LE DEOIT DES GENS ET LES ANCIENS JURISGONSULTES ESPAGNOLS Ernest NYS Conseiller a la Cour d'appel Proiesseur a 1'Uaiversité de Bruxèües la haye martinus nijhoff 1914 Aangekocht van E. Nijs te Brussel in Jan. 1911].. (126 ex. voor frs. 260.75 ■ f.130.38). KONINKLIJKE BIBLIOTHEEK 2370 4866 LE DROIT DES GENS ET LES ANCIENS JURISCONSULTES ESPAGNOLS LE DROIT DES GENS ET LES ANCIENS JURISCONSULTES ESPAGNOLS PAR Ernest NYS Conseiller a la Cour d'appel Professeur ■ 1'Université de Bruxellcs LA HAYE MARTINUS NIJHOFF 1914 CHAPITRE PREMIER LKS ÉLÉMENTS CONSTiTÜTIFS DE LA C1VILISATION ESPACNOLE. On possède certaines données sur le quaternaire espagnol; un outillage en pierres polies, 1'usage de la poterie, les industries textiles, la connaissanee des céréales, les ornements personnels : bracelets et colliers en pierre et en coquillages, la connaissanee de 1'or, des idoles ou objets se rapportant a un culte, rensévelissement des morts dans des caveaux naturel* ou artificiels, voila les principales caractéristiques de cette époque préhistorique(1). En la phase dernière du néolithique, on constate, a cólé de la pierre, un usage réduit du cuivre, a 1'exclusion du bronze; puis, se place 1'êge du bronze. « Le bronze, écrit Louis Siret, a fait ce que ne pouvait faire le cuivre : détróner la pierre; mais les faits montrent que ce ne fut qu'a la longue (2). » En ce qui concerne les périodes successives de 1'ège du bronze en Espagne, les indications sont multiples; on sait que la richesse en métaux et plus spécialement en argent excitait la convoitise des étranger» qui, depuis la fin du paléolithique, furent en rapports conslants avec les indigènes. Nombreux sont les éléments constitutifs de la civilisation espagnole. « Le fond actuel de la nation, écrit Élisée. Reekis, est probablement de race ibérique. Les Basques, repous^és (') Louis Siret, - L'Bspagne préhistorique ». Revue des questions scientiftques, publiée par la Société scienlifique de Bruxelles, 1894 tome IV p.510. (2) Ibid., p. 562. 1 — 6 — maintenant dans les hautes vallées des Pyrénées occidentales, semblent avoir occupé la plus grande partie de la péninsule. Les noms des montagnes et des eaux courantes, ceux mêmes d'une quantité de villes, témoignent de leur séjour et de leur domination dans presque toutes les contrées de 1'Espagne, du golfe de Gascogne au détroit de Gibraltar. Des tribus celtiques, venues par les seuils des Pyrénées, s'étaient, a une époque inconnue, établies ca et la en groupes de race pure, tandis qu'ailleurs elles s'étaient mêlées aux aborigènes et formaient avec eux les nations connues sous le nom composé de Celtibères. Ces populations croisées habitaient surtout les plateaux qui, de nos jours, sont désignés par 1'appellation de Castilles. Les Celtes purs, a en juger par les noms de lieux, occupaient la Galice et la plus grande partie du Portugal. Les Ibères avaient le siège principal de leur civilisation dans les parties méridionales de la péninsule; ils s'avancaient au loin sur les plateaux, peuplaient les régions plus fertiles du pourtour méditerranéen, la vallée de 1'Èbre, les deux versants des Pyrénées, pénétraient dans la Gaule jusqu'a Ia Garonne et a la base des Cévennes, puis longeant le littoral des golfes du Lion et de Gênes, poussaient leurs dernières tribus jusqu'au dela des Apennins: on retrouve encore beaucoup de noms ibériques dans les Alpes tessinoises ($). » D'après une thèse récente, après avoir occupé la Gaule pendant un temps indéterminé, les Ibères probablement sous la poussée de 1'invasion celtique pénétrèrent dans le pays auquel ils devaient donner leur nom, et ce pays était alors au pouvoir des Tartesses, peuple égéen d'une culture bien supérieure a celle des Ibères. D'après la même thèse, les Tartesses étaient entrés dans la péninsule par le détroit de Gibraltar, après avoir séjourné sur les cötes septentrionales de 1'Afrique; ils flrent la conquête de 1'Espagne sur des populations d'origines (i) Élisée Reclus, Nouvelle giographie universelle. • La terre et les hommes tome I", » L'Burope méridionale », p. 692. — 7 — inconnues qui (urent en grande partie détruites ou assimilées, maïs dont quelques tribus perdues sur les vallées pyrénéennes réussirent a conserver leurs mo3urs et leur langue Dès le xu* siècle avant notre ère, les Phéniciens fondèrent Gadès ou Gadeira, la oü se trouve actuellement Cadiz; cent cinquante ans plus tard, ils s'établirent a Tartessus ou Tarshish, a rembouchure du Guadalquivir; plus tard encore, ils créèrent d'autres comptoirs, berceaux de cités comme Malaga, Algeciras, Medina-Sidonia, pour mentionner ces seuls noms. lis tiraient du pays de 1'argent, de 1'or, du fer, du plomb, des céréales, du vin, de 1'huile et de la laine. Gadès était en quelque sorte la base de leurs entreprises maritimes le long de la cóte occidentale d'Afrique ou vers les contrées centrales et septentrionales d'Europe. Des historiens ont vanté-les Phéniciens. George Rawlinson les appel le les « grands pionniers de la civilisation ». Selon lui, entreprenants et intrépides, ils portaient dans les régions les plus éloignées leurs cónnaissances, leurs habitudes d'activité et leur instinct commercial; ils transformaient les populations avec lesquelles ils étaient en relation, ils les détournaieut des buts barbares et slériles de la guerre et les dirigeaient vers les occupalions paisibles de 1'industrie productive (2). Le tableau est tlatteur; il ne correspond pas a la réalité. Dans leurs expéditions hardies, les Phéniciens enlevaient hommes, fenfmes et enfants et les réduisaient en esclavage ; le premier nom grec du pirate a méme été emprunté a leur langue; aisément leur commerce dégénérait en rapine. D'ailleurs, il faut se garder de croire qu'ils se soient faits les éducateurs des peuples avec lesquels ils entraient en contact. Quand ils en avaient la force, ils réduisaient les indigènes a C1) Edouahd Pjiilipon, Les Ibères. Étude d'hütoire, d'archéologie et de linguistique. Avec une préface de M. d'ARBOis de Jubainville. Paris, 1909. Introduction, p. xv. Xi. (a) G. Rawlinson, History of Phcenicia, 1889, p. 552. — 8 — une situation tout a fait inférieure, iis les obligeaient a exéeuter les plus durs travaux, ils les opprimaient et il les exploitaient de manière odieuse. Aussi étaient-ils détcstés autant que redoutés (*). On ne saurait contester leur habileté dans 1'agriculture; mais ils se soucièrent peu d'inculquer leurs connaissances aux autres peuples. Leur religiön était lubrique et sanguinaire. « Partout, dit un écrivain, ils fondèrent des temples de leur grande déesse et leur besoin de débauche si commun paimi les navigateurs de tous les lemps trouva dans le culte une satisfaclion, un encouragement, une sorle de consècration, car tous ces temples étaient desservis par des courtisanes (2). » Au ixe siècle avant notre ère, les Phéniciens avaient rencontré la concurrence des Grecs d'lonie qui commencèrent a leur disputer la clientèle d'Egypte, eureut bientót des colonies en Italië et en Sicile el abordèrent sur les cóles (1'Espagne. Le premier établissement bellénique en Espagne fut Hhoda, 1'actuelle Kosas en Catalogne, que créèrent les Hhodiens; puis se place le récit d'Hérodote: un vaisseau de Samos, poussé par les vents, passé le détroit et aborde a Tartessus, oü il commence le tratic lucratif que les iles de la Grèce enlrelinrent depuis avéc cetle cóle. Par de nombreuses colonies, les Grecs exercèrent une influence bienfaisante sur les populations indigènes. De même que les Phéniciens, ils s'étaient trouvés en contact avec les Ibères et les Celtes, au sujet desquels hous possédons des renseignements grèce a Diodore de Sicile et a Slrabon. II est vrai qu'a 1'époque oü ceux ci écrivaient, 1'influence phénicienne, hellénique, carlhaginoise et roniaine s'était manifcstée, mais même alors une grande partie des indigènes avaient conservé les mceurs primitives. (') Franqois Lenormant, Lfs anliquités de la Troade et Vhistoire jprimitive d< s contrées grecqves. Première partie, p. 55. (a) AnnaL s du musée Guimet, t. I. Mélanges. Le mythe de Vénus, par H. HlUNARD, p. 36. • • : ■ ■■ ■ — 9 — Carthage fut fondée par Tyr, ou plutót par des émigrants qui avaient quitté la métropole a la suite de troubles et de luttes. Le fait remonte au x* ou au ix" siècle avant notre ère. Des Hens religieux rattachèrent longtemps la coloniea Ia ville phénicienne : tous les ans, elle envoyait une ambassade au dieu Melkarth et après chaque guerrc heureuse elle s'empressait de lui payer la dime du butin. Carthage n'était pas seule a honorer 1'idole monstrueuse. Selon la remarque de Renan, « Tyr fut comme Jérusalem le centre d'une religion dont les adeptes organisés en confréries de hiérarchistes et répandus dans toute la Méditerranée avaient sans eesse les yeux vers le temple central et unique, y faisaient des pèlerinages et y offraient des offrandes ». Ce fut a la dcmande des Phéniciens dont les établissements étaient menacés par les indigènes, que des forces carthaginoises pénétrèwht pour la première fois en Espagne. Peu k peu, la ville africaine affirma sa dominalion et elle finit par remplacer Tyr, quand celleci vit s'affaiblir sa puissance et s'éteindre ses facultés d'expansion. Au ine siècle avant notre ère, Carthage possédait, dans les métis, issus de Carthaginois et d'indigènes, de fidèles sujets et elle recrutait, parmi les Cellibères, des mercenaires qui formaient le plus solide élément de ses armées. Les premiers rapports de Rome et Carthage avaient été pacifiques. Fort prohablement en 1'an 406 avant notre ère fut conclu un traité qui établit des sphères d'influence Une première zone était exclusivement réservée aux Carthaginois : les Romains ne pouvaient pas naviguer au dela du cap Beau, a moins d'y être poussés par la tempête ou par 1'ennemi; même dans ces cas, ils s'obligeaient a ne pas trafiquer, sauf pour les objets strictement nécessaires a 1'approvisionnement des vaisseaux et au culte des dieux, et ils s'engageaient a partir dans le délai de cinq jours. On suppose qu'il s'agissait du cap silué au nord de Carthage et qu'en fait il était enjoint aux Romains de ne pas naviguer le long de la cóte carthagi- — 10 — noise. Dans la deuxiène zone, qui était formée par la Sicile, les deux peuples devaient avoir des droits égaux. Dans la troisième zone, qui comprenait le territoire des Latins, les Carthaginois s'engageaient a ne faire aucun tort aux populations soumises a Rome, a ne prendre aucune ville et, dans le cas oü ils en avaient pris une, a la rendre intacte, a ne pas construire de fort et, s'ils entraient dans une place, a n'y passer que la nuit. Le premier choc sérieux entre les deux puissances se produisit en Sicile, puis la lutte conlinua sans merci dans tous les pays oü leurs intéréts se trouvaient face a face. Une période de guerres effroyables s'ouvrit : les adversaires rivalisèrent d'énergie, de courage et, disons-le, de cruauté et de perfidie. L'Espagne fut un des théatres d'action. Amilcar Barca avait compris quelle importance considérable présentait pour sa palrie la péninsule ibérique, quand la Sardaigne et la Sicile avaient dü étre abandonnées aux Romains. C'est en 1'an 230 avant notre ère qu'il commenca la réalisation de son plan, auquel se consacra ensuite son gendre Asdrubal. « Les plus belles contrées de 1'Espagne, les cótes du sud et de 1'est furent soumises, écrit Mommsen; des villes fureilt fondées, et avant tout la Carthage d'Espagne, Carthagène, fut établie par Asdrubal, sur le seul bon port de la cóte méridionale et renferma le magnifique palais royal de son fondateur; 1'agriculture fleurit, et encore plus 1'exploitation des mines, lorsqu'on eut découvert par bonheur les gisements argentifères de Carlhagène qui, un siècle plus tard, donnèrent un produit annuel de 36 millions de sesterces (').» Amilcar avait trouvé la mort dans une bataille; quand Asdrubal fut assassiné par un esclave gaulois dont il avait fait périr le maitre, 1'armée mit a sa tête Annibal, fils d'Amilcar. (!) Théodobe Mommsen, Hisloire romaine. Traduit par E. de Güerle, t. II, 1864, p. 305. — 11 — Sagonte avait été fondcc par des émigrés de Zacynthe. En vertu d'une entente intervenue entre les Carthaginois et les Romains, la ville restait libre et 1'Èbre formait la frontière entre les deux puissances. Les expéditions entreprises pour soumettre les populations indigènes mirent Annibal en contact avec Sagonte, qu'il attaqua et qu'il livra aux Hammes. En vain le sénat romain demanda-t-il que le général carthaginois lui fut livré comme violateur du droit Carthage laissa a 1'envoyé la faculté de choisir lui-même la paix ou la guerre. On connait l'aboutissement de la gigantesque lutte. En ce qui concerne 1'Espagne, le résultat fut la « romanisation ». « La part des Romains, dit Élisée Reclus, est fort grande dans la formation du peuple espagnol : ibère et celte d'origine, il est devenu nation latine par son idiome et le moule de sa pensée (•'). » Comme le fait observer Théodore Mommsen, il y avait en Espagne, 1'une a cóté de I'autre, la vieille civilisation ibérique avec une barbarie compléte, les relations affectueuses des cités mercantiles phéniciennes et grecques et la croissance de la civilisation latine qui élait particulièrement favorisée par les nombreux Italiotes employés dans les mines d'argent et par de grandes garnisons (*). Partout le joug romain a été pesant et dur. Les généraux et les magistrats qui exercèrent le pouvoir dans la péninsule ibérique s'y móntrèrent avides et cruels. On a pu vanter la générosité et les sentiments d'humanité de Publius Cornelius Scipion; mais 1'exemple qu'il donna ne fut point suivi. Aussi les exactions et les actes barbares de ses indignes successeurs surexcitèrent-ils 1'esprit d'indépendance et de révolte des populations qu'ils prétendaient asservir et dont ils voulaient s'approprier les dépouilles. (*) Élisée Reclus, ouvrage cité, 1.1, p. 693. (*) Théodore Mommsen, ouvrage cité, t. IV, p. 88. — 12 — II fallut deux cents ans a Rome pour asseoir sa domination sur 1'Espagne et venir a bout du courage de ses habitants. Les conditions géographiques rendaient difficile la conquête définilive. La massiveté de la péninsule constitue un obstacle presqüe insurmontable a toute pénétration : la zone du liltoral est seule accessible, a cause de 1'escarpement des montagnes qui constituent le rebord des immenses plateaux f). Élisée Reclus a montré 1'influence prépondérante qu'ont exercée suite développement et 1'histoire économique et politique du pays des conditions physiques en somme défavorables, L'HispanoLusitanie a une superflcie de 584,301 kilomètres carrés. « On 1'a dit depuis longtemps et avec raison, écrit 1'illustre géographe : « L'Afrique commence aux Pyrénées » L'HispancLusitanie ressemblë au continent africain par le petit nombré relatif de plaines largement ouvertes du cóté de la mer; mais c'est une Afrique en miniature, cinquante fois moins étendue que le continent auquel on la compare. D'ailleurs, son versant océanique, des Asturies, de la Galice, du Reira, est eneore parfaitement europeen par le climat, 1'abondance des eaux, la nature de la végétatjon. Un contraste fort remarquable de 1'Espagne avec les deux autres péninsules de la Méditerranée est que la première, quoique presque entièrement enviroiinée par les eaux marines, est une terre essentiellemenl Cóntineiftale. Si ce n'est par la plaine du Tage portugais et par les belles campagnes du Guadalquhir andalou, 1'intérieur de Ia péninsule ibérique est sans Communications faciles avec la mer et consiste pour la plus grande partie en plateaux fort élevés, qui se terminent au-dessus du littoral par des escarpements brusques ou méme par des crêles de montagnes, comparables aux remparts extérieurs d'une citadelle. 11 en résulte que des cötes, même pourvues de bons porls, sont moins visitées qu'on ne s'y attendrait k la vue de leur richessc et de leur fertilité. La zone du littoral est trop étroile pour (') Élisée Reclus, ouvraue cité, t, I, p. 692. — 13 — alimenter mi commerce considérable et les habitants du plateau ont trop è descendrc pour venir prendre leur part au tra (ie. Ces eau ses ont de tout temps enlevé a 1'Espagne une grande partie du mouvement commercial qui semblait devoir lui revenir en raison de sa pbsition avancée dans 1'Océari, a la pörte même de la Méditerranée; dans les plusbeaux temps de sa puissance maritime, elle a dü emprunter largement 1'aidè des navigateurs étrangers (*). » Une observation du même savant mérite d'être reproduite. « II se trouve précisé-r ment, dit-il, que les conditions géographiques de la péninsule se sont opposées jusque ma in tenant a tout groupement libre des habitants en un corps solide et compact. Quoique se présentant dans 1'ensemble de I'organisme europeen avec une grande unité de coutumes et de formes, rHispano-Lusilanie n'en offre pas moins a l'intérieur, a cause de ses plateaux et de ses montagnes, une singulière divérsité. qui, de la nature, est passée aux hommes qui 1'habitent (2). » Les écrivains espagnols constatent avec fierté combien il fut difficile aux Romains de triompher de la résistance des vigoureuses populations de la péninsule ibérique « Tandis qu'en peu de temps, écrit 1'un d'eux, ils avaient conquis 1'Afrique, Ia Grèce, l'Asie, le Pont, la Hacédoine, 1'Arménie et les Gaules, 1'Espagne, attaquée plus vivement que tous les autres Etats et longtemps avant eux, ne put être assujettie. Auguste, maitre de 1'univers, fut contraint de porter ses armes victorieuses contre cette nation invincible, mais il vit bientöt, è Ia honte des aigles romaines, les Cantabres et les Asturiens arrêter leurs progrès, et la paix du monde dépendit un moment de la soumission de deux petites provinces. Enfin, 1'empereur eut Ia gloire et le bonhcur de triompher des derniers efforts de la liberté espagnole. II réduisit le pays en province et lui donna la langue, les moeurs et les lois de la (■) Élisée Reclus, ouvrage cité, t. I, p. (589 et suivanles. (2) Ibid., p: 705. — 14 — Ville immortelle » La Bétique, qui devait s'appeler plus tard 1'Andalousie, fut un des premiers foyers de la culture romaihe en Espagne. La population était mélangée. Dans les régions montueuses qui s'étendent au nord-ouest du Bétis, aujourd'hui le Guadalquivir, vivaient des tribus celtiques ; dans la vallée du fleuve étaient les Turdétans et les Turdules. Chez les Turdétans, les institutions du vainqueur, ses lois, sa langue se développèrent et le génie de Bome se manifesta avec plus d'éclat dans ces régions fortunées que dans n'importe quel autre pays soumis a sa domination. Sénèque 1'Orateur, son fils Sénèque le Philosophe, le poète Lucain, neveu de ce dernier, virent le jour a Cordoue. D'autres Espagnols honorèrent la civilisation romaine; comme écrivains, on peut citer le géographe Pomponius Mela, 1'historien Florus, Columelle qui rédigea les traités: De re rusticd et De arkoribus, le poète satirique Martial, le professeur d'éloquence Quintilien. . (') Francisco Marina, Théorie des Cortes ou histoire des grandes assemblees nationales des royaumes de Castille et de Léon depuis torigine de la 'monarchie espagnole jusqu'd nos jours. Traduit de 1'espagnol par P.-F. Fleury, Paris, 1822, t. I. Inlroductiun, p. li. GBAPITRE II L'ESPAGNE DES VlSIGOTHS. Pas plus que les autres régions de 1'Empire romain, la péninsule ibérique n'échappa aux invasions des barbares. 'L'état social et la situation économique étaient effroyables. Dans son livre Du gouvernement de Dieu, Salrien écrivait vers 1'an 440: « De tout ce que 1'Espagne possédait autrefois, il ne lui reste que son nom ». Les grands domaines, les latifundia, appartenaient a un petit nombre de riches; la majorité, la presque unanimité des habitants étaient ou bien réduits a la médiocrité ou a la pauvreté ou bien esclaves. La seüle force militaire que les autorités pouvaient opposer aux envabisseurs et qui était chargée de garder les défilés des Pyrénées, se composait de mercenaires de race germanique qui se livrèrent aux déprédations quand ils jugèrent 1'occasion venue et laissèrent entrer 1'ennemi. La résistance de la population fut nulle. cc Pas une seule ville, dit Reinhart Dozy, n'eut le 'courage de soutenir un siège; partout les portes s'ouvraient comme d'elles-mémes aux barbares; ceux-ci entraient dans lés cités sans coup férir, les pillaient, les incendiaient; mais ils n'avaient pas besoin de tuer et, s'ils le faisaient, c'était uniquement pour assouvir leurs appétits sanguinaires (*). » Aux premières années du v* siècle se placent les invasions des Vandales, des Alains et des Suèves. Les Suèves finirent (') R. Dozy, ïïistoit'e des Musulmans d''Espagne jutqu'd la conquête de l'Andalousie par let AImoravides, 1861, t. II, p. 10. — 16 — par se fixer en Galice et en Portugal et les Alains suivirent les Vandales quand, en 429, ils franchirent la mer et fondèrent en Afrique un royaume qui, d'ailleurs, ne tarda pas a succomber. Depuis prés de cinquante années, les Visigoths étaient en contact avec la civilisation romaine. Ayant passé le Danube en 1'an 375 de notre ére, ils avaient pénétré en Italië et, en 410, sous Ie commandement d'Alaric, ils s'étaient emparés de Rome. Vers 406, ils avaient fondé un royaume a Toulouse, et quelques années plus tard, a la suite de luttes et de combats contre les Vandales et les autres barbares qui pillaient 1'Espagne, ils avaient fixé le siège de leur domination a Barcelone. C'est avec 1'autorisation des empereurs que, dans le dernier tiers du iv* siècle, les Visigoths s'étaient établis en Thrace : une des conditions avait été la conversion au christianisme et, les empereurs étant ariens, c'est a 1'arianisme que les Visigoths se convertirent, comme, du reste, les autres barbares, a 1'exception des Francs. Sous Constantin le Grand, le christianisme s'était répandu en Espagne qui, a cette époque, était encore presque entièrement païenne. II rencontra, d'ailleurs, une longue résistance. Même a 1'époque des invasions, les nobles romains n'étaient en général chrétiens que pour la forme, le christianisme étant devenu Ia religion de 1'Etat ('). Encore du temps de la conquête arabe, les évêques devaient fulminer contre les adorateurs des faux dieux. Le fait que des prêtres ariens prêchèrent 1'Évangile aux barbares dcvait être sans grande importance. Que pouvaient comprendre ceux-ci aux disputes théologiques des Orientaux, (') Dans YHittoire de la destruciion du paganisme en OccirJent, t. I, p. 312,- Beugnol nole que l'aristoeratie romaine exercait en E'pagne une active influence. « Li richesse de ce pays, écrit-il, sa proximilé de I'Italië, l'impossibilité oü les peuples étrangers étaientd'y porler leurs"armes, furent les causes qui conseitlèrent de bonne heure aux palriciens tl'y acquérir des propriétés et d'yélever 1'édifice de leur puissance. Parlout oü nousvoyons le crédit de l'aristoeratie solidenient établi, neus pouvons dire que 1'ancien culte était respecté et peut-étre même redonté. » aux dissertations sur les rapports métaphysiques du Père et du Fils et sur la procession du Saint-Esprit ? Qu'importait a la puissance de leurs rois la subordination des évêques ariens au pouvoir civil, subordination qui dans 1'Empire d'Orient avait tant contribué a alfermir les empereurs dans leur zèle pour 1'arianisme et dans leur opposition au cathoiicisme? Les envahisseurs étaient en pelit nombre, somme toute; comment auraient-ils pu ne pas se laisser absorber dans la masse catholique? Le clergé espagnol se gardail bien d'atlaquer de front les vainqueurs. De décourageaiites notions prévalaient; Ie monde romain, disait-on, avait toujours été malheureux et les m.iux actuels n'élaient pas aussi inlulérables qu'on le prétendait; ensuite, les barbares ne venaient-ils pas chStier, en vertu d'un mandat de la Providence elle-même, les hommes qui avaient méconnu ses ordres et pêché contre elle? Comme nous venons de le voir, les Visigoths se jetèrent avec furie contre les autres barbares qui avaient envahi 1'Espagne. Pendant des années, leur hégémonie fut contestée: mais, en 4S8, elle s'imposa. Tellement épouvantable avait été la domination des Suèves que le jong des nouveaux maitres fut accepté dans 1'espérance d'un traitement metlleur. Une des caractéristiques des invasions des barbares en Occi lent fut le partage des terres, qui, au début de leur établissement dans les limites de 1'empire, se fit du consentement des empereurs et qui s'opéra plus tard, on peut le dire, de 1'assentiment des populations. Le nombre des envahisseurs n'était pas considérable. Lors du passage de la nalion entière des Visigoths sur les terres de 1'Empire d'Orient, on avait compté plus de 200,000 guerriers; mais déja lors de leurs conquêtes en Italië, le nombre était moindre : on calcule qu'a la prise de Rome, Alaric avait sous ses ordres 130,000 hommes de guerre. Quand Ataulfe entra en Gaule, il commandait probablement a 80,000 hommes en état de porter les armes et la masse de 1'immigration visigothique était de 200,000, y compris les vieillards, les femmes et les enlarits. — 18 — Naturellement, moins élevé fut le chiffre des envahisseurs de 1'Espagne (1). Les terres qu'il s'agissait d'occuper faisaient partie des immenses domaines, propriétés d'un petit nombre de nobles romains, ou bien avaient été abandonnées par les maitres ruinés; ainsi 1'attribution des deux tiers faite aux nouveaux venus n'entrainait pas de conséquences trop désastreuses pour la gènéralité. « II est probable, écrit Fauriel, qu'il ne s'agissait pas des deux tiers du sol cédé, pris en masse, mais des deux tiers d'un nombre fixé de propriétés particulières, sur chacune desquelles on assigna au conquérant une part tirée au sort : il s'ensuivrait qu'il n'y eut que les terres des classes opulentes soumises a cette dure loi. II est encore plus probable que ces deux tiers assignés a chaque Goth ne furent pas une méme quantité égale pour tous, mais variable a raison de 1'étendue et de la valeur inégales des terres: ainsi la diversité des lots dut suivre celle du rang et des grades parmi les barbares (2) ». Les premiers rois visigoths se montrèrent hostiles au clergé catholique qu'ils accusaient de pencher vers les rois francs; quelques-uns persécutèrent même les évêques fidèles a 1'Eglise de Rome, mais ils étaient crédules et superstitieux et ils se livraient aux pratiques de la dévotion la plus vive. « Avant la bataille, écrit Dozy, ils priaient dans le cilice, ce dont un général romain eüt ri, et s'ils remportaient la victoire, ils reconnaissaient dans le triomphe la main de 1'Éternel (3). » Enfin, eurent lieu 1'abjuration de 1'hérésie et 1'entrée dans la religion catholique. La cérémonie s'accomplit en 1'an 587. Soixante-deux évêques y assistèrent. Le roi Reccared hit la profession de foi qu'il avait signée. Elle était concue en ces termes : « Moi, Flavius Reccared, roi, ai souscrit de ma main a cette confession de la véritable foi que 1'Ëglise enseigne dans (!) C. Faüriel, Histoire de la Gaule méridionale sous la domination des conquéranls germaim, t. I, 1836, p. 113. (2) Ibid., p. 142. (3) R. Dozy, ouvrage cité, t. II, p. 18. — 19 — tout 1'univers. Je veux, avec la grace de Dieu, la conserver dans mon cceur et I'affirmer de ma bouche. » La reine et les principaux nobles abjurèrent également leurs anciennes croyanccs. Le monarque envoya des ambassadeurs au pape pour lui rendre hommage et demander ses conseils. Mommsen a fait remarquer que le royaume visigothique paraissait plutót une province romaine qu'un royaume de nationalité germanique. La langue, Ia forme des lois, 1'organisation civile persistèrênt dans leurs lignes essentielles. Une circonstance favorisa la conservation et le mainlien des institutions : ce fut 1'existence de grandes propriétés rurales oü toute une population d'esclaves, de colons et de clients était gouvernéë par des intendants percevant eux-mêmes les impóts qu'ils versaient au trésor et s'entourant de bandes armées pour main ten ir 1'ordre; ainsi de nombreuses régions étaient soustraites a 1'action directe et immédiate des pouvoirs publics et, pour employer les paroles d'un auteur espagnol, el les étaient presque impénétrables et réfractaires a 1'Etat «Cette organisation, dit le même écrivain, telle qu'elle apparut aux derniers temps de la domination romaine, demeura avec ses caractères essentiels, sous la domination visigothique et dans les territoires de la reconquête asturienne, jusqu'a la fin du xne siècle. » Qu'on ne le perde pas de vue : la domination visigothique ne se borna pas a 1'Espagne; elle s'étendit en deca des Pyrénées sur une partie du sud-ouest de la France et elle s'exerca sur quelques régions africaines. Jusqu'a Richelieu, le Roussillon est demeuré réuni a la Catalogne : le Roussillon et le Languedoc furent longtemps appelés Gallia gothica et les Arabes donnaient d'habitude aux Catalans le nom de Francs. -« Peut-être même, écrit Louis Viardot, est-ce au dela des Pyrénées que la langue provencale (') Edouardo db Hinojosa, Estudios sobre la historici del derecho espanol, 1903, p. 16. — 20 — poétique a pris naissance. Parmi les poètes nommés pro^ vencaux, dont les ouvrages ont été recueillis par Sainte-Palaye, Millot et Renouard, il se trouve un nombre considérable de Catalans » « La langue provencale dans la plus ample acception du mot, dit un autre auteur, embrasse non seulement tout le Midi de la France, mais encore les Pyrénées, Ia Catalogne et Tanden comtéde Valence; elle comprend également les ïles Baléares (2). » Le régime représentatif complétait la monarchie. Les « conciles » réunissaient les prélats et les grands du royaume; la siégeaient, a cóté des évêques et des abbés, les comtes et les ducs. Ils s'oceupaient d'affaires religieuses, politiques, administratives et judiciaires. Quelques-unes de leurs formules décrivent la siluation. « Nous pontifes et prêtres, ést-il dit, d'accord avec les palatins, 1'assemblée des grands et des petits, avons arrèté ce qui suit. * « II a été déclaré analhème, lit-on également, par tout le clergé et le peuple contre celui qui osera transgresser notre décision (3). » Quand il s'agissait d'affaires religieuses, seuls les dignitaires ecclésiasliques assistaient a la séance. Du règne de Reccared a celui de Witiza, on compte seize conciles. La royauté finit d'ailleurs par s'incliner devant 1'autorité de ces grandes assemblées. Dans le troisième concile de Tolède, le roi dit aux évêques: « Établissez ce qui est a faire et a éviter, et je m'y conformerai. j> Les premiers rois visigothiques avaient été nommés et déposés par les nobles. Quand le catholicisme eut triomphé, les conciles revendiquèrent le droit de procéder a leur élection et de n'élire que celui que recommanderaient son origine, ses mceurs et sa probité. Aux réunions solennelles, le monarque (') Louis Viardot, Hisioire des Arabes et des Mores d'Espagne, 1851, t, II, p. 188. (8) A. Rbstori, Histoire dé la liltérature provencale depuis les temps les plus reculés jusqu'a nos jours. Traduit par A. Martsl. Montpellier, 1894, p. 15. (s) J. Bourret, L'Êcole chrétienne de Séville, 1858, p. 150. — 21 — se prosternait devant les évêques; il les priait, avec des soupirs et des Iarmes, d'intervenir pour lui auprès de Dieu et de donner de sages lois a 1'Etat. II était obligé de présenter aux prélats et aux palatins un mémoire sur sa gestion : la sanction était 1'excommunication et la déposition 11 convient d'observer que jusqu'au vue siècle 1'élection des évêques espagnols appartintau clergé et au peuple. Depuis le vne siècle, 1c roi choisit entre les candidats présentés par le clergé de chaque église, sauf le consentemenl du métropolitain ; en fin de compte, le métropolitain de Tolède, qui toujours résidait auprès du roi, eut le droit de nomination provisoire a charge d'obtenir I'approbation du souverain (-'). L'activité législative des Visigoths fut remarquable. Elle s'exerca a Ia fois pour les Romains et pour les Visigoths. Le premier recueil rédigé pour les Romains soumis a la domination visigothique qui nous soit parvenu, est le code d'Alaric promulgué, en 506, a Aire en Gascogne, oü il fut approuvé par 1'assemblée des notables romains, ecclésiastiques et laïcs (3). Selon Harcel Fournier, il est probable qu'a cette époque il y avait a Toulouse une école de jurisconsultes qui contribua soit a Ia rédaction du code d'Alaric, soit a la confection des travaux qui en furent la suite (4). Paul Viollet mentionne la composition de recueils successifs de lois visigothiques barbares, parmi lequels est le code attribué a Recessuinthe, le Liber judicutn ou Forum judicum, qui devint plus tard le Fuero juzgo. Recessuinthe mourut en 672. « Le Forum judicum, dit le savant écrivain, est une codificatinn importante dans laquelle quantité d'édits visigothiques antérieurs a Recessuinthe ont été compris. Le droit romain y joue (') J. Bourret, ouvrage cité, p. 160. (*) Rosseeow Saint-Hilaire, Sistoire d''Espayne depuis les tempt hittoriques jusqu'a la mort de Ferdinand VII, 1844, 1.1, p. 284. (3) Paul Viollet, Sistoire da droit civil francais, 1893, p. 115. (*) Marcel Fournier, Histoire de la tcience du droit en France, 1898, t. III, p. 215. 