Jacques I du nom, roy de la Gde Bretaigne, etc. Sire, Voicy les effects de mon offre, sinon touts entiers, au moins sufnsants pour me garentir dü tiltre de faux prometteur. L'honneur est 1'aiguillon des ames bien nées, c'est pourquoy celuy dont vostre Majesté favoreza les premiers traicts de mon [p. 4] dessein m'a fait resoudre a la continuation de 1'ceuvre tant que le printemps de mon aage accompagnera mon affection. Et si les fruicts ne dementent point 1'apparence des fleurs, je me fay fort qu'ils seront aucunement bien receus, puisque le seul argument imparfait et manuscript a remporté — le nom de belle invention. Belle certes, Sire, non 1'invention mais la matiere et digne esteuf de tomber en la main d'un bon joüeur, propre a relever ce divin chantre de Loire de la peine qu'il a prize a ressusciter un Astganax et fonder la majesté de cent Roys sur la vanité d'un fantosme. Mais puisque 1'aage oü nous vivons a produict peu d'esprits qui daignent et tout ensemble puissent bien entreprendre un project de si longue haleine; au deffault d'un plus fort de reins, si ne tiendray-je pas mes mains en pochette a la rencontre d'un si excellent thresor : moy, dis-je, qui (bien que je fusse des moindres) me penseroy bien au seur de 1'affront que receut devant le grand Alexandre un certain versiflcateur; bref, moy qui ay tousjours tenu pour maxime que l'ele[p. 5]ction d'un beau subjet fait honneur a son autheur comme le diamant a son or. Je poursuivray donc, Sire, et d'autant plus hardiment que je scay qu'audaces fortuna juvat : (or je pren 1'adveu de V. M. pour le seul vent de ma fortune) je pousseray ma pointe, voire plus vivement que jusqu'icy, pourveu que nous n'ayons pas touts les ans le divertissement d'un voyage de Juilliers. L'universelle paix qui colle aujourd'huy nos fourreaux sur nos espées symbolize a «mes intentions et fait que, ne pouvant exercer en qualité de soldat, j'ay recours a celle de Poëte, laquelle je ne repute pas tant odieuze que fait le commun de nostre siècle... Selon Colletet (Ap. Asselineau, Notice sur Jean de Schelandre, 2" éd., p. 15), l'auteur avait composé encore deux autres chants que, converti par ses conseils a la manière de Malherbe, il avait écrits en vers alexandrins réguliers. IV DISCOURS POLITIQUE SUR l^ESTAT DES PROVINCES-UNIES DES PAYS-BAS Par J. L. D. B., Gentilhomme francois. A Leyde, chez Jan Maire, 1638, 4 feuillets pet. 4° signés Jean Louys de Balzac et insérés dans le Ms. fr. 17861, f» 269 a 272 de la Rihliothèque Nationale. »(Voir cldessus : Livre II, chap. XI, pp. .270-274). ■pF° A 2 r°]. Un peuple est libre, pourveü qu'il ne veüille plus servir. Après avoir combatu longtemps pour la vie, il combat en fin pour la victoire; après avoir tout enduré, 11 peut tout faire et lors qu'il n'a plus d'espérance, il n'a plus de crainte. Les Provinces du Pays-Bas qui ont eschappé des mains du Roy d'Espagne, pour les avoir voulu trop serrer 2 doivent8 leur liberté a 1'extrémité de leur servitude, jouissent de la paix, pour avoir esté contraintes a la guerre, font rune belle lecon a tous les Souverains, de ce qu'ilz doivent envers leurs peuples et donnent un exemple memorable d tous fes peuples de ce qu'ilz peuvent contre leurs 'Souverains 4. Elles out la justice de leur costé, puisqu'elles ont eu la necessité. Elles méritent d'avoir Dieu seul pour Roy, puis qu'elles n'ont ■peü endurer un Roy pour Dieu et de ne relever que de sa puissance, puisqu'elles ont combatu pour sa seule querelle. Gelui qui estoit ■leur maistre, estant devenu leur ennemi, a perdu les droits qu'il avoit sur elles, ayant violé ceux que Dieu a sur ilui. Voulant traitter ses subjets en ff° A 2 v°] bestes, ü les a contrahits de se souvenir qu'ilz estoient hommes et ayant rompu Be droit des gens par la mort de leurs Ambassadeurs 5, il fes a obligés a recourir au droit de nature par 1'acquisition de leur liberté. Point de merveilles donc, s'il a perdu le Pays duquel il a voulu perdre le peuple, si ceux qu'il a violentés en leur foy se sont oubliés de leur fidélité. Les Tyrans plus subtilz et ingénieux a 1'invention des cruautés extraordinaires qui furent jamais, ne s'estoyent point encore advisés de s'attaquer a 1'esprit, ne scachans par oü le battre. Philippe Second a esté le premier qu'on peut a bon droit nommer te Tyran 'des ames. il a trouvé le moyen de les faire endurer, ;il >les a inises a ;la gehenne* pour fes faire deposer contre ia. verièé set après avoir emploié toutes les peines de ce monde pour rtourmenter le corps, il 's'est a la fin servi de celles de 1'enfer pour tourmenter 1'Ame. Ainsi, 1. Nous avons suivi ici ce texte original, en mentionnant, en note, les variantes importantes, empruntées soit a 1'exemplaire encarté dans let. 917 de la Collection Dupuy et qui porte des corrections manuscrites, soit a 1'édition posthume des CEuvres de M. de Balzac, tome second ; A Paris, chez Thomas Jolly, 1665, in-fol. pp. 482-5 (B. N. Rés. Z."WB7 fol.). 2. Var:« paree qtrTIles a ». 3. Les deux édltlons ont « donnent», mais ma correction s'est trouvéé vériflée par celle de 1'ex. Dupuy. 4. Italique dans 1 édition originale. 5. Allusion a 1'assassinat de Montigny en Espagne en 1570. Cf. Pirenne, Histoire de Belgique, IV, p. 17. 6. Torture. L'ed. de 1665 orthographie : « gesne ». 