S E R M O N S SUR DIFERS TEXTES O £ L'ECRITURE S A I N T E, P A R JAQUES GEORGE DE CHAUFEPIEs, Pajteur de VEglife fFalonne d'Amfterdam. TOME PREMIER. A AMSTERDAM/ Chn D. % CHANGUION. UDC CLX XXVII.   MEMOIRE SUR LA VIE DE M\ J. G. DE CHAUFEPIÉ 5 COMPOSÉ PAR LUI-MEME (i), ET ACCOMPAGNÉ DE (JUELQ.ÜES NOT ES DE L'EDITEUR. C'est Dieu j qui m'a donné la vie , x (i) Voici le titre de ce Mémoii e, tel qu'il Te trouve dans les papiers de 1'Auteur. Au nom de Dieu, a la gloire duquel je cojifacre ce Mémoire, en le priant avec humilité au nom de Jefus- Christ, Vunique appui de mes efpérances, le Jeul Sauveur, par lequel j'efpere d'obtenir grnce devant lui, de vouloir le faire fervir d exciter mori amour pour lui. Le contenu répond entierement au titre, '& tout annonce , que c'ell une méditation particuliere, par laquelle le Déftint n'a eu pour but que de s'édifier lui-niême; cependant la piéce a paru aflez intereffance pour mériter d etre rendue publique. On apprend a y connoltre Mr. de Chaufepié d'une maniere bien propre a donner un f»rand poids aux inftruftions, dont fes Sermons font remplis. On y voit un vrai Pafteur, qui intimement pénétré dep grandesvérités, qu'il prêche, fuit avec une fcrupuleufeexactitude les regies de conduite, les maximes & les conieils, qu'il prefcrit & donne aux autres; un Vieillard, qui occupé de fa fin ne fonge qu'a s'y bien préparer; un homme d'un mérite diftingué & reconnu.qui cherche aéloigner jufqu'4 1'idée de tout ce qui pounoit lui infpirer une vaine conlïance ou nourrir quelques fentimens de préfomption, de vanité &d'orgueil, pouc ne penfer qu'a ce qui peut fervir a fortilier fa reconnoiffauce & fon humilité. D'ailleurs, den croire 1'incredule, la dévotion n'eft le partage que des petits génies, & des lumieres étendues font peu com* %  IV MEMOIRE SUR LA VIE (2) & qui en m'accordant un corps fain (3) x enrichi mon ame d'aflez de dons intelle&uels pour mériter toute ma reconnoiflance. C'eft lui, qui m'a fait naitre de Parens honnêtes ■& pieux, qui avoient fait le facrifice de tout ce qu'ils poiTédoient pour confeffer Jefus - Chrift devant les hommes (4). C'eft en conféquence patibles avec un grand fonds de foi & de piété; c'eft ici une nouvelle démonftration du contraire , & en même tems la maniere, dont 1'Auteur repaffe fur toute 1'hiftoire de fa vie, peut tenir lieu de dire&ion & de modéle. (2) Mr. de Chaufepié eft né è Leeuwarde, le 9 de Novembre 1702. (3) Quoiqu'il parut délicat, il jouïffoit en général d'une fanté fi favorsble, que bien rarement il s'eft plaint de douleurs, & que malgré fes efforts de méditation, excepté quelques attaques d'épuifement, jamais il n'a connu feulement les maux de téte par expérience. (4) La Familie de Chaufepié eft ordinaire i'Icalie, & défcend de Noble Alain de Calfopedi Chevalier. qui occupoit en 1400 un grade diftingué dans les Armées du Duc de Florence, & qui en 1379 avoit époufé Petronille de Manfredi. Sou Arriere-petit - Fils Pierre paffa en Franc e. y fut naturalifé par des Lettres Patelites du Roi Francais I. en date du 15 O&obre 1534, & changea fon nom en celui de Chauphapié ou Chaufepié. Celui-ci eut un Fils nommé Jean, qui après avoir embraffé Ia RéformatioH fut recu Miniftre le 2 Dècembre 1561, & deffervit fuccesfivement les Eglifes de Villeneuve en Agénois, de Marennes & de Sainte Foy. Depuis ce tems-la les Ancêtres de Mr. J. G. de Chaufepié ont rempli conftamment la charge de Pafteur. Son Pere Mr. Samuel de Chaufepié fut appel Ié comme tel a Ceué en Poitou, & il y exerca avec beaucoup d'édification le Saint Miniftere jufqu'en 1685, que la.Sevocation de l'èdit de Nantes 1'obligea de quitter fes biens & le Royaume. Alors s'étant refugié enFrife, il fe fixa d'abord a Balk, & enfuite a Leeuwarde , oü il mourut le 11 Mars 1704. 11 avoit époufé le 17 Novembre 1683 Marie Marboeuf de la Rimbaudiere, dont il a eu du enfans. Jaques Gwgs étoit le plus jeune de tous.  DE Mr. DE CHAUFEPIÉ. V de cela que j'ai eu le bonheur de naitre dans fon Eglife, & d'être admis dans fon Alliance par Ie batême. II. Dans ma plus tendre enfance, agé de iö mois,Dieu jugea a propos de me priver des tendres foins de mon Pere en le xetirant dans fon repos éternel: mais il a bien voulu me fervir lui - même de Pere d'une facon admirable , & bien propre a confondre toutes mes penfées. II m'a donné une Mere fage, laborieufe, vigilante & tendre, qui avec des moiens trés bornés m'a élevé , & qui m'a toujours exhorté a le craindre. Jeune encoreje fus attaqué dangereufement de la rougeole, & dans un autre tems d'une fievre chaude; mais il me ré;ablit. II a, béni mon applicaüon aux premiers exercices. Je lui dois plus encore pour un autre bienfait. J'étois Hé avec un compagnon trés vicieux, & dont la fin a étéplufieurs années après trés trifte; mais Dieu m'a retiré des pieges du vice, & je ne puis trop le bénir d'avoir alors. préfervé mon ame. III. Sorti des Claffes & appellé a faire mes études Académiques,Dieu m'a fait la grace de travailler avec fuccès a me conciher la bienveillance, & l'affeétion, 1'eftime même de mes Maitres, (5) & de me diftinguer parmi mes Compagnons. II m'a préfervé des égaremens, oü tant d'autres. tombent, en béniffantj les foins (S) Ces Maitres ou Dofteurs ont été entr'autres Mrs. Andala, Vitringa Pere & Fils, & Albert Schukens, qui étoient alors Profejfeurs a Franeker. Les témoignages , qu'ils out donnés a Mr. de Chaufepié en 1721 & 1722, prouvent bieu la confidération finguliere, dont ils lnonoroient, « 3  Vï MËMOUË SUR LA VIE de ma refpedkble Mere, qui étoit en fa main 1'inftrument de mon bonheur. < IV- Malgré les progrès, que j'avais faits , je manquois encore de bien des connoilfances néceffaires pour remplir Je Saint Miniftere avec honneur Dieu me fit la grace d'être'rec-u Propofant a 1'age de 19 ans & demi (6), & de me procurer d'abord une fituation douce & avantageufea Amfierdam: la il bénit mes foins, il me donna de former des liaifons propres a perfcclionner les connohTances, que j'avois acquife- Pendant trois années il m'y a fait éprouver fenfnlement fa paternelje proteclion , en ne permettant pas, que je fuccombaffe a nombre de rentatïons, auxquelles un jeune Homme eft expofé, fur tout quand il a auffi peu d'expérience que j'en avois. C'eft alors encore qu'il m'a fait connoitre fa bonté envers moi en me faifant manquer en 1'année 1723 la vocation a 1'Eglife de Schiedam, que je deürois & recher» chois; mais qui dans ce tems la n'auroit pas. été avantageufe a mon avancement dans 1'étude. V. En 1'année 1725 il m'a fait la grace d'être appellé au St. Miniftere. Choifi par les Eglifes de Campen & de Fietfingue (7) je préferai la derniere, oü j'ai exercé mon Miniftere durant huit ans & demi. Dieu m'y a foutenu au milieu des penibles fonfbions, (8) auxquelles j'ai (6) Le 8 Mai 1722 au Synode tenu a Zierikzée. (7) Mr. de Chaufepié fut appellé par les, deux EgliTgs unaninumenr & prefqu'en même tems, par celle de Campen le 26, & par celle de Flejfivgne le 28 Mars 1725. (8) Mr. Fauchereau un des Pafteurs étant mort en 1727, la v;ic.iture fut aflea longue, & pendant tout ce tems-la, de.même que pendant la maladie de ce Collegue, Mr. dé Chaufepié prêcha deux fois tous. les dimanches.  DE Mr. DE CHAUFEPIÉ. yij été appellé, & il a héni a divers égards mes foins. II m'a donné alors une Epoufe (9) lage, tendre, vigilante, qui m'a fait palier mes jours avec douceur. II m'a confervé & rétabli en Pan-? née 1727, oü une maladie épidémique, dont je fus attaqué auffi, emporta un fort grand nombre de Perfonnes. En 1'année 1731 il m'a fait voir encore fa délivrance en me rétabluTant de la petite verole. VI. En 1733 Dieu m'a mis dans une fituation plus agréable, en me procurant (10) la vocation a 1'Eglife de LV/ü , dans un tems oü je ne m'y attendois point. Mon travail y a été beni a tous égards tant en particulier qu'en public, & j'y ai jou'v généralement pendant dix années de jours paifibles & tranquilles. J'ai éprouvé encore dans eet intervalle la bonté Divine d'une fagon particuliere, ayant été deux fois attaqué de violens maux de gorge. VII. En 1743 (ü) Dieu m'a appellé a 1'Eglife tfAmfterdam, oü il m'a continué fa paternelle proteclion. II a béni mon Miniftere: II m'a retiré plus d'une fois d'un étatd'épuifement, oü un travail. immodéré m'avoit jetté: II m'a ramen é a diverfes reprifes des portes de la mort. En 1764 je fus attaqué d'une fievre dangereufe & d'une inflammation dans le fang : en 1767 une efquinancie menara mes jours: au commencement de 1768 j'eus une nouvelle attaque d'une. (9) Marie Anne Bardon, que Mr. de Chaufepié époufa en Aoüt 1726. (10) Le 13 Novembre 1733. Cu) Mr. de Chaufepié a été appellé a Amfterdam le 17 Septmbre 1743 a la place de feu Mr. Henri Chdtelain, & il a été inltallé dans cette Eglife le 1 Décembre fuivant» *4  VIII MEMOIXE SUR LA VIË fiévre faeheufe: enfin en 1773 je fus affligé d'uïi rhumatisme univerfel; mais toujours il a plu a Dien de me rétablir, & me rendant plus de forces de corps & d'efprit, que je ne pouvois efpérer , il me met encore en état de remplir les fon&ions de mon Miniftere avec force & avec plaifir, quoiqu'il y ait au dela de 50 ans, qu'il me fait la grace de me foutenir dans 1'exercice de cette fainte Charge (12). VIII. Je mets encore dans la clafTe des bienfaits de Dieu les épreuves, auxquelles il m'a appellé. De 4 enfans, qu'il m'a donnés, il en a retiré trois en bas age. Une Fille, que j'avois élevée avec foin, & qui ne me donnoit que du plaifir, me reftoit (13). Un manage en apparence avantageux me donnoit lieu d'efpérer de goüter de la fatisfaétion dans ma vieillelie; un renverfement de fortune me privé de m enfant unique , elle va dans des climats eloignes. Dans le tems que Ie rétablifllmenf; des affaires de fon Mari me faifoit efpérer d'avoir la joie de la revoir, il plait a Dieu de la retirer a lui. Son Epoux défolé revient avec fa Familie. II prend ia réfolution de s'établir en Mgleterre, & part emmenant avec lui les (12) Ceci a été écrit vers la fin de 1775. Au moN rip Juin de 1'année I782 Mr. de CW^.Ïété ™Se S grand danger, ayant été violemmem attaqué d'une mala. B-tóLf"* MJah»th de WffQU. née i Fkffingu Je ct?il 2 V29'/ mariée d ''^ge de 3, ans, avec Mr. Chat les Abraham Verztnohre. Elle eft partie en 1764 avec fon Epoux pour 1 'fmérique, & eft mone a Paramaribo en Sgafia SiS"deux Fiiks mri< *  DE Mi. DE CHAUFEPIÉ- IX deux cheres Enfans, reftes de ma chére Fille, dont Tune avoit été entre nos mains fept ans. De Lendres il fe tranfporte en Mande, & par la augmente 1'éloignement de mes petites- Filles. A cela fe joint, que ma chére Epoufe eft de» puis prés de cinq ans dans un lit d'infirmité, & me met par la dans 1'impuifTance de prendre d'autre délalTement que celui de m'occuper a travailler pour mon Miniftere. Je fens , commeje le dois, ces épreuves; mais en même tems je rens graces a Dieu de ce qu'il me foutient dans mes affliótions, & de ce qu'il les fait fervir tant a me faire connoitre la vanité du monde & des efpérances humaines,qu'ame porter davantage a m'approcher de lui, & a m'humilier devant lui en reconnoiftjnt, que mes grands & nombreux péchés dans les divers périodes de ma vie ont mérité des chatimrns plus feveres. Puiffent mes derniers jours être emploiés a fon fervice; & puiffent mes fincères, quoique bien foibles Sc imparfaits effbrts accompagnés de fa bénédiétion lui être agréables, & me faire trouver grace devant lui par Jéfus mon Divin Sauveur, fur le facrifice & 1'interceffion duquel je fonde toute mon efpérance, bien convaincu, que c'eft par lui feul que le pécheur peut obtenir le pardon 3c avoir part au bonheur deftiné aux Enfans de Dieu! IX. Je dois ajouter, que , depuis que j'ai écrit ce que ci - defTus, Dieu a jugé a propos de me vifiter par de nouvelles épreuves, II a retiié a lui mon Gendre le 19 Septembre 1775 , & par des circonftances inattendues je fuis obligé de retirer chez moi mes deux cheres petites - Filles & de pourvoir tant a leur entreden qu'a leur * 5  ÜM MEMOIRE SUR LA V Ï'E s Sam. III. 18. Pfeaume cxan. io. Pfeaume XXXIX.S. 1 ] i j ] ! I I f I f r éducation: par la je me trouve plus a 1'étroit & chargé de nouveaux foins , dans mon age avancé & dans la tri^e fituation de ma Femme; Mais c'eft f Eternel, qui agit; qu'il fajfe ce qui hifcmblera bon : feulement qu'il m'accorde tonjours h réfignation, ia patience & la confiance en lui, & que mes épreuves fervent a avancer ma fanclifïcation: O Dieu, condui moi par ton bon EJprit comme par un pais mi, pour 1'amour de ton nom, pour 1'amour de ton Fils bienaimé, Qu'aije dttendu Seigneur'} Certes mon attente eji a toi. X. Au bout d'un an,favoir le 7 Avril 1777 , ma qhere Epoufe a terminé fa courfe , après avoir langui prés de fept ans. Cette perte a été douloureufe pour moi, aiant palTé avec elle au dela. de 50 ans; je me fuis oanfolé néanmoins dans 1'efpérance, que Dieu lui a fait miféricorde en Ia délivrant_ d'une vie fort trifte. Depuis je me fuis appliqué a 1'éducation de mes cheres pecites-Fillts: graces \ mon Dieu elles ont réponiu & répondent a mes foins. En 1779 j'ai eu a confolation de les recevoir au nombre des Membres de 1'Eglife. A préfent je vis paifijlement: parvenu a 1'age de §1 ans j'attens 1'heu■e de mon délogement: par une grace finguliére e n'ai aucune infirmité pénible; feulement mes ambes font fort foibles, & mon oüie eft fort >efante. A mefure que j'avance dans ma carrié■e, je travaille de plus en plus a me préparer iour 1'éternité en me détachant , autant qu'il seft poffiole, du monde, Heureux , fi mes Dins a eet égard ont le furcès, que je defirel 4ais je fens toute ma foiblelte, & d-mandant ins celTe a Dieu fon fecours j'efpere en fa mife[porde par Jefus- Chrift, Seigneur,  D E Mr. DE CHAUFEPIÉ. X* eufeigne moi h tellement compter mes jours, que j'en aie un ccsur fage, enförte que je meure de la mort des juftes, que j'aie une fin femblable h la leur. ADDITION DE L'EDITEUR. On voit, que ce Mémoire a été écrk a diverfes reprifes. La première partie eft de 1'année 1775 , & la derniere de 1783. Si celle ci eut été d?une date poftérieure,l'Auteur n'auroitpas oublié fans doute de faire mention d'une marqué de confideration, qu'il recut, & a laquelle il fut fort feniible. 11 eft connu, que depuis du tems le Vé^ nerable Magiftrat d'Jmfierdam n'accorde plus féméritat; mais que dans des cas de befoin il affigne aux Pafteurs fl. 300 d'augmentation par an pour les aider a fe faire foulager. Mr. de Chaufepié avoit déja jouï pendant quelques-.années de cette gratification ; mais de plus en plus il lui falloit des fecours, & par la même ce qui d'abord avoit fuffi devenoit deformais infufSfant. Ses circonftances cependant étoient telles, qu'il ne pouvoit fans s'incommoder retrancher de fes émolumens. Quoiqu'il n'en eut rien témoigné qn le comprit, & auffitöt quelques Perfonnes exécutérent un projet, auquel on avoit déja penfé bien auparavant; elles fe chargerent en 178,4 de faire remplir a leurs fraix tous les tours de ce Palleur ,fa vie durant, excepté ceux, qu'il pourroit & voudroit fe referver; elles firent en eonféquence des arrangemens & prirent les mefures néceffaires, le tout a fon infju. II n'eut connoiffance dudeffein, que lorfque les chofej étoient réglées. Alors on lui communiqua le plan avec priere d'y acquiescer , & d'a^grée Pf. XC.12. Nombr. XXIII. 19.  %tl MEMOIRE SUR LA V I E l'offre comme une preuve de la vénération & d« I'eitime qu'on lui portoit. II accepta la propofition avec beaucoup de reconnoiffance, fans fa* voir pourtant, a qui ü avoit cette obligation, car les contribuans ne fe font point fait connottre. Mais_ le fervice étoit d'autant plus eflenr tiel, que bientöt les forces du refpeclable Vieillard ne lui permirent plus de retnonter en chaire que trés rarement. II prêcha pour la derniere fois le 15 Mai 1785 jour de PentecSte avec asfez de yigueur; mais il fe fentit fi épuifé après ï'adtion, qu'il n'ofa plus fe hafarder. Depuis ce tems 'la même il ne quitta prefque la maifon que pour communier, ce qu'il a fait régulierement jufqu'au 26 Février de 1'année 1786". Alors encore malgré la rigueur exceffive de la faifon il fe rendit dans le Temple, & après avoir affifté felon fa coutume a tout 1'exercice il partici|»a de nouveau a la Ste Cene avec tout le recucillement & toute la dévotion polfibles. Ce fut faderniere fortie. II fouhaitoitde reïtérer a la fin d'dvril; mais il en fut empêché par les fuites d'un violent crachement de fang, qui le furprit Ia yeille de Paques, & qui 1'abactit d'abord aii point, qu'il paroiflbit n'avoir que peu d'heures a vivre. U fe remit néanmoins afiez bien; mais pas parfaitement. II diminua de jour en jour: toutefois il conferva fa pleine liberté d'efpric & une entiere férénité d'ame: fa vue aufli n'étoit prefque point affoiblie. Le 2 de Juillet encore il palTa, comme a 1'ordinaire, une partie de la journée a lire & a méditer,- enfuite il fe coucha le foir fans fe plaindre de la moindre in? commodité; le lendemain matin a 5 heures il te réveilla fans donner aueun figne d'indilpofi-  DÈ Me, DE CHAUFEPIÉ- Stilt tïori; mais s'étant rendormi peu après il s'éteignit, car a 7 heures on trouva, qu'il étoit décédé. Ainfi il a eu une fin des plus heureufes & des plus douces, point d'agonie, point de douleurs, & pas d'autres infirmités que la foibleffe & un peu de furdité. Parfaitement préparé a fon dernier moment il 1'attendoit avec tranquillité: depuis longtems il étoit détaché du monde, & une foi viveproduifoit en lui une ferme efperance d'une immortalité bienheureufe. Maintenant fans doute il voit fon attente remplie & dans lefein de fon Sauveur il fe repofe de fes trayaux, travaux, qui ont été grands & nombreux. Dès le tems qu'il étoit a 1'Académie il commenca a donner des preuves de fon application. II compofa alors deux Diiïertations en Latin, 1'une Métaphyfique fur les idéés &? les principes innès (i); 1'autre Philologique fur k fupplice de Ja croix (2). II foutint la première a 1'age de (1) „ Ce fruit de ma première jeuneffe eft fort impar., fait, & j'y ai principalement fait ufage d'une digres„ fion fur eette matiere, qui fe trouve dans e traite de „ F immortalité de ïame, du Dr. Sherhck. C eft ce que Mr. de Chaufepié dit lui-même dans une notice de fes ouvrages, qu'il a écrite le 24 Mai 1771, & que 1 Editeur * CO Cette piece a été réïmprimée dans un RecueLl „ publié en 1734, fi J'e ne me trompe, par Mr. Gerdes, ' ProfefTeur en Théolegie ü Groningue, & elle a été plus ,. goütéé que ie ne devois m'y attendre. Celt encore une remarque de 1'Auteur. Difons pomtant que dès le commencement cette differtation a été tres -biea accueillie, & que même la première n a point éte me. prifée. C'eft ce qui paroit par les témoignages, que le jeune Ecrivain produifit en Aout 1721 au Synode de Dordrecht, oü il donna fon nom pour etre requFropofeut. Mrs. les Profefieuis y font unc mentien h»nw»- Apoc XIV. 13.  XIV MEMOIRE SUR LA V I Ë 16 ans & demi ]e 28 Juin 1719, fous le ProfëskurAndak, &lafeconde le 10 Mai 1721 fous le celebre Albert Schultens. Quoique lefuccès qu'eurent ces produótions, fut trés encourageant, il 11e s'empreffa pourtant pas d'en donner de nouvelles au jour; mais occupé d'autres foins, & d'ailleurs fe défiant fans doute de fa jeuneffe il attendit 1'age mür. Ce ne fut qu'en 1736 qu'il recommenca a s'annoncer comme Auteur* Alors étant Pafteur a Delft il publia quelques Lettres fur divers fujets importans de Religion (3). ble de ces deux pieces, ils les qualifient de favantes, & parlenc de 1'applaudiffement général, avec lequel elles ont étè foutenues. Voici les expreflions de Mr. Andala: l'rwjlantijfimus fc? ornatiffimus Juvenis J- G. de Chaufepié — — defendit non tantum privatim Thefes Philofophicas Èf Theologicas do&e £p promte ; fed fcripfit ipfe Auctor doSam dijjèrtationem Philofophicam ds ideis innatis , quam pracedenti anno fub meo prafidio , alterain Phihlogicam de fupplicio crucis, quam hoe anno fub prafidio Clar. Collega; D. Alb. Schultens magnd 'cutn laude £f omnium Auiitorum opplaufu defendit. L'éloge de Mr. C. Vitringa le Pere n'eft pas moins fiatteur : Rerum naturalium caufas £f notitias veri, qua in Confcienid delitescunt, folerter exploravit, ediditque profiBus in hoe Jiudii genere minime contemnendum fpecimen. In linguis vero facris, Philologid eruditione literarid, quantum pofuerit laboris, quantdque judicii dexteritate acceperit ac difcreverit, quee a doüis Prmceptoribus tradita l§ meditatione fud occupata atque exculta fuerint, manifeftum fecit in alid dijfertatione eruditi argumenti de fupplicio crucis do&e eonfcriptd éf feliciter defenfd. Ajoutons les paroles de Mr. Schultens: Graviter incubuit etiam antiquitatibus Hebrais, — in edque palaftrd integrum defudavit biennium, commilitonibus fuis facile palmam praripiens eonfcriptd nuper ftrenueqne defenfd elegantiffimd difputatione de fupplicio crucis, qua publicum naïïa applaufum noftro haud indiget prceconio. (3) 11 y a fept Lettres. Dans la première 1'Auteur explique le fameux paflage de Job XIX. 25 — 27, & il démontre, qUe le Saint Homme portoit la vue fur la Ré.  DE Me. DE CHAUFEPIÉ. xv L'année 1739 il entreprit un bien plus grand ouvrage, c'eft fon nouveau Diclionnaire Hijlorique & Critique pour fervir de Supplément ou de Continuation k celui de Mr. Bayle en 4 volumes in fol., dont le dernier parut en 1756. On voit dans la pre'~ face, qu'après avoir interrompu ce travail en 1743 il ne le reprit qu'en 1748. Dans 1'intervalle on le pria de fe charger du foin de 1'édition des Sermons de feu Mr. Jean Brutel de la Rivier e> Pajieur a Amjterdam. II s'y prêta volontiers en 1746", & il mit a la tête un éloge hifiorique de 1'Auteur. Dix ans après fur de fortes inftances il fit imprimer trois de fes propres Sermons fur Jerem. XXXI.35—37,deftinés a prouver la Vérité de la Religion Chretienne par Vètat préfent du peu■ple Juif. 11 y en ajouta en même tems deux autres fur les fameux oracles de Gen. XLIX. 10 & de Michée V. 2. Eh 1758 il publia , mais fans Jfe nommer, ïhifloire de la vie & des ouvrages furrettion. Dans la feconde il s'attache a concilier les pas. fages du N. T., qui parient de la publication de la Loi faite par les Anges avec la narration de Moïfe Exod XX. Dans la troifieme il refute l'objeftion , que les Deïftes tirent de ce que feloneux la Réfurreüionde J. C. n'a pas eu affez de publicité, Les deux fuivantes rouhnt fur les nouveaux principes de Mr, Maty touchantle dogme de laTrinité Sefreiles contiennent un examen &une réfutation. Enfin, après avoir expliqué dans la (ixieme le fens de la priere de Naaman, 2 Rois V. 17—19., & montré, que ce paffage ne favorife en rien les Nicodemites ou Temporifeurs, dans la derniere ondévoile ce qu'il y a d'odieux dans la conduite de ces fortes de Perfonnes, & on répond aux autres raifons, par lefquelles elles prétendent fe juftifier. Ces Lettres ont été imprimées in-12. en 1736 a Amfierdam, ches Fr Chnnguion. Peu après on les a traduites en Hollandois, & on en trouve un éloge dans le Jqurml Littérair* Tm, XXILL ade Pwt.pag. 45a & 453.  MV1 MEMOIRE SUR LA V I Ë fAlexandre Pope, a la requifition du Libraire4 qui fouhaitoit de rendre plus intereiTatite & plus complette 1'édition Francoife des oeuvres de ce célebre Poè'ce d'Angleterre. II a écrit encore diverfes Lettres a 1'occafion de quelques articles de fon Diclionnaire. Celles, qui ont été imprimées, fe trouvent dans Ja Bibliothéque Impartiale Tom. II. %e Part. pag. 457 -460. & Tom. XI. v Part. pag. 111—130, & dans la Biblhtheque des Sciences des Beaux-Arts Tom. XXIIL &dc Part. pag. 513 & pag. 525—530. Outre les ouvrages, dont Mr. de Chaufepié eft 1'Auteur, il y en a quelques-uns, qu'il a traduits : un Hollandois, c'eft un petit Abregé de Thijloire de la Patrie par demandes par réponfes in-12 Amft. 1758, & trois Anglois, favoir l. la préface & la plus grande partiedu fecond volume de Ybiftoire facrée & profane du Monde par Scbuckford II. Le traité de la pratique des vertus Chrétien* nesQq.). III. nombre de volumes de 1'Hijloire Univerfelle, qui en font environ 20 de 1'édition Franjoife imprimée in 40 chez Arkflée Si Merkus (5). II (4) Le traité de Ia pratique des vertus Chrétiennes, qui a paru en 2 vol. «1-12. en 1760,a été réïmprimé cbe2 1). J. Ckanguion en 1781. II eft d'un trés grand ufage par fa lirnplicité & fa clarté, & Mr de Chaufepié en a encore augmenté de beaucoup 1'utilité par nombre de chr.ngemens dans Ia forme & par diverfes additions. II a fondu en un deux ouvrages; il a partagé pour la cornmodité des Lefteurs le traité en 48 Journées, & il les a terminées par autant de prieres, qui font toutes de fa compofition. (5) Ce que le Pajleur d'AmJterdam a traduit a paru fous deux titres: la plupart des exemplaires portent Hijloire Umverftlle depuk le cmmmemtnt da Monde jufyu'i pré- jm,  DE Me. DE CHAUFEPIÉ. xvtï 11 auroit pouffé 1'ouvrage plus loin Fans un petit differend avec le Libraire, qui 1'engagea a discontinuer en 1771. Depuis il n'a travaillé que pour fon Miniftere , dont jamais il n'a négligé les devoirs. Au fort même de fes occupations, & quoique dans des Eglifes trés chargées, il s'efl toujours acquité de fes fonctions avec fidélité & avec zéle. On peut en juger par la grande quantké de fes compofitions. Outre quelques centaines de fermons il a Hifiü une multitude d'analyfes, dont il a autrefois rempli la plus grande partie par méditation : d'aillewrs il ne fe comentok pas facilement: mais revenant a ce qu'il avoit fait, il le retouchoit fouvent; quelquefois il le refondoit entierement, Sc 1'on pourroit nommer certains fujets de Catechisme par ex., qu'il a retravaillés jusqu'a deux fois & peut-être davantage. II eft furprenant, qu'un feul Homme air. pu fuffire a tant de travail. Ses Amislui en ont bien témoigné a lui - même leur étonnement; mais alors fa réponfe ordinaire étoit: „ j'ai com5, pris ce que vaut un quart d'heure." Jamais auffi pêrfonne n'a mieux connu leprix Jent, trarluite de VAnglois d'une Sociétê de gens de lettres Tom. XV. XVI. &c. jufqu'au Tom. XXXIV. Mais quelques autres: Hi/loire Univerfelle, contenant l' Hifloiri Moderne Tom. I. IL &c. jufqu'au XX. La Préface & une partie de ce dernier Volume eft pourtant d'un autre Tradu&eur. Quant au travail de Mr. de Chaufepié on fait, que nonfeulemenc il a re&ifié quelques méprifes de fes Auteurs; mais qu'en nombre d'endroits il a jugé néceffaire de s'écarter de 1'ouvage original, & de refondre entierement plufieurs morceaux. Kntr'autres il a abfolument retra. Taillé toute lliifioire de Venife, qui remplit le Tom. XXXIII ou XIX en fon entier. C'eft ce qui paroit par les Aver* tiflemens, qui font a la téte de quelque»-uns des volumes» Terne 1. * *  xvni MEMOIRE SUR LA VIE du tems: a bien dire il ne perdoit pas un mement. Formé dès fa jeuneffe a 1'application il étoit capable d'un travail long & foutenu , il v a confacré frequemment jusqu'a quatorze heures par jour; le foin de diverïifïer fes occupations prévenoit ou diminuoit la fatigue, & fembloit renouveller fes forces; 1'ordre, qu'il obfervoit en tout empêchoit les negligences: 1'étude faifoic fes délices, & dans les circonftances les plusfacheufesde fa vie elle luiprocuroit lesdiftraólions nécelTaires. Elle ne 1'entrainoit pourtant pas au point de le faire manquer a fes autres obligations. Dès que celles ci 1'exigeoient, il quittoit auffitöt les occupations litteraires, & lorsqu'il pouvoit être utile, il ne plaignoit pas plus le tems que les foins_& les peines. Jusques dans fa haute vieilleffe il a donné des inftru&ions particulieres, quand on lui en a demandées rauffilongtems que fes forces le lui ont permis, il n'a pas refufé aux malades, qui le defiroient, fi» confolations & fes fecours. Toutes les fois, qu'ou eft venu folliciter fes lumieres & fes confeils - il s'eft montré pret a en faire part: & confulté fur des cas de Conscience embarraffans & difficiles , il y a fait des reponfes détaillées & précifes après un mür examen & une méditation férieufe. En général il aimoit a rendre fervice, & connoiffant le vrai but de fa charge il cherchoit a le remplir. Ses efforts auffi n'ont poiat été fans fuccès. II a eu la joie de procurer a plufieurs infortunés du foulagement & des reffources, d'opérer des reconciliations, d'être chargé de faire parvenir des restitutions confidérables, & dans les circonftances délicates, lorsque les perfonnes, qui s'adreiToient a lui par un tiers ou par  DE Mr. DE CHAUFEPI É. xix- écrit, évitoient de fe faire connoitre, auffi discret que charitable & zélé, il s'interdifoit jusqu'aux conjettures & aux foupcons. Les affaires encore ne 1'efFrayoientpoint: il s'y étoit rendupropre; on le favoit, & de la vient, qu'en Synode même on 1'emploioit volontiers dans les commisfions les plus pénibles; il s'y prêtoit fans répugnance, & s'il le falloit il facrifioit alors jufqu'a fon repos pour s'en bien acquitter. Malgré tant d'occupations de divers genres il ne fe refufoic pas a la Société. Dans les dernieres années de fa vie, a la vérité, fes circonftances domeftiques & perfonnelles 1'avoient obligé a fe retirer presqu'entierement;'mais auparavant, quoique peu répandu il ne fe fequeftroit pas néanmoins. Pen» dant un tems il avoit une correspondance affez étendue . & il y étoit trés exact; il avoit nombre de liaifons, & il ne les négligeoit pas; fenfible a 1'eftime, qu'on lui témoignoit, il y répondoit volontiers; en général même, quoiqu'il n'aimat pas les détours inutiles , il étoit trés accelfible; mais furtout il fe faifoit un plaifir de paffer quelques heures avec des amis choifis, & régulierement toutes les femaines il leur confacroit une demie journée. Sa converfation étoit inftruétive & agréable, intereffante & variée. Comme il avoit 1'efprit jufte, les idéés nettes, rexpreiïion facile, la mémoire heureufe & une lefture immenfe , il parloit bien fur presque toute forre de fujets; cependant ij ne faifoit, point parade de fon favoir, il n'étoit ni mépnfant ni décifif, ni entêté ni vain; d'une gayeté fage il n'oublioit jamais la décence: grave fans affe&ation il foutenoit toujours fon caraótere: iincere & vrai il haïffoit la flatterie: naturelle** 2  XX MEMOIRE SUR LA VIE &c. ment il étoit vif & plein de feu; mais de plus en plus a force de reflexions & d'efforts il avoit acquis beaucoup d'empire fur lui-méme. Ses mrcurs ont étéconftamment exemplaires, fa conduite irrepréhenfible & pure, fa facon de vivre unie & fimple. 11 fe levoit trés matin; mais il étoit ennemi des veilles, & c'eft la peut-être ce qui joint a fa fobriété & a fon grand régime a contribué a fa eonfervation, quoiqu'il fit trés peu d'exercice. 11 refteroit a le dépeindre comme Prédicateur; mais, outre que dans le Plan de fouscnption on s'eft étendu fur ce fujet, les Sermons qui ont déja paru, & .ceux, qu'aftuelJement on publie, feront afTez connoitre fes talens & fa méchode. PuifTent-ils, conformement au but de leur Auteur, contribuer a 1'honneur de la Religion,& aux progrès de la Vertu4  T A B L E DES SERMONS, Contenus dans ce I. Volume. PREMIER SERMON. Les bornes des recherches fur la Religion. Or par la grace , qui triefi donnêe , je dis & ce defir de connoïtre, a le confidérer en foi-même , n'a rten que de louable. C'eft le principe des recherches les plus utiles; c'eft a ce penchant, que le Genre - humain dok les découvertes les plus avantageufës; en un mot, c'eft-la un des cara&eres, qui dévoilent la grandeur naturelle de 1'homme. Mais autant que cette difpofition eft digne de louange, lorfqu'elle eft réglée par les maximes de la fagetTe, autant eft-elle dangereufe, lorfqu'on fuit aveuglément fon penchant a eet égard. La curiofité dégénéré en vice, quand on fe livre fans reflex ion a 1'avide defir de la nouveauté} Tome L A Exorde.  2 SERMON I. Les Barnes & que portant fes recherches au - dela des juftes bornes on entreprend de pénétrer des fecrets inacceflibles a Fintelligence humaine. C'eft-la néanmoins un défaut, .oü les hommes tombent trés - fréquemment. S'il s'en trouve, qui connoiflent aflez pïii leurs privileges pour fë livrer a la crédulité, en admettant fans examen & fans preuves les propofitions les plus étranges, il en eft aulïi un grand nombre, qui, fous prétexte d'éviter ce défaut, ne mettent aucunes bornes a leur curiofité, & prétendent ne trouver rien d'impénétrable a leurs recherches. L'un & 1'autre eft également digne de blame & préjudiciable aux intéréts de la vérité. C'eft contre des défauts fi condamnables que nous avons deflein de vous munir, en entrant dans Pefprit du précepte de St. Paul dans mon texte: Or en uertu de Ja grace, qui nCefi donnée, favertis tous ceux, qui font parmi vous, que perfonne ne préjume cl'être jage au-dela de ce qu'il faut être jage, mais qu'il Joit fage avec modeflie, felon la mefure de la foi, que Dieu a dijlribuée a, ehacun. Le but de 1'Apötre eft de reprimer Porgueil de certains Dofteurs, qui, prévenus en faveur d'eux-mêmes, prétendoient s'élever au - delk de leur fphêre, & fortir des termes de leur vocation. 11 tache de les ramener a leur devoir, de les engager a ne  des Recherches de la Religion. pas fe livrer a une curiofité dangereufe, £ a ne pas abufer des talens, que Dieu leu accordoit, en pafiant les bornes, qu'il leu avoit prefcrites. C'eft de cette manier que nous réuniflbns les idees différente des Interprétes fur ce paffage. Les un croient que St. Paul n'en vouloit qu'a l préfomption & a 1'orgueil, & ils tradui fent: j'avertis tous ceux, qui font parm vous, qulls n'ayent point une trop hauti opinion de leur fageffe, mais qu'ils ayem d^eux - mêmes des jentimens modefles, pro portionnés a la mefure de foi que Bleu c dijlrïbuèe a ehacun. D'autres prétendent, que c'eft principalement une exceffive & téméraire curiofité que 1'Apótre condam ne. Rien n'empêche de réunir ces deus Commentaires, puifque la préfomption & la haute opinion, qu'on a de fes lumieres, eft fouvent la fource de ces recherches téméraires & vaines, que St. Paul profcrit. II femble, qu'en adoptant ce lens, ce précepte fe lie parfaitement avec le fujet, que PApötre avoit traité dans les Chapitres précédens, & que la lefon de mon texte vient trés - bien a la fuite de la matiere profonde des décrets de Dieu. Poun répandre du jour fur un fujet fi intéreiTant nous ferons trois chofes. 1. Nous préviendrons Pabus qu'on pourroit faire du précepte de St. Paul £s? nous, écarté* rons les faux fens, qu'on pourroit y donnet, A 2 1 c r F s s l 5 i Plan de et DifcQurt.  l Partie. 2 COX. 10. 5l Faux fens. j. SERMON I. Les Bornes II. Nous en fix er ons le vraifens, & nous 'mdiquerons les hornes, oü nous devons renfermer nos recherches fur la Religion. III. ,Enfin mus prejferons la pratique de ce précepte, en fefant Jentir, combien il ejl jujle £«? raifonnable de fe renfermer dans les bornes prefcrites. Prevenons Pabus, qu'on pourroit faire du précepte de St. Paul, écartons les faux [èns qu'on pourroit y donner. Cette précaution eft abfolument néceiTaire dans l'examen d'un fujet, fur lequel les hommes fe font fouvent les idéés les plus bizarres & les plus contraires aux vues, que la Religion fe propole en leur ordonnant de captiver leur entendement fous Vobèiffance de la foi. I. Le précepte de 1'Apötre ne doit pas s'entendre dans lefens, que lui voudroit donner la fuperflition. Sous prétexte, qu'on ne doit pas être fage au - dela, de ce qu'il faut, qu'on doit étre fage avec modeftie, on voudroit interdire toute recherche, tout examen en matiere de Religion, impofer aux hommes la loi de vivre dans une ignorance abfolue a eet égard, & les obliger a fe foumettre aveuglement aux décifions humaines. Mais c'eft-lk donner a la maxime de mon texte un fens fort éloigné de la penfée de St. Paul. En exigeant, qu'on donne certaines bornes a fes recherches, 1'Apötre fuppofe.  des Recherches de la Religion. y qu'on en doit faire. Etre fage avec modejlie felon la mcfure des dons que Pon a repus, ce n'eft pas certainement vivre dans une entiere ignorance. Si Pon doit proportionner fes recherches au degré de foi, que Dieu nous a accordé, il ne faut donc pas s'abftenir d'en faire, & avoir une foumillion aveugle pour 1'autorité des hommes. D'aïlleurs les Apötres n'ont jamais exigé des Chrétiens une foi aveugle; au contraire ils fe font fait un devoir d'éclairer leurs difciples fur les grandes vérités de la Religion, ils les ont exhortés & follicités a en faire un fage & mür examen, & ils ont donné des éloges a ceux, qui s'acquittoient de ce devoir. Ceft aüafi que nous lifons au Ch. 17- des Mes, que ceux de Berée furent plus généreux que les Juifs de Thejfalonique, car ils repurent la parol e avec toute promptitude , £5? ils confêroient tous les jours les Ecritures pour favoir s'il étoit ainfi. Je vous .patie, dit St. Paul aux Corinthiens, comme a des perfonnes intelligentes; jugez vous-mêmes de ce que je dis: Et aux Theflaloniciens, éprouvez toutes chofes, retenez ce qui ejï bon. Mes bien-aimés, dit St. Jean, ne croiez pas a tout efprit, mais éprouvez les efprits pour favoir s'ils font de Dieu. En voila plus qu'il n'en faut pour juftifier par ^'autorité même des hommes infpirés, qu'il ne A 3 Act. XVIL 11. 1 Cor. X. is- 1 Theff. V. 21. 1 Jean IV. 1.  ir. Faux fens. $ SERMON I. Les Bornes faut pas prendre la lecon de mon texte dans un fens, qui favorife Fignorance totale , que la fuperitition voudroit ériger en principe de Foi. t II. Le précepte de St. Paul ne doit pas s'entendre dans le fens, que lui voudroit donner la parejfe &r> Vefprit du Monde. Sous prétexte qifon doit éviter des recherches trop curieufes, & être retenu en matiere de Religion, bien des Chrétiens prétendent être dilpenfés d'étudier la Religion, & s'imaginent, qu'une connoiffance trés - fuperficielle des Vérités & des Devoirs de FEvangile, eft plus que fuffifante pour eux. Les uns ne peuvent fe réfoudre a s'appliquer; il en couteroit a leur indolence de lire, de méditer, de réfléchir; une légere idéé de la Religion, qui ne coute gueres de tems & de travail leur fuffit. D'autres ne croient pas devoir confacrer a Fétude de la Religion un tems, qui leur paroit. deftiné tout entier a leurs affaires temporelies; ils ne prétendent pas en tant favoir, & cela n'eft pas néceffaire pour fe fauver; ils ne font pas Théologiens de profeffion, pourquoi entreprendroient-üsd'approfondir Fl criture? ce feroit quant a eux prétendre être fage auiela- de ce qu'il faut. Mais c'elt-Ja entendre mal la lecon de 1'Apótre. II y a une différence infinie entre ne pas fortirdefa fphêre, & ne point faire cel^u'on eft capable felon temefure des talens, qu'on a recusdeDieu •  des Recherches de la Religion. autant que 1'un eft digne de louange, autant 1'autre eft - il condamnable. Un Particulier , qui a les devoirs de fa vocation k rem'plir, n'eft pas appellé a étudier toutes les controverfesj qui partagent les Théologiens, a entrer dans 1'examen de toutes les questions épineufes de 1'Ecole, & a s'occuper des fubtilités métaphyliques, qu'on a mêlées dans plufieurs Dogmes. Mais n'eft - ce pas deshonorer 1'Evangile, que de ne pas étudier les preuves, qui en juftifient 1'origine célefte «Sc en dévoilent 1'excellence ? N'eftce pas le méprifer que de ne point s'occuper de ces confolantes Vérités, qui fervent de bafe a nos devoirs, & de ne pas s'éclairer fur la nature, 1'étendue, & la néceflité de ces mêmes devoirs ? Ne prenez donc pas la leQon de mon texte dans un fens, qui favorife ce relachement. Fixons - en a préfent le vrai fens, c'eft le fujet de notre feconde Partie. Ne pas être fage au - dela de ce qu'il faut, être Jage avec modeflie en matiere de Religion , c'eft renfermer fes recherches fur eet intéreftant fujet dans de juftes bornes. Quelles font-elles? 1. La fphére des Facultès humaines engènéral. II. Celle de ehacun en particulier. III. La nature des objets de nos recherches. IV. Notre condition préjent e. La Portee de PEJprit humain en gêné ral. La mefuredes Talens de ehacun en particulier. La nature des Vérités de la ReltA 4. 11. Partie.  i. La Portie de ïEfprit humain. i 8 SERMON I. Les Bornes gion; £3? le carattere de POeconomie préfente. Ce font-la quatre bornes dans lefquelles nous devons contenir nos recherches. I. Ne pas être jage au-dela de ce qiïïl • faut, être fage avec modeflic, c'eft renfermer nos recherches fur la Religion dans les bornes de la portée de PEJprit humain en général. J'avoue, M. F. qu'il eft difficile de déterminer précifément, jufqu'oü 1'Efprit humain peuc poulTer fes connoiiïances. L'expérience de tous les fiecles a juflifié par mille preuves, qu'il eft fufceptible d'une grande perfection, & que plus d'une fois il s'eft élevé au-dela de ce qu'on auroit ofé fe promettre. Tant de furprenantes découVertes, par lefquelles on adévoiléles fecrets de la Nature, & perfe&ionné les Arts & les Sciences, annoncent la grandeur & la pénétration de 1'intelligence luunaine. Et qui fait ce que les fiecles futurs recelent k eet égard ? qui dira les glorieux monumens que 1'avenir élevera peut.être encore a la fagacité de notre Efprit? Cependant il n'eft perfonne, quine foit obligétlereconnoitre, que eet Efprit fi vafte, fi pénétrant a de certains égards, eft néanmoins fort bornó a d'autres, & qu'il eft enfin un certain terme, au-dêla duquel il ne peut aller fans s]égarer, & fans fe perdre dans de chirné-* riques fpéculations. Le fait eft averé, on ïn a d'humiliantes preuves, & ceux-la tnêmes, qui ont fait les plus profondes re-r  - des Recherches de la Religion. o eherches, & qui par la fupériorité de leur génie ont paffé de bien loin le commun des hommes, avouenc, qu'il eft des bornes qui les arrêtent. C'eft ce qui a lieu furtout a 1'égard des grandes queftions de la Religion. Que 1'Efprit humain ait fait d'extraordinaires progrès dans les Sciences ordinaires, on ne doit pas en être furpris: ce font des objets, qui ont une certaineproportion avec lui, il eft en état de les examiner de prés. Mais les objets,que la Religion offre a nos recherches, font d'une toute autre nature : les queftions, qu'il s'agit de réfoudre, regardent VInfini, qui n'a certainement aucune proportion avec des Efprits bornés, & qui, par cela même qu'il eft infini, doit avoir des profondeurs impénétrables pour une intelligence finie. L'idée de Yéternité par exemple, qui entre dans la plupart des queftions de la Religion, eft par elle - même incompréhenfible a notre Efprit, c'eft un abïme oü il fe perd. Ainfi dans les recherches, que nous'fefons fur des fujets fi fort élevés au-deffus de nous, fouvenons-nous toujours,que notre Efprit eft borné, & que prétendre acquérir fur la Religion des connoüTances, qui ne foient mêlées d'aucune obfcurité, c'eft être Jage au-dela de ce qu'il faut, c'eft vouloir pafler la portée de notre entendement. II. St. Paul veut, que nos recherches foient bornées par la mejure des Talens de A $ ii. Les Talen, de ehacun.  ï Cor. XII. i ( < 1 1 io SERMON f. Les Bornes ehacun en particulier \\\ veut qu'on fok fage avec modeflie a proportion de la Foi , ou de la connoiflance, que Dieu a donnée a ehacun. 11 y a diverfité de dons; tous les hommes n'ont pas le même degré de pénétration; tous n'ont pas la même facilité de s'élever a des méditations fublimes, de combiner des idéés, de les examiner en ellesmêmes & dans leurs difTerens rapports, de fuivre toutes les conféquences qui découlent d'un principe. Dans les uns c'eft un défaut d'éducation. En d'autres le manque d'application. En ceux • ci Pimperfeclion des organes. En ceux-la une vérkable foibleiTe d'efprit, dont on doit chercher la cauïè 3ans la yolonté de Dieu, qui libre dans la liftribution de fes graces, en accorde une jlus abondante melüre aux uns qu'aux au:res. Ce qu'il y a de certain, c'eft que la hfférence, dont nous parions, eft réelle. Ne )as être fage au-dela de ce qu'il faut, c'eft lonc ne pas fortir de fa fphêre, ne pas enreprendre des recherches, dont oneft inca>able. 11 eft vrai, que 1'amour-propre eft èrtile en illulions, & que Pon connoit rarenent la mefure de fes talens; quelques méliocres qu'ils foient, on fe croit fouvent en Iroit de s'égaler k ceux qui nous font fort Lipéneurs. Cependant un peu de réflexion jr foi-même, & fur les circonftances oü 'on fe trouve, eft capable de pré ven ir ce u'il y a de plus groffier dans ces illulions,  des Recherches de la Religion. n & de nous faire connoïtre, finon avec toute 1'exactitude requife, au moins jufques a un certain point, la mefure de nos talens. Qu'un jlrtifan par exemple, qui a toujours été renfermé dansle cercle d'unpetit nombre d'objets., qui a tourné toutes les forces de fon génie fur cequi a trait au métier qu'il exerce, prétende pénétrer ce qu'il y a de plus abftrait dans les Dogmes de la Religion, réfoudre les difficultés qu'il y a a fixer le vrai fens de certains PalTages, approfondir toutes les queftions qu'on agite, & entrer dans la discuifion de toutes les objeftions, que 1'Incrédulité & 1'Héréfie oppofent ou a la Religion en général, ou a de certaines Vérités en particulier; eet Artifan fort de la fphêre, il palTe la mefure de fes talens, il n'a ni les connoilTances néceffaires, ni le tems de les acquérir, ni les'difpofitions requifes pour réuifir dans une pareille étude. Qu'un Théologien d'un efprit borné, dont le principal talent eft de favoir profiter des travaux d'autrui, entreprenne de faire des recherches, qui demandent des lumieres qu'il n'a point, une pénétration & un discernement qui lui manquent, un degré d'application dont il eft incapable; il pêche contre le précepte de St. Paul,il veut être fage au - dela de ce qu'il faut. ConnoilTez donc la portée de vos talens, la mefure de foi & de connoiffance que vous avez recue, & n'allez pas au»detó.  m. La nature des Vérités de la Religion. i i i ] i Job XXVI.; 14. 