>566 L'INUTILITÉ ET LES DANGERS DE 1'Annexion dn Congo PAR Aug. LAMBIOTTE SÉNATEUR prix : 2s centimes 's-gravbnhage, martinus nijhoff. 1907 F 32 BIBLIOTHEEK DER RIJKSUNIVERSITEIT TE LEIDEN. Uit de boekverzameling der voormalige Ned.-Ind. Bestuursacademie. Bruikleen van het Departement van Koloniën. Juli 1923. LTNÜTILITÉ ET LES DANGERS I'Annexion du Conyo par AUG. LAMBIOTTE SÉNATEUR BRUXELLES Imprimerie du Progrès — V. FERON Run Verboekhaven, 61 1907 L'INUTILITÉ ET LES DANGERS DE L'ANNEXION DU CONGO Je vais refaire, en la complétant et en la précisant, la démonstration, que j'ai déja exposée dans mes conférences de Bruxelles, de Liége et de Gembloux, de 1'inutilité etdesdangers de 1'annexion du Congo (1). La tache n'est pas bien difficile, car tout ce que je prévoyais en 1886, 1887 et 1888, ce que j'annonpais a la Chambre en 1893, ce que nous répétions, avec Lorand et Hanrez, en 1896, touchant les conséquences inévitables de la politique coloniale pour notre pays, s'est plus que réalisé dans les événements. Nous avons été de sürs prophètes. C'est un devoir élémentaire pour moi, dans les circonstances graves oü nous nous trouvons, de le rappeler. Cela doit déterminer nos concitoyens impartiaux et désintéressés a lire ce que nous écrivons aujourd'hui et les inciter a se demander si, comme depuis vingt ans, nous n'avons pas, cette fois encore, absolument raison contre tous les courtisans. Dans mon exposé, je ne me préoccuperai pas de ce qui s'est passé et de ce qui se passé encore au Congo. D'autres se chargeront de cette tache et pos- (1) Cette étude a paru dans les nos du Ralliement du 18 septembre et suivants. sèdent, sur ce cöté spécial du sujet, des connaissances que je n'ai point. Ma démonstration sera extrinséque. Mes arguments seront pris en deliors du Congo, dans les statistiques de la Belgique et des principaux pays européens. La reprise du Congo sera, dit-on, une trés bónne affaire pour la Belgique. C'est en liomme d'affaires que je 1'examinerai. ★ * * Dans beaucoup de journaux on a écrit que tout le monde, en Belgique, considère la reprise du Congo comme inévitable et nécessaire. Pour eux, ce serait commettre une lourde faute et même une lacheté que de rejeter 1'annexion. Les raisons de cette opinion sont au nombre de quatre. Le Congo doit devenir une colonie beige paree que: 1° Ce sont surtout des Beiges, le roi et des capitaux beiges qui 1'ont créé; 2° Dans 1'esprit du roi, le Congo a toujours été destiné a devenir une colonie beige; 3° C'est grace au Congo, a la politique « d'expansion mondiale » que 1'esprit d'entreprise s'est éveillé dans notre pays et c'est la raison principale du développement prodigieux de notre commerce et de notre industrie; 4° Enfin, paree que le Congo est un pays riche qui se suflïra a lui-même et assurera un débouché important a nos industries et des ressources au trésor beige. Non seulement il ne coütera rien a la Belgique, mais il lui versera, cliaque année, de fortes subven- tions. Examinons ces quatre arguments. Les deux premiers ne nous arrêteront pas. Au point de vue de la décision a prendre, peu importe, en elfet, de savoir par qui et comment le Congo a été créé et organisé et quelles ont été, jadis, les pensées du roi a ce sujet. Ge sont la des raisons de sentiment, de nulle valeur dans une question aussi grave. Le roi s'est engagé dans 1'entreprise du Congo sans consulter le pays, ne lui demandant d'intervenir que lorsqu'il était dans 1'embarras et nous n'avons aucun compte a tenir de ses fantaisies. Mais nous examinerons attentivement 1'affirmation que 1'espritd'initiative, en Belgique, a étééveillé— ou réveille — par le Congo. Si, réellement, le Congo a été une cause primordiale de la prospérité de notre pays, si elle a pris, tout a coup, un développement remarquable et extraordinaire depuis que le roi et certains de nos compatriotes s'occupent du Congo; si nos éclianges avec le Congo constituent un facteur important de notre commerce; si, en un mot, notre avenir parait en dépendre, il se coneoit qu'il faille y réfléchir a deux fois avant de rejeter 1'idée d'annexion. Pourtant, si tout cela est vrai, on doit en trouver la preuve certaine et indiscutable dans les statistiques. Commexit se fait-il qu'on ne la fournisse pas ? Les grands faits économiques ont leur répercussion sur le commerce et 1'industrie et, après quelques années, les statistiques permettent d'apprécier sans erreur possible leur effet et de juger s'il a été bienfaisant ou nuisible et dans quelle mesure. Dernièrement, a la Chambre, M. Vandervelde a déclaré que 1'heureuse intluence du Congo sur la Belgique n'était pas niable; sans Ie Congo, « nous cuirions dans notre jus », a-t-il dit. J'ai été trés surpris de cette affirmation. Je croyais que M. Vandervelde n'acceptait pas sans examen les idéés et les phrases des autres, je le considérais comme un esprit politique sérieux, n'avangant rien sans controle préalable. Me suis-je trompé ? II le semble pour cette matiére spéciale tout au moins. En matiére coloniale, M. Vandervelde a la foi : il croit et il répète ce qu'il lit et entend. Dans tous les cas, je le mets au défi de produire des chiffres ou des faits justifiant son dire. La prospérité de la Belgique est antérieure a 1'entreprise congolaise et rien dans le développement continu Jhtw&iwmmerce et de son industrie ne révèle l'influence (kt Congo. La prospérité de la Belgique est surtout due a 1'activité, a 1'économie, a 1'intelligence, a 1'esprit d'entreprise, a la hardiesse de ses ouvriers, de ses commerfants, de ses industriels, aux découvertes de ses savants, a sa législation commerciale relativement libérale depuis prés de cinquante ans. Tout le monde le sait: Finalement, toutes les^transaetions liumaines se résument en un échange de produits. Le développement industriel et commercial est donc surtout assuré par la possibilité de produire au meilleur compte et le mieux possible les articles qui sont désirés par d'autres, afin de pouvoir les échanger aisément contre ceux qu'on désire soi-même. Dans quelle mesure le Congo nous intéresse-t-il a ce point de vue? Nous le verrons tantöt. La Belgique était extraordinairement prospère avant qu'il ne soit question du Congo. Voici ce que 1'illustre géographe Elisée Reclus écrivait, en 1878, alors que, comrne le faisait justement remarquer M. G. Lorand, « le Congo en était eneore a la période des conférences scientifiques et des rêyes humanitaires, et que son commerce comptait pour 0 p. c. dans nos relations commerciales » : " La Belgique, trés riche, dit-il, est 1'un des plus petits Etats de 1'Europe et, comrae puissance indépendante, 11'existe mêrae pas depuis un demi-siècle. Son domaine n'est que la quatre mille cinq cenlième partie des terres émergées. Mais, quoique si pauvre en étendue territoriale, elle se distingue par des traits particuliers et, même, a certains égards, elle est au premier rang. " Trés riche par elle-même, elle est devenue par excellence une contrée de passage pour les hommes, de transit pour les marchandises : mille région de 1'Europe occidentale n'a en proportion de son élendue une égale importance comme intermédiaire de commerce. " La Belgique es\, pour ainsi dire, un vaste carrefour; la population s'y est groupée en beaucoup plus grand nombre pour une même surface que dans la plupart des pays du monde : aucun des états d'Europe n'a plus d'habitants par kilomètre Carré; en beaucoup de districts ruraux, les hommes y sont plus pressés qu'ils ne le sont, par exemple en Russie, dans certaines circonscriptions urbaines portant le nom de villes. « Les richesses du sous-sol, en même temps que les facilités des éclianges, ont aidé cette population si nombreuse a trouver sa subsistance dans 1'espaee étroit qu'elle occupe. « Par certaines industries manufacturières, aussi bien que par son commerce extérieur, la Belgique est, relativement au nombre de ses habitants, le premier pays de 1'Europe. A eet égard, elle est supérieure même a 1'Angleterre. » •< Gonsidérée dans son ensemble, la Belgique est la contrée d'Europe la plus productive, a égalité de surface : toutes proportions gardées, c'est la que 1'agriculteur fait naitre de la terre les produits en plus grande abondance, c'est la qu'il a le mieux su changer en campagnes d'une extréme fécondité, des terroirs naturellement infertiles. « Quand on veut citer un pays fertile, on parle des campagnes plantureuses des Flandres, le travail de 1'homme ayant suppléé a ce que n'avait pas la terre, ayant fécondé par les engrais et les amendements un sol maigre et sablonneux. « Nulle part on ne rencontre en un tenant une pareille étendue de terrain représentant un capital aussi énorme, car c'est au moins a 15 milliards de francs qu'il faut évaluer la somme que représenlent les cultures de la Belgique. « ... La Belgique, le plus riche pays de 1'Europe par 1'étendue de ses terres labourables, occupe aussi le premier rang pour la culture des céréales et des autres farineux. Les planles industrielles, betteraves, lin, colza, tabac, pour lesquelles la Belgique est aussi la première en Europe, prennent, il est vrai, une importance croissante, mais sans faire tort a la production des céréales, grace a 1'accroissement de produits que donne la culture. « La Belgique est avec la Hollande sa voisine, la terre promise de 1'liorticulture et du jardinage de luxe. « En aucun pays d'Europe, les jardins maraichers n'occupent une étendue relative aussi considérable, soit d'un quarantième environ; en outre, de vastes campagnes, classées parmi les terres labourables, pourraient être mises au nombre des jardins a cause de leur mode de culture et de leur production... « Un seul horticulteur a dans ses serres douze cents espèces d orchidées, mais, pour les obtenir, il a dü voyager pendant plusieurs années dans les diverses contrées' de 1'Amérique tropicale, entretenir dans les régions d'outre-mer un grand nombre de botanistes explorateurs, dont les recherches ont été des plus utiles a la science. Les jardiniers beiges 11 exportent pas seulement des fleurs en Angleterre, en Trance, en Allemagne, en Russie, dans tous les pays d'Europe, ils en expédient aussi dans le Nouveau-Monde, aux contrées mêmes d'oü sont venues les plantes originaires. " L'industrie de la Belgique est, comme son agriculture, une des plus actives de 1'Europe; quelques-uns de ses districts sont couverts do villes et de villages formant d'interminafoles agglomérations d'usines. C'est que le pays a non seulement les traditions