L$ttffS|Cla$siques loüis Ei PAR CASlMIR DELAVIGNE ANNOTE PARI M. J. HOOG ZWOLLE'pSfWi. E.TfEtNK WILLINK Casimir Delavione LECTURES CLASSIQUES :-: N°. 39 LOUIS XI PAR CASIMIR DELAVIGNE ANNOTÉ PAR I. M. J. HOOG ZWOLLE W. E. J. TJEENK WILLINK 1913 3 NOTICE BIOORAPHIQUE SUR L'AUTEUR. Jean-Fran£ois-Casimir Delavigne naquit en 1793 au Havre oü son père était armateur. Celui-ci envoya son fils a Paris pour y faire ses études au lycée Napoléon et le jeune homme ne tarda pas a attirer sur lui 1'attention de ses maitres par ses brillantes dispositions et surtout par son génie poétique. La naissance du roi de Rome en 1811 lui inspira un dithyrambe qui eut beaucoup de succes et dès lors sa vocation fut décidée. L'invasion des armées de 1'Europe entière liguée contre la France et le spectacle des maux qui déchiraient la patrie inspirèrent au jeune poète une série de trois poésies intitulées les Messéniennes, oü dans des yers énergiques il se faisait 1'écho des pensées qui remplissaient alórs 1'ame de tous les vrais patriotes. Malgré le titre tant soit peu érudit1, ces poésies ne tardèrent pas a devenir populaires et a entourer 1'auteur de célébrité et de gloire. C'est que Delavigne ne s'était pas borné a déplorer les malheurs qui avaient accablé sa pauvre patrie 1 Le poète, nourri des auteurs lating et grecs qu'il avait étudiés avec tant de fruit, a voulu indiquer par ce titre qu'il compare la destinée de ga patrie a celle de la Messénie de 1'antiquité, qui, après trois guerres terribles contre Sparte, dut auesi ge soumettre aux dureg lois du vainqueur. 4 NOTICE BIOGRAPKIQTJE SUR l'aUTEUR vaincue, mais qu'il avait taché de ranimer les courages abattus en leur parlant d'un avenir meilleur. Voici par exemple la strophe qui termine la première Messénienne: Et vous peuples si fiers du trépas de nos braves, Vous, les témoins de notre deuil, Ne croyez pas, dans votre orgueil, Que pour être vaincus, les Francais soient esclaves. Gardez-vous d'irriter nos vengeurs a venir, Peut-être que le ciel, lassé de nous punir, Seconderait notre courage, Et qu'un autre Germanicus, Irait demander compte aux Germains d'un autre age De la défaite de Varus< Beaucoup d'autres Messéniennes suivirent les trois premières, souvent avec plusieurs années d'intervalle. Les temps avaient changé, la France s etait releveé après ses terribles défaites et le poète put doncétendre son domaine, porter ses regards ailleurs afin d'y chercher des sujets élevés et sérieux, dignes d'être cbantés par sa Muse. Mais, soit qu'il déplore 1'infortune de 1'héroïque Jeanne d'Arc ou bien les malheurs de la Grèce opprimeé par les Turcs, qu'il jette des fleurs sur la tombe du poète Byron ou qu'il nous peigne le hardi navigateur Christophe Colomb „le fou sublime insulté par des sages vulgaires", partout on rencontre les mèmes pensees généreuses, le mème amour exalté de la Liberté. De bonne heure déja Casimir Delavigne avait abordé le théatre, oü il se fit connaitre tout d'abord comme un disciple de Bacine, désireux de se conformer aux traditions du XVIP siècle. Déja en 1819 ses Vêpres Siciliennes (tragédie en 5 actes) avaient eu au théatre de 1'Odéon un succès éclatant. Encouragé par ce succes, le poète donna 1'anneé suivante les Comédiens (comédie en 5 actes), pièce agréable et délicate, oü il attaque d'une manière spirituelle les acteurs du Théatre fran- NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'AUTEUR 5 cais pour la manière un peu dédaigneuse dont le premier théatre de la capitale avait refusé ses premières ceuvres. Puis il passa a la tragédie classique et la représentation a 1'Odéon du Paria (tragédie en 5 actes, avec chceurs) fut pour le célèbre poète 1'occasion d'un nouveau triomphe. Le fauteuil académique manquait seul a sa gloire et bien qu'il eüt sans doute des titres plus que suffisants pour se présenter, il se vit deux fois refuser; en même temps il perdit son poste de bibliotbécaire a la chancellerie de Trance. C'est que le vent de la réaction soufflait alors dans toute sa force pendant lapériode de la Bestauration et qu'on n'aimait pas trop le poète des Messéniennes, le hardi défenseur de la Liberté. Toutefois, un beau dédommagement 1'attendait: un puissant protectèur, le duc d'Orléans (depuis le roi Louis Philippe) s'empressa de lui offrir une place de bibliothécaire au Palais-Royal. En 1823 le Théatre francais, cédant aux sollicitations des Sociétaires dont les yeux s'étaient enfin ouverts sur les mérites du poète, se réconcilia avec lui et l'Ecole des Vieiüards (comédie en 5 actes), fut le gage du traité de paix. Le succes de cette pièce ouvrit a Delavigne en 1825 les portes de 1'Académie francaise, oü cette fois-ci il fut recu a presque 1'unanimité des voix. Dans son Discours de réception il déclara e. a.: „Le mépris des régies n'est pas moins insensé que le fanatisme pour elles. Quand d'imposantes beautés peuvent justifier nos écarts, c'est aimer 1'esclavage, c'est immoler la vraisemblance a la routine, que de presser notre sujet dans des entraves qu'il repousse; mais s'affranchir des régies pour se faire singulier, lorsque 1'action dramatique les comporte, c'est chercher son triomphe dans une servile concession aux idéés du moment, et le pire des esclavages est celui qui joue la vérité." Aussi le voyons-nous, après un voyage que 1'altération de sa santé 1'avait forcé de faire en Italië, 6 NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR l'aUTEUR appliquer dans ses ceuvres cette théorie du juste milieu dramatique et pratiquer son précepte: „aimons les nouveautés en novateurs prudents." Dans ses pièces suivantes, Marino Faliero (tragédie en 5 actes), Louis XI (tragédie en 5 actes), les Enfants d'Edouard (tragédie en 3 actes), Dom Juan d'Autriehe (comédie en 5 actes, en prose) et Une Famüle au temps de LutJier (tragédie en 1 acte), il essaie de concilier les idéés nouvelles du romantisme avec la tragédie classique, tout en résistant sur les points qu'il croyait essentiels. II reste classique dans 1'expression, mais il se permet •au contact du romantisme quelque liberté par rapport au choix des sujets et a la disposition du temps; et, quoiqu'il continue a donner a ces pièces le nom de tragédies, il ne se fait pourtant aucun scrupule d'y introduire de temps en temps 1'élément comique (on en trouvera des exemples dans Louis XI). Le résultat de cette tentative fut que, semi-romantique comme il 1'était devenu, les classiques le reniaient et que les romantiques le trouvaient en retard et se détournaient du poète qui „commettait un délit romantique avec circonstances atténuantes" (A. de Musset). Travailleur infatigable, Delavigne ne put se décider a se reposer, malgré le tres mauvais état de sa santé. Après les pièces mentionnées ci-dessus il donna encore en 1838 une -comédie en 5 actes, la Popularüé, en 1840 une tragédie en 3 actes, La Füle du Cid, en 1843 une comédie en prose, le Conseüler rapporteur, et avec le concours de son frère Germain le livret de 1'opéra Charles VI que la musique d'Halévy a rendu longtemps populaire. Bpuisé par tant de travaux, il se vit de nouveau cóntraint de quitter Paris pour chercher un climat plus doux; mais il ne put arriver au terme de son voyage et mourut a Lyon a la fin de 1843. 7 NOTICES SUR LES PERSONNAGES DE LA TRAGÉDIE. I. Louis XI. Louis XI, fils et successeur de Charles VU, né a Bourges en 1423, suivit son.père des 1'age de 12 ans dans plusieurs expéditions. A 17 ans il se mit a la tête d'une révolte connue sous le nom de la Praguerie (ainsi appelée par analogie avec le soulèvement des hussites a Prague); vaincu et traité avec bonté par son père, il sembla rentrer en lui-même et fit avec le roi la guerre contre les Anglais et les Suisses. Mais cette réconciliation fut de courte durée. Sa première épouse, Marguerite d'Ecosse, étant morte en 1444, il se remaria en 1451 sans le consentement de son père avec Charlotte, fille du duc de Savoie; des lors les rapports entre le père et le fils se tendirent de plus en plus et en 1456 le dauphin se vit obligé de se réfugier dans le duché de Bourgogne. C'est la qu'il fut trés bien accueilli par le duc Philippe le Bon et son fils, le comte de Charolais (depuis Charles le Téméraire) et qu'il resta jusqu'a la mort de Charles Vil. Déterminé a ruiner la puissance des seigneurs, jadis si redoutables aux rois et relevés par la faiblesse du 8 NOTTCES SUR LES PERSONNAÖES dernier règne, il signala son avènement par des mesures tres rigoureuses: il éloigna des hauts emplois les hommes de la plus illustre naissance et donna toute sa confiance a des gens obscurs tirés de la lie du peuple, tels qu' Olivier le Dain, son barbier, et le prévöt Tristan. En 1465 les seigneurs mécontents, ayant a leur tête Charles, duc de Berri, frère du roi, le comte de Charolais et le duc de Bretagne, se soulevèrent contre lui et formèrent une ligue redoutable, celle du Bien public. Le roi leur livra la bataille de Montlhéry, dont le succes resta douteux, mais il sut dissoudre la ligue en traitant avec chacun de ses ennemis en particulier: il donna la Normandie a son frère et quelques places de la Picardie au duc de Bretagne, mais il ne fut pas aussi heureux avec le duc de Bourgogne. Celui-ci, irrité de la révolte de Liège que Louis XI avait excitée, le retint prisonnier a Péronne oü il s'était rendu pour une conférence, et Louis fut contraint, pour obtenir sa liberté, d'accompagner le Téméraire au siège de la ville révoltée (1468). Revenu a Paris, il commenca par faire enfermer dans une cage de fer le cardinal de La Balue qui le trahissait et qui lui avait conseillé le voyage de Péronne; on soupconna méme le roi d'avoir fait empoisonner en 1472 son frère, le duc de Berri, qui aUait épouser Marie de Bourgogne, fille de son implacable ennemi. Puis il recommenca la guerre avec le duc de Bourgogne, qui voulait venger cette mort. Une nouvelle coalition s'était formée contre Louis XI entre les ducs de Bourgogne et de Bretagne et le roi d'Angleterre, mais le rusé monarque sut la rompre et obtenir une paix avantageuse par le traité de Péquigny (1475). S'étant fait livrer le connétable de St. Pol et le comte d'Armagnac, tous deux rebelles, il leur fit trancher la tête et ajouta au supplice du dernier d'horribles cruautés (v. sous m, le duc de Nemours). A la mort de Charles le Téméraire, Louis XI tenta d'enlever cette riche succession a Marie, fille du duc; de la tragédie. 9 malgré les efforts de Maximilien d'Autriche, qui avait épousé cette princesse, il s'empara de la Picardie, de 1'Artois et du duché de Bourgogne, comme étant des fiefs masculins. II réunit aussi au domaine royal la Provence, le Maine, 1'Anjou, aiusi que le comté de Bar. Peu après il mourut, en 1483, au chateau du Plessis-les-Tours, oü il se tenait depuis longtemps enfermé, livré, dans 1'appréhension de la mort, aux pratiques d'une dévotion superstitieuse. Louis XI était perfide, cruel, vindicatif, superstitieux, défiant et surtout dissimulé; sa maxime favorite était: qui ne sait pas dissimuler, ne sait pas régner. Ces vices s'accentuaient surtout vers la fin de son règne, et, craignant sans cesse des trahisons et des attentats, il s'enfermait dans son chateau du Plessis qui était entouré de larges fossés et de pièges de toute espèce, tandis que 400 archers montaient perpétuellement la garde autour de lui. Mauvais ami, mauvais fils, mauvais frère, Louis XI fut fatal a tous ceux qui 1'approchèrent et tenta souvent des meurtres et des empoisonnements. Outre celui de son frère on lui attribue aussi celui d'Agnès Sorel, maitresse de son père, laquelle il détestait. Cependant il faut dire a sa louange que son but constant, celui d'abaisser les seigneurs et de mettre 1'unité dans la monarchie, était aussi honorable que sage, et peut-être dans tout ce qu'il fit pour y parvenir, eufr-il bien moins en vue 1'accroissement de sa maison ou sa propre grandeur que le salut de 1'Etat. --C'est lui qui conclut la première alliance avec les Suisses et qui en eut le premier a sa solde; il fit venir des imprimeurs de Mayence, établit des manufacturés de soie et d'étoffes d'or et d'argent, institua les postes et songeait a établir des poids et mesures. „Au total," a dit un de ses biographes, „c'était un roi." II. Le Dauphin. Le dauphin est Charles (depuis Charles VÏÏI), fils de Louis XI et de sa seconde épouse, Charlotte de 10 notices sur les personnages Savoie; il naquit a Amboise, le 14 juin 1470. Ecarté de la cour des son enfance par le défiant Louis XI, 11 fut élevé dans une si grande ignorance qu'il ne savait pas lire lorsqu'il monta sur le tróne, en 1483, après la mort de son père. Louis XI se servait du prétexte que la santé délicate de son fils ne lui permettait pas des études fatigantes, mais il est tres probable que le roi redoutait que son fils ne se révoltat contre lui et ne lui causat les mèmes désagréments qu'il avait lui-même suscités a son père. Ce ne fut que vers la fin de son règne que Louis XI fit apprendre a son fils certaines maximes propres a guider un prince régnant et qu'il avait fait composer sous le titre de Rosier des guerres. HL Le duc de Nemours. Le duc de Nemours, qui joue un róle si important dans la tragédie, n'est pas un personnage historique, mais a été créé par le poète, qui en avait besoin pour 1'intrigue de sa pièce. L'auteur nous le présente comme un fils de Jacques d'Armagnac, duc de Nemours. Celui-ci fut dans sa jeunesse comblé de bienfaits par Louis XI, qui lui fit épouser une de ses cousines, 1'investit du duché de Nemours et lui confia des commandements importants. Loin de se montrer reconnaissant, Jacques d'Armagnac se rangea parmi les ennemis du roi et accéda a la Ligue du Bien public. II obtint deux fois son pardon, mais, ayant pris part a de nouvelles intrigues, il fut assiégé et pris dans Carlat et amené a la Bastille, oü le roi irrité le fit enfermer dans une cage de fer. Cette fois-ci Louis XI se montra inexorable aux prières du duc; condamné par le parlement, il fut mis a mort en 1477, a peine agé de 40 ans. Ses fils, encore en bas age, furent forcés d'assister a son supplice et placés sous 1'échafaUd pour recevoir sur leur tête le sang de leur père. Le troisième fils de celui-ci, Louis d'Armagnac, duc de Nemours, n'avait que 5 ans lors du supplice de de la tragedie 11 son père. II fut détenu a la Bastille jusqu'a la mort de Louis XI; après avoir été mis en liberté par Charles Vlll, il accompagna ce prince dans son expédition en Italië. II périt en 1503 dans la bataille de Cérignolle et avec lui s'éteignit la familie d'Armagnac. IV. Philippe de Commines. Philippe de Commines, né au chateau de Commines en Flandre, en 1445, passa les premières années de sa jeunesse a la cour du duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, et quitta ensuite ce prince fougueux pour s'attacher a Louis XI; celui-ci le combla de biens, le fit sénéchal de Poitiers, chambellan de sa personne et vécut avec lui dans la plus intime familiarité. Plus tard il servit encore Charles Vlll qui le chargea de plusieurs négociations importantes en Italië. L. mourut dans sa terre d'Argenton en 1509. Ce fut aprês son retour d'Italie qu'il commenca a écrire ses Mémoires, 1'ouvrage le plus précieux que nous ayons sur les règnes de Louis XI et Charles VUL On regrette seulement que l'auteur, en racontant les actes les plus iniques de Louis XI, ne trouve pas un mot pour .les flétrir; il ne juge des événements que par le résultat. Tout ce que Delavigne nous raconte de sa fille Marie et des rapports de celle-ci avec le dauphin et avec le duc de Nemours, appartient au domaine de la fiction. Commine a eu, il est vrai, une fille qui s'appelait Jeanne, mais qui en 1483, 1'année oü se passent les événements de la pièce, n'avait que 9 ans tout au plus. V. Coitier. Jacques Coitier, premier médecin de Louis XI, naquit a Poligny dans la Franche-Comté. Profitant de son ascendant sur 1'esprit du monarque superstitieux pour lui arracher des sommes considérables, il trouva le secret de se mettré a couvert contre les efforts de ses 12 n0tices sur les personnages envieux en faisant croire au roi que, s'il le renvoyait, la mort le frapperait lui-même avant huit jours. Des enquêtes juridiques furent dirigées contre lui après la mort de Louis XI, mais il parvint a conjurer 1'orage en offrant 50,000 écus a Charles VDJ, qui se disposait a entamer une guerre contre lTtalie. VI. Francois de Paule. Saint Francois de Paule, né a Paule en Calabre en 1416, fut dès son enfance voué a saint Francois, dont on lui donna le nom. II se retira fort jeune dans une solitude au fond de la Calabre, y acquit bientót un grand renom de sainteté et fonda un monastère dans lequel il réunit sous le nom de minimes (c.-a.-d. les derniers entre tous) plusieurs disciples et en forma un ordre qui fut approuvé par Sixte IV en 1473. Comme il avait la réputation de faire des guérisons miraculeuses, Louis XI 1'appela a son Ut mort, espérant être guéri par ses prières; mais le pieux ermite ne put qu'exhorter le roi a réparer par une mort sainte une vie souillée de crimes. A cette occasion il obtint du roi la permission d'établir son ordre en France. II mourut au couvent du Plessis du Pare en 1507. Sa fête est marquée au 2 avril. VII. Olivier le Dain. Olivier le Dain (ou le Diable) fut d'abord valet de chambre et barbier de Louis XI, mais il sut gagner la confiance du roi par une grande affectation de dévouement, au point qu'il obtint de lui des lettres de noblesse et la capitainerie de Meulan, d'oü 1'exbarbier se fit appeler comte de Meulan. Ayant été envoyé a Gand, en 1477, Olivier y aflicha un luxe ridicule et fut obligé de se sauver a Tournay, qu'il ne tarda pas a faire tomber au pouvoir de son maltre; celui-ci, pour récompenser ce service, le nomma capitaine du chateau de Loches, gouverneur de Saint- de la tragedie 13 Quentin, etc. Après la mort de Louis XI, il fut jugé et pendu en 1484, sous Charles Vlll. Dans son beau roman de Quentin Durward, Walter Scott a tracé le portrait de ce courtisan abject. Vlll. Tristan l'Hermite. Né en Flandre au commencement du XV' siècle, Tristan l'Hermite servit avec. quelque distinction dans les guerres de Charles V111 contre les Anglais et fut créé chevalier en 1451 sur la brèche de Fronsac, oü il avait fait preuve d'une rare intrépidité. Louis XI 1'attacha a sa personne comme grand-prévót, c.-a.-d. chef de la police, et dès lors il ne fut plus que 1'exécuteur des vengeances du roi. Celui-ci le menait partout a sa suite, vivait avec lui dans une intime familiarité et se plaisait a 1'appeler son compère. Tristan mourut dans un age avancé, laissant a son hls de grands biens et même des principautés. LX. Le Comte de Lude. Jean de Daillon, sieur du Lude, était un des gentilshommes de la cour de Louis XI qui jouissait d'une grande faveur auprès du roi et que celui-ci chargeait souvent de missions importantes. En 1473 Louis XI lui confia le gouvernement du Dauphiné; en 1475 il assiégea avec Yvon du Fau la ville de Perpignan et en 1477 il fut le premier qui porta au roi la nouvelle de la mort de Charles le Téméraire après sa défaite prés de Nancy. X. Le Cardinal d'Albi. Jean de Jouffroy, cardinal et aumónier de Louis XI, né dans la Franche-Comté au commencement du XVe siècle, embrassa de bonne heure la vie religieuse. Après avoir professé trois ans la théologie a Milan, il fut envoyé én députation auprès du duc de Bourgogne, PhiUppe le Bon, oü il se fit connaltre de Louis XI, alors réfugié a la cour de ce prince (v. I). A son 14 noticbs sur les personnages avènement au tröne, en 1461, Louis femmena avec lui et ce fut a sa sollicitation que le roi se détermina a abolir la pragmatique sanction (ordonnance promulguée en 1438 par Charles VII et qui tendait e. a. a assurer aux conciles généraux leur supériorité sur le pape et a restreindre les effets de 1'excommunication et ae 1'interdit). En récompense de ses services il recut alors du Saint-Siège 1'évêché d'Albi, outre le titre de cardinal. Investi de la confiance de Louis XI, il fut chargé par ce monarque de plusieurs missions importantes. Jouffroy mourut en 1473; Delavigne a donc commis un anachronisme (il y en a plusieurs dans la pièce), en faisant figurer eet homme, mort depuis dix ans, parmi les personnages de sa tragédie. XI. Le Duc de Craon. Probablement Antoine de Craon (pr. sans o), né d'une ancienne familie de Bretagne, dont 1'illustration remonte aux croisades. Ce gentilhomme fut chargé par Louis XI de porter la guerre en Lorraine et fit échouer les desseins de Charles le Téméraire. Après la mort de ce dernier, le roi s'étant emparé des deux Bourgognes, Craon en fut fait gouverneur avec des pouvoirs tres étendus. D. eut a combattre Jean de Chalons, prince d'Orange, que Marie, fille du Téméraire, avait nommé son lieutenant-général dans ces deux provinces. Les revers qu'il éprouva dans cette guerre, joints aux plaintes des Bourguignons, le firent renvoyer par le roi dans ses terres, oü il mourut oublié. Xïï. Le Comte de Dreux. Probablement un personnage fictif, dont Delavigne a fait le représentant de ces nobles qui, comme collecteurs d'impóts, se livraient a toutes sortes de concussions et pressuraient le pauvre peuple. LOUIS XI TRAGEDIE EN CINQ ACTES PAR CASIMIR DELAVIGNE. PERSONNAGES. LOUIS XI. LE DAUPHIN. LE DUO DE NEMOURS. COMMINE. COITIER, mêdecin du roi. FRANQOIS DE PAULE. OLIVIER LE DAIM. TRISTAN, grand prévót. MARIE, fille de Commine. LB COMTE DE LUDE. LE CARDINAL D'ALBY. LE COMTE DE DREUX. LE DUC DE CRAON. MARCEL, paysan. MARTHE, sa femme. RIOHARD, I DIDIER, f paymn3- CRAWFORD. Clergé. Chatelainks. Chevaliers. Deux Écossais. Un marchand. Un héraut. Un oiticier Dl la chambre. Uk officier du chateau. 