1 12 SERMON I. Les Bornes III. Le Précepte de l'Apötre nous oblige a borner nos recherches felon la nature des vérités, qui en font les objets. 11 y a longtems qu'on aremarqué, que la Religion aun BÖté lumineux & un cöté ténébreux. En Ejénéral les vérités qu'elle nous enfeigne font de nature a être connues jufqu'a'un certain point, au-dela duquel elles n'ont jue des profondeurs. D'ailleurs il y a enzore de la différence entre ces Vérités, les jnes peuvent être connues plus parfaitement que d'autres. C'eft ainfi qu'il y a un certain nombre de vérités, fur lefquelles la Raifon & la Révélation répandent de concert de grandes lumieres. Que Dieu foit un 2tre unique, fpirituel, infiniment parfait, qu'il veille a la confervation de Punivers, qu'il en regie les événemens avec fagejfe, que fon èquité infinie le porte a récompenfer la vertu&a punir le vice: ce font-la des vérités, que la Raifon enfeigne, que la Révélation éclaircit, &confirme&fur lefquelles Dn peut pouffer affez loin fes connoiffances. Mais il eft des Vérités d'un fecond ordre, iont la Révélation établit la certitude, pais dont elle ne nous explique pas le hnd & la maniere, & a 1'égard defquelles 'vous ne connoijfons que les bords des voiss de Dieu; telle eft la dotlrine de la Trimtê, :elle des Décrets éternels de Dieu, Pentrée iu Pêché dans le Monde, PIncarnation du Pils unique de Dieu, Pefficace du facrifice  des Recherches de la Religion. 13 aiiil a offert pour Texpiation des pêchés des hommes, Vèternitè des Feines de PEnfer. Ce font-lk des vérités dont nous pouvons nous aiTurer en acquiefcant aux décifions infaillibles de Dieu, mais dont nous ne pouvons fonder les profondeurs malgré toutes nos recherches. Vouloir par rapport k celles du premier ordre, nous faire des idéés exemptes dobfcurité, & de toute difficulté: entreprendre a Pégard de celles de la feconde clalTe, de porter nos recherches aulTi loin que nous le pouvons fur les premières, c'eft péchêr contre le précepte de St. Paul. N'eft-ce pas prétendre être fage au-dela de ce qu'il faut, que de vouloir connoïtre parfaitement ces majeftueufes perfeétions de la Divinité, dont 1'asfemblage nous éblouit? de vouloir fmvre toutes les voies de la Providence , & en démêler les fecrets refforts? N'eft-ce pas être fage au-dela de ce qu'il fauf,quQ d'entreprendre de déterminer ce que Dieu eft dans fa Nature, entant qu'il nous eft repréfenté fous une idéé d'Unité & de Tnnité «Sc de régler nos idéés k eet egard fur ce que nous voions parmi les créatures? Eft-ce k des êtres aufli bornés que nous le fommes k prétendre expliquer la nature des Décrets éternels de Dieu, de vouloir les fonder, les arranger comme fi Pon avoit été appellé au Confeil du Très-Haut, & qu'il fut poffible a des Efprits finis d'attein-  i Tim. i. IS- IV. Le Caractere del'Oeconomiepréfente. i Cor. XIII. 12. 14. SERMON I. Les Bornes dre aux vues de cette Intelligence infinie, qui d'un feul acle embralTe le pafle, le préfent, & 1'avenir, &, même ce qui n'eft que poffible? L'union du fils de Dieu avec 1'humanité, un facrifice, dont la vertu influe fur les fiecles qui l'ont précédé, comme fur ceux qui l'ont fuivi & qui le fuivront; ce font-la des vérités certaines £s? dignes d'étre repues, mais qu'on ne peut entreprendre de fonder fans paffer les bornes que la nature même de ces Vérités nous prefcrit. IV. Enfin le Caratfere de Weconomie prêfente préfcrit auffi des bornes a nos recherches. C'eft ici une Oeconomie d'épreuve,d'imperfed:ion & d'obfcurité. C'eft ce qu'il feroit inutile de prouver, perfonne n'en peut douter, & s'il fe trouvoit quelqu'un quien doutat, nous le renvoions a 1'Expérience pour s'en convaincre; nous ne voions ici bas que par un miroir obfcurément; nous ne connoijjbns qiCen partie. Si nous connonTions parfaitement, qu'il n'y eut rien d'impénétrable pour nous, nous n'aurions pas a attendre d'état plus parfait par rapport ar la grandeur de nos lumieres; & nous favons que nous avons a en efpérer un, oü nous connoitrons comme nous fommes connus. Cette imperfeclion de notre condition dans Ia vie préfente doit mettre des bornes a notre curiofité. Nous ne devons pas prétendre  des Recherches de la Religion. i<| acquérir un degré de connoiflance, incompatible avec la fituation oü nous fommes. Ne nous laiffons donc pas féduire par de flatteufes efpérances; n'entreprenons pas des recherches, qui tendent adiffiper tous les nuages qui nous environnent, «Sc k faire regner ici bas ces vives 6c brillantes lumieres, qui n'éclairent que le féjour immortel de la gloire. Craignons 1'écueil; dès que nous en venons lk, nous paflbns les limites qui nous font prefcrites, nous entreprenons d'établir ici bas 1'Oeconomie de perfe&ion, qui n'aura lieu, que quand■ ce que nous ferons fera apparu, £s? que nous verrons Dieu tel qu'il eft. II eft tems de prelTer les raifons qui doivent nous engager k nous renfermer dans les bornes prefcrites, & k être fages avec modejlie. C'eft la troifieme Partie de notre Difcours. Nous fondons la nécefüté de fuivre le précepte de St. Paul fur trois raifons principales: I. L? Autorité de ce grand Apótre. II. Vinutilité des recherches trop curieufes. III. Les dangereufes fuites qu'elles ont ordinair ement. \. LAutorité de St. Paul donne un grand poids k la le dont la connoiflance doit fervir a nous ren* dre gens de bien dans cette vie, & heureux dans' celle qui eft k venir. C'eft - la un principe établi fi clairement dans 1'Ecriture, que nous ne nous arrêterons pas k le prouver i Jefus-Chrift & fes Apótres ont déclaré en termes formels, que les plus excellent Tomé h B 1L Tnutiliti dte echerches rop curieu* r Tint. Itf,  18 SERMON I. Les Bornes Jean III. ld. 1 Cor. V. ti. i Cor. VI.' ii.lSph.IV. 30. connoiflances font inutiles fans la pratique. Or quel avantage nous reviendroit.il pour la pieté, d'une connoiffance plus parfaite de ces myllérieufes vérités , que des voiles épais dérobent en partie k notre vue ? Quand nous pourrions par nos recherches parvenir k connoitre, de quelle maniere la Trinité fubfilte dans 1'unité de 1'ElTence Divine, aurions-nous de plus prelfans motifs k la pieté, que ceux que nous avons lorfque nous méditons le grand ouvrage de Ia Rédemption, auquel nous ne pouvons douter que le Pere, le Fils & le Saint - Efprit n'ayent concouru? Aurions-nous plus de raifons , d'être pénétrés de refpecc, d'amour, de reconnoilTance & de zele pour Ie Pere, qui a tant aimè le monde, qu'il a donné fon Fils unique, afin que tous ceux qui croiront en lui ne périffent point, mais au'ils ayent la vie êternelle ; pour le Filsy qui j quoiqu'il n'eüt point connu de pêché, a étéfait pêché pour nous, afin que nous Joions faits jujlice de Dieu en lui; pour le SaintEfprit, qui nous jujlifie, nous fanBifie & nous fcelle pour le jour de la rédemption ? Ce que Dieu a fait pour nous & ce que nous en connohTons, fuffit pour nous infpirer le plus parfait dévouement k fes volontés. La Grace auroit - elle plus de pouvoir fur notre cceur,quand nous connoitrions parfaitement, de quelle maniere elle agit, & que nous pourrions la fuivre dans fes opérations?  des Recherches de la Religion. c ble plus naturel de rapporter ces paroles k la Philofophie. Que perfonne ne vous butine par les vains raifonnemens de la Philofo-. pbie, conformes a la tradition des hommes; c'eft-a-dire fondée fur 1'autorité des grands noms de ceux, qui font les auteurs des fystêmes philofophiques, que Fon voudroit fubftituer a PEvangile. Par les èlèmens du monde, les uns entendent les cérémonies de la Loi. D'autres appliquent ces paroles aux principes de la fageffe humaine. D'autres enfin penfent, qu'il s'agit également, & des cérémonies Judaïques, & de certaines pratiques fuperftitieufes du Paganisme. C'eft aulfi ce qui nous femble le plus fimple. Le fens de 1'avis de St. Paul dans mon texte revient donc a ceci: „ Prenez garde „ de vous laiffer furprendre aux fpéculations „ trompeufes d'une Philofophie plus fubtile que folide, qui n'ont d'autre fource, que „ 1'imagination des hommes, & qui ten„ dent a vous impofer un joug onéreux, „ en vous appellant a des pratiques inuti„ les, & contraires a l'Evangile de lefus%\ Chrift". & J Mes F re r es, Favis de 1'Apötre eft a divers égards néceffaire dans notre fiecle. Jamais on ne fe piqua plus de Philofophie;  Philofophie dans la Religion. 29 mais fouvent ce n'eft qu'une Philofophie, a la faveur de laquelle on tache de s'emparer des efprits pour les détourner de la vérité. Ce font non feulement les ennemis de la Religion Chrétienne qui Pattaquent artificieufèment; mais il fe trouve des Docleurs, qui rauflement fages anéantiffent des dogmes importans de PEvangile, fous le fpécieux prétexte de le mettre a couvert des traits de Pincrédulité. C'eft a vous munir contre les vains raifonnemens de tous ces prétendus Philofophes, que nous deftinons ce Discours. I. D'a bord, nous caratlériferons les artifices de cette fauffe Philojopbie. II. Enfuite nous vous propoferons quelques régies pour vous munir contre Jes jophismes. Dieu veuille faire fervir ce discours a affermir notre foi, & a nous convaincre de la nécefTité de captiver notre entendement fous fon obêijfance! Caraótérifons d'abord cette fauffe Philofophie, qui tend a détourner les hommes de la Religion. Dévoilons tout ce qu'il y a d'artifkieux & de fophiftique dans les raifonnemens des prétendus Esprits Philofophiques de nos jours, & mettons la Foi Chrétienne a couvert des traits empoifonnés des faux fages du fiecle. Nous réduirons a fix clafTes1 les artifices «Sc les fophismes, qu'on emploie. 1. On fiate Vorgueil de Vefprit humain, Plan de ce Dijcours. 2 Cor. X. 5. I. Partie.  i. 'Artifice des faux Pbilofopbts. 30 SERMON IL Vabus de ta en lui perfuadant, que tout ejl de fon resfort. II. On tache, a force de vains raifonnemens , de rendre douteufes les vérités les plus foUdement prouvées. III. On fait de fauffes applications de principes vrais en eux-mémes. IV. On cherche a s'emparer des efprits , en affetlant de vouloir les garantir de la crédulité £«? de la fuperftition. V. On tire des conféquences trop générales de certains principes particuliers. VI. Enfin , fous prétexte de rendre la Religion Chrétienne raifonnable , on fubflitue d'autres fysjlémes a celui de PEvangile. I. On flate torgueil de Vefprit humain, en lui perfuadant, que tout ejl de fon resfort, & qu'il n'eft obligé d'admettre que ce qu'il peut clairement concevoir. En prétendant maintenir les droits de la Raifon , on oublie, que 1'intelligence de 1'homme a des bornes; que nous ne fommes pas toujours capables de comprendre des chofes, dont nous ne pouvons contester la réalité ou la vérité. On ne veut point voir , que notre efprit n'appercoit pas toujours les idéés, qui ferviroient a lier certaines propofitions, a concilier 1'oppofition apparente, qu'elles préfentent. DeIk ces fophismes contre la Providence pris des désordres, que 1'on croit remarquer dans le monde naturel & moral. Pareequ'on ignore 1'ufage de certaines parties de la Nature, & les vues du Créateur dan?  Philofophie dans la Religion. 3t la dispofition de 1'Univers: Parceque Poa découvre des irrégularités apparentes, dont on ne peut rendre raifon : Parceque la vie humaine eft fujette a bien des miferes; que le pêché fait de funeftes ravages; que la vertu eft fouvent malheureufe; en un mot, paree qu'on ne peut expliquer certains événemens; que Pon nedémêle pas la liaifon , qu'ils ont avec d'autres événemens , qui les ont précédés, & que Pon ignore leur rapport a tout le plan du gouvernement de la Providence , on conclut fiérement contre la fagefle «Sc la bonté de Dieu. De la même fource découlent les difficultés contre quelques Dogmes particuliers a la Révélation. On ne comprend point le dogme de la Trinité, & comment dans la feule & unique fubftance divine il y a une triple diftinétion. C'en eft, affez pour contefter cette vérité, malgré Févidence, avec laquelle elle eft enfeignée dans 1'Ecriture. On ne veut pas faire attention, que le fond de la nature de Dieu eft au deflus de nos conceptions. On dément cette même Raifon , dont on étale les prérogatives , qui nous dicle , que la Révélation, en nous parlant de la nature de 1'être infini, n'a pu que nous en dire des chofes, qui paflent notre intelligence, & que nous devons admettre fans les comprendre diftineïement. On ne concoit point le dogme de la Rédemption des pé-  32 SERMON II. Vabus de la cheurs par le facrifice du Fils de Dieu 3 Dieu-Homme en une feule perfonne. Cen eft aflez pour s'aveugler fur laproportion admirable,que ce dogme a tant avec les befoins de 1'homme; qu'avec les fentimens naturels, de la confcience; & fur la doctrine unanime des Prophetes & des Apötres fur eet article. On ne concoit point le dogme de la Réfurretlion ; comment nos corps devenus poudre , & dont les parties font fjuelquefois entrés dans la compofition d'autres corps, pourront fe relever au dernier jour. Et Pon ne veut pas penfer a la puiffance de Dieu, qui a créé ce vafte univers, qui tira de la pouffiere le corps d'Adam. On ne réfléchit pas fur les décilions claires & précifes de PEcriture; fur les exemples de morts reflufcités. Envain 1'expérience nous apprend - elle , que les objets les plus a portee de notre examen & de nos recherches, ont des cótés obfcurs, qui fe dérobent a notre connoiffance. L'Orgueil ne peut fouffrir, qu'il y ait quelque chofe d'inacceffible pour lui. Prenez donc garde que les prétendus Philofophes ne vous féduifent par eet endroit: fouvenez - vous, que 1'efprit humain eft borné; & que les profondeurs de certains dogmes, établis fur des preuves dignes de tout notre acquiefcement, ne doivent pas nous empêcher d'en reconnoitre la certitude. II.  Philofophie dans la Religion. 3; II. Artificg. On tdche, aforce de vain raifonnemens, de rendre douteufes les véri tés les plus folidement prouvées. L'orgueil, le libertinsge , 1'entêtement, 1( préjugé , 1'efprit de fingularité , & je n« fais combien d'autres principes diclent a des efprits préfomptueux , & fters de leurs pré tendues lumieres, des argumens pour com b'attre ce qu'il y a de plus évident & d( plus clairement établi par la Raifon & pai 1'Ecriture. C'eft ainfi que YAthée , pareequ'il fouhaite en fon cceur , qu'il n'y ail point de Dieu , voudroit par des difcours artificieux rendre incertaine 1'exiftence de eet être luprême: Qu'il dépeint en termes choiüs les effets de la crainte, les rufes de la politique : Qu'a force de fophifmes entalfés , il prétend démentir la voix de toutes les créatures ; contredire le témoignage de tous les hommes, qui ont fait quelque ufage de leur raifon , & celui de tous les Siecles. Le Manichéen fe diftille le cerveau en fpéculations creufes fur 1'origine du Mal; & fon Défenfeur moderne emploie tout ceque 1'art de raifonner, dirai-je, ou le malheureux talent d'embrouiller les questions, & de multiplier les difficultés, peuvent fuggérer de plus fubtil pour contredire 1'unité de Dieu, lors même qu'il avoue, que les idéés les plus claires & les plus füres de Vordre êtablijjent nèceffairement ce principe fondamental. II accumule fophis« Tom I. C 1 » . 11. Artifice des ■ faux Phih' , Joplies. Bayle. Diü. Hifi;. & Crit. Art. Manicbéens.Rem. [D].  34 SERMON II. Vabus de la Hutne. Voy. Journ. Britann.T VIII. p. 105- mes fur fophifmes pour perfuader , que le fyftême du Dualisme , c'eft - a - dire, qui admet deux êtres éternels, 1'un, caufe du Bien , & Fautre caufe du Mal, eft le plus foutenable au tribunal de cette même Raifon , dont les idéés les plus claires, les plus füres , conduifent néceffairement a n'admettre qu'un feul être éternel. Le Béijle contefte fur les Miracles. Tantöt il railbnne fur le pouvoir des intelligences fupérieures è. 1'homme. Tantöt il fait valoir notre ignorance fur les caufes des efFets, que nous voions. Tantöt il ne rougit pas de contredire les faits les mieux avérés. II ofe affirmer hardiment „ Qu'il n'y a jamais eu „ de miracle, qui ait été attefté par un nom„ bre fuffifant de témoins doués de tout le „ bon-lens, 1'éducation , la fcience , la „ probité , le crédit, la réputation &, le „ défintéreflement néceffaires; ni qui ait „ été opéré affez publiquement, & dans „ un pays affez éclairé, pour en décou„ vrir la vérité ou la fauffeté." Tantöt il fe répand en raifonnemens fondés fur les regies les plus fauffes, pour prouver Fimpoflibilité des miracles; & & la faveur des plus indignes artifices, & des chicanes les plus révoltantes, il prétend démentir des faits atteftés de la maniere la plus folemnelle & la plus démonftrative. Ne vous en laiffez pas impofer par ces difputeurs du fiecle. Que leurs fophismes ne vous infpi-  Philofophie dans la Religion. rent jamais le moindre doute fur des vérités , dont vous avez les preuves les plus folides. 111. On fait de faujjes applications de principes vrais en eux - mêmes; & par-la on éblouït des efprits aifés a furprendre, & incapables de démêler ce qu'il y a de faux dans 1'application de ces principes. De rien il ne fe fait rien, dit gravement un Raifonneur de 1'ordre de ceux que nous caraétérifons; & de-la il conclut, que la création eft impoffible , & que la matiere eft éternelle.. ApprofondilTez la queftion, & bientöt vous appercevrez Pillufion. De rien il ne fe fait rien. Le principe eft vrai, fi par-la on entend, que ce qui exifte, & qui n'exiftoit pas auparavant , doit avoir une caufe de fon exiftence. Ce principe eft vrai encore , fi par - la on entend que tout efFet doit avoir une caufe capable de le produire , & qu'il doit y avoir de la proportion entre l'effet & la caufe. Mais c'eft faire une fauffe application de ce principe, que d'en inférer , qu'une puiffance intinie ne puiffe faire exifter, ce qui n'exiftoit pas auparavant; de le faire fervir k dégrader 1'être tout - parfait, & k affurer k la Matiere la plus grande de toutes les perfections, 1'exiftence éternelle & néceffaire. „ Dieu, dit-on encore , eft infiniment „ grand & fouverainement heureux. Les vertus ou les vices des hommes ne peuC 2 in. Artifice des faux PbilO' fopbes.  ' 36 SERMON II. -Vabus de la „ vent, ni augmenter, ni altérer la gran„ deur & la félicité. Donc il ne prend au„ cun intérêt aux actions des hommes: il „ ne fe mêle plus du gouvernement du „ monde, depuis qu'il a établi des loix gé„ nérales, fuivant lefquelles tout roule de „ foi - même." Fauffe application d'un principe vrai. Oui, Dieu eft infmiment grand & parfaitement heureux. Oui, nos vertus & nos vices ne peuvent, ni augmenter , ni altérer fa grandeur & fa félicité. Mais le gouvernement du monde nedéroge point a fa majellé, puifqu'il a jugé a- propos de le créer. L'attention aux aétions humaines eft digne de celui, qui a donné aux hommes des loix, fur lefquelles ils font tenus de fe régler. Quoiqu'il ne lui en revienne aucun profit, & qu'il n'en recoive aucun dommage, Tamour de 1'ordre, qui lui eft effentiel, & dont fes loix font 1'expresfion, exige, qu'il y prenne intérêt. Le foin des affaires humaines ne peut troubler le bonheur d'un être, dont les lumieres & la puiffance lont infinies: le Dieu d'éternité ne Je lajfe point £5? ne fe travaille point. „ Dieu , dit un Origénifte, eft infini„ ment jufte & bon; il faut donc que la „ punition, qu'il inflige, foit exadement proportionnée a la faute : or il n'y a „ nulle proportion entre des fautes paffa„ geres & des peines éternelles." Fauffe application encore de principes vrais. Lafim-  Philofophie dans'la Religion. 37 ple durée de Té taf. de peine n'a pas de relation eflentielle a la jufte & équitable diftribution dn chatiment. II eft inconteftable, que la punition de ehacun doit être proportionnée a fes crimes, quant aux degrés de la peine. Mais fa durée peut devoir être déterminée par d'autres raifons, qui fe rapportent au plan général du gouvernement de Dieu, dont nous ne fommes pas juges compétens. Ceft même ce qui a lieu dans les Gouvernemens humains. Un homme peut commettreen un jour, en une heure, des crimes,dont il fera juftement puni pendant toute fa vie. C'eft ce que demande 1'ordre & la conftitution des chofes. Or eft-il plus difficile de concevoir, qu'il peut y avoir des raifons dans le plan de la Providence , qui rendent nécelTaire ou convenable , que dans un état a venir, le chatiment des péchés commis durant cette vie courte, s'étende a toute la durée de notre exiftence future , qu'il Teft de concevoir, que le chatiment dans cette vie, pour des péchés commis dans une petite partie de fa durée,s'étende atoutle tems de notre exiftence préfente ? D'ailleurs on fuppofe , qu'il n'y a que les hommes intéreffés dans cette branche des difpenfations de la Providence. Mais 1'état a venir , entant qu'il nous regarde , n'eft peut-être qu'une partie d'un fyftême univerfel, qui comprend une multitude d'autres êtres intelligens a C 3  { 1 I ] ( 1 ] j i ' IV. j4rtm. ix. >m.' ui. i lor.I. 43' ii. Partie.  L Regie. t 44 SERMON II. Vabus de la I. Cültivez Joigneufement votre Raifon. Ce précepte doit vous faire fentir, M. F. que nous fommes très-éloignés de proscrire 1'ufage de cette raifon, par laquelle Dieu nous a diftingués des autres êtres, qui habitent notre globe. Un des artifices des féduéteurs, contre lesquels nous cherchons a vous munir , eft de crier fans cefle, qu'on veut bannir la raifon. Non M. F. c'eft a la faveur de cette lumiere naturelle, que Dieu a allumée, dans nos ames, que nous fommes en état de démêler le vrai d'avec le faux, & de nous convaincre folidement de la divinité de 1'Evangile. Cültivez donc votre raifon. Travaillez a vous faire des idéés juftes. Evitez de confondre des chofes de nature differente. Envifagez la liaifon des principes avec les conféquences. Mettez chaque chofe en fon rang. Un efprit cultivé de cette facon ne s'en laiffera pas impolèr par les déclamations de nos prétendus Philofophes, comme fi être raifonnable & être chretien, étoient des chofes incompatibles. La faine Raifon conduit au Christianisme, parcequ'elle diéte, qu'on doit admettre des faits, fondés fur des témoignages de la même nature, que ceux, qui fervent de bafe a la conduite générale de la vie: Parcequ'elle difte, que lorsque Dieu a parlé , il eft digne de 1'acquiefcement des créatures intelligentes, & qu'il n'eft rien de plus raifonnable, que  Philofophie dans la Religion. 45? de fe foumettre aux décifions du Dieu de vérité. II. Connoissez les jufies bornes des recherches de la Raifon. Si vous confultez 1'expérience; fi vous écoutez ceux,qui ont approfondi les Sciences, & les Philofophes les plus judicieux, vous ne pourrez douter, que Fefprit humain ne foit fort borné, & qu'il eft un terme, au dela duquel il ne peut aller, fans s'égarer & fans fe perdre dans dechimériques fpéculations. Les objets,qui font le plus a notre portée , qui font le plus proportionnés a notre intelligence, & que nous pouvons confidérer de prés, ont des profondeurs, des myfteres, que nous ne pouvons fonder. Auffi voit - on généralement, que la modeftie & la retenue font les fideles compagnes de la vraie fcience; que la préfomption & la vanité font le caraélere des efprits fuperficiels, qui, inftruits a peine des premiers élémens, s'imaginent qu'ils font de pair avec ceux, qui, par la fupériorité de leurs lumieres, ont appris, que nous ne connoiffbns qu'en partie. Sou-: venez -vous donc toujours de la foiblelfe de 1'efprit humain, & vous ferez inaccefiible aux traits de ceux, qui en flatent 1'orgueil, en voulant lui perfuader, que tout eft a fa portée. Vous fentirez, que des objeCtions, qui tirent toute leur force de notre ignorance, ne doivent pas ébranler votre foi a des vérités, qui ont pour appui Fautorité 11. Réglt. Cor.SStft t* £3 9.  Jaq. I. 15 III. Régie. 4.6 SERMON II. Vabus de la . infaillible de eet être, qui eft le pere des lumieres. Vous ne ferez pas tentés d'adopter des fyftêmes forgés par des hommes téméraires,aulieu du fyftême aufii admirable que confolant de 1'Evangile. 111. Soiez en garde contre Vefprit de fingul arité. L'envie de fè diftinguer, de paroïtre furpaffer les autres en lumieres, & de penfer plus librement, eft une tentation délicate, a laquelle bien des gens fuccombent. Sous le fpécieux prétexte d'éclaircir les vérités de la Religion, de la rendre plus fimple , de la dégager de ce qu'on appellé efprit de fyftême; on avance des opinions paradoxes; on retranche de 1'Evangile ce qui déplait; on s'écarte des routes ordinaires,& on fe lailfe aller a tout ce qu'une fauffe Philofophie dicle. Par cette voie, on en impofe a des perfonnes ou peu éclairées, ou qui, prévenues en faveur de ces nouveaux Docïeurs, fe gouvernent plus par autorité que par raifon. Ne vous laiffez jamais furprendre a cette paffion de vous lingularifer, & précautionnez-vous contre ceux qu'elle anime. Ne vous faites pas un honneur de penfer différemment des autres, mais faites gloire de fuivre la vérité. Que la célébrité de certains noms ne vous féduife point. N'aiez pas honte de marcher dans les routes ordinaires, paree qu'ellesfont communes. Obfervez a eet égard la lecon d'un  Philofophie dans la Religion. 47 Prophete: Tenez-vous fur les chemins &?j regardez, & vous informez touchant les fentiers anciens , quel ejl le bon chemin. £«? y marchez, £2? vous trouverez repos a vos ames. IV. Travaillez par une étude férieufe a vous convaincre de la vérité £ƒ de Pexcellence de la Religion Chrétienne. G'efl un devoir indifpenfable de tout vrai Chretien, d'être en état de rendre raifon de Vespérance qui eft en lui. Et il eft indigne de tout horame de bon fens de faire prolelTion d'une doctrine, dont il ignore les preuves. Or cette connoiffance eft un bouclier impénétrable è. tous les traits de la faulfe Philofophie. Ne vous bornez pas, comme cela eft fi ordinaire , a charger votre mémoire de quelques réponfes d'un catéchisme, fans en comprendre le fens. Ne penfez pas qu'il fuffife de pouvoir répondre fuperficiellement a quelques queftions générales fur la Religion. Mais étudiez a fond 1'excellence de la doclrine enfeignée dans 1'Ecriture. Vous y verrez , avec quelle force elle confirme les vérités que la Religion naturelle enfeigne; avec quelle fageflé elle corrige tant d'erreurs, oü les hommes étoient tombés; avec quelle évidence elle éclaircit nos doutes fur les articles les plus importans; avec quelle profondeur elk nous inftruit fur des points, fur lefquels nos propres recherches ne nous auroienl erem. VI. 16. IV. Regie. 1 Pierre III. 15.  Jean VII. 4<5. 48 SERMON II. Vabus de la jamais rien fait découvrir. Et frappés de tant de caracteres de Divinité, qui brillent dans la Religion de Jefus - Chrift, vous direz avec une pleine convicrion: Jamais bomme ne paria comme eet bomme. ApprofondilTez tant de preuves, qui démontrent la vérité des Faits , qui fervent de fondement a 1'autorité de la Révélation. S'agit-il de celle del'Ancien Teltament? Vous trouverez dans le caraélere & la conduite de MoiTe; dans la multitude de ceux a qui il parloit; dans la nature des événemens qu'il rapporte; dans 1'attachement des Juifs a des loix onéreufes; dans des cérémonies perpétuées de fiecle en fiecle, monumens autentiques de certains faits, une démonftration de la divinité de la doctrine de Moïfe 5c des Prophetes. S'agit - il de 1'Evangile ? Vous aurez des preuves du même genre, Sc non moins folides. Les faits publiés par les Apótres étoient connus de toute la Judée. Le cara&ere, le nombre, les idéés & les intéréts des difciples de Jefus-Chrift, ne permettent pas de les foupfonner d'impofture. Surtoutaiant prêchédans lajudée même, & en préfence de gens qui auroient pu les démentir, & aiant confirmé leur prédication par les plus éclatans miracles. Si vous ajoutez a cela la conftance avec laquelle ils ont foutenu leur témoignage, «Sc le fuccès prodigieux de leur miniftere; vous aurez une démonftration de la divinité du Chris-  Philofophie dans la Religion. 4.9 Chriftianipme. Si vous comparez enfin tant de Propheties, contenues dans nos faintes Ecritures, avec 1'Hiftoire , vous verrez qu'elles ont été fi exaélement accomplies, qu'il n'y a eu que 1'Efprit de Dieu qui ait pu les dicter. C'elt en méditant avec 1'attention la plus foutenue toutes ces preuves, que vous ferez a couvert des artifices des faux Philofophes. En - vain entafferont - ils raifonnement fur railönnement, multiplieront - ils les diflficultés, vous direz avec con- « fiance: Je fat a qui fai cru. V. N\\DMEnEZ rien, quifoit contraire aux décifions claires précifes de PEcriture. Si vous êtes bien convaincus que nos Livres facrés ont été diécés par 1'efprit de Dieu , vous ferez pénétrés d'un profond refpect pour tout ce qui yell contenu. Vous reconnoïtrez toutes les doétrines, qui y font clairement enfeignées , dignes d'être x entierement repues; & tout ce qu'on y oppofe vous paroitra un attentat odieux fur 1'autorité de Dieu lui-même. Vainement une Philofophie trompeufe tentera -1 - elle de réveiller votre orgueil, en étalant la profondeur des myfteres de 1'Evangile; d'ébranler votre foi par fon audace a démentir des vérités décidées; par la féduifante promeiTe de vous affranchir du joug prétendu de la crèdulité & de la fuperftition; par des fyftêmes de religion artificieufement a eompofés, qui propofent un nouvel Evan- Tome L D Tim. I. 12. V. Riglt. Tim. t -5- Pierrel16.  f o SERMON II. Vabus de la &c. Jude 3. Rom. IX 5i Hebr. I. 6 Thilipp. II 8. 2 Cor. V 21. Ephef. V. 2 1 Cor. VI. I9< Ephef. IV 30. Hebr. X. 38. Hebr. XII n. 1 Jean V.4 gile. Munis des décifions infaillibles de la Parole de Dieu, vous tiendrez ferme; vous ne vous laifferez pas enlever le précieux dépot de la Foi, donnée une fois aux faints. Frappés de la majefté de la Religion Chrétienne, de la fublimité de fes myfteres, de 1'admirable proportion qu'ils ont avec vos befoins, de la folidité des appuis qu'ils donnent a vos efpérances; vous adorerez avec reconnoilfance la charité du Pere éternel, qui vous a donné fon fils unique. Vous ferez hommage a ce Fils, qui, Dieu bénit éternellement avec fon pere, & robjet des adorations des Anges , s'eft anéanti foi■ même, £3? a été obèiffant juf qu'a la mort, la mort même de la croix, qui a été fait pêché pour nous £5? s'eft offert en 'facrifice . de bonne odeur devant Dieu. Vous implorerez fans cefle les lumieres & les graces de rEfprit jaint, afin qu'il habite en vous, comme dans fes temples, & qu'il vous . fcelle pour lejour de la rédemption éternelle. Vivant ainfi de la vie de la féï , vous attendrez avec une pleine certitude la bienheureufe réfurrection des Juftes, & vous faifi. rez le royaume, qui ne peut être ébranïé; recompenfe ineftimable de cette précieufe • foi, par laquelle vous aurez furmontê le monde! Dieu veuille nous en faire a tous la grace! Amen. Pf CXIX. vs. 40, ?o. Prononcê a Amftcrdam lé 16 Janvier 1774. a la Grande Eglife.  LA DUREE DU R E G N E DE JESUS-CHRIST. Et quarid toutes chofes lui aurónt été ajjujettiesy alors auffi le Fils même fera affujetti a celui qui lui a affujetti toutes chofes, afin que Dieu foit tout en tous. 1 Cor. Ch. XV. vs. 28. TROISIEME SERMON. La Doctrine, que St. Paul enfeigne dans le texte que nous venons de vous lire, M. F. mérite 1'attention la plus férieufe & 1'examen le plus réfléchi. Cet Apötre, fi parfaitement iriftruit des grands myfteres de 1'Evangile, femble dans ce-paflage être en oppofition avec toute 1'Ecriture. Rien n'égale les majeftueufes idéés qu'elle nous donne de la perfonne de Jefus-Chrifl, confideré comme Roijdu Monde & de 1'Eglife. Elle nous fait les plus pompeufes defcriptionsde la durée de fon Regne, & nous dit que fontróne ejl a toujours £2?a perpétuité. f Et voici St. Paul qui nous parle de ce grand Monarque comme devant rentrer dans la condition de fujet, & de fon Regne comme devant fe terminer a la eonfommation D 2 Exorde. i. xlv. 7-  Plan de ce Difcours. h Partie. Rom. IX. 5. fz SERMON III. La Durée des fiecles, & finir avec Theonomie du tems; £5? quand toutes chofes lui auront été ajfujetties, alors aujfi le Fils même jera affujetti h celui qui lui a affujetti toutes chofes, afin que Dieu joit tout en tous. Tachons de-démêler la vérité «Sc de juftifier que notre Apötre eft dans une harmonie parfaite avec les autres Ecrivains ïacrés. Dans cette vue trois chofes nousparoiffent nécefTaires. t II faut expliquer la Doclrine de St. Paul. 11. // faut en produif e les preuves. 111. Et éclaircir enfin les difficultés qiïelle femble faire naitre, en laconciliant avec les paffages de PEcriture, qui femblent établir une Doclrine toute oppofée. Expliquons d'abord la Doctrine de St. Paul. Pour bien entrer dans la penfée de eet Apötre, il faut avant tout fe rappeller une diftinétion importante entre la Royauté naturelle de Jefus-Chrift «Sc celle dont il eft invefti en qualité de Médiateur. Comme Dieu beni éternellement avec h Pere, il a une autorité abfolue «Sc un empire fouverain fur toutes les créatures. C'eft-li une prérogative de la Nature Divine, qui lui eft elTentielle, «Sc dont il peut aufli peu fe dépouiller qu'il peut renoncer a fa Divinité. Mais en qualité de Médiateur de la nouvelle alliance, notre Sauveur a regu du Pere, a titre de prix «Sc de recompenfe de les travaux «Sc de fa palfion, une autorité  du Regne de Jefus-Chrift. 53 fouveraine fur le Monde , & fur 1'Eglife, qu'il exerce de la part de fon Pere, & comme fon Miniftre, c'eft ce qu'on appellé fon regne oeconomique: toute puiffancem'a été donnée au Gel & fur la Terre, dit-il lui - même. Et St.Pierre déclare aux Juifs, que Dieu Pa fait par fa puiffancePrince £5? i Sauveur. St. Paul enfeigne que, paree que Jefus-Chrift s'eft abaiffè, & a été] obéiffant juf qu'a la mort, la mort même de la croix, Dieu Pa fouverainement èlevè £5? lui a donné un nom, qui eft au-deffus de tout nom, afin qu'au nom de Jefus tout genou fléchiffe de ceux qui font aux deux &? en la Terre &? fous la Terre, 6? que toute langue confeffe que Jefus- Chrift eft le Seigneur d la gloire de Dieu le pere. Et dans leverfet qui précéde mon texte, notre Apótre dit,que Dieu a affujetti toutes chofes fous fes pieds. C'eft en envifageant Jefus'Chrift fous cette relation de Médiateur, que St. Paul dit au vs. 24.. qu'il remettra le Royaume d Dieu fon pere, & dans notre texte, qu'il fera affujetti a celui qui lui a affujetti toutes chofes. Les Théologiens nc fort partagés fur ce qu'il faut entendre par-la. On peut réduire leurs fyltêmes a quatre. . . I. Quelques Dofteurs de 1'Antiquite, fuivis en cela par d'illuftresThéologiens du , tems de la Rêformation, entendent par le Pils, non Jefus-Chrift lui-même, mais les D 3 Mattb. XXVIII. IS. iet. V. 31. Philipp. I. P-u. I. Explicaion.  54 SERMON III. La Durée Membres de fon corps myftique, les Fideles, en qui il vit, & qui vivent en lui. Ce font ceux-la, dit-on, qui feront particulierement alTujettis a Dieu le Pere, après que le Fils, qui vit en eux, aura vaincu tous fes ennemis, & aura aboli tout empire, toute puiffance £5? fbrce. Mais une médiocre attcntion iuffit pour faire fentir le peu de folidité de cette Explication. (1) II eft évident par toute Ja liaifon du Difcours de 1'Apötre & par la fuke de fes raifonnemens, qu'il parle de la Perfonne même de JefusChrift & du Regne de ce grand Sauveur, & que c'eft faire violence a fes expreffions que de les expliquer des Fideles. (2) Ce qui donne du poids a cette preuve, c'eft que St. Paul dit en termes expres que le Pils fera affujetti a celui qui lui a affujetti toutes chofes. Or qui ne fait que ce n'eft pas a 1'Eglife, aux Fideles que Dieu a donné un tel empire, mais au Chef de 1'Eglife? (3) Ou les Fideles feront alTujettis immédiatement a Dieu , fans plus relever en aucune fac-on de leur Roi, & alors fon empire celTe naturellement, puifqu'il ne peut être Roi fans fujets. Ou les Fideles feront alTujettis a Dieu, en demeurant toujours foumis k la domination de Jefus-Chrift comme Médiateur. Mais en ce cas-la quel changement y aura-t-il dans leur condition,puifque c'eft-la aéhiellement leur état, & qu'en relevant de Jefus-Chriftils ne  du Regne de Jefus-Chrijl. 5$ lailTent pas néanmoins d'être dépendans de celui pour lequel 6? par lequel font toutes chofes. 11. D'autres Interpretes expliquent eet affujettiffement duFilstfune conformité ' de volontés &? de vues dans le Gouvernement de 1'Eglife. Mais ce commentaire n'eft pas mieux fondé que le précédent. (1) Cet accord de volontés, cette uniformité de vues du Pere & du Fils a lieu dès a préfent. Jefus - Chrift agit au nom & en 1'autorité "de fon Pere; il n'emploie la puisfance qui lui a été donnée qu'a Pexécution des delfeins de Ia fagelTe éternelle; Je F ere, & Jui font un, non feulement par la conformité de nature, mais encore par celle de leurs volontés. Or il eft évident, que St. Faul parle dans mon Texte d'un changement qui doit arriver dans la condition du Médiateur, après qu'il aura parfaitement accompli 1'ceuvre que le Pere lui a donnée a faire pour rendre 1'Eglife heureufe. II faut donc qu'il foit queftion de quelque chofe, qui n'ait pas lieu dans 1'état préfent de 1'Eglife. (2) Ce qui eft décifif contre ce fyftême, c'eft que le terme de 1'original,, dont 1'Apötre fe fert, ne fignifie point du tout une conformité de volontés & de vues, il déligne une fujettion proprement dite, & il eft évident que St. Paul le prend en ce fens par les paroles qui précédent, car Dieu a affujetti toutes chofes fous fes pieds. D * 3ebr. IL 10. ii. ïxplication. fean X. 30.  ?6 SERMON III. La Durée ui. Jkcplication, Efaie VIII. 18. Jean XVII, 4- Or quand il dit que toutes chofes lui font afftu jetties, il paroit que celui qui lui a affujetti toutes chofes ejl exceptë. Qui ne voic que, dans eouc ce Oifcours, le mot d affujettir doit fe prendre dans fon fens propre & naturel ? & par conféquent qu'il faut y attacher la même idee dans les paroles de mon texte, & quand toutes chofes lui auront été affujetties , alors auffi le Fils même fera affujetti a celui qui lui aura affujetti toutes chofes. lil. Un troifieme fyftême plus naturel, eft celui des Théologiens, qui expliquent ee que St. Paul dit, que Jefus- Chrift re~ mettra le Royaume a Dieu fon pere de la maniere fuivante. Qu'après avoir pleinement accompli 1'oeuvre de la rédemption, & amené fon Eglife a la perfeclion & a la gloire, le Médiateur viendra a la tête de cette Eglife qu'il a rachecée, la préfenter a Dieu en difant, Me voici moi cj? les enfans que tu m a* donnés, f ai accompli l'ceuvre que tu mavois donnée a faire. Par Vaffujettiffement du Fils, ces memes Théologiens entendent un acte folemnel que Jefus - Chrijl fera dans cette occafion, en rendant compte au Pere de fon admjniftration, en fa qualité de Médiateur, & la maniere dont il s'eft acquitté des difterentes fonétions de eet augufte emploi. Ceux dont neus expofons le fentiment,  du Regne de Jefus - Chrift. fouriennent, que c'eft - la tout ce que St. Paul a voulu dire , & que Jefus - Chrift regnera toujours comme l\oi fur Ion Eglife, qu'il fera toujours le lien de notre communion avec Dieu. En un mot, qu'il n'y aura qu'un changement dans la ■ferme du Gouvernement de notre Médiateur. Au lieu qu'il regne a préfent, même au milieu de fes ennemis, qu'il fait fervir fon pouvoir fuprême a les foumettre & a mettre fon Eglife a couvert de leurs attentats; il regnera alors d'une maniere aufli pacifique que glorieufe, après avoir entierement vaincu & détruit ceux qui s'oppofent a fon empire. QuoiquE ce Commentaire n'olfre que de tres-belles idees, 1'explication, qu'on donne aux paroles de 1'Apötre, ne femble pas fatisfaire tout-a-fait a la force des expreffions de 1'original. Le terme, qu'on a traduit par remettra, ne recoit nullepart le fens qu'on lui donne d'une fimple préfentation. Et cette explication n'eft pas tant un commentaire des expreffions de St. Paul, qu'un fyftême imaginé pour lever les difficultés qu'elles femblent faire naitre. Ajoutez a cela que le fens que notre Apötre attaché au terme d'ajfujettir, clans le verfet qui précede , & dans les paroles qui fuivent celles oü il s'agit de ValTujettilTement du Fils, ce fens, dis-je, O 5  iv. Erplicatkn. ?8 SERMON III. La Durée ne permet gueres de borner ce terme a un fimple aéte qui cohfifte a rendre compte. IV. Il faut donc avoir recours a une quatrieme explication , c'eft celle des Théologiens, qui prennent les expreffions de St. Paul dans leur fens le plus fimple & le plus naturel. Ils foutiennent, qu'après que Jefus - Chrift aura pleinement accompli fouvrage du falut en mettant les Fideles en poffeffion du bonheur éternel, «Sc en livrant les méchans aux Hammes du feu qui ne s'éteint point, il réfignera entre les mains de fon pere cette puiffance fouveraine qu'il a recue en qualité de Médiateur , paree qu'elle ne fera plus d'aucun ufage, après 1'accompliffement des grands defleins pour 1'exécution defquels elle lui avoit été conférée. Alors il regnera avec le Pere & le St. Efprit d'une facon immédiate , les Fideles n'aiant plus befoin de Médiateur & d'Interceffeur. Alors Jefus - Chrift homme & Fils de Thomme lèra foumis d'une maniere plus particuliere au Pere, les fonctions qu'il exerce a préfent venant a ceffer. Ce n'eft pas M. F. que les Théologiens, dont nous expofons les idees ,prétendent que le Sauveur fera dégradé, dépouillé de fa dignité &de fa gloire. lis conviennent avec les défenfeurs du troifieme fyftême, que le Médiateur confervera un rang de prééminence dans 1'E-  du Regne de Jefus- Chrift. S9 glife triomphante. La gloire qu'il s'eft acquife par fes combats ne fera jamais anéantie , il jouira toujours du trayail de fon ame ê? Qn fera raffafié. La mémoire de fes vicloires toujours fubfiftante dans le bonheur même des Fideles, qui en fera le monument pendant toute féternité , fera 1'objet de leurs louanges & de leurs acclamations. II concourra lui-même a ieur félicité par 1'union qui regnera entre le Chef & les Membres. Mais fa domination particuliere comme Médiateur n'aura plus lieu &fera confondue dans celle qu'il exercera avec le Pere & le St. Efprit. Ce font-la les idéés que réveillent naturelle, ment les expreffions de 1'Apötre, c'eft - la la Doclrine qui réfulte clairement de toute la fuite de fon Difcours. 11 faut en prouver la vérité, c'eft le fujet de la feconde Partie de notre Difcours. Trois Preuves juftifient la vérité de ce que St. Paul nous enfeigne de la fin du regne oeconomique de Jefus - Chrift. I. Le caraëfere de celui qui Va revêtu de cette puisfance. II. La nature de Vautorité qu'il a regue. III. Le hut que V Apotre afftgne de la démiffton de eet empire. 1. Nous fondons la certitude dela fin du regne oeconomique de Jefus - Chrift fur le caraclere même de celui qui ïa reyêtu de cetU puiffanee. En remettant entre fes mains k Efaie LUI. II. ii. Partie. r. Preuvs , le ctiraftere de Dieu.  Efaie XLII. 8. Matth. XXVlIf. 18. 6b SERMON III. La Durée fouverain pouvoir fur Ie Monde & fur 1'Eglife , pour exécuter les miféricordieux desfeins qu'il a formés en faveur dela malheureufe poftérité d'Adam, Dieu ne peut avoir renonce aux droits inconteftables de fa Souveraineté, ü ne donne point fa gloire a un autre. Un Monarque qui envoye un de fes Miniftres, fon Fils fi vous voulez, pour ramener des fujets rebelles a leur devoir, pour s'oppofer aux ennemis de fon empire, pour remettre 1'ordre dans les Provinces de fon Royaume , & pour les gouverner jufqu'a ce que la paix y foit parfaitement rétablie , un tel Monarque dis - je, peut bien donner a celui qu'il envoie des pouvoirs extrêmement étendus, dépofer en quelquefacon fon autorité entre fes mams, mais jamais il ne fe dépouille de la dignité fuprême; en lui alTujettiffant toutes chofes, il eft évident qu'il eft toujours luimême excepté; & dès que la commiffion de fon Lieutenant eft remplie , quelque ample qu'elle ait été, il eft dans 1'ordre que les chofes rentrent dans leur premier état. De même par rapport a Dieu & a Jefus - Chrift en qualité de Médiateur. En donnant au Sauveur la toute -puiffance au Ciel en la Terre, Dieu le Pere n'a point abdiqué fautorité abfolue , qui eft un appanage elfentiel de fa nature , il a confervé fes prérogatives royales. En-  du Regne de Jefus Chrift. 