2 — 22 — un assez grand róle: sur 593 lois que contient le Forum judicum, un sixième environ est emprunté au Code théodosien ou au Bréviaire d'Alaric. Le Liber judicum est divisé en douze livres et par ordre de matières. La rhétorique joue un grand róle dans eet ouvrage : les mots inutiles et vagues, les « phrases » y abondent; on a peine a se retrouver et a préciser les idéés. Recessuinthe, par une loi insérée dans le recueil dont nous nous occupons, interdit formellement aux Romains 1'emploi du droit romain. Déja Chindasuinthe, père de Recessuinthe, avait promulgué une loi trés défavorable au droit romain, mais dont le texte est moins net. Le Liber judicum est donc la première loi barbare qui ait eu un caractère territorial. Ce grand fait se consomma, on le voit, dès le vne siècle, chez les Visigoths ('). » Quelques citations permettent de juger de 1'esprit qui animait les législateurs visigolhiques. Pour eux, la loi est «1'émule de la Divinité, la gardienne de la législation, la source du droit, Ia messagère de la justice, la maitresse de la vie ». « Celui qui est chargé de la formuler, est-il dit, devra se régler sur Dieu, suivre les inspirations de sa conscienceetle conseil des hommes de bien. » Une maxime est expressive: « Roi seras quand droit feras, et quand droit ne feras, roi ne seras» «Rex erts si rectè facis, si autem non facis, rex non eris». Elle est empruntée a saint Isidore de Séville. Selon le Forum judicum, « la loi est imposée a tous; elle doit étre publique et claire comme le soleil, afin de ne tendre de pièges a aucun citoyen, juste et équitable, ne prescrivant rien que d'honnête, d'utile ou de nécessaire» Malheureusement, les belles affirmations ne se traduisirent nullement en faits. Dans la pratique subsistèrent les plus répréhensibles abus et pour ne citer qu'une horrible contradiction, dans cette société qui prétendait se régir selon la justice, I'esclavage continuait (•) Paul Viollet, ouvrage cité, p.118. (!) J. Bourret, ouvrage cité, p. 161 et suivantes. — 23 — d'exister; il est vrai que si le code visigothique se montrait dur en général pour les esclaves, il favorisait cependant rémancipation et proclamait inviolable la vie de ceux qui étaient en servitude. Aux derniers temps de 1'empire romain, 1'Espagne chrétienne avait compté quelques éminentes personnalités. Osius, évêque de Gordoue, fut probablement le cathécbiste de 1'empercur Constantin le Grand ; on dit qu'il présida, en 325, le concile de Nicée oü 1'arianisme fut condamné. Aurelius Prudentius Clemens naquit è Calahorra en Aragon, en 348; il fut magistrat, homme de guerre, gouverneur, et on le considère comme le plus grand des poètes chrétiens antérieurs a Danle. Paul Orose, originaire de Tarragone en Catalogne, fut accueilli par saint Augustin et, sur le conseil de 1'illustre évêque d'Hippone, il composa son livre de 1'histoire du monde ('). Sous les Visigoths. 1'Église d'Espagne ne fut point sans jeter dél'éclat. Quelques écoles aidèrent puissamment a trahsmettre les connaissances: Ia plus importante fut 1'école de Séville, dont 1'influence se fit sentir pendant plusieurs siècles. Parmi les hommes remarquables de cette époque, saint Isidore de Séville est hors de pain Pendant quarante années, Isidore occupa le siège épiscopal de Séville. « Avec Cassiodore et Boèce, dit Bourret, il compte parmi les instituteurs de 1'Occident; ils forment ensemble comme une chaine d'hommes qui, d'une part, touchent a Pantiquité et, de 1'autre, s'avancent jusqu'au plus profond de Ia barbarie, se passant de main en main le flambeau. Isidore mourut en 636: ses disciples continuent 1'école espagnole pendant que les Anglo - Saxons commencent et que de loih on voit venir Béde ét Alcuin pour soutenir la lumière et pour attest er que le flamteau ne s'éteindra pas (*). » (*) M. Menéndez Pelayo, San Isidoro; su imporlancia en la kis tor ia intellect aal de Espana. Séville, 1881, p. 7. (*) J. Bourret, ouvrage cité, p. 104. — 24 — On attribue a saint Isidore une colléction canonique, la Collectio Jsidoriana ou Hispana. « L'attribution n'est pas impossible, écrit Paul Viollet; mais on n'a pas cependant de preuvë trés forte. La considération la plus sérieuse, c'est que la préface de cette colléction espagnole a été utilisée par saint Isidore et insérée par lui dans ses Etymologie? (1). » L'évêque de Séville a laissé un ouvrage trés important, les Etymologie?, appelé quelquefois le « Livre des origines des choses », qui fut publié après sa mort. C'était, pense-t-on, le résumé des lecons qu'il avait professées. On a dit avec raison que les Etymologie? sont un monument de science extraordinaire, n'ayant rien de commun avec les plans d'autres écrivains. L'auteur commence par donner le sens grammatical et Pétymologie du mot, ensuite 1'histoire de 1'idée, et il remonte jusqu'aux principes de la science a laquelle il appartient (*). Isidore possédait des connaissances étendues; on constate notamment qu'il emprunte ses étymologies aussi fréquemment au grec qu'au latin et qu'il cite les écrivains grecs aussi souvent que les écrivains latins (3). Son action a été grande sur la théologie, dans laquelle il introduisit la méthode qu'il fut le premier a appliquer, c'est-a-dire la forme des sentences (4). L'influence du prélat espagnol fut durable. Quand, entre 1139 et 1 ISO, Gratiën, moine camaldulé de Bologne, rédigea la Concordantia canonum discordantium, comme il intitula son oeuvre, le Decretum, comme il devint d'usage de 1'appeler, il emprunta aux écrits dTsidore quatre-vingt-un textes qu'il inséra comme autant de canons. Le Decretum fut enseigné, discuté, commenté a travers les siècles et les passages extraits des livres de l'évêque de Séville prirent ainsi une importance considérable dans 1'enseignement et dans la doctrine. II y a longtemps déja que nous avons signalé le phénomène (•) P. Viollet, ouvrage cité, p. 48. (*) J. Bourret, ouvrage cité. p. 83. (8) Ibid., p. 89. (4) M. Menéndez Pelato, ouvrage cité, p. 8. :.. — 25 — curieux ; a une époque oü Ia science du droit des gens n'était pas formée, une définition ou, pour employer un terme plus exact, une description avait paru qui se rapproche beaucoup de la conception moderne (*). Elle figure dans le cinquième livre des Etymologice qui est consacré au droit et, par son insertion dans le recueil de Gratiën, elle a obtcnu un grand retentissement. D'après Henri-Édouard Dirksen, Isidore a emprunté les textes concernant le jus naturale, \ejus civile et le jus publicum aux Institutes d'Ulpien qui placaient le jus militare a cóté du jus gentium et qui en traitaient. Sir Frederick Pollock se prononce pour une opinion différente; il est porté a croire que les divisions et les définitions viennent d'Hermogénien. Le^'t» gentium d'lsidore correspond presque entièrement a notre droit international et a cöté de cette classification se trouve leja* militare, énumération des sujets qui rentrent dans le droit de la guerre. Au XVIII" livre des Etymologie, 1'auteur s'occupe de la guerre et en énumère les espèces diverses. (') E. Nys, Les droits de la guerre et les précurseurs de Grotius, 1882, CHAPITRE III L'EsPAGNE SOUS LA DOMINATION ARABE ET LA RECONQUÊTE CHRÉTIENNE. t: Reinhart Dozy a fait observer que 1'Espagne des Visigoths était mal gouvernée, plus mal encore que 1'Espagne des Romains et que depuis longtemps tout 1'organisme portait le germe de la dissolution quand, la trahison aidant, une armée de 12,000 hommes le bouleversa. Ce furent des lultes intestines qui amenèrent les expéditions des Berbères et des Arabes en Espagne, au début du vin" siècle. Des fractions cnnemies se disputaient le pouvoir, après la mort du roi Witiza : un des prétendants fit appel a 1'émir de Mauritanië et, sous prétexte de rassister, celui-ci envoya un corps d'armée qui occupa le rocher de Gibraltar et détruisit, le 19 juillet 711, les forces espagnoles commandées par Roderic. « Les vainqueurs, écrit Dozy, étaient quelques milliers de Berbères venus d'Afrique pour faire une razzia. Une simple razzia devint une conquête. La soumission fut assez rapide : 18,000 Arabes passèrent le détroit. » II n'y eut guère de résistance dans le sud et dans le centre; les villes se rendaient pour obtenir des conditions avantageuses et échapper aux horreurs d'une prise de possession violente. Les juifs qui avaient été persécutés par les Visigoths secondèrent les progrès des musulmans. « Des pillages eurent lieu, dit 1'auteur que nous venons de citer, mais en général la — 27 — conquête ne fut pas une grande calamité. La domination arabe fut aussi tolérable pour le moins que celle des Visigoths 1'avait été. Les conquérants laissèrent aux vaincus leurs lois et leurs juges; ils leur donnèrent des comtes ou gouverneurs de leur nation qui étaient chargés de percevoir les impóts qu'ils avaient a payer et de rêgler les différends qui pouvaient s'élever entre eux. Les terres des districts conquis de vive force, de même que celles qui avaient appartenu a 1'Eglise ou a des patriciens qui s'étaient retirés dans le nord, furent divisées entre les conquérants, mais ceux qui y habitaient y restèrent. C'était dans Ia nature des choses et les Arabes en agissaient partout ainsi (*). » Les renforts affluèrent. Dés le vue siècle, s'étaient formées en Asie des colonies militaires musulmanes, des djonds; de semblables groupements s'étaient constitués en Afrique. Une, véritable émigration s'organisa vers 1'Espagne, oü des fiefs furent créés sur le cinquième des terres qui avait été attribué au trésor. Les Arabes — les Mores pour employer une dénomination qui unissait en un vocable les diverses races de conquérants musulmans — se montrèrent tolérants pour les vaincus; ils n'étaient pas favorables d'ailleurs a la conversion au mahométisme qui soustrayait le nouveau musuiman a 1'obligation de payer tribut. Mais leurs souverains émettaient Ia prétention de nommer et de déposer les évêques; ils convoquaient les synodes et, quand les dignitaires ecclésiastiques refusaient de répondre a leur appel, ils les remplacaient dans 1'assemblée par des juifs ou des musulmans; même, le cas échéant, ils vendaient la dignité épiscopale. La conquête arabe fut favorable au développement de la liberté. Comme nous 1'avons vu, les Visigoths avaient maintenu 1'esclavage; les Mores le conservèrent et, au temps de la reconquête, les rois chrétiens se gardèrent de 1'abolir. La (') R. Dozy, ouvrage cité, t. I, p. 37. — 28 — servitude s'alimentait par la naissance, par la captivité, par 1'oblation volontaire, enfin par la condamnation pour certains crimes. Chez les chrétiens d'Espagne, la servitude personnelle avait le sens de 1'esclavage romain; dans la servitude de la glèbe 1'homme restait attaché a la terre; la servitude de la couronne était un acheminement vers la liberté ('). Sous la domination des Mores, les serfs devinrent en quelque sorte des fermiers; Ia religion menait a 1'émancipation : pour recouvrer la liberté, les esclaves des chrétiens n'avaient qu'a se réfugier sur la terre d'un musuiman et a prononcer les paroles : « 11 n'y a qu'un Dieu et Mahomet est son prophéte. » Commercants de longs siècles avant Mahomet, les Arabes ne cessèrent de se livrer avec ardeur au négoce et, dans les pays qu'ils soumettaient, ils conservaient généralement les industries des peuples vaincus. « Le Levant d'Haroun al Raschid, observe Heyd, est bien plus riche et bien plus commercant que le royaume d'Héraclius et de Justinien. Les califes surveillent 1'agriculture et la manufacture et ils les protègent (*). » La remarque s'applique a la plupart des pays conquis par 1'élément arabe. Les idéés religieuses nouvelles n'étaient nullement incompatibles avec 1'activité matérielle ; la conversion des « infidèles» était sans douté 1'un des mobiles de I'expansion, mais il n'élait pas le seul et 1'acquisition de richesses constituait un but désirable. Le prophéte admettait que les croyants fissent marcher de pair leurs affaires dc commerce et de pèlerinage; la visite des lieux saints s'accomplissait surtout grace a la caravane et, dans le langage des musulmans de 1'Inde, la notion du pèlerinage et celle du marchè s'exprimaient par le même mot. « Malgré les guerres incessantes, dit Élisée Reclus, que les (i) M. Colmeiro, Historia de la economia en Esparia, 1863, t. I, p. 223. (!) W. Heyd, Histoire du commerce du Levant au moyen age. Edition frnncaise par' Forcy Raynaud, t. I, p. 25. — 29 — Arabes d'Espagne eurent a soutenir contre les chrétiens cantonnés comme des fauves dans les montagnes du nord, malgré les sanglantes rivalités qui les séparaient, principalement a cause des haines héréditaires entre les families, 1'époque maur.;sque fut certainement la période historique pendant laquelle 1'Espagne fut le plus libre et développa son génie de la manière la plus heureuse. II sufflt de parcourir la péninsule, sans même interroger les hommes ni lire les écrivains, pour constater par la beauté des ruines, par le tracé des anciens canaux, que la prospérité née du travail et d'une paix relative était du temps des Maures bien supérieure è ce qu'elle fut plus tard et que le triomphe du catholicisme fut pour 1'Espagne un trés grand recul. D'un cóté, le souci de 1'irrigation, de 1'autre, le règne des inquisiteurs forment un conrraste frappant entre les deux époques. D'après les descriptions des auteurs que cite Draper, 1'Andalousie était, au xe siècle, sous le khalife Halem, le pays le mieux outillé et le plus a son aise de la terre entière. Latolérance religieuse était compléte, et savants juifs, chrétiens et même athées se réunissaient sans crainte avec les musulmans pour chercher en commun la vérité ('). » Les Arabes franchirent les Pyrénées et pénétrèrent en France; ftdèles è leur tactique habituelle, ils préludèrent a la conquête par de rapides excursions; a leurs chevauchées en pays ennemi succéda 1'envoi de forces nombreuses. Ils s'emparèrent de la Narbonnaise et du Roussillon, prirent Carcassonne et Toulouse, arrivèrent jusqu'a Arles, puis remontèrent au nord et parvinrent a Poitiers oü, en 732, Charles Martel les défit. Lors de 1'invasion musulmane en Espagne, une partie des vaincus s'étaient réfugiés au nord des monts de la Galice et des Asturies. La, fut organisée la résistance aux infidèles, et de la partirent, en 719, les premières attaques. Pelayo fut (') Élisée Reclus, L'hommeel la terre, t. III, p. 461. — 30 — reconuu comme chef. « Précaire royauté, dit Rosseeuw SaintHilaire, qui, au dire des chroniques, s'étendait sur quelques Iieues de montagnes arides et dont les sujets étaient des patres, 1'armée une poignée de fugrtifs, la capitale une caverne. » L'entreprise de libération prospéra. Au point de vue géographique, les chrétiens avaient de grands avantages; ils possédaient dans les montagnes une base de retraite assurée; les musulmans furent obligés de reculer de plaine en plaine ('). Au point de vue politique, les Arabes souffrirent de 1'émiettement de la puissance souveraine : le califat de Cordoue se morcela et plusieurs royaumes se fondèrent qui furent fréquemment en opposition les uns avec les autres. « C'est a la fin du xi" siècle, écrit Élisée Reclus, qu'eurent lieu les aventures guerrières célébrées dans un romancero du xvie siècle, et dès le début du siècle suivant, les chrétiens purent espérer la conquête entière de la péninsule... En 1147, une chance heureuse ayant permis aux chrétiens de prendre Almeria, les royaumes arabes du Midi se trouvaient déja menacés du cóté de la mer et partiellement séparés de leurs coreligionnaires d'Afrique. Dès la première moitié du xui" siècle, le sort des Arabes est irrévócablement fixé,puisque le blocus se resserre autour d'eux. Ils sont batlus a Navas de Tolosa (1212), puis a Merida (1230), et i'Estramadure leur est enlevée. On leur prend Cordoue, puis Séville, enfin Cadiz, en 1230. La migration de retour commence pour les musulmans cies provinces conquises, et les families nobles demandent le baptême en foule pour devenir gentilhommes de Castille. Le eerde de fer fut complété en 1340, lorsque Algeciras tomba aux mains des Espagnols et que le royaume de Grenade resta complètement isolé. Toutefois, plus d'un siècle encore devait se passer avant que fut porté le dernier coup (2). » Si la lutte entre chrétiens et infidèles dura plusieurs siècles, (*) Élisée Reclus, ouvrage cité, t. III, p. 456. (*) Ibid.,t. IV, p. 158. — 31 — c'est qu'il se présenta des situalions qui devaient nécessairement reculer 1 'issue fatale. Bien des batailles furent désastreuses pour les soldats de la croix. D'autre part, entre-les peuples distincts non seulement par la religion, mais encore par la race, s'établirent des relations commercial es assez nombreuses; on a noté que les monarquès de Castille avaient adopté pour leur monnaie d'or le poids de ia monnaie d'or des Arabes afin de faciliter les cchanges La culture in teil ectuelle des Arabes exerca nécessairement de 1'influence sur la population chrétienne d'Espagne et 1'une dë ses manifeslations fut 1'affaiblissement du fanatisme. Méme les ordres militaires de Santiago, d'Alcantara, de Calatrava, créés pour verser le sang de 1'ennemi de la foi, travcrsèrent des époques de pacification ou de trêve, oü les préoccupations guerrières faisaient place au désir d'accroitre leurs richesses. "siècle, il avait rédigé une consultation empreinte de sentiments d'humanité, dans laquelle, le premier de tous les publicistes espagnols, il prenait la défense des Indiens opprimés. II mourut en 1522 (*). (') Juritconsultos espaholes, t. II, p. 37. CHAP1TRE IV Le règne de Ferdinand et d'Isabelle. Le règne de Ferdinand et d'Isabelle est peut-être bien 1'époque la plus glorieuse de toute 1'histoire de 1'Espagne; il cn est certainement 1'époque la plus laborieuse et la plus fertile en grands événements. Alors se rapprochèrent la Castille et 1'Aragon et s'affirma la politique qui aboutit a la suprématie de 1'autorité centrale sur les diverses institutions représentatives et administratives; alors furent tentés les derniers et vigoureux efforts qui délivrèrent la péninsule de toute domination étrangère. Sans doute, 1'ège d'or de la littératurc et de 1'art ne s'ouvrit que plus tard, mais déja sous le règne des rois catholiques apparurent des manifestations d'un esprit nouveau. Nous avons mentionné le nom d'Antoine de Lebrixa; il introduisit dans les écoles d'Espagne les idéés que développaient en Italië les adeptes de la Renaissance, dont il avait Iongtemps subi 1'influence. Antoine de Lebrixa se vit secondé par Lucio Marineo, qu'un personnage important, le grand amiral de Castille, avait fait vcnir de Sicile. Les deux initiateurs virent leur mission couronnée de succès : ils améliorèrent 1'enseignement; aux méthodes grossières, ils substituèrent Pélégance; ils formèrent la génération qui, il est vrai moins qu'en d'autres pays, devait propager 1'humanisme en Espagne et ils contribuèrent ainsi indirectement a produire 1'efflorescence du génie national. Le triomphe ne fut pas immédiat; il fallut un vaste déploiement d'énergie et de ténacité; mais 1'heure sonna oü, les difficultés vaincues, la mois- — 43 — son abondantc et riche récompensa les travallleurs. I/événement le plus considérable de 1'histoire de la planète, la découverte du nouveau monde, qui eut comme conséquence 1'extension de la civilisation au globe terrestre tout entier, s'accomplit grace aux encouragements que les rois catholiques donnèrent a Christophe Golomb et notamment a l'assistance pécuniaire qu'Isabelle lui p'rêta. C'est ainsi que, de tous les gouvernements civilisés, le gouvernement espagnol se vit, le premier dans I'ordre cbronologique, en face de certains problèmes importants du droit international. L'acquisition des territoires, la validité du titre de la découverte, les droits des aborigènes, lés causés de la guerre légitime firent nécessairement 1'objet d'un examen scientifique. D'autres questions furent soulevées par la politique que Ferdinand et Isabelle suivirent dans les affaires européennes; elles concernaient surtout la conquête de la Navarre et les entreprises italiennes et africaines. C'est également alors que l'action diplomatique commenca a s'exercer avec ampleur. Francis Bacon désigne sous la dénomination de « rois mages » trois puissantes individualités : 1'un des « mages » est Ferdinand V, roi d'Aragon; les deux autres sont Louis XI, roi de France, et Henri VII, roi d'Angleterre. Comme si tant de sujets d'études ne suffisaient pas, 1'Espagne de la fin du xv8 et du commencement du xvr5 siècle fut jetée dans les inextricables difficultés que suscitait le contact du christianisme avec le judaïsme et avec Ie mahométisme. Aussi n'y a-t-il rien d'étonnant dans Ia diversité des questions que discutent et qu'essaient de résoudre les jurisconsultes, a partir du règne de Ferdinand et d'Isabelle et sous les règnes de leurs successeurs Charles-Quint et Philippe II. Une circonslance favorisait désormais les écrivains et assurait a leurs livres la publicité; sous le règne des rois catholiques, 1'imprimerie fut introduite en Espagne (J) (') On commenca a imprimer en Espagne en 1474 ou vers cette année, quand un Allemand, Lambert Palmart, publia a Valence, des vers composés en 1'honneur de la Sainte Vierge par des compétiteurs en des' jeux floraux. Le — 44 - En 1469, Ferdinand, fils de Jean II d'Aragon, épousa Isabelle, sceur de Henri IV, roi de Castille; en 1474, Henri IV mourut et Isabelle monta sur le tróne de Castille; en 1479, Ferdinand devint roi d'Aragon. La tache des nouveaux souverains était ardue au dela de toute expression. II n'y avait ni sécurité, ni ordre; les bripnds occupaient les grands chemins et 1'autorité centrale avait été impuissante dans ses efforts pour mettre fin a leurs déprédations et a leurs crimes; les populations voyaient anéantir les fruits de leur industrie et de leur travail et étaient en proie au mécontentement; la noblesse, turbulente et arrogante, défiait la puissance royale. Le rétablissement de la paix s'imposait comme une condition indispensable de 1'cxistence même des deux royaumes. Les monarques le comprirent et ils se dévouèrent a la töche. En Castille, la formation de l'kennandad, de la « fraternité » des villes et des bourgades, fut d'un puissant secours : son but direct était la répression des excès commis par les bandes armées et le maintien de la tranquilité intérieure. La « fraternité » exercait des droits de haute et de basse justice; el le avait premier livre est un Comprehensorium daté du 23 février 1475, oeuvre du même ouvrier. Peu & peu Part de 1'imprimerie se répandit dans d'autres villes. En 1903, Konrad Haebler a décrit plus de 700 incunables espagno's. En 1908, parut le premier volume du Catalogue of'books printed in the XV"1 century now in the British Museum, oeuvre de A. W. Poltard. « II n'est pas impossible, e>t-il dit dans une note de G. K. Portescue, que les livres imprimés en Europe au xv« siècle ef dout il existe encore des exemplaires, s'élève a 30,000; le Musée britannique possède 9,000 incunables sans compter les doublés - Parmi les beaux livres du Musée britannique flgure un exemplaire du texte catalan de la colléction des coutumes de la mer appliquées par le tribunal consulaire de Barcelone. Le titré est : Libre del Consolat. L'ouvrage a été_imprimé, en 1484, a Barcelone. L'imprimerie avait été introduite en cette ville, en 1478, par Pierre Brun qui était associé avec Nicolas. Spindeler; ce dernier travailla bien tót seul, et il est probable que le Libre del Consolat a été imprimé par lui. Des hisloriens ont noté 1'activité déployée par les juifs pour le développement de l'imprimerie dans la péninsule ibérique durant les années qui précédèrent les cruelles persécutions. Ils avaient fondé d'importants établissements a Llera, a Ixia, a Lisbonne, a Guadalaxaro et en d'autres villes. — 45 — des troupes soldées. L'indépendance des nobles était proverbiale; en Aragon notamment, les barons ou ricos homes ne prétendaient pas seulement avoir le droit de faire la guerre; ils affirmaient qu'a leur gré ils pouvaient renoneer a leur allégcance en envoyant un simple message au roi. Une série de mesures avaient déja été prises pour ramener la guerre privée dans les limites les plus étroites et le pouvoir central avait imposé nombre de reslrictions. Telles étaient la nécessité d'un défi en présence de trois chevaliers qui ne pouvaient être les vassaux d'aucune des parties; Ie délai de dix jours avant 1'attaque; 1'exemption des Iaboureurs, des clercs, des juifs, des Sarrasins soumis, des veuves, des orphelins et de tous les êtres sans défensc; telles également les dispositions qui mettaient a 1'abri de la destruction et placaient sous Ia protection du roi, les chateaux, les terres, les arbres, le bétail et tous les biens des non-combaltants et même des combattants. La personne de ceux qui faisaient la guerre et celle de leurs valets, ainsi que les armes dont ils se servaient, étaient seules exposées. Est-il besoin de dire qu'il y avait loin de la promuigation des solennelles conventions jurées par les souverains et par les grands du royaume a leur loyale observation et a leur fidéle exécution? Ferdinand et Isabelle s'attachèrent aussi a reconstituer le domaine royal dans leurs États respectifs. Ils ouvrirent une vaste enquête dans le but de rechercher 1'origine des faveurs qui avaient fait attribuer aux nobles des biens appartenant en rèalilé a Ia couronne et ils justifièrent ainsi la révocation de nombreuses donations faites par leurs prédécesseurs a des courtisans. Selon les mots de Pierre Martyr d'Anghera, « les deux souverains rattachaient tous les jours a la couronne les parties de leur héritage dispersées et dévorées par les loups ravisseurs (*). » Également en vue de consolider leur puis- (') Jean H. Mahiéjol. Un lettré d la Cour d'Espagne. Pierre Martyr d'Anghera. Paris, 1887, p. 15. — 46 — sance et de concentrer en leurs mains les éléments de force, ils enlevèrent aux nobles de Castille les ordres militaires d"Alcantara, de Calatrava et de Saint-Jacques. Un historiën dit que c'était véritablement annexer trois États : Aleantara dominait sur 100,000 vassaux; Calatrava, sur 200,000; Saint-Jacques, sur 700,000; les revenus étaient considérables : ils dépassaient 150,000 ducats par an; comme les ordres comprenaient une doublé organisation, 1'une laïque, 1'autre religieuse, outre les prieurés et les commanderies, les rois avaient a leur disposition de nombreux bénéfices (*). Ferdinand et Isabelle avaient a cceur de libérer le sol espagnol de toute domination musulmane. Dans la lutte contre les ennemis de leur foi, les chrétiens étaient parvenus a ce résultat géographique que seul le royaume de Castille était contigu au territoire occupé par les Mores, c'est-a-dire au royaume de Grenade. Celui-ci comptait une nombreuse population exclusivement composée de mahométans; il touchait a la mer qui lui donnait 1'accès aux contrées amies et il présentait a 1'envahisseur 1'obstacle résultant de plus de cinquante places fortifiées dont il devait s'emparer avant de se trouver devant la capitale (2). La guerre dura huit années. Nous avons rappelé combien elle fut dévastatrice. Aux termes de la capitulation, le roi Aboul-Abdallah-Zaquir ainsi que les généraux, les dignitaires et les habitants, devaient jurer fidélité a la couronne de Castille; les musulmans pouvaient conserver leur culte, leurs üsages, leur langue et ils obtenaient le droit d'être régis conformément è leurs lois par des fonctionnaires de leur choix; les vaincus étaient exempts de tribut pendant trois ans et tous ceux qui voulaient passer en Afrique avec leurs biens mobiliers, en avaient la faculté. Au bout de peu (<) G. Desdevises du Dezert, L'Espagne de l'ancien régime. LaSociété. Paris, 1897, p. 135. (2) Albert de Circourt, Histoire des Mores mudejares ou des morisques ou des Araces d'Espagne wus la domination des Chrétiens. Paris, 1846, 1.1, p. 237. — 47 — de temps, les rois catholiques rompirent une première fois ces engagements solennels, et a diverses reprises, leurs successeurs essayèrent, par de cruelles mesures, de détruire jusqu'aux moindres effets d'une tolérance qu'ils regrettaient et qu'ils considéraient comme coupable. Dans un de ses premiers ouvrages, Léopold Ranke a fait ressortir ces penchants particuliere aux Espagnols : la fierté de Ia religion et la fierté de la noblesse, la haine et le mépris