714 PIÈCES JUSTIFICATIVES ce qu'on dit estre un don de Dieu s'est fait un suplice des hommes et ceste lumière spirituelle, qui doit esclairer les entendemens, a esté changée en un feu materiel qui consume les membres. Levons le masqué a ceste sanglante tragedie. N'est ce pas destruire son peuple, sous couleur de le vouloir instruire ? tuer ses subjets pour les guerir ? brusler son Pays pour le nettoier ? n'est ce pas faire servir la Religion è sa Tyrannie ? rendre Jesus Christ ministre de ses passions ? et au nom du Roy Catholique, venger la cruauté du Roy d'Espagne 1 ? Cruauté [A 3 r°] si grande et inouye, que, s'il n'estoit pas permis autrefois de respirer sans payer tribut, on n'osoit ouvrir la bouche sans craindre la corde et, si on dit que tous les hommes Vivent pour le Prince, il sembloit qu'ilz devoient tous mourir pour le Tyran. Ce pauvre peuple alors, ne trouvant point de milieu * pour se sauver, fust contrahit de cercher s sa seureté dans les perilz de la guere et prit les armes a 1'extremité, non tant pour resister a un si puissant ennemi que pour rendre les derniers devoirs a la Nature et faire un effort aux abbois de sa liberté. Mais celui qui lui donna la résolution au cceur lui mit quant et quant * la force en la main et rendit libres avec beaucoup de gloire ceux qui ne demandoient que servir avec un peu de tranquillité. On vit naistre en un instant une armée, oü le Duc d'Albe ne pensoit pas avoir laissé un homme. On vit les cendres r'allumées de tant d'innocens mettre le feu, oü il croyoit 1'avoir esteint par leur mort et, cependant que le sang versé crioit vengeance, Celui5 qui restoit estoit le vengeur. La Chrestienté intëressée 8 en la justice d'une si bonne cause, ne permit pas qu'on lui arrachast7 1'osil sans y porter la main. Elle anima tous ses 8 princes contre ce 9 Tyran. Elle arma ses peuples pour la defïense de cestui-cy10 et les fit tous combatre pour le faire vaincre. Or c'est icy le grand livre des jugemens de Dieu qu'ü a ouvert en ces derniers temps [A 3 v°] pour y faire lire en tremblant les puyssances de la terre, qui verront un usurpateur de Royaumes perdre son patrimoine. Celuy qui s'est fait maistre de 1'autre monde, sans donner coup d'espées11, ne pouvoit venir a bout d'un petit point de cettui-cy avec toutes ses forces et le grand Philippe chargé des coronnes de tant de Roys estre despouillé de sa chemise par ses propres subjets. Chose estrange et qu'on ne croira pas en un autre Siècle I II a p'us emploié d'or qu'il n'avoit de terre a conquérir et semble qu'il n'ait eu plus* d'hommes de son costé que pour avoir d'avantage de morts. Les bons coups mesmes qu'il a pensé faire lui ont mal succedé. Car, sans la mort du Prince d'Orange marchandée par luy de longuemain, il n'eust pas senti si tost qu'il a fait, les effects de la bonne conduite et du courage de son filz, qu'il a rendu Capitaine a ses despens et de meilleure heure qu'ü n'eust esté bon pou;- ses affaires. II s'est desf ait de la teste, mais il a 12 resté encore deux bras pour le battre: deux Princes nais 1. Ed. orig.:«Espange », corrigé dans 1'ex. Dupuy. 2. Italique dans 1'édition originale. 3. Ed. de 1665 : « chercher ». 4. Aussi. 5. La majuscule remplacée par la minuscule et non sans dessein dans 1'ex. Dupuy. 6. Ed. orig. : < inteteresse »; < e » flnal ajouté dans 1'ex. Dupuy. 7. Ed. orig. : < arrarcha >. 8. Ed. orig. : «ces». 9. Ed. 1665 : «Ie». 10. Ed. 1665 : e cettui-cy »; éd. orig. :« cestui-icy», corrigé en« cestüi-ci»dans 1'ex. Dupuy. 11. « s » barré dans 1'ex. Dupuy. 12. Corrigé en « est» dans 1'ex. Dupuy. Planche LH. Carte des Pats-Bas dans la première moitié du xvii' siècle. (D'après Waddington, La République des Provinces-Unies). DISCOURS SUR L'ESTAT DES PROVINCES-UNIES 715 dans les armes, nourris dans les années, desquelz le plus jeune seroit trop digne d'y commander si son frère ne 1'estoit encores 1 plus. Ilz luy emportent ses meilleures villes, pendant qu'il s'opiniastre après un cimetière et qu'il se ruine d'hommes et d'argent pour avoir les ruines d'une ville despourveüe de 1'un et de 1'autre. Si leurs gens monstrerent a la bataille de Nieuport qu'ilz savoient bien tuer, ilz 2 flrent voir en ce siège qu'ilz scavoient bien mourir. Ilz ont gardé Ostende, ne restant plus que la place oü elle avoit esté ; ils ont eu assés de terre pour combatre, tant qu'ilz en ont eu pour s'enterrer et si elle n'eust manqué a leurs pieds pour les soustenir, leurs mains ne luy eussent jamais manqué pour la defendre. De sorte que 1'Espagnol ne 1'a pas prise, mais ilz luy ont laissée et ont autant gaigné de la perdre que 1'autre a perdu de la gaigner, qui commenca deslors a s'ennuyer de prendre8 de la peine pour avoir du deshonneur; d'estre encores a un commencement de quarante ans et de s'esforcer a ne rien faire. II fallut donc crier : « C'est assés 1» et mettre bas le premier les armes, comme il les avoit prises le premier. Ses Capitaines lui servirent plus a demander la paix qu'a faire la guerre. II les envoya vers les Hollandois, non pas pour les forcer de servir, mais pour les prier de se contenter de leur liberté. II les recogneut pour souverains, ne pouvant les faire esclaves. II leur donna ce qu'il ne leur pouvoit pas oster et fust contraint, traittant avec eux, de baptizer leur gouvernement du nom de République souveraine et d'estre son parrein après avoir esté son ennemi. Si on demande les titres de cette souveraineté, ils sont escrits en lettre rouge, ils ont été signés de la propre main de leurs parties. Si on doute de la durée de cette République, ell' est eternelle, puisqu'ell' a Dieu pour fondateur et la Religion [verso] pour fondement. Si on mesure sa grandeur par celle de la mer, oü elle commande, elle est des plus grandes; si on compte ses années par ses victoires, ell'. est des plus anciennes. Son peuple est Celui qui a esté nommé autresfois le frère des Romains et aujourdhui, heritier de leur vertu, produit des Courages, qui ne* font rien qui ne merite d'estre escrit de ces grans Personages Douza, Grotius, Heinsius, Baudius 4, Esprits qui n'escrivent rien qui ne merite d'estre leü. Les Romains, comme leurs frères, ne les ont jamais fait servir, les Espagnolz ne 1'ont pas pu faire comme leurs Maistres. Concluons hardiment que ceste liberté qui se rencontre si souvent en ce discours ne fïnira point qu'a la fln de la République et que ce peuple ne sera plus, ou sera tousjours libre. Jean Lquys de Balzac. 1. Barré dans 1'ex. Dupuy. 2. Autre feuiüe, sans signature. 3. Ed. 1665 : «perdre ». 