61 forte que lorfque Jefus ■ Chrift aura accompli 1'ceuvre que le Pere lui a donnée a faire, que reftera -1 - il, finon qu'il remette a Dieu cette puilfance, qui ne lui a été communiquée que pour 1'exécution des plans de charité formés de 1'éternité. II. La nature de 1'autorité que le Médiateur a recue, prouve qu'elle doit cesfer. En quoi confifte cette autorité ? Dans quelles vues a-t-elle été donnée a JefusChrift? Quelles font les fonótions propres & naturelles de la Royauté de ce divin Sauveur? Dieu Va établi fur toutes chofes pour être Chef de VEglife. En cette qualité il la gouverne par fes Loix, il la protégé contre les eftorts de fes ennemis, il conduit fes élus par la voie de ce Monde, il triomphe de tout ce qui s'éleve contre la connoilTance de Dieu, il confondra fans reflburce fes ennemis , & la mort même fera engloutie en vicloire, enfin il amenera les enfans de Dieu a la gloire & les mettra en poflelfion de ce royaume éternel, qui leur a été préparé avant la fondation du monde. Voila a quoi fe réduifent les fonótions de la Dignité Royale du Médiateur, telle eft la deftination & 1'ufage de 1'autorité qu'il a recue. Or qui ne voit, que lorfque 1'Eglife fera parfaitement formée , & que toute 1'ceconomie du falut aura fa perfection, par la confommation du bonheur ii. Preuve, la wture de '■'autorité. Ephef. i. 22. i Cor. XV. 54Hebr. 11. 10. Macth. XXV. 34.  Efaic V. < Preuve, l hut de la dt mijjion. 2 Cor. IV 6. i Cor. XIII. 12. 6i SERMON III. La Durée des Fideles, il ne reftera plus rien a faire pour le Médiateur , confidéré comme tel ? II aura rempli a tous égards la commiffion que le Pere lui a donnée en féfanï . a fa vigne tout ce quil y avoit a faire, & par conféquent il fera naturel que fes fonéHons osconomiques ceflent. III. Le but que St. Paul affigne de la ! démifïïon de cette autorité du Médiateur, nous fournit une troifieme preuve de la certitude de eet événement. Le Fils fera affujettiacelui qui lui a affujetti toutes chofes: pourquoi ? C'eft, dit 1'Apötre, afin que Dieu foit tout en tous, c'eft - è - dire, que la tres adorable Trinité regne immédiatement fur tous les fideles, & gouverne d'une maniere directe- le Monde des bienheureux , fans le miniftere du Médiateur. A préfent Dieu regie & dirige tout par le miniftere du Fils,- c'eft par fon canal que paffent • toutes les graces, il mus donne ïillumination de la connoiffance de fa gloire en la face dt Jefus- Chrift, cedivin Sauveur eft tout en tous. Mais après la confommation des fiecles, Dieu fe communiquera immédiatement, les Fideles le verront face a face, il fera lui-même leur lumiere 6? leur gloire éternelle, & il leur donnera de fa main même tout ce qui peut les rendre folidement heureux, tant par rapport a la fupériorité des connoiffances, queparrapporf  du Regne de Jefus* Chrift. 63 a la perfection des vertus & a la douceur des fentimens. Or qui ne Tent que, tel étant le but que Dieu fe propofe , les fonótions du Médiateur devront naturellement cefler, puifqu'elles font incompatibles avec unexercicede faurorité immédiate de la très-fainte Trinité. Dès-laque Dieu fera tout en tous, les fonótions particulieres de Jefus - Chrift ne feront plus d'aucun ufage. Nous n'aurons plus befoin de Prophete pour nous inftruire, puifque nous connoitrons comme nous fommes connus, & que la Foi fera changée en Vue. Nous n'aurons plus belbin de Sacrificateur & <¥Intercejfeur, puifque le pêché fera entierement aboli ; qu'exempts de toute foibleffe, & délivrés des reftes de corruption , qui nous font broncher en plufieurs chofes, nous ne ferons plus fujets a ofFenfèr Dieu. Enfin nous n'aurons plus befoin de Proteéleur pour nous défendre contre nos ennemis, qui feront entiérement terraffés. Elévés au comble de la félicité, ïiotre fort fera au-delTus de toutes les révolutions & fixé pour jamais. Ainfi tout concourt a établir la vérité de la Doctrine de St. Paul dans mon texte. Tachons d'éclaircir les difficultés que cette Doctrine femble faire naitre. C'eft notre troifieme Partie. La fin du regne oeconomique de Jefus- [aq. iii. 2. hl Pmie.  i [. Difkulti. 2 Sain. VII #3. Dan. II. 44Dan. VII. 14. Luc. I. 33. 64. SERMON III. La Durée Chrift paroit difficile a concüier avec les tirades qui annoncent la durée éternelle du royaume du Mejjïe, & // femble que ceft déirader notre Sauveur, lui ravir en quelque fagon le prix de fes travaux, que de fupoofer, quü rentrera dans l'affujettiffement. Èclairciifons ce point important de notre Théologie. I. II paroit difficile de concüier la fin du regne oeconomique de Jefus - Chrift* avec les Oracles qui annoncent la durée éternelle du royaume du Mejfie. Tels font cette promelfe faite a David, j affermirai le trone de fon regne a jamais; cette prédiétion de Daniël, le Dieu des deux fufcitera un royaume, lequel ne fera jamais diffipé\ eet autre oracle du même Prophete, fa domination eft une domination éternelle, qui ne paffera point, fon regne ne fera point dijfipé. Ce qui donne un grand poids a ces oracles, ceft qu'ils ont été confirmés en termes expres par 1'Ange qui annonca la naiffance de Jefus - Chrift: il regnera , dit le Meflager Célefte , il regnera fur la maifon de Jacob éternellement, il ny aura point de fin a fon regne. Si dans ces paflages on ne trouvoit que la fimple qualification d'éternel , la réponfe feroit aifée. Le terme d'éternel ne fe prend pas toujours dans toute fa rigueur; il re5oit un fens plus ou moins étendu felon les fujets, auxquels il s'applique. Mais ce qui  du Regne de Jefus-Chrift. 6$ qui fait la grande difficulté, c'eft qu'il eft dit, que ce Royaume ne fera point diffipé, quil ny aura aucune fin a ce regne. Co nament donc St. Paul peut-il dire, que le Fils remettra le Royaume a fon Pere & quil lui fera ajfujetti ? (I) Observez , qu'il y a dans tous ces pafl'ages une oppofition manifefte entre le Royaume du Melfie & les Empires du Monde. Ceux - ci fubiffent de grandes révolutions, ils fe fuccedent les uns aux autres dans les tems marqués par la Providence. Mais le Royaume de Jefus- Chrift fubfiftera jufqu'a la fin du Monde, fans être jamais ébranlé. II ne finira point comme les Monarchies de la Terre, en fefant place a un nouvel empire. C'eft évidemment la pehfée de Daniël; car après avoir dit, que ce Royaume ne fera point diffipé, il ajoute par voie d'explication , quil ne fera point laiffé a un autre peuple. D'ailleurs les Monar'ques, qui gouvernent les Royaumes de la Terre, font foumis a la loi générale impofée a tous les hommes de mourir une fois. II n'en eft pas de mê- i me du Roi de 1'Eglife, il eft immortel & fes fujets participent a ce glorieux privilege. A ces égards on peut donc dire,que fon regne durera éternellement-. (II) C'eft ce qui me conduit a une feconde réflexion. Par le Royaume du Tome 1. E ïebr. ix, 27. ■  66 SERMON III. La Durée ] i ] ] i i rr. lxxxix. 3». ApOC.V.9. IL Difficulté. vleflie on peut entendre ou 1'exercice acuel de la Puiflance royale, ou le Royaume néme, le Peuple qui le compofe. Si par le Royaume on entend 1'exercice de 1'autorité •oyale, on peut dire qu'il n'aura point de in, entant qu'il fubfiftera jufqu'a la conbmmation des fiecles, & qu'il durera au:ant que les révolutions des Aftres qui ferment a mefurer le tems, il jera qffermi a toujours comme la Lune: felon 1'expreffion de Dieu lui même ; ce Royaume ne fera point diffipé; on ne verra point un autre Empire s'élever fur fes ruines «Sc prendre fa place. Aucune Puiflance , au deflbus de celle "de la Divinité, ne fuccedera a celle que le Médiateur exerce de la part de Dieu. En un mot, fon Royaume ne fera point aboli, mais il changera de conftitution. Bien loin de prendre fin, cette Monarchie fpirituelle fubfiftera pendant toute 1'éternité, foit en la perfonne du Roi, foit en celle de fes fujets, qui formeront toujours une focieté bien réglée. Ils feront toujours étroitement unis avec leur divin Chef, qui les a rachetés par fon propre fang, «Sc les a raflemblés de toute Trïbu , Langue £«? Matton. II n'y a donc aucune oppofition entre la Doctrine de St. Paul, & Pidée que les oracles nous donnent de la durée du regne du Meffie. II. Mais comment concevoir que JefusChrifl réfigne la puiflance qu'il a reQue ?  du. Regne de Jefus-Cbrifl. 67. N'eft-ce pas le dégrader & le dépouiller 'de la gloire qui lui appartient ? N'eft-ce pas lui ravir leprix de fes travaux,&le priver de la recompenfë que le Pere lui a accordée ? Non M. F. cette difficulté n'eft fondée que fur une fauffe notion du regne oeconomique de notre Sauveur. Si en remettant a Dieu une autorité, dont 1'ufage ne fera plus néceffaire pour le but que le Pere s'eft propofé, & pour lequel le Fils Pa recue, ce cMü Médiateur perdoit fa dignité & fa prééminence fur les Fideles , la gloire qu'il a méritée par fes fouffrances, & qui réfulte de fes triomphes fur les ennemis de fon Royaume, fi fon bonheur fouffroit quelque atteinte de fon affujettiffement a Dieu : certainement la Doctrine de St. Paul feroit inconcevable. Mais rien de tout cela n'a lieu. Jefus-* Chrift * en qualité de Médiateur, rélignera une autorité dont il n'aura plus befoin. 11 demeurera toujours grand & glorieux, après qu'il aura étéglorifié en jes Saints gfrendu admirable en tous ceux qui croient. Nous 1'avons indiqué, en expofant dans notre première Partie le fyftême qui nous paroit le plus naturel. Dévéloppons davantage notre penfée pour lever toutes les difficultés, qui pourroient refter encore. Qüand Jefus • Chrift aura remis le RoyaumeaDieu,& qu'il aura réfigrié cette autorité particuliere qu'il exerce a préfent E 2 i. Thesf. I. 10.  68 SERMON III. La Durée JeanX. 30 V. 19. Matth. XXVIII. 18. Rom.VIII. 28. en qualité de Médiateur, il ne lahTera pas d'êcre diftingué k IV égards principaux. (I) Son Humanité toujours unie k la Divinité, ne pourra que participer de différentes manieres k la majefté fuprême. Nous n'avons que des idéés fort imparfaites des elFets de cette union admirable de la Nature Divine avec la Nature Humaineen la perfonne de Jejus-Chrift. Mais fi en vertu de cette union il étoit en droit de dire pendant les jours de fa chair, le Tere £5? moi Jbmmes un , quelque chofe que le Pere faffe , le Fils le fait aufft de même, a plus forte raifon devons - nous concevoir que, dans le féjour glorieux de 1'immortalité, le Fils de Phomme participera d'une fafon toute extraordinaire k la grandeur du Fils de Dieu. La fin du regne oeconomique du Médiateur ne peut mettre aucun obftacle k cette communion de gloire & de félicité, puifqu'elle avoit lieu k divers égards avant que la tOute-puiJJ'ance lui eut été donnée au Ciel £5? Jur la Terre. (II) Après que Jefus- Chrift aura remis le Royaume k Dieu fon pere, il ne laiflera pas d'être toujours le premier-né entre fes freres, & de tenir le premier rang dans ia Jerufalem d'enhaut. Son aflujettilTement a Dieu n'anéantira point les relations qu'il a avec les Fideles. II confervera k jamais la qualité de leur Sauveur & par cela même celle de leur Chef Ce qu'il a fait pour  du Regne de Jefus-Chrift. 6$ leur procurer le falut & pour les amener a la gloire, lui affure toujours par rapport a eux un titre de iüperiorité & une prééminence, qui eft; indépendante de 1'exercice accuel des fonctions de fa Royauté après la confommation de leur bonheur. (III) La gloire & la mémoire de fes triomphes fubfifteront pendant toute 1'éternité, & feront a jamais un fujet de louanges & de bénédictions. Les Anges, qui alïïftent devant le tróne de Dieu, célebreront par leurs acclamations les merveilles du grand ouvrage, dont ils delirent a préfent de fonder les profondeurs , & qui feront alors parfaitement devoilées a leurs yeux. Les Saints glorifiés, parvenus au comble de la félicité, uniront leurs voix a celles des Armées Céleftes pour publier par leurs cantiques la gloire de 1'auteur de leur falut; ils feront retentir le féjour des Bienheureux de fes louanges en difant: Digne eft VAgneau, qui a été mis a mort, de recevoir puiffance & richejfes , fageffe & force, honneur &? gloire & louange Le falut eft de notre Dieu qui efl ajfts fur le tróne, de l'Agneau. A celui qui eft ajfts fur le tróne, 6? a l'Agneau Joit louange, honneur, gloire £5? force aux fiecles des fiecles. (IV) Enfin un dernier trait de la gloire, dont jouira pendant toute 1'éternité notre divin Médiateur , c'eft qu'en vertu de la plênitude de la Divinité qui habitera a ja- 1 Pierre I. 12. Apoc. V. 12. VII. 10. V. 13. Col. ii. 9.  Apoc. VII. 17- Jean XVII. 24. I. Conjéqucnce. TVJatth. XXVIII. 20. 70 SERMON III. La Durée mais en lui, ce grand Sauveur contribuera toujours au bonheur des Elus.. Intimement uni avec eux, il leur fera gouter dans fa communion &. dans ce commerce perpétuel, qu'ils auront avec lui, toutes les douceurs & tourTes délices qui peuvent rendre des créatures intelligentes heureufes : VJgneau les paitra les conduira aux vives fontaines des eaux. La gloire & le bonheur des Fideles feront a jamais la gloire & le bonheur de celui, dont legrand defir pendant fa vie fut, que ceux, que le Pere lui avoit donnés, fe trouvalTent réunis avec lui dans les demeures celeftes. C'en eft alfez M. F. pour vous faire fentir, qu'en refignant 1'empire a Dieu, Jefus- Chrift ne fera en aucune facon dégradé , ni dépouillé de la gloire qui lui elt fi juftement due. Finihons par deux Conféquencespratiques,qui découlent naturellement des vérités que nous avons étabiies. I. Conséquence. La durée du regne de notre Médiateur, jufqu'a Fentiere confommation de notre Félicité, doit ncüs infpirer une ferme confiance, a 1'égard de nousmêmes & a 1'égard de 1'Eglife en général. A l'égard 'de nous-mêmes. Nous devons compter fur la proteétion conftante de notre grand Roi. Nous fommes en droit de nous appliquer cette confolante promeffe , je fuis avec vous jufqu'a la fin du Monde. Sommes-nous expofés a des  du Regne de Jejus-Cbrijl. 71 afflictions, aux miferes de la vie? Déchargeons tout notre fouci fur le Seigneur, car il a foin de nous. Dilpenfateur des biens temporels & fpirituels, s'il juge k propos de nous priver des premiers, ne doutons pas de fa fageffe & de fa bonté, dont il nous a donné tant de preuves. Penfons qu'il a éprouvé lui-même les maux que nous relTentons, & que toutes chofes contribuent au bien de ceux qui Taiment. II faura bien nous délivrer, quand il en fera tems, & il ne permettra point que nous foions tentès au dela de nos forces. Quoi! nous livrerions-nous k la dêfiance, parceque notre Roi travaille k nous infpirer Pelprit, qui doit animer les citoyens de fon Royaume ? Quand il nous fait paffer par des épreuves, il n'a en vue que de nous détacher des objets du Monde, d'épurer nos vertus, afin que Pépreuve de notre Foi, beaucoup plus précieufe que Por, qui toutefois ejl êpuré par le feu, nous tourne a louange, a honneur 6? d gloire, quand Jefus - Chrift fera révêlé. L'idée de la grandeur de nos devoirs & de la force des tentations, auxquelles nous fommes expofés fur la terre, nous infpire-t-elle des mouvemens de crainte & de découragement ? RalTurons - nous: fouvenons - nous que celui qui regie tous les événemens eft notre protecteur, & qu'il s'eft engagé non feulement k nous protéger, k nous accorder E 4. ; Pierre V. 7- lom. VIII. 27- [ Cor. X. 13- 1 Pierr. I. 7-  Matth. XII. 20. Hebr. VII, $ Jean 11.1. Jean XIV. ' 23. ï Pierre IV. 16. Hebr. XII. 3' Jean XV. 72 SERMON III. La Durée de puitTans fecours , mais encore d'ufer de fupport en vers nous, en ne brijant point le rofeau cafjè £5? n'éteignant point le lumignon qui furne. Ji fait plus, il eft notre In-, tercefieur, qui peut Jauver pleinement ceux qui s'approcbent du Pere par lui; &zfi nom avons pécbé, c'eft - a - dire, fi nous fom^ mes tombés dans quelqu'un de ces péchés, qui font une fuite de notre foiblefle & de notre condition mortelle, ilejl notre Avocat auprès du Pere. Quelle confiance ne doit pas infpirer aux- vrais FideJes cette douce promelTe , fi quelqu'un m'aime , il gardera ma parole, £ƒ mon Pere Paimera, nous viendrons d lui £5? nous ferons notre demeure cbez lui. Sommes - nous expofés a des combats pour la Foi ? Ne redoutons pas ce que 1'homme mortel peut nous faire, Rappellons - nous cette lecon de St. Pierre , fi quelqu'un fouffre comme Cbretien, qu'il n'en ait point bonte „mais qu'il glofifie Dieu encela. Retracons-nousl'exemple de notre divin Chef, qui a fouffert la contradittion des pécbeurs, & appliquons-nous, ainfi que nous fommes en droit de le faire ce qu'il difoit a fes Apötres; fi le Monde mus a en haine, Jacbez qu'il m'a eu en baine avant vous. Si vous euffiez été du Monde , le Monde aimeroit ce qui feroit Hen; mais parceque vous n'ét es pas du, Monde, £5? que je vous ai é/us. du Monde, % caufe de cela le Monde vous a en baine.  du Regne de Jefus - Chrift. 73 Souvenez-vous de la parok que je vous ai dite, que le Serviteur n'eft -pas plus grand que fon Maïtre. S'ils m'ont perjécuté, ils vous perfécuteront aujji. Je vous ai dit ces chofes, afin que vous ayez la paix en moi. frous aurez de l'angoijfe au Monde, mais ayez bon courage, j'ai vaincu le Monde. N'ayons pas moins de confiance en Jefus - Chrill par rapport a 1'Eglife en gènéral. Quels que foient les combats aux quels elle eft appellée , nous ne devons jamais craindre, que les portes de TEnfer prévaillent contre elle. Celui qui Ta fondeé & qui Fa rachetée par fon fang de toute tribu, Jangue £5? nation, ne peut manquer de la protéger. Ne craignez pas, que les effbrts de ÏErreur puiffent jamais anéantir la vérité, que les ravages de la Corruption en banniffent la fainteté, qui fait Vornement de cette Maifon de Dieu. Ce grand Roi, qui eft venu au monde pour rendre tèmoignage d la vérité , la maintiendra puiffamment. Ce Jefus , qui a aimé 1'Eglife, £5? s'eft donné foi ■ même pour elle, afin de la fanctifier, la confervera & fe la rendra une Eglife glorieuje. Surtout ne vous effrayez point des perfécutions auxquelles elle eft expofée, des maux fous lefquels elle gémit quelquefois. Son Sauveur regne dans les Cieux, & fes ennemis ne peuvent rien fans fa permiffion. II s'eft engagé a la couvrir Jean XVI, 33- Matth. XVI. 18. Apoc. V.o. Pfeaum. XCII'. 5. Jean XVIII. 37, Ephef. V. 25. 26. 27. Pfi XCI.4.  Pf. XXV 3. II. Conféquen. ce. 2 Cor, IV. 6. 74. SERMON III. La Durée 'de Vombre de fes ailes, il ne remettra fon autorité «Sc fon pouvoir qu'après avoir confommé le bonheur de cette Eglife. 11 s'eft exphqué de la maniere la plus pofitive fur 1'intérêt, qu'il prendra toujours a fa deftinée, «Sc il ajuftitié par des preuves iènfibles, qu'il accomplira fes promeffes. Confions-nous donc fans réferve en la protection de notre Roi, & fouvenons - nous, que ceux qui fe confient en lui ne feront jamais confus. II. Une feconde Conféquence, qui découle des vérités que nous avons méditées, Conféquence que nous fouhaitterions de graver dans vos cceurs, c'eft que 1'aflurance d'être un jour élevés a un état, oü nous n'aurons plus befoin de Médiateur pour nous approcher de Dieu , doit ennoblir nos dehrs «Sc nous faire foupirer après une condition fi glorieufe «Sc fi féconde en délices. Nous mettons a un haut prix, «Sc c'eft avec raifon, les privileges fpirituels, dont nous jouiflbns, de pouvoir être inftruits des fublimes vérités de la Religion, de les lire, de les entendre annoncer, de nous approcher de Dieu par nos prieres, de le folliciter au nom de Jefus - Chrifl de nous accorder ce qui nous eft néceflkire , de participer aux Sacremens «Sc d'y ferrer les nceuds de notre communion avec Dieu. Oui Chretiens, il doit vous être bien doux d'avoir Viïïumination de la con-  du ''Regne de Jefus-Chrift. 7? 'noijfance de la gloire de Lieu en la face de Jejüs-Chrift , d'être en commerce avec Dieu, d'avoir des garands de l'accomplisfement de nos vceux, d'être admis a fa table, nourris du pain de vie & abbreuvês des eaux faillantes en vie éternelle. Penfez néanmoins, que ce ne font-la que de foibles eilais de ce qui nous attend, quand 'Jefus-Chrift aura remis le Royaume a Dieu fon pere. Alors vous ferez a la fource des lumieres & des graces, vous ferez avec le Seigneur, vous le poiTéderez,en un mot Lieu fera tout en tous. Une condition fi glorieufe n'exciteroit- elle pas en nous les defirs les plus vifs ? Le comble de la félicité , la vue de Dieu , les raffafiemens de joie qui font h fa droite ne toucheroientïls pas nos cceurs ? „ Parole! Sacremens! „ lnftructions précieufes! Méditations fain„ tes ! Communications raviffantes avec „ mon Dieu! Interceflion confolante. de „ mon Sauveur! Vous êtes les fources de „ ma joie, 1'adoucilTement de mes peines, „ Tappui de ma Foi & de mon Efpérance ! „ Mais j'afpire néanmoins a voir la gloire „ de mon Dieu, a le contempler.d „ face, k communiquer avec lui immédia„ tement, a recevoir les effufions de fon „ amour direétement de lui. Je foupire „ après cette glorieufe époque, oü ma „ Foi anéantie & changée en vue, mes [eau VI. 35- [ean IV. 14. Pf. XVI. 11. 1 Cor. XIII. 12,  7<5 SERMON III. La Durée, &fV. „ efpérances en pofleffion, mes vertui „ rendues inaltérables confommeront mon „ bonheur pour jamais!" Dieu veuille que ce foient-la deformais nos fentimens & nos defirs. Amen. K LXXIII. v. 12. Prononcé a Amflerdam le 27 de Mat 1770 Matin d la Petite Eglife.  LE VRAI CHEF DE VEGLISE DU NOUVEAU TESTAMENT. Car ce rïeft -pas aux Anges qu'il a affujetti le Monde avenir, dont nous parions. Heb. Ch. ïl vs. ?. QUATRIEME SERMON. On ne peut réfléchir fans étonnement fur ]a bizarrerie de la conduite des Juifs, dans les premiers tems de la publication de 1'Evangile. Rien n'égaloit le refpect, qu'ils avoientpour les traditions de leurs Doéteurs 3 malgré 1'oppofition, qu'il y avoit a divers égards, entre ces Traditions & les décifions exprelTes de la Loi. Et ces mêmes Juifs, fi dociles pour les hommes, refufoiènt de fe foumettre a Pautorité de Dieu, parlant par le miniftere de fon Fils. lis méprifoient 1'Evangile, confirmé par tant de preuves , fi refpectable par la conformité frappante, qui fe trouvoit entre les circonftances, qui en accompagnoient la prédication, & les oracles des anciens Prophetes. Les Juifs fe croyoient obligés d'avoir une profonde vénération pour ia Loi, publiée3 felon eux, Exordt.  Plan de ce Difciurs. 78 SERMON IV. Le vrai Chef deT Eglife par le miniftere des Anges. Et ils ne pouvoient fe réfoudre d'obéir a 1'Evangile, oü brilloient tant de caracleres de Divinité! Plufieurs mêmes de ceux, qui avoient embraffé la Religion Chrétienne, confervoier.t pour les Anges autant & plus de refpeci qu'ils n'en avoient pour Jefus - Chrift. Ce font les erreurs que St. Paul combat dans 1'Epitre aux Hébreux. Après avoir. juftifié dans le Ch. I. la fupérionté de notre Seigneur fur les Anges, il a commencé celui, dont mon texte fait partie, en propofant aux Hébreux 1'obligation d'obéir a 1'Evangile, qu'il fonde fur ie danger d'en abandonner fans cela la profeffion, & fur les chatimens féveres, auxquels ceux qui méprifent 1'Evangile doivent s'attendre , puifque les transgreiTeurs de la Loi de Mo'ïfe ne font pas demeurés impimis. 11 ajoute dans mon texte une nouvelle raifon pour porter les Hébreux a refpeccer la Loi nouvelle & a y obéir, c'eft le caractere de celui qui eft le vrai Chef de 1'Eglife du Nouveau Teftament. II leur repréfènte, que ce n'eft pas aux Anges qu'ils font foumiSï mais a Jtfus-Chrift; car, dit-il, ce n'eft pas aux Anges que Dieu a affujetti le Monde avenir, dont nous parions. Pour répandre fur ce texte tout le jour qu'il nous fera poffible, I, 11 faut donner des Éclairciffemens , tant fur les expresftom, que fur le fens même. II. // faut  du Nouveau Testament. 79 prejjer le motif que ces paroles renferment pour nous porter a obéir a FEvangile. Dieu veuille bénir ce Difcours, & le faire fervir k nous infpirer des fentimens , dignes des vrais difciples de Jefus-Chrift! Les Eclairciiremens, que nous avons a donner, roulent principalement fur trois Queftions, qu'on peut naturellement faire fur mon texte, & de la folution desquelles dépend le fens qu'on doit lui alligner. I. Quejlion. Que faut - il entendre par le Monde avenir? II. Quejlion. T a-t-il eu un Monde foumis aux Anges?, III. Question. En quoi confijle Findépendance du Monde avenir, ou pour mieux dire quel en ejl le vrai Chef? 1. Question. Que faut-ïl entendrepar le Monde avenir? Obfervons d'abord, que c'eft une expreiïïon empruntée des Docteurs Juifs, qui délignent par lk trois chofes différentes: Tétat des ames après la mort, Tétat de gloire , après la réfurre ft ion f ÖP le plus Jouvent, F ét at de FEglij'e dans le tems £5? fous le regne du Mejfie. C'eft au demier fens, que I'Auteur de la Paraphrafe Chaldaïque 1'a pris, & il a traduit le titre de Pere de l'Eternitéy Efaie IX. 51. par celui de Pere du fiecle avenir. Nous ne vous fatiguerons pas par un détail faftueux de paflages, tirés des Ecrits des Rabbins, dont la plupart ne nous font connus que par les R^r 1. Partie. h Queftion: quel ejl le Monde avenir ?  Efaie II. 2 Heb. I. ii. taitie. oo SERMON IV. Levrai Chef de P'Eglife „ que je vous annonce, eft le propre Fils „ de Dieu, bien élevé au-deflus des Anges s ,5 par les éminentes qualités qui le diftin3, guent j par la douceur de fon miniftere, 5, & par 1'équité de fes loix. Quelle que j, foit Pautorité, que vous attribuez aux I4> „ Anges, ils ne font que des Ejprits admi3, nijlrateurs ,envoiés pour fervir en faveur 3, de ceux qui doivent recevoir Phéritage , 3, du falut. Le vrai Chef de 1'Eglife du 3, Nouveau Teftament, c'eft Jefus-Chrijl, 5, le fils unique de Dieu." Telle eft la doctrine de St. Paul dans mon texte; la même, qu'il enfeigne conftamment dans toutes fes Epïtres. Bornons-nous a ce feul paflage du Cn.I. de I'Epitre aux Ephefiens: vs. 20-22. Dieu a fait ajjeoir Jefus - Chrift a fa droite dans les lieux céleftes, au - deffus de toute Principauté, de toute Puijfance, de toute Dignité £2? de toute Domination . & audefjus de tout Nom, qui fe nomme, non feulement en ce fiecle, mais aufft en celui qui ejl avenir; £fil a affujetti toutes chofes fous fes pieds, £5? Pa étahli fur toutes chofes pour être le Chef de rEglife. Nous croions avoir fuffifammentéclairci, ce qu'il y a d'obfcur dans mon texte. Nous allons preffer le motif qu'il renferme pour nous porter a obéir a 1'Evangile. C'eft le fujet de notre feconde Partie. La confidération de celui, a qui 1'Eglifè du Nouveau Teftament eft foumifè, nous  du Nouveau Teftament. 01 offre un puiflant motif a y obéir. Pour en fentir toute la force, il faut démêler tout ce qui rend le divin Chef de rEglife refpectable. Ce font i. Les qualités, qui le diftinguent. 2. Les titres qui rendent fon empire légitime. 3. Les régies ou les maximes, qu'il [uit dans Jon gouvernement. 4.. Vexcellence 'des loix, qu'il impofe d Jes Jüjets. 1. Les qualités, qui diftinguent le Chef de F Eglife du Nouveau Teftament, doivent nous le rendre refpeétable, & nous porter 3 lui obéir. Fefons - nous de juftes idéés de ceRoi célefte,&dans cedehein rappellonsnous les traits admirables du brillant éloge, que St. Paul en fait dans le 1 Chap. de notre Epitre. L'AuteurderEvangilejChefde rEglife, eft celui par qui Dieu a fait les fiecles, qui eft la vive image du Tere la rejplendeur de fa gloire, entant qu'il réunit en fa perfonne toutes les perfections de la Divinité, & qu'en qualité de Médiateur, 1} les a fait éclater de la facon la plus parfaite fans qu'elles foient fufceptibles de lamoindre altération en lui. Indépendant & Souverain, il jbutient toutes chojes par ja parok puijfante. Fils éternel du Dieu vivant: d'une maniere qui ne convient a aucune créature, pas même aux Anges, puifqut ces Efprits céleftes font appellés d Fadorer Eternel & immuable, il préfidera a la der niere cataftrophe de 1'univers, comme il préfidé a fon origine. Son tróne doit fub 1. Les qualitis du Chef del'Eglife.  II. L°.s titres de joi autorité. 92 SERMON IV. Le vrai Chef de F Eglife fifter h toujours, il a écé facré d'une maniere qui lui eft particuliere, & la durée de fa gloire en égalera la grandeur. Tel eft M. F. le Chef de 1'Eglife du Nouveau Teftament. Y eut-il jamais un Monarque plus digne de refpect-, & qui méritat davantage par fes qualités 1'obéiflance & les hommages de toutes les créatures? On fe fent naturellemen t por té a refpecter les grands hommes, & on fe dépouille même affez aifément en leur faveur de la répugnance qu'on a a reconnoitre un Maïtre. C'eft ainfi que dans les ages anciens , lorfque lesfociétés commencerent a fe formeren vit des hommes féroces & fauvages , s'humanifer par les foins de leurs Légiflateurs, & frappés des grandes qualités , qui les élevoient au-deffus des autres hommes fe foumettre a leurs loix. Mais quel Légiflateur égala jamais Jefus-Chrift1? Vit-on jamais un affemblage plus complet de tout ce qui peut & doit infpïrer de la vénération, & engagqr a 1'obéiffance ? Si les juifs fe croioient tenus d'obferver la Loi, publiée, felon eux, par le miniftere des Anges ,'combien plus ceux qui profesfent 1'Evangile, doivent-ils fe foumettre a un Chef, fort fupérieur aux Anges, & distingué par tant de caraéleres admirables. IE. Les titres , qui rendent Vempire de Jefus-Chrifi légitime , doivent nous ren»  du Nouveau Teftament. y% dre fon autorité refpeétable. Un' des prétextes, qui femblent quelquefois excufer la defobéïflance, eft, que celui qui commande, ne poffede pas a jufte titre \ autorité qu'il exerce , & qu'il s'arroge des droits qui ne lui appartiennent point. Mais un Roi, digne déja par lm-meme qu'on le refpeéte & qu'on lui obeiffe, merite encore plus 1'obéïffance, quand il eft revêtu d'un pouvoir légitime. Or il n y eut jamais des droits mieux fondes que ceux que Jefus-Chrift a fur 1'Kghfe^ ft ïa rachetée par fon fang, & seft donne Joimême pour elle. C'eft ce qui fait dire a St. Paul, Rom. XIV. Nul de nous ne vit pour foi-même, & nul ne meurt pour foi-même. Mais foit que nous vivions , nous vivons au Seimeur ; foit que nous mourions, nous mourons au Seigneur : foit donc que nous vivions , foit que nous mourions , nous fommes au Seigneur. Car ceft pour cela que Chrift eft mort, quil eft reffufcité & a repris une nouvelle vie ; afin quil aomine , tant fur les morts, que fur les vivans. D'ailleurs Jefus-Chrift a fur 1'Eglife uc nouveau droit, entant qu'il a vamcu fes ennemis & détruit 1'empire du Prmc€ des ténébres & de la mort, & par-la s'efi acquis fur les hommes une dominatior légitime. Ce qui fait dire encore a St, Paul, quil eft le Chef du corps de F Eglife-. Aft. XX. 28. Eph.V. 25. Rom. XIV. 7.8,9- Col. I. JS*  Col. IL 10, Matth. XXVIII. 18. Phil. IL 8 • io. ti • III. Les régies, de fon GoU' vernemettt. Hebr. I. 8,9. 94. SERMON IV. Le vrai Chef de V Eglife le commencement oüDieu hahite. il doit y avoir de la proportion en tout. Un Maïtre fage regie fes inftructions fur la capacité de fes éléves; c'eft: ainfi que Jefus- Chrifl en agiffoit avec fes Apötres, J'avois a vous dire encore plufieurs chojes, mais vous ne les pouvez point porter main- • tenant. C'eft ainfi que Dieu en agit fagement avec nous. La vue du fcjour des bienheureux raviroit & transporteroit les hommes hors d'eux-mêmes, ils fuccomberoient fous le poids de la magnificence des objets j qu'il préfenteroit a leurs yeux. Jugez-en par ce que dit St. Pauï,qu\ avoit eu le privilege fingulier d'être ravi jufqiïau troh H 2 ■ i Tim. VI, i«» jean' iVl. ii  n6 SERMON V. La Condition i Cor. XV. 42, 44- 1 Cor. xiii. 9, 10, 12. h. A Ia conjlitution de la Socitté. fieme Ciel,il eft dans 1'impuiirance d'en rien dire. Jugez-en par le changement, qui doit fe faire a nos corps par la réfurreétion: ils font jemês en corruption, ils rejfufciteront incorruptibles ;ils jont femés corps jenjuels, ils rejfufciteront corps fpirituels: pourquoi cette transformation, fi ce n'eft pour nous mettre en état de foutenir le grand fpeétacle, que nous fommes appellés a contempler. C'eft donc par une fagefle digne de lui, que Dieu ne nous laiffe qu'entrevoir par la Foi ce que nous ferons, ce qui nous attend dans le Monde avenir, qu'il nous prépare par degrés a un changement d'état & de condition. C'eft St. Paul, qui nous fournit cette raifon: Nous connoijfons, dit - il, en partie, £5? nous prophétijons en partie; mais quand la perfetlion jera venue, alors ce qui ejl en partie jera aboli,.... car nous voions maintenant par un miroir objcurêment; mais alors nous verrons face d face: maintenant je connois en partie; mais alors je connoitr ai felon que fai été auffi connu. II. Dieu nous fait marcher par Foi,parceque la conflitution de la Socïété le demande. Dans l'état préfent des chofes les hommes font appellés a diverfes fonétions relatives au Monde;la Société ne peut fubfifter fans travail, fans commerce. Les Magiftrats doivent faire obferver les Loix, veiller au maintien du bon ordre, a la fureté de 1'Etat, adminiftrer la juftice. Les Chefs de fa-  du Chretien. n? mille ne peuvent négliger fans crime Pédueation de leurs enfans, les foins néceffaires pour leur propre entretien & pour celui de ceux, qui leur appartiennent: en un mot, ehacun felon la condition, oü la Providence 1'a placé, a des devoirs a remplir. Or li Dieu levoit les voiles, qui nous dérobent la vue du bonheur éternel, nous ne pourrions qu'être abforbés dans la contemplation de ces raviffans objets, nous oublierions tout ce qui nous environne , nous nous oublierions nous-mêmes, nous ne penferions plus qu'a ces merveilleux objets, accablés fous le poids de la gloire fouverainement excellente, nous ne pourrions que fentir & voir. Jugez-en M. F. par 1'exemple de St. Pierre fur la montagne, lorsqu'il vit la majefté de Jefus-Chrift de fes propres yeux; le foible crayon de la gloire célefte, qui brille en fon Maitre, le faifit, le transporte a un tel point, qu'il veut fixer la fon féjour, & qu'il oublie le monde entier. C'eft donc un trait admirable de la fageffe de Dieu de ne nous laiffer connoitre les biens, qu'il nous referve, que par la Foi, puisqu'il veut, que nous pafffons un certain tems fur la terre, & que nous y vivions, en fociété avec nos femblables. III. Dieu nous fait marcher par Foi, parceque le carailere de Vceconomie prêjente Pexige ainfi. Nous fommes fur la terre dans un état d'épreuve, & ce n'eft qu'en nous H 3 2 Pierre I. 16. ! Matth. XVII. 4. III. Au carac tere de Vaconomiepréfente.  Ïi8 SERMON V. La Condition Apoc. lil. %u Rom. IV. 18. Je-in XX, 29. acquittant de notre devoir, malgré les obftacles, qui s'y oppofent, que nous pouvons plaire a Dieu, &c obtenir le bonheur éternel: il nous appellé a combattre, avant que de nous accorder le prix de la victoire; celui qui vaincra, dit Jefus - Chrift, je le j'erai affcoir avec moi Jur mon tróne, ainfi que fai vaincu, £5? Juis ajfis avec mon pere jur Jon tróne. Or li nous voions les charmes du féjour de la Gloire, les horreurs de 1'Enfer, il n'y auroit plus de vertu a croire ce que Dieu nous en a révélé, l'impreifion de ces objets feroit li vive, qu'il ne pourroit y avoir de doute, & que nous ferions .forcés de reconnoitre lexiftence de l'état de peines & de recompenfes. Si 1'Ecriture donne de li grands éloges a la Foi ó'yJbraham, c'eft qu'il efpéra contre ejpérance, fe confiant fans réferve a la parole & aux promeffes de Dieu. C'eft fondé fur la même raifon que le Sauveur parlant de fa réfurrection dit, que bienheureux jont ceux qui auront cru j'ans avoir vu. Sinousétions fpectateurs des charmes du Ciel, des tourmens de 1'Enfer, quelle vertu y auroit-il encore h obéïr a Dieu? A quel caraétere reconnoitroit-on ceux qui feroient leur devoir par un principe d'amour & de refpect pour Dieu, & par le defir fincere de lui plaire? Comment les diftingueroit-on de ceux, que la frayeur, la crainte feule des peines empêcheroit de fe livrer au pêché ? La vie  du Chretien. 119 préfente eft le tems, oü Dieu nous éprouve.oü il nous dit en quelque facon, comme Jofuê autrefois aux Ifraélkes, choififfez, a. qui vous voulez fervir. Nous avons donc befoin de motifs, qui nous déterminenta pratiquer la vertu, & nous infpirent de 1'éloignement pour le vice; la Foi nous préfente ces motifs, entant qu'dle eft une fubfiflancedes chofes,que nous efpér ons, 6? une démonflration de celles, que nom ne voions point. Mais notre choix doit être libre, pour que nous foions dignes de recompenfe, & c'eft ce qui n'auroit pas lieu, fi nous voyions l'état avenir. IV. Enfin Dieu nous fait marcher par Foi, parceque c'eft le moyen le plus propre de le glorifier ici bas. Un Chretien, qui elt fermement perfuadé de 1'exiftence ^ d'une vie avenir, qui n'a aucun doute fur 1'excellence & le prix des biens refervés aux gens de bien, fur Phorreur des peines deftmées aux méchans, rend 1'hommage le plus parfait ala Véracité, a la-Fidelité, a la Bonte & a la Juftice de Dieu; il acquiefce fans héfiter au tèmoignage, qu'il a rendu, il ne doute point, qu'il n'accompliiTe fes promesfes «Sc fes menaces, qu'il ne rende a ehacun felon fes ceuvres, Javoir la vie éternelle d ceux, qui perfévérant d bien faire cberchent la gloire J'honneur & Vimmortalitè, tandis qu'ily aura indignation, coïere,& angoiffe fur toute ame d'homme, qui fait le H 4. Jof. DÜV. 15. ïeb.XI. 1. IV. A la gloire de Dieu. Rom. II. 6.9.  Apoc. II. 10. ïcor.11.9. Efaie XLV. 15. ■ m Flati». i. Confé■fuênce. Ï20 . SERMON V. La Condition mal. Un Chretien, qui regie fes projets & fes aclions fur ce que Dieu lui a révélé a eet égard, qui par la confideration de la Couronne de vie, qui lui eft promife, foutient les plus rudes combats, lorfqu'il y eft appellé, qui envifage la mort fans frayeur & avec joie, comme 1'heureufe époque, oü fa félicité va devenir parfaite, glorifieDieu par la d'une maniere bien plus pure & plus noble, qu'il ne le feroit, s'il voioit tout ce qui eft caché dans 1'avenir, s'il contemploit a découvert ces ebo/ès, que Pceil n'a point vues, que Poreille n'a point ei:tendues, £«? qui ne monterent jamais au cceur de Phomme. En marchant par la Foi fans chanceler dans la carrière, il fait voir, qu'il.eft intimement perfuadé de la puufance, de la charité & de la hdélité du Dieu, qu'il adore, malgré les nuages, qui lui cachent ce que ce généreux Rémunerateur referve k ceux, qui le craignent; il annonce hautement, qu'il eft fortement perfuadé, que li PEternel ejl un Dieu, qui Je cache, /'/ ejl un Dieu Sauveur. FinilTons en preflant les conféquences, qui découlent des vérités, que nous venons d'établir. J. Le Chretien , qui fuit les direétions de la Foi , fe conduit avec fagelfe. Envain 1'ennemi de la Religion pretend-il le taxer de crèdulité & de fanatisme, en ce qu'il préfére un avenir, qu'il ne connoit fout au plus que fort obfeurément, aii*  du Chretien. 12? préfent qu'il voit & qu'il connoit clairement. En fuppofant, que le Chretien n'ait qu'une fimple probabilité , la disproportion , qu'il y a entre les biens, qu'il efpére , & les facrifices, qu'il doit faire pour les obtenir , juftifie fa conduite. S'il eft fondé dans fa perfuafion, que ne peutil pas fepromettre, & que n'auroit-il pas a perdre, s'il ne retenoit fes glorieufes efpêrances fans varier? S'il fe trompe, fon erreur ne 1'expofe a d'autre danger ^ qu'a. la privation d'objets, auxquels le goüt de la vertu a fait renoncer bien des hommes, indépendamment de tout efpoir de recompenfe. D'ailleurs quel dédommagement llncrédule nous promet-il ? Quelle relTource nous offre-t-il, pour nous faire renoncer a notre efpérance ? le néant M. F. Man'gcons £5? beuvons, car demain nous mour'rons , nous aurons le fort des brutes, voila fa confolation. Quelle perfpective pour quiconque fait penfer , que de périr entierement! N'y a-t-il pas un vrai fanatisme aux ennemis de 1'Evangile de prétendre anéantir dans les hommes le fentiment le plus naturel, qui eft le defir de 1'immortaïité, en fubftituant aux belles & fublimes vérités de la Religion Chrétienne leurs folies fpéculations, leurs fyftêmes impies! Bi nous donnons aux objets , que la Fo nous dévoile, la préférence fur ceux, qu< la Terre nous offire , c'eft que nous avon H s x. Cor. XV. 32- i |  122 SERMON V. La Condition 11 Confé. quetice. i Tim. VI. 16. Apoc. XIV. ii. Hom. XII. 3- i Cor. XIII. o. toute la certitude, que nous pouvons raifonnablement demander. Une foule de preuves concourent k nous confirmer la certitude & la grandeur des biens avenir, Tout ce qui établit la Divinité de 1'Evangile , démontre Pexiftence & la gloire des recompenfes de Foeconomie future , & juftifie par conféquent la fagefie de la conduite du Chretien , qui fe regie dans la vie préfente fur ce que fa Foi lui fait appercevoir dans 1'éternité, qui pendant fon voyage fur la terre ne perd pas le fouvenir de fa Patrie, bien qu'il ne 1'appercoive que dans 1'éloignement. II. Puisqüe nous n'avons encore que la Foi pour nous guider, foions modeftes & retenus dans nos recherches a Pégard des grands objets , qui nous font propofés. N'entreprenons pas témérairement de vouloir pénétrer dans cette lumiere inaecejjïble , oü Dieu habite , ni dans eet abime , dont la fumée monte aux fiecles des fiecles. Ne foions pas Jages au dela de ce qu'il faut. Souvenons-nous , que nous ne connoiffons , & ne pouvons connoitre qu'en partie. Contentons-nous de fa voir, qu'il y a un état de gloire & de bonheur, dont Pexcellence furpaffe toutes nos conceptions, un état de peine & de tourment, qui eft redoutable au dela de ce que nous pouvons imaginer. Ce n'eft pas que nous ne puifllons & ne devions nous occuper  du Chretien. 123 d'objets, auxquels nous avons un fi grand ïncérêt. Au contraire, livrons-nous avec goüt & plaifir a la méditation de la gloire, uui nous eft refervée; que les vives & pompeufes images, fous lesquelles PEcriture nous la repréfente , fervent a nous munir contre les dangereufes impreffions des fens. Ketracons-nous les effrayantes peintures, qu'elle nous fait de la condition malheuren fe des pécheurs, afin d'y puifer des forces pour rélifter aux féduclions de la corrnption. Voila ce qui fufïit dans notre état préfent, & fur quoi la Foi eft un guide, que nous pouvons fuivre avec conriance, fans craindre de nous égarer. III. Enfin , puisque nous ne marchons encore que par la Foi, & que nous attendons un état ., oü elle fera changée en 'vue, & 1'efpoir en jouiflance, formons des defirs ardens pour Péternité. Envifageons les années de notre vie, qui s'accumulent infenfiblement, comme autant de retranché du tems de notre attente. Ha! Chretiens , fi nous penfions férieufement a la gloire , qui doit être révélée en nous , 11 nous écoutions les lecons de la Foi, 11 par elle nous nous rendions préfens les biens invifibles & éternels , faudroit-i nous prêcher le detachement du monde ■ le mépris de la vie? Faudroit-il nous follr citer a chercher Pimmortalité? Non! non nous anticiperions par nos defirs, par no III. Conjiquence. Rom. VIII. 18. 1 1  Ixod 2XXIIL • 5 PCXLII. 3- 124 SERMON V. La Condition du Chretien. vceux cette heureuie époque , oü la Foi fera changée en vue ; nous afpirerions k entrer dans les demeures Céleftes; & en répondant aux vues de la Providence pendant cette oeconomie d'épreuve, «Sc durant le tems de notre féjour dans cette terre étrangere, nous dirions dans le fens le plus fublime & avec des tranfports aflbrtis a la grandeur de notre efpérance ; Seigneur ƒ fais moi voir ta Gloire; ó quand entrer aije £s? me préfenterai • je devant la face de mon Dieu! Ce grand Dieu veuille nous en faire k tous la grace! Amen. Pf. XXVII. vs. 7. Prononcé h Amfterdam le 28 Decembre 1766. Soir a la Grande Eglife.  L'ETOILE D E JACOB. Je le vois, mais non pas maintenant; je le regarde, mais non pas de prés : une Etoile ejl procédée de Jacob, ö? un Sceptre s'eft élevé d'lsraël 11 trampercera les coins de Moab, détruira tous les enfans de Seth. Nomb. Ch. XXIV. vs. 17. SIXIEME SERMON. Ce que vous aviez penfé en mal contre moi, PEternel Va penfé en bien. Ce1 fut M. F. la fage réponfè , que Jojepb fit a fes freres, lors que redoutant fa vengeance, après la mort de Jacob , ils tacherent de le prévenir, & d'intérefler a leur confervation fon refpect. pour la mémoire & pour les volontés d'un Pere vénérable. Ce pieux Patriarche leur déclare, qu'ils jugeoient trés-mal de fes difpofitions, & que , bien loin de conferver le moindre reflentiment contre eux , il reconnoiffoit dans les événemens de fa vie la fage direction de Dieu, qui avoit fait fervir leurs coupables deffeins a remplir des vues infiniment avantageufes. Ce que vous aviez penfé en mal contre moi, F Eternel Fa penfé en bien. Exerde. jerief. L 20.  12Ó SERMON- VI. V Etoile Mes Freres, C'eft-la affez généralement la régie, que la Frovidence iüit dans le gouvernement du monde. Souvent elle dirige les événemens d'une maniere , qui leur fait prendre un tour fort oppofé aux vues de ceux , qui y concourent. Les caufes fecondes agiffent, mais la première caufe leur donne le mouvement; les conduit par des refforts invifibles, & leur fait produire des effets, qui confondent toute la prudence humaine. Le pouvoir 5 que Dieu a fur 1'efprit & le cceur des hommes, le met en état de faire fervir leurs paffions mêmes a 1'accompliffement de fes deffeins. Vérité importante , dont les Annales du Monde & celles de 1'Eglife fourniffent de nombreules preuves. Bornons-nous a celle , que nous préfente 1'Hiftoire, dont mon texte fait partie. Balaam fe difpofe a maudire Israël en faveur de Baiak Roi des Moabites, & Dieu régie les penfées & les difcours de eet homme mercenaire , de faQon qu'il prononce non feulement coup fur coup des bénédictions, mais les oracles les plus intéreffans pour 1'Eglife. Je le vois , dit - il, mais non pas maintenant \ je le regarde, mais non pas de prés. Une Etoile eft procèdèe de Jacob , £f un Sceptre s'eft élevé d'lsraël. II tranfpercera les coins de Moab, £s? il détruira tous les enfans de Seth.  de Jacob. lij Cest ici une Prophetie digne de toute notre attention. Le Caraétere de celui qui parle; les circonftances oü il prononce cette prédiclion; la fingularité & 1'obfcurité de quelques-unes de iès expreffions; la noblelTe & la majelté des images, Pobjet fur lequel Balaam portoit fes regards. Voila fans contredit dequoi intéreffer vivement. Pour répandre donc fur ce fujet tout le jour qu'il nous fera poffible nous ferons trois chofes. I. Nous donnerons les éclaircijfemens néceffaires pour faciliter Pintelligence de 1''Hijloire , dont eet oracle fait partie. ïï. Nous déterminerons Pobjet de la prédiclion. 