M. TSCHOFFEN PROCUREUR DU ROI DE L'ARRONDISSEMENT DE DINANT LE SAC DE DINANT ET LES LÉGENDES DU L1VRE BLANC ALLEMAND DU 10 MAI 1915 PRO JUSTITIA! 1917 PRIX : 5 Francs. S. A. FUTURA, LEYDE (HOLLANDE) LE SAC DE DINANT ET LES LÉGENDES m DU LIVRE BLANC ALLEMAND DU 10 MAI 1915 M. TSCHOFFEN PROCUREUR DU ROI DE L'ARRONDISSEMENT DE DlNANT LE SAC DE DINANT ET LES LEGENDES DU LIVRE BLANC ALLEMAND DU 10 MAI 1915 S. A FUTURA, LEYDE (HOLLANDE) CHAPITRE I Dinant. Sa Topographie, sa Population Le LIVRE BLANC du 10 mai 1915 sur " la conduite contraire au droit des gens de la population beige dans sa lutte contre les troupes allemandes, „ volume publié par le département des Affaires étrangères allemand, donne les renseignements suivants au sujet de la topographie de Dinant. La ville avec ses faubourgs de Leffe et Des Rivages sur la rive droite, de Neffe, de St Médard et de Bouvignes (1) sur la rive gauche, est située sur la Meuse, dans une vallée profonde. Les deux rives sont escarpées et rocheuses en maints endroits; elles montent en terrasses jusqua une hauteur de 70 mètres environ, la rive droite est un peu plus élevée que la rive gauche. A peu prés, au milieu de la ville, s'élève Ie fort, sur la rive droite, a une hauteur d'environ 100 mètres. Tout prés de la, vers le Nord, débouche la route principale qui vient de Sorinnes. Deux autres voies d accès venant de 1'Est se trouvent dans les vallées latérales, profondément encaissées, qui aboutissent a Leffe et Aux Rivages. „ (2) En ce qui concerne les voies a suivre pour permettre a des troupes en marche de s'écouler vers Dinant, cette description est parfaite. Maïs, pour mettre le lecteur a même de se rendre compte des phases du combat que les francs-tireurs auraient livré aux troupes allemandes dans les rues de la ville, il eut été utile de faire connaïtre la configuration de celle-ci. Le Livre Blanc s'en abstient. Essayons de combler cette lacune. (1) Leffe, Les Rivages, Neffe et St Médart forment réellement les faubourgs de Dinant. Bouvignes est une commune distincte, dont 1'agglomération est située a 2 kilomètres de 1'extrémité N. de Dinant. (2) Ce passage se trouve dans " 1'apergu général „ qui placé en tête du chapitre du Livre Blanc, relatif aux événements de Dinant, est signé par Ie major Berner et le Kammergerichtnat Dr Wagner au nom du Bureau militaire Enquête sur les violations des lois de la guerre créé au Ministère de la guerre a Berlin. (V. p. 117 a 124 du Livre Blanc). La traduction de eet apercu general est reproduite dans un des chapitres suivants. Etranglée dans une étroite vallée, entre la Meuse qui la borde et les collines rocheuses qui la dominent, Dinant (7.700 hab.) située sur la rive droite du fleuve, donne 1'aspect d'une ville toute étirée en longueur. Un quai longe la Meuse. Une interminable rue parcourt la ville du Sud (Les Rivages) au Nord (Leffe). Aux endroits de plus grande largeur, une ruelle est en outre tracée au pied des roches. Réunissant ces longues artères, deux rues et quelques ruelles les coupent perpendiculairement. De médiocre dimension, la Grand'Place nest pas entièrement bordée de maisons du cöté du fleuve sur lequel elleVouvre en donnant accès au seul pont de la ville. Dominant de tout prés cettc place et son admirable église gothique, une énorme masse rocheuse, coupée a pic et sur laquelle est tapie une vieille citadelle depuis longtemps devenue propriété privée, forme la caractéristique bien connue du site Dinantais. C'était hier une altière couronne dont s'énorgueillissait la ville, aujourd'hui ce n'est plus que la lourde pierre d'un immense tombeau. En beaucoup d'endroits la vallée se resserre au point que seule, la rue principale subsiste; ailleurs, cette artère même ne comprend plus qu'une seule rangée de maisons construites face a la Meuse, tandis que, par places, 1'étranglement devient tel que les habitations diparaissent, la chaussée seule pouvant se glisser entre les collines et le fleuve. Les faubourgs de St Médard et de Neffe sont jetés sur la rive gauche de la Meuse. Dinant fut envahie au Sud (quartier Des Rivages) par la route de Froidveau, venant de Boisseilles, au Nord (quartier de Leffe) par la route venant de Thynes et, au centre, par deux autres voies: 1° la route de Ciney (1), débouchant au faubourg Saint Pierre par la courte antenne bordée de maisons que forme, a 1'Est de 1'agglomération, la rue Saint Jacques ; 2° le chemin descendant d'Herbuchenne, qui aboutit au quartier Saint Nicolas. L'infanterie allemande utilisa en outre, pour pénétrer en ville, des sentiers de montagne serpentant sur les collines. Une ville de prés de 4 kil de longueur, avec une largeur de 300 mètres a peine aux endroits oü elle est le moins étranglée, bordée, sur un de ses flancs, par un fleuve large et profond, dominéé de 1'autre cóté par des rochers, dont 1'ennemi tient tous les endroits accessibles et envahie sur toute sa longueur, ne parait guère propice aux embuscades des francs-tireurs. (1) Ciney, Sarinnes, Dinant. Ëst-ce pour cela que le Livre Blanc allemand, ayant trait aux soi-disants exploits de ces francs-tireurs, ne donne, sur la topographie locale que des renseignements relatifs aux environs de la ville (ce qui constitue un hors d'oeuvre), tandis qu'il garde un silence complet sur la configuration toute particulière de la localité, plus intéressante cependant a connaitre au point de vue des combats livrés dans les rues? Si la topographie locale rendait impraticable pour les habitants toute participation a la bataille, bien plus encore y formait obstacle le caractère de la population. . Aimant la douceur du foyer domestique, soucieuse d'un bienêtre que facilite une aisance assez générale, la population de Dinant est honnête et calme. Rien ne révèle mieux 1'humeur d'un peuple; que le choix des distractions populaires. C'est pour le jeu de balie et la paisible pêche a la ligne, que se passionne le Dinantais. Dans le domaine des choses sérieuses, son humeur pacifique se caractérise par une extréme répugnance aux choses militaires. Un député, par ailleurs trés populaire, ne fut plus désigné comme candidat par ses amis politiques au moment des élections qui suivirent le vote d'une loi modifiant notre système de recrutemgnt (suppression du remplacement) et renforgant légèrement notre établissement militaire. Motif de 1'échec: il avait émis un vote favorable a cette loi, que réclamait depuis longtemps le patriotisme clairvoyant de Léopold II. Le service, bien léger cependant, de la garde-civique, était subi en tant qu'obligation légale, mais considéré comme une corvée dont I'ennui et 1'inutiüté ne se discutaient pas. Les rudes batteurs de cuivre d'autrefois, si durement chatiés par Charles le Téméraire, avaient abandonné tout esprit militaire en même temps qu'ils troquaient leur marteau contre des moules a couques ou se muaient en hoteliers et en cabaretiers pleins d'accueil pour 1'étranger. Se charge qui veut d'expliquer le miracle qui aurait subitement transformé ce peuple pacifique en une légion d'irréductibles et farouches francs-tireurs. CHAPITRE II Les premiers jours de guerre Petite ville, Dinant somnolait au bord de son fleuve aux eaux lentes, quand l'ultimatum allemand du 2 aoüt 1914 vint troubler la quiétude de ses habitants. On ne vit pas se produire de manifestations belliqueuses, mais aucune divergence d'opinions ne s'éleva au sujet de la réponse que rit le Gouvernement Beige a 1'outrageante proposition. On savait quel était le devoir. On 1'accepta sans forfanterie ni faiblesse. Epris de ses libertés, jaloux de son indépendance le peuple beige avait 1'ame trop haute pour les abandonner a la peur et pour sacrifier en même temps sa loyauté fiére, son sens de 1'honneur et son respect de la foi jurée. Nulle main n'eüt voulu se tendre pour recevoir les trente deniers de Judas qu'une menace sans pudeur offrait a la conscience beige pour prix d'une forfaiture et tous les coeurs s'émurent d'un légitime orgueil a, lire la fiére et digne réponse opposée par le Gouvernement Beige a la sommation allemande. Aujourd'hui encore, opprimée, sanglante la Belgique rend grace a son Roi paree qu'il 1'a sacrifiée au devoir. Dinant fit un adieu rapide aux quelques volontaires que fournit la ville et aux mobilisés qui allaient au sombre et tragique devoir. Simplement, sans phrases, comme étaient partis ceux qui devaient se battre, en honnêtes gens forts de leur droit, ceux qui restaient se préparaient a subir les épreuves que leur réservait la guerre. Finies, les petites querelles. Les rivalités, les rancunes sombraient dans un sentiment tout nouveau d'union patriotique. Des mains qui depuis longtemps se refusaient, se tendaient enfin pour une cordiale étreinte. La fierté du sacrifice nettement consenti, 1'orgueil du nom Beige et de la Patrie héroïque, la fraternité du danger commun avaient fondu toutes les ames dans une même impression d'angoisse et une même volonté d'espérance. L'aspect de la ville avait changé. Tandis qu'aux fenêtres palpitaient les chaudes couleurs de notre grave et somptueux drapeau, de 1'agitation s'était substituée au calme ordinaire et a 1'habituelle tranquilité de nos rues. Des gens s'abordaient sans se connaitre et partout des groupes se formaient applaudissant a 1'héroïque défense de Liége ou commentant fiévreusement de fausses nouvelles surgies de sources inconnues. De 1'un a 1'autre groupe on circulait en quête de renseignements tandis que des personnes trés au courant des secrets militaires des divers pays répandaient — confidentiellement — des nouvelles dont la censure n'avait pas autorisé la publication, annon^aient les prochains mouvements de troupes, indiquaient 1'endroit oü seraient remportées les futures victoires et nous apprenaient même des défaites ennemies que des nécessités stratégiques empêchaient de faire connaitre. C'est ainsi que j'appris un jour comment les armées franco-anglo-belges concentrées a Waterloo venaient d'y écraser les Prussiens commandés par le général Blüchert Un commencement de panique survint au sujet de la valeur des billets de la banque nationale. Aux guichets de eet établison s'empressait pour échanger contre du numéraire le papier que refusaient certains commergants. On vit même au bureau de poste une pauvre femme acheter, pour un billet de vingt francs, des timbres, dont elle n'avait pas 1'emploi mais dont elle jugeait la valeur moins aléatoire. Les magasins de comestibles se vidaient, les ménagères se hatant de s'approvisionner en prévision de la disette a venir. Et puis, il faudrait recevoir avec une large hospitalité les troupes frangaises qui traverseraient la ville au cours de leur marche vers lAllemagne! Avec quelle impatience on les attend depuis que, la Belgique envahie, le Gouvernement a fait afficher un avis portant: " Nous sommes en état de guerre avec 1'Allemagne. L'entrée des troupes frangaises ou anglaises sur le territoire ne doit pas être considéré comme un acte d'hostilité. „ Déja on signale dans le Condroz, a quelques kilomètres de Dinant, des cavaliers allemands et nous n'avons encore comme garnison que quelques sapeurs du génie occupés a miner le pont. Celui-ci est gardé militairement par des gardes-civiques. Avec un zèle amusant ils en interdisent 1'accès même aux personnes qu'ils connaissent le mieux, si elles ne peuvent exhiber de laissezpasser délivré par 1'administration communale. Quelques carabiniers beiges arrivent enfin, tandis que des cavaliers allemands poussent des reconnaissances jusqu'aux abords immédiats de la ville. " Gardons-nous de les molester; suivons les instructions du gouvernement. Notre sécurité en dépend. „ C'est 1'exhortation que tout le monde se répète. Et des cours improvisés de droit international se tiennent dans tous les groupes. L'enseignement mutuel qui s'y donne est basé sur 1'avis officiel que t<5us les journaux ont reproduit a plusieurs reprises. " Aux Civils „ Le Ministre de 1'Intérieur recommande aux civils, si 1'en" nemi se montre dans leur région: " De ne pas combattre ; " De ne proférer ni injures ni menaces ; " De se tenir a 1'intérieur et de fermer les fenêtres, afin qu'on " ne puisse dire qu'il y a eu provocation; " Si les soldats occupent pour se défendre une maison ou un " hameau isolé, de 1'évacuer afin qu'on ne puisse dire que les " civils ont tiré ; , L'acte de violence commis par un seul civil serait un véritable crime que la loi punit d'arrestation et condamne, car ii pourrait servir de prétexte a une répression sanglante, au pil'* " lage et au massacre de la population innocente, des femmes " et des enfants. „ (1) En même temps le gouverneur de la province de Namur adressait a la population 1'avis suivant: Gouvernement Provincial de Namur Avis trés important " Le Gouverneur civil attire la trés sérieuse attention des habitants de la province sur le trés grave danger qui pourrait " résulter pour les civils de se servir d'armes contre 1'ennemi. " lis doivent a eet égard, observer, comme il convient du " reste, 1'abstension la plus compléte. " C'est a la force publique seule qu'il appartient de défendre " le territoire. (1) Est-ce ce document que commentait 1'empereur d'Allemagne dans son télégramme au Président Wilson lorsqu'il disait; " Le Gouvernement Beige a encouragé la population civile a prendre part a cette guerre „? " Toute inobservation de cette recommandation serait de na" ture a provoquer, le cas échéant, des représailles, des iacen" dies, etc. " Namur, le 7 Aoüt 1914. „ Baron de Montpellier Vu et approuvé Namur, le 7 Aoüt 1914 Le Gouverneur Militaire Michel. La certitude que ces instructions seraient suivies et les garanties puisées dans les stipulations formelles de la Convention de La Haye inspirent confiance. Les craintifs cependant s'empressent de rentrer chez eux dès que court, vrai ou faux, le bruit de 1'approche d'une patrouille ennemie. Médiocrement rassurés par la réputation de discipline de 1'armée allemande, ces peureux redoutent des excès de la part de soldats lancés en avant-garde et qui échappent a la surveillance de leurs officiers. Ils se demandent pourquoi ces hommes respecteraient les lois de la guerre mieux que leur Gouvernement n'avait observé le traité par lequel la Prusse garantissait notre neutralité. Ils fondent leurs soucis et leurs craintes sur le récit que fait la presse des massacres de Visé. Ils trouvent peu d'écho cependant. On s'est battu a Visé. Quelques personnes y auront été victimes de balles perdues ou auront été tuées par des éclats d'obus. Le surplus des récits passé pour racontars de journaux en mal d'informations. Contre les faits qu'ils rapportent proteste 1'idée que 1'on se forme de 1'Allemagne civilisée, incapable de se déshonorer par des actes qui. rejetteraient L'humanité a plusieurs siècles en arrière, a 1'age des invasions des Barbares. Trompeuse confiiance! L'administration communale prenait de son cöté les mesures nécessaires et le Bourgmestre publiait les deux avis suivants: I. — Aux habitants de la Ville de Dinant. " Avis est donné aux habitants, sous peine d'arrestation im" médiate, d'avoir a porter au bureau de police tous les appareils " de transmission ou de réception pour télégraphie sans fil, tou" tes les armes a feu et munitions qu'ils posséderaient. „ A Dinant, le 6 Aoüt 1914. Le Bourgmestre, A. Defoin. II — Avis aux habitants. II est formellement signalé aux habitants quc les civils ne peuvent se livrer a aucune attaque ou violences par les armes a feu ou autres contre les troupes ennemies. Semblables attaques sont prohibées par le droit des gens et exposeraient leurs auteurs, peut-être même la ville, aux plus graves conséquences. „ A Dinant, le 6 Aout 1914. Le Bourgmestre, A. Defoin. Bien des gens avaient demandé déja si le fait de posséder des armes ne les mettait pas en danger; aussi, bien que le caractère beige soit instinctivement hostile aux mesures de police, la décision du bourgmestre fut-elle accueillie avec satisfaction. Dans le local oü furent déposées les armes on put bientöt voir, voisinant avec des fusils ou des revolvers soigneusement entretenus, une étrange collection de pistolets hors d'usage et de vieux fusils veufs de leurs chiens. Une surveillauce réciproque aurait au besoin suppléé a un défaut d obéissance de la part de quelques citoyens. Personne n aurait toléré quel'uneou 1'autre imprudence vint compromettre le résultat des précautions prises par 1'autorité. Des dénonciations signalant des contraventions furent faites a la police et a mon Parquet. Des perquisitions immédiatement pratiquées en démontrèrent le mal fondé: aucune arme ne fut trouvée et dans chaque cas les intéressés démontrèrent facilement qu'üs avaient effectué a 1'hötel de ville le dépot de leurs fusils, revolvers et cartouches. Le licenciement et le désarmement de la garde-civique suivirent de peu. L'ennemi pouvait arriver. Les mesures utiles de police étaient prises et la population avait conlïance qu'aucun reproche légitime ne lui serait adressé. Eton-nante fagon de se préparer a la résistance, que, d'après le Livre Blanc allemand, la population aurait opposée aux armées envahissantes ! L Etat-Major allemand a eu certainement connaissance des solennels avertissements que le Gouvernement Beige publiait dans nos journaux. Les officiers et les soldats saxons pénétrant a Dinant ont lu sur les murs de la ville les avis du Gouverneur de la province et du Bourgmestre de la ville. Par quel remarquable oubli les scribes du gouvernement impérial négligent-ils de mentionner ces documents dans leur plaidoyer relatif aux événements de Dinant ? Le 7 Aoüt arriva, par chemin de fer, un détachement du 148 e d infanterie franfaise, caserné a Givet, ville frontière située a 20 kilomètres de Dinant. La veille étaient déja apparus des cavaliers allemands venus du Hanovre. II semblait que la présence de nos alliés a Dinant eüt écarté tout danger et 1'on s'imaginait déja les hordes ennemies repoussées par dela la frontière. Malgré les communiqués des jours suivants annonpant 1'entrée des Allemands a Liége et le départ du Gouvernement pour Anvers, 1 espérance ne voulait pas faiblir. Des Francais étaient a Dinant, on savait que de sérieuses forces de leur cavalerie montaient vers le Nord par le Luxembourg. L'insuccès des patrouilles allemandes aux environs de Dinant et de celles, plus rares, qui se hasardaient en ville, la gaité, 1'entrain, la belle assurance des Francais, ce que 1 on voyait, en un mot, dissimulait 1'impression facheuse que les communiqués officiels auraient du faire naitre malgré leur optimisme de commande. Le 14 Aoüt vers le soir, alerte, fuite des habitants qui se réfugient chez eux: un cycliste vient de passer annongant que les Allemands descendent en force sur Dinant. Bientót une vive fusillade éclate vers Anseremme, et pour la première fois les nerfs se crispent a 1'énervement de la mitrailleuse. Cela dura une demi-heure environ et, peu après, on apprit qu'un assez fort détachement allemand s était heurté a un poste franjais installé a Anseremme pour protéger le pont du chemin de fer sur la Meuse. Lennemi n avait pas tardé a se retirer laissant plusieurs morts sur le terrain. Les Francais gardèrent la nuit les positions qu ils occupaient les jours précédents: le gros de leurs forces occupant la rive gauche de la Meuse; sur la rive droite le poste d'Anseremme, quelques grand'gardes a 1'intérieur de Dinant et, en dehors de la ville, un détachement assez important pour occuper le vieux fort qui la domine. CHAPITRE III L'agonie de la ville Le 15 Aoüt de chaque année, Dinant se réveillait au chant des cloches sonnant joyeusement la fête de la Vierge. Tandis que la procession du St-Sacrement déroulait ses pompes les habitants des villages envahissaient la ville, dont c'était la kermesse annuelle. Leur foule s'augmentait des flots de touristes débarqués des trains et des bateaux a vapeur. Une extraordinaire quantité d'automobiles, mêlant a cette cohue ses trépidations et ses ronflements ininterrompus, obligeait les piétons poudreux a se réfugier aux terrasses des restaurants et des cafés oü, dans 1'animation et les rires d'une journée de fête, ils attendaient la soirée pour se rendre au champ de foire. Et alors, devant les échoppes des forains, au milieu d'un nuage de poussière chaude soulevée par mille pas traïnants, la foule circulait lentement, assourdie par les sons de 1'orchestrion d'un manége de chevaux de bois, jusqu'a 1'heure oü la dernière fusée du traditionnel feu d'artifice éteignait sa pluie d'or dans les eaux que le fleuve semblait rouler plus noires que d'habitude, après tant d éclats, dont elles venaient de s'illuminer Cette fois, ce füt le canon qui donna 1'aubade a la ville: 1'ennemi cherchait a forcer le passage de la Meuse. Je ne veux pas faire oeuvre d'imagination en cherchant a décrire ce combat. Terré dans une cave, comme tout le monde a Dinant, j'entendis la bataille sans la voir. A des instants de crainte, pendant lesquels je me figurais tantöt la ville écrasée par des rafales d'obus, tantót les cris des habitants fuyant affolés sous les balles au milieu de 1'écroulement des maisons en dammes, succédaient des heures d'une sécurité relative. Je me rasurais en songeant a la solidité des voütes qui nous abritaient ainsi qu'a la situation encaissée de la ville dans laquelle les Allemands ne pourraient, me semblait-il, s'aventurer sans avoir au préalable éteint le feu de 1'artillerie frangaise; a en juger par 1'orage des canons, celle-ci ne semblait par prête a se taire. Une idéé fixe m'obsédait: le pont! Tant que je n entendrais pas la détonation sourde annongant qu'on venait de le faire sauter, tout serait bien. C'est que les Francais ne se sentaient nullernent menacés sur leurs positions de Ia rive gauche de la Meuse. L oreille tendue aux bruits de la bataille, j'essayais en vain de me rendre compte de ce qui se passait. Une chose seulement me paraissait certaine: au pied du chemin descendant d'Herbuchenne et qui débouche en ville a une centaine de mètres de chez moi, une fusillade furieuse 11e discontinuait pas. De eet endroit on n'a aucune vue sur la rive gauche; Francais et Allemands devaient donc s'y trouver face a face, se battant sur le corps de leurs camarades tombés pour se fusiller a bout portant. Je^ pus constater plus tard qu'aucune troupe n'avait paru sur ce point de la ville. J avais été induit en erreur par des échos déconcertants qui répercutaient de rochers en rochers les bruits inaccoutumés de la bataille. Nombre d'habitants furent 1'objet d'illusions semblables, et il est vraisemblable que, dans la sinistre journée du 23 Aoüt, bien des Allemands ont été trompés de la même fagon. Vers midi, une accalmie se produisit: canons et mitrailleuses se taisent, la fusillade même devient insignifiante. Quelques personnes se risquent jusqu'au seuil de leur maison. cherchant a se renseigner sur le développement du combat. Sur le fort, le drapeau allemand remplace les couleurs fran- caises qui y flottaient le matin. Plus au Sud, on apergoit la fumée de coups de fusils tirés .de celles des meurtrières de la tour de Montfort, qui font face aux Allemands. Les Frangais tiennent donc encore dans ce réduit. Impossible d'en savoir clavantage. Soudain, éclatent des salves d'artillerie. Toutes les portes se referment et c est une nouvelle plongée dans les caves. Bien que la lutte se fit beaucoup plus violent que dans le cours de la matinée, elle inspirait moins de craintes. Accoutumance au danger ou confiance que durerait 1'immunité dont on avait profité jusqu aiors ? Ces deux sentiments, sans doute, concouraient a calmer 1'anxiété. L'esprit plus libre se reportait vers les souf- frances des combattants et s egarait vers 1'horreur du champ de bataille. Dans la nature impassible, une belle journée d'Aoüt empourprant les visages déja enfiévrés par le combat, illuminant les jeunes vies offertes en sacrifice, éclairait aussi les figures crispéés des blcssés qui, ralant leur soif et leur fièvre, gisaient, la poitnne trouee et les membres broyés, ou se traïnaient lamentables vers un coin d'ombre, pour y abriter leur agonie. Et la face pale des morts, la bouche ouverte pour un dernier cri de colère ou d'horreur, recevait le suprème baiser d'un soleil dont 1'éclat ne brülait plus les yeux vitreux et hagards, les yeux de ceux qui ne verront plus. Dans le soir qui tombait, la bataille paraissait prés de finir. Pour autant que 1'on put s'en rendre compte, seule 1'artillerïe frangaise tirait encore quelques coups toujours plus espacés. Puis, le silence se fit. Dehors tous ! Un bruit se répand instantanément. Les Frangais prenant 1'offensive ont passé la Meuse au chant de la " Marseillaise „. Ils ont repris a 1'ennemi le vieux fort, sur lequel le drapeau allemand achève de brüler. C'est la victoire! Des cris d'enthousiasme éclatent: " Vive la Belgique ! Vive la France „ ! pendant que, sabre au clair, des cavaliers au dolman bleu de ciel passent au galop, poursuivant 1'ennemi. Le lendemain, le pénible spectacle des blessés que 1'on transportait, la vue des linges ensanglantés des ambulances et 1'asp^ct lugubre d'une des salles de 1'hótel de ville, oü, cóte a cóte, des cadavres de soldats francais étaient rangés, embrumaient cette joie d'une ombre triste. Les journées du 16 et du 17 Aoüt furent remplies par 1'espoir de voir les Francais, poursuivant leur succès, prendre une vigoureuse offensive. Le 18, on les vit, au contraire, se retrancher sur la rive gauche de la Meuse oü ils rappelaient leurs postes détachés en ville. La circulation fut interdite sur le pont qui se hérissa de fils barbelés. C'est par barque seulement que civils et patrouilles frangaises pouvaient encore passer d'une rive a 1'autre du fleuve. Dans la direction de Namur, les trains ne roulent plus. Les blessés sont évacués vers la France et les Allemands, revenus sur les hauteurs qui dominent la ville, tiraillent malgré 1'insigne de la Croix Rouge — sur les trains qui emportent ces malheureux. La situation de Dinant s'assombrit de nouveau. D'une rive a 1'autre s'échangent journellement des balles et des obus qui causent aux habitants des alertes continuellement renouvelées. Comme a la veille du 15 Aoüt, des avions allemands passent, trés haut dans le ciel, survolant les positions frangaises. Les Dinantais ne tardent pas a se convaincre qu'ils seront, a bref délai, les témoins impuissants et apeurés d'une nouvelle bataille. La poste n'arrive plus. Le ravitaillement de la ville souffre des difficultés : les réserves de farine s'épuisent, on manque de levure et, les cultivateurs des environs ne parvenant plus a Dinant, les m'ères s'inquiètent pour les tout petits: le lait se fait si rare! On se sent a la merci de 1'ennemi. Pendant la nuit du 21 au 22 Aoüt une reconnaissance allemande pénètre, par la route de Ciney, dans la ville endormie, et, sans raison apparente, ouvre un feu violent sur les maisons de la rue St Jacques. Une vingtaine d'entre elles sont incendiées et des habitants sont blessés. Ceci aurait dü nous faire prévoir le sort réservé a la ville et cependant, en dehors des habitants du quartier incendié qui avaient senti 1'aiguillon de la peur, le nombre des personnes que la crainte chassa de Dinant fut relativement peu considérable. On voyait sans étonnement partir les fuyards. Peut-être on les enviait secrètement, mais on manquait de 1'esprit de décision nécessaire pour suivre 1'exemple de ceux qui furent les sages. Partir! C'était se livrer, sans moyens de transports, aux hasards d'un voyage difficile, dans une région encombrée de troupes oti peut-être la bataille rejoindrait les fugitifs au milieu d'un exode dont le terme était aussi incertain que le but. C'était abandonner derrière soi les foyers aimés, les souvenirs qu'ils évoquent et les reliques du passé pieusement gardées, pour tout livrer aux curiosités, aux convoitises et aux souillures de 1'ennemi. 11 y avait les vieillards, les enfants, les faibles qu'on ne pouvait délaisser et qu'il était impossible de transporter. Des intéréts, des habitudes, des affections, des devoirs nous tenaient enchainés aux foyers menacés. Pour se rassurer, on ne voulait voir qu'un exploit de soldats ivres dans fattaque dirigée, la veille, sur un quartier de la ville. On avait subi sans inconvénients une première bataille, pourquoi s'eflarer a 1 idéé d'en voir une seconde? Et 1'on s'abandonna. A la garde de Dieu ! Or, ce soir du 22 Aoüt 1914, pendant que, sourdement, grondait au loin le canon de Namur, le soleil couchant illuminait pour la dernière fois la ville, qui s'endormait dans 1'angoisse et le silence. CHAPITRE IV Le Désastre Les illusions que Dinant s'était faites ne survécurent pas aux premières heures de la bataille qui s'engagea le 23 Aoüt. Trés peu après qu'eurent été échangés les premiers coups de canon, utilisant les routes, les sentiers, dévalant par les pentes accessibles des collines qui dominent la ville, 1'infanterie allemande envahissait la localité. A peine avait-on entendu les cris gutturaux et sauvages des soldats ou pergu par les soupiraux, le piétinement des lourdes bottes allemandes écrasant les pavés, que, fenêtres criblées de balles, caves bombardées a 1'aide de grenades, portes enfoncées a coups de haches, les maisons étaient envahies. Au caprice de la soldateSque des coups de fusil éclataient. Des families entières étaient massacrées dans leur demeure les cadavres des mères s'écroulant sur les berceaux ensanglantés. Ailleurs, les habitants a demi-vêtus étaient arrachés de chez eux et une partie d'entre eux, les hommes principalement, tombaient assassinés au seuil de leurs habitations. Les survivants, emmenés sous les injures et les menaces, jetés aux dangers de la bataille qui grondait, trainés a travers les rues, voyaient les incendiaires occupés déja a propager les flammes qui devaient réduire la cité en cendres. Sous la garde de brutes, qui ricanaient a la détresse de leurs victimes ou se vantaient des meurtres qu'ils venaient de commettre, la plupart des prisonniers étaient parqués dans divers locaux. D'autres, hommes, femmes et enfants, étaient rangés au bord de la Meuse, pour servir aux Allemands de bouclier contre le feu des Francais. Sur les bras de son père, un enfants de 5 ans, le petit D... riait et applaudissait quand il voyait, sur les maisons de 1'autre rive, les obus allemands éclater, en faisant brêche dans les murs. Prés de lui, un père et une mère relevaient le cadavre de leur fille de vingt ans, qu'une balie fran^aise venait de frapper au front. Dans la débauche de férocité qui ensanglanta les premiers pas que les troupes allemandes fïrent a Dinant ni 1'age, ni le sexe n'avaient été respectés. La sainteté des temples devait aussi être outragée. Au faubourg de Leffe, tout a Pentrée de Dinant, dès que s'engagea la bataille, les Allemands envahissent 1'église des P. P. Prémontrés, en arrachent tous les hommes et les fusillent a quelques pas de la. Ces gens venaient de recevoir la Communion en viatique et bien des lèvres, sans doute, au moment oü la mort vint les clore, murmuraient. " Pardonnez-nous.... comme nous pardonnons.... „ Ces croyants se préparaient a mourir en chrétiens; les Allemands — ils n'ont pas le sentiment de 1'odieux.... ni le sens du ridicule, — les présentent comme des assassins ! Cette exécution en masse ne fut pas la seule. Vers six heures du soir, au quartier St Nicolas, cent vingt-neuf habitants, arrêtés depuis Ie matin, furent fusillés en présence de leurs femmes et de leurs enfants. Plus loin, prés du Rocher Bayard, on ne fait même plus de triage. Vieillards, femmes et enfants sont assassinés de sang-froid, en mêrrfe temps que les hommes valides. Je consulte la liste funèbre et je relève parmi les noms des victimes tombées en eet endroit ceux de: La sécurité de 1'armée allemande exigeait le chatiment de ces francs-tireurs : justice a été faite ! Dan? un aqueduc, a Neffe, (rive gauche de la Meuse) des malheureux avaient cherché un refuge contre les obus. Les Allemands arrivent et dans cette foule compacte, ils tirent des coups de feu et jettent des grenades. Les survivants sortent de 1'aqueduc, trainant derrière eux les corps des femmes et des enfants blessés ou morts. Les bourreaux ricanent, leur disant: " N'avezvous pas honte d'avoir si peu de soins de vos blessés! Placés sous la garde menafante des sentinelles allemandes, ceux des Dinantais qu'épargnait la mort, gardaient au milieu du (1) Ces noms sont cités dans la protestation que Mgr Heylen, évêque de Namur, adressa au général Von Bissing, gouverneur allemand en Belgique. Cette protestation contre les accusations du Livre Blanc est datée du 31 Octobre 1915 Elle est publiée dans le Livre Oris beige, pages 445 et suivantes. La partie de cette note qui concerne Dinant est reproduite dans le présent volume. Clara Struvay, deux ans et demi; Gilda Marchot, deux ans; Gilda Génon, dix-huit mois; Nelly Pollet, onze mois; Maurice Bétemps, onze mois; 1'enfant Fiévet, trois semaines! (1) carnage et des meurtres, un calme, dont chacun s'étonne encore. Point de vaine tentative de résistance ou de révolte. Pas de cris, pas de supplications, pas de larmes. Les tout petits même, sur les bras de leur mère, pauvres bébés trop jeunes encore pour comprendre, se taisaient effrayés. Le groupe de captifs dont je faisais partie, s'accroissait a chaque instant de nouveaux prisonniers apportant de sinistres nouvelles: des morts, toujours des morts! Dans toutes les rues, oü ne cessait de crépiter une fusillade folie, des cadavres épars gisaient. " C'est la guerre! „ disaient nos gardes. Au milieu du tumulte de la bataille, a travers les grondements du canon et 1'inlassable crépitement des mitrailleuses, on 'distinguait parfois le roulement d'un feu de salve. L'on se détournait les uns des autres pour éviter de se communiquer la réflexion qui s'imposait: encore une exécution ! Et cependant, il ne se manifestait pas d'épouvante I Le sentiment de la peur semblait aboli par la stupeur qui nous envahissait a la vue de l'immense désastre s'abattant sur la ville d'oü surgissaient continuellement les flammes de nouveaux incendies. Malgré 1'impression toujours croissante que personne ne sortirait vivant de eet enfer, une étrange résignation régnait. II y avait une tragique noblesse dans le spectacle de cette foule qui attendait la mort et priait. Vers deux heures. on emmène un certain nombre d'entre nous. Par les rues en flammes, nous allons passifs et mornes, ignorants du terme que l'on assignera a notre marche. Les portes d'une cour de la prison s'ouvrent devant nous. A peine y avons-nous pénétré, qu'une fusillade, partie du haut des collines occupées par les Allemands, est dirigée sur notre groupe. On se presse vers une porte étroite donnant accès a 1'intérieur des batiments, tandis qu'un grand est lourd soldat allemand, jouant des poings, renverse des femmes et des enfants, pour franchir plus vite cette porte et se mettre a 1'abri du feu de ses camarades. Des morts, des blessés tombent sous les balles. Parqués dans un étroit réduit, serrés les uns contre les autres, au point qu'il est impossible de s'asseoir, les mères élevant leurs enfants sur les bras pour qu'ils puissent respirer, étouffant et dévorés de soif, nous écoutons les bruits de la bataille. II semble qu'il faille mal augurer de son issue: les détonations des canons francais paraissent se faire plus lointaines et plus rares. Enervant, le tir des mitrailleuses ne discontinue pas. Prés de nous, abandonnés la oü ils sont tombés, des cadavres rougissent le sol. Mais voici qu'un ordre est donné: " On a tiré sur nous, tous les hommes dans la cour, ils vont être fusillés. „ Des adieux rapides. " Oü vas-tu? „ dit une femme a son mari. — " A la boucherie. „ — " C'est bien, je prierai pour toi. „ — Une autre: " Surtout, n'aie pas peur; qu'ils ne te voient pas trembler! „ Personne ne pleure. Dans 1'état, oü nous sommes, la séparation et la mort semblent faciles. On les accepte comme 1'inévitable aboutissement de cette journée d'horreur. Un prêtre donne une dernière absolution a ceux qui vont mourir. Par le hasardd'un retard, nous furent épargnées les balles du peloton d'exécution dont nous entendïmes les salves, qui a cent mètres de nous, abattaient cent vingt-neuf de nos concitoyens. II nous fut permis de rentrer dans les batiments de la prison et d'y rejoindre les nötres. v La nuit venait quand on nous fit tous sortir de la prison. C'est vers Anseremme qu'on nous mène, foule a peu prés silencieuse, poussée lentement entre des rangées de maisons en dammes. L'ardeur du brasier brüle les yeux, 1'air surchauffé entretient a peine une respiration haletante, des toitures s'effondrent faisant jaillir des gerbes d'étincelles et des vêtements de femme prennent feu. Une halte. Sur la Meuse un pont de bateaux est jeté; les Allemands traversent le fleuve! La bataille est perdue! Nouvelle et poignante tristesse. En ce moment les hommes valides sont de nouveau séparés brutalement du reste du troupeau de prisonniers. Tandis que les femmes et les enfants sont chassés, toujours plus loin vers Anseremme, nous reprenons a travers Dinant le chemin déja parcouru. Par la montagne St-Nicolas on nous entraine jusqu'au plateau d'Herbuchenne oü 1'on nous fait camper. Toutes les habitations isolées qui s'y trouvent dispersées sont en feu. En flammes, le hameau de Gemmechenne et, prés de nous, la ferme d'Herbuchenne. Dans le fond de la vallée une fournaise immense: c'est Dinant tout entière qui brüle. Sur 1'autre rive des ombres s'agitent éclairées par 1'incendie des maisons de Neffe. Des flammes encore sur les collines en face de nous: elles dévorent le collége de Belle-Vue et les habitations voisines. Jusque tout a 1'Est, 1'horizon est rouge: le village d'Onhaye disparait aussi dans la tourmente. Une angoisse nous étreint au souvenir de nos femmes et de nos enfants arrachés de nos bras. En même temps s'évoque a nos yeux une vision sinistre, prècise comme üne impression physique: le pays entier ravagé; les granges regorgeant de moissons, les maisons et les berceaux livrés aux flammes; les clochers de nos églises s'effondrant sur les ruines des temples oü les fïdèles ne viendront plus prier; les corps des habitants assassinés gisant abandonnés sur les routes de 1'invasion; les Barbares foulant en vainqueurs le sol outragé de la Patrie; notre armée et celles de nos alliés s'ensevelissant dans une irréparable défaite et nos dernières espérances emportées au soufflé de la tempête comme les cendres de nos foyers ! La-bas, les bruits de la ville s'écroulant dans les flammes étouffent les rales des agonissants et les cris des blessés qui achèvent de mourir, pendant que, dans des coins, des brutes ivres violentent des femmes. II semble que ce soit la fin de tout et une immense détresse nous envahit Le lendemain on nous entrainait vers une prison d'Allemagne. CHAPITRE V Un coup d'ceil sur le " Livre Blanc „ Avant d'aborder 1'examen des documents relatifs oü sac de Dinant, il paraït opportun de rechercher laquelle des enquêtes beige ou allemande se présente avec les apparences de la sincérité et de 1'exactitude. Constatons en premier lieu le silence que garde le Livre Blanc au sujet d'accusations nombreuses, graves, précises, relevées dans les différents rapports de la Commission beige d'Enquête. Ainsi le Livre Gris beige note 234 communes oü eurent lieu des massacres de civils (1). Le Livre Blanc fait allusion a 76 d'entre elles seulement ! (Livre Gris p. 139 et suiv. et p. 106 et 107). Silence complet relativement aux hécatombes de : Barchon 32 tués. Romsée 31 tués. Olne 62 „ Sprimont 48 „ Soumagne 165 „ Wandre 32 „ Visé + 30 „ Namur + 75 „ Tamines + 400 „ Spontin 45 „ Surice + 25 „ Latour 71 „ Öuaregnon ) _j_ Ethe 197 „ Jemappes ( " Haccourt 18 „ Fléron 15 „ Liége 29 „ Heure-le-Remain 27 „ Pontisse 23 „ Magnée 21 „ Neufchateau 26 „ Hastière-par-dela 18 „ Marchienne au Pont 24 „ Farciennes 23 „ Lodelinsart 24 „ Nimy 17 „ Gelrode 18 „ Sempst 18 „ Wespelaer 21 „ Werchter 15 „ Linsmeau 18 „ Melen (La Bouxhe) 129 „ Couillet 18 „ (Livre Gris p. 139 et suiv.). (1) Cette liste n'est évidemment pas compléte. Comme le fait observer le Livre Gris on manque encore de renseignements précis en ce qui concerne quatre provinces : Anvers (la liste ne contient aucune localité de cette province), la Flandre Orientale et la Flandre Occidentale pour les quelles 11 communes seulement sont indiquées et le Limbourg oü 1'on signale cependant des assassinats dans 6 localités. Le Gouvernement allemand ne peut assurément considérer ces faits comme tellement insignifiants qu'il soit indigne de lui de s'en préoccuper. Force est donc de considérer le silence qu'il garde a ce sujet comme 1'aveu de son impuissance a présenter ne füt-ce qu'une tentative de justification. Appréciant les documents publiés par la Commission beige d'Enquête le Livre Blanc dit : " Les récits de fugitifs publiés par la Commission beige d'Enquête portent le cachet de 1'invraisemblance, sinon de la déformation malveillante des faits ; d'ailleurs la Commission n'est en mesure, étant données les circonstances, ni de contröler 1'exactitude des rumeurs qui lui sont rapportées, ni de se rendre compte de 1'enchainement des événements.... Ses accusations contre 1'armée allemande ne sont pour ces raisons que de basses calomnies. „ (p. 5 et 6). II est vrai que 1'enquête beige reproduit princifialement des récits beiges. Les circonstances ne permettaient pas que 1'on fit plus ou mieux. Une enquête contradictoire eut été plus probante. Les Allemands le font remarquer. C'est leur droit. Mais nous pouvons a notre tour faire observer que, sans avoir la même raison, le Livre Blanc présente, plus encore que les documents beiges ce caractère d'enquête unilatérale. Lacune inévitable d'une part, omission volontaire de 1'autre : voila la situation. Dicter a ses adversaires la ligne de conduite qu'ils auraient dü suivre, mais éviter de s'y conformer soi-même alors qu'on en avait le moyen, telle est la prétention allemande. La Commission beige a fait, quand elle 1'a pu, appel au témoignage des neutres; elle a publié des carnets de soldats allemands et le Livre Gris reproduit de nombreuses déclarations de soldats allemands prisonniers. (Voir les 32 dépositions allemandes relatives aux événement de Dinant, qui sont reproduites dans ce Livre Gris aux p. 247 et suivantes). Ouvrons le Livre Blanc. En dehors d'un mémoire d'introduction émanant du Ministre des Affaires Etrangères et de quatre rapports d'ensemble sur les événements d'Aerschot, Andenne' Dinant et Louvain, nous y trouverons 212 annexes. Elles sont composées d'extralts de journaux de campagne, de rapports militaires et de dépositions d'officiers et soldats allemands. Certaines de ces annexes reproduisent plusieurs déclarations. II y figure quatre dépositions de civils. Deux de ceux-ci sont des sujets allemands. Les deux autres sont Beiges. Glorieuse tentative vers 1'impartialité, puissant effort fait pour échapper au reproche dirigé contre 1'enquête beige ! Du cöté allemand lechoix des témoins fut partial. La désignation des fonctionnaires chargés de 1'enquête et la procédure suivie ne témoignent pas d'un souci plus réel de sincérité et de justice. " Les dépositions, dit le Livre Gris, ont été a quelques exceptions prés, (1) faites devant des tribunaux de guerre, devant des militaire? d'un grade en général supérieur a celui des témoins ou devant le Bureau Militaire d'Enquête de Berlin lui-même. • Les témoignages de militaires ne doivent pas, assurément, être écartés; mais les auteurs des abus de force ou des méprises terribles qui ont été commises en Belgique, sont vraiment trop intéressés a se présenter comme victimes des attaques de la population pour que leurs déclarations unilatérales puissent être acceptées comme impartiales. La créance qu'il y a lieu d'y attacher est encore diminuée lorsqu'on envisage les conditions dans lesquelles nombre d'entre elles ont été refues. „ (Livre Gris p. 89). " De trés nombreux rapports et dépositions insérées dans le Livre Blanc n'ont été rédigés et regus que six et même sept mois après les événements auxquels ils se rapportent, notamment en ce qui concerne les massacres et la destruction de Dinant. On est en droit de n'attribuer a ces dépositions tardives qu'une valeur relative, étant donnée la mentalité d'une armée en,_campagne, la puissance de la suggestion collective qui dominait les esprits des officiers et des soldats allemands et le fait que tant d'autres événements et émotions sont venus dans 1'intervalle troubler la précision des souvenirs. Ceux d'entre ces sous-officiers et soldats qui furent interrogés en Février et Mars 1915, dans leurs cantonnements en France, auraient-ils osés contredire la vérité officielle, c'est a dire celle que les chefs hiérarchiques entendaient voir affirmée et confirmée par les témoins, leurs subordonnés ? „ (Livre Gris, page 97). En ce qui concerne Dinant 16 documents comprennent des extraits de journaux de campagne et des rapports militaires rédigés, semble-t-il, immédiatement après les événements, L'enquête sous forme d'interrogatoires renferme 71 documents presque tous datés de 1915. (1) Douze dépositions ont été re?ues, toutes en Allemagne, par des juridictions civiles. 'Enquête tardive; enquête menée par des officiers indaguant au sujet d'événements dans lesquels, sont plus ou moins intéressés, sinon compromis, d'autres officiers qui leur sont supérieurs en grade ; enquête dont les témoins sont des subordonnés qui, par leurs dépositions, absoudront ou condamneront leurs généraux et leurs chefs. Elle est donc viciée par toute la solidarité de 1'esprit militaire allemand et par la formidable et impérieuse pression de la hiërarchie militaire exergant son empire aussi bien sur les enquêteurs que sur les témoins. En vain objecterait-on que le Gouvernement beige profite habilement de 1'impossibilité dans laquelle il est trouvé d'instaurer une enquête contradictoire et que, toutes circonstances égales, il n'aurait pas agi autrement que le Gouvernement Impérial. La contradiction, le controle? La Be.lgique les a appelés de tous ses voeux. L'Allemagne les a repoussés. Empruntons aux " Cahiers documentaires. „ (Livraison 44 note n° 166, (*), la liste des propositions beiges en vue d'arriver a une enquête contradictoire. " La Commission officielle d'Enquête sur les violations du Droit des gens a exprimé a plusieurs reprises et, spécialement encore, dans son 12e rapport (Edition Berger-Levrault, Paris-Nancy, 1915, pp. 149 et suivantes) le vif désir du Gouvernement beige de voir le Gouvernement allemand consentir a 1'institution d'une Commission internationale d'enquête. Nous appelons de tous nos voeux, écrit-elle (p. 157), dans ce 12e rapport, la constitution d'une Commission internationale qui reprendrait notre enquête sur des bases plus larges, en offrant aux témoins toutes les garanties de sécurité personnelle. „ " Jamais aucune réponse nè fut faite a 1'expression réitérée et toujours persistante de ce voeu officiel. Au contraire, les journaux et les publicistes, agents de la propagande allemande, ont toujours affecté de 1'ignorer „. " A la fin aoüt ou tout au début de septembre 1914, au lendemain de 1'incendie et du pillage de Louvain, une proposition fut faite du cóté allemand a Mgr Ladeuze, recteur de 1'Université de Louvain, d'envoyer a Berlin trois de ses professeurs pour y déposer au sujet des événements de Louvain. „ " On remarquera le caractère absolument insolite de cette (1) Edité par le Bureau documentaire beige, établi au Havre, 52, rue des Gobelins. proposition : choisir parmi les professeurs témoins, enlever ces térnoins du lieu des événements, et les envoyer dans la capitale allemande pour y donner leur témoignage, devant quels juges allemands et sous quelles garanties ? L'assemblée des professeurs de 1'Université fut convoquée et, après délibération, décida de faire la contre-proposition de former un comité d'enquête international, siégeant a Louvain et qui entendrait tous les témoins sans distinction. Cette -contre-proposition, si raisonnable, resta sans suite. „ % " Septembre 1914 : — Une proposition fut faite par les socialistes beiges aux délégués socialistes allemands, les députés au Reichstag, Noske et Dr Koester, lors de leur visite a la Maison du Peuple de Bruxelles : elle se heurta a un refus. „ " 27 septembre 1914 : — Proposition de M. Ch. Magnette, grand-maïtre du Grand-Orient de Belgique, aux neuf grandes Loges d'Allemagne, de constituer une Commission de francsmagons délégués des grandes Loges des pays neutres. Réponse négative des Loges de Darmstadt et de Bayreuth. Silence des autres. „ 25 décembre 1914 : — Proposition publique contenue dans la Lettre pastorale de Noël 1914 du Cardinal Mercier : sans suite. „ " 20 janvier 1915 : — Proposition écrite du Cardinal Mercier au lieutenant-colonel von Wengersky, chef du district de Malines : sans réponse. „ " 8 février 1915 : — Renouvellement verbal de la même proposition par Mgr van Roey, vicaire général de Malines : sans réponse. „ " 12 avril 1915 : — Mgr Heylen remet au Gouverneur militaire de Namur une note officielle, datée du 10 avril 1915, en réponse au mémoire officiel allemand du 22 janvier 1915. Cette note contenait une demande instante de controle des accusations allemandes et des contredits de 1'évêque, par une Commission d'enquête' impartiale. La proposition resta sans réponse, de même que la note. „ " 7 novembre 1915 : — Une offre et une demande nouvelles trés instantes de controle par enquête bilatérale ou internationale sont faites dans un mémoire officiel et une lettre du même évêque de Namur, adressés au gouverneur général von Bissing. Cette proposition resta sans suite et, sans doute, sans réponse. „ " 24 novembre 1915 : — Offre plus solénnelle encore, faite cette fois par les six évêques beiges ensemble dans leur fameuse " Lettre collective a lepiscopat d'Allemagne, de Bavière et d'Autriche-Hongrie Cette offre, comme toutes les précédentes, est restée sans suite. „ Fin mars 1916 : — Proposition faite par le professeur Jean Massart de 1'Université de Bruxelles, aux 93 signataires de " 1'Appel des intellectuels allemands Le 14 avril 1916, M. E. Haeckel, professeur a 1'Université d'Iéna, répondait par un refus. „ Enfin le Gouvernement beige proclame solennellement son intention d'instituer, dès la libération du territoire, une Commission d'enquête internationale, devant laquelle 1'accusation et la défense auront même droit de se faire entendre (Livre Gris, p. 100). C'est une nation entière qui, forte de son bon droit, se léve pour crier a tous les peuples sa confiance dans la justice de 1'humanité. Ses ouvriers et ses bourgeois, ses savants, ses prêtres et son Gouvernement, s'élevant contre les calomnies dont on outrage leur martyre, provoquent leurs adversaires a soumettre a une enquête éclairée et a des juges impartiaux la décision de ce formidable procés. Et leur voix ne trouve pas d'écho dans les consciences germaines. La solidarité ouvrière ne s'émeut pas plus que la fraternité des loges. Les princes de la science allemande se retranchent derrière la solennité de leurs audacieuses affirmations, oubliant que seuls, les imbéciles ont le droit d'abriter derrière leur ignorance, leurs erreurs et leur bonne foi. Les évêques allemands? Ils ont entendu la voix émue de leurs confrères beiges. Ils ont recueilli le serment de notre épiscopat, leur affirmant devant Dieu 1'innocence de la Belgique. Ils ont compris 1'appel a la justice qui leur est adressé au nom de 1'immortelle morale du Christ. Ils n'ont plus le droit de rester dans Terreur ou dans le doute. Tournés vers Berlin, ils ont attendu, sans 1'espérer, un geste qui les autorise a faire éclater la vérité, et, leur maitre, n'ayant pas dessiné ce geste, ils couvrent d'un silence complice la calomnie qui souille 1'honneur du clergé et du peuple beiges. Leur conscience tressaille peut-être, mftis elle ne parle pas ! L'Allemagne officielle, orgueilleuse et méprisante, ricane a la voix de ce peuple qui ose se réclamer contre elle des droits de la Justice et faire appel a la lumière. Elle exhibe le flambeau de la Vérité allemande ! Quel astre pourrait mieux éclairer le monde ? Pour nous, Beiges, que nous importent le mutisme prudent et le silence dédaigneux que 1'Allemagne oppose a notre clameur ? Nous savons que d'elle, nous n'avons aucune justice a attendre, et c'est au jugement des peuples que nous faisons appel. Les Allemands prétendent, dans leur Livre Blanc, que les rapports et les conclusions de la Commission beige d'Enquête ne sont qua racontars de faits invraisemblables et basses calomnies. Quand ils s'expliquent, ne pouvant tout nier, ils s'efforcent de rejeter sur un peuple opprimé et a demi-baillonné la responsabilité de leurs vols, de leurs incendies, de leurs assassinats! Ils n'y réussiront pas! Oui. ils sont invraisemblables les faits consignés dans les deux volumes de ce livre d'horreur que constituent les rapports de notre Commission d'Enquête. Mais, esjt-ce notre faute, si nous sommes obligés d'aller jusqu'a l'invraisemblance pour signaler une partie seulement des crimes commis ^contre nous? Des calomnies ? Le calomniateur n'est pas celui qui, après avoir exposé son accusation, fait appel aux témoignages qui pourraient le contredire et cherche des juges pour le flétrir ou le justifier. Le calomniateur, c'est le fort, le puissant, qui en possession de tous les moyens nécessaires pour faire briller 1'éclat de la vérité sur des événem&nts douloureux et sanglants, retuse toute contradiction et, publiant une enquête volontairement tronquée, jette impudemment a la face du monde une vérité de contrebande, en s'écriant: qu'ai-je besoin de témoins autres que les miens ? Ils me suffisent. Ils doivent suffire a tous. Orgueil et mensonges! M. Struycken, professeur a 1'Université d'Amsterdam et membre du Conseil d'Etat hollandais a jugé sévèrement le Livre Blanc. " A plusieurs reprises déja, dit-il, la remarque a été faite que, durant cette guerre, on ne se fait manifestement pas, du cöté allemand, une haute idéé de 1'intelligence et du jugement critique des neutres, que 1'on veut convaincre du bon droit de la cause allemande. Le Mémoire allemand en est un nouvel exemple. Si 1'on veut réellement persuader les neutres que c'est a bon droit que 1'on a agi avec une si grande rigueur a 1 égard de la population civile en Belgique, il faudra apporter un faisceau de preuves autrement convaincantes que celles qu'on y trouve. On aime a être informé des deux cótés sur ce qui s'est passé, ne pas fonder uniquement son jugement sur des rapports beiges, frangais et anglais, dans lesquels des exagérations peuvent facilement trouver abri. Mais, que 1'on produise alors du cóté allemand un ensemble de preuves pouvant résister a 1 examen de la critique et qui prouvent réellement ce, qu'a leur aide, on veut prouver et non pas plutöt le contraire. „ (Revue " Van onzen tijd „ n° 43 a 46 année 1914-1915 et : De Oorlog in België (3 Gouda Quint, Arnhem). A 1'époque ou cette appréciation fut émise le Livre Gris n'avait pas encore paru. L'honorable professeur écrivait ces lignes sans avoir, pour étayer ses conclusions, 1'appui de tous les faits que le Gouvernement Beige révèle dans sa réponse aux accusations allemandes. C'est dans le plaidoyer de Berlin seul qu'il trouvait les motifs de son jugement. Combien le Livre Gris a raison de terminer son exposé général par ces belles paroles: "La pénurie et 1'imprécision des preuves allemandes ont déja frappé tous les bons esprits. L'abondance et la pertinence des preuves beiges achèveront de les convaincre. Ils comprendront et partageront le sentiment qu'en toute sérénité, devant Dieu et devant les hommes, le Gouvernement beige n'hésite pas a exprimer sur la conduite du Gouvernement impérial vis-a-vis de la Nation beige: " Celui-la est deux fois coupable qui, après avoir violé les droits d'autrui, tente encore, avec une singulière audace, de se justifier en imputant a sa victime des fautes qu'elle n'a jamais commises „. (Livre Gris p. 101). CHAPITRE VI L'Accusation La Commission beige d'Enquête consacre aux événements de Dinant deux rapports d'ensemble. Ce sont ceux que nous reproduisons plus bas. , La Commission anglaise d'Enquête a, de son cöté, recueilli un certain nombre de témoignages au sujet des mêmes faits. Ce sont des récits fragmentaires. Quel que soit leur intérêt, il ne parait pas nécessaire pour 1'intelligence des événements de surcharger par leur reproduction ce volume déja trop long. Onzième rapport de la Commission beige d'Enquête Événements de Namur — Sac et Massacres de Tamines, d'Andenne, de Dinant, d'Hastière, d'Hermeton et de Surice. Le Havre, 16 Janvier 1915. Monsieur le Ministre, La Commission d'Enquête a 1'honneur de vous faire rapport sur les excès commis par 1'armée allemande dans la province de Namur, tels qu'ils résultent des témoignages et des renseignements nécessairement incomplets recueillis jusqu'a ce jour. IV. — Sac de Dinant. La ville de Dinant' a été saccagée et détruite par 1'armée allemande; sa population a été décimée les 21,22, 23,24 et 25 aout. Le 15 aout, un engagement violent eut lieu a Dinant entre les troupes frangaises postées sur la rive gauche de la Meuse et les troupes allemandes qui arrivaient de 1'Est. Les troupes allemandes furent défaites, mises en fuite et poursuivies par les Francais, qui passèrent sur la rive droite de fleuve. La ville eut peu a souffrir ce jour-la. Quelques maisons furent détruites par les obus allemands destinés sans doute aux régiments franpais opérant sur la rive gauche. Un Dinantais, appartenant a la Croix- Rouge, fut tué par une balie allemande au moment oü il ramassait un blessé. Les journées qui suivirent furent calmes. Les Francais occupaient les environs de la ville. Aucun engagement n'eut lieu entre les armées ennemies et il ne se produisit aucun fait qui püt être inlerprêté comme un acte d'hostilité de la population. Aucune troupe allemande ne se trouvait a proximité de Dinant. Le vendredi 21 aoüt, vers 9 heures du soir, des soldats allemands descendus par la route de Ciney pénétrèrent dans la ville par la rue Saint-Jacques. Sans aucune raison, ils se mirent a tirer dans toutes les fenêtres, tuèrent un ouvrier qui rentrait chez lui, blessèrent un autre Dinantais et le forcèrent a crier: "Vive 1'Empereur. „ Ils frappèrent un troisième a coups de baïonnette dans le ventre. Ils entrèrent dans les cafés, s'emparèrent d'alcool, s'enivrèrent et se retirèrent après avoir incendié plusieurs maisons et après avoir brisé les portes et les fenêtres des autres- habitations. La population terrorisée, affolée, se renferma dans ses demeures. La journée du samedi 22 aout fut relativement calme. Toute vie était arrêtée. Une partie de la population, guidée par 1 instinct de la conservation, s'enfuit dans les campagnes voisines. Les autres, plns attachés a leurs foyers, rendus confiants par ia conviction que rien ne s'était produit qui püt même être interprété comme un acte d'hostilité, ce cachèrent dans leurs maisons. Le dimanche matin 23 aout, a 6h 30, les soldats du 108e régiment d'infanterie firent sortir les fidèles de 1'église des Prémontrés, séparèrent les femmes des hommes et fusillèrent une cinquantaine de ceux-ci. Entre 7 et 9 heures du matin, maison par maison, les soldats se livrèrent au pillage et a 1'incendie, chassant les habitants dans les rues. Ceux qui tentaient de s'enfuir étaient immédiatement fusillés. Vers 9 heures du matin, les soldats poussèrent devant eux a coups de crosse de fusil les hommes, les femmes et les enfants dont ils s'étaient emparés. Ils les réuirent sur la place d'Armes, oü ils furent retenus prisonniers jusqu'a 6 heures du soir. Leurs gardiens prenaient plaisir a leur répéter qu'ils seraient bientót fusillés. Vers 6 heures, un capitaine sépara les hommes des femmes et des enfants. Les femmes furent placées derrière un cordon de fantassins. Les hommes furent alignés le long d'un mur. Un premier rang dut se vnettre a genoux, d'autres se tinrent debout derrière eux. Un peloton de soldats se pla^a en face du groupe. Ce fut en vain que les femmes implorèrent la grace de leur mari, de leurs fils et de leurs frères. L'officier commanda le feu. II n'avait procédé a aucune enquête, a aucun simulacre de jugement. Une vingtaine d'hommes n'avaient été que blessés et s etaient écroulés parmi les cadavres. Les soldats, pour plus de sureté, firent une nouvelle décharge dans le tas. Quelques Dinantais échappèrent a cette doublé fusillade. Ils firent le mort pendant plus de deux heures, restant immobiles sous les cadavres et, la nuit venue, réussirent a se sauver dans la montagne. II resta sur place 84 victimes qui furent enterrées dans un jardin voisin. La journée du 23 aoüt fut ensanglantée par bien d'autres massacres. Les soldats découvrirent dans les caves d'une brasserie des habitants du faubourg Saint-Pierre et ils les y fusillèrent. Depuis la veille, une foule d'ouvriers de la soierie Himmer s'étaient réfugiés avec leurs femmes et leurs enfants dans les caves de la fabrique. Ils y avaient été rejoints par des voisins et par différents membres de la familie de leur patron. Vers 6 heures du soir, ces infortunés se décidèrent a sortir de leur refuge et se formèrent en un cortège tremblant précédé dun drapeau blanc. Ils furent immédiatement saisis et brutalisés par les soldats. Tous les hommes furent fusillés sur place et avec eux M. Himmer, consul de la République Argentine. Presque tous les hommes du faubourg de Leffe sont exécutés en masse. Dans une autre partie de la ville, douze civils sont massacrés dans une cave. Rue Enile, un paralytique est fusillé dans son fauteuil. Rue d Enfer, un soldat abat un jeune garfon de quatorze ans. Au faubourg de Neffe, un massacre ensanglante le viaduc du chemin de fer. Une vieille femme et tous ses enfants sont tués dans une cave. Un vieillard de soixante-cinq ans, sa femme, son fils et sa fille, sont fusillés contre un mur. D'autres habitants de Neiïfe sont conduits en barque jusqu'au Rocher Bayard et y sont fusillés. Parmi eux se trouvent une femme de quatre-vingt-trois ans et son mari. Un certain nombre d'hommes et de femmes avaient été enfermés dans la cour de la prison. Vers 6 heures du soir, une miirailleuse allemande, placée sur la montagne, ouvrit le feu sur eux. Une vieille femme et trois autres personnes furent abattues. Pendant que certains soldats se livraient a ces massacres, d'autres pillaient et saccageaient les habitations, défon?aient les coffres-forts ®u les faisaient sauter a la dynamite. Ils pénétrèrent a la Banque centrale de la Meuse, s'emparèrent du directeur, M. Xavier Wasseige, et le sommèrent d'ouvrir les coffres-forts. Comme il s'y refusait, ils tentèrent de forcer les coffres; n'y parvenant pas, ils emmenèrent M. Wasseige et ses deux fïls aïnés vers la place d'Armes, oü ils furent fusillés a la mitrailleuse avec 120 de leurs concitoyens. Les trois plus jeunes enfants de M. Wasseigne, maintenus par des soldats, furent contraints d'assister au meurtre de leur père et de leurs frères. On rapporte encore ce détail qu'un des fils Wasseige agonisa sur place pendant une heure sans que personne osat lui porter secours. Leurs oeuvre de destruction et de vol accomplie, les soldats mettaient le feu aux maisons. La ville ne fut bientót qu un immense brasier. Les femmes et les enfants avaient été concentrés dans un couvent. Ils y furent retenus prisonniers pendant quatre jours, v^es malheureux restaient dans 1'ignorance du sort de leurs proches. Ils s'attendaient a être fusillés eux aussi. Autour deux, la ville achevait de brüler. Le premier jour, des moines purent leur donner une nourriture insuffisante. Bientót ils furent réouit a se nourrir de carottes crues et de fruits verts. II a été également démontré par 1'enquête que les soldats allemands exposés au feu des Francais sur la rive droite s abritèient, a certains endroits, derrière un rempart de civils, de femmes et d'enfants. En résumé, la ville de Dinant est détruite. Elle comptait 1.400 maisons, 200 restent debout. Les fabriques qui faisaient vivre la population ouvrière ont été systématiquement anéanties. Beaucoup d'habitants ont été emmenés en Allemagne et y sont encore retenus prisonniers. Le plus grand nombre se sont dispersés dans toute la Belgique. Ceux qui sont restés dans la ville y meurent de faim. La Commission possède la liste des victimes du massacre de Dinant. Cette liste contient prés de 700 noms et elle nest pas compléte. Parmi les morts il y a 73 femmes et 39 enfants des deux sexes, agés de six mois a quinze ans. Dinant avait 7.600 habitants; le dixiè'ne de cette population a été mis a mort; il nest pns de familie qui ne compte des victimes, et certaines ont entièrement disparu. * * * La Commission a pris pour règle de se borner a un simple exposé des faits, estimant qu'aucun commentaire n'ajouterait a leur tragique éloquence. Elle croit cependant que les constatations enregistrées cidessus appellent certaines conclusions. On a dit que lorsque la Belgique fera le compte de ses pertes, il apparaitrait que la guerre y fit plus de victimes dans la population civile que parmi les hommes appelés a servir le pays sur les champs de bataille. Ces prévisions, que la raison se refusait a accepter, sont dès a présent confirmées en ce qui concerne la province de Namur oü, dans certaines régions, la moitié de la population male et adulte a disparu. L'horreur des incendies de Louvain et de Termonde, des massacres d'Aerschot, du Luxembourg et du Brabant se trouve dépassée par les tueries de Dinant, de Tamines, d'Andenne, de Surice et de Namur. Le Namurois a vécu au vingtième siècle toute 1'épouvante des anciennes guerres avec leur accompagnement légendaire de massacres en masse de la population, d'orgies sanglantes, de mises a sac et d'incendies de villes entières. Les exploits de bandes mercenaires du dix-septième siècle ont été dépassés par ceux de 1'armée nationale d'un pays qui persiste a revendiquer la première place parmi les peuples de haute civilisation. Le Gouvernement allemand ne contestera pas 1'exactitude des faits qu'attestent les ruines et les tombes dont notre sol est couvert; mais il s'est déja efforcé de disculper ses armées en affirmant qu'elles n'ont fait que réprimer, selon les lois de la guerre, les actes d'hostilité auxquels elles furent en butte de la part de la population beige. Dès le premier jour la Commission s'appliqua a rechercher ce qu'il pourrait y avoir de fondé dans cette allégation, si invraisemblable pour qui connait notre peuple. Après avoir entendu des centaines de témoins, tant Beiges qu étrangers, et épuisé tous les moyens d'investigation a sa disposition, elle affirme une fois de plus que la population de Belgique n'a pas participé aux hostilités. La guerre de francstireurs, qui aurait été faite aux troupes allemandes dans notre pays, est une invention destinée a atténuer i'impression causée dans le monde civilisé par le traitement barbare infligé par les troupes allemandes aux populations beiges et a apaiser les scrupules du peuple allemand, qui frémira d'épouvante le jour oü il saura quel tribut de sang innocent ses armées ont prélevé sur nos enfants, nos femmes et nos concitoyens sans défense. Au surplus, les chefs de 1'armée allemande se sont singulièrement mépris en essayant impressionner par eet argument le verdict du monde civilisé. Ils paraissent ignorer que la répression collective de fautes individuelies, proscrite par les conventions internationales pour lesquelles ils n'ont que railleries, est depuis longtemps condamnée dans la conscience des peuples modernes, parmi lesquels 1'Allemagne apparait désormais comme une monstrueuse et déconcertante entité morarle- Les Secrétaires, Le Président, Cher Ernst de Bunswyck, Cooreman. Orts. Le Vice-Président, Comte Goblet d'Alviella. * * * Vingtième Rapport de la Commission beige d'Enquête Le Havre, le 25 Juillet 1915. A Monsieur CAR'J'ON de WIART, Ministre de la Justice. Monsieur le Ministre, Nous avons 1'honneur de mettre sous vos yeux un rapport de M. le procureur du Roi de Dinant qui expose Ia fagon dont se sont comportées les armées allemandes a Dinant et le traitement inhumain auquel ont été soumis, pendant de longues semaines, de nombreux habitants de cette ville emmenés en Allemagne. Notre dixième rapport nous a fait connaitre la manière dont ont été traités des milliers de nos compatriotes conduits en Allemagne et internés, au mépris du droit des gens, dans des camps de concentration. Les habitants de Dinant, enfermés dans la prison cellulaire de Cassel après un voyage douloureux ont eu a subir un sort plus cruel encore. Monsieur le Ministre, J'ai 1'honneur de vous faire parvenir le rapport ,que vous m'avez demandé sur les événements survenus au cours des opérations militaires a Dinant et aux environs, et sur !a détention en Allemagne de nombreux citoyens de Dinant et Anseremme. Dés le 6 aoüt, c'est-a-dire avant 1'arrivée des premières troupes frangaises, qui vinrent de Givet, des cavaliers allemands parurent a Dinant et Anseremme. Ces patrouilles pénétrèrent parfois jusque dans 1'agglomération et furent regues a coups de fusil quand elles vinrent en contact avec les troupes beiges qui, a ce moment, occupaient les deux rives de la Meuse. Voici la série de ces incidents. Je les détaille uniquement paree qu'ils montrent que la population s'abstint absolument de toute attaque envers les cavaliers ennemis. Le 6 aoüt, a Anseremme (Dinant et Anseremme, quoique formant deux communes distinctes, ne constituent qu'une seule agglomération), des soldats beiges du génie tirent sur une patrouille de hussards et blessent un cheval. A Furfooz, le cavalier démonté avise un cultivateur et lui prend son cheval en échange de la monture blessée. Le même jour ou le lendemain, trois hussards apparaissent rue Saint-Jacques (route de Ciney) les carabiniers ou chasseurs beiges en blessent un et le font prisonnier ainsi qu'un de ses camarades dont le cheval a été atteint. Le troisième s'échappe. Ces hommes appartiennent a un régiment du Hanovre. Le 12, " aux Rivages „ (Dinant), un détachement du 148e d'infanterie frangaise détruit une patrouille de cavalerie; un seul homme s'échappe. Vers la même date, coups de feu aux " Fonds de Leffe „ par un détachement du même régiment. Deux cavaliers allemands sont tués. Le 15 aoüt, les Allemands tentent de forcer le passage de la Meuse a Anseremme, Dinant et Bouvignes. Ils sont repoussés. Pendant cette journée, plusieurs détachements allemands pénétrent jusque dans la ville. Ils ne molestent en rien la population. La ville et les habitants eurent peu a souffrir de cette affaire qui fut cependant trés chaude et dura toute la journée. Un M. Moussoux fut tué en relevant les blessés, et une femme légèrement blessée. Sur Ia rive droite, un obus frangais tomba sur une maison et un obus allemand sur la poste. Sur la rive gauche, quelques maisons furent atteintes par des obus allemands Dès le commencement de 1'action, 1'artillerie allemande tira sur 1'höpital bien en vue et largement couvert du drapeau de la Croix-Rouge. En quelques minutes, six projectiles atteignirent les batiments. Un des obus pénétra dans la chapelle au moment oü les enfants de 1'orphelinat sortaient de la messe. II n'y eut pas de victimes. Le 17 ou le 18, les Frangais n'occupent plus la rive droite d'une fagon permanente; ils se bornent seulement a y envoyer des patrouilles. Chaque jour, échange de coups de fusil et de coups de canon entre les deux rives. Des cavaliers allemands recommencent a descendre dans la ville, oü ils circulent impunément. Exemples: le 19, vers midi, un hulan, venant de la direction du Rocher-Bayard,.se retire par la route de Ciney sans être inquiété. II a traversé la ville dans presque toute sa longueur, Le même jour a la nuit tombante, un autre cavalier suit le même itinéraire et se retire avec la même sécurité. Dans la nuit du 21 au 22, une vive fusillade éclate soudainernent rue Saint-Jacques (route de Ciney). Ce sont les Allemands venus en automobile qui tiraillent sur les maisons ou les habitants dorment paisiblement. Ils enfoncent les portes, blessent gravement trois personnes, dont une au moins a coups de baïonnette, et se retirent après avoir, en se servant de bombes, incendié quinze a vingt maisons. Ils abandonnent un certain nombre de ces engins qui furent jetés a 1'eau par les habitants. Ceux-ci prétendent qu'il s'agit de bombes incendiaires. On ne comprend rien a cette agression. Les journaux ont bien rapporté des récits d'atrocités commises aux environs de Visé, mais on n'y a pas cru, Finalement, 1'opinion s'arrête a 1'idée que cette attaque est un exploit d'hommes ivres, et 1'on attend sans trop de crainte la suite des événements. Le 23 aoüt, la bataille entre les armées frangaise et allemande s'engage de bonne heure par un duel d'artillerie. Les deux premiers coups de fusil des Allemands sont tirés sur deux jeunes filles qui cherchaient un abri meilleur que celui ou elles se trouvaient. Tous les habitants se réfugient dans les caves. Vers 6.30 h., j'entends les cris des allemands arrivant devant chez moi. Un violent coup de sonnette et en même temps des coups de fusil sont tirés dans mes fenêtres; a tous les étages les vitres sont brisées. J'ouvre ma porte, une douzaine de soldats allemands me couchent en joue, pendant qu'un autre me fait signe de lever les bras, On fait sortir les miens et moi. on nous fouille : " Pas d'armes? — Non. —■ Dans la maison? — Non. — Pas de soldats frangais blessés? — Non.,, On nous laisse libres, mais avec défense de rentrer chez nous. J'avais la clef de la maison d'un voisin qui avait quitté Dinant Nous nous y réfugions. A peine y étions-nous de deux minutes, coup de sonnette, coups de feu dans les fenêtres; on nous expulse de notre nouveau refuge. Nous retrouvons dans la rue M. le juge Herbecq, notre voisin immédiat, Mrae Herbecq et leurs sept enfants. Après quelques pourparlers, on nous laisse libres encore et nous' entrons chez M. Herbecq, J'avais pendant ce temps, pu constater la fagon de procéder des Allemands. Dans la rue déserte, ils marchent sur deux files, le long des maisons, celle de droite surveillant les maisons de gauche et inversement, tous le dóigt sur la gachette et prêts a faire feu. Devant chaque porte un groupe se forme, s'arrête et crible de balles les maisons. et spécialement les fenêtres jusqu'a ce que les habitants se décident a ouvrir. Je sais que les soldats jetèrent de nombreuses bombes dans les caves. Si Ton tarde, ils enfoncent a coups de hache et a coups de crosse portes et volets. Que 1'on se hate ou non, le résulLat est le même: la* maison est envahie, les habitants sont expulsés. fouillés et emmenés. Je ne sais pourquoi la familie de M. Herbecq et la mienne subissent un traitement différent, peut-être paree que nous avons pu dire quelques mots d'allemand. Nous restons environ deux heures chez M. Herbecq. Pendant ce temps, la curiosité nous poussant, nous nous risquons a aller voir a une lucarne du grenier. Les Allemands bombardent le faubourg de Neffe (rive gauche). Des maisons que nous voyons ainsi détruire ne part aucune riposte. Vers 9 heures, salve dans les fenêtres et expulsion définitive cette fois. On nous conduit vers la rue Saint-Roch, Sur le trajet, plusieurs maisons brülent. Dans une chambre de la maison Mossiat, des meubles brisés sont empilés et en flammes. Nous arrivons chez un appelé Bouille, oü 1'on nous confine. La maison, 1'écurie et la forge qui en dépendent sont remplies de prisonniers. A chaque instants il en arrivé d'autres, hommes valides, vieillards, femmes, enfants. On donne 1'ordre a MM. Delens, hotelier, et Taquet, ancien gendarme (1), d'aller avec une civière relever au quai de Meuse, des Allemands morts et blessés. Ils y sont envoyés seuls: le quai est soumis au feu des Francais. Comme récompense de leur courage, ils seront d'ailleurs envoyés a Cassel. Quelques hommes passent, les mains liées derrière le dos. Peu après, au milieu des bruits de la bataille, nous distinguons nettement des salves. On se regarde: les Allemands viennent de fusiller ces malheureux. Au nombre des victimes de cette exécution se trouve M. Lambert Thirifays, fils du juge des enfants. Depuis quelques jours, il est partiellement paralysé et devenu muet. Dans notre groupe, la conversation s'engage tantöt avec 1'un, tantöt avec 1'autre des soldats qui nous gardent. D'après les uns, nous ne sommes rassemblés que pour être en süreté. D'après d'autres, nous seront fusillés paree que nous avons tiré. Protestations et dénégations. Réponse : " Tous pour un ! c'est la guerre.,, — " Mais enfin qui a tiré?,, — " Beaucoup de civils. Entre autres une jeune fille de treize ans, qui a tiré un coup de révolver sur un major. „ J'ai lu, depuis, que ie même fait a été avancé a propos d'une localité du Luxembourg. II y a la un défaut dans 1'organisation de la calomnie. Vers 2 heures, ceux d'entre nous qui se trouvent dans la forge sont emmenés vers la prison. La plupart des maisons du quartier brülent. Chez M. le juge Laurent nous voyons les Allemands installés dans le bureau, lis fouillent ses papiers. On nous fait entrer dans une cour de la prison. Du haut des collines d'Herbuchenne, la vue plonge dans cette cour. Quand (1) Une de ses jeunes filles vient d'être blessée d'un coup de feu. L'hötel Delens (hötel des Ardennes) quoique visiblement aménagé comme ambulance, est déja en flammes. nous y pénétrons, nous sommes accüeillis par des coups de fusils partant de ces hauteurs. Mme Stévaux, soixante-quinze ans, et un nommé Lebrun sont tués. Plusieurs sont blessés, entre autres Mme Thonon (elle mourut deux jours après). Son mari fut arraché d'auprès d'elle et déporté en Allemagne. Les Allemands exposés comme nous a ce feu, nous refoulent dans un coin oü nous sommes a 1'abri. Ils crient a leurs camarades de cesser le feu, hissent un drapeau blanc et la fusillade dirigée sur nous s'arrête. Grace a la hauteur du mur d'enceinte et a 1'exiguïté de la cour, presque toutes les balles portaient trop haut. Sans ces deux circonstances, un effroyable massacre aurait été fait dans la foule compacte des prisonniers, foule composée surtout de femmes et d'enfants. Dans 1'intérieur de la prison, les prisonniers civils faits par les Allemands sont nombreux. Que veut-on faire de nous? De temps a autre des officiers viennent voir ce qui se passé ; ils se retirent rarement sans menaces a notre adresse. Vers 6 heures, les menaces se précisent. Nous allons être fusillés. L'abbé Jouve, curé de Saint-Paul, a Dinant, donne a tous 1'absolution. Brusquement, les hommes sont séparés des femmes et rangés en ligne dans la cour. Déja on ouvre la porte de la cour, lorsque, tout prés de la prison, éclate une fusillade extraordinairement nourrie. Des soldats qui se trouvent sur la place de la prison rentrent tout effarés se mettent a tirer en 1'air ou vers la place a travers les panneaux brisés de la porte. Un officier s'approche du bureau du directeur et, a travers Ia fenêtre, tire un coup de révolver sur un médecin qui est en train de panser les blessés. Le docteur n'est pas atteint: il s'est jeté a terre et reste dans cette position, faisant le mort. II demeurera ainsi tant qu'il y aura des Allemands dans la prison et échappera, grace a cette ruse, a la déportation en Allemagne. Un moment de désarroi s'est produit, dont chacun a profité pour se glisser auprès des siens. Tout le monde croyait a un retour des Frangais. Malheureusement, la fusillade qui y avait fait croire cesse de suite et 1'on comprend qu'une exécution en masse vient d'avoir lieu. Dans la cour de la prison, il y a un mort de plus, un nommé Bailly. Vers 8 heures, la bataille a beaucoup diminué d'intensité. On fait sortir tout le monde de la prison et on nous conduit vers Anseremme, après nous avoir fait faire un détour pour nous montrer, sur la rive gauche, le faubourg de Neffe en flammes. Sur notre route, partout des incendies. Prés du Rocher-Bayard, arrêt de Ia colonne, séparation des hommes valides d'avec le reste de la bande: ils sont reconduits vers Dinant tandis que les vieillards, les femmes et les enfants sont entrainés vers Anseremme. A chaque instant notre marche est arrêtée. Nous voyons les soldats pénétrer dans les maisons encore intactes, en ressortir quelques instants après, puis des flammes jaillir; quand la cha- ieur devient intolérable, on nous remet en route pour nous faire jouir un peu plus loin du même spectacle, si bien que nous mettons une grosse heure pour aller du Rocher-Bayard a la montagne St-Nicolas, par laquelle nous sommes conduits hors de Dirjant: le trajet n'a guère plus de 1 kilomètre. Pendant un de ces arrêts, ordre nous est donné en francais de remettre notre argent. De suite, nous sommes fouillés par les soldats qui nous gardent pendant pendant que d'autres passent avec des sacs en toile et rassemblent les sommes enlevées. Un des prisonniers demande un re^u a un officier qui passé. II est menacé du revolver. En ce qui me concerne, j'étais porteur d'une somme de 800 a 900 francs en espèces, dont partie en or. (Au moment de la séparation, j'avais remis a ma femme et a mon fils tout ce que je possédais de billets.) La monnaie d'argent est déposée dans un des sacs, mais je vois le soldat qui m'avait fouillé mettre subrepticement en poche 1 etui contenant mon or. J affirme que ce vol en grand fut commis par ordre. Le lendemain et le surlendemain, le capitaine qui commandait notre escorte nous fit encore fouiller a différentes reprises. Remettez tout votre argent ou vous serez fusillés, disait-il. A Marche il ajouta: "Vous serez fouillés jusque dans l,es souliers (1).