BOS ÉRASME ET LA RÉFORME DANS LES PAYS-BAS. 1519. Médaille au buste d'Erasme. v. Mieris il. p, 94. ÉRASME ET LA RÉFORME DANS LES PAYS-BAS PAR F. PYPER, DOCTEUR EN THÉOLOGIE, PROFESSEÜR DE L'ÜNIVERSITÉ DE LEYDE. (DISCOURS PRONONClS DE VAN T LA SOCIÉTÉ DB BELLES LETTREb). C'est un beau sujet que celui dont j'ai a vous entretenir. Certes je ne puis qu'estimer comme un grand privilege le fait que je suis appelé a faire revivre dans une assemblée composée de linguistes, de littérateurs, d'historiens et d'archéologues la figure du noble défenseur de la dignité des belles lettres, de ce rénovateur de notre science du langage, de eet ardent champion de 1'étude des merveilleux idiomes de la Grèce et de Rome, de eet historiën qui a renouvelé cette branche de la science et qui a contribué si puissamment k mettre les temps nouveaux en contact plus intime, non seulement avec 1'antiquité antérieure au christianisme, mais aussi avec le monde chrétien a son époque primitive et classique, a faire revivre la civilisation classique. Je ne me dissimule pas les difficultés de cette entreprise. II n'y a peut-être personne parmi vous qui ne se soit depuis longtemps fait son idéé d'Erasme. Non seulement ses traits, la fine coupe de son visage, vous sont familiers, mais vous avez aussi scruté sa nature intime, vous vous êtes formé une conception de ce qu'il a été comme savant, comme artiste, comme homme, de la place qui lui revient dans l'histoire de 1'Europe. Veuillez, je vous ^0»i ■ ~^rie, prendre en douceur ce que je vous ferai connaitre de ma ^^^> ■ ■^qfl&H^e de voir, même si elle s'écarte de la vótre. Ses ceuvres, que 1'on a reünies en dix volumes in folio, sont presque innombrables. Qui oserait prétendre s'en être absolument rendumaitreP Qui s'imaginerait pouvoir reproduire exactement tous les traits de cette grande figure aux aspects si variésP ÏTous avons a parler d'Erasme dans ses rapports avec la réforme. dans les Pays-Bas. Cela ne peut pas se faire sans que 1'on touche a quelques questions délicares, qui ont pour le coeur et la vie de 1'humanité actuelle un intérêt qui ne le cède pas k celui qu'elles possédaient il y a quatre siècles. Cependant mon but est strictement historique II ne s'agit aucunement de décider s'il faut applaudir a la réforme des Pays-Bas ou la regretter. Ce que je me propose c'est de déterminer si Érasme a exercé une influence sur eet événement et dans. quelle mesure, soit que 1'on considère 1'évènement comme un bienfait ou non. Cette entreprise est devenue moins difficile grace aux renseignements mis au jour par les volumes parus jusqu'è ce jour de la Bibliotheca reformatoria neerlandica. La lumière est maintenant feite sur plus d'un point sur lequel on était dans le doute. On a toujours su qu' Érasme avait exercé de 1'influence sur la réforme des Pays-Bas; les uns se sont exprimés a ce sujet avec quelque réserve; d'autres, comme Ypey et Dermout dans leur histoire de 1'Eglise réformée des Pays-Bas, même en termes ampoulés. Dans leur ouvrage, du reste si solide, ils reprósentent génóralement Érasme comme le premier et principal réformateur, 1'élevant au-dessus de Lutber, et ils lui attribuent de beaucoup la première place dans 1'histoire de la réforme des Pays-Bas *. II y a beau temps cependant que 1'on s'est apercu que leurs pbrases ronflantes ne sont pas appuyées de preuves. De son cóté, mis évidemment en garde par les critiques fondées qui s'élevaient contre les affirmRtions d'Ypey et Dermout, de Hoop Scheffer est tombé dans 1'extrême opposé dans son Histoire de la Réformation dans le» Pays-Bas jusqu'm 18312; il ne s'explique guères sur ce qu'il pense du róle joué en cela par Érasme, qu'il mentionne a peine. C'était alors 1'époque des hypotheses; petit a petit nous sommes des lors entrés d«ns celle des réalités. Les preuves viennent remplacer les suppositions, et il a été jeté plus de lumière sur ce que 1'on savait déja. Nous avons appris deux choses: 1° qu'il a existé un courant réformateur néerlandais autochtone, national, qui se differentie par des partieularités nettement distinctes des autres courants réformateurs; 2° que ce courant néerlandais doit sa naissance en partie aux écrits d'Erasme. Ceux qui se sont attachés aux phénomènes que 1'on rencontre dans 1'histoire de la réforme aux Pays-Bas se sont trop préoccupés de rechercher la tracé d'influences étrangères. S'agissait-il de quelque écrit de tendance réformatrioe, on voulait toujours savoir si c'était luthérien. Avait-on affaire a des personnes, on demandait si elles étaient inspirées par Wittenberg, par Zürich ou par Genève. Non, Messieurs: il nous faut revenir de ces errements, surtout en ce qui concerne la première période de 1'histoire de la réformation dans ce pays. Ce que nous avons a rechercher en première ligne, c'est ce qu'il se trouve de national dans ces personnes et ces écrits; il nous faut examiner s'il y a la un esprit néerlandais. Cet esprit existe-t-il? Sans aucun doute; les preuves sont la; on peut nommer les représentants de cet esprit. D'oii procédé la spirituelle Eefutacie vont Salue regina (réfutation du salve regina) P * EUe n'est pas luthérienne; elle n'est pas davantage Zwinglienne. Qu'est-elle donc? Néerlandaise. Prenez le petit livre intitulé Van den propheet Baruch (sur le prophéte Baruch) * Est-il luthérien P Non. Zwinglien, Bullingerien, CalvinisteP Nonj il est néerlandais. Le Troost ende Spiegel der sieeken (consolation et miroir des malades) de Gulielmus Gnapheus 6 est un écrit de la plus grande importance; mais il est impossible de désigner un courant allemand ou suisse dans la dépendance duquel 1'auteur se trouverait. II est lui-même, ou plutót, il est néerlandais. II représente le courant néerlandais originel. On en peut dire a peu prés autant de la Summa der godliker scrif turen, éditée dans le temps par van Toorenenbergen, de 1'ouvrage de Cornelis van der Heyden, intitulé Corte Instruccye, hoe een ieghelic mensche met Qöd, ende zynen even noesten, schuldigh es, ende behoord te leven (brève instruction de la manière dont chacun doit vivre avec Dieu et avec son prochain) 6, de fragments d'une justification ócrite par deux "Frères de la vie commune", fragments qui ont vu le jour dans un ouvrage de Jacob van Hoogstraten 7, etc. Comment savons-nous que ces écrits se trouvent sous 1'influence d'Erasme? A quels traits caractéristiques peut-on le reconnaitreP Je tacherai de répondre a ces questions; mais auparavant j'éprouve le besoin de faire trois remarques dans le but de-prévenir des malen tendus. 