111. Nous en jujlifierons Paccompliffement. Dieu veuille, que ce Difcours contribue a affermir notre foi & a nous porter efficacement a la piété! Ainfi foit-il. Vous favez, que les Israélites, après avoir erré durant quarante ans dans les déferts de FArabie , s'approcherent enfin des frontieres de la terre de Canaan, & fe préparerent a en faire la conquête , conformément aux promeffes & aux ordres de Dieu. L'approche de ces nouveaux Conquérans, déja fameux par plufieurs viótoirés, fit trembler pour fes Etats Balak Roi de Moab. Ce Prince implore le fecours de Balaam , & lui fait les offres les plus magnifiques pour Fengager a maudire Plan de ct Difcours. I. Partie.  128 SERMON VI. VEtoite i. Qui étoit Balaam. Israël. Cet homme, après avoir réfifléj fè rend k fes inftanees , fe met en devoir ds répondre a les voeux. Mais entrainé par un pouvoir furnaturel, il bénit k diverfes reprifes ce même peuple; il prédit fa grandeur future, & prononce des oracles involontaires. Voila en peu de mots un Expofé de PHifloire, qui donne naturellement lieu k trois queftions intérefïantes. I. Qui étoit Balaam ? II. Quel étoit le genre d'infpiration qui le fit parler ? 111. Pourquoi Balak compte-t-il Jifort fur fon fecours ? I. Balaam demeuroit en Méfopotamie, & quoique Pidolatrie fut regnante dans ce Pays, il adoroit le vrai Dieu. N'en foiez pas furpris. Avant la conquête de la Terre de Canaan 5 la connoifTance & le Culte de Dieu n'étoient pas bornés a la feule poftérité d'Abraham. La difperfion du Genre-humain avoit répandu dans tous les climats les vraies notions de la Divinité* Et quoiqu'elles euffent été obfcurcies & défigurées par la Superflition, que Pidolatrie eut fait de bonne heure de grands progrès, il y avoit néanmoins encore dans les lieux, oü elle étoit la plus univerfelle, des adorateurs du feul vrai Dieu. Tels avoient été Ahimelech Roi de Guerar, Job & fes amisdans VArabic, tel étoit Jéthro beaupere de Moyfe dans le Pays de Madian; tel étoit auffi Balaam dans la Méfopotamie. Le féjour , qu'Abraham avoit fait dans  de Jacob. 12$ dans cette contrée , avoit fans doute beaucoup contribué a y conferver de juftes idees de 1'Ëtre fouverain , & du culte qui lui eft dü. Non feulement Balaam connoiübit & adoroit le vrai Dieu , mais il étoit du nombre de ceux , a qui Dieu iè révéloit, & en*qui lè trouvoit Pefprit de Frophetie. Quand on lit avec attention la narration de Moyfe, & que Ton en pefe mürement toutes les circonftances, on ne peut entrer dans la penfée des Théologiens, qui regardent Balaam comme un Enchanteur & un faux Prophete. Lorsque les députés du Roi de Moab arrivent chez lui, & Pinvitent a fe rendre auprès de Balak pour maudire Israël, il leur dit, demeurez ici cette nuit, je vous répondrai, felon que l'Eternel nfaura parlé. La nuit Dieu lè révele a Balaam, s'entretient avec lui & lui donne fes ordres. En conféquence il répond aux Envoyés de Moab: allez-vous en dans votre Pays, car F Eternel a refujé de me laiffer aller avec vous. De nouveaux Ambaffadeurs étant venus le folliciter, il leur répond: quand Balak me donneroit Ja maifon pleine d'or £«? d1 ar gent, je ne pourrois point transgreffer le commandement de TEternel mon Dieu , pour faire aucune choje^petite ni grande. Ce n'eft pas la alfurément le langage d'un Enchanteur, ni d'un faux Prophete. Un Enchanteur, un faux Prophete a-t-il un commerce li faroi^ Tome ƒ. 1 Nombr. XXII.3-I3.  Nombre XXIV. 2. 2 Pierre II. 15- II. Nature de Jen infpiraHen. 130 SERMpN VI. VEtoile lier avecDieu?Se fait-il une loi de fe régler fur les ordres de Dieu? Prononce -1 - il des oracles & eft - il animé de 1'esprit prophétique ? Moyfe dit en termes exprès, qne 1'esprit de Dieu'étoit Jur Balaam. Auffi quelques-uns des Doóteurs Juifs ont-ils regardé Balaam comme un vrai Prophete; & ce qui doit naturellement étonner, c'eft qu'ils font égalé a Moyfe même. Un (a) de ces Docteurs expliquant ces paroles du Deuteronome, oü il efl dit, qu'il ne s'eft point levé de Prophete en Israël femblable d Moyje, dit, il ne s'en eft point levé en Israël, mais bien parmi les autres nations du Monde. Et qui eft ce,Prophete égal h Moyje? Balaam fils de Behor. Mais fi Balaam fut diflingué par la fupériorité de fes lumieres, il ne le fut pas autant par fes vertus. L'Apötre St. Pierre dit, qu'il aima le falaire (Piniquité. Et il paroit par le récit de Moyfe, qu'il ne tint pas a lui, que Balak ne fut fatisfait: que ce fut en quelque facon malgré lui, qu'il prononca tant de bénédiétions fur Israël, & des Oracles auffi intéreffans pour 1'Eglife. II. C'est ce qui nousconduitaexaminer, quel étoit ce genre d'infpiration, qui le fit parler ? Dieu fe révéloit en diverfes manieres aux Prophetes; par des fonges, par des viftons,par des extajes, oüil les fefoit tom- 00 Majemenides de Rege Meffia Cap. I. in Notis. Vid^ Fafcfc. Opufc. qua ad Hifi. &c. pertintnt. T. IX. p. 58*.  de Jacob, 131 ber j 011 par ces voix, qu'il leur fefoit entendre* L'efpece de révélation détermmoit la facon, en laquelle les Prophetes s'énoncoient. Dans les Vïfions Dieu leurmontroit non feulement les objets,dont ils devoient parler, mais il leur dicloit quelquefois les termes, quïls devoient emploier. Quand il leur fefoit entendre par une Voix diftinéte ce qu'ils avoient a dire, il eft évident, qu'ils n'avoient encore qu'k répéter, ce que la Voix leur avoit préfcrit. Mais hors de ces cas-la, en leur rèvélant les chofes, & en les poulfant a les publier, Dieu les laiftoit s'exprimer k leur maniere, parcequ'il fuiftfoit, que la prédiclion de 1'avenir paiïat k la poftérité. C'eft ce qui paroit par la diverlité du ftile des Prophetes, animés d'un feul & même Esprit. Ce principe fert a éclaircir divers traits des Propheties, dont il eft impofüble fans cela de rendre raifon. On voit par lk,que 1'obfcurké; qui regne dans quelques Oracles, ne vient pas de 1'obfcurité de la révélation,mais de celui qui étoit infpiré, & de fa maniere naturelle de s'exprimer. C'eft ce qui rend raifon de certaines images, que les Prophetes emploient. Par ex. ils caractérifent 1'ceconomie évangélique par des traits, qui étoient propres a 1'ceconomie légale. Dieu fefervoit des idéés, que les Prophetes avoient dans 1'efprit, «Se qui leur étoient familiéres. En leur dévoiknt 1'avenir, en les portant a le publier3 il 1 £  i3z SERMON VI. VEtoile leur iaifibit la liberté d'emploier les images, qui fe préfentoient naturelleraent a eux. De-la vient encore, que les Propheter ont mêlé quelquefois dans un même Oracle deux objets,deux événemens diftérens. Ün reconnoit aifément cette elpece d'Oracles, que les Théologiens appellent Oracles Typiques,k la variété des traits, qui y regnent; dont les uns conviennent a un objet, a un événement, & les autres a un autre objet, a un autre événement, qui fe trouve caractérifé par des traits femblables en d'autres Oracles. 11 faut furtout obferver, qu'il y avoit des occalions,oüDieu,en fe révélant aux Prophetes, les lailfoit agir par eux-mêmespour ex écuter fes ordres; &qu'en d'autres occafions une puilTance fupérieure les fefoit parler, fans que leur volonté agit. Dans les extafes furtout, ils pronon9oient des Oracles involontaires, transportés par 1'efprit qui les animoit. L'infpiration de Salaam fut de ce dernier ordre. II tomba en extafe, & labouche prononca des prédictions , que fon coeur ambitieux & avare défavouoit. Dieu, qui tient les esprits en fa main , le fit agir d'une maniere toüte oppofée a celle qu'il fe propofoit. C'eft ainfi que 1'Hiftorien Juif Jofeph (i) a concu la chofe; car voici le discours, qu'il fait tenir par Balaam a Balak. „ Croyez- vous donc (i) Antiq. Jud. L. IV. Ch. 6. de Ia Trad. d'Arnaud d'Ahdilli.  de Jacob. 133 3, cue, lorsqu'il s'agit de proprTétifer, il „ dépende de nous de dire, ou de ne pas „ dire ce que nous voulons? C'eft DieUj „ qui nous fait parler, comme il lui plait„ fans que nous y ayons aucune part. Je „ n'ai pas oublié la priere, que les Madia„ nites m'ont faite. Je fuis venu dans le „ delfein de les conteiiter, & je ne penfois „ a rien moins qu'a publier les louanges „ des Hébreux, &a parler des faveurs, „ dont Dieu a réfolu de les combler. Mais „ il a été plus puiflant que moi, qui avois „ réfolu, contre fa volonté, de plaire aux „ hommes. Car lorsqu'il entre dans notre „ cceur , il s'en rend maitre, & ainfi, „ parcequ'il veut procurer k félicité de „ cette nation & rendre fa gloire immor„ telle, il m'a mis en la bouche les paroj, les, que j'ai prononcées." III. Il nous refte a éclaircir une troifieme queftion , pourquoi Balak comptoit fi fort fur le jecours de Balaam? Lui-même nous 1'apprend dans le difcours, qu'il ordonne a fes Ambaffadeurs de tenir a ce Prophete; Je fats, que celui que tu béniras, fera bénit, £5? que celui que tu maudiras, fera maudit. On voit par-la, que ce Prince idolatre étoit perfuadé, que Balaam avoit un grand pouvoir. 11 y a de 1'apparence, que dès ce tems-la étoient établies deux coutumes, qui furent très-ordinaires dans les fiecles fuivans; 1'une étoit YEvocatian I 3 iil Pourquoi Balak comp. toit fur le fecours dt Balaam. Nombr. XXII. 6.  Nomb. XlV. 9. II. Fariie. m SERMON VI. DEtoile des Dieux , & 1'autre le Dévouement d'un peuple ennemi. Quand les Paiens affiégeoient une ville, ou fe dispofoient k livrer bataille , ils évoquoient les Divinités tutélaires de ceux, qu'ils alloient attaquer, & tachoient par de certaines cérémonies de les engager a abandonner ceux , qu'elles protégtoient ; & Fon étoit perfuadé de 1 emcace de cette évocation. C'eft a cette opinion que Jofué femble faire allufion, quand il difoit aux Israélites , Ne craignez point le peuple de ce pays, car leur ombre, c'eft-a-dire la proteclion de la Divinité, s'ejl retirée d'eux. En d'autres occafions on dévouoit les places ou les armées ennemies, en implorant la malédiclion des Dieux contre elles. Toutes les circonftances deTHifloire donnent lieu de penfer, que Balak ne manda Balaam que pour pratiquer 1'une & 1'autre de ces cérémonies, perfuadé , qu'un homme auffi célebre ne pourroit manquer de réüffir a évoquer le Dieu , qui protégeoit Israël, a 1'engager dabandonner ce peuple & a le rendre l objet de fa malédiclion. II eft tems de determiner, quel étoit 1'objet fur lequel Balaam portoit fes vues dans notre Oracle. C'eft le fujet de notre feconde Partie. Les Interpretes font fort partagés fur le fens de la prédiclion, que nous avons entrepns d'expliquer. Ils font d'accord fur un feul artide, c'eft oue Balaam annonce  de Jacob: 135: un Roi, qu'il défigne non feulement par le Sccptre, qui eft une des marqués de la Royauté, mais encore parle terme $ Etoile : Peut - être en s'accommodant a 1'opinion affez genéralement répandue, que 1'apparition d'un nouvel Aftre , ou d'une Comete, préfageoit 1'élevation de quelque grand Prince , ou la chute d'un Empire. 11 y a néanmoins bien autant d'apparence, que Balaam a eu deffein de caraétérifer la gloire & la durée du fceptre, dont tl prédit 1'élevation ; ou, pour parler plus exaétement, qu'il a voulu marquer par le titre $ Etoile, que le Roi, dont il annonce la grandeur , feroit comme une |brillante lumiere. Trois opinions principales partagent les Interpretes , quand ïl eft queftion de déterminer, quel eft le Roi, que Balaam avoit en vue. J. Quelques - uns , tant parmi les Juifs que parmi les Chretiens, prétendent, qu'il s'agit de David, a qui les traits de la Prophetie paroiffent con venir jusqu'a un certain point. 11 a été le vairiqueur des MoabiteSf qu'Ü traita avec beaucoup de rigueur. Les titres A'Etoile & de Sceptre défignent affez bien 1'établiffement d'un nouveau Royaume, tel que fut celui de David, diton. Ce Prince foumit auffi les Iduméens, ce qui eft prédit dans le verfet qui fuit mon texte. II eft vrai, qu'on ne fait, comment expliquer ce que Balaam ajoute, que le I 4. I. Sentimens divers. 2 Sam. VIII. 2.  13$ SERMON VI. VEtoile Roi, dont il parle, détruira les enfans de Setb. Les uns fuppofent, que Setb eft le nom de quelque Prince voifin de Balak. D'autres conjecturent, que c^elt le nom d'une Ville ou d'une Contrée de la Moabiiide. Mais comme ni PHiftoire ni la Géographic ne font mention d'un Prince, d'un Pays, ou d'un Peuple, qui ait porté le nom de Setb, nous ne croions pas pouvoir adopter cette fuppofition , qui n'a d'autre fondement, que le befoin qu'on en a pour appuier fon fyftême.. Quelques lavans obfervent, que Balaam femble fe plaire extrêmement dans la répétition des mêmes chofes fous des noms différens, & en conféquence ils foutiennent, que les enfans de Setb & les Moabites font un même peuple. ït D'autres Interpretes (*) expliquent ^0trt^de unicluement de la perfonne du Meflie, & au lieu de traduire, il iranspereera les coins de Moab, ils traduifenV 9 transpercera les Primes ou les Chefs de Moab , par lesquels ils entendent les Dieux des Moabites ; enforte que ce trait marqueroit la deflruction de Pidolatrie. De même au lieu de traduire , il détruira les enfans de Setb, ils traduifent, // menera cfptjfs les enfans de Setb. Par les enfanS ne Setb, ils entendent les nations foumifes ¥??JiY' E^eii' :Deni0^1fi^'• Ev^- L. IX. c. t. p. m.  de Jacob * 137 $ 1'empire du Démon, que le Meffie mettroit en liberté, en les affranchiffant du joug de 1'idolatrie. Nous ne nous étendrons pas ici fur ce que difent les anciens Doéteurs Juifs , parceque nous aurons occafion d'èn parler dans la fuite. 111. Une troilieme claffe de Théologiens adopte le fentiment de Majemonides , un des plus célebres & des plus judicieux Interpretes de 1'Ecriture parmi les Juifs. Ce Docïeur prétend, que notre Oracle eft un Oracle typiqué, qui porte fur deux objets, fur David & fur le Meffie, & il applique a ehacun les traits, qu'il croit lui convenir. Nous n'entrerons point en conteftation fur la part, que 1'on croit que David a a eet Oracle. Mais nous foutenons, que le grand objet, fur lequel le St. Efprit, parïant par la bouche de Balaam , portoit fes vues, eft le MeJJie. C'eft cette vérité que nous allons mettre dans tout fon jour. (I.) Et d'abord nous pouvons nous prévaloir de 1'autorité des plus anciens Doéteurs Juifs, qui ont entendu la prédiclion de Balaam du Meflie. De ce nombre eft 1'auteur de la Taraphrafe Chaldaïque, qui a rendu notre texte de la maniere fuivante: Quand un Roi Jera iffu de Jacob, £«? que le Meffie Jera nè dü Israël, il tuera 'tous les Chefs de Moab, £5? dominera jur tous les enfans des hommes. Cette explication étoit li généralement recue parmi les 1 y 11. Le Meffie eft le principal objet de t'Oracle.  Nombr. XXIV. 3-5 j ] 1 138 SERMON VI. VEtoile Juifs, que dans le fecond fiecle, fous PEmpereur Haclrien, ils fe laillerenc féduire par un ïmpoiteur, qui prétendoit être le Mesiie, & qui, pour donner du poids a fa inilhon, fe donnoit le titre de Bar-Corheba, c'efi-a-dire Fils de PEtoile. (1!.) Ce qui favorife encore notre penlee, c'eft que la Prophetie, que nous examinons, vient a la füite de plufieurs autres oracles, dans lesquels Balaam annonce le bonheur de 1'Egbfe, & qifil commence par ces energiques paroles , que tes tabernacles Jont beaux ó Jacob ! & tespavillom 0 Israël! Or il eft difficile de concevoir , qu'il n'ait pas fait mention de la Royauté du Chef de cette Eglife, dont il prédit les gloneufes deftinées. Ajoutez a cela le preambule majeftueux du Prophete , par lequel il prépare naturellement 1'efprit a quelque chofe de grand ; Celui qui entend les paroles du Dieu fort, &> qui a lajciente du Souverain, qui voit la vijion du 7out-puifant, qui tombe d terre, & qui $ les yeux ouverts. Et obfervez, que ce préambule ne fe trouve qu'a la tête de notré Oracle , & de ceux avec lesquels il eft :mmédiatement lié, & qu'on ne voit rien te pareil dans les difcours précédens de Balaam, oü il avoit béni Israël. Ce qui èmble indiquer, qu'il s'agit- ici d'objets )lus nobles & plus importans. Mais en ^xpliquant 1'Oracle de David, on ne fe*t  de Jacob. 139 point la raifon de cette différence de lan- (UI.) C e qui met la verite , que nous -établiiïons dans tout fon jour , c'eft 1'examen des caratteres mêmes de la Prophetie. En premier lieu, il s'agit d'un perfonnage illuftre, dont la gloire devoit être pure, brillante & durable. C'eft ce qui paroit par I'image, que le Prophete emploie, une Etoile efl procédée, ou comme 1'on peut traduire, procédera de Jacob. Or c'eft la un trait, qui ne convient point a David, ou qui ne lui convient que tres - imparfaitement. •Quelque grande qu'ait été a quelques •égards la gloire de ce Prince , elle n'a pas kille d'être obfcurcie en plus d'une occafion, & a été palTagere, de même que fon ■regne ; ce qui ne répond pas a la nobleüe dè i'image, fous laquelle 1'objet de 1'oracle nous eft repréfenté. Mais fi on L'entend du Meffie , 1'on fent d'abord le rapport adrnirable, qu'il y a entre ce Roi gloneux, & I'image, fous laquelle il s'offre k 1'efprit de Balaam. En fecond lieu, le Prophete n'apperqoit celui, dont il parle, que dans unfort grand éloignement, & au travers d'une longue fuite de fiecles, je le vois, mais non pas maintenant, je le regarde, mais non pas de prés. Si 1'on compare ce ftile avec celui des Prophetes, qui ont vécu longtems après Balaam, on ne peut clouter, que ces expreffions ne défignent  Agg.II. 6. 1 ( 1 I ] i c 1 c <3 t f, fl tl Ho SERMON VI. VEtoile un très-grand intervalle entre le tems de ce Prophete, & 1'époque oü devoit paroïtre celui, dont il annonce la venue Or entre le tems, oü vivoit Balaam, & celui de David, il ne s'eft écoulé qu'environ 45o ans; pénode très-courte dans le ftile prophetique, puifqu'^éfe appellé un interval e de plus de cinq fiecles, un peu de terns. II eft donc naturel de rapporter notre Oracle au Meffie. En troifieme lieu, la nature de la Royauté, que le Prophete annonce, conduit encore a reconnoitre icileRoi de 1'Eglife; un fceptre, dit - il, s eft elevé ou sèlévera i Israël. Cette expresBon un fceptre, dans un fens fi abfolu, iniique une forme de Royauté nouvelle, réreülMidéed'un nouvel empire, fingulier lans fa nature, & d'un ordre différent des mtres empires du Monde. C'eft ce qui je peut con venir a David, dont Ja Royaue"^eu ,rien de particulier; il devint joflefieur du fceptre, qu'avoit porté Saul, c Ion Royaume fut de la même nature |tie les autres Royaumes du Monde. )'ailleurs, I'image cYEtoile, qui précéde elle éeSceptre, femble offrir a 1'efprit 1'iee d'un regne diftingué par une gloire Jute; extraordinaire, inaltérable, découmt de la nature même de la Royauté, & ipeneure a toutes les révolutions; car ïHe eft Ia nature de la hnmere des étoi-  de Jacob. 14-r les. Ce qui donne un nouveau poids a notre explication, c'eft Vuniverfifé de 1'empire, dont Balaam prédit la fondation, que nous croions marquée dans les paroles, oü les verfions ordinaires portent, il détruira les enfans de Seth. Le terme de l'Original qu'on a rendu par détruire, ne fe trouve que dans ce paffage & dans le vers. 5. du Ch. XXII. Ü Efaie. C'eft ce qui en rend la fignification douteufe. Mais ce qui peut fervir a 1'éclaircir, ce font les anciens Jnterpretes, foit qu'ils aient mieux connu la vraie fignification de ce mot,foit qu'ils en aient lü un autre (1). Ce qu'il y a de certain , c'eft que 1'Auteur de la Para phrafe Chaldaïque la traduit par dominer, & ceux des Verfions Arabe & Syriaque ,y om donné le même fens. Traduifons donc il dominera fur les enfans de Seth. Mai: qui font ces enfans de Seth ? C'eft M. F le Genre-humain en général, tous le hommes, felon le même Paraphrafte Chaldaïque , dont nous avons adopté la pen fée. Et pourquoi, dira-t-on, appeller le hommes les enfans de Seth1? Je pour roi. répondre, qu'il n'eft pas toujours aifé d< rendre raifon du choix de certaines expres (1) II y a 1p*lpV On peut fuppofer qu'ils ont I *jp"lpj dont "nous avons le dérivé qui fignifi fommet ' Ainfi on peut très-bien corjedturer, que le verb 4 figniöé, dans un fens figuré, dtminer. Wilkmtri Di(T. de Stella es Jacobo oriunda , Thef. Phi« lol. T. i.p. 3Ö2. fub tin. EtMunJlert ad loc. il e e  Pf. II. 8. III. Partie. i±z SERMON VI. VEtoile fions des Prophetes, paree qu'il faudroifc fa voir précilcment , quelles idees ils avoient dans 1'efprit. II fuffit, qu'on donne aux termes qu'ils emploient un fens naturel , qui ne fuppofe rien, dont on n'ait des preuves. Mais fans avoir recours è cette folution, qui pourroit paroitre a un efprit difficultueux deftinée a éluder 1'objeétion, qu'il prétendroit fonder fur cette dénomination; remarquez, qu'il eft alfez naturel de donner au Genre-humain Ja qualification $ Enfans de Seth, paree que tous les hommes qui ont exifté depuis le déluge defcendent en ligne direéte de Seth, par Noé, iffu de ce Patfiarche. En traduifant donc notre Oracle, il dominera fur tous les hommes, nous trouvons ici un nouveau trait , qui ne peut convenir qu'au Meffie , dont tous les Prophetes dépeignent 1'empire commedevant s'étendrefur tout 1'univers. Dieu devoit lui donner pour fon héritage les nations, ÊP pour fa posfejfon les bonts de la terre. C'en eft affez pour vous convaincre, que Balaam portoit fes vues principalement fur la perfonne du Libérateur promis. II s'agit a préfent de juftifier 1'accomplüTement de 1'Oracle. C'eft a quoi nous deftinons la Troifieme Partie de ce Difcours. Quand on examine fans prévention Ie rapport parfait, qu'il ya entre Jefus. Chrift  de Jacob. 14.3 & fobjet, que Balaam dépeint, on ne.peut douter, que notre Sauveur. ne foit véritablement le Meffie. L L'époque de fon avénement. II. La gkire .de fa Perfonne & de fon Miniftere. III. La nature de fa Royauté prouvent, que c'eft: en lui qu'on trouve 1'accompliflement de notre Oracle. I. L'eeoqüe de Vavénement de JefusChrift répond- paffaitement a 1'idée , que le Prophete en donne. Pres de quinze fiecles, qui fe font écoulés depuis Balaam jufques au tems de notre Seigneur , forment une période de tems affez confiderable, pour donner lieu a ce langage; jt le vois, mais non pas maintenant, je le regarde , mais non pas de pres. J'avoue, que ce caraclere feul ne fuffic pas pour formei une preuve complette, mais il eft nécesfaire néanmoins, parcequ'il eft indiqué f expreflement dans 1'Oracle ; tandis qu'f n'eft rien de plus ordinaire aux Prophete; que de repréfenter les chofes éloignées comme aéluellement préfentes. Ce qu: rend ce cara&ere remarquable a 1'égarc de 1'époque précife de 1'avénément dt Jefus-Chrift, c'eft qu'en répondant atu termes de la Prophetie elle réünit d'autres traits, par lefquels les Prophetes, qui on! vécu depuis Balaam, l'ont défignée comme de tomber fous le fecond Temple, de lu: communiquer une gloire. fupérieure d celh 1. Epoque de Vavénement de JejusChrift. \ \ t'  Mal. III. j H. La gloire de faPerfonne £? de fon Miniftere. Jean I. 14. H4 SERMON VI. VEtoile du premier, de n etre pas trop eloignée du ■ tems des Prophetes Aggée & Malachie, qui 1'envifageoient comme tres - proche. Ce qui eft furtout preiTant contre les Juifs, c'eft qu'ils ne peuvent disconvenir, que toute leur nation n'attendit le Meffie, lorsque notre Jefus a paru dans le Monde, lis doutoient fi peu, que ce ne fut-la 1'époque, oü 1'Etoile annoncée par Balaam devoitprocéder de Jacob,qu'ils fe laifiercnt lürprendre, ainfi qUe nous l'avons remarqué, aux impoftures du faux Meffie Bar Cocheba, cent trente ans après la naiflancc de notre Sauveur. C'eft ainfi que, contre leur intention , ils ont rendu hommage a la vérité, & fait voir par leur conduite , qu'ils fentent , que les Oracles des Prophetes doivent être accomplis. ii. Cis qui donne du poids a cette première preuve, c'eft la gloire de la Perfonne & du Miniftere de Jefus - Chrift. A eet égard on trouve en lui tout ce qui répond a la grandeur de I'image, fous laquelle le Prophete le repréfente , une Etoile procédera de Jacob , c'eft-a-dire il fortira de la Poftérité de Jacob un perfonnage illuftre, dont la gloire fera pure, vive, inaltérable, comme celle des Aftres, qui brillent dans le firmament. Or telle a été celle de notre Sauveur. Et c'eft a cela que St. Jean fait allufion, quand il dit, la Parole ê  de Jacok 14? g ét è fait e chair, & a habité parmi nous,; S3 nous avons contemplé fa gloire, comme la gloire de ïumque iffu du Pere. Entrons dans quelque détail. Confiderez les qualités dela perfonne de notre Jefus. Quels" traits que ceux qui lont caracterifé! La fupériorité de fes èonnoijfances, la profondeur de fa fagelfe, lui mériterent de la part de Jean-Baptifte le beau titre de lumiere des hommes. Luimême n'a pas fait difficulté de s'appeller lbuvent la lumiere du monde; titre que fes ennemis mêmes n'ont ofé lui contefter; puifqu'en plus d'une occafion., ils admirerent 1'étendue de fes connoilfances, & les paroles pleines de grace qui fortoient de fa louche, & qu'ils avouerent, que jamais homme ne paria comme lui. Les plus nobles vertus fcrmerent le fond de fon caractere, & brillerent dans toute fa conduite. Le refpecl pour Dieu, Vobéïffance a fes loix, la foumiffion a fes ordres, le zele pour fes intéréts; le dêfintereffement le plus pur; la charité la plus parfaite envers les hommes; la douceur, Yhumilité la plus profonde, la patience la plus héroïquei L'affemblage de tant de rares qualités forme fans contredit un homme illüftre; Confidérez enfuite la gloire du Miniftere de Jefus-Chrift, & vous y appercevrez encore des traits, qui annoncent un objet digne de I'image, fous laquelle Balaam le dépeint. Un Prophete Tome 1. K Jean 1.8.9. Jean Vill. 12. Luc. IV. 22. Jean VÏI. 46.  Jean I. 23. Matth. III, 16. 17. Matth. XVII. 5Jean XII. 28. Coloff. II. 9. 3- 146 SERMON VI. rEtoile reconnu & refpeclé comme tel par les Juifs, lui rend tèmoignage, fe déclare fon précurfeur pour préparer fes voies. Le St. Efprit defcend fur lui fous une forme vifible. Une Voix du Ciel fe fait entendre en diverfes occafions , & Dieu lui - même déclare, que c'eft fon fils bien-aimé ,en qui il a pris fon bon-plaifir-, quil Va glorifié, & qu il le glorifiera encore. Quelle gloire furtout que celle, qui réfulte de tant de miracles , auffi grands dans leur nature , qu'admirables par leur caraélere & par la maniere, dont ils étoient opérés. Commander aux vents, calmer la fureur dé la mer, ouvrir les yeux des aveugles , faire entendre les fourcls, délier la langue des muets, faire marcher les impotens, guérir par fa feule parole les maladies les plus incurables, relfufciter les morts; connoiflezvous rien qui égale la gloire de celui, qui eft capable de faire tant de prodiges? Ajoutez encore le cara&ere de la do&rine de Jefus - Chrift, & vous avouerez, qu'il ne pouvoit être repréfenté fous une image plus jufte & plus naturelle, que celle d'une Etoile. A eet égard il a brille d'une lumiere qui lui étoit propre. Ce n'a été, ni par les lecons des autres hommes, ni par une longue & pénible étude , qu'il a acquis la connoiflance des vérités, qu'il nous a enfeignées toute plénitude de la Divinité a  de Jacob. 14.7 habitê corporellement en lui; en lui ont été' cache's tous les tréfors de fagefe&d'intelligence. 11 a brille cf une lumiere pure. On ne trouve dans fa doclrine ni fpéculation vaines & curieufes, ni opinions bizarres & ridicules, ni maximes outrées, ni cérémonies puériles & fuperftitieufes. II a fait connoïtre a 1'univers la nature & les perfections de Dieu; lafageffe, 1'équité & 1'univerfalité de la Providence; 1'origine de 1'homme, fa nature, fa deftination, fes befoins, les moyens de remédier a fes mi* feres. II a donné des régies de conduite faintes, juftes, claires, foutenues des plus puiffans motifs. II a préfcrit un Culte, dont la pureté égale 'la fimplicité. II a brillé encore d'une lumiere vive, qui a diffipé les obfcurités, fixé les incertitudes de la Raifon, qui a éclairci & dévoilé le Rituel myftérieux de la Loi de Moyfe, & expliqué les Oracles des Prophetes. Enfin la lumiere, qu'il a fait briller, eft inaltêraHe. Plus d'obfcurcilfement a craindre, plus de nouvelles révélations a attendre. Les vérités de 1'Evangile font des vérités éternelles; fes préceptes font fondés fur la nature même de Dieu. Et fi nous efpérons d'avoir dans leCiel des connoiffances plus parfaites, que celles que nous avons dans l'eeconomie préfente, ce n'eft que par rapport au degré, & non a 1'égard de * Ka  m. La nature Jalaire diniquité. Plüt a Dieu qu'il n'eüfc pas d'imitateurs parmi nous! Mais, vous le favez, fi la corruption du cceur ne triomphé pas en bien des oecafions des lumieres deFeipnt. Combien de gens, qui, malgré la connoiflance claire & nette de leur devoir, fe permettent les démarches les plus contraires a la volonté de Dieu! Eft-il rare de trouver des Chretiens, qui aiment le Jalaire dimquité, a qui rien ne coute pour ratisfaire leur cupidité & pour acquérir da bien? Seroit-il difficile de déterrer dans la fociété des gens, qui, plus fbibles diraïJe> ou Plus corrompus que Balaam, cedent a des tentations bien moins fortes, que les avances & les promeffes magnifiques d'un grand Prince ?- Et y en auroït-il beaucoup. qui rehfteroient encore auffi noblement* que le fit Balaam, malgré la corruption de fon cceur? Que vos Confciences en dé~ cident* III. Pjienons pour 1'avenir le feul partï convenablea nos veritables intéréts: foumettons-nous fans réferve au fceptre de notre Roi, obéïlfons a fes loix Ceft la 1'unique moyen de nous alfurer la jouïflance oes privileges de fon Royaume. Deftiné a regner fur tout Punivers, doit-il éprouver de la refiftance de la part de ceux, qui font profeffion d'être fes fujets ? Non notre defobéïffance 3 dont 1'expé-  de Jacob. 1^3 rience ne fournit que trop de preuves, notre defobéïflance eft criminelle par toutes fortes d'endroits, puifque Jefus-Chrift a fur nous des droits, que nous ne pouvons lui contefter fans la plus noire ingratitude. C'eft lui, qui nous a dèlmrès de tous nos ennemis fpirituels £gp de la puijfance des tênébres. D'ailleurs c'eft un Roi, dont le earaétere eft auiTi digne d'amour, qu'il eft refpeétable , & les loix, qu'il nous a prefcrites, font les plus propres a nous rendre parfaitement heureux. Mais ce qui arrête peut-être bien des perfonnes, c'eft la nature des recompenfes; le regne de Jefus-Chrijb rïejï point de ce monde. Ce n'eft qu'après cette vie qu'on peut fe promettre les biens les plus precieux, & Pon aime le préfent; on ne croit pas, qu'il y ait de la fagelfe k le facritier pour 1'avenir. Quel aveuglement! Oui le regne de Jefus-Chrifl riefl point de ce monde , & c'eft-la ce qui doit le faire chérir k tout homme , qui penfé raifonnablement. Quelle feroit fans cela notre condition ? La plus trifte que Pon puifte concevoir. Quoi! palier quelques années fur la terre, & puis nous voir abandonnésdu monde, dégoütés nous-mêmes de ce qui nous avoit charmé! Quoi! paffei quelques années dans la recherche , dam Pagitation & dans le travail s & puis voi; une maladie terminer toutes nos efpéran ces, nos plaifirs, notre gloire s'évanoui K 5 Luc. I. 74; Col. L im t  Hebr. XII. 28. Apoc. III. 21. 1^4 SERMON VI. VEtoile de Jacob. comme une ombre, fe réduire a une pompe funebre & finir dans le tombeau ! Seroitce - la le fort, que nous ambitionnerions ? Non! non ! ayons de plus hautes efpérances ; fuivons PAftre, qui nous éclaire; obéïfïbns au Roi, qui nous gouverne, & prcparons-nous ici bas a regner un jour avec lui. SaiJiJJbns le Royaume , qui ne peut étre ébranlé; ne négligeons rien pour nous aiTurer PaccomplilTement de cette magnirique promelTe, celui qui vaincra, je le ferai affeoir Jur mon tróne, comme moi auffi fai vaincu £3? fuis affis avec mon pere fur Jon tróne. Dieu veuille nous en faire la grace! Amen. Pf. XCVIII. vs. 2. Prononcé a Amfterdam le 9 Decembre 1770. Matin a la Grande Eglife.  LA GLOIRE DE UEGLISE DE LA NOUVELLE OECONOMIE. Léve-toi, fois illuminée, car ta lumiere efl venue, £f la gloire de PEternel s'eft. levée Jur toi. Car voici les ténêbres couvriront la terre, £s? Pobfcurité couvrira les peuples. Mais PEternel fe levera fur toi, £sp fa gloire apparoitra Jur toi. Et les nations manheront d ta lumiere, &? les Rois ii la Jplehdeur qui fe levera Jur toi. Esaie Ch. LX. vs. 1-3. SEPTIEME SERMON. "T^Ve tous les événemens il n'en eft point, JL^ qui attirent davantage Fattention, & dont on s'occupe plus avec un plaifir mêlé d'admiration, que de ceux qui changent la face du. monde, & qui offrent pour ainfi dire un nouvel ordre de chofes. On fe recueille tout entier a la vue du grand fpeclacle , que préfentent . fucceiTivement de puiftantes monarchies. On les voit nattre^'élever peu a peu, parvenir a un haut point de grandeur, donner des loix a de vaftes contrées; décheoir enfuite par degrés; chanceler, s'enfévelir fous leurs ruines, & Exordt. 1  Jeremie XXXII. 19. Efaie XXVIII.20 1 ' i j 1 I ■ < c c f r c V d e b v le M i$6 SERMON VIL La Gloire de?Eglife fe perdre dans l'obfcurité des tems. On reconnoit dans ces viciffitudes, & dans les caufes,qui les produifent, le pouvoir infini de eet Etre fouverain, qui regne dans les cieux, & les voies juftes & fages du Dieu grand en confeil, magnifiquefn moyens. Mais de toutes les révolutions de ce genre, il n'en eft point de plus dignes de réflexion, que celles qui intéreffent 1'Eglife, Comme elle a toujours été le grand objet des deffeins de Dieu, celui qui a tenu le premier rang dans le plan de la Providence, il réünit tout ce qui peut attacher & intéreffer. Rien de plus naturel que de fe faire in plaifir & un devoir, de méditer férienèment & a fond tout ce qui s'y rapporte, )arceque c'eft-la qu'on appercoit clairement es traits frappans de la fageffe, de la puisance & de la miféricorde du Pere commun le tout le Genre-humain. C'eft a cette mé* litation que nous vous appellons aujour» 1'hui, M. F. Fixez avec nous vos regards ir la révolution également confolante & lerveilleufe, que Dieu annonce a 1'Eglife ans 1'Oracle, que nous venons. de lire en otre préfence, & dans tout le Chapitre, ont eet Oracle fait partie. On y appercoit a général, que l'état de 1'Eglilè devoit iu-. ir un heureux changement, & qu'elle k: erroit en poffeiïion des plus nobles priviges. Léve-toi, fois illuminée; car ta luiere efl venue, & la gloire de YEt er nel  de la Nouvelle O economie. 157 feft levée fur toi. Car voici les ténêbres couvriront la terre, 6? Pobfcuritè couvrira les pcuples. Mais P Eternel fe levera jur toi, Ja gloire apparoltra fur toi. Et les nations mareheront a ta lumiere, £s? les Rois d la Jplendeur, qui Je levera Jur toi. Les Juifs modernes prétendent, qu'il n'eft queftion ici que d'une délivrance temporelk, & d'avantages extérieurs. Onfent,que leur but eft de ravir par-la au Chriltianisme une des plus fortes preuves de la divinité de fon origine. Travaillons a maintenir les droits de la vérité, & a affermir notre foi au grand Rédempteur de 1'Eglife. Dans ce deffein nous ferons deux chofes. I. Nom prouverons, que Dieu annonce une révolution J'pirituelle dans Tétat de PEglife par le minifiere du Meffie. II. Nous rechercherons, comment & d quels égards eet Oracle s'eft accompli, £5? doit saccomplir encore. Püisse cette méditation , en nous dévoilant la gloire de 1'Eglife fous la nouvelle ceconomie, nous animer a marcher a la lumiere, qui s'eft; levée fur elle, & a nous mettre en état de goüter la grande joie. dont 1'heureux avénement de Jéjus notre divin Sauveur a été la fource! Ainfi foit-il. Prouvons dabord, que Dieu annonce par notre Oracle une révolution fpirituelle dans 1'ctat de 1'Eglife, par le miniftere dt Mellie, Quelques interpretes entendent pai Plan de a Discws. Luc.II. ii £ Pariit,  L Preuve, liêifon fc? conformité avec UsautresOracles. Efaie LIX. 20, 21. ij-8 SERMON VIL La Gloire de 1 Eglife la lumiere & par la gloire de VEternel, Ie bonheur & la profpêrité de rEglife en génèral. D'autres croient, que le St. Efprit déligne par ces titres la perfonne même du Meffie £sP la gloire de fon miniftere. Ce dernier fentiment nous paroit le plus -naturel, & celui qui répond le mieux au ftile de notre Prophete 3 ainfi que nous le verrons dans la luite. Dans le fond il faut toujours en revenir la,puisqu'en fuppolant,que ces termes delignent le bonheur «Sc la prospéritj de PEglife, il s'agit de déterminer,en quoi ce bonheur , cette prospérité confiltent. Nous foutenons, que c'eft dans Pavcnement d'un Libérateur lpirituel, & dans la communication de privileges fpirituels. L Et d'abord nous en trouvons des preuves dans/tf liaifon de notre Oracle avec leChapitre précédent , & dans fa conformité avec les autres prédiclionsd'Efaie. Lifez les deux derniers verfets du Ch. LIX. Le Rédempteur viendra en Sion, £«? vers ceux de Jacob, qui fe convertijfent de leur pêché, dit f Eternel. Et^pour moi c'eft ici mon alli ance avec eiix,ê&dit lEternel;mon efprit, qui eft fur toi, fe? mes par*oles, que fai mifes dans ta louche, ne bougeront point de ta bouche, ni de la louche de ta pqftérité, a dit PEte?*nel,dès maintenant & d jamais. Qu'eft-ceque Yalliance,èont il eft parié ici, a de commun avec une délivrance temporelle ? La perpétuitc de 1'efprit de Dieu, &  de la Nouvelle O economie. i?g celle de fa fainte Loi, ont - elles quelque rapport avec un retour de captivité, & avec le rétabliüement des privileges extérieurs du peuple Juif? Comparez encore avec la prophetie de mon texte les prédiclions fuivantes $ Efaie. Dieu parle en ces termes, dans le Ch. XLII: Voici mon Jèrviteur, je \ le maintiendrai, c'eft mon èJu, mon ame y prend fon bon plaifir; fai mis mon efprit jur lui, il propofera le jugement aux nations.... £3?les ifles s'attendront a ja loi.... Moi PEternel je fai appellé en juflice, £5? je prendrai ta main, £5? je te garderai, £5? je te ferai être Palliance du peuple & la lumiere des nations. Dieu tient le même langage dans le Ch. XLIX: Ceft peu de cboje, que tu me fois ferviteurpour rétablir les Tribus de Jacob , & pour ramener ceux, qui Jont réfervés en Israël, c'eft pourquoi je fai donné pour lumiere aux nations, afin que tu fois mon falut jufques au bout de la terre. Enfin, pour ne pas trop multiplier les citations,; pefez ces confolantes paroles duCh.LV: Inclinez votre oreille £«? venez a moi; écoutez, £3? votre ame vivra; £5? je traiterai avec vous une alliance éternelle ,^ javoir les gratuit és ajjurèes d David. Voici je Pai donné pour être témoin aux peuples, pour être condutlcur, £5? afin qu'il donne des commandemens aux peuples. Voici tu appelleras la nation , que tu ne connoijfois point,£2? les nations, qui ne te comoijfoïent LfaieXLII. [, 4» <5- Efaie XLIX. 6. Efaie LV. 3-5-  i6o SERMON VII. La Gloire de rEglife ■point, accourront d toi,h caufe de V Eternel ion Dieu, £3? du Saint d'lsraël, qui faura glorifié. Qui ne voit, que ces Oracles ont un rapport manifefte avec celui, que nous avons en main, & qu'ils portent fur un feul & même objet? La conformité des expresfions, celle des images, & la nature des graces promifes , ne permettent pas d'en douter. Expliquer ces prédiélions d'une délivrance temporelle, c'eft n'avoir égard, ni au fens des termes, ni a la nature des images. Quel autre que le Meflie mérita jamais par excellence les titres de Serviteur,d'Elu> de 1'Eternel, en qui jon ame prend fon bonplaifir, de Témoin aux peuples, de Conducteur , deftiné a leur donner des commandernens ? Peut-on appliquer a aücun rétabliflement de 1'Eglife Judaïque ce jugement propofé aux nations; cette Loi, a laquelle les ijles devoient s'attendre; cette vocation de la nation , qu'elle ne connoijfoit point; ce concours de nations, qui ne la connoijjoient point? Quoi! cette Alliance éternelle,que Dieu promet de traiter; cette Lumiere, qui devoit éclairer les nations; ce Salut de Dieu jufques au bout de la terre; tout cela n'annonce-t-il pas une révolution purement fpirituelle, & ne fert-il pas de clé a ces paroles. Leve-toi,fois illuminée, car ta lumiere ejl venue, £5? la gloire de VEternel s'eft le- vée fur toi £5? les nations marcheront d la lumiere, £5? les Rois d la jplendeur, qui fe levera Jur toi ? IL La  de la Nouvelle OeconOmie. 161 II. La teneur de tout le Cbapitre, dont mon texte fait partie, mene naturellement a la même conclufion. Bornons-nous aux fept derniers verfets: Tu fuceras le lalt des nations, £5? tu juceras la mammelle des Rois.... Je ferai venir de Tor au lieu de Tairain, & je ferai venir de Targent au lieu du fer, £s? de Tairain au lieu du bois, £5? du fer au lieu des pierres; £5? je ferai , que la paix te gouvernera, £2? que tes exacteurs feront 4a juflice. On rientendra plus parler de violence en ton Pays, ni de pillage, ni defroiffure dans tes contrées. Mais tu appelleras' tes murailles, falut, 6? tes portes, louange: Tu n'auras plus le Soleil pour la lumiere du jour, £5? la lueur de la Lune ne f éclair era plus. Mais T Eternel te fera pour lumiere éternelle, & ton Dieu pour ta gloire. Ton Soleil ne fe couchera plus, £ƒ ta Lune nefe retirera plus, car TEternel te fera pour lumiere perpétuelle, &. les jours de ton deuil feront acbevês. Et ceux de ton peuple feront tous jufles, ils potfèderont éternellement la terre JU petite familie croitra jufqu'a mille perjonnes, £5? la moindre deviendra une nalwr, forte. N 'eft-il pas évident, que cette défcrip tion du bonheur de 1'Eglife eft hgurêe, & que ce feroit donner un fens mmtelligibK aux expreffions que de les prendre k la let tre? C'eft ce que quelques-uns des Docteur Juifs eux-mêmes ontfenti,&par cette ra» Tome I. k li. Preuve ; la teneur du Cb. LX. f  ut. Preuve; CExpéritnce. 162 SERMON VII. La Gloire de P Eglife fon ils rapportent divers traits de ce Chapitre «Sc de celui qui précéde aux tems du Meffie. III. Si nous confultons, enfin, Pexpérience, & que nous parcourions 1'Hiftoire du peuple Juif, nous verrons clairement, qu'a prendre notre Oracle a la lettre, «Sc a Pexpliquer d'un bonheur temporel, il n'a jamais eu fon accomplilfement, «Sc qu'on ne peut afligner d'époque,oü il fera accompli, ni quelque caractere', qui indique en aucune facon, qu'il doive encore être vérifié par 1'événement. Leve- toi, joh illuminée \ car ta lumiere ejl venue,gfla gloire de PEternel s'eft levée Jur toi. Quelle eft cette lumiere, cette gloire de VEternel, qui s'eft levée fur 1'Eglife Judaïque? En quel tems le peuple,qui la compofoit,a-t-il jouid'une li grande profpérité depuis le retour de la Captivité de Babylone? Bien loin que fon état ait été affez floriffant pour épuifer le fens des magnifiques promeffes de Dieu; il n'a pas été comparable k la gloire de cette Eglife durant les beaux jours du regne de David, «Sc de celui de Salomon. Que dis-je ? les Juifs ne furent-ils pas fucceffivement affervis aux Perfes,aux Grecs,aux Rois de Syrië, «Sc aux Romains ? La conftruérion de leur Temple, Pobfervation des cérémonies de leur Culte,ne dépendirent-elles pas des ordres de ces Puiffances étrangeres ? Quelles font les ténébres d'affliétion, qui  de'la Nouvelle Oeconomie. 