du travail, les procédés industriels légués par le passé, une position centrale et des voies de communication pour 1'expédition des produits, il possède aussi en quantité les mines de houille, aliment principal des fabriques modernes... Ces richesses souterraines placent la Belgique au cinquième rang parmi les pays producteurs de la houille. » , Ce que disent les statistiques. Si l'influence du Congo a été aussi considérable que certains le prétendent, on en trouvera la preuve dans les statistiques de notre commerce. Nous constaterons, depuis 1880, — année de début du Congo, — des soubresauts dans les chiffres comme ceux de 1860 a 1880, après la conclusion des traittés de commerce de 1861. Le commerce spécial de la Belgique, a 1'importation et a 1'exportation, s'est élevé en : Augmentatiou 1831 a 176 millions eu p. c. 1840 a 345 — 1850 a 500 — r9 ai 1 1860 a 985 — '° j 1870 a 1,610 — 80 °/„ \ 1880 a 2,897 7,4 °/0 J Congo oq o/ 1890 a 3,109 — '° ) 1900 a 4,137 — 1904 a 4,965 — 1905 a 5,402 — 1906 a 6,247 — Oü remarque-t-on l'influence du Congo? Et y a-t-il lieu, pour nous, de rechercher des colonies en présence d'une telle prospérité régulière, obtmue sans colonie et simplement en laissant agir le progrès et en n'entravant pas trop les relations commerciales par des tarifs protecteurs ou par d'autres mesures « protectionnistes »? Décomposoris les chiffres des dernières années et comparons 1'importance relative du commerce spécial Üe la Belgique avec 1'Angleterre, la France, 1 Allemagne (Zollverein) et les Pays-Bas, a celle de son commerce spécial total et a celle de son commerce spécial avec le Congo. Cette comparaison s'impose, car il est des « congolatr.es » qui n'hésiteraient pas a nous exposer a une brouille sérieuse avec 1'une de ces 4 puissances, sous prétexte que 1'lionneur de notre pays nous fait un devoir de rejeter toute critique formulée, par un étranger, contre les procédés d'exploitation et de gouvernement de 1'Etat indépendant du Congo. L'honneur de notre pays n'est nullement engagé dans les abus révélés par la commission d'enquête : nous ne sommes en rien responsables des actes blamables commis au Gongo, soit sur 1'ordre direct des dirigeants de eet Etat, soit simplement pai' le zèle excessif de certains agents subalternes voulant satisfaire 1'apreté au gain de leurs mandants. Les Beiges honnêtes avaiént pour devoir de blamer ces abus et ils n'y ont pas manqué. II est inouï de vouloir les exposer de ce chef a un désagrément quelconque. Mais Ia politique coloniale a souvent des conséquences dangereuses et absurdes. Année 1004 Année 1905 Année 1906 Commerce spécial total de la Belgique (en mil- lions de francs). . . 4,965 5,402 6,247 Commerce spécial total de la Belgique avec : L'Angleterre. . . 727) 7431 955) la France . . . . 81l(„ 889(„ 1,152(„ 7,_ 1'Allemagne . . . 856f,JtJ4 979f'1^,:) l,107f''4' les Pays-Bas. . . 5101 515) 5331 Pour cent du commerce spécial total .... 60 °/° 58 °/0 60 °/0 Commerce spécial de la Belgique avec le Congo (en millions de fr.). 67 61 87 Pour cent du commerce spécial total. . . . 1,3 9/0 1,13 °/0 1,3 0/o A M. Vandervelde et a ceux qui pensent comme lui, le soin de démontrer que, si nous n'avions pas le commerce de Congo, notre prospérité serait compromise! La moindre variation dans les prix de quelques importants produits représente beaucoup plus que tout notre commerce avec le Congo. Commerce de la Belgique avec le Congo. 11 est intéressant de détailler le commerce de la Belgique avec le Congo. On juge encore mieux ainsi de son peu d'importance réelle. Importations du Congo en Belgique. En 1904. En 1006. Caoutchouc brut . . . 45,420,000 62,756,000 Ivoire brut 6,551,000 9,694,000 Cacao 417,000 840,000 Café 202,000 59,000 Résines 208,000 184,000 Bois, huiles, substances végétales et divers . 302,000 781,000 Total. . . 53,100,000 74,314,000 Comme 011 le voit, les mesures prises, par 1'Etat indépendant du Congo, pour éviter le renouvellement des abus révélés par la commission d'enquête, n'ont pas fait tort a Ia production du caoutchouc et de 1'ivoire. Est-ce le résultat favorable de ces mesures ou bien ne sont-elles pas encore appliquées et la corvée existe-t-elle encore comme il y a quelques années ? Nous n'avons pas les renseignements voulus pour trancher la question. Exportations de Belgique au Congo. En 1904. En 1906. Tissus de coton . . . . 6,097,000 5,012,000 Armes 721,000 687,000 Conserves alimentaires . 1,255,000 674,000 Fer ouvré et acier . . . 751,000 1,181,000 Poudre a tirer .... 982,000 455,000 Viande 325,000 245,000 Charbon de terre . . . 327,000 459,000 Divers 3,591,000 3,588,000 Total. . . 14,049,000 12,301,000 Ges chiffres montrent combien peu d'industries beiges out un modeste débóuché au Congo. Mais, dira-t-on, si la Belgique a importé pour 4o millions de caoutchouc en 1904 et pour 62 en 1906, il a dü se créer, dans le pays, d'importantes usines pour opérer la transformation en produits linis de celte grande quantité de matière brute? Cela, au moins, nous en sommes redevables au Congo! Bien n'est moins tangible. Le caoutchouc du Congo ne fait guère que traverser la Belgique. Commerce du caoutchouc en Belgique Eu 1904 En 1906 Importation : Caoutchouc brut . 65,256,000 (1) 94,406,610(2) ouvré . 2,693,000 3.851,760 Total .... 67,949,000 98,258,370 Exportation : Caoutchouc brut . 59,279,000r„„ „nn 76,842,690)7S ouvré . l,254,QQof ' ' 2,092,64ij78'930'331 Différence. . . 7,416,000 19,323,039 C'est donc de la matière première pour seulement 7,416,000 en 1904 et 19,323,039 en 1906 qu'il est resté dans le pays, et que notre industrie a travaillée. C'est a peine la moitié des quantités de caoutchouc importées d'autres pays que le Congo. Ce n'est pas de cecöté non plus qu'on trouvera la grande (!) influence du Congo sur le développement du commerce et de 1'industrie beiges. Nous pouvons conclure : En 1904, dans un commerce de prés de 5 milliards, le Congo intervient en apparence pour 67 millions; (1) Dont pour 45,420,000 francs du Congo et pour environ 20 millions d'autres pays. (2) Dont pour 62,756,000 francs du Congo et pour environ 32 millions d'autres pays. mais, en réalité, pour 20 a 25 seulcment, soit pour 1,3 ou 1/2 °/0 suivant que 1'on prend 1'un ou 1'autre chiffre; En 1906, dans un commerce de plus de 6milliards, la part apparente du Congo est de 87 milllions et la part réelle de moins de 40, soit aussi environ 1,3 ou 1/2 "/„. Dans la prospérité de la Belgique, la part du Congo loin d'être prépondérante, n'est donc que tout a fait accessoire, et 1'on peut même dire nulle. Je saisquecela n'embarrassera pas les congolatres. Nous ne sommes qu'au début, répondront-ils, attendez quelques années et vous verrez comme les relations entre la Belgique et le Congo deviendront importantes. On ne crée pas une grande colonie en 25 ans. Soit. Aussi allons-nous exposer brièvement 1'bistoire des colonies des autres pays et leur influence sur le commerce de la métropole, afin d'en déduire si le Congo peut nous permettre d'espérer plus qu'il ne donne maintenant. Les colonies francaises Pour le commerce francais, comme pour celui de la Belgique, nous constaterons d'abord 1'effet bienfaisant des traités de commerce de 1860-1861. De 1855 a 1859, le commerce annuel était de 3 milliards 602 millions, dont 1 milliard 732 millions pour les importations et 1 milliard 870 millions pour les exportations. De 1861 a 1865, après 1'établissement d'un régime presque libre-échangiste, Ie commerce moyen s'élève a 5 milliards 12 millions, soit une augmentation de 1 milliard 410 millions, ce qui, comme nous le verrons tantót, représente plus de trois fois le commerce total actuel de la France avec ses colonies. De 1878 a 1882, le commerce moyen atteint le chiffre de 8 milliards 110 millions. Ensuite, a cause de la politique protectionniste, conséquence inévitable des conquêtes coloniales pour- suivies surtout de 1880 a 1885, le commerce tombe, en 1883-1887, au chiffre moyen de 7 milliards 545 millions et même a 7 milliards 172 millions de 1893 a 1897. En 1903-1904, le commerce dépasse le chiffre de 9 milliards. II ne faut pas oublier que si les colonies ne rapportent généralement rien a la métropole, elles lui occasionnent presque toujours de trés lourdes charges : il faut en payer la conquête, 1'outillage et la conservation. Dans tous les pays, les coloniaux, c'est-a-dire ceux qui habituellement trouvent un proflt quelconque dans les colonies, ne sont pas ceux qui en supportent les charges. Presque partout, et c'est une chose que les démocrates ne doivent pas oublier, les partisans des colonies sont trés apres ii 1'obtention de concessions diverses, de fournitures pour les troupes, pour les fonctionnaires, pour la construction des chemins de fer et des ports; les financiers sont sympatbiques a toutes les entreprises qui entrainent des émissions d'emprunts, dont une part leur reste toujours dans les mains; mais ni les uns ni les autres ne désirent participer, dans la proportion de leurs bénéflces, lorsque vient la note a payer. Quand il faut couvrir les frais que la colonisation entraine, ils s'effacent devant la nation, tout en conservant pourtant, avec soin, leurs concessions et privilèges et, finalement, c'est la grande masse travailleuse et besogneuse qui paie. Les conservateurs sont prêts a bénéficier des colonies soit directement ou indirectement, mais ils laissent aux autres les charges qui en résultent. M. Méline a été soutenu par tous les réactionnaires francais paree que, au moment de payer les folies de la campagne de Tunisie, de celles du Tonkin et de Madagascar, il leur a dit : « Non seulement je ne vous « demanderai rien, mais, par 1'établissement de « droits protecteurs, je vais, aux frais de la grande « masse il est vrai, consolider vos revenus et vos » bénéflces actuels et même les augmenter. » Et c'est pourquoi 1'ouvrier francais supporte depuis prés de 25 aas, une charge journalière de plus de fr. 1.23 du chef de la taxe sur le pain (en France Ie pain se vend 40 centimes quand il en coüte 25 a 26 en Belgique) sur le café (il coüte 5 a 6 francs le kilo en France)' sur le pétrole, dont le prix varie entre 50 et 60 centimes le litre, sur le tabac, dont le kilo se vend de 10 ii 11 fiancs, et sur certains autres objets de première nécessité. Cette charge représente plus du tiers du salairemoyen de 1'ouvrier francais. Vous imaginez-vous le tapage qu'auraientfait les thuriféraires de M. Méline sil avait voulu les frapper d'un impöt sur le revenu de 33 °/0? Ils crient déja qu'on les égorge a 1'annonce du projet Caillaux, qui ne prévoit pourtant qu'un maximum de 10 p. c. Mais, nousle répétons, les coloniaux sont trés larges quand ce n'est pas eux qui paient. t ^ans la politique coloniale, les linances de la France n'eussent pas été obérées, il n'y aurait pas eu lieu d'établir de nouveaux impöts et 1'occasion eut manqué, a M. Méline et a ses amis, d'opérer la formidable rafle' que nous venons d'indiquer, sur les pauvres contribuables francais. Nous verrons qu'il en a été de mème en Allemagne : la politique coloniale améne les tarifs protecteurs et les tarifs protecteurs conduisent a Ia politique coloniale. Ce sont deux régimes de privilèges faits pour se soutenir 1'un 1'autre, mais ils ne peuvent engendrer qu'iniquités et misères pour la majorité du peuple. En 1903, le commerce de Ia France a, nous 1'avons dit, dépassé 9 milliards. Dans ce chiffre, les colonies interviennent pour 1 milliard 28 millions dont 304 millions a 1'importation et 524 millions a 1'exportation. II faut observer que le chiffre de 1 milliard 28 millions comprend le commerce avec 1'Algérie et la Tunisie, qui jouissent, au point de vue de 1'entrée en France, de faveurs spéciales: les produits de ces régions ne paient pas de droits d'entrée en France. Leur commerce est donc trés privilégié et ne peut guère entrer en ligne de compte. II s'élevait, en 1903, a 647 millions. Si nous le déduisons duchiffrede 1 milliard 28 millions cité ci-dessus, il reste, pour le commerce avec toutes les autres colonies, 381 millions, un peu plus de 4 % du commerce total. Dans la mème année, le commerce de la France avec 1'Angleterre dépassait 1,730 millions, celui avec la Belgique 900 millions, et celui avec 1'Allemaene 950. Le commerce avec ces trois pays n'occasionnait aucune dépense spéciale a la France. II en est tout autrement pour le commerce de 381 millions avec ses colonies. En effet, en 1903, le budget du ministère des colonies s'élevait a 110 millions; celui des troupes coloniales (qui ne comprend pas les dépenses pour 1'Algérie) était de 28 millions, total 138 millions. A ce chilfre il faut encore ajouter des sommes consisérables qui grèvent les budgets de la marine, de la guerre et aussi les autres, pour couvrir des dépenses qui n'existeraient pas sans les colonies. II est malaisé d'en faire 1'évaluation exacte, mais personne ne contestera que le cbiffre de 40 millions est plutöt endessous qu'au-dessus de la réalité. Nous arrivons ainsi a constater que les colonies coütent a la France 180 millions de francs dans les années ordinaires. Mais il y a les années extraordinaires : celles des guerres et des révoltes; celles-la sont de beaucoup plus onéreuses, non seulement en argent, mais surtout par les sacrifices de vies humaines qu'elles entrainent. Quoi qu'il en soit, dépenser 180 millions pour faire un commerce de 381, cela ressemble beaucoup a 1 opération a laquelle se livrerait un négociant qui donnerait 9 francs de prime sur tout achatde 20 francs qui lui serait fait. Oü cela le conduirait-il? A la faillite ou a l'internement. De 1830 a 1888, les dépenses pour 1'Algérie ont été de o milliards 18 millions et les recettes de 1 milliard 236 millions, soit une dépense nette de 3 milliards 762 millions. M. Paul Leroy-Baulieu, partisan pourtant des colonies, admettait, il y a 20 ans déja, que 1'AIgérie avait couté plus de 4 milliards a la France. Dernièrement, dans une discussion qui eut lieu dans une société d'économistes a Paris, on a reproché a radministratiou franpaise d'avoir publiè des statistiques fausses sur le eommerce de 1'Algérie, dans le but de tromper le public sur la situation réelle. Un fonctionnaire présent a répliqué qu'on avait rectifié, mais il a du finalement reconnaitre qu'on ne 1'avait fait qu'en partie seulement, paree que, si on 1'avait fait complètement, en une fois, 1'effet en eüt été.désastreux. En matière coloniale, on n'en est pas a un mensonge prés. Qu'a fait la France au Tonkin? Elle 1'a ruiné. Jadis dans ce pays, les babitants n'étaient pas riches, mais ils vivaient. On a changé leurs habitudes et maintenant ils ne parviennent plus a assurer leur subsistance. Les sources de la production ont été supprimées : en voulant perfectionner I'antique système de digues, bien connu des indigènes, on n'est parvenu qu'a anéantir des rizières et a inonder des villages. L'avenir est trés sombre et le gouvernement local n'entrevoit le salut. que dans 1'émission d'un gros emprunt avec la garantie de la France. Les colonies c'est pour les coloniaux, comme les affaires pour Mercadet, 1'argent des autres. Dans le Congo francais cela va trés mal aussi. La, a 1'exemple de ce qui se passait dans 1'Etat Indépendant du Congo (dans le Congo beige comme on dit France), on a donné des concessions a quantité de sociétés, constituées pour la plupart par des hommes sans moralité et sans solvabilité dont la seule préoccupation a été d'exploiter les gogos belges^ét francais. Au surplus, 011 se rappellera que beaucoup de ces sociétés, ont été fondées en Belgique souvent mêmeavec Ie concours de quelques uns de nos compatriotes. Les clioses vont-elles mieux a Madagascar ? Nous ne le pensons pas. > • La France fait-elle, malgré les priviléges dont son commerce y jouit, plus d'affaires avec ses colonies, pour tous les articles, qua les autres nations ? Nullement. C'est. ainsi, que 1'Angleterre y exporte plus de cotouuades qu'elle. C'est pourtant 1'un des principaux articles. Mais, les Anglais ollrent a meilleur marché et mieux au goütdes acheteurs: les droits protecteurs, établis en France pour payer les dépenses de la politique coloniale, ont pour conséquence de réduire 1'alimentation du peuple et ses forces productives. Les prix de revient sont plus élevés en France qu'ailleurs et naturellement les déboucbés sont plus restreints. En France, les colonies, au lieu d'aider au développement du commerce et a la prospérité nationale, y ont nui. Nous pensons en avoir fait la démonstration pour toute personne qui aura pris la peine de réfléchir aux chiffres et faits que nous avons cités. Les colonies anglaises. Nous avons vu combien peu les colonies ont influé sur le développement du commerce de la France, malgré leur prodigieux accroissement depuis 1880 : conquête de la Tunisie, du Tonkin et de Madagascar. Mais, dira-t-on, il en est tout autrement en Angleterre et en Hollande. Pour 1'Angleterre, on a une tendance générale a attribuér le développement de son commerce a ses colonies. La, plus que partout ailleurs, cependant, on a pu constater les effets bienfaisants de la réforme libre-échangiste de R. Peel qui, comme le disait Cobden « a rendu 1'industrie libre et lui a donné 1'avantage de tous les climats, de toutes les latitudes qui sont sous le ciel ». Rappelons 1'appréciation de quelques Anglais célèbres sur les colonies de leur pays. Fin du xviii® siècle, avant la Révolution, Arthur Young disait que le retard dans le développement de 1'Angleterre « vient de la politique coloniale dont elle est infatuée, et elle devrait tenir pour ami 1'ennemi qui lui enlèverait ses colonies ». A ce moment, ainsi que le fait justement remarquer Yves Guyot, Arthur Young ne pouvait pas prévoir encore les milliards qu'allaient coüter les guerres de vingt ans entre la France et 1'Angleterre, la plupart coloniales. En 1831, M. Nelson, membre du parlement, interrogé par M. de Tocqueville sur les profits que 1'Angleterre retirait de ses colonies, répondit : « Rien ». Sir Henry Parnell, qui fut ministre de la guerre, s'exprimait ainsi : « L'histoire des colonies, disait-il, est une série de pertes et de destructions; et si, aux millions de livres sterlings de capital privé qui ont été ainsi perdus, 1'on ajoute plusieurs centaines de millions levés par les taxes anglaises et dépensés pour le compte des colonies, la perte totale de richesses nationales anglaises a laquelle les colonies ont donné lieu, monte a un chiffre vraiment fabuleux » (1). Le commerce de 1'Angleterre était, en 1840, de 4 milliards 300 millions. L'Angleterre possédait déja alors ses principales colonies. En 1878, le chiffre en est de 15 milliards 356 millions et, en 1904, il dépasse 22 milliards. Le commerce de 1'Angleterre avec ses colonies atteignait, en 1904, 5 milliard 775 millions, soit le quart de son commerce total. Son chiffre d'affaires avec les Etats-Unis, son ancienne colonie, était, la même année, de 3 milliards 500 millions et celui avec la France, 1'AlIemagne, la Belgique et la Hollande, était sensiblement le même qu'avec ses colonies. Mais qui soutiendra que le commerce de 1'Angleterre prospère surtout a cause de ses colonies ? Les commerpants et les industriels anglais jouissent-ils d'un privilège quelconque aux colonies? Tout le monde sait que non : les produits anglais ont a supporter partout les mêmes droits que ceux des autres nations. Cela étant, si Ie commerce anglais s'y est développé plus qu'un autre, c'est apparemment paree (1) Nous empruntons les trois citations ci-dessus au livre d'Yves Guyot : Lettre sur lapolitique coloniale. qu'il a offert aux consommateurs des produits a meilleur compte ou répondant mieux aux besoins et désirs courants. S'il en était autrement, l'Espagne et le Portugal, qui ont possédé pendant des siècles 1'Amérique du Sud, devraient y faire un commerce trés important. On y parle toujours espagnol et portugais; les habitants ont certes conservé un réel penchant pour les races de leurs ancêtres. Et dans ces pays, les produits étrangers supportent les mêmes droits que ceux de l'Espagne et du Portugal. Or, en 1904, 1'Angleterre exportait au Yénézuela pour 11,800,000 bolivars, alors que l'Espagne n'y vendait que pour 2,200,000 bolivars. En 1905, 1'Angleterre avait un commerce de 182 millions et 1'Allemagne de 121 millions avec le Chili, alors que l'Espagne atteignait péniblement le chiffre de 3 millions et demi. En 1904-1905, le commerce de 1'Angleterre avec Cuba est de 18,700,000 dollars, alors que celui de l'Espagne est a peine de 10 millions. L'Espagne n'a pourtant perdu Cuba qu'en 1898. On ferait des constatations analogues pour tous les Etats de 1'Amérique du Sud : partout, le commerce de 1'Angleterre. de l'Allemagne, des Etats-Unis et de la France surpasse celui de l'Espagne ou du Portugal, dans la plus large mesure. La prospérité de 1'Angleterre s'est produite malgré, mais pas a cause de ses colonies. Ses colonies lui ont surtout occasionné d'énormes charges directes et indirectes. L'Angleterre