II [page 1] LE PROCEZ D'ESPAGNE CONTRE HOLLANDE/ PLAIDÉ DÈS L'AN 1600, APRES LA BATAILLE DE NIEUPORT i. Dedié a très-sage Prince et très-valeureux Capitaine, Maurice de Nassau, Duc de Grave etc. Grand foudre de combats, boulevard d'innocence, Beau patrou de sagesse et miroir de clemence, Prince, qui, pour monter sur le throsnc d'honneur, Taillez en marche-pieds 1'Espaignolle fureur, Ja Flore, par six fois, de nouveau s'est parée 2, Depuis qu'un bel instinct de victoire asseuréeVous fit entrer en Flandre, et, costoyant ses bords,, Paver les flots de naus et les sables de morts. Deslors cognust Philippe, en sa perte fatale, Que la fortune estoit d'un Maurice vassale ; Ce coup, vostre beau nom par le monde porta, Jusqu'aux murs de Madril, 1'horreur en esclata. Le bruit d'un tel exploit dans mon ame fit naistre Un esguillon de Mars, un desir de cognoistre Le guerrier qui deffend, nompareil en vertus, [page 2] De 1'acier de Cesar, les raisons de Brutus 3. Flottant en ce dessein, la pesanteur du Somme, Image de la mort, tous mes soucis assomme, Lors sortant en esprit pour prendre mes esbats, Je laissay mon tombeau gisant entre les draps, C'estoit lors que le chantre a la creste vermeille Predit au laboureur que 1'Aube s'appareille, Lors vois-je ou pensay voir le fantastic4 Morphé Sörtir par le portail qui, de corne estoffé, Ne fait voir aux donhants que veritables songes : « Ce ne sont (me dit-il) effroyables mensonges Ni spectres importuns que monstrer je te veux ; Laissons ce lieu terrestre, il faut monter aux cieux. » A-tant, il me chargea sur son espaule forte, Guindé sur deux cerceaux et, d'un clin d'ceil, m'enporte Aux planchers etherés ; a peine eus-je le temps 1. Collationnésur 1'exemplaire des Meslange», qui se trouve a la Bibliothèque NaUonale (Rés. Yf. 4264), a la suite de : Les Funesles Amours de Belcar el Meliane..., par Daniël d'Ancheres. Paris, Jean Micard, 1608. Le Procez d'Espagne est la première pièce des Meslanges. Pour le commentaire littéraire et historique, se reporter au chapitre IV du Livre L Les notes qu'on trouvera ci-après ne se rapporteront en général qu'a 1'établissement du texte. Les < u» ont été remplacés par des « V», les «i > par des • j »,et inversement, quand il y a lieu. La ponctuation a été modernlsée, 1'accentuation ancienne respectée, sauf quand il a fallu ajouter un accent aigu pour marquer la tonique. 2. La pièce a donc été composée en 1606. Voir plus haut, p. 49 , 3. Voir pms haut, pp. 45 et 47 pour Ie commentaire de ces vers. 4. Ed. 1608 : < fantastlque ». 706 PIÈCES JUSTIFICATIVES L'embon-point de ses bras, mi-couverts de la manche, Son voile a cent replis de fine toile blanche, Tiroient au fond des cceurs plus de rayons ardents Que 1'Espagnole pompe aux yeux des regardants. « Monarque universel, de qui la providence Tourne de tant de feux la diverse cadence, Si, dit-elle, equitable et jaste vous sembla Le vieil chasse-Tarquins, qui de Rome doubla La couronne en Consuls, vous rendez approuvée Ma main de liberté contre Espaigne eslevée. Les Roys sont vos nep veux s'ils gouvernent en paix, S'ils briguent en douceur l'amour de leur subjets, Ils sont les favorits de vos images vives, Mais si, bridants les cceurs et les langues craintives Des peuples asservis, ils transforment les noms De Prinoes en Tyrans, de Caesars en Nerons, Si, pour souverain chef, ils ne voos recognoissent, Si, brut aux, de rap ine et de meurt re ils se paissent, II faudra prendre en gré la rage qui les poind ? Nous sentirons les coups et n'en soufuerons point ? [page 6] Le poisson, 1'oyselet, «t la biche, grand-erre, Fendra, battra, courra, 1'eau, le vent et la terre, Au seul nom du trespas. Nous serons a jamais Brebis entre les loups qui nous mangent en paix ? Neus verrons chasque jour, au gré de leur furie, Un carnage d'Anvers et cent autre furie ? 1 Un Duc d'Albe sans foy qui voudra, resolu, Fonder sur Ie massacre un pouvoir absolu, Qui semble conjurer par bourreaux et par guerres De peupler 1'Acheron aux despens de nos terres ? Si nous levons -la voix, nous serons des mutins; Si neus cherchons salut, nous voudrons, libertins, Enterrer la balance et le glaive «TAstrée 1 Et quoy ? se plaint-on d'eux 2 en ma seule contrée ? Sommes nous seul[s] la bas, dont la juste rancoeur Garde leurs taks en 1' ame et les ait en horreur ? Soit oü 1'Aube première ouvre son teint de rose, Soit oü le coche ardant de Phcebus se repose, Soit oü d'eternel chaud les Negres sent pressés, Soit oü les flets baveux en marbre sont -glacés, Vous ne voyez climat oü chacun ne deteste De leur ambition la dommageable peste. L'Espagnol est un feu, qui tant plas se fait grand Du mal de ses voisins, et tant plus entreprend. C'est un chien en sa loy, c'est un Paon en sa gloire, Un regnard en sa guerre, un tigre en sa victoire. N'appelons a tesmoin le monde ja desert, Par un vel de Coulombe autrefois descouvert, Oü Ferrand par le sang, par la chaine servile, 1. Pour la seconde fois (cf. plus haut, p. 2\ le poète ne met pas le pluriel après cent. 2. Édition 1608 : deux. PROCEZ D'ESPAGNE CONTRE HOLLANDE 707 Preschant le metail jaune au lieu de 1'Evangile, Fit aux peuples dontés plus de mortel ennuy Que les Demons d'enfer qui regnoient avant luy. Je tairay leur Cesar qui gaigna par amorce Les Allemans peu fins, les gouverna par force; [page 7] Je tairay les complots qu'il dressa tant de fois Pour esbranler 1'Itale et tenter les Anglois ; Je n'iray recherchant les terres esloignées, Je ne veux de si kring fueilleter les années, Mais abaissez les yeux, ö Fondateur du Tout, Contemplez a loisir de 1'un a 1'autre bout, La France encor en pleur pour ses villes bruslées, Pour ses fleuves sanglans, ses terres desölées ; Un poison infectant ses membres abrutis. Les avoit divisés en contraires partis, Opposant en bataille et le frere a son frere Et le pere a son fils, une hideuse Mere, Une civile horreur luy deschirant les flancs, Vouloit ses plus beaux lis aussi rouges que blancs. Qui causoit ce meschef ? les secrettes menées D'un Herode routier, qui par longues années Engraissoit les Caphards, pour, d'escrits et de voix, Rendre un peuple felon, tant fidele autrefois, Peuple qui, se couvrant en barricades fortes l, Outragea son bon Prince et luy ferma ses portes, Luy poussa dans le sein le parricide fer D'un meurtrier enfrocqué creature d'enfer. Mais vous le scavez mieux, car vos oreilles saintes Ont de tant d'oppressez entendu les complaintes, Voire exaucez leurs vceux et vostre oeil, de pitié, Poussant dans ses brouillards un rayon d'amitié, A dessillé les yeux des Ligueuses armées Et remis en vigueur les palmes renommées D'un Henry sans pareil qui tiendra desormais Toute 1'Espagne en peur, toute la France en paix. Ainsi paria la Nymphe, et le grand fils de Rhée, Secouant tout le chef de facon cholerée, Feit trembler de Pluton les empires noircis, [page 8] Craquer les fondemens oü le monde est assis, Puis de 1'ceil trouble.-ciel, qui farcit les nuages De tourbillons d'esclairs. et de gresleux orages, Lanca sur la Castille un regard furieux, 1. Les caractères typographiques de ce vers et des onze suivants jusqu'au bas de la page sont passablement brouillés dans 1'exemplaire de-la Bibliothèque Nationale. D a fallu collationner sur celui de 1'Arsenal. II ne s'agit pas ici d'un composteur mal vissé ou d'une jorme mal serrée, mais d'un brouillage voulu pour échapper a la censuré, a raison de la vive attaque contre la Reine Catherine de Médicis, les moines, Jacques Clément, 1'Eglise et la Ligue... Les derniers mots lisibles sont«le grand fils de Rhée ». Les deux vers : « Secouant tout le chef, etc. » et « Feit trembler, etc. », manquent complètement. De la phrase:« Un Henry sans pareil qui tiendra desormais [toute 1'Espagne en peur, tout la France en paix] », seul le premier vers est lisible. Le second a du être brouillé volontairement, comme compromettant pour la politique de Henri, qui allait s'entremettre ou s'était cntremis pour la paix. 708 PIÈCES JUSTIFIGATIVES Tonnant en mesme temps ces mots impétueux : « Enfin donc, arrogante, après mille blasphemes Vomis, en ton malheur, contre mon trosne mesmes, Mille horribles despits, dont le moindre jugé Meritoit bien un traict des Gyclopes forgé, Ton audace est dontée et cognoist, par contrahite, Qu'il est, sur tous desseins, une Majesté sainte, Et, succombant aux faix de mon bras violent, Couve un fiel venimeux sous un masqué dolent. Ha! qu'en vain contre moy ces feintes sont dressées, A qui seul appartient de sonder des pensées : Ou ce regard farouche ou ce geste me dit Que la langue me prie et le coeur me maudit. Ouy, j'ayme le bon droit : tant que ta gloire vaine 1 Haussera ton mespris sur la nature humaine, Je me rendray partie et, te versant a bas, Te briseray du tout, si tu ne fleschis pas. J'ay souftert jusqu'icy ta barbare malice Pour en donter les miens qui se plongeoient 2 au vice, Mais garde toy du feu ! La verge est en danger, Si 1'enfant s'adoucit et se veut corriger. » J'escoutois attentif, quand le grand ceil du monde, Jaunissant 1'Orizon, de sa perruque blonde Vint darder un rayon qui dessilla mes yeux ; Je demeure estonné, comme tombé des cieux. 1. Édition 1608 :« veine ». 2. Édition 1608 :« plongeoit ». III LE MODELLE DE LA STUARTIDE (Ms. du British Museum 16 E xxxiii). Voici comment j'ai été conduit a Ia déeouverte de ce manuscrit, le seul jusqu'a présent connu de Jean de Schelandre et tres probablement en grande partie autographe. On lit dans Les Funestes amours de Belcar et Mellane dediees au Rog d'Angleterre par Daniël d'Ancheres, gentilhomme verdunois, A Paris, chez Jean Micard... 1608 avec Privilege du Roy, 1 vol. pet. in-16 [Br. Museum, 1073 a 23 1-2], a la fin de la préface, ceci: « Et si V. M. me fait 1'honneur de les avoir pour agréables, je promets que, m'estant fortiflé la voix, sous ses favorables auspices, je feray retentir au Parnasse Francois le divin subject de ses louanges...»Le dessein de la Stuartide est donc, dès lors, concu. Dans la préface de 1'édition de la Stuartide de 16111, il est dit: «Le seul argument imparfait et manuscript a remporté le nom de belle invention. » C'est cette indication qui me servit de guide et, aidé parfobligeance de MM. Pollard, Wood et Thomas, je retrouvai cet « argument imparfait et manuscrit» sous la forme d'un petit in-quarto de la Royal Collection portant la cote 16 E xxxrn et dont voici le titre. J'en respecte la disposition. (Cf. pil. XI et XII) : Le Modelle de la Stuartide en l'honneur de la trés illustre maison des Stuarts Presenté au Roy de la Grande Bretaigne pour obtenir son adveu en Ia continuation d'un si grand project par Daniël d'Ancheres Sieur de Schelandre Plus d'Encheres et plus vault. Au folio 2 r° se lit une préface dont voici la transcription ; [fo 2 r] Au Treshault, tres puissant et tres excellent Jacques I du nom, roy de la grande Bretaigne, etc. Sire, Cest embryon sans forme (ou plus tost eest eschantillon) d'un ouvrage de longue haleine paroistroit aux yeux de vostre Majesté avec mie 1. * Les deux premiers livres de la Stuartide en l'honneur de la Trés illustre maison des Stuarts, dédiie au Sérénissime rog de la grande Bretaigne par Jean de Schelandre S' de Soumazennes en Verdunois. A Paris, par Fleury Bourriquant, 1611,1 vol. in-16. (British Museum, 1073, e 25). Le texte du premier livre édité est sensiblement le même que celui du ms. du Modelle, mais ce dernier presente, a cöté de lacunes, des variantes importantes. 714 PIÈCES JUSTIFICATIVES ce qu'on dit estre un don de Dieu s'est fait un suplice des hommes et ceste lumière spirituelle, qui doit esclairer les entendemens, a esté changée en un feu materiel qui consume les membres. Levons le masqué a ceste sanglante tragedie. N'est ce pas destruire son peuple, sous couleur de le vouloir instruire ? tuer ses subjets pour les guerir ? brusler son Pays pour le nettoier ? n'est ce pas faire servir la Religion a sa Tyrannie ? rendre Jesus Ghrist ministre de ses passions ? et au nom du Roy Catholiqüe, venger la cruauté du Roy d'Espagne » ? Cruauté [A 3 r°] si grande et inouye, que, s'il n'estoit pas permis autrefois de respirer sans payer tribut, on n'osoit ouvrir la bouche sans craindre la corde et, si on dit que tous les hommes vivent pour le Prince, il sembloit qu'ilz devoient tous mourir pour le Tyran. Ce pauvre peuple alors, ne trouvant point de milieu * pour se sauver, fust contrahit de cercher3 sa seureté dans les perilz de la guere et prit les armes a 1'extremité, non tant pour résister a un si puissant ennemi que pour rendre les derniers devoirs a la Nature et faire un effort aux abbois de sa liberté. Mais celui qui lui donna la résolution au cceur lui mit quant et quant 4 la force en la main et rendit libres avec beaucoup de gloire ceux qui ne demandoient que servir avec un peu de tranquillité. On vit naistre en un instant une armée, OÜ le Duc d'Albe ne pensoit pas avoir laissé un homme. On vit les cendres r'allumées de tant d'innocens mettre le feu, oü il croyoit 1'avoir esteint par leur mort et, cependant que le sang versé crioit vengeance, Celui 8 qui restoit estoit le vengeur. La Chrestienté intéressée« en la justice d'une si bonne cause, ne permit pas qu'on lui arrachast 7 1'ceil sans y porter la main. Elle anima tous ses 3 princes contre ce 9 Tyran. Elle arma ses peuples pour la deffense de cestui-cyi» et les fit tous combatre pour le faire vaincre. Or c'est icy le grand livre des jugemens de Dieu qu'il a ouvert en ces derniers temps [A 3 v°] pour y faire lire en tremblant les puyssances de la terre, qui verront un usurpateur de Royaumes perdre son patrimoine. Celuy qui s'est fait maistre de 1'autre monde, sans donner coup d'espées ne pouvoit venir a bout d'un petit point de cettui-cy avec toutes ses forces et le grand Philippe chargé des coronnes de tant de Roys estre despouillé de sa chemise par ses propres subjets. Chose estrange et qu'on ne croira pas en un autre Siècle 1 II a p!us emploié d'or qu'il n'avoit de terre a conquérir et semble qu'il n'ait eu plus d'hommes de son costé que pour avoir d'avantage de morts. Les bons coups mesmes qu'il a pensé faire lui ont mal succedé. Car, sans la mort du Prince d'Orange marchandée par luy de longuemain, il n'eust pas senti si tost qu'il a fait, les efïects de la bonne conduite et du courage de son filz, qu'il a rendu Capitaine a ses despens et de meilleure heure qu'il n'eust esté bon pour ses affaires. II s'est desfait de la teste, mais il a « resté encore deux bras pour le battre: deux Princes nais 1. Ed. orlg.:« Espange », corrigé dans 1'ex. Dupuy. 2. Italique dans 1'édition originale. 3. Ed. de 1665 : « chercher ». t'. La maiuscule remplacée par la minuscule et non sans dessein dans 1'ex. Dupuy. 6*. Ed. orig. :«inteteresse »;« e » flnal ajouté dans 1'ex. Dupuy. 7. Ed. orig. : « arrarcha ». 8. Ed. orig. : «ces». 9. Ed. 1665 : « le ». . , . . . ., _ 10. Ed. 1665 : « cettui-cy »; éd. orig. :« cestui-icy», corrigé en«cestui-ci»dans l ex. Dupuv. 11. < s » barré dans 1'ex. Dupuy. 12. Corrigé en « est» dans 1'ex. Dupuy. Planche Lil. Carte des Pays-Bas dans la première moitié du xviie siècle. (D'après Waddington, La Répnblique des Provinces-Unies'). DISCOURS SUR L'ESTAT DES PROVINCES-UNIES 715 dans les armes, nourris dans les armées, desquelz le plus jeune seroit trop digne d'y commander si son frère ne 1'estoit encores 1 plus. Ilz luy emportent ses meilleures villes, pendant qu'il s'opiniastre après un cimetière et qu'il se ruine d'hommes et d'argent pour avoir les ruines d'une ville despourveüe de 1'un et de 1'autre. Si leurs gens monstrerent a la bataille de Nieuport qu'ilz savoient bien tuer, ilz 2 firent voir en ce siège qu'ilz scavoient bien mourir. Ilz ont gardé Ostende, ne restant plus que la place oü elle avoit esté ; ils ont eu assés de terre pour combatre, tant qu'ilz en ont eu pour s'enterrer et si elle n'eust manqué a leurs pieds pour les soustenir, leurs mains ne luy eussent jamals manqué pour la defendre. De sorte que 1'Espagnol ne 1'a pas prise, mais ilz luy ont laissée et ont autant gaigné de la perdre que 1'autre a perdu de la gaigner, qui commenca deslors a s'ennuyer de prendre8 de la peine pour avoir du deshonneur; d'estre encores a un commencement de quarante ans et de s'esforcer a ne rien faire. II fallut donc crier : « C'est assés I» et mettre bas le premier les armes, comme il les avoit prises le premier. Ses Capitaines lui servirent plus a demander la paix qu'a faire la guerre. II les envoya vers les Hollandois, non pas pour les forcer de servir, mais pour les prier de se contenter de leur liberté. II les recogneut pour souverains, ne pouvant les faire esclaves. II leur donna ce qu'il ne leur pouvoit pas oster et fust contraint, traittant avec eux, de baptizer leur gouvernement du nom de République souveraine et d'estre son parrein après avoir esté son ennemi. Si on demande les titres de cette souveraineté, ils sont escrits en lettre rouge, ils ont été signés de la propre main de leurs parties. Si on doute de la durée de cette République, ell' est eternelle, puisqu'elP a Dieu pour fondateur et la Religion [verso] pour fondement. Si on mesure sa grandeur par celle de la mer, oü elle commande, elle est des plus grandes ; si on compte ses années par ses victoires, ell' est des plus anciennes. Son peuple est Celui qui a esté nommé autresfois le frère des Romains et aujourdhui, heritier de leur vertu, produit' des Courages, qui ne font rien qui ne merite d'estre escrit de ces grans Personages Douza, Grotius, Heinsius, Baudius *, Esprits qui n'escrivent rien qui ne merite d'estre leü. Les Romains, comme leurs frères, ne les ont jamais fait servir, les Espagnolz ne 1'ont pas pu faire comme leurs Maistres. Concluons hardiment que ceste liberté qui se rencontre si souvent en ce discours ne fmira point qu'a la fln de la République et que ce peuple ne sera plus, ou sera tousjours libre. Jean Louys de Balzac. 1. Barré dans 1'ex. Dupuy. 2. Autre feuille, sans signature. 3. Ed. 1665 : « perdre ». 4. En italique dans 1'édition originale et dans celle de 1665. Dupuy a recueilli deux feuilles dont le verso est différent. L'une est semblable a celle du Ms. fr. 17861, mais la ligne « de ces grands personnages, Douza, Grotius, Heinsius, Baudius,» est barree et, dans la marge, on lit cette note manuscrite:«Voici comme il y a dans la copie qui a esté baillée a I'imprimeur : qui ne font rien qui ne merite d'estre escrit et des esprits qui n'escrivent rien qui ne merite d'estre leu. » Tel est d'ailleurs le texte de 1'autre feuille avec une astérisque ren voyant a une note marginale imprlmée en italique : < Ces grans personages Douza, Grotius, Heinsius, Baudius >, a cöté de quoi la même main a écrit: < II fault lire comme il y a dans 1'original: et des Esprits qui n'escrivent rien, etc». Les corrections ne sont pas de la main de Dupuy. 722 INDEX DES NOMS PROPRES 553, 576, 586, 606, 615, 622, 631, 653, 654, 656, 664. Aristote (Louis), 346. Arminius, 171, 174, 175 (n. 1), 222, 231, 261 (e*n. 4), 293, 389. Arnauld (Abbé), 126 (n. 4). Arnauld (Antoine, dit le grand), 524, 580, 581, 647 (n. 1). Arnobe, 319. Assas (d'), 121. Athanase (Le P.), 133 (n. 3). Aubéry (Benjamin), Sr du Maurier, 126 ; v. Du Maurier. Aubéry (Louis), 344 ; v. Du Maurier. Aubignac (Abbé d'), 277 (n. 4). Aubigné (Agrippa d'), 13, 26, 47, 64 (et n. 3, 4), 128 (n. 5), 129 (n. 5), 133, 228, 261. Auriacus (Princeps), 157 (n. 1); v. Guillaume d'Orange. Ausone, 398 (n. 2). Avila (Don Loys Bernardo d'), 54. Bacon (Francois), 419, 500, 630. Baigné (Cardinal de), 542. Baillet (Adrien), 361, 362 (n. 2), 363 (n. 2, 3), 366 (et n. 1, 2), 369, 374, 376, 378, 388 (n. 3), 394, 395 (n. 4), 396 (et n. 1), 397 (et n. 3), 398 (n. 2), 399, 403, 404, (et n. 5), 407 ( et n. 4), 408 (et n. 2), 412, 414 (n. 1), 415 (n. 4), 416, 446 (et n. 6), 453, 456 (n. 1), 469 (n. 2), 470 (n. 1), 471 (n. 3), 483, 484 (et n. 2), 485, 488, 489, 494 (n. 5), 513, 520 (n. 4), 524, 526 (et n. 2), 526 (n. 3), 536, 540 (et n. 1), 542 (n. 1, 3), 549, 587, 588 (n. 3), 592 (n. 3), 627 (et n. 2), 637 (n, 1), 638 (n. 1), 655, 677 (et n. 4), 679 (et n. 1), 680 (n. 1, 3). Bailly, 238. Baldran (Pierre), 98 ; v. La Caze. Baldray (Pierre) dit La Case, 98 (n. 2) ; v. La Caze. Balsatius, 141 ; v. Balzac Balzac (Jean-Louis Guez de), 10, 73 (n. 1), 139, 141 (et n. 3), 219, 221, 223, 232, 241 ; Livre II, Chap. X, XI, XII : pp. 243-291, 306, 326, 346, 356, 371. 389 (n. 2), 414, 416, 417, 418, 421, 423, 428, 435 (n. 3), 442, 460467, 469, 475, 492, 689 ; Pièces Justificatives IV : pp. 713-715. Ban (Abbé Jean-Albert), 10, 426, 517 ; v. Bannius. Bannius (Abbé Jean-Albert), 10, 426, 514 (et n. 4), 516, 517. Bahbeyrac (Jean), 107 (n. 4). Barlaeus (Gaspard), 240, 265, 437 ; v. Van Baerle (Gaspard). Barlée (G.), 551 (n. 4) ; v. Van Baerle (Gaspard). Barnand, 226 (n. 1) ; v. Barnaud (Nicolas). Barnardus (Nicolaus), 225 ; v. Barnaud (Nicolas). Barnaud (Jean), 226. Barnaud (Nicolas), 225, 226 (et n. 1), 388 (et n. 3). Barneveldt; v. Oldenbarne- veldt. Baronius, 314, 315 (n. 1). Bartaud, 226 (n. 2), 388 (n. 3); v. Barnaud (Nicolas). Basnage (Antoine), Sr de Saint- Gabriel et de Flottemanville, 229. Basnage (Benjamin), 229 (et n. 2). Basnage (Henri), Sr de Beauval, 229. Basnage (Henri), Sr de Franques- ney, 229. Basnage (Jacques), 179, 229, 269, 310. Basnage (Madeleine), 229. Basnage (Timothée), 229 (n. 2). Bassé (Pierre) 349. Bassompierre (Francois dc) 58 Basting (Jérémie), 154, 230 ;v. Bastingius. Bastingius (Jeremias), 154 ; Livre II, Chap. IV : pp. 175-176, 179. Baude (Dominique), 158 ; v. Baudius.Baudouin, 159. Baudius (Dominicus) (Dominique Le Baudier dit —), 158, 192, 193, 194, 196, 197, 202 (et n. 2), 211 ; Livre II, ChAP. VIï : pp. 219222, 225, 226, 241, 244, 245, 254, 256, 270, 271, 273, 276, 353, 715 (et n. 4). INDEX DES NOMS PROPRES 72a Bauldri d'Iberville (Paul),. 229. Bayle (Pierre), 10, 160, 215, 221 (n. 6), 229, 269, 327, 346. Beaufort (Louis de), 351. Beaugrand, 419. Beau-Hubert, 130. Beaumarchais, 557. Beaune (Florimond de), 422, 584. Beauval (Henri Basnage, Sr de), 229 ; v. Basnage (Henri). Beck, 678 (n. 2). Beeckman (Abraham), 375. Beeckman (Isaac), 358 ; Livre III, Chap. III : pp. 371-391, 395, 400, 402, 408 ; Livre III, Chap. VII : pp. 429-435. 441 (et n. 2), 442 (n. 3), 448 (et n. 3), 449 (et n. 3), 453; Livre III, Chap. VIII : pp. 454-457, 459, 467, 482. Beecman, 441 ; v. Beeckman (Isaac). Beima, 226. Bellegarde (Du Pac de), 524 ; v. . Du Pac de —. Berck (Jean), 112. Berck, 118. Berendrecht, 104. Bergaigne (Henri de), 342, 563. Bergh, 272. Berghe (Comte de), 115. Berghe (Sr de), 677 : ' v. Van Surck. Berghen en Kennemerlandt (Sr de), 586 ; v. Van Surck. Bernard, 225, 226; v. Barnaud (Nicolas). Bernaudus, 226 (n. 1); v. Barnaud (Nicolas). Beroald, 191 (n. 4). Bert (Pierre), 263; v. Bertius (Pierre I). Bert (Pieter de), 263 (n. 2). Bertius (Abraham-Ca?sarius), 265 (et n. 6). Bertius (Madame), 263. Bertius (Pierre I), 263. Bertius (Pierre II), 254, 261, 262- 266, 293, 305. Bertius (Pierre a Matre Dei), 265. Bertrand (Jacques), Sr de Saint- Fulgent, 231. Bérulle (Le P.), 422, 427, 442. Besque (Pontius de), Sr de Montmarnes, 344. Béthunes (Les de), 8. Béthune (Comte de), 265 (vers 1619). Béthune (de), officier au service de Suède (1649), 677. Béthune (Cyrus de), 55 (n. 3), 109 (et n. 2), 113, 116 (et n. 4), 120, 121, 372. Béthune (Florestan de); v. Congy (S' de). Béthune (Léonidas de), 19, 20, 33, 55, 58, 59 (et n. 2), 61, 62, 64, 65, 67, 68, 77 (et n. 1), 91, 96 (n. 1), 97 (n. 1), 109 (n. 2), 116, 131, 137, 698 (et n. 1). Beverovicius, 583 ; v. Beverwyck (J. de). Beverwyck (Jean de), 583. Bevry, 104. Beys (H.), 215 (n. 4). Bezu (Charles de Limay, Sr de), 346 ; v. Limay. Bezu (Samuel de Limay, Sr de), 232. Bèze (Théodore de), 51, 150, 153, 154, 155, 222, 237. Bigot (Jacques), 341. Billy (Robert de), 372. Biman, 655. Binet, 233. Biron (Maréchal de), 129 (n. 5), 197. Bismarck (Comtes de), 232. Bitault (Jean), 419. Blanche (Isabelle), 494 (n. 5). Blanchard (Everard), 166. Blanchot (Le P.), 471. Bloemaert (Abbé), 678 ; v. Blom- maert (Abbé). Blöemart (Abbé), 10; v. Blom- maert (Abbé). Bloemert (Abbé), 517 ; v. Blom- maert (Abbé). Blomert (Abbé), 517 ; v. Blom- maert (Abbé). Blommaert (Abbé), 10, 246, 516, 517, 678. Blonck (Antonius), 208. Blondel (David), 351. Bochard (Samuel), 343, 348. Bochart (Samuel), 348; v. Bo-, chard (Sam.). 728 INDEX DES NOMS PROPRES Des Chartes, 376 (n. 3), 433 ; v. Descartes (René). Descoffiers (Jean), 26 (n. 3). Des Essars (Francois), 38 (n. 1) ; v. Du Hamelet. Desgan (Prêtre), 324. Des Guyots (Antoine), 301 (n. 1). Des Landes (Salomon), 206. Des Loges (Charles), 283 (n. 3). Des Loges (Jean), 346. Des Loges, 625. Des Loges (Madame), 176, 283, 625 (n. 2). Desmarets (Samuel), 304, 310, 344, 555, 557, 562, 563, 577, 595, 598. Desmazures (Louis), 222. Des Nouettes (Suzanne), 342. Des Périers (Bonaventure), 561. Despuy (Jean), 504 ; v. Du Puis {Jan). Dessau, 64 (n. 4) ; v. Du Sau. Dester (Raeff), 99. Deusing (Antoine), 523. Diderot, 269. Diedrich, 349. Diest (Hendrick de), 523. Dieu (Louis de), 347, 473. Dieu-le-Fils (Pierre), 412. Dinet (Le P.), 552, 553, 558, 562, 571, 573, 597. Diogène, 213, 463. Dodonée, 181, 185. domitien, 221. Dommarville (Guillaume de Hallot, Sr de), 19, 31 (n. 7), 33, 38, 53, 54, 58, 59, 60, 61, 62, 64, 67, 76, 77 (et n. 1), 91, 109 (et n. 2), 116, 137, 698 (et n. 1). Doneau (Hugues), 8, 153, 154 ; Livre II, Chap. III : pp. 159168 ; 169 (n. 1), 170, 171,192, 219, 222, 305, 336, 353, 689. Donellus : v. Doneau (Hugues). Dorat, 212. Doria (Nicolas), 109. Dormieux (Toussain),, 345. Dortoman (Nicolas), 240. DouDe (Francois), 526, 527. Douza (Janus, Sr de Noorwijk), 106, 146, 156, 163, 173, 184 (n. 3), 197, 202, 211, 240, 274, 275, 659, 715 (et n. 4). Douza (Janus), fils, 152 (n. 3), 217. Draecke, 104. Droetelinck (Loys), 221. Droiteling ,221 (n. 2) ; v. Droetelinck. Drelincourt (Charles), pasteur, 307. Drelincourt (Charles), médecin, 349. Drusius, 152, 275, 436. Duaren, 159. Du Ban (Francois); Livre II, Chap. XV : pp. 335-338, 400 (n. 6), 531, 653. Du Bartas, 15 (n. 1), 73 (n.1), 144, 189. Dubois (Général), 110. Dubois de Nieuwkerke (Chrétienne), 222. Dubois de Nieuwkerke (Noël), 222. Du Bois (J.), 475. Du Bordier (Pierre), 349. Du Bosc, 345. Du Bourg (Anne), 153. Du Bouexic, 526 ; v. La Villeneuve du — et La Chapelle du. — Du Bray (Toussainct), 256. Du Breuil, 310 (n. 1). Du Buisson, auteur des Mémoires de Hollande, 317, 645 (n. 4). Du Buysson, 18 (n. 1), 35, 39, 52, 53, 54, 58, 59, 62, 64, 65, 67, 96 (et n. 1), 97 (n. 3), 99, 103, 121. Du Chesne (Simon), 341. Ducloux (Philippe), 22. Du Crevis (Rogier), 584. Dudley (Robert), comte de Ley- cester, 160 (n. 2); v. Leicester. Duez (Nathaniel), 347. Du Fort ; v. Gentil (Jan). Du Fort, 20, 38, 53, 54, 56 (n. 1), 58, 59, 62, 64, 67, 68. Du Hamelet (Francois), Sr des Essars, 19, 20, 38 (et n. 1), 53, 54, 57 (n. 4), 62, 64, 65, 66, 67 (n. 5), 85, 137, 688, 702. Du Jon (Élisabeth), 175. Du Jon (Francois), dit Junius, 8, 26 (n. 1), 160 ; Livre II, Chap. IV: pp. 171-175, 179, 200, 206, 222, 228, 230, 238, 241, 353. Du Jon (Francois) dit Junius, fils, 175. INDEX DES NOMS PROPRES 729 Du Jon (Jean-Casimir), 26, 228. Du Laurens, 593, 594. Du Luat, 145 (n. 3). Du Lyon ,130. Du Maurier (Benjamin Aubéry, Sr), 126, 264 (et n. 8), 276 (et n. 6), 288, 295, 371, 670. Du Maurier (Louis Aubéry), 344. Du Maurier (Maximilien Aubéry), 344. Du Motet, 62, 64, 67, 68, 96 (n. 1). Du Moulin (Cyrus), 179 (n. 5). Du Moulin (Henry), 179. Du Moulin (Joachim), 177. Du Moulin (Louis), 179, 345. Du Moulin (Marie), sceur de Pierre, 178 (et n. 4), 301 (n. 1), 304, 309. Du Moulin (Marie), fille de Pierre, 179, 310 (n. 2). Du Moulin (Pierre) ; Livre II, Chap. IV : pp. 176-179 ; 222, 227, 241, 254, 263, 289 (n. 2), 293297, 301 (n. 1), 302, 306, 309, 327, 336, 345, 348, 400 (n. 6). Du Moulin (Pierre), fils du précédent, 178, 179, 344. Du Moulin (Suzanne), 229. Du Moulin (Théophile), 345. Du Noyer, 130. Du Pac de Bellegarde, 524. Du Peron, 376 (n. 3), 378 (et n. 3), 379, 430 ; v. Du Perron. Du Perron (Sr), 372, 373, 374, 376 (n. 3), 378 (et n. 3), 379, 382, 391, 395, 430, 526 (et n. 5), 573. Du Perron (Anquetil), 524. Du Perron (Cardinal), 176. Du Petit-Val (David), 267 (et n. 2). Dupin (Ev.), 473. Du Plessis-Mornay (Philippe), 47 (n. 2), 110 (et n. 1), 133 (et n. 4), 178 (n. 2), 198, 230 (n. 2), 295, 297, 298, 300, 301, 361. Du Plessis-Mornay (Philippe), fils, 110 (et n. 1), 228. Du Plomb (Jacques Esprinchard, Sr), 234. Du Pré (Esaïe), 208, 304, 325. Du Puis ,701 (et n. 1), 702 ; v. Du Puy. Du Puis (Jan), 504. Du Puis (Madame), 326 (n. 2). Du Puis (Veuve Mathurin), 288 (n. 3). Du Puy (Antonin), 225. Du Puy (Capitaine), 19, 44, 53, 54, 57, 62, 66, 67, 84, 85, 137, 701 (et n. 1), 702. Du Puy (Claude), 203, 208. Du Puy (Frères), 106 (n. 4), 172 (n. 1), 219, 255 (n. 2), 288, 317, 437 (n. 2), 512 (n. 2). Du Puy (Jacques), 505. Du Puy (Pierre), 318, 319, 321, 323. Du Puys, 64. Durant (Daniël), 237. Durant (Jonas), 55 (et n. 2). Durant de Hautefontaine, 178 (n. 3). Durer (Albert), 47 (n. 1). Du Rosay (Madame), 414. Du Roy (Michel), 343. Du Ryer, 673. Düssau, 20, 32, 38, 52, 53, 54, 58, 59, 61, 62, 64 (et n. 4), 66, 67 (et n. 3). Du Son, 447. Du Tibau, 130. Du Tilloy (Jacques), 145 (n. 3). Du Tronchet (Abbé), 488. Du Tronchet (Madame), 488. Duyck (Antoine); Livre I, passim ; not. p. 21 (et n. 1). Duyck (Franck), 238. Edmond (Colonel), 61, 111. Edouard (Prince Palatin), 605, 623, 624. Eisinga (Eise), 592. Elichmann (Dr Jean), 319, 467 (et n. 4), 468. Elisabeth (Princesse Palatine), 10, 356, 359, 402, 407, 414, 570, 588 ; Livre III, Chap. XXII-XXV : pp. 603-651 ; 653, 656, 661, 669, 673. Elisabeth de Nassau, 28. Elisabeth-Charlötte, douairière de Brandebourg, 629. Elisabeth (Reine d'Angleterre), 44, 162. Elzevirs (Les), 200, 283 (n. 2), 314, 325, 437 (n. 3). Elzévir (Abraham), 197 (n. 1), I 499. 732 INDEX DES NOMS PROPRES 143, 144, 145, 146, 147 (et n. 1, 2), 150, 151 (et n. 2), 152, 157 (et n. 1), 160 (n. 6), 161, 172, 181 (n. 2), 194, 273, 296, 343. Guillaume II, Prince d'Orange, 303, 304, 327, 425, 496 (n. 1), 645 (n. 4), 661 (n. 4). Guillaume-Louis (Comte de Nassau), 19, 27,' 39, 42, 53, 61, 62, 63, 64, 76, 78 (et n. 2), 371, 436, 698. Gulonius (J.), 245 (n. 2) ; v. Goulu. Gustave-Adolphe, 641, 643. Habert, 637. Hachtingius, 436. Haestrecht (de), 586. Halardt, 35, 38 ; v. Hallart. Hallart, 35, 38, 53, 54 (et n. 3), 57 (n. 4), 62, 64, 65, 66, 67, 102 (n. 6), 103, 121. Hallert, 54 (n. 3) ; v. Hallart. Hallot (Guillaume de), 29 ; v. Dommarville. Hals, 678 (et n. 2), 679. Hamelet (d'), 85, 702 ; v. du Hamelet. Hanicrot, 53. Hardy (Alexandre), 15 (n. 2), 16, 248. Harincourt, 55. Harley (Achille), 197. Harvey, 476 (et. n. 6), 537 (n. 3). Haucourt (103. Haussonville (African), 26 (n. 5). Hauterive (Marquis de), 121, 372 (n. 1), 425, 505, 562. Hauterive (Madame de), 505, 512. Hauthin, 239 (et n. 6). Hedwige-Sophie de Brandebourg 629. Heenvliet (Jean, Sr de), 222, 223. Heereboord, 10, 336, Livre III, Chap. XXVI : pp. 653-667. Heidanus (Abraham), 568 (n. 2). Heidanus (Gaspard), 531, 666, 667. Heins (de), 275 ; v. Heinsius (Daniël). Heinsius (Daniël), 209 (et n. 5), 211, 214, 220, 221, 244,„245, 271, 274, 'Livre II, Chap. XII : pp. 275-291, 304, 318, 322, 325, 326, 336, 502, 715 (n. 4). . Heinsius (Nicolas),' 283 (n. 4), 289 (etn. 2), 291, 325, 641. Heins (m' de), 289 (n. 2) ; v. Heinsius (Nicolas). Hénault (d'), 464. Henri II, 93 (n. 1). Henri III, 49. Henri IV, 15, 26 (n. 5), 28 (n. 3), 29, 44, 47 (n. 2), 49, 56, 61, 69 (n. 4), 76, 89, 102, 112, 114, 119 (et n. 5), 120, 132, 173, 194, 195, 205, 213, 234, 271, 304, 328, 361, 426, 508, 705, 707 (et n. 1). Henri II de Bourbon, Prince de Condé, 204, 321, 322 ; v. Condé. Henri II, duc de Lorraine, 125 (n. 4). Henri-Frédéric, 62 ; v. FrédéricHenri. Henri de Nassau ; v. FrédéricHenri. Henri (Prince), 76, 110 ; v. Frédé- ric-Henri. Henri-Frédéric (Comte), 228 ; v. Frédéric-Henri. Henriette d'Angleterre, 304. Henriette (Princesse Palatine), 605, 628. Henricx (Mayken), 221. Henry, 109, 698 (et n. 1). Henri (Thomas), 189 (n. 3). Hélène Jans, Livre III, Chap. XI: pp. 483-489, 514, 590 ; v. Jans (Hélène). Heraldus (Isaacus), 346 ; v. He- rauld. Heraugière (Charles de), 129, ; 376 v. hérauld. Hérauld, 129, 288, 376. Hérauld (Didier), 312, 346. Hérauld (Isaac), 346. Heurnius, 206, 254, 263, 336, 388 (n. 3). Heydanus, 531 ; v. Heidanus. Heydanus (Gaspard), 366 ; v. Heidanus. Heymenss (Cornelis), van Dam., 452. Hijlena, 485 (n. 2) ; v. Hélène Jans. Hippocrate, 149, 468, 551, 553, 608, 609, 617. Hippolyte (Évêque), 210. INDEX DES NOMS PROPRES 733 Hobbes, 349. hocquincourt, 130. Hogelande (Fr.), 183. Ï$L Hogelande (Corneille van), 406, 527, 528, 530, 581, 634 (n. 4), 646, 666, 677, 678 ; v. Van Hogelande (Corneille). Hoghelande, 666 ; v. C. van Hogelande. Hohenlo, 82 (n. 3); v. Hohenlohe (Phil. de). Hohenloe, 82 (n. 3); v. Hohenlohe. Hohenlohe (Comte de), 54, 61, 64, 65, 82 (et n. 3), 91, 162, 163, 700 (et n. 1). Hollac, 82 (et n. 3), 700 (et n. 1) ; v. Hohenlohe (Phil. de). Hollae, 82 (n. 3), 700 (n. 1) ; v. Hohenlohe. Holloe, 82; v. Hohenlohe. Holstein, 41. Homère, 148, 189, 258. Hooft (P. C), 507 (et n. 2), 508 (et notes), 509 (n. 1). Hooft (P. C), 551. hoogeveen, 146. Hooghelande (Mr C. de), 527; v. van Hogelande (Corneille). Horace, 177, 276, 676. Hortensius (Martin), 453 (et n. 2), 480. Hotman (Francois), 159, 160 (et n. 2). huchtenbroeck ,32, 38. Huet (Jean), 231, 397. Huguetan (Jean), 346. Humbert (P.), 58 (n. 2). Huygens (Christian), 185, 380, 383, 404, 432, 439 (et n. 2), 533, 684 (et n. 3), 685, 689. Huygens (Constantin), Sr de Zuylichem, 10, 58, 150 (et n. 1), 281 (et n. 2, 3), 282, 283 (et n. 3), 286, 287, 288 (et n. 2, 4), 303, 306, 330 (et n. 2), 341, 342, 405, 415, 426, 437 (et n. 5), 446, 476, 488,' Livre III, Chap. XII : pp. 491494, 498 (n. 3), 502, 504, 507, 515, 517, 521, 527, 533, 546, 552, 569, 570, 573, 575, 579, 580, 589, 666 (n. 6), 684 (et n. 3). Huygens (Constantin le jeune), 684 (n. 3). Huyghens ; v. Huygens. Iberville (Paul Bauldry d'), 229. Isabelle (Infante), 75 (n. 1), 99, 468. Jacobsz (Meeus), 590. Jacobs (Nicolas), 250. Jacques Ier (Roi d'Angleterre), 87 (n. 2), 118, 119, 120 (n. 6), 125, 709. Jainnin, 58 (n. 1) ; v. Jeannin. Jainyn, 58 (n. 1) ; v. Jeannin. Janoon, 261. Jans (Hélène), Livre III, Chap. XI: pp. 483-489. Jansen (Corneille); v. Jansenius. Jansen (Zacharias), 382. Jansenius, 262. Jarrige (Pierre), 337, 338, 339. Jaucourt (Francois de), 344. Jaucourt (Louis de), Sr d'Etrechy, 126. Jaucourt (Philiphe de), 344. Jaucourt (Renée de), 126. Jaucourt (Les), 126 (n. 2). Javersac, 257. Jean-Casimir (Ëlecteur Palatin), 145, 172. Jean-Guillaume, 119. Jean de Nassau, 158 (n. 1). Jean-Sigismond, 119. Jeans (Marguerite), 494 (n. 5). Jeannin (Président Pierre), 58 (n. 1), 112, 113, 114, 115, 116. Jochems (Reyner), 485 ; v. Descartes (René). Jofre (Commandeur), 121. Jolly (Thomas), 270 (n. 1). Joostens (Hans), 202, 203, 204, 205 (n. 1), 390 (n. 4). Jolly (Thomas), 713 (n. 1). Joseph (Le P.), 515. Joubert (Laurent), 182. Jove (Gilles), 341. Junius, 25 ; v. du Jon. Junius (Casimir), 228 ; v. du Jon. Junius (Franciscus), fils, 175 (et n. 3). Junius (Patricius), 175 (n. 3). 47 734 INDEX DES NOMS PROPRES Jurieu (Pierre), 269, 310. Jurieu (M»«), 310 (n. 1). Juste-Lipse, 152, 154, 160, 161, 166, 168, 170, 189, 191 (et n. 5), 192, 193, 194, 200, 225, 226, 232, 275, 332, 353. Justel, 314 (et n. 2). justinien, 580. Kloppenburg (Johan), 522. Kempen (Thomas de), 478. Képler, 542. Kerckhoven, 222 ; v. Polyander. Keuchlin, 176. Labadie (Jean de), 536, 539 (et n. 2). La Barbe, 372. : La Barre, 54. La Barre (Antoine de), 339. La Barre (Jean de), 494 (n. 5). La Bassecourt (Daniël de), 347. Le Baudier, 353 ; v. Baudius. La Boetie (Ét. de), 153. La Bretallière ; v. Descartes (Pierre). La Brosse (Guy de), 182. La Bruyère (Estienne de), 372. La Casa, 101 (n. 5) ; v. La Caze. La Case, 96, 103 ; v. La Caze. La Caze (Pierre Baldran dit), 54, 96, 97 (et n. 3), 98, 99, 101 (et n. 5), 103 (et n. 2), 104, 105. La Chapelle. Bouexic (de), 677. La Charnais, '84 (n. 1). La Chastre (Mareschal de), 124 ; v. La Chatre. La Chatre (Maréchal), 120, 121, 124. La Cloche (Abraham de), 235 (et n. 3), 230. La Croys, 105. Laët (de), 331. La Faye, 222. La Fayette (Madame de), 317 (n. 3), 645 (n. 4). La Fère (Comte de), 43 ; v. Mon- télimar (Sénéchal de). La Fontaine (Jean de), 114, 440 (n. 1), 588. La Force (de), 8, 120, 121, 124. La Fleur, 134 (n. 1). La Foreest (Claude de), 372. La Garde, 121. La Grange, 67 (et n. 5). La Grange (Paul), 345. La Grange (Pérégrin de), 172. La Gravelle, 19, 66, 85, 137, 688, 702. La Hay, 62 (n. 1) ; v. La Haye. La Haye (Capitaine), 59 (n. 2), 61 (n. 5), 62 (et n. 1), 64, 67, 96 (et n. 1), 97 (n. 3), 99, 103, 104. La Haye, 235 (n. 3). La Haye (Sr de), 145 ; v. Feugueray. La Haye (Jean de), 19 (n. 2), 69 (n. 2). Lakeman (Balthazard), 551 (n. 4). La Lezand (Jenne de), 494 (n. 5). La Lou (Philippe), 94 (n. 1). La Marck (Jean de); v. Bouillon (Duc de). La Mare (Conseiller de), 318. La Milletière, 308, 312. La Mole (Pierre), 339. La Mot (Jean), 346. La Mouillerie, 55 (n. 2). La Neue, 76 (n. 5); v. La Noue (Odet de). La Neve, 698 (n. 1 et 2); v. La Noue (Odet de). I Lanfran de Canquigny ou Canchiné, 236. Languet (Hubert), 47, 233. Langerack (de), 371. La Noue (Francois de), 29, 30, 57 (n. 1), 233. La Noue (Odet de), 8, 28, 30, 31, 35, 36, 37, 38 (n. 5), 52, 53, 76, 77 (et n. 1), 116, 127, 228, 229, 698 (et n. 1, 2). Lansberg (Comte de), 335. Lantin (Conseiller), 313, 318. La Pailleterie, 103. Lapeyrère (Isaac), 327. La Pierre, 130. La Place (Élie de), 165 ; v. Russi. La Place (Pierre de), 230, 235. La Plate (M* de), 466. La Quewellerie (Christian), 373. La Roche-Pozay (Henry-Louis de), 190, 196, 202, 204, 227, 236, 373. La Roche-Pozay (Louis de, Sr d'Abain), 190, 191 (et n. 3), 196, 198, 202, 203. INDEX DES NOMS PROPRES 735 La Rochette (Sr de), 344 ; v. Fro- tier (Jean). La Rose, 130. Laroque, 626. La Rivière (Samuel de), Sr de Lescherpière, 230. La Sale (Jehan de), 42, 61, 109 (et n. 2), 372. La Salle, 109 (n. 2); v. La Sale. La Scala (de), 236 (n. 5), 475; v. Scaliger (Joseph-Juste). La Simendière, 38, 43, 44. La Taille (Jean de), 277. La Tarte, 130. La Thuillerie (Gaspard Coignet de), 575, 578, 625, 671, 681. La Tour d'Auvergne (Henri de); v. Turenne. La Tour (Henri, comte de), 348. La Trimouille, 197 ; v. La Trémoille. La Trémoille (Claude de), 28 (n. 1) 197. La Trémoille (Henri-Charles, duc de), prince de Tarente, 299, 301, 303. La Trémoille (Frédéric de), comte de Laval, 343, 372. La Trémoille (Charlotte-Brabantine de Nassau, Duchesse douairière de), 125, 298, 300, 301, 307, 308. La Tuillerie, 120, 625, 681 ; v. La Thuillerie. Launaeus (Zacharie), 228 ; v. Lau- nay (Z. de). Launaeus a Vivantio (Johannes), 349. Launay (Z. de), 228. Laurens (Henry), 189 (n. 3). Lauvau (Sr de), 197; v. SaintVertunien. Laval (Frédéric, comte de), 372 ; v. La Trémoille. La Valette (Louis de Nogaret, Cardinal de), 126 (et n. 4). La Vieuville (de), 625. La Villeneuve du Bouexic (Jacques), 526. La Voyette (Louis de), 677 (n. 3). Lawenstein (Jean-Lambert de Strefï de), 125. Le Baudier (Dominique), 192, 219, 271 ; v. Baudius. Le Bauldier (Dominique), 219 ; v. Baudius. Lebrebiettes, 373. Leckerbeetgen, 130. Le Clerc (René), évêque de Glan- dèves, 363. Le Coin, 130. Lecomte ; v. Valleran. Lefêvre (Tanneguy), 353. Lefèvre d'Êtaples, 454 (et n. 4). Le Fort, 59, 96 (n. 1); v. du Fort. Le Fevre (Carolus), 343. Le Goullon (Marie), 125 (et n. 2). Le Gouz (Pierre), 318. Legrand (Abbé), 394. Le Haulme (Jacques a), 373 (n. 1); v. Alleaume. Le Hongre, 145. Leibnitz, 383, 394, 534. Leicester (Robert Dudley, comte de), 160 (n. 2), 162 (et n. 1), 163, (n. 2), 167, 170. Le Maire (Capitaine), 65. Le Maire (Jean), 503, 504; v. Maire. Le Maistre de Sacy, 524. Lemann (C), 562. Le Moine (Etienne), 349. L'Empereur (Paul), 228. L'Empereur (Constantin), van Oppijck, 331, 336, 347, 523, 664. Lennox (Duc de), 119, 120 (n. 6). Le Noir (André), Sr de Crevain et de Beauchamp, 231. Le Noir (Guy), 231. Le Noir (Jacques), 231. Le Noir (Philippe), 231. Le Petit, 129. Le Prince (Capitaine), 66. Le Roy (Henri), 512 (n. 1), 550 ; v. Regius. Leroy-Bouillon (Pierre), 227. L'Escale (de), 189, 214 (n. 1), 328 ; v. Scaliger (Joseph-Juste). Lescalla, 204; v. Scaliger (Joseph-Juste).Lescherpière (Samuel de), Sr de la Rivière, 230. L'Escluse (Charles de), dit Clusius 8 ; Livre II, Chap. V, pp. 181185 ; 187 202, 209, 211, 219, 230, 353, 689. 736 index des noms propres L'Escluses (Jacques de), 232. Lesme (Lévin), 240. L'Espinay (Marquis de), 466, 624, 625, 626. L'Essart, 58. Leu (de ou Le) de Wilhem, 527 ; v. Wilhem. Le Vasseur 305 (n. 8). Le Vasseur d'Etioles, 361, 362 (et n. 1), 413, 416. Le Vasseur d'Etioles (Madame), 416. Leycester (Robert Dudley, Comte de), 160 (n. 2); v. Leicester. L'Hermite (Hans), 447 (n. 1). L'Hermite (Jacob), 250. L'Hermite (J.-B.), 248. L'Hermite (Jeanne), 175. L'Hermite (Tristan); v. Tristan. L'Hospital (Michel de), 87, 88. Limay (Charles de), Sr de Bezu, 346. Limay de Bezu (Samuel de), 232. Lingelsheim, 312. Lipman de Mulhouse, 559. Lipperhey, 382. Lipsius, 160 (n. 6), 161 (n. 2), 165 et passim; v. Juste-Lipse. Lipstorp (Daniël), 361 (et n. 1), 376, 377, 387, 395 (n. 3), 401, 402. Liraeus, 538, 548. Lisle (Agnès de), 22. Lobel (Mathieu de), 181 (n. 2). Lobelius ; v. Lobel. Lochorst, 236. Longueville (Madame de), 625. Lopes (Honeste), 235 (n. 3). Lorges (Gabriel de), comte de Montgommery, 232. Louis XIII, 265, 295, 343, 428. Louis XIV, 54, 328, 448 (n. 3). Louis de Nassau, 29, 54, 115. Louis VI (Électeur Palatin), 159. Louise de Coligny, 76, 125 (et n. 5, 6), 126 (et n. 1), 198 (et n. 3), 228, 294, 425. Louise-Henriette de Nassau, 629. Louise-Hollandine de Bohème (Princesse Palatine), 605, 624, 625, 626, 627. Loyer (Nicolas), 237. Loyola (Ignace de), 559. Loys Bernardo d'Avila (Don), 54. LOYSELEUR de VlLLIERS, 145, 172 f V. VlLLIERS. Loyson (Barbe), 481. Lucien, 559. Lucrèce, 149. Ludolf (Job), 211 (n. 3). Ludovic de Nassau, 115 ; v. Louis de. Lulle (Raymond), 368, 383 (et n. 2), 387, 391, 403, 449 (n. 3). Luillier, 447. Luther, 337, 427. Luynes philologue'francais,'pro- rSLArf-^rZT,.DE. .LEYDE(1632;1653:1 <*°*>* XXXIII a. Autographe de Saumaise dans l'Album^ Gronovius. (Bibliothèque Royale de La Hayel • . 330 ö. Autographe de Sorbière dans l'Album ™ Gronovius mihiinfhz„,.„ n , . l album de --. , »un^uc nuyaie ae JLa Haye).. XScrit coMrr^°AZ^EK- - Descartes' f'ut vyy^ t semestre d été 1629... 439 .,.,.„„ J' " *« Estampes d'Amsterdam)... 442 AL1- LE LIISCOURS de la MÉTHOms' f1 \ r„ découvert aux ArchivpI «nm contrat d édition vr tt t t. archives municipales de Leyde 502-503 ^ShX^^ï0™—* - ~!°2 503 XS^R— S RETEOUVÉ A LA BlBLIO-512513 I ' XLV rniTE.,, n>p 512-513 (D^^^^rSSJ,^ rA d?strüction de 1574. Jaarboekje de 1909) . de Leyde extrait d* xSe^SCESSE Elisabeth' »p^üi' Müsée 529 604-605 t 5V 48* 752 TABLE DES PLANCHES XLVII. Portrait inconnd de Descartes. (Université d'Amster dam) XLVIII. Le portrait de Descartes par Frans Hals au Musée. du Louvre LIX. Portrait de Descartes par Bourdon. (Musée du Louvre) 678-679 L. Portrait de Descartes par Beck. (Musée de Stockholm) LI Portrait de Descartes par Frans Hals. (Collection Ny-Carlstad d Copenhague) en Frontispice Lil Carte des Pays-Bas dans la première moitié du xvne siècle d'après Waddington. (La République des Provinces-Unies) LES CLICHÉS DES PLANCHES HORS TEXTE ONT ÉTÉ EXÉCUTÉS DANS LES ATELIERS DE LA PHOTOGRAVURE DEMOULIN IIO, RUE DE VAUGIRARD, PARIS TABLE DES MATIÈRES Pages. introduction n LIVRE I RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS un poète-soldat : jean de schelandre, gentilhomme verdunois. Chapitre I. — Introduction 14 Chapitre II. — Les premières années de Jean de Schelandre 25 Chapitre III. — Les premiers faits d'armes du jeune capitaine : Robert de Schelandre. Bataille de Nieuport (2 juillet 1600)... 35 Chapitre IV. — Le poème de Jean de Schelandre sur la bataille de Nieuport 40 Chapitre V. — Retraite de Flandres. Les campagnes de 1601 et de1602 55 Chapitre VI. — L'ode pindarique de Jean de Schelandre sur le Voyage fait par 1'armée des Etats de Hollande... l'an 1602 et la Prise de Grave 69 Chapitre VII. — Le siège d'Ostende 95 Chapitre VIII. — La guerre ralentie. — La Trêve de 1609. — Jean de Schelandre a Avignon, puis au siège de Juliers 1610.. 109 Chapitre IX. — Vie et mceurs des gens de guerre 127 LIVRE II PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE (1575 a 1648) A propos de balzac et de théophile (1615) Introduction Chapitre I. — La Fondation de 1'Université de Leyde 143 Chapitre II. — TJn Théologien du xvi" siècle : Lambert Daneau BIBLIOTHÈQUE de LA REVUE DE LITTÉRATURE GOMPARÉE Dirigée par MM. Baldensperger et Hazard ÉCR1VAINS FRANCAIS EN HOLLANDE DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIP SIÈCLE DU MÊME AUTEUR Histoire de la mise en scène dans le Thêütre religïeux francais du Moyen- Age. Paris, Champion, 1906 : un vol. in-8°, pil. (êpuisê). Le même ouvrage, traduit en allemand par le Dr C. Bauer. Leipzig, W. Klinkhardt, 1907, in-8°, pil. Rabelais et le Thêdtre (extrait de la Revue des Etudes rabelaisiennes). Paris, Champion, 1911 ; un vol. in-8°, pil. (êpuisê). Mystères et Moralités du Manuscrit 617 de Chantilly, publiés pour la première fois et précédés d'une étude linguistique et littéraire. Paris,. Champion, 1921; un vol. in-4°, pil. EN PRÉPARAT ION Ecrivains francais en Hollande dans la seconde moitié du XVII* siècle. Le Livre de scène du Mystère de la Passion jouè d Mons en 1501. 1 HL 5? ( Gustave C O H E DOCTEUR ÈS LETTRES CHARGÉ DE COURS A l/UNIVERSITE DE STRASBOURG ECRIVAINS FRANCAIS V. EN HOLLANDE DANS LA PREMIÈRE MOITIÉ DU XVIP SIÈCLE Lir. 1: • Le guerrier qui deBend, nompareil en vertus, De 1'acier de César, les raisons de Brutus. » (Jean de Schelandre, gentllbomme verdunois). Liv. II: « Ce peuple ne sera plus ou sera toujonrs libre. » (Gnez de Balzac, Discours politiquc sur l'Estat des Prorinces-Unies). Liv. III: « Qae\ autrepays du monde oii l'on puisse jouir d'une liberté si entière ? » . (Lettre de Descartes a Balzac). PARIS LIBRAIRIE ANCIENNE ÉDOUARD CHAMPION 5, QUAI MALAQUAIS, 5 1920 DROITS DE REPRODUCTION, D'ADAPTATION ET DE TRADUCTION RÉSERVÉS POUR TOTJS PAYS Y COMPRIS LA HOLLANDE, LA SUÈDE ET LA NORVÈGE. Copyright 1920 by Gusiave Cohen A MON MAlTRE GUSTAVE LANSON En témoignage de respectueuse admiration et d'afïectueuse gratitude. G. C. INTRODUCTION Nous avons voulu apporter ici une contribution a 1'histoire de 1'expansion francaise a 1'étranger dans la première moitié du xvne siècle. C'est un fait extrêmement connu que la Révocation de 1'Edit de Nantes a jeté en Hollande quelque cent mille réfugiés qui ont augmenté la prospérité de ce pays, y ont fait souche, et dont les descendants ont, jusqu'a nos jours, gardé 1'usage du francais dans leurs églises. Encore fallait-il expliquer pourquoi les persécutés avaient préféré la Hollande a beaucoup d'autres contrées qui leur étaient plus faciles d'accès. C'est, disons-le d'un mot, qu'ils .suivaient la voie tracée par leurs pères pour qui la Hollande avait été, bien avant 1685, pendant tout le cours du xvne siècle, non seulement un refuge, mais surtout un séjour de prédilection. Elle 1'était pour les protestants francais, mais aussi, dans un grand nombre de cas, pour les catholiques, lorsque ceux-ci avaient soif d'indépendance et de liberté. On ne 1'ignorait pas en ce qui touche 1'un d'eux, le grand Descartes; on a bien lu également, quelque part, soit dans une de ses biographies, soit ailleurs, dans des manuels, des phrases comme celles-ci : « De jeunes gentilshommes francais se rendaient aux PaysBas pour y servir sous Maurice.» ou bien : « L'Université de Leyde était fréquentée par des étudiants de diverses nations ». A ces phrases vagues, a ces notions imprécises, il fallait substituer, selon les exigences de la méthode modernej des faits, des dates, des noms et, selon d'autres exigences non moins impérieuses, sans lesquelles cette méthode n'est qu'un parcheminement de 1'histoire, sous ces noms, mettre des êtres et dans ces êtres, si possible, une étincelle de vie, en sorte qu'il puisse 8 écrivains francais en hollande nous paraitre avoir été mêlés nous-mêmes aux cohortes de ces lointains pionniers de notre civilisation de jadis. Fréquentation profitable, car ce n'étaient pas que des maitres d'armes, des « friseurs », des « perruquiers » et des danseurs, que nous envoyions au dehors, c'étaient de brillants officiers, comme Odet de la Noue, les deux Béthunes, les deux Chastillons, les Hauterive, les Courtomer, les Bouillons, dont 1'un s'appelle Turenne, les La Force, les d'Estrades; mais, pour prendre part aux combats de ces Régiments francais au service des Etats et pénétrer leur existence, ne valait-il pas mieux se placer dans leurs rangs aux cótés d'un simple soldat, qui fut en même temps un vrai poète : « Jean de Schelandre i ? et ce sera notre premier livre. Le Livre II est réservé aux combats plus pacifiques de 1 ïntelligence. Ce que la pensée francaise a apporté a 1' Université de Leyde, et, partant, a la civilisation hollandaise, en son « Siècle d'Or », comme 1'appellent ses historiens, on ne le dira jamais assez. Ses deux premiers professeurs, en 1575, Feugueray et Cappel, sont deux Francais. Son premier programme est rédige par un Francais, le même Feugueray et, après eux, dont le séjour fut de courte durée, c'est un défilé des meilleures de nos gloires dans le Cloitre des Béguines voilées, puis dans celui des Dames blanches. En théologie, après les deux pasteurs que nous avons nommés, c'est Lamrert Daneau, de Beaugency-sur-Loire, Du Jon, qui est de Bourges, Polyander, qui est de Metz, Saravia et Trelcat, qui sont de 1'Artois, Du Moulin, qui est des environs. de Paris et plus tard Bivet, qui est du Poitou. En droit, ce n'est rien moins que 1'émule de Cujas, le célèbre Hugues Doneau qui y fonde les études juridiques. En science, c'est le grand botaniste De L'Escluse, d'Arras ; mais c'est surtout dans les lettres que nous donnons a la vieille Université hollandaise un éclat extraordinaire, en lui cédant le plus grand philologue du xvi* siècle, Joseph Juste Scaliger : non pas pour occuper une chaire, car il n'a pas 1'obligation d'enseigner, mais pour recevoir ün traitement, considérable pour 1'époque, a seule fin d'enrichir 1'Université de sa présence et celle-ci, comme son historiën M. Molhuysen le reconnait et comme 1'avouait aussi un savant allemand, M. von Wüamovitz-Möllendorf, lui doit en grande partie sa réputation. L'expérience fut si heureuse introduction 9 qu'elle fut recommencée et, Scaliger étant mort en 1609, on laissa sa place vide, jusqu'a ce qu'un Francais encore, qui est a la philologie du xvne siècle ce que Scaliger est a la philologie du xvie, Claude Saumaise, fut appelé a 1'occuper dans les mêmes conditions, ce qu'il fit jusqu'a sa mort, survenue en 1653. La vie de Descartes, a laquelle nous consacrons notre IIIe livre, semble en faire une synthèse des deux prédécents, car, si, en 1618-1619, nous le trouvons, a Bréda, soldat deMaurice et mêlé aux autres gentilshommes francais qui se formaient a 1'école du prince d'Orange, nous le retrouvons, en 1629, immatriculé a la petite Université de Franeker-en-Frise et, en 1630, a celle de Leyde. Mais toute son existence, de 1629 a 1649, c'est-a-dire pendant ses années de production, n'est-elle pas étroitement mêléè a celle des universités hollandaises, oü il recrute des disciples a la philosophie nouvelle, et parmi les maitres et parmi les élèves ? Ne suit-il pas Reneri a l' «École illustre» de Deventer en 1632, ne s'installe-t-il pas auprès de lui a Utrecht, en 1635, ne guide-t-il pas la les recherches de son élève Regius ? Tout ceci ne va pas sans luttes et nous assisterons aux duels a la plume de Descartes contre Voetius, le professeur de 1'Université d'Utrecht, contre Schoock, le théologien de 1'Université de Gro ningue, contre Revius et Triglandius, les théologiens de 1'Université de Leyde. Mais malgré ces « chahuants », comme les appelle Descartes, la lumière se répand. « Tels esprits, dira le pasteur Colvius en 1657, empeschent le cours libre de la verité, qui neanmoins percera avec le temps tous ces obstacles K » Le f antöme d'Aristote recule pas a pas dans les ténèbres, effaré du plein jour de la vérité. Ce n'est pas le moindre honneur des Universités hollandaises d'avoir été les premiers foyers du Cartésianisme, qui est toute la pensée moderne, car la notion de Dieu même n'y est recue qu'a la condition d'être fondée en raison, et la raison est « 1'instrument universel» 2. La biographie de Descartes est une merveilleuse lecon de tolérance donnée au monde par un philosophe francais, vivant en terre hollandaise. Ce catholique y exerce, sans entraves, 1. OBuures de Descartes, éd. Adam et Tannery, t. XII, p. 485, note d. 2. Ibid., t. VI, p. 57, 1. 8-9. 10 ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE son culte avec ses amis, Corneille van Hoghelande a Leyde, les abbés Ban ét Bloemaert a Harlem, Cater a Alkmaar. Cela ne 1'empêche pas d'avoir des disciples protestants, comme Reneri, Begius, Heereboord, des amis protestants, comme Constantin Huygens, van Surck, de Wilhem; de laisser baptiser une fdle naturelle, Francine, au temple; de guider enfin dans les sentiers ardus de la philosophie indépendante et dans la métaphysique des Passions, une calviniste fervente, la princesse Elisabeth. « Vivant ici avec 1'espoir d'y pouvoir jouir de la liberté de religion... », écrit Descartes aux Curateurs de 1'Université de Leyde. C'est a cette liberté, tant politique que religieuse, que Balzac consacre sa dissertation scolaire, rédigée dans la même Université de Leyde, en 1613, et que nous donnerons ici, pour la première fois, depuis 1'édition de 1665; c'est cette liberté encore qui y conduit Scaliger comme en un port de refuge contre la tempête des guerres de religion; c'est cette liberté enfin qui y retient un Saumaise, malgré les inconvénients du climat, la mauvaise humeur de son épouse et la jalousie de ses collègues. De la dissertation de 1'élève Balzac, a la lettre du comte de Mirabeau Aux Bataves sur le Stathoudérat (1788), il y a une chaine continue, dont le Discours de la Méthode, de Descartes, et les Pensées sur la Comète de Bayle, sont les anneaux. La théorie francaise de la liberté politique trouvait « chez le plus ancien des peuples libres » \ des applications et des modèles sur lesquels nos Francais de Hollande et nos voyageurs ne cessaient d'attirer 1'attention de leurs compatriotes. D'avoir été ainsi par ces illustres hötes et par de plus humbles : étudiants, savants, hommes de lettres, un des asiles de choix de la pensée francaise, un des Ueux oü celle-ci s'est développée et épanouie avec le plus de vigueur et d'indépendance, poussant plus droit que si elle avait dü croitre seulement dans 1'ombre du vieux Louvre, cela crée a la Hollande un éternel titre de gloire, et, a la France, une dette de reconnaissance sacrée envers elle. Que le Discours de la Méthode, quintessence de 1'esprit francais en même temps que chef-d'ceuvre de la prose francaise, 1. Aux Bataves sur le Stathoudérat, par le comte de Mirabeau, 1788; un vol. in-8°. L'ouvrage commence ainsl : « C'est un jour de deuil pour 1'Europe que celui oü 1'invasion prussienne a déconcerté vos nobles projets, infortunés Bataves ! » introduction 11 ait été concu, écrit, imprimé, en Hollande, n'est-ce pas déja un symbole ? Nous publions ici, pour la première fois, le contrat d'édition de ce Discours de la Méthode, signé par René Descartes et son éditeur Jean Maire et rédigé en francais par un notaire de Leyde. C'est dire que, pour établir 1'authentique ancienneté de 1'influence francaise dans les Pays-Bas du Nord, sous les auspices d'une alliance politique et militaire d'un demi-siècle, de 1598 a 1648, nous avons exploré leurs archives et leurs bibliothèques, mais, si consciencieuses qu'aient été nos recherches, en vue d'ouvrir leurs trésors a notre histoire littéraire tant francaise que latine l, elles sont sans doute restées incomplètes et des chercheurs plus heureux y feront certes encore de fécondes découvertes. Ce serait un résultat suffisant, si le présent ouvrage pouvait les leur faciliter et leur être un guide dans leurs explorations. Nous faisons appel aux archivistes, aux professeurs et aux étudiants néerlandais, pour qu'ils veuillent bien corriger, amender, compléter, développer cette étude d'un étranger, stncèrement attaché a la Hollande, précisément paree qu'elle lui offrit spontanément, a lui aussi, une hospitalité libérale, bienveillante et amicale. Gustave Cohen. Puisque j'ai parlé des archivistes et de bibliothécaires hollandais, qu'il me soit permis d'adresser ici mes remerciements a MM. Fruin, directeur du Rijksarchief; Byvanck, bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Royale; A. V. Byvanck, conservateuf des manuscrits; Japikse, directeur des publications historiques a la Haye; Blok, cönservateur des archives de 1'Université de Leyde; de Vries, bibliothécaire en chef de la même Université ; Buchner, cönservateur des manuscrits; Overvoorde, directeur des Archives municlpales; Bijleveld, archiviste au même dépót; le pasteur Cler, cönservateur de la Bibliothèque wallonne a Leyde; van Sommeren, bibliothécaire en chef de 1'Université d'Utrecht; S. Muller, archiviste d'Utrecht; Henkel, cönservateur, Mlle Blok, attachée; Beets, ancien cönservateur adjoint du . Cabinet des Estampes au Rijksmuseum ; Burger, bibliothécaire en chef de 1'Université d'Amsterdam et k 1. Une tois de plus apparattra, en 1'occasion, cette vérité que 1'histoire littéraire latine doit être étudiée parallèlement a la littérature nationale, aussi bien au xvii8 siècle qu'a la Renaissance et au moyen-age. ii y a la pour nos jeunes travauleurs des mines immenscs a creuser. 12 ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE Mme Berg, bibliothécaire adjointe, ainsi qu'a mes anciens élèves de 1'Université d'Amsterdam : MM. Fransen, Riemens et Tielrooy, a qui je dois divers renseignements. Je ne saurais oublier non plus l'-accueil que j'ai recu a Londres au British Museum, de la part de MM. les bibliothécaires Pollard et Wood ; a la Bibliothèque Nationale, de la part de M. Omont; a la Bibliothèque de 1'Arsenal, de la part de M. Bonnefon : a la Bibliothèque de 1'Histoire du protestantisme francais, de la part de M. Weiss. Enfin ce serait une singulière ingratitude que de ne pas dire bien haut tout ce que mon travail doit d'améliorations et de remaniements • utiles a la critique du Maitre de 1'Histoire littéraire de la France, j'ai nommé M. Gustave Lanson, sous les auspices duquel eet ouvrage a été présenté a la Sorbonne pour 1'obtention du titre de Docteur ès Lettres. LIVRE I RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS UN PÖÈTE SOLDAT : JEAN DE SCHELANDRE GENTILHOMME VERDUNOIS « Le Septentrion d'oü nous verrons esclorre et espanouïr un Oriënt cramoisi, plain d'csclairs, qui produira ses orages violents. » (Agrippa d'Aubigné, Histoire Universelle). t Le guerrier qui deffend nompareil en vcrlus, De 1'acier de César, les raisons de Brutus >. (Jean de Scbelandre) CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION On connait assez bien I'ceuvre littéraire de Jean de Schelandre surtout depuis que M. Haraszti a réédité, dans 1'excellente collection de la «Société des textes francais modernes», la version originale de la tragédie Tyr et Sidon (1608) * C'est que Jean de Schelandre est en effet un des bons tragiques « précornéliens » du xyne siècle et qu'il tient une place honorable a cötè d'un Antoine de Montchrestien 2, dans la période de calme succédant a 1'orage des guerres de religion, a un moment oü une société, aspirant a la régularité et a 1'ordre, traduit cette tendance, sur la scène, par des tragédies a forme presque classique, et, dans la poésie, par les Odes et la doctrine de Malherbe. Mais, après 1'assassinat d'Henri IV, le trouble qui agite les esprits, se reflétera dans le triomphe d'une forme d'art plus s?c1ét,é des textes francais modernes : Jean de Schelandre, Tyr el Sidon f£nestes°m°ur? de Betcar el de Meliane, tragédie. EdiUon critique publiée par Jules Haraszti. Paris Cornély, 1908, 1 vol. in-18, lxx-172 pp. .Tai examiné les cxemplaires connus, celui du British Museum (1073 a 23) et celuïde la Bibliothèque örqmmo^al. A tous deux manque le privüège accordé a Daniël d'Anchères, anagramme de Jean de Schelandre. n fait défaut aussi a un troisième exemplaire que m. riaraszti n a pas connu, celui de la Bibliothèque Nationale (Réserve \f 4264) qui a appartenu a Asselineau. Voici la reproduction de la teuffle de titre de Londres •' Le* Funesles Amours de Belcar et Meliane, dediées au Rou d'Angleterre, par Daniël Pn^rtSEf?' f n"homme V dunois. A Paris chez Jean $card ^'^C ™t ilol 6rn.Ia GaU,e!?e aila"t f.la Chancellerie, 1608, Avec Privilege du Roy; 1 vY>l! pet. in-24. L exemplaire du British, qui comnrend 96 + 72 pagesrcomme celui de r^/é/Cédé/e ^ temets n°n Paginés, les huit prTmiere avec sfgnSures% 8) 11 est rehé (au dos, une couronne royale et la marqué J. R. moderne) avec Lé 'Zn^L°U Cv%i0ïdZ Mo,lde.Aa Sieur Christofle de CJamon, contre celle du Sieu* *^P^aS ".Pfarl?5,Gldet?n Petit' 1609' 1 vo1- de 12 feuillets et 128 pages, u est eren^l de Lfn^idetltre1d? L°ndreS axdü toeimprimée pour le roi d'Angleterre SL^^S xt *° seul exemPlalre> conservé au British Museum, car le titre de celui %^ d?B%Tf \^tkM} Ai"é™f-Ty « Sidon, Tragédie, oizfa*&3S S Jnti?*ÏTm» vMAlane- a?tres mesl<»*9es Poëtiques par Daniël d'AnLondrês) Verdunois. A Paris, etc. (Le reste comme dans le volume de rfl.2/aPr^l/w™/,^;Lblj0grap?lie• seJrepoLt^„a 1'indispensable Manuel bibliographique Paris H*fhfft» &ÏÏPH?e ™derne (l5,0.0-190») d« M. G. Lanson. Nouvelle ld., Paris, Hachette, 1914, m-8°, n°' 4751-4742 bis (Schelandre); n«» 2898-2908 (Montchrestien) ; n°» 4751-4754 (Alexandre Hardy). ' ' 16 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS indépendante, plus relachée, et ce seront la Pyrame et Thisbé de Théophile \ les Bergeries de Racan 2, puis surtout, la prodigieuse fantaisie d'un Alexandre Hardy 3. Le poète aux gages de Valleran Lecomte * fait régner au théatre la tragédie a dénouement heureux ou, comme on disait alors, a « succez » favorable, chatoyante d'aspect et trépidante d'action, sans laquelle le Cid n'est même pas concevable. Séduit par la vogue des pièces de Hardy, Jean de Schelandre, vingt ans après avoir publié, en 1608, sa tragédie régulière de Tyr et Sidon, la reprend, a 1'invitation de ses amis, la remanie, la transforme en tragi-comédie, la farcit d'épisodes grotesques et parfois obscènes, 1'allonge en deux journées et dix actes 5, y promène le spectateur a travers le décor simultané d'une scène unique «, de Tyr a Sidon et de Sidon a Tyr, sur des bateauxet dans des prisons, par les rivages des mers et les pentes des montagnes, si bien que son oeuvre primitive, laquelle d'ailleurs he fut peut-être pas jouée, en devint méconnaissable. Le public, habitué a une Felismène 7 oü la scène, qui, au premier acte, est en Espagne, passé en Allemagne au second, sans changement de décors, dut être ravi. Ne 1'eüt-il pas été, qu'une préface retentissante de Francois Ogier 8, embouchant pour 1'au- 1 Fntre 1617 et 1619 ou bien 1621 et 1623, cf. Gustave Lanson, Etudes sur les orlgims dt ïc" tragédie claïsiaue en France, dans la Revue d'histoire Uttérmre de la ^TfA^fi^f1^3'^^' ibid., p. 229 et Hisloire de la littérature francaise, 12eél!?aru!3Haiette,^2°ri vot in% p 384. ^^Slut^T1 de 1; ru'gal^?e Théöü^frangais avanl la période classique; Paris, Hachette, 1901, 1 ^^nnet le Duc6Anrfert Théatre francais. Paris, Jannet, 1854 et s au tome VIII Théatre, 9» année, janvier-ayril 1910, p. oi-»»-) Parisien dans le Théatre P1tönn ik toÏMSTS? «i K^traïioméMvl.ée en deux journées Paris Robert Estienne? 1628. L'auteur n'est nommé que dans le pnvüègeet danla Anthologie poélique francaise, X V//" siede, Paiis, de Fr. 0gier et la •n 159 M. Maurice Allem reporte erronément a 1608 la Pjeiaceae r i. ^agicómédie^Par contre il appelle . édition nouvelle donke en 1628 » ce qui est, en lalt, une véritable «refacon », pour employer un mot cher a Gaston Paris. INTRODUCTION ! JEAN DE SCHELANDRE 17 teur la trompette de la Renommee, 1'aurait persuadé qu'on était en présence d'un authentique chef-d'ceuvre, devant lequel devaient céder toutes les régies pseudo-aristotéliciennes, dont la tyrannie commencait déja a peser l; Les étapes de 1'histoire littéraire sont souvent marquées par des préfaces. Avoir suscité, neuf ans avant la querelle du Cid2, et deux siècles avant la préface de Cromwell3, un manifeste contre les Unités, c'est le principal titre de gloire de Jean de Schelandre et le seul qui lui ait fait conférer les honneurs des manuels, ces panthéons de la réputation. Cependant, ce n'est pas ce mérite-la qui a appelé sur lui notre attention, mais plutót cette circonstance particulière du séjour qu'il fit en Hollande et de sa doublé activité littéraire et militaire en ce pays. Le point de départ de notre recherche fut cette phrase 4 d'une biographie perdue, oeuvre du poète Colletet B, utilisée jadis par Asselineau 6 dans une brochure que cite M. Haraszti 7 : «il fut envoyé en Hollande pour y faire ses premières armes ». « Entré simple soldat dans 1'armée de Turertne, il passa ™1;™i,?£Lmêm1e date,* dal??, la Provlnce. le jeune Corneille ne semble pas encore en avoir entendu parltf, s'il faut en croire le début de 1'Examen de ClitandreTtVn voyage que je fis a Pans, pour voir le succes de Mélite, m'apprit qu'eUe n'étoit pas V^WnïA^Fr* h?,UreÜC'^t0lt runltme rè8le «F» 1'on connttt dans ce temp£ t I, pf 270? CornelUe' éQ- Marty-Lavaux, Les grands Ecrivains de la France, 2. En 1637. Cf. Gasté (Armand), La querelle du Cid. Paris, Weiter, 1899, in-8° 1 vol in-r8?1897!iaU' ,W* * CromweU- Paris' ^ b- Q'imP- <* de libralrle, »„4, aler M. Gallas, le distingué lecteur de littérature francaise a 1'Université d'Amsterdam. uuieraiure riA, RiS^f' ViI det P°ëtesfrartfais, manascrit détruit en 1871, dans 1'incendie de la Biblioüièque du Louvre (cf. Manuel biUiographique de G. Lanson, n° 1909) Une restitution de ce manuscrit a étë entteprise par M. Ad. van Bever, qui la fera Sa^.rf chez.Ed- Champion. La vie de Jean de Schelandre ne flgure pas hélas" l^C^l^^^V^T}6 V- nVac1- fr' 3073 de laBuZthèqu^ NaUoi nale Celle que fit jadis Ch. Buvigmer a disparu et, malgré mes efforts, ie n'ai nu Bu^KSJL^' "lfc.BrIe-1^ m a la BibMothèque Natlonato^b £ffi rf JSïïn^ récemment acquis, ne contient, comme voulait WeVi me le dire rêcemment M. Omont, aucun papier appartenant a 1'érudit verdunois. 2» é'd Alen5on?1856;l^r in-8^ JM" * Schelandre' P0** Verdunois, 1585-1635. ■o£mrt£ d/fe nentS0"-f»°^df ?" f'Sidon' p- VI' "• *■ Aux indications trop sommairesi de ladite note, il faut joindre les n°* 4740, 4742, 4742 bis du Manuel i s aal?K~9%£ G. Lanson, enfin la notice «me 1'on'trouvê dans \^Fran7e Pro. testante des frères Haag, 1» éd., t. IX, article sur Thln (Robert de) Qu'il nous ira„PaTseniO„eat^t^t0Ut " qUe nOUS deyons a ce ^nuTent de SlïdlX irancaise. On ajoutera encore : une communication de M. 1'abbé Delabar dans les Mémoires de laSociétéphilomathique de Verdun (Meuse), t. XV, 1901 in-8» d xcnxciii séance du 9 janvier 1901 sous la présidence de M. Bonnardot et Mémïfïes de laSociété des Lettres, Sciences el Arts de Bar-le-Duc, 3' ^ t" X pp 333 ó 347?5wTZr r rhT'n sur,leld^nscur? de Jametz par' le die de'ESrraUÏe (U&L en UhP ^rSï wi^m flft',"r2. '0,n d \nne ^ns VEglise i!Autuiche dé léTt;,n?% A °? «ax,de Flnfe de Saint-Pierremont. Sedan, 1908, ia-8». (Extr. i„ p,^ ? dt.Arf>0"ne)- ?n trouvera dans la même revue 1'étude du D' JallUot sur le Protestantisme dans Ie Rethelois et dansTArgonne. Jaimoi sur 2 18 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS successivemcnt aux grades de lieutenant et de capitaine. ^P"^ lors, il ne se passa guère de campagne, sans qu il rendit au roi, tantot comme capitaine, tantöt comme volontaire, le service d'un gentilhomme de sa condition. » Erreur évidente, écrit M. Haraszti, car i Turenne nentra au service de Hollande qu'en 1624 \ alors que Schelandre avait quarante ans environ. Celui-ci dut donc commencer sa carrièr^cns Maurice de Nassau, le célèbre stathouder de^Hollande. Le premier volume de Schelandre, paru en 1608 contient en efïet plusieurs poèmes panégyriques sur ce pnnce : LeProcez d^Espagne contre Hollande, Plaidé des Van 1600, après labataüle de Nieuport. Dédié « très-sage et très-valeureux capüaine, Maurice de Nassau, duc de Grave, etc. - Ode pindarique sur le voyage fait par Varmee des Estats de Hollande au pais de Liège l an 1602. Item sur la prise de Grave. » « Schelandre était-il déja soldat vers 1602 ou meme vers 1600, se demande M. Haraszti2, c'est-a-dire a 1'age de quinze^oudixsent ans ? Dn sent dans ces vers 1'homme de métier... Dans un somiet oublié en 1608, il prend congé de la « troupe guernere d'Avignon „ les soldats de cette ville qu'il appelle «témoins de L travaux passés ,, A cette époque il avait donc un certain pLTmilitaire et même il devait dés lors quitter le service, du moins provisoirement ». 1. IciM.Haraszü.setrompeason^ Turenne, petit-fils de Guiuaume kT3"1"™^ ™rvice desW, comme ™P*a™ ^ n0vembre 1637 VoyezlaRésolut.on du ConseilA BUfttefijanvier ^ ^ï touyrage n^uSo^iv^^ Pe0treeiz"mè avril 1627. ^■^^^^SJ^Xé^a^c-M^ lui flrent mille caresses, f^^^0ï\f^af°ik). Ce fut donca quinze ans cinq qui avoit déjaaqms et par les conseils avertis du directeur, M Fruin, j'exploraiTles fonds du . Staet van Oorloge », c esta-dire du budget de la guerre, les « Commissie-Boeken »., dont les séries présentent de regrettables lacunes, les Besolutions r>Tr« Ftats-Généraux, etc. DEOr dans le . Staet van Oorloge >, de 1599 a 1604, le noni de Schelandre m'apparut deux fois et a 1'annee 1599 et en 1604 en 1'un et l'autreendroit comme capitaine, avec le nombre de ses hommes et les sommes affectées a 1'entretien de sa compa5e n n'était pas seul : autour de lui se grouoaient, en un choeur guerrier, les noms des officiers figurant dans le , poèmeTvouJé plus haut. II y avait plus. Comme a cote de la LcoTde mention découverte aux Archives de La Haye se lisaien ces mots « Nu naer Oostende gegaen», c'est-a-dire :«Mamtenant TZnv Ostende », je consultai le Beleghennghe der Stadt iZdTZ SSTÏoiide de Phffippe Fleming ■. Le nom de Schelandre y était plusieurs fois cite. ,„„„e de Leyde etil n'est pasde bibliothécaires plus complaisants que m. le Pasteur rier et sa fille, mlle Andree Cler. Paus-Bas espagnols de 1630 °l itRépukique des P™^» »' f (1630-42) K H (1642*1650), 1897. . « Joannes Scelander » aurait eu alors onze ans et cela rTest * Vt TfJPÏfSP* G^\Vh Die Matfitcel der Universitaet Heidelberg pon 1386 bis 1662. t. II (1554-1662). Heidelberg, C Winter, 1886, in-8°. La référence de M. Haraszti n est pas exacte. C est bien sous le n°80, mais a la page 184 que flgure la menUon : n°" 79 Joannes Junius, Metensis ; 80 Joannes Scelander, Sedanensis; injurati propter «tatem; 11 [aoüt 1596]. Le contexte montre que 11 désigne la date et non 1'age. Ce ne doit pas être de notre ecnvain, mais peut-être de son ainé, Robert, qu'il s'agit dans la lettre de Charles de Lorraine, datée du 2 juillet 1588, et oü U est question du «jeuneSelandre» qui se rend en Allemagne : « III est aussy très-certain que, de jour et le plus souvent de nuict, clandestinement, lesditz de Jametz praticquent et négotient avec ledit de Moncassm, qm leur donne ouverture des portes de ladite vüle de Metz, ouand bon leur semble, comme U est advenu récentement que les S" d'EsÜvautt, Coppe et le jeune Selandre, accompagné de dix ou douze cuirassés qui, allant en Allemaiane ont esté receuz de nuict en la dite ville de Metz, y séjourné et coirféré fort longuement de leurs affaires avec ledit S' de Moncassin, qui. a veue d'oeuUetsans aulcune dissimulaUon, les favorise et support, comme aussy tous «eulx de la nouvelle religion, lesquelz il a rappelé et introduit en ladite ville, oü ilz sont présentement avec ««A ÏSwh- #m,7t^ * L'.éait™r de «„fexte, M. Henri Lepage (Recueil de documenls sur I hisloire de Lorrmne. Nancy, Wiener, 1864,1 vol. in-8», p. 46), croit ou'il s agit de Jean de Schelandre (en allemand ScheHnder), sieur de Vuydebource frere de Robert; 1 existence de ce « Jean » ne me semble nullement prouvée ; voir plus lom, page smvante, note 5. F ' 26 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS pas tout a fait impossible, si 1'on songe que 1'Université, comme nous le verrons au Livre II, comprenait aussi des lycéens et qu'un autre Junius \ fils d'un professeur de 1'Université, il est vrai, y est immatriculé a 1'age de sept ans. Qui put bien détourner vers la carrière militaire le jeune étudiant ? Assurément 1'exemple de son père, Robert de Thin, seigneur de Schelandre, dans 1'héroïque défense de la petite place de Jametz (Meuse)2 contre le duc de Lorraine. Sa belle résistance emporta 1'admiration des assiégeants euxmêmes, contre lesquels il tint deux ans, jusqu'en juillet 1589. L'impartial de Thou 3 en parle aussi bien qu'Agrippa d' Aubigne . Robert de Thin, seigneur de Schelandre, était le fils aine de Jehan Thin von Schelnders ou de Schlandres, vieux capitaine de reftres, un peu pillard, trés redouté de son voisin 1'éveque de Verdun et a qui Jean de la Marck, duc de Bouillon, avait donné 1'investiture des fiefs de Soumazannes et de Gomvaux. Henri-Robert de la Marck, successeur de Jean, lm avait en outre, dés 1571, confié la forteresse de Jametz, au commandement de laquelle Robert de Thin avait été préposé en 1584 K En 1598, le 2 mai, la paix de Vervins avait mis fin a la guerre - 1 Trwnkeoneü v 146, anno 1589,n°151:« Casimlrus Junius 0tterburgensis.docAcademie Lugduno Batav», 1575-1875. La Haye, 1875). commandant, 1590, in-8» (Mémoires de la ^9ae,t.Ul,\.Jf>\-664) cite^par m Hauser dans les Soirrees de VHisloire de France, XVIe siècle,t. Ui, P^/'.^ot de Robert de Thin et dont notre poète serait le fils, comme le veut H. de S. (later PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE 27 entre la France et 1'Espagne, de même que 1'Edit de Nantes,. signé un mois auparavant, avait, pour un temps, apaisé les luttes religieuses. Mais pour la jeunesse francaise, toujours frémissante a 1'appel des armes et dont 1'activité guerrière se trouvait sans emploi, les Provinces-Unies offraient un admirable champ d'action. Pour les protestants surtout, désireux de servir leur foi en même temps que la cause du « Béarnais », auquel ils restaient attachés malgré le « parjure », 1'attirahce septentrionale était grande. Et puis, quel prestige que celui des « Gueux » qui avaient relevé une injure pour s'en faire un drapeau et qui, presque seuls, avaient, pendant plus de trente ans déja, tenu tête a la plus formidable puissance militaire du temps, 1'Espagne unie au Saint Empire romain germanique. Le Francais a le culte des héros : il fallait que son admiration s'incarnat dans un homme ; or, la Révolution du xvie siècle, le soulèvement des Pays-Bas espagnols contre le tyran « papiste » Philippe II, s'étaient personnifiés pour ainsi dire dans 1'austère et male figure du Taciturne, de Guillaume d'Orange, nimbée de 1'auréole du martyre depuis que, le'10 juillet 1584, il était tombé a Delft sous les coups de 1'assassin Balthasar Gérard en murmurant ces mots : « Mon Dieu, aie pitié de mon ame et de ce pauvre peuple ! ». Son fils Maurice, qu'il avait eu en 1567, de sa seconde femme, Anne de Saxe, avait hérité de la gloire de son père, avec ce quelque chose de plus hardi que donne la jeunesse et de plus résolu, qui commande la confiance. En compagnie de son cousin, Guillaume-Louis, stathouder de Frise, il se plongeait dans les ouvrages de stratégie et de tactique et s'instruisait aussi au contact des modernes, le Beige Simon Stévin, les Francais Alleaume et David d'Orléans * médiaire des Cherchews et des Citrieux, 25 aoüt 1876, col. 505), suivi par M. Haraszti. i 0?m,on exprimée ici est simplement un retour a Haag (La France Protestante, n'n1' ' article: Thin) et a Asselineau qui, tous deux, s'appuyant évidemment surColletet, font de Jean, le fils de Robert. Signalons en passant que, dans une lettre de Henn IV a M. de Fresnes (éd. Berger de Xlvrey), datée du 11 déc. 1589, il est question d un colonel de rettres, French Schelender; mais les documents contemporains 1'appellent simplement Frentz ou Franch. Ce peut être le Francois de Schelandre, sieur de Vuidebourse, que nous venons de menUonner. Dans les Pièces ongmales 730, a la Bibfiothèque Nationale (Mss.), il est question d'un don fait par Henn IV, le 29 janvier 1594, au sr de Chaumont. Dans le bas de la pièce, on a écrit Gobert de Schelander. 1. Nous parierons d'eux plus loin, au Livre III, a propos de Descartes a Bréda. j £lmon st,ev,n>on Pent consulter Van der Aa (A. G.), Biographisch Woordenboek der Nederlanden, houv. éd., p. K. J. R., et G. D. J. Schotel en 21 vol. in-8» (le 21* est "28 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Pouvait-on ignorer cela dans la principauté de Sedan d'oü ies Schelandre étaient originaires ? C'est impossible, car la maison de Bouillon, qui la possédait, avait, avec la maison d'Orange-Nassau, les plus étroites attachés. Henri de La Tour d'Auvergne, comte de Turenne, duc de Bouillon, n'avait-il pas épousé, le 15 avril 1595, en secondes noces, Elisabeth de Nassau, fille de Guillaume le Taciturne et d'une princesse francaise, Charlotte de Bourbon-Montpensier, sa troisième femme 1 ? Témoignage entre mille, des rapports qui unissaient alors la Hollande a la France, mais, dans le •cas-particulier de Sedan, état quasi indépendant, ce n'était pas seulement le hasard des alliances princières, mais aussi la communauté de confession calviniste et d'intérêt économique qui déterminait ces relations. « Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent oü 1'on veut aller », a écrit Pascal2. La Meuse conduisait en Hollande, en passant par les terres des évêques de Liège, qui Testaient neutres dans les guerres. C'était une des routes que •suivaient les voyageurs se rendant de France en Hollande. C'était celle que longeaient les tisserands et les filateurs de Sedan allant chercher fortune vers le Nord, pour avoir leur part d'une miraculeuse prospérité qu'on sentait naitre; ce fut peut-être aussi la voie que prirent Bobert et Jean de Schelandre. A quelle levée se présentèrent-ils ? a celle de la Noue probablement. A ce moment, ce n'était plus Henri IV qui appelait les Provinces-Unies a son secours, comme en 1595 et en 1596-3; c'étaient elles qui cherchaient a reprendre les régiments de la Noue, rendus disponibles par la paix franco-espagnole. Celle-ci de 1878). Harlem, J. J. van Brederode et ïa Biographie nationale de Belgique. Sur Jacaues AUeaume, qui était d'Orléans, on lira un article d'un jeune savant k qui je aoXLcou^nXuons précieuses M de Waard, au ^[.^^^^XBiografisch Woordenboek publié sous la direction de M. P. C Molhuysen et du professeurP J Blok. Dans ce dlctionnaire, qui n'en est encore qu au T.. IV (Leyae, A W SiithöiT, 1918, in-8"), on trouvera, a chaque tome, les notices déjè prêtes, de AazT—ek au même T. II, une étude de M. de Waard sur notre mithCrDelaborKede^ & ^arbo^ prin^se d'Or^ge Pa^s, Fischbacher, 1888, 1 vol. in-S» Sur le ™?™ge ^ElisabethodeNmvouHet itaatschc Leaer, t. II, p. 17, n. 1. La soeur d'EHsabeth, Cnarlotte-Brabantine, fele qufCuricla^pelait sa . belle Brabant avait épousé le 11 mars 158* CJaude de la^émoOle, vfcïmte de Thouars, duc de Layal et pnnce de Talmont (15661604). Se reporter au tableau généalogique de HetStaatsche leger, t III, p. 314. 2 Ovuscules et Pensees, éd. Brunschvicg. Paris, Hachette, in-12, sect. 1, n"U. I erriettre de Henri IV, datée da! 13 janvier 1596 c té*> par Bot (Pieter), Vervolch van de Nederlandsche Oorloghen... Amsteséam, s. d., in-fol., I . 8 recto. PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE 2$ emportait pour conséquence de laisser les Etats Généraux seulsen face de lë«r redoutable ennemi. %$& P- 63- Cf- Archives... d'Orange-Xassau, t. III de la lre serre, p. 469. 3. Cl. Hel' Siqt&phe Leger, t. I, oü 1'on trouvera aux pages 164 a 166 une brève esquisse: d* 1 feBtoire des régiments francais au service, des Etats pour la première décade du xvne siècle. 4. Rés. des Etats Généraux du 6 avril 1599. Les recherches obUgeammeat entrcprises pour nous a ce sujet, autarchives d'Arnhem par 1'archiviste, a la deman.de de M. le professeur Lacomblé, «jBnt pas donné de résultats. 5. Hei Staatsche Leger, t. II, p. 164. H^ri^ rS68 ^te"G^fu5.^? 11 mars 1599- 11 resta Heutenant-colonel sous. ttenr» 4e Chastillon, en 1601. Cf. Het Staatsche Leger, loco laudalo. 30 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS sa quatrième femme \ une Francaise encore, Louise de Coligny 2, fille du célèbre amiral massacré a la Saint-Barthélémy. Presque tous les noms que nous venons de citer se retrouveront dans les poèmes de Jean de Schelandre et c'est pourquoi il est utile d'en faire mention ici. Ce la Noue, lui aussi, était poète a ses heures et 1'on peut supposer que son exemple n'aura pas été sans exercer une influence sur la vocation de notre jeune écrivain. Odet avait de qui tenir, car son père, Francois de la Noue 3, n'était pas moins remarquable par sa campagne aux Pays-Bas que par ses Distours politiques et militaires, modèles d'éloquence sobre et contenue, composés par lui en captivité a Spa et qui continuaient dignement la tradition des Commentaires de Blaise de Montluc. On lit d'Odet de la Noue un quatrain laudatif en tête des Cent cinquante Psaumes mis en musique par Claudin le jeune n-«». . Mmad biblio- 3. Cf. Hauser, Frpncois de la Noue, Paris, Hachette, in-8, 1892 et Manuel biblio graphique de G. Lanson, n03' 2248-2251. '•• n 4. Haag, La France protestante,!" éd., t. VI,-p. o&S. PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE 31 poésies ont été concues par lui quand il était prisonnier en Flandre 1. Schelandre, pour se mettre a écrire dans les loisirs des quar^ tiers d'hiver, les intervalles des assauts ou les longues attentes dans la tranchée, n'avait qu'a s'inspirer de son chef. Peut-être avait-il dans son fourniment certain Didionnaire des rimes franfoises selon l'ordre des lettres de l'alphabet auquel deux traités sont ajoutés, l'un des conjugaisons francoises, l'autre de Vorthorgraphe francoise (Genève, les Héritiers d'Eustache Vignon, 1596, in-8°), ceuvre du même Odet de la Noue 2. Ce dernier, ayant passé la plus grande partie de 1'année 1600 en France, au lieu d'être a son poste, et ne consentant a revenir que si on lui augmentait sa solde, fut déchargé de ses fonctions, le 3 janvier 1601, et remplacé par Chastillon3. Si son successeur n'était pas aussi lettré, du moins pouvait-il se réclamer d'une ascendance plus ülustre encore. Henri de Coligny, en effet, seigneur de Chastillon-sur-Loing *, était le petit-fils du grand amiral, le neveu de Louise de Coligny, cousin-germain par conséquent du futur stathouder Frédéric Henri. Un vieil homme de guerre, rompu auxfatigues des camps ? Non pas! : un jouvencel a peine sorti de 1'académie 5. II avait paru devant le fort de Saint-André «, qu'assiégeait Maurice, commandant les Anglais de Vere et les Francais de la Noue 7. C'était le 29 avril 1600. II faisait grand vent, dit le naïf chroniqueur 8. «A midi, vint a 1'armée, auprès de Son Excellence 1. Cf. Haag, La France Protestante, 1" éd., t. VI, p. 296 et s. Les dates qui sont indiquées pour le séjour de La Noue en Hollande ont besoin d'être rectifiées et précisécs par les indications donnëes ci-dessus. II en est de même pour l'intéressante étude de M. Guy de Pourtalès, Odet de la Noue, poète et soldal huguenol de la fin du XVI" s. Paris, Soc. Littér. de France, 1919, in-8. 2. N<» 1596 et 1624 de la blbüographie de M. Hugo P. Thieme (Estai sur l'Hisloire du vers francais. Paris, Champion, 1916,1 vol. in-8°),- cf. surtout la grande Histotre de la Longue francaise de M. F. Brunöt, t. II, p. xx. (Paris, Colin, 1906. in-8") 3. Journaal de Duyck, t. III, p. 20. ' 4. Cf. J. Delaborde, Henri de Colignt/, seigneur de Chastillon. Paris, Fischbaeher, 1 vol in-8°. Voir aussi le tableau généalogique de la Maison de Coligny dans Het Staatsche Leger, t. II, p. 381. 5. Ecole oo les jeunes rioblcs apprenaient 1'équitalion et le maniement des armes. Une des plus célèbres a Paris, dans la première moitié du xvii° siècle, fut celle de M. de Vaux. ■ 6. Au confluent de la Meuse et du Waal. Voir a la fin du volume Ia earte que } emprunteè 1'ouvrage de M. Waddington, avec sa bienveilante autorisation. 7. Journaal de Duyck, t. II, p. 558, pour la Noue; p. 565 pour Dommarville p. 583 pour Chastillon. 8. Journaal de Duyck, p. 583. Voici Ie texte original dans toute sa saveur archaique : « Den XXIX'" Aprilis was windich wéder...; sÏHtddachs, quam in slegcr bij sijn Excellentie den Heere van Chastillon, almiral van- Guyenne, d'outste van dien huyse, om dese landen te besien ende den crijghwat te hanteren, mogelrek ter 32 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS (Maurice de Nassau],le seigneur de Chastillon, amiral de Guyenne, aïné de la Maison, pour visiter nos pays et y pratiquer la guerre ou peut-être pour s'y procurer 1'appui de ceux de la Religion. C'était un jeune homme de seize ou dix-sept ans, assez élancé de sa personne et au visage épanoui. » C'est ainsi qu'Henri de Coügny, dans ce brumeux et froid Brabant, loin de la terre de ses pères, recut le baptême du feu. II n'en devait pas connaitre longtemps les épreuves, car il fut tué dés le 10 septembre 1601, a la défense d'Ostende. Un témoin, Philippe Fleming \ nous a conté la mort de ce brave. « Le seigneur de Chastillon avait résolu de se rendre compte par lui-même de la situation et, accompagné du colonel Huchtenbroeck, du colonel Brogge et de plusieurs autres capitaines, moi-même étant présent aussi, il arriva au « Santhil »2 pour résoudre et ordonner diverses choses touchant le service du pays. Monsieur de Chastillon et les autres s'assirent pour mieux deviser ensemble, sur 1'affüt d'un canon, dont la gueule était masquée par des clayonnages. II leur semblait être assurés contre toute surprise, ne pensant pas que 1'ennemi tirerait sur des batteries aveuglées. Mais comme ils devisaient ainsi, 1'ennemi tira sur le «Santhil». Le boulet traversa les claies, emportant la tête du seigneur de Chastillon. Lamentable fin d'un si avisé jeune homme, dont la perte causa a tous une grande douleur ». Son corps fut transporté en Zélande. Dussau, son lieutenant-colonel, le suppléa. Les régiments étaient alors un peu comme des apanages de familie; on en héritait ainsi que d'un titre ou d'une propriété. C'est au frère du défunt, Gaspard II de Coligny, devenant, par la mort de son ainé, seigneur de Chastillon, que les Etats et Maurice songèrent naturellement a confier les troupes franQaises. Mais comme il tardait a venir et que le nombre des compagnies fran?aises avait grossi jusqu'a atteindre vingt et un, a 150 hommes par compagnie3, on décida, en avril 1602 4, d'en former deux régiments, dont 1'un fut confié a begeerte van die van de religie om schier ofte morgen steunsel aen hen te hebben. Hii was een jong man van 16 ofte 17 jaren, tameliick lang van PfWone, van blijden gelate, ende cousijn germain van Graef Hendrick, broeder van Sijn Excellentie. » 1. Belegeringhe der Sladl Oostende, p. 112. 2. Nom d'une position, clé de la défense de la place. 3. Secr. Res. St. Gen., 11 mars 1602, etc, Résolution secrète des Etats Généraux, «itée dans Het Stacdsche Leger, t. II, p. 164, n. 4. „ï. 4 Res St. Gen., 25 avril 1602. Ibid., n. 5. Je me suis reporté aux Résolutions des Etats Généraux, n« 28, A° 1602, fol. 138 r» et v". PREMIÈRES ANNÉES DE JEAN DE SCHELANDRE 33 Dommarville, qui nous est déja connu, et 1'autre, a Léonidas de Béthune, encore un des grands noms deTarmorial protestant de France, cousin de Sully : « Ce jour-la [le 19 juiUet 1601, au siège de Rhinfcerc], Son Excellence confia la compagnie de Fulgous [tué la veille] a un gentilhomme francais, le seigneur de Béthune, de la maison de Melun, propre fils du seigneur de Rhosny » \ Ce Béthune, qui répondait au nom spartiate de Léonidas .était seigneur de Cogni, Mareuü, etc. II périt misérablement ó Geertruidenberg, le 5 aoüt 1603, en s'interposant entre des soldats francais et anglais engagés dans une rixe 2. Jean de Schelandre semble avoir sincèrement admiré ce chef, puisqu'il lui consacre toute 1'épode de la strophe VIII de son poème sur la prise de Grave en 1602 : Et de ce Bethune De qui le demon Promet a son nom Plus belle fortune, De qui le grand coeur, Plein de belle audace, Seconde 1'honneur *** De sa noble race. Après sa mort, son régiment passa aux mains de Gaspard de Coligny, frère d'Henri et ayant hérité de lui, nous 1'avons vu le titre de Chastillon 3. Gaspard II était né le 21 juillet 1584 II n'avait donc que 19 ans, en 1603, ce nouveau colonel, mais il le resta, sinon en fait, du moins en titre, jusqu'a sa mort, survenue le 4 janvier 1646 *. II est mieux connu dans 1'histoire de France sous le nom de maréchal de Chastillon. Une fois de plus, histoire de France et histoire de Hollande se trouvent ainsi intimement mêlées. Mais revenons a nos héros. atvi^Vra^-^^nïT" signe dans VEM 1. Het Staatsche Leger, t. II, p. 72 n 4 legl^itt^-' 18 n0V* 16°3- ReS- Sl Gen- 24 'évrier «*« Cf. Het Staatsche quée a^HeTsta^hJl^e^ £ 625. La date de 1648, indi- Rijks Museumfson^^ 3 CHAPITRE III LES PREMIERS FAITS D'ARMES DU JEUNE CAPITAINE ROBERT DE SCHELANDRE. BATAILLE DE NIEUPORT (2 JCJILLET 1600) C'est sur le Budget de la guerre (Staat van Oorloge) de «Leurs Hautes Puissances » les Etats Généraux, pour les années 1599 a 1604, que le nom de Schelandre apparait pour la première fois dans un document hollandais manuscrit et voici la mention qui le concerne, encadrée par d'autres, relatives a ces compagnons d'armes : Vuyt de ongereparlieerde Generael Vere 200 2©12 HoratioVere 200 2612 heere de la Noue 150 sp. 2014 Formerrtières 113 \ 1460 CHALANDER 113 J Spiessen 1460- ^«BulBson IJS ende • 1400 Ve™*™* 113 Mers ^146fi Hatertt 113 ] 1460 Etc... Considérons ce tableau. Le premier chiffre représente le nombre des soldats, le second, le montant du prêt, recu par le capitaine, pour un mois, compté a 36 jours. 1.460 livres pour 113 hommes, cela fait tout prés de 13 livres, un pen plus qu'en. France, oü le vétéran en touche 12 a la même époque 2. Sur cette page de registre officie!, Anglais et Francais frater- . Vuvt öe ongerepartieerde », c'est-a-uire troupes dont la charge incombe a .?J?Ui 8 m t de ^S??1 dehlnaln même «'Oldenbarneveldt, qu'a bien ^oulu me signaler M. Japikse (Rijksarchief. Holland, 2605). ^ est^éTk^ff0^ FmnCC' \ Vi*°- .partie' * ' Le rest* * compagnie est payée a 12 L par moys », est-il écrit cependant a la fin de la * Liste de* Appointz de la C" de M' de Chastillon »X16Q9. Budget, ibid™ 36 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS nisent comme sur le champ de bataille. En tête, c'est le célèbre général Vere, dont pariera Schelandre a propos de la pnse de Grave : La, les superbes Anglois Tremblent, grand Veer, sous ta voix. (Strophe ix). Puis vient le frère du général, le co'.onel Horatio Vere; plus loin, deux autres Vere, simples capitaines, Edouard et Daniël, car c'est toute une tribu qui s'est mise au service des Etats K Mais, avant ces deux derniers, apparait le seigneur de la Noue, Odet, avec ses«150 sp.», c'est-a-direses 150«spiessen»,leslongues piqués dressées, qui le suivent dans la bataille, mouvante forteresse carrée, telle qu'on en voit dans les estampes de Callot2. Cent cinquante hommes, n'est-ce pas un effectif a peine supérieur a celui d'une compagnie ? Sans doute, mais le colonel était alors, plutöt que commandant de régiment, commandant de la compagnie colonelle, c'est-a-dire tête de colonne, ouvrant la marche dans les défilés, après la « monstre • ou revue, et touiours la plus nombreuse comme la plus choisie. Quant a Chalander, déformation orthographique ou, si 1'on veut, orthographe phonétique 3, sous laquelle il n'est pas difficile de reconnaïtre Schelandre, dont un autre budget transcnra d'ailleurs correctement le nom, il ne mène que 113 hommes! C'est encore pour 1'époque une forte compagnie. On aura remarqüé, derrière 1'accolade, les mots : Spiessen ende roers, qui signifient, littéralement, piquéi et armes k feu, celles-ci comprenant les mousquets se tirant sur fourquine et les arquebuses qui s'épaulent *. Toutefois, comme on n'avait pas encore su adapter 1'arme blanche du corps a corps a 1'arme 1 niriinnaru of nalional Biographu, edited by Sldney Lee, t. LVIII, p. 233 ; Slr b?méntl R9 Kam The ffghUngVeres, 1888,1 voUn-8«, et The ^nvnenlanes „} ^r Francis Vere oublished by W. Dillingham, Cambndge, 1657, 1vol.ln-°°' n« ^idltioiV de TÜr etStdon (1608) imprira « Wer Veer est une orthographe FréquenU dani lel documente hollandals ; la forme la plus correcte: est , Vere ». 2 Et oans la gravure de la bataille de Nleuport reprodmte ici pi. IV. ■ i' 1 , Ch n'rrfen tfui doive étonner; ilcorrespond è la prononciation. Louise a* rJrtfiT.v^ dans »oï^tes^tament, parle d'une M'" de Chelandre (Corresmndan.ee de Tarmes, d■arquebuses, mhusquetz et piqués etc, de Jaques de Gheyn. La Haye, 1608, in-fol., voir plus lotn, PU. IX a b et X a b. PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 37 a feu du combat a distance, il fallait que les piquiers protégeassent les tireurs contre une trop grande approche de 1'ennemi et alors, leurs piqués de dix-huit pieds \ soudain abaissées, hérissaient .le carré. Ce chiffre de 113 soldats, si on 1'interprète a la lumière de la Résolution du 29 septembre 1599, ramenant les compagnies du régiment de la Noue, de 150 a 113 hommes, semble attester que le budget a été établi dans le dernier quart de 1599 2 et ce n'est donc que dans cette partie de 1'année que la présence de Robert de Schelandre se trouverait certifiée. Si nous avions conservé pour les années 1598 et 1599 le Journaal du flscal 3 ou dodeur Duyck, lequel suivait les armées en notant au jour le jour leurs faits et gestes, nous pourrions peut-être étabür ce que fit Schelandre en 1599 ; mais le quatrième livre d'Antoine Duyck étant perdu, il faut se borner a feuilleter son ceuvre au livre cinquième «contenant tout ce qui.s'est passé dans les sièges de Crèvecceur et de Saint-André et dans la terrible bataille de Flandre, prés de Nieuport... depuis le ler janvier 1600 jusqu'au dernier de décembre suivant inclus, n'indiquant guère que les conséquences toutes nues et les événements les plus remarquables. 4 » Nous ne savons pas si Robert de Schelandre 5 était avec la Noue, lorsque le régiment participa, sous Maurice, a la prise du fort de Crèvecceur sur la Meuse (25 mars 1600) et du fort de Saint-André (8 mai) sur le Waal6. C'est d'autant plus probable 1. Chiffre donné par van Meteren, fol. 451. 2. Cependant le budget était généralement établi pour 1'année suivante. II est vrai que ce budget-ci est exceptionnel, ayant été préparé pour cinq ans, en vue d'une grande et longue offensive. 3. Cf. Mariéjol, dans Lavisse, Histoire de France, t. VI, 2" partie, p. 337. « II (Manty) propose d'établir en chaque escadre, comme chez les Hollandais, un flscal ou docteur qui tienne le journal du bord, transmette les ordres de 1'amiral, etc. » 4. Journaal van Anthonis Duyck, éd. Mulder, t. II, p. 495: « Vijfdebouck, daeiinne vervat is alle tgene in de belegeringen van Crevecuer ende St Andries, ende in den s waeren velt slach in Vlaenderen bij Nieuwpoort voorgevallen is, mitsgaders in andere aenslaegen... tsedert den eersten Januarij 1600 totten letsten Decembris daeracnvolgende incluys, houdende meestal niet dan de naeckte effecten mette notabelste geschiedenissen ». 5. Quant a Jean, qui n'est pas capitaine, il ne faut pas s'attendre k trouver son nom dans les budgets de la guerre ; tout au plus serait-il dans une « monsterrolle > oü < état des monstres ». La plupart sont perdus. II en est cependant un de cette date oü apparalt sous les ordres de Jan Gentil, sleur du Fort, un certain Pont Challandière, mais je ne crois pas pouvoir 1'identifier avec notre poète. « Rolle geleverd by Jan Gentil, lieutenant van den heere van Corbeke, 18 jan. 1599 » (« Lias lopende Staten Generaal, n° 4709 »). La liste, qui n'est constituée presque que de noms francais, est d'ailleurs intéressante. 6. Cf. Bor (Pieter), Vervolch van de Nederlanlsche Oorloghen, livre 37, fol. 6 v° et 14 r° ; Duyck, II, p. 552, 558, 586. 38 RÉGIMENTS FRANCAIS AU service des ÉTATS que le Halardt du tableau précédent s'y trouve, ainsi que ce dn Hameiet L qui devait périr au siège de Grave, en 1602, et ce Marescot dont Schelandre va reprendre la compagnie, deux mois plus tard. Dèsledjuin 160O*, Son Excellence, c'est-ardire le Stathouder, fait rassembler les vaisseaux, dans le dessein de se transporter en Flandre avec toute son armée, forte de 125 enseignes de fantassins, 25 cornettes de cavaliers, 100 chariots, 250 chevaux de trait, 16 canons lourds, 14 mortiers et 7 pièces de campagne a. Le 14» on commence a embarquer. Le 17, le Prince quitte La Haye en compagnie de Chastillon, Vere, Solms et d'autres encore afin de prendre le bateau a Delfshaven pour Dordrecht. Le 18, les Etats Généraux eux-mêmes se décident a se rendre en Flandre, se transformant ainsi en commissaires de la République pour surveiller la campagne et veiller a ce qu'elle prit bien pour objectif Dunkerque. E s'agissait en effet de détruire ce nid de corsaires et d'assurer a la Hollande la possessie n de toute la cöte beige et, par conséquent, Ia maitrise de la mer du Nord. Cette méfiance a 1'égard du jeune chef, c'est le Pensionnaire de Hollande, le célèbre Oldenbarneveldt» qui rins pare et Maurice ne 1'oubliera jamais. Le 22 juin 1600» le prince débarque ses troupes au fort Philippine, pres de Temeuzen» sur la rive gauehe de 1'Escaut, en Flandre zélandaise. Son armée est divisée en trois corps* confiésy le premier, au comte Emest de Nassau, que nous retrouverons dans le poème de Schelandre; le second, au général Francois Vere, qui conduit les Anglais et les Frisons; le troisième, au comte Georges de Solms a la tête des régiments de Gistelles, de Huchtenbroeck, des Suisses, des Wallons et des Francais. Ceux-ci, sous la Noue, comprennent, outre sa compagnie colonelle et celle de Dommarville, les compagnies Rocques, Du Sau, La Simendière, Marescot, Hameiet, Hallart, Brusse, Cormières, du Fort»FouRMENTiÈiuss, Vebneuel et Pont-Aubert*. 1. Journaal de Duyck, II, p. 610. II signe Du Hameiet sari'Eedboek, pi 10, après avoir prêté serment le 10 avril 1599. J'ai retrouvé sa « commission » daas kV Commissieboek van den Raad van Staate, 10 mei 1591-6 déc. 1599: Commissie voor Fraagois des Essars... heen van Hametet. 2. tbid., H, p. 629. 3. Duyck, ii, p. 635 et 636. 4. Duyck, t. II, p. 638-639. 5. Duyck, t. II, p. 639. H n'est pas sur que la Noue- ait été présent, a en juger par le texte de Fleming, Belegeringhe der sladt Oostende, p. 32 ; a part cela, sa Kste correspond a celle de Duyck. Je ne üens pas compte des altérations orthographiques, PREMIERS FAITS d'aRMES DE RORERT DE SCHELANDRE 39 Les noms imprimés en petites capitales, sont ceux qui figurent au budget de 1599 a 1604, a cöté de celui de Schelandre. Oü est-il, lui, a ce moment et oü est du Buysson ? On ne saik Le 23 juin, 1'armée s'ébranle, la cavalerie indépendante du comte Guillaume-Louis, formant pointe d'avant-garde, les régiments de Solms et par conséquent les Francais le suivant. On passé par Ecloo, les maisons brülent, marquant les étapes de 1'invasion, puis on traverse Oudenburch, au sud d'Ostende, laissant Bruges de cöté. Maurice ordonne a Solms d'enlever 1'ouvrage Albert, situé dans les dunes, a 1'ouest d'Ostende, cette ville étant toujours, comme on sait, aux mains des Etats. II épronve quelque peine a pousser ses approches1 dans le sable sec et mouvant oü il choisit ses emplacements de batterie, 1'un sur 1'estran, 1'autre sur les dunes. Quelques Francais audacieux livrent des escarmouches jusque devant les retranchements Isabelle, qui continent au fort Albert : le capitaine Cormières est tné, le corps traversé de part en part; effrayée par un feu d'artillerie, d'aUlenrs peu meurtrier, la garnison du fort Albert se rend le 29 2. Lentement, le long du rivage, Solms s'achemine vers Nienport fortement occupé par les Espagnols. II vise a s'emparer de la digue et des écluses. Maurice et Guillaume-Louis le rejoignent a la hauteur de Leffinghe, ainsi que les Anglais et le comte Ernest, tandis qu'il s'éiablit lui-même a Westende, face a 1'Ouest. Nous sommes le 30 juin. Le ler juillet, par un beau temps, le Stathouder avance encore et, trouvant 1'embouchure de 1'Yser presque a sec, a marée basse, il la franchit avec Vere et Solms, le comte Guillaume-Louis et le comte Henri-Frédéric, sans rencontrer de résistance. Par un vent favorable, des bate aux partis d'Ostende, ne tardent pas a amener vivres et munitions 3. Stratégiquement, la position est dangereuse. On n'y reconnait pas la prudence habituelle de Maurice, car, n'était la maitrise de la mer, il serait coupé de sa base et pris entre trois feux : Bruce pour Brusse, Mariscot pour Marescot, etc, ni des traductions du • de >, van Sau pour du Sau. Au reste nous n'avons pu toujours contróler la vraie forme. Rocques est Jacques de Rocques, baron de Montesquieu, dont il sera souvent question plus loin. Cf. Het Staatsche Leger, t. II, p. 409, 277,165. 1. Boyau ou galerie destiné a approcher des remparts a couvert. 2. Duyck, t. II, p. 649-651. 3. Duyck, t. II, p. 658. 40 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Furnes, Dunkerque, Nieuport, sans cornpter la ménace de 1'archiduc qui s'avance de Bruges avec toute une armée pour dégager Nieuport, reprenant en passant Oudenburch et Leffinghe, comme s'il avait voulu suivre le Hollandais a la tracéx. Les Etats, qui ne se sentent pas trop en sécurité a Ostende, s'affolent. Maurice même est surpris. On ne croyait plus rennend si agressif ni si fort. Le comte Ernest est envoyé au nord de Leffinghe, avec mission de garder ouverte la route de la cöte. Le 2 juillet 1600, dit le chroniqueur, commence a poindre, par un beau temps et un vent d'ouest assez fort, le jour sanglant de la grande bataille. C'était un dimanche, anniversaire de la Visitation de Notre-Dame Marie, trés honorée par les«papistes »2. Au point du jour, le comte Ernest, avec deux régiments, comprenant dix-neuf enseignes de fantassins, quatre cornettes de cavalerie et deux mortiers, se dirige vers Mariakerke, mais 1'archiduc Albert, partant de Leffinghe et profitant de ce qu'on avait omis de rendre la route impraticable, 1'y devance. Ernest se met en bataille ; la panique s'empare de ses troupes, il perd beaucoup de monde. Albert a raison d'écrire a ceux de Bruges, qu'il a battu 1'avant-garde de Maurice, mais il a tort de dire qu'il 1'a coupé de sa base. L'histoire apprend qu'il ne faut pas trop tót chanter victoire. Cependant, a Bruges, on sonna les cloches. L'archiduc dispose de 8.000 fantassins et 1.600 cavaliers. II reste a Maurice 96 enseignes a pied, 18 a cheval, soit 10.000 fantassins et 1.200 cavaliers. A la faveur de la marée basse, il les transporte dés huit heures sur la rive droite de 1'Yser et il se range en bataille, adossé au fleuve et sentant qu'il a tout a perdre ou tout a gagner. II fait savoir a Vere, commandant 1'avant-garde et qui propose de se retrancher, qu'il entend ne pas s'abriter ailleurs que derrière des piqués et des mousquets, qu'il veut livrer bataille et qu'en ce jour, le sang coulera. II avait fait» passer aussi sur la rive droite le gros 3 composé des régiments francais, wallons et suisses, conduits par le comte Georges de Solms et flanqués des cavaliers du jeune Henri- 1. Duyck, t. II, p. 661. 2. Duyck, t. II, p. 661 4 680. On pourra suivre son récit également sur le plan que nous reproduisons ici, pl. IV. Cf. plus loin-, page suivante, note 1. 3. Qu'on appelait alors «la bataille >. PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 41 Frédéric, les fantassins répartis en quatre bataillons, les cavaliers, en quatre escadrons. Le comte Ernest reste sur la rive gauche pour observer la garnison espagnole de Nieuport. Les seigneurs de Chastillon, Grey, Holstein, ne quittent pas Maurice. Tandis que ce dernier envoie ses cavaliers en reconnaissance, il éloigne ses vaisseaux, leur faisant regagner Ostende pour óter aux troupes tout espoir de retraite. Les six mortiers sont en batterie sur 1'estran. L'ennemi tarde a paraitre : Maurice en profite pour exhorter ses soldats a se conduire vaillamment. Voyant les vaisseaux cingler vers Ostende et croyant qu'ils transportent le Stathouder lui-même et son état-major, 1'archiduc Albert se décide a attaquer et marche vers Nieuport le long de la cöte, appréhendant d'être inquiété sur ses derrières par la garnison d'Ostende qui, au reste, ne bougea pas. C'est a midi que les estradiots espagnols prennent le contact. Dix ou douze coups de canon tirés a bref intervalle les- accueillent et les dispersent dans les dunes. La marée montant, 1'une et 1'autre armée ne tardent pas a s'y réfugier. Sentant qu'il va être attaqué, le stathouder appelle le comte Ernest et lui fait prendre position, après avoir coupé les ponts sur 1'Yser, pour qu'ils ne livrent point passage aux fuyards. Maurice a pour lui le vent et bientót le soleil qui, 1'après-midi, aveuglera 1'adversaire, puisque celui-ci fait face a 1'ouest. L'armée espagnole gagnant de plus en plus, 1'artillerie hollandaise commence a donner de ses cinq mortiers mis en batterie dans les dunes, et de son canon unique, resté sur le rivage. Le stathouder déploie sa cavalerie dans les « polders ». L'avantgarde a pied comprend quarante-trois enseignes, tandis que le gros n'en a que vingt-quatre, réparties en quatre bataillons, dont deux de Francais *. Vers trois heures de 1'après-midi, 1'ennemi avait tellement approché que les éléments avancés en viennent aux prises et qu'un feu assez vif d'arquebuse éclate, faisant un bruit terrible, 1. Duyck, t. II, p. 671. On les volt indiquées sur la gravure tres rare du Cabinet des Estampes qu'on trOuvera reproduite ici, pl. IV. On en lira la description dans.' Muller (Fred), De Nederlandsehe Geschiedenis in Platen, beredeneerde Beschrijving van nederlandsehe Historie Platen, Zinneprenten en historische Kaarten, verzameld, gerangschikt, beschreven door —. Amsterdam, F. Muller, 1863, 4 vol. in-80.. La collection compléte ayant été acquise par le cabinet des estampes d'Amsterdam, U suffit d'indiquer le numéro de Muller : n° 1136 au t. I. . 42 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS si bien qu'on entendait un roulement confus « de mousqueterie, de cris, de tambours et de trompettes». Voyant son infanterie engagée, Maurice fait charger la cavalerie du comte GuillaumeLouis, du comte Henri et de la Sale sur les escadrons ennemis, qu'eile met en fuite. Albert soutient son avant-garde, qui a le dessous, par sa « bataille », c'est-a-dire par le gros. Les Anglais fléchissent un peu; le général Vere est blessé et va se faire panser \ mais son frère Horatio rétablit la situation en foncant sur le parti ennemi le plus important, a la tête de six ou sept cents hommes. II fit preuve d'une telle opiniatreté que 1'Espagnol ne parvint pas a 1'ébranler. Cependant Anglais et Frisons eussent fini par céder, si Maurice n'avait amené en ligne, a son tour, le gros de ses forces. Les nouveaux Wallons chargèrent bravement mais, avant Ie corps a corps, voici que les fantassins de Vere lachent pied. II faut faire donner les Suisses et puis les Francais, en deux troupes, mais ils n'arrivent ni a faire reculer 1'ennemi, ni a arrêter la débandade des Anglais. L'armée du Prince perd dune après dune, sans que les charges partielles de sa cavalerie, prenant 1'Espagnol en flanc, parviennent è rétabUr la situation. II ne reste au stathouder qu'a faire avancer son arrière-garde, exhortant ses cavaliers a rester en bon ordre, puisqu' aussi bien ils n'ont pas d'autre alternative que de vaincre ou d'être tués ou noyés, ce qui avait été, au reste, le sort d'une partie du train des équipages. La panique commence a se mettre dans cette cohue. On entend les cris effarés des femmes et des enfants qui 1'accompagnenta et, pour comble de danger, Pennend ayant apercu ce désordre, engage son arrière-garde, pour tenter de forcer la fortune des armes. L'infanterie hollandaise est en recul sur toute la ligne et Maurice ne réussitmême pas aremettre del'ordre dans sa cavalerie. La situation parait désespérée : « II semblait que Ie Seigneur Dieu voulut laisser périr et accabler le florissant Etat de Néerlande ». L'ennemi avance si vite que 1'artillerie tombe entre ses mains. Seul, le Prince est sans crainte : il appelle, il suppUe chacun de maitriser ses terreurs, de mourir plutöt en combattant. C'est alors qu'il mande ses trois dernières enseignes de cava- 1. Duyck, t. II, p. 672-673. 2. Duyck, t. II, p. 674. #*jP§ PREMIERS FAITS D'ARMES DE ROBERT DE SCHELANDRE 43 Kers qui,s'êlancant avec furie, portent le désordre dans les rangs ennemis. Les Anglais de Vere se ressaisisrent ainsi que les Frisons qui, au nombre de cent cinquante piquiers, jettent un parti espagnol a bas des dunes1. Tout a coup des matelots et des canonniers se mettent a crier: i Chargez 1 chargez 1» 2 et d'autres, sans raison d'a&Ueurs : « Victoire l victoire !... » et toute 1'armée hollandaise se met a presser 1'adversaire, qui ne tarde pas a céder. Le prince le harcelle sur ses flancs avec un groupe de cuirassiers qru'il a ralBés. Le recul des Espagnols se change bientöt en une fuite éperdue.. Maurice reste maitre du champ de bataille, ü couchera le soir a Westende. Commencée a trois heures et demie de 1'après-midi, la lutte a duré jusqu'a sept heures dn soir. Cette victoire de Maurice, si remarquable, paree que c'était la première qn'il remportait ein rase campagne sur « cette redoutable infanterie de 1'armêe d'Espagne », jusqu'alors partout victorieuse, lui avait coüté cher : mille morts, donc le dixième de son effectif, et sept cents hommes grièvement blessés. Les Anglais avaient perdn cinq capïtaines, les Franeaisi deux : La Simendière et Marescot3. H est vrai que 1'ennemi avait laissé sur le terrain trois mille morts et six cents prisonniers et, parmi ces derniers, « rAlmirante d'Aragon » Francisco de Mendoza *, don Lnys del ViBar et le sénéchal de Montélimar, comte de la Fére, qui mourut a Ostende des suites de ses blessures. De plus, il abandonnait tous ses bagages, ses drapeaux, quatre mortiers, deux canons de campagne ou cotdetrvrines et des munitions. Malheureusement, Maurice ne sut pas ou ne voulut pas exploiter son succès. II se contenta d'avoir rouvert la route d'Ostende et y délibéra avec les Etats sur les trois objectifs qui s'offraient a lui : L'Ecluse, Nieuport, Dunkerque, d'oü partaient les galères et les brigantins pour inquiéter et surprendre ces 1. Duyck, t. II, p. 675. 2. < Val aen, val aen >, ibidem. 3. Duyck, t. II, p. 677. 4. C'est a eet arniral que Maurice dit a table, en franc ais: « Monsieur 1'AdmIrante a esté plus heurëux que pas un de son Armée, car il a fort désiré, plus de quatre années continuellement, de voir 1'Hollande; maintenant il y entrera sans coup férir. > Le propos a été entendu et noté par Fleming, Belegeringhe..., etc, p. 45. 44 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS rouliers des mers qu'étaient déja les marins de Hollande et de Zélande. En attendant une résolution définitive, le Prince procédé- au remaniement de ses troupes, fusionnant probablement des compagnies, quand leurs pertes avaient été trop lourdes et surtout quand elles avaient été privées de leur chef, donnant notamment celle de Cormières, tué au fort Albert, a du Puy \ celle de la Simandière, tué, a Pomarède et celle de Marescot, également tué, a Schelandre 2 que nous retrouvons donc ainsi cité en fin de bataille et qui a été 1'occasion de ce récit. L'événement eut en Europe et surtout en France un retentissement considérable. Elisabeth en rend graces a Dieu. Henri IV recoit dAersseft, ambassadeur des Etats, a onze heures de la nuit et « manifeste une telle joie que beaucoup se scandalisèrënt de lui voir trop ouvertement móntrer son affectiön et sa sympathie pour le succès de Leurs Hautes Puissances. II s'arrête même de jouer et ordonne a Monsieur le Grand de lire a haute voix les dépêches 3.» 1. J'ai retrouvé la Commission de Guillaume du Puy, datée du 15 déeembre 1598 (Commissieboek van den'Raad van State, 10 mei 1591-decemb. 1599, fol. 88). De graves lacunes de ces registres nous ont empêché de mettre la main sur le brevet de Schelandre. Ce du Puys, dont nous reparlerons encore, fut arrêté a la Haye le 26 octobre 1600 (cf. Duyck, t. II, p. 571) pour avoir, dans une « monstering », abusé des «passer-volants », hommes de paille desünés a grossir frauduleusement les effecÜfc des compagnies pour les jours de révue. II ne tarda pas a être relaché. i 2. Dont le nom apparatt cette fois estropié par Duyck en Chilandre, ce qui n a rien d'étonnant si 1'on songe qu'un descendant du poète a rclevé, dans les documents francais du temps, les tormes : Scheland, Chelandre, Schlandres, Thin von Schelnder, ce qui est la propre signature du père du poète, le gouverneur de Jamets (cf. YIntermédiaire des Chercheurs et des Curieuz, 25 juillet 1876, col. 422, et 25septembre 1877, col. 566). Voici le texte de Duyck (t. II, p. 684), a la date du 5 Juillet 1600 : « De compagnie van la Simandière gaf hij aen Pommarède, die van Cormières aen du Puys' ende die van Mariscot aen CHILANDRE. » 3. Lettre d'Aerssen aux Etats Généraux, 19 juillet 1600, citée par van der Kemp (C. M.), Maurits van Nassau, t. II. (Rotterdam, van der Meer et Verbruggen, 1843, i'n-8», p. 264-265). 2 3 er CD La bataille de Nieuport en 1600. D'après une taille douce de Henri Hondius, au Cabinet des Estampes d'Amsterdam. Collection F. Muller, 1136. (TV" il et 42 ; Les enseignes frangaises de La Noue). CHAPITRE IV LE POÈME DE JEAN DE SCHELANDRE SUR LA BATAILLE DE NIEUPORT. C'est au même moment oü la présence d'un Schelandre, que nous devons supposer être Robert, est attestée a Ostende par le Journaal de Duyck, qu'un poème de son frère Jean nous montre qu'il y arrivé aussi. II y écrit en effet a propos de ce fait d' ar mes : Le bruit d'un tel exploit dans mon ame fit naistre Un esguillon de Mars, un desir de cognoistre Le guerrier qui deffend, nompareil en vertus, De 1'acier de Cé sar, les raisons de Brutus l. Le poète va nous habituer a une telle exactitude, qu'il est permis de demander au lecteur, sous bénêfice d'inventaire, d'accepter qu'il s'agit la d'un détail biographique exact et que Jean rejoint son ainé au lendemain de la bataille de Nieuport, a laquelle, six ans après*, selon sesindications toujours, il consacre un poème de large facture intitulé : Le Procez d'Espagne contre Hollande. Plaidé dés Van 1600 après la bataille de. Nieuport. Dédié d très-sage et très-valeweux capitaine Maurice de Nassau, Duc de Grave, etc. Cette pièce de vers, toute en alexandrins *, appartient a la familie des songes et visions, qui ont fait tant de tort a notre littérature didactique et dramatiqüe, au moyen-age comme au 1. Admirable vers a souligner en passant et qui sert d'épigraphe a ce livre I. 2. Sur cette date, voir plus loin. 3. Pour la Stuarlide, publiée en 1611, 1'auteur rejettera 1'alexandrin (cf. Argument de la Sluartide, p. 33):«Quant k la qualité des vers 1'autheur a suivy (plus tost par de voir que par in cl in at ion) 1'exemple et 1'opinion de nos t re Apollon vandosmois, qui juge les Alexandrins mal convenables k un subject Heroïque, comme a la vérité la plus courte cesure de ceux-cy leur donne je ne scay quelle retenuë qui les rend plus graves, plus relevés et moins licentieux, laissant tant plus de loisir aux profondes conceptiens de se faire bien peser avant que d'estre exprimées ». \ 46 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉT ATS xvie siècle, mais elle se rachète par une réelle éloquence et une grande chaleur de sincérité. Le poète est endormi, Morphée lui apparait et 1'enlève aux cieux, vers • le père tonnant Assis en majesté sur un throsne eminent et, devant le Souverain juge, il voit amener « deux nymphes d'icy-bas », 1'Espagne et la Hollande : L'Espagne basannée, Orgueilleuse en son dueil, dolente en son orgueil, Portoit la rage au frond et les larmes a 1'oeil. Sa démarche estoit grave et sa robbe tissüe De metail de Peru rayonnoit a la veüe Son sein estoit blanchi de perles arrengées, Et de chainons d'or fin, ses espaules chargées ; Dans un «torrent de larmes », elle dresse sa plainte contre la « rebellion d'Hollande sa sujette » et invoque le droit divin des rois. Celle-ci a « un Alexandre esleü », Maurice. Au ToutPuissant, de foudroyer le révolté. A tant se teüt Espagne et sur pied se dressa, Puis d'un humble maintien Hollande s'advanca. L'or de' ses blonds éheveux, oii Cupidon se joue, D'un humide réseau, sans parade, se noue.' Son front, illuminé de flambeaux azurés, Les lis de son teint frais, de rose colorés, L'embonpoint de ses bras mi-couverts de la manche, Son voile a cent Teplis de fine toile blancbe, Tiroient au fond des cceurs plus de rayons ardants, Que 1'Espagnole pompe aux yeux des regardants. II y a peut-être un souvenir d'amour ou d'amourette dans cette description si précise. Nous n'avons plus affaire a une abstraction. Ce n'est pas la Hollande, c'est une Hollandaise qui est ici décrite avec des touches de peintre et telle que le Francais 1'a vue : cheveux blonds, yeux bleus («les flambeaux azurés »), les joues vivement enluminées de rose, 1'avant-bras découvert, en son costume national, que 1'allusion a la coiffe de fine toile de Hollande achève d'évoquer, comme en un tableau de Vermeer. Deux.traits de ce costume, le bras découvert et les cent: LE POÈME DE JEAN DE SCHELANDRE 47 replis de cette coiffe indiquent un modèle pris en Zélande K La simplicité de 1'habit se retrouve dans le langage. Si 1'Espagne a parlé devant le souverain juge du droit divin des rois sur leurs sujets, la Hollande se dresse en défenseur des opprimés et ses alexandrins vibrants plaident la cause des « Monarcomaques », des peuples faiseurs de rois et défendent la théorie des Vindicise contra üjrannos de Languet2, qui n'étaient autre chose que 1'apologie de Guillaume d'Orange en révolte contre son suzerain, pour des causes politiques aussi bien que religieuses. Les Roys sont vos nepveux, s'ils gouvernent en paix, S'ils briguent, en douceur, 1'amour de leurs subjets Mais si, bridants ies cceurs et les langucs craintives, Des peuples asservis, ils transforment les noms De Princes en Tyrans, de Caesars en Nerons, Si, pour souverain chef, ils ne vous recognoissent, Si, brutaux, de rapine et de meurtre ils se paissent, II faudra prendre en gré la rage qui les poind ? Nous sentirons les coups et n'en soufflerons point ? Ne voila-t-il pas des accents dignes des Tragiques d'un Agrippa d'Aubigné, qui pourtant ne paraitront que dix ans plus tard, en 1616 ?3 Suit un véritable réquisitoire contre la barbarie espagnole, qui a crucifié les deux mondes : Soit oü d'éternel chaud les nègres sont pressés, Soit oü les Hots baveux en marbre sont glacés, 1. En 1601, nous verrons la compagnie Schelandre en garnison a Berg-op-Zoom, a la limite du Brabant septentrional, mais en face de la Zélande. Tous les dessins se rapportant a la Hollande du Nord et que j'ai vus au Cabinet des Estampes d'Amsterdan, montrent que les paysannes de ces contrées ont des manches longues, de même que les bourgeois es et grandes dames du temps. Ce détail du bras découvert localise donc exactement le poème. Pour les plis de Ia coiffe de Goes en. Zélande par exemple, voir A. Diirers NiederlaendiscSe Reise (Berim, 1918, 2 in-tol.) par un artiste bien connu, Jan Veth et 1'éminent archiviste d'Utrecht, M. S. Muller Fz. 2. Cf. de Jong, Eenige Opmerkingen over de Rechtsleer der Mónarchomachen (These de lettres de la« Vrije Universiteit», ou Université libre d'Amsterdam) 1914, Rotterdam, P. de Vries, 1 vol. in-*0, et Itjeshof Jz., De Werkzaamheid van Du Plessis-Mornag in dienst van Hendrik van Navarre in de jaren 1576 lot 1581, These de lettres de lijlilversité de Leyde, 1917, Kampen, Kok, 1917,1 vol. in-8°. M. Itjeshof a tort d'attribuer les Vindicise k Du Plessis-Mornay malgré la démonstration de M. Joseph Barrère en faveur de Languet. Cf. Observations sur quelques ouvrages politiques anonymes du XVIe siècle, dans la Revue IC Histoire litteraire de la France, 21* année, n» 2, avril-juin 1914, p. 377-382. 3. Manuel bibUographique de G. Lanson, n° 1813. Voir les beaux livres 4e S. Rocheblave, Agrippa d'Aubigné, Paris, Hachette, 19 )3, 1 vol. *n-l€, (Les Grands Ecrivains) et La vie d'un héros : Agrippa d'Aubigné, Paris, Hachette, 1900, 1 v*l» in-16. 48 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS . Vous ne voyez climat oü chacun ne deteste De leur ambition la dommageable peste. L'EspagnoJ est un feu, qui tant plus se fait grand Du mal de ses voisins et tant plus entreprend. C'est un chien en sa fov. c'est un Paon en sa gloire, Un regnard en sa guerre, un tigre en sa victoire. Puis vient un résumé, évidemment tendancieux, de rhistoire d'Espagne, qui atteste chez 1'auteur une grande connaissance des f aits, et, par conséquent, une certaine instruction \ mais qui est un peu déparée au début par un mauvais jeu de mots sur Christophe Colomb : N'appellons a tesmoin le monde ja desert, Par un vol de Coulombe autrefois descouvert, Oü Ferrand 2, par le sang, par la chaine servile, Preschant le métail jaune 3 au lieu de 1'Evangile, Fit aux peuples dontés plus de mortel ennuy Que les Demons d'enfer qui regnoient avant luy. Ensuite, une brève allusion a 1'accession de Charles-Quint è P Empire, en 1519 : Je tairay leur Cesar, qui gaigna, par amorce, Les Allemans peu flns, les gouverna par force. Enfin, une évocation des conquêtes d'Italië, des intrigues de Philippe II en Angleterre avec Marie Tudor et un tableau de la France ravagée par les invasions successives : Mais abaissez les yeux, ó Fondateur du Tout, Contemplez a loisir, de 1'un a 1'autre bout, La France encore en pleur pour ses villes bruslées, Pour ses fleuves sanglants, ses terres desolées. C'est 1'Espagnol encore qui, chez elle, a provoqué les querelles intestines : Une civile horreur luy dechirant les flancs, Vouloit ses plus beaux lis aussi rOuges que blancs. 1 Cf. Asselineau, Noiiee sur Jean de Schelandre, 2" éd., p. 5. Selon la Biographie de Colletet, 1'histoire et les mathématiques remplissent les loisirs du soldat aussi bien que la poésie. D'après le même biographe, Schelandre avait fait des études Jjrillantes a 1'Universite de Paris (Ibid.). 2. Ferdinand d'Aragon. 3. L'or du Pérou. LE POÈME DE JEAN DE SCHELANDRE 49 Mais Dieu a suscité Un Henry sans pareil qui tiendra désormais Toute 1'Espagne en peur, toute la France en paix. Aussi le Seigneur ne peut-il pas moins faire que de lancer contre la fourbe Espagne ce formidable anathème : Ha ! qu'en vain, contre moy, ces feintes soiit dressées, A qui seul appartient de sonder les pensées. Ou ce regard farouclie, ou ce geste me dit Que la langue me prie èt le cceur me maudit. Ouy, j'ayme le bon droit: Tant que ta gloire vaine Haussera ton mespris sur la nature humaine, Je me rendray partie, et, te versant a bas, Te briseray du tout, si tu ne fleschis pas. J'ay souffert jusqu'icy ta barbare malice Pour en donter les miens qui se plongeoient au vice, Mais garde-toy du feu... Le soleil jaunit 1'horizon, un rayon vient dessiller les yeux du rêveur qui demeure « estonné, comme tombé des cieux », et c'est la fin du long poème. Y trouverait-on quelques détails utiüsables pour la biographie de son auteur, en dehors de la date de composition, 1606, établie par la phrase: «Ja Flore, par six fois, de nouveau s'est parée... » ? D'abord, plusieurs vérs montrent une connaissance nette, non pas seulement de Fhistoire de France (allusions aux guerres de religion, a. la Ligue, a 1'assassinat de Henri III, a la pacification de la France par Henri IV) mais aussi de l'histoire d'Espagne (Ferdinand, Charles-Quint, conquête du Pérou), ainsi que des circonstances particulières de la révolte des PaysBas. II faut notamment souligner le passage oii il est question du duc d'Albe : Un Duc d'Albe sans foy, qui voudra, résolu, Fonder sur le massacre un pouvoir absolu, Qui semble conjurer par bourreaux et par guerres De peupler 1'Achéron aux despens de nos terres; et du tragique massacre d'Anvers connu sous le nom de Furie Espagnole 1: h PJ?.c.*e «rosTe auc d'Albe au mépris de la chronologie. En effet, le duc d'Albe avait déja quittéJes Pays-Bas. 4 50 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Nous verrons chasque jour, au gré de leur furie, Un carnage d'Anvers et cent autres turies ? Pourtant, ce qui nous intéresse ici davantage, c'est une parfaite connaissance de la campagne de Maurice. Elle commence par un débarquement en Flandre : Ja Flore, par six fois, de nouveau s'est parée Depuis qu'un bel instinct de victoire asseurée Vous fit entrer en Flandre, et, costoyant ses bords, Paver ses flots de naus et ses sables de morts ; . . .;. « costoyant ses bords » : c'est bien la marche par la cöte, d'Ostende vers Nieuport, qui ouvre les opérations. « Paver les flots de naus et les sables de morts » Oui, la mer était couverte de navires faisant voile vers 1'Yser et escortant les troupes en marche qui, du rivage, les suivaient des yeux. « Paver les flots de naus et les sables de morts » N'est-ce pas un rappel de choses vues au lendemain de la mêlée, car c'est dans le sable des dunes et de la plage que se livra le sanglant combat et que gisaient, glacés et rigides, les trois mille morts qu'abandonnait 1'ennemi. Au même tableau répond cette plainte de 1'Espagne : Voyez mes bataillons a 1'estran terracés, Mes plus illustres fils a monceaux renversés. Si nous n'avons pas affaire a la même exactitude que dans la pièce que nous analyserons plus tard, nous sommes loin cependant de la froide abstraction habituelle aux songes poétiques. L'horreur de la vision du champ de bataille et de ses monceaux de cadavres se trahit ici. CHAPITRE V RETRAITE DE FLANDRE. LES CAMPAGNES DE 1601 ET DE 1602. Reprenons le lil des événements. Le stathouder rend graces au ciel et fait entonner, en francais, le psaume 116. Ainsi de Bèze et Marot, sur la grave polyphonie vocale d'un Bourgeois ou d'un Goudimel, célébraient la victoire hollandaise. Au reste, le fameux « Wilhelmus » n'était-il pas aussi un vieux chant historique francais ? 1 Quoique Albert ait rallié sous Bruges ses troupes en déroute, Maurice fait, dès le 6 juillet, reprendre a toute son armée la direction de Nieuport 2. L'essentiel était alors de s'emparer des places; c'était la tactique hollandaise, celle qui convenait le mieux au tempérament obstiné de ce peuple, et, d'ailleurs, 1'objectif primitif de Dunkerque n'était point abandonné. De nouveau, on passé 1'Yser et le grand chef va camper a 1'ouest du chenal. Les soldats creusent des fossés et construisent des abris sous une pluie persistante. Le mauvais temps empêche les travaux d'approche, 1'eau envahit les.tranchées de 1'Yser. Néanmoins, on arrivé a dresser, a force de gabions, les emplacements de batterie : douze pièces au Nord-Ouest de la ville, quatre a 1'Est. On perce une digue pour tenter d'inonder toute la région et interdire aux assiégés 1'arrivée de renforts, mais la digue principale, qui protégeait tout le « métier » de Furnes, ne put être atteinte; chaque jour, par la venue des troupes fraiches et par 1'artülerie qu'il recoit, on voit croitre lajrésistance de 1'assiégé. L'ingénieur David d'Orléans est blessé au pied; ses dhec- 1. Voyez la démonstratjon^du musicologue J. W. Enschedé, Les Oriaines dn Wilhelmus van Nassauwe, dans le BulUtin de la Commission de lAisloire des Eali™ wallonnes, 2e série, t. II, p. 341-386. t«q "e nguses 2. Pour ce qui suit, voir Duyck, t. II, p. 684-694. 52 RÉGIMENTS FRANQAIS AU SERVICE DES ÉTATS tives vont manquer aux travaux du génie. Une éclipse de soleil, a midi, le 10 juillet, semble encore un mauvai\ présage ; dans 'le port les vaisseaux se heurtent sous un vent violent soufflant du Nord-Ouest. Toutes ces difficultés croissantes ne laissent pas de provoquer un certain flottement et les ordres sont suivis de contre-ordres. On retire quatre pièces, cela enlève confiance aux hommes, qui ne se sentent plus soutenus; le généraüssime même parait découragé, d'autant plus qu'une pointe poussée vers Dixmude rencontre une forte opposition. Sans cesse enhardie, la garnison fait des sorties. Successivement, après en avoir délibéré avec les Etats, Maurice renvoie a Ostende ses douze pièces, puis quatre enseignes de Francais, deux de Wallons, cinq de Frisons. Le 15 juillet enfin, il se résoud tout de bon a abandonner 1'entreprise ; le 17, les dernières troupes s'embarquent sur des bateaux qui bientöt les ramènent dans Ostende, que les Etats Généraux, fort dépités, ont déja quitté. Le ler aoüt 1600, le Stathouder envoie ses soldats en Zélande, ne laissant de Francais et de Wallons que les compagnies Du Sau, Pomarède, du Buysson, Francois Marischal, Fr. Marlye, Gilson, sous le commandement de Du Sau. La compagnie de Schelandre est probablement avec le prince et, comme le reste du convoi, échappe a la menace des galères de 1'Ecluse, que le mauvais temps empêche de déboucher du Zwijn » Arrivés a Middelbourg, les Francais restent en garnison en Zélande, ainsi que les Anglais. Furent-ils visités la par le marquis de Rohan, qui, avec son frère, arriva a La Haye, le 15 septembre, venant d'Italie, « après avoir passé par 1'Allemagne et dans le dessein de se rendre en Angleterre et de voir ainsi du pays » ? 2 Nous ne savons, mais inutile de s'attarder a des hypothèses. Le 30 septembre 1600, comme les députés, fatigués de la guerre, veulent ücencier toutes les troupes « non réparties » (ongerepartieerde) 8, le Stathouder, assisté du Conseil d'Etat, sorte de directoire exécutif, fait porter au compte de la province de Hollande, la compagnie colonelle de La Noue (150 hommes), 1. Baie aujourd'hui ensablée, a 1'est de 1'actuel Zeebrugge, et ayant servi jadis ^HuyckftTl, p. 734-743. Ón leur oftrit, ala Haye, un banquet, JeS octobre. Le récit de ce voyage nous a été conservé a la suite des'Mémoires du duc de R?han , ïnVemto tevïïagï du mesme auteur, fait en Italië, Allemagne Pats-Bas-Urn Angleterre el Eseosse, fait en Van 1600. A Paris, sur 1'imprimé a Leyden, cnez Louys Elzevir, 1661, 2 vol. in-12. 3. Sur ce terme, voir plus haut, p. 35, note 1. retraite de flandre. campagnes de 1601-1602 53 et les compagnies Fourmentières, Schelandre * du Buysson, Verneuil et Hallart, chacune de 113 têtes. Robert de Schelandre passé donc du service de la Généralité des Provinces-Unies, oü nous 1'avons vu figurer, dans le précédent document, au service de Ia riche province de Hollande qui, grace aux droits d'entrée de ses grands pbrts : Rotterdam Dordrecht, Amsterdam, Hoorn, Enkhuijzen, Zaandam, Monnikendam, et des impöts de ses cités industrielles : Leyde, Delft, Harlem, supportait è elle seule le plus lourd poids de Ia g'uerre 2' Comme 1'écrivait déjè en 1593 a Scaliger, 1'ambassadeur de France, Buzenval, « ces pays » ont « ce bonheur, par-dessus les aultres, que la guerre qui les aultres fait faner, les faict florir » 8. La province maritime de Zélande en était, en second lieu, 1'ame et le nerf. A elle échoient les compagnies Du Sau, Rocques Brusse, du Puys, Dommarville, du Fort, du Hameiet, Denis et Madison, qui nous sont devenues familières aussi. Les compagnies de Pomarède, Massau, Hanicrot ressortiront a Groningue et a son Omland ou au « Pays et campagne » (Stad en Lande) comme on appelait cette province septentrionale, extrêmement particulariste et qui, avec la Frise, s'était donné un Stathouder séparé, le comte Guillaume-Louis. L'année 1601, a laquelle correspond Ie sixième Uvre du Journaal d'Antoine Duyck, n'a guère d'importance au point de vue des opérations militaires. La Noue n'ayant pas répondu, nous le savons, aux rappels successifs qu'on lui avait adressés et ayant écrit en dernier lieu qu'il ne reviendrait que si on lui accordait 1.200 livres par mois de trente jours4, les Etats estimèrent ces prétentions intolérables, 1'avisèrent qu'ils renoncaient a ses services et le relevaient de sa charge de colonel aê3H#'« •ssjstsssst , ?• Sur ces répartitions, les relaüons entre Etats de Hollande et Etats Gêné™,-* K.Blok'efr^^o'^ |: JWad^getnon4 7^hZ^&t 2^ 2- naruTn^r?^3^ "^T S Lavisse ™lsuTe de Franl' t? Vil 4. ÏÏuyek,t. iii? p. 20. (^^geschiedkundige Publicatien, n° 20). 54 régiments francais au service des états pour la confier au seigneur de Chastillon, lequel était depuis un certain temps déja dans le pays. Cc dernier preta serment devant les Etats Généraux le 19 janvier. Xrnhem Au début de juin, de grandes fêtes se preparen! a Arnhem pour les fiancailles du comte Louis de Nassau avec la veuvedu comte de Valkensteyn. Les banquets succèdent aux banquets cenü du comte de Hohenlohe a celui du comte de Solms et a ce derruer, celui de rillustre fiancé. Mais toutes ces reiomssance ne sont que feintes destinées a tromper 1'Espagnol et tandis queT 6,^ans la grande égüse de la capitale de la Gueldre, le c\mte Louis mènel fiancée a 1'autel, des péniche..charge*> de canons et de munitions couvrent les eaux V^f^* £ les troupes se massent au «tolhuys . ou maison de peage, que la campagne de Louis XIV rendra célèbre en1672 La sont les Anglais avec 20 enseignes, la aussi 1» avec 14 enseignes : Chastillon, Dommarville, Du Sau Brusse, Rocques, du Fort, Fourmentières Schelanidredu .Puy t, Pomarède Du Buysson, Fulgous, du Hameiet et Hallart . ^StaWtout ce monde traverse 1'abondante Betuwe, les Francais faisant partie de 1'arrière-garde. Le 10 jum, Maun e met le siège devant Rhinberc, fortement occupé par don iTvsBernardod'Avila*. L'Espagnol fit trois sorties les 20 24 et 28 juin et a chaque fois c'étaient les Francais qui« avaient la aarde Ala première de ces sorties, Chastülon fut attemt a la cuissfLe jeune colonel payait de sa personne. En ce même jour PTri ent li beutenant du capitaine de Pomarède et «n nc^ ^ntUhomme francais nommé La Barre' Du Buysson^ ut bk.se avecbeaucoupd'autres.Rocqueslefutal'attaquedu24]mnl601 et tomba aux mains de Pennend ainsi qu'un nomme La Caze lieutenant de Schelandre e, dont la compagnie fat.doncc» tainement engagée ce jour-la. Dommarville, lui, etait tombé ^i\f vSteren de 1618, tol. 497. La forme originale du nom est RAem^g afsudTe Wesel, dans les provinces rhenanes. 5. Duyck, t. III, p. 76. siandre, altération voisine de celle 6 Duvck. t. III, P- 80. Cette fois altere en w" . hlandres orthographe que 1'ontroüve dans fes documents lorranis oü ™ M P^^^crit! , een lieute- pïonétique, car 1'e de la premier , syllabn.*t pas un ^ ce LaCaze comme RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 55 dans une tranchée, oü il s'était cassé la jambe, son porte-fanion était blessé également. A la mine, Maurice fait sauter une contre-escarpe, oü se jettent trois cents Francais. Le 30 juillet, la garnison se rend avec les honneurs. C'est a ce moment qu'a 1'armée de Son Excellence arrivent encore de France les fils du seigneur de Sancy et les fils du gouverneur de Thou, pour voir 1'armée 1. Comme pendant chaque affaire sanglante, on a dü procéder a des remaniements et a des nominations; Fulgous ayant été tué 2 le 16 juillet 1601, Maurice remit, le 19, sa compagnie « a un gentilhomme francais, le seigneur de Béthune, de la maison de Melun, cousin du sieur de Rhosny»8. C'est donc ici qu'apparaït pour la première fois, dans un document d'une authenticité certaine, ce parent de Sully, lequel nous a déja occupé. Quant a la compagnie de feu Jonas Durant, le prince la réserve, paree qu'il aurait voulu la donner a un noble francais nommé Ceridos, beau-frère du seigneur van Asperen et que les Wallons avaient pris en grippe, mais il finit par la confier, le 22, au lieutenant de Durant, Wassé ou Harincourt, un Wallon, cousin de Marquette 4. Comme Henri de Coligny, seigneur de Chastillon, veut être oü 1'on se bat, il demande a être envoyé a Ostende. II emmène six enseignes de Francais, quatre de Frisons, cinq d'Allemands, quatre d'Ecossais et quatre de Wallons; il sera sous Francois Vere, qui y dirige la défense depuis longtemps. Le 16 aoüt, il léve 1'ancre a Dordrecht pour cingler vers laFlandre. II n'est en vue de Blankenbergh que le 22, et ne pénètre dans le port d'Ostende que le 24. On lui fait savoir qu'on n'a 1. Duyck, t. III, p. 117. Mulder a lu Saucy pour SanCy. J'ignore qui sont ces jeunes gens ; en tous cas, ü ne faut pas idenUfler 1'un d'eux avec le maïheureux arm de Cinq-Mars, car Francois-Auguste de Thou, fils atné de Jacques-Aueuste 1 historiën, ne naquit qu'en 1607. ° ' 2. Enterré a Wesel, le 18, ainsi que Jonas Durant (Duyck, t. III, p. 101) A la meme page, Duyck signale 1'arrivée d'un gentilhomme nommé La Mouillerie. y% ' , IIL p- : ' den neere van Bethune uyten huyse van Melun, een neeff vanden heere van Rhosny ». En hollandais « neef » signifle a la fois neven et cousin mais ici le doute n'est pas possible, il s'agit de Léonidas de Béthune, Hls de Franfois, seigneur de Congy. On distingue dans la grande maison de Béthune, te branche de Rosny a laquelle appartient Maximilien, -baron de Rosny, duc dé bully depuis 1606, et la branche de Congy a laquelle appartiennent Florestan de Béthune et ses deux fils, Léomdas et Cyrus, dont U sera quesüonici. Cf. Eugène et h.nule Haag, La France Protestante, 2" éd., p. Henri Bordier (arrêtée au t. VI, au ™494 ' IS' Fbdlbacner' 1879» in-8°, t. II, articlè Béthune, col. 479 4. Duyck, t. III, p. 105. 56 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS pas besoin de lui ni de ses 23 enseignes. II en renvoie donc 17 en Zélande, mais réussit a se faire admettre avec ses six compagnies francaises 1. C'est une puissante place forte qu' Ostende. De simple havre de pêcheurs, incapable de rivaliser avec 1'Ecluse, elle est devenue, depuis la capitulation d'Anvers (17 aoüt 1585), le seul point d'appui que les Etats Généraux possédassent encore dans les Pays-Bas méridionaux, qu'ils n'ont pas perdu 1'espoir de ramener a eux. L'Angleterre ne s'intéresse pas moins a son sort que la Zélande et la Hollande 2. On flanqua la place de tant de fossés et de contrescarpes, qu'elle passa a bon droit, dés 1600, pour imprenable entre toutes. C'est pourquoi 1'archiduc Albert a écrit a Henri IV en un mouvement d'orgueil : « Je m'en vois prendre Ostende ! ». A quoi Henri, éclatant de rire, s'écria: «Ventre Sint Gry prendre Oisteynde !»3 Mais cela ne fait qu'échauffer le désir de 1'archiduc. A peine débarqué, Chastillon veut être partout. Comme Pennend ne bouge point, lui et ses Francais insistent, le 10 septembre 1601, pour qu'on parte a 1'assaut 4, ce qui, a la plupart, semble imprudent, paree que les tranchées ennemies étaient « hautes et bien armées ». « Or, comme il f aisait une ronde avec d'autres de ces messieurs, pour se rendre comp te ou essayer de persuader ses compagnons du point d'oü pourrait partir 1'attaque et de la facon de 1'exécuter, un boulet lui emporta la tête.» Nous avons lu les détails de cette mort. « Plusieurs avaient prédit cette fin en le voyant partir en reconnaissance, tant il était d'un tempérament de feu et tant il avait de cceur a la besogne. On regretta beaucoup qu'il eüt si prématurément perdu la vie, paree qu'il semblait franc et loyal et trés dévoué a la religion, dont il devait être, en France, 1'espoir et le soutien. Peut-être était-il trop prompt et trop impétueux pour faire un prudent général, ce que 1'on ne devient qu'a la longue, mais il eut au moins 1'honneur de tomber, au service, et en témoignant de son dévouement a la cause. »8 1 Duyck, t. III, p. 128-132. Les compagnies du Fort, Fourmentières, duBuysson, tiennent garnison k Rhinberc. 2. Van Meteren, trad. fr., de 1618, fol. 498. 3. Duyck, t. III, p. 107. En francais dans le texte. 5. D^/p^buyckN. III, P- 135. C'est sur le « Santhil », position dont ili sera question plus loin (n°1 de notre planche VII), que ChastUlon est tombé (Van Meteren fol. 499). Pomarède fut tué le 22 septembre 1601. Cf. Duyck, t. III, p. 161-162 et aussi fol. 19 r» de \'Histoire remarquable et véritable de ce qui s est passé chacun jour RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 57 « Que de belle bravoure se déploya ici, et tout cela avec si peu de peur, raconte van Meteren, qu'on a jamais rien veu de semblable, car il sembloit que la coustume eust osté toute crainte \ » Et les nótres sourient au péril : « Un soldat ayant achapté un pain etle monstrant a d'autres, en 1'élevant en hault, un boulet en emporta la moitié et retint encore le reste en samain tellement qu'il se mit a dire que c'estoit un vray coup de soldat, de ce qu'il luy avoit encore laissé la plus grande partie. » A cóté de 1'insouciance francaise devant le danger, le flegme britannique : « Un gentilhomme anglois, aagé d'environ vingt ans, estant en une sortie, eust le bras droit emporté, qu'il ramassa luy mesme, et le fit emporter avec lui ches le Chirurgien; comme on 1'eust pansé, sans en estre malade 2, il print ce bras en sa main gauche et 1'emporta en son logis, disant que c'estoit ce bras qui, a disné, avoit servi les autres 8. » Robert de Schelandre était-il auprès du jeune Henri de Coligny quand celui-ci mourut ? Rocques en tous cas se trouvait a Ostende4. C'est vers cette date que Robert semble avoir signé, en-dessous de du Puy, que son frère célébrera 1'année suivante dans ses vers, le registre des serments du Conseil d'Etat conservé au Rijksarchief a La Haye 5. Continuons a suivre la chronique de Duyck. Le 26 octobre 1601, Schelandre est certainement revenu en Hollande, car, a cette au siigede la ville d'Ostende... A Paris, Jérémie Périer, 1604, in-16. C'est a la fin du £Sm "aal? li3U.eAS,Krap5orTe le- poime.\fm la Mort de M- de Chastillon », qui flgure ™A« , ¥ 1'Album de Louise de Coligny a la BibUothèque Royale de La Haye! du moins si 1 on admet les arguments du regretté A. G. van Hamel (VAlbum dè 1903)? my' Re"Ue d'Histoire littéraire de la France: d'avriHiita Va2 pteren, fol.' 499 verso. Un Francais, parlant de ses camarades et des officiers hollandais, disait: , U parait qu'ils vont a la mort comme s'ils devoient ressusciter le lendemam et comme s'ils avoient une autre vie dans leurcoffre »: cité c£' . ^loo^P^^??1' Het ™rlavaardig Beleg van Ostende; La Haye, T> on ne Peut se fler en toute sécurité aux renseianel en 1591 (p 28-^9) yP yD' ^ **** *mSU Cn 16°°' de ^n^ ^U^S^Sé 2. Sans qu'il en füt incommodé. 3. Van Meteren, f» 499 v°. 4. Duyck, t. Hi, p. 234-5. Selon van Meteren (F° 500 r°), Chastillon aurait ZïTf a^M^ <=°nipagnies francakes, mals cela n'est rien inotas queX.ftant donné le récit de Duycfc rapporté plus haut. J'ai trouvé aux Archives de l Etat k La Haye (S«-Gen, 4725, Lias Lopende, 1602) une requête signée par les capitaines ?»°n???f' ««f^t. Hallart, du Puy et Silve, relative è leur solde SS^ÊettëS ? i ifK, alie lZUIS d^mptes depuis le XX aust 1601 jusqu'au IIImars 1602 » 5. Eedboek, Raad van Staate, n» 1928, p. 17 (cf. notre pL II a). 58 régiments francais au service des états date sa compagnie fait partie des 53 enseignes rassemblées pour aller' assiéger Weert en Limbourg ». Le « Fiscaal ,. les énumere par les noms de leurs capitaines : Fourmentières, du hort, Du Sau, du Buysson, Dommarville, Brusse, Bethune et Schelandre. II les appelle encore les Francais de Chastillon, malgré la disparition de leur chef, mais il a soin de préciser que c est Du Sau, comme étant le plus ancien capitaine, qui les commande. Bientöt, on résolut de changer de destination et on alla mettre le siège devant Bois-le-Duc; 1'objectif stratégique est toujours le même, faire une diversion pour attirer 1'ennemi et degager Ostende, tout en s'emparant d'une ville, capitale de la Meyene et qui était la clé du Brabant septentrional. II était si difficüe de la f oreer « qu'on 1'appeloit Bolduc la pucelle2». Dés le début des opérations, le 5 novembre, probablement devant la porte de Vucht, « le capitaine SCHELANDRE recoü une balie de mousquet dans la poitrine, non sans péril pour sa vie » 3 H a payé 1'impöt du sang. Le 20 novembre, périrent un genülhomme nommé de L'Essart, trois soldats èt un sergent iraToutes'ces pertes et le froid de plus en plus vif affaibüssent le moral de la troupe. Toujours est-U que, pour reprendre un mot cher a Bassompierre, le siège se porta bien puisqu il fut leve le 27 novembre, et elle pourrait être de Jean de Schelandre cette inscription latine laissée a Vucht : « Ce n'est pas 1 epée d'Albert mais le froid et la glacé qui sauvèrent Bois-le-Duc assiégée *. »> Duyck omet de dire oü les Francais pnrent leurs , „ . . TTT _ 1S0 r, rite a tort Pomarède, tué a Ostende, le 22 septembre uïexemple d'altération de noms francais.chez Duyck (t. iii, p. 385) . le président Jainiün pour Jeannin, auleurs il éent J^j? \P; d41{; . to Huygens), Amster- JET? WX.' ïTfc tSÜ^S£^&SA^^« de m^quet in de borst geschoten, niet sonder pettcule |; gjgg |: 'SA fii , , Non Duet. ot.se.ste setvavlt moenl. SU.» Aloettl gladius, frigida sed glacies. » RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 59' quartiers d'hiver et oü Robert se remit de sa grave blessure, mais une pièce manuscrite inédite, annexée a une lettre de Maurice de Nassau, datée du 3 décembre 1601 et ayant trait aux compagnies a pied et a cheval qui ont été en campagne avec lui (St. Gen. 4722), montre que c'est a Bergop-Zoom que Schelandre est en garnison a ce moment-la. Voici ce tableau des cantonnements des diverses compagnies francaises. Toutes, affirme Maurice, dans sa lettre du 30 novembre, sont trop harassées pour pouvoir partir pour Ostende: 2 Décembris 1601. Compaignien die te velde geweest en zoo zij nu in garnisoen gesonden zijn. FRANCOYSCHE : Gap-Dussau binnen Gorinchem de compnie van wijlen den heer van Chastillon. binnen Vianen Dommarville Ter Goude Briisse Amersfort Le Fort Asperen de heere van Bethune Heukelum Formentieres Woudrichem CHALANDRE Bergen op Zoom Buisson Heusden \ Robert doit être encore a Berg-op-Zoom, au moment oü le Gommissaire des Etats, Bomberghen, recoit, pour lui', a Middelbourg, une vingtaine de recrues, a qui il paye, pour leur transport et leur solde, entre le 26 avril et le 13 mai 1602, la somme de 39 livres : 25 May 111111 Aen 20 nyeuwe aengekomen voor de compie van Cap" CHELANDER, zedert den voorss. 26 aprilis totten 13 May ende hunne schipvracht XXXIX £ *. 1. Obligeamment communiqué par M. van Rosmalen, attaché aux Archives de 1 Etat a La Haye. 2. St. Gen. 4725. Lias lopende.«Staetken van de Ontlanch ende Vuytgheven van de Commissaris Bomberghen »... Aen Recreutten. On y mentionne encore les compagnies de Bethune, de Montmartin, de Sarocques et Selidos. Dans la lettre de Bomberghen au Conseü d Etat, datée de Middelbourg, 17 mai 1602, et dont le compte ci-dessus n est qu'une annexe, on lit : « Op t sluyten vande poorten zyn alhier gearriveert de Capiteynen Sarrocques ende Selidos met eenige soldaten daeraiï ick alsnoch de nombre nyet en weet, maer cleyn is, nae Ick verstae ende eenighe van capn. Chelander. Morgen vroeg moeten die by my komen om opgeschreven te worden ende gheinrolleert; daerna moet Ick gaen naer Armuyden om aen die van Capn Montmartin hunne leeninghe te gheven. » La mention qui, dans le compte, concerne <30 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS C'est a Berg-op-Zoom que Jean de Schelandre, accompagnant.son frère Bobert, aura pu se rendre compte des effets de la ruée des flots sur les digues, telle qu'il la décrit dans le Modelle de la Stuartide (Brit. Museum, 16 E xxxm, fol. 18 r) : Ainsi le Roy de la plaine escumeuse Alla frapper la carène odieuse Du mesme outil qui souvent met a fonds Le grand travail des digues et des ponts, Pour escarter les Holandoises villles Parmi les flots et les sables mobiles. Mais sa présence aux cötés de son frère sera bientöt attestée par des arguments plus décisifs. Le thème stratégique arrêté pour 1'offensive du printemps était une grande expédition en Brabant, en direction de Louvain et de Bruxelles, toujours dans le dessein de diminuer la pression qui s'exerce sur Ostende, et cela en attirant sur les fróntières septentrionales du Brabant les forces ennemies. « Le prince Maurice, écrit van Meteren, ne se trouvoit guere encün a ce voyage * mais bien quelques uns des Etats avec le colonnel Veer \ qui, pour ce faict, avoit esté en Angleterre. La Reyne'se monstra fort libérale tant a envoyer des'gens qu'a ■envoyer de 1'argent. Le Roy de France se monstra aussi fort enclin, tellement que le prince Maurice avec le reste y consentit aussi. » Dès mars, commencent les premiers mouvements de troupes et les premiers préparatifs. A Ostende, le général Vere passé une revue, le 3, et s'embarque, le jour même, pour la Hollande, avec dix des enseignes de feu Chastillon et de van Loon 3. Le 16 février déja, le lieutenant colonel Dommarville était rentré de France a La Haye, annoncant de la part du roi ■ce dernier. est celle-ci : « Aen cp. van Mons. Montmartin... Vllio HIP* y £.JL. s. lx4A proposde La Haye, il est dit: . Aen 18 nyeuwe overgekomen tot recreue vandf comp. van wylen cap. Foriant (?), jegenwoordigt yan caprteyn La Haye, zedert den 26 Aprilis totten 15 May ende hunne schipvracht: III1 Vilt. » 1 Van MetenTn, fol. 513 recto. Ceci est conflrmé par notre ambassadeur Buzenval, mii écrft? Tla daté du 24 juillet 1601 : « M. le Prince Maurice m'avmt fait toucher au doTet la difflculté ou plus tost 1'impossibilité del'entreprise» ArcAtt.es d OrangeN^atsau, 2' série, t. II, p. 144, cité par M. Mulder dans son édiUon du Journaal de D 7.CEn'tém.i, 'le général.' II était colonel général et on lui donne souvent le premier titre seulement. 