LETTRES D E J. J. ROUSSEAU. "'A AMSTERDAM, Ch'ez BART HELE MY VLAM. MDCCLXXXIV. 'Avec Privilege de NJV. SS. les Etats de Ihlknk C? de Westfrife,   T A B L E DES LETTRES, Contenues dans ce Volume.' LïTTRE de J. J. RouJJeau h M. Pbilopolit. PagJ z — h Al***. . . ix - a M. VAbbi Raynal, alors Auteur dm Mercure de France. . 35 T au même fur l'ufage dangereux des us- tenfiles de cuivre. . 37 ■ a M. M*** a Geneve. . 42 *■ ' & M. Vernes. . 51 ■ de M. de Voltaire. . 5$ Réponsï & la Lettre précèdente. , 58 Billet ie M de VoUaire. . 6% Répouse au Billet précédent. . 6$ Litthe è M. de BoiJJi, Auteur du Mercure de France. , . 64. ■i' ■ h M. Vernes. . . 66 o o M. de Scbeyb , Secrétairt des Eta s de la SaJJ'e-Autritbe, . 6tS lettres. *  ts T A B L E Lettre a M Vernes. . Pag. y2 * a un jeune bomme qui demandoit a s'é. taUir (j Montmorenci. . 76 Fragment d'une Lettre a M. Dideroi. 78 Lettre au méme. . 79 » ■ - & M. Vernes. . .83 » ■ ' au mime. . . 85 »' ■ ■ de M. It Roy. . 88 Réponse a la Lettre de M. Ie Roy. 89 Lettke & M Vernes. 91 « ■ ■■ £ M. de Silbouette. . 93 . è M Vernes. . . 94. »■ a M. Ducbefne, Libraire. . 95 m & Madame dAz***. . ibir, « k Madame C***. 96 ■ ' icï^ ~ * -M- Ie Marécbal de Luxembourg, cmtenant une Defcription du Val de Travers. . . <■ " ou même , contenant la fuite de la mime Defcription. ■ ^ jjq. " 1 1 » M. Ddvid Humt. * r35 _ a M. — ■;. .. m < i M.. de ***. ; w —— « M. JT. » 5, Ts,r ' ■ 4 M. D. % ;. rp8; — * Mykrd Marécbal. r iog.  T A B L E Lettre a Madame de * * *. . jPa?. 203 .■ !• a M. Favre, premier Syndic de Geneve. 207 a M. UJieri, Profejjeur a Zuricb. 208 ^ a M de Af***.. . 21» _ h M G. Lieutenant - Colonel. . 214 , , h M. I. D. L. d. IV. . 21S ï au Prince Louis de fVirttmberg. 216- t a Madame de B, , . 233 . 4 M VA. de ***. . . 234. » au mime. . .. . 236 a au même. . . . 240 t au mime. * .. 24S »■ a M ***. . 248 ■ ■ ■ a M. Romillti. I » 250 - . ■ d M. P***. . * 25*' d M i. P. L. E, d. W. I 25+ * d Mylord .Marécbal. 25S » ' ' «m wtè'me. „. ». ", 259 » ■ au même. , *. 261 ■ ' d M. ^. i. «. ï. 263 ■ d Aflk. rf. AC ; .. 26S - a la même. ".. . ». 273 ■ a Mlle. G. in lui envoyant un lacet. 277 ■ ~ ■ d Af. de P. . .. 279 ■ i M. 1. P. d. m Ü r 281 .i ■ a M. ***. , 5- . 283 *" ■ d Af de. Chamfori. \ \ 2B6' y. 4 42, .. . a89--  DES LETTRES. * Littre a Mylord Marécbal. Pag. £93 . d Madame la C. de Bi i 2 95 ■ a M. Butta-Fuco. .. .2 99 w a« même-, * . ' »■ 304 » au même.. - .. . 308 »■ au même. ' . .. 312 -■■ d M. de C***. . . 315 è' M. D***.. ; . 318 " d M. HirzeL . . 321 " a M'. Duclos. .. ibid. —— a Mylord Marécbal. ,. 324 * a M. Abauzit. . . 327 —T- a M. £>***. ibid; ■ d M. de Montmsllin. . 330 1 ■ d M. de*** . au Jujet d'un Mémoire en faveur des Protejians de France. 332' » ■ . d Af. D, . 334, d Af de. h C. de ***. .. 338 » 1 d Madame la Af. de V. . 340 ■—- d Af d. . ; ; 344. - au Lord Maréchal d'Ecoffe. . 347 . a M''s. de. Luc. .. , 349 ■ ■■ d M. Meuren* ' ',. t 35® - ■ d M. de P. I , :. 351 —— d M. de C. F. a A. . 352 " d M. Clairaut. . . .35? ■ ' a Af. Af***. 354. "1 » Af. Mturon. . . 35 6 « 3 ^  « T A B L E Lettres Monfieur le Profeffeur de Mont* mollin. . pag « M- r> . . ' 35g ——- d M. u Prof effent de Feliee. . 300 d M. Meuren . .361 ■ au Confiflaire de Motiers. . 363 ' * M d***. . „ 3fi6 " « Myhrd Marécbal. , . 369 ■ & M dlvemois. . . 372 ~ d Mlle. G... . 374. » M. Meuroru . . 375 " è M. d. . . 377 ~ au mime. . , ibid. ~ au même. . i 378 — d M. d, L C. « . ibiJ. — d m. d. ; ; 383 ■ öm «2ê';ne. . ^ . 33-4. " 4 M. 7J«i)j(i Htme. . ibid. r d M. d'Ivernois. , 385 ■ au même. » 381S 1 au même. * '» 353 * d M Humt. . . ibid. L aw même. I . . 390 " d Mylord ***. . 392 ■ d Vauteur du 3t. James Cbrtniclt. 393 - d iord ***. . . 394 ■1 d Afde. de Luze. . , J97 ' 1 11 d AL Ie Gèniral Gonway^ .- 431c  DES LETTRES. tii Lettrb d M. Humt. , Pag. 403 — d M Davenport. , 404 » a Mylord Marécbal. , , 405 . 1 au même. . . .408 m au même. . . . 409 ■ au même. . , . ■ d Madame de ***. , 413 »«—- d Mlle Deiues. , , 418 ... d Mylord Marécbal. . 419 1»' ■ a M. le Duc de Grafftm. . 421 a M. Guy. . , 422 — 1 — a Mylord Marécbal, . 424 »■ d M. Granville. . 425 — d Mylord Marécbal. . . 427 » d M. le Général Convoay. , 429 »■ d Afy/ord Comïe de Harcourt. . 431 »■ d M. Ë. jf. .. Cbirurgien. . 432 ». d. Madame la M. de .... 434 , d M/ie. Deixies. . i 437 — 1 . d A/ d Ivernois. . . 438 » fltt mêmt. ~ . 441 _ d Af. D. . . 445 au même, , . 446 — au même. . . 451 • d Mad m la Préjidente de Verna. 454 — d M. I C d. L. . . 456 d M du Belloy. . . 460  vin TABLE DES LETTRES. Lettre a M. { A. M. „ Pag. 471 au même. . . 477 ■ au même. „ 480 ... a Madame B. .. . 485 — o la même, .. .... 486 . a la même. , 489 • a la même. , , ' 495 « la même, . . 497 »i a la même. • . 500 a la même. • . 501 , AM . 502 a Madame de T***. . . 508 m a Madame . . 51* LET-  LETTRES D E f. J. ROUSSEstlT. Ie. L e t t r. ft ■è M. Philopolis. V. u s voulez, Monfieur, que je vous réponde, puifque vous me faites d~s queflions. U s'agit, d'ailleurs , d'un ouvrage dédié a mes concitoyens; je dois en le défendant juftifier ï'honneur qu'ilt m'ont fait de I'accepter. Je laiffe a part dans votrs littre ce qui me regarde en bien & en mal, paree que 1'un compenfe 1'autre a peu pres , que j'y prends peu d'intérêt, le public encore moins, & que tout cela ne fait rien a la recherche de la vérité. Je commence donc par Ie raifonnement que vous me propofez , comme effentiel a Ia queftion que j'ai taché de réfoudre. L'é t a t de foc'été , me dites - vous, réfults immédiatement des facultés de rhomme & pat conféquent de fa nature. Vouloir que rhomme ne devint point foc able, ce feroit donc vouloir qu'il ne fut point homms, & c'eft attaquer 1'ouvrage de Dieu que de s'élever contre la fociété humaine. Permettez-moi, Moniï;ur, de vous propjfer è Lettres, A  t Lettrés de 't.i TT .i, '* J i ■ ' mon tour une difEculté avant de réfoudre Ia vócre." Je vous cpargncrois cê détöür , fi je connoiffois un chemin plus für pour alltr au but. Supposoks que quelques favans tronvafient •un jour le fecrtt dlaccélérer Ia vieilleüe, & 1'art d'engager les hommes a faire urage de cette rare dé'couverte. perluafion qui ffB feroit pEut-être pas fi difficile a produire qu'elle paroit au premier arpefb; car la raifon, ce grand véhiculè de toutes nos fottifes , n'auroit garde de nous manquer a celle-ci. Les philofophes furtout & les gens fenfés, peur fecouer le joug des paffiors & goutér le précitux repos de 1'ame, gagncroient a grands pas l'&ge de Neftor, & renonceroient volontiers aux defirs qu'on peut fat'sfaire, afin de fe garantir de ceux qu'j faut étoufter. U n'y auroit que quelques écourdis qui, rougiffant même de leur foibkffe , voudroient follement refter jeunes & heureux, au lieu de vieill'r pour être fages. Supfosoms qu'un efprit fingulier , bizarre, & pour tout dïre, un homme a paradoxes, s'avisat aiors de reprocher aux autres 1'abfurditë de leurs maximes, de leur prouver qu'ils courent a la mort en cherchant Ia tranquillité , qu'ils ne font que radotcr \ force d'étre raifonnables; & que s'il faut qu'ils foient vieux un jour , ils devroient taeher au moins de 1'être le plus tard qu'il ftroit pofiible. Il re faut pas demander fi nos fopbiftes graignar.t le décn d; leur arcane, fe hateroient  J. J. R O V S 3 X A O. 3 'd'interrompre ce difcoureur importun. Sages vieillards," diroient-ils a Ieurs feclateurs, „ res, merciez le ciel des graces qu'il vous accorde, & ,, félicitez-vous fans cefle d'avoir li bien Mvi „ fes volontés. Vous êtes décrépits, il eftvrai, „ languiffans, cacochymes; tel eft le fort inéWta„ ble de l'homme , mafs votre entendement effi „ fain; vous êtes perclus de tous lis membres., „ mais votre tête en eft plus libre; vous ne „ fauriez agir , ma;s vous parlez comtna des „ oraclesj & fi vos douleurs augraentenc de jour „ en jour, votre philofophie augmante a?ec elles. „ Plaignez cette jeuneffa impétueufe, que fa brutale „ fanté privé des biens attachés a votre foibleflê. „ Heureufes infirm;tés qui raffcmblent autour de vons „ tant d'habiles pharmaciens fournis deplus dedro„ gues que vous n'avez de maux, tant de favans „ médecins qui connoifl~nt a fond votre pouls, „ qui favent en grec les noms da tous vos rhuma>, tifmes, tant de, zélés confolateurs & d'héritiers „ fidelles qui vous conduifent dgréablemeiat a „ votre derniere heure. Que de fecours perdus „ pour vous, fi vous n'aviez fu vous donner les i, maux qui les ont randus néceffaires!" Ne pouwns-nous pas imaginerqu'apoftropbanf ■enfuite notre imprudent avertifièur, ils lui parleroient a p?u prés ainfi : Cessez, déclamateur téméralre, de tenir >, ces difcours impies. Ofez-vous blamer ainfl h », volonté de celui qui a fait la genre huinau ? Lfé&t A a  4 Lettre* re „ de vieilleffe ne découle-t-il pas de Ia conftttation „ de l'homme? N'eft-il pas naturel a 1'homme de ,, vieillir? Que fa'tes-vous donc dars vos difcours „ féditteux, que d'attaquer une loi de Ia nature & par conféquent la volonté de fon Créateur? Puifque l'hornaie vieiü't, Dieu veut qu'il vieil„ IKTe. Les falts font-ils autre «bofe que 1'expres„ fion ie fa volor.té? Apprenez que l'homme jeune „ n' vous la faire adopter. Cela feroit contre 'mesprincipes & même contre mon gout; cir je fuis jufte, & comme je n'aime point qu'on cherche a me fubjuguer-, je ne cherche non plus a fubjuguer perfonne. Je fais qua la raifon commune eft trésbornée; qu'auffitót qu'on fort de fes étroites^limites, chacun a Ia fienne qui n'eft propre qu'a Iur; que les opinions fe propagent par les opinions, non i par la raifon, & que quiconqne cede au raifonnement d'un autre, chofe déja trés - rare, cede pat préjugé, par autorité, par affeftian, par parefle; rarement, jamais peut-être, par fon propre jugement: Vous me marquez, Monfieur, que le réfultat da vos recherches fur 1'auteur des chofes eft un être de doute. Je ne pui-s juger de eet état, paree qu'il n'a jamais été le mien.. J'ai cru dans monenfance par autorité , dans ma jeuneffe par fentiment, dans mon age mür p3r raifon ; maintenant je crois, paree que j'ai toujours cru. Tandis que ma mémoire étainte ne me reroet plus fur la tracé de mes raifonnemens , tandis qua ma judiciaire affoiblie ne me permet plus de les recommencer-, les opinions qui en ont réfulté. me raftent dans toute leur force ,- & fans que j'aie la volon. é ni le Cüur ige de les mettre derechef en-déJibération, je m'y tiens en confiance & en confeience - certai» ■ «ïaTOir.. appjité dans la viguaur de mon- jugement Jl : A. H  T$ E E T T R E 5 O' E' léurs difcuffions toute l'attention & Ia' bonne foi dont j'étois capable. Si je me fuis trorrpé, ca n'eft pas ma faute, c'eft^celle de Ia nature, qui n'a pasdonné a ma téte une p'us grande mefure d'inte,'!. gence & de raifon.. Je n'ai rien de pius aujcurd'hui, j'ai beaucoup de moins. Sur qnel fondement recommencerois-je done a détibérer ? Le moment prefle; le départ approcbe. Je n'aurois jamais le tams ni la force d'acbever le grand travail d une refonte. Permettez qu a tout événement j'emporte avec moi la confift#nce & la fometé d'un homme, non les doutes décourageans & timides d'ua vieux radoteur. A ce qua je puis me rappeller de mes anciennes idéfs, k ce que j'appercois de Ia tnarcbe des vótres, je vois que n'ayant pas fuivi dans nos recherches Ia même route, il eft peu étonnant que nous ne foyons pas arrivés a la même conclufion. Balancant les preuves de 1'exiftence de Dieu avec les difficultés , vous n'avez trouvé aucun des cótés affez prépondérant pour vous décider. & vous êtes refté dans Ie doute : ce n'eft pas comme cela que je fis.J'examinai tous les fyftêmes fur Ia formation de 1'univers que j'avois pu connclue. Je méditai fur oeux que je pouvo:s imaginer. Je les comparai tous de mon mieux: & je me décidai, non pour celui qui ne m'offroit point de difficultés, earils m'en offroient tous; mais pour celui qui me paroiffoit en avoir le moins. Je me dis que ces difficultés étoient dans la nature de Ia chofa, que la contem*-  j. J. R O t7 s s E A tj. T$. j plation de 1'infini pafferoit toujours les hornes de mon entendement; que ne devant jamais efpérer de concevoir pleinement le fyftême de la nature, tout ce que je pouvois faire, étoit de le confidérer par les cótés que je pouvois faifir ; qu'il falloït favoir ignorer en paix tout le refte;. & j'avoue qüe dans ces recherches je penfai comme les gens dont vous parlez, qui ne rejettent pas- une vérité claire ou fuffifamment prouvéë, pour les diiïïcultés qui raccompagnerct & qu'on ne fauroit lever. J'avois «Iots , je 1'avoue, une confiance fi témérafre, eu du moins une fi forte perfuafion, que j'auroi's défié tout philofophe de propofer aucun autre fyftêmeintelligible fur la nature, auqjiel je n'euffe oppofé des objeftions plus fortes, plus invincibles , qua •celles qu'il pouvoit m'oppofer fur le mien , & alorsil falloït me réfoudre arefter fans rien croire, comme vous faites, ce qui ne dépendoit pas de moi, ou mal raifonner, ou croire eomnae j'ai fait. Une idéé qui me vint il y a trente ans , a: peut-ê( re plus contribué qu'aucune autre a me rendre inébranlable- Suppofons., medifois-je, Ie genre humain vieilli jufqu'a ce jour dars le plus complet matérialifme, fans. que jamais idéé de divinité ni d'ame foit entrée dans aucun efprit humain.- Suppofons que 1'athéifme philofophique ait épuifé tous fes fyftêmes pour expFquer la formation & la marche de 1'univers par le feul. jeu de •la matiere & du mouvement néceffaire, mot avjqutT du refte je n'ai jamais rien conou. Dans eet état,  Tö"' £ E T T R' E S B E' Monfieur, excufez ma franchife.je fuppofois eneore-ce que j'ai toujours vu, & ce que je fentois devo r être; qu'au lieu de fe repofer trantjuillement dat s ces fyftêmes, comme dans-le fein de la vérité , leurs inquiets- partifans- cberchoient fans ceffe a' parler de leur doftrine, a Tédaircir, a J'étendre, a 1'expliquer , Ia pallier, Ia corriger, & comme celui qui fent trembler fous fes pieds la maifon> qu'il babite , a I'étayer de nouveaux argumans. Tèrminons enfin ces fuppofitions par ceile d'un Platon, d'un Clarcke , qui , fe levant tout d'un c-pup au milieu d'eux, leur eut dit : „ mes smis,. „ fi vous euffiez commencé 1'analyfe de eet univers „ par ceile de vous-mémes , vous euffiez trouvé„ dans Ia nature de votre être la clef de la confti„ tution de ce même univers, que vous cherchez „ en vain fans cela." Qu'enfkite leur expliquant la diftinction des deux fubftances, il leur eut prouvé par les propriétés même de Ia matiere, qae. quoi. ^u-'en dife Locke , la fuppofition de la matiere penfante eft une véritable ab'fiird.té; Qu'il leur. eüt fait vair quelle eft la nature de 1'être vraiment aftif & penfant, & que de 1'établiffcment de eet' étre qui juge, il fiit enfin remonté aux rotions confufes, maisfures, de 1'être fuprême: qui peut douter que, frappés de 1'éclat, de Ja fimplicité, de la vérité, de Ia bsauté de cette raviffante idéé, les morte's jufqu'a.'ors aveugles, éclair és des ptemiers rayons de la Divinité-, ne luf euffent offert par aoclamaüoo leurs premiers hommages  J. }. R O V S S E A V- ÏT & que les penfeurs furtout & les pbilofophes n'eusfènt rougi d'avoir contemplé fi longtems les debors de cette machine immenfe , fans trouver , fans föupconner même la c!ef de fa conftitution , & toujours groffiérement bornés par leurs fens, de n'avo:r jamais fu voir que matiere , oü tout leur montroit qu'une autre fubftance donnoit la vie i 1'univers & l'intelligence a 1'bomme. C'eft alors, Monfieur, que la mode eut été pour cette nouvelle philofophie, que les jeunes getis & les fages ft! fuffent trom-és d'accord, qu'une doctrine fi belle, fi fublime, fi douee & fi confolante pour tout homme jufie, eut réellementexcité tous les hommes k la vertu, & que ce beau mot A'humanité, rebattu maintenant jufqu'a la fadeur, jufqu'au ridicule, par les gens du monde les moins humains , eüt éié plus empreint dans les coeurs que dans les livres. II eüt donc- fiiffi- d'une fimple tranfpofuion de tems pour faire prendre tout le. contre - pied a la mode philofophique, avec cette différence que ceile d'aiir jourd'hui , malgré fon clinquant de paroles , ne nous promet pas une génération bien eftimable, ni des pbilofophes bien vertueux- Vous obje&ez, Monfieur, que fi Dieu eüt voulu obliger les hommes a le connoitre, il eüt mis fon exiftence en évidence a tous les yeux. C'eft a ceux qui font de Ia foi en Dieu un dogme néceffaire au falut, de répondre k cette objection , & ils y lépondent par Ia révélation. Quant a moi, qui crois en Dieu fans croire cette foi néceffaire,.je.ns.  LlTTJIS DE vois pas pourquoi Ditu fe fcroit obligé de nous Ia donner. Je penfe que chncun fera jugé, non fur ce qu'il a ciu, mais fur ce qu*i! a fait, & je ne crois point qüun fyftême de doctrine foit néceffaire aux oeuvres, papce, que la confcience en tient lieu. Je crois bien, il tft vrai , qu'il faut être de fconne foi dans fa ctoyar.ce, & ne pas s'en faire un fyftême favorable a t os paffior.s. Comme nous ne fommes p-;s tout intelligence, nous ne faurions pbilofopher avec tant de définréref&mant que notre volonté n'infhie un peu fur nos cpinions ; 1'on peut fouvent juger des Lcretes inc'inations d'un hommepar fes fentimens pure ment fpécularifs; & eela pofé, je panfe qu'il fe pourroit bien que celui qui n'a pas voulu croire, fut puni pour n'avoir pas ciu. C e p. j; u d j n t je erois qua Dien s'eft fuffifamment révélé aux hommes & par fes oeuvres & dans leurs cours, & s'il y en a qui ne le connoifTent pas, c'eft, felon moi, paree qu'ils ne veulent pas le conncicre, ou paree qu'ils n'en ont pas befoin. Dans ce dernitr cas tft l'homme fauvage & &ns culture, qui n'a fait encore aucun ufage de ü raifon, qui, gouverné feulement par fes appétits, n'a pas befoin d'autre guide, & qui ne fuivant que I'inftinft de la nature, marche par des mouvemens toujours droits. Cet homme ne connoit pas Dieu, mais i) ne 1'oflfenfe pas. Dans 1'autre cas, au «mtraire, tftle phiff phe, qui, a farce de voutoir exalter fon intelligesee, de rafiner, de fubttfifer  J, J. R o u- s S? E A v. fur ce quJon penfa jufqu'a lui , ébranle enfin tous les axiomes de la ra'fon -fimple & primitive , & pour vöuloir toujours favoir plus & mieux que Us autres, parvient a ne rien favoir du tout. L'hora. me a la fois raifonnable & modefte, dont lenten-. dement exercë, mais borné , fent fes limites & s'y renferme, ti ouve dans ces limites Ia notion de fon ame & ceile de 1'auteur de fon être, fans pouvoir paffer au-dtla pour rendre ees notions claires, & contempler d'aufll prés 1'une 6c Fautre que s'il étoit luknême un pur efprir. Alors faifi de refpeft il s'anête & ne touche point au voile, content de favoir que I'Etre irxmenfe eft deffous. Voila jufqu'oü la'philofophie eft utile a Ia pratique.. Le refte n'eft plus qu'une fpéculat'on o'fcufe, pour laquelte rhomme n'a point été fait , dont le raifonneur mödérë s'abftient, & dans laquelle n'entre poi&t rhomme vulgaire. Ctt homme qui n'eft ni ime. fciute ni un proJige, eft l'homme proprement óit, moyen entre fes deux extrêmes, & qui compofe les dix-neuf vingtiemes du genre humain. C'eft a cette claffe r.ombreüfe de chantcr le pfeaume Cieli enanant, & c'eft tlle en effet qui le chante. Tous les peuples de la terre connoiffent & adorent Dieu, & quoique chacun 1'habille a fa mode , fous tous ces vêtemens divers on trotive pourtant toujours Dieu. Le petit ncmbre d'élite qui a de plus hautes prétentions de doftrine, & dont le génie ne fe borne pas au fens commun, en veut un plus tramfcendant; ce n'eft pas de quoi je Ie blame : ma;s  £0 Lettres de qu'il parte de-la pour fe metfre a Ia place du genre humain, & dire que Dieu s'efï eaché aux hommes, paree que lui petit r.ombre ne Ie voit plus , je trouve en cela qu'il a tort. II peut arriver, j'en eonviens, que le torrent de la mode & fejea de T'intrigue étendentla feite philofophiqus & perfuadent un moment a Ia multitude qu'elle ne croit p'us en Dieu: mais cette mode pafTagtre ne peut durer, & comme qu'on s'y prenne, il faudra toujours a la longue un Dieu a l'homme.. El fin, quand forcan* te nature des chofes, Ia Divinité augmenteroit pour nousd'évidence, je ne doute pas que dans le nouveau lycée on n'augmentat en même raifon de fubtilité pot;r la nier. La raifon prend a la longue le pit que le cceur lui donne, & quand on veut panfer en tout autrement que lepeuple, on en vient a bout tót ou tard;- Tout ceci, Monfieur, ne vous paroit gueres philofophique, ni a moi non plus; rnais toujours de bonne foi avec moi-même, je fens fe joindre a mes raifonnemens , quoique fimples , le poids de 1'affentiment in'étieur. Vous voulez qu'on s'en défie; je ne faurois penfer comme vous fur ce point, & je trouve au. contraire dans ce jugemant ir terne une fauve-garde naturelle contre les fbphifmts de ma raifon. Je erains rr.ême qu'en cette occafion vous ne confondiez les p;nchans fecrets de notre cceur qui nous égarent, avec ce dictamen plus fecret, plus interne encore , q ü iidame & mummie contre ces décifions intérefféest,.  