a actuellement un budget de la guerre et de la marine qui dépasse 1 milliard 600 millions. Atteindrait-il la moitié, si elle n'avait a pourvoir qu'a la défense de son propre territoire? Puis, enfin, c'est perdre notre temps que de discuter, a propos du Congo, 1'importance et 1'intluence de pays civilisés, habités par des hommes d'origine européenne, se trouvant dans la zóne tempérée comme le Canada, le Cap et 1'Australie, ou de pays de vieille civilisation, nourrissant depuis des milliers d'années une popula- tion de plus de 200 millions, comme c'est le cas pour 1'Inde. Le Congo est peuplé de sauvages et n'est pas liabitable pour les Européens, vu qu'ils ne peuvent pas y travailler manuellement, ui s'y reproduire. Les Hindous out depuis longtemps de nombreux besoins auxquels ils peuvent satisfaire grace a leur ï'ichesse; nos « frères » du Congo n'ont pas encore de besoins et n'ont aucune puissance d'acliat. On peut exploiter leur force musculaire et même en abuser, comme on 1'a fait jusqu'a présent, mais on ne peut espérer aucun prolit d'un commerce honnête avec eux. Les colonies hollandaises. Qui au collége n'a pas entendu dire, par 1'un ou par 1'autre professeur d'histoire, qu'une des mauvaises conséquences de la révolution de 1830 a été de faire perdre au commerce et a 1'industrie beiges 1'immense débouché des colonies hollandaises. Or, actuellement 1'exportation de la Hollande vers ses colonies n'atteint pas ISO millions de francs, sur un cliilïre total de 4 milliards 200 millions. On ne voit pas trés bien 1'importance considérable de. ces exportations, surtout si elles avaient dü être partagées entre la Belgique et la Hollande. II est vrai qu'en 190o, la Hollande aurait repu de ses colonies pour environ 800 millions de divers produits. Mais, ce cliilïre ne doit pas être exact, comme beaucoup de ceux qui flgurent dans la statistique du commerce hollandais. II est, en elïet, supérieur a la valeur totale des exportations indiquées dans les statistiques des Indes néerlandaises. D'autre part, on sait qu'en Hollande on ne change jamais les chiffres d'évaluation des produits passant par la douane. C'est ainsi, qu'a Fheure actuelle, Ie quinquina, qui vaut, nous dit-on, 2 francs, flgure dans les comptes de 1'administration hollandaise a 84 francs. Dans le chiiïre de 800 millions d'importation des colonies, il y a certainement beaucoup de kilos de quinquina comptés a 84 francs au lieu de 2 francs. De tels procédés de calcul font naturellement apparattre de trés gros chiffres. Quoi qu'il en soit, d'après la statistique officielle, la Hollande, sur 4 milliards 200 millions de francs d'exportation, en fait pour ISO millions dans ses colonies et, sur 5 milliards 450 millions d'importation, elle achète a ses colonies pour 800 millions. L'Allemagne vend et achète aux colonies néerlandaises pour 200 millions par année, et ses statistiques ne sont pas fantaisistes comme celles de la Hollande. Examinées de prés, il n'est pas certain que les relations de 1'Allemagne soient moins importantes que celles de la Hollande. A 1'Allemagne cela ne coüte rien, alors qu'en 1905, la Hollande avait a combler un déficit de 31 millions dans le budget de ses colonies. Depuis que la Hollande a abandonné, grace aux protestations véhémentes de certains démocrates, 1'ancien système d'exploitation de ses colonies, elle n'en retire plus aucun bénéflce. Jadis, aux Indes Néerlandaises, la corvée était imposée aux habitants, comme elle 1'est au Congo, et c'était ainsi que le gouvernement hollandais avait des profits. lis ont disparu dés que 1'on a dü se montrer liumain et juste. Rien n'est plus aisé que de réaliser de gros bénéfices en ne rétribuant pas équitablement la main d'ceuvre, en exploitant, il sa guise, les malheureux. II n'est nullement besoin d'aller en Asie ou en Afriqüe pour en arriver la; en agissant de même ici on s'assurerait de plantureux revenus. Mais voila, ici, 011 ne veut pas être traité avec une telle inhumanité et c'est pourquoi certains réclament des colonies : ne pouvant exploiter les ouvriers beiges ils veulent abuser des pauvres diables denègres. Que leur importe le moyen, pourvu qu'ils s'enrichissent. Les colonies espagnoles et portugaises. Les colonies aident puissamment au développement du commerce, proclame-t-on souvent! Une saine politique coloniale, loin d'être négligeable, a une influence sur le caractère général du peuple, sur sa capacité commerciale, a déclaré M. Louis Frank, député d'Anvers, dans une interview qui fit, en son temps, un certain bruit. Voyons les faits. Deux pays d'Europe ont eu, durant des siècles, de superbes et importantes colonies : le Portugal et 1'Espagne. Leur commerce et leur industrie sont-ils particulièrement brillants? Le caractère du peuple espagnol et celui du peuple portugais ont-ils quelque cliose de remarquable? Ne sont-ce pas plutot deux pays ruinés, sans crédit, cléricalisés et arriérés ? En 1894, malgré — a notre sens surtout a cause de — ses belles colonies de Cuba et des Philippines, avec une superflcie 17 fois supérieure a celle de la Belgique et une population plus que triple, 1'Espagne faisait un commerce total de 1,182 miliions, alors que celui de la Belgique était supérieur a 3 milliards. Nous n'avions pas de colonies et notre commerce était trois fois plus important que celui de 1'Espagne. En 1898, après la guerre avec les Etats-Unis, 1'Espagne a perdu ses colonies de Cuba et des Philippines. Si la thèse de M. Franck et des coloniaux était vraie, nous constaterions une décadence marquée dans la situation financière du pays et dans le chiffre de son commerce. Que voyons-nous, au contraire? En 1904, le commerce est de 1,838 miliions au lieu de 1,182 miliions en 1894; le cbange sur 1'étranger, au lieu d'être 30 et 35 p. c. de perte, comme jadis, remonte a 10 p. c. La perte des colonies n'engendre pas la ruine. L'Espagne est plus prospère qu'avant. Elle va surtout jouir de l'immense avantage d'être débarrassée de ces hommes qui allaient faire une rapide fortune aux colonies par le vol et les prévari- cations de tout genre et qui, rentrés en Espagne, introduisaient dans 1'administration de leur pays toutes les mauvaises habitudes contractées a Cuba ou aux Philippines. Ea perte des colonies amènera dans quelques années, en Espagne, une administration honnête. II serait trop long de montrer combien les colonies out détourné 1'industrie de la Catalogne de son véritable débouché et combien elles 1'avaient rendue factice. Disons seulement qu'au lieu d'être ruinée elle est plus prospère que jamais : elle livre maintenant aux Espagnols a des prix convenables, alors que jadis elle rendait les acliats quasi impossibles aux petites gens par les prétentions exagérées que lui permettaient les privileges dont elle jouissait aux colonies. En 1898, les Etats-Unis ont pris les Philippines a 1'Espagne. On se souvient que la population était en révolte depuis plusieurs années. Voici, suivant un journal anglais, ce qu'il en est résulté de bon (!) pour les Etats-Unis : « Animés par le désir brülant de figurer au nombre des puissances mondiales, les Etats-Unis commencèrent leur carrière expansionniste par 1'annexion des iles Philippines. — « Annexion » est un euphémisme diplomatique dont la vraie signification est « vol ». — II est actuellement démontré que ce genre d'impérialisme (a la Chamberlain) constitue un luxe extraordinairement dispendieux. Un rapport officiel avoue que, depuis le jour glorieux de 1'annexion, les Etats-Unis ont dépensé aux Philippines 400 miliions de dollars, soit un peu plus de 2 milliards de francs. Et, malgré 1'état de tranquilité relative actuel, 1'entretien de eet éléphant blanc continue a coüter 150 miliions par an. » N'est-ce pas que les colonies assurent toujours bonheur et propérité! Faut-il, après cela, parler de 1'influence des colonies sur le Portugal ? Ee commerce de ce pays n'a jamais égalé le dixième de celui de la Belgique. Les pays sans colonies. Nous avons montré le développement extraordinaire du commerce de la Belgique, malgré qu'elle n'ait jamais possédé de colonies. Le bref exposé de ce qui s'est passé et de ce qui se passé dans les pays ayant ou ayant eu de grandes colonies (1'Angleterre, la France, la Hollande, 1'Espagne et le Portugal) semble bien justifier cette conclusion de Paul Leroy-Baulieu « que c'est une grande illusion que de fonder des colonies dans 1'espérance d'en tirer un revenu. » Paul Leroy-Baulieu est pourtant un protagoniste de la politique coloniale, mais les faits ne lui ont pas permis de dire autre chose. Examinons maintenant ce qui s'est passé dans les autres pays de grande civilisation, qui n'ont jamais eu de colonies ou qui n'en ont que de peu importantes, et encore depuis quelques années seulement. L'Allemagne. Parions d'abord de cette grande et noble nation qui fait 1'admiration du monde par son travail, par son énergie, par son extraordinaire prospérité due surtout a la prévoyance et a la persévérance de ses gouvernants qui ont su assurer dans leur pays une solide instruction a tous leurs concitoyens, alors qu'ailleurs on ne faisait rien ou peu de chose a cette fin. II faut le répéter souvent, c'est 1'instruction obligatoire, assurant des connaissances sérieuses a tous, qui a permis au peuple allemand de devenir ce qu'il est aujourd'hui. En 1906, le commerce de 1'Allemagne était a 1'importation de 10 milliards 27 miliions et a 1'exportation de 7 milliards 950 miliions, soit au total prés de 18 milliards. Depuis 1884, 1'Allemagne atteinte, elle aussi, dans la personne de ses dirigeants tout au moins, de la mégalomanie générale, a voulu avoir des colonies. Elle s'en est assuré en Afrique, en Asie et en Océanie. En 1906, son commerce avec toutes ses colonies atteignait 82,600,000 francs. C'est un peu moins que 1/2 p. c. de son commerce total. Quelle catastroplie pour lAllemagne si elle perdait le débouché de ses colonies! De 1905 a 1906, le cliiffre du commerce de 1'AIlemagne, avec toutes les nations, a augmenté de prés de 1 1/2 milliard. Dans cette majoration, les colonies interviennent pour 1 million, soit 1/1S006. Mais qu'ont coüté ces cofonies? Le 3 mai 1907, la Gazette (le Francfort publiait la note suivante : Les dépenses coloniales. Suivant un rapport du secrétaire d'Etat des flnances de 1 Empire, les débours pour les colonies jusqu'a ce jour, atteignent 228 millions de marks et ce, sans faire intervenir les dépenses occasionnées par les dernières révoltes, dans 1'Afrique orientale et dans 