4. En italique dans 1'édition originale et dans celle de 1665. Dupuy a recueilU deux feuilles dont le verso est différent. L'une est semblable a celle duMs.fr. 17861, mais la ligne « de ces grands personnages, Douza, Grotius, Heinsius, Baudius, > est barree et, dans la marge, on lit cette note manuscrite:«Voici comme il y a dans la copie qui a esté baillée a 1'imprimeur : qui ne font rien qui ne merite d'estre escrit et des esprits qui n'escrivent rien qui ne merite d'estre leu. » Tel est d'ailleurs le texte de 1'autre f euille avec une astérisque renvoyant k une note marginale imprlmée en italique : « Ces grans personages Douza, Grotius, Heinsius, Baudius », a cöté de quoi la même main a écrit: «II fault lire comme 11 y a dans 1'original: et des Esprits qui n'escrivent rien, etc». Les corrections ne sont pas de la main de Dupuy. NOTES COMPLÉMENTAIRES POUR LE LIVRE II Chapitre VI. — On trouvera encore quelques renseignements sur Scaliger (J.-J.) dans L'Ancien Thédtre en Poitou de H. Clouzot, Niort, 1901, in-8», pp. 58, 59 (et n. 3). Chapitre VIII, p.'230 (et Pl. XXVII). — Je dois a M. Henri Grégoire, professeur a l'Université de Bruxelles, quelques indications sur la page d'album de Lescherpierre. La citation en syriaque est empruntée au Deutéronome VIII, 8 et est reproduite dans Matthieu, V, 4. Elle signifie : « L'homme ne vit pas seulement de pain ». La phrase en hébreu vient des Psaumes (Ps. XXV ( = XXIV), 14) : « Le secret de Jahvé est pour ceux qui le craignent et son alliance a pour but de les instruire ». Le grec est d'Hésiode (Théogonie, 96). Est-il nécessaire que je donne la solution que j'ai trouvée du rébus du bas de la page : « Nella fidelta ( Machault (Vicomte de), 115 ; v. Russi. Machiavel, 559, 628. MAgoN, 588. Madison, 53. Maets (de), 538, 548 ; v. Dematius.Magirus, 523. Mahomet, 559. Maire (Jan), 11, 270 (n. 1), 502, 503, 504, 505 (n. 2), 506, 713. Mairet, 277. Malderé (Jacob de), 112, 118, 120. Malebranche, 427. Malherbe, 15, 69 (n. 4), 89, 91, 93 (n. 1), 95 (et n. 2), 107, 108 (n. 1), 119, 120, 134, 176, 257, 258 (n. 2), 259, 271, 711. Maligny (Daniël), 91 (n. 1). Mantoue (Duc de), 261. Mantoue (Princesse de), 623 ; v. Gonzague (Anne de). Marchand (Prosper), 225. Marescot (Capitaine), 38, 43, 44. Maresius, 555 ; v. Desmarets (Samuel). Marguerite de Parme, 115. Marie dAngleterre (Princesse), 304, 327, 425. Marie- Êléonore de Brande- bourg, 643. Marie de Médicis, 89, 120, 301, 304. Marie Tudor, 48. Marin (Cavalier), 604. Marischal (Francois), 52, 64, 65. Marius (Nathanaël), 230. INDEX DES NOMS PROPRES Marlois (Sam.), 342 (n. 1); v. Ma- rollois (Samuel). Marly (Francois), 94 (n. 1). JMarlye (Francois), 52. Marnix de Sainte-Aldegonde, 150, 172 (et n. 2), 275. Marollois (Samuel), 342 (et n. 1). Marot (Clément), 51. Marquette, 55, 105, 106. Massau (Capitaine), 53. Matham, 90 (n. 2). Matignon (Maréchal de), 204 (n. 2). Mattileus II (A.), 523. Maubuisson (Abbesse de), 626; v. louise-hollandine de Bo- hême. Maulde (Nicolas de), 163. Maurice de Nassau, 7, 9, 18, 19, 27, 29, 31, 32, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 43, 45, 46, 50, 51, 52, 54, 55, 59, 60 (et n. 2), 61, 62, 63, 64, 65, 66, 70, 72, 73 (n. 2), 74, 76, 82, 88, 89, 95 (et n. 3), 96, 99, 100 (n. 4), 102, 105-,'109, 110 (et n. 3), 111, 117, 118, 121, 124, 127, 130, 137, 162, 163, 194, 198, 228, 262, 264, 267, 268, 269, 273, 294, 299, 371, 373, 374, 375, 376, 381, 385, 389, 395, 408, 428, 682 (n. 2), 693, 703. Maurice (Prince Palatin), 605. Maximilien II, archiduc d'Autriche, 182. Maximilien de Bavière, 395, 402. Mayer (Michel), 406. Mazarin (Cardinal), 307, 325, 329, 426, 636. Médicis ; v. Marie de — et Catherine de. Melander (Johan), 97 (n. 1). Melis, 519 ; v. ^Emilius. Melun (Maison de), 55. Ménage (Gille), 114, 288, 326 (n. 1), 330 (n. 3). Menagius (iEgidius) ; v. Ménage. Mendoza (Francisco de), 43, 62, 63, 64, 66, 71, 80, 83. Mercier (Anne), 312 ; v. Saumaise (Madame CL). Mercier (Josias), Sr des Bordes, 170, 312. Mercusz d'Ypres (Jean), 207. 737 Méré (Chevalier de), 411, 462 (et n. 1). Merlanges (Francois), 345. Merricq (Pierre), 94 (n. 1). Mersenne (Le P. Marin), 306, 363 (et n. 2), 378, 403, 406, 415, 419, 422, 426, 432, 435, 438, 442, 445, 446, 448 (et n. 1), 449, 450, 452, 453, 454 (et n. 4), 455, 456, 459, 460, 468, 471, 474, 477, 480, 481, 489, 494, 496, 498, 499, 504 (et n. 1), 505, 506, 514, 515 (n. 3), 516 (et n. 1), 520, 521 (n. 1), 523 (n. 2), 525, 529, 533 (et n. 3), 536 (n. 4), 538, 542, 554, 555, 561 (n. 3), 582, 583, 633 (n. 3), 636, 637, 638 (et n. 1), 639, 641, 646, 677. Merula, 209, 220, 276: Meteren (Van) ; v. Van Meteren. Metius (Adrien), 436, 437 (et n. 1), 438, 452, 523. Metius (Jacques), 437. Meuris (Aert), 96 (n. 1). Meursius, 145 (et n. 1), 254 (n. 1), 297 (n. 4). Micard (Jean), 693 (n. 1), 703 (n. 1), 709. Michel-Ange. 286. Michel de l'Hospital, 87, 88, 159. Mierevelt, 33 (n. 4). Milton, 327. Mirabeau, 10, 269. Mist (De), 96. Miton, 411. Moije (Lowijs de), 141, 254. Molière, 365 (n. 1), 447, 538, 606. Molinaeus (Petrus), 177; v. Du Moulin (Pierre). Moncassin, 25 (n. 1). Monet (Le P.), 69, 78. mongommery, 131 J v. montgommery. Mongombert (Sr de), 144 ; v. Cappel (Louis). Monjaubert (Sr de), 144 ; v. Cappel (Louis). Monluc, évêque de Valence, 191. Monmartijn 61 (n. 2); v. Montmartin. Montaigne 147 (et n. 3) 148, 153 et n. 2) 189 191 (n. 3 et 5) 192 (et n. 1) 228 (et n. 1) 233 (et 738 n. 2), 247, 361, 362, 363, 368 (n. 2), 389, 393, 418 (n. 4), 427, 508 (et n. 1), 622, 718. Montauban (Antoine de), 232. Montaut (Anne de), 92 (n. 2), 116 (n. 5), 117 (n. 1). Montaux (Bernard), 226 (n. 2), 388 (n. 3) ; v. Barnaud (Nicolas). Montchrestien (Antoine de), 15, 261. Montdevis (Mr de), 310 ; v. Rivet. Montélimar (Sénéchal de), Comte de La Fère, 45. Montesquieu, 247, 269. Montesquieu de Rocques (Secondat de), père, 116, 124 (n. 4). Montesquieu de Rocques (Jacques Secondat de),flls;v. Rocques (Capitaine). Montheu (Sr de) ; v. Jeannin (Président Pierre). Montgommery, 243. Montgommery (Gabriel, comte de), 232, 243 (et n. 2). Montgommery (Louis de), 232, 243. Montigny, 272, 713 (n. 5). Montigny de Bretagne (Mr de), 637. Montigny de Glarges, 585. Montluc (Blaise de), 30. Montmarnès (Pontius de Besque, Sr de), 344. Montmartin (Capitaine). 