3. Duyck, t. III, p. 318. RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 61 (Henri IV) un subside de trois cent mille couronnes dont 1'ambassadeur Buzenval allait incessamment apporter le tiers f, Cependant les capitaines Piset et Jacques de Visé s'occupent. a recruter une cornette de cuirassiers dans le pays de Liège et en Lorraine jusqu'aux environs de Metz 2. D'autre part, sept gentilshommes francais sont envoyés en France même, pour faire des recrues destinées a porter le régiment francais a 21 enseignes et chaque compagnie 'a 150 hommes. Leurs noms sont Saint-Hilaire, Vitenval, Sarocques, Ceridos, Montmartin, Gonnevet et Sancy3, tous camarades de Robert de Schelandre. Nous les retrouverons a leur retour. En les attendant, on procédé, le 16 avril 1602, a un regroupement des unités et, comme le frère de feu Chastillon tarde a arriver, on les répartit en deux régiments, dont Dommarville aura 1'un, avec le capitaine Rocques4pour lieutenant-colonel, et dont 1'autre échoira au seigneur de Béthune (Léonidas), avec le capitaine Du Sau pour lieutenantcolonel, les colonels au traitement de 400 fl. par mois, les lieutenants-colonels a 100 livres par mois de trente jours 5. Une fois de plus, le point de rassemblement des Francais est le fameux tolhuys, a la bifurcation du Rhin, en amont de Nimègue. Le 17, le généralissime passé la revue de ses troupes. II n'y a pas moins de quarante-huit enseignes d'Anglais, soit six mille sept cent trente-six hommes, répartis en deux régiments, celui du général Vere et de son frère Horatio; dix enseignes de Dommarville, soit 1.291 hommes; dix enseignes de Francais sous Béthune, soit 1.217hommes; au total, avec les Ecossais d'Edmond, les Frisons du comte Guillaume-Louis et du comte Frédéric - Henri, les Allemands du comte ErnestCasimir, 18.942 hommes, dont 17.000 combattants6. II s'y vient ajouter le régiment de cavalerie de Maurice, celui de Hohenloher celui de La Salie, etc. 1. Duyck, t. III, p. 308. 2. Duyck, t. III, p. 312. Duyck écrit Viset au lieu de Visé. Ibid., p. 354 Au. ÏÏKïï?»?^1?1* arrive JaC(Iues de Vbé avec deux nouvelFe, compa" lgmHntm n2SL^d.a,ï.11ulq)Jeau eï S? fantassins- Voir aux Archives de 1'Etat a La Haye, Resolutie Staten General, 28, A° 1602, 23 avril, tol. 134 r«. il fiBniwT: Wi1 écrit Vuytenval et Mon Martijn. A la date du 9 mal 1602,. nnn^nit,(PV i ] le débarquement en Zélande de quelques-unes des compagnies 4 Du ck t ni 341 1'arrivée du rerte. (Ibid., p. 370). MmSS^h \lh VA la.Page 345> ^ la mort, le 27 avril 1602, a nasfe A ï duHcaPltame..F«>u™entières, bel homme et courageux, dont la compagniepassé a La Haye son heutenant. r»8«"^ 6. Duyck, t. III, p. 391. 62 régiments francais au service des états Schelandre est dans le régiment de Béthune avec Du Sau, ■du Fort, du Hameiet, du Puy, du Buysson, Ceridos, Vitenvalet Montmartin, ce qui donne les dix enseignes. Sous Dommarville sont : Rocques, Brusse, Hallart, Sancy, Silve, du Motet, La Haye*, Sarocques, Saint-Hilaire, donc encore dix enseignes Le 18 juin, ce qui était alors une immense armée, s'ebranla, avec, comme point de direction, Saint-Trond. Cette ville hmbourgeoise se trouvait dans le pays de Liège, mais la neutrahte. de 1'évêque était de celles dont lui-même faisait bon marche, pourvu que les ravitaillements qu'il aurait a fournir a toutes •ces troupes hérétiques lui fussent grassement payés. Le 21 et le lendemain 2, le comte Ernest s'emploie a }eter un pont sur la Meusè a la hauteur de Moock. L'armée est réparüe en trois corps, dont 1'un est sous Maurice, 1'autre sous Guillaume et, nominalemènt, sous le jeune Henri-Frédéric, que son oncle initie au röle de chef d'armée, Vere étant a la tête du troisieme. Ils négügent, sur leur droite, la forteresse de Grave et, sur leur gauche, les places fortes de Venlo et de Ruremonde, toutes trois aux mains des Espagnols, qui les ont laissés passer. C est tout au plus si, du haut de ses remparts, Venlo leur lache au passage une ou deux salves de coups de canon. On a quelque difficulté a s'approvisionner. Les Anglais dévorent trop vite la ration de pain qui leur avait été assignée pour dix jours et, sans pain, ils ne peuvent avancer. On a peur de la maraude et les députés de Liège sont venus supplier le Prince de ne pas ranconner le pays et de maintenir la discipline pendant le passage sur le territoire liégeois. Cependant, on apprend que 1'ennemi sc concentre a Tirlemont sous 1' «Almirante » d'Aragon avec pres de 8.000 hommes et de 3.000 chevaux, des transfuges disent même 8.000 fantassins et 5.000 cavaliers, peut-être pour effrayer Son Excellence. , Le 2 juillet, la question du pain ayant été finalement resolue par des moyens de fortune, 1'armée de Maurice atteint Luydt, sur la rive gauche de la Meuse, Maeseyck et Maestricht. Certains Francais, notamment dans le régiment de Béthune, désertent, paree que «beaucoup d'entre eux étaient des papistes. Son Excellence les fait rattraper ou abattre a coups de fusil » 3. 1. Duyck, t. iii, p. 391, écrit par erreur Brus au lieu de Brusse, Saucy au lieu de Sancy, La Hay, au lieu de La Haye. 2. Duyck, t. iii, p. 394. „„„ . 415 3. Tout ceci d'après le Journaal de Duyck, t.JIII, p. 397 a 4ia s La campagne de 1602 (Régiments fkancais : Béthune et Dommaiwille). (D'après une gravure de Lambert Cornelisz impiïmée en i603. Cabinet des Estampes d'Amsterdam, Coltection Muller, n' 1178). RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 t3 Le 4 juillet, ranriée campe aux environs de Tongres, dans le Limbourg liégeois, oü un vrai magasin de vivres a été depuis longtemps créé a son intention, mais les bourgeois hésitent fort a ouvrir leurs portes a ce monde un peu trop turbulent. On arrivé alors aux environs de Saint-Trond, ville « neutrale » \ qu'on dépasse, n'y laissant pénétrer que les vivandiers et les eantinières: v. Avancant encore, Maurice parvient sur la rive droite de la petite Gète, oü il se met en bataille 3. Sa cavalerie seule la franchit pour reconnaitre 1'ennemi, qu'elle trouve retranché sur des collines couvrant Tirlemont; mais 1'adversaire reste immobile et ne se préoccupe même pas de disperser les estradiots. II est visible qu'il refuse d'accepter le combat que lui offrent les Etats et ceux-ci ne savent ni s'il faut pousser outre, vers Louvain et Bruxelles, ayant sur les flancs la constante menace d'une armee intacte de 16 a 17.000 hommes, ni s'il faut se replier et alors s'amuser a quelque siège en Gueldre espagnole. C'est a cette seconde alternative que députés et chefs militaires se résolvent et, le 10 juillet déja, la puissante armée bat en retraite sur Hasselt 3, suivie a bonne distance par 1'«Amirante » d'Aragon qui 1'observe, mais ce dernier obUque bientöt vers Diest. Maurice, n'étant pas même inquiété par 1'ennemi, he tarda pas a arriver a destination. Le 28 juillet, il s'établit a 1'est de Grave, a la ferme de Gasel, tandis que Guillaume et Vere campent a 1'ouest. On fait amener, de Gennep, les pontons qui ont servi a l'aller et on jette une passerelle sur la Meuse, en amont de la ville, un grand pont devant être construit, par la suite, en aval. Grave avait été assez bien mis en état de défense, par crainte d'un coup de main, lorsque 1'armée hollandaise s'était ébranlée en juin, mais on achevait encore le t courador » ou chemin de ronde couvert. La ville et la plus grande partie de ses défenses 1. Richelieu appelle Wittenhorst un gentilhomme « neutral ». Cf. Waddington, op. cf/., t. I, p. 346, n. 1. On peut suivre ces divers es étapes dans Le Théatre de la guerre ; Amsterdam, Pierre Mortier, s. d., atlas portati/ da vouageur pour les Aixscpt provinces des Pays-Bas par le Sr Sanson ; 1 vol. in-12, voir carte 8 ou notre Planche finale. Les corps d'armee et même les compagnies fransais es sont indiqués sur le plan, signalé par M. Fr. Muller dans son catalogue comme rarissime (n° 1178), et reproduit ici, pl. V, d'après 1'exemplaire, probablement unique, du cabinet des Estampes d'Amsterdam. Le fleuve est bien représenté dans 1'estampe 1180a de la Collection Muller. 2. Duyck, t. III, p. 412-3. ' i- ', " 3. Duyck, t. III, p. 414-5. 64 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS étaient situées sur la rive gauche ou méridionale de la Meuse, mais, sur la rive droite, une sorte de demi-lune la protégeait. C'est cette demi-lune que le comte Ernest eut ordre de réduire d'abord % II la canonne avec sa batterie de six demi-canons, au point que les pionniers et les défenseurs espagnols ne tardèrent pas a 1'abandonner, tandis que Vere se retranche a 1'ouest et le comte Guillaume au sud. Le stathouder ayant recu des Etats, le 23 juillet, 1'autorisation qu'il attendait, ordonne d'achever autour de la ville une circonvallation ininterrompue. Cependant 1'amirante d'Aragon, don Francisco de Mendoza, se décide a tenter quelque chose pour délivrer Grave, dont il s'approche lentement en descendant la Meuse. Heureusement, le 31 juillet, le comte de Hohenlohe a amené de diverses garnisons un renfort d'infanterie 2, qui vient a point pour remplacer le comte Ernest et les siens (compagnies du Fort, Marischal, du Motet), qu'il a fallu, dés le 28, envoyer garder Rhinberc 3. Le stathouder, par ordre des Etats, passé, le 4 aoüt 1602, la revue de ses troupes. La compagnie-colonelle de Béthune ne compte plus que 177 hommes, celle de son lieutenant-colonel Du Sau, 107, celle de Schelandre, 105, de du Hameiet, 103, de du Puys, 103, de du Buisson, 102, de Céridos, 91, de Vitenval, 120, de Montmartin, 105 4. Le régiment de Dommarville n'a pas moins fondu, puisque sa compagnie-colonelle n'a plus que 173 hommes, celle de son lieutenant-colonel Rocques, 118, deBrusse, 68, deHallart, 91, de Silve, 107, de La Haye, 86, de Sancy, 122, de Saroques, 114, de Saint-Hilaire, 104. Le soir même, Maurice, de son quartier d'Esteren, prés de la digue de la Meuse, commence les approches. Le comte Guillaume fait de même, le long des « fromenteux seillons », comme dira Schelandre, au sud de la Hampoorte et Vere, le long de la Meuse, en aval et a 1'ouest de la cité 5. C'est Béthune, le chef de Schelandre, qui sollicita et obtint 1. Van Meteren, fol. 515 r°. 2. Duyck, t. III, p. 43». „ _ „ . 3. Duyck, t. III, p. 428. D'Aubigné (Hittoire Unwerselle, éd. de Ruble, t. vu, p. 259) écrit Rimbcrg et M. de Rublë, en note, Rainberg. L'orthographe adoptee lei est celle de la traduction de van Meteren. 4. Duyck, t. III, p. 432. II orthographie cette fois, presque correctement lhei.andre, forme qu'adoptent Louise de Coligny dans ses lettres etA. d'Aubigné (Hist. Unio., éd. de Ruble, t. VII, p. 163) ; par contre, il altère Dussauen Dessau, Lenüos en Seridos, Vittenval en Vittcval, Montmartin en Montmartijn. .... 5. Suivre sur le plan (pU VI) oü les quarUers généraux des chefs sont tadiquês. Le siège de Grave en 1602. (D'après une gravure de Lambert Cornelisz. Cabinet des Estampes d'Amsterdam, Collection Muller, n' 118S). RETRAITE DE FLANDRE. CAMPAGNES DE 1601-1602 65 1'honneur d'ouvrir la première sape L'assiégé ne reste pas immobile: dans une sortie, le 8 aoüt, il tue a Hallart son lieutenant, un sergent, quinze soldats et lui blesse 36 hommes, ce qui réduisait la compagnie de plus de la moitié de son effectif 2. «L'Amiranteï), continuant a descendre la Meuse, en longeant la rive gauche avec son gros et la rive droite avec une flancgarde, est déja, le 10 aoüt, a Grand-Linde 8. La partie de 1'armée de Maurice, qui s'appuie a la Meuse, a 1'est de la ville, depuis Gasel jusqu'a Esteren, c'est-a-dire les corps de Béthune et de Hohenlohe, vont devoir, en partie, faire face en arrière et seront pris entre les feux de la forteresse et ceux de 1'agresseur. Si celui-ci montre un peu de mordant, la situation, incontestablement, peut devenir périlleuse. Maurice, qui garde toujours son sang-froid, fait élever des parapets également dans la direction de 1'assaillant et y met du canon 4. Après minuit, on doublé les petits postes. Le comte Ernest avec du Motet, le Maire, Marischal, etc, a été rappelé précipitamment de Rhinberc. De Houmen, sur la rive droite, au marais du sud de GrandLinde, V « Admirante »6 se retranche pour garantir sa ligne de bataille. Pleins de 1'espoir d'une prompte délivrance, les assiégés s'agitent. Dans le secteur francais, un certain corps de garde passé plusieurs fois de mains en mains, non sans pertes pour nous, puisque le capitaine du Hameiet est blessé au cóté et le capitaine du Buysson a 1'épaule. Le 22 aoüt, un mouvement se manifestedansle camp de 1'« Amirante»«, oü s'élève une grande rumeur. Maurice est inquiet et multiplie ses rondes. II apprend que, dans les tranchées anglaises, Vere a été blessé au visage, sous 1'ceil, par une balie perdue : personne, même de sa nation, ne le plaint, paree qu'il était arrogant, méprisait ses hommes et les payait mal. Ils auraient autant aimé le voir tué 7. Le soir, dans le camp hollandais, le bruit court, répandu on ne sait par qui, que 1'ennemi va déclencher une attaque de nuit et tous les hommes de Son Excellence s'arment. Vers les onze heures, 1'Espagnol ouvre le feu, et c'est un grondement qui va 1. Duyck, t. III, p. 433. 2. Duyck, t. III, p. 439. 3. Duyck, t. III, p. 441. 4. Ibidem. 5. < Almirante >, amiral, en espagnol. 6. Duyck, t. III, p. 451. 7. Ibidem. 66 régiments francais au service des états se prolonger, mais, vers les deux heüres, on le voit mettre le feu a son camp, ce qui laisse supposer qu'il bat en retraite. Cette même nuit, le pauvre du Hamelet meurt de ses blessures. Dans la matinée du 23, des transfuges apportent la nouvelle que 1'ennemi se retire \ protégé aux vues par un épais brouillard, qui empêche la poursuite, mais, le soir, la brume s'étant dissipêe, le Stathouder occupe les lignes et le camp de Francois de Mendoza; on n'entendra plus parler de lui. Le siège continue, avec ses sanglantes alternatives d'attaques et de contre-attaques, d'assauts et de travaux du génie. Les Francais, s'exposent, le 27 aoüt, a une surprise oü ils laissent le capitaine Montmartin, qui reste parmi les morts 2. Pressé d'en finir et débarrassé de toute inquiétude sur ses derrières, Maurice, aidé de ses ingénieurs, pousse vivement les approches, que creusent des paysans réquisitionnés de par- tout*. . Le 6 septembre, le capitaine Du Puy est tue, tandis que le capitaine Jacques de Visé et un lieutenant de Céridos sont blessés et faits prisoniiiers, en s'emparant d'une demi-lune qu'ils doivent bientot abandonner, y étant pris d'enfilade par le feu de 1'adversaire. Du Sau est blessé le 9. Ce même jour, comme on avait fait sauter une mine, le capitaine La Gravelle, qui venait de succeder a du Hamelet, s'établit dans 1'entonnóir et y tombe sous une balie de mousquet 4. L'assiégeant continue a avancer a la mine et a la sape et, cette fois, il parvient a se maintemr dans la demi-luné qui avait coüté la Vie a Du Puy. Le 18 septembre, 1'assiégé se sentant de plus en plus presse de toute part, envoie, a midi, un tambour avec une lettre, pour offrir la reddition5. Les capitaines Hallart, Rassard et Le Prince pénètrent dans la ville pour discuter de 1'armistice et de la capitülation, qui est signée le 19: la garnison sera autonsee 1. ^,1111^.452.^^ uarerr0 "dSe!^ -et zynleleropgebroken , etc. La lettre est datée du 24 aoüt 1602. I ffiesde"'ó^nngénieur, tué, a été remplacé (Duyck, t. III, p. 443). On Ura W s"gn\tare en-dessous8 de celle de Schelandre, pl. ik t- SuyS' V ui n 44676 et s. Texte de la capitulatie», en francais, dans Lias JpenAt'. Gen. 4727), 19 septembre 1602. retraite de flandre. campagnes de 1601-1602 6? a sortir le lendemain, avec armes et bagages, pour rejoindre è Diest 1'armée de 1' « Amirante ». Le célèbre pasteur Wtenbogaert fit, dans Grave, un sermon«en francais, suivi d'actions de graces K Le 21 septembre, une immense revue termine 1'heureuse entreprise du «maistre ouvrier en ce mestier»2. Béthune y parait a la tête de ses 145 hommes 3, Du Sau, avec 80, la Grange avec 60, Schelandre 4, avec 60 aussi, au lieu de ses 105 du début du siège et de ses 113 du commencement de la campagne. La compagnie Du Puy, qui a perdu son chef, est passée de 103 a 53 têtes; du Buysson a encore 90 hommes, Céridos 58, Vitenval 75, Cuissy 59, du Fort 86 6. Dans le régiment de Dommarville, c'est sa propre compagnie qui a fait les pertes les plus sévères, puisqu'il n'a plus sous la main que 39 soldats. II en reste 97 a de Rocques, 93 a Brusse, 70 a Hallart, 88 a Silve, 112 a du Motet, 64 a La Haye, 85 a' Sancy, 76 a Sarocque. L'ensemble donne 4.625 cavaliers et 12.322 fantassins 6 : ce qui restait des 18.942 hommes du début; tout ce monde fut embarqué sur la Meuse, le dernier jour de septembre. On n'a pas grand détail sur la dislocation des troupes, mais les compa- 1. Ce ne peut être naturellement le 12, date indiquée par Fredlich van Vervou dans son journal mtitulé : Enige Gedenckweerdige geschiedenissen..., etc édlté pai- Het Provinciaal Friesch Genootschap... Leeuwarden, Suringar, 1841,'l vol in-8», p. ldb : « Den12 septembns Is deur Johannem Vtenbogaert, een wel beaaelït premcant ene pred.catie in de Graeft, gedaen nae de waere Gereformeerde religie Dese predicant is van Utrecht geboren ende reyset gemeenliken alle jaeren met SS^1,111 S8*"' Pïediket °rdinaerlijcken in de Fransche tael, somüjta oyck in Niderduyts; » Sur ce fameux pasteur « remonstrant » ou « Arminien », voir Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek, t. II, col. 1469 et s 2. C'est ainsi que 1'ambassadeur d'Angleterre a La Haye, WinwoOd, ouaUfle Maurice dans sa lettre a Salisbury du 22 aoüt 1610, citée par Dalton (Ch ) Life and tunes of. Sir Edward Cecil... (Londres, 1885, 8"), p. 195 : « The^honout of' ^no^toInhS5fS^?m^ fr°m theCountMauricewho is the 3. II en avait, au début, 117, et Du Sau, 107 ; voir plus haut ring i w t.HlfÜé 482-483 ^ ^ Celai-ci fait 1>état de cette « Ponste- ' 5. Les nouveaux capitaines sont La Grange et Cuissy au lieu de du Hamelet et Montmartin tués. Que Cuissy ait remplacé Montmarttó, c'est ceZi résulte du l^H.iv^TTKÏ d 0ctobre 1602, (lectum' 18 october W02), St. Gen: iSL Lopende 4727. Ce tableau ne comprend que quelques noms : Franche Compen sarocsq?e7..::::::•: ^ cc f i500 ^ st-Huiaire iv c I: ^Fldos-- in c i. Vitanval jy G % Cuissy voor Montmartin IIII C £ Somma van de Franchoisen : II M V C f. [2.500 livres]. 6. Duyck, t. III, p. 488. 68 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS gnies de Béthune, de Vitenval, du Motet, Céridos, Cuissy, Sancy, Saint-Hilaire, du Fort, sont expédiées a Ostende oü elles deba«quent, par un vent favorable, le 25 octobre \ 1. Duyck, t. III, p. 498. CHAPITRE VI l' « ode pindarique )) de jean de schelandre sur le « voyage fait par l'armée des etats de hollande..., l'aN 1602 » et « la prise de grave ». Voila tout ce que nous apprennent, sur la campagne d'été 1602, les chroniques et autres documents historiques. Ecoutóns maintenant parler ou chanter le poète. Ce n'est rien de moins qu'une Ode Pindarique que Jean de Schelandre consacre au Voyage fait par 1'armée des Estats de Hollande au Pais de Liege, Van 1602 et a La Prise de Grave \ Le mot de voyage, au sens d'entreprise militaire, n'a rien qui doive étonner. C'est celui dont se sert le traducteur 2 de van Meteren au dèbut de son récit : Voyage du prince Maurice en Brabant aux mois de fuin et de juillet. Le Père Monet, dans son Abrégé du parallèle des langues francoise et latine9, en 1635, ne le connait plus dans ce sens, mais il est courant au moyen-age et jusque dans la première décade du xvne siècle 4. ^ Le choix du sujet est déja un peu surprenant, car, nous 1'avons vu, 1'expédition de 1602 n'eut rien de glorieux et n'eut ^tf^^iïixit aret sidon de 1608 fc**"*» d^fiüsüRs 2. Jean de La Haye, fol. 514 v°. 3. 5e édltion, in-4°. francais^ VT^d^oÏÏa *i S°defr°y> Oictionnaire de Vancienne langae francaise, t. viii (1895), p. 278-9, verbo : voyage. Le troisième sens donné est • ™^^n™/döafr<3 Cr°isade (?eage de la crolx) : 'A T«ele quantité ae gens S'armes me porés vous servir en ce voiage. » (Frolssart, Chroniques, vi, 218, éd. Luce) Ni Jp-h^w11?8!?1 *HSZF? glossaire des Classiques francais du XVII* siècle f6"6',1^1 Vo1- ^T2.*)'111 M- Lalanne, dans son Lexique de:1alan«ul de Malherbe, au t. v de son éditlon des CEuvres, n'ont enregistrë cette sianinvn5?.*A m°- l°y&^,'' «Dendant c'«» qu'il'faut lui donner dans le t te de i°idC 1 fjLf" Grand sur l'teureax succès du voyage de Sedan, oü il s'agit de 1'expédition de 1606 contre le duc de Bouillon ((Euvresdt^MalheSd Lalanne t. i, p 87). Au contraire, une pièce précédente, de 1605 (ibid., p. 69). et oui se raD- 70 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS aucun retentissement, mais c'est surtout le titre qui frappe, car il révèle, au premier examen, une sérieuse information histörique et politique. L' armée est bien, en effet, celle des Etats1 et non celle de Maurice et 1'offensive n'ayant guère dépassé la petite Gète, Schelandre est ici plus rigoureux que van Meteren parlant d'un « voyage » en Brabant. Les villes auprès desquelles on campa, sont toutes a 1'évêque de Liège, mais il fallait être singulièrement versé dans les enclaves, proéminences et bizarre configuration de sa Principauté, pour savoir que des cités limbourgeoises et flamandes de langue, comme Saint-Trond, Tongres, Hasselt en dépendaient. L'exactitude de la date est moins frappante, mais c'est en suivant le texte, strophe par strophe, que 1'étonnement augmente. La strophe I semble annoncer eet enthousiasme a froid qui caractérise la plupart des odes historiques du temps; les accessoires mythologiques et 1'imitation de la Pléiade n'y font point défaut. L'eau de la source Hippocrène et le doublé sommet dn Parnasse y voisinent avec Apollo. II ne manque vraiment que le chceur des Muses. Dès 1'antistrophe, il est question, comme dans le titre, du grand voyage Oü ce nourrïsson de Mars Conduisoit nos estendards, Maurice, hormeur de nostre aage. La suite annonce la deuxième partie du poème, le siège de Grave. L'exposition est parfaite, un peu scolastique, mais trés francaise par sa nettetê : Puis je veux chanter comment D'un terreux retranchement, EPODE Cest Heros tant brave Brida 1'Amirand. 1 Schelandre aurait pu ajouter « Généraux », car ce ne sont pas uniquement ks Etets dTHollande qm ont organisé ce « voyage », dont pourtant üs sont 1 ftme, mais de ces derniers dépend la compagnie de Robert de Schelandre. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 7l L' i Amirand», c'est 1'amiral d'Aragon, «1'Almirante1», comme disent les chroniqueurs, empruntant le mot espagnol, Francisco de Mendoza, terreur de la Chrétienté \ fait prisonnier a la bataille de Nieuport en 1600, mais qui, libéré en 1602, avait repris le commandement de 1'armée. Par la strophe II, nous n'apprendrons rien, si ce n'est que Jean de Schelandre a trop lu Ronsard dont il pratique encore, avec excès, les agagants et mièvres diminutifs. Ce sont « faultettes mignardelettes »3 : La dans la verte ramée Se nichoit maint oyselet; Un petit zephir follet, Caressant sa Flore aymée, Frisoit son poil nouvellet D'un souspir mignardelet, L'antistrophe exposé par contre, avec une rigueur qui ne laisse rien a désirer, 1'objectif stratégique. II s'agit d'opérer une diversion qui fera lacher prise au « chappeau rouge », c'est a-dire a 1'archiduc Albert, le cardinal-infant, et sauvera Ostende : Les Estats trop ennuyez De voir que le chappeau rouge D'entour Oostende 4 ne bouge, Siegant ses murs poudroyés, Mettent leurs gens en campagne, Pour faire prise quitter A ces corneüles d'Espagne. Le Brabant nous traversons Et droit a Liege passons. On aura souligné le « nous » qui indique la présence de 1'auteur parmi les troupes, mais ces deux derniers vers ont besoin d'être commentés. C'est bien par 1'Est du Rrabant septentrional5 que les troupes s'acheminèrent vers le Limbourg liégeois. 1. Van Meteren écrit « 1'admirante », cf. fol. 514 verso, mais ce d, pas plus que I devant m ne se prononcait en francais. 2. Bor, Vervolch van de Nederlantsche Oorloghen, 37° 1., fol. 41 v°, oü 1'on vefra son portratt. ü y en a un de Ravesteyn au Rijksmuseum a Amsterdam. 3. Expression citée par F. Brunot dans un paragraphe de son Histoire de la lanqut francaise, t. II, p. 193-194, auquel il faut se reporter sur ce point. 4. On remarquera cette orthographe flamande, que ie me garde bien de corricer. Cf. le vers de la Stuartide (de 1611), p. 71: ~ Du bon Pilotte Oostcne * qui contoit. * [en marge] fondateur d'Ostende. 5. Cf. encore van Meteren, fol. 513 v° : « Comme 1'armée debvoit marchér en JJraoanl, les Estats des Provinces Unies firent imprimer et pubher une certaine déclaration... » 72 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS EPODE Sous tant de charettes La terre fremist Et le ciel gemist Au son des trompettes. La Meuse ne peüt, Par nous retenue, Payer son tribut A la mer chenue. « Sous tant de charettes » : « bien trois mille chariots de service, écrit van Meteren \ tant pour mener le bagage qu'autrement, et a chasque chariot il y avoit trois chevaux. » Faut-il s'étonner « si la terre fremist », surtout sous le roulement des douze « demy-canons », des trois pièces de campagne, de leurs affüts et de leurs caissons 2 ? Ce sont les lourds pontons de Moock, mandés de Gennep qui ont, pendant le long défilé, empêché la Meuse d'aller rejoindre la mer blanche d'écume. L'Aragonnois, un peu froid, Ne nous osant entreprendre En plain camp, nous vint attendre Sur un malaisé destroit : Pour nous arrester, il gaigne Le trop avantageux bord D'un petit fleuve qui dort Prés d'une large campagne Et, pour bouclier contre nous, Se targua de son flot doux. Excellent exposé de la position tactique et qui est d'un homme du métier. II est bien vrai que si 1'Aragonnais, appelé plus haut «1'Amirand », avait eu plus d'esprit d'offensive, il eüt dispersé le camp de Maurice sous Tongres ou Saint-Trond. Qu'il ait préféré s'abriter derrière « Un petit fleuve qui dort» 8, c'est-a-dire la Petite Gète, pour se borner a couvrir Tirlemont, cela est non moins incontestable. La comparaison de 1'Amiral d'Aragon avec une vache luttant contre un lionceau, qui est naturellement Maurice, est de moins bon goüt : i. Fol. 513 r°. li Ce fleuveVst représenté dans 1'estampe 1183'de la CoUection Muller au Cabinet des Estampes d'Amsterdam. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 73 Ainsi pourroit quelquefois Une paresseuse vache Braver la mine bravache Du plus fier Hoste des bois, Sur le sueil de son estable, Quand, de pied ferme attendant, D'un lionceau gros grondant1 La fureur espouvantable, Luy presente seulement Un front armé durement. EPODE Lionceau qui crève, Bouillant de courroux, Qui son poitral roux Herissant esleve, Qui les flancs se bat Des nceuds de sa queüe, Huchant au combat La beste cornüe. Ce qui suit est mieux, car nous quittons les comparaisonsplus ou moins poétiques pour le terrain solide de la réalité : Son Excellence voyant Sa prime en reprise vaine *, S'estant campé dans la plaine, L'ennemy va deffiant. Desja le genest a 1'erte, A pleins naseaux hannissant, Fougueux, 1'oreille dressant, Frappe du pied Pherbe verte, 1. Voila qiü sent son Du Bartas, et il n'était pas difficile de trouveraux Pays-Bas un exemplaire de ses oeuvres. Cf. A. Beekman, Influence de Du Bartas sur la liltérature néerlandaise, thèse de Doctorat de 1'Université, Faculté des Lettres de Poitiers ■ Poitiers, A. Masson, 1912,1 voL in-8» et n»» 1789 a 1797 du Manuel biblioqraphiauè de G. Lanson. art Le gros grondant est exactement calqué sur le « flo-flottant séjour», les « sou-soufflatües volles», «le feupe-pe/i'Han<»etautresgentlllesses,dontlebonpoètedelaSemaiVie etait assurément trés fier. (Cf. Haag, La France Protestante, 1" é<£, t. IX, p. 126-7V. Citons, a ce propos, ce passage caractéristique du Bar bon de Guez de Balzac ((Eiwres éd. de 1665, t. II, p. 702) : « D tient que 1'enthouslasme de la Poesie francoise a cessé depuis qu'on ne dit plus la Terre porle-moissons et le Ciel porte-flambeaux depuis qu on n'use plus de la flo-flottante Mer et de la clo-clotante poule. U ne trouve rlen de meilleur dans les CEuvres de Ronsard, que sa chère Entelechie, quand Ü parle a sa Maistresse, que son amelette Ronsardelette, quand 11 veut changer de charactère et passer du grave au delicat. » 2. Prime et reprise peuvent être tous les deux des termes de jeu aussi bien que des termes d'escnme, mais je pencherais pourcette dernière hypothèse a raison du contexte. Littré définit : < 3) prime, la pramère garde ou posiUon, qui est celle oü le corps se rencontre en achevant de tirer 1'épée ». Le sens seralt donc:«Maurice, voyant que sa prime ne conduirait pas a une reprise ou a un engagement. » 74 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Eschauflé d'un beau desir De combattre k son plaisir. Et il est exact que Maurice, campé dans la plaine sur la rive droite de la petite Gète, tandis que 1'ennemi occupe les hauteurs de la rive gauche, le harcèle et le provoque de sa cavalerie frémissante. Le reste de 1'armee n'est pas moins impatient de combattre, Mais ceste belle espérance, Naissant au coeur des soldats, Enfin ne succeda pas *. L'autre, manquant d'asseurance, Comme un renard casanier, Se tapit en son terriër. EPODE Bien qu'égal de nombre ' - dans la verte ramée Se nichoit main oyselet. A quoi il faut surtout s'abandonner, c'est au mouvement général de la pensée, a ce soufflé qui soutient 1'ode et la porte, du k S «Èffit !ouTent des balelnes sur les co tes de Holland. sont les estampes qui en représentent, par exemple celle de Goltzius (21 nov. 1&84J (Muller, 1033), de Matham (1598) hbid., 1081), etc. „/^Brosser-1°Termede cerf brosse, quand on 1'entend marcher dans les bois... « Je brossai par les dois (Ronsard). • ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 91. commencement de la campagne jusqu'a la fin, lorsque le poète sent amortir le vent Qui s'eslancoit en avant, Dans ses demi-rondes toiles. L'unité de sujet, l'unité d'inspiration, n'est-ce pas ce par quol Hugo devait plus tard renouveler 1'ode 1 et, sans aller jusqu'a chercher, avec ce géant, une commune mesure vraiment disproportionnée, n'est-ce pas quelque chose que de supporter avantageusement un parallèle avec une ode de Malherbe ou de Ronsard ? Surtout s'il s'agit d'un jeune nourrisson des Muses, qui n'a que quelque dix-sept ans. C'est ici qu'il est permis d'élever un doute, moins sur la date de composition que sur la date de naissance généralement assignée au poète, 1585. Celle de la composition ne saurait être longtemps discutée : elle est limitée étroitement par un terminus a quo, 19 septembre 1602, jour de la reddition de Grave, et un terminus ad quem, la publication, en 1608. II est permis même de serrer davantage, car Hohenlohe étant mort le 5 mars 1606, si la strophe qui lui est consacrée était postérieure, son nom serait accompagné d'une expression de regret. On peut préciser encore, car, si 1'auteur préditaBéthune «plus belle fortune », c'est qu'il est toujours en vie, au moment oü Schelandre écrit. Or nous savons que ce chef périt en s'interposant entre soldats francais et anglais a Geertruidenberg, le 5 aoüt 1603 2. D'autre part, le poète pourrait difficilement employer le présent « despend » a propos de Dommarville, puisque celui-ci fut tué, en mai 1605, a Mulheim-surRuhr. D'ailleurs, a quoi bon ces raisonnements ? Est-il possible que la pièce date d'un autre hiver que celui de 1602. Imaginez quelque garnison perdue : uhe ville de Hollande ou de Zélande, presque morte, une veillée a peine troublée par un cri d'enfant dans la rue ou une manoeuvre commandée sur un vaisseau du port, et, dans son « poële », le poète méditant sur les récents combats, qu'évoque la lourde rapière, pendue au croc. Peut-être même, les souvenirs sont-ils plus proches, s'il faut interpréter littéralement la strophe XIV : 1. II manque cependant ici l'unité de symbole, caractéristique du grand poète roman tique. 2. Van Meteren, lol. 533 V. .192 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Or sus, abaissons les voiles... Car, ne serait-ce pasplutöt sur le bateau même qui le ramenait, tandis que, tirée par un cheval ou s'aidant de la voile, la nef suivait, lourde, ventrue et lente, le fil de 1'eau, qu'il aurait esquissé les premiers contours des strophes et cueilli au vol les premières rimes, a mesure qu'elles passaient dans 1'air transparent ? Ceci expliquerait 1'émotion encore si présente sur les capilaines morts et la chronologie si rigoureuse des incidents les plus menus, le détail des « eschelles et paisles », raflées en une reconnaissance. Qui essayera d'écrire sa campagne, un ou deux ans après 1'avoir faite, reconnaitra aussitöt que, sous la plume, les faits se brouillent, les noms échappent, les incidents s'ïntervertissent. Encore si Duyck lui avait mis en mains son Journaal, mais on peut tenir pour assuré que notre écrivain ne comprenait pas le hollandais 1 et n'eüt su ni entendre ni déchiffrer ce grimoire, soigneusement serré, d'ailleurs, dansles coffres du Conseil d'Etat. • En tous cas, cette exactitude minutieuse atteste la présence de Jean et sa participation a la campagne de 1'été 1602, sans doute sous les ordres de son frère Robert, le capitaine. Si Schelandre a composé son Ode, dès 1'automne 1602, comme on 1'a montré, et s'il est né en 1585, il aurait eu dix-sept ans au moment de la rédiger. Or, a la relire d'une venue, cela ne parait guère croyable. Quelle maitrise de facture, quelle agilité dans la phrase 2 1 Plus remarquable que l'unité d'inspiration, apparait, dès 1'abord, la souplesse de la forme, 1'identique groupement des rimes de chaque strophe et de chaque antistrophe, avec lesquelles contraste le rythme plus fluide et plus léger, qui entraine chaque épode. Quatorze fois de suite, et sans apparence d'essoufflement, 1'antistrophe succède a la strophe et 1'épode a 1'antistrophe, 1. Le capitaine Rocques, entré au service des Etats en même temps que Robert, ne comprenait pas encore le hollandais en 1604 : « Den CoUonel Rocques, die Nederlantsche tale niet en verstont » (Oostende Belegeringhe de Fleming, p. 489). 2. Schelandre apprécie la difficulté a vaincre et celle-ci ne le rebute point; témoin ce quatrain qu'il ajoute au sonnet en«acrostiche, mesostiche, croix de SaintAndré et lozenge » qu'il dédia a Anne. de Montaut (Asselineau, Nottce sur Jean de Schelandre, 2' éd., p. 12) : II est rude et contraint, si en fay-je grand cas ; Venez, doctes ouvriers (1'ignorant n'y voit goutte) : C'est un saut de defly, tous ne le feront pas ; Je ne scay ce qu'il vaut, je scay ce qu'il me couste. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 93" les deux premières constituées par des dizains, 1'épode au contraire par un huitain. L'enchainement des rimes pour chacun des quatorze groupes qu'on vient de décrire, est représenté par le tableau suivant, oü* la lettre m désigne la rime masculine, la lettre f la féminine, et 1'exposant, 1'apparition d'une rime nouvelle : strophe et antistrophe f f m "f2" m2 m2 f2 m3 m3 Le dessin rythmique est assez carré, surtout a cause de la scission du dizain 1 en deux quatrains a rimes embrassées, suivies de deux rimes plates masculines, 1'abondance de ces dernières renforcant la solidité de la strophe. L'épode est plus facile, plus aérienne, a cause d'un entrecroisement plus varié, le premier quatrain, qui la constitue, rappelant la coupe des précédents, tandis que le second est è'rimes entrecroisées, le dernier vers finissant sur le soufflé de 1'e muet: épode f m m f "m2" f2 m2 f2 1. Le dizain de Ronsard, dans 1'ode a Henri II, est trés différent. Trés différent aussi celui de Malherbe, t. I, p. 23, 87, 107. J'en cherche en valn 1'équivalent exact dans les tables trés complètes qu'a dressées M. P. Laumonler, a la troisième partie de son Ronsard, poète lyrlque. Paris, Hachette, 1909, 1 vol. in-8°. "94 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Rarement la rigueur de eet entrecroisement embarrasse ou interrompt la période. Notre lyrique n'est non plus jamais court de rimes. II les varie de la strophe a 1'antistrophe et de celle-ci a 1'épode, sinon toujours pour 1'oreille, du moins pour 1'ceil. II n'y a guère a reprendre qu'a la strophe II, oü son affection exagérée pour les diminutifs en «elet»lui en ont fait amener deux de trop. Mince défaut, a cöté d'une richesse derythme d'autant plus remarquable que le vers pratiqué est impair, sept syllabes dans la strophe et 1'antistrophe, cinq dans 1'épode. En vérité, tout cela est d'un maitre, pour qui les cordes de la lyre n'ont pas plus de secrets que la mèche de 1'arquebuse et il est permis de se demander combien de patientes études de prosodie, d'informes griffonnages sous la tente, d'invocations aux Muses, de sonnets ou d'odelettes a quelque Philis de village, laquelle.n'y comprend goutte, suppose un pareil métier. Les camarades de Schelandre, dont beaucoup ne savaient ni lire ni écrire 1, devaient considérer avec étonnement ce blanc-bec, qui ne se contentait pas de tracer son histoire en lettres de sang sur le sable du champ de bataille. 1 Nombreuses sont, dans YEedboek du Conseil d'Etat (n° 1928), les marqués remplacant la signature de 1'officier qui ne sait pas écrire, exemplesp. 15(annéeloUO): «La marqué de Franchois Marly; la marqué de Philippe La Lou; het mereke van capitaen Daniël Maligny ». Sur notre Pl; W: P. M. « Dit is het merke van Cap Pierre Merricq ». CHAPITRE VII LE SIÈGE D'OSTENDE. Quittons la poésie pour revenir aux faits. Duyck va nous manquer. C'est grand dommage; il va falloir le remplacer par Fleming, auditeur militaire et secrétaire du Gouverneur qui, aussi méticuleux, va nous conter, jusque dans les moindres détails, De belegeringhe der stadt Oostende de 1601 a 1604. La lutte autour des remparts sur lesquels, au début du siège, nous avons vu s'affaisser Chastillon, s'est poursuivie inexorablement. Fleming a raison de parler d'une « nouvelle Troye » *. La sensation chez «les contemporains fut immense. Vingt ans après, Malherbe en pariera encore dans une lettre a Racan 2. Comme son ancien chef Chastillon, Jean de Schelandre devait souhaiter « avoir part a Vhonneur, avoir part au danger » et son imagihation, volontiers tournée vers les souvenirs de la Grèce antique, devait s'exalter a la pensée de cette seconde Ilion, témoin de ses premiers exploits. Avoir, pendant deux ans fait toute la campagne et échappé au sifflement des balles et a la gangrène des blessures, donne confiance aux jeunes : ils se croient invulnérables et c'était a la gloire, non au péril qu'il devait songer, peut-être aussi a quelque nouveau thème pour sa lyre. Dans une lettre datée du 6 juin 1603, Son Excellence Maurice de Nassau écrit au Gouverneur d'Ostende que, donnant suite au projet annoncé dans sa missive précédente, il avait envoyé 3 1. C'est le titre que donne van Haestens a sa traduel ion de Fleming, parue en 1615. Les recherches que M. Jules Frédéric a bien voulu faire pour moi aux Archives du Royaume' a Bruxelles, pour essayer de retrouver des list es de prisonniers n'ont pas donné de résultat. 2. (Euvres de Malherbe, t. IV, p. 18 : «Encore ai-je peur que, tandis qu'ils seront trois ans a prendre une autre Ostende, on ne leur premie une autre Ecluse en quinze jours. » 3. Les compagnies sont donc déja parties, quand Maurice écrit sa lettre. 96 régiments francais au service des états a Ostende quatre compagnies francaises, a savoir : celles des capitaines du Buysson, Brusse, Schelandre et de La Haye I. II s'agissait de relever neuf au tres compagnies francaises, qu'on enverrait au grand repos dans leurs garnisons, pour s'en servir, après; dans d'autres expéditions. Le commissaire de Mist est désigné pour les attendre sur la rade 2. Avec le convoi du 22 juin arrivent les compagnies que voici : 3 Capitaine Buisson Capitaine La Case Capitaine' La Haye Capitaine Brusse. On remarquera que le capitaine La Caze remplace le capitaine Schelandre annoncé par Maurice, mais, dans le tableau des compagnies présentes a Ostende au 30 juin 1603, que Fleming fait suivre, a deux pages d'intervalle, reparait Schelandre (assurément Robert) avec ses trois mêmes camarades * : il Le capitaine Brusse commandait les quatre compagnies francaises 5, savoir : Sa compagnie 103 Hommes Capitaine Schelander ••• 90 » Capitaine du Buisson 92 » Capitaine La Haye li 37 » 322 Hommes ï. Cf. Oostende vermoerde, gheweldighe, lanckduyfighe ende blaedighe Beleghe- zijnde, den tijdt van 13 Jaren ende Secretaris vande Gouverneurs, hebbende hem ghestadich gheduyrende de Belegheringhe binnen derselver Stede ghehouden. In s'Graven-Hage, by Aert Meuris, Boeckvercooper inde Papestraet, in den Bybel, anno 1621, met Privilegie, 1 vol. in-4°, p. 11. Cf. p. 389 : « Sijn Excel, veradverteerde ons, in date vanden 6 Junij 1603, dat hy, achtervolgende sijne voorgaende, vier Fransche cömpaig. naer Oostende hadde gesonden, te weten, den Caplteyn Buisson, Brusse, Chelandre, ende de la Haye, opdat men daer teghens die neghen Fransche Compaignien die te voorens beschreven waren, achtervolghende haer lieder patenten, souden laten vertrecken, opdat se haer lieder Inde Garmsoenen mochten ververschen, opdat se beneffens andere te velde mochten werden ghebruyckt». La lettre précédente de Maurice est celle dont il est question a la page377, a la date du mai 1603 ; les compagnies a relever y sont toutes nomméessauf une; on verra qu'elles appartiennent aussi a deux régiments différents : « Sim Excell. hadde ons over eenighe daghen gheschreven dat den Gouverneur die neghen Fransche Compaignien, te weten, die vanden Heere van Béthune, die van du Motet, Selidos, Cussij, Le Fotft, Vltenval, Sarocques, ende Sint Hilare uyt die stadt naer hare Garnisoenen souden laten gaen, naer dat die Compaignien, die sijn ExceU. ghes on den hadde, souden ghe arriveert wesen ». 2. Fleming, p. 389. 3. Fleming, p. 392-393. J4 . _ . 4. Fleming, p. 395-396 : « Caplteyn Brus commandeerde over die vier Fransche Compaignen. Sijne Compaignie, 103, etc. ». 5. Les seules qui fussent a Ostende. LE SIÈGE D'OSTENDE 97 Comment s'expliquer ce changement a vue, cette substitution de La Caze a Schelandre et puis, de nouveau, de Schelandre a La Caze, au cours du même mois de juin 1603 ? Robert de Schelandre se serait-il attardé en Zélande, au lieu ■de continuer le voyage avec son unité ou plutöt n'y serait-il pas resté pour le service, afin d'y recevoir ses renforts ? C'est •ce que semblerait indiquer un rapport manuscrit du commissaire Bomberghen, sur les recrues arrivées en Zélande, du 26 avril au 20 mai 1603. II en est parvenu une a Schelandre, le 4 mai et son « sergent du prêt » a recu pour elle, six livres ». D'autre part, une Résolution du Conseil d'Etat, datée du 24 juin 1603 (Raad van State, n° 21, fol. 145), peut se traduire ainsi:«CapSchalander... A la requête du Capitaine Schalandre, quoi•que le requérant eüt dü ;être présent ici, pour mieux veiller a sa compagnie et ne pas être si longtemps en dehors du pays et du service, son traitement pour 6 mois lui est accordé par Son Excellence et en outre le mois de février, a raison des recrues qu'il a faites » 2. Quant a La Caze, il ne nous est pas inconnu, car nous 1'avons vru fait prisonnier, le 24 juin 1601, a Rhinberc : « een lieutenant van Slandre, genaemt La Case » ». La oü Fleming fait erreur, •c'est en 1'appelant capitaine, dès le mois de juin. II ne le sera, qu'après avoir prêté serment, le 17 septembre 1603, et la mention £tlt,LG?némuxMoO?frie C°Urante' C'eSt-*-dire Pièces recues * Den 4 deses (May) Van SarocqUes Van Cuissy o Van Mons. de Bethunes !"!!!!!!!!."!!!!* ^ *) 7 Van C hal and re [ [, Van La Haye "!!!"!!!!".'!2 «Aen Monsieur de Chalandre in handen van sergeant du Prêt^VIfi™»1^ "' La hste des garnisons, dressée, le 4 septembre, par Johan Meiander' pour tout le ?ays et qui ne comprend pas les compagnies assiégées dans Ostende, ne racnttonne inatnrellement pas Schelandre (St. Gen., 4?32, Lias Lopende) menuonne 2. Le texte n'est pas trés dair. Cap" Schalander : « Opte reoueste van fan» fi^oT*' k°ew^u^e rem<»*t™nt wel gevoeghelicker hyeJTïandeT zoowel als alle andere hem hadde mogen laeten cureren, om alzoo te fieter te mogen letten op zyne compaigme ende zoo langen tyt buyten landt en4e dienst nyet tfziin zoo" .wordt nochtans den remonstrant zijn tractement gearcordeert worden tvt van zes maenden hem by Syne ExceUenUe vergunt ende boven dyn noch vooTdVmlendt van Februanus ten aenslen van de gedaene recreutte. • Par une autre Résolution enseigne du capitaine Chalandre (Dominique de..., vendrich van CapitaS Xaxandhe) demande et obtient une permission de 4 mois, qu'il a passéT en France 3. Duyck, t. III, p. 80 et plus haut, p. 54. - Sur 1'état foumfl van der Noot' gouverneur d'Ostende par les capitalnes francais, seuls ontsigné* W^lto Brusse' o maent genomen. ( Eenrecreutevan 12—138. j 1303 Voor een maent Nu naer Oostende. Du Buisson, 109 — 1526; 1526 voor een maent Voor een maent genomen Oostende ; te vooren Henry Bruce 122 — 1622 ; 1550 voor een maent1 voor een maent gehat: 1550 Au budget de 1605, c'est le seul de La Caze qui figure avec 113 hommes et le nom de Schelandre n'apparaitra plus, a notre connaissance, dans les documents hollandais jusqu'a 16092. Au moment (30 juin 1603) oü la présence de Schelandre est attestée par Fleming avec une pleine certitude, I'investissement est entré dans sa phase décisive. Des deux cötés, on s'obstine. C'est une question d'honneur, de gloire militaire aussi bien que d'argent que 1'on ne veut pas avoir dépensé en vain. Les Provinces-Unies y auront mis, en 1604, plus de quatre millions d'or s, PArchiduc peut-être davantage. Sa piété multiplie les pélerinages a N.-D. de Hal et a N.-D .de Montaigu 4, oü Isabelle se rend elle-même nu-pieds. Cependant il faut quelque chose.de plus, et le génie militaire ne tombe pas du ciel : on mande d'Espagne le fameux amiral Spinola, secondé par les meilleurs ingénieurs (juin 1603). Au Francais David d'Orléans 6 et a 1'Anglais Raeff Dester, « homme hardy », il opposera 1'ingénieur italien Pompeio Justiniano Romano 8, qui tentera de bloquer Ostende, en obstruant le goulet par des « flottes de longues faiscines », « qu'ils nommoyent sausisses, 1. Archives de 1'Etat a La Haye, R. v. St. (Conseil d'Etat), n° 1228, année 1604. On remarquera que Bruce est précédé d'un prénom pomr le distinguer de ses homonymes, notamment de Walter Bruce, même budget. - 2. Ont été dépouillés aussi par mol, aux Archives de 1'Etat a La Haye, les budgets de la guerre des années 1597, 159,8, 1599, 1604, 1605, 1607, 1609, 1609, 1610 (1596 et 1606 manquent). 3. Van Meteren, fol. 544 r°. 4. Van Meteren, fol. 541 r°. 5. Voir plus haut, p. 57 n. 1: « Den ingenieur Monsieur David van Orliens » recut ordre de se rendre a Ostende pour y remplacer Raeff Dester, le 31 janvier 1604 (Cf. Fleming, p. 442) ; cf. aussi vanMeteren,- 545 r°. 6. Van Meteren, fol. 544 r°; Fleming, p. 398, a la date dn 9 juUlet 1603, et p. 418, a la date de décembre 1603 ; p. 433, a la date de janvier 1604 et la pl. O a la p. 398: « Modi di fabricare le salsicce (sic). Salsicione I etc. ». 100 RÉG1MENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS lesquelles estoyent faictes de telle facon que le dedans estoit remply de pierres. » Les assiégés les leur brülaient a coups de « boulets ardens ». Tant et si bien que «ce siège a esté comme une Academie et Escole pour les gens de guerre, tant pour les Gouverneurs, Officiers et Capitaines, que pour les Canonniers, Pilotes, gens de marine, Ingenieurs, Medecins, Chirurgiens et semblables : tellement qu'il n'y avoit pas un, qui, ayant esté quelques mois en ceste Escole, qui ne devint maistre en son art, tant a offencer qu'a deffendre, de' sorte qu'en matière de siège, ils pouvoyent scavoir et discourir de tout ce qui estoit necessaire pour bien garder une place, de quoy, auparavant, on ne scavoit point tant a parler. Un ingenieur, qui pouvoit long temps avoir estudié en ses livres, estoit contraint de confesser qu'il n'estoit qu'un apprentif au regard de 1'expérience. Medecins et Chirurgiens apprindrent plus la, en une sepmaine, qu'ailleurs en un an » Ecole de marine et d'artillerie, aussi bien que de médecine 2 et de génie : « Matelots y apprenoyent a bien gouverner leurs batteaux, afin d'éviter les coups de canon; les canonniers a bien planter le canon... et comment il falloit dresser les contrebatteries, rompre ou demonter les canons de 1'ennemy, ce qui estoit cause de la perte de beaucoup de gens de part et d'autre. On qompta qu'ès premiers vingt mois, on avoit tiré, contre la ville, plus de deux cent cinquante mille boulets, chaque boulet pesant trente et cinquante livres. Car, tandis que 1'Infante estoit a Nieuport, quand elle n'entendoit point tirer, elle n'estoit pas bien contente, de sorte qu'elle commanda qu'on eust a tirer continuellement. Ceux de la ville, qui ne vouloient point estre redevables aux assiegeans, tirèrent pareillement èsdict(e)s premiers vingt mois plus de cent mille coups. »3 Desilonguesopérationsnevont pas sans quelque commodité que 1'on se donne, pour faire diversion par un peu de relache. On allait en permission, même sans permission 4, et on recevait des visites galantes ou sérieuses : « Et combien qu'on ne cessoit de tirer et que la peste et la pauvreté estoit grande en la ville, si est que les gens de Hollande et Zélande ne laissoyent pas de 2 Unde^chlruïgiCTs qui'furentnommésle 4 juillet 1603 (Cf.Fleming, p. 397) était probablement un Francais, répondant au nom ou au sobnquet assez plaisant de Samuel Poil-Blancq. 3. Van Meteren^fol. 544 v». uiominfl 4 Ce aui rendlt nécessaire 1'interdlction promulguée par Maurice (cf. tleming, p. 400) qui, chaque sémaine, exige un état des effectifs, a fourmr par le capitaine. Le siège d'Ostende (i6oi-i6o4) par Bapt. van Deukekom, Cabinet des Estampes quinze mille pietons et gL aA%2»ftiï^^ Staten™ Oorlog, Holland, 122 régiments francjais au service des états capitaine reformé aa regiment de Sauit ,> neus est révélé, en 1669, par le Cabinet des Titres de la Bibliothèque Nationale K LVautre part, les «Resolutien»du «Raaad van State »2parlent, a ia date du 26 aoüt 1609 d'un « Salander, cuirassier, onder Viüebon, habeat voor drye maenden », qu'on peut identifier plufcèt avec notre poète, iequel aurait a ce moment recu trois mois de permission correspondant a un de ses séjeurs en Angleterre. Esquissons maintenaat la campagne de Juliers. Maurice dispose de « cent trente-six enseignes de gens de pieds et tente-huict oornettes de Cavallerie, tous braves soldats et bien en ©rdre, tellement qu'il y avoit une belle et grande trouppe de gens ensemble ■ 3. Boissize, 1'ambassadeur de France, attend le stathouder a Dusseldorf 4. Dès k 29 juillet, la ville de Juliers est cernée et les quartiers ou secteurs assignés. Le maréehal de la Chatre est encore a Trèves avec les Francais, trés « jaloux.de ce qu'on avoit commencé le siège sans les attendre », et qui, a cause de cela, refusent d'avaocer, qaoiqu'on leur ait envoyé le comte de Solms avec quelques capitaines francais au service des Etats, pour les en persuader. Cela n'empêche pas Maurice de pousser énergiquement les opérations avec les moyens et les farces dont ii dispose. Le 15aoüt, le Prince charge les Anglais d'assaillir une des demMunes et les Francais 1'autre. « Les Anglois prindrent la leur et la retindrent,mais lesFrancois furent repoassés, mals, de nmet, ilsrecommencèrent, tellement qu'ils la prindrent aussi et la retindrent. De sorte que, par ce moyen, ceux de la ville se trouverent desnués de leurs retranchemens » 5. « Voyant aussi que le Prince Maurice comment^rit a avoir de 1'avantage sur la ville >», La Chatre « passa enfin la Moselle et arriva au camp devant Juliers, avec ses trouppes, le dix-huictiesme d'Aoust. Le dix-neuf, il mit ses trouppes en bataüle, que les Princes et le Prince Maurice allerent voir. La cavallerie francoise estoit bien montée. II y en avoit beaucoup qui avoient des armes dorées, mais celle du Pays-Bas estoit plus chargee de fer et d'acier. C'estoieat les Cornettes de plusieurs grands sei- 1. Unrecu de sa main, daté du 2 aoüt 1669, est conservé dans les Pièces originales 648 (fr.27Ï32). 2. N° 27, 26 aoüt 1609, fol. 103. 3. Van Meteren, fol. 702 r». 4. Van Meteren, fol. 702 V. 5. Ibidem. LA GUERRE RALENTIE. LA TRÊVE DE 1609 123 gneurs, car il y avoit ia moitié 4e la compagnie des bandes d'Ordbnnance du Roy, conduitte par ie sieur de Vitry: la cornette des Chevaux legers du Roy; les Comettes des ducs d'Orieans, d'Anjou, de Nevers et de Vendosme, celle du Chevalier de Ven«dosme et le Marquis de Ve{rjneuü, avec six ooraettes de Carrabins et beaucoup de Noblesse. LTnfanterie estoit assez bien armée, mais les armes n'estoient pas si pesantes que celles des Flamands. II y avoit les Regiments de Navarre, de Baligny et de Vaulbecourt, qui faysoient ensemble 26 enseignes, chasque enseigne de deux eens hommes, le Regiment des Suisses du colonel Galatin estoit de 12 compagnies, chasque compagnie de trois cents testes, mais ils n'estoient armés qu'a demy, le reste n'ayant que des picques. « Après cela le Prince Maurice fit voir au Mareschal ses trentehuict Comettes de Cavallerie en bataille, avec toutes leurs armes, que luy et les autres seigneurs Francois regarderent avec admiration, et confesserent qu'elle surpassoit leur CuvaBerie. Le Mareschal estant au camp sembloit avoir oublié toutes les jalousies precedentes et fit eest honneur au Prince Maurice,' de declarer ouvertement qu'on ne suivroit point la d'autre commandement que le sien \ » A 1'aide de traverses de bois, Maurice fait faire des « galeries és fossés, qui estoient secs, a celle fin de pouvoir venir aux ramparts pour ainsi commencer a sapper, miner et a faire bresche, et se rendre maitré de la ville » 2, de telle sorte que le boulevard des remparts fut miné dès le 26 aoüt. « Le vingt-septième, le Prince Maurice fit sommer la ville ». Le 30, 1'assiégé fit sans résultat sauter une ooatre-nüne. « Le deraier d'aoüst, on commenca derechef a miner. Le Prince Maurice, ayans apperceu que ceux de la ville contre-minoyent et craignant qu'on le previendroit, fit en haste estoupper3 la mine et y fit mettre deux tonneaux de poudre, puis la fit sauter, et par ce moyen », la contre-mine des assiégés, boürrée de trois tonneaux de poudre, fit explosion en même temps. Ce camouflet provoqua une grande brèche dans le rempart et, le même jour,«après midi, les Impériaux envoyèrent un tambour, pour demander congé que la femme du Gouverneur peust. 9 Hettcren« ^ ce qui évita «tanteémulation ». 2. Le morion a fleur de lys dü Musée dTnstoire nationale d'Amsterdam (directeur, M. van Nooten), ne doit pas avoir appartenu a un soldat francais, car 1'arsenal de la ville de Munich en possède un aussi, qui était porté par un « garde municipal » de cette ville. Le lis y est le symbole de la Vierge et non de la monarchie francaise; selon Demmin, Guide des amateurs d'armes..., 3" éd. Paris, Renouard, s. d., in-80, p. 294. 3. Voir les estampes de Jacques de Gheyn, pil. IX a et b et X a et b. L Inventalre de 1'arsenal d'Ostende (Fleming, p. 437), en janvier 1604, porte : « 40 corseletten è la preuve ». II m'a été Impossible de découvrir un portralt de Schelandre, nl au Cabinet des Estampes de Paris, ni a celui d'Amsterdam, ni au British Museum, ni dans les musées de Hollande ou de Paris. 4. « Motz de commandement desquelz les capitaines doibvent user». Cf. de Gheyn, éd. fr. de 1608, fol. 3 r°. 5. Maniement d'armes ; en tête de la troisième partie. Certams « capitaines de picorée et de pétrinaux», comme écrit Agrippa d'Aubigné, se moquaient des piquiers Planche IX a. Planche IX 6. 2 3 sr CD X L'Ecole de l'Arqüebusier et du Mousqultaire. (Gravures de Jacques de Gheyn le vieux, dans le « Maniement d'armes », 1607 et 1608). Planche X a. Planche X b. L'ECOLE DU PlQUIEH. (Gravures de Jacques de Gheyn le vieux, dans le « Maniement d'armes », 1607 et 1608). 3 © X o O* VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 129 de cavalerie et protéger contre elle les mousquetaires, tandis que ceux-ci tirent, appuyant le canon sur la fourquine. Elle est donc justifiée, dès le commencement du siècle, cette phrase qu'écrira Rebersac, en 1656, au roi de France : «Effectivement, Sire, on croit être dans 1'armée de V. M. C'est le même exercice', et presque tous les ordres se portent en francois »; et Pomponne mandera, le30janvier 1670:«Ils [les régiments francais] ygardent encores le drapeau, 1'escharpe blanche et la marche francoise \ » JVlais tout cela n'est que le geste, on aimerait aller jusqu'a 1'ame de ces jeunes, de ces trés jeunes gens, presque des enfants, mêlés aux vétérans barbus, si 1'on èn juge par les gravures de de Gheyn. Ce sont tous des « sang-bouillants », comme écrit le greffier de Béthune, Le Petit2, les Francais notamment. Beaucoup valent ce hardi et ingénieux Charles de Héraugière, qui, se cachant avec ses compagnons dans la péniche chargée de tourbe du marinier van Bergen, pénètre, le 4 mars 1590, dans le chateau de Bréda et s'empare de la ville. Daucye, le « sergent-major » des Francais devant Rhinberc, fait donner 1'alarme le 19 juillet 1601, uniquement paree qu'il a envie de se battre 3. Les nötres aiment bien mieux risquer leur peau que de travailler la terre et, quand on les y force, «ils passent la moitié du temps a rire ou a jouer »;.dans ce domaine, un seul Frison « fait plus en un jour que quatre Francais » 4. Malheureusement leur impétuosité ne se manifeste pas seulement dans les batailles : combats singuliers, duels et rixes en remplissent les intervalles 5. Ce fut une sérieuse affaire que celle oü fut engagé un gentilhomme cathohque6 francais, nommé Breauté, le 5 février 1600, aux portes de Bois-le-Duc. aux Iongues piqués de dix-huit pieds, les appelant ♦ abateurs de nolx ». Cf. Mémoires 1864?1L^ln^ïsM uWgné' PUbüéS LaIanne- Paris' Charpentler, 1. f. Brunot, Histoire de la Longue franeaise. Paris, Colln, 1917, t V p 232-233 r„iii * ?2aÏ cSrm^1ae ancienne et moderne de Hollande, Zélande, etc. Dordrecht' Guillemot, 1601, 2 vol. in-fol., t. II, p. 656. ^uiurecni, 3. Duyck, III, p. 103. 4. Hel Staalsche Leger, II, 284. m^lPi! ^*n°''fes d'Agrippa d'Aubigné, éd. Lalanne, appendice, p. 389 • « Le Mareschal de Biron ne voulolt pas que le mot de discipline sortfat de la bouche sc™olentffi m batSÏ* T ,XdeS FWl en, Holla"de ^ ^ page deThistoi?e des protestants qui s y nont réfugiés. Les soldats aussi .étaient souvent catholiques, 9 130 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Leckerbeetgen, lieutenant du gouverneur de la place, Grobbendonck, ayant dispersé, sur la route de Diest, de jeunes mai tres appartenant a Breauté, celui-ci écrivit a son propre lieutenant, qui s'était fait surprendre : « Je suis bien esbahy que vous, avecq vingt maistres, vous estes laissé battre de quarante coquins ». Offensé dans sa vanité, Leckerbeetgen adresse aux Francais un cartel les provoquant a un combat singulier : vingt maitres contre vingt « coquins ». Breauté relève le défi, malgré 1'interdiction de Maurice. La mêlée fut chaude. Au premier choe, Breauté abat Leckerbeetgen, tandis que, parmi les noties, Plisson et Beau Hubert restent sur le carreau. Mais Breauté, au lieu de rallier les siens se laisse entrainer par sa fougue dans les rangs ennemis oü, successivement, il a deux chevaux tués sous lui. Cajou, Moriau, Le Coïn, tombent encore; la Tarte, la Pierre et du Lyon, malgré son. nom, s'enfuient honteusement. Breauté, resté presque seul, désarconné et combattant a pied, finit par se rendre avec son neveu du Tibau et les cavaliers La Rose, du Noyer et Bremont, moyennant promesse d'avoir la vie sauve. Le gouverneur de Bois-le-Due, Grobbendonck, en dépit de cette promesse, et furieux de la mort de son lieutenant, les fit tous massacrer, en commencant par leur chef *. L'assassinat de Breauté excita en France une telle colère que son neveu, Hocquincourt, passa la mer exprès pour venir provoquer Grobbendonck et bien d'autres gentilshommes, disait-il, étaient prêts a en faire autant. Le vieux père, en vrai Don Diègue d'avant Corneille, mande a Maurice qu'il a rappelé iuimême d'Itaüe son autre fils pour venger 1'injure faite a son sang et que, si celui-ci ne le faisait pas, il le renierait 4. Grobbendonck se déroba, disant qu'il ne pouvait, en sa qualité de gouverneur, se laisser impliquer dans des querelles personnelles sans solüciter 1'autorisation de 1'Archiduc. Hocquincourt partit sans attendre la réponse. Albert interdit le duel et selon le témoignage de Duyck et celui de On-. Bonours (Le mémoraUe siège d'Ostende, Bruxelles, 1628, pet. ln-4°, p. 508) : « Ce qui... en avoit envoyé maint contre «a propre inclination et devolr de religlon a 1'Hollandois, qui en scait faire compte,*t estime ces soldatz ». Voir plus haut, ici même, p. 62. Oa trouvera au Cabine! des Estampes d'Amsterdam un « Pourtraict du memorable combat a cheval.». entre le„. Sieur de Breauté, gentilhomme normand, etc » (Catal. F. Muller, n° 1122 a., Seb. Vrancx invenit, C. J. Vischer excudebat). 1. Duyck, II, p. 539. 2. « Een exempel van hete vader t, exemple d'un père bouillant, ajoute Duyck (IU, p. 540), avec effarement. PTanche XI a. STNARTIDE EN LlHONNEVR PRESENTE AV ROY GNE POVR OBTENIRSON tak. 73'£:>/CHERE5 ETPLV5 Le Modelle de la Stuartide. AV HPD ET C LJ A\/ï TTDTC # 1\ I ..1=1 I w I . I - I l\l » TV7 SS^WT ATTJlF.Sf.XCM>C£r T4 r nv r c ï r>\/ \r n M T> r.V r>F /*i «-ravfoÜb'reMl'lïniLlkc. : ^  IR E , —. > .zit „.,.sa„M>v ,:-r„, ^ wÊÊÈm C ejt HntCrjffn. JMi$ fy^y (mfCf^ atA e/cfittt-ri Kan.) eC'v7t atuw&jr^^&t (*h^LM.a^l ±,0* f ^ ' * fnnïi*-'de rièrftur km Je fit *« ™tu>'j\N FlN de la dkdicace signée par üaniel d'AnCHÈRES, anagramme de Jean de Schelandre. (British Museum, Département des Manuscrits, Ms. 16 E XXXIII). I VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 133 et 1'autre que chez ces gens « a qui le desespoir avoit donné des -armes, unis par les intérestz, reliez par la religion..., d'agneaux devenus lions, de marchans, capitaines » (d'Aubigné)1. Au prince de Galles, le futur Charles Ier, Schelandre lance eet appel de croisade : Sur tout, que vous jettant aux terres infidèles, Releviez- 1'Evangile en son premier honneur, Marquant la croix de sang sur le dos des rebelles, Qui auront refusé de la porter au cceur 2. Ailleurs il dira: J'escri pour le devoir a la Majesté Sainte 8. On ne s'étonnera donc pas de retrouver les chefs de Schelandre, Gaspard II de Chastillon, de Courtomer, et d' autres encore, a l'assemblée de Saumur, en mjd 1611 sous la présidence du vénérable gouverneur du Plessis-Mornay *. Rehgion, guerre et poésie, sont les trois fées qui se sont penchées sur le berceau de Schelandre et lui ont octroyé leurs dons : la foi, la bravoure, le talent. Guerre et poésie surtout restent, pour lui, intimement, étroitement, indissolublement liées.«II aimait, écrit son ami Colletet, les choses males et vigoureuses »5. Non seulement il a mis en rimes ses campagnes, comme nous 1'avons montré, mais les images empruntées è la vie militaire se dressent naturellement sous sa plume. « Ce ne sont icy que trois avant-coureurs equippez a la legere », dira-t-il en parlant des Trois premiers des sept tableaux de Penitence tirés de la Saincte Escripture (1609) 8, faisant allusion sans doute a ces « sauteurs », « aventuriers » ou voltigeurs, si redoutés des Espagnols. > 1. Appendice aux Mémoires, éd. Lalanne, p. 390-1. C'est a la p. 387 que se trouve 1'épigraphe mlse en tête du présent ehapitre et qui se rapporto aux guerres des Pays-Bas. 2. Haraszti, p. 9. Collationné sur 1'exemplaire du British Museum des Funeste» Amours de Belcar et Mellane, fol. a VI r°. Texte identique, dans la version de ses stances, profondément remaniée cependant,que Jëan de Schelandre a donnée en 16ll, en tête de sa Stuartide (p. 12-13), exemplaire unique du British Museum (1073 e 25). 3. Haraszti, p. 14, et 1e Sonnet « A Dieu », p. 8, des Tableaux de Pénitence (1609). Schelandre en voulalt beaucoup & ses amis et a Colletet lui-mème d'avoir aidé & la conversion de sa femme qui, selon le biographe, flt abjuration publlque entre les mains du P. Athanase. 4. Cf. Mémoires de Philippe de Mornay, t. III, Amsterdam, Elzevier, 1652, p. 302 s. 5. Haraszti, p. xix et Asselineau, Nolice sur Schelandre, 2» éd., p. 6. 6. Haraszti, p. xn. Je les ai lns dans 1'exemplaire unique du British Museum (c. 44, c. 12), dont le Utre est calligraphié (Pl. XIV). La miniature qui figure .dan* 134 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS La même année, il tracera dans Le Modelle de la Stuartide, que j'ai trouvé parmi les manuscrits du British. Museum, un pittoresque portrait des « soldats de fortune »: 1 Viennent après six soldats de fortune, J'appelle ainsi ceux qui, de la commune, Lèvent la teste en hazardeux desseins Pour pervenir ; qui, produits par essains, Sans pere ou mere, au dezert d'indigence, (Fort peu civile et peu fidele engeance), Courent après la fortune et souvent S'y rendent gros, mais les bulles de vent Ne durent moins que de ceste gent rogue Dure le gain, la memoire et la vogue Ils sont de par le monde envoyés, Prodiguement aux guerres employés Et, la plus part, lardés de coups d'épées, Embalafrés, bras ou jambes couppées ; Mais des plus sains et des plus resolus Elle en mit douze, entre un millier esleus : L'Orme, des Champs, la Planche, du Noyer, Le Jonc, du Lac, le Sable, du Vivier, La Fleur, du Pré, des Jardins, la Verdure, Sont touts leurs noms, leur snrnom : 1'Avanture 1 La pièce, qui est en quelque sorte son « Art Poétique », son acte de foi littéraire, sa d';daration de guerre a Malherbe, en 1628, a la veille de ia publication posthume de ses oeuvres et du triomphe des régies, finit par une comparaison empruntée aux armes :2 J'aime du Bartas et Ronsard ; Toute censure m'est suspecte, Quelque raison que 1'on m'objecte, De celui qui fait bande a part *. le coin, a droite, est & remarquer : c'est un heaume, a visière baissée et gorgerin, reposant sur un livre, excellent symbole de la doublé profession que 1'auteur fait, des armes ét des lettres, , „ ;V£ .,,„. . 1. British Museum, Royal Ms. 16 E XXXIII, fol. 28 v° (Cf. plL XI a XIII). Le texte reproduit ici est celui de la Stuartide; Paris, 1611 (exemplaire a Londres, au British Museum, p. 86-87). Le ms. ne présente qu'une variante sans intérêt : « leur devise Avanture » pour:«leur surnom, 1'Avanture >: la oorrection de 1'imprimé est bonne. H y a un La Fleur qui obtient une permission, Res. Raad van Staate, 22 juillet 1609, p. 84. m . 2. Haag, La France Protestante, 1" éd., t. IX, article Thm ; rapprochez le sonnet aux poètes de ce temp», pnWié dans Ancien Théalre francais, t. VIII, p. 225. 3. < De » signifie :« au sujet de, sur ». Planche XIII. I4O LE II. L1VRE DE Si 1'on riy ioint vn externefecours, l„L£t Tel quVn re jus * qu'il ent dans peu de iours dec*mbfK. pQnt le j~ermt wmme de planche r-—Pour le porter ou l'ambition panche. Ce fut alors qu'vn enragé regret *i% * \4 fon Pyldde il defcouure enjecret: ^ I ^\Couftn3dit-il,pilier de la Couronne, " rl^S ÏU plus Vaillant que cefiecle nous donne, ^ £ I O de mon caur la meilleure moitié, * £ % (Maiftre abfolu de ma forte amitié, \ *S * rS*! cher Bancbon, nimporie plus en rien § i^J D'eftre coüards ou d'eflre gens de bien J* 2 Dés qu'vn ingrat on a receu pourmaijhe, V\ ^ Quine fgait pas les merites cognoijlrel \ |. * Hax qu'il efldur den'auoir qu'vn meftris f S 5 Pour des bienfatfls d'ineflimable prix! S>p^ «S* nous vfions au lieu du motdenoflre r*^ ^ J)f tien de mien,fi tu eflots vn autre S | £ J qui mon faicl n'importaft point jifort X ^ $] Qtfauoirtoutsdeux eJj?ou%émefmefort: \ ^t^-^ Si tu n'aupis rendu tant de feruices, En Vain dontè les ennemtSyles vices, Et les mut 'ws en deuoir retenus Tant foubs ïouuert que foubs le dos Ianus, Page i4o de La Slaarlide, d'après l'exemplaire chique au British Museum, avec une addition, probablement autographe, de Jean de Schelandre. VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 135 C'est fort bien d'enrichir son art, Pourvu que trop on ne 1'affecte ; Mais d'en dresser nouvelle secte, Notre siècle est venu trop tard. O censeur des mots et des. rimes, Souvent vos ponces et vos linies Otent le beau pour le joli! En soldat j'en parle et j'en use : Le bon ressort, non le poli Fait le bon rouet d'arquebuse K Enfin, dans cette même Tyr et Sidon, refaite, en 1628, en deux journées, c'est tout un tableau de la vie des soudrilles francais que tracé La Ruine, soldat de Sidon, au début de 1'acte V de la Première journée 2 : Enfin, je suis honteux de mon piteux estat : C'est un meSchant mestier d'estre pauvre soldat. Le service est pour nous ; Messieurs les capitaines En ont la recompense au despens de nos peines, Et, pour paroistre en mine, ils nous rendent tous gueux, Combien qu'aux bons effets nous paroissions plus qu'eux. S'ils tombent quand et nous en disette importune, Ou si d'une desroute ils craignent 1'infortune, Ces pennaches flottans, ces veaux d'or, ces mignons, Pour estre plus au seür nous nomment compagnons. Vous croiriez, a leur dire, et mesme des plus chiches, Qu'au sortir du combat ils nous feront tous riches ; Qu'en pères des soldats, partageans le butin, Nos piqués nous seront des aulnes a satin. Mais, si tost qu'ils ont veu 1'occasion passée, La libéralité leur sort de Ia pensée. Si nous sommes vainqneurs, 1'honneur en est a tous ; Mais Ie fruit du travail n'en revient point a nous : Le gain remonte aux chefs, la risque estant finie, Qui, sur nostre pillage, usans de tyrannie, La poule, sans crier, des bons hostes plumans, Ne nous laissent jouyr que des quatre elemens. Si nous sommes battus, chaqu'un lesche sa playe Et tel doit au barbier deux fois plus que sa paye 1. L'arquebuse a rouet n'est pas encore connue de de Gheyn, dont le Maniement d'armes est de 1607 (éd. hollandaise). Sur ce mécanisme, voir W. Boehelm, Handbuch der Waffenkunde, Leipzig, E. A. Seemann, 1890, in-8°, t, VII, p. 477, et Aug. Demmin, Guide des Amateurs tf'armes. Paris, Renouard, 1869, 1 vof ta-S». 2. Ancien Théatre francais, t. VIII, pp. 100 et 101. 136 RÉGIMENTS FRANCAIS AU SERVICE DES ÉTATS Qui, le soir de sa monstre, a peine aura de quoy Nourrir en sa personne un serviteur du roy. Jamais nostre bon temps n'arrivé qu'en cachettes, Car nostre bien public sont des coups de fourcheties ; De fatigues sans fin nous portons le fardeau, A peine ayans le saoul de mauvais pain et d'eau. Cependant ces Messieurs veulent que, pour leur plaire, Nous ayons 1'oeil gaillard, 1'armure toujours claire, Desrouillans nostre fer et dehors et dedans, Cependant que le jeusne enrouille tout nos dents. II est vrai que souvent nous faisons la desbauche D'un demy-tour k droitte, un demy-tour a gauche, Dancant par entre-las des bransles differents, Pour serrer et doubler nos files et nos rangs ; Si bien qu'a regarder nos jambes sans nos trongnes, Un passant nous prendroit pour un balet d'yvrongnes. Aussi sommes-nous saouls jusqu'a nous en fascher, J'entends saouls de marcher, affamez de mascher : Car, quant a 1'appetit, rarement il nous quitte, Estant d'autant plus grand que la solde est petite. Enfin, lorsqu'un de nous en sa poste est campé, S'il dort, c'est d'estre las, non d'avoir trop souppé... A n'en pas douter, tout, dans cette tirade, est chose vue ou entendue: or, Jean de Schelandre, vingt-cinq ans après la prise de Grave, nous apparait, une fois de plus, poète réaliste, et il ne faut pas oublier que 1'amour de la vérité est un des traits dominants du classicisme, que, par la, ce « romantique » annonce malgré lui. Le couplet débute par un réquisitoire cnntre la rapacité des chefs et 1'ambassadeur hollandais a Paris, Francois d'Aerssen, n'est pas moins dur pour eux, dans sa lettre a 1' «Avocat » de Hollande, Oldenbarneveldt: «La venalité est toute introduicte en noz regimens francois, les charges sont a 1'encan. Serocques a eu deux milles pistolets pour sa compagnie. Roques met sa lieutenance-colonelle et compaignie a dix mil escus *.» Fondés ou non fondés, c'est le propre du soldat francais d'adresser des reproches a ses chefs, mais, sonne 1'heure du danger, il leur fait un rempart de son corps. C'est ce qu'expriment bien les sonnets si peu connus de Jean de Schelandre intitulés : 1. Cité dans Het Staalsche Leger, t. III, p. 37. Sur 1'absentéisme des chefs, voir Md., p. 49. VIES ET MCEURS DES GENS DE GUERRE 137 Le Soldat Mal-Content, car ce n'est pas seulement a 1'Amour qu'il pense quand il écrit : 1 Mon petit colonnel, je veux mourir pour toy, J'espancheray mon sang pour gage de ma foy. et ailleurs : Je suis vostre soldat et vous mon capitaine, J'ay choisi vostre enseigne entre les bataillons. Si 1'on en rapproche les strophes émues, consacrées par Schelandre a ses chefs tombés a ses cótés au siège de Grave, il acquiert une plus grande valeur d'humanité et nous nous sentons rapprochés de celui qui n'était guère tout a 1'heure qu'un inconnu et presque un étranger. Aussi trouvera-t-on moins inutile qu'on ait songé a s'enquérir de sa vie, è préciser les dates de son séjour en Hollande entre 1599 et 1610, a le suivre dans son aventureuse carrière militaire, comme dans ses débuts littéraires, qui en portent le si fidéle reflet : telle cette Ode pindarique... sur la Prise de Grave en 1602, dont 1'exactitude est si parfaite qu'elle rivalise avec celle du chroniqueur ofïiciel Antoine Duyck. Autour de Schelandre, en Flandre, en Brabant et en Gueldre, nous avons vu évoluer, puis tomber successivement ses chefs, Henri de Chastillon, a Ostende, en 1601, Léonidas de Béthune, è. Geertruidenberg, en 1603, Dommarville, a Mulheim, en 1605, Du Puy, du Hamelet, Montmartin, La Gravelle, tués k Grave en 1602, jeunes et vaillants soldats qui, comme Schelandre, avaient répondu a 1'appel de Maurice, pour défendre contre la tyrannie espagnole, la « Liberté Belgique ». Beau sang francais, versé sur la terre étrangère! N'en fallait-il pas chercher ici la tracé, puisque, des sillons qu'il arrose, léve toujours quelque moisson, dont s'enrichit 1'humanité ? „ Ij f o1-! de^ * SonPets d'amour et autres meslanges poétiques » a la suite de la Tyr et Sidon de 1608. FIN DU LIVRE PREMIER Planche XIV Titre dessiné pour l'exemplaire des Tableaux de Pènilence de J. de Schelandre offert par lui a Jacques I. (British Museum). LIVRE II PROFESSEURS ET ÉTÜDIANTS FRANQAIS A L'UNIVERSrTÉ DE LEYDE (i575 a i6£8) A PROPOS DE BALZAC ET DE THËOPHILE (i6i5) « Ce petit coin du monde qui commenee è dommer 1'Océan. > (Scaliger). < Ce peuple ne sera plus ou sera toujours libre. » (Guez de Balzac). « La douceur de la liberté y est si grande qu'en nul. » (Lettre de Buzenval k Scaliger.) INTRODUCTION Dans 1'Album Studiosorum de 1'Uniyersité de Leyde \ grosregistre sur lequel les « Recteurs magniflques » ont, depuis plusieurs siècles, inscrit, lors de la prestation de serment, les noms des étudianls immatriculés, on lit, a la date du 8 mai 1615, deux mentions dont voici la copie littérale 2 (cf. pl. XXVIII) : Johannes-Ludouicus Balsatius, Zanctonensis, studiosus Jurisprudentiae. Annorum XX, bij Lowys de Moije. Theophilus Viarius, Vasco, studiosus Medicinae. Annor. XXV, bij d' selve, vicinum R. V. Dni. Joh. Polyandri.» II y a longtemps que sous eet habillage latin, M. Eugène Ritter *• a reconnu deux des plus fameux écrivains de la première moitié du xvii6 siècle, le charmant lyrique Théophile et eet éloquent Guez de Balzac, que M. Gustave Lanson a justement appelé un des principaux ouvriers du classicisme. Pourquoi Balzac et Théophile se sont-ils rendus a Leyde ? Qui a pu leur en donner 1'idée ? Quel pro fit ont-ils pu tirer de leur voyage ou de leur séjour aux Pays-Bas ? Quelles en ont été les conséquences pour le reste de leur carrière littéraire ? Pour répondre au moins a la première de ces questions, il faudra faire une esquisse de 1'histoire de 1'Université de Leydê, en insistant sur la part qu'a prise la science francaise a ses origines et a son développement. 1. Publlé par M. du Rleu, sous le titre suivant * Album Studiosorum Academies Lugduno-Batavse (1575-1875), accedunt nomina Curatorum et Professorum per eadem secula. La Haye, Nijhoff, 1875, 1 vol. ln-4°. 2. C'est la première fois qu'elles sont reproduites au complet et avec exactitude, d'après le manuscrit original. 3. Balzac et Théophile. Revue tTHistoire littéraire de la France, 9e année, 1902, pp. 131 et 132. CHAPITRE PREMIER LA FONDATTON DE l'üNIVERSITÉ DE LEYDE C'était en 1574, au plus fort des guerres des Pays-Bas en révolte contre la tyrannie de Philippe ll1. Naarden, aux portes d'Amsterdam, avait été pillé et brülé (ler décembre 1572), Haarlem, après six mois de résistance, s'était rendu aux Espagnols (12 juillet 1573), qui avaient passé la garnison au fll de 1'épée. Le duc d'Albe, le duc de sang, ayant été forcé de lever le siège d'Alkmaar (8 octobre), se rabat sur Leyde, qu'il assiège le 30; mais il n'est déja plus gouverneur des malheureuses terres qu'il a opprimées ou réduites. II quitte, le 18 décembre, les Pays-Bas, oü Don Louis de Requesens continuera, avec non moins de fermeté mais plus d'habileté, son entreprise. La pelite place résiste héroïquement sous les Bronckhorst, les van der Does, les van der Werff2. Pour se sauver, les Hollandais usent du moyen qui, dans rhistoire, leur réussit tant de fois contre 1'envahisseur : ils rompent les digues. Les eaux ne montent que lentement, lorsque, tout a coup, survient la haute marée de 1'équinoxe de septembre et la flotte de Boisot paraït devant Leyde. Dans la nuit du 2 au 3 octobre 1574, rennemi se retire, il était temps : la ville était a bout de forces. L'impression de ce succès des Gueux fut immense. Pour la perpètuer, Guillaume d'Orange offrit, dit-on, a la ville héroïque, en récompense de sa piétè et de sa résistance, une exemption d'impöts ou la fondation d'une Université 3. Elle choisit 1'Université ou « Académie », qui fut t. Cf. E. Lavisse et A. Rambaud, Histoire générale. (Paris, Colin), t. V, chap. IV, par le regretté professeur de lUniverstté de Gand, Paul Frédéricq. 2. Cf. Blok, Geschiedenis van het Nederlandsche Vólk, t. II, 2" éd., p. 99. 3. Blok, Geschiedenis ban het Nederlandsche Volk, p. 102, et Geschiedenis eener Hollandsche Stad, t. III : Eene Hollandsche Stad onder de Republiek. La Haye, M. NIJhoff, 4916, un vol. in-8°, pp. 63-4. II n'y est pas qucstion de ce choix. 144 professeurs et étudiants francais installée le 8 février 1575 1 et c'est encore a cette date-la que, chaque année, avec la fidélité due a un si glorieux souvenir, elle célèbre son « dies natahs ». Réfléchissons un instant sur ce choix. Entre un bien matériel et un bien spirituel, une « Vroedschap » ou municipalité hollandaise, choisit le bien spirituel. Immortelle lecon, donnée au monde par un peuple de marchands, qu'on n'a pas entièrement pénétré et compris, quand on le croit uniquement préoccupé de la poursuite d'un gain et du développement de son commerce 2. II sait ce que la science apporte de lustre a la cité et que 1'éclat dont le savoir brille, plus durable que celui de 1'or, perce seUl les brumes de 1'avenir. Sans doute un van der Does, mieux connu sous son nom latin de Douza, sans doute un Jan van Hout, oü encore un Bronckhorst, vont ainsi fixer le choix de leurs concitoyens, paree qu'ils sont des humanistes et que 1'esprit d'Erasme de Rotterdam habite encore en eux. Sans doute, a leurs heures perdues, ils font des vers latins, qui valent ceux de leur compatriote Jean Sëcond ou de FEcossais Buchanan et ils lisent les odes de Ronsard, mais la foi de Calvin les anime, la foi de Calvin, non pas celle de Luther, c'est-a-dire une pensée francaise, quand même elle a passé par Genève, et non pas une pensée germanique. Différence capitale, qui donne a la civilisation hollandaise son individualité propre : la Hollande est une nation germanique d forte culture francaise. Puisque le Calvinisme a pénétré dans les Pays-Bas du Sud par la voie de Valenciennes, de Tournai, pour arriver en Zélande et en Hollande, via Gand et Anvers, et qu'il a été 1'ame de la révolution du xvie siècle et de la lutte pour 1'indépendance, il n'est pas étonnant que Guillaume d'Orange lui assure une large place a 1'Université de Leyde. Le premier professeur qu'il désignera sera le Parisien Louis Cappel, le second sera le Rouennais Guillaume Feugueray. C'est a Louis Cappel, Sieur de Monjaubert ou Mongombert, que revient 1'honneur d'inaugurer solënnellément la nouvelle 1. Cf. Paul Frédéricq, loco cttato, p. 193. 2. ii n'y a pas tracé du choix laissé a la ville dans les archives de 1'Université de Leyde, publiées par M. Molhuvsen, sous le Utre de * Bronnen tot de Geschiedenis der Leïdsche Universiteit » (Rijks"Geschiedkundige Publicatiën), t. i, 1574 au 7 février 1610; La Haye, M. Nijhoff, 1913, 1 vol. in-4°; t. ii, 8 février 1610-7 février 1647; La Haye, M. Nijhoff, 1916, un vol. in-4° ; t. iii, 8 février 1647-18 février 1682, La Haye, M. Nijhoff, 1918, un-voLta-4°. Ces volumes serontcttés désormais « Bronnen Lei'dsche Universiteit ». Toutefois m. Paul Frédéricq accepte la tradition. LA FONDATION DE l'üNIVERSITÉ DE LEYDE 145 institution en prononcant une harangue, que Meursius a publiée en tête de son Athenae Batavae. 1 Bien que proposé comme professeur de théologie par Guillaume, peut-être a 1'instigation de son chapelain francais Loyseleur de Villiers, dés le 26 avril 1575, le 22 aoüt, il n'a encore recu pour tout salaire, depuis quatre mois qu'il est la, que 50 florins de frais de voyage et de séjour. II est toujours présent a Leyde, le 22 juin 1575, puisqu'il signale a 1'attention de Guillaume une belle «hbrairie» monastique, a Middelbourg, et une autre a Veere en Zélande, que 1'on pourrait faire transporter pour servir de bibliothèque universitaire 2, A partir de cette date, on perd sa tracé dans les archives: c'est qu'il a rejoint en Flandre 1'armée de 1'Electeur palatin Jean Casimir, en qualité d'aumónier 3 Si nous n'avons pas le droit d'oublier que ce fut un Francais qui ouvrit les cours de 1'Université de Leyde, nous n'avons pas le droit d'ignorer non plus que 1'autre professeur de théologie, etil n'y en avait que deux, était un Francais aussi, Feugueraeus ou Feugueray, et que c'est a lui que revient 1'honneur d'avoir concu et formulé le premier programme de cette Université. Ce Guillaume Feugueray, seigneur de La Haye, appartenait a la noblesse normande et était né a Rouen. II mourut a un age trés avancé, vers 16134 Sa vie est peu connue, mais elle mériterait de 1'être davantage. Pasteur, il s'était fait un nom par ses prêches dans diverses villes de Normandie et par les conférences decontroversesqu'il avait tenues, le 23 juillet 1565, avecLeHongre, docteur de 1'Université de Paris. A la Saint-Barthéïemy, étant ministre a Longueville, il s'était sauvé en Angleterre et c'est de la qu'il fut appelé en Hollande. Nous avons conservé les pièces se rapportant a cette « vocaal ion », dans les archives du « Sénat», nomqueporte aujourd'hui 1. Joannis Meursi, Athenae Bat-mee... libri duo ; Leyde, 1625, petit in-4», 2. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 2 et p. 4 ; cf. aussi p. 43*. 3. U était né a Paris, le 15 janvier 1534, etVétait réfugié en Angleterre; cf Haag La France Protestante, 2» éd., t. III, art. Cappel. Son testament a été publié : Testament de Louis Cappel, s. 1. n. d., ni titre, Bibliothèque Nationale, F 4649 (11). II est date de Sedan, 30 juillet 1585; en voici un extratt (p. 5): «Cinquante ans passez •en ceste ville avec peu d'incommodité ny maladie, vingt ans tantost en ménage et vingt-deux ans au sacré ministère... ». (P. 11): «Je laisse a mon fils alsné Lois, en consideration de ses estudes, oü il est desji aucunement advancé, ma bibliotecqué, a scavoir tous mes livres et papiers. Je donne a ma fille aisnée, Marie, etc. A Magdelame, ma seconde fille, etc. Je prie mes autres enfans n'estre matris de ce petit advantage laict a ces trois cy, les plus grands. Je donne a Monsieur du Tttloy, mon frere, etc : & mon neveu Jacques, son fils etc.; a mon frère du Luat, etc 4. Cf. Haag, La France Protestante, 2' éd., t. VI, col. 526 s. 10 146 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS encore, la-nas, l'assemblée des professeurs, et daas les archives des « Curateurs » ou administrateurs de rUniversité de Leyde. Ces archives font en ce moment 1'objet d'une publication magistrale du Dr P. C. Molhuysen, bibhothècaire du Palais de la Paix a La Haye, et qui en est a son troisième volume, para en 1918. Sans ces Bronnen tol de Geschiedenis der Leidsche Universiteit, le présent livre n'eut pu être écrit. : Dans la lettre du Prince Guillaume d'Orange aux Etats (26 décembre 1574) proposant 1'èrection d'une Université pour les Etats du Nord \ afin d'être particulièrement agréable a Dieu et de répandre grandement la gloire de son nom, empêcher que 1'ennemi ne puisse ériger a nouveau sa tyrannie ou opprimer par la force ou par la ruse la religiën et la liberté de ces contrées, il n'est pas encore question de Leyde, mais simplement d'un boulevard et protection pour tout le pays, d'un lien infrangible de leur unité. ' L'exemple que cite, quelques jours plus tard, la «Résolution de Hollande », du 2 janvier 1575, est celui de Cologne, Paris •et la Rochelle, et ce n'est que la qu'il est question de la próposition de Guillaume de choisir Leyde comme le lieu le plus approprié a la nouvelle ïondation. C'est probablement Jacob Tayaert, rémissaire du Prince et son fondé de pouvöir pour cette question, qui aura fait, au nom de ce dernier, cette désignation, et celte-ci ne se sera produite qu'après des pourparlers avec la municipalité de la ville, laquelle a donc pu être placée devant 1'alternative dont onpariaittout al'heure. Dans cette Résolution des Etats de Hollande 2 du 2 janvier, il est question d'un Collége des Trois Langues (Latin, Grec, Hébreu), oü 1'on sent le souvenir de Louvain, a qui il s'agissait de faire pièce, et du Collége de France, fondé par Francois I«. Deux professeurs de théologie sont prévus, on enseignerait aussi la philosophie et les mathématiques ; la médecine et le droit viendraient plus tard. Le 6 janvier 1575, van der Does ou Douza, Coninck et Hoogeveen sont désignés comme Curateurs et le couvent de SainteBarbe, sur le Rapenburg, est indiqué comme locaL On ne lit pas sans surprise, a la même date, une Licence de Philippe II ' 1 Bronnen Leidsche Vnwcrsiieü, I, p. 2*. La pagination avec astérisque se rapporte aux pièces anncxes, formant la seconde partie de cfcaque volume. 2 Ibid. t. I, p. 3*. On hesitait entre Leyde et Middel'bouïg, LA FOND ATI ON DE l'uNIVERSITÉ DE LEYDE 147 pour férection de eet établissemènt d'enseignement supérieur, qui allait faire une rude concuxrence, a la fois a 1'Université de Louvain et a celle de Douai et devenir la métropole inteilectuelle du protestantisme dans les Pays-Bas du Nord, mais ©e n'est qu'en 1581, ne 1'oublions pas, que la déchéance de Philippe II fut proclamée. Par sa lettre du 22 avril 1575, le Prince Guillaume prie les Curateurs d'installer a Monsr. Feugeret s, qu'il leur a adressé en qualité de professeur de théologie \ au traitement annuel de 600 florins, et de lui assurer en outre un logement. Le 4 juillet, Feugueraeus ou Feugueray présente son programme d'études, qull avait concu dès le 8 février 2 et dont il devait être fier, puisqu'en 1579, il le publie dans ses Lugdunensia Opuscula, au moment oü, disons-le en passant, Montaigne écrit son chapitre de VInsiitution des enfants 3. II est a peine nécessaire de marquer que ce programme, comme le discours inaugural de Louis Cappel, est enlatin, langue unique de 1'enseignement universitaire d'alors, et qui est reslée, aujourd'hui encore, aux Pays-Bas, celle des soutenances de theses de lettres classiques, celle du programme oülciel ou « Series Lectionum », affiché au début de chaque année scolaire « aux valves » de 1' « Aula », dans les quatre Universités du Pays : Leyde, Utrecht, Groningue et Amsterdam. Nóus ne serions pas a 1'époque de la Renaissance, si le docte auteur n'invoquait les anciens, au début de son programme, mais il faut lui savoir gré d'avoir cité Platon, « ce fameux et divin Platon, que Cicéron appelle Ie Dieu des philosophes «i «divinus ille Plato, quem ïullius Philosophorum deum appellate, quoiqu'il se range aussitot après sous la loi d'Aristote. 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 18*. La lettre de Guillaume d'Orange montre que Feugueray avait commencé ses cours le 3 mars 1575'; flost précisé que son entretien est a la charge de la ville. 2. Guiliel. Feugueraei Rothomagensis Lugdunensia Opuscula ad illustr. principem Aransinum. In wrva Academia Lugdunensi in Bata., apud Andrseam Schoutenum Anno 1579, 1 val ia-24 (Biblioth. Nat., D1 7694); en appendice : &&ola Lugduncnsis ex optimis quibusque de re scholastica scrïptis et priestanliss. aniiqum cl nostrm aetatis ■scholarum exemplis expressa, Guilelmi Feugueraei Th. pp. opera. Ala dernière page, on lit : < Horum autem studiorum, utramque praxin ex decreto iflusmi principis et consultissimorum Ordinum Magistratu urbis Lugdunensis, una cam Dominis pmdentiss. Curatoribus Academiae, jubente, VI Idus Februariisuperioris inchoatam et provehendi tanti instituti gratia, aüquantisper intermissam, designati professores IV die Julii anno 1575, Deo favente repetent. > . 3. Essais, I, 26 ; ëd. Stnwski, t. I, p. 187 et s. CT. Les sources et Vévolulion da Essais de Montaigne (These de Lettres, Paris, 1908),'par Pierre'Vflley, a la vaste erudition dumiel le programme de Feugueray semble avoir. échappé."^ar Ia date de 1 essai de Montaigne, voir Vflley, t. I, p. 290. - 148 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Feugueray prend 1'enfant a partir de sept ans et 1'on yoit comment 1'enseignement supérieur est étroitement lié a 1'enseignement secondaire, qui y mène et qu'on commencait par créer pour préparer a 1'autre et, en quelque sorte, le nourrir. II ne faut donc pas s'étonner de voir inscrits sur les registres universitaires des enfants de onze ou de quatorze ans, comme nous 1'avons dit au livre I. Au « gymnase », 1'enfant consacrera les trois premières années a 1'étude grammaticale du latin et du grec: «La première année, nous lui apprenons a décliner les noms et a conjuguer les verbes, a écrire et a parler, par des exemples et par 1'usage, plus que par les régies». C'est déja la méthode directe, comme la pratique, a 1'égard de son fils, le père de Montaigne. Peu de syntaxe. Les Bucoliques de Virgile, la Batrachonvjomachie d'Homère, quelque comédie de Térence, a cause de la familiarité de son langage ou la prose facile (! ?) de quelques lettres de Cicéron, seront les textes de cette première année. S'étonnera-t-on encore du programme de Gargantua ? La seconde année renforcera et complétera chez 1'enfant la connaissance de la grammaire et de 1'étymologie et le mettra en contact avec les plus grandes ceuvres de Virgile, Cicéron, Homère et Aristophane (sic). La troisième année est consacrée a la syntaxe. Tel est le cycle de 1'école triënnale d'oü, vers 1'age de dix ou onze ans, les enfants vont a 1'école publique de «1'Académie », « in publicam Academise scholam », qui serait aujourd'hui le lycée. La quatrième année qu'ils y entament les initie a la rhétorique, le premier des arts majeurs. C'est par la récitation et la diction qu'on arrivé a comprendre et a imiter les principaux poètes et orateurs de 1'antiquité. De science, dans tout cela, ni de la langue maternelle, ni des langues étrangères, il n'est pas question. L'enseignement est purement verbal et exclusivement gréco-latin. Tout au plus la dialectique de la cinquième année développera-t-elle le raisonnement! « Nous ne nous contentons pas des régies de la dialectique scolastique. » Enfin, dans la sixième année de 1'étude libérale ou des arts libéraux, arrivent les mathématiques, « dignes de la connaissance même des rois ». Malheureusement c'est encore dans Archytas et Archimède qu'on les étudiera. 4 Planche XV. L'Eglise des Bégdines voilêes Qu'qccuPA l'Université de Letde a sa fondation, de 1575 a l58l. (Cest Ui qu'enseignèrenl Daneau el Doneau). LA FOND ATI ON DE l'uNÏVERSITÉ DE LEYDE 149 La Morale et la Physique occupent la septième année et, chaque fois, un auteur, poète ou orateur, les illustrera. « Toutes les Géorgiques de Virgile sont de la physique, Lucrèce aussi est un vrai physicien, les Quesfions de Senèque sont de l'Histoire Naturelle et 1'CEuvre divine de Pline est toute une physique encore. » Celui qui aura accompli ce premier cycle est appelé Doctor artium, Docteur ès arts ; ce serait pour nous le bachelier. Mais c'est la «description des facultés supérieures », qui nous intéresse surtout. Le septennat suivant est ou théologique ou juridique ou médical. Le maitre d'Hébreu, autant que possible, se servira de cette langue, le maitre de grec, du grec, dont il aura pénétré les trés difficiles secrets. Le Magister Artium exposera moins des sophismes que le vrai contenu de 1'Ancien et du Nouveau Testament, le premier dans le texte hébreu, le second dans le texte grec. On les éclaircira 1'un et 1'autre par des « déclamations et des disputes ». Après les avoir longtemps pratiquées comme candidat, 1'étudiant est renvoyé avec le titre de docteur en théologie. Feugueray passé assez légèrement sur les études de droit, pour lesquelles cinq ans de cours, d'exercices oratoires, de discussions ou disputes lui paraissent suffire. La médecine 1'intéresse davantage \ aussi entre-t-il dans plus de détails ; non seulement il prévoit 1'étude des corps animés, des végétaux et des métaux, mais la dissection, les dissolutions et les transmutations. Hippocrate et Gallien seront les guides de 1'étudiant: il les admire, les imite et recoit les insignes avec le titre de docteur, quand il a témoigné n'être plus un danger pour les malades et qu'il s'est montré un digne ministre de la nature pour rappeler et conserver la santé. Soulignons une phrase finale oü, sans doute, se retrouve le Francais faisant une place a sa langue, mais qui est, en même temps, un témoignage important de la diffusion de celle-ci aux Pays-Bas : « Afin de ne négliger en rien les intéréts publics, pour que 1'on puisse étudier ici cette langue francaise dont 1'usage est si fréquent dans tous nos Pays-Bas, aussi bien dans les' affaires politiques qu'ecclésiastiques, nous illustrons publiquement les régies de la langue francaise par les exemples et la lecture expliquée du plus éloquent auteur de cette langue 8.» 1. Bronnen Leidsche Universiteit, t. I, p. 42*. 2. Feugueraei... Opuscula déja cité, derniere page:« ne autem reipublicse ulla in 150 PROFESSEURS ET ÉTUBIANTS FRANCAIS Cet auteur n'est pas nommé, je gagerais que e'est Calvin, mais ceci importe peu. II faut souligner avant tout le fait que le francais fut enseigné a I'origine de la première et de la plus illustre des Universités hollandaises, et que, dans le pays, aujourd'hui encore, notre langue est inscrite au programme des écoles primaire» et est la seule dont se servent dans leurs cours les professeurs de francais des universités, même lorsqu'ils sont de nationalité hollandaise % Ce qu'il faut souligner aussi, c'est que le francais n'apparaït pas comme une langue étrangère, mais comme un parler dont 1'usage est trés répandu aux Pays-Bas. Or il ne s'agit pas, remarquons le bien, des provinces wallonnes, dont la destinée se séparait de plus en plus de celle des provinces du Nord et qui allaient bientöt former 1'Union d'Arras (6 janvier 1579), contre laquelle se dressera 1'Union d'Utrecht (Hollande, Zélande, Utrecht, Gueldre, Frise, Overyssel, Groningue, 23 janvier 1579). Mais les rapports avec la bourgeoisie flamande et les autorités espagnoles, le contact des députés des Etats Généraux entre eux, faisaient du francais une seconde langue officielle, même en Hollande et en Zélande. N'était-ce pas celle que maniait le plus facilement le prince Guillaume, u'était-ce pas celle dans laquelle son conseüler Marnix de Sainte-Aldegonde écrivait ses chefsd'oeuvre et dans laquelle le jeune Constantin Huygens correspondait avec ses parents, au début du xvne sièele a ? Surtout, le francais était 1'organe de la puissante Eglise Wallonne des Pays-Bas, créée par les réfugiés du Hainaut et de la Flandre, lors du premier Refuge, et dont la constitution avait servi de modèle a celle de 1'Eglise Réformée hollandaise. La confession de foi de cette dernière est une adaptation de celle de Guy de Bray, qui elle-même s'inspire de celle de Théodore de Bèze. Si, en 1579, 1'église de langue flamande invita 1'Eglise Wallonne a s'associer a elle, a abandonner ses propres Synodes, ses propres re desimus ut Gallicae linguae (cujus hoe tempore, toto hoe Belgio, turn in Ecclesiastfcis, tam in politicis firequens usus est) domi diseendae potestas fiat, praecepta linguae GaUicae, exermplis et prselectione disertissimi in ea fingua auctoris, publiee ïllustramus »; cf. la thëse de doctorat de lUniversité de Paris, présentée par M. K. J. Riemens l Esqaisse hislorique de l'enseignement du francais en Hollande, du XVI" au XIX' sièele, Leyde, A. W. Sijthoiï, 1919, 1 vol. in-8°, pil., p. 58. % Comme par exemple M. Salverda de Grave, Fémïnent professeur de 1'Université de Groningue, qui a récemment repris la chaire de littérature francaise que j'ai occupèt a fUniversité d*Amsterdam, d'octobre 1912 a octobre 1919. 2. De Briefwisseling van Constantijn Huggens, éd. par J. A.Worp, t. I, La Haye, Nijhoff, 1911, un vol. in-4", par ex., p.p. 10,.17,18,21,etc.,p. 22 et passim; onen trouvera aussi de bilingues. Cf. également Riemens, op. ciL LA FONDATION DE t'lïNIVERSITÉ DE LEYDE 151 « Classes », en un mot, son autonomie et si celle-ci s'y refusa, ce n'était pas par hostilité envers les frères flamands, bien loin de la, mais pour garder la langue qui était celle de ses premiers fondateurs et de sés martyrs. Cette organisation autonome et cette langue, 1'Eglise Wallonne, qui s'appellerait plus justement francaise, depuis qu'elle a étérenforcée, après la Révocation, par le second Refuge de 1685, les a gardées jusqu'a nos jours et, dans chaque grande ville de Hollande, chaque dimanche, sur les fidèles descendants des Hugnenots de jadis, tombe, du haut de la chaire, une parole purement et vraiment francaise, commentant celle du Christ. Dès le 8 février 1576, Feugueray est reeteur, en dépit de 1'article III du Règlement, qui exige la connaissance du hollandais. Guillaume d'Orange lui est reconnaissant, peut-être, d'avoir, avec d'autres théologiens protestants, en juin 1575, déclaré valable son union avec Charlotte de Bourbon, conelue le 12, bien que la précédènte épouse, Anne de Saxe, convaincue d'adultère, fut encore en vie. On possède 1' « Avis de Mi Feugheran touchant le mariage du Prince » et résumant les molifs « qui semblent plus que suflisans pour satisf aire a cè que sembleroit avoir defailly a la formalité dont il est question »1. Le séjour de Feugueray en Hollande ne fut pas de longue durée. Au bout d'un an, a cause de 1'irrégularité des payements, il songe a partir, sous prétexte que sa Communauté de Rouen le réclame. Comme celle-ci redouble ses instances, les Etats envoient un messager expres au Synode des Eglises de France pour le prier de leur laisser Feugueray en attendant que 1'on ait pourvu a son remplacement. Guillaume demande aux Curateurs de lacher de conserver ce théologien, qui a 1'avantage de prêcher en francais 2, a Ia fois pour ceux qui ignorent le hollandais et pour ceux qui veulent 1. Voir Ia notice de ML Ie professeur Knappert dans le Nieuw» Nederlandsen Biografisch Woordenboek de MM. Molhoysen et Blok, t. III (1914), col. 399. On trouve a la bibliothèque de la Société de l'Histoire du Protestantisme francais, 54, rue des Saints-Pères, Paris, une copie signée par le pasteur Jean Taffin, de 1'acte de célébration du mariage entre Mgr le Prince d'Orange et Mademoiselle de Bourbon, fille de Mgr. le duc de Montpensier. Cette copie est datéedu 12 juin 1575; elle pro vient des Mss. de ^Académie de Sedan et porte le numéro 336 bis, pièce 183. 2. Cf. la lettre du prince Guillaume adressée aux Curateurs, 9 mai 1579 (Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 65*). Pariant de 1'Italien Zanchius, qui pourrait éventuellement suceéder è Feugueray, il dit: «Wesende een Italiaen, egheen sermoen en zal kunnen gedoen int Fianchois, zoo wij verstaen, dat de voort. Feugheray somwijlen doet, d'welck grootelyck dient den genen, die de spraecke van den lande nyet en verstaen ende andere willende leeren de voors. Franchoische spraecke. » 152 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS apprendre le francais; sa science, sa piété, sa fidélité, avaient rendus de si grands services a la fondation, que son départ risquerait de faire disparaitre 1'institution a peine créée. Mais Feugueray partit pour Rouen, après avoir passé par Anvers, d'oü il signe le 15 octobre 1579, la dédicace de ses Opuscula, présentés au Prince d'Orange K Celui qui, deux ans après, allait prendre sa place, devait être un Francais encore, Lambert Daneau, dont nous parierons plus loin. II faudrait cependant se garder de voir dans 1'Université de Leyde une sorte d'institution francaise, mais, sur huit professeurs dont les traitements sont établis le 17 juillet 1575 2, il y a néanmoins, pour cinq Hollandais, deux Francais et un Westphalien, Hermannus Reinekerus. Celui-ci, malheureusement, il fallut le congédier par Résolution du ler mars 1576, suspendue, puis reprise, le 9 mai 1578, pour grossièreté et ivrognerie. II avait, sauf respect, montré son derrière a son hötesse, en prononcant des mots malhonnêtes; il s'enivrait journellement avec de la racaille, au point d'en vomir. Ainsi parle le vieux-hollandais qui ne mache pas ses mots 3. Le personnel enseignant du début se renouvelle rapidement et bientöt y prendra place 1'élément beige, représenté par des hommes de valeur comme Drusius, né a Audenarde, Vulcanius, né a Bruges, Bollius de Gand et enfin, grand entre tous, JusteLipse, nommé, le 5 avril 1578, professeur d'histoire et de droit, au traitement de 500 florins, porté ensuite a 600, le 10 aoüt 1578 *. Revenons a la chaire de théologie, a la vacance de laquelle 11 n'avait été pourvu que provisoirement par la nomination du Hollandais Crusius, de Delft5. 1. Cf. Nieuw Ned. Biogr. Woordenboek, t. III, col. 401. Le départ de Feugueray est signalé comme imminent, le 5 aoüt 1579 ; cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 76*. Sur la généalogie de la familie Feugueray, voir Haag, La France Protestante, 1" 'éd., t. VIII, p. 468, art. Roissi, mais surtout le même ouvrage, 2« éd., t VI, col. 526 s. 2. Cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 3. 3. La nèuvième question qui le concerne est celle-ci: t of hij hem jegens zijn waerdinne zeer schoffierlick ende als een fielt draecht en haer zijn achterste schandelick vertoont, daarbij vougende eenige zeer oneerlicke woorde »; la troisième : • of hij hem dagelicks begeeft met schuytboeven ende zulc gespuys ende volc te drincken ende ooc hem zelfs mette zelve zoo droncken ende vol had gezopen, dat hy, met verlof gezeyt, most braecken 1 », ainsi est formulée la plainte des Etats, Bronnen, t. I, p. 4, n. 1. Voir aussi L Douzae Poëmata (1609), p. 79. 4. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 5 et 6. 5. Ibid., t. I, p. 76*. i Planche XVI o. L'Uhivebsité de Leyde depuis i58i (Cloitre des Dames Blanches)' Planche XVI o L'Amphithéatre d'anatomie fréquenté pau Théophile et Descartes a l'Université de Leyde (Eglisc des Béguines voilées). (Gravures extraites de Meursius, Athenae Batavae, 1635). Planche XVII a. BlBLIOTHECA PÜBL1CA, La Bibliothèque de l'Université de Letde, oi> travaillait Scaliger. Planche XVH 6. Le Jardin des Plantes de l'Université de Leyde dirigé par de l'Escluse d'Arras. (D'après Meursius, Athenae Batavae, i6a5). CHAPITRE II un théologien du xvie siècle : Lambert Daneau (1581-1582) Lambert Daneau était né, vers 1530, a Beaugency-sur-Loire, Son historiën, M. de Félice 1, le qualifie «un des théologiens réformés les plus laborieux et les plus distingués du xvie siècle », et, ailleurs, «un de nos plus grands théologiens du xvie siècle... il est des premiers du second rang », le premier rang étant celui de Calvin et de de Bèze. II fit ses études de droit, successivement a Orléans, sous Anne du Bourg, dont le martyre devait, en 1559, entrainer pour Daneau la conversion et bientót 1'exil. C'est dans cette ville qu'il connut le célèbre ami de Montaigne, La Boëtie, qui lui adressa un distique latin ainsi concu : «Lorsque je nie que tu sois jeune, tu me contredis, Daneau; mais tes paroles sérieuses trahissent un vieillard » 2. Le jeune vieillard se rendit a Bourges, eü il recut le grade de docteur des mains de Cujas. II s'y ha avec le professeur Hugues Doneau, que nous retrouverons, auprès de lui, a Leyde. Arrivé a Genève, le 24 avril 1560, il y passa un peu moins d'un an, mais, influencé par Calvin, il se décida a quitter le droit pour la théologie. Nommé pasteur a Gien, oü il exerce de 1560 a 1572, il est sept fois chassé, sept fois rappelé, condamné, absous, toujours errant, jusqu'a ce qu'il se flxe a Genève le 10 octobre 1572 ; il y devient pasteur et professeur de théologie, le 25 juillet 1574. 1. Dans son livre intitulé Un Théologien du XVI» siècle: Lambert Daneau de Beaugency-sur-Loire, pasteur et professeur de théologie (1530-1595l Sa vié, ses ouvrages, ses lettres inédiles, par Paul de Félice, pasteur; Paris, 1883, 384 pp., in-8». Voir du même, un art iele plus récent dans Haag, La France Protestante, 2" éd.,t. V, col. 62-91, avec blbliographie. Cf. aussi W. N. Du Rieu, Lambert Daneau A Leyder Fondation de la Communauté wallonne è Legde, le 26 mars 1581, dans Bulletin de la Commission de l'Histoire des Eglises wallonnes, l, 69-91, et Nieuw Nederlandsch Biographiseh Woordenboek, t. i, col. 685-8. 2. Bonnefon (Paul) Montaigne el ses amis, nouvelle édition : Paris, Colin, 1898,. in-18°, p. 204. m 154 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Dès 1'année suivante, par une lettre a Bastingius ou Jéröme Basting, alors étudiant a Heidelberg, oü professait Doneau, nous le voyons en relations avec les théologiens des Pays-Bas méridionaux, réfugiés la, notamment Dathenus, et préoccupé du Synode d'Embden et de la Coofession de foi *. Quoi d'étonnant si, le départ de Feugueray décidé, les Curateurs de l'Université de Leyde, a qui incombent les nominations, offrent a Daneau la chaire de théologie devenue vacante. Celui-ei répond, le 16 mai 1579, a leur émissaire Ratloo, avec cette humilité orgueilleuse, qui caractérise les savants du xvie siècle dans leur correspondance. Le vrai motif de son refus, il 1'indique, mais •le maitre, de Bèze, dans sa lettre du 29 mai 1579 au même Ratloo, le précise, en declarant que, a cause de son grand age et de son état de santé, il ne saurait se passer des services de son collègue Daneau. Quant a celui-ci, au fond, cette «vocation »le tente et ce n'est pas uniquement par reconnaissance qu'il' dédïe, en 1580, a l'Université, son Livre des Sentences, ce qui lui vaut quatre pièces d'or aux armes de la ville, décernées par les Curateurs, le 27 octobre 1580 *. Pen de temps après, en effet, le ler décembre, le collége des Bourgmestres et Régents de la ville de Leydè nomme L. Danaeus, Premier professeur de théologie, au traitement de 800 fiorins, avec une indemnité de voyage de 400 florins. lis écrivent a Bèze de vouloir bien faciüter son départ 3. Le messager, chargé d'apporter a Genève les médailles, lui remet en même temps la lettre des Bourgmestres et Régents, datée de décembre 1580, lui demandant d'accepter la place, pour laquelle ils n'ont trouvé jusqu'a présent aucun titulaire capable: « Ton érudition, ó trés illustre, dans les Lettres divines et les Saints Mystères, est connue de tous et la bienveillance que tu nous a témoignée, nous a donné confiance de pouvoir obtenir ta collaboration pour notre Université. » A 1'élégance du latin de cette épitre, on reconnait sans peine La main de Juste Lipse, dont les Archives des Curateurs gardent encore la minute, Non moins élégante est celle qu'il a rédigée a 1'adresse de Théodore de Bèze, le priant, au cas oü il ne pourrait procurer et favoriser I'adhésion de Daneau, de 1. Bulletin Eglises Wallonnes (1" série), t. IV, pp. 292 * 294. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 14-15. 3. Ibid., t. I, p. 16 et pièce 67, p. 84*. UN THÉOLOGIEN J LAMBERT DANEAU (1581-1582) 155 designer quelque autre candidat. Les relations se resserrent entre Leyde et Genève qu'un auteur appelait récemment: « La pépinière du Calvinisme hollandais mJk Le 26 janvier, Daneau accepte, et, dans sa lettre aux Bourgmestres et aux Régents, il raconte qu'il se prépare, qu'il vend son mo bi lier, qu'il emballe ses livres et fait ses malles * Ce n'est pas une mince affaire qu'une pareille expédition avec sa femme, Claude Péguy, fille d un prévót des marchands d'Orléans 3, trois enfants, SamueL Marie et Anne, dont 1'ainé nla pas même six ans, et un domestique. Aussi pro fit era- t-il de la foire de Francfort, qui se tient au printemps, pour faire route avec les marchands et, sans doute, pour y prendre connaissance des dernières nouveautés de la librairie européenne. Daneau prie donc les Bourgmestres et Régents de le recommander aux Hollandais qui en reviendront, ponr qu'il puisse les accompagner et être plus promptement ët plus s ure ment rendu. Notre savant n'a pas 1'air bien entreprenant, une fois sorti de sa théologie. D retiendra Ie messager de la ville de Leyde, car lui-même igriore 1'allemand et ne saurait faire une aussi longue expéditión sans interprète 4. Quoique se dépouillant avec douleur de eet insigne ornement de son Eglise, Théodore de Bèze consent au départ de Daneau, dont 1'amitié lui tenait au cceur: le 8 février, le Magistrat de Genève le décharge de ses fonctions 6. Malgré toutes les précautions prises, le voyage ne se fit pas sans encombre. L'incidént le plus marquant fut qu'il failht être arrêté a Strasbourg, oü son bateau était arrivé après deux jours de navigation. II avait voulu rendre visite au célèbre pédagogue Jean Stunn qui, converti en 1540, y avait fondé un gymnase, bientöt transformé en Académie avec quatre cents disciples, et qu'on peut considérer comme rorigine de notre Université de Strasbourg. Or, Daneau venait de publier un "e. vnes (Herman), Genève, Pepimere du Calvinisme hollandais: Fribourg (Suisse), Pragnière frères, 1918, 1 vol. in-8°. II y est question de Daneau aux pp. 7273. Voir aussi le livre récent de Léonard Chester Jones : Simon Goulart (1543-1628). Etude bwgraphique et bibliographique ; Paris, Champion, 1917, 1 vol. in-8°, p 357 et 360. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 85*. 3. Elle s'était réfugiée en Suisse et il 1'avait épousée en secondes noces en 1573. Appartiendrait-elle a Ia même familie que 1'auteur du Mgstère de Jeanne d'Aré Charles Péguy, mort au Champ d'honneur en 1914 ? 4. Bronnen Leidsehe Universiteit, t, I, p. 85*. 5. Ibid., L I, p. 86*, et Du Rieu, op. cit. 156 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS examen critique du livre de Chemnitz, sur les deux natures en Christ, et si vive était alors la querelle entre Sturm et les théologiens ubiquitaires, que ceux-ci firent interdire les auberges a Daneau et qu'il se vit refuser 1'accès « du Bceuf ». Ayant trouvé asile ailleurs, grace a des amis, il fut arrêté au sortir d'un déjeuner chez Sturm, et un sergent le conduisit chez le bourgmestre. Ce dernier, après 1'avoir fait attendre trois heures, 1'interrogea pendant deux, lui reposant sans cesse les mèmes questions (il était d'ailleurs ivre) et s'enquérant s'il n'avait rien écrit contre la formule de Concorde. On finit par le relacher, et, le 14 mars 1581 \ Daneau arrivé aLeyde, salué, le lendemain, a son auberge, par le Recteur et les professeurs, qui lui offrent un banquet. Le 18 mars 1581, il est rëcu dans 1'assemblée des professeurs au Sénat, en présence du Curateur Douza : ses cours auront lieu régulièrëment a trois heures. Lalecon inaugurale qui, dans toutes les Universités hollandaises est aujourd'hui encore une solennité, fut donnée, disent les « Acta Senatus », le 26 mars 1581, au milieu d'un grand concours de monde. Le Magistrat lui demande de prêcher tous les dimanches en francais. Ce fut, après les sermons de Feugueray, mais d'une facon plus directe encore, 1'origine de la fondation de 1'Eglise wallonne ou francaise de Leyde, dont 1'existence n'était pas peu faite pour attirer dans cette lointaine ville de Hollande les étudiants protestants de chez nous 2. Si ces prêches en notre langue, dont le premierse fit également, le dimanche 26 mars, dans 1'église desBéguines voilées (cf. pl. XV), eurent 1'approbation du Magistrat, il n'en fut pas de même lofsque Daneau prit, sans le consulter, 1'initiative de former un Consistoire francais, avec un Collége des Anciens et un Collége des Diacres. Cependant, le 18 décembre 1581, le Magistrat autorisa ce Consistoire a distribuer, de concert avec Daneau, la Sainte Cène, en choisissant pour cela un jour convenable, pourvu qu'il admit a la distribution exclusivement ceux qui sont de langue francaise. L'Eglise wallonne de Leyde est désormais instituée : elle existe encore aujourd'hui avec deux pasteurs, tous deux Francais. Leur communauté est petite, mais fidéle ; 1'un représente en matière de religion des tendances orthodoxes, 1'autre des tendances libé- 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 17. 2. Bulletin Eglises Waltonnes, t. 1,1" série, p. 81. Planche XVIII. Lambert Daneau, théologien 'protestant francais, professeur a l'Université de Leyde (i58i-i58a). (D'aprhs une gravure conservée d la Bibliothèque wallonne, a Leyde). UN THÉOLOGIEN : LAMBERT DANEAU (1581-1582) 157 rales, mais ces nuances n'empêchent pas leur collaboration. Les conflits d'alors étaient plus aigus et le Magistrat, dont 1'ins-» piration est « libertine » comme celle de Guillaume d'Orange \ reproche bientöt a Daneau son intolérance calviniste et 1'accuse de vouloir faire pëser sur les consciences des bourgeois un nouveau joug, aussi insupportable que celui de la papauté. Dans une lettre adressée aux Etats de Hollande, le 5 avril 1582, Daneau se défend d'avoir « rien voulu de plus que la discipline ecclésiastique genevoise, mais surtout pas d'inquisition ». Daneau, lui aussi, avait des sujets de mécontentement : peu satisfait de son logement2, il se plaignait également, dans ses lettres, du climat froid et humide et des gens du pays, qu'il trouve entêtés et orgueilleux; il écrit a Gaultier, le 13 octobre 1581 3 : « Pour moi, je trouve ce climat détestable, maritime, trop lourd, couvert, 1'atmosphère presque constamment troublée par les vents les plus violents, d'oü résultent des catarrhes et des rhumes, qui sont la peste des gens voués a la vie sédentaire. Enfin je le supporte autant que je peux; ma familie, les enfants surtout, s'y adaptent mieux et s'accommodent de la nourriture de ce pays. A mon age, au seuil de la vieillesse, c'est plus difïicile ». II se plaint du nombre trop restreint de ses disciples : rares sont ceux qui se consacrent a 1'étude de la théologie, quoiqu'il y ait disette de bons ministres4. Cependant, il n'a qu'a se louer des étudiants, qu'il trouve studieux et zélés et qui le soutiennent dans ses démêlés avec le théologien Coolhaes. Leur intervention envenime le conflit; le magistrat affirme qu'ayant fait tête a 1'inquisition d'Espagne, il saura résister aussi facilement a celle de Genève, a quoi le professeur réplique qu'il ne saurait demeurer en un pays, oü la discipline de Genève, conforme alaparole de Dieu, est assimilée a 1'Inquisition d'Espagne et qu'il ofïre sa démission5. Le 2 mars 1582, Vulcanius, secré- 1. Dans sa lettre du 13 octobre 1581, adressée a Gaultier, et qu'on trouvera chez de Félice, op. cit., p. 357, Daneau donne en passant, sans le vouloir, un magnifique lémoignage de tolerance au prince d'Orange : « Princeps Auriacus, tum propter varias alias occupaUones, tum etiam quod suapte quadam natura sit ^xtarx Spairii o '.o;, sinit omnes suo more vi vere : in cujus tarnen unius salute et incolumitate posita videtur toUus hujus regionis salus et pax. » 2. II habitait au Rapenburg. 3. Cf. de Félice, Lambert Daneau.., p. 351, n° 51, lettre latine. 4. Même lettre, p. 358. 5. Acta Senatus, 9 février 1582, dans Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 28, 98* et 102*. 158 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS taire du Séuat académique, communiqué au Priaee d'Orange la requête de Daneau, tendant a être relevé de ses fonctions en avril. Le Prince ne tarde pas a répondre, le lü- mars, demandant plus de détails et suppliant qu'on le retienne, de crainte de voir déserter la Faculté h Cela n'empêcha pas Lambert Daneau de partir pour Gand, óü le calvinisme régnait alors en maïtre et oü on le garda a la Faculté de théologie protestante, qui y avait été f ondée. II y fit, le 30 mai2, son discours inaugural. Le chroniqueur van Campene, qui Ta entendu professer, n'en fut pas énchanté, car «il tisait ses lecons dans un cahier «, mais, par après, il Ie nomme «clarissimus vir Lambertus Danaeus •». Le 14 juillet 1582, a deux heures de 1'après-midi, quarante propositions furent affichées dans l'égtise des Dominicains. Le même jour, elles furent soutenues, sous la présidence de Daneau, par un'jeune homme de Lilie, nommé Do mini que Baude : nous le retrouverons, plus loin, professeur a Leyde, sous ie nom de Baudius. Un des inspecteurs de la Faculté de Gand était Adrien Saravia, dont nous reparlerons aussi. - Daneau ne devait pas rester longtemps dans cette ville, ü n'y passa qu'une année jusqu'au 15 mai 1583 8, une « vocation » de 1'Académie d'Orthez ayant haté son retour. II la suivit a Lescar, puis il passa a celle de Castres, oü il entra le 29 octobre 1593. II y mourut le 11 novembre 1595 4. Son petit-fds Lambert, un siècle plus tard, devait, après la Révocation, se réfugier a Leeuwarden, oü il s'éteignit en 1699. Ainsi se marqué la continuité de 1'histoire et s'explique le Refuge en Hollande de plus de cent mille réformés. Les petits-fils suivaient, i ore és par lm persécution, la voie que jadis leurs grandspères avaient prise, attirés les uns comme les autres par ce phare de liberté qui les guidait vers le Septentrion. 1. Jean de Nassau, frère du Taciturne, écrit a celui-ci, le 14 juillet 1582 : t en ce qui concerne l'Université de Leyde, elle se porte fort mal, attendu que le docteur Danaeus, le plus remarquablc théologien que 1'on puisse trouver dans ces provinces, ést parti pour Gand ou il est devemi professeur. » Font aines dit qu'après le départ de Daneau, l'Université marche a reculons a la manière des écrevisses (gefaetdea Krepsganck). Cf. P. Frédéricq : L'enseignement public des caivinïsles a Gand (15781584) dans Trtryerui da cours praligue d'hisloire nationale de P. Frédéricq, leT fas«icule, Gand et La Haye, 1883, m-8°, p. 81-82. 2. II était arrivé le 20. Cf. Frédéricq, op. tlK, p. 79. 3. De Félice, op. cit., p. 110. 4. Haag, La France Protestante, 2* éd., t. V, col. S8, et Ntetiw Nederl. Biografisch Woordenboek, t. I, col. 686, CHAPITRE III UN GRAND JURISTE ! HUGUES ÜONEAU (1579-1587) . Le meilleur appui de Daneau, dans sa lutte contre le magistrat de Leyde, avait été un autre protestant francais beaucoup plus illustre, 1'émule du grand Cujas lui-même, Hugues Doneau ou Donellus. Les Bronnen der Leidsehe Universiteit, apportent, sur le long séjour qu'il üt a Leyde, bien des détails curieux. Doneau était né a Chalon-sur-Saöne, le 23 décembre 1527, d'une familie de«robins», trés considérée dans la ville \ Etudiant aBourges,ilyenseigna bientót aux cötés de son maïtre, Duaren; en 1555, Cujas lui ayant été préféré, malgré 1'appui de Michel de 1'Höpital, pour la chaire de Baudouin, il en concut une vive jalousie, qu'il manifesta en rendant la vie impossible a Cujas, ce qui n'empêcha pas celui-ci, après une année d'éloignement, de succéder a Duaren en 1558. Les deux rivaux se supportèrent jusqu'en 1566, date a laqueUe Hotman succéda a Cujas ; Doneau et lui furent suspendus comme suspects d'hérésie en 1571. A la Saint-Barthélémy, déguisé en valet d'étudiant allemand 2, Doneau s'enfuit a Genève, oü il fut admis comme habitant, le 26 septembre 1572. Sur la prière du Conseil, il y donna quelques lecons, mais bientót il répondit a 1'appel de 1,'Electeur Palatin, qui lui offrit la première chaire de droit a 1'Üniversité de Heidelberg. Louis VI, fils de 1'Electeur palatin, ayant succédé a son père, destitua tous les professeurs calvinistes, sauf Doneau. denboltTl%?"27iïÊ?a,Ue' 26 "•' *' V' C0L 448 et ^f™5f - VoorViiLFrt™'T^nTïfunèbre P.r,ononcé« Par Scipio Gcntüis'et qui figure en tête des t. I, p. D°neaU' réédités k FJorence, de 1840 a 1847, en 12 vol. in-fol.. 160 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Selon Bayle et la Biographie Universelle, il se rendit en Hollande dès 1575. Paquot et Spangenberg, dans 1'Encyclopédie d'Ersch et Gruber, reculent son départ de Heidelberg jusqu'en 1579 ; discussion inutile, les Bronnen résolvant la question : c'est en effet, le 14 juin 1578 seulement, qu'il est fait mention de Doneau pour la première fois dans les Acta Senatus K Devant cette haute assemblée, le professeur de physique, Alexandre Ratloo rend compte de la mission dont il a été chargé par le Sénat pour tenter de recruter des professeurs en Allemagne. Auprès du Francais Francois Hotman 2, ses efforts ont été vains, de même auprès de 1'Italien Zanchi, alias Zanchius, de Daniël Toussain (Tossanus), alors professeur a Neustadt sur Hardt, et d'un troisième Francais : Junius. Seule une conversation avec Doneau laisse quelque espoir, ce qui décide le Sénat a demander aux Curateurs d'adresser a ce dernier une lettre officielle 3. Une Résolution des Etats de Hollande, du 21 juin 1579, arrête que le docteur Hugo Donellus, professeur de droit a Heidelberg, sera invité a occuper la chaire de droit de Leyde, au traitement annuel de mille livres de gros, c'est-a-dire mille florins, et qu'il lui sera accordé trois cents livres pour son voyage 4. Le 24 octobre, on annonce, en séance du Sénat, que le savant arrivera le soir même, heureuse et favorable nouvelle (quod felix et faustum sit) : un banquet lui sera offert dans la maison du Recteur Juste Lipse5. Elles allaient donc se trouver en face Tune de 1'autre «ces deux merveilleuses lumières, les yeux de cette université»6: Doneau et Juste Lipse. Le 27 octobre, Doneau est recu dans le collége des professeurs et admis au serment de fidélité aux statuts, en présence de deux Curateurs et du Sénat académique, dans la maison du Recteur 7. 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 12. , , , . . . 2. Sur Hotman, voir Correspondance de Rob. Dudley, comte de Leycester el de Francois et de Jean Hotman, pubUée par P.-J. Blok dans les Archives du Musée Teyler, Sér. II, t. XII, 2° p., Harlem, 1911, 1 voL in-4°. 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t, I, p. 8 et 9. Le renvoi aux numeros 50-52 des piècesjustincatives, n'est pas exact en ce qui concerne Doneau, dont le nom se confond facilement avec celui de Daneau. 4. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 12. 6 Md' t. iPp. 114*. Ainsi s'expriment les Bourgmestres écrivant au Prince «uihaume, le 9 février 1584 : « De twee heerlycke lichten ende oogen deser Universiieyt, D D. Donellus ende Lipsius (die wy hier In eeren noemen). » 7. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 10. Planche XIX. HUGO DONELLUS IC. ET IURIS PROFESSOR. Le grand juriste francais Doneau, professeur a l'Université de Leïde (i 579-1587). (D'après Meursius, Athenae Batavae, i6a5). UN GRAND JURISTE ! HUGUES DONEAU 161 Un mois après, le 23 novembre, il fait sa première lecon. Dès le ler février 1580, il est adjoint au Recteur en qualité d'assesseur, « quoique ne sachant pas le hollandais ». Son enseignement avait une telle valeur et son nom était une telle garantie que la Cour d'Utrecht admit aussitót a la profession du Barreau, deux docteurs en droit, recus par lui, le 3 mai 1580, après soutenance publique de leur thèse K Dans sa lettre, déja citée, du 13 octobre 1581, Daneau, après s'être plaint du petit nombre de ses auditeurs, ajoute : « La plupart des étudiants, presque tous, suivent le droit civil, pour lequel nous avons Doneau, un maitre qui dépasse tous les autres. Pour les belles-lettres nous possédons ce fameux Juste Lipse, dans lesquelles personne ne peut être plus versé » a. Ayant appuyé, dans 1'affaire du Consistoire wallon, Daneau, son compatriote, Doneau songe a 1'imiter dans sa retraite et, dès le 14 octobre 1582, il accepte la chaire que lui offre 1'université d'Altorf3. Mais Guillaume d'Orange qui, décidément, n'avait pas de chance avec ses Francais, refuse de laisser partir eet homme, dont le nom seul et 1'érudition unique apportaient a l'Université de si riches et si insignes moissons 4. Altorf revint a la charge au printemps 1584. C'est sans doute pour retenir Doneau qu'on lui accorde une augmentation de 300 florins. Le 13 septembre 1585, les étudiants demandent aux professèurs de tacher de le garder : ils avaient appris qu'il se préparait a s'en aller, la ville n'ayant pas tenu les engagements des Curateurs. Les Etats de Hollande, par Résolution du 18 septembre, lui garantissent son traitement de 1.300 florins5. Sur ces entrefaites, étaient survenus des événements d'une grande importance pour 1'histoire des Pays-Bas, et auxquels Doneau allait être étroitement mêlé. Privées de leur souverain légitime, déclaré déchu de ses droits, le 26 juillet 1581, les Pro- 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 14. In 2^?r\Frf^'nambertJ)Teau' p' 35?: * pleri»e, fere omnes, Jus civüe sequuntur, l hïïï™ ■i2ïM5*m Cae^s Praestantiorem habemus. In bonis literis, Justum mum Lipsium, quo ml in omm bonarum ntterarum genere poliüus esse potest » _3. Bronnen Leidsehe Universiteit, p. 38 et note 1; cf. aussi Eyssell (A. P. Th ) Doneau sa me et ses ouvrages, trad. du latin par J. Simonnet, Mémoires de l'Académie de D.jon, 2« série, t VIII, 1861, et du méme : Lei dtrnières années de H Doneau, dans Mémoires de 1*Académie de Dijon, t. XV, 1868-9; M. Bo, c'est a dire : le mobilier de Jérémie Bastingius est transféré a la Chambre des orphelins k Leyde. 2. Copie contemporaine d'une lettre de Conrart a Pierre Du Moulin, datée de Paris, 20 mai 1636. Bibliothèque de l'Université de Leyde, ms. du xvn" siècle. 3. Cf. Tallemant des Réaux, Histosielles, éd. Paris et Monmerqué, t. i, p. 285. Planche XXI. PETRUS MOLINEUS, PHILOSO* PHLSL NATURALIS PROFESSOR. Pierre du Moulin, PROFESSEUR DE PHILOSOPHIE a L'UNIVERSITÉ DE LeïDE (l5o3-l5g8). (D'après Meursius, Athenae Balavae, i6a5). PIERRE DU MOULIN 177 Pierre du Moulin, fils de Joachim, né le 16 octobre 1568, au chateau de Buhy en Vexin, prés de Mantes, entra au collége de Sedan a dix ans K Abandonné par son père avec 12 écus, il se rend en Angleterre, a Cambridge. II quitte cette ville pour Leyde en 1592. Ce n'est pas la première fois que, de Sedan, nous voyons qu'on se dirige vers la Hollande2. Ce n'est pas la première fois non plus qu'un Francais va aux PaysBas, après avoir passé par 1'Angleterre, oü les réfugiés flamands sont si nombreux. Suisse, Alsace, Provinces Rhénanes (Heidelberg surtout), Hollande, Angleterre dans le dernier quart du xvie siècle, sont, le long des frontières de France, autant de bastions avancés ou de glacis, pouvant servir aux Huguenots, ou de réduit de défense ou de base d'attaque contre le catholicisme. Pendant la traversée, du Moulin perd ses livres, le meilleur de ses biens s. Au bout de deux mois nous le trouvons co-recteur, c'est a dire censeur dans un collége, oü il enseigne le grec, la musique, Horace, etc.4; on était la-bas si accueillant aux Francais que bientöt, a 25 ans, on va le nommer professeur a l'Université. Substituons, une fois de plus, des dates précises, empruntées aux sources, aux indications vagues des biographes : le 11 juillet 1593 8, les Curateurs et Bourgmestres nomment Petrus Molinaeus professeur extraordinaire, ce qui veut dire chargé de cours, comme successeur de 1'Anglais Ramsaeus ou Ramsay, au traitement de 300 florins. C'est la moitié de ce que touche en moyenne un titulaire, mais, pour notre jeune homme, c'est la fortune; d'ailleurs il semble qu'on soit trés satisfait de lui puisque, le 9 février 1595, on 1'augmente a 400 florins '. Le 24 février 1598, dans les Résolutions des Curateurs7, il est question de l'imnünente démission du professeur de physique - 1. Haag, La France protestante, 2» éd., t. V, col. 800. 2. Cf. plus haut ce qui est dit de Louis Cappel et au livre I, ce qui est écrit & propos de Jean de Schelandre, p. 28. 3. Cf. ses Votiva Tabella. 4. Cf. 1'autobiographie de du Moulin, parue dans le Bulletin de la Société d'histoire du Protestantisme francais, t. VII, p. 170-222 et Gédéon Govry, Pierre da Moulin, essai sur sa oie, etc., 1888. 5. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 76. 6. Ibid., p. 90. _ 7. Ibid., p. 112 : t Hierby gevoecht dat alsoe Petrus Molineus, professor Physices, zijn dienst ende professie van meyninge was te renuncieren aen de Curateurs, om redenen hy sich wilde ofte moste begeven in Vraukrijk door versoeck van sijne ouders. » 178 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Petrus Molinaeus, qui veut ou qui doit se rendre en France a la requête de ses parents. C'est Vorstius qui lui succédera ; quant a Pierre du Moulin, on lui accorde démission honorable de ses fonctions et, comme « reyspenning » ou argent de route, on lui octroie six semaines de salaire. Ce n'est que d'un bon serviteur que 1'on se sépare ainsi. II s'était vu conférer, en 1594, avec dispense de thèse, le grade, encore aujourd'bui trés envié en Hollande, de Doctor honoris causa; il figure en efïet dans la liste dressée par le secrétaire Vulcanius (de Smet) : Catalogus eorum qui, nullis Thesibus publice aut prioatim disputatis, titulo hortoris academici sunt donati \ avec la mention suivante : « Petrus Molinaeus, Gallus, Logices Professor extraordinarius in Academia Leidensi suffectus in locum Jacobi Ramsaei. An. 1594. Magist. Artium. » Le motif de son départ, 1'ordre de ses parents, était-il un .prétexte ? nous n'en savons rien; toujours est-il que son père, qui ne 1'avait pas vu depuis neuf ans, ne le reconnut pas 2. De cette époque hollandaise de la vie de Pierre du Moulin qui, nous 1'avons lu, n'était pas encore pasteur (il ne recut 1'imposition des mains qu'en 1599), datent ses Elementa logices, publiés a Leyde en 1596, traduits en francais, Paris, 1624 8. II put se vanter plus tard d'avoir vu imprimer treize fois son De relatis, publié a Leyde en 1597, in-4°, et son De indole et virtute, même lieu, même date. Le reste de son oeuvre et de sa longue et laborieuse vie, qui se termina a Sedan, le 10 mars 1658, ne nous concerne point. Qu'il nous suffise de rappeler que sa demi-sceur, Marie du Moulin, épousa en secondes noces André Rivet (elle avait alors 47 ans et son deuxième mari 49) et que eet André Rivet, théologien protestant, non moins célèbre que son beau-frère, nousle trouverons professeur a Leyde en 1620 4. Si 1'on ajoute qu'un fils de Pierre du Moulin, qui s'appelait aussi Pierre, et était né a Paris en 1620, fit des études a Leyde 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 459* et 460*. 2. On cherena a ravoir du Moulin a 1'Université de Leyde en 1611 (cf. Mémoires de du Plessis-Mornay, t. II, p-225) et en 1619 (cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t, II, p. 88). 3. Cf. Haag, La France Protestante, 2e éd., t. X, col. 808, et la préface de 1'ouvrage de du Moulin. Je n'ai pas trouvé de tracé de ce concurrent, Durant de Hautefontaine, qui 1'aurait roue de coups (cf. Haag, op. cit., t. V, col. 1025-6). 4. C'est en aoüt 1621 qu'il épousa Marie du Moulin, après avoir perdu sa première femme, 1'année précédente. PIERRE DU MOULIN 179 et y fut recu docteur en théologie, le 17 mai 1643, par le messin Polyander1; que la sceur de ce Pierre junior, nommée Marie, séjourne en Hollande chez son oncle Rivet (elle est recue membre de 1'éghse de Leyde en février 1649) ; que Louis du Moulin, autre fils du célèbre ministre, était déja devenu docteur en médecine a Leyde, le 23 janvier 1630 \ et occupa ensuite a Oxford la ehaire d'histoire, pendant le protectorat de Cromwell 3; si 1'on Temarque enfin que la petite-fille du patriarche protestant épouse, en 1684, Jacques Basnage et passé en Hollande avec eet illustre réfugié de la Révocation \ 1'on verra se nouer les fils conducteurs •du grand Refuge5. Ainsi, entre 1592 et 1602, tout un petit groupe de professeurs francais se forme a l'Université de Leyde : du Jon ou Junius, Luc Trelcat ou Trelcatius, Basting ou Bastingius, du Moulin ou Molineus, et, étant donnée la verve toute parisienne de du Moulin, dont 1'esprit était trés acéré «, 1'on ne devait pas s'ennuyer, car Pineau écrivait un jour a son oncle Rivet, a propos de M. de Sardigny : « J'ay souvent pris un singulier plaisir, a le voir avec Monsieur du Moulin a Sedan : c'étoit ■entr'eux a qui en diroit le plus et des meilleurs ». La gaieté francaise est éternelle, même parmi les théologiens ! Universileil> t- «> P- 243 et Haag, La France Protestante, 2. CL Bronnen, t. II, p. 144. 2* SM>?\f?-Fr,?n,^rM6 ^H^Ovêrso ?f & l^', Ms" de la CHAPITRE V UN FAMEUX BOTANISTE ARTÉSIEN * CHARLES DE L'ESCLUSE (1593-1609) Gomme les amis de Boileau allaient le retrouver dans son jardin d'Auteuil pour converser avec lui, il est probable que les quatre théologiens francais, curieux qu'ils étaient des ceuvres de Dieu, se rendaient parfois, après leurs cours, dans le grand « Hortus » ou jardin botanique, situé, alors comme aujourd'hui, derrière la vieille église abritant 1'Université, et qui s'étendait jusqu'au fossé de la ville, dit « blanc fossé »ou «Witte Singel » \ Lè les accueillait un illustre vieillard, un Francais encore, qu'on appelait Clusius, dans le verbiage érudit du temps, mais qu'ils nommaient plus famiüèrement de son vrai nom, M. de 1'Escluse, car il était d'Arras. C'était déja un vénérable septuagénaire : il était né en 1524. Seul il avait été jugé digne de succéder a Leyde au Flamand Dodonée 2, et il est encore tenu aujourd'hui pour un des plus grands botanist es qui ait jamais existé. Sa carrière avait été mouvementée, comme celle de presque ious les grands savants de la Renaissance, surtout quand ils étaient nés dans ces Pays-Bas d'oü partirent tant de messagers et d'annonciateurs de la civilisation européenne. On le rencontre en son jeune age a Gand, a Louvain, oü, en 1546, il fait son droit; a Marbourg, oü il étudie la philosophie; è Wittemberg, oü il voit Melanchton3. En 1550, il visite Francfort, Strasbourg, la Suisse, Lyon, et enfin Montpellier, oü il devient médecin, comme 1. Beaucoup de professeurs habitent encore le long de ce « fossé » t 7J « au,tr? ,de nos meüleu» botanistes du xvi« siècle : Mathieu de Lobel óu Lobebus (d oü le nom de la familie des Lobéliacées), né k Lille en 1538, avait éte. a Delft, le médecin particulier de Guillaume d'Orange. 11 passa ensuite en Angleterre on U mourut le 3 mars 1616. Cf. Haag, La France Protestante, V éd., t VIL p 104 3. Haag, La France Protestante, V» éd., t. VII, p. 26. 182 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS naguère Rabelais. Rondelet, chez qui il prend pension, dirige ses études avec Laurent Joubert. II retourne a Arras, passé deux ans a Paris. En 1564, il explore 1'Espagne et le Portugal, pour en étudier la flore. Maximilien II 1'appelle a Vienne, oüil dirige ses jardins, pendant quatorze ans. En 1587, il se fixe a Francfort K Une luxation de la hanche le force a ne marcher qu'avec des béquilles. C'est pourtant, a ce moment même que, malgré cette infirmité, l'Université de Leyde songe a lui confier la direction de son « Hortus ». Ce dernier datait du jour, 17 mars 1587 2, oü les Curateurs demandèrent aux Bourgmestres de transformer le terrain sis derrière 1'Uhiversitê (« de plaetse achter de Universiteit ») en jardin médical, car la botanique eut la même difficulté que la ehimie et les autres sciences a se dégager de 1'utilitarisme. Notre Jardin des Plantes lui-même n'est-il pas le « Jardin des Plantes médicinales », créé, en 1626, par Guy de la Brosse ? A cause de son invalidité, dans 1'incertitude sur les conditions trop modiques qui lui sont faites, de 1'Escluse refuse « de prefecture van den hof der medicynen ». Tel est le sens de sa lettre, que Fr. van Hogelande, frère de l'aicMmiste Theobald, communiqué aux Curateurs et Bourgmestres dans leur séance du 8 février 1592 *. Après une seconde lettre, adressée au même correspondant, les Curateurs et Bourgmestres décident de lui accorder un traitement de 300 rijksdaalders et ses frais de voyage; ceci, après une nouvelle missive qu'il a écrite a Hogelande. Elle est admirable de probité et de naïveté. De 1'Escluse n'est pas ambitieux ni avare, ni fatigué de la modicité de son sort, mais, a son age, il a besoin d'une nourriture un peu plus délicate. II lui faut, pour ses besoins quotidiens, du bois, une chandelle, des livres et un ti Th. van Hogelande y adresse encore sa lettre du 5 noyembre 1582: « into behaussing von Doctor Vetter op den Oldenkoreiimarckt ». Cf. Jaeger (Dr F.M.), Hb^sehi Studiën, Bijdragen tot de kennis van de geschieden* der natuurwetenS^rAUriJtaW^ de 16» en 17° eeuw. (c'est-a-dire : contribuüon a l'hfstoü-é des sciences naturelles aux Pays-Bas auxxvi'etxvii'siècles); Gronlngue, ^Bro^n^^ Z'sTa^feffi^ au Louvre. est de 1597 ; celui de MontpeUier, de 1 année suivante, 3 Bramen Leidsehe Universiteit, t. i, p. 7Q. L'épitre, fort Intéressante et fort befle, est publiée page 193*, n* 180; voir aussi n» 19a Planche XXII a. CAROLUS CLUSIUS CLARISS. BOTANICUS PROFESS. HONOR. Charles de l'Escluse, d'Arras, PROFESSEUR DE BOTANIQUE A l'UNIVERSITÉ DE LeïDE (i5q3-i6oq). (D'après Meursius, Athenae Batavae, i6a5). Planche XXII b. Yirtute &■ Gtniö. Zvemvrh Rootte btwuLnjoL&itt-ne e/ron Jcrièelwm Caraluf (£*ft**S L-uyAum HnJt-aworvvrn X-IV- Cal- Hovernhr m o nc ■ c&leulo AUTOGRAPHE DE DE L'ESCLUSE DANS L'ALBUM AMICORUM DE BOOT. (Bibliothèque de l'Université cCUtrecht, n' i686). UN BOTANISTE ARTÉSIEN : CHARLES DE l'ESCLUSE 183 serviteur qui 1'aide aux soins du Jardin aussi bien que pour faire ses courses en ville, car il est impotent. Mais, lui ferait-oa un pont d'or, et ici se marqué la conscience du savant, ü ne saurait venir avant 1'automne de 1'année 1593 * car il lui faut non seulement achever ses travaux, mais attendrè une saison appropriée pour transplanter les tubercules* qu'il cultive dans son jardin et qu'il veut emporter a Leyde. Peut-être s'agit-il de la pomme de terre, dont il répandit la culture, notamment en Picardie. Dans leur lettre du 12 aoüt 1592 8, les Curateurs et Bourgmestres, abandonnant 1'intermédiaire de Hogelande, s'adressent directement a Clusius, lui exposent leur désir de voir un homme de sa réputation, exposer a jours et a heures fixes, dans 1'Hortus, en vue du progrès des sciences médicales et naturelles, les vertus des simples. Ce sont en somme des lecons de choses, fondées sur 1'observation de la nature, qu'on lui demande, et non plus 1'étude des textes anciens. Pas de cours publics: mais que, seulement, 1'été, quand il fait beau, c'est-a-dire lorsque les plantes poussent vigoureusement, chaque jour, 1'après-midi, au'moment du coucher du soleil, il se rende au jardin pour expliquer a ceux qui le lui demanderont, les noms des herbes et dise, sur leur histoire et leurs vertus, ce que bon lui semblera. Qu'en hiver il se borne, deux fois par semaine, pendant une heure, è montrer les aromates, les pierres, les terres, les métaux et les autres produits servant a la médecine ou, si cela lui est trop pénible, qu'il se contente d'assister le professeur chargé de eet enseicnement. e Les 300 dalers par an et les frais de voyage qu'il demande, il les aura, tant on tient a 1'ornement que sa présence apportera a TAcadémie. Le 6 septembre 1592, de 1'Escluse adhère a 1'offre qui lui est faite, a condition de ne pas être forcé de faire des cours 1 : il est un peu tard pour débuter et entrer dans 1'arène a soixante-six ans. S'il se sent assez valide, U se propose, par 1. La lettre a été écrite vers le 21 juin 1592. sasT'stirne? l^cfVnVnïn f tempestas eximendl bulbaceas et tubero- sas stirpes », cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t I, p. 203* 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 204* n° 193 4. Ibid., lettre n° 202, p. 231*. P ' 184 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS contre, de faire, avec les étudiants, des excursions dans les dunes pour en explorer la flore. II prie qu'on le dispense aussi des cours prévus pour 1'hiver, paree que, avec une modestie rare au xvie siècle, il avoue son ignorance relative, au sujet des métaux. Les conditions qui lui sont faites, il les accepte, puisqu'elles lui assureront une frugale aisance et il rappelle que, dans le transport du mobilier, doiveut être compris oignons et tubercules, « ses délices ». Comme ses semences lui tiennent autant a cceur que si c'étaient ses enfants, avec des recommandations et des précautions maternelles, il en envoie aux Curateurs et Bourgmestres, dès le 15 novembre 1592 h Régulier comme une plante qui pousse, le bon vieillard arrivé a Leyde au moment flxé, le 19 octobre de 1'année suivante, puisque van Hout2, secrétaire des Curateurs, introducteur et ami de la Pléiade francaise aux Pays-Bas, note dans son journal: « Clusius quam binnen dezer stede, den 19 octobris 1593 3 ». II aura donc pu prendre part a la délibération a laquelle le Collége des Bourgmestres convie, le 9 janvier 1594, les professeurs de médecine et de physique, a la requête de la cour suprème de Hollande, pour savoir si les sorcières, jetées a 1'eau surnageaient! Le chemin de la vraie science était encore bien long a parcourir. A mesure que les ans pesaient plus lourdement sur lui, ses f onctions semblent être devenues simplement honorifiques, et il n'est désormais question dans les documents, que de Cluyt ou, après la mort de ce dernier, en 1598, que de Petrus Paau, comme « praefectus horti ». Cependant, on convoque encore Clusius aux funérailles d'un curateur, le 2 décembre 1601 4. En 1598, il tracé d'une main 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 238*, n° 213. On y trouvera un inventaire des plantes envoyées, qui constitue le n° 214. . 2. Sur van Hout, voir 1'ouvrage de M. Prinsen (J. Lzn), devenu, depuis, professeur de littérature néerlandaise k l'Université d'Amsterdam : De nederlandsche Renaissance-dichter Jan Van Hout, Amsterdam, Maas et van Suchtelen, 1907, pet. in-4", pl. Du même, un artlcle dans le Nieuw Ned. Biogr. Wdb., t. II, col. ou» a 612 et une étude dans la Revue de la Renaissance, t. VIII, 1907, p. 121. Voir aussi la thèserécente de doctorat de l'Université de Paris, sur L'Alternance bmairedans le vers néerlandais du XVI» siècle, par M. J. van der Eist, Groningue, Jan Haan, 1 3. 'Bronnen, t. I, p. 77. Bronchorst dans son Diarium (1591-1627), éd. p. J. C. van Slee, La Haye, 1898, 8°, p. 65, ne menüonne point 1'arrivée de Clusius. On trouvera au t. I, p. 294*, n" 263 des Bronnen, une lettre de Clusius a Douza, du 10 mars 1594. Dans une missive des Bourgmestres a ce dernier, Cluyt, pharmacien, est désigné comme assistant de de 1'Escluse. 4. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 134 : « Placuit Senatul et ut ld ipsum significetur etiam DD. Scaligero, Clusio et Cuchlino. * UN BOTANISTE ARTÉSIEN l CHARLES DE L'ESCLUSE 185 nette irtais un peu tremblante, avec une écriture assez apprêtée, sur 1'album d'Everard Boot, ces mots (cf. pl. XXII) : «Virtute et genio », devise qui s'adaptait admirablement a sa vie. II s'endormit doucement a Leyde, le 4 avril 1609, dans sa quatre-vingt cinquième année >. De 1'Escluse est enterré dans 1'église Saint-Pierre de Leyde, ce Panthéon des glöires hollandaises, oü reposent aussi le grand Huygens, le physicien ; Jan Steen, le peintre; Dodonée, 1'émule de Clusius; notre génial ScaUger et Polyander, si bien que ce Panthéon n'est pas moins dédié a nos gloires qu'a celles des Pays-Bas et que ceux d'entre nous qui ont le culte des ancêtres et le respect de notre passé scientifique, doivent venir méditer sous ces voütes en tiers-point et dans ces nefs que le calvinisme a dénudées de tentures et d'images. 1. Haag, La France protestante, 1" éd., t. VII, p. 26. CHAPITRE VI LE PLUS GRAND PHILOLOGUE DU XVI» SIÈCLE : JOSEPH-JUSTK SCALIGER (1593-1609) J'ai nommé Scaliger; il fut 1'ami de de ÜEscluse pendant toute la durée, sensiblement la même, de leur séjour a Leyde, et ils s'y éteignirent en même temps, aux limites de la vieillesse. Ce que la déeouverte d'une fleur était pour de 1'Escluse, et elle 1'emplissait d'une joie aussi grande que s'il avait trouvé un trésor, la déeouverte d'un manuscrit 1'était pour Scahger. La précision merveilleuse que le premier mettait a classer une plante, celui-ci 1'appliquait a décrire un palimpseste. Nulle nvahté entre eux, puisque 1'objet de leurs soins était bien different. Un zèle pieux pour la vraie religion, selon eux» la doctrine de Calvin, les réunissait dans le temple walton, qui è la même date fatale de 1609 et dans la même ville de Leyde' devait assembier leurs os è la place, dit-on, d'oü ils écoutaient le sermon. Pms tard, en 1823, on transporta leurs cendres dans cette église de Saint-Pierre, dont nous parlions a la fin du chapitre précédent. II m'a fallu longtemps pour y retrouver la tombe parmi les dalles : elle était a demi cachée sous les gravats des réparations et les planches destinées aux échafaudages. 'Bientöt, sous le balai du bedeau, dans un coin du transept nord, se dessinèrent les lettres en creux de 1'inscription » et profltant de 1'accalmie, il rentre en France pour retourner auprès de M. de La Roche-Pozay, au chateau d'Abain « C'est la qu'il prépara ce fameux De Emendatione temporum (1583)* >éd* £^5?*^T^TV^. ^leymour de Ricci. l' i Lïï^A de !■ Compagnie des pasteurs, cité par Haag de^^lS^en c tt^ son Joiirna^ïe fait nasment^n (Ct jZrnal de voyafc ïSjffiff^ft^if'* rencontré. m-18,p. 210, note A moinrrm'fl ^?AfkLliïa?trey' 2° éd-> Pads' Hachette, 1909, del'anujatsa'denr,1^^^^^!^^'^ " ^ 4 E 6° aui°urd™4 Ce qui est encore 1'usage dans les Universités hollandaises. 13 \ J94 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS flambeau, ils le supplient de se hater et de ne pas faire attendre plus longtemps aux candidats de la Faculté des lettres 1'érudition du Phoenix de la Gaule. » La lettre du Prince Maurice a Henri IV, datée du 6 octobre 1591, est moins ampoulée : le tempérament de ces deux soldats ne s'y prête pas. Peut-être même 1'homme de guerre se trompe-t-il de terme, car il émet le vceu que «la dicte Université, comme fondation de feu Monseigneur le Prince d'Aurange, demeure proveüe de telz officiers, comme elle en a 1 besoing pour son accroissement*». II s'agit d'un ordre. Qu'il plaise donc a Henn «d'interposer son authorité, affin que le sieur Joseph Scaliger (celui-ci ent prêféré de 1'Escale ou de la Scala) qui, par sa doctrine et aultres bonnes qualitez est enrenommée par toute 1'Europe, vienne par deca a deservir la place du dict Lipsnis. » La missive des Etats de Hollande a Henri IV est datée du lendemain et est plus fleurie : le Sr Joseph Scahger y est encore qualifiê «le Phoenix de 1'Europe » et ils invoquent, pour obtemr 1'appui du roi, «1'interest trés évident que la Gloire de Dieu et service de la cause commune en rapporteroyent ». Dans une autre lettre, du même jour, a Scaliger, ils lui donnent de «Vostre Seigneurie », par quatre fois en huit lignes, et c'est bien plus adroit: ■ Qu'il plaise a Vostre Seigneurie servir de flambeau et esperon aulx estudes languissans de la jeunesse par deca, a 1'avancement de la gloire de Dieu et service de la cause commune, " asseurans Vostre Seigneurie qu'en tous endroiets, elle se trouvera rencontrée du faveur et respect que sa trés noble race et doctrine mériten t. » . L'histoire des deux ambassadeurs de la science hollandaise auprès du savant francais est bien amusante. M. Molhuysen a pu la suivre, jour par jour, pour ainsi dire, par les comptes de Tuning *. Premier contretemps : en Zélande, Baudius, embarrassé dans des discussions avec des marchands, refuse de s'embarquer avee lui et promet de le rejoindre a Caen. Le premier rapport de Tuning, en hollandais, est daté du camp de Henn IV a Darnetal sous Rouen, le 2 décembre 1591 *. 