1°. Personne ne s'imaginera—moi en tout cas pas—qu'il suffise de déterminer la part qui revient a Érasme dans la propagation de sentiments réformateurs, pour donner, même de loin, une idéé compléte de son influence. Chacun satt que son activitó s'est étendue beaucoup plus loin; que c'est la magie de sa parote qui a fait dans 1'Europe occidentale les classiques se lever d'entre les morts; que par lui 1'enseignement s'est transformó depuis 1'école primaire jusqu'a l'universitó; qu'il ne s'est pas contenté d'ouvrir les yeux de ses contemporains sur les beautés des meilleurs auteurs grecs et latins de 1'ópoque païenne et des premiers temps du christianisme, mais encore que par la vertu de son exemple le culte des lettres a pris une place éminente au sein du monde policé. Enfin même 1'activité d'Érasme dans le domaine de la théologie ne s'est point bornée a propager des idéés réformatriees, mais elle a été de nature a pouvoir, pour une part, être utile a tous les partis. 2°. Ma déuxième remarque se rattache a cette première; c'est que je ne songe pas un instant a réclamer Ërasme pour une Église particulière, .pour un parti, pour une tendance spéciale. A la facade antérieure de la cathédrale de Cantorbéry, o'est-a-dire de 1'historique et superbe ódifice au sein duquel se célèbre la consécration du primat de 1'Église anglicane, se trouvent un certain nombre de statues. Notre compatriote Érasme figure parmi les hommes que la sculpture a immortalisés dans ce lieu. C'est a bon droit, car depuis le milieu du seizième siècle 1'Église anglicane, réformée par sa doctrine, restée dans son organisation et ses usages attachée a la tradition, porte 1'empreinte de l'esprit d'Erasme. Rendons-nous maintenant a Bale et visitons dans sa cathédrale, consacrée depuis des siècles au culte protestant, la salie du chapitre dans laquelle le cólèbre concile s'est assemblé au quinzième siècle. La, suspendus aux parois, vous verrez toute une série de portraits, Pie II, Sadoletus, Pietro Bembo etc, et aussi, parmi les principaux réformateurs, les Luther, les Zwingle, les Calvin, Érasme (c'est dans ce même édifice qu'a été enterré notre célèbre compatriote) 8. Voulez-vous vous convaincre qu'aucun parti n'a le droit d'accaparer Érasme, rendez-vous a Louvain; vous verrez que dans cette université catholique on se montre fier de ce qu' Érasme lui a appartenu pendant quelques années, circonstance sur laquelle Pélix Nève s'efforce de jeter le plus de ' lumière possible dans son livre intitulé La renaissance des lettres et l'essor de l'érudition ancienne en Belgique 9. La chose est d'autant plus remarquable que depuis longtemps plusieurs ouvrages du grand Rotterdamois se trouvent sur Pindex 10. Non, le génie d'Erasme était trop souple, son esprit présentait trop de faces, pour que nous puissions le faire descendre au rang d'un saint de clocher ou le claquemurer dans le sein d'une Église spéciale. 3°. La troisième remarque que je désirais faire est celle-ci, qu'en disant que le mouvement réformateur dans les Pays-Bas est né sous 1'influence d'Érasme, il ne s'agit aucunement d'affirmer que 1'on ne doive pas tenir compte d'autres influences encore. C'est avec raison que 1'on a attribué une grande importance a l'enseignement qui se donnait dans les écoles des "frères de la vie commune", a 1'action émanant de Windesheim, aux écrits des mystiques du 14e et du 15e siècle, Tauler, Eckart, Ruysbroec, Gerlach Petersz, Hendrik Mande, Thomas a Kempis, et tout spécialement au joyau parmi tous ces écrits a L'Imitation de Christ. Nous devons a la découverte, rare en son genre, faite a Boskoop en 1896 lorsque on en démolissait la tour, de cinq petits livres qui avaient été renfermés dans la magonnerie vers 1567, la possession d'un petit écrit sur la foi, Vespérance et la charité. A 1'examen, il se révóla comme provenant d'un personnage qui, pénétré de 1'esprit mystique le plus pur de Windesheim, conservant 1'intimité profonde, la délicatesse d'expérience et la finesse d'expression du sentiment religieux de 1'Imitation, professe sans hésiter des idéés franchement protestante» u. On peut eneore constater ailleurs 1'influence des mystiques, quoique olie puisse être moins apparente. Enfin comment méconnaitre le fait que 1'on a de bonne heure lu dans ce pays les écrits de Luther, d'QSoolampade et de Zwingle? Ce qui s'était préparé pendant plus d'un siècle, sans bruit, mais de plus en plus effectivement, prit vie et consistance surtout sous 1'empire de ces écrits. Ce qui dormait dans les profondeurs de 1'ame nationale se réveilla a 1'appel des voix qui se faisaient entendre en dehors des frontières. A quels traits earactéristiques peut-on discerner 1'influence qu'Erasme a exercée sur les écrivains néerlandais favorables a la réforme P Disons premièrement ou 1'on peut les constater chez Erasme lui-même, pour ensuite les retrouver chez d'autres écrivains. Yous ne supposez pas que je signale ici la "louange de la sottise" ou les „Colloquia". La satire, les plaisanteries de sel plus ou moins grossier contre le clergé, ses mceurs et son latin, étaient alors k 1'ordre du jour et presque tout le monde s'en mêlait; se rire du clergé n'était aucunement une preuve que 1'on se rangeat du oóté de la réforme. C'est dans de tout autres écrits que nous trouverons le secret de 1'influence réformatrice d'Erasme, et en première ligne, a ce que j'estime, dans sa Manière ou méthode sommaire de parvenir a la vraie théologie, 1518 12. Ici est manifeste une tendance réformatrice; Erasme y dit sans ambages que 1'homme est justifié par la foi seule et non par les