J. J, R o jj s s e a u. at <& nous ramene en dépit de nous fur la route de ■la vérité. Ce fentiment intérieur eft celui de la nature elle - même ; c'eft un appel de fa part contre les fophifmes de Ia raifon, & ce qui Ie prouve, eft qu'il ne parle jamais plus fort que quand notre volonté cede avec le plus de complaifance aux jugemens qu'il s'obftïne a rejetter. Loin de croire que qui juge d'après lui foit fujet a fe tromper, je crois que jamais il ne nous trompe, ■& qu'il eft la lumiere de notre foible entendement, lorfque nous voulons aller plus loin que ce que nous pouvons concevoir. E T après tout, combien de fois la philofophie elle - même, avec toute fa fierté , n'eft - elle pas forcée de recourir k ce jugement interne qu'elle affeéce de méprifer! N'étoit-ce pas lui ftul qui faifoit marcher Diogene pour touce réponfe devant Zénon qui nioit Ie mouvement? N'étoit-ce pas par lui que toute 1'antiquité philofcphique répondoit aux Pyrrhoniens ? N'allons pas fi loin: tandis ,que toute la philofophie moderne rejette les efprits, ■tout d'un coup 1'Evêque Berkley s'éleve & foutient qu'il n'y a point de corps- Comment eft - on venu a bout de répondre a ce terrible Iogicien? Ote? le fentiment intérieur, & je défio tous les philofop'"ies modernes enfemble de prouver a Berkley qu'il y a des corps. Bon jeune homrrie, qui me paroiffez fi bien-né; de la bonne foi, je vous en conjure, & psrmettez que je vous cite ici ua auteur qui ne vous fera pas fufpsct, celui des  55 Lettres dè Penfées Pbilofophiques. Qu'un homme vienne vous dire que, projettant au hafard une multitude de carafteres d'in primerie , il a vu 1'Enéïde toute arrangée réftilter de ce jet: convenez qu'au lieu d'aller vérifler cette merveïlle, vous lui répondrez froidement: „ Monfieur, cela ri'eft pas impoffi. „ blei mais vous mentez." En vertu de quoi, je vous prie, lui répondrez-vous ainfi? Eh ! qui ne fait que fans le fentiment interne, il ne refteroit bientót plus de traces de vérité fur h ter-re, que nous ferions tous fucceffivement Ie jouet des opinions les plus monftrueufes, è mefure oue ceux qui les foutiendroient, auroient plus de génie, d'adrelTe & d'efprir, & qu'enfin réduits a rougir de notre raifon même, nous ne fauriors bientót plus que croire ni que penfer. Mais ks objeclions fans doute il y en a d'infolubles pour nous & beau coup, je le faif. Mais encore un coup, donnez-moi un fyftême ou il n'y en alt pas, ou dites-moi comment je dois me déterminer. Bien plus ,• par la nature de mori fyftême , pourvu que mes preuves direcf.es foient bien établies, les difficultés ne doivent pasm'arrê ter; vu 1'impoffibilité oü je fuis, moi être mixte, de raifonner «xaftement fur les efprits purs & d'efi obferver fuffifamment la nature. Mais vous, maténalifte , qui me parlez d'une fubftance unique, palpable & foumife par fa nature a 1'infpeclion des ,fcns, vous êtes obligé non - feulement de ne me Hfa dire que de clair, de bien prouvé, mais de  J. J. R o u s s e a 0. aj ■réfoudre toutes mes difficultés d'une facon pleine> Jherit fatisfaifante, paree que nous p'offédons, vous & moi, tous les .inflrumens néceffaires a c;tte folution. Et , par exemple , quand vous fakes naitre la psnfée des combinaifons de la matiere, Vous devez me montrer fenlïblement ces 'combinaiföns & leur réfultat par les furies loix de la phyfique & de Ia mécanique, puifque vous n'en adtnettez point d'autres. Vous Epicurien, vous fcompofez 1'arhe d'atömes fubti's. Mais qu'appallez- vous fubtils, je vous prie? Vous favëz que nous ne connoiffons point de dimënfions abfolues, 8t rien n'eft petit ou grand que relativement a 1'ceil qui le regarde. Je prends par fuppofition, un mi'crofco'pe fuffifant & je regarde un de vos atomes- Je vois un grand quartier de rocber crechu. De la danfe & de 1'accrcchement de pareils 'qüartiers j'attends de voir ïéfulrer la parifée. Vous Moderüifce, vous me montrez une molécule organique. Je prends mon microfcopa, & je vois un dragon grand comme la moitié de ma cbambre : j'atttends de voir fe mouler- & s'entortiller de pareils dragons, jufqu'a ce que je voie réfulter du tout un être non-f.ulement organifé, mais intelligent, c'eft-a-dire un être non aggrégatif & qui foit rigoureüfement un, &c.. Vóus me marquiez,. •Monfieur, que le monde s'étoit' fortüitamsnt arrangé comrne la Républiqüe Romaine. Pour que la parité füt jufte, ilfaüdroit que la Républiqüe Romaine n'eütpas été compofée av„c des hommes,  14- Lettres b e mais avec des morceaux de bois. Montrez- moi clairement & fenfiblement la génération purement matérielle du premier être intelligent; je ne vous demande rien de plus. M a i s fi tout eft 1'ceuvre d'un Etre intelligent, puifiant, bienfaifant, d'oü vient le mal fur la terre ? Je vous avoue que cette difficulré fi terrible ne m'a jamais beaucoup frappé; foit que je ne 1'aie pas bien concue, foit qu'en effet elle n'ait pas toute la folidité qu'elle paroit avoir. Nos philofophes fe font élevés contre les entités ïnétaphyfiques, & je ne connois perfonne qui en faffe tant. Qu'entendent-ils par le mal? qu'eft-ce que le mal en hzi - même ? oü eft le mal, relativement a Ia nature & a fon auteur ? L'univers fubfifte, 1'orJre y regne & s'y conferve; tout y périt fucceffivement, paree que telle eft la loi des ctres matériels & müs; mais tout s'y renouvelle & rien n'y dégénéré; paree que tel eft I 'o, dre de fon auteur, & eet ordre ne fe dement point. Je ne vois aucun mal a tout ctla. Mais quand je fotiffre, n'eft-ce pas un mal? Quand je meurs, n'eft - ce pas un mal ? Doucement: je fuis fujet a la mort, paree que j'ai regu la vie. 11 n'y avoit rour moi qu'un moyen de ne point mourir; c'étoit de ne jamais naltre. La vie eft un bien pofitif, mais fini , dont le terme s'appelle mort. Le terme du pofitif n'eft pas le négatif, il eft zéro. La mort nous eft terrible, & nous appellons cette terreur un mal. La douleur eft enccre un mal pour  J. J. ït O U s s E A U. 25 pour celui qui fouffre, j'en conviens. Mais la douleur & le plaifir étoient les feuls moyens d'attacher un être fenfible & périffable a fa propre confervation , & ces moyens font ménagés avec une bonté digne de I'Etre fupi ême. Au moment même que j'écris ceci, je viens encore d'éprouver combien la ceffation fubite d'une douleur aiguë eft un plaifir vif & délicieux. Moferoit-on dire que la ceffation du plaifir le plus vif foit une douleur aiguë ? La douce jouiffance de la vie eft permanente; il fjffit pour la goüter de ne pas fouffrir. La douleur n'eft qu'un avertiffement, importun, mais néceffaire, que ce bien qui nous" eft fi cher eft en péril. Quand je regardois de prés a tout cela , je trouvai, je prouvai peutêtre, que Ie fentiment de Ia mort & celui de la douleur eft prefque nul dans 1'ordre de la nature. Ce font lés hommes qui Tont aiguifé. Sans leurs >rafinemens infenfés , • fans leurs ihftitutions barbires, les maux phyfiques ne nous atteindroient, nejaous affeóteroient gueres, & nous ne fentirions point la moit. Mais le mal moral! autre ouvrage de l'homme, auquel Dieu n'a d'autre part que de I'avoir fait libre & en c;la femblable a lui. Faudra-t-il donc s'en prendre a Dieu des crimes des hommes & des maux qu'ils leur attirent ? Faudra-t-il, en voyant un champ de bataille, lui reprocher d'avoir cféé tant de jambes & de bras caffés ? P 0 u a q u 01, direz - vous, avcir fait l'homme Lettres. K  ig> L E T T B E S » ET libre, puifqu'il devoit abuftr de fa liberté? Ah', Monfieur de***, s'il exifta jamais un mortel qui n'en ait pas abufé, es mortel feul honore plus r'humanitë qus tous les fcélérats qui couvrent Ia terre ne la dégradent. Mon Dieu! donne-nui des veitus, & me place un jour auprés des Fénelons, desCatons, des Socrates. Que m'impoitera le refte du genre humain? Je ne rougirai point d'avoir été homme. J E vous 1'ai dit, Monfieur, il s'agit iet de mon fentiment, non de mes preuves & vous ne le voyez que trop. Je me fouviens d'avor jadis rencontré fur mon chemin cette queftion de 1'origine du mal 8c de 1'avoir effleurée i mais vous n'avez poirt lu ces rabacheries , & moi je les ai oubliéts: nous avons trés-bien fait tous deux- Tout ce que je fais eft que la facilité que je trouvois a les réfoudre, venoit de 1'opinion que j'ai toujours eue de la co-exiftence étcrnelle de deux princ'pes; 1'un aftif, qui eft Dieu; 1'autre paffif, qui eft Ia matiere, que 1'être aftif combine & mo.ufle avec une pleine puiffance , mais pourtant fans 1'avoir créée & fans la pouvoir anéantir. Cette opinion m'a fait huer des philofophes a qui je 1'ai dite: ils 1'ont décidée abfurde & contradictoire. Cela peut être, mais elle ne m'a pas pa.u telle, & j'y ai trouvé 1'avantage d'expliquer fans peine & dairement a mon gré , tant de queftions dans Jefquelles ils s'embiouillent; entt'autres ceile que vous m'avez propofée ici comme icfoluble.  J- J. R O V S S E A TT." i7 Aü refte, j'ofe croire que mon fentiment peu - pondérant fur toute autre matiere, doit 1'être un peu fur celle-ci, & quand vous connoltrez mieux ma deftinée, quelque jour vous direz psut-étre, en penfant a moi: queI autre a droit d'agrandir h mefure qu'il a trouvée aux maux que l'homme fouffre ici-bas! —Vous attribuez a la difficulté de cette m*ma queftlon dont le fanatifme & la fuperftitlon ont abufe, les maux que les religfoas ont caufés fur la terre. Cela peut étre, & /e vous avoue même que toutes les formules en matiere de foi ne m- * parojffent qu'autant de cbalnes d'iniquité , de fauffete , d'bypocrifie & de tyrannie. Mais ne foyons jamais injuftes , & pour aggraver le mal n'ótons pas Je bien. Arracher toute croyance en Dieu du cceur des hommes, c'eft y détruire toute vertu. C'eft mon opinion, Monfieur, peut-être elle eft fauffe, mais tant que c'eft la mienne je ne ferai point aflez lache pour vous la diffimuler. Faire le bien eft 1'occupation Ia plus douca dun homme bien-né. Sa probité, fa bienfufance ne font point I'ouvrage de fes principes, mais celui de fon bon naturel. II cede a fes penchans en pratiquant Ia juftice, comme le méchant cede aux fiens en pratiquant 1'iniquité. Contenter le goüt qui nous porte a bien faire eft bonté, mais non pas vertu. C e mot de vertu Ggniüsforce. jj ny a poiat de vertu fans combat , il „>y en a point fan3 B z  28 Lettres de vicloire. La vertu ne confifte pas feulement 4 être jufte, mais 4 1'être en triomphant de fes pafïïons, en régnant fur fon propre cceur. Titus rendar.t heureux le peuple romain , verfant partout les graces & les bienfaits, pouvoit ne pas perdre un feul jour & n'ètre pas vertueux: il le fut certainement en renroyant Bérénice. Brutus faifant mourir fes enfans, pouvoit n'être que jutte. Mais Brutus étoit un tendre pere ; pour faire fon devoir il déchira fes entrailles, & Brutus fut vertueux. Vous voyez ici d'avance la queftion remife 4 fon point. Ce divin fimulacre dont vous me parlez, s'offre 4 moi fous une image qui n'eft pas ignoble, & je crois fentir 4 l'impreflion que cette image fait dans mon cceur, la chaleur qu'elle eft capable de produire. Mais ce fimulacre enfin n'eft encore qu'une de ces entités métaphyfiques, dont vous ne voulez pas que les hommes fe faffent des Dieux. C'eft un pur objet de contemplationJufqu'oü portez-vous l'tffet de cette contemplation fubiime? Si vous ne voulez qu'en tirer un nouvel e'rxouragemcnt pour bien faire, je fuis d'accord •avec vous: mais ce n'eft pas de cela qu'il s'agit. Suppofons votre cceur honnête en proie aux paffions les plus terribles, dont vous n'êtes pas 4 1'abri, puifqu'enfin vous êtes homme. Cette image qui dans le calme s'y peint fi ravifiante, n'y perdra -1 - elle rien de fes charmes & ne s'y ternira -1 - elle point au milieu dts flots ? Ecartons la fuppofition  J. J. R o u s s e x vl as> dëcourageante & terrible des périls qui peuvent tenter ia vertu mife au dékfpoir. Suppofons feulement qu'un cceur trop fenfible brüle d'un amour involontaire pour lafille ou Ia femme de fon ami , qu'il foit maitre de jouïr d'elle entre le ciel qui n'en voit rien, & lui qui n'en veut rien dire a perfonne; que fa flgure charmante 1'atcire ornée de tous les tittraits de Ia beauté & de la yolupté; au moment oü fes fens enivrés font prêts a fe livrer a leurs déüces, cette image abftraite de 3a vertu viendra - t-elle difputer fon cceur a 1'objet réel qui le frappe ? Lui paroitra-t-elle en eet inftant ia plus belle ? L'arrachera -1 - elle des bras de ceile qu'il aime, pour fö Jivrer a Ia vaine conterrip'atïon d'un fantóme qu'il fait être fans réalité? Finira-t-il comme lbfepfr, Sc laiffera-t-il fon manteau? Non , Monfieur, il fermsra les yeux & fuccombera. Le croyant, direz-vous\ fuccombera de même. Oui, l'homme foible; celui, par exemple, qui vous écrit: mais donnez-leur ' a tous deux le même degré de force, & voyez ia d:fférence du point d'appui. Le moyen, Monfieur, de réfifter a des tentations violentes quand on peut leur céder fans cramte, en fe dffant, a quoi bon réfifter? Pour etre vertueux , le philofophe a befoin de 1'être aux yeux des hommesmais fous les yeux de Dieu le jufte eft bien fort. II compte cette vie , & fes biens & fes maux & toute fa gloriole pour fi peu de chofe! il appercoit tant au-dela? Force B 3  3©- Lettres b e invirxible de la vertu, nul ne te connoit que celui qui fent tout fon être, & qui fait qu'il n'eft pas au pouvoir des hommes d'en difpofer. Lifezvous quelquefois la Républiqüe de Platon? Voyei dans le fecond dialogue avec qüelle énergie 1'ami de Socrate, dont j'ai oublié le nom, lui peint ie jufte accablé des cutrages de Ia fortune & des injuftices des hommes, diffamé, perfécuté, tourment é, en proie a tout 1'opprobre du crime, & méritant tous les prix de Ia vertu, voyant dtj-a la mort qui s'approche & fur que la haine des méchans n'épargneia pas fa mémoire, quand ils ne pourront plus rien fur fa petfunne. Quel tableau décourageant, fi rien pouvoit décourager la vertu! Socrate lui-même effiayé s'écrie , & croit devoir invoquer les Dieux avant de répondre; mais fans 1'efpoir d'une autre vie , il auro't mal répondu pour celle-ci. Tou'efois, dfu-il finir pour nous a la mort, ce qui ne peut ê:re fi Dieu eft jufte & par conféquent s'il ex'fte, 1'idée feule de cette exiftence feroit encore pour l'homme un encouragement a la vertu & une confolation dans fis miferes, dont manque celui qui fe croyant ifolé dans eet univers, ne fent au fond de fon cceur aucun corfidert de fts penfées. C'eft toujours une douceur dans 1'adverfité d'avoir un témoin qu'on ne 1'a pas méritée; c'eft un orgueil vraiment digne de Ia veitu de pouvoir dire k Dieu: ,, Tol „ qui lis dans mon coeur, tu vois que j'ufe en M ame foïte & en homme jufta de la liberté que  J. ' J. R O" U S S E A W. 31 ,', tu m'as donnée." Le vrai croyant qui fe fent partout fous 1'ceil éternel, aime a s'bonorer a Ia face du ciel d'avoir rempli fes devoirs fur la terre. Vous voyez que je ne vous ai point difputé ce fimulacre que vous m'avez préfenté pour uniqiïe objet des vertus du fage. Mais , mon cber Monfieur, revenez maintenant è vous, & voyez combien eet ob;et eft inalliabïe , incompatible avec vos princ pes. Comment ne fentez-vous pas qua cette même loi de la néceffité qui feule regie, felon vous, la marche du monde & tous les événemens, regie auffi toutes les actions des hommes y toutes les penfées de leurs têtes, tous les fentimens de leurs cceuvs, que rien n'eft libre, que tout eft forcé, néceliaire, inévitable, que tcus les mouvomens de l'homme dirigés par la matiere aveugle ne dépendent de la volonté, que paree que fa volonté même dépend 'de la nëceflité : qu'il n'y a par conféquent ni vertus ni vices , ni mérite ni démérita, ni moralité dans les a&ions humaines, & que c;s mots d'honnête homme ou de feéléiat doivent être potir vous totalement vuides de fens. Ils ne le font pas, toutefois, j'en fuis trés - für, Votre honr/ête cceur en dép.'t de vos argumets réclame contre votre trifté philofophie. Le fentiment de la hberté, le chaime de la vertu fe font fentir a vous malgré vous, & voila comment de toutes parts cette forte & faliraire voix du fentiment intérieur rappelle au fein de la vérité & de te vertu tout homme que fa raifon mal conduite B 4  32 Lettres de égare. Béniffez, Monfieur, cette fainte,& bien. faifante voix qui vous ramene aux devoirs da rhomme, que Ia pbilofi phie a Ia mode finiroit par vous faire oublier. Ne vous livrez a vos argumens que quand vous les fentez d'accord avec le dictamen de votre confcience, & toutes les fois que vous y fentirez de Ia contradiótton, foyez fur que ce font eux qui vous trompsnt. Q uoi qu e je ne veuüle pas ergoter avec vous ni fuivre pied a pied vos deux lettres, je ne puis cependant ma refufer un mot a dire fur le parallele du fage Hébreu & du fage Grec. Comme admirateur de l'an & de 1'autre, je ne puis gueres être fufpect de pré^ugés en parlant d'eux. Je ne vous crois pas dans le même cas. Je fuis peu fuipris que vous donniez au fecond tout 1'avantage. Vcus n'avez pas affez fait connoiffance avec 1'autre, & vous n'avez pas pris affez de foin pour dégager ce qui eft viaiment a lui, de ce qui lui eft étianger & qui le dén'gure a vos yeux, comme a ceux de bien d'autres gens qui, felon moi, n'y ont pas regardé de plus prés qua vous. Si Jéfus fut né a Athenes & Socrate a Jéiufalem , que ?la:on & Xénop\on euffent écrit la vie du premier, Luc & Matthieu ceile de 1'autre, vous changeriez b.aucoup de langage, & ca qui lui fait tort dans' votre efprit , eft précifément ce qui rend fon é'évation d'ame p'us étonnante & plus admirable, favoir, fa na'ffanca en Judée , cbez le plus vil peupla qui peut-être exiftat alors; au lieu que  J. J. R O U S S E A v. 33 Socrate, né chez le pjpe inftmit & le plus aünable, trouva tous les fecours dont il avoit befoin p->ur s'élever aifément au ton qu'il prit. 11 s'él'.'va contre les fophiftes , comme Jéfus contre les prêtres , avec cette différence que Socrate imJta fouvent fés antagoniftes, & que fi fa belle & douci mort n'eüt honoré fa vie, il eüt paffé pour un fophifte comme eux. Pour Jéfus, le vol fublmie que prit fa grande ame, 1'éleva toujours au-deffus de tous les mortels, & depuis 1'age de douze ans jufqu'au moment qu'il expira dans Ja plus cruelle, ainfi que dans la plus fnfame de toutes les motts, il ne fe démeniit pas un moment. Son noble projet étoit de relever fon peuple, d'en faire deréchef un peuple 1 bre & digne de 1'être; car c'étoit par-la qu'il falloït coromencer. L'étude profonde qu'il fit de la loi de Moïfe , fes efforts pour en réveiller 1'entboufiafme & lamour dans les cceurs montrerent fon but , autant qu'il étoit poffible, pour ne pas effaroucher les Romains. Mais fes vils & lachts compatriotes , au lieu de 1'écouter le prirent en haine, précifément a caufe de fon génieei de fa vertu qui leur reprochoient leur indignité. Enfin, ce ne fut qu'après avoir vu l'impoffibiliré d'exécuter fon projet qu'il 1'étendit dans fa tlte, & que, ne pouvant faire par lui-même une révolution chez fon peuple, il voulut en faire une par fes difc pies dans 1'univers, Ce qui l'empêc'-.a de réulïïr dans fon prenrerplan, outre la haffelTe de fon peuple fecapabie de toute vertu, fut la nor B 5  34- Lettre? » ï grande douceur de fon pijpte caraétere; douceur qui tient plus de 1'ange & du Dieu que de l'homme, qui ne 1'abandonna pas un inftant, même fur Ia croix, & qui fait verfer des torrens de laimes a qui fa't lire fa vie comme il faut, a travers les fatras dont ces pauvres gens I'ont défigurée. Heureufement ils ont refpefté & tranfcrit fidellement fes difcours qu'ils n'entendoient pas; ötez quelques tours orientaux ou mal rendus, on n'y voit pas un mot qui ne foit digne de lui, & c'eft-la qu'on reconnoit l'homme divin, qui, de fi pietres difciplrs, a fait pourtant dans^leur groffier, ma's fier enihoufiafme, des hommes éloquens & courageux. Vous m'objeftez qu'il a fait des miracles. Cette objection feroit terrible fi elle étoit jufte Mais vous favez, Monfieur, ou du moins vous pourriez favoir que , felon moi , loin que Jéfus ait fait des miracles, il a déclaré très-pofitivemenf qu'il. n'en feroit point, & a marqué un trés-grand mépris pour ceux qui en demandoient. Q u e de chofes me refteroient a dire! Ma's cette kttre eft énorme. II faut finir. Voici la derniere fois que je reviendrai fur ces matieres. j'ai voulu vous complaire, Monfieur, je ne m'en repens point; au contraire, je vous remercie de m'avoir fait reprendreun fild'idéesprefqueeffacées , nms dont les reftes peuvent avoir pour moi leur uiage flans 1'état oü je fuis. AniEu, Monfieur,. fouvenez - vous quelquefois. d'un homme que vous auriez aimé-, je m'en  j. j. R o TJ S s e A Ü. 3Y flatte, quand vous 1'auriez mieux connu, & qui s'eft occupé de vous dans des momens- oü i'oh ne s'occupe gueres que de foi-même. II Ie. L e t t. a e A M. l'Abbé Raynal,- alors Auteur du Mercure de France. Paris, Ie 25 Juillet 175c- u s lé voulez , Monfieur, je ne réfifte plus • il faut vous ouvrir un porte-feuille qui n'étoit pasdeftiné a voir le jour, & qui en eft très-peu digne, Les plaintes du- public fur ce déluge de mauvais écrits dont on I'inonde journellement, m'ont affez appris qu'il n'a que faire des miens; & de mon coté, la réputation d'auteur médiocre, a laquelie fcule j'aurois pu afpirer, a peu flatté mon ambition. N'ayant pu vaincre mon pencbant pour les lettres, j'ai prefque toujours écrit pour moi feul (*) ; & le public ni mes am:s n'auront pas a fe plaindre que j'aie été pour eux Recitator acerbus. Or, on eft toujours indulgent a foi-même, & des écrits ainfi deftinés a 1'obfcurité, 1'auteur même eut-il du talent, rrianqueront toujours de ce feu que (*) Pour juger fi ce langage étoit fincere, on Voudra bien faire attention que celui qui parloit ainfi dans une leicre publique, avoit alors prés de quarantt ruis. B 6"  36 Lettres de donne I'émulation, & de cette correftion dont Is feul defir de plaire peut furmonter le dégoüt. Une chofe firguliere, c'eft qu'ayant autrefois publié un feul ouvrage (*) oii certainement il n'eft point qu< ftion de poélle, on me faiTe aujourd'hui poëte malgré moi; on vient tous les jouts me faire compliment fur des comédies & d'autres pieces de vers que je n'ai point faites, & que je ne fuis pas.capable de faire. C'eft 1'identité du nom de 1'auteur & du mien, qui m'attire eet honneur. J'en ferois flatté, fans doute, fi 1'on pouvoit 1'être d.s éloges qu'on dérebe a autrui; mats louer un homme de chofis qui font au-deflus de fes forces, c'eft le faire forger a fa foibleffe. Je m'étois effayé, je 1'avoue, dans Ie genre lyr'que, par un ouvrage loué des amateurs, décrié des artiftes, & que la réunion de deux arts difljciles a fait exclure par ces derniers, avec autar.t de chaleur que fi en effet il eüt été excellent. Je m'étois imaginé, en vrai Suiffe, que pour réuffir il ne falloit que bien faire ; mais ayant vn par 1'expérience d'autrui, que bien faire eft le premier & le plus grand obftacle qu'on trouve k fin monter dans cette carrière; & ayant éprouvé même qu'il y faut d'autres talens que je ne puis ni ne veux avoir, je me fuis b&té de rentrer dans 1'obfcurité qui convient également ames talens & , (*} Diflèrration Tar Iamufique moderne, A Paris, diez Quillao; Pere,, 174,3,  J» J. R O U 5 S E A ü. 21 ï mon caradere, & öü vous devriez me laiffer pour 1'honneur de votre journal; Je fuis &c. IV2- Lettre Au même , fur l'uftige dangereux des uflenfües de cuivre. Jufliét 1753. Je crois, Monfieur, que vous verrez avec plaifir l'extrait ci-joint d'une lettre de Stockholm, que Ia petfonne a qui elle eft adreffée- me charge de vous prier d'inférer dans Ie Mercure. L'objet en eft de laderniere importance pour Ia vie des hommes ; & plus Ia régligence du public eft exceffïve a eet égard, plus lesVtoyens éclairés doivent redoubler de zele & d'aétivité pour Ia vair ere. Tous les chymiftes de 1'Europe nous avertisfent depuis longtems des mortelles qualités du cuivre, & des daugers auxquels on s'expofe en faifant ufage de ce pernicieux métal dans les batteries de cuifine. M. Rouelle de l'Académie des Sciences, eft cela: qui en a démontré plus fenfibkment les funeftes efFets, & qu* S'en elt plaitt avec le plus devéhémence. M. Thierri, dofteur en médecine, a réuni dans une favante thefe qu'il foutint en ïU9, fous la préfidence de M. Falconnet, une B 1  Lettres de- multitude de preuves capables d'effrayer tout hornmV raïonnable qui fa;t quelque cas de fa vie & de ceile de fes concitoyens. Ces phyficiens ont fait voir que le verd - de - gris, ou le cuivre diffous, eft un poifon violent dont 1'effet eft toujcmrs accompagné de fymplómes affreux; que h vapeur même de ce métal eft dangereufe , puifque les ouvriers qui le travaillent, font fujets a diverfes maladfes mortelles ou habituelles; que toutes les menftrues , les graiffes, les fels & 1'eau même diffoL'ent le cuivre Sten font du verd-de gris; que l éiamage le plus exact ne fait que diminuer c«te diffolution; que 1'étaim qu'on emplóie dans eet étamage, n'eft pas lui-même txempt de danger, malgré 1'ufage indifcret qu'on a fait jufqu'a préfentde ce métal, Sc que ce danger eft plus grand ou moindre, felon les différens éta'ms qu'on emplo'e, en raifon de 1'arfenic qui entre dans kur compofitioB, ou du plomb qui entre dans leur alliage (*) ; que même, en fuppofant a f'étamage une précaution fuffifante, c eft une imprudence impardonnable de faire dépendre la vie Sc la fanté des hommes d'une lame d'étaim très-déliée, qui s'ufe trespromptemer.it (f), Sc de 1'exactitude des domeftiques (*) Que le plomb dlflous foit un poifor, les accidens funeftes que caufent tous les jours les vins falfiriés avec de la litnarge, ne le prouverit que trop. Air.fi, pour empioyei ce métal avec füreté, il eft important de bien oonnottre les diflblvans qui l'attaquem. (t) II eft aifé de démontrer que de quelque inahicre qu'on s'y premie , on ne fauroit, dansles ufagss  J. J. R O ü S S E A" u.