11 s'est dingé i d'abord vers Caen, centre commercial et universitaire trés 1. Ms. «ai», qui est une faute, a. maius qu'il n'y ait une coquille dans le texte de U'2UBron%ennleidsche Universiteit, t. I, p. 184*, n0'168i 3 Molhuysen (P. C), De Komst van Scaliger le Letden, Leyde, 1912. Un vol. in-4 . 4. Bronnen, t. I, p. 187*, n» 173. H UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE ! J.-J. SCALIGER 195 fréquenté des Hollandais. Non sans péril ni peine, il a été retrouver le roi dans son camp a quatre kilomètres de Rouen qu'il assiège. Introduit dans sa chambre a coucher, il n'a obtenu d'Henri que cette réponse:« Je ne pense point qu'il ira! 1 », ce qui n'empêche pasle souverain de faire rédiger par son secré^ taire des lettres pour Scaliger. Tuning communiqué alors une série de nouvelles des opérations militaires et, visiblelnent inquiet, le paisible professeur hollandais ajoute : « Pendant que je vous écris de nuit, les mousquets font Haf, tiaf, tiaf»2; cela lui donne un air de bravonre et une teinture d'homme de guerre. Snit un croquis d'Henri IV pris sur le vif: «Sa Majesté veille, jour et nuit, avec une audacê mdicible, au point de ne pas hésiter a sortir a cheval, dans la nuit noire, avec quatre ou cinq gentilshommes, comme il le fait en eet instant. Partout c'est la misère, la pauvreté, le chagrin et une cherté excessive de tout ce qui est nécessaire pour vivre ». Ah! la guerre en Hollande, pensait-il sans doute, ce n'est pas la même chose, car elle y va de pair avec 1'abondance. Mais ici « sur toutes les routes, c'est 1'angoisse et la crainte d'être assassiné, pillé, volé et fait prisonnier. » C'est pourquoi il a été forcé de se faire faire de mauvaises nippes d'homme du peuple, pour avoir Tair d'un charretier allant par les routes. Dans sa lettre aux même Curateurs et Bourgmestres, datée du 28 décembre 1591, Tuning insère une copie légalisée de la lettre qu'Henri IV a écrite, le 3 décembre précédent, a Scahger: « Monsr. Scahger, les Sieurs Estats de Hollande, soigneux de ne laisser esteindre les belles lumières de doctrine et vertu que leur Université de Leiden a produictes jusquesici au profict du public et de rechercher les moyens plus propres, la oü ils se peuvent trouver, pour la maintenir en sa splendeur, ont parüculièrement jeté les yeulx sur vostre personne »... La dépêche est assez pressante. Ch. Nisard insinue qu'elle 1'est plus que le savant ne 1'eüt souhaité, car il aurait préféré qu'on le retint. Toujours est-il que Henri invoque, outre « le devoir que chacun a de communiquer au pubhc les graces que Dieu luy a departies...»,«le merite et honneur » qu'il y pourra acquérir, sa propre amitié pour les Etats, 1'intérêt de la chrétienté, car le bien qui dérive de cette 1. En francais dans le texte. wiS^^ï^^2ff^vt5SS^K*^curieuse phrase: •Dit schrivaide 196 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANQAIS source de Leyde peut se répandre partout. Brochant sur le tout, une promesse «de quelque bonne gratification et recognoissanc'e » de la part du roi, vient fortifier 1'intercession K Les dangers immenses et angoissants qui environnent le bon Tuning de toutes parts, a ce qu'il écrit, lui feraient volontiers renoncer a poursuivre son ambassade de Caen a Tours, oü les chemins sont particulièrement peu sürs, les paysans euxmêmes assassinant souvent, par méfiaifce, les passants. Cependant, il va se mettre en route, le lendemain matin, a pied, avec unseul serviteur et, vêtus tous deux en laboureurs 2, ils se j oindront a une troupe d'autres voyageurs. Quant a Baudius, enfin arrivé a Caen, la grandeur du péril le retient au rivage. D'Alencon, le jour de 1'an 1592, Tuning confie a van Hout sa navrante mésaventure : il avait loué a Falaise un messager et 1'avait envoyé, chargé de ses lettres, un peu en avant de la petite troupe de marchands de poisson, a laquelle lui-même s'était joint. II avait probablement peur d'êtreprispar ceux delaLigue. La précaution, si elle était peu courageuse, n'était pas superflue, car c'est ce qui arriva au messager, dont la bonne foi n'est peut-être pas hors de cause. A 1'arrivée de la petite troupe, dans les bois aux portes d'Alencon, les Ligueurs assaillirent le messager, qui la précédait d'un quart de mille, le laissèrent complétement'nu et lui volèrent ses lettres. Tuning et ses compagnons se gardèrent bien de s'élancer a son secours et s'estimèrent heureux de passer inapercus, pour parvenir jusqu'a Alencon. Ils sont a Tours, le 6 janvier, et commencent par s'y renipper de pied en cap. Le médecin Charles Falaizeau prête, a Tuning un cheval, au serviteur de celui-ci un mulet, et, sous la conduite du Prévöt de Loches, ils s'acheminent en eet équipage, le 15 janvier, vers Preuilly oü, le 16 au soir, les accueille Louis de Chasteigner de La Roche-Pozay, Seigneur d'Abain, son fils HenriLouis, le futur évêque, et som savant précepteur, M. de la Scala. Le pauvre Tuning est tout éploré d'avoir perdu ses lettres. Néanmoins, il remplit fidèlement et oralement sa mission. C'est ce que Scaliger raconte aux Etats dans sa lettre du 21 jan- 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 190*, n» 175. 2 Ibid p 209*: «Voor de boereclederen die ie voor mi ende mnn dienaer neü uoen maicken om te veiliger door de perickelen op Tours te geraicken betaelt: M«.«rt.t Je signale aux Wstoriens tout fe compte d'un voyage en France en 15U1-10».*, p. 206* a 214* au tome I des Bronnen. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE I J.-J. SCALIGER 197 vier 1592, déja imprirnée au xvne siècle, dans ses Epistolae h II a confié au professeur qui les répétera de vive voix, les motifs de son refus, sur lequel il ne sera pas plus explicite dans sa missive a Douza, de même date 2. Le 23, Tuning quitte Preuilly et le 27, Tours, en brillante compagnie cette fois, avec «Mons. de la Trimouille » et le premier Président du Parlement de Paris « Achilles Harley »3, qui le conduisent au quartier du Maréchal de Biron, dans le camp royal, sous Rouen. Notre maitre ne doit plus se sentir d'orgueil. Ce Sentiment fait place a la terreur, quand, le 15 février, il s'agit d'échapper a la menace du duc de Parme, pour gagner Dieppe. II s'y embarque pour 1'Angleterre, gagne Londres et Gravesend, d'oü enfin il atteint, le 12 mars, Armuyden, en Zélande. Après avoir rendu compte aux Curateurs, le 8 aoüt, il est, en récompense de ses peines, nommé professeur ordinaire au traitement de 500 florins 4. Ainsi finit heureusement cette malheureuse expédition. Le 14 aoüt 1592, les Curateurs et Bourgmestres, prirent 1'initiative, pour satisfaire au vceu de Scaliger, transmis par Tuning, de faire faire, par le fameux graveur Henri Goltzius, pour 216 florins, deux planches, représentant 1'une, Jules César Scahger, 1'autre, son fils Joseph. Tout ceci n'est que travaux d'approches en vue d'un nouvel assaut. Le ler novembre, les Curateurs et Bourgmestres 5 insistent auprès de Scaliger, pour qu'il vienne restaurer chez eux par sa présence, sa noblesse, son génie, sa science, son « humanité », le royaume des lettres. Ils s'adressent encore le même jour a deux médecins de ses amis a Tours, Fr. de Saint-Vertunien, Sr de Lauvau, et Charles Falaizeau, afin qu'ils s'entremettent auprès de 1'homme incomparable 6. L'effort est parfaitement combiné. Les Etats de Hollande, dans leur lettre en francais du 26 novembre 1592, le pressent de leur cóté 7: « Venez doncques non seulement pour estre en repos et seureté, mais aussi aymé, 1. Illustriss. Viri Josephi Scaligerl, JulU Caes. a Burden F. Epistolae omnes quae reperiri potuerunt, nunc primum collectae ac edltae... Lugduni Batavorum, ex ofïicina Bonaventurae et Abrahami Elzevir. Academ. Typograph. 1627 (Bibliothèque Nationale, Z 14002, 1 vol. in-12. L'exemplaire porte cette note manuscrite sur la feuüle de garde : llber prohibitus). 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 197*. 3. Ibid., p. 210*. Compte de Tuning. 4. Ibid., t. I, p. 71. 5. Ibid., p. 72 et n° 205, 206, 207, pp. 233* a 235*. 6. Ibid., p. 235*. 7. Ibid., p. 236*. 198 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS chery et respecté, tenant pour asseuré qu'estes attendu icy de si bonne devotion et d'aussi prompte bonne volenté que nous souhaittons d'estre recueillies noz recommandations trés affectionnées, priant 1'Eternel... etc. » Comme les Curateurs et Bourgmestres se sont assuré deux auxiliaires, les Etats s'en assurent deux aussi, formant pointe d'avant-garde, et ils sont d'importance, J. A. de Thou, le grand historiën cathohque, auquel ils s'adressent dans les termes que voici : « Monsieur, D'aultant que prenons bien au cceur 1'accroissement et splendeur des Lettres, nous avons trouvé convenable d'envoyer iterativement vers Monsr. de la Scala pour lui rendre 1'honneur que merite sa tres noble et singuliere vertu et doctrine, estans d'opinion que, se retirant du milieu des guerres civiles et troubles aiguz, qui courent par toute la France et aüentissent la gaillardise des bons esprits, il auroit fort bon moyen, par decha, de mettre en lumière ses trés precieuses ceuvres qui, aultrement, periront par 1'iniquité du temps présent et demeureront ensevelies dans le cercueil d'oubhance. » L'autre appel a du Plessis-Mornay n'est pas moins ardent, pour que M. de la Scala1 vienne « servir d'ornement et splendeur des Lettres en 1'Academie... a Leyden ». Le Prince Maurice écrit également a Scahger, le 27 novembre 1592, et enfin a Louis de Chasteigner de La Roche-Pozay en ces termes 2: « Monsieur,. 1'Academie de Leyden a besoin, pour son accroissement, d'un personnage tel que Monsr. de la Scala, qui la puisse par son grand scavoir et renom rendre celebre ». II écrivit aussi, car tout ici se fait par deux, a Monsr. le conseiller d'Emmery, c'est-a-dire a de Thou. Mais il fallait une couronne de fleurs a joindre a tous ces parchemins : ce fut une femme qui la tressa et 1'offrit; elle portait un nom cher et glorieux entre tous. Elle aimait les poètes, comme en témoigne 1'Album conservé a la Bibhothèque de La Haye 8, elle vénérait les savants : c'était Louise de Coligny. « Ils ont icy, écrit la Princesse a Scahger, le 9 janvier 1593 *, le repos et la tranquillité autant assuré qu'en nulle région de 1'Europe, suget requis pour y convier et retenir les Muses. Mais 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 236*. 2. Ibid., p. 237*. 3. Cf. van Hamel, L'Album de Louise de Coligny, dans Revue d'Hisloire Littéraire de la France, 1903, p. 232. % 4. Bronnen, t. I, p. 244*. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE I J.-J. SCALIGER 199 ils auroient besoin d'un. homme rare en doctrine comme vous, pour donner nom et bruict a cett' Academie. II est en vous de Ia faire fleurir par vostre presence... et vous puis asseurer, monsieur Scahger, que vous serez caressé et honoré en ce lieu, autant ou plus qu'en autre province oü vous puissiez choisir vostre demeure... « Bien plus, elle donnera 1'exemple en lui confiant son fils Frédéric-Henri : « et me donnez ce contentement... de vous voir en lieu oü mon fils ait ce bien de vous approcher, car je me delibere mesmes de 1'envoyer dans quelque temps a Leyden. II commence a apprendre les Lettres; j'esti-" meray que vostre seule ombre puisse beaucoup a le faire devenir savant. » Louise est femme et elle est Francaise, elle comprend, pour 1'avoir éprouvé, qu'on souffre a être loin de la Patrie et qu'il est dura monter 1'escaher de 1'étranger: « Vous quitterés la France, mais aussi bien n'est-elle pas maintenant elle-mesme et vous en trouverés icy quelque portion. » Est-ce elle qu'elle désigne ou songe-t-elle aux autres Francais qui sont dans le pays, ou a sa chère Eglise Wallonne ? ou veut-elle dire simplement, ce qui est vrai, qu'il y a la tant d'amöur pour la France que 1'exil y est un peu moins pénible a supporter ? Notre ambassadeur Paul Choart, seigneur de Buzenval, allait joindre ses instances a celles de la Princesse. Sa lettre est, de beaucoup, la plus intéressante, paree qu'elle a les allures d'une confidence et qu'elle nous initie aux idéés, impressions et sentiments qu'un Francais pouvait avoir sur la Hollande d'alors. Elle est datée du 2 janvier 1593 et adréssée a Scahger, qu'il avait rencontré, vingt ans auparavant, en Savoie, et qu'il y avait fréquenté aussi famihèrement que sa propre «jeunesse et rudesse», pouvaient approcher de sa «meureté et polllssure». Depuis, il avait déserté les études pour la diplomatie, qu'il avait exercée, depuis deux ans, aux Pays-Bas, oü il a « enduré beaucoup d'incommoditez, pour les misères et pauvretez de nostre France », mais oü il a aussi « receü du contentement pour y avoir trouvé des moyens, et aulx plus grands besoings de nostre Estat, de bien servir et secourir Sa Majesté et tant d'affection au bien de ses affaires que nous n'en pouvions espérer davantage *. » 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 242* 200 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « Or ces pays, continue-t-il, ayants ce bonheur par-dessus les aultres que la guerre, qui les aultres faict faner, les faict florir, ha cherché avecq beaucoup de soing, despuis quelques années en ca, de se faire valoir par les lettres et n'ont rien espargné pour appeller en leur Université de Leyden les plus doctes hommes desquel ilz se sont peü adviser. Ilz ont perdu (plutost luy mesme s'est esgaré), despuis quelque temps, Lipsius. Ilz ont recouvert Franciscus Junius, grand personnaige en toute sorte de lettres et principalement en théologie *. Mais, quelques richesses qu'ilz ayent, ils s'estiment pauvres, s'ils n'ont Monsieur Scaliger. Ilz disent n'avoir rien de si précieux qu'ilz ne changeassent volontiers a un tel acquest. » C'est Buzenval qui, voyant leur désir, s'est offert a les aider 2 : i Ils ont en admiration vostre ombre et de la jugez combien ilz reverent vostre presence...; ilz demandent un nom qui face croistre celuy de leur Université, qui est encores naissante et presque en son berceau. Ilz scavent qu'ilz n'en peuvent avoir de plus célèbre que le vostre. Prestez le leur pour un an, prestez le leur pour dix, pour tant et si peu que vouldrez, ilz s'estimeront obhgez a vous. » Vient maintenant un argument plus concret et qui devait atteindre le cceur de ce savant tout en lettres écrites, pour qui 1'imprimé était, après le manuscrit, le souverain bien et le but suprème de 1'existence : « Ilz ont la plus belle imprimerie de ces pays et tout ce qui estoit de bon dans celle de feu Plantin et Raphahngiuss, docte personnage et professeur es-lartgues hébraïque, syriaque, qui y préside ; tant de beau labeur que vous tenez.soubz la clef et en tenèbres, pourront, par ce moyen, veoir la clarté. » Scaliger, qui cherchait en vain a ce moment des caractères syriaques, devait se sentir attiré vers ce centre de la librairie hollandaise oü allaient fleurir bientöt les Elzevirs, successeurs de Raphelengien et de Plantin. 1. « Recouvert » n'est pas tout a fait exact. U n'y avait eu que des tentaüves pour avoir Junius, avant 1592. iÖSÉfefi'' 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 243*. 3. Le gendre de Plantin, Raphelingius, de son vrai nom Raphelengien, était né le 27 février 1539 a Lannoy, prés Lille, dans la Flandre francaise (cf. p. 71, de A. J. van der Aa Biographisch Woordenboek, 9« éd., t. XV). II était donc Francais, comme 1'était son beau-père Chr. Plantin, né a S'-Avertin, en Touraine, en 1520, et dont M. Abel Lefranc vient de célébrer le róle dans un éloquent discours prononcé a Anvers a l occasion du quatrième centenaire de la naissance du grand Imprimeur (cf. Le Temps du 10 aoüt 1920). UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE J J.-J. SCALIGER 201 « Quand a la facon de vivre de ce pays, croyez que j'y trouve peu de difïérence a la nostre ; en quelque chose, vous y trouverez plus de pollissure, en d'aultres plus de simplesse. Mais la douceur de la liberté y est si grande qu'en nul(le). » La douceur de la liberté, voila qui devait plaire a ces protestants du xvi« siècle et, plus tard, a la fois a eux et au grand philosophe du xvne, soucieux de pouvoir développer et publier ses pensées sans être inquiété par le pouvoir royal et les puissances ecclésiastiques. « Vostre esprit ny vostre honneur ne sera asservy. C'est un angle du monde, oü toutes nations abordent, oü toutes vivent a leur guise, oü toutes apportent quelque chose de leur veü.» Conception de la Hollande-refuge, de la Hollande-carrefour des nations, a laquelle aujourd'hui encore ce peuple entend rester fidéle. « Quant au climat duquel 1'élévation pourroit faire peur a quelques ungs, croyez moy que je n'y trouve point les hyvers plus aspres qu'en celuy de Parys, mais nous havons icy plus de commodités de les passer doucement, pour la grande quantité des boys et des tourbes, dont ce pays est fourni, estant le chauffage de luy 1 aussy commun et aussy bon marché que 1'aultre et vous diray plus, que celuy qui se prend soubz terre, qui sont les. tourbes, n'ha rien qui puisse offenser les plus délicates personnes, soyt en odeur, soyt en vapeur ». Vérité contestable, car 1'odeur de la tourbe est caractéristique des villes hollandaises, 1'hiver, et frappe tout de suite désagréablement les narines de 1'étranger. Buzenval conclut : « Ilz vous desirent, ilz vous attendent; vous ne scauriez rien desirer ny espérer d'eulx que tres facilement vous n'obteniez. II semble que les troubles et agitation de nostre estat vous invitent assez a venir jouyr du repos de cestuy-cy. » Reste a combattre 1'absurde préjugé du Francais, trop porté a confondre esprit hollandais et esprit allemand : i Si je cognois le goust de ces pays, il me semble que vous estes 4 viande 3 propre a leur appetit, car il est assez différent de celuy des Allemans en matïere de Lettres et doctrine. » LTourbe était aio» masculin; le mot et la chose étaient presque aussi inconnus. o ïance que a nouule> employée surtout dans les Pays-Bas du Sud. 2. Ms. ♦ estez », Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 243*. 3. Nourriture. 202 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Style a part, la lettre a 1'air ècrite d'hier; elle se termine par des protestations d'amitié et des offres d'un constant commerce « pour y regouster, dit-iL les souaves fruits de vostre vertu et la doulceur de vostre conversation », et, en effet, Scaliger fréquenta Buzenval a La Haye et le pleura a sa mort I. Les Curateurs et Bourgmestres donnent mandat a un certain marchand anversois établi a Tours, Hans Joostens, de faire, en leur nom, les avances nécessaires a Scaliger pour son voyage, lui promettant bonne récompense, s'il parvient a le persuader. Baudius, qui est maintenant a Tours, continue a s'entremettre dans cette affaire, et il en profite pour tirer une lettre de change sur les Curateurs et Bourmestres, que ceux-ci refusent d'abord de payer a. La réponse qu'il a recue de Scaliger et- qu'il leur communiqué n'a cependant rien d'un acquiescement : « J'ai décidé, écrit-il en latin, de mourir dans ma patrie et avec ma patrie s'il le faut. » Ceci en dit long sur le sentiment patriotique au xvie siècle, bien plus grand, chez les protestants comme chez les catholiques, qu'on ne le croit ordinairement. Ce n'est pas la première preuve que nous en trouvons en chemin. Un autre motif capital, a ce qu'explique Baudius a Douza ou Le Baudier a van der Does, dans sa lettre datée de Tours du 20 janvier 1593* est qu'il ne se sent pas capable de remplir 1'emploi qu'on veut lui confier. En vérité, il a peur d'entrer dans 1'arène, comme il dit, (Clusius exprimait de même une pareille appréhension de 1'enseignement) :« La solitude, ajoute Baudius, lui est une consolation, il vit avec lui-même et il s'y parle a lui-même. » Douza, dans sa lettre du 29 mars, malmène durement le courtier litlois Baudius et se plaint de ses vantardises de Flamand 4. Enfin, la réponse du 27 mars, de Scaliger a Douza, est, avec mille excuses, une acceptation : II viendra, mais il emmènera avec lui son élève Henri-Louis de Chasteigner de La RochePozay, fils de Louis, tête chère que le père lui confie comme t. Lettres francaises de Scaliger^èd, Taniizey de Lairoque, p. 356. 2 17 décembre 1592. La lettre de Baudius figure dans Baudu (Dominlci) Epistolae, Amsterdam, Louis Elzevir, 1654, un vol. in-12, p. 44. Elle est du 18 novembre 1592. J 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, T. I, p. 257*. 4. Ibid., t. I, p. 258* :«ita Flandrum in morem se iactat atqueampullatur.». UN PHILOLOGUE DU XVI" SIÈCLE i J.-J. SCALIGER 203 gage de retour. Maitre protestant, élève catholique, la SaintBarthélémy n'est pas tout le xvi* siècle francais! Ajoutez que Scaliger a pour amis les Du Puy, Pithou, de Thou et 1'évêque de Valence. Hans Joostens, dans sa lettre en francais a Tuning (2 avril 1593), confirmant le prochain départ de Scahger, dépeint la désolation des amis du grand érudit1 : « Je vous asseure que tous les gens de scavoir sont trés maris de son partement. Monsr d'Abein a pleuré plus de deux grosses heures, quand Monsieur de la Scala print résolution d'aller aux Pays-Bas... Et son fdz vient avec Monsr. de la Scala en notre pays, lequel aime tant Monsr. de la Scala qu'ü ne le peut laisser. II pleuroit tousjoura sans cesse jusques a tant que Monsr. d'Abein avoit permis dele laisser aller avec Monsr. de la Scala. » Celui-ci est exigeant, il demande une escorte, deux chevaux et un fort mulet pour porter ses coffres. Baudius, la mouche du coche, continue a se vanter d'avoir triomphé de la résistance du savant 2. Une série de billets trés curieux écrits par Scahger a Joostens, du 13 avril au 29 juin 1593, ont trait aux préparatifs du voyage. II pense surtout a ses livres « qu'il ne saurait porter sans coffres » et « au fdz de Monsieur d'Abein », qu'ü emmène « pour le regret » qu'il avait « de le laisser » 3. Scahger est faché que les vaisseaux de guerre, envoyés è sa rencontre par les Etats, soient allés en vain 1'attendre a Caen *; il suggère de s'embarquer a La Rochelle comme plus facile a atteindre de Tours, car, s'il faut se « submectre a la mercy des Gouverneurs des Provinces, il faudra plus de quatre mois pour aller de Tours a Caen. » A Tours, il demandera raison au célèbre mathématicien Viète, qui 1'a bafoué, non sans motif d'ailleurs, è propos de la quadrature du cercle 5. II parvient dans cette ville, le mardi 29 juin, avec tous les gentilshommes, qui 1'ont délivré des voleurs épiant, jour après jour, son départ. La princesse de Condé cherche 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, p. 260* 2. Ibid., p. 262*. 11 avril 1593. m,3; i»e99nJ^- M khu?lo5' ré^e ?f 1,anrait mM «F1'3 distance, paree que ce n'est décisul décembre 1593 1» " <** Immatriculé a Leyde, mais l'krgumeit n'est 4. Bronnen Leidsehe Tlninersiun t t t> oon* 5. Lettres francaises, éd. Tamizey de'Larroque, pp. 304. 305. 308 330-on i toouvera des exemples de la grossièreté avec laquêue Scangei^traitlfik magist?at dont il ignore la valeur comme algébriste. magistrat y 204 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS encore a le retenir, en lui offrant d'entreprendre 1'éducation de son fils, agé de 5 ans, le futur Henri II de Condé, et d'être « un aultre Aristote prés de son Alexandre » *, Provisoirement c est une sinécure qu'on lui offre, car il n'aura qu'a surveiller les maitres qui apprendront a Ure a 1'enfant, jusqu'a ce que celui-ci soit en age de profiter de ses lecons. II aurait douze cents ecus par an, nourri et logé. Mais la lettre de la princesse arnve trop tard, le sort en est jeté : la France sera veuve de son grand homme. , 1 Ce départ avait fait tant de bruit dans le pays, qu un savant gentilhomme de Bordeaux vint en Touraine pour accompagner Scaliger « II est arrivé en ceste ville, écrit Joostens a Tuning, de Tours, 26 mai \ un fort gentil personnage de Bordeaux, lequel est fdz d'un fort riche homme et se nomme Monsieur de Gourgues, qui vient avecq Monsieur de La Scala. Je m'asseure qu'il sera bien venu envers Messieurs de Leiden, car on le tient icy pour estre bien savant personnage. » C'est évidemment celui qui est inscrit sur YAlbum Studiosorum sous le nom de « Marcus Antonius Gorgias Burdegalensis, jur. doctor ». L'effarement du pauvre Joostens, en voyant Scahger s approcher avec tout son monde, est fort comique, mais 1'affluence qu'il attire a son logis, le rempht d'admiration et de respect. II écrit le 5 juillet 1593 « en Tours »• : « Monsieur Thunmc. Après avoir bien attendu, nous avons eu la fin de nostre attente, a scavoir Monsr. de Lescalla, lequel est arrivé le 29e de juing a Tours a mon logis, oü il est logé, luy et Monsieur Henry-Louys et six serviteurs et sept chevaulx. II est venu avecque force gens de guerre, qui ont mis leurs vie en danger pour luy, car il estoit fort espié, paree que le bruict courroit de sonpartement par le pavs J'ay payé, pour sa conduicte depuis Preuilly jusques icy, 103 escus. Si nous falloit beaucoup de telle escortes, il nous seroit bien besoing d'une bonne bourse, mais ce n'est que de 1 argent qui coütera a Messieurs les Estats, mais s'il scavoient 1'honneur qu'ils ont perdeca d'avoir, par leur libéralité et assidue poursuitte, attiré ung si grandt personnage hors de ce Royaulme, U correspondance de Montaigne et dans celle du ^^cM de Matig nonen P. Bonnefon, Montaigne et ses amis. Nouv. éd., Paris, Colrn, 18»8, t. 11, pp. 3 Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. /bö . UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 205 1'auroient a grandt plaisir comme je croy qui 1'ont aussy ; chacun le regrettè par deca 1 et disent que la France demeure orpheline du père des sciences. II est recherséjde tous les plus apparens de la Court, présidents, gens du Roy, conseillers, maistres de contes. II n'a pas ung heure de loisir. Mesme Monsieur le premier président, monsr de Sommère, gouverneur de ceste ville qui 1'ont traictê chez eulx. Je ne vous scaurois dire 1'honneur qui luy font, les offres de service qui luy presente et tacheroint volontiers a le desbaucher de sa résolution, qui pourtant demeure inviolable avecq ung affection de vous voir. » Plus loin, il ajoute: « II vient, avecq mon dict Sr. de Lescalle, quatre gentilshommes pour estudier a Leyden, je crois que le filz de mons. Servin viendra aussy, qui sera le cinquiesme. » Henri IV écrit, le 13 juillet 1593, aux Etats de Hollande, que Scahger est venu prendre congé de lui avant de partir et le roi lui a confirmé de vive-voix qu'il « tiendra le service qu'il leur fera comme fait a lui-même ». En conversation, Henri fut, parait-il, moins aimable et voici ce qu'en dit le Lantiniana manuscrit de la Bibliothèque Nationale 2 : « On dit que Joseph Scahger avoit le ventre fort dur et fort resséré et que, lorsqu'il vint saluer le Roy Henry IV, avant que de partir pour la Hollande, ce Prince, après lui avoir fait quelques caresses, lui demanda s'il estoit vrai qu'il eut fait autrefois le voyage de Paris a Dijon sans aller a la selle. » La réponse de 1'historien de Thou aux Etats est trés intéressante, car elle témoigne de la haute opinion qu'un catholique même avait, a la fin 'du xvie siècle, de la Hollande et de son avance-, ment dans les lettres 8 : « C'est ung grand heur a la christienté et honneur a vous, messieurs, que les Lettres, qui sont aujourd'huy comme bannies de toute 1'Europe par la ferocité des armes, aient trouvé retraicte et support chez vous et qu?encores que soiez agitez de guerres continuelles, vous sachiez si bien dispenser et ordonner vos affaires que les Muses soient en honneur en vostre Républycque, et dehors la reputation de voz armes redoubtables, argument certain de 1'heur et prospérité 1. Le texte paratt fort corrompu; je suppose que c'est le peu d'instruction de Joostens ou son Imparfaite connaissance du francais qui est en cause. 2. Manuscrit fr. 23254, p. 164, n° 239. 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 271*. 206 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS asseurée de vostre estat, laquelle je supplie V. S. vouloir tousjours conserver, maiutenir et accroistre a sa gloire et repos de nostre France, de laquelle, estant si proche de vous, le bien et mal aussi vous touche.» La recommandation qui suit, en faveur de Scaliger, est bien touchante et révèle le grand cceur de celui qui 1'a traeée : « Cependant, je vous supplieray tres affectueusement avoir pour recommandé ce cher gaige qu'avecq tant d'affection et honorables conditions, vous avez recerché et voulut avoir et luy donner moien, pendant que vous le posséderez, de faire veoir au publycq une infinité de belles lucubrations, qu'il pourra, estant par dela et aiant la commodité de 1'impression, mectre en lumière, dont le profyt sera a la postérité, si le siècle present s'en rend indigne, et la gloire et honneur immortel a vous. » Le compte remis par Hans Joostens aux Curateurs et Bourgmestres nous initie a tous les détails du voyage et en précise les moindres dates. Le 10 juillet, a eu lieu le départ de Tours avec M. de Lescalle et d'Abain, leurs gens et neuf chevaux. Vendóme est atteint le 12, Chartres le 16, Saint-Denis le 20. C'est la évidemment que Scaliger a dü voir le roi. Poissy, Mantes, Gisors, NeuchateL sont les étapes vers Dieppe, oü six tambourins sont venus donner 1'aubade a Monsieur de Lescalle, probablement chez Salomon des Landes, « oste a 1'enseigne de la ville d'Amsterdam ». On embarque le 17 juillet et, le 19, on est déja a Schiedam, en aval de Rotterdam. A Delft, des amis viennent saluer la petite troupe, qui est accueillie a la Cour a La Haye. Le 25 aoüt, vers six heures du soir, se conformant aux ordres de la Section permanente des Etats, et sans doute a leur propre désir, les Bourgmestres recoivent Scahger comme un souveradn» Le professeur Bronchorst, dans son Diarium, note : « Le 25, est arrivé Scaliger a Leyde, avec une grande compagnie, quatre chars, et après avoir été fêté a La Haye, en un magnifique banquet : ici aussi, lui a été offert un repas d'honneur, auquel assistaient le Recteur, Heurnius et du Jon.» Ces largesses s'ajoutèrent aux 3.534 florins, 18 stuyvers, que coüta le voyage (quelque 20.000 francs de notre monnaie), somme que les Bourgmestres trouvèrent excessive. En plus, après un long marchandage entre ceux-ci, les Curateurs et Joostens, caissier de 1'expédition, on accorde a ce dernier une UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGEK 2U/ indemnité de 600 florins et le cheval abandonné par Scaliger & Dieppe 1. A cela s'additionne ce qui a été consommé par Scahger et sa suite au logis de Jean Mercusz d'Ypres, « Au Lion Combattant », Breestraat 2. Le traitemen t avait été aussi peu pré vu que les frats de route. Déja Scaliger, si on ne lui donnait pas de larges satisl'actions, menacait de s'en aller et brandissait les offres de la princesse de Condé avec pièces a 1'appui. La question du logis avec pension compléte, fut réglée la première. Les Curateurs et Bourgmestres8 avaient d'abord songè a le mettre chez « Maitre Franchois Raphelengen », savant orientahste, dont la société et le contact lui eussent été agréables, paree qu'il était de la Flandre francaise, ou chez Lochorst, auberge oü logeaient la plupart des étudiants francais. Mais, dans leur déhbération du 27 aoüt 1593, ils s' étaient décidés pour la maison du jonkheer ou vidame Bartel Brandt, loöataire de 1'immeuble du jonkheer Franchois van Lanscroon, situé sur le Rapenburg, en face de l'Université, aujourd'hui mfinéros 40 è 42. Moyennant 1.300 florins par an, de Brandt s'engageait a entretenir largement Scaliger, deux gentilshommes, deux serviteurs et a leur assurer logement, nourriture, buisson, feu, lumière, blanchissage, depuislemardi 31 aoüt 1593jusqu'au lermail594*. Quant au vin, Scaliger le fera venir du dehors a ses frais et, pour ses invités, on paiera a Brandt 9 stuyvers ou gros sous par tête. Enfin, les 8 et 12 octobre 1593, le tr ai terne nt est aussi dé terminé par les Curateurs et Bourgmestres. Considérant que Scaliger est incontestablement un si haut personnage et que sa seule présence apporte a 1'Université grand honneur, accroissement et réputation, il ne sera pas te nu de faire, comme les autres professeurs, des lecons publiques, mais il tiendra chez lui, a son gré, pour quelques-uns, des conférences, particuhères 5. Les Curateurs et Bourgmestres, après en avoir référé au 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, pp. 272*, 273* a 275*. 2. Ibid., p. 76. 3. Ibid. 4. Ibid., p. 270*. 5. Ibid., p.282*. •208 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Pensionnaire de Hollande, Oldenbarneveldt *, fixent le traitement a 1.200 florins, plus une gratification de 800 florins a la •charge du pays. Plus tard, par Résolution des Etats de Hollande du 14 septembre 1595 2, Scaliger obtint encore 200 florins d'indemnité de loyer. Mais 2.000 florins, prés de 20.000 francs en valeur actuelle, étaient, a 1'époque (le traitement moyen s'élevant a •300 florins) une somme considérable et d'autant plus remarquable qu'elle ne correspondait pas a des fonctions effectives. Assurer a un grand savant, et a un grand savant francais, le toit et le couvert, lui servir une rente, simplement pour qu'il soit la, assistant, a 1'occasion, de ses conseils et en son particulier, les jeunes érudits, mais en ayant a peine i'obligation; verser de 1'huile a cette illustre lampe de savoir, afin qu'elle •éclairat la Chrétienté et que sa lueur attirat vers la ville du VieuxRhin ceux qui, dans toute 1'Europe, poursuivaient 1'ambitieuse quête de la science universelle, tel était 1'exemple et la lecon que donnaient aux rois cette Répubhque de marchands et sou, Athènes batave. Scaliger lui-même écrit a Pierre Pithou, le 6 septembre 1593 3: « Je suis fort content de 1'honneur et bon accueil qu'on m'a fait icy. Si cela continue, je n'ai poinct de regret a la France », et a Claude du Puy : « Je suis arrivé ici il y a quinze jours, oü j'ai receü pareil accueil a celui qu'on me promettoit. Et n'ai de quoi jusques aujourd'hui me plaindre ni du païs ni des hommes. L'Université commence a estre plus fréquentée. Mesmes, sur mon advènement, ily est arrivé de France plus de vingt escoliers.» En effet, nous verrons qu'il y eut autant de Francais immatriculés cette année-la aT Université de Leyde que dans les dix-huit premières années de son existence prises ensemble. Les étudiants tenaient a honneur d'avoir son nom dans leur album; il signa ceux d'Esaïe Du Pré, de Guillaume Rivet * d'Antonius Blonck, de Veere5 et de Mostart6; dans -celui du jeune Boot, d'Utrecht, il écrivit cette phrase, que 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 77. 2. La Hollande est restée trés généreuse en matière de traitements universitairs. A 1'Unlverstt* municipale d'Amsterdam, ils commencent a 7.500 Horins et nnissent a 10.000, maximum quron obüent après hult ans de service. 3. Lettres francaises, éd. Tamizey de Larroque, p. 298, note, d'après le manuscrit 496, i°» 196 et 121. , . . « 4. Bulletin Eglises Wallonnes, 1" série, t. I, p. 327. 5. Son Album se trouve dans la Bibliothèque de la Société de Littérature NéerJandaise k Leyde. . „ „Qq 6. Publié dans la revue Stemmen voor Waarheid en Vrede, 187d, l. p. aa». UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE ; J.-J. SCALIGER 209 j'ai retrouvée et dont je donne ici le fac-similé (pl. XXIV) : Humana vita est alea, in qua vincere Tam fortuitum est quam necesse perdere Josephus Scaliger Jul. Caes. F. Scribebam Lugduni Batavorum VII Eid. Mai Juliani MDXCIX * En dessous, le philologue a ajouté la devise « Fuimus Troes » et 1'étudiant a dessiné sur la page précédente les armes des Scahger : 1'échelle a laquelle montent deux ours et qui est sommée de 1'aigle bicéphale couronné. Comme le grand savant ne fait pas de cours, son nom ne figure pas sur le programme affiché ou « Series Lectionum ». Pas plus que Clusius, il n'assiste aux séances du Sénat. Les comptesrendus ne font donc pas souvent mention de lui, si ce n'est a 1'occasion de funérailles ou de solennités auxquelles on le convie et oü il marche a gauche du Recteur 2. II usait beaucoup de la riche bibliothèque universitaire (cf. pl. XVII), dont il avait les clés : « Ce jour d'hui troisiesme fc>tembre, dit un bulletin qu'on y conserve encore, j'ai receü de Mons. Merula, professeur de ceste Université de Leyden, ■aultres clefs de la librairie, nouvellement faictes, et lui ai wndu les premières le mesme jour. Faict a Leyden, le mesme jour 1598. Joseph de la Scala » 8. II reconnut les services que cette institution lui avait rendus en lui léguant tous ses papiers avec défense de publier ceux de ses écrits auxquels il n'avait pas mis la dernière main 4; il bii laissait aussi ses manuscrits hébreux, arabes, syriaques et chaldéens, appelés, aujourd'hui encore, les « Codices Scaligerani », que Francois et Joost van Ravelengen (Raphelengien), exécuteurs test ame ntaires, remirent entre les mains de Daniël Heinsius, le bibliothécaire 5. Si les seize ans de Leyde ne furent pas la période la plus t. Bibliothèque de l'Université d'Utrecht, Ms. 1686, Album E. C. Boot, 1° 78 verso et 79. « La vie humaine est un jeu auquel il est si hasardeux de gagner qu'il est fat al qu'on perde. » 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 117. 3. Ibid., t. I, p. 109, note 2. .4. Haag, La France protestante, lre éd., t. VII, p. 14. 5. Bronnen, t. I, p. 183 et notes. Voir aussi C. Molhuysen : Geschiedenis der Universiteils Bibliotheek te Leiden et Heinsii oratio III, dans Danielis Heinsii Oraliones, editio nova... Leyde, Louis Elzevir, 1615, in-18, p. 23 et s. 14 210 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS décisive de la production de Scaliger, elle n'en fut pas moins féconde. II donne chez son collègue et artü Francois Raphelengien une nouvelle édition du De Emendatione Temporum, tellement remaniée qu'elle peut être considérée, dit-il, presque comme un ouvrage nouveau. Le même éditeur entreprit une réimpression des Cyclometrica elementa duo (1594), dédiée aux Etats de Hollande, oü était proposée la solution de la quadrature du cercle que Viète n'avait pas eu de peine a renverser, ce qui lui attira les foudres du susceptible et orgueilleux érudit; mais, par la suite, selon de Thou, il se repentit de 1'avoir ainsi maltraité, ne sachant a qui il avait eu affaire *. La même année, il exposa ses titres de noblesse dans son Epistola de vetustate et splendore genlis Scaligerae 2 et donna a Paris, chez Frédéric Morel, une nouvelle édition de ses pro- . verbes grecs en vers napotuiai su.u.erpot. En 1595, il dédiel au Pensionnaire de Hollande, Oldenbarneveldt, son éditionl du Canon paschalis, de 1'évêque Hippolyte. Le commentairej de César est de 1606. Son Thesaurus temporum (1606), dans lequel il restitue la Chronique d'Eusèbe, compléte ses études de chronologie 3. Ses conjectures, au sujet de la nature et du contenu du premiéj£ Hvre d'Eusèbe, furent confirmées, longtemps après, paria décou* verte d'une version arménienne, en 1818, renfermant également, comme il 1'avait pensé, les listes olympiques de Julius Africanus 4. Sa vie se passé en, partie a se défendre, lui et son illustre généalogie, contre les attaques furieuses des Jésuites Scioppius et del Rio6. Ce n'est qu'après sa mort que devaient paraitre ses Poëmata (1615), les Epistres francoises des personnages illustrés et doctes è Monsieur Joseph Juste de la Scala (1624) et ses Epistolae (1627). II est facile de s'imaginer la vie du savant a Leyde : de temps a autre, une visite a Buzenval ou a la Cour è La Haye6, une con- 1 Haas, La France protestante, 1" éd., t. IX, p. 487, verbo Viète. 2 et Jul Caes Scatigeri vila... Lugduni Batavorum, ex officina Plantimana apud Ftanciscum Baphelengium, 1594, in-4", 123 pp., précédé d'une dédicace a Douza, d'un tableau généalogique et d'un portrait du père de Scaliger, Jules César. (Bibliothèque de l'Université d'Utrecht. Historia litterana; quarto, 142). 3 Cf. Lettres francaises, éd. Tamizey de Larroque, p. 335. 4 Cf. Sandys/tfislorg of Classical Scholarship, t. II, (1908), pp. 202-203. 5 Cf Nisard op. cit., qui s'appesanUt longuement sur cette querelle. 6. Cependant il n'y allait pas tres souvent : « II y a dix mois que je n'ai salué UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 211 versation mi-laüne, mi-francaise avec Douza, une causerie d'une vivacité toute gasconne avec 1'accent, qu'il a conservé \ les interlocuteurs étant 1'Artésien Clusius, les Lillois Baudius et Raphelingius, les Gantois Vulcanius et Heinsius. Avec celui-ci et Douza, il échange des vers grecs ou latins. A ce dernier il envoie par exemple une pièce latine, dont le manuscrit est a 1'Exeter College a Oxford 2, sur les miracles de la terre hollandaise, et dont voici le résumé : « Votre terre, Douza, est vraiment incroyable, vous n'avez pas de troupeaux et vous avez des fabriqti.es de laine; vos greniers croulent sous le blé et vous ne cultivez pas de céréales, yos celliers regorgent de tonnes, et vous n'avez pas de vignobles. Vous habitez au milieu des eaux, mais vous n'en buvez point ». Et ceci devait plaire au Gascon qui louait ses compatriotes de n'avoir qu'un mot pour « bibere » et«vivere ». x Ses veillées se prolongent tard, penché sur les gros in-folio teliés en veau et couverts de caractères hébreux, syriaques, chaldaïques, éthiopiens3. II aurait pu, pour animer 1'Anü-: quité, essayer de regarder au dehors, contempler le ciel, se mêler a la foule, y retrouver les identités éternelles, mais tout est trop différent : le ciel est gris et bas, la vie est terne et lourde, les ames sont taciturnes et lentes : il vaut mieux se plonger dans les livres, c'est de la lettre que ressuscitera 1'esprit. Scaliger pense en Latin ou en Grec, il n'est pas de ce monde, «on Excellence », est-il dit dans les Scaligeriana (p. 317), rccucillis par les frères, Vassan: Scaligeriana sive Excerpta ex ore Josephi Scaligeri, par F. F. P. P., Genevae, npud Petrum Columësium, 1666. Un vol. in-24». 1. Scaligeriana. 2. J'ai pu en collaUonner le texte sur la copie qui m'a été obligeamment envoyée par le bibliothécaire M. Bernard \V, Henderson ; le poème se trouve déja dans "les Opuscula. 3. Scaliger était un des trés rares hommes de son temps qui süt 1'éthiopien, qu'en. appclle parfois 1'abyssin. On a, a ce sujet, le témoignage de ï'Allemand Ludolf : « Post haec Scaliger peritiam hujus linguae edito sacrorum Ecclesiae aethiopicae temporum computo demonstravit. Elegantissimam eam vocat, si modo cultura adhibeatur; seque institutiones illius olim scripsissc narrat; verum lllae lucem' non viderunt» (Iobi Ludólfi, Grammatica aclhiopica editio secunda, Francfort s /M., 1702, lre page de la préface, au bas). Voir aussi G. Fumagalli, Bibliografla eliopica, 1893, p. 236, n° 2299, Scaliger, ou 1'anteur renvoie a la page 670 du de Emendalione. On Ut encore dans Iobi Ludolfi ad suam Hisloriam aefhiopicam... Commentarius ■(Francfort, 1691, p. 17, § 84) :«Josephus Scaliger In abstruso op ere suo De sacrorum lemporum emendalione, Computum Ecclesiae ■aethiopicae orbi literato dedit, cum nuflum unquam hujus linguae praeceptorem habmsset. Vir iste sagacissimus ln dissertatione ad Computum illum multa rectissime conjecit ab aliis nondum tradita... ; multa recte negat quae alii male crediderunt. Altamen inter tot egregia quaedam paulo incautius, quaedam obscuriüs, quaedam pro more suo paulo obnfldenUus tradlt. » Je dois ces intéressantes indlcatlons a mon cousin, M. Marcel Cohen, professeur d'abyssin a 1'Ecole des Langues Orientales a Paris et directeur d'études pour 1'éthiopien a 1'Ecole des Hautes Etudes. 212 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS il est d'un autre, passé pour la plupart des hommes, présent pour lui et d'une jeunesse éternellement vivante avec ses dieux, ses vestales, ses monuments, ses discours et ses plaidoyers. Parfois cette possession de tout un temps, envisagé, non comme un long devenir, mais comme un monument unique et achevé, 1'enivre d'un sentiment de jouissance et de maitrise ; parfois au contraire, il sent 1'immensité de la tache impossible, les lacunes des textes et des manuscrits perdus, qu'il ne peut pas restituer toujours par voie de conjectures, comme les chapitres de son Eusèbe. Celui-ci même le désespère parfois, si 1'on en croit les propos recueillis par les Vassan et publiés dans les Scaligeriana 1 : « Je ne pense voir mon Eusèbe achevé ; je deviens aagé, je ne dors que trois heures, je me couche a dix, je me resveille a une et demieet ne puis plus dormir depuis. » Dans ces moments-la, il en arrivé a désespérer de la science même, dont il lui semble apercevoir le néant : « Si j'avois dix enfans, je n'en ferois estudier pas un, je les avancerois aux Cours des Princes. » Le Francais se plait a médire de ce dont il s'occupe. Scahger en usait ainsi, mais il ne tardait pas a retourner a son établi en prononcant un mot qui annonce celui de Voltaire dans Candide : « Je m'en vois bescher la vigne ». Et il concluait une autre fois : « J'honore les Grands, mais je n'ayme point les Grandeurs. Je ne pense pas qu'il y ait homme en Hollande qui travaille plus que moi »2. II lui arrivait d'envier 1'argent des marchands des Pays-Bas : « Mea nobilitas mihi est dedecori ; j'aymerois mieux estre fils de van der Vee, marchand, j'aurois des escus »3. L'esprit de domination le hante, associé au souvenir de son père Jules César * : « Mon père estoit honoré et respecté de tous ces Messieurs de la Cour. II estoit plus craint au'aymé a Agen ; il avoit une autorité, Majesté et Representation- il estoit terrible et crioit tellement qu'ils le craignoient tous'» Dorat disait que Jules César Scahger était semblable a un roi Oui, a un Empereur. «II n'y a Roy ni Empereur qui eut si belle facon que luy. Regardez moy, je luy ressemble en tout et par tout, le nez aquilin. » 1. P. 313. idition nouvelle des Scaligeriana, faite sur une copie Jséepl^^^ verslté de Montpellier. 3. Ibid., p. 317. 4. Ibid., p. 315. Manche XXltt. PoRTRAIT DU CÉLÈBRE PHILOLOGUE FRANCAIS JOSEPH SCALIGER, d'AGEN, PROFESSEUR a L'UNIVERSITÉ DE LETDE (l5a3-l6og.). (SalU du « Sénat académique »). UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE ! J.-J. SCALIGER 213 Le portrait s'arrête la, il le faut achever, d'après celui qui figure aujourd'hui encore (cf. pl. XXIII), dans cette salie du Sénat que Niebuhr appelait un des plus nobles lieux du monde. Une longue barbe, grise et blanche, pendant sur la poitrine, les tempes rentrées, le visage émacié, les cheveux trés courts ; le regard est fixe, scrutant le passé. La simarre rouge couvre un corps maigre. II est assis a sa table de travail et sa main transparente aux veines saillantes tient la plume d'oie qui s'est arrêtée de tracer sur le papier des caractères arabes : «Je n'écris point si bien en nulle langue qu'en Arabe, et je n'escris bien que lorsque j'ay une bonne plume. » Parfois il sortait sur le Rapenburg, le chateau des navets, le long du canal aux eaux vertes et jaunes, revêtues d'algues moussues, aux redans brusques comme un fossé de rempart. Les arbres qui le bordent se réfléchissent dans 1'eau et, 1'été, donnent une ombre épaisse et fraiche : il le franchissait sur les ponts surélevés aux pentes raides, pour aller au vieux cloitre des Dames blanches, qui sert d'Université, assister a une soutenance de thèse. Or les passants regardaient avec étonnement et respect le petit vieillard, dont la seule présence enrichissait la Cité. II devait faire un long chemin, passer prés de la vaste église gothique, la « Pieterskerk », oü reposent aujourd'hui ses os, pour se rendre a 1'église wallonne et y écouter le sermon. Le milieu lui déplaisait : «les Wallons puent, je ne puis endurer la puanteur, lorsque j'entre au Temple des Wallons, loquuntur belgice »*i En janvier 1609, il se sentit faiblir. Ce sédentaire avait toujours souffert des intestins. Qu'on se souvienne des railleries de Henri IV! Lui-même plaisante sa maladie et se compare, a cause de l'énormité de son ventre, a Diogène dans son tonneau. Le zélé protestant ne craignait pas la mort : il écrivait dans 1'album de Guillaume Rivet : « Formido mortis morte pejor; non potes vitare mortem sed potes contemnere », c'est-a-dire : « La crainte de la mort est pire que la mort; on ne peut éviter la mort, on la peut mépriser » 2. 1. Scaligeriana, p. 364. 2. Bulletin Eglises Wallonnes, 1" série, 1.1, p. 327. L'autographe est signé Josephus Scaliger, Jul. Caes. F. scribebam Lugduni Batavor. VI Kal. Sextltts Juliani. Fuimus lroiae. 214 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Daniël Heinsius, son disciple préféré, 1'assiste avec sollicitude : « Daniël, mon fils, lui dit-il, voici la fin. Je puis a peine endurer ce que je souffre. Mon corps est épuisé par la maladie et 1'habitude du lit, mais mon esprit conserve toute sa force. Si mes ennemis me voyaient, ils attribueraient mes souffrances a la vengeance divine. Tu sais ce qu'ils ont déja publié sur moi: tu peux être mon témoin. Poursuis comme tu as commencé et fais cela afin de défendre religieusement la mémoire de celui qui t'aime tant. Mais Dieu aussi t'aime sans doute. » Puis, humüité suprème de eet orgueilleux : « Fuis la présomption et 1'orgueil. Garde toi autant que possible de 1'ambition et surtout garde toi de rien faire par calcul contre le voeu de ta conscience. Tout ce qui est en toi est en Dieu ; .éxvov ?0*, Cner flls'nous nous en allons. Ton Scafiger a vécu pour toi. » 1 Et il expira, le 21 janvier 1609, dans sa soixante-neuvieme année 2 Avec lui, c'était tout un siècle, c'était toute une conception de la science, c'était 1'humanisme de la Renaissance qui expirait: en vain celui-ci devait-il tenter de ressusciter a Leyde, et dans un Frangais aussi, Claude Saumaise, vingt ans plus tard. . . Mais n'est-ce pas un symbole touchant que ce savant francais expirant dans les bras de son disciple de Hollande, qui devait hériter de sa tradition, a laquelle 1'école des Cobet se rattache clir©ctcïKi.cn.t * En vain les philologues d'aujourd'hui, plus rigoureux, plus rebelles aux aventureuses conjectures, renieront cette ascendance. Pour peu qu'ils fassent 1'historique des questions et des textes qu'ils traitent, ils retrouveront, a 1'origine, le grand ancêtre francais. Si 1'on voulait faire le bilan.de ce formidable labeur, il faudrait dire a peu prés ceci: Scafiger est le fondateur de la Chronologie dont il a posé les bases inébranlables dans son ouvrage capitaL, le De Emendatione Temporum et le Chronicon Eusebi, ainsi que de 1'Epigrapbie latine par les Indices du recueil de Gruter 3. Si hasardeuse que füt sa critique conjecturale, eUe se vénfia 1. Cl. Haag La France protcslanU, 1" partie tW fTvtum est Senatul ^l^Langlois (Ch. \.), Manuel de Bibliographie historique, p. 264. UN PHILOLOGUE DU XVI* SIÈCLE ', J.-J. SCALIGER 215 dans le cas de 1'Eusèbe et elle constituait, a coup sur, un progrès sur la critique imaginative et impressionniste de ses prédécesseurs italiens, bien qu'elle justifiat dans une large mesure cette page de Bayle : « Sa prof oude littérature était cause qu'il voyait mille rapports entre les pensées d'un auteur et quelques points rares de 1'antiquité : de sorte qu'il s'imaginait que son auteur avait fait quelque allusion a ce point d'antiquité et, sur ce pied-la, il corrigeait un passage; si 1'on n'aime mieux s'imaginer que 1'envie d'éclaircir un mystère d'érudition inconnu aux autres critiques, 1'engageait a supposer qu'il se trouvait dans tel ou tel passage. Quoiqu'il en soit, les commentaires qui viennent de lui sont pleins de conjectures hardies, ingénieuses et fort savantes, mais il n'est guère apparent que les auteurs aient songé a tout ee qu'il leur fait dire » K Ainsi le fameux Francais de Rotterdam attaquait le célèbre Francais de Leyde a moins d'un siècle de distance. Mais nous, nous en arrivons a nous demander parfois s'il ne faut pas retourner a Scaliger, et s'il ne faut pas préférer une critique qui tend simplement a donner un texte intelhgiWe, le plus proche possible de 1'original qu'il s'agit de restituer, a cette hypercritique prétendue scientifique, qui nous donne le texte de 1'éditeur et non celui de 1'auteur, qui n'est pas francaise et qui nous apprend a reconstruire un écrivain, sur un système de généalogie de manuscrits d'une vérité plus apparente que réelle. a II n'y a pas jusque dans la philologie germanique oü on ne trouve la tracé de Scahger, car il collabora avec les érudits hollandais pour rassembler les premiers éléments d'une enquête sur les anciens textes gothiques 3. De plus, et ceci intéresse les romanistes, c'est lui qui découvrit cette forme « ficatum » pour «jecur », laquelle servit de base a la remarquable étude étymologique sur le mot « foie », publiée par Gaston Paris dans les Melanges Ascoli. Enfin, groupant les langues européennes par mots souches, il semble avoir eu, de leur parenté, une idéé remarquablement exacte pour 1'époque *. 1. Cité par Haag, La France Protestante, 1" éd., t. VII, art. L'Escalc. 2. Ces lignes étaient écrites quand a paru 1'article de M. Wilmotte Sur la critique des textes, dans Le Correspondant du 10 mai 1920, et qui établit sur des preuves décisives une opinion semblable. 3. Charles V. Langlois, Manuel de Bibliographie Historique, p. 269, n« 349, et Hermann-Paul, Grundriss der Germanischen Philologie, t. I, 2« éd., p. 16. 4. Je fais allusion a une curieuse dissertation des Opuscula varia'(Paris, H. Beys, 216 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Mais de tout eet immense savoir et de ce prodigieux cerveau, il ne reste que des éléments si bien assimilés par notre érudition contemporaine qu'elle ne les attribue pas plus a son auteur que nous ne rendons grace de notre vigueur au lait de celle qui nous a nourris ; or, cela est proprement une grande injustice. On ne lit plus ses lettres, on ne lit plus ses poèmes latins, on laisse dormir sur les rayons des bibliothèques, les gros in-folios dont le meilleur a passé dans des livres plus maniables et plus récents. Enfin, ce qui est plus grave, on ne sait même plus guère a Leyde, a qui il donna seize ans de sa vie et dont il fut 1' « Academiae decus », 1'honneur de l'Université, que Scahger fut un Francais. II est un endroit, a Bennebroek, prés de Harlem, oü on a conservé sa tradition sous une forme étrange. C'est dans une auberge oü se rencontraient, a mi-chemin de leurs deux villes, les avocats de la Haye et d'Amsterdam pour y traiter de leurs affaires et y manger un excellent saumon, sauce verte. L'enseigne représente uh personnage, affublé du costume légendaire du savant du xvie siècle et portant une longue échelle ; en dessous, on lit cette inscription : « De geleerde man », ce qui veut dire en hollandais, par un jeu de mot impossible a rendre en francais, a la fois, homme a 1'échelle et homme savant. Un érudit, M. Aert Veder, donna un jour, en un banquet, la vraie solution du rebus en traduisant en latin : Scahger. Cette solution est si juste que je suis en mesure de prouver, par un document trouvé aux archives municipales de Harlem \ que Scahger a réellement séjourné dans 1'auberge de Reyer Simonsz, aubergiste, a l'enseigne de la Cigogne, le 1610, in-4°, p. 119), intitulée Diatribae de Ewopaeorum linguis, sur laquelle je reviendrai prochainement dans le Bulletin de la Société de Linguislique de Paris (section de Strasbourg). 1. Rekening v. de Thesaurie der Stadt Haerlem voor jare 1593, t. I, 346, fol. 73 verso : * Reyer Simonsz, waert in den Oyevaer, over de oosten t sijnenhuyse gedaen, den lesten Septembris ende eersten Octobris, Ujde deser, op't Defroyement van den Heer Doctor ende Professor J. Schaliger uyt Vranckryck versocht tot Professor in der Universiteyt tot Leyden, reisende alhier gecomen met den Doctor Tuynick mitsgaders vergeselschapt met den zoon van den Heere van Noortich [lisez Noordwijk] en oock eenen edelman uyt Vranckryck ende heuren Dienaers, betaelt büordonnantie syne quitantie... 76 £ ». Je dois le souvenir relatif a 1'auberge k M. W. del Court et le texte a M. J. Fransen, qui m'envoie encore celui-ci, lequel se rapporto k Utrecht: Stads Kameraarrekeningen 1593, sept. 27 : « Schenkelwijn Do' Scaliger, met syn bywesende heren, 12 quaert» (Archief voor Kerkelijke en Wereldsche Geschte denissen in zonderheid van Utrecht par J. J. Dodt van Flensburg; Utrecht, 1843, t. III, p. 269). Une autre mention, ibid., t. III, p. 268, non datée, est rapportée par erreur k 1552 ; elle doit se référer a la même date :»Jos. Scaliger. Item, Ger. Crouse, voor de E. en de Hoogel. Hr. Joseph Scaliger, met syn byhebbende heren getapt 18 quaert wyns... 20 £ 12 st. » Les grandes villes de Hollande semblent donc s'être disputé 1'honneur de posséder dans leurs murs le célèbre philologue et de lui offrir ainsi qu'a sa suite un abondant vin d'honneur. Planche XXIV a. tiuma.no. iuta£(h akd, in aua. uitjctre— 1 loj?f>l)w> Süt^r ld-£& Tjcril>eiam LcqJ#*t , fiafauoH-^ v/T TjI Mai Julia*H c,-?. i>. ^c#/x fV/MVS TR0£ZS ■ AUTOGUAPHE imïd1t de J. scaliger dans l'AlBUM AMICORUM de BOOT. (Bibliothèque de l'Université d'Utrechl, n' 1G86). Planche XXIV 6. futn» C-r))y -ferm, prv/fclt. /Slifiad A ?ntyo* ƒ,;«"-ƒ/<. /cfetJ—sjjii 4m CfrTr» c/V • . Lettre de Joseph Scaliger a Douza. (British Museum). Planche XXV. Tombe de Joseph Scaliger dans l'Eglise Saint-PierRe a Leyde. UN PHILOLOGUE DU XVIe SIÈCLE : J.-J. SCALIGER 217 30 septembre et le ler octobre 1593, en compagnie du professeur Tuning, du fils de Douza, poète latin comme son père, d'un gentilhomme francais et de leurs serviteurs. La dépense, se montant a 76 livres, fut généreusement soldée par la ville de Harlem. . f. Dans une circonstance plus grave et plus auguste, le souvenir de Scaliger fut évoqué par Cobet, d'ailleurs descendant de réfugiés. C'était en 1875, au troisième centenaire de l'Université de Leyde, oü, s'adressant a Gaston Paris, Perrot et Renan, qui représentaient l'Université de France, Péminent philologue hollandais leur dit pubhquement : « Quand on n'y prend pas garde et bien garde, ce grand savoir, cette vaste érudition étouffent tout doucement le bon goüt d'abord et le bon sens ensuite. Aussi, Messieurs, pour en finir une bonne fois, nous autres Hollandais, qui avons conservé rehgieusement les saintes traditions de nos pères et qui, par conséquent, n'avons pas peur de ces vieux portraits qui nous regardent fixement dans la salie du Sénat, tant que nous tiendrons a conserver aussi, dans notre érudition nationale, sohde et massive comme toujours, le bon goüt et le bon sens, c'est vous, Messieurs les Francais, qui serez toujours nos maitres *. » 1. Voir la revue France-Hollande, novembre 1917, p. 5, et Revue des Deux Mondes, 1" avril 1875. CHAPITRE VII Dn minores : Baudius, de Lille ; Polyander, de Metz Clusius et Scaliger morts tous deux en 1609, notre influence a 1'Université de Leyde devait subir une éclipse. Non pas cependant que le corps professoral ne comptat plus de Francais, mais ils n'étaient ni d'une telle réputation ni d'une telle enyergure', 1'un s'appelait Baudius, 1'autre Polyander. Ils vont 1'un et 1'autre nous amener a Balzac et a Théophile. Nous avons déja vu, au chapitre précédent, le róle un peu étrange joué par Dominique le Bauldier, alias Baudius, dans la venue de Scahger a Leyde. Le Baudier était né a Lille, en 1561. On le trouve inscrit a l'Université de Leyde, une première fois, en 1578, donc au début de cette institution, en qualité d'étudiant en théologie, le 22 avril. En 1582, nous 1'avons rencontré a l'Université calviniste de Gand K Après cela, il apparait sur VAlbum studiosorum de Leyde, comme étudiant en droit, le 7 septembre 1583. C'est en cette qualité que, le 4 juin 1585, il soutint en pubhc, sous la présidence de Doneau, sa these de doctorat De Verborum obligationibus ?. Nous avons vu qu'il s'étabht en Zélande, a Vere, et qu'il suivit, a quelque distance, Tuning, dans son ambassade scientiüque, pour continuer a Tours, a son pro fit et pour son propre compte, les négociations en suspens. Une lettre, conservée par le fouds du Puy s, a la Bibliothèque Nationale, est adressée a « Monsieur Baudius, avocat en la Cour du Parlement, en son logis chez le Seigneur de Voz, graveur 1. Voir plus haut, p. 158. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 41 et p. 461*. 3. Citée par Haag, La France protestante, 2" éd., L IV, col. 365. 220 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS lapidaire, en la rue de la Sellerie, a Tours». Ce «seigneur de Voz» pourrait bien être Anthony de Vos, qüun acte inédit de 1612, conservé aux archives municipales de Leyde, mentionne comme son gendre et qu'il faut a mon sens, identifier avec Anthony de Vos, qui grave un portrait de Théodore Colvius, mort en 1607. Nous reparlerons de ce de Vos. En 1603, l'Université s'associa Baudius, sans doute a la requête de Scaliger, comme professeur extraordinaire d'éloquence, au traiteriient de 700 florins K Heinsius, pour enseigner la poésie en cette même qualité, n'en a que 400. Le 20 mai, le Sénat réserve la quatrième heure pour 1'explication deBrutus 2: «Dominico Baudio, D. Juris, Professori Eloquentiae assignatus est Brutus Ciceronis explicandus hora 4a »; mais, tempérament inquiet, Baudius est perpétuellement en conflit avec Heinsius et les Curateurs, au sujet des heures. Les étudiants, en 1607, protestent contre son enseignement du droit, dont les Curateurs 1'avaient en partie chargé par Résolution du 9 février 3. En dépit de cette réclamation, les Curateurs et Bourgmestres le nomment, le 8 mai de 1'année suivante, « Professor Historiarum et Institutionum Juris », donc professeur d'histoire et de droit. II avait suppléé Merula dès 1603, ce qui justifie 1'attribution du premier des deux titres et il était docteur en droit, ce qui légitime le second. II ne fut cependant titulaire de la chaire d'histoire qu'en 1609 4. II parait avoir eu des embarras financiers puisque, a cause de ses lourdes charges, les Curateurs et Bourgmestres lui accordent, le 9 mai de la même année, une indemnité supplémentaire de 100 florins. Ses diffieultés ne font que croitre en 1611, oü il demande des subsides pour apaiser ses créanciers, dont il est si «infesté » qu'il ne peut plus trouver le repos nécessaire ü 1'étude. Sa vie est tellement ignoble que, le 8 aoüt 1612, le Recteur et quelques uns de ses assesseurs se font introduire auprès des Curateurs et Bourgmestres, leur disant que 1'entrée de la salie du Sénat avait été consignée par eux a Baudius, a cause de sa 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 151. 2. Ibid., p. 148. 3. Ibid., p. 173. 4. Ibid., p. 178. Planche XXVl PORTRAIT DE BAUDIUS (D. Le BaUDIER, DE LILLE), PROFESSEUR A L'UNIVERSITÉ DE' LeïDE (l6o3-l6l3). (SaÜe de la Faculté des Lettres d'Amstcrdam). m BAUDIUS, DE LILLE 221 vie scandaleuse et qu'ils les priaient de ne pas lui donner accès non plus auprès d'eux, a quoi ils consentent \ II y a donc quelque vraisemblance dans cette anecdote réstée fameuse en Hollande et qui veut que, rencontré arpentant en zigzags la Breestraat ou rue large qui est, aujourd'hui encore, la plus fréquentée de la ville, Baudius ait répondu a quelqu'un qui lui demandait oü il allait : « Eo per viam latam ad portam coeh », ce qui signifie, en somme,«je vais par la voie large a la porte étroite ». Or la «Porta coeli » était l'enseigne d'un cabaret fameux, fréquenté par les étudiants. Peu de temps après 1'ostracisme du Sénat, un acte inédit du 12 octobre 1612, parle des flancailles de Baudius avec une dame noble, « Joffre [c.-a-d. Juffer, M»e] Maria van Loo », de Dordrecht, veuve du vidame Loys Droetelinck. II s'agit d'une renonciation de Mayken Henricx, fille de ladite veuve a son opposition, bien naturelle avouons-le, a la publication des bans ». Le 18 novembre 1613, les Curateurs et Bourgmestres 8 nomment D. Heinsius, jusque-la professeur de politique, professeur d'histoire en qualité de successeur de Baudius, décédé. II n'était pas sans «talent ce Baudius, surtout comme poète et orateur latin. Scahger disait : « Baudius doctus est ut et Putschius. Baudius a un style non cicéronien, mais du temps de Domitianus ; je garde toutes les lettres de Baudius 4.» Non seulement Balzac pariera de lui, et nous aurons a rechercher pourquoi, mais aussi Guy Patin, encore en 16725 : « Je viens d'apprendre du jeune van der Linden que Monsieur Gronovius est mort a Leiden. II restoit presque tout seul du nombre des Savans d'Hollande. II n'est plus, dans ce païs-la, de gens faits comme Joseph Scahger, Baudius, Heinsius, Salmasius et Grotius. » Dans cette phrase, sur cinq noms, il y en a trois de francais. 6 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II p 27 M^uvj^oi!^0?^ de, laT vNfe de' LeVde ; document communiqué par M. Bii'eveia, arcWvfete-adjomt. Je n'ai rien trouvé dans le registre des fiancés l\T4Ï ét ^rmdeP Bron™}> IL P- 56, 20 mai 1615 : la veuve de Baudius"presse le Sénat d obtemr une solution dans 1'aflaire Droitelina 3. Ibid., t. II, p. 49. 4. Sciligeriana, p. 36. 1672.Le"reS choisies, t. HL p. 443, a M. F. C. M. D. R.; de Paris, le 22 janvier 6. Sur Baudius, consultez Haag, La France protestante, 2' éd., art. Baudler. et les Epistolae et Ora wnes, es Amores et le De fnduciis Belli betgicTlibIII, dïeet auteur. Cf. aussi le Diciionnaire hislorique de Bayle, article Baudius 222 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS L'année de la mort de Baudius est celle du rectorat de Polyander a Kerckhoven qui, pendant prés de dix ans, devait être le seul représentant de 1'érudition francaise al'Université de Leyden et qui y enseigna jusqu'a sa mort, survenue en 1646. II y avait été appelé en octobre 1611, après qu'on eüt en vain essayé d'y ravoir Pierre du Moulin, alors ministre de la communauté protestante de Charenton 1. Le nom complet de notre théologien était Jean Polyander van den Kerckhoven. II était né a Metz, le 26 ou 28 mars 1568 2. Son père, originaire de Gand, s'était Téfugié en Lorraine et y avait été pasteur adjoint, a Metz, en 1561, a cóté de Pierre de Cologne, de Jean Taffin, de Garnier, auteur de YInstitutio linguae gallicae3, et de Louis Desmazures, 1'auteur tragique tournaisien. Forcé de se retirer en Allemagne avec sa femme, Chrétienne, fille de Noël Dubois de Nieuwkerke, il avait mis son fils a l'Université de Heidelberg, oü il devint 1'élève de Francois du Jon, dont il devait plus tard occuper la chaire a Leyde. On voit donc que, pour plusieurs des hommes qui nous intéressent, Doneau, du Jon, Polyandre et même le jeune Schelandre, Heidelberg fut une étape vers Leyde, qu'elle avait précédée en tant qu'Université germanique du Refuge. A vingt ans, il fréquenta 1'autre centre des études protestantes, Genève, sous de Bèze, la Faye et Chandieu.s C'est la qu'il reent vocation de différentes églises wallonnes des Pays-Bas 4. II y exerca son ministère, en même temps que le professorat, pendant un demi-siècle. Les actes synodaux d'avril 1646 expriment « les regrets de la perte d'un si grand personnage qui a rendu a nos églises des services signalés pendant cinquante-cinq années 5. » II avait remplacé Arminius, dont il ne partageait d'ailleurs pas les idees et il fut membre de la Commission chargée de dresser les Canons et de pubher les Actes du Synode de Dordrecht (1620), in-4°. II fit partie également dü Comité a qui les Etats Généraux avaient donné mission de reviser la traduction hollandaise de la Bible. Jean, son fils 1. Cf. Bronnen Leidsehe Uniqersiieit, t. II, p. 20. 2. Haag, La France protestante, 1" éd., t. VI, p. 118. 3. Cf. Ibid., 2' éd., t. VI, col. 849. 4. Bulletin Eglises Wallonnes, t. IV, p. 217. 5. Ibid. Sur Polyander, voir encore Lwre Synodal, Synode de Leyde, 1611, p. 227, art. I et suivants. II redevtent pasteur de 1'église de Leyde, cf. p. 235, art. 5 ; cf. encore Catalogue de la Bibliothèque Wallonne, t. I, pp. 144, 146, 187. POLYANDER, DE METZ 223 unique, sieur de Heenvliet, lui fit dresser un beau monument, qui existe encore dans Tèglise Saint-Pierre *. Quels que fussent le nombre et la valeur de ses ouvrages, ils n'étaient pas de tel ordre qu'ils pussent attirer deux jeunes nobles, tels que Balzac et Théophile, en 1615. II faut donc attribuer leur présence a une cause plus générale : l'afflux constant d'étudiants a l'Université de Leyde, depuis les débuts. Nous avons parlé jusqu'a présent des professeurs francais de l'Université, disons quelques mots des étudiants. 1. On trouvera une bibliographie de Polyander dans Haag, op. cit, 1" éd., t. VI, p. 119. CHAPITRE VIII étudiants francais a l'université de leyde de 1575 a 1615 Les sources principales qui sont a notre disposition sont VAlbum studiosorum ou registre d'immatriculation \ les Résolutions du Sénat et des Curateurs, les positions de theses, les Albums amicorum et le iichier wallon. II peut y en avoir d'autres encore mais le seul examen de YAlbum, même dans 1'édition assez imparfaite de M. du Rieu, est déja fort instructif. Ce n'est pas tout d'affirmer que de jeunes Francais allaient souvent se perfectionner a l'Université de Leyde, il faut en savoir le nombre, la qualité, les noms, la provenance. Dès 1'année rectorale qui va du 8 février 1576 au 8 février 1577 sur 14 étudiants inscrits, il y a déja deux Francais : Lazarus fRebertus (Lazare Robert ?), de Rouen, qui étudie les arts libé.raux et a pu être attiré par la présence de son compatriote Feugueray, recteur cette année-la. Un autre Francais, nommé Antomnus Puteanus (Antonin Dupuy ?) est mentionné, pour la même branche, le 23 juillet. Aucun de nos compatriotes en 1577 L'année suivante, s'en montrent deux ou trois.^iont Baudwrl et Joseph Taurin, de Paria, étudiant de lettres. Sous le premier rectorat de Juste Lipse, en 1579, il y en a cina dont un, et des plus intéressants, n'a pas encore été identifié jusqua présent. C'est Nicolas Barnardus, Allobrox inscrit comme étudiant en théologie le 27 janvier, singulier personnaee quon trouve alternativement cité Bernard ou Barnaud' qui est son vrai nom. II nous apprend lui-même, en tête de son Quadnga Aurifera, qu'il était né a « Christa-Arnaude, Delphinate .., c est-a-dire a Crest, en Dauphiné, entre Gap et Livron * 1 vol.ln-4? vm?"™1 ACademiae L^duno-Bataaae, 1575-1875. La Haye, Nijhoff, 2. Haag, La France protestante, 2» éd.. t. IV col in79 ~uau a 853. Voir aussi i'article du Dictionnaire historiauede Prnsner ^ °^ et. coK 840 naud, Histoire du protestantisme d Crest, en Dauphin"^ Paris l fiï >Iaarchan° ! E. ArBiographie du Dauphiné; E. Arnaud. Histoire de /- J,™ ? 3'ln"8 : Ad-Rochas, Paris, 1872, p. 91. ^rnaua, Histoire de l Académie protestante de Die 226 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS II était neveu du sénéchal Jean Barnaud. Bordier ne 1'avait trouvé a Leyde qu'en 1597 et 1599 et a Gouda en 1601 \ mais il ne m'a pas été possible de vérifier son affirmation, quoique je puisse maintenant établir sa présence aux Pays-Bas dès 1579. Y serait-il resté constamment jusque vers 1600 ? c'est peu probable, puisqu'on le signale a Prague et a Genève ; en tous cas, il apublié en Hollande des ouvrages d'alchimie, s'y est adonné aux sciences occultes, a la recherche de la pierre philosophale et y a été, au début du xvne siècle et sans doute avant, un des ton dateurs de la secte des Rose-Croix, dont nous reparlerons a 1'occasion de Descartes. II n'est pas inutile de remarquer que le Historisch Verhael de Wassenaer, raconte qu'au début du xvne siècle un Francais nommé Bernard ou Barnaud aurait été envoyé en Hollande a Ter Gouwe pour y trouver la pierre philosophale 2. On cherchera plus loin, au livre III, si Barnaud n'a pas, a certains égards, montré le chemin a Descartes, dont on verra 1'intérêt pour les mystères rosicruciens. Sous le deuxième rectorat de Juste Lipse (1580), deux étudiants francais, un de Paris, pour le droit, 1'autre de Cambrai, docteur en médecine. En 1581, huit Francais, dont cinq pour les Lettres. II ne s'agit par conséquent nullement de futurs pasteurs protestants, venus pour achever en liberté leurs études de théologie. Ces huit étudiants sont-ils restés 1'année suivante, c'est possible, mais ils ne sont grossis d'aucune recrue nouvelle et, 1'année d'après, on ne signale que le seul Baudius. Pour 1584, une inscription süre, deux douteuses; il n'y en a que deux de certaines pour 1585 8, aucune pour 1586. Le quatrième rectorat de Juste Lipse en 1588, attire deux étudiants, dont un d'Orléans ; celui de Barna (1589) également deux; 1'année suivante, 1590, 1 Selon le docteur J. Hüges, professeur au lycée, consulté a ma demande par m Raste le nom de Barnaud ne figure pas dans le Poorterboek de Gouda, entre i>w> et 1610 Rien dans le fichler wallon. J'ai par contre trouvé, grace aM.Buchner, „np lettre autoaraphe de Nicolas Barnaud, a la Bibliothèque de 1 Université de T^tde II n'v a donc plus de doute sur son nom, que M. Jaeger (F. M.) orthographie Rnrnand dans son étude sur Théobald van Hogelande, pubtiée dans Chemisch WeVkblad, 5 octobre 1918, p. 1254. Van Hogelande, par contre, n a pas tort de uarkr d'un Bernaudus, car on dlstinguait mal entre « er » et« ar »; M. Jaeger donne ïine bibliographie intéressante des oeuvres de Barnaud. une Diuuoë v Dg Rozekrnisers 0f de vrijdenkers der 17» eeuw, Haarlem F Bonn, 1916, ih-8°, p. 38, 46, 47. M. Meijer (p. 46) 1'appelle, erronément aussi, Rartaud'ou Bernard Montaux, p. 44. q le nomme incertaines les inscriptions se rappdrtant a des noms d aspect franrais et aui ne sont pas accompagnées de la mention «Gallus » ou du nom d une vule francaise traduit en latin; le nom de la ville avec la termmaison -ensis, n indique ^touiours le lieu de naissance, mais parfois le lieu d'oü 1'on vient. Disons en pasïant aue dans notre ouvrage.nous ne nous occupons en principe que des personT a«es ïiéi dans les limites de la France d'aujourd'hui. ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE 227 il y a un Francais seulement, Josse Elsevire, de Douai % étudiant én Lettres; deux en 1591, mais quatre en 1592, la plupart de families connues : Petrus Regius Builoneus, Paiisiensis, étudiant de Lettres, qui doit être un Pierre Leroy-Bouillon ou Bullion, un Francois Petit de Caen, un Denis Reboul (Rebullus), de la Meuse, pour les mathématiques, et enfin, 8 octobre, Pierre du Moulin, d'Orléans. De ces quatre étudiants, dont le dernier sera bientót un professeur, on bondit brusquement, en 1593, a quelque trente-sept ou trente neuf, plus que la somme de tous ceux de nos compatriotes qui s'étaient fait immatriculer jusqu'a cette date a rUniversité de Leyde, et toutes ces inscriptions sont postérieures au 5 juin, c'est-a-dire qu'elles coïncident sensiblement avec 1'arrivée de Scaliger (25 aoüt suivant). Ainsi on peut mesurer par un chiffre le niveau de la réputation du grand humaniste, la perte que son départ constituait pour la ■*ance, le gain qu'il représentait pour Leyde, sans compter que, sa célébrité étant grande dans le reste de 1'Europe, il y attirait aussi bien des Allemands et des Polonais. Examinons de plus yrès 1'origine des nouveaux venus: onze sont de La Roebelle, quatre sont qualifiés poitevins, huit Saintongeais, un Gascon; un vient de Bordeaux, un autre de Tours, un troisième d'Angers; trois seulement sont Parisiens. La plupart sont donc de la France* de 1'Ouest ou du Sud-Ouest, d'oü Scahger était originaire. Le jour oü il alla se faire inscrire lui-même, le 2 septembre 1593, il se fit accompagner de tout un cortège, d'une cour de quatorze étudiants poitevins, rochelois et saintongeais. C'est le surlendemain, le 4, que se fait porter, sous le nom de Marcus Antoninus Gorgias Burdegalensis, ce docteur en droit de Bordeux, M. de Gourgues, dont il a été question, comme d'un des compagnons de voyage de Scahger; mais ce n'est que le 31 décembre de cette même année 1593 que le disciple de ce dernier, Henri-Louis de La Roche-Pozay, se fit immatriculer avec Jacob Daliet, de La Roche-Pozay, et Pierre Morin, de Preuilly. Ils sont a la Faculté des lettres et, sur nos trente-sept Francais, il y en a dix-neuf dans ce cas, ce qui atteste encore une fois le prestige de Scahger; les philosophes, qui se rattachent au même groupe, sont quatre, les juristes, trois. 1. Quatrième fils de Louis I, et plus tard Ubraire aussi. 228 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Le comte Henri-Frédéric se fait immatriculer le ler janvier 1594, et il n'est pas douteux qu'il ait fréquenté Scaliger, a qui Louise de Coligny voulait le confier, et cette brillante jeunesse troublait souvent le recueillement du savant, habitué d'ailleurs a s'abstraire du bruit, comme 1'érudit dont parle Montaigne K Beaucoup d'incertitude sur 1594, on a néghgé souvent de mentionner, a cóté des noms, le lieu d'origine ; mais on peut la conjecturer francaise pour onze d'entre eux, tandis que deux seulement sont sürs. Pour 1595, quinze Francais authentiques, dont Samuel Petit, Saintongeais, étudiant en théologie de vingt ans, inscrit le 23 septembre, avec trois camarades de Dieppe et un de La Bochelle, et qui n'est autre que le futur théologien de Montpellier, oncle de eet étrange aventurier de lettres, Samuel Sorbière, a qui il apprendra la route de la Hollande. Casimir Junius, inscrit le ler octobre, a 13 ans, est le fils du professeur du Jon ; nous 1'avons vu déja immatriculé, par égard pour celui-ci, a l'Université de Heidelberg, a 1'age de sept an|| Un autre personnage connu est Philippe du Plessis-Morna« inscrit a la Faculté des lettres, le 22 novembre 1595, et agf? alors de seize ans. C'est celui qui se fera tuer en 1605, a Mulheim-sur-Ruhr, sous Maurice de Nassau. II n'était donc pas ignorant, ce jeune guerrier, et il suivait la tradition de son père, d'Agrippa d'Aubigné, de la Noue, de Scaliger lui-même, qui tous avaient manié la plume comme 1'épée 2. En cette même année 1595, il n'y a pas moins de trois Francais qui soutiennent des thèses, deux en théologie : Jacques Clémenceau, Poitevin, le 18 février, « Sur la prédestination», Zacharie Launaeus (de Launay ?), Poitevin aussi, le 19 juillet, « Sur la Personne du Christ Médiateur », et enfin Gilles Bouchereau, Angevin, le 25 septembre, « Sur 1'usufruit »3. En 1596, le nombre d'étudiants francais semble tomber a six. Les années suivantes donnent des chiffres modérés; 1597, sept ou huit, si 1'on ajoute Paul L'Empereur, de Cologne ; 1598, six, dont le plus important est Guillaume Rivet, frère ainé d'André Rivet, le futur professeur de Leyde. L'Album amicorum de ce Guillaume, agé de 17 ans, a été conservé et est 1. Livre III, ch. 13, Les Essais, éd. Motheau et Jouaust, t. VII, p. 32. Le passage pourrait fort bien se rapporter a Scaliger. 2. Cf. Livre I". 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 367*. ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE 229 publié dans le Bulletin pour Vhistoire des Eglises Wallonnes 1. 1599 atteste une nouvelle progression avec treize inscriptions et 1'on ne saurait s'empêcher de remarquer qu'elle coïncide avec la formation des Régiments francais de La Noue. Soldats et étudiants voyageaient sans doute ensemble, fainé peut-être entrainant parfois le cadet. En 1600, nouvelle augmentation : quinze Francais, dont le théologien Benjamin Basnage, qui ouvre la liste et dont le nom mérite de nous arrêter a plus juste titre encore que celui de Guillaume Rivet, car les Basnage seront parmi les plus illustres chefs du Refuge d'après la Révocation. Par 1'exemple de cette familie la aussi, il est facile de comprendre comment et pourquoi la Hollande fut la Terre promise du Refuge. Benjamin Basnage 2, né en 1580, pasteur dès 1601 a Sainte-Mère Eglise, dont Carentan sous Rouen était alors annexe, y exerce le ministère pendant cinquante et un an, et y meurt en 1652. II laisse deux fils : Antoine, sieur de Saint-Gabriel et de Flottemanville, né en 1610, pasteur a Bayeux, et qui se retire en Hollande en 1685, pour aller mourir a Zutphen en 1721 8. L'autre fils est Henri Basnage, sieur de Franquesney, né le 15 octobre 1615, avocat a Rouen, oü il s'éteint en 1695. Celui-ci est le père de Jacques, né dans la même ville en aoüt 1653, et qui se réfugié, en 1684, en Hollande ; il y sera le redoutable adversaire de Bayle. C'est de ce Basnage que Voltaire dira qu'il était plus fait pour être ministre d'un Etat que d'une Eglise. II meurt en 1723, le 22 décembre, a La Haye; il avait épousé Suzanne du Mouhn, petite fille de Pierre ï. Le frère de Jacques, Henri Basnage, Seigneur de Beauval, n'est pas moins connu. Né a Rouen en 1656 et expatrié en 1685, il continue en 1687 les Nouvelles de la République des Lettres, fondées par Bayle en Hollande en 1688, et il leur donne le titre nouveau de Histoire des ouvrages des Savants, par M. B*, docteur en droit5. Enfin, leur sceur Madeleine épousa Paul Bauldri d'Iberville, qui fut nommé, en mai 1685, professeur extraordi- 1. Deuxième série, t. I, p. 321 k 350. 2. II ne faut pas 1'idenUfler avec ce Timothée Basnage, recu membre de 1'Eglise de Leyde, le 22 avril 1601 (flchier wallon). Benjamin soutient des thèses exercitii gratia dès 1600. Voir La France protestante, 2» éd., verbo Basnage, col. 922 et s 3. Bulletin Eglises Wallonnes, I, p. 37. 4. Ibid., 2' série, t. IV, p. 370. 5. Ibid., p. 159, note 3. 230 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS naire d'Histoire ecclésiastique a l'Université d'Utrecht, oü il mourut en 1706 *; On voit donc combien il est erroné de faire remonter a la Révocation, comme on le fait le plus souvent, les relations littêraires de la France et de la Hollande et 1'installation des Francais aux Pays-Bas. En 1601, fléchissement apparent : dix inscrits, venus de partout, de Normandie, notamment de Caen et de Rouen, de Champagne, de Bourges, de Metz et du Poitou (Renatus Textor). Le Champenois est Daniël Tronchin (Troncinus) ; c'est un étudiant en médecine de 24 ans. J'ai dit fléchissement apparent, paree que les étudiants de 1'année précédente sont en partie restés, témoin 1'Album de 1'Utrechtois Boot, que j'ai souvent invoqué. Même Guillaume Rivet, immatriculé en 1598, le 28 octobre, signe encore eet Album en 1602. Celui-ci est un vrai nid de noms francais : ceux des maitres, Francois du Jon, de 1'Escluse, Basting, Scahger, y voisinent avec ceux des étudiants : Samuel Bouchereau, de Saumur 2, Nathanael Marius (« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?»), Daniël Bourguignon, d'Orléans, Abraham de la Cloche, de Metz 3, Guillaume Rivet, Bouvin *, Normand, Pierre de la Place, Normand aussi, qui écrit le 3 aoüt: Pour mourir bienheureux, a vivre faut apprendre; Pour vivre bienheureux, a mourir faut entendre. Samuel de Lescherpiere, Sr de la Rivière, est le plus savant ou le plus pédant d'eux tous ; il tracé deux lignes de syriaque, une ligne d'hébreu, une de grec, une de latin, une d'espagnol, quelques vers en allemand, en anglais, en hollandais, une devinette absurde en Italien, et une conclusion idiote en francais (cf. pl. XXVII). Plusieurs de ces noms manquent a VAlbum Studiosorum, qui 1. Ibid., p. 295, note 2. 2. U avait été envoyé en Hollande aux frais de 1'Eglise de Saumur et y est rappelé par du Plessis en 1602, pour y occuper une chaire a 1'Académie protestante. Cf. Haag, La France protestante, t. VII, 1" éd., p. 530. Nous avons vu qu'un Gilles Bouchereau, Angevin, avait soutenu des thèses en septembre 1595. Cl. p. 228. 3. II défend des thèses «exercttii gratia »en 1602 et en 1603, cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 468*. Ces thèses se trouvent encore a la Bibliothèque de l'Université de Leyde. 4. Peut-être identique a Jean Bouvin, qui épouse Marie Destombes,-dont il eut un fils, Jean, baptisé le 31 juillet 1614 (Bulletin Eglises Wallonnes, 2» série, t. I, p. 339). ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE 231 est donc loin de nous présenter tous les jeunes Francais de Leyde. Ceux de 1602, les nouveaux du moins, sont peu nombreux, cinq seulement, par contre, il y a quatre genevois qui devaient les rechercher beaucoup. Relèvement a huit en 1603, parmi lesquels je note un Jean Huet, un Robert Oudart, un Benoit Turretin. Le Bulletin des Eglises Wallonnes1 y ajoute Jacques Bertrand, Sr de Saint Fulgent, étudiant en médecine. Nouvelle progression pour 1604 : neuf inscrits, et la plupart de Touest, dont deux Orléanais, deux Poitevins, deux Bretons. L'un de ces derniers est André Le Noir, agé de vingt ans et étudiant en théologie, suivi a trois ans d'intervalle (23 aoüt 1607), par son frère cadet qui, au même age, entreprend la les mêmes études, et, si je m'arrête a ces deux noms, ce n'est pas qu'ils désignent des hommes d'une valeur particuhère, mais paree qu'ils montrent comme la tradition du voyage en Hollande se perpétua dans les families protestantes francaises au cours du xvne siècle. Lisons en effet cette requête adressée par le Pasteur Philippe Le Noir, ministre de la Duchesse de Rohan, au Synode assemblé a Harlem, en avril 1683, pour lui recommander son fils Jacques a : « Outre cela, je voulois qu'en qualité d'estudiant, il se format et perfectionnat sous les grands hommes de vostre République et, qu'ayant faict cincq ou six ans de théologie a Saumur, il y mit la dernière main dans vostre celebre Université de Leiden oü son ayeul, Guy Le Noir, et son grand-oncle, André Le Noir, Sr de Crevain et de Beauchamp, firent en entier leurs estudes de Théologie a 1'entrée du siècle que nous finissons et oü leur course pastorale a esté bien longue en cette province. » Signalons, en passant, Théodore Tronchin de Genève, qui, en 1605, soutient des thèses«exercitii gratia», en même temps que Benoit Turretin 8. Le Rectorat du fameux Arminius semble avoir attiré beaucoup de nos •compatriotes, car j'en compte, en 1605, environ quinze : Francois Petit, de Paris, un Saintongeais et quatre étudiants de la Roebelle. Elévation a dix-sept en 1606, dont dix Normands. Quatre Rouennais de dix-huit a vingt ans, se font inscrire, le 7 octobre, a la Faculté de droit et, huit jours après, les 13 et 14, un nouvel étudiant 1. 2° série, t. I, p. 336. 2. Bulletin Eglises Wallonnes, t. I, p. 206-8. 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 472*. 232 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS de Rouen et deux du Havre de Grace. Les Normands ne sont pas moins bien représehtés dans les dix de 1607, Caen surtout. Ce chiffre est dépassé d'une unité pour 1608. En 1609, huit étudiants seulement, parmi lesquels un certain Juste, qui est le « famulus » ou serviteur de trois comtes de Bismarck, de la Marche de Brandebourg. Pour 1610, cinq inscrits sürs seulement, mais pour 1611 il y en a de nouveau neuf, tandis que 1'année 1612, n'en ofïre que sept, dont Louis Cappel, de Sedan, vingt-sept ans, le célèbre théologien, immatriculé le 4 septembre, fils de celui qui avait inauguré l'Université. L'année 1613, celle du rectorat de Polyander, ne fournit que sept noms nouveaux, mais ils exigent une attention particulière, paree que nous approchons du moment oü arriveront Balzac et Théophile et que c'est parmi ces étudiants qu'on sera tenté de chercher ceux qui auront entraïné vers ces terres lointaines les deux jeunes nobles de 1'ouest. Je signale donc, le 15 février 1613, Samuel de Limay de Bezu, Briensis (de Brie), vingt et un ans ; Antoine de Montauban, dix-huit ans, étudiant en droit; David de Codelonge, Gascon, vingt-cinq ans, pour la théologie. En 1614, il n'y a que cinq inscriptions francaises nouvelles, mais il en est une qui a pu jouer un röle dans la décision du jeune Balzac, c'est celle du comte Gabriel de Montgommery, sans doute le comte de Lorges, mort en 1635. Son immatriculation est du 25 janvier 1614. Quelques jours avant, le 7, s'est fait inscrire Corneille Aerssen, 13 ans, mentionné comtne Parisien, mais qui ne 1'est qu'accidentellement, paree que ce doit être le fils de Francois Aerssen, ambassadeur des Etats a Paris. Enfin, en scrutant avec attention la page de 1615, onyrelèvedouze immatriculations francaises nouvelles, chiffre qui n'avait plus été atteint depuis une dizaine d'années. Autour de Balzac et de Théophile de Viau, inscrit le 8 mai, rien d'intéressant a signaler, mais, le 27 novembre, Louis, comte de Montgommery, a suivi 1'exemple de son frère qu'il a sans doute rejoint. Mentionnons en^assant Jean de Chaumont, Normand. étudiant en droit, et Jacques de 1'Escluses, étudiant en médecine de Rouen (vingt-six ans). Arrêtons ici cette statistique instructive, mais qu'il vaut mieux suspendre quelques instants, pour examiner ce que les sources nous révèlent des mceurs et de la vie de ces étudiants. CHAPITRE IX VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS En se rendant ainsi en lointains pays pour y parfaire leur instruction, les jeunes Francais semblaient suivre le conseil que leur donnait Montaigne : « A cette cause [1'exercice de rentendement] le commerce des hommes y est merveilleusement propre, et la visite des pays estrangers, non pour en rapporter seulement a la mode de nostre noblesse francoise, combien de pas a Santa Rotonda, ou, comme d'autres, combien le visage de Nérbn, de quelque vieille ruine de la, est plus long et plus large que celui de quelque pareille médaille, mais pour en raporter principalement les humeurs de ces nations et leurs facons et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d'autrui ». « Je voudrois qu'on commencast a le promener dès sa tendre enfance, et premièrement, pour faire d'une pierre deux coups, par les Nations voisines oü le langage est plus esloigné du nostre et auquel, si vous ne la formez de bonne heure, la langue ne se peut plier 1. » II est certain cependant que 1'auteur des Essais, a la date oü il écrit, n'a pu songer a la Hollande, mais il aura pensé a 1'Itahe et plus encore a 1'Allemagne,« oü le langage est plus esloigné du nostre. » C'est a Padoue, en effet, que Hubert Languet (né en 1518) va prendre le bonnet de docteur. C'est dans la même ville qu'en 1581, Montaigne, en son voyage, laisse M. de Caselis comme écolier. A propos de 1'Uni jrsité de Bologne, il écrit : « Le meilleur de ses escoliers estoit un jeune homme de Bordeaus, nomé Binet » 2. C'est 1'Italië que visite Francois de la Noue3, 1. Essais, I, 26. SÈ^i^ 2. Montaigne, Journal de voyage, pubiié par Louis Lautrey, 2e éd., Paris, Hachette, 1909, 1 vol. in-18, p. 170 et 183. 3. Haag, La France protestante, 1" éd., t. VI, p. 264 et 281. 234 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANQAIS mais c'est vers 1'Allemagne que se dirige, en 1596, nous 1'avons vu, le jeune Schelandre. Jacques Esprinchard \ Sr du Plomb, baptisé a La Rochelle, le 16 décembre 1573, est envoyé d'abord en Angleterre et plus tard seulement a Leyde, «a cause des beaux exercices de toute science qu'on y voit». Après avoir dédiéa Scahger sa thèse sur les tutelles, il part le 3 mars 1597, pour 1'Allemagne, et rentre a La Rochelle, le 24 mai 1598, oü il s'occupe de la fondation d'une Bibhothèque pubhque, qui fut ouverte deux ans après sa mort, survenue en 1606. Henri IV reconnait 1'Université de Leyde en accordant, en janvier 1597, a ses étudiants, les mêmes privilèges, «exemptions et immunitez » que ceux dont jouissent les écohers des autres Universités étrangères, sans toutefois leur donner le droit de « hre pubhcquement », c'est-a-dire de faire des cours en France, sans autorisation 2. Cette ordonnance ne semble pas résoudre, dans un sens f avorable, la question de 1'équivalence, demandée par les Curateurs au roi Henri IV, dès la fin de 1591, pour les doctorats conquis a l'Université de Leyde par les Francais, « attendu, dit la Résolution 3, qu'il y a ici présentement des étudiants francais, qui désireraient prendre leurs degrés dans cette Université, mais ne 1'osent, craignant que leur diplóme ne soit pas valable en France 4. » L'Université hollandaise avait donc la préoccupation des étudiants étrangers et le souci de les attirer, notamment les Francais 5. Ils étaient d'ailleurs plus aisés que les Allemands, dont beaucoup étaient de pauvres « clerici vagantes », qu'il fallait assister et qu'on poursuivait parfois en les appelant « mof maff » 6, car au peuple néerlandais «le nom d'Allemand est plus odieux que celui du démon», écrit le Poméranien Boucholt dans sa requête du 9 février 1600. Bien que n'ayant pas, comme en France, le droit de se constituer en Nations, les étudiants de même nationahté ou de même langue, se rassemblaient volontiers. Ce qui frappe dans YAlbum 1. Haag, La France protestante, 2« éd., t. V, col. 110. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 370*, 371*. 3. Ibid., p. 67. 4. Ibid., p. 154 : Un Anglais demande k l'Université 1'équivalence pour son diplóme de docteur en médecine, de Caen. 5. Ibid., p. 37* et 94*. 6. « Mof » est encore aujourd'hui en hollandais un terme péjoratif, trés usité dans le peuple, pour designer les Allemands. Ce curieux passage est au tome I, p. 395*, note, des Bronnen. VIE ET MCEÜRS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 235 studiosorum, c'est que, le plus souvent, un groupe d'étudiants francais se présente ensemble, surtout quand ils sont de même origine, auquel cas ils auront fait route en commun, sans doute. Qu'ils aient vécu en bonne intelligence avec les Hollandais, c'est ce qu'attëstent, par exemple, les termes affectueux dont se servent les compagnons de chambre d'Everard Boot, d' Utrecht, en écrivant dans son Album amicorum 1 : « Suavissimo contubernali meo », dit Pierre de la Place, Normanus Gallus; «suavissimo contubernali et amico perjucundo in nunquam interiturae amicitiae signum », écrira le Messin Abraham de la Cloche (1602), et, de la part d'un Lorrain, habituellement plus réservé, cela ne saurait être un compliment a la francaise, comme on dit aux Pays-Bas. Daniël Bourguignon d'Orléans n'est pas moins enthousiaste de celui a qui, a jamais, il « demeurera humble valet et affectionné ami ». Au moment de quitter le même Everard Boot, pour rentrer en France, le ler avril 1601, il lui dédie ces vers 2^ Ta docte piété et ton humeur courtoise, Tes discours gracieux, T'ont acquis ceste main et ceste ame francoise Qui te peut oublier, s'elle oublie ses yeux. Cela n'est pas trés éloquent, mais on est satisfait de retrouver sur ces feuillets d'Album ces traces oü revivent les ames de nos étudiants de jadis pour qui, isolés du monde, les camaraderies de chainbrée remplacaient un peu la familie absente et toujours regrettée. Aujourd'hui encore, on lit dans toutes les rues de Leyde cette affiche en latin : « Cubicula locanda », mais, a 1'habitation chez le bourgeois3, 1'étudiant francais préférait souvent 1'auberge, plus bruyante, plus grouillante de vie, oü la tablée est plus joyeuse, la conversation plus variée par les récits des voyageurs, entrecoupée parfois par les cris des rouliers et les disputes des postillons. L'une de ces auberges est a l'enseigne de 1'Empereur; c'est la, par.exemple, que logeait, le 11 novembre 1600, un jeune 1. Ms. 1686, a la Bibliothèque d'Utrecht 2. Ibid., f° 185 recto. 3. La Cloche, en mai 1601, habitait chez Honweg, tailleur, Houtstraat; Daniël Bourguignon, le 14 février 1601, chez un nommé la Haye (Bulletin Eglises Wallonnes, 2' série, t. I, p^341> ; « Esprinssart, een Franchois, wonende by Honeste Lopes » (Bronnen, t. I, p. 296*,, note 1). , 236 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS théologien de seize ans, Lanfran de Canquigny ou Canchiné *, et, a la même date, Jacques Mifïantius. D'autres préfèrent la maison Lochorst (Huize Lochorst), dans la petite rue qui porte encore aujourd'hui ce nom 2, en face de 1'élégant « Gymnase » qui existe toujours. Cette pension était tenue par MUe Pétronille van Ostrum et, en 1593, des professeurs mêmes, comme le Beige de Smet-Vulcanius,« féru de dez et de boisson »3 autant que d'érudition, y habitaient. Nous avo\s déja parlé de la « Porte du Ciel » et du « Lion Combattant », que fréquentaient les étudiants, mais malheureusement aussi certains maitres. Souvenons-nous de la phrase d'Erasme, se plaignant, au commencement du xvie siècle, des formidables beuveries et mangeries de Hollande ; la phrase reste vraie, un siècle après, sauf en cè qui touche 1'érudition etle mépris de la science : « In Hollandia, caelo quidem juvor, sed epicureis illis comessationibus offendor, adde hominum genus sordidum, incultum, studiorum contemptum praestremum, nullum eruditionis fructum, invidiam summam 4. » D'autres étudiants, les plus studieux peut-être, sont en pension chez des professeurs, qui se créaient par la des ressources supplémentaires. Tel le jeune de la Roche-Pozay, chez Scahger, mais le père le rappelle bientót, paree qu'il n'y a pas encore a Leyde d'Académie oü le futur évêque « se puisse exercer a monter a cheval et a tirer des armes»5, lacune dans 1'enseignement hollandais qui füt comblée plus tard. Pourtant le sport n'est pas absent des préoccupations de ces jeunes gens qui réclament, les Allemands surtout, un terrain pour leurs ébats en 1598 6. On 1'appellera le « palle-malle ». Quelques-uns se livrent au plus noble jeu du théatre et, en 1590, jouent la Médée de Senèque 7; en 1602, ils demandent 1'autorisation de donner 1'Amphitryon de Plaute8. Les élèves de Snelhus montent, en 1592, quatre tragédies d'Euripideet une de Plaute et recoivent, en récompense, du Recteur, 13 florins 1. Bulletin Eglises Wallonnes, 2" série, t. I, p. 340, 347. 2. Cf. Molhuysen, De komst van Scaliger in Leiden, p. 12. 3. Scaligeriana. 4. Renaudet, Préréforme et humanisme (1494-1517), Paris, Champion, 1916, in-8°. These de Lettres, Paris, p. 426, note 1. 5. Epistres francaises a M. de la Scala, p. 54. 6. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 111 et p. 114. 7. Ibid., p. 168*. 8. La requête des étudiants aux Curateurs est intéressante pour 1'histoire du théatre scolaire ; cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 407*, 408*, n° 349. o o Cf s x X VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 237 16 stuyvers1. En 1594, on donne, en francais, 1'Abraham sacrifiant, de Théodore de Bèze, dont Ia première représentation, fameuse dans 1'histoire du théatre, avait eu lieu a Lausanne en 1549 ou 1550 2. Scaliger écrit en effet a de Thou, de Leyde, le 13 décembre 1595 8 : « Ceste tragédie, 1'esté passé, fut jouée ici par quelques enfants Sans Souci, de si bonne grace et si naïvement, que touz les spectateurs en furent tous ravis et y en eust qui pleurèrent 4. » En 1595 5, ils recoivent 18 florins pour le Plulus, d'Aristophane, la Troade de Sénèque, le Miles gloriosus, de Plaute 6; le 16 juillet, les élèves de Snelhus obtiennent encore 10 florins pour YAululaire de Plaute, et les étudiants frisons, 18 florins, le 7 septembre, pour avoir représenté trois pièces latines. On se contente, en 1597, d'amener des comédiens anglais, contemporains, peut-être compagnons de Shakespeare, dans le cloftre des Béguines, lesquels gênèrent grandement les professeurs, pendant leurs cours, par leurs tambours et leurs trompettes 7. Les étudiants aiment le bruit et j'ai honte de dire, a la charge de nos bouillants compatriotes qu'ils étaient parfois parmi les fauteurs de ces rixes avec le guet, duels, etc, dont les annales universitaires sont pleines et qui appelaient la sévérité du Sénat des Professeurs, juge naturel de la population scolaire. C'est Daniël Durant, Nicolas Loyer et Denis Reboul, Galli studiosi, qui, par un tapage nocturne, furent cause des troubles universitaires qui marquèrent 1'année 1594 8. Le 8 février, le Sénat leur ordonne par affiches de comparoir devant lui. Les trois Francais s'étaient battus, le 19 janvier précédent, avec d'autres étudiants et avaient blessé 1'un d'eux grièvement, ce qui amena le Sénat, le 3 février 1594, a interdire aux 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 249*. 2. Cf. G. Lanson, Les Origines de la tragédie classique, dans Revue d'Histoire Littéraire de la France, 1903, p. 185. 3. Lettres francaises de Scaliger, éd. Tamizey de Larroque, p. 311-312. 4. Un de mes anciens élèves de l'Université d'Amsterdam, M. Fransen, prépare une these de Doctorat de l'Université de Paris sur l'Histoire du théatre francais en Hollande. 5. Bronnen, t. I, p. 88 : Le Sénat interdit aux étudiants d'organiser des représentations sans son autorisation. II considère d'attleurs ces jeux comme inférieurs a la dignité des membres du corps académique. 6. Bronnen, t. I, p. 366*. 7. Ibid., t. I, p. 98. 8- Schotel, Een studenten oproer in 1594. Cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, 238 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS étudiants le port de 1'épée; ceux-ci, frustrés d'un privilège qui marquait leur dignité et les assimilait aux gentilshommes, protestèrent avec indignation. La lutte, a ce sujet, entre le Sénat et les étudiants dura jusqu'a la fin de 1'année. En juin, il fallut même suspendre les cours a cause de ces « applaudissements de pieds », qui se pratiquent, aujourd'hui encore, dans les Universités allemandes. La présence des troupes francaises était une cause nouvelle d'algarades a main armée, contre le bourgeois; aussi du Jon, de Groot et Tuning partent-ils pour La Haye en novembre 1600, pour demander au Pensionnaire Oldenbarneveldt de les éloigner. D'autres désordres proviennent des maisons mal famées oü le « bedeau-appariteur » Bailly conduit, en 1598, les étudiants, souvent masqués, et oü ils perdent argent et santé V C'est surtout dans cette malheureuse année 1594 que des désordres se produisirent encore au commencement de novembre; on jeta despierres sur la porte de Franck Duyck, le Bourgmestreprésident, on cassa les vitres du Collége des théologiens, en même temps qu'on endommageait la pyramide élevée a 1'honneur de Son ExceUence devant son palais. La même nuit, les« eschohers » se ruèrent sur la maison du secrétaire Jan van Hout, et ils jetèrent a 1'eau plusieurs personnes au risque de les noyer. Les duels, qui sont restés jusqu'a 1'heure actuelle en vigueur dans les universités d'outre-Rhin sous le nom de«mensur », sont interdits le 3 mars 1600 par le Sénat, comme contraires a la loi divine et humaine. On aurait tort de croire que les querelles occupaient seuls la vie de 1'étudiant; celui-ci savait en mêler la pétulance au soin de 1'étude, et, le dimanche matin, a la sévérité des exercices religieux. Bien que la majorité füt protestante, toutes les confessions étaient admises. La proclamation annoncant la fondation de l'Université 2 est formelle a eet égard, et le futur évêque de Poitiers n'avait pas besoin de se faire violence. Au reste il ne faut pas croire que le catholicisme avait dispara des Pays-Bas du Nord. Interdit en principe, il était pratiqué, en fait, dans les campagnes et même dans les villes, sous 1'ceil indulgent du 1. Bronnen, t. I, p. 108 et 313*. 2. Ibid., t. I, p. 57* VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 239 Magistrat. Pourtant, c'est au culte réformé que la cloche1 appelle les étudiants, pour lesquels on prêche en latini s'ils sont Hollandais, en francais, s'ils sont Francais, Genevois ou Wallons. Sur les bancs- de l'église, comme sur ceux de 1'Université, se coudoient des jeunes gens de tout age. Sans doute il ne faut pas prendre au sérieux toutes les inscriptions de 1'Album, qui sont souvent «honoris causa», c'est-a-dire gratuites, pour des fils de professeurs, afin de leur assurer les exemptions d'accises sur la bière et le vin, qu'entraine la qualité d'étudiant, mais les écoliers de la cinquième classe de la grande école ou école latine, usaient souvent du privilege qu'on leur accordait de se faire immatriculer dès 1'age de treize ans 2. En tous cas, la formule de serment arrêtée par le Sénat, le 14 février 1595 3, s'applique è tous les étudiants êgés de plus de quatorze ans ; le 10 février précédent, les Curateurs4 avaient décidé que ceux qui seront en-dessous de eet age feraient une simple promesse. Si 1'on est indulgent pour les inscriptions, par contre, pour conquérir la licence, il faut avoir au moins vingt-trois ans et vingt-cinq pour le doctorat, qui coüte 40 florins pour les indigènes et 60 pour les étrangers. Beaucoup des inscrits ne sont pas vraiment des étudiants, ils sont simplement des « famuli » et des précepteurs. Parmi eux, les Francais sont nombreux, notamment auprès des nobles polonais ou prussiens. Cent francs de gages étaient courants au milieu du xvne siècle a Paris 5, mais je doute qu'Estienne Fouace en ait eu autant pour devenir précepteur du fils de M. Hauthin, gouverneur de 1'Ecluse, en 1632 6 et, vers 1600, les salaires devaient être plus bas encore, puisqu'un certain Cassedenier, qualifié de savant et qui enseigne le francais a Leyde, recoit du Recteur 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 34. 333 f' dU Rieu dans Bulletin Eglises Wallonnes, 2° série, t. I, p. 325, note 1, et 3. Bronnen, t. I, p. 87 et n° 288. 4. Ibid., p. 90. „jr- 9f; Bibliothèque de. l'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. I. f» 100 Lettre ltweiPmeaU 3 Al»d,:é Hrvet, de Paris, le 2 avril 1644 7. lui faisant savoir'qu'U w Z^ZÏ donner que cent francs de gages et que M. Amyraut lui avoit fait trouver un m,MiT« t,8 f"""» J- YOy Wen la demande que je faisois de cent escus a cause qn 11 V a trois enfans a gouverner luy aura fait peur » 6. Lwre Synodal, Synode de septembre 1632, art. 12 (p. 373-4): « Sur la demande d Estienne Pouace de Saint-Loo en Normandie, estudiant en théologie, maintenant précepteur du fils de M. Hauthin, gouverneur de 1'Escluse » maimenam 240 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS le 18 mai de cette année une aumóne de 2 florins 5 deniers f. En dehors des cours assez nombreux qu'ils suivaient et qui avaient lieu entre sept heures du matin, heure dont se plaint Baudius, et cinq heures du soir, la grande affaire des étudiants étaient les « disputations » et les thèses dont les « promotions » ou soutenances s'accompagnaient d'une certaine solennité avec une affluence de camarades, de professeurs et de curieux dans le décor du grand amphithéatre, qui existe encore, et qu'on revêtait pour la circonstance de tapisseries prêtées par 1'appariteur. Les trompettes mêmes ne sont pas interdites pour la proclamation. Les épreuves du doctorat, consistant en plusieurs disputes, étaient certes plus sérieuses a Leyde, a la fin du xvi* siècle et au commencement du xvne, qu'a Orléans vers 1660, s'il faut en croire Jean Rou : « J'endossai la, écrit-il dans ses Mémoires \ la vénérable robe de Cujas (car c'est ainsi qu'on appelle une vieille souquenille qui, depuis plus de six-vingt ans, traine dans la poussière d'une salie oü 1'on examine les réponses des divers candidats qui se présentent a toute heure); le point principal est sans doute de savoir s'ils ont sur eux les vingt écus dont ils doivent payer leurs licences » s. Est-ce pour cela que tant de Hollandais préféraient conquérir, tel le poète Jacob Cats 4, leurs degrés, a Orléans ou a l'Université de Caen, dont la réputation d'indulgence provoqua un arrêt du Parlement de Rouen 5 ? Cependant Barleus y mit deux ans a obtenir son doctorat en médecine. Douza écrivait : « La plupart de nos savants visitent la France, plusieurs vont en Allemagne, quelques-uns en Italië »«. 1 Bronnen Leidsehe Universiteit, t. I, p. 402*, comptesin Recteur pour 1600, 18 mart™" gegeven aan een geleert man genaemt Cassedemér die doceerde Gallicam linguam ende nu verarmt was : 2 g. 5 st. ». 2 Cité Dar Haag, La France protestante, 1" édition, t. IX, p. ll. 3 Cf Loiseleur (J.), V Université d'Orléans pendant la période de décadence. A CA Derudder, Cals, sa Vie et ses GEuvres, Calais, 1898, in-8°. . %' Cf Recuell d'arrêls de règlement donnés au Parlement de Normandie par Louis Froland' p 593, au sujet de larrêt du Parlement de Rouen défendant aux docteurs de1'Universitf de Caen de passer aucuns licenciés ni docteurs sans être examinés suivantrordo^nance; dtép£ Bouquet, Po/nfs obscurs... de la vie de Corneille, p. 22 «^ Fruin; Tien Jaren, 1899, p 211, apud Riemens, Esquisse histonque de i'enseinnement du francais en Hollande dn XVI' au XIX' s. Leyde, 1919. Citons^arm"^«Tsavants hollandais établis en France, Lévin Lesme^ (Manuel biblioa^P™qVuTte taUtterati™ francaise, de G. Lanaon, n« 1410). Nommonsi encore Öas9 Dortoman, qui remplaca Ant. Saporta, 1'aml de Rabelais dans sa chaire de irofesseur a la Faculté de Médecine de Montpellier en 1573 (Haag, 2e éd., L V, So?. 475)7 Nous avons parlé déja de Gomar et de Burgersdijk a ^Académie de Saumur. VIE ET MCEURS DES ÉTUDIANTS FRANCAIS 241 Pour finir, disons un mot des amphithéatres fréquentés par tant de nos compatriotes. L'Université de Leyde avait été inaugurée dans le couvent de Sainte-Barbe, le 8 février 1575, plus tard modifié en «Prinsenhof », oü on logea Son Excellence. II était situé au Rapenburg, aux numéros actuels 8 et 10, au coin nord du Langebrug ou long pont, puis, en septembre, on 1'avait transférée a 1'église des Béguines voilées ou Faliede Bagijnhof, (cf. pl. XV ), dont 1'étage supérieur, après 1581, servit successivement ou simultanément de « librairie», d'éghse anglaise, de salie d'escrime et de salie d'anatomie (cf. pl. XVI b) Elle était située au lieu même oü s'êlève aujourd'hui le tout nouveau batiment de la Bibliothèque. Le 8 février 1581, l'Université fut transférée au couvent des Dames Blanches (Witte Nonnen, cf. pl. XVI a). Extérieurement, elle a conservé, au bord du vieux fossé, son aspect d'éghse gothique en briques, aux longues fenêtres en ogives coupées malheureusement a mi-hauteur par les solives du plancher des salles supérieures. Un escalier a vis, bati dans une tour, y livre accès. Si modifiés qu'ils soient, les amphithéatres, avec leurs croisées, leurs hautes cheminées, leurs poutres de plafond apparentes, la noble chaire de bois sculpté de 1'Aula, oü prend place le professeur nouvellement promu, pour sa lecon inaugurale, donnent encore 1'impression des choses de jadis *, La salie voütée du bas, prés de 1'entrée, est celle qui servit, depuis 1581, pour la philosophie, et Pierre du Mouhn y expliqua Anstote; la salie du Sénat, la salie aux cent portraits, était 1'amphithéatre de médecine et Théophile de Viau y fréquenta. Le « Groot Auditorium », ou grand amphithéatre, était réservé a la théologie. C'est donc la que professèrent Saravia, du Jon, Trelcat, Polyander et plus tard Rivet, tandis que Baudius occupa le « Klein Auditorium » ou petit amphithéatre, réservé au droit: la s'assit Balzac. Voila donc la scène : laissons entrer les acteurs. 132.' Bronnen Lei^che Universiteit, t. I, p. 368», note 3 et Orlers (1614), p. 130- 16 Planche XxVlIt. Felillet de L'Album Studiosorum de l'Université de Leyde portant les noms de balzac et de théophile (iMMatricülés le 8 mai l6l5). CHAPITRE X Balzac et Théophile (1615) Ainsi se trouve expliqué, par 1'histoire de la participation francaise a l'Université de Leyde, comment deux gentilshommes de 1'ouest, pouvaient être amenés naturellement a suivre 1'inspiration de leur temps et 1'exemple de leurs camarades de la même classe et de la même région, pour aller chercher aux Pays-Bas : Ces teintures qu'on prend aux Universités H Cependant les causes que nous avons examinées étant d'ordre général, il convient de rechercher s'il en est de particulières a la biographie de chacun des deux et qui auraient pu orienter leur «hoix. Déjè nous avons vu que, parmi les étudiants inscrits en 1613 (le 12 novembre), il y avait un Gascon de vingt-cinq ans, étudiant en théologie, nommé David Codelonge ; mais cela n'a guère d'importance. Ce qui en a davantage peut-être, c'est la présence a Leyde, nous 1'avons dit, le 25 janvier 1614, de Gabriel, comte de Montgommery 2. Son frère (?) Louis, comte de Montgommery, n'est immatriculé que le 27 novembre de 1'année suivante. Nous avons vu déja au livre I un Montgommery lancant un cartel a Breauté. L'inscription de Balzac et de Théophile, le 8 mai 1615, est donc encadrée par celle de deux Montgommery et suivie de celle de Corneille Aerssen, 15 ans, le fds de 1'ambassadeur des Etats a Paris. Voila dans quelle direction on pourrait chercher, mais d'abord il conviendrait d'étabhr les-rslations des Montgommery et de i. Corneille, La Suite du Menteur, II, 4, v.621-2 : Et 1'air du monde change en bonnes qualités Ces teintures qu'on prend aux Universités. I. Le fichier wallon comprend beaucoup de fiches de Montgommery, mais aucune se rapportant a nos deux personnagcs. 244 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Balzac, ce a quoi nous ne sommes pas encore parvenus. Qu'il me suffise provisoirement d'indiquer cette piste ; il en est une autre en ce qui concerne Balzac et une autre aussi peut-être pour Théophile : les voici. Tout d'abord Balzac a-t-:l pu connaitre Baud:us ? On est frappé de 1'insistance avec laquelle il parle sans cesse de lui et du róle que le nom de ce professeur lillois joue dans la querelle entre Balzac et Théophile. On a souvent écrit, Mlle K. Schirmacher notamment, dans sa biographie de Théophile \ que Balzac suivit les cours de Baudius. Ayant trouvé la mention des deux écrivains, le 8 mai 1615, dans 1'Album studiosorum, M. Ritter2, fit observer que c'était impossible, puisque Baudius mourut en 1613. II y a cependant une phrase de Balzac dans sa dissertation sur une tragédie intitulée Herodes infanticida, qui ferait penser a des rapports personnels, c'est celle-ci3:« J'ay eu pitié, autrefois, de ce zèle forcené dans les vers du Docteur Baudius, et luy ay souhaité souvent les bons intervalles des Malades ou, pour le moins, la remission de leurs accez. Cet homme entroit en fureur toutes les fois qu'il parloit de Rome ; je ne dis pas en fureur pareille a celle qui inspiroit Orphée, mais pareille a celle qui le deschira. Je ne vis jamais tant d'escume ny tant de bile sur le papier. Et bien qu'aux autres matieres, son Genie fust heureux et son Expression agreable, en celle-cy, ilfaloitl'enchaisner comme Possédé et non pas le couronner comme Poete. On ne doit point apprehender que son Amy [Heinsius] ait de semblables enthousiasmes. » Je ne fais pas difficulté a reconnaitre que les termes de cette lettre sont ambigus et qu'ils peuvent se rapporter a une connaissance « pure livresque » de Baudius, mais voici un texte sur lequel on n'a pas encore assez appelé 1'attention. Irrité de la publication subreptice, en 1638, par Heinsius, du Discours politique sur VEstat des Provinces Unies, qu'il avait fait comme étudiant a Leyde, Balzac écrit a Chapelain : « II est vray que je suis 1'autheur du Discours qui ne craint pas assez les foudres de Rome... mais il est vray aussi que je le composai dans la chaleur d'un age qui excuse de bien plus grandes fautes. Puis donc que 1 Théophile de Viau, sein Leben and seine Werke, 1897, in-8°. 2 ReZed'Histoire Littéraire de la France, article cité plus haut p. 141. note 3mmres&l i. L. de Guez, s' de Balzac, Paris, Lecoffre, 1854, in-18, édition L. Moreau, t. I, p. 359. BALZAC ET THÉOPHILE 245 vingt-cinq ans entiers ont passé sur celle-cy, il me semble qu'il y a prescnption légitime contre toute sorte d'accusateurs. Et en Vénté le grand Heinsius devroit avoir honte de s'acharner si cruellement sur la personne du petit Balzac, de vouloir triompher en cheveux gris d'un garcon de dix-sept ans... J'ay fait une folie estant jeune et lebonhomme Heinsius 1'a publiée vingt-cinq ans après... Qui est le plus coupable de luy ou de moy ? »» Guez de Balzac insiste sur les dates avec une telle précision qu'il est difficile de ne pas en tenir compte ; or, 1'édition duDiscours par Heinsius étant de 1638, vingt-cinq ans avant nous ramènent a 1 annee 1613. L'age de dix-sept ans qu'il mentionne nous ramènerait par contre a 1614, si 1'on tient qu'il est né le ler juin 1597, mais cette date, comme 1'a fait observer M. EmileRoy2, est celle de son baptême, qui peut être de plusieurs années postérieure a celle de sa naissance. II paraït probable que Balzac était né en 1595, car il se donne au Recteur, en 1615, comme agé de vingt ans. La lettre qu'il écrit a Chapelain, le 12 juin 1645 nous reporte également a 1595 : «M. de Voiture et moi nous en avons plus de cinquante ». Si Balzac est né en 1595, le «j'avais dix-sept ans » de la lettre précédente nous mettrait a 1612, pour la composition du Discourset du voyage en Hollande et a 1615 pour 1'inscription a 1 age de vingt ans. II y a donc concordance absolue entre les déclarations faites par Balzac devant le Recteur de Leyde en 1615, a Chapelain en 1638 et au même Chapelain en 1645. Or en 1612, il a pu entendre Baudius et même être son pensionnaire, après que ce professeur se füt remarié. II parait difficile d'admettre que Balzac, en 1638 et 1645, se soit vieilli vis-a-vis de Chapelain, pour le seul plaisir de se mettre d'accord avec une déclaration ignoree de celui-ci et faite par lui-même spontanément, devant le Recteur, en 1615. Problème analogue pour Théophile de Viau, qui sefaitimmatnculer a la Faculté de Médecine en accusant vingt-cinq ans, pour cette même année. Ceci fait supposer qu'il est né en 1590, date traditionnelle, admisepar M. Lachèvre, quiprécise même le mois : avril, sans dire sur quel texte il s'appuie «. Cette date n'est pas 1. Edit. Moreau, t. I, p. 210 3. Le Libertmage au XVII' sièele, t. IV, RecutibStóWPoésie, libres et 246 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS en opposition avec une autre déclaration de Théophile, celle de 1'interrogatoire du 22 mars 1624, oü il se dit agé de trentetrois ans, car il suffit de le supposer né en mai 1590, pour réduire la contradiction entre les deux affirmations. Au lieu de les qualifier respectivement de « Zanctonensis », c'est-a-dire Saintongeais, et de ■ Vasco >, c'est-a-dire Gascon, le Recteur eut mieux fait de nous dire oü ils étaient nés, ce qui eüt, pour Théophile du moins, résolu un petit problème controversé. M. Lachèvre tient avec raison pour Clairac, a cause des deux vers1: Clairac, pour une fois que vous m'avez fait naistre, Hélas ! combien de fois me faites vous mourir ? et a cause aussi de 1'interrogatoire du 22 mars 1624 : « Par devant nous, Jacques Pinon et Francoys de Verthamon, conseillers du Roy en sa cour de Parlement... avons fait extraire des prisonsdela ConciergerieThéophile de Viau, aagéde XXXIII ans, natif de Clérac en Agenoys et dit servyr le roy en qualité de poëtte... » 2 . Mais son beu d'élection, celui qui lui donna, parmi les vignes, une enfance dorée, fut Bussères de Mazères. C'est la qu'il convie sa Chloris a le suivre 8 : La tu verras un fonds oü le paysan moissonne Mes petits revenus sur les bords de Garonne, Le fleuve de Garonne oü de petits ruisseaux Au travers de mes préz vont apporter leurs eaux, Oü des saules espais leurs rameaux verds abaissent, Pleins d'ombre et de fraicheur, sur mes troupeaux qui paissent, Cloris, si tu venais dans ce petit logis... Tu le verras assis entre un fleuve et des roches Mes plats y sont d'estain et mes rideaux de toile; Un petit pavülon, dont le vieux bastiment Fut massonné de brique et de mauvais ciment Montre assez qu'il n'est pas orgueilleux de nos tiltres ; Ses chambres n'ont plancher, toict ny portes ny vitres, Mtiriqu.es, publiés depuis 1600 jusqu'd la morl de Théophile (1626), par Fréd. Lachèvre, Paris, Champion, 1914, un-voL in-4». 1. F. Lachèvre, Le Proces de Théophile, U l, p. ó. k arnmto1Théophile, éd. AUeavune (Bibliothèque ElzévKienne), t. II, p. 45. balzac et théophile 247 Par oü les vents d'yver s'introduisant un peu, Ne puissent venir voir si nous avons du feu. Peut-être au fond n'y a-t-il lè presque pas de problème, paree que d'après ce que veut bien m'écrire M. Genouy, pasteur de 1'Eglise Wallonne d'Utrecht et qui a sa propriété a Clairac, cette commune est trés vaste, quelque trente kilomètres carrés, et chaque fonds y porte un nom : Fernand, La Combe, Bus-' sères, etc. Bussères est sur la rive gauche du Lot, au-dessous de Clairac. ■ II est possible et probable, dit M. Genouy, que les de Viau avaient leur domaine. a Bussères et une maison dans 1'enceinte de Clairac, qui était une ville forte. » La question ne serait alors que de savoir si Théophile est né dans le domainè ou dans la ville, en tous cas entre le Lot et la Garonne, et c'est ce qui importe. Ce qui n'importe pas moins, c'est de savoir que Montesquieu composa la, en son chateau de Vivens, son Esprit des Lois, et que Théophile, sans égaler son grand compatriote du xvie siècle, Montaigne, et son grand compatriote du xviii* Montesquieu, prend place entre eux pour maintenir une tradition de liberté et parfois de libertinage d'esprit, produits naturels de cette terre féconde et qui en jaillit aussi bien que le vin. Y eut-il pour Théophile, en dehors de ses attachés protestantes, un mobile particulier qui I'entraina vers la Hollande ? Si 1'on admet, pour le voyage de Balzac, la date de 1612, et notre démonstration semble la justifier, on est tenté de faire remonter a Ia même date celui de son ami Théophile, dont le séjour se serait alors aussi prolongé jusqu'a 1615, et voici pourquoi. La première constatation un peu troublante, réside dans un document inédit, qui paraït se rapporter a un séjour de Tristan L'Hermite a Amsterdam, en 1613, et 1'on sait que leur jeunesse eut maint point de ressemblance et de contact. Tristan a raconté son existence dans un roman, Le Page disgracié,1 d'une facon que M. Bernardin 2 a reconnue exacte. II y raconte au chapitre IX que le page, c'est-a-dire Tristan lui-même, s'est acquis 1'amitié « d'une troupe de Comediens qui venoient representer trois ou quatre fois la semaine, devant toute cette Cour », la cour du Roi, et il semble bien que ce soient les comediens de 1'Hótel de Bourgogne. 9■•^UV;id•, p> AJugöDi?tric£ C3"»1- Earfvirlenne), Paris, Pion, 1898, in-18. 2. Un précursem de Racine, Tristan L'Hermite. These PaVis, 1895, m£ 248 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Un jour que ceux-ci molestaient le poète « a leurs gages » en le portant par la tête et par les pieds, le jeune page (Tristan) le délivra de ce supplice. « Lorsqu'il eust appris qui j'estois et qu'on luy eust rendu son bonnet et ses mules, il me vint faire compliment comme a son libérateur et a une personne dont on luy avoit fait grande estime. Tous ses termes estoient extraordinaires, ce n'estoient qu'hyberpoles et traicts d'esprit nouvellement sorty des escoles et tout enflé de vanité. Cependant la hardiesse dont il débitoit estoit agreable et marquoit quelque chose d'excellent en son naturel... » Dans la première édition, le chapitre finit ainsi: « II me recita quelques vers qu'il avoit composez pour le Théatre et d'autres ouvrages oü je trouvois plus de force d'inspiration que de politesse. Après 1'avoir longtemps écouté, je luy en dis de la facon des plus grands écrivains du siècle et je les fis sonner de sorte que ce Poète provincial les admira; mais il feignit d'admirer beaucoup davantage la gentillesse de mon esprit et flatta si bien ma vanité que je fis dessein de luy rendre quelque bon office auprès de mon maistre dès que je serois rentré en grace. Je fus esmeu a m'employer en sa faveur par deux motifs, 1'un par 1'estime que je faisois de son humeur, 1'autre par une compassion que j'avois de sa fortune, ayant appris qu'on lui donnoit fort peu d'argent de beaucoup de vers.»1 Le « nouvellement sorty des escoles » empêcha M. Rigal d'accepter 1'identification du poète aux gages des comédiens avec Aiexandre Hardy, comme le voulait la CU de J. B. L'Hermite, car Hardy frisait alors la cinquantaine. Le chapitre du Page Disgracié suggéra au savant auteur de la thèse sur Aiexandre Hardy, une identification plus vraisemblable:« Le poète des Comédiens ayant appris que j'estpis retourné en grace auprès de mon Maistre, ne manqua pas de me venir voir afin que je le luy fisse saluer, comme je luy avois promis. Je le presentay de bonne grace; il eut 1'honneur d'entretenir une demie-heure ce jeune Prince [le duc de Verneuil] et mesme il eut la satisfaction d'en recevoir quelque libéralité, ayant fait sur le champ ces quatre vers a sa gloire : Ma muse k ce Prince si beau Consacre un monde de louanges. 1. Le Page disgracié, p. 57. BALZAC ET THÉOPHILE 249 Qui volent au Palais des Anges Et sont exemptes du tombeau. « Quoy que ces vers eussent des defauts, nous n'estions pas capables de les pouvoir discerner et nous trouvions seulement agreable ces termes empoulez, qu'il avoit recueillis vers les Pyrenees Je ne scay comment en prenant congé de mon Maistre, ce Poète débauche dit inopinément quelque mot sale et qu'il avoit accoutume d'entremesler en tous ses discours. Nostre précepteur en fut adverty... et m'aggrava fort la hardiesse que j'avois prise de presenter è mon Maistre un homme inconnu et vicieux. » «Poète provincial », « termes empoulez... recueillis vers les les Pyrenées ,,, « Poète débauche... >,, il n'en fallait pas plus a M. Rigal pour reconnaitre Théophile, d'autant plus que celui-ci, dans ses vers affirma plus tard avoir « été aux gages des Comédiens » : 1 Autrefois, quand mes vers ont animé la scène, L'ordre oü j'estois contrainct m'a bien faict de 'la peine, Ce travail importun m'a longtemps martyré ; Mais enfin, grace aux dieux, je m'en suis retiré. La suite de 1'histoire de Tristan, le page disgracié, est plus tragique. II se prend de querelle * (chap. xvi) avec un gentilhomme dans le Palais de Fontainebleau, le sert de deux coups d epee qui le blessent mortellement et s'enfuit en Normandie pour passer de la en Angleterre, afin d'y attendre le « Philosophe" chimique » qu'il a rencontré sur sa route et qui était» « tel en effet que ces chimériques esprits, qu'on a surnommez RoseCroix. » Des aventures variées et assez romanesques en Angleterre obhgent le page a s'embarquer avec des marchands pour la Norvege et cette partie du roman devient assez fantastique. Lst-ce que cette Norvège ne serait pas la Hollande ? on serait tente de se le demander en lisant le curieux document manuscrit extrait des Archives Notariales d'Amsterdam, auquel ie faisais allusion tout a 1'heure et dont voici une traduction abregée 4 : 1. CEuvres de Théophile, t. I, p. xiv 2. Le Page disgracié, p. 83. 3. Ibid., p. 178. 4. Document découvert et obligeamment communiqué par M. -Fransen. 250' PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS «Aujourd'hui, 5janvier 1613, je, NicolasJacobs, Notaire public admis par la Cour de Hollande et résidant a Amsterdam, me trouvant en compagnie d'Abraham Antonisz dans certain bureau a la demeure de 1'honorable Sr Tristan L'Hermite, nous avons entendu que le dit L'Hermite faisait venir du grenier d'enhaut certaine femme nommée, selon ses déclarations, Sabine Fredericx, a laquelle il comptait quelque argent. Ce faisant, nous avons entendu le dit Tristan L'Hermite, déclarer que, le dimanche précédent, 30 décembre, comme il était rentré chez lui en état d'ivresse, la dite Sabine Frédéricx avec sa mère et d'autres, 1'avaient conduit au grenier au lieu de le mener dans la chambre ordinaire, avaient pénétré dans celle-ci après lui avoir dérobé ses clés, ouvert toutes les caisses qui s'y trouvaient et enlevé les soieries qu'elles contenaient... « Après avoir nié, la dite Sabine avait avoué le vendredi d'après et rendu ce qu'elle avait pris, a 1'exception de certain compte et papier d'importance qui manquaient et qu'elle affirmait n'avoir pas dérobé. A la suite de quoi, sortant du dit bureau, nous avons vu dans une balance vingt sept livres de soie et huit de soie floche, que la dite Sabine avait cachées et avons pns acte des déclarations du dit Tristan les ans et jours que dessus. » La parfaite concordance des noms est étrange. Certes il y a des L'Hermite aux Pays-Pas, tel ce Jacob L'Hermite, navigateur hollandais, mort en 1624 et qui découvrit des terres nouvelles dans 1'Amérique du Sud, en un voyage dont Hessel Garntz a écrit la relation, mais c'est surtout 1'identité du prénom qui est frappante. La date de 1613 s'accorde aussi tout-a-fait avec le séjour de Tristan a 1'étranger *. On pourrait hésiter sur la question des pièces de soie, mais n'oublions pas la phrase du chapitre V de la deuxième partie : « Et de Seigneur et de Prince imaginaires que j'avois esté, je me vis effectivement Marchand, sans jamais avoir pensé 1'être. > Quand a 1'ivrognerie du Tristan du document, elle ne cadre que trop avec les mceurs débauchées du Page disgracié. Enfin, que Tristan ait songé a passer en Hollande, c'est ce que semble attester le récit qu'il fit a sa « nouvelle maitresse » en Angleterre 2 : « Lors que ma nouvelle maitresse se fut ,mise 1. Le Page disgracié, ch. xvi, p. 81,1» partie: * 1'age avoit un peu meury ma raison sur la treziesme de mes années ». 2. Ibid., Ch. xxiy de la lr° partie, p. 12o. BALZAC ET THÉOPHILE 251 a son aise suf ses oreillers, elle se prit è me faire des interrogations de ma naissance, de mon élévation et de ma fortune ; je lui respondis a cela conformément au dessein que j'avois pris de cacher adroitement toutes ces choses. Je luy dis que je me nommois Ariston, que j'estois fils d'un marchand assez honorable que j 'avois perdu depuis un certain temps et que, n'ayant plus que ma mere, qui ne vouloit plus se mesier d'aucun negoce, je 1'avois priée de me donner congé d'aller voir le monde, puis que je luy estois inutile dans la maison; que mon dessein avoit esté de visiter les Païs-Bas et la Holande, mais qu'ayant trouvé compagnie de connoissance, qui passoit en Angleterre, il m'avoit pris envie de la suivre.» J'accorde que tous ces arguments ne sont que des présomptions, d'autant plus que M. Bernardin affirme que c'est trés tard que L'Hermite adoptale prénom de Tristan, mais elles nous justifientd'avoir cité le document en question. Pourquoi 1'avoir fait cependant a propos de Théophile ? C'est que ce dernier a trés bien pu retrouver a Amsterdam son sauveur du Louvre. II y a en effet certaine phrase du P. Garasse, dans son pamphlet contre Balzac, a laquelle on n'a pas prêté assez d'attention. « Vous avez vescu d Amsterdam en compagnie de Théophile », reproche le pamphlétaire en robe, a Balzac h Plus loin il insiste : « Je suis de vostre ad vis et adjouste que, s'il y avoit une inquisition en France pour les livres, vos lettres seroient encores dans vostre grenier, empaquetées en liasses, car jamais 1'inquisition n'eust passé tous vos libertinages et la comparaison que vous faictes d'un de vos serviteurs trop ceremonieux avec le Vieux Testament, rapport qui ressent Vair d'Amsterdam et de celuy [Théophile] qui vous y enseigna de profaner les ceremonies de la Bible, les comparant aux com- ' plimens de vos amis... » , Oü il se trompe, le P. Garasse, c'est en poursuivant : « Car, n'ayant jamais estudié, ny en philosophie ny en droict, ny en theologie, ny en quelque science foncière que ce soit, ayant pour tout vostre scavoir les seuls restes de celuy que vous mesprisez tant, ayant fait un saut perilleux de la rhetorique jusques au libertinage, qui est quasi le saut de 1'alleman; n'ayant pris qu'a pieces et lopins quelque legere cognoissance des choses 1. Réponse du sieur Hgsdape au sieur de Balzac, 1624, in-4», citée par AUeaume t. i, p. CXXIX, CXXXI-CXXXIV. ' 252 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS esgarées et sans suitte, je ne scay pas avec quelle hardiesse vous pouvez parlez de la logique et de la théologie... Et vous oubliez tout le bon suc que vous aviez pris sous son instruction, pour retenir seulement les maximes d'Amsterdam et de vostre second maistre. » Le Père Garasse reproche encore a Balzac « de grotesques imaginations, comme sont des prairies de tulipes, des Euripes d'eaux de senteurs, des montagnes de perles et autres chimères, qui font le tissus de vos lettres.» » et plus loin, « que vous faites noircir la neige sous les meions que vous couchez dans un pré de tulipes... »; « ne vous perdez pas si profondement dans vos tulipes et vos fleurs que vous ne vous souvehiez de Narcisse ». Les prairies de tulipes ne sont pas les chimères que croit le Père Garasse, car il suffit de sortir d'Amsterdam ou de Leyde en se dirigeant vers Harlem, pour contempler, non sans étonnement, des deux cótés de la route, des carrés et des rectangles rouges, azur, orange, carmin, jonquille, pareils a des morceaux d'étoffe aux tons violents, qui amusent 1'ceil plus qu'ils ne le séduisent et qui recouvrent toute la campagne des environs de Hillegom par exemple, comme d'un manteau d'Arlequin. Serait-ce un souvenir aussi, et cette fois, chez Théophile, que ces notations précises de couleur inhabituelles a la poésie du xvue siècle 1 : Pour vous, sa fantaisie, en nos vergers errante, Forme le gris de lin, l'orange,> 1'amarante Et, scachant que vos yeux se plaisent aux couleurs, II vous peint son amour dans la face des fleurs. Quittons cependant le vaste champ des hypothèses. Seules de nouvelles recherches et le dépouillement des fonds des nötaires a Amsterdam, mais ils ne sont même pas inventoriés, nous apprendraient si Balzac et Théophile y ont réellement vécu vers 1613, ce que le P. Garasse est, jusqu'a présent, seul a affirmer, et si Tristan les y a attirés ou accompagnés. Mais voici qui est bien plus curieux et bien plus décisif. Un de mes anciens élèves de l'Université d'Amsterdam, M. Fransen, qui prépare une thèse de doctorat de l'Université de Paris sur l'Histoire du Théatre francais en Hollande, vient de faire une jolie déeouverte dans les Archives de Leyde. Dans le livre des déci- 1. CEuvres de Théophile, t. I, p. 148. balzac et théophile 253 sioris de justice de cette ville \ on lit, en hollandais, a-la date du 2 mai 1613, ce qui suit : « Ceux de notre tribunal échevinal ont, a la demande et sur la recommandation de Son Excellence, autorisé Mr Valleran et sa troupe a représenter ici ses Tragédies et comédies, a condition de se procurer a ses frais une salie convenable et de payer une somme de 25 florins de 5 gros 1'un, comme droit des pauvres. » Ce texte, du plus haut intérêt pour 1'histoire de notre théatre,. atteste donc la présence de la fameuse troupe de ValleranLecomte a Leyde, le 2 mai 1613. Le regretté historiën du Théatre francais avant la période classique (1901), Eugène Rigal, n'a pas connu cette tournée en Hollande, mais son hypothèse sur Théophile, poète aux gages de Valleran-Lecomte s'en trouve merveilleusement confirmée. De la a conclure que Théophile, comme nous 1'avions supposé, était aux Pays-Bas, dès le mois. de mai 1613, il n'y a qu'un pas, et la présence de Balzac en Hollande, peut-être aussi celle de Tristan L'Hermite a la même date, devient, non pas certaine, mais du moins encore plusvraisemblable. Revenons cependant a 1'immatriculation de Balzac et de Théophile, le 8 mai 1615, fait absolument incontestable et autour duquel tourne notre livre II. Balzac est « studiosus juris », il suivit donc les cours de Cunaeus. Fit-il des « disputationes » ou des thèses « exercitii gratia » ? on ne sait; en tous cas les Bronnen et les Actes du Sénat n'en portent point de traces et il ne conquit assurément pas le doctorat. Ces études avaient un caractére nettement oratoire et controversiste, mais, par la même, assez pratique en ce sens qu'il entrainait des discussions, dont la Conférence Molé au xixe siècle ou le séminaire allemand peut donner une idée. C'est en effet quelque chose de ce genre que demandent en juillet 1597 2 les étudiants en droit : institution d'une conférence (novum collegium) de sept étudiants en droit, oü ils disputeront entre eux sans président. La condition que leur impose le Recteur est 1. Gerechtsdagboek A° 1613, f. 25 : «Die van den gerechte hebben Mr Valleran met zijne consorten op haerll. |harlledenl versouck ende de recommandatie van zijn txcell"" toegelaten alhier hare Tragediën ende comedien te mogen spelen ende vuthowen nuts haer t haren coste voorsiende van een bequame Plaetse ende voor den Armen alhier betalende eenen somme van 25 gulden van 5 grooten 't stuck Actum den 2" Meye, 1613. » 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. i, p. 98-9. "254 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS seulement la présence d'un des professeurs de droit, qui puisse résoudre la controverse, si quelque difficulté se présente. Pour la médecine, et ceci nous intéresse a cause de Théophile, ce même caractère pratique apparait dans les exercices publics de dissection, qui devaient donner de si merveilleux thèmes au pinceau réahste d'un Rembrandt. Théophile, s'il fut assidu aux cours, et assurément il les suivit, car que faire a Leyde a mcins que d'y étudier, dut s'instruire auprès de Heumius, élève de du Moulin pour la philosophie S des merveilles du corps humain, auxquelles ce matériahste ne pouvait manquer de s'intéresser. Y a-t-il encore autre chose a extraire de la brève mention de VAlbum Studiosorum, telle que nous 1'avons fournie, désormais complétée, au début de ce livre II ? les deux amis habitaient dans la même maison, chez Lowis de Moije, qui peut aussi être un Louis Le Beau ou un Louis Joli, si 1'on retraduit son nom en francais, ce a quoi il faut au moins penser, quand on songe qu'aujourd'hui encore il y a des van den Bosch qui sont d'anciens du Bois et des Ledeboer qui sont des « Lait de beurre». Oü était la maison de Lowis de Moije ? prés de celle du professeur Polyander. II est donc probable qu'ils auront connu et fréquenté le seul compatriote qu'ils eussent encore dans le corps professoral. Sa qualité de théologien ne devait pas les arrêter, et c'est peutêtre chez lui que Théophile rencontra Bertius, dont nous reparlerons et dont le nom revient souvent dans ses ceuvres. Pendant le séjour des deux amis a Leyde surgit, a ce que 1'on croit chez « le gendre du Docteur Baudius », donc sans doute chez ce graveur Antoine de Vos, dont il avait été 1'hóte a Tours 2, le mystérieux incident qui devait jouer un si grand róle dans leur existence et auquel fait allusion une lettre de Théophile a Balzac 3 : « M'ayant promis autrefois une amitié que f'avois si bien mérüée, il faut que vostre tempérament soit bien altéré de m'estre venu quereller dans un cachot et vous jeuer, a 1'envy de mes ennemis a qui mieux braveroit mon affliction... « Vostre visage et vostre mauvais naturel retiennent quelque chose de leur première pauvreté et du vice qui lui est ordinaire. Je ne parle point du pillage des autheurs. Le gendre du docteur 1. Meursius, Athenae Balavae, 1625, p. 277 2. Voir plus haut, p. 220-221. 3. CEuvres de Théophile, t. II, p. 285 et s. BALZAC ET THÉOPHILE 255 Baudius vous accuse d'une autre sorte de larcin. En eet endroit, j'ayme mieux paroistre obscur que vindicatif. S'il se fust trouvé quelque chose de semhlable en mon procez, j'en fusse mort et vous n'eussiez jamais eu la peur que vous fait ma delivrance. J'attendois en ma captivité quelque ressentiment1 de 1'obligation que vous m'avez depuis ce voyage, mais je trouve que vous m'avez voulu nuire d'autant que vous me deviez servir et que vous me haïssez a cause que vous m'avez offensé. Si vous eussiee esté assez honneste pour vous excuser, j'estois assez généreux pour vous pardonner. Je suis bon et obligeant et vous estes lasche et malin et je croy que vous suivrez toujours vos inclinations et fmoi] les miennes. « Je ne me repens pas a" avoir pris autrefois 1'espée pour vous venger du baston. II ne tint pas a moy que vostre affront ne fust effacé. C'est peut-estre alors que vous ne me creustes pas assez bon poète, paree que vous me vistes trop bon soldat. Je n'allegue point cecy par aucune gloire militaire, ny pour aucun reproche de vostre poltronerie, mais pour vous monstrer que vous deviez vous taire de mes defauts, puisque j'avois tousjours caché les vostres. Je vous advoue que je ne suis ny poète, ny orateur et sur tout que je ne vous dispute point Peloquence de vostre pays 2. Je suis sans art et je parle simpte-"ment et ne scay rien que bien vivre. Ce qui m'acquiert des amis et des envieux, ce n'est que la facilité de mes mceurs, une fidéhtéincorruptible et une profession ouverte que je fais d'aymer parfaitement ceux qui sont sans fraude et sans lascheté. C'est par oü nous avons esté incompatibles, vous et moy et d'oü nayssent les accusations orgueiüeuses dont vous avez i nconsidérément persécuté mon innoeence... Soyez plus discret en vostre inimitié. Vous ne deviez point faire gloire de ma disgrace. C'est peut estre une marqué de mon mérite. Si vous n'avez esté ny prisonnier, ny banny, ce n'est pas que vous n'ayez assez de crimes pour estre convaincu, mais vous n'avez pas assez de vertu pour estre recherché. Vostre bassesse est vostre seureté.. J'ay esté malheureux et vous estes coupable... On dit que vous estes un 1. Ressentiment, ici reconnaissance. Le sens de ce mot au xvn» siècle est ■ sentimentéprouvé en retour d'un autre. 2. CEuvres de Théophile, t. II, p. 287, note 1. L'édition de Michon (Lyon. 1630) et la copie manuscrite de du Pny (collectiondu Puy, vol.3 a4et 5) ajoutent: è Vous estes nai plus proche de Paris que mol. Je suis Gascon et vous d'Ansoulesmer ie n ai eu pour regens que des escolliers escossois et vous des docteurs jesuitew ' 3 256 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS estrange masle : je 1'entens au rebours et je ne m'estonne pas si vous estes si medisant contre les dames. Vous scavez que, depuis quatorze ans de nostre cognoissance, je n'ay point eu d'autre maladie que 1'horreur des vostres... Mes desportements ne laissent point en mon corps quelque marqué d'indisposition honteuse non plus que vos outrages en ma reputation, et après une trés exacte recherche de ma vie, il se trouvera que mon advanture la plus ignominieuse est la fréquentation de Balzac }, » Soulignons le « depuis quatorze ans de nostre cognoissance », qui nous reportent a 1611 ou 1612, la lettre de Théophile étant de la fin de 1625 ou du commencement de 1626, postérieurement a 1'arrêt qui le condamne au bannissement (1" septembre 1625) et a son Apologie au Roi (nov. 1625) 2. La violence de la riposte est amplement justifiée par celle de 1'attaque lachement dirigée par Balzac contre Théophile dans deux lettres particulières adressées, 1'une a Boisrobert (12 septembre 1623) et 1'autre a Séb. Bouthillier, évêque d'Aire (20 septembre), mais rendues pubhques seulement en 1624, par leur insertion dans les Lettres du Sieur de Balzac a Paris, chez Toussainct du Bray 8. De eet acte d'accusation, oü, si 1'on veut, de cette sorte d'action reconventionnelle de Théophile, tachons de dégager 1'inculpation. « Le gendre du Docteur Baudius vous accuse d'une autre sorte de larcin ». M. Lachèvre interprète : « II dut séduire la fille ou la femme de son hóte, le gendre du Docteur Baudius », mais cette accusation ne s'accorderait pas trés bien avec celle de la fin oü Théophile taxe Balzac « d'estre un estrange masle » et d'avoir des mceurs « a rebours ». II est vrai que ce sont la des gentillesses qui sont f amilières a la plupart des polémiques entre savants, littérateurs ou théologiens du temps. On dirait plutöt qu'il s'agit d'un véritable vol, suivi d'une bastonnade énergique de la part de 1'intéressé, le graveur Antoine de Vos sans doute, et d'une intervention de Théophile dégainant pour venger son ami. Chapitre a ajouter au livre du Bibliophile Jacob sur le róle des coups de batons dans la littérature. « II ne tint pas a moy que vostre affront ne fust effacé», veut dire 1. (Euvres de Théophile, t. II, p. 289. 2. Cf. F. Lachèvre, Le Procés de Théophile, t. II, p. 181. 3. Ibid., p. 174. BALZAC ET THÉOPHILE 257 qu'Antoine de Vos refusa un duel, qui n'était guère dans les habitudes de la petite bourgeoisie hollandaise. Si rafïaire est venue en justice, ce que je ne pense pas, les archivistes hollandais nous montreront quelque jour les traces qu'elle aura laissées dans les róles ou les arrêts. Ce qui parait certain, c'est qu'au sortir de chez de Vos (rien ne.dit que Théophile et Balzac logeassent chez lui), ce dernier jure a son ami une amitié éternelle. L'éternité des hommes est trés limitée, celle des hommes de lettres 1'est plus encore. Selon Javersac *, Balzac le lui prouva en lui jouant un tour pendable, qu'il raconte en ces termes : « Quelques jours après, Balzac montra bien qu'il n'avoit pas eu moins peur que des bastonnades qu'il a autrefois souffertes, et qu'il se vist aussy estonné que Théophile en Hollande lorsqu'a son réveil il trouva que celuy-cy [Balzac] 1'avoit laissé en gage a son höte, pour quatre cents livres qu'ils avoient mangées ensemble. » Toujours est-il qu'en 1623, les beaux serments étaient assez oblitérés dans la mémoire de Balzac pour lui permettre de se désolidariser d'avec le poète compromis dans la publication du Parnasse Satgrique. II semble bien, en tous cas, quel'accusation de Théophile n'ait pas été sans fondement, car sa lettre parut vingt fois de 1629 a 1662 sans attirer de la part de 1'intéressé ni rectification ni réphque. L'affaire civile, ou plutöt « correctionnelle » se greffait sur une querelle littéraire, qui n'était pas moins grave et qui, dans cette période si mal étudiée encore de 1600 a 1628, oü s'élabore le classicisme, met aux prises deux tendances, deux doctrines, celle de la règle, qui se réclame de Malherbe et celle de la fantaisie, qui se réclame de Ronsard. « C'est peut-estre alors que vous ne me creustes pas assez bon poète, paree que vous me vistes trop bon soldat », dit Théophile dans 1'acte d'accusation cité plus haut... «Je vous advoue, continue-t-il, que je ne suis ny poète ny orateur et sur tout que je ne vous dispute point 1'éloquence de vostre pays. » Allusion sans doute a des. railleries de Balzac sur les gasconismes de Théophile et sur son accent. En vers, celui-ci dira : Je suis sans art et parle simplement, t. Dans Discours d'Aristarque d Calidoxe, a la suite du Discours d'Arislaroue d mcandre ; Rouen, 1629, in-8°, cité par Emile Roy, op. laud., p. 99 note 4. 17 258 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS affirmation des droits de la Nature et de 1'inspiration, reuouvelée de ces vers f ameux : La règle me déplaist, j'écris confusément : Jamais un bon esprit ne fait rien qn'aisément. et ailleurs: Je veux faire des vers qui ne soient pas contrahits, Composer nn quatrain sans songer a le faire . Ce «übertinage » poétique est dirigé contre Malherbe : Malherbe a trés bien faict mais il a faict pour luy. J'approuve que chascun escrive a sa facon, J'ayme sa renommee et non pas sa leeon . Schelandre nous avait fait entendre des accents analogues. C'est que la bataille des révolutionnaires classiques et des romantiques ronsardisants s'engage a chaque coin du Bois sacre. Contre rindépendant Théophile, Balzac, dès les conversaüons de Leyde, s'affirnae pur tenant de la doctrine de Malherbe. Un écho de ses remoSrances nous est donné par la lettre de Balzac * I eveque Sre (20 septembre 1623) : « Du temps qu'il se contentoit de fake des fauTes purement humaines et qu'il escnvoit avec des mins qui n'estoient pas encore coupables, je luy ay souvent rZnsJqu'il taisoit de mauvais vers et qu'il s'esümoü injustement Table hZml mais, voyant que les reigles que je lm proposois de iïle rnZ* estoient trop sévères et qu'il n'avoit point d'esperance de oarvenir oü ie le voulois mener...» 3 Or Balzac, comme il 1'écrivait quelques jours auparavant a Boisrobert * a le mesme gonst pour les vers que poui-les meions; STeTdeux sortes de f?uicts ne sont en un degré de bonté qui soirfort proche des choses parfaites, je ne les louerois pas sur la table du Roy ny dans les ceuvres d'Homere ». resnert fa'r u' a fait la langue ce qu'elle est; cf. t l, p. 176 • respect, car u a im e ^ u gUperbe Que d'oster aux vers de Malherbe Le francois qu u» uw» -i-r— Et, sans malice et sans envTe, T, ' ^ s™~, ïoü Aan* ses escrits j ay loujuuio —■- L'lmmortaUté de sa vie. 3. Frédéric Lachèvre, U Procés de Théophile, t. II, p. 179. 