pour les infidèles, les juifs et les hérétiques, le prix attaché a la pureté, a la limpieza du sang (*). « Cbez elle, en Amérique, la nation espagnole n'a su que faire disparaitre les races, a écrit Albert de Circourt ; elle ne se les est jamais assimilées : cela tient a ce qu'elle a poussé plus loin qu'aucune autre, 1'orgueil et 1'intolérance de la civilisation, intolérance aussi vive, aussi active, remarquons-le bien, aussi redoutable et pcut-être plus funeste que 1'intolérance religieuse. Pour les Mores comme pour les Indiens, les Espagnols n'eurent jamais que mépris; jamais ils ne les connurent, ils ne voulurent jamais les connaitre; ils les regardèrent toujours comme un peuple barbare, pervers et bas, comme un de ces peuples auxquels on ne doit rien, pas même 1'observation de la foi jurée; ils ne se croyaient pas tenus a leur appliquer le droit des gens. En outre, a 1'égard des Mores, ils étaient dirigés, excités par un désir de vengeance qu'ils ont franchement avoué, invoquant pour se justifier la loi du talion (s). » A cette époque aussi se produisit en Espagne une recrudescence de persécution des juifs. Déja, les Pères de 1'Église s'exprimaient en termes violents contre les israélites, dont ils déclaraient le crime sans nom puisqu'ils avaient tué le nis de Dieu. Quand la religion chrétienne devint dominante, les constitutions impériales édictèrent de successives mesures frap- (') Léopold Ranks, Histoire des Osmanlis et de la monarchie espagnole pendant les xti« et xvu° siècles. Traduction de j. B. Ha.ber, Paris, 1839. p. 257. (2) A. de Circourt, ouvrage cité, t. II, p. 230. — 48 — pant les juifs d'incapacité et jetant sur eux la déconsidération et le mépris. Dans 1'Espagne visigothique sévit la persécution En 616, le roi Sisebut leur ordonna de recevpir le baptême avant une année révolue; ce terme venu, les juifs qui persislaient dans. leurs croyances étaient condamnés a êtrefouettés, dépouillés de leurs biens et exécutés; 90,000malheureux cédèrent a la crainte et acceptèrent le sacrement. L'autorité religieuse fut saisie de la question de savoir si le baptême était conféré de facon valable. « Les évêques du quatrième concile de Tolède, écrit Reinhart Dozy, permirent aux juifs de rester fidèles a la religion de leurs pères, mais ils ordonnèrent que les enfants leur seraient enlevés pour être élevés dans le christianisme ('). » Les mesures radicales ne tardèrent pas cependant a trouver faveur. Vers 1'an 694, poussés a bout, les malheureux persécutés projetèrenl une révolte; mais des décrets terribles furent portés contre eux : tous perdirent leurs biens et furent donnés comme esclaves aux chrétiens (a). Dans la péninsule ibérique, les juifs ne trouvèrent la tolérance que sous sa domination des Mores. En règle générale, dès qu'un territoire était conquis par les chrétiens, les israélites se voyaient lésés dans leur dignité, leur fortune, leur liberté religieuse, et quand, par extraordinaire, le pouvoir royal voulait adopter une politique de justice et d'équité, les papes s'y opposaient et morigénaient les princes qui se rendaient coupables de pareils forfaits. Maitres de Grenade, Ferdinand et Isabelle décidèrent de chasser les juifs qui yexercaient un grand commerce et bientót ils prirent des mesures générales qui atteignirent les israélites de 1'Espagne entière. Les juifs étaient obligés de recevoir lebaptême; s'ils le refusaient, ils devaient quitter 1'Espagne dans un délai de trois mois; la mort et la confiscation des biens devaient (') R. Dozy, ouvrage citó, t. II, p. 26. (*) Ibid. — 49 — frapper ceux qui essayaient de se dérober au décret, ainsi que les chrétiensqui lesaccueillaient etleurdonnaientasile-. IIétait édicté que, jusqu'au départ, les juifs qui préféraient 1'exil a 1'abjuration se trouveraient sous la protection royale et seraient libres de disposer de leur fortune et de 1'emporter en lettres de change, mais non en or ni en argent; il apparut toutefois que c'était une confiscation déguisée. Le nombre des proscrits a été évalué a deux cent mille ou trois cent mille; quatre-vingt mille cherchèrent, a traversie Portugal, un passage vers 1'Afrique : ce passage leur fut vendu par le roi Jean II a raison de huit écus d'or par tête; ceux qui öe purent s'embarquer se virent réduits en servitude ; des milliers d'autres essayèrent de se faire porter vers 1'Italie; beaucoup furent massacrés sur les navires. « Le reste, dit Kosseeuvv Saint-Hilaire, se dispcrsa en France, en Angleterre et jusqu'au fond du Levant.» Bientót, au mépris de la capitulation de Grenade, il fut défenduaux mahométans d'exercer leurculte; le gouvernement donna des encouragements de toute sorte a ceux qui se convertissaient au christianisme et il persécuta ceux qui refusaient le baptême. Pendant quelques années, des mesures de plus en plus tyranniques sè succédèrent. Enfin, le 12 février 1S02, fut promulgué un édit qui rendait le baptême obligatoire a partir de quatorze ans pour les hommes et de douze ans pour les femmes; quiconque refusait de se soumettre était condammé a quitter le pays. En plusieurs régions il y eut résistance, mais les rebelles furent défaits. L'exécution de la mesure de bannissement se fit avec une cruauté inouïe. L'ceuvre de la conversion se poursuivit; mais elle dura de longues années et jamais les convertis, les « morisques », comme on les appelait, n'inspirèrent confiance en la sincérité de leur foi. Un fait doit être noté : dans sa politique étrangère, Ferdinand V entrait néanmoins en alliance avec des princes mahométans; c'est ainsi qu'en 1501, il avait envoyé au Caire Pierre Martyr d'Anghera pour entamer dés négociations avec — 50 - le soudan d'Ëgypte, Quansin Clioury, et qu'un traité avait été conclu. La puissance royale s'était assuré le concours de lTnquisition. En 1477, la Sicile avait été réunie k 1'Espagne et 1'inquisiteur de Sicile, Francois Philippe de Barbaris, s'était rendu auprès de Ferdinandet d'Isabelle pour leur demander la confirmation du prétendu droit concédé par 1'empereur Frédéric II de prélever un tiers des biens confisqués sur les hérétiques. Barbaris exhorta les rois catholiques a introduire dans leurs Etats une institution qui devait garder intacte la foi de leurs sujets. En 1478, le papé Sixte IV donna a Ferdinand et a Isabeile pleins pouvoirs pour nommer et révoquer les inquisiteurs et pour attribuer au fisc les biens des condamnés. En 1480, deux dominicains furent chargés de la mission de poursuivre les hérétiques et les apostats et, en 1483, un autre dominicain, Thomas de Torquemada, fut établi comme inquisiteur général. Au bout de quelques années, dans les principales villes d'Espagne, lacruellejuridiction avait comme représentants des moines fanatiques qu'assistaient les familiers du Saint-Office, familiares Sanrti Öfficii; elle poursuivait et généralement condamnait quiconque avait suscité ses soupcons; elle encourageait la délation et ainsi elle corrompait tout un peuple. En vain les assemblees de plusieurs royaumes protestérent-elles; en vain les villes opposèrent-elles de la résistance : le pouvoir royal 1'emporta et, comme le dit un écrivain, sur les nombreux büchers allumés pour 1'exécution des sinistres décrets, la raison humaine fut sacrifiée au despotisme en même temps que les libertés civiles Le célèbre Mariana émet, au sujet du tribunal, une appréciation qui mérite d'être reproduite. «II se forma environ ce temps-la, écrit-il, un nouvel établissement pour conserver la foi catholique dans toute sa pureté. C'était un nouveau tri- (') j. G. L. Gieseler, Lehrbuch der Kirchengesrhichte. Deuxième édition, 1849. Tome II, qualrième partie, p. 379. bunal, composé de personnes d'une probité et d'une capacité reconnues. Leur emploi était de faire des perquisilions trés exactes de ceux qui seraient soupconnés du crime d'hérésie ou d'avoir apostasié de Ia foi pour embrasser le judaïsme ou le mahométisme. Ce tribunal était différent de celui des évêques, auxquels appartenait autrefois ce droit et qui étaient chargés par leur caractère de remédier a ces désordres. Les papes qui accordèrent a ce tribunal de grands privilèges.conflèrent toute leur autorité a ces juges qui étaient pour ainsi dire les commissaires du Saint-Siège et, en même temps, ils engagèrent les secours dont ils auraient besoin pour exercer leur commission. Ces juges s'appelaient inquisiteurs paree que leur principal emploi était de rechercher exactement ceux qui étaient coupables du crime d'hérésie ou d'apostasie. II y avait déja longtemps que cette coutume était établie en plusieurs provinces de 1'Europe, comme en Italië, en France, en Allemagne et même dans le royaume d'Aragon. Mais dans la suite, la Castille ne voulut céder a nulle autre nation et elle se distingua par son zèle pour la conservation de la religion et par la rigueur qu'elle fit toujours paraitre depuis a punir le crime d'hérésie(1). » Mariana écrivait en 15*92; six années plus tard, Louis de Paramo, Espagnol de naissance, inquisiteur du royaume de Sicile, publiait a Madrid son ouvrage sur 1'inquisition. II faisait remonter celle-ci a Dieu lui-même. «Immédiatement après la faute d'Adam et d'Éve, écrivait-il, Dieu, 1c premier et le plus grand de tous les inquisiteurs de la perversité hérétique, se prépara a leur infliger une punition juste el juridique. Voulant donc faire une instruction concernant le délit commis par Adam, il établit comme un édit général et il cita nos premiers parents afin qu'appelés en justice, ils comparussent et acceptassent le jugemenl.disant: « Adam, Adam, oü es-Ui? » II apprenait ainsi aux juges qu'avant de juger et de (') Jean Mariana de la Compagnie de Jésus, Sistoire générale d'Espagne. Traduiten francais par Joseph Nicolas Charenton, de la même Compagnie. Paris, 1725, t. IV, p. 360. — 52 — pronóncer la sentence, ils devaient citer les coupables afin qu'ils se défendissent (*). » Dans un livre que nous avons déja mentionné, Léopold Ranke s'est attaché a mettre en reliëf le caractère politique de 1'Inquisition espagnole. II invoquait des traits caractéristiques de 1'institution. En principe, les inquisiteurs n'élaient que des fonctionnaires royaux; tout le bénéfice des confiscations profitait au souverain et formait une espèce de revenu régulier; enfin, le roi disposait d'un tribunal auquel nul ne pouvait se soustraire (*). A ce sujet, on constate que le jeune roi.Charles ne vit pas de meilleur moyen d'assurer le chatiment des prélats, qui avaient pris part a 1'insurrection des Communes de Castille et d'Aragon, qu'en les faisant juger par 1'Inquisition. Notons-le, d'ailleurs, de même que le pouvoir royal eut raison des grands nobles et des villes, de même il parvint aisément a exercer sur le clergé une influence prépondérante: il s'était fait attribuer lacollation des bénéfices ecclésiastiques. « Le clergé, dit Ranke, au lieu de s'attacher k Rome qui ne pouvait le proléger contre le roi, s'atlachait au roi qui le défendait contre le pape. II contribua de bonne heure aux dépenses de 1'État. On croyait qu'aucun clergé du monde n'avait autant de charges que le clergé espagnol. On prétendait, en 1629, que le roi percevait un tiers des revenus du clergé et qu'un seul prélat rapportait au roi autant que 2,000 paysans ou 4,000 gentilshommes (3). » Déjè, sous le règne de Ferdinand d'Aragon, la politique du gouvernement a 1'égard de 1'Église et du clergé trouvait des défenseurs parmi les jurisconsultes. Le premier, dans 1'ordre chronologique, qui exposa la doctrine que 1'on désigna plus (') De origine et progressu Offlcii Sanctce Inquisitionis ejusque dignitate et utilitate,de Romani Pontificis potestate et delegatdlnquisi'.orum: Edicto Fidei et ordine judiciario Saneti Offlcii qucesliones decent. Libri tres, authore Lodovico a Paramo. Boroxensi Archidiacano et canonico Legionensi, • Regniqüe SicilUe Inquisitöre. Madrid, 1598, livre I, titre II. (*) L. Ranke, ouvrage cité, p. 294. (3j Ibid., p. 250. — 53 — tard sous le nom de régalisme, fut Juan Lopez de Palacios Rubios, auquel nous avons consacré quelques lignes au cours de ces études. En 1503, il avait été envoyé a Rome lors de la prestation d'obédience au pape Jules II et il avait traité, a cette occasion, avec 1'administration romaine, 1'importante question des bénéfices et des droits du pouvoir royal en matièrede collation. A cette mission est due la composition de son livre : De beneficiis in curid vacantibus, qu'il fit paraitre a Séville en 1514. 4 CHAPITRE V Quelques notions générales de droit des gens. La politique. — La diplomatie. Comme nous 1'avons vu, un passage emprunté par saint Isidore de Sévilé a Ulpien ou, selon une autre opinion, a Hermogénien, et reproduit dans le Décret de Gratiën, constitue une description du droit des gens, du jus gentium, qui correspond presque entièrement au droit international tel que nous le concevons, et a cóté du jus gentium, saint Isidore de Séville place le jus militare, oü il énumère les différents sujets rentrant dans le droit de la guerre. On ne saurait trop insister sur la place que prit, dans 1'enseignement du droit canonique, le Décret de Gratiën, composé entre 1139 et 1150. Gratiën avait enseigné a Bologne et, comme il s'était fait le défenseur des prétentions du Saint-Siège, il acquit dans la plupart des pays de la chrétiënté des partisans qui propagèrent son oeuvre, en firent la base de leurs legons et la commentèrent. On se fait une idéé de 1'importance de son recueil dans les universités et dans les cours ecclésiastiques en considérant qu'il fut reproduit en de nombreuses copies manuscrites et que, dès 1'invention de l'imprimerie, il eut de multiples éditions. La première impression date de 1471 et fut exécutée k Strasbourg; dès lors, jusqu'en 1'an 1500, on compte trente-neuf éditions. Gratiën traite de la guerre dans la Cause XXIII de la deuxième partie du Décret. II pose huit — 55 — questions. II admet notamment que Ia guerre puisse étre légitime, mais il met pour condition qu'elle soit imposée par la nécessité; il la décrit comme une situation dans laquelle il faut agir non par cupidité ni aveccruauté, mais dans le but d'aboutir a Ia paix. Considérable fut 1'influence de saint Thomas d'Aquin. Né en 1226, il recut 1'instruction élémentaire dans le monastère du Mont-Cassin; il étudia ensuite a Naples, oü 1'empereur Frédéric II avait fondé une école destinée, dans sa pensée, a détróner 1'université de Bologne; plus tard, il fut, a Cologne, le disciple et 1'ami d'Albert le Grand. Trés jeune encore, il fut appelé a enseigner a Paris, a Cologne, a Rome, en diverses villes dTtalie. En 1274, il se vit désigné pour prendre part aux travauxduconcilecöcuménique; mais il mourut dans unmonastère du diocèse de Terracine, au cours du voyage qu'il faisait pour se rendrea Lyon oü 1'assemblée se tenait. Saint Thomas d'Aquin développe des théories politiques et juridiques dans ses Expositiones sur la politique d'Aristote, dans Ie De regimineprincipum, dont le premier livre et la majeure partie du deuxième livre sont réellement son oeuvre, et dans Ia Summa totius theologia. La composition du premier de ces ouvrages date probablement de 1261 ; la rédaction du deuxième fut entreprise peu de temps après pour 1'éducation du jeune roi de Chypre, Hugues II de Lusignan; la composition du troisième fut commencée en 1265 et occupa les neuf dernières années de la vie de l'auteur. Un écrivain a porté sur saint Thomas d'Aquin un équitable jugement. « II n'apparait pas dans 1'histoire, écrit-il, comme un invenleur, comme 1'initiateur d'une doctrine nouvelle qui a soulevé en même temps des adhésions enthousiastes et des hostilitéspassionnées. Sa tache, sa mission me semble plutót avoir été de résumer et de coordonner, dans un grand esprit de modération, avec beaucoup de perspicacité, de logique et de bon sens, les doctrines les plus répandues ou du moins les pluspuisgantes de son temps, de manière a en former un ensemble har- — 56 — monique et propre a 1'enseignement; «ar dans ses ceuvres on sent toujours le professeur (*). » Sans diminuer la valeur personnelle de saint Thomas d'Aquin, il est permis de faire ressortir que son influence fut due surtout au fait qu'il apparlenait a 1'ordre des dominicains. Le fondateur de 1'ordre était Dominique de Gusman. Celui-ci naquit, en 1170, au village de Calanuega, dans la vieille Castille. Assistant l'évêque d'Osma, Diego de Azevedo, il avait commencé, en 1205, a prêcher dans le Languedoc contre les Albigeois; mais le travail des conversions, la « sainté prédication » comme ondisait, n'avait guère produit de résultats. En 1207, Dominique établit une communauté de religieuses et, quelques années plus tard, il fonda a Toulouse même un institut pour la prédication, début modeste d'une organisation qui devait s'étendre a travers les siècles sur le globe tout entier. En 1215, il obtint 1'assistance de 1'archevêque. Comme le concile tenu, la même année, a Lyon avait défendu la fondation de nouveaux ordres, il lui fut impossible d'obtenir 1'appui dupape Innocent III; mais en 1216, il recut 1'approbation d'Honorius III ('). L'ordre des frères prècheurs comptait alors dix-sept membres; a la mort de saint Dominique, survenue en 1221, l'oeuvre était florissante : il y avait soixante maisons dans différents pays de la chrétienté et plus de cinq cents frères. Ce fut seulement sous lè pontificat de Grégoire IX, qui régna de 1227 a 1241, que les dominicains se virent attribuer des pouvoirs judiciairesdansles questions d'hérésie, comme mandataires du Saint-Siège et auxiliaires des évêques (3). En 1219, Honorius III, en recommandant le nouvel ordre, parlait exclusivement de la prédication a laquelle ses membres étaient voués. (*) H. R. Feüoüeray, Essai sur les doctrines politiques de saint Thomas d'Aquin. Précédé d'une notice sur la yie et les écrits de l'auteur par M. Buchez. Paris, 1857, p. 8. (*) Th. de Caüzqns, Histoire de 1'Inquisition en France. Tome 1,1909, p. m. • •■ f) IbidV,:p. 493. ■'• ; • ' - — 57 — La prédication de la foi exigeait une préparation doctrinale; aussi 1'étude était-elle considérée comme obligatoire dans 1'ordre de Saint-Dominique, ainsi que, du reste, dans 1'ordre de Saint-Francois qui avait été fondé a la même époque. « Les dominicains, écrit un auteur, devaient s'exercer particulièrement en tout ce qui pouvait servir a la réfutalion des hérétiques et a la défense de la foi. Ils ne devaient étudier la métaphysique que dans les limites tracées par les constitutions. II leur était interdit de se üvrer a des spéculations subtiles et de cultiver 1'alchimie. La morale, la théologie, 1'étude du Liber sententiarum, de Pierre Lombard, vaste encyclopédie théologique, devaient passer avant la philosophie. II était alors impossible d'étudier la théologie sans savoir a fond la logique » « Pour les frères prêcheurs, dit un membre de 1'ordre, d'après 1'institution même de saint Dominique, 1'étude est une obligation de règle, une fonction universelle, nécessaire, permanente. Et sans aller aussi loin que Ie célèbre cardinal Cajetan, qui enseignait que tout dominicain qui ne consacre pas quatre heures par jour a 1'étude est en état de pêché mortel, il est certain qu'un dominicain, qui d'habitude ne s'occupe pas du travail intellectuel, est en dehors de sa voie, en faute grave contre sa Règle (2). » Un des livres de préditection des dominicains fut nécessairement la Summa totius theologice de celui qui était la gloire de leur ordre comme il était 1'honneur de 1'Êglise tout entière. Les doctrines enseignées par saint Thomas d'Aquin eurent ainsi Un long retentissement. Saint Thomas d'Aquin s'occupa du droit de la guerre; il y consacra la Question XL de la Seconde seconde el, en quatre articles, examina les problèmes suivants : « Est-ce toujours un pêché de faire la guerre? Est-il permis aux clercs et aux (') Charles Thor ot, Be l'organisation de l'enseignement dans l'universiié de Paris au moyen cLge. Paris, 1850, p. 115. (') D.-A. Mortier, des frères prêcheurs, Sistoire des maitrcs tjénéraux de l'Ordré des frères prêcheurs. Paris, 1903, t. I, p. 63. — 58 — évêques de faire la guerre ? Dans la guerre est-il permis de tendre des embüches ? Est-il permis de combattre, les jours de fête ? » En toutes les pages oü il répond a ces diverses interrogations, l'auteur fait preuve de modération, d'humanité, d'esprit de conciliation et nombre de ses phrases sont devenues comme autant de maximes qu'ont reproduites en les approuvant les éerivains des siècles suivants dans leurs dissertations sur le droit de la guerre. Les considérations relatives a la guerre, aux régies qu'il convient d'y observer, aux dispositions canoniques qui s'y rapportent, ne manquent pas dans les ouvrages d'un des grands théologiens de 1'Espagne, Alphonse Tostado. Celui-ci naquit en Castille, vers 1'an 1400; il étudia probablement a Salamanque et il se distingua comme théologien et comme canoniste. II devint évêque d'Avila et prit part aux travaux du concile de Bale. 11 mourut en 1488. Dans 1'édition de Venise de 1896, les ceuvres de Tostado comprennent vingt-trois tomes in-folio; le titre du tome I rappelle les mérites de l'auteur, qui était « philosophe, théologien, trés savant en droit canonique et en droit impérial, versé en grec et en hébreu »; la préface' ajoute qu'il était instruit en mathêmatiques et en géographie. Quelques phrases de sés écrits méritent d'être citées. II adopte la maxime d'après laquelle la guerre est une exécution par voie de justice. « Bellutn justum, dit-il, est justitice executio. » Selon son enseignement,« dans une guerre juste, toutce que quelqu'un peut prendre devient la chose du capteur, de par le droit divin et de par le droit des gens, et 1'homicidë se commet en toute justice; mais la guerre injuste ne diffère en rien du brigandage public ». II ajoute que « dans Ia guerre juste il n'est rien qu'on ne puisse faire contre 1'ennemi, si ce n'est manquer a la vérité ». « Les guerres sont justes, dit-il, quand elles se font pour obtenir réparation d'injures, restitution d'objets enlevés, ou dédommagement de torts subis; une fois commencée, la guerre juste peut être continuée jusqu'a ce que les torts, les objets enlevés et les - 59 — dépenses faites dans Ia guerre aient été récupérés. » Nous ferons remarquer que l'auteur a en vue non seulement la guerre publique, mais aussi la guerre privée quand elle est conduite conformément aux régies déterminées par le droit du pays. Jean de Torquemada, dont nous avons cité le nom et esquissé Ia biographic, s'est prononcé a plus d'une reprise contre 1'enseignement d'Alphonse Tostado en ce qui concernait la situation respective des papes et des conciles généraux; il éiait, en effet, tout dévoué a la curie, tandis que Tostado défendait la thèse de la suprématie des conciles cecuméniques. Au surplus, Jean de Torquemada proclamait, comme il fallait s'y attendre, la supériorité de 1'Eglise sur tous les gouvernements temporels; un de ses arguments était tiré de la nobilitas originis, de la noblesse d'origine. « L'Église, disait-il, est immédiatement de Dieu, c'est-a-dire du Christ qui donne les clefs du ciel, tandis que la puissance séculière a été usurpée par la violence, et pour que, dans la suite des temps, les royaumes deviennent légitimes, il faut 1'autorité de Dieu ou le consentement exprès ou tacite du peuple. » Touchant la guerre, il èmettait des théories empruntées surtout aux canonistes : il enseignait qu'elle ne pouvait se faire dans 1'intention d'acquérir du butin et qu'elle devait avoir pour but la paix et le repos de 1'Eglise; mais on voit, par ses théories sur le recouvrement des objets enlèvés, qu'il s'occupait surtout des querelles privées. Le nom de Pierre Belluga se rattache plutót au droit public espagnol. Né a Valence, Belluga avait étudié au collége SaintClément des Espagnols, a Bologne. Après sa rentrée en Espagne, il avait pratiqué le droit. II s'était montré favorable aux prétentions de la noblesse, dans les cortès de Valence de 1438 et de 1439, et avait encourü la colère du roi qui le fit jeter en prison. Plus tard, il entra au service de Jean II de Navarre. H mourut, semble-t-il, en 1471. II avait composé deux ouvrages; 1'un recut pour titre : Speculum prineipum ac — 60 — justitice et fut imprimé pour Ia première fois a Paris, en 1830; 1'autre, intitulé : Singularia juris, demeura manuscrit. Un passage du Speculum prineipum ac justitias mentionne les rcclamations élevées par les nobles au sujet de 1'étendue locale de leur juridiction. L'auteur pose la question de savoir si, quand la baronnie touche a la mer, le seigneur a des droits sur une partie de celle-ci? II adopte la solution affirmative et il proclame que ces droits s'étendent jusqu'a cent milles de Ia cóte; le pouvoir royal contestait que la juridiction des nobles riverains de la mer dépassat le rivage. Belluga invoque I'autorité des jurisconsultes italiens, sans cacher, il est vrai, que ceux-ci s'étaient prononcés au sujet des prétentions élevées par la ville de Pise. Nous avons vu que Gonsalve de Villadiego a composé un livre intitulé : De legato. II traite notamment des légats du Saint-Siège et des envoyés des cités italiennes. Comme nous 1'avons dit, il avait rempli a Rome les fonctions d'auditeur de la Rote pour les affaires d'Espagne. Souvent les rois catholiques avaient recours aux lumières de jurisconsultes ou de théologiens. De 1803 date un écrit dont nous avons trouvé le titre dans une étude sur les imprimeurs espagnols du xvi* siècle, mais que nous n'avons pu nous procurer. L'auteur est Cristobal de Santisteban; le titre indique qu'il entend exposer les droits des rois catholiques Ferdinand et Isabelle sur les royaumes de JéruSalem, de Naples, de Sicile et de Calabre. Nous aurons 1'occasion de menlionner les doctrines qu'enseignèrent, au cours du xvi" et au commencement du xvii* siècle, d'illustres jurisconsultes espagnols touchant la notion du droit des gens et touchant le droit de la guerre. Disons quelques mots de la diplomatie espagnole sous le règne de Ferdinand et d'Isabelle. Ferdinand V a déployé sur le terrain de la politique extérieure une activité extraordinaire; les faits sont la pour Tattester. Pour assurer 1'Espagne contre les attaques de la — 61 — France, il fallait conquérir la Navarre et, si possible, le Béarn (*). De la une longue série de combinaisons, d'intrigues, de projets et de tentatives d'alliance. II fallait posséder Naples, en vue d'affermir la domination royale en Sicile. De la des plans, dont 1'exécution exigëait une surveillance presque quotidienne des actes des princes italiens. Dès la fin du xv* siècle, 1'Espagne prit ainsi part aux affaires européennes dont elle s'était tenue éloignée aussi longtemps qu'elle avait été divisée en plusieurs royaumes chrétiens et que, sur son territoire, se trouvait un royaume musuiman. Ferdinand et Isabelle avaient formé un personnel gouvernemental et un personnel diplomatique. Ils eurent comme secrétaires d'Ëtat Fernand Alvarez, Juan Coloma et Miguel Perez Almazan. Comme 1'observe Bergenroth, Ferdinand surveillait tout. Les ambassades étaient fréquentes a 1'époque des rois catholiques, mais elles n'étaient généralement pas permanentes. Ferdinand et Isabelle furent parmi les premiers monarques a comprendre 1'utilité et la nécessité méme d'avoir a 1'étranger des ministres a poste fixe. Vers la fin de 1487 ou au début de 1488, don Roderigo Gonsalvo de Puebla, docteur en 1'un et 1'autre droit, était envoyé a Londres, avec Juan de Sepulveda, pour négocier le mariage de Catherine, fille des rois catholiques, avec Arthur, prince de Galles, fils de Henri VII. En 1489, il rentra en Espagne. En 1494, il fut de nouveau ambassadeur en Angleterre. Le personnage était original, peu scrupuleux, semble-t-il, apre au gain et aussi ennemi que possible de toute contrainte sociale. A un moment donné, ses souverains jugèrent bon de faire procéder secrètement a une enquête par deux diplomates qui, devant se rendre dans les Pays-Bas, avaient débarqué en Angleterre. Quelques épithètes du rapport qualifient Puebla; elles sont (•) Calendar af letters, despatches and State papers rdaling to the negociations betwcen England and Spain, preserved in the Archives al Simancas and elsewhere. Volume II, Henry VIII (1509-1525). Édité par G. A.. Berobnroth, Londres, 1866. Introduction, p. xxrv. — 62 — de choix; en effet, il est appelé menteur, flatteur, calomniateur, mendiant, espion, ennemi de la vérité, homme rempli d'ostentation, querelleur et, de plus mauvais chrétien puisqu'il était allé jusqu'a dire que les juifsétaient les seuls marchands d'Espagne (1). Parmi les diplomates au service de Ferdinand et d'Isabelle figurent encore Gutierre Gomez de Fuensalida, qui, de 1496 a 1509, accomplit d'importantes missionsen Allemagne, dans les Pays-Bas et en Angleterre, et don Pedro de Ayala, d'abord ambassadeur auprès du roi d'Écosse, ensuite accrédité auprès du roi d'Angleterre, tout en conservant sa première mission, Ayala était évêque, ce qui ne 1'empêchait pas, comme le constate Bergenroth, de prendre part a 1'occasion aux escarmouches qui se produisaient sur les frontières d'Angleterre et d'Écosse. A Londres même, il fut mêlé a plus d'une rixe; dans une de ces vulgaires rencontres, oü le digne ambassadeur fut grièvement blessé, un bomme de sa suite tua un Anglais. La justice fut saisie de 1'affaire: le plus compromis des prévenus était le chapelain d'Ayala, Ecossais de naissance. II ne fut naturellement point question de privilèges ni d'immunités. Le diplomate espagnol usa d'abord de toute son influence pour permettre au chapelain de se soustraire par la fuitc a la peine de mort; puis il songea a offrir de 1'argenl et, moyennant 200 livres sterling, il réussit a tirer le coupable de prison. On peut citer aussi comme formellement accréditée auprès de Henri VII la bru de ce souverain, la princesse Catherine d'Aragon. Qui dit diplomatie dit instruments diplomatiques, actes, dépêches, et par conséquent conservation dans les archives. En Espagne, ce semble avoir été, au xv* siècle, une règle pour les ministres de ne garder que les documents indispensables pour 1'expédition de la besogne courante. Quand des pièces (!) Calandar of S'ate papers. Colléction citée. Volume I, Henry VII (1485-1509). Éditépar G. A. Behgeneoth. Londres. 