17 ACTE PREMIER. Une campagne; le chateau du Plessis au fond sur le cóté; quelques cabanes éparses. II fait nuü. SCÈNE 1 — TRISTAN, RICHARD, Gardes. Tristan, d Richard. Ton nom? Richard. Richard le patre. Tristan. Arrête; et ta demeure? Richard, montrant sa cabane. J'en sors. Tristan. Le roi défend de sortir a cette heure. Richard. J'allais, pour assister un malade aux abois,1 Chercher le desservant2 de Saint-Martin-des-Bois. * 1 IWre aux abois, être dans une situation désespérée. Expression empruntée a la chasse : on dit que le cerf est aux abois quand il est serré par les chiens qui aboient après lui. a Desservant, dienstdoende geestelijke. 3 Saint-Martin-des-Bois ou Marmoutier, célèbre abbaye de Bénédietins, a 2 kil. de Tours, fondée par saint Martin, alors évêque de Tours, et détruite au temps de la Révolution. Led. Class. K°. 89. 2 18 louis xi. Tristan. Rentre, ou les tiens verront avant la uuit prochaine La justice du roi suspendue a ce chêne.1 richard. Mon fils ... Tristan. Rentre! Richard. II se meurt. Tristan. Tu résistes, je croi! Obéis, ou Tristan ... Richard, avec terreur, en regagnant sa cabane. Dieu conserve le roi! SCÈNE n. — TRISTAN, Gardes. Une voix de l'interieur. Qui vive? tristan. Grand prévót! La même voix. Garde a vous, sentdnelle! Et vous, archers, a moi! Un officier, qui sort du chdteau d la tête de plusieurs soldats. Le mot d'ordre? Tristan, d voix basse. Fidele ï i La justice du roi etc.; 1'auteur veut dire que le roi va exercer sa justice en faisant pendre celui qui a osé quitter sa demeure. acte I, scène in. 19 l'Opficiee, de même. France! (Es entrent dam le chdteau.) SCÈNE ET. - COMMINE. E tient un rouleau de parchemin. (E s'assied au pied d'un chêne. Le jour commence.) Reposons-nous sous eet ombrage épais; Ce travail a besoin de mystère et de paix. Calme heureux! aucun bruit ne frappe mon oreille, Hors le chant des oiseaux que la lumière éveiüe Et le cri vigilant du soldat écossais Qui défend ces créneaux 1 et garde un roi francais. Je suis seul, reusons: du jour qui vient de naitre Lette heure mappartient; le reste est a mon maitre. (E ouwe le manuscritj Mémoires de Commine!... Ah! si les mains du roi lieroulaient eet écrit, qui doit vivre après moi, Oü chacun de ses jours, recueüli pour 1'histoire, Laisse un tribut durable et de honte et de gloire, Tremblant, on le verrait, par le titre arrêté, Palir devant son règne a ses yeux présenté. De vices, de vertus quel étrange assemblage! (E lit; le médecin Coitier passé au fond de la scène, le regarde et entre dans la cabane de Richard.) (Interrompant sa lecture.J La, quel effroi honteux! la, quel brillant courage! Que de clémence alors, plus tard que de bourreaux! Humble et fier, doux au peuple et dur aux grands vassaux, Uredule et défiant, généreux et barbare, Autant il fut prodigue, autant il fut avare. (E passé d la fin du manuscritj Aujourd'hui quel tableau! Je tremble en décrivant Ce chateau du Plessis, tombeau d'un roi vivant, ^foeaui?' onvertures pratiquées dans une muraille pour tirer sur 1 ennemi (kanteelen). *^ 2* 20 louis xi. Comme si je craignais qu'un vélin 1 infidèle Ne trahit les secrets que ma main lui révèle. Captif sous les barreaux dont il charge ces tours, D. dispute a la mort un reste de vieux jours; Usé par ses terreurs, il se détruit lui-même, S'obstine a porter seul un pesant diadème, S'en accable, et jaloux de son jeune héritier, Ne vivant qu'a demi, règne encor tout entier. Oui, le voila: c'est lui. (H reste absorbê dans sa lecture.J SCÈNE IV. — COMMLNE, COITIER. Coitier, sortant d'une cabane, d Richard et d quelques paysans. Rentrez, prenez courage; Des fleurs que je prescris composez son breuvage: Par vos mains exprimés, leurs sucs adoucissants Rafralchiront sa plaie et cahneront ses sens. Commine, sans voir Coitier. Effrayé du portrait, je le vois en silence Chercher un chatiment pour tant de ressemblance. Coitier, lui frappant sur l'êpaule. Ah! seigneur d'Argenton, salut! Commine. Qui m'a parlé? Vous! pardon!.. . je rêvais. Coitier. Et je vous ai troublé? Commine. D'un règne a son déclin 1'avenir est sinistre. Coitier. Sans doute, un roi qui meurt fait rêver un ministre. 1 Vélin. peau de veau préparée, plus mince et plug unie que le parchemin; papier imi tant la blancheur et 1'uni du vélin (velijnpapier). acte i, scène iv. Commine. Mais vous, maitre Coitier, dont les doctes 1 secrets Ont des maux de ce roi ralenti les progrès, Cette héure a son lever8 chaque jour vous rappelle: Qui peut d'un tel devoir détourner votre zèle? Coitier. Le roi! toujours le roi! Qu'il attende. Commine. Du moins. Autant qu'a ses sujets vous lui devez vos soins. Coitier. A qui souffre par lui je dois plus qu'a lui-même. Commine. Vous 1'accusez toujours. Coitier. Vous le flattez. Commine. Je 1'aime. Qui" vous irrite? Coitier. Un crime: hier, sur ces remparts, Un patre, que je quitte, arréta ses regards; Des archers du Plessis 1'adresse meurtrière Paillit, en se jöuant, lui ravir la lumière. Commine. Qu'il se plaigne: le roi deviendra son appui. Coitier. Qu'il se taise: Tristan pourrait penser a lui. 1 Docte, savant (cpmp. les mots doeteur et doctrine, leerstuk, leerstelsel). * Lever, le moment oü le monarque recevait dans sa ehambre, après qu'il s'était levé. En Erance on distinguait le „petit lever" et le „grand lever": le „petit lever" avait lieu aussitöt que le roi s était éveillé, le „grand lever", plus solennel, avait lieu après que sa Majesté était peignée et raséo. 3 Qui, pour: qu'est-ce qui ? 21 22 louis xi. Commine. Sur ce vil instrument jetez votre colère. Coitier. J'impute1 au souverain les excès qu'il tolère. Commine. La crainte est son excuse. Coitier. II craint un assassin, Et la mort qu'il veut fuir, il la porte en son sein. La terreur qu'il répand sur son cceur se rejette; II tourne contre lui sa justice inquiète; Lui-même est le bourreau de ses nuits, de ses jours; Lui, dont 1'ordre inhumain... Ah! malheureux Nemours!1 Commine. Nemours était coupable. Coitier. Et je le crois victime. Je rends a sa mémoire un culte8 légitime. Moi, serviteur obscur, nourri dans sa maison, Je 1'ai vu cultiver ma précoce raison. ,Ses dons m'ont soutenu dans une étude ingrate.* de courroux!... pardon. acte ii, scène v/vi. 55 Commine, lui donnant un baiser. J'ai tort. Marie. Je me retire. Et quant a monseigneur, je saurai 1'éviter. Oui, je vous le promets, dussé-je 1'irriter. Commine, vivement. L'irriter! non pas, non! tout pousser a 1'extrême, C'est nuire a vous, ma fille, et péut-être... amoi-même; Quand le présent finit, ménageons 1'avenir: Du roi qu'on a vu prince on peut tout obtenir. Oubli! c'est le grand mot d'un règne qui commence, Et pour un exilé j'ai besoin de clémence. Pensez-y quelquefois. Marie. Ah! j'y pense toujours, Et je porte a mon doigt la grace de Nemours. SCÈNE V. — COMMINE. Le comte de Béthei devant moi va paraitre: Achetons son secours; j'en ai 1'ordre.: mon maitre A, d'un seul trait de plume au bas d'un parchemin, Conquis plus de duchés que le glaive a la main. Aussi, bien eonvaincu du néant1 de la gloire, II sait qu'un bon traité vaut mieux qu'une victoire. L'or est un grand ministro: il agira pour nous. Un officier du chateau. Le comte de Béthei! SCÈNE VI. — COMMINE, NEMOURS. Commine. Dieu! qu'ai-je vu ? c'est vous, Vous, Nemours! 1 Néant, subst. qui veut dire: rien; il a donné les mots anéantir, fainéant, néanmoins (dans Tanden frangais la forme du mot était nient; comp. 1'expression italienne: dolce far niente). 56 louis xi. Nemours. Voila donc le tombeau qu'il habite! C'est ici! Commine. Cacbez mieux 1'horreur qui vous agite: Ici 1'écho dénonce et les murs ont des yeux. Nemours. Digne séjour d'un roi! J'ai vu, pres de ces lieux, Des ceuvres de Tristan la tracé encor sanglante: L'éau du Cher, oü flottait sa justice effrayante; Ces pièges qui des tours défendent les abords; Ces rameaux qui pliaient sous les restes des morts. Commine. Et vous avez franchi le seuil de eet asile! Nemours. Je 1'ai fait. Commine. Malbeureux! Nemours. Qui, moi? je suis tranquille: Hormis vous et Coitier, nul ne sait mon secret. Commine, de vous deux quel sera 1'indiscret? Commine. Aucun. Nemours. Comment le roi peut-il donc reconnaitre Celui qu'en sa présence il n'a fait comparaitre Qu'une fois, que le jour oü, conduits par la main, Mes deux frères et moi... Des enfants!... 1'inhumain!... Sous leur père expirant!...1 Commine. Calmez-vous. 1 Nemours fait ici une allusion a 1'exécution de son père (y. plus loin). acte ii, scène vi. 57 Nemours. Je frissonne. Vous lui pardonneren, grand Dieu! comme il pardonne. Commine. Pourquoi chercher celui qui vous fut si fatal? Nemours. Pour lui parler en maitre au nom de son vassal.. Commine. Tout autre eüt pu le faire. Nemours. II eüt séduit tout autre. Commine. II est mon souverain, Nemours; il fut le vótre. Nemours. Oui, quand j'ai tant pleuré. Mon Die'u! qu'aurais-je fait? Au deuil d'un faible enfant des pleurs ont satisfait: Je suis consolé. Commine. Vous! Nemours. Je vais le voir en face; Je vais le voir mourant. Commine. Mais ferme. Nemours. La menace Pour en troubler Ir paix dans son cceur descendra: Je le connais. Commine. Tremblez! Nemours. C'est lui qui tremblera. 58 louis xi. Commine. Peut-être. Nemours, avec emportement. II tremblera. N'eüt-il que ce supplice, Je veux que devant moi son front royal palisse. (Avec douleur.) II m'a vu palir, lui! Commine. De braver votre roi, Charle, en vous choisissant, vous a-t-il fait la loi? Nemours. Charle, en me choisissant, a cru venir lui-même: C'est lui qui vient dicter sa volonté suprème; C'est lui, mais survivant a toute sa maison! C'est lui, mais sans parents, sans patrie et sans nom; C'est lui, mais orphelin par le meurtre! Commlne. De grace, Écoutez la raison qui vous parle a voix basse. Tout 1'or d'un ennemi ne vous eüt pas tenté: J'approuve vos refus; mais, par vous accepté, Le don d'un vieil ami, d'un sauveur et d'un père, Ne peut-il désarmer votre juste colère? Marie... Nemours. Ah! ce doux nom fait tressaillir mon coeur. Elle, mon dernier bien, ma compagne, ma sceur! Pour embellir mes jours le ciel 1'avait formée. Mais c'est un rêve; heureux,1 que je 1'aurais aimée! Commine. Heureux, vous pouvez 1'être; après tant de combats, D'un effroi mutuel affranchir deux Etats, Rapprocher deux rivaux divisés par la haine, Qu'un intérêt commun 1'un vers 1'autre ramène, 1 Heureux, ellipse pour: si j'avais été heureux. acte ii, scène vi. 59 Non, ce n'est point trahir le plus saint des serments; C'est immoler a Dieu vos longs ressentiments; C'est remplir un devoir. Cette union chérie, Qui vous rend a la fois biens, dignités, patrie, Avec votre devoir peut se concilier. Cédez: le roi pardonne, et va tout oublier. Nemours. Oublier! lui! qu'entends-je? Oüblier! quoi? son crime, Ce supplice inconnu, 1'échafaud, la victime? Quoi! trois fils a genoux sous 1'instrument mortel, Vêtus de blanc tous trois comme au pied de 1'autel? On nous avait par és pour cette horrible fête. Soudain le bruit des pas retentit sur ma tête: Tous mes membres alors se prirent a trembler; Je 1'entendis passer, s'arrêter, puis parler. II murmura tout bas ses oraisons1 dernières; Puis, prononcant mon nom et ceux de mes dëux frères: „ Pauvres enfants!" dit-il, après qu'il eut prié; Puis... plus rien. O moment d'éternelle pitié! Tendant vers lui mes mains, pour 1'embrasser sans doute, Je crus sentir des pleurs y tomber goutte a goutte; Les siens... Non, non: ses yeux, éteints dans les douleurs, Ses yeux n'en versaient plus, ce n'étaient pas des pleurs!... Commine. Nemours! Nemoues. C'était du sang, du sang, celui d'un père! Oublier! il le peut, ce roi dont la colère A pu voir sur mon front jusqu'au dernier moment Le sang dont je suis né s'épuiser lentement: Moi! jamais. C'est folie, ou Dieu le veut, Commine; Mais soit folie enfin, soit volonté divine, Je touche de mes mains, je vois ce qui n'est pas. Rien ne se meut dans 1'ombre, et moi, j'entends ses pas. Je' me soulève encor vers sa mourante image; 1 Oraison, en général: discours; ici: prière (Toraison dominicale = le Pater.) 60 louis xi. Une rosée affreuse inonde mon visage. Le jour m'éclaire en vain: sur ce vêtement blanc, Sur mon sein, sur mes bras, du sang! partout du sang! Dieu le veut, Dieu le veut: non, ce n'est pas folie; Dieu ne peut oublier, et défend que j'oublie; Dieu me dit qu'a venger mon père assassiné Ce baptéme de sang m'avait prédestiné. Ah! mon père! mon père! Commine. On vient: de la prudence! Le dauphin vous attend; fuyez. Nemoues, se remettant par degrés. En leur présence Vous verrez qu'au besoin je suis maltre de moi. Commine, tandis que Nemours sort par une porte laterale. Si je parle, il est mort; si je me tais... Un officier du chateau, annoncant. Le roi! SCÈNE VII. — LOUIS, COMMINE, COIT1ER, OLIVIER LE DAIM, LE COMTE DE DREUX, Bourgeois, Chevaliers. Louis, au comte de Dreux. Ne vous y jouez pas, comte; par la croix sainte! Qu'il me revienne encore un murmure, une plainte, Je mets la main sur vous, et, mon doute éclairci, Je vous envoie a Dieu pour obtenir merci.1 Le salut de votre ame est le point nécessaire: Dieu la prenne en pitié! le corps, c'est mon affaire; J'y pourvoirai. acte ii, scène vii. 61 Le comte de Dreux. Du moins je demande humblement Que Votre Majesté m'écoute un seul moment. Louis. Ah! mon peuple est a vous! et, roi sans diadème, Vous exigez de lui plus que le roi lui-même! Mais mon peuple, c'est moi; mais le dernier d'entre eux, C'est moi; mais je suis tout, mais quand j'ai dit: Je veux, On ne peut rien vouloir passé1 ce que j'ordonne, Et qui touche a mon peuple attente a ma personne. Vous 1'avez fait. Le comte de Dreux. Croyez... Louis. Ne me dites pas non. Enrichi des impóts qu'on percoit en mon nom, Pour cinq cents écus d'or vous en levez deux mille Sur d'honnêtes bourgeois, et de ma bonne ville, (En les montrant.) Gens que j'estime fort, pensant bien, payant bien. Regardez ce feu roi que vous comptez pour rien; Est-il mort ou vivant? Regardez-moi donc! Le comte de Dreux, en tremblant. Sire. |. Loois. Je ne suis pas si mal qu'on se plait a le dire: Quelque feu brille encor dans mon oeil en courroux; Je vis, et le malade est moins pale que vous. Quoique vieux, je suis homme a lasser votre attente, Beau sire; et, moi régnant, le bon plaisir2 vous tente: 1 Passé, (employé comme préposition, de même que les participes: excepté, supposé, vu, atfendu), au dela de, après, p. e.: passé le mois de juin, le rossignol ne chante plus. * Bon plaisir, volonté arbitraire du souverain. ,,Car tel est notre bon plaisir" était autrefois la formule par laquelle le roi marquait sa volonté dans les édits. 62 louis xi. Qui s'en passé 1'envie affronte un tel danger, Que le cceur doit faillir seulement d'y songer. A moi de droit divin, a moi par héritage, II1 n'appartient qu'a moi de fait et sans partage. Pour y porter la main, c'est un mets trop royal: A de plus grands que vous il fut jadis fatal. J'ai réduit au devoir les vassaux indociles. Olivier, tu m'as vu dans ces temps difficiles? Olivter. Oui, sire, et tel encor je vous vois aujourd'bui. Louis. Plus nombreux, ils levaient le front plus haut que lui. La moisson fut sanglante et de noble origine; Mais j'ai fauché 1'épi si pres de la racine, Chaque fois qu'un d'entre eux contre moi s'est dressé, Qu'on cberche en vain la place oü la faux a passé. Elle abattit Nemours: trop rigoureux peut-être, Je le fus pour 1'exemple et je puis encor 1'être. Avez-vous des enfants ? * Le comte de Dreux, bas a Uoüier. De grace... Coitier. Eh! chassez-nous, Chassez-moi le premier, sire, ou ménagez-vous: La colère fait mal. Louis. II est vrai, je m'emporte; Je le peux: je suis bien, tres bien; j'ai la voix forte. L'aspect de ce saint homme a ranimé mon sang. 1 Tl, c.-a-d.: le bon plaisir. Le roi veut dire que les droits que le comte de Dreux s'est arrogés n'appartiennent qu'au souverain qui, de droit divin (bij de gratie Gods) et par héritage, est le mattre absolu. 2 Par cette question, bien propre a faire tressaillir le comte, Louis XI lui rappelle la scène de 1'exécution du malheureux Nemours (v. p. 69). ACTE n, SCÈNE vii. 63 CoiTLER. N'ayez donc foi qu'en lui; mais eet ceil menacant, Et de tous ces éclats 1'inutile bravade Ne vont pas mieux, je pense, au chrétien qu'au malade. Louis. Coitier! Coïteer. N'espérez pas m'imposer par ce ton; Vous avez tort. Louis, avec plus de violence. Coitier! Coitier. Oui, tort, et j'ai raison; Tenez, le mal est fait, vous changez de visage. Louis. Comment, tu crois? Coitier. Sans doute. Louis, avec douceur. Eh bien! je me ménage. Coitier. Non pas; souffrez, mourez, si c'est votre désir. Louis. Allons !... Coitier. Dites: je veux; tranchez du bon plaisir.1 Louis. La paix! Coitier. Vous êtes roi: pourquoi donc vous contraindre? : Mais après, jour de Dieu! ne venez pas vous plaindre. 1 Tranchez du bon plaisir, donnez-vous les airs du mattre absolu (comp. trancher du grand seigneur, den grooten heer uithangen). 64 louis xi. Louis, d Coitier, en lui prenant la main. La paix! (Au comte, froidement.) Pour vous, rendez ce que vous avez pris: Rachetez sous trois jours votre tête a ce prix; Autrement, convaincu que vous n'y tenez guère, Je la ferai tomber, et cela sans colère. (A Coitier.) La colère fait mal. Le comte de Dreux. Je me soumets. Louis, aux bourgeois. Eh bien! De mon peuple opprimé suis-je un ferme soutien? Sur ce qu'on vous rendra, récompensez le zèle De messire Ohvier, mon serviteur fidéle: Cinq cents écus pour lui qui m'a tout dénoncé! Olivier, avec humüité. Sire! Louis. N'en veux-tu pas? Olivier. Yotre arrêt prononcé, Que justice ait son cours. Louis, d Coitier. Et si ton roi t'en presse, N'accepteras-tu rien, toi qui grondes sans cesse? Coitier, avec un reste d'humeur. Je n'en ai guère envie, a moins d'être assuré Que mon malade enfin se gouverne a mon gré. Louis, d Coitier. D'accord. (Aux bourgeois.) Deux mille écus ne sont pas une affaire, Et c'est pour des sujets une bonne oeuvre a faire. acte n, scène viii. 65 Vous les lui compterez, n'est-ce pas, mes enfants? II veille jour et nuit sur moi, qui vous défends, Qui vous rends votre bien, qui vous venge et vous aime. Quelque vingt ans encor je compte agir de même. Je me sens rajeunir, qu'on le sache a Paris; En portant ma santé, dites que je guéris, Et que vers les Rameaux, vienne un jour favorable, Chez un de mes bourgeois j'irai m'asseoir a table. Le ciel vous soit en aide! (Au comte qui se retire avec eux.) Un mot! (A Coitier.) Je n'en dis qu'un. (Au comte.) Pareil jeu coüta cher au seigneur de Melun.1 L. était comte aussi; partant, * prenez-y garde:" Votre salaire est prêt, et Tristan vous regarde. Même orgueil, méme sort. J'ai dit, retirez-vous. (Aux chevaliers et aux courtisans.) Ce que j'ai dit pour un, je le ferais pour tous. SCÈNE VDX — LOUIS, COMMINE, COITIER, OLIVIER LE DAIM, Chevaliers et courtisans. Olivier. Sire, les envoyés des cantons helvétiques ... Louis. Qu'ils partent! Olivier. Sans vous voir? 1 Charles de Melun parvint, au comm«ncement du règne de Louis XI, au plus haut degré de faveur, mais sa conduite équivoque lors de la guerre du Bien public lui fit perdre la conflance du roi, qui d'abord le priva de ses emplois et ensuite le flt condamner a mort (1468). * Partant (adverbe, formé des deux mots par et tant), par conséquent. Led. Class. N°. 89. 