19, 20, 59 (n. 2), 61 (et n. 2), 62, 64 (et n. 4), 66, 67 (n. 5), 85, 137, 688, 702. Montmartijn, 64 (n. 4); v. Montmartin. Montmorency (Duc de), 264. Morel (Frédéric), 210. Moriau, 130. Morin (Anne), 359. Morin (Ëtienne), 351. Morin (Jean-Baptiste), 415, 419, 422, 500 (n. 2). Morin (Pierre), 227. Mornay (Philippe de), 133 (n. 4); v. Du Plessis-Mornay. Mortier (Pierre), 63 (n. 1). Morus (Alexandre), 351. Mory (de), 348. Mostart, 208. Moysan de Brieux (J.), 345. index des noms propres Moyzantius (Jacobus), 345; v. Moysan de Brieux. Mulqueau (Adam), 61 (n. 2). Muret (Marc-Antoine), 189, 190, 191 (n. 3). Mydorge (Claude), 378, 415, 422, 441, 459, 583, 636. Myrican (Nicolas), 473. Myrican (Thierry), 473. Nassau (Charlotte); v. Charlotte de. Nassau (Élisabeth); v. Élisabeth de. Nassau (Ernest-Casimir); v. Er- nest-Casimir de. Nassau (Frederic-Henri); v. Frédé- ric-Henri de. Nassau (Guillaume); v. Guillaume d'Orange. Nassau (Guillaume-Louis) ; v. Guillaume-Louis de. Nassau (Jean-Louis); v. Jean- Louis de. Nassau (Louis), 54 ; v. Louis de. Nassau (Maurice) ; v. Maurice de. Nassau-Siegen (Jean de), 106 (n. 6). Naudé (Gabriel), 403, 670. Nerée (Richard-Jean de), 373, 390. Néron, 232. Neuhusius (Henricus), 406. Neyen (Jean de), 111. Nicasius (Johannes), 373. Nicole, 524. Nicot, 393. Niebuhr, 213. Nieuwkerke, 222; v. Dubois. Nogaret (Louis de), 126; v. La Valette (Cardinal de). Noortich (Heere van), 216 (n. 1); v. Noordwijk et Douza (J.), fils. Nortwijck (Mr de), 164 ; v. Douza (Jean). Ockinga, 436. Ogier (Francois), 16, 84 (et n. 1), 126. Oldenbarnevelt, 35 (n. 1), 38, 112, 121, 136, 162, 208, 210, 238, 262, 264, 265, 283 (n. 3), 295, 305, 343, 371, 375, 390. Orange (Frédéric-Henrid'); v. Frédéric-Henri d' — et Nassau. INDEX DES NOMS PROPRES 739 Orange (Guillaume cl'); v. Guillaume d' — et Nassau. Orange (Maurice d'); v. Maurice (Prince) et Nassau. Orange (Philippe d'); v. Philippe d' Orléans (David d'), 27, 57 (n. 1), 99 (et n. 5), 103, 341, 373, 381. Orléans (Gaston d'), 624 ; v. Gaston d'. Orliens (David van), 99 (n. 5), 373 ; v. Orléans (David). Orlers, 83 (n. 1), 241 (n. 1). Oudart (Robert), 231. Oudin (César), 365. Oudin (Francois), 318 (n. 3). Oyseau (Suzanne), 301. Ovide, 362 (n. 3). Paau (Petrus), 184, 263. Palotti, 608, 619 ; v. Pollot (Alphonse de). Paquot, 160, 315 (n. 1). Pascal (Blaise), 28, 359, 362, 393, 394, 396, 404 (n. 1), 411, 415, 447, 462 (n. 1), 524, 622, 637-639 (et n. 1), 641, 684 (n. 3). Pascal (Étienne), 512. Pascal (Jacqueline), 637 (et n. 2). Passavant (Francois), 344 (n. 1). Patin (Guy), 221. Paul de Middelbourg, 456. Pauw (P.), 184, 263. Pecquius, 119. Pedro de Tolède (Don), 113. Péguy (Claude), 155. Peiresc ,108 (n. 1), 313 (n. 2), 342 (n. 3), 437 (et n. 2), 447, 449 (et n. 2), 480 (et n, 1). périer, 639. Périer (Gilberte), 637 (et n. 2). Périer (Jérémie), 56 (n. 5). Perrotus (Nicolaus), 346 ; v. Perrot dAblancour. Perrot dAblancour (Nicolas), 346 (et n. 2). Person (Marthe), 494 (n. 5). Pescarengis (Cosme de), 163. Petit, conseiller du Roy, 530, 581. Petit (Francois), 227, 231. Petit (Samuel), 228, 349. Peudevyn (Jean), 349. Phèdre, 362 (n. 2). Philippe II, 27, 48, 143, 146, 147, 273, 713, 714. Philippe IV, 115. Philippe d'Orange, Comte de Buren, 117, 118 (et n. 1) 267, 273, 375. Philippe (Prince Palatin), 605, 625, 626 627. Picot (Abbé Claude), prieur de Rouvre, 404, 533, 534, 580, 581, 583, 587, 588 (et n. 3), 636, 641, 677. Picto (Renatus), 377 (et n. 1); v. Descartes (René). Pigot, 109. Pineau (André), 179 (et n. 6), 239 (m 5), 291, 301, 304 (et n. 1, 7), 306, 308, 309, 310 (et n. 1, 2), 453, 466. Pinon (Jacques), 246. Piset, 61. Pithou (Pierre), 190, 203, 208. Pla (Adrien), 330. Platon, 147, 534. Plantin (Christophe), 200 (et n. 3). Plaute, 236, 237. Plemp, 468 ; v. Plempius. Plempius, 467, 468, 514, 537. Pline l'Ancien, 149, 463 (n. 2). Plisson, 130. Plouchard (Bernard), 372. Plutarque, 363. Poictiers (Jean de), dit Cadet, 372. Poil-Blancq (Samuel), 100 (n. 2). Poilblanc (Frédéric), 346. Poisson (Le P.), 395, 414. Poiret, 688. Polignac (Élie de), 346. Pollot (Alphonse de), 425, 514, 518, 520 (n. 4), 525, 543, 549, 575, 576, 585, 606, 607, 608, 609, 610, 611, 616, 617, 619, 654. Polyander van den Kerckhoven (Jean), 3,141,179, 185 ; Livre II, Chap. VII : pp. 219, 222-223; 232, 241, 259, 295, 302, 304, 325, 345, 346, 353, 473, 689. Polyander (Jean), fils, 222, 223 ; v. Heenvliet (Sr de). Pomarède (Capitaine), 44, 52, 53., 54, 56 (n. 5), 58 (n. 1). Pomponne (Marquis de), 129. 740 INDEX DES NOMS PROPRES Poncet (Charles de), Sr de Brétigny, 347. Pontanus (Jean Isaac), 523. Pont-Aubert, 38. Pont-Challandière, 121 ; v. Challandière. Pontius de Besque, Sr de Monmarnes, 344 ; v. Besque. Porlier, 669. Primerose, 538. Princesse de Condé, 119 (et n. 5); v. Condé. Priolo (Benjamin), 344. Pritolaus (Benjaminus), 344; v. Priolo (B.). Puget (Estienne), 21. Puteanus (Antoninus), 225. Putschius, 221. Pythagore, 399. Quesnel (Le P.), 688. Rabelais, 182, 240 (n. 6), 261, 387, 427. Racan (Honorat de Bueil, Sr de), 16, 95, 114 (et n. 5, 6). Racine (Jean), 185, 365. Raei (de), 657 (n. 3), 663 ; v. Raey. Raey (Jean de), 540, 657 (n. 3), 663, 664, 677 (n. 3). Rams^eus (Jac), 177, 178 ; v. Ram- say. Ramsay (Jac), 177, 178. Ramus, 170. Raphael, 286. Raphalingius, 173, 200; v. Raphelèngien. Raphelèngien (Francois), 173, 200 (et n. 3), 207, 209, 210 (et n. 2), 211, 263. Raphelèngien (Joost), 209. Raphelengius, 173, 263; v. Raphelèngien. Raphelingius, 200 (n. 3), 211 ; v. Raphelèngien (Fr.). Rassard, 66. Ratleyf, 109. Ratloo (Alexandre), 154, 160. Rauschenbourgh (Maréchal de), 124. Raventein ; v. Van —. Rebersac, 129. Rebertus (Lazarus), 225. Reboul (Denis), 227, 237. Rebullus (Denis), 227. Regis (Capitaine), 121. Regius (Henri le Roy ou de Roy, dit), 9, 10, 405, 426, 512 (et n. 3), 518, 519 (et n. 6), 520 (et n. 4), 522, 524, 525, 527 (n. 1), Livre III Chap. XVI-XIX : pp. 535-573; 586 ; Chap. XXI : pp. 595-601 ; 608, 632, 633 (et n. 2), 634, 653. Regneri ab Oosterga (Cyprianus), 550 (et n. 2), 551. Reigneri (Henricus), 345 ; v. Reneri (Henri). Regnier (Henri), 448 ; v. Reneri (Henri). Reinekerus (Hermannus), 152. Rembrandt, 33 (n. 4), 254, 346, 464, 539 (n. 1). Rembrandtsz (Dirck), van Nierop, 475 (et n. 2), 592, 593, 683. Remondt (Guillaume), 373. Renaud (Daniël), 349 (n. 4). Renaud (Judith), 349 (et n. 4), 350. Reneri (Henricus ou Henri), 9, 10, 335, 341, 426, 434, 435, 446, 447 (et n. 1), 448, 449, 453 ; Livre III, Chap. X : pp. 472475, 484, 491 (et n. 1), 498, 507, 508, 509, 512 (n. 1), 518, 519, 520, 550, 601, 653. Renery (H), 518, 519 ; v. Reneri (H). Requesens (Don Louis de), 143. Rerac, 131. Reves (Jacques de), 189 (n. 3); v. Revius. Revius (Jac), 9, 189, 472 (n. 1), 474, 475 (et n. 3), 577 (n. 1), 653,' 657, 658, 659, 663, 665 (et n. 1), 666 (et n. 4). Reyneri (H.), 509 ; v. Reneri (H). Reyiers (Sybilla), 263 (n. 2). Rhosny (Sieur de), 55 ; v. Sully. Richardot (Président), 113. Richelieu (Cardinal de), 63 (n. 1), 330 (n. 3), 382 (n. 1), 426, 428, 506. Richter (Sébastien), 22. Ridder (C. de), 572. Rigault (Nicolas), 288, 312. Rivet (André), 8, 178, 179 (et n. 6), 228, 239 (n. 5), 241, 262, 291 ; INDEX DES NOMS PROPRES 741 Livre II, Chap. XIII : pp. 293310, 311, 314, 325, 337, 343, 344, 347, 348, 352, 353, 389 (n. 2), 425, 453, 466, 473, 474, 492, 496, 509 (n. 1), 582. Rivet (Claude), 343, 347. Rivet (Guillaume), Sr de Chanvernon, 208, 213, 228, 230, 298, 300 (et n. 3), 343, 351. Rivet (Madame), 300; v. Oyseau (Suzanne). Roannez (Mademoiselle de), 359. Robert (Prince Palatin), 605. Robert (Lazare), 225. Roberval, 512, 637, 638 (et n. 1). Robinson (Rév.), 302. Rocolet (Pierre), 283 (n. 2). Roemer-Visscher, 508. Roger (Louise ou Loyson), 624. Rohan (Duc de), 52, 110, 426. Rohan (Duchesse de), 624 (n. 5). Rohan (Mademoiselle de), 309. Roissi, 152 (n. 1). Romano (Pompeio Justiniano), 99, Ronsard, 71, 73 (n. 1), 87 (et n. 4). 90 (n. 3), 91, 93 (n. 1), 134, 144, 257, 259. Rondelet, 182. Rocques (Jacques Secondat de Montesquieu de), fils, 38 (n. 5), 53, 54, 57, 61, 62, 64, 67, 92 (n. 1) 102, 104, 105, 106, 116. Rocques (Jacques Secondat de Montesquieu de), 106, 110, 121, 124 (n. 2), 136. Rocques-Lobéjac (Andiette), 189. Roques, 136 ; v. Rocques père. rosenkreutz, 402. Rosny (Maximilien, baron de), 33 ; v. Sully. Rosset (Francois de), 365. Rou (Jean),-240. Rousseau (Jean-Jacques), 272. Roussy (Sr de), 112. Roy (Andries de), 66 (n. 3). Roy (Henri de), 512 (et n. 1), 520, 535, 541, 545, 633, 654; v. Regius.' Russi (Êlie de la Place, Sr de), vicomte de Machault, 113, 115. Russy (S' de), 113 ; v. Russi. Rutgersius, 283. Sailly (Capitaine), 372. Sain, 412. Sainct-Mars (Isaac), 344. Saint-Amand, 680. Saint-Aignan (Nicolas de), 349. Saint-Cyran (de), 262, 308. Saint-Didier (Madame de), 346 (et n. 2). Saint-Évremond, 285. Saint-Fulgent (Jacques-Bertrand, Sr de), 231. Saint-Gabriel (Ant. Basnage Sr de), 229 ; v. Basnage (Antoine). Saint-Hilaire (Capitaine), ou Saint-Hillaire, 61, 62, 64, 67 (n. 5), 68, 96 (n. 1), 121. Saint-Loup (Sr de), 310 ; v. Saumaise (Bénigne). Saint-Loup (Sr de), fils de Saumaise (Claude), 332 (n. 4), 681 (n. 2). Saint-Mihiel (Girard de), 27 (n. 1); v. Girard de Saint-Mihiel. Saint-Paul, 176. Saint-Simon (Jean-Antoine de), baron de Courtomer, 58 (n. 2), 372 ; v. Courtomer. Saint-Surin, 281 (et n. 3), 282 (et n. 1, 3). Saint Thomas, 523 (et n. 2). Saint-Vertunien (Francois de), Sr de Lauvau, 190 (n. 3), 197, 204. Sainte-Aldegonde ; v. Marnix de —. Sainte-Croix (Mr de), 496. Sainte Thérèse, 396. Salandre, 58 (n. 3); v. Schelandre (Robert de). Salisbury, 67 (n. 2). Salmasius, 221 ; v. Saumaise (Claude). Sancy (Sr de), 55, 61, 62 (et n. 1), 63 (et n. 1), 64, 67 (et n. 5), 68, 98 (n. 4). Sanson, 79 (n. 1). Saporta (Antoine), 240 (n. 6). Saravia (Adrien), 8, 158, 163; Livre II, Chap. IV : pp. 169-170 • 171, 172 (n. 2), 192, 241. Sardigny (Mr de), 179 (et n. 6). Sarocques (Capitaine), 59 (n. 2), 61, 62, 64, 67 (et n. 5), 96 (n. 1), 97 (n. 1), 106, 121, 136. 742 INDEX DES NOMS PROPRES Sarrau (Conseiller), 306, 307, 308, 318 (n. 3). Sarrocques, 121 ; v. Sarocques. Sarravia (Thomas), 169 (n. 1) ; v. Saravia. Sarravius, 307 ; v. Sarrau. Sau (du) ; v. du —. Saucy, 62, (n. 1) ; v. Sancy. Saumaise (Bénigne), Sr de Tailly, Bouze èt Saint-Loup, 310. Saumaise (Claude), 9, 10, 214, 221, 275, 288, 291, 304, 305; Livre II, Chap. XIV : pp. 311-333, 338, 345, 346, 352, 353, 404, 426, 467, 473, 478 (et n. 3), 486, 492, 502, 505, 509 (et n. 1), 512, 523, 579, 584 (n. 1), 666, 670, 677, 681 (n. 2), 689. Saumaise (Madame Claude), 312, 320. Saurin, 310. Savornin, 97 (n. 3). Scala (La), 189 ; v. Scaliger. Scaliger (Joseph-Juste), 8, 9, 10, 53, 106 (et n. 4), 139, 173, 184 (n. 4), 185 ; Livre II, Chap. VI : pp. 187-217; 219, 220, 221, 227, 228 (et n. 1), 230, 234, 236 (et n. 2, 5), 237 (et n. 3), 263, 275, 276, 283, 288, 289, 295, 298, 305, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319, 320, 325, 332, 333, 343, 352, 353, 373, 390 (n. 4), 689 ; Notes complémentaires SUr le LlVRE II, 717. Scaliger (Jules-César), 187, 188, 189, 190, 193, 197 (et n. 1), 209, 210 (n. 2), 212, 213 (n. 2). Scaliger (Sylve), 190. Scanderus, 473. Scarron, 308. Scarron de Nandiné (Madame), 636. Scelandre (Johannes), 25 (et n. 1), v. Schelandre (Jean de). Schalander, 97 (et n. 2); v. Schelandre (Robert de). Schalandiere, 121 ; v. aussi Cha- landière. Schalandre, 97 (et n. 2); v. Schelandre (Robert de). .Schaliger (J.), 216 (n. 1); v. Scaliger (J. J.).' Scheiner (Le E.), 447, 480 (et n. 4). Schelander, 57 (n. 1) ; v. Schelandre (Robert de). Schelandre (Anne de), 17 (n. 7). Schelandre (Charlotte de), 22. Schelandre (Francois de), Sr de Wuidebourg ou Wuidebour'gs, ou Vuidebourse, 26 (n. 5), 125 (n. 4). Schelandre (Gobert de), Sr de Chaumont, 26 (n. 5). Schelandre (Hélène de), 22, 26 (n. 5). Schelandre (Jean de), 8 ; Livre I: pp. 15-137, 177 (n. 2), 222, 234, 258 (n. 2), 268, 270, 272 ; Pièces Justificatives I et II : pp. 693711. Schalandre (Jean de), Sr de la Cour et de Vuidebourse, 125 (n. 4). Schelandre (Judith de), 125 ; v. Streff. Schelandre (Madeleine de), 