1862. Introduction, p. XXII. — 63 — devenaient inutiles, 1'affaire a laquelle elles se rapportaient étant réglée et terminée, les secrétaires en faisaient le dépot en certains chateaux forts. Charles-Quint et Philippe II prirent d'intelligentes mesures. En 1543, le premier de ces monarques choisit, pour y placer les archives du royaume de Castille, le chateau de Simancas. Son dis se montra encore plus soucieux de la garde des documents; il mit même tous ses efforts a remplacer les pièces perdues et c'est ainsi qu'il faisait opérer è Rome des recherches concernant les affaires traitées par le Saint-Siège avec 1'Espagne. Les royaumes espagnols eurent d'assez bonne heure des historiographes officiels, dont quelques-uns furent des hommes de valeur, comme Geronimo Zurita et Bartholome Leonardo y Argensola, crom'stas d'Aragon au xvi" siècle. CHAPITRE VI La découverte du nouveau monde et les problêmes juridiques. Les importants problèmes de droit des gens que suscita la découverte du nouveau monde commencèrent a préoccuper les juristes et les théologiens dès le règne des rois catholiques; toutefois, les discussions approfondies ne s'engagèrent que sous le règne de Charlés-Quint. Le 3 aoüt 1492, trois caravelles, qui portaient une centaine d'hommes, descendaient la rivière de Palos. L'escadrille fut obligée de faire relache aux Hes Canaries, d'oü elle cingla, le 9 septembre, vers 1'ouest. Au bout de trente-trois jours de navigation, elle aborda a une terre nouvelle, dont Christophe Colomb, le chef de 1'entreprise, prit possession, le 12 octobre 1492, au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, pour la couronne de Castille, en requérant le notaire royal Roderigo de Escovedo de dresser acte dans la forme prescrite. Au point de vue juridique, la première question qui se présentait était celle de savoir si les rois catholiques pouvaient exercer un droit de souveraineté sur les terres découvertes. Les auteurs consacrent de nombreuses pages a ce sujet. Les uns 1'examinent au point de vue général du droit des chrétiens sur les biens des infidèles, les autres 1'envisagent uniquement au point de vue du monde nouvellement découvert. Déja au xm" siècle, les canonistes se demandaient si les Sarrasins avaient le droit de domaine et de juridiction et partant s'il était licite de leur enlever leur terres et leurs biens. Deux — 65 — opinions s'étaient manifestées qui, pendant de longues années, eurent d'ardents partisans. Sinibalde de Fiesque, qui fut pape sous le nom d'Innocent IV, enseignait que les infidéles avaient le droit de juridiction et de domaine; il concluait qu'on ne pouvait sans injustice prendre leurs terres et leurs biens, si ce n'est quand ils occupaient des terres ayant appartenu aux chrétiens ou quand il s'agissait de la Terre Sainte. Henri de Suse, archevéque d'Ostie, Hostiensis, comme il est appelé dans la littérature canonique, déniait aux infidéles les droits de règne, de principat et de juridiction et il soutenait que la venue du Christ leur avait enlevé tout droit de domination; au surplus, il distinguait entre les Sarrasins qui étaient soumis a 1'Empire et ceux qui ne reconnaissaient ni 1'autorité de 1'Empire ni celle de 1'Église. Plus tard, une thèse périlleuse pour tout droit de propriété avait été soutenue. Ses défenseurs furent notamment 1'archevéque d'Armagh, Richard Fitzralph, Armaehanus, comme on 1'appelait, et Jean Wycliffe. Né vers la fin du xiii6 siècle, Richard Fritzralph avait étudié a Oxford et avait occupé les fonctions de chancelier de 1'université. Plus tard il avait été appelé au siège archiépiscopal d'Armagh. II s'était proclamé 1'adversaire des ordres mendiants, surtout de 1'ordre de saint Francois. En 13S7, il avait été appelé a Avignon pour se justifier devant le pape Innocent VI. C'est le 8 novembre de cette année qu'il prononca, en présence du souverain pontife et des cardinaux, son discours: Defensorium curatorutn, dans lequel il concluait en faveur du clergé séculier contre le clergé régulier. II mourut a Avignon, en 1360. II est inutile de rappeler 1'influence énorme que Jean Wycliffe exerca non seulement sur ses contemporains, majs encore sur les générations suivantes. II se lanca dans de violentes controverses oü nombre de questions fondamentales étaient agitées : pouvoir civil, pouvoir papal, droit de la hiërarchie, tout était étudié et examiné et les bases mémes de 1'organisation sociale faisaient 1'objet d'une impitoyable critique. On ignore 1'année de sa naissance. II décéda en 1384. - 66 - II y avait de 1'audacea soutenir, comme le faisaient Fitzralph et Wycliffe, que le droit de propriélé et le droit de domination sont des concessions qui sont faites par Dieu et qui viennent ü tomber dès que celui qui les a oblenues est en état de pêché mortel. En effet, si la proposition avait été reconnue comme vraie, nulle autorité ne serait demeurée incontestée parmi les peuples chrétiens. II est vrai que la même maxime aurait permis aux fidèles de se jeter sans scrupule sur les infidéles et de les dépouiller de tout ce qu'ils avaient. Au xvi" siècle, Francois de Vitoria combattit avec vigueur la doctrine de Richard Fitzralph et de Jean Wycliffe; il rappela qu'elle avait été condamnée par le concile de Constance et il la rattacha aux croyances des Pauvres de Lyon. Notons que, selon Francois de Vitoria, 1'archevêque d'Armagh et Wycliffe semblent plutót parler du droit de souveraineté. « Videnlur, dit-il, potius loqui de dominio superioritatis quod est principum. » II est permis d'affirmer que Ferdinand et Isabelle n'ont jamais considéré comme titre valable 1'attribution papale (*). Déja, nous avons exposé dans ses détails 1'affaire de la bulle de démarcation; nous pouvons nous contenter de rappeler qu'en réalité, les rois catholiques se sont bornés a demander au pape Alexandre VI une bulle concernant les iles et les terres fermes découverles par Christophe Colomb et celles qui étaient a découvrir, et qu'ils voulaient seulement se munir d'un document analogue aux documents assez nombreux par lesquels des prédécesseurs du pape régnant avaient affirmé les droits des Portugais sur les territoires qu'ils avaient découverts en Afrique. Dans les bulles du 3 et du 4 mai 1493, il ne s'agit ni d'un acte d'attribution de souveraineté, ni d'une sentence arbitrale. Les souverains espagnols se chargèrent de faire connaitre quel était leur sentiment. Sans se soucier autrement des actes pontificaux, ils négoeièrent directement avec le roi (') E. Nys, « La ligne de démarcation d'Alexandre VI ». Revue de droit international et de législation comparée, t. XXVII (1895), p. 474 et suivantes. — 67 — de Portugal. Diplomates espagnols et diplomates portugais se réunirent a Tordesillas, dans le royaume de Léon, oü résidait alors la cour de Ferdinand et d'Isabelle. « Les plus habiles cosmographes et navigateurs, écrit Henry Harrisse, secondaient la négociation » Le traité fut conclu, le 7 juin 1494, devant des notaires publics. II fut décidé de tirer par la mer Océane de póle a póle une ligne a 370 lieues des lies du Cap Vert, de manière que tout ce qui serait a plus 370 lieues a 1'ouest de cette ligne appartiendrait aux souverains d'Aragon et de Castille et que tout ce qni serait a Test de la méme ligne ferait partie des domaines du Portugal. II était convenu que pour tirer le plus directement qu'il se pourrait la ligne de partage, il serait envoyé des pilotes,« astrologues », marins et hommes compétents, en deux ou quatre caravelles dans les dix mois de la signature du traité. Mais il fut impossible d'exécuter cette clause et bientót des difficultés surgirent quand de nouvelles découvertes exigèrent une attribulion de territoires. La théorie d'après laquelle 1'empereur avait des droits supérieurs aux droits des rois cessa d'être affirmée. Dans les Siete Partidas, Alphonse X de Castille, qui avait brigué la dignité impériale, créait a 1'empereur la plus haute situation. « La dignité impériale, était-il dit, est la plus élevée et elle Pemporte sur-toutes les autres dignités. » Mais Oldrade, qui enseignait dans le premier quart du xive siècle, admettait que, de fait, le roi de France ne reconnaissait pas de supérieur. Bientót, la doctrine se prononca dé manière presque générale contre les prétcntions des successeurs des Césars. Francois de Vitoria, dont nous venons de citer le nom, se bornait a reproduire 1'opinion devenue traditionnelle quand il niait que 1'empereur füt le maitre du monde : « Imperator, disait-il en 1532 dans unc lecon solennelle, non est dominus orbis. » II ajoutait que le palrimoine de 1'Église (*) H. Harrisse, The discovery of Korth America. Londres et Paris 1892. Part f, p. 56. — 08 — n'était pas soumis a 1'empereur ; que le royaume d'Espagne et le royaume de Castille ne dépendaient point non plus de son autorité, bien que la glose eut dit que leur indépendance était seulement de fait et non de droit; que des docteurs concédaient même que des cités autrefois sujettes è 1'empereur avaient pu se soustraire a sa domination en vertu de la coutume, ce qui, observait-il, n'aurait pas été possible si leur sujétion avait été de droit divin. Nous aurons 1'occasion de résumer 1'enseignement de Francois de Vitoria touchant le titre légitime qui permettait aux Espagnols de pénétrer dans le nouveau monde. Constatons en ce moment que des questions d'intérêt primordial appelaient, dès les premières expéditions, 1'attention des théologiens et des jurisconsultes espagnols. CHAPITRE VII Les droits des Indiens sous les règnes de Ferdinand et d'Isabelle, de Charles-Quint et de Philippe II. L'esclavage existait en Espagne. II ne se recrutait pas seulement parmi les prisonniers faits dans les guerres entrepnses dans Ie pays même contre les Maures ; dès les dernières années du x.V siècle, il y avait des marchés a Séville et a Cadiz oü étaient exposés en vente les habitants des Canaries les Guanches, comme on les appelait; au début du xV siècle' des esclaves nègres avaient été introduits en Castille a la suite des expéditions faites par les Portugais. Les Espagnols étant familiarisés avec 1'institution servile, il n'est pas étonnant que 1'abominable pensée de réduire en esclavage les indigènes du nouveau monde ait été concue et il n'est pas etonnant non plus que des nègres aient été transportés vers les Indes occidentales. « Bien avant que 1'on songeat a 1'organisation de la traite, écrit Georges Scelle, et dès les premiers jours de la conquête, on porta certainement des nèja-es d Espagne en Amérique. On sait qu'a la fin du xv' siècle, en Portugal, en Espagne et plus spécialement en Andalousie les esclaves étaient nombreux : esclaves blancs, maures, juifs des noirs surtout. Comment les Espagnols n'en auraient-ils point embarqué avec eux? Ils en portèrent non seulement de Portugal et d'Espagne, mais des iles de la Méditerranée des Baleares, de Sardaigne oü ils abondaient, de Madère et des s Canaries depuis peu conquises et oü touchaient Jes vaisseaux qui s'en allaient vers 1'Occident ('). » Nous avons fait le récit des souffrances des populations indigènes du nouveau monde; nous avons dit comment, 1'avidité des colons et la rapacité des fonctionnaires aidant, furent établies les répartitions et les commandèries sur les terres desquelles les Indiens étaient réduits en servitude, tandis que certaines peuplades étaient condamnées a 1'esclavage (2). « L'usage, écrit Alexandre de Humboldt, de distribuer lès indigènes parmi les Espagnols pour faciliter le travail des mines commenca en 4496. Le servage dans les encomiendas, une des causes de la dépopulation de 1'Amérique, était tout a fait établi dès 1'année 1496. Par la Provision du 20 décembre 1503, le gouvernement central autorisa la contrainte au travail, la taxation arbitraire du prix de la journée, le droit de transporter les indigènes par milliers sur les parties les plus éloignées de 1'ile et de les tenir pendant six, puis huit mois, séparés de la familie. G'était la demora. II y eut aussi la mita, 1'exploitation des mines (3) ». Le 20 décembre 1503, fut signé un horrible décret. « 11 permettait, écrivait 1'illustre savant que nous venons de citer, de réduire en captivité et de vendre (!) Georges Soelle» La traite négrière aux Indes de Castille. Controls et traités d'assiento. Préface deM. A. Pillet, 1906, t. I", p. 121. (*) E. Nts, « Les publicistes espagnols du xvr» siècle et les droits des Indiens ». Revue de droit international et de législation comparée, t. XXI (1889), p. 542 et suivantes. (3) Alexandre de Homboldt, Examen critique de l'histoire de la géogra. phie du nouveau continent et des progrès de Vastronomie nautique aux XV* et XVI* siècle*, 1837, t. Hl, p. 281. En 1806, un Mexicain, don Servando Mier, écrivait ces lignes a Henri Gréooire : « Lorsque les Caraïbes étaient pris, on les marquait avec un fer chaud. L'instrument employé était un véritable sceau royal, conservé et respecté comme un des insignes de la souveraineté, il était imprimé brülant sur le visage, sur les bras et les jambes. Le nom de Garaïbes n'appartenait en particulier a aucun des peuples habitants des iles: les Espagnols le donnèrent a ceux des insulaires qui mangeaient de la chair humaine; ils 1'étendirent a toutes les peupladesindiennes qui leur •oppt saitde la résistance et on vit des royaumes entiers donttous les habitants et jusqu'aux enfants a la mamelle furent marqués comme des esclaves. » — 71 — les Caribes des ïles et de la terre ferme. On a discuté longtemps sur les nuances qui distinguent les variétés de 1'espèce bumaine, quelles populations étaient caribes ou cannihales, condamnées a 1'extermination ou a resclavage, quelles étaient guatiaos ou Indiens de paix, anciens amis des Espagnols. En 1511, il fut statué que les Caribes seraient marqués d'un fer chaud a la jambe, usage barbare qu'au commencement de ce siècle j'ai trouvé assez répandu parmi la population noire des Antilies (*).» Nous pourrions multiplier les témoignages historiques. Pour ne point donner a notre étude trop de développement, nous nous contenterons de décrire les luttesqui s'engagèrent dans le domaine de la science juridique et politique. En 1494, Christophe Colomb envoya en Espagne 500 esclaves caribes qu'il proposait de vendre a Séville. « Le gouvernement, dit Alexandre de flumboldt, permit d'abord Ia vente; il enjoignit a l'évêque de Badajoz qui faisait fonction de" ministre de 1'Inde, de faire ia vente en Andalousie oü elle serait plus lucrative que partout ailleurs. Quatre jours plus tard, des scrupules religieux motivèrent la révocation de 1'ordre donné avec trop de précipitation. «11 faut absolument, est-il dit dans la nouvelle cédule en daté du 16 avril 1494, suspendre la vente et ne pas accepter le prix des esclaves pour que nous ayons Ie temps de nous informer auprès des théologiens et des canonistes si, en bonne conscience, il est permis de suivre cette affaire; il faut surtout qu'Antoine de Torres (qui commandait les navires amenant les esclaves) nous envoie promptement les lettres qu'il apporte de 1'amiral pour que nous apprenions pour quel motif il fait transporter ces hommes comme esclaves (2). » La question des droits des indigènes du nouveau monde fut soumise par le gouvernement a une commission compo- (*) Alexandre de Humboldt, ouvrage cité, t. III, p. 291 (*) Ibid., t. III, p. 274. — 72 — sée de théologiens et de canonistes. Elle se prononca en faveur de la thèse généreuse et une lettre de la reine Isabelle, en date du 16 février 1495, prouve que les arguments invoqués avaient convaincu la souveraine. Malheureusement, 1'affreux esprit de lucre 1'emporta; les autorités de la métropole cédèrent devant les récbmations et les exigences impérieuses des colons; pendant de longues années, malgré quelques retours momentanés a des pratiques plus douces, de cruelles mesures s'appliquèrent, qui devaient conduire a la ruine et a la destruction d'innocentes populations. Nous avons rendu hommage a Juan Lopez de Palacios Rubios. Comme nous 1'avons noté, le premier de tous les publicistes espagnols, il prit la défense des opprimés. II le fit dans une consultation adressée a « Ferdinand V, roi catholique des Espagnes, de Sicile, de Jérusalem, des iles récemment découvertes dans 1'Océan et du continent ». La consultation avait été rédigée a la demande du monarque. « Le roi, y est-il dit, a ajouté a sa puissance les iles de POcéan que le vulgaire désigne sous le nom des Indes et il a appelé a la vérité de 1'Évangile les hommes et les peuples incultes qui y habitent. La question s'est ainsi posée de savoir quels droits possède le souverain. De source digne de foi, l'auteur a appris que les indigènes des contrées que vient de découvrir Christophe Colomb sont doués de raison, doux, pacifiques et capables de s'élever jusqu'a notre religion. Ils n'ont rien en propre, mais ils cultivent en commun certainès terres. Ils sont adonnés a la polygamie qui entraine la désorganisation des families. Sont-ils libres? Oui, car Dieu a donné la liberté a tous les hommes; cependant ils doivent écouter ce que disent les prêtres ehrétiens (')• » Pierre Martyr d'Anghera se montra favorable aux Indiens dans son ouvrage : De orbe novo decades, oü il raconte la (i) Vicente de la Füente, » Palacios Rubios, su importancia juridica, politica y literaria ». Revista general de législation y jurisprudencia, Madrid, t. XXXVI (1870), p. 242. — 73 — découverte du nouveau monde et les progrès de la conquête espagnole jusqu'en 1526. La première des décades (il y en a huit) parut en 1511. Ferdinand V réunit a Burgos, en 1511, une commission composée de grands seigneurs, de fonctionnaires, de jurisconsultes et de théologiens. Devant elle, un dominicain, Antoine de Montesino, exposa les raisons qui militaient en faveur de la liberté des Indiens, et un franciscain, Alpbonse d'Espinaz, soutint qu'il serait impossible de convertir les Indiens et de former des sociétés organisées si on ne les soumettait pas, pendant deux générations, aux Espagnols, soit comme esclaves, soit comme sujets de commanderies. La thèse de Montesino 1'emporta; mais les mesures que prit le gouvernement manquèrent de vigueur et elles n'apportèrent pas les améliorations qu'il aurait fallu introduire. En 1519, en présence du roi Charles, assisté de Diego Colomb, vice-roi des Indes, s'ouvrit, a Barcelone, un solennel débat. La se trouvèrent en présence Las Casas, Quevedo et Albornoz. « Jean de Quevedo, évêque du Darien, et Barthélemy Frias de Albornoz, a dit Grégoire, Tanden évêque de Blois, se présentent a la postérité avec des noms flétris; celui la pour avoir soutenu que la nature destinait les Indiens a la servitude, celui-ci pour avoir établi les mémes maximes que Sepulveda, dans un livre censuré même par 1'Inquisition (J). » Un ouvrage de Barthélemy Frias de Albornoz intitulé : De conversione et debellatione Indorum fit, en effet, 1'objet de rigoureuses mesures de prohibition. Quant a Jean Gines de Sepulveda, nous aurons Toccasion d'exposer ses théories impitoyables. Barthélemy de Las Casas, le défenseur de la liberté des Indiens, était né a Séville, en 1474. Son père, Antoine de Las Casas, était parti, en 1492, avec 1'expédition qui découvrit le (') Apologie de don Barthélemy de Las Casas, évêque de Chiapa, par le citoyeu Grégoike. Lu ü 1'Institut national, le 22 floréal, an VIII. — 74 — nouveau monde; Fannée suivante, il était revenu en Espagne avec Christophe Colomb, qu'il avait accompagné, en 1498, dans un nouveau voyage, emmenant cette fois Barthélemy. Nous savonsqu'en 1510 Barthélemy dc Las Casas fut ordonné prêtre et qu'en 1513 il commenca 1'étude du droit. En 1523, semble-t-il, il entra dans 1'ordre de Saint-Bominique. C'est alors qu'il composa son livre: Üe unico vocationis modo, dans lequel il établit que, seul, un système de paix et de mansuétude pouvait mener a la conversion des indigènes du nouveau monde (*). Nous montrerons plus loin quelle noble énergie Las Casas mit a défendre la race opprimée. (') GEuvres de Barthélemy de Las Casas, évêque de Chiapa, défenseur de la liberté des naturels de l'Amérique, précédées de sa vie et accompagnées de notes par J.-A. Llorente. Paris, 1822, t. I, p. IX et LIV. CHAPITRE VIII Les grands publicistes du xvie siècle et du cohmencement du xvii* siècle. I II est un nom, glorieux entre tous, que nous avons hate de citer; c'est celui de Francois de Vitoria. Né k Vitoria, cheflieu de 1'Alava, d'après les uns en 1480, d'après les autres dans les premières années de la neuvième décade du siècle, Francois de Vitoria recut 1'instruction primaire a Burgos oü ses parents avaient émigré, et fort jeune il prit 1'habit de dominicain dans le couvent de Saint-Paul, suivant 1'exemple de son frère ainé, Diego. Son noviciat terminé, il fut envoyé par ses supérieurs a Paris oü 1'ordre possédait, depuis pres de trois siècles, le collége de Saint-Jacques. Un de ses maitres fut Pierre Crockaert, Petrus de Bruxellis. Celui-ci avait vu le jour a Bruxelles; d'abord disciple ardent de 1'Écossais John Mair, Joannes Major, et nominaliste comme lui, il était devenu dominicain en 1503 et avait témoigné depuis lors le plus grand zèle pour les doctrines de saint Thomas d'Aquin, s'intitulant, dans un de ses livres : Divi Thomce doctrince interpres et pj'opugnator acerrimus. Des Hens assez étroits rattachaient Francois de Vitoria au théologien beige, puisque, en 1512, il surveillait 1'impression d'un ouvrage de ce dernier, le commentaire sur la Seconde seconde de la Somme de saint Thomas. Francois de Vitoria vit reconnaitre son mérité;én 1513, il fut désigné par le chapitre général de 1'ordre tenu a Génes — 76 — pour éire promu aux grades et, deux années plus tard, il fut confirmé par le cbapitrc général tenu a Naples dans la charge de faire lecon sur le Livre des sentences de Pierre Lombard. En 1520, il fut admis a la Sorbonne et le 24 mars 1521, il obtint la licence en théologie. Dans ses études sur le droit espagnol, Edouardo Hinojosa a dit que si, avant Francois de Vitoria, 1'Espagne eut des théologiens notables, c'est néanmoins a lui qu'est due la renaissance de la théologie 11 est incontestable que Francois de Vitoria ne donna pas seulement une impulsion vigoureuse a sa science de prédilection, mais qu'il lui imprima.un caractère nouveau; il 1'embellit et 1'élargit; grace a lui, la plupart des théologiens espagnols renoncèrent a Ia forme incorrecte, rude, barbare, qu'avaient employée leurs devanciers; grace a lui, dans 1'argumentation, des idéés vinrent prendre la place occupée précédemment par des phrases; grace a lui également, dans 1'étude de la théologie, d'autres sciences furent mises a profit. C'est ainsi que, dans ses lecons consacrées aux droits des Indiens et au droit de la guerre, les problèmes sont traités non comme s'ils étaient sans intérêt pratique et actuel, destinés uniquement a exercer Ie raisonnement et a fournir I'occasion d'objections et de réfutations, mais comme des questions soulevées par de graves événements et dont la solution intéresse tous les hommes de cceur, puisque dans Ia pratique immédiate elle produit des effets souvent redoutables. De plus, 1'illuslre publiciste ne se contente pas d'un vain étalage de connaissances : il est plein de générosité et plein de bonté et son enseignement respire les plus nobles sentiments. Des écrivains ont attribué a 1'université de Paris le mérite d'avoir inculqué a Francois de Vitoria la doctrine qu'il se serait borné a transporter en Espagne. Pour se contenter de scmblable explication, il faut ne point connaitre 1'état de 1'enseignement théologique dans Ia capitale de la France au (') E. de Hinojosa, Esludios sobre la hisloria del derecho espdnol, p. 232. — 77 — début du xvie siècle, et ne point savoir que rii 1'amour de 1'innovation, ni même la simple curiosité d'esprit n'avaient action sur la grande majorité des professeurs, pour lesquels toute la science consistaitendes disputcs sans fin sur des mots et a propos de mots. En parlant ainsi, nous ne songeons nullement a reprocher a 1'université de Paris de s'être prononcée contre la doctrine de Luther et de 1'avoir condamnée. D'autres universités 1'avaient déja réprouvée. Le réformateur menacait, du reste; dans leur existence les institutions ecclésiastiques et il devait s'attendre a de violéntes attaques. Mais, même dans les limites de 1'orthodoxie, était-il bien nécessaire de se mettre en opposition avec tous ceux qui ne songeaient pas exclusivement a considérer les doctrines du passé comme la suprème perfection? Dans les dernières années du xv8 siècle, Érasme séjourna a Paris; il vit les maitres a 1'ceuvre; il avait, certes, le jugement droit et voici la sentence qu'il prononca: « Y a-t-il cervelles plus imbéciles que celles de ces théologastres? Je ne connais rien de plus barbare que leur langage, de plus grossier que leur esprit, de plus épineux que leur doctrine, de plus violent que leurs discours.» «En 1500, écrit Louis Delaruelle, 1'université de Paris est, a peu de chose prés, par son organisation et par ses méthodes, ce qu'elle était un siècle plus tót. C'est toujours la formidable machine construite au moyen age pour fabriquer des théologiens. Tout continue d'y être subordonné a cette fin. L'étude des belles-lettres tient tout entière dans celle de Ia grammaire, et on la relègue au degré le plus bas de 1'enseignement. La logique est toujours la science des sciences; a l'étude approfondie dès auteurs on continue de préférer la dispute (]). » En 1527, Pierre de la Ramée, Ramus, étudiait a 1'université de Paris. « Quand je vins a Paris, écrivit-il plus tard, je tombai ès subtililez des sophistes et m'apprit-on les arts libéraüx (') Louis Delaruelle, Gaillaumc Badë. Les origines, lés débuts, les idees maitresses. Pi.ris, 1907, p. 51. — 78 — par questions et disputes, sans m'en montrer jamais un seul autre ni profit, ni usage (J). » On le voit, ce n'est point chez les maitres de philosophie ou de théologie de Paris que Francois de Vitoria a pu acquérir le fonds précieux, oü se réunissaient 1'esprit de recherche et d'innovation, la tendance vers le progrès, 1'amour du prochain, le sentiment de la solidarité. La nature 1'avait doué de grandes qualités; en lui-même, il portait une force que rien ne devait comprimer ni étouffer. II eut ensuite le bonheur de se trouver dans un milieu propice au développement des dons innés. Tout démontre, en effet, qu'il fut en rapports constants avec les humanistes qui, a cóté des représentants de 1'enseignement officiel et en dépit de leur hostilité et de leur colère, faisaient alors de la capitale de la France le centre d'un vaste mouvement rénovateur. En 1520, durant son séjour a Paris, Francois de Vitoria était lié avec un des hommes les plus méritants de 1'humanisme, Josse van Assche, Jodocus Radius Ascensius, Josse Bade, comme 1'appelèrent des écrivains francais. Celui-ci était né a Gand; après avoir suivi des cours a 1'université de Louvain, il s'était rendu en Italië oü il avait étudié le latin et le grec; plus tard il avait enseignéa Valence et a Lyon, puis il s'était établi comme imprimeur a Paris et, sans abandonner ses travaux littéraires, il avait édité nombre d'ouvragcs parmi lesquels il y en avait beaucoup dont les représentants des théories rénovatrices étaient les auteurs ou bien les annotateurs. Le nom de Francois de Vitoria figure sur le titre de deux volumes de sermons de Pedro de Covasrubias, dominicain espagnol: il est indiqué qu'il a revu 1'ouvrage. Sans doute, s'il était isolé, un tel fait n'autoriserait aucune induction de quelque force. Mais a ce fait s'ajoutent d'autres faits (*) Charles Waddington. Ramus (Pierre de la Ramié). Sa vie, ses écrits ct ses opinions, Paris, 1855, p. 23. — 79 — qui démontrent que Francois de Vitoria n'était point un étranger pour cette « république littéraire » comme on 1'a appelée, qui s'était constituée dès 1'année 1516 et dont le chef reconnu était Érasme. Quand, en 1527, toute une campagne de dénonciations s'ouvrit en Espagne contre 1'illustre savant, celui-ci s'adressa par lettre a Francois de Vitoria, et Jean-Louis Vivès, leur ami commun, se porta garant des éminentes qualités de ce dernier et attesta qu'il avait pour Érasme de 1'affection et de 1'adoration. Grace a son contact avec des hommes animés de nobles sentiments, Francois de Vitoria raffermit certainement ses penchants naturels et une influence bienfaisante 1'aida a prendre en main la défense de la juste cause des Indiens. En traitant de la matière cruelle du droit de la guerre, il affirma des principes empreints de modération et de mansuétude. Presque tout le mouvement iréniste du commencement du xvie siècle procéda de 1'humanisme et celui-ci avait agi sur la pensée du publiciste espagnol. Peu après 1521, Francois de Vitoria rentra dans sa patrie, oü il fut nommé premier régent du collége dominicain de Saint-Grégoire a Valladolid. En 1526, la chaire primaire de théologie devint vacante a 1'université de Salamanque; il y fut appelé et il ne cessa de Poccuper jusqu'a sa mort, qui survint lel2aoüt 1546. Nous entrerons dans quelques détails pour faire connaitre les travaux du grand professeur et montrer la valeur permanente de son oeuvre. II est bon d'insister d'abord sur la teneur des lettres d'Erasme et de Vivès dont nous venons de parler. Érasme avait de nombreux ennemis. En 1526, une campagne de dénonciations fut dirigée contre lui par des moines espagnols qui 1'accusèrent d'attaquer la Trinité, la divinité du Ghrist et celle du Saint-Esprit 11 s'agissait de se défendre, (*) Marceu.no Menêndez Pelayo, Historici de los keterodoxos cspamoies. Madrid, 1880, l. II, p. 65 et suivantes. — 80 — car en d'autres pays encore, notamment en France, plusieurs de sés ouvrages venaient de susciter de violentes critiques et de faire révoquer en doute ['orthodoxie de leur auteur. Les moines, les franciscains surtout, étaient animés a 1'égard dü grand homme de sentiments qui eonfinaient a la haine. La correspondance imprimée d'Érasme renferme une lettre importante au sujet de ces faits. Elle est adressée : Theologo cuidam Hispano Sorbonieo, « a un théologien espagnol de Ia. Sorbonne». Le texte résout complètement la question de savoir quel était Ie destinataire. En effet, Fhumaniste mentionne que tout le mouvement a été dirigé par son vieil ennemi, Edward Lee, avec lequel il avait été en polémique violente plusieurs années auparavant. En 1526, Lee se trouvait en Espagne en qualité d'ambassadeur de Henri VIII et il avait instigué les adversaires d'Érasme qui étaient allés seplaindre jusque dans le palais de 1'empereur. Parmi les meneurs, était le dominicain Diego de Vitoria, prieur du couvent de Burgos. Erasme'Je nomme et il ajoute: tuus, ut audio, germanus, «votre frère, a ce que 1'on me dit». II n'y a point de place poür le doute. C'est a Francois de Vitoria qu'Érasme écrit. Du reste, 1'ami dévoué de ce dernier, Jean-Louis Vivès, s'était exprimé dans les termes les plus favorables au sujet de Francois de Vitoria, u6'il avait connu k Paris a 1'époque oü il étudiait lui-même au collége de Beauvais, sous la direction du 'Gantois Jean Dullaert. Grèce a Jean Vergera, Ie secrétaire de 1'archevèque de Tolède, Fonseca, Vivès était tenu au courant de ce qui se tramait et il aidait a préparer Ia défense. « Diego de Vitoria, mandait-il a Érasme, a un