5 66 louis xi. Louis. Je hais les républiques. CoMMTNE. Leurs droits sont reconnus par Votre Majesté. Et libres ... Louis. Je le sais: liberté! liberté! Vieux mot qui sonne mal, que je suis las d'entendre; II veut dire révolte a qui le sait comprendre. Libres! des paysans, des chasseurs de chamois! Leur pays ne vaut pas mes revenus d'un mois. Commine. Hs n'en savent pas moins le défendre avec gloire, Et le duc de Bourgogne ... Louis. On devait, a les croire, Pour ménager leur temps, m'éveiller ce matin. Montagnards sans respect! et sur leur front hautain, Brülé1 des vents du nord, dans leurs glaciers stériles, Une santé!... Olivier. Mon Dieu! sire, les plus débiles* Sont celles qui souvent tiennent le plus longtemps: Sans m'en porter moins bien, je meurs depuis vingt ans. Louis. Pauvre Olivier! mais va, recois-les; fais en sorte Que ces patres armés n'assiègent plus ma porte. Libres! soit; mais ailleurs. Qu'ils partent, je le veux. Contre mon beau cousin prendre parti pour eux? Moi! j'en suis incapable, et je prétends le dire, Au comte de Réthel, pour peu qu'il le désire. (Bas a Olivier.) Traite avec eux. 1 Brülé, h&lé, bruni (comp.: la jtelée a brülé ces plantes; la neige brult les souliers). 2 Débile, faible. acte n, scène Tul. 67 Olivier, de même. . Gomment? Louis. A ton gré; mais sois prompt. Donne ce qu'il faudra, promets ce qu'ils voudront. Olivier. D suffit. Louis, haut. Des égards, et fais-leur bon visage; Qu'un splendide banquet les dispose au voyage. Mes Ecossais1 et toi, chargez-vous de ce soin. (A voix basse.) Avec nos vins de France on peut les mener loin; Des Suisses, c'est tout dire. (A Coitier.) Oü vas-tu? Coitier. De la fête Je veux prendre ma part. Louis. Va donc leur tenir tête; Mais, de par tous les saints! Coitier, veille sur toi. Coitier. Répondez-moi de vous, je vous reponds de moi. Louis, pendant que Coitier s'éloigne. Indulgents pour leurs goüts, sans pitié pour les nótres, Voila les médecins. Coïteer, revenant. Oui, sire, eux et bien d'autres, Dont Votre Majesté cependant fait grand cas, Qui prêchent 1'abstinence et ne 1'observent pas. Louis. Va, railleur! 1 Mts Ecossais, c.-a-d. ma garde écossaise. 5* 68 louis xi. SCÈNE LX. — Les précédents, excepté COITIER et OLIVIER LE DAIM, MARDÜ entre vers le milieu de la scène. Louis, s'approchant de Commine. Eb. bien donc, ce comte? Commine. Incorruptible. Louis. Erreur! Commine. J'affirme ... Louis. Eh non! Commine. Sire .. . Louis. C'est impossible. Commine. II repoussait vos dons. Louis. Refus intéressés. Commine. Pour qu'il les acceptat, que faire? Louis. Offrir assez. Je traiterai moi-même, et serai plus habile. Qu'il vienne. Commine. Croyez-moi, le voir est inutile. Ne le recevez pas, sire. acte, ii, scène x. 69 Loms. J'aurais grand tort: Vrai Dieu! mon bon parent me croirait déja mort. Allez chercher le comte. SCÈNE X. — Les précédents, excepté COMMINE. Louis. Ah! te voila, Marie? As-tu fait dans les champs une moisson neurie ? Marie. J'en puis prendre a témoin les buissons d'alentour; S'il y reste une fleur!... Louis. . J'attendais ton retour; Parle-moi du saint homme: a-t-il en ta présence De quelque moribond ranimé rexistehce? Quel miracle as-tu vu? Marie. Pas un, sire. Louis. On m'a dit Qu'il voulait pour moi seul réserver son crédit.1 En fait de guérisons, qu'il n'en demande qu'une: La mienne: Dieu ni roi ne veut qu'on 1'importune. Mais va, ma belle enfant, offrir un nouveau don A la Vierge des Bois dont tu portes le nom; Je te joindrai bientót dans son humble chapelle. Marie. Je pars, sire. Louis, lui donnant une chaine d'or. Ah! tiens, prends; c'est mon présent. 1 Crédit, influence, puissance. 70 louis xi. Marie. Pour elle? Louis. Pour toi. Marie. Grand merci! (Nemours entre avec le Dauphin, Commine, Toison-d' Or 1 et sa suite.) Marie, apercevant Nemours. Ciel! Louis, qui l'óbserve.) Qu'a-t-elle donc? (A Marie.) Sortez. Sur vos gardes, Tristan; messieurs, a mes cótés. (H va s'asseoir.) SCÈNE XI. — LOUIS, LE DAUPHIN, NEMOURS, COMMINE, TOISON-D'OR, Chevaliers francais et bourguignons. Nemours, sur le devant de la scène. Je sens mon corps trembler d'une horreur conxulsive; C'est lui, c'est lui, mon père! et Dieu souffre qu'il vive! Louis, après avoir parcouru les lettres de créance que le héraut lui présente d genoux. Largesse8 a Toison-d'Or!... Interdit devant nous, Vous paraissez troublé, comte, rassurez-vous. 1 Toison-d'or, nom du héraut. . >-..».._'. » Largesse, distribution d'argent ou d'autre chose (autrefois largesse ou pièces de largesse se disait pour les pièces dor et dargent que les hérauts jetaient parmi le peuple au sacre des rois et aux autres cérémonies). Ici: un cadeau pour le héraut. ACTE LT, SCÈNE XI. 71 Nemours. On palit de colère aussi bien que de crainte; Et tels sont les griefs dont je viens porter plainte, Sire, que sur mon front, oü tous voyez 1'effroi, La fureur qui m'agite a passé malgré moi. Louis. Ces griefs, quels sont-ils. Nemours. Yous allez les connaltre: Pour trés puissant seigneur le duc Charles, mon maitre, Premier pair 1 du royaume, et prince souverain... Louis. Je connais les Etats dont je suis suzerain; Comte, passons aux faits. Nemours. A vous donc, roi de France, Son frère par le sang, comme par 1'alliance, Moi, venu par son ordre et parlant en son nom, J'expose ici les faits ^pour en avoir raison. Je me plains qu'au mépris de la foi mutuelle, Vous avez des cantons embrassé la querelle. * Prêtant aide et secours a leurs déloyautés, Vous les protégez, sire; et quand ces révoltés Nous jettent fièrement le gage des batailles, * Vous recevez leurs chefs, présents dans ces murailles. Louis, vivement. Je ne les ai pas vus, et ne les verrai pas. Poursuivez. 1 Pair, qui veut dire: égal, semblable, désignait dans le système féodal les principaux vassaux d'un seigneur, qui avaient entre eux également droit de juger avec lni. et plug tard: chacun des grands vassaux du roi. * Inversion pour: Yous avez embrassé la querelle des cantons (c.-a-d. vous avez pris parti pour les cantons helvétiquea, leg Suisses). 3 Gage des batailles ou du combat se disait autrefois pour 1'engagement de combattre manifesté par 1'offre d'un gant pour gage, et contracté quand 1'ennemi, en ramassant le gage, avait accepté le défl (veetepand). 72 louis xi. Nemours. Je me plains que Chabanne 1 et Brancas,2 Comme a la paix jurée, a rhonneur infidèles, Ont la lance a la main surpris nos citadelles, Et malgré les serments que Louis de Valois, Que le roi trés chrétien a prêtés sur la croix, Ont, en laches qu'ils sont, par force et félonie,3 Fait prévaloir des droits qu'un traité lui dénie. Louis. S'ils 1'ont fait, que le tort leur en soit imputé; Bs ont agi tous deux contre ma volonté. Nemours. J^en demande une preuve. Louis. Et vous 1'aurez. Nemours. Mais prompte, Mais décisive. Louis. Enfin? Nemours. Leur chatiment. 1 Antoine de Chabanne», comte de Dammartin, après avoir combattu d'abord aux cótés de Jeanne d'Arc, s'attacha plus tard au service de Oharles VII et lui rendit un important service en lui révélant une conjuration du dauphin (depuis Louis XI). A Tavènement de celui-ci il fut enfermé a la Bastille, mais il s'échappa de sa prison, rentra en grace auprès du roi et devint même son intime confident. . . . 4 Brancas, un des membres de la familie Brancacci, origmaire du royaume de Naples et qui s'est établie en France au XIVe siècle. Le gentilhomme dont il s'agit ici s'est signalé comme un des chefs de la Ligue du bien public. 8 Félonie, infldélité a sa parole, trahison (formé de félon, homme déloyal, trattre). acte ii, scène xi. 73 Louis. Vous, comte! Quels que soient vos pouvoirs, c'est par trop exiger: Car je dois les entendre avant de les juger. Nemours, avec emportement. Eh! sire, dans vos mains la hache toujours prête A frappé pour bien moins une plus noble tête. Louis, se levant. Laquelle ? Nemours. Dieu le sait; quand il vous jugera, Dieu, qui condamne aussi, vous la présentera. Louis. La votre est dans mes mains. Nemours. Et vous la prendrez, sire; Mais écoutez d'abord ce qui me reste a dire. Commine. Comte!... Louis, qui se rassied. Le Téméraire est bien représenté: Jamais ce nom par lui ne fut mieux mérité; Convenez-en, messieurs! (A Nemours.) Mais achevez. Nemours. Je 1'ose, Quoi qu'il puisse advenir pour mes jours ou ma cause. Soyez donc attentif, vous, leur maltre après Dieu; Vous, féaux1 chevaliers; vous, seigneurs de haut lieu, Dont jamais 1'écusson, terni par une injure, 1 Féirf ou féel, ancienne forme du mot fidéle, usité dans les lettres royales: ,,a nos amés et féaux sujets." 74 louis xi. Lui vint-elle du roi, n'en garda la souillure. Charles, sur les griefs dont eet écrit fait foi, Attend et veut justice, ou déclare par moi Qu'au nom du bien public et de la France entière, Des lions de Bourgogne il reprend la bannière. Pour tout duché, comté, fief ou droit féodal, Qu'il tient de la couronne a titre de vassal, De 1'hommage envers vous lui-même il se relève,1 Et sa foi qu'il renie, il la rompt par le glaive. B s'érige en vengeur du présent, du passé, Du sang des nobles pairs traitreusement versé: Devant Dieu contre vous et vos arrêts injustes Se fait le champion de leurs ombres augustes, Les évoque a son aide; et comme chevalier, Comme pair, comme prince, en combat singulier, Au jugement du ciel pour ses droits se confie: (Jetant son gant.) Sur quoi, voici son gage, et ce gant vous défie! Qui le relève? Le Dauphin, qui s'élance et le ramasse. Moi, pour Valois et les lis! Tous les chevallees. Moi, moi, sire! Louis, qui s'est levé. Vous tous! lui le premier, mon fils! Mon fils, si jeune encore, et son bras les devance! Bien, Charles!... Paque-Dieu!' c'est un enfant de France! Le Dauphin, attendri. Mon père!... Louis, froidement. Assez! assez! (Au héraut.) 1 Se relever de, s'affranchir de, se soustraire de (hommage, leenhulde). 2 Pdque-Dieu, ancien jurement, familier a Louis XI, comme ventre-saint-gris a Henri IV. acte ii, scène xii. 75 Prends ce gant, Toison-d'Or; (Montrant le Dauphin.) Froissé par cette main, il est plus noble encor. (A Nemours.) Yous a qui je le rends, bénissez ma clémence: Si je ne pardonnais un acte de démence, Quand ce gage en tombant m'insultait aujourd'hui, Yotre tête a mes pieds füt tombée avec lui. J'estime la valeur, et j'excuse 1'audace. (Aux chevaliers.) Que nul de vous, messieurs, ne soit juste a ma place! C'est le roi qu'on outrage, et je laisse a juger Si je me venge en roi de qui m'ose outrager. (A Nemours.) Je garde eet écrit; nous le lirons ensemble, Comte; ce jour permet qu'un lieu saint nous rassemble; Nous nous y reverrons en amis, en chrétiens, Et j'oublierai vos torts pour m'occuper des miens. Nemours, en sortant. J'ai fait mon devoir, sire, et j'aurai le courage, Füt-ce au prix de mes jours, d'achever mon ouvrage. Louis, qui fait signe d tout le monde de se retirer ét d Tristan d'attendre au fond. Commine, demeurez! SCÈNE XII. — LOUIS, COMMINE, TRISTAN, au fond. Commine. Que ne m'avez-vous cru, Sire! devant vos yeux il n'aurait point paru. Louis. Je ne hais pas les gens que la colère enflamme: On sait mieux et plus tót tout ce qu'ils ont dans 1'ame. II faut rassurer Charle en signant ce traité; J'entrevois qu'il se perd par sa témérité. 76 louis xi. Son digne lieutenant, Campo-Basso,1 qu'il aime, Se vendrait au besoin et le vendrait lui-même: Pour trahir a propos il n'a pas son égal. L'orgueil de mon cousin doit le mener a mal; Et si, comme a Morat,2 le ciel veut qu'il 1'expie L'arrêter en chemin serait une oeuvre impie. * (Après une pause.) Mais mon fils ... Commine. Que d'espoir dans sa jeune valeur! Digne appui de son père, avec quelle etaleur B s'armait pour venger une cause si belle! Louis. B serait dangereux, s'il devenait rebeUe. Commine. Quoi, sire... Louis. Je m'entends, et, par moi-même enfin, Je sais contre son roi ce que peut un dauphin. Mais, dites-moi, ce comte, il connait votre fille ? Commine, étonné. Lui? Louis, vivement. Bépondez. Commine, avec embarras. J'ai su qu'admis dans ma familie ... J'étais en France. 1 Campo-Basso, (le comte de) entra d'abord au service de Charles le Témeraire, mais se sépara plus tard de ce prince. Au siège de Nancy (1477) il passa a 1'ennemi et contribua ainsi a la victoire remportée par les Lorrains sur son ancien maïtre, qui y perdit la vie (v. Acte 111, sc. II). 2 Morat (Murten), viüe de Suisse dans le canton de Fribourg; les Suisses y remportèrent en 1476 une victoire sur Charles le Téméraire. 3 Impie, contraire de pieux. acte ii, SCÈNE xiii. . 77 Louis. Après ? Commine. J'ai su confusément Qu'il la vit. Louis. Qu'il 1'aima? parlez-moi franchement. Commine. Le comte a sa beauté ne fut pas insensible. Louis. D 1'aime, et vous croyez qu'il est incorruptible! ... Renfermez-vous chez moi; sur ma table en partant J'ai préparé pour vous un travail important. Commine. Ne vous suivrai-je pas? Louis. Non: montrez-moi du zèle, Mais ici même; allez! (Pendant que Commine s'éloigne.) J'en saurai plus par elle. SCÈNE XIII. — LOUIS, TRISTAN. Louis. Viens! Tristan. Me voici! Louis. Plus prés. Tristan. La, sire? Louis. Encore un pas. 78 louis xi. Tbistan. J'écouterai des yeux, vous pouvez parler bas. Louis. Eh bien! de ce vassal j'ai pardonné 1'outrage. Tbistan. Vous 1'avez dit. Louis. C'est vrai. Tristan. J'en conclus que c'est sage. Louis. Je traite avec lui. Tbistan. Vous! Louis. Ce mot te surprend? Tristan. Non: Quoi que fasse mon maitre, il a toujours raison. Louis. Pourtant, a mon cousin si 1'avenir réserve Un revers décisif... que le ciel 1'en préserve! Tristan. Moi, le vceu que je fais, c'est qu'il n'y manque rien. Louis. Tu n'es pas bon, Tristan: ton vceu n'est pas chrétien. Mais, si Dieu 1'accomplit, tout cbange alors. Tristan. Sans doute. Louis. Laisser aux mains du comte un traité qui me coüte, Est-ce prudent? acte ii, scène xiii. 79 Teistan. Tous deux sont a votre merci. Louis. Respect au droit des gens! Non pas; non, rien ici. Teistan. Comment anéantir un acte qu'il emporte? Louis. Je lui donne au départ une briUante escorte. Teistan. Pour lui faire honneur? Louis. Oui, moi, son hóte et seigneur, Comme tu dis, Tristan, je veux lui faire honneur. Teistan. Qui doit la commander? Louis. Toi, jusqu'a la frontière. Teistan. Ah! moi. Louis. Compose-la. Teistan. Comment? Louis. A ta manière. . Teistan. D'hommes que je connais? Louis. D'accord. Teistan. Intelligents ? 80 louis xi. Louis. D'hommes a toi. Teistan. Nombreux ? Louis. Plus nombreux que ses gens: Pour lui faire honneur. Teistan. Certe. Louis. Et qui sait?... Mais écoute: C'est 1'Angelus?-1 Teistan. Oui, sire. (Louis retire son chapeau pour faire une prière, et Tristan l'imite.) Louis, se rapproehant de Tristan après avoir prié. Et qui sait ? sur la route... II est fier. Teistan. Arrogant. Louis. Dans un bois écarté, Par les siens ou par lui tu peux ètre insulté. Teistan. Je le suis. Louis. Défends-toi. Teistan. Comptez sur moi. 1 Angelus (du latin angelus, ange), prière latine commencant par ee mot et qui se fait le matin, a midi et le soir; se dit aussi pour. le son de la cloche qui annonce cette prière (c'est Louis XI qui a introduit 1'usage de faire sonner 1'Angélus). acte m, scène I. 81 Louis. J'y compte. Tu reprends le traité. Teistan. C'est fait. Louis. Bien! Teistan. Mais le comte ? ... Louis. Tu ne me comprends pas. Teistan. B faut donc ... Louis. Tu souris; Adieu, compère, adieu, tu comprends. Teistan. J'ai compris. ACTE TROISIÈME. SCÈNE I. Une forêt: la chapeUe de Notre-Dame-des-Bois, dont le portaïl rustique s''avance, éïevé de quelques degrés; de l'autre, un banc au pied d'un arbre. Au lever du rideau, le tableau animé d'une fête de vülage: on danse en rond sur le devant de la scène. Led. Clans. N°. 89. 6 82 louis xi. MARCEL, RICHARD, DIDIER, MARTHE, Paysans, Soldats, Marchands. Marcel, chantant.1 Quel plaisir!... Jusqu'a demain Sautons au bruit du tambourin; Pour étourdir le cbagrin, Fillettes,Musettes,aRépétez mon refrain! A la galté ce beau jour nous convie; L'esprit libre et le cceur content, Demandons tous bonheur et longue vie Pour le roi que nous aimons tant. . . Marthe, qui s'approche de Marcel. Va-t-il mieux? Marcel. Je le crois, mais qui le sait? personne. Marthe. Qu'un roi traine longtemps, Marcel! 1 La chanson suivante est une imitation d'une chanson de Béranger, intitulée Louis XI, et dont nous reproduisons ici le premier couplet: Heureux villageois, dansons: Sautez, flllettes Et garcons! Unissez vos joyeux sons, Musettes Et chansons! Notre vieux roi, caché dans ces tourelles, Louis, dont nous parions tout bas, Veut essayer, au temps des fleurs nouvelles, S'il peut sourire a nos ébats. Les 6 premiers vers forment le refrain qui se répète dans chacun des couplets suivants. Béranger ajoute a cette chanson la note suivante: „On sait que ce roi, retiré au Plessis-lez-Tours avec Tristan, confldent et exécuteur de ses cruautés, voulait voir quelquefois les paysans danser devant les fenêtres de son chateau. 1 Musette, mot poétique pour eornemuse, doedelzak. acte Ut, scène i. 83 Marcel. La place est bonne; On y tient tant qu'on peut. RlCHARD. La santé vaut de 1'or, Et Ia sienne, dit-on, coüte cher au trésor. DlDIER. Témoin les collecteurs1 dont nous sommes la proie. Marcel. Oui; des impóts sur tout, même sur notre joie! J'aime a me divertir; mais doit-on m'y forcer? Marthe. Quand on danse pour soi, c'est plaisir de danser; Mais pour au trui! Didler. Par ordre! RlCHARD. Et quand la peur vous glacé, La corvée2 est moins rude. Marcel. On peut venir: en place! Quel plaisir!... Jusqu'a demain Sautons au bruit du tambourin; Pour étourdir le chagrin, Fillettes, Musettes, Répétez mon refrain! Lorsqu'a bien rire ici 1'on nous invite, Que nos seigneurs sont indulgents! Chantons en chceur ce bon Tristan 1'Ermite, Qui fait danser les pauvres gens. 1 Collecteur, celui qui autrefois percevait les impóts. 1 Oorvie, travail gratuit dü par le paysan a son seigneur (neerendienst). 6* 84 louis xi. Didler, d Marcel. Voici des Ecossais! Un Marchand. Mon bon seigneur, de grace, Payez. Marcel. Sur quelque objet un d'eux a fait main basse.1 Premier Ecossais, au marchand. Non, de par saint Dunstan!a Le Marchand. Le quart! L'Ecossais. Pas un denier. Si je payais un juif, que dirait 1'aumónier?* Hors d'ici, mécréant! Deuxieme Ecossais, d Marthe. Un mot, la belle fille! Marcel. Mais, c'est ma femme! L'Ecossais. Eh bien, je suis de la familie, Et je 1'embrasserai. Marcel, ótant son chapeau. C'est grand honneur pour moi. Deuxlbme Ecossais. Tu dois sur sa beauté la dime* aux gens du roi; Je la prends: des demain, nous te rendrons visite, (Hs s'éloignent.) 1 Faire main basse sur, prendre possession, se saisir de q. ch. ' Saint Dunstan, prélat anglais, archevéque de Cantorbery; il mourut le 19 mai 988, jour auquel 1'Eglise célèbre sa fête. * Aumónier, prêtre attaché a un établissement, a un corps, a un prince (aalmoezenier). 4 Dime (du latin decima, dixième partié), dixième partie des récoltes qu'on payait a VEglise ou aux seigneurs. ACTE m, scène II. 85 Marcel. Puissent-ils m'épargner leur présence maudite ! Marthe, s'essuyant la joue. Bien n'est sacré pour eux. Didler. Bs nous font plus de mal Que le vent, que la grêle et le gibier royal. RlCHARD. Travaillez donc! rentrez vos récoltes nou velles, Pour que, fondant sur vous de leurs nids d'hirondelles,1 Bs viennent, par volée, apporter la terreur, La bonte et la disette oü s'abat leur 'fureur. Marthe. Bs ont du pauvre Hu bert séduit la fiancée. RlCHARD. De mon unique enfant la vie est menacée. Didler. Quand les verrons-nous donc mourir jusqu'au dernier, Eux, et quelqu'un encor? Marcel. Chut! messire Olivier! En place: le voici! Quel plaisir!... Jusqu'a demain Sautons au bruit du tambourin! Pour étourdir le chagrin, Fillettes, Musettes, Répétez mon refrain! SCÈNE H. — Les précedents, OLIVTER. Olivier. Bien! mes amis, courage! C'est signe de bonheur quand on chante au viUage. 1 Nids d'hirondelles, les chateaux des brigands féodaux (roofridders) perchés sur des rochers. 86 lotus xi. Marcel. Vous voyez, monseigneur, si nous sommes joyeux. Olivier. Je venais ici même en juger par mes yeux. J'aime le peuple, moi. Marcel. Grand merci! Olivier. Je 1'estime. Marcel, bas a Marthe. II en était.1 Marthe. Tais-toi. Olivier. Que la fête s'anime: Allons! riez, dansez! le roi le veut ainsi; JJL fait de vos plaisirs son unique souci. Marthe. Au frais, sous la feuillée, on s'est mis en cadence; Nous n'avions garde au moins de manquer a la danse, Vu que le grand prévót nous a fait avertir D'avoir, midi sonnant, a nous bien divertir. RlCHARD. Et sous peine sévère! Marcel. II n'admet pas d'excuse, Le bon seigneur Tristan, quand il veut qu'on s'amuse. Aussi vous concevez qu'on est venu galment, Et nous nous amusons de premier mouvement.8 Olivier. C'est bien fait. 1 H en Était, c.-a-d. du peuple, allusion a la basse extraction d'Olivier (v. Notice VII). 