125; v. Chavenel (Richard de). Schelandre (Mademoiselle de), 36 (n. 3), 125, 126. Schelandre (Madame de), 125. Schelandre (Robert de), frère de Jean de —. Livre I : pp. 15- 137. Schelandre (Robert Thin de), le père, 22, 26. Schelandres, 98, 99; v. Schelandre (Robert de). Schelandres (Renée de), 126. Schelender (French, Frantz ou Franch), 26 (n. 5). Schelnders (Jehan Thin von), 26. Schioppius, 289 ; v. Scioppius. Schlandres, 54 (n. 6); v. Schelandre (Robert de). Schlandres ; v. Schelnders. Schluter (Henry), 677, 683 (et n. 2), 684. Schotanus, 336, 347. Schotanus (H), 436. Schotanus (M.), 436. Schotanus (d'Utrecht), 548. Schoock (Martin), 9, 553; v. Schoockius. Schoockius (Martinus), 9; Livre III; Chap. XVII : pp. 553556 ; Chap. XVIII : pp. 557-567 ; INDEX DIS NOMS PROPRES 743 Chap. - XIX : pp. 569-578 ; Chap. XXI : pp. 595-601 ; 658. Schooten (Frans), le père, 446. Schooten (Frans), le jeune, 369 (n. 1), 377, 532, 677 (n. 3), 678 (n. 2), 683, 684 (n. 3). Schouten (André), 147. Schrassert, 523 (n. 1), 524 (n. 1). Schuerman (Jean Godschalk), 536 (n. 4) ; v. Schurman. Schurman (Anne-Marie de), 437 (et n. 4), 517, 536 (et n. 4), 537, 539, 719. Schurman (Jean Godschalk de, a, ou van), 437 (et n. 4), 536 (n. 4). Schürmann, 437 (n. 4) ; v. Schurman. Schurmans (Mademoiselle de), 536, 539 ; v. Schurman (Anne-Marie de). Schurmans, 437 ; v. Schürmann. Scioppius, 189, 210, 289. Scudéry (Georges de), 276, 277, 285. Second (Jean), 144. Sedlinsky, 124. Séguier (Chancelier), 584. Selandre, 25 (n. 1). Selidos (Capitaine), 59 (n. 2), 64 (n. 4), 96 (n. 1). Sénèque, 149, 176, 236, 237, 585, 622, 642. Sergeant (Johannes), 481 (et n. 4, 6). Sergeant (Thomas Jacobsen), 481 (et n. 6), 482. Seridos, 64 (n. 4); v. Ceridos, Celidos, Selidos. Serocques (Capitaine), 136 ; v. Sarocques. Servin, 205. Servien, 374, 661. Sévigné (Madame de),- 285, 424. Shakespeare, 237, 365 (n. 1). Silve (Capitaine), 57 (n. 4), 62, 64, 67, 103, 105. Silvius, 537 ; v. Del Boe —. Simonsz (Reyer), 216 (et n. 1). Sint-Hilare, 96 (n. 1); v. SaintHilaire. Sjaerdema (Familie), 426, 436, 438 (et n. 1). Sjoeck (Nicolas), 438 (n. 4). I Slandre, 54 (n. 6), 97 ; v. Schelandre (Robert de). Smedt ou Smet (Bonaventure de), 178, 192, 236, 275; v. Vulca- nius. Snellius, 236, 341 (n. 3), 432 (et n. 2), 476 (n. 4), 492 (n. 1). Socin, 559. Socrate, 384, 386, 467, 631, 651. Solms (Comte Georges de), 38,39,40. Somaize, 536. Sommelsdijck (Mr de), 313; v. Aerssen (Francois). Sommère (Mr de), 205. Sonoy, 162. Sophie (Princesse Palatine), 605 (et n. 1), 629. Sorberius, 349 ; v. Sorbière (Samuel). Sorbier (Henri), 350 ; v. Sorbière. Sorbière (Samuel), 228, 281, 331, 337, 349 (et n. 3), 350, 448 (n. 3), 465 (et n. 1), 469, 528 (et n. 3), 530 (et n. 2, 3), 531, 532 (et n. 2), 581 (et n. 4), 582, 587 (et n. 1), 603, 604 (n. 4), 657 (n. 3), 666 (et n. 5). Sosius, 167. Soubyse (Mr de), 110. Soucy (Francois de), Sr de Gerzan, 417 (n. 4). Soumazannes (Sr de), 125 (n. 4); v. Schelandre (Jean de). Soumazennes (Sr de), 98, 125 (n. 1), 709 (et n. 1) ; v. Schelandre (Jean de). Spangenberg, 160. Spanheim (Frédéric), 304, 337 (et n. 2), 351, 659 (et n. 1), 663. Spencer (Richard), 112, 118. Spinola, 58 (n. 2), 99, 105, 106, 110, 111, 113, 371, 376. Spinoza, 358, 619, 688, 689. Spucker (Adam), 587. Stampioen, 525, 609. . Stasquin (Jean), 22. Statira, 536 ; v. Schurman (AnneMarie de). Steen (Jan), 185, 260. Steuartius, 665; v. Stuart (Adam). Stévin (Simon), 27, 275, 341, 342, 373, 381. 744 INDEX DES NOMS PROPRES Streff de Lawenstein (Jean Lambert de), 125. Stuart (Adam), 331 (n. 2), 337, 338, 655, 657 (n. 3), 659, 663, 664, 665. Stuart (David), 331 (et n. 2), 661. Stuarts (Les), 125 (et n. 1). Sturm (Jean), 155, 156. Studler van Zureck ou van Zurich (Antoine), Sr de Berghe (Bergen), 586, 677; v. Van Surck. Sully, 33, 119. Surck; v. Van Surck. Taciturne, 172 ; v. Guillaume d'Orange. Taffin (Jean), 151 (n. 1), 222, Tailly (Sr de), 311 ; v. Saumaize (Bénigne). Tallemant des Réaux, 176 (n. 3), 271 (n. 3), 389 (n. 2), 533 (n. 3), 624, 625. Talmont ; v. La Trémoille (Claude de). Talon (Jacques), 126 (n. 4). Tanaquil-Faber, 353 (et n. 1); v. Tanneguy-Lefèvre. Tanneguy-Lefèvre, 353 (et n. 1). Tarente (Prince de), 299, 342, 343 ; v. La Trémoïlle. Taurin (Joseph), 225. Tayaert (Jacob), 146. Téligny ; v. La Noue. Téligny (Marguerite de), 30. Térence, 148. Tesselschade (Maria), 308 (et n. 3). Texton (Renatus), 230. Théophile de Viau, 119, 139, 141 (et n. 3), 219, 223, 232, 241 '. Livre II, Chap. X et XI: pp. 243270, 279, 372, 404, 415, 416, 419, 447, 467, 689. Thin (Robert), 134 (n. 2); v. Schelandre. Thorius (Pierre), 372. Thou (Jacques-Auguste de), Conseiller d'Emmery, 26, 106, 191, 198, 203, 205, 210, 237, 288. Thou (Gouverneur de), 55. Thouars (de); v. La Trémoïlle. Thuanus ; v. Thou (de). Thuméry, 264 ; v. Boissize (de). Thunic, 204 ; v. Tuning. Thysius (Fr.), 316, 333 (et n. 1). Thysius (Antoine), 338, 523. Tiara, 436. Tirion (Isaac), 79 (n. 3). Torci (Samuel de), 346. Torsi (Pierre de), 340. Tossanus, 160 ; v. Toussain. Touchelaye (de), 533. Tournemeine (Catherine), 349 (n.4) Toussain (Daniël), 160. Trelcat (Luc), fils, 171. Trelcat (Luc), 8; Livre II, Chap. IV : pp. 170-171 ; 175, 179, 241, 353. Trémoïlle (Charlotte-Brabantine), Duchesse de la —, 296 ; v. Nassau. Tremolius (Fredericus) com. La- valli, 342 ; v. Tarente et La Trémoïlle. Trigland, 657 ; v. Triglandius. Triglandius, 336, 655, 656, 657, 658, 664. Tristan L'Hermite, Livre II, Chap. X : pp. 247-253, 279, 286, 387. Tronchin (Daniël), 230. Tronchin (Théodore), 231. Troncinus (D.), 230; v. Tronchin. Tuning (Gerijt), 173, 192, 193, 194, 195, 196, 197 (et n. 3), 204, 217, 219, 238. Turenne (Le Grand), 8, 17, 18, 126, 425, 562 ; v. La Tour d'Auvergne. Turlupin, 290. Turnèbe, 189, 192. Turnebus, 192 ; v. Turnèbe. Turretin (Benoit), 231. Tuyninck, 216 (n. 1) ; v.'Tuning. Tycho-Brahé, 523. Valcher, 506 ; v. Valckenburg. Valckenburg (Adrien), 506 (n. 2). Valkenstein (Comte de), 54. Vallaeus (Carolus), 372 ; v. Val- lée (Charles). Vallée (Charles), 372. Vallée des