1'Afrique occidentale, qui sont, y compris celles de 1906, de 3 1/2 et de 640 millions de marks, et sans compter non plus la somme de 17 millions payés a 1'Espagne, pour 1'achat des iles Garolines et Mariannes. Ges 228 millions se répartissent comme suit : pour 1 Afrique orientale 91 millions; pour 1'Afrique occidentale 94; pour le Cameroun 25 1/2; pour Togo environ 4; pour les iles d'Australië environ 11 et pour Kiautschou 102. Au total, depuis 1885, époque du début de la politique coloniale allemande, 1'empire a dépensé environ 8881/2 millions de marks. Le développement des colonies doit être tout autre que ce qu'il a été jusqu'a ce jour pour produire la contre-valeur. L'Allemagne a donc déja dépensé pour ses colonies plus de 1,100 millions de francs, et cliaque année, elle doit encore leur consacrer un budget d'au moins 40 millions de francs. II sera certainement intéressant, pour beaucoup de nos lecteurs, de connaitre exactement 1'importance de 1'Afrique occidentale du Sud, patrie des Herreros, dont le soulèvement nécessita une dépense de 720 millions de francs pour sa répression. Nous empruntons les renseignements qui suivent a 1'ouvrage de A. Heilborn : Die deutschen Koloniën. L'Afrique occidentale du Sud a une superficie de 835,000 kilomètres carrés, une population de 200,000 habitants. Au 1er janvier 1903, il s'y trouvait 4,682 blancs, dont 2,998 Allemands, et a lin 1905, 1,100 kilomètres de chemins de fer environ étaient construits. A aucun moment, le nombre des révoltés n'a dü atteindre 20,000 combattants.Malgré cela,pour en venir a bout, il a fallu dépenser 720 millions de francs et envoyer, en Afrique, plus de 20,000 hommes des meilleures troupes de 1'Empire, commandés par les olliciers les plus intelligents et les plus actifs. Cette guerre a été trés dure pour 1'empire, dont la puissance militaire est pourtant énorme. Nous n'avons trouvé aucune statistique donnant le nombre des soldats morts durant la campagne; il fut certainement considérable, car outre que les Herreros se montrèrent adroits tireurs, le typhus et toutes les maladies des pays tropicaux produisirent de grands ravages. Le Congo a une superficie de 2 millions 400 mille kilomètres carrés. Sa population atteint, d'après les uns 7 a 8 millions, alors que d'après d'autres, elle dépasserait 20 millions (voila bien la précision qui caractérise tout ce qui touche aux colonies!). En 1905, il y avait au Congo, 2,511 blancs, dont 1,410 Beiges. D'après ce qui est survenu dans 1'Afrique occidentale allemande, on peut se faire une vague idéé de ce que serait une révolte générale au Congo. Comme 1'a dit un écrivain spécialiste anglais, il est certain que toutes les ressources et toute la force de 1'Europe sufïïraient a peine a la réprimer. C'est d'un cceur léger que nos coloniaux sont disposés a entrainer il une telle aventure notre petit et industrieux pays. II est vrai que beaucoup d'entre eux ignorent absolument les faits que nous venons de rapporter. Ils affirment que 1'annexion du Congo est utile, indispensable même a 1'avenir de la Belgique, mais aucun ne tente d'en faire la démonstration précise. A leurs yeux, 1'annexion du Congo ne présente que des avantages et aucun danger. Les désintéressés d'entre eux sont toujours sous 1'influence des fausses leeons d'histoire qu'ils ont regues jadis; les autres défendent leurs intéréts personnels et ne se préoccupent nullement de la sécurité, du bonheur et de la prospérité de leur pays. L'administration allemande jouit, a juste titre, d'une universelle réputation d'honnêteté, de régularité et d'ordre. Les colonies ont une action si néfaste sur le moral des hommes, qu'il a sufti de quelques années pour introduire dans l'administration allemande les habitudes perverses et déprimantes des autres pays coloniaux. Qu'il nous suffise de rappeler 1'affaire Tippelskirsch : Un ministre de 1'empire, dont la femme possédait la majeure partie des actions de 1'Usine Tippelskirsch, avait, par contrat, assuré a cette dernière le monopole de la fourniture de tout ce qu'il fallait aux troupes envoyées aux colonies. Les prix prévus étaient excessifs, aussi les bénéfices réalisés, durant la guerre contre les Herreros, furent-ils énormes. Moins pourtant que le scandale causé par la révélation du fait, dont la conséquence fut la démission du ministre et la résiliation du contrat. Seulement, Madame et les autres actionnaires conservérent les dividendes touchés. En 1906, en Allemagne, les scandales coloniaux se succédèrent régulièrement pendant plusieurs mois et entrainèrent même la dissolution du Reichstag. Depuis, 1'empereur a confié la direction des colonies au ministre Dernburg. C'est un ancien directeur de banque qui, dans son métier, jouissait de la réputation d'un homme pratique et intelligent. Ses débuts furent plutót singuliers. II voulut établir, devant le Reichstag, que les colonies sont, comme on 1'a dit parfois, un placement de père de familie. D'après lui, les colonies allemandes auraient déja, a 1'heure actuelle, la valeur d'un capital « actif » de plus d'un milliard. Sa démonstration était simple, si pas lumineuse. II disait qu'il y avait un capital de 370 millions de marks engagé aux colonies par 1'Etat, par les missions, par diverses sociétés flnancières et par des particuliers. Pour arriver a cette somme, il fait intervenir les dèpenses faites par 1'Etat pour la construction et 1'entretien des routes, des ports et des fleuves, celles pour la construction des églises, des temples et des habitations des missionnaires, les capitaux des compagnies de navigation dont les bateaux font le service des colonies. II reconnait que tous ces capitaux ne rapportent pas encore, mais ils le feront plus tard, et, dès a présent, ils représentent certainement un bon placement. A lire M. Dernburg, on croirait qu'il a étudié la science financière avec M. Desmet-Denayer : ce sont les mèmes affirmations, sans fondement, produites d'une fagon tout aussi solennelle. Gela n'est pourtant encore rien; voici mieux. Pour trouver les 600 millions, qui manquent encore pour atteindre le milliard annoncé, M. Dernburg expose cette théorie nouvelle que le chiffre des exportations d'une colonie représente assez exactement 7 % du capital engagé pour produire les objets donnant lieu a ce commerce. Comme le commerce d'exportation des colonies allemandes dépasse 42 millions de marks, M. Dernburg en déduit qu'il y a, a cöté des 370 millions ci-dessus, un autre capital de plus de 600 millions. M. Dernburg produit tous ces chiffres le plus sérieusement du monde; mais comme il ne démontre rien, il n'est arrivé qu'a déterminer un éclat de rire chez les gens qui raisonnent et savent apprécier les chiffres. Oü M. Dernburg a-t-il bien pu trouver le multiplicateur qui lui permet de déterminer le capital engagé dans les entreprises d'une colonie, en connaissant simplement la valeur des exportations? Persoime ne 1'a jamais dit, et il est bien probable que M. Dernburg n'en sait rien lui-même. Après avoir, de cette fagon fantaisiste, établi 1'actif des colonies, M. Dernburg ne s'occupe du passif (les 888 millions déboursés par 1'Allemagne) que pour dire qu'il n'y a pas lieu pour lui d'en tenir compte, que c'est la une dépense qui incombe naturellement a 1'empire : c'est une partie des frais généraux résultant de la situation qu'il occupe dans le monde. Aucun Mercadet de la plus basse finance n'a encore osé présenter un prospectus aussi sottement rédigé. Jamais on n'avait vu un financier établir un bilan sans tenir compte du passif. Après, M. Dernburg a dit que les colonies seront le luxe de 1'Allemagne. C'est possible, mais c'est en tout cas un luxe qui lui coüte bien cher. Pour trouver les fonds nécessaires a ces dépenses somptuaires, le gouvernement allemand a fait comme M. Méline en France : il s'est entendu avec les réactionnaires et il a surcbargé le peuple d'énormes impöts par des tarifs de douane trés protectionnistes. L'Allemagne retire et retirera de ses colonies de lourdes charges. Nous avons dit que le chiffre de son commerce avec elles est de 82 millions de francs; avec celles de l'Angleterre,elleéchange pour plus de 850 millions. La Suisse. La Suisse avec une population de 3,300,000 liabitants, sans port de mei' et sans colonies, a un commerce de 2,400,000,000. C'est beaucoup plus que celui de i'Espagne et du Portugal réunis. Le tableau c.i-dessous, dont les éléments se trouvent dans le Wörterbuch dei' Volkswirtschaft de Ludvig Elster (édition 1906), montre a toute évidence que les colonies ne sont nullement nécessaires pour assurer le développement et la prospérité du commerce d'un pays. 1894 1904 A. PAYS s . 2 . i . i . _• l h - rt ^ s es £ S, 2 2.2 I §, O a.2 O ,r ^ H « Belgique (1). . . 1260 1043 2303 2226 1747 3973 72 Pays-Bas (1). . . 2446 1880 4326 4084 3371 7455 72 Allemagne (1) . . 3928 2962 6890 6364 5223 11587 67 Italië (1) . . . . 876 821 1697 1531 1278 2809 60 Autriche-Hongrie(2) 620 770 1390 2048 2089 4137 48 Suisse (1). ... 661 497 1158 992 713 1705 47 Grande-Bretagne (3) 408 216 624 551 300 851 38 France(4) . . . 3850 3078 6928 4502 4451 8953 29 Espagne (1) . . . 