2 De premier mouvement, de notre propre mouvement, spontanement. acte ilt, scène ii. 87 Marthe. De tout cceur. Olivier. Je vous en félicite. II se peut que le roi de ce beau jour pronte. Didier. Le roi! Omveer. Qu'il vienne ici. Marcel. Parmi nous? Olivler. Qu'as-tu donc? Le roi! Oui, vraiment. Marcel. C'est la joie et... le saisissement. Olivier. Que direz-vous a eet excellent maitre ? Vous allez lui parler, mais sans le reconnaitre. Marcel. Je ne 1'ai jamais vu qu'a travers les barreaux, Un soir que nous dansions la-bas, sous les créneaux.1 Quand je dis: je 1'ai vu, j'explique mal la chose: J'ai voulu regarder; mais un roi vous impose. Olivier. Avais-tu peur? Marcel. Moi, peur! non; mais, en y pensant, J'avais comme un respect qui me glacait le sang. Richard, tu vas parler. 1 Créneaux, V. p. 19. 88 Louis xi. Richaed, d Didier. Toi! Marthe! J'en fais mon affaire; Moi, si 1'on veut. Olivier. Yous tous. II faudra le distraire, Lui réjouir le cceur par quelque vieux refrain, Par quelque bon propos. Marcel. II a donc du chagrin? Olivier. Non pas! lui répéter qu'il se porte a merveille. Marthe. II va donc mal? Olivler. Eh non! lui conter a 1'oreille Tout ce que vous pensez. Marcel. Comment, tout? Olivier. Pourquoi non? Marcel. Bien! moi je me plaindrai des gens de sa maison. Marthe. Moi, de ses Ecossais, Didler. Moi, de la vénerie.1 1 Vénerie, jacht, jagerij (comp. les mots venaison, wildbraad; grand veneur, opperjagermeester). acte iii, scène ii. 89 RlCHARD. Moi, de la taille.1 Un Patsan. Et moi... Cutter. Halte-la, je vous prie: D'oü vous~ vient cette audace ? Marthe. Excusez, monseigneur, Nous pensons... Olivier. Vous pensez qu'il fait votre bonheur. Marcel. C'est vrai. Olivier. Que vous 1'aimez. Marcel. C'est juste. Olivier. Comme un père. Marcel. Sans doute. Olivier. II m'est prouvé par eet aveu sincère Que vous pensez ainsi? Marcel. D'accord. Marthe. Pas autrement. 1 Taille, sous 1'ancienne monarchie, impót sur les revenus ou sur les propriétés; le mot taille vient de 1'usage qu'avaient les anciens collecteurs de marquer sur une petite taille de bois (kerfstok) ce que les contribuables avaient payé. 90 louis xi. Olivler. Eh bien! dites-le donc, et parlez franchement. Marcel. Sans détour. Olivler. Le voila qui sort de 1'ermitage. Marcel. Ah! ce vieillard si pale! Olivier. II a tres bon visage. Marcel. Oui, monseigneur. Olivier. Chantez! Marcel, d'une voix éteinte. Quel plaisir!... Jusqu'a demain... Sautons... Olivier, avec colère. Ferme! soutiens ta voix De la gaité, morbleu!... Chantez tous a la fois. Marcel et le Chojur. Quel plaisir!... Jusqu'a demain Sautons au bruit du tambourin! Pour étourdir le chagrin, Fillettes, Musettes, Répétez mon refrain! acte lu, scène iii. 91 SCÈNE in. — Ler Précédents, LOUIS, Quelques Ècossais, qui restent dans le fond. (Tristan est dans le fond, et semble veüler sur le roi.) Louis, qui arrivé d pas lents, et tombe épuisé sur le banc. Le soleil m'eblouit, et sa cbaleur m'oppresse: L'air était moins pesant, plus pur dans ma jeunesse; Les climats ont changé. Olivier, lui montrant les paysans. Mélez-vous a leurs jeux: Vous êtes inconnu; parlez-leur. Louis. Tu le veux? Olivter, aux paysans, Ce seigneur de la cour a deux mots a vous dire: Venez. (Les paysans se rapprochent du roi.) Louis, d Marthe. Vous, la fermière. Marthe. A vos ordres, messire. Louis. Comment faites-vous donc pour vous porter si bien? Marthe. Comment? Louis. Dites-le-moi. Marthe. Pour cela fait-on rien? On y perdrait son temps; aussi, mauvaise ou bonne. Nous .prenons la santé comme Dieu nous la donne. 92 louis xi. C'est chose naturelle, et qui vient, que je crois, Ni plus ni moins que rherbe et le gland dans les bois. Pour m'en troubler la tête ai-je un instant de reste? Que nenni!1 le coq cbante, et chacun, d'un pas leste, Court s'acquitter des soins qu'exige la saison: Le mari fait ses blés; la femme, a la maison, Gouverne de son mieux la grange et le ménage. L'appétit, qui s'éveille et qu'on gagne a 1'ouvrage, Cbange en morceau de roi le mets le plus frugal. Jamais un lit n'est dur quand on fut matinal; Le somme commencé, jusqu'au jour on 1'achève: Qui n'a pas fait de mal n'a pas de mauvais rêve. Puis revient le dimanche, et pour se ranimer, On a par-ci par-la quelque saint a cbómer. * Travail, bon appétit, et bonne conscience, Sommeil a 1'avenant,8 voila notre science Pour avoir 1'ame en paix et le corps en santé; L'année arrivé au bout, et 1'on s'est bien porté. Louis. Quoi! jamais de chagrin? Marcel. Dame! la vie humaine N'a qu'un beau jour sur trois, c'est comme la semaine: La pluie et le beau temps, la peine et le plaisir; C'est a prendre ou laisser; on ne peut pas choisir. Louis. Pour vous est le plaisir, pour nous la peine. Marthe. A d'autres!4 Pensez a nos soucis, vous oublierez les vótres. 1 Nenni (pron. na-ni), familièrement pour: non. 2 Chómer, comme verbe neutre: ne rien faire faute d'ouvrage ; de la, comme verbe actif: chdmer un saint, célébrer la fête d'un saint en ne travaillant pas. 3 A Vavenant, a proportion, de même. * A d'autres, expression elliptique qui veut dire: contez cela a d'autres personnes plus ciédules que moi. acte iii, scène iii. 93 Quand le pain se vend cher, vous vous en troublez peu; Tout en filant mon lin, j'y rêve au coin du feu. Poürtant je chante encor: bonne humeur vaut richesse, Et qui souffre galment a de moins la tristesse.1 Quel que soit notre lot, * nous nous en plaignons tous; Mais le plus mécontent fait encor des jaloux. D. n'est pauvre ici-bas qu'un plus pauvre n'envie; Et quand j'ai par malheur des chagrins dans ma vie, Le sort d'un moins heureux me console du mien: J'en vois qui sont si mal, que je me trouve bien. Marcel. Maillard, notre cousin, doit un an sur sa ferme. Donc, je bénis le ciel, moi qui ne dois qu'un terme. Louis, d Olivier. Ces misérables-la font du bonheur de tout! Olivler, au roi. Bonheur qui sent le peuple. Marthe. B est de notre goüt. Qui nous dit qu'un plus grand nous plaira.it davantage? Olivier, qui fait signe d Marthe. Mais chacun, dans ce monde, a ses maux en partage; Vous aussi. Louis. Bépondez: N'avez-vous pas vos maux, Partant3 des médecins? Marcel. Oui-da! pour nos troupeaux; Mais pour nous, que non pas! 1 De moins exprime la diminution; 1'idée est donc: celui qui souffre gatment a eet avantage sur les autres qui souffrent, qu'il n'a pas la tristesse. * Lot, proprement: partie (un lot de marchandises), portion; au flg.: destinée, sort. ' Partant, v. p. 65. 94 louis xi. Louis. La raison? Marcel. Elle est claire; Tls prennent votre argent souvent sans vous rien faire. Leur bailler1 mes écus, pas si simple! il vaut mieux Acheter au voisin un quartaut2 de vin vieux, Et pour m'administrer ce remède, que j'aime, N'avoir de médecin que le chantre et moi-même: Vu qu'on paie a grands frais tous ces donneurs d'espoir, On croit en revenir,'et puis crac! un beau soir Plus personne! Louis. Je souffre. Marcel. Au jour de 1'échéance Force est bien, malgré soi, d'aequitter sa créance.' Quel bomme avec la mort a gagné son proces? Louis, se levant. Tu ne la crains donc pas, la mort? Marcel. Si j'y pensais, J'aurais peur comme un autre, encor plus, j'imagine; Mais pourquoi donc penser a ce qui vous chagrine? Pour peu que le curé nous en parle au sermon, Moi, je pense vignoble et je rêve moisson; Ou je me dis tout bas ceci, qui me console: Notre petit Marcel est beau, que j'en raffole. Tous les ans il grandit: moi, mon temps, lui, le sien. Amassons pour qu'un jour il ne manque de rien; 1 Bailler, vieux verbe pour: donner. Bailler a ferme, par contrat (comp. un bail = huurceel; vous me le baillez belle, je speldt me wat op den mouw). 3 Quartaut, quatrième partie d'un muid (V4 okshoofd). 3 Acquitter sa créance, payer sa dette (force est de, on est obligé de, il faut). acte in, scène ilt. 95 Que 1'enfant nous regrette. Aussi bien, quoi qu'on fasse, II faut que tót ou tard votre fils vous remplace. Louis. Mais le plus tard possible. Marcel. Ah! c'est mieux. Olivier. Ignorant! Marcel. J'ai tort. Olivler. Des médecins le savoir est si grand! Marcel. Je parle du barbier de notre voisinage, Et 1'on sait ce que c'est qu'un barbier de village. Louis, qui frappe sur l'èpaule d'Olivier en riant. Par Dieu! voici quelqu'un qui le sait mieux que toi,1 Tout ministre qu'il est. Olivler, d Marcel. Pourquoi ris-tu? Marcel. Qui, moi? Ce seigneur dit un mot qui me semble agréable: J'en ris. Louis. Vous 1'appelez maltre Olivier le Diable; Conviens-èn. Marcel, vivement. Non. Louis. Si fait. 1 Allusion a 1'origme du favori du roi qui avait été d'abord barbier (v. Notice VIT). 96 louis xi. Marthe, è Marcel. Trop jaser nuit souvent: Bouche close! Louis. Entre amis. Marthe. Qu'on maudisse le vent, Quand il abat les fruits ou découvre la grange; L'orage, quand trop d'eau fait couler la vendange, L'orage ni le vent ne s'en facheront pas; Les grands, c'est autre cbose; on a beau parler bas, Tout ce qu'on dit sur eux leur revient a 1'oreiUe, Et 1'on pleure le jour d'avoir trop ri la veiUe. Olivier, a Marthe. Pourtant si quelqu'un d'eux disait du mal du roi, Vous le dénonceriez? Marcel. C'est bien cbanceux1... Louis. Pourquoi ? Marcel. L'argent qu'on gagne ainsi vous porte préjudice. Oltvter. Réves-tu ? Marcel. Vos moutons meurent par maléflce;a Vos blés sèchent sur pied.3 Tenez, 1'autre matin, Le fermier du couvent dénonca son voisin; 1 Chanceux, peu aur, incertain (c'est tien, chanceux, dat staat nog zeer te bezien). * Maléfice, hekserij, betoovering. 3 Pied, en parlant d'une plante, signifle 1°. la partie qui est le plus prés de la terre (venare une récolte sur pied), 2°. la plante entière (un pied de vigne, wijnstok). Sécher sur pied, op den stengel uitdrogen. acte m, scène III. 97 La grêle a ses vergers fit payer sa sottise, Tout périt, et pourtant c'était du bien d'église. Olivier. Maitre fou! Marcel. Je 1'ai vu: demandez a Eichard. RlCHARD. C'est sür. Louis, sévèrement. Dieu 1'a puni d'avoir parlé trop tard. Marcel. Je vous crois; après tout, Dieu veuille avoir son ame! Que vous sert votre argent, si 1'enfer vous réclame? Aussi mon cceur s'en va quand je vois sur le soir Le convoi d'un défunt, les cierges, le drap noir, Et 1'office des morts'avec les chants funèbres; Je me dis: Les démons sont la, dans les ténèbres lis vont le prendre; et 1'or, qu'il aimait a compter, Des griffes de Satan ne peut le racheter. Louis. Je me sens mal. Olivler, a Marcel. Poltron! Marcel. J'en conviens, je frissonne; Pourtant j'ai bon espoir: je n'ai tué personne. Louis, avec violence. Va-t'en! Marcel. Je 1'ai faché, mais si je sais comment... Olivier. Rustre! 1 1 Rustre, homme grossier, mal élevé (proprement: paysan, campagnard; comp. 1'adject. rustique). heet. Glass. N°. 39. 7 98 Louis xi. Louis, d lui-même. La mort, 1'enfer, un éternel tourment! Notre-Dame d'Embrun,1 soyez-moi secourable! (A Marcel.) (Lui secouant le bras.) Va-t'en . . . Non, viens, réponds: qui t'a dit, misérable, De me parler ainsi? Marcel, tombant d genoux. Personne. Louis. On t'a payé; Qui 1'a fait? Marcel. Si c'est vrai, que je sois foudroyé! Marthe. Allez, méchant propos cbez lui n'est pas malice, C'est candeur.2 Marcel. C'est bêtise; elle me rend justice. Demandez-leur a tous, je suis connu. Louis. J'ai ri; (A Marthe.) Bien te prend d'être un sot. C'est donc la ton maiï? Marthe. Brave homme au demeurant, et que j'aime. Louis. Eh bien! passé: Je lui pardonnerai; mais ne lui fais pas grace; Nomme tes amoureux. 2 Notre-Dame d'Embrun. Embrun, petite ville dans le département des Hautes-Alpes, possède une belle église en style romainet oü 1'on trouve une statue de la Vierge que la singulière dévotion de Louis XI a rendue célèbre. 2 Candeur, pureté d'ame, naïveté. L'adj. est eandide = pur, innocent; il dérive du latin candidus, blanc. De la le mot candidat, paree que celui qui a Rome postulait une place, une fonction, s'habillait de blanc. acte m, scène iii. 99 Marthe. Chez nous rien de pareil! Louis. Avec ces traits piquants, ces yeux, ce teint vermeil! Quoi! pas un? réfléchis, car cela le regarde. Marcel. Marthe, nomme-les tous; je n'y prendrai pas garde. Marthe, en souriant. Je n'en ai qu'un. Louis. Et c'est? Marthe. Vous. Louis, la prenant d bras-le-corps. Vraiment! Marthe. Finissez. Louis. Que crains-tu d'un vieiUard? Marthe. Pas si vieux! Louis. Mais assez Pour se fier a lui. Marthe. Je ne m'y fierais guère; Vous avez 1'ceil rif. Olivler, bas d Marthe. Bien! Marthe. L'air d'un joyeux compère. 7* 100 louis xi. Louis. Oui-da ?1 Marthe. Fille avec vous pourrait courir gros jeu. Olivier, de même d Marthe. A merveille. Louis. Tu crois? Marthe. Et si je forme un vceu, C'est que, vous ressemblant d'humeur et de visage, Le roi qui se fait vieux porte aussi bien son age. Louis. D'oü vient? . . . Marthe. Nous et nos fils nous aurions du bon temps; Car vous êtes robuste, et vous vivrez cent ans. Louis. Cent ans! Tu 1'aimes donc, le roi! Marthe, d qui Olivier glisse dans la main une bourse qu'dle montre par derrière aux autres paysans. Quelle demande! Ne 1'aimons-nous pas tous? Les Paysans. Oui, tous; Marthe. La France est grande, Et chacun, comme nous, y bénit sa bonté. Louis, attendri. Tu 1'entends? 1 Oui-da, vraiment. acte iii, scène iii. 101 Olivier. Et par eux vous n'êtes pas flatté! Louis, a Marthe. Paque-Dieu!1 mon enfant, c'est le roi qui t'embrasse! Marthe. Le roi! Les. Païsans. Vive le roi! Marcel. Lui, son fils et sa race, A toute eter ni té! Louis. Braves gens que voila! Leurs voeux me vont au coeur. Olivier. C'est qu'ils partent de la. Louis. Pour la France et pour moi, je vous en remercie. (A Marthe.) Ah! je vivrai cent ans! Eh bien! ta prophétie Te vaudra des joyaux: prends ceci, prends encor. (Aux paysans.) AUez vous réjouir avec ces écus d'or! Buvez a mes cent ans. Marcel. Et plutót dix fois qu'une. Je veux a tous venants montrer notre fortune, La compter devant eux. Marthe. Et je leur dirai, moi, Que j'ai recu de plus deux gros baisers du roi. 1 Pdgue- Vieu, v. p. 74. 102 louis ii. SCÈNE IV. — LOUIS, OLIVIER. Louis, avec émotion. R est doux d'être aimé! Olivler. C'est vrai. Louis. Je suis robuste. Olivier. Et ces femmes du peuple ont souvent prédit juste. , Louis. Tu ris. Olivier. Non pas. Louis. Cent ans! m'en natter, j'aurais tort! Pourtant mon astrologue avec elle est d'accord. Olivier. Se peut-il? Louis. Chose étrange! Olivler. Et pour moi décisive; De plus, c'est au moment oü le saint homme arrivé. Louis. Comme envoyé du ciel! Olivier. Sire, je la croirais. Louis. Oh! non... mais c'est possible, a cinq ou six ans pres, Et, fussé-je un cadavre usé par la souffrance, acte iii, scène iv. 103 Vivant, je voudrais voir ces tyrans de la France, Ces vassaux souverains, réduits a leurs fleurons 1 De ducs sans apanage2 et d'impuissants barons, N'offrir de leur grandeur que le noble fantöme; Je voudrais voir leurs fiefs, * démembrés du royaume,1 S'y joindre, et ne former sous une même loi Qu'un corps oü tout füt peuple, oui, tout... excepté moi. Olivieb. Plüt au ciel! Louis. Mon cousin m'a fait plus d'une injure; Qu'un bon cercueil de plomb m'en réponde, et je jure Que les ducs bourguignons, mes sujets bien-aimés, Seront dans son linceul pour jamais renfermés, Ft qu'avec eux jamais mon royal héritage N'aura maille a partir5 pour la foi ni 1'hommage. Mais il vit; parions bas. Ce comte de Réthel, Cet homme incorruptible, ou qu'on a jugé tel, On 1'entoure, on 1'amuse, il n'a pas vu Marie. Olivieb, lui montrant la chapelle ouverte. Elle est la. Louis. Je la vois. Olivieb. C'est pour vous qu'elle prie. 1 Fleurons, ornements en forme de fleurs a une couronne. Réduits & leur» fleurons, c a d. ayant perdu leurs domaines et leur pouvoir et ne gardant plus que 1'apparence extérieure de leur grandeur d'autrefois. 2 Apanage, v. p. 26. * F\efs, v. p. 24. 4 Démembrés du royaume, ne formant pas un membre de, séparés de. 5 Avoir maille & partir avec quelqu'un. La maille était autrefois une petite monnaie en cuivre d'une trés mince valeur (la moitié d'un denier, qui valait la douzième partie d'un sou); or, quand on avait une „maille a partir" (partir autrefois = partager) on risquait de se prendre de querelle. De la la locution : „avoir maille a partir avec q. n." = se disputer pour peu de chose, avoir un démêle avec q. n. 104 louis xi. 1 Louis. Avec cette ferveur et ce recueillement ? Mon royaume, Olivier, que c'est pour un amant! Olivier. L'enjeu, si je le gagne, est difficile a prendre; Vos ennemis vaincus sont la pour me 1'apprendre. Louis, regardant toujours du cóté de la chapelle. Secret de jeune fille est paribis important; Je connattrai le sien; qu'elle vienne! Olivter, qui fait un pas pour sortir. A 1'instant. Louis. Prends soin que rien ne manque a la cérémonié. Olivler. La cour au monastère est déja réunie Et doit se rendre ici quand Votre Majesté Devant 1'homme de Dieu va jurer le traité. Louis. Je veux qu'il sache bien, pour prolonger ma vie, Que maintenir la paix est ma pieuse envie, Que je commande en maitre a mes ressentiments. Olivler. Les reliques des saints recevront vos sermeuts ? Louis, plus bas. Non, la chasse 1 d'argent suffit sans les reliques. Olivler, J'y pensais. Louis. Ce scrupule, aisément tu 1'expliques; Connaissant mon cousin, j'ai droit de soupconner 1 Chasse, coffre qui contient les reliques d'un saint. acte lil, scène v. 105 Qu'un faux serment de lui pourrait les profaner. (On entend retentir les eris de: Vive le dauphin l) Quel bruit! Olivier. Dans le bameau c'est le dauphin qui passé; Ce peuple qui vois aime ... (Les mêmes cris se répètent.) Louis. Encor! ce bruit me lasse: lis aiment tout le monde; a quoi bon ces transports ? Le dauphin! qu'on attende: il n'est pas roi. Va, sors, D. vient! (Olivier entre dans la chapelle.) SCÈNE V. — LOUIS, LE DAUPHIN. Louis. Qu'avez-vous donc? vous pleurez de tendresse. , Le Dauphin. Pour la première fois je goüte cette ivresse: Qui n'en serait ému? Partout sur mon chemin, Partout les mêmes cris! Louis. Vous partirez demain. Le Dauphin. Sitót! Louis. C'est un poison, prince, que la louange. Un jeune orgueil qu'on flatte aisément prend le change:1 On se croit quelque chose, on n'est rien. 1 Prendre le change, être abusé, trompé. Expression empruntée a la chasse: on dit qne les chiens ,,prennent le change" quand ils quittent la béte lancée i opgejaagd) pour en suivre une autre ; la béte lancée leur donne ainsi le change. 106 louis xi. Le Dauphin. Je le sais. Louis. Beau sujet d'être heureux: des cris quand vous passez! Le peuple, en ramassant un écu qu'on lui jette, Fatigue de ses cris quiconque les achète. Jugez mieux de 1'accueil qu'on vous a fait ici: J'ai parlé, j'ai payé pour qu'il en füt ainsi. Le Dauphin. Quoi, sire! cette joie, eUe était commandée? Louis. Par moi. Le Dauphin. Mon cceur se serre a cette triste idée. Louis. Que la lecon vous serve: afin d'en profiter, Sous les créneaux d'Amboise1 aBez la méditer. Le Dauphin. Qu'ai-je donc fait? Louis. Vous? rien; et qu'oseriez-vous faire? Que pouvez-vous? Le Dauphin. Hélas! pas même vous complaire. C'est mon unique espoir! c'est mon voeu le plus doux: Mais... Louis. Parlez! Le Dauphin. Je ne puis. 1 Amboise, v. p. 31. acte iii, scène v. 107 Louis. Pourquoi trembler? Le Dauphin. Moi? Louis. Vous. Le Dauphin. Du moins, quand d'un vassal 1'envoyé vous offense, Je ne tremble pas. Louis. Non; mais prendre ma défense, La prendre sans mon ordre est aussi m'offenser. Le Dauphin. Dieu! j'ai cru que vos bras s'ouvraient pour me presser, Que j'en allais sentir 1'étreinte paternelle. Louis. Vision! Le Dauphin. Qu'a ce prix la mort m'eüt semblé belle! Si vous m'aimiez... Louis. Ainsi je ne vous aime pas? Le Dauphin. Pardonnez! Louis. Je vous hais ?... Les enfants sont ingrats! Je suis un homme dur? Le Dauphin. Sire!... Louis. Presque barbare? Voila comme on vous parle et comme on vous égare. 108 louis xi. Le Dauphin. Jamais. Louis. En s'y risquant on met sa vie au jeu; On 1'ose cependant. Le Dauphin. Jamais. . Louis. Qui donc? Beaujeu?1 Votre oncle d'Orléans ? * d'autres que je soupconne!... (Avec bonhomie.) Charles, mon fils, sois franc: sans dénoncer personne, Nomme-les-moi tout bas; je ne veux punir, Je veux savoir. Le Dauphin. Mon oncle aime a m'entretenir. Louis. B te dit?... Le Dauphin. Que la France un jour m'aura pour maltre; Que m'en faire chérir est mon devoir. Louis, d part. Le traitre! (Haat.) Et ne vous dit-il pas qu'afifaibli par mes maux, Je dois, oui... qu'avant peu je... s'il le dit, c'est faux... Qu'enfin vous n'avez plus qu'a ceindre un diadème, Qui dans vos jeunes mains va tomber de soi-même? Le Dauphin. Dieu! Louis. C'est faux: mon fardeau me fait-il chanceler? Le poids d'un diadème est löin de m'accabler. 