163 ont couvert la terre £=? les peuples, pendant que les Juifs jouïffoient de bonheur & d'une fituation heureufè? Quelles font les Nations, quels font les Rois,qm ont marche a cette lumiere, a cette fplendeur, qui s'eft levée fur Israël? Je fais M. F., que quelques étrangers ont embratTé le Judaïsme ; que quelques Princes ont fait offrir des facrihces dans le temple de Jérufalem. Mais ce qu'on peut citer dans ce genre ne répond pas a la majefté des Oracles. Que fi 1'on prétendoit,que la prédiccion de mon texte n'a pas eu encore fon accomplilTement, & qu'elle doit 1'avoir un jour; ce feroit-la une foible reflburce. Car comment concevoir, que du tems cYEzechias, Dieu ait fait annoncer aux Juifs une délivrance temporelle, qui devoit ètre précédée de la captivité de Babylone, du retour de cette captivité, de la deftruction entiere de Jérufalem & de fon Temple, de la République Judaïque & du Culte de la Loi, de la disperfion du peuple dans tous les climats de 1'univers, des longs & accablans malheurs, fous lesquels il gémit depuis dix-fept fiecles, fans qu'aucun de ces mémorables événemens foit feulement indiqué? Un tel vuide n'affortit point la fageffe de FEfprit Prophétique. Comment concevoir encore, que Dieu n'eüt marqué aucun caractere de tems & de circonftances, en prédifant un événement tellement éloigné,qu'après une L 2  IÓ4 SERMON VII. La Gloire de rEglife fucceffion de plus de vingt-quatre fiecles, on ne peut dire encore, a quelle époque il eft refervé? Mais, s'il eft inconteftable par ces preuves , qu'il ne peut être queftion d'une révolution temporelle, qui règarde l'état extérieur du peuple Juif, il en réfulte nécellairement, qu'il s'agit d'une révolution fpirituelle dans l'état de 1'Eglife. Dieu 1'invite k profiter des avantages, qui lui feront procurés par 1'avénement du grand Libérateur, objet de fa foi, appui de fes glorieufès eipérances. II lui annonce trois choles, auxquelles il ne devoit pas être poffible qu'elle le trompat. I. De nouvelles lumieres par le miniftere du Meifie, & que la Gloire de Dieu brillera d'une facon particuliere au milieu d'elle. II. Que dans le tems que cette lumiere célefte viendra éclairer, & que la gloire de 1'Eternel fe levera ainfi, tout le refte de 1'univers fera plongé dans de profbndes ténébres; les ténèbres couvriront la terre, fe? Tobfcurité couvrira les peuples. III. Enfin, que ces ténébres fe diffiperont, a la faveur de la lumiere, qui viendra 1'éclairer, & que les nations étrangeres, & les Rois mêmes en feront frappés, & en profiteront. C'eft le fens de ces paroles: Les nations marcheront a ta lumiere, fe? les Rois a la Jplendeur qui fe levera fur toi. Voila trois caraéleres frappans du Meffie & de fon avénement. Recherchons,comment  de la Nouvelle Oeconomie: 16? & a quels égards eet Oracle s'eft accompli, & a quels égards il dok s'accomplir encore. Ceft ce qui va nous occuper dans la feconde Partie de ce Discours. Il n'eft perfonne tant foit peu dépréoccupé, qui ne reconnoiffe dans les prédictions d'Efaie Jefus & fon Evangi!e,par lequel il a répandu les plus belles & les plus vives lumieres, tant parmi les Juifs, que parmi les nations étrangeres de Talliance. Examinons les divers traits de 1'Oracle, & juftifions,qu'ils caraétérifent effentiellement 1'Evangile & fon Auteur; & que s'il manque encore quelque chofe a 1'entier & parfait accompliiTement de la Prophetie, cela ne forme aucune difficulté contre la Religion Chrétienne. f. Dieu annonce a 1'Eglife, qu elle verra briller de nouvelles lumieres au milieu d'elle, par 1'avénement de celui, qui eft Ja lum'e- > re- & que la gloire de ï Eternel■ parbitra d'une facon fenfible. Or c'eft ce qui s'eft accompli par Jefus-Chrift ,& par fon Evangile. Observons d'abord,que s'il eft ordinaire aux Prophetes,& a Efaie en particulier,de défigner le Meffie par le titre de Lumiere , c'eft auffi celui,que St. Jean donne aJefusChrift, dans le Ch. L de fon Evangile. 11 Pappelle la Lumiere des hommes, a laquelle Tean-Baptifte étoit venu rendre tèmoignage. 11 parle de fa gloire, comme de la gloire da L 3 ii. Partie. ïph. ii. 12, i. Lumieres' épandues lans l'Eglh 'e. Jean i. 6» 9» 14»  Matth. IV. 16. 166 SERMON VII. La Gloire dePEglife Dieu. Nous avons contemplè, dit-il ,Ja gkire\ une gloire comme de Punique iffü du F ere. St. Alatthieu applique a notre' Sauveur eet Oracle, quant au fens,lorfqu'il dit, que le peuple, qui gijoit dans les ténébres, a vu une grande lumiere. Prouvons, que ces deux Evangéliiïes étoient fondés a tenir ce langage. S i nous jettons un coup d'ceil fur Tétat de 1 Eglife, nous ne pourrons nous refufer a levidence de la vérité. Qu'étoit la Religion dans les idéés du corps du peuple? II reconnoilToit un feul Dieu, Créateur de Tunivers; mais un Dieu, qui bornoit fa protechon a la feule poftérité d'Abraham; qui exigeoit des punfications extérieures, renouvellées fans ceife; qui renfermé dans le 1 emple de Jérufalem dédaignoit les hommages des autres peuples; fe plaifoit a un appareil de ceremonies faftueufes; demandoit ,que fes autels fullent fans celTe arrofés du fang des vichmes, fans fe montrer appaife 5 un Dieu, dont les bénédictions étoient principalement temporelles, de qui on n'attendoit que la richelTe des moilfons,la multiphcation des troupeaux,la féconditédans es families. En conféquence de ces idéés, le Juif n aimoit fon Dieu que d'un amour mercenaire,intéreiTé; il n'étendoit fa bienveillance & fa charité qu'a ceux de fa nation. Les Dogmes plus fublimes, les préceptes plus purs & pills fpiriEuds les *  de la Nouvelle Oeconomie: 167 tifs plus nobles, renfermés dans la Loi de Moïfe, développês par les Prophetes, appercus par les Saints, ne fefoient point partie de la Religion du gros de la nation; furtout, depuis que les diverfes feétes, qui diviferent rEglife, eurent corrompu les grands principes de la doclrine & de la morale. Le Sadducéen, membre de la Synagop-ue, admis a partager les honneurs fuprêmes duSacerdoce.confondoit l'ame avec la matiere, bornoit les recompenfes & les peines k cette vie. Le dogme de 1'immortalité, bien que révélé & contenu dans les Ecrits facrés, n'étoit point un dogme univerfellement recu. Le Pharifien, fuperftitieux obfervateur des cérémonies, prétendoit orgueilleufement être juftifié devant Dieu par fa régularité extérieure, anéantiffant par fes Traditions les loix les plus claires & les plus refpeótables de la Nature & de Moïfe, il s'acquittoit des devoirs les plus elTentiels par un principe d'ambition & pour s'accréditer. La Pnere, 1'Aumöne, le Jeune, n'étoient pratiqués, que pour en impofer, au Public, & non pour obéïr a Dieu. Jesus - Ghrist paroit, & les plus vives lumieres brillent aux yeux des hommes. II donne de grandes & nobles idéés de la Divinité. II ne préfcrit ni pratiques onéreufes, ni cérémonies puériles & bizarres. Dieu ejl Efprit, dit-il, & il faut que ceux qui Vadorent, Vadorent en efprit jeaniv.24.  JV"att,X.2 Maïth. XXII. 32. Matth. XXII. 37. 39Matth.V. 44, Matth. VI. i.xS. Hebr. XII. g. m SERMON VIL La Gloire ie rEglife £«? en vérité. II enfeigne, que l'ame eft 3>immatenelle, que les hommes ne peuvent rien contre cette fubftance fpintuelle: quelle eft d'un prix ineftimable; que fi Dieu s'appelle le Dieu $ Abraham, dTJaac, de Jacob, c'eft parceque ces faints hommes vivent encore devant lui, malgré la dilfolution de leur corps. II dévoile tout ce que les recompenfes d'une oeconomie avenir ont d'admirable & .de glorieux; tout ce que les peines de 1'étermté ont d'efIrayant & de terrible. Ce Docleur célefte tracé des regies de morale atfbrties a une doétnne fi fublime. 11 demande la pureté du cceur: ïlveut, que 1'on aime Dieu par dellus toutes chofes; qu'on 1'honore par une obeillance univerfelle; que 1'on chérilTe tous. les hommes, & même fes ennemis: qu'on fe Mmgue par 1'humilité «Sr par la douceur. II donne ïmla Triere ,V Aumóne ,le Jeune, es plus excellente» directions. Èn un mot la Religion devient entre fes mains un lyiteme egalement majeftueux & 'digne du rere des EJprits. Jesus-Christ donne du poids a fon miniftere par les plus éclatans miracles, & la gloire de TEternel paroit dans 1'EHife dune maniere plus fenfible qu'elle n'avoit jamais hut. Commander aux vents «Sc calmer Ja fureur des flots, rendre la vue aux Aveugles 10UJe aux Sourd h fc r Muets, Je hbre ufage de leurs membres aux  de la Nouvelle Oeconomie. 169 Impotens , chaffer les Démons & leur donner la loi, reffufciter les Morts: V oila ce que notre Jélüs a fait, & ce qu'il a fait par la feule parole, en préfence de 1'impie Sadducéen, du Pharifien hypocrite, & k la face de toute la Judée. 11 a follicité & preüe les Juifs de profiter des lumieres, qu'il fefoit' luire a leurs yeux, de fentir tout le prix de fon habitation glorieufe au milieu d'eux. Qui ne reconnoitroit a ces caracleres la voix de Dieu, difant a 1'Eglife : Leve-toi, Jois illuminée, car ta lumiere ejl venue , £«? la gloire de F Eternel s'ejl levée Jur toi? II. Dieu prédit, que dans le tems, que la Lumiere paroifra dans 1'Eglife , & que fa gloire fe levera fur elle, les ténébres couvriront la terre , £5? Pobfcurité couvrira les peuples. Ce trait fixe d'une facon précife 1'époque de la grande révolution, dont il s'agit dans notre Oracle. Que les Juifs nous indiquent un tems , oü ils puiffent s'appliquer le premier caraétere de la Prophetie, & aux autres peuples celui que nous examinons. Leur Hiftoire n'en offre point, li ce n'eft lorfque Jefus-Chrift a paru dans le monde. C'eft de ce tems-la qu'on peut dire , que les ténébres couvroient la terre, & que Vobjcurité couvroit les peuples. Les erreurs les plus monftrueufes, la Superftition & Pidolatrie regnoient par toute L $ 11. Ténébres parmi les peuples.  i7o SERMON VII. La Gloire de rEglife la terre , confacrées par PAntiquité & par PAutorité publique, maintenues par les artifices du Démon, par les impoftures des Prêtres, «Sc par la force des préjugés de la nailTance & de Péducation. Les nations les plus éclairées «Sc les plus fages , celles qui cultivoient les Sciences, qui perfeétionnoient les Arts; dont on admire encore le goüt exquis j «Sc les fuperbes monumens, chefs-d'ceuvre de Pinduftrie «Sc de PadrelTe humaine, étoient de niveau fur Partiele de la Religion avec les peuples les plus fauvages. On ne voioit de toutes parts que Temples magnifiques, élevés a Phonneur d'une multitude de Dieux imaginaires. Nul être dans la Nature, qui n'eüt fes Prêtres «Sc fes Autels. Depuis les Afixes, qui brillent dans le firmament, jufqu'aux Animaux les plus vils, & aux Plantes mêmes, tout étoit 1'objet des hommages des aveugles humains. Point de Superftitions fi abfurdes, qui ne fuffent autorifées. Ici des cérémonies infames; Ik des facrifices barbares : partout la Divinité avilie, deshonorée, «Sc Phumanité même anéantie. Quelle corruption dans les mceurs! Point de crime , qui ne fut juftifié par Pexemple de quelqu'un des Dieux qu'on adoroit. Nulle certitude fur la deftinée de Phomme, nulle efpérance fondée pour 1'avenir; ou s'il reftoit quelques traces de la fpiritualité & de 1'immortalité de l'ame,  de la Nouvelle Oeconomie. 171 elles étoient les fources des plus bizarres erreurs. Les Philofophes mêmes, ces génies mpérieurs, relpectés chez les peuples, fe perdoient dans leurs fpéculations. Les uns attribuoient Porigine du Monde au Hazard. Les autres le croioient éternel. Ceux - ci le confondoient avec la Divinité. Ceux-Ia foumettoient 1'Etre fuprême a un Deftin aveugle. Tous enfemble fe conformoient a Pidolatrie du peuple, & autorifoient les fuperftitions établies. Ignorans Porigine de Phomme, la fource de fa corruption, les droits du Maitre du monde, ils débitoient quelques maximes, belles en apparence, mais inutiles pour la réformation du Genre-humain; parceqiPelles rfavoient point de fondement folide, & qtfelles n'étoient munies du fceau d'aucune autorité. Flotans & agités de mille doutes, ils defiroient de furvivre a la diffolution du corps, & fembloient quelquefois en être affurés ; mais bientöt ils retomboient dans Pincertitude, & nofoient fe le promettre. Le doux efpoir de Pimmortalité étoit pour eux un de ces fonges flateurs, qui charment durant le fommeil, & que PAurore fait évanouïr. Tel étoit Pétat de 1'univers, lorsque notre Jefus y a paru. Or y eut-il jamais portrait, qui reffemblat mieux a fon original,que la defcription prophetique d'Efaie, «Sc Pétat du monde, tel que nous venons de  • III. La Conver firn dtspeu pies c? de, Mtis. Phil.lLia. ;flom. X. 18. i i i 172 SERMON VII. La Gloire de rEglife le repréfenter? Put-on jamais dire avec plus de vérité, que les ténébres couvtvient la terre, «Sc que Tobfcurité couvroit les peuples ? lil. Ce qui acheve de juftifier 1'accom:plaTement de notre Oracle par Jefus ■ Chrift, <5c par fon Evangile, c'eft le troiiieme trait; trait diftinctif, «Sc de nature a ne pouvoir lailfer le moindre doute, la converfion des peuples a la connoilfance du vrai Dieu; les nations marcheront a ta lumiere, £5? les Rois a la Jplendeur, qui Je levera Jur toi. Confultons 1'hiftojre ; examinons ce qui eft arrivé, dès que 1'Evangile fut prêché. On vit les nations les plus éloignées renoncer a Pidolatrie, «Sc fléchir le genou au nom de Jefus. St. Paul écnvoit aux Romains, que la doctrine de 1'Evangile avoit été prêchée , «Sc que la voix desApötres avoit retenti par toute la terre, & leurs paroles jujques aux bouts du monde. Quelques obitacies qui s'oppofalfent aux progrès de 1'Evangile, il triompha partout. L'Orient entier fut converti. Rome «Sc tout 1'Occident furent remplis dé □iretiens. L'Afrique fe diftingua par les lombreufes Eglifes, qu'elle renferma dans onfein. Depuis ce tems - la 1'Evangile a ait des conquêtes dans les régions les plus •eculées. Après trois-eens ans de cornets, dans lesquels il demeura toujours 'ictorieux, les Rois, les Eropereurs mê-  de la Nouvelle Oeconomie. 173 mes ont marche a la fplendeur de cette lumiere célefte. Une révolution fi peu vraifemblable, a confidérer Tétat du monde, oü Pidolatrie refpectée , confacrée , étoit intimement liée avec la majefté de Fempire; k confidérer le peu de fruit des lecons de tout ce qu'il y avoit eu de fages parmi les Paiens: une révolution fi difficile, par laquelle une Religion , deftituée de tout appui humain , s'établit fur les ruines des Religions foutenues de la fageffe & du crédit des hommes, fait céder les préjugés & les paffions aux impreffions de la vérité, a laquelle les Philofophes & les Doéteurs de la Synagogue n'oppofent que d'inutiles efforts, que toute la puiflance des Empereurs les plus redoutables ne peut arrêter, ni retarder: enfin une révolution fi générale, que prefque le Monde entier fe trouve Chretien, ne répond-elle pas parfaitement a Pidée , que tous les Prophetes, & Efaie particulierement nous donnent des heureux fruits de Pavénement du Libérateur de PEglife ? Une telle révolution ne porte-telle pas le fceau de la Divinité, & ne démontre-t-elle pas, que le même Dieu, qui avoit annoncé tant de fiecles auparavant, que les nations marcheroicnt a la lumiere , qui viendroit, 8? lp Rois a la fplendeur, qui fe leveroit jur rEglife, a accompli au tems affigné fes confolantes prédictions ? . Avocons néanmoins, que la Prophetie  Rom. XI. 25- . a Pierr. III. 13. Conclufion. 174. SERMON VII. La Gloire de VEglife n'a eu encore qu'une partie de fon accomplhTement; ce qui fuffit , ainfi que nous venons de ie voir, pour ne pas méconnoitre Pobjet, fur lequel le St. Efprit portoit fes vues, quoiqu'il n'épuife pas tout le fens des anciens Oracles. Les hommes infpirés n'ont jamais prédit, que toutes les nations feroient incorporées dans 1'Eglife, en même tems. Ce grand prodige ne devoit pas sopérer tout d'un coup. Ce que Dieu a déja fait pour dégager les magnifiques promeffes, qu'il avoit faites au Genre-humain, nous eft un fur garant de ce qu'il fera encore dans la fuite. Lui-même nous a appns par le miniftere de nos Ecrivains Jacrés, qu'il a fixé dans les confeils de fa Providence une époque , oü la plénitude des Gentils entrera dans 1'Eglife, & oü le Peuple Juif, raflèmblé en corps , fera hommage au Libérateur, qu'il a méconnu, & tiendra un rang diftingué dans 1'Eglife. Nouvelle & grande révolution, qui acheyera de vérifier pleinement les oracles du Tres-haut, qui fera la confommation des defleins chantables de Dieu fur les hommes «a bas fur la terre , & 1'avantcoureur de la création des nouveaux Cieux, fe? de la nouvelle Terre, oü la juflice habitera eternellement. I. Rien n'eft plus propre a affermir notre toi fur la divinité de la Religion Chrétienne, que 1'accomplhTement des Propheties,  de Ja Nouvelle Oeconomie. 175 qui annoncent la vocation des Gentils. Quelques folides que foient les preuves, que fournit la conformité des autres Oracles avec 1'événement, il eft certain, que la converfion des peuples a la connoiflance du vrai Dieu par le moyen de PEvangile, ne laiflê pas une ombre de foupcon a des efprits dégagés de préjugés. Si Jefus n'eut été le Meflie, la Lumiere , qui devoit éclairer les nations, il eft inconcevable, qu'elles euffent marché a cette lumiere, vu les obftacles qui s'y oppofoient, Quel attrait pour gagner les efprits 6c pour foumettre les coeurs, qu'une doclrine qui ne fouffroit aucun accommodement avec les autres Religions, 6c qui prétendoit s'établir fur les ruines de tout ce qui avoit été refpecté pendant le cours de plufieurs fiecles ; Qu'une doclrine, qui propofoit pour objet de foi tout ce qu'il y a de plus inconcevable pour la Raifon, un Sauveur crucifié; qui prefcrivoit les maximes les plus aufteres du renoncement a foi-même , d'humilité, de défintéreflement, de charité; qui n'annoncoit a fes Profelites que croix 6c afflictions, 6c ne leur promettoit en dédommagement que des biens invifibles, 6c cachés dans un fombre avenir ? Qui s'attendroit a trouver les Réformateurs du monde, les Docteurs des nations, dans quelques hommes ïbrtis du fein d'un peuple méprifé de tous les autres; gens obfcurs 6c nés dans  flct.IV.I2. Exod. VIII. ip. i Cor. IV. 6. Col. II. 3. 176 SERMON VII. La Gloire de TEglife la haffelle , qui n'avoient ni le talent de charmer par leur éloquence , ni richeffes, ni crédit, ni appui pour fe faire des partifans? Quoi! les fubtiles & profondes fpéculations des Philofophes, les difcours féduifans de la fageffe humaine, 1'autorité des Miniftres des Cultes établis, les Edits & les Perfécutions des Puiffances n'ont pu empêcher les progrès d'une doclrine li peu conforme au goüt dominant , & mettre obftacle aux triomphes de ces Réformateurs fi peu accrédités! Tout fléchit fous 1'obéïsfance de la Foi, & les Nations les plus favantes , comme les plus groffieres, reconnoiffent & 1'envi, qu'il n?y a point d'autre nom donné fous le ciel aux hommes, que celui de Jefus pour être fauvé. Qui ne reconnoitroit-la le doigt de Dieu ? Qui ne diroit, c'efi: ici fcewvre de PEternel? II. Quelle reconnoiffance ne devonsnous pas a Dieu a la vue des merveilles, qu'il a opérées pour répandre fa connoisfance par toute la terre ? Nous fommes iffus de ces nations, qui étoient enveloppées de ténébres, & couvertes d'obfcurité, & il a fait luire fur nous la lumiere. Les vérités les plus importantes, connues imparfaitement des Juifs, ignorées du refte de l'univers, font aujourd'hui clairement dévoilêes a nos yeux. Dieu nous a donné Pillumination de la connoijfance de fa gloire en la face de Jefus* Cbrj/l; en lui font cachés les  de la KouveJle Oeconomie. 177 les tréfors de fageffe tfintelligence. Mes Ireres, nous ne lentons pas affez la grandeur des obligations, que nous avons a Dieu a eet égard. Jettons les yeux fur Tétat des peuples, lorsque Jefus - Chrift a paru dans le monde. Conüdérons tant de peuples, idolatres encore, vils adorateurs deTouvrage de leurs mains, livrés aux erreurs les plus infenfées, fans Dieu &? fans efpérance au monde ; & nous ne pourrons que nous écrier dans les transportsde notre gratitude; Béni joit Dieu, qui efl le pere de notre Seigneur Jejus-Chrifl, qui nous a bénis de toute bénédiHion Jpirituelle en Chrift'. Gloire foit d Dieu dans les lieux très-hauts, en terre paix, £s? envers les hommes bonne volonte! III. Ne nous bornons pas néanmoins a des mouvemens ftériles de joie & de reconnoiffance. Démontrons par nos mceurs, que nous fommes paps des ténébres a la lumiere. Oui, Chretiens , nous devons marcher a la Jplendeur de cette lumiere,qui s'eft levée fur nous; c'eft - a - dire, que nous devons nous conduire d'une maniere , qui réponde d la dignité de notre vocation. Si nous delirons avoir communion avec Dieu, ■nous devons marcher en la lumiere, comme il eft en la lumiere. Ce n'eft que fous cette condition que le jang de fon fils nous nettoie de tout pêché. Ne démentons pas par notre ignorance & par nos vices 1'accompliffement des promeffes divines. Croupi- Tomé L M Ephef. II. 12. Eph. I. 3. Luc. II. 14. Eph. IV. I. 1 Jean 1.7«  Efaie LIV. 13- 2 Tim. I. 10. i78 SERMON VII. La Gloire de P Eglife rions-nous dans les ténébres, tandis que la lumiere nous environne de toutes parts? Non! non! M. F. profitons de Pavantage, dont nous jouiffons d'être enfeignés de Dieu, & de pouvoir mrpaffer a Pégard de la fcie.nce du falut les plus fa vans-du monde. Etudions les grands principes de 1'Evangile avec toute Papplication, dont nous fommes capables. Ét tandis que Dieu a daigné s'intéreffer li tendrement k notre fort, n'y foions pas indifférens nous-mêmes. Quel étrange contrafte! Se dire disciples de Jefus-Chrift, & ignorer ce qu'il y a de plus fondamental dans fa doétrine! Faire profeffion de PEvangile, & en violer les préceptes les plus effentiels ! N'eft-ce pas la cependant ce que nous nevoions que trop dans le fein du Chriftianifme ? Faut-il être furpris, que nous aions fi peu d'ardeur pour cette vie, cette immortalité, que Jefus - Chrift a mis en lumiere par jon Evangile ? Que nous nous occupions li peu de Péternité, pour laquelle ce grand Sauveur eft venu nous former ? Quel eft donc notre delTein ? Quoi ! de pafler quelques années fur la terre fans réflexion, & puis de nous voir abandonnés du monde , & dégoütés nous-mêmes de ce qu'il ofFre de plus attrayant! Quoi! de palfer quelques années dans le travail, dans la dilfipation, & puis de voir une maladie terminer toutes nos elpérances; ces plailirs qui nous abforbent,  de la Nouvelle Oeconomie. 17y ce fafte, qui nous enorgueillit, s'évanouïr comme une ombre, fe réduire a une pompe fiinébre,& tinir dans le tombeau!Seroit-ce la pour nous le fruit de 1'avénement de Jefus-Chrift? Seroit-ce ainfi que nous accomplirions les oracles du Dieu de vérité? ConnoilTons mieux nos véritables intéréts, & rempliflbns par la pureté d'une foi éclairée, par la pratique des vertus les plus nobles, par 1'élevation de nos defirs, rempliflbns le fort glorieux, que le Rédempteur du Genre-humain prépare k tous ceux, qui auront répondu dignement k cette voix de grace : Regardez vers moi, vous tous les bouts de la terre, £s? joiez Jauvés! Ace grand Sauveur, comme au Pere, & au St. Efprit, feul Dieu béni éternellement, fource unique de la félicité , foit honneur, gloire, empire , magnificence, & force aux fiecles, des fiecles! Amen. Pf. LXXXVII. vs. 2-4. Prononcé a Amjlerdam le 2$ Novembrt 1781. Soir d la Grande Eglife. M 2 Efaie XLV. a»  LES TRAVERS ES ET LES TRIOMPHES DE L' EG LI SE CHRÉTIENNE. QiCljrael dife maintenant; ils nfont fouvent tourmenté dès ma jeunejfe; ils mjont jouvent tourmenté dès ma jcuneffe; toutefois ils n'ont point été encore plus forts que moi. Pseaum. CXX1X. vs. i. 2. H UI T I EME SERMON. Le Cantique facré, dont les paroles, que nous venons de vous lire, font tirées, a deux parties principales. Dans la première lePfalmifte exhorte le peuple de Dieu a fe rappeller les maux, auxquels il a été expofé dans tous les tems, & les délivrances, que 1'Eternel lui a accordées. Dans la feconde il annonce la ruine des ennemis de 1'Eglife. Ainfi Tune efi: hiftorique & morale; «Sc 1'autre efi: prophétique. Les Interpretes font partagés fur le tems de la compofition de ce Pfeaume & fur fon Auteur. Quelques-uns prétendent, qu'il a été compofé par Esdras peu après le retour de la captivité de Babylone: ils croient,  SERMON VIII. Les traverfes &c. 181 que ces paroles, quTjraè'l dife maintenant, delignent un tems de profpérité, comme fi 1'Ecrivain facré difoit: „ Ceft a préfent „ le tems de raconter les maux, auxquels ,, Ifrae'1 a été expofé, depuis qu'il a formê „ un corps de Nation, & de célébrer la „ maniere miraculeufe,. dont Dieu 1'a fe„ couru & délivré." D'autres Commentateurs expliqucnt ces paroles dans un fens tout oppofé. lis foutiennent, qu'elles indiquent un tems de détrefle & d'angoifle, & que le but du Prophete efi: d'encourager le peuple prêtaperdre toute efpérance,en lui rappellant les délivrances, que Dieu lui a accordées dans les tems anciens. En conféquence qes Interpretes conjeéturent, que ceCantique aétécompofépendant lacruelle perfécution óAntiochus furnommé YIlluJlre, Koi de Syrië. 11 efi; alTez difficile de prendre parti entre ces deux fentimens, n'y aiant rien dans le Pfeaume d'affez marqué pour faire donner la préférence a 1'un ou k 1'autre, & la chofe importe afiez peu par rapport au fonds du fujet. Ce qui paroit certain, c'eft qu'il faut mettre ce Pfeaume au nombre de ceux, qui font poftérieurs k la captivité de Babylone. Pefons les expreffions mêmes du texte: OiClfrael dife maintenant ; ils m'ont fouvent tourmenté dès ma jeuneJJ'e; ils tiïont Jouvent tourmenté dès ma jeunejfe. Cette répétition des mêmes paroles eft ordinaire» M 3  182 SERMON VUL Les traverfes furtout dans les ouvrages poëtiques, pour exprimer la chofe, dont il s'agit,avec force & avec énergie. L'Auteur facré a eu deP fein de retracer par lk le nombre & la grandeur des maux , qui ont alfailli 1'Eglife; c'eft ce qui ne foufFre pas de difficulté. Mais que faut-il entendre par Ia jeunejfe dPfraëi? Les uns remontent jufques au tems des Patriarcbes, & rappellent ici les voyages pénibles & les travaux de ces faints hommes, leurs affliclions & les périls, auxquels ils furent fi fouvent expofés, & de cette époque on paffe aux fiecles, qui ont fuivi. D'autres ne remontent que jufqu'au tems, oü. les Jfraélites formerent un corps de Nation en Egypte, & fe virent .aiTervis k une dure fervitude. Cette derniere explication eft la plus fimple & la plus naturelle. II efi: ordinaire aux Ecrivains facrés de défigner ce tems la par celui de Ia jeunejfe dPfraël, ainli qu'on le voit Ezecb. XXÜf. 3 & OJ'ée II. ij, oü le tems de Ia jeunejfe & celui du féjour en Egypte font des expreffions équivalentes. C'est donc depuis cette époque jufques après le retour de la captivité de Babylone que l'Eglife Ancienne pouvoit dire, qu'elle avoit fouvent fouflert de grands maux de la part de fes ennemis, & que néanmoins Dieu 1'avoit confervée & foutenue. Mais fi elle avoit de juftes raifons de tenir ce langage, l'Eglife Chrétienne n'a pas  fe? les triompbes.de PEglife Chrétienne. 1.8$ moins fujet de parler ainfi. On peut'lm adreffer 1'exhortatio.n du Pfajmilte: ^ IJraël dife, ils m'ont fouvent tourmenté des: ma jeune{J'e; ils mtotfc Jouvent tourmenté dès ma jeunejfe; mais ils n'ont point été encore plus fort s que moi C'eft par rapport a elle que nous allons envifager notre texte, que nous croions avoir fuffifamment éclair.ci & expliqué. Notre Difcours aura deux parti.es. I. Nous vous mettrons fous les yeux les traverfes fe? les triomphes de PEglife Chre-i tienne dès fon origine. 1L Nous rechercherons, quelle imprejfwn la méditation de ces évenemens doit faire jur nous. Dieu veuille faire fervir ce Difcours a alfermir notre foi, & a nous* faire adorer les voies admirables de la Pro.vidence dans la, proteclion, dont. elle afavorifé l'Eglife!. Fixons d'abord nos regards fur les traverfes fe? les triomphes de PEglije Chrétienne dès Jon origine. A peine fut-elle fortie du berceau, & eut-elle cpmmencé a. faire un corps après 1'Afcenfion de JefusChrift au Ciel, qu'elle fe vit quatre lortes d'ennem'ts en tête, foit tous & la fois, foit. fucceffivement. 1. les prèjugês. de Pautoritê fe? ceux de la fageffe humaine II.. les erreurs fe? les hêréfies des faux DoBeurs HL les. artifices de la Politique IV. la violence des Terjécutions. A ces quatre égards l'Eglife. M 4. Plan de cl')is cours. i. Partie.  ï. Préjugès de 1'autorité £p de lajagejje bumaine. i Cor. I. 23. Aa. XXII. 21. 184 SERMON VIII. Les traverfes a été tourmentèe dès fa jeunejfe; mais elle a triomphé de fes ennemis. ï. L'Eglife a été attaquée par les préjugès de Vautorité fe? de la fageffe humaine. L'Evangile fut dès fanaifTancey^^ aux Juifs fe? folie aux Grecs. Les premiers, privilégiés pendant plufieurs fiecles, avoient été jufques la feuls dépofitaires des oracles du Dieu de vérité, feuls honorés de fon Alhance; «Sc on leur fait voir, que cette diftincrion fi flatteufe alloit cefler : déja même Sr. Paul leur déclare, que le Seigneur lui a dit: Voici je fenvoie au loin vers les Gcntils. Non feulement 1'antiquité & 1'éclat; mais 1'inftitution même Divine leur rendoit le culte Lévitique vénérable «Se cher, & on leur montre,. que 1'époque eft venue, oü il doit prendre fin. Au lieu d'étudier Ie vrai fens des oracles de leurs Prophetes fur les caraéreres du Meffie «Sc la nature de fes triomphes, ils s'étoient remplis 1'efpnt d'idées charnelles, «Sc on leur prêche un Jefus crucifié. Dela naturellement que d'oppofitions! Auiïi qui ne fait, que les chefs de la Synagogue après avoir condamné le Maitre, fe déclarerent ouvertement ennemis de fes Difciples? Les préjugès, que le Paganijme oppofoit, n'étoient pas moins torts. L'idolatrie Paienne remontoit jufques aux ages du monde les plus reculés pour trouver fon origine. La pompe «Sc la  fêles triomphes de rEglife Chrétienne. i8j fplendeur regnoient dans toutes fes cérémonies , c'étoit 1'ouvrage de plufieurs fiecles. Les Grecs avoient ajouté a la Religion, qu'ils avoient recue des Egyptiens: les Romains a celle des Grecs; les fucces, dont ces derniers avoient vu leurs entreprifes couronnées, le haut point de puiflance & de gloire, auquel ils voioient leur empire parvenu, étoient de fortes raifons, qui leur rendoient d'autant plus refpeélables les Divinités tutélaires, qu'ils adoroient. Auiïi les Magiftrats & les Juges, les Princes & les Gouverneurs ne tardérent-ils pas a faire éclatter leur haine contre les Chretiens. D'un autre cöté les Philofophes fiérs de leurs lumieres, & accoutumés a raifonner furtout d'une maniere fpéculative, trouvoient dans les dogmes de 1'Evangile tout ce qui étoit capable de les revolter. Dela les ralleries, auxquelles St. Paul fe vit expofé a Athènes de la part des Epicuriens & des Stoïciens. Cependant tous ces efforts n'ont pu prévaloir contre l'Eglife. Elle s'eft accrue & étendue avec rapidité, & au bout de quelque peu d'années un grand nombre de Juifs & dePaiens renoncant a leur pré'vention ont été Difciples zèlés de JefusChrift. m ,,. II. L'Eglise a été aflaillie en fecond lieu par les erreurs fe? les héréfies des faux Dotfeurs. Perfonne de ceux, qui ont lu les écrits du Nouveau Teftament, n'ignore, M s Act RVU. IS. ii. Erreurs £f héréfies.  'fite I. k 2 Tim. &. 17. 18 1 1 1 < t i 1 J c 1S6 SERMON VUL Les tramt fes que dès les commencemens du ChrifKa-; nifme l'Eglife fut déchirée par des divi-. fions inteftines , & agitée par les trou-. ;- bles, qu'y excitérent des gens, qui fefoient profejfton de connoitre Dieu, qui le re-, nioient de fait. D'abord des Chretiens fords du Judaïlme prétendirent allier la Loi a 1'Evangile, «Sr foumettre les fideles au, joug des cérémonies. Malgré la décifion des Apötres rapportée dans le chap. XV. du livre des A&es, St. Paul fut obligé de combattre les prétentions de ces Chretiens judaïfans dans fes Epitres aux Romains &. aux Galates. Dans le même tems Hymenée«5? Philète avec d'autres s'éleverent contre le dogme de la Rëfurreclion, & le même Apötre dut s'attacher a établir cette vérité capitale dans le chap. XV. de fa I Epitre aux Corinthiens. Simon, Menandre, Ebion Cerinthe & leurs Difciples, défignés fous le nom de Nicola'ites dans les premiers :hapitres de ÏApocalypfe, donnerent at:einte a la pureté des préceptes de 1'E/angile, & trayaillerent a féduire les Chreiens en favorifant le relachement «Sc la lorruption , ainfi qu'on le voit dans le hap. II. de la feconde Epitre de St. Pierre ï dans VEpitre de St. Jude. D'autres faux )oéfeurs tacherent, ceux-ci de ravir a, efus-Chrift la qualité de Fils de Dieu, eux-lad'anéantirfonincarnation. St. Jean  ks triomphes de rEglife Chrétienne. 187 les combat dans fa pre-niere Epitre. Mon-, tan & Novaiien entreprirent par une féyérité outrée de bannir des coeurs cette vive confiance en la Mifericorde Divine, que 1'Evangile veut infpirer a fes Difcipies.. Henmgene ramena 1'opinion de 1'écernite de la matiere. Maniüm, Mardon, Sc leurs fectateurs attenterent a funicé de Dieu par la doctrine de deux principes éternels. Wél, Artèmon, Théodote, Paul de Samofate, Sabellus, Arïus, PlMin attaquerent en diverfes manieres la Divinité de JefusChrift: & celle dn Saint Efprit.. Pelags 6c fes Difcipies flaterent f orgueil humam, & contefterent le pouvoir de la Grace. La fuperftition de fon cdté corrompit la pureté du cnke de 1'Evangile. L'ignorance favorifa rintroduction de 1'idolatne. Des Üecles ténébreux fuccéderent aux beau.t jours de L'Eglife D'orgueilleux Pontifes ufurperent la pkce cc 1'autorité de JelusChrift. Aflaillie par tant d'endroits, tourmentée par tant d'ennemis au dedans, 1 EjiÜTe s'eft pourtant maintenue, elle a eu le deffus, la vériïé a été viciorieufe de 1'erreui, & Nous voions encore, graces a ia protection de Dieu, le vrai Chnftianifme fubftfter. . III. Nous avons nommé encore les arttkpes de la Politiqut. Dès que les Chretiens "eommencerent a être connus, on les de¬ in. Artifices de laPcliiique  Ï88 SERMON VIII. Les traverjes peignit des plus noires couleurs. Les luifs & les Paiens , leurs Docteurs & leurs Chefs, travaillant également a la ruïne d une Religion , qui tendoit a anéantir tout ce qui leur paroiffoic le plus vénérable, reprefencerenc de concert les Difcipies de lEvangile comme des Novateurs daneereux , comme des ennemis déclarés "de tout ce qu'il y avoit de plus facré, commdes perturbateurs du repos public, enfin comme des gens fans foi, fans Religion, comme des Athées. Ce font Ia fans doute les moyens les plus puifTans pour pré venir les peuples contre une doctrine , & pendant longtems l'Eglife eut a comb?ttre contre ces calomnies. Lorsqu'elle fembloit pouvoir fe flatterde jouir de quelque tranquillité, après que Conjiantm le Grand fe fut déclare fon Pro tecteur, un nou vel ennemi mit en ceuvrcontre elle les plus dangereux artifices JL Empereur Jtdien, déferteur de PEvangile, zele reltaurateur du Paganifme fit tous fes efforts pour anéantir le nom Chretien. Ce Prince, d'un caractere difficile a dehmr, qui réuniffoit des qualités eftimablesavec des défauts dignes de mépris attaque le Chriftianifine par les rufes les Plus propres a le miner. Tantot il tache de iurprendre les Chretiens en les portant a des demarches équivoques, qu'on pouvoit  £5? les triomphes de rEglife Chrétienne. 189 expliquer en faveur de 1'idolatrie. Tantót il leur incerdic 1'étude des fciences humaines, pour les faire tomber dans fignorance, ann de les ramener plus aifément eu Paganifme, car Julien favoit trés bien , que ceux, qui manquent de lumieres, font en général peu affermis, & qu'ordinairement ils flottent è tout vent de doét ritte. Tantót il tente d'oppofer au Chriftianifme les juifs, premiers ennemis de 1'Evangile, en 'les favorifant & en leur permettant d'entreprendre de rebatir leur Temple. Vains erTorrs ! Tentatives inutiles! l'Eglife a le dellus: tourmentée en tant de différenres manieres elle fubfifte, elle triomphé glorieufement. La mort de Julien, au bout d'un regne fort court, la met de nouveau en fureté. IV. Enfin l'Eglife a été tourmentée dès fa jeune fe par la violente des' perfécutions. Les peuples tnutinés om formé des projets contre elle; les Rois de la terre fe font irouvés en perfonne, <2? les Princes ont confulté contre F Eternel <£? contre fon Oint. Remontez jufques a la naillance du Chriftianifme , lifez 1'hiftoire de l'Eglife • & vous verrez les rerribles affauts, contre lefquels elle s'eft foutenue. St. Paul, avanc fa converfion, ne refpire que carnage. Muni de 1'autorité de "toute la Synagogue il pourfuit les Difcipies de 1'Évangile en ïphef. IV. M- IV. Violence des psrJécU' tions. Pf. II. 2. Aft.IV.2ti Aft. IX. ii  Aft. XII. I & fuiv. Tacit. Arm. L. XV. Sulp. Sever. L. III. Eüfeb.Bift.] Ecd.L.Ul. ; Ch. 17. j r 190 SERMON VIII. Les traverfes ■ tous lieux. Herode Agrippa renouvelle la perfécution pour plaire a un peuple fuper- ftitieux. L'Apöcre St. Jaques/frere de St. Jean, devient la victime de fon faux zéle, & il referve le même fort a St. Pierre, qu'une délivrance miraculeufe dérobe a fa fureur. Ce ne furenc la encore que les trifi.es avantcoureurs de ce qu'on vit dans lafuite. Le-barbare-iWrö», pour faire retomber fur les Chretiens la haine de 1'embrafement de Rome, qu'il avoit alluméluimême , les livra a tout ce qu'on peut concevoir de plus inhumain. Ceft ce qu'atteftent Tacite ce Sulpice Severe , 1'un Paien & 1'autre Chretien. On les traita comme des coupables avec tout ce que les tortures ont de cruel & de barbare. On inventa t>our eux de nouveaux fupplices. Les bourreaux les couvroient de la peau des bêtes fanpages, pour les faire dévorer par des chiens; m les attachoient en croix; ou les brüloient, )our éclairer la nuit. La Religion Chrétienne cut int erdite par des e'dits; on e'tablit despeites contre aux , qui en fefoient profejfon. 'eu d'années après le cruel Domitien imita a fureur, avec laquelle Néron avoit déclaré 1 guerre a Dieu. Le fecond fiecle s'ouvrit »ar la perfécution fufcitée par les ordres e Trajan : une fi' grande multitude de Chretiens fouffrit le martyre, que 1'Empeeur, étonné de la relation de leur inno-  les triomphes de VEglife Chrétienne. 1 o i cence, défendit de les rechercher, en laisfant néanmoins a leurs ennemis le pouvoir de les perdre. Adrien, fuccellèur de Trajan, fit de nouveaux efforts, & dans le même fiecle Mare Aurele laiffa a ceux, qui étoient altérés du fang des Chretiens, la liberté de contenter leur fureur. Le troifieme fiecle ne fut pas plus favorable a l'Eglife. Severe, Maximin, Décius, Valérien 1'attaquerent tour a tour, & deploierent toute leur puiiTance contre elle. Enfin au commencement du quatrieme fiecle on Vit fondre fur V Eglife cette furieufe perfécution des Empereurs Dioclétien & Maximien, qui moijfonna cruellement le peuple de Dieu, durant dix ans continuels. Dans ce tems funejle & deplorable, prefque toute la terre fut teinte 6? dbreuvée du fang des Martyrs. Jamais guerre ne fit périr tant de monde que cette horribleperfécution engloutit de Chretiens. Ainfi s'exprime un Hiftorien, qui vivoit moins de cent ans après ces évenemens. Dans le même fiecle l'Eglife après avoir refpiré fous Confiantin le Grand, fe vit affaillie par des Empereurs Proteéteurs déclarés de 1'Arianifme, qui 1'attaquerent a force ouverte. Malgré des perfecutions fi fuivies & fi cruelles, l'Eglife Chrecienne a triomphé de fes ennemis, elle s'eft maintenue par la proteétion puiffante de Dieu, & elle efl en droit d'adopter ce langage Sulp. Sev. 11.  IL Tartit. L Preuvs dt ia Divinitt du Cbrijliatifme. Act. V. 3538. 39. 192 SERMON Vlli. Les traverfes de landen Ifraël: lis tri ont fouvent tourmeute' dès ma jeunejfe; toutefois ils riont point encore été plus forts que moi. Examinons, quelles impreffions ces évenemens doivent faire fur nous. C'eft ce qui va nous occuper dans le refte de ce Difcours. L La vue de l'Eglife toujours attaquée & toujours fubfiftante, malgré les efforts redoublés de fes ennemis , doit afFermir notre foi, & nous ofFre une démonjlratim fenfible de la divinité du Chriftianifme. Je fai AL F., que nous devons être trés retenus dans nos jugemens fur la conduite de la Providence, qu'en bien des occafions la profpérité & 1'adverfité font des marqués équivoques de la faveur de Dieu. Je fai encore, que la durée d'une Religion n'eft pas par foi-même une preuve de fon origine célefte. Une Religion, qui favorife la corruption du cceur & le goüt charnel des hommes; qui flate leurs penchans pour les objets fenfibles; qui s'établit, fe propage, &fefoutient par la force des armes; qui infpire a fes Difcipies un fanatifme aveugle contre les autres Religions, peut fubfifter iongtems fans miracle. Mais ce n'eft pas le cas a 1'égard de la Religion Chrétienne. Rien de plus vrai par rapport a elle que ce que difoit Gamaliel au Confeil des Juifs , en parlant des Apötres. Hommes Ifraélites, prenez garde a ce que vous  fc? les triomphesdePEgliJeChrétienne. 193 yous dm* faire touchant ces gens. - Ne continuez plus vos pourfuites contre eux, & laiffez les; car fi cette entreprife ou cette oeuvre efi des hommes, elle fera détruite; mais ft elle efl de Dieu, vous ne pourrez la détrmre. Qu'on nous montre une autre Religion, qui propofe pour obiets de foi ce qu'il y a de plus inconcevable a 1'efprit humain, qui préfcrit des préceptes ennemis des paffions des hommes, qui ne promet point de recompenfes temporelies, qui veut, que fes Difcipies fe détachent du monde préfent pour tourner leurs vues vers un monde invifible; toujours attaquee, & néanmoins toujours viftorieufe des afiauts, qui lui font livrés. Qu'on nous montre une autre Eglife, une autre Religion, contre laquelle les peuples fe foient ligues, les Philofophes & les Prêtres aient pris parti, les Puiffances de la terre aient épuifé leurs efforts, contre laquelle le foient réunis tout ce que Terreur a de plus féduifant, Tartifice de plus ingenieux, la perfécution de plus cruel; & qui néanmoins fe foit maintenue au milieu de tant de traverfes & ait triomphé de tous les ennemis. II n'v a que la Religion Chrétienne, l'Eglife de Jefus-Chrift, qui nous offre un pareil fpeftacle. C'eft elle, qui pput dire; ils m ont fouvent tourmentée dès ma ]eimeffe, mais ils riont pas été plus ferts Tome I. N  Prov. XXI. 30. Pfeaume CXVIJI. 23- Pf. LXXII. 18. Matth. xvi. j8. II. Vérité de la Religiën Réformie, 1 m SERMON VIII. Les traverjes que moi. A moins que de s'aveugler volon* tairement, on ne peut méconnoitre dans la confervation de cette Eglife, de cette Religion,la puüTante proteétion de celui, qui regne dans les Cieux, & qui fe rit des temeraires projets des hommes. Qui ne diroit avec Salomon ? ü riy a ni fageffe, ni mtelligence, ni confeif qui pui Je faire tête (ï rEternel; Et avec David ? Ceci a été fait par V Eternel, & ejl une chofe admirable devant nos yeux. Béni foit l'Eternel Dieu, qui feul fait des chofes merveilleufes. Ici en un mot eft raccompliïTement de cette grande promefie faite a l'Eglife; lesportes de 1'Enfer ne prèvaudront pas contre elle. II. La conformité de l'Eglife Protejlante avec VEglije primitive, a 1'égard des traverfes & des triomphes, nous fournit une weuve de la vérité de la Religion, que nous mfefons. Si la confervation de l'Eglife Chrétienne en général, nonobftant tous les efforts de fes ennemis, ne permet pas Se douter de la proteétion fpéciale, donü Dieu 1'a favorifée; nous fommes en droit le porter le même jugement de l'Eglife Proteftante en particulier. On peut dire 1'elle avec raifon, que dès fa jeunejfe fes mnemis l'ont tourmentée & alfaillie, & que ïéanmoins ils n'ont pas étéplusforts qu'elle. \ quelles traverfes n'ont pas été expofés es généreux témoins de la vérité, qui ont  y> les triomphes de P Eglife Chrétienne. 19 J été comme les Précurfeurs de la Réformation , & qui de fiecle en fiecle ont ofé s'élever contre les erreurs & les fuperftitions, qui fe glifloient dans l'Eglife, a la faveur des ténébres de 1'ignorance? Que n'a t'on pas fait pour détruire les Alhigeois & les Faudois? Que n'a t'on pas fait pour fermer la bouche aux Berengers , aux Wiclefs, aux Jean Hus, aux Jeromes de Prague, & a tant d'autres? Avec quelle fureur n'a t'on pas travaillé a anéantir la mémoire des oppofitions, qu'ils ont faites a la corruption de leur tems ? Qu'eft ce que Rome n'a pas mis en oeuvre pour arrêter les progrès de la Réformation dès fa naiflance ? On a débité contre" les Réftaurateurs de la vérité, obfcurcie par des erreurs monftrueufes, les plus noires calomnies, comme contre les premiers Chretiens, ou, pour mieux dire, on a renouvellé les anciennes. On a fait valoir contre la Religion Réformée , ^ comme contre la Chrétienne en général, 1'autorité des Doéteurs, des Pontifes: on a fait reparoitre les accufations de nouveauté, d'héréfie & de fchifme: on a emploié les artifices les plus dangereux d'une Politique mondaine ; des promefles illufoires, des traités frauduleux, des alliances, qui couvroient les plus noirs complots. On a armé les Puiflances & fufcité les plus vioN ft  Ffeaums LXXIX. i Pfeaume LXX1V. 4 ipó SERMON VIII. Les traver/es lentes perfécutions. Tous les pais de 1'Europe ont vu couler le fang des Proteftans : ils les ont vu dévorés par les flammes, en proie a tout ce que la brutalité la plus féroce du Soldat erfréné eft capable d'inventer. „ Vous le favez, ö Vous, qui m'é„ coutez, qui tous êtes les Defcendans de „ ceux, qui furent les victimes des plus „ barbares fureurs, foit dans un Royaume „ voiGn, foit dans ces Provinces mêmes.1' Malgré tant d'aflauts l'Eglife Proteftante n'a pas fuccombé. La mam puiflante de Dieu fa confervée & maintenue. II eft vrai, que peut être cette Religion eft moins florilTante, qu'elle ne le fut il y a un fiecle. II eft des contrées, oü 1'on vit de nombreufes Eglifes, qui ne fubfiftent plus, dont on peut dire, que les nations font entrées ' dans Thèritage de Dieu, & y ont mis leurs enfeignes pour enfeignes. Mais cela ne dément point la vérité, que nous établisfons. Ceft encore un trait de conformité, que la Religion Proteftante a avec le Christianifme en général. Combien 1'Afie & PAfrique ne virent elles pas autrefois dans leur fein d'Eglifes Chretiennes, dont on ne trouve plus ni tracé ni veftige ? L'abus, qu'on fait des graces de Dieu, le porte fouvent a en priver ceux, qui les ont recues. Difons plus. Si en bien des lieux la profesfion publique de la Réformation a celTé, l'Eglife n'y eft pas entierement anéantie:  fe? les triomphes de VEglife Chrétienne. 19? on y trouve encore des Difcipies de la Réforme. Plufieurs, il eft vrai, ne lui lont pas honneur par leur peu de courage & par de laches ménagemens. Mais un grand nombre d'autres maintiennent la vérité au rifque de tout ce qu'ils ont de plus cher. Toujours eft il certain, qu'on peut regarder la confervation de l'Eglife Proteftante comme une oeuvre de la Providence, comme 1'effet d'une proteétion toute particuliere de Dieu. En vain prétendroit on, que la diverfité des Sociétés de la Réformation forme une objection, paree qu'elle dètruit 1'unité de l'Eglife. Ce feroit fe trompen Si 1'on en excepte celles de ces Sociétés, qui donnent atteinte aux vérités fondamentales de 1'Evangile, les autres, quoiquel eparées par la difFérence de fentimens lur quelques dogmes, qui ne font pas de ï'eiïence du Chriltianifme, ou par quelques ceremonies, qui ne touchent point aux tondemens du cuite Evangélique, peuvent néanmoins être conlidérèes comme fefant a divers égards un même corps, dans lequel fubüite la Commwüon des Saints. 