ceuvres 13; il plaide en faveur d'un christianisme biblique 14; il ne veut admettre aucun autre fondement de la foi et de la morale que la bible 15; il veut même que les termes au moyen desquels on les formule soient bibliques, k 1'exolusion des termes techniques de la dogmatique relativement récente. D'après lui la théologie, affranchie de la scolastique et de la dialectique 1S, doit simplement consister dans 1'étude de la bible. Ce sont ces conviotions qui lui ont inspiré son grand zèle pour 1'éfcude des langues originales de 1'Jücriture, le grec et 1'hébreux. II veut remplacer 1'étude des théologiens du moyen-age, de Thomas et Duns Scot, par celle des anciens pères, Origène, Basile, Chrysostome, Górome et autres 17. Ces pères sont encore a ses yeux des représentants de 1'époque classique, dépositaires des meilleures traditions chrétiennes, d'excellents exégètes, chez lesquels on ne rencontre pas la platitude et les subtilités de ceux qui sont venus plus tard. II existe une page remarquable, dans laquelle Erasme exposé ce que les futurs prédicateurs devront annoncer du haut de la chaire; il veut que les études théologiques soient dirigées entièrement de manière a les préparer a préoher les vérités fondamentales qu'il mentionne. Quant a moi, je ne puis voir dans cette page autre chose qu'une confession de foi succincte de notre grand compatriote. Qu'y lisons-nousP La reproduire en son entier, la traduire ou même 1'analyser, me mènerait trop loin. Qu'il me soit permis de me borner a 1'indication suivante: Ici le Christ est exclusivement celui qui enseigne 1'humanité, venu sur la terre afin de préparer un peuple nouveau, lequel, renongant a la vanité des choses du monde, s'adonne aux vertus du royaume des cieux. Ainsi, la chose sur laquelle il insiste n'est pas que Jésus Christ a satisfait par son sang pour les péchés de 1'humanité, ni qu'il est Souverain sacrificateur ou Boi, mais qu'il a été un prophéte, qui a mis de nouvelles vérités en lumière, un guide, qui a voulu amener sur le droit chemin 1'humanité errante et pécheresse. II passé a cöté de nombreuses doctrines de 1'ancienne Eglise: la tradition, 1'autorité du pape, le sacerdoce, le jeune, ne sont pas mentionnés par lui. II garde même le silence au sujet de la trinité, de la divinité de Christ et des sacrements. Tout revient a la confiance dans la Providence, dans 1'amour paternel de Dieu. L'essence de cette pièce est comme une paraphrase du sermon sur la montague: Heureux les pauvres en esprit, les débonnaires, ceux qui proourent la paix, ceux qui sont purs de cceur, eeux qui sont persécutés pour la justice. Les chrétiens qui se conformeront a cet évangile ne connaitront plus ni serment ni vengeanee; ils formeront une communauté de saints, vivant même en communauté de biens 18. Ne vous méprenez pas sur ce que je veux dire. Je ne prétends pas qu'Érasme aurait nié un certain nombre d'articles de la dogmatique chrétienne auxquels vous pouvez penser ou dont vous vous souvenez avoir lu quelque cbose dans ses oeuvres; tout ce que je veux dire, c'est qu'ici, quand il énumère ce qui est par dessus tout le principal, il ne touche pas a ces articles. II faut encore relever que dans le même écrit .Érasme exposé les vérités principales de la morale, et que tout tourne autour de la charité comme fruit de la foi, d'après la parole "c'est a ceci que je reconnaitrai que vous êtes mes disciples, si vous avez de 1'amour les uns pour les autres" '9. Enfin dans cet ouvrage Érasme se montre partisan de la liberté. II condamne 1'emploi de la contrainte en matière de religion et il trouve digne de blame que vis-a-vis de ceux que 1'on considère comme dans Terreur 1'on compte plus sur les menaces que sur la persuasion. II est confondu de ce qu'un chrétien puisse se résigner a en voir un autre en danger de mort pour avoir transgressé quelque commandement d'hommes, par exemple 1'obligation du jeune 20. Si 1'on est d'avis qu'actuellement il y a moins d'hérésies que par le passé, il remarque sarcastiquement que les instruments de torture ont plus fait en cela que les raisonnements peu solides des défenseurs de la doctrine ecclésiastique De la Méthode sommaire de parvenir a la vraie théologie je passé au Manuel du chevalier chrétien22. Ici Érasme s'élève contre la valeur attribuée a, un certain nombre de cérémonies23; il exhorte ses lecteurs a s'élever des choses visibles aux invisibles, du temporel au spirituel 24; il met en garde contre 1'invocation exagérée des saints—ce qui n'est pas de la piété, mais un égoïsme dissimulé26; il insiste sur 1'exhortation "par dessus toutes choses revêtez-vous de la charité, qui est le lien de la perfection" 26. Cette insistance sur le contraste entre la charité et 1'égoïsme comme la chose capitale est un trait spécialement érasmien; il se trouve déja dans le sermon sur Jésus enfant, composé par lui en 1513 pour être prononcé par un élève de 1'école de Colet a Londres 27. Dans ce sermon, la religion chrétienne est considérée comme consistant tout entière a prendre sa croix avec Christ28, en opposition avec quoi 1'amour de soi, la philautia, est représentée comme une peste dévastatrice 29, mais 1'amour pour Christ et la fidélité a suivre son exemple sont placés dans un rapport étroit 1'un avec 1'autre 30. Tels sont les points principaux qu'il faut prendre en considération en comparant Erasme avec ceux qui sont venus après lui. Les opinions qu'il avait sur ces sujets ne 1'ont pas empêché de rester attaché a VÉglise catholique, en laquelle, témoin ses Nouvelles prières, de 1'année 1535 81, il a continué a vénérer la gardienne de la vérité immaculée32. II a toujours eu conscience d'être du cóté du parti "catholique", comme on peut le voir dans son Apologie contre les moines espagnols, de 1529 33. Son écrit intitulé des bonnes manières des jeunes gens, de 1530, témoigne du fait que le lustre du culte catholique lui imposait3k, tandis que, dans son virulent Contre quelques uns qui se nomment faussement évangéliques, il reproche aux protestants de vouloir détruire ce que les plus