1 Beaujeu, v. p. 28. * Louis iïOrléuns, v. p. 29. acte iii, scène ti. 109 Deux, trois autres encor, devenant ma conquête, Ne m'accableraient pas, et sur ma Tieille tête Accumulés tous trois, lui seraient moins pesants Qu'une toque d'azur pour ce front de seize ans. Le Dauphin. Ah! vrvez; c'est mon tccu quand j'ouTre la paupière: En refermant les yeux, le soir, c'est ma prière; Quand je vois sur tos traits refleurir la santé, Tout bas je bénis Dieu de m'aToir écouté; ViTez: sous Totre loi que la France prospère, Je le demande au ciel; qu'il m'exauce! Ah! mon père, Pour ajouter aux jours qui tous sont réserrés, S'il faut encor les miens, qu'il les prenne, et Trvez! Louis, en retirant sa main que le dauphin veut baiser. Non, non, je serais faible, et je ne Teux pas 1'être. Allez. (Le dauphin, qui fait un pas pour sortir, revient, et baise la main du roi, en la mouiUant de pleurs.) Louis, ému. C'est un bon fils, qui me trompe peut-être. SCÈNE VI. — LOUIS, sur le devant de la scène, LE DAUPHIN, MARLE. Le Dauphin, bas d Marie qui sort de la chapelle. Adieu! pensez a moi! Marie. Vous partez, monseigneur? Le Dauphin. Demain. (II lui baise la main.) Vous Toulez bien, tous ! 110 louis xi. SCÈNE VTI. — LOUIS, MARIE. Louis, tandis que Marie fait un signe de pitié au dauphin qui sort. II est plein d'honneur. Je 1'étais, et pourtant... Marie. Pardon, sire! Louis, ü part. Ah! c'est elle. (Haut.) Approche, mon enfant; comme te voila belle! Marie. Chacun vient en parure a la fête du lieu. Louis. C'est agir saintement que se parer pour Dieu. Marie. Je 1'ai fait. Louis. Pour Dieu seul? Marie. Pour qui donc? Louis. Je 1'ignore. A quelqu'un en seeret tu voudrais plaire encore; Pourquoi pas? Marie. A vous, sire. Louis. A moi! je t'en sais gré; Mais supposons qu'ici^ par ta grace attiré, Quelque autre que ton roi.. . acte m, scène vii. 111 Marie. Comment ? Louis. Je le suppose. Marie. Je ne vous comprends pas. Louis. Non? parions d'autre chose; J'ai tort de supposer. (II s'assied au pied de l'arbre.) Viens t'asseoir pres de moi, La, bien; ne rougis pas: ton malade avec toi, Pour oublier ses maux, sans te facher peut rire, Et tu sais qu'un vieillard a le droit de tout dire. Marie. Un monarque surtout. Louis. On me fait bien méchant: Je suis bon homme au fond; j'eus toujoursdupenchant A prendre le parti des filles de ton age: Aussi plus d'un hymen1 fut mon royal ouvrage. Marie. Vous êtes un grand roi. Louis. Les jeunes mariés Quelquefbis me 1'ont dit, j'en conviens. Marie. Vous riez. Louis. Je songeais a t'offrir 1'appui de la couronne; Nous aurions réussi, mais tu n'aimes personne. Marie. Moi, sire! 1 Hymen, v. p. 26. 112 louis xi. Louis. Je le sais. Marie. Pourtant vous m'accusiez. Louis. Je me trompais. Marie. Enfin, ce que vous supposiez, Qu'est-ce donc? Louis. Sans détour faut-il que je te parle? Je pensais, faussement, qu'a la cour du duc Charle, Ton cceur... a dix-huit ans quoi de plus naturel! S'était laissé* toucher aux vceux d'un damoisel,1 Brave, de haut lignage2 et d'antique noblesse. Oh! j'avais, mon enfant, bien placé ta tendresse! Marie, vivement. Poursuivez. Louis. Ce récit te semble intéressant Marle. Comme un conté. Louis. En effet, c'en est un. Quoique absent, Ton chevalier de loin occupait ta pensée, Et lui, jaloux de voir sa beUe fiancée, En ambassade ... Marie, d part. O ciel! 1 Damoisel, v. p. 38. 1 Lignage, race, familie. ACTE ni, SCÈNE VII. 113 Louis. Arrivé d'aujourd'hui, II venait de mes soins me demander 1'appui Pour conclure ... Marie. Un traité? Louis. Non pas: un mariage. Marie. Et vous ?... Louis. J'y consentais; mais c'est faux; quel dommage! Marie. Quoi! sire, vous savez!... Louis. Moi; rien! Marie. Grand Dieu! comment? Par qui donc? Louis. C'est un conté, et tu n'as point d'amant; Non: parions d'autre chose. Marie. Excusez un mystère Que j'ai dü respecter. Louis. Ah! tu n'es pas sincère, Tu te caches de moi; je m'en vengerai! Marie, effrayée. Vous! Grace! pitié pour lui! je tombe a vos genoux! Qui 1'a trahi? Lett. Glass. N°. 89. 8 114 louis xi. Louis, qui lui prend les mains en riant, tandis qu'elle est a ses pieds. Le traltre est ton père lui-même. Marie. II vous a dit ? ... Louis. Le nom du coupable qui t'aime. Marie. II 1'a nommé? Louis. Mais oui. Marie. Vous épargnez ses jours! Vous pardonnez ... Louis.. Sans doute. Marie, avec un transport de joie. A Nemours! Louis, d part, en se levant. C'est Nemours! Marie. - Que mon père attendri vous jugeait bien d'avance, Lorsque d'un orpbelin il protégea 1'enfance! Louis. Bon Commine! en effet, c'est lui... Marie. Qui 1'a sauvé. En exil par ses soins Nemours fut élevé. Louis. ExceUent homme! acte iii, scène vii. 115 Marie. Alors je 1'aimai comme un frèrej D'un ayenir plus dbux je flattai sa misère. Louis. Et Commine, pour toi, fier d'un tel avenir, Au sang des Armagnacs un jour voulait t'unir; C'était d'un tendre père. Marie. O moment plein de charmes! Je vais donc lui parler, le voir, tarir1 ses larmes, Partager son bonheur! Louis. Tu ne le verras pas. Marie. Pourquoi ? si le hasard portait ici ses pas... Louis. Le hasard? Marie. Eh bien! non; je dois tout vous apprendre: Sur un mot de sa main j'ai promis de 1'attendre. On soupconne aisément quand on n'est pas heureux; Surpris de mon absence et trompé dans ses vceux, Que dira-t-il? Louis. J'y songe, et me fais conscience D'éveiller dans son cceur k moindre défiance; Pauvre Nemours!... Écoute: il se croit inconnu; De le désabuser 1'instant n'est pas venu. Par d'importants motifs, qui nous font violence, Ton père, ainsi que moi, nous gardons le silence: En 1'instruisant trop tót, tu le perds pour jamais. 1 Tarir, mettre a sec, sécher, p. e.: la cbaleur a tari cette source (une source intarissable); par extension : tarir ses larmes, cesser de pleurer. Ce verbe s'emploie aussi souvent au flguré, p. e.: il ne tarit point sur ce sujet = il ne cesse pas d'en parler. 8* 116 louis xi. Marie. Je me tairai. Louis. J'y compte, et tu me le promets Devant la Vierge sainte, objet de tes hommages, Qui bénit sur 1'autel les heureux mariages. Tu m'entends: ne va pas t'oublier un moment, Elle me le dirait. Marie. Non; j'en fais le serment. Louis. (A part.) C'est bien; Dieu 1'a recu. Nemours!... pour qu'il expire, Un mot de moi suffit, un mot... dois-je le dire? J'y vais penser. Tristan! (A Marie.) Je te laisse en ce lieu; (lila baise au front.) Mais la Vierge t'écoute. Adieu, ma fille, adieu! SCÈNE VUL - MARIE. Qu'il m'est doux, ce baiser, gage de sa clémence! Mais, hélas! cette joie inespérée, immense, Qui m'attendrit, m'oppresse et voudrait s'épancher,1 Elle inonde mon cceur, il faut la lui cacher. Je le dois: en parlant je deviens sacrilège. * Sainte mère de Dieu, dont le nom me protégé, O vous, dans mes chagrins mon céleste recours; Dans ma joie, aujourd'hui venez a mon secours; Rendez mes yeux muets et faites violence 1 Sipaneher, communiquer ses pensées, s'ouvrir a q. n. (un homme expansif, mededeelzaam man). ' Sacrilège, profanation d'une chose sacree (heiligschennis); aussi celui qui commet cette action. acte m, scène IX. 117 A 1'aveu qui déja sur mes lèvres s'élance; Prêt a s'en échapper, qu'il meure avec ma voix. Je tremble. je souris et je pleure a la fois. Dieu! que je suis heureuse! il vient. SCÈNE IX. — MARIE, NEMOURS. Makle. Nemours! Nemours. Marie! Je vous retro ave enfin! Marie. Et dans votre patrie, Sous ce beau ciel de France! Nemours. II m'a tant vu souffrir! Marle. Espérez! Nemours. Pres de vous me verra-t-il mourir? Marle. Mourir! ne craignez plus; je sais, j'ai Tassurance Que... Non, jè ne sais rien; cependant 1'espérance, Comme un songe, a mes yeux sourit confusément, Et d'un bonheur prochain j'ai le pressentiment. Nemours. Tendre soeur, pour mes maux toujours compatissante, Mais plus belle! Marie. Est-il vrai ? Nemours. Plus belle encore! 118 louis xi. Marie. Absente, Vous me regrettiez donc, mon noble chevalier? Car vous 1'êtes toujours. Nemours. Qui? moi, vous oublier! Le puis-je ? Marie. Quand mes mains cueillaient dans la rosée L'offrande qu'a 1'autel tantót j'ai déposée, La fleur que feuille a feuille interrogeaient mes doigts M'a dit que vous m'aimiez,1 Nemours, et je la crois. Nemours. Ému par vos discours, je- me comprends a peine: Ce sentiment profond suspend jusqu'a ma haine. . Marle. Pourquoi baïr, Nemours? il est si doux d'aimer! Nemours. Pourquoi, grand Dieu! Marie. Celui que vous allez nommer Peut-être a la pitié n'est pas inaccessible; Demain, des ce jour même... Nemours. . Eh bien ? Marie. Tout est possible; Heureuse, je crois tout. Je ne puis rien prévoir, Rien sentir, rien penser, sans m'enivrer d'espoir; 1 Pour savoir si elles sont aimées les jeunes fllles effeuillent souvent une marguerite; a chaque pétale qu'on enlève, on prononoe alors successivehient les mots: il m'aime,... un peu,... beaucoup,... tendrement,... passionnément,... pas du tout. La dernière des pétales qu'on a enlevée indique ce qu'il faut croire. acte iii, scène ix. 119 Et, soit que Dieu m'éclaire, ou que l'amour m'inspire, Je n'ai que du bonheur, Nemours, a vous prédire. Nemoues. Hélas! Marie. Vous souvient-il, ami, de ce beau jour Oü votre aveu m'apprit que vous m'aimez d'amour? C'était le soir. Nemoues. Au pied d'une croix solitaire. Marie. Mes yeux baissés comptaient les grams de mon rosaire,1 Et j'écoütais pourtant. Nemoues. Sur le bord du chemin, Un vieillard qui pleurait vint nous tendre la main. Marie. H recut notre aumóne, et sa voix attendrie Me dit que... je serais... Nemoues. Ma compagne chérie, Ma femme. Marie. II s'en souvient! Nemoues. Ces biens que j'ai' perdus, J'espérais que, pour vous, ils me seraient rendus. Je reviens; mais 1'exil est toujours mon partage. Des biens, je n'en ai plus, et dans mon héritage, Sous le toit paternel, par la force envahis, Je suis un étranger comme dans mon pays. 1 Rosaire, grand chapelet (rozenkrans) composé de quinze dizaines d'Ave, précédées chacune d'un Pater. Les grains (kralen) enfilés qui forment le rosaire servent a compter le nombre des prières; un plus gros grain marqué les Pater. 120 lotjis xi. Marie. Votre exil peut flair. Nemoues. En traversant la France, Je visitai ces murs, berceau de mon enfance; Morne et le cceur navré, j 'entendis les roseaux Murmurer tristement au pied de leurs créneaux. Que de fois a ce bruit j'ai rêvé sous les hêtres, Dont 1'antique avenue ombragea mes ancêtres! Le fer les a détruits, ces témoins de mes jeux; Mon vieux manoir 1 désert tombe et périt comme eux. L'berbe croit dans ses cours; les ronces et le lierre Ferment aux pèlerins sa porte hospitalière. Le portrait de mon père, arracbé du lambris,* Était la, dans un coin, gisant sur des débris. Pas un des serviteurs dont il recut 1'hommage, Et qui heurtent du pied sa vénérable image, N'a de 1'ancien seigneur reconnu 1'héritier, Hors le chien du logis, couché sous le foyer, Qui, regardant son maitre avec un air de fête, Pour me lécher les mains a relevé la tête. Maele. Pourtant, si ce vieülard, par nos dons assisté, Avait, en nous parlant, prédit la vérité; Si vous deviez un jour, dans votre ancien domaine, Voir vos nombreux vassaux bénir leur chatelaine. Baiser son voile blanc, se partager entre eux Le bouquet nuptial tombé de ses cheveux; Si tous deux a genoux, la, dans cette chapelle, Nous devions être unis par la Vierge immortelle! Nemoues. O mon unique amie, 6 vous que je revois, 1 Manoir, au moyen age, toute habitation a laquelle était jointe une certaine étendue de territoire (burg). 9 Lambris, (beschot, lambrizeering). Ce mot s'emploie souvent au figuré pour désigner une habitation riche, luxueuse, p. e.: rarement le bonheur se trouve sous les lambris dorés. Le céleste lambris, hemelgewelf. acte iii, scène ix. 121 Que peut-être j'entends pour la dernière fois, Nous unis!... Sous ces nefs1 puisse ma fiancée Ne pas suivre en _pleurant ma dépouille glacée! * Une voix, dont mon coeur reconnait les accents, M'annonce mon destin; c'est la mort, je le sens. Oui, je mourrai: je dois reposer avant 1'age Dans le funèbre enclos3 voisin de ce village. Marie. Que dites-vpus? Nemours. Heureux si, debout sur le seuil, Un prêtre n'y vient pas arrêtef mon cercueil, Et, comme a 1'assassin banni de cette enceinte, Ne m'y refuse pas et la terre et 1'eau sainte! Marie. A vous, Nemours, a vous! jamais ce ciel natal, Jamais ce doux pays ne vous sera fatal. Apprenez que vos droits, vos biens... Vierge divine, Pardonnez, je me tais. Moi causer sa ruine, Moi qui mourrais pour lui! Nemours. Marie, expliquez-vous; Parlez. Marie. Je ne le puis: non, non, séparons-nous. Par pitié pour vous-même il faut que je vous quitte. Ami, laissez-moi fuir: le trouble qui m'agite Peut m'arracher un mot a ma bouche interdit: Espérez, espérez!... On vient: (Se retoumant vers la chapelle.) Je n'ai rien dit. 1 Nef (du latin navis, navire) s'emploie encore en style poétique au lieu de navire. Dans le langage ordinaire il s'emploie pour designer la partie d'une église qui s étend du portail au choeur, a cause de la forme qui rappelle celle d'un navire. ' Dépouille glacée, cadavre (v. dépouille, p. 81). * Funèbre enclos, périphrase pour: cimetière (jenelos, petit domaine clos de murs ou fermé par une eldture, erf). 122 louis xi. SCÈNE X. — LOUIS, NEMOURS, FRANQOIS DE PAULE, OLIVLER, TRISTAN, le cardinal dALBY, DAMMARTIN,1 Prètres, Chevaliers francais et bourgüignons. Nemours, sur le devant de la scène. Comme on croit aisément au bonheur qu'on desire! Mais que son cceur s'abuse! Louis, qui tient d la main le papier que Nemours lui a remis. Ici, la haine expire: Un roi devient clément, mon père„ a vos genoux; Et sous la croix du Dieu qui s'immola pour nous, Quel pardon peut coüter après son sacrifice ? Le comte de Réthel m'a demandé justice: Bien que de son message il se soit acquitté Moins en sujet soumis qu'en vassal révolté, Je préfère mon peuple au soin de ma vengeance. J'approuve, j'ai signé ce traité d'alliance. Et je vous le remets pour qu'il soit plus sacré Au sortir de vos mains oü nous 1'aurons juré. Franco is de Paule, sur les degrés de la chapelle, entre deux prètres, dont l'un tient une chüsse d'argent, V autre une croix. O mon fils, je suis simple et j'ai peu de lumières: Je vis loin des palais; mais souvent les chaumières M'apprennent par leur deuil que le plus beau succes Bapporte moins aux rois qu'il ne coüte aux sujets. Dieu 1'inspire, celui qui, dépouillé de haine, Rapproche les enfants de la familie humaine, Ne veut voir qu'un lien dans son pouvoir sur eux, Et dans 1'humanité, qu'un peuple a rendre heureux. Rois, c'est votre devoir, et prètres, nous le sommes, Non pas pour diviser, mais pour unir les hommes. 1 Dammartin, v. Antoine de Chabanne», p. 72. ACTE Ut, SCÈNE XI. 123 Par le doublé serment que mes mains vont bénir, De la bouche et du coeur venez donc vous unir. Des pactes d'ici-bas les arbitres suprèmes En trahissant leur foi se trahissent eux-mèmes,1 Et dans le livre ouvert au jour du jugement lis liront leur parj ure écrit sous leur serment. Nemours. Le ciel qui voit mon cceur comprendra mon langage: Je parle au nom d'un autre, et c'est lui qui s'engage, Se tient pour satisfait dans son honneur blessé, Et devant 1'Éternel jure oubli du passé. Louis. Le comte de Réthel pouvait sans se commettre* Prononcer le serment qu'il se borne a transmettre; Je le recois pourtant, et j'engage ma foi A Charles de Bourgogne, ici présent pour moi. C'est de lui que j'entends oublier toute injure Et devant 1'Eternel c'est a lui que je jure ... SCÈNE XI. — Les Précédents, LE DAUPHIN, DUNOIS, TORCY. Le Dauphin, s'élangant vers le roi. Mon père! Louis. Eh quoi! sans ordre ? Le Dauphin. Un message important... Pardonnez! mais la joie... il arrivé a 1'instant: Charles, votre ennemi... Loois. Mon ennemi! Qu'entends-je? Qui? lui, mon allié, mon frère! 1 In version pour: Les arbitres suprèmes deB pactes (verdragen) d'ici bas se trahissent eux-mèmes en trahissant leur foi. 2 Se commettre, s'exposer, se compromettre. 124 louis xi. Le Dauphin. Dieu vous venge: II est vaincu. Louis. Comment ? Le Dauphin. Vaincu devant Nancy.1 Nemoues. Charle! Louis. En êtes-vous sür? Le Dauphin. Les seigneurs de Torcy, De Dunois et de Lude en ont eu la nouvelle. Un de ses lieutenants* a trahi sa querelle, D. a causé sa perte. Louis. Ah! le lache! Nemoues. Faux bruit, Qu'un triomphe éclatant aura bientöt détruit! Le duc Charle... Le Dauphin. II est mort. Louis. La preuve? Le Dauphin, lui remettant des dépêches. Lisez, sire: La voici. 1 Anachronisme dont 1'auteur a besoin pour le dénouement de sa pièce: Charles le Téméraire est tombé devant Nancy en 1477, tandis que les événements de la pièce se passent en 1483. 2 Ce lieutenant est le comte de Campo Basso, v. p. 76. acte iii, scène xi. 125 Nemours. Vaincu, mort! non: quoi qu'on puisse écrire, Moi, comte de Eéthel, au péril de mes jours, Je maintiens que c'est faux! Louis. C'est vrai, duc de Nemours. Le Dauphin. Nemours! Nemours. Je suis connu. Louis. C'est aussi vrai, par jure, Qu'il 1'est qu'envers ton Dieu coupable d'imposture,1 Coupable envers ton roi de haute trahison, Tu mentais a tous deux par ton titre et ton nom. Le ciel dans sa justice a trompé ton attente. Qu'on s'assure de lui. Nemours, tirant son épée. Malheur a qui le tente! (Aux chevaliers de sa suite.) Qu'on 1'ose! A moi, Bourgogne! Louis. A moi, France! Francois de Pauxe, saisissant la croix dans les mains d'un prêtre et s'élancant entre les deux parits. ' ,'■ Arrêtez, Au nom du Dieu sauveur a qui vous insultez! Nemours, baissant son épée comme les autres chevaliers. Ma fureur m'égarait, et ces preux* que j'exposé, Vaincus sans me sauver, périraient pour ma cause. Arrière, chevaliers! si Charle est triomphant, 1 Imposture, v. imposteur, p. 27. * Preux, v. p. 81. 126 louis xi. La terreur de son nom mieux que vous me derend; S'il n'est plus, mourant seul, je mo.urrai sans me plaindre. (En jetant son épée aux pieds du roi.) Pour venir jusqu'a toi, comme toi j'ai dü feindre; Je 1'ai dü; je 1'ai fait. Quel que füt mon dessein, J'en rendrai compte a Dieu qui 1'a mis dans mon sein. Jette encore une proie aux bourreaux de mon père! II te manque un plaisir: je n'ai ni fils, ni frère, Je n'ai pas un ami que tu puisses forcer A recevoir vivant mon sang qu'ils vont verser. Louis, faisant signe d Tristan d'emmener Nemours. Aujourd'hui, grand prévót, son procés, sa sentence; Demain le reste. (Nemours sort entouré de gardes et suivi des Bourguignons.) SCÈNE XII. — Les Précédents, excepté NEMOURS et TRISTAN. Francois de Paule. O roi! j'implore ta clémence. Louis. A m'outrager ici que ne s'est-il borné! Je pardonnerais ^tout; mais moi, le fils ainé, Le soutien de 1'Église, absoudre un sacrilège 1 Qui brave des autels le divin privilège, Qui sans respect pour vous... Ah! je vous vengerai, Ou le roi Trés Chrétien n'aurait rien de sacré! Francois de Paule. Qu'au moins je le console! Louis, vivement. . Oui, plus il est coupable, Et plus vous lui devez votre appui charitable; Oui, pour sauver son ame, allez, suivez ses pas. 1 Sacrilège, v. p. 116. acte iii, scène xiii. 127 Francois de Paule. Et la votre, mon fils, n'y penserez-vous pas? SCÈNE XIII. — Les Précédents, excepté FRANCOIS DE PAULE. Louis. H regarde sortir Francois de Paule ; puis avec un transport de joie, mais d voix basse. Montjoie et Saint-Denis!1 Dunois, a nous les chances! Sur Péronne, au galop, cours avec six cents lances. * En Bourgogne, Torcy! Que le pays d'Artois, Par ton fait, Baudricourt,3 soit France avant un mois. A cheval, Dammartin! main basse sur 4 la Flandre! Guerre au brave; un pont d'or a qui voudra se vendre. (Au cardinal d'Aïby.) Dans la nuit, cardinal, deux messages d'État: Avec six miUe écus, une lettre au légat;5 Une autre, avec vingt mille, au pontife6 en personne. (Aux chevaliers.) 1 Montjoie Saint-Denis, ancien cri de guerre usité dans les armées francaises. Littré en explique ainsi Torigine: „La Mont-joie SaintDenis, ou simplement la Mont-joie, était le nom de la colline pres Paris oü saint Denis subit le martyre; ainsi dite, paree qu'un lieu de martyre était un lieu do joie pour le saint qui recevait sa récompenee." Après avoir dit que le deuxième do ces mots avait la valt ur d'un génitif (cotriji. hötel-Dieu), il dés.;pprouve, en citant lo vers de G. üelavigne, la forme: Montjoie et Saint-Denis, „ce qui ne signifie rien." Ajoutons encoro que munt joie était primitivement un monceau de pierres jetées confusément en signe de victoire ou pour marquer les chemins. 2 Lance, autrefois terme collectif, désignant une compagnie souvent composée de dix cavaliers, sans compter les gens de pied. Louis XI réduisit par une ordonnance de 1474 chaque lance a six chevaux: 1'homme d'armes (lansier), le page, le coutiller (lansknecht), le Valet et deux archers montés, qui tous étaient gentilshommes ou censés tels. 3 Jean de- Baudricourt après avoir été d'abord au service de Charles le Téméraire passa ensuite a celui de Louis XI, qui le nomma plus tard gouverneur de Bourgogne. * Faire main basse sur, prendre possession de, se saisir de. ° Légat, cardinal chargé par le pape d'une mission spéciale, tandis que le nonce (v. p. 80) est le représentant du pape dans tel pays, a poste fixe, accrédité. * Pontife, c.