9198 7* I LA PENSÉE DE DEUX HOMMES DTÊTAT RICHELIEU par M. HENRI HAUSER professeur a la Sorbonne vice-président de l'Alliance Francaise FRANCO IS d'AERSSENS par M. G. L. DE VRIES FEYENS président de l'Alliance Francaise d'Amsterdam Commémoration du traité d'alliance conclu Ie 8 février 1635 entre la France et les Provinces""-«ies des Pays-Bas présidée par Ie Jonkheer A. RÖELL g7 Commissaire de la Reine de la Hol- lande Septentrionale Discours du Président Jonkheer A. RÖELL Mesdames, Messieurs, C est ma qualité de Président de la Soclété Royale „Institut Colonial", qui me vaut l'honneur de présider a cette séance et je tiens tout d'abord a remercier bien chaudement Ie' Comité de rAlliance Francaise qui a bien voulu m'adresser cette invitation. Car c'est a elle que je dois la faveur qui m'écholt de saluer lei tous ceux qui sont venus en grand nombre pour assister 4 la commémoration du traité d'alllance, qui fut conclu i Paris II y a trois siècles. Ie 8 février 1635, entre la Franco et les Provinces-Unies des Pays-Bas. Et mes salutations de bienvenue s'adressent tout spécialement aux Invités du Comité, a Monsieur Ie Ministre de France et | insigne compagnie qui l'entoure et a Monsieur Hauser 1 éminent historiën, qui a bien voulu prêter son généreux concours a cette fête de l'entendement. Vous ne serez pas étonnés, Mesdames et Messieurs, que je me suis demandé quels rapports il pourrait y avoir entre lés questions coloniales, que notre Institut veut étudier et eclaircir et Ie traité qui fait l'objet de la conférence de cette apres-midi. Au premier abord ces rapports paraissent bien éloignés mals quiconque se rappelle, qu'au début du dix-septième siècle une controverse ou plutot une rivalité coloniale aurait pu envenlmer pour longtemps les relations entre nos deux pays, si Ie grand Rol, que fut Henri IV. n'eüt abandonné sur les protestations de nos commercants ses projets de fonder une Compagnie des Indes, qui aurait pu faire sérieuse concurrence a la nótre fondée en 1602, comprendra que c'est dans ce geste gracieux que je vols Ie point d'attache. quf expllque le plalsir avec lequel l'lnstitut Colonial vous a ouvert ses portes et l'empressement avec lequel son président vous souhaite la bienvenue. Un traité comme celui de 1635 ne se concoit d'ailleurs que dans une ambiance de sympathie et de compréhenslon réciproques et on peut dire que la généreuse idéé de Henrl IV n'était qu'un symptome du fond d'entendement, de l'échange d'idées dans le domaine scientifique et intellectuel, qui alors déja de longue date faisalt tressaillir des mêmes émotions et des mêmes joies l'ame de nos deux pays. Vous rappellerai-je, que notre grand compatriote Erasme, déja un siècle auparavant, se sentait heureux chaque föis qu'il mettait le pied sur le sol de la France et qu'll nous a lalssé une lettre, dans laquelle il fait le plus éloquent éloge a l'hospitalité des auberges francaises? Ou bien vous nommeral-Je le eélèbre Francais, Joseph Juste Scallger, qui quarante ans environ avant la date qui nous réunit aujourd'hui, en 1593, sur les instances de la Princesse d'Orange, d'origine francaise elle aussi, accepta une chaire a l'Université de Leyde, dont il fut une des gloires les plus illustres? „Je suis fort content du bon accueil qu'on m'a fait lei", écrit-ll, „si cela contenue, je n'ai pas de regret è la France". Je pourrai, pour souligner ma thèse, encore porter votre attention sur Grotius, le Hollandals de renommée mondiale, qui, réfugié en France, concut et acheva a Paris en 1624 dans la bibliothèque de De Thou et dans la maison hospitalière de son ami Henry de Mesmes son traité célèbre sur le drolt de la guerre et de la paix, ainsi que sur nos compatriotes Constantin et Christian Huygens, père et fils — Huyghens nous disons en hollandais mals je vous épargne les dlfficultés de la prononclation — dont le fils, physiclen de premier ordre, recherché par tous les princes de PEurope, fut appelé en France par Louis XIV et nommé un des premiers membres de l'Académie des Sciences et dont le père, diplomate, homme de lettres érudlt et secrétaire de trois princes d'Orange, fut l'ami du grand Francais René Descartes. Quant a celui-ci, Francais par drolt de naissance, Hollandais par droit de conquète, je n'al qu'a ajouter son nom illustre a ceux de ses contemporains que je viens de nommer, qu'a rappeler les années pendant lesquelles II a vécu parmi nous, habitant tantöt Amsterdam, Deventer, la Haye et Leyde, tantöt les délicieuses solitudes d'Endegeest et d'Egmond,' pour vous édlfler sur les sentiments de cordiale sympathie* qui, II y a trols cents ans, unlssalent nos deux pays et formaient la base solide, sur laquelle ie traité de 1635 put se conclure. Depuis, dans le domalne politique beaucoup s'est changé et ma pensée se reporte in volontaire ment a l'année 