„ On prit tout ce que 1'on put trouver sur nous. Même les livrets de la caisse d epargne furent 1'objet d'une chasse avide. Ce bel exploit accompli, on nous fait reprendre notre route. Le long du mur de la prison quelques cadavres de civils sont couchés. Un peu plus loin, devant chez moi. il y en a un monceau. Les soldats font porter leurs sacs par les prisonniers. On nous conduit a Herbuchenne par la montagne Saint-Nicolas. Nous devons enjamber des cadavres de gens fusillés. Sur le plateau d'Herbuchenne, des fermes et des habitations isolées sont disséminées. Tout ce que nous voyons brüle. Dina-nt. dans le fond, est un brasier. Devant nous, sur la rive gauche, 1'incendie dévore le collége de Belle-Vue, le chateau du Bon-Secours, 1'Institut hydrothérapique, etc. Dans ie lointain, vers Onhaye, le ciel est rouge. Des soldats nous disent que nous serons conduits en Allemagne, d autres nous menacent, disant que nous serons fusillés au lever du jour. Nous allons camper ici. (11 Cet officier est un capitaine du 100e d infanterie (régiment saxon). II y a peu de temps, a Dinant, Ie kreischef me fit appeler et me dit: " Des otages ramenés de Cassel se sont plaints de ce que 1'on ait pris de 1'argent Pensezvous que ce soit vrai ? „ Je lui fit le récit qui précéde. II me demanda alors le nom — que j'ignorais naturellement — et le signalement de 1'officier dont il s agit. Je lui donnai: grade, numéro du régiment, grand, figure osseuse, haut en couleur, complètement rasé, cheveux blonds, montant un cheval blanc et accompagné d'un chien de berger a poil rude. D'autres témoins furent entendus a ce sujet. J'ignore le but de cette enquête et le résultat qu'elle a pu donner. r A Dinant la bataille est finie : les Allemands ont passé la Meuse. Tels sont les faits dont j'ai été le témoin oculaire au conrs du sac de Dinant. Pour ceux que je vais relater, j'en fais le récit d'après des témoignages concordants et soigneusement contrólés. C'est par quatre voies principales que, le 23 aoüt, les Allemands descendirent dans Dinant, tous a peu prés a la même heure : vers 6 heures du matin. Ces routes sont: celles de Lisogne a Dinant, de Ciney a Dinant et la montagne de Saint-Nicolas, par oü descendent les troupes se trouvant sur une partie du plateau d'Herbuchenne, et enfin la route de Froiddau, conduisant de Boiseille a Dinant. I. — La première de ces routes débouche dans le quartier dit "Fonds de Leffe.,, Dés leur arrivée, les soldats pénètrent dans les maisons, expulsent les habitants, tuent les hommes et incendient les habitations. M. Victor Poncelet est tué chez lui en présence de sa femme et de ses enfants. M. Himmer, directeur de la fabrique de Leffe, vice-consul de la République Argentine, est fusillé avec un groupe d'ouvriers de son établissement. Cent cinquante-deux membres du personnel de cette fabrique sont assassinés. L'église des Prémontrés est, m'a-t-on raconté, envahie pendant la messe (1). Les hommes en sont emmenés de force et fusillés sur-le-champ. Un des pères Prémontrés est également massacré. Mais a quoi bon détailier davantage? Un seul fait suffit: de toute la population de ce quartier, il reste neuf hommes vivants (vieillards non compris). Les femmes et les enfants sont enfermés a 1'Abbaye des Prémontrés, qui sera pillée dans la suite. On verra des soldats se promener en ville revêtus des robes des möines. II. — Mêmes scènes, de massacre et d'incendie rue SaintJacques, qui termine la route de Ciney. Les victimes sont toutefois rnoins nombreuses. Les habitants de ce quartier, plus impressionnés que ceux du reste de la ville par la scène nocturne du 21 au 22, ont, en grand nombre, abandonné leurs maisons. De la rue Saint-Jacques, les Allemands se répandent dans tout le quartier. On tue encore, mais moins qu'a Lefïe. La population est internée aux Prémontrés. Tout est incendié. De notre belle et vieille église gothique, on brüle le clocher et les toits. On met le feu aux portes, sans cependant parvenir a les détruire complètement. Plus loin, la Grande Place et la rue Grande jusqu'a la rue du Tribunal sont momentanément préservées: les Allemands (1) Différentes personnes m'ont affirmé ce fait. J'ai quitté Dinant avant d'avoir entendu le récit des pères Frémontrés. n'y pénètrent pas. Ce n'est que le lendemain que leurs habitants seront internés. Le 24 au soir et le 25, on brüle cette ' partie de la ville; il y reste une seule construction : 1'Hötel des Families. III. — Depuis la rue du tribunal jusqu'au d'ela de la prison, les crimes sont commis par les troupes descendant de la raontagne Saint-Nicolas. J'ai relevé les numéros des 100e et 101e d'infanterie (Saxons). Sur cette voie, aès que les troupes arrivent, elles procèdent comme a la rue Saint-Jacques et aux Fonds de Leffe : massacre d'une partie des hommes, arrestation des femmes et des enfants. Quant au reste du quartier, les habitants eurent des fortunes diverses. Après avoir été rassemblées et retenues un certain temps dans une rue oü elles étaient a 1'abri des risques de la bataille, de nombreuses personnes furent conduites (hommes, femmes et enfants) jusqu'a 1'endroit oü un seul cöté de la rue est bati; 1'autre donne directement sur la Meuse. Les prisonniers furent rangés sur une longue file pour servir de bouclier contre le tir des Francais, pendant que les troupes allemandes défilaient derrière ce rempart vivant. Les Francais cessèrent le feu dans cette direction dès qu'ils virent quelles victimes étaient offertes a leurs coups. Une jeune fille de vingt ans, Ml,e Marsigny, fut cependant tuée sous les yeux de ses parents: elle avait re?u une balie frangaise a la tête. Parmi les personnes ainsi exposées, je note: mon substitut, M. Charlier, M. Brichet, inspecteur forestier, M. Dumont, commissaire voyer, leurs femmes et leurs enfants. Les captifs furent ainsi exposés pendant environ deux heures, après quoi ils furent conduits en prison. Même procédé pour un groupe de citoyens exposés au feu francais place de la Prison. On les oblige a tenir continuellement les bras levés. Parmi eux un vieillard de quatre-vingts ans, M. Laurent, président honoraire du tribunal, son gendre, M. Laurent juge, la femme et les enfants de celui-ci. Pas de victimes: les Francais ont cessé le feu et les Allemands ont pu défiler librement. Au bout de deux heures, internement a la prison. Je cite quelques noms paree que ce sont ceux de inagistrats et fonctionnaires que je connais plus particulièrement, mais on peut évaluer a 15Ö 5u moins le nombre des personnes qui furent soumises a ce traitement. Les autres habitants du quartier furent, comme ma familie et moi, conduits chez Bouille. Dans la maison, 1'écurie et la forge, on était entassé, on débordait même dans la rue. Les occupants de la forge, dont j'étais, en furent, comme je 1'ai dit, extraits vers 2 heures et conduits a la prison. Les autres furent, vers 6 heures, menés non loin de la prison, devant mon habitation. La on sépare du troupeau les hommes valides et on les aligne contre le mur de mon jardin sur quatre rangs. Un officier leur lient un discours en allemand, puis, en présence des femmes et des enfants, commande le feu Tous tombent. Des soldats qu'i assistent a la scène du haut de la terrasse que forme le jardin de M. Franquinet, architecte, rient aux éclats. Entourés des flammes qui dévorent presque tout le quartier, les personnes que leur age ou leur sexe ont fait échapper au massacre sont remises en liberté. Cent vingt-neuf est le nombre exact, je pense, des malheureux qui furent tués la. La fusillade qui les abattit est celle que nous avions entendue quand nous étions rangés dans la cour de la prison pour être conduits a la mort. Grace a Dieu, nous étions en retard. Cent vingt-neuf hommes, dis-je, furent massacrés a eet endroit. Le nombre des condamnés était plus grand. Quelques-uns se laissèrent .tomber quand on commanda le feu; d'autres ne furent que légèrement blessés. Ils réussirent a s'échapper pendant la nuit. Tous ceux dont les cadavres furent relevés n'avaient pas été tués sur le coup. Des "rescapés,, m'ont raconté qu'au début de la nuit on entendit M. le banquier Wasseige dire a un blessé : "Ne bougez pas; taisez-vous.,, Un soldat qui passait 1'acheva immédiatement. C'est le mercredi seulement que 1'on put s'occuper de ces victimes, toute circulation ayant été interdite auparavant. Le lundi et le mardi on entendit des blessés se plaindre et gémir. Ils moururent faute de soins. IV. — Les troupes descendues par la route de Froidvau occupent le quartier de "Penant,,. (1) Les habitants sont arrêtés dès 1'arrivée des Allemands et gardés a vue prés du Rocher-Bayard. Le feu des Francais s'étant ralenti, les Allemands commencent la construction d'un pont. Cependant, quelques balles les gênent encore. De ce qu'elles sont rares, les Allemands concluent — avec ou sans sincérité — qu'elles leur sont envoyées par des francs-tireurs. Ils envoient M. Bourdon, greffier adjoint au tribunal, sur la rive gauche, pour annoncer que si le feu continue les habitants prisonniers seront passés par les armes. II s'exécute, puis, repassant la Meuse, revient se constituer prisonnier et déclare aux officiers allemands qu'il a pu se convaincre que seuls des soldats francais tirent. Quelques balles franfaises arrivent encore et une chose monstrueuse se passé, que 1'imagination se refuserait a croire si des témoins ne survivaient pour 1'attester et si les cadavres avec leurs plaies béantes n'en fournissaient la plus irrécusable des preuves: le groupe des prisonniers, hommes, femmes et enfants, est poussé contre un mur et fusillé! Quatre-vingts victimes tombent en ce moment! (1) C'est 1'appellation populaire. Officiellement ce quartier de la ville se dénomme " Les Rivages Est-ce ici ou dans 1'aqueduc de Neffe dont je parle plus loin que fut tué un enfant de trois mois? Je ne sais plus. Le soir, les Allemands fouillent parmi les morts. Sous la masse de ceux-ci, quelques malheureux vivent encore. Ils en sont retirés, joints a des prisonniers amenés d'ailleurs, et mis a creuser une fosse pour les morts. Ils seront déportés en Allemagne. Parmi eux il y a un enfant de quinze ans, le fils du greffier Bourdon, trouvé sous les corps de son père, de sa mère, de son frère et de sa soeur fusillés. Parmi ceux que 1'on enterre une femme vit encore: elle gémit. Peu importe, Son corps est jeté dans la fosse avec les autres. Rive gauche de la Meuse. — Les Allemands ont franchi le fleuve. Le quartier Saint-Médard a relativement peu a souffrir : les morts ne sont pas nombreux. C'est celui oü le plus de maisons restent debout. Faubourg de Neffe. — Les Allemands fouillent les maisons, en brülent bon nombre, en laissent d'autres intactes. Des habitants sont laissés en liberté ; d'autres, expulsés de chez eux sont fusillés sur la route; d'autres enfin sont arrêtés et conduits en Allemagne. Ailleurs, des families entières sont massacrées sans disfinction d'age ni de sexe (Guerry, Morelle notamment). Le feu prend dans une maison; une femme qui a une jambe brisée s'y trouve seule. Des habitants demandent aux soldats la permission d'aller la sauver. On refuse; la malheureuse est brülée vive. Daus un aqueduc, sous la voie du chemin de fer, une quarantaine de personnes sont réfugiées. On y tire des coups de feu, on y jette des grenades a main. Les survivants se décident a sortir, et les kom mes sont arrêtés pour être transférés en Allemagne. Le lundi 24 aoüt les Allemands arrêtent les habitants de la partie de la rue Grande qui avait été épargnée la veille. Ils sont enfermés chez les Prémontrés. Les rares personnes qui se risquent a sortir des maisons épargnées par le feu dans dans les autres quartiers sont ou arrêtées ou traquées a coups de fusil. Plusieurs sont tuées, notamment par des soldats qui tirent d'une rive a 1'autre de la Meuse. Les hauteurs qui dominent la villa sont gardées. Des habitants qui veulent s'échapper par la, les uns y réussissent, d'autres plus nombreux sont arrêtés ou tués. Des prêtres et des religieux, professeurs au collége de BelleVue, frères de la doctrine chrétienne, oblats, sont arrêtés et internés a Marche dans un couvent. Vers la mi-septembre, le général von Longchamp, gouverneur militaire de la province de Namur, vient les faire remettre en liberté en leur présentant les excuses de 1'armée allemande! Toute la journée du lundi et du mardi, on pille et 1'on achève de brüler la ville. Au total, dans cette ville de plus de 1.400 feux et de 7.000 habitants, il y a de 630 a 650 morts, dont plus d'une centaine sont des femmes, des enfants en dessous de quinze ans et des vieillards (1). II ne subsiste pas 300 maisons. Des femmes ont-elles été outragées ? Un seul fait a été porté directement a ma connaissance. Un des citoyens les plus honorables m'a déclaré que, sous prétexte de rechercher des armes, on avait fouillé sa femme jusque sous son linge. M. le docteur X... m'a rapporté que les faits de viol avaient été nombreux. Rien que dans sa clientèle, il en connait trois cas indiscutables. Le pillage fut pratiqué ouvertement. Chez moi, notamment, on est venu trois jours de suite avec des chariots pour enlever 1'argenterie, les literies, dont il ne reste rien, des meubles, les vêtements d'homme et de femme, le linge, des bibelots, des garnitures ds cheminée, une collection d'armes du Congo, des tableaux, le vin, même mes décorations et celles de mon père et de mon grand-père. Les glacés sont brisées, la vaiselle mise en pièces. Dans les caves d'un marchand de vin, M. Piret, 60.000 bouteilles sont volées. II n'y a pas a ma connaissance, dans les maisons restées debout, un seul coffre-fort qui n'ait été forcé ou ne porte des traces manifestes de tentatives de cambriolage! A quoi bon allonger démesurément ce rapport par le récit des infortunes particulières de nombre de citoyens qui m'en ont dit les navrants détails? Dans leur ensemble, les circonstances sont les mêmes, et ce que j'ai rapporté suffit pour démontrer que le massacre, 1'incendie et le pillage ont été systématiquement organisés, exécutés froidement, même après que la bataille eut pris fin. Tous ces crimes étaient injustifiés. Ils étaient prémédités. C'est ce que je vais démontrer. I. — Crimes injustifiés: 1° L'autorité communale avait fait tout son devoir. Elle avait publié et fait afiicher un avis attirant 1'attention des citoyens sur la nécessité de s'abstenir de toute attaque avec ou sans armes, de toute menace même vis-a-vis des soldats allemands. Elle avait, en outre, ordonné le dépot a la maison communale de toutes les armes et munitions. Ses prescriptions avaient été unanimement et scrupuleusement obéies. (1) La liste des victimes a laquelle faisait allusion la Commission d'enquête dans son onzième rapport cornprend quelqnes noms d'habitants des localités limitrophes de Dinant. 2 J ai cité au commencement de ce rapport les attaques dirigées contre les patrouilles ennemies. Je crois cette liste compléte. Si elle ne 1'est pas, c'est qu'au bout de dix mois ma memoire est en défaut, mais je sais qu'au mois d'aoüt, j'ai connu tous les incidents de ce genre qui se sont produits dans 1 agglomération. Chaque fois ce furent les troupes régulières, beiges ou frangaises, qui attaquèrent 1'ennemi. 3 Des Dinantais auraient-ils tiré sur les troupes allemandes, soit dans la nuit du 21 au 22, soit dans les journées de bataille du 15 et du 23? Une réponse directe est matériellement impossible: dans la nuit du 21 au 22, les habitants dormaient; le 15 et le 23 ils etaient dans leurs caves. Mais il y a invraisemblance a supposer que cette population qui respecte les patrouilles et les cavaliers isolés attaque 1'ennemi lorsqu'il est en masse. En outre, beaucoup de personnes dignes de confiance et moi-même avons interrogé quantité de gens qui tous ont oeclaré non seulement n avoir pas tiré, mais n'avoir pas su ou entendu dire que n importe qui 1'eüt fait. Ce témoignage unanime de toute une population a certes sa valeur. 4 Les allemands ont-ils pris sur le fait un seul civil qui ait tiré sur eux? En ont-ils surpris un seul porteur d'armes et ces faits ont-ils été établis par une enquête sérieuse ? Pas que je sache. Mais on a vu a Dinant un officier cherchant a dissimuler un revolver qu'il tenait dans la main, introduire cette main dans la poene du veston dun sieur Pécasse, en retirer ostensiblement le revolver, le montrer a ses hommes et faire emmener pour etre fuaillé le malheureux, victime de cette infame supercherie. > r\- ^eS Allemands avouent qu'il n'y a pas eu de francs-tireurs a Dinant. A Cassel, le directeur de la prison me déclara: "Les autorités militaires a Berlin sont maintenant convaincues que personne na tiré a Dinant,, J'ignore naturellement, ce qui lui a permis de faire cette affirmation. Second aveu. Le général von Longchamp, gouverneur miliLiue ue la province de Namur, me parlant des événements de Dinant me dit textuellement: " II résulte d'une enquête que j'ai taite qu aucun civil n'a tiré a Dinant. Mais il y a peut-être eu des francais, déguisés en civils, qui ont tiré. Et puis, dans entrainement du combat, on va parfois plus loin qu'il ne faut.„ J ajoute que je n ai trouvé personne a Dinant pour me donner le moindre indice que cette hypothèse relative aux soldats irangais, eut un fondement quelconque d'exactitude. ~ }yA Préméditation. — L'attaque immédiate et simultanée se produisant contte la population par toutes les voies ou armee allemande pénétre a Dinant forme a elle seule une présomption grave. II faut admettre ou des ordres donnés a 1'avance ou 1'action de francs-tireurs sur tous et chacun des differents points d'invasion. Or, on n'a tiré nulle part; donc... Quelque grave que soit cette présomption, elle ne suffit pas comme base d'une affirmation catégorique. Mais comme elle confirme bien la sincérité des témoignages qui forment preuve directe ! De nombreux habitants de villages occupés avant le 23 aoüt ont déclaré qu'il leur avait été annoncé a 1'avance que Dinant serait détruit. De ces témoignages, j'en relève un, paree qu'il doit une importance particulière a la personnalité du narrateur d'une part, et d'autre part, a 1'autorité que son grade dans 1'armée allemande donne a 1'auteur des menaces: M. X..., de Dinant, se trouvait, lors de 1'invasion, dans une autre commune du pays. II fit la connaissance d'un officier allemand, major ou colonel. Or, le 19, 20 ou 21 aoüt (c'est ma mémoire qui est ici infidèle, car les détails m'ont été donnés avec précision), eet officier dit a M. X...: " Vous êtes de Dinant? N'y retournez pas; c'est une mauvaise ville, elle sera détruite. „ En même temps, il demandait a M. X... des renseignements sur son habitation a Dinant. II partit et revint après le 23 aoüt et, tirant de ses bagages une statuette, il la montra a M. X... en disant: " Connaissez-vons deci? — Mais oui, cela vient de chez moil — En ce cas, je ne me suis pas trompé: j'ai préservé votre maison, elle n'est pas brülée. „ Tels sont les faits que je connais en ce qui concerne Dinant. (Suivent quelques renseignements relatifs a diverses localités de 1'arrondissement de Dinant. Ils sortent du cadre de ce volume.) Pour établir ce rapport et pour discerner la valeur des témoignages dont je me suis servi, j'ai use' de toute la prudetice dont une carrière de dix-neuf ans comme magistrat du parquet m'a enseigné la nécessite'. Je 1'ai rédigé avec toute la sincérité d'un honnête homme. Je vous l'adresse comme une oeuvre de loyauté et de bonne foi. Je vous prie, Monsieur le Ministre, d'agréer 1'assurance de ma haute considération. Le Procureur du Roi de Dinant, M. Tschoffen. Dans une seconde lettre publiée dans le 20e rapport de la Commission beige d'Enquête je relate le transfert et la détention en Allemagne de 417 de nos concitoyens. II est inutile de la reproduire ici. Je rappelle seulement qu'après avoir été, sur 1'ordre d'un officier, dépouillés de tout 1'argent qu'ils possédaient, ces prisonniers, au nombre desquels je me trouvais, furent, après un voyage douloureux, enfermés durant trois mois a la prison cellulaire de Cassel. A tous égards, le traitement et le régime qui leur furent infligés furent plus pénibles que ceux auquels étaient soumis les criminels de droit commun, détenus dans la même prison. * * * Le vingtième rapport de la Commission beige d'Enquête se termine par des renseignements sur diverses localités du pays et par une liste nominative des vieillards, femmes et enfants massacrés a Dinant. Elle comporte les noms de: 44 hommes agés de 65 a 80 ans. 66 jeunes filles et femmes dont 13 avaient de 65 a 85 ans. 50 enfants des deux sexes agés de 16 ans au plus. Sept d'entre eux avaient de 5 a 10 ans; douze autres avaient moins de 5 ans; le plus jeune était agé de 3 semaines! CHAPITRE VII La Défense Le Livre Blanc allemand résumé, dans le roman dont la traduction suit, les rapports et dépositions rassemblés pour persuader au monde que les malheureuses troupes allemandes ont été cruellement éprouvées a Dinant par les attaques sauvages et déloyales d'une population fanatique. Cet exposé émane du Ministère de la Guerre de Prusse. MINISTÈRE DE LA GUERRE Commisson militaire d'Enquêtes sur les violations des lois de la guerre Participation de la Population de Dinant aux combats du 21 au 24 Aoüt 1914. Aper^u Général Dès le passage de la frontière beige, le Xllme corps d'armée eut des difficultés avec la population civile beige ; ces difficultés atteignirent leur point culminant a Dinant et dans les environs. Dinant avait une importance particulière pour la marche en avant du XIIrae corps, car c'est dans cette ville qu'il devait traverser la Meuse. La ville avec ses faubourgs de Leffe et de Les Rivages sur la rive droite, de Neffe, de St-Médard et de Bouvignes sur la rive gauche est située sur la Meuse dans une vallée profonde. Les deux rives sont escarpées et rocheuses en maints endroits ; elles montent en terrasses jusqu'a une hauteur de 70 mètres environ ; la rive droite est un peu plus élevée que la rive gauche. A peil prés au milieu de la ville s élève le fort, sur la rive droite, a une hauteur d'environ 100 mètres. lout prés de ia, vers le nord, débouche la route principale qui vient de Sorinnes. Deux autres voies d'accès venant de 1'est se trouvent dans les vallées latérales profondément encaissées qui aboutissent a Leffe et a Les Rivages. Le 15 Aoüt 1914, un détachement de cavalerie allemande avait, avec la coopération, entre autres du bataillon de chasseurs n" 12, occupé passagèrement la rive droite de la Meuse. Ce détachement dut se retirer le même jour en présence de tioupes ennemies en forces supérieures et abandonner de nombreux morts et quelques blessés. Le 17 Aoüt, les troupes ennemies se retirèrent sur la rive gauche. A partir de ce moment, il n'y eut plus de troupes régulières ennemies a Dinant, Leffe et Les Rivages. Le XIIrae corps d'armée (ler corps saxon) entra en activité devant Dinant, le 21 Aoüt. Le IIme bataillon du régiment de fusiliers n" 108 entreprit le soir de ce jour-la, une reconnaissance en force avec la coopération d'une section de pionniers. Lorsque ce bataillon, arrivant par la route qui vient de Sorinnes, atteignit les premières maisons, on entendit tout a coup un coup de feu: c'était le signal. Au .même moment, des coups de feu partirent de tous cótés. On tirait de toutes les maisons et des flancs de la vallée. Les maisons étaient solidement barricadées, de sorte qu'il fallut en forcer 1'entrée a coups de crosses, de haches et avec des grenades a main. Des fils de fer étaient tendus a travers les rues, a une faible hauteur, pour faire trébucher les soldats. Un grand nombre de nos soldats furent blessés par des chevrotines. Des pierres furent aussi jetées sur eux. (Anlage 2 a 5). Le bataillon s'avanpa jusqu'au pont, constata que ce dernier était occupé par 1'ennemi et se retira ensuite au milieu de la fusillade qui continuait de toutes les maisons. Comme la retraite dut se faire a la hate, il fut impossible de déloger complètement les francs-tireurs qui occupaient la localité. On chercha, en partie, a briser leur résistance en mettant le feu aux maisons d'oü 1'on avait tiré. II était évident que cette attaque de la population avait été faite d'après un plan prémédité, qu'on savait a Dinant que la reconnaissance allait avoir lieu et qu'on avait tiré profit de mesures préparées de longue main a cette fin. La préparation résultait entre autres du fait quM y avait des meurtrières dans un grand nombre de maisons et de murs. Après cette expérience il y avait lieu d'admettre que les habitants prendraient part également a Ia lutte dans les opérations qui devaient suivre. Cependant les proportions et 1'opiniatreté de cette participation ont dépassé de loin toutes les appréhensions. L ordre avait été donné au XIIme corps de s'emparer le 23 Aoüt, de la rive gauche de la Meuse. L'artillerie entra d'abord en activité pour préparer 1'attaque. Puis 1'infanterie s'avanga dans la direction de Dinant, la 32me division au nord et la 23me au sud. A 1 aile gauche, c'est le régiment des grenadiers du roi, (1) n" 100. qui pénétra dans la ville; plus a droite, ce fut le régiment d'infanterie n° 182 et, conjointement avec lui, le régiment de fusiliers n° 108. En même temps, dans les Fonds de Leffe, le régiment d'infanterie n" 178 atteignait Leffe. Ces troupes réussirent le jour même a chasser 1'ennemi des hauteurs de la rive gauche de la Meuse au prix de pertes relativement minimes. Par contre les pertes que la population civile (1) Leib. Regiment, hostile de Dinant et de ses faubourgs a infligées au XIIme corps pendant cette journée du 23 Aoüt furenttrès importantes, et il fallut faire un grand effort pour briser le 23 Aoüt et les jours suivants, la résistance complètement organisée ce cette population. De même que le 21 Aoüt, la population de Dinant et des environs paraissait savoir que 1'attaque du corps d'armée allait avoir lieu et s'était préparée en conséquence. Le ler bataillon du régiment du roi, venant de Herbuchenne, essuya un feu trés vif qui partait des maisons et des ruelles lorsqu'il descendit des hauteurs escarpées. 11 fallut prendre d'assaut chaque maison, en partie au moyen de grenades a main, pour en déloger les habitants qui s'y étaient nichés des caves aux greniers et qui.de leurs cachettes, faisaient usage de toutes les armes possibles. Ceux qui furent pris les armes a la main furent fusillés immédiatement, tandis que ceux qui étaient suspects furent d'abord conduits comme otages dans la prison de la ville. Malgré ces mesures, la population continua a tirer sur les grenadiers du r$i qui éprouvèrent des pertes notables, surtouten officiers. Entre autres, le lieutenant Freusch von Buttlar fut tué ici et le capitaine Legler fut grièvement blessé. Pendant ce temps, une grande partie de la localité avait été mise en feu, en partie par 1'emploi de grenades a main, en partie sous le feu de 1'artillerie frangaise et allemande. Mais tout cela n'avait pas réussi a convaincre la population de 1'inutilité et du danger de sa participation a la lutte. Jusqu au soir, et encore au moment oü le régiment partit pour se rendre a Les Rivages, oü 1'on avait établi un point de passage, on tira sur lui des maisons. (Anlage 1, 5 a 7, 10, 11,). Les régiments nÜS 108 et 182 essuyèrent également le feu de la population civile, lorsqu'ils atteignirent Dinant, au nord de la position occupée par le régiment 'du roi. On tira déja sur eux des maisons situées le plus a 1'est. Le 1" bataillon du régiment des fusiliers n° 108 prit d'assaut la ferme Malaise et tous les * francs-tireurs qui y opposaient de la résistance furent tués. 11 s'avanca dans la direction du marché. On prenait d'assaut chaque maison dans une lutte trés chaude et en s attendant constamment a recevoir des coups de feu tirés par un ennemi invisible établi dans les caves, dans les cavernes et sur les flancs des collines. C'est ici qu'entre autres, le major Lommatzsch du régiment d'infanterie n° 182, fut blessé a mort par les coups de feu que deux civils tirèrent des fenêtres d'une maison. On tira même du haut de la cathédrale. (Anlage 12 a 14, 18). Deja dans le courant de la matinée, le commandant de la 46'"° brigade reconnut 1'impossibilité de maitriser la population fanatique sans bombardement de la localité par 1 artillerie. Mais les troupes étaient trop engagées dans des combats de maisons pour pouvoir être retirées immédiatement. Ce n'est qu'après 3 heures de 1 après-midi qu'on réussit a retirer les troupes sur les hauteurs qui se trouvent au nord de- Dinant. Etablie a Leiïe, 1 artillerie, no- tamment des parties du régiment d'artillerie de campagne n° 12 et une batterie d'artillerie lourde, put, dès lors, prendre Dinant sous le feu avec plus d'efficacité. (Anlage 12, 19 a 21). De bonne heure dans la matinée, le régiment d'infanterie n° 178 avait quitté Thynes et s'était avancé vers Leffe, en suivant la route des Fonds de Leffe. Déja avant d'atteindre Leffe, la compagnie qui marchait en tête essuya des coups de feu qui partaient de propriétés isolées et des flancs escarpés et en partie couverts de boqueteaux des hauteurs longeant la route a droite et a gauche. En particulier, un feu trés vif partait de la fabrique de papier située a gauche de la route et des maisons qui se trouvaient a proximité. C'est pourquoi, avec le coopération ultérieure des chasseurs du llme bataillon, les flancs des coteaux furent explorés a la recherche des francs-tireurs, les maisons barricadées furent ouvertes de force et ceux qui les habitaient, expulsés. Quiconque était découvert les armes a la main fut fusillé. Mais la population, cachée dans les maisons, attaquait de plus en plus vivement le régiment en marche. On tirait de toutes les maisons, mais dans un grand nombre d'entre elles on ne trouva personne. Les tireurs se réfugiaient dans leur cachettes pour en resortir ensuite et pour tirer de nouveau sur les troupes allemandes. II fut nécessaire de mettre le feu a un certain nombre de maisons, pour forcer les tireurs cachés a quitter leurs refuges. Un certain nombre d'habitants furent conduits comme otages dans la cour du couvent. (Anlage 22 a 32). La neuvième compagnie du régiment n° 178 occupa face a 1'ennemi établi sur la rive gauche de la Meuse, le jardin, longeant le fleuve, d'une villa et d'une fabrique. Ici aussi, elle essuya des coups de fusil. La villa et la fabrique furent, pour cette raison évacuées. On fit sortir de la cave de la fabrique le propriétaire et un grand nombre de ses ouvriers et on les fusilla. Les femmes et les enfants que 1'on y trouva furent conduits dans la cour du couvent. 1 Le régiment n° 178 dut combattre pendant la plus grande partie de la journée avec la population de Leffe et éprouva des pertes notables. (Anlage 25, 26). De son cóté, le régiment d'infanterie n° 103 qui arriva a Leffe vers le soir essuya également un feu trés vif partant des maisons et des hauteurs qui bordent le défilé de Leffe. On ne put vaincre cette résistance des francs-tireurs qu'en désarmant et en fusillant les hommes trouvés les armes a la main et en mettant le feu a quelques maisons d'oü 1'on n'avait pas réussi a déloger, d'autre fajon, les assaillants. (Anlage 33 a 36). Vers le soir, le calme s'établit a Leffe. Mais on s'apergut bientöt que c'était une erreur de croire qu'on n'avait plus rien a craindre de la population. Dès le crépuscule, le poste d'observation de gauche établi par le 2me bataillon du régiment n" 178 au sud de la caserne du 13me régiment d'infanterie beige, en vue de surveiller la Meuse, fut attaqué par un assez grand nombre d'habitants. Une escouade de renfort qui nettoya de francs-tireurs les alentours et la partie voisine de la localité, ne cessa, pendant ce temps, d'être en butte a des coups de feu tirés des maisons. Un assez grand nombre de personnes trouvées les armes a la main furent fusillées. (Anlage 22, 24, 29). Vers minuit, le détachement von Zeschau, venant de Houx, arriva a 1'entrée septentrionale de Lefte. II avait a peine atteint les premières maisons, que les compagnies de tête essuyèrent un feu trés vif partant de ces maisons, dont les portes et les fenêtres étaient barricadées avec des meubles et des matelas. Ces maisons furent prises d'assaut et incendiées pour se protéger contre les francs-tireurs, qu'il n'était pas possible d'appréhénder d'autre fa?on. Les hommes armés qu'on y découvrit furent fusiliés. (Anlage 38). De la fabrique mentionnée plus haut, on tira également, d'une manière violente et soutenue, sur le détachement, en particulier sur les compagnies de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 177. Le feu des francs-tireurs ne cessa que lorsque la fabrique eut été incendiée (Anlage 38, 64, 65). Pendant que ces événements se passaient au nord de Dinant, des combats sanglants avec la population civile avaient aussi éclaté au sud, a Les Rivages et a Anseremme. A la fin de 1'après-midi, le régiment de grenadiers n° 101 était arrivé a Les Rivages, par la route qui s'amorce en ce village, avec la 3ine compagnie de pionniers de campagne; ces troupes devaient y ■ traverser la Meuse. Les pionniers étaient déja arrivés dans le courant de la matinée avec les voitures a pontons dans la partie de Dinant occupée par le régiment du roi, a 1'efïet de jeter un pont. Mais par suite de la fusillade partant des maisons et a laquelle il ne put être mis fin en dépit des efïorts faits conjointement avec 1'infanterie pour chasser de ces maisons les francs-tireurs, les pionniers durent se retirer sur les hauteurs. Le village de Les Rivages avait 1'apparence, tout d'abord, d'être vide d'habitants. Sur la rive opposée, on voyait brüler les maisons de Nefïe, bombardées par notre artillerie (Anl.20, 39, 44). Le passage commen^a immédiatement. Ce furent d'abord la 2de 'puis la llme compagnie du régiment de grenadiers n" 101 qui gagnèrent la rive gauche et marchèrent a 1'assaut, sur un^ large front, contre 1'infanterie ennemie occupant les hauteurs a 1'ouest. En passant a Nefïe par une ruelle étroite, la llme compagnie regut d'une maison environ 5-coups de feu successifs a chevrotines. La porte barricadée fut forcée et les tireurs, 1 homme et 2 femmes furent fusillés. Immédiatement après, la section conduite par le chef de compagnie, arriva au remblai du chemin de fer. A eet endroit un passage d'eau est percé sous le remblai. Devant 1'ouverture était étendu un civil fusillé avec une arme qui ressemblait a une carabine. Dans 1'intérieur du passage obscur on voyait des gens. Du haut du remblai, 1'officier d'une autre section cria que du passage on avait tiré sur lui. Le chef de compagnie cria a haute voix en francais : " Sortez, on ne vous fera rien. „ Mais personne ne répondit et aucun de ceux qui étaient cachés dans le passage n'en sortit. On tira alors un certain nombre de coups de fusil dans le passage. Les grenadiers, franchissant le remblai, continuèrent a s'élancer vers la hauteur. Le détachement laissé en arrière pour surveiller et évacuer le passage, en fit sortir environ 35 a 40 civils. C'étaient des hommes, des adolescents, des femmes et des enfants. 11 y avait aussi 8 a 10 fusils, non point des fusils de chasse, mais, a ce qu'il semble, des fusils militaires. Une partie des civils avaient été tués ou blessés par le feu des grenadiers (Anlage 40). A Les Rivages, le calme n'avait entre temps pas cessé de régner. La première personne qui se montra fut un homme perclus et boiteux. II déclara qu'il était le bourgmestre et assura que la population de Les Rivages était paisible a la différence de celle de Neffe. On 1'envoya pour cette raison a Neflfe avec la mission de recommander le calme a la population et de lui dire que dans ce cas on ne lui ferait aucun mal. Le commandant du régiment de grenadiers n° 101 s'assura d'un assez grand nombre de personnes qui se trouvaient dans les maisons les plus rapprochées pour s'en servir comme otages au cas oü la population se livrerait a des actes d'hostilité. On leur fit comprendre que leur vie servirait de garantie pour la sécurité des troupes. Ce qui donna lieu a cette mesure, c'est que 1'on savait que la population de Dinant était séditieuse. D'autre part, un officier venait d'annoncer qu'on avait tiré sur lui des maisons qui se trouvaient tout prés, au sud de Les Rivages, dans la direction d'Anseremme. Les hommes furent placés le long du mur d'un jardin a gauche du point de passage. On mit un peu plus loin, en aval, les femmes et les enfants qui étaient sortis avec eux des maisons. Les troupes continuaient a passer la rivière et a construire le pont. Lorsque le pont eut atteint une longueur d'environ 40 mètres, une fusillade trés vive éclata subitement. Elle partait des maisons de Les Rivages et des escarpements rocheux qui se trouvent immédiatement au sud du " Rocher Bayard „. Cétaient des francs-tireurs qui tiraient sur les pontonniers a 1'ouvrage et sur les grenadiers qui, massés sur le bord, attendaient de pouvoir passer. Les coups de feu causèrent une grande agitation et une confusion générale. A la suite de ces faits les otages masculins qu'on avait placés contre le mur du jardin furent fusillés. Les francs-tireurs qui étaient restés invisibles s'aper?urent évidemment de eet acte de répression et cessèrent le feu, de sorte que les pontonniers purent continuer leurs travaux (Anlage, 46, 48), Nos troupes purent franchir la Meuse, prés de Les Rivages et de Leffe, en partie encore dans la nuit du 23 au 24 Aout, en partie le lendemain. Le 25 Aout, les dernières formations du corps d'armée passèrent également la Meuse. Mais les mesures prises le 23 Aoüt, n'ont pas mis définitivement fin aux agissements des francs-tireurs. Pendant les deux jours qui suivirent, des colonnes en marche et des personnes isolées furent expgsées a des coups de feu qui partaient des pentes et des maisons, bien que la fusillade ne fut plus aussi vive que le 23 Aoüt. II fallut donc encore prendre des mesures de répression, fusiller quelques individus pris sur le fait dans tous les quartiers de la ville et bombarder, a Neffe et a Saint Médard, les batiments occupés par des francs-tireurs. Cela se passa le 24 et le 25 Aoüt. (Anlage, 49, 50). L'impression générale qui se dégage de tous ces événements est tout d'abord que cette résistance de la population civile de Dinant et de ses faubourgs contre lés troupes allemandes résulte d'un plan prémédité. (Anlage, 12, 25, 30). Déja avant le 23 Aoüt, la population des environs de Dinant savait qu'on avait organisé un guet-apens contre les troupes allemandes. (Anlage 12, 51.) On savait que les actes d'hostilité commis par des habitants du pays contre les troupes allemandes a Sorinnes et dans d'autres localités situées a 1'est de la Meuse, étaient en partie le résultat de 1'action d emissaires venus de Dinant. Cette organisation se distinguait par sa préparation minutieuse et par sa grande extension. On avait mis les maisons en état de défense en barricadant les portes et les fenêtres, en pratiquant des meutrières et en amassant dans ies maisons de grandes quantités d'armes et de munitions. L'existence de grandes provisions de munitions est démontrée entre autres par les explosions continuelles dans les maisons en flammes. Lors des opérations qui eurent lieu dans la nuit du 21 Aoüt on constata qu'il y avait des fïls de fer tendus a travers les rues pour faire tomber les soldats. (Anlage 3, 9, 10, 11, 18, 26, 28, 29. 31, 38, 49, 50, 52, 53, 70, 81.) Le fait que les armes a feu n'étaient qu'en partie des fusils de chasse et des revolvers mais en partie aussi des mitrailleuses et des fusils d'ordonnance beiges (Anlage 2,25) permet d'admettre que le Gouvernement beige a prêté assistance a 1'organisation de la résistance. Toute la ville de Dinant, avec tous ses faubourgs sur la rive droite et la rive gauche de la Meuse, était préparée de la même manière. Les maisons étaient barricadées partout. II y avait partout des meutrières et des armes, a Leffe, a les Rivages et a Neffe. Les rapports dressés par les troupes sur les combats relèvent surtout le fait que les civils beiges qui prirent part a la lutte ne portaient nulle part aucun signe distinctif militaire. (Anlage 4 a 7, 12, 15, 22, 24, 25, 31.) La population tout entière n'avait qu'une seule volonté, celle d'arrêter la marche en avant des troupes allemandes. Si une partie de k population a péri par suite des dangers auxquels elle s'est exposée volontairement, elle en est redevable a elle-même. La résistance a été trés opiniatre. On employait toute éspèce d'armes : des fusils de chasse et des fusils d'ordonnance beiges, des balles et des chevrotines ; on tirait avec des revolvers ; on employait des couteaux et on jetait des pierres. (Anlage 5, 10, 11, 25 a 28, 31, 35, 38, 43, 54, 55, 57, 58, 63, 67, 81.) Toutes les classes de la population, même des écclésiastiques (Anlage 18), ont pris part a la lutte, des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants. (Anlage 5, 6, 10, 12, 14, 18, 28, 29, 35, 41 a 44, 54, 56, 59 a 63). On continuait a tirer des caves des móisons incendiées. Encore au moment de son exécution un des francs-tireurs déchargea un revolver qu'il avait tenu caché, contre le peloton qui allait le fusiller. (Anlage 5). Dans leur astuce et leur perfidie (Anlage 28, 32, 43, 44, 50, 68) les francs-tireurs, invisibles du dehors, tiraient par des meurtrières, de Lderrière, sur des détachements qui passaient et sur des officiers isolés. Quand les Allemands pénétraient dans les maisons, on s'échappait par les portes de derrière pour se cacher dans les nom'breuses cavernes et souterrains et pour recommeneer a d'autres endroits le perfide assassinat. (Anlage 12, 37, 64). Quelques francs-tireurs masculins avaient endossé des vêtements de femmes. (Anlage 64, 65). Quelques habitants ont même mis le signe de la Convention de Genève et ont arboré le drapeau avec la croix rouge sur des batiments pour attaquer les Allemands, sous sa protection. (Anlage 9, 16 a 18, 32, 56, 66 a 70). On tira même des maisons sur des blessés ramenés en arrière et sur le personnel sanitaire. (Anlage 71, 72). Le fanatisme révoltant de la population civile trouva sa manifestation la plus révoltante dans 1'assassinat cruel de soldats endormis, dans la mutilation d'hommes tombés dans le combat et dans l'achèvement par le feu de prisonniers blessés qui, dans ce but, avaient été attachés a des piquets a 1'aide de fils de fer. (Anlage 56, 59, 61, 67, 73 a 78). Pour juger 1'attitude des troupes du XIIme corps vis-a-vis d'une population hostile a 1'extrême qui employait contre elles les moyens les plus blamables, il faut partir de ce point de vue que le but des opérations du XIIme corps était de forcer aussi vite que possible le passage de la Meuse et de chasser 1'ennemi de la rive gauche. Pour atteindre promptement ce but, il fallait briser par tous les moyens la résistance de la population civile. C'était une nécessité militaire, et a ce point de vue le bombardement de la ville qui- prenait une part active a la lutte, 1'incendiedes maisons occupées par les francs-tireurs et 1'exécution des habitants pris les armes a la main étaient, sans plus, justifiés. L'exécution des otages qui eut lieu dans différentes parties de la localité répondait également au droit. Les troupes qui luttaient dans la ville se trouvaient dans une position critique. Elles étaient exposées au feu de 1'artillerie, des mitrailleuses et de 1'infanterie des forces ennemies établies sur la rive gauche du fleuve et, en même temps, elles étaient attaquées par derrière et sur les flancs par la population civile. On s'était assuré des otages pour mettre fin a ces menées des francs-tireurs. Comme la population civile continuait néanmoins a causer des pertes aux troupes, on dut procéder a 1'exécution des otages; sinon leur arrestation n'aurait été qu'une vaine menace. Leur exécution était d'autant plus justifiée qu'il n'est guère possible qu'il y ait eu des innocents parmi eux, étant donnée la participation générale de la population a la lutte. En présence du but militaire a atteindre et de la situation précaire dans laquelle se trouvaient les troupes astucieusement attaquées par derrière, 1'exécution ne pouvait être évitée. On a eu pour principe d'épargner les femmes et les enfants a moins qu'ils n'aient été pris en flagrant délit ou que les troupes ne se soient trouvées en cas de légitime défense. (Anlage 5, 6, 25, 26, 28, 31, 35, 41, 47, 79). Si, malgré cela, des femmes et des enfants ont été tués ou blessés, le fait s'explique par la situation. Ils ont été atteints en partie par des projectiles ennemis qui partaient de la rive gauche, en partie par des balles qui ont ricoché pendant la lutte dans les rues et dans les maisons. (Anlage 10). Quelques femmes et quelques enfants ont aussi été atteints a Les Rivages pendant 1'exécution des otages. Malgré les ordres donnés et dans la confusion générale, ces femmes et ces enfants ont quitté la place qui leur avait été désignée, a 1'écart des hommes, et s'étaient pressés autour de ces derniers. (Anlage 45, 46). Les troupes du XIlme corps n'ont été ni dures ni cru.elles, ce qui est prouvé par de nombreux cas oü elles ont témoigné a des femmes, des vieillards et des enfants une sollicitude qui, étant données les circonstances, mérite d'être reconnue particulièrement. (Anlage 52, 53, 55, 58, 80 a 86). Un certain nombre de femmes en couches ont été emportées de maisons exposées au feu, mises a 1'abri et couchées sur des paillasses auprès de nos blessés. (Anlage 5). Des habitants blessés et dont les blessures provenaient pour la plupart de projectiles ennemis ont été pansés et traités consciencieusement par nos médecins. (Anlage 7, 10, 29, 44, 47, 50 a 52, 68, 86, 87). De petits enfants trouvés seuls ont été confiés a des femmes. (Anlage 47 a 51). Les femmes et les enfants qui, en grand nombre étaient venus de Dinant en feu et qui se trouvaient a Les Rivages pendant la nuit du 23 au 24 Aoüt, furent réunis dans une maison, oü on leur donna a boire et a manger. (Anlage 55, 51). Le lendemain matin on leur apporta du café préparé dans une cuisine de campagne du régiment du roi. Les relations données par les habitants survivants de Dinant des combats livrés pour la possession de leur ville ainsi que les indications, basées sur ces relations, de la Commission beige d'Enquête et de la presse ennemie se caractérisent toutes par le fait que, tout en faisant le silence sur la participation de la population a la lutte contre nos troupes, elles rapportent uniquement et avec une exagération intentionnelle ce que nos troupes ont fait pour se défendre contre cette participation. Prétendre que les habitants n'ont pas tiré sur nos troupes, vu il avait été ordonné de remettre les armes, c'est, étant donnés les faits constatés, commettre une altération malintentionnée de la vérité. Sans doute, il est profondément regrettable qu'a la suite des événements du 23 et du 24 Aoüt la florissante ville de Dinant et ses faubourgs aient été en grande partie brulés et ruinés, et qu'un grand nombre de vies humaines aient été anéanties. fvfais ce n'est pas 1'armée allemande, c'est la population civile beige qui seule en porte la responsabilité. La population tout entière a. contrairement au droit des gens, soutenu contre les troupes allemandes une lutte fanatique et perfide et a forcé ces troupes a prendre les mesures de représailles exigées par 1'intérêt militaire. Si la population civile s'était abstenue de faire usage des armes contre nos troupes et de prendre ouvertement part a la lutte, la vie et les propriétés des habitants n'auraient guère subi de dommage, malgré les dangers auxquels elles étaient exposées par suite des opérations de la guerre. Berlin, le 11 avril 1915. Commission militaire d'enquêtes sur les violations des lois de la guerre Signé : Major Bauer Signé : Kammergerichtsrat Dr Wagner CHAP1TRE VIII Le Complot Notre preuve, a nous, est faite. Nos régistres de 1'état civil, leurs actes authentiques, indiquant le nom et 1'age des vieillards, des femmes et des enfants massacrés, leur mention indéfiniment répétée : " décédé a Dinant le 23 Aoüt,,, les ruines de notre cité en cendres et la tragique horreur du pli a peine effacé que font au sol sacré de la Patrie, les tombes trop fraiches de nos concitoyens assassinés, voila nos témoins. Ils suffisent. On ne récuse pas les ruines; les morts ne mentent pas. La déportation en Allemagne de 417 Dinantais et leur odieuse détention dans une prison cellulaire; la cupidité des officiers allemands qui, la menace a la bouche et le revolver au poing, fouillent les poches de leurs prisonniers pour y voler des portemonnaie ; la honte du pillage public et méthodique des habitation non encore incendiées et la séquestration, durant plusieurs jours de ceux, femmes et enfants, dont la présence aurait pu gêner cette fructueuse opération ; la lacheté allemande abritant des soldats derrière un rempart de captifs exposés au feu des troupes frangaises sont des faits avérés. Le silence qu'observe a leur sujet le plaidoyer allemand est impuissant a les rayer de 1'histoire. On n'ose pas les avouer, on ne peut pas les nier ; on est incapable de leur trouver une excuse, on croit plus habile de lestaire. Je m'empare de ce silence, je 1'interroge et il me répond : " J'avoue ! „ Quand, dans le rapport allemand, on écrit au sujet de la destruction de la ville et du massacre d'une partie de la population : " Les relations données par les habitants survivants.... se caractérisent toutes par le fait que, tout en faisant le silence sur la participation de la population a la lutte contre nos troupes, elles rapportent uniquement et avec une exagération intentionnelle ce que nos troupes ont fait'pour se défendre contre cette participation „, (1) je demande oü est 1'exagération. Notre accusation tient toutentière dans des noms et des chiffres. (1) p. 59. Oui ou non les Allemands ont-ils incendié 1263 maisons sur les 1653 habitations dont se composait la ville? Oui ou non la funèbre liste des morts publiée par la Commission beige d'Enquête est-elle exacte(1)? A-t-elle été surchargée par des suppositions de noms ? A-t-on commis des faux dans 1'indication du sexe et de 1'age des victimes ? Les accusatioris beiges sont assez nettes et assez précises pour quetoute erreur, voulueounon, soit facile a découvrir et a prouver. Les membres de la Commission d'Enquête de Berlin n'en signalant aucune, j'ai bien le droit de penser et d'écrire qu'en nous taxant d'exagération ils nous font un procés de tendances et que le vague de leur articulation n'est pas une preuve de leur bonne foi. Cherchant une excuse a leurs crimes, les Allemands disent : les Dinantais ont pris part a la lutte. Après le massacre, la calomnie; après le sang, la souillure! Les victimes étaient innocentes. Sur la tombe de ses morts, la population de Dinant peut en faire serment. La voix d'un peuple égorgé a droit, semblet-il, a plus de créance que celle du bourreau qui 1'accuse! Crions-le cependant bien haut. Nous avons souffert, nous ne demandons pas qu'on nous plaigne. Nous ne mendions pas la pitié pour nos ruines et pour notre sang. Ce que nous voulons, ce sont des jugesl C'est devant le solennel tribunal de la conscience humaine qu'il nous plait de comparaitre et d'attraire en même temps nos ennemis. On verra bien qui s'y présentera avec le front le plus fier et le coeur le plus droit et qui quittera le prétoire flétri par une condamnation infamante.. L'excuse allemande? Discutons-la. Pour en démontrer rigoureusement le mensonge c'est au sens commun et aux témoignages allemands invoqués contre nous que nous faisons appel. Le rapport allemand reproduit plus haut accueille toutes déc!arations, si vagues, si inconsistantes, si invraisemblables qu'elles soient. II y mêle d'autres dires d'apparence plus sérieuse et présente le tout comme un ensemble de faits démontrés. Des suppositions mal étayées et des déductions hasardeuses sont noyées dans un flot d'affirmations nettes et catégoriques qui donnent une apparence de vérité a un roman laborieusement construit. La lecture en est impressionnante. II faut analyser les (1) Elle comporte les noms de 606 civils, lués a Dinant, victimes de 1'armée allemande. dépositions sur lesquelles il se base pour décéler les perfidies que masqué une habile rédaction. Les déclarations annexées a ce rapport trouvent dans leur multiplicité un faux air de sérieux. Un procés cependant ne se juge pas au volume du dossier et la valeur d'une enquête ne résulte pas du nombre et de la longueur des dépositions qu'elle a réunies. Pour être probante, une enquête doit satisfaire a des conditions complexes. Les témoignages doivent être produits devantun interrogateurdont 1'indépendance garantisse 1'impartialité. La procédure suivie doit assurer la sincérité des témoins par leur liberté. A ce doublé point de vue, nous 1'avons noté déja, 1'enquête allemande est suspecte. Quant aux témoignages, chacun d'eux doit se juger en lui-même tout d'abord. Emane-t il d'un témoin a même de bien observer, est-il vraisemblable, précis, calme, sans passion ? Si ses qualités lui sont reconnues il doit être contrólé par la comparaison avec les autres dépositions de la même enquête et concorder avec elles. Un témoignage qui ne résiste pas a ce doublé examen ne peut-être pris en considération. Au lieu d'éclairer la conscience du juge, il 1'inquiète et la trouble. II faut encore a toute déposition la garantie du désintéressement et de 1'honorabilité du témoin. Je ne discuterai pas 1'honorabilité de ceux dont le Livre Blanc reproduit le témoignage; je ne les connais pas. Mais ce que je sais, c'est que les troupes allemandes sont accusées d'avoir a Dinant violé tous les droits et tous les devoirs de 1'humanité et que c'est au témoignage des seu/s accusés que 1'enquête allemande fait appel pour établir la vérité. Je sais aussi qu'aux officiers qui ont commandé les massacres et ordonné les fusillades on défère le serment sur le point de savoir s'ils sont, ou s'ils ne sont pas des assasins, et que ce procédé outrage a la fois le bon sens, la loyauté et la morale. Je sais enfin qu'une enquête affectée de toutes ces tares et de tous ces vices est sans force et sans valeur. D'après le rapport de la Commission d'Enquête allemande " 1'impression qui se dégage des événements est tout d abord que cette résistance de la population civile de Dinant et de ses faubourgs contre les troupes allemandes résulte d'un plan prémédité (p. 56). "11 est permis d'admettre, ajoute-t-il plus loin, que le Gouvernement beige a favorisé 1'organisation de la résistance,,. (p. 57). Dans 1'espoir de faire subir quelques pertes a 1'ennemi, exposer a la mort de paisibles citoyens; exposer une ville aux horreurs de représailles sanglantes; s aliéner, en trahissant son devoir, de précieuses sympathies et 1'estime des peuples; priver la Belgique de la situation privilégiée que devait lui assurer, devant le futur Congrès chargé des négociations de la paix, la loyauté pure de son geste et de son sacrifice : voila 1'étonnante conception que les scribes berlinois prêtent au Gouvernement beige. La mort de quelques soldats allemands ne payait vraiment pas la ruine certainè d une cité prospère et une irrémédiable défaite morale. A notre tour nous dirons: "II est permis d'admettre,, que les accusateurs n ayant guère réfléchi a ces considérations ne se sont pas rendu compte de la témérité de leurs allégations. Plus extraordinaire encore que 1'idée attribuée a nos gouvernants serait la fagon dont ils 1'auraient réalisée. Pour favoriser la résistance concertée a Dinant, ils commencent par rappeler a la population la défense de prendre part aux opérations de guerre, puis, possédant sur les lieux une force régulière mais de peu de valeur militaire, la garde-civique, ils la désarment et la licencient publiquement. A cette milice devenue troupe sans chef, cohue, on aurait subrepticement rendu des armes et mué ainsi des soldats en assassins. Tout citoyen aurait refu licence de prendre livraison d'un fusil et de s'embrigader dans les rangs de cette étrange cohorte. On ne réfute pas de pareilles sottises. L'énormité de leur ridicule en fait justice. Sur quels indices, cependant, se base le Livre Blanc pour formuler son accusation contre Ie Gouvernement beige? On a trouvé, dit-i!, des iusils d ordonnance beiges aux mains de la population. Nous verrons ce que valent les déclarations qui parient de ces tusils. Fussent-elles exactes, elles ne comportent pas la déduction qu on prétend en tirer : a savoir que ces armes ont été distnbuées par le Gouvernement pour faciliter la résistance de la population. Avant de conclure il faudrait, par des faits précis ou des raisonnements sains, exclure toute hypothèse donnant une autre explication du tait allégué. N'y avait-il pas a Dinant de déserteurs belees? Aucun garde-civique n'avait-il quitté la ville avant le licenciement du corps, laissant son fusil dans sa demeure abandonnée ? (1) Des négligences administratives n'avaient-elles (1) On sait que d après les réglements en vigueur les membres de !a gardecivique conservent leurs armes a domicile. pas permis a des gardes ayant cessé depuis longtemps de faire partie de la milice citoyenne, de conserver leurs armes ? Ces hypothèses, et bien d'autres que 1'on pourrait imaginer encore, les rédacteurs du Livre Blanc n en ont cure. lis simplifient la raison. On a trouvé a Dinant des fusils militaires beiges... donc le Gouvernement les avait distribués pour favoriser la guerre des francs-tireurs. A Berlin, ce raisonnement parait satisfaisant. Et pourtant, 1'Allemagne dominat-elle le monde, elle serait dominéé elle-même par la logique. La théorie du chiffon de papier „ permet de déchirer un traité et d'envahir un pays neutre ; elle ne permet aucune conquête sur les droits de la raison. Les armes sont impuissantes contre le bon sens : on ne 1 assassine pas comme une population inoffensive. On aurait aussi trouvé des mitrailleuses. Si le fait était vrai, il serait concluant. Mais qu'on veuille bien considérer que notre armée, ne possédant au début de la guerre qu'un nombre notoirement insuffisant de mitrailleuses, il est vraiment peu admissible que 1 Etat Major eüt consenti a en priver les troupes, pour en armer inutilement des civils incapables d'en faire usage. Aucun témoin allemand n'affirme d'ailleurs avoir vu ces mitrailleuses. Je prouverai au chapitre X qu'aucun ne les a entendues. De 1'aide que les francs-tireurs dinantais auraient re^ue du Gouvernement, le Livre Blanc ne cherche pas d fournir d'autre preuve. Je ne serai pas seul a trouver insuffisante celle qu il a tentée. Venons-en maintenant au procés fait a la population dinantaise. J'ai dépeint le caractère de celle-ci et dit.... Mais qu importe ce que j'ai dit? II ne s'agit pas de savoir ce qu'est la population de Dinant, mais ce qu'elle a fait. Voici : . - - rij" 1 Elle a, au premier ordre de son bourgmestre, déposé a 1 Hotel de Ville les armes qu'elle possédait. Les Allemands les y ont trouvées. Du 7 au 21 Aoüt elle a vu passer, dans les rues de la ville, des patrouilles ennemies et ne les a pas inquiétées, des cavaliers isolés et ne les a pas attaqués. Le 15 Aoüt, elle a vu se livrer une bataille et n'y a pas pris part. On ne 1'accuse en rien pour toute cette période. Cependant les coupables, s'il,y en avait eu, disposant alors de libres communications d'une nve a 1 autre de la Meuse, pouvaient se protéger par Ia fuite et se réfugier dans les régions non encore envahies. Subitement, atteinte d'une crise de fanatisme meurtrier, la population aurait ourdi un complot dont les autorités n'ont rien su; alors qu'elle était privée de tout secours, coupée de toute retraite, elle aurait attaqué les troupes allemandes se présentant en masse et livré contre elles, un premier combat dans la nuit du 21 au 22 Aoüt. Chiatiée de ce chef, sans tenir compte de la menace que ces représailles comportaient pour 1'avenir, elle aurait recommencé le 23 Aoüt et engagé, contre tout un corps d'armée, une bataille sans merci. Complot ourdi et exécuté sans se préoccuper de la süreté des femmes et des enfants, sans que personne ait songé a les transporter sur le rive gauche de la Meuse, tant que cela était encore possible ! Les affections les plus sincères, les plus saintes, complètement oubliées ou délibérément sacrifiées, dans un coup de folie, a un fanatisme inutile et coupable Voila 1'accusation ! Un plan prémédité un guet-apens organisé la population entière n'ayant qu'une seule volonté: celle d'arrêter la marche en avant des troupes allemandes. Ce sont les expressions du Livre Blanc. La preuve ? II y avait des meurtrières dans un grand nombre de maisons et de murs ; des fils de fer étaient tendus dans certaines rues. II est exact que, sur la rive gauche de la Meuse, dans un certain nombre de maisons des meurtrières avaient pu être ménagées et que des créneaux avaient été pratiqués dans les murs de clöture de certains jardins. Sur la rive droite du fleuve, j'ai vu une maison ainsi aménagée en vue du combat. C'était aux Rivages, au bas de la route de Froidveau. J ignore s il y en eut d'autres ; le nombre, au surplus, importe peu. II y eut aussi dans les rues des barricades de fortune et peut-être des fils de fer tendus. Le Major Bauer et le Kammergerichtsrat Dr. Wagner savent que Dinant a été occupée par des troupes beiges et franfaises, qu'elles ont eu a se prémunir contre les attaques de 1'ennemi et qu en dehors de petits engagements entre ces troupes et les patrouilles allemandes, en dehors aussi de 1'affaire de la nuit du 21 au 22 Aoüt, deux batailles se sont livrées a Dinant: le 15 Aout, jour oü les Francais gccupaient les deux rives du fleuve et le 23 Aoüt, jour oü les Allemands ont du de vive force déloger nos alliés de leurs positions sur la rive gauche. Ils n'ignorent pas non plus qu'il est d'un usage assez courant que des troupes, occupant une position, y organisent leur défense, notamment en employant les moyens incriminés. Trés sincèrement, je pense que 1'on surprendrait beaucoup ces Messieurs en leur affirmant que les officiers qui se sont succédés au commandement de la position de Dinant n ont pas songé a prendre des précautions de ce genre. II est permis, dès lors, de leur demander comment, dans leur rapport, ils n'ont pas songé a mentionner cette hypothèse et de quel droit ils imputent a la population de Dinant des préparatifs qui sont 1'oeuvre toute naturelle des troupes chargées de défendre la ville. Je ne puis supposer que la science allemande ait mis ces Messieurs en possession d'un moyen infailible de reconnaïtre, a la simple inspection d'un trou dans un mur, ou a la vue d un fil de fer tendu au travers d'une rue, si les mains qui ont ïait eet ouvrage sont celles d'un hom me vêtu d un uniforme militaire ou celles d'un ouvrier habillé de vêtements civils. Quand ils soutiennent que les préparatifs de combat dont on constate lexistence, dans une ville occupée et défendue par des troupes régulières doivent être attribués a la population civile, démontrent que celle-ci a prémédité de prendre part a la lutte et s y est effectivement mêlée, ils réussissent a prouver, non pas la culpabilité des habitants, mais le parti pris de les condamner. Les rédacteurs du Livre Blanc ont-ils cru au complot dont ils cherchent a accréditer la légende ? II est permis d'en douter quand on constate qu'a Dinant même, dès le lendemain des incendies et des massacres, les autortés allemandes se sont conduites comme si elles n y croyaient pas. Les Allemands n'ont pas coutume de ménager les personnages occupant une situation officielle, coupables d avoir manqué a ce qu'ils considèrent comme des devoirs envers eux. II est évident que quiconque détenait a Dinant, par sa situation ou ses fonctions, une parcelle de 1'autorité publique ou y jouissait d'une certaine influence, aurait nécessairement été compiomis dans le complot: par complicité pour ne 1 avoir pas dénoncé ou réprimé, tout au moins par incapacité pour ne 1'avoir pas connu. Le chatiment ne se serait pas fait attendre de la part des Allemands. II eüt été légitime. Or, que voyons-nous? Au cours des massacres, le Commissaire de police et ses agents ont été tués, confondus avec la masse des victimes. Ont seuls survécu le Commissaire adjoint et deux gardes-champêtres. Ils ont continué a faire la police de Ia ville. Les conseillers communaux n'ont pas cesser d'exercer leur mandat. Les tribunaux ont, sans obstacle, tenu leurs audiences. Les membres du clergé paroissial n'ont été entravés dans leur ministère que par une détention de trois jours, la même que celle dont furent victimes les habitants non déportés. Les autres prêtres de la ville, détenus a Marche pendant un certain temps, sont remis en liberté et on leur fait les excuses de 1'armée allemande. Le bourgmestre, un échevin, des magistrats arrêtés au cours de la rafle „ sont emprisonnés a Cassel. Ils étaient depuis plusieurs jours en celluie quand les geoliers, s'informant de 1'identité des détenus, apprennent en même temps que leurs noms, leur qualité. Rapatriés en même temps que les autres otages après une captivité de trois mois, ces magistrats administratifs et judiciaires reprennent immédiatement 1'exercice de leurs fonctions, sans opposition de la part de 1'occupant. Bien mieux, ils sont traités a\ec une sorte de déférence: on les dispense rapidement de 1 humiliante formalité d'un appel hebdomadaire imposée a tous les prisonniers revenus des Cassel. Bref. nul d'entre ceux qui, a raison de leurs fonctions ou de leur influence, auraient dü être rendus responsables du soi-disant complot ne fut inquiété de ce chef. Tous gardèrent, au su de 1 occupant, 1 autorité que nos institutions leur accordent. Oubli, mansuétude, pardon ? Allons donc ! II n'y a pas eu de complot: on le sait a Berlin aussi bien qu'a Dinant. Le Livre Blanc „ soutient le contraire. La conduite tenue par les Allemands a Dinant après les journées de sang, de flammes et de pillage lui donne un démenti formel. La question est tranchée. CHAPITRE IX* Un rapport d'Etat-Major II est impossible de continuer 1'examen de l'aper?u général rédigé par la Commission d'Enquête allemande sans analyser en même temps les dépositions et rapports sur lesquels les auteurs de eet exposé basent leurs affirmations. La première de ces pièces est le rapport du XIIme Corps d'armée. A peu prés muet sur les combats de rues, ce document embrasse 1'ensemble des opérations militaires aux alentours de Dinant. Anlage 1. - Extrait du JOURNAL DE GUERRE de 1'EtatMajor du XIIme corps d'armée (ler corps Saxon). 22 Aoüt 1914. Le 22 Aoüt, le quartier général impérial resta au chateau de Taviet. La iournée fut employée a effectuer de la manière prescrite des reconnaissances. Vers 3 h. du matin, un officier d EtatMajor, qui avait été envoyé en avant, rapporta que le IIme bataillon du régiment de fusiliers n° 108 avait, par une attaque brusquée de nuit, réussi a rejeter 1'ennemi au dela de la Meuse, prés de Dinant. Ici aussi, la population avait de nouveau fiarticifié au combat, en se servant, en partie, de fusils a plombs. 23 Aoüt 1914. A 4 heures du matin, 1'Etat-Major arriva a la sortie Ouest de Sorinnes. La 23me division d'infanterie qui se trouvait a eet endroit annonga immédiatement qu'elle était prête a commencer le feu; la 32me division d'infanterie avec laquelle la liaison manquait au début, ne le fit qua 5 heures 40 minutes. A 5 heures 55 minutes du matin, le commandant ^ d'armée ordonna d'ouvrir le feu; suite ne put être donnée, d'abord, a eet ordre en raison du temps peu clair. Se basant sur 1'ordre d'ouverture du feu, le général commandant prescrit : " Les divisions occuperont cette rive de la Meuse " avec de fortes lignes de tirailleurs afin qu il soit possible de " prendre sous un feu efficace les versants de la rive opposée Lorsque, vers 6 heures, le temps permit d'ouvrir un feu réglé d'artillerie, il fut constaté que 1'adversaire ne répondait que faiblement. C'est pourquoi le général commandant ordonna, a 6 heures 30 minutes, a ses troupes de réserve de suivre leurs divisions, car il s'attendait a une avance plus rapide des divisions vers la Meuse. Pour le même motif, 1'Etat-Major se déplaga a 8 h. du matin vers Gemmechenne. Les premiers rapports arrivés jusque 8 heures 30 minutes et une reconnaissance faite aux environs de Dinant par le capitaine Bahrdt et le lieutenant comte Schall semblèrent contredire cette attente. A 8 heures 50 minutes seulement, parvint un rapport du colonel Francke, du régiment d'infanterie n° 182, qui semblait corroborer 1'opinion première du général commandant. Une communication du quartier-maitre en chef, re^ue a 9 heures 25 minutes au sujet des observations faites par un aviateur, concordait également avec les prévisions du général commandant. Celui-ci avait, en même temps, enjoint d'aviser aux mesures d'exécution de 1'ordre de passer la Meuse. Entretemps, les troupes avaient réussi a avancer jusqu'a la Meuse. L'artillerie aussi avait occupé de nouvelles positions, plus rapprochées du fleuve. II semblait se confirmer de plus en plus que le gros de 1'ennemi s'était retiré et qu'il n'y avait de résistance sérieuse qu'aux endroits propices pour la construction de ponts, notamment prés de Houx. En dépit de ce que les lieutenants Berckmuller et comte Schall eussent rapporté, a 10 heures 15 minutes, que dans une nouvelle reconnaissance prés de Dinant, ils s'étaient trouvés pris sous un feu intense de schrapnels, 1'ordre de corps d'armée de passer la Meuse fut donné a 10 heures 20 minutes. En vue de 1'exécution de eet ordre, une moitié de 1'équipage de ponts du corps d'armée fut mise a la disposition de chacune des deux divisions. Pour briser plus rapidement la résistance a Houx, on avait, dès 10 heures du matin, rendu les troupes de réserve du général commandant a la 32me division d'infanterie. Après que eet ordre eut été donné, arriva le lieutenant-colonel Hasse, du Grand Quartier général de la 3me armée, apportant la nouvelle que la 2me armée avait, le 22 Aoüt, passé la Sambre a 1'Ouest de Namur et que par conséquent, il n'y avait pas lieu de s'attendre a une résistance sérieuse de 1'ennemi sur la Meuse. II ajouta que 1'on avait le projet de diriger le XIIme corps d'armée sur Anthée et de faire par contre passer la Meuse par le XIVme corps au sud de Givet. On avisa immédiatement la 32me division d'infanterie de la possibilité d'entrer en contact avec le commandement supérieur (aile gauche du IIme corps d'armée) sur la rive Ouest de la Meuse. La supposition que le corps d'armée opérerait le passage de la Meuse sans rencontrer dc résistance sérieuse — supposition corroborée dans 1'entre temps par une communication regue d'un aviateur — ne devait pas se réaliser. La _32me divisiou d'infanterie rencontra une vive résistance prés de Houx et de Leffe, de même que la 46me brigade d'infanterie dans Dinant en Hammes. / Ce n'est qu'au point de passage assigné a la 45me brigade d'infanterie prés des Rivages, que tout parut aller bien au début, de telle sorte que la 23me division d'infanterie faisait savoir a 12 heures 40 minutes, par 1'intermédiaire du major von Zeschau, qu'elle pouvait commencer le passage de la Meuse. Les rapports étaient, en général, de telle nature que 1'on pouvait en conclure que le passage s'effectuerait, quoique non sans difficultés, dans le courant de 1'après-midi. C'est pourquoi a 5 heures 10 minutes de 1'après-midi, un ordre de corps d'armée fut donné, assignant Sommière comme but a la 32'ne division d'infanterie, Onhaye a la 23me division. En vue du passage du fleuve, considéré comme imminent, 1'Etat-Major, se rendit de Gemmechenne vers la bouclé de la route, a 1 km. a 1'Est de Dinant. A 2 heures de 1'après-midi, le XIVme corps d'armée fit savoir qu'une brigade de la 24me division d'infanterie traversait le fleuve prés de Lenne. A leurs points de passage, les troupes du corps d'armée eurent a lutter vivement contre 1'ennemi qui se trouvait sur la rive ouest de la Meuse. Cette lutte revêtit un caractère particulièrement sérieux a cause de la participation des habitants. C'est ainsi qu'au moment oü le régiment des grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100 avait mis a 1'eau les premiers pontons, un feu violent fut ouvert des maisons d'alentour. Les troupes se trouvèrent dans la position désagréable d'être atteintes par le feu de 1'infanterie et de l'artilierie ennemie partant de la rive ouest et, dans le dos, par le tir de la population. La suite la plus désavantageuse de ce combat fut qu'une partie des pontons avaient été rendus inutilisables par les coups de feu. C'est ce qui rendit le passage de la 23me division d'infanterie extrêmement difficile. Le matériel disponible ne suffisait plus pour la construction d'un pont. Le général commandant, qui s'était rendu compte personnellement, vers 7 heures du soir, de la situation de la 32me division d'infanterie a Leffe, se rendit au point de passage de la 23me division; il y arriva vers 8 heures. La situation du corps d'armée était, a ce moment, a peu prés la suivante: Prés de Leffe, la 32me division combattait encore pour Ie passage; prés de Dinant, la 46me brigade d'infanterie avait du être retirée sur les hauteurs de la rive est, paree qu'il était impossible de séjourner dans la ville en flammes; prés des Rivages une partie du pont était construite, mais le matériel pour 1'achever faisait défaut, en sorte qu'il fallut organiser un service de bacs. Le commandant de la 23me division d'infanterie prescrivit en conséquence de faire passer d'abord le fleuve a un détachement mixte placé sous les ordres du colonel Meister et composé du régiment de grenadiers n° 101, du régiment des hussards n° 20 et du premier groupe du régiment d'artillerie de campagne n° 12. Le régiment des grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100 devait suivre ce détachement tandis que le reste du corps d'armée devait utiliser le pont construit prés de Leffe par la 32me division d'infanterie. D'après un ordre d'armée expédié a 1'Est de Dinant, a 7 heures 15 minutes du soir, les troupes disponibles devaient commencer immédiatement la poursuite de 1'ennemi sur la rive Ouest de la Meuse. Le XIlme corps d'armée avait a se diriger sur Philippeville. (s) von Loeben, Capitaine a 1'Etat-Major général. CHAPITRE X La Nuit du 21 au 22 Aoüt Pendant la nuit du 21 au 22 Aoüt, les troupes allemandes commirent un premier attentat contre la population dinantaise. Pénétrant dans Dinant par la rue St Jacques (route de Ciney) des troupes en reconnaissance se mirent a tirailler sur les maisons, tuèrent un ouvrier et blessèrent quatre personnes. (1) Elles quittèrent la ville après avoir incendié quelques maisons de la rue St Jacques. Voici les déclarations allemandes relatives a ce grave incident. Anlage 2. — Extrait du RAPPORT DE COMBAT du régiment de fusilier n° 108 au sujet du combat de Dinant dans la nuit du 21 au 22 Aoüt 1914. Lorsque les derniers éléments du IIme bataillon eurent atteint les premières maisons de Dinant, on entendit brusquement un coufr de feu de signa/. Immédiatement après, la fusillade crépita de tous cötés. On tirait de toutes les maisons, des éclairs partaient de tous les flancs des collines percées de caves et de souterrains. Toutes les maisons étaient solidement barricade'es. On essaya d'y pénétrer. Quand les crosses et les haches étaient impuissantes, des pionniers jetaient a 1'intérieur des grenades a main. Dans une maison formant coin des mitrailleuses étaient établies. Anlage 3. - Extrait du RAPPORT DE COMBAT de la lr® compagnie de campagne du bataillon de pionniers n° 12 au sujet de la reconnaissance en force opérée conjointement avec le IIme bataillon du régiment de fusiliers n° 108, Ie 21 Aoüt 1914. (1) Le rapport que j'ai adressé le 25 Juillet 1915 a Monsieur le Ministre de la Justice ne mentionne que 3 blessés et ne signale pas de mort. Les indications reproduites ici sont celles que donne une protestation de Mgr Heylen, évêque de Namur, au sujet des accusations formulées par le Livre Blanc. Cette protestation qu'on trouvera a la fin de ce volume fut adressée par Mgr Heylen air Gouverneur Général allemand en Belgique. 11 faut considérer les indications de Mgr Heylen comme plus exactes que les miennes : il écrivait sur place tandis que je n'étais plus en Belgique quand j'ai rédigé mon rapport et j'ai dü me fier a mes souvenirs. Lorsque j'hésitais entre deux chiffres, j'indiquais toujours Je moins élevé. Dès que les premières maisons de Dinant furent atteintes 1'éclairage putoic fut détruit. Les colonnes s'avancèrent en longeant de prés les rangées de maisons. C'est ainsi qu'on arriva a la première rue de traverse, ici, on tira soudain trés vivement, d'une maison formant coiti a droite, sur les pointes de 1'infanterie ; il fut riposté immédiatement a ce feu. Tout a coup on tira de toutes les maisons et un chaud combat de rue s'engagea. Au moyen de haches et de cognées, les pionniers brisèrent les portes closes, jetèrent des bombes a main dans les pièces inférieures des maisons et en incendièrent d'autres a 1'aide des torches allumées entretemps. Le lieutenant Brink s'engagea dans la première rue de traverse de gauche. Elle était obstruée de fits de fer tendus a peu de hauteur du sol. Des maisons on jetait des pierres et on tirait. Soudain le detachement fut attaqué par derrière et dut se replier jusqu'au coin de rue. Le sous-officier Grosze qui, atteint de plusieurs pierres était étendu évanoui prés des fils de fer, fut emporté. La lre section comptait 15 blessés légers et un autre blessé gravement atteint. Anlage 4. Dresde, le 6 Novembre 1914. Paul Kurt BUCHNER, réserviste de la lre compagnie de campagne, du bataillon de pionniers n° 12 a Pirma, déclare. (1) Le 21 Aoüt 1914, dans la nuit, ma section fut envoyée en reconnaissance a Dinant, en Belgique. Le IIme bataillon du régiment d infanterie n 108 marchait avec nous. Quand nous fümes arrivés en ville on tira vivement sur nous des maisons et ce, surtout a petits plombs. Nous avons pris d'assaut un certain nombre de maisons et vu que les tireurs étaient des civils sans insignes^ mi'itaires. Après cela, nous nous sommes retirés. Le 23 Aoüt 1914, la 23me division commenga 1'attaque de Dinant. Alors aussi on tira vivement sur nous des maisons; c'étaient uniquement des civils, dont quantité furent tués. J'ai re^u un coup de feu dans la partie supérieure de la cuisse ; ensuite de cela je fus transporté a 1'ambulance installée au chateau de Sorinnes. Durant la nuit, le chateau fut attaque a coups de feu par les habitants du village. Les assaillants furent repoussés avant d'avoir pénétré dans le chateau. (Ij II semble inutiie de reproduire les formules qui précédent et suivent les dépositions de témoins. Presque toutes les dépositions sont faites sous la foi du serment. Plusieurs des rapports ont été confirmés verbalement par leurs auteurs. Ceux-ci ont, en ce cas, prêté serment. * Anlage 5. Neufchatel 20 Février 1915. Herbert Max Reinhard BRINK, sous-lieutenant a la lre compagnie de campagne du bataillon de pionniers n° 12, XIIme corps d'armée. Je commandais la section de la lre compagnie de pionniers de campagne qui prit part a la reconnaissance en force entreprise dans la nuit du 21 au 22 Aoüt, a Dinant. On tira vivement sur nous des maisons. Je n'ai pas vu les tireurs, mais, certainement, ce n'étaient pas des soldats. Je le déduis des nombreuses blessures a chevrotines de nos blessés. Lors du combat de rue un vieux petit revolver a barillet qu'on venait de décharger d'un coup tomba sur ma tête. Un officier ou, en général, un militaire n'aurait guère eu une arme aussi démodée en sa possession. (1) Anlage 59. — La Ville au Bois, prés Pontavert, 6 Mars 1915. Paul Richard ROST, sous officier du service de santé a la 6me compagnie du régiment de fusiliers n° 108, 25 ans. Quand dans la nuit du 21 au 22 Aoüt je relevais des blessés a Dinant j'ai seulement remarqué que, derrière les hommes qui faisaient feu des fenêtres, on apercevait des têtes de femmes. Une partie des hommes étaient en manches de chemise. Le jour suivant, parmi les cadavres déposés dans la cour du chateau de Sorinnes, je remarquai celui du soldat de lre classe Kirchhof de ma compagnie. II avait une fracture du crdne qui ne pouvait avoir été causée que par un instrument contondant. Le crane était presque totalement défoncé (2). Anlage 60. Mêmes lieu et date. Emil Bruno LANGE, fusilier de réserve, 7me compagnie du régiment de fusiliers n° 108, 25 ans. Le 21 Aoüt, pendant le combat de nuit a Dinant j'ai vu une vieille femme faire feu sur nous d'une maison. Cette maison était fortement éclairée par une lanterne qui brülait dans la rue. Peu après la femme tomba a la renverse probablement touchée par un de nos coups de feu. (1) La suite de cette déposition a trait a des faits du 23 Aoüt. Eile sera reproduite plus loin. (2) La suite de Ia déposition concerne les événements du 23 Aoüt et sera reproduite plus loin. Anlagk 6i. Mêmes lieu et date. Paul Otto VORWIEGER, fusilier a la 6me compagnie du régiment de fusiliers 108, 20 ans. Dans le combat de rues a Dinant, le 21 Aoüt, je vis dans une maison oü précisément je voulais entrer, une femme d'environ 30 ans, le revolver en main et prête a faire feu. (1) Au cours de cette fusillade, des Allemands furent atteints. Cela n'est pas contesté. Des projectiles beiges ne sont pas seuls a avoir pu causer les pertes allemandes. Situons les faits. La rue St-Jacques, longue et droite, descend perpendiculairement a la Meuse en pente trés raide. Elle débouche dans la rue Adolphe Saxe qui, parrallèle a la Mense, coupe a angle droit la rue St-Jacques. Toutes les maisons de la rue Adolphe Saxe ont deux fagades: 1'une a front de rue, 1'autre par derrière donnant directement sur le quai et la Meuse. Dans cette rue se trouvait, précisément en face de la rue St-Jacques, une ancienne construction batie en arveau „, en sorte, qu'en passant sous la voute qui était a hauteur du premier étage des maisons voisines, on arrivait tout droit, de la rue St-Jacques, au quai et a la Meuse. De cette disposition des lieux il résulte que dans sa partie supérieure la rue St-Jacques pouvait être prise sous le feu des troupes fran^aises occupant les collines de la rive gauche, le tir passant au dessus des maisons de la rue Adolphe Saxe. Dans sa partie inférieure, la rue St-Jacques est exposée au feu des troupes placées sur les berges de la rive gauche et dirigeant leur tir sous 1'ouverture de la voute presqu'aussi large d'ailleurs que la rue St-Jacques elle même. Des troupes obligées de parcourir celle-ci ne sont donc a 1'abri de la fusillade de la rive" gauche que pendant une minime partie de leur trajet. Les Francais, cela n est pas nié par les Allemands, occupaient la rive gauche et veillaient. N'y avait-il pas aussi de troupes frangaises sur la rive droite pendant la nuit du 21 au 22 Aoüt? (1) La suite de la déposiiion concerne les événements du 23 Aoüt et sera reproduite plus loin. A Dinant les opinions a ce sujet sont divisées. Elles ont peü d'importance: les Dinantais n'affirment rien. Cantonnés chez eux ils n'ont rien vu; ils ne font que des suppositions. Les documents allemands vont nous éclairer. L'" apergu général „ dans lequel les rédacteurs du Livre Blanc résument les événements de Dinant, dit: " ht bataillon s'avanca jusqu'au pont, constata que celui-ci était occupé par 1'ennemi et se retira au milieu de la fusillade qui continua de toutes les maisons Les témoignages que nous venons de lire cachent cette circonstance intéressante que la Commission d'Enquête de Berlin nous révèle. Dans le rapport de 1'Etat-Major du XIIme corps d'armée(Anl. 1), nous lisons : 22 Aoüt. " Vers trois heures du matin, un officier de 1'Etat-Major qui avait été envoyé en avant, nous rapporta que le IIme bataillon du régiment de fusiliers n° 108 (1) avait réussi, par une attaque brusquée de nuit, a repousser 1'ennemi au dela de la Meuse prés de Dinant. Ici aussi la population avait de nouveau participé au combat, en se servant, en partie, de fusils a plombs. „ Récit autorisé, clair, formel. Pas d'erreur d'interprétation possible : pour repousser 1'ennemi au dela d'un fleuve, la première condition est de 1'avoir rencontré en dega. Voila un premier point établi : les pertes allemandes peuvent provenir du feu des Frangais. Tirons de ce qui précède un enseignement relatif a la sincérité des deux rapports de combat reproduits plus haut (Anl. 2 et 3). Les rédacteurs de ces pièces ne parient pas de leur rencontre avec les troupes frangaises; c'est une mutilation de la vérité. Diront-ils qu'ils n'o.nt pas vu de Frangais? Ce serait avouer qu'ils ont dit plus qu'ils n'avaient fait quand ils ont renseigné 1'Etat-Major du XIIme corps. Dans 1'un et 1'autre cas ils sont coupables d'inexactitude sur un élément essentiel du débat et leurs récits perdent toute valeur probante. Un second point. Dès qu'éclatèrent les premiers coups de feu, et apparemment, sans que des précautions aient été prises pour s'assurer de leur origine, les troupes allemandes ripostèrent, tirant sur les maisons (Anl. 3). (1) C'est bien celui qui se trouvait rue St-Jacques. Fatalement un grand nombre de balles ont ricoché. Quelques unes de celles-ci ont pu atteindre et blesser des soldats allemands. II est notoire, qu'a plus d'une reprise, des autopsies, pratiquées en temps utile par les allemands, ont démontré qu'en Belgique des soldats ennemis ont été tués par des balles perdues de leurs camarades. A Dinant, le 23 Aoüt, j'ai vu M. Wayens, inspecteur de 1'enseignement primaire, recevoir a la jambe une blessure causée par une balie allemande qui avait ricoché sur une des maisons que 1'on criblait de coups de fusils avant d'y faire des perquisitions. Pour être soldat allemand on n'est pas a 1'abri d'accidents de ce genre. Trois hypothèses se présentent donc. Les Allemands ont pu être atteints soit par des projectiles francais, soit par des balles allemandes. Des coups de feu beiges peuvent aussi avoir causé le mal. Les deux premières hypothèses sont plausibles. Sans discussion le Livre Blanc les écarté. Démontrons que, seule, la troisième est inacceptable. Les dépositions par lesquelles on cherche a 1'accréditer se divisent en deux catégories: les récits d'ensemble et les narrations de faits particuliers. Dans la première catégorie se rangent les deux rapports de combat (Anl. 2 et 3.) des unités allemandes engagées dans cette affaire. Ils rapportent en substance qu'a un signal donné par un coup de feu, les ouvertures des maisons se garnirent instantanément de francs-tireurs, la fusillade faisant rage. On tirait aussi des collines percées de caves et souterrains. Dans la tranchée, oü sous la garde attentive des sentinelles, les soldats dorment d'un sommeil inquiet, vêtus, équipés, leurs armes a portée de la main, une troupe aguerrie par de longs mois de compagne jalouserait une si merveilleuse promptitude. L attribuer a des bourgeois surpris dans leur sommeil, c'est se heurter a une impossibilité matérielle. Reconnaissant eet écueil qui menace leur barque, les rédacteurs du Livre Blanc écrivent : " II était évident que cette attaque de la population était faite d'après un plan prémédité, qu'on avait eu connaissance a Dinant de la reconnaissance allemande et qu'on avait utilisé dans cette attaque toutes les mesures prises de longue main a eet effet, ce qui résulte entre autres du fait qu'Ü y avait des meurtrières dans un grand nombre de maisons et de murs. „ Le plan prémédité, les préparatifs de défense, ce sont des contes dont nous avons fait justice. Ils sont insuffisants d'ailleurs pour expliquer comment, a point nommé, en pleine nuit, la population se trouve debout, les armes a la main, prête a la résistance. Alors on déclare évident qu'a Dinant on avait eu connaissance de la reconnaissance allemande. Allégation sans preuve, imaginée de toutes pièces a Berlin. Aucun témoignage allemand n'y fait allusion, même a titre purement hypothétique. Affirmation démentie par le bon sens. On n'imagine pas 1'Etat-Major allemand faisant part de ses projets a tout venant ou en gardant si mal le secret qu'ils puissent être connus aussitöt que congus. La reconnaissance s'est effectuée en pleine nuit ; la mise en route d'un bataillon d'infanterie et d'une compagnie de pionniers ne nécessite pas un braniebas tel que tout le monde s'en apergoive et devine du même coup les intentions du commandement quant a 1'objectif de 1'expédition qui se prépare. En voila assez sur la première catégorie de témoignages. Ils sont manifestement tendancieux et exagérés. L'attaque des troupes allemandes par la population n'a pu avoir le caractère de généralité qu'ils lui prêtent. Reste 1'éventualité de coups de feu épars tirés par des francstireurs isolés. Elle ne peut trouver sa justification que dans des témoignages précis, directs, de soldats affirmant avoir vu des francs-tireurs. Des témoins se sont présentés qui déposent en ce sens. II y en a quatre sans plus, le lieutenant Brink déclarant for- mellement qu'il n'a vu aucun civil faire feu. 1° Rejetons en premier lieu le témoignage du soldat Lange (Anl. 60). II aurait vu une femme, éclairée par un réverbère, faire feu sur les troupes allemandes. II n'y avait pas. de réverbère allumé. Le rapport de la compagnie de pionniers (Anl. 3) le signale. Soit dit en passant, 1'éclairage n'avait pas, comme on le prétend dans ce rapport, été détruit a 1'approche de la reconnaissance. Depuis plusieurs jours, par mesure de précaution, on avait vidé les cloches du gazomètre. 2° Dans une maison oü il pénètre, Vorwieger (Anl. 61) voit une femme de 30 ans le revolver a la main, prête a faire feu. Malgré 1'émotion du combat et 1'obscurité qui régnait, eet homme se rend compte de l age de cette femme et le note. Etonnant sangfroid! L histoire n'a pas de dénouement. Elle n'en peut avoir. Des deux issues possibles, 1'une la fuite du valeureux guerrier germain devant la menace de ce revolver est invraisemblable, 1 autre, la mort de la femme, est contraire aux faits : aucune femme ne fut tuée ce jour la. 3 Plus clairvoyants que le lieutenant Brink, les deux témoins suivants ont vu un nombre indéterminé de francs-tireurs. D après Rost (Anl. 59.) certains d'entre eux étaient en manches de chemise, se privant ainsi de 1'avantage que leur assurait l'obscurité de la rue et se faisant cibles faciles par 1 exhibition de ce linge blanc. Imprudence invraisemblable. L/obscurité règne dans la rue, elle est plus profonde encore dans les chambres non éclairées. A 1'intérieur de celles-ci, derrière les hommes, Rost aurait cependant vu des têtes de femmes, silhouettes fugitives se dessinant seulement par instants, car les Allemands tiraillent vigoureusement. Ces fugaces et indistinctes apparitions suflïsent a Rost. II a reconnu des têtes de femmes. Cette déposition note doric deux détails, deux invraisemblances, deux inventions. Cela condamne la sincérité du témoin. 