frère, Francois de Vitoria, également dominicain, théologien de Paris, homme de réelle réputation et en lequel on a beaucoup de confiance; plus d'une fois il vous défendit a Paris devant de nombreux théologiens; depuis son enfance il s'occupe des belles-lettres; il vous admire et il vous adore. II enseigne a Salamanque, oü il occupe la chairejjprimaire comme on 1'appelle.» Les moines essayaient de soulever les foules et de les — 81 - pousser il la sédition; ils juraient de n'écouter ni empereur ni évêques, disant qu'ils devaient obéir a Dieu plutót qu'aux hommes ('). II fallut bien que, devant leurs clameurs et leurs sermons furibonds, 1'autorité civile et 1'autorité religieuse, dont presque tous les représentants, y compris 1'empereur et les archevéques de Tolède et de Séville, étaient favorables a Érasme, consentissent a prometlre une enquête et k nommer une commission d'investigation. Dans sa lettre «au théologien espagnol de Sorbonne», c'esta-direa Francois de Vitoria, Érasme avait demandé k celui-ci d'intervenir auprès de son frère Diego et aussi prés de Noël Beda, qui, au même moment, lui suscitait a Paris des difficultés presque insurmontables. En France, la Sorbonne condamna les propositions que Noël Beda prétendait avoir extraites des ouvrages du grand humaniste et, en décembre 1827, elle rendit un jugement doctrinal en trente-deux articles. II est vrai que pendant quatre années le gouvernement refusa de permettre que cette censure füt imprimée (2). En Espagne, la commission d'investigation se réunit a Valladolid; elle comprenait vingt et un théologiens, parmi lesquels était Francois de Vitoria. Les partisans d'Érasme étaient en grande majorité. Mais aucun jugement ne fut prononcé. La peste qui désolait le pays fit ajourner les travaux et ceux-ci ne furent pas repris. Nous possédons sur Francois de Vitoria quelques renseignements intéressants, grace a deux savants beiges qui le connurent personnellement, Nicolas Cleynaertset Jean Vasée, au nom latinisé de Vasseus. Cleynaerts naquit a Diest, en 1493 ou 1494; il étudia a 1'université de Louvain, oü il obtint, en 1819, 1'autorisation d'enseigner publiquement ou en particulier Ie grec et 1'hébreu. En 1831, Jean Vasaeus, originaire (') H. Durand de Laur, Èratme, précurseur et initiateur de l'esprit moderne. Paris, 1872, t. I, p. 492. (!) Ibid., 1.1, p. 507. de Bruges, suivait ses cours. En cette année, le fils naturel de Christophe Golomb, Fernand Colomb, « le plus grand bibliophile de son temps, peut-être de tous les temps », comme le dit Henry Harrisse, cherchait des savants dont il voulait s'assurer la collaboration pour organiser la bibliothèque qu'il créait a Séville et qui, de son nom, s'appela plus tard la Colombine (1). II fit a Cleynaerts et a Vasaeus des offres que ceux-ci acceptèrent. Au mois d'octobre 1531, Fernand quittait les Pays-Bas et se dirigeait vers 1'Espagne en compagnie des deux Beiges. A Salamanque, Cleynaerts et Vasaeus firent la connaissanee de Francois de Vitoria, avec lequel ils restèrent en relations d'étroite amitié, comme le prouvent des passages de leurs écrits. Cleynaerts fut appelé a diriger en Portugal 1'éducation du frère du roi Jean III, le prince Henri, qui était alors archevêque de Braga et qui monta plus tard sur le tróne; au bout de quelques années, il rentra en Espagne; en 1540, il se rendit a Fez, oü il séjourna pendant cinq mois; en 1542, il mourut a Grenade. Vasaeus devint le bibliothécaire de Fernand Colomb; mais au bout de trois années, il se rendit a Salamanque, oü il essaya de gagner sa vie en donnant des lecons. Vers 1537, il fut appelé en Portugal par le cardinal Henri. II est l'auteur d'une histoire d'Espagne, dont malheureusement, seule, la première partie parut; c'est le Chronicon rerum memorabilium Hispanice, imprimé en 1552 (2). II mourut, la même année. Dans ses lettres, Cleynaerts fait plusieurs fois mention de Francois de Vitoria avec lequel, du reste, il était encorrespondance; il vante son érudition extraordinaire, il loue son admirable style latin, il engage Vasaeus a faire le plus grand cas des conseils que lui donne le professeur de Salamanque (3). Jean Vasaeus rendit a Francois de Vitoria, qui (*) H. Harrisse, Excerpta Colombiana, Paris, 1887, p. 25 et suivaotes. (*) öeorges Cirot, Études sur l'historiographie espagnole. Les histoire* générales d'Espagne entre A Iphonse X et Philippe II. Bordeaux, 1901, p. 153. (3) Nicolaüs Clenardtjs, Epistolarum libri duo, Anvers, 1556. - 83 - venait de mourir, un hommage ému dans la préface de son livre sur les Adages d'Érasme, livre qu'il publia a Coïmbre, en 1549, et qu'il dédia a Martin d'Azpilcueta. Exprimant a celui-ci toute sa gratitude pour la bienveillance dont il avait été 1'objet, il rappelait le souvenir du grand professeur. « L'Espagne entière, écrivait-il, n'avait personne d'aussi savant, d'aussi simple et, j'ose 1'ajouter, d'aussi saint. » Dans son Chronicon, il renouvela ses témoignages élogieux. « S'il avait vécu, disait-il, que d'assistance il m'aurait apportée! II avait une érudition incroyable, une lecture presque infinie, une mémoire prompte; il était comme un miracle de la nature (*). » Ajoutons qu'a la méme page, il mentionne avec honneur Martin d'Azpilcueta, dont nous aurons 1'occasion de décrire 1'action scientifique; il dit qu'il en a recu de signalés services, grace a des conseils, a des livres prêtés, a des jugements porlés sur certains sujets et a des notes données en communication. Les Relectiones theologiéce constituent I'ouvrage principal de Francois de Vitoria; elles parurent après la mort de l'auteur et sont des lecorïs solennelles qu'il avait faites sur différents sujets de théologie et sur deux sujets relevant du droit des gens. La première édition parut a Lyon, en 1557. Une nouvelle impression fut exécutée a Salamanque en 1565; il résulte du privilège que le dominicain Alphonse Munoz s'était plaint de 1'incorrection de 1'édition de Lyon, incorrection dont il s'était apercu quand il avait assisté Dominique Soto dans la publication. de son livre sur les Sentences. II faut croire que Munoz fut trahi, a son tour, par les compositeurs, car il se vit obligé d'ajouter quatre pages d'errata. II y eut d'autres éditions encore. La théologie prédomine dans les Relectiones. Francois de Vitoria s'est chargé d'expliquer comment il a envisagé sa (') Joannes Vasasus, Rerum hispanicarum chronicon. Chapitre VI. Dans Rerum hispanicarum scriptores aliquot. Francfort, 1519, t. I, p. 437 et suivantes. - 84 — tache quand il s'est occupé de problèmes juridiques. II soutient que roffice et la charge du théologien s'étendent k ce point que nul argument, nulle controverse ne paraissent étrangers a la profession et a 1'institution de la théologie. II atlirme que les questions concernant les droits des populations barbares peuvent encore être discutées, paree qu'elles ne sont nullement résolues; a 1'objection que des hommes sages et prudents ont été chargés de 1'administration, il répond que le doute est permis, puisqu'on entend parler de massacres et de spoliations et qu'il est licite de se demander si tout s'est passé sans injustice. « Or, écrit-il, la décision en ces malières n'appartient pas aux jurisconsultes ou, du moins, elle n'appartient pas a eux seuls. Comme les barbares ne sont pas des sujets selon le droit humain, les affaires qui les concernent doivent être examinées non au point de vue des lois humaines, mais au point de vue des lois divines dans lesquelles les juristes ne sont pas versés suftisamment pour être a même de trancher les difficultés. II s'agit du for de la conscience, qui relève des prêtres, c'est-adire de 1'Eglise. » Les lecons De Indis et Dejure belli Hispanorum in Barbaros sont consacrées a 1'examen des titres que les Espagnols peuvent invoquer pour justifier leur domination dans le nouveau monde. Elles ont été prononcées en 1532 et elles sont les premiers exposés complets de la question. Elles repoussent toutes les théories basées sur la prétendue supériorité des chrétiens, sur leur droit de chatier 1'idolatrie, sur la mission qui leur aurait été attribuée de propager la vraie religion. Elles n'admettent comme motifs légitimant 1'action des Espagnols que la naturalis societas et la communicatie); en d'autres termes, elles partent de 1'idée, nouvelle alors, d'après laquelle le droit des gens est un droit véritable basé sur la sociabilité. Pour 1'illustre professeur de Salamanque, le jus gentium est le jus quod naturalis ratio inter omnes gentes constituit, « le droit que la raison naturelle a établi entre — 85 — toutes les nations », car c'est bien dans lè sens de nat ion s qu'il se sert du mot gentes et non, comme on essaie de le soutenir, dans Ie sens de homines, « personnes », que lui donnait parfois la latinité vulgaire. On le voit par le contextc, par I'emploi du mot nationes dans les lignes qui suivent la ligne oü se lit le mot gehles, par les exemples qui sont donnés et dans lesquels entre autres les Francais sont opposés aux Espagnols L'auteur proclame que la nature a établi une parenté entre tous les hommes; il ajoute que « 1'homme n'est pas, comme Ie dit Ovide, un loup póur 1'homme, mais bien un homme », « non enim homini homo lupus est, ut ait Ovidius, sed homo ». Examinanl les principes généraux du droit de la guerre, Francois de Vitoria enseigne que celle-ci est licite dans certains cas et il s'élève contre Luther, suivant lequel il n'est pas permis de prendre les armes contre les Turcs, paree que s'ils envahissent la chrétienté, c'est en vertu de la volonté divine. Dans les considératiöns auxquelles il se livre touchant les applications du droit de guerre, on note la distinction entre le droit de guerre, jus belli, et la coutume et usage de guerre, consuetudo et usus belli, puis la mention de la nécessité et de la raison de guerre, necessitas et ratio belli. II n'admet pas d'ailleurs que, dans les effets de la guerre, la peine dépasse en rigueur 1'injure qu'il s'agit de venger. (») Francois de Connan, avocat au parlement, maitre des requêtes, était né a Paris en 1508 ; il mourut en 1551. II laissait un livre : Commentarii juris civilis, qui a été donné au public, en 1553, c'est-a-dire quatre années avant limpression des Relectiones theologicce de Francois de Vitoria. Selon lui, \ejus nalurale est propre a 1'homme vivant en familie et ne s'étend pas au dela de la familie; le jus gentium. est le droit dont se servent les hommes non comme hommes, c'est-a-dire êtres doués de raison, mais comme natiom, gentes, et associés en quelque forme de peuple. Selon lui encore, la gens, la nation, est une multitude dliommes usant des mêmes mceürs. - Lemot, dit-il, vieot de genus par la suppression de la letlre « : les hommes de la même parenté et dela même race (genus) ont passé d'une familie trop grande en de nombreuses families; une dvitas est tout peuple régi par les mêmes lois et les mêmes moaurs. -> 6 — 86 — Nous avons mis en évidence 1'influence exercée par Francois de Vitoria renouvelant en quelque sorte 1'enseignement de la théologie; elle se prolongea grace a ses livres ét grace aux disciples fameux qu'il sut former et ii eut ainsi une incontestable action sur Ia science du droit des gens. Un homme de grande valeur lui a rendu justice, c'est Hermann Conring. II était né a Norden, en Frise, en 1606, et il fut appelé a enseigner a 1'université de Helmstadt; il mourut en 1681.. Alphonse Rivier le juge en ces termes : « Savant universel, théologien, médecin, jurisconsulte, germaniste et romaniste, publiciste, diplomate, philosophe, grand esprit, petit caractère. » Dans son Examen rerum publicarum potiorum totius orbis, Hermann Conring consacre une importante étude a 1'Espagne. II y parle notamment du développement que des écrivains de ce pays ont donné a la théologie scolastique et il observe que nul pays d'Europe n'a produit d'auteurs plus déliés. II invoque le témoignage de Dominique Bannès, membre de 1'ordre des frères prêcheurs, professeur de théologie a Alcala, a Valladolid et a Salamanque, qui attribue a Francois de Vitoria le mérite d'avoir suscité ce puissant mouvement. « II avait puisé ses connaissances a Paris, disait Bannès, mais il dépassa de loin ses maitres. » Conring rappelle que Bannès voit la cause des progrès réalisés par les Espagnols en théologie scolastique dans la gravité triste qui, selon lui, les distingue et il se rallie a son opinion. II fait de Francois de Vitoria un magnifique éloge. «II existe de lui, écrit-il, un ouvrage intitulé Relectiones, qui peut être d'une utilité extraordinaire, non seulement pour les théologiens, mais ausss pour les jurisconsultes, paree qu'il traite des choses moralei avec le plus grand soin et de la plus grande subtilité, au point que je le lis toujours avec admiration (*). » (») Hermann Gunring, Opera, Brunswick, 1730, t. IV. Examen rerum publicarum potiorum totius orbis. Chapitre 1. De republica hispanicê, p. 77. — 87 — Le professeur de Helmstadt insiste sur ce que, dans ia science du droit, le premier de tous, Francois de Vitoria a soulevé les problèmes moraux; il ajoute que les Espagnols ont continué a étudier ainsi la théologie et la philosophie et qu'en vain on chercherait semblables travaux chez les Francais, les Hollandais et les Allemands dont le génie n'est pas apte k pareille étude. « Souvent, ajoute-t-il, je m'étonne que Hugues Grotius ait pu, k tel point, faire des progrès dans ce genre de travaux au dela de ce que les auteurs ont fait communément. Mais son génie était curieux. Toutefois, s'il excella dans la philosophie morale et produisit le livre incomparable : Du droit de la guerre et de la paix, il le dut a la lecture des jurisconsultes espagnols Ferdinand Vasquez et Diego Covarruvias qui se sont servis de 1'ouvrage de leur maitre, Francois de Vitoria. Fréquemment il les cite. La science juridique espagnole diffère beaucoup de la science juridique franijaise. En France, on ne peut louer que Cujas, Hofman, Bauduin, etc, qui ont introduit dans leurs ouvrages d'agréables choses, mais en Espagne, le droit naturel est bien mieux cultivé; nulle part même, il n'est aussi heureusement enseigné. Et tout cela, 1'Espagne le doit a Francois de Vitoria. La même considération s'applique a la philosophie : c'est la philosophie morale qu'on étudie le plus en ce pays. Que celui qui'aspire a la connaissanee la plus exacte de la philosophie morale se procuré les auteurs espagnols. Les Allemands, en effet, et les Francais ne sont rien quand on les compare aux Espagnols. C'est pour Ie motif que nous avons indiqué que les Espagnols ont cultivé avecbonheur la métaphysique; ici aussi il faut des disposilions a la gravité triste. En physique, ils sont de véritables enfants paree que l'étude de la physique est riante; aussi n'en cultivent-ils que la partie la plus triste, c'est-a-dire la médecine, et en négligent-ils Ia partie agréable. Toujours pour la même raison, les études humanitaires languissent en Espagne. Dans un nombre considérable d'hommes, a peine peut-on louer Van. pu 1'autre pour avoir cultivé les belles-lettres. — 88 — Mariana et Barclay ont fait cette remarque. On cite parmi les théologiens le cicéronien Melchior Cano. Quand, a 1'instigatioh des jésuites, Philippe IV fonda une académie royale a Madrid, on ne trouva pas en Espagne, même parmi les jésuites, un seul écrivain qui fut apte aux belles-lettres. II n'y a dans ce pays qu'un historiën moderne, Mariana. » Les lecons solennelles sur les Indiens ne sont pas 1'unique assistance apportée par Francois de Vitoria aux malheureux • opprimés. II fit partie des commissions nommées par le gouvernement espagnol pour 1'examen et la solution de différentes questions relatives aux indigènes du nouveau monde. Ainsi, il futmêlé a la lutte qui se poursuivait a la fois sur le terrain scientifique et dans le domaine administratif, et dont Tissue avait une importance redoutable. Nous avons mentionné le nom de Barthélemy de Las Casas. H consacra a la liberté des naturels de TAmérique sa longue existence. En 1864, parvenu asa quatre-vingt-dixième année, il rédigea une consultation sur les droits et les obligations du roi et des conquérants du Pérou. « Si Ton considère, écrit Jean-Antoine Llorente, qu'il traversa quatorze fois les mers qui séparent les deux continents; qu'il parcourut plus souvent encore les vastes régions du nouveau monde dans toutes les directions ; qu'il fit un grand nombre de voyages en Espagne; qu'il ne cessa d'exercer dans les Indes les fonctions de missionnaire et de prédicateur; qu'il composa une foule d'ouvrages, courut les dangers les plus imminents, fut en butte aux persécutions des hommes puissants qu'il dénoncait, aux calomnies et aux dénonciations qu'il ne laissa jamais sans réponse, on ne pourra s'empêcher de reconnaitre dans Las Casas une ème véritablement sublime, une vertu a toute épreuve et la force d'un grand caractère (1). » Les défenseurs des indigènes du nouveau monde n'avaient (*) CEuvres de Barthélemy de Las Casas, évêque de Chiapa, dêfenseur de la liberté des naturels de l'Amérique, précédées de sa vie el accompa• -pnées de-rtotes, par J.-A. Llorente, Paris, 1822, 1.1. p. oxn. -89^ pas négligé d'agir auprès du Saint-Siège même. On citait une décision du pape Léon X d'après laquelle non seulement la religion, mais aussi la nature s'opposait a 1'esclavage ; « Non modo religionem sed etiam naturam reclamitare servituti. » En 1536, Las Casas contribua puissamment au voyage que fit a Rome le prieur du couvent des dominicains de SaintDomingue, le Père Bernardin de Minaya, pour détruire dans 1'esprit du pape Paul III les impressions facheuses que Ia malveillance des ennemis des Indiens avaient faites, en lui persuadant que ceux-ci étaient incapables de comprendre le christianisme et qu'on pouvait les comparer a des animaux et les employer aux mémes usages La démarche eut d'importants résultats. Le pape expédia, pour les affaires des Indes, différentes bulles, dont 1'une, en date du 9 juin 1537, blamait et condamnait les tourments et 1'oppression que les ennemis des Indiens infligeaient a ceux-ci. «Instruit, était-il dit, que les Indiens par leur qualité d'hommes vcritables, non seulement sont en état d'embrasser la foi de Jésus-Christ, mais qu'ils la recoivent, en effet, avec le plus grand empressement, et voulant remédier aux abus qui nous ont été dénoncés, en vertu de notre autorité apostolique, nous délerminons et déclarons par le contenu des présentes bulles que lesdits Indiens et tous les peuples qui viendront plus tard a ia connaissanee des chrétiens, quoiqu'ils ignorent la foi en Jésus-Christ, ne sont ni ne doivent pour cela étre privés de leur liberté ni de la liberté de leurs biens ou réduits en servitude ; mais que c'est par le moyen de la prédication de 1'Évangile et par 1'exemple d'une vie remplie de vertus qu'il faut les attirer et les engager a recevoir notre sainte religion. Nous ordonnons, en conséquence, que tout ce qui sera contraire a la présente résolution sera considéré comme nul et de nul effet. » Quelques jours auparavant, dans une lettre adressée a 1'archevêque de Tolède, Paul III avait affirmé que les Indiens (') J.-A. Llorentb, ouvrage cité, t, I, p. utn. — 90 — n'étaïent pas moins dignes de son attention que tous les autres habitants de la terre. « Ce sont des hommes comme nous, avait-il écrit; comme tous les autres peuples qui ne sont pas encore baptisés, ils doivent jouir de leur liberté naturelle et de la propriété de leurs biens; personne n'a le droit de les troubler ni de les inquiéter dans ce qu'ils tiennent de la main libérale de Dieu, Seigneur et Père de tous les hommes. » Le principal des adversaires des Indiens, on peut même dire de leurs ennemis fut Jean Ginès de Sepulveda. Né vers 1490 a Pozo Blanco, prés de Cordoue, il avait étudié la théologie a 1'Université d'Alcala et, pour étudier la philosophie, il s'était rendu, en 1515, a Bologne oü il devint Ie disciple enthousiaste de Pierre Pompohace. II séjourna longtemps en Italië et s'acquit une juste renommée par sa traduction latine d'une partie des oeuvres d'Aristote. II fut en relations avec plusieurs des grandes personnalités de 1'époque, notamment avec Érasme; il est vrai qu'en 1832, une polémique s'engagea entre lui et 1'illustre humaniste, mais a la mort d'Érasme, survenue dans la nuit du 1 i au 12 juillet 1836, Sepulveda eut la loyauté de rendre hommage a son éclatant mérite. En 1836, Sepulveda fut nommé chapelain de CharlesQuint et premier historiographe et il devint le précepteur de 1'infant Philippe. Après avoir passé plusieurs années a la cour, il se retira a Mariano, oü il composa ses ouvrages historiques et oü il mourut en 1873. II est un compfiment a lui faire, c'est qu'il écrivait le latin de facon admirable. En 1529, Sepulveda avait publié une Cohortatio, une « exhortation » adressée a Charles-Quint pour 1'engager a faire la paix avec tous les princes chrétiens et a entreprendre la guerre contre les Turcs. En 1833, il fit paraitre a Bome ün traité : De convenientid militaris disciplince cum chrtxtiand religione Dialogus, qui inscribitur Democrates; trois personnages, un Allemand, un Espagnol et un Grec, discutent la question de savoir si la guerre se concilie avec la doctrine du Christ. Du titre de Touvrage dérive le titre du livre violent — 91 — qu'il composa quelques années plus tard pour combattre Las Casas. En 1542, Barthélemy de Las Casas présènta a CharlesQuint le manuscrit de son travail fameux : Brevissima relacion de la destruycion de las Indias, qui fut seulement imprimé dix années plus tard. L'empereur-roi nomma une commission composée d'évêques, de conseillers, de théologiens et de jurisconsultes, qui siégea a Valladolid et sur Ia proposition de laquelle plusieurs ordonnances favorables aux Indiens furent édictées en 1543. Au Mexique et au Pérou, les colons espagnols répondirent par la révolte ouverte a des mesures qui lésaient leurs misérables intéréts; ils obtinrent gain de cause et les dispositions empreintes d'humanité furent abrogées. Las Casas cOntinua son apostolat. En 1544, il avait été nommé évêque de Chiapa; la même année, il fit distribuer dans son diocèse un opuscule : Confesonario ; c'était un avis auxconfesseurs, dans lequel il recommandait derefuser 1'absolution aux pénitenls qui ne mettraient pas en liberté leurs esclaves indiens. Le conseil des Indes fut saisi de 1'affaire et l'évêque fut invité a se rendre en Espagne pour s'expliquer. C'est alors que Sepulveda écrivit le Democrates secundus sive dialogus dejustis belli causis, dans lequel il examine quelles sont les causes légitimes de guerre et essaie de prouver que les rois d'Espagne peuvent combattre les indigènes du nouveau monde, et les amener par la force a une vie plus humaine et a des mceurs plus douces. L'auteur emploie les arguments les plus impitoyablespour justifier la domination espagnole et 1'écrasement des indigènes. 11 n'obtint point 1'autorisation d'imprimer son oeuvre, mais il mit en circulation des copies manuscrites et parvint a faire publier a Rome une Apologia pro libro suo de justis belli causis, dont Charles-Quint fit défendre 1'introduction et la vente en Espagne. Melchior Cano, qui avait succédé, en 1546, a son maitre Francois de Victoria, répondit a Sepulveda du haut de la chaire primaire de théologie de Salamanque. Antoine ■ 92 — llamirez, évêque de aegovie, ècrivit, en Ioi9, une Insputalio dans laquelle il combattit 1'audacieuse doctrine de Sepulveda permetlant d'enlever aux Indiens leurs biens et même de les Uier, en cas de résistance, quand le but de ('attaque était de les rendre plus habiles et plus aptes a recevoir la foi. Barthélemy de Las Casas comprit qu'il devait de nouveau se jeter dans la lutte : il publia une apologie de ses opinions. Le gouvernement intervint. II eut recours a la méthode qu'il appliquait généralement dans les affaires de ce genre et il nomma une commission de théologiens et de jurisconsultes qui se réunit a Valladolid. Sepulveda et Las Casas furent invités a exposer leur opinion sur le point de savoir s'il était permis ou non de faire la guerre aux indigènes du nouveau monde pour les soumettre a la domination espagnole, dans le cas oü ils ne voudraient ni accepter la foi chrétienne ni reconnaitre 1'autorité royale, après en avoir recu sommation. Les deux adversaires défendirent leur manière de voir et Dominique Soto fut chargé de résumer la discussion qui se termina par le triompbe de la thèse libérale et humaine. Malheureusement, dans le domaine des fails, le gouvernement se trouva désarmé devant 1'opposition irréductible des colons du nouveau monde. Barthélemy de Las Casas mourut a Madrid en 1566. II ne s'était pas borné a être un grand homme de bien ; il avait défehdu la liberté des naturels d'Amérique avec une abnégation inouïe ét, dans la sphère des théories politiques, il avait Iutté pour le droit des peuples contre les prétentions absolutistes des souverains. A ce point de vue, il y a intérét a lire le traité qu'il consacra a la question de savoir si un roi ou un prince peut faire cession d'une partie de ses sujets a un souverain étranger. Selon le publiciste espagnol, pareille cession ne peut se faire sans le consentement des sujets; jamais le peuple ne perd la liberté d'élire son roi; les empereurs et les rois sont simplemènt des protecteurs et des défenseurs. 11 soutient qu'il y a une dislinction csscntielle — 93 — entre la propriélé des cboses et la juridiction ou puissance souveraine sur les choses : la propriété dispose et jouit librement quoiqu'elle soit soumise a la personne qui la régit; a la souveraineté appartient le droit de gouverner. « La liberté, dit-il, ést une chose plus précieuse que toutes les richesses possédées par un peuple. » En certains passages, il manifeste sa répugnance pour la politique de centralisation et son adhésion aux anciennes théories sur 1'autonomie des villes. C'est ainsi que, d'après lui, le devoir qui oblige une ville envers le royaume est beaucoup moins rigoureux que le devoir qui oblige le citoyen envers la ville, paree que la ville est la véritable patrie du citoyen, tandis que le royaume ne peut être considéré comme la patrie d'une ville. «II peut exister une ville sans royaume, écrit-il, mais tout citoyen suppose une eité. » En 1557, la publication des Relectiones theologicce donna une importance nouvelle aux enseignements de Francois de Vitoria. On peut noter a ce sujet que Grégoire Lopez de Tavar, 1'illustre annotateur des Siete Partidas, reproduisit presque toute 1'argumentation du professeur de Salamanque, et lui donna ainsi un appui considérable. Plus tard, parurent d'importants ouvrages, oüla cause des aborigènes du nouveau monde fut plaidée avec talent. Nous en citerons quelques-uns. José de Acosta naquit a Medina del Campo en 1539 et étudia au collége des jésuites de Salamanque. II en tra dans la Compagnie de Jésus et fut envoyé par ses supérieurs au Pérou. Plus tard, il rentra en Espagne et devint recteur du collége oü il avait fait ses études. II mourut en 1599. II a écrit: De promulgatione Evangelii apud Barbaros sive de procurandd Indorum salute. Nous pouvons rappeler que José de Acosta divise les barbares en trois classes. Dans la première classe figurent ceux qui, selon ses paroles, ne s'éioignent pas beaucoup de la droite raison et de la coutume du genre humain : ils forment une communauté politique, ils ont des lois, des villes forlifiées, des magistrats, ils font le commerce et, — 94 — ce qui domine tout, ils ont l'usage des lettres; a titre d'exemple il mentionne les Chinois et les Japonais. Dans la deuxième classe se placent ceux qui, tout en ignorant l'usage des lettres et les lois écrites, ontcependant des magistrats, formentune communauté, possèdent une milice et des chefs; il cite les Mexicains et les Péruviens. Dans la troisième classe se rangent les sauvages qui ont a peine quelque sens humain, qui sont sans lois, sans rois, sans traités ; ils sont nomades ou bien, s'ils ont des demeures, c'est plutót comme les fauves et comme le bétail; il nomme les Caraïbes. S'occupant plus particulièrement des aborigènes du nouveau monde, Acosta demande s'il est légitime de leur faire la guerre pour les punir de leurs péchés. II se prononce pour la négative. Du reste, il rappelle 'que les universités de Salamanque et d'Alcala se sont prononcées dans le sens d'une politique empreinte de douceur et d'humanité, et il invoque 1'opinion de Francois de Vitoria et de Dominique Soto. II ad met que la guerre soit liciteen certains cas ; ainsi quand il s'agit de protéger les innocents attaqués par les Indiens ou quand il faut se défendre; mais, même alors, il blame 1'emploi de violences inutiles. « U faut, écrit-il, traiter les aborigènes comme on traite des enfants et des femmes ou plutót comme on traite le bétail : il faut les effrayer et non pas tirer 1'épée; il faut leur apprendre a craindre et a obéir; on ne peut pas de suite brüler, tuer, infliger la servitude perpétuelle et déchainer les calamités de la guerre. » On constate qu'en général les théologiens et les jurisconsultes qui se sont occupés des droits des Indiens admettaient que ceux-ci s'adonnaient a des vices infames et a des pratiques sanguinaires. A ce sujet, un passage de Bernal Diaz del Caslillo, un des compagnons de Fernand Cortès dans son expédition du Mexique, offre quelque éclaircissement. Diaz reproduit le langage tenu par son chef a des caciques qui implorent sa protection. « Cortès, écrit-il, leur dit qu'ils devaient abandonner les idoles et ne plus leur sacrifier. II ajouta qu'ilsdevaient se rendre purs des vices honteux dont — 95 — leurs jeunes hommes donnaient continuellement le scandale; que d'ailleurs on sacrifiait chaque jour sous nos yeux quatre ou cinq Indiens dont on offrait le cceur aux idoles, Iancant le sang sur les murailles, coupant les jambes, les cuisses et les bras pour les manger comme viande qui sorlirait de nos boucheries (je crois même qu'on les vendait en détail dans les tiangues, qui sont leurs marchés). II finit par leur prometlre que, pourvu qu'ils abandonnassent leurs mauvaises habitudes et ces usages, non seulement nous serions leurs alliés, mais nous ferions en sorte de les rendre seigneurs d'autres provinces » De 1629, date le premier volume d'un ouvrage dont le deuxième et dernier volume parut en 1639. Le titre est: Disputatie- de Indiarum jure. Le premier volume traite de la recherche, de 1'acquisition et de Ia rétention des Indes occidentales; le deuxième volume s'occupe du gouvernement. L'auteur est Jean de Solorzano Pereira. Après avoir enseigné le droit romain a 1'université de Salamanque, il était devenu, en 1609, membre de Ia cour de justice de Lima et, a partir de 1627, il avait siégé comme avocat du fisc au conseil suprème des Indes. On ne connait pas 1'année de sa mort; encore en 1655, il publiait les Emblemata politica. La Disputatio traite non seulement des questions relatives aux Indiens, mais de nombreux problèmes du droit des gens. Des maximes méritent d'être citées. Selon Solorzano Pereira, il ne faut point d'avertissement préalable quand la guerre est faite aux Turcs, aux hérétiques et aux autres ennemis de la foi. II enseigne que la guerre juste et légitime entraine, pour le vainqueur, le droit d'acquisition. II ajoute que c'est une pro- (') Histoire véridique de la conquête de la NouveUe-Espagne, écrite par le capita ine Bemal Bias del Castillo, Vun des conquistadores. Traduit par D. Jour-danet, Paris, 1877, p. 121. II y a un curieux passage dans Edward John Patne, History of the netc icorld called America, Oxford, 1899, t. II, p. 16. On peut lire a ce sujet des pages de Edward Westermarck, The origin and development of the moral ideas, Londres, 1908, t. II; p. 473 et suivantes. •-■■'.