1672, qui inaugura une longue période au cours de laquelle, dans de mémorables rencontres, les armées de la France et de la République des Provinces-Unies donnèrent la mesure de leur mutuelle vaillance. Mals depuis ces temps mouvementés et a travers des fortunes diverses l'horizon s'est dégagé des moindres nuages, et nous voyons se manifester tous les Jours une sympathie plus ardente et plus vive entre les deux pays, basée sur une estime réciproque. Certes, il n'est pas une natlon qui ne soit par quelque cöté tributaire de la France, mais Je ne crols pas, qu'Jl y alt dans Ie monde beaucoup de pays oü sa pensée soit mleux accuelllie, oü le rayonnement de sa littérature soit plus manifeste, oü la grice de son esprit lumineux solt mleux appréciée que chez nous en Hollande. N'est-ce pas l'émlnent crltlque de nos jours, M. Albert Thibaudet, qui a dit que la route de Paris a Amsterdam etait la route de l'intelligence? Eh bien, Mesdames et Messieurs, permettez-moi en terminant, d'émettre le voeu que la Journée et la soirée du 9féyrler 1935 mettront en évidence la vérité de eet adage. Cest avec ce voeu bien sincère que je demande a M. Hauser de bien vouloir prendre la parole. Le Cardinal de Richelieu par M. HENRI HAUSER A peine les Provinces-Unies sont-elles nées que leur vle apparaft comme étroitement llée è celle de la France Les princes de Nassau, Gulllaume et Louis, sont des personnages de notre hlstolre comme de la vótre. Collgny vous appartlent de plus d'une manière. Son glorleux sang a passé dans les veines de la familie d'Orange. Nos jeunes gens, et pas seulement des huguenots, viennent apprendre l'art de la guerre sous le prince Maurlce. Des Francals professent ou s instruisent dans vos Universités, a Leyde, a Utrecht a Franeker. On a pu écrlre tout un llvre, un beau llvre' sur les „écrlvalns francais en Hollande au XVIIe siècle"' ft si nous passons a un autre ordre de choses, plus matérlelles, que de Francals avaient un compte a la jeune banque d'Amsterdam! Depuis Henrl IV, l'alliance est traditionnelle entre S.M Tres chrétienne et Nos Seigneurs les Etats-Généraux. U trêve de douze ans a été moyennée par la France. Et même, lorsqu après I attentat de Ravaillac, la politique de la France se rapproche de l'Espagne, les relations ne cessent pas. Elles vont reprendre avec Richelieu, surtout après qu'en 1626 il s est persuadé que l'entente est impossible avec l'Espagne Des lors va commencer son duel avec Olivarès. II connaft et apprécie les gens de ce pays. Rêvant de feire de la France une puissance marltime et commerciale, II les considère comme des maltres, ses mattres. Dans son discours aux Notables, en 1626, il dlsait déja: „MM. les Etats ne font «te a I Espagne que par le moyen des forces qu'ils ont sur c ?£ó ?'Jne SOnt érlgés en réPubl'que que par ce moyen". £n 1628,1 admiration se préc|se, en termes d'une rare vigueur „La subsistance et la rlchesse des Hollandals, qui a proprement parler ne sont qu'une poignée de gens rédults en un coin de la terre od il n'y a que de l'eau et des prairies, est un exemple et une preuve, qui ne recoit point de eontredit. de l'utilité du commerce". II veut, comme surtntendant du commerce et de la navlgatlon, feire concurrence au commerce hollando-zélandals. mals il ne craint point d'employer des Hollandais comme guides et conseillers des Compagnies qu il crée a l'instar des votres. Aussi a-t-ll toujours feit entrer dans le eerde de ses preoccupations l'alliance néerlandaise. Dès le 15 juin 1630, II signe avec les Etats un traité de subsides: il leur donnera pendant sept ans un mllllon de livres, et eux s'engagentk ne pas feire la paix, pendant ces sept ans, "sans l'avls de S.M.". Dès lors on peut dlre que la France feit la guerre a l'Espagne par personne interposée. A Richelieu, le parti dévot opoosera que ses alllés sont des hérétiques. Mate Ie cardinal sait se placer au dessus de ces reproches. „II n'y a pas, écrlra-t-il a ce sujet dans son Testament, de théologien au monde qui ne pulsse dire, sans aller contre les principes de la lumière naturelle, qu'ainsi que la nécessité oblige celui a qui on veut 6ter la vie de se servlr de quelque secours que ce pulsse être pour se garantlr, aussi un Prince a-*-ll Ie drolt de feire le même pour éviter la perte de son Etat." Et eed plus brutalement en 1635: „Nous ne pourrons être blamés des cagots du royaume." Sa conscience est donc tranquille. Et Louis XIII. tres catholique cependant, inquiet et Irrlté que ses ministres aient pu donner le collier de St. Mlchel a un hérétique, votre envoyé Knuyt, tou jours en route entre La Haye et Paris, Louis XIII, en 1632, n'en écrlt pas molns des Espagnols: „Je suis résolu de leur procurer de tous les cdtés le plus d'affaires que Je pourral". C'est que la crlse européenne atteint alors son point climatérique. Faisons, comme