4. Ibid., p. 174. BALZAC ET THÉOPHILE 259 Que ces vers que Théophile lisait a Balzac 1 eussent blessé les chastes oreille du pasteur Polyander, Guez 1'avoue : « II est vray qu'il [Théophile] a des qualitez qui ne sont pas absolument mauvaises et je ne nye pas que je n'aye pris plaisir a sa liberté, lorsqu'elle ne se proposoit que les hommes pour object et qu'eDe pardonnoit aux choses sainctes », mais il faut une limite et Balzac exhorte Boisrobert a n'être point « celui a qui on reproche d'avoir violé la chasteté de nostre langue et appris aux Francois des vices estrangers et inconnus a leurs pères ». La chasteté de la langue, voila ce que le classicisme, Corneille surtout, devait imposer, et que les descendants directs de Ronsard et de Brantóme n'avaient pas encore appris. Pourtant Théophile n'était pas toujours ordurier et üs sont d'une noble et ardente passion ces vers qui étaient parmi les pièces accusées ou condamnées et reniées d'ailleurs par Ie poète 2 : Tout seul dedans la chambre oü j'ai faict ton Eglise, Ton image est mon Dieu, mes passions, ma foy. Si, pour me divertir, Amour veut que je lise, Ce sont vers que luy mesme a composés pour moy. Dans le trouble importun des soucis de la guerre, Chacun me voit chagrin, car il semble, a me voir, Que je faicts des projects pour conquérir la terre Et mes plus hauts desseins ne sont que de t'avoir. Au reproche adressé par Balzac a Théophile au sujet des régies, celui-ci devait répondre, comme dans la lettre citée plus haut, par un reproche de stérilité qui atteignait Malherbe par dessus son jeune disciple : « Si vous continuez d'escrire vous ne vivrez pas longtemps». Je scay que vostre esprit n'est pas ferülle. Cela vous picque injustement contre moy. Si la Nature vous a mal traicté, je n'en suis pas cause : elle vous vend chèrement ce qu'elle donne a beaucoup d'autres... Vous scavez la grammaire francoise...; s'il y a de bonnes choses dans vos escrits ceux qui les cognoissent scavent qu'elles ne sont pas a vous. Les «SfrS^ «sas nne toSL^^ti0^!,^1?^-^ vers et fuy a fait reconnoistré «St iïpSw^ é et *™**™> Pro*» de 3. (Euvres de Théophile, t. II, p. 285. 260 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS anciens n'ont mérité que pour eux. Tout ce que vous avez du leur est bon, mais tout ce que vous avez du vostre est contre vous...» J'imagine que ces discussions üttéraires avaient souvent la taverne pour cadre aussi bien que les ombrages des arbres du Rapenburg. Théophile a conservé un mauvais souvenir des beuveries hollandaises qu'a immortahsées le pinceau de Jan Steen. Le Francais s'enivre rarement pour le plaisir de se soüler et il méprise 1'ivresse solitaire : la bouteille de vin est un point de rassémblement et le « pineau » doit animer les regards, exciter les esprits et f avoriser les échanges de j oyeux propos:«Je me tiens plus asprement a 1'estude et a la bonne chère qu'a tout le reste», écrit Théophile dans le fragment d'une Histoire ComiqueK « Les livres m'ont lassé quelques fois, mais ils ne m'ont jamais estourdy et le vin m'a souvent rejouy, mais jamais enyvré. » Or c'est contre la lourde ivresse des Pays-Bas qu'il profeste dans son Apologie*, « ceste desbauche opiniastre qui est ordinaire dans les Pays-Bas, oü 1'on est forcé de manger et de boire plus qu'on ne peut digérer ... Théophile se rencontre ici avec Erasme. Surtout ce qui 1'excède, c'est la discipline dans la débauche, dont les étudiants allemands ont seuls gardé la tradition dans leurs « Kommers » : « Tous ces messieurs du Pays-Bas ont tant de regies et de ceremonies a s'ennyvrer que la discipline m'en rebute autant que 1'excez 8 ... Cela ne 1'empêche pas de s'y laisser entrainer tout de même, témoin la suite 4, tableau réaliste a la facon des petits maitres flamands, chez qui il y a toujours quelqu'un qui évacué quelque chose, par la bouche ou autrement: « Sydias, couché tout plat sur les carreaux, la moitie des escuelles a terre, presque un muid de vin ou vomy ou renversé, une musique de ronflemens, une odeur de tobac, des chandelles allumees comme devant des morts; bref tout m'appannssoit d'un visage si estranger que, si je ne me fusse retire de la, je m'allois imaginer de n'estre plus en France, tant cela tenoit des ceramesses du Pays-Bas.»Lisez « kermesses» et songez a Brouwer! Théophile alla-t-il souvent au cloitre des Béguines voilées / 1. (EuDres de Théophile, t. II, p. 27. 2. Ibid., p. 275. . 3 Fragment d'une Histoire Comique, ibid., p. io. i Ibid., p. 31-32 et Procés de Tnéophüe, t. I, p. 11 BALZAC ET THÉOPHILE 261 Assurément, ce réaliste curieux des choses de la Nature, devait se passionner pour la dissection des cadavres humains que Janoon, le domestique de la Faculté, va chercher jusqu'a Delft1 et d'ailleurs,' s'il n'avait été qu'un simple passant ou un simple voyageur, il ne se serait pas plus fait immatriculer que Montchrestien ou le duc de Mantoue. Qu'il ne soit pas resté longtemps après cette immatriculation, c'est incontestable, puisque, dès le mois d'aoüt, selon M. Lachèvre 2, on le trouve au chateau de Castelnau-Barbarens, chez le comte de Candale. Pourtant ce séjour a Leyde, si court qu'il ait pu être, (et rien ne dit, nousl'avons vu, qu'il n'ait été que de deux ou trois mois), aurait eu, selon le même érudit, desrésultatsdécisifs8: «Le contact du Poète avec les Hollandais, eut une conséquence plus facheuse encore. II n'était jusque-la qu'un viveur, il rapporta des PaysBas un peu du mépris des Protestants a 1'égard des papistes, objets de leurs railleries et il oublia que ce qui était spirituel L Leyde devenait criminel a Paris. Désormais, il va mêler lareligion ou plutöt les pratiques religieuses du catholicisme a ses propos grivois, il prendra un malin plaisir a se moquer de la Vierge et des Saints et a afficher son incrédulité. » Ceci est un peu contradictoire. S'il est une chose qu'on ne pouvait apprendre è Leyde, c'est 1'incrédulité. Si 1'on y raillait les saints (mais non pas toutefois les Pères et docteurs de 1'Eglise), on y avait le respect de la Vierge, bien qu'on ne lui dédiat point de culte particulier. Quant aux plaisanteries sur les papistes, le protestant francais qu'était Théophile, 1'élève de Saumur n'avait pas a les apprendre, il n'avait qu'a lire Rabelais, Henri Estienne ou Agrippa d'Aubigné. Ce n'est donc pas la qu'il faut chercher une actrón du miheu hollandais sur Théophile, mais plutöt dans 1'influence du parti arminien, de tendance largement tolérante et avec les doctrines duquel son ami Bertius a pu le famihariser Le terme même de «libertijn >» était d'usage courant a Leyde car on etait au plus fort de la lutte entre Arminiens et Gomaristes' Arminius ou Armijn, le professeur de théologie qui avait succédé a du Jon en 1602*. était mort en 1609, mais son enseignement, 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t II d 75* 2. Procés de Théophile, L I. d. 10 3. Ibid., p. 11. 'v 4. Bronnen Leidsehe Universiteit t I n 147 »t i/M ,T . Arminius, Amsterdam, lMSYm-S"' Maronier (J. H.), Jac. 262 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS contre lequel s'était élevé, avec violence, son collègue Gomarus, ancien professeur a Saumur \ avait inspiré la fameuse « Remonstrantie » ou « Remonstrance » du 14 janvier 1610 2. Un grand principe animait celle-ci, celui de la liberté humaine : liberté dans 1'ordre métaphysique, ce qui signifiait opposition a la doctrine rigoureuse de la Grace selon Calvin; liberté dans 1'ordre politique, ce qui signifiait la tolérance, chère aux Régents des villes, odieuse a Maurice de Nassau et au petit peuple excité par ses pasteurs calvinistes. Ainsi c'est aux Pays-Bas que s'est posé d'abord au xvne siècle le problème de la Grace et on atort, quand onen étudiel'bistoire, de la limiter a 1'étude de la controverse entre Jésuites et Jansénistes. Peut-on oublier que Corneille Jansen étudia en Hollande et qu'il se rencontra avec Saint-Cyran a Paris et, sans doute, a Louvain 3 ? II faut se préoccuper aussi de la quereüe protestante entre Amyralistes ou Saumuriens et Antiamyrahstes et ne pas oublier que le livre d'Amyraut sur La Prédestination 4 est de 1634, que Moïse Amyraut fut étudiant a Leyde en 1620, que le Synode de Dordrecht, qui résolut la question de la prédestination dans le sens le plus énergiquement calviniste, est de 1619 et qu'il eut un grand retentissement en France ; qu'avec la condamnation d'Oldenbarneveldt, il entraïna aussi 1'emprisonnement de Grotius, lequel s'évada de la forteresse de Loewenstein par la ruse de sa femme6 et se réfugia en France6; que Bertius,qui apparteuait au même parti Arminien, suivit eet exemple et tout cela n'est pas indifférent a 1'histoire des idéés de tolérance et de hberté métaphysique en France. 1. Voir plus haut, p. 240 n. 6. , 1010 in »„ 2. Heerine Groeneweeen, etc. De Remonstranten, Leyde, 1919, ui-8 . 3 a slit^yZpor -Royal,t. L p. 293. Sur les rapports entre la doctotae jansénhte et la doetrine protestante de la gröce, il 7 " ™ m^647(-«Tllefyü^ humienot Conrart dans une lettre a André Rivet, 13 décembre lb47 (ap. rvervner, vXSto Co£ï£rfP 406): . Les Jansénistes et les Amaldtetes, qui ne craignent rien tant^ffS^accusfe d'avolr des opinions conformes a celles des Calvinistes, ItosiÖs nous^ appellent, nous accablent d'injures atroces, sans smet et souvTn norfd^ propoPsPdans'les livres qu'us font rrtanp* •tnr la matière de la grace, qui est le point fondamental Ou saiut et ae ia reugfon ctoesxie^ne, soif seniblablê ou du mofns fort peu différente de la nostre. M. de Balzac snit cette erreur commune... » A. Haan T a France Protestante, 2e éd., V° Amyraut, col. 187 et 19/. 5 ^^M M^pe^reTÖ^rtauA dans un coflre, drconstance eélebre en Hollande et populSe par la gravure. Le chateau de Loewenstein sur la Meuse existe encore. _ .. . . ^ ,.■ i« »f- £.f: Abel Lefranc, Histoire du Collége de France... Paris, 1893 8" d 383 5. Nieuw Biografisch Woordenboek, t l, col. 318 P' ^J'^- Abraham Bertius, mort a Leyde le 4 octobre 1683, est 1'auteur de Les 167°' ?„de Hi3toria'missionis swe'clara rettio mistionfs dam?1891. promnclarum ^nfederatarum, 1658, éditée par C. Deelder, Rotter- 266 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS les couches profondes de la population et notamment parmi les ouvriers francais de 1'industrie textile a Leyde. Voüa un aspect trés inattendu et trop peu connu de 1'influence francaise en Hollande: Taction catholique. CHAPITRE XI DEUX DEVOIRS D'ÉCOLIERS A. V « 0de » ie Théophile. A part les passages que nous avons cités sur la débauche aux Pays-Bas, les souvenirs de Hollande sont rares dans l'ceuvre de Théophile et 1'impression que lui fit ce séjour ne dut pas être trèsfavorable. Je pense eneffet que c'est a cette contrée qu'il songe quand il écrit « a un Sot amy »1 : « Qu'irois-je faire en un pays oü mes habitudes ne sont point, oü les coustumes sont contraires a ma vie, oü la langue, les vivres, les habits, les hommes, le ciel et les élémens me sont estrangers ? Quel plaisir me peux tu" promettre en un climat oü toute 1'année n'est qu'un hiver, oü tout 1'air n'est qu'une nuée, oü nul vent que la bize, nul promenoir que ma chambre, nulle délicatesse que le toubac, nul divertissement que 1'yvrongnerie, nulle douceur que le sommeil, nulle conversation que la tienne ? » Pourtant il semble avoir rapporté de la-bas une ode Au Tres puissant et tousjours victorieux Prince Maurice de Nassau, qui parut d'abord dans un de ces recueils collectifs dont M. Lachèvre a si patiemment fait la bibliographie : Le Cabinet des Muses, Rouen, David du Petit-Val, 1619 ». Si, dans 1'édition de 1621, 1'ode porte pour titre : Au Prince d'Orange, c'est que Maurice avait, comme nous 1'avons vu 3, acquis ce titre par la mort de son frère ainé Philippe, le 21 fé- 1. aSuoresae Théophile, éd. Alle au me, t II, p. 329. 2. Le Cabinet des Muses ou nouveau Reeueu des plus beaux vers de ce temps. A Rouen, de 1'imprimerie de David du Petit-Val... 1619. La pièce qui nous intéresse est au t. II, qui continue la pagination du premier, aux pages 656-663. Nous avons collationné le texte sur 1'exemplaire de la Bibliothèque Nationale, Ye 11440. Cf. F. Lachèvre, Bibliographie des Recueils collectifs de poésie, t, I, p. 31», et Procés de Théophile, L I, p. 12. 3. Cf. Livre Ier, p. U7_ 268 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS vrier 1618. On peut donc conclure que 1'ode primitivemertt dédiée « Au Prince Maurice de Nassau », est antérieure a cette date et on serait assez tenté de la reporter, comme inspiration et probablement comme exécution, au passage par Leyde en 1615, sinon avant. L'Ode est du type malherbien plutöt que ronsardien, mais elle n'en vaut pas davantage. Si la Mythologie y est plus discrete, 1'enthousiasme n'en est pas moins absent et, malgré la pureté de sa langue, elle ne soutiendrait pas la comparaison avec beaucoup de strophes, d'antistrophes et d'épodes de Jean de Schelandre. Ce qui distinguait celui-ci c'était la sincérité, 1'émotion résultant de la chose éprouvée. Ici, Ostende et Nieuport ne sont que des souvenirs historiques recueillis a l'Université et la différence se marqué au premier aspect: Paver les flots de naus et les sables de morts, avait dit Schelandre 1. La terre se noya de sang, réplique Théophile 2. Cependant, que ce dernier ait parlé précisé-ment d'Ostende et de Nieuport, comme va le faire son camarade Balzac, dans le discours dont nous allons nous occuper, cela nous ferait penser qu'il s'agit d'une gageure, d'une sorte de concours, oü le prosateur et le poète se seraient proposé de traiter le même thème. Déja le motif conducteur est semblable : le combat pour la liberté. Le prestige de ce mot pour ces jeunes Francais était immense; la lutte contre le tyran, qui n'était plus, dans leur pays, qu'un thème scolaire, un lointain écho des guerres de religion, était ici réalité vécue. C'est la liberté qui arrache au bouillant Gascon ses accents les plus vrais 3 : L'Espaigne, mere de 1'orgueil, Ne preparoit vostre cercueil Que de la corde et de la roue Et venoit avec des vaisseaux Qui portoient peintes sur la proue Des potences et des bourreaux. 1. Cf. Livre I", p. 50. 2. CEuvres de Théophile, t. I, p. 155. 3. Le Cabinet des Muses, p. 658. l'ode de théophile 269 Les vostres que mordit sa rage, Mourant, disoient en leur courage 1 : O nos terres ! 6 nos citez I 2 Si vous n'estes plus asservies, Ayant gaigné vos libertez, Nous voulons bien perdre nos vies I O vous que le destin d'honneur Retira 8 pour nostre bon-heur, Belles ames, soyez apprises Que 1'horreur de vos corps destruicts * N'a point rompu nos entreprises Et que nous recueillons les fruicts Des peines que vous avez prises. La liberté n'est pas mortelle I Ainsi s'entonnait ce paean qui devait se prolonger d'échos en échos du xvie siècle jusqu'a la Révolution francaise. Assurément, ce n'est ici, comme chez Balzac, qu'un murmure, murmure frondeur s'échappant des lèvres fermées d'un écolier sur les bancs de la classe, mais il n'est pas douteux que tous ceux de nos écrivains, de nos savants et de nos penseurs, qui ont passé jadis par la Hollande et surtout y ont séjourné, y ont respiré 1'air de la liberté, qu'ils s'en sont dilaté la poitrine au point de trouver, au retour, 1'atmosphère politique et religieuse de la France, plus difficilement respirable. A tout le moins ont-ils rapporté cette idéé qu'un peuple pouvait vivre sans roi et protégé par la seule majesté de la loi et le respect des droits de chacun. Cette conviction, ils la transmettent a leurs amis et a leurs descendants, a qui ils ehseigneront les privilèges de cette terre d'élection. Ces descendants qui sontils ? des Basnage et des Jurieu ? Sans doute, c'est-a-dire des intolérants attirés moins par la liberté religieuse que par 1'austérité calviniste, mais bien d'autres aussi, qui y seront non moins a 1'aise, un Bayle, un Voltaire, un Montesquieu, un Diderot, un Mirabeau. Du xvi* siècle a la Révolution francaise, il ne manque pas un anneau a la chalne. Revenons a l'ode de Théophile. Comme forme, avec sa 1. Le Cabinet des Muses, p. 658, a « Mourans » et, plus loin, « avans » . I. Ibid. : ♦ Clartez » au lieu de « citez ». 3. Ibid. : « malheura » au lieu de * retira »; le poète a bien fait de surmrimer cette pointe consistant dans 1'antithèse de « malheura » et de « bonbeur » 4. Ibid. : « que la mort qui vous a destruits ». 270 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS succession monotone de sizains du type F F M F' M F' et de septains de type M M F M' F M' F, elle n'est ni trés variée ni trés riche. Le poète a tort de se vanter de son talent : Prince, je dis sans me louer Que le eiel m'a voulu douer D'un esprit que la France estime Ét qui ne fait point mal sonner Une louange legitime Quand il trouve a qui la donner. Quand au destinataire, Maurice, malgré les coups droits de flatterie sur ses yeux dont le feu reluit Dans le sang et parmy la poudre Comme aux orages de la nuict '< Brölent les flammes de la foudre, il dut envoyer l'ode de Théophile rejoindre au fond d'un cabinet, 1'Ode pindarique de Jean de Schelandre. B. Le « Discours » de Balzac. Une folie de jeunesse, voila comment Balzac quahfie son Discours politique sur VEstat des Provinces-Unies. On 1'a reproduit ici en appendice, d'après 1'édition hollandaise originale, car il est assez malaisé de 1'aller chercher dans le dernier des deux gros in-folios de 1665 des CEuvres\ La note marginale de Conrart ou de 1'abbé Cassagne, qui procura cette édition, porte ceci : « Ce discours fut fait par Monsieur de Balzac en Hollande, a 1'age de vingt ans et en ayant laissé une copie a un de ses amis, ü y fut imprimé fort longtemps après sans son seü. » On ne peut accepter cette note marginale, a raison de la lettre que nous avons citée plus haut2 et oü il affirme 1'avoir composé a dix-sept ans, ce qui nous reporterait aux lecons de Baudius en 1612 ou 1613. On sait d'ailleurs par M. E. Roy, que Balzac com- 1 Les (Euvres de M. de Balzac, divisées.en deux tomes. A Paris, chez Thomas JouV AuTme IlTon trouve, parmi les Dissertatic-ns Politiques, ce discours qui Situe laTssertation VII, p. 482 a 485. L'édiUon que nous donnons en appendice «t fX sm la olarmette originale inütulée : Discours PoliUque sur Vestatdes Pro- vinces Unies des Paus-Bas, par J. L. D. B., gentilhomme «^^-^^'„sérés lan Maire 1638, quatre feufilets petit in-4°, signés Jean Louis de Balzac, et mseres dtns le Ms lr 17861, f» 269 a 272 de la Bibliothèque Nationale Autre exemplaire wfc addmons mamiscrites, encarté dans le tome öl? de la Coflection Dupuy. 2. Cf. pp. 244-245. LE DISCOURS DE BALZAC 271 posa un autre discours politique intitule Harangues Panegyriques au Roy sur l'ouoerture de ses Etats, etc, dont le privilege est du 3 déeembre 1614 K L'ami ou le pseudo-ami dont il est question est, nous le savons, le bonhomme Heinsius, qui lui joua le mauvais tour de publier le Discours sans son assentiment, en 1638.* « Véritable déclamation d'un écoüer », dit M. Moreau 2, qui s'abstient de la publier; mais ce caractère seul serait une raison de nous intéresser, car rien ne sert mieux notre dessein que de pouvoir donner une idee des travaux que des étudiants francais pouvaient faire en francais, pour leurs maitres francais de rUniversité de Leyde, car, j'insiste sur ce fait, un Hollandais eut-il accepté un travail concu et rédigé en langue vulgaire 1 Heinsius, -a qui on pourrait songer, mais qui enseignait le grec, 1'eüt repoussé avec dédain; seul le LUlois Baudius me semble avoir pu 1'admettre et le priser. Discours d'élève stl'on veut, mais d'une telle fermeté de pensée et de style, en dépit d'une recherche trop grande de 1'antithése» qu'aucune ne justifie mieux la prédiction de Malherbe 3: « Ce jeune homme ira plus loin, pour la prose, que personne n'a encore esté en France.» Le plan, car il y a un plan, annonce déja ces dissertations de philosophie, dont rheureuse tradition s'est conservée jusqu'a nos jours et s'accorde si bien avec les qualités propres de 1'esprit francais. Si le travail est destiné a Le Baudier-Baudius, qui enseigne a la fois 1'histoire et le droit, rien ne s'explique mieux que eet hymne è la Liberté Belgique, dont ce professeur a célébré la conquête sur 1'Espagnol dans son De Induciis belli belgici libri III % Le discours débute par cette fiere affirmation qui sent 1'enseignement des Vindiciae contra tyrannos, que le Sénat avait essayé en vain de réprimer en interdisant, après 1'assassinat d'Henri IV, les thèses et disputes publiques sur les tyranicides5. t-ji&a 1. Bibliothèque Nationale Lb36 352, publié par Em. Roy, op. cü. en appendice. 2. CEuvres choisies de Balzac, t. I, p. 210. 3. Tallemant des Réaux, Historieltes 3e éd. Monmerqué et P. Paris, t. IV, p. 89 n. i 4. Cf. Blok, Geschiedenis, 2e éd., t. II, p. 674. 5. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 2. Résolutions du Sénat, 1610, Jul. 12 : < Visum est Mg" Rectori et Senatui Theses de Tyraniüde et iaterfleiendis tyrannis. pubheo programmate ad hoe facto, damnandas esse o. 272 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS « Un peuple est libre pouroeü qu'il neveuille plus servir. Après avoir combattu long-temps pour la vie, il combat enfin pour la victoire... » L'exemple des Provinces-Unies est proposé par 1'écolier a tous les rois et a tous les peuples de la terre : « Les Provinces du Pays-Bas qui ont eschappé des mains du Boy d'Espagne pour les avoir voulu trop serrer, doivent leur liberté a 1'extrémité de leur servitude, jouissent de la paix pour avoir esté contraintes a la guerre, font une belle lecon a tous les Souverains de ce qu'ils doivent envers leurs peuples et donnent un exemple memorable a tous les peuples de ce qu'ils peuvent contre leurs souverains. » On concoit que le courtisan de 1638 n'ait pas vu reparaitre avec plaisir cette invitation a la révolution. L'antithése qui suit ne lui devait pas être plus agréable, car elle heurtait de front la thèse du droit divin:«Elles méritent d'avoir Dieu seul pour Roy, puis qu'elles n'ont pü endurer un Roy pour Dieu et de ne relever que de sa puissance, puis qu'elles ont combattu pour sa seule I querelle.» C'estcela «qui ne craintpas assez les foudres de Rome», «ar le Dieu des Provinces-Unies est celui de Genève. Un tyran 1 qui abuse de ses droits cesse d'en avoir, c'est la thèse que Sche- ■ landre avait fait soutenir a la Hollande dans son Procez d'Espagne. « Celuy qui estoit leur maistre, estant devenu leur ennemi, a perdu les droits qu'il avoit sur elles... Voulant traiter ses subjects en bestes, il les a contrahits de se souvenir qu'ils estoient hommes et, ayant rompu le droit des gens par la mort de leurs ambassadeurs, il les a obligez a recourir au droit de nature par 1'acquisition de leur liberté.»L'allusion al'ambassade de Bergh et Montigny en Espagne et a 1'exécution du premier en 1570, est des plus nettes *. L'élève a bien profité de ses cours et quant a 1'exercice du droit de nature, il annonce Rousseau, a moins qu'il ne rappelle Bodin. Balzac insiste, avec de nouvelles antithéses et avec de ces pointes 2 que Corneille pratiquera encore : « Point de merveilles, s'il a perdu le Pays duquel il a voulu perdre le peuple, si ceux qu'il a violentez en leur foy se sont oubliez de leur fidélité ». Le jeune eatholique est décidément trés enveloppé par les doctrines huguenotes. 1. Cf. Pirenne, Histoire de Bdgique, t. IV, p. 17. ..„.j „„.„ 2. Cf. G. Lanson, Mormel d!Histoire de la Liltératwe francaise, lle éd. p. S&t, note. LE DISCOURS DE BALZAC 273 « Les Tyrans plus subtils1 et ingénieux a 1'invention des cruautez extraordinaires qui furent jamais ne s'estoient point encore advisez de s'attaquer a 1'esprit, ne scachans par oü le battre. Philippe second a esté le premier qu'on peut a bon droit nommer le Tyran des omes. » Ce qui suit est uft acte d'accusation contre 1'Inquisition, lequel ne manque pas d'éloquence : « II a trouvé le moyen de les faire endurer [les ames], il les a mises a la gesne 2, pour les faire deposer contre la verité et, après avoir employé toutes les peines de ce Monde pour tourmenter le Corps, il s'est a la fin servi de celles de 1'Enfer pour tourmenter 1'ame... Levons le masqué a cette sanglante Tragedie. N'est-ce pas détruire son peuple, sous couleur de le vouloir instruire ? tuer les Sub jets pour les guerir ? brusler son Pays pour le nettoyer ? n'est-ce pas faire servir la Religion a sa tyrannie ? rendre Jésüs-Christ ministre de ses passions ? et, au nom du Roy Cathohque, venger la cruauté du Roy d'Espagne ? » Vient alors un tableau de la résistance et il est d'une singulière vigueur de touche : « Ce pauvre peuple alors, ne trouvant point de milieu pour se sauver, fut contraint de chercher sa seureté dans les perils de la guerre et prit les armes a 1'extremité. » On sent naitre la le maitre de la prose francaise et il a des accents que 1'on ne retrouvera plus que chez Bossuet. Au tyran, les succes apparents eux-mêmes, n'ont pas réussi; le meurtre du Prince d'Orange a fait capitaines ses deux fils, Maurice et Frédéric-Henri, dont«le plus jeune seroit trop digne » de « commander, si son frere ne 1'estoit encore plus » 3. « Ils luy emportent ses meilleures villes, pendant qu'il s'opiniastre après un cimetiere ». Rappel des vers de Grotius déja cités, sur Ostende, dont le siège est éyoqué peu après, a la suite de la bataille de Nieuport: « Ils [les Hollandais] ont gardé Ostende, ne restant plus que la place oü elle avoit esté, ils ont eu assez de terre pour combattre, tant qu'ils en ont eu pour s'enterrer. » La fin se rapporte aux négociations de la Trève de 1609, dont nous avons longuement parlé au Livre précédent 4 et a laquelle Baudius avait consacré son ouvrage.«II faut donc crier: 1. Archaïsme pour «les plus subtils >. 2. Torture. 3. Je ne crois donc pas avec M. E. Roy, op. cö., p. 99, que «1'autre frère i soit Philippe, qui était 1'alné des trois. 4. Voir Livre I, chap. vin. 18 274 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS c'est assez! et mettre bas le premier les armes comme il [le tyran] les avoit prises le premier. Ses Capitaines luy servirent plus è demander la paix qu'a faire la guerre. II les envoya vers les Hollandois, non pas pour les forcer de servir, mais pour les prier de se contenter de leur liberté. II les reconnut pour Souverains, ne pouvant les faire Esclaves. II leur donna ce qu'il ne leur pouvoit pas oster et fut contraint, traitant avec eux, de bap devlent une gutturale aspirée qui eüt causé k Cicéron un profond étonnement et qu'il eüt été fort en peine de reproduire. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 105*. 3. Cette date est contestée a tort par certains biographes. A la page 3. du Traité de la bonne vieillesse, dont la version francaise a été terminée le 15 décembre 1650, il écrit: < II n'y a pas longtemps. scavoir au second de juillet, au nouveau style qu'on appelle, que 1an 78 de mon aage, s'est achevé... » 4. Cf. Meursius, notice de 1'Athenae Batavae, Leyde, 1625, in-4°, p. 316. 298 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS affliction. Cela est vrai, puisque son frère Guillaume Rivet avait fait ses études a Leyde et que son maitre, Lambert Daneau, y avait assumé la charge de professeur de théologieK En esprit il a assisté au Synode de Dordrecht, n'ayant pu le faire en personne a cause de 1'interdiction royale. Rivet avait-il fait rehre sa lettre ? je n'en sais rien, mais toujoUrs est-il qu'elle est écrite en excellent latin. La réponse de la duchesse de la Trémoïüe qui Faccompagne est en francais, mais n'est pas moins intéressante; elle témoigne de la fldélité de la princesse a son pays natal: « II est question de mon propre païs, oü j'ay receü, après ma naissance, mon éducation en la pieté, oü je possède encores les tesmoignages que ces Provinces rendent a la mémoire des travaux de feu Monsieur mon Père 2 ». Bien qu'elle regrette d'abandonner son chapelain, elle se soumettra a la dêcision des Synodes qui se tiendront au printemps prochain, et elle signe: « Charlotte Brabantine de Nassau, duchesse doariere de la Tremoille. » Du Plessis-Mornay est trés élogieux pour Rivet et ne dissimule pas aux Curateurs les difficultés que feront le Synode provincial de mars et le Synode national de mai. Erpenius rentre de France et dépose, le 10 février 1620, le rapport qu'il a rédigé sur son voyage, avec la note de ses frais, qui ne sont pas aussi élevés que ceux de Scaliger, car ils se mon tent a 750 florins seulement. Mais il est a peine rentré qu'on le fait repartir, tant Rivet tient a cceur aux Curateurs, dont les nouvelles instructions sont datées du 19 mars suivant. Erpenius doit plaider la cause de rUniversité auprès des Synodes prövinciaux et nationaux et amener le pasteur aussitöt avec toute sa familie et son mobilier, en offrant 300 florins pour la traversée 3. A la rigueur, l'Université de Leyde serait satisfaite si le Synode lui prêtait Rivet pour cinq ou six ans. Résumer les lettres adressées le 7 mars par les Curateurs au Synode provincial du Poitou, réuni a Fontenay, et au Synode national, assemblé a Alais, serait s'exposer aux plus fastidieuses redites. Citons seulement la phrase : « Ceterum cum non eam virorum ad hoe idoneorum apud nos copiam habeamus, quam desideremus, nostrique esse officii videatur ut de lnrnine ahquo extero et 1. Cf. plus haut, chapitre n. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 113*. 3. IbitL, p. 136*. UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 299 quidem e regno Galliae petito, Academiae nostrae prospiciamus...1 j D'autres lettres, datées du 20 mars, en francais cette fois, sont adressées par les Curateurs au duc de la Trémoule a la duchesse, qui va être privée du précepteur de son fds, le futur prince de Tarente, et par le Prince Maurice au Synode national, au Consistoire de Thouars et enfin a sa sceur. Malgré toutes ces belles recommandations, Erpenius est assez mal accueilh par 1'intéréssé lui-même, dont la femme n'a aucune envie d'aller en Hollande 2. Leurs pères qui ont, chacun, passé quatre-vingts ans, font beaucoup d'objections et disent que cette séparation « mettrait leurs cheveux blancs au tombeau »; tout cela sans préjudice des difficultés que feront les Synodes. Cependant Rivet s'inchnera devant leur volonté et celle de Dieu. Un jeune Hollandais, qui est le pensionnaire du pasteur, confirme a Erpenius que la femme de Rivet a fait des scènes a son mari: Laménagère hésite, non qu'elle tienne a rargent, mais paree qu'il est dur de quitter sa patrie, oü 1'on a un traitement suffisant pour vivre et même pour faire des économies,-et d'aller s'établir dans un pays étranger, oü la vie est chère, et avec un traitement qui ne permettrait pas de joindre les deux bouts. Rivet n'est pas mal installé, a une belle maison, est ai mé des siens et de ses amis; pour gagner 1'épouse, il faudrait peut-être offrir un traitement supérieur. En somme, le pasteur espère que les Synodes refuseront; cependant, plus Erpenius le fréquente, plus il lui parait 1'homme qu'il faut a l'Université. Aussi est-ce avec éloquence qu'il plaide devant les chefs de familie de Thouars, leur remontrant qu'il parlait au nom des Etats de Hollande et de son Excellence le Prince d'Orange, lesquels avaient tant fait pour la Religion Réformée et avaient tant d'affection pour les Eglises de France qu'eux et leurs sujets souffraient de leurs malheurs comme si c'étaient les leurs; mais Erpenius a 1'impression de se cogner la tête au mur, comme il le dit lui-même 3. Si grande est la célébrité de Rivet que beaucoup d'étudiants en théologie comptent le suivre s'il se rend a Leyde 4. Déja ils viennent des académies de France, pendant les vacances, dans 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 140*. 2. IM., p. 152* et 172*. 3. Ibid., p. 158*. 4. Ibid., p. 162*. 300 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS ce «trou de Thouars, pour apprendre de lui 1'art de la prédication et de 1'exposition », au reste les discours théologiques qu'Erpenius lui a entendu prononcer lui ont extraordinairement plu et ont accru son désir de 1'obtenir du Synode provincial, remis au 4 juin. En attendant, il briguera le concours de Monsieur Clémenceau, de Poitiers, qui a beaucoup d'influence sur le Synode et qui est sans doute le même que celui que nous avons vu immatriculé a Leyde. II se rendra aussi a Saumur pour s'y entretenir avec Monsieur, du Plessis et y revenir un instant, dans la bibhothèque, a ses chères études. Le 11 mai 1620, les Curateurs permettent a Erpenius d'ofïrir a Rivet, outre le traitement promis de 1.200 florins, quatre ou cinq cents florins de gratification, sous prétexte de prêches dans la communauté francaise de Leyde, bien que celle-ci soit pourvue de pasteurs réguliers *. Enfin, le 8 juin, le Synode provincial réuni a Fontenay, accorde Rivet a Erpenius, sous réserve de 1'approbation du Synode national, a qui l'église de Thouars en appelle 2. Le Synode affronté, il s'agit de gagner la femme et c'est plus difficile; elle se tient si mal que le bon Erpenius ne sait comment la dépeindre. Elle dit qu'elle ne veut pas partir et ne partira pas, que si son mari veut y aller, il y aille tout seul et, si elle ne trouve pas a se nourrir, qu'elle se mettra en service. Elle tient des propos si excessifs qu'on la croirait folie, dit son mari, qui n'ose plus lui parler. Elle ne veut pas même écouter la lettre de son beau-frère, Monsieur de Chanvernon 8, et elle dit que c'est la cupidité et 1'ambition qui poussent son mari a accepter; c'est pourquoi elle ne veut pas le suivre : qu'il parte avec les enfants, cela lui est égal, elle ira mendier.«En somme, ajoute Erpenius avec cette espèce d'humour particulier aux Hollandais, «Mademoiselle»Rivet a une tête, et ellem'accuserait justement de mensonge si je disais qu'elle n'en a point. » Erpenius lance sur « Mademoiselle »Rivet, pour la calmer, Ja duchesse de la Trémoïlle elle-même, mais en vain. Elle aime mieux mourir tout de suite que de partir pour la Hollande. On craint qu'elle ne 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 163* : « Franchoysche gemeente ». 2. Ibid., p. 168*. La conversaUon d'Erpenius et de Rivet, rapportée par 1'ambassadeur de 1'universIté avec les longueurs habituelles aux Hollandais, qui sont volontiers «uitvoerig » et « breedvoerig », est amusante; elle est malheureusement traduite en néerlandais. 3. Guillaume Rivet, sieur de Chanvernon. II avait été inscrit è 1'Université de Leyde, le 28 octobre 1598 et y avait étudié pendant quatre ans, d'après ce que dit Erpenius, p. 173*. Cf. aussi plus haut, p. 230. UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ 'RIVET 301 devienne malade; elle menace de tomber dans 1'inconduite et 1'impiété, sans qu'elle puisse en être, affirme-t-elle, rendue responsable devant Dieu. Hélas ! la pauvre dame avait raison de craindre. Suzanne Oyseau devait succomber, après vingt-cinq ans de mariage, quelques mois après le départ de son mari. C'est un vrai cas de pressentiment funeste, comme il y en a dans les tragédies de 1'époque *. En eet orage domestique, Rivet flotte dans la plus grande indécision, craignant également de mécontenter son épouse et les Etats. II suffit que le mari ait 1'air de céder, pour que la femme se contente de sa victoire sans 1'exploiter. Elle accepte une transaction proposée par Erpenius : le ministre promet de partir pour deux ou trois ans seulement, laissant son ménage a Thouars. II n'emmènera que ses deux ainés, dont le plus agé a déja vingt ans, quelques livres, un peu de linge et des meubles. Rivet a si peur qu'elle change d'avis qu'il demande a Erpenius de rester jusqu'au départ, fixé au mois d'aoüt, d'autant plus que les Académies de Saumur, Nimes et Montauban se mettent a faire des démarches pour avoir un professeur si prisé a 1'étranger qu'ils commencent a en comprendre la valeur. Le bagage sera embarqué a Nantes, tandis qu'eux passeront par la Belgique, avec des passeports accordéspar Marie de Médicis. En attendant, Erpenius s'assure par un contrat en due forme, qui est du 10 aoüt2 et qui confère au pasteur la deuxième chaire de théologie (Explication du Vieux Testament) pour 1.200 livres francaises de vingt sous, plus 300 livres d'indemnité de logement, plus 500 livres pour 1'Eglise Wallonne 3, soit 2.000 livres ou francs, c'est-a-dire 666 écus de France, plus 40 sous. Peut-être les Hollandais gagnaient-ils au change a stipuler en francs, non en florins, alors nominalement équivalents. Donc après vingt-cinq ans de ministère, a 1'age de quarante-huit ans, André Rivet quitte Thouars, le duc de laTrémoïlle, son élève, la duchesse et ses propres ouailles, « suorum visceribus avulsum », arraché a leurs entrailles, comme écrira du Plessis-Mornay aux Curateurs et Bourgmestres *. Le jeune Pineau, encore enfant, fut si frappé 1. Rivet se remaria tres vite ; il épouse, dès la fin aoüt 1621, aLondres, Marie du Moulin, soeur de Pierre et veuve du capitaine Antoine des Guyots, tué au siège d'Amiens. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 185*-6*. 3. Ibid., p. 186*. 4. Ibid., p. 194*. 302 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS que, vingt-six ans plus tard, il écrira a son oncle, le 23 novembre 1646 1 : « Je me souviendray toute ma vie de ceux [des regrets] qui furent témoignés par tout le général de nötre pais, mesme par les adversaires, lorsque vous pristes congé du Poitou. II semble y avoir encore quelque Echo dans nos bois de la Trónière, qui retentit des cris éclatans qui y furent jettés par la bonne compagnie, qu'une affection extraordinaire avoit obligée de vous y venir conduire. » Erpenius, Rivet et ses deux fils, partis de Thouars, le 21 aoüt pour Paris, arrivent a Leyde le 26 septembre 1620, après avoir passé par Sedan, Namur, le Brabant', la Flandre et la Zélande 2. Thomas van Erpen, car c'est la le vrai nom d'Erpenius, condensera ses impressions de voyage en France en un guide, dont la préface est datée de Leyde, 29 octobre 1624 : «De Peregrinatione Gallica utilüer instituenda Tradatus 3 », oü il exige avant tout du jeune voyageur la parfaite connaissance du francais, qu'il possédait certainement aussi. Le 28 septembre, Rivet est salué par le vice-Recteur et ses assesseurs; le 13 octobre il est consacré docteur en théologie par son collègue Polyander; le 14, il fait sa lecon inaugurale. Une semaine auparavant 4, les Curateurs et Bourgmestres avaient fait savoir a du Mouhn:« André Rivet est enfin parmi nous, sain et sauf, et nous nous en féhcitons beaucoup pour nos Universités et nos Eglises. » Le même jour, ils s'étaient adressés aussi au Synode National d'Alais, pour qu'il confirmat la décision du Synode provincial du Poitou, ce qui fut fait le 28 novembre 1620 avec accompagnement de féhcitations pour avoir étouffé la peste de 1'Arminianisme. On trouve la la marqué de du Mouhn, auteur de YAnatome Arminianismi, paru a Leyde en 1619. Rivet, que les signataires de la lettre considèrent comme une des principales lumières de leurs Eghses, est accordé par eux pour deux ans seulement : il en resta trente. Un peu avant, 31 juillet, les « Pilgrim Fathérs » avaient quitté la maison de Robinson, qui est en face de 1'Eglise Saint-Pierre de Leyde, pour se rendre en Amérique sur le May Flower. Ils débarquent, le 22 décembre 1620, dans la baie d'Hudson, au cap 1. Bibliothèque de l'Université de Leyde, Ms. Q 286, t. III, f° 83 r°. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 194*. 3. Cf. Brunot (F.), Histoire de la langue francaise, Paris, Colin, in-8", t. V, 1917,. p. 229. 4. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 191*. Planche XXX. ANDREAS RIVETUS SS.TH= EOLOG. DOCT.drTROFES SOR. André Rivet, théologien francais, professeur a l'Université de Leïde (1620-1632). (D'après Meursius, Athenae Batavae, i6a5). UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRÉ RIVET 303 Cod et y batissent New-Plymouth \ date immense dans 1'histoire du monde ! Peut-être Rivet s'intéressa-t-il a eux, car sa sympathie allait naturellement aux persécutés, quand ils partageaient son rigorisme. Sa présence a Leyde y a attiré beaucoup d'étudiants en théologie francais, puisque, éerivant au duc de la Trémoflle, le 8 mai 1623, pour qu'il leur laisse Rivet, les Curateurs et Bourgmestres 2 parient de « continuer icy son service, non seulement a nos églises, mais aussi a celles de France, lesquelles, depuis san arrioée, y ont tousjours eu bon nombre d'escholiers, qui ont besoin, pour directeur de leurs estudes, d'un professeur de leur nalion » « et puis que le dit Sr Rivet, continuent-ils, est accoustumé avec nous et que sa demeure en ce heu a si bien succedé, il importe, pour le public des uns et des autres, que sa vocation ne soit point interrompue. » Cette lettre et d'autres de semblable teneur, Rivet les emporte en France, oü il a été autorisé a retourner pour trois mois, afin d'y mettre ordre a ses affaires. Un peu plus tard, par leur missive du 13 aoüt 1623, adressée au Synode national siégeant a Charentona, ils prient que, cette fois, on leur abandonne défimtrvement Rivet. Ceci est refusé, mais on le leur accorde jusqu'au Synode suivant, en faveur des nombreux étudiants francais qui vont étudier a Leyde les Belles-Lettres et la Théologie sacro-sainte. A son retour, Rivet réclame Ie prix du transport de ses meubles et de sabiblioy thèquê, par mer, de Nantes a Rotterdam : on lui donna 200 florins *. Le synode national d'Apt demande Rivet pour 1'Académie de Montauban ou celle de Saumur, mais les Curateurs ne réagissent pas 5. L'Eglise de La Haye, de son cöté, 1'appelle comme pasteur de 1'Eglise francaise, décision que ratifte le Synode des Eglises Wallonnes, tenu a Leyde en avril 1630 *. En janvier 1632 7, le Prince d'Orange, par 1'intermédiaire de son secrétaire, Constantin Huygens, obtient des Curateurs qu'on lui cède le professeur Rivet, a qui il veut confier I' «institution et nourriture » de son fils, le jeune prince Guillaume. 1. Lavisse et Rambaud, Histoire Générale, t. V, p. 946. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 200*. 3. Ibid., p. 201*. 4. Ibid., p. 1J6-117. Résolution da 9 février 1624. 5. Ibid., p. 209*. Lettre du Synode da 7 octobre 1626. 6. Livre synodal, p. 353. 7. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 163. Résolution da 26 janvier 1632.. 304 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Rivet garde le titre de professeur honoraire de théologie a l'Université de Leyde, sa place au Sénat lui étant conservée ainsi que son rang. II fait, au début de mai 1632, sa lecon de doture, mais ses rapports avec 1'Alma Mater restent constants *. „ . II intervient dans la nomination de Saumaise, dans 1 appel adressé a Jacques Godefroy a Genève2. II s'interpose avec Polyander et Isaïe du Pré, pasteur de 1'Eglise francaise de Leyde ontre Saumaise et Heinsius, en mai 1640*. C'est lui encore qui sert d'intermédiaire pour faire venir Spanheim, de Genève a Leyde, en 1642 4. A la Cour, son róle dépasse les devoirs de sa charge de précepteur et de chapelain. II fut chargé d'aller négocier en Angleterre le mariage de Marie, fille d'Henriette et.de Charles I, donc petite-fille de Henri IV et de Marie de Médicis, et gj 1'obtint pour son élève, le futur Guillaume II5. En 1646 ses services devenus inutiles, il est choisi comme curateur d'une nouvelle Université hollandaise, 1'Ecole iÜustre de Bréda, qu'il inaugura, en 1646«, par un sermon on francais. II n'eut rien de pluspressé que d'y appeler, comme professeur, un théologien de ses compatriotes, nommé Dauber, alors que précisément un autre théologien francais, Desmarets, avait succédé a Gomar a la chaire de l'Université de Gronmgue, dès 1642 La théologie protestante francaise, malgré la mort de Polyander en 1646, gardait ses droits et sa place aux Pays-Bas. Rivet s'éteignit la plume a la main, après douze jours de oruelles soufïrances, le 7 janvier 1651, a 78 ans 6 mois \ soutenu par sa seconde femme, Marie du Moulin ; mais il n avait pas besoin d'une telle aide : il avait celle de Dieu et la sienne propre, «n cette méditation sur la bonne vieillesse, dont les preceptes ont dü 1'aider dans 1'épreuve 8. de Leyde, Ms. B. P. L. Q 286, T. I). ianvier 1639. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, LH, P- 229. Hes. ll janvier ioo 3 Bronnen Leidsehe Universiteit, IL p. ^474. ibid., p. 268 a 270. Ï^&^SX^^ ™*™ «" Breda; La Haye, UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE : ANDRE RIVET 305 Nous ne pouvons songer a donner ici un tableau de la multiple actiyité de ce digne ministre. Ce ne serait pas trop de consacrer un livre au grand théologien orthodoxe francais établi en Hollande, et qui n'est pas moins cónsidérable en son genre, bien que la portée de son oeuvre soit moins générale, qu'un Doneau, un Scahger, un Saumaise. Pour notre dessein, il suffit de marquer sa place et de dire que, pour la période de 1620 a 1632, c'est lui qui représente, a l'Université de Leyde, non sans éloquence et non sans éclat, la pensée francaise sous son aspect calviniste, comme de 1579 a 1587,1'y avait représentée Doneau, comme de 1593 a 1609,1'y avait in'carnée Scahger, comme de 1632 a 1653 la personniflera Saumaise. Calviniste, il 1'est, ce quinquagénaire déja connu en 1620 par son Isagoge seu Introductio generalis ad Scripturam sacram V. et N. Testamenti (Dordrecht, 1616), et le reste de son existence se passera a maintenir la doctrine du Synode de Dordrecht sur la prédestination. II 1'avait approuvée a 1'avance, paree qu'elle était selon son cceur, sa foi, sa tradition. Quoi d'étonnant si la Maison d'Orange s'associe Rivet, puisque sa puissance s'appuie sur les même* dogmes, bien qu'elle les envisage, Frédéric-Henri surtout, sous 1'angle politique plus que sous 1'angle religieux. ^ La bataille ne se livre plus guère sur le territoire hollandais, oü 1'orthodoxiel'aemportéparrexécutiond'Oldenbarneveldt, paria prison, puis 1'exil d'un Bertius et d'un Grotius; mais justement c'est en France que Grotius apporte la semence de bonne doctrine «remonstrante» et libérale et il y trouve un grand disciple: Amyraut. Contre la prédestination calviniste, 1'école de Saumur, dont celui-ci est le chef, érige le principe universaliste, qui n'exclut personne de la Grace et se rapproche singuhèrement, sur ce point, des opinions jésuites. Ainsi dans le courant du xvne siècle, et précisément vers la même date de 1640, les deux camps, catholique et protestant, se divisent sur la même question (qui, au fond, est celle de la destinée humaine) du bien et du mal, de la toute puissance et de 1'intervention de Dieu dans les actes et dans le cceur de 1'homme. ^ltllJ'rlSe'leCtUte b0na; ibid' f° 126 «^o, 10 octobre 1650 : . Mr Conrart, lequel ™lm£,de ce 9°? vous «TSF envie de no«» donner en plus d'une languê votre méditation sur ta bonne vieillesse. » Ibid., f° 128 recto, de Paris 5 nov 1fi^n • i t^S iTsInlctt Lf«S ^ ^ ^ VaSS6Ur] 13 Ktoè^nSkllS 20 306 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Sans vouloir analyser 1'oeuvre de Rivet, on peut trouver dans les nombreux papiers que conserve la Bibliothèque de l'Université de Leyde, des traces vivantes de son activité. II y a surtout la correspondance de son neveu André Pineau ; nous y avons déja puisé souvent et nous voudrions attirer sur elle 1'attention des historiens de la littérature. André Pineau, neveu et filleul d'André Rivet, n'est ni un génie ni un grand écrivain, c'est un honnête précepteur protestant, mais qui, aimant passionnément Paris, s'y accroche, s'y engage dans des families influentes et finalement échoue chez 1'ambassadeur de Hollande, fréquentant des gens en vue, les hbraires de la rue Saint-Jacques et ceux du Palais, a 1'affut des nouveautés et des scandales et ponctuel a en instruire son vieil oncle, assez friand de ce qui se passé dans la république des lettres et a la Cour, sur lesquelles Son Excellence Frédénc-Henn, le secrétaire Constantin Huygens et les princesses ne manquent pas de 1'interroger. Source précieuse, que ces missives d'un homme mstruit, dont 1'élégance et la facihté de style nous permettent, par comparaison avec celui de Rivet lui-même, de mesurer le progres q-ue 1'influence de Balzac a fait faire a tous les lettrés. Ses allées et venues jettent un jour singuher sur la tolérance foncière de la première moitié du xvn" siècle. Zélé huguenot Andre Pineau ne manque pas un prêche de Charenton, pas un Synode, pas une visite chez M. Daillé, M. du Moulin, M. Sarrau, auprès desquels il -sert de messager a son oncle, mais ü ne va pas moins aux Minimes, chez le Père Mersenne, qui 1 accable de gentillesses a 1'intention d'André Rivet. Rien de plus touchant aussi que les visites hebdomadaires de Pineau au couvent de Montmartre oü ces dames s'enquièrent avectendresse du vieillard calviniste, dont M. de Condé achète les oeuvres a la foire Saint-Germain <-. Dans les lettres de Pineau, il n'est pas seulement question de laCour, oü il accompagne 1'ambassadeur de Hollande, qui 1 a pns comme précepteur de son fils, mais d'un Daillé, dont les sermon* ne sauraient être oubliés dans une histoire de la chaire francaise. «J'ay été auditeur et un des admirateurs de ce grand Prédicateur», UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE j ANDRÉ RIVET 307 écrit Pineau de Paris le 17 mai 1647 : « II est aujourd'huy écouté avec un applaudissement universel, ayant ce don particulier de 1 agrément et de rendre la Théologie bien disante...»gg «aussi sont-ils [ces sermons] * des plus estimez, mesmes par les plus grands Prédicateurs de 1'Eglise romaine, qui les recherchent cuneusement chez nos libraires et en admirent 1'éloquence » .Cesouci de la formerépond auxexigences d'un public qui est aussi celui de nos premiers classiques : « Madame nótre Duchesse Ide la Trémome]a trouvé le nouveau temple [de Thouars] fort beau et bien rempli le jour de la Sainte Cène. Mais on dit qu'elle fait un peu la dégoütée des Ministres de campagne et regrette toujours les presches de Charenton. Les deux dimanches derniers nous y avons esté preschés par des Pasteurs du Pays d'Adieusias, qui n'étoient pas bien intelhgibles aux habitans de celui de Dieu vous conduise. Ils ont le zèle meilleur que la Langue Leurs expressions faisoient quelques fois tort è leurs pensées ce qui ne plaisoit pas a la déhcatesse de ceux qui ne peuvent souftrir de stile tant soit pett licentieux, et qui appellent barbare tout ce qui n est pas de la Cour. » « Ils ont de la peine, poursuit Pineau 3, d'écouter les Prédicateurs qui ne veulent rien donner a 1'agrément et qui croyent que c est faire chose injurieuse a la Théologie de la rendre bien disante. C est en quoy ils disent que Monsr. Daillé leur fait honte le nommant 1'Incomparable et étans ravis de voir que sa profonde doctrine est toujours si dignement secondée de son eloquence. » Chez ce disert Poitevin, fréquentent le pasteur Drehncourt, qui fera en 1649 un«excellent sermon sur la naix», * et aussi Sarrau, quand il n'est pas en son siège de Rouen, et Conrart \ quand il n'est pas aux eaux de Bourbon-l'Archambault ou au Louvre, car la «bonne société protestante ,, tient le haut du pavé et est fort bien en cour chez le Cardinal de Richeheu comme chez le Cardinal de Mazarin. Sarrau ou Sarravius est ce conseiller au Parlement de Rouen, dont le nom se retrouve comme celui de Conrart, a toutes les pages del'histoire litteraire de la première moitié du xvne siècle. II semble s'être brouillé avec Rivet a cause des Amyrahstes : « Quant a 1'interruption du f f KéS,S£V^%^f7 Q 286'l-ln' f°126 ~ 4 Ibid' t deParis'le6 juillet 1646. ^. loia., t. IV) f» 80 verso. 5. Ibid., t. IV, f" 130 verso. 308 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS commerce de M. Sarrau avec vous, Monsieur, écrit Pineau le 15 juin 1646 \ je ne scay pas a quoy 1'attribuer; mais i ay remarqué en plusieurs rencontres qu'il soutient et défend la cause de Monsr. Amyraut avec beaucoup de véhémence et que, de iuge, il est devenu partisan. » Vers 1650, Rivet et Amyraut \ sous 1'influence de la duchesse de la Trémoïlle, se réconcilièrent : Rivet, approchant de sa fin, voulait faire sa paix avec les hommes avant de la faire avec Dieu. Avec unapostat comme La Milletière, par contre, aucun rapprochement n'était possible8. I * II serait injuste cependant de ne voir en 1 ancien pasteur de Thouars qu'un fanatique étroit: il lit et accueille les productionsdes cathohques, comme les Lettres Spintuelles et Chrestiennes de feu Monsieur de Saint-Cyran. II est vrai quil se trouvait sur la question de la grace, nous 1'avons vu, plus en harmonie avec les Jansénistes qu'avec les Amyralistes. Rivet est un homme grave, il abhorre les perruques qui commencent a être a la mode en Hollande, vers 1645, et il en prosent 1'usage dans un écrit latin. II déteste et condamne le théatre et c'est pourquoi, malheureusement, Pineau ne lui parle pas des chefs-d'oeuvre de Corneille ; il n'a pas moins horreur de la danse, maisil ne répugne pas au badinage : «Nous avons veu, lm tarit Pineau * en une mesme semaine le commencement et la fin du Synode. On y a déposé un Ministre pour cause d'Adultère avec une veuve de son diocèse, quoy quil ait encore sa femme, a laquelle il n'a point fait conscience de planter des cornes. Elle n'a pas de quoi lui rendre la pareille, a ce que 1 on dit Je ne scay ce qu'il veut faire de deux femmes, pmsque tant d'autres de ses collègues se trouvent bien empesches d une ^JJs'enquiert de Scarron, sur qui Pineau lui donne le l« octobre 1650, les renseignements que voici • : « Quant a1 Autheur de la Requeste Burlesque, dont vous m escrives, il est le propre fils de ce Monsieur Scarron 1'Apostre, que vous aves autrefois veü a Paris. Je vous puis bien assurer que cettui-ci est encore q Ms O 286, t. II, f° 21 recto. 4. Kt III, f ™™&F^\\*£^0"se' t IV, 1° 124 verso et 125 5. Bibuóthèque de 1'Université de Leyde, Ms. g ^»b, i. iv, recto. Planche XXXI. Lettre inéditb de Rivet. 'Bibliothèque «Remonstranten, fonds Vossius, a Amsterdam). UN THÉOLOGIEN ORTHODOXE ! ANDRÉ RIVET 309 moins Papiste que son Père et qu'il n'est pas ennemi de notre Keligion II a veü, par mon moyen, les excellens sermons de Monsr. du Moulin et ceux de Monsr. Daillé, a cause de leur élégance. J'ay le bonheur de le voir souvent, comme étant son voisin d environ cent pas. » Rivet ne refuse même pas un rondeau assez raide sur les Amours de Monsieur de Chabot et de Mademoiselle de Rohan * si raide que nous n'osons pas le reproduire ici, bien que le théologien de Leyde ait pris soin de le faire relier avec les lettres de son neveu. II est vrai que Rivet est né au xvie siècle et la pudeur verbale du xvne lui est inconnue n ne recule pag ^ mot s'il a horreur de la chose : le siècle oü il mourut faisait peut-etre 1 inverse. Grace a la correspondance de Pineau et de Rivet il n'est pas difficile de pénétrer en son privé. II travaille debout : « Je leur fis remarquer, écrit le neveu le 18 juin 1650 \ que vous n'estes jamais assis en vostre Bibliothèque et, par conséquent, c'est a bon droit que vous avez envie, aussi bien qu'un ancien Empéreur de mourir debout en vos exercices spirituels. >, Ce détail est confirmé par lui-même au début du traité de la bonne vieillesse 3 écrit a 78 ans, auprès de sa femme: «Je suis venu devant vous pres de neuf ans entiers, et il n'y a pas long temps, scavoir au second de juillet au nouveau style qu'on appelle, que 1'an 78 de mon aage s'est achevé, auquel Dieu par sa grace, m'a jusques a present conservé Marie du Moulin, ma femme, laquelle compte la 76e annee de sa vie, et de nostre mariage, la 30e Tous deux graces au Seigneur, jouissons d'une vieillesse assez vieoureuse moy particulièrement qui, d'ordinaire, me pourmène ou me tiens debout le plus souvent, lisant et escrivant; qui suis rarement assis et n ay encore besoin de lunete, quoy que, depuis plusieurs annees, elles ayent esté necessaires a ma femme comme aussi a Tl ^ ° Fr6re' qUi mesurPasse e" ^ge P^que dequatre ans. et lequel par un rare exemple, jouit a present d'une ferme santé avec les mesmes poinctes d'esprit, desquels il n'a rien rabbatu, faisant encore ses charges en 1'Eglise et en 1'eschole avec grand edification et progrès de ses auditeurs et de ses 2. /w"?^r^0Université de Leyde. Ms. Q 286, t. I, f 10 recto. 3. La Bonne Vieillesse, p. 3. 310 PROFESSEURS-ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Mari et femme souffrent d'incommodités, elle, de rhumatismes articulaires, et lui, de coliques néphrétiques, mais ils se mamtiennent. Leur familie est nombreuse, comme il convient a un pasteur, maisil s'y fait des vides cruels, telle la perte de ce Monsieur de Montdevis, son fils ainé, qui sert Frédéric-Henn comme gentilhomme 1 et dont la mauvaise conduite lui avait causé maint tourment. II se console par la présence du petit-fils qu'il a recueilli et il lui apprend a bien garder cette tradition de la langue francaise que les réfugiés de Hollande n'ont jamais voulu perdre. « Que sa prononciation, écrit Pineau, soit aussi bonne, aussi distincte et aussi agréable que la vótre. » Sans doute, Rivet sait que son style n'a pas lapolitesse du temps, qu'il sent trop le provincial et qu'il garde trop d'archaïsmes, il s'en excuse auprès de Conrart dans la dédicace de la Bonne Vieillesse, Bréda, le 15 décembre 1650 : • Vous n y trouverez pas un agencement de paroles digne de vos oreilles, ni un style du temps qui puisse passer pour bon entre ceux qui raffinent a present un langage duquel je n'ay jamais appris la pohtesse.Vousprendrezen considération, Monsieur, que je suis Poictevin et qu'il y a trente ans que j'habite entre les estrangers de ma nation. Ce sera donc assez si j'ay puexpnmer intelhgiblement mes conceptions, en sorte que je puisse estre entendu. Je le seray aisement par vous, qui scavez parfaictement 1'elegance de nostre langue et qui vous pouvez toutesfois accommoder au plus grossier dialecte des provinces. » II n'en demeure pas moins qu'André Rivet fut un des maitres d'éloquence de 1'Eglise Wallonne et chacun sait que celle-ci a profondément agi sur 1'éloquence de la chaire hollandaise. Seulement, on avait coutume d'attribuer cette influence aux grands réfugiés d'après la Révocation, aux Basnage, aux Saurin, aux Jurieu * et c'est a Rivet et a Des Marets qu'il faut, en partie, en faire remonter 1'origine. qui s&ppelait Marie, comme sa tante, « Mademoiselle Rivet ». CHAPITRE XIV LE PLUS GRAND PHILOLOGUE DU XVIIe SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE (1632-1653) Si, de 1620 è 1632, Rivet représenta la France a l'Université de Leyde, c'est a Saumaise que revint 1'honneur de le faire, avec combien plus d'éclat, de 1632 a 1653. Saumaise, c'est le Scahger du xvne siècle. II 1'est, quoique avec moins de génie, a tous les égards et de toutes les f acons. C'est sa f aiblesse, car 1'époque n'est plus a la science envisagée comme renaissance des lettres et du savoir antique, mais c'est aussi sa force, car sa connaissance des Grecs et des Romains n'est pas moins remarquable que celle de son illustre prédécesseur. Que ce soit l'Université de Leyde qui, une seconde fois, ait offert un sür et honorable asile au plus grand philologue francais du temps, a vingt ans de distance, ce n'est point un hasard, c'est un choix, une volonté bien arrêtée; c'est aussi et surtout une preuve de ces rapports intellectuels étroits entre la France et la Hollande, que nous avons pris a tache de montrer dans la première moitié du xvne siècle. > t%- Saumaise, selon son propre témoignage * était né le 15 avril 1588, a Semur-en-Auxois, d'une familie noble de Bourgogne ; son père, Bénigne Saumaise, était seigneur de Tailly, Bouze et Saint-Loup, et conseiller au Parlement de Dijon, depuis 1592 jusqu'a sa mort, survenue le 15 janvier 1640. Érudit, comme beaucoup de ses confrères, il traduisit en vers francais la géographie de Denys d'Alexandrie. < Poene te solo praeceptore usus », écrit Saumaise a son père dans la dédicace du de Pallio. II était catholique, mais sa femme, Elisabeth Virot, était huguenote. 1. Haag, La France Protestante, 1" éd., t. IX, p. 149 a 173. 312 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Le jeune Claude, ainé des fils, est envoyé a Paris en 1604. Comme pour Erasme et Scaliger, 1'influence de la capitale sorboniquefut, sur lui, décisive. Sa philosophie achevée, il demande a son père, sur les conseils de Casaubon, 1'autorisation d'étudier a Heidelberg, auprès de Godefroy : « AUez donc », lui répondit-il, car « je vous veux monstrer en cela que je suis plus indulgent père que vous n'estes obeissant fils.» Allusion, sans doute, a ce qu'il pratiquait ouvertement la religion réformée, sans tenir compte de la volonté de son père qui, sous 1'empire de considérations humaines, désirait qu'il ne la professat que secrètement. Ainsi s'exprime Casaubon, dans sa lettre au Conseiller Lingelsheim. II parle de lui a Scaliger comme d'un jeune homme «ad miraculum doctus». Saumaise s'épuise a passer au travail deux nuits sur trois; il découvre a laBibhothèque Palatine, dont Gruter lui facilite 1'accès, le recueil d'Epigrammes d'Agathias. Casaubon le morigène doucement en latin : « Souviens-toi, trés docte Saumaise, de ce que je t'ai si souvent prêché dans mes lettres, d'être prudent, d'avoir égard a la santé de ton petit corps débile. Je savais 1'ardeur de ton esprit et sa propension a imposer au corps plus que ses forces ne pouvaient supporter. » N'ayant pas écouté les conseils du vieillard, ce qui est le propre des jeunes gens, il tombe malade et se voit prescrire un repos complet, mais ce Bourguignon ardent le supporte mal et il cherche a se guérir du travail par 1'amour, dans lequel il se jette avec la même violence. II se prend «non pas a aimer», ditil, car il n'aime vraiment que les livres, mais « a faire 1'amour ». II guérit de 1'asthenie et de la passion, puis se met a son Florus. Après trois ans de séjour a Heidelberg, rentré a Diion en mars 1609, il se fait recevoir, le 19 juillet 1610, avocat au Parlement. II va souvent a Paris, d'oü Nicolas Rigault lui permet généreusement d'emporter les livres de la Bibliothèque du Roi. Le 5 septembre 1623, il épouse Anne Mercier, une des filles du savant Josias Mercier, sieur des Bordes, et vécut avec elle dans la terre de son beau-père, a Grigny, prés de Paris. II en voulut toujours a LaMilletière et a Didier Hérauld, responsables de cette alliance de philologues, qui rappela plus souvent Socrate et Xanthippe que Philémon et Baucis. «Lafemme de Monsieur de Saumaise, fille de Josias Mercier, a donné bien des chagrins a UN PHILOLOGUE DU XVIie SIÈCLE | CLAUDE SAUMAISE 313: eet homme docte », est-il dit dans le Lantiniana, oü le Conseiller Lantin rapporte. aussi les vers latins qu'on avait faits sur ce mariage : Vir clare ex scriptis, uxorem ducere rroli, Foemina cum Libris vix bene conveniet Ergo, Salmaside, si fldo credis amico, Cura tenaxscalami sit tibi, non thalami. « Ces vers latins, continue le Lantiniana, ne sont guère bons,, quoi qu'ils contiennent un bon avis. Voici des vers francois' encore moins bons que les latins sur le même sujet: Des neuf Muses, Doctes Pucelles, II estoit toujours amoureux ; II estoit toujours chéri d'elles Comme le favori des Dieux. Une dixième survenue, Qui n'estoit Muse néanmoins Fut par lui plus chère tenue Mais neuf en valoient une au moins *i Jaloux des lauriers de Scahger, rêvant peut-être déja de lui succéder, après s'être vu refuser, pour cause de religion, en 1629, la charge de son père, il se met a 1'hébreu et a 1'arabe, puis au syriaqüe, au chaldéen et au persan qu'il étudie sans maitres. II semble avoir reconnu plus tard la parenté de cette langue avec le germanique 2. Mais il se rend compte que «les siècles futurs ne produiront jamais le semblable de Scahger et que, dans les siècles passés, personne ne 1'avait égalé 3. Pourtant, ce dernier lui-même disait qu'il s'instruisait a lire les lettres du jeune homme. C'est a la séance des Curateurs du 20 juin 1630 que M. de Sommelsdijck, qui nvest autre que 1'ancien ambassadeur des Provinces-Unies a Paris, un Bruxellois d'ailleurs, propose de reprendre d'urgence les négociations avec Saumaise, devenu 1. Bibliothèque Nationale, Ms. fr. 23254, p. 122, n« 101 pr/mw Leycfe'TèsS taT F^xTrv*™.^ W88" JW<™'* Liter PróTh^ aJf^1*..C^"f°5atl0n.de MM Ferté Muller- U«» Jeune énidit beigeM[ Jean Bau ^M^1* dU PI;ofesseu,; He»ri Grégoire, et qui prépare une thèse' sur Saumaise" ?!^bl^in me Ity?** «ne lettre oü ce dernier amiom» a Peiresc w'il s'est mTs 4 rétude du copte (Les Correspondants de Peiresc, V, Cl. de Saumaise dans Mé™L, det'Andémie de Dl/on, 3' série, t. VII (1882), pp. 203-384) ' M<™1™ 3. Haag, La France protestante, V» éd., t. VII, p. 7, art. L'Escale. 314 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Salmasius, pour le faire venir a Leyde, illustrer 1'Uidversité T>ar les livres qu'il écrirait, sans faire aucune lecon pubhque , indiquant assez, par la, qu'il s'agissait, dans son esprit et dans celui de ses collègues, derecommencer, avec ce savant, 1 experience qui avait si bien réussi pour Scaliger. Rivet est autonse a linformer dès lors des intentions des Curateurs, qui destinent a Saumaise un traitement de 1.500 florins On se sert aussi de Monsieur Justel, secrétaire du duc de Bouillon et fondateur de la Bibliothèque de Sedan, pour sonder les intentions du plu- 10U^des Curateurs, le Président, semble manifester une certaine répugnance, avoir des objections ou « bezwaar», qui jouent nn grand röle dans les délibérations des Sociétés ou comités hollandais. Ceci retarde la décision finale jusqu au 8 aout 1631 date a laquelle les Curateurs et Bourgmestres consultent Gerard Vossius 3 II affirme que « le dit Salmasius est un des personnages les plus érudits et les plus versés dans les antiquites rehgienses et prof anes ainsi que dans 1'histoire, qu on put trouver on toute la chrétienté, que cependant il n'avait pas connaissance de son éloquence orale et que, par conséquent, il ignorait s il serait capable ou non de faire des lecons en pubhc >> Bien que Cromholt, qui a lui-même rapporté eet avis competent, formule encore des «bezwaren», après müre délibération, a 1 unanimité, les Curateurs décident d'inviter le Sr. Claude Saumaise a venir résider dans la ville de Leyde et a en illustrer 1 Univemté_ par son nom et par seï écrits, a traiter en particulier d Histoire religieuse et a réfuter notamment les Annales de Baronius le touf moyennant un traitement annuel de 2.000 flonns payables par trimestre, auxquels s'ajoutent 600 florins pour le transport de son mobiher, a condition qu'arrivé a Leyde, il n accepte 1 Bronnen Leidsehe Vniversileit, t. II, p. 150. Je croirais volontiers que rintermédiaire doit avoir été Grotius qui habrtait Paris d Pmeau (Cf. Bibl. 2. Le nom de^Justel 6^nt souve^dans ^ ™ s J'en donneray IntgrapnlTeM^^^^^ ^ *° ^ Haye. ■ ,•„.•„„„ Mc fr rlp la Bibliothèque Nationale 23254, le plus docte, le pte judicieux et le plm ^^ °^^^eS les raisons qu'ü a de ffr^^ Imprimée. > UN PHILOLOGUE DU XVIIe SIÈCLE ! CLAUDE SAUMAISE 315 aucune autre charge ailleurs sans le consentement des Curateurs h ifY?£ La lettre écrite a Saumaise, en exécution de cette Résolution a, le 15 aoüt 1631, est concue en latin, dans les termes les plus flatteurs : « Telles sont la renommée de votre érudition et la eélébrité de votre nom, étabhes par tant d'ceuvres de premier ordre, que personne d'un peu cultivé n'ignore combien vous doit la République des lettres et combien elle est en droit d'attendre encore de votre esprit, si, a ses dons naturels, s'ajoute 1'opportunité de les exploiter et de les divulguer. » Les Curateurs le louent d'avoir mis ses talents au service de 1'Eglise, entendez de celle de Calvin, et lui offrent les 2.000 livres de France, qu'ils ont votées, plus les 600 livres du déménagement. Aucun cours ne lui est imposé : il vivra, plein d'honneur et de loisir, personne ne le troublant dans ses études et en compléte liberté. La réponse de Saumaise, si elle n'est pas brève, est catégorique : c'est une acceptation de principe, enveloppée seulement des amples formules d'une modestie qu'on voudrait croire sincère. C'est plutöt a Leyde de « votre coin d'heureuse Hollande que 1'on pourrait appeler, de toutes les parties de la terre, des érudits ». Les seules réserves que fasse le savant francais concernent la rigueur du climat, a laquelle il n'est pas accoutumé, le mauvais état de santé qui en pourrait résulter et qui pourrait 1'obliger a regagner le sol natal afin d'y respirer un air plus clément. II demande qu'on ajoute au traitement, comme on le fit pour Scahger, dont le flatteur souvenir s'évoque a son esprit, 300 livres pour le logement. II fera 1'impossible pour partir dès Ie début de 1'hiver et s'est mis déja a prendre ses dispositions, rfnii^TvM''^ Fm'Pf H. P-161: «Byresumptievan'tstuck derberoe- pinghe Dm Claudn Salmasn refereert de Heer Cromholt, hoe hem D. M. Gerardus Z^T hadd° verklf rt dat hy den voorn. Salmasium oordeelde een van de geleertste ende ervarentste personen in de kerckelicke ende profane antiquitevten ende v1nd°eneVdo?hCHTie Wesen>.die men «u in 4e geheele ^teSi^oudekoSS?. ^^?den, edoch dat hy van sijne mondelinghe welspreeckentheyt egeene kennisse w?elïde' derh£dven oock niet en konde weten off hy tot het doen van publycnue lessen bequaem sonde wesen ofte niet... ; geresolveert den voorn. Dnum CtaS wimt VtUln^ ber0epe«n om te komen resideren binnen de stadtLeyden ende d^n™ S^trS&'HlSS? n^"1/"de geschrttten te Ulustreren enae insonderheyt om te tracteren Histonam ecclesiasticam, mitsgaders te wederlegehen Annales £S \n n'y adon-c Pas ]ieu de mettre en donte, corSfne onIvw?, 1 altlrmation de Paquot sur ce dernier point. cum plena nDerUte!..'»!" honesto otio et 1uiete' nemine studia tua interturbante, 316 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS mais il est a Dijon et doit s'arrêter a Paris pour mettre ordre a ses affaires *. C'est la que, le 23 octobre 1631, il recoit la visite de deux fils de professeurs de Leyde, Joh. Walaeus et Fr. Thysius, chargés de lui remettre copie des propositions des Cura• tcuxs ^. L'émerveillement des deux jeunes Hollandais devant cette bibliothèque animée, «èu^uyov . pipXw8iixr,v», ce musée vivant, cette ame pure, cette parfaite vertu, comme ils disent, est vraiment touchante. Ils trouvent Saumaise déja occupé a empaqueter ses livres : il abandonnera au besoin le reste et s'est déja inquiété de ses passeports et de louer ou de vendre ses biens; mais tout cela demande du temps. Sa femme, enceinte, ne sera pas en état de supporter le voyage, ni par mer, ni par terre ; un de ses enfants est trés déücat: décidément,il vaut mieux remettre 1'expédition au printemps prochain. Ces raisons,- Saumaise, dans sa lettre du 25, les répète aux Curateurs, ajoutant que, sans cela, il volerait vers eux. En conséquence, le 9 février 1632, les Curateurs et Bourgmestres décident de lui louer une maison, sans engager par la 1'avenir, mais la lettre de Saumaise au Curateur Wevelinchoven, du 31 aoüt suivant, montre qu'il est toujours en France; une fois c'est le xoAixöv 7:i9o;, une autre fois, la fièvre qui 1'empêchent de partir. Par Résolution du 15 novembre suivant, les Curateurs et Bourgmestres prennent a bail, a son intention, pour la somme de 145 florins par semestre3, la maison de Jan Jansz. van der Vecht, dite de la Commanderie, prés de 1'Eglise Saint-Pierre; c'est aujourd'hui le numéro 23 du Klokstéeg4. Ace moment,il est arrivé, puisque les Curateurs et Bourgmestres font faire un siège spécial pour lui dans 1'amphithéatre de théologie, a droite de ceux des Curateurs, portent a 1.000 florins son indemnité de déménagement et prennent a leur charge ses frais de séjour au Keysershof a La Haye et a la Corne d'or a Leyde. Sa réception fut un renouvellement de celle de Scahger: «quanto applausu, quanto gaudio, quanta exultatione, quanto honore », 1. La lettre de Saumaise du 19 septembre 1631 se trouve dans les Bronnen, t. II, pp. 254* a 256*. 2. Ibid., p. 284*. li Bronnen ™idsche Universiteit, t. II, pp. 178, et 287. Voir aussi Crenii Animadversiones, t. II, p. 97 et Bronnen, t. II, p. 298* note. Planche XXXII. pobtrait de saumaise, célèbre philologue francais, professeur a l'Université de Leïde (l632-l653). (Salie de la Faculté des Lettres d'Amsterdam). UN PHILOLOGUE DU XVIie SIÈCLE ! CLAUDE SAUMAISE 317 écrit son biographe et disciple Clément * «quanto omnium ordinum et aetatum confluxu exceptus sit, longum foret hic referre. » Pourtant, malgré tant d'honneurs et d'égards, le mariage de Saumaise et de l'Université ne fut, pas plus que le sien propre, une lune de miel. D'abord, comme tous les Francais, comme Daneau, comme Scaliger, il se plaint de la rigueur du climat. Dans 1'intéressant volume de ses lettres a Dupuy, n° 713 de la collection qui porte ce nom a la Bibliothèque Nationale, il écrit le 22 novembre 1632 2 : « Monsieur, J'eus regret de partir de Paris pour sortir de France, sans vous avoir veü, mais je ne pouvois arrester davantage, n'ayant eu tout juste que ce qu'il me falloit de temps pour arriver en ces quartiers avant 1'hiver, qui commence tousjours ici de bonne heure et finit bien tard, et c'est tout ce qui me desplait de ce païs, oü toute chose au reste m'agrée fort et sur tout la liberté. Nostre France n'est plus France pour ce subjet et c'est la cause qui me la fera moins regretter. » Les curieux Mémoires de Hollande8, oü il y a, a cóté de tant d'imagination, tant d'exactitude, lui attribuent un mot cruel et que je veux croire apocryphe ; « c'est un pays oü les quatre éléments ne valent rien et oü le démon de 1'or, couronné de tabac, est assis sur un tröne de fromage ». « Car, dit le commentateur, dans cette province d'affieurs si célèbrê, la terre ne porte point de fruits, 1'eau n'est pas bonne a boire, 1'air est ordinairement épais comme de la fumée et le feu y sent si mauvais par la matière qui sert a 1'entretenir, qu'on est contraint de le cacher pour s'en servir. Avec cela, le fromage, qui est la principale nourriture des Hollandais, se peut aussi bien nommer leur soutien, comme le tabac leur divertissement ordinaire et enfin 1'or, dont 1'autorité est partout si grande, règne ou du moins régnait alors chez eux avec une telle abondance qu'il semblait que tout le Pérou y eüt été transporté. » La vérité est que le Francais n'est jamais satisfait nulle part oü lm manque maxlml Epistolarum liber primus, Accedunt de laudibus Lu,a65^in-4oPr° eg°mena' aCCUrante Ant0ni0 aementi0 j Leyde,Td,T W^gaer! 2. F° 13 recto. 3. Mémoires de Hollande, p. p. A. T. Barbier, Paris, Techener 1856 Det in 1fi T 'irtl teurattrlbue a tort k M™ de La Fayette eet écrit que plusw.'dHhS" toJ*, r mais malades a 1'accous' tumée, c est a dire jusques a 1'extremité, avec la peur oü nous ésüons des Donquerquois qui avoient vingt vaisseaux en mer, quinze fregatês et cinq grands vaisseaux, oü nous n'avions qu'un vaisseau de guerre qm n eust pas rendu combat, si nous eussions esté rencontrés nar aS ques uns de ces grands, comme nous le fusmes des petits, qui nous?sul virent et costoierent quelque temps, pensants d'attrapp^a resc^t quelques vaisseaux marchands de ceux que nostre navKscortoit En ce mesme passage et en mesme temps, il prlrent quatre vaisseaux hol landois d'une flotte qui retournoit de Nantes, chargée dl%fn Sais la bonne fortune de Ia faveur nous conduisoit, puisque nous avions avec nous les hardes de Monsr. de Charnassé, qui estoient un carrosse fort Jeau et soixante cinq ballots, qui 1'ont tenu tous temps en appfehen sion qu'ils n'arnvassentaun aultre port, tant il se deffioitdeson Z heur « J avois plus de subject de me deffier du mien, car le malheur m'a persequu e jusques au bout. J'avois estés langui et pl^enrZince ï * r ?aSSage P°ur Passer tout droit et sans obstacle qui nous obhgeat de faire encore quelque malheureux séjour en quelque infortuné port de mer. Nous fusmes contraints d'arrester a la BrS oütoS' nuit, les glacés qui venoient choquer a monceau nostre navire fauSent A le_ faire perdre et tindrent en eschec, sans dormir, et les mate™t le capitaine et nous aussi par mesme moyen, qui estoit un bon rafraicniïsement pour des gens travaillés et malades comme nous estions « Le; jour venu, 1 on nous met a terre, par un temps oü 1'eau du riPl n es oü pomt espargnée a ceux qui marchoient sans parVplute En «stat, il nous convint estre sur le pavé, trois heures durant, sans pouvóS £7r7J? C°UVert ni hostellerie °u r°n ^tendist nostre angaEar 5uÏÏo^iSffit^nn- ^^T' n>yanS personne Put demander cê nous falloit et nous avions besoin de plusieurs choses « fanfm, après avoir bien cherché, un soldat de Ia garnison dui dnsti' m?smesUa ^brfdeTT "T "T * ™ Peüt caba»* oZoT^ ?Z Z«, de Ia Pluye, bien heureux d'avoir si bien rencontré et si tost, veu la necessité, qui nous pressoit de plus d'un costé II falott «r£ mièrement se secher, ce qui ne fut si prompt, ca le feu de tourbe esï ncT, ïnt qT CCUX qui S'en servent" Après avoir esté un peu resc^uflls nous demandasmes un lieu pour aller ad requisita nat Ja™ car la mer 1. Bibliothèque" Nationale, collection Dupuv vol 71 s f o 199 at 100 t • 324 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS nous avoit un peu laschés: on nous conduisit sur ies muraiiies de la ville, aui n'estoient pas loing de la. . M avant aue d'y parvenir: q «II f alloit pourtant passeTUne asselongue rue avantqu y P ^ la necessité fait tout taouver bon et ^^f^^ ^„„„,„,1. doublé, car c'estoit ^^^,1^ y trouvasmes de la cognoisbonheur nous accompagne tousjours, ^ dans ce véné- sance : un Francois, Bourguignon qui^£ ^ du tout faits comme rable [lieu], voiant entrer des gens qui n ej« P me nomma> lui, demanda a mon aqua qu "J^^rt^'ü avoit servl le prestre 1'aultre me cognut et dit qu ü esto t de Dijoa et q ^ f üon ffSSK C- ^ n'Cn d0UbtC rit tirer de ce ^5^^^??^ voir un des ministres ou parteu« de la vi p ^ ^ pourroit parler latin. Je rr,adre» ™^nt et si, par son moyen, je langue; je lui dis 1'mcommodité^de monJtogeme ^ entendist pourrois point trouver a loger chez quelque jou g 4 ^ u quelque mot de ce que ,e » 1 me £J»jrt de ^P ^ reste j'estois logé dans le p us ™'™e^^uvlons devant la nuit, qu'il bien garder d'y coucher ; que s nous ne «ouv ma et fe avoit un liet pour ma femme et^pc-ur moi, et quï> ^ demoiselle de ma femme avec * 1ls V™ n me vouloit mener nuit. Nous cherchons tout%la ^'„Vne pouvoir me séparer de mes en queste. mattinée la, mais il pria son collègue de . II devoü prescher cette mattinée ^ ^ so pag ^i^^^ïissr*de desgoust et ae goust que les trois mois que j ai passa^^g\ remieriour qu'on me «Desglacesnousempes— Rotter dit que 1'ouverture estoit fatte, et quu p ministre, qui jugeoit dam, je me mis d^^i^Ser batteau et qu'il falloit que je risquois trop de partir par ie^prei» pour lui, rompre la glacé deux ou lui. Jeme repentis il ne le feroit pas, et je le ^^^^^deRotterdam, nous trouvasmes pourtant de ne 1'avoirpCreu ^^l^ment fort, aidé encore de tant deglacé que^ si^^^^^ vaisseau fust arresté plus JfcgStfK SJS™^S5 * penser ce qu'ils Sonc enfin * R°tteriam et ie»4 La Haye o^ ^ & heures du soir, au bout de la ville, ie «jBV COnduire. Ce n'a pas raultre, sans lumière, ^n^Pe"0nn,neeq™i \™nv dans mon voiage, [esté] le moindre inconvement oü ie me sois trouv ^tfJK» malade et ai esté plus de dix jour* UN PHILOLOGUE DU XVIIe SIÈCLE ! CLAUDE SAUMAISE 325 sans pouvoir dormir, a cause d'une grande angine que j'avois dans 1 hypochondre droit avec tumeur et tension. Pour m'en guairir bien tost, j ai trouvé que mes professeurs avoient fait les diables contre moi pendant mon absence. Ils se sont teüs long temps, sur la creance qu'ils avoient que je ne viendrois pas... » Le pasteur dont il est question dans cette amusante lettre, est Cloppenburg, dont la rencontre fut décisive, car c'est de la discussion que Saumaise eut avec lui que sortit le livre sur le prêt a intérêt dont nous reparlerons plus loin. Quant a 1'allusion de la fin, elle se rapporte aux manoeuvres occultes de 1'éternel ennemi, Heinsius. Heinsius contre Salmasius, voila bien encore un de ces jolis exemples de haine entre savants, qui n'en finissent pas de déverser 1'un sur 1'autre des flots d'encre et d'injures. L'origine de la querelle était certainement la jalousie du bibliothécaire-philologue, dont la notoriété, qui était grande, se trouvait éclipsée par la gloire du nouveau venu. Peut-être aussi faisait-il des comparaisons avec son vénérable maitre Scaliger, et Saumaise lui semblait usurper cette place, qu'il aurait aimé garder pour lui-même. Au reste, Scaliger étant au tombeau lui portait moins d'ombrage : il est permis aux morts d'être grands. II y avait la conflit de deux susceptibilités a vif, sinon écorchées. A Heinsius qui lui disait un jour : « Si 1'on mettait dans un plateau d'une balance les travaux de tous les philologues de 1'Europe et dans 1'autre les nötres, ils s'équilibreraient », Saumaise avait répondu, dit-on, négligemment : « On pourrait même, aux leurs, ajouter les vötres. » II n'était bruit a Leyde que de la dispute des deux professeurs : aussi, comme elle faisait scandale, les Curateurs et le Sénat se crurent obligés d'intervenir, le 9 mai 1640, a la suite d'une plainte formulée par Nicolas Heinsius. Les arbitres désignés sont tous Francais, Polyander,«Recteur magnifique », Rivet et Esaïe du Pré, ministre de 1'Eglise wallonne ou francaise de Leyde » Un accord signé par les deux rivaux, mais en février 1644 seulement, stipule 2 : les deux éminents personnages, ornements de l'Université, s'engagent a ne plus rien publier 1'un contre 1'autre et a ne plus s'attaquer dans leurs écrits. Mais les libraires hollandais, surtout les Elzévirs, dont 1'un faisait 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, dd. 247-250 2.1bid., p. 343*, n» 651. 326 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS toujours la uavette eutre Paris et Leyde, excellaient a inonder rap dement le marché francais de leurs produits, et le livre de contre Heinsius en faveur de Balzac ^ se vendart encore, en dépit de la signature du compromis. II fallut „ue le Curateurs achetassent le stock restant a Paris par Intermédiaire de Jean Elzévir • qui dut faire la une bonne petite'ffaire, d'autant plus que, s'il faut en crou.» Jean et Bonaventure Elzévir continuèrent a en vendre d autres a Levde, sous le manteau. Si Saumaise avait a se plaindre de Leyde, Leyde n avait pas moins a «plaindre parfois de Saumaise, qu'elle traitait pourtant "enfant g'até. Sans doute, après deux ans de sdenee^le savant s'était remis au travail et avait donne, en 1638, le De Usuns sou chef-d'oBuvre, qui séduisait d'autant plus les commercants ho^Toucieu^ de mettre leur intérêt d'accordLp possibJe avec leur conscience, que Saumaise y demonl. ait intérêt n'était contraire ni au droit naturel ni au droit positif diVCe fut une tempête chez les juristes qui, sauf Grotius 3, le taxLnt d'incomp'étence, et chez les pasteurs d'hérésie i Ce qui fache nos mmistres, ecnt-il a Dupuy, le 10 mai 1638, est que je monstre,par 1'antiquité, que 'usure doit seukment e tre defïendue aux ministres de 1'autel et non point au peTpïe Ils n'osent dire que c'est ce qui les fait ener mais en Sect c'est la 1'enclouüre., « Un peu après que Usures fust imprimé, dit encore Saumaise, il [le professeur Cunaeus me vint quereller ceans sur ce que j'avois entrepns de sCousteSune opinlon qui choquait toute la the^ de c pays et les decrets des Eghses Belgiques et la praUique d'icelles. Nous en vinmes aux gros mots » II repnt la même question dans son De modo usuramm hber, Leyde, 1639, au'il envova comme le précédent a Descartes q Saumaise se mêle, par son De Coma, a la question des cheveux long'Td s penuques,fort agitée vers 1645, surtout dans le mofde des pasteur» * traite des maladies endémiques; il prouve, 1. BpUUa D. Salmasiiod Aegidiam Menagium super Herode infanticida, cité. plus haut, p. 288. Trni„PT„Ueu t II, p. 286 : les Curateurs pavent 225 florins pourS^SplS 5. Cf. Ibid., p. 557-558. UN PHILOLOGUE DU XVII» SIÈCLE i CLAUDE SAUMAISE 327 non sans raison, qu'elles proviennent de 1'air, du climat de la nournture et pas de la conjonction des astres ; simple cónversation avec le ministre de France, en présence d'un singulier aventuner de lettres, Isaac Lapeyrère, et qu'il a rédigée. Enfin il visera è la haute politique, en prenant, plus tard, la défense de' Charles Ier contre CronvwelL pour faire sa cour a la princesse Marie, femme du Stathouder Guillaume et fille du malheureux decapité. Toutefois, il se heurte a un redoutable adversaire, Müton, qui opposa a La Defensio regia pro Carolo I sa Défense pour le peuple anglais. « Ces deux ouvrages d'un pédantisme dégoutant sont tombés dans 1 oubh >>, déclare Voltaire, qui confond le livre de Saumaise et «Le cn d sang roy&1 contre les parriddes de Pierre du Mouhn. Bayle reproche a Saumaise d'avoir défendu d abord contre le pape les principes républicains et de défendre quelques années après, contre les rebelles d'Angleterre les principes aristoeratiques. En somme, en ce qui touche les pubhcations, Saumaise, depuis 1638 s acquittait largement de sa dette envers les Curateurs mais il n en était pas tout a fait de même en ce qui concerne la présence a Leyde, qui était la deuxième obligation qu'il avait contractee Le 18 juillet 1636, les Curateurs et Bourgmestres se voient deja forcés d'écrire a Saumaise a Paris pour lui rappeler quds ne lui ont accordé qu'un congé d'un trimestre è passer en France et qu'ils 1'ont attendu en vain depuis plusieurs mois II n est pas possible que les affaires de familie pour lesquelles il a prétendu partir, 1'aient retenu si longtemps. Ils ne peuvent croire que Saumaise ait fui la rigueur de leur climat pmsqu d etait guéri grace a Dieu. Quant a la peste qui avait afflige la vrlle de Leyde, il n'y en avait plus de tracé et, la semaine dermèreil ny avait eu que douze décès, ce qui ne s'était pas produit depuis un siècle. Ils le rappellent sérieusement a son devoir et lui ordonnent de rentrer, au plus tót, a l'Université i Mais, craignant d'en avoir trop dit, et d'avoir blesséla délicate et susceptible merveille, ils ajoutent a la lettre officielle, seule destanee a etre montrée, un billet presque tendre, quicómmence par des excuses et finit par des conseils de précautions è prendre pour sa précieuse santé. A qui la lettre comminatoire était-eUe 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, L II, p. 313, n°« 621 et 622. 328 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS destinée ? Aux puissants amis qu'il avait dans 1'entourage de la Cour et qui voudraient garder en France, nous 1'avons vn ce te lumière du savoir, avec la secrète arrière-pensee dela mett e sous le boisseau de 1'Eglise Catholique et de la derober a la Vidée~'prit corps sous Mazarin. Le Cardinal, désireux de réserver a sa patrie d'adoption toutes les grandeurs désireux peuTTtre aussi de voir Saumaise célébrer Son Eminenee, ne voulait pas renouveler l'erreur ou la néghgence d Henn IV, et lui fait accorder par Louis XIV un brevet de pension de 6.000 livres, daté du 25 septembre 1644 et subordonne a son retour a Paris % Louis XIV, ou du moins celm qui tient la plume de 1'enfant royal, y ajoute une lettre particuliere qui futremise a Saumaise par notre chargé d'afïaires Brasset, et qui dut faire au savant, un singuher plaisir. Son pays et son Roi lui rendaient enfin le tardif hommage que l étranger lui avait depuis longtemps décerné : «Louis, par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre, è nos amez et feaux conseillers.. salut. Estans bien informez que 1'eminente doctnne du sieur Saumaize, Conseiller en nostre Conseil d'Estat et sa singuhere érudition en toutes sortes de sciences, joinctes aux belles quahtez qui accompaignent ordinairement ceux qui ont de si grande mleres dLprit, 1'ont faict rechercher par divers princes et. reïubhques, pour servir d'ornement a leurs estats et rendre plus Stres par la demeure qu'y feroit un si grand personnage Nous avons estimé a propos le dict sieur de Saumaise estant nay nostre sujet d'ancienne et noble race de nostre duche deBourgoLe, de rappeller de la ville et université de Leyden en Holfande oü il est depuis plusieurs années en grande consideration en la place de defunct Sieur de 1'Escale, et lui donner moyen dans notre royaume et parmy les siens, de produire avec repos et tranquilhté d'esprit, ce que ses longues et laboneuses estudes luy peuvent fournir de plus rare et de plus exquis. Pour ces considerations, de 1'advis de la Reyne Regente, nostre trés honorée dame et mère, avons, par ces presentes signées de nostre mam accordé et accordons au dict Sieur de Saumaize la somme de rmll hvres de pension par chacun an... le treziesme jour de septembre, 1'an de grace 1644, et de nostre reigne le deuxième. » 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, PP- 289 et 346», n« 655 et 656. UN PHILOLOGUE DU XVIie SIÈCLE ( CLAUDE SAUMAISE 329 La lettre particulière a laquelle nous faisions allusion est ainsi concue : . Après avoir esté informé des bonnes quahtez que vous possedez, de vostre grande cognoissance et lumière extraordinaire en toutes sortes de sciences et de la glorieuse reputation que vous avez acquise dans 1'université de Leyden, oü vous avez souvent faict paroistre les talents de votre espiit. Je me suis facilement engagé a une affection particulière pour vostre personne et a vous cscrire celle-cy..., pour vous dire que vcus ayez, incontinent après que vous 1'aurez receüe, a venir icy recueillir les fruicts de 1'estime que je fais de vostre vertu....Vous aurez donc, en vous retirant, a vous separer des Srs. les Estats Generaux des Provinces-Unies avec quelque bienseance, puisque vous avez long temps travaillé dans leur université si celebre et que vous ne les quictez que pour retourner en vostre patri-, oü vous devez croire que vous aurez toute sorte de satisfactión... Escrit a Paris le 4 novembre 1644 *. » Saumaise s'empressa de montrer ce3 lettres aux Curateurs, tant pour s'en targuer auprès d'eux et leur prouver le cas qu'on faisait de lui dans son pays que pour en battre monnaie et se faire accordsr une augmentation, qui ne lui fut d'ailleurs pas refusée. Le Prince d'Orange, consulté a ce sujet2, déclare qu'il est incompatible avec 1'honneur et 1'intérêt de l'Université de laisser partir pour la France un tel personnage et qu'il f allait essayer de le retenir par tous les moyens, sans s'arrêter a la dépense; Aprè? une entrevue avec Saumaise, Wevelinchoven propose, b 15 novembre, d'augmenterle savant, de 1.000 florins, ce qui le met a 3.000. C'est après eet accord, et comme pour couper les ponts, qu'il publie son De Primatu Papae (1645), qui rendait désormais son retour impossible, bien que le Cardinal Mazarin refusat d'écouter les plaintes portées contre eet ouvrage par le clergé de Francs devant le Parlement de Paris. Une nouvelle entreprise allait essayer de détacher Saumaise de la Hollande. Elle venait de la Sémiramis du Nord, de celle que tous les écrivains francais accablaient de leurs flatteries, car rien ne les séduisait davantage qu'une reine qu'ils imaginaient belle, trênant dans un lointain septentrion. Elle avait attiré Descartes, qui en devait mourir, mais cette Sirène était une 2.' BIb°iTep LtmChe Vniversileit'l' PP- 346* et 347», n°» 655 et 656 330 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS ogresse et voulait une nouvelle proie, non moins illustre : elle choisit Saumaise. ]> 8 février 1650, trois jours avant la mort de Descartes, les Curateurs déübèrent sur la permission que demande Saumaise de répondre a 1'invitation de Christine, ce quils lui accordent pour la durée de six mois. II tira même une traite sur son traitement d'absence en faveur d'Adrien Pla, commercant a Leyde K Saumaise se mettra en route en juillet. Peu de temps auparavant, il avait diné avec Constantin Huygens, qui le raconte au grand Corneille après avoir recu le Don Sanche, précédé de la flatteuse dédicace bien connue. II n est pas de document qui nous introduise mieux dans la societé littéraire franco - hollandaise du temps, que cette lettre, datée du 5 octobre 1650 2 : « Nous disnames ensemble en bon lieu, tost après que vostre pacquet m'eust esté rendu et comme donc ce premier point fut vuidé, il [Saumaise] leut vostre epistre imprimée et s'engagea soudainement a maintenir que la qualité des Actions faict la Tragédie et non pas le subject, qui souvent se trouve peu ou point funeste dans des Poemes que les anciens n'ont pas laissé de nommer Tragiques, a raison du cothurne de leurs personnages. La chose ne se passa point sans debat, car toute la compagnie estoit lettrée, mais enfin ce grand homme ne scauroit se resoudre a se demettre de la possession de vaincre et regner partout. » « Tost après, il partit pour Suède et se trouva lors mesme dans 1'embaras des preparatifs pour un si grand voyage. C est ce qui me le fit espargner,mais, sans ceste consideration, vous en eussiez veü un bien ample discours de sa main, qui ne [lui] eust gueres plus cousté qu'une lettre de six lignes, car sa liberalite le porte d'ordinaire a des reparties au centuple, ce que je scay de beaucoup d'experience. Encor, Monsieur, vous en feray-je taster, si vous le desirez, a son retour, duquel cependant nous n avons pas toute la plus forte esperance, considerant la rigueur du climat oü il va et la foiblesse de son pauvre petit corps gout- Pour pénétrer dans 1'intérieur de Saumaise, il faut joindre a \ ^J^S^^é^^^^ PariS etOroningue, IS» Planche XXXIII a. AuTOGBAPHE de SORBIÈRE dans l'aLBÜM de GrOKOVIUS. (Bibliothèque Hoyale de La Haye). UN PHILOLOGUE DU XVH« SIÈCLE : CLAUDE SAUMAISE 331 ce récit celui de Sorbière \ qui le fréquenta beaucoup dans les. années qui précédèrent le départ pour la Suède : « J'ai cu le bonheur de converser deux ans assez famüierement avec feu Monsieur de Saumaise de qui j'étois voisin a Leyden, oü je pratiquois la Médeqne. Je le visitois reglement, deux fois la semaine,etjemerenaois chez lui particuherement le Dimanche, au sortir du diner, paree qu'il n alloit pas au Prêche du soir et qu'ainsi nous demeurions seufc deux on trois heures, après quoi j'étois bien aise de voir la compagnie qui v arnvoit. J « II s'y formoit un cercle de quinze ou vingt personnes de remarque telles qu étoient Messieurs 1'Empereur, de Laët, Golius, etc. Et il v avoit beaucoup de plaisir et de pront en ces conversations. Nous êtions la plu-part du tems a 1'entour d'un grand feu, dont ü occupoit un coin et Madame de Saumaise tenoit 1'autre, se mélant dans tous nos discours et ne permettant point qu'aucun se retirat sans avoir recü quelque trait de sa raillerie... H « Je puis donc dire, après avoir tant étudié Mr. de Saumaise, que je I adrmrois autant dans ses familiers entretiens que dans ses livres II paraissoit fort froid et ne se produisoit point avec empressenemt. II v avoit même de la peine a le faire parler: mais, lorsqu'ü étoit en train, k laisoit paroitre une grande fecondité de pensée et une vaste érudition Je me souviens d y avoir amené un gentilhomme Francois, qui ne 1'avoit jamais vu; en y allant, nous nous proposames de le faire parler de la chasse : nous le mimes sur ce discours la et mon ami, en revehant, me tut qu un vieux veneur, tel qu'ü étoit, n'en eüt pas scü discourir plus pertmemment. II étoit fort étonné d'oü un homme de cabinet et de manuscrits et d'affleurs si mal a cheval, en avoit peü tant aprendre, car ü ne parioit pas tant seulement de ce qu'il avoit lü dans les Auteurs, mais de ce que 1 on ne peut scavoir qu'après avoir battü beaucoup de païs et fait mourir force gibier. " La conversation étoit souvent infestée (pour me servir d'un terme qui expnme le dépit que nous en avions) par un Professeur en Philosophie. nommé David 2 Stuard, Ecossois, qui contredisoit maussadement a la plupart des choses qui y étoient avancées et ce tousseux nous faisoit beaucoup perdre de 1'entretien de Mr de Saumaise, auquel nous nous Plaignions de ce qu il ne rembarroit pas assez ce réveur, lui qui avoit accourêsM ^eapoursuivre a outrance ses livres ceux qui osoient lui - Un an après son départ, le 15 juillet 1651, il n'est pas encore rentré au bercail * et Christine de Suède, par une lettre datée du 31 mai *, a demandé qu'on lui laissat eet homme dont i'inté^ pbL'opnf^foct1! strznnTh^rson *-dmnu - 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t III n V7 t'qï f~;+ - , ^ ^kh^ «^AU jn-JiLtniIe" l%a^^S^J^ 4. Ibid., p. 21*, n° 680. 332 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANQAIS «rité, les travaux littéraires et la connaissance approfondie de fontes choses, antant que des dons ^^^m^nt^ tant de manières. L'argument qu'emploie Chnstinest bien mauvais: elle n'a pu profiter de lui autant qu 11e 1 aurait voulu, a cause de la mauvaise santé dont il avait ete afflige "TalrXirSufde était beaucoup plus nuisible a nos grands hommes que celui de la Hollande, mais Christine, qui avait deja Descartes en le forcant a la venir entretenir de grand matin ne s'en souciait guère, pourvu que sa Cour et par consequent dle!même, vissend accroitre leur éclat par la présence «du citoven le plus honoré de la république des lettres ». 7e 18 juillet 1651, les Curateurs répondent qu'ds;»upportoraient aussi difficilement de priver le monde de 1'Astre du jour que leur Académie de ce « Musarum sacrano » Orü y_ a déja, non pas six mois, mais un an, que 1'Universite et 1 Eglise sont privées de ce soleil dont elle veulent être illuminees et réchaufïées. On espère donc que la reine permettra qu avant 1'hiver, Saumaise ait regagné son poste. rwnrtes Ce ne devait pas être pour longtemps : comme a Descartes la Suède lui avait glacé le sang. II ne fit plus que vegeter : « Je n<ÏZe% un livre que je n'y sois forcé»', mauvais signe chez ce Cesque qui écrivait sur le tissage d'après les auteurs anciens SserVs métiers de Leyde. II partit pour Spa, comme Tuste Liose iadis, mais il n'en devait point revemr. II y mourut i:Ze^re 1653 ; son corps fut transporté a Maestrich ou il fntinhumé dans 1'Eglise francaiseM. Fairon archivis*de Liège, n'a pu découvrir les traces de son deces et M. Flament, 1 arctóviste'de Maestricht, n'a pu retrouver sa tombe. Ains, d'un si grand nomil ne reste même plus, comme pour Scahger, sur la terre hollandaise, une dalle bnsée. Le 4 octobre 1653 \ le Sénat exprima ses condoleances a la 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III,p.21*. n° 680. 2. Haag, La France protestante, 1" éd., t IX, p. ioi. 3. Cl. van der Aa, Biogr. Woordenboek. éminent collègue de 1'Uni- 4. Bronnen Leidsehe Un'^^^^erP;vIui Wen me eommuniquer la lettre veisité de Strasbourg, M. F. B^^"s5f so imaise par lui copiée aux Archives de de Christine de Suède a la yeuve de 8"™^^ destruction des manuscrits Stockholm (Biographiska S.). La reine^«g™1 e lüi met «.pendant d'avoir rx^r» —* ia Bibi-de Vienne (Autriche). UN PHILOLOGUE DU XVIIe SIÈCLE " CLAUDE SAUMAISE 333 veuve qui, se préparant a rentrer en France, obtint des Curateurs 3.000 florins de viatique. Le conseil du bibliothécaire Thysius *, estimant que 1'intérêt et 1'honneur de l'Université commandaient de racheter les manuscrits orientaux et les hvres annotés du défunt, ne semble pas avoir été suivi. Beaucoup ont vu passer le nom de Salmasius et des générations de professeurs et d'étudiants hollandais ont contemplé son portrait a l'Université, sans reconnaitre, sous 1'universelle terminaison latine, le nom d'un grand savant francais. Un érudit allemand, dans un ouvrage publié en 1915, se trompait, involontairement sans doute, en écrivant : « die Schriften des Hollaenders Saumaise»2. Pour moi, je n'ai jamais pu le contempler sans un affectueux respect dans la salie de la Faculté des Lettres d'Amsterdam, oü je siégeais aVec mes collègues hollandais : son portrait (cf. pl. XXXII) était accroché au mur, en face de celui de Scaliger, avec lequel il voisine aussi dans la salie du Sénat de l'Université de Leyde : la figure est ravagée et anguleuse, les méplats saillants, le regard ironique, la bouche dédaigneuse. Les professeurs de philologie classiqüe d'aujourd'hui ne les regardent pas, ces glorieux ancêtres francais de la science hollandaise. Le perfectionnement de leurs méthodes critiques, autorisent jusqu'a un certain point ce dédain, mais si, de leur part, il est un peu injuste, de la nótre il serait coupable, et nous n'avons pas le droit de laisser tomber dans 1'oubli aucun des titres de noblesse et de gloire de la science francaise et de 1'esprit francais. !•Wd., pp. 79, 87, 88, 90; p. 69», une lettre de Clément, flls du pasteur wallon de Ziericzee, sur ces manuscrits. Clément, 1'éditeur du premier tome (seul paru) des Lettres de Saumaise, Clandii Salmasii viri maximi Epistolarum liber primus, accedunt de laudibus et vitae ejusdem prolegomena accurante Antonio ClemenUo, Leyde, Adr. Wyngaerden, 1656, 1 vol. in-4°, est Immatriculé a Leyde le 17 mai 1656; lü mourut en 1657. La maison de Thysius et sa belle bibliothèque existent encore au Rapenburg. 2. H. Sieveking : Grundzüge der neueren Wirtschaftsgeschichle vom 17 Jhd. bis zur Gegenwart, Leipzig, Teubner, 1915, 2« édition, p. 10 (Extrait du t Grundriss der Geschiehtswissenschaft hsgg. v. Aloys Meister). CHAPITRE XV Du Ban et les origines du cartésianisme a l'université de leyde II convient, afin d'être complet, de mentionner encore, bnèvement, pour cette période de 1633 a 1653, en dehors de Polyander, quelques maitres ou lecteurs francais de philosophie ou d'éloquence, dont le principal est Francois du Ban, né a Autun vers 1592, qui avait enseigné a l'université de Pontè-Mousson et aux colléges de la Flèche, de Reims et de Moulins II fut, a la Flèche, un des professeurs de Descartes, mais le maitre s en souvint mieux crue 1'élève. A Paris, il se convertit au protestantisme et, sur la recommandation du Comte de Lansberg devint précepteur des enfants du « Roi d'unhiver», comme on dit en Hollande, c'est-a-dire de 1'Electeur palatin, roi de Bohème. La Hollande est aussi un refuge de princes en exil. Du Ban est inscrit comme étudiant en théologie a l'Université de Leyde, le 1« février 1630 et eut 1'honneur d'être candidat .contre Reneri, 1'élève et 1'ami de Descartes, a l'Université d Utrecht, quatre ans plus tard. II ne fut pas choisi. Van Baerie et Vossius le recommandèrent de nouveau, cette fois a Leyde et le 21 aoüt 1635 \ les Curateurs et Bourgmestres lui permettent denseigner la logique jusqu'au 8 novembre, a titre d'épreuve epreuve qu'ils prolongent d'un an au-déla de cette date, en lui accordant le titre de Professeur de Logique » et un traitement de 400 florins avec le droit de présider les soutenances de thèses en cette matiere. Toutefois, ce n'est que le 11 aoüt 1636 3 qu'il fut nommé définitivement professeur extraordinaire de logique au traitement de 500 florins, plus 100 florins d'indemnité, ce qui ne 2. fmTtnntmuniDersiteit't: n'p-197- 3. Ibld.lv. 204. 336 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS 1'empêche pas, cela se comprend, d'être cousu de dettes K Le ReTeur, qui teuait, semble-t-il, a mériter sou titre de uiaguifique, propose de lui accorder 1.000 flonus pour les payer. Afin Tr JLL sa situatiën, les Curateurs et Bourgmestres lm accordent, a sa demande, le 9 février 1638,1'enseignement de la Aristote bien ent6ndU' aVCC M 11 400 üonns. .... _„ mnnc Hk.„tpSf.t En 1639, du Ban est admis a tou;, iet, c*ai»^, «p~ soutenance's des candidats au baccalauréat ou a ahcence de philosophie; mais du Ban a gagné son jeune collègue Heere noord aPla philosophie cartésienne et tous ?^ » ^ ™^ a faire désormais leurs lecons, selon le texte d Ar stote. Du Ban Lmble s'Tncliner.puisque, d'accord avec Triglandius Schotanus S^^peW Heereboord et le Recteur Heurmus il etS" programme* de 1'enseignement de la P-^?f^ du 8 aoüt 1641. Descartes a, depuis quatre ans, pubhe a Leyde même on Discours de la Méthode, mais il semble que ce soit en ™in nuisaue le dit programme commence comme suit : Que ^Xïeneri so'it celui-ci, que le texte lui-même d Ans o e JZZSLt* chose et expliqué littéralement et qu'Aristote soit commenté par Aristote, ainsi que par ses interpretes anciens, leXcCTd1r°ntr;en 1641, est encore le philosophe unique, le diS pér patéticien. Le progrès relativement au moyen-age t rLuat des conquêtes du xvie siècle est seulement qu on recourf- texte grec même et non a une traduction latine ou a des commentateufs : progrès parallèle a -Jui que D^au a tat faire aux études juridiques. II est même mterdit au maitre de se servir des vocables dela scolastiqueetilest prescntde n'enseigner philosophie qu'en pur latin-. mais les Curateurs ne peuvent concevoir d'autre base a la philosophie que 1 oeuvre d Aristote , il reste a somme et la quintessence de toute doctrine Encore, s fn n'en St que les Logicae et les Ethicae Praelectiones, m^c'es^ ouoi du Ban peut passer d'une chaire de logique et de morale Tul chaire d'e physique, comme fit du Moulin, alors que c est 1 Rrnnnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 216. 2'. Ibid., p. 259 a 260 et p. 331*, n» W». ara yocabula scholastica, artisqws . * itóLiS „iZïiïiï p^ötrntonf Latino Philosophia tradatur. » ORIGINES DU CARTÉSIANISME A LEYDE 337 le contraire qui pourrait seul, a la rigueur, se produire aujourd'hui. Rien d'étonnant donc si Descartes rencontre dans les milieux universitaires de Leyde, comme dans ceux d'Utrecht, une violente et farouche opposition dont nous reparlerons au livre III; mais c'est en vain qu'on cherche a entraver la vérité nouvelle, du Ban fait encore soutenir des thèses cartésiennes le 23 mars 1643 *j Sa mort, survenue au mois de mai, ne fut pas celle du Cartésianisme, auquel la nomination de 1'Ecossais Adam Stuart, dont nous a parlé Sorbière et celle du théologien genevois Spanheim, ami de Rivet, devaient, dans 1'esprit des Curateurs, opposer une barrière. Stuart avait professé longtemps a 1'Académie de Sedan et se servait du francais, d'ailleurs assez mal, dans sa correspondance avec les Curateurs 2: Disons un mot, pour finir, de seigneurs de moindre vakur: les nommés Pierre Jarrige et Jean Botté, tous deux apostats. On attaéhait aux apostats une énorme im'portance, car leur conversion était un témoignage de la vitahté et de la force attractive des Eglises réformées. De plus on se souvenait que tant des meilleurs prédicants du xvi" siècle avaient été des moines suivant 1'exemple de Luther. Aussi leur faisait-on bon accueil et les Articles synodaux mentionnent les secours qu'on leur accorde : Synode de Flessingue, septembre 1644 3, art. 22 : « A Jehan Botté, ont esté accordés, pour la dernière fois, 30 florins »; Synode de Middelbourg, septembre 1648, art. 9 : « Le Sr Pierre Jarrige, cy-devant Jésuite, profès du 4°»e vceu et prédicateur, s'estant presenté en ce Synode..., la Compagnie, ayant esgard aux bons tesmoignages et recommandations de 1'Eglise de Leyde et de quelques doctes et signalés personnages, et aux dons que Dieu luy a despartis, déclare luy accörder dispense..., etc. » Dans les Bronnen, le nom de Botté apparait souvent a partir de 1643, sous la fo: me de Johannes Bottesius, de Grandvilla, naguère Docteur et professeur de théologie dans 1'ordre dés 1. Cf. la notice de de Waard dans Nederl. Biogr. Woordenboek, L III n 58 pU79?80Ole Slegenbeek' l' 149> 153 ! n' 121, 269; et (Euvres de Descartes, t.' IV, t ?i ^wPXÏÏIT1?"' *' Jftl- 17*> I" 674-11 avait été appelé en 1644 ; cf ibid., t. 11, p. 287 ; Spanheim avait été nommé en 1642. 3. Livre Synodal, pp. 479 et 484. 22 338 PROFESSEURS ETv ÉTUDIANTS FRANCAIS Dominions \ A la date du 17 novembre 1643, les Curateurs et Bourgmestres lui conf èrent la licence de présider a des « disputations » sur des sujets de logique, mais non 1'autonsation de faire _ deToours, a condition que le dit Bottesius se maintiendra dans lesBmites dela philosophie d'Aristote,recue dans cette Academie, saus introduire de « nouveiletés , quelconques, a quoii le Senat aura k veiller. Ceci est contre Descartes, avec qui Botte est en rapport, nous le verrons plus loin. Du Ban mort, on se mefie de la sympathie des Francais pour leur compatriote. Au reste, cette autorisation est toute provisoire et ne donnera a Botté aucun 'droit a prétendre a une chaire. II reeoit cinquante florins pour son livre Disputationes Logicae. Par décision du 23 aoüt 1644 *, il est maintenu jusqu a Vamvee du professeur Adam Stuart, a qui on en référera. L avis de ce dernier fut sans doute défavorable, puisque, le 8 feyner 1646, les Curateurs et Bourgmestres repoussent une nouvelle requete de Botté, mais il fut admis a nouveau a professer pendant «n an, après une mtervention de Saumaise en sa faveur, le Quant a 1'ancien jésuite, Pierre jarrige, conyerü a « la vraie religion chrétienne de 1'Eglise réforméc », les « Gecommiteerde Raden» WCe^ssion permanente des Etats de Hollande ojt décidé de pourvoir a son entretien, par Résolutiondu28jmn 1648, jusqu'a ce qu'Ü ait trouvé une situatiën et le recommandent k la soffieitude des Eglises francaises de Hollande et de 1 Universi e de Levde K Celle-ci 1'autorise a apprendre la rhetonque a la jeuaesse eu des cours privés, mais lui défend de faire un discours oublie sur son livre contre les Jésnites. Toutefois, on lui accorda de parler pubhquement de tout sujet qui ne touchera ni a la politique ni a 1'Etat• MP««^ fut assez conctaante pour que, le 15 novembre 1649, les Curateurs et Bourgmestres lui permissent d'enseigner 1 eloquenee, dans 1'amphithéatre de philosophie, deux fois par semaine . le mercredi et le samedi, entrant ainsi en concurrence avec Antoine ïfcysius ie fits, professeur extraordinaire de poésie, a qui une . „ . u u • -ri ■> 97Q - < Joh. Rottesius de Grandivilla, Ibid., p. 288. 3. Ibid-, p. 305. 4. Ibid., t. III, p. 22. 5. Ibid., t. III, pp. 30 et 31. ORIGINES DU CARTÉSIANISME A LEYDE 339 tache analogue est confiée. On sait que Jarrige rentraplus tard dans le sein de 1'Eglise catholique après une deuxième apostasie, non moins retentissante que la première» mais peut-être plus avantageuse. Je ne dirai rien du Lyonnais Pierre La Mole, inscrit le 7 juin 1636, et qui enseigne le francais aux étudiants, ni de Tanden acteur Antoine de La Barre, autorisé a faire deux fois par semainc un cours public-de francais dans une salie dépendant de rUniversité, et ce malgré 1'opposition des théologiens, mon ancien élève, M. Riemens ayant longuement parlé d'eux dans son Esqnisse historique de l'enseigwment du francais aux Pays-Bas l. 1. Thèse de doctorat de l'Université de Paris, déja citée ; Leyde, Sijthoff 1919, 1 vol. in-8° pil. CHAPITRE XVI ÉTUDIANTS FRANC-AIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE DE 1616 A 1648 II nous reste è examiner le mouvement des étudiants francais pour la période allant de 1616 a la paix de Westphalie en 1648. Sous le recteur Guillaume Coddaeus, en 1616,15 inscriptions, dont celle du Parisien Jacques Bigot et de 1'Orléanais Gilles Jove, se répartissant comme suit : six étudiants en théologie, six en droit, deux en lettres, un en médecine ; on voit donc que les théologiens ne sont pas majorité. A cóté d'eux, il faut noter le Beige Henricus Reneri, inscrit le 15 mars 1616 : il sera plus tard le disciple et 1'ami de Descartes. En 1617, même nombre ; un nom a retenir:« Albertus Gerardus Metensis», 22 ans, Math., immatriculé le 28 avril. C'est le célèbre Girard de Saint-Mihiel1 qui, avec Simon du Chesne, de Dole, professeur de mathématiques a Delft, Alleaume et David d'Orléans, ingénieurs au service de Maurice, représente dignement la mathématique francaise aux Pays-Bas8, a la fin du xvie siècle et au commencement du xvne, avant Descartes. Le même Albert Girard, « Samielois », revise VArithmétique de Simon Stévin (Leyde, Elzévir, 1625). Constantin Huygens, dans une lettre a Gohus 8, datée de décembre 1629, 1'appelle : « Vir stupendus Albertus Girardus » et ce Golius, un des correspondants de Descartes, entretenait avec Girard des rapports suivis. Celui-ci étudiait les lois de la réfraction, un des pro- 1. Voir sur lui la notlce de de Waard dans Nieuw Biogr. Wdb., t. II, col. 477 8., qui cite Hagers, Bouwstoffen, et Dannreuther (H), Le Mathématlcien Albert Girard de Saint-Mihiel (1595 a 1633), extrait des Mémoires de la Soc. des Lettres, Sciences, et Arts de Bar-le-Duc, 3« série, t. III, in-8». 2. Notons en passant, pour conlérer le passé au présent, qu'elle est représentée en Hollande aujourd'hui par un des plus distingués mathématiciens de la jeune école, M. Denjoy, appelé en 1917 a l'Université d'Utrecht, et qui y enseigne en francais la théorie des fonctions. ' 3. Cf. Korteweg, Descartes et les Manuscrits de Snellius, Revue de Métaphyètque et de morale, juillet 1896, p. 10 du tirage a part. 342 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS blèmes qui préoccupèrent le plus le philosophe francais, au début de son séjour en Hollande. Suivant les fiches wallonnes de Leyde, Girard publie ses bans a Amsterdam, le 12 avril 1614, au moment d'épouser Suzanne des Nouettes, agée de 18 ans. Lui, en a 19 et se donne pour joueur de luth, habitant derrière la Halle; la musique, étant fondée sur le nombre, a eu toujours une singuhère attraction sur les mathématiciens. Le 5 février 1615, il est encore a Amsterdam, oü il fait baptiser, ala Vieille Eglise, son fils Daniël. C'est donc en 1617 qu'il s'est établi a Leyde, et c'est la qu'il fait baptiser sa fille Marie a 1'Eglise SaintPierre, le 15 juillet. Après avoir réédité la Fortip.ca.tion de Marolois (1627) % il assiste au siège de Bois-le-Duc, avec Henri de Bergaigne, a qui il dédie son Inveniion nouvelle en Algèbre (Amsterdam, 1629) 2. II songe a un Traité de Voptique, sans oublier les réfractions, mais il a de la peine a réahser ses projets, « estant en pays estrange, sans Maecenas et non sans perte », et il pense aussi a un traité de musique. L'identité de son plan de recherches avec celui de Descartes est frappante. « Obüt heu 1 Alb. Girardus, vir incomparabilis », note Huygens dans son Dagboek 8. II est enterré a La Haye, le 11 décembre 1632, dans la Groote Kerk sous le nom de «Monsieur Albert, ingénieur». II «n'a laissé qu'une bonne réputation, écrit sa femme, d'avoir fidèlement servi et employé tout son temps a la recherche des plus beaux secrets des mathématiques. » Le regretté Paul Tannery écrit a son sujet 4 : « Elève et successeur de Stévin, Girard, dans son Invention nouvelle en Algèbre (1629), exposé nettement la composition des coefficients d'une équation algébrique en fonction des racines. II donne également, le premier, la mesure de la surface des triangles et polygones sphériques d'après la mesure de leurs angles. » Pour 1618, une douzaine d'immatriculations nouvelles, dont une remarquable, celle de « Fridéricus Tremolius, com. LavallL natus Thouarei, 15, P.», c'est-a-dire de la Trémoïlle, comte de 1. Samuel Marollois ou Marlois était né dans les Pays-Bas du Nord vere 1572, et mourut a La Haye avant 1627 (ct Nieuw Ned. Biogr. Wbd., t. II). U est 1 auteur de : Fortificationou archUècture militaire lont offensioe quedelfenswe, La Haye, 1613. 2. Lettres de Peiresc, t. IV, p. 201. vll 8. Cité dans CEuvres de Descartes, éd. Adam et Tannery, L XII, p. Sèi. 4. Les Sciences en Europe (1559-1648), dans E. Lavisse et A. Rambaud, Histoire Générale... Paris, Colin, in 8" t. V (1895), p. 471. a l'université ate Leyde dé 1616 a 1648 343 Laval, 1'élève de -Rivet,'Ie petik-fite dü Tadtfcrne, le futur prince de Tarente. Les troublès de 1'année 1619, marqués par 1'abominable exécution d'Qldenbarneveldt, n'amèneiit pas une diminution des Fran?ais, qui seront 14 : a signaler, un groupe de deux jeunes gens, Jéan-Antöine de Couvert èt son frère Arthur, jumeaux de 20 ans, accompagriés de leur «ephorus».bü précepteur, Michel dn Roy, agé de 24 ans et de leur domestiqüe, Carolus Le Fevre. Nombreuses restent d'altöeürs les inscriptions de domestiquës et souvent ceux-ci serveht des nobles de Lusace ou de la Marche de Brandebourg : ne méprisons pas ces modestes agents de 1'influence francaise. L'arrivée de Rivet en 1620, fait affluer les étudiants francais, comme les Curateurs 1'avaient prévu. Autour de lui, se groupent 28 inscriptions nouvelles, en y comprenant celle de ses deux fds, Samuel et Claude. Le plüs étonnant, c'est qu'avec lui, semble être arrivé son farrieux adversaire de plus tard, Amyraut, porté le 16 octobre, comme « Moses Admiraldus, Andegavensis, 23 ans, T. 1» On s'étonne moins de voir apparaitre, le 28 novembre, « Johanuës Dailleus, Picto, 27, T. », qui est le prédicateur Jean Daillé2^ que nous avons vu vantër plus haut et enfin Samuel Bochard3, de Rouen, 21 ans, plus tard membre de TA:adémie de Caén et auteur de la fnmeuse Géographie sacrée (1646), homme d'un génie diyin, selon Casaubon le jeune. Samuel Bochard est inscrit pour la théologie 4 également, toutefois il est bon de remarquer que, sur ces 28 immatriculationsde 1620, il y en a a peine une diznine pour cette branche: il est vrai que parmi elle», il est au moins trois noms qui seront célèbres, Amyraut, Daillé et Bochard, mais ceci montre une fois de plus qu'il ne faut pas exagérer le röle de la religion dans 1'afflux des Francais aux Pays-Bas. *f* Pour 1621, on saute brusquement a 49 inscriptions nouvelle» : le chiffre de 1'année d'arrivée de Scaliger (1593 : 37) est largement dépassé. Peut-être Texpéditibn de Louis XIII dans le Sud-Onest, marquée notamment par la prise de Saumur et la 1. Cette inscription semble avoir échappé è»,M. Bordier qui n'en-fait pas mention dans sa notfce- sarAmirant (Haag, La France protestante, 2* éd., t. i, col. 185 s.). ii était né iBourgaeil, en Touraine, au mois de Septembre 1596. 2. Daillé était né & Chatellerault, Ie6 janvier 1594 (Haag, op. cf*., 2« éd., t. v, col. 23 et s.), voir aussi plus haut, p. 307. 3. ii était né a Rouen le 10 mai 158». Cf. Haag, op. ril., 2* éd., t. ii, col. 649 et s. 4. ii soutint une thèse De Idolatria, qui parut a Leyde en 1621. 344 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS fermeture momentanée de son Académie, en est-elle cause, car les étudiants de La Rochelle, par exemple, ne sont pas moins de quinze, dont un groupe de cinq, le même jour, mais 1'influence de Rivet y est certainement pour une plus grande part. Les Saintongeais aussi continuent a être nombreux : 1'un d'eux a un nom dans 1'histoire, c'est « Benjaminus Pritolaus, Xanto S. Angeliacus, 20. T. », 19 mai, et qui est Benjamin Priolo, de SaintAngely, en Saintonge. Beaucoup d'autres Francais m'échappent sous la forme latine donnée a leur nom. Les inscriptions de 1622 s'élèvent encore a 42 : Comme les étudiants de 1'année précédente ont dü rester, cela fait peutêtre prés d'une centaine d'étudiants francais présents a Leyde, cette année-la. Maximihen du Maurier, de Paris, est inscrit comme étudiant de lettres, a 14 ans, le 9 avril: c'est le fils de notre ambassadeur a La Haye; 1'année suivante, le 28 février, son frère, le futur écrivain, Louis Aubéry du Maurier, imite son exemple a 12 ans. Tous deux ont pour précepteur le-Benjamin Priolo, dont nous venons de parler. Je ne sais qui est Isaac de Sainct-Mars, Normand, inscrit, le 6 aoüt. Quant a Francois et Phihppe de Jaucourt, Bourguignons de 14 et 11 ans, ils doivent appartenir a une familie qui donna d'illustres représen-. tants au Refuge de 1685. II y a encore 30 immatriculations nouvelles en 1623. Est-ce pour cela que Louis XIII défendit, a cette date, d'envoyer les jeunes candidats au saint ministère faire leurs études hors du royaume ? Aussi le chiffre s'abaisse-t-il a 22 pour 1'année suivante, parmi lesquelles il n'y a que cinq théologiens. Deux gentilshommes. sont mentionnés sans que leurs études, peut-être assez vagues, soient précisées : Jean Frotier, Sr de La Rochette et PontiuS de Besque, Sr de Montmarnes, tous deux agés de 27 ans K Pierre du Mouhn, Parisien, 23 ans, inscrit le 5 mai 1624 a la Faculté de théologie, est le fils de Tanden professeur de l'Université de Leyde ; aussi est-il dispensé de droits. Sous le rectorat de Walaeus, en 1625, 10 inscriptions seulement, mais une importante, celle de Samuel des Marets, Picard, 26 ans, candidat en théologie (19 juin), futur professeur de l'Université de Groningue, de 1642 a 1673, qui devient docteur dès le 8 juillet 2.1626 : relèvement a 16, parmi lesquels je ne compte 1. Notons aussi Francois Passavant, de B&le, étudiant en théologie, de 21 ans. . 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 120. a l'université de leyde de 1616 a 1648 345 pas un Toussain Dormieux, indiqué comme étant de Francfort et qui pourrait être Francais ainsi que beaucoup d'autres étudiants aux noms a consonnance francaise, venant de Hollande ou d'Allemagne. L'année 1627 est celle du quatrième rectorat de Polyander : 22 immatriculations environ, dont celles de deux fils de Pierre du Moulin, Louis, étudiant en médecine de 21 ans, qui deviendra docteur le 23 janvier 1630 \ et Théophile, qui a 20 ans et étudie les mathématiques (inscrit le 12 janvier 1628). 1628 : environ 27 Francais, parmi lesquels Francois de Buisson, de Metz, étudie les mathématiques. « Jacobus Moyzantius Cadomensis, 18 J.», 26 aoüt, ne nous frapperait pas, si nous ne nous avisions que c'est Moysan deBrieux, fondateur de 1'Académie de Caen, un des plus brillants poètes latins du xvne siècle 2 et dont un descendant du même nom, gendre de du Bosc, passera en Hollande au Refuge. 1629 : 23 inscriptions nouvelles, dont celle, le 13 octobre, d' «Henricus Reigneri, Leodiensis», 36 ans, «M. Art. Mag.», qui est eet ami et disciple de Descartes que nous avons vu déja a la date du 15 mars 1616. II n'y a pas moins de 6 inscriptions francaises dans cette année 1629, è l'Université, pour les mathématiques, en attendant celle de«Renatus Descartus, Picto, 33, Math.», immatriculé le 27 juin 1630, dont on ne ht pas le nom sans émotion dans 1'Album Studiosorum. II y a encore cinq autres étudiants francais de mathématique autour de lui, notamment Paul La Grange et Henri Colin, de Metz, 21 et 20 ans, et Petrus Bordier, au total 22 immatriculations nouvelles. Un peu après le nom de Descartes, on voit, a la date du 24 aoüt, la mention suivante, qui 1'aurait inquiété s'il 1'avait lue : Francois Merlanges, connu chez les papistes, d'oü il a fait défection, sous le" nom de Durand Caudel, Gascon, agé de 26 ans. 1631 : 16 immatriculations. 1632 : 23 ou peut-être 27 immatriculations, car c'est 1'année de 1'arrivée de Saumaise. Deux noms illustres, Mauritius a Coligniaco, 14 ans, et Gotspar a Coligniaco, 12 ans, deux fils du maréchal de Chastillon, dont 1'un portait le prénom de Maurice de Nassau, 1'autre celui du célèbre amiral Gaspard de Coligny. 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 144. 2. Haag, La France protestante, lre éd., t. VII, p. 431 et suiv. avec bibliographie. 346 PROFÉSSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS Le portrait de Gaspard a été peint par 'Rèmbrandt1. Leur précepteur, agé de 33 ans, ét docteirr en droit, est Jean Huguetan, immatriculé lui-même le 15 février 1633. A sa suite, son famulus et une dizaine d'étudiants francais. 1634 ï 23 inscriptions, dont Samuel de Torci, Normand, et Philippe de Glarges. Plus connu est«Nicolaus Pérrotüs, Catalaunensis», 28 ans, porté le 5 octobre pour Isl théologie. C'est le traducteur le plus admSré de son temps, Perrot d'Ablancour, qui venait dé reprendre la religion de Calvin, après avoir été catholiqüe, par amour pour Mme de Saint-Didier. Bayle 1'appelle 1'un des bóns et'dés beaux esprits de ce siècle. Evidemment, la présence de Saumaise i'attirait a Léyde : cette influenee devait être décisive et éntrainer son neveu Frémont d'Ablancour a aller lui aussi, plus tard aux Pays-Bas 2. 1635 : sixième rectorat de PolyaUder, environ 26 immatriculations, mais dont beaucoup de « servi et f amuli », dont on ne sait jamais si ce sont de simples domestiques ou des étudiants pauvres accompagnant de riches gentilshommes pour les servir, tout en continua.it leurs études: Un Elie de Pólignac, de 22 ans». étudie les mathématiques. Le 8 mars', s'inscrit, Charles de Limay, siettr de Bezu, agé de 46 ans, et, le 22 juin 1635 : « Isaacus Heraldus, Gallus Parisiensis, lil. D. Heraldi, 22 ans *, fils de 1'avocat au Parlement de Paris, Didier Hérauld, ami intime de Saumaise, avec qui il se brouilla plus tard, a cause des plaisanteries du philologue a 1'adresse des avocats*. 1636 : 23, par exemple (25 février),«Johanne&Gillot, Gallus, 22 ans, math.», qui est certainement le domestique et 1'élève de Descartes, dont il sera question plus loin; et, le 3 mai,«Joh. de Loges, Santo, 22, P.», qui doit être un fils de Mme des Loges, peut-être celui dont Balzac pleurera la mort au siège de Bois-leDuc, oü il fut tué en 1637. Qui est Joh. de la Mot, noble parisien de 22 ans, étudiant en philosophie ? A signaler, pour la curiosité des noms, le domestique Louis Aristote et le Sedanais Frédéric Poilblanc. ' 1. Cf. Jean Veth, op. cit. supra p. 33 n. 4. 2. Haag, La France protestante, lre éd., t. VIII, p. 197 et le Supplément aux Menagiana, par Pierre le Gmdi (Ms. Ir. 23254, p. 34): t M. d'Ablancoart a changé de religion deux leis. Estant devenu amoureux de Madame de Saint-Didier, qui estoit catholiqüe, il se fit catholiqüe. M. d'Ablancourt estant allé en Hollande, y reprit se» premières opinions et la religion de Calvin. > La suite est aussi assez intéressante pour la connaissance de ce personnage. 3. Haag, La France protestante, t. V, p. 507. a l'université de leyde de 1646 a 1648 347 1637 ï 11 étudiants seülemènt, dont le grammairien Nathaniel Duez 1 et le Provencal Et. Chaix, 45 ans, Dr. en médecine. 1638 : sous le rectorat de Cohstantih 1'Empereur, qui n'est pas Francais en dépit de son nom : 16 ou 19 immatriculations, parmi lesquelle» celles de Charles de Poncet, chevalier, Sr de Brétigny, 24 ans, étudiant en mathématiques. 1639 : 10, dont il faut retrancher Nathaniel Duez, de Metz, réinscrit. 1640 : environ 21, peut-être 23, suivant qu'on y ajoute Daniël de la Bassecourt et Jacques Agache, élèves du Collége wallon de théologie, auquel il eut fallu consacrer une notice, car c'est une des institutions annéxées a l'Université de Leyde, oü la pensée et la lartgue francaises sont le plus vivaces. Les « Reigles et loix du College des Eglises wallonnes estably a Leyde», avaient été arrêtées au Synode de Ziericzee, le 12 avril 1606. Daniël de Cologne, Louis de Dieu, Daniël Massis, en furent successivement directeurs. La mort de ce dernier marqua la fin de eet organisme, devenu d'ailleurs moins utile, au moment oü le Refuge allait grossir a la fois le troupeau des fidéle» et la cohorte des pasteurs. 1641 : 12, dont Cla'ude Rivet, frère du professeur, noble francais, 35 ans, inscrit honoris causa, c'est-a-dire gratuitement, pour les mathématiques. Póur la même branche, se fait immatriculer un noble dauphinois de 20 ans, Francois de Brunei des Areniers. Par contre, c'est a la Faculté de droit que 1'on trouve, le 22 juin, le Messin Paul Ferry. II est fils du pasteur Ferry, connu pour ses colleetions de documents Sur 1'histoire de Lorraine. Rivet s'intéresse-a ses études et les surveille, pvdsqu'il écrit au père a, a la date du ler mars 1642: «Ayant faict depuis peu, deux voyages a Leyde, oü j'ay mon fils aisné marié, j'ay veü vostre fils et me suis soigneusement enquis de ses comportemens et de ses progrès. Je n'en ai appris que des choses bonnes et louables. Mons. Schotanus, auquel je 1'ai particuüèremënt 1 Cf. Bulletin Eglises wallonnes, 2« s., t. IV, pp. 100 a 107 et p. 218 : Mounter, Apercu qénéral des destinées des Eglises wallonnes des Pays-Bas. u v avait aussi des Ecoles wallonnes, dont 11 est question dans diBéreuits passages du JOore Synodal (voir la table analytique). O en existe encore, a cdté de toutes les Eglises -wallonnes ou k peu prés, pour ia préparation des catéchumènes. Parmi les plus importantes sont celles du pasteur Giran, qui mattenVeusement vient de quitter son Importante communauté d'Amsterdam. . . .,. 2. Bibliothèque de l'Histoire da Protestantisme francais, 54, rue des baint-Feres, Ms. 214. 348 PROFESSEURS FT ÉTUDIANTS FRANCAIS Tecommandé, et qui est homme fort sincère, m'a assuré qu'il y [a] tout subjet d'en bien espérer et, qu'ayant commencé a dis•cuter en son collége \ il s'y est si bien pris dès 1'entrée, qu'il a de beaucoup surpassé son attente. II m'a dit au reste qu'il est assez assidu et diligent et quelques autres m'ont dit de mesme. Je 1'ay exhorté et accouragé de tout mon pouvoir. M. de Mory vous dira le surplus et ce que nous avons jugé ensemble pour son séjour, veü qu'ailleurs il ne trouvera ni tant de bons exercices, ni un lieu si tranquille et qu'il ne faut pas precipiter les voyages des jeunes gens, desquels les estudes sont entor en fleur, ni suivre leurs jeunes desirs... » Ce qui montre que le jeune homme en a assez de Leyde et qu'il a envie de s'en aller ailleurs. Si orthodoxe que füt la surveillance, elle ne suffit pas è maintenir cette ame d'adolescent dans le droit chenün. Dans la lettre inédite du 21 décembre 1643, il n'est question de rien moins que de poursuites évitées, pour je ne sais qutlle débauche ou quel méfait, dont Ferry le père n'était que trop informé. On peut soupconner Ferry le jeune de 1'avoir fait exprès pour se faire envoyer ailleurs, surtout a Paris : « Reste que vous donniez ordre, écrit Rivet, pour 1'envoyer au heu que vous jugerez propre pour le faire graduer, afin de le tirer de 1'oisiveté et le jetter •dans 1'employ. Monsieur de Mory m'a faict savoir que vous pensez a Orléans. J'y trouve des difficultez, car prenuerement, c'est une université oü tous les Flamands et Alemans abordent et portent la desbauche, et il y pourroit estre recognu. Secondement, il y a un statut dé n'admettre aucun qui n'ait estudié deux ans en droit ès Universitez de France ; ce qui me fait vous proposer que vous feriez mieus, ce me semble, de 1'envoyer de Paris a Caen, le recommander a Mons. Bochart, nepveu de Mons. du Mouhn, lequel ne vous peut estre incognu, qui vous y servira soigneusement. II y a la une belle Eghse, on veillera sur ses mceurs et sur sa conduite... » 1642 : 9 inscriptions. 1643: 12, parmi lesquelles, de nouveau, celle d'Etienne Chaix, docteur en médecine, 48 ans. 1644 : environ 18 immatriculations, dont celle de Henri, comte de La Tour, 17 avril; et, le ler juillet, celle de «Praestantis. ac dotis. vir Justus Brave, magister artium. » Le 27 aoüt, 1. Rivet se sert ici d'une expression restée courante aux Pays-Bas pour désigne un cours ; on dit • college geven ». a l'université de leyde de 1616 a 1648 349- apparait « Joannes Peudevyn, chirurg, constitutus in nosocomio ut studiosos medicinae eo in loco in chirurgia instituat ».. On se préoccupe donc de la pratique de la chirurgie, et c'est un Francais qu'on charge de 1'enseigner. Le 24 novembre, un Strasbourgeois, Diedrich et enfin, le 28 décembre, Etienne Le Moine, de Caen, 22 ans, étudiant en théologie : évidemment le futur professeur de théologie de l'Université de Leyde, oü on lui confia une chaire en 1676 *, tandis que son compatriote, Charles Drelincourt, premier médecin du Roi, y enseignait la. médecine depuis 16682. 1645 : 22, parmi lesquelles, le 13 mai, « Carolus de Valles veL Vallesus, nobilis; Petrus du Bordier, Gallus, 36, opt. Scient; Petrus de Torsi, nob. Parisiensis, 25; Pierre Bassé, Mathematicusinstitutor», 60 ans. 1646 : 12 ou 13 ; beaucoup de nobles : Nicolas de Saint-Aignan„ 28 ans; Jean «Launaeus a Vivantio, nobilis aquitanus...»; en septembre « Samuel Sorberius, Gallus, 30, Dr. M.» Voici quelqu'uu d'intéressant, Samuel Sorbière, dont M. Morize 3 a bien campé la figure d'aventurier littéraire et d'apostat professionnel. Semeur d'idées, s'il en fut, et précurseur, a bien des égards, desphilosophes du xvme siècle, le traducteur de Hobbes, 1'éditeur de Gassend, est un personnage trop important pour ne lui consacrer ici que quelques lignes. Nous reparlerons de lui plus tard i bornons-nous a signaler 1'autographe qu'il mit dans 1'album de Gronovius, le 3 aoüt 1643, a La Haye (cf. pl. XXXIII 6) (il était en Hollande depuis 1642) et les fiches wallonnes de Leyde, que M. Morize n'a pas connues : « Mariés a La Haye, le 24 juin 1646, Samuel Sorbier, docteur en médecine, jeune homme, et damoiselle Judith Renaud, jeune fille, tous deux demeurant a La Haye » 4. 1. Bulletin Eqlises Wallonnes, I, p. 99. 2. Ibid., t. VI, p. 334-5. 3. Zeilschri/t für franxbsische Sprache und Literalar, 1908, p. 214-265 : Samuel Sorbière (1610-1670) ; Morize, S. Sorbière et son voyage en Angleterre (1664), dans Réme d'Histoire littéraire de la France, avril-juin 1907, etc. (Cf. Ie Manuel M*Iio~ graphique de Lanson ) Voir aussi Blok (P. J.), Drie Brieven van Sam. Sorbière over den toestand van Holland in 1660, dans Bijdr. en Med. Hist. Genootschap, t. XXII, 1901, 1, p. 57 ets. M. de Waard veut'-lnen me signaler a la BibUo*. thèque Barberini, a Rome (Ms. Fiandra, XXXI, f° 58), une biographie de de Groot (Grotius) ècrite par un neveu de Samuel Petit et qui doit être deS. Sorbière. ■ , ■ 4. Cette Judith Renaud êtait la fille de Daniël Renaud et de Cathertne Tournemeine. Elle fut baptisée a La Haye, le 22 mars 1620, et recue membre de 1'Eglise de La Haye, le 7 avril 1635; Daniël Renaud, devenu veuf, se remaria, le 15 mars 1648, a La Haye, avec Elisabeth Bouche, veuve de M. Grifflth, 35Ö ;-PROFESSEURS ET • ÉTUDIANTS FRANCAIS « Recus.membros de 1'Eglise de Leide, juin 1647, Sorbière, Samuel, Dr. en médecine et Renaud Judith, sa femme, par témoignage de 1'Eglise de la Haye ».-, / ■ > «,U est certain que les Francois plaisènt par tout, qu'ils ont Vair fort galant et que Ton emprunte volontiers ai leurs leurs habitset quelque chose de leurs coutumes, de sorte que ceux qnl scavent se prévaloir des avantages que la patrie leur donne ei s'abstenir du mépris de leur hótes, des brocards et de Tinsolence, ne réussissent pas mal auprès d'eux, ou du moins ils ne recoivent jamais de mauvais traitement; mais il semble que nous prenons a tache de nous faire mal traiter par tout, dés que nous croions d'y être les plus forts ou dés que nous avons quelque titre d'y agir un peu hbrement. « Et ainsi, par ce que Ton nous estime, que Ton nous témoigne de 1'amitié et que Ton a pour nous beaucoup de déference, nous y voulons vivre en maitres, y changer les coütumes et nous moquer impunément de tout ce qui n'est pas a nótre goüt. II me souvient... que, voiageant en Hollande, un Gascon mit la main a Tépée contre le Bateher qui va d'Harlem a Amsterdam, paree qu'il ne vouloit pas attendre son valet de chambre, quoi qu'on lui put dire que 1'ordre étoit de n'attendre personne dés que Theure du départ est sonnée. II me semble qu'un homme se doit faire instruire des coutumes du pais oü il va et y confor- 1. Sorberiana, p. 112. 2. Ibid., p. 94. a l'université de leyde de 1616 a 1648 351 mer les siennes pu ses actions, plutöt que de youloir obliger tout un peuple de se régler a lui. Si elles se rencontrent fort contraires a son humeur, il n'a que faire de sortir de sa maison pour s'incommoder en. voiageant et si ses affaires 1'en ont tiré, c'est a lui de s'accommoder a la necessité de ses affaires. » 1647 : Sous le rectorat de Frédéric Spanheim, 25 inscriptions et beaucoup de noms importants, comme par exemple « Ludovicus de Beaufort, Parisinus», 29 ans, étudiant en théologie, inscrit le 28 mai. Le 20 septembre 1649 \ il devint docteur en médecine et fut un Cartésien ardent2. Le 8 juillet, se fait immatriculer Etienne Morin, de Caen. C'est a lui que reviendra plus tard 1'honneur de maintenir a YAthenaeum illmtre d'Amsterdam, de 1686 a 1699, la tradition francaise qu'y avait inaugurée, de 1649 a 1655, le professeur d'histoire ecclésiastique David Blondel, et de 1655 a 1659, son successeur Aiexandre Morus. Ainsi, étudiant a l'Université de Leyde en 1648, Morin devient professeur a Amsterdam en 1686 : la voie qu'il a choisie, dans celles qui s'ouvraient au Refuge, lui a été suggérée par ses souvenirs de jeunesse ; ce n'est pas un exemple isolé. II est temps de résumer en un tableau les données éparses en deux chapitres de ce livre II sur les étudiants francais a l'Université de Leyde 8 (voir cl-contre). Les chifïres, parfois différents de ceux de notre exposé, au cours duquel une discussion des cas douteux était possible, ne peuvent donner que des indications approximatives, d'abord, paree qu'il ne représentent que des immatriculations nouvelles et que beaucoup d'étudiants faisaient des séjours de quatre ans, comme nous 1'avons prouvé pour Guillaume Rivet et bien d'autres ; ensuite, il est difficile parfois d'établir qui est Francais et qui ne Pest point: le nom n'est pas une indication suffisante, même en le dépouillant de son travestissement latin. II en est tant appartenant a des réfugiés wallons ou francais, installés en Hollande et en Allemagne et qui y sont nés. Nous n'avons attribué la qualité de Francais qu'a ceux qui sont indiqués 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 25. 2. II est rauteur du Discours des opérations de l'dme et du corps, Leyde, 1655 Son ïmt cTT tnr??™?'! »*^S»Veondamné par Ie Synode 'de Èloil'le Duc eS 2« éd'., [" n, col* M9 P' ' ' P- 8'art' 17 et Haag' France Prolest™te> *y avait aussi des étudiants francais, mais en beaucoup moins Brand nombre ItaUsufflriS.^8™'^ hollandais(;s- Pour Groningue, M. Worp en avait dreTséla ïïite sur fiches : elle est conservée a la Bibliothèque Wallonne de Leyde. 352 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS comme venant d'une ville ou région de la France actuelle ou accompagnés de la mention vague de Gallus. Plusieurs ne sont que des «servi»et des «famuli», quelques-uns sont des étudiants de fantaisie. Mais, si imparfaites que soient ces données, et si approximatifs que soient les chifïres, ils attestent un apport francais continu, régulier, avec des courbes indiquant qu'a certains moments, il s'enfle ou décroit. Les sommets sont en 1593 : 37 ou 39 inscriptions; en 1620 : 49 ou 50. Or, ces deux dates correspondent a l'arrivée a Leyde de deux grands professeurs francais: Scaliger et Rivet. On s'étonne que l'arrivée de Saumaise n'ait pas eu le mêmè résultat, puisque, en 1632, les immatriculations francaises nouvelles ne s'élèvent qu'a 22, chiffre moyen souvent atteint en cette période. TABLEAU DES ÉTUDIANTS FRANCAIS A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE DE 1575 A 1648 S ca w vi ^ £ f im r w ANNÉES TOTAL SB 3 .g . S g& » I ^ 3 § f §?S 3 1 1 "S 1 S §|sl |^ I S * I °jsj! <|6 * § §4«g 1576-1577 2 2 \™ 2 ou 3 1 i 1 1579 4 i 1 9 1580 2 3 1581 6 5 2 1 1 1 1582 2 1583. 2 1 1584 1 1 1 1 1585 2 1 1 1 1586 1 1587 1588 •• 2 i 1 1589 ::: i 1 1 „ km*».) 1590 i 1 £ 1 (Sedan) 1591 2 1 1 1592 c o 1 1 „ 1 ( Arrirfe de 11 1111 (Calais) 1898 Scauger. 39 21 5 10 3 21 5 2 1 (W„) 1594 3 ou 4 1 1 i 1595 15 6 4 1 3 2 q 1 . «, . , 1596. 6 2 4 1 9 1 1 (Slrasbo"rs) 1597 7 1 2 4 1 (P„i(,u) 1 !/iehx 1598 6 1 3 2 1 Poitou 1 {m 1599.. 13 2 1 1 9 1 i 1600 15 3 3 8 1 1601 10 2 1 1 6 1 rPoitout i1 1602 * o , ( h(Boorges) 3 1 (Uil.) 1 (Met,) 1WW 8 3 1 4 1 (lontanban) 1 (Pntiu) 1 (Orfeais) 1 (Cambrai) 16049 2 2 5 5(do.lide) 2 (Orléais) 1 1 (Douai) 1605 14 2 3 8 La Roebelle) i 3 1SfiS"Miin-ïi 1 \tmm i a 2 1 l 1 (Anj0U) 10 1 ^"b™ 1608 10 1 1 1 6 . 1609 9 3 4 1 g ,.,„■ _ i6ii:::::::::: t ï I I "* i"o*£ 1612 7 2 1 3 1 2 1 (Poitou) 1613 721111 11 (lille) 1 (Strasbourg) 1614 6 2 1 1 1 1 (Sedan) 1615 10 3 2 3 1 (Théophile) 2 (Balzac) 5 1 (Strasbourg) 1616 14 25 6 2 1 (Poileu) 1 2 1 3 1617 11 4 1 2 2 1 (Helz) 1618 9 5 2 1 2 1 + 1(1™) 2 1 (UUe) 2 1619 13 6123 1 4 31 (Arras) 1 1620 i Arrirer de' 26 452 10 7 1172 2 1021 / Rivet. 50 22 2 3 17 3 1 25 3 13 3 1622 89 13 6 5 12 3 3 10 1 2 11 2 \^„L) \ 1623 29 6 4 1 5 1 1 (Prtteiee) 6 1 (Ortóais) 3 3 3 6 1624 20 3 1 2 5 1 2 du Sndj'J 3 3 11 1625 10 3 3 1 1(1™) 3 2 (1 Champagne) 1626 15 62222 2 6 112 1627 22 413 6 1 422 3 3 1628 19 1 4 2 6 4 3 3 1 6 2 1629 22 4 725 1 41 13 7 1630 19 2 5 6Sx5" 3 1 12 13 1631 15 24422 3 14 1 1082) Irrwéede 21 4 353 4 1221 3 1633. Saumaise. 12 123 2 2 1221 1634.. 22 51547 2 4 3132 1 1635 22 3 2 1 23 1 2 1 2 1636 24 4 1 4 1 4 1 2 2 1 2 2 1637 11 4 1 2 1 1 1 (Prorcnce) 4 1638 16 322 5 2 2 (l'itardie) 1 (Strasbourg) 1639. 9 4221 1. 3 1640 13 3 3 1 32 1 2 1641 12 22161 21 2 1642 9 1 3 1 1 2 2 1643 12 1 1 5 3 2 1 3 1644 15 115 4 2 3 1 4 1645 20 5152 2 3 2 1646 11 14 1 32 11 1647 25 3 1 3 6 7 8 5 3 211 2 1648 11 11531 1 (Arras) 2 1649 73 1 3 1 1 (Slrasbwirt) 1 1 1 CONCLUSION Quoi qu'il en soit, de 1575 ó 1648, la collaboration francaise a la fondation et au progrès de l'Université de Leyde est consïdérable : on peut même la qualifier, sans exagération, d'essentielle ; non que l'Université de Leyde, sans elle, n'eüt vécu aussi bien que celle de Franeker, mais elle doit a un Scaliger ou a un Saumaise, par exemple, la réputation universelle qu'elle a soutenue, notamment en philologie, jusqu'a nos jours et il ne tint pas aux Curateurs que la tradition philologique francaise ne fut continuée, après la mort de Saumaise, par Tanaquil x * Saumur) et n» 725 23 354 PROFESSEURS ET ÉTUDIANTS FRANCAIS tourmentes de la vie. Cette République leur assurait largemeut le paTu quotidieu et ue leur imposait «1'autre obhgation que cHe de leur illustrè présence, dout 1'éclat profitait a ce ui de Université- elle les invitait uou a faire des cours, oü la science s eparpme au ven mais a écrire des üvres et a ériger daus le süence au iet des « monumepts plus durables que 1'airaiu , I s y ré Jsïeut, grace aux loisirs qu'on leur donna, dans la mesure oü irèeuvfes des hommes sont éternelles, c'est-a-dire qu elles J^Tdan. une poussière, que parfois quelque erudit ou quelque curieux vient secouer. . , Mais si l'oeuvre est caduque, 1'espnt reste,; il a pasee de cer- veau ealerveau, de générationen géneratieu, danseeux memes qut leSSTa nous de retrouver ees traces du rayonnement éter^el de la France. «•••.» , FIN< DU livre ii LIVRE III LA PHILOSOPHIE INDÉPENDANTE DESCARTES EN HOLLANDE « Quel autre pays oü 1'on puisse jouir d'une liberté si entière ? (Lettre de Descartes a Balzac, 1631.) « Cependant, me tenant comme je fais, un pied en un pays et 1'autre en un autre, je trouve ma condition tres-heureuse, en ce qu'elle est libre. » (Lettre de Descartes a la Princesse Elisabeth, 1648). CHAPITRE PREMIER INTRODUCTION Que Descartes ait séjourné en Hollande, c'est un fait connu de tous nos écoliers, qu'il n'a pas faissé de surprendre un peu, mais 1'étonnement des étudiants hollandais, en 1'apprenant, n'était pas moindre, surtout enentendant parler desendroitschoisis par le grand philosophe pour les plus longs de ses séjours : Franeker, Endegeest, Egmond, lieux si éloignés des centres de la vie néerlandaise qu'ils n'éveillaient en leur esprit que des souvenirs assez vagues et beaucoup d'entre eux ne les connaissaient souvent même que de nom. Pourquoi Descartes les avait préférés, ces lieux et d'autres, au cours de sa vie errante, quelle tracé il y avait laissée de son passage, voila ce qu'il importait de rechercher. Partout je me suis efforcé de le suivre ; j'ai refait pieusement toute la série des pèlerinages cartésiens: parfois, comme a Egmond ou a Franeker, je n'ai plus même trouvé les pierres de sa maison, mais a Endegeest, je n^e suis arrêté quelques minutes dans la salie oü peutêtre il a rêvé. En tout cas, le cadre est resté le même, 1'aspect du site n'a point changé, et 1'on peut laisser errer ses regards sur les champs oü sa pensée flotta. Certes, bien des faits que 1'on trouvera dans ce Livre III ne sont pas une révélation : c'est a 1'active et ingénieuse patience de M. Adam, de ses collaborateurs et de ses prédécesseurs qu'on les doit. A lui et a M. Tannery revient 1'honneur de nous avoir dotés d'une édition monumentale de Descartes mais, justement paree qu'elle est un monument dans tous les sens du mot, ses treize gros in-4°1 demeurent inaccessibles au grand public, voire aux lettrés et aux savants qui n'ont pas une bibliothèque a leur 1. Paris, Cerf. Le Supplément, qui termine 1'ouvrage, a paru en 1913. 358 DESCARTES EN HOLLANDE disposition. Pourtant, quelle ceuvre magistrale que cette biographie de Descartes par M. Ch. Adam, qu'on lit au tome XII. C'est une étude presque définitive, on n'aura pas la vanité de la recommencer ici, mais, en même temps qu'une biographie, elle est surtout une analyse de 1'ceuvre et cette ceuvre, en tant qu'elle ne traite pas proprement de la Hollande ou qu'elle n'est pas détermihée directement par elle, ne nous concerne point. C'est d'ailleurs souvent un inconvénient de mêler 1'ceuvre et la vie. Nous voudrions nous borner uniquement a celle-ci, et dans celle-ci, avant tout, è ses périodes hollandaises, les principales et les décisives il est vrai, ce qui, par conséquent, ne sera peut-être pas sans utilité. Et d'abord, s'il est infiniment précieux et fécond de repenser les systèmes des philosophes, il ne 1'est pas moins, car 1'histoire de la philosophie n'est parfois que 1'histoire des philosophes, de revivre leur existence, de tacher de s'ennobhr par elle, surtout quand ils 1'ont exclusivement consacrée è la perfectiori de leur intelhgence et a la recherche de la vérité. Ensuite, a étudier les séjours en Hollande de Descartes, non pas séparément, ce qui les fait prendre pour une fantaisie incompréhensible, mais dans le cadre des présentes études, consacrées a 1'attraction qu'a exercée sur tous les Francais de la fin du xvie et du commencement du xvn» siècles la Répubhque des Provinces-Unies, ces séjours semblent tout afait naturels, presque nécessaires, ces voyages et eet établissement apparaissent comme une marche presque attendue vers le pays de la Liberté. Le fait que Descartes est et veut rester catholiqüe (nous aurons a y insister encore) souligne la valeur et 1'extension de cette hberté : c'est le moment de renouveler cette affirmation que la Hollande n'est pas seulement le Refuge protestant, qu'elle est aussi le refuge catholiqüe, ou, si 1'on préfère, le Refuge de la pensée indépendante. Aussi aura-t-elle offert asile è deux des plus grands créateurs de systèmes du xvne, un Francais : René, Descartes, et un juif d'origine espagnole : Baruch d'Espinoza. Ce n'est pas le moindre prestige de cette terre féconde en miracles. , CHAPITRE II ÈNFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) René Descartes est né le 31 mars 1596} dans un petit bourg situè a la hmite de la Touraine et du Poitou et qui s'appelle la Haye Nom prédestiné, dirait-on. Lui-même s'intitule Poitevin, quand il se fait inscrire a l'Université de Leyde ; il se présente aussi comme tel a Beeckman. Au reste, son père, Joachim des Cartes, coirseffler au Parlement de Bretagne. et de petite noblesse provinciale, était de Chatellerault en Poitou * Le jeune René, cadet de Pierre, baptisé le 19 octobre 1591, et de Jeanne, dont on ignore la date de naissance, perdit sa mère, Jeanne Brochard, le 16 mai 1597/ Descartes, comme Pascal est un enfant élevé en dehors des tendresses maternelles : cela se sent dans toute leur vie. Ils auront cette méfiance de la femme, cette maladresse envers elle, particulière aux enfants privés de caresses. On le voit dans les rapports de Descartes avec la Princesse Palatine, comme dans ceux de Pascal avec MUe de Roannez. Chez tous deux, il y a ce je ne sais quoi d'apre, de tourmenté, un peu moins chez celui-la, davantage chez celui-ci, avec une certaine sécheresse de cceur, peut-être en surface seulement, et une ame difficilement accessible aux passions qui ne sont pas d'ordre intellectuel ou entachées d'mtellec- tuahté. , René se trompe en ècrivant a Ia Princesse Elisabeth qu il perdit sa mère peu de jours après sa naissance, car ce fut trois jours après avoir accouché d'un enfant mort-né qu'elle mourut. H hérita d'elle une peau mate et la toux sèche qu'il traina toute sa vie. Sa maratre, Anne Morin, que son père épousa, sans doute 1. Sur renffn.ee du pmkwophe, voü- te ehap. I de Deseartes saivU: ei'ses auvres (Etude historique), par M. Ch. Adam, constituant le t. XII des (Ewres. 360 DESCARTES EN HOLLANDE vers 1600, ne remplaca pas 1'absente, mais lui donna une demi-sceur, Anne. Son enfance parait avoir été douce et paisible. II fit un jour confidence a Chanut d'une inclination puérile pour une fillette qui louchait : « Lorsque j'estois enfant, j'aimois une fille de mon age qui estoit un peu louche; au moyen de quoy 1'impression qui se faisoit par la veüe en mon cerveau, quand je regardois ses yeux égarez, se joignoit tellement a celle qui s'y faisoit aussi pour émouvoir en moy la passion de 1'amour que, long-temps après, en voyant des personnes louches, je me sentois plus enclin a les aimer qu'a en aimer d'autres, pour cela seul qu'elles avoient ce défaut et je ne scavois pas néantmoins que ce fust pour cela. . Au contraire, depuis que j'y ay fait réflexion et que j'ay reconnu que c'estoit un défaut, je n'en ay plus esté émeü »». La fillette aux yeux louches, c'est «lapetite Noémi» de Descartes et cette introduction précoce aux passions humaines lui reviendra a 1'esprit dans son age mür, au moment oü il songera a les décrire en un Traité. II est impossible que la verte parure de la Touraine lui füt indifférente, le souvenir de son abondance dut le consoler bien des fois dans son exil volontaire et ce sont ses jardins qui le font hésiter a aller en Suède, au « pays des ours entre des rochers et des glacés ».2 Fréquentes sont aussi chez lui les images empruntées aux vendanges 8, auxquelles il put prendre part et qui sont la-bas comme une des cérémonies essentielles de la religion de la nature, innée dans eet heureux pays. Les années d'école, qui commencent, pour René Descartes, a 1'age de dix ans, en 1606 *, ne furent pas, comme pour ces élèves du Collége dont parle Montaigne, des années de tortures et de cris. Le collége de la Flèche 6, qui est aujourd'hui le Prytanée, avait été fondé par ces maitres éducateurs qu'étaient les Jésuites,' 1. CEuvresAe Descartes pnbüées par,Adam et Tannery (citées désormais -.'