-a d. le souverain pontife, le pape (du latin pontifex, prêtre). 128 louis xi. Vous, prenez 1'héritage avant qu'il me le donne: En consacrant mes droits, il fera son devoir; Mais prenons: ce qu'on tient on est sür de 1'avoir. La dépouille 1 a nous tous, chevaliers; en campagne! Et, par la Paque-Dieu!2 des fiefs pour qui les gagne! (Haut et se tournant vers l'assemblée.) En brave qu'il était, le noble duc est mort. Messieurs; ce fut hasard quand on nous vit d'accord. 11 m'a voulu du mal, et m'a fait, a Péronne, Passer trois de ces nuits qu'avec peine on pardonne ; Mais tout ressentiment s'éteint sur un cercueil: II était mon cousin; la cour prendra le deuil. ACTE QUATRIÈME. La chambre a coucher du roi: deux portes latérales; un prie-Dieu, et au-dessus une croix. Une fenêtre grülée; des rideaux d demi fermés qui cachent un Ut placé dans un enfoncement. Une cheminée et du feu. SCÈNE I. — NEMOUES, COITLER. CoiTDBK. Entrez: j'avais besoin d'épancher3 ma tendresse; Qu'enfin sur sa poitrine un vieil ami vous presse! Nemoues. Bon Coitier! CoiTIEE. De trois nis lui seul est donc resté; Lui, 1'enfant de mon cceur, qu'au berceau j'ai porté, 1 Dépouille, butin (v. p. 31). 2 Pdque-Dieu, v. p. 74. 3 Epancher, v. p. 116. acte iv, scène i. 129 Que mes bras out recu des flancs1 qui 1'ont fait naltre! Oui, voila bien les traits, le regard de mon maltre! Nemours. Je lui ressemble en tout, Coitier, -j'aurai son sort. Coitier. Par le ciel, tu vivras! . .. Excusez ce transport: D'un ancien serviteur j'ai 1'ame et le langage, Monseigneur. Nemours, lui serrant la main. Digne ami! Coitier. Ne perdez pas courage. Nemours, promenant ses regards auteur de lui. Des verrous, des barreaux, encore une prison! CoiTLER. C'est la chambre du roi. Nemours. Quoi! ce triste donjon!8 Coitier. Voyez: un crucifix, un missel,8 des reliques Qu'ont usées dans ses mains ses baisers frénétiques; * (Lui montrant un poignard.) Une arme qu'il veut voir et qu'il n'ose toucher; Des rideaux oü la peur vient encor le chercher. 1 Flanc, s'emploie poétiqueruent pour le sein d'une mère (schoot). C'est ainsi que La Pontaine parle dans une de ses fables (Le Chéne et le Boseau) du : „plus terrible des enfants, Que le nord jusque-la eüt porté dans ses flancs." * Donjon, grosse tour faisant partie d'un chateau qu'elle domine. 8 Missel, hyre de messe. 4 Frénétique, furieux, excessif. Lect. Class. n°. 39. 9 130 louis xi. Sous leurs plis redoublés en vain il se retire; Le remords 1'y poursuit; un bras hideux les tire, S'applique sur son coeur, et ce lit douloureux, Nemours, est le vengeur de bien des malheureux. 11 doit vous voir ici. Nemours. Qu'entends-je ? Coitier. Avant une heure, II nous y rejoindra. Nemours. Comment, seul? Coitier. Que je meure, S'il n'amène^ avec lui, pour veiller sur ses jours, La meute d'Écossais qu'en laisse1 il tient toujours! II pouvait cependant s'épargner les alarmes; Tristan n était pas homme a vous laisser des armes. Comme il suivait de 1'ceil vos moindres mouvements, Quand ses doigts exercés touchaient vos yêtements! Comme il lisait du roi 1'ordre et la signature! II est geólier dans 1'ame et bourreau par nature. Nemours. L'infame! Coitier. Quel courroux dans son regard altier, Lorsqu'il vit avec moi sortir son prisonnier! Sa figure a pali, par la rage altérée.2 1 Laisse, corde pour mener les chiens attachés, la «teute (koppel jachthonden; ici: la meute d'Écossais = de Schotsche lijfwacht). Au fig.: tenir, mener q. n. en laisse = lui faire faire tout ce qu'on veut. 2 Altirer (du latin alter, autre), au propre: changer, modifler (les altérations du globe terrestre); se dit au flg. du changement que subissent les traits du visage par suite d'une émotion intérieure. acte iv, scène i. 131 On eüt dit un limier,1 les yeux sur la curée, * Quand un piqueur du roi, le coutelas en main, Vient ravir sous ses dents un lambeau du festin. Nemoues. Me voir, moi, dans ce lieu! CoiTLER. C'est celui qu'il préfère, Pour peu qu'un entretien exige du mystère. Votre prison d'ailleurs ne 1'aurait pas tenté. Le frisson dévorant dont il est agité S'accommoderait mal de 1'horreur qu'elle inspire, Et des froides vapeurs qu'un malade y respire. Nemours. Que me veut-il? Coitier. Avant de vous le déclarer, C'est moi qu'il a choisi pour vous y préparer. Nemours. Mais qui m'a pu trahir? 1'a-t-il dit? Coitier. Je 1'ignore. Commine est innocent: sa disgrace 1'honore. Le maitre a son retour ne 1'a pas ménagé; Vrai Dieu, quelle fureur! Nemours, vivement. Sur lui s'est-il vengé? Coitier. En paroles; la paix sera facile a faire; On est bientót absous quand on est nécessaire. Soyez-le donc. 1 Limier, grog chien de chasse; aü flg.: espion (les limiers de la police). ■ L °?r,&' partie du g'bier (intestins et sang) qu'après la chasse on jette a la meute. Ce mot s'emploie souvent au flguré pour designer le butm que 1'on se digpute: ètre apre a la curie. 9* 132 louis xi. Nemours. Qui, moi? Coitler. Vous le rendrez clément: S'il condamne sans peine, il pardonne aisément. Nemours. Lui! Coitier. La douleur dit vrai: je dois donc le connaitre. Peu d'hommes sont méchants pour le plaisir de 1'être; Pas un, hormis Tristan; 1'intérêt ici-bas, Et non 1'instinct du mal, fait les grands scélérats. Instruit de votre sort, j'ai couru vous défendre. D'abord votre ennemi ne voulait pas m'entendre; Mais la douleur 1'abat, et j'en ai profité; Car vous étiez perdu, s'il se fut bien porté. J'ai 1'art d'apprivoiser son esprit irascible;1 La Bourgogne est son rêve; il la veut en vieillard; Désir de moribond n'admet point de retard. J'ai dit que vous pouviez hater cette conquéte. Nemours. Vous, Coitier! Coitier. Médecin, je n'agis qu'a ma tête. Le peuple croit en vous; cher a ses magistrats, Vous avez leur estime et 1'amour des soldats; Vos amis dans leurs mains tiennent les forteresses: Vous pouvez donc beaucoup par 1'or ou les promesses, Soit pour gagner les cceurs aux États assemblés, Soit au pied d'un chateau pour en avoir les clés. Agissez; c'est un mal, j'y répugne moi-même; Mais 1'extrême péril veut un remède extréme. Vous vivez, en un mot, si vous obéissez; Sinon, vous êtes mort; j'ai tout dit: choisissez. 1 Irascible, qui s'irrite facilement. ACTE IV, SCÈNE I. 133 Nemoues. Moi, de mon protecteur dépouiller 1'héritière! Pour qui? pour le bourreau de ma familie entière. Coitiee. Nemours, mon noble maitre, accepte, par pitié! Si c'est un tort, eh bien! j'en prendrai la moitié, Comme autrefois ma part dans cette coupe amère Que je t'ai vu, mourant. refuser de ta mère. Ta bouche, après la miemie, osa s'en approcher; La vie était au fond, et tu vins 1'y chercher. Nemours, je te sauvai: que je te sauve encore! Ce sont tes droits, tes jours, ta grace que j'implore, Moi, ton vieux serviteur, moi qui venais jadis Me pencher sur ta coucbe en te nommant mon fils! Oui, mon fils, oui, c'est moi qui demande ta grace, La mienne, et je 1'attends a tes pieds que j'embrasse. Nemoues. Jamais: plutót mourir! Coitiee. Tu le veux? Nemoues. Je le doi. Coitiee, qui va ouvrir la porte de son appartement. Regarde; ce cachot, c'est mon asile, a moi; Mais tout 1'or que prodigue un tyran qui succombe M'eüt-il a son cadavre attaché dans sa tombe? Non, si pour m'y résoudre il ne m'eüt assuré Le droit qu'il avait seul d'en sortir a son gré. Mon malade céda; mes soins, c'était sa vie. Tiens, recois-la de moi, cette clé qu'on m'envie: Quand j'obtins ce trésor, il me sembla moins doux; C'était ma liberté, c'est la tienne. Nemoues. Mais vous, Coitier, je vous exposé. 134 louis xi. Coïteer. II souffre.1 Nemours. Sa colère ... Coïteer. II souffre; ne crains rien. Que ce flambeau t'éclaire; Prends cette arme; descends: un passage voute, Une porte, et le ciel, les champs, la liberté! La liberté, mon fils! Nemours, qui a saisi le poignard. Oui, cette arme ... j'espère ... J'accepte. Coïteer, lui tendant les bras. Encor, Nemours, encor! ton digne père M'a donc laissé des pleurs!... Je crains le roi, va, fuis; Je cours en 1'abordant 1'arrêter si je puis. SCÈNE n. Nemours, qui revient sur le devant de la scène, après avoir fermé la porte de Vappartement de Coitier. INon pas la liberté, Coitier, mais la vengeance! (Élevant le poignard.) La voila, je la tiens; il est en ma puissance. Aucun autre que toi ne m'a vu dans ce Lieu; Tu m'en crois déja loin; mais j'y reste avec Dieuv L'inexorable Dieu, qui veut que je demeure Pour qu'il tombe a mes pieds, qu'il s'y roule, qu'il meure. (Faisant un pas vers le lit.) La, mon père;. oui, c'est la! mes deux frères et toi, Vous ouvrez ces rideaux pour les fermer sur moi; Faites qu'a ses regards votre vengeur échappe; Je serai patiënt, pourvu que je le frappe. 1 II souffre. Coitier veut dire qu'il ne oourt aucun danger puisque le roi malade ne peut pas se passer des soins de son médecin. ACTE IT, SCÈNE Hl. 135 Qu'il soit seul, et mon bras, la, dans son lit royal. Va consommer d'un coup ce meurtre filial.1 (H va écouter a la porte.) Aucun bruit! mon coeur bat... c'est une horrible joie Que celle d'un bourreau qui va saisir sa proie! Horrible!... c'est la mienne: elle oppresse mon sein. Que de courage il faut pour être un assassin! (H tombe dans un fauteuil, et se relevant tout d coup.) Mais ne le fut-il pas ? Supplices pour supplices! * De tes douleurs, mon père, il a fait ses délices! Ton sang, j'en suis couvert; il coule; c'est ton sang Qui tombe sur mon front et s'y glacé en passant. Allons! mourant qu'il est, il faut que je 1'achève: Ce sommeil qui le fuit, il va 1'avoir sans rêve, Sans terreur, sans remords, mais sous le coup mortel, Et pour ne s'éveiller que devant l'Éternel. On vient. (H s'élanee derrière les rideaux.) SCÈNE DJ. — LOUIS., COITIER, COMMINE, MARIE, TRISTAN, Ecossais, Suite du roi. Coitier. Pourquoi rentrer, sire? 11 fallait me croire: L'air vous eüt soulagé. Louis. Triste nuit, qu'elle est noire! Qu'elle est froide! je tremble. (Bas d Coitier, en lui montrant sa chambre.) ü est la, ce Nemours? Coitier. Vous souffrez donc? 1 Meurtre filial, c.-a-d. le meurtre que le fils doit commettre pour venger la mort de son père. * La préposition pour marqué ici la réciprocité; comp. Geil pour teil, dent pour dent. 136 louis xi. Louis. Partout. Coitier. Depuis longtemps? Louis. Toujours. Je n'ai plus de repos; 1'air me glacé ou me pese. Quelle angoisse! et toujours! et rien, rien ne 1'apaise! (Bas.) Mais Nemours, qu'a-t-il dit? Coitier, le conduisant vers la cheminée. Tenez, ranimez-vous. Louis, avec joie. Du feu! Marie, qui le fait asseoir. Placez-vous la. Louis, se chauffant. Le soleil est moins doux. Ah! le feu, c'est la vie! Marie. On doit au monastère Veiller, prier pour vous, et par un jeüne 1 austère Obtenir que ce mal ne vous tourmente plus, Et que ce vent du nord tombe avant 1'Angelus. * Louis, la regardant. Tu réjouis mes yeux: que cette fleur de l age, Que la jeunesse est belle ! .. . Allons, souris. Commine, bas, a sa file. Courage! Souris, ma fllle! 1 Jeüne, vasten, onthouding (il a donné les verbes jeüner et déjeuner; être d jeun, nuchter zijn). Austère — rude, rigoureux. • Angélus, V. 'p. 80. acte rv, scène iii. 137 Marie, en pleurant. Hélas! je le voudrais. Louis. Des pleurs! Tu m'attristesva-t'en, ou calme tes douleurs; Je puis tout réparer. Marle. Se peut-il? Louis. Oui, ma fille, Si Nemours . .. Coitier, au roi. Regardez comme ce feu petitie! Louis. Jusqu'au fond de mes os je le sens pénétrer. Mes pauvres doigts raidis ont peine a 1'endurer. Que je l'aime! il me brule, et pourtant je frissonne. Coitier. Suivez donc une fois les conseils qu'on vous donne: CS'avangant vers le lit.J Venez vous reposer. Louis. Non, Coitier, je veux voir Le saint qui doit ici m'entretenir ce soir; (A Tristan.) Nemours, surtout Nemours. Va le chercher, qu'il vienne. Tristan. LI n'est plus sous ma garde. Louis, d Coitier. B: était sous la tienne. Tristan. A mon grand désespoir: son arrét prononcé, Je tenais a finir ce que j'ai commencé. 138 louis xi. Marie, d son père. Dieu! Commine, bas. Tais-toi! Louis, d Coitier. Dans ce lieu tu devais le conduire. Coitier. Et je ne 1'ai pas fait, n'ayant pu le séduire. Louis. Je 1'aurais pu, moi. Coitier. Non. Louis. Non? Coitier. II vous eüt brave, Vous 1'auriez mis a mort... Louis. Eh bien? Coitier. Je 1'ai sauvé. Marie. Sauvé! Louis, d Coitier. Toi! Coitier. Le captif est hors de votre atteinte. Lorsque ses chevaliers ont quitté cette enceinte, II était dans leurs rangs, et je 1'ai vu passer Le pont que devant eux votre' ordre a fait baisser. acte iv, scène iii. 139 Louis. Misérable! et tu peux affronter ma vengeance! (A Tristan.) Mais il a donc aussi trompé ta vigilance? Vous me trahissez tous. Quel chemin a-t-il pris? Oü le chercher? Va, cours; je mets sa tête a prix; Cours, Tristan! Tristan. Dans la nuit, sans indices! Louis. Qu'importe ? 11 faut qu'on me 1'amène ou qu'on me le rapporte. Marie. Non, par pitié pour moi, qui- livrai son secret, Pour moi, qui 1'ai perdu! non: Dieu vous punirait. Pardon; Dieu vous entend: qu'a votre heure dernière H accueille vos voeux comme vous ma prière; Pardon!... Louis, d Commine. Emmenez-la. Commine, entrainant Marie. Viens, ma 1111e! Louis, en montrant Coitier. ^-'Jt ■ Pour lui, Ce trattre, dès demain... Cottier. Frappez dès aujourd'hui; Mais de vos maux, après, cb.ercb.ez qui vous délivre; Je ne vous donne pas une semaine a vivre. Louis. Eh bien!... je mourrai donc; mais j'entends, mais je veux, (A sa suite.) 140 lotjis xi. Je.,. Sortez. (A Coitier.) Reste ici. (II se jette sur un siège.) Je suis bien malheureux! (Tout le monde sort, excepté Coitier.) SCÈNE IV. — LOUIS, COITIER. Louis'. Ne crois pas éviter le sort que tu mérites: Tu 1'auras; mes tourments, c'est toi qui les irrites. A braver ma fureur leur exces t'enhardit; Mais je t'écraserai. Coitier, froidement. Vous" 1'avez déja dit, Sire; faites-le donc. Louis. Certes, je vais le faire. Ton faux savoir n'est bon qu'a tromper le vulgaire. Ton art! j'en ris; tes soins! que me font-ils, tessoins Rien: je m'en passerai, je n'en vivrai pas moins. Je veux: ma volonté sufflt pour que je vive; Je le sens, j'en suis sür. Coitier. Alors, quoi qu'il arrivé, Essayez-en. Louis. Oui, traitre, oui, le saint que j'attends Peut réparer d'un mot les ravages du temps. II va ressusciter cette force abattue; Son soufflé emportera la douleur qui me tue. Coitier. Qu'il se hate. 1 Le vulgaire, le peuple, le commun des hommes. acte iv, scène tv. 141 Louis. Pour toi, privé de jour et d'air, Captif, le corps plié 'sous un réseau de fer,1 Tu verras, a travers les barreaux de ta cage, Ma jeunesse nouvelle insulter a ta rage. Coitier. D'accord. Louis. Tu le verras. Coitier. Sans doute. Louis, avec émotion. Faux ami, M'as-tu trouvé pour toi généreux a demi ? Va, tu n'es qu'un ingrat! Coitier. Ce fut pour ne pas 1'être Que je sauvai Nemours. * Louis. L'assassin de ton maitre; Lui, qui voulait sa perte! Coitier. En chevalier: son bras Combat, quand il se venge, et n'assassine pas. Je devais tout au père, et me tiendrais infame, Si ses bienfaits passés ne vivaient dans mon ame. Louis. Mais les miens sont présents, et tu trabis les miens; Tu le trompes, ce roi qui t'a comblé de biens. 1 Béseau de fer, espèce de cage en fil de fer oü Louis XI enfermait ses prisonniers, e. a. le cardinal la Balue qui resta pendant onze ans enfermé dans une telle cage. * Coitier fait ici allusion aux obligations qu'il croit avoir envers lebfils pour les bienfaits que lui a rendus le père (v. Acte I, sc. 4). 142 louis xi. De quel prix n'ai-je pas récompensé tes peines? De 1'or, je t'en accable, et tes mains en sont pleines. Je donne sans compter, comme un autre promet: Nemours, pour être aimé, fit-il plus? Coitier. 11 m'aimait. Vous, quels sont-ils, vos droits a ma reconnaissance ? Dieu merci! nous traitons de puissance a puissance.; L'un pour 1'autre une fois n'ayons point de secret: Vous donnez par terreur, je prends par intérêt. En consumant ma vie a prolonger la vötre, J'en cède une moitié, pour mieux jouir de 1'autre. Je vends et vous payez; ce n'est plus qu'un contrat: Oü le cceur n'est pour rien, personne n'est ingrat. Les rois avec de 1'or pensent que tout s'achète; Mais un don qu'on vous doit, un bienfait qu'on vous jette, Laissent votre ame a 1'aise avec le bienfaiteur. On paie un courtisan, on paie un serviteur; Un ami, sire, on 1'aime; et n'eüt-il pour salaire Qu'un regard attendri quand il a pu vous plaire, Qu'un mot sorti du cceur quand il vous tend les bras. II aime, il est a vous, mais il ne se vend pas: Comme on se donne a lui,- sans partage il se donne, Et, parjure a 1'honneur lorsqu'il vous abandonne, S'il vous regarde en face après avoir failli, On a droit de lui dire: Ingrat, tu m'as trahi! Louis, d'une voix caressante. Eh bien! mon bon Coitier, je t'aimerai, je t'aime. Coitier. Pour vous. Louis. Sans intérêt. Ma souffrance est extréme, J'en conviens; mais le saint peut me guérir demain. C'est donc par amitié que je te tends la main: De tels noeuds sont trop doux pour que rien les détruise. ACTE rv, SCÈNE v/vi. 143 SCÈNE V. — LOUIS, COITIER, OLIVIER, puis FRANCOIS DE PAULE. Olivier. Sire, Francois de Paule attend qu'on 1'introduise. Louis. (Montrant Coitier.) Entrez. Voyez, mon père, il a brave son roi, Et je lui pardonnais. Coitier, rentre chez toi. (En le conduisant jusqu'd son appartement.) Sur la foi d'un ami, dors d'un sommeil tranquille. (Après avoir fermé la porte sur lui.) Ah! traltre, si jamais tu deviens inutile! . . . (II fait signe d Olivier de sortir.) SCÈNE VI. — LOUIS, FRANCOIS DE PAULE. Louis. Nous voila sans témoins. Feancois de Paule. Que voulez-vous de moi? Louis, prosterné. Je tremble a vos genoux d'espérance et d'effroi. Feancois de Paule. Relevez-vous, mon fils! Louis. J'y reste pour attendre La faveur qui sur moi de vos mains va descendre, Et veux, courbant mon front a la terre attaché, Baiser jusqu'a la place oü vos pieds ont touché. Feancois de Paule. Devant sa créature, en me rendant hommage, Ne prosternez pas Dieu dans sa royale image; Prince, relevez-vous. 144 louis xi. Louis, débout. J'espère un bien si grand! Comment m'abaisser trop, saint bomme, en 1'implorant? Francois de Paule. Que puis-je? Louis. Tout, mon père; oui, tout vous est possible: Vous réchauffez d'un soufflé une chair insensible. Francois de Paule. Moi! Louis. Vous dites aux morts: Sortez de vos tombeaux! Ils en sortent. Francois de Paule. Qui! moi ? Louis. Vous dites a nos maux: Guérissez! . .. Francois de Paule. Moi, mon fils? Louis. Soudain nos maux guérissent. Que votre voix 1'ordonne, et les cieux s'éclaircissent; Le vent gronde ou s'apaise a son commandement; La foudre qui tombait remonte au firmament. O vous, qui dans les airs retenez la rosée, Ou versez sa fraicheur a la plante épuisée, Faites d'un corps vieüli reverdir la vigueur. Voyez, je suis mourant, ranimez ma langueur:1 Tendez vers moi les bras; touchez ces traits livides, Et vos mains en passant vont effacer mes rides. 1 Langueur, abattement maladif et prolongé des forces; le verbe est languir. acte iv, scène vi. 145 Francois de Paule. Que me demandez-vous, mon fils! vous m'étonnez. Suis-le 1'égal de Dieu? c'est vous qui m'apprenez Que je vais par le monde en rendant des oracles, Et qu'en ouvrant mes mains je sème les miracles. Louis. Au moins dix ans, mon père! accordez-moi dix ans, Et je vous comblerai d'honneurs et de présents. Tenez, de tous les saints je porte ici les restes; Si j'obtiens ces... vingt ans par vos secours célestes, Rome, qui peut presser les rangs des bienheureux,1 Prés d'eux vous placera, que dis-je! au-dessus d'eux. Je veux sous votre nom fonder des basiliques,1 Je veux de jaspe' et d'or surcharger vos reliques; Mais vingt ans, c'est trop peu pour tant d'or et d'encens, Non: un miracle entier! De mes jours renaissants Que la clarté sitöt ne me soit pas ravie; Un miracle! la vie! ah! prolongez ma vie! Francois de Paule. Dieu n'a pas mis son oeuvre au pouvoir d'un mortel. Vous seul, quand tout périt, vous seriez éternel! Roi, Dieu ne le veut pas. Sa faible créature Ne peut changer pour vous 1'ordre de la nature. Ce qui grandit décrolt, ce qui nalt se détruit, L'homme avec son ouvrage, et 1'arbre avec son fruit. Tout produit pour le temps, c'est la loi de ce monde, Et pour 1'éternité la mort seule est féconde. Louis. Je me lasse a la fin: moine, fais ton devoir; Exerce en ma faveur ton merveilleux pouvoir, Ou j'aurai, s'il le faut, recours a la con train te. Je suis roi: sur mon front j'ai recu 1'huile sainte... 