on dit en bngage moderne, un tour d'horizon. Gustave-Adolphe est mort a Lutzen, le 16 novembre 1632, peut-être a temps pour que ses projets de domination sur le Rhin ne viennent pas inquléter Richelieu. Heureusement. tandis que la France prenait a sa solde les troupes du meilleur lieutenant du héros suédois, Bernhard de Saxe-Weimar, Ie grand chancelier Oxenstjerna a su refalre, a Heilbronn, 1'unlon de toutes les forces alle man des host i les a la maison de Habsbourg. Richelieu a renoué l'alliance, lui cardinal de l'Eglise romaine, avec cette Ligue évangélique. II a profité de la folie équipée de Monsieur, frère du rol, de son mariage quasi-clandestin avec une princesse lorraine, pour saisir les routes stratégiques qui traversent ce pa/s, pour feire opérer par le Parlement de Metz des annexions de terres lorraines. Le duc, affolé, abdique; en janvier 1634, Nancy et Lunéville sont occupés par les troupes du rol. La Lorraine est annexée de feit et les troupes wel marien nes sont rellées aux bases francaise*. Aussi le travail diplomatique a-t-il repris d'une facon tres Intense entre Paris et La Haye. Le Mercure francais en 1634 a préparé Popi n ion en montrant, dans un discours „De Pintérét des Princes et Etats de la chrétlenté", la position des Suisses et des Provinces-Unies: „les deux bras d'Alle- magne Pun est entre les rochers et précipices, Pautre entre les mers et marées: Pun domine les Alpes, Pautre l'Océan La mer semble feite pour les Hollandais, et les Hollandais pour la mer" et ces deux républiques ne peuvent s'allier mieux qu'a la France, et contre l'Espagne. Pour riposter aux complaisances du gouvernement de Bruxelles envers le frère et la mère de Louis XIII, Richelieu a soutenu la conspiration des nobles beiges, affaire „importantissime" écrit-il lui-même. Mals, tant que l'Espagne n'a pas définltivement triomphé des conjurés, les négociations, entre La Haye et Bruxelles, s'orientent vers une trêve, qui serait la ruine des projets francais. Cette trêve se ferait si Bruxelles recevait pleins pouvoirs de Madrid, et si l'Espagne laissait aux Provinces-Unies leur conquête bréslllenne, Pernambouc. L'oplnion est divisée. Le calvinisme de Zélande, de Frise, de Groningue s'insurge contre Pidée d'une entente avec l'Espagne, les intéréts .financiers groupés autour de la Compagnie des Indes occidentales poussent a la continuation de la guerre, de même que le prince Frédéric-Henri, qui Went de prendre Maastricht. Avec lui son fidéle Knuyt. Mals les marchands d'Amsterdam, écrit Warfusée, „seront ravis de Joie que Pon leur laisse feire leur négoce en repos et gagner sur les changes sans se souder autrement de Pavenir". Leur porteparole est le grand pensionnalre de Hollande, Adrlaan Pauw. L'lnquiétude était grande a Paris. Empêcher a tout prix la trève, telle est dès lors la pensée constante du rol et de Richelieu. Louis XIII écrit: „Mon intention est d'entrer plutöC en rupture avec les Espagnols que de laisser faire la trêve", et le secrétaire d'Etat Bouthillier, interprète fidéle du cardinal, ajoute: „II ne faut point s'amuser davantage". Et cependant, en 1633 et 1634, les choses traïnèrent. Richelieu, pour une tiche aussi immédiate, trouvait insuffisant Pambassadeur ordinaire Baugy. II le doubla d'un négodateur de premier ordre, Hercule de Charnacé, celui-la même qui avait, naguère, déchaïné sur PAIIemagne la force suédolse. Sa tóche aïlait être facilitée par les feutes du gouvernement espagnol, qui traitait le chef des nobles beiges, le duc d'Aerschot, a peu prés comme Philippe II avait traité le comte d'Egmont. En décembre 1633, la trêve est morte, et Pon en revient a Pidée de Palliance, au moins défensive. Le 15 avril 1634, Charnacé signait un nouveau traité de subsides; les Etats s'engageant a ne pas conclure de trêve avant le Ier mai 1635, et les deux gouvernements promettant éventuellement de se concerter pour les négociations de paix — après quoi on lui offrit un somptueux banquet, lequel coöta 2.000 livres, et dura jusqu'a six heures du matin. Tant était grande la capacité de Pestomac de nos aïeux. Charnacé partit pour Fontainebleau, muni du prédeux papier, qui posait Phypothèse de la rupture. Louis XIII l'attendait avec impatience. Dès julllet 1633, n'avait-il pas écrit a Richelieu, en lui renvoyant une dépêche de Charnacé: „Les longueurs et les incertitudes de ces Messieurs la sont bien flcheuses"? Mals maintenant, c'étalt a Richelieu, aidé de Bouthillier et du P. Joseph, de se montrer drconspect. Ne nous en étonnons pas. II était, en son for Intérieur, décidé a la guerre, et il reconnaissalt que nos alliés se fatigueraient, c'est lui qui parle, „d'être tou jours seuls en danse"; „las de faire la guerre seuls, si nous n'étlons de la partie, lis feraient indubitablement la paix, auquel cas toutes les forees de la maison