4" Büchner a aussi vu des civils faire feu (Anl. 4). Ce témoin est un menteur. II raconte que, blessé le 23 Aoüt, il fut transporté dans une ambulance a Sorinnes, ambulance qui, durant la nuit suivante, aurait été assaillie par les habitants du village. D une aggression aussi odieuse, les Allemands, si elle s'était produite, trouveraient facilement plus dun témoin. Büchner est le seul a en parler. En outre, le 23 Aoüt au soir, le village de Sorinnes n existait plus. L'incendie 1'avait complètement détruit et, depuis le 22 au soir, tous les hommes étaient arrêtés. C'est le docteur Petrenz qui en témoigne (Anl. 51). On lira plus loin sa déposition. Ces quatre témoignages constituent tous les éléments de la preuve que les Allemands prétendent faire. II serait oiseux d'insister. ioute 1'enquête de nos ennemis se signale par les mêmes défauts. Des généralités, du vague rendant le controle impossible. Lorsqu'une précision est faite, un détail avancé, il donne prise a la critique par son invraisemblance ou 'sa contradiction avec d autres dépositions si lé témoin n'est pas lui même surpris en flagrant délit de mensonge. Deux observations encore au sujet de cette nuit du 21 au 22 Aoüt. Des Allemands auraient été blessés par des plombs. Je dois, pour le moment, me borner a démentir cette affirmation. Elle se reproduit fréquemment a propos des événements du 23 Aoüt, Dans un chapitre spécialement consacré a cette question, il sera démontré qu'il n'existe aucune preuve de ces faits. Dans une maison du coin, des mitrailleuses étaient établies, (1) dit le rapport de combat du bataillon d'infanterie (Anl. 2). Aucun détail n'est ajouté. La oü il y a des mitrailleuses, on doit supposer la présence de troupes régulières. Pareille déduction peut être combattue par des témoignages affirmant que ce sont des civils qui utilisaient les mitrailleuses. Ces témoignages n'existent pas. Le tir de ces mitrailleuses serait une preuve nouvelle de 1'intervention des troupes frangaises, rien de plus. Par soüci d'être complet, j'ajoute : il n'y avait pas de mitrailleuses. Seul le rapport du bataillon d'infanterie y fait allusion. Le rapport de la compagnie de pionniers (Anl. 3) se borne a dire : on tirait vivement de la maison du coin. Le lieutenant Brink et ses hommes les ignorent également, malgré les pertes effroyables qu'auraient subies les Allemands. s ils avaient défilé dans une rue barrée par le feu de plusieurs mitrailleuses. Pour éviter ces pertes, leur premier soin eut été d'éteindre le feu de ces engins. On ne nous dit pas qu'on 1'ait tenté. Les civils se servant de mitrailleuses 1 Quel beau thème d accusation! Quel témoin allemand aurait négligé de signaler un fait a la fois si important, si étrange et si facile a constater? Leur mutisme a tous condamne la seule déposition qui le relève. (1) Une traduction officielle allemande, en langue fran?aise, de l'aper?u général, traduction assez inexacte d'ailleurs, porie : Le fait que l'on a trouvé parmi les armes de la populcition civile non seulenient des fusils de chasse et des revolvers, mais aussi des mitrailleuses et des fusils d ordonnance beiges, permet d'admettre que le Gouvernement Beige a favorisé I organisation de la résistance. En traduisant les mots " étaient établies „ dc 1 Anlage 2 par on a trouvé,, on inteiprête trop Iibrement le texte. En ajoutant "parmi les armes de la population civile „ on le falsifie. CHAPITRE XI Le Bombardement de la Ville Les incidents de cette nuit du 21 au 22 Aout eurent sur la suite des événements une effroyable répercussion. " Cette attitude de la population civile, lit-on dans le Livre Blanc (Apergu général), laissait prévoir que les habitants prendraient également part a la lutte dans les opérations qui devaient suivre. „ Rien n est terrible comme les suspicions nées d'un préjugé. Dans le cas présent, elles laissent sans défense, livrée a toutes les incertitudes et a toutes les erreurs du hasard, du trouble des combattants ou de leur colère, la population qui en est 1'objet. Comme en témoignent les rapports allemands qu'on lira bientöt, les ordres qu'elles engendrent sont des condamnations sans appel,' en sorte, qu'en ces heures de violences, il y a moins de garantie et de justice, pour un innocent qualifié suspect, que n'en obtient, a juste titre, un criminel soumis en temps ordinaire a la vindicté des lois. Par le manque de sintérité des rapports publiés dans Ie Livre Blanc, on peut juger de 1'inexactitude des récits qui auront trompé les troupes allemandes sur 1'aventure de cette nuit funeste du 21 Aout. II n y avait pas seulement ces contes de bivouacs, récits anonymes et apocryphes qui, circulant de bouche en bouche se propagent avec une incroyable rapidité, se déforment en s'exagérant et trouvent partout des oreilles avides et des échos complaisants. II s y est joint des calomnies propagées par des officiers, calomnies dont la déclaration du soldat Alfred Delling, de la llme compagnie du régiment d'infanterie n° 103, recueillie en France, fournit un honteux exemple. "Le 22 AoÜt, dit ce soldat, (et son régiment fut le lendemain engagé a Dinant) le lieutenant-colonel de notre régiment fit avancer sur le front du régiment une voiture dans laquelle il nous dit qu'il y avait deux soeurs allemandes dont les deux mains avaient été coupées par des civils. Je dois reconnaitre que j ai vu la voiture, mais que je n'ai pas aperfu ces sceurs et pas davantage les mains coupées. „ (Livre Gris beige, p. 232). Odieuse et criminelle excitation, véritable provocation au meurtre dont le Livre beige relève d'autres exemples. Méfi ez-vous, recommandaient les officiers, Dinant est un nid de francs-tireurs. Donné a des hommes dont 1'esprit est hanté par les racontars de la presse d'Outre-Rhin, accusant les Beiges des pires cruautés, ce conseil leur montrera partout des coupables, et, sur la tête des Dinantais, pèseront tous les incidents imprévus de la bataille, tous les faits inquiétants ou inexpliqués pour des troupes a qui manque le sangfroid que donne 1'expérience. Des hommes énervés par 1'anxiété de la bataille prochaine, la première a laquelle ils prendront part, se surexcitent au récit des fusillades dans les rues, de 1'assaut brutal des maisons a la hache et a la grenade. Quand, aux reflets des incendies, on leur dépeint leurs compagnons d'armes victimes des prétendus francs-tireurs, les craintes s'émeuvent, 1'esprit de colère et de vengeance s'allume. Pour attiser cette flamme, prête a jaillir, un implacable mot d ordre est donné : pas de pitié, pas de rémission! A des troupes ainsi préparées, on peut tout demander : elles sont aptes a toutes les besognes. Les Allemands ont énvahi Dinant, le jugement faussé par une idéé préconfue, le coeur dominé par la haine et la vengeance. N'essaycns pas d'apprécier sainement leurs témoignages et leurs actes sans tenir compte de ces deux éléments déterminants. Ce serait juger les effets en méconnaissant les causes et s'engager dans un inextricable lacis d'inexactitudes et d erreurs. * * * Parmi les événements complexes qui anéantirent Dinant, un fait capital, affectant 1'ensemble de la ville, est affirmé par les autorités militaires allemandes : le bombardement qui aurait détruit la cité coupable. Plusieurs documents racontent ce bombardement. L anlage 12 parait le plus important d'entre eux. Anlage 12. - Extrait des RAPPORTS DE COMBAT de 1'Etat-Major de la 46me brigade d'infanterie et des regiments n "s 108 et 182 au sujet du combat prés de Dinant le 23 Aout 1914. Les régiments nos 108 et 182 atteignirent, vers 9 heures du matin, les pentes a 1'Est de la Meuse. Une lutte violente s engagea alors pour la possession de la ville de Dinant défendue par les francs-tireurs qui nous ont causé de grandes pertes, surtout en officiers. Le commandant de la brigade estimant que la ville ne pouvait être prise sans un bombardement préalable par 1 artillerie donna, a 10 heures du matin, 1'ordre d'évacuer la ville, si cela était possible. On ne le put, car les troupes etaient de]a trop fortement engagées dans des combats de maisons et s'avansaient dans Ia direction du marché. Tandis qu'il fallait lutter ici avec acharnement pour la possession de chaque maison, nos troupes eu.ren.t,.en outre 3 subir le feu violent de 1'artillerie et des mitrailleuses établies sur la rive opposée de la Meuse. Les deux^ commandants de régiments se rencontrèrent sur la place, lis resolurent de se retirer petit a petit de la ville paree qu ïls ne pouvaient combattre efficacement 1'ennemi qui tirait cache dans les maisons, les caves, les cavernes et même de la midi commenga cette retraite vers 3 heures de 1'après- Régiment de fusiliers n° 108. Le IIIme bataillon dans son avance vers Dinant eut immédiatement a soujfrir du feu partant des maisons situées d /'Est. On n apercevait pas dennemi, cependant on tirait continuellement du cote Nord de la route de Dinant-Gemmechenne. Le Ier baaillon pnt dassaut la ferme Malaise. Tous les francs-tireurs qui uttaient-la furent tues. Ensuite, suivant les ordres re?us, le bataillon se rendit a Leffe et a Dinant sous le feu de la population. V les maisons de Dinant il n'y avait plus d'adversaires revêl ou "lun's »isignes militaires, mais les citoyens fanatiques et merne des femmes tiraient sur les troupes. Une lutte violente pour les maisons eut ieu a la Place du Marché. On fit également feu de la tour de la cathédrale. Presque toutes les maisons étaient mises en etat de defense d'après un plan déterminé a l'avance Les deux commandants des régiments n°s 108 et 182 acquirent la conviction que, sans le soutien de notre propre artillerie, on ne parviendrait pas a atteindre la Meuse. (1) Aussi a 3 h. 30 de 1 apres-midi ïls donnaient le signal de la retraite. A 5 heures le bombardement de la ville par notre artillerie commenga. Le lendemain matin, la brigade, comme il lui était impossible de s avancer a travers Dinant en flammes, passa la ntfl s.u.r Ie ,,P°,nt d(r bateaux construit prés de Leffe par la oZ division d infanterie. (1) Je ne parviens pas a comprendre ce passage. Ces officiers ont-ils si mal observe les Iieux que se trouvant sur la Place du Marché (c'est la Grand'Place,) 1 ƒ, ne. f sont pas aPer?us qu'elle s'ouvre directement sur le pont et qu'ils avaient atteint la Meuse? C'est peu vraisemblable. Veulent-ils dire qu'ils ont cru impossible de faire arriver leurs troupes a I'endroit qu'ils avaient eux-mêmes atteint' ,a 011 lls avaient Passé e" combattant, Ia oü iis durent repasser en battant en retraite le gros de leurs forces devait pouvoir aisément les reioindre • et leur objectif, la Meuse, était atteint. Quoiqu il en soit, au moment oü ces officiers constataient I'impossibilité d arriver a la Meuse, j'observe qu'ils y sont parvenus. Régiment d'infanterie n° 182. Pendant 1'avance du régiment le long du flanc d'une vallée, les hommes eurent a souffrir d'une manière continue du feu d'artillerie venant de la rive gauche de la Meuse ainsi que du feu de 1'infanterie provenant des maisons et des bosquets situes sur la pente. Ce feu nous causa des pertes. Le capitaine Klotz, commandant la compagnie de mitrailleuses, fut tué d un coup de feu venant den haut, donc probablement d'une des tours de vigie a 1'aspect de forteresse qui se trouvent la. (1) Deux bataillons pénétrèrent dans la ville et se dirigèrent vers le pont sous le feu provenant des maisons et des parois rocheuses de la rive orientale. Ces parois recélaient des francs-tireurs dans de nombreuses cavernes. A 3 h. 30 du soir, le régiment se trouvait de nouveau sur les bauteurs dominant Dinant, tandis que notre artillerie, placée au Nord, bombardait violemment la ville des deux cötés du fleuve. Durant la soiree et la nuit des francs-tireurs ennemis firent encore continuellement feu; ils se trouvaient dans des bosquets et derrière des murs sur le flanc de la vallée; ils y arnvaient par des galeries dans les roches, galeries a nous restées inconnues, et dans lesquelles ils disparaissaient ensuite. D'autres pièces de 1'enquête allemande ont trait au même objet. Ce sont les anlangen 19, 20 et 21. Anlage 19. - Extrait des RAPPORTS DE COMBAT du régiment d'artillerie de campagne n" 12. 23 Aoüt 1914. Etat-Major du Régiment. Notre infanterie ayant été entravée par des combats de francstireurs dans sa marche en avant a travers Dinant, la ville a ete mise en flammes par le bombardement du régiment. 23 Aoüt 1914. Ier groupe. La partie de Dinant située a 1'Ouest de la Meuse ne tombant pas en notre pouvoir, et les civils, selon les avis qui nous arri vaient, tirant de la sur nos troupes, le général Lucius ordonna de bombarder cette partie de la ville. Deux sections de la pre- (1) Les balles de shrapnels frappent ainsi de haut en bas. Quant a la tour dont on parle ici, ce ne peut être que la tour de Monfort qui, a vol doiseau, est située a 7 a 8C0 mètres de la! mière batterie furent mises en position a 1'Ouest d'Herbuchenne et, avec environ 30 shrapnels, mirent le feu a quelques grandes maisons. Lorsque, 1 après-midi, notre infanterie se fut retirée de Dinant, le groupe regut 1'ordre d'incendier la ville en la bombardant. Au bout de peu de temps arriva 1'ordre de cesser le feu. A 6 heures du soir, notre infanterie avait en sa possession les hauteurs de la rive Ouest de la Meuse. 22 Aoüt 1914. (1) IIme groupe. i Le c°mmandant du groupe demanda au capitaine Pechwell de la compagnie du régiment d'infanterie n" 182 deux sections et se rendit avec celles-ci a la position lui désignée. Comme chemin faisant, on devait fouiller toutes les maisons et carrières 8 u wo a i6, d.e franCS;tireurs' la Position ne fut atteinte qu'a i a 7 ,^eures so'r' deux fermes qui se trouvaient sur le tlanc droit se trouvèrent soudain en dammes; a 11 h. 1/2 des signaux lumineux furent apergus. Ils partaient des carrières au IN.-t,. de la position. Anlage 20. - Extrait du RAPPORT DE COMBAT du regiment d artillerie de campagne n° 48. Comme notre infanterie était trés violemment attaquée a Dinant par 1 a feu fiartant des maisons et que Ion tirait aussi sur elle du fort, la 3^ batterie reeut 1'ordre de bombarder le fort d'une position encore plus avancée. ^ 10n pIuS' notre in^anterie n'avanfait pas. C'est pour- qu°! la 5 batterie regut a 4 heures de 1'après-midi, 1'ordre dincendier la ferme de Rondchêne et-la localité de Leffe en les bombardant. A partir de trois heures notre infanterie avait bvoamc£:rdDém,rtiué.(2rrtirde5 heures' |,ar,i"erie ,ourde avai* Annexe 21. - Extrait du RAPPORT DE COMBAT du regiment d artillerie lourde (Fussartillerie) n° 19, ler bataillon. (1) Le Livre Blanc porte cette date du 22 Aoüt. C'est évidemment une faute d impression. (2) Le rédacteur de ce rapport a des souvenirs topographiques bien confus. II bombarde a la fois Leffe, rive droite du fleuve, et la ferme de Rondchêne sihiee a Neffe sur 1 autre rive de la Meuse! Quand au fort qui domine la ville, ïl n etait habite que par un gardien et sa familie. Et 1'on a du emnlover contre eux le canon! 23 Aoüt 1914. A midi, le général-major Schramm conduisit, sur la route au Nord de Dinant, la batterie Eichler vers une position plus avancée au Sud-Est de Leffe et, plus tard, a la place du couvent de Dinant (1). De la, elle bombarda Dinant même. 24 Aoüt 1914. La reconnaissance fit voir que la route Dinant-Leffe, dans la vallée de la Meuse, n'était pas praticable a cause des ruines des maisons écroulées, des incendies et du tir des habitants, faisant Jeu des maisons. Des Anlagen 5 et 6 j'extrais les passages suivants. Anlage 5. — Déposition du sous-lieutenant Brink. (Suite (2) Le soir vers 7 heures, je me suis rendu, avec ma section, de Dinant vers les Rivages. Au cours de ma route prés des dernières maisons de Dinant on tira de nouveau vivement des maisons sur nous. Le temps, nous faisait défaut pour nettoyer les maisons: nous avions 1'ordre strict d'évacuer immédiatement Dinant a cause du bombardement imminent de la ville. Anlage 6. — RAPPORT DE COMBAT du régiment du Roi (Leibrégiment) n° 100. (3) Comme, vers la fin de 1'après-midi, la localité n était pas encore, dans son entièreté, entre nos mains, 1 artillerie bombaraa la ville. Celle-ci fut alors consumée pour la plus grande partie, par les flammes. J'accuse de mensonge voulu, conscient, concerté les auteurs de ces rapports. Leur affirmation n est pas le résultat d une erreur. Sa précision, sa répétition dans de nombreux témoignages écartent cette hypothèse. Ces documents sont exacts ou mensongers , ils ne sont pas erronés. Dinant n'a pas été bombardée. (4) Les obus allemands ne sont pour rien dans la destruction de la ville. Elle est 1'oeuvre de (1) II s'agit ici du couvent des PP. Prémontrés de Leffe. (2) Le commencement de cette déposition est reproduit au chapitre précédent. (3) Le texte complet de ce rapport figure au chapitre XIV. (4) II s'agit bien entendu de Ia partie de la ville située sur la rive droite de la Meuse, celle oü les Allemands auraient battu en retraite devant les attaques des francs-tireurs. eriminels, manieurs de pastilles incendiaires et d'autres engins perfectionnés. Quelques obus, a vrai dire, tombèrent sur des maisons de la rive droite, mais en nombre si restreint qu'il est possible de préciser les dégats qu'ils ont causés: le vieux fort, occupé par les Allemands pendant une partie de la journée du 15 Aoüt et pendant toute celle du 23, fut légèrement écrêté par des obus frangais; 1'incendie a dévoré la toiture et le clocher de 1 église collégiale, il fut vraisemblablement allumé par des obus; la brasserie Laurent, batiment assez élevé, a été atteint le 15 on le 23 par deux obus, m'a-t-on dit ; je ne sais pas s'ils etaient franfais ou allemands ; le 24 Aoüt - le lendemain de la bataille - des canons allemands tirant de la rive gauche ont lancé des obus sur deux maisons de la rive droite : celle du docteur Laurent qui fut incendiée et celle du sénateur Cousot. Aux murs de celle-ci les traces des obus sont encore visibles et on peut constater qu'ils ont été tirés de la rive gauche du fleuve d un point situé au S. O. de Dinant. Pour le surplus Ia ville fut épargnée par les obus. Quel aurait été le but du bombardement? L'infanterie allemande, dit-on, ne pouvait arriver a vaincre la résistance des habitants. " Le commandant de 46me brigade, dit 1'apercu généra , reconnut, dès la matinée, 1'impossibilité de maitriser la population fanatique sans bombardement de la localité Dar 1'artillerie. „ F II ne faut pas se payer de' mots mais constater des faits. Dinant comptait 7700 habitants. Si j'en défalque 1° les habitants des propriétés éparses dans la campagne et la populat.on des importants faubourgs de la rive gauche, les uns et les autres hors cause dans cette partie de la lutte; 2° ceux qui avaient tin devant 1'invasion et ceux que leur devoir envers la innfT^nnn4 S°US ^ drapeaux' i'estime qu'il pouvait rester de 4 000 a 5000 personnes dans 1'agglomération de la rive droite. Un tiers d entre elles auraient-elles été capables de prendre part a la lutte ? La proportion est manifestement exagérée, mais je tiens a faire bon compte a 1'ennemi. Soit environ 1 500 combattants possibles. Contre eux, les Allemands ont mis en ligne: 4 régiments d infanterie de ligne (n°° 103, 177, 178, 182), un régiment de ™ ' r! ncV°Udra'S PaS afflrmer clue cette énumération soit ABSOLUMENT omplete. S. I on doublait (et ce serait certainement excessif) Ie nombre des projectiles signales cela ne modifierait en rien la valeur de l argument fusiliers, (n° 108), deux régiments de grenadiers (nos 100, 101), et deux bataillons de chasseurs (nos 11 et 12), soit sept régiments et deux bataillons d'infanterie ! L'apergu général les mentionne tous. II nous apprend aussi qu'il y eut dans la fournaise des pontonniers. Des déclarations d'officiers signalent, la présence de cavalerie. Enfin, 1'artillerie lourde dut venir a la rescousse de l'artillerie de campagne. Tout cela, contre 1.500 combattants luttant sans cohésion, sans chef! Mais comme ils se multipliaient! Ils sont dans tous les bois, ils garnissent les flancs des cóteaux, s'embusquent dans des grottes. II y en a dans toutes les maisons, plusieurs presque toujours, tirant des lucarnes, des fenêtres, des soupiraux et sans doute aussi des créneaux de leurs meurtrières. Ils succombent dans des luttes isolées, on en arrête des quantités, on en fusille en masse, des cadavres gisent partout dans les rues, et ils trouvent encore du monde pour occuper en force des fabriques oü la mort seule pourra les vaincre. Quand les troupes, ayant fouillé les maisons et fait place nette, réussissent a progresser, elles sont attaquées dans le dos et les détachements qui les suivent trouvent la même résistance et recommencent la mêrne tuene. Impuissants a vaincre cette poignée de tirailleurs, les fiers régiments sont obligés de battre en retraite, honteusement chassés de leur conquête par quelques bourgeois armés de revolvers ou de fusils de chasse. Battre en retraite! Opération compliquée; 1'opiniatreté des Dinantais accroche si bien les troupes allemandes qu'il faut a celle-ci six longues heures pour rompre le combat: ordonnée, a 10 heures du matin, cette retraite n'a pu commencer que vers 3 heures et demie de 1'après-midi. Alors les puissants projectiles de l'artillerie lourde s'abattent sur la ville. Les maisons secroulent dans les flammes ensevelissant sous les ruines les défenseurs de la cité indomptable. Quand eet écrasement fut accompli, croyant avoir ville gagnée, les régiments enhardis revinrent. Demeurés inébranlables sous les obus, les francs-tireurs reprennent la lutte. On en voit même, qui, dans les caves de leurs maisons en flammes, sous 1'ensevelissement qui les menace, font feu de leurs dernières cartouches. Et les Allemands se remettent a leur sinistre besogne fusillant sans se lasser quiconque leur est suspect. Le soir tombe; la nuit s'épaissit. Implacables, héroïques, les francs-tireurs combattent toujours! Epars de ci de la, il en restait encore le len- aemain. Le mardi 25, les derniers survivants de cette phalange sanglante tiraient leurs derniers coups de fusil. Tous ces détails d'une lutte inouïe sont consignés dans le Livre Blanc. Quinze cents personnes d'un cóté. De 1'autre des régiments entiers luttant en vain pendant quatre heures, obligés de rompre le combat, de battre en retraite et employant prés de six heures a cette opération ; puis 1'artillerie ayant foudroyé la villè et ses défenseurs, 1'infanterie rentrant en scène et obligée a une lutte nouvelle conduite de part et d'autre avec un acharnement toujours croissant au milieu des ruines et des dammes, jusque bien tard dans la nuit, pour ne s eteindre définitivement que le surlendemain . Voila 1'invraisemblable récit que nous offre le Livre Blanc. Le mensonge 'est ici poussé jusqu'a la sottise. Son exagération dépasse le but. Entre les témoignages relatifs au bombardement il n'y a pas plus de concordance qu'il n'y a de vraisemblance dans le récit qui nous montre les troupes allemandes battant en retraite devant les francs-tireurs et obligées de bombarder la ville pour briser la résistance. Le rapport de la 46- brigade (Anl. 12) dit " Le commandant de la brigade, estimant que la ville ne pouvait être prise sans un bombardement préalable d'artillerie donna a dix heures du matin l'ordre d'évacuer la ville si possible. On ne le put car les troupes étaient déja trop fortement engagées dans les combats de maisons. „ L Etat-Major du XH"1L corps jugeait autrement la situation et donnait a dix heures et 20 minutes l'ordre de passer la Meuse. (Anl. 1). J imagine qu'il ne Pa pas fait sans être renseigné sur la situation de ses brigades. Le ïapport du régiment 108 (Anl. 12) ne mentionne ni l'ordre du commandant de la brigade ni 1'imposibilité de Pexécuter, on y lit que " les deux commandants de régiments 108 et 182 acguirent la conviction que sans le soutien de notre propre artillerie on ne parviendrait pas a atieindre la Meuse ; et a 3 h. 30 ils donnèrent le signal de la retraite. A 5 heures le bombardement de la ville commenga. „ Evacuez la ville . Tel est 1 ordre donné a ces officiers. Dans le rapport adressé a leurs chefs sur leurs opérations militaires, omettant de mentionner l'ordre regu et se taisant sur les motifs qui en ont empêché 1'exécution, ils transforment 1'opération Qiuonnée dés 10 heures du matin en un mouvement du a leur initiative. Singulière inexactitude! Ils n'excusent en rien leur indépendance d'allures en constatant qu'a 3 h. 30 de 1'aprèsmidi ils se sont convaincus de l'impossibilité d'atteindre leur objectif. Cette impossibilité, le commandant de la brigade 1'avait apenjue bien avant eux; elle motivait l'ordre, donné a 10 heures, d'évacuer la ville et la décision, prise dès ce moment, de la bombarder. Le rapport du régiment 108 bouleverse mes notions sur la disciphine militaire. Dans le rapport du régiment 182 (Anl. 12) on ne parle ni d'ordre regu ni de retraite. On se contente de dire: " A 5 heures 30 le régiment se trouvait de nouveau sur les hauteurs dominant Dinant, tandis que notre artillerie placée au Nord bombardait violemment la ville des deux cötés du fleuve „. Si 1'on confronte ces dires avec le rapport du ler groupe du \2mt régiment d'artillerie de campagne, (Anl. 19) on constate la rapidité prodigieuse avec laquelle se déroulèrent, a partir de ce moment, les opérations précédemment si laborieuses. " Lorsque 1'après-midi, dit le 12me régiment d'artillerie, notre infanterie se fut retirée de Dinant, le groupe regut l'ordre d'incendier la ville en la bombardant. Au bout de peu de temps l'ordre arriva de cesser le feu. A six heures du soir, notre infanterie avait en sa possession les hauteurs de la rive Ouest de la Meuse „. Donc a 5 heures (Anl. 12) le bombardement commence. II s'achève, les troupes se précipitent dans Ia ville, la traversent malgré les francs-tireurs toujours embusqués, passent la Meuse, chassent les Frangais et sont a 6 heures en possession des hauteurs de la rive gauche (Ouest). Toutes ces opérations ont dure 60 minutes! La foudre ! Le rapport du régiment d'artillerie 48 (Anl. 20) nous montre les choses sous un autre aspect. A 4 heures il regoit l'ordre de bombarder Leffe. La ville même évacuée a partir de 3 heures est prise sous le feu de 1'artillerie lourde, a 5 heures. On a laissé deux heures de répit aux francs-tireurs. Inexplicable lenteur ! Si j'en crois le rapport du régiment du Roi (Leibregiment) n° 100, la ville fut bombardée alors qu'elle n'était pas encore, dans son entièreté, aux mains des Allemands (Anl. 6). Mais il n'y est question, ni de retraite, ni d'évacuation de la partie de Dinant qui avait été occupée. Impertubable et candide, le sous-lieutenant Brink nous raconte qu'a 7 heures du soir il était fort pressé: il avait ordre d'évacuer promptement Dinant a cause du bombardement imminent. (Anl. 5). Le pauvre! Ayant sans doute mal saisi ses ordres il était resté dans Dinant; oublié il y avait subi tout le bombardement sans en rien remarquer, comme, le 21 Aoüt, il affrontait sans s en douter le teu des mitrailleuses. 11 ne comprend rien, ne voit rien, n'entend rien. II se trompe avec vigueur. Les dangers lui sont inconnus; il ne les apergoit pas. II doit se battre avec sérénité. C'est un homme admirable. A toutes ces affirmations d'une netteté déconcertante il suffira d'opposer un fait. Les troupes allemandes n'ont pas quitté la ville! Pour la clarté de la preuve que j'en veux faire, je divise la ville en secteurs d après les régiments qui y ont opéré. Du Nord au Sud ces secteurs sont : 1° LE FAUBOURG DE LEFFE. - Dès le matin, le régiment d'infanterie n° 178 y fait invasion et la lutte qu'il y mène a la fois contre les Frangais occupant la rive gauche du fleuve et contre les francs-tireurs y dure toute la journée. * Pas la moindre tnention d un répit dans le combat contre ces derniers ne se trouve ni dans le rapport de combat du régiment, ni dans ceux des diverses compagnies de cette unité, ni dans les déclarations nombreuses des officiers et soldats de ce régiment. Au contraire, un de ces témoins, le capitaine Wilke de la 6'ie compagnie (Anl. 56 reproduite plus loin) plus abondant que d autres en indications horaires raconte ses opérations dans Leffe a midi, dans le cours de 1'après-midi, vers 5 heures, vers la fin de 1 après-midi et enfin tard dans la soirée. 2 LE FAUBOURG SAINT-JACQUES (de Leffe a la Grand Place). — Théatre des opérations des régiments n° 108 et 182. Des rapports de ces unités il résulte que ces régiments se seraient retirés de Dinant pour en permettre le bombardement. Nous verrons dans quelques instants que cette retraite leur fut imposée par 1'embrasement des maisons. 3° DE LA GRAND PLACE A LA RUE DU TRIBUNAL. — II n y a pas de témoignage allemand relativement a cette partie de la ville. Les Allemands n'y ont pas pénétré le 23 Aoüt. II n'y eut d°nc ni combat contre les francs-tirèurs, ni prétexte a bombardement. Ge n est que le 24 que les habitants y furent inquiétés et les habitations ince'ndiées. ^ 4" LE CENTRE DE LA VILLE ET LE FAUBOURG SAINT PAUL. — Le commandant du régiment du roi n° 100 déclare formellement que de 8 heures du matin a 8 heures du soir des compa- gnies de son régiment furent continuellement engagées dans la lutte contre les francs-tireurs (Anl. 7 reproduite plus loin). 5° AUXRIVAGES.— Les Allemands arrivent tard. Tout y est normal. Leurs opérations s'y poursuivent sans arrêt. Les Allemands n'ont donc pu bombarder la ville sans tirer en même temps sur leurs propres troupes. On ne sait trop s'il faut plus s'étonner du courage qu'auraient montré ces troupes résistant a la fois, et victorieusement, au feu des Francais, aux attaques incessantes des francs-tireurs et au tir de leur propre artillerie dont les obus les écrasaient dans un pêle-mêle effrayant avec les habitants et les maisons de la ville bombardée; ou bien de la tranquille audace avec laquelle les rédacteurs du Livre Blanc se moquent de leurs lecteurs. Une pièce reste a analyser. Anlage 22. — Extrait du RAPPORT DE COMBAT de 1'EtatJVlajor de la 64me brigade d'infanterie. Le régiment d'infanterie n° 178 n'avait pas seulement devant lui un ennemi puissant, mais il fut aussi vivement attaqué par les francs-tireurs tirant des maisons du village du Leffe. Une compagnie du IIme bataillon avec une section de la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 178 essuya également, comme 1'Etat-Major de la brigade 1'observa lui-même, un feu violent partant de toutes les maisons, au moment d'arriver a Leffe. Ce feu ne pouvait venir que des habitants. Quelques uns d'entre eux furent saisis les armes a la main et fusillés. Vers 1 heure 45 de l'après-midi, un détachement d'artillerie lourde ouvrit le feu avec un résultat manifeste sur les maisons de Bouvignes occupées par 1'ennemi. Comme on tirait des bois et des collines au Nord et au Sud de Leffe sur nos soldats s'avangant dans la rue du village, le bataillon de chasseurs de la Hesse Electorale n° 11 fut chargé de fouiller les bois. Ici aussi des civils sans insignes militaires furent trouvés les armes a la main et fusillés. Leffe 23 Aoüt 1914, 11 h. 50 du matin. 64me Brigade d'infanterie. Au régiment d'Artillerie de Campagne n° 64. La 3me Compagnie du régiment d'infanterie n° 178 souffre particulièrement du feu d'infanterie partant des maisons a tours pointues et des ruines a droite de celles-ci a Bouvignes. La brigade 64 demande de prendre ces maisons sous le feu. 64rae Brigade d'infanterie. II est regrettable, que les rédacteurs du Livre Blanc ne nous > livrent pas en plus grand nombre des pièces contenant les ordres donnés. Elles peuvent contenir des erreurs mais elles font foi de 1 opinion que le commandement se faisait des événements au moment oü ils se déroulaient et des mesures qu'il prenait pour en rester le maitre. Pour avoir rompu avec Ja règle, a laquelle ils semblent s'être assujettis, de ne pas publier les ordres (c'est le seul que nous rencontrerons) les rédacteurs du Livre Blanc doivent avoir attribué a celui-ci une importance décisive. Or, ce document spécule sur 1'inattention du lecteur ou sur son ignorance de la topographie locale. Les maisons a tours pointues sont le chateau des Roches et ses dépendances ; les ruines a droite sont celles de Crève-Coeur. Chateau et ruines sont situées sur la rive gauche de la Meuse. Soigneusement choisi entre tous les ordres de combat, publié pêle mêle avec les autres pièces relatives au bombardement de Dinant, sournoisement installé dans Ie débat comme un piège a la foi publique, ce document constitue, par 1'emploi abusif que 1'on en fait, un véritable faux. Je sais bien qu'il est écrit dans ce papier que 1'objectif a bombarder est situé a Bouvignes. Mais eet ordre de combat est publié dans une même"Anlage„ avec le rapport de la 64me brigade. II semble, par la fagon dont il est piésenté, en former le complément logique et nécessaire. Ces deux documents ne peuvent s'interpréter 1'un sans 1'autre. Les séparer, c est disjoindre ce que les Allemands ont uni intentionnellement. Cet ordre devient, en réalité, participant de toute 1'hypocrisie du rapport auquel il fait suite et qui, brouillant les faits, glisse négligeamment cette seule phrase dans un récit consacré tout entier aux francs-tireurs : " un détachement d'artillerie ouvrit le ieu sur les maisons de Bouvignes occupées par 1'ennemi. „ Avant celle-ci comme après, il n'est question que de la lutte soutenue par la population. Cette incidente formant dans le lécit un hors d oeuvre sans raison d etre apparente, équivoquant sur le mot ennemi „ par lequel les Allemands désignent indiftcremment soldats frangais et francs-tireurs beiges, (voir notamment Anl. 12) semble en vérité n'être écrite que pour donner le change et servir de prétexte a Finsertion d'un document destiné a tromper le lecteur. Avec une habile perfidie on conjugue deux faits sans rapports entre eux, une confusion se crée et le bombardement de Bouvignes devient la preuve du bombardement de Dinant. Cette confusion, j'ai 1'intime conviction, que les Allemands ont voulu la faire naitre. Ils 1'ont fait avec une adresse „ qui leur permet de s'en défendre. Ils peuvent prétendre s'être bornés a avancer urï fait vrai, le bombardement de Bouvignes, et dire qu'on ne peut leur faire grief de les avoir mal compris. Mes lecteurs verront bien si ma conviction est erronée. Qu ils s'en rapportent a 1'impression que leur a fait le document incriminé. Ceux d'entre eux qu'il aura abusés et qui 1'auront interprété comme une preuve allemande du bombardement de Dinant, partageront ma conviction. Les autres ne pourront du moins suspecter ma bonne foi: je formule moi-même 1'objection qu ils pourraient me faire. Je ne crois pas avoir fait tort a la vérité, ni dépassé les bornes de ce qui est permis en consignant ici une conviction qui est mienne mais que j'avoue ne pouvoir accompagner d'une preuve absolue devant laquelle toute conscience droite serait obligée de s'incliner. Passons a un autre ordre d'idées. Ces Dinantais que 1'on représente comme " exagérant intentionnellement ce que les troupes allemandes ont fait.. (v. l'Apergu général) auraient vu leurs maisons, écrasées par les obus, les ensevelir sous des ruines ; les membres, déchirés par les éclats de bombes, de leurs femmes et de leurs enfants les auraient éclaboussés de sang, et ils ne trouveraient pas un cri pour s'en plaindre! Qu'on relise nos enquêtes a nous et nos témoignages; le silence qu'ils gardent au sujet de ce bombardement sauvage, inflige aux Allemands, qui prétendent 1'avoir commis, le plus éloquent démenti. Plus décisif d'ailleurs et plus puissant que les affirmations des hommes, se dresse ici le témoignage des pierres. Quand tenaient encore debout les restes branlants de nos murailles calcinées par. les flammes, on' n'y voyait pas tracé des ravages qu y auraient causés les obus et leur aspect arrachait a un major bavarois eet aveu. "Mais, c'est afïreux; on m'avait dit que Dinant avait été .bombardée ; et il n'y a pas tracé de bombardement!,, (V. note de Mgr Heylen). Quiconque a visité Dinant avant qu'aux ruines, ravagées par le temps, ait succédé 1'effondrement définitu a pu faire la même constatation. Aujourd'hui encore on peut la renouveler sur les murs des rares maisons épargnées par lincendie. II n'est pas enfin jusqu'a nos pauvres morts, avec leurs corps troués par les balles, qui ne donnent un démenti aux allégations allemandes. Un seul Dinantais, le docteur Remy, a disparu dans la tourmente. Les corps des autres victimes ont été retrouvés epars dans les rues ou fusillés en tas ; ils reposent sous la terre de nos cimetières trop rapidement peuplés de tombes. Comment eut-il ete_possibIe d'en recueillir les restes calcinés dans le brasier que fut Dinant et sous le formidable amas de décombres d'une ville reduite en cendres, s'ils avaient été ensevelis sous les ruines de leurs demeures ? * * * Maïs pourquoi ce mensonge des Allemands ? Tout dabord, paree que 1'esprit de calomnie est en eux, et que cette fable leur servait a accréditer une légende : la résista'nce es Dinantais. Ensuite, et surtout, paree que devant la ville volontairement mcendiée, devant les flots de sang répandus et le monceau de cadavres accumulés 1'énormité de leur crime leur est apparue. Cette terreur, qui, après la perpétration du forfait sempare du criminel eoupable de I'assassinat le plus froidement premedite et le fait tremblant et lache devant sa victime, les a, eux aussi, glacés d'épouvante. Dans leur effroi, ils ont vu se dresser devant eux la menace des responsabilités encourues. Alors les Barbares se sont consultés. Ils ont songé a se préparer une excuse et .Is ont rejeté sur la victime le poids du forfait accompli : surcroit de fardeau ajouté a 1'excès de ses malheurs. Dinant ïncendiee témoignait dun crime ; la ville bombardée attesterait le droit qu avaient eu les Allemands de se défendre. Mais le concert dun mensonge collectif s'improvise mal. Le principe en fut posé ; on omit d'en régler suffisamment les détails. C est pour cela que le mensonge, révélé par la multiplicité de ses formes,. se fait accusateur, comme accuse également le silence des nombreux témoins allemands dont nous verrons les depositions, qui ne semblent se douter, ni de la retraite a laquelle les aurait contraints le feu des francs-tireurs, ni du secours que artillerie allemande leur aurait apporté dans la lutte qu'ils avaient, disent-ils, a soutenir contre ceux-ci. L'Etat-Major du XIIme Corps saxon ne s'est pas rendu directement eoupable de ce mensonge. II l'a toléré, il s'en est fait le complice en transmettant a Berlin les pièces oü il est consigné maïs il a prudemment laissé a des sous ordres la responsabilité de le commettre. II signale, lui, que la 46e brigade (1) a du se ceïïïS ^ Ce"e-d (A"'' 12) S°" rédt CSt t0ut ^ ^ retirer sur les hauteurs a 1'est de Dinant paree quil était imfiGssible de rester dans la ville en flammes (Anl. 1). Ce retrait des troupes n'a donc pas eu lieu pour permettre le bombardement et 1'embrasement de la ville ; il a été la conséquence des incendies criminels préalablement allumés. Cet aveu implicite de la plus haute des autorités militaires dont on nous donne la déclaration clot ma démonstration. La loi beige commine, contre 1'individu coupable de faux témoignage, la déchéance du droit de prêter serment en justice: chatiment du coupable, manifestation du mépris qu il inspire, précaution sage pour éviter que la religion du juge soit surprise par un homme que son mensonge a flétri. Les officiers dont nous avons lu les rapports mensongers ne sont plus des témoins. Leurs accusations perdent toute valeur; leurs déclarations s'échappent du procés emportées au vent de leurs mensonges. * * * Je veux cependant signaler un des dires contenus dans ces documents, non qu'il soit important en lui-même, mais paree qu'il saisit sur le vif la fa^on dont se créent, dans 1 armée allemande, légendes et témoignages. Le rapport du régiment d'infanterie 182 (Anl. 12) porte. " Dans la soirée et la nuit, des francs-tireurs ennemis firent encore continuellement feu; ils'se trouvaient dans des bosquets et derrière des murs, sur le flanc de la vallée. Ils y arrivaient par des galeries dans les roches, galeries a nous restées inconnues et dans lesquelles ils disparaissaient ensuite Je me suis longuement torturé 1'esprit pour rattacher cette allégation a un fait qui put lui donner un fondement. Je crois avoir trouvé. Les Allemands étaient en train de construire un pont de bateaux a Leffe. Un retour offensif des Frangais était encore dans les éventualités possibles; les collines devaient être fortement occupées. Des sentinelles veillaient, 1 esprit hanté de la crainte des francs-tireurs. Dans la nuit, le vent agitant 1 ombre d'un buisson, une silhouette quelconque fixée trop attentivement et prenant vaguement forme humaine suffisent pour provoquer un coup de feu d'une sentinelle. "Alerte, francs-tireurs!,, Oü?„ - " lei, a droite. „ — " Non, a gauche. „ Et chacun croyant voir quelque chose, la fusillade crépite. L'aïarme apaisée on cherche avec plus de calme les francs-tireurs. lis n'ont pu fuir; on les aurait vus. On ne trouve rien; on s'est donc trompé. Cependant des soldats obstinés refusent de reconnaitre leur erreur et quelquun se souvient avoir vu, peinte en grands caractères, sur un mur de Leffe, une réclame: " Grottes de Rempaine. „ II y a des grottes? Cela explique tout. Des grottes! des galeries souterraines dans les roches! C'est par la que les assaillants ont pu arriver et disparaïtre sans être apergus. De 1'hypothèse a 1 affirmation il n y a qu un pas. II est vite franchi; ainsi aucune sentinelle ne sera inquiétée pour avoir donné une alarme injustifiée; aucun officier ne recevra de reproches paree que du désordre se serait manifesté dans ses troupes. Le texte dit: " galeries a tious restées inconnues. „ Les a-t-on cherchées? II est vraisemblable qu on 1'a fait; si 1'on n'a pas trouvé c est qu on s'y est mal pris. Car ces grottes existent: tout le monde, a Dinant, les connait. Elles s'ouvrent prés de la route de Dinant a Philippeville, a deux kilomètres de Leffe, sur l'autre rive de la Meuse. CHAPITRE XII Les tueries de Leffe Le faubourg de Leffe est le quartier Nord de la ville. Des régions situées a 1'Est de la Meuse, deux routes a peu prés parallèles y donnent accès. Toutes deux partent de Lisogne, 1 une, passant par Loyers, suit la crête du vallon perpendiculaire a la Meuse, dénommé " Fonds de Leffe „; la seconde serpente au fond de cette vallée. Elles se rejoignent a 1'entrée de la localité. Pendant toüte la journée du 23 Aoüt, Leffe fut en proie a la férocité allemande. L'odieux des assassinats isolés qui y furent commis ne le cède en rien a 1'horreur des fusillades en masse dont ce faubourg fut le théatre. Le soir de la journée néfaste on n'y comptait plus que 9 hommes vivants (1). Deux cent quarante cadavres ensan^lantaient les nies. La responsabilité de la plus grande partie de ces meurtres incombe au régiment d'infanterie n° 178, commandé par le colonel von Reyter. II est juste de sauver de 1'oubli le nom de ce héros. Ce régiment parvint a Leffe par la route qui suit le fond du vallon. Le rapport sur ses opérations est ainsi congu : Anlage 23. - Extrait du RAPPORT DE COMBAT du régiment d'infanterie n° 178. 23 Aoüt 1914. Lorsque, en marche a travers Leffe, la compagnie de pointe (la 9me) du régiment d'infanterie n° 178 eut presque atteint la Meuse, un feu violent fut ouvert de face et des deux flancs, partant en grande partie des maisons. La 9me compagnie regut aussitót 1'ordre de purger le village (2). Le bataillon eut a combattre chaudement et subit de fortes pertes paree que, de la nve opposée de la Meuse, de ['infanterie et des mitrailleuses tiraient sur lui, mais surtout paree que les habitants de Leffe faisaient feu sur le bataillon de presque toutes les maisons. lous les civils qui avaient tiré sur nos troupes furent fusillés. A o heures oU minutes environ, 20 personnes tirèrent encore sur nous d un point situé au Sud de la caserne du 13™ régiment d infanterie beige. Elles furent extraites des maisons et fusillees. (1) Dix, dit Msr Heylen. (2) Leffe n'est pas un village. C'est un quartier de la ville de Dinant avec laquelle il fait corps. Voyons, avant de rien conclure, les Anlagen 24, (déposition du lieutenant-colonel Koch,) 25, (rapport de combat du 2me bataillon) et 30, (déposition du major Franzel, du même bataillon). Anlage 24. — Abri du régiment d'infanterie de réserve n° 178, le 3 Mars 1915, prés de Variscourt. Frédéric Bruno KOCH, 47 ans, lieutenant-colonel au régiment d infanterie n 178. Je commandais, le 23 Aout 1914, le II™ bataillon du régiment d infanterie n 178. J ai, pour commencer, eu affaire avec des tirailleries de francs-tireurs, le matin, aux Fonds de Leffe, prés de la rapeterie. Comme a eet endroit on tirait continuellement des maisons sur notre bataillon, j'ordonnai, suivant les instructions que j avais reCues, de purger les maisons. On me fit ensuite passer a 'avant, pour que j'assume le commandement du comat pres de Leffe. La, je vis le long de la rue, mais surtout sur une place pubhque, a Leffe même, beaucoup de civils tués. Vers le crepuscule, après que nous eumes pris la localité, dont j'avais mission d occuper la partie voisine de la Meuse, on me rapporta que mes postes de 1'aile gauche étaient assaillis par des francstireurs. Je rassemblai un certain nombre d'hommes, me rendis personnellement avec eux sur le lieu du combat et pris les mesures necessaires en vue de pureer les environs. Sur mon ordre du renfort arriva et je confiai au lieutenant Wilke Ie soin d achever 1 opération. Pendant que 1'on y procéjS CW'JS sans insignes militaires tirèrent continuellement sur nous des^ maisons. A la suite de ces faits, un grand nombre de dvils qu on avait, a eet endroit, trouvés les armes a la main ont ete fusilles. AVLAu»Ee l5- 7, RAPPORT SUCCINT adressé au régiment par le II bataillon du régiment d'infanterie n° 178, au sujet du combat pres de Leffe. 14 Février 1915, 5 heures du soir. Dans sa marche en avant sur Leffe, le bataillon arriva aupres d un moulin ou fabnque. L'avant-garde, auprès de laquelle et 3 /°inieEuat'^ai0r du "" 178 ré^iment d'infanterie et 1 Etat-Major du III bataillon de ce régiment, fut accueillie par un feu violent partant de la fabhque. Des collines avoisinantes on tira egalement sur e bataillon. La 9- compagnie, qui était en ete, pnt dassaut la fabnque; celle-ci fut minutieusement ouulee. Lette perquisition fit découvrir seulcment 20 hommes en vetements cwtls et sans insignes militaires et quelques femmes maïs aucun soldat beige ou francais. De même, les patrouilles envoyees sur les hauteurs rapportèrent qu'elles avaient vu seu- lement quelques civils fuyant, mais aucun soldat. Les personnes faites prisonnières dans la fabrique furent fusillées^ sur 1 ordre du commandant du régiment, paree qu'elles avaient tiré. Le bataillon continua alors sans obstacle sa marche vers la Meuse. Lorsque 1'avant-garde atteignit le fleuve, le feu fut, de la rive opposée, ouvert sur elle. Le bataillon se déploya dans le village. Les maisons, qui étaient fermées, durent être ouvertes de force par les compagnies de première ligne, afin que 1'on puisse, des jardins s étendant derrière ces maisons, prendre sous le feu 1'ennemi poste sur 1'autre rive. La population semblait n'avoir attendu que ce moment, car, soudain et de tous cótés un feu de fusils et^ de revolvers se déchaina sur nous. Les compagnies devaient_ maintenant combattre sur deux fronts: dun cöté avec 1'ennemi installe sur 1'autre rive de la Meuse et de 1'autre contre les habitants. XJne des premières victimes fut le capitaine Franz de la compagnie du régiment. II eut la jambe transpercée d un coup de feu parti d'un soupirail de cave. Le civil fut tiré de la cave par le capitaine Lücke de la 9me compagnie, en personne^ et immédiatement abattu paree que trouvé 1'arme a la main. Dans la suite 6 hommes du bataillon furent tués, et un assez giana nombre b/essés a 1'intérieur du village, et ce a des endroits que ne pouvait atteindre le feu des troupes postées sur i autre rive. Les pertes étaient imputables exclusivement a 1 attaque des civils. De ce que, chez un grand nombre d'habitants faits prisonniers on trouva des fusils d'ordonnance beiges ainsi que des cartouches d'infanterie beige dans leurs poches, il est permis de conclure aue des mihtaires beiges ont aussi, après s être defaits de leur uniforme, Dris part a 1'agression. Chez une partie des autres habitants 'furent trouvés des fusils de chasse, des pistolets vieux et modernes. Je ne sais pas si des femmes et des enfants ont^ pris part au combat; en tout cas aucun d'eux n'a été fusillé sciemment. J'avais donné ordre de mettre en süreté toutes les femmes et . tous les enfants aufrrès du firieur du couvent qui se trouve a Lette; ainsi fut fait. Je ne suis-pas a même d'indiquer combien de civils furent tués au cours du combat de rues. L'exactitude des indications ci-dessus peut être attestée par un grand nombre d'hommes du bataillon qui ont pris part au combat. Suit la confirmation du rapport ci-dessus, faite sous serment le 3 Mars 1915, par Georges Frédéric Arthur Franzel, maior et commandant de bataillon au régiment d_ infanterie n 7b. Lc major déclare que le rapport émane de lui et qu il en maintient les formes. 11 tient a répéter encore que seuls des hommes ont été fusillés, mais pas de femme ni d'enfant. Je rapproche de ce rapport 1'Anlage 30, que 1'on va lire. II y est question des mêmes faits : c'est la déposition du même major Franzel. Elle constitu'e un doublé emploi évident. La publication au Livre Blanc de ces deux documents, isolés 1'un de 1'autre, n a, sans doute, d'autre but que de donner au lecteur I'impression qu'il s'agit de deux pièces d'origine distincte, se confirmant mutuellement. (1) Anlage 30. St Erme 17 Décembre 1914. Georges 'Frédéric Arthur FRANZEL, 45 ans, major commandant de bataillon au régiment d'infanterie n° 178. Le 23 Aoüt le IIrae bataillon re?ut, en premier lieu, 1'ordre d'occuper Leffe. Prés de Ia compagnie de tête chevauchait 1'Etat-Major tout entier du régiment. A 1'entrée du vallon qui conduit vers Leffe était située une fabrique. Déja on fit feu sur le bataillon de cette fabrique ainsi que des collines situées derrière elle. La fabrique fut immédiatement prise d'assaut. On n'y trouva que quelques civils, mais pas un soldat beige ou francais. 11 était impossible que les gens qui avaient fait feu de la fabrique eussent pu s'échapper, car nous 1'avions cernée. Les civils coufiables de sexe masculin furent fusillés sur 1'ordre du commandant du régiment, le colonel von Reyter. Quelques femmes qui se trouvaient dans la fabrique furent faites prisonnières et remises ensuite au prieur du couvent. Continuant a avancer, le bataillon dut, pour pénétrer dans les jardins qui se trouvaient a la rive de la Meuse et qui étaient exposés au feu de 1'infanterie ennemie, pénétrer de force dans plusieurs maisons fermées. La population semblait n'avoir attendu que ce moment, car on fit feu maintenant sur nous de toutes parts, des maisons et principalement des caves, apparemment a l'ai de de revolvers et de pistolets. Plus tard, en faisant évacuer les maisons, nous y trouvames des armes de ce genre, qui en partie, étaient encore chargées. Le capitaine Franz, qui se trouvait a cóté de moi, fut atteint, 1'un des premiers, d'un coup parti d'une cave. Au total, les pertes subies alors par mon bataillon dans le village même — et non point prés de la Meuse — s'élevèrent a 6 hommes tués\ quant au nombre de blessés, je ne puis 1'indiquer. En raison de cette attaque traïtresse, le bataillon fut forcé de sévir contre la population. Nos troupes firent évacuer toutes les maisons d oü 1'on avait tiré. Je ne puis indiquer exactement le nombre de civils qui furent fusillés ce jour; en tous cas, sur mon ordre exprès, toutes les femmes et toüs les enfants furent conduits au couvent de Leffe et confiés au prieur. J'ai encore a faire remarquer que, lorsque tard dans 1'aprèsmidi, notre artillerie entra a Leffe, on fit feu, sur la Place du (1) Ni dans son rapport si tardif (14 Février 1915), ni dans sa déclaration du 3 Mars 1915, qui le clöture, Ie major Franzel ne fait la moindre allusion a sa déposition du 17 Décembre 1914. Marché, sur nos artilleurs; sur cette place cependant gisaient plusieurs francs-tireurs fusillés. Le bataillon ne parvint pas, par ses seules forces, it nettoyer le village ; il dut demander du reniort au régiment qui envoya les 6me et 7me compagnies. Au cours des perquisitions dans les maisons on ne trouva pas ^un seul soldat ennemi; par conséquent des civils seuls ont pu faire feu sur nous. Confrontons ces quatre pièces. Elles ont un lien commun: 1'affirmation générale " on a tiré. „ Or, c'est la le point litigieux qui doit se résoudre non par une allégation, mais par une preuve. Aucun des trois témoins de qui émanent ces dires ne semble avoir vu lui-même de francs-tireurs. Pourtant le lieutenant colonel Koch a pris la direction du combat. II a fait purger des maisons, et nous connaissons les meurtres qui, a Dinant, accompagnaient ce genre d'opérations. II a fait fusiller des habitants et a vu beaucoup de cadavres de civils; il ne nous donne aucune preuve de leur culpabilité. Tous ces criminels, il ne les a vus que morts. 11 n en n'a pas apergu un seul faisant le coup de feu ; sans quoi il ne se serait certes pas privé de la satisfaction de le dire. Si ces différents documents se rencontrent dans une allégation générale, ils se contredisent dès qu'ils se risquent a préciser. Si 1'on en croit le rapport du régiment (Anl. 23) 1 attaque des francs-tireurs se produisit dans l'agglomération me'me : " Lorsque, en marche a travers Leffe, la compagnie de pointe, la 9™, eut presgue atteint la Meuse, un feu violent fut ouvert. „ Ainsi débute ce document. D'après le lieutenant colonel Koch (Anl. 24) il faut placer le commencement de la lutte a la " Papeterie (1) soit a 1 kilomètre et demi, environ de Leffe et le combat, engagé a la Papeterie, semble se développer sur tout le parcours des allemands. Selon le rapport du IIme bataillon (Anl. 25) et son doublé, la déposition Franzel (Anl. 30) une première agression eut lieu a la Papeterie. La 9me compagnie en fut 1'objet et s'arreta pour assaillir la fabrique. Les troupes continuant leur marche arrivent sans obstacle jusqu'a la Meuse et ne subissent plu* le (1) On dénomme ainsi a Dinant une vieille usine oü, peu de temps encore avant la guerre, était installée une scierie inue par 1'eau du ruisseau. Les document allemands, qui en parient beaucoup, 1'appellent indifféremment : papeterie, scierie, moulin ou même, vaguement, fabrique feu des francs tireurs qu'après avoir commencé a défoncer les portes et les fenêtres des maisons. Ces contradictions vont se compliquer d'un nouvel imbroglio par la déposition du capitaine Wilke (page 107, Anl. 26) commandant la 6me compagnie du régiment n° 178. II revendique 1'honneur d'avoir regu les premiers coups de feu des francs-tireurs au moment oü, ayant quitté la grand route, il était engagé dans le chemin qui conduit de celle-ci a la Papeterie. II ^emble que les rédacteurs du Livre Blanc aient délibérément pris a tache de tout brouiller par la publication de récits en désaccord les uns avec les autres. Les deux déclarations du major Franzel méritent de retenir quelques instants encore 1'attention. On y lit : " Les maisons qui étaient fermées durent être ouvertes de force La population semblait n'avoir attendu que ce moment, car, soudain, un feu violent de fusils et de revolvers se déchaïna sur nous A supposer les gens de Leffe décidés a attaquer les Allemands et prévoyant cette invasion de leurs maisons, personne ne comprendra la raison pour laquelle ils ont, avant de commencer le feu, attendu le moment oü leurs habitations étaient a demi envahies. Cette tactique serait d'autant plus surprenante que les dépositions allemandes nous montreront les habitants se rendant ou se laissant massacrer sans défense, dès 1'instant oü, un soldat ayant pénétré chez eux, ils ne sont plus a 1'abri derrière leurs portes closes. On aurait, dit aussi le major Franzel, découvert chez un assez grand nombre d'habitants, des fusils militaires beiges. II en conclut aussitöt que des soldats auraient participé a la résistance après avoir enlevé leur uniforme. Cette conclusion ne découle pas nécessairement de 1'allégation qui lui sert de base. Elle constitue un outrage gratuit a notre armée, comme est insultante a la loyauté de notre Gouvernement, la déduction que tirent du fait allégué M. M. Bauer et Wagner, quand ils écrivent : " Le tait que les armes a feu n'étaient qu'en partie des armes de chasse et des revolvers, mais en partie aussi des fusils d'ordonnance beiges et des mitrailleuses permet d'admettre que le Gouvernement Beige a prêté assistance a 1'organisation de la résistance,,. L'une et 1'autre conclusion négligent avec une insupportable légèreté de tenir compte d'une circonstance que n'ignore par 1'EtatMajor allemand : la garde civique beige, est munie des mêmes fusils que 1'armée et les gardes conservent leurs armes a domi- cile. Je mé suis expliqué sur ce point (lj et j ai dit au sujet des mitrailleuses ce qu'il fallait penser de leur emploi pendant la nuit du 21 au 22 Aoüt. Aucun témoin n'insinue qu'on en ait utilisé le 23. Ceci dit au sujet des déductions que 1'on tire de la déclaration du major Franzel, voyons ce qu'il faut penser du témoignage en lui même. Je commence par confesser la défiance que m'inspirent tous ces rapports allemands. lis sont viciés par 1'intérêt personnel ou collectif des témoins. Aussi je ne puis considérer comme établi un fait affirmé par une déclaration unique (c'est le cas ici) et par cela même incontrólable (2). J'y suis peut-être poussé par la rigueur de méthode nécessaire aux enquêtes judiciaires auxquelles j'ai été mêlé par mes devoirs professionnels; j'y suis surtout contraint par cette constatation que j'ai faite en examinant le Livre Blanc : lorsque deux témoins de 1'enquête allemande parient dun même fait, ils le racontent généralement de fa?on telle que leurs dires s'excluent mutuellement. II y a plus, en ce qui concerne le major Franzel. Dans sa déposition du 17 Décembre 1914 (Anl. 30) ïl dit que les francs-tireurs faisaient apparemment usage de revolvers et de pistolets. Cela lui semble demontré par le fait que ce sont des armes de cette espèce que 1'on trouva au cours des perquisitions dans les maisons. De fusils quelconques il n est pas question. Son attention se fixe cependant a ce point sur les armes que 1'on découvre, qu'il remarque qu une partie d entre elles étaient encore chargées. Deux mois plus tard, dans son tardif rapport au régiment, (14 Février 1915, Anl. 25), Franzel avance que la population utilisait dans la lutte pistolets et fusils. En conséquence, il fait découvrir par ses hommes tout un arsenal darmes variées : pistolets vieux et modernes, fusils de chasse, fusils d ordonnance beiges et cartouches d'infanterie beige. La mémoire du major Franzel offre ceci de particulier que ses souvenirs s'amplifient quand le recul du temps devrait les effacer. C'est peut être dans une seconde manifestation de ce phéno- (1) Voir page 63 de eet ouvrage. (2) Si des fusils d'ordonnance beiges avaient été trouvés dans de nombreuses maisons, le major Franzel ne serait pas seul a signaler le fait. mène, (1) qu'il faut chercher lexplication d'une autre particularité que je vais signaler. "Au total, déclare Franzel le 17 Décembre 1914, les per-' tes de mon bataillon dans le village même — et non pres de la Meuse — s elevèrent a 6 hommes tués ; quant au nombre des blessés je ne fiuis l'indiguer. „ II suffit de jeter un coup d oeil sur le plan de Dinant pour s'apercevoir qu'au faubourg de Leffe les troupes allemandes étaient exposées au feu des Francais en bien d'autres endroits encore qu'a la rive du fleuve. Le rapport du 14 Février 1915 ajoute a cette déclaration. " Dans la suite, y écrit le major Franzel, 6 hommes du bataillon furent tués et un assez grand nombre blessés a I'intérieur du village et ce d des endroits que ne pouvait atteindre le feu des troupes postées sur 1'autre rive. „ L'accentuation est évidente. Un dernier mot au sujet de ces morts et blessés. Les déclarations de Franzel ne constituent, en somme, qu'un témoignage de seconde main. Cet officier n'a pas constaté par lui-même en quelle partie de la localité furent atteints tous les hommes dont il parle. ïl résumé, de deux fagons différentes, les divers récits qu'il a recueillis. Nous ignorons et les noms des témoins et les dires exacts de chacun deux. On ne situe pas les endroits que ne pouvaient atteindre, soi-disant, ni Ie feu des fusils francais ni celui de 1 artillerie. Tous les éléments* de controle manquent a la fois. Nous avons le droit d'exiger une preuve de la culpabilité de la population. Le Livre Blanc prétend la fournir. Nous ne pouvons la trouver dans les rumeurs anonymes dont le major Franzel se iait 1 écho, ni dans les variations de ses récits personnels. Une précision est cependant donnée : le capitaine Franz de la 11'ne compagnie aurait été blessé dun coup de feu parti d'une cave et cela aux cötés mêmes du major Franzel, qui répète, a deux reprises, cette déclaration. Son témoignage est confirmé par celui du ler sergent (Vizefeldwebel) Göpfert. Anlage 79. St Erme 17 Décembre 1914. Oswald Emile GOPFERT, tambour au III,ne bataillon du régiment d'infanterie n° 178, VIZEFELDWEBEL. (ler sergent). (1) Une troisième manifestation du même phénomène est relevée ci-dessous a propos de la blessure du capitaine Franz. Quand notre bataillon entra dans Leffe de nombreux coups de feu partirent de presque toutes les maisons (1). Au début nous supposions qu ils étaient tirés par des soldats ; cependant des civils seuls peuvent être soupgonnés paree que dans les maisons nous ne trouvames pas de soldats. J'ai été témoin moi-même de ce qu'un civil fit feu sur le capitaine Franz et le blessa. Seuls des hommes qui avaient pris part a la fusillade partie des maisons furent fusillés les vieillards les femmes et les enfants furent conduits au couvent. J'étais présent quand un vieillard qu'on avait aussi extrait d'une maison fut séparé des hommes coupables et conduit au couvent. Voila donc deux dépositions qui, sur un même fait, ne se contredisent pas. Signaler que 1'on ne trouve pas, dans toute 1'enquête allemande sur les événements de Dinant, un second exemple d'une semblable rencontre au sujet d'un fait aussi nettement précisé n'enlève rien a 1'importance de ce doublé témoignage. II existe des indices de ce que le capitaine Franz aurait été blessé par un civil. Qu'on ne se hate pas trop cependant de formuler un jugement définitif. II se présente en effet bien des objections. C'est d'une cave que, selon le témoignage de Franzel, fut tiré le coup de feu qui blessa le capitaine Franz. Göpfert, plus précis, déclare, lui, être témoin de ce que le coup de feu fut tiré par un civil. Seulement il n'indique pas de quelle arme on s est servi, fusil ou revolver, et il reste muet sur les circonstances évidemment exceptionnelles qui lui ont permis de voir le coupable dans la cave oü il s'était embusqué. 11 ne dit rien non plus des raisons pour lesquelles il ne la pas immédiatement abattu, laissant a un officier, le capitaine Lücke, le soin du cha- timent a infliger. Je remarque avec étonnement que le capitaine Lücke, pénétrant a grands risques dans le repaire du franc-tireur, s expose a des dangers bien inutiles en appréhendant eet, homrae, non sans lutte vraisemblablement, pour 1 amener dans la rue oü il le fait fusiller, au lieu de 1'abattre sur place. Enfin le major Franzel n'est pas un de ces témoins dont les affirmations déterminent une conviction absolue. Le 17 Décembre, il déclare : " Le capitaine Franz qui se trouvait a cöté de moi fut atteint d'un coup de feu parti d une cave. „ Deux mois plus tard, dans son rapport du 14 Février, il ajoute a son récit : (1) Le IIlne bataillon qui avait précédé n a-t-il donc rien fait pour mettre {in a cette fusillade ? Le capitaine Franz de la llme compagnie eut la jambe transpercée dun coup parti d'un soupirail de cave. Le civil fut tiré de la cave par le capitaine Lücke de la 9me compagnie en personne. II fut immédiatement abattu, paree que trouvé F arme a la " main. „ II est regrettable que Göpfert, qui ne parle ni du capitaine Lucke ni du chatiment du coupable, n ait pas été invité a préciset les détails de la scène. Cette épreuve, montrant la concordance compléte de son témoignage avec celui du major Franzel eüt pu rendre probante ces deux dépositions, ou bien, établissant entre elles une contradiction, eut imposé de les rejeter du débat. Une lacune plus grave existe : ni le blessé, ni son vengeur, le capitaine Lücke, les deux témoins les plus importants, ne sont entendus (1). Une déclaration trop sommaire d'un sous-officier, le témoignage d'un officier dont la sincérité peut être suspectée, 1'omission des déclarations des deux principaux témoins : voila 1'enquête allemande sur la blessure du capitaine Franz! Pas un magistrat n oserait prononcer une condamnation, sur le vu d'une information aussi rudimentaire. Entre les indices signalés et la preuve faite, il y a toute la distance qui sépare 1'hypothèse de la certitude- Je n ai pas autre chose a démontrer. Anlage 26. — 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 178. Le 14 Février 1915. RAPPORT Dans la nuit du 22 au 23 Aoüt 1914, la 32rae division d'infantene, après s être concentrée prés de Thynes-lez-Dinant, s'avaneait, par la route dite " des Fonds dans la direction de Leffe, le taubourg septentrional de Dinant. icnn ^ Aoüt, vers 5 heures du matin, on fit halte a environ -U JJ metres a 1 Est du point de jonction de ce chernin avec la route de la vallée de la Meuse. Les caissons a cartouches furent decharges et les étendards déployés pour la première fois depuis t ^ u- campagne. Le premier ordre d'attaque fut donné. La ü4me brigade d'infanterie se déploya sur les hauteurs au Nord de la route des Fonds. (1' L enquête allemande cite deux officiers prétendument blessés par le feu des francs-tii eurs : le capitaine Legler, blessé au faubourg St-Paul, et le capitaine Franz. Ni 1 un ni 1'autre n est enféndu; ou tout au moins leur témoignage n'est pas reproduit. Le IIme bataillon du régiment d'infanterie n° 178 se tfouvait sur cette route prés des premières maisons de Leffe; il sy tenait a la disposition du commandant de brigade. Peu après que ies bataillons de tête furent arrivés, je re?us, du chef de bataillon, le major Koek, 1'ordre de me présenter au commandant de la brigade pour une patrouille de reconnaissance. Je fus chargé par ce dernier de reconnaitre un chemin qui, partant par la Pape terie conduit vers les hauteurs situées au Nord de la route des Fonds de Leffe. On désigne sous le nom de " la Papeterie „ une dizaine de maisons groupées a gauche du chemin, autour d'une grande fabrique de papier. Pour accomplir ma mission, je chevauchai d'abord, en suivant la route des Fonds, dans la direction de "La Papeterie,,, pour prendre ensuite a droite (1) et gagner ainsi les hauteurs. A mon approche de la fabrique, des coups de teu partirent de celle-ci; c'étaient manifestement des coups de pistolets. Je poursuivis d'abord mon chemin, car je ne croyais pas que ce tir étajt dirigé contre moi ; mais lorsque le feu devint plus violent et que je remarquai que les balles frappaient la P3™1 de roches haute comme des maisons, selevant a droite de la route, je me rendis compte que la reconnaissance dans ce terrain fortement encaissé et rocheux ne pouvait être effectuée a cheva , je fis alors demi-tour. Ce n'est que grace a une allure des plus rapides que j'échappai aux projectiles, qui, prés de moi, frappaient, dru comme grêle, la paroi de roches. Je fis rapport sur 1'affaire a mon chef de bataillon et pris avec moi le groupe le plus avancé de la compagnie qui se trouvait en tête pour exécuter immédiatement et a pied ma mission, non sans avoir demandé auparavant que 1'on fasse évacuer la fabrique. Pendant que je m'avangais pour la seconde fois, je fus, de nouveau, assailli, de telle sorte que pour pouvoir continuer mon chemin je fus obligé de chercher abri dans des jardins et dernere des clötures, après avoir laissé a gauche la paroi rocheuse. Le moyen réussit et je ne subis pas de pertes, bien que 1 on tirat, maintenant encore, dans notre direction. Revenu de ma reconnaissance, j'appris qu'une compagnie avait fait irruption dans la fabrique et 1'avait fait évacuer. ) en- tendais et remarquais encore toujours des coups de Jeu provenant de cette direction. Je regus alors 1'ordre de faire évacuer ïmpitoyablement les maisons, tout en ménageant les vteillards, les femmes et les enfants. Ouand j'atteignis les maisons des ouvriers de la fabrique, de tous cótés on tira violemment sur moi. En dépit d observations (1) Quand on descend la route des Fonds de Leffe, vers la Meuse, on a la Papeterie a gauche. Le térnoin avait donc, sans encombre, depasse la Papeterie et n'aurait été attaqué qu'en remontant vers celle-ci. Cela constitue une nouvelle variante de 1'histoire des premiers coups de feu. les plus minutieuses, nous ne pümes découvrir la moindre tracé de ceux qui tiraient. C'est pourquoi les maisons furent cernées et quelques hommes pénétrèrent dans les batiments On constata que ceux-ci étaient fortement barricades; les portes étaient obstruées; les accès des caves et des greniers fermés par des caisses, des matelas et des meubles de toutes les sortes; les fenêtres et les lucarnes étaient masquées par des planches clouées. Je suis moi-même entré dans 2 ou 3 maisons et puis attester qu'il fallait énormément de torce et d'adresse pour se frayer accès jusqu'a 1'intérieur des batiments mis en état de défense. Dans uue maison je trouvai un certain nombre de douilles vides de Browning; je fis mettre le feu a cette maison paree que personne n'y fut trouvé. Dans cette partie de Leffe nous avions affaire, selon moi, principalement a des tireurs de Browning, qui ne semblaient pas bien au courant du maniement de cette arme. Cela est démontré, d'une part, par les munitions brülées que 1'on a trouvées et, d'autre part, par la rapide succession des coups de feu suivie d'une longue pause, vraisemblablement paree que les tireurs ne connaissaient pas bien le chargement de ces pistolets. Quelques sous-officiers me rapportèrent que dans les maisons ils avaient eu des combats avec des civils armés, qu'ils s en étaient rendus maïtres et les avaient tue's ou assomme's. Après que les maisons eurent été fouillées et évacuées je rassemblai ma compagnie et retournai, par la route, a la place primitive de position du bataillon. Entre temps, les chasseurs de Marburg étaient survenus et avaient encore une fois perqui,sitionné dans la fabrique et les constructions avoisinantes. Je vis fusiller par ce détachement, dans la cour de la fabrique, un certain nombre d'hommes en vêtements civils, une vingtaine environ. Pendant ce temps, ma compagnie se trouvait sur la route des Fonds et était maintenant assaillie par un feu partant des deux collines escarpés, couvertes de bois et de buissons, entre lesquelles passé le chemin. J'envoyai le sous-lieutenant de réserve Schreyer, sur la colline de droite, afin de fouiller le bois tandis que^ les chasseurs de Marburg se postèrent a gauche de la route. A 1 aide de ma longue vue, j'ai pu reconnaïtre clairement sur la colline de gauche plusieurs civils qui tiraient sur nous. Je crois me souvenir qu'ils étaient rnunis de pistolets. T out a coup, a droite, au dessus de moi, j'entendis tirer le détachement Schreyer ; je vis, en même temps, sur la colline de gauche un homme s'affaiser et rouler quelques pas vers le bas ; un autre, apparemment blessé, se retirait en rampant, un troisième prenait la fuite vers le bois voisin. Les chasseurs de Marburg qui, peu après, arrivèrent a eet endroit et avec lesquels je parlai plus tard, avaient constaté d'une manière certaine que, dans cette affaire aussi, il s'agissait de civils. Peu après, le sous-lieutenant Schreyer revint et me rapporta que, sur le versant opposé, il avait apergu de la canaille suspecte sur laquelle il avait tiré. Uu peu plus tard, d'une habitation isolée, située sur la colline droite on tira sur nous. Cela se passait vers 10 heures du matin. J'envoyai de nouveau une forte patrouille sur cette colline pour faire évacuer la maison. La patrouille revint bientöt, ramenant un homme grand et vigoureux d'environ 40 ans en vêtements d'ouvrier, un jeune homme d'environ 16 ans et un certain nombre de femmes et d'enfants éplorés. D après la déclaration du chef de la patrouille, les hommes étaient armés de fust Is de chasse que la patrouille avait rendus inutilisables dans la maison même. Je ne puis me rappeler le nom du chef de la patrouille. Les hommes furent conduits a la fabrique, les femmes et les enfants évacués sur le couvent de Leffe. Vers midi, le IIme bataillon du régiment d'infanterie n° 178 fut dirigé directement vers Leffe, sur la Meuse. Dans la rue même du village gisaient un grand nombre de cadavres d'hommes en vêtements civils. En interrogeant quelques soldats, j'appris que les troupes qui nous avaient précédés avaient essuyé le feu de presque toutes les maisons; de la, les nombreux civils lusnles. Je n'ai pas vu de femmes ou d'enfants morts. Je fis faire halte a ma compagnie prés du couvent et partis moi-mêmc en avant vers la Meuse. La, des détachements c cs Ier et III"e bataillons du régiment d'infanterie n" 17b combattaient contre 1'ennemi occupant 1'autre cöté de la Meuse. J y vis, en outre, des hommes des régiments spéciaux n°| -Uz et 103, des hommes du régiment de fusiliers n" 108, des chasseurs de Marburg et de 1'artillerie. Dans la partie agglomérée d' Leffe, la fusillade crépitait sans interruption sans que 1'on put toujours distinguer d ou partaient les coups. Indubitablement, pourtant, cetaient des coups de revolvers partis des soupiraux et des lucarnes. Je me souviens aussi que dans la rue principale de Leffe, gisaient, devant une maison, un assez grand nombre de douilles de couleur j"ou£e' brun, provenant de cartouches de chasse chargées a plombs. Dans le courant de 1'après-midi, je regus 1'ordre d'aller avec ma compagnie, occuper la rive de la Meuse. A eet eftet on m'assigna 1'école et les maisons contigiies. Dernere l ecole ïi y a un gazométre et prés de celui-ci du charbon avait ete — manifestement par la population — entassé et mis en feu ^ est pourquoi j'envoyai vers le gazométre le sergent major . . o i cier Bauer, pour, qu'avec ses hommes, il éteigne 1 incendie ou prévienne de quelque fagon, le danger menagant d explosion Bauer, me rapporta que les pionniers arrivés avant nous, avaient, reconnaissant le danger, vidé le gazométre. Après que 1'ennemi, a la fin de 1'après-midi, eüt abandonne 1'autre rive et que quelques détachements de nos troupes eussent commencé a passer le fleuve. je retirai ma compagnie de 1 ïcole et de la rive de la Meuse et la rassemblai dans la rue bordee de deux rangées de maisons. De celles-ci, vers 5 heures e 1'après-midi, on tira de nouveau sur nous. Le commandant de bataillon me donna ordre de faire fouiller toutes les maisons et de fusiller impitoyablement tous les civils armés. En exécutant eet ordre, les ^ soldats Hautschick et Altermann trouvèrent sur le filancher d une maison un soldat de la 9me compagnie du régiment n" 178. II avait été tuë d'un coup de feu et gisait la fjgure sur un pétrin; d après les apparences, on avait tiré sur lui de derrière. Dans une chambre a cöté, les soldats trouvèrent deux fusils de chasse; ils portaient des traces visibles montrant qu'ils venaient d'être déchargés. Prés d un vignoble au dessus de cette maison, deux hommes aimés de tusils avaient été trouvés et tués par deux autres soldats dont les noms ne peuvent plus être établis. Presqu'en même temps, le sergent-major Paatsch (tué prés de baunois) et le soldat Kaspar pénétrèrent dans une habitation a cote du chateau. Kaspar décrit comme suit ce qui se passa. Uuand ïl pénétra au rez de chaussée, un homme, avec un pistolet a long canon, le menara. II 1'assomma avec la bêche qu'il avait précisement en main. La dessus il monta avec Paatsch au premier étage. II y avait la six hommes, armés de fusils de chasse, qui furent tués a coups de fusils ou assommés a coups de crosses par nos hommes. Au grenier, prés d'une lucarne. se trouvait une chaise et auprès de celle-ci un certain nombre de cartouches etaient déposées ; cela prouve que les gens avaient tiré de la lucarne. Lorsqu ils voulurent sortir de la maison les soldats se trouvèrent de nouveau en face de cinq hommes armés de fusils. lis ne purent s'en rendre maTtres que paree que des camarades vinrent, du dehors, a leur secours. Pendant 1'exécution de 1'ordre du commandant de bataillon de fouiller toutes les maisons, je rencontrai le commandant de brigade qui, encore une fois, m enjoignit d'être impitoyable et de bruler les maisons d'oü 1'on avait tiré au cas oü Ion ne parviendrait pas a appréhender les gens. Je lui fis remarquer a cette occasion qu'une compagnie me semblait trop faible pour cette tache, d autant plus que 1'obscurité arrivant, les perquisitions prenaient beaucoup de temps. C'est pourquoi une seconde compagnie fut placée sous mes ordres. Pendant les perquisitions des tireurs invisibles n'ont cessé de tirer sur nous. J'ai exécuté les ordres qui m'avaient été donnés par mon commandant de bataillon et par le commandant de la brigade Les hommes pris en flagrant délit furent fusillés. La oü 1'on ne put se saisir des tireurs on incendia les maisons. Les femmes et les enfants furent transférés au couvent. Cette mission, qui, par suite de la situation extrêmement dangereuse de nos troupes, répondait a une nécessité pressante, je estimai accomplie lorsque que 50 hommes environ eurent été fusillés et que la rue principale de Leffe eut été rendue impraticable par les maisons en train de bruler. Malgré cela, le soir vers onze heures, ma compagnie fut alarmee de nouveau paree que, d'une maison isolée, on avait tiré sur un escadron de hussards qui avaient mis pied a terre sur le quai. Avec ma compagnie, je traversai de nouveau Leffe en flammes pour rechercher les coupables. Chemin ïaisant, je rencontrai le commandant de division Edler von der Planitz qui m'intima derechef 1'ordre d'agir sans le moindre égard contre ces fanatiques francs-tireurs et d'user des moyens les plus énergiques. Je me fis indiquer la maison par les hussards, je la cernai et la fouillai, mais n'y trouvai personne. Après avoir lait incendier ^ aussi cette maison, je retournai avec ma compagnie au lieu de rassemblement du régiment. (s) Wilke Capitaine et commandant de la 6mc compagnie du régiment d'infanterie n" 178. Cette déposition est la plus extraordinaire qui soit. Issu d une idéé précongue, l'interminable bavardage du capitaine vVilke est une manifestation typique de la force du préjugé. Cet officier entre en scène 1'imagination remplie d'histoires de francs-tireurs. II en a 1'obssession, la hantise. II trouve partout prétexte a les accuser. Dans chaque incident, il voit leur intervention. Pour lui, tout est clair, manifeste, évident. Francstireurs partout. II s'obstine a en voir la tracé même la oü ses propres constatations lui démontrent qu il n y en a pas. Sous 1'empire de 1'idée fixe, il n'observe plus, ne raisonne plus; il se bute. Je le crois souvent sincère, sinon il ne livrerait pas avec tant de naïveté la démonstration de ses inexactitudes: le mensonge prend a 1'ordinaire la peine de se masquer. Parfois, le capitaine Wilke confond ce qui lui fut conté avec ce qu'il a vu, et se flattant d'avoir couru des dangers qui ne 1'ont pas menacé, fait, par moments, douter de sa sincente. Les limites de 1'auto-suggestion sont si vastes cependant qu'on ne peut affirmer qu'il les ait dépassées et Ton hésite a 1'accuser de mensonge formel. Dans les premières lignes de son rapport le témoin raconte comment, en avant de Leffe, il eut a essuyer le feu des francstireurs embusqués a la Papeterie, ce qui est inconcihable avec les faits articulés dans le rapport du IIme bataillon. (Anl. 25) Le capitaine Wilke demande que 1'on fasse évacuer la fabnque, et, revenant de sa reconnaissance apprend qu une compagnie, (il n'indique pas laquelle,) a procédé a cette opération. 11 vise apparemment la 9me compagnie qui a cerné la fabnque, l'a fouillée et y a fusillé une vingtainé d'hommes (Anl. 25). II est evideniment impossible que, trés peu de temps après, pendant que le capitaine Wilke vérifiait ce qui se passait dans les maisons proches de la fabrique, des francs-tireurs aient pu, de nouveau, prendre position dans celle-ci. Cela n'empêche pas le te mom d'écnre que les chasseurs de Marburg étant survenus avaient de nouveau perquisitionné dans la fabrique et y avaient tusille, li dke l'a vu, une vingtaine de civils ! Cet officier est un temoin bien compromettant: son jugement ne corrige pas les ecarts de son imagination. Malgre le feu dirigé a deux reprises sur lui au cours de sa patrouille - feu auquel il n'avait échappé, lors de sa première expedition, qu en prenant une allure des plus rapides — le capitaine Wilke achève la reconnaissance sans subir de pertes. De nouvelles aventures 1'attendent. C'est maintenant des maisons d'ouvriers groupées autour de la fabrique que 1'on tire sur lui et sur ses hommes " violemment et de tous cotés. ., Les troupes qui avaient fouillé la fabrique etaient donc passées indifférentes a cöté des maisons ouvrières? neurie extraordinaire qui met en lumière 1'invraisemblable attiude que 1 on prete aux francs-tireurs embusqués dans ces habitations. Timides et poltrons, ils n'ont pas soutenu, de leur feu le tir de leurs camarades installés dans la papeterie. Et voila, qu'apres avoir vu fusiller les compagnons qu'ils n'ont pas eu le courage d aider, ils sont, a leur tour, saisis de frénésie et attaquent avec autant de vigueur que de maladresse! Les aventures du capitaine Wilke deviennent de plus en plus singulières. F II fait cerner les maisons d'oü 1'on tire; on les envahit. Dans quelques unes d'entre elles des sous-officiers trouvent, disent-ils des cv,ls armés et les tuent. L'officier ne se donne pas la peine !fCr' er. le fait' bien que dans les deux ou trois maisons oü il penetre lui-meme il ne trouve personne! Et cependant, toutes ces maisons sont closes hermétiquement, portes barricadées, fenêtres bouchees par des planches clouées. Les gardes que les Juifs avaient piaces au tombeau du Sauveur n'ont pas vu le. Christ ressuscité. Mais ces gardes avouaient avoir dormi et la pierre du sepu cre avait été enlevée. Les Allemands ont, eux, exercé une vigilance attentive, les issues des maisons sont restées closes et pourtant les trancs-tireurs ont disparu! Miracle! Miracleü ecouvrant dans une de ces maisons des douilles vides de Browning, Wilke incendie cette pauvre demeure "paree que, dit-il personne " y M trouve'. „ II n'y avait la personne. Cela n'a pas a'importance. Ce que le témoin constate, n'est rien. Cela seul compte, qu'il veut affirmer et prouver. Ses préjugés exigent qu'il en soit ainsi. Un enfant, sans doute, avait ramassé sur le champ de bataille du 15 Aoüt ces douilles de Browning et les avait gardées comine souvenir. Elles suggèrent au capitaine Wilke d'étranges raisonnements. La maison oü il les découvre est inhabitée, personne n'a pu s'en échapper; il ne sait donc ni oü, ni quand ces cartouches ont été tirées. N'importe ! Pour lui, ces douilles sont une preuve; ëlles démontrent clairement que sa troupe a essuyé des coups de Browning. Le tir n'avait pas 1'allure de celui qu'on exécute a 1'aide de cette arme? Qu'a cela ne tienne: c'est que les tireurs sont inexpérimentés! . Jusqu'a présent, le capitaine Wilke n'a pas vu de francstireurs. N'ayez crainte, il va en découvrir. Mais il lui faut pour cela le secours de ses jumelles. Celles-ci lui permettront d'observer distinctement des gens s'exposant a un danger inutile en tirant, sur lui et sur ses hommes, des coups de pistolets a une portée si ridiculement exagérée qu'il faut des jumelles pour suivre leurs mouvements. Ces maladroits se feront tuer pour le plaisir de brüler leur poudre aux moineaux. De toute la journée, le capitaine Wilke n'apercevra pas d'autres francs-tireurs. On ne peut, en efïet, qualifier tels les malheureux qu'il voit rouler sous les balles du détachement Schreyer, fusillés. sans même qu'on les accuse d'avoir tiré un coup de feu, sous prétexte qu'ils sont de la canaille suspecte. Le procédé vaut d'être signalé. Des gens errent, éperdus, au milieu de la bataille. Leur trouble, leur efïarement les rend hésitants. Ils cherchent un abri; ils fuient devant les soldats qui surgissent de toutes parts. C'est de la canaille, dit-on; la canaille est toujours suspecte. Cela suffit : la condamnation est prononcée. A mort la canaille! Feu a volonté! Et le capitaine Wilke note avec satisfaction les morts et les blessés. Autre point. Dans une maison isolée, des soldats arrêtent, au milieu de femmes et d'enfants, deux hommes qui auraient fait feu sur eux. Saisis, on 1'affirme, les armes a la main, ils sont conduits devant le capitaine Wilke. Historiette invraisemblable. 1°) Ces isolés sont par trop téméraires dans leur attaque contre les masses allemandes; par trop laches dans leur défense, car ils semblent se laisser prendre sans nulle résistance; par trop bêtes dans leur lacheté: ils ne songent pas a cacher leurs armes. 2 ) Inexplicable est la conduite des soldats qui capturent a grands risques ces gens, au lieu de les tuer a coups de fusils. II en est de même de la décision du capitaine Wilke qui, miséricordieux par hasard, se borne a envoyer les captifs a la fabrique au lieu de les faire passer par les armes. 