644 538 1182 756 744 1500 27 Les pays sans colonies ont vu leur commerce se développer beaucoup plus rapidement que celui des autres. Pour le chiffre des Pays-Bas, nous rappelons nos observations antérieures : il n'est certainement pas exact et de beaucoup trop élevé. L'Emigration. Les pays a population dense comme la Belgique, l'Allemagne, 1'Italie, l'Angleterre, etc., doivent, dit-on souvent, avoir des colonies pour y envoyer ceux de leurs habitants qui ont 1'esprit entreprenant et .qui ne trouvent pas, cbez eux, de quoi le satisfaire; c'est comme le prolongement du pays, et ceux qui s'y rendent ne perdent ]>as leur nationalité. Ainsi que le fait remarquer trés justenlent Yves (1) Les cliiffres du commerce de ces pays sont donnés en millions de marks. (2) Les cliiffres du commerce de ce pays sont donnés en millions de florins. (3) Les cliiffres du commerce de ce pays sont donnés en millions de livres sterling. (4) Les chiffres du commerce de ce pays sont donnés en millions de francs. Guyot: « Quand les propagateurs de la politique coloniale disent : « Allons », a la première personne, ce n'est que par politesse, par euphémisme, en manière d'encouragement, mais en réalité, c'est : « Allez » qu'ils disent. Allez, mes amis! nous vous accompagnons de nos voeux, de nos souliaits et de nos spéculations ». La plupart des coloniaux pensent comme 1'ancien ministre Nothomb qui, dans un rapport célèbre, s'exprimait comme ceci : « Le Cpngo assurera plus tard, a Bruxelles, des places rémunératrices aux fils de familie. » Les pauvres diables doivent abandonner leur pays, s'exposer a mourir sous le soleil des tropiques pour assurer de bons, commodes et lucratifs ronds de cuir « aux Hls de familie », incapables de gagner leur vie s'ils sont livrés a eux-mêmes. Toujours la même théorie, la même doctrine réactionnaire : les pauvres doivent faire preuve de courage, d'intelligence, d'économie, pour permettre a certains privilégiés de vivre dans 1'aisance, sans courir aucun risque et en travaillant le moins possible. D'abord, tout le monde sait que les blancs ne peuvent pas émigrer dans les régions tropicales, au milieu desquelles se trouve le Congo. Nous 1'avons déja dit, ils ne peuvent y travailler manuellement, ni s'y reproduire. Ici encore, nous nous trouvons en face d'une affirmation qui n'est nullement corroborée par les faits : les émigrants n'ont aucune tendance a se diriger plutót vers les colonies que vers d'autres pays, et ils ont, avec raison, une juste horreur des pays tropicaux. L'émigration ne dépend nullement de Pimportance des colonies. Suivant un rapport sur le budget du Ministère de 1'Agriculture de 1'Italie, présenté par le député Casciani, voici, pour 1908, les chiffres de l'émigration des principaux Etats de 1'Europe : Italië: 459,349. (En 1906, il y a eu prés de 700,000 émigrants.) Autriche-Hongrie : 144,040. (C'est le chiffre de 1904.) Belgique : 4,492. (Ce chiffre est celui des émigrants qui se sont embarqués a Anvers.j Dancmcirk : 8,051. France (?) (Les chiffres de 1'émigration ne sont plus publiés depuis 1893.) Grande-Bretagne et Irlande : 262,077. Norwège ; 21,059. Pays-Bas : 2,297. Espagne: 122,041. Suisse : 3,780. Allemagne : 27,994. (C'est le cliiffre de 1904.) Les cliilTres de 1'Italie, de 1'Autriche-Hongrie et de 1'Espagne montrent qde les colonies ne sont pas nécessaires pour provoquer 1'émigration. Les nombreux émigrants italiens, qui se rendent surtout dans les deux Amériques, y font connaitre les raoeurs et les produits de leur pays et ils ont certainement eu, sur le développement du commerce et de 1'industrie de 1'Italie, une influence autrement importante que celle de sa colonie 1'Erythrée. Ou sont allés les émigrants allemands ? En Europe 719 En Australië 97 En Amérique: Aux Etats-Unis 26,085 Au Sanada 332 Au Brésil 365 Autres pays de rAméricrue .... 316 27,098 Eti Asie (probablement a Kiautschou?). . . 2 En Afrique 78 (Nous voulons admeltre qu'ils se sont tous rendus dans les colonies de 1'empire et qu'aucun d'eux n'a été attiré par le climat plus doux du Maroc, de lAlgérie, de 1'Egypte ou de la colonie du Gap.) 27,994 En 1881, 1'Allemagne n'avait pas de colonies et avait vu plus de 220,000 de ses enfants émigrer. En 1904, il n'y en a pas 28,000 qui quittent le pays et, parmi eux, il y en a tont au plus 50 qui sont attirés vers les territoires de protectorat de 1'Empire. C'est peu. Vers oü se sont dirigés les 262,077 émigrants anglais? Etats-Unis 122,370 Canada 82,437 Australië . . ■ 15,139 Afrique méridionale 26,307 Autres pays,y compris les autres colonies anglaises 15,824 262,077 On n'émigre donc pas vers les pays tropicaux, et les Beiges ne feront pas exception a la régie. Us préféreront continuer ii aller en France, oü ils trouveront de quoi occuper leur activité, la même civilisation, les mèmes moeurs et des institutions politiques pour le moins aussi libres que les leurs et, de plus, un climat tempéré et agréable. II y a 500,000 Beiges en France, il n'y en a pas 1,500 au Congo. C'est perdre son temps et poursuivre une utopie que de vouloir renverser la proportion. Au surplus, depuis deux ou trois ans, n'y a-t-ii pas eu, en Belgique, du travail pour toute la population? Notre grand ministre Desmet-Denayer n'a-t-il pas expliqué les retards dans 1'exécution des travaux publics par la difficulté d'avoir des ouvriers? Les agrariens allemands ne voulaient-ils pas, il n'y a guère qu'un an, importer des coolies cliinois en Poméranie, paree que Ia main-d'oeuvre coütait trop cher ? En réalité, les colonies ne provoquent pas naturellement 1'émigration. Marine marchande. II faudrait des colonies pour assurer le développement de la marine marchande! Nouvelle erreur. Les marines de l'Allemagne et de la Norwège sont surtout celles dont 1'importance proportionnelle a le plus augmenté depuis 1882 et certainement on ne peut soutenir que les colonies y soient pour quelque chose. Le Congo assurerait du frêt & nos ports de mer! En 1906, les navires a voiles et a vapeur chargés et sur lest avaient un tonnage de : A l'entrée en Belgique. . 12,945,000 tonnes. A la sortie 12,914,000 — Total. . . 25,859,000 tonnes. Dans ces chiffres, le Congo intervenait pour : A l'entrée 50,000 tonnes. A la sortie 49,000 Total . . . 99,000 tonnes. Soit l/5e p. c. du mouvement total. C'est encore moins important que pour la valeur du commerce. Ge que coütera 1'outillage du Congo aux contribuables beiges (1). M. de Smet de Naeyer. — Que serait le Congo, messieurs, si 1'Etat Indépendant n'avait entrepris résolument et si Ia Belgique ne poursuivait pas après lui cette oeuvre gigantesque qui consiste a outiller notre future colonie ? Tout pays — métropole ou colonie — qui veut progresser, qui veut jouer un röle dans 1'économie mondiale, doit se pourvoir de voies de communication, établir des routes, creuser des canaux ou aménager ses rivières et surtout construire des chemins de fer. M. Furnémont. — Par exemple, le eanal du Centre. M. de Smet de Naeyer. — Pour doter le Congo de eet outillage, il faudra dépenser des centaines de millions, un milliard peut-être, et cela dans un délai relativement rapproché. M. Van Damme. — Mais en Belgique encore tout cela laisse beaucoup a désirer... M. Lorand. — Combien de millions ou demilliards? (1) Extrait des Annales parlcmenlaires (séance du 12 déycembre 1906). M. de Smet de Naeyer, ministre des finances et des travaux publiés. — Des centaines de millions, dis-je, peut-être un milliard. Ges chiffres n'ont rien d'exagéré si vous considèrez 1'immense étendue du pays. Est-ce aux contribuables beiges que le gouvernement, quel qu'il soit, demandera les ressources nécessaires? Ge n'est certes pas 1'honorable M. Lorand qui les voterait. M. Lorand. — Je suis trés heureux de vous entendre avouer qu'il faudra grever les contribuables beiges, si 1'on veut renoncer a 1'exploitation dont les nègres sont aujourd'hui victimes au Congo. Qa refroidira les partisans de la reprise. M. de Smet de Naeyer. — Ce que veut le Roi-Souverain tout le premier, c'est que ces grosses dépenses se fassent sans 1'intervention du contribuable beige, et c'est pourquoi il attaché une importance capitale a la conservation du domaine national, a son exploitation, a sa mise a fruit intelligente. M. Lorand. — L'exploitation du nègre ! Peut-on avoir confiance dans les bénéfices réalisés par le domaine privé du Congo, lorsqu'on lit 1'assignation que lui a adressée dernièrement M. WoutersDustin? II en ressort que des travaux somptuaires exécutés en Belgique, a Laeken, au Pare du Cinquantenaire, a Tervueren, ont été payès non pas en argent, mais en obligations de la dette du Congo. De deux choses 1'une : ou les bénéfices dont on parle tant ne sont pas réels et ne permettent pas ces dépenses de luxe, et c'est pourquoi on les solde par 1'emprunt; ou bien ils existent et alors nous demandons pourquoi on ne s'en sert pas pour payër. Dans 1'un ou 1'autre cas, la conduite tenue est tout a fait répréhensible. Nous nous défions de gens qui, voulant remettre une affaire, 11e montrent pas leur comptabilité, annoncent mème qu'ils ne Ja communiqueront pas et qui, en attendant, hypothéquent leurs usines et leurs maisons pour se faire construire des chateaux ou simplernent s'acheter une automobile. La Belgique peut s'offrir des monuments sans recourir aux ressources provenant de l'exploitation des malheureux nègres. Les produits du Congo. Jusqu'a présent, le Congo n'a guère exporté que de 1'ivoire et du caoutchouc. Ces deux produits représentent les neuf dixièmes de son commerce. On ne peut espérer voir augmenter la valeur de 1'ivoire : les réserves des Arabes et des nègres sont épuisées; on détruit les élépliants et il n'est guère probable que ceux qui restent trouveront le moyen de se faire remplacer les dents qu'on leur coupera. II y a le caoutchouc. C'est certes une marchandise dont la consommation va se développant chaque jour et dont le prix est aujourd'hui trés élevé. Seulement, dans cette demande croissante de caoutchouc n'y a-t-il pas un danger pour 1'avenir du Congo ? Depuis longtemps, on cherche a le produire synthétiquement. Y parviendra-t-on? Dans combien de temps? II serait téméraire de vouloir répondre d'une faQon un peu précise a ces questions, mais il le serait plus encore de soutenir que le problème ne peut pas être résolu d'un jour a 1'autre. On a fait par syntlièse presque toutes les couleurs. On a fabriqué presque tous les parfums; il existe de la vanille, du camphre, du sucre urtificiels. Pourquoi un résultat analogue serait-il impossible pour le caoutchouc? II n'y a que quelques années que deux usines allemandes fabriquent de 1'indigo et cela a suffi pour que le commerce des Indes en indigo naturel tombe, en 10 ans, de 80 p. c. en quantité et de 84 p. c. en valeur. L'indigo artificiel vaut mieux, est d'un emploi plus facile et coüte moins cher que l'indigo naturel. Cette perte a été trés sensible aux Indes, mais elles s'en relèveront facilement, paree que ce n'est que 1'un des produits de leur sol. Au Congo, le caoutchouc est, jusqu'a présent, le seul produit important. La situation d'un pays dont toute la richesse est basée sur un seul produit est toujours précaire. Influence du Congo sur la Belgique jusqu'ó, ce jour. Si, au point de vue du commerce et de 1'industrie de la Belgique, les chiffres montrent que le Congo n'a rien donné d'important, on ne peut pourtant pas dire qu'il en a été de même dans tous les domaines. Le Congo a eu déja de nombreuses conséquences désastreuses. II a d'abord produit le type, inconnu jusqu'ici chez nous, du patriotard, du nationaliste. Ce sont des gens dangereux paree que leurs opinions n'ont pas pour base le raisonnement, mais 1'amour du panache ou simplement des motifs a peine avouables. Pour eux, ceux qui combattent la politique coloniale défendent la thèse de la lacheté, ce sont des peureux. Demande-t-on