~ & des cuifiniers, qui rejettent ordinairement les vaifleaux récemment étamés, a caufe du mauvaisgoüt que donnent les matieres employées a 1'étamage : ils ont fait voir combien d'acddens affreux produits par le cuivre , font attribués tous les jours a des caufes toutes différentes; ils ont piouvé qu'une multitude de gens périffent, & quun plus grand nombre encore font attaqués de mille différentes maladies, par lüfage de ce métal dans nes cuifines & dans nos fontaines, fans fe douier euxmêmes de la véritable caufe de leurs maux. Cependa'nt, quoique la manufacture d'uftenfiles dê fer battu & étamé, qui eft établie au fauxbourg St. Antoine, offre des moyens faciles de fubftituer dans les cuifines une bacterie moins difpendieufe, auffi commode que ceile de cuivre & parfaitement faine,. au moins quant au métal principale. ï'indoler.ce ordinaire aux hommes fur les chof.-s qui leur font véritablement utiles, & les petites maximes que la pareffe invente fur les ufa-^es établis , furtout quand ils font mauvais , n'ont encore laiffé que peu de progrès aux fages avis des chymiftes, & n'ont profcrit le cuivre que de peu de cuifines. La répugnance des cuifiniers a. de vaüTeaux de cuifine, s'afiurer pour un feul jour 1'étamage le plus iblide; car, comme 1'étaim entre en fufion k un degré de feu fort inférieur a celui de !a graiffe bou'H* lante, toutes les fois qu'un cuifinierfait rouflir du beurre il ne lui eft pas poffible de garamir de la fnfion quelqm* partie de 1'étamage, ni par conféquent le ragout du contact du cuivre..  io Lettres de employer d'autres vaiffeaux que ceux qu'ils connofs* fent, eft un obftacle dont on ne fer.t toute la force, que quand on connolt la pareffe & la gourmandife des maltres. Cbacun fait que la foc été abonde en gens qui preferent 1'indolence au repos, & le plaifir au bonheur; mais on a bien de la peine a concevoir qu'il y en ait qui aiment mieuxs'expofer a périr, eux & toute leur familie, dans des tourmens affreux, qu'a manger un ragout brülé. I l faut raifonner avec les figes, & jamais avec le public. 11 y a longtems qu'on a comparé la multitude a un troupeau de moutons; il faut des exemples, au lieu de raifons, car chacun craint beaucoup plus d'être ridicule que d'ê:re fou ou méchant. D'ailleus, dans toutes les chofes qui concernent 1'intérêt commun, prefque tous jugeant: d'apiès leurs propres maximes, s'attachent moins a examiner la force des preuves, qu'a pénétrer les motifs ftcrets de celui qui ks propofe : par exemple, beaucoup d'honnêtes kfteuis foupconneroient volontiers qüavec de 1'argent, le chef de la fabrique de fer battu, ou 1'auteur des' fontaines domeft ques, excitent mon zele en cette occafion; défiance affez naturelle dans un fkcle de chailatanerie , oü les plus grands fripons ont toujours 1'intérêt public dans la bcuche. L'exemple eft en ceci plus perfuafif que le raifonnement, paree que Ia même défiance ayant vraifemblablement dünaiire auffi dans l efprit des auties, on eft porté a exoire  J. J. RoUSSEAüJ 41 que ceux qu'elle n'a point empècbé d'adopter ca que 1'on propofe, ont trouvé pour cela des raifons décifives. Ainü, au lieu de m'arrê;er a montrej combien il eft abfurde, mê:rse dans le doute, de laiffsr dans la cuifine des ulenfiles fu'peccs de poifon, il vaut mieux dire que M. Duverney vient d'ordonner une batterie de fer pour 1'école militaire; que M. le Prince de Conti a banni tout le cuivre de la lienne ; que M. le Duc de Duras, •Ambaffadeur en Efpagne, en a fait aiitant: & que fon cu'finier , qu'il confulta la - deffus , lui dit nettement que tous ceux de fon méiier qui ne s'accommodoient pas de la batterie de fer, tout auffi b:en que de elle de cuivre , étoient des ignorans, ou gens de mauvaife volonté. pluficuts p'articuKers ont fuivi eet exenple, que les perfonnes éclairées, qui m'ont renu's 1'txtrait ei-joint, ont donné depuis longtems, fans que leur table fe rtffente le moins du monde de ce changement, que par la confiance avec laquelle on peut manger d'excellens ragcüts, trés - bien préparés dans des vaiffeaux de fer. Mais que peut-on mettre fous les yeux du public de plus frappant que eet extrait même? SM y avoit au monde une nation qui düt s'oppofer è 1'expulfion du aiivre, c'eft certainement la Suede, dont les mines de ce métal font la princpale xicheffe, & dont les peuples en général idolatrent leurs anciens ufages. C'eft pourtant ce royaume fi ïjche en cuivre qui donna 1'exerople aux autres,  42 Lettres de c'óter a ce métal tous les emplois qui Ie renctent dangereux & qui intéreffent la vie des citoyens; ce font ces peuples, fi attachés a leurs vieilles pratiques, qui renoncent fans peine & une multitude de commodités qu'ils retirerotent de leurs mines, dès que 1» raifon & I'autorité des fages leur montrent Is rifque que I'ufage indifcret de ce métal leur fait courir. Je voudrois pouvoir efpérer quüu fi falutaire exempls fera futvi dans le refte de 1'Eurcpe , oü 1'on ne doit pas avoir la ir.ême répugnance a profcrire, au moins dans les cuifines, un métal qu'on tire de dehors. Je voudrois que les avertiffemens publics des philofophes & des gens de lettres réveillaffent les peuples fur les dangers de toute efpece auxquels leur impiudence les expofe, & rappellaffent plus fouvent a tous les fouverains, que le foin de Ia confervation des hommes n'eft pas feulement leur premier devoir, mais auffi leur plus grand intéiêt. Je fuis, &c. Ve. i> E t t r e A M. M * * *.> a Ceneve. Paris, le 28 November 1754,. E n répondant avec franchife a votre derniere lettre, en dépofant mon cceur & mon fort entre  J. J. R o u s s e a v. 43 vos mams, je crois, Monfieur, vous donner une marqué d'eftime & de confiance moins équivoque, que des louanges & des corrplimens , prodigues par la Batterie, plus fouvent que par 1'amitié. O ui, Monfieur, frappé des conformités que je trouve entre la conftitution de gouvernement qui découle de mes principes, & ceile qui exifte réellement dans notre républiqüe, je me fuis propofé de lui dédier mon Difcours fur I'origine & les fondemens de 1'inégalité, & j'ai faifi eet» occafion comme un heureux moyen d'honorer ma patrie & fes chefs par de juffes éloges, d'y porter, s'jl fe pait, dans le fond des cceuis, Polive que je ne vois encore que fur des médailles, & d'exciter en même tems les hommes a fe rendre heureux par Pexemple d'un peuple qui 1'eft ou qui jpourroit 1'être fans rien changer k fon inflitution. Je cheiche en cela, felon ma coutume, moins a ' plaire qu'a me rendre utile: je ne compte pas en particulier fur le fuffrage de quiconque eft de quelque parti; car n'adoptant pour moi que celui de la juftice & de la raifon , je ne dois gueres efpérer que tout homme qui fuït d'autres regies, puiffe être 1'approbateur des miennes, & fi cette confidération ne m'a' point retenu, c'eft qu'en toute chofe le blame de 1'univers entier me touche beaucoup moins que 1'aveu de ma confcience. Mais, dites - vous, dédier un livre a la républiqüe , cela ne s'eft jamais fait. Tant mieux, Monfieur; dans les chofes louables, il vaut mieux  44 L ET TRES DE donner l'exemple que le recevoir, & je crois n'avoir que de trop juftes raifons pour n'être 1'imitateur de perfonne; air.fi, votre objeclion n'eft au fond qu'un préjugé de plus en ma faveur, car depuis longtems il ne refte plus de mauvaife aftion a tenter , 3c quoi qu'on en püt dire, il s'agiroit moins de favoir fi la chofe s'eft faite ou non, que fi elle eft bien ou mal en foi, de quoi je vous laiffe le juge. Quant a ce que vous ajoufez qüapiès ce qui s'eft paffe, de telles nouveautés peuvent êire dangertufes , c'eft-la une grande vérité a d'autres égards; mais a ctlui-ci, je trouve au contraire ma démarche d'autant plus a fa placeaprès ce qui s'eft paffe, que mes éloges étautpottr les magiftrats , & mes exhortations pour les citoyens, il convient que le tout s'adreffe a la républiqüe, pour avoir occafion de parler a fes divers membres, & pour óter a ma dédicace toute apparence de partialité. Je fais qu'il y a des chofis qu'il ne faut point rappeller; & j'efpere que vous me ctoyez affez de jugement pour n'en ufer a eet égard, qu'a vee une réferve dans laquelle j'ai plus confulté le goüt des autres que le mien: car je ne penfe pas qu'il foit d'une adroite pol tique , de pouffer cette maxime jufqu'au fcrupule. La rr.é moiré d'Eroltrate nous apprend , que c'eft un mauvais moyen de faire oublier les chofes, que d'óter la liberté d'en parler: mais fi vous faites qu'on n'en parle qu'avec douleur , vous ferea bitntóL qu'on n'en pailera plus. 11 y a je ne fais  J. J. R o u 5 s e a u. AS quelle circonfpection pufillanime fort goutée en ce fiecle, & qui, voyant partout des inconvéniens, fe borne par fageffe, a ne faire ni b!en ni mal; j'aime mieux une hardieffe généreufe qui , pour bien faire, fecoue queiquefois le puérile joug de la bienféance. Qu'on zele indifcret m'abufe p:ut-érre, que prenant mes erreurs pour des vérités utiles, avec les meilleures intentions du monde je paiffe faire plus de mal que de bien; je n'ai rien a répondre a cela, fi ce n'eft, qu'une femblable raifon devroit retenir tout bomme droit, & laiffer 1'univeis a la difcrétion du méchant & ds 1'étourdi, paree que les objections, tirées de la feuie foiblefTe de la nafure, ont force contre quelque homme que ce foit, & qu'il n'y a perfonne qui ne dut être fufpect a foi -même , s'il ne fe repofoit de la jufteffe de fes lumieres, fur la droiture de fon cceur; c'eft ce que je dois pouvoir faire fans témérité , paree qu'ifolé parmi les hommes, ne tenant a rien dans la fociété, dépouillé de toute efpece de pré:ention, & ne cherchant mon bonheur même que dans celui des autres, je crois, du moins , être exerrpt de ces préjugés d'état, qui font pl'er le jugement des plus fages aux maximes qui leur font avantageufes. Je pourrois , il eft vrai, confulter des gens plus hab.Ls que moi, & je le ferois volontiers, fi je ne favois que leur ïhtérêt me confeillera toujours avanc leur raifon. En un mot, pour parler ici fans décour, je me  AS Lettres de fie encore plus a mon défintéreffement, qu'aux lumieres.de qui que ce puiffe être. Quoi qu'en général je faffe trés-peu de cas des étiquettes de procédés, & que j'en aye depuis longtems fecoué le joug plus pefant qu'utile, je penfe avec vous qu'il auroit convenu d'obtenir 1'agrément de la républiqüe ou du confeil. comme e'eft affez 1'ufage en pareil cas; & j'étois fi bien de eet avis, que mon voyage fut fait en partie, dans Fintention de folliciter eet agrément; mais il mé fallut peu de tems & d'obfervations pour reconnoitre 1'impofïïbilité de^ 1'obtenir; je funtis que demander une telle permifiion, c'étoit vouloir un refus, & qu'alors ma démarche qui pêche tout au plus contre une certaine bienféance dont plufieurs fe font difpenfés , feroit par-la devenue une défobéiffance condamnable, fi j'avois petfifté , ou l'étourderie d'un fot, fi j'euffe abandonné mon deffein: car ayant appris que dés le mois de Mai dernier, il s'étoit fait a mon infeu des copies de 1'ouvrage & de la déJicace, dont je n'étois plus lemaitrede prévenir 1'abus, je vis que je ne 1'étois pas non plus de renoncer a mon projet, fans m'expofer a Ie voir exécuter par d'autres. Votre lettre m'apprend elle -même que,vous ne fentez pas moins que moi toutes les difficultés que j'avois pré mes; or, vous favez qu'Èl force de fe rendre difficile fur les permiffions indifférentes, on invite les hommes a s'en pafler: c'eft ainfi qua 1'exceffiye circonfpection du feu Chancelier , fut  J. J. R O U S S E A U. ij Fimpreffion des meilleurs livres , fit enfin qu'on ne lui préfentoit plus de manufcrits , & que les livres ne s'imprimoient pas moins, quoique cette impreffion faite contre les loix , füt réellement crimiuelle, au lieu qu'une dédicace non communiquée, n'eft tout au plus qu'une impoliteiTe; & loin qu'un tel procédé foit biamable par fa nature, il eft au fond plus conforme a 1'honnêteté que 1'ufage établi; car il y a je ne fais quoi de lache, a demander aux gens la permiflion de les louer, & d'indécent a 1'accqrder. Ne croyez pas , non plus, qu'une telle conduite foit fans exemple: je puis vous faire voir des livres dédiés a la nation Francoife, d'autres au peuple Anglois, fans qu'on ait fait un crime aux auteurs de n'avoir eu pour cela ni le cónfentement de la nation, ni celui du prince, qui fürement leur eüt été refufé, paree que dans toute monarchie, Ie roi veut ëtre 1'état lui tout feul, & ne prétend pas que le peuple foit quelque chofe. Au refte, fi j'avois eu a m'ouvrir a quelqu'un fur cette affaire, c'auroit été a M.° le premier, moins qu'a qui que ce foit au monde. J'honore & j'aime trop ce digne & refpeftable magiftrat, pour avoir voulu le' compromettre en la moindre chofe, & 1'expofer au chagrin de déplaire peut - être a beaucoup de gens, en favorifant mon projet; ou d'être forcé, peut-être, a le Hamer contre fon piopre fentiment. Vous pouvez croire qu'ayant liÜtQhi long - tems fur les matieres de gouverne-  48 Let.tbes de ment , je n'ignore pas la force de ces petitcs maximes d'état qu'un fage magiftrat eft obligé de fuivre , quoiqu'il en fente lui-même toute la fiivolité. Vous conviendrez que je ne pouvois obtenir 1'aveu du confeil , fans que mon ouvrage fut examiné ; or , penfez vous que j'ignore ce que c'eft que ces examens, & combien 1'amour propre des c-.nfeurs les mieux intentionnés , & les préjugés des plus éclairés, leur font mettre d'opiuiaïreté & de hauteur a ^la place de la raifon, & leur font rayer d'excellentes chofes, uniquement paree qu'elles ne font pas dans leur maniere de penfer , & qu'ils ne les ont pas méditées auffi profondément que 1'auteur ? N'ai-je pas eu ici mille altercations avec les miens ? Quoiqus gens d'efprit & d'honneur, ils m'ont toujours défolé par de miférables chicanes, qui n'avoient ni le fens commun, ni d'autre caufe qu'une VÜ3 pufillanimité, ou la vanité de vouloir tout favoir mieux qu'un autre. Je n'ai jamais cédé, paree que je ne cede qu'a h raifon ; le magiftrat a été notre juge, & il s'eft toujours trouvé que les cenfeurs avoient tort. Quand je répondis au Roi de Pologne, je davois, felon eux, lui envoyer mon manufciit & ne le publier qu'avec fonagrément: c'étoit, prétendoient - ils, manquer de refpeft au p ere de la Reine que de 1'attaquerpubliquement, furtout avec la fierté qu'ils trouvoient dans ma réponfe; & ils ajoutoient même , que ma füreté exigeoit dt s  j. j. R o v s s e & ff. 49 pvécautions; je n'en ai p.-is aucune; je n'aï point envoyé mon manufcrit au Prince; je me fuis Sé •a 1'honnêteté publique , comme je fais encore aujourd'hui, & 1'événement a prouvé que j'avois raifon. Mais a Geneve il n'en iroit pas comme ici; la décifion de mes cenfeurs feroit fans appel; je me verrois réduit a me taire, ou a donner fous mon nom, Ie fentiment d'autrui; & je ne veux faire ni 1'un ni 1'autre. Mon expé/ience m'a donc fait prendre la ferme réfolution d'etre déformais mon unique cenfeür; je n'en aurois jamais de plus févere , & mes princip:s n'en ont pas befoin d'autres, non plus que mes mceurs: puifque tous ces gens - Ia regardent toujours a mille chofes •étrangeres dont je ne me foucie point, j'aime mieux m'en rapporter a ce juge intérieur & incorruptible , qui ne paffe rien de mauvais & ne condamne rien de bon, & qui ne trompe jamais quand on le confulte de bonne foi. j'efpere que vous trouverez qu'il n'a pas mal fait fon devoir dans 1'ouvrage en queftion, dont tout le monde fera content, & qui n'auroit pourtant obtenu 1'approbation de perfonne. Vous devez fentir encore, que 1'irrégularité qu'on peut trouver dans mon procédé, eft touta a mon préjudice & a 1'avantage du gouvernement." S'il y a quelque chofe de bon dans mon ouvrage, on pourra s'en prévaloir; s'il y a quelque chofj de mauvais, on pourra le défavouer; on pourra Hi'approuver ou me blamer füon les intéréts par- Lettres. Q  •5© CiETTR.ES DE -iicjllers, ou Ie jugement du public. Ou pourroit même profciire mon Uvre , fi 1'auteur & 1'état avoient ce malheur que le conféil n'en fut pas content ; toutes chofes qu'on ne pourroit plus (faire, après en avoir approuvé la dédicace. En un mot , -.fi j'ai bien dit en 1'honneur de ma .patrie, la gloire en fera pour elle: fi j'ai mal dit , 'le blame en retombera fur moi feul, Un bon ciroyen peut- il fe faire un fcrupule d'avoir a courir de tels rifques? Je fupprime toutes les coiifidérations perfon;celles qui peuvent me regarder, paree qu'elles ne doivent jamais entrer dans lts motifs d'un homme de bien, qui travaille pour 1'utilité pubtique- Si '■§& detachement d un cceur qui ne tient ni a h .gloire, nia .la fortune, ni même a la vie, peut -Ie rendre digne d'annoncer la vérité , j'ofe me cro re appellé a cette vocation fublime: c'eft pour fa'ré aux hommes du bien fclon mon pouvoir, que je m'abftiens d'en recevoir d'eux, & que je chéris aia pauvreté & mon indépendance. Je ne vtux poirt fi'ppofer que de tels fentimens puiTent jamais me nuire auprès de mes concitoyens; & c'eft fa-s le prévoir, ni le cramdre, que je prépare mon ame a cette demiere épreuve, la feuie a la* queHs je puiffe être fenfible. Croyez que je veux ,être jüfqu'au tombiau, honr.êce, vrai & citoyen zélé; & qüe s'il faüoit me privé/ a cette occafion, jtfu doux féjour de la patrie, je couronnerois afnfi its fiicrifices que j'ai faits i i'aaiour des hommes  J. J. R O Tf S 'S B A V. 51 6c de Ja vérité, par celui de tous qui cotite le plus a-mon cceur, & qui par conféquent ïn'conera Ie plus. Vous comprendrez aifément que cette lettre efc.pDur vous feul; j'aurois pu vous en écrire une pour être vue dans un ftyle fort différent; mais outre que ces petites -adrefies repugnent a mon -caraftere, elles ne repugnereient pas moins a ce que je connois du vótre;& je me faurai gré totitj •ma vie, d'avoir profité de cette occafion de m'ouvrir a vous fans réferve, & de meconfier a Ia difcrétion d'un homme de bien qui a de 1'amitté pour moi. Bon jour, Monfieur, je vous embraffe de tout mon cceur avec attendriflèment 6c refpecf. Lettre a M. Vèrnes. A Paris, Is 2 Avril 1755. Pour le coup, Monfieur, voici bien du re(ard; •mais outre que je ne vous ai point" caché mes •défauts, vous devez fonger quün ouvrier & un malade ne difpofent pas de leur tems, comme ils ■aimeroient le mieux. D'ailleurs, 1'amitié fe plalc a pardonner, & 1'on n'y met gueres Ia fé vérité qu'a la place du fentiment. Ainfi je crois pouvoir compter fur votre indulgence. Vous voila donc, Meffieurs, devenus auteurs ^énodtques. Je vous avoue que ce.projet ne me rit C 2  ga Lettres.bb r,is autantqu'a vous: j'ai du regret de voir" des fcoumes faits pour élever des monumens, fe ont enter de porcer des matériaux, & d'architeétes fe .faire manoeuvres. :Qu'eft-ce. qu'un livre périojiqUS ? JJn ouvrage éphémere , fans mérite fafis utlité, -dont la leéhue négligée & ïr.