1 Bienheureux, celui qui jouit de la béatitude (gelukzaligheid) eternelle; ici: celui que 1'Eglise a béatiflé (zalig-gesproken). ' Baailique, v. p. 34. * Jaape, pierre précieuge dure et opaque de la nature de 1'agate colorée par bandea ou par taches (jaspis). heet. CUm. N". 89. 10 146 louis xi. Ah! pardon! mais aux rois, mais aux fronts couronnés Ne devez-vous pas plus qu'a ces infortunés, Ces affligés obscurs que, sans votre prière, Dieu n'eüt pas de si haut cherchés dans leur poussière ? Francois de Paule. Les rois et les sujets sont égaux devant lui: Comme a tous ses enfants il vous doit son appui; Mais ces secours divins que votre voix réclame, Plus juste envers vous-même, invoquez-les pour 1'ame. Louis, vivement. Non c'est trop a la fois: demandons pour le corps; L'ame, j'y songerai. FRAN901S de Paule. Roi, ce sont vos remords, C'est cette plaie ardente et par le crime ouverte Qui traine lentement votre corps a sa perte. Louis. Les prètres m'ont absous. Francois de Paule. Vain espoir! vous sentez Peser sur vos douleurs trente ans d'iniquités.1 Confessez votre honte, exposez vos blessures: Qu'un repentir sincère en lave les souillures. Louis. Je guérirai? Francois de Paule. Peut-être. Louis. Oui, vous le promettez: Je vais tout dire. Francois de Paule. A moi? 1 Iniquité, injustice. acte iv, scène vi. 147 Louis. Je le veux: écoutez. Francois de Paule, qui s'assied, tandis que le roi reste debout les mains jointes. Pécheur, qui m'appelez a ce saint ministère,1 Parlez donc. Louis, après avoir dit mentalement son Confiteor. * Je ne puis et je n'ose me taire. Francois de Paule. Qu'avez-vous fait? Louis. L'effroi qu'il concut du dauphin Fit mourir le feu roi de langueur et de faim. Francois de Paule. Un fils a de son père abrégé la vieillesse? Louis. Le dauphin, c'était moi. Francois de Paule. Vous! Louis. Mais tant de faiblesse Perdait- tout, livrait tout aux mains d'un favori: La France périssait, si le roi n'eüt péri. Les intéréts d'Etat sont des raisons si hautes... Francois de Paule. Confessez, mauvais fils, n'excusez pas vos. fautes! Louis. J'avais un frère. * 1 Ministère, emploi, fonction. * Confiteor, (litt.: je confesse), prière des catholiques commencant par ce mot latin et qu'on récite avant de se confesser. '%aIhP*\ est le duc de aue Louis XI empoisonna en 1472, a 1 instant oü il allait épouser Marie de Bourgogne, 911e de son implacable ennemi. 10* 148 louis xi. Francois de Paule. Eh bien? Louis. Qui fut... empoisonné. Francois de Paule. Le fut-il par votre ordre? Louis. > Es 1'ont tÖüs soupconné. Francois de Paule. Dieu! Louis. Si ceux qui 1'ont dit tombaient en ma puissance! Francois de Paule. Est-ce vrai? Louis. Du cercueil son spectre qui s'élance Peut seul m'en accuser avec impunité. Francois de Paule. C'est donc vrai? Louis. Mais le traltre, il 1'avait mérité. Francois de Paule, se levant. Et contre ses remords ton cceur cherche un refuge Tremble! j'étais ton frère et je deyiens ton juge. Écrasé sous ta faute au pied du tribunal, Baisse donc maintenant, courbe ton front royal. Rentre dans le néant,1 majesté périssable! Je ne vois plus le roi, j'écoute le coupable; Fratricide, a genoux! Louis, tombant cl genoux. Je frémis! 1 Néant, v. p. 55. acte iv, scène vi. 149 Francois de Paule. Repens-toi. Louis, se tralnant jusqu'a lui et s'attachant d ses hdbits. C'est ma fau te. ma. fau te, ayez pi tié de moi! En frappant ma poitrine, a genoux je déplore, Sans y chercher d'excuse, un autre crime encore. Francois de Paule, qui retombe assis. Ce n'est pas tout? Louis. Nemours!.. II avait conspiré: Mais sa mort... Son forfait1 du moins est avéré,2 Mais sous son échafaud ses enfants dont les larmes... Trois fois contre son maitre il avait pris les armes. Sa vie, en s'échappant, a rejailli sur eux. C'était juste. Francois de Paule. Ah! cruel! Louis. Juste, mais rigoureux: J'en conviens: j'ai puni... non, j'ai commis des crimes. Dans 1'air le nceud fatal3 étouffa mes victimes; L'acier les déchira dans un puits meurtrier; L'onde fut mon bourreau, la terre mon geölier: Des captifs que ces tours couvrent de leurs murailles Gémissent oubliés au fond de ses entrailles. Francois de Paule. Ah! puisqu'il est des maux que tu peux réparer, Viens! Louis, debout. Oü donc? 1 Forfait, v. p. 41. 2 Avarer, reconnattre comme vrai (comp. les mots vérHé, viritable). * Neeud fatal, périphrase pour: la hart, c.-a-d. la corde qui eert a pendre les criminele. 150 louis xi. Francois de Paule. Ces captifs, allons les délivrer. Louis. L'intérêt le défend. Francois de Paule, aux pieds du roi. La criante 1'ordonne: Viens, viens sauver ton ame. Louis. En risquant ma couronne! Roi,1 je ne le peux pas. Francois de Paule. Mais tu le dois, chrétien. Louis. Je me suis repenti, c'est assez. Francois de Paule, se relevant. Ce n'est rien. Louis. N'ai-je pas de mes torts fait un aveu sincère? Francois de Paule. Tls ne s'effacent pas tant qu'on y persévère. Louis. L'Eglise a des pardons qu'un roi peut acheter. Francois de Paule. Dieu ne vend pas les siens; il faut les mériter. Louis, avec désespoir. lis me sont dévolus,s et par droit de misère! Ah! si dans mes tourments vous descendiez, mon père, Je vous arracherais des larmes de pitié! Les angoisses du corps n'en sont qu'une moitié, 1 Ellipse pour: étant roi; on trouve la même ellipse dans le vers suivant. 2 Dévolu, ce qui revient par droit & quelqu'un. acte iv, scène vt. 151 Poignante, intolérable, et la moindre peut-étre. Je ne me plais qu'aux lieux oü je ne puis pas être. En vain je sors de moi: fils rebelle jadis, Je me vois dans mon père et me crains dans mon fils. Je n'ai pas un ami: je hais ou je méprise; L'effroi me tord le cceur sans jamais lacher prise. II n'est point de retraite oü j'échappe aux remords; Je veux fuir les vivants, je suis avec les morts. Ce sont des jours affreux, j'ai des nuits plus terribles: L'ombre pour m'abuser prend des formes visibles; Le silence me parle, et mon Sauveur me dit, Quand je viens le prier: Que me veux-tu, maudit? Un démon, si je dors, s'assied sur ma poitrine: Je 1'écarte; un fer nu s'y plonge et m'assassine: Je me léve éperdu;1 des flots de sang humain Yiennent battre ma couche; elle y nage, et ma main, Que penche sur leur gouffre une main qui la glacé, Sent des lambeaux hideux monter a leur surface... Francois de Paule. Malheureux, que dis-tu? Louis. Vous frémissez: eh bien! Mes veilles, les voila! ce sommeil, c'est le mien; C'est ma vie; et mourant, j'en ai soif, je veux vivre; Et ce calice* amer, dont le poison m'enivre, De toutes mes douleurs eet horrible aliment, La peur de 1'épuiser est mon plus grand tourment! Francois de Paule. Viens donc, en essayant du pardon des injures, Viens de ton agonie apaiser les tortures. Un acte de bonté te rendra le sommeil, Et quelques voix du moins béniront ton réveil. N'hésite pas. 1 Eperdu, qui a 1'esprit entièrement (le préflxe e ou ex a ici une valeuraugmentative)perduparune passion; troublé, violemment agité. * Calice, coupe, vase a boire. 152 louis xi. Louis. Plus tard! Francois de Paule. Dieu voudra-t-il attendre? Louis. Demain! Francois de Paule. Mais des demain la mort peut te surprendre, Ce soir, dans un instant. Louis. Je suis bien enfermé, Bien défendu. Francois de Paule. L'est-on quand on n'est pas aimé? (En Ventramant). Ah! viens. Louis, qui le repousse. Non, laissez-moi du temps pour m'y résoudre. Francois de Paule. Adieu donc, meurtrier, je ne saurais t'absoudre. Louis, avec terreur. Quoi! me condamnez-vous ? Francois de Paule. Dieu peut tout pardonner Lorsqu'il hésite encor, dois-je te condamner ? Mais profite, ó mon fils, du rêpit1 qu'il t'accorde: Pleure, conjure, obtiens de sa miséricorde Qu'enfin ton cceur brisé s'ouvre a ces malheureux. Pardonne, et que le jour recommence pour eux. Quand tu voulais fléchir la céleste vengeance, 1 Ripit, relachf, délai (uitstel; aussi en bollandais: respijt). acte IV, SCÈNE Vil/VIII. 153 Du sein de leurs cachots. du fond de leur souffrance, A ta voix qu'ils couvraient leurs cris ont répondu; Fais-les taire, et de Dieu tu seras entendu. SCÈNE VTJ. — LOUIS, pendant que Francois de Paule s'éloigne. Mon père! II m'abandonne et se croit charitable. Cédons: non, c'est faiblesse... O doute insupportable ! Qui me tendra la main dans 1'ablme oü je suis? Prions, puisqu'il le veut, et pleurons, si je puis. (H s'agenouüle sur son prie-Dieu, place son chapeau devant lui, et s'adresse d une des vierges de plomb qui y sont attachées.) Notre-Dame d'Embrun,1 tu sais, vierge adorable Qu'a bonne intention je reste inexorable. A Dieu fais comprendre aujourd'hui Que, pour son plus grand avantage, Je dois conserver sans partage Un pouvoir qui me vient de lui. La justice des rois veut être satisfaite; Os ont, en punissant, droit a votre merci:2 Que votre volonté soit faite, Dieu clément, et la mienne aussi! SCÈNE VIII. — LOUIS, NEMOURS. Nemours, le poignard d la main, entr'ouvre les rideaux. Mon père, il vous laissa finir votre prière! (Ici le hautbois* fait entendre une ronde champêtre.J Louis, se levant, après avoir fait le signe de la croix. Qu'entends-je ? Après la danse, au fond de sa chaumière. Le plus pauvre d'entre eux va rentrer en chantant. 1 Notre-Dame d'Embrun, v. p. 98. 2 Merci, v. p. 62. 3 Hautbois, instrument de musique a vent (hobo) 154 louis xi. Ah ! 1'heureux misérable! un doux sommeil 1'attend: II va dormir, et moi... (Le roi se retourne, et se trouve vis-d-vis de Nemours, qui s'élance sur lui.) Que vois-je, ó ciel! Nemours. Silence. Louis. Je me tais. fP^-é Nemours. Pas un cri! Louis. Non. Nemours. Par leur vigilance Es-tu bien défendu? Louis. Nemours, je t'appartiens. Nemours. Qui veut risquer ses jours est donc maltre des tiens? Louis. Que veux-tu? Nemours. Te punir. Louis. Juge-moi sans colèreNemours.Je ne suis pas ton juge. Louis. Eh! qui 1'est donc? Nemours. Mon père. acte it, scène viii. 155 Louis. Toi. Nemours. Mon père. Louis. Toi seul. Nemours. Mon père. . Louis. II me tuerait. Nemours. Tu viens de te juger. Louis. N'accomplis pas 1'arrèt; Sois clément. Nemours. Je suis juste. Louis. Écoute ma prière. Nemours. Rappelle-toi la sienne et sa lettre dernière. Louis. Je n'en ai pas recu. Nemours. Cet écrit déchirant Que tu lui renvoyas. .. Louis. Moi, Nemours! Nemours. Qu'en mourant LI portalt sur son cceur, c'est tout mon héritage; 156 louis xi. Le voila: contre toi qu'il rende témoignage; Imposteur,1 le voila: regarde, lis. Louis. Pitié! Nemours. Lis, lis sous ce poignard, si tu 1'as oublié. Louis. Je ne puis. Nemours. Sous le glaive il pouvait bien écrire: Lis comme il écrivait. Louis. Non: je ne puis, j'expire. . Ce poignard, que j'écarté et dont tu me poursuis, II m'éblouit, m'aveugle; oh! non, non, je ne puis. Nemours. II faut 1'entendre au moins. Louis. Miséricorde! Nemours. Ecoute: Tu répondras. (7Z B.) „Mon trés redouté et souverain seigneur, tant et „si humblement que faire je peux, me recommande „a votre grace et miséricorde." Eh bien? Louis. Je fus cruel sans doute; Mais je veux, a ton père, a toi, Nemours, aux tiens, Faire amende honorable en te rendant tes biens. Je veux tout expier; mets mon coeur a 1'épreuve, Et de mon repentir mes dons seront la preuve. 1 Imposteur, v. p. 27. acte iv, scène vm. 157 Nemours. Ecoute: „Je tous serrirai si bien et si loyalement, que „tous connaitrez que je suis vrai repen tan t, et qu'a „force de bien faire je Teux amender mes défauts." Eh bien? Louis. Mon fils! il a besoin d'appui. Ah! laisse-lui son père. Nemours. Ecoute: „Faites-moi grace et a mes pauvres enfants! Ne „souffrez pas que pour mes péchés je meure a honte „et a confusion, et qu'ils viTent en désbonneur et a „quérir leur pain. Pour Dieu, sire, ayez pitié de moi „et de mes enfants." Réponds-lui: Qu'as-tu fait pour ses fils ? Louis. Sur 1'honneur je m'engage A vous livrer Tristan, dont vos maux sont 1'ouvrage. Nemours, lisant. „Écrit en la cage de la Bastille, le dernier de janvier." Et lorsqu'il en sortit... Louis. Oh! ne t'en souviens pas! Nemours. Le puis-je? vois toi-même. Louis, égaré. Oü donc, Nemours? Nemours, lui montrant la lettre avec la pointe du poignard. Plus bas; Lis, cette fois. 158 louis xi. Louis, lisant. „Votre pauvre Jacques d"Armagnac." Nemours. Le nom de ton ami d'enfance, Et la... son sang ! Louis. Nemours, tu pleures. Nemours. Ma vengeance Te vendra cher ces pleurs. Louis. Grand Dieu! c'en est donc fait? Nemours. Pour que le chatiment soit égal au forfait, Par quel supplice affreux peut-elle être assouvie?1 Louis, se tratnant a ses pieds. Grace. Nemours. D. n'en est qu'un seul. Louis, qui se renverse frappé de terreur. C'est ma mort! Nemours, après avoir levé le poignard qu'ü jette loin de lui. C'est ta vie. Qui? moi, t'en délivrer! je t'ai vu trop souffrir. Achève donc de vivre, ou plutót de mourir. Meurs encor, meurs longtemps, pour que tes artifices, Pour que tes cruautés t'amassent des supplices; Pour qu'a tes tristes jours chaque jour ajouté Soit un avant-coureur de ton éternité. 1 Assouvir, proprement: rassasier pleinement (assouvir sa faim) et au figuré: satisfaire. acte rv, scène ix. 159 Attends-la; que, plus juste et plus impitoyable, Elle vienne, a pas lente, te saisir plus coupable. Dieu, je connais ses maux, j'ai recu ses aveux; Pour me venger de lui, je m'unis a ses vceux: Satisfaites, mon Dieu, son effroyable envie; Un miracle! la vie! ah! prolongez sa vie! (R s'élance par la porte de l'appartement de Coitier.) SCÈNE LX. — LOUIS, puis TRISTAN, écossais, chevaliers, suite du roi. Louis. H pousse quelques sons inarticulés et revenant a lui. A 1'aide! a moi, Tristan! au meurtre! du secours! Des flambeaux! accourez... il en veut a mes jours; D. leve son poignard: de ses mains qu'on 1'arrache! Lui, qu'on le tue!... il fuit; mais c'est la qu'il se cache. (Montrant Vappartement de Coitier, oü Tristan court avec ses gardes.) Un assassin! la, la! .. . partout! j'en vois partout. (Aux Ecossais.) Entourez-moi. Non, non: je vous crains, je crains tout. Au pied de cette croix, quelle est 1'ombre qui passé? Cherchez sous ces rideaux: on s'y parle a voix basse. Je vous dis qu'une voix a prononcé mon nom: Un d'eux s'est sous mon lit glissé par trahison. Quoi! pour les découvrir votre recherche est vaine! Je les vois cependant; cette chambre en est pleine: Je ne puis, si j'y reste, échapper au trépas... .Place! faites-moi place, et ne me quittez pas. (II s'élance hors de la chambre, et tout le monde se précipite en désordre après lui.) 160 louis xi. ACTE CINQUIÈME. Une salie du chüteau: trois portes au fond. Sur un des cètés, un Ut de repos prés duquel est une table. Au lever du rideau, les courüsans causent a voix basse, comme dans l'attente d'un grand événement; quelques-uns marchent; d'autres, as sis ou debout, forment des groupes ; le plus grand nombre entoure le dauphin qui pleure. SCÈNE I. — LE DAUPHIN, LE COMTE DE LUDE, TRISTAN, LE DUC DE CRAON, CRAWFORD, couetisaks. Le comte de Lude, au duc de 'Craon. Complice, lui Coitier? Le duc de Ceaon. Lui-même. Le comte de Lude. Est-il possible? Le duc de Craon. C'est vrai. Le comte de Lude, a Tristan, qui se promène avec Crawford. Seigneur Tristan! Tristan, en s'approchant. Comte! Le comte de Lude. Quel crime horrible! Quoi, Nemours et Coitier? acte v, scène ii. 161 Teistan. Ils mourront aujourd'hui, Si le maitre 1 'ordonne en revenant a lui: Tous deux sont dans les fers. Le düc de Ceaon. Mais on dit qu'il expire, Le roi? Teistan, en se retournant pour rejoindre Cr aw ford. Je crois, monsieur, qu'on a tort de le dire. Le duc de Ceaon. H est bien insolent: le roi va mieux. Le comte de Lude. Ici Les pairs1 sont convoqués, le parlement aussi; Tout cela sent la mort, et je vois en présence Le règne qui finit et celui qui commence. Un officier de la Chambre. Sa Majesté recoit les derniers sacrements: Debout, messieurs! Le Dauphin, s'agenouillant. Mon père !... Encor quelques moments, Et je 1'aurai perdu! Un Couetisan, de manière d être entendu du dauphin. L'exceüent fils! (Tout le monde est levé; silence de quelques instants.) SCÈNE II. — Les Précédents, COMMINE. Commine, deux lettres d la main. Un page! (A un de ceux qui se présentent.) Pour le duc d'Orléans !1 partez. 1 Pair», v. p. 71. a Le duc d'Orléans, v. p. 29. Leer. Cla»s. N«. 89. 11 162 louis' xi. (A un autre.) Que ce message Soit rendu dans le jour au comte de Beaujeu:1 Hatez-vous! Le comte de Lude, au duc de Craon. Deux courriers qui vont tout mettre en feu! Le duc de Craon. La comtesse,* je crois, va faire diligence. Le comte de Lude. Pensez-vous que le duc lui cède la régence? Un Courtisan. Pour qui vous rangez-vous, messieurs, dans ce débat? Le comte de Lude. Moi, pour lui. Le duc de Craon. Moi, pour elle. Commlne, qui réfléchit en les écoutant. Et qui donc pour 1'Etat? Un Courtisan, se détachant du groupe ou se trouve le dauphin. Plus bas! de monseigneur respectez la tristesse. Crawford, qui se promène avec Tristan. Comme autour du dauphin toute la cour s'empresse! Le roi s'en va. Tristan. Que Dieu le tire de danger, Et je lui dirai tout. Le comte de Lude, qui s'est rapproché du dauphin. C'est trop vous afniger, Mon prince; un peuple entier vous parle par ma bouche. 1 Le comte de Beaujeu, v. p. 28. 2 La eomtesse. c.-a-d. la comtesse de Beaujeu, Anne de France, fllle de Louis XI. acte v, scène iii. 163 Commine. Du malheureux Nemours que le destin vous touche! Le Dauphin. Que puis-je? Commine. En votre nom laissez-moi dire un mot, Vous serez entendu. Le Dauphin. J'y consens. Commtne, a Tristan. Grand prévót! Au sort des deux captifs monseigneur s'intéresse; Ne précipitez rien. Teistan, vivement. Les vceux de Son Altesse Sont des ordres pour moi. Le duc de Ceaon. Voici le cardinal. SCÈNE DJ. — Les Pbécédents, LE CARDINAL D'ALBY, qui sort de la chambre du roi. Le Dauphin, au cardinal. Le roi, comment va-t-il? parlez. Le Cardinal. Toujours bien mal, Toujours inanimé sans voix, sans connaissance; Mais nos pieux pardons 1'avaient absous d'avance. Ce qui doit consoler, prince, dans ce revers, C'est que, par ses bienfaits, les cieux lui sont ouverts; H a beaucoup donné: queUe ame que la sienne! Souhaitons pour nous tous'une fin si chrétienne. 11* 164 louis xi. Le Dauphin. C'en est fait! plus d'espoir. Le comte de Lude. II faut vous résigner Au chagrin de survivre. Le Cardinal. Au malheur de régner. Comptez sur notre appui. Le Dauphin. Dieu voudra-t-il qu'il meure Sans m'avoir embrassé même a sa dernière heure? Commine. Prince, que je vous plains! Le comte de Lude. C'est de la cruauté: Mais il vous a toujours si durement traité! Le Dauphin. Non, non, quoi qu'il ait fait, messieurs, je le révère. Le Cardlnal. C'est a nous qu'il convient de le trouver sévère; II 1'était. Commine. Au hasard de perdre mon crédit, Que de fois a lui-même en secret je 1'ai dit! Le Dauphin. Commine, vos conseils me sont bien nécessaires. Le Cardinal, bas au duc de Craon. Le seigneur d'Argenton veut rester aux affaires. Le Duc de Craon. D. sait changer de maitre.1 1 Commine avait été d'abord au service de Charles le Téméraire et ensuite a celui de Louis XI. acte v, scène iv. 165 SCÈNE IV. — Les Précédents, OLIVLER. Olivier. Enfin il est sauvé! Le roi respire. Le Dauphin. O Dieu! Olivier. Nos soins 1'ont conservé. Le Dauphin. Se peut-il? Le comte de Lude. O bonheur! Le Cardinal. Le ciel a vu nos larmes. Le duc de Craon. Cher messire Olivier! Olivier. Oui, messieurs, plus d'alarmes: II a repris ses sens; appuyé sur mon bras, II vient de se lever, il a fait quelques pas: On espère beaucoup; mais 1'ennui le tourmente. II veut, pour essayer sa force qui s'augmente, Changer de lieu lui-même, et passer sans appui Sur ce lit que nos mains ont préparé pour lui. Prince, qu'on se retire; il 1'exige, il 1'ordonne: Hors Commine et Tristan, il ne verra personne. Le Dauphin. Quoi! pas même son fils? Olivier. Par mes soins, monseigneur,. De 1'embrasser bientót vous aurez le bonheur. 166 lotjes xi. Le Dauphin. Quels droits n'avez-vous pas a ma reconnaissance! Commine. A la mienne! Plusieurs Cöurtisans. A la nótre! Le Cardinal. A celle de la France! Un officier du chateau. Messieurs du parlement! Le Dauphin. Allons les recevoir. Le Cardinal, qui suit le dauphin. Des sacrements, mon prince, admirons le pouvoir. Le Dauphin. Jamais je n'éprouvai d'ivresse plus profonde. Le comte de Lude, qui sort avec le duc de Craon. Un roi qui flotte ainsi compromet tout le monde. SCÈNE V. — COMMINE, OLIVLER, TRISTAN. Olivier. Nous voila seuls. commene. Eh bien? Tristan. II vivra? Olivier. Devant eux J'ai cru devoir le dire. acte v, scène t. 167 Tristan. Est-ce faux? Olivier. C'est douteux. S'il retombe, il n'est plus: son existence éteinte Ne pourra supporter une seconde atteinte. II demande Coitier. Tristan. Lorsque je 1'arrètai, L'ordre qu'il m'en donna fut trois fois répété. Commine. Que dit-il de Nemours? Olivier. Rien. Commlne. Ab! que la mort vienne Lui ravir le pouvoir avant qu'il s'en souvienne! Olivier. Mais il veut voir Coitier. Tristan. Qu'avez-vous répondu? Olivier. Pour sortir d'embarras je n'ai pas entendu. Sa pensee est changeante et sa tête affaiblie; L. parle et se dement, se souvient, puis oublie. Pour se prouver qu'il règne il veut tenir conseil: II croit tromper la mort a force d'appareil;1 La couronne du sacre et le manteau d'hermine Chargent son front qui tremble et son corps qui s'incline. Paie, 1'oeil sans regard, et, d'un pas inégal, Se trainant sous les plis de son linceul royal, 1 AppareU, pompe, magnificence (d force d'appareil, par une pompe excessive). 