si des renseignements, touchant le Congo, publiés dans les journaux étrangers, sont exacts, ils vous accusent d'être les agents de 1'Angleterre. Quand, malgré cela, on leur signale que 1'opinion publique anglaise s'émeut des révélations produites, ils répondent comme M. Hennebicq : si 1'Angleterre nous attaque, 1'Allemagne nous aidera a lui résister. Ce sont des fous dangereux, qui n'hésiteraient pas a engager la Belgique dans des aventures périlleuses, pour pouvoir continuer a exploiter le Congo comme on le fait actuellement. Mais peut-on s'étonner qu'il en soit ainsi quand on sait qu'au Congo, le souverain, le maitre absolu, a fait construire des forts et organisé une armée permanente de IS,000 a 20,000 hommes et laisse dire qu'il est en mesure de résister a une attaque d'oü qu'elle vienne? Ces grands esprits, ces hommes aux idéés larges, au caractère entreprenant, ne se laissent pas émouvoir par la possibilité d'un conflit armé avec une autre nation. Est-on une puissance coloniale aussi longtemps qu'on n'a pas dü soutenir une guerre pour défendre ses possessions étrangères! Et, d'après le projet de loi coloniale déposé aux Chambres, c'est a ces gens prudents (!) que devrait rester exclusivement 1'administration du Congo en cas d'annexion! A quoi pensent nos gouvernants? Sans doute a se faire octroyer, a eux ou a leurs amis, de Iucratives places, ii Bruxelles, a 1'administration centrale de 1'Etat du Congo, dans les sociétés financières qui en dépendent, ou simplement des concessions de mines en Campine, ou un portefeuille de Ministre en Belgique. L'or gagné (!) au Congo ou dans les spéculations de bourse en Belgique sert a corrompre tout dans notre pays. C'était hier, que le journal La dernière heure imprint ait : « Enfin, il faut encore que disparaisse le Domaine, pour que le Boi-Souverain n'ait plus a sa disposition une source inépuisable d'or corrupteur des consciences. II faut que la presse beige redevienne ce qu'elle avait toujours été : une presse honnête et libre. Un pays dont la presse est tarée est condamné a la déchéance morale. Plus de députés « intéressés », plus de savants rémunérés, plus de publication achetée. Tout cela est funeste pour le pays. » Voila oü nous en sommes. Faut-il après cela rappeler que c'est au Congo, a 1'amour des fortunes rapides, acquises sans travail persévérant et régulier, que nous avons dü i'agiotage élionté qui s'est manifesté il y a quelques années aux bourses de Bruxelles et d'Anvers, et qui a permis d'entrainer 1'épargne beige dans les mauvaises affaires russes oü elle a laissé bien prés d'un milliard. Mais qu'est-ce cela? Un incident, dans la vie d'un pays riclie comme le nötre, qui doit faire preuve d'initiative et qui se doit de devenir une puissance coloniale! Nous savons que, pendant que les humbles et les honnêtes se ruinent, certaines personnes sans scrupules gagnent, elles, et même beaucoup; mais cette constatation n'est pas suffisante pour nous convaincre de 1'utilité de la politique coloniale. N'est-ce pas au même état d'esprit que nous devons le rétablissement des maisons de jeux dans les stations balnéaires? A 1'exemple du Souverain de 1'Etat Indépendantdu Congo,beaucoup ont fini par croire qu'elles sont indispensables a la prospérité des endroits oü elles se trouvent et nous avons même entendu proclamer qu'elles sont quasi nécessaires au pays : elles canaliseraient le vice. Seulement, elles ne vont pas sans les tenanciers de maisons de jeux, qui réalisent d'énormes profits et qui n'hésitent pas a en sacrifier une partie pour s'assurer la conservation du restant. M. Marquet n'a-t-il pas su, un peu partout, s'assurer des amis trés dévoués ? Est-ce pour en arriver la c[ue depuis la proclamation de son indépendance, le peuple beige a accompli l'immense effort de travail dont nous avons montré les merveilleux résultats? Est-ce pour que nous soyions gouvernés par les serviteurs des agioteurs et des tenanciers de maisons de jeux que nos pères ont fait la révolution de 1830? Est-ce, peut-être, pour instaurer, dans notre pays, une politique royale en opposition ouverte avec celle voulue par la nation? Non, ce qu'ils ont voulu et ce qu'ils ont fait était plus simple, plus juste et surtout beaucoup plus grand et beaucoup plus utile : ils ont proclamé, dans la Constitution, que tous les pouvoirs émanent de la nation et qu'en Belgique, le seul, le vrai souverain, c'est le peuple. Grace au Congo, aux conséquences qu'il a eues, 011 est parvenu a faire perdre cela de vue. Un instant, on a même pensé qu'il était permis de parler en maitre aux députés de la nation. Et maintenant encore, le souverain de 1'Etat indépendant du Congo n'émet-il pas la prétention, avec le concours du minfstère Detrooz tout entier, des Woeste et autres Begerem, de conserver, lorsqu'il ne sera plus que roi des Beiges, Ie pouvoir absolu dans 1'administration du Congo? Voila ce que le Congo a produit dans notre pays. La politique coloniale n'est qu'une des formes de la protection, du régime du privilège, et les privilèges ne peuvent jamais être concédés a quelquesuns qu'au détriment de la masse. Aucune des promesses faites en 1885 n'a été respectée. Le 26 novembre 1906, le Patriote, avec beaucoup d'a-propos, publiait eet article-ci : DE 1885 A 1906 Pronostics et réalités — Promesses et actes M. le ministre de la justice a fait un vif éloge du « patriotisme éclairé » de M. Bara, devant le cercueil de 1'ancien leader de la gauche. Au moment oü M. Van den Heuvel va prendre la parole relativement aux affaires congolaises, au sujet de la politique du roi et de ses résultats en Afrique depuis 21 ans, — il sera intéressant de relire comment M. Bara jugea (en mars 1885) a la Chambre la nouvelle création africaine, lors de la demande formée par M. Beernaert en vue d'autoriser le roi Léopold II a ceindre la couronne africaine : « Je n'entends pas me prononcer sur 1'oeuvre du Congo. Sera-t-elle utile a la Belgique, réalisera-t-elle les espérances qu'elle a fait naitre? Je n'en sais rien. Les renseignements ne sont pas abondants, et ma compétence est limitée... » ... Dans 1'union personnelle, les deux Etats, qui ont le même prince, ne confondent ni leurs lois, ni leurs fonctionnaires, ni leurs intéréts. n Après notre vote, la Belgique sera aussi étrangère au Congo que toutes les autres puissances de 1'Europe ; nous n'aurons pas plus de droits et d'obligations, vis-a-vis de eet Etat africain, que les autres nations. Qu'il ait des difficultés intérieures ou extêrieures, qu'il manque de ressources ou d'hommes, nous n'avons rien a lui fournir. Qu'il lèse autrui, qu'il soit mal administré, qu'il soulève des conflits et des guerres, nous n'y avons aucune responsaltilité. » Le gouvernement, dans sa déclaraton, et dans la lettre que de son assentiment le roi lui a êcrite, vous 1'assure en termes énergiques et formels. Les forces militaires seront africaines; en aucun cas, 1'union n'imposera de charges au pays, le Gongo sera administré avec des ressources, et au möyen de forces qui seront exclusivement propres au nouvel Etat. » Comme couronnement de toutes ces assurances, pour résumer sa pensée, le gouvernement déclare que la Belgique se trouvera dans cette situation favorable de pouvoir, « sans être exposée a aucun sacrifice », tirer parti du Gongo. » Ce n'est pas ö la légère que de pareilles garanties sont données aux Chambres, et nous n'avons pas de raison de ne pas les accepter. » Si les espêrances sont dé^ues, si les affirmations sont démenties par les faits, ce sera regrettable. Mais la Belgique se rappellera qu'elle n'a pris aucun engagement et elle saura que 1'autorisation donnée ne 1'oblige a aucune intervention. Les Chambres futures auront leur liberté entière. Qui s'en plaindra? Les Beiges qui iront au Congo? Mais ils savent qu'ils n'auront, dans ce pays, droit a une autre protection que celle que nous accordons a nos nationaux a 1'étranger. « Les puissances qui ont reconnu le Congo, qui ont pris part è la Conférence de Berlin? Mais, a moins qu'il n'y ait des promesses occultes, d'ailleurs sans valeur d'après la Constitution, 1'union personnelle, qui serale régime autorisé, avertit ces nations qu'aucun lien ne nous attaché au Congo. n La grande artère du nouvel Etat, le fleuve qui le traverse, est bien, en principe et nominalement, sous la souveraineté du chef du Congo; mais son administration, tous les actes importants et utiles qui le concernent, sont confiés a une commission internationale qui, dans 1'exercice de ses attributions, ne dêpend pas de 1'autorité territoriale. » La porte du pays nouveau est donc aux mains des puissances, et, pendant bien longtemps, le vrai maitre du Congo sera le maitre de son grand lleuve. Les puissances s'y sont ménagé une liberté absolue du conunerce et ont interdit tous les droits d'entrée, et ce a perpétuité, tandis que celles qui y avaient des colonies, se gardaient bien de prendre de pareils engagements. L'Acte général de la Conférence de Berlin est donc un document, que nous pourrions justement invoquer, si 1'on s'avisait de nous reprocher un jour de ne pas intervenir dans les affaires de 1'CEuvre africaine; il nous rassure, en même temps, sur les conséquences de notre vote. » Tels sont, messieurs, les motifs qui me permettent d'adliérer au projet en délibération. Je serais heureux de voirles travaux du roi couronnés de succès. Je ne saurais, la Belgique n'y eftt-elle aucun intérêt matériel, ne pas ètre sympathique a une oeuvre de science et de civilisation. Si la tache ne peut être poursuivie, la Belgique conservera la liberté de ses résolutions. » * * * II est juste de rappeler a la Chambre de 1900 dans quel esprit le ministre responsable de 1'époque proposa a la Chambre de 1885 le projet autorisant le « roi Léopold II, pour la durée de son règne » a cumuler les deux couronnés de Belgique et du Congo. M. Beernaert, président du conseil, s'exprimait ainsi a la Chambre, en réponse a M. Neujean : « Je disais tout a 1'lieure que 1'union personnelle n'entraine, pour les deux Etats unis, aucun rapport quel qu'il soit; il n'y a que ce fil, assurément plus ténu dans une monarchie constitutionnelle que partout ailleurs, d'un même souverain gouvernant, dans des conditions absolument distinctes, deux Etats, aussi indépendants 1'un de 1'autre que s'ils avaient des souverains différents. « L'Etat dont notre roi sera le souverain constituera en quelque sorte une colonie internatianale, toutes les compétitions, toutes les jalousies en seront bannies, et les fées, assises autour de son berceau, ont voulu le combler de tous les avantages qu'assure le progrès, sous sa forme la plus moderne. Nulle part, il n'y aura d'organisation économique plus parfaite. n Pas de monopoles, pas deprivilèges, pas de droits différentiels. Bien au contraire, liberté absolue des échanges, liberté de la propriété, liberté du cominerce, liberté de la navigation, liberté même du parcours, sur les voies qui compléteront le grand fleuve, la oü il n'est point navigable. » Et tout cela, sans parler de libertés d'un autre ordre auxquelles 1'Afrique ne tient pas encore autant qu'elle le fera plus tard : la liberté de conscience et 1'abolition de la traite. « Telles sont les conditions dans lesquelles vivra 1'Etat nouveau. » * * * Au Sénat, M. Beernaert, confirmant le langage de M. Graux, déterminant les motifs de 1'adhésion de la gauche, dit: « II est vrai qu'entre le Congo et la Belgique il n'y aura qu'un lien exclusivement personnel. 