éprifée par des gens de lettres , ne fert qu'a donntr aux fots de la vanité fans inftru&ion, & dont le •fort, api ès avoir brillé le matin fur la toilette, eft de mourir le foir dans la garde - robe. D'ailfklïrs, pouvez - vous vous réfoud-re a prendre des pieces dans les journaux & jufques dans le Mer■eurè, & a -compiler des compiiatons? .S'il n'efi pas impoffible qu'il s'y trouve quelque bon morceau, il eft impoffible que pour le déterrer, vous tfayez 'le dégout d'en lire toujours une.. multitude de dételtables. La philofophie du cceur coütera cher a 1'efprit, s'il faut le remplir de tous ces fatras. -Enfin, quand vqus auriez affez de zele pour foutenir 1'ennui de toutes ces lectures , mu -vous répondra que votre choix feta fait comme il doit 1'être, que 1'attrait de vos vues particulieres «jjc 1'emportera pas fouvent fur 1'utilité publique, -ou que fi vous ne fongez qu'a cette uttlité, 1'agré•ment n'en fouffr'ra point ? Vous n'ignorez pas -t]u'un bon chcx littéraire eft le fruit du goüt le p'us exquis, & qu'avec tout 1'efprit & toutes les connoiffances imaginables, Ie goüt ne peut affez ■fe perfcétionner dans une petite ville , pour y -acquérir cette füreté néceffaire.a la formation d'ujj  j. Jl R o B S gr E' A ff. • recueil. Si le vótre eft excellent, qui le fentira ? S'il eft médiocre & par conféquent déteftab'Te, auffi ridicule que le Mercure Suiffe, il mourra de fa mort naturelle, après avoir amufé pendant quelques mois les caillettes du pays de Vaud. Croyez'- moi , Monfieur , ce n'eft point cette efpece d'ouvrage qui nous convient- Des ouvrai ges graves & profónds peüvent nous hbnorer» tout le colifichet de cette. petite philofophie a la mode nous va fort mal. Les grands objets tels que la vertu & la liberté, étendent & fortiiïent 1'efprit; les petits, tels que la poéfie & les beaux? arts, lui donnent plus de délicatefie &. de fubtilité. II faut un télefcope pour les uns &-un microfcopê pour les autres., & les hommes- accoutumés a mefurer Ie ciel, ne fauroiént difféquer des mouches ; voilé pourquoj Geneve eft ie pays c'e la fageffe & de-la raifon, & Paris le fiege du goüf. T.aiffons-en donc les rafinemens a- ces myope* de la littérature, qui paffent leur vie a regarder des cirons au bout de leur nez; fachons être plus fiers du goüt qui nous manque, qu'eux de celui qu'ils, ont; & tandis qu'ils feront des journaux & dei brochures pour les ruelies-, tachons de faire deslivres utile& & Jigne-s de 1'immoitalité. Ap.rès- vous avoir tenu ie langage de 1'amitié", je n'en oublierai pas les procédés-, & fi vous-perfiffez dans votre projet , je ferai de mon nreux un nwceau t.bqua vous le fouhaiterea ppur y remplir un vuide tant bien que mal, a3  f4 Lettres ff b t Litt'Re de M. de Voltaire (*). Aux Délices, prés de Genev* 1755. Ja 1 recu, Monfieur-, votre nouveau livre contre ïé genre humain; je vous en remercie. Vous plairez aux hommes a qui vous ditts leurs véritës, & vous ne les corrigerez pas. On ne peut peindre avec des couleurs plus fortes les horreurs de la fociété humaine, dont notre ignorance- & fiötre foibleffé fe promettent tant de douceurs.. On n'a jamais employé tant d'efprit a vouloir nous rendre bêtes: il prend envie de marcher k quatre pattes, quand on Kt votre ouvrage. Cependant, comme il y a plus de foixante ans que j'en ai perdu 1'habitude, je fens roalheurcufement qu'il m'eft impoffible de la reprendre, & je lailTe cette allure naturelle è ceux qui en font plus dignes que vous & moi. Je ne peux non plus m'embarquer pour aller trouver les Sauvages du Canada , premiérement , paree que les maladies auxquelles je fuis condamné me rendent un médecin d'Europe néceffaire ; fecondement , paree que la guerre eft portée dans ce pays-la, & que les exemples de nos nations ont rendu les Sauva- (*) L'antenr de cette Lettre la fit imprimer un peu changée & augiiientée. I.a voici tetia qu'ii uie t'éa-iviu.  J. J- R o u s s e A V. " $f. ges' prefque auffi mécbans que nous. Je ma' borne a être un fau>'age patfible dans la folitude que j'ai choifie auptès de votre patrie, oh vous devriez être. J'avode avec vous que les belles - lettres &• les fciences ont caufé quelquefois beaucoup de mal. Les ennemis du Taflë firent de fa vie un' tiffu de malheurs; ceux de Galilée Ie firent gémir dans les prifons a foixame & dix ans, pour avoir connu ls mouvement de Ia terra,"& ce qu'il y a de plus honieux, c'eft qu'ils 1'obligerent a fe ret-acter. Des qua vos amis eurent commencé Ie Dictionnare Encyclopelique , ceux qui ofoient êcre leurs rivaux, les traterent de Déiftes, d'Athées & même de Janféniftes. Si j'ofois ma comptar parrm ceux dont les travaux n'ont eu que Ia parfécution pour récompanfe ,• je vous ferois voir une troupa de miférables acbarnés a me perdre, du jour qua ja donnai Ia tragédie d'Oedipe; une bibliotheque de calomnies ridicules imprimée contre moi; un prê.;re ex-jéfuite qua j'avois fauvé du dernier fupplice, ma payant par des libelles diffa-■ matoiiras, du fervice que je lui avois ren la; u.i homme pius coupable encore, faifant imprimer mon propre ouvrage du fiecle de Louis XIV , avec des notes oü la plus craffe ignorance débita les calomnies les plus effrontées un autre qui vead a un l.braire une prétendue hifto.re'uuiverC 4  tendre eltime, Monfieur, votre &e.- eC4s  53 Lettres be R é p o n s e. Paris, le 10 Septembre 1755. (^/'est a moi, Monfieur, de vous remeicier a tous égards. En vous cffrant 1'ébauche de mes triftes rêveries, je n'ai point cru vous faire un préfent digne de vous, mais m'acquitter d'un devoir & vous rendre un hommage que nous vous devons tous comme a notre chef. Senfible, d'ailleurs, k ■1'honneur que vous faites a ma patrie, je partage la reconnoiffance de mes concitoyens, & j'efpere qu'elle ne fera qu'augmenter eucore , lorfqu'ils 3uront profi;é des inftructions que vous pouvez leur donner. Embelliifez 1'afyle que vous avez ehoifi r éclairez un peuple digne de vos lecons; &, vous qui favez fi bien peindre les vertus & la liberté,, apprenez nous a les cbérir dans nos rours, comme dans vos écrits- Tout ce qui vous approche, doit apprendre de vous le chemin de la gloire. Vous voyez que je n'afpire pas a nous rétablir dans notre bêufe, quoique je regrette beaucoup, pour ma part. Ie peu que j'en ai perdu. A votre égard, Monfieur, et.retour fero't un miracle, fi grand a la fo.s & fi ruifible. qu'il n'appartiendroit qu a Dieu de ic faire & qu'au Diable de le voulolr. Ne tentez dO;.c pas de rem' ber a quatre pattes,' perfonne au monde n'y réuffiroic moins gue vous.  J- j. R O 17 s s e a u. 59 Vous nous redreffez trop bien fur nos deux pieds pour ceffer de vous tenir fur les vörres. Je conviens de toutes les difgraces qui pourfüivent les hommes célebres dans les lettres; je conviens même de tous les maux attachés .3 ]'humaniié , & qui femblent indépendans deffos vaines connoiffances. Les hommes ont ouvert fur' euxmêmcs tant de fources de miferes; que quand Ie hafard en détourne quelqu'une, ils. n'en font gueres moins inondés. D'ailleurs, il y a dans lé progrès des liaifons, des chofes cachées que le vuigaire n'appercoit pas, mais qui n'échapperont point a-l'ceü du fage quand il y voudra réflécbir. Ce n'eft ni Térence, ni Ccéron, ni Virgile, ni Séneque, ni Tacte; ce ne fontni les favans-,'ni les poëtes qui ■ ort produ;t les malheurs de Rome & les crimes des Romaius : fans le poifon lent & fecrct qui. corrompit peu a peu le plus vigoureux gouvernemer-t dont 1'hifro.re ait fait mention, Ccéron, ni Lucrece, n% Sallufte n'euffent point exifté ou . d'euffent point écrit. Le fiecle aimable de Lélius & de Térence amenoit de loin le fiecle brillaat d'Augufte & d'Horace, & enfin les fiecles horribks de Séneque & de Néron , de Domitien & de Martial. Le- goüt des lettres & des arte nart chez un peuple d'un vice intérieur qu'il-augmente; & s'il eft vrai que tous les progrès humains font pernicieux a 1'efpece, ceux de 1'efprit & des connoisfances qui augmentent notre oigueil & multiplient nos égaremens, accélerent bientót nos malheurs. C 6  Co Lettres de Mais il viert un frins on Ie mal eft tel, que Ifs caufes mêmes qui Tont fait naitre, font réceffhi- -res pour 1'empcchcr d'augmenter; c'eft Ie fir qu'il faut laifïer dans la plaie, de p?ur que le bleffé n'expjre en 1'arracbart. Quant a moi, fi j'avois fuivi ma première vocation, & que je n'cufTe ni lu ni écrit, j'en auiois, fans doute, éié pus heureux. Cependaivt, fi les lettres étoient maintenant anéar.tics, je fero's privé du feul plaifir qui. me refte. C'eft dans leur fein que je me corfoie de tous mes maux: c'eft parmi ceux qui les cultiveirt que je goiite les douceurs de 1'amitié, & que j'apprends a jcu'r de Ia vie, fars craindre Ia mort. Je leur. dois. le peu que je fuis; je leur dois même 1'hocneur d'être connu de vous; mais coufultons 1'intéiêt dans nes. affaires & la vérité dans nos , écrits. Quoiqu'il. faille des philofophes, des hiftoriens, des favans peur éclairer le monde & conduire fes aveuglts habitans; 11 Ie fage Memnon m'a dit vrai, je ne connois rien de fi fou qu'im peuple de fages. Convenez-en', Monfieur; s'il eft bon que les grands génies inftruifent les hommes, il faut quele vulgaire recoive leurs inftruftions: fi chacun fe rr.êle d'en donner, qui les- vou.ira recevoir ? Les boiteux, dit Montaigne, font- mal pn pres aux exercices du corps , & aux exercices de 1'efprit les ames boiteufes. Msisen ce fiecle favant, on ne voit que boiteux vouloiï apprendre a marcher aux auties»  J. Jl R O xj s s E A' U. 61 Le peuple recoit les écritsdes fages pour lés juger-, non pour s'irflruire. Jamais on ne vit tant de Dmdins. Le théatre en fourmille, les cafés retentiffent de leurs fentenees; ils les affichent dans les journaux, les-quais font: couverts de leurs écrits, & j entends critiquer rOrphelin («), paree qu'on 1'applaudit, a-tel grimatid fi-peu eapable d'en voir les défauts, qu'a peine en fent-il les-beautés. Reohercjïons la première fource des dé' fordres de la fociété, nous trouverons que tous les maux des hou mes leur viennent de 1'erreur , bien plus que de 1'ignorance, & que ce que nous ne favons point, nous nuit beaucoup moins qua ce que nous crayons favoir. Or, quel plus für moyen de courr d'erreurs en erreurs , que la futturde favoir tout? fi 1'on n'êütprétendu favoir que la ter-re ne tournoit pas, on n'eüt point puni Galflée pour avoir-dit qu'elle tournoit. Si-les feul3 philofophes en euffent réclamé le titre, 1'jBncyclopédie n-'eüt point eu de perfécuteurs. Si cent Myrmidors- n'afpir-oient a-la gloire, vous jouiriez en paix de la vótre, ou du moins vous n'auriez que des rïvaux dignes de vous.- Ü£ foyez donc. pas furpris de fentir quelques épines inféparables des fleurs qui courorment les grands talens. Les in'ures de vos ennemis for.t les acclamations fatyriques qui fuivent le corteye des triomphateurs: c'eft 1'en prelTement du public pour O) Tragédie de M. de Voltaire, qu'on jouoitdans ce ums - lk. C 7  62 Lettres de tous vos écrits, qui produit les vols dont vous vous plaignez: mais les falfifkations nry font pas faciles, car Ie fer ni le plomb ne s'allient pas avec 1'or. Permettez moi de vous Ie dire par l'intétêt que je prends a votre repos & a notre initruébon. Méprifez de vaines clameuvs, par lefqu~- les on cbercbe moins a vous faire du mal, qu'a vous détourner de bien faire. Plus on vous crit'quera , plus vous devez vous faire admirer; Un bon livre eft une terrible réponfe a des injures imprimées; & qui vous oferoit attribuer dts éerits que vous n'aurez point faitSi tant que vous n'en ferez que d'inimitabies ? Je fuis fenfible a votre invitation; & fi eet hirer me laiiïe en état d'aller au printems habiter ma patrie , j'y profiterai de vos bontés. Mais j'aimerois mieux boire de 1'eau de votre fontaineque du lait de vos vaches, & quant aux herbes de votre verger , je crains bien de n'y en trouver. d'autres que le Lotos, qui n'eft pas la pature des bêtes, & le Moly qui empêche les hommes de le devenir. Je fuis de tout mon cceur & avec refptet, &c. Billet de M. de Foltaire. M o N s i e u r RouiTeau a du recevoir de moi une lettre de remerciemert. Je lui ai pjrié dans cette lettre des dangeis attachés a la litiérature. Je  J. J. R.ousseau. 63 fuis dans le cas d'efïüyer ces dangers : on fak courir dans Paris des ouvrages fous mon nom. Je dois faifir 1'occafion la plus favorable de les défavouer. On m'a confeillé de faire imprimer la lettre que j'ai écrite a M. Bouffeau, de m'étendre un peu Qm Fir.juftice qu'on me fait, & qui peut m'être tréspré udieiable. Je lui .en demande la perm fllon. Je ne peux mieux m'adreiTer en parlant des injustices des- hommes ,, qu'a celui qui les connoic fi bien. Lettre a M. de Voltaire, en réponfe au BUIeï précédent. Paris, le 20 Septembre 1755» ENairivant, Monfieur, de la campagne oü j'ai paffe cinq ou fix jours, je trouve votre billet qui me tire d'une grande perplexité: car ayant communiqué a M. de Gauffecourt, notre ami commun, votre lettre & ma réponfe, j'apprends a 1'inftant qu'il les a lui - même eommuniquées a d'autres, & qu'ellts font tombées entre les mains de quelqu'un qui travaille a me refuter, & qui fe propofe, d;fc« on, de les inférer a Ja fin de fa critique. M. Bouchaud, aggrégé en droit, qui vient de m'apprendre cela, n'a pas voulu m'en dire davantage; de forte que je fuis hors d'état de prévenir les fuites d'une indifcréüon que, vu le contenu de votre  #4* Lettres n x lettre, je n'a vois eue que pour une bonrre fïrj. Heureufement, Monfieur, je vois par votre projet que Ie mal eft moins grand que je n'avois aaien En approuvant une publication qui me fait honneur & qui peut vous être utile, il me refte une excufe a vous faire fur ce qu'il peut y avoir en de ma fïute, dans Ia prorrptitude avec Iaquelle ces lettres' ont couru, fans-votre confentement ni le mten. Je fuis avec lés fentimens du plus fincere de vos admirateurs, Monfieur, &c. P. S. Je fuppofe que vous - avez* regu ma réponfe du 10 de ce mois. Lettre a M. de BoiJJi , de V'Académie Fraiy pife, auteur du ■ Mercure de France. Paris, Ie 4 Novembre 1755.- Q>,uan-d. je vis, Monfieur , paroltre dans ié Mercure, fous le nom de M. de Voltaire, ia lettre. que j'avois recue de lui, je füppofai que vous aviez obtenu pour cela fon confentemenc,' & comme il' avoit bien voulu me demander ie mien pour la faire imprimer, je n'avois qüa me louer de fon procédé, fans avoir' a me pfaTrfdre du vótre. Mais que puis je penfer du galïn athias que vous avez inféré dans Ié Mercure fuivant foutf le. titre de ma réponfe ? Si'vous me dites que  J. J- R O U S S E A u. que je commence par louer en vous un zélé fujet> de 1'Impératrice & un bon citoyen de la répu-, blique des lettres. Sans avoir Phonneur de vou& connottre , je dois juger a Ia ferveur qui vous. aB!ina,que vous vous acquittez parfaitement vousmêmes des devoirs que vous - impofiz aux autres. & que vous exercez a Ia fois les fonct ons d'hornme d'Etat au gré de Leurs Majeftés., & cellesd'auteur au gré- du Public. A 1 egard des foins dont vous me chargez , jd fats bien , Monfieur, que je. ne ferois pas le premier ignorant qui chanteroit les arts; mais ja fuis fi peu propre a remplir dignement- vos intentions, que mon infuffifance eft mon excufe, & je as,, fa.s .comment les grands noras que vous citezr  J. f. R 0 U S S 5S A *, .&§ vous ont laiffé Jonger au mien. Je vois ,d-'ail!eurs, au ton dont Ia .flatterie ufa de tout tems avec les •Piisces vulgaires , que c'eft honorer ceux qu'on eftime que de les louer fobrement, car on fait qua les Princes'loués avec le plus d'excès, font r.ar.e.ment ceux qui méritent le mieux de 1'être. Gr, il ne convient & perfonne de fe mettre fur les rangs avec le .projet-de faire moins que les autres, furtout quand on doit craindre de faire moins bien. Permettez-moi donc de croire qu'il n'y a pas plus de vrai refpect pour l'Empïrepr & 1'ImpératiiceRe ne dans les écrits de's auteurs célebres dont vous me parlez, que dans. mon filence, & q«e ice feroit une témérité de le rompre a leur exemple, a moins.que d'avoir leurs talens. .Vous me prtffez auffi de vous dire fi Leurs -Majeftés Impériales ont bien fait de confacrer de magnifiques établiffemens .& des fommes iimuenfes a des lecons publiques dans leur capitale, & après Ia réponfe affitmative de tant d'illuftres auteurs vous exigez encore la mienne. Quant a moi, Monfieur, je n'ai pas les'lumieres néceffaires pour me détermtner auffi promptement, ,& je ne conr.ois ■pas affez les moeurs & les talens de vos compatrio■tes pour en faire une application füre a voire ■queftion. Mais voici la-deffus le précis de mon .fentiment, fur lequel vous pourrez mieux que moi tirer la conclufion. P a r -rapport aux mceurs. Quand les hommes font corrompus, il vaut mieux qu'Js foient favar.s,  70 Lettres Di qu'ignorans; quand ils font bons, il eft a craindre que les fciences ne les corrompent- Par rapport aux talens. Quand an en a, le favoir les perfectionne & les forffie; quand on en manque, 1'étude óte encore la raifon , & fa t un pédant 8c un fot d'un homme de boa fens & de peu d'efprit. Je pourrois ajouter a ceci quelques réflexions. 'Qu'on cultive ou non les fciences, dans quelque fiecle que naiffe un grand homme, il eft toujours un grand homme,-car la fource de fon mérite n'eft pas dans les livres, mais dans fa tête, & fouvent les obftacles qu'il trouve & qu'il furmonte, ne font que 1'élever & 1'agrandir encore. On peut acheter la fcience, & même les favans; mais le génie qui rend 'e favoir utile ne s'achete point; il ne connoit ni . argent , ni 1'ordre des Princes ; il ne leur appartient point de le fa:re naitre, mais feulement de 1'honorer; il vit & s'immortalife avec la liberté ■qui lui eft naturelle, & votre illuftre Métaftafe lui-même, étoit déja la gloire de 1'Italie avant d'être accueilli par Charles VI- Tachons donc de ne pas confondre le vrai progrès des talens avec la protection que les Souverains peuvent leur accorder. Les fciences regnent pour ainfi dire a k Chine depuis deux mille ans & n'y peuvent fortir de 1'enfance, tandis qu'elles font dans leur vigueur en Angkterre, oü le gouvernement ne fait rien pour elles. L'Europs eft vainement inondée de gens de lettres; les gens de mérite y font toujours  f.' J. R >« sj ,6 s z & u. ,7.1 tares; les écrits durablts le font encore plus, & la poflérité croira qu'on fit bien peu de livres dans ce même fiecle 0111'on en fait tant. Quant a votre patrie en partculier, 'il fe préfente, Monfieur, une obfervation bien firr.ple. L'Impératrice & fes auguftes aneêtres n'ont pas eu befoin d'engager des biftonens & des poëtes pour célébrer les grandes chofes qu'i s vouloient faire ; mais ils ont-fa t de grandes chofes & elies ont été confacrées a 1'immortalité comme celles de eet ar'cijn peuple qui favoit agir & n'écrivoit point. Peut-être manquoit-il a leurs travaux le plus digne de les couronner, paree qu'il eft le plus difficile; c'eft de foutenir a 1'aide des lettres tant de gloire acquife fans elles. Quoi qu'il en foit, Morrfïéur, affez d'autres donneront aux proteéteurs des fciences & des arts des éloges que Leurs Majeftés Impériales parta.geront avec la plupart des Rois: pour moi, ce que j'admire en elles & qui leur eft plus véritablement propre, c'eft leur amour conftant pour Ia vertu & pour tout ce qui eft bonnéte.Je ne nie pas que votre pays n'ait été longtems barbare, ma s je dis qu'il étoit plus aifé d'établir les bcaux• arts chez les Huns, que.de faire de Ia plus grande cour de 1'Eurppe une école de bonnes moeurs. A.u refte, je dois vous dire que votre lettre ayant été adrefféea Geraeve avant de venir aParis, .eüs a refté prés de fix femaines en route,- ce qui  •barquer dans 1'éternel manege des fcélérats 'i Quok que vous en difiez, on ne fuit. point les hommes-: quand on cherche a leur nuire ,• ie rnéchant peut méditer fes coups dans la folitude , ma;s c'eft dar-s' la fociété qu'il les porte. Un fourbe a. de fa* dreffe & du fang froid ; un perfide fe poflèd» & ne s'emporte point r reeonnoiffez - vous ern moi quelque chofe de, tout cela? Ie fuisvemgor,té: & %  fe Lettre» t> % dans la colere, & fouvent étourdi de fang-froid. Ces défauts font-ils Ie rnéchant ? Non , fansdoute; mais le rnéchant en prorite pour perdre celui qui les a. Je voudrois que vous puffiez auffi réfléchir un peu fur vous - même. Vous vous fiez a votre bonté naturelle ; mais favez - vous a quel point 1'exemple & i'erreur paravent la corrompr^V N'avez-vcus jamais craint d'être entouré d'adulateursadro:ts qui n'évitent de louer groffiérement en feca , que pour s'emparer plus adroitement de vous fous 1'appat d'une feinte fincénté V Quel fort pour le me:lleur des hommes d'être égaré par fa candeurmême, & d'être innocemment dans la main des méchans rinffrument de leur perfidie ! Je fais que 1'amour-propre fe révolte a cette idéé, mais elle mérite L examen de la raifon. Voila des confi'érations que je vous pr'e de bien pefer. P^nfjz-y longiems avant que de ■me répondre. Si elies ne vous touchent pas, notas. n'avons plus rien a nous dire; mais fi tlles font quelque impreffion fur vous, alors nous entrerons «n éclairciffement; v ous retrouverez un ami digne de vous, & qui peut-être ne vous aura pas été inutile. J'ai pour vous exhorter a eet examen un motif de grand poids j & ce motif, le voici. Vous pouvez avoir été féduit & trompé. Cependant , votre ami gémit dans' fa folitude, oublié de tout ce qui lui étoit cher. 11 peut y torabar dans le défefpoir, y raourtr enfin, man-  J: J. H. O ü S s E A U. %2 diflant I'ingrat dont Padverfké lui fit tant verfer de Jannes, & qui 1'accable indignement dans Jat fïenne; il fe peut que les preuves de fon innocencevous parvieiment enfin, que vous foyez forcéLd'honorer fe'mémofre (*) & qUe 1'image de votre.: ami mourant ne vous Jaiffe pas des nuits tranquilles. Diderot, penfez-y. Je ne vous en par* lerai plus. Lettre a M. Vernes.. Montmorenci, le 25 Mars-1758.. Oui, mon cher Vernes, j'aime a croire que nous fommes tous deux bien aimés 1'un de Tancre ckdignes de 1'être. Voila ce qui fait plus au foulage» ment de mes peines que tous les tréfors du monde s ah! mon ami, mon concitoyen, fache m'aimer. &: iaiffe-la tes inutiles offres; en me donnant tors; cceur, ne m'as-tu pas enrichi? Que fait tout lp: refte aux maux. du corps & aux foue's de 1'ame?' Ce dont j'ai faim, c'eft d'ua ami; je ne connois poin tc d'autre befoin auquel je ne fuffife moi - même.. La 1 pauvreté ne m'a jamais fait de mal; foit dit poitr;vous tranquillifer Ia - deffus une fois pour. toutes. Nous- fommes d'accorJ fur tant de chofes-^. que ce u'eft pas la peins de notss difputer fur Jèe (*) Voyez, Lecteurs, les notes kiféiées dajwIe Fis-; de üéneque,.. D &■  f4* L E T T H E JT D E rede. Je vous 1'ai dit bien des fois: nul homme au monde ne refpecte plus que moi I'Evangile ; c'eft, a mon gré, le plus fublime de tous les livres ; quand tous lts autres *e'ennuient, je reprends toujours celui-la avec un msjiveau p'aifir & quand toutes les confolations humaines m'ont manqué , jamais je n'ai recouru vainement aux Hennes. Mais enfin c'eft un livre , un livre ignoré des trois quarts du monde; croirai-je qu'un Scythe ou un Africain, foient moins cbers. au pere commun que vous & moi, & pourquoi croirai-je qu'il leur ait óté plutöt qu'a nous, les. leffources pour le Gonnoltre ? Non , mon digne ami; ce n'eft point fur quelqujs feuilles éparks qu'il faut; aller chercher la loi de Dieu-, mais dans le cceur de l'homme, oü fa main daigna 1'écrire. O homme, qui que tu fois, rentre en toi-même, apprends a confulter ta confcier.ce & tes facultés naturelles; tu feras jufte , bon , vertueux, tu t'inclineras devant ton maitre, & tu participeras dans fon ciel a un bonheur éternel. Je ne me fie la -deffus ni è' ma raifon ni a ceile d'autrui, mais je fens a la paix de mon ame, & au plaifir que je fens a vivre & penfer fous les yeux du grand Etre, que je ne m'abufe point dans les jugemens que je fais de lui, ni dans 1'efpoir que je fonde fur fa juflice. Au refte, mon cher concitoyen, j'ai voulu verfer mon cceur dans votre fein, & non pas entrer en lice avec vous; ainfi, ieftons-en-la, s'il vous plak; d'autant plus que.  J. J. R O 17 S S £ Jl' 8>y ces fujets ne fe peuvent traiter gueres commodé. ment par lettres. J'étois un peu mieux, je retombe. Je compte pourtant un peu fur le retour du printems; mais je n'efpere. plus recouvrer des forces fuffifantes pour retourner dans la patrie. Sans avoir lu votre Déclaratioit, je la refpecte d'avance & me félicite d'avoir le premier donné a votre refpeétable corps, des éloges qu'il juftifie fi bien aux yeux de toute 1'Europe. Adieu, mon ami. Lettre au même. Montmorenci, !