(Euvres avec indlcatton du tome), tome V pT 57. Dans tes citations ie différencie les *Uo Ai¥-Z v i» des «j »et je modiüe, quand 11 le faut, la ponctuation. i. Ibid., p. 349. 3. Bxemple dans Ie Discours de la Méthode, 5» partie ; t VI p 46 4. Nous adoptons pour le séjour a La Flèche, les dates del6Ó6 41614 oul615. établies par M Adam aux pages 564 a 565 du t. XII. Ces dates ont été conflrmées par Mgr Monchamp, auteur d'une Histoire du Carlésianisme en Belgique, dans une ^chure_posthume inUtUlée : Notes sur Descartes, I, Descartes au collége de La F„„ lie 'd ' ChT0?°}31^ lavie„des Descartes, depuis sa sortie du collége jusqu'a son établissement définittf en Hollande (1614-1629). Liège, 1913, in^8» 5. Cf. le P. Camille de Rochemonteix, Vn Collége de Jésüites aux XVII» el XVIII» M Adam ge nri IV de La Flèche- Le Mw>s. 1889, 4 vol. in-8", employé par ENFANCE ET AD OLESC EN CE (1606-1617) 361 en 1604, par privilege d'Henri IV et avec 1'intention évidente d'ériger une citadelle universitaire catholiqüe, en face de la citadelle universitaire protestante de Saumur. L'école devint, avant le Collége de Clennont, fondé a Paris en 1619, «1'une des plus célèbre de 1'Europe», bien que son Recteur, le P. Chastellier, n'eüt pas 1'envergure d'un Duplessis-Mornay : la force de la « Société » suppléait a celle de 1'individu. Le P. Charlet, allié aux Brochard, fut pour René « un second père », et le distingua entre les autres écoliers, lui donnant une chambre a part, qui n'est pas celle que 1'on montre aujourd'hui sous le nom d'observatoire de Descartes. Selon le témoignage de Lipstorp % on le laissait prolonger au lit sa matinée, la position couchée étant favorable a la fois a sa chétive santé et a ses méditations. C'est un peu le violon du père de Montaigne : Descartes lui, s'éveillait au bourdonnement confus de ses pensees. « Ce fut, en effet, dit Lipstorp, en son latin, une habitude constante chez lui de s'éveiller de bonne heure, mais de s'abandonner ensuite, toujours couché, a la réflexion, jusqu'a midi, ce dont témoignent ses famihers et tous ceux qui ont éprouvé la puissance de son génie. C'est ainsi qu'il composa son Algèbre. » L'abbé Baillet, 1'ancien biographe de Descartes, confirme cette observation. Comme le philosophe avait fui un jour a Paris la demeure de M. Le Vasseur, pour se dérober a 1'importunité de ses amis, un valet de chambre vendit le secret : « II luy conta toutes les manières dont son maitre se gouvernoit dans sa retraite et lui dit entre autres choses qu'il avoit coütume de le laisser au ht tous les matins, lorsqu'il sortoit pour exécuter ses commissions et qu'il espéroit 1'y retrouver encore a son retour. II étoit prés d'onze heures, et M. Le Vasseur, qui revenoit du Palais, voulant s'assurer, sur 1'heure, de la demeure de M. Descartes, obligea le valet de se rendre son guide et se fit conduire chez Monsieur Descartes. Lorsqü'ils y furent arrivez, ils convinrent qu'ils entreroient sans bruit et le fidéle conducteur, ayant ouvert doucement 1'antichambre a M. Le Vasseur, le quitta aussitöt pour aller donner ordre au diner. M. Le Vasseur s'étant glissé contre la porte de la chambre de M. Descartes, se mit a regarder par le trou de la serrure et 1'appercut dans son lit, les fenêtres de la 1. Danielis Lipstorpii Lubecensis Specimina Philosophiae Cartesianae, Leyde, 1653, pp. 74-75, cités au t. XII des CEuvres, p. 20, note a. 362 DESCARTES EN HOLLANDE chambre ouvertes, le rideau levé et le guéridon avec quelques papiers prés du chevét. II eut la patience de le considérer pendant un tems consïdêrable et il vid qu'il'se lemit ó dèmy-cörps de tems en tems pour écrire et se recbuckoit ensuite pour méditer. L'alternative de ces postures dura prés d'une demi-hettre, è; la vue de M. Le Vasseur. M. Descartes s'étant levé ensuite pour s'habiller; M. Le Vasseur frappa k la porte de la chambre comme un hommé qui ne faisoit que d'arriver et de monter T esc alier. Entré en sixième, le jeune Descartes'suit le cours' régulier des études qu'il nous a assez fidèlement décrit au début du Discours de la Méthode : « J'ay esté nourri aux lettres, dès mon enfance, et pour ce qu'on me persuadöit que, par leur moyen, on pouvoit acquerir une connoissance claire' et assurée de tout ce qui est utile a la vie, j'avois un extreme dèsir de les apprendrë. Mais sitost que feu achevé tout ce cours d'estudes au bout duquel on a coustume d'estre receü au rang des doctes, je chaögeay entièrement d'opinion, car je me trouvois embarrassé de tant de doutes et d'erreurs qu'il me sembloit n'avoir fait autre profit en taschant de m'instruire, sinon que j'avois découvert de plus en plus mon ignorance.» 3 Ce souvenir d'enfance est une attaque de coup droit contre Téducation des xvie et xvne siècles en général et des Jésuites en particulier : trop de littérature, pas assez de raisonnement. Expérience qui sera renouvelée par les trois plus puissants philosophes de cette époque -. Montaigne, Descartes, Pascal, qui tous partent du doute pour y retourner ou en sortir, par des 'voies, diverses d'aboutissement, identiques de point de départ. « Et néanmoins,1 j'estois en 1'une des plus celebres escholes de rEurope, oü je pensois qu'il devöit y avoir des scavans hommes, s'il y en avoit en aucun endroit de la terre. J'y avois 1. D'après nhe rèfation rtianuscrite de M: Le Vasseur, consultée par [A. B.]', c'esta-dire Adrien Baillet, La Vie de Monsieur Deseartes; A Paris, chez Daniël Horthemels, rue Saint-Jacques, Au Mécênas, 1691, avec privilege ; 2 tomes en 1 vol. ln-4°; t.T, pp. 1S3-4. 2. CEuvres, t. VI, p. 4. , 3. M. Adam, au tomé XII, p. 21, a fort bien remarqué que les souvenirs de Deseartes se rapportant a ses études, reproduisent la marche du cours, qui commence par fes' fables, Piièdre, Les Métamorphoses d'Ovide et les Histoires correspondant aux classes de Grammaire,6\Se et 4e; viennent ensuite les classes d'humanités, troisième, seconde, rhétorique, oü 1'on cultive la poésie et I'éloquence. Enfin les trois dernières années étaient vouées a la logique, aux mathématiques et a la physique. M. Espinas, dans la Revue Bleue du'10 maf 1906 et des 23-30 mal 1907, conteste, au contraire, la véracité dutémolgnage de Descartes sur ses propres études. ENFANCE ET ADOLESCËNCE (1606-1617) 363 appris tout ce que les autres y apprenoient et mesme ne m'estant pas contenté des sciences qu'on nous tenseignoit, j'avois parcouru tous les livres traitant de celles qu'on estime les plus curieuses et les plus rares, qui avoient pü tomber entre mes mains. Avec cela, je scavois les jugements que les autres faisoient de moy et je ne voyois point qu'on m'1 estimast inferieur a mes condisdples, bien qu'il y en eust desja entre eux quelques-uns qu'on destinoit 'è remplir les places de nos maistres. » Qui sont ces condisdples ? On aurait aimé qu'il les nommat. Son futur ami, le P. Marin Mersenne, ne peut guère être ici désigné, puisqu'il est plus agé que lui de sept ans et demi2, et qu'il prendThabit des Minimes dés 1611. Ce ne peut être non plus René Le Clerc, depuis évêque de Glandèves, également plus agé, mais ce peut bien être le futur mathématicien Chauveau. Ces jeunes gens, au témöignage de Descartes 3, viennent «detous les quartiers de la France ; ils y font ün certain mélange d'humeurs paria conversation les uns des'autres, qui leur apprend quasi la même chose qüe s'ils voiageoient. Et enfin 1'égalité que les Jesuites mettent entr'eux, en ne traittant guères d'autre facon les plus relevés que les moindres est une invention extrémement bonne pour leur oster la tendresse et les autres défauts qu'ils peuvent avoir acquis par la coustume d'estre chéris dans les maisons de leurs parens. » « Je ne laissois pas toutefois, continue Descartes, d'estimer les exercices ausquels on s'occupe dans les escholes. Je scavois que les langues qu'on y apprent, sont necessaires pour l'intelligence des livres anciens, » II s'agit donc du latin, que Descartes maniait parfois plus facilement que sa propre langue, et du grec, qu'il néghgea, comme le faisaient ses maitres. « Que la gentillesse des fables resveillent 1'esprit, que les'actions memorables des histoires le relevent et qu'estant leües avec discretion, elles aydent a formër le jugement». C'est 1'histoire a la facon de Plutarque et de Montaigne, 1'histoire source d'exemples móraux, qui est un progrès sur rMstoire^hnagination, en attendant rhistbire-vérité, ceuvre des époques suivantes. 1. « m' » manque dans 1'édiüon Adam et Tannery^p. 5, t. VI. 2. Mersenne était né le 8 septembre 1588 a Oysa, dans le Malne. Cf. Baillet, op. ««., t. I, p. 21. 3. Lettre cltée par Baillet, p. 33; dans 1'édition Adam et Tannery, CEuvres, t. II, p. 378. 364 DESCARTES EN HOLLANDE « Que la lecture des bons livres est comme une conversatioa avec les plus honnestes gens des siècles passez, qui en ont esté les autheurs et mesme une conversation estudiée, en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées 1; que 1'Eloquence a des forces et des beautez incomparables ». Descartes reste bien francais en cela ; c'est pourquoi il aimera Balzac et sera, sans dessein prémédité d'ailleurs, comme lui, un des créateurs de la prose francaise moderne. « Que la Poësie a des delicatesses et des douceurs trés ravissantes ; que les Mathématiques sont des inventions trés subtiles et qui peuvent beaucoup seryir, tant a contenter les curieux qu'è facihter tous les arts et diminuer le travail des hommes ; que les escris qui traitent des mceurs contienent plusieurs enseignemens et plusieurs exhortations a la vertu, qui sont fort utiles ; que la Theologie enseigne a gaigner le ciel; que la Philosophie donne moyen de parler vray semblablement de toutes choses et se faire admirer des moins scavans, que la Jurisprudence, la Médecine et les autres sciences apportent des honneurs et des richesses a ceux qui les cultivent et en fin qu'il est bon de les avoir toutes examinées, mêmes les plus superstitieuses et les plus fausses, afin de connoistre leur juste valeur et se garder d'en estre trompé. » « Mais je croyois avoir desja donné assez de tems aux langues et mesme aussy a la lecture des livres anciens et a leurs histoires et a leurs fables, car c'est quasi le mesme de converser avec ceux des autres siècles que de voyasger. II est bon de scavoir quelque chose des meurs de divers peuples affin de juger des nostres plus sainement et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu'ont coustume de faire ceux qui n'ont rien vü. Mais lorsqu'on employé trop de tems a voyasger, on devient enfin estranger en son païs et lorsqu'on est trop curieux des choses qui se pratiquoient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en cetuy-cy. Outre que les fables font imaginer plusieurs evenemens comme possibles, qui ne le sont point, et que mesme les histoires les plus fideles, si elles ne changent ni n'augmentent la valeur des choses, pour les rendre plus dignes d'estre leües, au moins en omettent-elles presque tousjours les 1. Idéé joliment développée par Ruskin dans Sesame and Lilies. ENFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) 365 plus basses et moins illustres circonstances, d'oü vient que le reste ne paroist pas tel qu'il est et que ceux qui reglent leurs meurs par les exemples qu'ils en tirent, sont sujets a tomber dans les extravagances des Paladins de nos romans et a concevoir des desseins qui passent leurs forces. » Allusion a Don Quichotte, connu par les traductions de Cesar Oudin (1616) et de Francois de Rosset (1618) *, qui nous montrent un Descartes précurseur, en un sens, a la fois du roman réaliste et de lTlistoire integrale, la recherche de la vérité restant en toutes choses, la tendance essentielle de son être. « J'estimois fort 1'Eloquence et j'estois amoureux de la Poësie, mais je pensois que 1'une et 1'autre estoient des dons de 1'esprit plutost que des fruits de 1'estude ». Descartes est un volontaire. La facilité de 1'expression n'est pas pour le séduire, la forme 1'intéresse moins que le fond. « Ceux qui ont le raisonnement le plus fort et qui digerent le mieux leurs pensées, affin de les rendre claires et intelligibles peuvent toujours le mieux persuader ce qu'ils proposent, encore qu'ils ne pariassent que le basbreton et qu'ils n'eussent jamais apris la Rhetorique, et ceux qui ont les inventions les plus agreables et qui les scavent exprimer avec le plus d'ornement et de douceur ne lairroient pas d'estre les meilleurs Poëtes, encore que 1'art Poëtique leur fust inconnu ». Aussi 1'enfant fuit-il souvent 1'éloquence, trop adroite a dissimuler le vide des pensées, et la poésie, dont cependant le charme 1'attire, pour se réfugier dans les mathématiques : « Je me plaisois surtout aux Mathématiques, a cause de la certitude et de 1'evidence de leurs raisons, mais je ne remarquois point encore leur vray usage et, pensant qu'elles ne servoient qu'aux Arts Mechaniques, je m'estonnois de ce qüe leurs fondemens estans si fermes et si solides, on n'avoit rien basti dessus de plus relevé. » Tout le germe de la recherche cartésienne est la, dans ces premières conceptions d'enfant génial.aqui ses maitres n'apprennent que 1'utilité pratique des mathématiques, appliquées au commerce et a 1'industrie ou encore a la curiosité, et qui se demande déja si 1'évidence de leurs principes ne pourrait pas devenir le fondement de toute évidence et la base d'une philosophie oü tout se ramènerait au nombre et a 1'axiome. II n'y a pas lieu de révoquer en doute ces confldences et de croire 1. CL A. Rondel, Commémoration de Molière, Ttacine, Corneille, Shakespeare et Cervanlès a la Comédie francaise, Paris, Ed. Champion, 1919; in-4°, p. 10. 366 JfMBSGARTES EN, HOLLANDE, que, par une sorte de phénomène de paramémoire, Descartes reporte a, son enfance .des. méditations de 1'age, mür ou de ,1'adolescfince; seulement, ce qui plus Aard. devait. devenir .système n'est ici encore qu'intujtion ,confuse. .-is, «• y, ,-.■■<;,■ - ■-.,!<-.^.«tv « Je reverois nostre Theologie et pretendois, autant qu'aucun autre a gaigner le ciel, mais, ^yant appris, comme chose i trés assuré§,, que le chemin n'en est pas moins ouvert aux plus ignorans qu'aux, plus docteset que les veritez revelées,jquiy conduisent, sont au dessus de nostre intelligence,.je n'eusseosé les sou^ mettre a la foiblesse de mes raisonnemens et je pensois que, pour enireprendre de les examiner et y reussir, il estoit besoin d'avoir quelque extraordinaire assistence du Ciel et d'estre plus qu'homme. »,, .'...i "■ •■• .■!'.(••'/ •v'' . Même en.dégageant de cette déclaration la prudence qu'exigeait la ,publication d'idées nouvelles,, avec la • volonté de les dérober aux foudres c^e ,,1'Eglise, 1'attitude, de Descartes en matière de religion, se trouye suffisammenti définie. dansvee passage.,.,., ,,. . ;:-,,<«- ;,, yj ;ü, , >.;ï'ienseignée au Collége de la Flèchei et ,même bien, enseignée, ,si. jl'on en cnoit la lettre de Descartes publiée, par, Baillet,*, daas laquelle Ie philosophe détourne un père d'eavoyer son fils étudier cette science a 1'Université de Leyde, comme il en avait .manifesté 1'intention,:,«.Encore;que,mon opinion ne soit pas que toutes ..».->.» .»..„.,.. ■ ENFANCE ET ADOLESCENTE.- (1606-1617) 367 comme M...Gilson 1'a démontré dans. une thèse récente1 .:..« Je ne diray, rien de la Philosophie, continue le, Discours de.laMé^ thodz, sinonque, voyant, qu'elle ,a esté, culiivée par , les ,plus excelleas, esprits.qui ayent yescu depuis, plusieurs siècles f et. que neanmoins, il ne,s'y. trouve encore aucune chose .dont on ne dispute et, par consequent, qui.ne soit douteuse, je n'ayois point assés de presomption pour.,esperer,d.'y>rencontrer mieux ,que les autres.et.que, consideraut combien il peut y avoir, de diverses opinions touqhant. une . mesme matiere,. qui soient squstenues par, des gens doc,tes, sans qu'il y en puisse avoir j amais plus d'une seule qui,soit „vraye, je reputois presque, pour faux tout, ce qui n'estoit que vraysemblable. i».,, i>r*»Vi ,.-•„, h„ ,w.v , ,Les sciences, dans 1'état oü elles, étaient alors» ne pouvaient davantage étancher sa soif de vérité.et> surtout,de eertitude :, « Puis, ,pour les ; autres sciences, d'autant qu'elles empruntent leurs, principes de Ia Philosophie, je jugeois qu'on ne pouvoit avoir rien.basti qui fust solide sur des fondemens si peu fermes. et ny 1'honneur nyle gain qu!elles promettent n'estoient suffisans pour me convier a les apprendre,, car je ne me sentois point, graces a Dieu, de condition.,qui, m!obhgeast a faire un, mestier de la science pour le soulagement de ma fortune et quoy que je ne fisse pas, profession de mespriser la gloire en Gynique,, je faisois néanmoins fort peu d'estat de celle que je n'esperois point pouvoir acquerir qu'a faux titres » *.„ ., «. A cóté des vraies. sciences, il y avait les fausses, ou plutöt les vraies, sciences étaient presque toutes, faussées, étant dé tournees de leur objet propre, qui, est la recherche du vraL vers des. fins eudémoniqnes et utilitaires, 1'astronomie s'apphquant encore a lire dans les as tres la destinée hurnaine, la chimie a rechercher la pierre philosophale, la physique a étudier des phénomènes météorologiques ou a faire des tours de prestjdigitation. *Afa&ttê)''*?4i •>»•• ?.,'.. ^Mïrt-'-f. ■>■■.) ',,< {„•»:, » . ,;>t.,..,,i i Enfin pour les mauvaises doctrines, je pensois desja connoislre assés ce qu'elles valoient pour n'estre plus sujet a estre trompé, ny par les promesses d'un Alc&emiste, ny^parlesprediptions d'un Astrologue, ny par les impostures d'un Magicien, 1. La Liberté chez Descartes el la Théologie ; Paris, Alcan, 1913, in-8 ; et du même auteur, 1''Index scolastico-carlésten (Paris, Alcan, 1913); L'Innéisme aartesiea et la Théologie (Extr. de la Revue 4e Métaphysique el de Morale). 2. CEuvres, t. VI, pp. 8 et 9. .; .' t.y 368 DESCARTES EN HOLLANDE ny par les artifices ou la venterie d'aucun de ceux qui font profession de scavoir plus qu'ils ne scavent. » Dans cette phrase se traduit la déception qu'il éprouva a lire 1'Art de Raymond Lulle, les livres de Corneille Agrippa, que ses maitres eurent la largeur d'esprit de lui laisser entre les mains, bien que leur possession ait fait condamner a mort, a Moulins, un pauvre bonhomme, comme sorcier, en 1623 encore l. « C'est pourquoy, sitost que 1'aage me permit de sortir de la sujetion de mes Precepteurs, je quittay entierement 1'estude des lettres et, me resolvant de ne chercher plus d'autre science que celle qui se pourroit trouver en moy-mesme ou bien dans le grand livre du monde, j'employai les restes de ma jeunesse a voyasger, a voir des cours et des armées, a frequenter des gens de diverses humeurs et conditions, a recueillir diverses experiences, a m'esprouver 2 moy mesme dans les rencontres que la fortune me proposoit et, partout, a faire telle reflexion sur les choses qui se presentoient que j'en pusse tirer quelque profit. » Ceci se rapporte aux quelque quinze années de vie eïrante (1614-1628) qui vont précéder vingt années de production scientifique et philosophique (1629-1649) : germination, floraison ; préparation, construction. C'est une chose digne de remarque, et qu'on n'a peut-être pas assez soulignée, que la vie du plus grand philosophe francais, et du plus abstrait, commence par 1'action, par une prise de contact voulue avec la réalité, par une vaste enquête poursuivie hors des frontières de son pays et étendue aussi bien aux mceurs des hommes qu'a 1'aspect des choses. Ce sont ces quinze ans de contact avec la vie qui préservent Descartes de se perdre dans les constructions sans bases de la métaphysique, qui 1'empêchent de créer un système du monde dédaigneux de la réalité, qui le portent a tenir compte de ce bon sens qu'il a observé parmi les hommes et qui lui font admettre la relativité des connaissances humaines, la variété des mceurs, des religions et des doctrines. La philosophie a laquelle il aboutit, loin d'être aussi déductive qu'on le croit généralement, se différenciera nettement des formules a priori de la philosophie allemande et il s'affirmera trés Francais encore en ceci que, si abstraits qu'ils soient, nos 1. (Euores, t. XII, p. 3l. 2. C'est-a-dire faire l'essai de soi-même, selon le langage de Montaigne, au contact de la vie, comme on éprouve un mét al a la pierre de touche. ENFANCE ET ADOLESCENCE (1606-1617) 369 philosophes restent fidèles au « bon-sens », ne dédaignent pas le « sens commun », ne font abstraction ni de la réalité ni de la société dans laquelle ils vivent. Le réalisme hollandais, qui n'est pas aussi exclusif que celui des Anglais, ne pouvait que renforcer chez Descartes une tendance déterminée par sa race et par son milieu, ce milieu de Touraine si semblable a celui de la Grèce antique et oü le regard est souvent ramené des sommets et des espaces infinis vers le sourire de la nature. Les témoignages se rapportant aux années postérieures a la sortie du collége de La Flèche 1 sont rares et incertains. M. Adam2 ne relève pour cette période que quatre documents. Descartes est parrain a Poitiers, le 21 mai 1616, et il prend ses degrés de bachelier et de hcencié en droit a l'Université de cette ville, les 9 et 10 novembre de la même année, ce qui permet de supposer qu'il fit des études juridiques régulières, au moins pendant un semestre ou même pendant un an, sans qu'il soit nécessaire de 1'imaginer, comme le suggère M. Adam, suivant des cours de médecine et de droit- a La Flèche. Par contre il peut y avoir conquis les titres de licencié et maitre ès arts et il. semble bien y être resté jusqu'en 1614 8. Les 22 octobre et 3 décembre 1617, enfin, il signe deux actes, comme témoin, a Sucé, au diocèse de Nantes. De tout cela on serait tenté de conclure qu'il passa les années 1616 et 1617 dans 1'Ouest. Séjourna-t-il a Paris, comme le veut Baillet, c'est possible, mais, provisoirement, rien ne le prouve. eJL. ? aUr.?U ,lalssé a sa s?rtie' a la Wbliothèque du Collége de La Flèche selon flSïïTt. x"? 15 53 61serait intéressant d<\ 2. Xll, p. '35'. W^SESftffifigï?- 107' ^—^'^o^eMgrMonchamp, lejfsm^ 24 BB CHAPITRE III DESCARTES VOLONTAIRE AU SERVICE DES ÉTATS (1618-1619) LA RENCONTRE AVEC BEECKMAN Quoi qu'il en soit, 1'avenir de son «jeune philosophe»pouvait être pour son père une source de préoccupations, mais la solution dut lui apparaitre bientöt : René était cadet de familie; un cadet, cela s'envoie aux années, tandis que 1'ainé héritera des -charges paternelles. En 1618, la France n'est pas en guerre, la Hollande non plus ; elle est en pleine paix; la trêve de douze ans, conclue en 1609* n'expirera qu'en 1621 ; mais Maurice de Nassau reste dans tout Téclat de sa gloire de guerrier savant. A quelqu'un qui lui demande qui est le plus grand capitaine du siècle, il a répondu, -ce dit-on, après un instant d'hésitation, que Spinola était le second. Son « Krijgsspel »inaugure la guerre scientifique et son prestige s'accroit de celui de son cousin Guillaume, de son jeune frère Frédéric-Henri, si connu a la cour de France, et de son vieux •conseiller Oldenbarneveldt. Tout cela, on le sait bien en France, soit par des rapports de 1'ambassadeur Aubéry du Maurier, ou par 1'ambassadeur de Hollande a Paris, M. de Langerack, soit par les jeunes gens qui revenaient de la-bas et qui parlaient de leurs exploits lointains au point d'en être insupportables, a entendre Balzac, qui écrit a son frère, le 1« janvier 1624 : « Pour éviter la rencontre de ces grands causeurs je prendrois la poste, je me mettrois sur mer, je m'enfuirois jusqu'au bout du monde... mais particulierernent ils me Jont mourir quand ils viennent freschement de Hollande ou qu'ils commencent a estudier en mathematique »* De ceux-ci beaucoup, nous le savons maintenant, ont, comme Balzac 1. Cité par M. Adam au tome XII, p. 41, note a. 372 DESCARTES EN HOLLANDE et Théophile, fréquenté l'université de Leyde, oü les étudiants de 1'ouest de la France, nous 1'avons vu, étaient légion. Frédénc, comte de Laval, né a Thouars, est immatriculé a 1'Universite de Leyde, le 31 octobre 1618, a 1'age de quinze ans, pour la philosophie, avec Pierre Thorius, Angevin, agé de vingt-sept ans et Abraham Grouel, de Caen, agé de seize ans, smvi, bientöt apresr le 12 novembre, de Charles Vallée (Carolus Vallaeus), Poitevin, dix-neuf ans, également étudiant en philosophie. Mais notre cadet a assez des Universités : ses études de La Flèche et de Poitiers lui suffisent; c'est « le grand livre du monde » qu'il veut feuilleter : la guerre doit être pour lui 1'apprentissage de la vie. Les deux régiments francais dont nous avons raconté au livre I les origines, sont toujours au service des Etats. Ils sont commandés, a ce moment, par Saint-Simon, baron de Courtomer, qui a succédé a Cyrus de Béthune, et par 1'illustre Gaspard de Chastillon le futur Maréchal de France, « colonnel general des gens de guerre a pied francois . depuis 1614 \ Le budget de la guerre pour 1618, conservé aux Archives de 1'Etat a La Haye, ne contient malheureusement que les noms des chefs, jusqu'aux capitaines inclusivement, et notre cadet René Descartes, sieur du Perron, n'a jamais été qu'un simple volontaire, ne prétendant a aucun grade ni a aucune solde, puisqu'il raconte avoir toujours gardé en souvenir, le seul doublon qu'il aurait gagné.a ce titre, celui de son engagement. Malgré la Trêve, les dépenses, prévues par le budget de loiy , s'élèvent encore a 524.350 florins. Les troupes wallonnes y entrent pour une large part, ainsi que les Francais, sous Sailly, Jehan de la Sale, Robert de Billy, Bernard Plouchard, Guillaume de Vitry LaBarbe, Foullau, Estienne de laBuissière, Claude de la Foreest. Les compagnies comptent 70 hommes seulement; aioutez-y Jean de Poictiers, dit Cadet, qui, pour ses 70 cavahers, recoit par mois 2.457 livres et les «gentilshommes del'Artillerie»r Etats de Hollande et du Consell d'Etat. volontaire au service des états (1618-1619) 373 Flamigny, le capitaine Ferné, Lebrebiettes; mais il faut Telever surtout dans ce budget le nom des ingénieurs et mathématiciens célèbres qui entourent Maurice et dont les noms ne devaient pas être pour René Descartes une mince attraction : Simon Stévin, Jacques Alleaume, David d'Orléans. Voici les mentions qui se rapportent a ces illustres ingénieurs beige et francais : Meester Symon Stevin, Ingenieur 50 £ Jacques Alleaume 1 ' ,' jqq £ David van Orliens, Ingenieur. ..... 25 £ Je n'ai pas eu le bonheur de rencontrer, comme pour d'autres années, dans les Lias Lopende ou « séries courantes » des Etats •Généraux conservées aux Archives de La Haye, les róles complets de 1618 ou 1619; s'il en tombait entre les mains d|heureux investigateurs, je les avertis qu'ils ont peu de chance d'y trouver René Descartes et beaucoup d'y voir mentionner le Sieur du Perron, qui n'était pas un nom de guerre, mais celui d'une petite terre qu'il avait héritée de sa familie maternelle •en Poitou. Que Descartes ait dü se trouver coude a coude avec beaucoup de protestants, cela résulte du fait que les deux régiments francais ont chacun leur pasteur : Guillaume Remondt, Predicant van de fransche Regimenten xxv £ Richard Jean de Nerée, idem xxv £ Christiaen de la Quewellerie se borne è s'occuper du Régiment gallon. J'ignore si « Joannes Nicasius, minister inde Bourtange ,,, qui recoit 300 livres par an, exerce aussi son office auprès des troupes. Ce contact avec les protestants, au reste trés nombreux en Poitou, n'était pas pour effrayer 1'ancien élève des Jésuites, pas plus qu il n'avait effaré 1'élève de Scaliger, le jeune de La RochePozay , plus tard évêque de Poitiers, ni, quelques années après, le gentilhomme normand Breauté». Cependant le futur Oratorien Charles de Condren demanda a son père « que le voyage füt f» «J •20 dé~e^esDi sf Genleol ^iSfSf' ^ £ 5«£ St' GenJacques Aleaume" D^mreu? ext"o^^ w"r?)onnancé 200 ^rins pour l^floHns par an, 5 *évn£,T9T^ 2* Y?Iï,Plus haut> au Uvre II, p. 196. 3. Cf. livre I, p. 129. 374 'descartes en hollande' tihangé en celui de Hongrie, qu'il avoit de la peine d'aller chez des hérétiquès et qu'il combattroit bien plus volontiers contre les Turcs que contre des catholiques » K Au seigneur du Perron, eed'était profondément indifferent^ il s'agissait d'expérience de la vie et d'apprentÜssage de 1 action et il pouvait se faire la main aussi bien sur le dos de ses corêhgionnaires, d'ailleurs ennemis de son pays, que sur celui des Infidèles, alhés anciens de la monarchie. Au reste, il s est meme vanté, plus tard, dans sa lettre a Servien, d'avoir combattu 1'Inquisition d'Espagne, sous les ordres de Maurice de Nassau. C'est la un mirage du souvenir, car je ne vois pas trop a quels combats ü a pu prendre part pendant la Trêve de douze ans. La phrase est celle-ci 2: « Car je me suis assuré qu ns [les Lurateürs de l'Université de Leyde] n'approuveront pas qu apres tant de sang que les Francois ont répandu pour les aider a chasser d'icy lTnquisition d'Espagne, un Francois, qui a aussi porte les armes pour la même cause, soit aujourd'huy soumis a 1 Inquisition des Ministres de Hollande » 8. . Le vieux biographe de Descartes, Baillet, veut que celui-ci soit parti pour la Hollande er, mai 1617. M. Adam le me, a cause des deux actes qu'il signe comme témoin a Sucé, pres Nantes, le 12 octobre et le 3 décembre 1617, mais ce fait ne pröuve rien, car il a pu passer Vété aux Pays-Bas et revenir en automne dans le Poitou. Ainsi on arriverait aux quinze mois de séjour a Breda, dont Descartes parlait un jour a Frans van Schooten * Toutefois, comme nous n'avons, a eet égard, aucune cerütude ilvaut - mieux reporter au printemps 1618 le départ de Descartes pour Bréda, quoique sa présence la-bas, pendant 1'éte 1618 ne soit pas plus assurée que celle de 1'été 1617. La première preuve décisive, précise, incontestable de la présence de René Descartes a Bréda, dans le Brabant Septentrional, est une mention du Journal de Beeckman, a la date du 10 novembre 1618, et il est bon de s'arrêter un instant a cette 1. Cf. Adam, t. XII, p. 41, note ; sur le mot voyage au sens d'expêdition, voir livre I", p- 69. 2. (Eavres, t. V, p. 25. nhsólument süre. Descartes ne se J^fffSL 2Ü^« 5^ SS cependant que 1, üf^ftauteTl^^^^ VOLONTAIRE AU SERVICE DES ÉTATS (1618-1619) 375 source capitale, récemment déeouverte par un érudit hollandais de grande valeur, le D' C. de Waard et dont nous nous servirons pour le présent exposé. C'est en 1905 que celui-ci trouva a Middelbourg, è la Bibliothèque provinciale de Zélande, le Journal, dont 1'existence était connue par les lettres de Descartes de 1630 et par des extraits publiés, en 1644, par Abraham, frère d'IsaacBeeckman, M. C. de Waard s: propose de publier in extenso le gros registre et nous souhaitons a.ce mathématicien, qui connait aussi bien 1'histoire des lettres que 1'histoire des sciences au xvne siècle, de pouvoir mettre bientöt son projet a exécution. Pour 1'instant, contentons-nous des amples extraits que M. de Waard a fournis a M. Adam et qui, publiés dans le tome X 1 des CEuvres de Descartes, en 1908, ne sont pas encore trés connus. Par bonheur, Isaac Beeckman, qui était un homme aussi soigneux que curieux', a inséré dans son Journal des copies fidèles des lettres qu'il avait recues de Descartes lors du premier séjour de celui-ci en Hollande et cette période si importante pour la formation s'en trouve singulièrement éclairée. Beeckman était un de ces savants comme on en trouve dans les provinces les plus reculées des Pays-Bas, méditatif et solitaire, se hvrant peu, ne fréquentant guère ses confrères, tout absorbé par la vie familiale et le travail de 1'esprit. II avait cependant voyagé hors des limites de sa province de Zélande, oü il était né a Middelbourg, le 10 décembre 1588. II est inscrit dans le fameux Album studiosorum de l'Université de Leyde, qui nous est si farnilier désormais, le 21 mai 1607 et le 29 septembre 1609, en qualité d'étudiant en philosophie et lettres. Ainsi que tant d'autres de ses compatriotes, un Oldenbarneveldt, un Cats, un Grotius, il fait, en 1612, son tour de France et ü y retourne, en 1618, pour conquérir, le 18 aoüt, cinq jours après avoir débarqué en Normandie, ses grades de bacheher et de licencié devant la Faculté de Médecine de l'Université de Caen ; il fut docteur, le 6 septembre. II se rembarque, le 21, au Havre, pour rentrer en Zélande et arriver a Bréda le 16 octobre, non pas afin de fréquenter la cour de Maurice, qui venait de s'y installer au chateau de son frère Philippe, après lui avoir succédé comme Prince d'Orange 2, mais, plus prosaïquement, afin 1. Pp. 17 et s. 2. On serait tenté de se demander même si Descartes n'aurait pas été d'abord au 376 DESCARTES EN HOLLANDE d'aider l'oncle Pierre a abattre ses porcs et aussi afin d'y chercher femme x. Beeckman était un jeune médecin de trente ans ; il n'était encore ni adjoint au principal (conrector) du Collége latin d'Utrecht, ce qu'il ne devint que le 26 novembre 1619, ni principal (rector) du Collége latin de Dordrecht, ce qu'il ne fut que le 2 juin 1627. On a toujours su que Descartes avait séjourné dans la jolie petite ville du Brabant que Héraugière avait, par sa ruse, ravie en 1590 a 1'Espagnol2 et qui faisait partie de la Générahté, province conquise appartenant en commun a toutes les autres. D'abord le Compendium Musicae, publié en 1650, après la mort du philosophe, sans doute d'après les papiers mêmes de Beeckman, est daté de Bréda, 31 décembre 1618 3. Ensuite il se rattache a ce séjour une anecdote trop célèbre pour n'être pas un peu suspecte, surtout paree qu'on en raconte une a peu prés semblable sur Viète. La voici toujours, paraphrasée de Lipstorp, qui 1'enjolive moins que son successeur Baillet : « Lorsqu'il quitta la France pour la première fois, il avait vingt et un ans [?]. Comme il brülait d'être a la fois spectateur et acteur de la Comédie humaine, il s'enröla comme volontaire en Hollande, sous le glorieux Prince Maurice, Stathouder et capitaine général des Provinces-Unies. Ce Prince tenait alors garnison avec toute son armée autovr de Bréda en Brabant, alors soumis a Leurs Hautes Puissances les Etats généraux et qui n'avait pas encore été reprise par Spinola (1625). II arriva que, comme notre Descartes séjournaitaBréda, un pauvre mathématicien, désireux d'améliorer son propre sort, proposa, par voie d'affiche, au public, quelque problème a résoudre. Les passants s'arrêtaient, et, parmi eux, notre Descartes ; mais, récemment arrivé aux Pays-Bas, il n'en possédait pas encore la langue et c'est pourquoi il pria son voisin (que par la suite il sut être un philosophe et mathématicien assez connu, Beeckman, proviseur du Lycée de Dordrecht) de lui expliquer service du catholiqüe Philippe d'Orange ou de sa femme la princesse de Condé. Sur ceux-ci, voir plus haut, livre I", p. 117-118. fl t Voor de slachttijt des jaers 1618, ben ic te Breda gecomen om Pieteroom te helpen wreken en te vrijen oock. »(F° 94 v°). 3* ra, Architectura militari et praecipue- sermone belgico, in quo qmd profecerim brevi visurus es ». t ™ , e ?e la Lan9"e Francaise, t. V (1917). p 229 3. Cf. plus haut, p. 341. v 382 DESCARTES EN HOXI-ANDt: de racommoder,.en faisant servir. de vieilles murailles qui avoient esté basties a d'autres fins. Ainsi ces, anciennes citez qui, n'ayant esté, au commencemeitit, que des bourgades, sont devenues, par succession de tems, de grandes villes, sont ordinairement si mal compassées, au pris de ces places regulieres qu'un Ingenieur tracé a sa fantaisie dans une plaine, qu'encore que, considerant leurs edifices, chascun a part, on y trouve souvent autant ou plus d'art qu'en ceux des autres, toutefois, a voir comme ils sont arrangez, icy un grand, la un petit et comme ils rendent les rues courbées et inesgales, on diroit que c'est plutost la fortune que la volonté de quelques hommes usans de raison, qui les a ainsi disposez. Et si on considere qu'il y a eu neanmoins de tout tems quelques officiers qui ont eu charge de prendre garde aux bastimens des particuliers, pour les faire servir a 1'ornement du public, on connoistra bien qu'il est malaysé, en ne travaillant que sur les ouvrages d'autruy, de faire des choses fort accomplies. »* Le plan de Versailles est la, dirait-on, tracé d'avance par 1'élève de Bréda. Mais retournons a la lettre de Descartes a Beeckman, qui se termine ainsi : « Assez sur ce sujet. J'en dirai ailleurs dayantage. En attendant, aimez-moi et tenez pour assuré que j' oublier ai plutöt les Muses que je ne vous oublierai vous, car elles m'unissent a vous par le lien d'une éternelle affection... De Bréda, 24 janvier 1619. Du Perron. » L'adresse est « A Monsieur Isaack Beeckman, Docteur en Medicine a Middelb. » La lettre suivante est du 26 mars : le philosophe a tenu sa promesse, il s'est rendu a Middelbourg vers le 20, pour voir son ami, mais celui-ci a négligé de lui mander -quil continuait ses pérégrinations a la poursuite^ de 1'épouse de ses rêves. Le voyage, au cours duquel il a peut-être visité la boutique de Lipperhey ou, celle de Zacharias Jansen, qui 1'un et 1'autre se prétendent inventeur des lunettes d'ap- 1 CEuvres t VI, p. 11. Cf. aussi XII, p. 581. n se pourrait qu'il y eüt dans ce nassace une aUusion 1 la ville de Richelieu. Voici d'autres comparaisons empruntées ÏT^M^^ixi même Discours de la Méthode ne voyons point qu'on jette par terre toutes les roaisons du™ ville poui.leseul dessein de les refaire d'autre facon et d'en rendre les rues p us belles... » et- adleurs, dans la Troisième partie : « Mon dessein ne tendoit qu'a m'assurer et a rejetter Ia terre mouXteTt Kble pour trouver Ie roe ou I'argile... et comme en abatant un vieux lods on en reserve ordinairement les demolitions pour servir a en basta un Nouveau » Cf aussi t VI, p. 22 : « Et enfin, comme ce n'est pas assez, ayant de commencer"arèbS le logls^ü on demeure que tey™****^g^£ matériaux et d'Architectes ou s'exercer soy mesme a 1 Architecture et outre ccia d'en avoir soigneusement tracé le dessein, etc. » DESCARTES ET BEECKMAN 383 proche \ n'a fait que stimuler Tactivité mentale de Descartes. II n'y a pas six jours qu'il ést rentré et il a déja trouvé quatre démonstrations remarquables et presque toutes nouvelles, a 1'aide de ses compas. II semble s'orienter déja vers 1'application de 1'algèbre a la géométrie, mais il faut surtout souligner la phrase oü se manifeste la tendance vers l'unité d'un systéme, vers une solution unique de tous les problèmes : « En vérité, pour m'ouvrir a vous ingénument de ce que je construis, ce que je veux fournir, ce n'est pas un Ars brevis de Lulle, mais une science presque nouvelle, par laquelle se puissent résoudre toutes les questions proposées sur n'importe quel ordre de quantités continues ou discontinues »2. Beeckman écrit en marge : « Ars generalis ad omnes quaestiones solvendas quaesita», mais ce n'est la qu'une interprétation bornée ; le philosophe vise plus haut que les simples mathématiques, il est en marche vers Ia Méthode et la méditation du « poële » est une résultante, une coordination brusque de choses acquises, une illumination intérieure, plutöt qu'une révélation d'en haut. Pour une recette a problèmes, il ne se fut pas servi des mots « science nouvelle » et 1'addition concernant les quantités continues ou discontinues n'est qu'une restriction, une atténuation dictée soit par la modestie, soit par la volonté de ne pas trahir le grand secret qu'annoncera dix-huit ans plus tard le Discours de la Méthode. Notre interprétation se justitie mieux encore par la suite de la lettre oü, comme un poète, le philosophe se sent agité d'un saint enthousiasme préludant a la nuit mystique de son Annonciation (10 novembre 1619) : « C'est une ceuvre infinie, il est vrai, qui ne saurait être d'un seul, et d'une ambition incroyable, mais j'ai apercu je ne sais quelle lumière a travers le chaos de cette mienne science, avec l'aide de laquelle je pense pouvoir dissiper les plus épaisses ténèbres »8. Ces accents sont rares chez Descartes, mais ils justifient, en quelque manière, le reproche de mysticisme que lui adressent Leibnitz et Christian Huygens 4. Ceux-ci ne semblent pas com- 1. CEuvres, t. XII, pp. 185-6. 2. Ibid., t. X, p. 154 s. : « Et certe ut tibi nude'aperiam quid moliar, non Lullii Artembreuem sed scientiam penitus novam tradere cupio... » ' "£^5 t- X' pp' 156-7 : * Inflnitum quidem opus est, nee unius. Incredibile quam ambitiosum, sed nescio quid luminis per obscurum hujus scientiae chaos aspexi, cu]us auxino densissimas quasque tenebras disCuti posse existimo. » 4. C.f CEuvres, t. XII, p. 29, note d. 384 DESCARTES EN HOLLANDE prendre le frisson de joie mêlée d'angoisse qui fait trembler le chercheur a 1'approche de la vérité. En tout cas, il ne s'attarde pas sur ce thème : le positif Hollandais ne le comprendrait plus ; peut-être, lui prend-il aussi une sorte de pudeur d'en avoir trop dit, d'avoir trop livré de luimême et il raconte ses souvenirs de voyage, les périls de sa première traversée \ oü la tempête 1'a surpris sur une coquille de noix, au sortir du port de Flessingue, mais il se vante del'avoir affrontée « avec plus de plaisir que de crainte et même... sans nausée. » Cela 1'enhardit pour de plus longues traversées et de plus audacieux projets. II semble qu'une voix secrète, un « démon » pareil a celui de Socrate, le pousse vers le lieu de sa révélation intérieure. II confie ses projets a son ami : « Les troubles qui agitent 1'Allemagne 2 n'ont pas modifié mon dessein; tout au plus me retiennent-ils un peu. Je ne m'en irai pas d'ici avant trois semaines, mais, a ce moment la, je compte gagner Amsterdam, de la « Gedanum »3, ensuite je traverserai la Pologne et une partie de la Hongrie pour arriver en Autriche et en Bohème ; certes cette voie est la plus longue, mais a mon sens la plus süre. J'emmènerai mon domestique et peut-être quelque camarade a moi connu. Ne craignez pas pour moi, vous qui m'aimez. Avant le 15 avril, je ne partirai certainement pas d'ici. Tachez. donc, si vous pouvez, de m'écrire avant ce moment, sans cela je n'aurai plus de lettres de vous d'ici longtemps. A cette occasion, dites-moi ce que vous pensez de ma Mécanique et si vous êtes d'accord avec moi. » II s'agit peut-être d'un écrit perdu et, s'il en est ainsi, le cycle des études préliminaires se compléte : Algèbre, Géométrie, Physique, Mécanique, sans parler du Dessin, de 1'Architecture militaire et du Néerlandais. La fin de la lettre suggère aux navigateurs hollandais une manière simple et nouvelle de faire le point pour se diriger sur mer. La missive du 20 avril n'est qu'un simple billet transmis par le domestique de Descartes, oü celui-ci demande des nouvelles de Beeckman et s'il a trouvé femme. Le départ est 1. Ibid.; t. X, p. 158 : < Probavi enim me ipsum et marinis fluctibus, quos nunquam antea tentaveram... » 2. Le texte de cette importante lettre du 26 mars 1619 (t. X, p. 158) porte : « Galliae motus », mais il faut lire, avec M. Adam, « Germaniae », a cause de ce qui suit. 3. C'est-a-dire Dantzig. DESCARTES ET BEECKMAN 385 fixé au mercredi 24 avril 1619. La veille de ce jour, il •écrit une lettre plus importante, qui est comme un adieu et un hymne de reconnaissance : « J'ai recu votre missive, presque le même jour oü elle a été écrite et je ne veux pas m'en aller d'ici sans renouveler encore, par une lettre, cette amitié qui ne doit pas s'éteindre entre nous. N'attendez pas cependant quelque produit de mon esprit : déja, il vagabonde, depuis que je m'apprête a me mettre en route dès demain matin. Je ne sais pas oü me conduit le destin, oü il me sera donné de m'arrêter, car les menaces de guerre ne m'appellent pas encore sürement en Allemagne et je crains de trouver la-bas beaucoup d'hommes en armes, mais pas de combats. » Donc c'est la bataille a laquelle aspire le cadet du Poitou, las de 1'inaction de Bréda. Ce n'est pas pour étudier 1'architecture militaire ou pour revêtir le corselet d'acier ceint de 1'écharpe orange qu'il s'est engagé chez Maurice. II a fait sa théorie, il est prêt : « S'il en est ainsi, je me promènerai, enattendant, parle Danemark, la Pologne et la Hongrie, jusqu'a ce que je puisse gagner en Allemagne, un chemin débarrassé de Soudards brigands par oü atteindre plus sürement la guerre. » Cela ne 1'empêche pas de songer a la science : « Si je m'arrête n'importe oü, ce que j'espère, je vous promets aussitót d'entreprendre la rédaction de ma Mécanique ou de ma Géométrie et de vous célébrer comme 1'inspirateur et le père spirituel de mes études. »1 C'était déja un bel éloge, Descartes le juge insuffisant et il insiste, dans 1'émotion du départ : « Vous seul, en vérité, m'avez réveillé de mon oisiveté; vous avez évoqué en moi une science presque effacée de ma mémoire et vous avez ramené vers des occupations sérieuses et meüleures un esprit qui s'en était écarté. Si donc, il sort de moi quelque chose qui ne soit pas méprisable, vous avez le droit de le réclamer et moi-même je ne manquerai pas de vous en faire part, soit pour que vous en profitiez, soit pour que vous le corrigiez. » Aucun passage ne déflnit mieux les relations de Descartes et de Beeckman. Le jeune homme était allé en Hollande, moitié par curiosité, moitié par désceuvrement. II avait 1'ame grosse 1. CEuvres, t. X, p. 162 : • Teque ut studiorum meorum promotorem et nrimum authorem amplectar. » ^ 25 386 DESCARTES EN HOLLANDE de pensées : le génie a de ces torpeurs qui sont des gésines. II lui faut un accoucheur, comme disait Socrate. Beeckman fut celui-la. En était-il digne ? II n'importe. Est-il vrai, comme le veut M. Adam, que ce fut un esprit confus1 ? C'est possible, mais Descartes, avec sa vision de Francais, pouvait apercevoir, en clair ce qui, chez son ami, était encore obscur. II pouvait se réfléchir en ce miroir et y contempler sa propre image dont, de plus en plus, il allait faire ses délices. i Beeckman, de son cóté, admire ce Poitevin, si vif, si ingénieux, si lucide, qui lui explique ses propres idéés, a lui qui en a beaucoup (il a d'ailleurs six ans de plus), mais qui est parfois maladroit a les exprimer. Donne-t-il autant de son cceur que le Francais, prompt a 1'effusion, on ne le dirait pas ? II semble trop parfois voir en Descartes une mine de science a exploiter et c'est cela qui, en 1630, causera la rupture. Mais, pour ie moment, il est 1'excitateur. 11 n'est pas nécessaire que la baguette qui fait jaillir la source soit de matière précieuse, il suffit qu'elle ait frappé a la bonne place. Pourquoi faut-il qu'en regard du magnifique studiorum meorum promotorem et primum authorem, Beeckman ait écrit bêtement en marge : « Descartes de me », ce qui trahit sasotte vanité? Non, il n'a pas compris quel trésor il avait découvert. II a cru avoir vu un ésprit ingénieux, apte a résoudre des problèmes de physique et de métaphysique ou même de mathématiques apphquées a la physique, mais non pas quelqu'un qui portait en lui le Monde, un monde selon sa pensée, mille fois plus proche de la vérité que celui que contemple la myopie de nos regards quotidiens. Au reste, après cette production intensive de 1'hiver 16181619, constamment surexcitée par Beeckman, une lassitude se manifeste 2 : « Depuis un mois je n'ai plus étudié, peut-être paree que 1'esprit est a ce point épuisé par ces inventions qu'il ne peut plus suffire a trouver ce que je me proposais de chercher encore. » II en aspire davantage au départ, le voyage étant pour les travailleurs de 1'esprit la meilleure hygiène de renouvellement. La dernière des précieuses lettres d'adolescence est datée d'Amsterdam, 29 avril 16193. Elle est toujours adressée a 1. CEuvres, t. XII, p. 46. 2. CEuvres, t. X, p. 163. 3. Ibid., p. 164. DESCARTES ET BEECKMAN 387 «Monsieur Beecman, docteur en Medicinae a Middelbourg». II ne veut pas perdre. cette dernière occasion de lui écrire pour lui montrer que son affection et son souvenir ne sont pas susceptibles d'être entravés même par les tracas du voyage. Celui-ci a été 1'occasion d'une rencontre, qui rappelle celle de Tristan 1'Hermite et de son « philosophe ï \ II circulait ainsi de par 1'Europe des savants 2 mi-vrais,. nü-faux,,, demi-philosophes, demi-prestidigitateurs, curieux de savoir, évidemment, et, a ce titre, dignes de notre respect, mais battant monnaie avec leurs connaissances et plus préoccupés d'étonner que d'instruire. Les badauds s'amusaient et passaient, des rêveurs comme le nótre s'arrêtent, et, n'ayant pas les préjugés de 1'Ecole, écoutent, se demandent s'il n'y a pas la certaine fontaine cachée oü rouleraient, pêle-mêle avec des cailloux, quelques pépites. Le vieillard que Descartes a rencontré en passant dans une auberge de Dordrecht invoque 1'Ars Brevis de Lulle, comme tous ses congénères, et s'en sert avec tant d'habileté qu'il prétend parler, vingt heures consécutives, de quelque matière que ce soit. « Érudition des lèvres plutöt que du cerveau », observe spirituellement Descartes, mais, néanmoins il s'enquiert et demande si«cette science ne consiste pas simplement en quelque classement de lieux.communs ». Cependant Lulle le préoccupe, il voudrait examiner le livre, s'il le possédait, mais il prie son ami de le faire a sa place et de lui écrire s'il y a trouvé quelque chose d'ingénieux. II voudrait savoir ce que le vieillard appelle les «clés» de Lulle et d'Agrippa. Lipstorp a tort de dire que Descartes possède déja sa méthode, il la cherche et ne veut négliger aucune « clé » qui puisse lui ouvrir les portes du mystère. Lulle est pour lui une hantise et on peut prétendre qu'il lui a donné 1'idée de trouver une Méthode unique applicable a toute chose, mais qui ne se bornerait pas « comme 1'art de Lulle a parler sans jugement de celles qu'on ignore »8. Les cabalistes eux-mêmes n'effrayent point ce libre esprit dépourvu de ces préjugés et de ces craintes, qu'on ignore au pays de Rabelais. Peut-être est-ce en Hollande et non en Allemagne qu'il a, pour la première fois, entendu parler des Rose-Croix, Ce n'est même 1. • Voir pms haut, livre II, p. 249 letLTD^^^^ Parle Beeckman dans sa 3. Discours de la Méthode, au t. VI, p. 17. 388 DESCARTES EN HOLLANDE pas une simple hypothèse, car il est question des cèlèbres F. R. C. dans les Cogitationes privatae de' janvier 1619 K C'est de France que les mystérieux Frères étaient venus aux PaysBas, aux termes de 1'accusation formelle affichée a Harlem, le 19 juin 1625, par ordre des Etats de Hollande, accusation que confirme VHistorisch Verhael ou récit de Wassenaer (1624-5) qui invoque une traduction de la Fama fraternitatis Roseae Crucis 2 semblable a la déclaration originale éditée a Cassel en 1614, et dont la traduction hollandaise serait due a ce singulier Nicolas Barnaud dont nous avons parlé au livre II3. Celui-ci, dans un manifeste lancé de Gouda, avait fait connaitre que les Frères de la Rose-Croix de France avaient décidé de communiquer leurs découvertes a Henri IV, pour que la fabrication de 1'or ne tombat pas en des mains criminelles. II priait les Frères hollandais de s'unir a lui et de faire part de leurs trouvailles au Prince Maurice. Barnaud avait publié a Leyde un livre sur 1'autorité de la Sainte Ecriture et une traduction des ceuvres de ce Socin, dont on retrouve le nom sous la plume de tous les hétérodoxes. Barnaud prêchait 1'union des théosophes et des cabahstes pour la recherche de la panacee4. Plus que la quête de la pierre philosophale, c'est la tache que s'assignent les Rose-Croix, qui sont presque tous des medecins. Pouvons-nous oublier que Beeckman en était un et que Descartes, petit-fils du médecin Pierre Descartes et arrière-petit-fils, par sa mère, d'un autre médecin, Jean Ferrand, fut toujours trés attiré par 1'art de guérir, qu'il pratiqua même, comme nousle verrons plus tard ? Disons encore que Beeckman était protestant et qu'a ce moment les Rose-Croix tendaient a être absorbés par le Protestantisme, surtout en Allemagne, mais la doctrine de large tolérance et d'union de tous les cultes contenue dans la Fama était 2. Cf. D' W. Meijer, De Rozekruisers of de Vrijdenkers der XVII eeuw, Harlem, F. Bohn, 1916, petit in-4°, p. 66. ,vov 3 P 225 M Meijer 1'appelle a tort Bartaud ou Bernard Montaux. II résulte d un long échange de lettres que j'ai eu avec 1'excellent Spinoziste, qu'ü est d'accord avec moi sur 1'idenUflcaüon des deux personnages. Aucun doute ne sauralt subsister sur son nom : j'ai sous les yeux une photographie d'une lettre autographe adressée nar lui d'Utrecht, le 5 aoüt 1598, au professeur Heurnius et qui est conseryée k la bibliothèque de Leyde. C'est aussi k Leyde, en 1616, selon Baillet, que paralt 1 Apologie (des Rose-Croix) de Robert Fludd, gentilhomme anglais. Cf. CEuvres de Descartes, t. X, p. 200. Gassend a réfuté le même Fludd. 4. Cf. Meijer, op. rif., pp. 46 et 47. DESCARTES ET BEECKMAN 389 assurément incompatible avec 1'aspect que prenait en ce moment le calvinisme aux Pays-Bas. On n'a pas assez remarqué que le premier séjour de Descartes en Hollande coïncide exactement avec les délibérations du f ameux Synode de Dordrecht, qui s'ouvrit le 13 novembre 1618 et se clötura le 9 mai 1619. II s'occupait, nous I'avons dit, de résoudre la controverse sur la prédestination entre les «libertins»arminiens et les orthodoxes gomaristes pour aboutir a une doctrine ofticielle, a une confession de foi \ qui serait imposée a tous les pasteurs et professeurs de théologie du pays. Le Synode, auquel des délégués des églises étrangères furent conviés, se prononca, onle sait, dans le sens du calvinisme le plus rigoureux. On ne se fait pas toujours une idéé trés exacte de la tolérance hollandaise. Ce pays est d'abord, plus que le notre, celui de l'anarchie intellectuelle : toutes les sectes, fussent les plus insensées, y ont toujours des adeptes, dans ces isolés livrés a leur orgueilleuse méditation solitaire et qui n'en sortent que pour se grouper en petites chapelles. Aujourd'hui encore, il y a, a cöté de 1'Eglise officielle calviniste, une Eglise remonstrante qui continue Arminius, des Vieux Catholiques s'opposant aux catholiques Romains, des Mennonites, des Anabaptistes et que sais-je encore. Ces Eglises se tolèrent, ce qui ne veut pas dire qu'elles se supportent. Malgré les Synodes, il en fut a peu prés ainsi pendant tout le xvii siècle, 1'autorité fermait les yeux et laissait coexister ces sectes, par nécessité pohtique et économique, peutêtre plus que par la conviction profonde de ceux qui exercent le pouvoir. En leur for intérieur, ils ont pris parti, et 1'indulgence souriante d'un Montaigne n'est pas leur fait. Si un jour alors, ils s'apercoivent que leur puissance est en jeu, ils sont capables de toutes les intransigeances : en 1619, ils allèrent jusqu'au crime. Ce n'est pas pourtant que Maurice, adversaire du Pensionnaire fut bien zélé en matière de foi. On lui attribue ce mot, prononcé ason lit de mort, que 1'article principal de son credo était: deux et deux font quatre a. *: Voir> (Euvres, X, p. 169. 3. Cogitation.es privatae, au t. X, p. 219 : < Contigit mini ante paucos dies familiaritate uti ingeniosissimi viri ». Tous ces passages témoignent d'une pénétration réciproque des deux esprits. 4. CEuvres, t. X, p. 162. CHAPITRE IV les années d'allemagne (1619-1621) l'invention merveilleuse du 10 novembre 1619 « J'estois alors en Allemaigne, on 1'occasion des guerres qui n'y sont pas encore finies, m'avoit appelé et, comme je retournois du couronnement de 1'Empereur vers I'armée, le commencernent de 1'hyver m'aresta en un quartier, oü, ne trouvant aucune conversation qui me divertist et n'ayant d'ailleurs, par bonheur, aucuns soins ny passions qui me troublassent, je demeurois tout le jour enfermé seul dans un poèsle, oü j'avois tout loysir de m'entretenir de mes pensées ». II est peu de passages plus célèbres que ce début de la Seconde partie du Discours de la Méthode \ Pour le commun des hommes, le philosophe dans^son«poële » résumé même toute la biographie de Descartes, comme 1'accident du pont de Neuilly, celle de Pascal. Mais, si cette dernière anecdote est suspecte, 1'autre ne 1'est point et le philosophe y a assez insisté pour nous permettre de nous y arrêter è notre tour. II y revient encore plus loin, comme s'il tenait a marquer exactement les limites de sa méditation fondamentale : « Et d'autant que j'esperois en pouvoir mieux venir a bout [il s'agit des préjugés sur les mceurs] en conversant avec les hommes qu'en demeurant plus long-tems renfermé dans le poësle oü j'avois eu toutes ces pensées, 1'hyver n'estoit pas encore bien achevé que je me remis a voyager. » II n'est pas besoin d'exphquer le sens de poële, puisque le mot est dans le Journal de voyage de Montaigne2, dansle Thresor de la Langue francoyse de Nicot, avec le sens de hypocaustum ou chambre chaufïée et qu'il a survécu dans le patois lorrain et t. CEuvres, t. VI, p. 11 ptóA«/iucS?^p-92 et Euais'm-n-Je reproduis ces textes«ia fl» *«» 394 DESCARTES EN HOLLANDE en Alsace K On le trouvera aussi dans le Glossaire des Classiques francais de M. Huguet. II s'appüque mieux encore a ces chambres d'Allemagne oü 1' « altdeutscher Ofen » répand la douce chaleur de sa colonne de céramique, dans le bas de laquelle des sièges sont aménagés. Mais on peut marquer avec plus de précision que par le Discours de la Méthode, les termes de eet hiver décisif, en recourant aux petits écrits de jeunesse de Descartes, en partie perdus, mais que M. Adam a reconstitués au tome X de son édition. Baillet les connut par 1'abbé Legrand, qui les avait hérités de Clerselier (1684), lequel les tenait lui-même de son beau-frère Chanut, notre ambassadeur en Suède. Ils nous ont été conservés en partie par les copies qu'en fit faire Leibnitz a Paris ou en Hollande, oü ils circulaient. Parmi ces opüscules, celui qüi nous intéresse le plus, en ce moment, c'est le discours intitulé Olgmpica. II porte la marqué d'une exaltation étrange, de ce mysticisme cartésien que je voüdrais mettre en reliëf, paree qu'il fait apparaitre moins isolé, au xvne siècle, le cas de Pascal et qu'il trahit un des caractères que cette époque unit souvent a son réalisme. •Or donc, on lit, en tête des Olympica, dontle titre nous porte déja sur les sommets:«X novembris 1619 cum... mirabilis scientiae fundamenta reperirem»,2«\e 10 novembre 1619,lorsque je découvris les foridements d'une science merveilleuse-». II n'est pas difficile de rapporter cette date au premier passage que nous avons cité du Discours de la Méthode. Descartes est parvenu de Copenhague a Francfort, oü, entre le 20 juillet et le 9 septembre, il a assisté au couronnement de 1'Empereur Ferdinand 3. II est friand des grands spectacles oü se pressent la cohue bariolée des hommes d'habit varié et de coutumes diverses. Le mètaphysicien, chez lui, n'est pas indifférent a 1'homme, son póint de départ et son objet: il ne s'isole pas en son moi, qu'il confère sans cesse a celui des autres. Sans doute, ce n'est pas ce qu'il cherchait : il veut une mêlée plus ardente que celle des foules, et surtout le danger. II s'est admiré déja d'être sans crainte dans la tempête. 1. A Strasbourg, on Ut sous une enseigne, faubourg de Pierres :« Zur Gaertner Stube », la traduction : « Au poële des jardiniers.» 2. CEuvres, t. XII, p. 50. 3. CEuvres, t. X, p. 186, note b. années d'allemagne (1619-1621) 395 Comment se conduira-t-il au combat ? c'est une question qui préoccupe 1'homme de cceur qui réfléchit, se méfiant des lachetés de son pauvre corps et désireux de « s'esprouver ». Connut-il Texaltation et les angoisses de la bataille ? il semble que oui, car le Père Poisson 1 dit : « J'ay des memoires entre les mains que M. Descartes a faits a la guerre, oü 1'on peut voir combien eet exercice est utile a un homme qui scait faire usage de toutes choses et qu'un esprit bien fait trouve dans le milieu d'un camp de quoy servir d'entretien a ceux qui frequentent aussi le Lycée ». Ceci ne prouverait pas encore qu'il ait été engagé, mais 1'observatión que voici a bien 1'air d'avoir été prise sur le vif 2 : « Un Gendarme revient d'une rttêléè : pendant la chaleur du combat, il auroit pu estre blessé, sans s'en appercevoir... ». II est parfaitement exact et il s'est vérifié plusieurs fois qu'on peut être blessé sans le savoir : c'est le privilègé de 1' « état de choc ». On ne voit pas cependant qu'il y ait eu une campagne de 1'Empereur.Ferdinand, dans la fin de 1'été 1619, et M. du Perron, passant des troupes protestantes de Maurice aux troupes catholiques de Maxirmlien de Bavière3, au début dè la guerre de Trente ans, y rencontre la même déception de 1'inaction forcée ; celle des quartiers d'hiver lui eüt été plus sensible encore, s'il n'y avait trouvé un asile pour 1'éclosion de ses pënsées. : 10 novembre 1619. Comment n'a-t-on pas observé que c'est Tanniversaire, jour pour jour, de la rencontre avec Beeckman a Bréda ou, du moins, de la première mention que celui-ci fait de Descartes dans son Journal. Simple coïncidence ? ce n'est guère possible, car, 1'année suivante, c'est encore le 10 4, qu'il note, en marge des Olympica toujours : «Xnovembris 1620, coepi intelligere fundamentum Inventimirabilis», «le 10 novembre 1620, je commencai a concevoir le fondement d'une invehtion admirable. » II doit attacher a cette date, décidément, une grace triple, dont la série s'établirait ainsi : 10 novembre 1618 : rencontre de 1'annonciateur; 10 novembre 1619 : réflexion prolongée sur eet ik Dan!,un^ obseryaüon sjir.un passage du Discours de la Méthode (t. VI, d. 91 citée par m. Adam, t. X, p 255. v % 'CEuvres, t.XII, p. 61, note c. ■ 3. Lipstorp, Specimina Philosophiae Cartesianae, 1635, cité au t X d 252 Le passage est important. 4. Le 10 novembre est la date donnée dans les Cogitatlones (CEuvres, t X d 2161 7fiaiPner s 0lu™Plca: Baillet, d'après les mêmes Olympica, donne le 11 nóvembré 1610. Comme 11 peut s'agir de la nuit du 10 au 11, la différence est peu impor- 396 DESCARTES EN HOLLANDE anniversaire et annonciation de la science nouvelle et universelle ; 10 novembre 1620 : invention admirable qui en serait l'application. Sommes-nous fondés a attribuer au plus positif de nos philosophes et au plus rationaliste, des visions qui tiennent plutöt d'un Pascal ou d'une Sainte-Thérèse ? Oui, de par le reste des Olympica et la relation qu'il nous donne du songe qu'il fit en cette étrange nuit du 10 au 11 novembre 1619. La recherche de la vérité « jetta son esprit, nous dit Baillet \ dans de violentes agitations qui augmentèrent de plus en plus par une contention continuelle oü il le tenoit, sans souffrir que la promenade ni les compagnies y fissent diversion. 11 le fatigua de telle sorte que le feu lui prit au cerveau et qu'il tombai dans une espèce d'enthousiasme, qui disposa de telle manière son esprit déja abatu qu'il le mit en état de recevoir les impressions des songes et des visions. » « II nous apprend que, le dixième de novembre mil six cent dix neuf, s'étant couché, tout rempli de son enthousiasme et tout occupé de la pensée d'avoir trouvé ce jour la les fondemens de la science admirable, il eut trois songes consécutifs en une seule nuit qu'il s'imagina ne pouvoir être venus que d'en haut. » A analyser attentivement cette phrase, dont le contenu est relativement garanti par une nouvelle référence marginale de Baillet renvoyant a Cartesii Olympica, on y distingue deux choses : la déeouverte des «fondemens de la science admirable ». qui a eu heu dans la journée du 10 novembre, et les songes, qui ne sont pas exempts de 1'étrangeté particulière au travail mental pendant le sommeil ou le denü-sommeil. La déeouverte diurne ne porte que les caractères d'une illumination soudaine, éclatant en quelque sorte d'un bouillonnement de pensées contenues pendant une année entière, celle qui a précédé la date fatidique. II y a pourtant, aux yeux de Descartes, un élément mystique dans cette illumination même, et on peut le prouver par la hantise d'une formule dont il se servira de nouveau 1'année suivante, a la date anniversaire, et puis, plus jamais par la suite. Le mot « mirabilis » semble avoir ici autant le sens de miraculeux que celui d'admirable. 1. CEuvres de Descartes, t. X, p. 181. Baillet mentionne en marge la source, qui ne nous est connue malheureusement que par lui, Cart. Olgmp. inlt. Ms., c'est-a-dire le début du manuscrit des Olympica de Descartes années d'allemagne (1619-1621) 397 Les songes de la nuit, eux, sont si fous, qu'on aimerait mieux que Descartes n'y eüt pas attaché assez d'importance pour les noter et les décrire, quoique Baillet ait pu les ampüfler encore et en accentuer les éléments rehgieux. Donc, dans le premier, il croit marcher par les rues, mais il se sent si faible du cöté droit qu'il est obligé de se renverser du cóté gauche pour pouvoir avancer. Un tourbillon lui fait faire trois ou quatre tours sur le pied gauche. II se traine jusque dans la cour d'un collége, oü une personne lui dit«que, s'il vouloit aller trouver Mr. N., il avoit quelque chose a lui donner. M. Descartes s'imagina que c'étoit un melon qu'on avoit apporté de quelque païs étranger. » « Ce melon », dira-t-il plus loin, « signifioit les charmes de la solitude», interprétation singulière qui provoquera, plus tard, en 1693, les railleries de Huet, dans un pamphlet, oü il fera demander par Chanut au philosophe « comment il avoit reconnu que toutes ces visions étoient des revelations du Ciel et non pas des songes ordinaires, excitez peut-être par les fumées du tabac ou de la bière ou de la melancholie », remarquant aussi qu'ils arrivaient «pendant une nuit qui suivit une soirée du jour de Saint Martin, après avoir un peu plus fumé qu'a 1'ordinaire et ayant le cerveau tout en feu » Baillet avait prévu 1'objection et observé que Descartes « avoit passé le soir et la journée dans une grande sobriété et qu'il y avoit trois mois entiers qu'il n'avoit bü de vin »2. Le second songe, survenu au bout de deux heures, commence par un bruit aigu et éclatant, qu'il prit pour un coup de tonnerre. « Ayant ouvert les yeux, il appercut beaucoup d'étincelles de feu répandues par la chambre. La chose lui étoit souvent arrivée en d'autres tems et il ne lui étoit pas fort extraordinaire, en se réveillant au milieu de la nuit, d'avoir les yeux assez étincellans pour lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui »8. Le jeune philosophe est donc sujet a des hallucinations. « Le troisième songe n'eut rien de terrible comme les deux premiers. Dans ce dernier, il trouva un livrè sur sa table, sans scavoir qui 1'y avoit mis. II 1'ouvrit, et, voyant que c'étoit un 1. CEuvres, t. X, p. 185, note a. 2. C'est-a-dire depuis les fêtes du couronnement de 1'empereur Ferdinand. Cf, ibid., p. 186, note b. 3. Baillet, t. I, p. 82 s. 398 DESCARTES EN HOLLANDE Didionnaire, il en fut ravi, dans Tespérance qu'il pourroit lui être fort utile. Dans le même instant, il se rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui étoit pas moins nouveau, ne scachant d'oü il lui étoit venu. II trouva que c'étoit un recueil des Poësies de différens Auteurs, intitule Corpus Podarum, etc. II eut la curiosité d'y vouloir lire quelque chose et, a 1'ouverture du livre, il tomba sur le vers : Quod vitae sectab or iter ? ] « Au même moment, il appercut un homme qu'il ne connoissoit pas, mais qui lui présenta une pièce de Vers commencant par « Est et non », lui demandant s'il la connoissoit ». Descartes répond affirmativement, veut la chercher dans le Recueil des poètes, qui était sur la table.«L'homme lui demanda oü il avoit pris ce livre et M. Descartes lui répondit qu'il ne pouvoit lui dire comment il 1'avoit eu, mais qu'un moment auparavant, il en avoit manié encore un autre qui venoit de disparoitre, sans scavoir qui le lui avoit apporté ni qui le lui avoit repris. II n'avoit pas achevé qu'il revit paroitre le livre a 1'autre bout de la table, mais il trouva que ce dictionnaire n'étoit plus entier comme il 1'avoit vu la première fois». Ayant voulu montrer alors a 1'inconnu, dans le Recueil des poètes, la pièce: « Quod vitae sectabor iter », il tomba sur « divers petits portraits gravez en taille douce, ce qui lui fit dire que ce livre étoit fort beau, mais qu'il n'étoit pas de la même impression que celui qu'il connoissoit. II en étoit la, lorsque les livres et l'homme disparurent et s'effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller ». Voici maintenant 1'interprétation concue dans le sommeil encore : « II jugea que le Didionnaire ne vouloit dire autre chose que toutes les sciences ramassées ensemble et que le Recueil de Poësies, intitulé le Corpus podarum, marquoit en particulier et d'une manière plus distincte la Philosophie et la Sagesse jointes ensemble. « Descartes attribue d'ailleurs une grande valeur a 1'intuition du poète. Ne dit-il pas dans les Cogitationes Privatae, qui sont de la même époque 2: « II peut sembler étonnant qu'on trouve d'importantes sentences dans les écrits des poètes plus que dans ceux des philosophes. La raison en est que les poètes 1. Quel chemin suivrai-je dans la vie ? ♦ 2' t?i>enste suivante est extraite du Recueil que Foucher de Careil a découvert et publié, quil a appelé Cogitationes priualae et qui fut commencé, encore a Bréda, le 1" janvier 1619. II y est question aussi du songe de novembre 1619 et du L'lNVENTION DU 10 NOVEMBRE 1619 399 écrivent sous 1'empire de 1'enthousiasme et par la 'puissance de 1'imagination. Or il en est des semences de savoir qui sont en nous, comme du feu dans la pierre, les philosophes 1'en peuvent tirer par leur raisonnement, les poètes le faire jaillir avec plus d'éclat par 1'imagination ». Ü$3®..;» Par la pièce de vers « Est et non », qui est le oui etle non, le « val xal ou * , de Pythagore, il entendait la Vérifé et la fausseté dans les connaissances humaines. Et qui est l'homme inconnu ? « II fut assez hardi, écrit Baillet, pour se persuader que c'étoit. 1'Esprit de Vérité, qui avoit voulu lui ouvrir les tresors de toutes les sciences par ce songe. » Comme tout cela n'est pas, .trés orthodoxe et que, si le dernier songe lui avait donné un sentiment agréable, les deux premiers n'avaient pas laissé de lui inspirer une certaine terreur, il prit celle-ci pour un avertissement du,piel, sur ses péchés et il.promit a la Sainte Vierge de se rendre en pèlerinage a Notre-Dame-deLorette a la fin de novembre, promesse qu'il ne tint point. Ce vceu n'est pas une invention de Baillet \ car on le retrouve dans les Cogitation.es Privatae, qui m'ont presque 1'air d'être composées de ffagmënts des Olympica : « Avant la fin de novembre, j'irai ,a N. D. de Lorette a pied depuis Venise, si c'est la coutume et si c'est pratiquable mais, sinon,. au moins le plus dévotement qu'il se puisse faire.» Entre cette phrase et la précédente sur les poètes, il y a celle-ci: .«les doctrines des sages peuvent se réduire a quelques régies générales»,2 oü 1'on trouve en germe 1'idée de formuler, en peu de ppints, la Méthode. Etrange mélange de rationalisme, de religion et de mysticisme; mais c'est trop s'arrêter aux bas-fonds troubles d'oü jaillit la clarté si pure de 1'évidence et il est temps de se demander quelle est Tinvention merveilleuse que fit Descartes en cette journée du 10 novembre 1619, disons bien journée, pour distinguer des rèves fantastiques de la nuit suivante. Quod vitae, etc. Cf. CEuvres, t. X, p. 216 :« Somnium,1619,nov.inquocarmen7cujus Inltium : Quod vitae sectabor iter ? (Auson).« Ceci plaide en faveur de 1'exactitude de Baillet dans son analyse des Olympica; 1'idée est sensiblement la même que dans les Cogilationes. Cl. aussi Revue de Métaphysique et de Morale, mars-avril 1618. On se reportera également aux artiples de M. Milhaud, Une crise myslique chez Descartes en 1619, dans la même >: Revue, septembre 1916, et L'OSuvrë de Descartes pendant l'hiver 1619-1620, dans Scientia, ' t. XXIII, 1918, pp. 1-8, 77-90. 1. Baillet, t. I, p. 85 et 86. 2. CEuvres, t. X, p. 217 : « Dicta sapientium ad paucissimas regulas generales possunt reduci. » 400 DESCARTES EN HOLLANDE Ce ne peut être, comme nous 1'avons observé déja a propos d'une lettre de Beeckman a Descartes I, une marche a suivre générale appbcable a divers ordres de problèmes. Serait-ce, se demande M. Adam, la mathématique universelle dont 1'idée hantait déja les Pythagoriciens et qui est la science des rapports de grandeur et de proportion, que ce soit entre les figures ou les nombres, les astres ou les sons ? «Mathématique universelle ou science des proportions, voila donc une première invention de Descartes et qui suffrrait a exphquer son enthousiasme ». (Ch. Adam). En voici une autre : Aux caractères cossiques 2 exprimant la racine (R), le carré (Q), le cube (C), Descartes substitue les nombres 2, 3 ; il désigne les quantités connues par des minuscules, c'est ce qu'il appelle son a b c 3; les inconnues par les majuscules ABC, plus tard par les dernières de 1'alphabet, x y z. Ainsi dans les équations, les nombres seront remplacés par des lettres et les caractères cossiques par des nombres. « Cette seconde invention, dit M. Adam, n'était-elle pas admirable autant que la première ? » 4 En voici une troisième et une quatrième : « toutes les quantités entre lesquelles existent des relations numériques peuvent être exprimées'par des hgnes», ce qui fait que, comme dit si bien quelque part Paul Tannery 5, le plus grand mérite de Descartes n'est peut-être pas d'avoir appliqué 1'algèbre a la géométrie, mais la géométrie a 1'algèbre. Toute la physique qui, jusqu'alors, avait été assimilée a la médecine ou a la philosophie 6 est ramenée, elle aussi, au Nombre. L'unité foncière de la Science apparait. Or c'est Ik, k mon sens, la grande déeouverte du 10 novembre 1619. C'est celle que fait pressentir la lettre a Beeckman, du 26 mars précédent: «Scientiam penitus novam tradere cupio »7... «Infinitum quidem opus est, nee unius. Incredibile quam ambitiosum, sed nescio quid luminis per obscurum hujus scientiae chaos aspexi, cujus 1. Cf. plus haut, p. 383. 2. De 1 italien Cosa quadrata, cf. CEuvres, t. X, pp. 261, 262. 3. CEuvres, t. XII, p. 212. 4. Ibid., p. 53. 5. Dans son article de La Grande Encyclopédie. ■ 6. Voyez plus haut, au livre II, pp. 177 et 336, ce qui est dit a propos de Pierre du Moulin ; c'est lui qui, philosophe, est chargé de Ia physique. Ainsi encore pour du Ban, du temps même de Descartes. Heureux quand on ne connait pas ce cours a un simple philologue. 7. CEuvres, t. X, pp. 156-8. l'invention du 10 novembre 1619 401 auxilio densissimas quasque tenebras discuti posse existimo ». C'est ce rayon de lumière qui, en avril 1619, guide le penseur dans la pénombre du subconscient et qui, brusquement, après six mois d'alternance de réflexion et de pressentiments obscurs, jaillit en un torrent de lumière et suscite 1'enthousiasmë de celui qui voit sortir du creuset la coulée de lave incandescente. « Toutes les sciences sont liées comme par une chaine, a-t-il écrit dans un de ses fragments manuscrits1, et on n'en peut tenir une, parfaitement, sans que d'autres ne suivent d'ellesmêmes et qu'on n'embrasse en même temps 1'encyclopédie tout entière. » Que serait alors la déeouverte merveilleuse du 10 novembre 1620 ? selon notre hypothèse, ce serait 1'application, le moyen d'arriver a la science une, concue le 10 novembre précédent; c'est-a-dire la Méthode. On remarquera que les termes dont Descartes se sert a 1'occasion de la première des deux dates sont a la fois plus lyriques et plus généraux! « X novembris 1619 cum plenus forem Enthousiasmo et mirabilis scientiae fundamenta reperirem ». Le 11 novembre 1620, ce n'est plus d'une science qu'il park, mais d'une invention remarquable : « XI novembris 1620, coepi intelligere fundamehtum Inventi mirabilis ». Le travail de 1'hiver du « poële » devait, dans 1'esprit du jeune volontaire de 1'armée impériale, aboutir a un livre. Dès février 1620, il est en quête d'un imprimeur. Comme les Olympica, les Cogitationes Privatae, qui, sur ce point, de nouveau les décalquent, disent : « J'aurai complètement terminé avant Paques mon Traité et, si je Ten jugodigne et si je trouve un éditeur, je le publierai comme je 1'ai promis aujourd'hui, le 23 février 1620 ». Pourquoi cette date ? Est-ce encore un vceu ? En tous cas, si c'en est un, il ne fut pas plus tenu que celui du pèlerinage de Lorette, du moins a ce moment. Que devint-il alors « un peu avant la fin de 1'hiver », pour reprendre le terme dont il se sert dans le Discours de la Méthodel On n'en a pas de témoignage certain. Selon Lipstorp 2 il aurait repris du service, a moins qu'il ne 1'ait continué, comme volontaire dans 1'armée que le duc de Bavière, Maximilien, rassemblait 1. OZuvret, T. X, p. 255 :» Quippe sunt concatenatse omnes scienti» ». 1 Dia., p. zoJ.. 26 402 DESCARTES EN HOLLANDE contre le comte Frédérie, 1'Electeur Palatin, élu roi de Bohème et qui, par une étrange rencontre, était le père de la princesse Elisabeth, pour laquelle Descartes écrivit le Traité desPassions. Mais les ambassadeurs du Roi Trés Chrestien procurèrent la paix entre la Ligue évangélique et Maximilien; les négociations s'étant engagées a Ulm, le 6 juin, le traité fut signé, le 3 juillet 1620. Voila notre gentilhomme décu une seconde fois ! Toutefois la Bohème, révoltée, depuis 1619, contre 1'Empereur, n'étant pas comprise dans le traité *, les troupes catholiques furent lancées contre 1'Electeur, qui perdit la couronne, ala bataille de la Montagne Blanche, sous Prague, le 8 novembre 1620. Descartes y prit-il part ? le plus ancien de ses biographes, Pierre Borel2 1'affirme, mais il a la manie de le faire assister a des batailles oü il ne fut jamais. S'il avait vu ce grand événement historique, il 1'aurait noté dans ses Olympica, d'autant plus qu'il mentionne la déeouverte du surlendemain. Lipstorp3 n'en dit rien non plus, mais place après le traité d'Ulm la visite de Descartes a Faulhaber, qui est loin d'être sans importarce *. On peut faire bon marché des détails qui; se. rapportent aux interrogations du savant au cadet, dont la présomption 1'étonne et donf bientót la science le stupéfie, après qu'il lui a vu résoudre des problèmes de plus en plus difficiles : cela semble trop une réplique de 1'aventure avec Beeckman, mais qu'il est impossible cette fois de contróler. Le principal n'est peut-être pas le contact qui s'établit entre le philosophe francais et 1'école bavaroise d'oü venaient tant de mathématiciens allemands, mais le fait qu'au sortir de sa crise mystique, Descartes se rencontre avec un membre de la confrérie des Rose-Croix. Comment, dans 1'état d'esprit oü il est, ne serait-il pas au moins attiré par le symbole de la rosé, qui représente la chair et la puissance créatrice de la nature, embrassant la Croix qui est la Mort, mais aussi la Résurrection? II ne se figure pas que le nom des adeptes vienne de leur maitre Rosenkreutz, mort en 1484 (?) et qui a tous les caractères d'un héros fabuleux, mais assurément, il est prédisposé a se rattacher a une de ces branches qui, telle la légende du Saint- 1. Vie de Descartes, par M. Ch. Adam, au t. XII, p. 60. 2. Compendium üitae Renati Cartesii, pfetit in-12» de 55 pages, impnmé a Castrés. Cf. CEuvres, t. I, p. xvi. 3. CEuvres de Descartes, t. X, p. 252. 4. M. Adam la met en 1619, je ne vois pas tróp pour quelles raisons. LES ROSE-CROIX 403 ■Graal, poussent sans cesse du tronc inépuisable de la Croix. Comme, nous 1'avons vu préoccupé de 1'Art de Lulle, il doit se demander ou, selon notre hypothèse, se redemander, ainsi qu'il 1'avait déja fait en Hollande, s'il n'y a pas la quelque secret occulte dont la vraie science pourrait profiter. Mais petit est le nombre des adeptes : il suffit que ehacun d'entre eux se choisisse un successeur qu'il initie peu a peu et prépare a attendre la venue d'Elia Artista, d'Elie Artiste. Le vieux savant d'Ulm arrête la curiosité impétueuse et peut-être indiscrète du jeune Francais qui, dans les phrases de son Studium bonae mentis \ traduites par Baillet, s'en justifie en ces termes : « Si c'étoient des imposteurs, il n'étoit pas juste de les laisser jouir d'une réputation mal acquise aux dépens de la bonne foy des peuples » et « s'ils apportoient quelque chose de nouveau dans le monde, qui valüt la peine d'être scu, il auroit été malhonnête a luy de vouloir mépriser toutes ces sciences parmi lesquelles il s'en pourroit trouver une dont il auroit ignoré les fondemens ». Enfin Baillet nous fournit une seule citation en texte original et qui est •comme une conclusion : « Necdum de ilhs quidquam certi compertum habeo » (Stud. B. M. Ms. art. 5), qu'il rend inexactement par : « II ne scavoit rien des Rose-Croix.» II parait bien, au contraire, que, sans avoir été initié en Allemagne, a 1'époque oü il tracé ces lignes, il a pu 1'être plus tard. Est-ce une mystification que 1'afhche qui fut placardée sur les murs de Paris en 1625 : « Nous, députés du Collége principal des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et invisible en cette ville par la Grace du Trés Haut, vers lequel se tourne le cceur des justes. Nous monstrons et enseignons sans livres ny marqués a parler toutes sortes de langues de pays oü voulons être pour tirer les hommes, nos semblables, d'erreur de mort... » Si c'est une plaisanterie, dont les Parisiens sont fort capables, elle ne s'explique que paree que 1'attention du public était attirée vers les mystérieux confrères; leur influence était telle que le P. Mersenne, dans ses Quaestiones celeberrimae in Genesim (1623) et Gabriel Naudé, dans son Instruction d la France sur la verité de 1'histoire des Frères de la Roze-Croix (Paris, 1623), éprouvèrent le besoin de mettre en garde les bons chrétiens contre ce nouveau danger qui les menace, remarquons-le, en même 1. CEuvres, t. X, p. 193. Ce sont les seules. phrases de ce traité qui aient été con.servées et les seules oü Descartes ait parle des Rose-Croix. 404 DESCARTES EN HOLLANDE temps que le libertinage. C'est 1'époque du Procés de Théophile et de la condamnation de Jean Fontanier, de Montpellier, qui fut brülé vif a Paris pour avoir enseigné qu'il révélerait aux hommes un trésor inestimable K On serait tenté de se demander si le tapage fait autour des Rose-Croix, a Paris, n'est pas une des raisons du départ de Descartes en 1628. Le bruit avait couru, a son retour d'Allemagne, qu'il était afïilié a 1'Ordre2 et il fallut démentir. Personne ne peut affirmer avec certitude qu'il 1'ait été, mais il est impossible de ne pas mentionner un certain nombre de traits qui sembleraient 1'attester. Et d'abord Descartes, comme tous les Confrères, pratique la médecine gratuitement, quoique rien ne 1'y prépare particulièrement : les soins aux malades sont de 1'essence de la Société. A la fin du Discours de la Méthode, il annonce son intention de ne plus se consacrer qu'a cela : « Je diray seulement que j'ay resolu de n'employer le temps qui me reste a vivre a autre chose qu'a tascher d'acquerir quelque connoissance de la Nature qui soit telle qu'on en puisse tirer des regies pour la Médecine plus assurées que celles qu'on a eues jusques a present» 3. En second lieu, plusieurs de ses amis de Hollande sont des Rose-Croix connus, comme le docteur Wassenaer, auteur de 1'Historisch Verhael, et Corneille van Hogelande, dont nous reparlerons, fils de 1'alchimiste Théobald van Hogelande*. Ensuite, comme tous les frères « longlivers », ainsi que se nomment les disciples de Fludd, il tient pour assuré qu'il vivra jusqu'a cent ans (eux disent cent vingt) et Descartes 1'avait tellement persuadé a ses amis que ceux-ci ne voulurent pas croire a la nouvelle de sa mort prématurée a 1'age de cinquante-quatre ans. «L'abbé Picot, écrit Baillet5, étoit si persuadé de la certitude de ses connoissances sur ce point, qu'il auroit juré qu'il luy auroit été impossible de mourir comme il fit, a cinquante quatre ans et que, sans une cause étrangère et violente (comme celle qui deregla sa machine en Suede), il auroit vecü cinq eens ans, après avoir trouvé 1'art de vivre plusieurs siècles ».« Ses oracles 1'ont bien trompé», écrit, a ce propos, Christine a Saumaise, et la Gazette d'Anvers, au témoignage de Christian Huygens (12 avril 1. Cf. F. Strowski, Pascal et son. temps, t. I, p. 140-1 et Meiier, op. cit., p. 46. 2. CEuvres, t. X, p. 197. 3. Ibid., t. VI, p. 78. 4. Cf. Jaeger, op. cit. ; vide supra p. 182, n. 1. 5. Baillet, t. II, p. 452, cité au t. XII des CEuvres, p. 552, note o. LES ROSE-CROIX 405 1650), a publié le dimanche précédent «dat in Suede, een geck gestorven was, die seyde dat hy soo langh leven kon als hy wilde »,« qu'un fou était mort en Suède, qui prétendait vivre aussi longtemps qu'il le voudrait » Les lettres de Constantin Huygens ne sont pas moins péremptoires. Celui-ci ayant demandé a Descartes, s'il laissait après lui le moyen de vivre plus que nous ne faisons2, il répond, le 25 janvier 1638 3 : « Je n'ay jamais eu tant de soin de me conserver que maintënant et au lieu que je pensois autresfois que la mort ne me put oster que trente ou quarante ans tout au plus, elle ne scauroit désormais me surprendre qu'elle ne m'oste 1'esperance de plus d'un siècle, car il me semble tres-evidemment que, si nous nous gardions seulement de certaines fautes que nous avons coustume de commettre au regime de nostre vie, nous pourrions, sans autres inventions, parvenir a une vieillesse beaucoup plus longue et plus heureuse que nous ne faisons, mais pour ce que j'ay besoin de beaucoup de temps et d'experience pour examiner tout ce qui sert a ce sujet, je travaille maintënant a composer un abregé de Médecine, que je tire en partie des livres et en partie de mes raisonnemens, duquel j'espere me pouvoir servir par provision a obtenir quelque delay de la nature, et ainsi poursuivre mieux cy-après, en mon dessein ». Dans sa réplique4, Huygens parle du « siècle que vous avez resolu de vivre ». Ce n'est pas tout. II est de règle que les Frères se rendent invisibles et, pour cela, changent sans cesse le lieu de leur séjour : n'est-ce pas aussi ce que fait notre philosophe errant, dont les cendres même ignorèrent le repos5? Comme les RoseCroix, il a pris pour devise le mot d'Epicure: «Bene qui latuit, bene vixit», qui s'est bien caché, a bien vécu. M. Adam fait observer que Descartes a pour cachet R. C. et non pas R. D. II est vrai que ces deux lettres peuvent correspondre a la traduction latine de son nom, Renatus Cartesius, mais il ne cesse de protester, notamment auprès de Regius, 1. Cf. OEuvres de Descartes, t. V, p. 630 et Dr W. Meijer, De Rozekruizers, p. 58. 2. CEuvres de Descartes, t. I, p. 463. 3. Ibid., p. 507. 4. Ibid., p. 509, 5. Cf. CEuvres,t. XII, pp. 585 a 628 et W. Meijer: Hei Leven na den dood van René Descartes (extr. du Tijdspiegel, 1911); Over Descartes' leven na den dood; Ibid., 1916; Wat er met het vermeende stoffelijke bverschol van Descartes is geschied; (Ibid., 1917). 406 DESCARTES EN HOLLANDE contre ce travestissement: Or, on ne saurait oublier que la cinquièrhe régie des statuts révélés par Michel Mayer dans la Themis aurea (Francfort, 1618) oblige lès Frères a prendre pour cachet celui de la Congrégation : R. C. h II est juste de dire que le passage sur la longévite péut s'interpréter dans le sens de la déeouverte d'une hygiène, propre a 1'assurer, et que, dans le Discours de laMéthode, Descartes s'élève avec forcé contre les « artifices ou la venterie... de ceux qui font profession de scavoir plus qu'ils ne scavent »2 et aussi contre ceux qui détiennent un secret 3 la vérité sciéntifique n'étant pas du domaine des trésors qu'on ait le droit de dérober aux regards et a- la connaissance des hommes. La doctrine de 'large tolérance et d'unité finale des croyances s'accorde mieux avec la pensée de Descartes que 1'obhgation du secfet. Dans 1'exemplaire de la Pia Admonitio de fratribus Rosede Crucis de Henricus Néuhusius (1622), a la Biliothèque Royale de La Haye, on ht une remarque en francais, a propos de la réplique de Fludd a Mersenne, et qui est ainsi eoncue : « S'il est vrai qu'ils [les Frères Rose-Croix] ont retrouvé cette clef de connoissance par laquelle ils connoissent le divin mystère de Moïse et Elie, cachés au monde; ët ce que leurs prophéties [nous dit] de l'arrivéè du Lion, de la reparation du monde, de la destruction de la dernière monarchie avec le faux prophéte et de la reduction de 1'Univers a 1'obeissance du seul Tout-Puissant et roi des Rois, cela, pour toute éternité, s'accorde en tout avec la Sainte Ecriture »*. Le catholicisme de Descartes et de Hogelande pouvait se trouver rassuré par des raisonnements pareils. II n'est donc pas possible de répondre affirmativement en toute certitude a cette question : Descartes a-t-il été Rose-Croix ? mais il n'en est pas moins démontré qué grandes ont été ses préoccupations*a 1'égard des Frères, qu'ü en a fréquenté plusieurs, Faulhaber a Ulm, Wassenaer et Hogelande en Hollande; qu'il les a certainément écoutés, sinon par sympathie, du moins par curiosité d'esprit, et qu'il a retenu de leur enseignement mainte doctrine, comme celle de la longévité, de 1'exercice gratuit de 1. CEuvres, t. X, pp. 196 et 197. 2. Cf. Ibid., t. VI, p. 9. 3. Ibid., p. 73 : > Et pour les experienccs que les autres ont desja f aites, quand bien mesme ils les luy vóudroient communiquer, ce que ceux qui les nomment des secrets ne feroient jamais, elles sont, pour la pluspart, composées de tant de circons tances ou d'ingrédiens superflus qu'il luy seroit trés malaisé de decbiffrer la vérité.' » 4. Découvert et cité par le D' Meijer dans ses Rozekruizers, p. 28. LES ROSE-CROIX 4tö i'aft dë güérir, et peut-être le goüt des changements de ré'sidencé, destinés a éludef 1'importunité des profanes *i De la période qui va du 10 novembre 1620, Oü il est encore en AUemagne, au 3 avril 1622, oü il écrit de Rennes a son frère ainé, on he sait rien de précis, mais c'est a ce moment, sans doute, qu'il visita la fontaine miraculeuse d'Hornhausen, entre Aschersleben et Schoeningen, a quarante kilomètres au Sud-ouest de Magdebourg, et dont il pariera plus tard a la princesse Elisabeth 2. A cette même période se rattacherait une aventure assez curieuse, qu'il a cóntée longuement dans ses Experimenta. Son récit a été traduit par Baillet, qui rapporte 1'anecdote a la fin de novembre 1621 : « Etant sur le point de partir [du Danèmark] pour se rendre en Hollande avant la fin de novembre de la même année 1621, -il se défit de ses chevaux et d'une bonne partie de son équipage et il ne retint qu'un valet avec luy. II s'embarqua sur 1'Elbe, soit que ce fut a Hambourg, soit que ce fut a Gluckstadt, sur un vaisseau qui devoit luy laisser prendre terre dans la Frise Oriëntale, paree que son dessein étoit de visiter les cótes de la mer d'Allemagne a son loisir. II se remit sur mer peu de jours après, avec résolution de débarquer en West-Frise, dont il étoit curieux de voir aussi quelques endroits »3. Si, comme il est probablè, Baillet paraphrase les Experimenta, qu'il citera nommèment un peu plus loin, en marge, il faut noter ce détail. Descartes aura entendu parler de Franeker, dont 1'Université était la rivale de celle de Leyde et ici aurait germé déja son dessein; réalisé plus tard, de s'y retirer. Baillet continue : « Pour le faire avec plus de liberté, il retint un petit bateau a luy seul, d'autant plus volontiers que le trajet étoit court depuis Embden jusqu'au premier abord de West-Frise. Mais cette disposition, qu'il h'avoit prise que pour mieux pourvoir a sa commodité, pensa luy être fatale. II avoit affaire a des mariniers qui étoient des plus rustiques et des plus barbares qu'on püt trouver parmi les gens de cette profëssiön. Il ne fut pas long-tems sans reconnoïtre que c'étoient des scélérats, mais, après tout, ils étoient les maitres du bateau. M. Descartes * n'avoit point d'autre 1. On trouvera d'autres détails sur 1'histoire des Rose-Croix dans Sédir, Les Rose-Croix, Paris, Libr. du xxe s., 1918, in-12, et au t. X des CEuvres de Descartes, p. 193 et s 2. CEuvres, t. IV, pp. 523 et 525. LeS eaux de cette fontame furent beaucoup utilisées pendant la Guerre de Trente ans. 3. CEuvres, t. X, p. 189. 4. En marge de Baillet : « Cartes. Frag. cui titul. Experimenta. » DESCARTES EN HOLLANDE conversation que celle de son valet, avec lequel il parloit Francois. Les mariniers qui le prenoient plutöt pour un marchand foram que pour un cavalier, jugèrent qu'il devoit avoir de 1'argent. C'est ce qui leur fit prendre des résolutions qui n'étoient nullement favorables a sa bourse... Ils voyoient que c'étoit un étranger venu de loin, qui n'avoit nulle connoissance dans le pays et que personne ne s'aviseroit de réclamer quand il viendroit a manquer. Ils le trouvoient d'une humeur fort tranquillé, fort patiënte, et, jugeant a la douceur de sa mine et a 1'honnêteté qu'il avoit pour eux que ce n'étoit qu'un jeune homme qui n'avoit pas encore beaucoup d'experience, ils conclurent qu'ils en auroient meilleur marché de sa vie. Ils ne firent point difficulté de tenir leur conseil en sa présence, ne croyant pas qu'il scüt d'autre langue que celle dont il s'entretenoit avec son valet et leurs délibérations alloient a 1'assommer, a le jetter dans 1'eau et a profiter de ses dépouilles. «M. Descartes, voyant que c'étoit tout de bon, se leva tout d'un coup, changea de contenance, tira 1'épée, d'une fierté si imprévue, leur paria en leur langue1 d'un ton qui les saisit, et les menaca de les percer sur 1'heure, s'ils osoient lui faire insulte. Ce fut en cette rencontre qu'il s'appercut de 1'impression que peut faire la hardiesse d'un homme sur une ame basse. Celle qu'il fit paraitre pour lors eut un effet merveilleux sur 1'esprit de ces misérables. L'épouvante qu'ils en eurent fut suivie d'un étourdissement qui les empêcha de considérer leur avantage et ils le conduisirent aussi paisiblement qu'il put souhaiter. »2 Sans douter de la véracité de ce récit, M. Adam voudrait le placer en avril 1619, plutöt qu'en novembre ou décembre 1621, paree qu'ü ne lui semble pas vraisemblable que Descartes eüt abordé en West-Frise sans aller voir son ami Beeckman, en Zélande, ou sans lui écrire. L'argument ne me semble pas décisif. Descartes pouvait avoir de bonnes raisons pour passer incognito par la Hollande, s'il venait de combattre dans les armées catholiques contre un ami et un parent du Prince Maurice, 1'ElecteurPalatin Frédéric; ensuite, la Trêve de Douze ans avait pris fin, rt'rw „T? f m ^Is?ni mais u Put se comprendre de ces marins «LSKnï 'J^h sans doute lebas-aUemand ou le , plattdeutsch», en employanT de^Ml sé"ourè^rédiqU dÜ apPrendre' soit le néerlandais qü'U avaftretenu cartesttPx?P^189-f90^leWD^ Cf- (Emn* de Des" AVENTURE DE FRISE 409 la guerre de la Hollande avec 1'Espagne avait recommencé et 1'on n'eüt pas admis, a Bréda, que le jeune cadet manquat cette nouvelle occasion de passer de la théorie a la pratique. Pour lui, il avait vu assez de la guerre pour savoir qu'elle n'était pas son lot et qu'il était fait pour la méditation plus que pour 1'action. Déja 1'année du « poële » avait été assez féconde pour lui fournir de la matière a dix ans de spéculation philosophique. CHAPITRE V VOYAGES ÉN FRANCE ET EN ITALIË (1622-1628) « Et en tbutes les neuf années suivantes *, je ne fi autre chose que rouler ca et la dans le monde, taschant d'y estre spectateur plutost qu'acteur en toutes les Gomedies qui s'y jouent et faisant particulierement reflexion, en chasque matiere, sur ce qui la pouvoit rendre suspecte et nous donner occasion de nous mesprendre, je déracinois cependant de mon esprit toutes les erreurs qui s'y estoient pü glisser auparavant. » Ainsi parle le Discours de la Méthode. Neuf années après la sortie du « poële », avant la fin de 1'hiver 1619-1620* cela nous met a 1628-1629: ce sont donc elles que Uous avons a parcoürir maintenant. On pourrait les appeler les années de mondanité et les rapprocher d'une période analogue que connut plus tard Pascal, sous 1'influence de Méré et de Miton. Le contact de la « société polie », qui est alors dans sa formation, la fréquentation même des «jeunes veaux », comme le père Garasse appelait les Libertins, n'est pas seulement utile au gentilhomme, mais au philosophe, s'il veut que son expérience soit totale. Une fois de plus la philosophie francaise rêvèle ici son cöté humain. Rentré en Poitou, après une si longue absence, Descartes se préoccupe avant tout de mettre ordre a son patrimöine. C'est une lettre d'affaires ou plutót un engagement qu'il envoie a son frère Pierre, le conseiller au Parlement de Bretagne, le 3 avril 1622 2, et qui est daté de Rennes, oü lui-même se trouve auprès de leur père. Celui-ci a remis a René le tiers des bienS provenant de la succession de feu Mme Descartes. Entrê en possëssion des dits 1. CEuvres, t. VI, p. 28. Un peu plus loin, p. 30, a la fin de la Troisième partie, on Üt: «Toutefois ces neuf ans s'escoulerent, etc.» 2. CEuvres, t. I, p. 1. 412 DESCARTES EN HOLLANDE biens, il n'a rien de plus pressé que de les vendre; la Grand' Maison et le Marchais, a un marchand nommé Pierre Dieu-lefds, pour onze mille livres tournois (6 juin 1623); le fief du Perron avec les droits seigneuriaux et la terre de la Bobinière, a M. de Chatillon, gentilhomme poitevin, pour trois mille livres seulement (8 juillet 1623). La maison de Poitiers fut cédce peu après pour dix ou onze mille livres. Ces réalisations f aites, quelque six a sept mille livres de rente lui étaient assurées, chiffre de Borel, que Baillet estime trop élevé *. II 1'est en tout cas pour cette période, oü il n'a pas encore hérité de son père. C'était, sinon la richesse, du moins 1'indépendance assurée. II cherchait une occasion de partir pour 1'Italie, ce qui oomplétera le cycle des voyages qu'un gentilhomme cultivé du temps doit avoir faits : il lui manquera toujours 1'Angleterre, oü il a cependant plusieurs fois pensé se rendre. ^ Le prétexte de 1'expédition n'est pas, comme on s'y attendrait, 1'exécution du pèlerinage a N.-D.-de-Lorette, mais la mort du mari de sa marraine, M. Sain, commissaire général des vivres pour 1'armée d'au-dela des Alpes. Peut-être songeait-il a lui succéder en cette charge. Dans une lettre du 21 mars 1623 2, il fait part a son frère et a son père de son projet : « s'il ne revient plus riche, au moins en reviendra-t-il plus capable »; mais il s'attarda d'abord a Paris et ce n'est qu'en septembre qu'il se met en route. Sur ce voyage qui, pourtant, a pu être décisif, on ne sait rien; rien, si ce n'est ce que nous en apprennent Borel et Baillet qui,' a défaut d'informations précises, lui font suivre simplement le guide du voyageur en Italië ou du pèlerin a N.-D.-de-Lorette : arrêt a Venise pour y contempler la cérémonie du mariage du. doge et de 1'Adriatique; grand Jubilé de Noël 1624, a Rome; de plus, visite a Florence au célèbre Galilée, et siège de Gavi en Piémont. Tout cela est vraisemblable mais, surtout quand il s'agit de Descartes, il vaut mieux préférer le vrai. A nos amis italiens d'entreprendre une enquête. Le sujet en vaut la peine. Dans 1'ceuvre du philosophe, on relève peu de passages se Tapportant a 1'Italie ! il en est un sur le climat, auquel nous 1. Cf. CEuvres, t. XII, p. 548, note a. 2. Ibid., t. I, p. 4. VOYAGES EN FRANCE ET EN ITALIË (1622-1628) 413 reviendrons, mais un autre, dans les Météores, se réfère a la traversée des Alpes : « En mesme facon que je me souvien d'avoir vu autrefois dans les Alpes, environ le mois de May, que les neiges, estant eschauffées et appesanties par.le soleil, la moindre esmotion d'air estoit suffisante pour en faire tomber subitement de gros tas qu'on nommoit, ce me semble, des avalanches 1 et qui, retentissant dans les valées, imitoient assés bien le bruit du tonnerre »2. Ajoutons encore cette observatior» sur les chemins en lacets des montagnes : « En mesme facon que les grans chemins qui tournoyent entre des montaignës devienent peu a peu si unis et si commodes a force d'estre frequentez, qu'il est beaucoup meilleur de les suivre que d'entreprendre d'aller plus droit en grimpant au-dessus des rochers et descendant jusques au bas des precipices »3. Au retour, il passé de Lyon en Poitou et écrit a son père, le 24 juin 1625, pour lui demander conseil au sujet d'une charge de Lieutenant-général qu'on lui offre a Chatelleraut pour cinquante mille livres, mais dont il ne veut donner que trente mille. Pour acquérir la pratique nécessaire, il s'ira mettre chez un procureur du Chatelet4. II se rend a Paris, en juillet, pour aller luimême chercher la réponse et il y restera, quoique son père eüt déja regagné la Bretagne. Le « bonhomme », comme on disait sans ironie alors, dira plus tard de son « cadet » : « De tous mes enfants, je n'ai de mécontentement que de la part d'un seuL Faut-il que j'aie mis au monde un fils assez ridicule pour se faire relier en veau ! » 5 On peut considérer que, de 1'été 1625 a 1'automne 1628, la capitale fut son quartier général et le séjour qu'il y fit ne fut interrompu que par des voyages en Bretagne ou en Poitou, comme celui qu'il entreprit au commencement de 1626 avec son ami Levasseur d'Etioles. C'est alors qu'il. argumenta a une soutenance de thèses au Collége des Jésuites de Poitiers 6. Son père lui parle de son établissement, dont il se préoccupe, 1. Passage intéressant pour 1'histoire du mot qui, pas plus que « dune », n'était encore fort répandu. 2. CEuvres, t. VI, p. 316. 3. Ibid., p. 14. 4. Ibid., t. I, p. 4. 5. Le propos est authentique. Cf.M. Adam, au t. XII, p. 433, oü il cite S. Ropartz,. La Familie Descartes en Bretagne (1586-1762): Memoires de l'associalion brelonne,. 1876, p. 100. 6. (Euvres, t. XII, p. 74.. 414 DESCARTES EN HOLLANDE ■et il entend par la aussi bien une charge qu'un mariage, mais, pour le philosophe, >,c'est tout un, et il rejette avec la même énergie 1'un que 1'autre. II aime tant sa liberté qu'on peut lui appliquer a-lui-même le mot qu'il écrira plus. tard au sujet de Balzac,« que même ses jarretières et ses aiguillettes lui pesoient». - Cependant, une jeune demoiselle de naissance, la future Mme du Rosay, se vantait d'avoir attiré ses hommages ; sa poursuite, s'il y en eut une, ne fut pas toujours trés galante, car il lui dit une fois « qu'iZ ne trouvoit point de beautez comparables d ■celle de la Vérité»\ et ce sont la comparaisons qu'une femme ne tolère point. Une autre fois, étant dans le monde, il assura qu'une l>elle femme, un bon livre et un parfait prédicateur, étaient les choses les plus difficiles a trouver. Dans le traité des Passions de l'dme, dédié pourtant a la Princesse Elisabeth, est consignée cette opinion de misogyne : « Lors qu'un mary pleure sa femme morte, laquelle (ainsi qu'il arrivé quelquefois) il seroit fasché de voir resuscitée, il se peut faire que son cceur est serré par la Tristesse, que 1'appareil des funérailles et Tabsence d'une personne a la conversation de laquelle il estoit accoustumé, excitent en luy, et il se peut faire que quelque reste d'amour ou de pitié, qui se presente a son imagination, tire de veritables larmes de ses yeux, nonobstant qu'il sente cependant une Joye secrete dans le plus intérieur de son ame. » 2 A madame du Rosay se r-apporterait pourtant, selon le manuscrit du P. Poisson, une aventure a la d'Artagnan que le religieux raconte ainsi: «Monsieur Descartes, retournant un jour de Paris, oü il 1'avoit accompagnée avec d'autres dames, avoit été attaqué par un Rival sur le chemin d'Orléans et... 1'ayant désarmé, il luy rendit son épée, disant qu'il devoit la vie a cette Dame pour laquelle il venoit d'exposer luy même la sienne ». 8 René a lu Amadis et... don Quichotte. . Quand un philosophe veut être mondain, il 1'est avec passion, et nous devons 1'imaginer a 1'occasion bretteui- (il composa un Art d'escrime et pratiqua le fleuret, même en Hollande) 4 et 1. Baillet, t. II, pp. 501 et 549, cité par M. Adam, CEuvres de Descartes, t. XII, pp. 70, note b, et 71. 2. CEuvres, t. XI, p. 441. 3. Ibid., t. X, p. 538. 4. Ibid., p. 535 et s.. et, au t. IV, p. 319, -le récit du maitre d'armes francais, qui ♦ se vantoit de [le] connoltre mieux que personne pour 1'avoir hanté en différents ■endroits de la Hollande ». séjour a paris (1625-1628) 415 joueur, car le jeu a, pour les mathématiciens, 1'attrait de 1'inconnu, dont ils veulent se rendre maitres par des calculs de probabilités. Songez encore a Pascal. II fréquente, bien qu'avec la prudence que commandent les retentissants procés de 1623 et de 1625, les libertins. II ne transcrit pas souvent des vers francais, mais il cite par cceur, a Chanut, dans une lettre, un quatrain de Théophile, fort médiocre d'ailleurs, qu'il a lu dans le Parnasse satyriqueK Est-il chaste ? il n'y a pas heu de le penser. II écrira plus tard en latin a Voetius, qui 1'accuse d'avoir eu des enfants naturels : « Eh! si j'en avais, je ne le nierais pas; j'ai été jeune...; je n'ai jamais prononcé de vceu de chasteté ni voulu passer pour un saint; mais le fait est que je n'en ai point »2. Cette mondanité ne va pas sans certain regret. Au milieu de ce tourbillon, Descartes se sent parfois pris de remords qui ne sont pas d'ordre religieux. Ne gaspille-t-il pas les dons qu'il a recuSd'en haut, n'est-il pas infidèle au serment qu'il s'est fait a lui-même, en 1619,«d'employer toute sa vie a cultiver sa raison et è s'avancer... en la connoissance de la Vérité suivant la Methode » ?3 Souvent lui revient, sans doute, a la mémoire, le vers du Livre des. Poètes, posé sur la table par l'homme inconnu : Quod vitse sectabor iter ? II s'est isolé, en juin 1626 4, au faubourg Saint-Germain, dans la rue du Four, « Aux trois Chappelets », mais ses amis, le P. Mersenne, ce Minime curieux de tout, un « maitre moine », comme 1'appellera Constantin Huygens, et qui habite en un couvent situé prés la Place Royale ; Claude Mydorge, le trésorier de France a Amiens, qui s'occupe de catoptrique, c'est-a-dire des miroirs, tandis que Descartes se consacre a la dioptrique, c'est-adire aux lunettes ; de Villebressieu, 1'ingénieur ; Jean-Baptiste Morin, Professeur au Collége de France6, astrologue autant qu'astronome, 1'accablent de leur empressement, si bien que sa retraite se change en heu de conférence. Morin lui écrira 1. (Euvres, t. IV, p. 617. 2. CEuvres, t. XII, p. 337, note c. 3. CEuvres, t. VI, p. 27. 4. Baillet cite a ce propos une lettre de Descartes a son frère, datée de Paris, 16 juillet 1626. Cf. CEuvres, t. I, p. 5. 5. Ibid., t. XII, pp. 89-90. 416 DESCARTES EN HOLLANDE plus tard, le 22 février 1638 1 : « Dès 1'heure que j'eus 1'honneur de vous voir et de vous connoistre a Paris, je jugé que vous aviez un esprit capable de laisser quelque chose de rare et d'excellent a la postérité. » Le refuge qu'il prit chez un ami de son père, Le Vasseur d'Etioles ne lui réussit pas mieux. II fut forcé de s'enfuir et nous avons vu plus haut2 comment celui-la découvrit sa retraite, le ramenant ensuite a Mme Le Vasseur, « qui s'étoit cru méprisée dans la manière dont il avait abandonné sa maison ». «M. Descartes lui fit toute la satisfaction qu'elle pouvoit attendre non d'un Philosophe mais d'un galant homme, qui scavoit 1'art de vivre avec tout le monde. » 3 Baillet nous donne d'autres détails encore : « II étoit servi d'un petit nombre de valets, il marchoit sans train dans les rues. II étoit vêtu d'un simple taffetas vert, selon la mode de ces tems-la, ne portant le plumet et 1'épée, que comme des marqués de sa qualité, dont il n'étoit point libre a un gentilhomme de se dispenser »'4. Les témoignages écrits de son activité intellectuelle en cette période agitée sont, comme il faut s'y attendre, des plus restreints, mais nous avons cependant, sur ses projets, un témoignage important de Guez de Balzac. Celui-ci, ayant pris parti contre Théophile, nous 1'avons vu au livre II5, tous les amis du poète s'étaient ligués contre le prosateur; d'autres s'étaient mêlés a la querelle et il en était résulté une polémique littéraire assez vive. Descartes ne consulte que son goüt et, d'instinct, il sent ce que le style de Balzac a a la fois d'élégant et de rationnel, préparant 1'instrument dont lui-même se servira, au lieu du latin, et il envoie a Balzac un dithyrambe sur les Lettres qui, chose singulière, est rédigé précisément dans cette langue : « Dans quelque disposition d'esprit que je lise ces lettres, que je les soumette a une sérieuse analyse ou que simplement je m'en délecte, elles me causent une si grande satisfaction que, non seulement je ne trouve rien a y reprendre, mais qu'entre tant de choses excellentes, j'ai peine a distinguer celle qu'il convient 1. Ibid., t. I, p. 537. 2. P. 361. 3. Cf. (Euvres, t. XII, p. 73, note a. 4. Ibid. 5. P. 256. séjour a paris (1625-1628) 417 de louer davantage. II y a la une telle pureté dans 1'expression qu'il en est d'elïe comme de la santé dans le corps, laquelle est d'autant meilleure qu'on n'en a point le sentiment. «II y a la encore une telle élégance, une telle grace qu'il en est d'elles comme de la beauté chez une femme parfaitement belle, dont on ne peut louer une qualité sans risquer par lè d'en accuser d'autres d'imperfection». II le vante, en outre, de ce que cette élégance et cette grace n'enlèvent rien a la véhémence du style et a sa puissance pas plus qu'a sa force de persuasion et a sa sincérité dans 1'expression de la pensée l. Voila de ces éloges comme Balzac les aimait et dont il faisait volontiers son pain quotidien. Dans sa lettre du 30 mars 1628 il en accuse réception et il envoie a Descartes les trois Discours du Socrate Chrestien, qu'il lui a dédiés et dont il composait a Paris le dernier, au moment oü le philosophe 1'a quitté pour se rendre en Bretagne; car c'est la que ce dernier semble avoir séjourné pendant les trois premiers mois de 1628 s. Balzac a tenu sa promesse, que Descartes tienne la sienne .: « Au reste, Monsieur, souvenez vous, s'il vous plaist, de l'Histoire de vostre Esprit. Elle est aitendue de tous nos amis et vous me 1'avez promise en présence du Père Clitophon, qu'on appelle, en langue vulgaire, Monsieur de Gersan4. II y aura plaisir a lire vos diverses aventures dans la moyenne et dans la plus haute region de 1'air, a considerer vos prouesses contre les Geans de 1'Escole, le chemin que vous avez tenu, le progrez que vous avez fait dans la vérité des choses, etc. » On ne saurait douter que ce ne soient la les termes mêmes dont Descartes se sera servi dans ses entretiens avec Balzac, car c'est tout le programme du début du Discours de la Méthode, lequel est, désa présent, concu, moins comme un traité dogmatique que comme 1'histoire d'une ame. La phrase «le progrez que vous avez fait », va se retrouver presque littéralement, au point 1. QSuore* de Descartes, t. i, p. 7 et s. 2. M. Adam ne 1'ayant retrouvée qu'aprcs 1'achèvement de son tome'l. 1'a nlacée en appendice, pp. 570-571. "*.«»*« j-iai.ce 3. fl fut parrain, le 22 janvier 1628, a Elven, d'un flls de son frère alné Cf t T p. 6, au bas. • *• *> * 4«Ka'i- H?' 5?2; Francois de Soucy, Sieur de Gerzan. Voila donc un ami ou un familier de Descartes et c'est, de nouveau, un hermétiste et un médecin 1> soupconnerais même un Rose-Croix, car il s'est occupé a la fois de 1'art de aüérir 'urn 8 «a.T"\Catl?n de ï*; 11 a éSrit un Sommairede la médecine chumique (Paris 12) gr 0TP°toble des anciens philosophes, (Paris 1653 27 418 descartes en hollande qu'on serait tenté de croire a la communication par Descartes a Balzac d'un projet, d'une ébauche du Discours de la Méthode1, qui aurait eu pour titre celui que Balzac imprime en petites capitales : Histoire de mon Esprit. On lit en effet dans le Discours de la Méthode 2: « Je pense avoir eu beaucoup d'heur de m'estre rencontré dès ma jeunesse en certains chemins qui m'ont conduit a des considerations et des maximes dont j'ay formé une Methode par laquelle il me semble que j'ay moyen d'augmenter par degrez ma connoissance et de 1'eslever peu a peu au plus haut point auquel la mediocrité de mon esprit et la courte durée de ma vie luy pourront permettre d'atteindre. Car j'en ay desja recueilly de tels fruits... que... je ne laisse pas de recevoir une extreme satisfaction du progrès que je pense avoir desja fait en la recherche de la vérité... » « Toutefois, il se peut faire que je me trompe et ce n'est peut estre qu'un peu de cuivre et de verre que je prens pour de 1'or et' des diamans... mais je seray bien ayse de faire voir, en ce discours, quels sont les chemins que j'ay suivis et d'y représenter ma vie comme en un tableau, affin que chacun en puisse juger... » « Ainsi 3 mon dessein n'est pas d'enseigner icy la Methode que chacun doit suivre pour bien conduire sa raison, mais seulement de faire voir en quelle sorte j'ay tasché de conduire la mienne... Ceux qui se meslent de donner des preceptes se doivent estimer plus habiles que ceux ausquels ils les donnent et, s'ils manquent en la moindre chose, ils en sont blasmables. Mais, ne proposant eet escrit que comme une histoire ou, si vous 1'aymez mieux, que comme une fable, en laquelle, parmi quelques exemples qu'on peut imiter, on en trouvera peut-estre aussy plusieurs autres qu'on aura raison de ne pas suivre, j'espere qu'il sera utile a quelques-uns, sans estre nuisible a personne et que tous me scauront gré de ma franchise. »4 Dans ce passage, les mots en italique sont a peu pres identiques a ceux qu'a reproduits Balzac dans sa lettre de 1628. S'attaquer aux Géants de 1'Ecole, dit encore celui-ci: le pluriel n'est ici qu'une prudence pour qu'Aristote ne soit pas reconnu ; 1. l'hypothèse n'est pas trés hasardeuse, car les Regulae ad direclionem ingenii paraissent bien de la même époque. 2. CEuvres, t. vi, p. 3. 1' Onremarquera en passant aussi la ressemblance de ce dessein avec celui de Montaigne, même dans la facon dont il est exprimé. Cei rapproc^ment n est d aüleurs pa Tlè seul qui s'impose entre le Discours de la Méthode et les Essais. séjour a paris (1625-1628) 419 c'était bien contre lui cependant que s'élevait la hardie entre-' prise que le philosophe avait dés lors concue. Descartes sortait de la mathématique universelle, dont personne ne pouvait prendre ombrage, pour la muer en philosophie universelle, fondée sur 1'axiome et le nombre. L'entreprise était aussi audacieuse que dangereuse. Non qu'elle füt tout a fait isolée. Bacon a donné en 1620 son Novum Organum, mais c'était en Angleterre, et son livre, s'il est connu de Descartes, ne Test pas encore du grand public. Gassend 1 n'a publié jusqu'alors que ses Exercitationes paradoxicae adversus Aristotdeos (Grenoble, 1623). Aristote n'est pas seulement le Géant de 1'Ecole, il en est le Dieu et un Dieu qui a a son service le bras séculier. Ce fut au cours du second procés de Théophile qu'éclata, en effet, en 1624, 1'affaire des thèses contre Aristote, qui devaient être disputées publiquement, le samedi 24 et le dimanche 25 aoüt par Jean Bitault, Etienne de Claves, «médecin chymiste», et Antoine Villon, «le soldat philosophe Jü Mille personnes étaient déja rassemblées pour les entendre, dans une des plus belles salles de Paris, lorsque vint 1'ordre du Premier Président d'évacuer la salie. A la requête de la Sorbonne, le Parlement, par arrêt du 4 septembre 1624, fit lacérer les thèses et en exila les auteurs hors du ressort de la Cour de Paris. Défense fut faite en outre, « a peine de la vie», d'enseigner rien contre les anciens auteurs a. Descartes n'avait pas manqué de connaitre eet arrêt, au moins par le P. Mersenne et par J.-B. Morin, qui 1'approuvèrent. Sans craindre le sort de Lucilio Vanini, « Prince des athées », brülé a Toulouse, le 9 février 1619, ni celui de Jean Fontanier, brülé a Paris, en Place de Grève, en 1621 3 ni celui de Théophile, brülé en effigie, le 19 aoüt 1623, il pouvait craindre, lui qui pourtant n'était pas athée et se donnait même pour bon catholiqüe, le sort des trois adversaires d'Aristote. Beaugrand ne lui infligea-t-il pas un jour a lui aussi 1'épithète, qu'il méritait mieux que le Villon en question, de « soldat philosophe » 4 ? Or le Discours, qu'il médite déja, n'est qu'une perpétuelle attaque contre la philosophie de 1'Ecole et contre Aristote, qu'il 1. C'est bien Gassend qu'il faut dire, comme le voulait Paul Tannery (Cf. CEuvres de Descartes, t. XII, p. 85, note a) et non Gassendi: le mot, chez un poète, rime avec « Impuissant ». Cf. aussi t. XII, p. 564. 2. Cf. la Biographle de Descartes, par M. Adam, au t. XII, pp. 85 et 86. 3. Ibid., p. 82. 4. Ibid, p. 252. 420 DESCARTES EN HOLLANDE essay e en vain de dissimuler sous son ironie1: « Je m'assure que les plus passionnez de ceux qui suivent maintenant Aristote, se croyroient heureux, s'ils avoient autant de connoissance de la Nature qu'il en a eu, encore mesme que ce fust a condition qu'ils n'en auroient jamais davantage. Ils sont comme le lierre, qui ne tend point a monter plus haut que les arbres qui le soutiennent et mesme souvent qui redescend après qu'il est parvenu jusques a leur faiste; car il me semble aussy que ceux-la redescendent, c'est-a-dire se rendent en quelque facon moins scavans que s'ils s'abstenoient d'estudier, lesquels, non contens de scavoir tout ce qui est intelligiblement exphqué dans leur autheur, veulent, outre cela, y trouver la solution de plusieurs difficultez, dont il ne dit rien et ausquelles il n'a peut-estre jamais pensé. Toutefois leur facon de philosopher est fort commode, pour ceux qui n'ont que des esprits fort mediocres, car 1'obscurité des distinctions et des principes dont ils se servent, est cause qu'ils peuvent parler de toutes choses aussy hardiment que s'ils les scavoient et soustenir tout ce qu'ils en disent contre les plus subtils et les plus habiles, sans qu'on ait moyen de les convaincre. « En quoy ils me semblent pareils a un aveugle qui, pour se battre sans desavantage contre un qui voit, 1'auroit fait venir dans le fonds de quelque cave fort obscure, et je puis dire que ceux-cy ont interest que je m'abstiene de publier les principes de la Philosophie dont je me sers, car estans tres simples et tres evidens, comme ils sont, je ferois quasi le mesme, en les publiant, que si j'ouvrois quelques fenestres et faisois entrer du jour dans cete cave oü ils sont descendus pour se battre. » Projeter du jour dans la cave oü se débattent les ignorances humaines, quelle admirable image et combien symbolique de 1'ceuvre cartésienne, mais, pour le faire utilement, il fallait dérober la source de lumière a ceux qui avaient intérêt a la mettre sous le boisseau : c'était 1'exil. 1. Ibid., t. VI, p. 70. CHAPITRE VI DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) «Toutefois 1 ces neuf ans s'escoulerent avant que j'eusse encore pris aucun parti, touchant les difïicultés qui ont coustume d'estre disputées entre les doctes ny commencé è chercher les fondemens d'aucune Philosophie plus certaine que la vulgaire. Et 1'exemple de plusieurs excelens espris qui, en ayant eu cy-devant le dessein, me sembloient n'y avoir pas reussi, m'y faisoit imaginer tant de difficulté, que je n'eusse peut-estre pas encore si tost osé 1'entreprendre, si je n'eusse vu que quelques uns faisoient desja courre le bruit que j'en estois venu a bout. « Je ne scaurois pas dire sur quoy ils fondoient cette opinion et, si j'ay contribué quelque chose par mes discours, ce doit avoir esté en confessant plus ingenuëment ce que j'ignorois que n'ont coustume de faire ceux qui ont un peu estudié et peut estre aussy en faisant voir les raisons que j'avois de douter de beaucoup de choses que les autres estiment certaines plutost qu'en me vantant d'aucune doctrine. » Tout ceci est excès de modestie et de prudence. Nous savons maintenant par la lettre de Balzac que L'Histoire de mon Esprit est a 1'état d'ébauche, au début de 1628, et d'ailleurs il semble bien que les Regulae ad directionem ingenii, les régies pour la conduite de 1'esprita, soient de la même époque. «Mais, ayant le cceur assez bon pour ne vouloir point qu'on me prist pour autre que je n'estois, je pensay qu'il faloit que je taschasse par tous moyens a me rendre digne de la reputation qu'on me donnoit et il y a justement huit ans que ce desir me fit 1. (Euvres, t. VI, pp. 30 a 31. 2. On les trouvera, en texte original, au t. X de 1'édition Adam et Tannery, pp. 351 et s , et, en traduction, dans 1'édition Victor Cousin (t. XI, p. 201 et s.) k laquelle il faut rendre lel hommage, car elle fut la première édition critique complete des (Euvres de Descartes (Paris, Levrault, 1824, 11 vol. in-8°). 422 DESCARTES EN HOLLANDE resoudre d m'esloigner de tous les lieux oü je pouvois avoir des connoissances et d me retirer icy en un pais, oü la longue durée de la guerre a fait establir de tels ordres que les armées qu'on y entretient ne semblent servir qu'd faire qu'on y jouisse des fruits de la paix avec d'autant plus de seureté, et oü, parmi la foule d'un grand peuple fort actif et plus soigneux de ses propres affaires que curieux de celles d'autruy, sans manquer d'aucune des commoditez qui sont dans les villes les plus frequentées, j'ay pü vivre aussy solitaire et retiré que dans les desers les plus escartez ».1 On s'étonnera peut-être de 1'abondance des citations que nous extrayons du Discours de la Méthode. II y a, a cela, deux raisons, la première, c'est que ce Discours contientlaseule autobiographie que nous possédions de Descartes et qu'elle semble vraiment sincère ; la seconde est dans 1'avertissement qu'il contient a notre égard et que nous n'avons pas le droit de négliger 2 : « Je suis bien ayse de prier icy nos neveux de ne croire jamais que les choses qu'on leur dira vienne de moy, lorsque je ne les auray point moy mesme divulguées. » Ceci ne doit pas nous priver d'ajouter, a son exposé a lui, des conjectures, a condition qu'elles soient historiquement fondées. Donc, le seul.motii allégué par Descartes pour son refuge en Hollande est la recherche de la paix et de 1'isolement favorables au travail. II n'est pas persécuté, si ce n'est par 1'importunité de ses amis. Ceux-ci sont de bons catholiques, comme le P. Mersenne ou le P. Bérulle, supérieur de 1'Oratoire, ou des gens bien en Cour, comme les Conseillers Debeaune et Mydorge ou des professeurs orthodoxes comme Morin. II n'a rien a craindre, pour le moment du moins. C'est hbrement qu'il vient chercher asile dans les Pays-Bas du Nord. Quel passant, allant par leurs plaines et s'arrêtant dans un de leurs villages ou de leurs bourgs auxmaisons basses et nettes, aux places ombragées d'arbres, aux canaux somnolents, n'a rêvé d'une retraite qui s'écoulerait la, douce et paisible, dans la solitude absolue ? Telle a dü être 1'impression de Descartes, lors de son premier séjour dans le Brabant septentrional et en Zélande. Les prairies s'étendent au loin, découpées en carrés verts par des fossés; aucun accident, si ce n'est, ca et la, un rideau de saules étêtés, 1. CEuvres, L VI, pp. 30-31. 2. Ibid., pp. 69-70. DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) 423 ne limite la vue et la pensee suit le regard vers 1'inflni, surtout qüand le vert de la prairie se prolonge dans celui de la mer, sans barrière, sans transition, au point qu'ils se confondent presque, comme au bord du Zuyderzée. La prairie pres de la mer, c'est le lieu que Descartes élira presque partout. Sa poitrine est trop faible pour supporter, 1'hiver, le vent violent de 1'océan ; peutêtre aussi de brusques sautes troubleraient-elles 1'équihbre de ses idéés. II choisira donc, le plus souvent, un village, a quelque distance de la cóte, d'oü le soufflé du large lui arrivé par bouffées et oü il peut aller respirer et songer, mais a son heure. Les lieux oü il séjouraera le plus longtemps, pendant vingt ans, correspondent a cette définition : Franeker en Frise, Endegeest en Hollande méridionale, Egmond ou Santpoort en Hollande septentrionale. Comme le dialogue avec 1'océan ne sufflt pas a un homme du xvne siècle, il choisira ces lieux pas trop loin d'un centre intellectuel, oü il trouve une société intermittente et une bibliothèque, dont il use peu, car sa science est en lui, mais dont encore il peut avoir besoin. Franeker a une université et par conséquent une « librairie », Endegeest est & cöté de Leyde, Egmond n'est qu'a une petite journée d'Amsterdam et Santpoort est aux portes de Harlem. II connaitra presque toutes les villes, groupées d'ailleurs dans ce petit pays comme des ruches : Leyde, Deventer, Utrecht, Amsterdam, La Haye, dont la Cour et 1'ambassade l'éloignent, lui rappelant trop le Louvre, les souverains et tout ce que leur doit celui qui a qualité nobiliaire. Bien que, plus tard, la cité aux cent canaux et aux nobles maisons, sises sur le Fossé des Seigneurs (Heerengracht), le Fossé de I'Empereur (Keizersgracht) et le Fossé du Prince (Prinsengracht) lui semble trop bruyante, il se sentira a 1'aise parmi ce peuple de marchands, le gentilhomme au chapeau de feutre a plume et 1'épée au cöté, semblable a tant de Francais et qui ne s'inquiète pas de lui. C'est la portée de la phrase citée plus haut, écrite eertainement a Amsterdam et pour Amsterdam : « oü,'parmi la foule, etc. ». Peut-être est-ce a Balzac qu'il a empruntê la notion et le mat de « desert » qui, pour un homme du xvne siècle, représente la retraite, mais c'est la un besoin général du temps, même chez 424 DESCARTES EN HOLLANDE les mondains, chez un de Bussy, chez une Mme de Sévigné, chez un maréchal de Chastillon, de faire une part a la vie spirituelle, a la vie inférieure, loin des fêtes. Pourtant, bien que les raisons données par Descartes soient plus impérieuses que les leurs et d'un ordre plus général, elles ne suffisent pas a exphquer son choix, car d'autres pays qu'il connaissait, pouvaient aussi appeler ses préférences. Mais, et c'est la la portée des présentes études, la Hollande est le pèlerinage naturel et en quelque sorte national des Francais de toute espèce, commercants, soldats, hommes d'état, savants, écrivains. Si la Hollande aime la France, la France apprécie la Hollande comme un miracle physique et un miracle politique : un miracle physique, 1'industrie de l'homme y ayant, par la digue, triomphé du flot; un miracle politique, la petite nation, fervente de liberté, ayant, a force d'audace et de patience, triomphé de la puissante Espagne. II plait aux Francais que le petit, quand il est juste, triomphé du grand, quand il n'est que fort. Puis, la Hollande n'est pas pour la France une étrangère, car notre langue y est si répandue que, pas plus alors que maintenant, ceux qui ignorent le néerlandais ne s'y sentent embarrassés. II résulte de la thèse toute récente de M. Riemens \ qu'il y a, a cette époque, aux Pays-Bas, deux catégories d'écoles, 1'école latine, qui prépare a 1'Université, 1'école francaise, qui est 1'école moderne et prépare au commerce ou a la vie. (Euvre privée, fondée par des instituteurs flamands, wallons ou francais, elle est adoptée, peu a peu, et subsidiée par les municipalités au milieu du xvne siècle. L'école francaise deviendra par la l'école officielle. II n'y a pas d'école « néerlandaise ». Surtout et avant tout, la Hollande est la terre de la Liberté; elle a eu beau avoir, en 1619, sa crise d'intolérance et, le grand crime de meurtre de chef d'état, que le destin n'a épargné a aucune des trois autres marraines de la hberté, Angleterre, France, Amérique, elle 1'a commis aussi; mais, en 1625, elle a repris son équüibre. Frédéric-Henri est le plus tolérant, le plus élégant et le plus souriant de tous les princes, ce qui ne 1'empêche pas d'être fort; et combien il est Francais avec son entourage, le 1. Esquisse historique de Venseignement du francais en Hollande, Leyde 1919, déja eHée. DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1649) 425 prince de Bouillon, Frédéric de la Tour et son cadet Turenne, le maréchal de Chastillon et le marquis d'Hauterive, Alphonse de Pollot et le fidéle écuyer Deschamps, sans parler de seigneurs de moindre importance. Quand Guillaume II, fils de FrédéricHenri, aura épousé la fille d'Henriette de France, Marie d'Angleterre, qui rédige ses lettres en notre langue, Louise de Coligny sera remplacée par une grace plus juvénile, qui est encore une grace francaise. II est bien vrai que certains de ces éléments ne doivent pas plaire absolument a Descartes. D méprise et craint 1'orthodoxie étroite d'un Rivet, mais il apprécie sa science et sait que 1'Université de Leyde est un grand centre scientifique, fréquenté par ses compatriotes, oü il espère bien trouver des partisans de marqué pour sa doctrine, ce qui ne manqua point. Descartes se gardera d'écrire contre les protestants, il ne le fera que contraint par les attaques d'un Voetius ; il n'est pas attiré par leur rigidité, mais celle-ci ne 1'éloigne pas. II trouve, a s'approcher d'eux, une objection plus grave : il est a la recherche de la vérité et d'une vérité unique qui rendrait compte de toutes les autres; comment n'apercevrait-il pas d'emblée la confusion de leurs sectes, 1'émiettement de leur doctrine, 1'apreté et le vide de leurs controverses ? C'est sans doute a leur propos qu'il écrit: «II se pourroit trouver autant de reformateurs que de testes, s'il estoit permis a d'autres qu'a ceux que Dieu a establis pour souverains sur ses peuples ou bien ausquels il a donné assez de grace et de zele pour estre prophetes, d'entreprendre d'y rien changer ». Cet homme, qui cherche 1'ordre et la hiërarchie dans les pensées, n'admet pas le renversement de 1'ordre social. II accepte la forme républicaine aristocratique du pays dont il est 1'hóte, il ne songera jamais a 1'imposer ou même a la conseiller a son pays. « Ces grands cors, écrit-il, en parlant des institutions sont trop mal aysez a relever, estant abatus, ou mesme aretenir, estant esbranlez, et leurs cheütes ne peuvent estre que tres rudes. Puis, pour leurs imperfections, s'ils en ont, comme la seule diversité qui est entre eux suffit pour assurer que plusieurs en ont, 1'usage les a sans doute fort adoucies et mesme il en a evité ou corrigé insensiblement quantité, ausquelles on ne pourroit si bien pourvoir par prudence et enfin elles sont quasi tousjours plus supportables que ne seroit leur changement... C'est pourquoy 426 DESCARTES EN HOLLANDE je ne scaurois aucunement approuver ces humeurs brouillonnes et inquietes de ceux qui, n'estant appelez, ny par leur naissance, ny par leur fortune, au maniement des affaires publiques, ne laissent pas d'y faire tousjours en idéé quelque nouvelle reformation. » C'est la condamnation des Bouillon, des Rohan, des protestants et, par avance des Frondeurs \ Moderne en tout et précurseur de la pensée contemporaine, il 1'est encore en ceci qu'il tient la Religion pour le support de la Société, auquel il préfère ne point toucher. La première des régies de morale tirées de la Méthode est celle-ci: « obeir aux lois et aux coüstumes de mon païs, retenant constamment la rehgion en laquelle Dieu m'a fait la grace d'estre instruit dés mon enfance et me gouvernant en toute autre chose, suivant les opinions les plus modérées et les plus esloignées de 1'excés qui fussent communsment receües en pratique par les mieux sensez de ceux avec lesquels j'aurois a vivre. » 2 Pour satisfaire a cette maxime, a laquelle il reste obstinément fidéle, Descartes observe avec exactitude les rites. II est essentiel de remarquer que dans quatre des lieux que nous avons déja nommés : Franeker, Endegeest, Santpoort, Egmond, il peut pratiquer sa rehgion, paree qu'il a des catholiques autour de lui; leur cülte est interdit, mais ils Texercent néanmoins, privément, sous les regards indülgents des Régents. Ceux-ci se garderont surtout d'inquiéter ces obstinés, quand ils appartiennent a 1'aristocratie du pays. N'est-il pas notable que le chateau de Franeker, oü Descartes trouvera son premier asile, soit la propriété de la grande familie catholiqüe frisonne des Sjaerdema; que le chateau d'Endegeest, qu'il habitera quelques. années après, appartienne a une autre familie de nobles catholiques, les van Foreest ? Ajoutez qu'a Santpoort, il fréquentera les abbés Blommaert, Ban et Cater. Cela ne 1'empêchera nullement d'entretenir un commerce suivi avec des protestants comme Reneri et Regius, qui seront ses meilleurs disciples, ou avec Constantin Huygens et Saumaise, mais, pas plus pour lui que pour son correspondant de Paris, le P. Mersenne, ou les Cardinaux Richelieu et Mazarin, qui •uivent la tradition politique d'Henri IV, la pratique du catholicisme n'imphque 1'exclusion des protestants. II est bien L CEuvres, t VI, p. 14. 2. Ibid., p. 22-23. DESCARTES EN HOLLANDE (1628-1619) 427 vrai que la religion romaine aexercé, par 1'intermédiaire des pouvoirs politiques, d'étranges et de cruelles rigueurs, maisil n'en reste pas moins que c'est dans' les pays catholiques, surtout en France, et chez des catholiques, que s'est levée la conception moderne de la tolérance et de la libre-pensée. Celles-ci doivent plus a un Rabelais, a un Montaigne et même a un Descartes, qu'a un Luther ou a un Calvin. Une fois en régie avec la société, dont 1'Eglise est pour lui partie intégrante, Descartes se sent libre, absolument libre et son Dieu métaphysique, garant de la vérité des axiomes et fondement de toute évidence, qui prête son concours ordinaire a la Nature et la laisse agir suivant les lois qu'il a étabhes, n'a presque rien du Dieu de la rehgion. Ce qu'il y a peut-être de plus hardi dans le Discours de la Méthode n'est pas ce qui y est, mais ce qui n'y est point, Dieu se trouvant reculé dans le métaphysique et tenu a 1'écart de 1'exercice quotidien de la raison souveraine : « II n'y a rien qui soit entierement en notre pouvoir que nos pensées »; « nous ne nous devons jamais laisser persuader qu'è 1'evidence de nostre raison»1; « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse evidemment estre telle». Ce n'était pas encore sur le sol francais que pouvaient fleurir ces fières maximes de la raison indépendante de la foi et ce fut une smgulière entreprise que celle du Cardinal de Bérulle et plus tard des Oratoriens avec Malebranche de se les annexer pour en faire des étais. Aux Pays-Bas oü les libraires, quelle que füt leur opinion, battaient monnaie avec toutes les pensées, les plus hautes comme les plus sottes, les plus orthodoxes comme les plus hétérodoxes, il était aussi f acile de les concevoir que de les pubher. Et puis eet original que les paysans considéraient avec une curiosité, vite lassée par 1'accoutumance, ne troublait ni 1'ordre public, dont il était par nature respectueux, ni les articles du Synode de Dordrecht que, n'étant pas fonctionnaire, il n'avait pas a contresigner. Ce n'est que dujouroüses idéés s'infiltrèrent par ses disciples dans les Universités hollandaises, a Deventer, a Utrecht, a Leyde, qu'il rencontra sur son chemin les féroces théologiens orthodoxes, 1. (Euvres, t. VI, p. 39. 428 DESCARTES EN HOLLANDE devenus un peu moins dangereux depuis que Frédéric-Henri leur refusait le bras séculier, que leur prêtait Maurice. S'il avait su ce que Voet serait pour lui, Descartes ne serait peut-être pas venu aux Pays-Bas, mais, au fait, il savait: de Gomar a Voetius il n'y a que la différence d'une perruque et d'un quart de siècle. Le Synode de Dordrecht pouvait lui faire prévoir les foudres d'Utrecht. Qu'importe, il les craignait moins que le bücher de 1'Eglise romaine, qui brülait encore aussi bien les hommes que les livres. II gardait ses bons maitres les Jésuites et ses amis Oratoriens et Minimes qui 1'en préservaient. D'ailleurs il était décidé a toutes les concessions, même au sacrifice d'idées trés chères, dont il garderait le secret par devers lui. La seule chose sur laquelle il serait intransigeant, c'est 1'indépendance a 1'égard des pouvoirs étabhs :« Et particuherement, je mettois entre tous les excés toutes les promesses par lesquelles on retranche quelque chose de sa hberté » K Sur ce point surtout, son refuge en Hollande est un acte presque révolutionnaire. Ses pages de vérité et de certitude, il ne les dédiera ni a Louis XIII, ni a Richelieu, ni a aucun des puissants d'un instant. Pas de flagornerie, comme chez un Corneille; pas d'adulation, comme chez un Balzac. Entre la Cour et lui, il a coupé les ponts qui mènent aux honneurs, aux richesses et aux servitudes dorées : « De quoy je fais icy une declaration que je scay bien ne pouvoir servir a me rendre considerable dans le monde, mais aussy n'ay je aucunement envie de 1'estre et je me tiendray tousjours plus obligé a ceux, par la faveur desquels je jouiray sans empeschement de mon loisir, que je ne serois a ceux qui m'offriroient les plus honorables emplois de la terre » 2. 1. CEuvres, t. VI, p. 24. 2. Ibid., p. 78. CHAPITRE VII VISITE CHEZ BEECKMAN A DORDRECHT (8 OCTOBRE 1628) INSCRIPTION A L'UNIVERSITÉ DE FRANEKER (16-26 AVRIL 1629) Quand commence le second séjour de Descartes en Hollande, le principal et le plus long, puisqu'il occupe vingt années de sa vie et des plus importantes, les années de production ? On répond d'habitude : 1629; il faut dire : 1628. Le Journal de Beeckman vient, ici encore, nous apporter des clartés nouvelles. Aux motifs généraux mentionnés au chapitre précédent, ajoutez un motif particulier : Beeckman. Sans doute, il 1'avait bien négligé son ancien ami, son « promoteur » et son « auteur ». Pas un mot, pas une hgne, en ces neuf ans de vie errante et dissipée, pour rallumer les cendres d'un foyer prés de s'éteindre. Pourtant le souvenir est resté au fond du cceur, le sentiment d'une parenté intellectuelle, d'une afhnité d'esprit unique, est demeuré et, si la pensée de Beeckman n'a pas été déterminante ou si elle n'a été, pour fixer le choix, qu'une cause occasionnelle, du moins son premier soin, en abordant en Hollande, est-il d'aller le surprendre et de lui rendre visite. Oü cela ? dans cette même ville de Middelbourg oü il était destiné & le manquer; car son ignorance du sort de son ami est telle qu'il ne sait ni la nomination a l'école latine d'Utrecht, en 1619, ni 1'accession ultérieure a la dignité de Recteur du Gymnase ou école latine de Dordrecht, en 1627. Ayant fait le voyage par mer et s'étant embarqué probablement a Calais, puisque c'est la seule voie qu'il conseille, 1'été suivant, a Ferrier % il va frapper a la porte connue. L'ami Isaac s'est envolé; il le suit a Dordrecht, 1'y trouve. Que fut la 1. CEuvres, t. I, p. 13 430 DESCARTES EN HOLLANDE rencontre ? embrassades, effusions ? les Hollandais ne sont pas démonstratifs : on ne s'embrasse pas entre hommes et, s'il y eut accolade, elle fut unilaterale. Peut-être y eut-il pourtant plus d'émotion que n'en marqué le Journal de Beeckman, a la date du 8 octobre 1628 \ Soulignons cette date, eUe était inconnue avant la déeouverte du manuscrit, dont tout le passage mérite d'être traduit, car il est des plus importants. II porte pour titre : HISTOIRE DE DESCARTES ET DE SES RELATIONS AVEC MOI • Le Sr René des Cartes du Peron, qui, en 1618, a Bréda en Brabant, avait écrit pour moi le traité de la Musique, dans lequel il me révéla ses opinions sur eet art et qui est encarté dans mon Journal; le Sr des Cartes, dis-je, est venu a Dordrecht pour me rendre visite, le 8 octobre 1628, après s'être rendu d'abord de Hollande a Middelbourg, pour m'y chercher. » 2 Arrêtons-nous un instant pour un bref commentaire. Descartes était en Hollande, c'est de la qu'il s'est rendu en Zélande pour retourner ensuite a Dordrecht. Ces détours n'ont guère pu durer moins de huit jours : il faut, par conséquent, fixer son départ de France a la fin septembre au plus tard. II n'a pu assister a la prise de La Rochelle, comme le veut Borel. Encore un siège de moins, et nous en avons déja retranché quatre. Tout au plus, aura-t-il pu suivre les opérations en été. Le Journal continue : « II me disait qu'en fait d'Arithmétique et de Géométrie, il ne lui restait plus rien », dont celui-ci se sert, 1'histoire de la démonstration sur* 1 hyperbole datée du ler février, et la lettre de Reneri a la fin de mars, sont des preuves presque décisives d'un séjour ininterrompu en Hollande dans 1'hiver 1628-1629. II ne reste que quelques difficultés : la première est dans le passage de la lettre a Balzac du 15 avril 1631 1 : « Depuis deux ans que je suis dehors [Paris], je n'ay pas esté une seule fois tenté d'y retourner ». Or, deux ans avant, le 16 avril 1629 Des eartes est inscrit a Franeker. Ici il semble qu'il faille traduire deux ans par deux ans et demi. Seconde difficulté, le « Is nuper huc a vobis transivit » de Beeckman a Mersenne, mais dans une lettre non datée, et présumée par M. Adam du mois d'aoüt 1629 2. La troisième, encore moins grave, est 1'affirmation contenue dans une lettre, non datée aussi, mais qui est probablement de 1648 : « Le meilleur est de ne passer d'une extrémité a 1'autre que par degrez. Pour moy, avant que je vinsse en ce pais pour y chercher la solitude, je passay un hiver en France a la campagne, oü je fis mon apprentissage ». *v Cet hiver ne doit pas être celui de 1628-1629, mais les trois premiers mois de 1628, en cette région de 1'ouest, d'oü il envoie a Balzac le beurre qui « a gagné sa cause contre celuy de M™ ja Marquise A mon goust, il n'est guères moins parfumé que les Marmelades de Portugal qui me sont venues par le mesme messager. Je pense que vous nourrissez vos vaches de marjolame et de violettes. Je ne scay pas mesmes s'il ne croist point de canne de sucre dans vos Marais pour engraisser . ees excellentes Faiseuses de lait » ,. Descartes sait par ou le prendre cependant, car «1'ouvrier » a de 1'amour-propre et de 1 ambition : « J'avoue mon insuffisance, écrira-t-il un jour a Descartes, le 26 octobre 1630 \ qui dcit estre excusée, n'ayant jamais esté instruit en quoy que ce soit que par vous, Monsieur a qui je veux devoir toutes choses. Ce mépris [de M. Mydorgej neantmoins ne scauroit tellement me rebuter que je ne sente assez dmchnation en moy pour goüter et comprendre les veritables connoissances des sciences, qui me pourroient estre commumquées par des personnes de vostre merite, tant j'ay d'ambition de me faire connoistre par quelque chose au dela du commun ce qui me donne quelque sorte de courage pour chercher les moyens de surmonter beaucoup de difficultez qui se rencontrent dans les operations des ouvrages exquis >, Son refus de venir nempeche pas Descartes de s'employer, en octobre, par ses recommandatiens, a lui faire obtenir * une de ces chambres dans les combles du Vieux Louvre, donnant sur la Seine, auxquefies aspiraient artistes et artisans et qui sont aujourd'hui les cabinets des Conservateurs du Musée. En attendant Ferrier ou sa réponse, a quoi s'occupe le philosophe ? Sa lettre au P. Gibieuf «, qui a au J.. Anréviation de Dordrecht, dont on se sert encore aaiourd'hui en hollan- ptehiSf.rsSO6 UM t0h dC P1US ^ B<*<*man sait le francais et le parle; voir 3. CEuvres, t. I, p. 15. 442 DESCARTES EN HOLLANDE P Bérulle, comme supérieur de 1'Oratoire, datée « de Hollande ce 18 juillet 1629 », nous 1'apprend : « Je me reserve a vous importuner, lorsque j'auray achevé un petit traite que je commance, duquel je ne vous aurois rien mande quil ne fust fait, si je n'avois peur que la longueur du tans vous hst oublier la promesse que vous m'avés faite de le cornger et y adjouster la derniere main. ». Le traité fait donc partie des projets exposés aux arms do Paris et aussi sans doute a Balzac dès 1628. « Je n'espere pas en venir a bout de deus ou trois ans et peut estre apprés cela, me resoudrai-je de le brusler ou du moins il n'eschappera pas d'entre mes mains et celles de mes amis, sans estre bien considere, car si ie suis assés habile pour faire quelque chose de bon, je tascheray au moins d'estre assés sage pour ne pas publier mes imperfec- tions.» . . , Un petit traité qui sera prêt dans deux ou trois ans et qu on brülera, cela fait penser au Traité du Monde, mais la lettre du 15 avril 1630 1 au P. Mersenne, nous apprend qu'il s'agit d un ouvrage de métaphysique, qui s'appela plus tard Meditationes de prima philosophia : « J'estime que tous ceus a qui Dieu a donné 1'usage de cete raison, sont obligés de 1'employer principalemant pour tascher de le connoistre eus-mesme. C est par la que i'av tasché de commencer mes estudes et je vous diray que ie n'eusse sceü trouver les fondemans de la Physique, si je ne les eusse cherchés par cete voye. Mais c'est la matiere que j ay le plus estudiée de toutes et en laquelle, graces a Dien, je me suis aucunemant* satisf ait; au moins pensé-je avoir trouve commant on peut demonstrer les verités metaphysiques d'une facon qui est plus evidente que les demonstrations de Geometrie; je dis cecy, selon mon jugemant, car je ne scay pas si je le pourray persuader aus autres. Les 9 premiers mois » que j ay este en ce pais, ie n'ay travaillé a autre chose et je croy que vous m avies desja ouy parler auparavant que j'avois fait dessein den mettre auelque chose par escrit. » Ajoutez encore ce passage « d une lettre au 25 novembre 1630 :.« Je ne dis pas que quelque jour je 2 Ce^adVerbe-n'a naturellement pas iel le sens négatif qu'ü a pris aujour- Descartes a passés a rechercher Beeckman. 4. CEuvres, t. I, p. 182. Lr chateau de Franeker ob iiabita Descautks dans l'été 1629. 5 : Université de Franeker ou PHli.osorHE était immatriculé. [Tooneel dr sleden van de Vèreeniphde Nederlanden. Amsterdam, J. Blaeu, 16D9). A FRANEKER (ÉTÉ 1629) 443 n'achevasse un petit Traitté de Métaphysique, lequel j'ay commencé estant en Frize, et dont les prineipaux points sont de prouver 1'existence de Dieu et celle de nos ames, lorsqu'elles sont separées du corps, d'oü suit leur immortalité. » Ainsi donc, c'était a méditer sur Dieu et 1'ame et è prouver leur existence, par les seules voies de la raison, que Descartes employait les longues heures que lui laissait la vie paisible du chateau de Franeker, troublée seulement de temps a autre par les cris des étudiants attablés « au golfe de Guinée », et le seul fait qu'il ait réfléchi lè, a la place oü s'étend aujourd'hui un pré vert, devant les remparts, en contemplant le ciel ouen regardant, de sa fenêtre, du cóté de la mer, qu'on n'apercoit pas, mais dont on devine les espaces infinis, ce seul fait nous rend ce lieu sacré, comme un des temples oü s'abrita, ne füt-ce que pendant peu de mois, la plus haute pensée francaise et humaine. CHAPITRE VIII SÉJOUR A AMSTERDAM (1629-1630). INSCRIPTION A L'UNIVERSITÉ DE LEYDE (27 JUIN 1630). RETOUR A AMSTERDAM. — RUPTURE AVEC BEECKMAN. Si parfait qu'il soit a certains égards, 1'isolement dans les petites villes crée des habitudes qui ne laissent pas d'être parfois plus gênantes que 1'agitation des grandes cités. C'est ce que semble avoir éprouvé Descartes. En se plaignant de n'avoir pu décider Ferrier, il dit: «Si je 1'avois pü tirer de Paris, jel'aurois tenu icy exprés pour 1'y faire travailler et employer avec luy les heures que je perdrois dans le jeu ou dans les conversations inutiles ». 1 « Icy » dans cette lettre, qu'on date a peu prés de septembre 1629, ce ne peut être encore que Franeker, car, a Amsterdam, oü le philosophe va se réfugier, il ne veut plus de « 1'ouvrier ». II ne pourrait 1'y avoir « sans incommodité » et puis, il se prépare a partir pour 1'Angleterre dans « cinq ou six semaines » (ceci est écrit le 18 mars 1630 au P. Mersenne) 2. Mais tout de suite Descartes, qui est vraiment un bon homme, a peur de blesser Ferrier : «II n'est point de besoin, s'il vous plaist, de luy parler de cecy ni mesme que je ne suis plus en dessein de le recevoir, sinon que vous vissiez tout a bon qu'il s'y preparast, auquel cas vous luy direz, s'il vous plaist, que je vous ay mandé que je m'en allois hors de ce pa'ïs et que, peut-estre, il ne m'y trouveroit plus. Que s'il pensoit venir, encore que je n'y fusse pas, pensant y estre mieux qu'a Paris (car ceux qui n'ont pas voyagé ont quelquesfois de telles imaginations), vous le pourrez assurer qu'il y fait plus cher vivre qu'a Paris et qu'il trouveroit icy moins de personnes curieuses des choses qu'il peut faire, 1. (Euvres, t. I, p. 21. Ce passage, qui fait allusion aux efforts qu'a faits Desk eL?,our ajurer, Ferrier en Hollande, me paralt décider pour la date de septembre lt>29, conformément a 1'hypothèse de M. Tannery. 2. (Euvres, 1.1, pp. 130-131. 