nobles fils de 1'Église avaient respectueusement maintenu durant tant de siècles85. Ce penchant conservateur n'a cependant pas empêché Érasme, par les nouveautés qu'il a prêchées comme nous venons de le voir, de contribiier pour une grande part k susciter un mouvement réformateur, qui bientöt dépassa ce que lui-même il avait désiré. Ayez présents dans votre esprit, en lisant les produits littéraires les plus anciens de ce mouvement réformateur, les points que nous avons énumérés, vous les rencontrerez de nouveau a chaque pas. Ce n'est pas que les auteurs citent souvent le grand Rotterdamois ou invoquent son autorité. Érasme a été de son temps un de ces auteurs que tout le monde lit et qui de cette manière contribuent a faire 1'éducation de toute une génération, sans que les contemporains s'en rendent nettement compte; les choses de lui que 1'on a lues se pressent dans vos pensées, dans vos paroles, sans que vous le sachiez toujours. Toutefois. quaud il est visible qu'un auteur s'est inspiré d'Erasme, il n'est pas nécessaire qu'il cite directement celui'-ci ou qu'il 1'ait connu personnellement pour que 1'on constate qu'il a subi son influence. Nous pouvons mentionner deux importantes catégories de personnes qui ont de toute évidence été sous 1'influence d'Erasme. II suffit de les nommer; persoDne ne doutera ni ne demandera de preuves. Tout a 1'heure je mentionnerai un troisième groupe, qui en ce moment m'importe le plus. Quant aux deux autres, j'ai premièrement en vue un certain nombre de recteurs d'écoles latines. Lors même que 1'élégante pureté du style d'Erasme ne les eut pas irresistiblement attirés vers lui, leur devoir professionnel les aurait contraints de prendre connaissance de ses écrits. II leur était impossible de se désintéresser des productions d'un homme que, dans tous les domaines oü se déployait leur activité, ils rencontraient sur leur chemin, fécond en idéés nouvelles, proposant de nouvelles méthodes. Pouvait-on être recteur et ne point préter d'attention a 1'étincelant De copia verborum ac rerum36 d'une utilité pratique inoomparable pour les exercices de style, tellement en vogue jüstement a oette époque? Le grand ouvrage Sur la méthode d'écrire des lettres 37 était dès son apparition devenu indispensable a quiconque cultivait les lettres classiques. L'aimable et élégante dissertation Sur la nécessité d'instruire les enfants dès leur première jeunesse dans la vertu et les belles lettres 88 ne pouvait pas laisser les recteurs indifférents, puisque c'était en faveur de leur enseignement le plus éloquent et entrainant plaidoyer que 1'on puisse imaginer. Que dirons-nous du petit livre si riche de contenu intitulé de la méthode de 1'étude 89 ? On y trouve un programme complet de 1'enseignement gymnasial; en outre Erasme déploie sa maitrise lorsque, décrivant la tache du professeur ou du recteur, il insiste sur la nécessité du propre développement de ce dernier. On y trouve aussi les régies a suivre pour composer des comédies latines propres a être jouées par les élèves, et celles des lecons de conversation latine, qui devaient enseigner aux élèves a s'exprimer facilement dans la langue de Cicéron et de ses amis. Quelles ravissantes perspectives! Tout ce qui était jeune dans les Pays-Bas s'en éprit. Bientöt il n'y eut plus dans 1'Europe occidentale d'école latine dont le recteur ne composat en latin de ehoix des poèmes lyriques et autres, et ne fit faire par ses élèves d'élégantes compositions sur des sujets choisis. On buvait a pleins bords la poésie du monde nouveau que 1'on s'était vu révéler; c'étaient comme des champs éliséens, au porche orné des bustes d'Homère et d'Horace, et dans lesquels on se figurait entendre les cascades des jardins de Tivoli de 1'empereur Adrien, ou bien 1'on se promenait en pensee sur les collines verdoyantes de Tusculum. Les choses étant ainsi, il n'est pas étonnant que parmi les jeunes savants il s'en trouva qui empruntèrent a Erasme plus encore que l'enthousiasme pour les antiquités grecques et romaines, qui se mirent a lire ses écrits théologiques et se pénétrèrent de son esprit. C'est ainsi que nous rencontrons a la Haye le recteur Gulielmus Gnapheus, dont VAcolastus *°, dramatisation de la parabole de 1'enfant prodigue, et surtout 1'amusante allegorie le Triomphe de l'éloquence, tous deux écrits pour les élèves de 1'école latine, laissent clairement discerner de qui il était le disciple On peut citer comme animés du même esprit Hinne Bode, recteur de 1'école de Hiéronimus a Utrecht, Predericus Canirivus (Hondebeke) a Delft, Gerardus Listrius a Zwolle et d'autres encore. Non moins que chez ces derniers 1'empreinte de 1'esprit d'Erasme est visible chez les hommes d'une deuxième catégorie. Ce sont des hommes d'état et des lettrés, occupant une position intermédiaire entre les gens de 1'absolut conservatisme et ceux de la réforme radicale. C'étaient donc les modérés, qui peut-être ont été nombreux, mais sur le compte desquels nous ne sommes que trop imparfaitement documentés. II s'agit dans ma pensée d'hoinmes comme Georgius Cassander, Pranciscus Balduinus, Dirck Volckertsz. Coornhert, Johahnes Venator, sur le compte duquel nous avons une monographie de Lindeboom42, et autres, de la tendance desquels étaient les comtes de Nieuwenaar, 1'auteur anonyme de F Apothéose de Rieuwert Tappert43 et, du moins pendant une partie de sa vie, le prince Guillaume d'Orange. L'histoire de Cassander présente une analogie frappante avec celle d'Erasme; pendant la première période, même jusqu'en 1557, les partisans de la réforme le considérèrent comme un des leurs; il partagea leurs souffrances et leurs luttes et s'exila avec eux44; plus tard cependant on vit que la majesté séculaire de 1'Église catholique continuait trop encore k le fasciner pour qu'il put rompre avec elle. L'on n'a qu'a lire son petit livre Sur le devoir d'un homme pieux qui aime véritablement la tranquillité publique au sein de la lutte religieuse actuelle 46 pour constater combien cet écrit respire l'esprit d'Erasme, admettant que l'on critique