è 25 Mai 1758. Je ne vous écris pas exaétement , mon cher Vernes , mais je penfe a vous tous les jours. Les maux, les langueurs, les peines augmentent , fans ceiTe ma pareffe; je n'ai plus rien d'aftif que le cceur; encore , hors Dieu, ma patrie & le genre humain, n'y refte-t-il'd'attachement que pour vous; & j'ai connu les hommes par de fi triftes expériences, que fi vous me trompiez comme les autres, j'en ferois affligé, fans doute, mais ja n'en ferois plus furpris. Heureufement je ne préfume rien da femblable da votre part, & je fuis perfuadé que fi vous faites le voyage que vous me promettez, 1'habitude de nous voir & de noas D 7  26 Lettres de mieux connokre , affermira pour jamais cette amitié véritable que j'ai tant de pencbant ï contracter avec vous. S'il eft donc vrai que votre fbrtune & vos affaires vous permettent ce voyage» & que votre cceur Ie defire, annoDcez-le mof d'avance, afin que je me prépare au plaifir de presfer, du moins une fois en ma vie, un honnête homme & un ami contre ma poitrine. Par rapport a ma croyance, j'ai examiné vos objections, & je vous dirai naturellement, qu'elles ne me perfuadent pas. je trouve que pour un homme convaincu de I'immortalité de 1'ame, vous donnez trop de prix aux biens & aux maux de cette vie. J'ai connu les derniers mieux que vous, & mieux peut-étre qu'bomme qui exifte; je n'en adore pas moins I'équ'té de Ia providence & me croirois auffi ridicule de murmurer de mes maux durant cette courte vie, que de crier a 1'infortune, pour avoir paffé une nuic dans-un mauvaiscabaret. Tout ce que vous dites fur l'impuiffarxe de la conference, fe peut retorquer plus vivement encore contre la révélation; car que voulez-vous qu'on penfe de 1'auteur d'un remede qui ne guérit de rien? Ne diroit-on pas que tous ceux qui eonnoiflènt 1'Evangile font de fort faints perfonnages, & qu'un Sicilien fanguinaire & perfide vaut beaucoup mieux qu'un Hottentot ftupide & groflier ? Voulez-vous que je croie que Dieu n'a. donné fa loi aux hoinjnes c^ue pour avoir une.  J. J. R © U S S ï A u. 87 doublé raifon de les punir ? Prenez garde, mon ami; vous voulez le juflifler d'un tort chiméri» que , & vous aggravez 1'accufation. Söuvenezvous, furtout, que dans- cette difpute c'eft vous qui attaquez mon fentiment, & que je ne fais que le défendre; car , d'ailleurs , je fuis trèséloigné de défapprouver le vótre, tant que vous ne voudrez contraindre perfonne a Pembraffér. Quoi ! cette aimable & chere parente eft toujours dan|.ijan lit I Que ne fuis-je auprès d'elle! Nous nous confolerions mutuellement de nos maux & j'apprendrois d'elle a Touffrir ks miens. avec conftance ; mais je n'efpere plus faire un voyage fi defiré; je me fens de jour en jour moins en état de le foutenir. Ce n'eft pas que Ia belle faifón ne m'ait rendu de la vigueur & du courage j mais le mal local n'en fait pas moins de progrès 5 11 commerce même a fe rendre intérieurement trés - fenfiblS ; une enflure qui croit quand je marche, m'óte prefque le plaifir de la promenade, Ie feul qui m'étoit refté, & je ne reprends des forccs que pour fouffrir; la volonté de Dieu foit faite ! cela ne m'empêcbera pas , j'efp&re3 de vous faire voir les environs de ma folitude, auxquels il ne manque que d'être autour de Geneve pour me paroitre déücieux. J'embraffe le chetc Rouftan , mon prétendu difeple ; j'ai lu avec plaifir fon Examen des qua'.re beaux fiecles, & ja. m'en tiens , avec plus de confiancs, a mon fenti»  Lettres bi ment, en voyant que c'eft auffi le fien. La feufe chofe que je voudrois lui demander, feroit de ne pas s'exercer a la vertu a mes dépens, & de ne pas fe montrer modeire en flattant ma vanité. Adieu, mon cher Vernes, je trouve de jour en jour plus de .plaifir a vous aimer. Lettre de M..le Roy. Monsieur, Quoi que je n'aië pas 1'honneur d'être conmx de vous, je me perfuade que vous ne me faurez pas mauvais gré de vous faire part d'une obfervation que j'ai faite fur votre dernier ouvrage. Je 1'ai lu avec grand plaifir, & j'ai trouvé que vous y établilïïez votre opinion avec beaucoup de force. Mais je vous avouerai qu'ayant parcouru Ia Grece, & ayant fait une étude particuliere des théatres que 1'on trouve encore dans les ruines de fes anciennes villes , j'ai lu avec furprife dans votre Livre le paiTage qui fuif': Avec tout cela, jamais la Grece, excepté Sparte, ne fut ciiée en exemple de bonnes mmurs ; Sparte qui ne fouffroit point de thédtre , n'avoit garde d'honorer ceux qui s'y montrent. Non-feulement il y avoit un théatre a Sparte, abfolument femblable a celui de Bacchus a Athenes, mais- il  j. j. rousseau. &0 étoit Ie plus bel ornement de cette ville, il cé!e< bre par Ie courage de fes habitans. II fubfifte méme encore en grande partie, & Paufanias & Plutarque en parient:. c'eft d'après ce que ces deux auteurs en difent, que j'en ai fait 1'hiftoire que je vous envoie, dans I'ouvrage que je viens de mettre au jour. Comme cette erreur, qui vous eft écbappéa, pourroit être remarquée par d'autres que par moi, j'ai cru que vous ne feriez pas fiché que je vous en avertifTé, & je me flatte, Monfieur, que vous voudrez bien recevoir eet avis comme une marqué de 1'eftime & de la parfaite confidération avec laquelle j'ai 1'honneur d'être, &c. Réponse è la Ltttre de M. le Roy. a Montmorenci, le 4 Novembre 1758. Je vous remercie, Monfieur, de. la bonté que vous avez de m'avertir de ma bévue au fujet du théatre de Sparte, & de 1'honnêteté avec laquella vous voulez bien me donner eet avis. Je fuis fi fenfible a ce procédé, que je vous deiaande Ia permiffion de faire ufage de votre lettre dans une autre édition de la mienne. II s'en faut peu que jé ne me félicite d'une erreur qui m'attire de votre part cette marqué d'eftime, & je me fens moins honteux de ma faute, que fier de votre cgxxs&iotu  po Lettres de Voila, Monfieur, ce que c'eft que de fe fier aux auteurs célebres. Ce n'eft gueres impuné'ment que je les confiüte, & de maniere ou d'autre, ils manquent rarement de me punir de ma confiance. Le favant Cragius, fi verfé dars 1'antiquité, avoit die la chofe avant moi, & Plutarque luimême affiime que les Lacédémoniens n'alloient point a Ia comédie, de peur d'entendre des chofes contre les loix, foit férieufement, foit par jeu. II tft vrai que le mêms Plutarque dit ailleurs le contraire, & il lui arrivé fi fouvent de fe contredire, qu'on ne devroit jamais rien avancer d'après lui, fans l'avoir lu tout entier. Quoi qu'il en foit, je ne puis ni ne veux recufer votre témoignage, & ,quand ces auteurs ne feroient pas démenti's par les reftes du théatre de Sparte encore exiftans, ils le feroient par Paufanias , Euftathe, Suidas, Athénée & d'autres anciens. II paroit feulement que ce théatre étoit plutót confacré a des jeux , des danfes, des prix de mufique , qu'a des repréfentatioss réguliercs, & que les pieces qu'on y jouoit queiquefois étoient moins de véritables drames, que des farces grofficres, convenables a la fimplicité des fpeétateurs; ce qui n'empêchoit pas que Sofybius Lacon n'eüt fait un traité de ces fortes de parades. C'eft Ia Guilletiere qui m'apprend tout cela; car je n'ai point de livres pour Ie vérifier. Ainfi rien ne manque a ma faute, en cette occafion, que la vanité de la méconnoitre. Au refte, loin de femhaiter que cette fauta  J. J. RoUSSEAU. $1 refte cachée a mes leöeurs, je ferai fort aife qu'on 1'a publie & qu'ils en foient inftruits: ce fei a toujours une erreur de moins. D'ailleurs, c^^e elle ne fait tort qu'a moi feul, & que mon feWimenE n'en eft pas moins bien établi, j'efpere qu'elle .pourra ferm d'amufement aux critiques ; j'aime mieux qu'ils triomphent de mon ignorance, que de mes maximes ; & je ferai toujours trés-content que les vérités utiles que j'ai foutenues, foient épargnées a mes dépens. Recevez, Monfieur; les affurances de mg reconnoiffance, de mon efiime & de mon refpecL Lettre a M. Vernes. Montmorenci, le 18 Noyembre 1759. ' Je favofs, mon cher Vernes, la bonne réception que vous aviez faite a 1'abbé de St. Nom; que vous 1'aviez fêté, que vous 1'aviez préfenté a M. de Voltaire, en un mot, que vous 1'aviez recu comme recommandé par un ami; il eft parti, le cceur plein de vous, & fa reconnoiffance a débordé dans Ie mien. Mais pourquoi vous dire cela? N'avez-vous pas eu le plaifir de m'obüger?Ne me devez. vous pas auffi de la reconnoiffance f» N'eft-ce pas a vous déformais de vous acquitter «nvers moi? I l n'y a rien de moi fous Ia preffe; ceux qHï  9-a Lettres Be vous Tont dit, vous ont trompé. Quand j'aurat" quelque écrit pret a paroltre, vous n'en ferez pas irjiTruit le dernier. J'ai traduit tart bien que mal un livre de Tac'te & j'en rëfte-Ia. Je ne fais pas affez de Latin pour 1'entendre, & n'ai pas affez de talent pour le rendre. Je m'en tiens a eet effai; je ne fais- même fi j'aurai jamais reffronterie de la faire paroltre; j'aurois grand befoin de vous pour 1'en rendre digne. Mais parions de 1'hïftoire de Geneve. Vous favez amon fentiment fur cette entreprife;. je n'en al pas changé; tout ce qui me refte a vous dire, c'eft que je fouhaite que vous faffiez un ouvjage affez vrai, affez beau & affez utile pour qu'il foit impoffible de 1'imprimer; alorS, quoi qu'il arrivé, votre manufcrit deviendra un monument précieux, qui fera bénir a jamais votre mémoire par tous les vrais citoyens, fi tant eft qu'il en refte après vous. Je crois que vous ne doutez pas de mon empreffement a lire eet ouvrage, mais fi vous trouvez quelque occafion pour me le faire parvenir , a la bonne beure ; car, pour moi, dans ma retraite, je ne fuis point a portée d'en trouver les occafions. Je fais qu'il va & vient beaucoup de gens de Geneve a Paris & «Ie Paris a Geneve, mais je connois peu tous ces voyageurs, & n'ai nul deffein d'en beaucoup connoltre. Jlaime encore mieux ne pas vous lire. Vous me demandez de la mulique, eh Dieu, eher Vernes! de quoi me parlez - vous ? Je ne connois plus d'autre mulique que ceile des tot»  j. j. Roussïac. 93' jfignols; & les chouettes de la forêt m'ont dédommagé de 1'opéra de Paris. Revenu au feul gout des plaifirs de la nature, je mëpri'fe Tapprêt des amufcmens des villes. Redevenu .prefque enfant, je m'attendris en rappellant les vieilles chanfons de Geneve, je les chante d'une voix ëteinte, & je fin-is par pleurer fur ma patrie, en fongeant que je lui ai furvécu. Adieu. Lettre a M. de Silhouette. ■Le a Décembre 1759. D a 1 g n e z , Monfieur, recevoir 1'hommage d'un folitaire qui n'eft pas connu de vous, mais qui vous eftime par vos talens, qui vous refpecte par votre adminiftration & qui vous a fait 1'honneur de croire qu'elle ne vous refleroit pas longtems. Ne pouvant fauver 1'Etat qu'aux dépens de la capitale qui 1'a perdu, vous avez bravé les cris des gaigneurs d'argent. En vous voyant écrafer ces miférablts, je vous enviois votre place; en vous la voyant quitter fans vous être démenti, je vous admh-e, Soyez content de vous, Monfieur, elle vous laifle un honneur dont vous jouirez longtems fans concurrent. Les malédictions des fripong font Ia gloire de 1'homrae jufte.  Lettres de Lettre a M Pernes. Montmorenci, Ie y Fdvrier 1760. T Xl y a une qumzaine de jours, mon cher Vernes, qne j'ai appris , par M- Favre, votre infortune; il n'y en a gueres moins que je fuis tombé malade & je ne fuis pas retabli. Je ne compare point mon état au vótre; mes maux actuels ne font que phyfiques; & moi, dont la vie n'eft qu'une alternative des rins & des autres, je ne £ju> que trop que ce n'eft pas les premiers humbles remerciemens & les aiïurances de mem Kfpeéc. Let the a M. M***. Montmorenci, Mars ïfSr, ■ II faudroit être ledernier des hommes pour ne; pas s'intéreffer a 1'infortur.ée Louifon. La pitié, la bienveillance que fon honnéte hiftorien m'infpirepour elle, ne me Iaiffent pas douter que fon zele' i lui-même ne püilTe être auffi pur que le mien;; cela fuppofé , il doit compter fur toute l'eftim-a d'un homme qui ne Ia prodigue pas. Graces at* ciel, il fe trouve dans un rang plus élevé, des cceurs auffi fenfibles, & qui ont è la fois le pouvoir & Ia volonté de protéger la malheureufe , mrs eftimable victime de 1'infamie d'un brutal. M. le Maréchal de Luxembourg & Madame la Marécha'c è qui j'ai communiqué votre Iet-re, ont été érnus E 3--  ioa Lettres de ainfi que moi, a fa lecture ; ils font difpofés , Monfieur, a vous entendre & a confulter avec vous ce qu'on peut & ce qu'il convient de faire pour tirer la jeune perfonne de Ia détreffe oü elle eft. Ils retournent a Paris après paques. Allez, Monfieur, voir ces dignes & refpectables Seigneurs ; parlez-leur avec cette fimplicité touchante qu'ils aiment dans votre lettre; foyez avec eux fincere en tout, & croyez que leurs cceurs bienfatfans s'ouvriront a la candeur du votre: Louifon fera protégée, fi elle mérite de 1'être, & vous, Monfieur, vous ferez eftimé, comme le mérite votre bonne aeïion. Que fi dans cette attente , quoiqu'aflez courte, la fituatibn de Ja jeune perfonne étoit trop dure, vous devez favoir que , quant a préfent, je puls payer, mod'quement i Ia vérité, Ie tribut du, par quiconque 3 fon nécesfaire, aux indigens honnêtes qui ne 1'ont pas. Lettre a M. Vernts. Montmorenci, Ie 24 Juin ifit. J e t 0 i s prefque & l'extrêafité, cher concitoyen, quand j'ai recu votre lettre, & maintenant que j'y réponds, je fuis dans un état de fouffrances coutinuelles qui, felon toute apparence, ne me quitteront qu avec la vie. Ma plus grande confolation dans 1'état oü je fuis, eft de rece70ir des téjnoi-  j. j' s m s s ï 4 a. rtyy ghages d'intérêt de mes compatriotes, & furtout de vous-, cher Vernes, que j'ai toujours aimé & que j'aimerai toujours. Le cceur me rit & il me femble que je me ranime au projet d'aller parcager' avec vous cette retraite charmante, qui me tente encore plus par fon habitat* que par elle-même. Oh, fi Dieu raffermiiToit affez ma fanté pour m3 mettre en état d'entreprendre ce voyage , je na mourrois point fans vous embraffer encore une foisf J 2 n'ai jamais prétendu juflifier les innombrables défauts de la nouvelle Héloïfe; je trouve qua' i'on 1'a recue trop favorablament, &dans les juge^ mens du public, j'ai bien moins a me plaindre°de fa rigueur qu'a me louer de fon indulgencermais vos griefs contre IVolmar me prouvent que j'ai mal rempli 1'objet du livre, ou que vous ne 1'avez pasf Bien ma. Cet objet étoit de rapprocher les partis oppofés, par une eftime réciproque ; d'apprendre aux Phüofophes , qu'on peut- eroire en Dieu fans' étre^hypocrite, & aux Croyans, qu'on p;ut être incredule fans être un coquin. Julie, dévote, eft une lecon pour les Phüofophes, & Wolmar, athée, en eft une pour les- Intolérans. Voila Ie vrai buc du livre. C'eft k vous de voir fi je m'en fuis écarté. Vous me reprochez de n'avoir pas fait changer de fyftême a Wolmar, fur Ia fin da Roman; maïs, mon cher Vernes, vous n'avez pas lu. cette fin jcar fa converfion y eft indiquée avec une clarté qui ne pouvoit fouffrir un plus grand développvrnent-, fans voaloir faire une capucinade. e 4  ioa Lettres de Adieu, cher Vernes; je faifis un intervalïe de mieux pour vous écrire. Je vous prie d'informer de ce mieux ceux de vos amis qui penfent a moi, & entr'autres, Meffieurs Moulton ét Roustan , que j'embrafie de tout mon cceur, ainfi que vous. Lettre è, M. d'Offreville, a Douai, fur cette queftion: S'il y o une morde démontrée , ou s'il n'y en a point ? Montmorenci, 4 Oflobre 1761. queftion que vous me propofez, Monfieur-, dans votre Lettre du 15 Septcmbre, efl- importante & grave: c'eft de fa folution qu'il dépendde favoir s'il y a une morale démontrée, ou s'il n'y en a point. Votre adverfaire foutient que tout homme n'agit, quoi qu'il faffe , que relativement a*luimême, & que jufqu'aux aftes de vertu les plus, fublimes , jufqu'aux oeuvres de charité les plus pures, chacun rapporte tout a foi. Vous, Monfieur , vous penfez qu'on doit faire le bien pour le bien même fans aucun retour d'intérêt perfonnel, que les bonnes oeuvres qu'on rapporte a foi ne font plus des aótes de vertu, mais d'amour-propre; vous ajoutez que nos aumónes font fans mérite, fi nous ne les fai&ns que. par  J. j*. EoüJfïiBi ro's' par vanité ou dars !a vue d'écarter de notre ëfprft 1'idée des miferes de Ia vie bumaine , & en cefai vous avez raifon. Mais fur le fond de Ia queftion , je dois vous avouer que je fuis de 1'avis de votre adverfaü-e: car quand nous agifTóns, il faut que nous ayons un motif pour agir, & ce motif ne peut être étranger a nous, puifque c'eft nous qu'il met en ceuvre r il eft abfürde d'imaginer qu'étant moi , j'agirai comms fi j'étois un autre. N'eft il pas vrai quefi I'on vous difoit qu'un corps eft pouiTé fans que rien le touche , vous diriez que cela n'eft pas concevablè? C'eft Ia même chofe en morale, quand* on croit agir fans nul icéiêr. Ma-is il faut expl'quer ce mot d'intêrêt; car vous pourriez Jut donner tel fens, vous & votre adverfa're , que vous feriez d'accord fans vous entendre, & lui-même pourroit lui en donner ad fi grofffèr, qn'alors ce feroit vous qui auriez raifon» lx y a un intéiê. fenfuel & pa'pable qui fe rap* porte umquement a notre bien-être matëriel, a la' for.une, a la confidération, aux biens phyfiques qui p:uveBt réfulter pour nous de la bonne optniond'autiui. Tout ce qu'on fa't pour un tel intérêt ne' produit qu'un bien du même ordre, comme urn marchand fait fon bien en vendant fa marchandif©Jè mieux qu'il peut. Si j'oblige un autre homme en vue de m'acquérir des droits fur fa reconnoisfance, je ne fuis en cela qu'un marchand qui fait Ie conj jiezce, & même qui lufe avec I'aeheUurï. E- %  ïoö Lettres de Si je fa;s l'aurtóne pour ms faire eftimer charitable & jouir des avantages attachés a cette eftime, je ne fuis encore qu'un marchand qui acbete de la répu'ation. II en eft a peu prés de même, fi jene fais cette aumóne que pour me déiivrer de 1'importunité d'un gueux ou du fpeétacle de fa mifere; tous les actes de cette efpece qui ont en vue un avantage extérieur, ne p:uvent porter le nom de bonnes afbons , & 1'on ne dit pas d'un marchand qui a bien fait fes affaires, qu'il s'y eft comporté vertueufement. I l y a un autre intérêt qui ne tient point aux avantages de la fccié.é, qui n'eft relatif qu'è nousmêmes, au bien de notre ame, a notre bien-être abfolu, & que pour cela j'ai pelle int éiêt fpirituel: ou moral, par oppofition au premier.. Jxtéi êt qui, pour n'avoir pas des objets fenfibles, matériels , n'en eft pas moins vrai, pas moins grand , pas moins folide, & pour tout dire en un mot, le feul qui tenant intjnément a notre nature, tende è notre véritable bonheur. Voili, Monfieur ^ 1'intérêt que la vertu fa propofe & qu'dle doit fe propofer, fans rien óter au mérite, a lapureté, a la bonté morale des aétions. qu'elle infpire. Pkemiérement, dans le fyftême de Ia. religion, c'eft-a-dire, des peines & des récompenfes de 1'autre vie, vous voyez que 1'intérêt de. plaire a 1'auteur de notre être & au juge fuprêue de ros aétions, eft d'une importanc.e qui 1'emporte ffiï les plus grands-mauxj qui fait voler au mattyre-  J. J. K o V S~ 9- E" f UÏ roy fes vrafs croyans, & en même tems d'une pnreté qui peut ennoblir les plus Mlimes devoirs. La loi da bien faire eft tirée de Ia raifon même, & Ie cbréiien n'a befoin que de logique pour avoir de la vertu. Mais outre eet intérêt qu'on peut regarder en quelque facon comme étranger a la chofe, comrn©-n'y tenant que par une expreffe volonté de Dieu, vous me demanderez peut-être s'il y a? quelque autre intérêt lié plus immédiatement, plus nécesfairement a la vertu par fa nature, & qui doive' nous la faire aimer uniquement pour elle-même. Geci tient h d'autres queftions, dont la difcuffion paffe les bornes d'une lettre , &■ dont par cette raifon je ne tenterai pas ici 1'examen. Comme, fi nous avons un amour naturel pour 1'ordre, pourle beau moral, fi eet amour peut être affez vif par lui-même pour primer fur toutes nos paffions-, fi la confcier.ee eft innée dans le coeur de rhomme, ou fi elle n'eft que 1'ouvrage des préjugés & da 1'éJucation: car en ce dtrnier cjs il eft clair que nul n'ayant en foi-mêfre aucun intérêt'a bien faire, ne peut faire aucun bien que par le profit qu'il en attend d'autrui, qu'il n'y a par conféquent que des fots qui croient a la vertu & des dupes qui la pratiquent; telle eft la nouvelle philofophie. S a n s m'embarquer ici dans cette métaphyfiquequi nous meneroit tiop loin, je me contenterai de wus propofer un fait que vous pourrez mettre en queftion avec votre adverfaire, & qui, bien dis* £ • S>  roS L, E T T R E J B* E cuté, vous inftruira peut-être mieux de fes vrais fentimens, que vous ne pourrriez vous en inflruire en reftant dans la. généralité de votre thefe. En Angleterre , quand un homme eft accufé criminellement, douze jurés, enfermés dans une chambre pour opiner fur 1'examen de la procédures'il, eft coupable ou s'il ne Heft pas, ne fortent plus de cette chambre & n'y recoivent point a manger qu'ils ne foient tous d'accord, en forte que leur jugement eft toujours unanime & déciiïf fur le foit de l'accufé» Dans une de ces délibérations les preuves paroiffant convaircantes, onze des jurés Ie condamnerent fans. balancer; mais Ie douzieme s'obr ftina tellement a labfoudre fans vouloir alléguer d'autre raifon, fjnon qu'il Ie croyoit innocent, que voyant ce juré déterminé a, mourir de faim, plutót qua d'être de leur avis, tous les. autres , pour ne pas s'expofer. au même fort, revinrent au fien, & l'accufé fut renvoyé. abfous. L' a r f. a i r e finie, que!ques-uns des jurés presferent en fecret leur colleguede leur dire la raifon de fon obftinau'on, & ils furent enfin que c'étoit lui-même qui avoit fait Je coup dont 1'autre étoit accufé; & qu'il avoit eu moins d'horreur de Ia mort que de faire périr lïnnocent, chargé de fon propre crime. Psoposüz Ie cas.a votre homme & ne manquez pas d'examiner avec lui I'état de ce juré dans toutes fes cucoiiftances. Ce n'étoit point. un homme  jade, puifqu'il avoit commis un crime, & dans cette affaire I'enthoufiafme de la vertu ne pouvoit point lui élever le cceur & lui faire méprifer la vie. II avoit 1'intérêt Ie plus réel a condamner l'accufé pour enfevelir avec lui 1'iroputation du forfait; il devoit' craindre que fon invincible obftination n'en fit foupconner la véritable caufe & ne füt un commenctment d'indice coratre lui: la prudence & Ie