168 louis xi. D. prétend marcher seul; mais il 1'essaie a peine, Qu'épuisé par 1'effort, sans chaleur, sans haleine, II succombe, et murmure en refermant les yeux: Jamais, depuis vingt ans, je ne me portai mieux. Tristan. D. faut penser a nous. Olivier. Faisons cause commune. Commine. Faites, messieurs; pour moi, je plains votre infortune: La cour va vous juger avec sévérité. Olivler, a Tristan. Le seigneur d'Argenton vous dit la vérité. Tristan. Mais comme a vous, je crois. Olivier. Votre main fut trop prompte; De bien du sang versé vous allez rendre compte. Tristan. A cette oeuvre de sang d'autres ont travaillé. Olivier. Je n'exécutais rien. Tristan. Je n'ai rien conseillé. Olivier. Tous mes actes, a moi, me semblent légitimes. Tristan. Mais le sont-ils? Olivier. Du moins ce ne sont pas des crimes. Tristan. Des crimes! acte v, scène v. 169 Commine. Eb.! messieurs! Tristan. Un complaisant! Commine. Plus bas! Olivier. Un bourreau! Commlne. Par prudence, ajournez ces débats. Tristan. Au reste, c'est le roi qu'on doit cbarger du Manie: Le roi seul a tout fait. Commine. Tristan. Olivier. Je le proclame. Commlne. Olivier! Tristan. Je serais bien fou de le cacher. Commine. Attendez qu'il soit mort pour le lui reprocher, Regardez, le voici. Tristan. Ce n'est plus qu'un fantöme. Olivier. Que le ciel nous le rende, et sauve le royaume! . 170 louis xi. SCÈNE Yl. — Les précédents, LOUIS, appuyé sur plusieurs domestiques. Louis. (II s'avance lentement et s'arrête tout d coup.) Ces hommes, qui sont-ils? Olivier, au roi. Votre Olivier. Louis. C'est toi, Mon fidéle! Olivier. Commine et Tristan. Louis. Je les voi, Je les reconnais bien; on dirait, a 1'entendre, Que mes yeux affaiblis auraient pu s'y méprendre. Bonjour, messieurs. (h s'appuie sur le dos d'un fauteuil.) (Aux serviteurs qui l'entourent.) Laissez: ne me soutenez pas; Laissez-moi donc: sans vous ne puis-je faire un pas? (II leur fait 'signe de sortir.) Olivier. Reposez-vous. Louis, qui s'assied. Pourquoi? suis-je faible? Olivier. Au contraire. Louis. Ce que j'ai déja fait, je puis encor le faire. Olivier. Et plus, si vous voulez. acte v, scène Tl." 171 Louis. Je le crois. Commine. Cependant, Abuser de sa force est toujours imprudent. Louis. Je n'en abuse pas. (Jetant les yeux sur Tristan.) Immobile a sa place, D'oü vient que d'un air sombre il me régarde en face ? Me trouve-t-il change? vous 1'a-t-il dit? Tristan. Qui? moi? Je vous trouve a merveille. Louis. Autrement, sur ma foi, Tu t'abuserais fort, mon vieux compère. Tristan. Oui, sire. Louis, qui s'assoupit par degrés. Je me sens bien ici; c'est plus vaste: on respire. Olivier, d voix basse. II sommeille. Commlne, de même. Tous trois nous avons fait serment De 1'avertir, messieurs, a son dernier moment. Tristan. L'avertir! a quoi bon? Commlne. Sa volonté débile 1 Peut encore exercer une inrluenceutile. 1 Débile, faible. 172 louis xi. Olivier. Laisser a quelque ami des gages de bonté. Tristan. Je veux bien: disons-lui la triste vérité. Louis, toujours assoüpi. Tristan, veille sur moi. . Tristan. Sire, soyez tranquille. Olivier. Qui la dira, messieurs? Tristan. II faut un bomme habile, Un homme qui lui plaise, et qui sacbe amortir Le coup que le malade en pourrait ressentir. (A Olivier.) Vous. Olivler. Mon Dieu ! . .. je suis prêt. Commine. Parlez-lui! Olivler. Mais je 1'aime, Je 1'aime tendrement; me trahissant moi-même, A tant d'émotion je commanderais mal, Et mon attachement lui deviendrait fatal. U faut un homme ferme: aussi, plus j'examine, Plus je crois qu'un tel soin vous regarde, Commine. Commine. Volontiers . .. Mais pourquoi prolonger son tourment ? Mieux vaut aller au fait, même par dévouement. Tristan, brusquez la chose. Olivier. ' Et que Dieu vous inspire. acte v, scène vii. 173 Teistan. Tenez, convenez-en, c'est difficile a dire. Louis. Pourquoi parlez-vous bas? Olivtee. Nous causions entre nous De votre santé, sire. Louis. Oui, félicitez-vous. Coitier devrait ici partager votre joie. Que fait-il? Je 1'attends. LI faut que je le voie. Allez le prévenir. Teistan. Mais vous savez ... Louis. Je sais Qu'il tarde trop longtemps. Teistan. Mais, sire .. . Louis. Obéissez. (Tristan sort.) SCÈNE VU. — LOUIS, COMMLNE, OLIVLER. Louis, qui marche appuyé sur Commine. L'exercice aujourd'bui me sera salutaire; L'alezan 1 que Richard2 m'envoya d'Angleterre, Je me sens ce matin de force a 1'essayer. Cours 1'annoncer sur 1'heure a mon grand écuyer. 1 Alaam, vospaard (on distingue encore: un aleian dort, goudvos, et un alezan brülé, zweetvos). * Richard, c.-a-d. Richard III, roi d'Angleterre (1483—1486), et héros de 1'admirable tragédie de Shakespeare, Richard the Third. 174 louis xi. Olivier. Vous voulez .. . Louis. D'un chevreuil je veux suivre la tracé. Dis bien haüt que le roi va partir pour la chasse. Olivier. II faudrait... Louis. Sors. Olivier. Avant de prendre ce parti, Demander a Coitier ... Louis. Vous n'étes pas sorti! Olivler, d Commine. Sa volonté revient. SCÈNE Vm. — LOUIS, COIOIINE. Louis, après avoir fait quelques pas, s'assied sur le lit, et prend un papier sur la table. Us paraitront vulgaires, Ces conseils que j'ajoute a mon Rosier des Guerres; lis sont sages pourtant. Commine. Vous les avez écrits. Louis, lui passant le papier. Lisez. Commine. „Quand les rois n'ont point égard a la loi, ils „ötent au peuple ce qu'ils doivent lui laisser, et ne „lui donnent pas ce qu'il doit avoir. Ce faisant, ils acte v, scène viii. 175 „rendent leur peuple esclave, et perdent le nom de „roi: car nul ne doit être appelé roi, hors celui qui „règne sur des hommes libres." Louis. Force a la loi! Si j'en ai fait mépris, C'est que pour renverser on ne peut rien par elle. La royauté, sans moi, füt restée en tutelle.1 La voila grande dame, et la hache a ba main; Bien osé qui voudra lui barrer le chemin! Son écueil a venir, c'est son pouvoir suprème: Tout pouvoir excessif meurt par son exces même. La loi, monsieur, la loi! Commine. Ce précepte important, Votre fils le suivra. Louis. Ne nous pressons pas tant: Qu'il le lise, et qu'un jour il soit sa politique. La mienne est de régner sans le mettre en pratdque, Et tout seul, et longtemps. Commine. Une haute raison. Peut remplacer la loi. Louis, écartant le manteau dont il est couvert. Cette pompe, a quoi bon? D'oü vient que pour me nuire on a pris tant de peine ? Qui les en a priés ? Ma couronne me gêne: Posez-la pres de moi; plus prés, plus prés encor! Sous mes yeux, sous ma main. Commine. Je crois qu'a ce trésor Nul n'oserait toucher. 1 En tutelle, onder voogdijschap (le tuteur, voogd; un ange tutélaire, beschermengel). 176 louis xi. Louis, montrant la couronne. Non: mort a qui la touche! Ils le savent. SCÈNE LX. — LOUIS, COMMINE, COITIER, TRISTAN. Coitiee, en entrant, d Tristan., Le roi l'apprendra de ma bouche; Je le lui dirai, moi. Louis. C'est Coitier ; d'oü viens-tu? Coitiee. D'oü je viens? Sur mon ame, il faut de la vertu Pour répondre avec calme a cette raillerie. D'oü je viens! Louis. Parle donc. Coitiee. Mais cette main meurtrie Par les durs traitements qu'aujourd'hui j'ai soufferts, Cette main porte encor 1'empreinte de mes fers: Elle parle pour moi. Louis. Je ne puis te comprendre. Coitiee. D'oü je viens? du cachot. Louis. Toi! Coitiee. Faut-il vous 1'apprendre ? Louis. Qui donna 1'ordre? acte v, scène ix. 177 Coitier. Vous. Louis. J'affirme... Coitier. n, Devant moi; L est vous, vrai Dieu ! vous-même. Louis. En quel lieu? quand? pourquoi? Coitier. Me croire de moitié dans un projet semblable! De cette trabison si j'eusse été capable, Qui me gênait? quel bras se fut mis entre nous? Qui m'aurait empêché den finir avec vous? Je le pouvais sans arme et sans laisser d'indice. Mais moi sous vos rideaux introduire un complice! Louis, en se levant. Attends... Coitier. Moi 1'y cacher! Louis. L . Attends! yuel rêve affreux! un nu", sous mes rideaux, un homme... Coitier. Un malheureux... . . Commine, d voix basse. Coitier! Coïteer. Qui n'a commis que la moitié du crime; Qui, le poignard levé, fit grace a la victime. Louis. Un poignard! un poignard! Nemours, point de pitié! Nemours! Led. Class. n°. 39. 12 178 tours xi. Commine, ü Coitier. Qu'avez-vous fait! II 1'avait oublié. Coitier. Qu'entends-je ? Louis. Ab! c'est agir en ami véritable Que de me rappeler le crime et le coupable. (A Tristan.) Est-il mort? Tristan. J'attendais... Louis. Quoi! traltre, il n'est pas mort! Tristan. Sire, c'est le dauphin qui, touché de son sort, M'a prié de suspendre ... Louis. Un ordre qui me venge! Un ordre de son roi!... Votre excuse est.étrange. Que s'est-il donc passé? L'ai-je bien entendu? Sous ma tombe a Cléry1 me croit-on descendu? Mon fils!... pour son malheur faut-il que je le craigne ? S'il a régné trop tót, il est douteux qu'il règne. Coitier. Eb! sire, laissez la le soin de vous venger: C'est a Dieu maintenant, a Dieu qu'il faut songer: Car votre heure est venue. Louis, retombant sur le lit. Hein! que dis-tu? Coitier. J'atteste Que ce jour oü je parle est le seul qui vous reste; C'est le dernier pour vous. 1 CVèry, petite ville, non lom d'OrléanB; dans l'église se trouve le tombeau de Louis XI. acte v, scène x. 179 Louis. Et pour mon prisonnier, Quoi qu'il m'arrivè a moi, c'est aussi le dernier. Mais tu n'as pas dit vrai. Coitiee. Par le ciel qui m'éclaire: J'ai dit vrai; pesez bien ce que vous devez faire: Vous allez en répondre. Louis. (Au grand prév&t.) 11 n'importe! Va-t'en: Qu'il meure, ou tu mourras. Me comprends-tu ? Commine, s'approehant de Tristan et a voix basse. Tristan!... Tbistan, d Commine. S'il y va de la- vie!... (II sort.) SCÈNE X. — LOUIS, COMMINE, COITIER. Louis, d Coitier. Oh! non, c'est impossible; Tu voulais m'effrayer: 1'instant, 1'instant terrible, II est loin, conviens-en. Coitieb. J'ai dit la vérité. Louis. Je ne suis pas encóre a toute extrémité. Dieu, quel mal tu m'as fait! mon sang glacé s'arrête: II laisse un vide affreux dans mon cceur, dans ma té te... Qu'on cherche le dauphin. Commine. J'y cours. 12* 180 LOUIS XI. Louis. Restez ici: II me croirait perdu, s'il me voyait ainsi. Je me sens défaillir sous un poids qui m'oppresse; II m'étouffe: ö douleur!. . . ce n'est qu'une faiblesse, Mais ce n'est pas la mort. Sauve-moi, bon Coitier!... De 1'air; ah! pour de 1'air mon trésor tout entier! Prends, prends, mais sauve-moi. Le dauphin, qu'on 1'appelle! Non, ce n'est pas la mort... ö Dieu! mon Dieu!... (H se renverse sur le Ut et tombe sans mouvement.) Coitier. C'est elle. Commine. Essayez, s'il se peut, de retarder sa fin; Je cours vers monseigneur. SCÈNE XI. — LOUIS, COITIER. Coitier, après l''avoir regardé un moment en silence. Me voila libre enfin! (H passé la main sur le visage du roi et soulève les paupieres.) Ses lèvres, son ceil terne oü la vie est éteinte, De la destruction portent déja 1'empreinte! (Prenant le bras, qui retombe). C'est du marbre; il n'est plus, et Nemours... Le cceur bat. II peut sortir vivant de ce nouveau combat; Oui, si je le ranime... Et dans quelle espérance? En prolongeant ses jours d'une heure de souffrance, J'ajoute un crime horrible a ses crimes passés. Le meurtre de Nemours! oh! non, non; c'est assez. o„;o go.tic mui • ot4 fo 1 'al^QniInntiü * + „g.o >~ i.uimuviiiiu. Ce roi, par mon secours, ne tuera plus personne. " Tu peux, pour ce forfait, disputer un instant, ACTE V, SCÈNE Xll/xm. 181 Si tel est ton plaisir, sa dépouille 1 au néant;2 Mais qu'a ta honte au moins ton ceuvre s'accomplisse: Je suis trop las de lui pour être ton complice. SCÈNE XII. - LOUIS, LE DAUPHIN, COITLER, COMMINE, OLIVIER, plusleurs cotjrtisans. Le Dauphin. Lui, mon père! il m'appelle, il veut m'ouvrir ses bras! (A Coitier.) Dieu! serait-il trop tard? Vous ne répondez pas: Ce silence m'éclaire; il a cessé de vivre. Sortez, qu'a ma douleur sans témoins je me livre. Commlne. Monseigneur... Le Dauphin. Laissez-moi, je vous 1'ordonne a tous. SCÈNE XHI. — LOUIS, LE DAUPHIN. Le Dauphin, a genoux, auprès du Ut. O mon père, ó mon roi, me voici devant vous. RecueiUez dans les cieüx, d'oü vous pouvez m'entendre, Les regrets de ce cceur qui pour vous fut si tendre. Respectant vos rigueurs, votre fils méconnu Jamais, pour les blamer, ne s'en est souvenu; Loin, bien loin d'accuser votre sagesse auguste, Je me cherchais des torts pour vous trouver plus juste. Je n'ai pu vous fléchir, et cette froide main, Que je couvre de pleurs, que je réchauffe en vain, Hélas! c'est donc la mort, et non votre tendresse, Qui permet aujourd'hui que ma boucbe la presse, 1 Dépouille, v. p. 121.' 1 Néant, v. p. 66. 182 lotjis xi. Et pour que votre fils ne füt pas repoussé, Mon père, il a fallu que ce bras füt glacé! (Se relevant.) Moi! sur la royauté lever un ceil avide! Elle seule a flétri ce visage livide; Comme un présent fatal de vous je la recois. (H prend la couronne.) Puissé-je la porter sans fléchir sous son poids! Que j'en sois digne un jour! SCÈNE XIV. — LOUIS, LE DAUPHIN, MARIE. Marip, se jetant aux pieds du dauphin, et lui présentant l'anneau qu'elle a regu de lui. Sire; pitié, clémence! Tristan 1'a condamné; révoquez sa sentence. Sire, vous pouvez tout: reconnaissez ce don; Ah! qu'il soit pour Nemours un gage de pardon! Nemours! il va périr et sa vie est la mienne: Le dauphin a promis; que le roi s'en souvienne! Le Dauphin. Rassure-toi, Marie! il s'en souvient, va, cours; (Placant la couronne sur sa tête.) Le roi tient sa parole et pardonne a Nemours. (A la fin de la scène précédente et pendant celle-ci, Louis, qui se ranime par degrés, fait quelques mouvements. E allonge son bras pour chercher la couronne; puis ü se souUve et promène ses regards ' autour de lui. Appuyé sur la table, il se traine jusqu'au dauphin, et lui pose la main sur l'épaule; celui-ci jette un cri, et tombe a cóté de Marie.) Louis, au dauphin qui veut lui rendre la couronne. öardez-la, gardez-la; mon heure est arrivée. J'accepte la douleur qui m'était réservée; Je 1'offre a Dieu: mon père est vengé par mon fils! i Louis XI veut dire ici que, de même que lui-même a abrégé la vie de son père (v. p. 147), son fils a haté maintenant sa fin en s'emparant prématurément de la couronne. acte v, scène xv. 183 SCÈNE XV. — LOUIS, LE DAUPHIN, MARLE, FRANCOIS DE PAULE, COMMINE, OLIVIER, le cardinal d'ALBY, le duc de CRAON, le comte db LUDE, le cleboe, la cour, le parlement. Louis. Approchez tous: a lui le royaume des lis! A moi celui du ciel: c'est le seul oü j'aspire. (Au Dauphin.) Vous, écoutez ma voix au moment qu'elle expire. Faites ce que je dis, et non ce que j'ai fait: J'ai voulu m'agrandir, je me suis satisfait. La France a payé cher cette gloire onéreuse:1 Vous la trouvez puissante, il faut la rendre heureuse. Ne séparez jamais votre intérêt du sien; (Bas.) Honorez beaucoup Rome, et ne lui cédez rien. Si fort que vous soyez, si grand qu'on vous proclame, Aimez qui vous résiste et croyez qui vous blame. Quand vous devez punir, laissez agir la loi; Quand on peut pardonner, faites parler le roi. Marle, avec désespoir. Qu'il parle pour Nemours! Francois de Paule. Sire, Dieu vous contemple: Donnez donc une fois le précepte et 1'exemple. Le Dauphin. Laissez-vous attendrir. Louis, d Francois de Paule. Et si je suis clément, Ce Dieu m'en tiendra compte au jour du jugement? Francois de Paule. Mais vous lui répondrez de chaque instant qui passé. 1 Onèreux, lourd, accablant. 184 louis xi. Louis. Je pardonne. Marie. C'est moi qui lui porte sa grace; Moi, moi, j'y cours... Tristan! SCÈNE XVI. — les précédents, TRISTAN. Tristan. L'ordre est exécuté. Marle, tombant sur un siège. R est mort! Louis. Ce bourreau s'est toujours trop haté. (Montrant Olivier.) Qu'il en porte la peine, ainsi que eet infame Dont les mauvais conseils empoisonnaient mon ame. A leur juge ici-bas je les livre tous deux, (Joignant les mains.) Pour que le mien s'apaise et soit moins rigoureux. (A Francois de Paule en s'agenouïttant.) Hatez-vous de m'absoudre; il m'attend... il m'appelle; Priez pour le salut de mon ame immortelle: Sauvez-la de 1'enfer !... Je me repens de tout: Humble de cceur, j'ai pris la puissance en dégoüt; Voyez... je n'en veux plus. Qu'est-ce que la couronne ? (Èn se levant.) Fausse grandeur... néant!... Priez... je veux, j'ordonne... (H chancelle et tombe au pied du lit.) Coitier, qui met un genou en terre et lui pose la main sur le ceeur. Commine; c'en est fait. Commlne, quittant le fauteuil oü ü donnait des soins d sa fitte, s'incline et dit au dauphin: Sire, il n'est plus! acte t, scène xvi. 185 Un héraut, d'une voix solennelle. „Le roi est mort, le roi est mort." Toute la cour, en se précipitant vers le dauphin: „Vive le roi!" Francois de Paule. Mon fils, Considérez sa fin, méditez ses avis; Et n'oubliez jamais sous votre diadème Qu'on est roi pour son peuple et non pas pour soi-même. fin. PUBLICATIONS DE W. E. J. TJEENK WILLINK A ZWOLLE. Ont paru dans la collections des LECTURES CLASSIQUES N°. 1. SAND, La Mare au Diable, annoté par M. Hoos / 0.60 2. DE VIGNY, Cinq Mars, annoté par M. Hoog. . 0.60 3. BALZAC, Eugénie Grandet, Pages choisies par M. Valkhoff 0.75 4. DAUDET, Tartarin de Taraseon, annoté par M. Horbach, 2e édition ..... 0.80 5. SANDEAU, La. Roehe aux Mouettes, annoté • par M. Hoog 0.75 6. Comédies Modernes I, annotées par M. Doucet . 0.75 [Haratjcourt, Les Oberlé — Zamacoïs, Les Bouffons — Prapié & Garnier, Sévérité). 7. LOTI, Pêeheur d'Islande, annoté par M. Doucet. 0.75 8. HUGO, Jean Valjean, annoté par M. Hoog. . . 0.60 9. DAUDET, Tartarin sur les Alpes, annoté par M. Horbach 0.90 10. Poètes et Chansonniers I. Vers Francais choisis par M. Valkhoff • 0.60 11. MOLIÈRE, Les Femmes Savantes, annoté par M. Bomli 12. ROSTAND, Oyrano de Bergerac, annoté par M'. Hovingh en M. Bitter (Nouv. éd. complete). 1.50 (Prix, y compris Hovingh & Bitter, Autour de Cyrano f 1.90.) 13. CORNEILLE, Le Cid, annoté par M. Bomli . . 0.45 14. HALÉVY, L'Abbé Constantin, annoté par M. Hoog, 2' édition 0.75 15. RACINE, Britannicus, annoté par M. Bomli . . 0.45 16. LABIOHE et MARTIN, Le Voyage de Monsieur Perriehon, annoté par M. Verhaegh, 2'édition 0.60 17 Comédiés Modernes H, annotées par M. Doucet. 0.75 fA. Pranck, Crainquebille. T. Bernard, l'Anglais tel qu'on le parle;. Franches Lippées; Les pieds nickelés] 18. PAUL et VICTOR MARGUERITTE, Poum, annoté par M. Du. Crocq • 0.75 19. ABOUT, Le Roi des Montagnes, annoté par M. Leopold 0.75 20. SCHULTZ, La Neuvaine de Oolette, annoté par M. Hoog °-75 21. COPPÉE, Le Luthier de Crémone, annoté par M. Verhaegh 0>45 PÜBLICATIONS DE W. E. J. TJEENK WILLINK A ZWOLLE. 22. DAUDET, Le Petit Chose, annoté par M. Horbach 0.85 23. PAUL et VICTOR MARGUERITTE, Zette, annoté par M. Du Crocq 0.75 24. VERNE, Le Tonr du Monde, annoté par M. Corbeau 0.90 25. AUGIER et SANDEAU, Le Gendre de M. Poirier, annoté par M. Doucet 0.50 26. PEUILLET, Le roman d'un jeune homme pauvre, annoté par M. Haringx 0.75 27. Comédies Modernes III, -annotées par M. Doucet. 0.85 [M. Prbvost, Pierre et Thérèse — Miguel Zamacoïs, La Pleur Meryeilleuse], 28. CORNE1LLE, Horace, annoté par M. Bomli . . 0.45 29. DE LA BRÈTE, Mon Oncle et mon Curé, annoté par M. Hoog . . 0.75 30. MOLIÈRE, L'Avare, annoté par M. Valkhoff . 0.60 31. BUSNAOH, Le Petit Gosse, annoté par M. du Crocq 0.60 32. ERCKMANN-GHATRIAN, L'ami Pritz, annoté par M. Bomli (édition compléte) 0.70 33. HALT, Histoire d'un Petit Homme, annoté par M. Vles i|| 0.75 34. COPPÉE, Oeuvres ehoisies, annoté par M. Hoog 0.80 35. MOLIÈRE, Le Medicin malgré lui, annoté par M. Hovingh & Bitter 0.60 F.-P. VISSER, Les Régies principales de la Grammaire francaise a 1'usage des Écoles secondaires et des Gym- nases, deuxième édition . 0.90 , Thèmes et Exercices I. Deuxième édition 0.50 —, Vocabulaire I. Deuxième édition. . . 0.50 —, Thèmes et Exercices n 0.60 —, Vocabulaire n 0.60 —, Stukken en fragmenten ter vertaling . 1.50 —, Morceaux a lire, a dire et a ehanter a 1'usage des Écoles secondaires et des Gymnases I. Ing. 1.10, in linnen 1.25 Vocabulaire des Morceaux a lire, a dire et a ehanter. I. Ing. 0.35, in linnen 0.50