öi.i* — 96 - position hérétique que de soutenir qu'il n'est jamais permis de faire la guerre. A ses yeux, pieuses et louables sont les guerres entreprises pour protéger la religion ou la défendre. II constate, d'ailleurs, que généralement les guerres faites par les Espagnols aux Indiens ont été des guerres légitimes. Enfin, il invoque 1'opinion de Platon, d'Aristote, de Thucydide et de Xénophon affirmant que par sa nature même 1'art militaire est « acquisitif » et il rappelle que Cicéron place la victoire parmi les modes principaux d'obtenir la propriété. Alphonse de Sandoval naquit a Tolède et fut emmené, fort jeune encore, au Pérou par son père qui était fonctionnaire a Lima. II devint membre de la Compagnie de Jésus et se distingua par un apostolat tout de dévouement et de charité. II publia, en 1647, un livre : De imtaurandd Aethiopum salute, oü il est question des Indiens et des nègres. 11 mourut en 1652. II Si la question de 1'occupation des terres nouvellement découvertes et la question des droits des aborigènes firent longtemps 1'objet des discussions scientifiques en Espagne, elles ne furent pas seules a préoccuper les esprits. C'est ainsi que des chapitres intéressants parurent concernant la notion du droit des gens et concernant d'importantes parties de ce droit. On les trouve généralement dans les traités consacrés par les auteurs a la matière de la justice et du droit, De justitid el jure, qui comprenait a peu prés tout ce que de nos jours on entend par droit privé, a 1'exclusion du droit de mariage et du droit de familie, et qui se renfermait ainsi dans le domaine de la justice commutative dont le premier précepte est : Suum cuique tribuere ('). Mais il est d'autres ouvrages encore qui contiennent d'intéressantes pages, oü puisèrent (') Karl Wernkr, Frans Suarez und die Scolastik der letzten Jahrkunderte. Ratisbonne, 1861, t. II, p. 259. - 97 les auteurs du xvu* et du xviii* siècle qui se sont occupés plus spóeialement du droit régissant les rapports des Etats. Selon la plupart des historiens, Martin de Azpilcueta naquit, en 1492, a Barasoain, localitc du royaume de Navarre (*). 11 étudia la théologie a Alcala et le droit civil et le droit canonique a Toulouse, oü il séjourna longtemps. Au dire de son biographe, Simon Magnus, il eut comme maitre, en cette dernière ville, un Beige, dont on ne connait que le prénom Josse, Jodocus, et qui fut plus tard appelé en Espagne par Cbarles-Quint et nommé aux fonctions de chancelier. Martin' de Azpilcueta louait la méthode de ce professeur qui dictait son cours. Devenu prétre, Martin de Azpilcueta entra dans 1'ordre des chanoines réguliers de Saint-Augustin. II ne tarda pas a ètre chargé de 1'enseignement du droit canonique a 1'université de Salamanque et quand, en 1537, 1'université de Coïmbre fut fondée par le roi de Portugal, il accepta la vocation qui lui était faite. De son séjour a Coïmbre date la lecón solennelle sur le chapitre Ita quorundam, qui servit de base pour le livre oü se trouve exposée toute la doctrine canonique relative a 1'excommunication encourue par ceux qui fournissent du fer, du bois de charpente et d'autres choses nécessaires aux chrétiens. L'ouvrage fut imprimé pour la première fois a Coïmbre, en 1550. En 1555, Martin d'Azpilcueta rentra en Espagne. Plus tard, il se rendit a Bome, oü il préta assistance a son ami, Barthélemy de Carranza, archevêque de Tolède, que poursuivait de sa haine Fernand de Valdès, archevêque de Séville. II mourut, en 1586, dans la capitale du monde chrétien. De son pays d'origine, Martin d'Azpilcueta fut appelé Na- (') Mabjano Abigita y Lasa, El doctor Navarro Don Martin de Azpilcueta y sus obrat, Pampelune, 1895. — V. -E. Hbabar, Martinus Navarrus (de Azpilcueta) et son traité sur la contrébandede guerre. Revue de droit international et de législation comparée, deuxième série, t. XIII (1911), p. 183. — 98 — varrus, le Navarrais, ou, comme il est dit souvent, Navarre. Ses ceuvres complètes forment six volumes in-folio. Un de ses livres, un manuel du confesseur, eut beaucoup de vogue ; composé dans 1'esprit des plus déliés casuistes, il valut a son auteur de figurer dans les Provinciales de Blaise Pascal. Dans les Consiliorum seu responsorum in quinque libros juxta numerum et tilulos Decretalium distributorum tomi duo. Martin de Azpilcueta consacre une étude a la restitution des biens enlevés, oü sont émises des considéralions concernant le droit de la guerre. A ses yeux, la légitimité de la guerre contre les infidéles ne fait aucun doute; pareille opinion ne saurait étonner de la part du fanatique qui fait 1'éloge de Philippe II paree qu'il n'a point son égal quand il s'agit de punir et d'extirper la peste des hérésics. Nous avons montré le róle rempli par Dominique Soto quand, en 1550, la commission nommée par le gouvernement entendit Sepulveda et Las Casas. Né a Ségovie en 1494, il avait fait ses études a Alcala et a Paris et était entré dans 1'ordre des dominicains. Successivement il enseigna la philosophie a Alcala et è Burgos, et la théologie a Salamanque. II fut chargé de plusieurs missions officielles, il rédigea des consultations importantes et il fut envoyé, en 1545, au concile de Trente. 11 passa les dernières années de sa vie a Salamanque, oü il occupa, en 1552, la chaire primaire de théologie devenue vacante par la nomination de Melchior Cano au siège épiscopal des iles Canaries. II mourut en 1560. Son ouvrage principal: De justitid et jure libri decem parut, en 1553 et en 1554, en deux tomes in-folio. Sotó était animé de sentiments généreux. Au sujet de 1'esclavage, il prononca ce jugement : « Ceux qui caplurent des esclaves et ceux qui en possèdent ne peuvent avoir la conscience nette aussi longtemps qu'ils ne leur donnent pas la liberté, même sans pouvoir récupérer le prix. » Solorzano Pereira rappelle que le savant dominicain a publié un traité : De ratione promulgandi Evangelii, qui est cité par Vasquez — 99 — Menchaca dans ses Qucestiones Mus tres, mais que lui-même n'a pu se procurer. Alphonse de Castro naquit a Zamora en 1495. II entra dans 1'ordre des franciscains et fut appelé a Bruges, oü séjournaient de nombrèux négociants espagnols. Pendant de longues années, il exerca son ministère dans la ville flamande. En 1554, il accompagna en Angleterre le prince Philippe, qui devait épouser la reine Marie. En 1558, il mourut a Bruxelles. Castro fit paraitre a Paris, en 1534, un traité contre les hérésies; le titre est: Adversus omnes hcereses libri A lIII. II publia a Salamanque, en 1547, un ouvrage sur la juste punition des hérétiques : Dejustd hcereticorum punitione libri tres. II raconte qu'a 1'époque oü il écrivait ce livre il était a Trente; entendant discuter la question de savoir s'il est licite de faire la guerre aux hérétiques ou s'il faut se borner a employer le raisonnement pour les ramener a la vérité, il décida d'étudier la matière. Dans son livre, il est amené a s'occuper de la guerre en général. Un point important était de savoir qui peut faire Ia guerre. L'auteur répond que seuls peuvent justement recourir aux armes les princes et les républiques qui, dans les affaires temporelies, ne reconnaissent point de supérieurs; précisant sa pensée, il dit que la caractéristique est Ia pleine et compléte juridiction sur les procés des sujets. En Italië, il cite le duc de Florence, le duc de Ferrare, le duc de Mantoue, le marquis de Montferrat qui, de coutume antique, ont juridiction entière. En Allemagne, le cas est différent pour les ducs et pour les marquis; en effet, s'ils exercent le droit de frapper monnaie qui appartient seulement aux princes supérieurs, ils sont soumis a la Chambre impériale, tribunal auquel s'adressent tous les Allemands qui se croient injus temen t condamnés. Le moine franciscain énumère dix causes légitimes de guerre. Tout naturellement, il énumère comme causes 1'idolatrie et 1'abandon du culte du vrai Dieu. Dans un livre: Depotestate tegispcenalis, Alphonse de Castro — 100 — défend la liberté de la mer. C'est ainsi qu'il est cité par Grotius, dans le douzième chapitre du De jure pmdai, chapitre qui devint, comme on sait, ïeMare liberum. De nombreux problèmes relevant du droit des gens sont indiqués et généralement bien résolus dans les annotations rédigées pour les Siete Partidas par Grégoire Lopez de Tovar. Nous avons déja fait 1'éloge de ce grand jurisconsulte. Melchior Cano est le plus illustre élève de Francois de Vitoria. 11 vit le jour, en 1505, a Tarancon, bourg de la Nouvelle-Castille, et il étudia a Salamanque. II prit la robe de dominicain en 1524 et suivit, a partir de 1526, les lecons de Francois de Vitoria. En 1530, il devint professeur de théologie au collége de Saint-Grégoire a Valladolid. En 1542, il fut appelé a enseigner a Salamanque, oü il fut choisi, en 1546, a la mort de Francois de Vitoria, pour occuperla chaire primaire de théologie. Quelque temps après, il fut envoyé au concile de Trente et dut interrompre son cours qu'il ne reprit qu'en 1549. En 1552, il fut nommé évêque des iles Canaries, mais il n'accepta pas un honneur qui devait 1'éloigner d'Espagne et il se retira dans un couvent de son ordre. Comme nous venons de le dire, Soto le remplaca dans la chaire primaire. En 1554, Melchior Cano fut élu provincial de 1'ordre des dominicains pour la Castille; en 1558, il fut appelé a la même chaire primaire, mais le général de 1'ordre refüsa de confirmer la nomination. C'est alors que Cano entreprit un voyage a Rome. A son retour en Espagne, il fut surpris par la maladie et il mourut a Tolède, le 30 septembre 1560 C1). II laissait en manuscrit un livre de premier ordre, De locis theologicis libri duodecim, qui parut en 1562 par les soins de Fernand de Valdès, archevêque de Séville. « Cette oeuvre est (J) J.-M. Guabdia, Antonio Perez, l'art de gouvemer. Discours adressé a Philippe III (1598), publié pour la première fois en espagnol et en francais, suivi d'une étude sur la consultation de Melchior Cano a Philippe II (1555). Paris, 1867, p. 331 et suivantes. — 101 — un traité de la méthode en théologie, dit un écrivain. Le De beis theologicitt est un véritable manifeste théologique. II est le résultat de 1'action rénovatrice exercée sur la théologie en Espagne par Francois de Vitoria, dont Cano fut le plus brillant et le plus fidéle disciple. Retour a 1'érudition patristique et emploi d'une langue littéraire dans les sentences théologiques, teis furent les points de vue prédominants dans la directioii créée par Francois de Vitoria (*) » Melchior Cano fut fréquemment consulté par Ie gouvernement sur les affaires publiques. En 1536 notamment, il rédigea pour Philippe II un travail trés curieux, dans lequel il 1'engagea è prendre contre Ia cour de Rome les mesures les plus radicales. Le théologien conseillait de faire la guerre au pape et de défendre que des sommes d'argent fussent envoyéesd'Espagne a la curie. Ce serait une erreur de croire, observons-le, que les catholiques monarques d'Espagne aient abdiqué entre les mains des souverains pontifes. Souvent des querelles violentes éclataient, qui aboutissaient a la rupture des relations et même a la guerre. Clément VII et Paul III avaient été pour Charles-Quint des ennemis irréconciliables. En 1527, les troupes allemandes et espagnoles prirent d'assaut la ville de Rome et se livrèrent aux plus horribles excès. Paolo Sarpi raconte que « 1'empereur avait envie de faire conduire le pape en Espagne, jugeant qu'il pourrait'acquérhainsi beaucoup de réputation d'avoir en deux ans fait amener d'Italie deux aussi illustres prisonniers qu'un roi de France et qu'un pape »(«). « Toutefois, ajoute-t-il, il eut peur d'aigrir les Espagnols qui voyaient dans le pape le vicaire du Christ. » Philippe II dut résister a Paul IV qui haïssait profondément 1'Espagne; c'est alors qu'il s'adressa a Melchior Cano, qui, (») Dictionnaire de théologie catholique. Commencé sous la direction de A. Vacant et continué sous celle de B. Mangenot. Article de P. Mandonnet Paris, 1905, t. II, p. 1539. (*) Paolo Sarpi, HUtoire du concile de Trente. Traduction de PierrePrancois Le Gourayer. Londres. 1376, t. I, p. 75-, 7 — 102 — comme nous venons de le voir, n'hésita pas a pröner le recours aux armes. Le duc d'Albe était en Italië a la tête de troupes victorieuses; le conseil du théologien pouvait être suivi avec la certitude de succès; le monarque hésita. II est vrai que, pendant le pontificat de Pie IV. il fit preuve de vigueur. « Philippe II, écrit Paolo Sarpi, vit avec ressentiment la clóture du concile de Trente et il avait délibéré d'assembler les prélats et les agents du clergé de son royaume pour voir de quelle manière il s'y prendrait pour 1'exécution des décrets. Avec mortification, le pape vit le roi s'attribuer le droit de faire recevoir et exéculer les décrets par 1'ordre et la délibération du conseil royal. Philippe II envoya ses commissaires dans tous les synodes qui se tinrent pour y proposer ce qu'il lui plairait et ce qui convenait a ses intéréts » On a reproché a Melchior Cano son ambition et son orgueil; on a expliqué par la violence de son caractère, qui ne souffrait ni un supérieur ni un égal, sa conduite a 1'égard de 1'archevêque de Tolède, Barthélemy de Carranza, que 1'archevêque de Séville avait dénoncé comme plus hérétique que Luther et qui finit par être suspendu de 1'administration de son diocèse et enfermé au chateau Saint-Ange, par sentence des tribunaux romains. Ferdinand Vasquez Menchaca est né a Valladolid, en 1512; son père était Martin Vasquez; sa mère était fille de Francisco Menchaca. 11 étudia le droit canonique et le droit romain dans sa ville natale d'abord et ensuite a Salamanque et il occupa successivement diverses fonctions; il siégea au conseil de Valladolid, fut archidiacre de la cathédrale d'Astorga, vicaire général du diocèce de Saint-Jacques deCompostelle et membre du conseil royal de Castille; en 1562, il avait été envoyé au concile de Trente, II mourut en 1569 et ses restes furent inhumés en la cathédrale de Séville. Grotius cite plusieurs fois Vasquez dans son Dejare pmdas; (') Paolo Sarpi, ouvrage cité, t. II, p. 67. — 103 — il 1'appelle « eet honneur de 1'Espagne », decus Mud Hispanioe, dans son Mare liberum, et dans le même opuscule il loue sa finesse dans l'étude du droit et la liberté avec laquelle il exposé ses opinions; il le mentionne dans les prolégomènes de son grand traité De jure belli ac pacis et plusieurs fois il le cite au cours de eet ouvrage. II est un éloge que Vasquez mérite : c'est d'avoir en toute occasion émis ses théories radicales sans hésitation et sans crainte. En 1559, Vasquez publia le traité : De successionibus et ultimis voluntatibus. II composa également : Controversïarum illustrium aliarumque usu frequentium libri tres, ouvrage qui forme un volume in-folio de plus de 1,100 pages, et dont la dédicace a Philippe II est de 1564. II laissa en manuscrit un livre : De vero jure naturali. Des passages de ses ouvrages permettent de se rendre compte de 1'indépendance d'esprit avec laquelle l'auteur juge les institutions et les lois. « Le droit des gens,écrit-il, n'a pas fait de la guerre une institution réguliere; devant lui, elle est seulement occasionnelle; les guerres surgirent dès qu'il y eut des dominations distinctes sur les choses; avec raison, Portius a enseigné que si le «Mien» et le « Tien», Meum et Tuum, étaient supprimés, les hommes vivraient en tranquillité; Sénèque Pa dit avant Portius, et Chasseneux, de son cóté, a montré que le droit de propriété lui-méme a pris naissan.ee dans 1'orgueil et dans la passion de dominer ('). » Le jurisconsulte espagnol est 1'adversaire décidé de 1'absolutisme. II dernande quelle est la nature du pouvoir royal.« Comme base, répond-il, nous proposons une règle pour ainsi dire élémentaire, c'est que les principautés, les royaumes, les empires, toutes les puissances légitimes des lois et des hommes ont été inventés, créés, recus et admis pour 1'utilité publique des (') Jean-Christophe Portius enseigna le droit a Pavie a partir de 1434. II composa un commentaire sur les Institules. Balde, qui mourut en 1400, écrivit ces mots: <• Propter nomina possessiva, meum et tuum, belta orla suriti» — 104 — citoyens et non pour 1'avantage des gouvernants. Le royaume n'existe pas pour le roi, le roi existe pour le royaume. » II cite les paroles d'André d'Isernia, d'après lequel la puissance donnée au roi par le peuple ne peut être révoquée régulière. ment par ce même peuple. « C'est la, dit-il, une grande ct mémorable parole; mais elle ne s'applique plus, en premier lieu,quand le prince devient tyran,en second lieu,qu&nd il est incapable de régner, en troisième lieu, quand il dépasse les frontières de ses États. Dès que le prince, le chef de la république, la personne chargée de 1'administration de la républiquedeviennentdes tyrans, ils cessent d'ètre des princes. Le chef de ma communautè politique, qui veut me tuer ou me blesser, moi innocent, cesse de fait et de droit d'être chef légitime; si je le tue pour me défendre, il meurt en simple particulier et non en homme revêlu de la puissance. » Sur différentes questions importantes, Vasquez exposé sans la moindre hésitation des opinions libérales. Ainsi, il soutient que le prince temporel n'a aucune puissance sur 1'ame de ses sujets et que, par conséquent, il ne peut enlever les enfants juifs a leurs parents pour les baptiser. II n'admet pas qu'il soit licite de faire la guerre aux habitants du nouveau monde sous prétexte qü'ils seraient destinés par la nature a servir. « Sans doute, écrit-il, des autorités sont invoquées è 1'appui de cette thèse comme Aristote, Egidio Colonna, le Portugais Alphonse Alvarez de Guerrero, d'autres encore; mais c'est la une doctrine simplement tyrannique qui doit entrainer lemassacre et le malheur. » II n'admet pas non plus qu'on fasse la guerre aux infidéles sous prétexte qu'ils pèchent contre la nature. Vasquez désapprouve la politique intérieure des rois d'Espagne. II condamne les majorats; il dit que les cortès tenues a Toro,en 1505, ont fait erreur en les organisant,puisqu'ils crèent la perpétuité et que la concentration des biens en peu de mains est chose nuisible; il conclut qu'il serait utile de les dissoudre. II range parmi les lois édictées sans réflexion celles qui prohibent 1'exportation de 1'or et del'argent; il — 105 — soutient que non seulement elles nap portent rien d'utile, mais font un tort considérable. . La richesse du clergé espagnol le préoccupe. II cite un passage de Barthélemy de Saliceto. « On lit dans les chroniques, avait écrit ce dernier, que lorsque 1'empereur Constantin fit a 1'Église la fameuse donation, une voix du ciel fut entendue disant: « Du poison a été administré aujourd'hui a 1'Eglise de Dieu »,ce qui signifie que les prêtres ne doivent pas s'enrichir outre mesure, paree que plus 1'Eglise devient opulente, plus elle périclite. » Vasquez ajoute qu'il ne faut pas croire a la véracité de ce récit qui n'est même pas vraisemblable, mais que 1'avis des magistrats est que le clergé ne doit pas posséder de trop grandes richesses. En traitant de la dime, il déclare qu'elle se base exclusivement sur la loi positive et il repousse la doctrine cléricale de son origine divine. Vasquez est un parlisan résolu de la liberté de la mer. II rappelle que les Véniticns et les Génois ont défendu aux autres nations de naviguer dans leurs mers. « Jamais, dit-il, la mer n'a cessè d'élre commune; ni Portugais, ni Espagnols, ni Vénitiens, ni Génois n'ont acquis la mer par prescription. Les opinions émises au sujet de la mer par les Portugais et par les Espagnols ne sont pas moins insensées que celles des auteurs qui font le méme rêve quand il s'agit des Génois et des Vénitiens. » Diego de Covarruvias et Leyva naquit a Tolède en 1512. II suivit a Salamanque les lecons de Martin de Azpilcueta qui Ie mentionne dans ses écrits et 1'appelle ferventissimus auditor et olim discipulus dilectissimus. Dans la même université, il eut comme prófesseur de grec Nicolas Cleynaerts. Vers 1540, il fut chargé d'ensëigner le droit canonique; puis, il occupa des fonctions judiciaires. Ën 1560, il devint évêque de Ciudad Rodrigo et, en 1562, il fut envoyé au concile de Trente. Ici, il recut la mission de rédiger les décrets de la réformation du clergé, de concert avec Hugues Buoncompagno qui, plus tard, fut pape sous le nom de Grégoire XIII. II eut a accom- - 106 - plir toute la tache, Buoncompagno ayant été absorbé par d'autres travaux. En 1564, il fut appelé au siège de Ségovie. En 1571, il fut nomraé président du conseil royal de Castille. Il mourut en 1577. Diego de Covarruvias fut un des grands romanistes de son époque. Ses contemporains le surnommaient « Ie Bartole espagnol» ; le président Favre le qualifia vir prcestantissimus; Grotius disait qu'il était «un jurisconsulte exquis». «Les Espagnols, écrivait Arthur Duck vers le milieu du xvn8 siècle, ont eu tant de söin de cultiver le droit romain (depuis la libération des Maures) qu'outre les anciens interprètes, le dernier siècle a produit dans 1'Espagne une infinité de grands jurisconsultes. » II mentionne Antoine Agustin, Diego Covarruvias, Martin Navarre, Ferdinand Vasquez, Louis Molina, Alphonse Azevedo et plusieurs autres. - Parmi les noms cités par Arthur Duck se trouvent ceux d'Antonio Agustin et de Louis Molina. Antonio Agustin naquit a Sarcagon, en 1517. II étudia a Alcala et a Salamanque et, en 1537, il se rendit en (talie, oa-il suivit les cours des universités de Bologne et de Padoue. II futen cette dernière ville un des élèves d'André Alciat. II devint auditeur de la Bote pour la monarchie d'Aragon. En 1554, par ordre du pape Jules III, il se rendit en Angleterre, a 1'occasion de la célébration dumariage du prince Philippe d'Espagne avec la reine Marie. En 1561, il obtint le siège épiscopal de Lerida. Peu après, il fut envoyé par le gouvernement espagnol au concile de Trente. Promu archevêque de Tarragone en 1577, il occupa ces fonctions pendant neuf années. 11 mourut en 1585. « Bomaniste, canoniste, philologue, il fut partout au premier rang », écrit Alphonse Bivier. Louis Molina avait vu le jour a Cuenca dans la Nou vel leCastille, en 1535. II entra dans la Compagnie de Jésus et devint professeur de théologie a 1'université d'Evora, en Portugal. II mourut a Madrid, en 1600. Son grand ouvrage : De justitid èVjute temi $ex fut dédié a Philippe III. Par un livre. sur la — 107 — concorde de la grace et du libre arbitre, Louis Molina suscita les disputes sur la grace; mais il faut se garder de le confondre avec son compatriote Michel Molinos, auteur d'un ouvrage sur la conduite spirituelle, qui fut enfermé dans les prisons de 1'Inquisition romaine et qui mourut en 1696. Nous pouvons mentionner Jean Mariana, historiën, économiste, publiciste.« Né a Talavera dans la Nouvelle-Castille, écrit le traducteur de son grand ouvrage sur 1'histoire d'Espagne, Mariana fit ses études a Alcala et entra dans la Compagnie de Jésusal'agededix-septans.en 1KS4. Apeine avait-il Page pour entrer dans le sacerdoce qu'il expliqua publiquement a Rome la théologie scolastique et 1'Écriture sainte. II fut alors envoyé en Sicile et bientót a Paris, oü il enseigna pendant cinq ans la théologie scolastique avec le plus grand éclat. Malade, il rentra Espagne et résida a Tolède. » II mourut en cette dernière ville, en 1623, a 1'age de quatre-vingt-sept ans. Son principal ouvrage est consacré a 1'histoire d'Espagne depuis les premiers temps jusqu'en 1S16. Un autre ouvrage est Ia dissertation sur le changement des monnaies: De monette mutatione disputatie-; elle était dirigée contre 1'administration du roi Philippe III, qui avait fait frapper une monnaie de billon valant beaucoup moins que 1'ancienne (1). Mariana insistait sur les droits du peuple vis-a-vis de la puissance royale; il rappelait que le souverain ne peut imposer des taxessans Passentiment des mandataires de ses sujets; il disait que la monnaie doit être fixe comme les poids et les mesures; il suggérait, comme remèdes aux embarras financiers, la réduction des dépenses, la renonciation aux expéditions de guerre et la surveillance étroite de la gestion des fonctionnaires. « Cet ouvrage, dit le traducteur francais de son histoire (') A la fin du xv6 siècle, une troisième espèce de monnaie, le vellon, avait été introduite en Espagne. Le nom venait probablement de la peau de mouton qui était représentée sur les pièces. Le gouvernement diminua peu a peu la quantité d'argent qui était contenue dans la monnaie de vellon et celle-ci finit par être, au xvn° siècle, du cuivre pur. — 108 — d'Espagne, lui attira de grandes difticultés. Le duc de Lerme fut informé de ce qu'il conteriait et dès lors il y eut ordre aux ti ibunaux d'Espagne de le condamner. Paul V fut vivement sollicité pour le meltre a VIndke, afin que la lecture en fut défendue sous peine d'excommunication ; il en suspendit seulement la lecture. Pour le Père Mariana, il fut mis aux arrêts dans la maison des Jésuites de Tolède, avec défense de parler a aucune personne du dehors; il y resta un peu plus d'un an, consolé par le témoignage que lui rendait sa conscience de n'avoir mis dans eet écrit rien de faux... Cela fut reconnu de toute 1'Espagne, dès qu'un peu de terre jeté sur Ie corps du premier ministre eut enseveli les intéréts et les passions. » C'est avec raison qu'un écrivain a appelé Mariana « un esprit fier et indépendant ». Le livre le plus fameux de Jean Mariana est le De rege et regis institutione libri 111. II est dédié a Philippe III. Le privilège royal est de 1599. La même année, 1'ouvrage fut imprimc a Tolède; il était muni de 1'approbation d'Étienne Hojeda, visiteur de la Compagnie de Jésus dans la province de Tolède. L'écrivain anglais Lecky emploie des termes élogieux pour qualifier le traité De rege et regis institutione, qu'il appelle un livre extrêmement remarquable. Les pages dans lesquelles l'auteur examine la question de savoir s'il est permis de tuer un tyran ont été fréquemment invoquées. Elles mentionnent avec admiration le jeune moine dominicain, Jacques Clément, qui, le ler aoüt 1589, frappa Henri lil, roi de France, d'un coup de couteau dont il mourut le lendemain, et passent en revue les deux opinions qui ont été exprimées a ce sujet, celle des partisans et celle des adversaires du lyrannicide. La conclusion est qu'il est licite de tuer le prince qui est véritablement un tyran. La thèse était ancienne et avait été traitée par de nombreux publicistes; mais le grand reproche que firent les contemporains au jésuite espagnol, ce fut sa dissertation sur le poison: il permet en effet de faire mourir par 1'attouchement de robes, d'armes et d'autres — 109 ^ objets empoisonnés; il fait conscience d'user du poison en breuvage par le motif qu'ainsi un homme se donnerait la mort a lui-même* Que Mariana ait défendu la doctrine du tyrannicide, qu'il ait fait Téloge de Jacques Clément, il n'y a a cela rien d'étonnant. Vollaire rappelle a ce sujet que des théologiens calvinistes ont approuvé Jean Poltrot qui, en 1563, avait mor.-tellement blessé d'un coup de pistolet Francois de Guise, et il ajoute que les catholiques avaient loué 1'assassin du prince d'Orange. Mais il faut le dire a son honneur, dans sa dissertation De rege et regis institutione, le jésuité espagnol défend énergiquement les droits des sujets vis-a-vis de leur souverain et il enseigne que celui-ci est soumis aux lois; il est partisan d'une monarchie tempérée et on peut rapprocher les théories qu'il exposé dans son ouvrage tant critiqué des opinions qu'il exprime dans son discours sur les grands défauts du gouvernement des jésuites. Mariana consacre un chapitre de son De rege et regis institutione aux affaires militaires. II y émet des considérations généralement judicieu ses. «Le prince, écrit-il, doit tout rapporter a la tranquillité et il ne peut prendre les armes que si -la nécessité 1'y oblige. Mais il doit se préparer a la guerre et se munir de tous les instruments belliqueux et nautiques, afin de ne pas devoir demander assistance a 1'élranger. II doit aussi acquérir, en temps de paix, les chevaux et les armes et il ne doit cesser de penser a la guerre. Cependant il ne faut pas qu'il tombe dans 1'excès et qu'ainsi il s'aliène 1'esprit de ses sujets. Quand la guerre a éclatè, le prince doit avoir soin «qu'elle se nouriisse elle-même», suivant le mot de Caton qui, arrivant comme consul en Espagne, renvoya sa Hotte en Gaule et défendit aux tournisseurs de suivre son armée.» Mariana conseille d'ailleurs de recruter les soldats parmi les sujets du prince et de ne pas avoir recours a des mercenaires étrangers. Le 8 jujn 1610 (Ravaiilac venait de tuer Henri IV, le 14 mai), — 110 — le parlement de Paris ordonna de brüler le livre de Mariana par rexécuteur de la haute justice et défendit a qui que ce soit, a peine de crime de lèse-majesté, de vendre ou de faire imprimer aucun livre contraire au décret de la faculté de théologie de Paris. Ce décret du 4 juin 1610 avait condamné de nouveau la doctrine d'après laquelle «un tyran, quel qu'il soit, peut et doit licitement et méritoirement être occis par un sien vassal ou sujet quel qu'il soit, par tous moyens, principalement par secrètes embüches, trahisons, flatteries et autres telles mceurs, nonobstanl quelque foy ou serment que le sujet puisse avoir avec le tyran, sans aussi que sur ce fait le sujet doive attendre la sentence ou le mandement de quelque juge». Tous les docteurs avaient été convoqués au collége de la Sorbonne. La faculté rappelle qu'en 1413, quarante et un docteurs avaient censuré une proposition, depuis condamnée par Ie concile de Constance, et qu'ils avaient proclamé « qu'il n'est loisible a aucun, par quelque cause et occasion qui puisse être, d'attenter aux personnes sacrées des rois et autres princes souverains ». Francois Suarez naquit a Grenade en 1548. II entra dans la Compagnie de Jésus en 1565. Après avoir fait ses études a Salamanque, il fut chargé d'enseigner la philosophie a Ségovie. C'étaiten 1571; il avait alors vingt-trois ans. Plus tard, il occupa des chaires a Valladolid et a Rome. II séjourna dans cette dernière ville pendant huit années. Rentré en Espagne, 11 enseigna successivement a Alcala et a Salamanque. il fut ensuite professeur a 1'université de Coïmbre en Portugal. II remplit ces fonctions pendant vingt années. 