foin de fa fureté demandoient, ce femble, qu'il fit ce qu'il ne fit pas, & 1'on ne voit aucun intérêt fenfible qui dut le porter a faire ce qu'il fit. II n'y avoit cependant qu'un intérêt trés - puiffant qui put le déterminer ainfi dans le fecret de fon cceur, i toute forte de rifque; quel étoit donc eet intérêt auquel il facrifioit fa vie même ? S'inscri re en faux contre le fait feroit pren* dre une mauvaife défaite ; car on peut toujourt 1'établir par fuppofition, & cbercher, tout intérêt étranger mis a part, ce que feroit en pareil cas pour 1'intérêt de lui-même tout bomme de bon fins, qui ne feroit ni vertueux, ni fc'élérat. Posant fucceflivement les deux cas, 1'un que le juré ait prononcé Ia condamnation de l'accufé & 1 'ait fait pén'r pour fe mettre en füreté, 1'autre qu'il l'ait abfous, comme il fit, a fis pro pres rifques , pus fuivant dans les deux cas Ie refte de la vie du juré & la probabilité du fort qu'il fe feroit préparé , preffez votre homme de prononcer décifivement far cette conduite, & d'expofer, nettement de part ou d'autre 1'intérêt & le» E S  Jio Lettres de motifs du parti qu'il auroit cboifi; alors fi votre difpute n'eft pas finie, vous connoitrez du moms fi vous vous entendez 1'un 1'autre , ou- fi vous ne vous entendez pas. Que s'il diftingue entre 1'intérêt d'un crime a commettre ou a ne pas commettre, & celui d'une bonne action a faire ou a ne pas faire, vous lui fcrez voir aifément que dans 1'hypotbefe la raifon de s'abftenir d'un crime avantageux qu'on peut commettre impunémer.t, eft du même genre que ceile de faire entre Ie ciel & foi une bonne aftion onéreufe; car, outre que quelque bien que nouspuiflions faire, en cela nous ne fommes quejuftes, on ne peut avoir nuf intérêt en foi-mê.ne a ne pas faire Ie mal qu'on n'ait un iutéiêt femblable a faire le bien; 1'un & 1'autre dérivect de la même fource & ne psuvent être féparés... Surtout, Monfieur, fongez qu'il ne faut point outrer les cbofis au-dela de Ia vérité, ni confondre comme faifoient les Stuïciens, le bonheur avec la vertu. II eft ceriain que faire le bien pour Ie bien, c'eft le faire pour foi , pour notre propre intérêt , puifqu'il donne a 1'ame une fatisfactionintérieure , un contentemer.t d'elle-même, fans lequel il n'y a point de vrai bonheur. II eft fur encore que les méchans font tous miférables , quel que foit leur fort apparent; paree que le bonheur s'empoifonne dans une ame corrompue? comme Ie plaifir des fens dans un corps nulfain. Mais H eft f iux que les bons foient tous heureux dès ce monde, & comme il ne fiifiit pas au corps d'être en  J. j. R o u s S 2 a u. xxx fanté pour avoir de quoi fe nourrir, il ne fufSü pas non pius a 1'ame d'être faine pour obtenir tous les biens dont elle a befoin. Quoiqu'ïl n'y ait qua les gens de bien qui puiffent vivre contens, ca n'eft pas a dire que tout homme de bien vive content. La vertu ne donnepas le bonheur, mais elle feule apprend a en jouir quand on 1'a: la vertu ne garantit pas des maux de cette vie & n'en pro* cure pas les biens; c'eft ce que ne fait pas non pius le vice avec toutes fes rufes; mais Ia vertu fait porter plus patiemment les uns & gouter plusdélicieufement les autres. Nous avons donc en tout état de caufe un véritable intérêt a la cultiver, & nous faifons bien de travailler pour eet' intérêt, quoiqu'ïl y ait des cas oii il feroit infuffi* fant par lui-même, fans 1'attente d'une vie i venir. Voila mon fentiment fur la queftion que vous m'avez propofée. E n vous remerciant du bien que vous penfez de moi, je vous confeille pourtant, Monfieur.de ne plus perdre votre tems a me défendre ou a me löuer. Tout le bien ou lè mal qu'on dit d'un homme qu'on ne connoit point,. ne fignifie pas -grand'cbofer Si ceux qui m'accufent ont tort, c'eft: a ma conduite a me juflifier; toute autre apologie eft inutile ou fuperflue. J'aurois dü vous répondre plutót; mais le trifte état oü je vis doit excufer ce retard.. Dans le peu d'intervalle que mes maux: me laiffent, mes: occupations ne font pas de mon choix-, ei. je. vous. avoue que, quand eli.es en.  *12 Lettres de feroient, ce cboix ne feroit pas d'écrire des lettres; Je ne réponds point a celles de complimens & Je' ne répondrois pas non plus a la vótre , fi Ia. queftion que vous m'y propofez ne me faifoit un devoir de vous en dire mon avis.. Je vous fakie, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre a M. Huber. Montmorenci,. le 24 Décembre 1761. Jétois, Monfieur, dans un acces du plus cruel des maux du corps, quand je recus votre Lettre & vos Idylles après avoir lu la lettre , j'ouvris macbinalement le livre, comptant le refir^ mer auffitót; mais Je neierefermai qu'après avoir tout lu, & jele mis a cöté de moi pour lè relire encore. VoilaTexaéte vérité. Je fens que votre ami Gefsner eft un homme felon mon cceur, d'oii vous pouvez iuger de fon tratóéur & de fon ami, par Iequel feul il m'eft connu. Je vous fais en particulier un gré infini d'avoir ofé dépou lier notre langue de ce fot & précieur jargon, qui óte toute vérité aux images & toute vie aux feminiens. Ceux qui veulent embellir & parer Ia nature font des gens fans ame & fans goüt , qui n'ont jama-, connu fes beautés. II y a fix ans que je coule dans ma retraite, une vie affez femblable a cello de Ménalque & d'Amyntas, au bien prés , que I aime comme eux, mais que je ne fais pas faire;  J. J. R o u s s e a tr. i i j & je puis vous protefter, Monfieur, que j'ai plus vécu durant ces lix ans, que je n'avois fait dans tout le cours de ma vie. Maintenant vous me faites defirer de revoir encore un printems, pour faire avec vos charmans pafteurs de nouvelles promenades, pour partager avec eux ma folitude, & pour revoir avec eux des afyles champêtres qui ne font pas inférieurs a ceux que M. Gefsner & vous avez fi bien décrits. Saluez - le de ma part, je vous fupplie, & recevez auffi mes remerciemens & mes falutations. Voulez-vous bien,Monfieur, quand vous écrirez a Zurich, faire direnille chofes pour moi a M. Ufteri ? J'ai recu de fa part une lettre que je ne me laffe point de relire, & qui contient des relations d'un payfan plus fage, plus vertueux, plus fenfé que tous lts phüofophes de Punivers; je fuis faché qu'il ne me marqué pas le nom de eet homme refpeérable. Je lui voulois répondra un peu. au long, mais mon déplorable état m'en a empêehé jufquïci. Lettre a MeJJiews de la Société Bconomique de Berne. Montmorenci, le 29 Avril 1762» V ous etes moins inconnus , Meffieurs , qua vous ne penfez, & il faut que votre Société na  ri4 Lettres de manque pas de célébrité dans Ie monde, nuifque le bruit en eft parvenu dans eet afyle a un. homme qui n'a plus aucun commerce avec les gens de lettres. Vous vous montrez par un cóté fi intéreffant que votre projet ne peut manquer d'exciter Ie public & furtout les honnêtes gens a vouloir vous connoitre , & pourquoi voulez-vous dérober aux hommes le fpectacle fi touchant & fi rare dans notre fkcle, de vrais citoyens aimant leurs freres & leurs femblables, & s'occupant fin^ cerement du bonheur de la patrie & du genre humain ? Quelque beau, cependant , que foit votre plan, & quelques talens que vous ayez pour 1'exéeuter, ne vous flattez pas d'un fuccès qui réponie' entiérement a vos vues. Les préjugés qui ne tiennent qu'a Terreur fe peuvent détruire , mais ceux qui font fondés fur nos vices ne tomberont qu'avec fUi ', YC'JS VOli'ëi COiTnTiSilivï pSï Spprendre aux hommes la vérité pour les rendre fages, & tout au contraire, il faudroit d'abord les rendre fages pour leur faire aimer la vérité; La vérité n'a prefque jamais rien fait dans le monde, paree que les hommes fa conduifent toujours plus par leurs pafüons que par leurs lumieres, & qu'ils font le mal en approuvant le bien. Le fiecle oünous vivons eft des plus éclairés, mêma en morale; eft-il des meilleurs ? Les livres ne font bons a rien, j'ea dis autant des académies & des fociétés littéraires; on ne donne jamais i ce qui en fort d'utile, qu'une  j. ƒ. Kousseüt» hts approbation ftérile;fans cela la nation qui a produit les Fenelons, les Moncefquieux, des Mirabeaux, ne feroit-elie pas Ia mieux conduite & la plus, heureufe da la terre? En vaut - elle ■ mieux depuis les écrits de ces grands hommes, & un feul abus a-t-il é;é redreffé fur leurs maximes? Ne vous flattez pas de faire plus qu'ils n'ont fait. Non , Meffieurs, vous ponrrez inftruire les peuples, mais vous ne les rendrez ni meilleurs ni plus heureux. C'eft une des chofes qui m'ont le plus découragé, durant ma courte carrière h'ttéraire, de fentir que, même me fuppofant tous les talens dont j'avois befoin, j'attaquerois fans fruit des erreurs funeftes, & que, quand je les pourrois vaincre, les chofes n'en iroient pas mieux. J'ai quelquefois charmé mes maux en fatisfaifant mon cceur , mais fans' m'en impofer fur 1'efFet de mes foins. Plufieurs m'ont lu, quelques-uns m'ont approuvé même, & comme je 1'avois prévu, tous font reftés ce qu'ils étoient auparavant. Meffieurs, vous direz mieux & davantage-, mais vous n'aurez pas un meilleur fuccès,& au lieu du bien pubiic que vous cherchez,vous ne trouverez que la gloire que vous femblez craindre. Quoi qu'il en foit, je ne fais qu'être fenfible i 1'honneur que vous me faites.de m'affocier en quelque forte,par votre correfpondance,a de fi nobfes travaux. Mais en me Ia propofant, vous ignoriez fans doute, que vous vous adreffiez a un pauvre malade qui, après Evoir effayé düc ans du trifl©  Iltf LETTRES ÖE- métier d'auteur , pour lequel il n'étoit point fairV y renonce dans la joie de fon cceur, & après avoir eu Thonneur d'entrer en lice avec refpeft, mais en homme libre, contre une tête couronnée, ofe dire en quittant la plume, pour ne la jamais reprendre-, Viüor ceflus artetnque repono. Mais fans afpirer aux prix donnés par votre munificence, j'en trouverai toujours un trés-grand dans 1'honneur de votre eftime, & fi vous me jugez digne de votre conefpondance, je ne refufe point de 1'entretenir, autant que mon état, ma retraite, & mes lumieres poarront le permettre, & pour commencer par ce que vous exigez de moi, je vous dirai que votre plan.quoique trés bien fait, meparoit généralifer un peu trop les idéés & tourner trop vers la métapbyfique , les recherches qui deviendroient plus utiles, felon vos vues, fi elles avoient des applications pratiques Iocales & particulieres. Quant a vos queftlons, elles font trés - belles , la troifietne (*) furtout me plait beaucoup ; c'eft ceile qui me tenteroit fi j'avois a écrire- Vos vues en la propofant font affez claires, & il faudra que celui qui la traitera, foit bien mal - adroit s'il ne les remplit pas, Dans la première, oü vous demandez quels font les moyens de tirer un peupli de la corruption?- Outre que ce mot de corrupticn me parolt un peu vague, & rendre la queftion (*.) Qael peuple a jamais été le plus beuieux?  J. J. R O V S S S A V. Hf prefque indétérminée, il faudroit rammeneer, peutêtre, par derr.ander s'il eft de tels moyens : car c'eft de quoi 1'on peut tout au moins douter. En compenfation vous pourriez óter ce que vous ajoutez a la fin, & qui n'eft qu'une répétition de la queftion même, ou en fait une autre tout-a-fait; k part (*). Si j'avois a traiter votre feconde queftion (f) ; je ne puis vous diffimuler que je me déolarerois avec Platon pour 1'affirmative, cequi füremenc n'étoit pas votre intention en Ia propofant. Faites comme 1'Académie Francoife, qui prefcrit le parti que 1'on doit prendre , & qui fe garde bien de mettre en problêms les queftions fur lefquelles elle a peur qu'on ne dife Ia vérité. La quatrieme ($) eft la plus utile, a caufe de cette application locale dont j'ai parlé ci-devant; elle offre de grandes vues a remplir. Mais il n'y a.qu'un Snifte ou quelqu'un qui connoiffe a fond la conftitution phyfique,politique & morale du Corps Helvétique , qui puiffe la traiter avec fuccès. II faudroit voir ■ foi - même pour ofer dire : O utitiam! Hélas! c'eft augmenter fes regrets de renouveller (*) Voici la fuite de cette queftion. Et quel eft U plan leplus parfait qu'un légiflateur puijje fuivre a cct égard? Ct) Eft-il des prejugés refpeflsbles qu'un bon citoyen doive fe faire un fcrupule de combattre publiquernent ? (§) Par quels moyens pourroit-on refTerrer les liaifons & 1'amitié entre les citoyens des diverfes républiques, qui cctnpofent Ja conféUé'ration Helvéjiqwe ? B3'  «i& Lettres b e des vceux formés tant de fois & devenus inutiles. Bonjour, Monfieur,, je vous falue, vous & vos dignes collegues, de tout mon cceur & avec Ie plus vrai refpecL Lettre a M. M***. Montmorenci, le 7 Juin 1762. Je me garderois de vous inquiéter,cher M***, fi je croyois que vous fuffiez tranquille fur mon comptejmais la fermentation eft trop forte pour que lebruit n'en foit pas arrivé jufqu'a vous, & je juge par les Iettres que je recois des provinees que les gens qui m'aiment.y font encore plus alarmés pour moi qu'a Paris. Mon livre a paru dans des c rconftances malheureufes. Le Parlement de Paris, pour juftifier fon zele contre les Jéfuites, veut, dit ■ on, perfécuter auffi ceux qui ne penfent pas comme eux , & Iq. feul homme en France qui croie en Dieu,doit être la viétime des défenfeurs du Christianifme. Depuis plufieurs jours, tous mes amis s'efforcent a 1'envi de m'effrayer ; on m offre partout des retraites; mais comme on ne me donne pas pour les accepter des raiforas bonnes pour moi, je dtmeure; car votre ami Jean-Jaques n'a point appris a fe cacher. Je penfe auffi qu'on groffit le mal a mts yeux pour tacher de m'ébranler; car je  j. J. Rovsseaü. i r$ •.ne fattrois concevoir a quel titre, moi citoyen da Geneve, je puis devoir compte au Parlement de Paris d'un livre que j'ai fait imprimer en Hollande avec privilege des Etats - Généraux. Le feul moyen de défenfe quej entends employer, fi 1'on m'interroge , eft la récufation de mes juges i ma's ce moyen ne les contentera pas; car je vois que, tout plein de fon pouvoir fuprême, Ie Parlement a peu d'idée du droit des gens & ne Ie refpeftera gueres dans un pstit particulier comme moi. II y a dans tous les corps des intéréts auxquels Ia juftice effc toujours fubordonnée , & il n'y a pis plus d'inconyénient a brüler un innocent au Parlement de Paris, qu'a en rouer un autre au Parlement da Touloufe. II eft vrai qu'en général les Magiftrats du premier de ces corps aiment Ia juftice, & font toujours équitables & modérés quand un afcendant trop fort ne s'y oppofe pas; mais fi eet afcendant ag't dans cette affaire, comme il eft probable, ils n'y réfifteront point. Tels font les hommes, cher M***, telle eft cette fociété fi vantée; la juftice parle, & les paffions agifiènt. D'ailleurs, quoique je n'euffa qu'a déclarer ouvertement la vérité des faits, ou, au contraire, a ufer de quelque menfongepour me tirer d'affaire, même maigré eux; bien réfSlu de ne rien dire que de vrai, & de ne .compromettre perfonne, toujours gêné dans mes réponfes , je leur donnerai le plus beau jeu du monde pour me perdre a leur plaifir. Mais, cher M * * *, fi la devife que J'ai prife  iso Lettres de n'eft pas un pur bavardage, c'eft ici 1'occafion de m'en montrer digne; & k quoi puis-je employer mieux le peu de vie qui me refte ? De quelque maniere que me traitent les hommes, que me feront - ils que la nature & mes maux ne m'euffent bientót fait fans eux? Ils pourront m'citer une vie que mon état me rend a charge, mais ils ne m'óteront pas ma liberté; je la conferverai, quoi qu'ils faffent, dans leurs liens & dans leurs murs. Ma carrière eft finie, il ne me refte plus qu'a la couronner. J'ai rendu gloire a Dieu, j'ai parlé pour le bien des hommes; ó ami! pour une fi grande caufe, ni toi ni moi ne refuferons jamais de fouffrir. C'eft aujourd'hui que le Parlement rentre; j'attends en paix ce qu'il lui plalra d'ordonner de moi. Adieu, cher M***, je vous embraffe tendrement; fitót que mon fort fera décidé, je vous en inftruirai, fi je refte libre : finon, vous 1'apprendrez par la voix publique. Lettre au même. Yverdun, Ie 15 Juin 1762. "Vous aviez mieux jugé que moi, chePM***; 1'événement a juftih'é votre prévoyance & votre amit'é voyoit plus clairque moi fur mes dangers. Après la réfolution oü vous m'avez vu dans ma précédente lettre, vous ferez furpris de me favoir maintenant  J- J- R.OUSSEAU. 121 ïnaintenant a Yverdun; mais je puis vous dire que ce n'eft pas fans peine & fans des confidërajions très-graves, que j'ai pu me déterminer a un parti fi peu de mon goüt. J'ai attendu jufqu'au dernier moment fans me laiflèr effrayer, & ce ne fut qu'un courier venu dans Ja nuit du 8 au g de M. le Prince de Conti a Madame de Luxembourg, qui apporta les détails fur lefquels je pris fur le champ mon parti. II ne s'agifibit pjus de moi feul, qui furement n'ai jamais approuvé Ie tour qu'on a pns dans cette affaire, mais des perfonnes qui, pour 1 amour de moi, s'y trouvoient intéreffées, &, quune fois arrêté, mon filence méme , ne voulant pas mentir, eüt compromifes. II a donc fallufuir, cher M***, & m'expofer, dans une retraite affez difficüe, a toutes les tranfes des fcélerats , laiffant le Parlement dans Ia joie de mon éyafion & très -réfolu de fcivre Ia contumace auffi lom quelle peut aller. Ce n'eft pas, broyez-moi, que ce corps me haïffe & ne feue fort bien fon mtquité. Ma's voulant fermer Ja bouche aux dévots en pourfuivant les Jéfcites, il m'eüt, fans egard pour mon trifte état , fait foufflir ]es !us auel es tortures; il m'eüt fait brüler vif avec auffi peu de plaifir que de juftice, & fimpleme„t parCe que cela 1 arrangeoit. Quoi qu'ü en foit. je vous jure.cnerM^^.devantceDieuqui lit dans mon cceur,quejen'airien fait en tout ceci contre les loix; que non-feuiement j'étois parfaitement en regie, matsquej en avois les preuvesks plus authemiques; Lettres, p  •ï 22 Lettres de ft qu'avant de partir, je me fuis défait volonta'remen! de ces preuves pour la tranquillité d'autruï. Je fuis arrivé ici hier matin, & je vais errer dans ces montagnes jufqu'a ce que j'y trouve un afyle affez fauvage pour y paffer en paix le refte de mes miférables jours. Un autre me demanderoit peut - être pourquoi je ne me retire pas a Geneve ? Mais, ou je connois mal mon ami M * * *, ou il ne me ftra fürement pas cette queftion; il fent'ra que ce n'eft point dans la patrie qu'un malheureux profcrit doit fe réfugier; qu'il n'y doit point porter fon ignominie, ni lui fa;re partager fes affronts. Que ne puis - je dès eet inftant y faire oublier ma mémoire! N'y donnez mon adreffe a perfonne; n'y parlez plus de moi; ne m'y nommez p'us. Que mon nom föit effacé de deffus la terre- Ah, M***! la providence s'eft trompée; pourquoi m'a -1 -elle fait naitre parmi les hommes, en me faifant d'ur.e -autre efpe.ee qu'eux ? Lettre «w même. Yverdun, Ie 22. Juin 1762. C e qae vous me marquez, cher M * * *, eft a peine croyable. Quoi! décrété fans êtreouï! Et oü eft le délit! oü font les preuves? Genevois, fi telle eft votre liberté, je la trouve peu regret-iab.'e, Clté a comparoitre, j'étois obligé d'obéir;  J- J. R O U S S E A Cf. 123 au lieu qu'un décret de prife da corps ne m'ordonnant rien , je puis demeurer tranquilla. Ce n'eft pas que je ne veuille purger la décret &' me rendre dans les prifons en tems & lieu , curieus d'entendre ce qu'on peut avoir a me dire ; car j'ayoue que je ne 1'imagine pas. Quant a pré'fant, je penfe .qtffl eft a propos de laiffer au Confeil te tems de revenir fur lui-même, & de mieux voir ce qu'il a fait. D'ailleurs, il feroit a craindre que dans ce moment de chaleur, quelques eitoyens ne viflent pas fans murmure Ie traitement qui m'eft deftiné , & cela pourroit ranimer des aigreurs qui doivent refter a jamais éteintes. Mon intention n'eft pas de jouerun róle, mais de remplir mon de voir. Je ne puis vous diffimuler, cher M***, que quelque pénétré que je fois de votre conduite dans ' cette affaire, je ne faurois 1'approuver. Le zele que vous marquez ouvertement pour mes intéréts, ne me fait aucun bien préfent, & me nuit beau! coup pour I'avenir en vous nuifant a vous-mêma. Vous vous ótez un crédit que vous auriez employé très-utilement pour moi dans un tems pius heureux. Apprenez a louvoyer, mon jeune ami, & ne heurtez jamais de' front les paffions des hommes , quand vous voulez les ramener a la raifon. L'envie & ïa haine font maintenant contre moi è leur comble. ' Elles diminueront quand , ayant depuis longtems ceffé d'écrire.je commencerai d'être oublié du public, & qu'on ne craindra plus de moi Ia vérité. Alors fi je fuis encore, vous me fervirez & i'oa . ) Fa  ï24 Lettres de wocs éeoutera. Maintenant taifez - vous; refp:ctez la déc'fïon des M aaltrats & 1'opinion publique; ne ■jn'abandonnez pas ouvertement, ce feroit une lacheté; mais parlez peu de moi, n'affectez point un tems viendra peut - être que je poyrrai vous preffcr contre mon fcin, & ctt efpoir «us fait encpre aimer la vie.. i") M. D. Rojiihi,  j< J. R o- V s S e a ff. rz? Lettre 4 Af. & Gingins de Moiry. Yverdmi, le 22 Juin i;6» MoNSIEUIt', Vous verr#z par la lettre ci-jomte oir» fe viens d'ecre décrété a Geneve de prife de c« Ceile que j'ai 1'honneur de vous écrire n'a point pour objet rria füreté perfonnelle ; au contrair» je fa s que mon devoir eft dé'me rendre dans les pnfonsde Geneve, puifqu'on m'y- a juge coupable, & cefl: certainement ce que je ferai, fiiöt que ,V foar aflure que ma préfence ne caufera aucun troub-e dans ma patrie. Je fa s d'ailleurs que j'ai le, bonheur de vivre fous les !oix d'un Souversn equrabie & éclaW, qui ne fe gouverne point par les r-dées dautrui , qui peut & qui veut protéger 1 mnocence opprimée. Mais, Monfieur, il ne me faffit-pas dans mes malheurs de la proton même du Souverain , fi je „e fliis encore f onoré de fon" eftime & s'il ne me voit de bon ceil cbereher ua afyto dan. to Etats. C'eft fur ce point, Monfieur, quejofe rmplorer vos bontés , & vous fupp'kr . de voulotr bien faire au fouverain Sénat un rpport de mes refpeftueux fentimens. Si ma démarche a le malheur de ne pas agréer a LL. EE. ie ne *eux point abufer d'une protcction qu'elles n W F 3  i2.