ce qui existe, acceptant même que diverses subdivisions de 1'Ëglise chrétienne y possèdent des droits égaux, mais néanmoins voulant les englober dans 1'unique ÉgHse catholique apostolique46. Mais pourquoi apporter des preuves pour ce que personne ne mettra en doute, c'est-a-dire que la tendance des Cassander, des Balduinus et des autres que j'ai nommés, ne procédé de nul autre que d'Erasme? J'arrive k mon troisième groupe. J'y range ceux que je désignerais comme étant par excellence les représentants du courant réformiste originalement néerlandais, national. Les trois groupes ont de grandes affinités les uns avec les autres et se confondent en partie; ce sont comme des cercles, qui, tout en ayant des centres différents se recouvrent partiellement les uns les autres. Ainsi le recteur de la Haye, Gulielmus Gnapheus, appartient aussi bien au premier qu'au troisième groupe. II serait difficile de nommer un adherent plus caractérisé de la tendance réformatrice néerlandaise originale; ceux qui y adhéraient ont plus que d'autres propagé de propos délibéré des idees réformatrices; elle est essentiellement biblique, considère les sacrements comme des symboles, sans mysticisme, et n'accorde guères de valeur aux cérémonies extérieures. Dans le Credo de cette tendance, de même que chez Érasme, est placée au premier rang la doctrine de 1'amour paternel de Dieu, de la Providence, du caractère d'enfant de Dieu du chrétien. Dans la doctrine touchant Jésus, on insiste sur ce qu'il a voulu devenir notre frère afin de faire de nous par son éducation des enfants de Dieu, beaucoup plus que sur ce que par ses souffrances il a donné satisfaction k Dieu pour le pêché des hommes. Le salut s'obtient par la foi, mais celle-ci ne peut exister sans la charité. La doctrine de la prédestination est étrangère a la plupart des adhérents de cette tendance. Cornelis Hoen, qui était avocat a la Haye, en est un représen-1 tant. II a écrit sur la sainte cène un petit ouvrage qui a été édité par Zwingle47; il y représente la sainte cène comme un symbole qui exprime les promesses de Dieu aux croyants, et il la compare k 1'anneau que le fiancé donne a son élue48. La Cónsolation et miroir des malades de Gnapheus 49 jette un grand jour sur cette tendance. La manière dont 1'écriture y est exclusivement prise pour guide 50 est du pur érasmianisme. Comme Erasme dans son Chevalier chrétien, Gnapheus exhorte ses lecteurs a s'élever du visible k l'invisible, des sens a l'esprit51. On peut comparer ces deux livres assez souvent page a page. Tous deux se plaignent de 1'abus de 1'invocation des saints; tous deux y voient quelque chose de païen. Erasme dit: "L'un salue journellement Christophore. Dans quel but? II se tient convaincu qu'il sera pendant cette journée k 1'abri d'une mort malheureuse, pourvu qu'il ait regardé 1'image de Christophore. Un autre adore un certain Roch. Pourquoi? Paree qu'il croit que Roch chassera la peste loin de son corps". Viennent Barbara ou Joris, Apolonia, Job, Hiéro et leur culte. Erasme rélève que tout cela ne diffère guères de la manière de taire de ceux qui dans 1'antiquité promettaient a Hercule la dime de leurs biens afin de devenir riches, ou qui immolaient un taureau a Neptune afin de s'assurer un heureux passagebi. Gnapheus ne parle pas autrement. De même, dit-il, que dans 1'antiquité on invoquait Hercule en vue d'un certain objet, Mercure en vue d'un autre, Bacchus, Cérès, Saturne, chacun pour un besoin particulier, on agit maintenant de même avec les saints. L'on n'a pas de repos tant que le malade "n'a pas promis un pélerinage a St Lénart, St. Job ou St Qujrin" s3. Quant au contenu positif de sa doctrine, Gnapheus met a la base de tout absolument la même chose qo'Érasme dans sa Méthode aommaire pour parvenir a la vraie théologie. II fait découler les principales vérités et les consolations de la thèse unique "Dieu est notre Père céleste, 1'homme est son enfant"5*. Quand il parle de Jésus, c'est essentiellement en qualité de prophéte de la charité, de modèle de patience et d'obéissance jusqu'a la mort. Ce qu'il faut, c'est de suivre les traces de Christ dans sa souffrance55. La morale se résumé tout entière dans la charité et le renonoement x. Ce dont nous avons besoin, c'est de nous remettre a la Providence et d'être animés d'une foi agissante par la charité 57. Ces faits nous mettent a même de mieux comprendre la Summa der godliker scrifturen (Somme des éoritures saintes)58. Lorequ'il la publia, le docteur Van Toorenenbergen n'a pu qu' imparfaitement déterminer la place qu'il faut lui assigner au milieu des diverses tendances de 1'époque; mais maintenant nous voyons que son auteur aussi a subi 1'influence d'Erasme et qu'il faut le ranger parmi les adbérents de la tendance réformatrice néerlandaise, dont il représente une nuance un peu conservatrice. II ne faut que lire comment lui aussi place 1'amour de Dieu et la filiation divine de 1'homme au premier plan 58*, comment, voulant parler du baptême, il commence en ces termes: "Si alors nous recevons le baptême, nous saurons avec certitude et nous croirons que tous nos péchés nous sont pardonnés et que nous devenons des enfants de Dieu; car Dieu devient notre Père et Christ devient notre frère, et ce même droit que Christ a a la gloire de son Père, nous 1'obtenons aussi, car les frères ont un droit aux biens de leur père" 59. Et oe sont encore des accents qui' nous sont déja de ven us familiers quand nous lisons plus loin : " Si je crois fermement que je suis un enfant de Dieu, et que Dieu a satisfait pour moi a son Père céleste, ne dois-je alors point faire le bien? St Paul dit aux Grecs dans le chapitre V: que la foi est agissante par la charité" *°. La réimpression d'un ouvrage de 1'inquisiteur Jacob van Hoogstraten nous a appris qu'en 1526 il a eu a juger deux "frères de la vie commune" de ia maison des frères d'Amersfoort, et que ces deux personnages furent eondamnés comme hérétiques. Van Hoogstraten a inséré dans 1'opuscule en question des fragments des écrits composés pour leur défense par les