d'Autriche nous pourraient tomber Cardinal de Richelieu d'après un portrait de Philippe de Champagne. Les Maréchaux de Chatillon et de Brézé saluent le Prince d'Orange comme Généralissime des Troupes de France. • sur les bras". Mals il voulait y „aller a pas de plomb", et tacher de gagner en co re un an. Pourquoi? Paree que son admirable perspicacité lui permettait d'embrasser du regard Péchiquier europeen. II savait que, malgré les apparences, l'Espagne d'Olivarès restait redoutable, que son armée — I'avenir devalt le prouver — était encore l'une des premières du monde. II voulait donc compléter la préparation diplomatlque de l'entrée en guerre. Non moins admirable était son refus d'annexer les Pays-Bas espagnols ou même de les partager, paree que ce serait, pensait-il, les rejeter vers l'Espagne et nous brouiller avec la Hollande. Prévoyant les fautes futures, II écrivait ces paroles que Mazarin, de Lionne, Louis XIV et Louvois auraient bien fait de méditer: „II pourrait arriver bientöt après que n'y ayant point de barre entre nous et les Hollandais, nous entrerions en la même guerre en laquelle eux et les Espagnols sont maintenant". Donc „ne point entreprendre la guerre a dessein de conquérir la Flandre, mais créer une république" sauf quelques places de süreté pour chacun des deux contractants, et faire comprendre aux Etats „qu'ils gagneraient assez s'ils délivraient les Provinces de la sujétion d'Espagne et leur donnaient moyen de former un corps d'Etat libre, puissant et capable d'établir une bonne alliance avec eux". On sent id qu'il avait lu ce De j u r e belli et pacis publié en France en 1625 par un réfugié hollandais, et dédié a Louis XIII. Modération qui lui faisait le plus grand honneur. Elle répond par avance aux historiens qui, sur la tol d'un document apocryphe, le Testamentum en latin, ont voulu faire de Richelieu un Pichrochole assoiffé de conquêtes. Mals les évènements marchaient, et non point „a pas de plomb". Assurément, la position de l'Empereur s'affaiblissait. Le 25 février avait été assassiné Valdsteijn, l'énigmatique aventurier aux yeux de qui Richelieu avait un instant fait miroiter la couronne de Bohème. Mals si l'empereur a perdu son meilleur général, l'Espagne est partout en Allemagne, j'entends les redoutables t e r c I o s. C'est elle qui tlent tête aux Suédois. Elle leur enlève Ratisbonne, et leur inflige enfin, le 7 septembre 1634, une défaite qui pouvait sembler décisive, celle de Nordlingen. L'Unlon évangéllque s'écroule..Elle est ruinée si, après la Suède, une grande puissance n'entre pas dans la lutte. Les villes du Rhin, Spire, Mannheim, Trèves. celles d'Alsace, Col mar, Sélestat, implorent la protection de la France. Les Espagnols préparent une opération navale contre les cötes de Prove nee. Seul le slège de Bréda nous laissait quelque réplt et valait a Frédéric-Henri les félicltations du cardinal. On s'explique la solennlté avec laquelle, dans les Mémoires de Richelieu, s'ouvre le rédt de l'an 1635: „Après avolr longtemps lutté contre la guerre, a laquelle Pambitlon d'Espagne nous voulait obliger depuis quelques années, ou sa mauvaise volonté contre eet Etat, lequel, comme forte montagne qui resserre le cours d'un torrent impétueux, empêche que leur monarchie n'inonde toute l'Europe enfin cette année il nous est Impossible de reculer davantage". Depuis Vervins, la France, en somme, a presque toujours vécu avec l'Espagne en état de guerre couverte et défensive. La présence des Espagnols sur le Rhin, leur attaque victorieuse contre l'allié de la France, Pélecteur de Trèves, les Intrigues de Marle de Médicis et de Gaston a Bruxelles, précisent la menace. Richelieu a prévu ce moment, et, contre la colossale puissance espagnole, il se cherche des alliés, dans les Alpes, a Venise, en Savoie. II fait signer une trêve entre la Pologne et la Suède, empêche le Brandebourg et la Saxe de passer a l'Empereur. II n'était plus possible d'attendre. Les Hollandals envoyaient Knuyt a Paris „pour solliciter le Rol de rompre, ou qu'ils feraient la trêve", et Knuyt s'en retournait avec un nouveau projet de traité. En même temps, Richelieu, par un dernier trait de sagesse, tentait un nouvel effort sur l'Empereur pour amener les Espagnols a signer une paix générale, ou tout au moins pour rejeter sur eux la responsabilité de la guerre, „ce qui servlrait au roi de justification devant Dieu et devant les hommes de se garantir de cette haine si injuste, haine irréconclliable contre toute la France et contre tous ses alliés". On volt a quel point il se préoccupait d'avoir avec soi l'opinion européenne. Olivarès resta sourd a ces avances. Dès lors, les dés sont jetés. Le 17 janvier, Louis XIII écrlvalt au cardlnal: „Je vous prie que je sache demaln ce que les Hollandais auront fait". Demain, c'était trop de hate; il y