11 eft donc evident, que la conformité de l'Eglife Proteftante avec l'Eglife Chrétienne en gencral, du eöté des traverfes & des triomphes , nous fournit une preuve décifive de la vérité de la Religion, que nous proteuons. j III. C'est ce qui me conduit a une troifieme reflexion, qui tend a nous porter a N 3 m.' Devoir:. qui iécmlent iis ces vétitsi.  I. Efprit de ebarité. Pf. cxxu. (5. Jusle 20. | 198 SERMON VIII. Les traverfes nous acquitter des devoirs, auxquels nous iommes obligés. L'Eglife a encore fes en- redoubler leurs efforts contre elle & re nouvellent, autant qu'il leur eft pofllble les maux de Sion. C'eft la un objet, qu doit nous intereiTer. II doit nous infpirer I. un efprit de ebarité, II. un efprft % zele HL un efprit de facrifice. V 1. Nous devons être animés d'un eftrit de ebaritépour ceux, qui foufFrent encore pour la juftice. Formons des vceux ardens, redoublons nos pneres pour la paix de Jérufaleml Implorons fur elle les compaffions de ce Dieu, qui fut fon protecleur dans tous les ages, & qui a fignalé fon bras en fa faveur en tant d'occafions. Nous ne fentons pas autant que nous le devrions le malheur de ceux, que la profeffión de' a verité rend les viclimes du Lx zele, qu'mfoire la fuperftition ou une Politique cruelle La tranquillité & la paix, dont nous out fènnbilitT jbU£ d banJn,r de notrs cc^ la (enhbilite, que nous devons avoir pour les maux de nos Ereres. Que dis- je? la p ? mt bTè> dont nous foR^s ™ pot [eihon, de pouvoir entrer en tout tems fcns les parvis de 1'Eternel, pour nous édi- ZTu tVèS famter $ Pour "e^dre 5™= r oshommages fuivant le didhmen denos Confciences, & pour participer aux acremens de fon Alliance, nous Wï  fe? les triomphes de TEglife Chrétienne. 199 peine concevoir le trifte fort de ceux, qui font privés de ces privileges; ou, pour mieux dire, notre indifFerence, notre froideur nous cachent le prix de nos avantages, & par la nous rendent infeniibles a la douleur de ceux, qui afpirent ardemment a la jouïffance de ces biens, qui n'ont plus d attraits pour nous, paree qu'ils nous font familiers, & qu'ils ne nous coütent aucune peine. Sentons notre bonheur, & pour lors nous ne pourrons que nous intereffer par nos vceux, par nos requêtes les plus ferventes, en faveur de nos Freres affligés. Notre charité ne doit pas néanmoins fe borner a des prieres. Si le Fr ere ou la Sceur J font nüds, & manquent de ce qui leur eft nécefj'aire chaque jour pour vivre, fe? que quelqiïun entre vous leur dife; allez en paix, ehaufez vous , fe? vous raffafiez, mais que vous ne leur donniez pas les cho fes néceffaires pour le corps, de quoi cela leur fervir a fiP. Celui, qui voit fon Fr ere dans la nècefftté, fe? lui fermera fes entrailles, comment efl ce que la charité de Dieu demeure en lui? Ouvrons donc toujours notre fein a ceux, que dans des tems orageux la violence de la tempête jette fur nos bords, fans confondre néanmoins celui, qui ne cherche Jefus-Chrift que pour la viande, qui périti avec celui, qui le fint en portant ik croix. Evitons de ménager a de iaches temporifeurs le fpécieux prétexte, que leur aq. II. 15. 16. [ Jean III. 17. Jean VI, 26. 27.  Gal. VI. 17 Jude 3. 1 x Cor. | XIII. 7. 200 SERMON VIII. Les traverfes fournit Ie manque de fecours parmi leurs Freres. Toutes les fois que les circonllan- Plgentr'- multiPlions "os libéralrtés. Vous 1 avez fait,généreuxCitoiens de cette Republique. Votre charité, célèbre parmi vos Contemporains, fournit un des plus honorables traits de votre Hiftoire, & les iiedes a venir loueront encore votre bénéhcence. Renouvellons dans Foccafion ces belles preuves d'une tendre compaffion. • Que les defauts memes de ceux, qui portent en Uur corps les flétrijfures du Seigneur 16 x?^?1^ notre C»retienne fenlibihte. N'oublions jamais, que ceux, qui fe diftinguent le en combattant pour la foi donnee une fois aux Saints, font des hommes fujets aux foiblelfes de fhumanité fcouvenons nous , que leur acquiefcement aux ordres de la Providence, leur fidéüté aux claufes de 1'Alliance de Dieu, tu? confiance, leurzele, leur perfévérar ce ne ks rendent pas parfaits. Rappellons nous, qui Is font dignes de fupport, k proportion de la grandeur des facrifices, qu'ils ont faits, & que leurs imperfetfions n'en doivent pas fletnr la gloire. Nous exiVeons quelquefois trop rigoureufement le plus haut Tll 6n Cp£ÜX' ^ h Pe^"tion ] f affdS, t leur Pat"e- Soyons Plus in- ;oib es du manteau de cette charité , qui roit touttqui efpere tout, qui fupport et out.  £5? les triomphes de VEglife Chrétienne. 201 II. La confïdération des malheurs de rEglife doit nous inipirer encore un efprit 2 de zele pour travailler a les adoucir & a les terminer. Ce n'eft pas, je 1'avoue, a bien des égards Pouvrage des Particuliers. Ils ne peuvent tépioigner principalement leur zele que par leurs vceux & leurs charitcs. S'ils s'interelTent néanmoins bien finccrement aux maux de rEglife , ils doivent faire paroitre leur zele, non feulement en foulageant ceux, qui font dans le befoin; mais'en contribuant a Fentretien du Miniftere, s'il fublifte encore en quelque facon parmi ceux, qui font perfécutés; en aidant a les éclairer,lorfqu'ils manquent demoyens de s'inftruire; en leur facilitant la liberté de fe tirer de la trilte fituation, oü ils fe trouvent; en les excitant, en les encourageant a quitter ces lieux, oü ils font réduits a dire: Tes autels, ó Eter nel des armees, mon Roi £3? mon Dieu. A ces divers égards ehacun doit connoitre mieux, en quoi, dans le befoin, il peut contribuer a adoucir les maux de ceux, qui fouffrent, que nous ne pouvons Pindiquer. .Mais ce font fur tout ceux , que la Providence a appellés au gouvernement des Etats, qu'ici Pefprit de zele doit animer. Si Pexemple eft capable de donner de Fémulation, quelle impreiTion ne doit pas faire fur les PuiiTances Proteftantes 1'ardeur, avec laquelle celles de PEglife de Rome s'interefient touN j IL £,;r;'5 dt tle. Pfeaume lxxxiv. 4-  f II Efprit dt facrifice. Hebr. XII. j. 202 SERMON VIII. Les traver/es jours pour procurer 1'avantage de ceux de cette Communion. PJÜt a Dieu, que tous ceux, qui appartiennent par leur profeffion extérieure au Proteflantifme, fuflent animes de eet efprit, comme l'ont été dans tous les tems les Souverains de cette République ! En combien d'occalions n'ont ils pas fignalé leur zele pour le bien de 1'Eglife ! Si des circonftances particulieres ne leur ont pas permis de faire toujours ce qui auroit pu fervir a foulager fes maux, ou fi leurs foins a eet égard n'ont pas eu le fucces, qu'on en efpéroit, on ne peut pourtant ,fans ingratitude, méconnoitre en eux les Protecteurs des Fideles perfécutés. Puislent ils animés conftemment du même efprit, & guidés par la fageffe Celefle, emploier les voies les plus efficaces pour procurer le bonheur de Sion! III. Enfin la vue des malheurs de l'Eglife doit nous infpirer un efprit de facrifice. Travaillons a nous mettre en état d'imiter cette nuée de témoins de tous les ages, ■dont nous Jommes environnés. Graces aux bontés Divines, nous jouïflbns de la paix & de la profpérité. Nos Temples fubfiltent,& s'ouvrent fréquemment pour nous recevoir. Nous y entrons fans rien craindre,pour y exercer lesaótesde notre culte. Dieu nous accorde tous les avantages temporels & fpirituels, qui peuvent rendre une Nation heureufe. Et puiffent ces inefiima-  fe? les triomphes de P Eglife Chrétienne. 203 bles dépots fe conferver dans notre fein jufques a la poftérité la plus reculée! Nous ignorons néanmoins, jufques a quand nous les pofféderons. Qui fait, au cas que la corruption continue a faire des progrès, h le méons pour la parole de Dieu, la négli2-ence du culte Divin, latiédeur, linditterence , 1'indévotion n'entraineront pas la privation de nos avantages , & li Dieu n'exécutera pas a notre égard la menace, qu'il fefoit a l'Eglife d'Ephefe:^ Si tu te te, repens, je viendrai a toi bientot, &joterai ton chandelier de fon lieu. Encore une fois, puilTe ce beau chandelier fubfifter touiours parmi nous! Mais nous devons être prêts a combattre pour notre tres fainte foi, fi le Seigneur nous y appellé, & conftamment il faut, qüe nous foions preparês a faire les facrifices, qu'il demande quelquefois a fon Eglife. Ils font grands ces facrifices , je 1'avoue. Renoncer a fes commodités, k fes biens, a fes emplois, a fa vie même plutot que de trahir fa Confcience, & de manquer de fidélité a Dieu, quand on peut les fauver en diflimulant fa croiance par quelques aclions équivoques, voila ce qui eft requis, quand il plait au Ciel ck chatier ou d'éprouver fon Eglife. C ett l( facriüce, que ehacun de nous doit etre dispofé a faire avec joie; c'eft la la preuve ls plus évidente de notre amour , de notr< reconnoiffance pour ce Dieu, de qui nou \poai1.5. 1  i Tim. JI, 12. ao4 SERMON VIII. Les traverfes ferV. tenonstout ce que nous pofTédons,& pour ce Redempteur adorable, qui a fait pour nous fauver le penible facrifLce de fa vie c eft la en même tems Ie moyen de rezner avec lui après avoir fouffert avec lui Ce Divin Sauveur veuille nous en faire a tous la grace! Amen. Pf. CXXIX. i. Frononcé a Amjlerdam le 10 Mai ijïrii Matm a la Fetite Eglife. '  VENLEVEMEUT D'ENOCH AU CIEL. Zdinfi Enocb marcha avec Dieu, & ne parut plus, car Dieu le prit. Genes. L Ch. V. vs. 24.. NEUVIEME SERMON. • C'est une dédaration bien propre a infpirer du zele pour le fervice de Dieu que celle, que nous lifons 1 Som. 12. Th°~ mrerai ceux qui iribonorent. Ces paroles font partie du Difcours , qu'un Prophete tint de la part de Dieu au fouverain Sacriiïcateur Héli. Ce Pontife, inftfuit des prolanations & des defordres fcandaleux de lès fils, ne les reprima point, comme il 1'y étoit obligé. II fe borna a quelques exhortations, a quelques cenfures, & témoigna une honteufe mollefle dans une occafion, oü 1'intérêt de la gloire de Dieu 1'appelloit a prendre les mefures les plus vigoureufes. Dieu juftement indignè d'un fi lache procédé , fit dénoncer les derniers malheurs k Héli & a fa familie, parcequ'ü avoit eu plus d'égards pour fes fils, que pour 1'honneur du Dieu, dont il étoit le Miniftre, & c'elt Exerde. l Sam. IL, 30.  206 SERMON IX. VEnlevement dans eet Arrêt que fe trouve cette dédaration, jbonorerai ceux qui vfhonorent Mes Freres,a proprement parler 1'homme ne peut contribuer en rien a Ja gloire du Dieu fort. Mais eet Etre fouverain veut cependant, que Ia créature lui paye Je tribut, qu'elle doit a fon Créateur. Il demande, qu'on ait pour lui des fentimens de refpect & de foumillion, qu'on préfére fon ferviceatout, que 1'on s'intérefie a fa gloire, & qu'on lui obéïffe fans réferve. Quoiqu'iï ait un droit naturel a ces hommages, il ne lailTe pas de promettre a 1'homme de les recompenfer; il s'engage a honorer ceux, qui auront ainfi rempli leurs devoirs. Quoi de plus encourageant! Ceft le Dieu tout puiffant, celui qui fait affigner aux aétions leur jufte prix, & ce qui doit furtout nous animer, ceft le Dieu véritable & fidele, qui s engage, & qui ne peut manquer d'accomplir les promelTes. Aussi 1'expérience de tous les fiecles at-elle démontré par de nombreux exemples, que 1'on peut compter fur fa parole. Un des plus iliuftres fans contredit eft celui d Enocb, qui, diftingué par la plus éminente piete, tut aulli diftingué par la plus magnihquerecompenfe,& duquel on peut dire a la lettre, que Dieu bonora celui qui Pavoit bonorè. Enocb, nous dit Moyfe, mareba avec Dieu, fe?' ne parut plus, car Dieu le prit.  d1 Enocb au Ciel. 207 Mes Freres,fi tous les événemens,rapportés dans nos Livres facrés, font écrits pour notre inflruilion, la vie d''Enocb, & la gloire dont fes vertus furent couronnées, font bien propres a nous infpirer une noble émulation, & une parfaite confiance en ce Dieu, que 1'on ne jert pas en-vain, & a affermir 1'efpérance, que nous avons d'une bienheureufe immortalité. C'est dans ces vues que nous allons méditer avec vous cette intéreflante Hiftoire, & fixer votre attention fur trois objets principaux. I. La conduite du Patriarcbe, digne de nous fervir de modele. II. La recompenje de fa piétè, qui eft bien capable de nous encourager a marcher fur fes traces. I II. Les mes de la fageffe divine dans eet extraordinaire événement. Puisse cette méditation fervir a nous infpirer une fainte jaloufie, & la généreufe ambition d'égaler en vertus ceux, que nous furpaflons a divers égards en lumieres, afin que nous puiffions obtenir Phonneur, limmortalité £5? la vie éternelle, que Dieu 2 promis de donner a ceux, qui auront perJévéré a bien faire! Enoch étoit le feptieme homme depuis Adam , ainfi que s'exprime 1'Apötre St Jude, c'eft-a-dire qu'il étoit le feptieme Chef de familie par Setb, car d'ailleurs h terre devoit déja être fort peuplée. Outre la poftérité de Caïn, qui s'étoit extréme- Rom. xv. Ef. XLV. 19. Plan dt es Difcours. Rom. II. 7. I. Partie; Jud. 14.' l  Jarcbi ap. Seidegger Exercic. IX. S. 3. Genef. VI. ?• SLmip'trrijrt cïe t&T Sapience IV. io.//, T« ©föu yi~ yvfievos r,ycc?r>l9>l —i 'AftTTTi yctp avTdu. Ecclefiaft. XLIV. itf. peevee K.Vptcp. j Écclefiaft. , XLIX. 14. , 'Ovii elf ' ir.Tio-Sr, oiof 1 roiaü- 1 re; tV< t?j 208 SERMON IX. VEnlevement ment multipliée, celle de Seth & des autres Patriarches, iflus de lui, n'étoit felon les apparences pas moins nombreufe, puifqu'Enoch naquit 1'an 622 du Monde, tems auquel Mam,Seth & tous ceux de fa ligne vivoient encore. Movfe rapporte,qu'.EB0fl& marcha avec Dieu. On ne peut lire fans indignation le commentaire d'un Rabbin fur ces paroles ;il prétend, qu'il faut entendre par fo,qu'Enoch fut inconftant &n'eut que des vertus paflageres. Qui eüt jamais penfé, qu'on püt donner une pareille interpretation a cette expreilicn marcher avec Dieu, qui réveille naturellement 1'idée de la plus haute vertu ? Ce qui ne permet pas d'en douter, c'eft que 1'Hiftorien fait le même éloge de Noé: il fut, dit-il, un homme jufle £3? droit en fon tems, marcbant avec Dieu. Les Interpretes Grecs ont traduit, Enoch fut agréable a Dieu, & St. Paul a adopté ce fens au Chap. XI. de PEp. aux Hebr. D'ailleurs la Synagogue ancienne a rendu unanimement tèmoignage k la pieté de eet illuftre Patriarche. L'Auteur du livre de la Sapience dit au Chap. IV, que celui, c/ui anciennement fe rendit agréable a Dieu fut bien-aimé,... £3? que fon ame étoit igréable au Seigneur. Jéfus fils de Sirach iu^ Chap. XLIV. de fon Livre tient le néme langage, difant,qu'Enocb fut agréa'tle au Seigneur. Et au Chap. XLIX. que nul ie fut jamais crêê fur la terre pareil a Enoch.  lï Enocb au Ciel 209 Enoch. Les Auteurs des Paraphrafes Chaldaïques font d'accord avec ces autres Ecrivains de leur nation. L'un traduit le texte de Moyfe, Enoch marcha en la crainte de Dieu. L'autre, il fervit en vérité devant TEternel. Et comment ce faint Homme marcha-t-il avec Dieu? I. Par la fupériorité de fa Foi. II. Par la pureté de fes Vertus. III. Par la conjlance de fon attacbement pour Dieu. 1. Enoch marcha avec Dieu par la fupérioritê de fa foi. Nous ne fonderons pas i'éloge de ce célebre Patriarche fur ce que des Traditions obfcures ou fabuleufes rapportent de fes grandes connoiffances. Nous ne fommes pas non plus affez hardis pour lui attribuerfur les points les plus myftérieux de la Religion des lumieres, dont nous fommes principalement redevables k 1'Evangile. Je fai, M. F., qu'on trouve des traces de cè que fut Enoch dans les narrations, en grande partie fabuleufes, de quelques Auteurs Paiens, & que les Docteurs Juifs ont débité quantité de faits imaginaires fur fon fujet, que Ton a été jufques a lui fuppoferdes Ouvrages. Je n'ignore pas, que quelques Théologiens prétendent, que c'eft s'écarter de la faine doótrine, que de ne pas attribuer k Enoch une connoiffance pleine & entiere du Rédempteur du Genrehumain, de fa Divinité & par conféquent du Dogme de la Trinité. Mais c'eft-lk conTome I. O 1. Supérioriti de la Fai d'Enicb  aio SERMON IX. ÜEnlevement 2 Pierre I. 19. Mal ach. IV. 2. Hebr. XI. r. aCor. X.5. fondre les différentes difpenfations de Dieu envers les hommes, & attribuer aux Fideles, qui ont vécu fous Pceconomie de la PromelTe, un degré de lumieres, qui ne convient qu'a Pceconomie de PEvangile. C'eft confondre 1'aurore avec le jour en fon plein midi; la parole des Prophetes, femblahle d une chandelle, qui éclaire dans un Heu obfcur, avec la vive lumiere, que Ie Soleil de juflice a répandue dans Ie Monde. Sans donc adopter ni des récits incertains & faux, ni des idéés ontrées, nous croions qu'on peut avoir une haute opinion de la Foi d'Enoch. Sublim'e dans fes objets, elle étoit une fubfijlance des chofes, qu'il efpéroit, £5? une dêmonjïration de celles, qu'il ne woioit point. Ce Patriarche reconnoilfoit un Dieu Créateur de 1'Univers & Bienfaiteur du Genrehumain, un Dieu mifér kor dieux, qui avoit deffein de délivrer les hommes des malheurs du pêché par le moyen de la femence bénite; un Dieu Juge jufte & glorieux, Rémunérateur de la vertu & vengeur du crime dans une autre vie. Et ne penfez pas,qu'a ces divers égards Enoch eüt moins befoin que nous a d'autres, de capt'wer fon entendement fous l'obéïffance de Ia foi. J'avoue, que la méjnoire de la Création étoit encore récente, qu''Adam, qui vivoit, pouvoit y rendre tèmoignage. Mais qui ne lait, combien 1'incrédulité & Pirreligion  D'Enoch au Ciel. zit font capables d'ébranler la foi? On ne peut douter , que 1'impieté n'eüt déja fait de grands progrès, furtout parmi les defcendans de Caïn , puifque dans la Prophetie d'Enoch, raoportée par St. Jude, il eft fait mention des paroles injurieufes proférées contre Dieu. Les bien faits de Dieu étoient moins expofés a la contradiétion des pécheurs. Ils étoient fenfibles «Sc palpables, & un Efprit fage n'en pouvoit méconnoitre f Auteur. Mais il falloit un plus grand degré de foi pour démêler un Dieu Sauveur. Lz promelTe faite a Adam, que Ia jemence de la femme briferoit la tête du ferpent, étoit fi générale , fi enveloppée o'obfcurité, qu'il n'y avoit qu'une foi vive, qui y püt appercevoir 1'idée d'un Sauveur, d'un Médiateur, qui ouvriroit des reflources aux pécheurs. Qu'il étoit encore difficile d'atteindre a la connoiflance d7unj^ment dernier & dé fes circonftances, a celle d'une Oeconomie avenir ! Des hommes, qui vivoient plufieurs fiecles, & qui étoient prefque auffi anciens que le Monde, pouvoient aifément oublier leur mortahté, & fe perfuader, que leurs efpérances fe bornoient a la vie préfente. Pénétrer au delk de tant de fiecles, fe tranfporter jufqu'k Fépoque, oü doit finir 1'Oeconomie du tems-, c'étoit-la certainement tout ce que la Foi la plus éclairée pouvoit faire. Ne soions pourtant pas furpris de cette O 2 Jude 15 \ 3en.III.2S-  Jude vs. 14 15. 212 SERMON IX. VEnlevement fupériorité de lumieres en Enoch, fa foi avoit des fondemens folides. 11 marchoit • avec Lieu, il avoit avec le Dieu des Sciences des Communications intimes , il étoit honoré de révélations particulieres. Nous ne pouvons en douter, puifqu'il annonca aux pécheurs de fon tems 1'avénément du Juge fuprême au grand & dernier jour, pour les confondre & les condamner. St. Jude nous a confervé cette Prophetie -d'Enoch au vs. iy. de fon Epitre: Voici le Seigneur, qui vient avec fes Jaints Anges qui Jont par milliers, pour fileer tous les hommes, fe? convaincre tous les^impies d''entre eux de toutes les aclions d'impieté, qu'ils auront commifes, fe? de toutes les paroles mjurieujes, que les péche^s impies ont proférées contre lui?Les Savans ont fait de grands efforts pour découvrir, dans quelle fource 1'Apötre a puifé cette Prophetie. Nous ne prodiguerons pas un tems précieux a vous rapporter toutes les conjeétures, qu'ils ont débitées fur ce fujet. II nous fufht, qu'un Auteur infpiré nous ait confervé cette prédiclion d'Enoch, & d'y trouver des preuves de la Grandeur de la Foi, que nous attnbuons a ce refpeélable Patriarche. Que cette foi eft digne de notre émulation, ou pour parler plus jufte, qu'elle eft propre a confondre 1'incrédulité de notre iiecle, & la foi chancelante d'un grand  EïEnocb au Gel. 213 nombre de Chretiens! Jamais 1'irreligion ne fe montra avec plus de fierté, & n'attaqua avec plus d'audace les vérités les plus fondamentales. On ofe contefter la cróation de 1'Univers, & plutot que de faire hommage au Créateur, on ne rougit pas d'attribuer a la matiere brute & informe la plus grande de toutes les perfections, 1'exiftence nécelTaire & 1'éternité. On ofe outrager le bienfaiteur du Genre-humain, par un infolent & ingrat expofé des maux & des defordres, que la corruption des hommes a introduits dans le Monde. On méprife la miféricorcle de Dieu, en conteftantlamisfion divine du Redempteur, qui fut dès les premiers ages 1'objet de la foi & 1'appui des efpérances des fideles. On fe rit d'un jugement avenir, d'une oeconomie de rétribution. Ou fi 1'on ne porte pas Pinerédulité a eet excès, on n'eft que foiblement perfuadé , on eft chancelant dans fes principes, on eft acceffible a des doutes. Que 1'exemple ó'Enoch nous infpire des fentimens plus fages. Notre foi doit embrafier les mêmes objets avec d'autant plus de vivacité, qu'elle a des fondemens non moins folides. Si Dieu ne fe révele pas immédiatement k nous, nous avons une révélation fuivie, le tèmoignage unanime d'hommes infpirés, qui mérite tout notre acquiefcement, & dont la vérité ne peut être conO 3  214 SERMON IX. L'Enlevement ii. Fttreté de f.'S vertus. teflée, fans démentir ce qu'il y a de plus évident. II. La Foi cYEnoch ne fut pas une foi llérile, elle produifit des fruits abondans. 11 marcha avec Dieu par la pureté de fes vertus. Moylè lui rend un tèmoignage honorable julqu'a deux fois ,& femble avoir eu dellein de nous apprendre par la , non feulement que le Patriarche fe diftingua par fa piété, mais qu'il la porta plus loin qu'aucun de fes Contemporains. Marcher avec Dieu eft une expreilion figurée , qui réveille naturellement 1'idée de la pratique de toutes les vertus, dans le plus haut degré de perftélion, auquel l'homme puilfe atteindre ici bas fur la terre. Occupé fans doute de la méditation des glorieufes perfections de 1'l.tre Souverain, & les aiant toujours préfentes a 1'efprit, Enocb témoigna dans toute fa conduite ce profond refpetl, cette traint e religieufe, eet amour tendre, que la puiflance, la fagelTe, la bonté, la mifericorde de Dieu doivent infpirer. Vivement fenfible aux bienfaits de fon Créateur, fa reconnoijfance fut fans bornes; plein de vonk fiance, il fe repofa fur fes foins & fur fa proteétion. Attentif a lui plaire, il obferva fes commandemens. Animé du delir d'obtenir fon approbation , il ne négligea rien de ce qui pouvoit Ia lui alTurer. Zélé pour les inr térêts.de la gloire de fon Dieu, il travailla  D'Enoch au Ciel. 21$ a ramener les hommes de leurs égaremens, il chercha k les porter a la foi, en leur fefant connoitre ce que c'eft que lafrayeur du Seigneur, & par lk il donna k fes.prochains des preuves de la lincere affection qu'il avoit pour eux. Humble, modéré , patiënt, délintéreffé, doux, bienfaifant & content de fon état, on vit en lui une vivante image de Dieu, avec lequel il marcboit. L'aiant toujours devant les yeux, il ne put que le prendre pour fon modele, & aïpirer a être parfait, comme il efl parfait. De lk fans doute en lui le foin continuel d'épurer fes vertus, & de s'élever par des progrès redoublés, en peu de tems, a un degré de fainteté, auquel les autres hommes ne parviennent que par de longs & pénibles efforts. £'a été la penfée de 1'auteur du Livre de la Sapience, qui dit, qü'êtant venu d la perfetlion, il accomplit en peu de tems un grand nombre $ années. Ne doutons pas que marchant avec Dieu , Enoch ne communiquat avec lui par la priere, par la méditation , en lui offrant les facrifices , qui étoient en ufage, & que par tous les exercices d'une dévotion pure, il ne goutat la délicieufe fatisfaction , qui accompagne les tendres effufions de cceur de deux amis, étroitement unis enfemble. Mes Freres, quand nous vous propofons Tefus-Chrift pour modele, vous nous O4 2 Cor, 7. 11. Matth. V. 43. Sap. IV. 13.  i lean I1..Ö? Hebr. VI. i. Luc. XI. 13. 216 SERMON IX. VEnlevement alléguez le caraétere admirable de ce divin Sauveur, pour vous diipenfer de fuivre fes traces, & de vivre comme il a vécu. Mais qu'avez-vous a oppofer a un exemple, tel que celui & Enoch? S'il pratiqua toutes les vertus, pourquoi ne pourriez-vous pas en faire autant? S'il les porta auffi loin, que la condition humaine peut permettre, de quel droit vous croiriez-vous difpenfés de tendre Jans cejfe vers la perfetlion? Enoch étoit-il mieux inftruit de lés devoirs, que vous ne 1'êtes des vötres ? Vous n'oferiez le dire, vous qui avez les lumieres réunies de toutes les révélations, dont Dieu a honoré le Genre - humain, & qui avez dans 1'Evangile en particulier toutes les directions nécelTaires pour connoitre & pour remplir vos devoirs. Enoch auroit-il eu de plus preffans motifs , ou des fecours plus efficaces ? Non fans doute. A eet égard 1'avantage eft entierement de notre cöté, puisqu'outre les motifs , qui pouvoient animer le Patriarche, nous avons encore ceux, que l'accomplilTement de 1'ouvrage de la Rédemption nous fournit. Lemême Efprit, qui opéra en lui, nous eft promis, & Dieu 1'accorde a ceux qui le lui demandent lincérement. Ah! fi nous ne nous diftinguons pas par nos vertus, fi nous ne fefons pas des progrès dans la piété , c'eft a notre indolence, a notre corruption que nous devons nous en pren-  HEnocb au Ciel. 217 dre. Faut-il après cela être furpris, que nous profitions fi peu de la liberté , que nous avons d'entretenir eommerce avec Dieu par de fréquentes prieres, par de faintes méditations ? Que nous aions fi peu de zele a nous oppofer aux vices dominans & a 1'accroilTement de la corruption? Apprenons d''Enocb k mar-cher avec Dieu. 111. Enfin ce Patriarche marcha avec Dieu par la conjlance de Jon attachement pour lui; pendant le cours d'une vie de' plus de trois fiecles fa foi & fa piété ne fe démentent point. Ce n'eft pas M. F. que nous prétendions, qvCEnoch ait été abfolument exempt de foiblefies & de défauts. La corruption naturelle a Phomme, depuis le pêché d'Adam; 1'expérience de tous les fiecles , & le tèmoignage de 1'Ecriture, qui alTure, qu'il n'y a point d'homme, qui ne pêche, ne nous permettent pas de le penfer. Mais le filence des Auteurs facrés fur eet article , nous donne lieu de croire 3 qu'Enoch approcba de la perfeclion, d'auffi prés qu'un homme mortel le peut fur la terre: que fes foiblefies furent en fi petit nombre , & rachetées par des vertus f foutenues, que Dieu a voulu, qu'il n'y eüi que la mémoire de celles-ci tranfmife k h pofterité. Oui M. F. Enoch perfévéra dan la foi & dans fon dévouement pour Dieu, i eut toujours le méme cceur pour k Gram in. La coulance de fa l'Uté. 1 Rois viii. 46. i L l Deut. V. 29.  Gen. V. 22. 218 SERMON IX. VEnlevement dre fe? pour garder jes commandemens. Entré de bonne heure dans cette belle carrière , il la fournit glorieufement jufqu'au bout. La corruption avoit déja fait de fon tems de grands progrès; outre la prophetie , qui en eft une,preuve, une grande partie de Ia génération, qui attira le déluge fur la terre, fubliftoit déja. II réfifta cependant a rimpreffion des mauvais exemples. II ne rougit pas d'être expofé aux jugemens téméraires d'une foule d'hommes pervers, qui le taxerent fans doute de vouloir fe fingularifer, & s'écarter des coutumes recues. Les foins indifpenfables, qu'exige une familie, car Moyfe 1'a remarqué, Enoch en eut une, il eut des fils fe? des filles^ ne purent rallentir fon zele & ne 1'empêcherent pas de marcher avee Dieu. L'inconftance naturelle du cceur humain, la parelTe, 1'indolence, 11 ordinaï-. res aux hommes, la longueür du tems, qu'il eut k travailler, ne purent afFoiblir fon attachement pour Dieu. Rougissons k la vue d'une fi admirable perfévérance. Nous voions ici tous nos prétextes confondus fans reflource. On s'imagine avoir bien juftifié fa conduite , quand on peut faire valoir Pexemple des autres, les coutwmes généralement recues, le ridicule, dont on fe couvre, quand on peut avoir plus de régularité que les autres. Apprenez ÜEnocb a méprifer ces in-  LP Enocb au Ciel 219 dignes égards humains. En d'autres occafïons on s'excufe fur le nombre de fes occupations, furies foins indifpenfables, qu'on doit a fa familie. Vains prétextes ! Les foins de cette nature n'empêcherent pas Enoch de marcher avec Dieu. Souvent on fe livre a l'indolence, on fe rebute par la grandeur de la tache. On trouve, que c'eft trop exiger des Chretiens, que de leur demander de fe confacrer k Dieu pendant le cours d'une vie très-bornée. Hé quoi! 50 ou 60 ans vous paroilTent un trop long lèrvice, k vous qui vivez föus 1'Evangile, & une conftance de plus de trois eens années ne rebuta point Enoch l Une auffi. belle vie, que celle de ce Patriarchen pouvoit manquer d'être agréable h Dieu, & d'engager ce puiffant & magnifique rêmunerateur de ceux, qui le cherchent, k la couronner par une recompenfe digne de lui, & bien propre k nous encourager a marcher fur les traces dEnocb, c'eft ce qui va nous occuper dans la feconde Partie de ce Difcours. La narration de Moyfe eft fort concife , & fes expreffions ne le font pas moins; ü ne fut plus, dit-il, ou il ne parut plus, ou comme ont traduit les Interpretes Grecs & St. Paul après eux, il ne fut plus trouvé, paree que Dieu le prit : . les lnterpretes Grecs traduifent, Dieu le tranjporta; St. Paul dit, qu'il fut tranf- Hebr, X, 6. II. Partie. Hebr. CL 5.  cio SERMON IX. VEnkvement porti pour ne point voir la mort, & quil ne fut point trouvé, paree que Dieu l avoit tranfporté. Un célébre Rabbin (*) du douzieme iiecle, qui a été fuivi par d'autres Doe teurs de fa Nation, aprétendu, qii Enoch eft mort comme le refte des hommes, belon ces Doóteurs, & ne fut plus, ifehifce, ü mourut, & ces paroles, paree que Dieu le prit, marquent, qu'il mourut avant le terme ordinaire de la vie des hommes d alors, ou, que Dieu Je recira du monde par une mort prématurée D'autres Interpretes , en reconnoiffant ,* qu Enoch n'eft point mort, croient, qu'ii a ete tranfporté dans le Paradis terreftre • & que pour le fcuver des eaux du déluee Dieu 1 eleva dans les airs & Je replaca enfuite dans le même lieu. IJS prgten dent, que c'eft-la qu'a été auffi tranfporté le Prophete Elie. On ajoute, que ce font la les deuxtémoms, dont il eft parlé dans le Chap. XI. de ÏApocalypfe. C'eft Je fen timent de plufieurs Théologiens de 1'E glife Romame. Un Auteur Anonyme ff) a fait il y a peu d'années de grands efforts pour etablir 1'opinion de ceux, qui eroient, qu'Enoch & Elie font morts, & (*) Aben-Ezra. (t) Bibl. Britann. T. XI. P. I. p. l8l.205.  D'Enoch au Ciel. 2-ï i qu'ils n'ont point été recus en corps & en ame dans le Ciel. Quant a nous, nous fommes fermement perfuadés, que la deflinée (YÉnoch a été extraordinaire, & que cé faint Patriarche a été élevé dans le féjour des bienheureux. C'eit ce que nous fondons fur des preuves, qui, réimies enfemble, nous paroifient concluantes. Je dis reünies enfemble , paree que fi quelquesimes ne font que de fortes préfomptions, elles recoivent du poids des autres, qui font plus preffantes. I. Et d'abord la foi prefque univerfelle a eet égard nous paroit digne de beaucoup d'attention. II femble, que c'ait été une opinion généralement recue dans l'Eglife Judaïque, qu''Enoch n'a pas eu le fort commun des hommes, & qu'il a été élevé dans le féjour immortel de la félicité. £'a été le fentiment de 1'Auteur du Livre de la Sapience, qui a vécu, felon quelques Savans, trois fiecles avant notre Sauveur. Voici comment il s'exprime au Chap. IV. de fon Livre: celui, qui anciennement fe rendit agréable a Dieu, fut bien-aimé, & quoiquil véctit parmi les pécheurs, ü fut tranfporté. II fut ravi, de peur que fon efprit ne fét corrompu par la malice, ci? que la fraude ne féduifxt fon ame. Etant venu la perfeclion, il a accompli en peu de tems un L La foi uni- oerfelle de l'enlèvement i'Enocb. Sapience IV. 10, 11,13,14.  222 SERMON IX. L'Enlevement Ecclélïaftiq.XLIV. u XLIX. 14. xui yug ai Si «to r\ VVS- "Oti hits £?5 Tót oupa- ïo». Mare. XVI. 19. grand nombre d" années, car fon ame étoit agréable a Dieu, ceft pourquoi il fe hdta de le retirer du milieu de Viniquité. Jefus fils de Sirach au Chap. XLIV. de V Eccléfiaftique dit, qu'Enoch fut agréable au Seigneur, ■& qiïil "fut tranfporté, étant un exemple de repentance aux Générations: Et au Chap. XLIX, - nul ne fut jamais créé fur la terre femblabk sa Enoch, car il fut enlevé de la terre. Ob- fervez, que St. Paul, Hebr. XL s'eft plu a fe fervir des mêmes expreffions que . ces Auteurs, & que ce font auffi celles, - qu'ont emploié les Interpretes Grecs dans mon texte. II n'y a que le dernier paffage, oü Jefus fils de Sirach fe fert d'un autre terme, mais qui efl précifêment le même, dont St. Mare a fait ufage , en parlant de 1'afcenfion de Jefus - Chrift au ciel. Les Auteurs des Paraphrafes Chaldaïques ont été dans les mêmes idéés. L'un (*) dit, que YEternel ne fit pas mourir Enoch. L'autre (X), quil ne fut plus avec les Générations de la terre, paree quil fut enlevé, & il monta dans le firmament , par la parole, devant VEternel. Un troifieme Qf), voici il ne fut plus, paree quil fut tranfporté par la parole de devant VEternel. Je fai M. F., qu'on chicane (*) Onkeios. Cf) Jonathan. (1) Le Targum de Jérufaleiri,  D'Enoch au Ciel. 223 fur quelques expreffions de ces Auteurs. Le tems & le caraétere de nos Auditeurs nous interdifent des difcuffions grammaticales. II fuffit de vous dire, qu'on a folidement refuté tout ce qui peut rendre la penfée de ces Ecrivains douteufe. Les Anciens Docleurs de l'Eglife Chrétienne, conviennent tous généralement, qu'Enoch n'eft pas mort. II eft vrai, qu'ils ne font pas auffi unanimes fur le lieu, oü il a été tranfporté. Un grand nombre cependant le placent dans le Ciel. D'oü eft venue 1'idée de 1'enlevement d'Enoch au Ciel, dans l'Eglife Judaïque ? Ce n'eft pas une de ces opinions, qui fe préfentent naturellement, & dont on puifle, avec quelque apparence de raifon , attribuer 1'invention a 1'efprit humain. Sans doute qu'elle doit fon origine, & a la narration de Moyfe entendue dans le même fens, oü nous la prenons, & a la Tradition, qui avoit tranfmis ce mémorable événement de génération en génération. II. En fecond lieu examinons mürement le récit de Moyfe. Cet Hiftorien, en fefant la Généalogie des Patriarches, marqué en peu de mots leur naiflance, la durée de leur vie, & il conclut chaque article par ces mots, puis il mourut. II fait une exception pour Enoch feul, il ne dit point, quil mourut; mais'qu'il ne fut plus, 11. Le récit. dt Moyfe.  Pf. LXIII. 4- 224. SERMON IX. VEnkvement parceque Dieu le prit. Je fai, qu'on allégue, que ia vie & Enoch aiant été fort courte, en comparaifon de celle des autres Patriarches, qui ont vécu avant & après lui, cela autorifoit un changement de ftile. Mais c'eft-la une raifon bien peu fatisfaifante. Si Moyfe n'avoit eu deffein que de rendre raifon de la briéveté de la vie $ Enoch , pourquoi infifter fur fon éminente piété? Pourquoi, après lui avoir déja rendu tèmoignage a eet égard dans le vs. 22 , y revenir encore avant que de parler de fa deftinée? Cela ne marque-t-il pas clairement, que 1'intention de 1'Hiftorien a été de nous apprendre, que la piété & Enoch lui procura un fort différent de celui des autres Patriarches ? Une longue vie étoit, dans les premiers ages du Monde, une recompenfe de la vertu & une bénédiction. Enoch ne vécut que 365 ans, dans un tems, oü les hommes vivoient huit & neuf eens ans; d'oü vient cela? C'eft, dit Moyfe, que Dieu le recompenfa, en lui fefant éprouver les plus admirables effets de cette gratuité, qui efl meilleure que la vie. D'ailleurs eft-ce rendre raifon de la briéveté de la vie du Patriarche que de dire, qu'il mourut d'une mort prématurée ? N'eft - ce pas exprimer la même chofe en d'autres termes? Pesons les expreffions mêmes de Moyfe.  D'Enoch" au Ciel 225 Une fut plus, parceque Dieu-le prit. Mm fut plus. On prétend, que cette facon de parler marqué la mort de ceux , a 1'egard defquels 1'Ecriture s'en fert. On cite divers palTages pour le prouver (*). Mais, outre qu'il ieroit aifé de faire voir, que Ces palTages ne font pas auffi décilirs, qu'on le prétend , ce que nous ne fefons point pour éviter des détails, qui nous meneroient trop loin , nous foutencms, que cette expreffion, U ne fut plus, n emporte pas nécelTairement 1'idée de mort. Jacob parlant de fon fils Siméon, detenir prifonnier en Egypte, dit; Siméon riefl plus. Et Job s'exprime de la même maniere en parlant de Dieu; Si je vais en avant, ü ny efl plus; fi je vais en arriere, je ne fy ap* percevrai point, Ceft donc ici une expreszon générale, dont Moyfe détermme le fens, en ajoutant, que Dieu le prit. On foutient encore, que le terme de 1'Original figriilie la mort. Mais il ne recoit ce fens, que lorfqu'il eft joint a celui d'ame. C'eft ainfi que Jonas dit; 6 Eternel,prends maintenant mon ame. Mais quand le terme de prendre fe trouve' feul , en parlant d un Bomme, il fe rapporte & la perfonne entiere. L'Auteur des Livres des Rots a foigneufement diftingué ces deux fignihca- (*) Genef. XLIÏ. 13. Jerenï. XXX]2& Éblï. =#» ttattfc. II. ïï. Laintnt. V. 7. Pf. XXXIX-. 1* Terne L % Genef. SLII. 35. fob.XXHIv 8.  i Rois XIX. 4. 2 Rois II. o, JO. 'j i 3 i i j ( ( j ] j I 226 SERMON IX. VEnkvemem tions. Quand il exprime le defir, mlMü avoit de mourir, il lui fait dire j ccfl afez 0 Eter nel, prends mamtenant mon aKiè. Mais quand il raconte rentretien de ce Prophete avec Elifc'e touchant fon prochain r«vi*>cment, le tour d'expreffion efl différent: Demande moi ce que tu yeux que je fajfe pour toi, avant que je fois pris d'ayec toi; fi tume vols pris d'avec toi, cela te fera accordé* Ajoutons qu'on attribue a Moyfe une répéticion bizarre; en peu de mots il aura dit: Henoch marcha avec Dieu & il mourut, parceque Dieu le fit mourir. On prétend éluder la difficulté en difant , que ces paroles 9 Enoch marcha avec Dieu , défignent non feulement, la piété du Patriarche , mais mffi 1'cmploi de Prophete & de Miniftre ia la Religion , tellcment quil ne parut 'iïus fignifie, qn Enoch avoit tout d'un coup :cfie de parokre dans les aflèmbiées, par:éque Dieu 1'avoit enlevé par une mort -ïréinaturée & imprévue. Nous pourrions ibferver, que la fignification , qu'on donne 1 ces mots, marcher avec Dieu, n'eft nulement prouvée. Mais , fans infifter laleffus, remarquons, qu'on ne leve pas la lifiïculté. Car, ou J'expreffion, il ne parm dus, renferme 1'idée de la mort, ou elle ie la renferme point. Si elle ne la renferne point, on abandonne tout ce qu'on a illëgué pour le prouver, Si elle la ren-  IJEiceli au Ciel. izf ferme, on fait dire a Moyfe deux fois la même chofe en quatre ou cinq mots. Concluons , qua lire le récit de 1'Hiltoricn facré fans prévention, on ne peut s'cmpêcher de penfer, qu'il a eu deiïein de nous apprcndre, qu Enoch n'a point fubi la loi impp.fée a tous les hommes de mourir une fois, & que Dieu fa tranfporté en corps & en ame dans le Ciel, pour recompenfer fa foi & fa piété. III. Enfin ïautorité de St. Paul eft décifive pour les Chretiens, tant pour prouver, qu Enoch n eft pas mort, que pour juftifier, que Dieu 1'a élevé dans le feirt de la gloire. Voici comment eet Apötre s'exprime Heb. XI. p Par la foi Enoch fut tranfporté pour ne point voir la mort, & il m fut'point trouvi, parceque Dieu l'avoit transporti; car avant que d'être tmnfporti, il a obtenu tèmoignage d'avoir été agréable a Dieu. Se peut-iï rien de plus clair & de plus précis ? Mais que n'enfante pas 1'envie de fe fmgularifer ? „ Etre tranfporté ou enlevé „ par la foi, dit-on (*), peut fignifier ., fimplement, que par la foi on obtient „ une mort heureufe, par laquelle on fe „ trouve tranfporté au Ciel. Abraham, „ qui par la foi attendoit la ville, qui a des „ fondemens, dont Dieu efl Varchitecle & 1% fhndateur , ne comptoit pas poui os-* f *■) Bibl. Britann. I. c. p. 18S, P » Hebr. IÉ. 27. HL Uautirkê le St. Patik Heb'f. %t  2 28 SERMON IX. bEnlevement Luc. II. 2(5.— Matth. XVI. 28. 5, d y parvenir en corps & en ame, fans" ,, mourir préalabjement." Mais at tendre, efpérer'&c être tranfporté font des expresfions trés - différentes. Le terme de 1'Original, qu'on traduit par tranfporter, ,ne s'entend jamais dans 1'Ecriture que des corps, au fens literal; & St. Paul dit expreflement, qu Enoch fut tranfporté pour ne point voir la mort. Que demande-t-on de plus? M. F. On contelie encore: „ Ne „ point voir la mort, dic-on, c'eft ne point „ en fentir les angoifles & les frayeurs." Mais il eft démontré, que dans les langues originales , voir & goüter la mort, c'eft mourir,comme voir la vie, c'eft vivre. Dieu avoit promis a Siméon, quil ne verrolt point la mort, avant quil eut vu le MeJJie. Jefus-Chrift difoit, que quelques - uns de ceux, qui étoient avec lui, ne geüteroient' point la mort, avant qu'ils euffent vu le fils de lhomme venir dans fon regne. On tache de fe ménager une derniere reflource, parceque 1'Apötre dit , qu Enoch ne fut point trouvé. Sur la foi de quelques MlT. on voudroit lire, ne fe trouye point, c'eft-adire fa mort ne fe trouve point rapportée,C'eft-la faire parler" un langage barbare & inintelligible a St. Paul & a Moyfe. Ils difent, non feulement qu''Enoch ne parut plus 6? nefut point trouvé, mais ils en marquent la raifon, parceque Dieu l'avoit pris>  D1Enoch au Gek ' 229 ü u enlevé. Quel raifonnemept que celui, qu'on leur attribue, la mort d'Enoch ne fe trouve pas rapportie, parceque Dieu Vavoit prisl N'eft-ce pas auffi tomber en contradiaion avec foi-raême, que d'expliquer le texte de St. Paul de cette maniere, & de foutenir en même tems , que Moyfe dans mon texte dit, qu''Enoch mourut d une mort prématurée? puifque fi c'eft-la Ie fens des termes, la mort du Patriarche fe trouve rapportée. Enfin le raifonnement de 1'Apötre méne naturellemenc a 1'idée de 1'enlévement au Ciel. II nous repréfente la deftince & Enoch comme une recompenfe de fa foi & de fa vertu, car, dit-il, avant que d'être tranfporté, il a obtenu témoinage d'être agréable a Dieu; & la conféquence, qu'il tire dans le vs. 6, fuppofe, que Dieu agit.envers Enoch, comme le rémunérateur de ceux qui Ie cherchent. Mais une mort douce & prématurée eftelle proprement la recompenfe de la piété? Ne voit-on pas des impies, qui meurent d'une facon tranquille & au milieu de leur courfc ? * Obfervons, en finiffant cette partie de notre Difcours, que le raifonnement de St. Paul ne permet pas de penfer non plus, qu'Enoch a été tranfporté dans le Paradis terreftre, ou dans quelque autre lieu de la Terre. Seroit-ce ainfi que Dieu 1'auroit recomDenfé? Quoi! deraeu-  JpnasIV.3. III. Fanie. I. La certitude des recompenfes de la Vertu. h%o SERMON IX. VEnkvement rcr jufqu'a la confommation des fieefcs feparé de la préfence glorieufe de Dieu , feroit-ce la éprouver, qu'il eft le rémuneraKur de ceux qui le cherchent ? Certairiément Ia foi & les efpérances du Patriarche auroient été bien trompces, & il pouvoit dire, la mort mefl meilleure que la vie. Non! Non ! tont concours: a nous perfuadcr , qu''Enoch fut tranfporté en corps & en ame dans le féjour immortel de la gloire, & que Dieu recompenfa par le plus admirable de tous les privileges une foi & une piété également nobles, pures & foucenues. Reeherchons, en peu de mots, les vues de Ta fageffe divine dans eet extraordinaire événement. C'eft la troiiicme Partie de ce Difcours. Dieu fe propofa de faire connoitre aux hommes. ï. La certitude des recompenfes de la Vïr)fa II. Celle d une Immortalité hienheureufe. Et III. De portcr les pécheurs d la repentance & li la converfion. ï, Dieu fe propofa de faire connoitre aux hommes la certitude des recompenfes d» la Vertu. Rien n'étoit plus propre a leur apprendre, quil efl le rémunérateur de ceux qui le cherchent, que de voir la piété $ Enoch recompenfée par un privilege auffi extraordinaire que glorieux. Jl eft vrai , que 1'idéè de Ja bonté & de la juftice de 1'fetre ïouverain pouvoit faire préfumer aux  D''Enoch nu €kl 231 hommes, que ce tiefl pas en-vain que fél fert a Dieu. Mais d'un autre cöté la profpérité des impies defcertdans de Ca'in fembloit dcmentir ces préfomptions. tl nc paroit point, qu Enoch fut diftingué par quelques avantages, qu'on put regarder comme une recompenfe de fón dévouement aux loix divines. II étoit donc trèsdigne de Dieu de démontrer d'une facon fenfible, que marcher avec lui eft la route, qui conduit a la plus brillante & a la plus folide gloire. Un Fidele, élevé en corps & en ame dans le ciel, étoit un fpeótacle bien propre a faire comprendre aux hommes, que Dieu diftingué de la maniere la plus honorable fes ferviteurs, quil donne grace £? gloire, & népargne aucun bien d %ux, qui marchent en intégrité. II. Dieueut deifein encore de faire connoitre aux hommes, que cc n'eft pas fur la terre que fe trouve la vérkable rémunération, & qu il y a une autre oeconomie, oü les gens de bien trouvent leur recompenfe. Si c'étoit ici-bas que fe trouve le bonheur de 1'homme, & quil confiftat dans la posfeffion de certains avantages extérieurs, Dieu les auroit fans doute aceordés h Enoch. Mais ce n'étoit pas ee que eet illuftre Fidele attendoit. Ses efperances étoient plus nobles & plus fublimcs, & P 4 Pfeaume LXXX1V. 12. n. La certitude ie ïimmör-talité.  