accusés 6'. Ici de nouveau la doctrine qui proclame que Dieu est notre Père et que nous sommes ses enfants est placée au oentre même. L'un des deux accusés, il s'appelait Theodricus, soutint obstinément cette these: "Nous avons seulement a croire que nous sommes enfants de Dieu et que nous serons sauvés pour cela, quoi qu'il en puisse être des ceuvres" 62. Malheureuscment pour lui ce fut en vain qu'il déclara aux juges qu'en parlant de la "justification par la foi" il n'avait entendu parler que de "la foi qui est agissante par la charité"63. Van Hoogstraten n'accepta pas cette explication; il soutint que 1'accusé avait sans aucun doute parlé dans un sens décidément luthérien. Cela nous fait voir a quelle tendance ces deux "frères de la vie commune'' appartenaient. Du reste, comme par un fait exprès pour rendre le doute impossible, van Hoogstraten, qui cite sur la même page la Summa der godliker acrif turen, 64 rapproche de cet écrit les thèses des accusés. Je ne pense en aucune facon que tous les adhérents de la tendance réformatrice néerlandaise nationale aient été d'accord entre eux sur tous les points. II y avait des nuances dans leurs rangs. Toutefois cela n'empêche pas que leur orientation était la même; ils étaient enfants d'un même esprit. On a trouvé dans la bibliothèque de l'université de Gand un exemplaire, peut-étre unique, de la Corte lnstruccye ende onderwijs, hoe een ieghelic mensche met God, ende zynen even noesten, schuldigh es, ende behoord te leven. Ghemaeckt by Meester Cornelis vonder Heyden Priester (Brève instruction et enseignement sur la manière dont chacun est tenu de vivre et doit vivre avec Dieu et son prochain. Fait par Maitre Cornelis van der Heyden, prêtre) 65. De même que pour les écrits qui nous ont oocupés, je pourrais montrer que 1'auteur de celui-ci se meut dans le courant néerlandais et qu'il n'est pas étranger a 1'influence d'Erasme. II a cru de bonne foi que ses opinions réformistes n'étaient pas incompatibles avec la prêtrise '8. Comme Erasme il n'avait pas retiré son affection a 1'Eglise catholique. C'était aussi le cas d'un autre prêtre, plus connu que Cornelis van der Heyden, Angelus Merula, curé de Heenvliet66 *. Quoique Merula citót Luther, Melanchthon, Capito dans ses sermons, il n'avait pas de scrupules a continuer de oélébrer la messe. II est vrai qu'il avait introduit une modification importante dans le missel, dans la liturgie de la Toussaint; il est vrai aussi que dans la liturgie des Laudes lui et son vicaire supprimaient le "Salve Regina"; mais il ne songeait pas a déposer ses fonctions. Quel esprit animait Merula P Maintenant que le docteur Hoog a publié les pièces de son procés, il est devenu plus facile de trouver la réponse a cette question. II ressort de 1'examen des documents que nous possédons que Merula a été un théologien néerlandais indépendant. Ses idéés se rencontrent sur plus d'un point avec celles de Cornelis van der Heyden. Faut-il aussi admettre qu'il ait subi 1'influence d'Erasme P Je signalerai une seule page, dans laquelle il répond a l'accusation de vouloir entièrement abolir le culte des saints. Non, il ne 1'entend pas d'une manière absolue, mais il ne veut pas que le culte des saints rejette dans 1'ombre celui de Dieu. Le calandrier, dit-il, est rempli d'une multitude de saints, dont même il y en a d'inconnus, et le temps des prêtres, qui devraient glorifier Dieu jour et nuit, est absorbé par le service de tous ces saints. Merula se prévaut d'Erasme dans cette page 6 7. Involontairemént on pense au Manuel du chevalier chrétien. On me permettra de nommer simplement sans entrer dans les détails le célèbre Regnerus Praedinius de Groningue, dont la tendance órasmienne est généralement connue 68. J'ai encore un nom a citer, celui de Joannes Anastasius Veluanus, le réformateur de la Gueldre. II nous amène sur un nouveau terrain. II est un des réformateurs néerlandais nationaux, mais il représente parmi eux une nuance indépendante; au point de vue des réformistes, il est un des plus avancés. Quand il ócrivit son célèbre Leken Wechwyser (Guide du laïque), il était déjasortide 1'ornière d'Érasme. Le développement de son esprit a été analogue a celui de Joannes Monhemius de Dusseldorf, que l'on croit avoir été son maitre. Celui-ci avait, encore en 1551, publié une inter- prétation des dix commandements et des douze articles de la foi, dont la matière était entièrement empruntée a Érasme69; mais en 1560 il donna un catéchisme de tendance purement protestante 70. Joannes Anastasius devint de même d'érasmien protestant convaincu. Mais dans le Leken Wechwyser se trouvent des indices positifs de 1'influence érasmienne 71. Je mentionnerai seulement la grande valeur qu'Anastasius attaché aux opinions des pères de 1'Église des six premiers siècles72, son plaidoyer en faveur de la tolérance entre protestants 7a, sa polémique contre la doctrine de la prédestination 74, et surtout le fait que dans ce livre le point de départ de la dogmatique est la doctrine qui professe que Dieu est notre Père et que nous sommes ses enfants 7*. Pourquoi Christ a-t-il pris la chair humaine? On répond en premier lieu: "Christ a voulu devenir notre frère afin que nous soyons avec lui héritiers du Père". L'auteur nomme encore trois motifs et ce n'est qu'en dernier lieu, au quatrième, qu'il dit quelque chose de la nécessité de payer pour nos péchés 7S. Ce qui est curieux, c'est que dans un écrit postérieur, qui ne nous est connu que depuis peu, Anastasius parle avec complaisance des "docteurs catholiques'', de "la vieille ehrétienté catholique", de la „vraie croyance catholique" 76; voila donc un réformateur radical qui cependant n'a pas secoué complètement la fascination de 1'Église catholiqne. II est temps de conclure. Que l'on veuille bien juger avec bienveillance ce que je crois être la vérité historique. Si quelqu'un n'en est pas satisfait, qu'il nous dise mieux que je ne 1'ai fait. Quant a moi, je ne fais pas de polémique. Si l'on m'attaque dans un intèrêt théologique ou ecclésiastique, je ne r$pondrai