fallut trols semaines. Le 8 février au solr Charnacé signe le traité de ligue offensive et défensive avec les Hollandais, pour prévenir, dit Richelieu, „les malheurs qui pouvaient arriver de l'injuste procédé des Espagnols". Le 9 Charnacé écrit: „Hier au soir l'affaire de Hollande fut termlnée, a deux ou trols choses pres". Rappelons, pour fixer les dates, qu'en ce même moment vivait a Amsterdam, au Westermarkt, un Francais dont la gloire deviendrait égale a celle des plus grands hommes d'Etat, René Descartes. Le 2 décembre de l'année suivante il slgnera, a Leyde, le contrat d'édition du Discours. Ce contrat n'est-il pas, dans l'ordre de Pesprit, la contrepartie du traité de la Haye? Mals revenons au 9 février 1635, il y a tout juste trols sledes. Richelieu peut malntenant ne plus trop s'émouvolr de voir les princes allemands signer avec Pempereur le traité de Prague du 30 mal. Car deux jours plus tot il a complété ie traité franco-hollandais, a Compiègne, par un nouveau traité franco-suédols. Le 11 juillet, Victor-Amédée traitera a Rivoli, en octobre Welmar a St. Germain. Richelieu a fini de tlsser son réseau diplomatique. Déja le 20 maf s'est livrée, précisément aux portes des Pays-Bas, la première bataille hispano-francaise, celle d'Avein. Cette vtctoire éphémère déclanchalt la grande guerre qui devait, treize ans plus tard, aboutir a la reconnaissance définitive des Provinces-Unies, céder PAIsace è la France, écarter de PEurope le danger d'une tyrannle. Le tableau oü Terborg a montré vos députés prêtant serment a Osnabrück, Padmirable rêve oü Rembrandt, dans Pesqulsse conservée a Rotterdam *), évoque les chevaliers du nouvel idéal et le lion néerlandais *) M. Schmidt Degener, le savant directeur du Musée d'Amsterdam, me dit qu'il feut lire l'inscription de ce tableau 1641,et non pas 1648. Ce na serait donc pas une célébration de la paix, mals de la guerre qui devait mener a cette paix libératrice. délivré de ses chaines, telle est la fin, sl du moins les choses flnlssent, de cette hlstoire inaugurée le 8 févier 1635. Plus heureuse aurait été la suite de cette hlstoire si ses artisans étaient restés plus fldèles a la clalrvoyante modératlon, 1 l'esprit de paix réaliste et vralment europeen du grand cardinal. d'après une gravure d'Houbrake. FRANCOIS D'AERSSENS par M. G. L. DE VRIES FEYENS Une importante délégation partait de la Haye au printemps de l'année 1598. Elle était dirigée par PAvocat de Hollande, Oldenbarneveld et Justin de Nassau, le fils iliégitime du Prince Guillaume d'Orange. Barneveld était alors Phomme tout puissant dans la république naissante et dirigeait avec sureté et intelligence les affaires du pays. Collaborateur du Tadturne dans sa Jeunesse, il avait continué sa politique, notamment celle de rapprochement vers la France. La déclaratlon de guerre d'Henri IV a Philippe II du 17 Janvier 1595 avait été un de ses succès diplomatiques. Cette guerre cependant ne fut pas heureuse, des bruits de paix et de négociatlons couraient au début de l'année 1598 et les Etats-Généraux déddèrent alors a déléguer Barneveld en France pour détourner Henrl IV d'une paix intempestive. Ses effortsont échoué: il est rentré a la Haye chargé de témoignages d'amitié et de promesses de subventlons, mais il n'a pu empêcher la conduslon de la paix de Vervins. Parml les jeunes secrétaires qui l'accompagnèrent se trouvait Frangois van Aerssen, Sgé alors de 26 ans. Les Etats-Généraux Pavaient désigné a succéder è leur représentant a Paris qui venait de mourir, mais a cause de son extréme Jeunesse il devait feire preuve d'habllité a cóté du premier magistrat de la République dans sa mission délicate. Nous assistons donc a un modeste début d'une grande carrière, car Aerssens, comme on disait en France, était destiné a monter aux sommets de la politique européenne et a être placé un jour par Richelieu parml „les trols génies sublimes en matière d'Etat" a cöté de Visconti et d'Oxenstjerna. Aerssens, quand II prit la succession de Lieven Calvaert, était déja Initié aux secrets de la politique européenne et II connaissait bien la France. Son père, greffier des Etats Généraux, se trouvait au centre de toutes les intrigues et lui-même venait de passer deux ans en France dans la maison hospitalière de Duplessls Mornay, Gouverneur de Saumur. Le vieux Huguenot estimait beaucoup son jeune corréligionnaire a qui il n'a cessé de donner des témoignages d'amitié et de considération. Les jugements favorables de Richelieu et de Mornay sur le diplomate hollandais contrastent assez vivement avec celui de la plupart de ses contemporains. Vixit sibi et domni Nassauviae utilis, écrit Grotius avec un sarcasme mordant et pour Louis Aubéry Francois d'Aerssens était „le plus dangereux esprit que les provinces confédérées aient Jamais porté et d'autant plus a craindre