446 DESCARTES EN HOLLANDE qu'il n'y en a en la plus petite ville de France ».1 Les chercheurs hollandais vivent si isolés que 1'étranger a peine a les découvrir et ils ont si peu de contact entre eux qu'ils se dérobent même a leurs propres compatriotes. Descartes ne connait encore ni Huygens, ni Golius, ni Schooten. II se plaint du mauvais caractère de Ferrier, mais ajoute aussitót : « Ce n'est pas que je ne 1'ayme et que je ne le tienne pour un homme tout plein d'honneur et de bonté », dit-il, mais surtout il lui en veut de son inexactitude et de son irrésolution : « Aprés tout, je plains fort Mr Ferrier et voudrois bien pouvoir, sans trop d'incommodité, soulager sa mauvaise fortune, car il la merite meilleure et je ne connois en luy de deffaut, si non qu'il ne fait jamais son conté sur le pié des choses presentes, mais seulement de celles qu'il espere ou qui sont passées, et qu'il a une certaine irrésolution qui 1'empesche d'executer ce qu'il entreprend. Je luy ay rebattu presque la mesme chose en toutes les lettres que je luy ai écrittes, mais vous avez plus de prudence que moy pour scavoir ce qu'il faut dire et conseiller. » 2 Puis le silence se fait au point qu'au bout d'un an, Ferrier s'en émouvra et fera intervenir Gassend auprès de Descartes, par 1'intermédiaire de Reneri. Le [2 décembre 1630] 3, il rassure Ferrier sur les sentiments qu'il nourrit a son égard, tout en con-tinuant a 1'accuser de manque de persévérance : « J'ay, pour 1'amour de voos, abaissé ma pensée jusques aux moindres inven tions des mechaniques * et, lors que j'ay cru en avoir assez trouvé pour faire que la chose püt reüssir, je vous ay convié de venir icy pour y travailler et me suis offert d'en faire toute la dépense et que vous en auriez tout le profit, s'il s'en pouvoit retirer. Je ne voy pas encore que vous puissiez vous plaindre de moy jusques-la ». 5 Laissons Ferrier et revenons au .départ de Franeker pour Amsterdam. On en fixe généralement la date a octobre 1,629, d'après Baillet 6. II y a cependant un passage d'une lettre du S de ce mois, adressée au P. Mersenne, qui inviterait a faire 1. Ferrier vint néanmoins en Hollande, mais beaucoup plus tard. Cf. CEuvres, t. I, p. 19. - 2. CEuvres, t. I, p. 132. . 3. Les dates entre croehets sont celle qui ont été établies par les sagaces ïnductions de MM. Adam et Tannery. Cf. CEuvres, t. I, p. 183. 4. Entendez : < des ouvriers ». 5. CEuvres, t. I, p. 185. 6. Baillet, Vie de Descartes, I, p. 175. SÉJOUR A AMSTERDAM (1629-1630) -447 Temoiiter 1'installation de Descartes a Amsterdam, au commencement d'aoüt, voire même a la fin de juillet: « II y a plus de deux mois qu'un de mes amis m'en a fait voir icy une description assez ample »1. « Icy » c'est probablement Amsterdam-; la des-cription dont il s'agit est celle des parhélies ou fauXsoleils, obser"vés a Rome, le 20 mars 1629, par le P. Scheiner et que Gassend a transmise a Reneri, au cours d'un voyage en Hollande, y ajoutant son explication du phénomène. L'épitre latine de Gassend, commencée a Leyde, terminée a La Haye, au moment de partir, le 14 jüUlet 1629, s'exprime ainsi:«J'étais déja, revenu d'Utrecht, mon cher Reneri, lorsque me fut remise votre lettre me demandant de faire honneur a ma promesse et au désir exprimé par le noble médecin de Wassenaer, etc. » ?.- ■. . . Tout est important dans ces lignes du maitre de Molière et de Cyrano de Bergerac et, d'abord, le fait même du voyage de Gassend, dit Gassendi, aux Pays-Bas, au cceur de 1'été 1629, en compagnie de Luillier, un des corrcspondants de Théophile. II n'est pas nécessaire de supposer que celui-ci, avant de mourir, ait conseillé a son ami cette excursion ; elle fait partie de 1'éducation d'un homme de science ou de lettres, au même titre que le voyage a Rome au xvie siècle. En juillet 1629, les deux meilleurs philosophes francais (Pascal n'est encore qu'un enfant de 6 ans) sont donc en Hollande, 1'un, pour une mjssion scientifique qu'il s'était donnée a lui-même ou que Peiresc, qui en a accompli une première en 1606, lorsqu'il monta a Scheveningue surle chariot a voiles 3, lui a conseillée; 1'autre, pour un séjour prolongé dont il n'a pas cependant décidé encore la durée. Chose étrange, ils ne se rencontrèrent point : Gassend, déja célèbre par ses Exercita■tiones, n'avait pas a s'enquérir d'un jeune homme inconnu et celui-ci ten ait a son incognito. Catholiques, ils 1'étaient tous les deux : Gassend est chanoine de Digne et $ela ne 1'empêche pas 1. CEuvres. 1.1, p. 22.«Icy»n'est pas et ne peut pas être Franeker. Le 12 aoüt 1629, •donc deux mois avant la lettre du 8 octobre, Reneri écrit au Professeur Cunaeus, a Leyde, et lui demande de lui répondre : « Henrico Reneri woenende bij mijnheer Hans 1'Hennlte op de Heeregraft, by de Schans naést het Witte Paerdt tot Amsterdam ». Ms. autographe de la bibliothèque de l'Université de Leyde, communiqué .par C. de Waard. 2. Petri Gassendi Diniensis ecclesiae praepositi et in Academia parlsiensi Mathcseos regü professoris Opuscula, t. III, pp. 651-662 ; d'après une copie commutmquée par M. de Waard. . 3. Cette Invention, qui fut popularisée par la gravure, me rappelle. qu'une autre invention, celle d'un bateau a propulsion spontanee fut essayée a Rotterdam en 1653 par un Francais, nommé Du Son (Cf. Blok. Geschiedenis, t. III2 p. 104-5) et la planche, ■aux Archives de Rotterdam :« Het malle schip te Rotterdam, 1653». 448 DESCARTES EN HOLLANDE de rechercher et de cultiver les doctes protestants de Hollande. Parti de Charleville au début de février 1629 *, il visite les PaysBas et nous le trouvons, au début de juillet, a Amsterdam, oü il entre en relation avec Reneri et le docteur Wassenaer. Comment et par qui ? Par le théologien protestant André Rivet, qui nous est maintenant familier2. Le jeune Hutois, Henricus Reneri, que nous avons vu inscrit, le 13 octobre 1629, a 1'Université de Leyde, comme maitre es arts médicaux, a 1'age de 36 ans, et comme étudiant en Théologie, le 15 mars 1616, a 23 ans, ne nous est pas moins connu; Son vrai nom est Regnier, sa langue maternelle est le francais, puisqu'il est de Huy ; c'est déja un lien entre Descartes et lui. II en est un autre : tous deux sont philosophes, médecins, théologiens et physiciens en même temps, et cela est suffisant pour que, s'étant rencontrés, en mars 1629, a Amsterdam, ils deviennent amis, comme en témoigne 1'expression de la lettre de Descartes, du 8 octobre : « II y a plus de deux mois qu'un de mes amis m'en a fait voir icy une description assez ample ». Or, il n'y a que Reneri qui possède en ce moment-la, en Hollande, au commencement d'aoüt 1629, une description des parhélies. II y en a un autre auquel on peut penser cependant, c'est a ce noble docteur de Wassenaer, d'Amsterdam, dont parle Gassend, qui 1'a vu aussi et qui n'est autre que le fameux Rose-Croix, auteur de YHistorisch Verhael. On pense si Gassend, qui vient de réfuter le Rose-Croix anglais Fludd par son Examen Philosophiae Roberti Fluddi, estheureux de mettre la main sur un Rose-Croix hollandais authentique. Parti d'Amsterdam pour Utrecht, le 10 juillet, Gassend va a Leyde, passé a La Haye, et enfin a Dordrecht, oü le Journal de Beeckman nous signale sa présence en un passage extrêmement curieux et qui doit se rapporter a la seconde quinzaine de juillet. Qui lui a donné 1'adresse du recteur de Dordrecht ? Reneri, a qui Descartes aura parlé de lui ou le P. Mersenne ? Le passage est intitulé : « Ce que j'ai communiqué a mon höte, Pierre Gassendi. Gassend3 m'a communiqué cette note sur les Parhélies, 1. Cf. CEuvres, t. I, p. 127. C'est la qu'il achève son Examen Philosophiae Roberli Fluddi, qu'il adresse au P. Mersenne. 2. Cf. Gassendi (Petri) Epistolae, 1658, p. 31. 3. Beeckman écrit correctement en latin Gassendus et non le génitif Gassendiqui figure, comme il est naturel dans le titre des livres latins. Le voyage de Gassend laissa un si durable souvenir que, 14 ans après, ceux qui 1'avaient connu aux PaysBas y demandaient encore a Sorbière ce que le savant avait en préparation. Cf. Gassendi vita, de Sorbière, dans Gassendi opera, t. I, p. 5 de 1'édition de Lyon, citée: SÉJOUR A AMSTERDAM (1629-1630) 449 lorsque je lui avais donné 1'hospitalité chez moi [a Dordrecht) C'est lui qui, en 1624, a publié les Exercitationes adversus Aristotelem; il est docteur en théologie et chanoine de 1'Eglise Cathédrale de Digne. J'ai discuté avec lui de questions philosophiques et je lui ai exposé ma théorie du mouvement perpétuel, a savoir que les corps, une fois mis en branie dans le vide, continuent a s'y mouvoir sans arrêt... Ensuite je lui indiquai pourquoi la vibration d'une corde sonore entraine celle des harmoniques. Je lui démontrai la raison de la douceur des accords ». II approuva tout cela et parut 1'entendre avec autant de plaisir que d'admiration » Admiration sincère, car, dans une lettre a Peiresc 2, Gassend appelle «le Sieur Beeckman», le meilleur philosophe qu'il ait encore rencontré, mais admiration pas toujours justifiée car Beeckman semble s'être paré des plumes du paon et avoir exposé les idéés cartésiennes, pêle-mêle avec les siennes. Comme Gassend, comme Wassenaer, comme Reneri, qui lui cn a demandé 1'exphcation, Descartes est préoccupé du phénomène observé a Rome. C'est ce qu'il explique, le 8 octobre 1629 au P. Mersenne, qui 1'a, lui aussi, interrogéa ce sujet, maisil n'a point «l'espnt asses fort, dit-il avec la modestie du grand savant pour 1'employer en mesme temps a plusieurs choses differentes' et comme je ne trouve jamais rien que par une longue traisnée de diverses considerations, il faut que je me donne tout a une matiere, lorsque j'en veux examiner quelque partie. » Plus famihèrement exprimées, ce sont déja « ces longues chaines de raisons, toutes simples et faciles, dont les Geometres ont coustume de se servir pour parvenir a leurs plus difficiles demonstrations , ou encore les troisième et quatrième préceptes de la Méthode • «Le troisiesme de conduire par ordre mes pensées en commencant par les objets les plus simples et les plus aysez a connoistre, pour monter peu a peu, comme par degrez, jusques a la connoissance des plus composez et supposant mesme de 1'ordre entre ceux qui ne se precedent point naturellement les uns les autres.» * i^rs&^Asrtb afar «^jsfia-aa 1. On trouvera le texte latin complet au t. X, p. 37, note b 2 Correspondance de Peiresc, IV, p. 201. Cf. ffiuwes de Descartes I n 1fiQ mV=s^ 29 450 DESCARTES EN HOXLANDE « Et le dernier, de faire partout des denombremens si entiers et desreveties si generales que je f usse assuré de ne nen omettre.» II lui a donc fallu interrompre ce qu'ü avait sur le métier, c'est-a-dire les MedUationes, pour examiner par ordre « tous les Meteores » « Mais je pense maintenant en pouvoir rendre quelque raison et suis resolu d'en faire un petit Traitte, qui c^ntiendra la raison des couleurs de 1'Arc en Ciel... et generalement tous les Phainomenes sublunaires... Au reste, je vous pne de n'en parler a persönne du monde, car j'ay resolu de 1 exposer en public, comme un échantillon de ma Philosophie et d estre caché derrière le tableau pour ecouter ce qu'on er. dira » Dans une oeuvre, il faut toujours distinguer la date de pubhcation la date de 1'achèvement, la date de la conception, mais il est rare que 1'on puisse les établir toutes avec une rigueur suffisante : ici, c'est le Traité des Météores, dont on surprend le eerme et ce Traité est envisagé comme un échantillon de sa phüosoVie, c'est pourquoi il sera précédé, en 1637, du Discours de la Méthode. . , . . L'exécution est bientöt retardée par 1'élargissement du plan . Je neTaisse pas, écrit-il, le 13 novembre 1629* a son fidele conhdent Mersenne, de vous en avoir tres grande obhgation et encores plus de 1'offre que vous me faites de faire impnmer ce petit traité que j'ay dessein d'escrire, mais je vous diray qu I neLa pas prest de plus d'un an. Car, depuis le tans que je vous avoTs escrit, il y a un mois, je n'ay rien fait du tout qu'en traeer l^gumant, et, au lieu d'expliquer un Phaenomene seulemant, \Zïïiïó* resolu d'exphquer tous les Phaenomenes de la nature c'esïa-dire toute la Physique. Et le dessein que j'ay me contente Plus qu'aucun autre que j'aye jamais eü, car je pense avoir trouve un moyen pour exposer toutes mes pensées en sorte qu elles ÏÏüSSnt a quelques uns et que les autres n'auront pas occasion d'leT8rdtcrembre suivant * il reparle de son livre, sur lequel ü est résolu a ne pas mettre son nom : ü le soumettra a la censure ae Me« ei d'autres . des plus habiles, pnncipalement a ca Je 2■ la Theologie, laquelle on a tellemant assujettie a Ans- ï %UV°£j?l?VMïttk Stó1*^ - a la p. 23. 3! Ibid., p. 85. SÉJOUR A AMSTERDAM (1629-1630) 451 tote, qu'il est presque impossible d'expliquer une autre Philosophie, sans qu'elle semble d'abbord .contre la foy. » Dans la lettre datée « d'Amsterdam, 18 décembre 1629 »1 Descartes se plaint de sa propre paresse. LeS grands inventeurs sont des paresseux ou du moins leur inaction apparente correspond è un travaü intérieur inconscient ou subconscient qui éclate soudam en traits de lumière : « J'ay envie de me mettre un mois ou deus a travailler tout de bon; je n'ay pas encore tant escrit de mon traité qu'il y a d'escriture en la moitié de cette lettre et j en ay grand honte ». Malgré ces belles promesses faites a soi-même, on n'est pas encore fort avancé, le 15 avril 1630 *: « Cela ne m'empeschera pas d achever le petit traité que j'ay commencé, mais je ne desire pas qu on le scache, affln d'avoir tousjours la hberté de le desavoueretj'y travawe fort lentemant, pourcequeje prensbeaucoup plus de plaisir a m'instruire moy-mesme que non pas a mettre parescntlepeuqueje scay. J'estudie maintenant en chymie et en anatomie tout ensemble, et apprens tous les jours quelque chose que je ne trouve pas dedans les livres... Au reste je passé si doucemant le tans, en m'instruisant moy-mesme, que je ne me mets jamais a escrire en mon traité que par contrainte et pour m acqmter de la résolution que j'ay prise qui est, si je ne meurs de le mettre en estat de vous 1'envoyer au commencement de 1 annee 1633. Je vous determine le tans pour m'y obliger davantage,etaffin que vous m'en puissiés faire reproche si j'y manque Au reste, vous vous estonnerés que je prene un si long terme pour escrire un discours qui sera si court que je m'imagine qu'on le pourra lire en une apprés-disnée, mais c'est que j'ay plus de soing et croy qu'ü est plus important que j'apprene ce qui m'est necessaire .pour la conduite de ma vie, que non pas que ie m amuse è pubher le peu que j'ay appris. « Que si vous trouvés estrange de ce que j'avois commencé quelques autres traités, estant a Paris» lesquels ie n'ay pas continues je vous en diray la raison : c'est que, pendant que J y travaülois, j acquerois un peu plus de connoissance que ie n en avois eu en commencant, selon laquelle me voulant accom- 1. CEuvres, t. I, j>. 104. 2. Ibid., pp. 136-138. 3. Allusion sans doute a l'Aleèhr»» t an-r n<,„„i„. „j .. ., plus haut, p. 418, n. 1. A18eDre et aux Regulae ad direetionem ingenii, voir 452 DESCARTES EN HOLLANDE moder, j'estois contraint de faire un nouveau projet un peu plus grand que le premier, ainsi que sy quelqu'un ayant commencé un bastimant pour sa demeure, acqueroit cependant des richesses qu'il n'auroit pas esperées et changeoit de condition, en sorte que son bastimant commencé fust trop petit pour luy, on ne le blasmeroit pas, si on luy en voyoit recommancer un autre plus convenable a sa fortune. Mais ce qui m'assure que je ne changeray plus de dessein, c'est que celuy que j'ay maintenant est tel que, quoy que j'apprene de nouveau, il m'y pourra servir et, encore que je n'apprene rien de plus, je ne laisseray pas d'en venir a bout. » Le « petit Traité » dont il est question ici n'est rien moins, cette fois, que le Traité du Monde, la preuve en est dans cette phrase de la lettre du 23 novembre 1630 : « La promesse que je vous ay faite d'avoir achevé mon Monde dans trois ans ». 1 La correspondance avec Mersenne, si variée et si intéressante, dans laquelle les questions de physique succèdent a celles de métaphysique et oü 1'on trouve jusqu'a la discussion d'un projet de langue universelle \ s'interrompt a la fin de mai 1630. C'est que le bon religieux, dont la curios'té est aussi générale que dépourvue de préventions, a voulu, non seulement rendre visite a son ami, mais interroger lui-même les érudits hérétiques de Hollande. En juin, il est a Bruxelles 3 (la guerre ne suspendait pas alors les voyages). A la fin du mois, il a dü retrouver Descartes a Leyde oü, interrompant, pour peu de temps, son séjour a Amsterdam, il s'est fait, nous 1'avons vu, immatriculer a l'Université, le 27 juin (cf. pl. XXXVI b.) : Rënatus Descartes Picto, studiosus matheseos, annos natus xxxiii. Bij Cornelis Heymenss. van Dam. II est impossible de ne pas prendre, au sérieux cette immatriculation de Descartes, car, étant a Amsterdam, rien ne le forcait de venir s'installer a Leyde, et il y est bien installé, puisque VAlbum Studiosorum indique même son domicile. Après avoir essayé de la science d'Adrien Metius a Franeker, il aura voulu goüter aussi celle de Golius, le mathématicien orientaliste, qui lui posera, a la fin de 1'année suivante, le problème de Pappus, 1. CEuvres, t. I, p. 179. 2. Ibid., pp. 76, 112, 126. 3. Cf. CEaetes, t. I, pp. 147 et 151. Planche XXXVÏ d. Ikscription de Descartes sur l'Albu,m Studiosorum de l'Université de Franeker a la date du 16-36 avril 1629. (Archives de Leeuwarden). Planche XXXVI b. p tr CD X X a CD Inscription de Descartes sur l'Album Studiosorum de l'Université de Leïde, le 27 juin i63o. a l'université de leyde (27 juin 1630) 453 et a qui il soumettra, en janvier 1632, le manuscrit de la première partie de sa Dioptrique \ II retrouve, sur les bancs de l'Université de Leyde, 1'excellent astronome Martin Hortensius (1605-1639), inscrit pour les mathématiques depuis le 7 mai, qui fait des observations solaires avec Beeckman, et qui reste aussi en relations avec Descartes, même en janvier 1632 2. Peut-être celui-ci a-t-il voulu surtout rejoindre Reneri, qui y est depuis le début de janvier 1630, et cela a obligé ce dernier a laisser « a un ami fidéle et savant », qui pourrait bien être Descartes, le soin de surveiller 1'impression de 1'explication de la parhélie. L'auteur, Gassendi», écrit a Reneri, par 1'intermédiaire de Rivet et, le 8 février suivant, lui donne les conseils qu'il a demandés sur 1'éducation des enfants dont il est devenu précepteur*. Reneri est encore a Leyde en septembre 1630, puisque c'est la que Gassend lui écrit de Paris le 8 6. Descartes retourne a Amsterdam, d'oü ü se remet a écrire au P. Mersenne, le 4 novembre. C'est pour parler de la mésaventure survenue au Religieux a Anvers et qui doit se placer en septembre ou octobre précédent : « Pour vostre fortune d'Anvers, je ne la trouve pas tant a plaindre et je croy qu'il est mieux que la chose se soit passée ainsi que si on eüst sceü, long-temps aprés, que vous estiez venu en ces quartiers, comme il estoit malaisé qu'on ne le sceüst». 6 Le clèrgé séculier et régulier n'était pas, semble-t-il, aussi tolérant en Belgique qu'en France, et, a ce que raconte Baillet 7 « Lorsque le P. Mersenne fut arrivé a Anvers, il y trouva des gens qui avoient appris une partie de ce qu'il avoit fait en Hollande et qui pensèrent lui susciter des affaires a ce sujet. II paroit que ses confrères surtout et quelques autres catholiques scrupuleux, voulurent lui faire un crime du danger oü il avoit exposé la sainteté de sa robe et des démonstrations d'amitié qu'il avoit données et recues de plusieurs hérétiques couverts du manteau de scavans ,.. Allusion a Rivet, dont le neveu, Pineau, dans 1. CEuvres, t. i, p. 234. Biogr%db*ï.t tlUM ^ de dC Waard SUr Hortensius, dans Nieuw Ned. 5. Ibid., pp. 37-38. 6. CEuvres, t. i, p. 171. 7. Cf. Ibid., p. 176. 454 DESCARTES EN HOLLANDE une correspondance encore inédite, va jusqu'a nommer le P. Mersenne «le moine huguenot» ! Le voyage du Minime fut 1'occasion d'un autre incident plus grave : la rupture de Descartes avec Beeckman. Celui-ci, dans maintes lettres a Mersenne, écrites en 1629 et 1630, avait employé des expressions qui avaient blessé profondément le philosophe :« C'est lui a qui j'avais communiqué, il y a dix ans, ce que j'avais écrit sur les causes de la douceur des accords»1, écrit le recteur de Dordrecht, en aoüt 1629. Descartes répond a Mersenne, dès le 8 octobre 2: « Vous m'avez extremement obligé de m'advertir de 1'ingratitude de mon amy; c'est, je crois, 1'honneur que vous luy avez fait de luy escrire qui 1'a éblouy et il a cru que vous auriez encore meilleure opinion de luy, s'il vous écrivoit qu'il a esté mon maistre, il y a dix ans. Mais il se trompe fort, car quelle gloire y a-t-il d'avoir instruit un homme qui ne scait que tres peu de chose et qui le confesse librement comme je fais ? » II revient sur ce sujet dans une autre lettre, datée d'Amsterdam, janvier 1630 3 : « Je vous jure que, du temps que ce personnage se vante d'avoir écrit de si belles choses sur la Musique, il n'en scavoit que ce qu'il avoit appris dans Faber Stapulensis 4... je blame son peu de reconnoissance, laquelle j'ay découvert en beaucoup d'autres choses qu'en ce que vous m'avez mandé, aussi n'ay-je plus de commerce avec luy. » Ce n'est qu'une interruption des relations, ce n'est pas encore la rupture; celle-ci surviendra après que Beeckman aura montré a Mersenne son Journal tout f arci de propositions cartésienues dont il se serait prétendu 1'inventeur. La mesure estcomble, et Descartes, en septembre ou octobre 1630, lance sur 1'impertinent ses foudres latines : « Je vous ai redemandé 1'an dernier ma « Musique », non paree que j'en avais besoin, mais paree qu'on m'avait dit5 que vous en parliez comme si je 1'avais apprise de vous. Je n'ai pas voulu cependant vous 1'écrire tout de suite pour ne pas paraitre douter de la fidélité d'un ami, sur le propos d'un tiers. Maintenant qu'il m'est confimé que vous préférez une sotte vantardise a 1'amitié et a la vérité, je vous avertis, en peu 1. CEuvres, t. I, p. 30. 2. Ilid., p. 24. £ .qA«* 8. Ibtd., pp. 110 et 111. 4. Lefèvre d'Etaples. . . . . . i.o 5. Sans doute Gassend, par 1'intennédiaire de Mersenne, voir plus haut, p. 448. RUPTURE AVEC BEECKMAN (1630) 455 ■de mots que, si vous dites avoir appris quelque chose a quelqu'un, quand ce serait vrai, cela est odieux; que, si c'est faux, c'est plus odieux encore ; mais que c'est le plus odieux, lorsque vous 1'avez apprise de lui-même. Sans aucun doute, vous avez été induit en erreur par la politesse de notre langue francaise \ quand, soit en conversation, soit par lettre, je vous ai souvent affirmé que j'avais appris beaucoup de choses de vous, que j'attendais beaucoup d'aide de vos observations... En ce qui me concerne, je me moque de tont cela, mais au nom de notre vieille amitié, je vous avertis que vous nuisez beaucoup a votre propre réputation en vous vantant ainsi devant ceux qui me connaissent. Et je vous avise de ne pas leur montrer mes lettres comme preuves 2, car ils savent que j'ai coutume de m'instruire même auprès des fourmis et des vermisseaux. » Assurément 1'urbanité francaise est ici oubliée : elle I'est davantage encore dans la lettre du 17 octobre, qui est presque un mémoire en latin 3. Les reproches a Beeckman ne sont pas fondés sur une dénonciation du P. Mersenne, mais sur la lettre que le recteur lui-même vient d'écrire a Descartes, après un silence réciproque, et dans laquelle il 1'invite a revenir vers lui, s'il désire le consulter pour ses études, ajoutant qu'il .y trouveraitplus de pro fit que chez n'importe qui. « Que votre stupidité et votre ignorance de vous-même fussent assez grandes pour croire que vraiment j'aie pu apprendre davantage de vous que ce que j'ai coutume de tirer des autres choses qui sont dans la nature, je ne pouvais le soupconner. Ne vous souvenez-vous donc pas, lorsque je m'öccupais de ces études, dont vous avouiez n'être pas capable..., combien vous m'avez importnné et combien vous avez souhaité d'en entendre plus long...? Maintenant je reconnais a toute évidence, par vótre dernière lettre, que vous avez pêché, non par malice, mais par insanité... » > 1. Clerselier traduit ((Euvres de Descartes, édition Cousin, t, VI, p. 142) «la civilité du style francais». Le texte porte : « Te procul dubio GaUici styli fefellit urbanitas.» Lette preuve s ajoute a celles que nous avons données (p. 380 et p. 441) que les deux amis s entretenaient en francais. A Bréda, ils se sont cependant abordés en latin. Cf. Ia fin de la lettre du 17 octobre 1630, t. I, p. 167 : « Cum in urbe militari m qua versabar, te unum invenlrem qui latine loqneretur. > 2. Ceci est un témoignage d'authenticité, »'il en était besoin, des lettres deieunesse de Descartes, msérées dans le Journal de Beeckman. 3. (Euvres, t. I, p. 157. La précédente épitre est a la p. 156. 456 DESCARTES EN HOLLANDE La suite, oü il cherche des remèdes a cette folie, est d'un pédantisme fort désagréable: «Vous comprendrez facilement que je n'aie pu apprendre plus de cette Mathématico-physique que vous rêvez avoir faite, que de la Batrachomyomachie... Vous écrivez que 1'Algèbre que je vous ai donnée n'est plus mienne ; vous avez écrit la même chose ailleurs au sujet de ma « Musique ». II 1'accuse d'en avoir demandé les autographes, dont lui-même n'a pas de copie, pour les lui faire oubher et les posséder seul et d'en être le recéleur. II invite son correspondant a croire qu'il lui écrit, non sous 1'empire de la colère ou par mauvais gré, mais par amitié véritable; ce qui ne 1'empêche pas de reparler de la maladie de Beeckman, de faire une allusion blessante a la Zélande, üe barbare, patrie des moutons et des sabotiers, comme disait Paul de Middelbourg, prédécesseur de Galilée. Heureusement le latin ne tire pas a conséquence et c'est dans tous les sens qu'il brave 1'honnêteté. Descartes, qui, au fond, était bon ami, semble avoir été pris de remords et, a son retour d'un voyage en Danèmark, dans 1'été 1631, ayant appris que le recteur était malade, il 1'alla voir a Dordrecht1. En octobre 1631, ils dinent ensemble ; Beeckman écrit en elf et a Mersenne, le 7 : « Le Sr des Cartes avec qui j'ai diné, il y a quelques jours a Amsterdam, relève d'une assez grave maladie ». En tout cas, les relations s'espacent et le philosophe se garde d'écrire aussi souvent 2, mais ils se rendent visite, car, le 14 aoüt 1634, par exemple, Descartes mande d'Amsterdam au P. Mersenne 3: «Le Sieur Beecman vint icy samedy au soir et me presta le livre de Galilée ; mais il 1'a remporté a Dort ce matin, en sorte que je ne 1'ay eu entre les mains que trente heures.» Lorsque Beeckman mourut, le 20 mai 1637, Descartes écrivit au pasteur Colvius, qui lui avait appris la nouvelle, un billet4 qui ne semble pas marquer une douleur excessive : « Monsieur, « En passant par cette ville au retour d'un voyasge oü j'ay esté plus de six semaines, j'y ai trouvé la lettre que vous avez 1. Cf. un fragment de lettre a Vlllebressleu, publié par Baillet. CEuvres de Descartes, t. I, p. 215. 2. Voir cependant (Euvres, t. i, p. 307 et s. 3. Ibid., p. 303. 4. Découvert a Munlch par le professeur D. J. Korteweg, publié par 1 abbé G. Monchamp (Isaae Beeckman ei Descartes, brochure, Bruxelles, 1895) et reproduit dans CEuvres de Descartes, t. i, pp. 379-380. MORT DE REECXMAN 457 pris la peine de m'escrire, par laquelle j'apprens les tristes nouveües de la mort du S' Beeckman, lequel je regrette, et jem'asseure que, comme ayant esté 1'un de ses meüleurs amis, vous en aurez eu de 1'affliction. Mais, Monsieur, vous scavez beaucoup mieux que moy que le tems que nous vivons en ce monde est si peu de chose a comparaison de 1'eternité, que nous ne nous devons pas fort soucier si nous sommes pris quelques années plutost ou plus tard. Et M' Beeckman ayant esté extremement philosophe, comme il a esté, je ne doute point qu'ü ne se fust resolu dés long temps a ce qui luy est arrivé. Je souhaite que Dieu 1 ait üluminé, en sorte qu'il soit mort en sa grace, et je suis, Monsieur, vostre tres humble et affectionné serviteur. Des Cartes. » Ce fut le seul« regret » du phüosophe è son « auteur »et «promoteur » de 1'hiver 1618-1619. CHAPITRE IX SUITE DU SÉJOUR A AMSTERDAM (HIVER 1630-1631) Après 1'exécution magistrale et un peu pédante de Beeckman Descartes se remet a son Traité du Monde et, dès le 25 novembre 1630.il rend compte, a son confldent habituel, del'étatd'avancement de 1'ceuvre. II est ennuyé de ce que le P. Mersenne ait montré a Mydorge la lettre précédente, paree que ses épitres « sont ordinairement écrittes avec trop peudesoin pour merker d'estre veües par d'autres que ceux a qui elles sont adressées»1 et paree qu'ü ne veut pas qu'on sache qu'il a 1'intention d'imprimer la Dioptrique. II a vraiment cette phobie de la puMication, fréquente chez les hommes de valeur, en France surtout; de la facon qu'il y travaüle, « elle ne scauroit estre préte de long-tenrps. J'y veux inserer un discours oü je tacheray d'expliquer la nature des couleurs et de la lumière, lequel m'a arresté depuis six mois et n est pas encore a moitié fait, mais aussi sera-t-il plus long que je ne pensois et contiendra quasi une Physique toute entière, en sorte que je pretens qu'elle me servira pour me dégager de la promesse que je vous ay faite d'avoir achevé mon Monde, dans trois ans, car c'en sera quasi un abregé. Et je ne pense pas, apres cecy, me respudre jamais plus de faire rien imprimer au moins moy vivant, car la fable de mon Monde me plaist trob pour manquer a la parachever, si Dieu me laisse vivre assez long-temps pour cela, mais je ne veux point répondre de 1'avemr...»2 La lettre suivante au même correspondant, datée du 2 décembre trahit toujours la préoccupation presque maladive de derober sa personne et ses ceuvres a la curiosité publique : « Si 1. CEuvres, t. I, p. 178. 2. Ibid., p. 179. 460 DESCARTES EN HOLLANDE on vous demande oü je suis, je vous prie de dire que vous n'en estes pas certain, pource que j'estois en résolution de passer en Angleterre 1, mais que vous avez receü mes lettres d'icy et que, si on me veut écrire, vous me ferez tenir leurs Lettres. Si on vous demande ce que je fais, vous direz, s'il vous plaist, que je prens plaisir a estudier pour m'instruire moy mesme, mais que, de 1'humeur que je suis, vous ne pensez pas que je mette jamais rien au jour et que je vous en ay tout a fait osté la creance ». 2 Le 23 décembre, Descartes reparle de son ouvrage. Rien de plus intéressant que de pénétrer ainsi dans 1'atelier du maitre et d'y assister a la succession des esquisses et des ébauches préliminaires au chef-d'ceuvre : « Je vous diray que je suis maintenant aprés s a demesler le chaos, pour en faire sortir de la lumière, qui est 1'une des plus hautes et des plus difficiles matieres que je puisse jamais entreprendre, car toute la Physique y est presque comprise. J'ay mille choses diverses a considerer toutes ensemble pour trouver un biais par le moyen duquel je puisse dire la verité, sans estonner 1'imagination de personne ny choquerles opinions qui sont communément receües. C'est pourquoy je desire prendre un mois ou deux a ne penser a rien autre chose. » Le philosophe cherche plus a convaincre qu'a émerveiller, a la différence de beaucoup d'alchimistes, d'astrologues et même de philologues de son temps. Une fois de plus, ses théorie* fussent-elles même en partie caduques aujourd'hui, il est le savant moderne, pour qui 1'effet produit n'est rien, la vérité, tout. Cette intéressante correspondance avec Mersenne subit une interruption apparente de plus de neuf mois, due peut-être a la noyade des papiers de Descartes dans la Seine, lorsque Chanut, après la mort de celui-ci, les envoya de Suède en France a Clerselier. La lacune est en partie comblée par un remarquable échange de lettres avec Balzac au printemps 1631. Quand Descartes écrit « al unico eloquente », il taille sa plume avec plus de soin, la trempe dans de 1'encre dorée; il poüt son t. Toujours ce voyage qui n'eut jamais lieu. Le 11 juin 1640, Descartes dira encore : « Bien qu*il y ait plus de dix ans que j'ay eu envie d'aller en Angleterre • Note de MM. Adam et Tannery; (Euvres, t. I, p. 192. 3. InutUe'de souUgner'la familiarité de 1'expresslon qui n'est pas du francais trés littéraire, mais s'entend encore bien souvent dans la conversation. SÉJOUR A AMSTERDAM (1630-1631) 461 style qui, s'il gagne en grace mignarde, perd de ce naturel qu'on goüte dans la correspondance avec le moine. II use même d'une urbanité qui va jusqu'a la flatterie et, quoiqu'on y sente une admiration sincère, elle n'est pas exempte d'exagération 1: « Cette nouvelle [que Balzac est a Paris] m'a fait connoistre que je pourrois estre maintenant quelqu'autre part plus heureux que je ne suis icy, et, si 1'occupation qui m'y retient n'estoit, selon mon petit jugement, la plus importante en laquelle je puisse jamais estre employé 2, la seule esperance d'avoir 1'honneur de vostre conversation et de voir naistre naturellement devant moy ces fortes pensées que nous admirons dans vos ouvrages, seroit suffisante pour m'en faire sortir. Ne me demandez point, s'il vous plaist, quelle peut estre cette occupation que j'estime si importante, car j'aurois honte de vous la dire : je suisdevenu si philosophe que je méprise la plus-part des choses qui sont ordinairement estimées et en estime quelques autres dont on n'a point accoustumé de faire cas. Toutesfois, pour ce que vos sentimens sont fort éloignez de ceux du peuple et que vous m'avez souvent témoigné que vous jugiez plus favorablement de moy que je ne meritois, je ne laisseray pas de vous en entretenir plus ouvertement quelque jour, si vous ne 1'avez point desagreable. ■ II a levé un coin du rideau derrière lequel il se cache pour repenser le Monde. Aussi se reprend-il aussitót, afin de donner le change a son illustre correspondant : « Pour cette heure, je me contenteray de vous dire que je ne suis plus en humeur de rien mettre par écrit, ainsi que vous m'y avez autresfois vü disposé. Ce n'est pas que je ne fasse grand état de la reputation, lors qu'on est certain de 1'acquerir bonne et grande, comme vous avez fait, mais pour une mediocre et incertaine telle que je la pourois esperer, je 1'estime beaucoup moins que le repos et la tranquillité d'esprit que je possede. » Puis, quelques détails précieux sur sa vie quotidienne. Le 1. CEuvres, t. I p. 198. beau^unnln? rf,taM l* bl»«l"ons de ses lettres, sans quoi 11 nous en manquerait servl Slft^'iv?115 cettf Dhras* et dans une des suivantes, paralt avoir P0"1,6 début du Discours de la Méthode (t. VI p. 3) : « que, rêgardant d'un ai? ™,f^P*e 1?S diVeFSeS ÏStten»1 et entrePrises de ïous lef homles 11 n'y en extrémeT,m * ne ***** P35 de recevoir une ui writé It ria±™ d" PJ°f1? ^ je Pense avolr desja fait en la recherche de irtfe?tl^ hlMJ^CeVOlr de ^ «P"««» Pour 1'avenir que si, entre les occu&?L™3ïïS,-PSrement hommes', U y en a quelqu'une qui solt solidement bonne et importante, j'ose croyre que c'est ceUe que j'ay choisie.» 462 DESCARTES EN HOLLANDE passage ést exquis et presque d'un poète : « Je dors icy dix heures toutes les nuits et, sans que jamais aucun soin me réveille, aprés que le sommeil a longtemps promené mon esprit dans des buys, des jardins et des palais enchantez, oü j'éprouve tous les plaisirs qui sont imaginez dans les Fables, je mesle insensiblement mes réveries du jour avec celles de la nuit et, quand je m'apercoy d'estre éveillé, c'est seulement afin que mon contentement soit plus parfait et que mes sens y participent, car je ne suis pas si severe que de leur refuser aucune chose qu'un philosophe leur puisse permettre, sans offenser sa conscience. » Ce gracieux badinage compléte le portrait que nous pouvons nous tracer de Descartes. Le savant francais n'est pas exclusivement un algébriste ni un alchimiste, ni un métaphysicien, ni surtout un pédant de collége, il est un « honnête homme » au sens du Chevalier de Méré, pour qui « 1'honnêteté » est 1'art « d'exceller en tout ce qui regarde les agréments et les bienséances de la vie » 1. Descartes termine par un trait qui n'est plus, cette fois, d'honnêteté, mais de galanterie : « Enfin il ne manque rien icy que la douceur de vostre conversation, mais elle m'est si necessaire pour estre heureux que peu s'en .faut que je ne rompe tout mes desseins, afin de vous aller dire de bouche que je suis de tout mon cceur, Monsieur, etc. » 2 On devine le ton de la réponse que Balzac parait avoir envoyée poste pour poste 3, le 25 avril 1631 4. A la finale de la lettre de Descartes, Balzac ne peut faire moins que.de répondre par un empressement égal et une volonté de conjonction identique : i Je ne vis plus que de 1'esperance que. j'ay de vous aller voir a Amsterdam et d'embrasser cette chere teste, qui est si pleine de raison et d'inteiligence... La conqueste de la verité, a laquelle vous travaillez avec tant de force et de courage, me semble bien quelque chose de plus noble que tout ce qui se fait avec tant de bruit et de tumulte en Allemagne et en Italië. Je ne suis pas si vain que je pretende devoir estre compagnon de vos travaux, 1. CEuvres de Méré, t. I, p. 264, cité par M. L. Brunschvicg dans sa remanjuable édition des Pensées et Opuscules de Pascal, 6« éd.; Paris, Hachette, 1912, un voL in-16, p. 116. 2. CEuvres, t. I, p. 199.' 3. Dans ce cas, conjecturent les éditeurs.lalettre de Descartes est du 15 avril 1631. Cf. CEuvres, t. I, p. 196. 4. CEuvres, t. I, p. 199-201. Lettre a balzac sur Amsterdam (1631) 463 mais j'en seray pour le moins le spectateur et m'enrichiray assez du reste de la proye et des superfluitez de vostre abondance. » « Ne pensez pas que je face cette proposition au hazard, je parle fort serieusement et, pour peu que vous demeuriez au lieu oü vous estes, je suis Hollandois aussi bien que vous, et Messieurs les Estats n'auront point un meilleur citoyen que moy, ni qui ait plus de passion pour la liberté. Quoy que j'aime extremement le ciel d'Italie et la terre qui porte les orangers, vostre vertu seroit capable de m'attirer sur les bords de la mer Glaciale et jusqu'au fond du septentrion. Dy a trois ans que mon imagination vous cherche et que je meurs d'envie de me reunir a vous, afin de ne m'en separer jamais et de vous tesmoigner... etc. » Pour marquer « son ressentiment », comme on disait alors, d'une telle affection, Descartes répond, semble-t-il, aussitót, au début de mai, pour inviter Balzac a le rejoindre a Amsterdam, dont il va lui faire un magmfique éloge ; il en faut peser les termes pour retenir ce qui nous initie a la vie de Descartes dans la grande cité du Nord1 : « Mesme vous devez pardonner a mon zele, si je vous convie de choisir Amsterdam pour votre retraite et de le preferer, je ne vous diray pas seulement & tous les Convens des Capucins et des Chartreux, oü force honnestes gens se retirent, mais aussi a toutes les plus belles demeures de France et d'Italie, mesme a ce celebre Hermitage dans lequel vous estiez 1'année passée. Quelque accomplie que puisse estre une maison des chams, il y manque tousjours une infinité de commoditez, qui ne se trouvent que dans les villes, et la solitude mesme qu'on y espere, ne s'y rencontre jamais toute parfaite. » C'est un souvenir, frais encore, des inconvénients de Franeker, hts sans matelas et hótes a 1'importune bienveillance. Descartes n'a rien d'un philosophe cynique ni d'un cénobite, il ne croit pas qu'un certain luxe soit nuisible a 1'exercice de la pensée spéculative et une maison confortable lui parait plus propre a la méditation que la grande amphore de Diogène2. Descartes oppose sa soütude, parmi la foule bruyante et les fossés hollan- 1. CEuvres, t. I, pp. 202-203. 2. Je n'écris pasle tonneau, paree qu'il n'y eu avait pas de son temps. C'est PHne 1 ancien qui le premier en signale 1'invenüon. 464 DESCARTES EN HOLLANDE dais, a la « vallée solitaire et au canal qui fait réverles plus grans parleurs », qu'a vantée Balzac 1: « En cette grande ville oü je suis, n'y ayant aucun homme, excepté moy, qui n'exerce la marchandise, chacun y est tellement attentif a son pro fit, que j'y pourrois demeurer toute ma vie sans estre jamais vü de personne. » « Le souiy d'amasser fit tout seul vostre étude » dira d'Hénault dans son sonnet «sur les Hollandois » 2. Les marchands se hatent sous les arcades de la Bourse, sur le Dam, ou le long du Rokin; au milieu d'une foule bariolée oü les Arméniens, les Arabes, les nègres et les princes malais arrêtent a peine les regards, comment le gentilhomme francais, a la grande cape noire, a col et rabat blancs, ne passerait-il pas inapercu ? « Je me vais promener tous les jours parmy la confusion d'un grand peuple avec autant de liberté et de repos que vous scauriez faire dans vos allées et je n'y considere pas autrement les hommes que j'y voy que je ferois les arbres qui se rencontrent en vos forests ou les animaux qui y paissent. » Ce n'est pas trés poh pour ses hótes, mais comment lui, qui n'a pas 1'ceil lumineux d'un Rembrandt, pourrait-il s'intéresser aux gros « staalmeesters », aux maitres de 1'étalon du drap, bouffis de graisse et de contentèment d'eux-mêmes sous leur houppelande noire. Leurs profits ne sont pas les siens et il a pour leurs gains le même mépris qu'ils ont pour son titre, qui rapporte moins que ceux de la Compagnie des Indes. « Que si je fais quelquefois reflexion sur leurs actions, j'en recoy le mesme plaisir que vous feriez de voir les païsans qui cultivent vos campagnes, car je voy que tout leur travail sert a embelhr le heu de ma demeure et a faire que je n'y aye manque d'aucune chose. Que s'il y a du plaisir a voir croitre les fruits en vos vergers et a y estre dans 1'abondance jusques aux yeux, pensez-vous qu'il n'y en ait pas bien autant a voir venir icy des vaisseaux qui nous aportent abondamment tout ce que produisent les Indes et tout ce qu'il y a de rare en 1'Europe ? » li Lettres de M. de Balzac; éd. de 1628, livre premier, pp. 123 a 128, citées dans les CEuvres de Descartes, t. I, p. 203, note a. 2. Manuscrit 3208 dé la Bibliothèque Sainte-Geneyiève, cité par F. Lachèvre, Uiblwgraphie des Kecueils collectils ae poesie, i. ui, p. dia. LETTRE A HALZAG SUR AMSTERDAM (1631) 465 On sait quel cri d'admiration la grande ville hollandaise arrachera a Sorbière en 1660 * : « La ville d'Amsterdam a atterme cette année son poids des marchandises, six mille livres par jour, qui viennent a plus de sept mille de nostre monnoye Elle a tracé vingt deux bastions pour son agrandissement, qui cousteront cinq eens mille livres chacun... sa Maison de Ville coustera huict millions 2 avant qu'elle soit achevée... Les Mats de six mille vaisseaux sont tousjours au Port la representation d une grande Forest, quoy qu'il en parte quelquesfois six eens voiles dans un jour... La Banque a tousjours plusieurs millions en argent monnoyé qui croupit dans les caves, sans celuy que la ville met en usage... « II me resteroit beaucoup de choses a dire de ce miracle du monde, de cette ville assise sur la pointe de cent millions d'arbres » et dont le prodigieux commerce fait non seulement qu'elle abonde de tout ce qui luy manque naturellement, mais que le distnbuant aux autres peuples, elle a eu de quoy fournir a payer vingt huict de cent, c'est-a-dire plus du quart de toutes es depenses des Provinces-Unies... Je vous representerois 1 opulence de la Compagnie des Indes Orientales, qui occupe plus de cinquante mille hommes a son service. » « Quel autre lieu, dit de son coté Descartes, pouroit-on choisir au reste du monde, oü toutes les commoditez de la vie et toutes les cunositez qui peuvent estre souhaitées soient si faciles è trouver qu'en cettuy-cy ? Quel autre pays oü 1'on puisse joU}Jr d une hberte si entière, oü 1'on puisse dormir avec moins d'inquietude, ou il y ait toüjours des armées sur pied exprés pour nous garder , oü les empoisonnemens, les trahisons, les calomnies soient moins connues et oü il soit demeuré plus de restes de 1'innocence de nos ayeuls ? » Laissons la cette évocation de 1'age d'or, destinée è flatter la manie du trés moderne Balzac de citer toujours les anciens, mais il reste vrai qu'alors qu'on se coupait la gorge quotidiennement dans les rues de Paris, Amsterdam, malgré ses bouges a marins, 1. Relations, Leitres et Discours de M. de Sorbière! Paris 16fin In ld n o« „ vancSerUeUement k ^ de ,a R^leW^ffi^ d'hüi^ncore^onTiiü^ sur,es DESCARTES EN HOLLANDE " 1 était plüspaisible. II n'y avait que quatre ans que Bouteville et des Chapellés s'étaient battus, trois contre trois, place Royale,1 et avaient été exécutés (1627). C'était le vingt-deuxième duel de Bouteville; de Boësse, « brave gentilhomme mais cruel », avait tué en duel dix-sept personnes et d'Andrieux, soixante douze. Aussi fut-ce un grand scandale a La Haye quand, en 1646, le marquis de L'Espinay y fut assassiné 2, a la suite d'une aventure amoureuse, dont nous reparlerons plus loin. Reste, pour convaincre Balzac, a réfuter 1'objection prévue de la rudesse du climat, qui lui faisait appréhender pour Ferrier l'arrivée en automne 3. Mais le Francais exagère la rigueur de 1'hiver néerlandais. Si, 1'été, il se figure le Hollandais en sabots, fumant sur le pas de sa porte une longue pipe de porcelaine, qui y est inconnue aujourd'hui; 1'hiver, il le voit remplacant les sabots par des patins et la route par le canal, sur lequel il glisse a longues enjambées. Ceci se voit, même en dehors des tableaux de van Ostade, mais pendant quelques semaines seulement, par exception, comme en 1650, pendant plusieurs mois. Le 22 janvier de cette année-la, Pineau écrit de Paris a son oncle Rivet a Bréda4 : «Les glacés, qui vous ont enfermé quelques mois, n'ont duré ici que fort peu de jourset, malgré elles, le Soleil n'a pas laissé de nóus faire voir des violettes et des anémones et de produire des asperges et des artichaux. J'ay fait avouer a Mr de la Plate que les boues de Paris valent encore mieux que le froid et la gelée de son Pais, qui est sauvage au prix de ce charmant climat. » En 1630 au contraire, Descartes se plaint, le 4 mars, de n'avoir pu faire, de tout 1'hiver, aucune observation sur lé gel:«Pour les neiges, il a un peu neigé icy, au mesme temps que vous marquez et fait un peu froid, quatre ou cinq jours, mais non pas beaucoup. Mais tout le reste de eet hyver, il a fait si chaud en ce païs, qu'on n'y a vu ni glacé, ny neige, et j'avois desja pensé vous 1'écrire 1. Aujourd'hui place des Vosges. Cf. Lavisse et Rambaud, Histoire générale, *' 2* Cf Blok (P. J.), Geschiedenis van hel Nederlandsche Volk, 2» éd., t. II, P- 171. Les'fêtes et les désordres commencent après 1'époque oü écrit Desca.rtes et .ont surtout pour théatre'le mondain et cosmopoBte La Hayê, ville des diplomate* et des officiers étrangers. ,. . _. • 2 . . . , 3 «-Nous-sommes en rine saison-'qm vóus seroit incommode », lui écrtl^l » 8 octobre 16-29. Cf.' CEuw-es, t. I, p. 33. ' • • • ,„„.i!- -o.. 4. BibUothèquede riTniversité dèLeyde, B. P. L., Q; 286, t. IV, f° 98 recto. u LETTRE A BALZAC SUR AMSTERDAM (1631) 467 pour me plaindre de ce qué je n'y avois sceü faire aucune remarque touchaht mes Meteores » I. Ce dont 1'étranger, nous 1'avons vu par Daneau et par Saumaise, souffre plus que du froid, aux Pays-Bas, c'est de 1'humidité de 1'atmosphère. Descartes observe lui-même, dans une lettre du 14 juin 1637 2, qu'il aurait pu préférer un pays « oü la pureté et la secheresse de 1'air sembloient plus propres aux productions de 1'esprit », mais 1'humidité cependant ne I'incommode point. On la disait jadis favorable a la poitrine, qu'il avait délicate. Quoiqu'il en soit, et, si paradoxal que cela paraisse, il préfère le climat de la Hollande a celui de 1'Italie : « Je ne scay comment vous pouvez tant aimer 1'air d'Italie, avec lequel on respire si souvent la peste et oü tousjours la chaleur du jourest insuportable, la fraischeur du soir mal saine et oü 1'obsCurité de la nuit couvre des larcins et des meurtres. Que si vous craignez les hyvers du septentrion, oUtes-moy quelles ombres, quel évantail, quelles fontaines vous pouroient si bien preserver a Rome des incommoditez de la chaleur, comme un poësle et un grand feu vous exemteront icy d'avoir froid. » Balzac ne se laissa pas convaincre et, se réfugiant jusqu'au jöur de sa mort, dans son « désert », ne recommenca pas 1'aventure de 1615 et le voyage aux Pays-Bas du Nord. C'est tant mieux pour les lettres, car le Socrate chrétien et le moderne Zénon se fussent vite lassés de se tresser des guirlandes. II en serait advenu peut-être comme de Balzac et de Théophile, ou de Descartes et de Beeckman. Peut-on savoir quelque chose de plus précis sur ce premier séjour du philosophe a Amsterdam, sur sa facon de vivre, et son logis ? Oui, par un passage trés intéressant qu'on lit dans les ceuvres du professeur Plempius 8. Celui-ci, né a Amsterdam, le 23 décembre 1601, y exerca la médecine de 1623 a 1633 ; il y fit la connaissance du Francais par le médecin Silésien Elichmann 4, leur ami commun. Descartes ayant quitté Amsterdam pour Deventer, a la fin de mai 1632, et Plemp ayant été nommé professeur k l'Université de Louvain, le 3 aoüt 1633, leurs relations 1. CEuvres, t. I, p. 127. 2. Ibid., p. 385. 3. Fundamenla Medicinae, 3» éd., Louvain, 1654, p. 375, cités dans GSuvres de Descartes, t. I, p. 401. 4. Sur, Elichmann voir M. Adam, au t. XII, p. 108. 468 DESCARTES EN HOLLANDE se placent en 1630, 1631, ou dans les premiers mois de 1632. C'est donc a cette période que se réfère la lettre latine de Plemp, du 21 décembre 1652, oü on lit : « J'ai fréquenté intimement eet homme illustre, a Amsterdam, avant d'avoir été appelé a la chaire de Louvain par la Sér. Infante Isabelle. Par 1'interrnédiaire de Jean Elichmann, médecin silésien, je le connus et je m'entretins souvent de la physique avec lui. » « Ignoré de tous, Descartes se cachait dans la maison d'un marchand de drap, située dans la rue qui tire son nom des veaux (Kalverstraat) *. Je 1'y ai vu bien souvent et ai toujours trouvé un homme qui nö lisait pas de livres et n'en possédait point, voué a ses méditations solitaires et les confiant au papier, quelquefois disséquant des animaux, ainsi qu'Hippocrate trouva Démocrite prés d'Abdère. » Sur ces dissections a Amsterdam, nous avons 1'aveu de Descartes lui-même dans une lettre a Mersenne du 13 novembre 1639 2 : « Comme vous m'écrivez, ce n'est pas un crime d'estre curieux de 1'Anatomie et j'ay esté un hyver a Amsterdam, que j'allois quasi tous les jours en la maison d'un boucher pour luy voir tuer des bestes et f aisois apporter de la en mon logis les parties que je voulois anatomiser plus a loisir; ce que j'ay encore fait plusieurs fois en tous les lieux oü j'ay esté, et je ne croy pas qu'aucun homme d'esprit m'en puisse blamer. » 1. « Nulli notus in pannarii mereatoris ddmum se abdidit, sitam in platea quae a vitulis nomen habet. » Je n'ai pu encore établir qui était ce marchand de drap. 2. CEuvres, t, II, p. 621. Cf. aussi p. 86 et t. I, p. 137. CHAPITRE X voyage en danèmark (été 1631). continuation du séjour a amsterdam (automne 1631 a mai 1632). séjour a deventer (fin mai 1632 a fin novembre 1633). retour a amsterdam (décembre 1633 au printemps 1635). C'est peu de temps après les lettres a Balzac, c'est-a-dire en mai 16311 que se place un voyage en Frise oriëntale, a Embden et en Danèmark, sur lequel nous avons peu de détails. La date même n'en est pas absolument assurée. II semble bien que Descartes, se sentant malade, ait assez vite quitté son compagnon de route, Villebressieu, et qu'il soit rentré en Hollande, oü il va d'abord passer quelques jours a Dordrecht, comme nous 1'avons vu. II écrit en effet a celui-ci2:«J'ay parcouru et examiné la plüpart des choses qui sont contenues. dans vótre memoire, pendant le cours du voyage que j'ay fait ces jours passez a Dort, d'oü... je suis arrivé en bonne santé. Vous me trouverez dans nótre logis du Vieux Prince ». Ainsi que me 1'apprend 1'archiviste d'Amsterdam, le*Dr C. Breen, le « Oude Prins » se trouvait sur le Dam, dans la série de maisons comprises entre le palais royal actuel et le Wijdekerksteeg. C'était la troisième maison au sud de cette ruelle. Comme les autres, le « Oude Prins » fut démoü en 1653 3, en vue de la construction de 1'Hótel de Ville dont Sorbière nous a parlé. Donc, après avoir habité la Kalverstraat, le philosophe s'est installé sur le Dam; il restait au centre de la ville et dans sa partie la plus animée. « Nótre logis » semble indiquer que 1'ingénieur Villebressieu a 1. Cette date est conjectuiée, selon des raisonnements lort probants, par mm Adam et Tannery, (Euores de De*cartes, t. i, p. 210. Baillet dit 1634 et croit qnè c est en 1632 que Villebressieu aurait habité avec Descartes. 2. (Euvres, t. I, p. 215, d'après Baillet. 3. Topographisehe Geschiedenis van den Dam te Amsterdam, par le Dr Breen dans 7" Jaarboek van Amslelodamum, 1909, p. 161. 470 DESCARTES EN HOLLANDE habité avec lui a Amsterdam, saus doute un peu avant leur départ pour le Danèmark. Singulier personnage que Villebressieu : un de ces agitateurs d'idées, comme il y en a tant en France, mais qui n'arrivent pasa coordonner et a réduire en système leur ingéniosité inventive. Les rares fragments que Baillet nous a conservés des lettres de Descartes a 1'ingénieur, témoignent de 1'élévation et de la profondeur de sa conversation et de ses vues 1 : « J'ay parcouru et examiné la plupart des choses qui sont contenues dans vótre memoire... Je vous conseilleray de les mettre la plupart en forme de proposition, de problème et de theoreme et de leur laisser voir le jour, pour obliger quelque autre a les augmenter de ses recherches et de ses observations. » Idéé de la collaboration de tous a l'ceuvre collective de la science : « C'est ce que je souhaiterois que tout le monde voulüt faire pour être aidé par 1'experience de plusieurs a découvrir les plus belles choses de la Nature et batir une Physique claire, certaine, demonstrée et plus utile que celle qui s'enseigne d'orinaire. Vous pourriez beaucoup servir de votre cöté a desabuser les pauvres malades d'esprit touchant les sophistications des metaux, sur lesquels vous avez tant travaillé et si inutilement; sans que vous ayez yü rien de vray en douze. années d'un travail assidu et d'un grand nombre d'experiences, qui serviroient fort utilement a tout le monde en avertissant les particuliere de leurs erreurs.» Mais les recherches de Villebressieu n'auront pas que cette utilité négative. « II me semble même que vous avez déja découvert des generalitez de la nature : comme, qu'il n'y a qu'une substance materielle, qui recoit d'un agent externe, 1'action ou le moien de se mouvoir localement, d'oü elle tire diverses figures ou modes, qui la rendent telle que nous la voyons dans ces premiers composez que 1'on appelle les elemens. » Et ceci n'est rien moins qu'une affirmation de l'unité de la matière, une ébauche de théorie atomique et de mécamsme universel, qu'il faut attribuer sans doute plus a rinterprétation de Descartes qu'au mémoire qui en est 1'objet. Finis et réduits a l'unité les quatre éléments de la Physique de 1'Ecole : « De plus vous avez remarqué que la nature de ces elemens ou premiers composez, appelez Terre, Eau, Air et Feu, ne consiste que dans 1. CEuvres, t. I, pp- 215-216, d'après Baillet, A AMSTERDAM (aUTOMNE 1631 A MAI 1632) 471 la differenee des fragrnens.ou petites et grosses parties:de cette matiere, qui change jouruellement de 1'un en 1'autre par le chaud et le mouvement des grossieres en subtiles ».}■:, II n'y a rien d'étonnant a ce que Villebressieu soit venu en Hollande, même en dehors de la présence de Descartes, laquelle 1'y devait attirer : en effet, il s'intéresse particulièrement a YHydraulique ou Art d'elever les Eaux ; il y consacra une plaquette 2. II avait inventé aussi un pont roulant, un bateau portatif a passer les rivières et un chariot-chaise pour le transport des blessés 8. Une fois guéri, Descartes reprend, avec le P. Mersenne, cette correspondance qui a la valeur d'une Revue des Sciences: il n'y en avait point alors. Le P. Blanchot, Minime, vient seulement de lancer 1'idée d'une Bibhothèque Universelle, projet dont Descartes se réjouit, car « elle ne servira pas seulement a ceus qui veulent lire beaucoup de livres, du nombre des quelz vous scavés que je ne suis pas, mais aussy a ceus qui craignent de perdre le tems a en lire de mauvais, pour ce qu'elle les avertira de ce qu'ilz contienent. » II songe aussi a se remettre au travail: « II y a plus de trois ou quatre mois que je n'ay point du tout regardé a mes papiers, et je me suis amusé a d'autres choses peu utiles, mais je me propose, dans huit ou dix jours, de m'y remettre a bon escient et je vous promets de vous envoyer, avant Pasques, quelque chose de ma facon, mais non pas toutesfois pour le faire sitost imprimer. » 4 A 1'échéance d'avril, le débiteur est encore insolvable : « Je vous diray qu'encore qu'il soit presque tout fait et que je pusse tenir ma promesse..., je seray toutesfois bien aise de le retenir encore quelques mois, tant pour le re voir que pour le mettre au net et tracer quelques figures qui y sont necessaires et qui m'importunent assez, car, comme vous scavez, je suis fort mauvais peintre et fort negligent aux choses qui ne servent de rien pour apprendre » 5- En été, 1'échange de lettres a ce sujet se poursuit, mais Descartes n'est plus a Amsterdam; il est, dès la fin de mai 1632 sans doute, a Deventer en Overyssel. II n'est pas difficile de rendre 1. CEuvres, t. I, p. 216. 2. Ibid., p. 218. Cette plaquette est a la Bibliothèque de Ia ville de Grenoble. 3. Ibid., p. 214, d'après Baillet. 4. Ibid., p. 228. 5. Ibid., pp. 242-3. 472 DESCARTES EN HOLLANDE compte de ce changement, car c'est son disciple et ami wallen, Reneri, qui 1'attire la-bas, et, peut-être même, qui lui a offert l'hospitalité. Reneri avait été nommé professeur de Philosophie a 1'Ecole illustre de Deventer. Les Ecoles Illustres, dirigées, elles aussi, par un Recteur Magnifique, étaient quelque chose de moins que les Universités, puisqu'elles n'avaient pas les quatre facultés et ne conféraient pas de diplömes. Elles appointaient pourtant un certain nombre de professeurs pour les branches principales, théologie, philosophie et histoire ancienne surtout. En Hollande, pays de 1'individuahsme forcené et du particularisme provincial, 1'exemple de l'Université de Leyde, fondée en 1575, de l'Université de Franeker, fondée dix ans plus tard, et enfin de celle de Groningue, datant de 1614, avait suscité de nombreuses jalousies et des imitations proportionnées aux ressources locales. En cette période d'extraordinaire prospérité qui se développa, malgré ou peut-être a cause de 1'état de guerre, nous voyons surgir pas moins de quatre«Illustre Scholen», celle de Deventer \ en 1630, pour la province d'Overyssel, la «Geldersche Hoogeschool », fondée, en 1619, a Harderwijk, par la province de Gueldre 2, V «Illustre School» d'Amsterdam, inauguréele 8 janvier 1632, et enfin celle d'Utrecht, instaurée a la même époque. Etre un centre de hautes études n'était pas, pour la vieille capitale de 1'Overyssel, une prétention excessive; elle pouvait se souvenir avec orgueil d'avoir été un des berceaux de la Renaissance et d'avoir abrité ces Frères de la Vie Commune qui furent les maitres d'Erasme, dont des manuscrits reposent encore a la Bibliothèque municipale 8 C'est a 1'emplacement de 1'actuelle «Hoogere Burgerschool» qu'ils avaient leur couvent. Un admirable Hótel de Ville du xve siècle, une cathédrale médiévale et les ruines de 1'Eglise de Ste-Marie sont les imposants vestiges de 1'antique splendeur de la cité des bords de 1'Yssel. Elle avait en garnison des troupes dont le registre des serments existe 1. Cf. van Slee (J. C), De Illustre School le Deventer, 1630-1878. Hare Geschiedenis, Hoogleeraren en Studenten met bijvoeging van het Album Studiosorum; met Register; La Haye, 1916, deux vol. in-8, avec deux portraits gravés : voir aussi Revii Davenlriae illustratae, Leyde, 1651, 4°, et Houck (Dr M. EJGids voor Deventer en Omstreken, Deventer, Kreunen, 1901, in-18. 2. Bouman, Geschiedenis van de Geldersche Hoogeschool; Utrecht, 1844-1847, deux v. in-8°. 3. Ms. 1785. Copies faites par ses élèves avec corrections de samain; cf. Opus Epistolarum Des. Erasmi Roterodami, éd p. Allen; Oxford, Clar. Press, 1908, un vol. in-80, p. 603. A DEVENTER (FIN MAI 1632 A NOVEMBRE 1633) 473 .encore aux Archives de Deventer (n° 502) ; on y lit les noms bien francais de Ev. Dupin, 28 avril 1631, et de d'Ancbies, qui nous est connu par le Livre premier. Notre langue y était en honneur : nombreux étaient les jeunes gens de Deventer qui allaient faire des études a Orléans. Ancien usage, puisque, au rnilieu du xvie siècle déja, la ville envoie, a ses frais, en France, Thierry Myrican, le fils de Nicolas, secrétaire municipal, pour apprendre chez.aous « la vertu et la politesse des mceurs non moins que 1'expérience du droit civil, 1'usage de la langue francaise et la calligraphie, ce qui le rendra capable de succéder a son père en sa charge. »1 Le premier professeur, nommé en 1630, avait été un Suisse, Nicolas Vedel, précédemment pasteur a Genève, qui prêchait en francais aux troupes2. C'est lui dont la signature figure la première sous la déclaration ou acte d'Union imposée a tous les professeurs pour marquer leur adhésion a la doctrine du synode de Dordrecht. On y ht aussi la signature de 1'ami de Descartes : Henricds Reneri, professor philosophiae, 8 et, un peu plus bas, celle de deux philologues connus, quiy professèrent plus tard, Gronovius, le disciple de Saumaise, et Graevius. Reneri était donc un protestant orthodoxe et fervent. La preuve en est qu'il fut chaudement appuyé pour succéder a Scanderus comme professeur de Philosophie, par les théologiens francais de Leyde que nous connaissons, Polyander et Rivet. Polyander écrit de Leyde, le 14 septembre 1631, au pasteur van Goor, a Deventer, en latin : « Je ne doute pas que vous n'appehez, pour succéder a Scanderus, un philosophe trés érudit. Tel est Me Henri Reneri « qui habite chez le pasteur Louis de Dieu. Ledit maitre est d'une piété insigne et d'une parfaite pureté de mceurs. II est extrêmement subtil dans la dispute et trés intelligent5, sachant unir la pratique a 1. Archives de Deventer. Registre : « Allerlei acten, 1476-1546 » f» 303 mm muniqué par M. Houck. Je üens a remercier aussi MM. van Slee' bÜjUothécai^ et Acquoy, archivlste, de leur complaisance. uumoinecaire, 2. Bulletin de rhisloire des Eglises Wallonnes, T. I, p. 48 A° iewf^Tdée! 162V9entern0 54 ^ deS Sch00lraets binnen Venter aengevangen tiè™ V S P- 9^94i a V ! A«»enaeum BibUotheek », Biblio- m&^tac!r Deventer) communiqué par M. C. de Waard et collationné par 5. Mot suppléé par de Waard dans sa copie. 474 DESCARTES EN HOLLANDE la théorie, * Rivet n'est pas moins chahaureux. dans sa recommandation a Revhis et ceci en dit long sur .1'orthodoxie du candidat. II ne faut donc pas s'étonner de le voir nommé, le 4 octobre 1631, et faire sa première lecon le 28 novembre de la même année \ II n'est pas probable que Descartes y assita. II se bornea écrire au P. Mersenne 2:«M. Renery est allé demeurer a Deventer depuis cinq. ou six jours >et il est maintenant la. Professeur en Philosophie. C'est une Academie peu renommee, mais oü les Professeurs ont plus de gages et vivent plus commodément qu'a Leyde ny Fr[aneker], oü M. R[enery] eust pü avoir place par cy-devant, s'il ne 1'eust point refusée ou neghgée. » Ceci témoigne d'une sincère.estime pour son ami, duquel il ne faut pas dire cependant, comme lefont, par mégarde, certains historiens hollandais, qu'il a été le maitre de Descartes. Les contemporains ne s'y trompaient pas, témoin la pièce en vers que le poète latin Antoine Aemilius 3 a consacrée en mars 1639: « Aux manes de Henri Reneri... professeur de Philosophie a l'Université d'Utrecht, qui vécut dans 1'intimité du noble gentilhomme René Descartes, Atlas et unique Archimède de notre siècle, duquel il apprit a pénétrer les secrets de la Nature et les limites du Ciel.» Reneri lui-même n'écrit-il pas : « Is est mea lux, meus sol, erit ille mihi semper Deus » ? 4 Le fait est que le Hutois, quoique plus agé de trois ans, suit docilement fenseignement du maitre. II abandonne la théorie et la pratique de la médecine pour se donner a la philosophie et aux mathématiques5, non pas, dit-il, qu'il en fut ignorant, mais paree qu'il ne les a pas encore pénétrées a fond : « Je m'y livre avec d'autant plus de zèle qu'une occasion magnifique d'y faire de grands progrès m'est fournie par le commerce du prince des mathématiciens, le Seigneur Des Cartes, gentilhomme francais»6. Ce texte, en même temps qu'il défmit dans quel sens sont, 1. Cf. CEuvres de Descartes, t. I, p. 226. 3 Antc^Aemilii Orationes; Utrecht, 1651, p. 412-413. Voir, sur lui, une importante notice de de Waard, laquelle intéresse 1'histoire du Cartésianisme, dans Nieuw "fi^H^H^wR^rtt. lil, Harlem, 1912, p. 98. Mon ancien élève M. Tielrooy, prépare une thèse sur Huet et Ia France. .„.. ,, 5 Lettre a Comêille Boot, 12 décembre 1633. BibUothèque provinciale d Utrecht: Sup^le^ntopde Catalogus van de Bibliotheek over Utrecht par Mr. S. Muller Fz Utrecht. 1906, p. 95, d'après une copie de M. de Waard. 6. Ibid.: i:peVfamUUritatem cum omnium qui unquamfuerunt matbematicorum principe Donuno de Cartes nobili Gallo ». A DEVENTER (FIN MAI ,163.2. A,^NGJVjPMBRE 1633) 47i> de Descartes a RenerL les rapports de maitre. a élève^ ,montre pourquoi le Beige entraïne le Francais ale rejoindre, au commen-r cement de 1'été 1632. Celui-ci, s'est laissé faire, d'abord paree qu'il considère le séjour a Deventer, comme une, villégiar: ture1 : «Je m'en vais passer eet esté a la campagne » ; ensuite paree que, Villebressieu parti, i\ sent qu'au point oü. en sont les travaux en cours, il lui .faut en parler les résultats et les discuter avec un ami. C'est un besoin de chez nous cela, et notre Poitevin n'y échappe pas. Qui dira ce qu'en des conversations entre savants et étudiants francais, il s'est élaboré, et parfois dispersé a tous vents, de livres en projets et d'idées sans lendemain ? Comme interlocuteurs, outre Reneri, Descartes a Nicolas Vedel et le pasteur trés orthodoxe Revius, qui sera plus tard son adversaire, et qui lui est peut-être connu déja sous le nom de Jacques de Rève, comme éditeur des Lettres francoises adressées è M. de la Scala. Revius savait bien le francais'; 'on a même de lui un poème en notre langue dédié a Reneri. En bon pasteur, il entreprit la conversion du philosophe et leur entretien est rapporté, en hollandais, par J. du Bois, dans sa Naeckthegdt der Cartesiaensche Philosophie2 : « On va voir combien ce Descartes était entêté et déraisonnable dans sa foi papiste. Comme il habitait Deventer, il fut invité par un excellent prédicant, qui vivait en grande intimité avec lui, a se convertir a la ReligionRéformée. Descartes le repoussa avec douceur, ne voulant pas entrer en dispute avec un homme habitué a la controverse. II lui dit d'abord qv'il avait la rehgion du Roi, mais, comme le prédicant insistait, il lui répondit : « J'ai la religion de ma nourrice. » Et voilé sur quelles belles raisons était fondée cette foi dans laquelle il s'est obstiné jusqu'a la fin de sa vie. » Le brave du Bois ne comprend pas qu'il a peut-être fourni la. le mot le plus vrai, le plus profond et le plus moderne de Descartes sur sa rehgion, envisagée par lui, ainsi que par tant d'hommes de notre temps, comme une tradition sociale et c'était peut-être aussi 1'idée de Guez de Balzac, affirmant ne vouloir « rien croire de plus veritable que ce qu'il a appris de sa mere et de sa nourrice. » 1. (Emtres de Descartes, 1.1, p. 248. 2. P. 5, au rapport de Dirck Rembrandtsz : Des Aertrgeks beweging en de Sonne stilstant; Amsterdam, 1661, cité par Ch. Adam, au t, XII, p. 345, note a. 476 DESCARTES EN HOLLANDE Descartes se remet a son Monde : « Je suis maintenant icy a D[eventer], d'oü je suis resolu de nè point partir que la Dioptrique ne soit toute achevée 1. II y a un mois que je delibere scavoir si je décriray comment se fait la generation des animaux dans mon Monde et enfin je suis resolu de n'en rien faire, a cause que cela me tiendroit trop long-temps. J'ay achevé tout ce que j'avois dessein d'y mettre touchant les cors inanimez ; il ne me reste plus qu'a y adjouster quelque chose touchant la nature de l'homme et aprés je i'écrirayau net pour vous 1'envoyer, mais je n'ose plus dire quand ce sera, car j'ay desja manqué tant de fois a mes promesses que j'en ay honte. » 2 En novembre ou décembre de la même année 1632, il écrit, de Deventer toujours : « Je parleray de l'homme en mon Monde, un peu plus que je ne pensois, car j'entreprens d'expliquer toutes ses principales fonctions. J'ay desja écrit celles qui appartiennent a la vie, comme la digestion des viandes, le battement du pouls, la'distribution de 1'aliment, etc, et les cinq sens ». 3 C'est a ce moment que Golius écrit a Huygens, le ler novembre 4: «Descartes s'est retiré a Deventer pour échapper a la foule et aux sollicitations et se consacrer avec plus de fruit a ses travaux. » Que ce dernier garde le souci d'ajouter « 1'experience a la ratiocination »6 et qu'il se préoccupe de psycho-physiologie, e'est ce qu'atteste la suite de la lettre citée plus haut : « J'anatomise maintenant les testes de divers animaux pour expliquer en quoy consistent 1'imagination, la mémoire, etc. » Cependant il n'est pas tout a fait d'accord avec Harvey, dont il vient de lire seulement le De moiu cordis 8 : « J'ay veu le livre De motu cordis, dont vous m'aviez autrefois parlé, et me suis trouvé un peu different de son opinion, quoy que je ne 1'aye vü qu'aprés avoir achevé d'écrire de cette matiere».7 Le philosophe, ï. CEuvres, t. I, p. 254. 2. Ibid. 3. Ibid., p. 263. 4. Korteweg, Deseartes et les manuscrits de Snellius, 1896, p. 7. 5. Formule contenue dans une lettre précédente, du 5 avril 1632. CEuvres, L I, p. 243. 6. h'Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus, publlée en 1628, fut connue en France au printemps de 1629. Note de MM. Adam et Tannery, au L I, p. 264. Cf. surtout E. Gilson, Descartes et Harvey, dans Revue Philosophique, nov.-déc. 1920. 7. II n'y a pas a douter que ce chapitre n'ait été inséré-plus tard dans la Ci'nquième partie du Discours de la Methode. Si 1'on songe aussi au traité de l''Homme, on voit que le Monde de Descartes n'est qu'en partie perdu. A DEVENTER (FIN MAI 1632 A NOVEMBRE 1633) 477 comme souvent les inventeurs, n'aime pas la documentation ; il préfère vivre sur son propre fonds, au risque de rencontrer le déja vu et de réinventer ce qui a été trouvé par d'autres. Ce n'est que le 22 juillet 1633, et toujours a Deventer, oü il est maintenant depuis plus d'un an, qu'il déclare (pour la quantième fois ?) : « Mon Traitté est presque achevé, mais il me reste encore a le corriger et a le décrire » \ c'est-a-dire a le recopier; il n'y a plus a inventer, cela ne Fintéresse plus et « pour ce qu'il ne m'y faut plus rien chercher de nouveau, j'ay tant de peine a y travailler, que, si je ne vous avois promis, il y a plus de trois ans, de vous 1'envoyer dans la fin de cette année 2, je ne croy pas que j'en pusse, de longtemps, venir a bout, mais je veux tascher de tenir ma promesse. » Que ne 1'a-t-il fait comme il le disait ! Le P. Mersenne aurait tiré du manuscrit plusieurs copies : il les aurait passées a Mydorge, au P. Gibieuf, a d'autres encore, sous le sceau du secret, un secret qui n'aurait pas été tenu, et nous ne serions pas obligés, pour en parler, de juger sur les fragments conservés. Enfin tout est prêt, le manuscrit va être expédié pour les étrennes du Minime, lorsque, coup de théatre, Descartes apprend la condamnation de Galilée. Rien ne traduit mieux le bouleversement qui s'opère en sa conscience et le conflit de sa raison et de sa foi que sa lettre écrite au P. Mersenne, a la fin de novembre 1633 3 : « J'en estois a ce poinct, lors que j'ay receu vostre derniere de 1'onziesme de ce mois, et je voulois faire comme les mauvais payeurs, qui vont prier leurs creanciers de leur donner un peu de delay, lors qu'ils sentent approcher le temps de leur dette. En effet, je m'estois proposé de vous envoyer mon Monde pour ces estrennes, et il n'y a pas plus de quinze jours que j'estois encore tout resolu de vous en envoyer au moins une partie, si le tout ne pouvoit estre transcrit en ce temps-la; mais je vous diray que, m'estant fait enquerir, ces jours, a Leyde et a Amsterdam, si le Sisteme du Monde de Galilée n'y estoit point, a cause qu'il me sembloit avoir apris qu'il avoit esté imprimé en Italië, 1'année passée, on m'a mandé qu'il estoit vray qu'il avoit esté imprimé, mais que tous les exemplaires en avoient esté brülez a Rome au mesme temps et luy condamné 1. CEuvres, t. I, p. 268. 2. Voir plus haut, p.' 451, 3 CEuvres, 1.1, p. 270 ct s. 478 DESCARTES EN HOLLANDE a quelque am'ande, ce qui m'a si fort estonné \ que je me suis quasi resolu de bróler tous mes papiers ou du moins de rië les laisser voir a personne. Car je ne me suis pü imaginer que luy qui est Italien et mesme bien voulu 2 du Pape, ainsi que j'enténs, ait pü estre criminalizé pour autre chose, sinon qu'il aura sans doute voulu establir le mouvement de la Terre, lequel je sgay bien avoir esté autresfois censuré par quelques Cardinaux, mais je pensois avoir ouy dire que, depuis, on he laissoit pas de 1'enseigner publiquement, mesme dans Rome, et je confesse que, s'il est faux, tous les fondemens de ma Philosophie le sont aussi, o ar il se demonstre, par eux, évidemment et il est tellement hé avec toutes les parties de mon Traitté que je ne 1'en scaurois détacher, sans rendre le reste tout defectueux. Vtè^ « Mais, comme je ne voudrois, pour rien au monde, qu'il sortist de moy un discours oü il se trouvast le moindre mot qui fust desaprouvé de 1'Eglise, aussi aymé-je mieux le supprimer que de le faire paroistre estropié. » Rien de plus étrange que de voir germer de pareils scrupules en plein miheu protestant orthodoxe, dans cette ville de 1'Overyssel, oü 1'on ne saisit mêmé pas comment il pouvait exercer sa religion. Est-ce 1'ame de Thomas de Kempen, 1'auteur de lTmitation dé Jésus-Christ, lequel vécut non loin de la, qui se réincarne en lui ou, plus simplement, le puritanisme des « fijnen » n'a t-il pas provoqué chez le philosophe une réaction, qui le rejette plus étroitèment dans le sein dé 1'Eglise? Le P. Ismaël Boulliaud luimême, un des correspondants de Saumaise8, hè se faisait pas autant de souci et écrivait, le 21 juin 1633, a Gassend: «Je ne puis croire que le Pape veuillè étëndre la puissance des clés de Saint Pierre a ce qui n'est pas du ressort de la foi. » 4 Descartes n'est que trop bien informé. Lé 24 février 1616, le Saint Office avait censuré lés deux propösitiohs que voici : 1° Le soleil est centre du monde et est tout a fait immobile. 2° La terre n'est pas le centre du monde ét n'est pas immobile, mais est animée d'un moüvémént de rotation totale sur ellemême, même pendant le jour. Le 5 mars 1616, la Cörigrégation 1. Le sens est naturellement plus fort qu'aujourd'hui. Entendez « frappé de stupeur >. 2. C'est-a-dire : a qui le Pape a témoigné de la bienveillance,. .... 3. Je possède les photographies des lettres de Saumaise a Boulliaud, conservées a la Bibliothèque de Vienne. Cf. plus haut p. 332, n. 4. 4. On trouvera le texte latin dans CEuvres de Descartes, t. I, p. 290. A DEVENTER (FIN MAI 1632 A NOVEMBRE 1633) 479 de 1' Index avait suspèndu a corréction 1'oüvragé de Copernie. Pour avoir contrevenu a ces interdictions, qui s'inspirent du dogme de ranthropocentrisme et du géocentrisme, si difficiles a déraciner de 1'esprit de l'homme, Galilée comparait devant le Saint-Offlce, le premier dimanche de carême 1633, subit trois interrogatoires, 12 avril, 30 avril, 21 juin, pour être condamné le 22 juin. Son livre fut brülé, il dut se rétracter et resta soumis a la surveillance du dit Saint Office l. S'il n'a pas dit le fameux « Eppur' si muove », il a dü le penser. Descartes aussi. Ce qui est devenu pour lui la vérité, par la persuasion de sa raison, reste la vérité, mais il ne la pubüera point, si elle est contraire a 1'ordre public de 1'Eglise, partie intégrante et essentielle d'une Société dont il entend préserver les fondements. C'est a cela que reviennent les phrases embarrassées du début de la Sixième partie du Discours de la Méthode, lesquelles se réfèrent a son état d'ame de novembre 1633 : « Or il y a maintenant trois ans que j'estois parvenu a la fin du traité qui contient toutes ces choses et que je commencois a le revoir, affin de le mettre entre les mains d'un imprimeur [ceci est donc écrit en novembre 1636], lorsque j'appris que des personnes a qui je defere ét dont 1'authorité ne peut guères moins sur mes actions que ma propre raison sur mes pensées [admirez la distinction entre le for intériëur, oü règne la raison souveraine et la vie pratique soümise a d'autres puissances] avoient desapprouvé urie opinion de Physique, pübliéé ün peü auparavant par quelque autre, de laquelle je ne veux pas dire que je fusse [ceci est peu sincèrë], mais bien que je n'y avois rien remarqüé, avant leur censuré, que je pusse imaginer estre préjudiciable ny a la Rehgion ny a 1'Estat ny, par consequent, qui in'éust empesché de 1'escrire, si la raison me 1'eust persuadéè ét que cela mé fit craindre qu'il ne s'en trouvast tout de mesme quelqu'une entre les mienes en laquellè je me fusse mépris:.., ce qui a esté suffisant pour m'óbliger a changer la rësölütibn que j'avois eue de les publier... » II s'excuse encore sur une autre mauvaïse raison, qu'il bait'«Ié mestiér 'dé faire des livres »;a. • ütm^ L'öpinión de Descartes sur le moüvetnént de la terre n'est pas seulement celle que lui dictent Copernic et la raisdnV'c'est 1. Pièces du procés de Galilée, publiécs p. Henri de 1'Epinotó; '.citéés par Auam et Tannery, t; I, p. 273. 2. CEuvres, t. VI, p. 60.' " 480 DESCARTES EN HOLLANDE aussi celle qui est la plus répandue aux Pays-Bas, d'oü Gassend écrit a Peiresc, en cours de voyage, en juillet 1629 : « Au reste tous ces gens-la sont pour le mouvement de la terre »\ C'est donc 1'idée de Beeckman, que Gassend vient de voir, et celle de Golius. Aussi les Hollandais sóngèrent-ils a offrir un refuge, a Amsterdam, au grand Italien persécuté, mais le projet, pour lequel s'entremit Hortensius, n'eut pas de suite. Chose curieuse, du philosophe et du moine, je veux dire Mersenne, celui qui songe a défendre Galilée, au- besoin par un gros in-foho, ce fut le moine, mais il n'osa passer a 1'exécution 2. La correspondance se poursuit sur ce thème du Monde et de Galilée, datée, non plus de Deventer, mais d'Amsterdam, oü Descartes est retourné, dès le début de décembre 1633, après un an et demi d'absence : « Vous n'aurez que meilleure opinion de moy, écrit-il au P. Mersenne 3, de voir que j'ay voulu entierement supprimer le Traitté que j'en avois fait [de sa philosophie] et perdre presque tout mon travail de quatre ans, pour rendre une entière obeissance a 1'Eglise, en ce qu'elle a deffendu 1'opinion du mouvement de la terre. Et toutesfois, pour ce que je n'ay point encore vü que ny le Pape ny le Concile ayent ratifié cette défense, faite seulement par la Congregation des Cardinaux éstablis pour la Censuré des livres, je serois bien aise d'apprendre ce qu'on en tient maintenant en France et si leur authorité a esté suffisante pour en faire un article de foy. Je me suis laissé dire que les Jesuites avoient aidé a la condamnation de Galilée et tout le livre du P. Schemer montre assez qu'ils ne sont pas de ses amis. Mais d'ailleurs les observations qui sont dans ce livre *, fournissent tant de preuves pour oster du Soleil les mouvemens qu'on luy attribue, que je ne scaurois croire que le P. Scheiner mesme, en son ame, ne croye 1'opinion de Copernie, ce qui m'étonne de telle sorte que je n'en.ose écrire mon sentiment. Pour moy, je ne cherche que le repos et la tranquillité d'esprit, qui sont des biens qui ne peuvent estre possedez par ceux qui ont de 1'animosité ou de 1'ambition, et je ne demeure pas cependant sans rien faire, mais je ne pense, pour maintenant, qu'a m'instruire moy-mesme et me juge fort peu capable de servir a instruire les autres. » 1. Lettres de Peiresc, t. IV, p. 202. 2. CEuvres, t. I, pp. 578-580. 3. Ibid., pp. 281-282. 4. La Rosa Ursina du P. Scheiner. Cf. (Euvres de Descartes, t. I, p. 283. Planche XXXVII. Habitation de Descartes a Amsterdam en mai iG34 « chés Mr Thomas Sergeant in den Westerkerckstraet » (aujourd'hui Westermarkt, 6). C'est Ja probablement que le philosophe connut Ilélène et c'est la qu'une plaque commémoralive a été apposée par 1'AUiance Francaise, lc 16 octobre 1920. LA MAISON DU WESTERMARKT A AMSTERDAM 481 La lettre d'avril 1634 au P. Mersenne répète a peu prés celle de novembre 1633, qui s'est perdue en route ou qu'un cabinet noir a arrêtée au passage. Cette fois, notre auteur a vu la Patente de condamnation de Galilée, «impnmée a Liege, le 20 septembre 1633, oh sont ces mots : « quamvis hypothetice a se illam proponi simularet > en sorte qu'ils seniblent mesme deffendre qu'on se serve de cettê hypothese en 1'Astronomie Cependant, ajoute-t-il « ie ne perds pas tout a fait esperance qu'il n'en arrivé ainsi q'ue des Antipodes, qui avoient esté quasi en mesme sorte condamnez autresfois et aussi que mon Monde ne puisse voir le jour avec le temps. » \l-*üt-? Descartes n'habite plus au « Vieux Prince » • dans la missive a Mersenne, datée « d'Amsterdam, ce 15 Mav 1634 ., il précise qu'il est : ' logé chés Thomas Sergeant in den Westerkerck straet,' ou vous adresserés, s'il vous plaist, vos lettres K Grace aux travaux des historiens amsterdamois, Kleerkooper * Six, Breen et aux fiches de la Bibliothèque Wallonne, je suis en* mesure de donner quelques détails sur ce Thomas Sergeant C etait comme le porte le registre des mariages de 1'Eglise wallonne d Amsterdam, a la date du 6 octobre 1607, un « fransche schoolmeester ,>, un maitre d'école francais, ou plutöt un maitre d « Ecole francaise >,, car il était né a Dordrecht, vingt-deux ans auparavant. II était d'origine francaise, comme son nom semble lindiquer : sa mère s'appelle Barbe Loyson. M. Six* le nro fesseur d'histoire de 1'art a l'université d'Amsterdam, a publié une lettre de lui a son « Confrère », « Guilliam Willemsen, Fransoijsche schoolm. tot Haerlem.»\ et qui est signée Thomas Jacobsen ; elle concerne son fils Johannes Sergeant, qui devint peintre Lm-meme, sétablit, en 1631, libraire« a l'enseigne de Saint- 1. CEuvres, t. I, p. 288. 2. Ibid., p. 299. 4Sf*S?*rêS,«5; ffüw? a«fflf/«— voor 1899; «néme temps que librair^^ -* /-inatenr en 31 482 DESCAUTES EN HOLLANDE Jacques, dans la « Westerkerk-straat >», qui s'appelait aussï «cöté nord du cimeüère de l'église de 1'ouest», aujourd'hui «cöté süencieux»1 du «Westermarkt»; les recherches que M. Breen a faites. a ma demande ont établi que c'est au numéro 6 de ce Westermarkt (cL pl. XXXVII). C'est donc la qu'habitait le philosophe, en 1634, et c'est la que nos anus d'Amsterdamr c*ux de 1'Alliance francaise et du Cercle francais de 1'Université ont fait, dans une séance solennelle \ apposer une plaque oommémorative du séjour de Descartes dans leur capitale, de 1629 a 1635, avec une interruption d'un an et demi passes a Deventer. ■ " ' ' c. II v est encore le 14 aoüt, oü il recoit la visite du Sieur Beeckman, venu pour y passer la fin de la semaine auprès de lui du■. Elle s'appelait Hélène Jans. C'était une simple Servante qui, sans doute, faisait le ménage du philosophe quand il habitait chez Thomas Sergeant, dans la « Westerkerckstraet». Etait-elle blonde, yeux bleus et joues de brique, comme le Francais se représente volontiers la Hollandaise et comme elle est effectivernent, quand elle n'a pas le teint plombé des marais ? c'est possible. Mais, a coup sür,il ne s'agit pas dJune «passade», unsoir de débauche, 1'union est ici un « engagement», presque un mariage. Presque, car elle est protestante, et lui catholiqüe, roturière et lui gentilhomme. L'abbé Baillet prónonce ce vilain mot : « concubinage », comme en se signant. Nous dirions en notre langage qui, par exception, est ici plus poK que celui du xvne une liaison. Liaison assez intermittente, pour que, dans des notes manuscntes, singulièrement placées sur le feuület de garde d'un hvre, et que Baillet1 a vues, le philosophe ait pu noter la date de la conception de sa fiHe : « Elle s'appeloit Francine, dit le vieux biographe, et elle étoit 1. La vie de Monsieur Deseartes, t. II, pp. 89-90. 484 DESCARTES EN HOLLANDE nee a Déventer, le IX, c'est-a-dire le XIX de juillet 1635 1 et,, selon 1'observation de son pére, elle avoit été concüë a Amsterdam, le dimanche XV d'octobre de Tan 1634. » Nuit, dont il semble avoir gardé le souvenir, mêlé de ce charme et de ce remords, qui s'attachent, pour le catholiqüe fervent, a l'ceuvre de chair accomplie hors mariage. II n'a cependant pas fait vceu de s'en abstenir et il 1'écrira a son adversaire Voet, en badinant, mais si ce vceu n'est pas formulé devant 1'Eternel, peut-être 1'a-t-il fait envers son ame en la consacrant a la vérité. Tout ce qui est donné a la chair est volé a la raison. Est-ce la le sens qu'il faut attribuer a la confidence faite a Chanut «a qui M. Descartes déclara, durant son voyage de Paris en 1644, qu'il y avoit prés de dix ans que Dieu 1'avoit retiré de ce dangereux engagement, que, par une continuation de la même grace, il 1'avoit préservé jusques-la de la récidive et qu'il espéroit de sa miséricorde qu'elle ne 1'abandonneroit point jusqu'a la mort »2 ? Baillet a pu changer les termes, forcer même le sens de la confidence, car il est par trop anxieux de nous affirmer que son héros « s'est relevé promptement de sa chute et qu'il a rétabli son célibat dans sa première perfection, avant même qu'il eüt acquis la qualité de pére ». Nous qui ne pratiquons pas 1'indiscrétion du confesseur, jetons un voile sur les secrets de cette alcöve, mais retenons de la confidence de Descartes le mot d'engagement. Honnête homme, il ne 1'était pas seulement au sens de son siècle, il 1'était dans toute 1'acception du terme i il avait e igendré un petit être, il le reconnaitrait, il se sent des devoirs envers 1'enfant de sa chair. Pour éviter qu'on jase, il éloigne la mère etil semble bien qu'il la canfie a des personnes qu'il connaissait a Deventer, mais non pas a Reneri, prés duquel il va bientöt habiter a Utrecht. II alla voir Hélène a Deventer pendant sa grossesse, car c'est ainsi que j'interprète 1'absence de huit jours, dont il est question, au début de la lettre datée du 19 mai 1635, et d'oü il est rentré a Utrecht, par le Zuyderzée et Amsterdam 3. 1 Les protestants des provinces autres que la Hollande, n'avaient pas, par préjugé protestant, voulu adopter la réforme Grégonenne. Tieteartes 2. Relation manuscrite de Clersener, citée en marge par Baillet, Vie de Descartes l' "' C'esta peine un détour : 11 dit bien qu'il revient de Frise, mais c'est peut-être pour donner le change a Golius (CEuvres, t. I, p. 317). Planche XXXVIII a. Pavillon qu'habita Descartes a Utrecht. (D'après un dessin covseroé aux Archives de cette vitte). Planche XXXVIII b. Autographe inédit de Descartes dans l'album de Montigsï de Glarges. 'Bibliothèque Royale de La Haye). ■Él LE ROMAN DE DESCARTES : HÉLÈNE ET FRANCINE 485 « Elle étoit née a Déventer, dit Baillet, le 9, c'est-a-dire le 19 de juillet 1635... Elle avoit été batisée a Déventer, le 28 de Juillet, selon le stile du païs, qui étoit le septiéme jour d'aoüt selon nous.» Ce dernier renseignement, on a pu le contróler, dès 1868 *, sur le registre des baptêmes, dont nous reproduisons ici une feuille (Cf. pl. XXXIX), oü on lit : Den 28 dito [juillet] Vader Moeder Kint Reyner Jochëms Helena 2 Jans Fbansintge Reyner, c'est René ; Jochems, c'est le fils de Joachim, qui était en effet le nom du père de Descartes. Le nom de Helena, qui n'est pas chez Baillet, va se retrouver dans une lettre du 30 aoüt 1637, et quant a Francine, elle est nommée, nous 1'avons vu, par le biographe. Francine, petite France, ce n'est pas un de ces noms choisis au hasard ; il y a la un peu de la nostalgie du pays oü son père aurait voulu la voir naitre. Les Hollandais ont la manie des diminutifs et Hélène a créé celui de « Francintje », qu'elle devait sans doute encore abréger en« Sintje ». Descartes prononcait Francinette, et c'était plus joh. Baillet dit bien que Francine a été baptisée : il omet de marquer que c'est a l'église protestante et, si Descartes est sincèrernent catholiqüe, ce dut lui être un terrible crève-cceur : il damnait son enfant. Le pasteur Moltzer se demandait même si Descartes n'aurait pas épousé Hélène au temple, car, sans cela, Francine eüt été inscrite dans le «Kalverboek » (Livre des veaux), destiné aux enfants illégitimes; argument peu décisif, car le premier registre qui porte ce titre et que j'ai vu a Deventer, date du xvme siècle et est réservé aux enfants de soldats. Ce qu'on peut dire, c'est que 1'absence du nom de Descartes, indique une certaine dissimulation, dont le pasteur a dü se faire complice. On se demande aussi si Descartes a assisté a la présentation au baptême, c'est possible, mais alors comment aurait-il pu cacher sa qualité dans une petite ville oü il était si connu par son précédent séjour ? En tout cas, jusqu'a présent, les registres des mariages ainsi que le fichier wallon, sont restés muets; peut-être n'ont ils rien a nous apprendre. 1. Dans le Navorscher, t. XVIII, 1868, p. 294. 2. Hijlena est, selon moi, une faute de lecture de M. Moltzer dans CEuvres t. XII pp. 575-576, due a une haste de la ligne suivante. 486 descartes en hollande Toujours est-il que Francine devint la préoccupation constante de son père et la raison de beaucoup de ses déplacements. II a dü la.cacher d'abord avec Hélène aux environs de Leyde, oü, en 1636-1637, il surveille 1'impression du Discours de la Méthode, ce qui fait écrire a Saumaise, le 4 avril 1637 1: « Je ne vous dirai rien du personnage... II a tousjours esté en ceste ville pendant 1'impression de son übvre, mais il se cache et ne se monstre que fort rarement et vit tousjours en ce païs dans quelque petite ville a 1'escart et quelques-uns tiennent qu'il en a pris le nom d'Escartes ». Ne serait-il pas déja a Endegeest ou a Oegstgeest, mais c'est bien prés ? Ce doit être pour chercher un asile plus retiré encore qu'il fait, en mai, une absence de plus de six semaines 2. Au cours d'une autre absence, un peu plus tard, le 30 aoüt 1637, il écrit la seule lettre oü il ait parlé d'Hélène et oü il ait fait allusion a Francine. Nous la reproduisons ici en un fac-similé (cf. pl. XL) d'après 1'autographe qui est a la Bibliothèque de l'Université d'Amsterdam et dont voici la transcription 8 : « Monsieur, « Toutes choses vont icyle mieux que scaurions souhaiter. Je parlay hier a mon hotesse pour scavoir si elle vouloit avoir icy ma niepce et combien elle desiroit que je lui donnasse pour cela. Elle, sans deliberer, me dist.que je la fisse venir quand je voudrois et que nous nous accorderions aysement du prix, pour ce qu'il luy estoit indifferent si elle avoit un enfant de plus ou de moins a gouverner. » II s'agit donc d'une familie chez qui Descartes est lui-même en pension et qui, moyennant une mini me rétribution, prendrait en nx)urrice Francine, qu'il appelle sa nièce et qu'elle élèverait, pêle-mêle avec les autres enfants. La lettre étant du 30 aoüt 1637, la petite a deux ans. « Pour la servante, elle s'attend que vous luy en founiirez une et il luy tarde extremement qu'elle ne 1'a desja, c'est pourquoy, affin qu'il ne luy ennuye trop, je vous prie de mander icy au plutost a Mr Godfroy, que vous pensez a nous en faire trouver une et qu'on vous a desja parlé de deux ou trois, mais que vous 1. Cf. CEuvres de Descartes, t. i, p. 365. 2. Ibid., pp. 365, 373, 379. 3. Elle est imprimée dans CEuvres, t. I, pp. 393-394. LE ROMAN DE DESCARTES : HÉLÈNE ET FRANCINE 487 n'avez encore rien aresté, affin de vous pouvoir mieux inf ormer de la meilleure, et que, pour nous, nous n'avons point besoin de nous eu mettre en peine, pour ce que nous aurons inf alliblernent 1'une ou rautre. » « Mr Godfroy » pourrait être ie nom de la personne chez qui il nèbite et cehn du futur père nourricier % Dans le passage suivant, apparait Hélène et justement ce rapprochement et le niot « en effect» semblent prouver qu'Hélène est une simple servante et que c'est a ce titre et sous ce masqué qu'elle rejoindra son enfant : « En effect, il faut faire qu'Helene vieró icy le plustost qu'ü se pourra et mesme s'il se pouvoit honnestement avant la Saint yictor 2 et qu'elle en mist quelque autre en sa place, ce seroit le meüleur, car je crains que nostre hotesse ne s'ennuye d'attendre trop long tems sans en avoir une et je vous prie de me mander ce qu'Hel. vous aura dit la dessus.» L'interprétation de ce texte est claire : Hélène est placée, mais elle a renonce pour la Saint-Victor, le 30 septembre, car c'est autour de la Saint-Michel (29 septembre) que se louent les domestiques. Si elle peut se dégager convenablementphis tót, qu'elle le fasse et se trouve au besoin une remplacante. Le « en avoir une » ne laisse pas de doute sur sa qualité de servante. Descartes ajoute en marge : «la lettre que j'escris a Hel. n'est point pressée et j'ayme mieux que vous Ia gardiea jusques a ce qu'Hel. vous aüle trouver, ce qu'elle féra, je croy, vers la fin de cete semaine, pour vous donner les lettres qu'elle m'escrira, que de luy faire porter par vostre servante. » Que ne donnerait-on pas pour re trouver ces lettres! Elle était donc un peu instruite, l'humble femme qui fut un jour la tentation du Philosophe; au moins savait-elle écrire, en hollandais assurément, langue que Descartes entendait parfaitement. Y balbutiait-ailè des mots d'amour ou suuplement la mère demandait-elle tiinjdement des nouvelles de son enfant, dont ses occupations serviles la tenaient éloignée ? Toujours est-il que Descartes et elle s'écrivent n s'agit bien de lettres au pluriel, , l.;Mes recherches et celle de M. Gonnet, archiviste a Harlem, oü sont déposées les archives d Egmond, pour identifler ce Godfroy, n'ont pas aboutt. U serait cependant intéressant d etabhr s'il habitalt Alkmaar,.Egmondou Santpoort, ce qui aiderait beaucoup a 1 interprétation. de la lettre de Descartes. Peut-être y arrivera-t-on par les archives municipales de Santpoort, qui sont a Velsen, oü Je n'ai encore pu me rendre pour les consulter. 2. Cf. CEuvres, tip, 394, note a. 488 DESCARTES EN HOLLANDE d'un commerce régulier de lettres que le destinataire de la présente se charge de faire transmettre, et de rapports constants, qui durent depuis pres de trois ans déja. Ceci se concihe-t-il bien avec la déclaration a Chanut, rapportée par Baillet ? Oü habite le destinataire ? A une certaine distance, car la lettre du 30 aoüt se termine ainsi : « J'ay receü vos livres sans qu'ils ayent aucunement esté mouillez ou corrompus, encore qu'ils ayent esté deux nuits sur 1'eau et je commencé desja tout de bon a estudier en médecine. » Ceci fait penser ó. un docteur, éloigné de deux jours de route, et Tannery conjecture, non sans raison, que c'est Corneille van Hogelande *, lequel habite Leyde, aux environs duquel se trouverait placée Hélène. Une allusion de Huygens, dans une lettre datée du 8 septembre suivant : « Je ne suis pas si loing de vous qu'il y a d'icy [de Bréda] a Alckmaer », montre que Descartes est aux environs d'Alkmaar, selon le raisonnement de MM. Adam et Tannery, c'est-a-dire soita Egmond, soitmêmek Santpoort, qui pourtant est plus prés de Harlem. Après cela, nous sommes au bout de nos hypotheses. Ensuite, nous ne saurons plus rien de Francine que ce que nous en dira le biographe : « M. Descartes songeoit a la transplanter en France pour lui procurer une éducation convenable et, scachant quelle étoit la vertu de Madame du Tronchet, sa parente, mére de M. 1'Abbé du Tronchet, qui est aujourd'huy Chanoine de la Sainte Chapelle, il fit agir auprès de cette dame, afin qu'elle eüt la bonté de vouloir veiller sur la personne qu'elle seroit priée de choisir elle même pour mettre auprès de sa fille et que cette enfant püt être élevée dans la piété sous ses grands éxemples. Pendant que les choses sembloient se disposer a cela et que Madame du Tronchet songeoit aux mesures qu'il falloit prendre pour seconder de si louables intentions, M. Descartes perdit sa chére Francine, qui mourut a Amersfort, le VII de septembre de fan 1640, qui étoit le troisiéme jour de sa maladie, ayant le corps tout couvert de pourpre. II la pleura avec une tendresse qui lui fit éprouver que la vraye philosophie n'étouffe point le naturel. II protesta qu'elle luy avoit laissé par sa mort le plus grand regret qu'il eüt jamais senti de sa vie, ce qui étoit un effet des éxcellentes quahtez avec lesquelles Dieu 1'avoit fait naitre. » 1. CEuvres de Descartes, t. I, pp. 581-582. 05S3 Planche XXXIX. et d'Helena Jans, Francine (Fransintge), 28 juillet iC35 a. s. • (AvaM-dernière lujné). D'apr'es l'original conservé aux Archives de Deventer. Planche XL. Lettre de Descartes, oü il est question de sa fille et d'Hélène. 'Bibliothèque de l'Université d'Amsterdam). LE ROMAN DE DESCARTES : HÉLÈNE ET FRANCINE 489 Pourquoi Baillet a-t-il enrichi de fadaises les regrets du philosophe devant le berceau vide de 1'enfant de cinq ans qu'il avait perdue ? Que ne les a-t-il transcrits, sans plus, pour que nous puissions recueillir pieusement ses larmes, les premières peutêtre depuis ses peines juvéniles, et qu'il versa sur la tombe, oü tout espoir d'une survivance de sa race était a jamais enseveli ? La scène, il est a peine besoin de 1'imaginer. Descartes assista aux derniers moments de la petite et, sans doute, puisqu'il a commencé depuis trois ans a « estudier en médecine», a-t-il exercé sur eUe, pour la tirer de sa scarlatine, les rudiments de son art, comme il 1'avait fait en juin au chevet de la petite Wilhem l. C'est bien aux pénibles jours d'Amersfoort qu'il fait allusion, le 15 septembre 1640 2, dans sa lettre au P. Mersenne: « II y a quinze jours que je pensois vous envoyer les lettres qui sont jointes a celle cy, mais j'allay inopinement hors de cete ville avant que de les avoir fermées ». Huit jours après le triste événement, il a repris assez de présence d'esprit pour parler de son Traité de Métaphysique, du jet des eaux, de la graine de sensitive, de la matière subtile et des «lunetes a puces » ou microscope 8. II n'a pas perdu le dessein de passer en France 4 et le voyage sera bien lugubre, sans la petite, qu'il y aurait menée. Mais il se résigne, comme il semble qu'on 1'ait fait, au xvne siècle, plus facilement que de nos jours, a la mort d'un enfant, et c'est sans doute en songeant a Francine qu'il termine sa lettre par ces mots de soumission mélancolique : i II est certain que tout ce qu'on concoit distinctement est possible, car la puissance de Dieu s'estend au moins aussy loin que nostre pensée. » Et Hélène ? elle a été sans doute 1'instrument de Dieu ; qu'elle aussi, avec 1'enfant, se résigne au néant! II ne sera plus question d'elle. Pas un souvenir, pas une tracé, pas un regret. Assura-t-il son sort ? S'en inquiéta-t-il ou se borna-t-il a se réjouir de ce que Dieu 1'eüt «retiré de ce dangereux engagement» ? A ces questions nous ne savons que répondre, mais 1'historien ne pourrait être aussi indifférent que le philosophe. II garde une secrète tendresse pour la servante inconnue, qui plut un jour au penseur et qui lui donna Tenfant, dont le sourire et les graces calines éclairèrent, pendant cinq ans, la gravité de ses méditations. 1. CEuvres, t. I, p. 581. 2. Ibid., t. III, p. 175. 3. Ibid., pp. 176-177. 4. Ibid., p. 178. CHAPITRE XII SÉJOUR A UTRECHT : 1635. UN AMI DE DESCARTES : CONS- TANTIN HUYGENS. UN DOMESTKJUE-DISCIPLE : JEAN GILLOT. II nous faut revenir un peu en arrière, au moment oü Descartes quitte Amsterdam pour Utrecht. La première lettre datée de cette ville est du 16 avril 1635. Ce qui 1'attirait a Utrecht, il n'est pas besoin de se le demander longtemps, c'étaitson disciple et ami, Reneri, qui y avaitété nommé professeur è 1'Ecole Supérieure (Hoogeschool) ou Université, le 18 juin 1634. II avait, avant même le départ de Descartes de Deventer, intrigué auprès de 1'échevin Corneille Boot, pour obtenir la chaire; il lui en écrit, le 25 octobre 1633 et le 2 décembre, le priant, dans cette dernière missive, rédigée en latin, de lui adresser un billet en francais ainsi concu: «Je n'ose pas encore vous congratuler, n'estant pas asseuré du bruit quy court icy que soyez appelé a Utrecht. Tousjours, cela en est certain, que la résolution est prise d'y appeler des professeurs. Vous ferez vostre pro fit de eet advis, si ne le scavez encores. »x Dèsle2 janvier, sa présentation est certaine. Dans une lettre que Reneri écrit a Constantin Huygens, le 4 avril 1634, 2 un post-scriptum concerne le philosophe, qui doit être déja aséS cötés: «Monsr. des Cartes n'a point esté adverti par moy de ces lettres ». Serait-ce paree qu'il y est question de nouvelles observations « assez gentilles » touchant la représentation des objets en la chambre obscure, auxquelles il ne doit pas être étranger ? « mais je vous diray bien, en un mot, qu'il vous adrnire extrémement et tant de belles et rares parties qu'il trouve en vous ». 1. Henricus Reneri, de Deventer, a Corneille Boot a Utrecht (Provinciale Bibliotheek a Utrecht). Cf. Supplement op de Catalogus van de Bibliotheek over Utrecht, par M. S. Muller Fz., Utrecht, 1906, p. 93, t IV. Copie de M. de Waard. 2. Dietsche Warande, VIII (1869), pp. 483-484. 492 DESCARTES EN HOLLANDE Cet obligeant message répond a la réalité. L'admiration de Descartes pour Constantin Huygens, cet étonnant M. de Zuylichem, dont nous avons déja parlé, comme de l'ami de Rivet et de Saumaise, comme du correspondant de Balzac et de Corneille, n'est pas feinte, et elle est, ainsi qu'il faut s'y attendre, entièrement réciproquè. Leur première rencontre date d'assez loin déja. Le ler novembre 1632, Golius, le mathématicien orientaliste de Leyde, avait mandé a Constantin Huygens, en parlant de la déeouverte des lois de la réfraction par Snellius et par Descartes: « Tous deux, qui méritent d'être appelés de grands mathématiciens, sans s'être jamais connus, dans des heux et des temps divers et par des voies indépendantes, le Francais procédant par les principes et les causes, le Hollandais, au contraire, par les effets et 1'observation, sont parvenus a des conclusions identiques, diversement formulées ». II fait ensuite 1'éloge de l'homme avec qui il vient de passer deux jours et que, plus il connait, plus il aime et admire:«Sa bonté d'ame et 1'intégrité de sa vie, ne sont pas moindres que les heureuses qualités de son génie et la valeur de sa doctrine. » II veut faire profiter Huygens de ce contact: «A la première occasion, lui dit-il, je lui ferai vos compliments, ce qui, je le sais, lui sera fort agréable et, ce qui vous le sera non moins è tous les deux, c'est une amitié mutuelle, si jamais il vous est donné de vous rencontrer. »1 Ceci eut lieu a Leyde, chez Gohus, et ne fut pas une déception. « En sortant de chez vous, lui écrit Huygens le 7 avril 1632,1'image du merveilleux Francais, votre ami, m'a poursuivi. » 2 L'entrevue a été trop fugitfve. Huygens cherche a larenouveler, mais ce n'est qu'au début d'avril 1635, que les deux hommes semblent avoir eu une conversation plus longue, trois matinées durant 3, a Amsterdam, au cours de laquelle Descartes a lu une partie de sa Dioptrique. La patience et l'intelligence avec laquelle le Hollandais 1'a écouté, la bonne volonté avec laquelle il s'est offert a en faire exécuter les dessins par un «tourneur » de sa connaissance, ont séduit Descartes, qui fait de lui a Golius, dans la lettre datée 1. L'original latin a été découvert et publié par M. Korte weg, a qui les études cartésiennes doivent beaucoup d'aussi heureuses trouvailles, p. 7 de Descartes et les manuscrits de Snellius (extr. de la Revue de Métaphysique et de Morale, juillet 1896). 2. Ibid., p. 9. 3. Cf. (Euvres, t. I, p. 329. SÉJOUR A UTRECHT f 1635 493 d'Utrecht, 16 avril 1635 \ un magnifique éloge:«Veritablement c'est un homme qui est au dela de toute 1'estime qu'on en scauroit faire et encore que je 1'eusse ouy louer a 1'extreme par beaucoup de personnes dignes de foy, si est-ce que je n'avois pas encore pü me persuader qu'un mesme esprit se pust occuper a tant de choses et s'acquiter si bien de toutes, ny demeurer si net et si present parmi une si grande diversité de pensées et, avec cela, retenir une franchise si peu corrompue, parmi les contraintes de la Cour 2. II y a des qualités qui font qu'on estime ceux qui les ont, sans qu'onles ayme, et d'autres, qui font qu'on les ayme sans qu'on les en estime beaucoup davantage, mais je trouve qu'il possede en perfection celles qui font ensemble 1'un et 1'autre.. Et je ne tire pas peu de vanité de ce que je ne luy ay sceu dire aucune chose qu'il ne comprist quasi avant que j'eusse commencé de 1'expliquer. Car, si la Metempsicose et la reminiscence de Socrate avoient heu, cela me feroit croyre que son ame a esté autrefois dans le cors d'un homme qui avoit les mesmes pensées que j'ay maintenant et je prens de la occasion de juger que mes opinions ne sont point trop esloignées de ce que dicte le bon sens, puisque, estant en luy trés parfait comme il est, elles ne laissent pas de luy estre si familieres. Et je vous ay voulu escrire cecy tout au long, afïin que vous scachiés combien je vous ay d'obligation de 1'honneur de sa connoissance, car je scay que c'est principalement a vous que je la doy. » Après cet éloge, on ne s'étonnera pas de celui de Corneille dans la dédicace du Menteur et dans bien d'autres passages. A partir de ce moment, 1'échange de lettres et de pensées entre Descartes et Huygens va croissant. Celui-ci 1'attire chez lui, et sa séduction est telle qu'elle 1'emporte sur le cénobitisme volontaire du philosophe. L'affection n'est pas exclue de ce commerce, qui fut d'abord et avant tout d'ordre intellectuel. C'est en quoi nous choque la lettre de condoléances que Descartes adresse a Constantin Huygens a propos de la mort de sa femme, Suzanne van Baerle, décédée le 10 mai 1637, et oü il exprime un peu trop 1. CEuvres, t, I, jip. 315-316. TO^»P°??iff5llr? Huy6ens était, comme nous 1'avons vu, secrétaire des CommandeS,L™ le plus important qui lui ait été consacré est 1'étude posthume du Jaarboek•7977 70mp,1 f'"Vl ™ConstwUtïn Huygens, extrait de Die Haghe, innfnZ r* ii i vo1-ln-8° pl- Voir aussi le livre du Professeur Kalft : Cons' Sn»iLFenfSot|ariemi,,1^1' m"18 ; 1'arUele ^'Em. Michel dans la Revue des SStrS^' 1893' fc CXVH' p- 568-609, puis. surtout la correspondance publiée par worp, que nous avons souvent citée déja. 494 DESCARTES EN HOLLANDE ses « sentimens en Philosophe », invitant le veuf a prendre son parti de cette perte, « maintenant qu'il n'y a plus du tout de remede » F; Le sujet de leur correspondance du début est la Dioptrique, a laquelle Descartes travaille a Utrecht avec plus d'ardeur que jamais : « Pour les lunettes, je vous diray, écrit-il en automne 1635, a un correspondant, qui doit être le P. Mersenne, que, depuis la condamüation de Galilée, j'ay reveu et entierement achevé le Traité que j'en avois autrefois commencé et, 1'ayant entierement separé de mon Monde, je me propose de le faire imprimer seul dans peu de temps. » 2 Huygens craint toujours que des scrupules ne 1'eh détournent 3 : « Je vous supptie de ne point souffrir qu'aucune consideration imaginaire, de celles qui vous ont tenu en scrupule jusques a present, esbranle plus ce dessein. » Cependant Descartes lui en a fait part par Jean Gillot: « J'auray tousjours Jan Gillot en estime pour avoir veu, de sa jeunesse, le mystere de vos instructions incomparables, dit Huygens, et tousjours 1'aimeray pour la bonne nouvelle qu'il m'a portée de la résolution oü vous seriez de vous produire a 1'ignorance du monde par 1'edition de vostre Dioptrique. » 4 Jean Gillot a été le domestique de Descartes et, remarquant ses dispositions, celui-ci lui a enseigné les mathématiques. II semble 1'avoir cédé a Leleu de Wilhem et il fait le sujet de la lettre que Descartes écrit au beau-frère de Huygens, de Deventer, le 7 février 1633, Jean Gillot s'étant plaint de n'avoir plus assez de loisirs pour faire des mathématiques chez són nouveau maitre : « J'ay receu trois lettres de vostre Jean Gillot, depuis quelque temps, dont je croy vous devoir rendre compte, pour le desir que j'ay de me conserver 1'honneur de vos bonnes graces.. Aus deux premières, il se loue extremement du bon traitement qu'il recoit de vous et tesmoigné s'estimer hureus d'estre a vostre service, mais il adjouste qu'il a fort peu de tems a estudier en Mathématiques et que ses parens 6 luy offrent dé 1'entretenir a leurs depens oü il voudra, lorsque Te tems de son service sera t. CEuvres, t. I, p. 371. Voir plus haut, p. 414. . 2. CEuvres, t. I, p. 322. 3. Lettre du 28 octobre 1635, (Euvres, t I, p. 325. 4. Ibid. , r , , . .. , 5. Son père s'appelait aussi Jean Gillot. n porte, d'Utrecht a Leyde,. la lettre de Descartes a Golius, du 16 avril 1635. Cf. (Euvres, t. I,p. 314. Dansles fiches de Leyde, 11 est malaisé de voir lesquelles se rapportent au domestique de Descartes et a son UH DOMESTIQUEHMSCrPLE : JEAN GILLOT 495 -expiré, si ses amis luy conseillent de vous demander son congé. Acela je luy ay, par deus fois, respondu qu'il apprenoit beaucoup de choses en vous servant, qui luy estoient plus necessaires que 1'Algebre, quand ce ne seroit que la civilité, la netteté, la patience et autres telles qualités qui luy manquent, et qu'il devoit craindre la liberté comme une sorciere qui le pourroit perdre ». 1 Le tome II de la Correspondance nous fournit d'autres preuves du cas que Descartes faisait de son ancien serviteur qui est, disons-le en passant, un protestant francais réfugié aux PaysBas. En 1638, il songe a 1'envoyer a Paris pour y exposer et y répandre les principes de la Géométrie qui fait suite au Discours de la Méthode : « Au reste je pense a un autre moyen qui seroit beaucoup meilleur, qui est que le jeune Gillot, que vous connoissez, est 1'un de ces deux qui enseignent icy les Mathématiques et presque celuy du monde qui scait le plus de ma Methode. II fut, 1'année passée, en Angleterre, d'oü ses parens 1'ont retiré, au tems qu'il commencoit a entrer en reputation et il n'a pas icy grande fortune qui 1'oblige a y demeurer. » « S'il y avoit assurance de luy en faire trouver une n^eilleure a Paris, j'ay assez de pouvoir sur luy pour luy faire aller et il pourroit donner plus d'ouverture en une heure, pour 1'intelligence de ma Geometrie, que tous les escrits que je scaurois envoyer. »2 Rien de plus touchant que 1'affection qu'il témoigne a cet ancien domestique, devenu son élève et qui n'est ni de sa père. Je me borne donc a les reproduire, d'après les copies cnr'a bien voulu m'envoyer M. le pasteur der : t Baptisé a Sedan, le 4 septembre 1607 : Jean, fils de Jean, chirurgien, et Beatrix 1L Recu membre de 1'Eglise de Leide.en 1607, Gillot Jean et sa femme par temoignage de 1 Eghse de Sedan (ce personnage peut être le chirurgien ci-dessus mentionne et lepere du serviteur de Descartes). III. Baptisê, le 12 aoüt 1618 :'a Leide, Gillot Pierre, fils de Jean et de Jenne de Ia Lezand. IV. Proclamés a Dordrecht, le 8 janvier 1635: Gillot Jean, né a Paris, et Marguerite Jeans, Vve de Jean Cornélis, nee a Dordrecht, (si ee personnage est le disciple de ^^.V1 n est Das de Sed*n et n'a rien de commun avec le précédent!. V. Membres de PEglise de Leide, 26 avril 1643: Gillot Jean et sa femme. VI. Proclamés a Leide, le 30 novembre 1649 : Gillot Jean et Blanche Isabeüe. ^VII. Mariés a Delft, le 4 décembre 1649 : Gilot j. h., né a Leyden, et Blanche Jsa- ._Je «»nnais encore un Jean Gillot, libraire, mort en 1665. Sa veuve, Marthe Person. épouse a Grontague, en ayrff. 1571, Jean de La Barre, de Normandie, et meurt a Gronmgue en 1694 (Bulletin Eglises Wallonnes, 2« série, t. I, p. 248). 393 394311 Gillot, domestique de Descartes, voir aussi Baillet, t. I, pp. 292, 361, 1. (Euores, t. I, pp. 264-265. 2. Ibid., t. II, p. 89. 496 DESCARTES EN HOLLANDE classe ni de sa religion. Ceci fait grand honneur a sa largeur d'esprit. La lettre du 27 mai 1638 est adressée au P. Mersenne, qui va donc, par intérêt pour la science, s'occuper de placer a Paris le jeune huguenot: « Ce que je vous avois écrit de Gillot n'estoit point a dessein que vous vous missiez aucunement en peine de luy chercher condition, car je ne luy ay pas encore seulement demandé s'il voudroit se resoudre d'aller en France ny ne 1'ay vü il y a plus de six mois, et, en s' arrestant a Leyde ou a La Haye, il y peut aisement guaigner quatre ou cinq eens écus par an. II eut pu aussi en gaigner assez en Angleterre, mais ses parens 1'en ont retiré contre son gré, lorsqu'il commencoit a y entrer en connoissance pource qu'ils craignoient qu'il ne se debauchast, estant loin d'eux, comme ils craindroient sans doute, estant en France, qu'on ne le rendist cathohque, car ils sont fort zelés huguenots, mais, pour luy, il est fort docile et, de sa fidelité, j'en voudrois répondre comme de mon frere.» Le beau mot! qu'il a déja employé a propos de 1'ouvrier Ferrier et qui atteste un cceur tendre et confiant dans 1'amitié. « En sorte que, si M. de Sainte-Croix ou quelque autre luy offre une condition que vous jugiez luy estre avantageuse, je ne lairray pas de 1'envoyer, pourvü toutefois que Rivet1 n'en soit point averty, car il a tant de pouvoir sur ses parens qu'il les empescheroit d'y consentir, sous pretexte de la Religion, bien que ce ne fust en effet que pour empescher son avancement, car c'est son humeur ». 2 Descartes croit n'avoir pas été assez chaleureux et, dans la suite de la même lettre, il accentue 1'éloge, supplie qu'on ne froisse pas le jeune homme et que son nouveau maitre le traite non en valet mais en camarade, sans exiger de lui trop d'hurnilité. C'est une merveille de délicatesse et qui en dit long sur la facon dont Descartes traitait ses valets en un siècle oü Arsinoé les battait et ne les payait point : « II y a regie generale pour trouver des nombres qui ayent avec leurs parties aliquotes telle proportion qu'on voudra et, si Gillot va a Paris, je luy apprendray, avant que de 1'y envoyer, mais je vous prie de me mander, si vous jugez que la condition de Monsieur Sainte-Croix fust bonne pour luy; il est 1. L'ancien professeur de Leyde, alors précepteur du jeune Guillaume II, a La Haye. Cf. plus haut, t II, chap. XIII, p. 303. 2. CEuvres, t. II, pp. 145-146. séjour a utrecht ! 1635 497 trés-fidele, de tres-bon esprit et d'un naturel fort aimable; il entend un peu de Latin et d'Anglois, le Francois et le Flamand! II scait tres-bien 1'Arithmétique et assez de ma methode pour apprendre de soy-mesme tout ce qui luy peut manquer dans les autres parties de Mathématique. Mais, si on attend de luy dés sujettions, comme d'un valet, il n'y est nullement propre, a cause qu'il a toujours esté nourry avec des personnes qui estoient plus que luy et avec lesquels neantmoins il a vecu' comme camarade, outre qu'il ne scait pas mieux les civilitez de Paris qu'un Estranger. Et je crains que, si on le vouloit faire trop travailler dans les nombres, il ne s'en ennuyast, car, en effet, c'est un labeur fort infructueux et qui a besoin de* trop de patience pour un esprit vif comme le sien. »1 Pour le vulgaire, le mathématicien est celui qui sait bien compter et jongler avec les chiffres2; pour Descartes, c'est, selon la formule moderne, 1'analyste et 1'inventeur. Mais quittons le jeune Gillot et revenons a Utrecht, oü nous avons laissé Descartes, en 1'été 1635. Par bonheur nous savons oü il habita. On trouve aux archives de cette ville un dessin, sur lequel une main inconnue a tracé ces mots : « Het huis, waarin Descartes eenigen tijd gewoond heeft in de Maliebaan te Utrecht» (La maison oü Descartes habita quelque temps, sur le Mail, a Utrecht). On verra une reproduction de ce dessin dans notre planche XXXVIII a : un petit pavillon carré en retrait sur la chaussée, dont il est séparé par une misérable palissade interrompue par les fenêtres d'un appentis et un porche somptueux en plein cintre, fermé d'une porte en planches mal équarries. Le batiment a toit pyramidal, surmonté d'une cheminée, est percé, du cöté de la rue, de trois fenêtres assez jolies, a fronton, garnies, dans la partie inférieure, de petits volets et encadrées par des pilastres de style ionien. Toute 1'architecture est un compromis entre le style hollandais et le style francais : il rappelle la maison Thysius de Leyde et semble avoir été refait dans la seconde moitié du xvii« siècle. On en sait remplacement s c'est a peu prés au coin de la rue du Rossignol (Nachtegaalstraat) et du Mail (Maliebaan) dont les ombrages épais et les lignes d'arbres 1. CEuvres, til, pp. 149-150. Mo'bmi? lituUÜou de <* Prfjuge dans un article de M. Denjoy, Revue du 32 498 DESCARTES EN HOLLANDE rectüignes attirent et séduisent 1'étranger, mais qui n'était alors qu'un terrain vague, hors de 1'enceinte fortifiée. Dans le lointain, on apercoit la majestueuse tour ajourée de la cathédrale médiévale. Descartes y monta, auprès du carillonneur : « A propos de quoy, je vous diray, écrit-il, le 23 aoüt 1638, au P. Mersenne qu'il y a un aveugle a Utrecht, fort renommé pour la Musique \ qui joue ordinairement sur les cloches de cete haute Tour dont vous desirez avoir les mesures, lequel j'ay vü faire rendre 5 ou 6 divers sons a chascune des plus grosses de ces cloches, sans les toucher, approchant seulement sa bouche de leur bord et y entonnant tout bassement le mesme son qu'il leur vouloit faire imiter. »2 Au pied de la tour, est tapie l'Université, vieux cloitre entouré de jardins et oü Descartes dut se rendre souvent pour entendre son ami Reneri défendre en latin les théories révolutionnaires du Cartésianisme naissant qui tentait les routes nouvelles et s'écartait « du grand chemin qui ne conduit nulle part et qui ne sert qu'a fatiguer et égarer ceux qui le suivent ». 3 1 Une obligeante communication du savant archlviste d'Utrecht, M. S. Muller, me permet de préciser que ce carillonneur célèbre est le « Jonkheer » Jacob van Eyck. 2. Cf. CEuvres, t II, p. 329. . . , 3. Expressión détachée d'une lettre a Constantin Huygens de [mars 1638] , cf. CEuvres, t. II, p. 52. CHAPITRE XIII SÉJOUR A LEYDE (1636-1637) I PUELICATION DU DISCOURS DE LA MÉTHODE Lorsque Descartes a achevé a Utrecht la Dioptrique dont il parle beaucoup, et, sans doute, le fameux Discours de la Méthode dont il ne parle point, il se rend a Leyde, centre de la Librairie hollandaise pour y trouver les célèbres Elzeviers, Ronaventure, Tonele, et Abraham, le neveu, illustres descendants de 1'humble « Pedel i ou bedeau de l'Université de Leyde et qui avaient grandi littéralement dans 1'ombre de 1'ancienne « Académie ». « Je suis venu a ce dessein en cette ville, écrit le philosophe a Mersenne en mars 1636 \ mais les [Elzeviers] qui témoignoient auparavant avoir fort envie d'estre mes hbraires, s'imaginans, je croy, que je ne leur échapperois pas, lors qu'ils m'ont veü icy, ont eu envie de se faire prier, ce qui est cause que j'ay resolu de me passer d'eux et, quoy que je puisse trouver icy assez d'autres libraires, toutesfois, je ne resoudray rien avec aucun que je n'aye receü de vos nouvelles, pourveü que je ne tarde point trop a en recevoir et si vous jugez que mes escrits puissent es-.e imprlmez a Paris plus commodément qu'icy et qu'il vous plust d'en prendre le soin, comme vous m'avez obligé autresfois de m'offrir, je vous les pourrois envoyer incontinent aprés la vostre receüe. » « Seulement y a-t-il en cela de la difficulté que ma copie n'est pas mieux écrite que cette lettre, que 1'ortographe ny les virgules n'y sont pas mieux observées et que les figures n'y sont tracées que de ma main, c'est a dire tres-mal, en sorte que, si vous n'en tirez l'intelligence du texte pour les interpreter aprés au graveur, il luy seroit impossible de les comprendre. •1. «Euwevt; I, P- 338. - ; , • . 500 DESCARTES EN HOLLANDE Outre cela, je serois bien aise que le tout fust imprimé en fort beau caractere et de fort beau papier et que le libraire me donnast du moins deux eens exemplaires, a cause que j'ay envie d'en distribuer a quantité de personnes. »1 Le gentilhomme ne songe donc pas a demander a son éditeur, qu'il enrichira, des honoraires : il se contentera de deux cents exemplaires d'auteur et c'est ce que fut payé un des plus purs chefs-d'ceuvre de 1'esprit humain! Peut-être que cela est bien ainsi, car, comme 1'écrivait Descartes, deux ans plus tót2 : « pource que les inventions des sciences sont de si haut prix qu'elles ne peuvent estre assez payées avec de 1'argent, il semble que Dieu ait tellement ordonné le monde que cette sorte de recompense n'est communement reservée que pour des ouvrages mechaniques et grossiers ou pour des actions basses et serviles. » 11 faut dire aussi que le Discours est le premier hvre d'un jeune auteur de... quarante ans3. « Et afin que vous scachiez ce que j'ay ertvie de faire imprimer, il y aura quatre Traittez, tous francois et le titre en general sera : Le projet d'une Science universelle qui puisse élever nostre nature d son plus haut degré de perfection. Plus la Dioptrique, les Meteores et la Geometrie, oü les plus curieuses Matieres que l'Autheur ait pü choisir, pour rendre preuve de la Science universelle qu'il propose, sont expliquées en telle sorte que ceux mesmes qui n'ont point estudié les peuvent entendre. » C'est bien pour cela qu'ils sont«tous francois» et d'un francais qui ne sent pas la « West-Frise »4. Ce n'est rien moins qu'une révolution. Les deux traités que Gassendi a pubhés dans laprécédente décade sont en latin, en latin le Novum Organum de Bacon (1620), en latin la Géométrie de Clavius et les cours des universités ; 1'emploi de notre « vulgaire » confère au Projet d'une science universelle la portée d'un appel au peuple des lettrés, aux hommes du bon sens, ignorassent-ils le latin, en faveur de la raison, apanage de tous. La vieille Sorbonné en devait trembler 1. CEuvres, t. I, p. 338-340. 2. A Morin (septembre ou octobre 1634), ibid. p. 314. 3. A qui cependant« des libralres... ont fait offrir un present», pour leur mettre ce qu'il ferait entre les mains, avant même qu'il ne sorttt de Paris. (Cf. CEuvres, t. I, p. 351.) 4. Je crois qu'il faut lire West-Frisé (c'est la qu'est Franeker) dans la lettre da 12 décembre 1633 a Wilhem, a laquelle je fais allusion (CEuvres, t. I, p. 273) : < Je ne doy pas esperer que le séjour de Westfalie, oü je me suis presque toujours aresté, m'ait donné moyen d'acquerir les graces que je n'avois sceif apporter de mon pais. » SÉJOUR A LEYDE (1636-1637) 501 dans ses fondements. Le gentilhomme-philosophe, sans épitoge ni bonnet, 1'épée au cöté et la plume au chapeau, enfoncait ses portes pour faire entrer la vérité. Ceci explique la fiére excuse que 1 on lit a la fin du Discours de la Méthode 1 : « Et si j'escris en Francois, qui est la langue de mon païs, plutost qu'en Latin qui est celle de mes Precepteurs, c'est è cause que j'espere qué ceux qm ne se servent que de leur raison naturelle toute pure jugeront mieux de mes opinions que ceux qui ne croyent qu'aux hvres anciens et, pour ceux qui joignent le bon sens avec 1'estude lesquels seuls je souhaite pour mes juges, ils ne seront point ]e m asseure, si partiaux pour le Latin qu'ils refusent d'entendre mes raisons pourceque je les explique en langue vulgaire » La smte de cette importante lettre de mars 1636 prouve que Luu01/ d'Um Sd€nce universelle ^t bien le Discours de la Methode, auquel il pourrait servir de sous-titre et qui est par conséquent achevé en grande partie : « En ce projet, je découvre une partie de ma Methode, je tache a demonstrer 1'existence dr Dieu et de 1'ame separée du corps et j'y adjouste plusieurs autres choses qui ne seront pas, je croy, desagreables aulecteur. En la Dioptrique, outre la matiere des refractions et 1'invention des lunettes, j'y parle aussi fort particulierement de 1'Oeil de la Lumière, de la Vision et de tout ce qui appartient a la Catoptnque et è 1 Optique. Aux Meteores, je m'arreste principalement sur la nature du Sel, les causes des Vents et du Tonnerre les figures de la Neige, les couleurs de 1'Arc-en-Ciel, oü je tasche aussi a demonstrer generalement quelle est la nature de chaque Couleur et les Couronnes ou Halones' et les Soleils ou Parhelia* semblables a ceux qui parurent a Rome, il y a six ou sept ans! fcnnn, en la Geometrie, je tasche è donner une facon generale pour soudre tous les Problèmes qui ne 1'ont encore jamais este Et tout cecy ne fera pas, je croy, un volume plus grand que de cinquante ou soixante feuilles. » Descartes n'a pas la superstition du volume, dans tous les sens du mot et ne croit pas que les idéés qui y sont contenues ont d autant plus de poids qu'il est plus lourd. II avait d'ailleurs bien calculé : ü y eut exactement soixante-six feuilles 4 1. (Euvres, t. VI, p. 77-78. 2. Nous disons aujourd'hui « halos ». a ^ *^Tfaux"soleUs' Voir plus haut, p. 449 4. CEuvres, 1. I, p. 342. ' 502 descartes en hollande i Au reste je n'y veux point mettre mon nom, suivant mon ancienne résolution, et je vous prie de n'en rien dire a personne, si ce n'est que vous jugiez a propos d'en parler a quelque übrairer afin de scavoir s'il aura envie de me servir, sans toutesfois actiever, s'ü vous plaist, de conclure avec luy, qu'aprés ma réponse. » Pas de nom! le Discours de la Methode paraitra anonyme; anonyme comme les Provinciales, comme les Satires du Sieur D... Quelle lecon pour notre vanité moderne, si préoccupée d'assurer notre droit de propriété sur la moindre des productions de 1'espritl Cette modestie foncière du grand homme, laquelle nous repose de la vanité bouffie d'un Saumaise ou d'un Heinsius, se marqué encore dans 1'humilité avec laquelle il se soumet d'avance a la censuré d'un Constantin Huygens, a qui il va Ure son manuscrit a La Haye, le 1« avril 1636, dans 1'apresmidi1 : « Monsieur, « Je ne manqueray de me trouver demain a vostre logis, incontinent apprés vostre diner, puisqu'il vous plaist de me faire la faveur de me le permettre et je porteray avec moy tous ceus de mes papiers qui seront assés au net pour les pouvoir Ure, affln que vous en puissiés choisir ceus dont la lecture vous serale moins ennuieuse et que j'aye le bonheur de scavoir au vray le jugement que vous en ferés. Car, comme je tasche en tout de reigler plutost mes sentimans par la raison que par la coustume, j'ay particulierement cete maxime que je me tiens beaucoup plus redevable a ceus qui me reprenent qu a ceus qui me löuent... »2 II lui laisse même une partie de ce manuscrit, comme en témoigne la lettre de Constantin Huygens, écrite de La Haye le 15 juin 1636 ■ II semblerait, k la ure, que 1'impression soit déja commencée, car le Hollandais demande a Descartes de lui «faire entendre par occasion jusques oü en est Z'imprimeur ». , Pour lequel s'est-ü décidé ? Pour Jean Maire, qm était originaire de Valenciennes et établi k Leyde. Entre la lettre de 1. (Euvres, t. i, p, 342. 2. Ibid. p. 343. 3. Ibid. Manche XLI Le Discours de la Méthode (1637) CONTRAT d'EdITION deco^ert aux Archives Municipales de Letde. Planche XLH. Le Discours de la Méthode (1637) CONTRAT d'EdITION passé par René Descartes et son ubraire Jan Maire, LE 3 DÉCEMBRE l636, DEVANT LE NOTAIRE L. VERGEYL, A LeïDE. DÉGOUVERT AUX ARCHJVES MuNICIPALES DE CETTE VILLE. CONTRAT d'ÉDÏTION DU DISCOURS DE LA MÉTHODE 503 Descartes du 31 mars 1636 et celle dè mars 1637 * il y a, dans la correspondance publiée avec tant de soin par MM. Adam et Tannery, une lacune d'une année entière. Nous ne sommes pas en mesure de la combler, mais, au moins, pouvons-nous verser au dossier un document resté jusqu'a présent ignoré et inédit, et qui est sans prix2: le contrat d'édition du Discours de la Methode, passé devant le « Notaire public » Laureris Vergeyl et signé de la propre main de René Descartes et de Jean Maire a Leyde, le 2 décembre 1636. Nous le reproduisons en deux facsimilés (cf. pl. XLI-XLII), dont voici la transcription littérale et compléte : Prothocol 335 Laurens Vergeyl 69 Not. public a Leyde Aujourd'huy le2« Décembre [1636] comparurent pardevant moy LAURENS VERGEYL, notaire public et les tesmoings soubsnomés, Mons» RENÉ DES CARTES demeurant a present en ceste ville d'une et Sr JEAN LE MAIRE, marchand libraire en eest ditte ville de Leyde d'autre part, lesquels comparants declarerent entre eux deux estre accordés en telle sorte que lédit DES CARTES mettra entre les mains dudz7 LE MAIRE toute la copye d'un livre intitulé : La methode etc. plus la Dioptrique, les Meteores et la Geometrie et s'employera avecq luy pour luy faire avoir les privileges pour 1'imprimer tant en ce pays qu'en France, a condition que ledzï LE MAIRE ne jouira desdifs privileges que pour deux editions a scavoir celle quy est desja commencée en ceste ville et. une autre qu'il poura faire icy ou en France et qu'en ces deux editions ensemble, il ne poura flner plus de trois milles exemplaires, lesquels estant distribuées ou ledt'f DES CARTES s'oflrant de prendre tous ceux quy resteront audi'f LE MAIRE pour le pris qu'il aura communement vendu les autres aux libraires, ledtf DES CARTES jouyra desdits privileges tout de mesme que s'ils avoyent esté octroyés en son nom pour en user ou les transporter a luy LE MAIRE ou a tel autre libraire qu'il luy plaira, en sorte que sy, apres cela led/f LE MAIRE Imprimoit ledifjivre ou en francois ou en autre langue sans le consenteme/tf dudif DES CARTES, ü se soubsmet aux mesmes peines ou amendes ausquels seront condamnés par lesdits privileges ceux quy rimprimeroient pendant la distribution de ces deux premières editions sans son consentement. Et de plus, il promet de donner au susdit(s) DES CARTES deux cents exemplaires de la première édition quy est commencée, obligants raccompUssemenf de tout ce que dessus [par] personnes et biens, nuls reservés, les soubsmettants a tous Seigneurs et justices Hequerant etc. ' 1. CEuvres, p. 347. 2. L'honneur de la déeouverte de ce document capital pour notre histoire littéraire et dont longinal se trouve aux Archives Municipales de Leyde. revient k M. Bijleveld, ancien archiviste-adjoint, lequel Ie signala a M. de Waard, aui a bien voulu, ainsi que M. BnleveM, me laisser le soin de le publier iel, ce dont ie les remercie, 1 un et. 1 autre, tres sincèrement. 504 DESCARTES EN HOLLANDE Ainsi faict a Leyde au comptoir de moy, notaire, en présence DAVID GATOU et JEAN DESPUY comme tesmoings dignes de foy a ce, avec moy, notaire, requis _, RENÉ DESCARTES GATOU/ pour ce que dessus JAN MAIRE JAN DU PUIS Le notaire Vergeyl nous a épargné les clauses de style et il est trés facile de résumer, en quelques lignes, le précieux document : 1'impression a déja commencé par les soins de Jan Maire, que la pièce appelle « Le Maire ». Descartes s'engage a lui procurer les deux privilèges, 1'un pour la Hollande, 1'autre pour la France, mais ils ne vaudront que pour 1'édition déja commencée et pour une autre que Maire pourra faire aux PaysBas ou en France, jusqu'a concurrence de trois mille exemplaires, gros tirage pour 1'époque. Ceux-ci vendus, ou repris par 1'auteur au prix de libraire, il recouvre la propriété de son livre. II obtient en payement les deux cents exemplaires qu'il désire pour les distribuer a ses amis. Le privilège fut facilement obtenu des États de Hollande, sans doute par les soins de Huygens; celui du Roi Trés Chrétien mit plus de temps, pour beaucoup de raisons, dont 1'une est que les épreuves intéressaient tellement les intercesseurs qu'ils les gardaient indéfiniment entre les mains, 1'autre, que le bon P. Mersenne voulut trop bien faire et qu'il rédigea un texte pompeux dont les louanges, que 1'auteur semblait s'accorder a lui-même, dévoilant d'ailleurs son anonymat, 1'irritèrent profondément1 : « L'invention des Sciences et des Arts accompagnez de leurs demonstrations et des moyens de les mettre a execution estant une production des Esprits qui sont plus excellens que le commun, a fait que les Princes et les Estats en ont toujours receü les inventeurs avec toutes sortes de gratifications, afin que, ces choses introduites es lieux de leur obeissance, ils en devienent plus florissans. Ainsy nostre bien-amé Des Cartes nous a fait remonstrer qu'il a, par une longue estude rencontré et demonstré plusieurs choses utiles et belles, auparavant incognues dans 1. n s'excuse plus tard de son irritaüon auprès du P. Mersenne (cf. t. I, p. 376 des CEuvres) : « Jé s?ay bien qu'il y a force gens qui seroient bien glorieux d'en avoir un semblable, jusques-la que quelqu'un icy, en ayantvu la copie, disoit qu'il 1'estimoit plus qu'ü n'eust fait des Lettres de Chevalerie. * PUBLICATION DU DISCOURS DB LA MÉTHODE 505 les Sciences humaines et concernant divers arts avec les moyens de les mettre en execution... » . La suite devait le facher plus encore, car elle 1'engageait pour 1'avenir : « A ces causes, desirant gratifier ledit Des Cartes et faire cognoistre que c'est a lüy que le publiq a 1'obligation de ses inventions, nous avons... accordé, permis, voulons et nous plaist que ledit Des Cartes puisse faire et face imprimer toutes les ceuvres qu'il a composées et qu'il composera touchant les sciences humaines en tel nombre de traitez et de volumes que ce soit etc.» 1 Par la lettre de mars 1637, nous comprenons que Mersenne a cntiqué le titre qu'il a lu sur les épreuves, car Descartes lui repond : « Je ne mets pas Traité de la Methode, mais Discours de la Methode, ce qui est le mesme que Pref ace ou Advis touchant la Methode, pour monstrer que je n'ay pas dessein de 1'enseigner, mais seulement d'en parler. Car, comme on peut voir de ce que j'en dis, elle consiste plus en Pratique qu'en Theorie et je nomme les Traitez suivans des Essais de cette Methode pour ce que je pretens que les choses qu'ils contiennent n'ont pü estre trouvées sans elle, et qu'on peut connoistre, par eux, ce qu'elle vaut, comme aussi j'ay inseré quelque chose de Métaphysique, de Physique et de Médecine dans le premier discours pour montrer qu'elle s'étend a toutes sortes de matieres. » Au témoignage de Saumaise, dans une lettre a Jacques du Puy, datée de Leyde, 4 avril 1637, et que nous avons déja citée « le hvre du sieur des Cartes est achevé d'imprimer», a cette date, « mais il ne se debite point encores, a cause du privilege quon attend de France...»; «il a tousjours esté en ceste ville pendai t 1'impression de son libvre ». C'est ce que confirme la phrase de notre contrat : « demeurant a present en ceste ville». II a dü y voir Monsieur de Hauterive avec sa femme et sa « compagnie Francoise ». Pendant ce séjour aussi, poursuivant ses recherches d'Amsterdam, il assiste a l'Université de Leyde, a la « lecon d'Anatonüe », comme il 1'a raconté luimeme plus tard au P. Mersenne 2 : ojtfenpre^^ ne 5figur?J,Pas.I dans ^"Mon Paneer*, en 1644, sous leXe de Renaü'ris' mais.en.tête de 1'édlUon latine, publiéé 2. Lettre du 1« avril 1640, dans CEuvrei, Xi Sjj pp/4097 506 DESCARTES EN HOLLANDE « Je ne trouverois pas estrange qué la Glande Conarium1 se trouvast corrompue en la dissectibn des lethargiques, car elle se corrompt aussi fort promptement en tous les autres et, la voulant voir d Leyde, il y a trois ans, en une femme qu'on anatomisoit, quoy que je la cherchasse fort curieusement et sceusse fort bien oü elle devoit estre, comme ayant accoustumé de la trouver dans les animaux tous fraischement tuez, sans aucune difficulté, il me fut toutesfois impossible de la reconnoistre. Et un vieil Professeur, qui faisoit cette anatomie, nommé Valcher2, me confessa qu'ü ne 1'avoit jamais pü voir en aucun cors humain, ce que je croy venir de ce qu'ils employent ordinairement quelques jours a voir les intestins et autres parties, avant que d'ouvrir la teste. » Le Discours de la Méthode n'a pas paru, que déja les gens bien informés de Paris jasent et demandent au P. Mersenne, a la grande colère de Descartes, de quelle religion est 1'auteur. Enfin le privilège de France, daté du 4 mai 1637, est arrivé et Maire peut composer, au-dessous, laligne fatidique:-« achevé d'imprimer le 8 jour de juin 1637 »> 3. L'auteur ne partage pas Sa satisfaction, car il fait insérer, après 1'errata, qui occupeune page entière, cette curieuse note : « On trouvera aussy en plusieurs endroits des distinctions fort mal mises et quantité d'autres fautes de peu d'importance, lesquelles on excusera facilement, quand on scaura que 1'Autheur ne fait pas profession d'estre Grammairien et que le Compositeur, dont le Libraire s'est servi, n'entend pas un mot de Francois. » II s'agit maintenant de distribuer les deux cents exemplaires. Les premiers doivent être, comme il convient a un loyal sujet, « pour le Roy », pour « Monsieur le Cardinal de Richelieu » et leur ministre a La Haye « Monsieur de Charnassé», a qm 1'auteur a été présenté récemment et qui se chargera de les leur transmettre *. II n'oubhe pas non plus le prince dont 1'hospitalité lui est si douce, son Altesse8 Frédéric-Henn : ; Dés lors que je me resolu de quitter mon pais et de m'éloigner de mes connoissances, afin de passer une vie plus douce et plus 1 r'«t la clande Dinéale. oü Descartes localisait les « esprite amimmrx ». coburgius. 3. CEuvres, L VI, p. 514-515. 4. Cf. CEuvres, t. I, p. 387. • 5. La France lui avait tout récemment accordé ce titre. DESCARTES ET P. C. HOOFT 5u7 tranquüle que je ne faisois auparavant, jé ne me fusse point avisé de me retirer en ces Provinces et de les preferer a quantité d'autres endroits, oü il n'y avoit aucune guerre et oü la pureté et la secheresse de 1'air sembloient plus propres aux productions de 1'esprit, si la grande opinion que j'avois de Son Altesse ne m'eust fait extraordinairement fier a sa protection et a sa conduite et depuis, ayant jouy parfaitement du loisir et du repos que j'avois esperé trouver a 1'ombre de ses armes, je luy en ay tres-grande obligation et pense que ce livre qui ne contient que des fruits de ce repos, luy doit plus particuliérement estre offert qu'a personne ». 1 L'intermédiaire, ici choisi, est assurément Huygens, qui eut naturellement son exemplaire. Quant au fidéle disciple Reneri, il n'est pas oublié non plus et il recoit même la mission de distribuer un certain nombre de volumes a des Hollandais de marqué. C'est ce que montre Ia lettre que voici, adressée par le professeur d'Utrecht a P. C. Hooft2: Monsieur, Estant a Amsterdam pour distribuer quelques exemplaires du livre de Monsr. Des Cartes k personnes de qualité, dont il faisoit estime pour avoir eu 1'honneur de les avoir veü et de leur avoir parlé aultre fois, ü m'avoit recommandé de ballier un ou le faire tenir a Vostre Seigneurie pour le grand estime qu'ü fait de vostre merite, desirant Wen d'estre tenu pour vostre humble serviteur. J'espere que trouverez le livre k vostre goust; pour moy, je n'ay encore rien veü d'approchant és aultres autheurs sur les subjets qu'il a choisi pour eschantillon d'un oeuvre plus grand. Je n'ay rien en moy dont puisse sortir quelque chose d'approchant et si haults degrez et beaucoup moins qui soit digne d'estre veü dun osü d'aigle comme est celuy de vostre sublime esprit, neanmoins m estant imaginé que certaine nouvelle facon d'analyse, dont je suis le premier inventeur, pourroit avoir quelque usage es sciences, ie prendray le hardiesse de vous en envoyer quelque jour un echantükra afin que je puisse recognoistre par vostre censuré si ie ne me trompe... etc. , . , , fs.] Henri Reneri. d Amsterdam; en haste ce 16» de juin. Le destinataire, Pieter Corneliszoon Hooft, n'était pas un mince personnage. Vondel, Cats, Constantin Huygens et lui sont les lumières de la littérature hollandaise, en un siècle 1. (Euvres, t. I, p. 385. 1857,Gp.P21& M' de Waard' d'aDrès P' C- Hooft» Brieven; Leyde, E. J. BriJJ, 508 DESCARTES EN HOLLANDE qui est aussi son grand siècle. A la suite d'un voyage de France et d'Italie, de 1598 a 1601 (il était né en 1581), Hooft devient le représentant authentique de la renaissance italofrancaise. II sera pétrarquisant et ronsardisant, pratiquant le culte de la femme et de la nature. Ce qui le distinguera de son temps et de son milieu orthodoxe, c'est sa fidélité a la libre pensée et au doute de Montaigne qu'il appellera « le divin Gascon», «den godlyken Gascoen»1. C'est pourquoi il est curieux de voir Descartes le fréquenter; car le début de la lettre a Reneri ne laisse pas de doute sur le fait que le philosophe francais et 1'écrivain hollandais se sont vus. Ne serait-ce pas au •chateau de Muiden, dont Hooft est «drossart», depuis 16092, a mi-chemin entre Naarden et Amsterdam, aux bords du Zuyderzée ? II y continue la tradition du poète Roemer Visscher et des deux fdles de celui-ci, les poétesses Maria Tesselschade 8 ■et Anne, et y entretient une véritable cour littéraire oü fréquentent le grand Vondel, qui ne se brouilla avec lui qu'après être devenu catholiqüe (1643), Samuel Coster, fondateur de 1'Académie Hollandaise (1617), Jan Vos, etc. Hooft était aussi auteur tragique et comique (on lui doit une excellente imitation amsterdamoise de YAululaire, le Warenaar), * mais il n'est pas moins historiën et son histoire de Henri IV, Hei leven van Hendrik de Groote, parue en 1626, n'avait pas manqué, sans doute, d'attirer sur lui 1'attention de Descartes. Quoi qu'il en soit, quand même celui-ci n'aurait eu avec Hooft qu'une seule entrevue, elle est intéressante en ceci que le Francais ne fuit nullement les Hollandais de marqué, que, bien plus, il semble les rechercher a Amsterdam et ailleurs, que la réputation de libre-penseur du bailli de Muiden ne I'avait pas éloigné de lui, et cela encore est caractéristique. Quant a Reneri, auteur de la lettre que nous venons de citer, 1 Cf Gedichten van P. C. Hooft, éd. Stoett; Amsterdam van Kampen, 1899, in-8°-1' I p. 73. Selon M. Prinsen, a qui je dols cette indlcation, la poésie totltulée'* Necesslté » (Noodlot) est toute imprégnée de la philosophie de Mon- taznu est aussi bailli du Gooiland, le pays de bruyères qui s'étend entre le Zuyderzée et la lifine Amersfoort-Naarden. .... .1 * 3 Ainsi nommée par son père, assez singulièrement, d'après le désastre qu avaient \?*a£ïïffit&X*h»lt est celui que M. Prinsen qui vient de succéder a M te Winkel, comme professeur de littérature néerlandaise a 1 Université ^Amsterdam, ainséré dans l/Nieuw Nederlandsch Biografisch Woordenboek *u t TV f19181 col 771-777, avec une bibUographle. M. Prinsen est 1'auteur d'Un rémarquable Handboek tot de Nederlandsche Letterkundige Ceschiedcme ; La Haye M Nijhoff, 1916, in-8°, oü il est question aussi de Hooft a la page 256. DESCARTES ET P. C. HOOFT 509 il n'hésita pas a prendre aussitöt le Discours de la Méthode et les Essais pour sujet de ses cours a 1'Université d'Utrecht. C'est ce que prouve une lettre de Saumaise 1 a 1'astronome Boulliaud, datée du 7 mars 1638, et qui en dit long sur le succès du livre en Hollande : « Je suis bien aise du jugement favorable que vous faites du livre de Mons' Des Cartes. Je le lui ferai scavoir et a ses sectateurs, qui sont en grand nombre en ses (sic) quartiers, jusques la que son livre se lit2 publiquement en 1'Academie d'Utrech par un professeur en philosophie nommé Reyneri. II travaille tousjours, a ce que j'apprens, aprés son Monde. S'il estoit moins bon catholiqüe, il nous 1'auroit desja donné, mais il craint de publier une opinion qui n'est pas approuvée a Rome. » L'Université d'Utrecht peut donc revendiquer 1'honneur d'avoir été la première au monde, oü 1'on ait expliqué le Discours de la Méthode. 1. Cf. CEuvres de Descartes, t. X, p. 556-557, d'après le ms. 7050 de la Bibliothèque de Vienne, foL 143. Saumaise n'eut pas autant de chance que Hooft et n'eut son exemplaire qu'en décembre. Je ne sais s'il y en eut un pour RiVet, dont Descartes se méflait : t Je connois son cceur, iLy a long-temps, et de tous les Ministres de ce pais, pas un desquelsTie m'est amy, mais neantmoins ils se taisent et sont muets comme des poissons ». (CEuvres, t. II, 32). 2. S'enseigne. ■ CHAPITRE XIV SÉJOUR A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) Le bruit qui se fait autour de sa doctrine n'étourdit pas le philosophe et 1'accueil favorable des Universités hollandaises ne lui donne pas d'illusions sur la valeur del'enseignement qui s'y donne. II le juge même assez durement dans cette lettre de septembre 1638, a laquelle nous avons déja fait allusion 1 et oü il déconseille a un père d'y envoyer son fils : « La Philosophie ne s'enseigne icy que tres-mal, les Professeurs n'y font que discourir une heure le jour, environ la moitié de 1'année, sans dicter jamais aucuns Ecrits2 ny achever le cours en aucun temps determiné, en sorte que ceux qui en veulent tant soit peu scavoir, sont contraints de se faire instruire en particulier par quelque maistre, ainsi qu'on fait en France pour le droit, lorsqu'on veut entrer en office. » Ce genre de « répétitions » fit la première fortune de Regius a Utrecht. C'est a celui-ci, qui s'appelait, de son vrai nom, Henri de Roy, bien qu'il appartint a une vieille familie locale 3, que Descartes renvoie le père en question, s'il tient absolument a faire étudier son fils aux Pays-Bas : «Si M. vostre fils vient en ces quartiers, je.le serviray en tout ce qui me sera possible. J'ay logé a Leyde en une maison oü il pourroit estre assez bien pour la nourriture ; mais, pour les études, je croy qu'il seroit beaucoup mieux a Utrecht, car c'est une Université qui, ri'estant erigée que depuis quatre ou cinq ans, n'a pas encore eu le temps de se corrompre, et il y a un Professeur, 1. Cf. plus haut, p. 366. et CEuvres, t. II, pp. 377-378. 2. Cependant nous avons conservé bien des cahiers de cours de ce temps; ils s'appelaiènt, alors comme' aujourd'hui, en hollandais, < dictaat », ce qui indique une persistance de la mauvais e'' habitüdè qd'órit certains prófess éurs de dicter leürs cours.'' ■ ™ • < - 3. Voir, sur lui, une thèse récente de M. J, A. dé Vrijer : Henricus Regius. Een « Cartesiaansch » hoogleeraar ' dan. de Utrechtsche'Hoogeschool. La Haye, M. NUhoff.' M77lri-8. •■"■•■■'■ •-■ ^ ■■ ' ; • 512 DESCARTES EN HOLLANDE appellé M. le Roy, qui m'est intime amy 1 et qui, selon mon jugement, vaut plus que tous ceux de Leyde. » « Les scavans d'ici le tiennent pour le nompareil », dit encore quelque part Saumaise a, a propos de Descartes. L'encens de ces fidèles devait incommoder ceux a qui il n'allait point. On le lui fit bien voir, mais ne devancons pas les événements. La période qui s'ouvre après la publication du Discours de la Méthode en juin 1637 est une période heureuse : 1'auteur est soulagé de son fardeau, il est délivré ; il a « posé son paquet», comme écrit brutalement le même Saumaise a propos de 1'accouchement de Madame de Hauterive 8 et une allégresse 1'envahit. Malgré 1'ardente polémique avec Fermat, Roberval, Étienne Pascal, sur le sujet des tangentes et de la roulette, ses lettres respirent la joie de vivre. D'abord il est a la campagne, en Noord-Holland ou Hollande septentrionale dès aoüt 1637, soit a Egmond-binnen, soit plus probablement a Santpoort. D'ailleurs, c'est la même région: des dunes de sable, revêtues d'une herbe dure, d'un vert foncé, qu'on appelle des oyats et qui ondulent avec de jolis chatoiements gris, sous chaque brise venue de la mer toute proche. Celles derrière lesquelles s'abrite Egmond sont plus pelées et leurs arbustes ne sont que de maigres arbousiers aux baies orange, mais celles de Santpoort, qui n'est séparé de Harlem que par la vallée des fleurs (Bloemendael), sont plus boisées, ombragées par des pins maritimes aux troncs noueux et tordus, dont la forme rappelle assez les pins parasols du midi. II y a, aujourd'hui encore, trois Egmond: Egmond aan-Zee, qui était alors beaucoup plus important et que la mer ravagea dans une de ses brusques tempêtes *, puis, vers 1'intérieur des terres, Egmond aan-den-Hoef, Egmond au fer a cheval5, c'esta-dire au carrefour, au point oü s'arrêtent les dunes; enfin, a deux kilomètres plus loin encore, Egmond-binnen. Ni dans 1'un ni dans 1'autre on ne trouve plus la tracé du philosophe qui pourtant y passa tant d'années. II y a bien une vieille auberge carréé parmi des arbres avec une enseigne peinte, des maisons 1. L'expression « intime amy » fait supposer aux éditeurs de Descartes qu'il faudrait peut-être remplacer dans le texte «le Roy» par «Reneri». 2. LeUre aux du Puy, du 4 avril 1637, citée au t. II, p. 642 et t. X, p. 555. 3. Cf. CEuvres de Descartes, t. X, p. 554. 4. On y voyait encore, en 1620, d'importantes ruines d'église. 