Barreaux (Jacques), 533 ; v. Des Barreaux. Valleran-Lécomte, 16, 253 (et n. 1), 349. INDEX DES NOMS PROPRES 745 Valles (Ch. de), 349 ; v. Vallesus. Vallesus (Carolus), 349 ; v. Valles (C. de). Van Aitzema, 603 (n. 2). Van Asperen (Sr), 55. Van Baerle (Gaspard), 240, 265, 335, 551. Van Baerle (Suzanne), 493. Van Bergen (M.), 615 (et n. 2); v. Van Surck. Van Bergen (Le marinier), 129. Van Brederode, 562. Van Bronchkorst (Gérard), 523. Van Campene, 158. Van Dam (Cornelis Heymenss), 452. Van den Waterlaet, 543 ; v. Wa- terlaet. Van der Burcht, 103. Van der Does (J.), 143, 144, 146, 202 ; v. Douza (Père). Van der Hoolck, 542, 543, 548, 549, 571, 576. Van der Linden, 221. Van der Merck (Pierre), 390. Van der Mylen (Cornelis), 120, 283 (n. 3), 293 (n. 1), 294. Van der Mylen (M11»), 283. Van der Noot (Charles), 97 (n. 3), 101. Van der Vecht (Jan Jansz), 316. Van der Werff, 143. Van Dorp (Frédéric), 101. Van Erpen (Thomas), 302 ; v. Erpenius. Van Eyck (Jacob), 498 (n. 1). Van Foreest (Les), 426. Van Foreest (Jean), 590. Van Foreest-Schouwen (Pieter). Van Goor (Th. Ernest), 58 (n. 2), 304. Van Goor (Le pasteur), 473. Van Harff (Eva), 437 (n. 4). Van Hogelande (Corneille), 404, 488, 527, 530, 586, 634 (et n. 4), 646, 666, 677, 678. Van Hogelande (Fr.), 182. Van Hogelande (Theobald), 182 (et n. 1), 226 (n. 1), 404. Van Hout (Jan), 144, 184 (et n. 2), 196, 238, 263, 659. Van Inhausen et Kniphausen (Dodo), 102. Vanini (Lucilio), 419, 559, 565, 595, 596. Van Leeuwen, 546, 571. Van Loo (Maria), 221. Van Loon, 60, 103. Van Mandeville (Johan), 523. Van Meteren (Emmanuel); Livre I, pp. 15-137, notamment p. 19, 191 (n. 5). Van Mieris, 187 (n. 1). Van Oppyck, 523 ; v. L'Empereur (Constantin). Van Ostade, 466. Van Ostrum (Pétronille), 236. Van Raphelengen (Joost), 209; v. Raphelèngien. Van Ravelengen (Francois), 209 ; v. Raphelèngien. Van Ravenstein, 32 (n. 4). Van Schooten (Frans), 374. Van Shouwen (Marten), 530; v. Van Foreest. Van Schuyrman (Frédéric), 437 (n. 4), v. Schurman. Van Surck (Antoine Studler), Sr de Bergen, 10, 581, 586, 591, 677 (et n. 3), 678. Van Surcq (Antoine), 527. Van Vervou (Fredrich), 67 (n. 1). Van Zureck, 586 ; v. Van Surck. Varennes (Sr de), 111. Varron, 190. Vassan (Les frères), 210 (n. 6), 212. Vaux (de), 31 (n. 5), 291. Vedel (Nicolas), 473, 475. Veer (Général Francois), 60, 77 (n. 2, 4), 78, 699 (et n. 1); v. Vere. Veere, 208 (étudiant hollandais). Vendóme (Duc de), 281. Verbeck (Henri), 551 (n. 4). Verbeck (Jean), 551 (n. 4). Vere (Daniël), 36. Vere (Ëdouard), 36. Vere (Franpois), Général, 31, 35, 36, 38, 39, 40, 42, 43, 60, 61, 63, 64, 65, 76, 77 (n. 2), 78 (et n. 2, 3, 4), 101, 102, 109, 699 (n. 1). Vere (Horatio), 35, 36, 42, 61. Vergeyl (Laurens), 503. Vermeer, 46. Verneuil (Duc de), 35, 38, 53, 248. Verpré, 680. Verthamon (Francois de). 746 INDEX DES NOMS PROPRES Vetter (By), 182 (n. 1). Vésale (André), 521. Viarius (Theophilus), 141 ; v. Théophile. Viau (Théophile de), 232, 241 ; v. Théophile. Viète, 203, 210, 376. VlLLAR ; Va del. Villebon (de), 120. Villebressieu (de), 415, 456 (n. 1), 469 (et n. 1), 470, 471, 475, 580. Villeroy (de), 111 (n. 2), 131. Villiers (Loyseleur de), 145, 172. Villon (Antoine), 419. Virgile, 148, 149. Virot (Elisabeth), 311. Vischer (C.-S.), 129 (n. 6). Visé (Jacques de), 61, 66. Viset, 61 (n. 2); v. Visé. Visscher (Anne), 508. Vitanval, 67 (n. 5) ; v. Vitenval. Vitenval, 58 (n. 2), 61 (et n. 2), 62, 64 (et n. 4), 67, 68, 96 (n. 1), 121, 124 (n. 4). Vitteval, 64 (n. 4); v. Vitenval. Vittenval, 64 (n. 4); v. Vitenval. Vitry (Guillaume de), 372. Voetius (Gisbertus), 9, 415, 425 ; Livre III, Chap. XVI, XIX et XXI : pp. 535-578 et 595-601, 633, 634, 654, 658, 661, 682 (n. 2). Voetius (Paul), 597, 661. Voet, 484, 534, 543 ; v. Voetius. Voet (Paul), 428, 550, 553, 661 ; v. Voetius (Paul). Voiture, 245. Voltaire, 212, 229, 269, 327. Vondel, 507, 508. Vorstius, 178, 293. Vos (Antoine), 219, 220, 254, 256, 257. Vos (Jan), 508. Vossius (Gérard), 172, 175 (n. 1), 314 (et n. 3), 315 (n. 1), 335, 351, 681. Vossius (Isaac), 175, 641, 681, G82. Voz (Sr de), 219 ; v. Vos (Aiuoine de). Vrancx (Séb.), 129 (n. 6). Vtenbogaert, 67 (n. 1) ; v. Wten- bogaert. Vuidebourse (Sr de), 125 (n. 4); v. Schelandre (Jean de), Sr de la Cour et de —. Vulcanius (Bonaventure) de Smet, 152, 157, 168, 173,192, 211, 236, 263, 275. Vuydebource (Sr de), 25 (n. 1); v. Schelandre (Francois de). Vuytenval, 61 (n. 2); v. Vitenval. Vver, 78 (n. 4), 699 (n. 1); v. Vere (Francois). Wael (J. de), 537. Waesberge, 554. Walaeus (Joh.), le fils, 316. Walaeus, 344, 537. Wandreher (Sr de), 26 (n. 5). Wassé, 55. Wassenaer, 226, 388, 404, 447, 448, 449. Wassenaer (L'arpenteur), 525, 591, 593, 609 (n. 4). Waterlaet, 543, 595, 596, 598. Waeterlaet, 598 ; v. Waterlaet. Weis, 630. Wevelichoven, 316, 321, 329, 660. Wevelinchoven ; v. Wevelichoven. Wicquefort (Jean de), 551 (et n. 4). Wilhem (Leleu de), 10, 494, 500 (n. 4), 527, 574, 575, 654, 659 (n. 1), 662, 669, 684 (n. 3). Wilhem (Mlle de), 489. Wilhem (La petite de), 527. Willemsen (Guilliam), dit Cop- penol, 481. Winsenius, 436, 717. Winwood (Ralph), 67 (n. 2), 112 (et n. 3), 118. WlTTENHORST, 63 (n. 1). Wolfgang - Guillaume (Ëlecteur Palatin de Neubourg). Wtenbogaert, 67, 263, 297. Wuidebourgs, 125 (n. 4) ; v. Schelandre (Francois de) et Vuidebourse. Wijngaerden (Adr.), 333 (n. 1). Xelandre, 26 (n. 5); v. Schelandre. INDEX DES NOMS PROPRES 747 Young (Patrick), 175 (n. 3); v. Junius (Patricius). Yvon (Pierre), 539. Zanchi, 151 (n. 2), 160. Zanchius, 160 ; v. Zanchi. Zénon, 467, 622. Zevecot, 524 (n. 1). Zurich (Vari), 677 ; v. Van Surck. Zuylichem (Sr de), 330 (n. 2), 492, 666 (et n. 6), 684 (n. 3) ; v. Huygens (Gonst.). Zylchom, 666 ; v. Zuylichem. TABLE DES PLANCHES1 t quittance de robert de schelandre pour son « hors de ^ page ». (Bibliothèque Nationale, a Paris, Cabinet des titres).. 