11 mourut a Lisbonneen 1617. Les ceuvres complètes de Suarez comprennent vingt-trois volumes in-folio. Le droit des gens et Ie droit de la guerre sont surtout étudiés dans le Tractatus de legibus ac Deo legislatore et dans YOpus de triplici virtute theologicd, fide, spe et charilate, in tres tractatus pro ipsarum virtutum numero distributum. « Suarez, avons-nous écrit, se distingue par un — 111 - ordre, une netteté et une logique vraiment admirables; il n'est point précisément jurisconsulte, mais il déploie les plus hautes qualités du philosophe et il prend ainsi une place glorieuse parmi les fondateurs de notre discipline. Ce qui fait le charme de Grotius, c'est 1'amour de 1'humanité que respire chacune de ces pages; la charité chrétienne illumine également les écrits de Suarez ('). » A la demande du pape Paul V, Suarez composa la Defensio Fidei adversus anglicanen seclót errores, pour combattre le serment d'allégeance que Jacques Ier d'Angleterre imposait a ses sujets. Le livre fut brülé par le bourreau devant 1'église de Saint-Paul a Londres. En France, il fut dénoncé au parlement par 1'avocat du roi, Louis Servin, dans 1'audience de la grand'chambre du parlement de Paris, le 20 juin 1614 et, par arrêt en date du 26 juin, il fut condamné au feu comme renfermant des maximes contraires aux droits des souverains. On sait que Francois Suarez eut le mérite d'exposer des idéés définies sur 1'existence des régies juridiques obligeant les nations. « Le genre humain, écrit-il dans le deuxième livre du Tractatus de legibus ac Deo legislatore, quoique partagê en peuples et en royaumes divers, n'en a pas moins une unité non seulement spécifique, mais pour ainsi dire politique et morale. Cette unité est indiquée par le précepte naturel de 1'amour mutuel et de la miséricorde, précepte qui s'étend a tous, même aux étrangers, de quelque nation qu'ils soient. Toute communauté parfaite — république ou royaume — bien qu'elle soit compléte en soi et constituée par ses propres membres, n'en est pas moins un membre de ce grand tout qui forme le genre humain. Jamais ces communautés ne peuvent se suftire a elles-mémes au point de n'avoir aucun besoin d'entr'aide, d'association, de rapports mutuels dans un but d'amélioration et d'utilité et même aussi par nécessité (') E. Nys, Le droit de la guerre.et 'les précurseurs de Grotius, 1882, r>. 187. -:: - '.- — 112 — morale,. corame le prouve 1'expérience. II leur faut donc un droit qui les dirige et les gouverne dans ce genre de communication et de société. Sans doute, a ce point de vue, la raison naturelle fait beaucoup, mais cette raison naturelle ne suffit pas; elle ne satisfait point tous les besoins et des droits spéciaux ont pu s'introduire ainsi par la pratique. De même que, dans une cité ou dans une province, la coutume introduit le droit, de même l'usage a pu établir les droits des nations dans le genre humain tout entier. » III La littérature juridique espagnole comprend un certain nombre de travaux qui offrent de 1'intérêt dans l'étude des questions spéciales du droit des gens. Ce sont, ou bien des consultations précises et déterminées, ou bien des chapitres d'ouvrages généraux, chapitres dans lesquels est accessoirement discuté un problème des rapports des communautés politiques. Parfois, ce sont quelques pages contenant des déflnitions ou des maximes. Nous avons parlé du traité que Martin Azpilcueta consacra au transport des objets de contrabande de guerre vers les ennemis de 1'Église et de la doctrine enseignée par Vasquez au sujet de la liberté de la mer. Grégoire Lopez de Tovar a fait des annotations aux dispositions de la première et de la cinquième des Siete Partidas qui concernent le transport darmes, de bois et de vivres vers les ennemis de la foi. 11 ne s'agit plus seulement des prohibitions édictées par 1'Eglise, mais de trahison envers 1'autorité royale. Roderic Suarez, dont Albéric Gentil invoque 1'autorité dans son A dvocatio hispanica et que Grotius cite dans le De jure prceda, a rédigé une consultation au sujet du transport de marchandises prohibées entrepris par un navire génois en destination d'Oran. II était né a Salamanque et avait étudié le droit a Valladolid; il devint conseiller a la cour de justice de cette ville; on ne connait ni — 113 — la date de sa naissance ni celle de sa mort, mais on sait qu'il vécut sous le règne de Ferdinand et d'Isabelle. Juan Garcia de Saavedra est originaire de la Galice. Après avoir étudié a Salamanque, il fut juge dans son pays natal, puis attaché au conseil de Castille et enfin avocat du fisc è Valladolid. En 1578, il publia un traité: De expensiset meliorationibus; il est aussi l'auteur d'une dissertation: De Hispanorum nobilitate et exemptione. Dans Ie premier de ces travaux, il proclame le principe de 1'autorité de 1'Ëtat sur la mer qui baigne ses cótes: Mare est ejus cujus est terra cui adjacet. En 1578, le jeune roi de Portugal, dom Sébastien, perdit ia vie pendant 1'expédition qu'il avait entreprise en Afrique; le cardinal Henri, ègé de soixante-sept ans, lui succéda sur le tróne. «Étranger au maniement des affaires, écrit César Cantu, le roi Henri s'en remettait sur ce point aux jésuites. Dans la pensée de prévenir des événements funestes, il invita quiconque croirait avoir des droits au tróne a les faire connaitre, et cinq compétiteurs se présentèrent, tous descendant du roi Emmanuel.» Cinq commissaires furent chargés de décider quel prince devait succéder. Les compétiteurs furent cités pour défendre leurs droits et ils comparurent par procureurs; c'étaient Philippe II d'Espagne, le duc de Bragance, le duc de Parme, le duc de Savoie et Antoine, prieur de Castro. Les lois de Portugal ne tranehaient pas le litige; des prétendanls demandaient le bénéfice de la représentation selon le droit romain et soutenaient par conséquent que le procés devait se juger d'après ce droit. «II n'y avait que Philippe II, dit Arthur Duck, qui récusait le droit romain, disant que les empires ne se donnaient et ne s'ótaient point par les avis des jurisconsultes, mais qu'il fallait les emporter et les conserver par les armes, et sur ce principe, il envoya au Portugal a la tête de son armée, Alvarez de Tolède, duc d'Albe, qui contraignit les Portugais a reconnaitre la domination du roi d'Espagne. Le roi Henri s'adressa aux professeurs de 1'université de Coïmbre, Antoine Velasquez, Louis Correa, Emma- - 114 — nucl Suarez, Rodolphe Lopez, Louis-Sébastien de Brito et Alvarez d'Andrade: ils se prononcèrent en faveur du duc de Bragance. Les jurisconsultes de Padoue proclamèrent les droits du duc de Parme. Des professeurs d'autres universités furent consultés.» Plusieurs anciens auteurs se sont occupés de ce débat. Les partisans de Philippe II ayant soutenu que les dispütes des princes devaient se décider par le droit des gens et non par les ficüons du droit de Justinien, Albéric Gentil enseigne dans son traité De jure belli que, dans cette affaire, on devait écouter les jurisconsultes' romains, que Ie droit de Justinien h'était plus un droit particulier, mais qu'il fallait le regarder comme un droit naturel et comme le droit des gens qui était devenu universel depuis la destruction de 1'empire romain. Richard Zouche s'occupe des contestations qui se produisirent en 1880, quand il traite du rétablissement de 1'indépendance du Portugal et dé la proclamation du duc de Bragance en qualité de roi, événements survenus en 1640. En 1880 et dans les années suivantes, un certain nombre de consultations avaient été publiées. II en est une de Michel de Aguirre, jurisconsulte espagnol établi a Bologne, en faveur de Philippe II: elle est dirigée contre les facultés de droit de Bologne, de Padoue et de Pérouse qui se sont prononcées contre ce monarque; elle parut a Venise en 1881. Antonio de Covarruvias, le frère de Diego, membre du conseil royal de Castille, rédigea un mémoire pour démontrer les droits du même monarque, mais Ie travail est demeuré manuscrit. Paris Beloy, depuis avocat du roi au parlement de Toulouse, publia a Anvers un livre pour exposer les titres de Catherine de Médicis au tróne de Portugal. D'autres écrivains prirent part aux discussions. Un grand procés criminel fut plaidé a Madrid en 1680, oü la question du droit d'ambassade se trouvait a 1'avant-plan. 11 est peu connu; les faits et les arguments sont exposés dans 1'acte d'accusation et dans la plaidoirie du défenseur. Dans 1'acte d'accusation, don Agostino de Hierfo, fiscal du - 115 — conseil royal, fait le récit des événement» et invoque les principes juridiques. « La mort de Charles Stuart, est-il dit, survint le 9 février 1649; le parlement qui gouverna ensuite envoya un ambassadeur a notre roi. Comme 1'enseigne Besold, ceux qui sont envoyés par les commandants de guerre et par les gouverneurs de province sont des légats. Je pourrais invoquer de nombreux témoignages a ce sujet: ainsi, Christoval de Benamen te, comte de Fontanar, auteur des Advertencias a principes y embaxadores ; José Vella, dans les Bissertationes hispalenses; Juan de Vera, comte de Roca, dans son Embaxador; Valenculo Velasquez, auteur de: De statu et bello; ensuite Pierre-Antoine Canonhieri, Charles Paschal, Christophe Warszewicki, Conrad Braun. » Les mentions sont faites, on le voit, au hasard de la plume et en dehors de tout ordre chronologique. L'accusateur public rencontre une objection : « Que la personne envoyée par le parlement, ditil, soit un ambassadeur ou un agent ou un résident, comme disent les accusés, ou un orator (1'envoyé venait demander la paix), cela ne modifie rien: ce sont tous des légats.» Les faits de la cause sont narrés. L'ambassadeur anglais, Anthony Ascham, arriva k la baie de Cadiz, le 24 mars 1650, avec un interprète, nommé Jean-Baptiste Biva, et deux ou trois serviteurs. N'y trouvant pas le duc de Medina-Gceli, il alla le chercher au port Sainte-Marie et il se fit connaitre. Le duc le logea, mais lui dit qu'il devait s'en rapporter au roi. Le duc recut du conseil 1'ordre de traiter Ascham en résident et de 1'envoyer a Madrid. Le résident se mit en route. A Madrid, il logea k la cour. Six individus sejetèrent sur lui et sur son interprète et les tuèrent. Un des assassins parvint a se réfugier chez l'ambassadeur de Venise; les cinq autres furent arrêtés; le procés fut intenté contre tous les six; c'étaient des Anglais. Hierro fait valoir que Ascham était sous la protection du roi et qu'il était a Ia cour par ordre du monarque. II conclut que les accusés se sont rendus coupablos du crime de lèse- — 116 — majesté au premier chef; qu'ils doivent être punis de mort et qu'ils n'ont pas droit a 1'immunité de 1'Église, comme ils le prétendent: 1'Eglise ne peut leur donner sanctuaire. L'accusateur public s'attache a démontrer la nécessité des ambassadeurs; il cite Besold, Paschal, Benamente, Frédéric de Maerselaer, Pierre Ayrault et il soutient que le roi d'Espagne avait conclu la paix non seulement avec le roi d'Angleterre, mais aussi avec le royaume d'Angleterre: le roi fait dél'aut, le royaume reste. II ajoute que c'est la réponse des Polonais a 1'empereur Ferdinand et il renvoie a la page 63 des Six livres de la République de Jean Hodin. Pour étayer sa thèse d'après laquelle le crime de lèse-majesté met obstacle a la protection de 1'Eglise, il cite les auteurs et il dit que la bulle de Grégoire XIV sur les. immunités de 1'Église n'a pas été acceptée en Kspagne. Nous ne connaissons pas 1'issue du procés; concernant 1'affaire, nous n'avons pu consulter que deux publications qui se trouvent dans la Bibliothèque du Musée britannique. La première de ces publications contient le texte de 1'accusation formulée par Agostino de Hierro et la plaidoirie prononcée, le 5 novembre 1650, par le licencié Gabriel de BolaDos; elle a été imprimée è Madrid en 1650; la deuxième publication est une traduction anglaise de 1'acte d'accusation; elle a été imprimée a Londres en 1651. CHAPITRE IX L'lRÉNISME AU XVI" SIÈCLE. La haine de la guerre et 1'amour de la paix ont été fréqucmment préchés au moyen age. Tantót le mouvement pacifiste se développait sous 1'action de 1'Église; tantót il se manifestait avec force au sein des sectes hérétiques; quelquefois il était dirigé par des personnalités marquantes. A certaines époques, des groupes, on pourrait dire des Écoles, se formaient, dont 1'enseignement ne se bornait pas a reproduire d'éloquentes maximesou a décrire, en termes littéraires, les maux et les misères des luttes fratricides, mais qui essayaient d'agir sur 1'opinion des lettrés et de gagner a leur doctrine les dirigeants de la politique. Aux dernières années du xv* siècle et aux premières années du xvr siècle, les « réformateurs d'Oxford », comme on les a appelés, prêchèrent des réformes dans 1'Église et dans la société civile. Au programme dont ils révaient 1'accomplissement figuraient 1'affirmation de la fraternité des peuples et la condamnation de la guerre. Parmi eux étaientWilliam Grocyu et Thomas Linacre qui tous deux avaient étudié en Italië, John Colet qui fut plus tard doyen de Saint-Paul a Londres, Thomas More qui devint chancelier du royaume et mourut de la main du bourreau, Érasme, enfin, qui venait d'arriver en Angleterre avec son pupil le, lord Mountjoy. En Angleterre même, John Wycliffe avait condamné la guerre de la manière la plus absolue, dans la deuxième moitié du xiv* siècle, et son enseignement avait laissé une impression — 118 — profonde dans les universités de Cambridge et d'Oxford; la Renaissance des lettres contribua a fortifier les sentiments pacifiques; presque tous les humanistes furent des adversaires du recours aux armes et quelques-uns consacrèrent une grande partie de leur activité è défendre la thèse qui devait plus tard obtenir 1'adhésion de nombre d'esprits éclairés et a soutenir que 1'arbitrage s'imposait aux princes et aux rois. 11 est vrai que, fréquemment, les conseils et les exhortations ne s'adressaient qu'aux chrétiens; la pacification de 1'Europe était, aux yeux de la plupart des humanistes, la condition première d'une immense croisade contre les Turcs. Les écrits d'Érasme renferment de longs passages dans lesquels il manifeste ses généreux sentiments. En quelques ouvrages il s'occupe exclusivement d'un sujet qui lui tient a cceur; ainsi, dans YInstitutio principis chrisliani saluberrimis refecta prceceptis et dans la Querela Pacis undigue gentium ejectae profligataeque. La première de ces publications date de 1513; la deuxième de 1516. Érasme fait valoir que la guerre est contraire a la- nature, qu'elle se met en opposition avec la doctrine chrétienne et qu'elle nuit a ceux qui la font. Dans YInstitutio principis, il recommande aux rois de vivre en paix avec leurs voisins et il proclame qu'il n'est jamais permis d'enlreprendre la guerre s'il n'est démoptré que tous les moyens de 1'éviter ont été vainement employés. En 1550, parut a Paris un opuscule intitulé : Brief recueil du livre d'Érasme qu'il a composé de l'enseignement du prince chrétien. C'est une traduction francaise de YInstitutio. Quelques lignes méritent d'être reproduites. « Ung bon roy, est-il dit, ne doibt autrement aymer ses subjects qu'un bon père de familie ses serviteurs, enfants et domestiques. Ung bon prince estudiera a avoir paix avec toutes nations et principalement avec ses voisins qui nuysent beaucoup quand ils sont irrités et prouffitent quand ils sont amis... Facilement on a amytié avec ceulx qui sont d'une mesme langue, voisins et qui sont de coustumes et manière — 119 — de vivre semblables. Toutefois est entre aucunes nations difformité aucunes fois de toutes choses, en sorte qu'il est le plus souvent meilleur de ne hantcr et contracter avecques eulx, qu'avoir alliance et. amytié. Aucunes en y a qui sont si fsloignées, que combien qu'elles vueillent faire tout plaisir, toutes fois ne peuvent. Finalement, les autres sont si fascheuses et difficiles, insolentes et de petite foy, sacoit ce qu'elles soient voysines. toutesfois n'y a amytié. Avecques telles manières de gens sera bon n'avoir guerre ou grande alliance, pour ce que guerre est toujours dommageuse et 1'amylié d'aucuns n'est gueres plus tollerable que la guerre. » Érasme composa la Querela Pack pour favoriser les projets d'hommes d'État qui voulaient réunir en congrès, a Cambrai, 1'empereur Maximii*»o, Ie roi de France, Ie roi d'Angleterre et le prince Charles %es Pays-Bas dans le but de conclure la paix entre les chrétiens. Approuvée par Guillaume de Croy, sire de Chièvres, et par Jean Le Sauvage, 1'idée fut combattue par quelques personnages, « pour lesquels, dit le grand humaniste, la pacification générale était inutile». C'est è la demande de Jean le Sauvage, qu'il composa 1'opuscule dans lequel il montrait la Paix exhalant ses protestations et ses plaintcs. La Querela Pacis, la « complainte de la Paix » était dédiée a Philippe de Bourgogne, évêque d'Utrecht. « Pourquoi, dit la Paix, dans le récit d'Érasme, les chrétiens, membres d'un même corps, ne sympathisent-ils pas avec le bonheur des uns et des autres? II semble qu'il y a cause suffisante de guerre juste et nécessaire quand un pays voisin est plus prospère, plus florissant, de condition plus libre. C'est pour cela que les puissances se liguent contre le royaume de France qui est le plus florissant de 1'Europe. » La Paix s'adresse aux rois, aux princes, aux évêques, aux prêtres, a tous ceux qui se disent chrétiens. Dans ses lettres au pape, Léon X, Érasme avait dit, en le félicifant de son avènement au tróne pontifical, comment tous — 120 —■ les fidèles placaient en lui leurs espérances. « Tout a coup, écrivaitril, ce siècle plus que de fer s'est transformé en un siècle d'or. » lei aussi la cause de la paix dictait ses lignes laudatives. Aux rois Francois ler de France et Henri VIII d'Angleterre, il adressait des souhaits et des prières dont Ie but était de les amener a oublier leurs querelles et leurs différends et a mettre fin aux violences. Dans 1'Institutie- principis que nous venons de mentionner, il prónait Farbitrage et il recommandait aux princes de nejamais engager la guerre d'un coeur léger et d'essayer toujours le recours aux arbitres. « La guerre peut être faite, écrivait- il a Francois IOT, mais seulement quand tout le reste a été tenté en vain et que la nécessité est la. » 11 se proclamait lui-même 1'homme de la paix; il montrait la guerre en opposition avec le christianisme èvangélique. « Le Christ, écrivait-il, dit et répète que son enseignement se résumé dans la charité et- qu'y a-t-il de plus contraire a la charité que la guerre? Le Christ dit plus : il veut que tous les hommes soient un en Dieu, et comment pourraient-ils être un .s'ils sont divisés au point de s'entre-tuer? La doctrine évangélique ne laisse aux hommes aucun motif qui puisse justifier ou excuser leurs sanglantes discussions. Ce sont les mauvaises passions, Ia cupidité, 1'ambition, la vengeance qui allument les guerres. Mettons même qu'il s'agisse de revendiquer un droit; Jésus-Christ ne nous dit-il pas que le chrétien parfait ne doit pas poursuivre son droit, qu'a 1'injure il doit répondre par 1'abnégation ? Ceux qui prennent le christianisme au sérieux doivent réprouver la guerre aussi bien que les procés. » Un écrivain a porté sur les idéés pacifiques de 1'humaniste un jugement qui mérite d'être reproduit. « Au fond, dit-il, Érasme ne croyait la guerre permise que dans le cas de légitime défense. II ne 1'approuvait même pas contre les Türcs, si elle avait pour but de propager la foi chrétienne et non de repousser leurs invasions violentes; car ce n'est point par les ■armes et par la force, mais par la parole, par 1'enséignement, — 121 — par 1'exemple contagiëux des vertus chréticnnes qu'il faut étendre 1'cmpire du Christ. Quant a la guerre que se font entre elles les natiöns civilisées pour agrandir leur territoire, il la déclare impie, contraire a la charité et a la fraternité évangélique, comme a la nature mème de 1'homme, pernicieuse enfin aux lettres, aux mceurs, a la religion » Vers la fin de 1'année 1516, Thomas More publia le Libellus de optimo reipublicce statu deque nova insuld Utopia. Guillaume Budé lut le petit livre.« Notre société, écrivit-il a un ami, est le règne du droit strict, mais on n'y connait pas la justice entendue a la manière de 1'Évangile. Dans 1'lle d'Utopie fleurissent les maximes chrétiennes: 1'égalité absolue, 1'amour de la paix, le mépris de l'argent. Si tous les mortels pouvaient seulement se pénétrer de ces maximes (*). » More montrait les Utopiens ayant la guerre en abomination comme une chose brutalement animale. « Ils ne 1'entreprennent, disait-il, que pour défendre leur patrie, ou pour repoussèr une invasion ennemie sur les terres de leurs alliés, ou pour délivrer du joug d'un tyran un peuple opprimé par le despotisme. En cela, ils ne consultent pas leurs propres intéréts; ils n'ont en vue que le bien de 1'humanité. » Les Utopiens admèltent cependant une autre cause de guerre légitime. Ils envoient des colonies dansles pays incultes et si les colons rencontrent une nation qui repousse les lois de 1'Utopie, ils peuvent Ia Chasser par la force des armes des terres qu'ils veulent coloniser. Ils considèrent même comme la guerre la plus juste celle qui est dirigée contre un peuple possédant d'immenses régions en fricbe et prétendant en interdire l'usage a ceux qui viennent y travailler et s'y nourrir conformément au droit imprescriptible de la nature. Parmi les irénistes de la première moitié du xvi« siècle (') H. Durand de Laur, Érasme, précurseur et initiateur de l'esprit moderne, Paris,. 18.72, t II, p. 502.. . (2) Louis Delaruelle, Répertoire analytique et chronologique de la corrcspondance de Güillai m'eJBuc.é, Pm is, 1!07, p. 26. : 7'ïiV — 122 — figüre le publiciste espagnol, Jean-Louis Vivès Né a Valence, en 1492, il avait étudié a Paris, 'oü il avait suivi, au collége de Beauvais, le cours de philosophie de Jean Dullaert, originaire de Gand, qui était lui-mème disciple de John Mair. En 1512, il se rendit a Bruges oü séjournaient de nombreux Espagnols, mais peu de temps après, il habita Louvain et y travailla sous la direction d'Érasme envers lequel il montra un vif attachement et un dévouement absolu. Jean-Louis Vivès fut chargé, en 1518, de surveiller 1'éducation du jeune Guillaume de Croy, cardinal et archevêque de Tolède, que la mort devait frapper trois années plus tard. En 1519, dans un voyage a Paris, il fit la connaissanee de Guillaume Budé et se trouva dès lors en relations étroites avec plusieurs grands humanistes. Le 3 mars 1520, il obtint de 1'université de Louvain 1'autorisation d'enseigner. Quand, en 1521, Henri VIII s'était rendu a Bruges avec son ministre favori, le cardinal Thomas Wolsey, archevêque d'York, il avait admis Vivès a lui présenter ses hommages. En 1523, Ie cardinal appela le savant espagnol a faire, a Oxford, des lecons de belles-lettres et de droit civil; le roi et la reine Cathérine Ie chargèrent d'enseigner le latin a la princesse Marie, leur fille, qui devait monter sur le tróne, en 1553, et épouser 1'infant Philippe d'Espagne. Quelques années plus tard, Vivès encourut la colère de Henri VIII et quitta 1'Angleterre. A partir de 1528, il se fixa a Bruges oü il mourut en 1540. Pacifiste comme son maitre Érasme, Jean-Louis Vivès ne cessa dans ses écrits de dénoncer les maux de la guerre. Une de ses lettres au pape Adrien VI, avec lequel il s'était lié d'amitié pendant son séjour a Louvain, mérite d'être mentionnée. « Ce qu'on attend d'abord de vous, était-il dit, c'est de faire la paix entre les princes. De nos jours, la guerre se (i) A.-J. Namèche, Mémoire sur la wie et les écrits de Jean-Louis Vivès. Mémoires couronnés par 1'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles, t. XV. Première partie, 1840-1841, p. 7 et suivantes. —-123 — fait entre les chrétiens presque plus cruellement qü'êntre les païens. On dit que le Christ est un père, et entre soi on se traite non en frères, mais en ennemis; Ne dites pas que vous ètes dans 1'impuissance de faire cette paix. Ayez le courage de nè pas chercher, comme. tent de papes et tant de savants, des prétextes pour défendre la légn'imité de la^üêrré. Dites que la guerre entre chrétiens est criminelle et malfaisante; blamez-la absolument comme une dispute entre les membres du même corps, puisqu'il n'y a dans le Christ ni Espagnols ni Francais. » II critique la facon antichrétienne dont les prêtres se mèlent è la lutte entre Francois Ier et Charles-Quint; il soutient qu'un prince chrétien doit vouloir la paix et qu'un roi ne peut se laisser entratner a faire la guerre par 1'appat des richesses, puisqu'il est seulement riche quand ses sujets sont heureux; il déplore les maux de la guerre, qui est le « fléau du bonheur, dü bien-être et du développement de la vie sociale ». Le péril que la puissance turque faisait courir a 1'Europe chrétienne et les victoires successives des sultans dictèrent plusieurs opuscules de Jean-Louis Vivès. Un dialogue entre quatre personnages : De Europee dissidiis et bello lureico dialogus est daté du mois d'octobre 1526. De la mème époque datent: De pacificatione liber unus, De conditUme vitce Christianorum sub Turcd et De concordid et discordid libri quator. Comme 1'indiquent les titres, il s'agit de prêcherla concorde parmi les princes chrétiens et de faire ressortir combien est dur le joug des musulmans. Une publication datée de 1535 est consacrée aux doctrines prèchées par les Anabaptistes. II convient de mentionner une autre ceuvre de Vivès: De subventione pauperum, sive de humanis necessilatibus, livre dédié aux magistrats de la ville de Bruges a la date du 6 janvier 1526 et imprimé la même année. L'auteur développe de judicieuses idees touchant la bienfaisance publique; il montre 1'obligation d'assister les pauvres et il indique les moyens d'atteindre le but de manière intelligente et utile. « II faut, dit-il, que — 124 — öfeux qui sont aptes a travailler, travaillent; il faut aussi que des ateliers soient créés ; personne ne doit être oisif; mais il .faut secourir ceux que des événements imprévus piongent duns la misère. » L'auteur entre a ce sujet dans la discussion des moyens qu'il propose d'employer et il réfute les objections qu'on pourrait élever. CHAPITRE X Le Cc-nsulat de la mer. 1 Autour de Ia Méditerranée se sont succédé des civilisations dont 1'influence s'est exercée sur le développement maritime. On peut dire que la période méditerranéenne de 1'histoire de 1'Europe a commencé vers 1'an 800 avant 1'ère chrétienne, quand les Phéniciens ont achevé de fonder leurs factoreries sur le littoral et dans les iles de la grande mer intérieure, et qu'elle a pris fin quand, aux dernières années du xv» siècle de 1'ère chrétienne, les découvertes géographiques ont ouvert une période nouvelle de 1'histoire de la planète, la périodé oeéanique. ' Au cours de la période méditerranéenne, des régies juridiques ont été établies pour régir les rapporto qui se créent entre les hommes par 1'intermédiaire de la mer, et des institutions ont été formées pour assurer 1'application de ces régies. Parmi les plus anciennes dispositions du droit maritime figurent les régies relatives au jet en mer d'objets de chargement ou d'agrès pour alléger le navire, aux avaries et a la contribution. Elles sont communément attribuées au droit rhodien; mais il convient de noter qu'a la base même de la civilisation rhodienne et du droit rhodien s'est trouvé 1'élé- — 126 — ment phénicien. D'autres dispositions remontent aux Grecs. D'autres dispositions encore sont dues aux Romains. Arthur Desjardins a écrit qu'on pourrait, en classant les textes épars dans plusieurs titres des Pandectes, reconstituer un Corpus juris maritimi romani. Au moyen age, des notions nouvelles apparurent concernant le commerce maritime. Anciennement, les propriélaires du navire achetaient les marchandises, et faisaient, a 1'aide d'esclaves, leurs expéditions. Désormais apparaissent le travail libre et 1'association. Ainsi, le capitaine n'est plus, comme autrefois, le préposé des armateurs, il devient le maitre du navire, lo senyor de la nau, pour employer 1'expression du Consulat de la mer. Assez longtemps dans la Méditerranée, le droit romain et le droit byzantin continuèrent a régir les relations juridiqües; toutefois, a partir du xi" siècle, des villes italiennes atteignirent un développement commercial considérable et exercèrent une influence directe sur le droit maritime. Déja au ixe siècle, des cités de la Pouille et du golfe de Salerne, comme Barlelta, Bari et Amalfi, étaient des centres actifs qui se reliaient a la Syrië, a 1'Asie Mineure, a Constantinople et au nord de 1'Afrique. A 1'époque des croisades, d'autres villes italiennes conquïrent la suprematie dans la navigation et dans Ie négoce avec 1'Orient; on peut citer Pise, Gènes et Venise « II est possible, dit un auteur, que dès cette époque, on ait rédigé dans une sorte de code les règlements et coutumes maritimes des grands ports de 1'Italie méridionale. Est-'ce une raison pour faire remonter jusqu'au xie siècle les déux textes les plus importants de droit maritime que nous ait laissés 1'Italie méridionale, le document connu sous le nom de Tavola d'Amalö et les Ordinamenta de Trani?.:. Bien ne pèrmet d'attribuer la partie la plus ancienne de la Tavola aü (•) G-eorges Yver, Le commerce et les marchands dans VItalië méridionale au XIII' et au XIV» siècle. Paris, 1908, p. 128. - 127 — xi* plutót qu'au xii* siècle, Pour Trani, on ne peut conclure non plus que la date de 1068 est exacte ('). » Une ville d'Espagne ne devait pas tarder de rivaliser avec les villes italiennes pour le trafic avec le Levant (2) C'était Barcelone, peut-étre une cité carthaginoise fondée par Amilcar Barca, peut-étre une colonie créée par les Phocéens. « Les Espagnols, écrit le savant historiën Heyd, n'avaiént pris aux croisades qu'une part relativement faible; pas n'était besoin de sortir de leur pays pour combattre les infidéles; la ville destinée a surpasser un jour toutes les autres dans la péninsule par son activité commerciale et sa puissance maritime devait d'abord faire place nette autour d'elle-même... Les Maures, ouvriers industrieux et marins