3 ) L'histoire est contée non par les témoins directs de 1'affaire, mais par un officier rapportant des propos qui lui ont été tenus quelques mois auparavant par des soldats. Nulle raison n'existe de croire qu il répète fidèlement et qu'il controle raisonnablement ce qu on lui raconte. Ne déclare-t-il pas lui-même qu'il ne se souvient plus du nom du chef de la patrouille? Le capitaine Wilke arrivé enfin a Leffe. Sans émotion il dit le spectacle qu offraient les rues : partout des cadavres de civils. II interroge des soldats. Deux réponses étaient possibles : francs-, tireurs exécutés ou bien innocents assassinés. Personne ne pouvait s attendre a ce que la seconde fut faite. Dans ce faubourg de petite ville, oü sont concentrés des hommes de plusieurs régiments d'infanterie, des chasseurs, des artilleurs, faisant tous la chasse aux francs-tireurs, des coups de feu éclatant continuellement, " sans qu'on puisse toujours discerner d'oü ils parient nous dit le témoin. C'est naturel. II ose ajouter : " Mais mdubitablement, c'étaient des coups de pistolets partant des soupiraux et des lucarnes. „ Le préjugé toujours... Et ces coups de feu d'origine inconnue suffisent pour accuser et condamner. On fait 1'assaut des maisons, on lance des grenades dans les caves et 1'on tue. C'est inepte et féroce. Un tas de charbon, prés du gazomètre, est en feu Pour le capitaine Wilke, il est " évident „ que eet incendie est ! oeuvre de la population. Sans doute, celle-ci 1'avait provoqué dans le dessein de faire sauter le gazomètre et de tuer en même temps quelques Allemands. Aussitöt que cette idéé saugrenue a pris possession du cerveau de Wilke, elle y acquiert la force de 1'evidence. Comment les civils ont pu s'y prendre pour allumer eet incendie malgré la présence des troupes allemandes 1'accusateur ne se le demande pas. Que le dessein des Dinantais, s il avait réussi, eut eu pour résultat de faire sauter en meme temps leurs maisons, leurs femmes,' leurs enfants, c'est la une objection qui n'est pas venue a 1'esprit buté de eet officier. » es affirmations ont la sérénité de 1'inconscience. Ajoutons, car le capitaine Wilke pouvait l'ignorer, mais tout le monde a Dinant le savait, que le gazométre était vide : obstacle absolu au projet que 1'on prête aux habitants de Leffe. Cet épisode met en lumière 1'état desprit des officiers allemands, ordonnateurs du massacre de plus de six cents Dinantais et — soit dit en passant — de prés de cinq mille Beiges non combattants? Le témoin signale qu'il a vu, répandues a terre, dans la rue principale de Leffe, un certain nombre de cartouches de chasse a douilles brun-rouge. Quel argument prétend-il en tirer, sans le formuler d'ailleurs ? Qu'un civil a gardé ces cartouches dans le but de s'en servir contre les Allemands ? C'est la, sans doute, ce qu'il sous-entend. Mais comme 1'officier n'a pas indiqué avec précision la maison devant laquelle les cartouches se trouvaiént répandues, toute vérification est impossible; on ne peut il est vrai faire grief a Wilke de n'avoir pas mieux précisé son observation faite au milieu du combat. Quoi qu'il en soit, de la découverte des cartouches par Wilke ne découle qu'une simple présomption et nullement une preuve. N'est-on pas en droit de se demander, notamment, par qui et dans quelles circonstances ces cartouches ont été déposées en pleine rue? Un franc-tireur, semble-t-il, les aurait plutöt dissimulées, ou, s'il avait voulu s'en défaire, jetées dans la Meuse toute proche, ou dans un égoüt et non pas dans la rue, bien en vue, devant sa maison au risque d'être surpris, flagrante delicto, pendant qu'il les y déposait. Venons-en aux récits que le capitaine Wilke recueille pour s'en faire 1'écho complaisant. Deux hommes ont été tués prés d'un vignoble paree qu'ils étaient armés de fusils. Par qui ? Par deux soldats dont le nom, déclare le témoin, n'a pas pu être retrouvé. Le récit est donc anonyme. Jugeons de 1'exactitude de 1'affirmation armant de fusils les deux victimes, par la vérité du détail qui situe la scène prés d'un vignoble. II n'y a pas de vignoble a Dinant. Nous verrons plus loin d'autres versions de 1'histoire que raconte le capitaine Wilke au sujet du soldat allemand trouvé dans un grenier prés d'un pétrin. Nous saurons alors ce qu'il faut en croire. J'ai hate d'en venir a 1'odyssée de Paatsch et de Kaspar, telle que nous la présente la déposition Wilke. Pénétrant dans une maison, ces deux hommes y trouvent un individu qui les menace d'un pistolet a long canon. Persuadés sans doute que cette arme ne partira pas, ils dédaignent de faire usage de leurs fusils; c'est a coups de bêche que le franctireur est massacré, comme une taupe par un jardinier. A 1'étage de la même maison, oü les deux soldats parviennent ensuite sans encombre ni dommage, se trouvent — embusqués, saus nul doute — six redoutables civils armés. A coups de fusil ou a coups de crosse, on les massacre tous. Les deux héros allemands restent invulnérables aux balles dinantaises, comme, le matin, a la Papeterie, leurs camarades de la 6me compagnie! A peine leur exploit terminé, ils tombent au milieu d'une nouvelle troupe de cmq francs-tireurs. La rencontre se termine naturellement par la déroute des coupables, grace, cette fois, il est vrai, a des camades venus du dehors au secours de Paatsch et de Kaspar. Pour débiter a leur chef pareilles sornettes, ces deux soldats devaient avoir piètre idéé de son jugement. Flattant sa manie, ils se sont impunément moqués de lui et sa morgue d'officier allemand n'a pas soupfonné le piège tendu a sa crédulité. Cependant, 1'infatigable capitaine continue ses eftorts pour venir a bout des francs-tireurs. Invisibles, — c'est lui qui le déclare — ces indomptables bourgeois continuent a 1'attaquer. Aussi, il s'évertue , il incendie des maisons, il fusille 50 hommes et s'en montre tout glorieux. A 11 heures du soir, il est averti que 1'on vient de tirer sur des hussards, Avec sa compagnie, il vole a la rescousse. Prés de 1'endroit oü aurait eu lieu 1'attaque, tout 1'escadron de hussards a mis pied a terre. Ni ces cavaliers, ni leurs officiers ne se préoccupent de 1'incident. Vérification faite, ils auront reconnu que rien d'anormal ne s'était passé. Mais avec Wilke les choses ne peuvent se terminer aussi simplement. II se fait désigner la maison d'oü, a ce qu'on lui a rapporté, des coups de feu étaient partis. Pas d'autre enquête. Encerclement de la maison, perquisitions et incendie de 1'habitation. Elle est déserte ; on ne peut fusiller personne. Le témoin prend soin de nous démontrer qu'il n'a déployé sa férocité que sur ordre de ses chefs. Successivement son chef de bataillon, le général de brigade et enfin le général de division lui recommandent la rigueur, lui ordonnent d'être impitoyable, d agir avec les moyens les plus énergiques. Son affirmation était inutile pour démontrer que la destruction de Dinant et le massacre de la population n'étaient pas 1'oeuvre spontanée de subalternes affolés par le combat. La responsabilité en mcombe au haut commandement, qui en supportera la flétrissure. Le capitaine Wilke ne s'étonne pas de ce que ce soit a lui que, successivement, tous ses cheis s adressent pour le choisir comme exécuteür de leurs hautes oeuvres. lis ont agi avec discernement: ils n'auraient pu trouver bourreau plus convaincu ni plus inexorable. On me reprochera peut-être de trop m'arrêter a des détails et de me livrer a une véritable besogne d'échenillage. Ce n'est pas moi qui ai mis les chenilles; je les öte, autour d'elles elles dévasteraient tout. A regarder les choses de trop loin, on risque de se laisser leurrer par des apparences. D'ailleurs, j'ai, dans les premières pages de ce travail, essayé de décrire les lignes principales du monument de calomnies que les i\Hemands ont élevé contre nous. J'examine maintenant les détails de cette architecture -et j'ai bien le droit de montrer qu'ils manquent aux lois de 1'équilibre au point d'amener la ruine de 1'édifice tout entier. Anlage 27 15 Février 1915, 11 heures du matin. RAPPORT envoyé par la 7me compagnie du régiment d'infanterie n° 178, au IIn,e Bataillon. Le 23 Aoüt 1914, vers 9 h. 45 du matin, le 7me compagnie — mise a la disposition du IIIme bataillon qui combattait a Leffe — entra dans cette localité. Alors que je précédais a cheval pour annoncer au chef du IIIme bataillon du régiment n° 178 1'arrivée de ma compagnie, celle-ci fit halte dans le chemin inférieur conduisant a la Meuse; elle s'y trouvait a 1'abri des attaques des ennemis qui occupaient les hauteurs de la rive opposée de la Meuse. Durant cette courte halte, la compagnie fut assaillie par une fusillade meurtriére partant d'une maison dont la porte et les fenêtres étaient closes. Un des hommes, le soldat Uhlemann, fut grièvement atteint au milieu du pied droit, un autre, le soldat Neumann, légèrement blessé a la main et au bras. loutes les blessures étaient causées par des plombs : le feu ne pouvait donc être causé que par des civils. La compagnie occupa ensuite les hauteurs au Sud de Leffe, sur la rive Est de la Meuse. De ces hauteurs, on pouvait observer distinctement aux fenêtres de quelques maisons, dans les jardins et les cours, ou se glissant autour des maisons, des civils qui apparaissaient soudain et tiraient sur des soldats allemands. La compagnie est restée environ 4 heures sur les hauteurs prés de la Meuse et a constaté ces faits surtout durant la première heure et demie (de 10 h. 30 du matin a midi). Je puis témoigner moimême des derniers faits cités. (s) John Capitaine-commandant de Cie. Bataillon du Régiment d'Infanterie n° 178 15 Février 1915. PROCES-VERBAL Interrogé, le capitaine John a ajouté a son rapport ci-dessus les indications qui suivent : Dans la matinée du 23 Aoüt, avant que la 7me compagnie fut mise a la disposition du IIlme bataillon a Leffe, la compagnie regut, du commandement de bataillon, le major Koch, 1'ordre d'envoyer en avant de la position qu'occupait le bataillon (a 500 mètres environ a 1'Est de Leffe), une section, vers la Papetene, avec mission de purger un groupe de maisons de civils armés qui avaient tiré sur des soldats en marche et des officiers a cheval (capitaine Wilke) et de fusiller les civils coupables. Je désignai, a eet effet, la section du sous-lieutenant de réserve Wendt, tué depuis. Lorsque, plus tard, la section eut rejoint la compagnie sur les collines au Sud de Leffe, le sous-lieutenant de^ réserve Wendt me rapporta que, se conformant a 1'ordre qu il avait regu, il avait du taire fusiller quelques hommen surpris par lui en flagrant délit; ces hommes étaient armés de brownings. J'ai été moi-même atteint le 23 Aoüt, vers 2 1/2 h. de 1'aprèsmidi, d'un coup de fusil francais, tiré de la rive Ouest de la Meuse. Je n'ai fait aucune constatation relativement a des mauvais traitements ou a la fusillade de femmes et d'enfants. (s) Joannes John Capitaine commandant la 7me compagnie du régiment d'infanterie n° 178 Du premier de ces rapports il résulte que le capitaine John put, avec sa compagnie, parvenir jusqu'auprès de la Meuse avant d'être attaqué. Admirons dans cette pièce la qualification de fusillade meurtrière „ appliquée a quelques coups de feu partis d'une seule maison et dont le résultat est de blesser deux hommes. Gardons-nous surtout d'attribuer la moindre importance a 1'allégation formulée : personnellement le capitaine John ne sait rien de cette " fusillade meurtrière „ qui s'abat sur ses hommes. 11 ne peut témoigner par lui-méme, il le déclare, que de ce qu'il a vu lorsque, occupant les hauteurs au sud de Leffe, il domine la localité. Evidemment, il y découvrira des francstireurs. Seulement, tandis que ses camarades embusquent la population en armes dans des maisons soigneusement préparées pour 1 attaque ou la défense. il fait lui, röder les coupables autour des maisons, dans les jardins et les cours. Dans Son second rapport, eet officier nous parle de la Papeterie. Cette usine semble légendaire dans 1'armée allemande : tout le monde veut en avoir fait 1'assaut. Elle est fouillée successivement : 1°) par la 9me compagnie (Anl. 25) qui, aprés une perquisition minutieuse, y trouve 20 hommes; naturellement, ceux-ci sont fusillés, 2°) par un détachemeut de la 6me compagnie, ainsi qu'en témoigne la pièce suivante. Anlage 32. 16 Décembre 1914. Kurt BAUER, 24 ans, Vizefeldwebel (1" sergent) de réserve, ff. d'officier a la 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 178; candidat architecte. Après qu'on eüt fait feu d'une fdbrique de Leffe (1) sur mon commandant de compagnie ma section regut 1'ordre de faire évacuer cette fabrique ainsi que les maisons situées derrière elle. Je m'avangai avec ma section et vis clairement que des civils armés de pistolets dirigeaient un feu violent sur nous, des lucarnes et d'interstices entre les tuiles des toits de la fabrique et des mairons, ainsi que des brousailles situées sur la colline. Nous avons pris d'assaut ces maisons et les avons incendiées. J'ai vu aussi que, même du couvent, on tirait sur nous. bien que le drafieau de la Croix Rouge y fut arboré. II est a noter que le capitaine Wilke semble ignorer cette opération effectuée par ses hommes. 3°) Une troisième perquisition fut faite par les chasseurs de Marburg (témoin Wilke, Anl. 26) qui trouvent 20 coupables a fusiller. 4°) Une perquisition de plus est cependa'nt encore nécessaire! C'est le sous-lieutenant Wendt de la 7me compagnie du régiment n° 178 qui va y procéder. (Anl. 27). Au cours de cette opération il fusille quelques hommes. II est d'autant moins possible que cette Papeterie, située a une certaine distance de Dinant, ait été occupée a quatre reprises différentes par des francs-tireurs, que pendant une grande partie (1),I1 s'agit bien de la Papeterie. C'est de cette fabrique que 1'on aurait fait feu sur Ie commandant de la 6me compagnie, Ie capitaine Wilke (voir son rapport (Anl. 26). de la journée des troupes allemandes ont battu les collines qui 1'avoisinent. Ces quatre témoignages s'excluent et les rédacteurs du Livre Blanc feraient oeuvre utile en indiquant quelles sont les trois déclarations qui doivent être rejetées comme entachées de mensonge. Ils devraient ajouter a leur indication les raisons de considérer comme sincère la déposition qu'ils n'auraient pas condamnée. Attachant a cette affaire assez d'importance pour en publier quatte récits, ces Messieurs de Berlin jugent inutile, sauf en ce qui concerne la déclaration de Bauer, de faire connaitre les dires d officiers on de soldats ayant participé a ces assauts successifs dirigés contre la Papeterie. Cela ne doit pas étonner ; les rédacteurs du Livre Blanc manifestent une étrange et malencontreuse prédilection pour les témoignages par personne interposée. Anlage 28 15 Février 1915. 7",e compagnie du régiment d'infanterie n° 178 RAPPORT c'ai'f^ PT> vn !3 ^ualité que J'e revêtais, a lepoque dont il s agit, de chef de la 1" section de la 5me compagnie du régiment d infanterie n 178 (commandant de compagnie, capitaine Gause) PreStT constatations fiersonnelles, les indications suivantes au sujet des evenements de Dinant. h*U~ 5r C0^Paguie 3Vait' en union avec le IIme bataillon, fait halte durant les heures matinales du 23 Aoüt, dans un vallon pres de Leffe. Pendant cette halte j'ai entendu des coups de fusils de chasse et de revolvers qui partaient des cötes boisées descendant des deux cotés du vallon vers Leffe. Je n'ai pu apercevoir personne, sur ces cötes et aucun soldat de la comatteint- Ce tir, mêlé a du feu d'infanterie, fut perceptible durant toute la journee. La compagnie entra vers 8 heures Leffe ou regnait, a la suite du tir continu, une agitation extréme On ne voyait que peu de civils dans la rue. Ceux-ci, en levant les mains donnaient tous a connaitre leurs sentiments pacifiques Presque toutes les fenetres des maisons étaient fermées au moyen de pers.ennes de volets, etc. Un grand nombre dentre elles presentaient, de meme que les portes, les murs et les toits, des ouvet tures ressemblcint d des tneurtrières. ' Peu après notre arrivée a Leffe, le major Franzel apporta au commandant de compagnie, /'ordre du commandant de brigade de fust/Ier tous les hommes qui seraient trouvés les armes d la main designa une longue rangée de maisons dans lesquelles on devau rechercher les hommes et ajouta, a titre d'explications que des habitants de la ville avaient, de derrière, tiré sur notre 'lisne de tirailleurs. Le capitaine Gause m'ordonna de procéder, aveC ma section, aux perquisitions dans les maisons. Je le fis avec un détachement. Nous trouvames toutes les maisons fermées. Comme notre invitation d'ouvrir restait régulièrement sans réponse, nous dümes partout forcer 1'accès des maisons. 'J rois hommes furent fusillés; je fis conduire leurs femmes et leurs enfants au couvent qui, auparavant, m'avait été désigné comme destiné a ce but. Dans le courant de la journée j'ai également observé que des femmes et des enfants y étaient conduits par nos soldats qui agissaient d'une manière calme, souvent en exhortant les gens. II apparut, par les perquisitions dans les maisons,. que les ouvertures — visibles partout du dehors — avaient indubitablement été ménagées pour y faire passer des armes a feu. D'après mes constatations, nous ne tirames nulle part, a dessein, sur des femmes et des enfants. , Que ceux-ci aient parfois été atteints dans le désarroi, cela n'était pas a éviter. Ainsi, je vis une femme dont le pied était blessé : une éraflure provoquée par un coup de feu. D'après la déclaration des soldats, elle aurait été blessée au moment oü 1'on avait tiré dans une maison qui n'avait pas été ouverte volontairement. 2. Des observations, en partie encore plus complètes, et paraissant absolument dignes de foi, ont été faites par des soldats de la 5n,e compagnie, ainsi que de la 7me compagnie, que je commande actuellement. Ces soldats ont été prévenus, avant que je ne les interroge, de la possibilité de devoir confirmer leur déclaration par serment. Ainsi, 8 soldats au moins de !a 5,ne compagnie ont vu que 6 civils parmi lesquels un trés jeune hom me ont tiré sur la compagnie. Ces civils ont ensuite été tous fusillés. Au cours de la perquisition d'une maison, le réserviste Kluge, avec quelques autres compagnons, a trouvé sur le plancher un soldat allemund tué et, prés de lui, un civil en train de manier le fusil et les munitions du soldat. Ils ont fusillé le civil. Les constatations des sous-officiers et des hommes de la 7me compagnie sont d'un genre analogue a celles que j'ai faites moi-même lei, les soldats Uhlmann et Neumann ont été blessés par des coups be plombs, tirés des maisons. Le vizefeldwebel (premier sergent) Schoefer et plusieurs hommes ont observé que des civils (hommes) ont tiré sur des soldats allemands. On a aussi trouvé, ici, des cartouches allemandes, sur des civils. (s) Kipping Sous-lieutenant de réserve, commandant de C'e, agé de 29 ans. Le sous-lieutenant Kipping a entendu des coups de fusils de chasse et de revolvers tirés pendant toute la journée sur les collines proches de Leffe. Observation personnelle, dit-il. Bien osée, ajouterons-nous. La nature des armes dont Kipping enten- dait les détonations devait-être malaisée a déterminer au milieu de 1'orage de la bataille qui grondait. Retenons seulement 1'aveu: pendant qu'il était arrêté sur la route des Fonds de Leffe, Kipping n'a pu apercevoir personne et pas un seul hom me de sa compagnie ne fut atteint. Cet officier passé ensuite toute la journée a Leffe opérant contre les francs-tireurs. II 11e mentionne pas en avoir vu un seul, mais déclare seulement, dans une formule impersonnelle, que trois hommes furent fusillés. Les rares civils qu'il rencontre sont des gens paisibles. Le hasard a des étrangetés incompréhensibles. Le róle des officiers est de voir et d'observer. Bien rares, pourtant. sont ceux d'entre eux qui réussissent a entrevoir de prés un de leurs redoutables ennemis. Seuls, ou a peu prés, les soldats parviennent a découvrir des francs-tireurs. Le témoin ajoute que de nombreuses maisons étaient pourvues d ouvertures ressemblant a des meurtrières. II ne constate pas que la population les ait utilisées pour attaquer les troupes allemandes. Llle est tres sotte, d ailleurs, toute cette légende de meurtrières dont le Liv^e Blanc allemand fait si grand tapage. Un homme décidé a tirer de chez lui sur 1'envahisseur n'a pas besoin, pour y réussir, de signaler sa maison a 1'attention en y pratiquant des ouvertures suspectes Les soupiraux des caves, des persiennes incomplètement baissées, des volets mal fermés, la fente d'une boite aux lettres, les trous d'hourdage voila autant de meurtrières a 1'aspect innocent. Elles suffisent pour hérisser une maison de fusils braqués sur 1'ennemi et cela des combles au sous sol. Quelle folie pousserait un franc-tireur a pratiquer dans sa demeure d'autres ouvertures inutiles mais révélatrices d'intentions coupables ? Quelle idéé stupide lui ferait déplacer quelques ardoises de son toit pour se créer un champ de tir dans lequel ne pourrait guère passer qu'un problématique avion ? Quant aux portes closes, aux volets fermés, aux fenêtres protégées de différentes fa^ons, dont font état de nombreux témoignages allemands, ils sont caractéristiques uniquement de mesures de précautions et de prudence bien naturelles. * * * Jusqu a présent, nous avons analysé des dépositions suivant lesquelles des maisons ont été assaillies pour en débusquer les francs-tireurs qui, de toutes parts, faisaient feu sur les troupes. Le major Franzel, lui, nous a parlé de 1'envahissement nécessaire d'une rangée de maisons en vue d'occuper une position d'oü 1'on put contrebattre le tir des Francais, Le sous-lieutenant Kipping nous montre 1'opération sous un autre aspect. C'^st par mesure ƒ>réventive qu'il devra, par ordre du capitaine Gause, fouiller une longue rangée de maisons, paree que, d'après les dires du major Franzel, des habitants de la ville auraient, quelque part, tiré sur la ligne de tirailleurs. C'est la une troisième face de la vérité allemande, que le témoin nous révèle. Tant dans sa déposition du 17 Décembre 1914 (Anl. 30) que dans son rapport du 14 Février 1915, confirmé sous serment le 3 Mars (Anl. 25), le major Franzel, mis en cause par Kipping, s'était, en effet, abstenu de donner un caractère préventif aux mesures prises contre les habitants et de justifier ces mesures en invoquant la raison que lui prête Kipping. Comment se pratiquèrent ces perquisitions, dont fut chargé le sous-lieutenant Kipping? Par la violence. "Comme notreinvitation d'ouvrir restait régulièrement sans réponse, nous dümes partout forcer 1'accès des maisons „ Ce terme invitation est un délicat euphémisme. Un coup de sonnette ou des coups de crosse sur la porte s'accompagnant, dans les fenêtres, d'une grèle de balles qu'aucune célérité ne pouvait prévenir, telle fut la forme de 1'invitation qui me fut adressée et que, je 1'ai vu, on utilisa aussi chez mes voisins. Souvent le procédé s'aggravait du jet de grenades dans les caves. Tardait-on a ouvrir, la porte d'entrée était enfoncée et 1'on continuait a tirailler dans la maison. Le sous-lieutenant Kipping, attaché a cette époque a la 5me compagnie, nous signale les conséquences de cette fa^on de faire : une femme fut blessée par un coup de feu tiré dans une maison " que 1'on n'avait pas ouverte volontairement „. Dans le rapport de la 8me compagnie (voir plus loin Anl. 29) on note qu'une autre femme fut blessée dans sa cave par un coup de feu tiré a travers la porte. La déposilion de ce sous-lieutenant Kipping est d'un puissant intérêt: le noeud de la tragédie est tout entier dans les quelques lignes que je viens de rappeler. On sait quels étaient les sentiments des troupes allemandes envahissant Dinant, quelles excitations coupables les avaient développés et le tableau qu'on leur avait tracé de la ville et de la population : un repaire de bandits, une embuscade préparée de longue main. Au commandement d'assaillir les maisons tout ce travail préliminaire produit son effet. Pour le soldat, la théorie et la discipline auraient pu élever une barrière bien nette entre les hostihtés contre 1'armée ennemie et les violences contre les proprietes et la population du pays envahi. Un ordre abaisse partiellement cette barrière: aussitöt, elle n'existe plus. La psychologie des foules est ainsi faite qu'une violence en engendre une autre. L'armée allemande, sournoissement préparée a tous les excès, proie tacile de la folie grégéaire, se déchaine sans mesure Le courant mystérieux qui agit sur les foules avec d'autant plus de vio ence qu ellee sont plus nombreuses ou plus énervées, parcourt en un instant les troupes, amplifiant et dénaturant tout; ordre donne d'assaillir les maisons se transforme et se traduit par un mot exprimant la cause que le soldat lui attribue: "francstireurs,,! Et les événements se déroulent avec leur implacable ogique. Les fusils partent deux mêmes, les balles deviennent le premier et le seul argument d'hommes que la discipline ne retient plus et dont les plus calmes cèdent a la contagion de exemple. On commence par semer la mort.au hasard, par des coups de feu tirés dans les habitations; les passions s'exaltent; a vue du sang voile de rouge la raison et la pitié, la férocité de la bete humaine s'exaspère. On tue volontairement, on massacre avec rage. On comprend maintenant pourquoi, ainsi que le rapporte le major ranzel, les coups de feu éclatent dès que les troupes envahissent les maisons.... seulement ce nest pas la population desarmée qui les tire. Le sous-heutenant Kipping avait recu ordre de "rechercher les hommes dans une longue rangée de maisons,,. Trois hommes urent fusilles, dit-il. Inutile atténuation de la vérité. Qu'a-t-il donc ait des autres, tandis que les femmes et les enfants étaient conduits au couvent? Les croix de nos cimetières le disent. Conduits au couvent. C'est toujours la solution adoptée, dans ce quartier de la ville, pour les femmes et les enfants. Elle ne peut s etre presentée spontanément a Tesprit de tous les officiers qu, ont eu a décider de leur sort. La conclusion s'impose. Ces officiers avaient tous reCu, sans nul doute, des instructions anaogues a celles du sous-lieutenant Kipping. Pour les hommes valides, aucun heu de rassemblement nest prévu. Quels ordre avaient ete donnés a leur sujet? Redoutable interrogation qui fait entrevoir un effroyable abime de scélératesse et de crimes. La fin du rapport Kipping ne contient que des récits de soldats réunis par ce témoin. Ils ne peuvent avoir d autre valeur que celle du controle auquel ils ont, éventuellement, été soumis; nous ignorons quel fut cette vérifïcation. Ces histoires deviennent ainsi un verbiage sans caractère probant; la plupart d entre elles sont d'ailleurs anonymes (huit hommes ont vu..., des cartouches allemandes ont été trouvées sur des civils), en ce sens qu aucun témoin nominalement désigné, n'en assume la responsabilité personnelle. Et cependant 1'autorité allemande a ordonné son enquête plusieurs mois après les événements, Le temps ne manquait donc pas pour rechercher des accusateurs. 11 est vraiment trop commode, quand on les a, dit-on, découverts, de prétendre résumer leur témoignage dans la formule dont use le sous-lieutenant Kipping : 8 soldats au moins de la 5me compagnie ont vu que 6 civils faisaient feu ! Anlage 29. 14 Février 1915. 8,ne compagnie du régiment d'infanterie n° 178. RAPPORT SUR LES COMBATS autour de Dinant des 21 et 23 Aoüt. Le sous-officier MACHER de la 8me compagnie du régiment d'infanterie n° 178 rapporte ce qui suit: Vers 7 heures du matin, le 23 Aoüt, 1'ordre arriva d attaquer Leffe, un faubourg de Dinant. La 6me et la 7"'e compagnie du régiment d'infanterie n" 178 occupaient une hauteur devant le village. Le IIIme bataillon était déja entré en action : en seconde, ligne. La 5me et la 8ine compagnies suivaient dans la vallée. Lorsque nous arrivames prés de la localité nous entendimes devant nous des coups de feu résonnant sourdement. La 3me section de la 8me compagnie fut envoyée en avant pour apporter des cartouches au illme bataillon. Ce bataillon qui se trouvait sur la hauteur était engagé dans un combat avec infanterie ennemie établie sur 1'autre rive de la Meuse. Nous dumes ainsi passer par la ville de Dinant. Déja a 1 entrée gisaient des civils morts, et des soldats nous avertirent de ne pas traverser la ville en rangs serrés paree que 1'on tirait des maisons. C'est pourquoi nous suivïmes la rue en longeant les maisons a droite et a gauche, le fusil a la main, prêts a faire teu. Les maisons étaient fertnées, les soupitanx aveuglés par des boiseries percées de meurtrières. Lorsque nous retournames vers la compagnie je vis la 5me compagnie de notre régiment et des ehasseurs de Marburg qui fouillaient déja les maisons: des civils morts gisaient dans la rue, ainsi qu'un soldat allemand blesse. Quelques hommes et un cerfain nombre de femmes et d'enfants iurent remis a la section par un officier d'une autre unité; ils devaient être^ conduits au moulin. Plusieurs civils avaient déja ete rassemblés a ce moulin et des hommes morts gisaient a eet endroit. Lorsque nous fümes de retour auprès de la compagnie, nous entendimes sur notre droite des coups de feu qui partaient d'une ferme et qui étaient apparemment tirés sur nous. Des soldats de la garde firent sortir les gens de la ferme; ce n'étaient que des ctvils: environ 6 hommes, et un certain nombre de femmes et des enfants. • Lorsque 1 on eut fait avancer la compagnie, jusqu'a la place situee pres du couvent, on tira d'une maison située en face. Ici * egalement des hommes furent extraits des maisons. • c°urs de, 'a visite d'une maison, sous la conduite du sergent bchuster, de la 8me compagnie, une cave dans laquelle se rouvaient des civils ne fut pas ouverte. Le sergent tira pour cette raison a travers la porte et blessa a la poitrine une femme qui se trouvait dans la cave. La cave ouverte, il a, ainsi que cela a ete confirmé par le soldat Jentsch, pris soin de faire immediatement transporter la victime, par du personnel sanitaire, T am, u ,ncf établie dans le couvent. D'après les dires de en sc , a femme mourut et se trouvait, ensevelie, deux jours apres, au couvent. La compagnie mit enfin en état de défense la rangée de mai.sons paralleles a la Meuse. D'autres compagnies firent évacuer les maisons par la population. Les femmes et les enfants furent P°- la P'us grande partie conduits au couvent. l rl- ï ,^eures s°ir> quand les bagages arrivèrent dans la oca.ite,1e tir partant des maisons recommenca. L'alarme fut donnée. natiments situés derrière nous sur le flanc de la montagne nous occasionnèrent des difficultés particulières en raison du grand nombre de leurs issues. Nous nous rencontrames ici avec une compagnie du régiment d'infanterie n° 177. Le commandant e a compagnie ordonna d incendier les maisons, car on ne cessait de tirer toujours d'autres fenêtres. Lui-même renversa et risa une lampe et mit le feu a la première maison. Après cela, nous sommes repartis et retournames auprès de la compagnie. A mon avis, les coups de feu tirés la nuit le furent par des mis, car nos troupes avaient déja occupé 1'autre rive du fleuve. ans une maison gisait sur le plancher, a ce que me rapporterent des hommes de la compagnie, un soldat mort. ans une rue, on tira derrière la compagnie. Beaucoup d'hommes clirent aussitot que ces coups avaient été tirés par une femme : mms ce tait ne put être établi avec certitude. armi les gens arrêtés, j ai vu un adolescent. Tous les autres e aten p us ages, i! y Svait aussi des gens a cheveux gris parmi (s) Lucius. lieutenant-commandant de Cie. Macher comparaït et confirme, sous la foi du serment, son rapport ci-dessus. Elle est trés intéressante cette déposition. Le témoin y décrit 1'aspect des rues de Leffe : un Allemand blessé — ce qui n'a rien de surprenant un jour de bataille — et des civils morts gisent sur le sol tandis que les troupes fouillent les maisons. On n'apergoit pas d'habitants. Ce spectacle, le témoin 1'a vu en traversant le% rues de Leffe a 1'aller et au retour. Lui et ses hommes avaient été mis en garde contre les attaques de la population. Aucune agression ne se produit contre eux. Ce n'est qu'après être sortis de la localité qu'ils entendent, partant d'une ferme, des coups de feu. Tirés sur qui ? Apparemment sur eux. Tirés par qui? Une seule chose 1 indique: on fait sortir les habitants de la ferme; ils sont saus armes, on doit 1'induire du silence que le témoin observe a ce sujet. Plus tard dans la journée, le témoin s occupe a mettre en état de défense une rangée de maisons parallèles a la Meuse. lei encore il ne fait pas la moindre allusion a des attaques des francs-tireurs. S'il parle d'un tir parti, le soir, des maisons et des difficultés qu'une partie de ces maisons occasionnèrent, il signale que ces difficultés, dont il ne spécifïe pas autrement la nature, provenaient du grand nombre d'issues. II ajoute qu a son avis les coups de feu étaient tirés par des civils paree que les troupes allemandes occupaient déja 1'autre rive du fleuve. J'en conclus, sans témérité que Macher, loin de pouvoir désigner formellement qui tirait ces coups de feu, ne peut même dire d une fa^on certaine, de quelle rive de la Meuse ils partaient. Le témoin spécifïe cependant deux points. 1° Dans une rue " on tira derrière la compagnie. „ Qui avait tiré? Une femme, lui a-t-on dit. Mais il ajoute que le fait ne put être établi avec certitude. Or, nous savons, par les Allemands, eux-mêmes, que leur fusillade contre la population ne cessa pas de toute la journée. Aucun indice ne permet d attribuer a un civil, et non a un Allemand, le coup de feu dont parle Macher. 2° On tira d'une maison située prés du couvent. Qui? Sur qui? Le témoin ne le dit pas. II n'en sait vraisemblablement rien. Au surplus il n'affirme même pas avoir été témoin de eet incident. Comme nous voila loin de la fusillade constante entretenue .par les habitants et de la lutte terrible qu'il fallut leur livrer, a en croire les oeuvres d'imagination ou de mauvaise foi analysées jusqu'a présent! La déposition de Macher se termine par une phrase terrible. Parmi les gens arrêtés, dit-il, j'ai vu un adolescent. Tous les autres étaient plus agés, il y avait aussi des gens a cheveux gris parmi eux. II devrait dire: il n y avait que des gens a cheveux gris. Toute la population mdle de Leffe a été assassinée a l'excefition d'un certain nombre d'enfants et de vieillards. Terrés dans des cachettes insoupconnées, neuf hommes valides seulement avaient échappé au massacre. La Kultur avait passé! Anlage 31. — Tribunal de la 64me brigade d'Infanterie (en remplacement). Vizefeldwebel (premier sergent) Franz STIEBING, de la 3me compagnie d'Ersatz du régiment d'infanterie n° 178. Le 23 Aoüt 1914, le régiment d'infanterie n° 177 et mon regiment furent conduits au combat sur les collines de la rive droite de la Meuse. Le IIme bataillon du régiment n° 178 fut laissé en réserve derrière 1'aile gauche, immédiatement a 1'entrée de Leffe. Le bataillon s'était mis au repos, les fusils en faisceaux, les soldats assis ou couchés dans le fossé de la route. Pour le reste, Tordre de marche était conservé. En tête, tout a 1'entrée ee Leffe, se trouvait la 8'ne compagnie, (1) suivie de la 6me compagnie dont je faisais partie. Vers 9 heures du matin, le bataillon tut soudain arrosé d une filuie de balles. Le feu partait des broussatlles qui. a proximité immédiate de Leffe, couvrent les hauteurs. Voici la situation des lieux : Leffe s'étend le long d'une route dans un vallon perpendiculaire a la Meuse. Sur les hauteurs on n'apercevait pas d'uniformes; le feu partait tantót d'un buisson tantöt d'un autre. Entretemps, un capitaine du bataillon, qui s etait avancé en reconnaissance a 1'intérieur du village, revint au galop en criant que des francs-tireurs avaient fait feu 'sur lui dans la localité. La dessus, deux sections de la compagnie de tete se déployèrent a droite et a gauche du village pour s'emparer des tireurs, qui se trouvaient sur les hauteurs Elles réussirent, après un temps assez long, a se saisir d'un certain nombre (1) D autres pièces notamment le RAPPORT DE COMBAT du Il>ne bataillon (AnI. 25) indiquent comme compagnie de tête la 9™e que i'on est assez surpris de trouver jointe au IIme bataillon et non pas au Illme. de civils (paysans) dont quelques-uns étaient en manches de chemise. Ils avaient fait feu sur nous au moyen de fusils de chasse et avaient été surpris les armes a la main. La distance a laquelle ils avaient fait feu sur nous était d'environ 100 mètres. Ils avaient, du haut des collines, tiré dans le fond oü nous nous trouvions. Entretemps la dernière section de la compagnie de tête s'était avancée jusque dans le village. Les hommes marchaient isolément. Immédiatement, des deux cötés de la rue et de toutes les maisons que 1'on pouvait voir, un feu de francs-tireurs fut ouvert sur eux. La section devait, avant de pouvoir avancer plus loin, purger de francs-tireurs chaque maison sans exception. La porte d'entrée devait être enfoncée et chaque chambre être, une a une, enlevée aux francs-tireurs. Vers 10 heures du matin, deux sections de notre compagnie, parmi lesquelles la 2ine section, commandée par le sous-lieutenant Schreyer et dont je faisais partie, vinrent au secours des camarades, se trouvant dans le village. Nous dümes nous emparer de force de chaque maison isolément, tuer la population male qui s'y trouvait et qui, pour autant que j'ai vu, avait, sans exception, des fusils et faisait feu, et emprisonnér, enfin, les fernmes et les enfants pour réussir, de cette fagon, a avancer petit a petit. Seuls, quelques vieillards d'age trés avancé furent trouvés sans armes. Ils ne furent pas fusillés, mais emprisonnés avec les femmes. L'après-midi, vers 3 heures, le combat de maisons durait encore et nous n'étions pas encore parvenus jusqu a la place du village; je reijus alors 1'ordre de me retirer avec une demi section environ et d'aller occuper les collines de la Meuse du haut desquelles des francs-tireurs continuaient a tirer vers le bas. Pendant que j'éxécutais eet ordre je passai dans le village prés d'une scierie de bois, haute de trois étages devant laquelle gisaient environ 30 francs-tireurs fusillés. Cette maison a été prise d'assaut par les hommes de ma première section. Ceux-ci m'ont raconté le soir, que chacune des chambres de cette maison était occupée par des francs-tireurs qui faisaient feu. Ces francs-tireurs ont été fusillés conformément aux usages de la guerre. En haut sur les collines je ne suis pas parvenu a prendre de franc-tireur. Ils n'y étaient maintenant qu'en trés petit nombre. Le village de Leffe se trouvaient immédiatement au pied des collines. D'en haut je pouvais voir directement dans la rue du village. Le combat de rue était encore en cours mais diminuait cependant paree que, dans 1'entretemps, le village avait commencé a brüler. Sur les hauteurs de 1'autre cóté, je voyais des chasseurs allemands (je crois de Marburg) en lutte avec des civils armes. Ces francs-tireurs avaient, peu de temps auparavant, fait feu sur mon détachement. Lorsque, vers 7 heures du soir, je revins des hauteurs, toute la localité, jusqua la place du village située le long de la Meuse, était aux mains des Allemands. Dans tout le village, la place du village comprise, gisaient des cadavres de francs-tireurs. J'ai pris part personnellement a 1'assaut de 8 ou 10 maisons" sulles présentèrent toute le même tableau: coups partis des tenêtres; portes d'entrée fermées de fagon qu'on devait les enfoncer; tous les hommes sans insignes militaires et armés de tusils de chasse. Dès que nous pénétrions dans la chambre, ils laissaient tomber les armes et levaient les bras. Durant la lutte, dans les rues et sur les collines d'oü les civïls faisaient feu, je n ai vu aucun uniforme. Les civils ne donnaient d'ailleurs pas 1 impression de soldats habillés en civils. C'étaient pour la plus part des gens assez agés, de 40 ans et plus, ou des jeunes gens de 17 a 18 ans. Je n'ai presque pas vu de gens de 20 a 30 ans. II y a peu d'observations a faire au sujet de cette page de feuilleton dont une grande partie est d'ailleurs constituée de récits faits par des hommes de la 8e compagnie. La version que donne le témoins de' 1'attaque dirigée dans les fonds de Leffe sur sa compagnie, la 6me a cette époque, ne concorde nullement avec le récit qu'en fait son capitaine, Wilke. Du tir parti de la Papeterie et des maisons voisines de 1'assaut de celle-ci il n'est pas question. De ces incidents, si dramatiques dans le récit de Wilke, le sergent Stiebing semble n'avoir plus souvenir, (voir Anl. 26). Suit la narration de la chasse faite, par monts et par vaux a des francs-tireurs qui s'imaginent que leurs fusils de chasse portent a 100 mètres. Dans l'après-midi, le témoin participera a une autre poursuite du même genre. II trouvera les francs-tireurs tellement peu nombreux qu'il ne pourra en capturer un seul. Le tableau que le témoin nous tracé du combat dans les rues est plus chargé encore que celui qui en était fait par le capitaine Wilke. Chaque maison se change en forteresse qu'il faut prendre d'assaut, chaque chambre est un réduit qu'il est nécessaire de forcer et toute la population male sans exception (samtlich) a le fusil de chasse au poing. Exagération évidente par laquelle cette déposition se détruit d'elle même. La sincérité n'y est pas. Et toujours cette attitude déconcertante des francs-tireurs se soumettant docilement au chatiment qu'ils savent inévitable dès qu un mur ou qu'une porte ne les sépare plus de leurs ennemis! Dans les rues, des morts! Ils sont nombreux. Exclusivement des civils; pas un Allemand n'est couché sur le champ de bataille (1). Pauvres, pauvres Dinantais, aussi maladroits que téméraires! Stiebing est un observateur munitieux. II remarque 1'age des ennemis qu'il a combattus : 40 ans et plus, ou bien 17 a 18 ans: presque pas d'hommes de 20 a 30 ans. La guerre ! Pour lui, les hommes de 20 a 30 ans sont sous les armes. Malheureusement notre système de recrutement n'était pas tel que semblable constatation put être faite dans 'notre pays. La réflexion de Stiebing prouve une chose: il ne note pas ce qu'il voit, mais ce qu'il se figure devoir être. II laisse ainsi apercevoir ses préjugés. Anlage 37. 14 Février 1914. RAPPORT de la 8me compagnie du régiment d'Infanterie n° 178, au sujet des combats autour de Dinant, des 21 et 23 Aoüt 1914. Le soldat Jentsch confirme, dans ses traits généraux, le témoignage du sous-officier Macher (2), sauf qu'il a réellement vu une grande flaque de sang dans un grenier; le soldat allemand mort ^lont il avait entendu parler avait déja été enlevé. II ne se rappelle plus de quelle compagnie il était. D'après ses déclarations, quatre civils furent encore fusillés le même jour, paree qu'ils avaient assailli une sentinelle du régiment d'infanterie n° 182. Ces gens avaient été retirés d'un couloir souterrain. C'est le lieutenant Trankner qui donna 1'ordre de les exécuter. A 1'école militaire, nous surveillames environ 400 hommes en vêtements civils. Ceux-ci furent bien soignés et obtinrent plus tard 1'autorisation de recevoir les membres de leur familie. Le quatrième jour nous fümes relevés par le régiment d'infanterie de réserve n° 106, (s) Lucius. lieutenant-commandant de Cie. Suit la confirmation des déclarations ci-dessus par Jentsch, agé de 22 ans, qui prête serment. La déposition de Jentsch est la quatrième de celles qui parient d'un soldat trouvé mort dans un grenier. Signalons la multiplicité des versions relatives a ce fait. (1) Le témoin ne peut s'être donner pour bilt de montrer la rigueur dont ont fait preuve les troupes allemandes. C'est, au contraire, la violence des attaques que celles-ci ont subies qu'il veut établir. S'il ne parle pas de ses camarades tués dans la lutte c'est évidemment paree qu'il n'en a vu aucun. (2) Voir Anlage 29. Macher, (Anl. 29) qui n'a rien constaté lui-même, ne donne aucune précision et Jentsch n'a vu qu'une flaque de sang. Le capitaine Wilke (Anl. 26) précise la position du cadavre, émet une supposition au sujet de la manière dont le soldat fut tué et ajoute que dans une chambre, a cöté du grenier oü le corps fut découvert, on a trouvé deux fusils de chasse qui, manifestement venaient d'être déchargés. Cependant, personnellement il n a rien vu non plus, et se borne a rapporter les déclarations de soldats. D'aprés le sous-lieutenant Kipping, (Anl. 28) les soldats qui découvrirent le cadavre, auraient surpris prés de celui-ci un civil qui s'était emparé de ses armes et de ses munitions. Ces récits — sauf celui de Jentsch — sont tous de seconde main; les détails qu'ils donnent se contredisent. Qu'on ait trouvé un soldat mort dans un grenier n'est donc guère prouvé. C'est chose possible, cependant. Que faudrait-il en conclure ? Nous savons par les témoignages allemands qu'a Leffe, des maisons ont été occupées par des troupes pour riposter au feu des Frangais. Par la lucarne dun grenier un Allemand a pu fort bien tirailler contre ceux-ci. II s'y est fait tuer. II faut le parti pris de nos ennemis pour interpréter, sans hésitation, le fait contre la population civile, sans songer un seul instant a 1'hypothèse que je viens d'énoncer et qui aussi plausible, sinon plus, que leur affirmation. Autre point de la déposition de Jentsch qui, ici encore, semble ne parler que par oui-dire: d un couloir souterrain on retire quatre hommes qui auraient assailli une sentinelle et on les fusille. Sans doute, ils ont été saisis d'une contrition subite car, alors que leur capture aurait pu couter cher ils paraissent se laisser extraire de leur tanière sans se défendre. Je me demande même pourquoi les Allemands au lieu de s'exposer aux risques d'une résistance, fort a craindre de la part d'assassins, se sont donné la peine de les capturer au lieu de les tuer sur place. Quant a la courageuse sentinelle elle semble avoir supporté sans broncher et sans en éprouver de dommage cette quadruple attaque. J'ai cherché en vain sa déposition. II faut croire que les rédacteurs du Livre Blanc Pauront jugée superflue. Je m'excuse de ne pas partager leur avis. Au deuxième alinéa, le document que nous analysons change de forme. Ce n'est plus le récit de Jentsch qui se poursuit. L'auteur du rapport prend lui-même la parole pour débiter un mensonge ridicule. II aurait surveillé a 1'école militaire il s'agit, en rêalité, de 1'école régimentaire — 400 hommes qui furent relachés dans la suite après avoir été fort bien soignés. Quatre-cents hommes ! C'est beaucoup plus que n'en comptait la population de Leffe oti est située cette école régimentaire. * * * II faut rechercher vers la fin de 1'enquête allemande les deux dépositions qui terminent 1'histoire du régiment n° 178 a Leffe. Anlage 62. Pas de date. Arthur Otto HUND, né le 15 Février 1889 a Dresde, réserviste a la 12me compagnie du régiment d'Infanterie n° 178. J'ai vu le fils de 1'avocat Adam, dgé de 12 ans environ, faire feu sur moi et deux camarades au moyen d'un revolver. Mes deux camarades furent blessés. Enfin, un nom de franc-tireur ! Le seul de toute 1'enquête allemande ! Celui d'un enfant, et d'un enfant qui fait preuve d'une adresse peu habituelle aux francs-tireurs Dinantais! Et ce témoignage paraït tellement important, tellement précieux que Hund a 1'honneur d'un second interrogatoire! Le voici : Abri du régiment d'infanterie n° 178. Le 3 Mars 1915. Lecture faite de la déclaration ci-dessus, le témoin la confirma et dit : Je fus envoyé avec deux camarades dans la maison pour voir si elle était vide, en vue d'y installer une ambulance. On fit feu sur nous du fond du jardin. En nous dirigeant vers 1'endroit d'oü partaient les coups de feu, nous trouvames, sous un arbuste, un gar<;on d'environ 12 ans qui tenait un revolver en main. L'un de mes camarades fut mortellement blessé par les coups de feu, 1'autre légèrement. Le gamin a été fusillé sur place, par un des camarades qui étaient survenus entre temps. Au moyen de photographies trouvées dans 1'habitation nous reconnumes que c'était le fils de la maison. Bien. C'est clair et précis. Réponse: 1'avocat Adam n'a qu'un rils. II est agé de 27 a 30 ans. M. Adam et tous les siens avaient, dès avant le 23 Aoüt, quitté leur demeure et avaient cherché abri sur 1'autre rive de la Meuse. Ni son fils, ni un autre enfant ne pouvait donc se trouver chez M. Adam au moment du sac de Dinant. En outre, comme 1'observe Mgr Heylen, dans sa note déja citée il n'a été tué a Leffe aucun enfant de moins de quinze ans! Anlage 71. St Erme 17 Décembre 1914. Stabsarzt (1) Dr Richard Gotthold LANGE, 33 ans, médecin du Illrae bataillon du régiment d'infanterie n° 178. Immédiatement après que le bataillon fut entré a Leffe il fut surpris par une fusillade qui ne partait pas seulement des deux versants des collines, mais aussi des maisons et des caves. La dessus, on rechercha les tireurs dans les maisons d'oü étaient partis les coups de feu et les civils coupables que 1'on y trouva furent fusillés. Les maisons d'oü 1'on n'avait pas fait feu furent aussi fouillées et leurs habitants placés sous bonne garde dans la rue. On me rapporta qu'entre autres, un sergent-major de la 9me compagnie de mon régiment était grièvement blessé. Je parcourus aussitöt les rues, a cheval: continuellement on tira sur moi des maisons, surtout des caves. Je trouvai deux blessés allemands a 1'intérieur des maisons ainsi que deux morts, dont 1'un dans un rez de c'naussée et 1'autre dans une cave. Comme le nombre de blessés augmentait je me vis obligé d'installer un poste de secours dans la villa de 1'avocat Adam. J'y ai travaillé jusqu'a 11 heures du soir. Quand je remis 1'ambulance a la 2me compagnie d'infirmiers, le nombre des soldats blessé# allemands y était d'environ 80. Le point saillant de cette déposition se trouve dans sa phrase finale: 80 blessés allemands étaient déposés dans une ambulance de Leffe-Dinant, Ie soir du 23 Aoüt 1914. L'évocation de ces nombreux blessés ne peut avoir d'autre but que de tromper le lecteur en provoquant chez lui de 1'indignation, indignation qui serait complètement injustifiée. II n'y a pas de doute, en effet, qu'aucun de ces hommes n'a été atteint de plombs de chasse. Le Dr Lange, sachant que 1'enquête allemande visait a accabler la population accusée sans trève de s'être servie d'armes de chasse, n'aurait certes pas manqué d'en faire état, n'eut-il même relevé qu'une seule de ces blessures si caractéristiques que font les coups de fusils de chasse. Les 80 militaires allemands ont donc été blessés par des armes de (1) Médecin de bataillon. guerre et la déclaration qui les concerne n'est pas a sa place dans un dossier destiné a démontrer la participation de la population civile beige aux actes d'hostilité. Le Dr Lange, qui n'a pas voulu, par une attestation fausse, entacher son honneur professionnel, a cependant, péché par omission ; sa réticence — alors que pour tant d'esprits, en Allemagne, la raison d'Etat tient lieu, en temps de guerre, de conscience, peut lui être imputée a mérite mais elle ne sert en rien la cause allemande. L'introduction dans le Livre Blanc de cette déposition montre bien au contraire, que les enquêteurs allemands ne reculent devant aucun artifïce. Faut-il, entrer dans le détail de la déposition du Dr Lange? Deux observations suffiront. Dès son entrée a Leffe, on faisait feu des maisons sur le IIIme bataillon dit le médecin. Des maisons, surtout des caves, on ne cessait de tirer sur lui assure-t-il encore. En est-il bien certain ? Croit-il réellement que, faisant feu a 10 ou 15 pas (les rues de Leffe sont trés étroites), tous ces tireurs aient été assez maladroits pour le manquer constamment, lui et son cheval et même tous les hommes du bataillon? II y a vu deux morts: 1'un dans un rez de chaussée, 1'autre dans une cave? Mais les balles frangaises pouvaient parfaitement atteindre des soldats allemands utilisant, pour faire le coup de feu, les fenêtres des maisons et les soupiraux des caves. Le Dr a vu, en outre, dans la rue et dans des maisons, trois blessés allemands. Du silence du médecin, a eet égard on peut déduire que ni ces morts, ni ces blessés n'ont été atteints de plombs de chasse ; le médecin n'ose même pas émettre formellement 1'opinion que ces militaires sont des victimes des francstireurs. * * * Nous en avons enfin fini avec les dépositions du régiment n° 178. Des mensonges évidents, des impossibilités, des invraisemblances, des confusions, des répétitions qui permettent de présenter comme multiple un incident unique, des contradictions, du verbiage, voila ce que 1'on relève dans cette enquête. Mais dans ces flots d'encre et sous ces monceaux de papier on cherche en vain les seules choses qui importaient et que le Livre Blanc prétendait démontrer: !a preuve de la culpabilité de la population et la justification du sang répandu. La preuve n est pas faite; la justification n'existe pas. De cette profusion de témoignages, une chose derneure cependant: la preuve, 1'aveu de la cruauté implacable des officiers et soldats du régiment n° 178. * * * La documentation des autres régiments est loin d'être auss; abondante ; la valeur des témoignages reste la même. Voici les trois pièces relatives au régiment n° 103. Anlage 33. — Extrait du RAPPORT DE COMBAT du régiment d'infanterie n° 103. 23 Aoüt 1914. A 4 heures 30 de 1'après-midi, le régiment regut, de la 32me division d'infanterie, 1'ordre de se rendre a Leffe. Dans le ravin, a 1'Est de ce village, le régiment fit halte derrière 1'équipage dé pont divisionnaire. Comme, des flancs de ce ravin, on faisait continuellement feu vers le fond du vallon, la 9rne compagnie regut ordre d'aller nettoyer le versant Sud. Un soldat du régiment fut grièvement blessé par un coup de feu parti d'une maison et tiré par un habitant du pays. La maison fut incendiée et les hommes qui s'y étaient trouvés, les armes a la main, furent fusillés. Le reste de la localité fut également purgé de francstireurs. Anlage 34. Orainville 17 Mars 1915. i Ksrl Antoine Emile LANGHELD, 43 ans, major au régiment d'infanterie n° 103. Dans 1'après-midi du 23 A.oüt, je marchais en tête du régiment, avec mon bataillon, de Lisogne vers Leffe. Depuis le début du vallon de Leffe la marche se fit par a coups. Pendant la marche, arriva, de derrière, la nouvelle qu'un homme de la première compagnie avait été at teint d'un coup de feu parti d'une maison. Sur 1'ordre du capitaine Wuttig, les soldats de la lre compagnie incendièrent alors la maison et fusillèrent les hommes qui y furent surpris les armes a la main Durant toute 1 après-midi on entendit continuellement des coups de feu tirés dans les maisons de Leffe et sur les flancs des collines qui enserrent de droite et de gauche la vallée de Leffe. Une compagnie du ll"u bataillon de chasseur était occupée a purger les collines sur lesquelles se trouvaient des habitants armés. La 9me compagnie de mon régiment re^ut la même mission pour le versant méridional. (1) Moi-même je continuai, avec la 10me et la llrae compagnie, jusqu'a la rive de la Meuse, pour y traverser le fleuve. Pendant ce temps, j'ai vu fusiller, a plusieurs reprises, des habitants males coupables. Pendant la nuit du 23 au 24 apparurent a plusieurs reprises, prés de nos avant-postes, des fuyards en majorité des femmes et des enfants; parmi eux, il y avait un certain nombre de religieuzes conduites par un ecclésiastique. Je les installai dans une ferme prés de laquelle la llme compagnie avait établi son bivouac. Nos troupes leur donnèrent a manger de leurs provisions, kien quelles n'eussent elles-mêmes que peu de chose. Moi-même je rassurai les fuyards et, comme je devais continuer ma marche pendant la nuit, je donnai, au curé, un écrit constatant que ces gens ne s'étaient rendu coupables de rien. Je ne pouvais m'occuper d'eux plus longtemps, mais je priai 1'aumonier catholique divisionnaire Kaiser, que je rencontrai le lendemain matin, de faire en sorte, si possible, que ces gens soient mis en sécurité. Anlage 35. Orainville 17 Mars 1915. Martin RICHTER, 23 ans, sous-lieutenant a la lre compagnie du régiment d'infanterie n° 103. Pendant que le Ier bataillon du 4rae régiment d'infanterie n° 103 se dirigeait, le 23 Aout 1914, vers le point de passage de la Meuse a Leffe, un coup de feu isolé fut tire d'une ferme. Un soldat de la lre compagnie du régiment fut blessé. Sur 1'ordre du capitaine Wuttig, on fouilla la ferme. Environ 14 civils m&les furent arrêtés, sur lesquels on trouva des armes et des munitions pour fusils de chasse, des pistolets, etc. Un gargon de 13 a 15 ans fut laissé en liberté a cause de son age; les 13 autres personnes furent fusillées. * Comparons ces trois documents. Avant 1'arrivée a Leffe, fusillade continuelle et inefficace, semble-t-il, d'après le rapport du régiment. Pour le major Langheid, la marche devient seulement assez irrégulière: on lui rapporte qu'un hom me a été blessé. Le lieutenant Richter, plus précis, spécifïe formellement qu'«« seul coup de feu fut tiré, blessant un hom me. Et encore ne dit-il pas 1'avoir constaté personnellement. Comment et par qui le fait fut il raconté et vérifié ? Mystère. On n'est fixé que sur la suite qu?il aurait entrainée : 13 hommes fusillés. (1) Déja le matin cependant, ces collines avaient été inlassablement et minutieusement explorées. Le coupable est le capitaine Wuttig. II lui serait impossible de justifier ce crime. On ne reproduit pas ses explications. II est permis de soup^onner qu'on ne lui en a pas demandé. C'est malheureux pour la réputation de eet officier. Je pense qu'il aurait nié et fait valoir pour sa défense 1'invraisemblance de cette réunion de 14 hommes dans une seule maison isolée. C'est une étrange chose que 1'attitude de ces francs-tireurs. Ils sont la quatorze, tous armés. Un seul d'entre eux fait, une fois, usage de son arme pour 1'attaque. Aucun ne s'en sert pour sa défense. Ils semblent vraiment n'avoir pris les armes qu'afin donner a 1'ennemi un prétexte pour les fusiller et ne les avoir gardées en main que pour fournir une preuve contre eux. Durant toute 1'après-midi du 23 Aoüt, rapporte le major Langheid, on entendit tirer a Leffe et sur les hauteurs avoisinantes; il n'a pas vu les tireurs et ne peut donc savoir s'ils sont Beiges ou Allemands. II vit, en outre, fusiller des habitants qu'il déclare coupables. La facilité avec laquelle Langheid délivre, par écrit, un certificat d'innocence a un groupe de fuyards dont il ne connait rien, montre, a tout le moins, qu'il forme son opinion a la légère. Des civils lui déclarent: " Nous sommes innocents,,. 11 le croit et 1'atteste. On lui dit que tels autres civils sont coupables ; il le croit aussi et il en dépose. II parait être un brave hom me et semble avoir trouvé satisfaction a faire un peu de bien. S il calomnie les Dinantais, au moins il n'invente pas mais se borne a répéter ce qui lui a été dit. Placé a Leffe a partir de la soirée, dans les mêmes conditions que les officiers du régiment n° 178, il ne prétend pas, comme eux, avoir du subir une lutte acharnée contre les francs-tireurs. Son régiment, plus honnêtement commandé sans doute, n'a pas commis les mêmes crimes que eet indigne 178me . * * * Le régiment n" 102 n'arriva a Dinant que tard dans la soirée. Deux dépositions forment toute sa contribution a 1'enquête allemande. Pour faire pendant aux prodiges constatés par le capitaine Wilke, voici des histoires de revenants : Anlage 64. Bertricourt, 16 Février 1915. RAPPORT au sujet de la rencontre de la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 102 avec des francstireurs, a Leffe, le 23 Aoüt 1914. Placée a la queue du régiment, la compagnie de mitraiileuses du régiment d'infanterie n° 102 était partie de Houx vers la soirée du 23 Aoüt 1914 et s'avangait le long de la Meuse dans la direetion de Leffe. Lorsque, vers minuit, la compagnie arriva a Leffe et que ses derniers véhicules passaient sur un pont, on apergut soudain sous le pont deux formes blanches. Les hommes marchant a la queue de la compagnie remarquèrent ces gens. Deux coups de feu partirent a peu d'intervalle et immédiatement après on vit deux formes enroulées dans des draps blancs sauter dans la Meuse. Les tireurs d'élite de la compagnie de mitrailleuses firent feu sur les deux personnes et, peu après, leurs cadavres vinrent échouer a la rive. D'un examen minutieux il résulta que c'étaient deux hommes revêtus de vêtements de femme et qui s'étaient enroulés dans des linges blancs. Sous le pont se trouvaient deux chaises et c'est de la qu'on avait fait feu sur la colonne en marche On suppose que les deüx francs-tireurs avaient voulu faire sauter le pont et que, surpris par les nótres, ils saisirent leurs armes ; voyant que la retraite leur était coupée, ils auront cherché a s'enfuir a travers 1'eau. Peu après, on fit feu sur le régiment d'infanterie n° 177 qui nous suivait, d'une fabrique située tout a cöté du pont. Un examen ultérieur nous fit découvrir un couloir allant du pont a la fabrique. D'autres francs-tireurs employèrent certainement ce couloir pour se retirer en toute sécurité dans la fabrique, des fenêtres de laquelle ils tirèrent alors avec violence. (s) Noack sous-lieutenant, commandant de compagnie. Anlage 65. Prés de St Marie le 7 Mars 1915. 1. BUCHNER Henri Max Emile, 22 ans, soldat a la compagnie de mitraiileuses du régiment d'infanterie n° 102. Le 23 Aoüt 1914, la compagnie de mitraiileuses du régiment n° 102 se dirigeait de Houx, en longeant la Meuse et en passant par Leffe, vers le pont de bateaux prés de Dinant. La compagnie atteignit Leffe vers minuit. La, une grande fabrique se trouvait a gauche de la route. Un ruisseau ou canal conduisait de la fabrique a la Meuse. La route que nous suivions franchissait ce ruisseau ou canal par un pont. Je marchais avec Ulbricht derrière le chariot d'approvisionnements qui terminait le train. Le centre de la compagnie était sur le pont quand deux coups de feu furent tirés sur nous de la direetion du pont. Immédiatement je courus avec Ulbricht a la rive de la Meuse pour voir si de la, quelqu'un avait fait feu. Les deux coups semblent avoir été des coups d'alarrne car, aussitót après, plusieurs fusils firent feu de la fabrique. Pendant que nous courrions vers la rive de la Meuse, deux formes blanches surgirent du dessous du pont pour gagner 1'autre rive a la nage. Ulbricht et moi fitnes aussitót feu sur les deux formes blanches. Nous touchames 1'une d'elles en- f°rpf/r t0Ut 'a r've' ''autre se trouvait déja au milieu de a Meuse. Les deux formes furent atteintes, car celle qui était eja au milieu de Ia Meuse fut soudain emportée par Ie courant, tandis que 1'autre vint échouer sur notre rive. Au moyen d'unê bretelle de brancard, Ulbricbt et moi, aidés par d'autres hommes qui etaient survenus, nous descendïmes le long de la berge escarpee. Nous retirames le cadavre de 1'eau, enlevames les linges blancs et reconnümes au visage que c etait un homme. II avait cependant des bas de femme verts et des souliers bas, noirs, comme en portent les femmes. II avait resu une balie dans la partie posterieure de la tête et était mort. Nous allames ensuite sous le pont. Tout prés de 1'eau se trouvaient deux chaises. Du pont e canal conduisait par un tunnel a la fabrique. Dans ce canal, long d environ 50 mètres, il n'y avait que peu d'eau. On pouvait y marcher debout. Avec Ulbricht je m'y aventurai de deux ou trois mètres, mais comme notre compagnie continuait a avancer et que nos camarades nous appelaient, nous revinmes sur nos pas. Derrière nous arnvaient des hommes de la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 177. Ils se rendirent dans Ia fabrique pour la visiter, tandis qu'avec Ulbricht ie rejoignais ma compagnie. On ne fit feu de la fabrique qu'après que les deux formes blanches eurent tire les deux premiers coups. Le feu, qui dura environ cinq minutes, partait manifestement des fenêtres de Ia tabrique et etait tiré par plusieurs personnes. Pendant ce temps notre compagnie faisait précisément halte, puis elle se remit en mar^ej VÊrS P°nl•construit Par les troupes. Quand, peu après, on ht de nouveau feu de la fabrique, la compagnie de mitrailIeuses du regiment n 177 risposta a coups de mitrailleuses. Nous yimes alors Ie_ feu des francs-tireurs étinceler aux fenêtres de Ia tabrique. Ce tir ne cessa que quand la fabrique eut été incendiee. 2. Frédéric Richard ULBRICHT, soldat a Ia compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 102. Je fais complètement miennes les déclarations du soldat Buchner qui m ont été lues, Je n'ai rien a y ajouter. Ces pièces sont parmi les plus instructives, de toute 1'enquête allemande au sujet de Dinant. Elles sont claires, formelles, assez précises pour que 1'on puisse situer exactement le lieu de scene et meme identifier les victimes. Elles constituent un exemple saisissant de la fa^on dont les témoins allemands deguisent les faits, transforment des suppositions en affirmations catégoriques, présentent comme certaines les hypothèses les plus ridicules, interprètent dans le sens de leurs préjugés les faits qui leur paraissent suspects et tuent sans cause ni raison. Rectifions et complétons quelques détails topographiqües. Le ruisseau des Fonds de Leffe pénétre dans les dépendances du couvent dont il a été souvent question. II en sort vouté et se jette dans la Meuse après avoir coupé la route de Houx a Dinant. I! n'y a pas de pont a proprement parler. C'est la route elle même qui enjambe le ruisseau. Du cóté gauche elle est longée par les murs de la fabrique, a droite par le fleuve. La berge est haute et a pic. II faut se pencher au dessus du gardefou pour s'apercevoir, a 1'allure des eaux, qu'il y a la 1'embouchure d'un ruisseau et qu'on vient de le franchir. Ceci dit wyons Ie récit de Büchner. Sa compagnie traversait le ponceau quand, dans la direction de celui-ci, le témoin entend deux coups de feu. II se précipite vers la Meuse et voit sortir d'en dessous du pont deux formes blanches qui se précipitent a 1'eau. Lui et son camarade Ulbricht font feu. Le courant emporte 1'une des formes. L'autre s'échoue au rivage oü Büchner, exécutant une gymnastique compliquée va 1'examiner. Telles sont les constatations concrètes de la première partie du récit. II n'y a rien a objecter. Mais Büchner y ajoute 1'affirmation d'un fait qu'il n'a pas pu constater: les deux coups de feu entendus étaient tirés sur les troupes. Lorsque furent tirés ces deux coups, oü étaient les Allemands Sur la route. Et les formes blanches ? Sous la route. Le témoin 1'affirme: il les a vues, après les coups de fusil, sortir de dessous la route. Or, de la, elles étaient dans 1 imposibilité matérielle de tirer sur les troupes. Conclusion: Büchner ayant avec son camarade, tiré sur des hommes qui ne pouvaient être des coupables, doit les accuser pour ne pas avouer qu il a commis un meurtre injustifié. II le fait. Ce crime est caractéristique des procédés allemands a Dinant II est commis par des hommes dont le sangfroid n a pas encore été ébranlé par le spectacle d'horreur des rues de la ville sanglante et par la débauche de cruauté qui s y déchaïnait. Tireurs d'élite, Büchner et ses camarades ne purent résister a 1'occasion qui s'offrait de faire montre de leur adresse. C est la fa^on la plus charitable de juger leur conduite. La vérité sur cette affaire est que les deux victimes sont deux religieux de 1'abbaye de Leffe, de 1'ordre des Prémontrés le père Perreu et le frère Boug. (1) Les bas verts sont une coquetterie de 1 imagination du soldat Büchner; les " draps „ blancs representent la soutane blanche de ces religieux et les souliers bas sont leur chaussure habituelle. Lorsque les Allemands envahirent leur couvent, ces deux moines cherchèrent sous la voute du ruisseau un abri contre les violences. Poussés, sans doute, par la même curiosité qui amena Büchner a faire quelques pas dans cette galerie, un ou plusieurs des soldats alle-, mands qui se trouvaient au couvent, durent entreprendre d'explorer le cours du ruisseau et, découvrant les deux religieux, tirèrent sur eux. Ce sont les deux coups de feu entendus par Büchner. Chassés de leur abri par cette fusillade, les deux tuyards se jettent a 1 eau oü les attendait la mort sous les balles allemandes. 11 était inutile de connaitre cette explication pour saisir le ridicule du récit de Büchner. La moindre réflexion y suffisait. Les rédacteurs du Livre Blanc ont préféré ne pas réfléchir : il était si tentant de pouvoir affirmer dans leur apergu général que des francs-tireurs setaient déguisés eu femmes! L'enquête allemande ne fournit en effet pas d'autre exemple de semblable travertissement. Dans la seconde partie de son récit, Büchner considère les deux coups de feu suspects commè un signal donné a des francs-tireurs occupant la fabrique (2). Immédiatement, ces francstireurs commencent a tirailler. On leur riposte a coups de mitrailleuses et pour s'en rendre maitre on doit incendier la fabrique. C'est stupide, c'est faux. Stupide, paree que des francs-tireurs embusqués dans la fabrique et prêts a faire feu pouvaient découvrir ce qui se passait sur la route. Ils n'avaient que faire de guetteurs placés de fagon telle qu'il leur était impossible de rien découvrir. C est faux, car francs-tireurs et Allemands ne pouvaient voi sine* dans eet établissement, occupé depuis longtemps par les Allemands, comme le reconnaissent les rédacteurs du Livre Blanc. Ils disent en effet dans leur " apergu général „ : "La 9 compagnie du régiment n" 178 occupa, face a 1'ennemi établi (!) V. Ie récit de 1'Abbé de Leffe, Chap. XIII, et la note de M»r Heyle. (2) Deja a propos des incidents de Ia nuit du 21 au 22 Aoüt, nous avons vu les Allemands attribusr Ia valeur dun signal a un coup de feu dont ils ii ont pas recherché 1'origine. sur la rive gauche de la Meuse, le jardin longeant le fleuve, d'une villa et d'une fabrique. Ici aussi, elle essuya des coups de fusil. La villa et la fabrique furent, pour cette raisön, évacuées. On fit sortir de la cave de la fabrique le propriétaire et un grand nombre de ses ouvriers et on les fusilla. Les femmes et les enfants que 1'on y trouva furent conduits dans la cour du couvent „ (1) Or, ce massacre eut lfeu vers 5 heures de 1'aprèsmidi. (2) La fabrique ne fut incendiée que le lendemain. Le lieutenant Noak ne se donne pas comme témoin occulaire et son rapport paraït n'être qu'une transposition du récit Büchner. 11 y ajoute cependant : " On suppose que les deux francs-tireurs " avaient voulu faire sauter le pont.... Un examen ultérieur nous " fit découvrir un couloir allant du pont a la fabrique. D autres " francs-tireurs employèrent certainement le couloir pour se reti" rer en toute sécurité dans la fabrique. „ Cet officier doit savoir que rien de cela n'est vrai. On a visité le couloir. On ne signale pas y avoir découvert les traces d'un travail commencé pour faire sauter Ie pont, ni les outils propres a effectuer cette besogne. On a pu et du constater en revanche qu'entre ce couloir et la fabrique il n'y a aucune communication (3). * * * L'unique déposition du régiment n" 177 est la suivante : Annexe 38. Corbeny, 12 Décembre 1914. Otto Hermann Oswald NITZE, 34 ans, capitaine commandant la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n 17/. Je me trouvais, lors de notre entrée a Leffe, a plusieurs eentaines de mètres en avant de ma compagnie; soudain, des maisons environnantes, on fit feu sur moi. Je rejoignis immédiatement la compagnie et confirmai 1 ordre déja donnée de prendre les maisons sous le feu. Je me rendis auprès au commandant du détachement, le lieutenant-colonel von Zeschau, je lui fis rapport sur i'attaque et regus 1'ordre de faire fouiller les maisons (1) Les rédacteurs du Livre Blanc éliminent du débat le document oü ils ont puisé ce renseignement. (2) Voir au chapitre suivant le récit de 1'Abbé de Leffe. (3) Je n'ai pas voulu produire cette affirmation en me basant uniquement sur ce queje connais des lieux. J'ai eu 1'occasion, ici en Hollande, de me faire confirmer ce que je croyais savoir par un vieux Dinantais, membre du conseil communal et par un de nos soldats internés, ouvrier de cette fabrique. et de les faire incendier si 1'on y trouvait des hommes armés. Au cours de ces perquisitions, le lieutenant-colonel Reicheï trouva, en ma présence, dans une maison, deux hommes de quarante ans environ. Ceux-ci s'étaient cachés dans une chambre et on trouva auprès deux un pistolet beige et un fusil a balie „v,'ejIX m°dèle. D après ce que j'appris, on aurait encore arrete dans cette maison un troisième homme. Les deux premiers furent fusillés immédiatement. Pendant que Reichel s'éloignait pour aller fouiller d'autres maisons,^ je vis que, du premier étage d'au moins deux maisons, on ouvrit, avec au moins huit fusils, un feu violent sur les détachements qui perquisitionnaient. Les tireurs se trouvaient derrière des fenêtres barricadées de matelas. J'ai vu le feu et entendu siffler les balles. A en juger d après la détonation, c'étaient, en partie, des balles et, en partie, des plombs. Seul le cheval du médecin assitant Sippel fut blessé. L'ensemble des documents allemands représente le faubourg de Leffe comme pacifié a 1'heure tardive ou y arrivé le régiment d infanterie n' 177. Quelques'coups de feu sur les collines et la fusillade partie de la fabrique étaient les derniers efforts des francs-tireurs. On avait oublié de prévenir de cette circonstance le commandant Nitze avant de recevoir la déposition de celui-ci. Aussi, voyez comme il patauge! II savait seulement qu'il devait accuser, il le fait a tort et a travers. Ses chefs ne peuvent lui en faire grief. Quant aux rédacteurs du Livre Blanc, plus préoccupés du nombre des dépositions que de leur valeur, sans sourciller, ils insèrent dans leur enquête celle du commandant Nitze. Si 1 on ne craignait d'être indiscret on cèderait a la tentati°n de poserune question a ce commandant: comment se fait-il que, rejoignant sa compagnie aussitöt après que 1'on aurait, suivant ses dires, fait feu snr lui, il puisse confirmer l'ordre déja donné d'ouvrir le feu sur les maisons ? Cet ordre avait-il donc été donné avant toute agression partie de ces habitations ? * * * Les événements qui signalèrent 1'entrée a Dinant des régiments 108 et 182 ne sont pas en relation directe avec ceux qui eurent pour théatre le faubourg de Leffe. I!s se déroulèrent sur la route de Ciney, par oü ces troupes pénétrèrent a Dinant, et dans la partie de la ville située entre cette route et la Grand'Place. Les "rapports,, de ces régirnents ne parient que d'une fa^on générale des attaques des francs-tireurs. Etudiés au chapitre qui traite du prétendu bombardement de la ville, ils ont été démontrés sans valeur. Voyons maintenant les déclarations particulières qui font suite a ces rapports. Anlage 17. La Malmaison, 9 Décembre, 1914. Johann Georges SORING, 22 ans, serrurier, gefreiter, (1) a la 12me compagnie du régiment d'infanterie, n° 182. Dans la matinée du dimanche 23 Aoüt 1914, je vis a Dinant, sortir du premier étage de la maison d un pharmacien, le bras d un homme; la main tenait un pistolet; avec ce pistolet ilétait fait feu sur nos soldats. Le bras portait, comme je 1'ai vu clairement, un b rass ar d de la Croix Rouge. Avec une hache ] enfongai ia porte fermée. Alors, sortirent des femmes, des enfants, un homme agé et, en dernier lieu, 1'homme avec le brassard de la Lroix Rouge au bras. Cet homme fut conduit devant le colonel brancke, tandis que les autres civils étaient retenus dans un coin de la maison. * Nous nous précipitames ensuite vers 1 église, dans laquelle des habitants avaient été ressemblés. De la tour de l église, je le sais avec certitude, on tirait sur nous. Seuls, des habitants peuvent 1'avoir fait, car de toute la journée, nous ne vïmes pas de soldats ennemis. Si les soldats se sont rués vers 1'église, c'est avec 1'intention d'en déloger les gens tirant de la tour. De ce que ceux-ci n'ont pas été découverts, (et cependant tous les coiAs et recoins de la tour ont du être minutieusement fouillés) Söring aurait du conclure, comme nous le ferons, qu'il s'était trompé, et que personne ne tirait du haut de la tour. Avant de parler de 1'homme au brassard, voyons la déclaration du général Francke. Anlage 16- Au front, 28 Avril, 1915. Franz Samuel Ljudwig FRANCKE, 51 ans, général-major et commandant du régiment d infanterie, n 182. Je confirme qua Dinant, un caporal, (gefreiter) et deux kommes de la 12me compagnie amenèrent devant moi un civil qui portait un brassard de la Croix Rouge. Les hommes m'assurèrent qu ils avaient vu, « la fenêtre du premier étage d'une maison distante de moi d'environ trente pas, surgir d'entre les volets un bras (1) Le grade de "gefreiter,, correspond a pen prés a celui de caporal. entouré dun brassard blanc, qui, avec une arme a feu, avait tire dans la rue rèmplie de troupes. Plusieurs soldats morts et biesses gisaient, en effet, dans la rue; ils n'avaient pu être atteints que des maisons ou au travers des habitations situées du cöté du fleuve. Les soldats déclarèrent qu'ils s'étaient introduits de force dans la maison et en avaient fait sortir les habitants, parmi lesquels, en dernier lieu, eet homme. Sans que je lui demande rien, 1'homme me déclara d'abord, en un allemand difficilement compréhensible, qu'il était médecin. Après que lui je lui eus adressé la parole en francais il me le répéta dans cette langue, ajoutant qu'il avait protégé les femmes qui se trouvaient dans les maisons et qu'il n'avait pas tiré sur les soldats. La-dessus je lui ordonnai de panser immédiatement un des blessés qui gisaient dans la rue. II me répondit qu il ne possédait pas de pansement. Je lui dis d'aller chercher des pansements a la pharmacie située juste derrière moi et m'étonnais déja, de ce que, s'il était réellement médecin, il n'efit pas songé a ce moyen si simple de se tirer d'affaire. Trés occupé et ne pouvant observer moi-même eet homme plus ongtemps, je chargeai un caporal et un soldat d'accompagner le prétendu médecin et de le surveiller. Quelque temps après, le caporal vint me rapporter, qu'au moment d'entrer avec lui dans le corridor de la pharmacie, le médecin avait tout d'un coup couru dans la partie arrière de la maison et non dans le magasin de la pharmacie situé a la rue. Sur quoi, ils 1'avaient tire hors de la maison et fusillé. Dans une rue parallèle a la Meuse les balles de 1'infanterie franfaise ne pouvaient atteindre les Allemands. Cela est évident. II est évident aussi que des hommes pouvaient être tués ou blessés par les balles de shrapnels éclatant au-dessus d'eux. Cela explique, sans qu il soit nécessaire d'incriminer les habitants la présence de morts et de blessés gisant dans la rue. Qu'en pense le général Francke? Oü aurait-on déniché le franc-tireur au brassard? D'après le général Francke ce serait dans une maison située a environ trente pas derrière lui. Si 1'on en croit Söring il 1'aurait capturé dans une pharmacie et celle-ci se trouvait juste derrière le général , c est celui-ci qui nous 1'apprend. Existe-t-il donc deux Vérités ? Les particnlarités révélées par Söring a propos de eet hommen ont pas une apparence de sincérité bien convaincante: un brassard porté au bras droit, (celui qui tenait le revolver,) ce bras passé, pour tirer, dans 1'entrebaillement des volets, jusque bien au-dela du coude et exhibant ainsi le brassard! Les choses ne se passent pas ainsi dans la réalité. Observons que le général Francke ne trouve rien a redire a 1 exécution sommaire a laquelle le caporal et Ie soldat ont procédé. Anlage 18. La Malmaison, 9 Décembre 1914. Karl Hermann EINAX, 28 ans, tonnelier, gefreiter (caporal) a la llme compagnie du régiment d'infantene n i»^. Le Dimanche 23 Aout, vers deux heures de l'aPrès-midi quand nous entrames a Dinant on tira sur nous On constata oue les coups de feu provenaient de 1 autre rive de la Meuse. Nous pénétrames dans les maisons et les fouiUames. Je vis que d une maison dans laquelle des camarades avaient pene re un vieillard a cheveux gris et hérisses sortit et tna sur nous. Le major Lommatsch qui avait été blessé gnèvement est mort, 1'après-midi, de sa blessure. Sur interrogation, le témoin déclare : J'ai encore vu clairement que des lucarnes du toit d'une maison de la rue principale sortaient huit canons de ^ds qui tiraient sur nous. On tira aussi sur nous de la tour de Yeglise et'de caves. Tous ces tireurs ne pouvaient etre que des habitants Je me rappelle encore avec précision, que d'une maison d ou l'on avait tiré, huit hommes furent extraits, parmi lesquels le cure Qui Tortait un brassard de la Croix Rouge. Notre .cap.tame e baron von Gregory, pénétra lui-même dans a "!ais?npJ ^erg curé fut extrait. Le capitaine se trouve maintenant a Freiberg. Huit fusils dans une maison, huit hommes dans une autre, c'est beaucoup de part et d'autre. Mais, par un procédé peu nropice a éviter des exagérations et des inventions on insistait auprès du témoin qui avait eu la maladresse de declarer que les coups de feu tirés sur les Allemands provenaient de 1 autre rive de la Meuse. II fallait bien qu'il dise quelque chose de plus. II en a mis trop. . Ce vieillard, qui, expulsé de chez lui, arnve dans la rue et fait feu, est vraiment bien extraordinaire. On cherche en vain dans le Livre Blanc le témoignage du capitaine von Gregory. Anlage 13. Petit boïs, prés de la Ville aux Bois, 5 Février 1915. Hermann Walter SCHM1EDER, gefreiter (caporal) a la 10compagnie du régiment de fusillers n 1U». Sur la route de Sorinnes-Dinant, dans la partie de la ville de uTse trouve ,1c» de„S có,és .le la route se, p,odu.s, 1'incident suivant : j'ai vu que du premier elage d une maison a front de rue, des coups de pistolets fureut tires par deux civi/s de sexe masculin, sur le major Lommatsch, un commandant de bataillon du 16me régiment d'infanterie n° 182. Le major Lommatsch s'eftbndra immédiatement. Qui est coupable? les deux civils de sexe masculin, le vieillard a cheveux gris dont parle Einax (Anl. 18) ou les Francais au feu de qui le major Lommatsch était exposé sur cette route ? Anlage 14. Petit bois au Sud-Ouest de la Ville aux Bois, le 5 Février 1215. 1. Max Bruno HORN, 22 ans, ouvrier mécanicien, gefreiter (caporal) au régiment de fusiliers n° 108, 12me compagnie. L après-midi du 23 Aout, une section d'artillerie de campagne était en position a proximité de la tour d'eau prés du fort de Dinant. Soudain les artilleurs demandèrent du secours a 1'infanterie. Un détachement dont je faisais partie se rendit auprès d'eux. Les artilleurs faisaient feu de leurs pistolets sur une huitaine de civils armés de fusils. Lorsque les civils nous apersurent ils s'enfuirent le long de la pente vers Dinant. Je n'ai pas vü que les rnilitaires allemands aient commis des cruautés envers les civils de Dinant. 2. Johannes Walter MATTHES,. 28 ans, boucher, gefreiter (caporal) a la 12me compagnie du régiment de fusilier n° 108. Je confirme, dans tout son contenu, le témoignage du caporal Horn et n'ai rien a ajouter. L audace est grande de ces huits civils attaquant toute une section d'artillerie, mais plus grande encore leur folie de s'enfuir vers Dinant pour s'y rejeter dans la gueule du loup, alors que, de 1'endroit ou ils se trouvaient, s'ouvrait tout large devant eux le plateau d'Herbuchenne. Anlage 15. Petit bois au Sud-Ouest de la Ville aux Bois, le 5 Février 1915. Arthur Hugo KORNER, 21 ans, verrier, soldat a la llme compagnie du régiment de fusiliers n° 108. J appartenais a une patrouille de douze hommes commandée par les sous-lieutenants Gauser et Berger; elle avait pour mission d'arrêter, a Dinant, tous les civils faisant usage d'armes contre les Allemands. Nous observames d'un batiment en construction que des civils tiraient sur nous d'une maison. Nous cernames cette maison et, y pénétrant, nous y arrêtdmes dix civils, de sexe masculin. Tous avaient des armes d feu, maïs pas d insignes militaires. Deux d'entre eux étaient des jeunes gens de 18 ans environ. Un autre était un homme d'age, a cheveux olancs. Je ne sais rien de cruautés qui auraient été commises par des soldats allemands sur les habitants. Ce soldat ment au sujet des instructions données a la patrouille: emprisonner les habitants saisis les armes a la main. Assez de témoignages disent que les ordres étaient, en ce cas, de fusiller immédiatement. II n'y a pas a s'occuper de la dépo- sition d'un homme pris en délit de mensonge aussi flagrant. * * * Les tueries de Leffe furent effroyables. L'enquête allemande est impuissante a les justifier. Les victimes peuvent dormir en paix. Leur mémoire ne sera pas atteinte par les calomnies des bourreaux. CHAP1TRE XIII Récit d'un Religieux Frangaisr J'ai pris comme règle de baser la présente étude sur les pièces de 1'enquête allemande elle-même. A cette règle je veux faire exception pour le récit que 1'on va lire, non seulement paree qu'il n'a encore été publié nulle part, mais aussi a cause de 1'intérêt qu'il présente. II émane du Rme Abbé des Prémontrés a Leffe. Ce n'est ni de lui, ni d'un de ses religieux, que je le tiens. Ils seront vraisemblablement fort étonnés quand ils apprendront que cette pièce, dont je puis garantir 1'authenticité, est arrivée entre mes mains. Note sur Leffe et Dinant Un rapport complet sur les tristes événements qui se sont déroulés a Dinant, a la fin du mois d'Aoüt 1914 ne pourrait se faire qu'a la suite d'une enquête minutieuse auprès des personnes qui en ont été les témoins directs. Chacune raconterait ce qu'elle a vu, ce qu'elle a souffert elle même, dans son propre foyer ou dans la familie de ses proches. Pres^que toutes les families ont eu leur part de souffrances et de deuils, quelques unes comptent jusqu'a dix personnes fusillées. Les faits rapportés ici concernent spécialement la paroisse de Leffe. Ceux qui dépassent ses limites ne sont signalés que pour compléter ou éclairer le récit. Leffe est une des trois paroisses de Dinant. Elle comptait au 22 Aoüt, a peu prés 13 a 1.400 habitants. Leffe est une banlieue de Dinant, en aval de la Meuse, rive droite du fleuve. Dinant fut le théatre d'un combat, le 15 Aoüt. Les Allemands furent repoussés par les Francais. Dans la nuit du 21 au 22 les Allemands descendirent, a la faveur des ténèbres, par la rue St-Jacques et incendièrent une quinzaine de maisons, tuèrent et blessèrent plusieurs personnes surprises dans leurs demeures^ou fuyant 1'incendie. Le dimanche 23 Aoüt, 1'attaque des bords de la Meuse fut générale et simultanée sur une longueur de 30 kilomètres a peu prés. Dinant fut envahie de tous cötés a la fois, vers 6 1/2 heures du matin. Le massacre des civils commenga aussitót et fut poursuivi pendant 48 heures avec une méthode qui prouve la prémé- ditation calculée et, d'ailleurs, avoüêe. Le sort de Dinant êtait décidé d'avance. En volei la preuve: le colonel du 179me saxon avait dit deux jours avant a M. le Curé de... (1) qu il ne resterait pas pierre sur pierre de la ville. Les officiers logeant dans les villages de Lisogne, Durnal, Loyers et Awagne avaient averti leurs hötes que tous les hommes de Dinant seraient fusillés. Le 23, pendant la bataille, un soldat plus humain, prit sous sa garde un groupe de 20 femmes, les conduisit lui-même au dela du Rocher Bayard et leur dit : Fuyez loin, loin paree que Dinant est a feu et a sang 1 Aux survivants, qui se lamentaient sur les ruines de leurs maisons ou sur la mort de leurs parents plusieurs, officiers ont répété, après le 24, " Ne vous plaignez pas ! nous n'avons pas fait le quartjie ce qui nous avait été commandé !„ Dès 6 heures du matin, le quartier des Fonds de Leffe avait été envahi par les soldats. Ils commencèrent par arracher de leurs maisons les families Jaquet, Verhulst, Grandjean, Mijotte, etc... Ils accusaient les hommes d'avoir tiré sur leurs troupes — ce qui était absolument faux. Ils les amenèrent jusqu'a la scierie Ravet et les fusillèrent sans jugement, devant leurs femmes et leurs enfants terrorisés. La familie Nepper perdit la 6 hommes dont un fils de 16 ans a peine. A mesure que les soldats avangaient dans la rue, ils brisèrent les portes et les fenêtres a coups de hache, tiraient a bout portant sur les hommes, les tuaient devant leurs femmes et leurs enfants malgré les cris, les larmes et les supplications de la familie. Plusieurs hommes des Fonds de Leffe essayèrent de fuir par la rue ou les jardins et furent fusillés pendant leur fuite. Le mardi, 25, on put en compter une dizaine qui gisaient, morts, dans la rue. Quelques uns, 5 a 6, réussirent a se cacher soit dans les buissons du ruisseau, soit dans 1 eau et passèrent plusieurs jours, blottis dans leurs cachettes, sans aucune nourriture. L'eau du ruisseau soutint seule leurs forces épuisées. Pendant que les hommes étaient pourchassés et fusillés, les femmes et les enfants des Fonds de Leffe étaient poussés vers 1'enclos Mijotte-Ravet, vers celui de Laprée, obligés de tenir les bras levés, bousculés et frappés lorsqu'ils ne marchaient pas assez vite, au gré des soldats. Mlle. Mandoux a vu un officier saisir par les cheveux une jeune fille dont le père venait d'être fusillé sous ses yeux et la póusser brutalement vers 1'Abbaye. Un autre soldat saisit a bras le corps Mme Charlier et la jeta si violemment en bas de 1'escalier, dans la rue, qu'elle eut une séneuse luxation des poignets. Elle avait voulu secounr sa belle-mere (1) On comprendra facilement pourquoi je supprime le nom de la localité oü ce prêtre exerce son ministère. qui venait de tomber mortellement atteinte d'un coup de feu a bout portant, puis relever sa fille de dix-sept ans frappée ellemême d'une balie a la jambe droite. La mère et Ia fille séparées pendant plusieurs heures d'angoisse se retrouvèrent a 1'ambulance de 1'Abbaye. La fiile est estropiée pour la vie. Le grandpère et le père furent tués le 24 au soir devant 1'Abbaye, laissant quatre orphelins. Le cas de la familie Fondair, des Fonds de Leffe, est particulièrement atroce. Elle était composée du père de la mère et de cinq enfants. La mère allait donner le jour a un sixième quelques semaines après. Les soldats poussèrent toute la familie dans le ruisseau après avoir fi>sillé le père et les deux fils. La petite fille de trois ans avait été arrachée des bras de son père par un soldat qui la jeta a 1'eau, La mère parvint a la retirer au moment oü elle se noyait, et, a force de supplications, elle put sortir elle-même du ruisseau mais pour être entrainée jusqu'a 1'Abbaye avec les deux jeunes enfants qui lui restaient. La jeune fille, en effet, en voulant fuir, regut une balie mortelle. Qn a trouvé son cadavre mutilé dans Ta cave de sa maison brulée. La pauvre enfant avait dix-sept ans. Dans ce même quartier, la familie Godinne perdit dix de ses membres. Le plus jeune des fils n'avait que seize ans. Epargné d'abord, grace a 1'intervention d'un officier blessé, il fut arraché des bras de sa mère par un autre chef et conduit a la fusillade, au mur de Ravet. Sa mère 1'encourageait: " Courage, mon fils, confiez-vqus a Dieu ! nous nous retrouverons au ciel! ! !