qu'il cachait toute ta malice et toute la fourbe des cours étrangères sous la fausse et trompeuse apparence de la franchise et de la sincérité hollandaise". D'Estrade le considère comme éloquent et persuasif et Abraham de Wicquefort, l'historiographe des ProvincesUnies, le place parml les plus grands ministres que celles-ci aient eus, mals il le diminue en le traitant d'habile négociateur et en négligeant l'homme d'état. j II entre dans tout cela beaucoup de jalousie et d' animosité politique: Aerssens a fait une tres brillante carrière: il a été le confident de deux Princes d'Orange, il s'est acquis l'estime, si non l'amltié, d'Henri IV, de Suil/ et de Richelieu, il a réunl une Immense fortune—dont peut-être il nefaut pas rechercher trop scrupuleusement les origlnes — enfin II avait des idéés trés nettes et trés arrêtées, le courage de dire ce qu'il pensait et l'habitude d'aller jusqu'au bout de sa pensée. Cette pensée qui domine toute sa vie se résumé en deux ! mots: abaissement des Habsbourgs. II avait réduit toutes les questions européennes — en Italië, en Savoie, en Piémont, en Valteline, en Allemagne, et dans les Pays-Bas, par terre et par mer, questions de frontières, commerciales, coloniales, religieuses — a une seule formule: usurpation espagnole; fontaine d'orgueil dans une vallée de misère, disait un diplomate du temps. Pour atteindre ce but il lui fallait deux choses: un gouvernement fort et concentré aux Provinces-Unies, sous l'autorité des Princes d'Orange, capable de conduire énergiquement la guerre et de soutenir l'opinion publique, et une collaboration étroite avec la France, si possible avec l'Angleterre. En affaires Intérieures il était monarchiste avant la lettre. De la le conflit avec Barneveld, républicain et partisan de l'indépendance des provinces. Et en Europe il recherchait la grande coalition contre l'usurpateur dont la France et les Provinces-Unies seraient le centre et la fbrce motrlce. La Grande Bretagne ne lui inspiralt pas une tres grande confiance: la reine Elisabeth avait déja commencé cette politique hésitante et fuyante que nous connaissons et qui rend toute collaboration difficile. Aerssens a été plusleurs fels en Angleterre, il s'y est heurté toujours aux influences espagnoles qui se tramaient autour de Jacques I et de Charles I. „Les affaires de la cour d'Angleterre prennent tout une autre route que celle que les gens de bien désirent autant que les ministres d'Espagne y font une incroyable consldération par la puissante créance qu'ils y ont," écrit-il en 1625 et quatorze ans après: „le roi d'Espagne peut trop en Cette cour et tous les plus puissants y sont de son cöté." Tous ses efforts se sont concentrés sur la France, il a vu venir de trés loin le conflit entre le roi Tres chrétien et S.M. Trés catholique, il a travaillé de toute son énergie aamener Henri IV d'abord, Richelieu ensuite a cette guerre qu'il savait inévitable. „Pluest a Dieu que nous puissions engager la France contre l'Espagne", écrit-il en 1606 a Barneveld. Henri IV réslstait comme Richelieu résistera plus tard, mais a une distan ce de vingt ans nous voyons Aerssens revenir a l'assaut avec la même assiduité et les mêmes arguments. Sa position a la cour d'Henri IV était difficile et délicate. La paix de Vervins manquait de sincérité, la guerre continuait, non pas ouvertement mais en sourdine. II avait pour mission d'entretenir chez le roi eet esprit anti-espagnol, de l'intéresser aux affaires des Pays-Bas, de lui rappeler le plus souvent possible ses promesses de subventions — qui étaient payées assez irrégulièrement, — d'obtenir l'autorisation de recruter en France des soldats pour les armées de la République, de le pousser a la guerre ouverte. Dans ce cas Aerssens avait plein pouvoir d'offrir les subsides que Barneveld avait tenus en portefeuille. Dans ses longues conversations avec le roi et ses conseillers il ne se lasse pas d'exposer la situation précaire de son pays, le manque de finances, la guerre sur terre et sur mer payée par la terre seulement, l'épuisement de la population, les velléités de paix, la nécessité d'un secours efficace et immédiat. Le roi voulait éviter la rupture tout en aidant et en encourageant les républicains du Nord. II défend a ses sujets de prendre service dans leurs armées, mais il n'applique pas fes peines dont il les menace. Quand Aerssens annonce l'envoi de subventions il mande aux Etats d'être „plutot ingrats par silenes que vains en exaltation". Cette politique a doublé face, „ce masqué que le roi met a son affection" lui déplaft; dans sa correspondance avec Valcken il se plaint constamment „des incertitudes de cette cour". Pour décider le roi a une attitude plus énergique il veut que les Etats fassent semblant d'entrer en négodation avec l'Espagnol, on pourra rompre sur mille