5. A moins que ce nom ne signifie, comme le veut Tanden archiviste d'Alkmaar, M. Bruinvis : « Egmond de la ferme »(hoeve) Planche XLIII. « Copie de la mais de M. des Cartes de mes répliques sur ure le a M. Rivet, touchant l'Epigramme qui s'ensuit... » Note de Constantin Huygens sur un Autographe de Descartes retrouvé a la Bibliothèque royale de La Haye. !ttre de M. Saumaise Planche XLIV Autographe de Descartes retrouvé a la Bibliothèque royale de La Haye. (Suite). A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 513 du temps, consistant en un rez-de-chaussée seulement, une porte, deux ou trois fenêtres a croisillons, abrité par un toit trés haut a mansarde saillante, dont la fenêtre s'aligne sur la facade et est surmontée d'un minuscule pignon en forme de proue renversée. Une de ces maisons, la plus proche des ruines du chateau, pourrait être celle qu'on montrait encore, vers 1750, comme ayant été la demeure du philosophe 1. L'église, qui avait été détruite par les Espagnols venait d'être reconstruite en 1633 au frais des États; elle possède un gracieux clocheton a belvédère et de jolis vitrauxen grisaille. Descartes la visita sürement, mais il n'y fit pas ses dévotions, car elle est affectée au culte protestant, bien qu'il y ait dans les deux Egmond beaucoup de catholiques. C'est en 1643, que Descartes habita au Hoef; en 1637, Baillet signale sa présence a Egmond-binnen 2. Ce village, au sud du Hoef, est remarquable par les ruines d'une célèbre abbaye, dont il ne reste presque plus tracé, mais qui, alors, présentait des vestiges encore imposants. Ici, une autre tradition locale, qui n'est jamais négligeable, ferait croire que Descartes aurait habité au Waterryk, situé a mi-chemin entre Egmond aan-den-hoef et Egmondbinnen et qui est aujourd'hui une ferme que seul un vieux portique, au bord de la route, signale a 1'attention du passant. Le paysage est facile a caractériser : des champs abondants, malgré un sous-sol sablonneux, des prairies qu'engraisse le « polder » et oü paissent d'innombrables bestiaux. Vers le nord, la ligne verte ou jaunatre des dunes; dans le lointain, les tours d'Alkmaar émergeant de leur bouquet d'arbres, comme dans les vieilles gravures des Délices des Pays-Bas et, naturellement, des moühns. Sur tout repose une paix absolue j on n'entend même pas le bourdonnement confus de la mer, distante de deux kilomètres. Si Descartes est avec sa chère Francine a Egmond, dans la seconde moitié de 1637, en 1638, par qontre, ü est descendu un peu plus bas, franchissant 1' « Y» pour se rapprocher de Har- w„V m,e^e?retJa.pro?os d'E9n?>».Qu'on ne lui parle pas de la vieillesse, des cheveux gris qu'il s'était observés:«II y a trente ans que je n'ay eu, écritil a Mersenne, le 9 janyier 1639 5, graces a Dieu, aucun mal qui meritast d'estre appelé mal. Et, pour ce que 1'aage m'a 1 rf fF.imres t. II. PP. 544-546. i , , ,. .... 2 Cette mention dé Alkmaar ferait songer a Santpoort, même pour la lettre déja cité'e, de aoüt 1637. Cf plus haut, p^488. Ta KEuores, t. I, p. 401 ett XII, p. 125, note/. f Cf' %Mrïs t II p. 361. C'est le voisinage de Bannius (cf. aussi t. II, p. 15»>, 1p f»it^'ue Descartes se sert du courrler de Harlem et non de celm de Alkmaar (cf. i uV^4 33! 437)qui me font reporter a mai 1638 le séjour a Santpoort et peutïtll 'm'êm 'a novembreqi637, sinon plus töt(cf. t. II, p. 450 . 5. CEuüres, t. 11, p. 4»u. A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 515 osté cette chaleur defoye qui me faisoit autrefois aymer les armes et que je ne fais plus profession que de poltronnerie et aussy que j'ay acquis quelque peu de connoissance de la médecine et que je me sens vivre et . me taste avec autant de soin qu'un riche gouteux, il me semble quasi que je suis maintenant plus loin de la mort que je n'estois en ma jeunesse. Et si Dieu ne me donne assez de science pour eviter les inconnnoditer que 1'aage apporte, j'espere qu'il me.lairra au moins assez long tems en cete vie pour me donner loysir de les souffrir.. Toutefois, le tout depénd de sa providence, a . laquelle, raillerie a part, je me soumets d'aussy bon cceur que puisse avoir fait le Pere Joseph ï et 1'un des poins de ma morale est d'aymer la vie sans craindre la mort* » ts»', i, A Huygens, il mande, en juin 1639 2 : « Et pour la mort, dont vous m'avertissez, quoy que je scache assez qu'elle peut a chaque moment me surprendre, je me sens toutesfois encore, graces a Dieu, les dents si bonnes et si fortes que je ne pense pas la devoir craindre de plus de trente ans, si ce n'est qu'elle me surprenne. » ,. « Les dents si bonnes et si fortes », toujours 1'impression de vie robuste que donne a ce corps grêle et petit, a la poitrine trop étroite, le grand air du, large et la végétation luxuriante du jardin oü il écoute 1'écho : * Je rencontray icy,. .derniere,ment3, par hasard, un autre Echo que vous trouverez peut estre assez rare, car, soit qu'on pariast haut ou bas ou qu'on frapast des mains etc, il rendoit tousjours un mesme son, qui estoit fort clair et fort aigu, semblable a celui de la voix d'un poulet, nonobstant que ceux qu'on faisoit en fussent fort differens, en sorte que je pensois du commencement. qu'il y eust quelque oiseau caché dans les herbes oü je 1'entendois, mais j'apperceu aussy tost aprés que c'estoit un Echo qui,se. formoit dans ces herbes, lesquehes estant des cors fort petits et deliez a comparaison des tours et des rochers, oü 1'Echo a coustume de se former, estant frapées par la voix, faisoient leurs tours et retours beaucoup plus frequens et ainsy donnoient un son plus aigu. Car cet Echo estoit dans un coin de jardin oü quantité de bestes et autres herbes estoient montées 1. iL'Eminenee grise », mort le 18 décembre 1638 2. CEuvres, t. II, p. 552. 3. Ibid., p. 330 : Lettre a Mersenne du 23 aoüt 1638. 516 DESCARTES EN HOLLANDE en graines a la hauteur d'un homme ou davantage et la plus part de ces herbes estant coupées, 1'Echo a presque du tout cessé, » Comme Mersenne émet des doutes, Descartes se fache et le rembarre d'importance : « Pour 1'Echo *, j'admire que vous jn'estimiez si simple que de penser que quelque Jean des Vignes m'ait abusé, car je vous assure que jel'ay observé aux champs, en mon propre jardin, oü il n'y a personne aux environs qui puisse y faire aucune fourbe ny en donner le moindre soupcon qu'on puisse imaginer. Et encore maintenant, il y a une planche de cicorée sauvage, dans laquelle il répond un peu, quand on frappe des mains, mais les grandes herbes, oü il répondait le plus distinctement, ont esté coupées. Au reste, la raison de cét Echo me semble si claire que je ne doute point qu'on ne le puisse rencontrer en plusieurs autres heux, comme, par exemple, dans les bleds, quand ils sont fort hauts et prests a coupper. » II n'échangerait pas son ermitage pour le Louvre même : « Pour en parler entre nous, confie-t-il a son correspondant, le 27 mai 1638 2, il n'y a rien qui fust plus contraire a mes oessêins que 1'air de Paris, a cause d'une inflnité de divertissemens qui y sont inévitables et, pendant qu'il me sera permis de vivre a ma mode, je demeureray tousjours a la campagne, en quelque païs oü je ne puisse estre importuné des visites de mes voisins, comme je fais icy maintenant en un coin de la Northollande, car c'est cette seule raison qui m'a fait preferer ce païs au mien et j'y suis maintenant si accoustumé que je n'ay nulle envie de le changer. » Ce n'est pas a dire qu'il n'y recoive quelques visites. Le jardin touffu abrite souvent, de ses ombrages, les robes courtes a rabat blanc de deux prêtres cathohques de Harlem, Bannius et Blommaert8, qui deviendront et resteront ses amis et avec qui il discutera, comme il 1'avait fait a Egmond, avecleprêtre d'Alkmaar, Caterus 4. «Monsieur Bannius... est non seulement catholiqüe mais, avec cela, Prestre, écrit Descartes a Mersenne le 27 mai 16385, et 1. CEuvres, t. II, pp. 396-397. Lettre a Mersenne, du 11 octobre 1638. i. Ibid., t. II, pp. 151-152. 3. Sur ces prêtres et le Chapitre de Harlem, voir (Euvres, t. XII, p. ^9U et s. 4. Cf. Ibid., et t. III, p. 265. 5. Ibid., t. II, p. 150. les abbés bannius et blommaert* 517 qui a, je croy, quelque benefice dans Harlem. II est fort scavant en la pratique de la musique ; pour la theorie, je vous en laisse jüger. » Bannius, c'est Jean Albert Ban, archiprêtre de Harlem, oü les canonicats sont restés debout sur les ruines de 1'Église] comme a Utrecht. On le fit un jour concourir contre Boèsset de Villedieu pour composer un air sur les vers : Me veux-tu voir mourir, insensible Climaine ? La préférence alla au musicien francais et c'est en vain que le Hollandais en appela a Anne Marie de Schurman *. Ban a fait entendre un petit concert de musique vocale et instrumentale k Descartes, qui a été le voir le 13 janvier 1640, sans doute « en la rue de Saint-Jean», oü il habitait, du moins en juillet suivant, «visa vis de la Commanderie »2. Le 15 octobre 1639, Bannius écrit a Constantin Huygens 3 : « Hier j'ai passé une demijournée avec le héros Descartes a parler musique. » L'archiprêtre a fait connaitre a celui-ci le digne curé « Blomert » et c'est en leur faveur que Descartes adresse a Huygens, dans ce même mois4, une requête, intéressante a bien des égards, d'abord, en ce qu'elle établit leurs relations avec leur yoisin le philosophe, ensuite, paree qu'elle nous éclaire sur la situation des catholiques en Hollande, a cette époque : « Monsieur, « Si vous n'aviez jamais dit aucun bien de moy, je n'aurois peut estre jamais eu de famiharité avec aucun Prestre de ces qüartiers, car je n'en ay qu'avec deux, dont 1'un est M. Bannius, de qui j'ay acquis la connoissance par 1'estime qu'il avoit ouy que vous faisiez du petit traitté de Musique qui est autresfois eschappé de mes mains, et 1'autre est son intime amy, M. Bloemert, que j'ay aussi connu par mesme occasion. Ce que je n'écris pas a dessein de vous en faire des reproches, car, au contraire, je les ay trouvez si braves gens, si vertueux et si exempts des quahtez pour lesquelles j'ay coustume, en ce païs d'éviter la frequentation de ceux de leur robe, que je conté 1. CEuvres, t. iii, pp. 261-262. 2. Ibid., t. iii, p. 127. ~.?'i5f' Ibidm't- ¥• P-586 : « Hel"i cum Heroe Descartio mediam diem in collomiik %^£SSiïS&&f$!ÏÏ « -ait dit, .ReTo^tt 4. Cl. ibid., t. ii, pp. 583-586. ' JTO , 518 DESCARTES EN HOLLANDE leur connoissance entre les obligations que je vous ay... » « Je croy les avoir assez frequentez pour connoistre qu'ils ne sont pas de ces simples qui se persuadent qu'on ne peut estre bon Catholiqüe qu'en favorisant le party du Roy qu'on nomme Catholiqüe\ ny de ces seditieux qui le persuadent aux simples, et qu'ils sont trop dans le bon sens et dans les maximes de la bonne Morale. A quoy j'adjouste qu'ils sont icy trop accommodez et trop a leur aise dans la mediocrité de leur condition Ecclesiastique et qu'ils cherissent trop leur liberté, pour n'estre pas bien afïeetionnez a 1'Estat dans lequel ils vivent. Que si on leur impute a crime d'estre Papistes..., c'est un crime si commun et si essentiel a ceux de leur profession que je ne me scaurois persuader qu'on le veuille punir a la rigueur en tous ceux qui en sont coupables... » , Descartes se justitie de sa requête en affirmant qu'il considère aussi son propre intérêt: «II y en aen France, entre mes faiseurs d'objections, qui me reprochent la demeure de ce Païs, a cause que 1'exercice de ma Rehgion n'y est pas hbre; mesme, ils disent que je ne suis pas, en cela, si excusable que ceux qui portent les armes pour la deffense de cét Estat, pource que les interest en Sont joints a ceux de la France et que je pourrois faire par tout ailleurs le mesme que je fais icy. A quoy je n'ay rien de meilleur a répondre, sinon qu'ayant icy la libre frequentation et ramitié de quelques Ecclesiastiques, je ne sens point que ma conscience y soit contrainte. » Nous avons la un écho des conversations de familie, ou de confessionnal, dans lesquelles on reprochait a de jeunes cathohques francais d'aller servir ou s'instruire chez les protestants de Hollande. Outre les deux prêtres, deux protestants trés authentiques, sans parler de Pollot, fréquentaient la maison de Santpoort et y faisaient de courts séjours, 1'ancien et le nouveau diseiples, Reneri, qui avait été 1'annonciateur, et Regius, qui allait devenir 1'apdtre : «Mr Renery, venant icy, m'a apporté la hauteur de la tour d'Utrecht » 2, note Descartes, le 23 aoüt 1638, mais il ne devait pas jouir longtemps ni souvent de cette hospitalité qui savait se faire si accueillante. Au début de mars, une lettre de Regius annonce que Reneri est empêché 1. Le roi d'Espagne. 2. Cf. CEuvres, t. II, p. 330. A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 519 de venir « a eause de ses fréquentes indispositions ».1 Comme celles-ei prennent une allure inquiétante, Descartes se précipite au chevet de son ami et le trouve mourant, a Utrecht, a la mi-mars * 1639 : « J'ay fort plaint la mort de Mr Renery, écrit-il de Santpoort a Pollot, le 6 mai suivant. J'aUay pour le voir si tost que j'eu apris que son mal avoit passé les hornes d'une simple fievre, mais j'en avois esté averti si tard que je ne le trouvay plus en estat de recevoir aucune assistance de ses amis et mon voyage fut en tont si peu heureux que mesme je ne vous trouvay point a Utrecht oü je pensois que vous fissiés vostre demeure » 8. Cette mort fut 1'occasion d'une éclatante manifestation du Cartésianisme a l'Université d'Utrecht, car ^Emihus ou Melis y prononca une oraison funèbre de Reneri qui n'était qu'un long panégyrique de Descartes, a qui Regius en envoya une copie manuscrite. Ce fut aussi 1'occasion d'un avancement pour celui-ci qui, de «professeur extraordinaire» qu'il était depuis le 6 septembre 1638 seulement, devint « professeur ordinaire», le 18 mars 1639, sans que personne s'opposêt au rapide avancement 4 oü était arrivé 1'élève de Reneri et le fidéle disciple de la Méthode. Sa réputation est désormais établie et, une semaine avant la mort de son maitre, il pouvait écrire a Descartes6 que les cours de médecine, conformes aux principes cartésiens, attiraient non seulement plusieurs étudiants en médecine mais même des philosophes, des jurisconsultes, des théologiens et d'autres auditeurs étrangers. II lui annonce qu'il passera deux ou trois jours auprès de lui pour lui demander son avis sur divers projets. Si insensible qu'il soit a la flatterie, Descartes ne laisse pas d'être agréablement chatouiHé par 1'hommage des jeunes, et, en sciences comme en lettres, on Test encore a quarante ans, qui est 1'age de Regius, né a Utrecht en 1598 6 : « Que ces gens la facent ou dient ou escrivent tout ce qu'ils 1. D'après un résumé de Baillet, et. CEuvres de Descartes, t, IX 527 „Si U mo»Ifut. le 15 ou 16 mars 1639, peut-être dans les bras de sa jeune femme qu il aurait épousée in extonüs, mais il ne semble pas que ce lut le iour de ses noces récuTe Borrdus ^ ( Descartes' *• «' P- 529>. ^ dittenir son 3. CEuvres, t. II, p. 545. 4. Ibid., p. 529. 5. 9 mars 1639. Cf. lbid.,t. II, p. 527. 6. Vrijer, Regius, p. 5. 520 DESCARTES EN HOLLANDE voudront, mandait Descartes a Mersénne, le 23 aoüt 1638 \ en parlait de ses contradicteurs et après avoir recu le premier hommage de Regius ou de Roy, je suis resolu de les mespriser. Et, au bout du conté, si les Francois me font trop d'injustice, je me tournerai vers les gentils 2. Je suis resolu de faire imprimer bientost ma version latine pour ce sujet et je vous diray que j'ay receu, cete semaine mesme, des lettres d'un Docteur que je n'ay jamais vü ny connü et qui, neanmoins, me remercie fort affectueusement de ce que je 1'ay fait devenir Professeur en une Université oü je n'ay ny amis ny pouvoir. » Exagération évidente, puisqu'il y a non séulement Reneri mais ^Emilius. « Mais j'apprens, qu'ayant enseigné en particulier quelque chose de que j'ay fait imprimer, a des escholiers de ce heu la, ils y ont pris tel goust qu'ils ont tous prié le magistrat de leur donner ce professeur. II y en a d'autres aussy qui enseignent ma Geometrie, sans en avoir eu de moy aucunes instructions et d'autres qui la commentent. Ce que je vous escris, affin que vous s^achiez que, si la verité ne peut trouver place en France, elle ne lairra peut estre pas d'en trouver. ailleurs et que je ne m'en mets point fort en peine » 8. Ceci est du dépit ou je m'y trompe fort, car seule consacre la louange du grand Paris : tous les Regius du monde ne la remplaceront point. Cependant le Hollandais conjurele maitre de lui donner, auprès de lui, la place de feu M. Reneri, ajoutant que, s'il 1'accordait, il s'estimerait aussi heureux que s'il estoit elevé jusqu'au troisième Ciel. II ira le voir a la Pentecöte 4 sans doute pour lui parler de la Physique, enseignement qu'il a demandé a joindre a celui de la Botanique et de la Médecine, a quoi la municipalité avait consenti, le 22 avril 1639. Dans les interValles de ces rares visites, de quoi s'occupe Descartes ? Beaucoup de la médecine, il nous 1'a dit, et, par conséquent, de la dissection. II rit de ceux qui 1'accusent d'aller par les villages pour voir tuer des pourceaux 5, mais il est persuadé que la «Nature agit, en tout, suivant les loix exactes des 1. Cf. CEuvres, t. II, p. 334. 2. En latin dans le texte. 3. Ibid. 1 x .. 4. Non pas a Egmond, comme dit Baillet, mais a Santpoort, car u est diflicile d'admettre que Descartes, dans sa lettre du 6 mal 1639, datée de Santpoort, invite Pollot a venu* 1'y voir, sans le prévenir qu'il sera a la Pentecöte (12 juin) a Egmond, oü, selon Baillet, Regius lui fait prévoir, le 17 mai, sa visite. 5. (Euvres, t. II, p. 621. A SANTPOORT PRÉS HARLEM (1638-1639) 521 Mechaniques et que c'est Dieu qui luy a imposé ces loix », 1 mais il ne se contente pas de cette théorie. « J'ay consideré non seulement ce que Vezalius et les autres écrivent de 1'Anatomie, mais aussi plusieurs choses plus particulieres que celles qu'ils écrivent, lesquelles j'ay remarquées en faisant moy-mesme la dissection de divers animaux. C'est un exercice oü je me suis souvent occupé depuis unze ans et je croy qu'il n'y a gueres de Médecin qui y ait regardé de si prés que moy. Mais je n'y ay trouvé aucune chose dont je ne pense pouvoir expliquer en particulier la formation par les causes Naturelles. » En cela Descartes, malgré ses erreurs et la fausseté de certaines de ses théories, est, encore un coup, vraiment un savant moderne : « tout de mesme que j'ay expliqué en mes Meteores, celle d'un grain de sel ou d'une petite étoille de neige. Et si j'estois a recommencer mon Monde oü j'ay suposé le corps d'un animal tout formé et me suis contenté d'en monstrer les fonctions, j'entreprendrois d'y mettre aussi les causes de sa formation et de sa naissance. Mais je n'en scay pas encore tant, pour cela, que je püsse seulement guerir une fiévre... » II a donc refait dans son « Monde», appliquée a l'homme, 1'hypothèse, si dangereuse pour les théogonies, qu'il a formulée dans le Discours de la Méthode et oü apparait si nettement la notion de Loi : « Je me resolu de laisser tout ce Monde icy a leurs disputes et de parler seulement de ce qui arriveroit dans un nouveau, si Dieu creoit maintenant, quelque part, dans les Espaces imaginaires, assez de matiere pour le composer et qu'il agitast diversement et sans ordre les diverses parties de cete matiere, en sorte qu'il en composast un Chaos aussy confus que les Poetes en puissent feindre et que, par aprés, il ne fist autre chose que prester son concours ordinaire a la Nature et la laisser agir suivant les Loix qu'il a establies. »2 Aussi se garde-t-il bien de mettre « au monde son Monde », 8 comme 1'y invite avec insistance Constantin Huygens. Descartes lui répond 4 : « Je n'ay pas juré de ne permettre point que mon Monde voye le jour pendant ma vie, comme je n'ay point aussi juré de faire qu'il le voye aprés ma mort, mais o ™?.?r p;£25- Lettre du f20 févrler 1639] a Mersenne. i. Ibid., t. VI, p. 42. 3. Ibid., t IL p. 547. Lettre de La Haye, 15 mai 1639. 4. Ibid., pp. 552-553. Lettre de [juin 1639]. 522 DESCARTES EN HOLLANDE que j'ay dessein, tant en cela qu'en toute autre chose, de me regler selon les occurrences et de suivre, autant que je pourray, les conseils les plus seurs et les plus tranquilles... Et comme on Msse les fruits sur les arbres aussi long-temps qu'ils y peuvent devenir meilleurs, nonobstant qu'on scache bien que tes vents et la gresle et plusieurs autres hazards les peuvent perdre a chaque moment qu'ils y demeurent, ainsi je croy que mon Monde est de ces fruits qu'on doit laisser meurir sur 1'arbre et qui ne peuvent trop tard estre cueilhs^ » « Aprés tout je m'asseure que c'est plutost pour me gratifier que vous m'invitez a le pubber que pour aucuné autre occasion, car vous jugez bien que je n'aurois pas pris la peine de 1'écrire, si ce n'estoit a dessein de le faire voir et que par consequent, je n'y manqueray pas, si jamais j'y trouve mon compte et que je le puisse faire sans mettre au hazard la tranquilhté dont je j ouis » h i. Cf. CEuvres, t. II, p. 553. CHAPITRE XV SÉJOUR A HARDERWIJK (1640), A LEYDE (1640) ET A ENDEGEEST (1641-1643) Vers la fin de 1'année 1639, au début de décembre, Descartes semble avoir voulu se rapprocher d'Utrecht et de Regius, sans toutefois s'établir dans cette ville même. II choisit Harderwijk. C'est encore une petite cité universitaire. Elle avait sa « Hoogeschool » depuis 1619 et des hommes de valeur y avaient enseigné, comme Thysius et Constantin L'Empereur van Oppyck, appelés par la suite a Leyde ;*Johan van Mandevüle; Hendrick de Diest, qui remplaca L'Empereur en 1627 et passa après a Deventer | Johan Kloppenburg (1592-1652), ami de Saumaise. En droit, elle eut Gerard van Bronckhorst, A. Matthaeus II, Cup, plus tard appelé a Franeker, et Christenius. Jean Isaac Pontanus y était mort, au début d'octobre 1639. Docteur en médecine, et, comme A. Metius, élève de Tycho-Brahé, a Copenhague, il avait publié le Livre de Magirus De Physiea et un Itinerarium Gallise Narbonensis. Ant. Deusing lui avait succédé \ après une lecon inaugurale De recta Philosophiae naturalis conquirendae methodo: On dirait vraiment que le philosophe francais veut faire le tour des universités hollandaises pour y recruter des disciples et en gagner les maïtres. Ceux-ci enseignaient au Catharinen CSoster dont des parties existent encore ; la dut se rendre parfois Deseartes, au moins pour y consulter des livres quand il n'a pas assez de sa Bible et de la Somme de Saint Thomas qu'il a emportées 2. Pouvait-il exercer la religion catholiqüe è Harderwijk ? c'est 1. Cf. Schrassert, Hardervicum antiquum, Harderwijk, 1732, petit ln-4» deux voUimes et surtout Bouman, Gesch. van de... Geldersche Hoogeschool t. I, n. 40 2. E écrit, le 25 décembre 1639, (cf. cEiu>rw,t. II, p. 630) au Père Mersenne - «Je ne suis point si dépourvu de livres que vous pensez et j'ay encore iey une Somme de 2>. inomas et.une Bible que j'ay aportée de France. » 524 DESCARTES EN HOLLANDE possible, mais elle y était en tous cas persécutée, car, le 26 janvier 1659, un prêtre est arrêté et condamné a six cents florins d'amende pour y avoir célébré la messe *, Je n'ai pu retrouver tracé de Descartes, aux archives de la vieille cité fortifiée, dont les remparts gazonnés et boisés baignent dans les eaux de ce grand marais glauque qu'est le Zuyderzée. Au reste, pour attester son séjour a Harderwijk, nous n'avons que le seul témoignage de Baillet2, ce qui n'est pas toujours suffisant. Mais cette ville est encore bien loin d'Utrecht; aussi Regius 1'a-t-il peut-être persuadé de se rapprocher de lui davantage et de venir a Amersfoort. C'est au moins la qu'il a installé Francine et qu'il songe a aller la rejoindre, au témoignage d'une lettre de Regius du 30 mai 1640, résumée par Baillet. II n'y a pas d'autres raisons aux intentions de Descartes de se fixer a Amersfoort que la présence de sa fille et le voisinage d'Utrecht, dont cette cité est distante de 22 kilomètres. Aujourd'hui, on y cherchera en vain des vestiges de ce séjour et de la tombe de 1'enfant de cinq ans, mais on y trouvera un heu qui doit nous être cher et sacré, le Séminaire des Vieux-Catholiques, du vénérable professeur Kenning, oü se forment les prêtres des «Roomschkatholieke van de Oudbisschoppelijke clerezie ». La sont recueillies les précieuses archives du Refuge janséniste de Hollande ; la sont les vues de PortRoyal, les admirables portraits de Philippe de Champaigne, ceux de la Mère Angélique, du grand Arnauld, de Nicole, de Le Maistre de Sacy; la ont été rassemblés les registres de la sainte maison de Rhijnberg, prés Zeist, oüenseignaauxvmesiècle du Pac de Bellegarde et oü le fondateur del'orientahsme, Anquetil du Perron, fut élève d'Étemare. Bien que les Vieux-Catholiques se défendent d'être des jansénistes, ils gardent la tradition de ceux-ci et leur aversion pour les Jésuites. Amersfoort et PortRoyal des Champs sont les deux lieux oü se respire encore 1'atmosphère propre du génie de Pascal. Tout cela n'était point encore, et Descartes, a part la présence de sa fille, n'avait rien qui l'.attirat la. II se fixa a Leyde, pour la raison qui 1'y avait amené en 1636. De même 1. Cf. Schrassert, op. cit., p. 150. Signalons encore la présence d'un poète gantois de valeur Zevecoot (1596-1642). Cf. Bouman, op. cit. I, p. 59. 2. Cf. CEuores de Descartes, t. II, p. 624. A LEYDE (1640) 525 qu'il songeait alors a y faire éditer la Méthode, il pense maintenant a y imprimer les Meditationes, commencées, dès 1629, a Franeker et qu'il a mises au point a Santpoort et a Harderwijk : « Je ne feray point imprimer mon Essai de Métaphysique, écrit-il, le 11 mars 1640, au P. Mersenne que je ne sois è Leyde \ oü je pense aller dans cinq ou six semaines et vous y adresserez, s'il vous plaist, vos lettres, chez le sieur Gillot, vis a vis de la Cour du Prince.» 2 Aussi celle du 7 mai suivant 8, adressée a Pollot est-elle écrite de Leyde. II a déja montré le manuscrit des Meditationes a Regius et a ^Emilius, qui en ont été tellement en extase qu'ils n'ont trouvé a y corriger que la ponctuation, et cette admiration un peu aveugle agace 1'auteur. II est, de plus, fort engagé a ce moment en faveur de son élève Wassenaer, cet arpenteur d'Utrecht qui a relevé la gageure d'un mathématicien un peu hableur nommé Stampioen, lequel y perdit les six cents florins de 1'enjeu 4. Cette affaire, que Descartes prend fort a cceur, retarde 1'impression de cinq a six feuilles des Méditations qu'il pensait envoyer, comme spécimen, au P. Mersenne B, ainsi que le voyage en France' auquel il songe. II s'en excuse auprès de son père, par une lettre, aujourd'hui perdue, du 28. octobre 1640, laquelle ne lui parvint point, car le conseiller Joachim Descartes était déja mort et avait été inhumé, le 20, dans 1'Église des Cordeliers de Nantes«. René, a' qui son frère tarda beaucoup a faire part du décès de leur père éprouva un grand chagrin.«La dernière lettre que vous m'avez envoyée, mande-t-il au P. Mersenne, le 3 décembre m'apprend la mort de mon Pere, dont je suis fort triste et j'ay bien du regret de n*avoir pü aller cét esté en France, afin de le voir avant qu'il mourust, mais, puisque Dieu ne 1'a pas permisje ne croy point partir d'icy que ma Philosophie ne soit faite. » La blessure nouvelle rouvre 1'autre, qui n'est pas encore cicatrisée. Aussi la lettre de condoléances a de Pollot, écrite être enCOre ï0!* a Harderwijk, soit a Amersfoort. Peut-être a-t-il deux ifffi^rnXm'S' 3^36 étant k Harderwiik> Francine a Amersfoort. 3! Ibid., p. 62. ' PP' 4. La sentence fut rendue le 24 mai 1640 (cf. (Euvres, t. III, p. 63 et Drès la destrucTiun de 157/i.. Descartes y habita, sans doute apbks l'avoir fait uestaurer, de i64i a i643. (D'après 1'étudc de M. Byloveld dans le Leidsehe Jaarboekje de 1909). 2 3 O r-f ra !* 4. «Les herbes et les pierres qui viennent aux Indes >; traduction latine :« qui «x Indiis huc perferuntur », t. X, p. 503. 5. Ibid., p. 501. CHAPITRE XVI REGIUS ADVERSÜS VOÈTIUM A cöté de ces visiteurs permanents ou de passage, Descartes recoit souvent a Endegeest son disciple Regius. II 1'invite en des termes qui s'adressent bien plus a un ami qu'a un élève : « J'ai appris par Pollot que vous aviez 1'intention de venir me voir, lui écrit-il en latin; en juin 1642. Quant'a moi, non seulement je vous demande de venir le plus souvent possible, mais je vous prie d'amener votre femme et votre fille ; vous serez les trés bienvenus. Les arbres sont déja verts et bientöt même les cerises et les poires seront müres » *. Regius-de Roy a bien besoin de ce soutien et de ce refuge, car, a Utrecht, 1'orage s'amoncelle au-dessus de sa tête et il faut revenir un peu en arrière pour en montrer la préparation. L'affaire Regius contre Voetius ou de Roy contre Voet, peut, mieux qu'aucune autre, nous introduire dans ces Universités hollandaises, a la vie desquelles notre Descartes, sans y enseigner, est si intimement mêlé par 1'action des fervents de la doctrine nouvelle. Querelle de pédants, sera-t-on tenté de dire en haussant les épaules, si on se borne a feuületer les pièces latines du proeès ! Non pas, mais phases de rétemêlle iutte des novateurs contre les obscurantistes, vieüles erreurs résistant a 1'assaut des jeunes vérités, dernières convulsions de 1'aristotébsme 'finissant, qui a conclu cet étrange mariage de raison avec les Églises et qui devra céder la place au cartésianisme, représentant alors l'esprit moderne, jusqu'a ce que, par un retour des choses, il devienne lui-même le palladium de la réactioa. La fortune du médecm-^bysicie»-|ttiaosophe de Roy avait 1. (Euvres, t. III, p. 568. 536 DESCARTES EN HOLLANDE été rapide, mais n'avait pas, d'abord, porté trop d'ombrage a ses collègues ni même au théologien hyperorthodoxe Voetius, qui avait, plusieurs fois, soutenu ses requêtes. Comme pour Luther, toutes proportions gardées, ce furent des thèses, qui déchainèrent le conflit, en juin 1640. Baillet ne sait si Descartes y assista, mais c'est possible, car il avait écrit, en latin comme toujours, a Regius, le 24 mai 1640 \ cette curieuse phrase : « Si vous désirez une plus ample explication sur un point quelconque, vous me trouverez toujours prêt a vous la donner par écrit ou de vive voix. Bien plus, si vos thèses sont 1'objet d'une « dispute », 2 j'accourrai a Utrecht, si vous voulez, a condition seulement que nul ne le sache et que je puisse rester caché dans la tribune de laquelle M"e de Schurmans a coutume de suivre les cours. » Détail remarquable : la célèbre femme savante, que les Précieuses, qui 1'estimaient comme la meilleure d'entre elles, appelaient Statira 3, assistait donc aux lecons et aux soutenances 4, « derrière un voile, invisible et présente », les personnes de son sexe n'étant pas admises, alors, en ces temples du savoir. Comme toutes ces émules, elle rêvait d'amours chimériques et spiritualisées et elle semble bien avoir été éprise du philosophe francais, qui dédaigna ses charmes et son érudition. « M. Descartes, raconte la Vie de Jean Labadies, la vint voir chez elle, a Utrecht, et, comme il se passa quelque chose de particulier en leur conversation, dont M»e de Schurmann a voulu laisser quelque mémoire, je crois que je ferai bien de le rapporter icy fidélement. II la trouva livrée a son étude favorite qui étoit celle de 1'Ecriture sainte, d'après le texte original en hébreu. Descartes fut étonné qu'une personne de ce mérite donnat tant de temps a une chose de si peu d'importance : ce furent les termes mêmes dont il se servit. 1. (Euvres, t. III, p. 70. 2. Elles deyaient être soutenues le 10-20 juin. Cf. ibid., t. III, p. 65, note d 1856, 2 vol in-?it%t p!T8.'re Précieuses> éd- Ch-L- Livet, Paris P. Jannet, (Ct nfusehW ^iw ft/ f"' C?r eIie ??Wtait derriere la cathédrale ou dóme, , qH?ni5 i«Bn 7^n' 4i' a1?^ entourée d'un cimeüère. Descartes, dans la lettré du 30 juillet 1640, adressée a Mersenne (cf. CEuvres, t. III, p. 127), écrit • «Je viens I vostre troislesme pacquet, of. estoit la lettre pour M. Schuerman fc"ét'ait^ leT frère fiiiSï,™ dAnne-Mi«-'e était sur le cöté nord de la chaire de r « Auditorium theologicum » et fut remplacée en 1825, par un escalier. (Cf. S. Muller Se Unversileitsgebouwen ie Utrecht. 1899, pp. 20-21). «luiier, w un 5. 1670, cité dans CEuvres de Descartes, t. IV, pp. 700-701. ANNE-MARIE DE SCHURMANN 537 Comme cette demoiselle cherchoit a lui démontrer 1'importance capitale de cette étude pour la connoissance de la parole diviné, Descartes lui répondit que lui aussi avoit eu cette pensée et que, dans ce dessein, il avoit appris cette langu° qu'on appelle sainte, qu'il avoit même commencé a lire, dans le texte hébreu, lë premier chapitre de la Genèse, qui traite de la création du monde, mais que, quelle que eut été la profondeur de ses méditations, il avoit eu beau réfléchir, il n'y avoit rien trouvé de clair et de distinct, rien qu'on püt comprendre « clare et distincte ». Alors, s'étant apercu qu'il ne pouvoit point entendre ce que Moïse avoit voulu dire et même qu'au lieu de lui apporter de nouvelles lumières, tout ce qu'il lisoit ne servoit qü'a 1'embrouiller davantage, il avoit dü renoncer a cette étude. » « Cette réponse surprit extraordinairement Mlle de Schurmann ; elle la blessa profondément et elle en concut une telle antipathie contre ce philosophe qu'elle évita, depuis ce jour, de jamais se trouver en relation avec lui. Dans le journal oü elle fait mention de cet événement, elle avoit mis a la marge sous ce titre : Bienfaits du Seigneur, les paroles suivantes : « Dieu a éloigné mon cceur de l'homme profane et il s'est servi de lui comme d'un aiguillon pour ranimer en moi la piété et pour me faire me donner entièrement a Lui. » Descartes avait recu les thèses de Regius a correction et il y avait, dans la même lettre *, que nous venons d'invoquer, apporté maintes modifications, tant en ce qui concernait la perception des universaux qu'en ce qui touchait les mouvements du cceur. II lui reproche de le mettre lui-même trop en avant, d'accompagner son nom, souvent cité, d'épithètes trop flatteuses et surtout de 1'affubler d'une désinence latine: Cartesius 2. II le prie d'atténuer les termes lancés aux adversaires, comme les qualificatifs « rusé ou ignorant », apphqués au professeur de Louvain, Plempius, et lui demande de ne pas attaquer Walaeus ou J. de Wael, le professeur de Leyde, dont les observations a 1'appui de la théorie Harvéienne de la circulation du sang ont une réelle importance 3. 1. OEtwres, t. III, p. 66 et s. 2. Ibid., t. III, p. 68. 3. Ibid., p. 70. Descartes cite aussi les observations d'un jeune médecin nommé Silvius, qui ne peut guère être que del Boë-Silvius, dont nous reparlerons un jour. Cf. de Vrijer, Henricus Regius, p. 212 s. et Et. Gilson, Descartes el Harvey, dans Revue Philosophique, nov.-déc. 1920. 538 DESCARTES EN HOLLANDE Sur tous les poiats, le docile discipfe s'incline. Deseartes, au fond, en test- trés fier. Son dédain ><,,•<■' ...i-,..»», 4i1iil$s Regius rend compte a son maitre de ce qui se passé : on dirait vraiment que Descartes enseigne a l'Université d'Utreeht par personne. interposée. -L'éehevin van der Hoolck semble plus tiède et préeonise le silènce. Le eapitaine Alphonse de Pollot, qui habite Utrecht} sJintéresse aussi a 1'affaire, en qualité de philosophe, de mathématicien et d'ami de Descartes, a qui il a rapporté de vive voix ce qui s'est passé. II engage Regius a garder le silence pendant quelque temps, a s'abstenir de ,disputes publiques 1 et a ne pas ' jeter;*1 de 1'huile sur le feu. Descartes conseille de céder sur les Formes substantielles et les Qualités réeliesi objet du troisième eorollaire de Voet: dans les Météores-même (p. 164 de 1'édition francaise),, elles ne sont pas> absefument repoussées, quoi qu'elles n'y soient pas: tenues.pour nécessaires. Mais cequi'est fait est fait; il faut yeiflera défendre maintenant, le plus modestement possible, les vérités proposées «t ne pas oublier que rier. n'est plus louable chez ••un1 philosophe1 'que la ' confession'spontanée de ses erreurs. Pour le « ens. per accidensxj qufil avouè franchement n'avoir pas bien compris ce terme de 1'École et qu'il ne perde aucune occasion d'afflrmer que rhomme' est' véritablement un être en soi et non par accident, que 1'ame est unie au corps réellement et essentiellement. Avec beaucoup de prudence, 1! auteur des Meditationes s'efforcejde dissuader Regius de pubher sa réponse éerite a V'oetius; il la trouve trop dure, pas assez claire'; on sent qu'elle a été écrate par un esprit fatigué et sous 1'empire de 1'indignation. Descartes 'se donne la- peine de refaire au courant de la plume, en francais ou en latin, comme cela lui vient2, une ■ réponse . a V Appendix ad Cêrottaria Theologico* JRhilosophica, dans lesquelles sont contenues les thèses soutenues par van den Waterlaet, de Gemertj les 23' et-24 décembre (v. s.): « Je voudrois, aprés, commencer par une honneste lettre a Monsieur Voetius, en laquelle je di'rois'qu'ayant veü les tresdoctes et tres-excellentes'et'tres*-subtiles Theses qu'il'apübtiées touchant les Formes isubstantielles' et autres matieres appar- ,1. Cf. C5umfM^t..IIL,p. 4»l.. „»• >-. !«:. : >K>.', .Ml;. ' . 1 ! ■ 2. Et aussi pour empêcher que,Regius ne rccopie le proiet, de réponse tel;quel fCEuvres^ u m, p.- 494<)V " '••*: '; •■'•^' 544 DESCARTES EN HOLLANDE tenantes a la Physique et qu'il a particulierement adressées aux Professeurs en Médecine et en Philosophie de cette Université, au nombre desquels je suis compris, j'ay esté extremement aise de ce qu'un si grand homme, a voulu traitter de ces matieres... Et mesme, que je me suis réjouy de ce que la pluspart des opinions qu'il a voulu deffendre en ces. Theses, estant directement contraires a celles que j'ay enseignées, il semble que c'a esté particulierement a moy a qui il a adressé sa Preface et qu'il a voulu par la me convier a luy répondre... Que je m'estime bien glorieux de ce qu'il m'a voulu faire cét honneur. » On n'est pas plus poli, et c'est le bel air de la Cour de France introduit dans la rudesse des Universités. II renonce a opposer d'autres thèses a ces thèses et d'autres disputes a ces disputes, paree que celles de Voetius se déroulent dans le calme dü a ses « quahtez de Recteur et de Ministre »,« sa grande pieté,... son incomparable doctrine », « au lieu que, n'ayant point le mesme respect pour moy, poursuit le pseudo-Regius, deux ou trois fripons, que quelque ennemy-aura envoyez a mes disputes, seront suffisans pour les troubler et ayant éprouvé cette fortune en mes dernieres, je croyrois m'abaisser trop et ne pas assez conserver la dignité du lieu que nostre tres-sage Magistrat m'a fait 1'honneur de vouloir que j'occupasse en cette Academie, si je m'y exposois d'orénavant... Ces faiseurs de bruit ayant tousjours interrompu nos réponses, avant que de les avoir pü entendre, il a esté tres-aisé a remarquer, que nous n'avons point donné occasion a leur insolence par nos fautes, mais qu'ils estoient venus a nos disputes, tout a dessein de les troubler et d'empescher que nous ne pussions avoir le temps de faire bien entendre nos raisons. Et 1'on ne peut juger de la autre chose, sinon que mes ennemis, en se servant d'un moyen si seditieux et si injuste, ont témoigné qu'ils ne cherchent pas la vérité et qu'ils n'esperent pas que leurs raisons soient si fortes que les miennes, puisqu'ils ne veulent pas qu'on les entende. » Comme les faiseurs de bruit sont les élèves et les amis de Voet, celui-ci n'en sera pas moins atteint a travers les flatteries, dont la moindre n'est pas le « patronum fautorem amicissimum » de la fin. L'auteur du projet blame autant que Voet les jeunes gens qui, possédant a peine les éléments de la philosophie, sifflent toute la doctrine de 1'École sans en comprendre REGIUS ADVERSUS VOETIUM (1641) 545" nrême les termes, mais il n'entend pas qu'on applique cette critique a ses seuls auditeurs «car,dit-ü, j' ay déja sceü que quelquesuns, estant jaloux de voir les grans progrez que mes auditeurs faisoient en peu de tems, ont tasché de décrier ma facon d'enseigner, en disant que je negligeois de leur expliquer les termes de la Philosophie et, ainsi, que jeleslaissoisincapables d'entendre les livres ou les autres Professeurs et que je ne leur apprenois que certaines subtilitez, dont la connoissance leur donnoit, aprés cela, tant de presomption qu'ils osoient se mocquer des opinions communes . Et, pour ce sujet, je me persuadé que Monsieur Voëtius (ou Rector Magnificus etc.; donnez-luy les titres les plus obligeans et les plus avantageux que vous pourrez)1, ayant esté averty de cette calomnie... a voulu... me donner occasion de m'en purger; ce que je feray facilement en faisant voir que je ne manque pas d'expliquer tous les termes de ma profession , lors que les occasions s'en presentent, bien que j'aye encore plus soin d'enseigner les choses. »2 Dans la suite, Descartes oublie presque qu'il est devenu de Roy et dit : « Et je veux bien confesser que, d'autant que je ne me sers que de raisons qui sont tres-evidentes et intelligibles a ceux qui ont seulement le sens commun, je n'ay pas besoin de beaucoup de termes étrangers pour les faire entendre; et ainsi, qu'on peut bien plutost avoir apris les veritez que j'enseigne et trouver son esprit satisfait touchant toutes les principales difficultez de la Philosophie, qu'on ne peut avoir apris tous les termes dont les autres se servent pour expliquer leurs opinions touchant les mesmes difficultez et avec tous lesquels ils ne satisfont jamais ainsi les esprits qui se servent de leur raisonnement naturel, mais les remplissent seulement de doutes et de nuages. » 3 Le reste du projet de réponse, en latin cette fois, est une attaque plus vive encore contre 1'abus des mots dont se mourait la philosophie de 1'École : « Ces pauvres entités, qu'on appelle formes substantielies et qualités réelles », ne servent qu'a aveugler les esprits des étudiants et a leur donner cette docte ignorance que blame le Recteur Magniftque ; il ne peut croire que celui-ci ait voulu désigner la philosophie qu'enseigne Regius 1. CEuvres, t. III, p. 498. 2. Ibid., p. 499^ 3. Ibid. 35 546 DESCARTES EN HOLLANDE en parlant de « cette ignorance idiote, sauvage et orgueilleusè. » La réponse sur le mouvement de la Terre est assez ambiguë. Descartes oublie eneore une fois qu'il écrit pour le compte d'un autre et parle de « nostra Meteora » et de la Dioptrique, mais il s'arrête, il a été plus long qu'il ne pensait et, avec cela, il n'est même pas sur que Regius se servira de ces notes, mais si ce dernier en exprime le désir, il les continuera dans la-langue que le professeur d'Utrecht préférera1. Qu'il en parle avec 1'ami van Leeuwen, « leur Nestor », ou avec Aemilius, mais surtout, « manifester de la vénération pour Voetius et éviter jusqu'au soupcon de 1'ironie, afin d'être dans une position d'autant meiheure, s'il faut un jour changer de style.». 1. (Euvres, t. III. p. 509. CHAPITRE XVII DESCARTES CONTRE VOETtUS II arrivera un moment oü le philosophe ne pourra plus se contenter d'armer son partenaire et oü il devra entrer luimême en lice pour rompre des lances avec le grand adversaire et ses partisans, d'autant plus que Regius a 1'air de faiblir un peu : il craint de perdre sa place, et Descartes est obligé de le gourmander, tout en stimulant son courage 1 : « Je ne savais pas, lui dit il, toujours en janvier 1642, que cet homme régnat dans votre ville, que je supposais plus. libre, et j'ai pitié d'elle, si elle soutient un pédant aussi vil et un aussi misérable tyran. » Voila le fonds de sa pensée et néanmoins il continue a exhorter a la patience et a la modération. Toute cette polémique n'est guère dans son tempérament, mais il s'y est trouvé engagé malgré lui et les qualités combatives du Francais ne lui permettent pas de céder la place. « Peut-estre que ces guerres scholastiques, écrit-il d'Endegeest a Huygens, le 31 janvier 1642 2, seront cause que mon Monde se fera bientost voir au monde et je croy que ce seroit dés a present, sinon que je veux auparavant luy faire aprendre a parler latin; et je le feray nommer Summa Philosophiae, affin qu'il s'introduise plus aysement en la conversation des gens de 1'escole, qui, maintenant, le persecutent et taschent a 1'étouffer avant sa naissance, aussy bien les Ministres que les Jesuites. Mr de Pollot vous en peut dire des nouvelles de ce qu'il a vü a Utrecht, oü il a aydé a combatre pour moy. » Les conseils de modération prodigués par Descartes, par 1. J'accepte 1 'hypot hese formulée a la p. 519 du t. III par MM. Adam et Tannery, et ie détache, du projet de réponse a Voetius, la fin, comme étant une lettre nouvelle, en réponse a une communication de Regius (t. III, pp. 509-510). 2. Ibid., p. 523. b \ , w i 548 DESCARTES EN HOLLANDE Aemilius, par van der Hoolck, n'arrêtèrent pas 1'impétueux Regius et il fit mettre sous la presse sa « Responsio seu Notae in appendicem ad Corollaria iheologico-Philosophica », qui en sortit le 16 février. Descartes 1'en félicite en latin, dans ces termes:«D'après ce que j'entends dire par nos amis, personne qui ne loue vivement votre réponse a Voetius, personne qui ne se moque de lui et qui ne dise que lui-même désespère du succès de sa cause, puisque le Magistrat n'a pas la force de la défendre. Les formes substantielles, elles-mêmes, éclatent et on dit ouvertement que si toute notre Philosophie explique ainsi le reste des choses, tout le monde 1'embrasserait. »1 Malheureusement Regius avait confié sa Responsio a un irriprimeur catholiqüe, travaillant pour le compte d'un libraire « remonstrant ». 2 II fut trahi. Le Sénat s'inquiète et s'assemble, nomme une commission pour s'aboucher, le 24 février, avec le Magistrat et le prier de mettre fin aux querelles provoquées par 1'introduction de la Philosophie nouvelle dans l'Université. Le Sénat de la ville (nous dirions le Conseil) prit un arrêté, traduit du flamand en latin le ler, publié le 15 mars 1642, confié a 1'examen d'un comité de professeurs, approuvé par eux le surlendemain et que nous appellerons, pour cette raison, avec Descartes3, le jugement de l'Université. Celui-ci condamne la philosophie nouvelle, sans du reste la réfuter ni nommer Descartes, mais comme étant 1'étincelle capable d'allumer 1'incendie qui pourrait détruire cette institution encore au berceau, semer la discorde entre les étudiants, les faire émigrer vers d'autres provinces. Les signataires engagent les professeurs a faire détruire les exemplaires de la Responsio, a en faire interdire la lecture et aviser aux moyens d'empêcher le « propugnator novae philosophiae », qui n'est pas nommé, mais qu'on devine être Regius, de répandre par ses cours la maüvaise doctrine. Le texte flamand est sighé par Voetius; Schotanus, de Maets ou Dematius, Liraeus et même Aemilius. Én suite de quoi, la délégation du Sénat et du Magistrat cita devant elle le coupable et lui intima 1'ordre de s'abstenir 1. CEuvres, t. III, p. 528. 2. Cf. plus haut, p. 246. 3. Cf. GSuvres, t. VIII, 2e partie, p. 209 : Lettre apologélique aux Magistrals d'Utrecht. Le texte du jugement est publié au t. III, p. 531. jugement de l'université d'utrecht (1642) 549 a 1'avenir de disputes philosophiques et de se tenir dans les lixnites de la Médecine et de la Botanique \ Selon Baillet, le Magistrat avait fait saisir 130 exemplaires du livre chez le libraire, qui, le premier jour, en avait débité 150, tant était vif aux Pays-Bas 1'intérêt suscité par cette polémique. « De sorte que ce qui resta d'exemplaires devint exorbitamrnent cher et fit rechercher le livre comme une chose trés-rare et trésprécieuse. »2 C'est ce que prévoit Descartes, en féhcitant son ami de souffrir la persécution pour la cause de la vérité. Rien de plus utf.e a la vente que la saisie d'un livre et c'est une faveur que beaucoup d'auteurs envient. Le public s'indigne de ce que Voetius ait pu traiter son adversaire de béte féroce. « Sa colère vient de ce que votre philosophie est plus vraie qu'il ne le voudrait et que ses raisons sont si évidentes qu'elle évince Terreur sans avoir même a la combattre. »3 Descartes a confiance dans la sagesse du Magistrat et en particulier de van der Hoolck. Si même, en mettant les choses au pis, Regius était destitué, couvert de gloire, il n'aurait pas de peine a trouver a se placer ailleurs. La lettre est destinée a être montrée a van der Hoolck et c'est pourquoi elle contient ce vceu que la ville d'Utrecht puisse se vanter auprès de la postérité d'avoir été la première a admettre 1'enseignement public de la Philosophie cartésienne *. Ce qu'on lui reproche, c'est d'être nouvelle, mais cela n'est-il pas au contraire a son honneur, si elle est a la fois nouvelle et vraie, alors que d'autres tirent déja vanité d'émettre des opinions nouvelles et fausses ? L'objection que la présence de Regius ferait fuir les étudiants n'est pas plus fondée, puisqu'il est prouvé au contraire qu'il attire de nombreux auditeurs et des meilleurs, séduits par les doctrines réeentes, qui ne répugnent qu'aux maitres d'école parvenus a quelque renommée par une fausse science5. Au fond, Descartes n'est pas si rassuré sur ce procés universitaire qu'il le feint vis-a-vis de son disciple et dans le dessein de calmer les appréhensions de ce dernier. A 1'ami Pollot, il ne dissimule pas ses craintes 6 : « On ne dit rien moins a Leyde, si non qu'il 1. CEuvres, t. iii, p. 533. 2. Ibid., p. 534. 3. Ibid., p. 537. 4. Ibid., pp.. 538-539. 5. Ibid., p. 541. 6. Ibid., p. 550. 550 DESCARTES EN HOLLANDE [Monsieur le Roy] est desja demis de sa Profession, ce que je ne puis toutesfois croire ny mesme m'imaginer que cela puisse jamais arriver et je ne voy pas quel pretexte ses ennemis auroient pü forger pour luy nuire. Mais, quoy qu'il arrivé, je vous prie del'assurer, de ma part, que je rn'employeray pour luy en tout ce que je pourray, plus que je ne ferois pour moy-mesme, et qu'il ne se doit nullement fascher, pour ce que cette cause est si celebre et si connue de tout le monde qu'il ne s'y peut commettre aucune injustice qui ne tourne entierement au desavantage de ceux qui la Commettroient et a la gloire et mesmes peut-estre, avec le temps, au profit de ceux qui la souffriroient... ». « On m'a assuré qu'ils ont fait une Loy en leur Academie, par laquelle ils deffendent expressément qu'on n'y enseigne aucune autre Philosophie que celle d'Aristote. » C'est bien en effet ce qu'a décidé, le 17 mars 1642, 1'assemblée du Sénat en condamnant la Responsio 1 : « Tertio : le Sénat rejette cette Philosophie nouvelle, d'abord paree qu'elle s'oppose a la vieille Philosophie qu'ont enseignée, dans leur souveraine sagesse, jusqu'a présent, les Universités du Monde entier et qu'elle en sape les f ondements; ensuite, paree qu'elle détourne la jeunesse de la vieille et saine Philosophie et 1'empêche de s'élever aux sommets de 1'érudition...; enfin, paree que diverses opinions fausses et absurdes sont professées par elle ou peuvent en être déduites par une jeunesse imprudente et que ces opinions répugnent aux autres disciplines et facultés, en particulier a la Théologie orthodoxe. » Seuls, Aemihus et Cyprien Regneri2, qu'il ne faut pas confondre avec Henri Reneri, depuis longtemps décédé, protestèrent contre cette exécution de la Responsio, mais « tant de fiel entre-t-il dans 1'ame des dévots ? », Voetius ne fait même pas grace a son adversaire tombé, et, d'autant plus hbre qu'il n'est plus recteur, il lance encore sur lui son fils Paul Voet qui, né en 1619, était devenu, le 19 mars 1641, professeur de métaphysique a l'Université d'Utrecht. L'entrée en jeu de ce nouvel adversaire provoque l'hilarité de Descartes : « J'ai lu les thèses de 1'enfant Voetius 8, je veux 1. On trouvera le texte latin complet au t. III, pp. 552-553. * 2. Ab Oosterga, Frison de naissance. 3. QSuores, t. III, p. 558. La plaisanterie est plus dröle en latin : « Legl et risl tum theses Voëtii pueri, sive infantis, fllii volui uTcere..., etc. » une lettre de van baerle (10 mars 1642) 551 dire du fds Voetius, ainsi que le jugement de votre Académie et j'en ai bien ri... » II approuve la conduite d'Aemilius et de Cyprianus, il gronde Regius de se faire tant de souci et il lui annonce que 1'Adversaire fait préparer, par un moine converti, une nouvelle réponse, qui s'appellera 1'Appendix Voetii. II lm conseille de s'incliner provisoirement et de ne plus enseigner que la médecine d'Hippocrate et de Galien, rien de plus. « Si les étudiants vous demandent davantage, récusez-vous poliment, en disant que cela ne vous est pas permis... Calmezvous, je vous en prie, et riez donc... Vous vaincrez, en fin de compte, pourvu que vous gardiez le silence en ce moment, mais, si vous préférez recommencer la lutte, fiez-vous a votre bonne fortune.»1 Toute la Hollande lettrée et savante se passionne pour le débat, sauf toutefois 1'excellent poète latin Gaspar van Baerle 2, qui enseignait la philosophie a 1'École Illustre d'Amsterdam oü, depuis le 9 janvier 1632, il était devenu le collègue de G. J. Vossius s. II était 1'ami de P. C. Hooft et un des plus beaux ornements de ce Muiderkring, du cercle littéraire du chateau de Muiden dont nous avons parlé. A Jean de Wicquefort, qui lui a envoyé tous ces factums imprimés, van Baerle répond par le spirituel billet que voici, daté du 10 mars 1642 : «Monsieur, « Je vous remercie trés humblement de ce que vous m'avez envoié ces écrits de controverse. Je les ai lu avec la même avidité que nous avons coutume de manger des huitres fraiches. Mais, pardonnez, je vous prie, 1'aveu que je vous fait: je n'estime pas tant les formes substantielles ou essentielles que je croïe qu'il soit maintenant tems de déclarer mon sentiment sur ce sujet. Vous scavez bien que je ne suis pas sur un pied a pouvoir condamner Aristote, sans 1'avoir entendu, et que jene me suis pas engagé non plus a le suivre. J'ai quelque chose a dire sur le sentiment du scavant Descartes, mais je le dirai lorsqu'il sera tems et qu'il se sera exphqué plus au long et plus clairement... »4 1. (Euvres, t. III, p. 560. , _. _,. ... . c_ 2. Voyez sur lui la notice de Worp dans le Nieuw Ned. Biogr. Wdv., t. 11, col b/ a70. 3. Voir plus haut, au livre II, pp. 175, 315 n. 1 etc 4. Lettres de m. j. de Wicquefort... avec les réponses de m. g. Barlee. 3» éd. A Amsterdam, chez Balth. Lakeman, 1696 ; a Leyde chez Jean et Henn Verbeek, ." 1722, p. 158 ; d'après une copie communiquée par m. de Waard. 552 DESCARTES EN HOLLANDE Ceci n'allait pas tarder, et Descartes devait le faire d'abord dans sa fameuse lettre latine au Père Dinet de la Société de Jésus, Provincial de France, publiée a la suite des Objediones Septimae, achevées d'irnprimer par Louis Elzévir, a Amsterdam, vers la mi-mai 1642 K Comme 1'écrit Huygens, le 26 de ce mois, Descartes y a bien raconté ce qui s'est passé entre lui et ses adversaires «tant de ca que dela ». Celui-ci y insiste sur 1'attraction que sa philosophie exerce sur les jeunes, maitres et élèves 2. Le portrait qu'il tracé de Voetius est si ressemblant qu'on ne peut manquer de le reconnaitre, bien qu'il ne soit pas nommé : « II passé pour théologien, orateur, disputateur; il s'est concilié les petites gens en étalant une piété fervente' et un zèle indomptable pour la religion, en attaquant les gouvernants, 1'Église Romaine et toute opinion différente de la sienne propre, en chatouillant les oreilles de la populace par des . brocards de bouffon. II édite chaque jour des pamphlets qui ne sont lus de personne, citant des auteurs qu'il ne connaït peut-être que par leur table des matières et qui plaident plus souvent contre lui que pour lui, parlant avec autant de présomption que de maladresse de toutes les sciences, comme s'il les savait et, par la, ne passant pour savant qu'auprès des ignorants...»3 Descartes ne 1'accuse pas d'avoir provoqué par ses amis les frottements de pieds qui ont troublé les soutenances de Regius, mais il constate qu'avant ce Rectorat cela ne s'était pas produit. L'auteur de 1'Epïtre se prévaut, pertinemment, du fait que Regius a été condamné par le Sénat sans même avoir été entendu ou avoir été convoqué par le Recteur, qui fut a la fois président du tribunal académique et accusateur. Le philosophe reproduit alors la décision du Sénat, du 17 mars 1642, pour que personne ne puisse dire, si par aventure tous ces écrits se perdent, que la philosophie cartésienne a été condamnée a Utrecht par bonnes et valables raisons, mais il omet le nom de la ville, qu'il r'était pas trés difficile, pour les lecteurs hollandais du moins, de suppléer. II relève les trois chefs d'accusation contenus dans le jugement et les réfute, sentant bien que c'est lui, plutót que Regius, qui est 1'accusé t VirA^anLlei26*' e1 t^ns,c?s: CMa Iettre de Huygens dans CEuvres de Descartes t. HL p. 564. Le texte de la lettre de Descartes au PTDinet est au t. VIL op 563^03. et les passages qm nous intéressent iel aux pp. 582-599. Cf. aussi t. VIIlTp. 209 z. LtLuvreSf t. Vil, pp. 575-577. 3. Ibid., p. 584. ARRÊT DU CONSEIL D'UTRECHT (12 AOUT 1642) 553 et le condamné ; mais, pourquoi le faire dans une lettre a un Jésuite francais ? C'est qu'il craint, comme dans le cas du mouvement de la terre, la concordance et 1'alliance des deux orthodoxies, des partisans protestants et catholiques du principe d'autorité en matière de science et de philosophie. Tout cela n'est, pour un an encore, que 1'attaque indirecte; Regius reste au premier plan, comme protagoniste. Le récit des faits, établi par le philosophe dans sa lettre au P. Dinet a plu au disciple 1, autant qu'elle a déplu a Voetius. Ce dernier fait convoquer le Sénat académique qui, assemblé le 29 juin 1642, nomme une commission de quatre membres pour exarniner les injures a 1'adresse de l'Université d'Utrecht contenues dans la lettre de Descartes au P. Dinet2. Cette assemblée y reviendra encore, un an après, le 6 mars 1643, pour approuver l'historique officiel de la querelle ou Testimonium Academiae Ultra]ectinae et Narratio historica qua defensae, qua exterminatae novae Philosophiae (Utrecht, 1643) 3, rédigé par Paul Voet, le fils de Gisbert. Cet auxiliaire de vingt-trois ans ne suflisait pas au vieux théologien. II en trouva bientöt un autre dans la personne de son ancien élève Martin Schoock, alias Schoockius, devenu professeur a l'Université de Groningue. Celui-ci, que Regius appelle dans ses lettres «le Moine renégat », étant venu a Utrecht, se serait laissé persuader, en juillet 1642, a la suite d'un somptueux repas que lui offrit Voetius, de prendre la plume contre 1'épitre a Dinet, et il emporta les documents. D'autre part le théologien, qui soupconne avec raison le médecin d'en avoir fourni a Descartes les éléments, s'efforce d'obtenir la destitution de celui qu'il accuse d'être un traitre, d'autant plus qu'il continue a exposer les doctrines nouvelles en regard de celles d'Hippocrate, de Galien et d'Aristote *. Un nouvel arrêt du Conseil de la Ville d'Utrecht, en date du 12 aoüt 1642, conclut un peu prématurément a la fin de 1'intruse, c'est-a-dire de la philosophie nouvelle, et fulrnine une peine exceptionnelle de cent florins, sans préjudice des amendes antérieurement promulguées, contre 1'importation, 1'impression, la vente et la propagation de toute espèce de « libelles diffa- 1. Cf. CEuvres, t. III, p. 565. 2. Ibid., p. 568. 3. Ibid., p. 569. 4. Ibid., p. 574. 554 DESCARTES EN HOLLANDE matoires », ou autres écrits de « même farine » (sic), lancés contre les thèses ou corollaires proposés pour la dispute pubhque par MM. les professeurs ou les étudiants. Vaine digue opposée conjointement par le Magistrat et le Sénat a la marée montante des vérités nouvelles. Bien plus, la résistance qu'elle rencontre lui fait redoubler ses efforts pour en triompher. Le livre de Schoockius commencé déja a s'imprimer, mais, les premières feuilles que Descartes a pu se procurer chez Waesberge, on ne sait par quel artifice, ne portant point de nom, le philosophe a de bonnes raisons de le croire entièrement de la main de Voetius. Cette fois il ne s'agit plus de Regius, c'est 1'auteur de la Méthode qui est ouvertement visé, déja par le seul libellé du titre : Philosophia Cartesiana sive Admiranda Methodus novae Philosophiae Renati Descartes (Utrecht, Waesberge, 1643). Ce dernier mande a ce propos au P. Mersenne, d'Endegeest, le 7 décembre 1642 : «Le livre de Voetius contre moy est soubs la presse, j'en ay veu les premières feuilles; il 1'intitule : Philosophia Cartesiana. II est environ aussy bien fait qu'un certain Pentalogos1, que vous avez veü il y a deux ans, et je ne daignerois y respondre un seul mot, si je ne regardois que mon propre interest; mais, pource qu'il gouverne le menu peuple2, en" une ville oü il y a quatitité d'honestes gens qui me veulent du bien et qui seront bien ayses que son authorité diminue, je seray contraint de luy respondre en leur faveur et j'espere faire imprimer ma response aussy tost que luy son livre, car elle sera courte et son livre fort gros et si impertinent, qu'aprés avoir examiné les premières feuilles et avoir pris occasion de la de luy dire tout ce que je croy luy devoir dire, je negligeray tout le reste, comme indigne mesme que je le lise. »3 Voetius n'a pas hésité de nouveau a essayer d'associer le trés docte Mersenne a sa cause et a accuser Descartes de se réfugier dans le sein des Jésuites pour échapper aux coups du Minime, ce qui provoque Findignation particulière du philosophe et amène une protestation du religieux. II est venu a celui-la un autre allié inattendu, dans la personne 1. Allusion a 1'ceuvre d'un < chymiste boenden, demeurant a La Haye », que je ne puis identifler autrement. Cf. CEuvres de Descartes, t. III, p. 249. Lettre du 3 décembre 1640. 2. Le < menu peuple > tenait en effet avec les orthodoxes, pour les princes d'Orange, contre 1'aristocraUe bourgeoise qui gouvernait les villes. 3. CEuvres, t. III, pp. 598-599. ARRÊT DU CONSEIL D'UTRECHT (12 AOUT 1642) 555 de 1'ancien pasteur francais de 1'Eglise Wallonne : Samuel Desmarets ou Maresius, né a Oisemont le 9 aoüt 1599 (mort en 1673), qui avait été d'abord professeur de théologie a 1'Académie de Sedan 1; il était pasteur a Maestricht en 1629, puis a Bois-le-Duc, le 29 janvier 1636, oü il fut installé le 18 mai; le 18 décembre 1642, il avait été appelé, nous 1'avons vu au hvre II 2, comme professeur, a l'Université de Groningue. Peu avant, il avait été imphqué dans Faffaire de la Congrégation de Marie et il est accusé par Voet d'orthodoxie insuffisante, dans un écrit qui s'imprime en même tèmps que 1'attaque contre Descartes. Ce dernier a réussi a en surprendre aussi 3 les premières feuilles qu'il s'empresse de communiquer a son compatriote Desmarets. II offre a celui-ci une alhance défensive, dont le pasteur accepte le principe : « A cause que je croy, lui écrit le philosophe, qu'ils [c'est-a-dire les deUx livres de Voetius J se suivront 1'un 1'autre de fort prés, mon opinion est que j'employeray deux ou trois pages en ma réponse, pour dire mon avis de vostre different, puis que vous ne 1'avez pas desagreable et ce qui m'y oblige le plus est que ce que j'écriray sera publié en Latin et en Flamand, car je croy qu'il est a propos que le peuple soit desabusé de la trop bonne opinion qu'il a de cét homme. » 4 « Je ne crains autre chose, mande Descartes a Mersenne, le 4 janvier 1643 5, sinon qu'il ait quelque ami qui luy conseille de le supprimer, avant qu'il soit achevé et ainsy qu'il me face perdre 5 ou 6 feuilles de papier que j'ay desja brouillées, non pas pour lui respondre, car il ne dit rien qui merite response, mais pour faire connoistre sa probité et sa doctrine. » « Le titre du hvre de Voetius contre moy, écrit-il encore au même correspondant, le 23 mars suivant, toujours d'Endegeest 6 est Admiranda Methodus novae Philosophiae Renati Des Cartes 1 et, au dessus de toutes les pages, il a fait mettre 1. .) 'ai eu sous les yeux un reeu signé de lui en cette qualité, a la date du 10 janvier 1629, dans le ms 4442* a la Bibliothèque de la Société d'Hlstoire du Protestantisme francais, 54, rue des Saint-Pères, Paris. 2. Cf. p. 304 et Bulletin Eglises Wallonnes, t. III, p. 30; Haag, La France Protestante, 2e éd., t. V, col. 320ets. 3. Par quels moyens, il prétend ne pas le savoir, disons qu'il aime mieux ne pas le savoir, t. III, p. 606. 4. CEuvres, t. III, p. 607. 5. Ibid., t. III, pp, 608-609. 6. Ibid., t. III, pp. 642-643. 7. L'ouvrage, d'après M. Adam, est extrêmement rare en Hollande, oü 1'on n'en connait qu'un exemplaire dans une bibliothèque privée. II y en a deux, au moins 556 descartes en hollande « Philosophia Cartesiana », ce qu'il a fait pour faire vendre le hvre sous mon nom et je vous en avertis, affin que vous puissiez detromper ceux qui, ayant vu ce titre, pourroient croyre que ce fust quelque chose de moy. » Descartes sait maintenant que c'est Schoockius, qu'il appelle «le badin de Groningue», qui servira de prête-nom a Voetius : « vous verrez peut estre par ce qui reussira du hvre que Voetius a fait contre moy, sous le nom de ce badin de Groningue, que les Cathohques ne sont point haïs en ce païs. Ce hvre est extremement infame et plein d'injures sans aucune apparence de verité ny de raison... mais, pour ce que j'ay des amis a qui il importe que Voetius soit decredité, je fais imprimer une response contre luy, qui ne le chatouillera pas. »1 A la fin de mai 1643, elle parut, cette fameuse réponse, « chez Louys Elzevier, marchand libraire a Amsterdam », alors que Descartes s'est rapproché de cette ville, en s'installant pour un an a « Egmont op de Hoef »2. UEpistola Renati Des-Cartes ad celeberrimum Virum D. Gisbertum Voetium,... in qua examinantur duo libri, nuper pro Voetio Ulirajecti simul editi : unus de Confraternitate Mariand, alter de Philosophia Cartesiana 3, parut simultanément en latin et en hollandais (Brief van René Des Cartes, aen D. Gisbertus Voetius, etc), cette dernière version étant évidemment une traduction. en France, a la Bibl. V. Cousin, a la Sorbonne, et a la Bibliothèque de la Ville de Nancy. 1. Cf. CEuvres, t. III, pp. 642-643. 2. Ibid., pp. 647 ; 672 ; 674-675. 3. Reproduite au t. VIII, 2» partie, des CEuvres ; pp. i-xm ; 1-198. CHAPITRE XVIII L'EPISTOLA AD VOETIUM (1643) Je ne crois pas que YEpistola ad Voetium, publiée a la fin mai 1643, ajoute beaucoup a la gloire du philosophe; il s'est laissé un peu trop entrainer par le milieu universitaire hollandais, oü ce genre de polémique personnelle était fort en honneur. Comme, tout a 1'heure, il parlait souvent par la bouche de Regius, c'est Regius qui, aujourd'hui, parle souvent par la sienne et même aussi un pasteur protestant de 1'Église Wallonne : Samuel Desmarets. La liberté qu'autorise le latin entraine parfois des écarts de langage dont YAdmiranda Methodus de son adversaire Voetius lui donne souvent 1'exemple, de sorte qu'on aboutit a un concert de grossièretés, dont les termes de bouffon et de monteur sont la basse continue. II est vrai que les deux ennemis ne s'accusent pas de vices contre nature, c'est un progrès sur les polémiques de la période précédente. Un autre défaut fondamental de la lettre réside dans la facon dont elle a été rédigée, par fragments, d'abord en réponse aux cinq ou six feuilles du début, que Descartes a pu se procurer et que, nous 1'avons vu, faute de titre et de préface, il croit, non sans apparence de raison, être de Voet. La pubhcation a été interrompue, paree que celui-ci s'est mis a sa Confraternitas Mariana, qui doit être prête pour le Synode wallon du 15 avril 1643. Le philosophe le suit sur ce terrain et réfute aussi ce livre, d'accord avec Desmarets qui y est attaqué, et cela rompt une fois de plus l'unité de sujet. II n'empêche que, tel qu'il est, cet écrit ne laisse pas d'être plein de verve, de vivacité, d'érudition, d'esprit, qu'il est un bon exemple du genre d'éloquence dont Beaumarchais nous donnera plus tard le chef-d'ceuvre, et qu'il y a a y 558 DESCARTES EN HOLLANDE glaner des idéés générales, exprimées avec une allure agressive a laquelle les grands ouvrages de Descartes ne nous ont pas accoutumés, mais qui n'en indique que mieux le fond de son tempérament. ,« La préface ou «Argumentum»1 proclame la liberté de 1'erreur dont ne résulte aucun péril, car elle permet la rencontre de la venté, qui en tirera grand profit; mais celle-ci est odieuse a ceux dont la doctrine cesserait d'être a 1'honneur, s'ils étaient pnvés de controverses. II rappelle alors la condamnation de la doctrine nouvelle par le jugement du Sénat de l'Université d'Utrecht, le 17 mars 1642, arrêt dont Voet est le véritable auteur ; 1'intervention tardive de Schoockius, embauché par Voet pour écrire, sous sa dictée, VAdmiranda Methodus, pleine de nouvelles calomnies si abominables que, cette fois, Descartes se sent obligé de rétorquer, d'autant plus que Voetius a été jusqu'a 1'accuser d'enseigner secrètement 1'athéisme. II demande donc au Magistrat d'Utrecht la punition de ce dernier, qui s'est disqualifïé aussi dans 1'afïaire de Bois-le-Duc, a propos de la« Confrérie ou Sodalité de la Vierge », sur laquelle nous reviendrons. L'Epistola, qui n'a pas moins de deux cent quatre-vingtdeux pages in-12, dans 1'édition princeps, et cent quatrevmgt-quatorze pages in-4°, au t, VIII, 2* partie, de 1'édition Adam et Tannery, est divisée en neuf. parties, dont la première réfute 1'introduction du livre appelé Philosophia Cartesiana, titre fait pour en assurer la vente et qui constitué, aux yeux de Descartes, une véritable fraude. Voet, qui a qualifié 1'Épitre a Dinet, a laquelle il entend repliquer, de bouffonne et de mensongère, sans d'ailleurs en fourmr de preuves, donne tout de suite le ton a la réponse du Philosophe, qui a été traité a.ussi d'imposteur et de fou. Des extraits du livre de Voet, permettent de nous rendre mieux compte de la valeur des accusations lancées contre Descartes. Sa philosophie est une philosophie a 1'usage des geus du monde, d'oisifs qui n'ont pas fait d'études et d'hommes pohtiques*. Elle est d'un rhéteur et d'un escamoteur. Ici le Francais a beau jeu pour répondre qu'il habite la campagne, qu'il fuit la foule, qu'il n'a jamais eu d'élèves, ce qui 1. GSuvres, t. VIII, p. 3 et s. 2. Ibid., p. 19. y EPISTOLA AD VOETIUM (MAI 1643) 55» n'est vrai qu'au sens strictement scolaire du mot, et que, bien loin de les chercher, il les a, au contraire, évités \ La biographie esquissée par Voet est bien amusante : «Luimême se nomme René des Cartes ; sa patrie est la France, astre du ciel européen- S'il faut en croire les ütres qu'on lui donne, il est trés noble, ou du moins noble. Je n'envie pas cette prérogative de la naissance, qui peut échoir, par 1'effet du hasard, au plus mauvais et au plus sot »; a quoi 1'intéressé repartit qu'il n'est pas donné a tout le monde, comme a son adversaire, de naitre dans une gargote, des ceuvresd'un goujat, ou de recueillir les premiers rudiments de la piété et des autres vertus, parmi les court^lanes et les cantinières qui suivent les années. Nous avons déja parlé de 1'accusation d'avoir des enfants naturels et de la spirituelle réponse de Descartes sur ce point2. Voet passé alors aux qualités intellectuelles qu'il ne lui dénie pas, mais il nous donne en passant un témoignage intéressant de 1'admiration que le philosophe francais inspire a ses disciples hollandais, qui le tiennent pour un Dieu : « Eh! oui, il a du talent, mais n'en avaient-ils pas aussi ces fous furieux qu'on appelle Épicure, Lucien, Mahomet, Machiavel, Vanini, Campanella, Socin, le Dr Faust, Corneille Agrippa, Lipman de Mulhouse, etc. ?»Voila notre auteur bien encadré ! II reproche ensuite au disciple de Loyola d'avoir fait la guerre de siège et la guerre navale (!!?) et de s'être jeté dans la philosophie, désespérant d'arriver au grade de Maréchal ou de Général. Descartes conclut en disant que les reproches que lui fait Voetius se ramènent a ceci, qu'il est Francais, de naissance honorable, non dépourvu de talent, célibataire et qu'il a concu une philosophie fondée sur la Mathématique. Ce ne sont pas des raisons suffisantes pour le quahüer d'imposteur, de fou, de daim, d'insensé, d'hypermenteur et de vendeur de fumée. Que si ces injures lui étaient lancées par une femme ivre ou un cabaretier en colère, il ne ferait qu'en rire, mais comme elles sont écrites et imprimées par un théologien, un pasteur, qui veut passer pour trés religieux, trés pieux et devrait être un exemple de modération, d'indulgence et de gravité, elles sont inexcusables 3. 1. (Euvres, t. VIII, p. 20. 2. Cf. plus haut, p. 415 et t. VIII, p. 22. 3. CEuvres, t. VII, pp. 25. 560 DESCARTES EN HOLLANDE S'élevant au-dessus des questions personnelles, Descartes termine sa première partie par une définition de la philosophie, telle qu'avec quelques autres, il la concoit et qui n'est que la connaissance des vérités pouvant être percues par la lumière naturelle et servir a des fins humaines, d'oü il suit qu'aucune étude n'est plus honorable, plus digne de l'homme, plus utile dans la vie. Au contraire, la philosophie vulgaire qui s'enseigne dans les écoles et dans les Universités n'est qu'un chaos d'opinions pour la plupart douteuses, comme le montrent les continuelles disputes oü elles sont discutées, et tout a fait inutiles, comme en témoigneune longue expérience. Personne n'a jamais rien pu tirer pour son usage de «la matière première » , des « formes substantielles », des « qualités occultes » et autres choses semblables. En Religion, il ne faut rien innover; en Philosophie, au contraire, rien de plus louable que d'être novateur. On regrette de ne pas trouver plus souvent dans YEpistola ad Voetium de pareilles envolées. La« pars secunda» nous ramène aux « Actes de Voetius », par lesquels ses vertus nous ont été, dès 1'abord, révélées. Descartes n'a jamais vu son adversaire et il n'avait pas plus d'opinion sur lui que sur ceux qui ne sont pas encore nés, lorsqu'il sut que le théologien 1'avait compris parmi les athées. Alors, il s'enquit et voici ce qu'il apprit : Voetius était trés zélé et trés assidu dans 1'accomplissement de sa doublé charge de pasteur et de professeur; il parlait, il enseignait, il disputait plus souvent que ses collègues; le froncement de sourcils, la voix, le geste, tout annoncait la plus grande piété ; il paraissait brüler d'un tel zèle pour maintenir la vérité et la pureté de la religion, qu'il blamait, avec rigueur, non pas seulement les plus légers des vices, surtout chez les puissants, mais même les petits travers, qui, pour beaucoup, ne sont pas des vices. Contre tous ceux qui n'étaient pas de son avis, il disputait et déclamait avec véhémence *. « Cela eüt amené, continue Descartes, a vous considérer comme un des Prophètes ou des Apótres, si 1'injuste accusation d'athéisme, lancée contre moi, ne m'avait inspiré des doutes », et il se réfugié dans ce dilemme: ou c'est un saint ou c'est un hypocrite. II n'est pas besoin de dire vers laquelle des deux 1. (Euvres, t. VIII, p. 28. EPISTOLA AD VOETIUM (MAI 1643) 561 appréciations, les circonstances de 1'afïaire Regius ont fait pencher la balance. Les troubles, Descartes soup conne Voetius de les avoir lui-même provoqués, après avoir incité son ennemi a s'y exposer par des soutenances de thèses répétées. II reproche, non sans raison, au théologien d'avoir excédé les pouvoirs du Recteur et d'avoir condamné un collègue sansl'entendre1. La troisième partie, qui répond aux chapitres i et n de la pseudo Philosophia Cartesiana, affirme d'abord qu'il n'y a pas de mystère dans la philosophie cartésienne, comme 1'a prétendu 1'adversaire. On retrouvé ici une objection faite a toutes les doctrines d'art ou de philosophie modernes : elles sont un snobisme et exigent une initiation 2. A quoi Descartes réplique qu'évidemment les Meditationes ne sont pas accessibles a tous sans préparation. II 1'accuse de mal citer et d'être de ceux qui, selon la parole de 1'apötre, calomnient ce qu'ils ignorent. Pour lui, il ne s'est jamais flatté de savoir toutes les difficultés des sciences, car autre chose est de construire une méthode et de résoudre toutes les questions. Dans la quatrième partie, 1'auteur se moque de 1'érudition de Voetius, qui lit les sottises des athées, des libertins, des cabalistes, des mages, et même une bouffonnerie comme le Cymbalum Mundi de Bonaventure des Périers 8. La seconde catégorie des lectures qu'il pratique est celle des livres de controverses qui lui ont monté la tête au point que, n'eüt-il lu que le quart de ceux qu'il cite, il devait passer sa vie en rixes et en querelles, et la troisième espèce de livres que le théologien cultive sont les recueils de lieux communs, de commentaires, de résumés, et de sentences de divers auteurs. Cela fait, non un savant4, mais un érudit, qui n'en impose qu'au vulgaire, séduit par cette facon agressive, ces injures, ces plaisanteries grossières, cette abondance verbale. Mais, a être ainsi gavées d'attaques et de disputes, il ne se peut pas que les femmes en revenant du sermon, n'imitent leur pasteur et ne troublent la maison de leurs querelles. Au troisième chapitre seulement, réfutè par la cinquièmé partie, Descartes s'est apercu qu'il avait attaqué Voetius pour 1. CEuvres, t. VIII, 2« partie, p. 33. 2.. Ibid., p. 35. 3. U est vrai qu'ü le cite d'après le P. Mersenne. Cf. 1 bid., a. 42. 4. Ibid. 36 562 descartes en hollande uh livre écrit par le professeur Schoockius, mais Voetius n'at-il pas corrigé les épreuves, le style n'est-il pas sien et aussi la facon d'injurier ? Comment Schoock eüt-il pu s'irriter a ce point de 1'Épitre au P. Dinet, oü il n'est même pas visé ? L'argumentation est convaincante : Schoock n'est qu'un prête-nom. Cependant, dérouté dans son plan par ce changement, Descartes réfutera désormais le hvre en bloc et non plus en détail; mais, comme il n'aime pas a combattre des masques, il revient au principal adversaire sur un terrain oü il ne peut lui échapper, celui de la Confraternitas Mariana. Cette polémique, qui n'est pas du tout un hors-d'ceuvre, puisqu'elle occupe toute la sixième partie et est annoncée dans la préface, est bien une des choses les plus déconcertantes de 1'activité du philosophe en Hollande. Nous allons le voir batailler ici pour un pasteur orthodoxe francais, Samuel Desmarets, contre un pasteur plus orthodoxe hollandais, Gisbert Voetius, sur le sujet de la Confrérie de la Vierge. Ne croyez pas qu'il s'agisse ici d'un plaidoyer pour le libre exercice de la rehgion catholiqüe : voici ce dont il retourne. Bois-le-Duc avait été pris par les Hollandais aux Espagnols en 1637, après un siège brillant auquel bien des Francais, comme le duc de Bouillon et son frère, le jeune Turenne, avaient pris part et oü d'autres, d'Hauterive et d'Aigueberre, avaient trouvé la mort. Comme aujourd'hui encore, les Catholiques étaient les plus nombreux a Bois-le-Duc et ceux des hautes classes étaient cónstitués en une sodalité ou confrérie, ainsi qu'il y en a en Flandre et en Brabant, sous le vocable de la Vierge. Banquets, fêtes, enterrements, de même que chez les Pénitents blancs de notre midi, en constituaient la principale activité. Ces confréries étant un instrument important de domination, le gouverneur hollandais, van Brederode, et treize autres protestants de marqué s'y font admettre. Aussitót que Voetius 1'apprend, notamment par le pasteur C. Lemann,: il émet ou fait émettre des thèses, a 1'Université «P'Utrecht; dans lesqueües il anathématise les réformés qui sacrifient a 1'idolatrie papiste, assistant aux funérailles de leurs frères, avec un drap rouge sur les épaules et portant une médaille ornée, de cette inscription : « Comme un lis parmi les épines ». " EP1ST0LA AD VOETIUM (MAI 1643) 563 Inquiets dans leur conscience et aihsr gravement soupeonnés 'est pas un don commun a touts translateurs. Mr van Surck, qui est poli en tout, vous y pourra avoir presté de sa diligence; qui que ce soit, vous luien avez un peu bien d'obligatior. »4 Huygens n'eüt certes pas déceraé le même éloge a la lettre que Descartes écrivait d'« Egmont op de Hoef », le 18 juillet 1643, 1. CEuvres, t. III, p. 153. Descartes s'est occnpé de la construction des orgues notamment de celui d'Alkmaar. Cf. G. W. Enschedé, dans Amslelodamum, octobre 1928. 2. Constantin Huygens, justement paree qu'il sait tant delangues étrangères, est un puriste dans la sienne et en écarté les mots francais qui y sont si nombreux. Cf. le livre de M. Salverda de Grave. L'influence de la langue francaise en Hollande d'après les mots empruntés ; Lecons faites è l' Université de Paris en janvier 1913 ; Paris, Ed. Champion, 1913, un vol. in-18°. 3. CEuvres, t. III, pp. 157-158. 4. Ibid., p. 15L 592 DESCARTES EN HOLLANDE a son horloger Gerard Brandt, aux Douze heures, sur le« Rockinne », prés de la Bourse, a Amsterdam, et qu'il termine en s'excusant d'écrire si mal le hollandais : « Excuseert my dat ick soo quaet Duytsch schrijve. »1 Au bas de sa requête en néerlandais au Magistrat d'Utrecht, écrite d'Egmond, le 21 février 1648, figure cette note autographe 2 : « J'ay fait traduire cet escrit en Flamend, mais, pource que c'est une langue que j'entens fort peu, je prie ceux qui le hront d'avoir principalement egard au Francois, duquel seul je puis respondre. » C'est pourtant bien en hollandais, en flamand ou en «duytsch», ce qui est tout un, qu'il enseignait Dirck Rembrantsz van Nierop, cet étonnant paysan de Noord-Hollande dont nous parle Baillet et dont 1'histoire est absolument authentique 3 : « Dirck Rembrantsz étoit un païsan de Hollande, natif du village de Nierop, vers les extremitez de la Nort-Hollande, qui regarde la Frise. L'exercice qu'il faisoit du métier de cordonnier, dans le lieu de sa naissance, ne luy fournissoit que fort étroitement le nécessaire... Mais il avoit trouvé les moyens de vaincre sa fortune par une connoissance exquise des Mathématiques, qu'il ne pouvoit s'empécher de cultiver, souvent au préjudice du travail de ses mains. » Les paysans, vivant sous les larges espaces étoilés, sont souvent des contemplateurs, tel ce Eise Eisinga qui, a Franeker, constrttisit de ses dix doigts par des moyens de hasard de 1774 a 1781, le Planetarium, qui marche encore. Dirck avait entendu dire que le « Franschman » n'était pas qu'un « goeye man », que c'était aussi un « geleerde man »; il voulut lui exposer les connaissances qu'il avait acquises, et dont les simples sont d'autant plus fiers qu'elles leur ont coüté plus de peine a découvrir. Par la rumeur publique, II le savait d'abord facile, mais les valets étaient plus rogues que le maitre et repoussèrent durement ce f ou. Au second voyage, le Philosophe lui fit donner de 1'argent, que Dirck Rembrantsz refusa, ajoutant que son heure n'était pas encore venue et « qu'il esperoit qu'un troisième voyage luy seroit plus utile ». Sa persévérance fut récompensée. Descartes 1'accueillit, reconnut 1. CEuvres, t. IV, p. 17. 2. Ibid., t. VIII, 2« partie, p. 275. 3. Cf. CEuvres, L V, p. 266-267, d'après Baillet, t. II, p. 553 s. LE PAYSAN-ASTRONOME ! DIRCK REMBRANTSZ 593 son habileté et son mérite, lui communiqua sa Méthode et le recut «au nombre de ses amis, sans que la bassesse de sa condition le luy fit regarder au dessous de ceux du prémier rang et il 1'assura que sa maison et son cceur luy seroient ouverts a toute heure. » Ainsi, celui qu'on a tort de n'avoir jamais appelé«le bon Descartes» en avait agi avec 1'ouvrier Ferrier, le domestique Gillot, 1'arpenteur Wassenaer. « Rembrantsz, qui ne demeuroit qu'a cinq ou six lieues d'Egmond, rendit, depuis ce tems-la de trés fréquentes visites a M. Descartes et il devint, a son école, 1'un dés premiers Astronomes de son siècle... L'Astronomie Flamande ou Hollandoise qu'il a donnée en langue vulgaire, aprés la mort de nótre Philosophe, et qui luy fait aujourd'huy tant d'honneur parmi les Scavans, est toute sur le système de M. Descartes et débute par 1'établissement des Tourbillons. » Ce dernier s'intéresse aussi 'a un autre mathématicien, francais cette fois, et qui habitait Alkmaar : « Je vous remercie, lui écrit Brasset, le secrétaire de 1'ambassade, faisant alors fonction d'ambassadeur, a la date du 4 décembre 1647, du soin que^ vous avez eu de veoyr nostre infirme d'Alkmar. »1 C'était'un jeune Francais, nommé du Laurens, de médiocre santé, venu en Hollande, attiré sans doute par la renommée de ce pays comme terre promise des savants et des lettrés ou par 1'envie d'approcher Descartes ; il aimait 1'étude pardessus tout : « Je n'improuve pas, disait Brasset a M. de Brisacier, son apphcation aux estudes, je voudrois aussy que dans. les contentemens de 1'esprit, il songeast un peu a la subsistance du corps » et ailleurs :« il s'applique a une estude qui est charmante pour ceux qui 1'ayment, a scavoir les Mathématiques ». « Je luy mande aussy [a M, Collaye], écrit-il au même correspondant, le 14 octobre 1647, la necessité oü se trouve le pauvre M. du Laurens, accablé de fiebvre a Alkemar. Je veoy par une lettre du bon homme 2 de père qu'il est un peu serré... J'attends des nouvelles del'infirme parle moyen de M. des Cartes. ,, 3 Du Laurens parait céder aux instances de Brasset qm 1'exhorte a quitter ce « mauvais quartier », «ce 1. (Euvres, t. V, p. 94. famiiw VÏ!°nhom,me ' n\ au xvn# s,ècle' rien d'mjurieux, d'ironiaue aDeinede lZ a'A„gt«.b0nho'B,ne >étalt' ConseilleTduRoi et Président iSTdlet 3. (Euvres, t. V, p. 108. 38 594 DESCARTES EN HOLLANDE malheureux trou d'Alkmaar, qui est a dix ou douze lieues de la Haye et d'oü il y a autant de peine a avoir de ses lettres que de Constantinople ». Sa maladie est un « effect de corruption du sang » et est de plus « communicative », la phtisie évidemment. « J'envoie, écrit toujours Brasset, le 23 décembre 1647,1'extraict d'une lettre que j'ay receue de M. Des Cartes au suject de M. du Laurens, oü il marqué son humeur studieuse et son incommodité, qui n'est pas petite, ce mal estant fort facheux et contagieux, ce qui m'empeschera de le retirer parmy une familie a la santé de laquelle j'ay interest... », la sienne sans doute. Brasset, le 20 janvier 1648, 1'engage a rentrer en France : « La connoissance que vous avez que ce climat vous est contraire doibt vous faire resouldre a le quitter tout le plus tost que vous pourrez ». ■ Je tiens, mande-t-il a de Brisacier, le 3 février, que, quand il voudra se desveloper'l'esprit de cette encyclopedie aprez laquelle il court, il a de quoy se rendre propre a la fonction dont vous me parlez... II se faict fort d'escrire bien 1'italien et 1'espagnol; le latin avec cela et 1'entente de rallemand et flamand n'est pas peu de chose, » Parti pour un « changement d'ayr », le 22 février, il revint en juillet pour occuper auprès de Brasset un emploi presque officiel, mais, dès la fin de 1'année 1648, « 1'ayr de ce climat luy a esté si contraire qu'il a esté contraint de 1'aller restablir en nostre bon payz, oü il est arrivé, écrit Brasset le 13 janvier 1649, aprez un long circuit de peregrination douloureuse par Bordeaux et la Rochelle ». * En passant par Paris, en juin 1648, du Laurens va trouver Descartes, ce qui prouve 1'attraction que son compatriote de 1'Anjou exerce sur lui, bien qu'il ne paraisse pas 1'avoir vu trés souvent en Hollande. C'était pourtant pour le fréquenter, semble-t-il, que le jeune mathématicien du Laurens, assoiffé, d'encyclopédie, s'était installé prés d'Egmond, a Alkmaar, Oü il sue la fièvre. 1. Cf CEuvres, t. V, pp. 216 a 218. CHAPITRE XXI SUITE DES PROCÉS DE GRONINGUE ET d'üTRECHT (1645-1648) s Une fois réinstallé a Egmond-binnen, Descartes écrit a Tobie -d'André pour s'informer de ce qu'étaient devenues 1'affaire de Groningue et la plainte en diffamation auprès du Sénat acadédémique contre Schoockius. Ce dernier n'était plus recteur et avait été remplacé par Samuel Desmarets, aussi intéressé que notre philosophe a aboutir. Le moment était donc f avorable et, par -une nouvelle requête adressée au Sénat, le 17 février 1645, Descartes insiste pour que son procés soit examiné. Les choses ne trainèrent plus : 1'affaire fut inscrite au róle, le 4 avril, et ïnstrnite, sans désemparer, les jours suivants, sous la présidence de Desmarets. Schoockius, qui fait figure d'accusé, répondant a son interrogatoire, afflrme que c'est Waterlaet (encore un homme de paille de Voetius) qui a procuré 1'édition de YAdmilanda Methodus, qu'il ne 1'a pas fait seul et que, sans doute il agissait au nom d'un tiers; il n'est pas difficile de deviner" qui. Le 10-20 avril 1645, le tribunal rend sa sentence, qui est écrasante et pour Schoockius et pour Voetius. Dans les considérants, l'Université de Groningue afflrme son esprit pacifique sa volonté de se tenir a 1'écart des discussions et des divisions et lave Descartes du reproche d'athéisme. Le jugement consigne les déclarations faites sous serment par Schoockius et dont voici le résumé 1 : 1° C'est a 1'incitation du D' Voetius qu'ü a pris la plume et ce dernier lui a fourni beaucoup de particularités, notamment ce qm touche le prétendu athéisme de Descartes et 1'odieuse comparaison' avec Vanini. 596 DESCARTES EN HOLLANDE 2° Sans doute, Schoockius a écrit la plus grande partie de YAdmiranda Methodus ou Philosophia Cartesiana et en avait laissé le manuscrit a Utrecht, mais une main étrangère y a inséré, contre tout droit, les choses les plus injurieuses; toutefois, il est difficile d'établir lesquelles, car les auteurs ont fait disparaitre leurs notes. Ils ont inscrit, sur le titre, le nom de Schoockius, malgré sa propre défense, pour écarter d'eux-mêmes la haine que susciterait cet écrit. 30 Schoockius ne peut établir avec certitude quelle est la main criminelle qui s'est permis d'altérer ainsi le manuscrit, mais il en avait confié 1'édition a un étudiant nommé Waterlaet, intime de Voetius, qu'il soupconne a juste titre d'avoir pris' autant de part a 1'édition que Waterlaet, qui affirme n'en avoir jamais vu une épreuve. 40 Schoockius avoue que le ton de 1'écrit ne convient ni a un savant ni a un honnête homme. II n'a pas du tout voulu prétendre que Des Cartes est un second Caïn, qu'il est directement ou indirectement athée et émule de Vanini; qu'au contraire, il le tient pour un homme érudit, bon et probe. 50 Schoockius a rompu presque entièrement avec Voetius. 60 Schoockius a déposé entre les mains des juges un projet de déclaration a faire par lui-même devant eux, entièrement rédigé et écrit de la main de Voetius et dont le dit Schoockius a refusé de faire usage, paree qu'il aurait constitué un véritable faux-témoignage; après quoi, Voetius lui en avait envoyé une seconde plus conforme a la vérité, mais que Dematius avait encore amendée. Ces pièces seront communiquées a Desc cirtcs. Le jugement lui fut également transmis et ce fut la la satisfaction qu'il obtint. Elle ne lui suffit point, bien que les déclarations de Schoockius, concernant le faux-témoignage a lui suggéré par Voetius, fussent écrasantes pour ce dernier. Quant au premier, méprisable jouet d'une haine théologale, Descartes est tout prêt a se réconcilier avec lui. « De quelque naturel, éerit-il a Tobie d'André, le 26 mai 1645 \ que soit Schoockius, ie suis tout a fait persuadé que vous ne desapprouverez pas que i'offre de me réconciüer avec luy. II n'y a rien de plus doux dans la vie que la paix et il faut se souvenir que la haine du plus 1. (Euvres, t. IV, p.v215. LETTRE AUX MA GISTRA TS D'UTRECHT (1648) 597 petit animal, ne füt-il qu'une fourmi, est capable de nuire quelquefois, mais qu'elle ne scauroit être utile a rien. Je ne refuserois pas même 1'amitié de Voetius, si je croyois qu'il me 1'offrit de bonne foy. » II s'agit bien de réconciliation. Loin d'y songer sérieusement, Descartes, plus fort que jamais de son droit, a la suite du jugement de Groningue, prépare implacablement sa vengeance. II se borne d'abord a communiquer la sentence du 20 avril au Magistrat d'Utrecht et les accablantes pièces y annexées. Aussitót le Magistrat rend, le 2-12 juin, un nouvel arrêt interdisant de vendre ou d'éditer quelque écrit que ce soit pour ou contre Descartes, sous peine de poursuites. A cette mesure, ce dernier répüque par sa grande lettre apologétique en latin, présentée au Magistrat le 16 juin 1645. Elle fut lue en séance le 13-23, ne fut pas comprise et le secrétaire fut chargé de la traduire. Comme elle n'avait produit aucun effet, Descartes la renvoya au même Magistrat, trois ans après, cette fois en francais et en flamand, pour être plus sür d'être entendu, le 21 février 1648 *: Cette lettre est connue sous le nom de Lettre apologétique de Mr Descartes aux Magistrats de la Ville d'Utrecht contre Messieurs Voetius, Pere et Fils 2. Elle est aux ceuvres francaises du philosophe ce que YEpistola ad Voetium, dont elle parait en beaucoup d'endroits une réplique, est a ses ceuvres latines. Elle y représente la polémique nerveuse et verbeuse avec, de ca de la, de bons portraits et d'excellentes satires qu'il suffit de souligner, lés faits de la cause nous étant assez connus maintenant. II en appelle aux Magistrats d'Utrecht de leur propre sentence, les priant de lui apprendre quelles procédures exactement ont été engagées contre lui, par quels juges, sur quoi elles sont fondées et s'il est véritablement, comme le prétendent ses adversaires, « desertor causae ». 3 C'est Voetius qui a commencé dans des cours et des positions de thèses a accuser Descartes d'athéisme, aussi lui a-t-il répondu dans 1'épitre au P. Dinet et enfin dans YEpistola ad Voetium. Ce qui 1'a porté a écrire celle-ci, ce ne sont pas 1. CEuvres, t. IV, p. 226. 2. Elle se trouve au t. VIII, 2° partie, pp. 199 a 275. 3. Ibid., p. 202. 598 . DESCARTES EN HOLLANDE seulement des préoccupations personnelles, mais « 1'utilité du public et le repos de ces Provinces, qui a tousjours esté desiré et procuré, avec plus de soin par les Francois que par plusieurs naturels de ce païs ». 1 II proteste contre la citation qui lui a été faite, sans que le Magistrat d'Utrecht eüt juridiction sur lui, « avec grand bruit, au son de la cloche », comme s'il eüt été un criminel et comme si les Bourgmestres n'avaient pu s'enquérir du heu de sa demeure. II s'élève davantage encore contre la sentence declarant ses deux lettres « libelles diffamatoires », en mettant autant de soin a lui cacher ladite sentence qu'ils avaient mis a rendre publique la précédente, ses adversaires espérant le faire condamner par défaut et bannir des Provinces-Unies, après avoir fait brüler ses livres. « Quelques-uns assurent que Voëtius avoit desja transigé avec le Bourreau, afin qu'il fist un si grand feu, en les brülant, que la flame en fust veüe de loin. » 2 Enfin il en vient a la dernière sentence, celle du 2-12 juin 1645, qui est 1'occasion de la présente lettre et défend a quiconque de pubher pour ou contre Descartes, ce qui n'empêche pas Voetius le fils de continuer sa campagne de calomnies et Voetius le père, ainsi que son complice Dematius, d'intenter un proces en diffamation contre Schoock a la suite de ses déclarations de Groningue. II maintient que Voetius est un calomniateur et un menteur et prétend 1'avoir prouvé surtout par 1'affaire de Bois-le-Duc 8. Répondant aux accusations de Voetius, qui 1'incrimine de collusion avec un des juges de Groningue, il dit: « Pour ce qui est de 1'amitié qu'il pretend que j'ay avec 1'un des Juges, il me fait tort de penser qu'il n'y en ait qu'un qui me soit amy [Desmarets], car je m'assure qu'ils le sont tous, comme aussi, de mon costé, il n'y a aucun d'eux que je n'estime et que je n'honore. Mais 1'amitié qui est entre eux et moy, n'est pas de mesme espece que celle que G. Voëtius a contractée avec Schoock, Dematius, Waeterlaet et semblables, qu'il engage peu a peu en ses querelles et oblige a sa deffense, en les rendant ses complices et les poursuivant a outrance, comme de tres-cruels ennemis, lors qu'ils témoignent avoir envie de se repentir; comme il a 1. CEuvres, t. VIII, 2« partie, p. 212. 2. Ibid., p. 218. 3. Cf. plus haut, p. 562. MKliïl LETTRE AUX MAGISTRATS &ÜTRBCÈT (1648) 599 para en 1'exemple de Schoock, qu'il avoit appellé en justice pour ce sujet. Et aprés s'estre reciproquement menacez qu'ils decouvriroient les secrets 1'un de 1'autre, la crainte qu'on ne scache ces misteres, semble les avoir ralliez. » « II n'y a point de tels secrets entre Messieurs les Professeurs de Groningue et moy, leur bien-veiHance n'est fondée sur aucun interest, ny mesme sur aucune conversation, car je n'ay jamais parlé que deux fois a celuy dont il me reproche particuherement 1'amitié [Desmarets] et je ne luy ay point écrit durant cette affaire, pource qu'il avoit témoigné ne vouloir pas s'en méler... » « Quoy qu'il en soit, ce ne peut estre ny 1'amitié ny la haine des Juges qui ont rendu G. Voëtius et Dematius criminels, ce sont les actes écrits de leur main, lesquels ils n'ont point jusques icy desavouez, qui les rendent manifestement coupables d'avoir tasché de corrompre Schoock et mesme de 1'ayoir corrompu póur donner un faux témoignage contre moy. »1 Avec une ironie vengeresse et une certaine verve comique, Descartes retrace la scène de la séduction de Schoock, comparé a Suzanne entre les deux vieillards, qui sont Voetius et Dematius 1 « II [Dematius] dit luy-mesme qu'il n'avoit aucune familiarité avec Schoock et toutesfois il confesse qu'aprés lui avoir envoyé ce billet, il 1'alla trouver le lendemain entre les six et sept heures du matin, ce qui monstre, ce me semble, une sollicitation tres-importune. Un homme agé, Professeur en Theologie 2, va de grand matin au logis d'un autre plus jeune8 avec lequel il n'a aucune famüiarité, pour le prier d'une chose a laquelle il n'a point d'autre interest, comme il le declare, que pour faire plaisir a son amy [Voetius] et mesme de laquelle cét amy a déja esté refusé. On n'a pas coustume d'aller trouver quelqu'un de cette facon pour luy parler d'une affaire, que ce ne soit a dessein de 1'en prier a bon escient et de joindre ses raisons et ses instances avec celles de Famy par qui on est envoyé. « Mais j'advoue que je ne scay point pourquoy Voëtius n'y alloit pas luy-mesme, sinon qu'il vouloit en cela, aussi bien qu'en faisant écrire Schoock contre moy, imiter le singe qui se servoit de la patte du chat pour tirer les marons du feu. « Ou bien peut-estre qu'aprés avoir desja fait, de son costé, 1. (Euvres, t. VIII, 2* partie, pp. 246-248. 2. Dematius était né en 1597. 3. Schoock était né en 1614 ; cf. ibid., p. 262. 600 DESCARTES EN HOLLANDE tout ce qu'il avoit pü, sans en estre venu a bout, il esperoit que les persuasions et 1'authorité de plusieurs seroient plus efficaces que celles d'un seul et qu'il falloit que Voëtius et Dematius, deux vieillards de réputation, et qui, comme je croy, composoient, alors, toute la faculté Théologique de vostre Academie, pource que le troisième mourut en ce temps-la, joignissent ensemble leurs artifices, pour corrompre la chasteté de cette Susane. « Mais, s'il vous semble que toutes les preuves que vous pouvez avoir contre ces deux hommes... ne soient pas suffisantes pour les convaincre, je vous prie de considerer que celles du jeune Daniël contre ces deux autres vieillards de tres-grande authorité et les Juges du peuple, qui avoient tasché, comme eux, de faire, par de faux témoignages, que 1'innocent fust condamné, estoient bien moindres. Car Daniël ne donna point d'autres preuves contr'ëux, sinon qu'ils ne s'estoient pas accordez touchant le nom de 1'arbre, sous lequel ils pretendoient que Susane avoit pêché. Sur quoy il est croyable que ces vieillards ne manquerent pas de trouver diverses excuses, en disant qu'ils n'y avoient pas pris garde, qu'ils ne scavoient point les noms des arbres, qu'ils n'avoient pas assez bonne veüe pour les reconnoistre de loin, qu'ils ne s'en souvenoient plus ou choses semblables, qui avoient beaucoup plus d'apparence qu'aucune de celles que Voëtius et Dematius ont alleguées en la deffense de leur cause et toutesfois ils ne laisserent pas d'estre condamnez.»1 Descartes ne veut pas « continuer a mettre icy des exemples de la Bible » 2 et il dépose ses conclusions, tendant a ce que le Magistrat d'Utrecht reconnaisse le préjudice qu'il a causé au déposant et qu'il lui en accorde réparation. Ce réquisitoire contre « ceux d'Utrecht » a une réelle éloquence et 1'accent propre a l'homme de talent, sür de la justice de sa cause ; « Je vous prie de trouver bon, qu'avec tout 1'honneur et tout le respect que je dois et que je veux rendre aux Magistrats d'une Ville comme la vostre, je me plaigne a vous de vousmesmes, a cause que, par vos procedures et par la sentence que mes ennemis se vantent d'avoir obtenue de vous contre moy, vous avez donné autant d'authorité et autant de credit a leurs calomnies qu'il a esté en vostre pouvoir. C'est pourquoy 1. (Euvres, t. VIII, 2' parüe, p. 262-264. 2. Ibid., p. 265. LETTRE AUX MAGISTRATS D'UTRECHT (1648) 601 je puis dire avec juste raison que c'est de vous seuls que je me dois plaindre. Ce n'est pas que je pretende pour cela vous donner aucun blasme des choses que vous avez faites; je scay que les meilleurs Juges du monde peuvent estre trompez par de fausses depositions de témoins et je ne scay point toutes les intrigues et toutes les ruses dont G. Voëtius s'est servy pour obtenir les choses qu'il a obtenues. Je ne scay pas mesme certainement s'il les a obtenues, je scay seulement qu'un homme de son humeur et qui a le credit qu'il a en vostre Ville, y peut obtenir beaucoup de choses. « Mais pource que la raison veut et que la justice demande qu'on dedommage et qu'on mette hors d'interest, autant qu'on en a le pouvoir, non seulement ceux qu'on a offensez volontairement, mais aussi ceux a qui on a fait quelque tort sans le scavoir ou mesme avec intention de bien faire, et pource que c'est 1'ordinaire des hommes vertueux, qui sont jaloux de leur reputation et de leur honneur, d'avoir beaucoup de soin de reparer les torts qu'ils ont ainsi faits sans le scavoir, afin d'empescher qu'on ne se persuadé qu'ils ont eu mauvaise intention en les faisant; comme, au contraire, ce ne sont que les ames basses, lasches et stupides qui, ayant fait du mal a quelqu'un, bien que c'ait peut-estre esté sans y penser, continuent aprés de luy nuire le plus qu'ils peuvent, pour cela seul qu'ils croyent avoir merité d'en estre haïs, ou bien que, s'estant une fois mépris, ils ont honte de ne pas maintenir ce qu'ils ont fait, bien qu'en eux-mesmes, ils le desapprouvent; enfin, pource que je vous estime tres-genereux, tres-vertueux et tres-prudens, je ne doute point que, maintenant que les faussetez de mes Cnnemis sont découvertes et que vous ne les pouvez plus ignorer, vous ne soyez bien-aises d'avoir occasion de me donner la satisfaction que je vous demande. »1 Cette satisfaction solhcitée par deux fois, et en 1645 et en 1648, Descartes ne 1'obtirit point, mais il n'est jamais trop tard pour bien faire, et peut-être que, sous tel ou tel mode de perpétuation du souvenir, rUniversité d'Utrecht la lui voudra un jour accorder, puisqu'elle eut 1'honneur d'être, dans les Provinces-Unies, grace è Reneri d'abord, grace a Regius ensuite, le berceau du Cartésianisme naissant. 1. (Euvres, t. VIII, 2« partie, pp. 268-269. CHAPITRE XXII UN AMOUR INTELLECTUEL : DESCARTES ET LA PRINCESSE ÉLISABETH (1642-1644) C'était une singulière cour de rc-is en exil, que 1'Électeur Palatin, Frédéric de Bohème \ roi sans royaume, souverain d'un hiver, celui de 1619, avait installée a La Haye sous la protection du Prince d'Orange, moins titré mais plus fortuné, et en ce qui concerne la gloire des armes et en ce qui touehe le budget. Une sorte de misère dorée et de gloire besogneuse régnait dans la maison, oü 1'on continu ait a faire figure de roi et de reine, misère telle, qu'un jour, celle-ci demanda des subsides aux États, paree qu'elle ne pouvait plus payer son boucher ni son boulanger 2. Le nombre des enfants, a qui iT fallait donner une éducation et un train de princes, augmentait la difficulté: ils étaient cinq garcons et quatre filles, dont 1'ainêe était Elisabeth, être rare que les malheurs avaient müri avant 1'age. Née le 26 décembre 1618, elle avait perdu son père a dix ans et, telle une petite bourgeoise, avait dü veiller sur ses sceurs et ses frères, tout en recevant une forte instruction, comme si on 1'avait préparée a 1'Empire. Samuel Sorbière, gazetier universel, nous a parlé d'elle et des siens et, chose remarquable, il 1'a fait a propos de Descartes : « La Cour de la Reine de Bohème, écrit-il a la fin d'un pas- 1. A consulter : D' G. D. J. Schotel, De Winterkoning en zijn Gezin; Tiel, Veuve D. R. van Wermerskerken, 1859, 1 vol. in-8°; A. Foucher de Careil, Desearte*, la Princesse Elisabeth et la Reine Christine, d'après des lettres inédites. Paris, GermerBaillière; Amsterdam, Frédérik Muller. 1879, 1 vol. in-8°; J. Bertrand, Une amie de Descartes, Elisabeth, Princesse de Bohème, Revue des Deux Mondes, 1890, t. CH, p. 93 a 122 ; V. Deswarte, Descartes, Directeur Spirituel, Paris, Alcan, un voL in18°, 1904; et surtout 1 important chapitre de M. Adam au t. XII pp. 401 a 431. 2. Van Aitzema, Saeken van Staat en Oorlogh in ende omtrent de Vereenigde Nederlanden; en 15 vol., 1665, t. III, p. 324. •604 DESCARTES EN HOLLANDE sage que nous avons cité plus haut,1 estoit celle des Graces, qui n'y estoient pas moins de quatre, puis que Sa Majesté avoit quatre füles, vers lesquelles se rendoit tous les jours le beau monde de la Haye, pour rendre hommage a 1'esprit et u la beauté de ces Princesses. Ausquelles j'apphquois alors •ce que le Cavalier Marin a dit elegamment des Princesses de Savoye : Per queste... Le Gratie, che son trè, diverran quattro s. « Comme j'eusse volontiers apphqué plus particulierement a Madame la Princesse Elizabeth, qui prenoit plaisir a entendre discourir M. Descartes, ces autres vers du mesme Poëte : Quant' aspetto real ritiene e serba, Bella, ne men che bella, honesta e saggia, Isabella Palatina, il cui valore E tesoro di virtü, pompa d'honore3. » II faut rapprocher de ce passage un autre, emprunté au Sorberiana 4, et qui nous introduit dans le miheu élégant de la résidence princière dont les mceurs commencaient a offusquer le rigorisme des Voetius et de leurs aecolytes : « De mon tems, qui étoit 1642, en Hollande, c'étoit un divertissement des Dames d'aller en bateau de la Haye a Delf ou a Leyde, habülées en bourgeoises et mêlées parmi le vulgaire, afin d'oüïr les discours que 1'on tiendroit des Grands sur le propos desquels elles jettoient la compagnie. Et il arrivoit souvent qu'elles oyoient diverses choses qui les touchoient et même, leur galanterie aiant quelque chose d'extraordinaire, elles ne revenoient gueres sans trouver quelque Cavalier qui leur offroit son service et qui, au débarquer, se voioit bien trompé de la petite esperance qu'il avoit concüe que ce fussent des courtisanes, paree que toüjours un Carosse les attendoit. « Elisabeth, 1'ainée des Princesses de Bohème, étoit quelque- 1. P. 532. n est reproduit au t. III, p. 351-352, d'après Sorbière, Lettres el Discours... pp. 681-683. 2. C'est-a-dire : Par elles, les Graces qui sont trois, seront quatre. 3. C'est-a-dire : quel aspect vraiment royal garde Isabelle Palatine, belle, mais honnête et sage autant que belle, dont la valeur est un trésor de vertu, un cortège d'honneur. 4. Sorberiana ou bons mots, rencontres agreables, pensées fudtcteuses el observattons curieuses de M. Sorbière; A Paris, chez la Veuve Mabre-Cramoisy, 1732, petit in-12, pp. 85-86. Planche XLVI. La Princesse Elisabeth. 'tfaprès un portrait au Muséa de Heidelberg). Planche XLVII. Portrait ikconnü de Descartes. (Faculté des Lettres de l'Universilé d'Amsterdam, Salie des cours de litlérature francaise). LA PRINCESSE ELISABETH (1642-1644) 60$ fois de la partie. On racontoit merveilles de cette rare personne : qu'a la eonnoissance des langues, elle ajoütoit celle des sciences ; qu'elle ne s'amusoit point aux vétilles de 1'Ecole, mais vouloit connoitre les choses clairement; que, pour cela, elle avoit un esprit net et un jugement solide ; qu'elle avoit pris plaisir a ouïr Descartes; qu'elle lisoit fort avant dans la nuit; qu'elle se faisoit faire des dissections et des expériences; qu'il y avoit, en son Palais, un Ministre tenu pour Socinien [Sorbière désigne ici 1'Anglais Jonson]. Son age sembloit de vingt ans, sa beauté et sa prestance étoient vraiment d'une Héroïne. Elle avoit trois sceurs et cinq freres : Frederic, Robert, Maurice, Edouard, Philippe ; Louise, Henriette, Sophie. » Cette dernière nous a laissé dans ses Mémoires 1 un portrait de sa sceur (comparez notre pl. XLVI) : « Ma sceur, qui s'appelloit Mad. Elisabet,... avoit les cheveux noirs, le teint vif, les yeux bruns et brillans, les sourcils noirs et larges, le front bien fait, la bouche belle et vermeille, les dens admirables, le nez aquilin et menu, sujet a rougir; elle aimoit 1'étude, mais toute sa philosophie ne 1'empeschoit point d'estre fort chagrinéë aux heures que la circulation du sang luy causoit le malheur d'avoir le nez rouge ; elle se cachoit dans ce moment devant le monde.... Elle scavoit toutes les langues et toutes les sciences et avoit un commerce reglé avec M. Descartes, mais ce grand scavoir la rendoit un peu distraite et nous donnoit souvent sujet de rire.» Elle était donc non moins intelligente que jolie, malgré son nez sujet a rougir; son esprit, que ne rebutait aucun des plus difficiles problèmes de la mathématique et de la métaphysique, était de la qualité de Ceux oü un philosophe pouvait se plaire a voir refléter ses pensées, comme en un miroir magique oü ses idéés se revêtiraient de grace et de féminité. Sorbière 1'avait bien jugée et cependant il n'avait pas été initié a cette exquise correspondance de l'homme de quarantecinq ans avec la jeune fille de vingt-quatre, mürie par 1'épreuve et par la réflexion. N'y cherchez pas un de ces secrets brülants qui passionnent 1'histoire littéraire, et pourtant il y a un secret. D'amour ? pas tout a fait. D'amitié ? pas tout a fait non plus, 1. Memoiren der Hertogin Sophie, édités par Adolf Koecher; Leipzig, 1879, p. 38, cités par M. Adam au t. XII, p. 403, note a. 606 descartes en hollande mais un compromis de 1'un et de 1'autre, un « amour intelleetuel », pour employer une expression cartésienne, oü deux esprits s'approchent et se pénètrent avec des téndresses cachées et des délicatesses qui ont le charme de 1'amour. Peut-être 1'image ou la fiction d'un amour presque royal hanta parfois la solitudé du jardin d'Egmond, comme un de ces mirages qu'on voit la-bas a 1'horizon par les fortes chaleurs, sur la cóte de la mer du Nord, mais le philosophe devait écarter vite la folie imagination, comme n'étant pas une de ces idéés claires et distinctes auxquelles il se plaisait. Disproportion des ages, disparité du sang, tout cela suffisait a 1'empêcher de s'y complaire, mais cela devait-il le priver de ghsser un peu de parfum sentimental sous le couvert des lettres d'un barbon, car on était barbon a quarante ans, au xvne siècle ? Celal'empêche-t-il encore, quand la jeune fdle parle de libre-arbitre ou d'algèbre, d'imaginer le sourire de deux lèvres de vingt ans ? fyii Pour 1'instruire, aucune peine n'est trop grande, aucune explication trop longue. Le philosophe s'évertue a simphfier sa pensée, mais pourtant a la développer jusqu'au bout, sachant que rien n'est trop difficile pour Elle et que rien non plus ne L'effrayera, car, si-elle est gracieuse, elle n'a rien de la frivolité de celles de son age et de son rang. Jamais on ne trouvera plus parfait modèle de ces femmes érudites du xvne siècle, dont Molière a le tort de nous dégoüter. La première mention de la Princesse Palatine Elisabeth, dans la correspondance de Descartes, est dans une lettre qu'il adresse a Pollot, le 6 octobre 1642 \ et qui est datée d'Endegeest : « Monsieur, « J'avois déja, cy devant, ouï dire tant de merveilles de 1'excellent esprit de Madame la Princesse de Boëme que je ne suis pas si étonné d'aprendre qu'elle lit des escrits de métaphysique comme je m'estime heureux de ce qu'ayant daigné lire les miens, elle témoigne ne les pas desaprouver et je fais bien plus d'estat de son jugement que de celuy de ces Mrs les Docteurs, qui prenent pour regie de la verité les opinions d'Aristote 1. CEuvres, t. III, pp. 577-578. première entrevue 607 plutost que 1'evidence de la raison. Je nc manqueray pas de me rendre a la Haye, si tost que je scauray que vous y serez, affin que, par vostre entremise, je puisse avoir 1'honneur de lui faire la révérence et recevoir ses commandemens. Et pour ce que j'espere que ce sera bientost... etc. Descartes. » Cette entrevue toute fugitive, il y fera allusion, fugitivement aussi, dans sa lettre du 21 mai 1643 \ la première de leur correspondance que nous ayons conservée : « J'aurois eu trop de merveüles a admirer en mesme temps et, voyant sortir des discours plus qu'humains d'un corps si semblable a ceux que les peintres donnent aux anges, j'eusse esté ravy de mesme facon que me semblent le devoir estre ceux qui, venans de la terre, entrent nouvellement dans le ciel. Ce qui m'eust rendu moins capable de respondre a vostre Altesse qui, sans doute, a desja remarqué en moy ce defaut, lors que j'ay eu, cy-devant, 1'honneur de luy parler. » II vaut donc mieux « recevoir ses commandemens par escrit » que «de les recevoir de bouche », pour être « veritablement moins esblouy » et c'est certainement cette ■ crainte de se trouver devant le « bel objet », comme on dis ait alors, qui a empêché Descartes d'accomphr, dès octobre, sa promesse a Pollot d'aller faire a sa Princesse «la révérence » et lui offrir ses «tres-humbles services ». Pourtant il est la, k Endegeest, il n'a que le bois de Wassenaer et celui de La Haye a traverser pour être k ses pieds, mais justement paree qu'il est trop proche, qu'elle lui 'rendrait sa visite dans un trop modeste chateau, il a peur, et le fait qu'il la fuit d'abord, est justement signe d'amour. Cela n'est pas dit dans le Traité des Passions, mais cela est écrit de toute éternité dans le cceur de l'homme. II y retourne cependant, a La Haye, mais huit mois après, au commencement de mai 1643, et, remarquons-le, a un moment oü il croit ne point la trouver et oü, en effet, il ne la trouve point; k un moment aussi oü il a quitté Endegeest pour Egmond op de Hoef, heu sauvage, oü elle n'ira point le chercher. Élisabeth, n'y voit point malice et, dans la première lettre d'elle qui nous ait été gardée, datée du 6-16 mai 1643 e, elle exprime ingé- 1. CEuvres, t III, p. 664. 2. CEuvres, de Descartes, t. III, p. 660. 608 DESCARTES EN HOLLANDE nument sa déception d'avoir manqué cette précieuse visite : « J'ay appris avec beaucoup de joye et de regret 1'intentioh que vous avez eu de me voir, passé quelques jours, touchée également de vostre charité de vous vouloir communiquer a une personne ignorante et indocile et du malheur qui m'a detourbé une conversation si profitable. » C'est Regius, interrogé par elle et embarrassé pour résoudre la question de physique qu'elle lui posait, qui 1'a renvoyée au maitre « pour en recevoir la satisfaction requise ». « La honte de vous montrer, dit-elle, un style si dereglé, m'a empesché jusqu'icy de vous demander cette faveur par lettre. » « Mais aujourd'huy M. Palotti [Pollot]1 'm'a donné tant d'assurance de vostre bonté pour chacun et particulierement pour moy que j'ay chassé toute autre cohsideration de 1'esprit, hors celle de m'en prevaloir en vous priant de me dire comment 1'ame de l'homme peut determiner les esprits du corps pour faire les actions volontaires, n'estant qu'une substance pensante. » Voila la conversation engagée et portée d'emblée sur le terrain psychologique et métaphysique ; elle se poursuivra pendant sept ans et ne s'arrêtera que par la mort du plus agé des deux interlocuteurs. La dernière ceuvre de Descartes, le Traité des Passions, publié en 1649 seulement, en germera et s'y développera. La jeune fdle, dans sa naïveté, émet parfois des phrases qui, lues par un autre, pourraient se mal comprendre et faire sourire, car elle parle souvent un langage de femme, mais la pudeur est de 1'essence des amours de 1'esprit, qui sont les plus grandes amours. Au reste ne 1'appelle-t-elle pas, elle-même, le «médecin de son ame »; ne sera-t-il pas même bientöt le médecin de son corps et n'exige-t-elle pas de lui, en commencant, ce serment d'Hippocrate qui demande a ses disciples le secret, et, dès la première lettre, elle signe de cette formule qu'elle variera a peine et qui est charmante : « Vostre affectionée amie a vous servir, Elisabeth. » Elle écrit en francais, paree que c'est la langue dans laquelle 1. La familie de'ce noble gene vols était originaire des vallées vaudoises du Piémont; c'est pourquoi on trouve souvent son nom sous la forme italienne. Cf. CEuvres, t. XII, p. 409, LA PRINCESSE ÉLISABETH (1642-1644) 609 elle a été élevée a La Haye ; et, enfant, elle a joué un róle dans la Médée de Corneille, a la campagne. Après avoir dit ses regrets de ne 1'avoir pas vue a La Haye, Descartes la loue de ses réflexions ingénieuses autant que judieieuses et y répond par unè dissertation sur 1'union de 1'ame et du corps, qu'on peut lire dans cette lettre du 21 mai 1643, datée d'Egmond du Hoef ou bien dans le Traité des Passions. Nous n'avons ici a retenir que ce qui touche 1'hlstoire de René Descartes et de la Princesse Palatine. Sur le secret qu'elle lui demande il lui répond en terminant1 : « Je ne puis icy trouver place a 1'observation du serment d'Hippocrate qu'elle m'enjoint, puis qu'elle ne m'a rien communiqué qui ne merite d'estre vü et admiré de tous les hommes. Seulement puis-je dire, sur ce sujet, qu'estimant infiniment la vostre que j'ay receüe, j'en useray comme les avares font de leurs tresors, lesquels ils eachent d'autant plus qu'ils les estiment et, en enviant la veüe au reste du monde, ils mettent leur souverain contentement k les regarder. Ainsi je seray bien aise de jouir seul du bien de la voir. » La lettre de Descartes du 28 juin suivant, revient sur 1'union de 1'ame et du corps et contient, après une confidence sur sa propre vie intellectuelle, une expression de son admiration pour la Princesse 2 : « J'admire veritablement que, parmy les affaires et les soins qui ne manquent jamais aux personnes qui sont ensemble de grand esprit et de grande naissance, elle ait pü vaquer aux meditations qui sont requises pour bien connoistre la distinction qui est entre 1'ame et le corps. » C'est pour sonder les hmites de cet esprit de femme, qui ne laisse pas de le déconcerter un peu, que Descartes lui pose le problème des trois cercles, mais, tout de suite, il en a regret, car, au fond, il serait désolé de la trouver en défaut : « J'av bien du remorSj écrit-il a Pollot, du Hoef, le 21 octobre 1643 8 de ce que je proposay dernierement la question des 3 cercles a Me la Princesse de Bohème, car elle est si difficile qu'il me semble qu'un ange, qui n'auroit point eu d'autres instructions d'Algebre que- celles que St[ampioen] luy auroit données *, 1. CEuvres, t. III, p. 668. 2. Ibid., p. 693. 3. Ibid., t. IV, p. 26. 4. Raillerie a 1'égard de 1'adversaire de Wassenaer, voir plus haut, p. 525. 39 610 DESCARTES EN HOLLANDE n'en pouiToit venir a bout sans miracle. » Aussi devance-t-il sa réponse : « Madame, Ayant sceü de Monsieur de Pollot que Vostre Altesse a pris la peine de chercher la question des trois cercles et qu'elle a trouvé le moyen de la soudre, en ne supposant qu'une quantité inconnue, j'ay pensé que mon devoir m'obligeoit de mettre icy la raison pourqupy j'en avois proposé plusieurs et de quelle facon je les demesle. »1 La suite n'est qu'une démonstration fort compliquée, avec des figures et des formules, farcie d'x et d'y et 1'on se demande oü 1'amour va se loger, mais n'est-il pas lui-même une équation a une et quelquefois plusieurs inconnues ? En finissant, Descartes s'excuse ainsi : i Le reste ne sert point pour cultiver ou recréer 1'esprit, mais seulement pour exercer la patience de quelque calculateur laborieux. Mesme, j'ay peur de m'estre rendu icy ennuyeux a Vostre Altesse, pour ce que je me suis arresté è écrire des choses qu'elle scavoit sans doute mieux que moy et qui sont facilès, mais qui sont neantmoins les clefs de mon Algèbre. » D'autre part, il a tellement peur de la froisser en la devancant, qu'il en récrit encore a Pollot, chargé de transmettre la précédente : « Sur ce que vous m'escriviez dernierement de Mme la Princesse de B[oheme], j'ay pensé estre obligé de luy envoyer la solution de la question qu'elle croit avoir trouvée, et la raison pourqupy je ne croy pas qu'on en puisse bien venir a bout, en ne supposant qu'une racine. Ce que je fais neanmoins avec scrupule, car peut estre qu'elle aimera mieux la chercher encore, que de voir ce que je luy escris et, si cella est; je vous prie de ne luy point donner ma lettre si tost. Je n'y ay point mis la datte. Peut estre aussy qu'elle a bien trouvé la solution, mais qu'elle n'en a pas achevé les calculs, qui sont longs et ennuyeux et, en ce cas, je seray bien ayse qu'elle voye malettre, car j'y tache a la dissuader d'y prendre cette peine, qui est superflue. »* Elisabeth a travaillé d'arrache-pied et a établi une solution, par la méthode qu'on lui a enseignée autrefois et dont elle s'excuse, car elle n'a pas encore fait tous les progrès qu'elle aurait voulu dans la nouvelle algèbre cartésienne s. Le maitre 1. CEuvres, t. IV, p. 38. 2. Ibid., t. IV, p. 43. 3. Ibid., pp. 44-45. LA PRINCESSE MATHÉMATICIENNE 611 n'en est pas moins aussi flatté que surpris : « La solution qu'il a plü a Vostre Altesse me faire 1'honneur de m'envoyer est si juste qu'il ne s'y peut rien desirer davantage et je n'ay pas seulement esté surpris d'estonnement en la voyant, mais je ne puis m'abstenir d'adjouster que j'ay esté aussi ravy de joye et ay pris de la, vanité de voir que le calcul dont se sert Vostre Altesse est entierement semblable a celuy que j'ay proposé dans ma Geometrie. L'experience m'avoit fait connoistre que la pluspart des esprits qui ont de la facilité a entendre les raisonnemens de la Métaphysique, ne peuvent pas concevoir ceux de 1'Algèbre et, reciproquement, que ceux qui comprennent aisément ceux-cy, sont d'ordinaire incapables des autres et je ne voy que celuy de Vostre Altesse auquel toutes choses sont également faciles. II est vray que j'en avois desja tant de preuves que je n'en pouvois aucunement douter, mais je craignois seulement que la patience qui est necessaire pour surmonter, au commencement, les difficultez du calcul, ne luy manquast, car c'est une qualité qui est extremement rare aux excellens espris et aux personnes de grande condition.» 1 Cette fois, la preuve est faite, la mathématicienne, en elle, vaut la philosophe : c'est bien la confidente que Descartes vieillissant pouvait rêver, et pourtant la jeunesse, le charme et les questions de celle-ci 1'entraineront plutót sur le terrain des passions, envisagées abstraitement s'entend, que sur celui des nombres. Telle est aussi la conclusion des rares entrevues 'a La Haye, de ces visites prolongées dont Descartes sort rêveur, fuyant plus que jamais les facheux et emportant, «comme les avares font de leurs trésors», le souvenir de précieuses minutes, ce que nous fait entrevoir le début d'une assez gauche excuse a Pollot, du 8 avril 1644 2: « La rencontre de quatre ou cinq visages Francois, qui descendoyent de chez la Reyne, au mesmè moment que je sortois de chez Me la Princesse de B[ohême] fust cause que je n'eus pas dernierement 1'honneur de vous revoir et que je m'en alay, sans dire a Dieu. Car, ayant ouy de loin qu'ils me nommoient et craignant que ces éveillez ne m'arrestassént avec leurs discours, a une heure que j'avois envie de dormir, je me retiray le plus vite qu'il me fut possible et n'eus loisir que de dire a un de vos gens que je vous souhaitois le bon soir. » 1. Ceuvres, t. IV, pp. 45-46. 2. Ibid., p. 106. 612 descartes en hollande Le départ de Descartes pour la France, a la.fin de juin 1644, espaca beaucoup les lettres, mais il avait laissé comme adieu a la Princesse un aveu public de son admiration, qui est la belle préface des Principia parus au début de juillet. Pour Paris qui, pas plus que la Hollande, ne savait rien de leur échange de lettres, ce pouvait être simplement la dédicace banale, 1'offre grandiloquente d'une ceuvre a une trés Illustre Princesse dont 1'auteur cherehe a s'acquérir la protection ou peut-être 1'aumóne. Pour Descartes qui, presque seul de son siècle, hait la flatterie et la servilité de cour, il y a la une étape nouvelle de sa passion intellectuelle, celle oü 1'on éprouve le besoin de faire partager au monde sa propre vénération. C'est cela qu'il faut voir dans les nobles lignes oü jamais le latin de Descartes ne s'est fait plus élégant dans sa sobriété : « A la Sérénissime Princesse Elisabeth, Fille alnée du Roi Frédéric de Bohème, Comte Palatin et Electeur du Saint Empire Romain. « Sérénissime Princesse, « J'ai recueilli le plus grand bénéfice des écrits que j'ai publiés antérieurement, puisque vous avez daigné les lire et qu'a leur occasion, adnüs a 1'honneur de vous connaitre, j'ai reconnu en vous de telles facultés qu'il m'a semblé de 1'intérêt de 1'humanitê de les proposer en exemple aux siècles futurs. II ne me conviendrait ni de vóus flatter ni d'affirmer quoi que ce soit qui ne füt tout-a-fait évident, surtout en tête de ce livre oü je m'efforcerai de poser les f ondements de la vérité, et je sais que votre belle modestie préférera le simple jugement sans fard du Philosophe aux louanges plus ornées des flatteurs. C'est pourquoi je n'écrirai que ce que la raison et 1'expérience m'ont fait reconnaitre pour vrai et c'est pourquoi je philosopherai en cette préface de la même manière que dans le reste du livre. » Après avoir donc distingué entre les vraies et les fausses vertus, Descartes conclut par ce magnifique éloge : « Ni les distractions de la Cour, ni 1'éducation qui, d'habitude, condamne les jeunes filles a 1'ignorance, n'ont pu vous empêcher de cultiver les arts et les sciences. La haute et incomparable pénétration de votre esprit apparait encore en ceci que vous avez considéré jusqu'au fond les secrets des sciences et qu'en dédicace des PRINCIPIA 613 trés peu de temps, vous les avez connues avec précision. J'en ai une preuve qui m'est propre, c'est que je n'ai trouvé jusqu'a présent que vous seule qui ayez parfaitement compris les traités que j'ai publiés. « A la plupart, même aux plus intelligents et aux plus savants, ils semblent trés obscurs; presque tous, s'ils sont versés en Métaphysique, ont 1'horreur de la Géométrie; s'ils ont au contraire cultivé la Géométrie, ils ne saisissent pas ce que j'ai écrit de la Philosophie première ^ je ne connais que votre esprit seul a qui tout soit également et parfaitement clair et c'est donc a juste titre que je le nomme incomparable. Et quand je considéré qu'une connaissance aussi variée et si parfaite de toute chose ne réside pas dans quelque vieux sage de 1'Inde, qui a passé beaucoup d'années dans la contemplation, mais dans une Princesse enfant qui, par la taille et par 1'age, rappelle, plutót qu'une Minerve aux yeux pers ou une Muse, une des trois Graces, je ne puis m'empêcher d'être ravi en admiration. « Enfin, ce n'est pas seulement dans le domaine de la connaissance, mais dans celui de la volonté que je remarquë que rien de ce qu'exige la sagesse absolue et sublime ne manque a vos mceurs. Elles unissent a la plus haute majesté, une sorte de bonté et de mansuétude, en butte aux perpétuelles injures de la Fortune et pourtant résistant a ses assauts. Et tout cela m'a tellement attaché a votre personne que, non seulement je crois de voir dédier et consacrer ma Philosophie, qui, aussi bien, n'est que le culte de la Sagesse, a cette sagesse que j'observe en vous, mais que, plutót qu'au nom de Philosophe j'aspire a celui du Serviteur le plus dévoué de votre Altesse Sérénissime **. « Des-Cartes. » 1. (Euvres, t. viii, 1™ partie, pp. 1 a 4. CHAPITRE XXIII UN AMOUR INTELLECTUEL : DESCARTES ET LA PRINCESSE elisabeth (suite) (1644-1645) C'est de cet hommage qu'Élisabeth «rend grace» a Descartes, dans la lettre du ler aoüt 1644\ adressée a Paris : «Le present que M. van Bergen2 m'a fait, de vostre part,m'oblige de vous en rendre grace et ma conscience m'accuse de ne le pouvoir faire selon ses merites. » Elle le remercie du « tesmoignage public » qu'il lui a fait de son amitié et de son approbation, et qui semblerait avoir été formulé sans son aveu préalable 8. « Les pedants diront que vous estes contrahit de bastir une nouvelle morale pour m'en rendre digne. Mais je la prens pour une regie de ma vie, ne me sentant qu'au premier degré que vous y approuvez, le desir d'informer mon entendement et de suivre le bien qu'il connoit. C'est a cette volonté que je dois 1'inteUigence de vos ceuvres, qui ne sont obscures qu'a ceux qui les examinent par les principes d'Aristote ou avec fort peu de soin, comme les plus raisonnables de nos docteurs en ee pais m'ont avoué qu'ils ne les estudioient point, paree qu'ils sont trop vieux pour commencer une nouvelle methode, ayant usé la force du corps et de 1'esprit dans la vieille. * Etre le guide des jeunes gens, voilé qui devait plaire au philosophe vieillissant, a qui cet hommage des nouveaux venus L (Euvres, t. IV, pp. 131-132. 2. C'est-a-dire van Surck, devenu seigneur de Bergen- 3. A en juger par la phrase de Descartes, dan* une lettre d'aoüt 1644, en réponse aux remerciements de la Princesse (cf. CEuvres, t. IV, p. 136) : < La faveur que me fait vostre Altesse de n'avoir pas desagreable que j'aye osé témoigner en public combien ie 1'esUme et ie 1'honore est plus grande et m'oblige plus qu'aucune que Je pourrois recevoir d'ailleurs et je ne crains pas qu'on m'acuse d'avoir rien changé en la Morale, pour faire entendre mon sentiment sur ce sajet, car ce que J'en ay écrit est si véritable et si clair que Je m'assure qu'il n'y aura point d'homme raisonnable qui ne 1'avoue. » 616 DESCARTES EN HOLLANDE assurait la perpétuation de sa pensée et comme un deuxième printemps intellectuel. Après deux objections, 1'une sur le vif-argent, 1'autre sur les tourbillons, Élisabeth conclut : « Je ne vous represente icy que les raisons de mes doutes dans vostre livre, celles de mon admiration estant innumerables, comme aussi celles de mon obligation, entre lesquelles je conté encore la bonté que vous avez eu de m'informer de vos nouvelles et me donner des preceptes pour la conservation de ma santé. Celles-la m'apportoient beaucoup de joye par le bon succés de vostre voyage et la continuation du dessein que vous aviez de revenir, et celles-cy beaucoup de pro fit, puisque j'en experimente desja la bonté en moy mesme. »1 Ces questions de santé et ces entretiens d'hygiène vont donner un caractère plus intime et plus personnel a leurs rapports : toujours une conséquence de cette union de 1'ame et du corps discutée dans léurs premières lettres. Descartes est réinstallé a Egmond-binnen, au retour de Paris, en mai 1645. II apprend par Pollot que la Princesse est souffrante et il s'inquiète : « Vos dernières, lui mande-t-il le 18 mai, m'ont fort obligé de m'apprendre 1'indisposition de Mme la Princesse de Bohfême], laquelle m'a tellement touché que je serois allé a la Haye, tout aussy tost que je 1'ay sceüe, sinon que j'ay veü, a la fin de vostre lettre, qu'elle se portoit beaucoup mieux qu'elle n'avoit fait auparavant. » 2 Dans la même et aussitöt après, il se dit « plus vieux de vingt ans » qu'il n'était 1'an passé. Y a-t-il corrélation entre ces dispositions de corps et d'esprit et la longue interruption de son commerce avec Élisabeth ? On ne peut croire que 1'air de Paris ait provoqué 1'oubli, mais on peut penser que 1'éloignement lui aura permis de se ressaisir d'une attraction devenue peutêtre plus forte qu'il ne 1'aurait voulu. II a pu, dans 1'atmosphère raisonnable de sa province, mesurer mieux la distance qu'il y a d'un gentilhomme a une fille de reine, d'un homme de quarantesix ans a une jeune femme de vingt-sept, et c'est pour cela qu'il se sentirait « plus vieux de vingt ans ». Alors il se terre dans son « hermitage » et se renferme dans sa « solitude », mais la nouvelle de la maladie ranime un feu mal couvert. C'est pourquoi il 1. (Euores, t. IV, p. 133 2. Ibid., pp. 204-205. la princesse élisabeth (1644-1645) 617 rompt le silence, le 18 mai 1645 \ pour assurer la princesse, « de la part qu'il prend a ses souffrances »: Madame, « J'ay esté extremement surpris d'aprendre par les lettres de Monsieur de P[ollot] que V. A. a esté longtemps malade et je veux mal a ma solitude pour ce qu'elle est cause que je ne 1'ay point sceü plutost. II est vray que, bien que je sois tellement retiré du monde que je n'aprenné rien du tout de ce qui s'y passé, toutesfois le zele que j'ay pour le service de Vostre Altesse ne m'eust pas permis d'estre si löngtemps sans scavoir 1'estat de sa santé, quand j'aurois dü aller a la Haye tout exprés pour m'en enquerir, sinon que Monsieur de P[ollot], m'ayant écrit fort a la haste, il y a environ deux mois, m'avoit pro mis de m'écrire derechef par le prochain ordinaire, et pour ce qu'il ne manque jamais de me mander comment se porte Vostre Altesse, pendant que je n'ay point receu de ses lettres, j'aysuposé que vous estiez tousjours en mesme estat. Mais j'ay apris, par ses dernieres que Vostre Altesse a eu trois ou quatre semaines durant, une fiévre lente, accompagnée d'une toux seiche et qu'aprés en avoir esté délivrée pour cinq ou six jours, le mal est retourné et que, toutesfois, au temps qu'il m'a envoyé sa lettre (laquelle a esté prés de quinze jours par les chemins), vostre Altesse commencoit derechef a se porter mieux. » Puis, un vrai diagnostic d'homme de 1'art. Au reste Descartes, qui avait scruté la nature plus que les livres d'Hippocrate et de Gallen, én savait bien autant que les Diafoirus de son temps et autres «grands Saigneurs de la Faculté », comme il les appelle plaisamment quelque part : « En quoy je remarque les signes d'un mal si considerable et neantmoins auquel il me semble que vostre Altesse peut si certainement remedier que je ne puis m'abstenir de luy en écrire mon sentiment, car, bien que je ne sois pas Médecin, 1'honneur que Vostre Altesse me fit, 1'esté'passé, de vouloir scavoir mon opinion, touchant une autre indisposition, qu'elle avoit pour lors, me fait esperer que ma liberté ne luy sera pas desagreable.» Une consultation psychologique fait suite a 1'examen physiologique et montre 1'importance que Descartes attribue a 1. (Euvres, t. IV, p. 200. €18 • DESCARTES EN HOLLANDE 1'action du moral sur le physique. II y est en même temps question des malheurs de la Maison de Bohème et c'est pourquoi il la faut citer : « La cause la plus ordinaire de la fiévre lente est la tristesse, et 1'opiniastreté de la Fortune a persecuter vostre maison vous donne continuellement des sujets de fascherie, qui sont si pubhes et si éclatans, qu'il n'est pas besoin d'user beaucoup de conjectures ny estre fort dans les affaires, pour juger que c'est en cela que consiste la principale cause de vostre indisposition. Et il est a craindre que vous n'en puissiez estre du tout délivrée, si ce n'est que par la force de vostre vertu, vous rendiez Vostre ame contente, malgré les disgraces de la Fortune- Je scay bien que ce seroit estre imprudent de vouloir persuader la joye a une personne a qui la Fortune envoyé, tous les j ours, de nouveaux sujets de déplaisir, et je ne suis point de ces Philosophes cruels qui veulent que leur sage soit insensible. Je scay aussi que vostre Altesse n'est point tant touchée de ce qui la regarde en son particulier que de ce qui regarde les interests de sa maison et des personnes qu'elle affectionne, ce que j'estime comme une vertu la plus aimable de toutes. Mais il me semble que la difference qui est entre les plus grandes ames et celles qui sont basses et vulgaires, consiste principalement en ce que les ames vulgaires se laissent aller a leurs passions et ne sont heüreuses ou malheureuses que selon que les choses qui leur surviennent sont agreables ou deplaisantes, au üeu que les autres ont des raisonnemens si forts et si puissans que, bien qu'elles ayent aussi des passions, et mesme souvent de plus violentes que celles du commun, leur raison demeure neantmoins tousjours la maistresse et fait que les afflictions mesme leur servent et contribuent a la parfaite feücité dont elles jouissent dés cette vie. »1 On dirait que Descartes propose ici en modèle a Élisabeth une de ces Princesses de Tragédie que le grand Corneille a pu lui montrer sur la scène ou dans ses Itvrets et ce ne serait pas la première fois que la poésie aurait devancé la philosophie. On croit entendre, par exemple, Pauline disant a Sévère (Polyeucie, II, 2) *. Et sur mes passions ma raison souveraine... Ma raison, 11 est vrai, dompte mes sentiments. 1. (Euvres, L IV, pp. 201-202. 2. Ce quatrième cnef-d'ceuvre avait paru en 1643, deux ans avant la lettre citée. la princesse élisabeth (1644-1645) 619 Ce n'est. pas tout a fait une hypothese, car Descartes évoque un peu plus loin les tragédies, sans toutefois nommer Corneille : « Et comme les Histoires irisfes et lamentables, dit-il, que nous voyons représenter sur un théatre, nous donnent souvent autant de recreation que les gayes, bien qu'elles tirent des larmes de nos yeux, ainsi ces plus grandes ames, dont je parle, ont de la satisfaction en elles-mesmes de toutes les choses qui leur arrivent, mesme des plus fascheuses et insuportables. Ainsi, ressentant de la douleur en leur cors, elles s'exercent a la supporter patiemment et cette épreuve qu'elles font de leur force leur est agreable.» Descartes invite son héroïne a estimer peu la Fortune « au regard de 1'Eternité »1 : il n'est pas nécessaire de chercher dans Spinoza le « sub specie aeternitatis », puisqu'il nous est ici proposé. « Je craindrois que ce stile ne fust ridicule, poursuit-il, si je m'en servois en écrivant a quelqu'autre, mais, pour ce que je considéré vostre Altesse comme ayant 1'ame la plus noble et la plus relevée que je connoisse, je croy qu'elle doit aussi estre la plus hèureuse et qu'elle le sera veritablement, pourveü qu'il luy plaise jetter les yeux sur ce qui est au dessous d'elle et comparer la valeur des biens qu'elle possede et qui ne luy scauroient jamais estre ostez, avec ceux dont la Fortune 1'a dépouillée et les disgraces dont elle la persecute en la personne de ses proches.»2 Élisabeth est trés sensible a 1'intérêt que lui témoigne soa ami et elle 1'en remercie en ces termes, le 24 mai 1645 8 : « Monsieur Descartes, c Je vois que les charmes de la vie solitaire ne vous ostent point les vertus requises a la societé. Ces bontés genereuses que vous avez pour vos amis et me tesmoignez aux soins que vous avez de ma santé, je serois faschée qu'ils vous eussent engagé a faire un voyage jusqu'icy, depuis que M. de Palotti m'a dit que vous jugiez le repos necessaire a vostre conservation. » Elle apprécie a sa juste valeur la consultation psycho-physiologique : « Je vous asseure que les medecins, qui me virent tous les jours et examinerent tous les symptomes de mon 1. (Euvres, t IV, p. 202. 2. Ibid., pp. 203-204. 3. Ibid., pp. 207-208. 620 DESCARTES EN HOLLANDE mal, n'en ont pas trouvé la cause ni ordonné de remedes si salutaires que vous avez fait de loin. Quand ils auroient esté assez savants pour se douter de la part que mon esprit avoit au desordre du corps, je n'aurois point eu la franchise de le leur avouer. Mais a vous, Monsieur, je le fais sans scrupule, m'asseurant qu'un recit si naïf de mes defauts ne m'ostera point la part que j'ay en vostre amitié, mais me la confirmera d'autant plus, puisque vous y verrez qu'elle m'est necessaire. » Ce qui suit est la plus intime des confidences : « Sachez donc que j'ay le corps imbu d'une grande partie des foiblesses de mon sexe, qu'il'se ressent tres-facilement des afflictions de 1'ame et n'a point la force de se remettre avec elle, estant d'un temperament sujet aux obstructions et demeurant en un air qui y contribue fort. » II ne faut pas trop se choquer de ce détail a une époque oü les affaires intestinales, quand elles concernaient une personne royale, étaient affaires d'état et se « résolr vaient » parfois en public ! « Aux personnes qui ne peuvent point faire beaucoup d'exercice, continue-t-elle, il ne faut point une longue oppression de cceur par la tristesse pour opiler la rate et infecter le reste du corps par ses vapeurs. 'Je m'imagine que la fiévre lente et la toux seiche, qui ne me quitte pas encore, quoy que la chaleur de la saison et les promenades que je fais rappellent un peu mes forces, vient de la. C'est ce qui me fait consentir a 1'avis des medecins de boire, d'icy en un mois, les eaux de Spa (qu'on fait venir jusqu'icy sans qu'elles se gastent), ayant trouvé, par experience qu'elles chassent les obstructions. Mais je ne les prendray point avant que j'en sache vostre opiniön, puisque vous avez la bonté de me vouloir guerir le corps avec 1'ame. » Celle-ci est la plus difficile a soigner, paree qu'elle est accablée par la misère de ses proches, le spectacle de sa maison destituée et cette maison n'a pas plus tót pris un peu de relache qu'un nouveau désastre s'abat sur elle : « Je pense que si ma vie vous estoit entierement cognue, vous trouveriez plus estrange qu'un esprit sensible 1, comme le mien, s'est conservé si longtemps, parmi tant de traverses, dans un corps si foible, sans conseil que celuy de son propre raisonnement et sans con- 1. C'est presque le sens du xvm« siècle. LA PRINCESSE ÉLISABETH (1644-1645) 621 solation que celle de sa conscience, que vous ne faites les causes de cette presente maladie. »1 II y a tant et de si intim.es confessions la-dedans que 1'on comprend que dans le post-scriptum, Élisabeth demande a son ami de brüler sa lettre, ce qu'il ne fit point. Le médecin improvisé ne déconseille pas les eaux de Spa mais préconise, en les prenant, pour qu'elles soient plus efficaces, de « délivrer 1'esprit de toutes sortes de pensées tristes et mesme aussi de toutes sortes... de meditations serieuses touchant les sciences et ne s'occuper qu'a imiter ceux qui, en regardant la verdeur d'un bois, les couleurs d'une fleur, le vol d'un oyseau et telles choses qui ne requerrent aücune attention, se persuadent qu'ils ne pensent a rien ». 2 A la confidence d'Élisabeth, il répond par cette autre sur lui-même : « Estant né d'une mere qui mourut, peu de jours aprés ma naissance, d'un mal de poumon, causé par quelques déplaisirs, j'avois herité d'elle une toux seiche et une couleur pasle que j'ay gardée jusques a 1'age de plus de vingt ans et qui faisoit que tous les Medecins qui m'ont vü avant ce temps-la me condamnoient k mourir jeune. Mais je croy que 1'inclination que j'ay tousjours eue a regarder les choses qui se presentoient, du biais qui me les pouvoit rendre le plus agreables, et a faire que mon principal contentement ne dependist que de moy seul, est cause que cette indisposition, qui m'estoit comme naturelle, s'est peu a peu entierement passée. » 8 Peut-être le philosophe accentue-t-il, pour elle, un optimisme qui n'est pas trés dans sa nature, afin que les lettres qu'il lui écrit, lui servent, comme elle le dira elle-même, «d'antidote contre la mélancohe». Elle se confié de plus en plus a lui et elle en dit long cette phrase, écrite le 22 juin 4 : «le bonheur que je possede dans 1'amitié d'une personne de vostre merite au conseil duquel je puis commettre la conduite de ma vie. » II est vrai qu'elle aurait besoin de voir plus souvent son médecin et que jamais la consultation écrite ne vaudra cette consultation orale dont les yeux, eüt-on dit alors, sont les muets truchemans : « La malediction de mon sexe m'empesche le contentement que 1. CSuvres, t. IV, p. 209. 2. Ibid., t. IV, p. 220. 3. Ibid., p. 221. 4. Ibid., p. 233. 622 DESCARTES EN HOLLANDE me donneroit un voyage vers Egmond pour y apprendre les verités que vous tirez de vostre nouveau jardin. »x Que la phrase a de grace, car sa signiflcation dépasse celle d'une allusion au passage d'Egmond op-de-Hoef a Egmond-binnen. Avec moins de délicatesse mais non moins de sincérité, Descartes lui répond : « J'ay bien plus de desir d'aller aprendre a la Haye quelles sont les vertus des eaux de Spa que de connoistre icy celle des plantes de mon jardin. »2 Les lettres qu'il lui écrit ne troubleront pas la digestion des dites eaux : « Vous estes au moins assurée que, si elles [mes lettres] ne vous donnent aucun sujet de joye, elles ne vous en donneront point aussy de tristesse... Car, n'apprenant, en ce desert, aucune chose de ce qui se fait au reste du monde et n'ayant aucunes pensées plus frequentes que celles qui, me representant les vertus de vostre Altesse, me font souhaiter de la voir aussy hureuse et aussy contente qu'elle merite, je n'ay point d'autre sujet, pour vous entretenir, que de parler des moyens que la Philosophie nous enseigne pour acquerir cete souveraine felicité que les ames vulgaires attendent en vain de la fortune et que nous ne scaurions avoir que de nous mesmes. »8 Ainsi Descartes qui, fondant tout son système sur la certitude mathématique, a le plus fait perdre au nom de philosophe son ancien sens d'amateur de sagesse et de professeur de féücité, en reprend ici la tradition en faveur de sa chère princesse et lui, qui aime si peu les anciens et méprise tant 1'érudition, se propose de remplir ses lettres, afin qu'elles « ne soyent pas entierement vuides et inutiles » de considérations tirées de la lecture du De Vita beata de Senèque, mais il est si personnel qu'il ne pourra s'empêcher de le refaire, dans sa correspondance de 1'été 1645. On remarquera qu'il ne propose pas Montaigne, que Pascal, au contraire, citera souvent: c'est paree qu'il est trop décevant et que le doute cartésièn, bien différent de celui de Montaigne, n'est pas un oreiller pour s'y reposer mais un tremplin pour s'élancer dans les espaces infinis. Ce n'est pas certes ignorance ou absence de lecture, car Descartes est beaucoup plus érudit qu'il ne voudrait le paraitre, témoin sa dissertation sur le souverain bien, selon Zénon, Aristote et 1. CSuvres, t. IV, p. 234. 2. Ibid., p. 238. 3. Ibid. p. 252. ORIGINE DU TRAITÉ DES PASSIONS 623 Épicure, dont il explique parfaitement la doctrine dans sa lettre du 18 aoüt *, pour les concilier et arriver a cette conclusion que «la beatitude ne consiste qu'au contentement de 1'esprit », ce qui exige de « suivre la vertu, c'est a dire d'avoir une volunté ferme et constante d'executer tout ce que nous jugerons estre le meilleur et d'employer toute la force de nostre entendement a en bien juger. » Elisabeth a eu le loisir de s'y exercer, car sa naissance et sa fortune 1'ont fprcée a employer son jugement de meilleure heure pour la conduite d'une vie assez pénible : « Je vous voudrois encore, lui demande-t-elle dans sa lettre du 13 septembre 1645 2, voir definir les passions pour les bien connoistre ». Ici est le précieux germe du Traité des Passions, qu'il lui fera en plusieurs lettres pour la satisfaire et 1' « éclaircir », en commencant par la connaissance de Dieu et la définition de ces Passions 8. Elle discute, mais elle est heureuse et songe main* tenant a se conserver pour ce bonheur : « J'ay tousjours esté en une condition qui rendoit ma vie tres inutile aux personnes que j'aime, mais je cherche sa conservation avec beaucoup plus de soin, depuis que j'ay le bonheur de vous connoistre, paree que vous m'avez montré les moyens de vivre plus heureusement que je ne faisois. » 4 Cette accalmie est de courte durée. Sans parler de « la mauvaise humeur d'un frere malade », a qui il faut faire prendre médecine en le divertissant5, la conversion au catholicisme de son frère Édouard, qui a épousé, en France, Anne de Gonzague, princesse de Mantoue, cause a la jeune fille de gros soucis. Cette calviniste s'en ouvre sans crainte a son vieil ami catholiqüe, se plaignant a lui d'une « certaine sorte de gens », qui sont évidemment les Jésuites. « II faut que je voie une personne que j'aimois avec autant de tendresse que j'en saurois avoir, abandonnée au mépris du monde et a la perte de son ame (selon ma croyance). Si vous n'aviez pas plus de charité que de bigoterie, ce seroit une impertinence de vous entretenir de Cette matiere ». 6 Descartes, ainsi interpellé sur cette apostasie, 1. CSuvres, t. IV, p. 275. 2. Ibid., p. 289 et 404. 3. Lettre du 6 octobre 1645 et Traité des Passions, au t. XI, pp. 342 et 345. 4. CSuvres, t. IV, p. 324. 5. Ibid., p. 270. 