20-21 I a et b. Eedboek ou registre des serments prêtés par les capitaines au service des Ëtats. (Archives du Rouaume d La HaVe) 20-21 III. Formule du serment aux États. (Archives du Rouaume a La Haye) . „o IV. La bataille de Nieuport en 1600. (Cabinet des Estampes d Amsterdam) % ^. V. La campagne de 1602. (Régiments francais : Béthune et Dommarville). (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 62 VI. Le siège de Grave en 1602. (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) g VIi\LE,SIJÊGE,D'0sTENDE <1601-1604). (Cabinet des Estampes d Amsterdam) r VIi.T; le ^iege de juliers en 1610. (Cabinet des Estampes d Amsterdam) " J9 IX a et b. L'École du Mousquetaire et de l'Arquebusier. (Gravures de Jacques de Gheyn) 128-129 X aet b. L'École du piquier. (Gravuresde Jacquesde Gheyn). 128-129 XI a et b. Le Modelle de la Stuartide. Dédicace probablement autographe de Jean de Schelandre. (British Museum Département des Manuscrits) 130 XII. Fin de la Dédicace si^née par Daniël d'Anchères (anagramme de Jean de Schelandre). (British Museum) 132 XHI- ^GE *40 DE la Stuartide (d'après 1'exemplaire unique au British Museum, avec une addition, probablemenl autographe, de Jean de Schelandre) 135 XIV. Titre dessiné pour l'exemplaire des Tableaux de Penitence de J. de Schelandre offert a Jacques I. (British Museum) 138 ni,1'.^! *°n} mentio"nées ici sommairement; on trouvera sous chaque planche une légende plus détaillée. qul plan 48 750 TABLE DES PLANCHES XV. L'Ëglisë du Béguinage qu'occupa l'Université de Leyde a sa fondation, de 1575 a 1581 149 XVI a. L'Université de Leyde après 1581 152-153 b. L'Amphithéatre d'anatomie fréquenté par Théophile et Descartes a l'Université de Leyde. (Gravures extraites da Meursius, Athense Batavx, 1625) 152-153 XVII a. La Bibliothèque de l'Université de Leyde 152-153 b. Le Jardin des Plantes de l'Université de Leyde dirigé par de l'Escluse d'Arras. fD'après Meursius, Athenee Balavse, 1625) 152-1E3 XVIII. Portrait de Lambert Daneau, théologien protestant francais, professeur a l'Université de Leyde (15811582) U6 XIX. Le grand juriste francais Doneau, professeur a l'Université de Leyde (1579-1587), d'après Meursius, Athense Balavse 160 XX. Francois du Jon (de Bourges), professeur de théologie a l'Université de Leyde (1592-1602), d'après Meursius, Athense Batavx 172 XXI. Pierre du Moulin, professeur de philosophie a l'Université de Leyde (1593-1598), d'après Meuf.sius, Athense Batavx 176 XXII a. Charles de l'Escluse, professeur de botanique a l'Université de Leyde (1593-1609), d'après Meursius, Athense Batavse 182 b. autographe de de l'escluse dans l'album amicorum de Boot. (Bibliothèque de l'Université d'Utrecht) 182 XXIII. Portrait du célèbre philologue francais, Joseph Scaliger d'Agen, professeur a l'Université de Leyde (1593-1609). (Salie du « Sénat académique ») 213 XXIV a. Autographe inédit de-J. Scaliger dans lAlbum amicorum de Boot. (Manuscrit de la Bibliothèque de l'Uni■versité d'Utrecht) 216-217 &. Lettre de Joseph Scaliger a Douza. (British Museum) 216-217 XXV. Tombe de Joseph Scaliger dans l'Église Saint-Pierre a Leyde 216-217 XXVI. Portrait de Baudius (D. Le Baudier, de Lille) (16031613). (Université d'Amsterdam) 220 XXVII. Page de l'album de Boot remplie par un étudiant francais de l'Université de Leyde. (Manuscrit de la Bibliothèque d'Utrecht) 236 XXVIII. Feuillet de l'Album studiosorum de Leyde portant les noms de Balzac et de Théophile (8 mai 1615) 243 XXIX. Autographe inédit de Balzac, tans l'Album ie Gronovius. (Bibliothèque Royale de La Haye) 291 TABLE DES PLANCHES 751 XXX. André Rivet, théologien francais,professeur a l'UniSïï? DE LEYDE (1620-1632)' auprès Meursius, Athense XXXI' ^™E INÈD1TE DE Rivet .(Bibliothèque de V Université d Amsterdam) g XXXII. Portrait de Saumaise, philologue francais, professeur a l'Université de Leyde (1632-1653). (Faculté des Lettres d'Amsterdam) ' ' „v- XXXIII a. Autographe de Saumaise dans l'Album de Gronovius. (Bibliothèque Royale de La Haye) 330 r b' ^T°GRAPHE DE Sorbière dans l'Album de Gronovius. (Bibhothèque Royale de La Haye) 330 XXXIV. L'Université de Franeker ou Descartes fut inscrit comme étudiant pour le semestre d'été 1629.... 439 XXXV. Le chateau de Franeker ou habita Descartes dans l'été 1629. (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 442 XXXVI a. Inscription de Descartes sur l'Album Studioso- 2 511 Chapitre XV. — Séjour a Harderwijk (1640), a Leyde (1640) et a Endegeest (1641-1643) 523 Chapitre XVI. — Regius adversus Voetium 535 Chapitre XVII. — Descartes contre Voetius .. 547 Chapitre XVIII. — L'Epistola ad Voetium (1643) 557 Chapitre XIX. — Le procés de Descartes a Utrecht et a Gro- ninSue 569 Chapitre XX. — Voyage a Paris (1644); retour k Egmond 579 Chapitre XXI. — Suite des procés de Groningue et d'Utrecht (1645-1648) 595 Chapitre XXIL — Un amour intellectuel : Descartes et la princesse Elisabeth (1642-1644) 603 Chapitre XXIII. — Un amour intellectuel: Descartes et la princesse Elisabeth (suite) (1644-1645) 615 Chapitre XXIV. — Correspondance avec 1'exilée (1646-1647). Deuxième voyage de Descartes en France (1647) 629 Chapitre XXV. — Correspondance avec 1'exilée (suite) (1647- 1649). — Troisième voyage en France (1648) 641 Chapitre XXVI. — Descartes et l'Université de Leyde (1647- 1648) 653 Chapitre XXVII. — Départ pour la Suède (1« septembre 1649). — La mort (11 février 1650) 669 conclusion ao„ 687 756 TABLE DES MATIÈRES PIÈCES JUSTIFICATIVES l — Ode pindarique sur le voyage fait par 1'armée des Estats de Hollande au païs de Liege Van 1602. Item sur la prise de Grave... 693 II. — Le procez d'Espagne contre Hollande plaidé dès Van 1600 après la bataille de Nieuport 704 III. — Le Modelle de la Stuartide (Ms. du British Museum 16 E xxxiii) 709 IV. — Discours politique sur l'estal des Provinces-Unies des Pays-Bas • par J. L. D. B. (Jean-Louis de Balzac). A Leyde, chez Jan Maire, 1638 713 V. -— Notes complémentaires sur le LIVRE II 717 VI. — Notes complémentaires sur le LIVRE III ,... 717 Errata 720 Index onomastique des personnages antérieurs au xixe siècle.. 721 Table des Planches 749 Table des Matières 753 ACHEVÉ D'lMPRIMSR par f. paillart, a abbeville (somme) le28décembre1920 ■