„ et lui se tournant une dernière fois vers sa mère, lui cria: " Oui, maman, au revoir, au ciel! „ II tomba, foudroyé par une balie, prés des corps de son père de son frère et de ses autres parents. C'est la encore qu'un pauvre aveugle fut fusillé. II se nommait Pirt (1). Son fils, déja blessé le 15 Aoüt, fut tué a cöté de son père. Ce coin de Leffe compta nonante victimes, et dans ce nombre il eut plusieurs adolescents de seize ans a peine. A 1'enclos Laprée, les femmes, veuves déja et mères d'orphelins, furent entassées dans des locaux trop étroits oü, serrées les unes contre les autres, elles durent rester debout pendant quarant-huit heures. A chaque instant des soldats venaient les terroriser en leur annongant qu'on allait les fusiller comme les hommes, les bruler vives sur place. Au soir, on les ligotte les mains derrière le dos et les enfants eux-mêmes furent liés au bras de leurs mères. (1! Ce nom ne figure pas parmi ceux qu a publiés la Coinmission beige d'Enquête. Peut être est-il mal orthographié ici et faut-il lire Piret. Deux victimes de ce nom qui figurent dans la liste des morts jointe au rapport de la Commission d'Enquête. Peut être aussi s'agit-ii d'un nom omis dans cette liste qui nest pas compléte. Des observations semblables s'appliquent a d'autres noms cités dans ce récit. La copie que j'en possède est défectueuse. Vers les sept heures du matin, les soldats arrivèrent sur la place de 1'Abbaye et furent plus exposés au feu des Francais postés sur les hauteurs de la rive gauche. La fusillade sembla les rendre plus furieux. Toutes les maisons furent ouvertes a coups de hache. Les victimes se multiplièrent rapidement dans la rue. L'ouvrier Hennion fut tué sous les yeux de sa vieille mère, agée de 82 ans. Pendant ce temps, la rue du Moulin et la rue Longue étaient envahies a leur tour. Dans la première maison, M. Poncelet, industriel, fut tué a bout portant, d'un coup de revolver, par un officier. Se voyant visé, il avait dit: " Vous n'allez pas, j'espère, tuer un père de familie de sept enfants?,, II fut abattu de suite a 1'endroit du salon, aux pieds de sa femme et sous les yeux de ses sept enfants. L^ainé avait onze ans, et le plus jeune, un an et demi. Madame Poncelet fut jetée dehors, trainant avec elle tous ses enfants, sauf une nllette, ramenée 24 heures après, a 1'Abbaye. Lorsque, cinq jours après, madame Poncelet sortit de 1 Abbaye oü elle était prisonnière et rentra chez elle, le corps de son mari gisait encore a la même place. Les soldats après avoir comme partout, saccagé et brisé tous les meubles, avaient bu et avaient tait de la musique au piano, prés du cadavre. Les traces de 1'orgie ne permettaient pas d'en douter. Dans cette même rue, deux autres hommes furent ainsi tués. L'un d'eux, M. Naus, chef mécanicien de 1'usine, fut fusillé devant sa femme. A son retour de 1'Abbaye, celle-ci trouva le corps de son mari coupé en deux. Les autres hommes, une quarantaine, furent amenés avec leurs families, les bras levés jusqu a 1 Abbaye. Tous les habitants du quartier furent ainsi jetés hors de leurs maisons, conduits dans le cloïtre qui, vers 9 heures, abritait deja prés de 300 personnes affolées. Elles arrivaient par groupes, les bras levés, poussées par les soldats, avec les malades soutenus ou portés. Des femmes blessées, des mères avec leurs nourrissons, d'autres trainant ou portant leurs enfants, arrivaient en criant, les yeux égarés, grandis par 1'efïroi, les cheveux en desordre, souvent a peine vêtues, se lamentant ou hébétées par la terreur. Ces scènes se renouvelaient a chaque instant. C'était dimanche. Monsieur le curé était aumónier a 1 arinée. Le Père Joseph, vicaire, n'avaitpas dit la première messe a la paroisse. II la dit a 1'Abbaye, vers 9 heures. Tous les prisonniers y assistèrent. La mitraille et la canonnade faisaient rage au-dessus du monastère; on priait avec ferveur. Presque tous les hommes qui allaient mourir une heure après, communièrent, grace a une henreuse inspiration du P. Joseph. II leur dit (sans peut-etre croire parler si juste) que la mort était menagante et qu en pared danger la communion en viatique pouvait leur être accordee. Hélas! la mort était a la porte de 1'Abbaye et attendait ses victimes. Un officier vint, en effet, dans le cloitre et donna 1'ordre de rassembler tous les hommes. Les religieux, persuades qu il s agissait d'un appel, d'un controle quelconque ou d'avis a recevoir, recner- chèrent tous les hommes dispersés dans la maison et les engagèrent ase grouper prés de 1'officier. Plusieurs demandèrent avec anxiété ce qu'on allait faire d'eux. L'officier tenait son revolver de la main gauche. II était entouré de soldats, bayonnette au canon. II demanda si tous les hommes étaient bien la. On lui répondit 'qu'on les avait tous recherchés. II dit, alors: " Levez les bras! n'ayez pas peur! on ne vous fera pas de mal ! Sortez! „ Tous les hommes défïlèrent en masse devant lui. II sortit le dernier en fermant la porte. Une minute se passé, le temps de faire 25 ou 30 pas. Un cri d'effroi s'élève, domine le bruit de la rue. II est poussé par ces 45 hommes, et, ,ea même temps, des coups de fusils retentissent en feu de peloton, simultanés. C'est fait. Tous ces hommes sont tués, sur la place de 1'Abbaye, en face du mur blanc de la maison Servais. Le P. Prieur, comprenant ce qui vient de se passer, regarde par une fenêtre et voit tous ces hommes étendus, morts, la face contre terre, les bras en avant, pèle-mèle, les uns sur les autres. Tous avaient été frappés par derrière, a la hauteur de la poitrine ou a la tête. On peut voir encore après neuf mois, des traces de sang et de matière cérébrale sur le mur Servais. Pendant toute la journée des groupes de 2, 3, 5 hommes furent amenés la, sur cette place, a mesure qu'on les découvrait dans les caves, les greniers et autres cachettes. Ils étaient fusillés sur les autres morts. Ainsi moururent Rifflard, Mandaux, Fondar, Lissoir agé de 70 ans, Piette agé de 75 ans, que sa femme vit fusiller. Ce dernier comptait déja 6 de ses enfants et parents parmi les morts. Les tueries dans les maisons continuaient cependant. Devant le collége, prés du gazomètre, les soldats pénètrent chez LionLepas. La femme vient au devant. Elle tombe blessée gravement au poumon. Le mari tombe a son tour mortellement atteint. La vieille mère veut les secourir. Elle est tuée. Le grand-père malade était dans un fauteuil a la cave. II est fusillé sur place. Le plus jeune fils, couché sur un matelas, est protégé par le corps de ses parents qui ont pu se trainer jusqu'a lui. II échappa ainsi a la mort bien que les soldats aient encore tiré dans le tas. Seul, le siège sur lequel la mère s'appuyait fut atteint et brisé. Vers 5 heures du soir, arrivé, devant 1'Abbaye, un groupe nombreux de femmes, d'enfants et d'hommes, prés de 80 en tout. En tête marchent M. Himmer, directeur de la fabrique et sa fille qui porte un drapeau blanc: un mouchoir au bout d'un baton. M. Himmer directeur de la fabrique et vice consul de 1'Argentine est au premier rang. Son petit-fils André, enfant de 11 ans, le tient par la main. Les hommes sont tous des employés de la fabrique. Ils s'y étaient réfugiés et y avaient passé la nuit et la journée. Ils durent sortir, vers 5 heures et furent amenés par les soldats vers 1'Abbaye, tous ensemble. M. Himmer a fait connaitre ses titres, offert de 1'argent et supplié l'officier d epargner la vie de ces pauvres gens. Rien n'y fait. L'offi- cier aurait dit, suivant le témoignage de la dame B. . . , . ; " Ce n'est pas de 1'argent qu'il nous faut, c'est da sang! „ Quand le cortège arrivé devant 1'Abbaye, les femmes sont poussées dans le cloïtre et les hommes, sur la gauche, prés du monceau de cadavres. Ils poussent des cris de terreur et sont aussitót fusillés a bout portant. Une des dernières victimes de la journée fut M. Octave Prignon, receveur municipal. Trés pieux, il amenait tous les jours ses deux jeunes enfants devant la Vierge du portail de 1'Abbaye et leur faisait réciter un AVE MARIA. Et c'est devant cette Vierge qu'il regut la balie mortelle, a genoux, les yeux et les bras levés vers la Sainte image! Le jour baisse. Les femmes de tous ces hommes fusillés dans la journée ignorent presque toutes le sort de leur mari. Elles vivent dans une angoisse d'autant plus cruelle qu'elles apprennent par des compagnes qui, elles, ont vu tomber leurs époux sous les balles, tout ce qu'elTes avaient a redouter pour les leurs. Leurs pensées flottaient douloureusement entre la crainte et 1'espérance. La nuit fut pour elles une longue agonie. C'est dans eet état d'ame que, le matin du 24, un officier leur donna 1'ordre, sous menace d'être fusillées, de crier dans la cour : " Vive 1'Allemagne! „ Un autre les fit mettre a genoux pour crier: Vive le Kaiser! La peur pour elle-mémes et peut-être 1'espoir de sauver leurs maris absents les fit obéir! et 1'on entendit ce cri de vie et de triomphe a cöté de plus de 100 cadavres 1 Un autre chef, officier de chasseurs saxons, impatienté par les cris des enfants, pleurant de peur et de faim, s écrie dans 1'atrium du réfectoire : " Si j'entends encore pleurer ces enfants, je tire sur vous toutes, dans le tas! „ La nuit n'avait pas arrêté les meurtres. Eclairés par des lampes électriques et aidés de chiens dressés, les soldats avaient fouillé tous les recoins des maisons, les buissons de la montagne, traqué tous les survivants. Les hommes trouvés étaient impitoyablement fusillés, ou sur place ou par groupes, devant 1'Abbaye et ailleurs. Les femmes et les enfants étaient conduits au couvent ou a 1'église de Leffe. On tire dans les caves, par des soupiraux. Plusieurs personnes furent ainsi tuées dans la rue St Pierre et devant Bouvignes. Ainsi moururent Fièvet, vieillard perclus, marchant avec des béquilles, Alexandre Pirson. Dans les caves de M. MoninShequet une quarantaine d'hommes furent tués de cette maniere. Un d'eux était simplement évanoui. Les soldats le ranimèrent et le fusillérent ensuite. L'incendie avait été allumé dés 8 h. du matin, un peu partout dans la ville. Pendant la nuit de dimanche a lundi les flammes facilitaient de leurs sinistres lueurs, la poursuite de ce qui restait d'habitants. Ceux qui dans cette journée et dans cette nuit ont échappé au massacre doivent leur salut a une protection divine d'abord, puis aussi aux soins qu'ils ont mis a se serrer dans des cachettes profondes. Le salut de quelques-uns a été attribué a 1'humanité de quelques soldats isolés qui répugnaient a exécuter des ordres barbares. Ces soldats firent fuir ou cacher certaines personnes. On en cite même un qui, aux Rivages, monta la garde devant une porte pour préserver, un vieillard et le sauver de la mort. Ces faits méritent d'être signalés, mais ils démontrent une fois de plus que 1'ordre de fusiller tous les hommes avait été vraiment donné. A Leffe, la fusillade des civils prit fin, le lundi soir, vers 4 heures. Les dernières victimes furent tuées dans le jardin de M. 1'avocat Adam. Le chiffre total a Leffe s'élève a 255. L'incendie dura jusqu'au jeudi et le pillage commencé le dimanche matin, fut sans fin. Le clergé et les communautés ont également souffert du feu. Ont été brulés: la collégiale, les églises St Pierre et St Nicolas, le grand collége de Bellevue, les couvents de NotreDame et de la Nativité. Celui des Dominicaines est criblé d'obus et la chapelle est en ruines. Dans tout le diocèse de Namur, le clergé et les communautés ont eu plus ou moins a souffrir pendant ces terribles journées. Ceux de Dinant ont eu une part de choix. En voici la raison. Elle fut donnée par le capitaine allemand qui, le dimanche soir, arrêta sur la hauteur, un groupe de professeurs de Bellevue et quelques religieuses employées au collége (1). Le professeur d'Allemand, M. 1'abbé Hames, demanda a eet officier pourquoi 1'armée traitait ainsi le clergé. " C'est trés simple, dit 1'officier. Le peuple beige est proTondément catholique. Les prêtres ont tout pouvoir sur lui. Tout ce que fait le peuple est donc imputable au clergé. Or, le peuple nous résiste, il tire sur nous, c'est donc le clergé qui est responsable et c'est lui que nous devons chatier. „ M. 1'abbé eut beau combattre ce raisonnement; protester contre les faits allégués. II n'arriva pas a convaincre 1'officier et il fut conduit en prison avec ses confrères et les .religieuses. C'était presque une faveur, puisque tant d'autres prêtres furent fusillés paree qu'ils étaient prêtres et responsables par la-même de la " résistance nationale ! „ A ce jour, Ie 14 mai 1915, Ia même mentalité règne dans 1'armée occupante. Ces jours derniers, M. le curé d'Hastière a été cité. On lui a dit qu'il était logiquement responsable d'une bagarre entre civils et soldats arrivée dans le pays. L'Abbaye de Leffe a eu sa large part d'épreuves. Menacée a plusieurs reprises d'être incendiée, elle fut cependant épargnée, d'abord par suite du versement d'une forte rangon, puis et sur- (1) Elles y étaient chargées du soin de la lingerie et de 1'infirrnerie. tout paree qu'elle servit de prison pour une grande partie de la population de Dinant. On estime a plus de 1500 les personnes qui y furent internées du dimanche au jeudi. Toutes les religieuses de la ville, prés de 80, chassées de leurs maisons par le feu et les soldats, vinrent grossir le nombre des prisonniers et partager les terreurs, les dangers et les privations de ces malheureuses. La chapelle servit de prison pour les hommes après la cessation des fusillades. Toutes les provisions étaient épuisées depuis le dimanche matin. Les prisonniers arrachaient ce qui restait de légumes au jardin et les mangèrent crus. Les enfants criaient la faim et on ne trouvait rien a leur donner. Les religieux de 1'Abbaye furent les témoins attristés et impuissants de toutes ces détresses, pendant 24 heures seulement. Le calvaire avait déja commencé pour eux. Voici les faits. Le dimanche après 1'exécution du premier groupe d'hommes, pendant que la cour était occupée par des soldats, un enfant de 13 a 14 ans, portant le costume de boy-scout allemand, arrivé de dehors et crie : " On tire des fenêtres de 1 Abbaye sur les soldats !!! „ C etait un ignoble mensonge. Tout le monde était blotti dans les caves, car la mitraille se croisait au dessus de la maison. Mais il fallait, ici comme tout le long de la route, un prétexte pour justifier les moyens de terrorisation. Le prétexte a été partout le même : on a tiré, vous avez tiré! vous serez fusillés.. L'affirmation du boy-scout a suffi pour exciter la colére des officiers et des soldats. Les protestations du RI11L Père Abbé et de tous les religieux n'avaient, devant le mensonge d un enfant, qui récitait une legon apprise et répétée depuis 15 jours, aucune valeur. A partir de ce moment, 1'Abbaye fut considérée comme un repaire de francs-tireurs. Vous serez tous fusillés! ce fut la menace habituelle, mais au auparavant il faut être dépouillés. Vers midi, un officier du 178e saxon se présente au R Abbé et lui dit : " Vous allez verser soixante mille francs pour avoir tiré sur nos troupes. Si dans 2 heures la somme nest pas versée le feu sera mis a votre maison.,, Le Rme proteste en vain de 1'innocence de tous. L'officier maintient ses dires et ses exigences. Le Rme supplie alors et demande au moins la réduction d une pareille somme, impossible a trouver, soit dans la maison, soit au dehors. L'officier consent enfin a en référer au chef qui a envoyé. II revient au bout d'un moment et annonce qu on se contentera de 15.000 francs, qu'il reviendra a trois heures precises et que, faute de versement, 1'incendie de la maison aurait lieu de suite. II fallait bien se résigner devant ces menaces. Les femmes prisonnières furent mises au courant de la situation menagante pour tous. Elle se cotisèrent pour arriver a partaire la somme que la caisse de 1'Abbaye était incapable de fournir. On arriva péniblement a réunir ces 15.000 francs. A 1'heure dite, 1'officier revient chez le Rme. II est accompagné cette fois de gardes, bayonnette au canon, d'autres chefs, revolver au poing. Lui-même braque son revolver sur le Rme puis le dépose sur le bureau, a sa portée, se dégante et compte, pièce par pièce les 15.000 francs étalés sur la table. Le chef met le tout dans ses poches, tout en protestant qu'il ne veut pas accepter d'argent ecclésiastique — c'est son terme —. Le Rme lui fait observer que tout eet argent est vraiment et uniquement ecclésiastique. L'officier ne rêpond pas. II donne un re^u en allemand, écrit d'avance, et s'en va, revolver en main. On pouvait, semblet-il, croire que cette dure rangon écarterait toute nouvelle vexation. L'officier 1'avait fait espérer. La nuit vint, éclairée par les flammes des incendies. Le jour parut pour voir continuer les meurtres, les pillages. le feu, etc., comme il a été dit plus haut. Cette journée devait nous apporter de plus lourdes épreuves. Vers les 9 heures un groupe de nouveaux soldats fait irruption dans le cloïtre. Ce sont des chasseurs saxons. L'officier qui les commande aborde le Rme, braque sur lui son revolver et lui annonce qu'il est prisonnier. II prétend que la maison est un refuge de francs-tireurs, qu'il va perquisitionner partout et que si on trouve un civil ou une arme quelconqué, nous serons tous fusillés. Aussitöt les soldats, armés de haches se répandent de la cave au grenier, hachent les portes, brisent les armoires, bouleversent tous les meubles et fouillent même a coups de bayonnettes la paillasse d'un religieux paralysé par un rhumatisme et déja atteint d'une hydropisie qui amena la mort, trois mois après. Ils finirent par trouver, dans une table de nuit, un vieux pistolet rongé par Ia rouille. Personne dans la maison ne connaissait la présence de cette arme. Elle se trouvait la depuis au moins 10 ans et ne pouvait servir a rien. A la sacristie, ils découvrirent la hallebarde du suisse. Le crime était prouvé — on avait tiré, on avait tué des soldats avec ces armes. Une preuve plus grave encore de la culpabilité des religieux fut découverte au grenier. La, sous un amas de ferrailles et d'ustensiles hors d'usage, gisait une vieille lampe formée de 1'enveloppe d'un obus de 1870. Elle portait encore le bac pour la mèche a huile, mais surtout une couche de peinture aux trois couleurs frangaises, a peine visibles. Plus encore que la hallebarde et le pistolet, cette lampe devint un corps de délit qui méritait la mort Au grenier même, le P. Prieur fut mis en joue par ceux qui avaient trouvé la lampe. A un signal donné par l'officier, tous les religieux furent amenés dans le préau. Les soldats furent disposés, en face, a 20 mètres, sur deux lignes, le fusil en arrêt. Notre dernière heure semblait arrivée. On se donna mutuellement 1'absolution et 1'accolade d'adieu. On s'encourageait au sacrifice. L'attente dura bien un quart d'heure. Autour de nous les prisonnières se lamentaient et pleuraient sur notre sort. Pendant ce temps des officiers semblaient se consulter entr'eux. Un ordre bref est donné aux soldats qui nous font face. lis se mettent en marche vers la porte d'entrée et on nous ordonne de les suivre. Allons-nous être fusillés sur les 140 cadavres gisant déja devant 1'Abbaye ? Non, la colonne tourna a gauche. Nous la suivons a travers les rues encombrées de chariots, de cavaliers et de fantassins. Cette marche de 500 m.ètres dura bien 20 minutes. Les insultes, les menaces et les coups des soldats rencontrés nous escortèrent jusqu'a 1'école régimentaire. Le triste cortège comprenait tous les religieux présents a 1'Abbaye. Les infirmes, un père paralysé,_un frère de 87 ans suivaient, soutenus par leurs confrères. Le Rme Père Abbé, agé de 72 ans, ouvrait la marche, avec le Prieur et le Sous-Prieur. En arrivant, nous fümes poussés dans la salie oü 'déja beaucoup de civils se trouvaient entassés. Les forces sont épuisées par les privations et les émotions déja éprouvées, autant que par les angoisses d'un sombre avenir. Trois de nos confrères manquaient, et leur absence nous donnait les plus vives inquiétudes. Eux aussi avaient été massacrés. L'oblat Célestin Bon, agé de 72 ans, portier au monastère, avait été fusillé dès le dimanche matin. Un chef 1'avait d'abord mis de cöté, a cause de son age. Un autre chef 1'avait poussé au lieu d'exécution. Les deux autres religieux avaient voulu fuir le danger de la mitraille et du feu en se cachant dans le canal couvert de la Leffe. Les soldats les y poursuivirent et les massacrèrent. Le frère Nicolas Perreu prêtre de 40 ans, portait sur la tête un violent coup de crosse et plusieurs balles dans le corps. Leurs cadavres jetés a la rivière vinrent échouer, 1'un a 5 kilomètres, 1'autre a 8 plus bas, dans la Meuse, et furent retirés et enterrés par des personnes charitables, sur les bords du fleuve. On les vit pendant plusieurs jours, a Dinant, flotter sur 1 eau avec toute sorte d'épaves et de cadavres d'animaux. Nous venions de nous installer a peine dans la salie de notre prison lorsque un officier vint a la porte et désigna du doigt trois des nótres pour les conduire dans la cour. On se demande ce qui va leur arriver. On les conduit dans le jardin de M. Adam, avocat, après les avoir fait circuler dans 1'eau du canal et dans differentes maisons. On en dépouille deux de leurs vêtements : le P. Marcel, 60 ans et le F. Auguste, du même age et on les aligne avec un groupe qui va être fusillé la. Le troisième, le F. Eugène qui sait un peu d'allemand proteste, se débat et finit par convaincre 1'officier de leur innocence pendant que les soldats réclament leurs têtes. On les ramène a la prison après leur avoir rendu leurs habits et gardé leurs montres, leurs chapelets et même leurs lunettes... Pendant leur absence nous commencions a être 1'objet des insultes et des menaces des soldats qui venaient a la porte et aux fenêtres nous montrer le poing, diriger contre nous le canon de leur fusil ou le fer de leur baïonnette. Ils nous annon^aient qu'on allait bientót nous pendre, nous étrangler, nous fusiller, etc.. Les chefs eux-mêmes s'abaissaient au röle d'insulteurs. Un officier vint dans la salie, suivi d'autres chefs. II fit lever tout le monde et, la pipe a la bouche, les yeux terribles, interpelle le Rrae Père Abbé et lui fit ce discours : " Misérables serviteurs de Dieu, vous êtes des hypocrites qui trompez le peuple. Vous avez prêché la guerre en France et ici. Vous êtes responsables de tous les morts qui jonchent les routes dc leurs cadavres. Vous allez être tous fusillés pour vos crimes. Tous ces civils sont les victimes de vos mensonges. Ils souffrent a cause de vous. Vous êtes responsables de leurs maux. „ Un frère des Ecoles essaya de protester, 1'officier lui imposa silence d'un ton plus violent encore. Pour 1'honneur de la Religion le R'ne rédigea au crayon une protestation trés ferme et digne contre ces ignobles accusations et 1'envoya au commandant de la prison. II n'eut pas, naturellement, de réponse et les avanies continuèrent. Siiit le récit de la détention a Dinant des P. Prémontrés, du voyage infiniment douloureux que, avec d'autres ecclésiastiques et de nombreux laïques on leur fit effectuer, a pied, jusque Marche. Au cours de ce calvaire les injures, les outrages de toutes sortes, les mauvais traitements et tnqrne les coups ne leur furent pas êpargnés. A Marche, les prêtres et religieux-furent internés au couvent des Carmes. Ils y étaient prisonniers sur parole. Monseigneur 1'évêque de Namur, mis au courant de notre captivité, intervint auprés des autorités supérieures allemandes et protesta énergiquement contre les traitements infligés a 34 de ses fils spirituels. II en résulta une enquête. Un officier vint a Marche, interrogea cinq des prisonniers et fit eet aveu vraiment étonnant qu'on ne savait pas pourquoi nous étions prisonniers, par suite de 1'absence de tout procés-verbal concernant les faits accomplis a Dinant les 23 et 24 Aoüt. Les officiers qui ont opéré a Dinant, ajouta-t-il, n'ont laissé aucune pièce réglementaire! Quel aveu!!! Quelques jours après 1'enquête, le général von Longchamp, accompagné de trois «officiers vint nous dire que notre parfaite innocence avait été pleinement reconnue et qu'on regrettait les mauvais traitements qu'on nous avait infligés. II nous déclara libres et nous permit de revenir a Dinant. Avant de jouir de cette liberté, il fallut se rendre compte de 1'état de 1'Abbaye qui, depuis un mois était livrée, nous disait-on, au pillage. La majeure partie de la communauté fut dirigée sur Chevetogne oü les R. P. Rénédictins nous offrirent une généreuse hospitalité. Le Rme et deux Pères revinrent a Leffe et constatèrent toute 1'étendue du désastre. Tout avait été pillé, saccagé. Le tabernacle fracturé et arraché de 1'autel gisait dans la cour, avec le ciboire bosselé a cöté. C'était 1'oeuvre de soldats profanateurs. Les vases sacrés les plus précieux avaient été brülés dans la fabrique de Leffe oü M. Himmer les avait cachés sous les^ laines. Ceux qui étaient encore a 1'Abbaye le 23 Aoüt avaient ete ou enlevés ou profanés. Les reliques ont été arrachées des médaillons, jetées a terre. Les croix pectorales, les anneaux épiscopaux ont dispara. Ces derniers ont été pris, dans le bureau du Rmt par un officier, en présence de M. Ch... , , Les linges sacrés et beaucoup d'ornements sacerdotaux ont ete déchirés, privés de leurs orfrois, piétinés et surtout couverts d ordures. Certains ornements ont été retrouvés, abandonnés par les soldats qui s,'en étaient emparés, dans les greniers et les caves de la ville. Une des plus riches dalmatiques a été laissée a Mariembourg, a 30 kilom. de Dinant. On vit un soldat portant sur sa tête la couronne d'or de la Statue de Saint-Joseph.^ Cette profanation eut le don d'exciter le rire des officiers témoins du fait. Du vestiaire, il n'est rien resté. Tout a été emporté. Trois jours avant notre retour des soldats étaient venus enlever les quelques costumes religieux que leurs camarades avaient laissés et 1'on a vu se promener en ville, sur la place de Meuse et même en automobile, des soldats et des chefs affublés de nos soutanes blanches. Les rochets en dentelle ont été déchirés on donnés a des femmes. Les amicts servaient de tabliers aux soldats cuisiniers. Les ustensiles de la cuisine et le fourneau lui-même ont été emportés. Nos protestations et réclamations n'ont abouti a rien. Le Gouverneur de Namur a promis certaines restitutions, celle des costumes en particulier. Les soldats de Dinant ont refuse de les rendre. Par contre, 1'autorité supérieure de Namur nous a fait remettre le 29 décembre, un certifïcat qui est a la fois la reconnaissance de notre innocence et 1'aveu solennel de 1 injustice de tous les mauvais traitements qu'on nous a fait subir. En voici la traduction: Namur, le 29 décembre, 1914. II est certifié par la présente aux religieux de 1'Ordre Nobertin de 1'Abbaye de Leffe,- ci-dessous nommés, que leur conduite a 1'égard de nos troupes, au commencement de la guerre, a été tout a fait irréprochable et qu'une suspicion qui avait surgi précédemment a été prouvée non fondée. II est, au contraire, établi que quelques uns d'entre eux ont rendu plus d une fois des services précieux aux blessés allemands. N Namur, le 29 décembre 1914. Le Gouverneur militaire : (s.) VON LONGCHAMP, Général-major. Suivent les noms des religieux. Ce document est la reconnaissance officielle et tardive, non seulement de 1'innocence des religieux de Leffe, mais encore de leur dévouement mis au service des troupes et des blessés. II contient 1'aveu et la condamnation des injustices commises envers 1'Abbaye. II constate qu'elles ont été gratuites, injustifiées et donc criminelles. 11 ne les répare pas. Les morts restent couchés dans leurs tombes et les ruines s'étalent au grand jour. Un certificat identique aurait du être délivré a toutes les families de Leffe. Elles étaient toutes inoffensives et innocentes. Elles ont souffert autant, et certaines, plus que 1'Abbaye. Elles pleurept leurs morts et attendent tout de la justice divine: la consolation de leur douleur, la récompense de leurs sacrifices et le chatiment de 1'injustice. CHAPITRE XIV. Le centre de la Ville et le Faubourg St Paul. Dans la partie de la ville située entre la Grand Place et la rue du Tribunal, les Allemands n'ont pas pénétré le 23 Aoüt. Le lendemain ils en arrêtaient les habitants, pillaient et incendiaient les maisons. , , Les documents réunis dans ce chapitre ont trait aux evene- ments qui se déroulèrent dans le quartier compris entre la rue du Tribunal et le faubourg St Paul inclusivement. Le lieutenant-colonel comte Kielmannsegg semble avoir eu le commandement des troupes qui ont opéré dans ces parages. Anlage 7. Willms-baracken, le 6 Janvier 1915. Comte KIELMANNSEGG, lieutenant-cclonel au régiment de grenadiers du roi n° 100, (Liebregiment) et commandant du I bataillon. Le 23 Aoüt 1914 vers huit heures du matin la ville ^Dinant fut attaquée et occupéev par la 3™ compagnie du Ier bataillón du du lcr régiment du roi n° 100. La présence de troupes ennemies sur la rive droite de la Meuse ne fut pas constatee. Des maisons de la ville par contre, des gens, en costume^ cwil et sans insigne, militaires, tirèrent sur nos troupes. C'est ainsi que le capitain Legler, de la compagnie du roi qui, le premier, penetra la ville,.fut grièvement blessé (1). A chaque compagnie fut assignée une partie de la ville pour y perquisitionner et pour la nettoyer Les ordres etaient dam ener d la firison les civils bour autant quiIs n offrissentpas de resistance. S'ils résistaient, on devait immediatement faire usage des armes. L'habitant de la maison d ou partit:1e coup qui blessa le canitaine Legler a été fusillé par mon ordre. De nulle part il ne m'est revenu que mes ordres avaient ete transgresses. Les patrouilles de perquisition étaient dirigées par des chefs designes ï eet effet par les compagnies. Plusieurs centames d habitants furent conduits et gardés a la firison. Avant de quitter la ville, dans laquelle, depuis environ 8 heures du matin jusque env.ron (1) L'apergu général rédigé par Ia Commission d'enquête de Berlin, cite le nom d'un officier qui aurait été tué par les francs-tireurs dans cette partie de la vile : le lieutenant Treusch von Buttlar. Ancune déposition ny fait allus.on. 8 heures du soir, les trois compagnies furent continuellement engagées dans des combats de rues et de maisons, subissant des pertes notables, je fis, en exécution d'un ordre supérieur, fusiller etiviron 100 habitants coupables, de sexe masculin. Nos propres blessés, de même que les habitants blessés — ces derniers atteints surtout par le feu ennemi partant de la rive gauche de la Meuse — furent fiansés et soignés, dans une maison aménagée a eet effet, par 1'oberarzt Dr Merx, médecin au IIme bataillon du régiment du roi n° 100. Tant vaut le témoin, tant vaut la déposition. Jugeons, d'après ses actes, le lieutenant-colonel, comte Kielmannsegg. Les troupes placées sous son commandement ont, sur son ordre ou du moins avec la complicité de sa tolérance, aligné le long de la Meuse des civils, hommes, femmes et enfants, pour se préserver du feu des troupes fran^aises. Le procédé a été employé a deux endroits différents: au faubourg St Paul et Place de la Prison. Les captifs ainsi traités étaient plus de 150 et pendant plus d'une heure on les a maintenus dans cette situation. Je ne sais si le comte Kielmannsegg a abrité son courage, a lui, derrière les jupes des femmes et les maillots des bébés. Mais derrière le bouclier vivant qu'il avait constitué a ses troupes, il a fait défiler celles-ci. Cet officier supérieur a commis une lacheté. En vain tenterait-il d'atténuer son crime en alléguant que les gens qu'il exposait a la mort étaient des francs-tireurs criminels. II n'y avait pas la de coupables et il le sait. " Les ordres, dit-il, étaient d'amener a la prison les civils pour autant qu'ils n'offrissent pas de résistance. S'ils résistaient, on devait immédiatement faire usage des armes.... De nulle part il ne m'est revenu que mes ordres avaient été transgressés. „ Or, tous les captifs dont les Allemands s'étaient fait un rempart furent, quand celui-ci devint inutile, conduits en prison. Aucun d'eux ne fut fusïllé. Bien que les Francais aient rapidement cessé le feu dans la direction des civils exposés a leurs coups, leurs balles firent des victimes. Mlle Marsigny, agée de 20 ans, re?ut au front une balie francaise. La balie qui tue est innocente; le coupable est celui qui jette au-devant d'elle la victime. Le noble comte Kielmannsegg est coupable d'assassinat. Sa déposition restant muette sur le moyen qu'il a employé pour protéger ses troupes contre le feu ennemi, le témoin est coupable d'une altération grave de la vérité. Voila 1'homme! Quel crédit peuvent mériter sa déposition et soti Sermentf Qu'importe qu'il affirme que depuis 8 heures du matin jusque 8 heures du soir, trois compagnies sous son commandement furent engagées continuellement dans la lutte contre les francstireurs et que, s'il fit fusiller une centaine d'habitants c'étaient tous des coupables! La cynique désinvolture avec laquelle il parle de cette exécution ne suffit pas a expliquer comment, il lui restait, le soir, environ 100 coupables a fusiller en masse, alors que ses ordres, de faire immédiatement usage des armes contre quiconque résistait, ne furent pas transgressés. II serait bien en peine au surplus de préciser la facon dont il s'est assuré de la culpabilité de ses victimes. Je puis lui éviter eet embarras et témoigner de la procédure suivie. Tandis que les habitants du faubourg St Paul et ceux d'une partie de la rue Léopold étaient conduits a la prison après avoir servi de rempart aux troupes allemandes, ceux des autres rues du secteur oü commandait le comte Kielmannsegg, brutalement arrachés de chez eux, furent amenés chez un nommé Bouille. La propriété de celui-ci se composait dun corps de logis, d'une écurie et d'une remise. Les prisonniers„ parqués au hasard dans les différentes parties de eet immeuble, pouvaient, sans opposition de leurs gardes, circuler de 1 une a 1'autre. J'ai moi-même profité de cette latitude et, de 1 écurie oü 1'on m'avait placé, je suis allé a la remise. Entre deux et trois heures de 1'après-midi, les soldats emmenèrent vers la prison les captifs qui se trouvaient dans la remise, Le soir on vint chercher les autres. Dans ce groupe, les hommes furent séparés des femmes et des enfants, et en présence de ceux-ci, furent fusillés sur 1'ordre du comte Kielmannsegg. Seul donc, le hasard avait désigné les condamnés; rien ne fut fait pour corriger son choix. II est impossible, dans ces conditions, d'attacher la moindre importance a la seule affirmation du témoin portant sur un fait déterminé: la blessure reCue par le capitaine Legler et le chatiment du. coupable. La déposition que nous venons d'analyser est du 6 Janvier 1915, postérieure de plus de quatre mois aux événements qu'on relatê. Son auteur a eu le temps de chercher une justification ou d'éprouver des remords II n'a pas trouvé d excuse. Sa conscience est restée muette. Personne ne 1'absoudra. Anlage 6. - Extrait du RAPPORT DE COMBAT du régiment des grenadiers du roi, (Leibregiment) n° 100. 23 Aoüt 1914. En descendant vers Dinant, les trois compagnies du Ier bataillon éprouvèrent des pertes causées par Ie feu des civils, comprenant une partie de la population, par mi laquelle des femtnes et des enfants, et, probablement aussi, des soldats beiges qui avaient endossé des vétements civils. Ils se défendaient opiniatrement a 1'aide de toutes les armes imaginables. Nos troupes subirent dans les rues un feu meurtrier. Par endroits, nous dümes lutter, a 1'aide de grenades, pour chaque maison en particulier. Les civils ne portaient pas d'insignes militaires. Quand ils étaient trouvés les armes a la main, ils étaient fusillés. Les autres habitants furent conduits a la prison de la ville. Les grenadiers de la garde du corps continuaient a avancer, tandis que la population ne cessait de tirer traitreusement sur eux. Un grand nombre d'édifices étaient pourvus du drapeau de la Croix-Rouge ; c'est de ces édifices la qu'on tirait sur nos troupes d'une fagon particulièrement violente. Le grenadier H., bien que blessé trois fois, continua a prendre part a la lutte en désignant a ses camarades les maisons desquelles les habitants faisaient feu. Comme, vers la fin de 1'après-midi, la localité" n'était pas encore entièrement entre nos mains, 1'artillerie bombarda la ville. Celle-ci fut alors, pour la plus grande partie, détruite par le feu. Vers huit heures du soir, au milieu des rues en flammes, la lutte de maisons repris encore une fois pendant quelque temps Les. civils qu'on avait enfermés a la prison en furent extraits. Vieillards, femtnes et enfants furent libérés. Les hommes furent conduits prisonniers a Marche. Après que les pontons furent construits le régiment commenga, le matin du 24 Aoüt, le passage de la Meuse et la poursuite de 1'ennemi qui se retirait fut entreprise. Pendant ce temps, on continua encore a tirer de quelques maisons, sur notre colonne en marche. Ce Rapport est nécessairement inspiré par le lieutenantcolonel Kielmannsegg qui commandait Ie bataillon du 100 régiment engagé le 23 Aoüt dans Dinant. La juste défiance inspirée par eet officier atteint le rapport qu'il a dicté. Entre les Anlagen 6 et 7 il existe, malgré leur inspiration conv mune, des contradictions frappantes. Le rapport (Anl. 6) affirme que, vers la fin de 1'après-midi, un bombardement incendia la ville et que, vers huit heures, dans les rues en flammes, la lutte de maisons recommenga. Avisé du mensonge concerté au sujet du bombardemment de la ville, le rédacteur du rapport mentionne cette opération ima- ginaire, inlerfompl, frendant sa dure'e, la luttè contre les francs-tireurs et fait reprendre celle-ci vers huit heures du soir. II omet de dire ce que devinrent les troupes pendant ce bombardement. Quatre mois après, en faisant sa déposition, le comte Kielmannsegg ne tient nul compte de la nécessité d'y introduire, pour rester d'accord avec le rapport de son régiment, 1'excuse inventée afin de justifier 1'incendie de la ville. II maintient impertubablement ses troupes sous les obus allemands et les fait lutter sans arrêt contre la population de 8 heures du matin a 8 heures du soir. Uniquement préoccupés de n'oublier, dans leur aper^u général, aucune des accusations portées contre la population et d en présenter un aspect saisissant, les rédacteurs du Livre Blanc publient, sans critique ni discernement calomnies, invraisenblances, absurdités et contradictions ! Le parti-pris les aveugle. Le rapport que nous analysons dit : Une partie de la population et probablement aussi des soldats beiges qui avaient etidossé des vêtements civils se défendirent opiniatrement. Accusation tendancieuse dont on n'essaye pas de faire la preuve, que 1'on n'appuie d'aucun indice. Pour être précédée du mot "probablement „ la calomnie ne perd ni son nom ni son caractère ; elle se doublé d'hypocrisie. Relevons encore ce passage : " Les civils que 1 on avait enfermés a la prison en furent extraits. Vieillards, femmes et enfants furent libérés. Les hommes furent conduits prisonniers a Marche. „ La vérité est autre. Les veillards, les femmes et les enfants, contraints de traverser une partie de la ville en Hammes, sous la menace et la violence des baïonnettes allemandes, furent traïnés a Anseremme et parqués dans des maisons et des vergers. Ils furent, a de rares exceptions prés, retenus pendant trois jours. C'était le temps nécessaire aux honnêtes troupes saxonnes pour effectuer le pillage des maisons non incendiées. Le rapport du régiment de grenadiers n° 100 est donc mensonger quand il affirme que cette population fut remise en liberté le 23 Aoüt, date de la rédaction du rapport. En ce qui concerne les hommes, complétons le récit allemand. Marche ne fut pas le terme de leur voyage. II s'acheva seulement a la prison cellulaire de Cassel oü ces hommes, au nombre de 416, furent détenus pendant trois mois. (1) C'est un Etat- (1) Nous étions a 417 au départ de Marche. Pendant le trajet en Allemagne, un appelé Lenel ayant essayé de s'évader fut tué par un de nos gardes. Le cadavre fut jeté sur un talus de la voie ferrée. Major instaÜé a Marche qui, nous a-t-on déclaré, ordonna la déportation et la captivité. Le comte Kielmannsegg affirme dans sa déposition que les gens internés a la prison de Dinant n'avaient pas offert de résistance a ses troupes. A-t-il omis de le faire savoir a 1'Etat-Major de Marche ou celui-ci jugea-t-il ce point sans intérêt? Peu importe. Un fait demeure : 1'autorité militaire allemande a détenu, pendant trois mois, des gens dont 1'innocence était reconnue par celui-la même qui les avait fait arrêter. En dehors des contre-vérités patentes que nous venons de relever le rapport du régiment du roi réédite naturellement 1'habituelle dissertation sur le thème connu : toute la population faisant feu. La variante est ici qu'on se serait servi de toutes les armes imaginables / Un détail intéressant est donné : c'est un grenadier, atteint de trois blessures, qui signale a 1'attention de ses camarades les maisons d'oü 1'on fait feu. Le sang-froid et 1'exactitude ne devaient pas être les qualités dominantes de eet observateur. Anlage 9. Guignicourt, le 8 Janvier 1915. Ernest Rodolphe PR1ETZEL, (régiment non indiqué) sous-Iieutenant de réserve, employé d'administration communale, a Bautzen Lorsque la 5me compagnie du régiment du roi n° 100, pénétra dans Dinant, on tira sur la compagnie. Le feu provenait de maisons situées dans la ruelle étroite allant dans la direction d'Herbuchenne. J'ai, moi-même, vu tirer des coups, d'environ trois croisées. Le grenadier Oberlander fut tué, et environ deux ou trois autres furent blessés. Les-coups ne partaient certainement pas de la rive opposée de la Meuse qui n'était plus, a ce moment, que faiblement occupée par les troupes ennemies. Bien, au contraire, les coups furent tire's par des civils. Dans 1'étroite rue et plus prés d'Herbuchenne étaient étendus de nombreux soldats, blessés et tue's, de la 8me compagnie, qui avaient également été atteints par des civils tirant de ces maisons. On pouvait clairement distinguer que dans les maisons de Dinant, bombardées pourla plupart par notre artillerie, et qui étaient en flammes, des cartouches faisaient explosion. Les maisons étaient impropres a tout but militaire, notamment pour la défense. Les cartouches ne pouvaient donc avoir appartenu qu'a des bourgeois. Sur la rive opposée de la Meuse se trouvait un batiment couvert du drapeau de la Croix-Rouge. Les murs de clöture autour du batiment étaient pourvus de meurtrières. Le batiment avait donc été mis en état de défense, en dépit du drapeau de la Croix-Rouge. II est faux que des hommes du régiment du roi ou d'un autre régiment aient posé des actes qui n'étaient pas absolument nécessités par la situation militaire ou par 1'attitude de la population civile. Avant de nous occuper des affirmations de ce Prietzel, il importe de faire connaitre la " ruelle étroite „ dans laquelle il localise tout son drame. II ne s'agit pas, en réalité, d'une rue mais d'un chemin de campagne. Prenant naissance a Dinant, au quartier St Nicolas, ce chemin se dirige vers le Sud. II longe, a flanc de cöteau, les collines qu'il escalade pour rejoindre le plateau d'Herbuchenne. Le long de cette voie de communication les maisons sont rares; au pied de la cóte, seulement, il en est quelques-unes qui sont groupéss, trente a quarante, au maximum. Plus loin, elles s'espacent trés largement et dans la partie supérieure du chemin il ne s'en trouve plus. Le tracé de cette route 1'expose fortement au feu de troupes occupant la rive gauche de la Meuse. Laissons provisoirement de cóté 1'imputation relative a 1 abus du drapeau de la Croix-Rouge. Nous y répondrons dans un chapitre spécial en même temps qu'a d'autres accusations de ce genre. La dépositioq Prietzel contient cinq affirmations : 1° la ville a été bombardée ; 2° les habitants ont tiré; il 1'a vu; 3° leur feu a causé des pertes aux Allemands; 4° L'incendie a fait exploser des munitions appartenant aux habitants; 5° les troupes allemandes n'ont rien fait qui ne fut exigé par la situation. La première de ces affirmations est, nous le savons, une fausseté. Elle discrédite toute la déposition et son auteur. Trés gratuitement, supposons le témoin sincère dans sa seconde allégation : de trois croisées, dit-il, j'ai vu qu'on faisait feu sur nous. Une erreur de sa part est-elle impossible? A Tinstant oü arrivaient dans une cour de la prison de Dinant les habitants qu'on y internait, les troupes allemandes, postées sur les hauteurs dominant la prison, ouvrirent le feu sur cette foule composée en grande partie de femmes et d enfants. Cette fusillade fit des victimes : deux femmes et un jeune homme (1). A ce moment, des prisonniers dirent prés de moi : " De la aussi on tiré! „ Et Hs désignaient une tourelle de la prison, construite en encorbellement, simple motif architectural, trop étroite pour qu un (1) On ne voit pas comment la "situation militaire,, pouvait imposer a des troupes, qui n'avaient pas encore pénétré dans Dinant, d assassiner, de loin, des prisonniers qui se trouvaient, dans la ville, aux mains d autres soldats allemands. horrtme put se trouver a Pintérieuj et aux murs sans fenêtres ni ouvertures. Des balles allemandes frappant cette tourelle effritaient les briques en une fine poussière produisant absolument 1'effet de la fumée d'un coup de fusil. L'illusion était compléte : il semblait que 1'on tirait a travers le mur. Le témoin Prietzel peut avoir été dupe d'une erreur semblable, causée par des balles frangaises frappant 1'encadrement des fenêtres d'oü il a vu (?) tirer. Nous en venons a la troisième affirmation de eet officier : des morts et des blessés allemands gisaient en deux endroits du chemin. Le témoin lui-même nous donne ce renseignement qui suffit pour décharger les Dinantais de 1'accusation qu'il porte contre eux : 1'autre rive de la Meuse était occupée par les Francais. De ce qu'ils étaient peu nombreux Prietzel conclut, avec la logique du parti-pris, que les coups de feu qui avaient atteint les Allemands ne provenaient pas des troupes fran^aises. II est permis de ne pas raisonner comme lui. Quatrième affirmation : dans les maisons en Hammes on entendit des cartouches faire explosion Et quand cela serait ? II serait uniquement prouvé que des habitants avaient commis 1'imprudence d en conserver chez eux et désobéi aux ordres de leur bourgmestre. Ce n'est pas une infraction aux lois de la guerre et les Allemands n'ont pas a incriminer une désobéissance aux ordres des autorités beiges, lis trouveraient toutefois, dans ce fait, une juste raison de soupgonner les habitants d'avoir conservé ces munitious pour en faire mauvais usage. Rien ne les autorise a faire de ce soupcon une preuve. Si 1'on veut imaginer le vacarme qui régnait a ce moment a Dinant, le ronflement des incendies, les craquequements des toitures s'effondrant dans les flammes, les mille bruits indéfinissables dont s'accompagne 1'embrasement d'une ville, la canonnade qui grondait, le crépitement d'une fusillade incessante, on croira difficilement qu'une oreille humaine puisse être assez exercée pour discerner, au milieu de ce fracas effrayant, 1'explosion de quelques cartouches et 1'endroit oü elle se produit. Prietzel a 1'affirmation téméraire. II n est pas moins audacieux quand il délivre aux troupes du régiment du roi un certificat de moralité dont elles ont grandement besoin. Sur 1'ordre d'un de leurs officiers, les hommes de ce régiment ont, avant de les transférer a Cassel, dépouillé les prisonniers de tou{ 1'argent qu'ils possédaient. J'aimerais entendre le témoin expliquer par les nécessités de la situation militaire, ce vol a main armée. Le sous lieutenant Brink dont nous avons parlé déja a propos de la nuit du 21 au 22 aoüt et du bombardement de Dinant va nous occuper a nouveau. Voici ce qu'il raconte de la journée du 23 Aoüt. Anlage 5 (Suite) Le 23 Aoüt, j'ai pénétré dans Dinant avec une partie de la lre compagnie des pionniers de campagne, et je rencontrai le détachement du comte Kielmannsegg. On tira violemment sur nous des maisons, entre autres aussi au bord de la Meuse et ce pas uniquement de la rive opposée. Les tireurs étaient des civils suns insignes militaires. Moi-même, j'ai vu plusieurs civils les armes a la main. Même une femme tira sur nous du haut d un escalier, quand nous pénétrames dans la maison. Elle fut immédiatement fusillée par nous. J'ai vu aussi les grenadiers fusiller quatre civils et une femme parcequ'ils sortaient, armes, d une maison d'oü 1'on avait tiré sur nous. J'ai, en outre, ete temoin de 1'exécution, faite sur 1'ordre du comte Kielmannsegg, d une grande quantité d'habitants coupables ; femmes et enfants avaient été écartés auparavant. J'ai vu comment, au moment ou on executa la salve, un des hommes tira un revolver de sa poche et fit feu sur les soldats. J'étais étonné qu'on ne lui eüt pas enleve son arme. En tous cas eet homme n'avait été amené qu au dernier moment avant 1'exécution. Pour autant que j'aie pu le constater, nos hommes ne se sont en rien conduits cruellement vis-a-vis de la population. Au contraire. C'est ansi qu'ils avaient transporté sur des matelas, hors des maisons desquelles on faisait sortir tous les habitants, quatre femmes qui, a cause d'un accouchement récent, ne pouvaient pas marcher, et les avaient déposées dans la rue a un endroit oü elles n'avaient rien a craindre du feu, prés de nos blesses. Le soir, vers 7 heures, je me mis en marche avec mon detachement vers " les Rivages Au cours de la route, pres des dernières maisons de Dinant, on tira de nouveau vivement sur nous des maisons. Le temps nous faisait défaut pour nettoyer les maisons, car nous avions 1'ordre strict d'évacuer .mmediatement Dinant a cause du bombardement imminent de la ville. Quand nous eümes atteint " les Rivages „ on était occupé a v construire le pont. Nous restames encore deux jours a eet endroit Après 1'achèvement du pont nous remarquames a plusieurs reprises, le 24 AoÜt, que nos colonnes, qui avaient passé le pont et marchaient en aval sur la rive Ouest, etaient, de nant, attaquée a coup de fusils. Nous savons par son récit relatif au bombardement de la ville que le sous-lieutenant Brink n'est pas un témoin sérieux. II est donc permis de négliger entièrement ses affirmations. I II en est une cependant que je veux relever. Elle démontre qu'avant de conduire leurs victimes au peloton d'exécution les Allemands ne se mettaient pas en peine de rechercher la preuve de leur culpabilité. " J'ai vu, „ dit le témoin, comment, au moment oü on exécuta la salve, (c'est de 1'exécution en masse qu'il s'agit) un des hommes tira un revolver de sa poche et fit feu sur les soldats. J'étais étonné qu'on ne lui eüt pas enlevé son arme. En tous cas, eet homme n'avait été amené qu'a la dernière minute avant 1'exécution. Au milieu de la" confusion qui régnait a eet endroit et dont nous pariera le témoin suivant, le lieutenant Brink fut bien prompt a mener ses recherches, a retrouver des soldats qui pussent reconnaitre eet homme et préciser le moment de son arrestation. S'est-il aussi enquis du motif de celle-ci ? Pourquoi eet homme était-il voué a la mort? A cause de son revolver? Mais on ne savait pas qu'il le possédat. Alors?... Rien, pas de motif. Comme les autres, le hasard seul 1'avait désigné comme victime. Le lieutenant Brink prévoit une objection a son récit et s'étonne qu'au moment de 1'exécution le condamné fut encore porteur d'un revolver. Cette objection, qu'il résout mal en disant que le malheureux n'avait été amené qu'a la dernière minute, est insoluble pour tous ceux qui savent avec quelle minutie chacun des prisonniers était fouillé au moment même de son arrestation. Le sous-lieutenant Brink juge opportun de donner son avis sur la conduite des troupes allemandes. Elles n'ont pas d'après lui agi avec cruauté. II a cependant vu fusiller, en même temps, 129 personnes. II a été " aux Rivages „ et il y a vu vu mouceau de 90 cadavres au milieu desquels gisaient des femmes et des petits enfants massacrés. Je ne veux pas lui chercher chicane au sujet de son appréciation. J'ignore a quel chiffre doit s'élever le nombre des meurtres et quel doit être 1'age des victimes pour qu'aux yeux d'un officier allemand la nécessité fasse place a la cruauté. La " Kultur „ est si haut au-dessus de notre civilisation que nous ne pouvons juger sainement. La pièce qui suit contient la déposition d'un sous-officier. Anlage 10. Neufchatel, 16 Février 1915. Georges Guillaume BARTUSCH, vizefeldwebel (ler sergent) tambour du Ier bataillon du régiment du roi (Leibregiment) n° 100. J'ai passé la journée du 23 Aoüt a Dinant auprès de 1 EtatMajor du Ier bataillon. Nous sommes descendus les pentes raides de la ville en glissant plutöt qu'en marchant. Un habitant de Dinant, le Luxembourgeois dont il sera fait mention plus lom, nous raconta que 1'on n'av^it pas cru que nous arriverions au bas des pentes mais que 1'on s'attendait a ce que nous serion^ déja atteints par les coups de feu au cours de la .descente. Des le début, nous essuydmes le feu parti des maisons. Les projectues étaient en partie des plombs. On tirait de toutes les ouvertures des maisons, des portes, des fenêtres, et en outre, de trous faits a la hache entre le mur et le toit. Dans la ville nous cherchames, pour 1'Etat-Major du bataillon, un abri provisoire dans un local situé obliquement en face de la prison. On essaya de .la, de nettoyer de francs-tireurs les environs. Tous les habitants que 1'on trouva dans les maisons furent conduits d la prison. Les gens qui furent trouvés une arme a la main furent écartes et placés contre le mur du jardin prés de la place. Sur l ordre du lieutenant-colonel comte Kielmannsegg, ils furent ensuite fust nes a eet endroit par un détachement de grenadiers. Je ne puis dire exactement combien ils étaient : peut-être cinquante, peut-etre cent. Ils étaient disposés en 3 ou 4 rangs; a ma connaissance, ce n'étaient que des hommes. Je n'ai pas remarque que des femmes on des enfants aient été fusillés en même temps. Un hom me essaya de garder un enfant sur les bras, il en lut empêché par le fait qu'une femme prit 1'enfant pres d elle. Un doit se représenter quelle confusion régnait. 1 out cela se passait pendant qu'on continuait a tirer sur nous. Je crois possible qu'une partie des femmes et des enfants que nous avions separés des hommes se soient enfuis dans le jardin, derrière le mur, et que la, ils aient été tués par des balles traversant le mur ou par les coups de feu de 1'ennemi qui se trouvait de 1 autre cote de la Meuse. Quiconque se tenait en dehors des maisons etait en danger de mort constant. Déja au moment oü nous arrivions a Dinant, une enfant d'environ 13 ans avait été atteinte au ventre, par unê balie partie de 1'autre cöté du fleuve. Elle fut pansee par deux brancardiers allemands. En rue deux grenadiers amenèrent un homme, disant qu il avait blessé le capitaine Legler. Nous lui liames les mains avec une corde et nous 1'emmenames, maïs pendant le combat de rues il nous fut arraché des mains par des civils Plus tard, ]e 1'ai reconnu parmi les hommes alignés pour etre fusilles, par e fait que la corde, avait laissé des traces empreintes sur ses mains. ... Dans une maison déja fouillée et que je visitais de nouveau avec un grenadier je trouvai, derrière une porte secrete, deux hommes d'environ 20 ans tenant chacun en main un revolver dont des coups avaient déja été tirés. Parmi les civils rassemblés a la prison se trouvait un homme bien vêtu, agé d'environ 70 ans. Sous son gilet, une Protuberance extraordinaire me frappa. Lorsque jy mis la main il dit. Bourse. „ La dessus j'ouvris son gilet et en retira un petit revolver dont un coup déja avait été tiré. Le vieillard n'a pas été fusillé, que je sache. A en juger par la fusillade continuelle, tous les habitants de Dinant doivent bien y avoir participé. Pendant que nous nous occupions de la petite fillé de 13 ans blessée, son père, Luxembourgeois habitant Dinant, et parlant médiocrement rallemand, raconta qu'a Dinant, des parents avaient donné des revolvers a leurs enfants de 10 et 12 ans, pour qu'ils tirent sur les " Allemands „ (1) Dans la prison nous trouvames environ 8 pistolets et autant de sabres, ainsi qu'une caisse a cigares contenant des douilles en carton chargées a plombs. Pauvre Bartusch! II s évertue a expliquer comment des femmes et des enfants auraient pu être atteints accidentellement lors de la fusillade qui coucha 129 hommes sur le sol. Rassurons-le d'un mot : ni femmes ni enfants ne furent tués a ce moment. Bartusch a de 1 imagination. C'est elle qui lui fait voir dans une maison déja fouillée, derrière une porte secrète, deux hommes armés. Nous savions déja par "1'apergu général,, que de nombreux souterrains et cavernes servaient de repaires aux francs-tireurs. Voici maintenant une maison machinée! Décidément la ville était truquée comme un décor de féerie. Cela n'explique pas pourquoi les deux hommes découverts par Bartusch, et qui n'ont pas fait feu sur lui, s obstinaient a tenir en main leurs revolvers a demi déchargés. Le témoin nous apprend qu on tirait de toutes les ouvertures des maisons, et notamment de trous creusés a la hache (eingehackt) entre le mur et le toit. On incrimine beancoup les Dinantais a propos de ces trous oü 1 on voit une preuve des dispositions prises en vue d'un combat de rues. Si les militaires allemands s'étaient donné la peine d'examiner ces ouvertures, ils auraient pu se convaincre, au vu des nids de moineaux dont elles sont encombrées, qu'elles avaient été pratiquées bien longtemps avant la guerre. Ce sont des trous d'hourdage destinés, suivant 1'usage du pays, a faciliter 1 érection d échafaudages quand il faut réparer les murs ou repeindre les fa?ades. Encore une légende qui a vécu ! Elle montre comment les faits les plus simples, vus sous 1'angle des préjugés allemands, peuvent revêtir une apparence coupable et sinistre. (1) Ce mot est en francais dans le texte. Bartusch parle de la blessure recue par le capitaine Legler. Le comte Kilmannsegg la mentionne aussi dans sa dépositon et rapporte, en outre, qu'il a fait fusiller le civil coupable d'avoir blessé eet officier. Infaillibilité des accusations allemandes ! Un second citoyen va payer de sa vie le même crime. Je ne fais pas confusion, il s'agit bien d'un second coupable. Reprenons le récit de Bartusch. Deux grenadiers amènent un homme et disent: il a blessé le capitaine Legler. Ils ne font pas allusion a 1'ordre que leur aurait été donné de fusiller le prisonnier. Cet ordre, ds ne 1 ont donc pas encóre regu; ils ne le recevront pas. On ligotte 1'homme et on remmène. Sans doute, on va le faire comparaïtre devant un officier. Mais voila que, dans les rues pleines de soldats allemands, des civils se ruent sur Bartusch et les grenadiers. Paternes comrae les agents de police d'une petite ville le jour d'une manifestation plus bruyante que séditieuse, ceux-ci se laissent arracher leur prisonnier. Pour le garder, ils dédaignent de faire usage de leurs armes. Rebelles et grenadiers se retirent sans encombre de la bagarre. Mais le vieux dieu des Allemands veil^nt. II remettra le coupable aux mains des justiciers et Bartuscn reverra son prisonnier parmi les gens que 1'on fusille en masse. La conclusion? Le capitaine Legler est blessé on ne sait par qui ni comment. On affirme que c'est par un franc-tireur et de ce chef on fusille deux personnes. Une chose est exacte dans la déposition du témoin: a la prison il a trouvé huit pistolets et autant de sabres. Cet arsenal lui semble suspect? Ce sont tout simplement les armes réglementaires des gardiens. Bartusch y ajoute une boite contenant des cartouches a plombs. Peut-être dit-il vrai. II n'y avait pas de fusils; ces cartouches ne révèlent donc pas d'intentions bien coupables. Même, leur découverte n'a rien de sensationnel. Fréquemment, la gendarmerie arrêtait et amenait a la prison de Dinant des braconniers qui avaient une peine a purger. Au moment de leur incarcération on fouille les détenus et Ion depose au greffe de la prison les objets que le réglement ne permet pas d'introduire dans les cellules. Les cartouches sont de ce nombre. Relevons une dernière allégation de ce témoin. Les Dinantais ont armé de revolvers même des enfants de 10 a 12 ans. Pauvres gossesl Leurs armes devaient être plus dangereuses pour eux-mêmes ou pour leurs voisins que pour 1'ennemi. n'était pas nécessaire pour faire justice de cette fable que le Luxembourgeois accusateur nie, comme il le fait; les propos que Bartusch lui prête.(Voir, a la fin du volume, la note de Mer Heylen). II n'est pas besoin de longs raisonnements pour démontrer 1'invraisemblance du récit de Bartusch affirmant, qu'a la prison, il aurait surpris un vieillard porteur d'un revolver. Tout le monde était fouillé minutieusement dès le moment de 1 arrestation. Comment ce revolver, si mal dissimulé quand Bartusch 1'apersoit, aurait-il échappé aux premières recherches? Comment admettre 1'inconscience du vieillard qui le portait et qui, a la prison, n'aurait pas songé a se débarasser d'une pièce a conviction si compromettante? Rien cependant ne lui eüt été plus facile: pressés les uns contre les autres comme nous 1'étions les soidats assez peu nombreux qui nous gardaient ne pouvaient surveiller constamment chacun de nous. Peut-être ai-je eu tort de fatiguer le lecteur en relevant toutes les incohérences des quelques documents relatifs a cette partie de la ville que le Livre Blanc commet 1'imprudence de livrer a la publicité. Une seule remarque aurait suffi a en démontrer 1'inanité. Devant les soidats chargés de leur exécution, un grand nombre d'hommes — les coupables! — étaient rangés. Au mépris des ordres sages et prudents de leur gouvernement, de 1'autorité provinciale et du bourgmestre de leur cité ils auraient entrepris la lutte contre 1'armée allemande. C'étaient, 1'Allemagne le jure, des criminels fanatiques pris les armes a la main. En engageant ce combat désespéré ils savaient la victoire impossible. Ils avaient joué leur vie contre celle de quelques soidats ennemis. La partie perdue, 1 heure était venue de payer. Ils allaient mourir et le savaient; et le dernier sursaut de violence de la béte acculée ne vint pas réveiller leurs énergies brisées, les précipiter tête baissée sur le peloton d'exécution, luttant des pieds et des poings, des ongles et des dents, arrachant des armes aux soidats étranglés, pour se battre encore et risquer une dernière chance de salut! Tout au moins, s'il fallait périr, ils auraient succombé après avoir de nouveau couché sur le sol quelques uns des Allemands abhorrés et seraient morts dans 1'exaltation d'une suprème défense et la fièvre de la vengeance. Non! ces braves ont préféré se' laisser abattre peureusement, pressés les uns contre les autres, passifs, inertes comme les moutons d'un troupeau qu'on égorge. Le Livre Blanc allemand place, dans la crédulité de ses lecteurs, une confiance.... impertinente. » CHAPITRE XV Le Massacre des Innocents Précises comme un constat d'huissier quelques lignes de la note Mgr Heylen racontent le drame sinistre des Rivages. "Une scène dépasse en horreur toutes les autres : c'est la fusillade du Rocher Bayard. Elle semble avoir été ordonnée par le colonel Meister. Cette fusillade a douloureusement éprouvé les paroisses voisines, celles surtout des Rivages et de Neffe. Elle a fauché environ 90 vies humaines sans épargner 1'age, ni le sexe. On compte parmi les victimes des enfants a la mamelle, des gargons et des fillettes, des pères et mères de familie, des vieillards même. C'est la qu'ont péri, sous les balles des exécuteurs, douze enfants de moins de six ans, dont six sur les bras de leurs mères : L'enfant Fiévet, trois semaines ; Maurice Bétemps, onze mois ; Nelly Polet, onze mois ; Gilda Génon, dix-huit mois ; Gilda Marchot, deux ans ; Clara Struvay, deux ans et demi. Le monceau des cadavres comptait aussi beaucoup d'enfants de six a quatorze ans. Huit families nombreuses ont complètement disparu; quatre n'ont qu'un survivant. Les hommes qui échappèrent au massacre, et dont plusieurs étaient criblés de blessures, ont été obligés par les soldats a enterrer précipitamment' et sommairement leur père, leur mère, leurs frères, leurs soeurs; puis, après avoir été dépouillés de leur argent, et enchainés, ils furent dirigés sur Cassel. Aucune langue au monde n'a d'expression capable de stigma- tiser de telles horreurs.,, Avant d'examiner la fagon dont les Allemands tentent de justifier ces assassinats, notons un détail topographique : aux Rivages, pas d'enchevêtrement de rues, ni de ruelles ; une seule rue: c'est tout le quartier. Le drame se circonscrit dans la trés petite partie de Dinant comprise entre le Rocher Bayard et Anseremme. Anlage 39. 23 Aoüt 1914. Extrait du RAPPORT DE COMBAT de la 3me compagnie des pionniers de campagne. Les patrouilles furent en butte a un feu violent partant des maisons et de la rive opposée. La compagnie pénétra dans Dinant par la rue principale, étroite et escarpée de la ville (1); elle accompagnait le train de pontons et suivait des détachements du régiment de fusiliers n° 108 et du régiment d'infanterie n° 182. On faisait feu des maisons sans qu'on puisse apercevoir distinctement 1'ennemi. La compagnie prit part aux fouilles des maisons pour y rechercher des civils. Quelques uns furent faits prisonniers les armes a la main et fusillés plus tard. L'infanterie subit ici des pertes sérieuses. Nous regumes 1'ordre d'évacuer la ville paree qu elle devait d'abord être rasée par notre artillerie. La compagnie atteignit la Meuse, avec le régiment des grenadiers n 101, prés des Rivages. Ce village avait 1'air tout a fait paisible; par mesure de sécurité, les grenadiers firent néanmoins prisonniers un certain nombre d'habitants. La fusillade de 1'ennemi, provenant de Ia rive gauche, n'était que trés faible. Sous le feu de notre artillerie, les maisons de cette rive furent incendiées 1 une après 1 autre. Le passage de la rivière commenga immédiatement avec 1'aide de la demi-colonne du train de pontons de corps d'armée; cette demi-colonne, qui faisait partie du bataillon de train nu 12, avait été adjointe a la compagnie. En même temps, on commenga la construction du pont; au début, ce travail avanga rapidement; soudain nous assaillit une fusillade violente partant des maisons situées sur notre rive, c est-a-dire la rive droite. Les grenadiers qui, sur la rive, attendaient, en masse compacte, de passer le fleuve, répondirent vigoureusement a ce feu. Les maisons furent incendiées. Le pont fut achevé dans 1 après-midi du 24 Aoüt. Entre-temps, il était encore arrivé a diverses reprises que 1'on fit feu des collines et même de la cave d'une maison incendiée. Dans de semblables cas, les civils furent saisis les armes a la main et fusillés. Anlage 45. Neufchatel, 2 Mars 1915. Karl Adolphe Henri von ZESCHAU, 46 ans. major, adjudant prés du commandement en chef du XIIme corps d'armée. J atteignis la Meuse le 23 Aoüt 1914 a six heures du soir, aux Rivages. Toutes les maisons étaient fermées. On n'apercevait (1) Cette rue est la rue St-Jacques, amorce de la route de Ciney. L'indication des régiments (108 et 182) que suivait la compagnie de pionniers 1'établit avec certitude Cette route se trouvait exposée d'enfilade au feu des Frangais. aucun habitant. Les grenadiers se trouyaient en colonne de marche sur la route latérale qui débouche aux Rivages, la tete nrès de la route de la vallée. Je m'informai du point de savoir si on avait fouillé les maisons. Une patrouille fut alors envoyee pour y perquisitionner et un vizefeldwebel vint m annoncer qu'elles étaient vides. Je restai encore environ 1/4 d heure a eet endroit et observai les effets de notre feu d artillerie sur les maisons de la rive gauche de la Meuse. Pendant ce temps, une quantité d'habitants, hommes, femmes et enfants, arnverent de Dinant par la route de la vallée (1); ils furent empeches d aller plus loin par les grenadiers. Lorsque le pont fut a moitie construit et que quelques pontons chargés de grenadiers eurent atteint 1'autre rive, la mission que j'avais regue était accomplie et je retournai auprès du commandant de corps d armee. Lorsque, vers 8 heures du soir, je revins aux Rivages, j apergus un tas de cadavres prés de 1'endroit oü avait été construit le pont. J'appris que, peu après mon départ, on avait fait feu des maisons en apparence vides. Pendant la nuit se trouvèrent prés du point de passage plusteurs centaines d'habitants qui étaient arrivés de Dinant. Ils furent bien traités. Beaucoup de femmes et d'enfants refurent meme des vtvres des soldats. Anlage 46. Neufchatel, 19 Février 1915. Karl Traugott Hubert Ludwig ERMISCH, 37 ans, ingénieur diplomé, directeur de mines, actuellement capitaine de reserve a la lre compagnie des pontonniers de campagne. J'étais, le 23 AoÜt 1914, auprès de la 3™ compagnie du 12me bataillon de pionniers et me trouvais present lorsque es pontons du train de pontons de corps d'armée que on avai d'abord fait descendre a Dinant, durent taire demi-tour. Nous nous sommes ensuite rendus, en faisant un detour, au chemin du vallon qui conduit vers les Rivages. La, je fus envoye e avant pour reconnaïtre 1'endroit oü devait etre construit le pont. 11 n'v avait a voir ni troupes fran?aises ni troupes allemandes. J'étais déja la depuis une heure quand ma compagnie arm a avec le charroi de pontons et d'autres soldats allemands. Ces troupes rassemblèrent, a titre d'otages, les civils qui stationnaien la Entre-temps commengait la construction du pont. Vers 4 ou 5 heures, nous fumes surpris subitement par un feu assez intense qui visait directement 1'extrémité du pont oü nous nous trouvions. Nous fümes forcés de nous cacher sous le plancher des ponton . J'observai clairement que le feu venait des collines a droite et a 'gauche de la vallée latérale et surtout d'mie maison rouge situee, (1) Le major von Zeschau commet ici une erreur. C'est lorsqu'il revint plus tard aux Rivages qu'i! vit arriver ces prisonniers. non loin du Rocher Bayard, immédiatement au Nord des Rivages. A la suite de ces faits, les otages furent fusillés sur 1'ordre d'un officier des grenadiers, hom me d'un certain age (eines alteren Grenadier-Offiziers). Anlage 48. Neufchatel, 2 Mars 1915. Fritz Eugène STEINHOFF, 48 ans, major commandant des pionniers du XIIme Corps d'Armée. Le 23 Aoüt 1914, vers 5 heures de 1'après-midi, j'arrivais prés du point de passage aux Rivages. II n'y avait encore personne a eet endroit si ce n'est une patrouille d'officiers des pionniers. Je me rendis a la rive et marchai ensuite 100 mètres environ dans la direction d'Anseremme. Quelques soldats attirèrent mon attention sur le fait qu1 on faisait feu du pont et des maisons, prés du pont. Des soldats blessés gisaient dans la rue. On fit aussi feu sur moi et d'autres soldats me conseillèrent de ne pas aller plus loin. Je retournai vers le point de passage et y rencontrai le colonel Meister. Je lui fis rapport sur ce que j'avais vu. Le colonel fit nettoyer les alentours, par une section qui ramena une assez grande quantité d'hommes et de femmes. Les hommes furent placés contre un mur prés du point de passage, les femmes et les enfants un peu plus loin en aval. On continua ensuite a construire le pont et a passer le fleuve. Quand la construction du pont fut arrivée a une quarantaine de mètres, une vive fusillade fut ouverte, des maisons des Rivages et des rockers qui dominent le village, sur les pionniers au travail et sur les grenadiers qui attendaient. Personnellement, j'ai entendu siffler cent balles, a ce que j'estime. II se produisit une grande confusion. Tous cherchèrent a s'abriter et le travail fut arrêté 1 Les grenadiers aussi qui se trouvaient en masse compacte étaient fort agités. Je retournai a travers un ~jardin vers la Meuse pour m'enquérir des pionniers. A ce moment crépita le feu de 1'ennemi et j'entendis au même instant une couple de courtes salves tout prés de moi. Je revins ensuite sur mes pas et vis, a 1'endroit oü s'étaient trouvés les hommes prisonniers, un monceau de cadavres. A partir de ce moment le feu des francs-tireurs cessa complètement et la construction du pont continua sans encombre. Coordonnons ces documents pour leur demander la vérité. Certains d'entre eux laissent échapper des aveux précieux et, res rniranda, celui du major von Zeschau paraif entièrement sincère. Le capitaine Ermisch est le premier Allemand qui arrivé aux Rivages. Tout y est calme. Pendant une heure il attend sa compagnie qui survient enfin avec d'autres troupes. (Anl. 46). Le premier soms dé celle-ci est d'arrêter les habitants a titre d'otages. (Anl. 39 et 46). Cette opération s'effectue sans amener de résistance de la population et les Allemands cornmencent la construction d'un pont en même temps qu'ils transportent déja des troupes sur 1'autre rive du fleuve. (Anl. 39). A 6 heures arrivé le major von Zeschau. Les habitants sont invisibles, les maisons closes. Par prudence le major von Zeschau les fait fouiller. On les trouve désertes : les habitants, nous le savons, étaient déja arrêtés. Cet officier stationne encore un certain temps au bord de la Meuse et constate que la construction du pont s'effectue sans encombre. Après avoir vu une partie des troupes effectuer sans obstacle le passage de la Meuse, le major von Zeschau retourne auprès du commandant du XIIme corps d'armée. (Anl. 45). Jusqu'a ce moment la présence des troupes fran^aises sur 1'autre rive de la Meuse n'avait guére gêné les opérations allemandes. Leur tir trés faible n'avait pas empêché les grenadiers de se masser prés du point de passage. (Anl. 39). Soudain une fusillade éclate dirigée sur 1'êxtrémité du pont, sur les hommes au travail et sur les grenadiers massés en attendant le moment de passer le fleuve. (Anl. 46 et 48). Elle partait dit-on, des maisons des Rivages, (Anl. 39 et 45), de ces maisons et des collines voisines. (Anl. 46 et 48). II s'ensuit une grande confusion parmi les soldats (Anl. 48), qui cherchent a se mettre a 1'abri ; ceux qui construisent le pont sont obliges de se réfugier sous les planchers des pontons (Anl. 46 et 48). Quelques courtes salves et, a 1'endroit qu occupaient les pri- sonniers, il n'y a plus qu'un tas de cadavres. (Anl. 48). Les otages étaient fusillés. (Anl. 46). Nos ennemis ne récuseront pas ces témoignages. Ce sont les leurs. Le quartier est donc paisible quand y arnvent les premiers allemands. On ne les attaque pas. Des troupes nombreuses surviennent et s'emparent des habitants comme otages. Pas de rébellion Le major Steinhoff, il est vrai, prétend que 1'on avait fait feu sur lui et sur ses hommes (Anl. 48). Formellement contredite par les trois autres documents qu'on vient de lire, cette accusation est sans valeur, et c'est par une métamorphose regrettable de la vérité que le témoin représente 1'arrestation des habitants comme une conséquence de cette attaque. Donner a cette opération 1'apparence d'une répression nécessaire, tel est le but visible de 1'accusation produite par le major Steinhoff. Üne autre inexactitude qu'il commet achève de ruiner son témoignage. Les hommes arrêtés furent, d'après lui, séparés des femmes et des enfants. Volontaire ou non, son erreur est manifeste. La liste des enfants fusillés le prouve. Est donc acquis ce point essentiel : la population des Rivages est restée paisible jusqu'au moment ou éclate la fusillade subite, prétexte du massacre immédiat des otages. Cette fusillade est-elle le fait des habitants ? Oui, disent les Allemands. Cette accusation est fausse. Des faits péremptoires le démontrent. On aurait tiré des maisons et des collines voisines. Dans les maisons il n'y avait personne. Fouillées sur 1'ordre du colonel Meister (Anl. 48), elles 1'ont été une seconde fois sur 1'initiative du major Von Zeschau. Les hommes constatent que les maisons sorit désertes. (AnL 45). Voila brisée une partie de 1'accusation : les témoignages allemands démontrent qu'il est matériellement impossible qu'elle soit vraie. On n'a pas non plus tiré des collines voisines. Elles bordent, des deux cötés, la route de Froidveau, (1) perpendiculaire a la Meuse, et font face au fleuve dont elles dominent de trés haut la rive gauche. Au Sud de la route, elles sont couronnées par une vaste carrière. Leur base, extrêmement abrupte, est, en partie, boisée. II est inadmissible que le commandement allemand n'ait pas fait occuper une position si favorable pour contrebattre le feu des troupes fran?aises ; invraisemblable aussi, qu'il ait négligé de faire battre avec soin ces collines pour y rechercher les habitants, francstireurs éventuels, qui auraient pu s'y embusquer. Nous avons vu avec quelle insistance on prenait, a Leffe, cette précaution. On ne peut croire qu'elle ait été omise, aux Rivages, par ces officiers qui, pour la sécurité de leurs soldats, font fouiller a deux reprises les mêmes maisons. Au Nord de la route et jusqu'a la haute et infranchissable crète rocheuse du massif du Rocher Bayard, les collines sont, aussi bien a leur sommet que sur leurs flancs, entièrement dénudées. La stérilité en est telle qu'on y conduit même pas les chèvres a la pature. Un lapin n'y dissimulerait pas sa course. Par quel prodige un franc-tireur s'y serait-il caché ? (1) La route de Froidveau débouche aux Rivages, a 80 mètres environ au Sud du Rocher Bayard. Personne donc sur ces collines ; le bon sens et 1'évidence le démontrent. C'est le naufrage de la seconde partie de 1'accusation. Veut-on une autre preuve ? Voici. Au pied de ces collines, contre les maisons, les grenadiers étaient groupés en masse compacte. Ils attendaient le moment de franchir le fleuve, sur le pont que les Allemands construisaient au point d'accostage pour bateaux que 1'on voit sur le cliché ci-contre. Le major Steinhoff, invulnérable, a entendu siffler une centaine de balles. Elles n'ont touché, ni lui, ni aucun de ses grenadiers 1 L'inefficacité de cette fusillade suffit a démontrer qu'elle n'est pas le fait de francs-tireurs brülant leurs cartouches, a bout portant s'ils étaient dans les maisons, a trés courte distance s'ils se dissimulaient sur les collines. Pour être aussi inoffensives, des balles doivent venir de loin. Dira-t-on que les troupes allemandes étaient massées en contrebas de la route, auprès du pont? Mais elles y étaient absolument a 1'abri de toute fusillade partie de la rive droite. Aucun tireur ne se fut avisé de leur envoyer des balles évidemment inutiles. La vérité est que les troupes fran^aises, au feu desquelles l'artillerie allemande avait imposé silence, voyant les travaux de construction du pont s'avancer, et apercevant des troupes massées, profitèrent de ces circonstances pour ouvrir a nouveau le feu sur 1'ennemi qui ne s'attendait pas a cette attaque subite (Anl. 46 et 48). Alors, furieux et rageur, un misérable donna 1'ordre de fusiller des femmes et des enfants ! C'était 1'exécution de la menace proférée peu avant par i'officier même qui a ordonné le crime : " Si les Francais tirent encore une seule fois, tous, sans exception, hommes, femmes et enfants, tous, vous serez tués.,, (1) Le major Steinhoff nous dit qu'a partir de ce moment le feu des francs-tireurs cessa complètement (Anl. 48). La raison, qui n'a pas crainte de se mettre en contradiction avec un major allemand, nous affirme, elle, que ce massacre révoltant aurait eu, sur la conduite des francs-tireurs, un effet tout opposé. Ils n'avaient plus a craindre pour les leurs : au lieu d'otages, pour la vie desquels ils devaient trembler, il n'y avait plus qu'un tas de cadavres, des morts a venger ! (1) Voir note de Mgr Heylen, a Ia fin du volume. DIN ANT Les Rivages. Emplacement du pont de bateaux construit par les troupes allemandes Avec Sa maladresse ordinaire le rapport de Beriin épingle soigneusement et fait sienne, en la répétant, la sottise débitée par le major Steinhoff. * ♦ * Les récits allemands qui précédent nous montrent la rapidité avec laquelle se sont déroulés ces tragiques événements. Au calme qui régnait d'abord succèdent quelques coups de feu tirés sur les Allemands et le massacre immédiat des otages qui en fut la conséquence. (Anl 46, 48). Entre ces faits il n'y a pas de place pour la véritable bataille que nous dépeignent les deux documents suivants. Anlage 43. — Extrait du RAPPORT DE COMBAT du régiment de grenadiers n° 101, du 22 au 30 Aout 1914. Le 23 Aoüt 1914. Le Boiirgmestre du village des Rivages (1) se présente. II assure qu'aucun des habitants n'est en possession d'armes et qu'il ne se produira aucune attaque quelconque contre les troupes. Après que 1'équipage de pont divisionnaire fut arrivé, les pionniers commencèrent la construction d'un pont sur la Meuse. Mais une forte fusillade ennemie provenant en partie de troupes d'infanterie et en partie des habitants de I'autre rive (2), transperce les pontons et rend impossible la continuation de la construction. On fait d'abord passer la Meuse a la 2me compagnie, qui sur un front étendu, traversa la localité de Neffe oü on tire sur elle des maisons et du talus du chemin de fer. Plusieurs civils, qui, c ach és dans des embuscades, ont fait feu sur la compagnie, sont fusillés et les maisons incendiées. Suivant la 2me compagnie, les autres compagnies du Ier bataillon, ont aussi atteint les Rivages. Pendant que le bataillon se trouvait prés de la Meuse et attendait pour traverser il fut assailli des maisons par des villageois. De toutes les fenêtres, de derrière les haies des jardins, des collines, des balles et des chevrotines tirées par les habitants grèlent sur les compagnies. Le bataillon regoit immédiatement 1'ordre d'entamer la lutte avec ces villageois fanatiques. Baïonnette au canon, les grenadiers s'avancent a travers les rues étroites. Au moyen de pioches, de hachettes et de cognées, les portes et les fenêtres fermées sont forcées. Les grenadiers pénètrent par groupes dans les maisons pour s'y emparer des habitants qui continuaient a tirer sur nous. Ce n'étaient pas seulement des hommes et des jeunes gens qui (1) Le faubourg des Rivages fait partie intégrante de Dinant. II ne constitue pas une commune distincte. II n'y a donc pas de bourgmestre des Rivages. (2) C'est nous qui soulignons ce passage. prenaient part au combat, maïs aussi des vieillards, des femntes et des enfants. Les francs-tireurs avaient bien choisi leurs lieux d'embuscades. Déja la nuit tombe, et cependant le feu ennemi ne diminue pas encore. Notre but est d'atteindre 1'autre rive de la Meuse mais, d'autre part, les troupes et les équipages qui nous suivent doivent pouvoir traverser la localité sans être assaillis de nouveau. Ainsi il ne reste plus qu'un seul moyen: 1'incendie du village ; aussi celui-ci ne forma-t-il bientót qu'une mer de flammes. Du massacre des otages, pas un mot ! Omission voulue qui constitue une preuve manifeste et nouvelle du manque de sincérité des officiers allemands, présentant les événements non sous leur aspect réel, mais comme ils voudraient qu'ils se soient passés. Un aveu a noter: le feu dirigé sur les pontons et qui interrompit la construction du pont est parti de la rive gauche du fleuve. C'est la confirmation de la démonstration faite plus haut. C'est tout ce qu'il faut retenir de ce rapport. II n'y a pas a le réfuter: les documents allemands reproduits plus haut le font avec toute la précision désirable.' Le rapport du régiment de grenadiers n° 101 est une ceuvre de pure imagination. II en est de même de 1'odieux factum du major Schlick (Anl. 44). Sa violence emportée et 1'excès des accusations qui y sont produites amènent a se demander si 1'on se trouve en présence d'un témoignage ou du plaidoyer d'un accusé défendant sa ProPre cause. Voici la pièce. Anlage 44. — RAPPORT au sujet des combats dans les rues aux R.ivages, (Dinant), le 23 Aoüt 1914. Les compagnies du régiment des grenadiers n° 101 qui avaient atteint les Rivages dans 1'après-midi du 23 Aoüt 1914 durent être retirées de six a huit cents mètres sur la route du Pont de Pierre, (1) paree que notre propre artillerie avait ouvert un feu intense sur la région oü se trouve cette localité. (2) Le bourgmestre de ce lieu, mandé par moi en eet endroit, rn'assura quil n'y aiflait pas d'arme, et que la population ne médilait aucun attentat contre nos troupes. II fut chargé de mettre a la disposition des compagnies, dans un temps déterminé, du beurre et du pain et cela a la sortie du village, a 1'endroit oü se fit plus tard la construction du pont. Les compagnies ne purent (1) II s'agit de la route de Froidveau. Le Pont de Pierre est un "lieu dit,, situé sur cette route. (2) A 1'insu des pionniers! pas consommer ces choses, paree qu'entre-temps on fit passer la Meuse a la 2me compagnie et que les autres furent engagées dans les combats de rues. Quand, en effet, après la cessation de notre feu d'artillerie, les compagnies furent ramenées vers les Rivages et que des détachements chargés de prendre réception des vivres requisitionnés eurent été désignés, les habiïants des Rivages ouvrirent un feu meurtrier sur nos troupes, tirant de toutes les maisons, des jardins et aussi des collines. Des hommes de tont dge, ainsi qu'une quantité innombrable de femmes et même des fillettes de dix ans, firent feu des maisons et dans les maisons. C'est ainsi qu'une femme fut grièvement blessée au sein par ses concitoyens et pansée par nous. Le bataillon regut 1'ordre d'ouvrir la lutte contre les habitants qui tiraient comme des forcenés. Dans le but de combattre dans les rues et les maisons, les 3'ne et 4me compagnies s'avancèrent, taridis qu'une partie de la lre compagnie restait sur la rive. Les habitants, d'une conduite particulièrement indigne, faisaient feu comme des forcenés sur nos troupes, avec des armes de toute espèce, sans qu'il fut possible de les en empêcher. Une partie d'entre eux, environ vingt, parmi lesquels quelques femmes, qui ne cessaient d'attaquer constamment les compagnies avec une perfidie particulière en leur tirant dans le dos, furent fusillés dans le but de nous défendre contre leurs agissements et de détourner, par la frayeur, les autres habitants de toute atrocité ultérieure. Environ 100 ou 150 hommes et femmes ainsi que des enfants furent rassemblés et transportés par les premiers bateaux sur 1'autre rive de la Meuse (2), cela, tant dans le but de les empêcher de se livrer a de nouveaux actes de violence que pour éloigner de 1'épouvantable combat, ceux d'entre eux qui paraissaient innocents. Les 3rae et 4me compagnies continuèrent le combat dans les rues longtemps encore après la tombée de la nuit, jusqu'a ce qu'enfïn 1'incendie de tout le village eut mis fin aux ignobles agissements des habitants. L'injonction de procéder au combat dans les rues a été donnée par moi et mis a exécution par les 3me et 4me compagnies, d'après un ordre du régiment. Quant a moi, je puis qu'attester que, comme a un signal donné, les villageois, hommes de tout age, femmes et filles, firent feu sur nous comme des etiragés et que les moyens auxquels nous eumes recours nous étaient imposés par la légitime défense. La situation dans laquelle se trouvait la troupe, surtout a 1'endroit oü plus tard fut construit le pont, mérite dans toute la force du terme, le nom de chaudière de sorcières. On ne peut rien imaginer de pire que la fa^on dont agissait cette armée en furie d'hommes et de mégères. Malgré toutes les impressions (2) C est faux. Ce sont des habitants de Neffe qui ont été transportés aux Rivages Une partie d'entre eux y furent fusillés. effroyables d'une pareille lutte, j'ai, dans la suite, toujours admire la conduite calme de nos troupes vis a vis de ces brutes et^ la fagon dont elles s'abstinrent de toute cruauté, même quand elles se trouvaient elles-mêmes exppsées de la fagon la plus grave (1). (signé) Schlick Major commandant du Ier bataillon du régiment de grenadiers n° 101. (sans.date). Et c'est après avoir vu les cadavres pantelants des enfants mutilés par les balles de ses bandits que le major Schlick éprouve cette réconfortante admiration! Brave coeur, va! Je n'ai rien a dire de ce témoignage. On s'efforce a Berlin de justifier ce massacre d'otages. " Leur exécution, lisons-nous dans 1' " aper?u général, „ était d autant plus justifiée qu'il n'est guère possible de croire qu'il y ait eu des innocents puisque la population entière avait pris part a la lutte. „ La mauvaise foi de ces messieurs est stupéfiante. Des documents qu'eux-mêmes publient il résulte nettement que les victimes sont des otages pris avant qu'un seul coup de feu eüt été tiré contre les troupes allemandes. (Anl. 39, 45, 46). " L'exécution des otages qui eut lieu dans différentes parties de la localité, dit encore 1' " apergu général, „ répond également au droit militaire. „ J'ignore le droit militaire allemand mais je connais au dessus de lui un commandement et une justice imprescriptibles qui défendent de verser le sang innocent. " Non occides. „ — Les rédacteurs du Livre Blanc ne paraissent pas en avoir soup- gonné 1'existence. La documentation que les Allemands nous livrent sur la tragédie des Rivages n'est pas compléte. II y manque une pièce et un nom. Une pièce : la déposition du colonel Meister. 