<5 Lettres de deroiejjt qu'au rnalheureux , & dont 1'homme ne leur paroltroit pas digne, & je fu's pret a fortir de leurs Etats, même fans ordre; mais fi le défenfeur de la caufe de Dieu, des loix , de la vertu, trouve grace devant elles , alors, fuppofé que mon devo'r ne m'appelle point a Geneve, je pafferai le refte de mes jours dans la confiance d'un cceur droit & fans reproche, foumis aux juftes loix du plus fage des Souverains. Lettre a M. Af***. ' ' Yverdun, le s*. Juin i?6a. Encore un mot, cher M***, & nous no nous écrirons plus qu'au befoin. Ne cherchez point a parler de moi; mais dans 1'occafion elites a nos nagifha's que je les refpeéterai toujours, même injuftes; & a tous nos concitoyens, que je les aimerai toujours, même ingrats. Je fens dans mes malheurs que je n'ai point 1'ame haineufe; & c'eft une confolation pour moi de me fentir bon, auffi dans 1'adverfité. Adieu, vertueux M***, fi mon cceur eft ainfi pour les autres, vcus devez comprendre ce qu'il eft pour vous.  j. j. KOUS s e a TJ, 127 L e t t re a Madame Cramer de Lon.2 Juillet 1762-. Il y a longtems, Madame, que rien ne m'étonne' plus de Ia part des hommes, pas même ie bienquand ils en font. Heureufement je mets toutes les vingt-quatre heures un jour de p'us a ccaivert; de leurs caprices; il faudra bientöt qu'ils fe oépêchent, s'ils veulent nis rendre la victime de leuis; jeux d'enfans. Lettre a M. de Gingins de Moiry, Msmbre du Confeü Souverain de la Républiqüe de-Berne, Éf Seigneur Baillif a Tverdun. Motiers, Ie 21 juillet S7S2.- J'use , Monfieur, de la psrmifilon que vous m'avez donnée de rappeller a votre fouvenir un homme dont le cceur plein de vous & de vos boBtés confervera toujours cherement les fentimerts que vous lui lui avez infpirét. Tous mes malheurs me viehnent d'avoir trop bien penfé des; hommes. Ils me font fentir combien je m'étois trompé. j'avois befoin , Monfieur, de vous cvnnoitre, vous & le petit nombre de ceux quiF-  728 Lettres db vous reffemblent, pour ne pas me reprocher une erreur qui m'a coüfé fi cher. Je favois qu'on ne pouvoit dire impunément la vérité dans ce fiecle , ni peut-être dans auctin autre; je m'attendois a fouffrir pour la caufe de Dieu; mais je ne m'attendois pas, je 1'avoue, aux traitemens inouis que jeviens d'éprouver. De tous les maux de la vie humaine, t'opprobre & les affronts font les feuls auxquels 1'honnête homme n'eft point préparé. Tant de barbarie & d'acbarnement m'ont furpris au dépourvu- Calomnié publiquement par des hommes établis pour venger 1'innocence; traité comme un m:'faiteur dans mon propre pays que j'ai tacfté d'honorer ; pourfuivi, chaffé d'afyle en afyle, fentant a la fois mes prepres maux & la home de rr.a patrie, j'avois 1'ame émue & troublée, j'étois découragé fans vous. Homme illuftre & refpectable, vos confolations m'ont fait onbiier ma mifere, vos difcours ont élsvé mon cceur, votre eftime m'a mis en état d'en demeurtr toujours digne: j'ai plus gagné par votre bienveillance que je n'ai perdu par mes malheurs. Vous me la conferverez, Monfieur, je Tefpere, malgré les hurlemens du fanatifme & les adroites noirceurs del'impiété. Vous êtes trop vertueux pour me haïr d'ofer croire en Dieu, & trop fage pour me punir d'ufer de Ia ra fon qu'il m'a donn.ee.  ƒ• JV R O U 3- Sr E jStttl Lettre a Mylord Maréchal. Juillet 1752. Pitam impendere yero. Mylord, tJ" n pauvre auteur profcrit de Franee , de ïk patrie, du Canton de Berne , pour avoir dit cequ'il penfoit être utiie & bon, vient chercber uw afyle dans les Etats du Roi. Mylord, ne me 1'accordez pas fïje fuis coupable, car je ne demande point de grace & ne crois -point en avoir befoin : muis fi je ne fuis qu'opprimé, il eft digne de vous & de Sa Majeflé de ne pas me refufer le feu & Peau qu'on veut m'óter par toute la terre. J'ai ciu vous devoir déclarer ma retraite, & monnom trop connu par mes malheurs : ordonnez da mon fort, je fuis foumis a vos ordres ; mais fi vous m'ordonnez auffi de partir dans 1'état. oü. jefuis, obéir m'eft impoffible, & je ne faurois plus, oü fuir. Daignez, Mylord, agréer les affurances de mem profond refpecc.  ig je ne vois pas pourquoi J. J. Rous» feau ne communieroit pas de même dans un culte. cii rien ne choque fa raifon; & je vois encore moins pourquoi, après avoir jufqu'ici profeflë ma religion chez lés Catholiques, fans que perfonne m'en fit un crime, on s'avife tout d'un coup de m'en faire un fort étrange de ce que je ne la quitte pas en pays Proteftant. Mais pourquoi eet appareil d'écrire une lettre ? Ah! pourquoi ? Le voici. M. de Voltaire me voyant opprimé par le Parlement de Paris, avec la générofité naturelle a lui & a fon parti, faifit. ce moment de me faire opprimer de même a Geneve, & d'oppofer une barrière infurmontable ai mon retour dans ma patrie. Un des plus fursmoyens qu'il employa pour cela, fut de me faire regarder comme déferteur de ma. religion: car la. deffus nos loix font formelles, & tout citoyen ou bourgeois qui ne profeffe pas la religion qu'elle9 autorifent, perd par-la même fon droit de cité. Ils travaillerent donc de toutes leurs fo'rces lui & le Jongleur a foulever les JvJiniftres; ils ne réuffirent pas. avec-ceux de Geneve. qui les- connoiflent, mais  136 Lettres bË' ils ameuterent tellement ceux du pays de Vaud,', que malgré la protection & 1'amitié de M. le Bailiif d*Yverdun & de plufieurs Magiftrats, il fallut ibrtir du Canton de Berne. On tenta de faire la même chofe en ce pays; le Magiftrat municipal de Neufchatel défendit mon livre; Ia Claffe des Miniftres le déféra; le Gonfeil d'Etat alloit le défendre dans tout 1'Etat & peut - être procéder contre ma perfonne: mais les ordres de Mylord Marécbal, & la protection déclarée du Roi 1'arrêterent tout court, il fallut me laiffer tranquille. Cepen» dant le tems de la communion approchoit, & cette époque alloit décider fi j'étois féparé de 1'Eglife Proteftante, ou fi je ne 1'étois pas. Dans- cette circonftance, ne voulant pas m'expofer a un affront public, ni non plus conftater tacitement en ne me préfentant pas, la défertion qu'on me reprochoit, je pris le parti d'écrire a M. de Montmollin, Pafteur de la paroilfe , une lettre qu'il a fait courir; mais dont les Voltairiens ont pris foin de falfifrer beaucoup de copies. J'étois bien éloigné d'attendre de cette lettre l'effet qu'elle produifitj je la regardois comme une protefiation néceffaire, & qui auroit fon ufage en tems & lieu. Quelle fut ma furprife & ma joie de voir dès le lendtmain chez moi M. de Montmollin, me déclaret que non* feulement il approuvoit que j'app oehafie de la Sainte Table, mais qu'il m'en prioit, & qu'il m'en ( prioit le 1'aveu unanime de tout le Confiftóire, pour 1'édificauon de fa paroiffe dont j'avois' 1'appro»  j. j. Rousseau. igy bation & 1'eftime. Nous eiimes enfuite quelques conférences, dans lefquelles je lui développai fianchement mes fentimens, tels a peu prés qu'ils font expofés dans la profeffion du Vcaire , appuyant avec vérité fur mon attacbement conftant a 1'Evangile & au Chriffianifme , & ne lui déguifant pas non plus mes difficultés & mes doutes. Lui de fon cóté, connoiiTant allez mes fentimens par mes Hvres, évita piudemment les points de doctrine qui auroient pu m'arrêter, ou le compromettre; il ne prononca pas même le mot de létra&ation , n'infifla fur aucune explication, & nous nous féparames contens 1'un de 1'autre. Depuis lors j'ai Ia confolation d'être reconnu membre de fon Eglife; il faut être opprimé, malade & croire en Dieu pour fentir combien il eft doux de vivre parml fes freres-. M.. de Montmollin ayant a juftifïer fa conduite devantfts confrères, fit courir ma lettre. Elle* fait a Geneve un effet qui a mis les Voltairiens au défefpoir, & qui a redoublé leur rage. Des foules de Genevois font accounts a Motiers, m'embrasfant avec des Iarmes de joie, & appellant hautement M. de Montmollin leur bienfaiteur & leur pere. II eft même für que cette affaire auroit des fuites, pour peu que je fuffe d'humeur a m'y prêter. Cependant il eft vrai que bien des Miniftres font mécontens; voilé, pour ainfi dire, la profeffion de foi du Vicaire approuvée en tous fes points , par un de leurs cocfxejes; ils ne peuvent digérec  338 Lettres de cela. Les uns murmurent , les autres menacent'' d'écrire; d'autres écrivent en effet ; tous veulentabfolument des rétractetions & des explicationsqu'ils n'auront jamais. Que do's-je fa;re a préfent, Madame, a votre avis ?' Irai-je lailTer mon digne Pafieur dans les Iacqs oü il s'eft mis pour 1'amour de moi? 1'abandonnerai-je a la cenfure de fes con-freres? autoriferai-je cette cenfure par ma conduite & par mes écrits ? & démentant la démarche que j'ai fa'te, lui laifterai-je toute la honte & tout le repentir de s'y être prêté? Non, non, Madame; on me traitera d'bypocrite tant qu'on voudra; mais je ne ferai ni un perfide , ni un lache. Je ne renoncerai point a la religion de mes peres , a cette religiën fi raifonnable, fi pure, fi conforme è la fimplicité de PEvangile, oü je fuis rentré de; bonne foi depuis nombre d'années , & que j'ai depuis toujours hautement profeffée. Je n'y renoncerai point au moment oü elle fait toute la confolatton de ma vie , & oü il importe a 1'honnête homme qui m'y a maintenu, que j'y demeure fincérement attaché. Je n'en conferverai pas non plus les liens extérieurs , tout chers qu'ils me font , aux dépens de la vérité, ou de ce que je prends pour elle; & 1'on pourroit m'excommunier, & me décréter bien des fcis, avant de me faire dire ce que je ne penfe pas. Du refte, je me confolerai d une imputation d'hypocrifie , fans vraifemblance & fans preuves. Un auteur qu'on bannit, qu'on décrete, qu'on brule pour avoir dit hardiment fes  J, J. Roussiau. 130 fentimens, pour s'être nommé, pour ne vouloir pas fe dédire; un citoyen ehériffant fa patrie, qui aime mieux renoncer a fon pays qu'a fa francbife, & s'expatrier que fe déraentir, eft un hypocrite d'une efpece affez' nouvelle, je ne connois dans eet état qu'un moyen de prouver qu'on n'eft pas un hypocrite ; mais eet expédient auquei mes ennemis veulent me réduire, ne me conviendra jamais, quoi qu'il arrivé; c'eft d'être un imp'e ouvertement. De grace, expliquez-moi donc, Madame, ce que vous voulez dire avec votre ange, &. ce que vous trouvez a reprendre a tout cela. Vous ajautez, Madame , qu'il falloït que j'attendiffe d'autres circonftances pour profeffer ma religion, (vous avez voulu dire pour continuer de la profefltr.) Je n'ai peut-être que trop attendu par une fierté dont je ne faurois me défaire. Je n'ai fait aucune démarche, tant que les Miniftres m'ont perfécuté. Mais quand,une fois j'ai été fous la protection du Roi, & qu'ils n'ont plus pu me rien faire, alors j'ai fait mon devoir, ou.ee que j'ai cru 1'être. J'attends que vous m'appreniez en quoi je me fuis trompé. Je vous envoie 1'extrait d'un dialogue de M. de Voltaire avec un ouvrier de ce pays - ci qui eft i fon fervice. J'ai écrit ce dialogue de mémoire, d'après le récit de M. de Montmollin, qui ne me Pa rapporté lui-même que fur le récit de 1'ouvrier, il y a plus de deux mois.. Ainfi, le tout peut n'être pas abfolumeut exact; mais les traits prin»  MO Lettres* d' e cipaux font fideles ; car ils ont frappé M. de Montmollin ; il fes a retenus, & vous eroyez bien que je ne les ai pas oubliés. Vous y verrez que M. de Voltaire n'avoit pas attendu la démarche dont vous vous plaignez, pour me taxer d'hypecrifie. Cmverfation de M. de Voltaire avec un de fes Ouvriers du Comtê de Neufchdtel. M. de Voltaire. Est-il vrai que vous êtes du Com!é de Neufch&tel ? L' O u r r i e r. O u i, Monfieur. M. de Voltaire. Etes-vous de Neufchatel même? L' O u v r i e r. Non, Monfieur; je fuis du viliage ds Butte dans la valiée de Travers. M. de Voltaire. B u t t e ! Cela eft il loin de Motieis ? L' O u v r i e r. A une petite lieue. M. de V q l t a r r e. Vous avez dans votre pays un certain perfonnage de celui -ci, qui a bien fait des fiennes. L' O u v r i e r. Qui dónc, Monfieur? M. de Voltaire. Un certain Jean-Jaques Rouffeau. Le connoisfez-vous ?  j- j. ReussEAu. i^t' L' O u v r r e r. Orjr, Monfieur; je J'ai vu un jour a Butte, dans le carroffe de M. de Montmollin qui fe promenoit avec lui. M. de Voltaire. Comment ce pied - plat va en carroffe? Le Voila donc bien fier? L' O u v r i e r. Oh! Monfieur, iT fe promene auffi a pied. II sourt comme un chat maigre, & grimpe fur toutes nos montagnes. M. de Voltaire. Il pourroit bien grimper quelque jour fur une échelle. II eüt été pendu a Paris, s'il ne fe fut fauvé. Et il le fera ici, s'il y vient. L' O u v r i e r. Pendu! Monfieur ! II a l'air d'un fi bon homme, eh! mon Dieu! qu'a-t-il donc fait? M. de Voltaire. I l a fait des livres abominables. C'eft un impie, un athée. L' O u v r i e r, Vous me furpienez. II va rpus les dimanchei a 1'églife. M. de Voltaire. Ah! 1'hypociite! Et que dit-on de lui dansje pays? Y a-t-il quelqu'un qui veuille le voir? L' O u v r i e r. Tout le monde , Monfieur, tout le monde 1'aime. II eft recherché paitout , & on dit qua Mylord lui a fait auffi bien des careffes.  1*42 Lettres de M. de Voltaire. C'est que Mylord ne le connolt pas , bï vous non plus. Attendez feulement deux ou trois mois, & vous connoltrez 1'homine. Les gens de Montmorenci oü il demeuroit, ont fait des feux de joie, quand il s'eft fauvé pour n'être pas pendu. C'eft un homme fans foi , fans honneur , fans religion. L' O u v r i e r. Saus religion! Monfieur , mais on dit que vous n'en avez pas beaucoup vous - même. M. de Voltaire. Qui, moi, grand Dieu! Et qui eft-ce qui dit cela ? L' O u v r i e r. Tout Ie monde, Monfieur, M. de Voltaire. A h ! quelle horrible calomnie! Moi qui ai étudié chez les Jéfuites, moi qui ai parlé de Dieu mieux que tous les théologiens! L' O u v r i e r. Mais, MonfiSur, on dit que vous avez fait bien de mauvais- livres. M. de Voltaire. On ment. Qu'on m'en montre un feul qui porte mon nom , comme ceux de ce croquant portent le fien, &c.  !j. J. R o u s s e a U. I43 Lettre a M. de Montmollin. Novemfare 1752, s d je me fuis réuni , Monfieur , il y a neuf ans è 1'églife, je n'ai pas manqué de cenfeurs qui ont blimé ma démarche , & je n'en manque pas aujourd'hui que j'y refte uni fous vos aufpices, contre 1'efpoir de tant de gens qui voudroient m'en voir féparé. II n'y a rien Ia de bien étonnant; tout ce qui m'honore & me confole, déplatt a mes ennemis& ceux qui voudroient rendre Ia religion méprifabie, font fichés qu'un ami de la vérité la profelfe ouvertement. Nous connoifTons trop, vous & moi, les hommes pour ignorer a combien de pafilons humaines le feint zele de la foi fert de manteau, & 1'on ne doit pas s'attendre a voir 1'athéifme & 1'impiété plus charitables que n'eft 1'hypocrifie ou Ia fuperflicion. J'efpere, Monfieur, ayant maintenant Ie bonheur d'être plus «onnu de vous, que vous ne voyez rien en moi qui démentant la déclaration que je vous ai fake, puiiTe vous rendre fufpecte ma démarche, ni vous' donner do regret ,a la vótre. S'il y a des gens qui m'accufent d'être un hypocrite, c'eft paree que je' Jie fuis pas un impie ; ils fe font aii-angé pour m'accufer de 1'un ou de 1'autre, fans doute, parca qu'ils n'imagtnent pas qu'on puiffe fincérement croire «n Dieu. Vous voyeg que de quelque maniere Q«e  144- Lettres de je me conduife, il m'eft irrjpoffible d'écbapper a Tune des deux imputations. Mais vous voyez auffi que fi toutes deux font également deftuuées de preuves , ceile d'bypocrifie eft pourtant la plus inepte; car un peu d'hypocrifie m'eüt fauvé bien des difgraces; & ma bonne foi me coüte affez cher, ce me femble , pour devoir être au deffus de tout foupcon. Quand nous avons eu, Monfieur, des entretiens fur mon ouvrage (*), je vous ai dit dans quelles vues il avoit été publié, & je vous réitere la même chofe en Cncérité de cceur Ces vues n'ont rien que de louable, vous en êtes convenu vous-meme; & quand vous m'apprenez qu'on me ptête ceile d'avoir voulu jetter du ridicule fur le Chriftianifme, vous fentez en même tems combien cette imputation eft ridicule elle-même; puifqu'elle porte uniquement fur un dialogue dans un langagè improuvé des deux cótés dans 1'ouvrage même, cc oü 1'on ne trouve affurément rien d'applxable au vrai Chrétien. Pourquoi les Réformés prennent-ils ainfi fait & caufe pour 1'Eglife Romaine ? Pourquoi s'échauffent-ils fi fort quand on releve les vices de ■ fon argumentation qui n'a point été la ltui jusqu'ici? Veulent-ils donc fe rapprocher peu a peu de fes manieres de penfer, comme ils fe rspprochent déja de fon intolérance, contre les princpts fondamentaux de leur propre communion? Je CO I! eft queftion de 1'fimile.  J- J- R O U S S E A V. Je fuis bien perfuadé, Monfieur, què fi j'eHfl-a, toujours vécu en pays proteftant, alors ou la profeflion du Vicaire Savoyard n'etït point été faite ce qui certaingment eut été un mal è bien d»s' egards, ou felon' toute apparence elle eik eu dans fa feconde partie, un tour fort différent de celuiqueue a, J e ne penfe pas cependant qu'il fail|e fuppri; Zl lS\°fai0m *» m réfoudre; car cette adreffe fubreptxe a un air de mauvaife foi qu» me revolte, & rne fait craindre q„',l nv ai£ au fond peu de vrais croyans. Toutes'les connl fa ce bumames ont leurs obfcurités, leurs diffi- bo né °bje£ti0nS' ^e1'^ humain trop borné nepeutrefoudre. La géométrie elle-même poin de f ' ^ kS êé0ffle'reS "e s'a^' pomt defeppnmer, & qui ne rendent pas pour ptbent \ ^ inC6rtaine- L5S <«£ «™ P-cbent pas qu-une vérité déoomré relilrTirt0UtfaTO1'r' m^enLtiere iTLr N0USn'enf~P- D-de moins croyans & " " P3S moins Z ;,\?usen fürons pius^™, plus. conme 2 * ^ ^ ^ ne ^ P» comme nous en toute chofe. A confidérer en ce fens la profeffion de foi du Vicaire, elle peut avoir ftjttihtémême dans ca qu'on a le'plasT' *» objefttons auffi «nwnaUenat, «„ffi ^ -  145 Lettres de tement qu'elks étoïent propofées, fans fe ficher comme fi 1'on avoit tort, & fans croire qu'une objeétion eft fuffifamment réfolue lorfqu'on a brülé Ie papier qui la contient. Je n'épiloguerai point fur les chicanes fars nombre & fans fondement qu'on m'a faites, & qu'on me fait tous les jours. Je fais fupporter dans les autres des manieres de penfer qui ne font pas les miemies ; pourvu que nous foyons tous unis en Jefus- Chrilt; c'eft-la 1'eiïentiel. Je veux feulement vous renouvelkr, Monfieur, la déclaration de la réfolution ferme & fincere oii je fuis, de vivre & mourir dans la communion de 1'Eglife Chrétienne Réfor-mée. Rien ne m'a plus confolé dans mes difgraces que d'en faire la fir/cere profeffion auprès de vous; de trouvsr en vous mon pafleur, & mes fiercs dans vos paroifliens. Je vous demande a vous & a eux la continuition des mèmes bontés ; & comme je ne crains pas que ma conduite vous faffe changer de fentiment fur mon compte, j'efpere que les méchancetés de m;s ermemis ne le feront pas non plus. 1762. E » parknt, Monfieur, dans votre gazette du 23 Juin, d'un papier appellé réquifitoire, publié ea France caatie le raeilkur & le plus utile de.  J. J. Rousseatj. 147 mes écrits, vous avez rempli votre office, & Ja ne vous en fais pas mauvais gré; je ne me p'aius pas neme que vous ayez tranfcrit les imputatons dont ce papier eft rempli, & auxquelles je m'abftiens de donner ceile qui leur eft dire. Mais Iorfque vous ajoutez de votre chef,qUe je fujs condamnable au-dela de ce qu'on peut dire pour avoir compofé le livre dont il s'agit, & fur' tout pour y avoir mis mon nom, comme s'il étoit permis & honnête de fa cacher en parlant au pubhc; alors, Monfieur, j'ai droit de me p'aindre de ce que vous jugez fans connoltre; car il n'eft pas poffible qu'un homme éclaré & un homme de bten porte avec connoifTance, un jugemant-fi peu équitable fur un livre oü 1'Auteur foutient Ia caufe de Dieu, des mceurs, de Ia vertu, contre la nouvelle philofophie, avec toute la force dont il eft capable. Vous avez donné trop d'autorité a des procédures irrégulieres & diétées par des motifs particuliere que tout le monde connolt Mc livre, Monfieur, eft entre les mains du public; ,1 fera Ju tót ou tard paf des ^ fonnables, peut - être enfin par des Cbrétiens qui verront avec furprife & fans doute avec indieL ton,_ qu'un difciple de leur divin maltre foit traité parmt eux comme un fcélérat. Je vous prie donc, Monfieur, & c*elt une réparation que vous me devez , de lire vous J2f 'V™*ddnt vous avez 13 ,é^™t & fi Wl parlé $ & quaild V0lls ^ £ ^ * G x  148 Lettres b e alors rendre corr.pte au public, fans faveur & fans grace, du jugemer.t que vous en aurez porté. Je •pous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre a M. Lot/eau de Maulèon, pour lui recommander Vaffaire de M. le Beuf de Faldahon. "Vo i c r, mon cher Mauléon, du travail pour vous qui favez braver le puiiTant injufte, & défendre f innocent opprimé. 11 s'agit de protéger par vos talens un jeune homme de mérite qu'on ofe. pourfuivre criminellement pour une faute que tout homme voudroit commettre, & qui ne bleffe d'autres loix que celles de 1'avarice & de 1'opinion. Armez votre éloquence de traits plas doux & non jnoins pénétrans, en faveur de deux amans perfécutés par un pere vindicaüf & dénaturé. Ils ont la voix publique, .& ils 1'auront partout oü vous parlerez pour eux. II me femble que ce nouveau fuj.t vous offre d'auiïï grandes vues a approfondir .rjue les précédens; & vous aurez de plus a faire valoir des fentimens naturels a tous les cceurs fenfibki , & qui ne font pas étrangers au vótre. j'efpere encore que vous compterez pour quelque «chofe la recommandation d'un homme que vous avez honoré de votxe amitié. Matte virtute, cher Mauléon; c'eft dans une route que vous vous êtes frayée, qu'on trouve le noble prix que je vous ai depuis fi lon#ems annoncé, & qui eft feul digne de vous.  ]■ J, R o 17 $ S e A V. 149 Lettre a Mademoifelle d'hernois, file de M le Procureur. Général de Neufchdtel, en lui voyant le premier lacet de ma faSon Au'elle Mi demandé pour préfent de noces. Ls voilé, Mademoifelle, ce beau préfent rfe noces que vous avez defiré ; s'il s'y trouve da Juperflu , faites, en bonne ménagere, qu'il ait bientot fon emploi, Portez fous d'heureux aufpice» eet embleme des liens de douceur & d'amour don* vous ttendrw enlacé votre heurem époax , & fongez qu'en portant un lacet tiflu par la main qui traca les devoirs des meres , c'eft s'engager è lts remplir. 5^ Lettre a M. Watelet. Motiers 1753. Vous me traitezen auteur, Monfieur; voir me faites des complimens fur mon livre. Te n'af veuntauÏeèCe!3'C'eftl'Ufa8e- Ce^Jurage veut auffi , qu'en avalant modeftement votre en. eens, Je vous en renvoie une bonne partie. VoH Pourtantce que Je ne ferai pas; car qLque Zn G 3  ijö Lettres de qualités que j'honore en vous, les effacent a mes yeux; c'eft par elles que je vous fuis attaché;c'eft par tlles que j'ai toujours defiré votre bienveiliance; & 1'on ne m'a jamais vu rechercher les gens 3 talens qui n'avoientque des talens. Je m'applaudis pourtant de ceux' auxquels vous m'aiTurez que je dois votre eftime, puifqu'ils me procurent un bien dont je fais tant de cas. Les miens tels quels, ont cependant fi peu dépendu de ma volonté,'Is m'ont attiré tant de maux, ils m'ont abandonr.