fi. xxx 20. •Gen. III IS- III. Motif a k repentance. Phil. II.15 } Fierr. IV, 4. 232 SERMON JX. VEnlevcment Dieu les remplit & les furpaiTa, pour i .montrer a tout 1'Univers, combien lont grands les biens, quil referve d ceux qui le craigncnt. II importoit alors de donner une preuve fenlïble .& palpable de 1'immortalité bienheureufe. II n'y avoit point encore de promelTes folemnelles faites a eet egard. Celle, par laquelle Dieu avoit dé• daré, que la femence de la femme brijeroit la te te du Jerpent, étoit encore trop peu eclaircie, pour que des hommes corrompus pullent y démêler la certitude d'une vie avenir. Mais il ne pouvoit plus y avoir de doutes, toute incertitude s'évanouïhoit a la vue $ Enocb tranfporté dans le Ciel. L'incréduhté la plus opiniatre ne pouvoit plus avoir de relfource, & 1'efpérance des iideles devenoit inébranlable. 1IJ. Enfin Dieu fe propofa de porter les : hommes a la repentance fe? d la converfion. Enoch tenoit un rang dilbingué, fa vertu brüloit au milieu d'une génération corrompue fe? méebante; & pendant que fes con5™P°r.ains fe livroient a tout abandon de dijjolution, il foutint fon caraclere de ferviteur de Dieu pendant plus de 300 ans, Combien les hommes ne durent- ils pas être trappés de le voir enjevé au Ciel ? Ojiel poids un pareil événement ne donnoit-il pas aux exhortations, que ce Patriarche 4T0ip adreifées aux Pécheurs 5 & aux f$  VEnoch au Ciel. 233- frayantes menaces, qu'il leur avoit faites? Pouvoit-il ckformais leur refter le moindre doute fur raccompliffement de fa prophetie? Ne devoient-ils pas redouter les jugemens, qu'il leur avoit denoncés ? Oui M. F. Ie miniftere d1Enoch, fcellé par un événement fi merveilleux, devoit naturêllement faire rentrer les hommes en eux-mêmes, & les porter k changer de vie, pour prêvepir les chatimens du Ciel, & pour travailIer k s'affurer une deftinée aufli heureufe que celle d'Enocp. Chretiens, nous vous le dilionsen commencant ce difcours, ces chojes jont écrites pour notre injlruftion. La certitude & la grandeur de la rémunération future font aujourd'hui au deffus de toute contradi&ion. ]Sfous pouvons compter fur une recompenfe du même prix que celle, dont Dieu hor riora Enoch. Nous en avons pour garand? non feulement les perfections de Dieu, les promelfes qu'il a faites, mais des exemples fenfibles. Sous chacune des Oeconomies nous voions le Ciel s'ouvrir pour receyoir en corps & en ame des hommes diftingués par leur foi & par leurs vertus. Enocl} & Elie ont été comme les précurfeurs de notre grand Sauveur. Celui-ci, après avoir mis la vie fe? Timmortalité en lumiere, après avoir détruit celui qui avoit Vcmpire de la mort, après avoir fait la propitiation P 5 2 Tim. L 10. Hebr.IL 14. t Jean IL 2>  Jean X fa ï Cor. XV 58- ft Tim. IV ?P8, ^34 SERMON IX. VEnlcvemenf ;v. pour les péchés, monté au ciel,pour nou? y papaver place. N'aïpirerions-nous pas k ly fuivre, li aller nous réunir a lui, & a entrer dans la ibciété des Enochs & des 'Nous ne pouvons k la vérité nous ilater du privilege de ne point voir la mort, mais nous avons l'efpéranee certaine & glorieufe , qu'un jour viendra , que nos Corps, couchés dans la pouffiere & deveTms pöudre,réÏÏufciteront en gloire, & que reunis a nos ames purifiéès & fan&ifiées, ils feront admis avec elles -dans le féioür da bonheur. Souvenons-nous feulement, que 1 accompiilTement de ces magnifiques efpérances dépend de la maniere , dont nous nous ferons conduits. Jmitons la foi, les vertus & la perfévérance d'Enoch ; marcbons avec 'Dieu pendant tout le cours de notre vie. Ce n'eft que par cette voie que nous pouvons obtenir le prix. Trouverions-nous, que c'eft trop que de corifacrer 4,0 , 50, 60 années a nous procurer un bonheur, qu'Enocb ne s'affura que par les trayaux de plus de trois fiecles? Non' . Non! M foions deformaisfermes, immuables, abondans en Pceuvre du Seigneur, afin de pouvoir a la fin de notre vie dire avec une noble affurance, fai combattu Ie bon combat, faifini la cowfe, fai ^ardé la f oi, quant au rëfte la courmne de juftice pi efl téfervée,&> le 'Seigneur fuffepge we  D'Enoch au Viel 231 Ja rendra en cette journée ld, fe? non feulement k moi, mais auffi d tous ceux, qui auront aimé fon apparition., Dieu nous en fafle a tous la grace! Amen. Pf. LVIII. dernier vs. Frononcê dAmflerdam le 12 Nov, tfógï 'Soir d la Petite Eglife.  Exordc, frov.XIX, 21. VA R T1 F I C E D E JACOB. Ton Frere ejl venu par artifice, fe? il aemporté ta bénédiilion. Ge nes. Ch. •XXVlh vs. 35". DIXIEME SERMON. C'est une maxime bien conforme a 1'expénence, & qui nous donne en même tems de grandes idéés de la profonde fagelle des voies de laProvidence, que celle de Sjalomon, prov XJX 7/ plufieurs penjèes au cceur de Phomme; mais le conJeil de PEternel ejl permanent. Les hommes, ne confultent la plupart du tems que leurs ïnclinations, ils forment des projets conformes a leurs paffions, fans penfer a ce qu'exige leur devoir. Mais le fouverain directeur de 1'univers, dont le con feil ejl permanent, régie les événemens d'une maniere digne de Ia fupériorité de fes vues. II permet aux caufes fecondes d'agir, mais il préhde k leurs opérations, & il fait fervir les paffions «Sc les intrigues humaines i 1'accompliifement de fes delfeins. C'est -i4 une vérité^ dont Fhiltoire du  SERMON X. VArtifice de Jacob. 23f Monde, & celle de rEglife fourniffent de notnbreufes preuves. Dans tous les fiecles Dieu a toujours fait connoitre d'une facon fenfible Fempire de cette Providence fage & puiflante , qui préfide a tous les événemens , & qui leur fait prendre le tour ïe plus convenable aux fins, qu'elle fe propofe. L'msTOiRE, k la méditation de laquelle nous \ous invitons, ne permet pas d'en clouter. Nous y voions un événement auffi lingulier dans fes circonftances, que digne de nos réfiexions. Les paffions humaines s'y montrent fous différentes faces, & en fuivant leur cours elles concourent a accomplir les confeils du Très-haut. Ton Fr ere, dit le Patriarche Jjaac a Efaü fon fils aïné, ton Frere ejl venu par artifice, £5? il a emporté ta bénéditlion. Pour vous rendre la méditation de ce fujet utile, nous rapportons nos réfiexions< a trois Chefs principaux. I. Nous éclaireirons les circonftances de Vbiftoire, en vous tracant le portrait des perfonnes dont il s'agit, £2? en vous donnant une jufte idéé de lint ér ejfante fttuation, oü elles Jé trouvoient. 11. Nous approfondirons la nature de Pévénement même , & nous examinerons, quel jugement on doit port er de la conduite de Jacob III. Enfin nous prefferons tes inftruclions, que cette hijloire nous offre. Plan dt :e Difcours:  L Partie. l Le caractere des Perfannes, Gen. xxv." 22. 27. 238 SERMON X. rartifice . Commencons par PéclairciiTement des' circonftances de Phiftoire. Examinons J. caratlere des perjonnes. Ij. Z# fituation, ou elles fe trouvoient. \\L La nature &g Pimportance de la bénédiclion, dont Hi s'agifjoit. IV. La conduite de Jacob dans cette ascafion. I. Isaac , fils d'Abraham, fidele imita&ur de la foi & de la piété de fon pere; héritier de fes vertus comme de fes biens, avoit eu deux fils de Rebecca. 11 paroit par 1'hiftoire, que 1'a'mé lui étoit cher, & qu-il teno.it le premier rang dans fon cceur, quoiqu'il ne füt pas le pius digne de ia tendrelfe. Ces deux Freres étoient d'un caractere auffi différent, que leur naiffance avoit été extraordinaire. Dieu les avoit accordés aux vceux d'Ifaac. Mais Rebecca avoit éprouvé quelque cliofë de trés-fingulier, tandis qu'elle les portoit dans fon fein: ces deux enfans s'cntrepoufjbient & fembloient fe faire la guerre. Ce préfage de 1'oppofition de leurs caraéteres ne fut pas trompeur, & févénement le vérifia a tous égards. Efaü, qui étoit lYiné, aimoit la vie aétiye, & il avoit une fbrte paffion pour la chafle; ee qui avoit contri^ bué k lui concilier TafFeétion de. fon pere. D'ailleurs il étoit fans piété, & peu foigneux de fe rendre digne de ia qualité de defcendant d? Abraham. II s'étoit allié avec les Cananéens, ce qui étoit un fujet d'amertu-  Be Jaeöb. 239 mg pour Ifaae §c |;u;ir iv.hecca. Jacob, d'un efprit plu$ doux & plus flexible, avoit du goüt pour une vie tranquille i i 252 SERMON X. artifice Et Dieu lui fit fentir, qu'il ne pouvoit échapper a la vengeance de fon frere, a moins que la bénédiétion, qu'il avoit emportée par artifice, ne fut ratifiée par des voies plus légitimes. Et ce ne fut qu'après un pénible combat qu'il obtint par fa perfévérance la bénédiétion de celui, qui régie notre fort, & qui incline les cceurs comme le cours des eaux. 11. La feconde queftion, qu'on fait, demande moins de difcuffion: Pourquoi Ifaac ne ratifia-t-ilpas a Efaü une bénéditlion, qui dans fon intention lui étoit deflinée fe? donnée? Rien de plus naturel, fembloit-il, & néanmoins, quand Efaü follicite vjvèment fon Pere de le bénir, le Patriarche lui répond: Ton frere a emporté ta bénédiction : je Vai béni, fe? auffi il fera béni. II y a tout lieu de penfer, qu'ifaac, dont 1'esprit «Si la langue, conduits par un pouvoir furnaturel, avoient prononcé des oracles, reconnut dans ce qui venoit de fe palTer une Jireétion fpéciale de la Providence. Sans loute qu'éclairé par 1'efprit propbétique il :omprit, que le deffein de Dieu étoit de rendre Jacob dépolitaire de fes promelTes, pour que dans la fuite des tems le Libéra:eur naquit de fa poftérité. Le faint homme i'appergut, que Dieu, qui tire la lumiere les ténébres, avoic dans cette occaiion fait ervir les paffions humaines a 1'exécution les fiiges deffeins de fon confeil é'ernel.  de Jacob. 2*3 Jfaac fentit, qu'il ne dépendoit plus de lui ce remettre k Efaü un dépóc, qui par des voies üngulieres étoit entre les mains de jacob. Hl. Cette folution nous conduit naturellement jl la troifieme queftion: comment me bénèditlion, obtenue fous le nom ff Efaü, £5? qui dans Tint ention d'Ifaac port oit Jur lui, a pu avoir Jon ejfet en Jacob ? Il eft incontefitable, que fuivant les loix humairies Jacob auroit été déchu des droits, qu'il avoit prétendu acquérir fous im faux nom. Mais les voies de Dieu ne jont pas nos voies, 6? fes penfèes ne font pas nos penjées. Dans le fond, Ifaac avoit prétendu difpofer d'un bien, dont il n'étoit pas le maitre, & dont Efaü s'étoit exclus lui-même en renoncant k 1'alliance de Dieu par fon manage avec des femmes ètrahgeres. 11 s'agiftoit d'un privilege, dont la difpoiïtion appartenoit k Dieu. C'étoit non par la volonté $ Abraham qu'lfaac en avoit hérité, mais par celle de Dieu. II ne dépendoit donc pas de lui d'en difpofer fans 1'ordre de Dieu. Ainfi, quoique dans 1'intention du Patriarche la bénédiétion ne regardat point Jacob, elle ne laiflbit pas de tomber fur lui, k qui Dieu 1'avoit deftinée 11 y a plus. Ifaac lui-même, éclairé fans doute d'enhaut, confirma k Jacob le privilege, qu'il avóit furpris: Je Tai béni, & auffi il fera béni. Et quand Jacob fut lür k ra. Quejiim: Ctmment ratifiée a Ef. LV. 8. ' Gen. .XXVII. 33  Gen. XXVIII. 3. Jaq. I. 17. Gen. XXV1II. 10. 14. 1 i ( ! c c e I t $ SERMON X. artifice point de partir pour la Syrië, fon Pere lui réïtéra d'une facon plus claire cette excellente bénédiétion: Le Dieu fort tout-puiffant te bèniffe, fe? te fajfe croitre fep multiplier, afin que tu deviennes une qfjér,:blée de peuples fep quil te donne la bénédiétion $Abraham d toi fep a ta poftérité. En tin Dieu , qui efl: Tauteur de toute grace excellente fep de tout don parfait, confirma a Jacob cette bénédiétion a Bethel, oü il eut la vilion extraordinaire d'une échelle, qui d'un bout touchoit la terre, & de 1'autre atteignoit jufqu'au ciel. L1 Eternel Je tenoit fur Téchelle; & lui dit: Je fuis ïEternel k Dieu d'Abraham ton tere, fe? le Dieu f Ifaac; fe te donner ai fep d ta poftérité la terre, jur laquelle tu dors. Et ta poftérité rera comme la poujfiere de la terre fep tu ïétendras d VOccident fe? a l"Oriënt, au Septentrion, fe? au Mid'u fe? toutes lesjdnilles de la terre feront benies en toi fe? en 'a femence. 11 n'y a donc plus lieu d'être :tonné, que la bénédiétion, quoique fur>rife par artifice, ait eu fon plein effet en acob; puifqu'elle lui fut confirmée par fon 'ere^ par Dieu lui-même d'une maniere, rui reétifia ce qu'il y avoit eu d'irrégulier ians les voies, qu'il avoit emploiées. C'en ft affez fur le fond même de 1'événement. I s'agit de nous rendre cette méditation tile pour notre conduite; c'eft a quoi nous Uons trayailler, en prelTant les inftruc*-  de Jacob. iff tions, que cette lliiioire nous fournit, & nous y deftinons le rclte de ce Difcours. Nous ne pouvons douter, que le St, Efprit, en nous confervant cette Hiftoire, n'ait eu deffein de nous donner de giandes lecons. Apprenons, I. QxtïPf a ime extréme témèrité de prétendre rêgler Vexêcution des deer ets de Dieu. II. Oiiilefl dangereux de Juivre de mauvais conj'eils. II l. Qiie Pimpojlure fe? Vartifice ne demeurent point impunis. IV. Enfin que le mépris des gr aces divines expofe ceux, qui s^cn rendent coupables, a s'en voir privés. 1. Apprenons , qu'il y a une extréme témérité de prétendre régler 1'exécution des confeils de Dieu. Rebecca, plus periliadée par fa tendrelfe pour Jacob, qu'inftruite par 1'Oracie de Dieu, que la bénédiétion étoit deftinée a ce Fils, entreprit de prévenir les obftacles, que la réfolution d'Haac lembloit faire naitre. Elle témoigna par la fe défier de la fagelTe & de la puisfance de Dieu, comme s'il avoit befoin de fes artifices pour alTurer a Jacob la bénédiétion , dont elle penfoit qu'il devoit être 1'héritier. Elle fè rendit criminelle envers un Epoux refpectable,& entraïna fon fils dans le même crime. Telles font les fuites ordinaires des attentats, que nous commettons contre les droits de Dieu. Quelque peu de connoiffance que nous aions des deffeins de cette Intelligence fuprême, qui régie nos nr. Partie. I. Iuftruiïi  I Ef. XLVI. 10. ' II. i InftruEtion; 2$6 SERMON X. V artifice deftinées: Quelque fujet que nous aions de nous repofèr de notre fort, & de celui de ceux qui nous appartiennent, fur les fages & tendres foins de cette puiffante Providence, qui gouverne le monde, nous ne laiffons pas d'être alfez téméraires pour vouloir régler les deffeins de la Divinité, & nous rendre les maitres du choix & de la difpolition des moyens propres k leur exécution. Dela tant de projets injuftes, tant d'artifices, qu'on met en ceuvre pour parvenir k fes fins. Et li nous pouvions lire dans 1'avenir, & prévoir même obfcurément les avantages, que la bonté de Dieu nous deftine, a quels excès ne nous porterions - nous pas pour hater le moment d'en jouïr! Que 1'exemple de Rebecca noi:s rende fages & circonfpecls. Souvenonrnous, que celui qui eft le fouverain difpenfateur des graces, faura bien vérifier cette déclaration, mon confeil tiendra, fe? fexécuterai toute ma volonté, fans que nous aions la préfomption de prétendre être les miniftres de fes ordres par des voies illégitimes, & en le deshonorant par des actions contraires k fes faintes Loix. II. En fecond lieu connoiffons, combien il efi dangereux de fe livrer d de mauvais confeils. La docilité n'eft pas en général une vertu fort commune parmi les hommes, lorfqu'il s'agit du bien. Mais il femble, que nous aions un penchant naturel k la  de Jacob. 2? 7 ladéférence, dès qu'il eft queftion de nous porter au mal. Nous avons furtout une aveugle docilité , lorfqu'il s'agit de notre intérêt. L'exemple de Jacob le juftifie. II fe lailfa entraïner par les confeils de fa mere; & fans doute que le grand intérêt, qu'il y avoit, ne contribua pas peu k yaincre la repugnance, qu'il témoigna d'abord. Mes Freres. Plus les perfonnes, qui entreprennent de nous engager dans de faulles démarches, font dignes de nos égards, & plus nous devons être fur nos gardes, & ne pas perdre de vue nos devoirs. Qui de nous ne connoit par expérience le pouvoir des mauvais confeils f Qui de nous n'eft inftruit de la puilTante inlluence, que le plus médiocre intérêt a fur nos aétions ? En-vain la Confcience fait-elle entendre fa' voix; en-vain les Loix Divines reclament-elles contre certaines démarches; en-vain des devoirs facrés font-ils valoir leurs droits: De funeftes confeils, diétés par les paffions; appuiés d'une autorité refpeétable, & foutenuspar 1'intérêt, triomphent des remords les plus juftes, anéantiffent 1'autorité des Loix les plus faintes, & détruifent les relations les plus tendres. Apprenons k nous munir foigneufement contre ce danger; il eft grand, & ce n'eft que par une extréme vigilance que nous pouvons nous en garan* tir. La vue des foiblelTes & des chutes de ces faints homme?, que leur M & \Wi Tomé l fi  iii. InJtruQitn 2,8 SERMON X. Vartifice vertus ont rendus célébres dans l'Eglife * doit nous en faire fentir la nécefiité. Si les cédres du Liban ont été ébranlés; que ne doivent pas craindre de foibles rofèaux? III. L'Histoire de Jacob nous apprend ' encore , que rimpojlure fe? Vartifice ne clcvieurent gueres impunis. 11 1'éprouva dans la fuite de fa vie. Que de traverfes & de difgraces n'eut-il pas | effuyer, avant que de gaüter quelques-unes des douceurs, que la bénédiétion de fon pere lui promettoit. L'exil, lafervitude, les foucis, les inquiétudes, la frayeur, fürent fön partage pendant longtems. Par-la Dieu lui fit fentir, que s'il.-Jaiffe quelquefois k nos paffions un libre cours, &' s'il les fait fervir a 1'accompliffement de fes fages deffeins; Ie pêché lui eft néanmoins toujours odieux, & qu'il punit tót ou tard févérement les coupables & quelquefois par 1'endroit même, par lequel ils ont pêché,, L'ignoreriez-vous M. F. ? N'en auriez-vous jamais eu des preuves , fi ce n'eft en vous-mêmes, au moins dans les autres ? II faudroit peu connoitre le monde ,& n'avoir fait gueres d'attention k ce qui fe paffe dans la Société. Quel fruit a recueilli de fa perfidie ce lache ami, qui par les motifs les plus bas a trahi fon ami? Quel fruit ? C'eft qu'il a vu fes propres projets confondus,qu'il s'eft couvert de honte, & s'eft rendu 1'objet du mépris des autres hommes. Ici, ce Politique, pourparvenir  de Jacob. s$p a un pofte, auquel fon ambition afpiroit, a ourdi les plus noires trames, & a joué des röles fort oppofés a fon caraétere pour fupplanter fes compétiteurs, & il n^éprouve que mortifications & chagrins , & il fuccombe enfin fous le poids de fa grandeur. La, ce Négociant, qui emploie la fraude & 1'artifice pour s'établir une maifon opulente , voit quelquefois eet édifice élevé avec tant de foin & de peine crouler fur fes fondemens. Si Dieu laiire quelquefois certains pécheurs impunis pendant cette vie, il fait néanmoins alkz de chatimens exemplaires, pour que nous ne puiffions douter9 que rimpofiure & 1'artifice ne demeurent point impunis, & par conféquent pour nous engager a profiter des exemples, qu'il nous met fous les yeux. IV. Une derniere inltruction que nous offre 1'hiftoire des deux fils d'lfaac efi;, que le mépris des gr aces divines, expoje ceux, aui s'en renclent coupables, a en étre prwés fans retour. Efaü en fit 1'expérience. 11 méprifa les bénédictions de Dieu, auxquelles il pouvoit prétendre; il préféra une fatisfaétion fenfuelle «Sc paflagere aux graces ineftimables, & aux privileges honorables, dont il fe croioit 1'héritier naturel. Aufll ne trouva-t-il pas lieu a la repentance. En-vain reclama-t-il fes droits; en-vain follicita-t-il fon pere. La bénédiétion fut ratifiée a Jacob. EJaü «Sc fa poftérité fureos E 2 IV. lnjtrutthrti Hebr. %lt Sft  2Óo SERMON X. Vartijlce exclus de 1'alliance. Et bien qu'il fut iiis d1'Abraham, il n'eut point de part aux privileges deftinés aux defcendans du Pere des croians. Faut-il d'autres exemples de cette effrayante vérité, que le mépris des graces divines eft fuivi de leur privation? Jettez les yeux fur les divers états du peuple Hebreu. Coupable de la violation de 1'alliance traitée avec fes peres, une captivité de feptante années en fut le jufte chatiment. De retour dans la Paleftine, il ne profita pas mieux des faveurs de Dieu 3 & il fut fucceflivement expofé aux perfécutions des Rois de Syrië & k celles des Romains. Et fes plus fages Doéteurs conviennént, que la deftruétion de Jérufalem & de fon Temple, la difperfion, oü il fe trouve depuis dix-fept fiecles, eft le chatiment mérité de quelque grand crime. Vous rappellerons-nous enfuite la trifte cataftrophe de tant d'Eglifes Chretiennes, qui depuis 1'dtabliflement de 1'Evangile ont éprouvé, que le mépris des graces de Dieu, eft fuivi de leur privation ? Nous vous épargnons eet affligeant détail. Mais en même tems nous vous exhortons k profiter de tant d'exemples, & k ne pas vous expofer a en grolfir le nombre. Vous joüilTez, Chretiens, de la bénédiétion de votre Pere célefte. Elle vous eft acquife, non par 1'artifice & par la fraude , mais par le précieux fang de votre Sauveur. Connoiflez-en tout le prix,  de Jacob. 261 & que le fort d'Efaü vous infpire une falutaire frayeur. Plus les graces, que Dieu » vous accorde, furpalfent celles, qui étoient robjet des vceux des anciens fideles , & plus vous avez a redouter la vengeance de Dieu, fi vous les méprifez; & fi vous préférez les avantages du monde aux biens de la grace & de la gloire. Puis-donc que ces chojes font écrites pour notre injlruclion, ne négligeons pas de les mettre a profit. Et que deförmais, fideles imitateurs de la foi & de la piété des Patriarches, leurs foiblefies fervent a nous faire éviter des écueils dangereux; afin qu'après avoir marché dans Vintègrité par la voie de ce monde, nous puilïïons obtenir rentree au repos éternel. Dieu veuille nous en faire a tous la grace! Amen. Pf. XCIÏ. vs. 3. Trononcè h Amjlerdam le 21 Otlobre 1781. Solr h la ïetite Eglife. 1 Cor. X. 11.  LA VISION DE L'ECHELLE DE JACOB. Jacob donc parlit deBeer-febah fe? s'en alla a Caran; fe? il fe rencmtra en un lieu, cu ilpajfa la nuit, parceque le Soleil étoit coucbê; il prit donc des pierres de ce lieu-ld & en fit Jon chevet, £5? s'endormit cn ce méme lieu. Et il Jongea, fe? voici une échelle drejjêe Jur la terre, dont le bout touchoit jujqiCaux cieux,& voici les Anges de Dieu montoient-& dejcendoient par cette échelle. Et voici PEternel je tenoit Jur Péchelle, fe? il lui dit; je fuis fEternel, le Dieu Abraham ton pere fe? le Dieu Ifaac; je te donner ai fe? d ta pojléritê la terre, fur laquelle tu dors. Et ta pojléritê fera comme ia pouffiere de la terre, fe? tu fél endras d POccident, d t Oriënt, au Septentrion fe? au Midi, fe? toutes les families de la terre Jer ont bénies en toi fe? en tafemence. Et voici je fuis avec toi, fe? je te gardcrai par tout oü tu iras, fe? te raménerai en ce Pays; car je ne f abandonnerai point que je tfaye fait ce que je fai dit. Et quand Jacob fut réveillé de Jon fommeil il dit; 'certes PEtemcl ejl en ce Mw-d, £5? je n'en favois riem Et il eut  SERMON XI. La Vifion &c. 263 peur 8? dit; que ce lieu -cl ejlépouvantaolel C ejl-ici la maijon de Dieu , 6? CW" ai la porte des Cieux. Gen es. Cn. XXVIII. vs. 10-17. ONZIEME SERMON. r 'Eternel ejl ma lumiere 6? ma délivranL, ce, de qui aurai-je peur? L Eternel1 efl la force de ma -vie, de qui aurai-je fraveur? Ce font les beaux fentimens, que iWexprime auPf XXV1L Cefainthomme, expofé a de crueUes traverfes, ppriecuté par des ennemis implacables, ne perd point courage, «Sc fe raiïure par 1'idee de la Sotedion de Dieu, fur laquelle ü eft en Sroit de compter. 11 éprouya auffi, que ce n'eft pas en-vain que Ton s'attend a 1 Eternel, & qu'il eft ld retraite fef lafortetejfe de ceux , qui fe logent a Pombre du Toutpui/Tant. Mes Freres, c'a toujours etc-la la rXrce des Fideles; jamais Dieu ne leur a manqué au befoin ; "VrS donné des preuves hgnalees de linteret, S prenoit k leur fort, & de fes tendres ?oinsPfur eux. C'eft ce dont nous avons furtout un exemple remarquable dans cette partie de 1'Hiftoire de Jacob, que nous avons choifie pour faire le fujet de nos reflexions. Nous'y vofons le Patnarche, dan* des circonftances facheufes, k qui Ueu le R 4- Exordt. f. XXVII. 1. Pf. XCE 1. a., SC é  Plan de ce Difcours, i. Partie. I. Occafion du Voyage. Gen. xxvii. 41. : 26*4 SERMON XL La Vifion révéle pour lui promettre fa proteclion, & pour le ralfurer contre tout ce qui pouvoit naturellement lui infpirer de la crainte. Jacob pouvoit dire avec David, VEternel eft ma lumiere & ma délivrance, de qui aurai-je peur? L'Eternel efl la force de ma vie, de qui aurai-je frayeur? Ceft ce que vous lèntirez dans la fuite de ce Difcours. Pour approfondir notre fujet, nous ferons trois chofes J. Nous éclaircirons les circonftances de l'Hiftoire. II. Nous tdcherons de vous dévoiler les myfteres de la Vifion même. III. Nous examinerons Vimpreffion, quelle fit fur le Patriarche. C'eft tout le deflein de ce Difcours & le fujet de votre attention. Eclairciflbns d'abord les circonftances de l'Hiftoire. I. La Première, qui fe préfente, c'eft 1 occafion du Voyage de Jacob. Vous. favez, de quelle maniere , par le confeil & par les ordres de Rebecca fa mere , il avoit furpris la bénédiétion, qu'Ifaac deftinoit a Efau ; la haine , que celui-ci concut contre fon frere, & les fanguinaires deslems, qu'il forma pour fevenger: U dit m Jon cceur; les jours du deuil de mon pere approchent, fi? alors je tuerai mon frere. Rebecca inftruite du projet d'Efaü, prit ies mefures pour garantir la vie de fon als bien-aimé; elle lui dit: kve-toi, &  de P Échelle de Jacob. 26 <$ fenfuis h Caran vers Laban mon frere, & demeure avec lui quelque tems, jufqud ce que la fureur de ton frere foit paffee. Elle fit entrer Ifaac dans fes vues, en lui témoignant le déplaifir, qu'elle auroit de voir jacob époufer des Cananéennes, comme avoit fair. Efaü'. La vie, dit-elle a fon mari , la vie mefl devenue ennuieufe d Caufe de ces Hetiennes: fi Jacob prend pour femme quelquune de ces Hetiennes, comme font les files de ce Pays, a quoi me fert la vie ? Elle infinuoit aflez clairement par la a Ifaac le defir, qu'elle avoit de voir Jacob s'allier dans fa propre familie. Ce vénérable Vieillard appellé fon fils & lui donne fes ordres: tu ne prendras point une femme d 'entre les fitte s de Canaan; leve-toi, va en Padan-Aram h la maifon de Bethuel pere de ta mere, 6? prens - toi de ld une femme des filles de Laban frere de ta mere. Ifaac lui renouvelle & lui confirme la bénédiétion, qu'il avoit obtenue par furprife, & le fait partir pour la Méfopotamie. Ces circonfirances & celles, que nous allons encore. indiquer , doivent être obfervées avec attention, paree qu'elles fervent de clef a 1'intelligence de la vifion. II. L'Etat, dans lequel Jacob part de chez fon pere, efi: une feconde circonfiance bien digne de réflexion. Seul & fansj cortege il entreprend un voyage de plus R 5 Gen. xxvir. 43. 44- 4<5« Gen. xxviii. I. 2. IL L'Etat ms lequel ■acob part.  Gen. XXIV. 166 SERMON XL La Vifion de cenc-cinquante lieues. On efl; furpris naturellemenc de voir Jacob , fils d'un pere opulent, favori de fa mere, honoré de la bénédiétion de fon pere, fortir de la maifon paternelle, fans fuite, fans domeftique & même fans monture , ainfi que les circonftances de 1'hiftoire donnent lieu de penfer. Ce qui redouble fétonnement, c'eft qu'en pareille occafion, & lorfqu'il avoit été queftion de marier Ifaac, Abraham avoit envoyé Eliezer, le prineipal de fes domeftiques , avec une nombreufe fuite & de riches préfens. Quelques-uns croient, que Jacob partit fecretement & d'une facon précipitée, de peur qu'Efaü étant inftruit de fon départ ne. profitat de cette occafion pour lui öter la vie. Mais les verfets précédens ne favorifent point cette penfée; d'autant plus que 1'éloignement de Jacob ötoit a Efaü un objet d'envie & de jaloufie, & le laiflbit maitre de tout, fans qu'il fe rendit coupable d'un parricide. D'autres conjeéturent, que Rebecca prévoiant , que Jacob feroit un affez long féjour chez Laban, penfa, qu'il étoit inutile & même peu convenable qu'il eüt une fuite. On fent aflez, que c'étoit-la une raifon bien foible pour laifler partir un fils chéri fans compagnon. II y a tout lieu de penfer, qu'ifaac ne fe détermina dans une affaire  de V Échelle de Jacob. 267 fi importante que par 1'ordre de Dieu, au moins par une direction fpéciale de la Providence; que Dieu eut deflein d'humilier Jacob, de le faire palier par diverfes épreuves, & de lui faire fentir, que c'eft la bénédiclion de VEternel, qui enrichit, C'eft ainfi que Dieu veut quelquefois, que les moyens humains manquent aux gens de bien, pour qu'ils reconnoiflent, que c'eft a lui feul qu'ils font redevables de leurs fuccès. III. Troisieme circonftance; le Lieu , oü Dieu. fe révéla au Patriarche. La plupart des Docteurs Juifs & quelques Interpretes Chretiens fe font imaginés , que Jacob s'arrêta fur la montagne de Morija, au même endroit, oü Abraham s'étoit mis en devoir d'immoler Ifaac. Mais il paroit par le vs. 19? que c'étoit dans le voifmage de la ville de Luz , appellée depuis Bethel, & ceux,- qui ont fait la Defcription de Ia Paleftine, ont prouvé, que Morija & Luz étoient des lieux fort éloignés 1'un de 1'autre. On eft étonné, que Jacob fe trouvant proche d'une ville n'y foit pas entré pour y paffer la nuit, & qu'il ait préféré de la pafler en plein air. Peut-être ne voulut-il pas entrer dans une ville Paienne, & fe mêler parmi les Cananéens. Ou, ce qui nous paroit plus naturel, il s'arrêta , paree que Prov. X. 22. iii. Le Lieu oü Dieu fi révéla.  iv. Maniere dont Jaceb paffa la nuit. 26S SERMON Xf. La Vifion la nuit le furprit, étant déja accablé de la fatigue d'une journée de quinze lieues. La fimplicité des mceurs antiques diminue ce qu'il y a d'extraordinaire dans le parti , que prit le Patriarche. Jacob , quoique héritier d'une puiffante maifon, étoit accoutumé a la vie paitorale, & a fouffrir les inclémences de Fair. On ignoroit dans ces anciens tems cette mollefle voluptueufe , qui a infeélé depuis la Société, & qui a fait raffiner avec tant d'induftrie & d'art fur toutes les commodités de la vie. IV. C'est ce dont nous trouvons une nouvelle preuve dans la maniere, dont Jacob pajfa la nuit; il prit des pierres & en fit fon chevet. Un Rabbin a debité a ce fujet une fable; il raconte , que Jacob avoit pris précifément trois pierres , qu'après y avoir appuié fa tête pendant la nuit, il les trouva reünies en une feule le matin, ce qui marquoit, fuivant ce Docleur Juif, 1'étroite union, qu'il y auroit entre Dieu & Jacob. Quelques Interpretes Chretiens ont adopté cette rêverie , & ont prétendu , que le miracle des trois pierres reünies défignoit 1'union ineffable , qu'il y a entre les trois perfonnes de la très-fainte Trinité, ou 1'affemblage d'ame, de corps & de Divinité en la per^ jbnne de Jefus-Chrift. Laiffons ces pen-  de TEcMle de Jacob. 269 fées creufes a ceux, qui aiment a donner carrière a leur imagination. Remarquons feulement encore dans cette circonftance la limplicité & l'auflérité des moeurs des anciens , bien différentes de celles de notre fiecle. Ce n'eft pas que nous prétendions, qu'il y ait proprement de la vertu a fe refufer certaines commodités de la vie, lorfque Dieu les accorde. Mais il nous paroit, que 1'exemple de la vie frugale & dure a quelques égards des anciens eft propre a nous faire fentir , qu'on doit au moins fuir 1'excès, & éviter de fe rendre néceffaire tout ce que la fenfualité, & des hommes efféminés ont inventé pour amollir le corps, & affoiblir la vigueur de l'ame. V. Dans une fituation fi peu commode , aiant la terre pour lit , des pierres pour chevet & le ciel pour couverture, Jacob fe livre tranquillement au repos; nulle inquiétude , nuls foucis rongeans n'éloignent le fommeil de fes yeux. Tranquille & comptant fur la proteétion de Dieu il repofe en affurance , feul, dans un lieu folitaire, & au commencement d'un voyage, qui devoit en quelque facon décider du bonheur de fa vie. II nous apprend par fon exemple, quel efl: le vrai moyen de goüter les douceurs du repos; c'eft d'avoir une borme confcien- v. Sommeil de Jacob.  VI. Sange de Jacob. Pf. xxv. 14- 270 SLR MON XI. La Vifion ce , de fe confïer en Dieu & d'attendre de fa proteétion ce qui nous eft néceflaire, quelles que foient les circonftances, oü nous nous trouvons. Ce qui trouble & agite en tant d'occafions les hommes, ce qui fait fuir le fommeil de leurs couches, ce font les inquiétudes, les foucis , des paffions tumultueufes , des défiances, des defirs violens , des projets continuels ; c'eft qu'ils n'ont pas foin d'entretenir commerce avec Dieu , & qu'ils ne s'approchent point de lui. VI. Jacob éprouva , que le fecret de VEternel efi pour ceux qui le craignent, & qu'il eft pres de ceux, qui s'attendent a lui. II eut un fonge, c'étoit une des manieres, dont Dieu fe révéloit aux anciens. Tantöt de fimples images fe préfentoient a leur imagination, par lefquelles Dieu les inftruifoit de certains événemens; tels furent les fonges de Jofeph, qui lui préfageoient la haute élevation , oü il parviendroit; tels encore les fonges de Pharao, qui lui annoncoient les années de fertilité & de difette. Tantöt les images étoient accompagnées de difcours clairs & intelligibles, & qui ne lailfoient aucun doute fur la divinité de la Révélation a celui , a qui elle s'adrefloit. Tel fut le fonge $ Abraham, dont il eft parlé au Chap. XV. de la Ge-  de F Echelk de Jacob. 271 mff,i & tel fut celui de Jacob; il vit une échelle drejfée fur la terre, dont le bout toüchoit jufquaux deux, & voici les Anges de 'Dieu montoient & defcendoient par cette échelle. Et V Eternel fe tenoit fur F échelle, & ü lui dit; je fuis l'Eternel, le Dieu d'Abraham ton pere & le Dieu d'Ifaac; je te donner ai & d ta poflerité la terre, fur laquelle tu dors. Et ta poflérité fera comme la poujfiere de la terre, ci? tu fétendras a FOccident & a F Oriënt, au Septentrion & aü Midi, toutes les families de la terre feront bénies en toi cj? en ta femence. Et voici je fuis avec toi, <2? je te garderai par tout oü tu tras, (2? je te ramenerai en ce Pays: car je ne F abandonner ai point, que je naye fait ce que je fai dit. C'efl a vous dévoiler les myfteres de cette majeftueufe Vifion que nous deftinons la feconde Partie de notre Difcours. Si nous entreprenions de vous rapporter les divers, fentimens des Interpretes tant Anciens que Modernes, tant Juifs que Chretiens, un feul Difcours y fuffiroit a peine. Tous conviennent aflez généralement a reconnoitre ici un tableau de la Providence, qui gouverne 1'univers & dirige tous les événemens. Mais le plus grand nombre foutiennent, que cette célebre Vifion renfermoit de plus grands myfteres. Et c'eft ici qu'ils fe IL Partie.  Jean I. 51. 272 SERMON XL La Vifion partagent, & qu'on trouve une grande variété d'opinions. Les uns croient , que 1'Échelle eft 1'emblêrae du Sauveur du Monde & de fes deux Natures ; le haut de 1'Echelle touche au Ciel, c'eft la Divinité; le bas touche a la terre, c'eft 1'humanité. On fonde cette explication en partie fur ces paroles de Jefus - Chrift a Nathanaël: Deformais vous verrez le Ciel ouvert, les Anges de Dieu montant defcendant fur le fils de 1'homme. Mais s'il y a dans ces paroles une allufion a la vifion de Jacob , c'eft tout. II eft évident en eftet, que le Sauveur parle de chofes, qui n'étoient pas encore arrivées , & qui ne devoient arriver que dans la fuite ; de chofes , dont Nathanaël, Philippe & les autres devoient être témoins , & qui devoient fervir a confirmer leur foi. II faut donc entendre ce difcours dans un fens" figuré. Jefus-Chrifi promet de faire voir dans le cours de fon miniftere des oeuvres miraculeufes, qui démontreroient la Divinité de fa Miflion auffi évidemment, que fi 1'on voioit les Anges monter & defcendre a fes ordres. D'ailleurs ce qui prouve, que 1'Echelle ne peut être I'image des deux natures du Sauveur, c'eft que YEternel, qui fe tenoit au deffus de 1'Echelle, étoit le Fils de Dieu appellé YAnge de l'Eternel dans  de VEcheUe de Jacob. 273 dans l'Hiftoire des Patriarches, ainfi qu'on le voit par les vs. 11 «Sc 13 du Chap. XXXI. de la Genefe, oü Jacob raconce k fes femmes, que YAnge de Dieu lui dit en fonge Je fuis le Dieu Fort de Bethel. II ne faut donc pas confondre le Fils de Dieu avec 1'Echelle. D'autres Théologiens réunillent ici trois objets , VEternel, Y Échelle Sc Jacob. L'Ecernel, c'eft la nature divine de Jefus - Chrift , Jacob repréfente fa nature humaine, & 1'Echelle fert a les unir. ' D'autres enfin prétendent, que les deux Natures font fuppofées , & que cette vifion eft une image des deuxEtats, par lefquels le Sauveur a pafte, fon Abaiflement & fon Exaltation. Mais 'plufieurs raifons ne nous permettent pas d'adopter ces idéés. En premier lieu, les grands myfteres de 1'incarnation du Fils de Dieu, & des divers états , par lefquels il devoit palier , étoient encore cachés, & on ne peut fuppofer, que les Patriarches ayent eu des idéés claires a eet égard; fans confondre les lumieres de 1'Oeconomie Evangelique avec les notions imparfaites des anciens fideles, ce font des myfteres, que Dieu na point donné a connoitre aux enfans des hommes dans les autres dges, comme ils ont été révélés maintenant par VE~ [prit, ainfi que s'exprime St. Paul en Tomé L S Ephef. II. s.  I. Tableau dl 1'Empir de la Provide nee. 274 SERMON XI. La Vifion parlant de la vocatiön des Gentils. Quel fruit Jacob auroit-il recueilli d'une vifion , dont il lui étoit naturellement impoffible de pénétrer le fens. En fecond lieu, en 1'expliquant de cette maniere, elle n'avoit aucun rapport direct: a l'état du Patriarche, & il eft évident néanmoins par les difcours , que Dieu lui tient, qu'elle eft deftinée a 1'encourager & a 1'aflurer de la proteétion de Dieu dans le voyage , oü il s'engageoit. Ce n'eft pas que nous prétendions exclurre entierement la perfonne du Libérateur de l'Eglife; nous prouverons , qu'il s'agit (j aufli de lui, mais d'une facon convenable aux lumieres de Jacob & aux circonftances , oü il fe trouvoit. Pour entrer dans 1'efprit de cette grande vifion , il faut combiner les images avec les Difcours, & je vois alors IV. Objets également interesfans. I. Le Tableau de l''Empire fuprême de la Providence fur tout Vunivers. II. Le Tableau de la proteclion particuliere , dont Dieu favorife les gens de bien. III. La Fidelité de Dieu dans fes promejfes. IV. La Confirmation du grand article de la Religion Patriarchale, la promeffe du Meffie. I. Je vois ici le Tableau de l''Empire fuprême de la Providence fur tout VUnivers. ' L'Echelle repréfente naturellement, que celui, qui a ét-dbli fon trone dans les deux j  de VÉchelle de Jacób. 2751 étend fa domination fur tout ce qui exifte. Quoiqu'il fe tienne au deflus de 1'échelle , fon pouvoir n'eft pas limité au féjour, oü il habite comme dans fon Palais. \J échelle s'étend du Ciel jufqu'a la Terre, & les Anges, ces Efprits adminiflrateurs , qui font fes Minifires, montent & defcendent pour recevoir & pour exécuter fes ordres. Cette idéé a été celle d'un fameux Rabbin du XIle. fiecle, un des plus favans & des plus judicieux Docleurs ,1 que la Synagogue moderne ait produits. Objeclera-t-on , que la doclrine de la Providence univerfelle étoit généralement connue , & que Jacoh en particulier en étoit bien iiiftruit, & n'avoit pas befoin, que Dieu lui retracat avec tant d'appareil une vérité auffi commune ? Ce n'eft pas faire attention a la fituation du Patriarche , & aux circonftances, oü il fe trouvoit. Vous le favez M. F., bien qu'on ne doute pas d'une vérité, que Ton ait a eet égard toute la conviclion poffible, il eft des tems , oü notre Foi a befoin d'être ranimée & affermie. C'eft ce qui a lieu furtout dans 1'adverfité, & lorfque les caufes fecondes ne nous paroiflent pas favorables : on perd dans ces tems facheux aifément de vue la direclion fuprême du Maïtre du Monde. Y avoit-il rien de plus propre a infpirer du courage S 2 Pf. Cur. 19. Kebr. I. 14. Pf. CIII. 21. Maimoïides.  Pfeaume XXXIII. 13. 14' Pf. XXVII 10. Aft. XVII 25. 276 SERMON XI. La Vifion a Jacob, a calmer les inquiétudes, qu'il pouvoit avoir fur 1'avenir, a le ralTurer fur 1'ilfue de fon voyage que de lui retracer, que Dieu difpofe de tout, que tout eft foumis k fon pouvoir, que les créatures ne peuvent rien fans fa permiiïion , qu'il regarde des cieux fur les enfans des hommes fep prend garde du lieu de Ja demeur e fur tous les babitans de la terre ? Exilé en quelque facon de la maifon paternelle Jacob peut dire , quand mon pere fep ma mere m'auroient abandonné, PEternel me recueillira. Privé de biens, & n'aiant pour ainfi dire de reflburce que la bonne volonté d'un parent, dont il ignoroit le caraétere, & a qui il étoit inconnu, il eft afluré maintenant, que celui, qui donne a tous la vie, la refpiration & toutes chofes, pourvoira a fes. belbins. Errant & étranger, Dieu lui rappelle, que fa Providence. veilje en tous lieux , que préfent partout il influe auffi fur tout. Ö qu'il étoit confolant pour le Patriarche de voir en quelque facon a Pceil des vérités, dont il ne doutoit point, mais dont une viv'e impreffion ne pouvoit que lui être d'une grande utilité dans fa fituation préfente ! Que nous ferions heureux, Chretiens , fi nous nous retracions fréquemment eet empire univerfel de Dien, cette direélion puiflante de la fuprême intelligence, cette influence, qu'elle a dans tous  de PEcbelle de Jacob. '277 les événemens du Monde! ces idéés ferviroient k nous tranquillifer, k diminuer les foucis, qui nous rongent, k diiïiper certains doutes, certains foupcpons, qui s'élevent fouvent dans notre efprit, qui agitent & troublent notre cceur. II. Je vois en fecond lieu dans la Vifion de mon texte, un Tableau de la prot'ellion particuliere, dont Dieu favorije les gens de bien. Dieu allure Jacob, qu'en Ibn particulier il peut compter fur les foins de fa Providence, puifqu'il fe révele k lui comme fon Proteéteur. L'écbelle s'étend depuis Dieu jufqu'au Patriarche, les Anges montent fe? defcendent vers lui, & pour qu'il ne puüTe douter du fens de la vifion, Dieu la lui explique, voici je fuis avec toi, fe? je te garderai partout oü tu iras, fe? je te ramenerai en ce Fays; car je ne fabandonnerai point, que je n'aye fait ce que je fai dit. Jacob peut dire a préfent k la lettre les Anges du Seigneur campent d Pentour de ceux, qui lecraignent, fe? ils les garant ijfent: Tceil de PEternel efl jur ceux, qui le craignent fe? qui s'attendent d ja bonté. C'étoit-lk encore ce qui convenoit parfaitement k fon état. L'idée de la Providence univerfelle lui ouvroit k la vérité une fource de réfiexions encourageantes ; mais des aiïurances pofitives, perfonnelles, mais des images, qui lui retracoient vivement, que 1'Eternel avoit les s 3. ir. Tableau de la pro. teBion de Dieu. Pfeaume StXXIV. a XXXIH. 18.  Pf. XXVII 3- 378 SERMON XI. La Vifion yeux fat lui, que les faints Miniftres du Très-haut veilloient en fa faveur, & s'occupoient de lui, étoient plus propres encore a lui infpirer de la fermeté; deformais il pouvoit fe raffurer & dire, quand toute une armée Je camperoit contre moi, mon cceur ne craindroit point. M. F. Dieu n'a pas borrié fa proteétion fur les gens de bien aux ages anciens; il n'en eft point, qui ne puiffent compter fur fes tendres foins. Nous n'avons pas a la vérité de révélations a attendre; Dieu ne fe manifefte "plus par des lönges & des vifions; mais ceux, qui le craignent, ont pour garands de fa proteétion , les déclarations les plus précifes de fa parole : en mille endroits il les affure, qu'il ne les abandonnera point. Ils ont pour garand de fa proteétion 1'exemple de tant de Fideles 5 dont 1'expérience a démontré, qu'il eft la retraite & le bouclier de ceux qui fe confient en lui. N'y eut-il que 1'exemple de Jacob, il eft décilif; la fuite de fa vie fournit des preuves de la conftante proteétion s dont Dieu 1'honora. Une des principales fources de nos doutes & de nos défiances a eet égard, c'eft que notre confeience ne nous rend pas tèmoignage, que nous craignons véritablement Dieu , & par cette raifon nous n'ofons compter fur lui; nous fentons, que nous ne méritons pas, qu'il s'intereffe fpécialement en notre faveur»  de rÉchelle de Jacob. 279 Craignez-le, fervez-le en intégritè & de tout votre cceur, & vous póurrez vous aflurer, qu'il vous protegera; fes déclarations & 1'expérience doivent vous donner autant de certitude, que s'il fe révéloit immédiatement a vous. III. La Vifion, dont nous cherchons a pénétrer les vues, efl: deftinée k retracer la fidelitê de Dieu dans fes promejfes. A la vérité il n'y a proprement rien dans les images, qui s'y rappor te, mais elles font accompagnées d'Oracles, qui ne permettent pas de méconnoitre ce deffein dans la vifion prife ainfi en corps. Dieu renouvelle a Jacob les promelles faites a fes peres; je te donnerai & a ta poftérité la terre, jur laquelle tu dors. Et ta poftérité Jera comme la poujftere de la terre, fe? tu fétendrasa VOcadent fe? a VOriënt, au Septentrion fe? au Midi, fe? toutes les families de la terre feront bénies en toi fe? en ta femence. Ce font les mêmes promesfes, que Dieu avoit faites a Abraham, ainfi que nous le voions dans les Chap. XV & XVII., & qu'il avoit confirmées a ljaac, comme nous le lifons au Chap. XXVI. Rien n'étoit plus confolant pour Jacob que d'entendre Dieu lui-même lui réïtérer ces promelTes; fugitif, deftitué de tout, feul & allant dans un Pays étranger, Dieu 1'affure de la pofleflion du Pays de Canaan & d'une nombreufe poftérité. Quels douS * iSam.XII. 24. iii. La Fidelité de Dieu dans fes promejjes.  