11 se trouvait sur les lieux ; il y commandait. II est responsable du sang versé. (1) Une réflexion suggestive. II y a pour les événements des Rivages deux groupes de témoins : 1° les pontonniers, a peu pres daccord entre eux, qui donnent une version de 1'affaire; 2° les grenadiers qui s'entendent et presentent les événements sous une face différente. Entre les récits de ces deux groupes pas de contact. C'est au point que si 1'on relisait leurs temoignages en faisant abstraction de la désignation du lieu, on ne se rendrait pas compte qu ils parient des mêmes faits. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Calomnie nouvelle ou confession, nous avons le droit de connaitre sa déclaration. Un nom : celui de 1'officier qui a ordonné le massacre. On nous fait connaitre les bourreaux de Leffe, ou tout au moins quelques-uns d'entre eux. Pour les événements du centre de la ville, oü ne furent fusillés que des hommes, on nous donne la déclaration ducoupable: le comte Kielmannsegg et chaque témoignage 1'accuse personnellement. Ici, 1'aveu du coupable manque et tous les rapport nous cachent son nom. Unanimité dans le silence ! Est-il téméraire d'en conclure a des intrigues auprès des témoins ou a des tripotages dans la fagon dont sont reproduites leurs déclarations ? Mais aussi le crime était véritablement trop odieux pour que 1'on ose désigner 1'assassin. Pudeur ? Non. Complicité ! On protégé le misérable, on le couvre. Bien plus 1 on lui cherche une excuse qu'aucun témoin ne signale. Ouvrons le rapport de la Commission allemande et lisons : " Quelques femmes et quelques enfants ont été atteints aux Rivages pendant 1'exécution des otages. Malgré les ordres donnés, et dans la confusion générale, les femmes et les enfants ont quitté la place qui leur avait été assignée a 1'écart des hommes et s'étaient pressés autour de ces derniers. „ (Voir page 58). On mettrait de 1'ordre pour une distribution de vivres. On ne prend ni ce temps ni cette peine quand il s'agit de distribuer des balles a des femmes et des enfants! Le crime fut une lacheté ; 1'excuse qu'on en donne en souligne la honte. Pour le criminel et pour ceux qui, inconscients, cherchent a 1'innocenter, 1'histoire a des piloris. * * * L'anlage 54, ne se rapporte pas uniquement aux faits des Rivages. C'est ici cependant qu'elle se classe le mieux. Anlage 51. Neufchatel, le 18 Février 1915. Max Georges PETRENZ, 36 ans, stabsartz, (médecin de bataillon) auprès du commandement du train du XIIme corps d'armée. Le 21 et le 22 Aoüt, j'étais a Taviet. Le 23 Aoüt, 1'échelon monté de 1'Etat-Major partit, et arriva le soir, vers 10 heures, a la Meuse, aux Rivages. D'après ce que j'appris, le village de Sorinnes avait été, le 22 Aoüt, purgé de tous les hommes et de tous les éléments douteux, Arrivant de bonne heure, le 23 Aoüt au matin, dans ce village, je vis une maison en feu, entourée par nos soldats. J'appris qu'on avait fait feu de cette maison, sur les hussards qui passaient, qu'on 1'avait ensuite fouillée en vain pour en chasser les tireurs et qu'alors, pour chasser ceux-ci de leur cachette, on avait ineendié la maison. (1) Retournant plus tard a Taviet, je racontai ce fait a la dame chez qui j'avais logé, une femme de la bourgeoisie. Elle me dit : "Ce seront certainement encore des gens de Dinant„. Elle me raconta alors que, de Dinant, on avait envoyé, dans les villages des alentours, les éléments douteux. Lorsque ceux-ci auraient commis des méfaits vis-a-vis des troupes allemandes, leurs actes devaient être mis sur le compte des habitants. De ce qu'elle me dit, je compris que, de Dinant, on avait réellement organisé la résistance contre les troupes allemandes. Notre échelon morïCé partit de Taviet, a 3 heures de 1'aprèsmidi, s'arrêta, un temps assez long, au Sud de la route de Sorinnes, vers Dinant, et descendit a la Meuse, par la gorge qui conduit aux Rivages. Nous y arrivames alors qulil faisait déja obscur. Pendant la nuit, arrivèrent encore une grande quantité de femmes et d'enfants, qui, a vrai dire, auraient du aller encore plus loin, vers le Sud. Cependant, vu le grand danger que cela aurait présenté, étant donné que le long de la route tout brülait, nous les hospitalisdmes dans une grande maison vide, immédiatement, en face du pont de pontons, oü ils étaient a F abri du feu. Outre moimême, un certain nombre d'officiers du régiment du roi n° 100, se sont mis en peine pour leur installation. Le lendemain matin, le capitaine von Criegern a, sur 'na demande, ordonné de distribuer du café chaud a toutes les femmes et aux enfants. Sur la rive de la Meuse, entre la rivière et un mur de jardin, a gauche prés du pont de bateaux gisaient un tas de civils fusilles. J'en ignore le nombre: trente a quarante, je crois. Je ne sais qui les avait fusillés; j'ai entendu dire que le 101me régiment de grenadiers avait fait ia une exécution. Parmi les tués se trouvaient aussi quelques femmes; les jeunes gens formaient de' beaucoup la majorité. Dans le tas, je découvris une fillette d environ cinq ans, vivante et sans aucune blessure. Je 1'enlevai du tas et la conduisis dans la maison oü se trouvaient les femmes. Elle accepta du chocolat, était trés alerte et, manifestement, ne se rendait, pas compte de la gravité de la situation. J'examinai alors le tas de cadavres pour voir s il s y trouvait encore d'autres enfants. Je ne découvris flus qu'une file ^d environ 10 ans blessée a la partie inférieure de la cuisse. Je la fis panser et porter également auprès des femmes. Le lendemain (1) Les soldats ont ici agi comme, a Leffe, le capitaine Wilke : la maison fut incendiée paree que personne n'y fut trouvé. Ajoutons qu'on acheva ensuite de brüler entièrement le village oü, depuis la veille, il ne restait plus un homme. elle ne souffrait presque plus. II se fit que la mère de cette fille se trouvait parmi les femmes venues de Dinant. Mère et fille me furent trés reconnaissantes. Le tas des cadavres se trouvait a un endroit que les femmes et les enfants hébergés dans la maison ne pouvaient apercevoir. Lorsque, le lendemain matin a 9 heures, je me préparais a partir, des pionniers étaient précisément en train de creuser, pour les cadavres, une fosse commune, dans un verger situé derrière le mur de jardin devant lequel les corps gisaient. Je me suis convaincu personnellement et en plein jour quil n'y avait ld que des morts. II est hors de doute qu'aucun vivant n'a été enterré par erreur. Je veux encore ajouter, qu'au courant de la nuit, un officier des grenadiers me pria de retirer, d'une maison menacée par le feu, un civil blessé et de le mettre en süreté. L'homme avait regu un coup de feu dans la partie supérieure de la cuisse; il appartenait a la bourgeoisie. II avait raconté aux officiers des grenadiers que des francs-tireurs beiges avaient fait feu sur lui paree quil n'avait pas voulu les cacher dans sa maison. II avait déja été pansé par nos hommes et fut maintenant transporté dans la maison oti se trouvaient les femmes. Le lendemain, après avoir passé la Meuse, nous chevauchames le long de la rive gauche pour arriver sur la route conduisant a Onhaye. Sur 1'autre rive, les maisons de Dinant semblaient désertes. Seulement, devant la porte cochère d'un hötel, se trouvait un civil qui épaula un fusil et fit feu vers nous sans nous atteindre. Quand nous ripostames, a coups de revolver, il disparut. Pour avoir donné des soins a deux fillettes que les balles allemandes n'avaient pas tuées, (et le Livre Blanc souligne cette partie de la déposition,) le döCteur Petrenz se loue avec une insistance de mauvais goüt. Visiblement, eet homme s'admire. Laissons-le, livré a cette attrayante occupation et poursuivons 1'examen de sa déclaration. Elle nous fournit un exemple typique de la mielleuse hypocrisie avec laquelle un Allemand, qui fait patte de velours, réussit a déformer la vérité. II nous raconte, entre-autres, comment des femmes et des enfants vinrent de Dinant, les soins que 1'on prit de leur éviter des dangers, la sollicitude attentive avec laquelle on les hébergea et la prévenance que 1'on eut de leur dissimuler le mur au pied duquel gisaient les morts! L'exode des Dinantais n'était pas volontaire. Amenés aux Rivages par violence et a travers la ville en flammes, ils feront toujours grief aux Allemands de ne leur avoir pas permis de franchir encore une centaine de mètres pour aller jusqu'a Anseremme. La, en dehors de la zóne des incendies, ils auraient trouvé 1'hospitalité compatissante de leurs compatriotes au lieu de la détention de trois jours qu'ils durent subir, en butte aux injures, aux outrages, aux menaces de la soldatesque qui les gardait, en proie aux privations de la faim et aux souffrances de toutes les angoisses. Mais il ne fallait pas qu'ils pussent retourner a Dinant oü leur présence aurait gêné les opérations des pillards. Le témoin nous explique ensuite, qu'ayant examiné les cadavres (il en compte 30 a 40 au lieu de 90 (1), il constate que parmi les tués se trouvaient quelques femmes. " ües jeunes gens formaient de beaucoup la majorité,,. Cette fa£on de ne parler que de " la majorité „ est une admirable trouvaille qui disperse ingénieusement de parler des vieillards aux cheveux maculés de rouge et des nourrissons aux lèvres desquels perlait*, au lieu d'une goutte de lait, du sang! La manière de ce témoin est par trop subjective. Aussi ne peut-on accorder créance au récit de son entretien avec une femme de Taviet qui lui aurait dévoilé quelques détails des machinations ourdies par les Dinantais contre 1 armée allemande. Le Dr Petrenz pouvait facilement connaitre le nom de son interlocutrice. II aurait été sagement inspiré en le faisant connaitre. Cette précaution eüt permis le controle de sa déposition, controle que doit souhaiter tout témoin sincère. On aurait pu rechercher oü cette personne avait appris les renseignements qu'elle livrait si complaisamment, et s'assurer que le docteur Petrenz a, malgré la différence de langues, compris exactement ce qu'on lui racontait. On aurait vu enfin : si son récit n'est pas inventé de toutes pièces. Les rédacteurs du Livre Blanc ramassentces potins, les modifient de fa?on a en étendre la portée et dans la forme suivante, les présentent comme un fait de notoriété publique : "Déja avant le 23 Aoüt la population des environs de Dinant savait qu on avait organisé a Dinant un guet-apens contre les troupes allemandes. On savait que les actes d'hostilité commis par des habitants du pays contre les troupes allemandes a Sorinnes et dans d autres localités situées a 1'Est de la Meuse étaient, en partie, le résultat de 1'action d'émissaires venus de Dinant (Anl. 12 (2) et 51). (Voir apergu général de la Commission d'Enquête allemande, page 56). (1) Cechiffre est celui que donne Msr Heylen. J'avais cru et j'ai écrit que le nombre des victimes était de 80. (2) On ne voit pas ce que vient faire ici cette mention de 1 Anlage 12, qui ne contient rien de semblable. On trouve a glaner un conté de bonne femme, on maquille outrageusement un texte, et cela devient de 1'histoire que 1'on prétend imposer au monde. Le 20me rapport de la Commission beige d'Enquête. (v. p. 45) qui reproduit une lettre adressée par moi-même au Ministre de la Justice, signale qu'aux Rivages, une femme fut enterrée vive. Le docteur Petrenz affirme, par contre, que 1'on n'enterra aucune personne vivante. Je n'ai pas articulé 1'accusation sans être certain de son exactitude. L affirmation du témoin, qui, sur 90 cadavres en vit seulement 30 a 40, ne suffit pas a la réfuter. Je n'ai ni écrit ni pensé que 1'autorité allemande ait ordonné ce crime, ni qu'un médecin allemand s'en soit rendu complice. Je ne veux pas même tirer argument, contre 1'armée allemande, du fait que, dans ses rangs, il se soit trouvé un monstre capable de perpétrer pareil forfait. La déposition du docteur Petrenz est du 15 Février 1915, c'est-a-dire antérieure a la rédaction du rapport dans lequel 1'accusation fut, pour la première fois, produite. II n'a pu entrer dans I'esprit du témoin ou de ses ' interrogateurs assez de perversion pour que, spontanément, 1'idée leur vint de défendre 1'honneur allemand contre 1'éventualité d'une imputation semblable. Une accusation formulée explique seule la dénégation du Dr Petrenz, et cette accusation ne pouvait provenir que de source allemande. Ceci décelerait une tare nouvelle de 1'enquête de nos ennemis, niant tout par principe, même les faits que les auteurs du Livre Blanc trouvent dans les témoignages de leurs propres soldats, témoignages que, bien entendu, ils s'abstiennent de faire connaïtre. Mes soupgons sont peut-être injustifiés; ils ne sont pas téméraires. Le docteur Petrenz voulut avoir son histoire de francs-tireurs. Aussi, il nous conté que, le 24 Aoüt, suivant la rive gauche de la Meuse, il vit sur 1 autre rive du fleuve un franc-tireur épauler et faire feu. Nous avons souvent reproché aux documents allemands leur manque de précision : il empêche tout controle. Le témoin évite, ici, eet écueil; il spécifie : 1'homme se trouvait devant la porte cochère d'un hotel. Et du coup, voila le témoin pris en flagrant délit de mensonge. Sur la rive droite de la Meuse, il existait trois hotels visibles de la rive gauche. Aucun n'avait de porte cochère. CHAPITRE XVI A Neffe Anlage 40. Juvencourt, 1" Mars 1915. Arnd Maximilien Ernest VON ZESCHAU (1), 42 ans, major commandant de bataillon au régiment de grenadiers n 1U1. Le 23 Aoüt 1914, vers 6 heures de 1'après-midi, j'arrivai, avec ma llme compagnie, a la Meuse, prés des Rivages. Je fus transoorté immédiatement a 1'autre rive, au moyen de pontons. J'avais mission d'y occuper les collines a droite de la 2 compagnie qui avait déja traversé le fleuve. En face des Rivages se trouvaient des rangées continues de maisons. Nous descendim . tout d'abord jusqu'a 1'église, après quoi nous tournames a gauche. J'allais avec mon groupe a travers une ruelle tres etroite ou les portes des maisons et les volets des fenetres etaient fermees. Soudain quatre a cinq coups de feu fiartirent derriere mot. Mes hommes forcérent immédiatement rentree de la maisoi coups étaient partis. La maison était vide. Derriere le batiment il y avait une petite cour et une buanderie. Dans la cour se trouvait un fusil de chasse décharge. En continuant notre route nous arrivames prés dun talus de chemin de fer sous lequel etait ménagé un passage. Devant celui-ci gisait avec une arme ressemblant a une carabine, un civil mort. Le sous-lieutenant von Oer, qui se trouvait de 1'autre cöté du talus, me cria que, de 1'intérieur du passage, on avait fait feu sur lui. Dans le passage ie vis des gens. Quelques-uns de nos hommes étaient accroupis a auelques pas de 1'ouverture, le fusil décalé; a ma question, lis répondiren- qu'on avai. tiré du passaje. Je criai a 1',„té,leur : . Sorte^. on ne vous fera riea! . Comme les gens ne sorta.ent pas, je fis tirer dans le passage quelques coups de teu en fout dix a douze - par environ cinq a six de mes hommes. Comme a 1'intérieur s'entendaient ensuite de grands éemissements, ie laissai un sous-officier en arnere avec ordre de faire évacuer le passage. Le sous-officier me declara le lendemam matin qu iï en avait retiré 35 a 40 civils, des hommes, des ieunes gargons, des femmes et des enfants, ainsi qu un certain nombre d'armes; il me dit que cetaient huit a dix armes. msemblant a des carabines. Les civils arrêtés furent renus a d autres troupes a 1'endroit oü avait été établi le pont. A environ 200 métres au dela du talus du chemin de fer, je me trouvai engage dans un combat avec de Tinfanterie frangaise. (1) Ne pas confondre avec son homonyme Karl Henri von Zeschau (anl. 45). Anlage 41. Proviseux, le 2 Mars 1915. Kurt Frédéric FABER, sous-officier a la 10me compagnie du régiment de grenadiers a° 101, 22 ans. D'après mon journal de guerre, j'ai passé la Meuse, a Dinant, le dimanche 23 Aoüt 1914, a 6 heures 5 minutes du soir, avec le major von Zeschau et environ trois détachements de grenadiers. Nous voulions occuper les hauteurs d'en face que 1'on croyait occupées par 1'ennemi. Chemin faisant, j'ai remarqué que dans une rue latérale, une femme tira sur nous au moyen d'un revolver a travers une porte entre-baillée. La dessus, je tirai vers Ia femme qui ferma brusquement la porte. J'ignore si je 1'ai touchée. Anlage 42. Proviseux, le 2 Mars 1915. « Franz Otto SCHLOSSER grenadier a la 10me compagnie du régiment de grenadiers, n° 101. Le 23 Aoüt 1914, dans 1'après-midi, je passai en barque la Meuse a Dinant avec le capitaine Graisewsky et le lieutenant von der Decken ainsi que des hommes de la 10me compagnie du régiment de grenadiers n° 101. Quand nous arrivames vers le milieu du fleuve un feu violent fut ouvert sur nous de différents cötés. Sur 1'ordre du capitaine, nous occupames sur 1'autre rive un fossé. Des maisons situées a droite et a gauche on fit feu sur nous. J'ai vu, de mes propres yeux, a une fenêtre d'une maison, plusieurs femmes qui liraient sur nous. Le capitaine nous donna alors 1'ordre de faire sortir les habitants des maisons. Nous en retirames, environ 20 personnes, rien que des femmes et des enfants, je crois, qui, furent conduites comme prisonnières prés de la Meuse. Nous avons ensuite encore incendié les maisons. Des circonstances nouvelles augmentent, pour les Allemands, la difficulté de se rendre compte, ici, de ce_ qui passé. Allemands et Francais sont en contact immédiat. En effet dans la soirée du 23 Aoüt, sur la rive gauche de la Meuse les Francais contre-attaquent vigoureusement, rejettent dans la Meuse des troupes allemandes qui avaient passé le fleuve et ne se retirent qu'a la nuit. Cela est établi par des renseignements fournis par 1'autorité militaire frangaise. (Livre Gris Beige p. 235). L'endroit d'oü, a ce moment, partent des coups de feu ne permet plus aucune induction. Les circonstances elles-mémes énervent la valeur des témoignages. Nous avons ceux d'un sous-officier et d'un soldat. (Anl. 41 et 42). L'un prétend avoir vu, a une fenêtre, plusieurs femmes faire feu dans sa direction. L'autre a essuyé un coup de revolver tiré par une femme embusquée derrière une porte entre-baillée. Aucun témoin ne prétend avoir vu des hommes tirer. A Nefïe, seules, des femmes seraient coupables. Le vieil adage juridique " testis unus, testis nullus „ nest pas juste. Un témoignage unique peut faire preuve. Mais il faut que 1'on sache le témoin parfaitement honnête. II y a d'honnêtes gens dans 1'armée allemande. II y en a d'autres. Nous ne savons rien de ces deux soldats. II faut que le témoin soit désintéressé. Or, les événements de Dinant intéressent 1'honneur de tous les Allemands qui y ont assisté. II faut que le témoignage ne soit pas lié par une étroite connexité a d'autres affirmations de fa même enquête, reconnues fausses, ou a 1'ensemble de cette enquête, si elle est suspecte. Cette connexité existe ici. II faut, enfin, que la déposition unique ne heurte pas les probabilités qu'impose le bon sens. Les témoignages de ces deux soldats ne satisfont pas a cette condition. J'estime inutile d'insister davantage sur leur manque de valeur. Le major von Zeschau (Anl. 40) appartient a la catégorie des témoins qui n'ont rien vu; il ne parle que par ouï-dire. II rapporte deux faits. I. Dans une ruelle étroite, derrière lui, des coups de feu éclatent, qui semblent n'atteindre personne. On fouille la maison d'oii 1'on avait tiré; elle est déserte. Un seul indice décele 1'action des francs-tireurs: un fusil de chasse déchargé est trouvé dans la cour d'une maison. Le fait que d'une maison partent des coups de feu n'a plus ici aucune valeur: des soldats francais peuvent les avoir tirés. Qui a vu ce fusil? Le major von Zeschau? II n'en dit rien. C'est un soldat... quelqu'un... on... qui a raconté avoir vu cette arme et le major von Zeschau 1'aura entendu dire. Ce n'est pas sérieux. it. Un sous-lieutenant a crié au témoin que dun aqueduc percé au travers du talus du chemin de fer on avait fait feu sur sa troupe. Des armes ressemblant a des carabines (?) sont trouvées dans eet acqueduc, dit le major von Zeschau. Qu'en sait-il? II ne les a pas vues. Personnellement, il ne connait qu'une chose: 1'ordre qu'il a donné de faire feu sur les malheureux qui avaientcherché asile sous cette voute et qui étaient paisibles lorsqu'il les a vus. Les faits prennent dans son récit allure d'absurdités. En effet: 1" Des francs-tireurs auraient compris qu'ils étaient tout aussi utiles et mieux en sécurité quelques cents mètres plus loin au milieu des avant-postes frangais. 2° lis n'auraient pas exposé des femmes et des enfants a un danger inutile et terrible en se faisant accompagner par eux dans leur embuscade. 3° Fuyant leurs habitations pour chercher un abri plus sur, ce nest pas au milieu des francs-tireurs et de leurs fusils que ces femmes et enfants auraient cru le trouver. La déposition von Zeschau est incomplète. Elle négligé certains faits que voici : 1° avant d'arriver a 1'aqueduc, les soldats placés sous ses ordres avaient déja assassiné plusieurs families ; 2 sous 1 aqueduc ils n'ont pas seulement tiré des coups de fusil, ils ont aussi jeté des grenades ; 3° il y eut la une vingtaine de cadavres et de nombreux blessés, dont plusieurs succombèrent a leurs blessures. Quand on témoigne d'un fait, on le raconte en entier si 1'on veut être correct. On est coupable lorsqu'on en tait la moitié. La première punition du mauvais témoin est le mépris dans lequel on tient son témoignage. Je ne sais si 1'avenir ne réserve d'autre chatiment au major von Zeschau; mais il n'échappera pas a celui-ci. CHAPITRE XVII Derniers Coups de Feu Le lendemain, 24 aoüt, la fureur allemamde n'était pas encore calmée. En même temps que s'organisait le pillage de nouveaux incendies étaient allumés et des perquisitions étaient pratiquées dans la partie de la ville épargnée la veille. On arretait toujours. On tirait sur des malheureux qui, sortant des cachettes invraisemblables oa la tourmente de la veille n'avait pu les atteindre, se risquaient a la recherche de leurs proches ou se hataient vers les hauteurs, fuyant la ville en flammes, les dangers dont elle était pleine et le cauchemar des morts saignant dans les rues. A ces nouveaux excès des Barbares font pendant de nouvel es accusations. Anlage 47. Neufchatel, 2 Mars 1915. Henri Bernard Wichard baron VON ROCHOW, 30, ans lieutenant de réserve au régiment de Uhlans n 17 actuellement commandant de la garde de cavalerie de 1 Etat-Major du XII corps d'armée. J'arrivai le 23 Aout 1914, a la tombée de la nuit aux Rivages et vis prés du point de passage, un grand tas de cadavres. Dans le courant de la soirée, alors que le passage avait commence et qu'il faisait un peu plus calme, nous remarquames que dans ce tas de cadavres se trouvaient quelques b/esses. Ceux-ci furent emportés. Moi-même, je transportai auprès des femmes Pns°nnières et je confiai a un médecin une fillette de huit ans, blessee au visage et une vieille femme qui avait regu un coup a la cuisse. Je suis resté a eet endroit jusqu'a ce que, le jour suivant, e pont fut terminé. , II y eut encore jusqu'a ce moment des coups de fustls tires monifestement fiar des habitants. Les maisons furent fouillees par des gendarmes de campagne. Les gens qu on y ,trouv^ J"r®" soumis a un interrogatoire auquel je participai partiellement comme interprète. Deux hommes furent fusilles paree qu on avait tiré de leurs maisons et trouvé des mumtons dans leurs floches Une femme, bien qu'e 11e eüt en poche un revolver charge, ne tut pas fusillée paree que sa cupabilité ne se trouva pas clairement démontrée. La cupabilité de chacun fut examinee sans hate par les officiers présents- Ge Cas est le premier oü il soit fait mentiori d'unê sorte de / procédure. C'est un progrès. Cependant, pour croire a la culpabilité des gens condamnés, j'aimerais posséder d'autres renseignements que 1'opinion de 1'interprète. Les témoignages et les preuves qui ont décidé les juges, voila ce qu'il serait important de connaitre. Le dossier allemand ne les fournit pas. Anlage 49. Neufchatel, 23 Février 1915. Joachim Hans PAASIG, 48 ans, major commandant de la colonne de munitions du XIIme corps d'armée. Je n'arrivai a Dinant que le soir du 23 Aoüt 1914, et ce a 1'endroit du pont établi aux Rivages. La se trouvait déja un grand monceau de cadavres dont les blessures étaient, en partie, fort graves et semblaient produites par 1'artillerie. Le lendemain je restai encore prés du pont jusque vers midi, pour surveiller le passage de 1'artillerie. Jusque vers dix heures, tout fut paisible. Mais a partir de ce moment, d'une fa?on intermittente tout d'abord, de plus en plus fréquente ensuite, des coups de feu furent tirés sur le bac et sur les colonnes stationnant de l'autre cóté de la Meuse. lis partaient des collines a 1'Est du fleuve. De ce cöté de la Meuse il n'y avait plus a ce moment de troupes régulières. On fit aussi feu d'une maison des Rivages. En y perqmsitionnant, on trouva dans la cave deux civils d'environ 45 et 25 ans, porteurs de cartouches, lis furent fusillés après qu'on eüt constaté, d'une facon certaine, qu'ils avaient tiré. Je dus traverser le fleuve plusieurs fois et constatai que des balles tombaient dans 1'eau prés de moi. Elles étaient visiblement destinées a moi ou aux pontons. Après 1'heure de midi, je traversai le fleuve définitivement et partis avec la batterie Fiedler, longeant l'autre rive dans le sens du courant. Prés d'une courbe de la route, la tête de la batterie fut prise sous un feu violent parti d'une maison située devant nous, a environ 150 pas. Nous fimes halte et un canon tira quelques obus sur cette maison. Le calme se fit. Plus loin, on fit feu sur nous de maisons de la rive droite situées sur une place publique. Je remarquai clairement qu'on tirait des lucarnes. Ce tir cessa rapidement quand nous y eümes répondu a coups de carabines. Nous eumes encore a subir le feu d'une maison a gauche de la rue, tout prés de nous, au moment oü nous tournions a gauche. Mais nous ne nous laissames pas arrêter par cela et primes le trot. 1°) Coups de feu tirés des collines de la rive droite. Le témoin affirme qu'il ne restait plus de troupes régulières de ce cöté de la Meuse. C'est une erreur. Les autorités militaires allemandes le savent si bien qu'en Décembre 1914, je crois, elles firent publier dans le journal namurois " L'Ami de 1'Ordre,,, oü je 1'ai lu, un avis aux soldats francais qui tenaient encore la campagne, avis les invitant a se rendre. Coupés des forces frangaises, ces braves firent longtemps sur la *rive droite de la Meuse une guerre de guérillas. lis se tenaient habituellement dans des bois qui ne sont éloignés de Dinant que de quelques kilomètres. II y avait parmi eux des officiers et 1'on peut trés bien admettre que, le 24 Aoüt, ils cherchèrent a se rapprocher de la Meuse pour tenter, le cas échéant, de franchir le fleuve et de rejoindre leur corps. Le major Paazig n'a pas vu les tireurs qui 1'ont inquiété et qui, pour tirer du haut des collines jusque dans la Meuse, devaient être armés, non d'armes de chasse, mais de fusils rayés. Est-il en mesure d'affirmer que le tir dont il parle n'était pas entretenu par des soldats francais? Non; pas plus qu'il ne peut affirmer que les balles tombant a 1'eau, prés de lui, n'étaient pas des balles perdues, tirées sur les hauteurs, par les Allemands, contre les Dinantais qui fuyaient la ville. 2°) On fait feu d'une maison. On la fouille et 1'on trouve deux civils porteurs de cartouches. Pour tirer il leur avait aussi fallu des fusils. Et 1'on ne découvre pas ceux-ci. Dans quelle cachette invraisemblable ont-ils pu être dissimulés et comment les cartouches n'y ont-elles pas trouvé place a cöté des arm es? 3n) D'autres coups de feu furent tirés sur les troupes, partant de 1'une et 1'autre rive de la Meuse. II ne parait pas qu'il y ait eu des victimes. Le témoin n'a pas vu qui tirait. De quel droit accuse-t-il la population, quand il sait que pendant toute la journée les Allemands ont tiraillé tantöt d'un cöté tantöt de 1'autre? II est vrai qüe, pour un officier allemand, tout coup de fusil dont 1'origine est inconnue a été tiré par un franc-tireur. Anlage 50. Neufchatel, 18 Février 1915. Dr Paul KAISER, 52 ans, aumönier divisionnaire catholique a la 32n,e division d'infanterie. J'ai été a Leffe depuis le soir du 23 Aoüt jusqu'au matin du 25. Dans 1'aprés-midi du 24 Aoüt, un capitaine que je connaissais m'invita a prendre avec lui une assiette de soüpe. Cela se fit daris une cour oü se trouvait aussi 1'ordonnance du capitaine, qui préparait la soupe, et deux ou trois hommes qui travaillaient a un automobile de charge. Soudain nous entendimes quelques coufis de^feu et des balles passèrent a peu de distance au dessus de nous. Naturellement nous en fümes tous fort émus. Dans la direction d'oü semblaient partir les coups, a environ 100 mètres de distance, se trouvait une maison en briques de construction assez récente. Entre le premier étage et la mansarde, se trouvait une bande blanche dans laquelle on voyait plusieurs trous d'oü sortait de la furnée. Celle-ci provenait évidemment d'un coup de feu tiré immédiatement auparavant. Comme je 1'appris, cette maison fut alors fouillée. Peu après toute une file de civils hommes et femmes, passa devant nous. Ils avaient, m'a-t-on dit, été arrêtés tous ensemble dans la maison. Ils furent conduits a 1'école régimentaire qui servait de prison. En regard de cette déclaration, plafons des faits. 1' L invraisemblable audace prêtée a des francs-tireurs qui, le 24 Aoüt, entourés de leurs femmes, auraient tenté de recommencer Ia bataille. 2° La ressemblance entre la fumée d'un coup de feu et la poussière de brique projetée par une balie qui frappe un mur. Cela ne permet-il pas de croire que des soldats allemands, ayant apergu des gens dans 1'immeuble dont parle le témoin, auront, comme ils le faisaient la veille, tiré sur cette maison avant de 1 envahir et de la fouiller? Supposition confirmée par une circontance étonnante : on ne fusille personne. Cette longanimité inaccoutumée fait, a elle seule, présumer que les balles dont parle le témoin étaient bien des balles allemandes. Cet abbé, au moment oü il a fait sa déposition, était depuis longtemps en campagne loin de sa bibliothèque et de ses études. Qu'il retourne a ses livres. II y relira avec fruit les préceptes de sa théologie morale sur le jugement téméraire ou le soupgon injuste et sur 1'obligation de réparer le tort causé injustement a la réputation du prochain. Anlage 83. Orainville, 17 Mars 1915. Martin LEMKE, 27 ans, négociant a Zurich, sous-lieutenant de réserve a la 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 103. Une nuit, entre le 23 et le 26 Aoüt, un grand convoi de 3700 prisonniers beiges traversa Dinant. J'étais resté avec une section de la 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 103 pour garder le pont et étais, pendant ces journées, commandant de place a Dinant-Bouvignes. J'installai ce long cortège de prisonniers, en doublé colonne de marche, sur la voie du chemin de fer prés de la station de Dinant. Je fis allumer de grands feux de bois a la distance de 100 pas. Vers trois heures une forte fusillade éclata. Deux Beiges sautèrent du talus du chemin de fer sur la route et furent tués par mes sentinelles. Un Beige blessé fut immédiatement porté a la " Croix-Rouge „ voisine, oü 1'on constata d'une manière incontestable, qu'il avait éte blessé par un coup a plombs dans les fesses. C'est de la colline boisée, située de ce cöté du fleuve, qu'on avait tiré a plombs sur la colonne au repos prés des rails. II en résulta parmi les prisonniers une panique dont les Beiges furent les victimes. Les officiers beiges présents et le bourgmestre de Bouvignes auxquels j'expliquai 1'incident, sexprimèrent a\ec beaucoup d'indignation au sujet des francs-tireurs. Les habitants ont été bien traités par les soldats sous mes ordres. Le 24 Aoüt, on a retiré, au péril de la propre me des sauveteurs, un certain nombre de femmes, d enfants et d hommes de la cave d'une maison en flammes située le long de la route conduisant a Bouvignes. J'ai pourvu de vivres. pendant ces jours, plus de 50 habitants, la plupart des femmes, maïs aussi des enfants, et quelques hommes. Presque tous appartenaient a la classe aisée. Parmi eux se trouvaient des malades des sanatoria détruits par le bombardement. Une vieille dame qui ne pouvait marcher fut transportée a la Croix-Rouge par nos soldats. Nous avons procuré aux gens des couvertures de lame pour la nuit et leur avons cédé quelques matelas provenant de notre cantonnement qui était complètement abandonné. Nous avons fait chercher du lait pour les malades et pour un tout petit enfant. Nous avons aussi fourni des vivres, principalement de la farine pour cuire du pain, a la Croix-Rouge a Bouvignes, ou se trouvaient vingt militaires frangais blessés, parmi lesquels un colonel et un lieutenant. Les gens ne cessaient d'exprimer leur reconnatssance. Le chatelain de Bouvignes, le bourgmestre de Bouvignes et un monsieur van Wilmart, de la même localité, ont pns note de mon adresse afin de s'informer de moi, une fois la guerre finie. Ces personnes ont toutes acquis une trés haute opinion de 1'Allemagne. M. van Wilmart avait même 1'intention de me rendre visite après la guerre. Un fonctionnaire de la justice de Bruxelles, qui faisait une cure a Dinant et y séjournait avec ses deux soeurs, a écrit une carte postale a ma mère et a exprime sa reconnaissance. Le lieutenant Lemke invoque a 1'appui de ses dires des témoi- gnages de Beiges. Répondons par des faits. 11 y avait a Bouvignes trois chateaux. Le chateau des Roches, propriété de M. de la Hault. Celui-ci ne vient jamais a Dinant. Le dernier locataire du chateau, M. Adam, était au Canada avec sa familie lors de la déclaration de la guerre. Ce chateau a été incendié. Le chateau de Meez (incendié,) a M. C. Blondiaux. Celui-ci avait quitté Bouvignes avec les siens le 15 ou le 16 Aout. II n'y est plus revenu et se trouve maintenant en buisse. Le chateau de M. Amand, bourgmestre de Bouvignes. Cette habitation n'a pas été brülée ; une ambulance y fut mstallee. M. Amand a été arrêté, séparé de sa mère agée de plus de 70 ans, détenu pendant un nombre de jours que je ne puis déterminer, trainé par les Allemands sur les hauteurs a 1'Ouest de Bouvignes, oü des Frangais se défendaient encore, et menacé de mort a plusieurs reprises, sous prétexte qu'il y aurait des francstireurs a Bouvignes. 11 nie les propos que le lieutenant Lemke lui prête. (1) Et M. van Wilmart? Ce nom n'existe pas parmi ceux des notables de Bouvignes. La particule flamande " van „ se marie mal avec le nom wallon: Wilmart. Mais il y a Bouvignes un avocat Wilmart. Contraint de fuir sa maison en Hammes, il cherche abri, a quelque distance de chez lui, derrière un mur, avec sa femme, son fils et deux servantes. Les Allemands les y découvrent et tirent sur eux. Une des servantes est tuée. 1VL Wilmart, couché, est frappé d'une balie qui lui fait une blessure en séton, pénétrant au bas des cótes et sortant prés de la clavicule. Son fils tombe, traversé de part en part par une balie qui lui perfore les poumons. La seconde servante fut, je crois, blessée également. Seule madame Wilmart ne fut pas atteinte. Haute idéé de 1'Allemagne.... effusions de reconnaissance.... promesse de visite...? Allons donc 1 Pourquoi, s'il a parlé a M. Wilmart, le lieutenant Lemke cache-t-il 1'avoir rencontré, couché sur un matelas d'ambulance, cöte a cöte avec son fils? (2) Tout le monde est libre de croire que le lieutenant Lemke, convaincu de mensonge dans la partie de sa déposition qui peut être vérifiée, est absolument sincère dans ses autres déclarations. II prétend établir, sur la foi de sa seule parole, que des francs-tireurs ont blessé un soldat beige prisonnier. Sans doute, ils voulaient faire feu sur les hommes de 1'escorte... Je crois d'autant moins le lieutenant Lemke qu'il arrange fort mal son histoire. Cette forte fusillade, éclatant sur un groupe compact comme celui que doit former un campement de 3700 prisonniers dont la garde n'est assurée que par leur escorte, aurait eu d'autres résultats que de blesser un homme. (1) Voir la note de Mer Heylen. (2) M. Wilmart et son fils survécurent tous deux a leurs blessures. CHAPITRE XVIII La Question des Plombs Les Allemands affirment que des coups de fusil chargés a plombs ont été tïrés sur eux et ont blessé un certain nombre de leurs hommes. II a paru utile de réunir dans un même chapitre les témoignages formulant cette accusation ou de rappeler, tout au moins, ceux d'entre eux qui ont déja été analysés. Rappelons les Anlagen 5, 27 et 28 parlant, la première de nombreux soldats atteints par des chevrotines, les deux autres citant deux soldats de la 7rae compagnie du régiment n° 178 blessés par des plombs, enfin les Anlagen 4 et 10 oü 1'on se borne a affirmer que des coups de fusil a plombs étaient tirés. II est inutile d'insister sur les déclarations que nous venons de citer pas plus que sur celle du lieutenant Lemke (Anl. 83). Nous avons analysé ces pièces et "Vu ce qu'il fallait penser de chacune d'elles. Une mention spéciale est due a la déposition du commandant Nitze (Anl. 38). C'est au bruit de la détonation que eet officier aurait reconnu les coups de fusil tirés a plombs. C'est la une constatation matériellement impossible a faire : la nature du projectile, chassé de 1'arme avant que la détonation ne se produise, ne peut en rien modifier le son de celle-ci. Anlage 63. Sans date. Max Julius TRENKER, né le 31 Décembre 1891, soldat a la 12me compagnie du régiment d'infanterie n° 178. J'ai vu que des civils ont tiré a plombs et aussi que des enfants, cachés derrière le couvent, ont aussi tiré sur mos soldats. On s'est sans doute aper^u de 1'insuffisance de cette déclaration et le témoin fut réinterrogé le 3 Mars 1915. A cette date, il déclare confirmer sa déposition antérieure et ajoute : Le 23 Aoüt 1914, nous nous trouvions en réserve sur le versant Nord du vallon de Leffe, en face du couvent, dans le bois. De la nous vimes sur le versant opposé, derrière le couvent, un gamin tirer sur nous et ce a plombs. 11 se trouvait dans un petit bois de pins. Des chevrotines vinrent frapper a proximité de nous. Nous criames a des camarades qui étaient sur la route d'aller a la recherche du gamin derrière le couvent. Nos camarades 1'amenèrent, mais je ne sais oti ils 1'ont conduit. La variation entre ces deux dépositions n'ajoute rien a 1'autorité du témoin. Notons, et cela suffira pour réfuter ces allégations que le versant derrière le couvent est le versant Sud. Posté derrière le couvent, le gamin tirait sur des hommes se trouvant sur le versant Nord, soit a une distance d'au moins 200 mètres. Par quel miracle des chevrotines pouvaient-elles porter si loin et frapper a proximité du témoin? Anlage 11. Willmsbaracken, 3 Février 1915. Félix Jean STKACZ1NSKY, grenadier de réserve a la 4me compagnie du régiment du roi (Leibrégiment) n° 100. J ai été blessé a Dinamt, le 23 Aout 1914, par un coup de plombs tiré dun soupiraii. Le coup m'a atteint a la cheville droite. Les plombs ont été extraits a Jülich, prés d'Aix-la-Chapelle, oü j étais en traitement. J'ai vu les grains moi-même. Anlage 36. Orainville, 17 Mars 1915. Kurt MARTIN, 24 ans, sous-lieutenant de réserve a la 2me compagnie du régiment d'infanterie n° 103. J'ai vu un soldat allemand blessé par des plombs et je sais qu il est mort des suites de cette blessure, au chateau situé en de?a de Lefïe. Le médecin traitant était le docteur Schneider, actuellement au régiment d'infanterie n° 102... (La suite de cette déposition est reproduite dans un chapitre suivant.) Anlage 54. Orainville, 17 Mars 1915. Alfred HENTSCHEL, 25 ans, boucher, réserviste a la 9me compagnie du régiment d'infanterie n° 103. J'ai trouvé a Dinant, dans une maison située avant le pont et a droite, un civil beige grièvement blessé; c'était un vieil homme a cheveux blancs, qui avait encore prés de lui le fust! de chasse. J'ai encore rencontré, dans la suite, en Belgique, des ctvtls qui avaient fait feu sur les troupes allemandes au moyen de fustls de chasse. Personnellement, dans un village derrière Dinant et qui ne peut pas être fort éloigné de cette ville, j ai ete blesse a la main droite par des filombs. Les projectiles se trouvent, parait-il, encore dans mes doigts. Sur cette rive-ci de la Meuse ou se trouvait un couvent, nous avons distribue du pain et ce que nous avions encore d'autre (viande froide. etc.) a la Joule de femmes, d'enfants et aussi d'hommes qui y étaient rassembles. Anlage 57. Willmsbaracken, 31 Janvier 1915. Karl BISCHOFF, grenadier, 7me compagnie, IIme bataillon, régiment des grenadiers du roi n" 100. Ouand, le 23 AoÜt 1914, la 7me compagnie traversait Dinant, le soir vers 7 heures, on fit feu sur nous de deux maisons. Jefus atteint au bras et a la jambe gauches. L'examen /es jlam a la jambe prouva que les blessures provenaient de filombs. Au Carolahaus, a Dresde, le docteur Kretzschmar a extrait une balie de plomb de rnon pied gauche. En outre, on a decouvert da ma cuisse gauche un plomb qui s'y trouve encore actueltement. Je suis retourné le 10 Décembre a la 7mL compagnie. Anlage 58. ■ Proviseur, 2 Mars 1915. Edouard Kurt EBERT, vizefeldwebel (premier sergent) ff. d'officier, 33 ans, llmc compagnie du régiment de grenadiers n 1U1. Le 23 Aoüt, vers 9 heures.du matin, je rentrais ƒ une patrouille avec le lieutenant Schurig et quelques hommes des 9 et 12 rorrmaénies de mon régiment. Nous etions partis la \eille au soir du chateau de Reux dans la direction de Dinant et je rejoignais mon régiment, qui se trouvait pret a 1 action, a environ une demi-heure de Dinant. En revenant de Dinant versie regiment nous trouvames, a la sortie de la ville, un sous-offic e, et 6 luw,mes du régiment de fusiliers n° 1°8 etendus mon!.vs«r ^ route Quelques uns d'entre eux avaient a la face et a la poitnne des blessures, que le lieutenant Schurig aussi b.en que moi-meme nous reconnümes, a toute évidence, comme provenant de fit ■„ .. Le soir du même jour, vers 5 heures, je me trouvais avec la 12me compagnie du regiment de grenadiers n 1 - dans la rue en aval de 1'endroit ou Ion constiuisait lt poi . Soudain on ouvrit de tous cótés et fiarticulièrement d en haut, InfeTvioZt sur nous. Un homme de la 12- compagnie^ de ce régiment qui se trouvait a cÖté de moi re?ut uu coup dans le tuf de son fusil. J'ai, moi-même, retiré le projectile du bois. C'était une petite balie de plomb. Le feu seteignit ensuite et je fus transporté sur 1'autre rive de la Meuse. La, le lieutenantadjudant Stark m'ordönna de surveiller les civils prisonniers qu'on y avait rassemblés, ainsi que les prisonniers militaires qui furent amenés plus tard. J'ai remarqué pendant ce temps que des hommes de mes postes de garde donnèrent de 1'eau et du chocolat aux femmes et aux enfants prisonniers. J'ai, moi-même pansé un sergent francais blesse'. Anlage 72. La Malmaison, 8 Décembre 1914, Otto Edouard OSTMANN, sous-officier infirmier a la 5me compagnie du régiment de grenadiers n° 101, 26 ans, employé de commerce. Le 23 Aoüt 1914, a la tombée de la nuit, ma compagnie était arrivée aux Rivages. Elle fit halte en rue au commencement de la localité. Comme il n'y avait pas devant nous d'autre sousofficier infirmier, je me rendis a 1'endroit oü 1'on passait la Meuse et restai, prés de la, au milieu de la rue. A proximité de moi, personne ne se trouvait dans la rue. Comme j'étais face tournée vers les maisons oü stationnaient des civils, un coup de feu partit d'une maison a ma droite. J'éprouvai immédiatement sous Foeil droit une douleur aigüe et sentis que le sang coulait sur ma joue. Le médecin de mon bataillon, 1'officier de santé de lre classe Haupt déclara, après examen de la blessure, qu'un plomb m'avait éraflé. Le coup ne pouvait viser que moi, car j'étais seul au milieu d'une espace libre d'un rayon de 2 mètres. Conformément aux instructions, je portais visiblement le brassard de la Croix-Rouge. Si le sous-lieutenant Kurt Martin (Anl. 36), a vu un soldat blessé. S'il a constaté lui-même que les blessures provenaient de plombs, et s'il 1'a vu soigner par le docteur Schneider je reconnais que sa déposition ne prête pas directement flanc a la critique. Mais je suis obligé d'ajouter que je n'ai aucune confiance dans la compétence avec laquelle les officiers allemands jugent de la nature des projectiles d'après les plaies qu'ils provoquent. Rappelons-nous que le major Paasig examinant, aux Rivages, les cadavres des otages fusillés déclare que les blessures d'une partie d'entre eux paraissent causées par des projectiles d'artillerie. (Anl. 49). On se persuade si facilement que 1'on voit ce que 1'on veut voir. Examinons maintenant le témoignage du vizefelwebel Kurt Ebert. Alors que toute 1'enquête allemande n'avait encore réussi a découvrir le cadavre que d'un seul homme soi-disant atteint par des plombs, celui du soldat dont parle le lieutenant Kurt Martin, voici un témoin qui, a lui seul, en trouve plusieurs. C'est trop! II est vrai que le témoin est doué d'un calme et d un besoin d'observer tout a fait surprenants. Sur la route de Ciney, fortement exposée au feu des Francais, (c'est par la que le régiment n° 108 pénétra dans Dinant,) il remarque les cadavres d'un sous-officier et de six hommes de ce régiment. Malgré la violence avec la quelle la bataille se développait a ce moment il s'arrête auprès de ces morts pour examiner les blessures auxquelles ils ont succombé et, voyant quelques coups marqués a la face par des traces de plombs, il ouvre les vêtements des morts pour s'assurer que des plombs les ont aussi atteints a la poitrine. Remarquons qu'on a omis d'entendre le lieutenant Schurig qui aurait aidé le témoin dans ses constatations. Cette précaution s'imposait cependant, paree que, s il était exact, le fait signalé serait grave et décisif et aussi paree que, chose étrange, les nombreux rapports et dépositions émanant du 108me régiment n'en parient pas. Avant de passer a 1'analyse des témoignages suivants, voyons sous quel aspect se présentent les blessures faites par des coups de fusil de chasse tirés a plombs. I. Coup tiré a une distance trop courte. Tous les plombs touchent, les blessures se rapprochent au point de se confondre quand la charge fait balie. Elle produit alors des délabrement infiniment plus graves que la balie d'un fusil de guerre. (Voir clichés I et II.) II. Coup tiré a une distance normale. II se caractérise par la multiplicité des blessures qu'il cause. L'ensemble de la charge porte et le but est criblë. (Voir clichés III, IV et V.) Dans ces deux cas le groupement et la multiplicité des blessures en décèlent aisément 1'origine. Ils seront les plus fréquents dans la guerre de rues : on y tire de prés surtout si les rues sont étroites comme celles de Dinant. III. Coup tiré d trop longue distance. Les plombs se disséminent, et se font rares sur une surface donnée; leur force de pénétration diminue ou se perd. (Voir cliché VI.) Les plaies faites par ces plombs isolés se confondent facilement avec des blessures ayant une autre cause telle que: débris de verre, éclats de pierre violemment projetés par une balie frappant un mur, morceaux de cette balie même qui se brise souvent et dont les déchets peuvent conserver une réelle force de pénétration. DISTANCE DE TiR: 1 m. 50 — GRANDEUR NATURELLE N- B. — Les différents cartons ont été obtenus a 1'aide d'un fusil de chasse calibre 16, cartouches a poudre sans fumée, plomb n° 6. III DISTANCE DE TIR : 5 mètres — REDUCTION AUX 3/10 N.B. — La déchirure du coin supérieur droit a été produite par la bourre, 'V DISTANCE DE TIR : 15 mètres — REDUCTION AU 1/8 V DISTANCE DE TIR : 30 mètres — REDUCTION AU 1/10 VI DISTANCE DE TIR : 50 mètres — REDUCTION AU 1/6 N.B. A cette distance les plombs perdent presque toute force de pénétration. II est fort douteux qu'il leur en reste assez pour traverser des effets d'équipement militaire. Fatalement, des soldats allemands ont du être atteints par des éclats de ce genre, ainsi que le fut, sous mes yeux, a la prison de Dinant, Melle Thirifays, lorsque nous eümes a subir le feu de troupes allemandes postées sur les hauteurs. Cette demoiselle avait regu, au front, une légère blessure présentant 1'aspect de celles, qu'au cours de parties de chasse, j'ai souvent vues produites par un plomb perdu. Ces données étant posées, appliquons-les aux faits vantés par le.Livre Blanc. 1°) L'Anlage 11 (déposition de Straczinsky) ne décrit pas les blessures; on ne peut en argumenter ni dans un sens ni dans 1'autre. II faut toutefois observer que des plombs tirés a distance courte ou normale et frappant 1'os de la cheville se seraient probablement déformés au point d'être difficilement identifiables. Notons que le témoignage du médecin de Jülich qui aurait procédé a 1'extraction des plombs n'est pas rapporté dans le Livre Blanc. 2°) Du pied de Bischoff (Anl. 57) on extfait un unique projectile et 1'on en découvre un autre dans sa cuisse. S'il s'agissait de plombs, leur petit nombre indiquerait qu'ils ont été tirés a trés longue portée, et il n'est guère probable qu'il leur serait resté assez de force de pénétration pour percer les vêtements épais de 1'équipement militaire et surtout la lourde et solide botte allemande. 3°) et 4°). Bien moins encore peut-on affirmer qu'il s'agisse de plombs dans les cas cités a 1'anlage 58 et a 1'anlage 72: un projectile dans la crosse d'un fusil et une blessure unique a la face. 5°) Blessures a la main (Anl. 54). Les projectiles se trouvant " parait-il „ encore dans la main du blessé leur nature ne peut avoir été déterminée d'une fa?on süre. Même réunis, tous ces faits sont nettement insuffisants pour constituer la preuve que les Allemands prétendent fournir par leur enquête: ils n'ont rien de caractéristique. Les blessures signalées peuvent provenir de plombs; elles fleuvetit aussi avoir une autre cause. Pour que ces faits acquièrent force probante il aurait fallu les faire corroborer par 1'interrogatoire des médecins qui ont extrait les projectiles et qui auraient pu nous fixer sur leur nature. On s'en est rendu compte et 1'on note les noras de quelques médecins. (Voir les Anl. 11, 36, 57). On ne fournit cependant pas leur témoignage. Pourquoi ? On a pourtant entendu deux médecins au sujet de cette question des plombs. Voyons ce qu'ils disent: Anlage 67. La Ville au Bois-lez-Pontavert, le 2 Février 1915. Dr Albin Werner KOCKER1TZ, 28 ans, médecin assistant de réserve. Pendant le combat de nuit, du 21 au 22 Aoüt j'étais a Dinant. Je n'ai rien remarqué de cruautés que nos troupes auraient commises envers" les habitants qui faisaient feu des maisons au moyen de plombs et de chevrotines. (La suite de la déposition sera produite au chapitre suivant). Au milieu de 1'obscurité qui régnait a ce moment rue St Jacques les Dinantais ne pouvaient tirer que de prés. Or, a courte distance, le tir a plombs est plus efficace que le tir a balie. On touche plus sürement: les plombs " garnissent „ et ils tuent fort bien. Or, les Allemands auraient eu, pendant cette nuit, une quinzaine de blessés mais pas de mort. C'est une première raison qui doit mettre en garde contre la déclaration du Dr Köckeritz. Pour que cette déclaration ait la valeur d'une attestation médicale, il faudrait que le médecin fasse connaitre ses constatations au sujet des blessures qu'il a du examiner. II observe le silence le plus complet sur ce point. C'est une seconde raison de méfiance. Enfin, nous verrons dans le chapitre suivant qu'il compromet son crédit en. faisant un récit dont 1'un des points essentiels est contredit formellement par de nombreux témoins qui, comme Köckeritz, ont vu, mais autrement que lui (1). Et cela fera une troisième raison de ne pas attacher d importance aux dires du Dr Köckeritz. Par contraste, la déposition suivante est sérieuse... et décisive. Anlage 55. La Ville au Bois, 20 Janvier 1915. Dr Kurt Hermann Georges SORGE, médecin a 1'höpital civil de Dresde, médecin assistant de réserve au ïer bataillon du régiment de fusiliers n" 108. Pendant les combats du régiment de fusiliers n° 108 prés de Dinant et a Dinant, je me trouvai toujours a proximité de la (1) II s'agit du chasseur saxon brölé, dit le Livre Blanc par les habitants de Dinant. troupe combattante. A diverses reprises j'ai pansé des soldats dont les lésions permettaient de conclure a une blessure causée par des fusils non militaires (coups de plombs) (1). Fcmmes, vieillards et enfcints furent toujours épargne's. Dans les limites de mon champ d'action, l'enterrement des habitants fusillés n'eut jamais lieu le jour même. Je considère qu'il est absolument hors de doute qu'aucune personne n'a été enterrée vivante. J'ai, au surplus, vu a plusieurs reprises, des soldats donner des boissons et du pain a des habitants. Lésions permettant de conclure a une blessure causée par des plombs.... Formule bien peu précise, indice d'un diagnostic incertain et décélant le scrupule éprouvé par le praticien a se prononcer. Le docteur Sorge a donc vu des blessures pouvant être causées par des plombs. Ces blessures peuvent aussi bien avoir été causées par des éclats quelconques, car des lésions de ce genre sont difficiles a distinguer les unes des autres. En tout cas, le docteur Sorge n'a pas eu a examiner des blessés ayant regu un coup de fusil de chasse tiré de prés ou a portée normale. L'aspect caractéristique des blessures lui aurait, en effet, imposé une déclaration catégorique. II est certain cependant que si quelques hommes avaient pu être blessés par des plombs perdus, d'autres (et en plus grand nombre probablement), auraient été atteints par la charge de ces innombrables coups de fusils de chasse que 1'on aurait tirés. Cela n'a pas besoin d'être démontré. L'enquête allemande cherche ces blessés ; elle ne les trouve pas. Aucun des médecins dont elle produit les dépositions ne peut les signaler ; ils ne les ont pas vus. Le procés tout entier tient dans cette constatation. Elle le résumé et le juge. Tous les témoignages allemands n'y pourront rien ; la certitude des faits domine 1'incertitude des mots. (1) Voici le texte allemand de la phrase : Ich habe wiederholt Schützen verblinden, dezen Verletzung auf Verwundung durch Vichtmilitargewehr schliessen liess (Schrotschiisse) (Livre Blanc, p. 195). CHAPITRE XIX Atrocités Dinantaises Abus des insignes de la Convention de Genève et Actes de Cruauté Nous n'avons pu, dans ce travail, étudier les différentes Anlagen dans 1'ordre oü leur numérotage les classe. Leur groupement d'après les faits dont elles s'occupent ne cadre pas avec 1'incoordination que présente le Livre Blanc. Sautes brusques d'une idéé a une autre, retours et détours dispersent 1'attention du lecteur et rendent malaisée pour lui la comparaison de documents qui se contredisent tout en faisant doublé emploi; les faits paraissent se multiplier et l'insistance avec laquelle on y revient leur donne corps. L'enquête se gonfle et illusionne le lecteur. Reculant devant les difficultés de se faire une opinion raisonnée, il garde toutefois 1 impression que tout ce fatras doit contenir des vérités. Un si gros livre, tant de témoins, des faits si nombreux ! Et 1'on se dit qu'il doit y avoir la dedans autre chose que des mensonges, des inventions ou des faits dénaturés. Les accusations relatives a 1'abus du drapeau de la Croix-Rouge et aux cruautés qu'auraient commises les Dinantais sont un peu mieux groupées. Dans tout le cours de l'enquête, cependant, on trouve, dispersées et mêlées a d'autres faits, ces affirmations : on tirait sur nous des maisons couvertes par le drapeau de la Croix-Rouge ; un individu a fait feu, sur nous, qui en portait le brassard. Nous avons déja analysé des dépositions contenant semblables assertions. En voici d'autres : Anlage 66. Sinzbaracken 25 Février 1915. Emile Robert KAHLER, 22 ans, soldat a la lre compagnie du régiment de fusiliers n° 108. Le 23 Aoüt 1914, je vis, dans une rue de Dinant, un civil d'environ 27 ans portant au bras gauche le brassard de la CroixRouge, Qui tirait avec un revolver, de la porte d une maison, sur ün soldat du génie, sans 1'atteindre. J'ai fusillé le civil le soldat du génie lui a enlevé son arme. II n'eut pas été difficile, semble-t-il, de trouver d'autres témoins du fait rapporté ci-dessus s'il est exact. On a cependant renoncé a en rechercher ; en tous cas, il' n'en est cité aucun dans le Livre Blanc. Anlage 68. Guignicourt, 9 Janvier 1015. Otto Kurt MARTIN (1), 22 ans, sous-officier a la 10me compagnie du régiment de grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100. Au sujet de 1'article intitulé „ Les cruautés incroyables des soldats allemands " Martin déclare ce qui suit : On n'a fusillé des habitants de Dinant qu'après qu'il avait été établi d'une fagon incontestable quils avaient traitreusement fait feu. sur nous des maisons. D'ailleurs, on fit même feu de maisons portant le drapeau de la Croix-Rouge. Je n'ai pas vu d'habitants mutilés. Je ne connais rien de cruautés ni de crimes commis par nos soldats. Je n'ai pas vu que nos soldats auraient été traités par un médecin beige. J'ai au contraire, remarqué que des habitants b/esse's out été soigne's par des médecins allemands et pansés par notre sous-officier infirmier. Quant aux autres faits mentionnés dans 1'article, je ne connais rien. Je n'ai rien a dire de plus. Le témoin affirme une chose contraire a la vérité : on n'aurait fusillé que des gens convaincus d'avoir tiré. Et la canaille suspecte du lieutenant Schreyer ? Et le massacre des otages aux Rivages ? Laissons ce témoignage : il est jugé. D'autres textes sont plus précis paree qu'ils indiquent les batiments d'oü 1'on aurait fait feu. Ainsi le témoin Bauer (Anl. 32, voir chap. XII) déclare : „ J'ai vu qu'on faisait feu sur nous du couvent, bien que le drapeau de la Croix-Rouge y füt arboré. „ La réponse est facile. Lorsque eet homme arriva a Leffe avec sa compagnie, la 6me du régiment n° 178 (celle du capitaine Wilke) il y avait quelques heures déja que le couvent était au mains des Allemands qui y rassemblaient les femmes et les enfants. Si le témoin a vu des coups de feu partir de ce couvent, (1) A ne pas confondre avec le sous-lieutenant Kurt Martin (Anlage 36). ils ont été tirés par ses compatriotes. Je ne veux pas préjuger de leurs intentions. (1) Anlage 69. — RAPPORT du Régiment des grenadiers du roi (Libregiment) (2) n° 100. Lors du combat de Dinant une fusillade intense fut dirigée sur nos troupes de plusieurs maisons sur la rive Ouest de la Meuse et principalement d'un grand bdtiment rouge servant cl höpital. Par le fait qu'on y avait arboré des drapeaux de la CroixRouge, toutes ces maisons étaient désignées comme ambulances et furent, en conséquence, épargnées, au début, par nos troupes. Plus tard cependant, après qu'on eut établi incontestablement qu'elles étaient occupées par des habitants ennemis armés et qu'on eut reconnu que la Croix-Rouge ne servait qua la simulation, nous primes ces maisons sous le feu et les détruisimes. Tous les officiers du Ier bataillon du régiment des grenadiers du roi n° 100 peuvent en témoigner. Capitaine commandant de batailon Zeidler, au régiment des grenadiers n° 100. Anlage 56. Bois S. O. de la Ville au Bois, 5 Février 1915. Paul Rudolphe LAUTERBACH, 27 ans, mécanicien, sousofficier a la 10me compagnie du régiment du fusiliers n° 108. Lorsque, parti du fort, j'eus atteint a Dinant, avec ma compagnie, la route de Sorinnes a Dinant, j ai vu nettement une femme', se tenant de toute sa 'hauteur prés d'une fenêtre, et tirant avec un fusil sur les soldats allemands. Elle fut immédiatement abattue par un soldat allemand et tomba avec la partie superieure du corps sur la planche d'appui de la fenêtre. (1) I! est bon cependant de signaler qu'au faubourg St. Paul on a vu un officier allemand pénétrer dans une maison et, de la, tirer des coups de revolver dont les balles vinrent frapper les pavés de la rue devant les Allemands. L'officier sorlit aussitöt et désigna la maison a ses hommes en criant que de la on avait tiré. Bien que tenant le récit de ce fait de la bouche d un témoin oculaire, trés honorable d'ailleurs, je n'ai pas voulu le mentionner dans mon rapport a M. le ministre de la Justice. C'eüt été me départir de la régie que j'avais adoptée de ne pas faire état d'un témoignage non confirmé par d autres déclarations concordantes. (2) On a déja analysé plus haut un extrait du rapport de combat de ce regiment (Anl. 6) et une déclararion de son colonel (Anl. 7) (V. au chap. XIII). Le rapport de combat, on se le rappelle, soutient que d'un grand nombres de maisons portant le drapeau de la Croix-Rouge on tirait violemment sur les troupes allemandes. Le colonel, Comte Kielmannsegg, ne fait, par contre, aucune allusion a un fait de ce genre. Des salves de fusils furent tirées d'une maison particulièrement grande située sur la rive Ouest de la Meuse et pourvue du drapeau de la Croix-Rouge. (La suite de la déposition sera reproduite plus loin). Le docteur Köckeritz dont nous avons lu au chapitre précédent une partie de la déposition (Anl. 67) déclare a propos de 1'abus du drapeau de Genève : Des coups tirés de 1'hópital signalé par le drapeau de la Croix-Rouge éclairaient au loin la rive opposée de la Meuse. Anlage 70. La Malmaison, 10 Décembre 1914 Bruno Arno ESC HE, 24 ans, ouvrier de fabrique, sous-officier a la 10me compagnie du régiment des grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100. Dans 1'après-midi du Dimanche 23 Aoüt, j'ai vu distinctement, de la rive droite de la Meuse, a 1'aide de jumelles, que les fenêtres d'une grande maison rouge située sur la rive gauche du fleuve étaient barricadées de planches, de matelas et de couvertures. On y avait pratiqué, a hauteur d'homme, des meurtriëres. Sur la maison était arboré le drapeau, de la Croix-Rouge de Genève. Enfin le sous-lieutenant de réserve Prietzel, dont la déposition figure au Chapitre XIII (Anl. 9) déclare : Sur la rive opposée de la Meuse se trouvait un batiment couvert du drapeau de la Croix-Rouge, les murs de clöture autour de ce batiment (die Einfriedungsmauern) étaient pourvus de meurtrières. Ce batiment avait donc été mis en état de défense, en dépit du drapeau de la Croix-Rouge. Quand j'ai quitté Dinant, j'ignorais que les Allemands reprochassent a la population d'avoir abusé du drapeau de la CroixRouge : le Livre Blanc n'avait pas encore paru. Mon enquête n'a donc pas porté sur ce point. J'emprunte a la note de Mgr Heylen, reproduite en appendice, la réponse a cette accusation. " L'accusation d'avoir tiré de la Croix-Rouge, d'avoir tiré d'un höpital, est plusieurs fois formulée dans le Livre Blanc. Or, c'est un fait prouvé, on n'a ni tiré, ni fait le moindre acte repréhensible d'aucun des cinq ou six établissements qui arboraient, le 23 Aoüt, la Croix de Genève. L'armée allemande aurait-elle donc songé a faire ün grief a 1'hospice civil (1) de 1'existance de quelques meurtrières, aménagées dans le mur d'une propriété indépendante, voisine de 1'hospice? Ces meurtrières y avait été pratiquées par les troupes frangaises. (Annexes 9, 56, 67, 69, 70). Ou bien chercherait-on a rendre rétablissement des Dominicaines responsable des tranchées creusées par les mêmes troupes, a proximité, mais tout a fait en dehors de la propriété? Ce serait méconnaitre absólument les droits de défense d une armée et tirer de la prétexte d'atteindre et de frapper des innocents. (2) A Dinant, aucun abus n'est imputable a la Croix-Rouge. Le füt-il, il justifierait la punition des coupables, nullement le massacre des civils de la rive opposée. En définitive, est-ce bien a 1'armée allemande a prendre le róle d'accusateur, elle qui a violé de fagon si flagrante les prescriptions du droit des gens? Qu'ont fait ses soldats a Dinant? Ils ont incendié cinq pharmacies, tué deux pharmaciens, tué un médecin, mis deux médecins au mur pour être fusillés, arraché violemment et sans articuler le moindre grief, le brassard de la Croix-Rouge a trois autres praticiens, traité durement 1'abbaye de Leffe, convertie en ambulance, bombardé deux établissements de la rive Ouest oü flottait le drapeau de Genève et dont 1'un a été presque détruit (3). De quel cóté est donc la violation des conventions internationales ? „ Ajoutons un mot : le 15 Aoüt, c'est sur 1 hospice couvert par la Croix-Rouge que tombèrent les premiers obus allemands. * * * Les Dinantais auraient massacré des Allemands pendant leur sommeil et commis des cruautés envers les blessés allemands, articule 1'apergu général de la Commission allemande, relatif a Dinant. Ces assertions sont basées sur différentes déclarations. (1) L'hospice civil est, comme le couvent des Dominicaines, dont il va être question, situé sur Ia rive gauche de la Meuse. Tous deux sont en briques rouges. Leur situation bien en vue et leurs dimensions attirent 1 attention. (Note de 1'auteur). (2) Comment le capitaine Zeilder peut-il écrire que ces maisons n'ont ete bombardées que lorsqu'il eut établi incontestablement qu'elles étaient occupées par des habitants hostils et armés. (Annexe 70) ? (3) Cet établissement est le couvent des Dominicaines (Note de I auteur). Anlage 73. La Malmaison, 5 Décembre 1914. Emile Erwin MULLER, 26 ans, soldat dc réserve du train, a la 2me compagnie de campagne du bataillon de pionniers n° 12. Dans 1'après-midi du 25 Aoüt, le sous-officier Fehrmann et moi, nous vimes, dans une maison sise dans une ruelle transversale a Dinant, un certain nombre de cadavres de civils parmi lesquels celui d'une femme. Nous pénétrames dans la maison. Dans la chambre a droite, un officier, sous-lieutenant du régiment d'infanterie 182 était couch'é la tête sur le coussin dun sopha. Sa téte et une partie de la poitrine étaient recouvertes d'un linge blanc. A 1'un de ses cötés étaient couchés deux soldats et un troisième était étendu de 1 autre cöté. Tous les trois étaient revêtus de 1'uniforme du régiment d'infanterie n° 182. Dans une chambre a cöté, se trouvaient encore étendus les cadavres d un sous-officier et de cing solduts du même régiment (1). Je soulevai le linge qui couvrait la tête du sous-lieutenant et vis que le mort avait eu une balie dans la tête. Je n'ai pas constaté d'autres blessures chez 1'officier. L'un des soldats couchés a cöté du lieutenant avait son pantalon déboutonné de telle sorte que le ventre était visible. Le soldat avait été atteint d un coup de feu au bas ventre; au cou, vers la gauche, avait été faite une incision d'au moins dix centimètres : c'était une plaie saignante et les lèvres de la blessure étaient distantes 1'une de 1 autre d'environ un centimètre. Le sang avait coulé de cöté. Je suis persuadé que la blessure ne peut avoir été faite que par une arme tranchante. Dans 1'autre chambre, l'un des soldats avait son pantalon déboutonné de fa?on que 1'on pouvait voir son ventre. Cet hom me avait au bas-ventre une blessure, perforante ou tranchante, denviron 3 centimètres de largeur. Les vêtements des autres soldats ne décelaient aucun désordre. Tous avaient été blessé au moyen de balles. J avais 1 impression qu'officier, sous-officier et soldats avaient eté assaillis par les habitants dans leur logement et pendant qu ils étaient endormis. Je le déduis du fait que 1'officier avait sous la tete un coussin de canapé et les autres hommes une couverture ou leur sac. Les fusils se trouvaient dans un coin. En même temps que Fehrmann et moi, le pionnier de réserve Kretzschmann a été dans la maison. (1) II est surprenant qu aucun témoin appartenant a ce régiment ne parle de ce fait. Quatre hommes de cette unité, prisonniers en France, y ont été interrogés sur les événements de Dinant. (Livre Gris Beige, p. 247 et suiv.) Leur silence au sujet de cette histoire prouve qu'ils n'en connaissent rien. Dix hommes surpris dans leur sommeil par les assassins! Dix cadavres tous convenablement étendus la tête sur ces sacs, des coussins, des couvertures! Des fusils soigneusement ranges dans un coin! Aucune tracé de lutte. Voila 1'aspect des deux chambresDans la ville que les Allemands prétendent remplre d'asssassins eet officier et ses hommes se sont endormis sans^ se faire garder. On 1'apprend sans doute, et une expédition s organise contre eux. Se glissant sans être aper?us au milieu des troupes qui encombrent la ville et défendent toute circulaüon, des meurtriers pénètrent auprès des dormeurs. On frappe les uns a coups de couteau au ventre après avoir, je ne sais pourquo.. ouvert leurs vêtements; on tue les autres a coups de fusil ou de revover Pas un deux ne se léve pour bondir sur ses armes ou pour donner 1'alarme. Profond comme celui de ïinnocence, leur sommeil n'est pas un instant troublé. lis glissent du sommeil a la mort qui les surprend, la tête reposant sur leurs oreillers improvisés. L'agonie des victimes n a pas même un tressadlement qui dérange la position qu'elles avaient prise pour dormir. |\e bien ainsi que les choses ont du se passer dans 1 hypothese allemande. On peut en émettre une autre. Les Francais ont, le 23 Aout, fait subir de lourdes pertes aux Allemands. Ceux-ci n'ont pu enterrer tout de suite tous leurs morts. Ils ne pouvalent no„ plus les laisser etendus sar les chemins foulés aux pieds des troupes ruees a la poursuite des Francais en retraite, broyés sous les caissons qui passaient. ou menacés d'ensevelissement sous les décombres de la ville qu. s'écroulait. Relevés sur le champ de bataille, les dix cadavres que le témoin a vus ont été déposés provisoirement dans une maison ou des mains attentives ont même pris som de couvnr pieusement d'un voile blanc le visage de 1 officier. Un souci J e et de prévoyance imposant de récolter les armes abandonnées, des Jsils trouvés épars auront) e,é même local oü gisaient les morts Je n affirme ne^ ^ Alle mands font une supposition. J'en fais une autre. C est tout. * * De nombreux témoignages signalent un dernier fait. Anlage 56. - Fin de la déposition Lauterbarch. (Voir le commencement de cette déposition ci-dessus, p. 214). .vu' non '°'n 'a Meuse, au Sud de la route de Dinant a Sorinnes, prés d'un village que je ne puis déterminer d'une manière plus précise, le cadavre carbonise' d'un chasseur allemand dont les pieds étaient lies par un fl de fer. Anlage 59. — Richard Rost (Le commencement de sa déposition figure au chapitre X). Le jour suivant (le 22 Aoüt) je remarquai, parmi les cadavres qui se trouvaient dans la cour du chateau de Sorinnes, le soldat de 1 ^ classe KirchofF, de ma compagnie. II avait une fracture du crane qui ne pouvait être causée que par un instrument contondant. Son crane était presque totalement enfoncé. Le 23 Aoüt je trouvai un soldat allemand presque complétement carbonisé, sous un tas de paille brülée, prés d'une ferme isolée, tout a cóté de la route de Sorinnes a Dinant. A en juger par les pièces d'équipement qui se trouvaient a cöté dfe lui, ce devait être un chasseur, Des camarades me racontèrent ensuite qu un deuxième chasseur, ayant le visage brülé, avait été trouvé dans un champ a proximité de Dinant. La ferme prés de laquelle se trouvait le chasseur avait été aménagée par nous comme poste de secours. Anlage 61. Vorwieger (suite; le commencement figure au chapitre X). Le 23 Aoüt je trouvai en plein champ, a environ 600 mètres en dega de Dinant, un chasseur saxon, mort, le visage complètemenr carbonisé. Je le reconnus a son uniforme. II était couché sur le dos, les bras complètement étendus. Anlage 67. — Docteur Köckeritz. (Suite. Voir aussi au chapitre XVII). II n est pas vrai que les cadavres d'habitants fusillés pour avoir pris part a la lutte aient été mutilés, de quelque fagon que ce soit; mais j'ai vu par contre, dans une vallée latérale, (1) un cavalier allemand qui, probablement, avait été abattu de son cheval a coups de fusil. II était carbonisé et se trouvait attaché au moyen de fil de fer sur une grille. C'était a 1'Ouest de Dinant, non loin de 1'endroit oü les IIme et IIIme bataillons du régiment de fusiliers n" 108 et le ler régiment d'artillerie de campagne n 12 avaient établi un poste de secours. (1) Le texte allemand porte : in einem Seitenteile. Cest la sans doute une erreur d impression. 11 faut lire, semble-t-il; " in einem Seiten/ö/^ Anlage 74. Sans daté- Stabsarzt de réserve Dr Franz Alfred HOLEY, 36 ans, medecin du IIIme bataillon du régiment de fusiliers n 1U8. Ouand le 23 Aoüt, nous avancions sur Dinant, le major von der Pforte, fieu avant Dinant, attira mon attention sur e cadavre d'un soldat allemand qui, au moyen de fils de fer etait Ite nar les fiieds et les fioings a des piquets enfonces dans le sol. Le cadavre était" firesqu'entièrement carbonisé. Selon toute vraisemblance il avait été enduit d'un liquide facilement inflammable. D'après 1'état des lignes de démarcation, 1 homme a du etre brüfé vif. 11 était visible aux restes de 1'uniforme et notamment aux boutons, que c'était un soldat allemand. Une note complémentaire ajoute ce détail : Le cadavre était couché a proximité d'une propnete de campagne, non loin des carrières de marbre. Anlage 75. La Ville Hermann Kurt WAHL, 22 ans gefreiter a la 5me compagnie du régiment de fusiliers n 1US, employe de commerce. Pendant la manche vers Dinant, le 23 Aoüt, j'ai vu un chas,eur »7r° dans le fossé de la route a 1'Est de la rrnle SmnnesDinant Pieds et mains étaient lies ensemble au moyen de fils de ft . vZle réste,1e cadavre était comfilètement ca ciné. C'est uniquement aux pita» d'équipement qui se trouva.ent a cote de lu, que j'ai pu reconnaïtre que c était un chasseur. Anl.ce 76. La Ville au Bois, 7 Mars 1915. Paul Robert WILLKOMMEN, 22 ans, fusilier a la T" corapagnie du régiment n° 108. boutons et aux autres plèees d'équipetnen. que nous pumes 'T^^e^'tir^'SreJ'ïï^tMense. ma compagnie fit halte prés d'une campagne en deSa de Dina . Les habitants de celles-ci — plusieurs hommes, des femmes et des enfants — cherchèrent de 1'eau pour nous. Plusieurs de mes camarades et moi donnames en échange aux hommes des cigares et aux enfants des sucreries. Anlage 77. Ville au Bois, 7 Mars 1915. Otto Albert OCHMINGEN, 23 ans, gefreiter (caporal) a la 6me compagnie du régiment de fusiliers n° 108. Avant de traverser, le 23 Aoüt, Dinant, je vis, dans un champ de choux, en deja de cette ville, le cadavre d'un chasseur saxon couché sur le dos et dont la figure était calcinée. II était étendu au milieu du champ, non pas prés du chemin; je n'ai pas remarqué si les pieds et les poings du soldat étaient liés. Anlage 78. Ville au Bois, 7 Mars 1915. Fritz von LIPPE, 40 ans, capitaine de la colonne légère de munitions du II"1" groupe du ler régiment d'artillerie de campagne n° 12. J ai vu, le 23 Aoüt 1914, derrière la position de combat du ler groupe du lïr régiment d'artillerie de campagne n° 12, les Lüdavres duti fusilier et d un chasseur. A 1'un, les yeux avaient été crevés (1) et 1 autre était couché a demi consumé sous un tas de paille; ses pieds et ses floiKgs étaient liés. « Des Dinantais auraient donc comploté (car un homme n'aurait pas suffi a la tachej, un attentat contre un soldat allemand et projeté de le brüler vif. Munis d'armes pour pouvoir 1'appréhender ou le blesser, nantis de fils de fer, de piquets, d'une grille, d'un bidon de liquide inflammable, les voila partis a travers mille dangers ; traversant Ia ligne de feu, ils installent leur embuscade derrière celle-ci, tout prés d'un poste de secours, sur la route de Dinant a Ciney. Au bord d'une route, continuellement parcourue par les troupes allant au combat, par les bran- (1) Au cours de la guerre, de nombreux soldats ont été aveuglés par des projectiles. Cet officier le sait. II préfère attribuer dans une formule vague, aux Dinantais, la blessure qu'il aurait constatée; son insinuation est dénuée dé tout semblant de preuves. Je passé outre. (Comparez a ce sujet le Livre Gris Beige, pp. 61 et 229 et ci-dessous pp. 222 et 223 du présent volume). cardiers apportant des blessés, au milieu de soldats affairés assurant les services de 1'arrière-ligne de combat, ils restent aux aguets. Un homme passé. C'est la victime. Malgré sa défense on s'en empare, on le couche sur une grille, on lui lie pieds et mains et on les fixe a des piquets fichés en terre. Du pétrole, des Hammes, des hurlements de douleur, des rales, la mort. Personne n'a rien vu, ni entendu ; les bourreaux ont joui de toutes les affres de cette agonie. Invisibles, ils se tapissent a nouveau dans leur cachette insoupgonnée. Des Allemands survenant recouvrent de paille le corps carbonisé. Eux partis, les brutes féroces s'approchent a nouveau de leur victime et mettent le feu a la paille qui recouvre le cadavre. D autres Allemands vont le voir sous les débris de cette paille brÜlée. Les assassins disparaissent enfin sans se laisser apercevoir. Tout ceci est nettement impossible. II est possible, au contraire, qu'un soldat allemand, absorbé par 1'attrait du pillage d'une maison ou d'une cave, se soit laisse surprendre par 1'incendie et, qu'échappé aux Hammes malgré des brülures graves, il ait été recueilli et transporté, vers le poste de secours, par des brancardiers. En cours de route, ceux-ci s'aper5oivent que le patiënt vient de succomber, le déposent au bord du chemin et retournent a la besogne que leur préparent les balles et les obus francais. II est possible aussi, qu'un automobile prenant feu, un des occupant ait été brüle. Bien d autres hypothèses encore peuvent être imaginées qui excluent toute culpabilité de la part des Dinantais. Ayant établi 1° que les suppositions allemandes faisant de ce soldat une victime des francs-tireurs se heurtent a 1 impossible ; 2° que 1'on peut expliquer sa mort par un accident auquel nos compatriotes n'ont aucune part, je pourrais ne pas pousser ma démonstration plus loin. Les Dinantais ne sont pas coupables de la mort de eet homme ; cela suffit. 11 me convient, cependant, de le dire, car c'est ma conviction absolue : il n'y a pas eu de chasseur brülé. Quelque nombreuses qu'elles soient, les dépositions allemandes a ce sujet sont mensongères. Si les témoins avaient vu, ce dont ils déposent, ils auraient tous constaté les mêmes choses. Or, les détails qu ils donnent 1'endroit oü gisait le cadavre et sur la.position aans .aqueu. sur il fut trouvé se contredisent et s'excluent. Nous nous trouvons, notamment, en présence des déclarations de deux médecins, hommes habitués par leur profession a faire des constatations précises et exactes. Tandis que 1'un deux, le docteur Köckeritz (Anl. 67), voit Ie cadavre lié sur une grille dont il est seul a parler, le docteur Holley (Anl. 74) observe que les pieds et les poings sont liés a des piquets fixés en terre, piquets dont aucune autre déposition ne fait mention... Et ce sont la les deux témoins que leur situation rend les plus dignes de foi! Je ne crois pas pourant que les auteurs de ces déclarations aient inventé de toutes pièces leur récit. Une rumeure aura circulé dans 1'armée allemande a propos d un soldat brülé, rumeur créant une de ces légendes comme il s en forme partout. Leur source est inconnue, mais elles cheminent colportées de bouche en bouche, dénaturant les faits, se déformant elles-mêmes jusqu'au moment oü elles trouvent une expression a peu prés fixe et définitive mais toujours excessive. (1) Elles sont d autant plus " indiscutables „ que personne n en sait 1'origine ; elles deviennent d'autant plus " vraies „ qu un plus grand nombre de personnes les connaissent et en affirment 1 authenticité. Des témoins se trouvent alors pour les certifier sous la foi du serment. Souvent, et c'est ici le cas, les témoins appartiennent a cette catégorie spéciale de menteurs (tout le monde en connait, car ils sont légion,) qui, de bonne ioi peut-être, répètent une histoire qu'ils ont entendu conter et qui, pour forcer la conviction de leurs interlocuteurs, ajoutent mensongèrement " j'ai vu. „ Que la conscience de ces médecins allemands soit en paix 1 Ils n'ont pas inventé ; et quel mal pouvaient-il bien commettre 1 inexactitude est si légére — en disant " j'ai vu „ pour attester un fait qu'ils savaient vrai, puisque dans leur entourage, tant de personnes le répètaient ? C est aussi un bien honnête homme que Ie témoin Rost (Anl. 59). Ayant entendu deux versions de cette histoire il n'en reprend qu une pour son propre compte, laissant la responsabilité de la seconde aux camarades qui la lui ont contée. Et cela fait, au prix d un seul petit mensonge, une doublé calomnie. On n'est pas plus scrupuleux. (1) Voir comment nait un cycle de légendes — Francs-tireurs et Alrocités en Belgique „ par F. van Langenhoven Payot & Cie Lausanne et Paris. 