inddents, „messieurs les Etats sont trés propres a ce jeu"; il conseille de ne pas être difficile a céder des placesa conquérir le long de la cète de Flandre, le roi alors serait „obligé a la défense du dépot et tellement enclavé par son intérêt dans notre conservation que l'Espagnol ne le saurait plus supporter"; avec un opportunisme un peu déconcertant il voudrait même offrir a Henri IV la souveraineté de ces provinces. Cela serait la rupture sure et assurée. Aerssens voyait trés bien que la position du roi était aussi difficile que la sienne, il s'est opposé a la conclusion de la trève de douze ans pour des raisons de politique intérieure, paree que les demies mesures ne cadraient pas avec son tempérament, mais surtout paree qu'il n'étaft pas sur de l'attitude de la France au moment d'une reprise des hostilités. Avec un pressentiment trés net de ce qui va se passer il écrit: „Le roi peut mourir et en eet état nous ne devons chercher aucun appui que dans son affection. Aprés lui il n'y a rien d'assuré: l'héritier sera jeune; il est nourri parml les partisans de Rome; la religion nous fera haïr; la mémoire de nos services se perdra, ceux que nous pourrons encore rendre se négligeront; et avec le changement de Roy, croyez har- diment que tout le consell se changera." II a vu juste. Après l'attentat de Ravaillac le vide se faisait autour de celui qui avait été honoré de l'amitié du feu roi et qui se promenait a la cour de Marie de Médids comme le symbole vivant d'une politique abandonnée. C'est sur les instances de la reine qu'en 1613 il rentra a la Haye après un séjour en France de 15 ans, II ne put reprendre son oeuvre de rapprochement qu'après l'avènement de Richelieu et c'est en 1625 que se place son deuxième grand effort. Une mission alors s'lmposait d'une part mais elle était inopportune a la fbis. L'arrivée au pouvoir du Cardinal coTndde a peu prés avec celui de Charles I en Grande-Bretagne et les Etats profitèrent de cette occasion pour complimenter le roi et pour tacher de donner a la politique de son pays une orientation plus favorable a leur cause. Aerssens était de nouveau le chef de cette ambassade: il est rentré avec un traité offensif et défensif et la promesse du roi d'envoyer des ambassadeurs en France pour inviter Louis XIII d'adhérer a cette alliance. Aerssens était désigné pour soutenir eet effort. Le moment cependant était mal choisi pour induire Richelieu a une guerre étrangère. Sa position n'était nullement assurée, il avait contre lui tous les intéressés du régime qui s'éteignalt, et on était en pleine insurrection de Soubise. A part cela les Etats-Généraux avaientcompromis leur affaire en chargeant Aerssens d'expllquer au roi et a son ministre la révocation de la flotte sous l'Amiral d'Haultain qu'ils avaient envoyée en France contre les Rochelais, au grand mécontement des pasteurs calvinistes en Hollande. Les ouvertures pour la conclusion d'un traité d'alliance ne pouvaient trouver un accueil favorable aussi longtemps que le roi était en guerre avec ses sujets protestants. Aerssens Ie comprenait pleinement et il a déployé une prodigieuse activité pour amener la paix et è mettre d'accord les deux parties, ce qui a réussi, grSce aussi a l'intervention des ambassadeurs de Charles I. Mais, cette paix condue, Richelieu n'était pas encore acquis a l'idée d'une rupture avec l'Espagne. Sa position paraissait Insuffisamment consolidée, il avait trop d'affaires sur le bras pour se risquer dans une pareille entreprise. Aerssens est rentré les mains vides, mais il nous reste de cette ambassade deux mémoires de sa main, présentés au Cardinal et formant un véritable tour d'horizon dans lequel il donne toute la mesure de son Intelligence et de ses vues politiques. Le roi d'Espagne, explique-t-il, a levé le masqué et va a grands pas vers la monarchie ayant quasi partout donné de solides fondements a son ambition qui doit être suspecte a tous les rois et potentats de l'Europe. II a, sous prétexte de secourir l'Empereur, chassé l'Electeur Paiatin du trêne de Bohème et dépossédé de ses états héréditaires, il a brisé i'union des Princes Protestants, fondée par le feu roi qui devait servir a contre-balancer la puissance de la maison d'Autriche dans PEmpire, il a renversé les Princes et grandes villes libres de PEmpire, ruiné le pays, placé de fortes garnisons, il est maltre des rivières. Collaborant étroitement avec l'Empereur il aspire a changer Pordre de PEmpire, a le rendre d'électif héréditaire moyennant de quoi il y trouvera un vaste réservoir d'hommes et d'argent pour la réalisation de ses desseins. II a fait révolter les Valtelins contre les Grlsons s'accaparant ainsi d'un passage qui lui permet de joindre tous ses états et d'aller librement depuis les Pays-Bas jusqu'a la mer d'ltalie. II se niche de cè et de la du Piémont pour