11 est vrai que, soit au point de vue militaire, soit au point de vue financier, soit au point de vue diplomatique, les rapports des deux Etats seront absolument les mêmes que s'il s'agissait d'Etats differents. » Quant a ces horizons plus éloignés, sur lesquels 1'honorable M. Graux jetait tout a 1'heure un coup d'oeil discret, il est évident qu'il n'appartient a personne de rêpondre de l'avenir. II est dans des mains autrement fortes que les nötres. «... Quoi qu'il en soit, l'avenir du Gongo, M. Graux le disait avec raison, ne peut engager l'avenir de la Belgique. » Nous suivrons de 1'oeil le plus attentif le développement du nouvel Etat; ses progrès seront pour nous d'uno haute importance, mais ce sera toiy'ours une oeuvre africaine, et non pas une oeuvre beige. n Je ne crois pas aux difflcultés que 1'on redoute, et il semble qu'a raison des conditions dans lesquelles 1'Etat du Congo se constitue, de la neutralité qui lui sera assurée, et de 1'égalité de droits qu'elle assurera a tous, on en ait écarté jusqu'a 1'occasion. » Mais si l'avenir, dont nul ne peut rêpondre, trompait nos espérances, la Belgique se trouverait libre de tout engagement. On ne lui en demande aucun. » * * * Quel membre du Parlement, fftt- il inondé de toutes les lumières de 1'Etat du Gongo et émoustillé par 1'appat de plusieurs portefeuilles, ètablira que l'avenir a confirmé les pronostics de 1885 ? Les situations sont presque renversées. Et voila la cause, 1'explication de la crise actuelle. La nier, c'est nier 1'évidence. Pourquoi aurions-nous coniiance dans les déclarations et promesses qu'on nous fait maintenant et qu'on nous fera plus tard? Ne nous a-t-on pas toujours trompés? Conclusion. I)onc il faut abandonner le Congo et permettre aux Arabes de reprendre leur commerce d'esclaves? Telle n'est pas notre pensée. Nous reconnaissons qu'au point de vue de la civilisation et de la science, de grandes et utiles choses ont été faites au Congo; qu'il serait pénible de constater que tous les sacrifices d'hommes et d'argent, qui ont été faits pour connaitre le pays et le mettre en communication avec le monde civilisé, 1'ont été en pure perte. Ce que nous combattons, c'est 1'annexion du Congo par la Belgique. II ne peut en résulter aucun avantage important pour elle et les dangers qu'elle entrainerait sont incontestables. Rappelons-les sommairement : 1° Enormes dépenses nécessitées pour 1'outillage de la colonie (1 milliard, dit M. Desmet-Denayer, et 1'on sait que ses prévisions sont toujours dépassées) a payer par les contribuables beiges. Résultat: manque de ressources pour les travaux a exécuter en Belgique; 2° Le Congo absorbera 1'attention du gouvernement pendant longtemps et prendra le temps des Chambres; alors qu'elles s'occuperont de la colonie, elles ne i'eront pas autre chose et les lois indispensables a la Belgique se feront encore plus attendre que maintenant ; 3° Le Congo peut nous entrainer dans des complications internationales et compromettre ainsi notre indépendance; 4° II y aura des révoltes au Congo et nous savons — par ce qui s'est passé ailleurs — les sacrifices qui peuvent en résulter pour nous; 5° Le Congo, comme toutes les colonies, donnerait au roi un grand pouvoir personnel, formerait des autoritaires, renforcerait la réaction. Se rappeler que les généraux du coup d'Etat du 2 décembre sortaient presque tous de 1'armée d'Afrique. La Belgique prospérera si on la laisse travailler en paix, si 1'on fait disparaitre les privilèges qui vicient encore ses lois, si 1'on établit la justice, si 1'on réalise les réformes urgentes et indispensables, inscrites dans le programme des gauches libérales. Elle n'a que faire du Congo. Que le Congo continue a être un Etat indépendant ou qu'il soit régi en vertu d'une délégation des puissances signataires de 1'acte de Berlin, nous n'y voyons aucun inconvénient. Qu'on adopte la solution la meilleure qui précisera les charges financières de la Belgique, les limitera et fera disparaitre pour elle tout danger de conflit avec 1'un ou 1'autre Etat, et nous n'aurons rien a y réprendre. Mais nous combattrons toujours 1'idée de faire de la Belgique une puissance coloniale. Nous ne voulons pas compromettre 1'indépendance de notre pays, simplement pour permettre a quelques-uns de nos compatriotes de se créer de grosses fortunes en exploitant, directement, les nègres et, indirectement, leurs concitoyens par les diverses charges que les colonies leur imposeraient. Ce que nous voulons et réclamerons toujours, c'est une politique nationale conforme aux voeux et a la volonté du seul souverain de la Belgique : le Peuple Beige. Déclaratton des Gauches llbérales DU SÉNAT ET DE LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANTS (21 déccmbre 1900) Considérant qu'il est conforme au vceu manifeste de tous les libéraux du pays et favorable a la reconstitution de 1'unité du libéralisme que les gauclies 1 ibérales du Sénat et de la Cliambre s'entendent sur un programme parlementaire d'action et d'opposition en vue de délivrer le pays de la domination cléricale, funeste a tous les peuples qui 1'ont subie, Les sénateurs et représentants libéraux ont arrêté le programme suivant : I. — Réorganisation de l'enseignement. L'instruetion obligatoire est une nécessité politique et sociale, d'ailleurs indispensable au développement de la production et de la ricliesse nationales ; tous les citoyens doivent acquérir une certaine somme de connaissances que l'enseignement des adultes a pour mission de conserver et d'aijcroitre. L'enseignement public a tous les degrés doit être affranchi de toute influence confessionnelle. II doit relever exclusivement de 1'autorité civile. II y a lieu de supprimer toutes mesures tendantes a favoriser les écoles confessionnelles. II, — ~Réorganisalion de la défense nationale. Nul ne peut s'affrancliir a prix d'argent du devoir civique de concourir a la défense nationale. Ge devoir ne doit incomber aux citoyens que dans la mesure strictement nécessaire. Le remplacement, supprimé dans tous les autres pays, doit disparaitre de nos lois. La réforme de nos institutions militaires doit tendre a 1'organisation d'une armée apte a assurer la défense du pays et recrutée, d'après un principe de justice, dans toutes les classes de la société. III. — Réforme électorale. Les gauches libérales estiment qu'il y a lieu de poursuivre simultanément la réalisation du principe de 1'égalité politique par la suppression du vote plural et la réalisation du principe de la représentation proportionnelle a tous les degrés de 1'électorat, dans la Gonstitution et les lois élQctorales. Le privilège plural est une source de fraudes sans nombre, qu'il est impossible de déjouei' et qui assurent au parti clérical une prépondérance illégitime. La représentation proportionnelle la plus exacte possible doit être considérée, surtout sous le régime du suffrage universel, comme une mesure d'organisation équitable et juste du régime électoral. Pour affirmer le lien étroit entre le suffrage universel et la représentation proportionnelle, et pour assurer la liberté des votes des .membres qui entendent subordonner le suffrage universel a la représentation proportionnelle, le groupe demandera, le cas échéant, que, lors de la discussion des réformes électorales, le premier scrutin porte sur la question de la représentation proportionnelle. Les gauches, poursuivant un but d'union et d'action commune, et désirant respecter des divergences de vues que 1'avenir pourra dissiper, réservent la liberté de ceux de leurs membres qui ne partagent pas 1'avis de la majorité et ne croient pas pouvoir se rallier a un système électoral uniquement basé sur le suffrage universel pur et simple. En cas de revision constitutionnelle, il y a lieu de poursuivre la réorganisation du Sénat de manière a fortifler 1'autorité des délibérations et des décisions de cette assemblee. IV. — Lutle contre la mainmorte. L'accroissement considérable des richesses mobilières et immobilières des corporations religieuses nécessite des mesures législatives destinées a arrêter 1'extension de la mainmorte cléricale. V. — Mesures en vue de l'amélioration du sort des classes laborieuses. L'amélioration matérielle et morale du sort des travailleurs a toujours été un des buts essentiels de la politique libérale et doit être, aujourd'hui plus que jamais, 1'objet de ses efforts. Le libéralisme poursuit, par le développement de 1'instruction et de 1'éducation sous toutes leurs formes, et par la législation sociale la plus propre a relever la condition économique des travailleurs, 1'union des classes et 1'organisation d'une démocratie pacifique, progressive et éclairée. jHH? 4* 4» 4» 4» 4* 4» 4» 4» 4» 4» 4» 4» 4» 4» 4» LE RALLiEMENT JOURNAL HEBDOMADAIRE ILLUSTRK paraissant le Mevcvedi en seize pages de texte eontenant d'importaiits artieles sur les questions sodales, politiques, artistiques, scientiflqucs et littérairos Coiites, Romans, Nouvelles, Musique INFORMATIONS PARLEMENTAIRES CORRESPONDANCES ÉTRAXGÈRES supplément bi-mensuei: L'Enseignement Pratique Rédacteur en chef : Eélix LEY COMITÉ DE REDACTION : MM. Paul Janson, Einile Feron, Eugène Robkrt, Prosper IIanrez, Georges Lorand, Auguste Lambiottk, 'llerniaim Dumont. ABONNEMENTS : BELGIQUE : fr. 2.50 par semestre; avee supplément, 3 francs par semestre Le numéro : 10 centimes ÉTRANGER : fr. 3.50 par semestre. Le numéro : 15 centimes ADMINISTRAT30N ET RÉDACTION : 198, rue des Coteaux; 198 — BRUXELLES Téléphone 4772 «V* «$• vj# vj- «y. lift vji. «y. «y.