1916. En définitive, j'admire réellement la patriotique crédulité de M. M. Bauer et Wagner qui n'hésitent pas, sur la foi de semtflables témoignages a proclamer solennellement dans leur ' aper^u général „ que le fanatisme revoltant de la population trouva sa manifestation la plus révoltante dans Vassassinat cruel de soldats qui dormaient, dans Ia mutilation d'hommes tombés dans le combat et dans l'achèvement, par le feu, de prisonniers blessés attachés d eet effet a des plquets d l'aide de fils defer. CHAPITRE XX Leur Bonté Après avoir infligé a Dinant un traitement d'une barbarie sans exemple et calomnié leurs victimes, il restait aux Allemands un derriier outrage a faire subir aux survivants : réquisitionner leur reconnaissance ou la mendier. L'hypocrisie ne peut dépasser cette limite. Nos ennemis auront la gloire de 1'avoir atteinte. Je réunis dans ce chapitre les dépositions qu'ils ont recueillies pour prouver comment, au milieu du désastre, 1'armée allemande sut se montrer bonne et généreuse, témoignant aux habitants criminels d'une ville coupable des attentions touchantes et leur donnant des soins émouvants. Anlage 8. Guignicourt, 9 Janvier 1915. r Charles Sylvestre Alban von MONTBE, 31 ans, capitaine au régiment des grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100. II n'est pas arrivé a ma connaissance que nos soldats se soient livrés a des actes quelconques de cruauté sur les habitants de Dinant, qu'ils les aient maltraités ou mutilés, ou, d'une manière générale, qu'ils les aient traités avec cruauté. Par contre, tous les habitants de la ville qui ont tiré traitreusement des maisons ont, cela va de soi, été fusillés, pour autant qu'on ait pu les appréhender. Anlage 36. Kurt MARTIN. (Le commencement de la déposition figure au chapitre XVII). Les habitants de Leffe retenus prisonniers dans une maison prés de la fabrique ont été bien traités. Lorsque leurs provisions furent épuisées, ils regurent de la nourriture de la cuisine de campagne de la 5me compagnie du régiment d'infanterie n° 103. D'après un ordre général, ils furent relachés dans la suite. A cette époque, j'étais chargé de la protection de 1'höpital établi au chateau de Chession prés de Lefife. La propriétaire, une dame Chiehe, et les membres de sa familie furent aussi approvisionnés par nous. Elle nous remercia trés vivement pour le bon traitement. Anlage 52. Orainville, 15 Mars 1915. Willy STEGLICH, 22 ans, ouvrier dans 1'industrie de la construction, soldat a la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 103. J'ai, en compagnie du sergent-major Bartsch et de quelques autres hommes, parmi lesquels des chasseurs de Marburg, retire d'une maison et déiivré des habitants de Dinant se t/ouvant ensevelis a la suite de l'explosion d'un obus. C'étaient des hommes, des femmes et des enfants. Ils furent ensuite transportés dans une maison, oü, sur 1'ordre d un officier des chasseurs de Marburg, ils furent placés sous notre protection et soignés pv deux infirmières de la Croix-Rouge. Dans plusieurs maisons nous trouvames une quantité de cartouches a plomb mises en tas prés des fenêtres. Partout la vitre inférieure était brise'e manifestement en vue de faire passer un fusil a travers 1'ouverture. Anlage 53. Grainville, 17 Mars 1915. Era BARTSCH, 25 ans, vizefeldwebel (premier sergent) a la compagnie de mitrailleuses du régiment d infanterie n 103. Comme commandant de patrouille, j ai trouvé dans un certain nombre de\maisons de Dinant des munitions de chasse toutes prêtes. On peut être sur que ces munitions avaient servi aux francs-tireurs pour tirer sur les troupes allemandes avant qu ils n'eussent été chassés. De la rue, je voyais dans les caves des maisons en feu des habitants, surtout des femmes et des enfants, qui n étaient plus capables de s'en échapper par leurs propres moyens. Des hommes de ma patrouille, aidés par les chasseurs de Marburg, opererent leur sauvètage; les personnes sauvées furent conduites dans des maisons surveillées par des sentinelles allemandes. Par moments, le sauvetage ne put se faire qu 'au péril de la vie des hommes de la patrouille. J'ai vu moi-même des soeurs de charité apporter, en compagnie de soldats allemands, des vivres aux habitants placés sous protection. J'étais aussi présènt quand le colonel Hoch renvoya chez elles les personnes que ces faits ne concernaient pas, avec 1'ordre strict de ne pas se montrer en rue. D'autres habitants dont les maisons étaient completement brulées, furent installés dans les maisons de garde-barrières. Au dela' de Dinant, un hussard trouva, sur la route, un projecUle dans le noyau en plomb duquel une lame pointue en acier (eine speerartige Stahlklinge) avait été introduite. Ce projectile a ete passé de mains en mains dans ma section. Anlage 80. Guignicourt, 10 Janvier 1915. Walter LOSER, sous-lieutenant de réserve a la 5me compagnie du régiment des grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100. La 5me compagnie du régiment des grenadiers du roi n° 100 avait recu l'ordre, au moment de pénétrer dans Dinant de ne faire feu gue sur les civils qui tireraient eux-mêmes sur nos troupes. Cet ordre fut partout suivi. Nos troupes ne commirent de cruautés d'aucune espèce. Je connais même des cas oü nos troupes traitèrent avec les plus grands égards des habitants inoffensifs .de Dinant qui, visiblement, avaient a souffrir des pénibles circonstances du moment. Je me souviens avoir vu des hommes de mon régiment transporter, pour les sauver, entre les rangées de maisons en flammes, des vieillards caducs et des enfants. Anlage 81. . Orainville, 17 Mars 1915. Georges TEUBNER, 26 ans, serrurier, sous-officier de réserve a la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 103. Dans la nuit, après que nous eümes passé la Meuse, deux sections de la compagnie de mitrailleuses étaient cantonnées prés de la voie du chemin de fer. Un poste de garde d'infanterie était en face de nous. Dans la maison oü était établi ce poste se trouvaient déja quelques civils. Au point du jour, une femme beige vint nous expliquer par signes (nous ne comprenions pas le francais) qu'une maison était en flammes quelque part et que nous devions venir aider. Nous comprimés qu'il devait se passer la quelque chose de particulièrement grave et quelques hommes avec des outils (haches, etc.) suivirent la femme. Je ne pouvais les accompagner immédiatement. Quand, plus tard, je me dirigeai vers la maison en feu, je rencontrai les hommes avec des habitants délivrés; ceux-ci, réfugiés dans les caves de la maison, s'étaient trouvés ensevelis; C'étaient des hommes, des femmes et des enfants; parmi eux, il y avait un ecclésiastique. Ils furent conduits au poste de garde, fouillés et relachés plus tard. Dans la dernière maison d'un village au dela de Dinant, nous trouvames une quantité énorme de munitions (cartouches de chevrotines et cartouches pointues) qui, a toute évidence avaient été disposées en cet endroit. Dans le faxte du toit se trouvaient des ouvertures semblables a des meurtrières. Plus loin, j'ai vu, prés du coin d'une maison, un civil fusillé, qui tenait encore en main un fusil de chasse a doublé canon. Anlage 82. Orainville, 17 Mars 1915. Max Gustave RICHTER, 23 ans, chaisier, gefreiter (caporal) a la 6me compagnie du régiment d'infanterie n" 103. La 6me compagnie du régiment d'infanterie n" 103 avait, après les combats prés de Dinant, mission de surveiller le pont. Le sous-lieutenant Lemke était commandant de place dans le secteur qui nous était assigné. Nous restames la de quatre a cinq jours. Pendant ces journées, le sous-lieutenant Lemke fit conduire dans une maison les civils non coupables et les fit soigner lis re?urent du pain, de la viande, des pommes de terre et du lait. Anlage 86. Orainville, 15 Mars 1915. Georges Frédéric FLOREY, 22 ans 1/2, sous-lieutenant, adjudant de régiment au régiment de grenadiers n 1U1. Avec 1'aide du lieutenant von Zenker, de la lre compagnie, j'ai franse, aux Rivages, un habitant qui avait a la tête une frlaie béante. Plus tard, j'ai donné l'ordre aux hommes de ma section de retirer d'une maison en flammes une femme denviron SU ans et de la mettre en se'curite'. Mes grenadiers ont immediatement obéi a cet ordre et remis cette femme a d'autres habitants pour les soins ultérieurs. A Neffe, j'ai pris la peine de chercher un médecin frour les habitants blessés. J'étais a cette epoque chef de section a la 4,r'e compagnie. Anlage 87. Dans une tranchée, le 12 Janvier 1915. Oberartz de réserve Dr Karl Théodore Hans MARX, médecin assistant du IIrae bataillon du régiment de grenadiers du roi (Leibregiment) n° 100. Pendant toute la journée du 23 Aoüt j'ai également donne des soins médicaux a des habitants blesses de Dinant. J ai notamment soigné une jeune fille blessée d un coufr de feu a la ie te. Dans la maison oü j'avais établi mon poste de secours, je lui accordai une chambre spéciale, de fagon a ce que ses parents puissent rester auprès d'elle. Comme la partie de la ville ou j'avais établi le poste de secours fut, vers le soir, pnse sous un feu violent d'artillerie, je fis transporter la jeune fille dans un endroit sur de la ville. C'était dans la rue qui se trouve pres de la prison. La blessée était a 1'agonie par suite de la gravite "^Vans^iuTconvoi d'habitants conduits a la Meuse pour etre transférés sur 1'autre rive, je reconnus. a ses habits, un ecclesiastique; je le priai de donner ses soins a la mourante et vis qu'il lui donnait Yabsolution. Toute cette journee je ïestai a Sant. Je n'ai pas été dans le cas de constater des actes reprehensibles quelconques commis par des soldats allemands. Anlage 84. Orainville, 17 Mars 1915 Séverin SCHROËDER, 34 ans, capitaine commandant la 6n,c compagnie du régiment d infanterie n 10o. Du 23 au 24 Aoüt, ma compagnie, établie sur la rive gauche de la Meuse, surveillait le pont. Environ 150 a 200 prisontiiers civils, partni lesguels beaucoup de femmes et un petit nombre d'enfants, étaient installés dans quelques maisons. J'avais pris soin de rassernbler les vivres trouvés dans les maisons, en partie détruites, pour les distribuer a ma compagnie. Sur la demande de quelques femmes d'obtenir des vivres. je leur ai donné en même temps qu'aux autres civils, du pain, du riz et des saucisses. J'avais déclaré aux habitants qu'il ne leur arriverait rien tant qu'ils resteraient dans les maisons sous la protection de la compagnie. A leur demande, quelques-uns d'entre eux furent relachés paree qu'ils ne paraissaient pas suspects. Des hommes qui semblaient suspects furent gardés; quelques femmes restèrent de plein gré. Quand je fus relevé, le sous-lieutenant Lemke, qui fut laissé la avec la section, assuma la garde des prisonniers. Anlage,85. Orainvile, 15 Mars 1915. Georges von LUDER, 41 ans, capitaine commandant le IIme bataillon du régiment d'infanterie n° 103. En ma qualité de commandant, je conduisais, le 23 Aoüt, la compagnie de mitrailleuses. Tard dans la soirée, celle-ci traversa la Meuse sur des pontons. Le 24 Aoüt, la compagnie resta jusque midi de 1'autre cóté de la Meuse pour attendre les chariots qui devaient passer sur la rive gauche par le pont construit par les pionniers. La compagnie partit lorsque, dans 1'après-midi du 24 Aoüt, les chariots furent arrivés. Pendant le temps oü la compagnie se trouvait prés de la rive gauche de la Meuse, il arriva, a diverses reprises, que des civils arrêtés par les soldats furent amenés dans une maison située prés du lieu de repos de la compagnie. J'ai vu conduire ces habitants dans la maison et je puis assurer, a tous égards, quils # furent traités convenablement par les soldats les accompagnant. Le 24 Aoüt, dans 1'avant-midi, le commandant du régiment, le colonel Hoch, vint a la compagnie et paria aux habitants internés dans la maison. Sur leur prière il en fit relacher beaucoup. J'ai eu 1'impression que les civils arrêtés étaient traités avec beaucoup de douceur. Pour la nuit on leur désigna une chambre et ils furent, le 24 Aoüt, bien et copieusement nourris. Rappelons enfin les prévenances du lieutenant Lemke qui ont donné a nos concitoyens une trés haute opinion de 1'Allemagne ! Donc, vous avez assassiné une partie de la population, ineendié la ville presqu'entière, saccageant et pillant ce que vous n'avez pas brülé. Pour qu'ils ne vous empêchent pas de laronner a votre aise, vous avez, sans droit, emprisonné les malheureux survivants. Pendant trois et quatre jours, sous la menace de vos soldats qui leur défendaient même les larmes, vous les avez tenus enfermés, entassés dans une promiscuité revoltante! II en est, dites-vous, que vous avez sauvés des Hammes que vous-mêmes aviez allumées, et, pendant qu en présence de vos victimes, vous faisiez bombance de leurs provisions et de leur vin volés, il vous est arrivé de donner aux captifs un peu de votre pain ou de vos vivres a vous et même de verser a certains du café de la cuisine du régiment du roi (1)! Vous vous en étonnez vous-mêmes, au point de tirer gloire de votre générosité. Ce trait achève, ö doux et magnanimes Allemands, de vous peindre! (1) Voir " Aper?u général „ page 58. CHAPITRE XXI La Préméditation L'enquête allemande ne mérite que le dédain. Elle est viciée dans sa procédure et dans le choix de ses témoins. Elle est tarée par le vague et 1'imprécison d'un grand nombre des dépositions qu'elle produit ainsi par les contradictions et les inexactitudes évidentes qu'elle renferme. Elle est altérée en outre, par la collusion entre témoins engendrant des mensonges collectifs, comme celui du bombardement de Dinant. Les témoins allemands ont prêté serment. Sous la foi de leur serment, ils ont menti. 11 ne s'en faut pas scandaliser. Cela n'a rien d'immoral dans un pays oü la nation entière approuve et acclame cette monstrueuse maxime : la nécessité n'a pas de loi. L'honneur, le droit, la foi jurée, le respect d'autrui et celui de soi-même ont des lois. La nécessité n'a pas de loi! Cette maxime permet a un puissant souverain de ganter de fer son poing, d'en frapper au visage la Justice et de la meurtrir. La nécessité n'a pas de loi et 1'AUemagne peut précipiter ses armées sur un pays dont elle avait juré de respecter et de protéger la neutralité ; elle peut y semer 1'horreur des pillages et des incendies, 1'épouvante des massacres. Mais le monde s'émeut, des voix s'élevent pour crier „ Justice » et 1'on entend des indignations gronder. II faut justifier les crimmes commis. Le parjure...? Soit; nécessité n'a pas de loi! Et couverts par eet aphorisme odieux, sürs de n'être pas désavoués, les prétoriens allemands se parjurent sans scrupule. (1) (1) Nous ne nous refusons cependant pas a admettre que nombre de soldats allemands, dans leur aveugle confiance en la parole de leurs chefs et égarés par la littérature d'avant guerre et les odieuses calomnies de la presse, aient cru sincèrement qu'ils étaient 1'objet d'agressions de Ia part de la population civile de Belgique. (Voir sur ce point le chap. XXII de ce volume et le Livre Gr» beige, p. 53). Et puis, ils ont des fusils et des canons; ils ont même des gaz asphyxiants et c'est la force n'est-ce pas, qui crée le droit... même le droit au parjure ? Le fait que des Allemands ont reconnu 1'innocence de la population de Dinant (le 20™ rapport de la commission beige d'enquête, reproduit aux pages 36 et suivantes de ce volume, contient deux déclarations qui font eet aveu), souligne la honte du mensonge dont le Gouvernement allemand s est, lui-même, rendu coupable en publiant son enquête. Ce qui rend plus lache ce mensonge et plus odieux le crime perpétré contre notre malheureuse cité c'est que celui-ci était firémédite. Même avant qu'ils en eussent acquis la preuve testimoniale, tous les Dinantais en avaient la conviction absolue. La certitude qu'ils ont de n'avoir, par leurs agissements, donné lieu a aucune représaille justifiée et la généralité des excès allemands, se reproduisant dans les différents quartiers de la vï 11e avec des manifestations a peu prés identiques, bien que commis par des toupes envahissant la localité par des voies différentes, ont créé cette conviction. Après le sac de la ville furent rapportés les propos menafants tenus par des officiers allemands dans plusieurs villages des environs. II serait téméraire d'affirmer 1'exactitude de toutes les histoires de ce genre qui furent racontées : trop de gens ont la manie de prophétiser après coup. J'ai vpersonnellement recueilli plusieurs de ces récits Bien qu'ils m'aient paru sérieux, je n'ai pas voulu en faire état paree que je n'avais pu les soumettre a 1 épreuve d'un controle suffisant. Je n'en ai retenu qu'un seul. II rapporte le conseil donné, plusieurs jours avant la destruction de la ville, a 1'un de nos concitoyens, par un officier supérieur allemand, de ne pas rentrer a Dinant la ville devant être détruite. (Voir ci-dessus p. 48). Je connais depuis de longues années le témoin qui m a rapporté ces propos. Mes relations presque quotidiennes avec lui m'ont mis a même de 1'apprécier : il est de ceux dont le témoignage ne se discute pas. Monseigneur Heylen, prélat éminent, écrivant dans des conditions qui devaient redoubler son habituelle circonspection, cite d'autres exemples. Les voici : Trois jours avant la catastrophe, a 25 kilomètres de Dinant, un colonel des grenadiers se trouvant chez une personnalité qui a une séconde résidence a Dinant, 1'a exhortée a ne pas y retourner, paree que " Dinant doit être entièrement détruite Le 22 Aoüt, dans la soirée, dans une localité sise a 10 kilomètres au Sud-Est de Dinant, un major d'infanterie a dit a un notable qui assistait au repas de 1'Etat-Major: " Vous connaissez Dinant ? C'est une belle ville. II n'en restera pas pierre sur pierre. „ II avait aussi glissé dans la conversation " que les habitants aimaient bien les Frangais. „ Le 22 Aoüt, a 9 heures du soir, un capitaine et trois lieutenants soupaient dans une localité sise a 1'Est de Dinant. Le capitaine dit a son höte: " Demain, Dinant tout brülé et tout tué „ et comme on lui en demandait la raison, il répondit : " Nous trop d'hommes perdus. „ Le capitaine ajouta: " Vous n'avez pas de proches parents a Dinant ? Je les ferais prendre et amener ici pour les mettre en süreté. „ Le 21 Aoüt, vers le soir, des dragons et des cyclistes se trouvaient cantonnés dans un village situé a environ 20 kilomètres au Sud-Est de Dinant. S'adressant a la maitresse du logis, quelques soldats parlèrent d'abord de Sorinnes, puis de Dinant. " Demain, Dinant tout kapout, tout, tout, „ ponctuèrent-ils. La dame leur montrant son enfant, ajouta : " Pas les femmes et les enfants ? „ — " Si, tout, tout; pas moi, mais ceux-la, „ — dit 1'un d'eux, désignant ses camarades. Dans une autre maison de la même localité, un soldat dit a un vieillard en lui offrant une chaise: "Vous bon?,, — " Oui, répondit le vieillard; nous pas faire de mal.,, — " Alors, ajouta le soldat, nous bons aussi, mais a Dinant, mauvais et demain, Dinant, tout kapout, tout, tout. „ Le 23 Aoüt, a 4 h. 15 du matin, un oberleutenant des grenadiers entra chez un notable de Dinant, en compagnie d'un sous-officier et d'un soldat. Sur les instances de la maitresse de la maison, qui savait l'allemand, 1'officier consentit a ne pas expulser la familie de la maison, mais ajouta : " Vous serez quand même obligés de sortir, car nous avons 1'ordre de brüler la ville. „ Ajoutons enfin le témoignage d'un prêtre que rapporte 1'Abbé des Prémontrés de Leffe (voir p. 152). Officiers et soldats, nos ennemis savaient. Nous autres, nous n'avons pas su : on ne pénétrait plus a Dinant et les avis qu'on a voulu nous faire tenir ne nous sont pas parvenus. L'Allemagne récusera peut-être ces témoignages en arguant que ce sont des Beiges qui les rapportent. En voici d'autres; ils sont allemands, assermentés et signe's. Ils proviennent de 1'enquête faite, par 1'autorité militaire franfaise, auprès des prisonniers allemands appartenant au XIIme corps d'armée (ler corps saxon), sur les crimes commis a Dinant par ce corps et sont publiés dans le Livre Gris beige. 1°) GRIMMER Rudolph, soldat au régiment d'infanterie n° 108. Mon régiment est entré a Dinant le 23 Aoüt, vers 5 heures du matin.... L'ordre nous a été donné de tuer tous les civils qui tireraient sur nous, mais en réalité, les hommes de mon régiment et moi-même avons tiré sur tous les civils que nous trouvions dans les maisons d'oü 1'on supposait qu'un coup de feu avait été tiré J nous avons tué de la sorte des femmes et même des enfants. Nous ne le faisions pas de gaïté de coeur, mais nous avions regu de nos supérieurs 1 ordre d agir de la sorte et pas un soldat de 1'armée active ne saurait contrevenir a un ordre émanant, comme celui-ci, du commandement supérieur.... (Livre Gris beige, page 247). 2°) PEISKER Johannes, du régiment d'infanterie n° 108. Nous sommes entrés a Dinant le 21 Aoüt, vers 9 heures du soir et nous avons tiré sur les fenêtres des maisons pour nous défendre contre les ennemis qui pourraient y être cachés. A 11 heures du soir, nous nous sommes repliés aux environs de la ville oü nous sommes restés toute la journée du lendemain. Nous sommes rentrés a Dinant le dimanche 23 Aoüt, vers 10 heures du matin. L'ordre fut donné dans toutes les compagnies de mon régiment de massacrer les civils. Cet ordre me fut transmis par 1'oberleutenant Harich. Ma compagnie n'a pas eu 1'occasion d'obéir a cet ordre, car elle était spécialement affectée a la couverture de 1'artillerie.... (Livre Gris beige, p. 248). 3°) BRE1TSCHNEIDER Ewald, même régiment. Le Vendredi, 21 Aoüt dernier, le soir, notre lieutenant Schultz, qui remplacait notre commandant de compagnie, blessé, nous a fait connaïtre que l'ordre était de massacrer a Dinant tous les civils. Cet ordre était un ordre de corps d armée. Ma compagnie n'est passée a Dinant que le dimanche 24 Aoüt, alors que tout était déja brülé.... (Livre Gris beige, p. 249). Inutile de multiplier ces citations. Pas de commentaires ; ils sont superflus. * * * Une question se pose. Pourquoi ce crime prémédité et perpétré contre une cité paisible ? Paree que " nécessité n'a pas de loi. „ II fallait, pour permettre de réduire au minimum les troupes d'occupation, que la terreur règne dans la Belgique envahie. II fallait que 1 epouvante précède les Barbares, pour empêcher qu'une résistance de la population leur fut opposée. II était utile de briser par la crainte 1'indomptable énergie morale d un peuple qui avait préféré a sa sécurité son devoir. II eüt été utile que le cri de sa détresse entrainat le Roi et le gouvernement a un moment de faiblesse, a une paix hativement conclue, sous 1'empire de la terreur et de la commisération. II fallait, pour endiguer le flot de réprobation soulevé dans 1 univers par 1 attentat a la neutralité beige, représenter le peuple injustement attaqué comme indigne de la pitié et de 1'admiration que lui attiraient son courage et sa loyauté. II était nécessaire pour cela qu'ils y eüt des francs-tireurs et les Allemands les ont créés de toutes pièces. Ils ont édifié leur enquête autour des méfaits imaginaires qu'ils attribuèrent a ceux-ci, dès le début de la guerre, et qu'ils amplifièrent et systématisèrent dans le Livre Blanc du 10 mai 1915. Enfin, il fallait, après que le chancelier eüt reconnu 1'attentat au .droit des gens commis contre notre pays et promis réparation, il fallait, en prévision de la victoire escomptée, trouver un prétexte pour conserver une trop facile conquête. Injustement attaquée, la Belgique avait droit a son indépendance. Coupable de crime contre les armées allemandes, elle serait annexée a titre de chatiment. La nécessité n'a pas de loi. La soif de conquêtes n'en connait pas non plus. Et 1'on a eu les massacres d'Aerschot, Andenne, Dinant, Louvain, Tamines, et tant d'autres endroits. CHAPITRE XXII Conclusion J'ai publié les pièces du procés. Dans 1'analyse que j'en ai faite j'espère avoir mis assez de clarté pour que le lecteur sans préjugé ait pu former son opinion et, jugeant le débat, conclure : la population de Dinant n a commis aucune faute ; le crime perpétré contre elle est sans excuse ; de 1'armée qui 1'a commis la flétrissure en remonte au gouvernement qui couvre les criminels et défend leur oeuvre. Les généralisations trop absolues sont injustes. Je me refuse a croire que tous les soldats allemands qui ont été mêlés aux événements de Dinant soient des coupables. II doit en être qui se sont abstenus de participer aux crimes qui leurs étaient ordonnés. " Nulle part, dit le lieutenant Kipping, (Anl. 28) nous ne tirames a dessein sur des femmes et des eniants. Que ceux-ci aient été parfois atteints dans le désarroi, cela est inévitable. „ II est tout aussi inévitable que des Allemands aient été victimes d'accidents analogues. L'irréflexion et le préjugé aidant, des hommes, voyant leurs camarades tomber alors que le feu des Francais ne pouvait les avoir atteints, ont pu, de bonne foi, se croire attaqués par des francs-tireurs. Les échos déconcertants de nos rochers purent aussi induire en erreur un certain nombre d'Allemands sur 1'origine du tir qu'ils entendaient. Mais. conduite correcte et erreur furent des exceptions. La masse est coupable et le commandement alletnand est responsable des événements. II a ordonné ; les documents allemands le proclament. II a été obéi. On se demande comment une armée, orgueil d'un grand empire, une armée en qui se concentrent toutes les espérances, toutes les affections, toute 1'ame du peuple allemand, a pu, non seulement méconnaitre les conventions, protectrices du droit des non-combattants, qui portent la signature de 1 Allemagne, mais encore outrager, violer les lois les plus sacrées de la conscience, de 1'honneur et de 1'humanité. C'est la guerre, nous disaient-ils ! La guerre! dernier recours des droits que 1 on viole, des liber- tés qu'on étrangle et des peuples qui préfèrent la mort a 1'asservissement. Elle suscite des vertus inouïes, des dévouements sans borne, le sacrifice dans toute sa plénitude. Elle a des héroïsrnes, des clairons, de la gloire et des drapeaux. Elle a aussi la mort, les plaies, les souffrances. Elle est la menace et 1'arme monstrueuse de 1'ambition en mal d'agrandissements et de conquêtes. Elle émousse les sensibilités et réveille des passions sommeillant au fond de notre pauvre ame, ces passions formidables auxquelles notre civilisation sut mettre un frein dont la guerre relache 1'étreinte. A 1'heure rouge oü le devoir impose de comprimer les battements du coeur pour accomplir sans hésitation 1'oeuvre de sang, renait la sauvagerie des ames ancestrales et 1'on croit revivre les époques farouches des temps d'autrefois: " homo homini lupus. „ Dans 1'horreur de la bataille, toutes les énergies se concentrent vers un but unique : attaquer, se défendre, détruire, tuer. Mais ceci n'expiique qu'en partie les forfaits allemands. Ils ont d'autres causes. Le mépris dans lequel 1'Allemagne tient les autres peuples; sa foi insensée en sa propre supériorité ; sa conviction qu'elle est 1'élue de Dieu, appelée par une mission providentielle a dominer les races voisines pour répandre chez elles les bienfaits de la " Kultur „; le caractère autoritaire et brutal de 1'Allemand; 1'orgeuil immense d'une caste militaire qui se croit tout permis, paree qu'a la conscience de sa force elle joint la certitude d'une absolution par la victoire; tout cela avait prédisposé 1'armée allemande a écouter les excitations des journaux et des chefs. On irritait les passions contre la Belgique coupable de s'être opposée aux desseins légitimes de lAllemagne et 1'on montrait, dans chacun de nos compatriotes, un franc-tireur a redouter, un misérable aveuglant ou mutilant les blessés et profanant les cadavres. Fatalement, ces causes, les unes profondes, les autres accidentelles, devaient amener 1'eftroyable débordement de violences et de crimes dont la Belgique a été le théatre. La conséquence était d'autant plus inévitable que, de longue main, les théoriciens de la guerre a la mode germaine avaient perverti 1'intelligence et le coeur des militaires allemands par des doctrines monstrueuses. La guerre a des lois. La guerre allemande n'en a pas : Le Grand Etat-Major les a abrogées. Elle ne connait que la violence sans limites et le terrorisme. Je n'en veux pas chercher les preuves dont les éerits des Clausewitz, des Hartmnan, des Bernhardi, des Strupp, et autres généraux et publicistes allemands. Quelles que soient 1'influence et 1'autorité dont ils jouissent dans leur pays, on pourrait me répondre qu'ils expriment seulement des opinions individuelles. La pensée officielle de 1'Allemagne militaire est déposée dans un manuel publié en 1902 par la Section historique du Grand Etat-Major allemand : Les lois de la guerre continentale. Ce livre est odieux. II autorise tous les crimes, s'il ne les provoque. Les régies édictées par la convention de La Haye ? Elles sont la résultante de " considérations humanitaires qui ont assez souvent digénéré en sensibilité sinon en sensiblerie. „ (page 6). (1) Craignant cependant que des officiers ne soient tentés de s'y conformer on leur apprend qu' " elles ne sont pas une loi écrite mise en vigueur par des traités internationaux, mais seulement des conventions ne reposant que sur la réciprocité et des restrictions a 1'arbitraire que 1'usage, la coutume, 1'humanité et 1'égoïsme bien entendus ont élevées, mais dont 1'observation n'est garantie par aucune sanction autre que la crainte de représailles. „ (page 5). Puis on dicte a 1'officier sa conduite : " II se défendra contre les idéés humanitaires exagérées, il se rendra compte que la guerre comporte forcément une certaine rigueur, et, bien plus, que la seule véritable humanité réside souvent dans 1'emploi, dépourvu de ménagements, de ces sévérités. „ (page 7). II se souviendra que " les considérations humanitaires telles que les ménagements relatifs aux personnes et aux biens ne peuvent faire question que si la nature et le but de la guerre s'en accommodent. „ (page 3). En sorte " qu'il n'est apporté au libre arbitre du commandement que des limites fort vagues. „ (page 20). Passant a des cas d'application, le manuel expose assez exactement quelques-unes des régies édictées par les conventions de La Haye, mais il a toujours soin de faire observer qu'elles peuvent et doivent céder devant la nécessité définie elle-même par 1'objectif a réaliser et le but a atteindre. (1) Traduction de Paul Carpentier, 2"10 édition, Paris Payot et C° 1916 A cette loi de la nécessité on ne pose pas de limites. On se borne a des exemples de ce qu'elle permet, notamment la mise a mort des prisonniers de guerre, (même en dehors des cas de crime commis par eux, de rebellion, de tentative d'évasion, de représailles,) " s'il n'y a pas d'autre moyen de les garder et que la présence des prisonniers constitue un danger pour la propre existence du capteur. „ (page 36). Cl) Qui déterminera les cas de nécessité? La page 122 nous fixe sur ce point. " Ün aura a décider dans chaque cas si 1'on se trouve dans un état de nécessité justifiée. La réponse a cette question appartient au commandant, de la conscience duquel on doit aujourd'hui attendre et exiger toute 1'humanité compatible avec 1'objet de la guerre. „ Comment le commandant s'y prendra-t-il pour établir la différence indispensable entre un acte jugé nécessaire au but qu'il veut atteindre et un acte simplement utile ou opportun? On ne se met point en peine de 1'instruire a ce sujet. Toutefois, pour éviter que le chef se Iaisse entrainer a des scrupules, on a soin de lui rappeler, qu'en cas de critique possible, le succès sera une justification suffisante et 1'on commente cette théorie par un exemple (p. 114). Quelle modération attendre d'une armée qui n'aura d'autre ligne de conduite qu'un opportunisme brutal, d'autre crainte que celle de verser dans la sensiblerie! La doctrine prêchée compromet une responsabilité plus haute que celle du Grand Etat-Major. Haranguant ses troupes qui partaient pour 1'expédition de Chine, l'empereur Guillaume II leur disait : " Quand vous rencontrez 1'ennemi, écrasez-le. Pas de pardon, pas de prisonniers. Vous agirez a votre guise contre ceux qui vous tomberont entre les mains. Que 1'on craigne le nom allemand comme on a craint celui d'Attila et des Huns. „ (2) Les exhortations d'un tel maitre ne sont pas de celles qui s oubüent. Elles n ont pas, quand elles furent adressées aux troupes, révolté les conscienees allemandes. Nous autres, Beiges, (1) Le Dr Strupp (Das Internationale Landkriegsrecht 1914,) déclare qu'une troupe peut être obligée de laisser mourir de fairn des prisonniers si le commandant estime que e est le seul moyen d'exécuter un ordre qu'il a recu, par exemple, d'atteindre en temps utile un endroit indispensable pour Ia bonne marche des opérations (p. 7). (2) II a été publié différentes versions de ce discours. Le sens de toutes est Ie même. nous avons eu la preuve, douloureuse infiniment, de la fidélité avec laquelle elles furent gardées dans les mémoires et de 1'obéissance avec laquelle elles furent suivies. Après la parole, 1'exemple ! De ce pauvre droit international de la guerre, si brutalement émasculé par le Grand Etat-Major allemand, une règle subsistait. Elle devait paraitre d'autant plus respectable aux officiers de 1'Allemagne que, seule, elle était représentée comme inviolable, intangible même a la nécessité. Les belligérants, dit le manuel allemand, doivent respecter 1 inviolabilité des territoires neutres et le paisible exercice des droits souverains a 1'intérieur de ces derniers, s'abstenir de tout empiétement sur leur domaine, même si les nécessités de la guene l'exigeaient (page 164). Guillaume II a violé la neutralité beige et par la voix de son chancelier il s'en est excusé par une prétendue nécessité. \\ serait téméraire d'affirmer que 1'exemple donné de si haut n a pas eu de répercussion sur la mentalité de 1 armée allemande et n'a pas contribué a effacer, du coeur et de 1 esprit des chefs et des soldats, ce que les enseignements d'école avaient laissé subsister en eux de respect pour les conventions internationales protectrices des droits des non-combattants. Le crime commis contre notre neutralité englobe a lui seul tous ceux qui 1'ont suivi ; ils y sont virtuellement inclus; il en est le générateur. Souverain et autocrate puissant, Guillaume II 1'a délibérément prémédité. 11 1'a froidement exécuté. II pouvait tout empêcher. II n'a pas tout commandé mais il a tout toléré : les incendies, les pillages, les massacres. II s arme du glaive et du bouclier de Dieu pour en couvrir les coupables, les protéger et les défendre. Les caisses de 1'armée impériale se remplissent avec les centaines de millions extorqués a des populations odieusement pressurees et réduites a la détresse. Le sol ne suffisant pas aux crimes des Allemands, ils s emparent de la profondeur des mers et de 1'obscurité des nuits sans lune. Sans le consentement de 1'empereur les flots ne rouleraient pas les cadavres des enfants noyés a bord de la Lusitania et des dirigeables ne bombarderaient pas des villes sans defense y massacrant des femmes et des enfants. L'armée allemande honore les sciences a la bibliothèque de Louvain et vénère, a Reims, les cathédrales. Elle invente des crimes nouveaux et, au mépris de la signature allemande apposée au bas de la déclaration de La Haye du 29 Juillet 1899, elle empoisonne ses ennemis a 1'aide de gaz asphyxiants. Des profondeurs du passé elle fait surgir des monstuosités que 1 on croyait abolies. L'esclavage que nos officiers ont extirpé de 1'Afrique est ressuscité contre nous. Dans 1'intérêt militaire de 1 ennemi des milliers de nos compatriotes sont arrachés de leurs foyers, déportés en Allemagne, oü par la violence et la faim, ïls sont contraints a des travaux que leur patriotisme et leur conscience réprouvent. Tout cela 1'empereur allemand le sait, et il tolère que ces pratiques se continuent. II se met a genoux sur des tombes et s'écrie: " Dieu mest témoin que je n ai pas voulu cela ! „ Théatral serment qui ne 1 absout pas d'avoir, en déchainant sa guerre, commis contre 1'humanité le plus effroyable des forfaits dont elle ait connu 1'épouvante. * * * J ai terminé la tache que je m'étais assignée. J ai été le témoin d'une partie des faits dont j'ai parlé. J'af- firme, qu en ma présence, pas un coup de feu ne fut tiré par un Dinantais. L'enquête a laquelle j'ai procédé m'a démontré que chacun de nos concitoyens peut en toute conscience porter le même témoignage. Le prudent et sage évêque de Namur a procédé a une enquête du même genre. Sans s'être concerté avec moi, il arrivé a la même conclusion. Le général von Longchamp, gouverneur militaire de la pro\ince de Namur, a voulu se créer une opinion personnelle et cela 1 a amené a me dire : De l'enquête que j'ai faite il résulte qu'aucun civil ria tiré a Dinant! Je tiens de la bouche du directeur de la prison de Cassel, que les autorites militaires a Berlin ont la même couviction. II nest pas a ma connaissance que ces aveux, rendus publics depuis plus de deux ans, aient été 1'objet d'une atténuation ou d une explication quelcouque, ni de la part de leurs auteurs, ni de la part du gouvernement allemand. Le Livre Blanc allemand est une oeuvre de sinistre perfidie. Le mensonge s'y étale avec un cynisme efïronté. Mais il est impossible de détruire une ville et d'en decimer la population comme on coule un inoffensif navire neutre sans laisser de traces Alors, ces traces, on cherche a les fausser pour donner le change a 1'opinion et 1'on passé du pillage et du meurtre a la calomnie et au mensonge. On n'a plus qu'un but : dissimuler, qu'une préoccupation : abolir ce qui, pour le chatiment et la honte des criminels, inexorablement, demeure! ^ " Sans laisser de traces! „ Ces mots devraient servir d'epi- graphe au Livre Blanc allemand. Appendice II sernble indispensable que le lecteur ait sous les yeux les divers documents relatifs au sac de Dinant. Nous extrayons donc du Livre Gris beige : 1 Le puissant raccourci dans lequel le Gouvernement a victorieusement réfuté les accusations allemandes contre la population de Dinant. 2" La courageuse et vengeresse protestation que Msr Heylen, Evêque de Namur, a opposée a ces calomnies. I Sac et Massacres de Dinant (1) Section I Exposé des faits Est ici reproduite, en grande partie, la lettre que j'ai adressée a M. le Ministre de la Justice — lettre que 1'on a vue plus haut, ainsi qu une seconde lettre relatant le transfert et la détention a la prison cellulaire de Cassel de 417 Dinantais. Section II Examen critique du rapport du Bureau Militaire d'Enquête allemand et de ses annexes Ce qui, au premier abord, frappé 1'attention lorsqu'on lit les depositions et les extraits de journaux de campagne reproduits au nombre de 87 dans le Livre Blanc pour justifier les massacres de iJinant, c est 1 unanimité avec laquelle 1'affirmation y est exprimée, que 1 armée allemande a été, a Dinant et dans les environs, victime du plus abominable guet-apens Ce que le rapport d'ensemble du Bureau Militaire allemand et ses annexes relatent, ce ne sont pas, en effet, des coups de teu isoles, ce n est pas même une embuscade dans les rues de (1) Extrait du Livre Gris beige, p. 199 et suivantes. la ville, c'est une véritable bataille, a laquelle on voit participer la population entière, et oü des effectifs allemands considerables se trouvent engagés et tenus en échec. Le rapport cite entre autres parmi les forces engagées dans 1 action, les regimen s d infanterie n- 100, 101, 103, 108, 177, 178, 182,1e XI™ bata.l- Ion de chasseurs, de la cavalerie, les regiments d artillerie de campagne nos 12 et 48, et des troupes du génie, appartenant au XIIme corps d'armée (Ier corps saxon). On se demande s'il est possible que les déclarations contenues dans ces documents aient toutes été dictées par le seul desir de sauver la réputation de 1'armée allemande, ou bien si beaucoup de ces témoins, parmi lesquels se trouve un certain nombre de fonctionnaires et de médecins, un négociant^ un ingenieur, etc., n'ont pas rapporté en toute sincérité ce qu'ils ont cru voir et répété ce qu'ils ont entendu dire, sans autre souci que celui de la vérité. , Lorsque 1'on reprend 1'analyse des documents, quon les compare, qu'on illumine le raisonnement de 1'un par les faits affirmes dans 1'autre, on en arrivé a admettre que de nombreux temoins crurent réellement avoir afïaire a des " francs'tireurs ün leur avait tellement farci 1'esprit de la légende, qu ils n hesiterent pas a attribuer a 1'intervention de ces derniers tout evenement ïnexpliqué. * * * La reconnaissance de la soirée du 21 Aoüt 1914 ("uit du 21 au 22 Aoüt). — Ce qui est rapporté comme s etant passé dans la soirée du 21 au 22 Aoüt et la conclusion a en tirer en sont un tres frappant exemple. Quand les derniers rangs du 2™ bataillon du 108- régiment de fusiliers saxons, qui était précéde d une section du genie eurent atteint les premières maisons de Dinant, les troupes furent assaillies de tous cotés; on tirait des maisons et des coteaux, dans les flancs desquels il y avait des caves et des grottes (Gewölbé). Lorsque 1'on voulut penetrer dans les maisons, oi constata que les entrées en étaient barricadees. Danstune maison de coin, des mitrailleuses étaient installees. Le feu fut mis aux maisons, mais on ne mentionne pas que des civils furent saisis les armes a la main. Telles sont les constatations faites dans 1'Anl C 2. Dans 1'Anl. C 3, il est dit, en outre, que des P^^es étaient jetées sur les soldats, et que, lorsque le lieutenant Brink pénétra dans la première rue latérale de gauche, il constata que celle-ci était barrée au moyen de fils de fer. Point importa . dès que les troupes atteignirent les premieres maisons de la ville, 1'éclairage public fut détruit. Ni dans 1 une m dans autre annexe il n'est fait mention de " francs-tireurs „ ; de ce silence on peut ' conclure avec sureté qu'on n'en a pas vu. 11 n;Y est pasiquesitio non plus de blessures causées Dar des filombs, bien qu on prenne soin de relever que la section du génie eut quinze hommes blessés légèrement et un homme blessé gnèvement. I II convient de noter que les indications obteniies dans les Anl. C 2 et C 3 sont extraites du journal (1) du régimenf d'infanterie n" 108 et de celui de la lre compagnie de campagne du 12mL bataillon du génie; elles ont, vraisemblablement, été consignées le 22 Aoüt. Le sous-officier de santé Rost, interrogé six mois plus tard, le 6 Mars 1915, prétend cependant avoir, le 21 Aoüt 1914, aper^u des têtes de femmes derrière les hommes qui tiraient des fenêtres et dont quelques-uns étaient en bras de chemise (C. Anl. 59). Un réserviste du 108rae régiment, Emile-Bruno Lange, interrogé aussi le 6 Mars, déclare qu'il a vu une femme d'un certain age tirer d'une maison éclairée par la lueur de la lanterne qui brülait dans la rue (C. Anl. 60). Un autre soldat du même régiment, Vorwieger, affirme aussi le 6 Mars 1915 avoir vu dans une maison, au moment oü il voulait y entrer, une femme d'environ trente ans, qui s'y tenait debout, le revolver en main, prête a tirer (C. Anl. 61). Un réserviste du 12me bataillon du génie, Kurt Büchner, interrogé le 6 Novembre 1914, affirme que les tireurs étaient des civils sans insignes militaires (C. Anl. 4). Le lieutenant Brink qui conduisait la section de la compagnie du génie, déclare, par contre, le 20 Février 1915, quil na Das vu les tireurs (Die Schützen habe ich nicht geseheti), mais ajoute que ceux-ci n étaient certainement pas des militaires paree que les blessés avaient de nombreuses blessures causées par des plombs (C. Anl. 5). Enfin le Dr Köckeritz, tout en déclarant le 2 Février 1915, que les habitants tiraient des maisons avec des fusils a plombs, ne spécifie pas qu'il a apergu lui-même des civils en train de tirer, mais semble, tout au moins sur ce point, rapporter ce qui lui a été dit (C. Anl. 67). On se trouve donc en présence d'affirmations contradictoires. Faut-il ajouter foi aux constatations des journaux de guerre (2) rédigés fort peu de temps, peut-être quelques heures avant les événements, ou aux dépositions isolées, et d'ailleurs divergentes entre elles, recueillies longtemps après. (D'après le sous-officier allemand Peisker, fait prisonnier le 17 Septembre 1914, le feu dirigé sur les maisons avait un caractère préventif, voir'p. 248.) Comment les témoins ont-ils pu constater qu'il s'agissait de civils, puisqu il faisait nuit noire, 1'éclairage public ayant été détruit dès le moment oü les troupes allemandes atteignirent les premières maisons de Dinant? Si donc les troupes allemandes faisant leur reconnaissance ont réellement rencontré de la résistance (3), elles n'ont pas pu cons- (1) P'us exactement, ces indications sont extraites des rapports de combat (Gefechtsbericht) des deux unités en question "sur le combat livré a Dinant dans la nuit du 21 au 22 Aoüt 1614 (2) Même remarque qu'a la note 1 ci-dessus. (3) Ce fait ne résulte, d'ailleurs, aucunement, ni du rapport de M. Tschoffen (p. 200), ni de Ia note de Mgr Heylen (p. 469). Cette et les autres du même genre que 1'on trouvera dans 1'extrait du Livre Gris que nous reproduiSons ne se réfèrent non aux pages du présent volume mais a celles du Livre Gris beige (Ier tirage) ou du Livre Blanc allemand. tater d'une fagon positive si cette résistance était le fait de civils ou de militaires. Cependant 1'obsession du " franc-tireur „ est tellement puissante dans 1'esprit des officiers, que le Livre Elanc dit, qu' " après cette expérience, il fallait admettre que la population civile prendrait part également a la lutte lors des opérations ultérieures „ (p. 118). C'est avec cette conviction précongue que, le 23 Aoüt, 1'armée allemande va descendre dans Dinant. Etaient-ce, peut-être, des patrouilles frangaises qui, dans la nuit du 21 au 22 Aoüt, accueillirent les forces allemandes? Le Livre Blatic en reconnaït la possibilité, puisqu'il constate que, ce jour la, les troupes allemandes trouvèrent le pont occupé par 1'armée ennemie (p. 117). D'autre part, les autorités militaires frangaises déclarent que ce sont les troupes frangaises qui, a partir du 16 Aoüt, ont organisé défensivement la ville de Dinant, notamment aux abords de la rivière, que le pont lui-même était barré par un réseau de fils de fer et qu il y avait, sur la rive droite de la Meuse, quelques barricades de pavés et quelques barrages de fil de fer devant les piles de pont et aux abords de 1'église (Voir p. 235 du présent volume). Ces autorités ne font cependant aucune allusion a des engagements qui se seraient produits, la nuit du 21 au 22 Aoüt, entre des patrouilles frangaises et des Allemands : ces derniers, après s etre enivrés, se seraient battus entre eux (Voir p. 237). * * * L'enchainement des présomptions dans 1'esprit du comuiandement allemand. — Que s'était-il donc passé en réalité a Dinant, petite ville batie le long de la Meuse et disposée sur les deux rives du fleuve, reliées entre elles par un grand pont vers le milieu de 1'agglomération ? Un premier engagement eut lieu entre les troupes fraugaises et allemandes le 15 Aoüt : après avoir réussi a prendre pied sur la rive droite et même a passer sur la rive gauche, les Allemands furent rejetés dans 1'après-midi sur la rive droite et durent évacuer aussi la vieille citadelle dominant la ville. Ils s arrêtèrent a quelques kilomètres a 1'est de Dinant. Le rapport du Bureau Militaire allemand affirme cependant que, deux jours plus tard, " le 17 Aoüt les troupes ennemies se sont retirées sur la rive gauche de la Meuse. Dès ce moment „, continue-t-il, " Dinant, Leffe, Les Rivages (faubourg de Dinant) étaient libres de troupes régulières ennemies „. C'est la une affirmation inexacte : le rapport constate lui-même, quelques lignes plus loin, qu'une reconnaissance allemande ayant poussé, le 21 Aoüt, au soir, jusqu'au coeur de Dinant, trouva " le pont occupé par 1'armée ennemie,, (p. 117) (1). (1) On peut invoquer aussi I'extrait, daté du 22 Aoüt 1914, du journal de gnerre du " Generalkommando „ du XIIme corps d armée, oü il est consigne L'erreur du commandement allemand est d'une grande importance : c'est d'elle que part 1'argumentation qui va permettre d'incriminer Ia population civfle. C'est ce qui s'est fait a propos de la reconnaissance du 21 Aoüt, comme on vient de le voir. Bïen que 1'identité des auteurs des coups de feu tirés ce soir-la ne fut pas établie, et qus les journaux du régiment n° 108 et de la lrc compagnie du 12me bataillon du génie se soient abstenus d'accuser formellement la population, le rapport du Bureau Militaire de Berlin déclare qu'il fallait s'attendre a ce que la population civile participat aussi a la lutte lors des opérations ultérieures (p. 118). f Une fois sur cette pente, il ne s'arrête plus et le préjugé s'y déploie dans toute son ampleur. Dans les préparatifs de défense aits par 1'armée frangaise et constatés au cours de la reconnaissance du 21 Aoüt, le rapport voit la preuve d'une préméditation des " francs-tireurs " II était clair écrit-il, " que cette attaque de la population contre le détachement envoyé en reconnaissance (le 21), s'était effectuée conformément a un plan, qu'on était informé a Dinant de 1'opération projetée, et qu'on avait mis a profit les dispositions prises de longue main dans ce dessein. La préparation résultait notamment des meurtrières dont étaient pourvus un grand nombre de maisons et de murs „ (p. 117 du Livre Blanc). On présutne, sans preuve ni controle, que ces meurtrières ont été aménagées par la population. C'est dans cette conviction préétablie, que les Allemands se représentèrent en force a Dinant le 23 Aoüt pour enlever de haute lutte le passage de la Meuse. Ce jour-la, les troupes frantaises occupaient la ville dans les mêmes conditions que les jours précédents, tenant fortement la rive gauche, surveillant la rive droite. Elles s'étaient établies dans les maisons, dans les jardins étagés sur la cöte, derrière les murs percés par elles de meurtrières; des mitrailleuses étaient braquées en divers endroits, notamment pour commander 1'accès du pont. La partie de la ville construite sur la rive droite n'était parcourue depuis le 16 Aoüt que par des patrouilles ou de faibles détachements de reconnaissance. Le 22 Aoüt cependant, le faubourg de Leffe avait été le théatre d'une petite opération menée par un détachement du génie francais, sous la protection d'une section du 373me : une maison, située en face de la rue Saint-Jacques, empêchant les mitrailleuses frangaises de prendre d'enfilade cette rue dans laquelle les Allemands devaient déboucher en sortant de la citadelle, le détachement fit sauter cette maison vers 13 heures. que, par une attaque nocturne, le 2me bataillon du régiment de fusiliers n° 108 a, prés de (bei) Dinant, rejeté la nuit précédente 1'adversaire sur la rive gauche de la Meuse (C. Anl. 1). II s'agit sans doute encore ici de la reconnaissance entreprise le 21 Aoüt dans la soirée par ledit 2">e bataillon et une section du génie. L'information semble, toutefois, erronée en ce sens, tout au moins, que la reconnaissance n a pas eu le résultat indiqué. La réslstance habile opposée le 23 Aout par les troupes frangaises, le rapport allemand semble 1'attribuer essentiellement a la population civile de Dinant. A lire 1'exposé allemand, c'est elle seule qui a soutenu le combat ou a peu prés. Le fait qui, en tout cas, ressort de la version allemande ellemême, c'est que le préjugé dont 1'existence dans 1'esprit des officiers, dès les dates des 17 et 21 Aout, est reconnue dans le rapport, a présidé a la conception que les chefs allemands s'étaient faite de la situation, dès avant leur arrivée devant Dinant, le 23 Aout. Du 17 au 23, la présupposition du " franc-tireur „ avait continué a agir sur les imaginations déja échauffées des troupes d'invasion; le 23 Aout, il semble, d'après le rapport, qu'elle était devenue une véritable obsession pour les chefs allemands. On devine si leurs ordres pour ce jour-la ont dü s'en ressentir.... Si tel était 1'état d'esprit des chefs dès le 21-22 Aoüt, n'était-il pas évident que 1'image de tout ce que le simple soldat verrait ou croirait voir le 23, serait fatalement réfractée et déformée par le préjugé formidable sous 1'opression psychique duquel on le menait au feu? Qu'on se représente ce combattant tel que les dépositions du Livre Blanc permettent de 1'entrevoir, arrivant, surexcité par les fausses alarmes des reconnaissances antérieures et guetté par 1'épouvante du combat de rues en perspective, dans une localité ennemie, aux voies étroites, resserrée entre un fleuve et des rochers et exposée au feu des canons francais postés sur 1'autre rive. Sa faculté d'observer tout en combattant, que ses chefs avaient d'avance concentrée sur une seule forme de péril, devait être entièrement résorbée dans 1'excitation nerveuse de 1'anxiété et muée en une sorte d'hallucination collective. Les auteurs du rapport ne sont que conséquents avec les prémisses qu'ils ont posées lorsqu'ils rendent 1'ensemble des civils de Dinant responsables des actes de guerre dont leur ville était le théatre. " On tirait, dit le rapport allemand, d'une fagon sournoise et perfide, d'une fagon même invisible de 1'extérieur (selbst unsichtbar nach aussen), derrière des meurtrières... „ Les armes a feu n'étaient pas seulement des fusils de chasse et des revolvers, mais aussi des mitrailleuses et des fusils de guerre beiges. Lors de 1'entreprise du 21 Aoüt au soir, des filg de fer étaient tendus au travers des rues (p. 122). En présence d'une organisation défensive si perfectionnée, tout autre chef de troupe, raisonnant de sang-froid et maitre de ses nerfs, eüt conclu, en premier ordre du moins, qu'il avait affaire a une force ennemie régulière. Ici, c'est tout le contraire qui se produit : dans le fait que la résistance s'est habilement dissimulée, les chefs allemands trouvent la confirmation de leur préjugé, a savoir qu'ils ont affaire a la population civile. De nouveau alors le préjugé engendre le préjugé : dans la perfection même de cette organisation défensive a laquelle 1'assaillant se heurte, le rapport trouve la preuve d'un appui apporté a 1'organisation par le Gouvernement beige (p. 122 du Livre Blanc). Telle est ia conclusion a laquelle le Bureau Militaire d'Enquête est amené finalement, de déduction en déduction. Si de simples troupiers sont, a la rigueur, excusables de s'être laissé égarer par 1'obsession du " franc-tireur que faut-i! penser de la mentalité des chefs allemands ? C'est a leur manque de clairvoyance et de sang-froid, ou plutöt a leur obstination a vouloir, contre toute vraisemblance, attribuer a des " francs-tireurs „ la résistance' rencontrée a Dinant, que la malheureuse population de cette ville doit d'avoir été décimée (Voir la déposition du soldat allemand prisonnier Breitschneider, p. 249). La question se posera même a tout esprit non prévenu : Jusqu'a quel point y a-t-il lieu d'ajouter foi a la sincérité du plaidoyer allemand (1) ? ... * * * Les événement du 23 Aoüt. — Le 23 Aoüt, tout au début de la matinée, le 178me régiment d'infanterie descendant vers la Meuse par le village de Leffe est obligé de passer, notamment, devant un immeuble qui est désigné tantöt comme la " Papeterie „, tantót comme la "Fabrique,,. Plusieurs témoins décrivent ce qui s'est passé en eet endroit. Le major Franzel, du 2me bataillon du 178me régiment d'infanterie, dont deux dépositions figurent dans le Livre Blanc (C. Anl. 25 et 30), prétend avoir essuyé des coups de feu de " francstireurs „ provenant de la fabrique. II donne 1'ordre de fouiller celle-ci; on n'y trouve, malgré une perquisition minutieuse, qu'environ vingt hommes en civil et quelques femmes. II ne mentionne pas qu'on ait découvert ni sur eux, ni dans la fabrique, n'importe quelle espèce d'armes ou de cartouches ; mais, comme on n'a pas vu de soldats francais ou beiges dans les environs et qu'il croit que des soldats n'auraient pas pu s'échapper de la fabrique (C. Anl. 30), le major fait, sur 1'ordre du colonel, fusiller tous les hommes trouvés dans celle-ci (C. Anl. 25). Or, on le sait, les troupes frangaises avaient encore, a cette date, des patrouilles opérant sur la rive droite de la Meuse. Les premières exécutions vont avoir de tristes conséquences pour d'autres que ceux qui en furent les victimes. Le sous-officier Paul-Otto Macher, de la 8me compagnie du 178me régiment d'infanterie (C. Anl. 29), interrogé le 14 Février 1915, déclare que, lorsqu'il entra le 23 Aoüt au matin a Leffe, il vit des civils tués qui gisaient la ; il constata que les maisons étaient fermées et que les soupiraux des caves étaient barricadés : des soldats lui (1) D'après Ie rapport de M. Tschoffen, procureur du Roi (Voir p. 204), et la note de Mgr Heylen, Évêque de Namur (p. 481), la destruction de Dinant était préméditée. disent d'être sur ses gardes, car on avait tiré des maisons. On entend des coups de fusil, on fait des perquisitions dans les maisons (1), on en extrait des civils mais on n'y trouve pas d'armes : du moins Macher ne le dit pas. Or, il est certain, étant donné le souci des enquêteurs de démontrer que les troupes ont été attaquées par les " francs-tireurs „, que le fait eut été, le cas échéant, mentionné. On ne relève donc aucun indice matériel et le sous-officier est obligé de fonder sa conviction relativement a la présence de " francs-tireurs „, sur un raisonnement • " Les coups de feu tirés ver 10 heures du soir doivent, a mon avis, dit-il, avoir été tirés par des civils, paree que nos troupes étaient déja en possession de la rive gauche. „ Ce fait n'est nullement établi. D'après des renseiguements de 1'autorité militaire frangaise (Voir plus loin, p. 235), les éléments allemands passés le 23 Aoüt sur la rive gauche furent contreattaqués dans la soirée par les réserves du ler corps d'armée frangaise et rejetés dans la Meuse. Ce n'est que dans la nuit du 23 au 24 Aoüt que les troupes frangaises se retirèrent vers le sud. Dans sa note du 31 Octobre H915, MBr Heylen, Évêque de Namur, affirme qu'/7 n'y a pas eu le moindre cornbat de rues a Dinant et qu'aucun civil na été pris ou trouvé porteur d'armes (Voir p. 470). M. Tschoffen certifie dans son rapport que la population est unanime a déclarer qu'aucun Dinantais n'a tiré sur les troupes allemandes (p. 203). * * * Les exécutions des 24 et 25 Aoüt. — La journée du 23 Aoüt fut la plus sanglante, mais nombre de civils furent encore tués le 24 et le 25 Aoüt. Pour justifier ces monstruosités, on soutient que les " francs-tireurs „ ne cessèrent pas la lutte le 23 Aoüt et que, pendant les deux jours qui suivirent, des colonnes allemandes ainsi que des personnes isolées eurent encore a essuyer des coups de feu provenant des coteaux et des maisons, ce qui, dit le rapport du Bureau Militaire d'Enquête nécessita des représailles (p. 121) : on fusilla des habitants pris sur le fait dans toutes les parties de la ville, le 24 et le 25 Aoüt, et on bombarda, le 24 Aoüt, des maisons des faubourgs de Neffe-et de Saint-Médard qui étaient occupées par des " francs-tireurs Comment sont prouvés ces actes de " francs-tireurs „ ? (1) Macher rapporte que certaines de ces perquisitions furent faites sous la direction du sergent Schuster. Comme, dans une maison, la porte d'une cave ne fut pas ouverte volontairement par ceux qui s'y trouvaient — du moins d'après ce qu'assure Schuster — celui-ci, au lieu de faire briser la porte a coups de hache, tire un coup de fusii au travers et blesse ainsi mortellement une femme réfugiée dans la cave. II n'est pas question d'armes saisies dans cette cave, ni mêine de 1'arrestation des personnes qui y étaient réfugiées. D'abord par un extrait du jouraal de guerre du ler bataillon du 19me régiment d'artillerie a pied, qui affirme que, le 24 Aoüt 1914, la route de la vallée de la Meuse entre Dinant et Leffe n'était pas praticable a cause des maisons écroulées, des ineendies et du tir des habitants proveuant des maisons. Ces derniers mots sont imprimés en caractères espacés dans le texte allemand (C. Anl. 21). 11 n'y a la aucune constatation concrète ; 1'affirmation est consignée dans le journal de guerre d'après le rapport d'une simple reconnaissance, le bataillon étant lui-même resté a distance. II fallait des faits plus précis ; le rapport allemand 1'a compris, et ne se réfère explicitement (p. 121) qu'aux dépositions conténues dans les Anl. C. 49 et 50 ; il négligé même complètement 1'affirmation du rapport du bataillon d'artillerie. Ces dépositions sont les seules relatives au 24 Aoüt. Dans 1'une, il s'agit d'un aumönier qui, pendant qu'il mangeait avec un capitaine une assiette de soupe dans une cour, le 24 Aoüt dans 1'après-midi, aurait été assailli de quelques coups de fusil (C. Anl. 50) ; 1'autre mentionne des coups de feu parti de divers cótés. Mais ces prétendues attaques ne durent pas être bien sérieuses, car les témoins ne prennent même pas la peine de dire que le feu fut mis aux maisons : ils mentionnent seulement que deux civils furent fusillés. Ces faits ne paraissent réellement pas justifier — 'en admettant qu'ils soient exacts — 1'assertion du rapport du- bataillon d'artillerie a pied, a savoir que la route de la vallée de la Meuse n'était pas praticable en raison du tir d'habitants. Que faut-il croire au surplus de ce tir effectué le 24 Aoüt, après les épou- vantables massacres de la veille ? * * * La fusillade des otages a Les Rivages (Rocher Bayard) (1). — 11 convient de signaler spécialement la tragédie atroce dont 1'horreur dépasse toute imagination et qui eut pour théatre le faubourg de Les Rivages (Rocher Bayard). D'après le ropport du Bureau Militaire de Berlin, des troupes allemandes, notamment le 101me régiment de grenadiers ainsi que la 3me compagnie de pionniers de campagne, arrivèrent a Les Rivages dans le courant de 1'après-midi du 23 Aoüt (p. 120 et C. Anl. 39). La construction d'un pont sur la Meuse y fut aussitöt commencée ; les soldats furent 1'objet, durant leur travail, de coups de feu que les autorités allemandes attribuent, en partie tout au moins, a des civils. Le fait matériel qui reste acquis est que, prés de 1'endroit oü les pionniers avaient amorcé le pont, se trouvait, dans la soirée du 23 Aoüt, un énorme amas de cadavres d'habitants qui avaient été fusillés et dont un certain (1) Des fusillades d otages ont eu iieu dans divers quartiers de la ville. nombre avaient été, peu de temps auparavant, pris comme otageS (p. 121). Dans le tas, on retrouva des malheureux qui n'étaient que blessés, parmi eux une petite fille de huit ans, une femme agée (déposition du lieutenant de réserve Baron von Rochow, C. Anl. 47), une petite fille de cinq ans qui n'avait aucune blessure et une autre petite fille d'environ dix ans qui avait une blessure au bas de la cuisse (1) (déposition du Dr Petrenz, C. Anl. 51). La reconnaissance de ce fait brutal par 1'autorité allemande rf'empêche pas le major Paazig, reculant vraisemblablement devant 1'horreur d'un pareil aveu, de déclarer que les blessures des cadavres étaient en partie trés graves et paraissaient avoir été occasionnées par le feu de 1'artillerie (C. Anl. 49). Cette supposition est absolument erronée, car le témoin Dr Petrenz reconnait que la tuerie fut le résultat d'une exécution faite par le 101me régiment d'infanterie (C. Anl. 51) et qu'un autre témoin, le capitaine de réserve Carl Ermisch, dit que les otages furent fusillés sur les ordres d'un officier agé — non nommé — du 101me régiment de grenadiers (C. Anl. 46). Quelque abominable que soit cette exécution, le Livre Blanc a la prétention de la justifier par 1'objectif militaire (Kriegszweck) qu'il importait de réaliser (le passage rapide sur la rive gauche de la Meuse) et par la situation périlleuse des troupes soi-disant attaquées traitreusement par la population (p. 123). Voici comment s'exprime a 'ce sujet le rapport du Bureau Militaire d'Enquête : " II importe d% tenir compte, dans 1'appréciation de 1'attitude des troupes du XIIme corps a 1'égard de la conduite extrèmement hostile de la population civile, fais^nt usage des moyens les plus condamnables, que le but tactique poursuivi par le XIIme corps était de passer rapidement la Meuse et de repousser 1'ennemi de la rive gauche du fleuve. En finir promptement avec la résistance des habitants s'opposant a la réalisation de ce but constituait une nécessité de guerre (Kriegsnotwendigkeit), et il y fallait parvenir de n'importe quelle fagon. En se plagant a ce point de vue, étaient justifiés, sans plus, le bombardement de la ville qui prenait une part active au combat, 1'incendie des maisons occupées par des francs-tireurs, ainsi que la fusillade des habitants pris les armes d la main. " De même, était aussi conforme au droit la fusillade des otages qui se fit en divers quartiers de la localité. Les troupes qui combattaient a 1'intérieur de la ville se trouvaient dans une situation de danger extrèmement pressant, par le fait que, sous le feu de 1'artillerie, des mitrailleuses et de 1'infanterie des troupes régulières ennemies postées sur la rive gauche de la Meuse, elles essuyaient en même temps dans le dos et sur les flancs la fusillade des habitants. , On s'assura d'otages pour mettre fin a ces (1) II ne peut s'agir de la même enfant que celle dont parle le lieutenant von Rochow, car celui-ci constate que la petite fille a une blessure au visage, tandis que celle trouvée par le Dr Petrenz est blessée au bas de Ia cuisse. opérations de francs-tireurs (Fratiktireurwesen). Comme ta population continuait, malgré tout, comme auparavant, a infliger des pertes aux troupes en train de combattre, on passa a 1'exécution des otages. Sinon, la prise d'otages n'eüt eu d'autre signification qu'une vaine menace. Leur exécution était d'autant plus justifiée que, en présence de la participation générale de la population au combat, il pouvait difficilement s'agir la d'innocents. Cette mesure ne pouvait être évitée, étant donnés Fobjeetif militaire (Kriegszweck) a atteindre et le danger de la situation dans laquelle se trouvaient les troupes attaquées sournoisement par derrière (p. 123). „ On le voit, 1'exécution en masse et .sans enquête d'otages devient légitime dès lors qu'elle peut aider a la réalisation d'un objectif militaire. II ne parait nullement établi que les coups de feu dirigés sur les pionniers construisant le pont eussent été tirés par des civils. Le même jour, en effet, vers 6 heures du soir, le major Karl-Adolf-Heinrich von Zeschau, adjudant du général commandaut le XIIme corps d'armée (1), arrivait a la Meuse au faubourg de Les Rivages. II constate que les grenadiers du 101"e régiment sont la en ordre de marche et attendent que le pont soit terminé pour passer sur la rive gauche. Les maisons étaient fermées et tout paraissait tranquille (p. 120 et 184). Néanmoins, il s'enquiert du point de savoir si on a fouillé les maisons voisines ; comme on avait négligé cette précaution, on procédé immédiatement a une perquisition, et un sergent vient avertir le major que les maisons sont vides. Un peu plus tard, quand le pont était a rnoitié construit, le major s'en retourne chez le général pour lui faire son rapport (C. Anl. 45) Pour toute süreté et avant même 1'arrivée du major K.-A.-H. von Zeschau, les grenadiers avaient d'ailleurs déja pris comme otages un grand nombre d'habitants (p. 121 et C. Anl. 39). Au surplus, un homme que les documents allemands désignent comme le bourgemestre des Rivages s'était présenté et avait donné 1'assurance que les habitants, d'ailleurs dépourvus d'armes, ne méditaient aucune agression sur les troupes (C. Anl. 43 et 44 et p. 128). Cet homme qui, au demeurant. n'était pas bourgmestre des Rivages (cette localité ne constitue pas une commune distincte), fut même envoyé par les autorités allemandes sur la rive gauche de la Meuse " pour exhorter au calme la population de Neffe „ (p. 121). D'autre part, lorsque les troupes allemandes arrivèrent a Les Rivages et commencèrent la construction du pont, il y avait encore sur 1'autre rive des détachements de 1'armée frangaise : le journal de guerre de la 3me compagnie du génie de campagne le constate en mentionnant que le feu ennemi venant de la rive gauche n'était a ce moment que trés faible (C. Anl. 39). (1) A ne pas confondre avec le major Arnd Maximilian Ernst von Zeschau (C Anl. 40). Quelque temps après le commencement du travail, une fusillade violente éclate (C. Ani. 39 et 43). Le journal du 110me régiment de grenadiers contient a ce sujet ce passage : " Les pionniers commencent la construction d'un pont sur la Meuse ; mais un feu ennemi violent dirigé en partie par 1'infanterie, en partie par les habitants de la rive opposée (auf dem jenseitigen CJ/er), perce les pontons et rend impossible la continuation de la construction du pont „ (C. Anl. 43). Qu'est-ce a dire ? Tout simplement que les troupes frangaises, ayant des éléments et des patrouilles sur la rive gauche de la Meuse, après avoir ralenti leur feu au début pour donner confiance aux travailleurs (C. Anl. 39), reprirent 1'offensive quand les pontonniers se trouvèrent bien a leur portée. Le rapport du 101me régiment ajoute, il est vrai, que des habitants tiraient aussi de la rive droite ; mais cette assertion parait impossible a accorder avec ce que le major von Zeschau avait personnellement observé, avec les perquisitions qu'il avait fait faire dans les maisons et avec le fait que les grenadiers avaient, dès leur arrivée a Les Rivages, saisi des otages. Ce n'est d'ailleurs que d'après ce qu'il entendit dire que von Zeschau rapporte a la fin de sa déposition (C. Anl. 45) que, peu après son départ, des coups de feu partirent des maisons apparemment vides. Même au seul point de vue de la concordance du temps, plusieurs des dépositions et rapports semble inconciliables avec les constatations personnelles du major K.-A.-H. von Zeschau. Cet officier, en efïet, adjudant du général en chef du XIIme corps d'armée, offrant, en conséquence, des garanties spéciales d'intelligence et d'exactitude dans ses constatations, déclare que, lorsque le 23 Aoüt a 6 heures du soir il arriva aux Rivages, tout y était calme. Les grenadiers du I01me régiment attendaient paisiblement de pouvoir passer le pont et les pontonniers en étaient déja a la moitié de leur ouvrage lorsque le major von Zeschau quitta cet endroit vers 6 h. 30, semble-t-il. II ne fait pas la moindre allusion a des combats avec des civils qui s'y seraient livrés une heure auparavant. Cependant, le Livre Blanc consacre les dires du sergent-officier suppléant Ebert, de la llme compagnie du même régiment n° 101, d'après lequel, a cet endroit même, vers 5 heures, lui et ses compagnons auraient été 1'objet d'une fussilade violente, des coups de feu étant tirés de tous les cótés (C. Anl. 58) (1), ainsi que la déposition du capitaine de réserve Carl Ermisch portant que, vers 4 ou 5 heures de 1'après-midi, un feu assez violent fut dirigé~sur la pointe du pont en construction ; Ermisch aurait remarqué distinctement que le feu provenait de la rive droite de (1) Le résultat de cette violente fusillade ne fut d'ailleurs pas grave. Ebert mentionne seulement que des plombs vinrent se loger dans le fut du fusil d'un de ses camarades. la Meuse et notamment d'une maison rouge située prés du Rocher Bayard (C. Anl. 46). Comment accepter sans méfiance ces dépositions formellement contredites par le major von Zeschau et qui laissent apercevoir que leurs auteurs se forment une conviction sous 1'éternelle hantise des " francs-tireurs Le capitaine Ermisch avait, en effet, constaté, une heures environ auparavant, qu'il ne voyait pas de troupes dans les environs (Es waren weder französisc/ie noch deutsche Soldaten zu sehen); il en résuite que, dans son esprit, des " francs-tireurs „ devaient avoir tiré les coups de feu. Or, on sait que sur la rive gauche de la rivière, en face même des Rivages, des troupes franjaises étaient embusquées (C. Anl. 46). II importe de reproduire ici le passage du rapport du procureur du Roi de Dinant (Voir section I de ce chapitre), qui est relatif a 1'exécution des otages prés du pont de bateaux jeté par les Allemands sur la Meuse au faubourg des Rivages. M. Tschoffen s'exprime comme suit (p. 202) : „ Les troupes descendues par la route de Froidvau occupent le quartier de „ Penant. " Les habitants sont arrêtés dés 1'arrivée des Allemands et gardés a vue prés du Rocher Bayard. Le feu des Frangais s'étant ralenti, les Allemands commencent la construction d'un pont. Cependant quelques balles les gênent encore. De ce qu'elles sont rares, les Allemands concluent — avec ou sans sincérité — qu'elles leur sont envoyées par des francs-tireurs. Ils envoient M. Bourdon, greffier adjoint au tribunal, sur la rive gauche, pour annoncer que, si le feu continue, les habitants prisonniers seront passés par les armes. II s'exécute, puis, repassant la Meuse, revient se constituer prisonnier et déclare aux officiers allemands qu'il a pu se convaincre que seuls des soldats frangais tirent. Quelques balles fran^aises arrivent encore, et une chose monstrueuse se passé, que 1'imagination se refuserait a croire si des témoins ne survivaient pour 1'attester et si les cadavres avec leurs plaies béantes n'en fournissait la plus irrécusable des preuves : le groupe des prisonniers, hommes, femmes et enfants, est poussé contre un mur et fusillé ! „ Quatre-vingts victimes tombent en ce moment (1) ! " Ce récit de M. Tschoffen est non seulement confirmé, mais précisé sur un point d'une importance capitale par le soldat Schoenherr, du 101rae régiment de grenadiers, qui, fait prisonnier le 8 Septembre a Chalons-sur-Marne, a été interrogé par les autorités frangaises le 5 Juin 1915, au dépót de Blaye, et a déclaré ce qui suit : „ Le 23 Aoüt, nous arrivions a Dinant, et je fus détaché dans le corps des pionniers occupé a lancer un pont ; je n'ai, par suite, pas traversé la ville, qui avait un certain nombre de maisons en Hammes. Tandis que nous transportions les pontons, et (1) Parmi ces victime figurent M. Bourdon, sa femme, un de ses fils et sa fille. alors que nous venions de poser nos fusils pour être plus a notre aise, nous regümes des coups de feu. Une section et un officier regurent 1'ordre de se rendre compte d'oü partait la fusillade. Ils capturèrent des soldats frangais et des soldats beiges, les derniers étaient des hommes d'un certain age. Ceux qui avaient tiré ne pouvaient pas être des civils, car les feux étaient des feux de salve. Prés du rocher, j'ai apergu un grand batiment dans lequel se trouvaient rassemblés et gardés militairement deux cents femmes et enfants. Aprés avoir quitté Dinant, etc., etc Pas plus que le magistrat beige, le soldat allemand n'admet donc que des coups de feu aient été tirés par des civils sur les soldats construisant le pont. Schcenherr précise même : „ Ceux qui avaient tiré ne pouvaient pas être des civils, car les feux étaient des feux de salve. „ (Voir la déposition compléte de Schoenherr, p. 255). L'officier qui a donné 1'ordre de fusiller les otages a Les Rivages porte devant 1'histoire une responsabilité terrible. L'autorité militaire allemande paraït en avoir conscience, car, s'il est dit dans 1'Anlage C. 46 que eet officier était un homme d'un certain age, son nom n'est, contrairement a 1'habitude, pas mentionné. La préoccupation de présenter 1'armée allemande comme victime des agressions des " francs-tireurs „ et le souci de justifier a tout prix son attitude vis-a-vis de la population apparaissent dans le caractère excessif même de la défense entreprise par certains témoins. A eet égard, les assertions du major Schlick, commandant le ler bataillon du régiment des grenadiers n° 101, relatives aux événements des Rivages doivent être signalées spécialement (C. Anl. 44). N'est-ce pas pour justifier la tuerie dés femmes et des enfants que eet officier écrit, a deux reprises, que des hommes de tout age, des femmes innombrables (utizahlige) et même des filles de dix ans prenaient part a la lutte ? Durant le combat de rue, une vingtaine d'habitants parmi lesquels quelques femmes, qui tiraient comme des fous et agissaient d'une manière particulièrement vile et perfide, furent tués a coups de fusil " pour nous défendre dit, Schlick, contre eux et pour détourner par la crainte (abschrecken) les habitants de commettre de nouvelles atrocités. „ Le combat de rue dura jusqu'a la nuit, 1'incendie de tout le quartier mit enfin un terme aux basses menées des habitants. Le major peut attester que les mesures prises ne constituaient qu'un acte de légitime défense. II ajoute que la situation dans laquelle les troupes se trouvaient, notamment a 1'endroit oü le pont fut jeté, méritait le nom, dans le vrai sens du mot, d'un sabat de sorcières (Hexenkesset'), qui, exécuté par une armée (Heer) d'hommes et de mégères (Weiber) en furie, n'aurait pu être imaginé pire. Schlick a toujours admiré dans la suite, en dépit des terribles impressions de ce combat, combien les soldats allemands étaient restés calrnes vis-a-vis de pareilles brutes (Bestien) et combien la cruauté leur était étrangère, mê- I me lorsqu'ils étaient exposés eux-mêmes au pire. L'officier rapporte enfin qu'environ 100 a 150 hommes, femmes et enfants furent transportés sur la rive gauche de la Meuse avec les premiers pontons qui firent la traversée du fieuve, " tant pour les empêcher de commettre encore des violences que pour les éloigner de 1'épouvantable combat „ (C. Anl. 44). — II semble cependant bien qu'en ce moment la rive gauche était encore tenue par les Francais, qui s'efforgaient par leur tir d'en interdire 1'accès aux AHemands. Le major Schlick ne fait mention dans son récit d'aucun soldat allemand tué ou blessé au cours du terrible combat, * * * On tire, au faubourg de Neffe, sur des habitants réfugiés sous un aqueduc. — Certains faits rapportés dans le Livre Blanc s'expliquent de la fagon la plus naturelle, sans constituer la preuve de 1'existence d'une guerre de " francs-tireurs. „ II en est ainsi de 1'incident ci-après, relaté a la fois par le procureur du Roi de Dinant et dans diverses dépositions insérées dans Ie Livre Blanc. Le magistrat dinantais rapporte qu'au faubourg de Neffe, " dans un aqueduc sous la voie du chemin de fer, une quarantaine de personnes s'étaient réfugiées. On y tire des coups de feu, on y jette des grenades. Les survivants se décident a sortir et les hommes se voient arrêtés pour être transférés en Allernagne. „ Que ces gens se soient réfugiés sous eet aqueduc pour se soustraire au feu de la bataille qui allait se livrer ou se livrait déja entre les troupes fran^aises et allemandes, c'était chose bien naturelle : le major Arnd-Maximilian-Ernst von Zeschau, major au 101me régiment de grenadiers, dit, en effet, qu'a 200 mètres de la le combat s'engagea entre ses hommes et de 1'infanterie fran?aise (C. Anl. 40). Ce major fit tirer dans 1'aqueduc dix a douze coups de fusil, prétendant que des coups de feu avaient été tirés de ce réduit et que des armes y furent trouvées. L'explication de eet acte abominable paraït vraiment bien sujette a caution, si I'on songe au sentiment plein de mansuétude qui fut réservé aux survivants. D'après les ordres donnés a Dinant, quiconque avait tiré ou était pris les armes a la main devait être fusillé ; on sait avec quelle précipitation et quelle légèreté ces ordres supérieurs étaient exécutés, notamftient par le 101e régiment de grenadiers dont des détachements opéraient en eet endroit. Peut-on dès lors admettre que les civils trouvés en possession de huit a dix carabines (karabinerartige Waffen) auraient été simplement confiés par ces mêmes grenadiers a la garde d'autres soldats ? L'imprudence insensée de la conduite que ces civils auraient eue ne constitue-t-elle d'ailleurs pas ellemême un argument en faveur de leur innocence ? 11 est vraisemblable que, pour justifier par après eet acte abominable, on s'est efforcé d'en atténuer 1'horreur, en mettant en avant, comme toujours, 1'excuse que ces malheureux avaient com- mis des actes de " francs-tireuts. „ * * * / Le manque de sang-froid des troupes allemandes. — Un fait bien caractéristique qui montre la nervosité maladi«e des militaires allemands et la facilité avec laquelle ils perdent la la tête, est rapporté a 1'Anlage C. 14. Deux caporaux de la 12me compagnie du 108me régiment d infanterie y rapportent que, dans 1'après-midi du 23 Aoüt, de 1'infanterie fut appelée a 1'aide par un train d'artillerie de campagne qui, prés du fort de Dinant, était assailli par huit civils ar- més de fusils. , Voila donc au moins une vingtaine de soldats, appelant a 1'aide pour combattre huits civils ! Autre fait. Le lieutenant Schreyer, apercevant, du versant droit des fonds de Leffe, de la canaille suspecte (verdachtiges Gesindel) qui se trouvait sur le versant opposé, ne tire-t'il pas sur le groupe sans aucune provocation et uniquement paree que ces gens, vus a distance, lui paraissaient suspects ? (C. Anl. 26, p. 157.) Autre fait encore. Le général-major Francke, commandant le régiment d'infanterie n° 182, rapporte que, le 23 Aoüt sans doute, — la date n'est pas indiquée, — on lui amena un homme qui portait le brassard de la Croix-Rouge et que des soldats, d'après des indices d'ailleurs des plus vagues et peu probants, suspectaient d'avoir tiré sur les troupes allemandes. Cet homme ayant déclaré qu'il était médecin et qu il n avait pas tiré, le général lui ordonna de panser des blessés ; comme il n'avait pas d'objets de pansement sur lui, le général 1'envoya en chercher dans la pharmacie voisine. Arrivé dans cette pharmacie, le médecin essaya de s'enfuir; la conclusion que 1'on tire de cette tentative est que 1'homme était un " franc-tireur „ (C. Anl. 16) et qu il ne portait le brassard de la Croix-Rouge que dans le but de nuire, sous sa protection, avec moins de risques aux Allemands (p. 122 du Livre Blanc). La conduite de cet homme n'est-elle cependant pas bien explicable si 1'on songe qu'il avait été témoin des agissements des troupes allemandes et qu'il y avait lieu pour lui de redouter que, soup£onné d'avoir tiré, il ne füt — comme le turent les otages des Rivages, les occupants de la Fabrique de Leffe, et tant d'autres — livré au peloton d'exécution ? N'ayant pas réussi dans sa tentative de fuite, il fut d'ailleurs fusillé sur-le-champ par le caporal et le soldat qui 1'avaient accompagné a la pharmacie. A cet acte de justice sommaire, le général Prancke, qui le rapporte, ne trouve pas un seul mot a redire. ♦ * * Le traitement des femmes, des vieillards et des enfants. — Des invraisemblances ont été signalées plus haut dans diverses dépositions reproduites dans le Livre Blanc. II s'y trouve aussi des affirmations heurtant de front des réalités matérielles certaines et indiscutable. II en est tout particulièrement ainsi, lorsqu'il s'agit du traitement réservé aux femmes, aux enfants et aux vieillards, lesquels auraient été épargnés pour autant qu'on ne les ait pas pris sur le fait ou qu'on ne se soit trouvé, vis-a-vis d'eux, en situation de lëgitime défense (p. 123). Ainsi, le capitaine von Montbé affirme, d'une fa^on générale, que les troupes allemandes n'ont pas fait subir de mauvais traitements aux habitants de Dinant (C. Anl. 8). Le Dr Sorge, médecin assistant de réserve du ler bataillon du 108e régiment de fusiliers, affirme que les femmes, les vieillards et les enfants furent toujours épargnés (C. Anl. 5). Le capitaine Wilke de la 6e compagnie du 178e régiment d'infanterie, dit qu'il refut des ordres dans ce sens (C. Anl. 26). Oswald Göpfert, tambour au 3e bataillon du 178e régiment d'infanterie, affirme que les hommes seuls furent fusillés et que les femmes et les enfants furent conduits en süreté dans un couvent (C. Anl. 79). Le journal de guerre du 100e régiment de grenadiers affirme que les habitants n'ayant pas d'armes furent conduits a la prison et que les vieillards, les femmes et les enfants furent remis en liberté (C. Anl. 6). Walter Loser, lieutenant de réserve de la 5e compagnie du 100e régiment de grenadiers, assure que 1'on n'a fusillé que les civils qui tiraient sur les troupes, que les soldats ne se rendirent coupables d'aucune cruauté et qu'ils transportèrent, même a travers les rangées de maisons en feu, des vieillards caducs et des enfants (C. Anl. 80). Le sous-officier Teubner et le sergent Bartsch, 1'un et I'autre de la compagnie de mitrailleuses du 103e régiment d'infanterie, ont fait et ont vu sauver par des soldats, parfois au risque de leur vie, des hommes, des femmes et des enfants qui se trouvaient dans les caves de maisons en feu (C. Anl. 53 et 81). Georges von Lüder, capitaine du 2e bataillon du 103l régiment d'infanterie, a également constaté beaucoup de mansuétude de la part des soldats envers la population dinantaise (C. Anl. 85). Severin Schröder, capitaine de la 6e compagnie du 103e régiment d'infanterie, rapporte que, dans la nuit du 23 au 24 Aoüt, il fit donner a des civils qui, au nombre de 150 a 200, dont beaucoup de femmes et d'enfants, étaient retenus prisonniers dans quelques maisons, du pain, du riz, et du saucisson prélevés sur les vivres que ses hommes étaient, sur ses ordres, allés prendre pour leurs propres besoins dans les maisons dont une partie étaient détruites (C. Anl. 84). Le Dr Marx, médecin chef de réserve du 2e bataillon du 100® régiment de grenadiers, a soigné, le 23 Aoüt, des Dinantais blessés et n a constaté pendant toute cette journée aucun excès de la part des soldats allemands (C. Anl. 87). Georges Bartusch, sergent au ler bataillon du 100e régiment de grenadiers, croit que les 50 ou 100 personnes fusillées sur 1'ordre du lieutenantcolonel Kielmannsegg étaient exclusivement des hommes, mais il admet la possibilité qu'une partie des femmes et des enfants qui s'étaient abrités derrière le mur contre lequel se trouvaient les suppliciés, aient été tués soit par des balles qui traversèrent le mur, soit par des coups de feu de 1'ennemi, tirés de la rive gauche (C. Anl. 10). Franz Schlosser, soldat de la 10e compagnie du 101e régiment de grenadiers, prétend, se trouvant sur la rive gauche de la Meuse, avoir vu de ses propres yeux plusieurs femmes tirer d'une maison sur lui-même et sur ses camarades. On perquisitionna dans les maisons et il croit qu on n'y trouva que des femmes et des enfants. Quant aux armes ou aux munitions, qui auraient dü logiquement y être découvertes, il n'en est pas question dans la déposition. Cependant, les maisons furent incendiées; les femmes et les enfants furent emmenés prisonniers (C. Anl. 42). Enfin, le lieutenant Lemke, de la 6e compagnie du 103e régiment d'infanterie, a, pendant quelques jours qui suivirent 1'incendie de Qinant, pourvu d aliments et de couvertures un certain nombre d'habitants. 