pas, puisque il ne s'agit ici pour moi que de 1'histoire. On comprendra donc que je n'ai en aucune facon songé a faire de la tendance réformatrice néerlandaise nationale un portrait aussi avantageux que possible, comme si elle méritait la sympathie plus que d'autres. Les représentants de diverses tendances sont bientót entrés en conflit, et les héritiers spirituels de Gnapheus, de Corn. van der Heyden, d'Angelus Merula et de Joannes Ana- stasius, sont devenus la minorité. Or, il ne m'appartient pas d'y applaudir ou d'en exprimer des regrets. Je ne veux point signaler comme n'étant pas nationale et conforme au génie néerlandais la tendance qui s'est fait énergiquement valoir depuis 1566 et qui a dominé le protestantisme néerlandais pendant le dix-septième siècle. Je n'ai point eu d'autre but que de faire connaltre ce qui ressort des plus récentes données que nous ayons relativement au caractère de quelques phénomènes remarquables de la première période de 1'histoire de la réforme dans les Pays-Bas, et aux rapports qui existent entre ces phénomènes. Je ne veux pas dissimuler que j'éprouve quelque satisfaction a pouvoir restituer a Érasme la part qui lui revient et qu'on lui a trop longtemps déniée. Pendant des siècles, paree qu'il n'était pas orthodoxe, on n'a pour ainsi dire pas lu ses écrits théologiques. Néanmoins nous voyons s'accumuler les preuves du fait que son génie a exercé une influence considérable sur les commencements de la réformation dans les Pays-Bas, bien qu'il la longue il ne 1'ait pas dominéé. II ne pouvait pas en être autrement. Cet immortel génie semblait avoir été apporté sur les ailes de la poésie des sources de 1'antique civilisation, du pays de Yirgile et de Tacite, dans nos contrées du Nord, pour enseigner a une race privilégiée a se servir de la pure langue de Cicéron comme exquis moyen d'expression pour la science et pour 1'art littéraire. Quel style! Quel esprit alerte! Quelle richesse de pensée! Quelle largeur de vuea! II a semé sur ses pages des perles de beauté, d'étincelants diamants d'originalité. Cela miroite, brille, éblouit. Doué mieux que des milliers d'autres, ce fils des régions supérieures, venu personne ne pouvait deviner d'ou, toujours élégant, toujours aimable, a fait entendre aux hommes des échos d'un monde supérieur et a eu des accents pour parler des choses les plus sublimes qui puissent émouvoir le cceur humain. 11 n'était pas possible de refuser absolument d'écouter une telle voix. C'est ainsi qu'il est arrivé que dans ce temps-la les partisans les plus décidés de la réforme comme les hommes de tendance intermédiaire, et même les fils fidèles de 1'ancienne Église, ont prêtó 1'oreille a 1'unique Érasme. M" O T E S. RrL^ l' J" Derm°Ut' G™Med™UderN'*°rlarHlscheBervo,-rndekerk, Breda 1819, V. J, pages 23—36. 1 2. Dr. J. G. de Hoop Scheffer, Geschiedenis der kerkhervorming in Nederland van haar ontstaan tot 1531, Amst. 1873 3. Refutatie vant Salue regina, met veel diuersche schoonder seriftueren daer teghen ghehouden claerlijcken hijsende dat desen lufsanck rechte afgoderie is [1524] relmpnmci dans la Bibliotheca reformatoria neerlandica, publiée par Cramer en l PlJP-, 's-Gravenh. 1903, V. I. (rédigé par f. Pijper), pages 15-26. Vanden Propheet Baruch, réimprimé dans la Bibliotheca reformatoria neerlandxca, V. I, pages 2l9—272. ™ 5. Een troost ende Spiegel der siecken ende der ghenen die in lijden zijn, u* die Beylige scrift by een geuoecht, 1531, réimprimé dans la Bibliotheek reformatoria neerlandica, \. I, pages 151-249. 6. Corte Instruccye, ende onderwij», hoe een 'ieghelic mensche met God ende zyneneven naesten, schuldigh es. ende behoord te leven. Ghemaeckt by Meester Cornelis vander Beyden Priester. Ghedrnckt te Ghend 1545. Réimprimé dans pages 15-tT * IV (rédigé par F. Pijper), 1906, LuiheïïZ FZks iacóbi "0echstrah catholi™ <^«°< disputationes Contra Lutherano,, 1526, re.mpnmé dans la Bibliotheca reformatoria neerlandica V iii 604;%7!a617Fs^Per)' 19°5' ^ 576 SUiV- 593' ^ 59«. «» m •s-l^lr^r^Tk da"Me Nedertandsch «"Mefvoorkerkgeschiedenis, s-oravenh. 1907, Nouvelle Serie, V. IV, pages 111 suiv. 9. F. Nève, La renaissance des lettres et Vessor de Férudition ancienne en Belgique, Louv. 1890, p. 48—101. netenne en Le!d°' 1d8«QC ^J^T*?*"*™"' "* dHetat Indices Ubr<™™ Prohibitorum, Le.d. 1889, pages 107, 166, 176, 215, 224, 233, 239 250 261 ^f^fï ende ^^lick Boecxken, vanden Ghelooue ende Hoope ^dat oprechte Gheloue is. Ende „elcke ghenade dye mensche doer dat GhZe 21 N0Ck ^ Van die Liefde die G°d ™ ons heft. Tet noch een deuote Contemplatie van dye Bruyt Christi, réimprin,é dans Ie V iv de la Bibliotheca reformatoria neerlandica, pages 521—592 dJÏLTTY déCPit P°Ur 18 Première fois> sous ,e titre «° De vijf, in dentorenteBoskoop gevonden boekjes, par le docteur i. G. R. Acquoy, aJi'Archxef voor Nederlandsche kerkgeschiedenis, 's-Gravenh. 1897, V. VI, pages 77-85. 12. Erasinus, Ratio seu methodus compendia perveniendi ad veram theologiam, édition de Clericus, Desiderii Erasmi Opera omnia, Lvgd. Bat. 1704, Tom V, col. 74—138. 13. Erasmus, 1. c, col. 103e, 104a, 108c. On a donné d'autres preuves de cette tendence réformatrice dans la Bibliotheca reformatoria neerlandica, V. III, pages 12 suiv. 14. Erasmus, Ratio seu methodus perveniendi ad veram theologiam, col 77e, 79, 80, 120c, 1256, 127d, 130,', 131a, 139a, 15. Erasmus, 1. c, col. 105c, d. 16. Erasmus, 1. c, col. 83c—f, 126e, 132d, 134, 136a. Comp. Ia Bihlioth. reform, neerland., V III, pages 11 suiv. et les passages qui' y sont cités. 17. Erasmus, 1 c, col. 82 a, 83. 18. Erasmus, 1. c, col. 84 a—d. 19. Erasmus, 1. c, col. 105 seq. 20. Erasmus, 1. c, col. 100 e, 107 a. 21. Erasmus. 1. c, col. 137 c. 22. Erasmus, Enchiridion militis christiani, saluberrimis prseceptis refertum, dans les Opera omnia, Lvgd. Bat 1704, Tom. V, col. 1—66. La partie la plus importante pour le sujet que nous traitons est Cap. VIII, canon 5, col. 27 —39. Traduit sous le titre de Den Kerstelicien Ridder, l'Enchiridion s'est promptement fort répandu. Le dominicain Eustachius de Zichem publia contre cet ouvrage sa virulente Apologia pro pietate, (1531), oü il représente Érasme comme ne valant pas mieux queLuther. Voy. la Bibliotheca reform, neerl. V. III, pages 216—225. 