s'y feire plus pulssant ayant quasi tous les princes d'ltalie sous sa dépendance de pension, d'obligation ou de nécessité qui pourrait le seconder a devenir roi d'ltalie. Au Nord il cherche a gagner quelque port de mer afin de pouvoir agir sur mer aussi et d'enfermer la France et PAngleterre dans le eerde de sa domination. Pour mettre le frein a cette ambition démesurée, Aerssens cherche les traités, les coalitions de tous les peuples bien intentionnés sous Pégide de la France. De son ardente imaglnation il volt les armées opérant partout en Europe, II mobilise le Danemark, la Suède, les flottes du rol d'Angleterre, les potentats d'Alger et de Tunis, il monte une coalition italienne pour attaquer le Milan et chasser les Espagnols de l'ltalie. De ce grand mouvement europeen la France dolt prendre la direction. C'est la politique que Richelieu va pratiquer au courant des années. „Quelle gloire plus grande, s'écrie-t-il, scaurait arriver a un roi trés chrétien que de voir a une seule fois en sa cour les ambassadeurs de la Grande Bretagne, de Danemark, des Provinces-Unies d'un cöté, de Savoye et de Venise d'autre cöté, conjurant tous S.M. d'aider a redresser les affaires générales de la Chrétienté sur les usurpations du roi d'Espagne." En 1625 le moment n'était pas venu. II fallait attendre encore dix ans pendant lesquels Aerssens n'a cessé de s'adresser a Richelieu pour l'induire a la guerre. Les causes de brouille entre les Provinces-Unies et la France n'ont pas manqué pendant cette période. Aerssens a travaillé a les aplanir: quand éciata la guerre entre Louis XIII et Charles I, II s'est rendu une deuxième fois en France: la République se trouvait alors entre l'enclume et le marteau, liée des deux cötés, il a réussi a faire accepter par Richelieu la neutralité de son pays dans ce conflit inopportun. Sa correspondance pendant ces années est volumineuse et persuasive, elle s'inspire de cette idéé: la guerre ouverte, il y revient sans cesse. En avril 1634 il rend hommage au Cardinal a cause de ses succes en Italië et en Lorraine et il ajoute: „pour toutefois asseurer vos conquestes et vostre repos, il n'y a qu'a se résoudre a une guerre ouverte" et au Prince d'Orange: „II faut tascher a tout prix de bond et de volée de jetter le roi en plus évidente démonstration de haine contre le roi d'Espagne sans nous tenir a aucune condition sur la conduite de la guerre ny sur le partage de la conqueste." C'est ici que nous nous rendons compte de la différence de tempérament des deux hommes d'état. Aerssens était un esprit radical: ce qu'il voulait, il le voulait fortement sans se soucier beaucoup des conséquences. Richelieu, au contraire, était la prudence même: en songeant a la guerre il voyait avant tout la paix et il craignait cette paix qui, après une conquête des Pays-Bas espagnols, pourrait devenir une cause de conflit entre les alliés. De ia Pévolution lente de sa pensée, ses hésitations, son effort de créer entre la France et la République un état indépendant. Le traité d'alliance de 1635 a été le grand succès dans la vie de Francois d'Aerssens, le couronnement de toute son activité pendant 40 ans. Ceux qui le lui reprochent — et il y en a beaucoup — ne se rendent pas compte de la situation du pays. Des pourparlers de paix ou de trève entre les délégués des Etats-Généraux des Pays-Bas du Sud et Frédéric Henri, commencés devant Maastricht avaient échoué. Richelieu était intervenu par la voix d'Hercule de Charnacé mais on exagère cette influence francaise et „sa pluie d'or", en la rendant seule responsable de la rupture. Les parties n'étaient pas d'accord sur le fond de la question qui les tenait divisées. Philippe IV ne voulait pas de la paix, ou a des conditions qui n'étaient même pas acceptables aux nombreux et puissants trévistes. L'lnfante Isabelle était morte, avec elle s'éteignit le semblant d'indépendance dont avaient joui les provinces du midi, elles rentraient entièrement dans l'orbite de la domination espagnole, le revirement d'énergie s'annoncait avec l'arrivée du Cardinal-lnfant auréolé d'une gloire militaire acquise a Nordlingen, grave échec pour la liberté européenne. Les Pays-Bas avaient tenu pendant bientót soixante-dix ans, dans une grande partie de la population l'énergie fléchissait, pour des raisons souvent matérielles, souvent aussi morales, un renforcement était nécessaire pour faire accepter a tous ce dernier effort qui conduira a la paix glorieuse et définitive. Aerssens l'écrit a son homme de confiance a Paris Hoeufft: „pour faire perdre a plusieurs de nous le désir du repos il est nécessaire de leur ouvrir Pespoir de la fin de la guerre par la conjonction de la France sans quoi, croyez-moi, ils ne cesseront jamais de toujours porter et forcer les affaires et les volontés a quelque accommodement avec l'Espagne."