11 relève spécialement qu'il fit donner de la farine a 1 ambulance de la Croix-Rouge installée a Bouvignes. Le bourgmestre et le " chatelain „ de Bouvignes, ainsi qu'un M. van Willmart se seraient même formé, a cette occasion, une haute opinion de TAllemagne (1) (C Anl. 83). Si 1'on admet qne tous ces témoins disent la vérité, ce que les déclarations de plusieurs prisonniers allemands (Voir p. 238 a 276) permettent de ne faire que sous réserve, comment expliquer qu'un nombre considérable de vieillards, de femmes et d'enfants furent tués le 23 et le 24 Aout a Dinant ? Les listes de cadavres identifiés contiennent les noms de 71 personnes du sexe féminin, de 34 personnes dépassant 1 age de soixantedix ans ainsi que de 39 enfants et adolescents de moins de seize ans et dont le plus jeune avait trois semaines ! A qui fera-t-on croire que tous ces vieillards, ces femmes et ces enfants ont ou bien été pris les armes a la main, ou atteints par des balles fran?aises ou allemandes, ou bien encore qu ils ont, a Les Rivages, quitté 1'emplacement qui leur avait été assigné, pour rejoindre le groupe des otages masculins? A-t-on donc massacré ces derniers avec une précipitation telle que 1 on n'apergut même pas les femmes et les eniants qui se trouvaient parmi eux (p. 123, al. 3) ? Au demeurant, si, notamment après les abominations du 23 Aoüt, des soins ont été donnés a des blessés civils par des médecins allemands, si des aliments ont été remis a des gens retenus prisonniers, si des soldats se sont conduits avec correction (1) Ils avaient cependant été témoins des massacres et de 1'incendie de Dinant! envers les habitants, si certains d'entre eux, même, ont retiré des maisons incendiées des vieillards et des enfants, la responsabilité des chefs militaires, ordonnateurs du massacre de plus de 600 personnes et de 1'incendie de 1.263 maisons de cette ville comptant 7.700 habitants et 1.653 maisons n'en est diminuée en rien. Ces médecins et ces soldats, en agissant comme on le rapporte, n'ont rempli que le plus strict des devoirs. Signaler avec cette insistance des actes aussi naturels, c'est 1'indice évident d'une conscience inquiète et chargée. * * * La population de Dinant n'a pris aucune part è la bataille. — On demeure confondu lorsqu'en prenant connaissance des accusations formulées dans le Livre Blanc contre la population de Dinant, on se remémore les déclarations faites au procureur du Roi de cette ville par le gouverneur allemand de la province de Namur et par le directeur de la prison de Cassel. Ce dernier lui dit: "Les autorités militaires a Berlin sont maintenant convaincues que personne n'a tiré a Dinant. „ Le général von Lonchamp déclare: "II résulte d'une enquête que j'ai faite qu'aucun civil n'a tiré a Dinant. Mais il y a peutêtre eu des Francais déguisés en civils, qui ont tiré. Et puis, dans l'entraïnement du combat, on va parfois plus loin qu'il ne faut. „ M. Tschoffen ajoute qu'il n'a trouvé personne a Dinant pour lui donner le moindre indice que Phypothèse relative aux soldats francais eüt un fondement quelconque d'exactitude. M. Tschoffen formule comme suit son avis personnel au sujet de la soó-disant participation de la population de Dinant aux combats: " Des Dinantais auraient-ils tiré sur les troupes allemandes, soit dans la nuit du 21 au 22 Aoüt, soit dans les journées de bataille du 15 et du 23? Une réponse directe est matériellement impossible: dans la nuit du 21 au 22, les habitants dormaient; le 15 et le 23, ils étaient dans leurs caves. Mais il y a invraisemblance a supposer que cette population, qui respecte les patrouilles et les cavaliers isolés, attaque 1'ennemi lorsqu'il est en masse. En outre, beaucoup de personnes dignes de confiance et moi-même avons interrogé quantité de gens qui tous ont déclaré, non seulement n'avoir pas tiré, mais n'avoir pas su ou entendu dire que n'importe qui 1'eüt fait. Ce témoignage unanime de toute une population a certes sa valeur. „ L'exposé du magistrat judiciaire beige, qui est reproduit intégralement ci-dessus aux pages 199 et suivantes, confïrme les déclarations que les Commissions beige et anglaise d'Enquête avaient, de leur cöté, recueillies au sujet des événements dont Dinant fut le théatre (1). II est permis de penser que le ton (1) Msr Heylen, Évêque de Namur, s'exprime dans le même sens au sujet de 1'attitude de la population de Dinant (Voir p. 468 et 470). mesuré du récit que M. Tschoffen fait, en particulier, des êvénements des Rivages (Rocher Bayard) est plus convaincant que 1'ernportement passionné du plaidoyer du major Schlick (1). Au demeurant, 1'Administration communale de Dinant avait, le 6 Aoüt, ainsi que les autorités militaires allemandes 1'ont certainement constaté, fait placarder les deux affiches dont le texte suit et qui étaient signées par le bourgmestre M. Defoin: I. — Avis aux Habitants de la Ville de Dinant " Avis est donné aux habitants, sous peine d'arrestation immédiate, d'avoir a porter au bureau de police tous les appareils de transmission ou de réception pour télégraphie sans fil toutes les armes a feu et munitions qu'ils possèderaient. „ II. — Avis aux Habitants " II est formellement signalé aux habitants que les civils ne peuvent se livrer a aucune attaque ou violence par les armes a feu ou autres contre les troupes ennemies. " Semblables attaques sont prohibées par le Droit des gens et exposeraient leurs auteurs, peut-être même la ville, aux plus graves conséquences. „ Les ordres de 1'Administration furent exécutées strictement et entendus par les habitants, qui connaissaient déja les procédés de 1'armée allemande mis en application dans les villes et villages du Nord de la province de Liége. * * * Des " francs-tireurs „ tirent sur une colonne de prisonniers beiges. — On peut se faire une idéé de la puissance de la hantise du " franc-tireur „ sur 1'esprit des officiers allemands en voyant le sous-lieutenant Lemke affirmer que des coups de feu qui furent tirés une nuit a Dinant-Bouvignes, entre le 23 et le 26 Aoüt, étaient le fait de " francs-tireurs (C. Anl. 83). II ne devait guère y avoir beaucoup d'autres troupes allemandes a Dinant-Bouvignes a 1'époque oü cette fusillade se produisit, qu une section de la 6me compagnie du régiment d'infanterie n" 103 (2); il s'y trouvait, par contre, un convoi de 3.700 soldats beiges prisonniers arrêtés sur la voie du chemin de fer prés de la .gare de Dinant. Vers 3 heures du matin, des coups de feu (1) Voir p. 220 et 221. (2) Cette section était commandée par Lemke, qui, bien que simple souslieutenant de réserve, a été, aux dates qu il indique, commandant de place a Dinant-Bouvignes Le passage des prisonniers beiges n'a d'ailleurs certainement pas eu lieu avant la nuit du 24 au 25 Aoüt. éclatent; il s'ensuit parmi les prisonniers une panique et deux soldats beiges sont tués par des sentinelles. En outre, un Beige aurait été blessés par des plombs. Est-il admissible que des " francs-tireurs, „ beiges aient tiré des coups de feu dans 1'obscurité contre une colonne composée de compatriotes ? Le sous-lieutenant Lemke ajoute que des officiers beiges prisonniers et le bourgmestre de Bouvignes, auxquels il avait expliqué le fait, se seraient exprimés en termes sévères au sujet des " francs-tireurs „ (1). Le témoignage du bourgmestre de Bouvignes ne figure pas dans le Livre Blanc pas plus, d'ailleurs, que celui des officiers beiges prisonniers. Le Dr Petrenz prétend de son cöté avoir soigné a Dinant un civil qui aurait raconté a des officiers du régiment des grenadiers avoir re?u un coup de feu de francs-tireurs paree qu'il avait refusé de leur permettre de se cacher dans sa maison. Le témoignage de ce civil ne figure pas dans le Livre Blatic et son nom n'y est pas cité. * * * Coups de feu tirés d'une ambulance. — Sur la rive gauche de la Meuse, une grande maison avait été aménagée en ambulance de la Croix-Rouge ; le drapeau de Genève flottait sur l'immeuble. Lorsque 1'attaque des Allemands se pronon^a le 23 Aoüt et que ceux-ci canonnaient et mitraillaient la rive gauche, on songea naturellement a protéger les blessés abrités dans l'immeuble. On boucha les fenêtres au moyen de matelas, de couvertures, de planches, etc. II n'en fallut pas plus pour faire dire que la maison, quoique portant le drapeau de la Croix-Rouge, était mise en état de défense. Le sous-officier Bruno Esche, du 100e régiment de grenadiers, qui se trouvait sur la rive droite le 23 Aoüt dans 1'après-midi, inspecte cette maison au moyen de jumelles et constate le fait matériel de la clöture des issues. II prétend aussi apercevoir a hauteur d'homme des meurtrières (C. Anl. 70). Esche s'est, sans aucun doute, trompé : les prétendues meurtrières sont vraisemblablement des trous pratiqués dans les chambres a hauteur du plancher pour aider a la ventilation, conformément a 1'usage existant dans certaines régions de la Belgique. Un officier de réserve du même régiment, Ernest-Rudolf Prietzel, a son attention attirée par le même batiment. II 1'examine et la seule chose qu'il relève, c'est que les murs de clóture (1) D'après la note de Msr Heylen, évêque de Namur, du 31 Octobre 1015, le bourgmestre de Bouvignes oppose un démenti a 1'affirmation du sous-lieutenant Lemke (Voir p. 471). de la propriété (1) sont percês de meurtfières; il en conclut que 1'immeuble est organisé pour la défense (C. Anl. 9). Un point a noter dans ces dépositions, c'est que pas plus 1'officier que le sous-officier ne constatent que des coups de feu aient été tirés de eet immeuble. Quoi qu'il en soit, un officier du même régiment de grenadiers n° 100, le capiteine Zeidler, prétend qu'on a tiré violemment dudit immeuble (C. Anl. 69); le sous-officier Lauterbach, du régiment de fusiliers n° 108, affirme que des salves de fusil furent tirées de 1'ambulance (C. Anl. 56). Le Dr Köckeritz (C. Anl. 67) témoigne dans un sens analogue (2). * * * Actes de cruauté. — Le rapport du Bureau Militaire d'Enquête allemand, relatif aux événements de Dinant, affirme que le fanatisme de la population civile s'exerfa d'une fa?on révoltante: des soldats furent assassinés pendant leur sommeil, des morts furent profanés, des blessés prisonniers furent brülés après avoir été, au préalable, ligotés au moyen de fils de fer (p. 122). Cette énumération est appuyée sur les dépositions insérées aux Anlagen C 56, 59, 61, 67, 73 a 78 ; elle paraït se référer a un grand nombre de faits différents. En réalité, toutes ces dépositions ne se rapportent, semble-t-il, qu'a un chasseur saxon qui aurait été trouvé carbonisé prés de Dinant a proximité de la route de Sorinnes, et, peut-être, a un deuxième soldat ayant subi un sort analogue, ainsi qu'a un fusilier ayant les yeux crevés; et, en outre, a des soldats allemands trouvés morts dans une maison de Dinant. A. — Le chasseur saxon carbonisé Les diverses observations semblent avoir été faites toutes ou presque toutes, le 23 Aoüt, a proximité de la route de Dinant a Sorinnes, non loin de 1'endroit oü un poste de secours (Verbandplatz) avait été installé dans une propriété isolée oü 1'on passé avant d'arriver a Dinant (3). Sept des témoins, parmi lesquels le Dr Holey (C. Anl. 74), appartiennent au régiment de fusiliers n° 108, et un autre au régiment d'artillerie de campagne n° 12, qui avaient, en commun, établi ce poste de secours ; le neuvième témoin, le Dr Köckeritz (C. Anlage 67), paraït avoir été attaché a 1'ambulance. Les atrocités de ce genre reprochées aux populations de Dinant et des environs se réduiraient ainsi au cas d'un seul soldat traité (1) Die Einfriedungsmauern dieses Gebaudes gatten Schiessscharten. (2) Voir la note de Mgr Heylen. (3) Le témoin, Dr Köckeritz, se trompe, sans aucun doute, en situant i'ambulance a i'Ouest de Dinant (C. Anlagen 59, 67 et 76). inhumaïnement par un groupe isolé; peut-être, cependant, y a-t-il eu un deuxième cas analogue, mais cela paraït trés douteux, car un seul des neuf témoins parle d'un deuxième soldat brulé et encore ne le fait-il, en déposant le 6 Mars 1915, que par ouï-dire (C. Anl. 59). A 1'exception d'une seule déposition, dont la date n'est pas indiquée et est indéterminable, les témoignages ont été regus en Février et Mars 1915, c'est-a-dire six mois environ après 1'époque des observations. II peut paraïtre étrange que le ou les faits abominables et tout a fait exceptionnels dont il s'agit n'aient été consignés, a ce qu'il semble, dans le journal de campagne ni de 1 un ni de 1'autre des nombreux régiments qui se trouvaient a Dinant au moment oü le ou les soldats carbonisés furent découverts. On s'en rapporte uniquement a la mémoire de soldats, dont les émotions de six mois de campagne sont bien de nature a troubler la précision. II eut été intéressant, d'autre part, d'apprendre ce que les habitants de la propriété prés de laquelle le soldat carbonisé était couché connaissent au sujet de cette affaire. Le Livre Blanc est complétement muet a eet égard. Quoi qu'il en soit, les observations faites par les divers témoins sont fort divergentes. L'un d'eux rapporte que la victime avait seulement les pieds liés au moyen d'un fil de fer (C. Anl. 56), alors que d'autres ont remarqué qu'elle avait les pieds et les mains liés ensemble de cette fa?on (C. Anl. 75 et 76), et qu'un dernier déclare n'avoir pas observé ce qu'il en était sous ce rapport (C. Anl. 77). II y en a un qui a vu le soldat couché sur le dos, les bras largement étendus (C. Anl. 61), tandis que, pour un autre, il avait les pieds et les mains liés a un piquet fiché en terre (C. Anl. l^) et que, pour un troisième, il était lié a une grille de fourneau (Rost) (C. Anl. 67) (2); pour l'un il avait été vraisemblablement tué a coups de fusil (abgeschossen) (C. Anl. 67), alors que, pour 1'autre, il devait, d'après les lignes de démarcations, avoir été brülé vif (C. Anl. 74). Un témoin a vu le corps sous un tas de paille brülée (C. Anl. 59), alors qu'un autre affirme avoir, avec ses camarades, jeté de la paille sur le cadavre pour le recouvrir (C. Anl. 76). Pour les uns, le cadavrè était presque complétement carbonisé (C. Anl. 74 et 75) tandis que, pour un autre, la figure seule était brülée (C. Anl. 77). Enfin, un témoin déclare avoir vu, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, un chasseur carbonisé et avoir entendu raconter qu'un deuxième chasseur, dont la figure était brülée, avait été trouvé prés de Dinant (C. Anl. 59). B. — Le fusilier aux yeux crevés Un témoin assure avoir vu, le 23 Aoüt, jour du principal engagement, derrièré la position de combat de la 2me section du (2) Ce témoin dit que la victime était un cavalier. régiment d'artillerie de compagne n° 12, le cadavre d un fusiher auquel les yeux avaient été crevés (C. Anl. 78). II y a lieu de remarquer que ce témoin, le capitaine Fritz von Lippe, est le seul officier de 1'armée allemande qui atteste, dans le Livre Blanc, avoir vu un soldat aux yeux crevés; aucun des huit autres témoins mentionnés plus haut n'a fait semblable constatation, pas plus d'ailleurs qu'un seul des autres soldats du XIIme corps d armee massé aux alentours de Dinant. C. — L'officier et les soldats tués pendant leur sommeil La seule déposition relative a un pareil fait est contenue dans 1'Anlage C 73. . Le 25 Aoüt, dans 1'après-midi, le réserviste Lmile-krwin Müller, de la 2™ compagnie du 12me bataillon de pionniers de campagne du génie, aurait trouvé dans une maison de Uinant un officier étendu sans vie sur le sol, ayant un coussin de sota sous la tête, ainsi que, couchés a ses cótés, trois soldats morts. Dans la chambre voisine, il y aurait eu un sous-officier et cinq soldats morts également. Les fusils se trouvaient dans un coin. Tous ces morts entassés dans deux chambres ont frappé 1'imagination du témoin : il a eu Yimpression que tous avaient ete tués pendant leur sommeil. II base cette impression sur la circonstance qu'ils avaient sous la tête un coussin de sota, un havresac ou une couverture. Comme si, lorsqu on est blesse e qu'on cherche une position de repos, il n'était pas tout naturel de placer sous sa tête un objet plus éleve et, si possible, moelleuxl Tels sont les seuls faits qui ont induit le soldat, qui etait accompagné d'un sous-officier et d'un autre soldat, a croire que ses camarades avaient été assassinés pendant leur sommeil. N'est-il pas inouï de voir baser des accusations d une pareille gravité sur des indices aussi peu pertinents ou probantsi bi 1 on examine les circonstances dans lesquelles les faits se sont passes, on arrivé a la conclusion que, non seulement 1 affirmation accusatrice n'est pas vraisemblable, mais qu'elle est totalement inadmissible. Les faits ont été constatés le 25 Aout dans 1 apres midi, c'est-a-dire après que, selon la version allemande, s etaient déroulés dans Dinant de terribles combats de rues auxquels toute la population fanatisée aurait pris part; le canon avait du etre mis en action contre la ville, qu'il avait fallu incendier paree aue les " francs-tireurs „ entravaient la marche en avant de ^infanterie (C. Anl. 19). C'est dans de semblables circonstances oü immédiatement après les événements, que huit soldats, un sousofficier et un officier se seraient endormis dans deux chambres, entourés de civils hostiles et suspects, sans meme prendre la précaution de charger l'un d'entre eux de veiller pendant que les autres dormaient. , Deux des soldats avaient le pantalon déboutonné, de telle sorte que 1'on pouvait apercevoir des blessures au bas-ventre. La blessure de l'un deux semblait avoir été faite par un instru- ment pointu ou tranchant, 1'autre avait été blessé d'un coup de feu dans le ventre et avait aussi une incision au larynx. Les autres militaires n'avaient regu que des coups de feu et leurs vêtements ne montraient aucun désordre. Muller en conclut que tous ont été assaillis par des civils pendant leur sommeil. Ces soldats, pendant que les prétendus assassins leur ouvraient le pantalon, ne se seraient donc pas éveillés et ne se seraient pas débattus ? Ils n'auraient pas été éveillés non plus par la détonation des coups de feu tirés sur les autres soldats de la chambrée'? Toute cette agression entreprise évidemment par plusieurs personnes ne pouvait, certes, être effectuée sans causer du bruit et sans qu'il y ait a redouter que 1'alarme ne fut donnée par 1'un ou 1'autre des soldats. On voit dans cette déposition le travail d'imaginations mises a la torture en vue de justifier les agissements des troupes allemandes. Les faits peuvent en effet s'expliquer sans qu'il soit nécessaire d'incriminer la population civile. Au cours des combats de Dinant, il y a eu des blessés; ceux-ci ont cherché un refuge dans les maisons et s'y sont établis de leur mieux. Ils ont trouvé des coussins et des couvertures a se mettre sous la tête; ils ont utilisé leurs havresacs dans le raême but. On avait même étendu un drap blanc sur la tête et sur la poitrine de 1'officier : est-ce la le fait d'assassins fort pressés, sans nul doute, de déguerpir? Le réserviste Muller avait constaté la présence de plusieurs cadavres de civils étendus dans la rue devant la maison. Qu'y a-t-il d'étonnant, puisqu'il y avait des cadavres de civils dans toutes les rues de Dinant? Si, par la, on veut insinuer que les civils aient été les assassins de soldats trouvés morts a 1'intérieur de la maison et avaient été chatiés de ce chef par les troupes allemandes, on aurait mieux fait de produire les dépositions des justiciers. On n'aurait, certes, pas manqué de le faire, étant donnée 1'extrême gravité du cas, si les choses s'étaient réellement passées. de cette fa?on. Dans quel but, dès lors, formuler cette insinuation ? * * ♦ Nombre de victimes du " combat populaire „ (Volkskampf) de Dinant. — D'après le Livre Blanc, la résistance a Dinant fut terrible. De toutes les habitations, même du clocher de la cathédrale, on dirigeait sur les troupes un feu si meurtrier qu'il fallut recourir a 1'artillerie pour en venir a bout (C. Anl. 12); deux trains d'artillerie durent notamment être mis en batterie a Herbuchenne (C. Anl. 19 et 20), II aurait du avoir quantité de blessés a la suite de ces combats de rue, d'autant plus que 1'on accuse des soldats beiges de s'être mêlés, en civil, aux " francs-tireurs „. D'après le rapport du Bureau Militaire, le 178me régiment aurait eu a soutenir le 23 Aoüt — jour de bataille générale — un combat riche en pertes (verlustreich) avec la population de Lefïe (p, 119). Les Anlagen C 25 et 26, invoquées a 1'appui de cette appréciation sont, cependant, loin de la justifier : il y est question, sans doute, de 7 hommes tués et d'un assez grand nombre de blessés, mais, avant tout, de multiples fusillades et de massacres de civils. 11 est parlé des mêmes 7 tués aux Anlagen C 30 et 58. Combien y eut-il de soldats allemands blessés a Dinant? Le Dr Lange affirme qu'a 11 heures du soir, le 23 Aoüt, le nombre des soldats allemands se trouvant a 1'ambulance de la 2me compagnie sanitaire était d'environ quatre-vingts. Serait-ce donc la, compte non tenu des tués, la formidable hécatombe de victimes due aux attaques des " francs-tireurs „ attaques si terribles qu'elles tinrent, pendant plusieurs jours, tout un corps d'armée en échec et rendirent nécessaire le bombardement d'une ville ouverte? Semblable supposition serait erronée, car le Dr Lange ne spécifie pas que les quatre-vingts blessés étaient tous des victimes des " francs-tireurs »; une telle conclusion ne découle pas davantage des termes de sa déclaration (C. Anl. 71). On ne trouve pas dans les 116 pages du Livre Blanc relatives aux événements de Dinant 1'indication globale, même approximative, au sujet du nombre des militaires allemands tués a Dinant. II n'y en a pas non plus au sujet du nombre des civils massacrés (1) et des maisons incendiées. Le rapport du Bureau Militaire d'Enquête dit seulement qu'une grande partie de la ville fut incendiée et mise en ruines et qu'un grand nombre de vies humaines furent anéanties. Ainsi qu'il a déja été signalé plus haut, le major Schlick, auteur dn récit de 1'épouvantable combat de rues et de maisons qui aurait eu lieu a Les Rivages, ne fait mention d'aucun soldat allemand tué ou blessé au cours de ce combat (C. Anl. 44). Le rapport du Bureau Militaire d'Enquête qui fait allusion a ce même combat (p. 121) est tout aussi discret. Quant au, capitaine Ermisch qui déclare qu'a la suite du tir des habitants en eet endroit 1'ordre fut donné de fusiller les otages, il ne dit pas davantage que des militaires allemands ont été atteints par des balles de " francs-tireurs „ (C. Anl. 46). * * * La mentalité des chefs. — La mentalité des chefs militaires allemands, ordonnateurs des incendies et des massacres de Dinant, restera un sujet de confusion pour quiconque a le sentiment des obligations morales de 1'homme. Le lieutenant-colonel Comte Kielmannsegg reconnait sans ambages que, conformément aux ordres regus, il a fait fusiller (1) Dans son rapport, daté du 14 Février 1915, le major Franzel écrit qu il n'est pas en mesure d'indiquer combien de civils furent fusillés au cours du combat de rues de Leffe, le 23 Aoüt (C. Anl. 25). Dans sa déposition du 17 Décembre 1914 figure une déclaration analogue (C. Anl. 30). environ cent habitants du sexe masculin: sa déposition ne continent pas un seul mot de regret (C. Anl. 7). On ne surprend d'ailleurs, dans aucune déposition, des expressions décelant chez les témoins un mouvement instinctif de répulsion avant de procéder aux exécutions ni même un sentiment quelconque de commisération pour les innocents immolés avec les "coupables„. II semble que, pour eux, la besogne qu'on leur donnait a aecomplir était une tache toute naturelle ou indifférente. Le rapport sur les événements de Dinant, rédigé par le Bureau Militaire d'Enquête allemand se borne a déclarer froidement (p. 124) que, "sans doute, il est profondément regrettable qu'a la suite des événements du 23 et 24 Aoüt, la ville florissante de Dinant ait été avec ses faubourgs incendiée en grande partie et mise en ruines et qu'un grand nombre de vies humaines aient été anéanties. Si les habitants s'étaient abstenus de commettre des actes d'hostilité, ils n'auraient guère subi de préjudices, en dépit de leur situation exposée „. Que les auteurs de massacres, en dépit de leur préjugé, se soient doutés qu'il y avait, parmi leurs victimes, bien des malheureux dont 1'autorité allemande aurait été impuissante a prouver la culpabihté en cas de procés devant un conseil de guerre, c'est ce que le rapport du Bureau Militaire reconnait explicitement a deux reprises, dans le passage rapporté plus haut (p. 218). rUaient justifiés, s,ans plus (ohne weiteres) „, ainsi s exprime ce rapport, " le bombardement de la ville, 1'incendie des maisons occupées par les francs-tireurs et la fusillade des habitants pris les armes a la main Sans plus : c'est-a-dire, sans s'inquiéter de procéder au préalable a aucune enquête. II ne craint pas, d autre part, de déclarer " conforme au droit „ la fusillade des otages, qui eut lieu dans plusieurs quartiers de la ville, en alléguant des raisons d'ordre militaire; il trouve même a cette exécution, non point une excuse, mais une " justification „ supplémentaire, en remarquant qu'il pouvait difficillement s'agir d'innocents, " étant donnée la participation générale de la population au combat „ (p. 123). Le capitaine Wilke (C. Anl. 26, p. 158-159) déclare qu'il a agi sur 1'injonction, réitérée formellement trois fois, de ses chefs, le major, le commandant de brigade et le commandant de division qui, tous les trois, lui intimèrent (einscharften) successivement 1'ordre d'agir sans ménagement (rücksichtslos) ; le dernier, Edler von der Planitz, accentua même fortement 1'injonction, ordonnant d ' agir avec la plus grande absence de ménagements et les moyens les plus énergiques contre les fanatiques francs-tireurs „ (init der grössten Rücksichtslosigkeit und den energischsten Mitteln). Wilke juge sa mission accomplie après que 50 hommes environ eurent été fusillés. Le Comte Kielmannsegg qui fit, on vient de le voir, fusiller cent civils, tient même a déclarer formellement que des " transgressions des ordres qu'il avait donnés ne lui ont été signalées d'aucun cöté „. Le Livre Blanc ne soufflé mot du pillage général ni de 1'incendie, maison par maison, de la ville de Dinant (1). * * * Les déclarations des soldats aliemands prisonniers. — Des soldats aliemands prisonniers, interrogés en France, révèlent certains des stratagèmes auxquels les officiers eurent recours pour exciter la fureur des troupes contre la population de Dinant et font connaïtre les ordres qu'ils regurent ainsi que les procédés qu'ils mirent en oeuvre. Un certain nombre de procès-verbaux de ces interrogatoires sont reproduits aux pages 247 et suivantes de ce volume. II suffira de relever ici les déclarations suivantes : " Bien entendu, je n'ai pas vu de mes propres yeux les atrocités que je vous rapporte, mais elles nous ont été racontées par nos officiers pour nous inciter a rious méfier des habitants (Alfred Jager, soldat a la 3me compagnie du régiment d'infanterie nu 103, voir p. 266). " Le 22 Aout, le lieutenant-colonel de notre régiment fit avancer sur le front du régiment une voiture dans laquelle il nous dit qu'il y avait deux sceurs allemandes dont les deux mains avaient été coupées par des civils. Je dois reconnaïtre que j'ai vu la voiture, mais que je n'ai pas apergu ces soeurs et pas davantage les mains coupées (Alfred Delling, soldat a la llme compagnie du régiment n° 103, voir p. 271). " On nous prescrit de nous tenir sur nos gardes, car la lre compagnie du 1" bataillon aurait été attaquée, et le capitajne de cette compagnie aurait été blessé par une jeune fille; c est notre capitaine qui nous a donné ces détails (Paul Jahn, sousofficier au régiment d'infanterie n" 100; voir aussi le témoignage de Max Brendel, soldat au même régiment, voir p. 265 et 275). "Sur les ordres formels du général d'Elsa, qui avait dit que toutes les fois que des gens seraient soupgonnés d'avoir tiré sur nous, nous devions les fusiller et incendier leur maison, nous allions la comme a 1'exercice sous les ordres et la conduite de nos officiers et de nos sous-officiers (Arthur Dietrich, soldat a la 12rae compagnie du 108me régiment d'infanterie, voir p. 272). " Je dois ajouter que les civils dont je viens de parler avaient été tués sur la place par une mitrailleuse „. (Rudolph Grimmer, soldat a la lre compagnie du 108me régiment d'infanterie, voir P- 247>- " Je sais que des femmes et des enfants ont été pris parmi la population civile de Dinant par mon régiment et le 182",e régiment d'infanterie, qui les ont placés devant eux lors des (1) Voir a ce sujet le rapport de M. Tschoffen, procureur du Roi de Dinant, p. 203. combats suivants ; ces otages sont tombés sous les balles frangaises. Ma compagnie n'a pas usé de ce procédé (Johannes Peisker, sous-officier au 108me régiment d'infanterie, p. 248). Notre capitaine nous a dit officiellement qu'en raison des cruautés qui étaient commises contre les troupes allemandes, tous ceux chez lesquels on trouverait des armes seraient impitoyablement fusillés par ordre de 1'empereur „. (Willy Materne, p. 261). " Je ne crois pas qne ce soient des civils qui aient tiré sur nos troupes a Dinant, mais plutöt des troupes régulières ; j'ai trouvé dans les rues des corps de soldats frangais „. (Emil Arnold soldat a la 2me compagnie du 108me régiment d'infanterie, voir p. 275). Les accusations formulées contre les procédés des armées allemandes ne sauraient recevoir de centïrmation plus accablante (1). (1) Voir notamment, en ce qui concerne les exécutions et massacres de civils, les procès-verbaux n«s 1 (1°), 5, 10, 12, 27 et 29; en ce qui concerne les incendies, les procès-verbaux n°* 1 (2°), 2, 3, S, 9, 24, 27 et 28: en ce qui concerne les pillages, les procès-verbaux n»s 4 6, 7, 8, 9, 27 et 28 (p. 247 a 276). II Lettres et Protestation de 1'Évêque de Namur 1° Lettre de 1'Évêque de Namur è sa Sainteté le Pape. Namur, le 7 Novembre 1915. Tres Saint Père, Aux souffrances que nous ont causées, 1 an dernier, les désastres de la guerre, vient s'ajouter une source de nouvelles et non moins amères douleurs. Non satisfaite d'avoir, durant sa formidable invasion, traité inhumainement la Belgique innocente, 1 Allemagne entreprend de se disculper en nous accusant d'être 1'unique cause de nos malheurs. A eet fin, elle a publié un Livre Blatic sur La guerre populaire beige faite contrairement aux droits des gens „, livre dont Votre Sainteté aura pris connaissance. Par la vive et touchante sympathie qu'Elle nous a témoignée, au début de 1'épreuve, Votre Sainteté nous a tous, clergé et fidèles, consolés et réconfortés. Ayant a coeur de nous rendre dignes de la continuation de cette insigne bienveillante, nous voulons fermement, avec 1'aide de Dieu, maintenir le bon renom de notre chère Patrie, et décharger les prêtres catholiques et nos chrétiennes populations des accusations graves dont on les accable. C'est mü par ces pensées que nous avons pris a coeur de réfuter le Livre Blanc. Qu'il plaise a Votre Sainteté de daigner prendre connaissance de ma note du 31 Octobre, de la lettre de MRr 1'Evêque de Liége en date du ler Novembre, et de la lettre du 6 Novembre par laquelle j'adresse les deux premiers documents a S. Lxc. le Gouverneur militaire de la Belgique occupée. Après une étude longue, minutieuse et impartiale des faits qui qui se sont déroulés dans nos deux diocèses — 1'un et . autre étant mis ici en cause dans une trés lvge mesure Nous arhrmons devant Dieu, Mgr 1'Evêque de Liége et moi, que les accusations allemandes sont dénuées de tout fondement et calomnieuses, que nos diocésains, prêtres et laïques, sont innocents, qu'ils n'ont les mains souillées d'aucun des crimes qui leur sont imputés, en un mot, que les Beiges sont restés dignes de la toi catholique et romaine qu'ils s'honorent de protesser. II nous paraït opportun d'exprimer a Votre Sainteté qu une raison spéciale légitimait 1'intervention des Evêques en cette question : c'est qu'a cette heure, dans le régime d'etroite contrainte qui sévit, aucun citoyen nest en état de tenter une detense quelconque sans s'exposer aux plus sévères ngueurs. Pour nous, autorisés par la liberté de notre ministère, nous avons voulu élever Ia voix et empêcher que s'accréditent dans 1'univers des accusations graves, contraires a la vérité et attentatoires a notre honneur. Qu'il me soit permis d'ajouter un mot concernant mon mémoire personnel. Tant pour le choix des faits que pour leur appréciation, je me suis appliqué a garder dans mon exposé une note de discrétion et de modération qui ne répond pas a mon sentiment, mais que me commande une obligatoire convenance a 1'égard de 1'autorité occupante. En terminant, nous exprimons, Mgr 1'Évêque de Liége et moi, la ferme confiance que Votre Sainteté ne laissera pas ébranler sa foi dans 1 honnêteté, la droiture et 1'irréprochable conduite du peuple beige. Elle daignera lui continuer le bienveillant appui dont il éprouve de jour en jour un plus grand besoin. De leur cóté — nous sommes heureux d'en donner 1'assurance a Votre Sainteté — nos ouailles ne fléchissent pas dans leur fidélité et leur attachement a Votre Auguste Personne. C est dans ces sentiments que, prosterné trés humblement aux pieds de Votre Sainteté, je La supplie de nous accorder a tous, la faveur de la Bénédiction Apostolique. De Votre Sainteté, le trés humble et obéissant serviteur et fils, f Thomas-Louis Evêque de Namur. 2 Lettre de 1'Évêque de Namur au Gouverneur général de Ia Belgique occupée. A Son Excellence le Gouverneur général, a Bruxelles. Namur, le 6 Novembre 1915. Excellence, J'ai 1'honneur de^ remercier a nouveau Votre Excellence pour la bienveillance qu'Elle a mise a m'obtenir communication du Livre hUwc qu a publié le Gouvernement allemand, sur " La guerre populaire beige, contraire au droit des gens. „ Ainsi que je 1 ai fait savoir a Votre Excellence, par message verbal, je ne puis ni ne veux demeurer insensible ou indifférent quand je vois formuler officiellement contre les prêtres et les fidèles de mon diocèse des accusations que j'estime dénuées de tout fondement et attentatoires a leur honneur. Cette attitude et ces sentiments, je les ai déja manifestés a Votre Excellence dans ma note du 10 Avril 1915. C'était è propos d'une dépêche du Ministre de la Guerre de Prusse au Chancelier de 1'Empire, dépêche dont j'ai eu connaissance par la presse hollandaise et qui contenait, a notre sujet, des accusations graves, quoique encore bier) faibles en comparaison de celles du Livre Blanc. Rien d'étonnant si, aujourd'hui, je me sens pressé un devoir grave de conscience de renouveler ma protestation auprès de 1'autorité occupante et, a cette fin, de lui adresser un exposé qui rétablit pour chacun des faits repris au Livre Blanc ce que j affirme être la vérité historique. Cet exposé se trouve consigné dans la note ci-jointe. Un certain nombre de paroisses de son diocèse étant aussi visées au Livre Blanc, Mgr 1'Evêque de Liége a voulu joindre sa protestation a la mienne. II 1'a consignée dans un document distinct que Votre Excellence trouvera également en annexe. Je tiens a le déclarer, en aucun passage de ma réponse, je n'ai été jusqu'au bout de ma pensée, m'appliquant a retenir les sentiments d'étonnement, ou mieux d inaignation, que me causaient, a chaque page, les affirmations de la publication allemande. Nonobstant, Votre Excellence relèvera peut-être, dans mon travail, certaines expressions empreintes de sévérité, voire de dureté. S'il en est ainsi, je n'hésite pas a demander a Votre Excellence de mettre en regard de ces expressions les termes autrement durs .du Livre Blanc, comme aussi de songer a la douleur qui m etreint devant la persistance de la calomnie. Et cette doublé considération lui rendra mon langage bien explicable. Nous est-il permis de nourrir 1'espoir que notre intervention épiscopale amènera le Gouvernement allemand a examiner de plus prés et impartialement les faits reprochés a ses armées ? S'il s'y décide, il reconnaïtra sans doute la gravité et la généralité des faits et il s'empressera d edicter les mesures de répression que réclament la justice et 1'humanité. Si nous devons renoncer a cet espoir, si une fois de^ plus 1 autorité allemande s'inscrit en faux contre la vérité irréfutable de notre enquête, ne se décidera-t-elle pas a adopter le seul moyen qui reste de faire, aux yeux de tous, la pleine lumière : a savoir 1'enquête proposée a plusieurs reprises par 1'épiscopat beige, enquête qui serait menée a la fois par des délégués beiges et allemands et présidée par un neutre ? En terminant, j'ai 1'honneur d informer Votre^ Excellence que je compte adresser une copie de ma note du 31 Oclobre a Sa Sainteté le Pape Benoït XV, a 1'épiscopat beige et aux représentants des pays neutres résidant a Bruxelles. Daigne Votre Excellence agréer 1'assurance de ma haute considération. •j- Thomas-Louis, Évêque de Natnur. 3° Protestation de PÉvêque de Namur contre les accusations du Livre Blanc (1) (Note du 31 Octobre 1915). Depuis le jour ou elle a pénétré sur notre sol et mis nos villes et nos villages a feu et a sang, 1'Allemagne poursuit avec persistance une campagne d'accusations contre le peuple beige. Elle espère se laver par la des souillures qu'elle a contractées, en face de 1'univers. C'est avec une douleur et une amertume profondes que nous avons suivi, depuis le début, les étapes de 1'entreprise. Celle-ci vient de recevoir son couronnement officiel par la publication d un Livre Blanc. C'est une suprème tentative, un dernier essai de justification. Nous considérons comme un impérieux devoir de notre charge vis-a-vis de nos ouailles de ne pas garder le silence et d'adresser a 1'autorité occupante une protestation énergique pour affirmer et prouver a la fois la culpabilité de 1'armée allemande et 1'innocence de nos diocésains. Chapitre IV. — Dinant (2) considérations génerales Le mémoire initial du Livre Blanc donne en quelques mots son appréciation sur Dinant, telle qu'elle résulte des quatrevingt-sept dépositions enregistrées. « A Dinant, y est-il écrit, ce n'était pas des citoyens innocents et paisibles qui sonttombés victimes des armées allemandes, mais des assassins qui se sont jetés sournoisenient sur les soldats et les ont amenés a un combat fatal pour la ville ». Pour quiconque connait les faits de Dinant, il est impossible, devant des affirmations si prodigieuses, de contenir son indignation. Nous dirons néanmoins notre avis avec calme. Si nous envisageons la version allemande du cöté de ceux qui 1'ont formulée, nous 1'appellerons : un audacieux attentat d !a verite. Et si nous 1'envisageons par rapport a 1'opinion publique, aupres de laquelle elle est destinée a faire la lumière, nous 1 appellerons une contre-vérité maladroite. (li Limpression de cette note a été faite d'après une copie a laquelle son auteur a apporte quelques retouches au point de vue de Ia forme. i;'1. protestation de Ms' Heylen nous reproduisons uniquement ce qui Lri.-fw 'i Cif c?.té ,une Partie générale et des renseignements sur differentes localites du diocese de Namur (provinces de Namur et du Luxembourg). Nous doutons fort que la version allemande des faits de Dinant puisse obtenir créance chez les Allemands eux-memes, car ce serait supposer chez un peuple éclairé trop de naivete et de crédulité. Nous affirmons après une consciencieuse enquête que cette yersion est complètement inexacte, sauf sur certains details topographiques et relativement a quelques indications secondaires, mais précieuses, telles que 1'aveu de la destruction de la ville et de la Collégiale, la désignation des chefs et des troupes res- ponsables. . , . , II ne sera pas difficile de faire jaillir un jour la vente, de fagon lumineuse et définitive. Nous n'attendons que le moment oü 1'historien impartial pourra venir a Dinant, se rendre compte sur place de ce qui s'y est passé, interroger les survivants. II en reste un nombre suffisant pour reconstituer 1'ensemble des faits dans leur verite et dans leur sincerité. Alors éclatera d une fagon manifeste 1'innocence des victimes et la culpabilité des agresseurs; on pourra constater que 1'armée allemande s'est abandonnee a une cruauté aussi inutile qu'inexplicable. Alors 1 univers, qui a deja iugé avec une extréme et juste rigueur le massacre de pres ae sept cents civils et la destruction d'une ville antique, avec ses monuments, ses archives, son industrie, se montrera d autant plus sévère envers ses bourreaux que ceux-ci auront tente se disculper en calomniant leurs victimes. * * * Avant d'entrer dans 1'examen de détail du Livre Btanc, nous affirmons, comme des faits abso/ument certams et qu ïl sera mflossible d'ébranler, les points suivants : 1° Les autorités communales, exécutant les prescriptions du Gouvernement beige, ont, par voie d'affiches datees du 6 Aout, ordonné le depót de toutes les armes. ^ Voici ce texte, qui a'heureusement échappé a 1 incendie de 1'Hötel communal et de toute la ville : I, — Aux Habitants de la Ville de Dinant \ Avis est donné aux habitants, sous peine d'arrestation immediate, d'avoir a porter au bureau de police tous les appareils de transmission ou de réception pour téjégraphie sans fil, toutes les armes a feu et munitions qu'ils possèderaient. A Dinant, le 6 Aoüt 1914. Le Bourgmestre, A. Defoin. II. — Avis aux Habitants II est formellement signalé aux habitants que les civils ne peuvent se livrer a aucune attaque ou violence par les armes a feu ou autres contre les troupes ennemies. Semblables attaques sont prohibées par le droit des gens et exposeraient leurs auteurs, peut-être même la ville, aux plus graves conséquences. Dinant, le 6 Aoüt 1914. Le Bourgmestre, A. Defoin. 2° Les habitants se sont conformés a cette prescription, en apportant leurs armes a l' Hó tel de Ville. Par un surcroit de précautions trés louable, la police locale a fait, avant le 15 Aoüt, de nombreuses perquisitions a domicile, même chez des bourgeois tout a fait pacifiques, pour s'assurer du dépot des armes. L'agent de police Anciaux s'est présenté chez le doyen de la ville, lui faisant observer qu'il n'avait pas remis d'armes. II ne s'est retiré qu'après avoir regu de eet ecclésiastique 1'assurance formelle qu'il n'avait jamais eu ni fusil, ni revolver. Ces précautions minutieuses ont été efficaces, comme le prouve la quantité d'armes recueillies. Cette quantité est considérable pour une ville de moins de 8.000 habitants, si on tient compte surtout du nombre restreint de chasseurs et de 1'absence d'armes quelconques dans bien des maisons. Les Allemands ne nieront pas ces faits: eux-mêmes ont enlevé toutes ces armes. Le 24 Aoüt, deux chariots allemands se sont arrêtés a la dernière maison de Dinant, prés du passage a niveau, dans la direction de Bouvignes. Des civils qui en témoignent, y ont reconnu les fusils de chasse, revolvers, vieux fusils et armes de toutes sortes provenant de 1'Hötel de Ville. Sous les yeux de ces civils, des officiers ont fait choix de fusils de chasse de prix, dans des gaines de cuir, dont ils ont, séance tenante, limé les ca,denas. Une autre partie de ces armes qui se trouvaient a 1'Ecole régimentaire étaient entre les mains des soldats allemands le 24 et le 25 Aoüt. De la résulte a 1'évidence qu'il ne pouvait rester dans la ville assez d'armes pour faire Toeuvre meurtrière dont on accuse la population. II faut noter aussi qu'aux 23 Aoüt, il n'y avait pas, sur la rive Est, 4.000 Dinantais — hommes, femmes et enfants — en état de participer a cette prétendue attaque. Beaucoup de families étaient absentes. Or, de la lecture du Livre Blanc, on emporte 1'impression qu'une population considérable et organisée a su tenir tête a la grande armée allemande, laquelle aurait même dü se retirer pour bombarder la ville. 3° En conformité des règlements, les gardes civiques ont pre'alablement dé posé toutes leurs armes et toutes les cartouches et munitions entre les mains de 1'autorité locale qui les a fait etfl. porter dans une direction connue. 4° Les habitants étaient si peu disposés a un acte quelconque de malveillance vis-a-vis des Allemands, qu'a différentes reprises, du 6 au 23 Aoüt, des soldats allemands se sont montres a Dinant et nont pas été inquiétés. Le 15 Aoüt, ilsont, sans encombre, pénétré en pleine ville, en nombre considerable, puisqu ï s ont' fait prisonniers cinquante-neuf soldats frangais. II en est passé a plusieurs reprises au cours des nuits suivantes. Le 2.1, vers midi, et, de nouveau, a la tombée du jour, un uhlan venant du Rocher-Bayard a traversé tout Dinant, remonte la rue öaintJacques et disparu. Si quelques uhlans ont été tues vers ces dates c'est par des soldats beiges ou francais: deux ulhans, blessés, rue Saint-Jacques, le 7 Aoüt, ont été faits prisonniers et pourront témoigner que celui qui a tire sur^ eux et un cycliste beige dont nous savons le nom; le 14 Aout, vers 10 heures du matiri, deux uhlans ont été tués par des eyclistes francais, ainsi que pourra 1'attester leur compagnon qui a ete fait prisonnier. 5° La population civile est restée totalement étrangère a 1'opération militaire de la nuit du 21 au 22 Aoüt. ^ Le Livre Blanc, avec une réelle impudence, ose raconter qu au signal donné par un coup de feu, on se mit a tirer de toutes les maisons; que celles-ci étaient barricadees et quil fallut les forcer a 1'aide des crosses de fusil, au moyen de haches et bombes a main; que des hls de fer étaient tendus en travers de la route; que beaucoup de soldats furent blesses par des plombs de chasse et par des pierres; que, devant 1 impossibilite de nettover la localité des francs-tireurs, on dut les reduire en mettant le feu aux maisons d'oü on tirait; qu'évidemment on avait pns de longue date, des dispositions pour cette attaque, etc. UJ Or voici les faits qui ont marqué le sac de Ia rue Saint-Jacnuet Le 21, vers 9 heures 15 minutes, des soldats allemands, au nombre d'environ 150, descendirent la rue Samt-Jacques, venant par la route de Ciney, hurlant cómme des sauvages, brisant les réverbères, tirant des milliers de coups de feu dans les fenêtres et les fa5ades, jetant des bombes incendiaires dans quantité de maisons, dont 15 furent incendiees, glagant d effroi toute la oopulation du quartier. lis vinrent ainsi jusque pres de Ia Grand'Place, saccageant tout sur leur passage. Vers 10 heures 30 minutes ils repartirent, les uns par la rue Saint-Pierre et par Left'e oü ils continuèrent leurs exploits quoique dans des pronortións moindres, les autres par la rue Saint-Jacques. On a ramassé dans la rue, après leur départ, 80 bombes avec mèche ; de plus, un seul civil a recueilli 19 kilos de cartouches non tirées. , .. . . C'est cette scène que rien ne provoquait ni n expliquait, qui a été représentée dans le récit allemand comme une lutte deten(1) Zusammenfassender Bericht, p. 117. sive. Un civil a été, ce soir-la, fusillé, il est vrai, mais c'était un paisible ouvrier de 1'usine allemande du gaz, qui rentrait a son domicile. Encore n'a-t-il pas été tué rue Saint-Jacques. Quatre personnes ont été blessées par les balles et les bombes lancées dans leurs maisons. Une autre, en ouvrant sa porte, a été frappée de sept coups de baïonnette. Et voila ce qu'est le combat long, acharné et prémédité qu'a forgé de toutes pièces le Livre Blanc, pour excuser la conduite d'une poignée de soldats donnant libre cours a leur fureur de destruction. 6° Le 23 Aoüt, pas plus que le 21, il ti'y a eu le moi/idre combat de rues. Dès 6 heures 30 minutes du matin, les Allemands pénétraient dans les habitations du quartier Saint-Nicolas et, dans 1'aprèsmidi, dans les habitations du quartier Saint-Pierre. Les habitants se trouvaient généralement dans les caves, par crainte des obus. Les soldats enfongaient les portes, et revolver au poing, forgaient les habitants a les suivre. On sait le reste. Des scènes d'horreur s'accomplirent dans les maisons et dans la rue. Une partie des habitants furent massacrés par groupes a coups de fusil. Une autre partie servit de couverture aux troupes allemandes contre le feu des Francais. Queiques habitants, enfin, furent parqués dans différents locaux. Et pendant que s'accomplissaient ces froides cruautés, 1'armée se livrait au pillage systématique de toute la cité, sous les yeux des officiers et même sur leur ordre. Nous renongons a reproduire les longues et incroyables fantaisies qu'a engendrées 1'imagination allemande, a propos de la lutte, prétendument organisée par la population pour arrêter la marche de 1'armée, lutte a laquelle auraient pris part les prêtres et les enfants, lutte qui n'aurait respecté ni les médecins, ni les blessés, lutte que rien n'aurait pu réduire, ni 1'incendie, ni le sang versé, ni le bombardement et qui se serait prolongée durant trois jours.... * * * L'esprit de la population, loin d'être porté a la résistance ou a la rébellion, restait sous le coup de la terreur et de 1'affolement provoqués par 1'invasion. Eussent-ils encore possédé des armes les habitants n'auraient pas songé a s'en servir. Si les Dinantais redoutaient les répercussions des batailles que se livraient les armées autour de la ville, ils avaient, par contre, une trompeuse confiance dans 1'humanité des troupes allemandes. Nous affirmons comme un fait qu'aucun civil na été pris ni trouvé porteur d'arme, ni parmi les centaines de fusillés, ni p^rmi les milliers de prisonniers entermés a 1'abbaye de Leffe, a 1'Ecole régimentaire, a la prison, a la forge et a 1'écurie de M. Bouille. Un cas était douteux : on signalait qu'un homme avait été pris porteur d'un revolver, sans munitions. L'enquête minutieuse qui a été menée, non seulement confirma son innocence, mais établit de la fagon la plus certaine qu'un soldat allemand lui avait mis en poche un revolver, pendant quil tenait les bras leve's, et qu il avait retiré le revolver en l'accusant d'être armé. II 1 a fait immédiatement ligoter et fusiller. Des témoins oculaires — et ils sont nombreux — attesteront eet acte monstrueux. II est non moins notoire qu'aucun des civils fusillés n'a été préalablement, nous ne disons pas jugé, mais seulement entendu. On n'a procédé a aucune espèce d'enquête. Après ces considérations d'ordre général, entrons dans le détail du Livre Blanc, en examinant : 1° Les faits précis qu'il cite et les contradictions du récit; 2° L'incendie de la ville et de la Collégiale; 3° Les grandes fusillades et autres faits importants a relever spécialement; 4° La question de la préméditation. i. — faits précis et contradictions Bien qu'il consacre a Dinant une trés large place (116 pages), le Livre Blanc ne donne, relalivement aux faits qu'il cite, qu un trés petit nombre de précisions et en général ne les entoure pas des indications de lieu et de personne qui permettraient de les identifier. Ces faits, nous les révélerons tous. On verra qu'aucun ne répond Él lei réalité. Le sergent Bartusch (1) affirme que la fille d'un Luxembourgeois a été atteinte par un coup de feu venant de la rive opposee et que, d'après le témoignage du père de 1 enfant, des parents donnaient des revolvers a leurs enfants de dix et douze ans pour tirer sur les Allemands Ce civil, qui a pu être identifié, oppose a ces faits un démenti catégorique. Sa fille a été atteinte par des coups de feu que des soldats allemands - on les a vus - ont tiré d'en face et elle est morte des suites d'une blessure faite par une balie allemande. II nie formellement le propos odieux qu'on lui prête. II n a même jamais parlé a un sergent allemand. Le témoin Hund (2) prétend avoir fusillé dans un jardin de Leffe un jeune homme de douze ans qui tenait en main un revolver et en qui il reconnut le fils de M. 1'avocat Adam. (Jr, ce dernier n'a qu'un fils agé de ving-quatre ans et qui était ce jour-la absent. De plus, aucun enfant de douze ans n a ete fusillé a Leffe. La plus jeune victime a plus de quinze ans et a été tuée dans les fonds de Leffe, dans le jardin de sa maison. (1) Annexe 10, p. 137. (2) Annexe 62, p. 202. Le soldat Einax (1) affirme que, le 23 Aoüt, on a fait sortir nuit hommes d une maison d oü on a tiré, parmi lesquels le curé portant un brassard de la Croix-Rouge. Que signiiie cette accusation tendancieuse et imprécise? Si, réellement,\e prêtre avait tiré de la maison, il aurait été fusillé. Or, parmi Ie clergé paroissial, il n'y a pas eu de victime. - M. le bourgmestre de Bouvignes, persuadé qu'il n'y a pas eu de francs-tireurs a Bouvignes et dans les environs, oppose un démenti a 1'affirmation du lieutenant de réserve Lemke (2) auquel " il aurait manifesté son indignation contre les francs-tireurs II n'a aucun souvenir que eet officier 1'ait entretenu d'exploits de francs-tireurs. II affirme sur 1 honneur Qu'aucun civil n'a tiré dans sa commune sur les troupes allemandes. M. le bourgmestre de Dinant oppose un démenti formel au récit (3) qui le fait intervenir dans les événements de Rivages et de Neffe. Les paroles et les actes qu'on lui prête sont imaginaires; il ne s'est trouvé la a aucun moment de la journée. Dinant aurait eu, elle aussi, ses " atrocités beiges Le soldat Muller, (4), paree qu il a vu des cadavres avec des blessures proiondes ou en forme d incisions, déposés sur une couverture ou des coussins, en conclut tout de suite que ces soldats doivent avoir été surpris dans leur sommeil! On a fait grand cas de la lésion au crane d'un soldat vu au chateau de Sorinne et surtout d'un soldat ou de deux soldats carbonisés, dont les mains et les pieds étaient liés par des fils de fer, sous un tas de paille brülée, sur la route de Sorinne a Dinant et " qui paraissaient avoir été brülés vivants (5) II y a aussi le traaitionnel soldat " aux yeux crevés „ ; c'est le capitaine von Lippe qui 1'a vu. Quant a la culpabilité des Dinantais dans ces prétendues atrocités, comme aucune déposition du Livre Blanc n'ose 1'affir— a peine 1 insinue-t-on — nous n'y insisterons pas non plus. Mais il est de notre devoir de signaler la gravité de ce procédé. On admet au Livre Blanc prés de dix rapports sur un prétendu fait d atrocité. Or, aucun de ces rapports ne prouve ni même n a(tinne la culpabilité des habitants de Dinant auxquels on veut pourtant 1 imputer, aucun n articule même le moindre fait précis qui permette une enquête, un éclaircissement, un controle. Comment caractériser cette insistance systématique qui poursuit le but de faire accepter par suggestion une accusation sans fondement. (1) Annexe 18, p. 147. (2) Annexe 83, p. 224. (3) Annexe 44, p. 182. (4) Annexe 73, p. 214. (5) Annexes 59, 67, 74 a 78. Le Livre Blanc raconte, presqoe a toutes les pages, que les civils ont tiré avec des fusils de chasse. C est laux et les Al mands sont dans 1'impossibilité den faire la Preu^ 1'autorité allemande sait-elle que des «vils ont e e crrf/« JSST fentnT--Dec%rtbli ~ de "soldats allemands. , , Nous relevons, a titre documentaire, quelques-unes des no breuses contradictions qui émaillent ie Ltvre Blanc. ..... On affirme a la fois, d'une part, qua dater du 17 Aout, 11 n'y avait plus de Francais sur la rive Est (1), et, d autre part-I" ?attaaue de la nuit du 21 au 22 a rejeté 1'ennemi au dela du fleuve (2)' d'autre part, que la fusillade venant des fenctres fa faWqué de K, le 23 i. minui., necessa que quandla fabriqüe fut ineendiée; or, d'aulre part il es. eertam que 1 incendie n'a eu lieu que le 24 au soir (3). Te maior Lommatsch a été tué, d'après un premier rapport, nar deux civils tirant du premier étage (4), d apres un secoI\ Opport par un homme assez agé, a cheveux gns et courts, sort, d'une maison (5). „ , . .. . -t- 11 s'aéit ici nous le pensons, de 1'un des chefs qui tuis par des soldats allemands. Des civils les ont nettement vus tirer de la fenêtre du salon d'une maison qui nous est connue, ^11 existe surtout de nombreuses contradictions entre les depositls reTaüves aux fusillades. Nous les relèverons en leur temps. II _ Incendie de la Ville et de la Collegiale Le Livre Blanc, voulant disculper les Allemands du reProche d'avoir détruit Dinan. par un sentiment de barbar... ou d mt, midatiou injustifiable, eherche a représen.er 1 meend.e de tavHe comme un fait de guerre commande par les necessites militaire . « Les troupes, dit le Livre Blanc étant empêchées d'avancer a travers la ville par les combats de francs-tireurs, le 12 regi ment d'artillerie incendia la ville par un bombardement ( ). „ Cette justification est contredite par les faits. ^ I e auartier de la rive gauche, oü se trouvent le college de BeUevue, 1 hospice e. le couvent des Dominica,nes a re5u des obus allemands mais reste en grande partie debout. (1) Zusammenfassender Bericht, p- 117. (2) Annexe 1, p- 125. (3) Annexe 65, p. 206. (4) Annexe 13. (5) Annexe 18. (6) Annexe 19, p. 148. Quant a Ja ville proprement dite, située 9ur la rive Est, elle n'a re?u qu'un nombre insignifiant de projectiles et elle sub'sisterait tout entière si elle n'avait eu a souffrir que de 1'artillerie. Malheureusement tout y a été incendié a la main, systématiquement, maison par maison, après un honteux pillage. Les soldats ont usé a la fois de bombes et de grenades a main, de cartouches et d'appareils incendiaires, de pastilles inflammables, de dynamite, de pétrole et de benzine. Cet incendie s'est prolongé le lundi! Ie mardi et le mercredi, pendant que toute la popuiation était gardée militairement, dans différents locaux, situés hors ville. En Septembre 1914, un major bavarois, de passage a Dinant voyant ces lamentables ruines,-disait au curé-doyen de la ville: Mais, Monsieur, c'est affreux. On "m'avait dit que Dinant avait été bombardée. Et il n y a pas de traces de bombardement ! „ Cette constatation de la barbarie de la soldatesque lavait si ému qu'il en versait des larmes. Quant a la Collégiale, les Allemands prétendent ne 1'avoir incendiée que paree que " de 1'édifice on a tiré sur eux. „ N avait-on pas dit qu'on avait installé sur le clocher une mitrailleuse ? Or, le curé-doyen affirme, sur 1'honneur, avoir fermé les portes de 1'église le 23 Aoüt, a 9 heures du matin. Personne n'a pu s'y introduire, et lui-même s'en est assuré a 1'heure oü 1 incendie dévorait déja les combles. De plus, on ne pouvait tirer que des seuls endroits auxquels les tours donnent accès : or, celles-ci se trouvaient encore soigneusement fermées a la date du 28 Aoüt. II n'y avait donc aucune nécessité stratégique de bombarder la Collégiale. Et si des boulets dirigés contre la citadelle, mais égarés, ont pu 1'atteindre dans certaines parties, il est certain qu ils n ont pas été la cause de 1'incendie principal, puisque, dans la journée du 27 Aoüt, les troupes ont mis le feu au grand porïail de 1 église. Le Dr Pfeiffer a donné les explications les plus cofttradictoires, attribuant la destruction de la Collégiale tantót a 1'artillerie allemande, tantót a 1'artillerie fran^aise. Le 16 Juin dans sa lettre a M«r Baudrillart, il parle de la citadelle commé d une forteresse qui aurait été, le 23 Aoüt, aux mains des Francais. Etes-vous, écnt-il, assez naif pour exiger qu'une citadelle qui empêche une armée d avancer et qui lance la mort sur les hommes ne soit pas bombardée, paree qu'il y a en dessous une église qui doit périr (1) ? „ Moins d'un mois après, le 11 Juillet, il écrit : " Les Erangais ont tellement couvert d'obus 1'églisè Notre-Dame qu'il n'en reste debout qu'une fenêtré (2). „ Et ce savant a suivi les armées allemandes et étudié les faits sur place ! D autres écrivains ont donné cours, a propos de Dinant, aux fantaisies les plus extravagantes. Effort sans scrupule, mais 'vain, (1) Kölnische Volkszeitung, 23 Juin 1915. (2) Kölnische Volkszeitung, 11 Juillet 1915. pour faire retomber sur les Francais ou sur les Beiges le scandale de la responsabilité des destructions . _ " Presque toutes les maisons de Dinant, écrivait Wegener ( ), ont été détruites par les balles- et brulées durant les combats la plupart du temps par les Francais eux-memes qui, par les pr iectües lancés lors de leur retraite, atteignirent les maisons de la ville au lieu des positions des Allemands sur les hauteurs op- posées. „ , . , « La mauvaise artillerie des fuyards francais, ecrit l!" autre ^/' a occasionné des destructions considerables pendant leur retraite et a malheureusement, atteint la cathedrale. „ « D'un autre cöté. poursuit le même, des Francais demeurant en Belgique assurent que les Beiges en fuite ont mis f™™** le feu aux localités beiges, qu'ils y ont vole et pille, afin de priver les Allemands de tout moyen de subsistance. " C'est le coeur saignant que les Allemands traversent la vallee de la Meuse, détruite sans raison et sans necessite. " L'Allemagne n'a jamais porté la guerre dans la demeure des citoyens Mais les Francais font la guerre comme autrefois la firent Mélac et ses compagnons d'infam^mcendiantleschateau et les villages du paisible Luxembourg, de la Meuse et du R . „ Ces mêmes écrivains osent mettre dans la bouche du curedoyen de la ville des accusations similaires contre 1 armee franCaise. Ce vénérable ecclésiastique proteste contre ces accusations et leur oppose un énergique démenti. A tou. instant, le Livre Blanc parle dW».~ f »»»,<<»« dans les maisons en feu et vent y voir une preuve de la resistance armée des civils. , Quelle est la valeur de cette accusation ? Nous ferons observer tout d'abord que les détonations entendues n eurent m la fréquence ni 1 importance que leur attribue le Livre Blanc. Les prisonniers civils qui ont traversé la ville en feu sont unanimes q 1'attester. D'oü provenaient d'ailleurs ces détonations ? D'aorès la version allemande, il s'agirait de 1'explosion de munitions amassées par les francs-tireurs. II n en est nen ]Nombre de ces détonations sont dues a lexplosion d huiles, d alcools et d essences qui se trouvaient soit chez les commercants et les nharmaciens! soit chez les particuliers. D'autres urent causees nar les bombes a main lancées par les soldats allemands, par fes munit?ons abandonnées par enx dans les ma.sons pnvees quand elles n'y étaient pas mises a dessein ainsi que au dépd^solda^ qui^aient séjourné a 1'Evêché, trouvé tout un panier de munitions delaissees (1) Kölnische Zeitung, 26 Novembre 1914. (2) Scheuermann, dans Die Post, 29 Novembre 191 . par eux au grenier et, ce qui est plus grave encore, trois douzaines de cartouches allemandes mêlées soigneusement au charbon qui devait servir a la cuisine ? Nous avons signalé ces faits, en leur temps, a 1'autorité allemande. A Dinant, dit le Livre Blanc, on tuait les soldats a coups de pierres. Ce sont les mitrailleuses allemandes tirant sur les fagades qui en ont fait jaillir sur les soldats des éclats de pierre. A Namur, au palais épiscopal, les soldats se plaignaient aussi d'être, durant la nuit, assaillis de pierres ; or, une enquête sommaire établit — si incroyable que puisse être le fait — que des sentinelles apeurées prenaient pour des pierres des poires müres qui tombaient des arbres ! III. — Grandes fusillades et autres faits importants Au quartier Saint-Pierre, ont été fusillés, dit le Livre Blanc, " cinquante hommes, pris sur le fait d'avoir tiré sur nous (1). „ Le Livre n'en dit pas davantage. En réalité, y ont péri sous les balles une quarantaine d'innocents, de tous les ages, et c'est du sang le plus pur que resteront souillées les mains du capitaine Wilke, du 178rae d'infanterie, qui a ordonné 1'exécution. Ces malheureuses victimes avaient fui, a la dérobée, de leurs maisons menacées. Elles s'étaient cachées dans les caves de la brasserie Nicaise. Elles auraient échappé au massacre sans une circonstance fortuite que révéla leur présence. Alors un officier les fit sortir rudement, sépara les hommes des femmes et tandis que les femmes s'éloignaient par la rue Benjamin-Devigne, il aligna les hommes au mur et les fit exécuter. C'est en vain qu'un professeur au collége communal, qui savait 1'allemand et qui assistait de loin a la tragique scène, crut devoir se dévouer et venir plaider leur innocence. Lui même fut la première victime ! L'horrible fusillade du mur proche de la place d'Armes (mur Tschoffen). — Par un raffinement de cruauté vraiment indigne, le massacre qui eut lieu prés de la place d'Armes se fit sous les yeux des femmes et des enfants des victimes. Cette exécution barbare fut commandée par le lieutenant-colonel Kielmannsegg. Suivant le Livre Blanc, cette fusillade servit a punir " environ cent hommes coupables (2), ceux qui avaient été surpris les armes a la main „ (3). Est-il besoin de donner encore un démenti ? Les cent cinquante hommes qui ont été victimes de cette boucherie étaient des civils paisibles, dont on connait les noms. Tous avaient été arrachés a leur foyer, pas un seul ne fut trouvé possesseur d'une arme. Un (1) Annexe 26, p. 159. (2) Annexe 7, p. 134. (3) Annexe 10, p. 159. grand nombre, pris de bonne heure, étaient encore incomplètement vêtus ; les soldats, en les entrainant, leur assuraient que la population civile n'avait rien a redouter, qu'ils ne couraient aucun risque ; ils n'articulaient aucun grief a leur égard. Vers le soir du 23 Aoüt, ils ont été emmenés des locaux oü ils avaient été parqués et, sans 1'ombre d'un interrogatoire ou d'un jugement, ils ont été mis au mur et fusillés. L'arbitraire le plus odieux a dicté la conduite des troupes allemandes dans cette circonstance. D'autres Dinantais, faits prisonniers dans les mêmes maisons d'oü leurs concitoyens avaient prétendument tiré sur les Allemands, au lieu d'être fusillés comme les premiers, furent simplement transportés a Cassel, en Allemagne. Cette différence de traitement, faite entre les uns et les autres, n'était basée sur aucune raison plausible. Le but des Allemands n'était pas de punir des coupables, mais de faire payer a la population les attentats imaginaires dont leurs troupes auraient été victimes. C'est ce qui résulte notamment de la harangue qu'un officier a débitée, en trés mauvais frangais, avant de commander le feu : " On a tiré sur nos soldats d'un lazaret. On a tiré des maisons oü il y a des Croix-Rouges. On a tiré d'un höpital. Vous^ autres civils, vous avez tiré sur nos soldats. Nous allons vous faire une legon. „ L'accusation d'avoir tiré de la Croix-Rouge, d'avoir tiré d un hópital, est plusieurs fois formulée dans le Livre Blanc. Or c est un fait prouvé, on n'a ni tiré, ni fait le moindre acte répréhensible d'aucun des cinq ou six établisements qui arboraient, le 23 Aoüt, la Croix de Genève. L'armée allemande aurait-elle donc songé a faire un grief a 1'hospice civil de 1'existence de quelques meurtrières, aménagées dans un mur d'une propriété indépen-^ dante, voisine de 1'hospice ? Ces meurtrières y avaient été pratiquées par les troupes frangaises (1) ! Ou bien chercherait-on a rendre 1'établissement des Dominicaines responsable des tranchées creusées par les mêmes troupes, a proximité, mais tout a fait en dehors de la propriété ? Ce serait méconnaïtre absolument les droits de défense d une armée et tirer de la prétexte a'atteindre et de frapper des innocents (2) ! A Dinant, aucun abus n'est imputable a la Croix-Rouge. Le füt-il, il justifierait la punition des coupables, nullement le massacre des civils de la rive opposée. En définitive, est-ce bien a l'armée allemande a prendre le röle d'accusateur, elle qui a violé de fagon si flagrante les prescriptions du Droit des gens ? Qu'ont fait ses soldats a Dinant . (1) Annexes 9, 56, 67, 69, 70. (2) Comment le capitaine Zeidler peut-il écrire que ces maisons n'ont été bombardées que lcrsqu'il eut été établi incontestablement qu'eües étaient occupées par des habitants hostiles et armés (Annexe 70) ? lis ont incendié cinq pharmacies, tué deux pharmaciens, tué un médecin, mis deux médecins au mur pour être fusiüés, arraché violemment, et sans articuler le moindre grief, le brassard de la Croix-Rouge a trois autres praticiens, traité durement 1'abbaye de Leffe convertie en ambulance, bombardé deux établissements de la rive Ouest oti flottait le drapeau de Genève et dont 1'un a été presque détruit. De quel cöté est donc la violation des conventions internationales ? * * * La fusillade de 1'abbaye de Leffe a été particulièrement meurtrière. Le soir du 23 Aoüt, la populeuse paroisse de Leffe ne comptait plus que dix hommes. Deux cent quarante victimes, dont des jeunes gens de quinze et de seize ans, 167 veuves, des centaines d'orphelins, voila le lamentable bilan de quelques heures ! La population avait été, dès le matin, parquée a 1'abbaye norbertine. Elle s'y croyait en sécurité sous la protection des religieux. Le 23, vers 10 heures. un officier réunit ces hommes: " Levez les bras ! N'ayez pas peur ! On ne vous fera pas de mal! Sorter ! „ lis sortent, s'avancent et, une minute après, un feu de peloton les étend en face du mur de la maison Servais. Durant toute la journée, d'autres groupes sont exécutés a eet endroit et grossissent le monceau de cadavres. Vers 2 heures, un officier du 178me saxon dit au Révérendissime Abbé: " Vous allez verser 60.000 francs, pour avoir tiré sur nos troupes. Si, dans deux heures, la som me n'est pas versée, 1'abbaye sera incendiée. „ On put sauver Tanden monastère par un versement de 15 000 francs laborieusement recueillis. Mais pendant ce temps, la tuerie sauvage se poursuivait. M. Victor Poncelet, le restaurateur de 1'ancienne industrie du cuivre, la dinanterie, pris entre deux feux par des soldats furieux qui envahissaient sa maison de tous cötés, fait appel a leur pitié en faveur de sa nombreuse familie: " Vous n'allez pas tuer un homme qui a sept enfants! „ — " Pas de pitié pour les hommes aujourd'hui! „ telle est la réponse. II s'affaisse dans le ves• tibule, tué a bout portant par un officier, sous les yeux de sa femme et de ses sept enfants, dont 1'aïné a douze ans. Des troupes s'installèrent dans rimmeuble, s'y livrant aux excès de la boisson, faisant de la musique, enjambant sans cesse le cadavre qui, jusqu'au mercredi, resta a 1'endroit oü il était tombé. M. H immer, le grand industriel, la providence des ouvriers de Leffe, qui invoque son titre de consul et offre toute sa fortune pour sauver sa vie et celle de ses ouvriers, rejoit comme réponse: " Ce n'est pas de 1'argent qu'il nous faut, c'est du sang! „ II faudrait aussi redire les souffrances endurées par les survivants, faits prisonniers a 1'abbaye jusqu au jeudi. Aux pauvres veufs et aux enfants, on fait crier: " Vive 1'Allemagne, vive le Kaiser ! „ Un officier de Saxons crie: " Si j'entends encore pleurer ces enfants, je tire sur vous toutes, dans le tas. „ Un oblige femmes et enfants a s'agenouiller devant une mitrauleuse qui fonctionne a vide ! Enfin, il faudrait raconter le vandalisme qui s est exercé sur les objets d'art de 1'église abbatiale et de 1'abbaye et le douloureux calvaire des religieux, les uns emmenés a Marche, les autres fusillés. Le Livre Blanc raconte (1) une longue et mystérieuse histoire de revenants, a propos de deux formes, enveloppées de hnges blancs, qui ont sauté dans la Meuse. II s agit, hélas . de deux religieux norbertins, le frère Bourg, agé de soixante ans, et ie chanoine Nicolas Perreu, agé de 40 ans, qui ont éte tues par des soldats allemands. Epouvantés par le massacre des hommes de Leffe et par les menaces des officiers, ils s étaient retugies dans le canal qui passé sous 1'abbaye et se déverse dans la Meuse. Des soldats découvrirent la cachette, y poursuivirqnt les deux fugitifs et. les tuèrent. Les cadavres des pauvres victimes furent plus tard retrouvés dans le fleuve. L'Allemagne n'a pour les habitants de Leffe que des appréciations méprisantes et injurieuses. Elle y ajoute meme la calomnie. „ " Ce sont surtout, écrit Grasshoff, les méchantes gens de Lette — comme la bouche des enfants les appelle — qui se distinguèrent dans les atrocités. Des soldats allemands furent mutiles on trouva des chasseurs saxons qui étaient attachés par les pieds a des pieux fichés en terre et qui avaient été brüles yl s. „ - Les ravins de Dinant pourraient bien s appeler la vallee de la mort (2) Nous protestons avec la dernière énergie contre ces odieuses paroles et, si nous compatissons du fond du coeur aux souttrances des paroisses de Dinant et de tant de centaines d autres qui ont souffert, nous éprouvons un respectueux attendrissement devant le malheur de cette paroisse de Leffe, dont nous affirmons 1'entière innocence pour 1'avoir constatée après une minutieuse enquête. * * ❖ Une scène dépasse en horreur toutes les autres, c'est la fusillade du Rocker Bayard. Elle semble avoir été ordonnée par le colonel Meister (3). (1) Annexes 64 et 65. (2) Belgiens Schuld, p. 43. (3) Annexe 48, p. 187. \ Cette fusillade a douloureusement éprouvé toutes les paroisses voisines, celles surtout des Rivages et de Neffe. Ello a fauché environ quatre-vingt-dix vies humaines sans épargner ni 1'age ni le sexe. On compte parmi les victimes des enfants a la mamelle, des gargons et des fillettes, des pères et mères de familie, des vieillards même. C'èst la qu'ont péri, sous les balles des exécuteurs, douze enfants de moins de six ans, dont six sur les bras de leurs mères : L'enfant Fiévet, de trois semaines; Maurice Bétemps, de onze mois ; Nelly Polet, de onze roois ; Gilda Genon, de dix-huit mois ; Gilda Marchot, de deux ans ; Clara Struvay, de deux ans et demi. Le monceau de cadavres comptait aussi beaucoup d'enfants de six a quatorze ans. Huit families nombreuses ont totalement disparu. Quatre n'ont qu'un survivant. Les hommes qui échappèrent au massacre et dont plusieurs étaient criblés de blessures, ont étë obligés par les soldats a enterrer sommairement et précipitamment leur père, leur mère, leurs frères, leurs soeurs ; puis, après avoir été dépouillés de leur argent et enchaïnés, ils furent dirigés sur Cassel. Aucune langue au monde n'a d'expressions capables de stigmatiser de telles horreurs ! Le Livre Blanc s'évertue a dégager 1'honneur de 1'Allemagne a propos de ce honteux massacre ; il recourt a la fois au mensonge et aux circonstances atténuantes. Le major Schlick (1) paie d'audace. Dans un combat de rues qui a duré, dit-il, jusque bien tard dans la nuit, toute la population a, sur un signal donné, tiré avec une vraie rage. Des hommes de tout age, des femmes et même des petites filles de dix ans, tiraient des maisons. On fusilla une vingtaine de ces forcenés, et parmi eux quelques femmes qui tiraient sournoisement dans le dos des compagnies. Le meurtre des enfants eux-mêmes, dans ces conditions, n'est-il pas légitime ? Le major Steinhoff (2) a le dessein évident de cachet la fusillade des femmes et des enfants. II raconte que le colonel Meister a fait fouiller les maisons, qu'on en a ramené des civils, que les hommes ont été placés prés clu mur, les femmes et les enfants plus loin en aval. Quelques temps après revenant sur ses pas, il vit un monceau de cadavres a l'endroit ou se trouvaient les hommes prisonniers. (1) Annexe 44. (2) Annexe 48. Le médecin d'Etat-Major Petrenz (1), qui a visité le monceau de cadavres, entre dans des détails : il évalue les tues a trente ou quarante, des jeunes gens pour la plupart et quelques femmes. II a trouvé sous 1'amoncellement des victimes deux enfants, tune de cinq ans, non blessée, a laquelle il a donné du chocolat, F autre d'enviroti dix ans, qui avait une blessure au genoux. II s'est assuré le lendemain qu'on n'a pas enterré de vivants. Le major Paazig (2) a vu les cadavres, " Leurs blessures font supposer qu'elles ont e'te' faites par des projectiles d artillerie. „ Le feldwebel Bartusch (3), manifestement interrogé sur le meurtre defemmes et d'enfants a Dinant, essaie de le justifier, maïs par malheur, il confond les deux scènes II n a vu que lai fusillade du mur Tschoffen et c'est pour celle-la qu il invente une explication. " Des femmes, écrit-il, ont pu se trouver derriere le mur et être tuées par les balles qui ont traverse ce mur, ou bie" elles sont tombées sous les balles des Francais venant de 1 autre ri ve. Dépositions contradictoires qui se détruisent 1'une 1 autre ! Voici ce quecrit enfin le Rapport général : " Aux Rivages, quelques femmes et enfants furent atteints, lors de 1'exécution des otages. Ils avaient, a i'encontre des dispositions prises et dans la confusion generale, quitte la place qui leur avait été indiquée a 1'écart des hommes et avaient rejoint ces derniers. (Annexes 45 et 46). „ _ Nous faisons remarquer avant tout que ces^ explications, qui ne sont basées sur aucun document de 1'enquete, sont tnventees de toutes pièces par le rédacteur du rapport. Elles sont en outte en contradiction, formelle avec les faits. Les quarante-cinq victimes de Neffe ont été arbitrairement détachées d un groupe preceden de prisonniers, transpor,éeS sur la rive Es. de la Meuse e,» deux fois iointes aux vingt-sept victimes de Saint-Paul et a celles d'aütres quartiers. II ne s'est fait, a ce moment, aucune distinction entre les jeunes gens et les vieillards, entre les-hommes, les femmes et los enfants. Tous furent mis en rangs par les soldats et poussés au mur du jardin Bourdon, contre lequel ils ont ete fusillés. . ^ " Ils avaient tiré sur nous ! „ dit le Livre Blanc. Ce te accu^i tion ne tient pas : les collines garnies de bu.ssons et les maisons d'oü prétendument les coups de feu sont partis, etaient occupées, depuis 6 heures du matin, par les troupes allemande.. La vérité sur la scène du Rocher Bayard, nous allons l apprendre des Allemands eux-mêmes. Pendant plusieurs heures, entre ie moment ou lls ;urent arrachés a leurs maisons et a la fusillade, les civils de Rivages (1) Annexe 51. (2) Annexe 49. (3) Annexe 10, p. 137. Anseremme ne cessèrent de protester et d'affirmer que ceux qui tiraient n'étaient pas des civils mais des soldats francais, en petit nombre d'ailleurs, qui occupaient la hauteur au-dessus de Neffe, sur la rive opposée. C'est ce que redit aussi avec insistance M. Bourdon, le greffier; obligé, sous peine de mort, de traverser la Meuse, pour faire cesser le feu qui venait de la rive opposée, il affrma d son retour que les civils étaient innocents. Son dévouement ne lui sauva pas la vie, pas plus qu'a son épouse et a ses enfants. Qu'on note bien ce détail, qu'on se l imprime avec soin dans 1'esprit : tous les coups de feu part. ai ent de mains légitimement arme'es. Les officiers allemands, eux aussi, s'en rendaient bien compte : "Si les Francais tirent encore, vous y passerez tous! „ dit 1'un deux a un groupe des deux sexes, prés de la brasserie d'Anseremme. Et 1'officier même qui a ordonné cette fusillade, barbare entre toutes, avait, peu d'instant avant 1'exécution, tenu aux victimes le langage suivant : " Vous tous, francs-tireurs et autres, vous avez tiré sur nos soldats. Si les Francais tirent encore une seule fois, tous sans exception, hommes, femmes et enfants, tous vous serez tués. „ On s'est donc vengé sur les habitants de Leffe du feu des Francais tirant des collines d'en face. Quant aux prétendus abus de la Croix Rouge, qui servirent de prétexte a la fusillade du mur Tschoffen, ils n'ont jamais existé, mais les Allemands étaient exaspérés par le tir des Francais qui venait de 1'autre rive. II en est de même pour la fusillade du Rocher Bayard. Les rapports allemands le confirment implicitement. " Le feu de 1'infanterie ennemie de la rive gauche était trés faible, .. dit le rapport des pionniers Cl). Alors commenga le feu ennemi de 1'autre rive, écrit le major Steinhoff (2), et, en même temps, j'entendis quelques courtes salves dans mon voisinage immédiat. Je retournai sur mes pas et je vis un monceau de cadavres a 1'endroit oü se tenaient les hommes prisonniers. „ On n'a plus qu'a rapprocher ces déclarations de la harangue de 1'exécuteur ! * * * Le cruel auteur de la sanglante tuerie de Charrau, a Neffe, est, dit le Livre Blanc, le major von Zeschau, du 101medes grenadiers. Celui-ci en fait un récit (3) qui relate exactement 1'itinéraire (1) Annexe 39, p. 177. (2) Annexe 48, p. 187. (3) Annexe 40, p. 178. suivi, mais qui, pour 1'exposé des faits,' n'«t qu'un tissu de contre-vérités. . , Pourquoi cache-t-il d'abcrd que ses soldats ont extermme, en traversant le viüage de Neffe, plusieurs families innocentes . Ils arrivent ensuite au lieu dit Charrau, oü cmquante et un habilants, dont beaucoup de mes et d'enfanls s etaient re giés sous un aqueduc, dès qu ils avaient appns que les Alle mands brülaient tout; tuaient ^ „ Les soldats approéhent de i'aquedue lis d le récii, im civil avec une arme en ferme de «,««■».est Vitfl1 Séh-i le tailleur dinantais, qui se trouvait a 1 angl- g< du pont i'l portalt, assurent les témoins, un paletot roule dans une lustrine ^r. forn» de gaine Voila c qu, a paru 1 arme d franc-tireur! C'est lui qui, étant le mieux en vue, a du première victime. - . , , A entendre von Zeschau, il ordonna a cinq ousix sold;ats 107 7 _ Déposition du lieutenant colonel comte Kielmannsegg, lieutenant-colonel au régiment du roi n° 100 . 164 8 — Déposition du capitaine von Montbé, régiment du roi n° 100 225 9 — Déposition du sous-lieutenant Prietzel .... 169, 215 10 — Déposition du vizefeldwebel Bartusch tambour du ler bataillon du régiment du roi n° 100 • 173 11 — Déposition de Stkaczinsky, grenadier de réserve a la 2me compagnie du régiment d infanterie nü 103 205 12 — Extrait des rapports de combat de 1'Etat-Major de la 46 me brigade d'infanterie et des régiments n° 108 et 102 82 13 _ Déposition de Schneider, caporal a la 10""= compagnie du régiment de fusiliers n° 108 • 148 14 — Déposition de Horn et de Matthes, caporaux au régi¬ ment de fusiliers n° 108 . . • '49 15 — Déposition de Korner soldat a la 11™ compagnie du régiment de fusiliers n° 108 . . • '49 16 — Déposition du général-major Francke commandant du régiment d'infanterie n° 182 .... 146 17 _ Déposition de Soring caporal a la 12me compagnie du régiment d'infanterie n° 182 . • • '40 18 — Déposition de Einax caporal a la 11™ compagnie du régiment d'infanterie n° 182 . • '48 19 — Extrait des rapports de combat du régiment d'artillerie de campagne n° 12 84 20 - Extrait du rapport de combat du régiment d'artillerie de campagne n° 48 05 21 — Extrait du rapport de combat du régiment d'artillerie lourde n° 19, ler bataillon 85 22 — Extrait du rapport de 1'Etat-Major de la 64me brigade d'infanterie 23 Extrait du rapport de combat du régiment d'infanterie nu 178 98 24 — Déposition du lieutenant-colonel Koek au même régiment Anl. 25 — Rapport succinct du 2me bataillon du même régiment 99 26 — Rapport du capitaine Wilke, 6me compagnie du même régiment 107 27 — Rapport de Ia 7">e compagnie du régiment d'infanterie n° 178 (capitaine John) 118 28 — Rapport de la 7'v« compagnie dn régiment d'infanterie n° 178 (sous-Heutenant Kipping) ... 121 29 — Rapport de Ia 8me compagnie du régiment d'infanterie n° 178 (déposition du sous-officier Macher) . 126 30 — Déposition du major Franzel du régiment d'infanterie n° 178 101 31 — Déposition de Stiebing vizefeldwebel, 3lne compagnie d'Ersatz du régiment d'infanterie n° 178 . . 129 32 — Déposition de Bauer, vizefeldwebel ff. d'officier a la 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 178 120, 213 33 — Extrait du rapport de combat du régiment d'infanterie n° 103 137 34 — Déposition de Langheid, major au régiment d'infan¬ terie n° 103 137 35 — Déposition de Ritchter sous-Iieutenant a Ia 1" com¬ pagnie du régiment d'infanterie n° 103 . . 138 36 — Déposition du sous-Iieutenant Martin, a la 2me com¬ pagnie du régiment d'infanterie n° 103 . 205, 225 37 — Rapport de la 8lne compagnie du régiment d'infanterie n° 178 (lieutenant Lucius) 132 38 — Déposition du capitaine Nitze, commandant Ia com¬ pagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 177 144 39 — Extrait du rapport de combat de Ia 3me compagnie de pionniers de campagne .... 179 40 — Déposition du major von Zeschau, commandant de bataillon au régiment de grenadiers n" 101 . 194 41 — Déposition du sous-officier Faber, 10me compagnie du régiment de grenadiers n° 101 . . . 195 42 — Déposition de Schlosser, grenadier a Ia 10me compa¬ gnie du régiment de grenadiers n° 101 . . 195 43 — Extrait du rapport de combat du régiment de grena¬ diers n° 101 185 44 — Rapport du major Schlick, commandant du Ier batail¬ lon du régiment de grenadiers n° 101 . . 186 45 — Déposition du major von Zeschau, adjudant prés du commandant en chef du XII'ne corps d'armée 179 46 — Déposition du capitaine Ermisch, de la lere compagnie de pionniers de campagne .... 180 47 — Déposition du baron von Rochow, lieutenant au régi¬ ment de uhlans n° 17 198 48 — Déposition du major Steinhoff, commandant des pion¬ niers du XIIme corps d'armée .... 181 49 — Déposition du major Paasig, commandant de la co¬ lonne de munitions du XIIme corps d'armée 199 50 — Déposition du dr. Kaiser, aumönier divisionnaire catho- lique a la 32me division d'infanterie . . 200 51 — Déposition du médecin de bataillon Petrenz, stabsartz auprès du commandement du train du XIIme corps d'armée 189 52 — Déposition de Steglich, soldat a la compagnie de mi¬ trailleuses du régiment d'infanterie n° 103 . 226 An!. 53 — Déposition du vizeveldwebel Bartsch, compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 103 226 54 — Déposition de Hentschel, réserviste a la 9me compa¬ gnie du régiment d'infanterie n° 103 . 205 55 — Déposition du dr. Sorge, médecin assistant de réserve au l«r bataillon du régiment de fusiliers n° 108 210 56 — Déposition de Lauterbach, sous-officier a la 10me com¬ pagnie du régiment de fusiliers n° 108 . . 214, 218 57 — Déposition de Bischoff, grenadier a la 7me compagnie du régiment du roi.n0 100 206 58 — Déposition du vizefeldwebel Ebert, a la llmc compa- 'gnie du régiment de grenadiers n° 101 . . 206 59 — Déposition de Rost sous-officier du service de santé, 6mc compagnie du régiment de fusiliers n° 108 74, 219 60 — Déposition de Lange, fusilier de réserve, 7me compa¬ gnie du régiment de fusiliers n° 108 . . . 74 61 — Déposition de Vorwieger, fusilier 6m0 compagnie du régiment de fusiliers n° 108 . . . 75, 219 62 — Déposition de Hund, réserviste a Ia 12me compagnie du régiment d'infanterie n° 178 . . . 134 63 — Déposition de Trenker, soldat a la 12me compagnie du régiment d'infanterie n° 178 . . 204 64 — Rapport du sous-lieutenant Noack, commandant la compagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n" 102 ' 139 65 — Dépositions de Büchner et Ulbricht, soldats a la com¬ pagnie de mitrailleuses du régiment d'infanterie n° 102 140 66 — Déposition de Kahler, soldat a la 1"= compagnie du régiment de fusiliers n° 108 .... 212 67 — Déposition du Dr Köckeritz, médecin assistant de réserve . . . . ■ • ■ • • 210, 219 68 — Déposition de Martin, sous-officier a la 10rac compa¬ gnie du régiment du roi n° 100. . . . 213 69 — Rapport du régiment du roi n° 100 (capitaine Zeidler) 214 70 — Déposition de Esche, sous-officier a la 10me compa¬ gnie du régiment du roi n° 100 .... 215 71 — Déposition du Dr Lange, médecin au lllme bataillon du régiment d'infanterie n° 178 .... 135 72 = Déposition de Ostmam, sous-officier, infirmier a la 5>ne compagnie du régiment de grenadiers n° 101 207 73 — Déposition de Muller, soldat a la 2"»e compagnie du bataillon de pionniers n° 12 . 217 74 _ Déposition du Dr Holey, médecin du IIlrae bataillon du régiment de fusiliers n° 108 .... 220 75 — Déposition de Wahl, caporal a la 5me compagnie du régiment de fusiliers n° 108 . . . • 220 76 — Déposition de Wilkommen, fusilier a la 7me compa¬ gnie du régiment n° 108 220 77 — Déposition de Ochmingen, caporal a la 6'ne compa¬ gnie du régiment de fusiliers n° 108 . . 221 78 — Déposition du capitaine von Lippe, colonne légère de munitions du II™ groupe du 1 r régiment d'artillerie de campagne n° 12 . 221 79 _ Déposition de Oöpfert, vizefeldwebel au régiment d'infanterie nH 178 105 Anl. 80 — Déposition du sous-lieutenant Loser, 5me compagnie du régiment du roi n° 100 227 81 — Déposition de Teubner sous-officier a la compagnie de mitraiileuses du régiment d'infanterie n° 103 227 82 — Déposition de Richter, caporal a la 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 103 .... 227 83 — Déposition du sous-lieutenant Lemke, 6,tle compagnie du régiment d'infanterie n° 103 .... 201 84 — Déposition du capitaine Schroëder, commandant la 6me compagnie du régiment d'infanterie n° 103 228 85 — Déposition du capitaine von Luder, commandant le llme bataillon du régiment d'infanterie n° 103 229 86 — Déposition du sous-lieutenant Florey, adjudant de régiment au régiment de grenadiers n° 101 . 228 87 — Déposition du Dr Marx, médecin assistant du IIme ba¬ taillon du régiment du roi n° 100 . . 228 Table des Matières PAGES CHAPITRE I. — Dinant, sa topographie, sa population ... 5 „ II. — Les premiers jours de guerre 8 „ III. — L'agonie de Ia ville 14 „ IV. — Le désastre „ V. — Un coup d'oeil sur Ie " Livre Blanc „ 23 „ VI. — L'accusation 31 „ VII. — La délense 50 „ VIII. — Le complot 60 „ IX. — Un rapport d'Etat-Major 68 „ X. — La nuit de 21 au 22 Aoüt 72 M XI. — Le bombardement de la ville 81 „ XII. — Les tueries de Leffe 98 „ XIII. — Récit d'un religieux francais '51 „ XIV. — Le centre de la ville et Ie faubourg St. Paul . . 164 „ XV. — Le massacre des innocents '78 „ XVI. — A Neffe 194 „ XVII. — Derniers coups de feu '98 „ XVIII. — La question des plombs 204 „ XIX — Atrocités dinantaises . . . •' • • 212 „ XX. — Leur bonté 225 „ XXI. — La préméditation 231 „ XXII. — Conclusion 236 Appendice: I. — Extrait du Livre Oris beige. Sac et massacres de Dinant) 243 II. — Lettres et protestation de Ms' Heylen Évêque de Namur . 27z 9QO Table des Anlagen ' 1 Echelle de ïö^ooo 100 o ioc Zoo 3oo boo 5oo 600 700 8vo goo 1000 Mttres% fc=- ■ 1 ' 1 ^ ■ ■ ' ■ 1 1