Pf. CXVII. 2. Pfeaume XXXIII. II. Nombr. XXIil. 19. IV. Coifirmation ne la promeffe du Meffie. 280 SERMON XI. La Vifion tes pouvoit-il avoir fur raccomplilTement de ces grandes proraefles ? Outre les preuves, qui juftifient, que la vérité de Lieu demeure a toujours,que jon confeil je maintient d jamais, £5? que les deffeins de Jon cceur fubfiflent d'dge en dge, le Patriarche avoit ici une démonftration fenfible. Dieu le révéloit a lui comme le Véritable & le Fidele, en prenant la qualité de Dieu d'Abraham dIfaac, & le titre & Eternel, c'eft-a-dire d'immuable dans fes promefïes; c'eft 1'Eternel lui-même, qui s'engage k ratitier en lui ce qu'il a promis a Abraham & a Ifaac. Quel encouragement pour les gens de bien que 1'idée de la fidelité de Dieu! Nous en avons des preuves que Jacob n'avoit point encore. Outre les affurances, que Dieu a répétées en tant d'endroits de nos faintes Ecritures, la maniere, dont il a accompli fes promelTes envers 7«cob,&c envers tant d'autres fideles,ne nous permet aucun doute, & eft bien propre a nous rafiurer dans tous les Etats de la vie: il Pa dit £3? ne le fer a-Uil point ? il a parlé, £«? ne le ratifiera-t-il point ? IV. Enfin cette Vifion & les Oracles, qui 1'accompagnoient, étoient deftinés h confirmer le grand article de la Religion, la promejjê du Meffie. Cette promeffe fefoit une partie effentielle de Ia bénédiétion patriarchale; elle affuroit celui, a qui elle ètoit accordée, que la vraye Religion &  de VÉchelle de Jacob. 281 1'alliance de Dieu fe perpétueroient dans fa familie. Jacob 1'avoit furpnfe par artifice, il pouvoit craindre , qu'acquife de cette maniere elle ne lui fut inutile. Ifaac la lui avoit k la vérité confirmée, mais il pouvoit douter encore, que Dieu voulüt la ratifier. C'étoit-lk néanmoins la plus précieufe part de 1'héritage paternel, la feule en quelque lacon, fur laquelle Jacob put aétuellement compter, Efaü étant refté maitre dans la maifon & Ifaac, vu 1'age avancé & les iniirmités de ce refpeétable Patriarche. A préfent tous les doutes de Jacob fe diffipent; non feulement Dieu lui confirme les bénédictions temporelles, mais encore lui ratilie cette glorieufe prérogative, qui en ja jcmence feront bénies toutes les families de la,terre. C'étoit-la ce qu'il y avoit de plus confolant pour notre Patriarche & de plus propre k 1'encourager dans les circonftances , ou il fe trouvoit. L'Héritier de cette grande promelTe faite k Abraham & k Ifaac, • entroit dans tous les privileges de Talliance traitée avec Abraham ; il étoit allure, que Dieu feroit aulTi fon bouclier fe? fa grande recompenfe, & il ne pouvoit plus 'luf refter de doute fur 1'accomplilTement des autres promelTes. Le dépofitaire de la vraye Keligion; 1'allié du Très-haut, le pere du Libérateur du Genre - humain, pouvoit-il ne pas compter fur la proteétion de Dieu dans fon Voyage & dans la fuite de fa vie ? S $ Gen.XV.i. 0,  nr. Partie. I. facib reconnoit la divinité du finge. Jer. XXIII. 24. 282 SERMON XI. La Vifion Sans doute que Jacob, de même qn1 Abraham & Ifaac, avoit des idéés de robjet de fa Foi, convenables au tems, oü il vivoit; qu'il envifageoit la femence promife, fource de bénédiétions pour toutes les families de la terre , comme un Rédempteur, qui procureroit aux hommes des biens plus précieux que ceux de la vie préfente. Mais n'ailons pas plus loin , & évitons d^attribuer a l'Eglife des premiers ages ce qui n'appartient qu'a celle du Nouveau Teftament. 11 eft tems d'examiner 1'impreiTion que les grands objets, qui s'offrirent a Jacob en fonge, firent fur lui. C'eft ce qui nous occupera dans le refte de ce Difcours. Quand Jacob fut reveille de fon fommeil, il dit, eert es ï1 Eternel efl en ce lieu £f je n'enfavois rien. Et il eut peur fer* dit; que ce lieu efl épouvantable! Ceft ici la maifon de Dieu c'eft ici la porte des cieux. Remarquez dans le Patriarche I. Une intime convitlion de la Divinité de. la révélation, dont Dieu Vavoit honoré. II. Unviffentiment de fonindignité. III. Une religieufe frayeur. 1. Le Patriarche reconnoit la divinité de la révélation, dont Dieu Vavoit bonoré: eert es V Eternel eft en ce lieu, & je n'en favois rien. Vous comprenez fans doute, que Jacob ne parle point de la préfence univerfelle de Dieu, il n'ignoroit pas, que Dieu remplit les Cieux £sP la Terre. Mais  de f Échelle de Jacoh 283 11 regarde avec admiration & refpect, que Dieu daignat fe communiquer d'une facon fi extraordinaire a lui en ce lieu défert, & dans le voifinage d'une ville idolatre; qu'il daignat lui donner des marqués fi fenfibles & li majeftueufes de fa préfence. Tout concouroit a le convaincre, que le fonge, qui venoit de 1'occuper durant fon fommeil, & les difcours, qu'il avoit entendus, partoient immédiatement du Ciel. La clarté de la Vifion, la noblelfe des images, la liaifon des parties, la teneur des difcours, & la vive impreffion, que ces objets avoient fait fur lui, ne lui permettoient aucun doute; eert es VEternel efi en ce lieu, fe? je rien ïavois rien,mais je le reconnois ades traits, qui ne me laiffent aucune incertitude. Mes Freres, nous fommes au moins auffi heureux que Jacob, fi Dieu ne nous honore pas" de révélations extraordinaires, nous favons, qu'après avoir parlê aux per es plufieurs fois fe? en diffèrentes manieres, tl 'nous a parlè dans ces derniers tems par fon Fils. Nous avons les preuves les plus convaincantes de la Divinité de la miflion de ce divin Sauveur, & 1'incrédulité fait de vains effbrts pour ébranler la certitude d'une révélation atteftée par les plus grands prodiges. Soions aulTi fermes en la foi, & que rien ne foit capable de nous infpirer des doutes fur ce qui doit nous être infiniment précieux; & fi Jacob dit, certes /'£- Hebr. I.  a Tim. I 12. II. Son indi gnité. Pf. VIII. 5. ! 1 J 1 Pfeaume ] CXXXiX. ( r i F t il Gen. fi XXXII. 10. q Vi è 284 SERMON XI. La Vifion 'ternel ejl en ce lieu, difons, je fai h mi fai cru. 1 II. Jacob exprime encore un viffentiment de fon indignité : le tour de fes expreffions donne lieu de le penfer, PEter™l $ en ce lieu, fe? je n'en Jdvois rien. 11 eft évident, qu'il témoigne par-la, qu'il ne sattendoit point a des marqués fi particulieres de la préfence de Dieu,& qu'il fentoit qu'il n'étoit pas digne d'un fi grand honneur; il femble dire, qriejl-ce, 6 Dieu, de Phomme mortel que tu te fouvienncs de fai, fe? du fik de Phomme que tu le vifites. Apprenons de ce faint homme, que quand Dieu nous accorde des graces diftinguées, nous devons par unfincere retour fur nousnemes reconnoitre, combien peu nous les nentons. Souvent Dieu eft avec nous, & wus rien favons rien. Quoiqu'il foit touours auprès de nous,qu'il nous environne, ju'il nous ferre par derrière & par dewnt, nous n'y penfons pas, & faute de éflexion, nous I'ignorons en quelque facon. .ors donc qu'il nous fait fentir fa préfence ar des effets de fa bonté, imitons ie Panarche , reconnoifibns comme lui, que ous n'en fommes pas dignes, & comme Ie dit dans une autre occafion, que nous immes trop petits au prix de fes bontés. ombien de fois Dieu ne nous a-t-il pas pré;nus de bénédiéfions & de biens, ne nous t-il pas donné des preuves fignalées de fa  de f Échelle de Jacob. i 285: gracieufe préfence, dans le tems qu'occupés du monde, diftraits par de vains objets nous ne penlions pas a lui , enforte que nous avons pu dire; PEternel eft ici, & je rien J'avois rien. Evitons a 1'avenir de tomber dans un pareil oubli, & reconnoijjbns-le? toujours dans toutes nos voies. III. L'idée de la préfence de Dieu fit naitre enfin en Jacob une religieufefrayeur,, il eut peur & dit, que ce lieu efl épouvantablel c'eft-a-dire, qu'il eft augufte «Sc digne de vénération;. en voici la raifon, c'eft ici la maifon de Lieu, c'eft-a-dire un lieu, que Dieu honore de fa glorieufe préfence, oü il fait éclater fa grandeur «Sc fa majefté d'une facon particuliere; Jacob ajoute, c'eft ici la porte des Cieux; entendez par-la, ou que le lieu, qu'il avoit vu i en vifion, étoit comme 1'entrée du Ciel, oü Dieu habite, la porte du Palais du Roi immortel des fiecles; ou que le lieu, oü Jacob fe trouvoit, eft un lieu, oü Dieu s'eft manifefté environné de fes faints Anges,de toute la Cour célefte. Quoi de plus propre a infpirer des fentimens d'une religieufe frayeur, que 1'idée de la majefté du Maitre de 1'univers, environné de ces mille miltiers, qui leJervent,& de ces dix millemillions, qui ajfiftent continuellement devant lui, accompagné de ces Anges puijjans en vertu, fe? qui obéïjfent a la voix de Ja parole. Ce font-la M. F. les fentimens, dont rov.iii.6. iii. Religieuft ayeur. 1 Tim. L 17- Dan. VII. IC. pf. cm, ao.  Ecclef.V.i. 286 SERMON XI. La Vifion &c. nous devons être pénétrés dans nos Tempies. Nous n'appercevons pas, jel'avoue, des objets fenfibles; nous n'y voions aucun : fymbole frappant de la préfence du Toutr puilfant, 1'Armée célefte ne paroit pas a nos yeux. Mais, a moins que d'ignorer les premiers élémens de la Religion, nous ne pouvons douter, que Dieu ne foit préfent au milieu de nous, que du fein de la gloire, oü il habite, & oü fes faints Miniftres les [ Cherubins & les Séraphins fe profternent de- k vant lui, il n'obferve nos démarches, & E n'apprécie le culte, que nous lui rendons. L Cette penfée ne nous infpireroit-elle pas \ une religieufe frayeur? Ne nous rendroit- f elle pas circonfpeéts ? Ne banniroit - elle pas ï de nos affemblées la diffipation, 1'indévo- • tion, & ne nous engageroit-elle pas a nous conduire avec crainte? Prenons donc garde I a notre pied en entrant dans Ja Maijbn de Dieu, & difons, que ce lieu eft épouvantable! Ceft ici la maijbn de Dieu, c'ejl ici la porte des Cieux! Dieu veuille nous en faire Ia grace. Amen. Pf. CV. vs. $, 6. Prononcé h Amfterdam le 16 Novemb. 1766. Soir h la Petite Eglife.  APOLOGIE D'ELISÊE MAUDISSANT LES ENFANS DE BETHEL. 11 monta dela h Bethel. Et comme il montoït par le chemin, de petits garf ons fortirent de la ville, & en fe moquant de lui ils lui difoient; Monte chauve, monte chauve. Et Elifée regarda derrière lui, fe? les aiant regardés, il les maudit au nom de P Eternel. Sur quoi deux ourfes fortirent de la forêt, fe? déchirerent quarante-deux de ces enfans-ld. 2 Rois Ch. li. vs. 23, 24,. DOUZIEME SERMON. AT-K jugez pas fur les apparences, mais *■ jugez fuivant Pêquitè. C'eft une lec,on de Jefus-Chrift bien digne de 1'attention de ceux , qui ont deflèin d'être en garde contre les jugemens téméraires. II ne nous eft que trop ordinaire de prononcer fur les aótions de nos femblables, fans en approfondir la nature & les motifs; & cette précipitation eft la fource des faux jugemens. II eft des occafions, oü la conduite des perfonnes les plus vertueufes femble donner prife, a ne confidérer que lest Exorde. St. Jean VII. 24.  288 SERMON XII. Apologie d'Elifée V. Be Beaufobre, Hifi. du Manich. T. II. l. lV.Ch.6. apparences, lorfqu'on ne fait pas réflexion fur leur caraétere, fur lep circonftances, oü elles fe trouvent, & fur le but de leurs démarches. Le Sauveur nous prefcrit la retenue. II veut, que nous confultions toujours les loix de 1'équité, avant que de décider. Si Ton doit oblèrver cette régie a Tégard de tous les hommes; il faut furtout ne la jamais perdre de vue, quand il s'agit de juger des actions des faints hommes , dont l'Hiftoire facrée nous a transmis la mémoire. Ceft le cas d'être circonfpeét, & de ne prononcer qu'après un mür examen. La conduite du Prophete Elijée rapportée dans mon texte eft dans la clafle des actions, dont nous venons de parler. Elle paroit au premier abord bien extraordinaire; fon procédé femble annoncer une grande dureté de cceur, & donner lieu k une objeétion contre la divinité d'une Révélation, qui approuve une telle inhumanité. Il importe d'éclaircir un fujet, qui réveille naturellement Pattention, & qui a donné lieu aux ennemis de la Religion, anciens & modernes, de contefter, les uns la divinité de Pancien Teftament, les autres celle de la Révélation en général. Les Marcionites, qui diftinguoient le Dieu Bon, Pere de notre Seigneur Jejus-Chrifl, du Créateur du Monde Vifible, attribuoient k cé dernier le Vieux Teftament, qu'ils re-  Maudijfant les Enfans de Béthel 28$ regardoient comme n'étant d'aucun ufage pour les Chretiens, Leur Chef avoit rasfemblé les contradiéfeions apparentes, qu: fe trouvent entre 1'Evangile & la Loi, Jls oppofoient donc la conduite de JefusChrift k celle duCréateur: Jefus - Chrifl s difoient-ils, aimbit les petits enfans; ii vouloit même, que les hommes, qui af pirent a devenir fans cejfe plus grands, leur fujjênt femblables; au lieu que le Créateur lache des ours fur de petits enfans, pour venger Pinfulte, qu'ils ont faite h fon Prophete Elijée. Les Manichéenst qui adopterent une grande partie des erreurs de Marcion, inveótivoient auffi fur ce fujet, & taxoient Elifée de cruauté! Les lncrédules de nos jours n'ont pas manqué de lancer des traits contre ce Prophete. Un de ces ennemis de toute Révélation repréiente Paction d'Elifée comme 1'ehet d'un cruel reflentiment. Nous nous perfuadons donc, que c'eft travailler k raffermilfement de votre foi que de juftifier Elifée, & de le décharger de ces odieufes imputations. Dans ce deflein nous rapportons nos réfiexions a IV Chefs principaux. I. Nous expoferons en abregé les penjées dijférentes des ïnterpretes Jur ce Jüjet II. Èous ferons V'Apologie du Prophete ou plutót celle de Dieu lui ■ même, dont i étoit le Miniflre. 111. Nous recbercheron. Tome /. T 1 Teriullian, cont. Marcion. T. I. L. IV. p. 423. Èdit. B. Rhenani, in 8. Augujlinüs Serm. de Tempore 204. Apud Bccbart Hieroz. Col.m.820. Tindal Cïitiflianityas o!d zt the Création &c. T; I. C XIII. V. Bibt. RaiJ. T: VI. p. 3 tion des enfans de Bethel. IV. Nous presferons les injlruilions, que cette Hijloire nous offre. Extosons d'abord kspenfées différent es des lnterpretes fur Ie fait, dont il s'agit dans mon texte. f L'auteur d'un Ouvrage attribué a Jujlin Martyr, fous le titre de Réponfes aux Orthodoxes Jur quelques QueJlions nélejjaires , propofe la queftion fuivante : Puijque PEcriture nous enjeigne d étre patiënt envers tous, comment peut-on excufer Elifée, lorjqu'il livre a la mort par Ja malédiclion' des enfans, qui venoient de Vinjulter, malgré 'leur dge tendre, que pour une légere offenfe, qu'ils lui ont fake, il les fait déchirer par des bét es féroces? 11 répond ; que ces enfans, inftruits par leurs parens, vouloient reprocher d'une maniere infultante a Elifée Eenlévement de fon Maïtre Elie. A peu prés comme s'ils lui euffent dit: „ Monte Chauve, comme „ Elie eft monté. Que 1'Efprit te trans„ porte & te jette comme lui quelque „ part, Jur quelque montagne, ou dans „ quelque vaflée-i afin que nous foions „ déhvrés de toi} comme nous le fommes de lui." En conféquence eet Auteur regarde la mort de ces enfans comme une punition pour leurs parens, afin de leur apprendre a ne pas infulter aux Prophetes ,  Maudijjant les Enfans de Béthel. 291 & en leur perfonne a Dieu même. Cette penfée eft jufte; bien que le fens, que 1'Auteur donne a ces paroles, monte chauve, ne foit pas fondé. C'eft donner au mot de monter une fignification peu naturelle , & ■ trop éloignée de 1'idée fimple, qu'il a dans le texte même, oü il fe prend deux fois pour aller d Béthel. II. St. Jéhome, 1'Auteur de quelques ouvrages attribués a St. Auguflin, & quelques autres Anciens, ont recours au fens allégorique. Ils appercoivent ici un type des infultes faites k Jefus-Chrift, & de la punition du peuple Juif. Les enfans de Béthel crioient a Elifée; Monte chauve, monte chauve. Et les Juifs crierent contre Jefus-Chrift, crucïfie, crucifie. Car que veut dire, monte chauve, linon monte a la croix fur le Calvaire ? Ouarante-deux enfans furent déchirés, 6c quarante-deux ans après la mort du Sauveur la Nation Juive fut ruinée par Vefpafien, & par fon fils tite : comme deux ours ils afliegerent Jérufalem, & firent périr un nombre prodigieux de Juifs. Mais, outre que cette Explication eft entierement arbitraire, & qu'on n'appercoit rien dans 1'hiftoire qui puilTe la fonder, obfervez, qu'en fuppofant, que le Prophete-auroit été un type de Jefus-Chrift, il ne s'enfuivroit pas, que fa conduite fut exempte de pêché. Combien 1 de perfonT 2 11. * Sentiment ie quelques Pere. Hieronjmus in Sophon. T. V. Augujiinus de MirabiiibusScriptiL.II.C.23. Sermon 104 de Tempore. Ap. Boe bar t, Hierozoic. Col. m. 52Ö. .21 .v1x  III. Sentiment ie MüU' Jlerus. Munflerus in Crit. Sac.ad loc. IV. Sentiment de Scbmidius. Schmid. ad loc. i Sam. XIV. ia. 202 SERMON XII. Apologie d'Elifée nes, qui ont eu 1'honneur d'être des figures du Sauveur, bien qu'elles foient tombées dans de grands crimes? D'ailleurs, Elifée maudit les enfans, qui lui infultentj Sc Jefus-Chrift prie pour ceux, qui le cru:ifient. Et Ton demande, pourquoi le Prophete fe porte a cette grande févêrité? III. Nous ne trouvons pas plus fatisfaifante la penfée d'un f avant Interprete, qui prétend , qu'Elifée maudit les enfans de Bethel, non a caufe de 1'infulte, qu'ils lui fefoient; mais pour quelque raifon inconnue, que 1'Ecriture n'a pas jugé a-propos de nous faire connoitre. C'eft-lk éluder la difficulté, & non la lever. Ajoutons, que la limple leéture du texte fait voir, que la malédiétion fut une peine de la raillerie, & que la mort de ces enfans Put une fuite de la malédiétion du Prophete. IV. Un autre Commentateur trouve dans ces mots, Monte Chauve, une efpe* ce de défi. II obfèrve, que c'eft un terme de guerre, par lequel on provoquoit Pennemi; & que c'eft en ce fens que les Phiïiftins difoient a Jonathan & k fon Ecuyer, Montez vers nous. Les enfans de Béthel s'imaginent qu'Elifée étant privé de Pappui d Elie, ne fauroit plus rien entreprendre contre Pidolatrie. Ils le défient de les renir attaquer, & ils fe dilpofent a 1'inful*  Maudiffant les Enfans de Béthel 293 ter dans fon paflage. Cette explication nous paroit plus fubtile, que fohde. II n'eft nullement certain, que le terme Monte foit un défi , & le paflage cité ne le prouve point. Les Philiftins pouvoient penfer, que Jonathan & fon compagnon avoient deflein de fe rendre a eux , & dans cette penfée ils les encourageoient k s'approcher. La plupart des villes de la Paleftine étoient baties fur des Collines. Monter fignifioit limplement aller dans un lieu. On fait d'ailleurs, que Béthel etoit fituée fur une aflez haute montagne. lachons de dire quelque chofe de plus fatusfaifant pour la juftification d'Lhfee. Ceft a faire fon apologie que nous deftinons la feconde Partie de notre Difcours. Il eft incertain, quelle fut 1 occafion de 1'infulte feite a Elifée, & par quelle raifon les enfans de Béthel 1'appelloient Chauve. Un Docleur Juif prétend, que cetoit paree que le P'rophete avoit privé les habitans de Béthel du gain, qu'ils fefoient fur Peau, qu'on tranfporto.it de chez eux k Jéricho, avant qu'Elifée eut rendu les eaux de ce dernier lieu faines. II neft perfonne qui ne fente, combien cette raifon eft frivole. Peut-être pourroit-on conjeéturer, qu'Elifée, pour temoigner la vive douleur , qu'il reflentoit d'être privé d'Eüe fon Maïtre, ne s'étoit pas contente «Se déchirer fes vêtemens en deux pteces , T3 V. Relani Paleft. ill.' r. 11. p. 536. il Partie. R. Salomon ipud Botiart, Hie= roi.Col. m. 818. 2 Rois U  I \ ! i t ' B » %) l. La nature de 1'infulte^ '' i • ■ ■• il i i 194 SERMON XII. Apologie cf Elifée :omme l'Hiltorien facré le dit exprefiement lans le vs. 12. de notre Chapitre, mais jue felon la coutume de ces tems-la, il ivoit auiïl rafé fes cheveux. 11 nous femble néanmoins plus fimple & plus naturel de reconnoïtre, que le Prophete étoit réritablement chauve, & que ce fut k ce défaut naturel que les Enfans de Béthel infulterent. A juger de cette raillerie par nos mceurs on penferoit, qu'elle n'étoit pas de nature a exciter le reflentiment i'un homme grave. Mais il faut en juger •mtrement, & 1'injure n'étoit pas aulfi égére qu'elle peut nous le paroïtre. Pour vous en convaincre & pour juftifier Elifée, confidérez avec nous I. La nature de 1'infulte. II. La qualité de la perfonne in%ltée. III. Le genre de la punition. I. Faites réflexion fur la nature de Vinrulte 5 & vous en fentirez toute la grandeur. Elle étoit préméditée, odieulè en ;gard k la circonftance du tems, oü elle ait faite, & atroce en elle - même. Je dis ju'elle étoit préméditée. II y a tout lieu ie penfer, que les habitans de Béthel, le principal fiége de Pidolatrie dans le Royaume d'lsraël, informés, qu'Elifée étoit en chemin pour fe rendre dans leur ville, excitêrent leur jeunefie k aller au devant de lui pour 1'infulter. Quarante-dcux de ces enfans dévorés indiquent un attroupement fait de propos délibéré & a deffein. Si  Maudiffant les Enfans de Béthel. 29 j une injure, feite dans un tranfport de colere & par emportement, diminue la faute de celui qui s'y porte, celle, qui eft préméditée & de fang-froid , part d'un principe de malignité ou de haine , qui 1'aggrave extrémement. Sans doute qu'on avoit infpiré de longue main a ces jeunes fens de la haine <5t du mépris pour les liniftres de 1'Eternel; & qu'ils furent poufles & animés par leurs parens a faire éclater leur pafhon contre le Prophete. II eft vrai, qu'a s'en tenir k nos Yerhons , qui les appellent de petits garcons, leur age femble les difculper, au moins rendre leur faute moins grare, & la fait tomber principalement fur leurs parens. C'eft le fentiment de plufieurs favans interpretes. Mais d'autres obfervent, qu'il peut trèsbien être queftion de jeunes gens, qui ont paiTé 1'adolefcence , qui font capables de connoitre la nature de leurs aétions, & qui en font refponfables. Dans la Langue Hébraïque on donnoit le nom a"enfant, même a de jeunes hommes mariés, ou en age de 1'être. Ifaac, qui avoit au moins vingt-cinq ans, lorfque fon pere fe difpofoit a le facrifier, eft nommé Enfant. Et. ce même nom eft donné a Rohoam, age de quarante ans. On pouvoit par conféquent bien appeller petits garcons ou enfans des jeunes gens au deflbus de lage de vingt ans, mais en état de favoir ce T 4 3en.XXU. 5- 2 Chron. XIII. 7.  ■ 2 Rois I] iö. 17. 2 Rois II 21. 22. 296 SERMON XII. Apologie d'Elifée qifils fefoient. Quoiqu'il en foit, il eft évident, queTinlulte fut préméditée de la part des Iiabitans de Béthel. Elle étoit encore. odieufe eu égard a ia circonltance du tems. On ne pouvoit iffnorer a Béthel fenlévement d'Elie. Un événement auffi extraordinaire devoit naturellement avoir fait beaucoup de bruit dans ces quartiers-la. Les Fils des Prophetes. qui demeuroient a Béthel, ne 1'avoient lans doute ni ignoré ni caché; c'étoit une preuve trop fenfible én faveur de la vraie Religion pour ne pas la faire valoir. Les .cinquante hommes, qui chercherent Elie ■pendant trois jours aux environs de Téricho, qui n'étoit pas fort éloignée de Bé~ thel, en répandirent de plus en plus la nouvelle. Les habitans dé Béthel ne pouVO,^rlencore ^norer le fervice fignalé, , qu Ehfee venoit de rendre a ceux de Jéricho, en corrigeant d'une maniere miraculeule la maüvaife qualité de Peau, qu'ils beuvoient. Des preuves fi frappantes de Ja diymite du miniftere d'Elie & d'Elifée devoient faire impreffion, & ramener les citoyens de Béthel au culte du vrai Dieu. U néanmoins ils s'obftinent non feulement dans 1'idolatrie, mais ils témoignent leur acharnement contre un Prophete, que i5'n0U/dles 11 rurP™ntes avoient précêde, & auquel ils auroient dü faire Ja plus honorable réception, Plus Dieu don-  Maudijfant les Enfans de Béthel 297 ne d'inftruétions aux hommes; plus il leur fournit de motifs a la converiion, & plus ils fe rendent coupables devant lui, plus leurs crimes lui Ibnt odieux. C'étoit le cas des habitans de Béthel dans l'occafion, dont il s'agit ici. Il y a plus. L'injure faite a Elifée étoit atroce endle-même. II n'en étoit gueres , a laquelle anciennement un homme/ d'honneur fut plus fenlible que d'être appellé chauve. On avoit tant de honte de cette efpece de dilformité, qu'on la cachoit avec un foin extréme. L'hiftoire en fournit divers exemples. Jtgatocle Tiran de Öicile, portoit dans ce deffein une couronne de Myrte, & les habitans de Syracufe n'ofoient parler de cette imperfeétion du Prince. Jules -Ce/ar tdchoit de dérober ce défaut aux yeux du Public, & de tous les honneurs, que le Sénat lui décerna, il n'y en eut point, qui lui fit plus de plaifir, que le droic de porter toujours une couronne de laurier. L'Empereur Domitien étoit fi mortifió d'être chauve, qu'il s'orTenfoit, quand on en fefoit le reproche a un autre en fa préfence, foit par raillerie, foit férieufement. Dela le nom de Nèron le chauve, que lui donne un Poëte fatyrique. En général , il fuffifoit pour rendre un homme méprifable de 1'appeller Chauve, paree qu'on attachoit a cette qualification les idéés les plus flétriilantes. T f Mïtan. Var. Hift. Ui XL :ap. 4. Sueton. in [ui. Casfare Ait. 45. Sueton. ia Domitia. no Art. 58. Juvtnal. Sat. IV. .11  I < j ( 1 j i I I I ' I .IX »il 2 Rois ix. XI. H. La qualiti de la perfmneinjnttég. 298 SERMON XII. Apologie d'EliJée Zelle d'ejclave & de captif, paree que les :heveux étoient le fymbole de la liberté, Sc qu'on les coupoit k ceux, qu'on réduibit en fèrvitude. Celle de gueux, d'homme jui fefoit profefTion de mendier CeJle d'homne vicieyx & débauché, adonné a des plaiirs infames, paree qu'on attribuoit ce. déiaut a des excès de libertinage. C'eft ce jui a donné lieu aux Docleurs Juifc de 3ire dans leur Talmud, le Chauve ejl vi"ieux. Enfin , on attachoit au nom de :hauve 1'idée de fou & d'infenfé: de-la ce Proverbe ancien; gardez - vous du chauve 'mjenjé. Cette idéé convient trés-bien k celle, que les profanes fe formoient des Prophetes, a caufe des extafes & de la liberté de ces faints hommes. Pourquoi eet injenjé ejl-il venu vers toi ? demandojent les principaux Officiers de 1'armce a Jêhu. Celui, qu'ils traitoient iïinjenfé étoit un difciple d'Elifée, qui lui avoit donné commiffion d'aller oindre Jébu pour Roi d'lsraël. En réunilTant toutes ces idéés, renfermées dans le titre injurieux de chauve, on ne fauroit concevoir d'infulte plus outrageante que celle, que les enfans dc Béthel fcfoient k Enfée, de dtfTein prémédité, & dans un tems, qui la rendoit fort odieufe. II. Ce qui 1'aggravoit, c'étoit la qualité de la perfonne injultée Qui eft eet Elifée, que 1'on traite fi indignement? C'eft  Maudijfant les Enfans de Béthel. 299 un homme de bien & refpeétable, qui méritoit des égards, furtout de la part des jeunes gens, quand même il leur auroit été inconnu. Mais il y a de 1'apparence, qu'ils le connoilToient trés-bien. C'étoit donc déja une grande faute que de venir 1'affaillir publiqucment & tumultueufement, & furtout de 1'outrager d'une facon fi injurieufe. Deplus, Elifée étoit un Israélite fidele a la Loi de Dieu , & zélé pour fa gloire; il étoit un de ces fept mille hommes , que Dieu s1 étoit réjérvés , £5? qui riavoient pas fléchi le genou devant Bahal : c'étoit fans doute une des raifons, qui animoient les idol&tres contre lui. Mais c'étoit auffi ce qui le rendoit agréable aux yeux de Dieu. Et qui ignore, qu'il s'intérelTe particulierement a ceux, qui fe dévouent a fon fervice ? 11 les chérit; qui les touche, touche la prunelle de fon ml. Ce qui doit furtout être pefé, c'eft qu'Elifée étoit un Prophete. II venoit de luccéder a Ëlie, Dieu fe révéloit a lui, & avoit autorifé le miniftere, qu'il exercoit. II étoit fans doute bien connu en cette qualité a Béthel, oü il avoit accompagné Elie , & vifité 1'Ecole de Prophetes, qui étoit dans cette ville. Et quand même il n'y auroit pas été connu, fon habit fuft]foit pour le faire reconnoïtre. C'étoit donc attaquer Dieu lui-même en la perfonne de Ion Miniftre. C'étoit infulter le ï Rois XIX. 18. Zachar. II. 8.  iii. La nature de la puni- I € i } 300 SERMON XII. Apologie cf Elifée Trés-haut, que de faire injure au défenfeur zelé de fes droits. Si les titres dé ferviteurdu Dieu d'Ifraël, de fuccelTeur d'Elie, d'ennemi déclaré de Tidolatrië, le rendoient Pobjet de la haine des habitans de Béthel, ils n'eri étoient pas moins coupables, en ne refpeëtant pas des titres fi facrés. III. Le Genre de la punition fournit un nouveau moyen de juftification en faveur d'Elifée. Elle a tous les caraéteres d'un aéte de juftice de la part de Dieu. Cé n'eft point le Prophete, qui inflige la peine. II fe contente de déclarer le jugement Ie Dieu a ces jeunes impies, & les abanlonne a la jufiice. C'eft 1'idéé, que ré~ ^eillent ces termes, il les maudit au nom le VEternel. Ce n'eft pas Elifee, qui ap)elle les déux ourfes, & qui les fait fortir le la forêt voifine, précifément dans Pintant que ces jeunes gens le fuivent en 'outrageant. Ce n'eft pas lui', qui augnente la férocité de ces animaux fauvages, 5c qui les porte a ne pas fe conteriter Paftouvir leur faim , mais a déchirer au lelk de quarante de ces enfans. Qui n'ap>erQoit dans la fureur de ces ourfes le caaclere de Ia vengeance d'un Dieu tout•uiflant, qui fait concourir tous les êtres 1'exécution de fes volontés ? D'un Dieu ufte, févére vengeur du crime, qui furrend' quelquefois les pécheurs dans" le  Maudijfant les Enfans de Béthel. 301 tems même de leur défobéïffance ? Et fi Ton fait réfiexion fur la nature de l'infulte> fur la qualité de la perfonne infultée, furtout fur le caractere de Prophete de Dieu, dont 1'honneur étoit lié avec celui de fon Miniftre , trouvera-t-on le chatiment trop rigoureux ? Les hommes connoiffent - ils affez les droits de PEtre fouverain, pour entreprendre de lui prefcrire des régles,dans la diftribution des peines & des recompenfes ! Quoi de plus fondé que ce qu'Elihu difoit k Job : A Dieu ne plaife qu'il y ait de la méchanceté dans le Dieu fort £^ de Finjuflice dans le Tout-puiffanti Car il rendra d Vhomme felon fon oeuvre, fe? il fera trouver a ehacun felon fa voie. Comment celui, qui riaimeroit pas d faire juflice, jugeroit-il le monde, fe? condamnerastu comme méchant, celui qui efl fouverainement jufle? Job XXXIV. 10, 11, 17. Jl y a plus. Quelque rigoureufe que paroiffe la punition, elle étoit néanmoins très-modérée, & fort au deflbus de ce que méritoient les habitans de Béthel. La Loi de Moïfe condamnoit a la mort tous ceux d'Ifraël, qui abandonnoient Ie culte de 1'Eternel, & devenoient idolatres. Cette févérité étoit fondée fur la conftitution de 1'Etat, qui étoit une véritable Théocraiie, c'eft-a-dire un Gouvernement, oü Dieu étoit le Souverain de la nation. CommetSre un aéte d'idolatrie, c'étoit fe révolter  iftois XII. 29. OfésIV. : 15. 1 1 1 j I 1 < < 302 SERMON XIL Apologie iïEÜfèe contre le Monarque, & lè rendre coupable du crime de Léze - majefté. Et oü efl: 1'Etat bien policé, oü Pon ne fe croie en droit de punir de mort ceux, qui fe rebellent contre le Souverain? D'oü étoient ces jeunes garcons,' qu'Elifée maudit, & que deux ourfes déchirent? N'étoient-ik pas de Béthel, le fiége de Pidolatrie introduite parmi les Ifraélites ? C'étoit-la que Jéroboham avoit érigé un de ces veaux, qui avoient détourné les dix Tribus du Culte du vrai Dieu. Les habitans de Bethel fe diflinguoient parmi les idolatres par leur zele fuperftitieux, & par leur haine contre les Prophetes. Et c'eft par cette raifon que les Prophetes, au heu de nommer :ette ville Béthel ou Maifon de Dieu , l'appelloient Eeth-aven, ou Maifon d'inimité. Doit-on donc être furpris, qu'Elièe, indigné de Pidolatrie de tout Ifraël, Sc des habitans de Béthel en particulier, naudit des enfans, qui imitoient le crime 3e leurs peres, & s'il les maudit au nom le VEternel, auquel ils infultoient avec ant d'infolence, le Prophete ne fait qu'anr conformément aux loix établies, & jour ne pas s'écarter de la fidélité, qu'il levoit k fon Dieu, & a fon Roi. Si Dieu, □ftement irrité de la révolte de fon peu)le, frappe les enfans de ceux, qui étoient es plus dévoués ■ a Pidolatrie, il ne fait [u'exécuter les loix, qu'il avoit portées  Maudiffant les Enfans de Béthel 303 contre les rebelles. Et tant s'en faut qu'on puiffe le taxer d'un excès d . rigueur, on doit admirer fa patience & fa longue attente. Non feulement les enfans dechirés par les ourfes, mais tous les enfans de Béthel, tous fes habitans idolatres étoient dignes de mort. Dieu fe contente d'en punir quelques - uns, qui outrageoient fon Miniftre a 1'inftigation de leurs Peres. Pourquoi déclamer contre ce trait de la jufte indignation, & ne pas admirer plutot fon fupport & fa clémence, qui laiftbit vivre tant d'autres criminels ? Nous penfons avoir fuffifamment juftifié la conduite d'Elifée, & celle de Dieu lui-même. Nous trouverons néanmoins de nouvelles raifons dans les vues, que Dieu fe propofoit par le chatiment exemplaire des enfans de Béthel. C'eft a rechercher ces vues que nous deftinons notre troifieme Partie. Quoiqü'on ne doive pas entreprendre de londer témérairement les voies de Dieu, dont nous ne connoilTons que les bords, & dont nous ne comprenons qu'une trèspetite portion, il eft néanmoins des évé* nemens, oü les delTeins de la fagefle éternelle paroiflent li viliblement , qu'il eft impolTible de ne pas les appercevoir. Tel eft celui» qui fait le fujet de nos réfiexions. On ne peut douter, que par la punition des enfans de Béthel Dieu ne fe foit propofé' ï. Di donner du poids au Mimjltre Ptrlie. [ob XXVI. X4.  f. Vutdt Dieu. 304, SERMON XII. Apologie it Elifée tf 'Elifée. IL De faire rejpetler les Eils des Prophetes, qui formoient uneEeole d Béthel 111. D'affermir dans fon culte les IJraélites, qui étoient demeur'és fideles d la Loi de Moïfe. IV. De ramener les idoldtres de leur égarement. 1. Dieu fe propofoit de donner du poids au miniftere d'Elifée. II importoit de fceller la divinité de fa miifionj & de la rendre refpeétable dans un Royaume, oü Pidolatrie étoit dominante , & furtout a Béthel, qui en étoit le fiége principah Joram, fils de 1'impie Achab , regnoit a Samarie; & bien qu'il ne s'abandonnat pas k tous les excès, & a toutes les abominations de fon Pere, il avoit néanmoins adopté le culte idolatre infiitué par Jéroboham. Le but du miniftere d'Elifée étoit de s'oppofèr k ce culte , de maintenir les droits du vrai Dieu, & de faire fentir aux Ifraélites , combien ils étoient coupables , en proftituant a des idoles muettes les honneurs, qui n'étoient dus qu'au Dieu de leurs Peres. Or quoi de plus propre a autorifer fon miniftere qu'un chatiment exemplaire infligé k ceux, qui ofoient le méprifer infolemment? Pouvoit-on méconnoitre le Miniftre duTrès-haut, a la vue de 1'eftet auffi effrayant que prompt de la malédiclion prononcée au nom de PEternel ? Qui oferoit deformais tenter rien contre fa perfonne, tandis que ceux, quï étoient  Maudiffani les Enfans de Béthel. 30? étoient affez hardis pour 1'infulter dès les premiers pas , qu'il fefoit dans 1'exercice de fa charge, en étoient punis d'une fajon fi extraordinaire? II. On ne peut douter en fecond lieu, que Dieu n'ait eu deffein de faire refpetter les Fils des Prophetes, qui formoient une Ecole a Béthel, & de les mettre plus en füreté. lis ne pouvoient qu'être fréquemment expofés a des outrages de ia part d'un peuple idolatre, & zélé pour le culte , qu'il avoit adopté. On fait, que la différence de Religion n'allume que trop fouvent la haine, ne porte que trop fréquemment ceux, qui font les plus puiffans, a perfécuter le parti le plus foible. Les plus fuperftitieux font communément les plus difpofés a fe livrer aux excès d'un zéle furieux , a moins que des raifons de politique & d'intérêt, ou que la fageffe des Souverains ne les contiennent dans les bornes de la modération. II eft aifé de comprendre parl'infulte, que les habitans de Béthel porterent leurs enfans a faire au Prophete Elifée, que les adorateurs du vrai Dieu & furtout ceux qui s'occupoient dans la retraite a la méditation des chofes divines , & fe préparoient par une vie pure au miniftere de la Prophetie, fi Dieu les y appelloit, devoient naturellement avoir beaucoup a fouffrir de leur part. On peut juger, que le faux zele de ces idolatres Tomé l V n. Vue 4* Dieu.  i Rois xix. 14. iii. Vim de Lieu. Pf. xci. 1. 30(5 SERMON XII. Apologie ifElifée . étoit cruel, paree que difoit Elie en parlant k Dieu: Les enfans d'Ifraël ont aban* donné ton alliance, ils ont démoli tes autels, ils ont tué tes Prophetes par Pépée. La punition des enfans de Bethel étoit donc bien capable de reprimer la paffion des habitans de cette ville contre les Fils des Prophetes, qui habitoient parmi eux, & de mettre ceux-ci k couvert de leurs entreprifes. Ils devoient craindre d'attirer fur eux les efFets de la colere divine. III. Dieu fe propofoit encore d'ajfermir dans fon culte ceux des Ifraélites qui étoient demeurês fideles a la Loi de Motje. Rien de plus digne de Dieu que de fournir de nouveaux appuis k la foi de ces généreux ConfelTeurs, qui n'avoient pas fiéchi le genou devant Bahal, «Sc de les encourager k la perfévérance au milieu de la corruption générale; or le chatiment exercé fur leurs compatriotes leur annongoit Ia puilfance du Maitre, qu'ils fervoient, «Sc la févérité de fa juftice envers les rebelles. Ils devoient naturellement en conclure, que fi Dieu vengeoit avec tant de rigueur Pinfulte faite k fon Prophete, il ne pouvoit manquer de protéger ceux ,qui étoient fideles k leur devoir, & que ceux, qui fe hgent a Pombre du Tout-puifant,pQment 3'alTurer en lui. C'eft-la un grand encouragement pour les Fideles de tous les tems. Mutant que Dieu eft févére envers les pé-  Maudiffant les Enfans de Béthel. 30? cheurs obilinés, autant eft - il attentif a couvrir de Pombre de fes ailes ceux qui le craignent. S'il ne démontre pas toujours fa juftice & fa puiflance par des punitions extraordinaires, les exemples, que 1'hiftoire nous a confervés, fuffifent pour infpirer . de la confiance a ceux, qui font appellés a fouffrir pour la juftice. ' IV. Enfin il eft inconteftable , qu'une des vues de Dieu dans le chatiment des enfans de Béthel, de même que dans divers autres actes de fèvérité, & dans tous les miracles, qui accompagnement le miniftere d'Elie, &'enfuite celui dEhlee, c'étoit de ramener les habitans de Bethel, & engénéral les dix Tribus, d Jon culte, & de les engager a renoncer a celui des Veauxd'or, pour n'adorer que 1 Eternel, le Créateur du Ciel & de la Terre. Nous avons déja obfervé, que Béthel étoit le principal fiege de Pidolatrie; dela le nom de Saniluaire du Roi,te Maijon du Royaume , qui lui eft donné par le facrihcateur de 1'idole, dans le Chap. VU. du Prophete Amos. ür, quoi de plus propre a faire redouter auxCitoiens de cette ville 1'execution des menaces de la Loi contre les ïdotètres, que le jugement exercé fur leurs enfans? Quelle terreur ne devoit pas leur infpirer une démonftration fi fenhble de la vérité de cette déclaration , que ïEternet eft un Dieu fort 8? jaloux, vifitant les J V 2 Matth. V. 10. iv. Vue dl Dieu. Amos VII. 13. Exod. XX» S.  iv. Portie. 308 SERMON ML Apologie cf Elifée iniquitès des Fer es fur les Enfans, quand ceux-ci imitent fimpiécé de leurs Peres ? Loin de taxer la conduite de Dieu d'un excès de févérité, quelle jufte raifon de reconnoïtre la grandeur de fa miféricorde dans les loins, qu'il prend de ramener les habitans de Béthel de leurs funeftes égare- . mens ? Heureux! s'ils avoient profité d'un cliatiment difpenfé dans des vues fi charitables , & s'ils n'avoient pas attiré fur eux une entiere ruine par leur obftination a perfcvérer dans le culte profane , qu'ils avoient adopté! 11 efi: tems de preffer les inftruétions, que le trait d'hiftoire, que nous méditons, nous of&e. C'efi: ce qui va nous occuper dans la derniere Partie de ce Difcours. I. Apprenons d'abord a éviter foigneufement d'infuker a nos prochains, & de nous moquer d'eux pour des imperfeétions, qu'il n'a pas dépendu d'eux de ne point avoir. La plupart des hommes ne font pas aflez en garde fur eet article. Quelque difformité de corps, la foiblefie d'efprit dans les uns, le manque de talens dans les autres,ne les expofent que trop fouvent au mépris & k la raillerie. Mais, outre qu'il n'y a qu'un fond de malignité, qui puiife porter a infulter au malheur du prochain; c'efi: s'en prendre a Dieu lui-même qui lui a refufé certains avantages, 011 qui a jugé a-propos de 1'en priver. Nous lifons Levit.  'Mctudiffant les Enfans de Béthel. 309 XIX. 14. que Dieu défend de parler mal du fourd, fe? de mettre rien devant Pa~ veugle, qui put le faire tomber. Défenfè, qui tendoit a infpirer de la compalïion & du fupport pour les imperfeétions des autres. Si votre prochain a un corps moins bien conftitué que le votre, s'il manque du cöté de Pefprit, & qu'il n'ait qu'une intelligence fort bornée; s'il n'a pas des talens, qui le diftinguent, pourquoi lui en faire un fujet de reproche ? 11 ne s'eft pas formé lui-même, il n'a pas arrangé les parties de fon corps , ou il n'a pu prévenir les accidens, qui lui ont caufé quelque difformité. Le Pere des efprits n'a pas jugé a - propos de lui accorder un certain dégré de pénétration , une certaine étendue de lumieres. VAuteur de tout don parfait ne lui a donné qu'une petite portion. Eftce pour vous un titre légitime de le méprifer & de lui infulter? Ajoutons, que ce procédé fuppofe communément beaucoup d'orgueil, en ce qu'on fe glorifie affez clairement d'être exempt des défauts, des imperfeétions, qu'on reléve dans les autres. Nous devons furtout éviter d'infulter aux gens de bien & nous fouvenir, que la vert.u eft toujours refpeétable, quand même elle loge dans un corps diffbrme \ ou dans un efprit borné. II. Si nous entrons bien dans Pefprit de cette première lecon, nous féntirons, qu'il V 3 ■ Hebr. XII. 9- ]aq. I. 17.  Matth. XX. is. ï Cor. IV 7- $10 SERMON XII. Apologie 4'Elifée tmporte de veiller avec tout le foin poffible fur 1'éducation de la jeunelTe, & de ne pas lui lailfer contra&er la criminelle habitude d'infulter perfonne, de quelque facon , & fous quelque prétexte que ce foit. II lèmWe, que les jeunes gens ont un penchant naturel pour ce défaut, & Pon voit affez communément, qu'ils ié portent, fans y être excités, k fe moquer des perfonnes, qui ont quelque imperfeétion de corps, ou qui fe font remarquer par leur imbécillité d'efprit. On ne peut être trop attentif a reprimer ce penchant, qu'on peut attnbuer en général a la malignité, & qui par cette raifon peut être de la plus dangereufe conféquence dans le cours de la vie. On doit donc commencer a infpirer de bonne heure a la jeunelTe des fentimens de bienveillance pour tous les hommes; lui faire comprendre, qu'il ne dépend pas d'eux d'être plus ou moins parfaits a divers égards: Que c'eft Dieu, qui diftribue les qualités de corps & d'efprit felon fon bon - plaifir: Que nous n'avons aucun fujet de nous glorifier des avantages, que nous poffédons par deiTus eux: Que Dieu eft le maitre de faire de fes biens ce qu'il veut, & que lui feul met 'de la difèrence entre nous fe? les autres;. Que moins ils ont, & plus ils méritent d'être les objets de notre indulgence. C'eft donc pécher contre toutes les régies de la fageffe & de la charité,& manquer au refpecl;  Maudijfant les Enfans de Béthel 311 dü a Dieu, que d'inciter les enfans a infulter a quelqu'un pour des défauts de corps ou d'efprit, dont ils n'ont pas été les maitres de fe garantir. IJL Apprenons enfin a être retenus dans nos jugemens fur la conduite du fuprême directeur des événemens. Ses voies ne font pas nos voies, fe? fes penfées ne font pas nos penfées. Nous ignorons en bien des occafions les raifons des difpeniaiions de la Providence, furtout en ce qui regarde les difgraces, qui arrivent a nos prochains. Quelquefois nous fommes tentés de blamer la févérité de Dieu, tandis que nous en jugerions autrement, fi nous étions inftruits des vues qu'il a, vues dignes de fa fagefTe & de cette- juftice incorruptible , qui efl la hafe de fon tróne. Souvent nous nommons févérité ce qui n'en a que 1'apparence. L'hiftoire de mon texte nous fournit des preuves de 1'une & de 1'autre de ces vérités. 11 eft des circonftances, comme dans le cas d'Elifée, oü les vues de Dieu font fenfibles, & peuvent être appercues par les moins clairvoians. Mais auffi en d'autres occafions l'Etre infini Je cache, & ne permet pas aux foibles mortels de démêler les motifs de fa conduite. C'eft alors qu'on peut dire avec Elihu: Entendez-vous les merveilles du parfait enfcience? ReconnoilTons, que, quoiqu'il faffie, il ejl toujours M-méme; toujours égalemejit Efaie LV. 8. Pfeaume LXXXIX. IS- Efaie XLV.ij. Tob XXXVII. 16. Ecclef. III.  Deut. XXXII. 4, Terem. XXXII. 19. Apoc. XV. . ,3. 4- FIN Dü PREMIER VOLUME. 312 SERMON XII. Apologie