6. Ibid., p. 336. €24 DESCARTES EN HOLLANDE répond avec autant de franchise et non sans esprit : « S'ils [les protestants] considerent qu'ils ne seroient pas de la Religion dont ils sont, si eux, ou leurs peres ou leurs ayeuls n'avoient quitté la Romaine, ils n'auront pas sujet de se mocquer ni de nommer inconstans ceux qui quitent la leur. »1 Mais bientöt un malheur plus grave que celui de la conversion du Prince Edouard va fondre sur 1'infortunée Maison Palatine. Voici ce que la Princesse écrit a son ami : « Puis que vostre voyage est arresté pour le 3me/13 de ce mois, il faut que je vous represente la promesse que vous m'avez faite de quitter vostre agre^ble solitude, pour me donner le bonheur de vous voir, avant que mon partement d'icy m'en fasse perdre 1'esperance pour 6 ou 7 mois, qui est le terme le plus esloigné que le congé de la Reine ma mere, de M.monFrere et le sentiment des amis de nostre maison ont prescrit a mon absence... »2 « J'espere que vous me permettez d'emporter celuy [le Traité] des passions 8 encore qu'il n'a esté capable de calmer [celles] que nostre dernier malheur avoit excité. » Cherchons le mot de cette énigme : Tallemant des Réaux va nous le donner. II y avait alors a La Haye comme capitaine-major du régiment de M. de Chastillon un gentilhomme francais, le sieur d'Espinay, qui y était venu pour fuir un passé orageux. Favori de Gaston d'Orléans, il avait été chassé par lui en mai 1639, pour 1'avoir supplanté auprès de sa maitresse Louise ou Loyson Roger. « L'Espinay chassé, raconte Tallemant *, s'en alla en Hollande, oü il eut facilement accez chez la reyne de Bohème. Comme il y entra avec la reputation d'un homme a bonne fortune, il y fut tout autrement regardé qu'un autre et, dans 1'ambition de n'en vouloir qu'a des princesses ou a des maistresses de princes, on dit qu'il cajolla d'abord la mere, et aprés, la princesse Louyse, car les Louyses estoient fatales a ce garcon. On dit que cette fille devint grosse et qu'elle alla pour accoucher a Leyde, oü 1'on n'en faisoit pas autrement la petite bouche. 5 1 CEuvres, t. IV, p. 352. 2. Ibid., pp. 448-449. . .. 3. Descartes lui en avait remis une ébauche a La Haye, le 7 mars 1646. Cf. ibid., p. 404. 4. Hisiorietles, 3" édit., publiées par Monmerqué et P. Paris. Paris, Techener, 1854, t. II, p. 287-289 ; cité aussi au t. IV des CEuvres de Descartes, p. 451. 5. C'est également a Leyde que la duchesse de Rohan cache ce jeune héritier pos- assassinat de l'espinay (20 juin 1646) 625 « La princesse Elisabeth, son aisnée, qui est une vertueuse fille, une fille qui a mille belles connoissances et qui est bien mieux faite qu'elle, ne pouvoit soufïrir que la Reyne, sa mere, vist de bon ceil un homme qui avoit fait un si grand affront a leur maison. Elle excita ses freres contre luy, mais 1'Electeur1 se contenta de luy jetter son chapeau è terre, un jour qu'estant a la promenade a pié, il s'estoit couvert, par ordre de la Reyne, a cause qu'il pleuvoit un peu. Mais le plus jeune de tous, nommé Philippe, ressentit plus vivement cette injure et, un soir, proche du lieu oü 1'on se promene a la Haye, il attaque 1'Espinay, qui estoit accompagné de deux hommes et luy n'en avoit pas davantage. II se battirent quelque temps : il survint des gens qui les separerent. Tout le monde conseilla è 1'Espinay de se retirer, mais il n'en voulut jamais rien faire. Enfin, un jour qu'il avoit disné chez M. de la Tuillerie, ambassadeur de France, il sortit avec des Loges. 2 « Si 1'on eust creü que le Prince Philippe eust osé le faire assassiner en plein jour, on n'eust pas manqué de le faire accompagner et il s'en fallut peu que M. de la Vieuville, qui avoit aussy disné chez rAmbassadeur ne prist le mesme chemin. II fut donc attaqué par huit ou dix Anglois, en présence du prince Philippe. Des Loges ne mit point 1'espée a la main; 1'Espinay se défendit le mieux qu'il put, mais ilfut percé de tant de coups que les espées se rencontroient dans son corps. II voulut tascher a se sauver, mais il tomba ; toutefois, il fit encore quelque résistance a genoux et enfin, il rendit 1'esprit. » Ce drame, qui passionna non seulement La Haye, mais toute la Hollande, et dont la boue sanglante éclaboussa jusqu'aux marches du tróne, s'était déroulé le 20 juin 1646. Dans son ensemble, le récit de Tallemant, d'ordinaire suspect a cause de son goüt du scandale, est exact. Les rapports entre L'Espinay et Louise étaient, a La Haye, de notoriété publique, puisque Mm* de Longueville qui passa en Hollande entre le 20 juin et le 26 juillet, en route pour Munster, et qui fréquenta la Cour de Bohème, a La Haye, du 20 aoüt au 12 septembre 3, écrivait au lendemain de 1'assassinat : « J'ay veü la princesse Louyse thume qu'elle ne montra qu'au bout de quinze ans et qui fut, a 1'époque, 1'occasion d un retenussant procés. 1. Charles-Louis. 2. Autre fils de la poétesse M"»« des Loges. 3. (Euores de Descartes, t. iv, pp. 450-451. 40 626 DESCARTES EN HOLLANDE et je ne croy pas que personne envie a 1'Espinay la couronne de son martyre. » D'ailleurs la conduite ultérieure de LouiseHollandine justifie tous les soupcons, car, le 17 décembre 1657, elle se sauva de La Haye a Paris avec un officier francais, nommé Laroque, et abjura le 25 janvier 1658, pour faire ensuite profession, le 19 septembre 1660, a Maubuisson, dont elle devint abbesse le 14 novembre 1664 x. Le résident de France, Brasset, il est vrai, plus, prudent, ne parle point d'elle, dans la lettre datée du lendemain du crime, 21 juin, oü il traite de cette « action qui a despleü a tout le monde, un des plus bonnestes et braves gentilshommes des troupes francoyses ayant esté malheureusement tué, en plaine rue, de plusieurs mains. L'on s'estonne que M. le Pr[ince] Philippe Palatin ayt voulu estre du nombre. Je ne scaurois vous dire la cause d'un tel mouvement, mais ceux qui reverent et ont a cceur 1'honneur de cette maison, sont desplaisans que 1'affaire se soit passée de la sorte. Les Grands ont des sentimens que tous ne sont pas capables de comprendre. » Qu'il en sache plus qu'il n'en dit, c'est ce qu'atteste une autre missive, du 22, écrite par le prudentt chargé d'affaire : « II y a beaucoup de choses a dire la dessus que le papier ne peut souffrir, ce qui touche les Grands estant tousjours delicat. » Pourquoi d'ailleurs le peuple se serait-il ameuté au tour de la maison et aurait-il menacé les princesses, au témoignage du même Brasset : « II en a cousté la vie a M. de 1'Espinay, capitaine et major du Regiment de Chastillon, 1'un des plus honnestes geatUhommes francpys que nous ayons icy. II n'y a point de valeur qui peust résister seul a dix ou douze espees qui, aprés le malheur d'une cheutte, le percerent de douze coupz, sans que luy eust le* moyen de tirer la sienne. Cela s'estant [fait] en plaine rue et en plain jour, le peuple s'en seroit esmeü, sans la prudence du Magistrat, qui mist toute la nuict garde Bourgeoyse aux environs de la Cour de Bohesme, pour la seureté des Dames, car, pour le Prpaee], aprés le coup faict, il monta a cheval et tira de longue. » Le 3 juillet 1646, « fut proclamé a son de cloche le Prince Philippe et ceux de sa suitte qui ont commis cette belle action.» La reine de Bohème n'óse plus se promener au « Verhaalt » 1. Nee le 28 avril 1622, elle mourut le 11 février 1709. CL ibid.,p. 495. exil d'élisabeth (15 aout 1646) 627 (Voorhout), « Ce ne sera pas, aux siècles a venir, un petit nota dans la cronique de Hollande, écrit toujours Brasset, après la seconde proclamation, le 9 juillet, d'y veoyr un fils de roy pressér comme un autre», mais, brusquement, 1'on suspendit les poursuites, ce dont une dame se montrait « fort estomachée », « adjoustant qu'au moins la consideration de sa personne ne devoit pas mettre a couvert un taz de coquins qui avoient si infammement trempé leurs mains dans le sang d'un pauvre gentilhomme innocent ».1 La reine de Bohème qui, selon cette mauvaise langue de Tallemant « estoit bien aise que sa fille [Louise] se divertist », entra dans une violente colère contre son fils, lequel menacait, par cet acte inconsidéré, de ruiner la fortune de sa Maison, qui pouvait espérer renaitre du traité de Paix qu'on prévoyait assez proche. « Le bruit courut alors, raconte Baillet2, qu'une action si noire avoit été concertée sur les conseils de la Princesse Elizabeth. La Reine sa mére, qui prenoit beaucoup de part è cette affaire, en conceüt tant d'horreur que, sans se donner la patience d'en exarnjner le fonds, elle chassa sa fille avec son fils de chez elle et ne voulut jamais les revoir de sa vie. » C'est cela le « congé », entendez « ordre », « de la Reine ma naère, de M. mon frere et les sentimens des amis de nostre maison », dont parle Elisabeth et qui exigent une absence de six mois, laquelle se transformera en exil éternel è la Cour de Brandebourg. II est a peine besoin de repousser la calomnie dont Elisabeth est 1'objet. On la devine victime des manoeuvres de Louise, qu'elle a dü souvent blamer de ses désordres et essayer de ramener a la vertu. C'est ce que semble indiquer une phrase d'une lettre du 21 février 1647, oü Élisabeth se loue d'être en Brandebourg i avec des personnes desquels on n'a point sujet de se méfier. C'est pourquoy, dit-elle, j'ay plus de complaisance icy que je n'avois a La Haye. » 8 Pauvre lis grandi sur ce terreau impur, il devait être emporté et tordu dans 1'orage de ces passions qu'elle ne connaissait jusqu'alors que par le Traité de son Philosophe. Lui, ami fidele avant tout, accourt a La Haye au lendemain ï. Extraits tirés de lettres inédites de Brasset, publiés par MM. Adam et Tan. aiery au t. IV des CEuvres de Descartes, pp. 670-675. 2. Ibid., p. 450, d'après Baillet, Vie de M. Descartes. t II d 2 de La Fayette et qui, selon M. Waddington, est de du Buisson (cf. Bulletin du Bibliophile, 1898 p. 268) |communiqué par M. Fransen]. Brasset était un homme clairvoyant et consciencieux. 5. CEuvres, t. V, p. 122. 646 DESCARTES EN HOLLANDE soit plus serain. Cependant, me tenant comme je fais, un pied en un pays et 1'autre en un autre, je trouve ma condition tres heureuse en ce qu'elle est libre. »1 H semble même en vouloir a ses amis de 1'avoir fait venir en un moment si troublé et il se sert, en en parlant plus tard a Chanut2, d'une comparaison bien amusante : « Je les ay considerez comme des amis qui m' avoient eonvié a disner chez eux et, lors que j'y suis arrivé, j'ay trouvé que leur cuisine estoit en desordre et leur marmjte renversée ; c'est pourquoy, je m'en suis revenu, sans dire un mot, afin de n'augmenter point leur fascherie. Mais cette rencontre m'a enseignè u n'entreprendre jamais plus aucun voyage sur des promesses, quoy qu'elles soient écrites en parchemin. » Élisabeth y voit la main de Dieu et, au fond, ayant plus souci de son ami que des intéréts de la France, il ne lui déplait pas que ces « désordres inopinés » conservent la liberté du philosophe, en le forcant a retourner en Hollande, sans cela la Cour la lui eüt ravie, quelque soin qu'il eüt pris pour s'y opposer8 « et pour moy, conclut-elle, vraie femme, toujours plus attachée au particulier qu'au général, j'en recois le plaisir de pouvoir esperer le bonheur de vous revoir en Hollande ou ailleurs.» Ailleurs, c'est en Suède sans doute, oü elle pense encore aller et le retrouver a la Cour de Christine, mais cet espoir, nous 1'avons vu, fut de courte durée *. Après 1'arrestation des Parlementaires, la Journée des Barricades met Descartes en fuite. Le mot n'est pas trop fort, car il laissait son vieil ami Mersenne a 1'article de la mort; il passé a Boulogne le ler septembre, a 1'heure oü le Minime rend 1'ame, arrivé a Rotterdam, visite Hogelande a Leyde, est a Amsterdam le 6, et, trois jours après, se retrouvé dans son Egmondbinnen 5 : i Bien que rien ne m' attaché en ce lieu, écrira-t-il a Chanut, le 26 février 1649, sinon que je n'en connois point d'autre oü je puisse estre mieux, je me voy neantmoins en grand hazard d'y passer le reste de mes jours, car j'ay peur que nos orages de France ne soient pas si-tost appaisez et je deviens, de jour a autre, plus paresseux, en sorte qu'il seroit difficile L. CEuvres, L. V, p. 198". 2. Ibid., p. 292. 3. Ibid., pp. 209-210. 4. Ibid., p. 226. 5. Ibid., pp. 228-229. INVITATION DE CHRISTINE DE SUÈDE 647 que je pusse derechef me resoudre a sooiftrir 1'incommodité d'un voyage. »1 Pourtant, le moment n'est pas éloigné oü il va en entreprendre un plus difficile, qui sera le prélude du dernier, lequel, pour un vrai philosophe, n'est pas difficile du tout. A Élisabeth il écrit, dès le retour a Egmond : « Pour moy, graces a Dieu, j'ay achevé celuy [le voyage] qu'on m'avoit obligé de faire en France et je ne suis pas marri d'y estre allé, mais je suis encore plus ai se d'en estre revenu. Je n'y ay veü personne dont il m' ait semblé que la condition fust digne d'envie et ceux qui y paroissent avec le plus d'éclat m'ont semblé estre les plus dignes de pitié. Je n'y pouvois aller en un tems plus avantageux pour me faire bien reconnoistre la felicité de la vie tranquille et retirée, et la richesse des pms mediocres fortunes. « 2 C'est ainsi qu'il cherche a consoler son amie de ses malheurs è elle, du silence blessant de Christine, qui ne répond pas aux lettres qu'elle lui écrit et de la demi^satisfaction que les Traités de Westphahe ont donnée a son frère Charles-Louis, en lui rendant seulement une partie de ses États héréditaires, le BasPalatinat, livrant, par contre, le Haut-Palatinat avec Ia dignité electorale au duc de Bavière. Charles-Louis hésite a accepter, mais Descartes avise Élisabeth de le lui conseiller. C'est une vraie consultation politique que la lettre du 22 février 1649 3, et assez rare chez Descartes, généralement indifférent a ces problèmes, pour jfustifier uaw citation un peu ample, qu'on croirait denier : « J'ay tousjours esté en peine, depuis la conchision de cette paix, de n'aprendre point que Monsieur 1'Electeur vostre frere Teust acceptée... Je puis seulement dire en general, que, lors qu'ü est question de la restitution d'un Estat occupé ou disputé par d'autres qui ont les forces en mam, il me semble que ceux qui n'ont que 1'equité et le droit des gens qui plaide pour eux, ne doivent jamais faire leur eonte d'obtenir toutes leurs pretensions et qu'ils ont bien plus de sujet de scavoir gré a ceux qui leur en font rendre quelque. partie, tant petite qu'elle soit, 1. Ibid., p. 293. Notons qu» c'est pendant ce séjour a Pari» en 1648 qu'eut lieu Ia réconciliation de Descartes et die Gassend (cf. ibid., p. 199), et la rencontre avec le grand Arnauïd (cf. ibid., p. 184-194). 2. Ibid., p. 232. 3. CSuvres, t. V, pp. 284-285. 648 DESCARTES EN HOLLANDE que de vouloir du mal a ceux qui leur retiennent le reste. Et encore qu'on ne puisse trouver mauvais qu'ils disputent leur droit le plus qu'ils peuvent, pendant que ceux qui ont la force en deliberent, je croy que, lors que les conclusions sont arrestées, la prudence les oblige a témoigner qu'ils en sont contens, encore qu'ils ne le fussent pas et a remercier non seulement ceux qui leur font rendre quelque chose, mais aussi ceux qui ne leur ostent pas tout, afin d'acquerir, par ce moyen, Tanütié des uns et des autres, ou du moins d'éviter leur haine, car cela peut beaucoup servir, par aprés, pour se maintenir. « Outre qu'il reste encore un long chemin pour venir des promesses jusqu'a 1'effet et que si ceux qui ont la force s'acordent seuls, il leur est aisé de trouver des raisons pour partager entr'eux ce que, peut-estre, ils n'avoient voulu rendre a un tiers que par jalousie les uns des autres et pour empescher que celuy qui s'enrichL oit de ses dépouilles ne fust trop puissant. La moindre partie du Palatir tt vaut mieux que tout 1'Empire des Tartares ou des Moscovi s et, aprés deux ou trois années de paix, le séjour en sera ; issi agreable que celuy d'aucun autre endroit de la terre. » La suite redevient toute personnelle : « Pour moy, qui ne suis attaché a la demeure d'aucun heu, je ne ferois aucune difficulté de changer 1 ces Provinces ou mesme la France pour ce pays-la, si j'y pouvois trouver un repos aussi assuré, encore qu'aucune autre raison que la beauté du païs ne m'y fist aller, mais il n'y a point de séjour au monde, si rude ny si incommode, auquel je ne m'estimasse heureux de passer le reste de mes jours, si vostre Altesse y estoit et que je fusse capable de luy rendre quelque service, pour ce que je suis entierement et sans aucune reserve, etc. » Ce ne sont point la formules de politesse destinées a amener une de ces finales que 1'ingéniosité du style épistolaire de Tanden régime varie a miracle. Vers ce moment, Descartes recoitwpar 1'ambassadeur Chanut, Tinvitation de la reine Christine a venir en Suède. « II y a environ un mois que j'ay eu Thonneur, dit le philosophe è Elisabeth, a la fin de mars 1,649 2, d'écrire a vostre Altesse et de luy mander que j'avois receü quelques lettres de Suede. Je viens d'en recevoir derechef, par lesquelles je suis 1. C'est-a-dire échanger, quitter. 2. (Euvres, t. V, pp. 330-331. INVITATION DE CHRISTINE DE SUÈDE 649 convié, de la part de la Reyne, d'y faire un voyage, a ce printemps, afin de pouvoir revenir avant 1'hyver. Mais j'ay répondu de telle sorte que, bien que je ne refuse pas d'y aller, je croy neantmoins que je ne partiray point d'icy'que vers le miheu de 1'esté. J'ay demandé ee delay pour plusieurs considerations et particulierement afin que je puisse avoir 1'honneur de recevoir les commandemens de V[otre] A[ltesse] avant que de partir... Je fais mon conté de passer 1'hyver en ce pays-la et de n'en revenir que 1'année prochaine. II est a croire que la paix sera, pour lors, en toute 1'Allemagne et, si mes desirs sont accomplis, je prendray au retour mon chemin par le heu oü vous serez... » II 1'assure dans la même lettre qu'il fera tout pour rendre service a elle et aux siens et aftirme qu'elle a autant de pouvoir sur lui que s'il avait été toute sa vie son « domestique ». 1 Ce n'est pas qu'il n'ait quelque hésitation qu'il confie plaisamment a Brasset2 : « Pour la promenade a laquelle on m'a fait 1'honneur de m'inviter, si elle estoit aussi courte que celle de vostre logis jusques au bois de la Haye, j'y serois bientost resolu ; la longueur du chemin merite bien qu'on prenne quelque temps pour deliberer avant que de 1'entreprendre »; et, une autre fois, plus sérieusement 3 : « J'avoue qu'un homme qui est né dans les jardins de la Touraine et qui est maintenant en une terre, oü, s'il n'y a pas tant de miel qu'en celle que Dieu avoit promise aux Israëlites, il est croyable qu'il y a plus de laict, ne peut pas si facilement se resoudre a la quitter pour aller vivre au pays des ours, entre des rochers et des glacés. Toutesfois a cause que ce mesme pays est aussi habité par des hommes, et que la Reyne qui leur commande a, toute seule, plus de scavoir, plus d'intelligence et plus de raison que tous les doctes des Cloistres et des Colleges, que la fertilité des païs oü j'ay vecu a produits, je me persuadé que la beauté du lieu n'est pas necessaire pour la sagesse, et que les hommes ne sont pas semblables aux arbres, qu'on observe ne croistre pas si bien, lors que la terre oü ils sont transplantez est plus maigre que celle oü ils avoient esté semez. » Élisabeth a aussi peur de ce voyage, mais il lui écrit en 1. C'est-a-dire, s'ü avait appartenu a sa maison; La Bruyère était « domestique s des Condés. 2. CSuvres, t. V, p. 332. 3. Ibid., pp. 349 a 350; a Brasset, d'Egmond, 23 avril 1649. 650 DESCARTES EN HOLLANDE juin 1 : « Puisque vostre Altesse desire scavoir quelle est ma résolution touchant Ie voyage de Suede, je luy diray que je persiste dans le dessein d'y aller, en cas que la Reyne continue è. témoigner qu'elle veut que j'y aille et M. Chanut, nostre RE_esident] en ce païs-la, estant passé icy, il y a huit jours 2, pour aller en France, m'a parlé si avantageusement de cette merveilleuse Reine que le ehemin ne me semble plus si long ny si faseheux qu'il faisoit auparavant. » Le ler septembre, il part, laissant a Louis Elzevier le manuscrit du petit Traité des Passions qui est le meilleur fnrit de cette longue correspondance de sept ans entre un mathématicien philosophe et une princesse lettrée. II lui écrivit encore a son arrivée en Suède, de Stockholm, le 9 octobre 1649, pour lui faire « connoistre que le changement d'air et de païs » ne pouvaient rien diminuer de sa dévotion et de son zèle 8. La Reine, qu'il a trouvée aussi pleine de douceur et de bonté que de générosité et de majesté, lui a demandé des nouvelles de la Princesse et, continue-t-ü, « remarquant la force de son esprit, je n'ay pas craint que cela luy donnast aucune jalousie;, comme je m'assure aussi que Vfostre} A[ltesse] n'en scauroit avoir de ce que je luy écris librement mes sentimens de cette Reine ». Est-ce que 1'atmosphère de Cour porterait notre Descartes a la fatuité ? Élisabeth, d'ailleurs, le rassure le 4 décembre4: «Ne croyez pas toutefois qu'une description si avantageuse me donne matiere de jalousie, mais plutost de m'estimer un peu plus que je ne faisois avant, qu'elle m'a fait avoir 1'idée d'une personne si accomphe, qui affranchit nostre sexe de 1'imputation d'imbecilité et de foiblesse que MM. les pedants lui souloient donner. » A la fin de la lettre de Descartes, du 9 octobre, a laquelle répond celle-ci, on ht cette phrase5: «Aprés tout neantmoins, encore que j'aye une tres-grande veneration pour sa Majesté, je ne croy pas que rien soit capable de me reteirir en ce pais plus long-temps que jusques a 1'esté prochain, mais je ne puis absolument répondre de 1'aveBMV* Phrase fatidique, inspirée, 1. CSuvres, t. V, pp. 359-360. 2. Probablement un peu avant son arrivée a La Haye (28 mai). 3. CSuvres, t. V, p. 429. 4. Ibid., pp. 451-452. 5. Ibid., pp. 430-431. LES LETTRES d'ÉLISABETH 651 peut-être, par cette voix intérieure qu'il avait précédemment assirnilée au « genie de Socrate » et qui devait être la dernière pensée adressée a la Princesse. Ce sont ses propres lettres qu'elle allait recevoir en février 1650, de" Chanut, liées en paquets, jaunies et flétries, avec cet aspect triste des choses qui ne sont plus. « Entre ses papiers, lui écrit Chanut le 19 février \ donc huit jours après la fin, il s'est rencontré quantité de lettres que Vostre Altesse Royalle luy a fait 1'honneur de luy escrire, qu'il tenoit bien precieuses, quelques unes estant soigneusement serrées avec ses plus importans papiers... Je ne doute point, Madame, qu'il ne fust avantageux è vostre reputation que 1'on connust que vous avéz eu des entretiens serieux et scavans avec le plus habile homme qui ayt vescu depuis plusieurs siècles et j'ay sceü, de Monsieur Descartes mesme, que vos lettres estoient si plaines de lumière et d'esprit qu'il ne vous peut estre que glorieux qu'elles soient veües. Et neantmoins, j'ay pensé qu'il estoit de mon respect envers Vostre Altesse Royale et de ma fidelité envers mon amy defunct, de n'en lire aucune, et ne permettre pas qu'elles tombent entre les mains de qui que ce soit, que par 1'ordre et la permission de Vostre Altesse Royalle. » Chanut insiste en vain pour obtenir cette permission de pubher les « precieuses » épitres, au moins celles sur le Souverain Bien. Élisabeth ne voulut rien livrer ni rien donner au vulgaire des trésors qui, pendant sept ans, lui avaient été prodigués. Elle demande seulement si, sur le point de s'éteindre, cette noble intelligence n'a pas brülé encore pour elle d'un suprème éclat. « Je crois, Madame, répond Chanut 2, que s'il eust pensé, le jour precedent, estre si proche de sa fin, ayant encore la parolle libre, il m'eust recommandé plusieurs choses de ses dernieres volontez et m'eust, en particuher, ordonné de faire scavoir a vostre Altesse Royale, qu'il mouroit dans le mesme respect qu'il a eu pour Elle, pendant sa vie, et qu'il m'a souvent tesmoigné par des paroles plaines de révérence et d'admiration. » 1. CEuvres, t. V, p. 471. 2. Ibid., p. 474. CHAPITRE XXVI DESCARTES ET L'UNIVERSITÉ DE LEYDE (1647-1648) L'histoire de Descartes et d'Élisabeth nous a conduits, un peu prématurément, autour de la fin : revenons maintenant en arrière, pour raconter les démêlés de Descartes avec l'Université de Leyde. Ils rappellent, de trés prés, ceux d'Utrecht, et par 1'identité des injures et par la qualité de leurs auteurs et par la nature des répliques. II faut cependant s'y arrêter un peu, paree que la publication récente, en 1918, du tome III des Bronnen der Leidsehe Universiteit1, permet de renouveler la matière et c'est la qu'on trouvera, avec les originaux des lettres de Descartes, les réponses de ses adversaires et les déhbérations des autorités académiques et consulaires. Nous avons étudié, au hvre II, chapitre XV, la naissance du Cartésianisme a l'Université de Leyde, en parlant du professeur francais du Ban, qui 1'y avait introduit le premier et qui avait bataillé pour 1'y faire admettre. II est étonnant que Descartes ne parle jamais de lui et pourtant il a dü le connaitre. Toutes proportions gardées, cet ancien professeur de la Flèche joue, a Leyde, le même röle que Reneri a Utrecht. II est 1'annonciateur.de la vérité nouvelle, mais, semblable a Regius la-bas, Heereboord est ici 1'apótre et faillit être le martyr. Ce dernier avait enseigné, nous 1'avons vu, aux cótés de du Ban, dès 1641, et il avait été adjoint a la commission qui, le 8 aoüt de cette année-la 2, s'était prononcée pour Aristote. H semble s'être refusé a signer le document, a moins qu'il n'y ait pas été invité, n'étant qu' « extraordinarius ». La nomination de Revius, le pasteur de Deventer, qui prête 1. Cf. plus haut p. 144, n. 2. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, pp. 331* a 333* et 260-261. 654 DESCARTES EN HOLLANDE serment, le 6 janvier 1642, comme directeur du Collége Théologique hollandais 1 et le fait qu'on lui adjoint, le 9 février suivant 2, comme sous-directeur, Heereboord, qu'il dit, rageusement, ne point connaltre, est déja le germe du cortflit futur. Ce maitre n'a rien de plus pressé que de remettre en honneur les positions et soutenances de thèses, et il n'est pas besoin de dire qu'elles concernent la philosophie francaise nouvelle, car il est a 1'affüt des idees qu'elle apporte et Gassend le passionne 8, mais surtout Descartes. La première allusion que celui-ci y fait, est dans une lettre a Pollot, écrite d'Egmond op de Hoef, le 8 janvier 1644 4 : "« Je viens de lire les Theses d'un Professeur en Philosophie de Leyde, qui s'y declare plus ouvertement pour moy et me cite avec beaucoup plus d'eloges que n'a jamais fait M'deRoy. II a fait cella sans mon conseil et sans mon sceü, car mesme il y a trois semaines qu'elles sont imprimées et je ne les receüs que hier 6. Mais elles fascheront fort mes ennemis, car il y a quelque temps que ce mesme, en ayant fait d'autres, de formis subsiantialibus, oii il sembloit estre pour Aristote, et toutefeis en effet il estoit pour moy, a ce qu'on m'a dit, car je ne les ay point veües, Voëtius luy escrivit aussytost, pour luy congratuler et 1'exhorter a continuer. On me mande aussy qu'il y en a un a Groningue *, qui veut estre de mon costé. Ces choses la ne me touchent gueres, mais ce sont des coups d'Estat pour mon adversaire qui, je croy, ne dort pas si bien que moy. » Le 26 février, il mande a Wilhem 7: «II y avoit trois semaines que les theses de Leyde avoient esté disputées, avant que j'en eusse ouy parler. Ainsy on ne peut dire que j'y aye rien contribué et mesme, si 1'autheur m'eust demandé conseil, je 1'eusse prie de ne me point nommer, ainsy que j'ay fait depuis, a 1'occasion de quelques autres theses qu'il prepare. Mais, je ne puts nier pourtant que, en cete rencontre, je n'aye esté bien ayse que quelqu'un ce soit trouvé a Leyde, qui a monstré publiquement qu'il n'est pas de 1'opinion de ceux d'Utrecht et, pour 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 261. 2. Ibid., p. 267. 3. II semble avoir admirê chez lui, moins le fond que la forme et la dialectique. CL CEuvres de Descartes, t. IV, p. 62. 4. Ibid , pp. 77-78. 5. Elles n'ont pu être retrouvées jusqu'a présent. 6. Tobie d'André; voir plus haut, p. 577, n. 1. 7. CEuvres, t. IV, p. 98. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 655 mesme raison, jesouffriray tres volontiers qu'il y en ait encore quelque autre a Groningue de mesme humeur, ainsy que les letres que voos m'avez fait la faveur de me communiquer nous aprenent. » Descartes n'est donc nullement indifférent a ce qui se passé dans les Universités hollandaises ni a la position qu'elles adoptent a 1'égard de sa philosophie. Un de ses agents d'observation semble être « un Francois, qui tient des coUeges 1 a Leyde et cherche a estre Professeur » 2. Ce doit être ce Joh. Bottesius {Jean Botté) de Granville, ancien Professeur de Philosophie et de Théologie dans 1'Ordre des Dominicains 3, moine défroqué et converti au protestantisme, singuliere relation pour un bon catholiqüe. Qu'en eüt dit Baillet ? Les vrais incidents cependant, ne surgirent qu'en 1647, a 1'occasion des thèses annoncées par le Professeur de Théologie Triglandius et que devait soutenir un ancien capucin De blasphemia Cartesii. Annoncées pour le 27 mars, elles furent renvoyées au 6 avril4, et c'est sur elles que Descartes demande des détails a Heereboordi dans une lettre écrite d'Egmond, le 19 avril 1647. Un nouvel adversaire de Heereboord, « ordinarius », depuis le 24 mai 1644 5, avait surgi en la personne de 1'Écossais Adam Stuart, ancien professeur a Sedan, dont nous avons également parlé au livre II et a qui on avait donné le pas sur lui, quoiqu'il n'eüt été nommé que le 22 aoüt •. Quelques exemples donneront une idéé de la nature de ces thèses. Le candidat Biman, recu maitre ès-arts le 18 septembre 1646 7, avait soutenu « que le doute est le fondement de la certitude pMlosophique », proposition qui souleva les protestations de Triglandius auprès du Sénat, lequel décida, le même jour, qu'il f allait s'efïorcer, conformément a 1'avis des Curateurs, de s'en tenir, dans 1'enseignement, a la philosophie péripatéticienne. 1. Voici Descartes coupable d'un «batavisme > ou d'un latinisme;« collége» pour «cours *. 2. CEuvres, t. IV, p. 300. 3. Cf. pms haut, p. 337 et Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, pp. 279 et 303. 4. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 2*, donnent le 6 avril, tandis que MM. Adam et Tannery, au t. IV des CSuvres, p. 631, indiquent le 16. n n'y en a pas tracé dans les Bronnen, mais il peut s'agir de soutenances au Collége de Théologie ou d'exerclces. 5. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. II, p. 286. 6. Ibid., p. 287. 7. Ibid., p. 302. 656 DESCARTES EN HOLLANDE Cela n'empêcha pas Heereboord, le 17 janvier 1647, de prononcer un discours De Libertate philosophandi \ qui est presque un manifeste du cartésianisme : « II faut renoncer, dit-il, a toutes ces idoles de notre esprit, il faut en arracher ces opinions préconcues, ces préjugés et apporter a 1'étude de la Philosophie une ame vierge, comme est celle du nouveau-né, dans laquelle rien n'est peint, modelé ni écrit, mais dans laquelle tout peut s'écrire, se modeier, se peindre. Telle a été la voie suivie et le sentier foulé par Aristote et les plus iüustres esprits de tous les sièclès et de toutes les nations, comme elle est de nos jours la route de cet incomparable génie, maitre unique de la vérité surgissant des ténèbres et de la servitude, René des Cartes. Si nous avons appris a refuser notre assentiment aux affirmations douteuses et a libérer notre esprit de tous préjugés, c'est grace a ce demi-dieu par qui, enfin, cette inestimable liberté de 1'esprit et du jugement nous a été rendue et restituée. » Suit alors une prosopopée a René Descartes : « Salut, ó le plus grand des philosophes, gardien, sauveur et vengeur de la Vérité, de la Philosophie, de la Liberté de pensée. i Même en faisant la part du latin et de 1'exagération que comporte la rhétorique universitaire d'alors, il reste un assez bel éloge et qui montre quelle passion Descartes suscite chez ses disciples hollandais, professeurs et étudiants. Ceux-ci, plus bouillants, comme il convient a leur age, sinon a leur nation, allaient parfois jusqu'aux arguments frappants et, un jour, le 7 février 1648, ils prêtèrent a Descartes, contre le vieil Aristote, le secours de leurs poings de vingt ans 2. Cette fois, ce sont donc les fameuses thèses que Triglandius fit soutenir par son moine défroqué, le 6 avril 1647, qui mirent le feu aux poudres. Trigland y affirmait incidemment que c'était un blasphème de poser ou de supposer, comme 1'avait fait Descartes, « Dieu imposteur ou trompeur ». Heereboord interrompt et proteste auprès du président et du répondant, qui avoua n'avoir jamais lu les Meditationes 3. Un tumulte éclate et on léve la séance. Élisabeth, a qui on a rapporté la chose, écrit a son philosophe : « Ceux qui ont disputé pour vous, ne furent 1. Heereboord (Adrien), Melelemata Philosophica, Amsterdam, 1665, cités au t. IV des CGuvres de Descartes, p. 634. 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 10. 3. Cf. CEuvres, t. V, p. 12. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 657 point vaincus par raison, mais contraints de se taire par le tumulte qui s'excita en 1'Academie »Descartes apprend, de son cöté, tout cela et, soucieux de ne rien laisser passer qui püt le faire considérer comme un athée, il envoie une lettre aux Curateurs, qu'il faut lire désormais, d'après 1'autographe, au tome III des Bronnen 2. Elle est écrite en latin, naturellement, et est datée d'Egmond, 4 mai 1647. II s'y indigne d'avoir été publiquement et personnellement accusé, dans les thèses du premier professeur de théologie, du plus odieux et du plus grave de tous les crimes, celui de blasphème. S'il n'a pas encore répondu par une épitre ouverte, c'est par égard pour une Université qu'il honore et oü il compte d'excellents et illustres amis. II y a un trimestre, c'était une attaque de Revius, directeur du Collége Théologique, dans des disputes contre les Méditations, dont il« déflore la chasteté ». De thèse en thèse, la calomnie va croissant: dans la première, on ne parle que de contradictions, dans la seconde, de faux-témoignage, dans la troisième, de pélagianisme et dans la quatrième seulement, Descartes est nommément désigné comme coupable de ces crimes. Mais tout cela n'est qu'un prélude qui se joue au Collége théologique. II faut que l'Université suive en acceptant le septième corollaire, cité plus haut, sur le Dieu imposteur. La soutenance avait été fixée au 27 mars ; elle est remise au 6 avril, a la suite de la protestation du professeur Heereboord, qui avertit le candidat de la fausseté de ses imputations, sur quoi celui-ci se réfugié derrière Revius et Trigland, qui prétend en vain avoir rédigé la majeure, mais non la mineure oü Descartes est nommé. Ce qui n'empêche pas celle-ci de venir en discussion. « Comme le Répondant m'attaquait, raconte Descartes, moi et mes Méditations, a grand renfort de gestes d'histrion, et que le Président [Trigland], en vociférant, condamnait ma métaphysique comme horrible, impie et blasphématoire, deux jeunes gens trés érudits 3 et ensuite Heereboord, a qui je dois beaucoup . 1. CSuvres, t. V. p. 46. 2. Pièces justiflcatives, pp. 1* a 6*. 3. Ce doivent être Bornlus et de Raey. Sorbière dit de de Raey, dans une lettre écrite le 20 février 1657 (cf. CEuvres de Descartes, t. V, p. 49) : < Depuis cette brouillerie de Regius avec Monsieur Descartes, je vis venir a Leyden un jeune homme, estudiant en médecine, nommé Raëi, qui fit quelques lef ons privées, environ 1'an quarante sept, pour expliquer les nouvelles opinions, ausquelles s'attacha aussi Heereboord, pour contrarier un peu le bonhomme Stuart. professeur Escossois, son Collegia'... » 42 658 DESCARTES EN HOLLANDE de r-econnaissanee, prireut la défense de Finnocence et de la vérité et prodiguèrent les plus sérieux avertissements. Mais, bien que j'aie eu d'exceHeats défenseurs, je demande s'il est juste que j'aie été trafné, absent, saus avoir été prévenu et dans Fignorance de ce qui se tramait, devant le tribunal inquisitorial de votre premier professeur de théologie, pour qu'il me représente comme convaincu du plus exécrable de tous les crimes et me proclame a haute voix, horrible, impie et blasphémateur. Qu'on n'argöe pas de la «liberté académique », quand il s'agit d'une calomnie si évidente, si préméditée, si atroce, qui n'est tolèrable en aucun lieu et surtout de la part d'hommes dont la parole a tant de poids en ces Provinces.» Le passage sur lequel se fonde 1'adversaire est dans cette hypothese que formule Descartes d'un Dieu, un instant supposé malin génie, mettant son industrie a tromper l'homme et qu'sl n'a imaginée que pour mieux réfuter les athées et les sceptiques. Après avoir raconté en détails la discussion qui suit, il évoque Faffaire d'Utrecht, le jugement de Groningue condamnant Schoockius et Voetius et termine en réclamant satisfaction du Régent du Collége Théologique, Revius, et du premier professeur de théologie, Triglandius. Se rappelant ce qui s'est passé a Utrecht, Descartes prie, dans un post-scriptum \ les Curateurs de ne pas confier le jugement de Faffaire aux Théologiens, paree que, « vivant aux Pays-Bas dans 1'espoir d'y jouir de la liberté de religion », il n'a pas a se soumettre a leurs appréciations, ensuite, paree que ses ouvrages ne touchent jamais aux controverses religieuses, enfin, paree qu'il ne s'agit que d'une abominable et calómnieuse accusation personnelle de blasphème articulée contre lui par le premier professeur de théologie. Aussitöt la lettre de Descartes recue, les Curateurs en déhbèrent et la publication des Sources de 1'histoire de L'Université de Leyde nous permet d'assister a leur discussion, dont nous avons le compte rendu en hollandais et qui eut heu le 20 mai 1647 2. On décachette et on lit en séance une missive latine 1. L'autographe publié dans les Bronnen Leidsehe Unieersiteit, au t. III, p. 5*, montre que ce post-scriptum n'est pas une nouvelle lettre séparée, comme 1'ont era les savants éditeurs de Descartes (Cf. CEuvres, t. V, pp. 22-23.) 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. HL pp. 4 a 6. Cf. aussi J. A.Cramer, Abraham Heidanus en zijn Cartesianisme, Utrecht, 1889, mais les sources n'y sent pas exactement citées. LE CARTÉSIANISME A LEYElE (1647) 659 iècrite le 4, d'Egmont, par un dénommé des Cartes (van eenen genaemt des Cartes). Nous ne sommes plus a 1'époque des Douza et des van Hout, qui se seraient exprimés plus poliment et avec plus de connaissance. II s'y plaint de 1'iniure qui lui -a été faite par certaines Thèses, oè il est accusé de blasphème et d'athéisme, et il demande satisfaction. Après délibération, on décide de mander le Recteur Spanheim, Revius, Heereboord et le Professeur de Phüosophie {Stuart]. L'avis de Frédéric Spanheim, qui est Suisse et préfère rester neutre ï, est que les professeurs, soient invités a ne plus faire mention de la nouvelle philosophie dans leurs disputes 2 A Revius, les •Curateurs font observer qu'ils ont trouvé étrange qu'un certaw ■des Cartes soit pris a partie nominativement dans des thèses •défendues sous sa présidence a lui, Revius s. Quant a Heereboord, qui comparait ensuite, I'honorable assemblée s'étonne qu'il ait pris parti dans une dispute publique en quahté d'opposant, en faveur de 1'insoüte opinion de des Cartes (de vremde opinie van des Cartes). II répond qu'il s'est borné a préciser que celui-ci n'avait jamais eu les idéés qu'on lui prêtait. Le directeur et son sous-directeur sortis, on les fait rentrer après délibération, et on leur communiqué que I'Assemblée des Curateurs a décidé d'inviter Professeurs et Régents a s'abstenir d'imprimer le nom de Descartes dans les positkms de thèses, ou de se servir de son nom ou de ses opinions dans les disputes ■orales, et a s'en taire absolument; que le « Sous-Régent « [Heereboord] aura a se tenir dans les hmites de la phiiosopbie aristotéUcienne recue en cette Université, sous peine de se voir 1'objet de mesures de rigueur. Heereboord ayant fait observer que le Professeur Adam Stuart avait affiche des thèses contre la phüosophie cartésienne, on fait comparaïtre également celui-ci et on lui fait part des décisions prises, Ie priant d'amender ses thèses en conséqueace, Descarte^ WiSi?' tut^T"^' e*W neUtre '^ttxe de 2. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, n. 5 • « mevnenrio nm TO„„,„ Rector voor sijn advys, dat den Professoren ^JtX^tu^en^^A^ disputationibus geen mentie meer noch pro noch centrale maken ™ Z philosophie van Cartesius. > " vdn ae nieuwe 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 5 :« dat dese verandering • dat,. in sekere gedruckte Theses, onder si/n presidTo gedeflndeer èlen d™Vartl ?aenT W aengetast' waervan m€n de redenen wel sSbegeTren tS2ï 660 DESCARTES EN HOLLANDE Les Curateurs décident enfin de communiquer a Descartes 1'interdiction signifiée aux Recteur, Professeurs de théologie et de philosophie de cette Université, ainsi qu'aux Régents du CoUège Théologique, de faire désormais aucune mention de son nom ou de sa philosophie, ni pour la défendre ni pour 1'attaquer, espérant qu'il s'en tiendra satisfait et lui demandant de s'abstenir, de son cóté, de donner heu a de nouvelles difficultés. Le Pensionnaire Wevelichoven met tout cela en son plus beau latin \ en accentuant la prière de se taire adressée au philosophe. Au recu de la missive, Descartes se jette sur sa plume 2 pour répondre aux Curateurs, leur demandant si vraiment il les a bien compris. Quoi! il serait permis è des théologiens de 1'accuser publiquement d'avoir écrit que 1'idée de notre libre arbitre est plus grande que 1'idée de Dieu ou que notre libre arbitre est plus puissant que Dieu; qu'il tenait Dieu pour un imposteur et un trompeur, et lui ne pourrait les accuser publiquement de calomnie. « Je ne trouve pas dans vos lettres, continue-t-il, 1'ombre d'une satisfaction. » Le silence n'est pas ce qu'il demande. II n'a jamais pu soupconner qu'aucune de ses opinions fut si abominable qu'il ne füt pas permis d'en parler. « II n'y a que les scélérats d'entre les scélérats qu'il faille appeler « innommables », paree qu'il est honteux de les nommer ». ei Vos professeurs, crie-t-il aux Curateurs dans son indignation, me tiennent-ils donc pour tel ? Je ne puis croire que ce soit le sens de votre lettre et je préfère penser que je 1'ai mal comprise. » « Ma requête, poursuit-il, n'a pas d'autre but que de f oreer vos deux Théologiens a retirer leurs atroces et inexcusables calomnies. Notez que ce n'est pas une question de doctrine, mais de fait. Remarquez qu'il m'est parfaitement indifférent qu'on parle ou qu'on ne parle pas de moi dans votre Université, mais j'estime qu'on ne peut expulser d'aucun lieu mes opinions (au nombre desquelles je compte toute vérité reconnue), sans en chasser la vérité elle-même et qu'il me semble qu'on ne peut interdire a ceux qui pensent du bien d'un homme de le dire. » 8 1. Bronnen Leidsehe Universiteit,'t. III, p. 6*. 2. (Euvres, t. V, p. 42 :«La réponse que j'y al faite a 1'heure mesme.» 3. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, pp. 6* a 8*. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 661 Cette éloquente épitre latine est du 26 mai 1647 ; elle fut lue en séance du Conseil des Curateurs le 26 aoüt, mais il ne fut pris aucune décision a son endroit, quoique, dans la même séance, il ait été interdit k David Stuart, lequel aspirait sans doute a jouer, a 1'égard de son père, le même róle que le jeune Paul Voet a 1'égard de Gisbert, de présider des disputes, et ils augmentent de 100 florins le traitement de Heereboord *, Cependant Descartes lance feu et flammes : « L'intention de ces gens-la, écrit-il a Elisabeth, le 10 mai 1647 2, parlant des théologiens de Leyde, en m'accusant d'un si grand crime comme est le blaspheme, n'estoit pas moindre que de tascher k faire condamner mes opinions comme tres-pernicieuses, premierement par quelque Synode, oü ils seroient les plus forts, et ensuite de tascher aussi a me faire faire des affronts par les Magistrats qui croyent en eux...». « Les Théologiens... veulent estre juges, c'est a dire me mettre icy en une inquisition plus severe que ne fut jamais celle d'Espagne et me rendre 1'adversaire de leur Religion. » De sa lettre aux Curateurs, il n'attend d'autre satisfaction « que quelques emplastres qui, n'ostant point la cause du mal, ne serviront qu'a le rendre plus long et plus importun ». II songe même a leur quitter la place, s'il ne peut obtenir gain de cause ni a Leyde ni a Utrecht. Provisoirement il renonce a demander 1'appui de 1'Ambassadeur de France, mais, bientót; il se décide a « faire jouer » ce qu'il appelle «le grand ressort » 8 et il écrit, le 12 mai, a Servien, donc avant même d'avoir connu la décision des Curateurs, qui est du 20. Le poste de La Haye est alors sans titulaire, mais au-dessus du chargé d'affaires, Brasset, il y a, k 1'ambassade, Servien, notre plénipotentiaire dfe Munster, arrivé de la-bas, le 7 janvier, pour empêcher les Hollandais de faire une paix séparée. II lui est profondément indifférent, sans doute, que deux théologastres en «us» aient traité de blasphémateur son compatriote René Descartes, mais celui-ci prend la chose a cceur : « C'est ce qui m'oblige k vous supplier d'intercéder pour moy auprès de M. le Prince d'Orange 4 è ce qu'il luy plaise, comme. 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, L III, p 6 2. (Euvres, t. V, pp. 16-18. 3. Ibid., p. 27. mort ?eU14ama1r; W aSUCCédé co,nme nous ravons ■ s°n &™ Frédéric-Henri, 662 DESCARTES EN HOLLANDE chef de 1'Université de Leyde aussi-bien que des ar méés de ce Pais, d'ordonner que Mess. les Curateurs me fassent avoir la satisfaction du passé et empêchent que leurs Théologiens n'entreprennent de se rendre mes juges a Favenir ; car je suis assuré qu'ils n'approuveront pas qu'aprés tant de sang que les Francois ont répandu pour les ai der a chasser d'icy 1'Inopnsition d'Espagne, un Francois, qui a aussi porté autrefois les armes pour la même cause soit aujourd'huy soumis a Tlnquasition des Mdnistres de Hollande. »* Le même jour 3 oü il répond a 1'arrêt de silence qu'ont rendu les Curateurs, il exhale sa fureur a un correspondant ineonnu, peut-être, de Wilhem : « Au reste, ce n'est point que je desire qu'on parle de moy en leur Academie ; je voudarois qu'il n'y eust aucun pedant en toute la teTre qui sceust mon nom et sL entre leurs Professeurs, il se trouve des chahüans, qui n'en puissent suporter la lumière, je veux bien que, pour favoriser leur foiblesse, ils mettent ordre, en particuher, que ceux qui jugent bien de moy ne le témoignent point en public par des louanges excessives 4. Je n'en ay jamais recherché ny desiré de telles ; au contraire, je les ay tousjours évitées ou empeschées, autant qu'il a esté en mon pouvoir. « Mais de deffendre pubhquement qu'on ne parle de moy, ny en bien ny en mal, et, qui plus est, de m'écrire qu'on a fait cette défense et vouloir que je cesse de mamtenir les opinions que j'ay, comme si elles avoient esté bien et legitirmement impugnées par leurs Professeurs, c'est vouloir que je me retracte aprés avoir écrit la verité, au heu que j'attendois qu'on fi[s]t retracter ceux qui ont menti en me calomniant et, au heu de me rendre la justice que j'ay demandée, ordonner contre moy tout ie pis qui puisse estre imaginé. » Les respeetables « chahüans » de TOniversité, qui ne se contentaient pas de fuir la lumière, mais la voulaient mettre sous le boïsseau, continuèrent leur campagne contre Heereboord. Les soutenances reprerment de plus belle; la pbilosopbie eartésienne y est eonstamment disewtée, car, en Hollande, pays d'anarchie ïntellectueUe et d'individnahsine forcené, plus encore 1. Voir plus haut, p. 374, la discussion de ee passage. 2. CSuvres, t. V, pp. 25-26. 3. Lettres du 27 mai 1647, p. 43, au t. V. des CEuvres. 4. Allusion peut-être au discours de Heereboord, cité plus haut, et a 1 admiration de celui-ci. LE CARTÊSiANISME A LEYDE (1647) 663 qu'en Franee, les rtglements sent faits pour ne pa» être observés. Une des plus agitées de ces soutenances fut ceHe du 23* décemübre 1647, présidée par Stuart1: Heereboord entre au moment oü Jean de Raei, docteur en médecine et maitre de pMlosophie, prenait la parote, attaquan* la cinquième these, oir il est parlé de philosophes qui estiment pouvoir nier Dieu et douter de son existence et demandant qui sont ces philosophes. Le président répond qu'il est défèndu de le dire, mais que tout le monde sait de qui ont veut parler. De Raei riposte que le décret des Curateurs défend non seulement de uommer Descartes, mais de discuter ses opiniens. Le théologien se fache et fait donner 1'ancien capucin. Huées des étudiants, qui voiènt cet individu préféré a un homme deux fois docteur comme de Raei. Au coup de onze heures, Stuart léve prêcipitamment la séanee. Heereboord, le lendemain, affiche « ad valvas » ses thèses de NtfMa Dei naturali que son adversaire a attaquées et qui datent déja du 25 mars 1643. Sur les instances du Recteur, il' lesremeta ptus tard, ce dont 1'Ecossais profite pour les vilipender dans un libeUe « tellement sale et tellement puant, écrit Heereboord, que eetni-ci n'ose le mettre sous le nez des Curateurs ». Revius, die son cöté, trempe sa plume dans du fiel pour répondre a son sous-directeur. Enfin la scène de pugilat d©»t nous avons parlé, et qui se déroula sous la présidenee de StHart, le 7 février 1648, forca les Curateurs a le mander de nouveau auprès d'eux, pour lui faire rendre compte de Finobservafion de-leur arrêtê du 20 mai 1647 interdisant de diseuter la PhitesopWe Cartésienne 2. Interrogé par les Curateurs sur les remedes a apporter au mat d*nt souiïre FUniversitê, le Recteur Spanheim propose : 1° De swpprimer ton» les pampMets inyarieux jmbliés pour ou eontre la phÜosoptue eartésienwe. Ces* le procédé dUtreeM. 2a De suspendre, pour un temps, tout enseignement de Ia métaphysique. 3° De f oreer- tes professeurs «te philosophie Se eontmuniquer les thèses a leurs collègues avant de les faire imprimer: 4** De décréter une amnistie générale. 1. Les Bronnen Leidsehe Universiteit n'en font pas mention, mais on se reportera au récit de Heereboord lui-même, dans sa lettre aux Curateurs. du 12 février 1648, publiée par lui dans ses Meleiemata. Cf. CEuvres de Descartes, t. V, p; Ï26. 2. Cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 10, et surtout pp. 14 a 23; 664 DESCARTES EN HOLLANDE 5° De défendre par voie d'affiche les tumultes et rixes des étudiants dans les amphithéatres. Consultés a leur tour, les deux autres professeurs de théologie, Triglandius et L'Empereur, estiment que le seul remède est d'ordonner qu'on n'enseigne d'autre philosophie en cette Université que la philosophie péripatéticienne, qui y est seule recue % Triglandius se plaint de la concurrence des disputes théologique et philosophique et affirme que, quand on apporte dans celles-ci quelques « nouveautés », la jeunesse y vole et qu'il reste a peine aux théologiens de rares auditeurs, ce qui montre 1'engouement des étudiants de Leyde pour la nouvelle philosophie francaise. Tous les témoins, de Raey compris '\ ayant été entendus, le conseil des Curateurs décide : que Stuart a contrevenu a la résolution du 20 mai relative au nom et aux sentiments d'un certain René des Cartes et qu'une traduction latine de cette résolution sera mise entre les mains dudit Stuart; que celui-ci aura a s'abstenir, jusqu'a nouvel ordre, d'enseigner la métaphysique en cours publics ou privés; qu'il se bornera a la physique en se tenant dans les limites de la philosophie aristotélicienne; qu'il lui est défendu d'injurier, de diffamer, d'accuser, ou de faire injurier, diffamer et accuser ses collègues par disputes, lecons ou libelles, de quelque manière que ce soit, sous peine de sanctions sévères. D'autre part : que Heereboord s'abstiendra dorénavant de toutes thèses, corollaires, accessoires, impertinences, annexes et autres choses semblables, en matière de métaphysique, formulés par lui ou par d'autres a son instigation. II se gardera d'enseigner cette branche et se bornera aux parties de la philosophie qui lui sont confiées, s'abstenant de les appuyer sur d'autres fondements que la philosophie aristotélicienne recue en cette Université. II se contentera d'employer les termes d'Aristote et épargnera toute injure et toute calomnie a ses adversaires. Les bourgmestres de la ville de Leyde seront invités è retirer de la circulation et a interdire les pamphlets se rapportant a 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 15. 2. Ibid., p. 11. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 665 cette affaire, en particulier 1' Abstersio macularum 1 (le lavage des taches) de Revius, déclaré également coupable d'avoir enfreint 1'ordre du 20 mai 1647, les Vindiciae dispulationum Steuarti, les Notae in Notas de Stuart, le Sermo extemporaneus de Heereboord avec ses annexes 2. Le Recteur invitera ses collègues a vivre en bonne harmonie, comme il convient a des chrétiens. Mga! Stuart et Heereboord comparaissant a nouveau pour entendre lecture de ce jugement, promet tent de s'y conformer, mais Revius, plus grincheux, proteste contre la suppression de son livre sur la Methode de Descartes, alors que les livres de celuiei, pendant ce temps, s'impriment partout et en diverses langues8. Cette immense déclaration du 8 février 1648 est bien inutile, puisque, le 14 juin, le Sénat est encore forcé de signifier a de Raey de ne pas faire de cours privés sans 1'autorisation du Recteur et des Professeurs 4 et de s'abstenir de toute philosophie cartésienne, ce qui prouve que celle-ci, toute comprimée qu'elle est, continue sourdement sa marche victorieuse. Les pauvres Curateurs ont beau vouloir faire taire tout le monde, la vérité est plus forte que leur puissance. Pourtant ils se multiplient. Le 17 aoüt 1648, ils ordonnent une enquête sur ces « Collegia privata philosophica », qui se tiennent dans la ville de Leyde, et ils se pröposent de les dissoudre, s'il est établi qu'on y enseigne ou favorise les opinions de René des Cartes. Sous couleur d'impartialité, ils pourchassent non moins les adversaires de ce dernier, surtout Stuart, convaincu de désobéissance et menacé des sanctions les plus rigoureuses, ce contre quoi il proteste en une lettre d'un francais détestable, oü il trouve le décret « un peu dur ». II réclame communication « des actes de tout ce qui s'est passé en eest affaire du de Cartes ». II demande aux Curateurs et aux Bourgmestres « si la paix de 1'Academie se peut conserver en permettant de vendre publiquement les livres d'Atheisme du sieur de Cartes, un Papiste, les opinions du quel sont refütés par les Papistes mesme... ou en permettant aux Cartesiens d'enseigner dans 1'Academie et nous defandant de refuter leurs opinions, lesquelles, 1. Réponse de Revius a la Preefaiio ad Notas Cartesü, anonyme, cf. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, p. 15*. 2. Ibid., p. 17. 3. Ibid., p. 18. 4. Voila f'origine des « Privaat-docent ». 666 DESCARTES EN HOLLANDE selon qu'elles sont proposées par le dit des Cartes, sont athées, comme nous sommes prest a le prouver... « Aussi ne sert a rien de dire qu'il est un estranger et qu'il ne se tient pas ici, car il n'est non plus permis aux estrangers qu'a d'auttres de publier 1'atheisme en des livres,en aucun païs du monde ; aussi est il souvent a Leyde, et le Magistrat le peut apprehender, lui faire rendre counte de 1'atheisme qu'il a ici semé en ses livres et le chastier condignement. »1 Ainsi parle cet Écossais, venu de Sedan, « qui ne Seavoit, dit Sorbière 2, que la vieille game en philosophie et qui ne servoit qu'a irriter quelques fois les honnestes gens chez M. de Saumaise dans nos conversations ». Élisabeth, qui 1'a pratiqué, le quahfie d'homme de grande lecture, mais d'un jugement médiocre 3. En tous cas, il est d'accord avec Revius4 pour dire que les êcrits athées de Descartes « corrompent tant de monde ici», en séduisant la jeunesse ; « les erreurs de la secte cartésienne menacent, comme dit le Régent du Collége de Théologie, les églises de ces pays et de bien d'autres jusqu'aux Indes orientales et occidentales inclusivement ». Ces fureurs théologales n'empêchent pas les Curateurs, dans leur clairvoyante sagesse, de nommer, le 13 septembre 1648, « Caspar Heydanus », professeur, en remplacement de L'Empereur. Sorbière8 dit de celui-la : « Heereboord, homme scavant et laborieux, fut favorisé du Théologien Heydanus; grand Cartesien, de Bornius, de Hoghelande, Zylehom 6 et de quantité d'autres gens de scavoir et de qualité, qui ie soustindrent contre Revius, Regent du College en Theologie et qui a escrit plusieurs livrets peu soudement contre Monsieur Descartes. Et ainsi ce Philosophe est, en quelque facon, venu a bout de ses souhaits, quand il a fait, de son vivant, tant de bruit en France et aux Pays-Bas, oü il a commencé une secte, qui trouvera sans doute de 1'appuy en tous ceux qui se plaisent a la Métaphysique et aux Mathématiques ou qui reverent ces deux sciences sans les examiner. » 1. Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, pp. 17*-18*. 2. Cité dans CEuvres de Descartes, au t. V, p. 49. 3. Ibid., p. 46. Lettre de (mai 1647). 4. Cf. Ia requête de Revius du 8 juin 1648 dans Bronnen Leidsehe Universiteit, t. III, pp. 14*-15* ; elle est trés curieuse. 5. Cite dans CEuvres de Descartes, t. V, p. 49, d'après Sorbière, Lettres, p. 688. 6. Zuylichem, c'est-a-dire Constantin Huygens, dont le nom a été altéré. LE CARTÉSIANISME A LEYDE (1647) 667 Plus ferme dans ses opinions qu'un Sorbière, Heidanus, le 4 mai 1676, aima mieux abandonner sa chaire que son maitre, dont les opinions venaient d'être de nouveau interdites, le 16 janvier précédent, et il rendit a Descartes, a ce moment même, ce magnifique témoignage : « Je songe au nombre de fois oü j'ai joui de la compagnie et de 1'amicale conversation de Monsieur Descartes, a sa sincère gaité, a la bienveillance avec laquelle il répondait d'emblée a tout ce qu'on voulait lui demander, avec une telle clarté de raisonnement, comme si la philosophie même parlait par sa bouche, sans calomnier personne, jugeant de tout avec honnêteté. »1 Heidanus, c'était la Méthode, les Méditations et les Principes installés dans la vieille Université de Leyde qui, si elle ne peut disputer a l'Université d'Utrecht 1'honneur d'avoir été le berceau du Cartésianisme, peut se vanter au moins d'en avoir été le premier temple. 1. < Als lek daerom dencke hoe menichmael ick 't geselchap en 't vriendelyck onthaal van d'Heer des Cartes genoten nebbe, syne ongeveynsde vrolyckheyt, syne goetheyt in alles, dat men hem vragen wilde, op staande voet te beantworden, met sulcken klaerheyt-van redenen, als of de Philosophie selfs door syn mondt sprak, son der yemant te lasteren, maar van alles rediglijck te oordelen (Consideratien over eenige saecken onlanghs voorgevallen in de Universiteyt binnen Leyden, 1676, § 30 ; cité par Ch. Adam au t. XII, p. 110, note c). ISI CHAPITRE XXVII le départ pour la suède (l«r septembre 1649) la mort (11 février 1650) Les démêlés avec 1'Université de Leyde nous acheminent vers la fin du séjour de Descartes en Hollande et le départ pour la Suède. Si la considération de la Princesse Élisabeth est pour beaucoup dans ce voyage, la présence de Chanut en Suède en est sinon la cause, du moins 1'occasion. Descartes avait fait sa connaissance a Paris, par Clerselier, dont Chanut avait épousé la sceur, mais il n'était alors que Conseiller et Trésorier de France en la Généralité d'Auvergne * La sympathie entre eux fut rapide, comme par une sorte d'affinité élective : « Dés la première heure que j'ay eu 1'honneur de vous voir, j'ay esté entierement a vous. »2 Le 29 septembre 1645, Descartes mande d'Egmond a de Wilhem : « On m'a escrit de Paris qu'un de mes meilleurs amis, nommé Mr Chanuyt, en devoit partir le 15 de ce mois de Septembre, pour aller en Suede en qualité de Resident pour le Roy et qu'il passeroit par ce païs. » 3 Au commencement d'octobre, il est a Amsterdam avec sa 'farnille. Descartes quitte aussitót sa solitude d'Egmond pour tenir campagnie a Madame Chanut, a son mari, a M. Porfier * jusqu'a leur embarquement. Amsterdam reste le port de transit de France en Suède. A bord, Porlier rencontre ce Maitre d'armes qui avait « hanté souvent » le philosophe « en différens endroits de la Hollande I et le connaissait bien pour t. CSuvres, t. IV, p. 144 et p. 301. 2. Ibid., p. 537. 3. Ibid., p. 300. 4. Ibid., pp. 318-319. •670 DESCARTES EN HOLLANDE avoir fait de nombreux assauts de fleuret avec lui. Le maitre d'armes, lui aussi, passé en Suède. Cet humble suit le nouveau courant qui entraine les Francais plus au nord. Descartes, Chanut 1'ambassadeur, Saumaise le philologue et son fds le soldat, Naudé le bibhothécaire, Huet 1'érudit, le peintre Bourdon, le maitre d'armes, agents divers de la même expansion. Sorbière, en novembre 1649, ira faire sa cour a Chanut, alors de passage a Amsterdam, espérant le suivre également en Suède, mais il lui déplut teUement que la recommandation de Brasset fut inefficace *. La première lettre conservée, de Descartes a Chanut, du 6 mars 1646 2, rappelle encore leur entrevue en Hollande. II y plaint 1'ambassadeur du froid qu'il doit subir en Scandinavië et dont il juge par celui qui règne a Egmond, le plus rude « depuis 1'année 1608 ». « Ce qui me console c'est que je scay qu'on a plus de preservatifs contre le froid en ces quartiers-la, qu'on n'en a pas en France et je m'assure que vous ne les aurez pas negligez. Si cela est, vous aurez passé la pluspart du temps dans un poesle, oü je m'imagine que les affaires publiques ne vous auront pas si continuellement occupé qu'il ne vous soit resté du loisir pour penser quelquefots a la Philosophie. » Descartes sait d'expérience que les « poëles » favorisent i'éolosion des idees. Dans une autre lettre du 15 juin suivant, Descartes lui parle de la Morale « que vous avez choisie pour vostre principale étude ». 3 Nous avons toujours eu dans notre diplomatie de ces hommes qui pratiquaient le style de récrivain et du penseur aussi bien que celui des chancelleries. Tets Buzenval, du Maurier, 4'Estrades et Charnacé, les deux derniers maniant de plus 1'épée. Aussi ne faut-il pas s'étonner de ce que Descartes premie Chanut pour confident4: Bouilly (J. N.L René Descartes, Iraithistorique en deux actes et en prose; Paris, An cinquième de la République (B. N. Y th. 15304, in-18°) qui n'a d'ailleurs d'historique que le nom ; on y voit Voëtius, personnage heureosement muet, persécuter René Descartes,«agé d'environ 45 ans» sous Maurice de Nassau (1), également mis ea scène. Cf. Francc-Hoilande, octobre 1920, pp. 105-106. 3. Ibid., p. 460. Planche L. Portrait de Descartes par Beck (Musée de Stockholm). LES DERNIERS MOMENTS 683 tote, c'est-a-dire 1'ennemi de toute sa vie et qu'il lui fallait rencontrer encore sur sa route, au moment oü il 1'avait presque achevée. II se sent de plus en plus seul, déiaissé, inutile, presque en disgraoe. Rien de plus navrant, de plus désabusé que sa dernière lettre, celle qu'il écrit a Brégy de « Stockholm, le 15 janvier 1650 » 1: ■ Depuis les letres que j'ay eu 1'honneur de vous escrire, le 18 Décembre, je n'ay vü la Reine que quatre ou cinq fois, et c'a tousjours esté le matin en sa biblioteque, en la compagnie de Monsieur Fransheimius... II y a quinze jours qu'elle est allée a Upsale, oü je ne 1'ay point suivie, ny ne 1'ay pas encore veüe depuis son retour... » t II me semble que les pensées des hommes se gelent icy, pendant 1'hyver, aussy bien que les eaux...»; «je vous jure que Ie desir que j'ay de retourner en mon desert s'augmente tous les jours de plus en plus... Ce n'est pas que je n'aye tousjours un zele tres parfait pour le service de la Reine, et qu'elle ne me tesmoigne autant de bienveillance que j'en puis raisonnablement souhaiter. Mais je ne suis pas icy en mon element et je ne desire que la tranquillité et le repos, qui sont des biens que les plus puissans Roys de la terre ne peuvent donner a ceux qui ne les scavent pas prendre d'eux mesmes. ■ On dirait que ces paroles ont 1'accent grave et mélancolique des voix qui vont se taire. La tranquillité et le repos, il allait les trouver en cette froide Suède, mais dans le linceul de 1'éternité. Voici la traduction du récit que Schluter, son domestique, envoya en hollandais 2 a Schooten et que celui-ci communiqua plus tard a Rembrantz, le paysan astronome : « Le trois février, a quatre heures du matin, comme Monsieur Descartes se préparait a se rendre, ainsi que tous les matins a la même heure, dans la bibliothèque de la Reine, même par les plus grands froids (or, depuis longtemps, disaient les Suédois, il n'y en avait pas eu d'aussi rigoureux, ce qui doit avoir été cause de sa mort), il fut pris d'un violent acces de fiévre, qui venait, remarquait-il, ex sua pituüa... il avait en même temps trés froid et grand mal a la tête et ne prit, de la journée, que trois ou quatre cuil- 1. CEuvres, t. V, pp. 466-467. 2. On trouvera le texte original dans Ie Supplément aux CEuvres de Descartes (1913), p. 35. La dernière phrase de notre adaptation est en tête du rédt de Schluter. 684 DESCARTES EN HOLLANDE lerées d'eau-de-vie, après lesquelles il dorrn.it deux jours entièrs. Le Vendredi, nous avons pu lui donner une soupe au vin, mais il commenca a se plaindre de violentes douleurs dans le cóté, au point de ne pouvoir rattraper son soufflé, et ces douleurs ne firent qu'augmenter, dégénérant en fiévre violente et en pleurésie, sans qu'il y voulut croire. Le lundi la reine lui envoie son médecin, qui lui prescrit de bons remèdes et une saignée, mais Descartes lui répond qu'il n'a pas de sang a perdre [« Messieurs, épargnez le sang francois », disait-il] 1 et qu'il ne veut pas d'autres remèdes que ceux qui viennent de la cuisine. Toutefois enfin, il se laisse faire par trois fois, mais la saignée ne donne que du sang déja corrompu et tout jaune et cela ne servit a rien. II est mort hier [11 février 1650], entre trois et quatre heures. » Voila, dans sa nudité, le récit de ce simple. Que Descartes ait communié, c'est certain; qu'il ait prononcé pour les amis qui 1'entouraient«des discours fermes et pieux... dignes d'un homme non seulement philosophe, mais reügieux » 2, c'est possible, mais non assuré. Un philosophe n'a-t-il pas le droit de mourir comme un autre, troublé, ralant, dans les affres d'une agonie, suivie d'un brusque apaisement, oü il ne reste plus rien, du moins sur cette terre, de cette lucide conscience dont 1'Univers même s'illumina ? C'est cette idéé que développa Christian Huygens, le fameux physicien, fils de Constantin, dans un poème francais qui est 1'adieu de la Hollande a celui qui 1'enrichit de sa présence : Epitaphe de Des Cartes par Chr. Huygens 8. Sous le climat glacé de ces terres chagrines, Oü 1'hiver est suivi de 1'arriere-saison, Te voici sur le lieu que couvrent les ruines D'un fameux bastiment qu'habita la Raison. Par la rigueur du sort et de la Parque infame, Cy gist Descartes au regret de 1'Univers. Ce qui servoit jadis d'interprete a son ame Sert de matiere aux pleurs et de pature aux vers. 1. Cf. A. Baillet. La vie de Descartes, t. II, p. 418. 2. CEuvres, t. V, p. 474. Lettre de Chanut a Elisabeth. 3. Envoyée par lui a son frère Constantin le jeune, dès le 29 mars 1650. Christian avait alors vingt et un ans, étant.né le 14 avril 1629. Comme Descartes avait pressenti le génie de Pascal, il pressentit aussi celui de Christian, alors que ce'dernier n'avait pas dix-sept ans. II écrit en effet a de Wilhem, le 15 juin 1646 :«II y aquelque temps que le Professeur Schooten m'envoya un escrit que Ie second fils de M' de Zuy- ÉPITAPHE DE DESCARTES PAR CHR. HUYGENS 685 Cette ame qui tousjours, en sagesse feconde, Faisoit voir aux esprits ce qui se cache aux yeux, Aprés avoir produit le modele du monde, S'informe desormais du mystere des cieux. Nature, prends le deuil, viens plaindre la première, Le Grand Descartes, et monstre ton desespoir; Quand il perdit le jour, tu perdis la lumière : Ce n'est qu'a ce flambeau que nous t'avons pu voir I Christ. Huygens, 1650. lichem avoit fait touchant une invention de Mathématique qu'il avoit cherchée, et encore qu'il n'y eust pas tout a fait trouvé son conté (ce qui n'estoit nullement estrange, pource qu'il avoit cherché une chose qui n'a jamais esté trouvée de personne), il s'y estoit pris de tel blais que cela nrassure qu'il deviendra excetent en cete science, en laquelle Je ne voy presque personne qui scache rien. »(Cf. CEuvres, t. IV, p. 436). Selon le père, Descartes le disalt de son sang (cf. Ibid., t. X, p. 631). Je reproduis le poème du physicien hollandais, sans chercher a en corriger les vers malrythmés ; il y en a assez d'admirables pour faire pardonner ceux-la a un jeune Hollandais écrivant en notre langue. Dans les (Euvres de Dsscartes, la pièce de Huygens est au t. V, p. 480. FIN DU LIVRE III CONCLUSION II y a un passage de la correspondance de Descartes que nous n'avons pas cité et qui est assez singulier, c'est celui oü il raconte la visite qu'il fit, probablement en 1637, avec deux de ses amis \ d une lieue de Leyde pour voir, par curiosité, 1'assemblée d'une certaine Secte de gens, qui se nommentProphetes et entre lesquels il n'y a point de Ministre, mais chacun presche qui veut... soit homme ou femme, selon qu'il s'imagine estré inspiré... Une autre fois nous fusmes entendre le Presche d'un Ministre Anabaptiste, qui disoit des choses si impertinentes et parloit un francois si extravagant que nous ne pouvions nous empescher d'éclater de rire. » Soyons plus graves cette fois que le philosophe, mais suivonsle. Les anabaptistes qu'il va voir et qui sont Francais ou Wallons, puisque c'est en notre langue qu'on leur prêehe, c'est a Warmond qu'ils demeurent, nous le savons par les Sorberiana. Quant aux « Prophètes », ce sont a toute évidence les « Gollegianten » de Rhijnburg. II n'y a pas en Hollande de Colline inspirée, pour 1'excellente raison qu'il n'y a pas de collines, mais pourtant « il est des lieux oü soufflé 1'esprit »2 et la campagne qui s'étend de Leyde a la mer en contient au moins trois. II n'est pas possible, quand on passé de 1'un a 1'autre, de ne point les rapprocher en pensée, plus encore qu'ils nele sont dans la réalité: Endegeest, Rhijnburg, Warmond. Partez de Leyde, prenez la route qui va vers la mer; au bout d'un quart d'heure, engagez-vous sous 1'allée sombre des ormes, qui s'ouvre a votre gauche, vous arriverez au chateau d'Ende- 1. CEuvres de Descartes, t. II, pp-. 619 a 621. 2. Maurice Barros, La Colline Inspirée (1913), p. 1. 688 ÉCRIVAINS FRANCAIS EN HOLLANDE geest : les arbres semblent s'y répéter encore les dialogues de notre Platon. Revenez sur la route, reprenez-la, dans la direction de la mer; après une demi-heure, vous serez a Rhijn]burg, ce qui veut dire chateau sur le Rhin. Vous en chercherez un en vain, mais vous trouverez mieux. Tapie parmi les jardins, encadrée de iermes blanches et basses, a toit rouge et a volets verts, nullement différente d'elles, si ce n'est qu'elle est plus modeste et plus humble, vous trouverez une masure : c'est la maison de Spinoza. Ferme de Rhijnburg, petit chateau d'Endegeest, palais immenses dont les pensées des philosophes qui y logeaient, reculaient les murs jusqu'aux étoiles. Le monde habite la. Or, si Spinoza a choisi Rhijnburg, c'est pour la même raison que Descartes a choisi Endegeest, c'est paree que dans « ces fins de terre », les pensées hétérodoxes fleurissent librement. Chassé d'Amsterdam par la Synagogue, Spinoza se met a 1'ombre de ces illuminés qu'a visités Descartes, ces « Collegianten », qui sont aussi parmi les précurseurs de la pensée libre. Un des nötres, un Francais, nommé Poiret, ira mourir a Rhijnhurg, avec sa secte, en 1719. Ainsi de Warmond, troisième point de ce triangle mystique, et oü un autre Francais, bien illustre celui-la dans 1'histoire des idéés religieuses, le Père Quesnel, va s'éteindre, a la même date, et repose encore en son cimetière d'exil. Les routes de 1'épopée francaise, a démontré Bédier, sont jalonnées par des tombeaux, tombeaux de saints, tombeaux de preux, d'oü, selon les récits du moyen-age, germent souvent des branches fleuries. Ne les laissons pas dépérir, ces précieux rameaux de la légende. Ne laissons pas, abandonnées et privées de 1'hommage de notre souvenir, aucune des sépultures oü dorment les grands Francais qui, a la terre étrangère, loin du soleil doré qu'ils regrettaient, ont apporté des rayons de sa féconde lumière. De Grave au Limbourg et du Limbourg a Grave, a Bréda ou a Bois-le-Duc, cherchons les lieux oü ils sont morts ces soldats de la «liberté belgique», du Hamelet, Montmartin, La9 Gravelle : Que si leurs années Furent icy bas, Parmy les combats Trop tost terminées, Au moins que leur los CONCLUSION 689 Reduit en memoire, Couronne leurs os D'immortelle gloire. Prenons le chemin des tombes. Que nos amis de Maestricht retrouvent celle de Saumaise, comme nous avons, dans 1'Église de Saint-Pierre, dégagé celle de notre immortel Scaliger. Que partout surgissent des pierres commémoratives ou, a leur défaut, que des pèlerinages littéraires s'organisent aux lieux que les nótres ont illustrés, a Franeker, a Harderwijk, a Egmond, a Deventer, a Utrecht, dans lesquels vécut Descartes, a Amersfoort, qui est comme 1'asile du Jansénisme francais, a Amsterdam, oül'ombre de Descartes peut aussirencontrerl'ombre de Spinoza, mais surtout a Leyde, .dont nos étudiants ont oublié le chemin, et oü ils furent j adis si nombreux que partout dans les rues retentissaient ou les « A Diu sias! » ou les « Dieu vous conduise ! ». Entrez avec respect, non pas seulement dans 1'Ëglise SaintPierre, oü reposent Scaliger, Polyander, de 1'Escluse, prés de Christian Huygens, ce qui est un symbole encore, mais dans le vieux cloitre qui abrite l'Université. Songez que dans cette salie de philosophie fréquenta Guez de Balzac, et que dans un même amphithéatre, on vit se pencher curieusement sur les cadavres et assister a la « Lecon d'Anatomie », en 1615, le « libertin » Théophile, en 1637, le croyant Descartes. Voyez passer devant la loge du «Pedel»ou bedeau, alors Louis Elzevier, moitié conciërge, moitié libraire, la toge trainante de Doneaü, la robe rouge a col d'hermine du petit vieillard a barbe blanche, Joseph Juste Scaliger, « lumière de cette Université ». En ce lieu surtout 1'on comprendra combien la pensée francaise et la pensée hollandaise ont été, dans la première moitié du xviie siècle, intimement et étroitement mêlées, comme 1'étaient, sur terre, leurs armes, et sur mer, leurs pavillons, et 1'on sera tenté d'écouter, dans 1'une et 1'autre nation, la voix impérieuse du passé, pour lui demander des inspirations pour js présent et des directives pour 1'avenir. FIN 41 \ PIÈCES JUSTJFICATIVES I [page 43] ODE PINDARIQUE SUR LE VOYAGE FAIT PAR L'ARMÊE DES ESTATS DE HOLLANDE AU PAÏS DE LIEGE L'AN 1602. ITEM SUR LA PRISE DE GRAVE1. STROPHE I Piqué d'un sainct aiguillon Qui vient agiter mon ame, Boufïï de 1'enthousiame Du doux sonnant Apollon, Imbu de 1'eau qui decoule De la corne du chevaj, De qui le brillant christal En cent petits plis sé roule Sur le pré, verd a jamais, Du beau mont a deux sommets, ANTISTROPHE Je veux repousser les airs D'une clameur Stentorée Jusqu'a la' voute etherée, Je veux enfanter des vers En faveur du grand voyage, Oü ce nourrisson de Mars Conduisoit nos estandards, Maurice, honneur de nostre aage; Puis je veux chanter comment, D'un terreux retranchement, ÉPODE Cest Heros tant brave [page 44] Brida 1'Amirand Et son ost courant 2 Au secours de Grave, Faisant ses aprests 1. Le commentaire de cette pièce de Jean de Schelandre ayant été donné dans le corps du Livre I, les notes qui suivent ne se rapporteront guère qu'a 1'établissement du texte. Celui-ci reproduit, sauf indication contraire, 1'édition de 1608 {Tyr et Sidon, Tragedie ou les Funesles Amours de Belcar et Meliane avec autres Mesianges Poétique (Bibl. Nat., Rés. Yf. 4264), par Daniël d'Ancheres, Gentilhomme verdunois. Paris, Jean Micard, 1608). La ponctuation est modernisée ; les « i i et les « u » remplacés, quand il y a lieu, par des < j > et des « v >. Je n'ai ajouté d'accent aigu que sur 1' « e » fermé tonique. La paglnation est celle de 1 édition. 2. Édition 1608 ; < hoste ». oü l'«e» est fautif. Allusion aux événements qui seront racontés plus loin par le poète. 694 PIÈCES JUSTIFICATIVES Avec un tel ordre Qu'il ne fust apres Forcé de demordre. STROPHE II Le ciel, rendu plus serain, Pour r'estaller sa richesse, De sa feconde Maistresse Avoit esmaillé le sein. Ja dans la verte ramée Se nichoit maint oyseïet; Un petit zephir follet, Caressant sa Flore1 aymée, Frisoit son poil nouvellet D'un souspir mignardelet. ANTISTROPHE Les Estats, trop ennuyez De voir que le chappeau rouge D'eutour Oostende ne bouge, Siegeant ses murs poudroyez, Mettent leurs gens en campagne, Comme oyseau de Jupiter Pour faire prise quitter A ces corneüles d'Espagne. Le Brabant nous traversons Et droit a Liege passons. ÉPODE Soubs tant de charettes La terre fremist Et le ciel gemist Au son des trompettes, [page 45] La Meuse ne peüt, Par nous retenue, Payer son tribut A la mer chenue. STROPHE III L'Arragonnois un peu froid, Ne nous osant entreprendre En plain camp, nous vint attendre Sur un malaisé destroit. Pour nous arrester, il gaigne Le trop avantageux bord D'tai petit fleuve qui dort Pres d'une large campagne, Et pour bouclier contre nous Se targua de son flot doux. 1. Édition 1608 ; < Filore >, faute d'impression. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 695 ANTISTROPHE Ainsi pourroit quelquefois Une paresseuse vache Braver la mine bravache Du plus fier hoste des bois, Sur le sueil de son estable, Quand, de pied ferme attendant, D'un lionceau gros grondant La fureur espouventable Luy presente seulement Un front armé durement, ÉPODE , Lionceau qui créve Bouillant de courroux, Qui son poitral roux Herissant esléve, Qui les flancs se bat i'w&tii Des nceuds de sa queüe Huchant au combat [page 46] La beste cornue. STROPHE IV Son Excellence voyant Sa prime en reprise vaine, S'estant campé dans la plaine, L'ennemy va deffiant. Desja le genest a 1'erte, A pleins naseaux hannissant, Fougueux 2, 1'oreille dressant, Frappe du pied 1'herbe verte, Eschauffé d'un beau desir De combattre a son plaisir. ANTISTROPHE Ja la sanglante Enyon Pour la bataille s'appreste, Faisant reluire la creste De son guerrier morion ; Mais ceste belle esperance, Naissant au cceur des soldats, En fin ne succeda pas, L'autre man que d'asseurance, Comme un regnard casanier Se tapit en son terriër. ÉPODE Bien qu'égal de nombre, Son peu de valeur 1. La rime est en « tte ». Dans 1'édition, Ie tréma est cependant sur 1'« e > Gnal. 2. Ed. 1608 : « Fougoux », 696 PIÈCES JUSTIFICATIVES Le met en frayeur D'un second encombre ; Ce tant brusqu'abord, Suivl de victoire, Aux champs de Nieuport, Luy vient en memoire. strophe v Trois fois 1'astre Delien [page 47] Fraya sur nous sa carrière, De rayons de sa criniere Dora le rond terrien Et, dans la mer ondoyante, Ja pour la quatriesme nuict, Chaleureux avoit conduit La charette flamboyante, Ja soubs un voile noirci, Le monde estoit obscurci; antistrophe Le sommeil charme-travaux, D'une liqueur distilée, La paupiere avoit colée Du grand Cesar de Nassaux, Lors, songeant, il vit paroistre Le Dieu qui, pour ses esbats, Se plaist parmy les combats, Qui, de sa nerveuse dextre, D'un coutelas grand et beau Luy presentoit le pommeau, épode Serrant une targe Au senestre bras, •Qui couvroit en bas, De son ombre large, Les murs importants D'une forte place, Que ja de longtemps Un Prestre menace. strophe vi « Mon fils, dit-il, ne feins pas De retourner en arriére ; Dresse la pointe guerriére De tes indontez soldats [page 46] Contre quelque forteresse Et, vivement guerroyant, Va la Gueldre nettoyant De ceste engeance traistresse, Puis que le sort envieux N'a pas secondé tes voeux. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 697 ANTISTROPHE Plustost les Chevreuils craintifs, Quittants des forests ombreuses 1 Les cavernes tenebreuses, Paistront au sein de Thetis, Plustost 1'horrible baleine Viendra brosser aux forests, Quittant ie sein tout exprés De la bouillonnante plaine, Plustost 1'aigle ravissant Craindra le pigeon passant, ÉPODE Que jamais se rende A ces basanez, Contre elle obstinez, Ta superbe Oostende ; Elle est a couvert Soubs ceste rondelle, Ne craignant Albert Ny son Isabelle. STROPHE VII A tant le père ayme-sang Se guinda vers FEmpirée, Hastant sa coche tirée Par lions a doublé rang, Coche qu'un cliquetis d'armes Va tousjours environnant, Un tonnerre cannonant [page 47] Une espouvante d'alarmes, Puis, le sommeil chasse-ennuy Se retira quand et luy. ANTISTROPHE L'Hercules des Hollandois, Esveillé devant 1'Aurore, Le Roy tout puissant adore, Comme cognoissant sa voix Favorablement certaine, Puis courageux, ensuivant L'oracle non decevant, Tous ses drapeaux il remeine Vers la forte garnison, Qui garde en toute saison ÉPODE De Grave les terres Et, comme un Autour, 1 Ed. 1608 :«ombrageuses ». Ma correction est imposée par la mesure du vers. 698 PIÈCES JUSTIFICATIVES Estend a 1'entour Quatre fortes serres Sur ceste perdrix, Qui, fort desirable, A beaucoup d'esprits Sembloit imprenable. strophe viii Sur les fromenteux seillons, Pres de 1'ombreuse fueillade, Logea sa belle brigade, Cinq aguerris bataillons, Mais, sur la plaine jonchée, Pres des marests limonneux, De Guillaume sage preux, La bande y fut retranchée Et du beau Prince Henry Aussi bien né que nourri. [page 48] antistrophe La, sur toute nation, Parmy cette grande armée, Parust la fleur renommée Des nepveux de Francion, La noblesse aux armes duite Des indontables Francois, Qui, par La Noue 2 autrefois, Et par Chastillon conduite, De Dommarville despend, Digne d'un fardeau si grand. épode Et de ce Béthune De qui le Demon Promet a son nom Plus belle fortune, De qui le grand cceur, Plein de belle audace, Seconde 1'honneur De sa noble race; strophe ix ' Plus loin de la sont butez Les fantassins d'Angleterre, Oü la Hollandoise terre Jette les commoditez. 1. En petites capitales dans le texte, ainsi que les noms qui suivent: Hemy, La Neve, Chastillon, Dommarville, Béthune. 2. Ed. 1608: La Neve. La correction en « La Noue»ne porte que sur le premier» e» remplacé par un « o » et est fondée sur 1'histoire des régiments francais, telle qu'elle a été retracée plus haut, pp. 26 et s. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 699 Par ce lieu, la providence Des Senateurs bien liguez, Sur les soldats fatiguez, Espandit toute abondance, La, les superbes Anglois Tremblent grand Veer sous ta voix. antistrophe Mais des Julesques 21'honneur, Ernest, le miroir des Princes, [page 49] L'Achilles de ces provinces, Et d'Espaigne la frayeur, Peupla la digue terreuse Et le petit fort quitté, Separé de la cité D'un seul contour de la Meuse ; Touts ces quartiers au dehors Furent conjoincts en un corps. ^^S8| épode Si longue muraille, Tant de garnisons Fermant de gasons , Un champ de bataiile, Rompirent le cours De leur admirande, Menant au secours Multitude grande. strophe x Pres de nous il se logea Et, de la part que le fleuve Les champs de Mastricht abreuve, Nostre ost assigeant siegea, Gallante Rodomontade, Si son courage abaissé Tel dessein n'eust delaissé D'une Espagnolle boutade Et, de nostre ombre craintif, . Quitté tout preparatif. antistrophe Mais, pauvres gens, dites moy, Qui vous esmouvoit de faire Si notable vitupere A 1'orgueil de vostre Roy ? Avoir fait si belle monstre, 1. Ed/1608:«Wer »; sans doute faute d'impression pour«Veer », qui est la forme courante du nom du général anglais Francois Vere dans les documents hollandais. 2. Ed. 1608 :« Judesques ».Cf. plas haut, pp. 78-79. 700 PIÈCES JUSTIFICATIVES [page 50] Nous avoir veüs de si pres Pour eviter par aprés Le devoir d'une rencontre, Se retirer sans subject! O 1'admirable project I épode Que si la foiblesse D'un si grand amas Redoutoit le bras De nostre noblesse, C'estoit vostre honneur, Sans monstrer la teste, De masquer la peur D'une excuse honneste. strophe xi Je scay qu'au creux infernal L'un de vos peres Monarques, Voyant sur le doigt des Parques Vostre infortune fatal, Requist au Roy des tenebres Qu'il despeschast les frayeurs Pour s'emparer de vos cceurs Pleins d'entreprise[s] funebres, Car c'est la le seul pouvoir Qu'en ces lieux il peut avoir. antistrophe Mais 1'Eternel qui, d'en haut, Avisa toute une armée Concordément animée Pour attendre eest assaut, Qui vit nostre chef en armes, Ce Comte Hollac 1 si vaillant Et tout le champ fourmillant De six milliers de gendarmes [page 51] Qui vit border nos fossez De bataillons herissez, épode « Tourne la fortune (Dit ce Pere doux), Sens dessus dessous, Sa roue importune, Laisser je ne veux A son inconstance Sur ces miens nepveux Aucune puissance. » 1. Ed. 1608.« Hollac >. Hollac est la forme francaise de Hohenlohe. ODE PINDARIQUE DE J. DE SCHELANDRE 701 strophe xii Les demy-Mores honteux D'avoir porté les eschelles, Les picqs, les planches, les paisles, Pour un efïor. belliqueux, Puis d'avoir fait la retraicte Parmy 1'horreur de la nuict, S'estre espouvantez au bruit D'une sourdine secrette, Logent dés le lendemain, Dans leurs cabanes, Vulcain. antistrophe Nostre sage Agamemnon, Delivré de tant d'affaires, Presse les murs adversaires D'un plus poignant esperon, Si qu'aprés trente journées Fismes a 1'extremité, Desloger de la cité " Leurs phalanges mal-menées, Non sans perdre én eest honneur Testes de grande valeur i épode [page 52] « Mais quoy ? gens de guerre, « Tant chefs que soldats, « Semblent en ce cas « La tasse de verre, « Que son maistre veut « Souvent estre veüe, « Qui durer ne peut « Tant de fois tenue. strophe xiii Muse, mon sacré soucy, He 1 de grace que la flame, Qui tient en fureur mon ame, Ne s'estaigne point icy. Que ton soufflé, ma mignonne, Qui travaille, violent, Mon estomach panthelant, Au besoin ne m'abandonne, Plustost emply mon cerveau D'un Apollon tout nouveau. antistrophe Mon cceur, ne permets-tu pas Que, sur mes chordes, je range Du bon Du Puis1 la louange, 1. Du Puls, ainsi que les noms suivants, est imprimé en romaine, alors que le texte est en italique. On remarquera que les petites capitales ont été réservées aux 70Ö PIÈCES JUSTIFICATIVES Du Puis, l'amour des soldats ? Que, baignant en pleurs, je sonne Le dommageable destin D'Hamelet et Mont-Martin, l ' Et qu'encor je mensionne Laoravelle en qui les Dieux Estallerent tout leur mieux ? épode Que si leurs annees Furent icy bas, Parmy les combats, [page 53] Trop tost terminées, Au moins que leur los, Reduit en memoire, Couronne leurs os D'immortelle gloire. strophe xiiii Mais non, dedans moy je sens, Je sens ta main qui me pousse D'une soudaine secousse, Pour me remettre en bon sens. Or sus, abaissons les voiles, Je sens amortir le vent, Qui s'eslancoit en avant Dans mes demi-rondes toiles, Et mouillons en attendant Le fer a deux crocs mordant. antistrophe Prince,. non pas le Phoenix Mais le Soleil de prouesse, L'appuy, la force, et 1'addresse De tant de peuples unis, S'il vous vient a gré de lire, Libre de soucis plus grands, Ces fredons que j'entreprends Sur la Pindarique lire, Prenez, mon Prince clement, En gré mon begayement ; épode Voyez qu'Amphitrite Recoit en ses eaux, Des moindres ruisseaux La rente petite, Et du Rhin puissan L'onde frequentée :> [page 54] « Chacun faict present « Selon sa portée.. s^s^oar^rreu^ «En les Dienx » est aussi en romainer 704 PIÈCES JUSTIFICATIVES D'aviser en passant tant d'astres esclatants ; J'entre dans un palais, oü la salie dorée, De cent divinité[s]1 en couronne parée, D'une odeur de Nectar me ravissoit les sens, Nectar au pris duquel ni les lis blanchissans, Ni la fleur d'Adonis, fraischement espanie, Ni les parfums Indois, les douceurs d'Arabie, Ne sentent rien de bon. La, le Père tonnant, Assis en majesté sur un throsne eminent, 'rfiiÉèl' Croullait un feu bruyant son courroux a trois pointes ; L'aigle asseuré le voit, bien que, des troupes saintes Le respect, le silence, et la morne palleur Couvrent dans la poictrine utie glaceuse peur. Contemplant ces beaux lieux, ceste heureuse demeure, Tantost je voy monter sous la ronde cambreure Deux Nymphes d'icy bas, que 1'Athlantide aislé, Sergent et messager du Palais estoilé, Guidoit au jugement de leur noise obstinée. Première s'avancant, L'Espagne basannée, fpage 3] Orgueilleuse en son dueil, dolente en son orgueil, Portoit la rage au frond et les larmes a 1'ceil. Sa demarche estoit grave et sa robbe tissue De metail de Peru rayonnoit a la veüe, Le jayet de son poil, mignardement tressé, De brillants Soleillés estoit entrelassé 2. Son sein estoit blanchi de perles arrengées Et de chainons -d'or fin ses espaules chargees. Lors, baissant son 3 sourcil, se prosterne aux degrés Du trosne supernel et verse aux pieds sacrés Du Roy des Immortels un torrent de ses larmes. « Père, dit-elle alors, qui, d'un trait de vos armes, Poudroyastes, ireux, sur les champs Phlegreans, Le superbe appareil des fréres Aethneans, Las I je me plains de 1'injure a moy faite Par la rebellion d'Hollande ma sujette, A vous, grand Justicier, qui, tout puissant, vengez Sur 1'inique oppresseur les pauvres affligés. Pour reprimer 1'ardeur d'un peuple trop volage, Pour maintenir des loix le sacré-saint usage, Vous couronnez les Roys qui serrent en la main Le sceptre appanagé d; pouvoir souverain : Vous les eslevez haut pour redoutés les rendre Et, par signes divers, nous voulez faire entendre Qu'estans vos Lieutenans et comme issus de vous, II faut trembler sous eux et craindre leur courrous, Que l'homme, entreprenant de leur faire nuisance, Conspire en mesme temps contre vostre puissance, Qu'il vous veut dethroner, s'eslevant comme ceux Qui entassoient les monts pour escheller les cieux. 1. Ed. 1608: < divinité». 2. < Jayet» est un synonyme de jais, que Littré signale encore,«jais : on dit aussf jaiet ». Le sens est: ses cheveux noirs sont entrelaces de brillants étincelants. 3. Édition : 1608 «leur soucil». PROCEZ D'ESPAGNE CONTRE HOLLANDE 705 Ore si voyez vous, et le soufïrés encore, Que le meilleur des Roys, Philippe que j'honore, Race du grand Cesar qui, Plus outre passant, Feit jusques au tombeau son Empire croissant, [page 4] Soit mesprisé des siens, des peuples dont vous mesme Assortistes jadis son royal diadem'e. Ils ont pour leur conduite un Aiexandre esleii, Mignon du Sort aveugle, et de Mars bien voulu, Qui, Nestor au conseil, Peleïde en la guerre, Joint cités a cités et terre contre terre, Nous menacant qu'un jour la terrestre rondeur Bornera sa conqueste et le Ciel son honneur. Las 1 abaissez le front, et, d'un ceil de clemence, Voyez mes champs deserts oü, valnqueur, il se lance, Voyez mes bataillons a 1'estran terracés, Mes plus illustres fils a monceaux renversés Et, voyez, creve-coeur 1 courir un pauvre Prince, Ne trouvant pas lieu seur au cceur de sa Province, Et, sinon par pitiér, par devoir pour le moins, Embrassez 1'equité, qui recourt a vos mains. Voire si, Roy des Roys, les majestés humaines Sont de vostre grandeur les images certaines, Pourquoi permettez vous aux peuples alliés De se crester le chef pour les fouler aux pieds ? De quoy vous sert ce bras tout rougissant de flame ? Est-ce pour mettre en cendre un Capharé sans ame ? Pour briser en esclats un chesne de cent ansj Vaine terreur des daims ? Non, non ! Pere, il est temps De monstrer aux mortels, d'une plus vive sorte, Le redoutable chocq de vostre ire plus forte. Ils mesprisent tout frein, comme ne pensant pas Qu'un Dieu soit soucieux des affaires d'embas. Hé ! si tant de guerriers qui n'agueres en France Causerent a leur Roy main te dure souffrance, Sont rangés a ses loix et si les plus mutins Ont changé les combats en paisibtes festin», Que ne nous faictes-vous une pareille grace ? Mon Prince at-il moins d'heur, de puissance ou. d'audace [page 5] Qu'Henri tant craint au monde ? Hé ! ne permettez pas Qu'ils montent sur son throne et le versent a bas, Arrestez ce torrent qui nos plaines ravage Ou destournez ailleurs sa bouillonnante rage. Ainsi tousjours le son de vos foudres grondans Face trembler les Dieux, contre vous se bandans, Ainsi I'Enfant aislé n'outre-perce navrées Vos superbes beautés que de flesches dorées. » A tant se teüt Espagne et sur pied se dressa, Puis, d'un humble maintien, Hollande s'advanca. L'or de ses blonds cheveux oü Cupidon se joue D'un humide roseau sans parade se noue; Son front, illuminé de flambeaux azurés, Les lis de son teint frais, de rose colorés \ 1. Édition 1608 : < colorées ». 45 710 PIÈCES JUSTIFICATIVES temerité trop evidente, s'il ne prenoist 1'escuze du jardinier qui, dezles premières traces de son parterre, a besoin des benins aspects du ciel pour la reprize de son plan. Aussi me suis-je fait accroire que le fondement de mon travail ne peut estre expozé a meilleure censuré qu'a celle de V. M. a qui son interest en ce fait augmentera (si 1'on peut croistre au dela de Fextremité) son ordinaire clair-voyance, soubs le sain jugement de laquelle, soit que 1'invention n'en semble bien conceue, soit que le stile ne soit trouvé digne de sa matiere, j'auray tousjours plus aizé, devant longue poursuite, ou de redresser le modelle au niveau de son bon plaisir, ou d'employer ci apres en autre mestier qu'a celuy des Muses les annees et [f. 2 v°] 1'affection que j'ay vouées au service de V. M. Au contraire, si la candeur de mon zele supplée tant aux deffaults de ma plume qu'elle puisse impetrer l'honneur d'un petit adveu, je me promets qu'en despit de sa foiblesse, elle prendra haute volee a 1'imitation du roitelet eslevé soubs la faveur de 1'aigle, et que, puis que nous tenons ordmairement de 1'astre soubs lequel nous sommes nés, la Stuartide pourra tirer quelque influence de perfection d'un si parfait et accompli Monarque duquel je me qualifieray toute ma vie, Sire, Le tres-humble, tres-obeissant et tres-affectionné serviteur Daniël d'Ancheres. Aux fos 3 a 7 r°: Fondement de tout le Poëme sur la verité de 1'histoire. Explicit : Tu acquis Astrée. F° 7 v° : Argument Particulier de ce Livre premier. F° 8 r° : Le Premier Livre de la Stuartide. Inc. : « Je chante icy l'honneur des Escossois. » F° 35 r° : Expl.,: Que 1'opulent qui n'a 1'ame replette. FIN DU PREMIER LIVRE DE LA STUARTIDE. Voici la raison qui me fait croire que nous sommes en présence d'un manuscrit, dont au moins le titre, la préface et 1'argument sont autographes. Dans 1'exemplaire probablement unique de La Stuartide (édition de 1611) que possède le British Museum (1073 e 25), on trouve a la p. 140 (cf. pl. XIII) une addition marginale manuscrite, encadrée par un signe d'intercalation entre les mots « Maistre »... et « Las ! »: « Ces deux vers sont obmis en 1'impression : De mon conseil 1'inépuisable source, Mon seul consort en ma penible course. Las, etc. » Le peu de soin et d'élégance avec lequel est indiquée cette intercation montre clairement que nous sommes en présence d'une addition d'auteur, d'après S3n propre manuscr t, pareille a celles qu'on reporte sur des épreuves. Or le seul Schelandre peut avoir souci d'offrir a Jacques I un texte non mutilé. II y a donc tout lieu de suppaser que 1'addition dï la p. 140 est autographe. L'écriture du titre et de la déditace du Modelle de la Stuartide étant sans contestation poss;ble (comme on peut s'en assurer paria c3mpa~a-so:i dj nes plan:he; XI-XII d'une LE. MODELLE DE LA STUARTIDE 711 part, et XIII, d'autre part) absoiument identique a celle de 1'intercalaticn, il parait légitirr.e d'en induire que le Ms. E xxxni de Londres est, lui aussi, autographe. J'ajoute encore ici la préface de 1'édition de la Stuartide pour qu'on puisse la comparer a celle du Modelle. LA STUARTIDE Les deux premiers Livres de la Stuartide en l'honneur, etc., 1611. P. 3. A Trés hault, tres-puissant et tres-sage Monarque Jacques I du nom, roy de Ia Gde Bretaigne, etc. Sire, Voicy les efïects de mon offre, sinon touts entièrs, au moins sufflsants pour me garentir du tiltre de faux prometteur. L'honneur est 1'aiguillon des ames bien nées, c'est pourquoy celuy dont vostre Majesté favoreza les premiers traicts de mon [p. 4] dessein m'a fait resoudre a la continuation de 1'ceuvre tant que le printemps de mon aage accompagnera mon affection. Et si les fruicts ne dementent point 1'apparence des fleurs, je me fay fort qu'ils seront aucunement bien receus, puisque le seul argument imparfait et manuscript a remporté — le nom de belle invention. Belle certes, Sire, non 1'invention mais la matiere et digne esteuf de tomber en la main d'un bon joüeur, propre a relever ce divin chantre de Loire de la peine qu'il a prize a ressusciter un Astyanax et fonder la majesté de cent Roys sur la vanité d'un fantosme. Mais puisque 1'aage oü nous vivons a produict peu d'esprits qui daignent et tout ensemble puissent bien entreprendre un project de si longue haleine; au deffault d'un plus fort de reins, si ne tiendray-je pas mes mains en pochette a la rencontre d'un si excellent thresor : moy, dis-je, qui (bien que je fusse des moindres) me penseroy bien au seur de 1'affront que receut devant le grand Aiexandre un certain versiflcateur; bref, moy qui ay tousjours tenu pour maxime que l'ele[p.^]ction d'un beau subjet fait honneur a son autheur comme le diamant a son or. Je poursuivray donc, Sire, et d'autant plus hardiment que je scay qa'audaces fortuna juvat : (or je pren 1'adveu de V. M. pour le seul vent de ma fortune) je pousseray ma pointe, voire plus vivement que jusqu'icy, pourveu que nous n'ayons pas touts les ans le divertissement d'un voyage de Juilliers. L'universelle paix qui colle aujourd'huy nos fourreaux sur nos espées symbolize a mes intentions et fait que, ne pouvant exercer en qualité de soldat, j'ay recours a celle de Poëte, laquelle je ne repute pas tant odieuze que fait le commun de nostre siècle... Selon Colletet (Ap. Asselineau, Notice sur Jean de Schelandre, 2' éd p 15) l'auteur avait composé encore deux autres chants que, eonvertl par ses conseils a la manière de Malherbe, il avait écrits en vers alexandiins réguliers IV DISCOURS POLITIQUE SUR L ESTAT DES PROVINCES-UNIES DES PAYS-BAS Par J. L. D. B., Gentilhomme francois. A Leyde, chez Jan Maire, 1638 4 feuillets pet- 4» signés Jean Louys de Balzac et insérés dans le Ms. fr. 17861, f 269 a 272 de la Bibliothèque Nationale, i (Voir d, dessus : Livre II, chap. XI, pp. 270-274). [F° A 2 r»J. Un peuple est libre, pourveü qu'il ne veüille plus servir Après avoir combatu longtemps pour la vie, il combat en fln pour la victoire; après avoir tout enduré, il peut tont faire et lorsqu'il n'a plas d'espérance, il n'a plus de crainte. Les Provinces du Pays-Bas qui ont eschappé des mains du Roy d'Espagne, pour les avoir voulu trop serrer 2 doivent» leur Hberté a 1'extrémité de leur servitude, Jouissent de la paix, pour avoir esté contraintes a la guerre, font une belle lecon a tous les Souverains, de ce qu'ilz doivent envers leurs peuples et donnent un exempje memorable d tous les peuples de ce qu'ilz peuvent contre leurs Souverains *. Elles ont la justice de leur costé, puisqu'elles ont eu Ia necessité. Elles méritent d'avoir Dieu seul pour Roy, puis qu'elles n'ont peu endurer un Roy pour Dieu et de ne relever que de sa puissance puisqu'elles ont combatu pour sa seule querelle. Celui qui estoit leur maistre, estant devemi leur ennemi, a perdu les droits qu'il «yoit sur elles, ayant violé ceux que Dieu a sur lui. Voulant traitter ses subjets en [f° A 2 v«] bestes, il les a contrahits de se souvenir qu'ilz estoient hommes et ayant rompu le droit des gens par la mort de leurs Ambassadeurs *, ü les a obligés a recourir au droit de nature par 1'acquisition de leur liberté. Point de merveüles donc, s'il a perdu le Pays duquel il a voulu perdre le peuple, si ceux qu'il a violentés en leur foy se sont oubliés de leur fidélité. Les Tyrans plus subtilz et ingénieux k I invention des craautés extraordinaire» qui furent jamais, ne s'estoyent pomt encore advisés de s'attaquer a 1'esprit, ne scachans par oü le battre. Philippe Second a esté le premier qu'on peut a bon droit nommer le Tyran des ames. n a trouvé le moyen de les faire endurer, U les a mises a la gehenne« pour tes faire deposer contre la verité et après avoir emploié toutes les peines de ce monde pour tourmenter le corps II s est a la fin servi de celles de 1'enfer pour tourmenter 1'Ame. Ainsi', ^ 2. Var:« paree qu'il les a ». celle df rexf^Dupuv"8 °nt *donnent*'mai& ma corrections'est treuvée vérifiée par 4. Italique dans 1'édition originale. de%etgXueTlvï'£Sn!,a*t *ontigny en EsPagne en 1570. Cf. Plrenne, Histoire 6. Torture. L'ld. de 1665 orthographie : « gesne ». NOTES COMPLÉMENTA1RES POUR LE LIVRE H Chapitre VI. — On trouvera encore quelques renseignements sur Scaliger (J.-J.) dans UAncien Théatre en Poitou de H. Clouzot, Niort, 1901, in-8°, pp. 58, 59 (et n. 3). Chapitre VIII, p. 230 (et Pl. XXVII). — Je dois a M. Henri Grégoire, professeur a 1'Université de Bruxelles, quelques indications sur la page d'album de Lescherpicrre. La citation en syriaque est empruntée au Deutéronome VIII, 8 et est reproduite dans Matthieu, V, 4. Elle signifie : « L'homme ne vit pas seulement de pain ><. La phrase en hébreu vient des Psaumes (Ps. XXV ( = XXIV), 14) : « Le secret de Jahvé est pour ceux qui le craignent et son alliance a pour but de les instruire ». Le grec est d'Hésiode (Theogonie, 96). Est-il nécessaire que je donne la solution que j'ai trouvée du rébus du bas de la page : « Nella fidelta (», o) finirö (s, v, p,. prononcés a la moderne) la vita. » NOTES COMPLÉMENTAIRES POUR LE LIVRE III Chapitre IV. — Mon Collègue M. Et. Gilson me signale dans la Revue Universelle de décembre 1920 un article de M. Maritain intitulé : Le songe de Descartes, mais je n'ai pu le consulter. II en est de même du livre de M. L. Blanchet, Les antécédenls historiques du « Je pense, donc je suis », Paris, F. Alcan, 1920, in-8°. Je voudrais saisir cette occasion de rendre hommage a une intéressante biographie anglaise écrite par Élisabeth S. Haldane : Descartes, his life and times, Londres, John 46 718 notes complément aires pour le livre iii Murray, 1905, in-8°. Je ne m'en suis pas servi paree qu'elle a 1'inconvénient d'avoir été faite avant 1'achèvement de la grande édition Adam et Tannery. Chapitre VII, p. 438. — Winsemius, le frère du professeur d'anatomie, habita aussi le chateau de Franeker, peut-être en même temps que Descartes, et décrit ainsi cette demeure dans sa Beschrijvinghe der Steden van Frieslandt, en appendice a sa Chronique (1629) : «Cette ville [de Franeker] est 1'émerveillement des étrangers par ses nombreuses et nobles maisons, tel le Chateau, embelli d'un beau fossé et de superbes tours, si magnifiques que les voyageurs affirment qu'elles peuvent être comparées a mainte résidence ducale ou comtale. » Notre Planche montre qu'ici le patriotisme local exagère un peu. (Texte original dans Cannegieter, op. cit., 86 et 89 ; Boeles, t. II, p. 151). DESCARTES DANS SON « POELE» Complément de la note 2, p. 303. 1° Extrait du Journal de voyage de Montaigne, éd. Lautrey, Paris, Hachette, 1909, pp. 92-93 : « Nous nous applicames incontinant a la chaleur de leurs poiles, et est nul des nostres qui s'en ofïencat. Car depuis qu'on a avalé une certene odeur d'air qui vous frappe en entrant, le demurant c'est une chaleur douce et eguale. M. de Montaigne, qui couchoit dans un poile, s'en louoit fort, et de santir toute la nuict une tiedeur d'air plaisante et moderée. Au moins on ne s'y brusle ny le visage ny les botes, et est on quitte des fumées de France. Aussi la oü nous prenons nos robes de chambre chaudes et fourrées entrant au logis, eus au rebours se mettent en pourpoint, et se tiennent la teste descouverte au poile, et s'habillent chaudement pour se remettre a 1'air. » 2° Extrait des Essais de Montaigne, éd. Strowski, t. III (Bordeaux, F. Pech, 1919, in-4°), p. 381-382 ; Livre III, chapitre xni : « Un Aleman me fit plaisir, a Auguste [Augsbourg], de combatre 1'incommodité de noz fouyers par ce mesme argument dequoy nous nous servons ordinairement a condamner leurs poyles. Car a la vérité, cette chaleur croupie, et puis la senteur de cette matiere reschauffée dequoy ils sont composez, enteste la plus part de ceux qui n'y sont experimentez ; a moy non. Mais au demeurant, estant cette challeur eguale, constante et universelle, sans lueur, sans fumée, sans le vent que 1'ouverture de nos cheminées nous apporte, elle a bien par ailleurs dequoi se comparer a la nostre. Que n'imitor.s nous 1'architecture Romaine ? Car notes complémentair/es pour le hvre iii 719 on dict que anciennement le feu ne se faisoit en leurs maisons que par le dehors, et au pied d'icelles : d'oü s'inspiroit Ia chaleur a tout le logis par les tuyaux practiquez dans 1'espais du mur, lesquels alloient embrassant les lieux qui en devoient estre eschauffez ; ce que j 'ay veu clairement signifié, je ne scay oü, en Seneque. Cettuy-cy, m'oyant louër les commoditez et beautez de sa ville, qui le merite certes, commenca a me plaindre dequoy j'avois a m'en esloigner; et des premiers inconveniens qu'il m'allega, ce fut la poisanteur de teste que m'apporteroient les cheminées ailleurs. II avoit ouï faire cette plainte a quelqu'un, et nous 1'attachoit, estant privé par 1'usage de 1'appercevoir chez luy. Toute chaleur qui vient du feu m'afïoiblit et m'appesantit. » Chapitre XIV. — La tradition locale veut que Descartes ait habité a Santpoort, la ferme Auspiciis et Telis d'après le Professeur van Walsem, dans- le Haarlem's Dagblad du 16 octobre (cf. Amstelodamum, décembre 1920). La recherche est amorcée par la commémoration de la maison de Descartes a Amsterdam. Elle ne s'arrêtera plus. Chapitre XVI; p. 537. — Anne-Marie de Schurman eut une polémique avec André Rivet sur les « filles scavantes » et il est probable que Molière en connut la traduction publiée par Colletet sous le titre que voici : Question célèbre s'il est nécessaire ou non que les filles soient scavantes. Agité de.part et d'autre par Madem. A. M. a S. Hollandoise et le sieur André Rivet. ERRATA P. 15, ligne 1 : littéraire ; 1. dramatique. P. 17, note 1 : Marty-Lavaux; L Laveaux. P. 25, note 1 : « qui. a veue d'ceuil »; 1. « qui, a veue d'ceuil» P. 62, ligne 15 : oncle ; 1. cousin. P. 99, note 2 : 1607, 1609, 1609 ; 1. 1607, 1608, 1609. P. 149, ligne 4 : Senèque ; lire Sénèque. Ligne 25 : Gallien 1. Galien. P. 154, ligne 1 : Jéröme ; 1. Jérémie. P. 316, ligne 7 : èu^uyoy ; 1. su.'iuyov. P. 395, note 4 : 1610;' 1. 1620. ' P. 449, ligne 2 des notes : Ludovico X VI; 1. XIV. P. 474, ligne 5 : assita; 1. assista. P. 663, ligne 9 : ont; 1. on. P. 669, ligne 5 du bas : campagnie ; 1. compagnie. INDEX DES NOMS PROPRES Abain (Sr d'), 191 (n. 3); v. La Roche-Pozay (Louis de). Abain (S* d'), 206 ; v. La RochePozay (Henri-Louis de). Abein (AP d'), 203 ; v. La RochePozay (Louis de). Ablancour (d'), 346 ; v. Perrot d' et Frémont d'. Admiraldus (Moses), 343 ; v. Amyraut. Aemilius (Antoine), 474 (et n. 3), 519, 520, 525, 546, 548, 550, 551. Aersen (Francois d'), Sr de Sommelsdijck, 44, 131 (n. 4), 136, 232, 313. Aerssen (Corneille d'), 232, 243. Africanus (Julius), 210. Agache (Jacques), 347. Agrippa (Corneille), 368, 387, 391, 449 (n. 3), 559. Aigueberre (d'), 562. Aire (Êvêque d'), 256, 258 ; v. Bouthillier (Séb.). Albe (Duc d'), 49, 706, 714. Albert (Archiduc), 40, 41, 42, 51, 56, 71, 75, 120, 130, 697. Albert (Monsieur), 342 ; v. Girard de Saint-Mihiel (Albert). Aldringa, 577. Aleaume (Jacques), 373 (n. 1) ; v. Alleaume (Jacques). Alencon (Francois d'), duc d'An- jou, 162. Alexandre, 204. Alexandre VI, 281. Allart, 102 (n. 6) ; v. Hall art. Allard, 121 ; v. Hallart. Alleaume (Jacques), 27, 341, 373 ^(et n. 1), 381. Almirante (L'), ; v. Mendoza (Francisco de). Alting, 263, 264. Amama, 436. Amesius, 436. Amiraut (Moïse), 239 (n. 5), 343 (n. 1) ; v. Amyraut (M.). Armijn, 261 ; v. Arminius. Amyraut (Moïse), 239 (n. 5), 262 (et n. 4), 305, 308 (et n. 2), 343 (et n. 1). Anchères (Daniël d'), 15 (n. 1), 87 (n. 2), 116, 118 (n. 2), 119, 125 (n. 1), 693 (n. 1), 703 (n. 1), 709 ; v. Schelandre (Jean de). Anchers (Francois d'), 116 (n. 4). Anchies (d'), 121, 473. Andelot (Marquis d'), 33 (n. 4); v. Chastillon (Gaspard III de). André (Tobie d'), 577 (et n. 1), 582, 595, 596, 654 (n. 6). Andre* (Tobie), 577 ; v. André (d)\ Andrieux, 466. Aneau (Barthélémy), 171. Angélique (Mère), 524. Anjou (Francois d'Alencon, duc d'), 162. Anne d'Autriche, 645 (n. 2). Anne d'Egmond, 30 (n. 1). Anne de Saxe, 27, 30 (n. 1), 151. Anquetil du Perron, 524. Antonisz (Abraham), 250. Archimêde, 149. Archytas, 148. Aristophane, 148, 237. Aristote, 9, 147, 176, 191, 204, 241, 263, 264, 276, 277, 286, 336, 338, 418, 419, 420, 450, 550, 551, 1. Cet index nc comprend que les personnages antérieurs au xix« siècle. 724 INDEX DES NOMS PROPRES Bodin (Jean), 272. Boësse (de), 466. boësset DE VlLLEDIEU, 517. Bohème (Princesse de), 610, 611, 616 ; v. Élisabeth (Princesse). Bohème (Reine de), 532, 603, 625, 626, 627 ; v. aussi Frédéric (Êlecteur Palatin). Boileau (Nic), 181, 277, 502, 588. Boisot, 143. Boisrobert, 258, 259. Boissize (Thuméry, Sr de), 264. Bollius, 152. Bomberghen, 59 (et n. 2), 97. Bonours (Chr.), 81 (n. 1), 129 (n. 6). Boot (Corneille), 474, 491 (et n. 1). Boot (Everhart C), 173, 174, 185, 208, 209 (n. 1), 230, 235. Bor (Pieter), 71 (n. 2). Bordier (Petrus), 345. Borel (Pierre), 402, 412, 430, 679 (n. 1). Bornius (Henri), 519 (n. 2), 586, 657 (n. 3), 666. Bossuet, 273. Botnia, 436. Botté (Jean), 337, 338, 655. Bottesius (Johannes), 337, 338 (et n. 1), 655 ; v. Botté (Jean). Bouche (Elisabeth), 349 (n. 4). Bouchereau (Gilles), 228, 230 (n. 2). Bouchereau (Samuel), 230. Boucholt, 234. Bouexic (Jacques de), 526, 677 ; v. La Villeneuve et La Cha- pelle (du) —. Bouillons (Les), 8. Bouillon (Jehan de La Marck, duc de), 22, 23, 26. Bouillon (Henri de La Tour d'Au- vergne, duc de), 18 (n. 1), 28, 58 (n. 2), 69 (n. 4), 110. Bouillon (Frédéric-Maurice de La Tour d'Auvergne, duc de), 314, 425, 426, 562. Bouillon (Élisabeth de Nassau, duchesse de), 28. Bouilly, 682 (n. 2). Bouilliaud (Ismaël), 478 (et n. 3), 509. Bourbon-Montpensier (Charlotte de) 28 151 ; v. Charlotte de—. Bourdon (Sébastien) 670 678 (et n. 2). Bouricius, 436. Bourgeois (Louis), 51. Bourguignon (Daniël), 230, 235 (et n. 3). Bourriquant, 125; v. Fleury- Bourriquant. Bouteville, 466. Bouthillier (Sébastien), évêque d'Aire, 256, 258. Bouvin (Jean), 230 (et n. 1). Bouze (Sr de), 311 ; v. Saumaise (Bénigne). Boxhorn (M. Z.), 283 (n. 2), 287 (n. 2). Boxhornius, 283 (n. 2); v. Boxhorn. Brabant, Brabantine ; v. Char- lotte-Brabantine. Brandenbourgh (Prince de), 124. Brandt (Bartel), 207. Brandt (Gérard), 592. Brantóme, 81 (n. 1), 259. Brasset, 328, 577, 575 (et n. 2), 593, 594, 626, 627 (et n. 1), 641, 645 (et n. 4), 649, 661, 678, 680 (n. 2), 682 (n. 1). Brave (Justus), 348. Bray (Guy de), 150. Breart, 21. Breauté, 129-131 (et notes), 243, 373. Brederode (Sr de), 115. Brederode (Sr de), 120. Brégy, 683. Brétigny (Sr de), 347 ; v. Poncet (CHarles de). Bremont, 130. Brisacier (Mr de), 593, 594. Brochard (Jeanne), 359. Brogge (Colonel), 32. Bronchhorst, 167, 184 (n. 3), 206. Bronckhorst, 143, 144. Brouwer (Adrien), 260. Bruce (Henry), 99 (et n. 1), 105 (n. 5). Bruce (Walter), 99 (n. 1) ;v. Brusse. Brunel (Francois de), des Areniers, 347. Brunswick (Duc de), 630. Brus ,62 (n. 1), 96 (n. 4), v. Brusse. INDEX DES NOMS PROPRES 725 Bruscambille, 290. Brusse (Walter), 38, 53, 54, 58, 59, 62 (et n. 1), 64, 67, 96 (et n. 1, 4), 97 (n. 3), 99 (n. 1), 103, 121, 131. Buchanan, 144, 189, 277, 278. Bueil (Honorat de), 114 (et n. 5, 6) ; v. Racan. Builoneus (Petrus Regius), 227. Buisson, 59, 96 (et n. 1), 103 ; v. Du Buysson. Buisson (Francois de), 345. Bullion, 227. Bu ren (Comte de), 117 ; v. Philippe d'Orange. Burgersdijk (Pierre Franconi), 174 (n. 3), 240 (n. 6), 297. Burman, 291 (n. 1). Bus (Paul), 164 ; v. Buys (Paul). Bussy-Rabutin, 424. Buys (Paul), 162. Buzenval (Paul Choart, Sr de), 53 (et n. 3), 61, 112, 131 (et n. 4), 139, 199, 200, 201, 202, 210, 670. Buzenval (Eustache Choart, Sr de), 190. Cadet, 372-; v. Poitiers (Jean de). Cajou, 130. >'v££ti Callot (Jacques), 36, 128. Calvin (Jean), 144, 150, 153, 315, 346, 427. Campanella, 559. Canchiné (de), 236 ; v. Lanfran. Candale (Comte de), 261. Canquigny (de) ; v. Lanfran. Cappel (Louis), S' de Monjaubert ou Mongombert, 8, 144, 145 (n. 1), 147, 177 (n. 2), 353. Cappel (Louis), (fils du précédent) 145 (n. 3), 232. Cappel (Magdelaine), 145 (n. 3). Cappel (Marie), 145 (n. 3). Caron (Noël de), 112, 118. Cartes (René de), 474 (n. 6); v. Descartes. Cartes (René des), 537 et passim, 559 ; v. Descartes. Cartesius (Renatus); v. Descartes. Casa (Pierre Baldran de), 98; v. La Caze. Casaubon (Isaac), 189, 288, 312. Casaubon (Méric) (fils du précédent), 343. Caselis (de), 233. Cassagne (Abbé), 270. Cassedenier, 239, 240 (n. 1). Castellion (Sébastien), 175 (et n. 1). Cater (Abbé), 10, 426. Caterus (Abbé), 516. Catherine de Médicis, 707 (n. 1). Cats (Jacob), 240 (et n. 4), 375, 507. Claudel (Durand), 345. Cecil (Sir Edward), 67 (n. 2), 78 (n. 4), 120. Ceridos, 15, 20, 61, 62, 64 (et n. 4), 66, 67 (et n. 5), 68. Cervantes, 365 (n. 1). César, 210. Chabot (de), 309. Chagni (Baron de), 115 ; v. Jeannin (Président Pierre). Chaix (Ëtienne), 347, 348. Chalandre, 57 (n. 1), 58 (n. 1), 59, ' 97 (n. 1, 2); v. Schelandre (Robert de). Chalander ; v. Schelandre. Chalanders (Capitaine), 98; v. Schelandre (Robert de). Challandière (Pont), 37 (n. 5). Challandière, 121. Chamier (Daniël), 297. Champaigne (Philippe de), 524. Chandieu, 222. Chanut (Hector-Pierre), 360, 394, 397, 415, 460, 484, 488, 575 (n. 2), 584, 585 (n. 1) ; Livre III. Chap. XXV : pp. 641-651 ; et Chap. XXVII : pp. 669-684. Chanut (Madame), 669. Chanuyt, 669 ; v. Chanut. Chanvernon (Mr de), 300 ; v. Rivet (Guillaume). Chapelain (Jean), 114, 244, 245, 276, 277, 289 (n. 2), 439, 533. Charles Ier, 133, 304, 327. Charles de Lorraine, 25. charles-Lduis (Prince Palatin), 625, 647. Charles-Quint, 49. Charlet (Le P.), 361. Charlotte de Bourbon-Montpensier, 151 (et n. 1). Charlotte-Brabantine de Nas- 726 INDEX DES NOMS PROPRES sau, 28 (n. 1) ; v. La Trémoïlle (Duchesse de). Charnacé (de), 323, 506, 670 ; v. Charnassé. Charnassé ; v. Charnacé. Chasteigner de la Roche-Pozay (Henri), 190 ; v. La Roche-Pozay Chasteigner de la Roche-Pozay (Louis) ; 190, v. La Roche-Pozay. Chastellier (Le P.), 361. Chastillons (Les), 8. Chastillon (Maréchal Gaspard II de), 32, 33, 35 (n. 2), 105 (n. 6), 109, 113, 116, 120, 121, 126, 133, 264, 345, 372 (et n. 1), 424, 425. Chastillon (Gaspard III de), 624. Chastillon (Henri de), 19, 29 (n. 6), 31, 32, 38, 41, 54, 55, 56, 59, 60, 61, 76, 77, 95, 116, 137. Chatillon (Mr de) (Gentilhomme poitevin), 412. ChaTillon, v. Chastillon. Chaumont (Jean de), 232. Chaumont (sr de) ; v. schelandre (Gobert de). Chauveau, 363. Chavagnes (de), 584. Chavenel (Richard de), 125. Chelander, 59 (et n. 2) ; v. Schelandre (Robert de). Chelandre, 64 (n. 4), 96 (n. 1) ; v. Schelandre (Robert de). Chelandre (Madame de), 125 ; v. Schelandre. Chelandre (M"» de), 125, 126; v. Schelandre. Chemnitz, 156. Chilandre, 53 ; v. Schelandre (Robert de). Choart (Paul), 131 (n. 4), 199; v. Buzenval. Choisnin, 191 (n. 1). Chrestien (Me), 527. Christine de Suède, 330, 331, 332 (et n. 4), 404, 603 (n. 1) ; Livre III Chap. XXV : pp. '641-651, et Chap. XXVII : pp. 669 a 684. Cicéron, 147, 148, 176, 189, 191, 220, 297. Cinq-Mars 55 (n. 1). Clauberg (Joh) 577 (n. 1). Claudin le Jeune 30. Claves (Étienne de) 419. Clavius (Le P.) 380, 500. Clémenceau (Jacques) 228 300. Clément (Ant.) 317 (n. 1) 333 (et n. 1). Clément (Jacques) 707 (n. 1). Clérac 131 (n. 2). Clerselier, 366, 394, 455 (n. 1), 460, 484 (n. 2), 584. 669, 676, 679 (n. 1). Cloppenburg, 325. Clovovius, 102 (n. 4). Clusius, 202, 209, 211, 219, 353 ; v. l'Escluse (Ch. de). Cluyt, 184 (et n. 3). Codd^us (Guillaume), 341. Codelonge (David de), 232, 243. Coignet (Gaspard), 575 ; v. La Thuillerie. Coligny, 30, 56 (n. 5), 64 (n. 4),125 ; v. Chastillon et Louise de —. Coligny (Gaspard de), 1'amiral; 345. Coligny (Gaspard III de) ; v. Chastillon (Gaspard III de). Coligny (Henri de), 57 ; v. Chastillon (Henri de). Coligny (Maurice de), 345; v. Chastillon. Colin (Henri), 345. collaye, 593. Colletet, 17, 22, 25, 48 (n. 1), 121, 126, 133 (et n. 3), 711. Cologne (Daniël de), 347. Cologne (Pierre de), 222. Colomb (Christophe), 48. Colomiès, 172 (n. 1), 210 (n. 6). Colomesius (P.), 210 (n. 6) ; v. Colomiès. Colvius (Le pasteur Théodore), 9, 220, 456, 570. Condés (Les), 649 (n. 1). Condé (Louis II, Prince de), 110. Condé (Henri II, Prince de), 118, 204, 306 (et n. 1). Condé (Princesse de), 118, femme de Philippe d'Orange. Condé (Princesse de), 203. Condren (Charles de), 373. Congy (Francois de), 55 (n. 3). Coninck, 146. Conrart, 114 (et n. 6), 176 (et n. 2), 262 (n. 3), 270, 304 (n. 8), 307, 310, 583. INDEX DES NOMS PROPRES 727 coolhaes, 157. Coornhert, 175 (n. 1). Coppenol, 481 (n. 5); v. Willem- sen (Guilliam). Copernic, 479. Coppe, 25 (n. 1). Cormières, 38, 39, 44, 131. Corneille (Pierre), 17 (n. 1), 243 (n. 1), 259, 272, 276, 277 (n. 1 et 4), 278, 280, 285, 286, 308, 330 (et n. 2), 365 (n. 1), 428, 492, 493, 609, 618, 619, 673. Cornélis (Jean), 494 (n. 5). Corput (Jean), 175. Coster (Samuel), 508. Coup (Pierre de), 107 (n. 4), 583. Courtomer (Jean-Antoine de Saint- Simon, baron de), 8, 58 (n. 2), 133, 372 (et n. 1). Couvert (Arthur de), 343. Couvert (Jean-Antoine de), 343. Crenius, 316 (n. 4). Crevain et de Beauchamp (André Lenoir Sr de), 231. Cromholt, 315 (n. 1). Cromwell, 179, 327. Crouse (Ger.), 216 (n. 1). Crusius, 152. Cuchlin, 184 (n. 4), 264. Cuchlinus, 264 ; v. Cuchlin. Cuissy, 67 (et n. 5), 68, 97 (n. 1). Cujas, 153, 159, 190 (et n. 3), 240, 353. Culembourg (Cte de), 115. Cunaeus, 253, 282, 326, 447. Cup, 523. Cussy, 96 (n. 1) ; v. Cuissy. Cyprianus, 55 ; v. Regneri. Cyrano de Bergerac, 447. Dacier (Madame), 353. Daillé (Jean), 306, 307, 309, 343 (et n. 2). Dailleus (Johannes), 343 ; v. Daillé (Jean). Daliet (Jacob), 227. Danjeus ; v. Daneau (Lambert). Danchies, 98 (n. 4) ; v. Anchies (d') Danchy, 98 (n. 4); v. Anchies (d'). Daneau (Anne), 155. Daneau (Lambert), 8, 152 ; Livre II, Chap. II: pp. 153-158; 159, 160 (n. 3), 161 (et n. 2),-169 (n. 1), 297, 298, 317, 353, 467. Daneau (Lambert), petit-flls du précédent, 158. Daneau (Marie), 155. Daneau (Samuel), 155. Dathenus, 154. Dauber, 304. Daucye, 129. David d'Orléans, 51, etc. ; v. Orléans (David d'). Debeaune, 422, 584 ; v. Beaune (Florimond de). Deheins, 275 ; v. Heinsius (Daniël). Del Boé-Silvius, 537. Del Rio, 210. Del Villar (Don Luys), 43. Dematius (De Maets, dit), 548, 571, 596, 599 (et n. 2), 600. Démocrite, 468. Denis (Capitaine), 53. Denys d'Alexandrie, 311. Des Areniers, 347; v. Brunel (Francois). Des Barreaux, 533, 534 ; v. Val- lée (Jacques). Des Bordes (Sr), 312 ; v. Mercier (Josias). Descartes (Anne), 360. Descartes (Francine), 10 ; Livre vre III ; Chap. XI : pp. 483- 489, 513, 514, 524, 525 (n. 1), 526 (n. 2). Descartes (Jeanne), 359, 584. Descartes (Joachim), 359, 485, 525. Descartes (Madame Joachim), 411. Descartes (Pierre), grand-père de René, — 388. Descartes (Pierre) de la Bretallière, frère de René, 359, 411, 584. Descartes (René), 9, 10, 11, 27 (n. 1), 226, 319, 326, 329, 330, 332, 335, 336, 377 (n. 1), 338, 341 (et n. 3), 342 (et n. 3), 345, 346 ; Livre III : pp. 355-685 : Conclusiön : pp. 687-689 : Notes Complémentaires sur le Livre III: pp. 717-719. Descartus (Renatus), 345 ; v. Descartes (René). Deschamps (L'écuyer), 425. Des Chapelles, 466. 730 INDEX DES NOMS PROPRES Elzévir (Bonaventure), 197 (n. 1), 326, 499. Elzévir (Jean), 288 (n. 6), 326. Elzévir (Josse), 227. Elzévir (Louis I«), 209, 227, 689. Elzévir (Louis), 52 (n. 2), 173 (et n. 1), 202 (n. 2), 505 (n. 1), 552, 556, 571, 634 (n. 4), 650, 677. Emmery (Sr cv), 198 ; v. Thou (G.-A. de). Epicure, 405, 559, 623. Erasme, 144, 236, 260, 312, 472 (et n. 3). Ernest-Casimir de Nassau, 38, 39, 40, 41, 61, 62, 64, 65, 76, 78, 79, 89, 105 (n. 6), 113, 699. Erpenius (Th.), 295, 296, 298, 299, 300 (n. 2), 301, 302. Escartes (d'), 486, 526; v. Descartes (René). Espinay (Marquis d'), 466, 624, 625 ; v. L'espinay. Espinoza (Baruch d'); v. Spinoza. Esprinchard (Jacques d'), Sr du Plomb, 234. Esprinssart, 235 (n. 3). Essars (Francois des), 38 (n. 1); v. du Hamelet. Estienne (Henri), 261. Estivaulx (d'), 25 (n. 1). Estrades (Godefroi, comte d'), 8, 283 (n. 4), 670. Etrechy (Sr d'), 126 ; v. Jaucourt (Louis de). Euclide, 380. Euripide, 236. Eusèbe, 190 (et n. 2), 210, 212, 214, 215. Faber Stapulensis, 454 ; v. Le- fèvre d'etaples. Fairfax, 106. Falaizeau (Charles), 196, 197. Faulhaber, 402, 406. Ferdinand d'Aragon, 48, 49, 706. Ferdinand (Empereur), 390, 394, 395, 397 (n. 2). Fermat, 512, 533. Ferné (Cap.), 373. Ferrand, 706 ; v. Ferdinand d'Aragon. Ferrand (Jean), 388. Ferrier, 429, 438, 439, 440, 441 (n. 5), 445 (et n. 1), 446 (et n. 1), 466, 496, 593. Ferry (Paul), 347, 348. Feugeret, 147 ; v. Feugueray. FeuguerjEus, 145, 147 (et n. 2); v. Feugueray. Feugheran 151 ; v. Feugueray. Feugueray (Guillaume) Sr de la Haye, 8 ; Livre II, Chap. I : pp. 144-152, 154, 172, 225, 353. Flamigny, 373. Fleury-Bourriquant, 125 (n. 1), 709 (n. 1). Fleming (Amiral), 677. Fleming, Livre I : passim, notamment p. 20 (et n. 2). Flessches (Cte de), 111. Flottemanville (Antoine), Basnage, Sr de Saint-Gabriel et de, — 229 ; v. Basnage. Fludd (Robert), 388 (n. 3), 404, 406, 448 (n. 1). Fontaines, 158 (n. 1). Fontainier (Jean), 404, 419. Force ; v. La Force. Foriant, 59 (n. 2); v. Fourmentières. formentières ; v. fourmentières. forquier, 121. Fouace (Estienne), 239 (et n. 6). Foullau, 372. Fourmentières, 35, 38, 53, 54, 58, 59 (et n. 2), 61 (n. 5). Fournet (Le P.), 369. Francine, Livre III, Chap. XI : pp. 483-489, 513, 514, 524, 525 (n. 1), 520 (n. 2). Franconi (Pierre), 297; v. Bur- gersdijk. Franquesney (Henri de) ; v. Basnage. Fransintge, 485 ; v. Descartes (Francine). Fransheimius, 583 ; v. Freinshe- mius. Frédéric-Henri, 18 (n. 1), 19, 29, 31, 39, 41, 42, 58 (n. 2), 61, 76 (et n. 3), 109, 110, 199, 228, 273, 303, 305, 306, 329, 371, 424, 425, 428, 506, 630, 645 (n. 4), 661 (n. 4), 698 (et n. 1). Frédéric-Palatin, Roi de Bohème, 402, 408, 603, 612. INDEX DES NOMS PROPRES 731 Frédér;c (Prince Palatin), 605. Frédéric de la Tour, 425 ; v. Bouillon (Duc de). Frédéric-Guillaume (Ëlecteur de Brandebourg), 629. Frédéricx (Sabine), 250. Freinshemius, 642, 681, 683. Frémont d'Ablancourt, 346. Fre§nes (de), 26 (n. 5), 563. t Froissart, 69 (n. 2). Froland (Louis), 240 (n. 5). Fromont ,437. Frotier (Jean), Sr de la Rochette, 344. Fulgous, 33, 54, 55. Galien, 149, 551, 553, 617. Galilée, 412, 456, 477, 479 (et n. 1), 480, 481, 482. Gamon (Christofle de), 15 (n. 1). Garasse (Le P.), 251, 252. Garnier, 222. Garritz (Hessel), 250. Gassend, 108 (n. 1), 349, 388 (n. 3), 419 (et n. 1), 446, 447 (et n. 2), 448(et notes), 449, 453 (et n. 3, 4), 454 (n. 4), 478, 480, 500, 519 (n. 2), 533, 581, 582, 586, 647 (n. 1), 654. Gassendi ; v. Gassend. Gaston d'Orléans, 624. 45«,7., Gatou (David), 504. Gaultier, 157 (et n. 1). Gaumain, 288. Gentil (Jan), Sr du Fort, 37 (n. 5). Gentilis (Scipio), 159 (n. 2), 168 (n. 1), 169. Gérard (Balthazar), 27. Gerardus (Albertus), 34; v. Girard de Saint-Mihiel. Gersan (De), 417 ; v. Soucy (Fr. de). Gerzan (de); v. Soucy (Fr. de). Gheyn (Jacques de), le "Vieux, 127 (et notes), 128 (notes), 129, 135 (n. 1). Gibieu, 441 (n. 6); v. Gibieuf. Gibieuf (Le P.), 441 (et n. 6), 442 (n. 3), 477. Gillo (Beatrix), 494 (n. 5); Gillot (Jean), père, 494 (n. 5). Gillot (Jean), 346, Livre iii, Chap. XII : pp. 494-497, 525 527, 593. Gillot (Jean), divers personnages portant ce nom, 491 (n. 5). Gillot (Pierre), 494 (n. 5). Gillot (Familie), 494 (n. 5). Gilson, 52. Girard (Daniël), 288, 342. Girard (Marie), 342. Girard de Saint-Mihiel (Albert), 341 (etn. 1), 342, 381. Girardus Albertus, 341 ; v. Girard. Gistelles (Pierre de), 38, 101, 103. Glarges (Philippe de), 346, 585 ; v. Montigny de —. Godefroy (Jacques), 304 et 312. Godfroy (Mr), 486, 487 (et n. 1). Golius, 331, 341, 446, 452, 476, 480,. 484 (n. 3), 492, 494 (n. 5). Goltzius (Henri), 90 (n. 2), 197. Gomar, 174 (et n. 3), 240 (n. 6), 262, 293, 304, 428 ; v. Gomarus. Gomarus, 174, 240 (n. 6), 262, 293 ; v. Gomar. Gonnevet, 61. Gonzague (Anne de), Princesse de Mantoue, 623. Gorgias (Marcus-Antonius), 204 (et n. 2), 227 ; v. Gourgues. Gorleus, 542. goudimel, 51. Goulart (Simon), 155, 191 (n. 5). Gourgues (M.-A. de), 204 (et n. 2), 227 ; v. Gorgias. Grjevius, 473. Graswinkel, 575. Grenu, 105. Grey, 41. Griffith, 349 (n. 4). Grobbendonck, 130. Gronovius, 221, 290, 291 (et n. 1), 314 (n. 2), 349, 473. Groot (Corneille de), 167, 238. Groot (H. de), 349; v. Grotius. Grotius (Guillaume), 107 (n. 4). Grotius (Hugo), 107 (et n. 4), 108, 221, 262 (et n. 6), 273, 274, 277, 278, 305, 314 (n. 1, 3), 326, 349 (n. 3), 375, 390, 715 (et n. 4). Grouel (Abraham), 372. Gruter, 190, 214, 312. Guilhome (Capitaine), 121. Guillaume Ier d'Orange (Le Ta.citurne), 27, 28, 47, 64, 76, 82, 738 INDEX DES NOMS PROPRES n. 2), 247, 361, 362, 363, 368 (n. 2), 389, 393, 418 (n. 4), 427, 508 (et n. 1), 622, 718. Montauban (Antoine de), 232. Montaut (Anne de), 92 (n. 2), 116 (n. 5), 117 (n. 1). Montaux (Bernard), 226 (n. 2), 388 (n. 3); v. Barnaud (Nicolas). Montchrestien (Antoine de), 15, 261. Montdevis (Mr de), 310 ; v. Rivet. Montélimar (Sénéchal de), Comte de La Fère, 45. Montesquieu, 247, 269. Montesquieu de Rocques (Secondat de), père, 116, 124 (n. 4). Montesquieu de Rocques (Jacques Secondat de),flls ; v. Rocques (Capitaine). Montheu (Sr de) ; v. Jeannin (Président Pierre). Montgommery, 243. Montgommery (Gabriel, comte de), 232, 243 (et n. 2). Montgommery (Louis de), 232, 243. Montigny, 272, 713 (n. 5). Montigny de Bretagne (Mr de), 637. Montigny de Glarges, £85. Montluc (Blaise de), 30. Montmarnès (Pontius de Besque, Sr de), 344. Montmartin (Capitaine), 19, 20, 59 (n. 2), 61 (et n. 2), 62, 64 (et n. 4), 66, 67 (n. 5), 85, 137, 688, 702. Montmartijn, 64 (n. 4); v. Montmartin. Montmorency (Duc de), 264. Morel (Frédéric), 210. Moriau, 130. Morin (Anne), 359. Morin (Étienne), 351. Morin (Jean-Baptiste), 415, 419, 422, 500 (n. 2). Morin (Pierre), 227. Mornay (Philippe de), 133 (n. 4); v. Du Plessis-Mornay. Mortier (Pierre), 63 (n. 1). Morus (Alexandre), 351. Mory (de), 348. Mostart, 208. Moysan de Brieux (J.), 345. Moyzantius (Jacobus), 345; v. Moysan de Brieux. Mulqueau (Adam), 61 (n. 2). Muret (Marc-Antoine), 189, 190, 191 (n. 3). Mydorge (Claude), 378, 415, 422, 441, 459, 583, 636. Myrican (Nicolas), 473. Myrican (Thierry), 473. Nassau (Charlotte) ; v. Charlotte de. Nassau (Élisabeth) ; v. Élisabeth de. Nassau (Ernest-Casimir) ; v. Er- nest-Casimir de. Nassau (Fredeiic-Henri);v. Frédé- ric-Henri de. Nassau (Guillaume); v. Guillaume d'Orange. Nassau (Guillaume-Louis) ; v. Guillaume-Louis de. Nassau (Jean-Louis) ; v. Jean- Louis de. Nassau (Louis), 54 ; v. Louis de. Nassau (Maurice); v. Maurice de. Nassau-Siegen (Jean de), 106 (n. 6). Naudé (Gabriel), 403, 670. Nerée (Richard-Jean de), 373, 390. Néron, 232. Neuhusius (Henricus), 406. Neyen (Jean de), 111. Nicasius (Johannes), 373. Nicole, 524. Nicot, 393. Niebuhr, 213. Nieuwkerke, 222; v. Dubois. Nogaret (Louis de), 126; v. La Valette (Cardinal de). Noortich (Heere van), 216 (n. 1) ; v. Noord wijk et Douza (J.), fils. Nortwijck (Mr de), 164 ; v. Douza (Jean). Ockinga, 436. Ogier (Fiancois), 16, 84 (et n. 1), 126. Oldenbarnevelt, 35 (n. 1), 38, 112, 121, 136, 162,~208, 210, 238, 262, 264, 265, 283 (n. 3), 295, 305, 333, 371, -375, 390. ORANGÉTFréderic-Henrid'); v. Frédéric-Henri d' — et Nassau. INDEX DES NOMS PROPRES 739 Orange (Guillaume cl'); v. Guillaume d' — et Nassau. Orange (Maurice d'); v. Maurice (Prince) et Nassau. Orange (Philippe d'); v. Philippe d' Orléans (David d'), 27, 57 (n. 1), 99 (et n. 5), 103, 341, 373, 381. Orléans (Gaston d'), 624 ; v. Gaston d'. Orliens (David van), 99 (n. 5), 373 ; v. Orléans (David). Orlers, 83 (n. 1), 241 (n. 1). Oudart (Robert), 231. Oudin (César), 365. Oudin (Francois), 318 (n. 3). Oyseau (Suzanne), 301. Ovide, 362 (n. 3). Paau (Petrus), 184, 263. Palotti, 608, 619 ; v. Pollot (Alphonse de). Paquot, 160, 315 (n. 1). Pascal (Blaise), 28, 359, 362, 393, 394, 396, 404 (n. 1), 411, 415, 447, 462 (n. 1), 524, 622, 637-639 (et n. 1), 641, 684 (n. 3). Pascal (Étienne), 512. Pascal (Jacqueline), 637 (et n. 2). Passavant (Francois), 344 (n. 1). Patin (Guy), 221. Paul de Middelbourg, 456. Pauw (P.), 184, 263. Pecquius, 119. Pedro de Tolède (Don), 113. Péguy (Claude), 155. Peiresc ,108 (n. 1), 313 (n. 2), 342 (n. 3), 437 (et n. 2), 447, 449 (et n. 2), 480 (et n. 1). Périer, 639. Périer (Gilberte), 637 (et n. 2). Périer (Jérémie), 56 (n. 5). Perrotus (Nicolaus), 346 ; v. Perrot d'Ablancour. Perrot d'Ablancour (Nicolas), 346 (et n. 2). Person (Marthe), 494 (n. 5). Pescarengis (Cosme de), 163. Petit, conseiller du Roy, 530, 581. Petit (Francois), 227, 231. Petit (Samuel), 228, 349. Peudevyn (Jean), 349. Phêdre, 362 (n. 2). Philippe II, 27, 48, 143, 146, 147, 273, 713, 714. Philippe IV, 115. Philippe d'Orange, Comte de Buren, 117, 118 (et n. 1) 267, 273, 375. Philippe (Prince Palatin), 605, 625, 626 627. Picot (Abbé Claude), prieur de Rouvre, 404, 533, 534, 580, 581, 583, 587, 588 (et n. 3), 636, 641, 677. Picto (Renatus), 377 (et n. 1); v. Descartes (René). Pigot, 109. Pineau (André), 179 (et n. 6), 239 (n. 5), 291, 301, 304 (et n. 1, 7), 306, 308, 309, 310 (et n. 1, 2), 453, 466. Pinon (Jacques), 246. Piset, 61. Pithou (Pierre), 190, 203, 208. Pla (Adrien), 330. Platon, 147, 534. Plantin (Christophe), 200 (et n. 3). Plaute, 236, 237. Plemp, 468 ; v. Plempius. Plempius, 467, 468, 514, 537. Pline l'Ancien, 149, 463 (n. 2). Plisson, 130. Plouchard (Bernard), 372. Plutarque, 363. Poictiers (Jean de), dit Cadet, 372. Poil-Blancq (Samuel), 100 (n. 2). Poilblanc (Frédéric), 346. Poisson (Le P.), 395, 414. Poiret, 688. Polignac (Élie de), 346. Pollot (Alphonse de), 425, 514, 518, 520 (n. 4), 525, 543, 549, 575, 576, 585, 606, 607, 608, 609, 610, 611, 616, 617, 619, 654. Polyander van den Kerckhoven (Jean), 3, 141,179, 185 ; Livre II, Chap. VII : pp. 219, 222-223 ; 232, 241, 259, 295, 302, 304, 325, 345, 346, 353, 473, 689. Polyander (Jean), fils, 222, 223 ; v. Heenvliet (Sr de). Pomarède (Capitaine), 44, 52, 53, 54, 56 (n. 5), 58 (n. 1). | Pomponne (Marquis de), 129. 740 INDEX DES NOMS PROPRES Poncet (Charles de), Sr de Bréti- gny, 347. Pontanus (Jean Isaac), 523. pont-aubert, 38. Pont-Challandière, 121 ; v. Challandière. Pontius de Besque, Sr de Monmarnes, 344 ; v. Besque. Porlier, 669. Primerose, 538. Princesse de Condé, 119 (et n. 5); v. Condé. Priolo (Benjamin), 344. Pritolaus (Benjaminus), 344; v. Priolo (B.). Puget (Estienne), 21. Puteanus (Antoninus), 225. Putschius, 221. Pythagore, 399. Quesnel (Le P.), 688. Rabelais, 182, 240 (n. 6), 261, 387, 427. Racan (Honorat de Bueil, Sr de), 16, 95, 114 (et n. 5, 6). Racine (Jean), 185, 365. Raei (de), 657 (n. 3), 663 ; v. Raey. Raey (Jean de), 540, 657 (n. 3), 663, 664, 677 (n. 3). Rams^us (Jac), 177, 178 ; v. Ram- say. Ramsay (Jac), 177, 178. Ramus, 170. Raphael, 286. Raphalingius, 173, 200; v. Raphelengien. Raphelengien (Francois), 173, 200 (et n. 3), 207, 209, 210 (et n. 2), 211, 263. Raphelengien (Joost), 209. Raphelengius, 173, 263; v. Raphelengien. Raphelingius, 2Q0 (n. 3), 211 ; v. Raphelengien (Fr.). Rassard, 66. Ratleyf, 109. Ratloo (Alexandre), 154, 160. Rauschenbourgh (Maréchal de), 124. Raventein ; v. Van —. Rebersac, 129. Rebertus (Lazarus), 225. Reboul (Denis), 227, 237. Rebullus (Denis), 227. Regis (Capitaine), 121. Regius (Henri le Roy ou de Roy, dit), 9, 10, 405, 426, 512 (et n. 3), 518, 519 (et n. 6), 520 (et n. 4), 522, 524, 525, 527 (n. 1), Livre III Chap. XVI-XIX : pp. 535-573; 586 ; Chap. XXI : pp. 595-601 ; 608, 632, 633 (et n. 2), 634, 653. Regneri ab Oosterga (Cyprianus), 550 (et n. 2), 551. Reigneri (Henricus), 345 ; v. Reneri (Henri). Regnier (Henri), 448 ; v. Reneri (Henri). Reinekerus (Hermannus), 152. Rembrandt, 33 (n. 4), 254, 346, 464, 539 (n. 1). Rembrandtsz (Dirck), van Nierop, 475 (et n. 2), 592, 593, 683. Remondt (Guillaume), 373. Renaud (Daniël), 349 (n. 4). Renaud (Judith), 349 (et n. 4), 350. Reneri (Henricus ou Henri), 9, 10, 335, 341, 426, 434, 435, 446, 447 (et n. 1), 448, 449, 453 ; Livre III, Chap. X : pp. 472475, 484, 491 (et n. 1), 498, 507, 508, 509, 512 (n. 1), 518, 519, 520, 550, 601, 653. Renery (H), 518, 519 ; v. Reneri (H). Requesens (Don Louis de), 143. Rerac, 131. Reves (Jacques de), 189 (n. 3); Revius (Jac), 9, 189, 472 (n. 1), 474, 475 (et n. 3), 577 (n. 1), 653, 657, 658, 659, 663, 665 (et n. 1), 666 (et n. 4). Reyneri (H), 509 ; v. Reneri (H). Reyiers (Sybilla), 263 (n. 2). Rhosny (Sieur de), 55 ; v. Sully. Richardot (Président), 113. Richelieu (Cardinal de), 63 (n. 1), 330 (n. 3), 382 (n. 1), 426, 428, 506. Richier (Sébastien), 22. Ridder (C. de), 572. Rigault (Nicolas), 288, 312. Rivet (André), 8, 178, 179 (et n. 6), 228, 239 (n. 5), 241, 262, 291 ; 742 INDEX DES NOMS PROPRES Sarrau (Conseiller), 306, 307, 308, 318 (n. 3). Sarrocques, 121 ; v. Sarocques. Sarravia (Thomas), 169 (n. 1) ; v. Saravia. £arravius, 307 ; v. Sarrau. Sau (du) ; v. du —. Saucy, 62, (n. 1) ; v. Sancy. Saumaise (Bénigne), Sr de Tailly, Bouze et Saint-Loup, 310. Saumaise (Claude), 9, 10, 214, 221, 275,288, 291, 304, 305; Livre II, Chap. XIV : pp. 311-333, 338, 345, 346, 352, 353, 404, 426, 467, 473, 478 (et n. 3), 486, 492, 502, 505, 509 (et n. 1), 512, 523, 579, 584 (n. 1), 666, 670, 677, 681 (n. 2), 689. Saumaise (Madame Claude), 312, 320. Saurin, 310. Savornin, 97 (n. 3). Scala (La), 189 ; v. Scaliger. Scaliger (Joseph-Juste), 8, 9, 10, 53, 106 (et n. 4), 139, 173, 184 (n 4), 185 ; Livre II, Chap. VI : pp. 187-217 ; 219, 220, 221, 227, 228 (et n. 1), 230, 234, 236 (et n. 2, 5), 237 (et n. 3), 263, 275, 276, 283, 288, 289, 295, 298, 305, 311, 312, 313, 314, 315, 316, 317, 319, 320, 325, 332, 333, 343, 352, 353, 373, 390 (n. 4), 689 ; Notes complémentaires SUT le LlVRE II, 717. Scaliger (Jules-César), 187, 188, 189, 190, 193, 197 (et n. 1), 209, 210 (n. 2), 212, 213 (n. 2). Scaliger (Sylve), 190. Scanderus, 473. Scarron, 308. Scarron de Nandiné (Madame), 636. Scelandre (Johannes), 25 (et n. 1), v. Schelandre (Jean de). Schalander, 97 (et n. 2) ; v. Schelandre (Robert de). schalandiere, 121 J v. aUSSi ChAlandière. Schalandre, 97 (et n. 2); v. Schelandre (Robert de). Schaliger (J.), 216 (n. 1); v. Scaliger (J. J.). Scheiner (Le p.), 447, 480 (et n. 4). schelander, 57 (n. 1) J v. schelandre (Robert de). Schelandre (Anne de), 17 (n. 7). Schelandre (Charlotte de), 22. Schelandre (Francois de), Sr de Wuidebourg ou Wuidebourgs, ou Vuidebourse, 26 (n. 5), 125 (n. 4). Schelandre (Gobert de), Sr de Chaumont, 26 (n. 5). Schelandre (Hélène de), 22, 26 (n. 5). Schelandre (Jean de), 8 ; Livre I: pp. 15-137, 177 (n. 2), 222, 234, 258 (n. 2), 268, 270, 272 ; Pièces Justificatives I et II : pp. 693711. Schalandre (Jean de), Sr de la Cour et de Vuidebourse, 125 (n. 4). • Schelandre (Judith de), 125 ; v. Streff. Schelandre (Madeleïne de), 125 ; v. Chavenel (Richard de). Schelandre (Mademoiselle de), 36 (n. 3), 125, 126. Schelandre (Madame de), 125. Schelandre (Robert de), frère de Jean de —. Livre I : pp. 15- 137. Schelandre (Robert Thin de), le père, 22, 26. Schelandres, 98, 99; v. Schelandre (Robert de). Schelandres (Renée de), 126. Schelender (French, Frantz ou Franch), 26 (n. 5). Schelnders (Jehan Thin von), 26. Schioppius, 289 ; v. Scioppius. Schlandres, 54 (n. 6) ; v. Schelandre (Robert de). Schlandres ; v. Schelnders. Schluter (Henry), 677, 683 (et n. 2), 684. Schotanus, 336, 347. Schotanus (H), 436. Schotanus (M.), 436. Schotanus (d'Utrecht), 548. Schoock (Martin), 9, 553; v. Schoockius. Schoockius (Martinus), 9; Livre III; Chap. XVII : pp. 553556 ; Chap. XVIII : pp. 557-567 ; INDEX Dl S NOMS PROPRES 743 Chap. XIX : pp. 569-578 ; Chap. XXI : pp. 595-601 ; 658. Schooten (Frans), le père, 446. Schooten (Frans), le jeune, 369 (n. 1), 377, 532, 677 (n. 3), 678 (n. 2), 683, 684 (n. 3). Schouten (André), 147. Schrassert, 523 (n. 1), 524 (n. 1). Schuerman (Jean Godschalk), 536 (n. 4) ; v. Schurman. Schurman (Anne-Marie de), 437 (et n. 4), 517, 536 (et n. 4), 537, 539, 719. Schurman (Jean Godschalk de, a, ou van), 437 (et n. 4), 536 (n. 4). Schurmann, 437 (n. 4); v. Schurman. Schurmans (Mademoiselle de), 536, 539 ; v. Schurman (Anne-Marie de). Schurmans, 437 ; v. Schurmann. Scioppius, 189, 210, 289. Scudéry (Georges de), 276, 277, 285. Second (Jean), 144. Sedlinsky, 124. Séguier. (Chancelier), 584. Selandre, 25 (n. 1). Selidos (Capitaine), 59 (n. 2), 64 (n. 4), 96 (n. 1). Sénèque, 149, 176, 236, 237, 585, 622, 642. Sergeant (Johannes), 481 (et n. 4, 6). Sergeant (Thomas Jacobsen), 481 (et n. 6), 482. Seridos, 64 (n. 4); v. Ceridos, Celidos, Selidos. Serocques (Capitaine), 136 ; v. Sa- rocques. Servin, 205. Servien, 374, 661. Sévigné (Madame de), 285, 424. Shakespeare, 237, 365 (n. 1). Silve (Capitaine), 57 (n. 4), 62, 64, 67, 103, 105. Silvius, 537 ; v. Del Boe —. Simonsz (Reyer), 216 (et n. 1). Sint-Hilare, 96 (n. 1) ; v. Saint- Hilaire. Sjaerdema (Familie), 426, 436, 438 (et n. 1). Sjoeck (Nicolas), 438 (n. 4). Slandre, 54 (n. 6), 97 ; v. Schelandre (Robert de). Smedt ou Smet (Bonaventure de), 178, 192, 236, 275 ; v. Vulca- nius. Snellius, 236, 341 (n. 3), 432 (et n. 2), 476 (n. 4), 492 (n. 1). Socin, 559. Socrate, 384, 386, 467, 631, 651. Solms (Comte Georges de), 38,39,40. Somaize, 536. Sommelsdijck (Mr de), 313; v. Aerssen (Francois). Sommère (Mr de), 205. Sonoy, 162. Sophie (Princesse Palatine), 605 (et n. 1), 629. Sorberius, 349 ; v. Sorbière (Samuel). Sorbier (Henri), 350 ; v. Sorbière. Sorbière (Samuel), 228, 281, 331,, 337, 349 (et n. 3), 350, 448 (n. 3), 465 (et n. 1), 469, 528 (et n. 3), 530 (et n. 2, 3), 531, 532 (et n. 2), 581 (et n. 4), 582, 587 (et n. 1), 603, 604 (n. 4), 657 (n. 3), 666 (et n. 5). Sosius, 167. Soubyse (M' de), 110. Soucy (Francois de), Sr de Gerzan, 417 (n. 4). Soumazannes (Sr de), 125 (n. 4); v. Schelandre (Jean de). Soumazennes (Sr de), 98, 125 (n. 1), 709 (et n. 1) ; v. Schelandre (Jean de). Spangenberg, 160. Spanheim (Frédéric), 304, 337 (et n. 2), 351, 659 (et n. 1), 663. Spencer (Richard), 112, 118. Spinola, .58 (n. 2), 99, 105, 106, 110, 111, 113, 371, 376. Spinoza, 358, 619, 688, 689. Spucker (Adam), 587. Stampioen, 525, 609. Stasquin (Jean), 22. Statira, 536 ; v. Schurman (AnneMarie de). Steen (Jan), 185, 260. Steuartius, 665; v. Stuart (Adam). Stévin (Simon), 27, 275, 341, 342, 373, 381. INDEX DES NOMS PROPRES Streff de Lawenstein (Jean Lambert de), 125. Stuart (Adam), 331 (n. 2), 337, 338, 655, 657 (n. 3), 659, 663, «64, 665. Stuart (David), 331 (et n. 2), 661. Stuarts (Les), 125 (et n. 1). Sturm (Jean), 155, 156. Studler van Zureck ou van Zurich (Antoine), Sr de Berghe (Bergen), 586, 677; v. Van Surck. Sully, 33, 119. Surck; v. Van Surck. Taciturne, 172 ; v. Guillaume d'Orange. Taffin (Jean), 151 (n. 1), 222, Tailly (Sr de), 311 ; v. Saumaize (Bénigne). Tallemant des Réaux', 176 (n. 3), 271 (n. 3), 389 (n. 2), 533 (n. 3), 624, 625. Talmont ; v. La Trémoille (Claude de). Talon (Jacques), 126 (n. 4). Tanaquil-Faber, 353 (et n. 1); v. Tanneguy-Lefèvre. Tanneguy-Lefèvre, 353 (et n. 1). Tarente (Prince de), 299, 342, 343 ; v. La Trémoille. Taurin (Joseph), 225. Tayaert (Jacob), 146. Téligny ; v. La Noue. Téligny (Marguerite de), 30. Térence, 148. Tesselschade (Maria), 308 (et n. 3). Texton (Renatus), 230. Théophile de Viau, 119, 139, 141 (et n. 3), 219, 223, 232, 241 f Livre II, Chap. X et XI: pp. 243270, 279, 372, 404, 415, 416, 419, 447, 467, 689. Thin (Robert), 134 (n. 2) ; v. Schelandre. Thorius (Pierre), 372. , Thou (Jacques-Auguste de), Conseiller d'Emmery, 26, 106, 191, 198, 203, 205, 210, 237, 288. Thou (Gouverneur de), 55. Thouars (de); v. La Trémoille. Thuanus ; v. Thou (de). Thuméry, 264 ; v. Boissize (de). Thunic, 204 ; v. Tuning. Thysius (Fr.), 316, 333 (et n. 1). Thysius (Antoine), 338, 523. Tiara, 436. Tirion (Isaac), 79 (n. 3). Torci (Samuel de), 346. • Torsi (Pierre de), 340. Tossanus, 160 ; v. Toussain. Touchelaye (de), 533. Tournemeine (Catherine), 349 (n.4) Toussain (Daniël), 160. Trelcat (Luc), flls, 171. Trelcat (Luc), 8 ; Livre II, Chap. IV : pp. 170-171 ; 175, 179, 241, 353. Trémoille (Charlotte-Brabantine), Duchesse de la —, 296 ; V. Nassau. Tremolius (Fredericus) com. La- valli, 342; v. Tarente et La Trémoille. Trigland, 657 ; v. Triglandius. Triglandius, 336, 655, 656, 657, 658, 664. Tristan L'Hermite, Livre II, Chap. X : pp. 247-253, 279, 286, 387. Tronchin (Daniël), 230. Tronchin (Théodore), 231. Troncinus (D.), 230; v. Tronchin. Tuning (Gerijt), 173, 192, 193, 194, 195, 196, 197 (et n. 3), 204, 217, 219, 238. Turenne (Le Grand), 8, 17, 18, 126, 425, 562 ; v. La Tour d'Au- vergne. Turlupin, 290. Turnèbe, 189, 192. Turnebus, 192 ; v. Turnèbe. Turretin (Benoit), 231. Tuyninck, 216 (n. 1); v. Tuning. Tycho-Brahé, 523. Valcher, 506 ; v. Valckenburg. Valckenburg (Adrien), 506 (n. 2). Valkenstein (Comte de), 54. Vallaeus (Carolus), 372 ; v. Val- lée (Charles). Vallée (Charles), 372. Vallée des Barreaux (Jacques), 533 ; v. Des Barreaux. Valleran-Lecomte, 16, 253 (et n. 1), 349. TABLE DES PLANGHES1 t quittance de F.obert de schelandre pour son « hors de pag6s page ». (Bibliothèque Nationale, d Paris, Cabinet des titres).. 20-21 I a et b. Eedboek ou registre des serments prêtés par les capitaines au service des États. (Archives du Royaume d La Haye) 20-21 III. Formule du serment aux États. (Archives du Royaume d La Haye) 22 IV. La bataille de Nieuport en 1600. (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 44 V. La campagne de 1602. (Régiments francals : Béthune et Dommarville). (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 62 VI. Le siège de Grave en 1602. (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 64 VII. Le siège d'Ostende (1601-1604). (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 100 VIII. Le siège de Juliers en 1610. (Cabinet des Estampes d'Amsterdam) 124 IX a et b. L'Êcole du Mousquetaire et de l'Arquebusier. (Gravures de Jacques de Gheyn) 128-129 X aet 6. L'Ëcole du piquier. (Gravures de Jacques de Gheyn). 128-129 XI a et b. Le Modelle de la Stuartide. Dédlcace probablement autographe de Jean de Schelandre. (British Museum, Département des Manuscrits) 130 XII. Fin de la Dédicace signëe par Daniël d'Ancheres (anagramme de Jean de Schelandre). (British Museum) 132 XIII. fPage 140 de la Stuartide (d'après 1'exemplaire uniqué au British Muséum, aved une addition, probablement autographe, de Jean de Schelandre) 135 XIV. Titre dessiné pour l'exemplairb des Tableaux de Penitence de J. de Schelandre offert a Jacques I. (British Museum) 133 1. Elles sont mentionnées ici sommairement; on trouvera sous chaque planche une légende plus détaillée. 48 750 TABLE DES PLANCHES XV. l'église du béguinage Qü'occupa l'université de Leyde a sa fondation, de 1575 a 1581 149 XVI a. L'Université de Leyde après 1581 152-153 b. L'Amphithéatre d'anatomie fréquenté par Théophile et Descartes a l'Université de Leyde. (Gravures extraites da Meursius, Athenm Batavae, 1625) 152-153 XVII a. La Bibliothèque de l'Université de Leyde 152-153 b. Le Jardin des Plantes de l'Université de Leyde dirigé par de l'Escluse d'Arras. (D'après Me'jrsius, Athenae Batavae, 1625) 152-1E3 XVIII. Portrait de Lambert Daneau, théologien protestant francais, professeur a l'Université de Leyde (15811582) 1^6 XIX. Le grand juriste francais Doneau, professeur a l'Université de Leyde (1579-1587), d'après Meursius, Athenae Batavae • 160 XX. Francois du Jon (de Bourges), professeur de théologie a l'Université de Leyde (1592-1602), d'après Meursius, Athenae Batavae 172 XXI. Pierre du Moulin, professeur de philosophie a l'Université de Leyde (1593-1598), d'après Meursius, Athenae Batavae 176 XXII a. Charles de l'Escluse, professeur de botanique a l'Université de Leyde (1593-1609), d'après Meursius, Athenae Batavae 182 b. Autographe de de l'Escluse dans l'Album amicorum de Boot. (Bibliothèque de l'Université d'Utrecht) 182 XXIII. Portrait du célèbre philologue francais, Joseph Scaliger d'Agen, professeur a l'Université de Leyde (1593-1609). (Salie du « Sénat académique »J 213 XXIV a. Autographe inédit de J. Scaliger dans l'Album amicorum de Boot. (Manuscrit de la Bibliothèque de l'Université d' Utrecht) 216-217 b. Lettre de Joseph Scaliger a Douza. (British Museum) 216-217 XXV. Tombe de Joseph Scaliger dans l'Église Saint-Pierre a Leyde 216-217 XXVI. Portrait de Baudius (D. Le Baudier, de Lille) (16031613). (Université d'Amsterdam) 220 XXVII. Page de l'album de Boot remplie par un étudiant francais de l'Université de Leyde. (Manuscrit de la Bibliothèque d'Utrecht) 236 XXVIII. Feuillet de l'Album studiosorum de Leyde portant les noms de Balzac et de Théophile (8 ie ai 1615) 243 XXIX. ' Autographe inédit de Balzac, fans l'Album le Gronovius. (Bibliothèque Royale de La Haye) 291 754 TABLE DES MATIÈRES Chapitre III. — Un grand Juriste : Hugues Doneau (1579- 1587) 159 Chapitre IV. — Un groupe de Théologiens : Saravia, du Jon, du Moulin, Trelcat, Basting 169 Chapitre V. — Un fameux Botaniste artésien : Charles de l'Escluse (1593-1609) 181 Chapitre VI. — Le plus grand philologue du xvie siècle : Joseph Juste Scaliger (1593-1609) 187 Chapitre VII. ■— Dii minores : Baudius de Lille, Polyander de Metz 219 Chapitre VIII. — Étudiants francais a l'Université de Leyde de 1575 a 1615 225 Chapitre IX. — Vie et mceurs des étudiants francais 233 Chapitre X. — Balzac et Théophile (1615) ,... 243 Chapitre XI. — Deux devoirs d'écoliers : a) L'Ode de Théophile 267 b) Le Discours de. Balzac 270 Chapitre XII. — Balzac et Daniël Heinsius 275 Chapitre XIII. — Un grand Théologien orthodoxe : André Rivet (1620-1653)^ Chapitre X-ïv3-^"Du Ban et les origines du Cartésianisme a l'Université de Leyde Chapitre "XJP-— Étudiants francais a l'Université de Leyde de 1616 a 1648 341 Conclusion ' 353 LIVRE III LA PHILOSOPHIE INDÉPENDANTE rené descartes en hollande. Chapitre I. — Introduction 357 Chapitre II. — Enfance et adolescence (1606-1617) 359 Chapitre III. — Descartes volontaire au service des États. — La rencontre avec Beeckman 371 Chapitre IV. — Les années d'Allemagne (1619-1621). — L'in- vention merveilleuse du 10 novembre 1619 393 Chapitre V. — Voyages en France et en Italië (1622-1628) 411 Chapitre VI. — Descartes en.Hollande (1628-1649) 421 Chapitre VII. — Visite chez Beeckman a Dordrecht (8 octobre 1628) . — Inscription a l'Université de Franeker (16-26 avril 1629) 429 TABLE DES MATIÈRES 755 Chapitre VIII. — Séjour a Amsterdam (1629-1630). — Inscription a l'Université de Leyde (27 juin 1630). — Retour a Amsterdam. — Rupture avec Beeckman 445 Chapitre IX. — Suite du séjour a Amsterdam (hiver 1630-1631). 459 ChAPiTRE X. — Voyage en Danèmark (été 1631). — Continuation du voyage a Amsterdam (automne 1631 a mai 1632). — Séjour a Deventer (fln mai 1632 a fln novembre 1633). — Retour a Amsterdam (décembre 1633 au printemps 1635) 469 Chapitre XI. — Le roman de Descartes : Hélène Jans et sa fille Francine 4g3 Chapitre XII. — Séjour a Utrecht (1635). — Un ami de Descartes : Constantin Huygens. — Un domestique-disciple : Jean Gillot 40 ^ Chapitre XIII. — Séjour a Leyde (1636-1637); publication du Discours de la Méthode * 499 Chapitre XIV. — Séjour a Santpoort prés de Harlem (1638- 1639) 511 Chapitre XV. — Séjour a Harderwijk (1640), a Leyde (1640) et a . Endegeest (1641-1643) 523 Chapitre XVI. — Regius adversus Voetium • „>;•. 535 Chapitre XVII. — Descartes contre Voetius 547 Chapitre XVIII. — L'Epistola ad Voetium (1643) 557 Chapitre XIX. — Le procés de Descartes a Utrecht et a Gro- ninSue 569 Chapitre XX. — Voyage a Paris (1644); retour a Egmond 579 Chapitre XXI. — Suite des procés de Groningue et d'Utrecht (1645-1648) , 595 Chapitre XXII. — Un amour intellectuel : Descartes et la princesse Elisabeth (1642-1644) 603 Chapitre XXIII. — Un amour intellectuel: Descartes et la princesse Elisabeth (suite) (1644-1645) 615 Chapitre XXIV. — Correspondance avec 1'exilée (1646-1647). — Deuxième voyage de Descartes en France (1647) 629 Chapitre XXV. — Correspondance avec 1'exilée (suite) (1647- 1649). — Troisième voyage en France (1648) 641 Chapitre XXVI. — Descartes et l'Université de Leyde (1647- 1648) 653 Chapitre XXVII. — Départ pour la Suède (1« septembre 1649) — La mort (11 février 1650) 669 conclusion COn 756 TABLE DES MAT1ÈRES PIÈCES JUSTIFICATIVES I. — Ode pindarique sur le voyage fait par 1'armée des Estats de Hollande au païs de Liege Van 1602. Item sur la prise de Grave II. — Le procez d'Espagne contre Hollande plaidé dès Van 1600 après la bataille de Nieuport III. — Le Modelle de la Stuartide (Ms. du British Museum 16 E xxxiii) IV. — Discours politique sur l'estal des Provinces-Unies des Pays-Bas ; par J. L. D. B. (Jean-Louis de Balzac). A Leyde, chez Jan Maire, 1638 V. — Notes complémentaires sur Ie LIVRE II VI. — Notes complémentaires sur le LIVRE III Errata • Index onomastique des personnages antérieurs au xixe siècle.. Table des Planches '• Table des Matières -. • 1