habiles, établis a Tortosa, a Valence, a Almeria et sur les iles Baléares faisaient a Barcelone une concurrence redoutable. Les Baléares étaient devenues des nids de corsaires dont le voisinage pesait non pas seulement sur les habitants de Barcelone, mais en général sur tous les chrétiens de la partie occidentale de la Méditerranée (3). » Du milieu du xn* siècle datent les grands suceès remportés par les chrétiens d'Espagne. Almeira est conquise de mème que Tortosa. Aux premières années du xiu" siècle, Jaimé Ier. roi d'Aragon, s'empare des iles Baléares. « Le long règne de ce prince (1213-1276), dit l'auteur que nous vénons de citer, fut le prélude d'une période de merveilleuse prospérité. Jaime Ief confiala gestion des plus graves intéréts de la cité a la bourgeoisie dont lés commercants formaient la classe la plus influente. » La ville obtint d'autres rois d'Aragon de (') Jules Gay, L'Italië méridionale et 1'Empire byzantin depuis l'avènentent de Basile I"' jusqu'a la prise de Bari par les Normands (867-1070)Paris, 1904, p. 585 et p. 587. (*■) Depping, Histoire du commerce entre le Levant, et VEurope, \i II, p. 243. (3) W. Heyd. Histoire du commerce du Levant au moyen age. Édition Irancaise par Furcy Raynaud, 1885, t. I, p. 323. — 128 — nombreux privileges, notamment 1'affranehissement de taxes qui avaient été établies en d'autres cités (M. Quand, en 1282, Pierre III d'Aragon établit sa domination en Sicile, ce fut au pront des Catalans dont le commerce prit un développement considérable. Barcelone devint un centre manufacturier important; elle fonda des établissements dans les villes de 1'Afrique septentrionale; elle fut une puissance financière. Ses marins ne se contentaient point d'ailleurs des occupations du trafic paisible et honnête; ils se livraient a la piraterie et au brigandage de mer et ils ne reculaient pas devant le crime quand il offraif quelque appat a leur amour effréné du lucre. La période de grandeur toucha a sa fin, au deuxième tiers du xvie siècle. Léopold Ranke constate qu'en 1525, la cité catalane continuait a entretenir des relations d'affaires avec le Gaire, avec 1'ile de Rhodes et avec Raguse. II invoque les paroles de Charles-Quint disant qu'il attacbait plus de prix au titre de comte de Barcelone qu'a celui d'empereur (*•). Mais la décadence était proche. En 1529, Charles-Quint équipait sa Hotte avec les restes de la puissance maritime des Catalans; en 1534 et en 1535, on mentionnait pour la dernière fois les consuls catalans d'Alexandrie et de Tunisie. L'illustre historiën indique les causes deTabaissement. Ce furent notamment le transfert du commerce aux provinces plus rapprochées de 1'Atlantique, particulièrement a la Biscaye, la protection accordée aux Génois et surtout la prépondérance acquise sur la Méditerranée par les Turcs, prépondérance que consolidèrent les avanlages remportés par Barberousse et par les mahométans sur les Holtes de 1'Espagne et de Venise et 1'alliance conclue entre Francois I" et le sultan Soliman. Déja en 1527, des navires turcs s'étaient montrés dans la rade (') Depping, ouvrage cité. t. II, p. 247. (8) Léopold Ranke, Histoire des Osmanlis et dela monarchie espagnole pendant les XV» et XVII» siècles. Traduction de B. Haibeb. Paris, 1889, p. 440 et suivantes. — KB — de Barcelone; quelques années plus tard, ils commencèrent a faire des apparitions menacantes : souvent vingt batiments, quelquefois cent venaient affirmer la puissance de 1'empire ottoman. Les Catalans furent obligés de renoncer au commerce dans la partie oriëntale de la grande mer inférieure et de se contenter de trafiquer avec la Sicile et avec le royaume de Naples. II Un snvant jurisconsulte fait au sujet des régies juridiques de la mer une observation qui mérite d'être reproduite. « L'uniformité, écrit Pardessus, est, j'oserais le dire, de Pessence du droit maritime. Indépendamment des variations qu'amènent les siècles ou les révolutions, et des divisions que produisent les rivalités nationales, ce droit immuable au milieu du bouleversement des sociétés, nous est parvenu au bout de trente siècles, tel qu'on .le vit aux premiers jours oü la navigation établit des relations entre les peuples (»). » Sans doute, il ne songe nullement a nier le développement que prit le droit maritime a travers les èges, ni a contester que des régies et des institutions nouvelles se sont ajoutéés aux régies et aux institutions anciennes; son livre même sert a prouver que des progrès se sontaccomplis; en réalité, comme on le voit en d'autres passages de son ouvrage, il veut mettre en reliëf les caractérisques principales, c'est-a-dire, l'uniformité et la généralité du vaste domaine régi par les coutumes et par les lois de 1'océan (*). Ici, comme dans les autres parties du droit, la coutume et la loi furent des modes de formation; la coutume futnécessairement anlérieure a la loi dans 1'ordre chronologique, et fréquemment, on peut même dire presque toujours, la loi ne (*) J. M. Pardessus, Colléction de lois maritimes antérieures au XVIII» siècle. Paris, 1828,1.1, p. 2. (*) Ibid., p. 140. — 130. — fit que confirmer les dispositions introduites par l'usage et suggérées par 1'utilité. Dans 1'établissement des régies coutumières, les gildes, maritimes de 1'époque médiévale exercèrent une forte action.. 11 en existait dans nombre de villes situées sur les bords de la Méditerranée. La gilde maritime était 1'association de tous ceux qui étaient intéressés dans les opèrations commerciales maritimes. En certaines cités, elle s'appelait l'Ordo maris ou encore la Curia maritima. On s'affiliait a l'Ordo ou a la Curia; lors de la réception, on jurait de se soumettre aux régies qu'elle édictait. La gilde avait ses magistrats qui portaient généralement le nom de consuls de la mer et dont la mission consistait autant a prévenir les actes coupables qui pouvaient entrainer la responsabilité de la corporation, qu'a punir les infractions commises (1). « Les cours maritimes et en particulier les consuls de la mer, écrit Valroger, ont eu la plus grande part dans la formation du droit maritime. Les juridictions maritimes ont constaté les coulumes locales, et les ont modifiées selon les besoins; les coutumes parliculières se sont rapprochées, fondues dans de grands recueils qui, comme le Consulat de la mer de Barcelone, ont eu la bonne fortune de laisser a Tarrière-plan les coutumes particulières et ainsi s'est fornié avec le temps le droit maritime commun qui fait encore le fond de la législation anglaise et qui a servi de base a tous les codes modernes (*). » Les dècisions des consuls de la mer furent des élément constitutifs du droit coutumier maritime du moyenage; a cóté d'elles figurèrent les règlements rédigés par les gildes pour prévenir de facheux événements, comme les entreprises (i) B. Nïs, Le droit international. Les principes, les théories, les faits. Nouvelle édition, 1912, t. III, p. 101. (*) L. de Valroger, Étude sur Vinstitution des consuls de la mer au moyen age. Nouvelle revue historique de droit francais et étranger. TomeXV(1891), p. 38. - 131 — belliqueuses contre les navires de villes amies, entreprises dont 1'inéluetable conséquence était d'exposer les marchands de la cité aux représailles. Ainsi apparurent des collections de sentences et d'édits. Nous avons cité la Tavola qui dérive de la cour maritime d'Amalfi et les Ordinaménta qui émanent de la corporation des marins de Trani; nous pouvons mentionner le Capitulare nauticum, revision faite a Venise d'un recueil plus ancien et le Breve consilium curice maris de Pise. Cette dernière colléction date de la fin du xin' siècle; elle se rattache au conseil des marchands et des mariniers de la ville qui fut, a une époque donnée, le marché le plus important de la Méditerranée. Le statut maritime d'Ancóne, antérieur a 1397, renferme une disposition qui doit avoir été observée en d'autres villes : les « écrivains des navires » devaient être porteurs des « Chapitres de la mer » et les consuls en pays étranger, les capitaines du port et les capitaines de 1'arscnal devaient en posséder des copies. Un débat s'est élevé autrefois concernant le point de savoir si les consuls de la mer ont été constitués en imitation des consuls qui existaient en Italië et plus spécialement a Pise, ou bien s'ils se sont formés dans la ville catalane, a la suite d'une institution plus ancienne et précisément paree que, comme Pise et d'autres villes italiennes, Barcelone se livrait aux entreprises commerciales et aux lointaines expéditions. II est probable que la dernière solution se rapproche davantage de la réalité. Quoi qu'il en soit, on constate qu'en 1258, une ordonnance du roi d'Aragon était rendue avec Ie conseil des probi homines de la riparia de Barcelone, et on voit que ces probi homines civitatis Barchinonoe avaient été mentionnés pour Ia première fois en 1204. Ils formaient une gilde de mariniers ('). Dans le milieu du xiv6 siècle, 1'autorité royale les couvrit de sa protection et leur conféra des pouvoirs étendus. Ainsi s'établit peu a peu un tribunal ayant com- (*) Rudolf Wagner, Handbuch des Seerechts, Leipzig, 1884, t. I, p. 35. — 132 — péteace ponr juger les affaires maritimes; il était, en réalité, la création des marchands eux-mêmes; les décisions qu'il rendait finirent par être recueillies; la compilation s'appela le Livre du Consulat de la mer, ou, pour lui donner son titre historique, le Consulat de la mer (1). Le Consulat de la mer étendit peu a peu son autorité sur la majeure partie de la Méditerranée et sur 1'Adriatique. Sans doute, au début, le progrès fut lent; les circonstances n'étaient point favorables ; des guerres sans merci et sans trève sévissaient entre les principales villes maritimes; mais malgré tout, 1'importance du recueil de Barcelone fut reeonnue : il contenait de nombreuses régies et la richesse de ses développements permettait de résoudre des conteslations et des difficultés que ne prévoyaient point la plupart des compilations italiennes. Devant lui s'effacèrent successivement les recueils des cités italiennes; il fut reproduit en de multiples copies manuscrites. Le texte primitif était catalan; des traductions italiennes furent faites. Sans réception officielle, en vertu de sa propre force de raison, le livre formé, grace aux décisions des prud'hommes siégeant dans la cour maritime de Barcelone élargit son empire. « II n'y eut pas acceplation officielle, écrit Pardessus, mais autorité de confiance et d'estime qui souvent, et surtout en matière commerciale, est plus grande que celle d'une sanction officielle (2). » Georges-Frédéric de Martens publia en 1795, son Essai concernant les armateurs, les prises et surtout les reprises. II mentionne 1'importance du Consulat de la mer. « Ce code de lois, écrit-il, ou plutót d'usages maritimes, a été suivi autrefois non seulement en Espagne d'oü il tient son origine, mais dans presque tous les portsde la Méditerranée, et même dans nombre d'autres États, et jusqu'a ce jour il (') Adolf Sceadbe, Das Konsalal des Meeree in Pisa. Ein Beitrag sur Geschichte des Seewesens, der Handelsgilden und des Handelsrechts im Mittelalter. Leipzig, 1888, p. 282 et suivantes. . (2) J.-M. Pardessus, ouvrage cité, t. V, p. 10. — 133 — peut être considéré comme droit subsidiaire en Espagne et dans quelques parties de lTtalie, tandis que dans d'autres États on le consulte encore quelquefois au défaut de lois plus récentes sans lui attribuer force de loi (*).» Le Consulat de la mer était surtout consacré au droit maritime privé, dont il constituai t un remarquable exposé systématique. Après la découverte de l'imprimerie, le précieux recueil fut plusieurs fois édité. Quelques indications suffiront. Nous avons mentionné la belle publication faite a Barcelone, en 4484, qui est probablement 1'ceuvre de Nicolas Spindeler. Dix années plus tard, il y eut une autre édition exécutée dans la même ville. En 1539, parut a Venise une traduction italienne dont l'auteur parait avoir été Jean-Baptiste Pedrezano; elle fut complétée, en 1549. II convient de signaler aussi les éditions publiées, en 1719 et en 1737, par 1'illustre JosephLaurent-Marie Casaregi, qui fit un commentaire étendu m Le droit maritime privé domine dans le Consulat 'de la mer, qui traité surtout des obligations et des droits du constructeur, du patron, de 1'associé, du capitaine, de 1'équipage et des passagers. Le jugement de Pardessus est favorable. « Sans doute. écrit-il, le Consulat de la mer est une compilation faite sans goüt et sans ordre, mais il est impossible de méconnaitre la sagesse de presque toutes ses dispositions qui sont devenues la base des lois maritimes actuelles de 1'Europe. » II y a 294 chapitres, en certaines éditions 297 chapitres et en d'autres éditions 334 chapitres. Les premiers chapitres renferment les régies de procédure imprégnées de droit romain, qui étaient en vigueur devant les consuls de la mer de (') G.-F. db Maktens, Essai concernant let amateurs, let prises et surtout les reprises. Gottingue, p. 152. (*) II Consolato del mare colla spiegazione di Giuseppe Maria Casaregi. Nouvelle édition. Introduction-par Odone Sciolla, Turin, 1911. 9 — 134 — Valence. Au chapitre 44 commencent « les bonnes coutumes de la mer ». II n'y a pas d'ailleurs que des régies de droit privé ; on constate que plusieurs chapitres sont consacrés aux faits de guerre, notamment a la prise et a la reprise. A cela il n'y a rien d'étonnant. L'insécurité des mers étaient grande au moyen age et la Méditerranée surtout était le théatre d'actes de violence et de brigandage. Presque toujours il y avait guerre entre un certain nombre des communautés politiques établies sur son littoral, communautés politiques dont beaucoup étaient séparées par la race et par la religion. Plusieurs ports étaient affectés pour ainsi direuniquementa lapiraterie; dans tous les autres ports, les entreprises de course étaient considérées comme les plus avantageuses des opérations. Des gouvernemcnts n'hésitaient pas a participer aux aventures criminelles; pour ne citer que la Sicile, on peut rappeler que les rois angevins étaient associés aux corsaires et s'assuraient ainsi de fructueux bénéfices. II est vrai qu'en quelques pays, des dispositions légales proclamaient le devoir des souverains. La glose des Siete Partidas s'exprimait en termes formels. « Le roi, était-il dit, doit libérer ses sujets des incursions des brigands. II doit les défendre par terre et par mer, et cela è raison des revenus qu'il en tire. De même qu'il doit délivrer sou royaume des mauvais hommes sur terre, de même il doit 1'en délivrer sur Ia mer qui est proche de la terre. Une loi romaine prouve que le monarque a la charge d'entretenir une flotte contre les pirates, et dans ce sens se prononcent Bartole et Luc de Penna. C'est de Ia que vient Ie droit du roi d'exercer la juridiction sur la mer en la purgeant des pirates. » Les navires allaient rarement seuls; plusieurs se réunissaient et choisissaient un amiral pour les commander; tous étaient armés et les recueils maritimes ont soin de régler 1'armement; indépendamment des armes qui appartenaicnt a chaque marjn, les navires étaient tenus d'avoir cent javelots et traitsa lancer et un certain nombre d'armes; a tout marchand ou propriétaire de navire embarqué, a tout mar in et a toute personne se trouvant a bord était impOsée 1'obligation de faire le guet (1). Au sujet dela capture en mer, le Consulat de la mer renferme des régies qui ont longlemps trouvé des défenseurs dans la doctrine et que de puissanls Etats ont adoptées et appliquées. Sans nous étendre longuement, nous indiquerons les principales dispositons; sans doute, les prud'hommes de la cour a Barcelone ne les ont point crcées mais ils ont eu le grand mérite de discerner leur valeur intrinsèque et de les adopter. Une distinction est établie entre les ennemis et les « amis». Les cc amis » dont il est question dans le Consulat de la mer, sont les « neutres », pour employer la terminologie moderne. Le chapitre 276 est intitulé : cc Du navire marchand pris par un navire armé. » « Lorsqu'un navire armé, est-il dit, allant ou revenant, ou étant en course, rencontrera un navire marchand, si ce dernier appartient a des ennemis, ainsi que sa cargaison, il est inutile dén parler paree que chacun est assez instruit pour savoir ce qu'on doit faire, et dans ce cas il nést pas nécessaire de donner de règle. » Le Consulat de la mer aborde aussi tót léxamen d'une question plus délicate, celle de savoir quelle décision s'impose quand le navire, auquel on fait la cbasse, appartient a des amis, tandis que les marchandises qu'il porte appartiennent a des ennemis. Dans ce cas, cc 1'amiral du navire armé peut forcer et contraindre le patron du navire qu'il aura pris a lui apportcr ce qui appartiendra aux ennemis. » Le Consulat de la mer entre ici dans des détails que nous pouvons nous abstenir de reproduire; il nous suffira de noter que 1'amiral est tenu de payer au patron du navire ami tout le fret qu'il aurait dü recevoir s'il avait por té la cargaison la oü il devait la déposer. Enfin, (i) A. Jat., Archéologie navale. Paris, -1848, t. II, j>. 444. '— 136 — vient le cas oü le navire appartient a des ennemis et sa cargaison a des amis. « Les marchands qui s'y trouvent, est-il dit, et a qui la cargaison appartient en tout ou en partie, doivent s'accorder avec 1'amiral pour racheter a un prix convenable, et comme ils pourront, ce navire qui est de bonne prise; et il doit leur offrir une composition ou un pacte raisonnable, sans leur faire supporter aucune injustice. » Le recueil ajoute que, « si les marchands ne veulent pas faire un accord avec 1'amiral, celui-ci a le droit d'amariner le navire et de 1'envoyer au lieu oü lui-même aura armé, et les mar-r chands sont obligés de payer le fret de ce navire de même que s'il avait porté leur cargaison au lieu pour lequel elle était destinée. » Ainsi sont constatés le droit de s'emparer de la propriété ennemie et 1'obligation de respecter la propriété « amie », c'est-a-dire, pour nous servir du terme qui fut plus tard en usage, de la propriété « neutre ». Le Consulat de la mer s'occupe aussi des reprises. II renferme è ce sujet plusieurs dispositions. C'est ainsi qu'il décide que 1'ennemi devient propriétaire de sa prise dès qu'il 1'a conduite en lieu sur sans égard au temps; c'est également ainsi qu'il défère a 1'arbitrage des prud'hommes la fixation du montant de la récompensé a allouer au récapteur. Des auteurs se sont demandé si, en cette matière importante des prises et des reprises, le tribunal consulaire de Barcelone a innové ou s'il s'est borné a recueillir des regies déja observées. La solution du problème est difficile. Mais ce qu'il convient de reconnaitre, c'est que les régies du Consulat ée la mer que nous venons de résumer ne manquent pas d'équité; il est vrai qu'en d'autres régies du même recueil apparait 1'esprit de violencè et de barbarie. II ne faut pas perdre de vue que 1'application était assez 'aisée, le commerce différant alors essentiellement de ce qu'il fut plus tard. « Le commerce de commission, écrit Schcell, n'était pas connu; ordinairement le propriétaire lui-même — 137 — voyageait.avec sa marchandise, allant de port en port pour chercher le rnarché oü il put la débiter avec le plus d'avantage. II était donc facile de décider, dans chaque cas particulier, si la cargaison appartcnait a 1'ennemi ou a un ami. » Longtemps les dispositions du Consulat de la mer concernant la guerre maritime ont été en honneur. On note cependant quelques exceptions. Au xvi" siècle,la France s'en écarté systématiquement. ües ordonnances de 1543 et de 1584 assujettissent a la confiscation les marchandises d'un « allié » chargées Sur un navire ennemi èt déclarent de bonne prise les vaisseaux « alliés » chargés de marchandises ennemies : elles établissent ia maxime d'après laquelle « la robe d'ennemi confisque celle d'ami». La confiscation du navire ncutre ayant a bord des marchandises ennemies et celle des marchandises neutres transportées sur un navire ennemi se justifiaient par Ia théorie de Ia vis attractiva qui avait été exposée par quelques commentateurs, notamment par Jacques de Arena. D'après cette théorie, le bien licite (licitum) était confisqué a cause du bien illicite (illieitum). Ainsi se formait une règle fort dure, le rule of infeetion, K la règle d'infection », comme 1'appelèrent les Anglais. Les maximes proclamées par la France soulevèrent les plus violentes protestations. L'Angleterre fut la première a réclamer avec vigueur; bientót les villes hanséatiques se firent octroyer une situation privilégiée; plus tard les ProvincesUnis usèrent de représailles. Les régies du Consulat de la mer avaient été adoptées par 1'Angleterre; elles obtinrent 1'adhésion d'autres pays, et, constatation qui ne manque pas d'intérêt, elles furent approuvées, en 1816, par le juge en chef des États-Unis, Marshall. L'éminent jurisconsulte les citait avec éloge. « Elles passent, disait-il, pour faire partie du droit des gens primitif, tel qu'il est reconnu généralement et peut-étre universellement. » Quand la notion de Ia neutralité parvint a se dégager de — 138 — facon plus compléte, les maximes qui avaient paru suffisantes dans les derniers siècles du moyen ège pour protéger les « amis » furent remplacées par d'autres maximes plus conformes aux nécessités du commerce international. La lutte commenca a la fin du xvu' siècle; elle se poursuivit ardente et passionnée pendant le xvm° siècle et elle aboutit a la Déclaration du 16 avril 1856. Celle-ci proclame, en ses articles 2 et 3, que le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, a 1'exception de la contrebande de guerre, et que la marchandise neutre, è Vexception de la contrebande de guerre, n est pas saisissable sous pavillon ennemi. TABLE DES MATTÉRES. CHAPITRE I Les éléments constitutifs de la civilisation espagnole. Pages. La préhistoire. Les Celtibères. Les Phéniciens. Les Grecs d'Ionie. Les Carthaginois. Les Romains. L'Espagne sous la domination de Rome 5 CHAPITRE II L'Espagne des Visigoths. Les invasions barbares. Les Vandales, les Alains et les Suèves. Les Visigoths. Le partage des terres. La conversion au catkolicisme. Le royaume visigothique. Les conciles. L'activitó législative. L'Église d'Espagne Saint Isidore de Séville. Les Etymologica . 15 CHAPITRE TH L'Espagne sous la domination arabe et la reconqurte chrétienne. I. — L'attaque africaine. L'influence de la conquête musulmane. La pénétration des peuples et des religions. L'influence arabe sur le droit espagnol. La continuité dans l'étude du droit romain 26 - 140 - Pages. JT. Les universités. Les jurisconsultes. Pontius de Lerida. Saint Raymond de Peüafort. Bernard de Compostelle. Lorenzo. Pierre 1'Espagnol. Les collaborateurs a 1'ceuvre des Siete Partidas. Le recueil d'Alphonse X. Raymond Lull. Jean Garsias. Ègide de Albornos. Jean de Torquemada. Roderic Sancho de Arevalo. Gonsalve de Villadiego. Jean Lopez. Antoine de Lebrixa. Vicente Arias de Valboa. Jaime Callis. Alfonso Diaz de Montalvo. Gregorio Lopez de Tovar. Micer Miguel del ■■ Molino. Jean Lopez de Palacios Rubios. sj■ft.vwify-'.i■• .;• ■ 34 CHAPITRE IV Le règne de Ferdinand et d'Isabelle. L'importance du règne de Ferdinand et d'Isabelle dans 1'histoire de TEspagne. La politique intérieure. L'influence de la Renaissance. La découverte du nouveau monde. La libérastion du territoire. La persécution des Mores et des Juifs. L'inquisition. 42 CHAPITRE V Quelques notions générales de droit des gens. La politique. — La diplomatie. Le Décret de Gratiën.,Saint Thomas d'Aquin. L'ordre de Saint Dominique. Alphonse Tostado. Pierre Belluga. Cristobal de Santisteban. La diplomatie espagnole sous le règne de Ferdinand et d'Isabelle. Le personnel gouvernemental et le personnel diplomatique. Les premières ambassades permanentes. Les archives. Les historiographes officiels. . ",L . ■ ■ ■ d4 CHAPITRE VI La découverte du nouveau monde et les problèmes juridiques. Le droit de souveraineté sur les terres découvertes. Les discussions concernant le droit de domination des infidéles. Les deux écoles. Sinibalde de Fiesque et Henri de'Suse. Richard Fitzralph, archevêque d'Armagh. John Wycliffe. La prétendue attribution papale. Le traité de Tordesillas du 7 juin 1494.. . 64 — 141 — CHAPITRE VII Pages. Les droits des Indiens sods les rêgnbs de Ferdinand et d'Isabelle, de Charles-Quint et de Philippe II. Les cruelles mesures. Les premières protestations. Les consultations. Jean Lopez de Palacios Rubios. Pierre Martyr d'Angherra. Antoine de Montesino. Alphonse d'Espinaz. Jean de Quevedo. Barthélemy Frias de Albornoz Barthélemy de Las Casas gg CHAPITRE VIH LeS GRANDS PUBLICISTB8 DU XVI* SIÈCLE ET DU COMMENCEMENf'. ■ du xvii" siècle. 'i'i'ia.A I. — Francois de Vitoria. Ses premières études. Son séjour a Paris. L'université de Paris au commencement du xvr» siècle. Francois de Vitoria et les humanistes. Érasme. Josse van Assche. Jean-Louis Vivès. La lettre d'Érasme. Nicolas Cleynaerts et Jean Vasée. Les Relectiones theologicce. Les leeons De In dis et De jure belli Hispanorum in Barbar os. L'action scientifique de Francois de Vitoria. Le jugement de Hermann Conring. Barthélemy de Las Casas, défenseur de la liberté des naturels de 1'Amérique. La bulle de Paul III du 9 juin 1537. Jean Gines de Sepulveda et le Demoerates secundus. Melchior Cano. Antoine Ramirez. José de Acosta. Jean de Solorzano Pereira. Alphonse de Sandoval 75 H. — Questions diverses. Les traités Dejusfitid et jure. Martin de Azpilcueta dit le Navarrais. Dominique Soto. Alphonse de Castro. Melchior Cano et la consultation.adressée a Philippe II. Ferdinand Vasquez de Menchaca. Diego de Covarruvias et Leyva. Antoine Agustin. Louis Molina. Jean Mariana; sa dissertation De monetce mutatione; son traité De rege et regis institutione. Francois Suarez 96 III. — Le transport de marchandises prohibées. Rodefic Suarez. Grégoire Lopez de Tovar. Martin de Azpilcueta. La succession au trone de Portugal et les consultations. Le procés criminel dé 1650 et les privileges des ambassadeurs; 1'acte d'accusation de Agostino de Hierro et la plaidoirie de Gabriel de Bolanos . 112 10 - 142 — CHAPITRE IX L'lRÉNISMB AD XVI' siècle. Pages. Les réformateurs d'Oxford. Erasme. Les écrits de Jean-Louis Viïós 117 CHAPITRE X Le Consulat de la mer. I. — Les plus anciennes dispositions du droit maritime. Le mojen age. Le développement commercial des villes italiennes. La période de grandeur de Barcelone 125 II. — L'unüormité des régies juridiques de la mer. Le róle des gildes maritimes. Les consuls de la mer. Les probi hommes de Barcelone. Le Consulat de la mer. Les principales éditions. 129 III. — Le droit privé dans le Consulat de la mer. Les régies concernant la capture de la propriété. Les ennemis et les « amis ». Les prises et les reprises. La déviation des régies du Consulat de la mer. La théorie de la vis attractiva. La longue lutte. La Déclaration du 16 avril 1856 133 6702. — Soc. an. M. AVeissenbruoli, imprimedr da Roi, 49. rue da Poincbu, llruxeUes. Vient de paraitre le tome premier de MARTINUS NIJHOFF - EDITEUR - LA HAYE Le Droit International LES PRINCIPES, LES THÉORIES, LES FAITS gr. in-8vo. Prix de 1'ouvrage complet en 3 volumes frs. 40.— TABI/E DES MATIÈBES: LNTBODUCTION. — Première section. Notions générales. I. La notion et la définition de droit international. II. La société des états. UI. La reconnaissance des états. IV. Le cadre de la communauté internationale. V. Le caractère positif du droit international. VL Les bases et les modes de formation. VIL La codification. VLTI. Les points de contact du droit international avec d'autres matières. IX. Les auteurs. — Deuxième section. I. La notion de 1'état. II. La théorie des nationalités. HL La classiflcation des états. IV. L'extinction de 1'état.— Troisième section. Le territoire. Le domaine terrestre, le domaine d'eau, le domaine aérien. I. Le territoire en général. H, Les frontières. EU. Les cours d'eau, les lacs, les mers intérieures servant de frontières. IV. Le domaine d'eau. V. Les détroits. VL Les canaux maritimes. VII. La mer littoralp. VUT. Le domaine aérien. Je profite de 1'occasion pour attirer votre attention aux publications suivantes sur le droit international: Actes et documents de la conférence de La Haye, chargée de réglementer diverses matières de droit international privé 1893—1904. 4 sessions. folio. fl. 11.50 Barclay, Slr Thomas, Problems of international practice and diplomacy. 1907. gr. in-4to. fl. 12.— —■—- La seconde Conférence de La Haye. 1907. 4to. fl. 4.15 Beer Poortugael, J. C. C. den, La neutralité sur 1'Escaut. 1911. gr. in-8vo. fl. 1.35 PAR ERNEST NYS Nouvelle édition. MARTI NUS NIJHOFF — EDITEUR — LA HAYE Catalogne des ouvrages principaux de droit international public (Droit des gens). 52 pag. Conférence internationale de la paix. La Haye. 1899. Procés verbaux. N. éd. 1907. folio. toile fl. 3.— Deuxième conférence internationale de la paix. 1908—1909. 3 vol. folio. toile fl. 17.50 Ferguson, J. H.. Manual of internat, law. 1884. 2 vol. fl. 12 — The philosophy of civilisation. 1889. fl. 4.50 — The international conference of The Hague. 1899. fl. 1.50 Louter, J. de, Het stellig volkenrecht, 1910. 2 vol. fl. 12.50 toile fl. 14.50 Son ouvrage, basé sur une longue expérience acquise dans 1'enseignement donne une image fidéle de 1'état actuel du droit international public et sera un guide précieux pour tous ceux qui s'intéressent a cette science. Revue de droit international et de législation comparée. Lycklama k Nyeholt, J. F., Air sovereignty. 1910. fl. 1.50 Re vista de derecho internacional. Chaque année fl. 8.25 Rivista di diritto internazionale. Chaque année fl. 9.— Staël Holstein, Baron L. de, La réglementation de la guerre des airs. Notes et apercus. 1911. fl. 1.50 Steinmetz, S. R., De beteekenis der volkenkunde. 1908. fl. 0.50 - De studie der volkenkunde. 1907. fl. 0.90 Suylingh, J. Ph., The Hague peace conferences of 1899 and 1907. 1910. fl. 0.40 Traités généraux d'Arbitrage communiqués au Bureau International de la cour Permanente d'Arbitrage. Première série. 1911. Avec tables, pet. in-folio. fl. 4.50 Ce recueil comprend les Traités qui ont été transmis au Bureau avant le lêr juillet 1911. Ils ont été reproduits dans les diverses langues tels qu'ils ont été communiqués par les divers Gouvernements. Le recueil contient deux tables des traités, la première chronologique, la seconde par ordre alphabétique des Puissances avec un renvoi a la page qui en contient le texte. Bonger, W. A., Criminalité et conditions économiques. 1905. gr. in-8vo. fl. 7.25; toile fl. 8.50 Nieboer, H. J., Slavery as an industrial system. Second, revised édition. 1910. Av. carte. sr. in-8vo. fl. 8.75; toile fl. 9.75 31