23. Erasmus, Enchiridion, Gap. II, col. 6—9. 24 Erasmus, Enchiridion, Cap. VIII, c. 5, col. 27 seq; 25. Erasmus, Enchiridion, Cap. VIII, can *, col. 25 sqq.; can 5, col. 30 seq. 26. Erasmus, Enchiridion, Cap. VIII, can. 5, col. 34. 27. Erasmus, Concio de puero lesv in schola Coletica Londini instituta pronuncianda, imprimé a la suite de De ratione studij, [Argentor.] 1513, tol. xiv— xxv; dans les Opera omnia, Tom. V, col. 599—610. 28. Erasmus, Concio de puero lesv, in de Opera, T. V, col. 6076. 29. Erasmus, 1. c, col. 606d. 30. Erasmus, ib., col. 606e. 31. Precationes aliqvot novae, quibus adolescentes assuescant cum deo loqui, per Des. Erasmum Rot. [Lips.] 1535; dans les Opera, Tom. V, col. 1197— 1216, se trouve un texte quelque peu différent. . 32. Erasmus, Precationes dans les Opera, Tom. V, col. 1200a. 33. Apologia adversvs articvlos aliqvot per monachos quosdam, in Hispanijs, exhibitos. per Des. Erasmvm Roterodamvm. Apvd inclytam Basilaeam. An. M. D. XXIX., pag. 2; comp. p. 4, 25 seq., 28; dans les Opera, Tom. IX, col. 10216; comp. col. 1022a, 1029d, 1030c. 34. De civüitate morum puerilium libellus, auctore Des Erasmo Roterodamo, c. 3, De morihus in templo, in de Opera, T. I, col. 1037 seq. Comp. Apologia, dans les Opera, T. IX, col. 1038a. 35 Contra qvosdam, qvi se falso iactant Euangelicos, Epistola Des. Erasmi Roterodami, Argentorati MDXLII, quat. B, foi. ij—iiij; quat. C, fol. iiij; quat. D, fol. ij—iiij; dans les Opera, T. X, col. 1577 seq., 1582, 1586 seq. 36. Des. Erasmi De dvplici eopia verborvm ae rervtn libri duo, dans les Opera Tom I; col. 2—110. 37. Erasmus, De ratione conscribendi epistolas liber, dans les Opera, Tom. I col. 341—484. 38. Erasmus, Pueros ad virtutem ae literas lïberaliter instituendos, idque protinus a nativitate, declamatio, dans les Opera, Tom. I, col. 485—516. 39. Erasmus, De ratione stttdii, dans les Opera, Tom. I, col. 517—530. 40. Réimpr. dernièrement sous le titre de Gvliemvs Gnapheus, Acolastvs, par J. Bolte, Berl. 1891, 8°, dans les Lateinische Litteratur-denkmaler des XV. und XVI. Jahrhunderts. 41. D. Eloquentiae trivmphvs, ab Autore Gulielmo Fultonio Gnapheo recognitus, Antv. MDLV. Comp. Biblioth. reform, neerl., V. I, p. 140 s. 42. J. Lindeboom, Johannes Venator, eene bijdrage tot de vroegste geschiedenis van het Remonstrantisme, dans le Ned. archief voor kerkgeschiedenis, 's-Gravenh. 1907, nouvelle Série, Vol. IV, pages 13—25. 43. Voy. 1'introduction de la réimpression de cet ouvrage dans la Bibliotheca reformatoria neerlandica, V. I, pages 569 574. 44. Voy. ses lettres, imprimées a la suite de Jan Utenhove, Leid. 1883, par F. Pijper, p. LXI seq., LXIII seq. 45. Georgius Cassander. De officio pii ac publicae tranquillitatis vere amantis viri, in hoe religionis dissidio, 1561, dans les Opera omnia Par 1616, fol p. 781—797. 46. Cassander, 1. c., p. 788 ceq., 791. 47. Epistola christiana admodum, ex Batavis missa, tractans coenam dominicam, per Honnium Batavum, impriméeala suite de D. Gerdes, Historia evangelii seculo XVI. renovati, Gron. 1744, 4'. 48. Honnius, Epistola christiana admodum, 1. c, p. 231 seq. 49. Voy. la notes ci-dessus, et 1'introduction dans la Bibl. reform, neerl., V. 1, pages 144—146. 50. Gnapheus, Troost ende Spiegel der siecken, dans la Bibl, reform, neerl , Vol. I, pages 196, 199 suiv., 202 suiv., 217 suiv. 51. Ouvr. cité, pages 157, 162, 168, 186—188, 190 suiv. 52. Erasmus, Enchiridion militie christiani, Cap. VIII, can. 4, dans les Opera Tom. V. col. 25 sqq. 53. Gnapheus, Troost ende Spiegel der siecken, dans la Bibl. reform, neerl., V. I, pages 188, 186. 54. Ouvr. cité, pages 169 suiv. 171 suiv. 55. Ouvr. cité, pages 175 suiv. 56. Ouvr. cité, pages 157, 161, 174. 57. Ouvr. cité pages 162. 58. Die Summa der heiligen Schrift, herausg. von K. Benrath, Leipz. 1880, 8°; Het oudste Nederlandsche verboden boek, 1523; Oeconomica christiana, Summa der godliker scrifturen, uitg. door J. J. van Toorenenbergen, Leid. I88a! 58*. Summa der godhker scrifturen, Prologhe, page 115. 59. Summa der godliker scrifturen, page 121. Comp. la page 119. 60. Ouvr. cité, page 141. 61. L'ouvrage en question a été cité ci-dessus, dans la note 7. 62. Bibliotheca reform, neerl., V. III, pages 604—606. 63. Bibliotheca reform, neerl., pages 606 suiv. 64. Bibliotheca reform, neerl., page 606: libellus, cui titu lus est Summa diuinarum scripturarum, teutonice descriptus. 65. Voy. la note 6. 66. Biblioth. reform, neerl , V. III, pages 7—11, et les passages qu'on y a cités. 66*. Biblioth. reform, neerl., V. IV, page 7; page 8 note 1 ; page 9 note 1 et 2. 67. De verantwoording van Angelus Merula, uitgeg. door Dr. I. M. J. Hoog, Leid. 1897, p. 130. 68. Begneri Praedinii Frisii Groningensis, Opera, quae supersunt, Omnia, Basileae. [M. D. LXIII]. 69. Explanatio symboli, quod apostolicum dicitur et decalogi praeceptorum, auctore D. Erasmo Roterod. nuper in compendium per loannem Monhemium redacta, Col. Agripp. 1554, 8°. 70. Catechismus, auctore Ioan, Monhemio, Dusseldorpii 1560. Comp. Biblioth. reform, neerl., V. IV, page 96. 71. Kort Bericht in allen principalen punten des Christen geloues, gênant dér Léken Wechwyser, Auth. Ioan. Anastasio Veluano, réimpr. dans la Bibliotheca reform, neerl., V. IV, pages 123—376; voir 1'introduction, pages 96, 110, 114, pages 140 suiv. 143. 72. Ioan. Anastasius Veluanus, Der Leken Wechwyser, dans la Biblioth. reform, neerl., V. IV. pages 137, 141, 149, 154, 156, 175, 179, 184, 193, 200,211,212. Comp. 1'introduction, page 115. 73. Der Leken Wechwyser, ibid., pages 206, 260, 313 suiv. 325. 74. Ibid., pages 150, 152 suiv. 153—155, 171, 235, 239, 317. 75. Ibid., pages 140 suiv. 143. 76. Vom Nachtmal Christi, Bericht Adami Christiani (Ioan. Anast. Veluani), [1557], dans la Biblioth. reform, neerl, V. IV, pages 394, 396, 399, 411, 414, 416, 419, 422, 428. ERASMUS EN DE NEDERLANDSCHE REFORMATIE