é fi vite, que j'aurois bien vou'u tenir cette amitié dont vous permettez que je me flatte, de quelque chofe qui m'eüt été moins funefte & que je puffe dire être plus a moi. Ce feia, Monfieur, pour votre gloire, au mcirs je le defire & je 1'efpere, que j'aurai blimé ie. mervcilleux de 1'opéra. Si j'ai eu tort, comme cela peut tiès-bien être, vous m'aurez refuté par ls fait; & fi j'ai raifon, le fuccès dans un mauvais genre, n'en rendra votre triompbe que plus éclatant. Vous voyez, Monfieur, ral' périence conftante du théatre, que ce n'eft jamais le choix du genre bon ou mauvais, qui décide da foit d'une piece. Si la vótre eft intéreffante malgré les machines, foutentie d'une bonne mufique elle doit réufDr; & vous aurez eu , comme Quinault, le mérite de la d.fficulté vaincue- Si par fuppofition elle ne 1'eft pas, votre goüt, votre aimable poéfie 1'auront omée au moins de détails charmans qui la rendront agréable, & c'en elt affez pour  J- J. R o u s s e a 0. 15 x plaire & 1'opéra Francois; je tiens , Monfieur , beaucoup plus, je vous jure, a votre fuccès qua mon opinion, & non - feulement pour vous, m ijs auffi pour votre jeune muficien; car le grand voyj. ge que 1'amour de 1'art lui a fait entreprendre, Sc que vous avez encouragé, m'eft garant que'fon talent n'eft pas médiocre. 11 faut en ce genre, ainfi qu'en bien d'autres, avoir déja beaucoup en foïmême, pour fentir combien on a befoin d'acquérir. Meffieurs, donnez bientót votre piece, & dufféje être pendu, je i'irai voir, fi je pus. Lettre a M. le Marêchal de Luxembourg ,cmtenant une defcription du Val de Travers, A Motiers, Ie 20 Janvier jy63. oüs voulez, Monfieur le Marécbal, que je vous décrive le pays que j'babite ? Mais comment faire ? Je ne fris voir qu'autanr que je fuis ému; les objets indifférens font nuls a mes yeux; je n'aï de Pattention qu'a proportion de 1'intérêt" qui 1'excite, & quel intérêt puis-je prendre a ce que je retrouve fi loin de vous? Des arbres, des rocbers» des maifons , des hommes mêmes, font autant d'objets ifolés dont chacun en particulier donne peu d'émotion a celui qui le regarde: mais l'im preffion commune de tout cela, qui le réunit en un feul tableau, dépend de 1'état oü nous fommes en le eontemplant. Ce tableau, quoique toujours h G *  158 Lettres de même, fe pcint d'autant de manieres qu'il difpofïtions différentes dans les cceurs des fpeclateurs, & ces différences, qui font celles de nos jug mens, n'ont pas lieu feulement d'un fpectateur a 1'autre , mais dans le même en différeus tems. C'eft ce que j'éprouve bien fenfiblement en revoyant ce pays que j'ai tant aimé. J'y croyois rei reuver ce qui m'avoit charmé dar.s ma jeuneffe; tent eft changé; c'eft un autre payfage', un autre air, un autre ciel, d'autres honmes, & ne voyant pks mes Montagnons avec des yeux de vingt ans, je les trouve beaucoup vieillis. On regrette le bon tems d'autrefois; je le crois bien : nous attribuons aux chofes teut le changement qui s'eft fait; en nous, & loifque le plaifir nous quitte, nous croyons qu'il n'eft p'us nulie part. D'autres voient les chofe s cemme jious les avons vues & les verront comme nous les voyor.s aujourd'hui. Mais ce font des defcript'ons que vous me demandez , non des réflexiors, & les mienms m'entralnent comme un vieux enfant qui regrette encore fes anciens jeux. Les di ver fes impreffions que ce pays a faites fur moi a différens ages, me font conclure que nos relations fe rapportent toujours plus a nous qu'aux chofes, & que, comme nous décrivons bien plus ce que nous fentons que ce qui eft, il faudroit favoir comment étoit affecté f auteur d'un voyage en 1'écrivant, pour juger de combien fes peintures font au - decè ou au - dela du vrai. Sur ce principe > ne vous étonnez pas de  ƒ■ Ji S O X7 S J E £ rj. ie voir devenir aride & froid fous ma plnme ua pays jadis fi verdoyant, fi vivant, fi riant a mon gré: vous fentirez trop aifément dans ma letten quel tems de ma vie & en quelle faifon d « 1'année elle a été écrite. Je fais,Monfieur le Marécbal, que pour vous parler d'un village, il ne faut pas commencer par vous décrire toute Ia Suiiïe, comme fi Je petit eotn que j'habite avoit befoin d'être circonfcrk d'un fi grand efpace. II y a pourtant des chofes generales qui ne fe devinent point, & qu'q fuu£ favoir pour juger des objets particulier Pour connoitre Motiers , il faut avoir quelque idéé du Comté de Neufchatel, & pour connoitre le Cowé de Neufchitel, il faut en- avoir de la SuilTe entiere. Elle offre a peu prés partouc les même* a^pefts, deslacs, des prés, des bqjs, des montagnes; & les Suifiès ont auffi tous apeu prés les mêmes mceurs, mêiées de 1'irnitation des autres peuples & de leur antique fimplieité. JJS oat desmameres de vivre qui ne- cbangent point. paree quelles tiennent, pour ainfi dire, au foi du elfmat aux befoins divers, & qu'en cela les habitans feroné. toujours forcés de fe confonner a ce que la naturedes l.eux leur pèfcdt. Telle eft, par tocemule-, ladiftnbutton de kurs babitations,, beaucoup raoins* reünies en villes & boürgs qu'en France , mai* éparfes & difperfées ca & la for fe terrain avee beaucoup plus d'égahté. Ainfi quoique la Su ü>' fott en. général plus peuplée a proportie* que la G $  IS* Lettres de France, elle a de moins grandes villes & de moins gros villages: en revanche on y trouve partout des maifons, le village couvre toute la paroiffe, & la ville s'étend fur tout le pays. La Suiffe entiere eft comme une grande ville divifée en treize quaitiers, dont les uns font fur les vallées, d'autres fur les cöteaux, d'autres fur les montagnes. Geneve, Saint Gal, Neufch&tel font comme les fauxbourgs : il y a des quartiers plus ou moins peuplés, mais tous le font affez pour marquer qu'on eft toujours dans la ville : feulement k-s maifons, au lieu d'être alignées, font difperfées fans fymétrie & fans ordre, comme on dit qu'é. toient celles de 1'ancienne Rome. On ne croit plus parcourir des déferts quand on trouve des clochers parmi les fapins, des troupeaux fur des iochers , des manufactures dans des précipices, des atteliers fur des tonens. Ce melange bizarre a je ne fais quoi d'animé, de vivant qui refpire la iiberté, le bien - être , & qui fera toujours du pays oü il fe trouve un fpeétacle unique en fon genre , mais fait feulement pour des yeux qui fachent voir. Cette égale diftribution vient du grand nombre de petits Etats qui divife les Capitales, de la rudeffe du pays qui rend les trmfports d:fnciles, & de la nature des productions, qui, confiftant pour la plupart en piturages, exige que la confommatton s'en faffe fur les lieux mêmes, & tient ks hommes auffi difpeifés que les beftiaux. Voila.  j. J. R O ü s s E a ET. 555 Ie plus grand avantage de la Suiflë, avantage que fts habitans regardent peut-être comme un malheur, mais qu'elle tient d'elle feule, que rien nsr peut lui öter, qui malgré eux contient ou retarde ïe progrès du luxe éi des mauvaifes mceurs, & qUj réparera toujours a la longue 1'étonnante déperditiou d'hommes qu'elle fait dans les pays étrangers. VoilX Ie bien; voici le mal amené par ca bien même. Quand les SuilTes, qui jadis vivant renfermés dans leurs montagnes fuffifoient a euxmêmes, ont commencé a communfquer avec d'autres nations, ils ont pris goüt a leur maniere de vivre & ont voulu 1'imiter; ils fe font appercua que 1'argent étoit une bonne chofe & ils ont voulu en avoir; fans produftions & fans induftrie pour 1'attirer, ils fe font mis en commerce eux-roemes, ils fe font vendus en détail aux puiffances, ils ont acquis par-Ia précifément affez d'argent pour fertir qu'ils étoient pauvres; les moyens de le faire eirculer étant prefque impoffibles dans un pays qui ne produit rien & qui n'eft pas mar'itime , cec argent leur a porté de nouveaux befoins fans augmenter leurs reffources. Ainfi leurs premières aliénations de troupes les ont forcés d'en faire de pius grandes & de continuer toujours. La vie étant devenue plus dévorante, le même pays n'a pms pu rourrir la même qumtité d'hab tans. C'eit k raifon de Ia dépopulation que 1'on commerce a fentir dans toute la Smffe. Ede riourriflbit fis nombieux habitans quand ils ne fortoient pas ès> G 6  iS6" Lettres de chez eux ; a préfent qu'il en fort la moitië, & peine peut-elle nourrir 1'autre. Le pis tft que de cette moitié qui fort il en rentre affez pour corrompre tout ce qui refte par l'imitatton des ufages des autres pays & furtout de la France, qui a plus de troupes Suiffes qu'aucune au're .nation. Je dis. corrompre, fans entrer dans la qiv ftion fi les mceurs Francoifes font bonnes ou .rpauva fes en France, paree que cette queftion eft hors de doute quant a la Suiffe, & qu'il n'eft pas poffible que les mêmes ufages. conviennent è des peuples qui n'ayant pas les mêmes reffources & . n'habitant ni le même climat, ni le même fol, feront toujours forcés de vivre différemment. L e concoui s de ces deux caufes , 1'une bonne & 1'autre mau-vaife, fe fait fentir en toutes cho- .fes; il rend ra;fon de tout ce qu'on remarque de ■ particulier dans les mceurs des Suiffes, & furtout de es contrafte bizarre de recherche & de fimplicité qu'on fent dars toutes leurs manieres. •lis tournent a contre - fens tous les ufages qu'ils prenrient, non pas faute d'efpr.'t, mais par la force des chofes. En tranfportant dans leurs bois les ufages des grandes villes, ils les appliquent de la facon la p'us comique; ils ne favent ce que c'eft qu'habits de campagne ;. ils font parés dans leurs rochers comme ils 1'étoient a Paris; ils portent . fous leurs fapins tous les pompons du palais-royal, & i'en ai vu revenir de faire leurs. foins en petite . veile a falbala de moulTeline. Leur délxatefiè a  J. J. R e u s s 2 a »J i$j toujours quelque chofe de grofïïer , leur luxe a toujours quelque chofe de rude. Ils ont des entremets, mais ils mangent du pain noir ; ils fervent des- vins étrangers & boivent de la- piquet* te; des ragouts fins accompagnent leur lard rance & leur choux ; ils vous offriront a déjeuné du café & du fromage , a go&té. du thé avec du jambon; les femmes ont de la dentelle & de fort gros Iinge, des robes de goüt avec des bas da couleur: leurs valets alternativement lacjbais & bouviers, ont 1'habit de livrée en fervant a table & mêlent 1'odeur du fumier a ceile des mets. Comme on re jouit du luxe qu'en Ie montrant, il a rendu leur fociété plus familiere, fans leur óter pourtant Ie gofn de leurs demeures ifolées. Pcrfonne ici n'eft furpris de me voir paffer 1'hiver en campagne, mille gens du monde en font tout autant. On demture donc toujours féparés, mais on fe rapproche par de longues & fréquentes vifites. Pour écaler fa parure & fes meubles, il faut attirer fes voifins & les aller voir, & comme ces voifks font fouvent affez éloignés, ce font des voyages continuels. Auffi jamais n'ai-je vu de peuple fi allant que les Suiffes; les Francois n'en approcbent pas. Vous ne rencontrez de toutes parts que voitures ; il n-y a pas une maifon qui n'ait la fienne, & les chevaux. dont la Suiffe abonde, ne font rien mums qu'inutiles dans le pays. Mais comme ces courfes onr fouvent pour objet des vifites de femmes, quand on monte a cheval, ce G 7  J58 LSTTRES DE qui commence a devenir rare, on y monte en jolis bas blancs bien tirés, & 1'on fat a peu prés pour courir la pofte 1-a même toilette que pour aller au bal. Auffi rien n'eft fi brillant que les chemins de Ia Suiffe; on y rencontre a tout moment de petits Meffieurs & de belles Dames, on n'y voit que bleu, verd, couleur de rofe, on fe croiroit au jardin de Luxembourg. U N effet de ce commerce eft d'avoir prefque été aux hommes le goüt du vin , & un effet contraire de cette vie ambulante eft d'avoir cependant rendu les cabarets fréquens & bons dans toute la Suiffe. Je ne fais pas pourquoi 1'on vante tant ceux de France; ils n'approchent fürement pas de ceux-ei. II eft vrai qu'il y fait trés-cher vivre, mais cela eft vrai auffi de la vie domeftique, & cela ne fauroit être autrement dans un pays qui produit peu de denréas & oü 1'argent ne laiffe pas de circuler. Les trois feules marchandifes qui leur en aient fourni jufqu'ici, font les froaiages, les chevaux & les hommes ; mais depuis 1'introduction du luxe, ce commerce ne leur fuffit plus , & ils y ont ajouié celui des manufactures dont ils font redevables aux refugis Frangois; reffouice qui cependant a plus d'apparence que de réalité ; car comme la cherté des denrées augmente avec les efpeces, & que la culture de la terre fe négligé quand on gagne davanMge a d'autres travaux.avec plus d'argent ils n'en font pas plus riches; ce qui  j. j. RoüssïAü. 15^ fe voit par la comparaifon avec les Suffes catho liques, qui n'ayant pas la même reffburce, font plus pauvres d'argent & ne vivent pas moins bien. I l eft fort lingulier qu'un pays fi rude & dont les habitans font fi enclins a. fortir, leur infpire pourtant un amour fi tendre que le regret de 1'avoir quitté les y ramene prefque tous a la fin, & que ce regret donne è ceux qui n'y peuvent revenir, une maladie quelquefois mortelle, qu'ils appellent, je crois , le Heimwth. II y a dans la Suiffe un air céltbre appellé le Ranz - des. vaches, que les bergers fonnent fur leurs cornet* & dont ils font retentir tous les cöteaux du pays. Cet air , qui eft peu de chofe en lui - même, ma?» qui rappelle aux Suiffes mille idéés relatives au pays natal, ltur fait verfer des torrens de larmes quand ils 1'entendent en terre étrangere. II en a même fait mourir de douleur un fi grand nombre, qu'il a été défendu par ordonnance du Roi de jouer le ranz - des - vaches dans ks troupes Suifiès. Mais, Monfieur le Maréchal, vous favez peutétre tout cela mieux que moi, & les réflexions que ce fait préfente ne vous auront pas échappé. Je ne puis m'emrêcher de remarquer feulement que la France eft affurément Ie meilleur pays du monde . oü-toutts les commodités & tous les agréinens de la vie concourent au bien-être des habitans. Cependant il n'y a jamais eu, que je fache, de Hcimweh ni de ranz-des vaches qui flc pkurer & mourir de regret un Frangois en pays  160 L b t t r e s de étranger, & cette maladie diminue beaucoup ches les Suiffes depuis qu'on vit plus agréablement dans leur pays. Les Suiffes , en général, font juftes, ofH"cieux, charitables, amis folides, braves foldats <5c bons citoyens, mais intrigans , défians, jaloux, curieux, avares, & leur avarice contient plus leuc luxe que ne fait leur fimplicité. lis font ordinairement graves & flegmatiques, mais ils font furieux dans la colere, & leur joie eft une ivreffe. Je n'ai rien vu de fi gai que leurs jeux. II eft étonnant que le peuple Francois danfe triftement, languiffamment, de mauvaife grace , & que les danfes Suiffes foient fautillantes & vives. Les hommes y montrent leur vigueur naturelle & les filles y ont une légéreté charmante: on diroit que la terre leur brüle les pieds. Les Suiffes font adroits & rufés dans les affaires: les Francois qui les jugent groffiers, font b.en moins déliés qu'eux; ils jugent de leur efprit par leur accent. La cour de France a toujours ■voulu leur envoyer des gens fins & s'eft toujours trompée. A ce genre d'efciime ils battent commti' nément les Francois: mais envoyez - leur des gens dro;is & f rmes, vous ferez d'eux. ce que vous vou-.r;z. car naturellement ils vous aiinent Le Marquis de iionnae qui avoit tant d'efprit, mais qui paff' t pour adroit, n'a rien fait er. Suiffe, & jaiiis le Maréchal de Baffompierre y faifoit tout ce qu'il vouloit, paree qu'il étoit franc, ou qu'iï  J. j- R o o * s e a o. i<5r paffoit chez eux pour 1'étre. Les Suiffes négo cieront toujours avec-avantage, a moins qu'ils ne foient vendus par leurs magiftrats, attendu qu'üs peuvent mieux fe paffer d'argent que les Puiffances ne peuvent fe paffer d'hommes ; car pour votre bied, quand ilsyoudront ils n'en auront pas bffoin. II faut avouer auffi que s'ils font bien fcurs traités, ils les exécutent encore mieux; fidélité qu'on ne fe piqué pas de leur rendre. Je ne vous dirai rien, Monfieur le Maréchal, de leur gouvernement & de leur politique, paree que cela me meHeroit trop loin, & que je ne veux vous parler que de ce que j'ai vu. Quant au Comté de Neufcbatel oii j'babite , vous faves qu'il appartient au Roi de Pruffe. Cette petite principauté, après avoir été démembrée du royaüme de Bourgogne & paffe fucceffiverrient dans les maifons de Chilons, d'Hochberg & de Longue, ville, tomba enfin en 1707 dans ceile de Brande? bourg, par la décifiön des Etats du pays, juges naturels des droits des prétendans. Je n'entrerai point dans 1'examen des raifons fur kfquelles le Roi de Pruffe fut préféré au Prince de Conti, ni des influences que purent avoir d-autres Puiffances dans cette affaire; je me contenterai de remarquer que dans la concurrence entre ces deux Princes, e'étoit un honneur qui ne pouvoit manquer aux Neufchatelois d'appartenir un jour a un grand Car pitaine. Au refte, ils ont confervé fous leurs Souv«ains a peu prés la même liberté qu'ont iej  162 L E T I li t i DE autres Suiffes; mais peut-être en fent-ils plus redevables i leur pofition qu'a leur habileté; car je les trouve bien remuans pour des gens fages. Tout ce que je viens de remarquer des Suiffes en général , caraftirife encore plus forcement ce peuple-ci, & le contrafte du naturel & de 1'iniitation s'y fait encore mieux fentir, avec cette diffé ■ rence pour'ant que le naturel a moins d'étoffe, & qu'a quelque- petit coin prés , Ia dorure couvre tout le fond. Le pays, fi 1'on excepte la ville^: les bords du lac, eft auffi rude que ïe refte de la Suiffe; la vie y eft auffi ruftiqué*, & les habitans accoutumés a vivre fous des Princes, s'y font encore plus affectionnés aux grandes manieres; de forte qu'on trouve ici du jargon, des airs, dans tous les états, de beaux parleurs labourant les champs, & des courtifans en fouquenille. Auffi appel le-t-on les Neufchatelois les Gafcons de la Suiffe. I's ont de 1'efprit & ils fe piquent de vivacité; ils lifent, & la lecture leur profits; les payfans même font inftruits; ils ont prefque tous un petit recueil de livres cboifis qu'ils appellent leur biblictheque; ils font même affez au courant pour les nouveautés; ils font valoir tout cela dans la converfation d'une maniere qui n'eft point gauche, & ils ont prefque le ton du jour comme s'ils vivoient a Paris. 11 y a quelque tems qu'en me promenant, je m'arrê ai devant une maifon oii des filles faifoient de la dentelle; la mere bercoit «n petk enfant, &je la regardois faire, quand je  J. J. Rqusseau. I6J vis fortir de Ia cabane un gros payfan, qui m'abordant d'un air aifé me dit: vous veyez qu'on ne Juk pas trop Men vos préceptes , mais nos femmes tiemier.t autant aux vieux préjugés qu'elles aiment les nouvelles modes. Je tombois des nues. J'ai entendu parmi ces geus-la cent propos du même ton. Beaucoup d'efprit & encore plus de préten» tion , mais fans aucun goüt , voila ce qui m'a d'abord frappé chez les Neufchatelois. Ils parient très-bien, trés aifément, mais ils écrivent platcment & mal, furtout quand ils veulent écrire légérement, & ils le veulent toujours. Comme ils ne favent pas même en quoi confifte la grace & le fel du ftyle léger , lorfqu'ils ont enfilé des phrafes lourdement femillantes , ils fe croient autant de Voltaires & de Crtbillons. Us ont une manïera de journal, dans lequel ils s'efforcent d'être gentils & badins. Ils y fourrent mënje de petits vers de, leur fagot?» Madame la Maréchale trouveroit , finon de 1'amufement, au .moins de 1'occupation dans ce Mercure, car c'eft d'un bout a 1'auire un logogryphe qui demande un meilleur Oedipe que moi. C'est a peu prés le même habillement qus dans le Canton de Berne, mais un peu plus contourné. Les hommes fe mettent affez a la Frangoife, & c'eft ce que les femmes voudroient bien faire auffi; mais comme elles ne voyagent gusres t ne prenant pas comme eux les modes de la premiese main ■> elles les outrent, tes défigurent, &  ÏCT4 Lettres de chargées de pretintailles & de falbalas, elles ferjrblent parées de guenilles. , Quant i ]eur caraftere, il eft difEcile d'en juger , tant il eft offufqué de manier-es ; ils fe eroient polis, paree qu'ils font faconniers, & gais , paree qu'ils font turbulens. Je crois ryi'il n'y a. que les Chinois au monde qui puiffent 1'emporter fur eux a faire des eomplimens. Arrivez-vous fatigué, prefie, n'importe : il faut d'abord prêter le flanc a Ia longue bordée; tant que la machine eft montée, elle joue, & elle fe remonte toujours a cbaque arrivant. La politelTe Francoife eft de mettre les gens a leur aife & même de s'y mettre auffi.■' La politefle Neufchateloife eft de géner & foi-méme & les autres*. Ils ne confultent jamais ce qui vous convient, mais ce qui peut étaler leur prétendu favoir-vivre. Leurs offres exagérées ne tentent point; elles.ont toujours je ne fais quel air de formule , je ne fais quoi de fee & d'appiê'é qui vous invite au refus. Ils font pourtant obligeans, officieux, hofpitaliers très réellement, furtout pour les gens de qualité : on eft toujours für d'être accueilli d'eux en fe donnant pour Marquis ou Comte ; & comme une reffource auffi facile ne manque pas aux aventuriers, ils en ont fouvent dans leur ville, qui pour 1'ordinaire y font trésfê-.és: un fimp'e honnête homme avec des malheurs & des vertus ne le feroit pas de même: on peut y porter un grand nom fans mérite, mats non pas  J- J. ROTJSSEAü. 1Ö5 ran grand mérite fans nom. Du refte , ceux qu'ils fervent une fois, ils les fervent bien. Ils font fideles a leurs promeffes & n'abandonnent pas aifément leurs protégés. II fe peut même .qu'ils foient aimans & fenfibles; mais rien n'eft plus éloigné du ton du fentiment que celui qu'il, prennent; tout ce qu'ils font par humanité femble êire fait par oftentation , & leur vanité cache leur bon cceur- Cette vanité eft leur vice dominant; elle perce partout, & d'autant plus aifément qu'elle eft mal-adroite. Ils fe öfefc» tous gentibhommes, quoique leurs Souverains ne fuffent que des gentilshommes eux-mêmes. Ils aiment la cbaffe, moins par goüt, que paree que c'eft un amufement noble. Enfin jamais on ne vit des bourgeois fi pleins de leur naiffance: ils ne la vantent pourtant pas, mais on voit -qu'ils s'en occupent; ils n'en font pas fiers, ils n'en font qu'entêtés. Au défaut de dignités & detitres de noblefle, ils ont des titres militaires ou municipaux en tellé abondance, qu'il y a plU6 de gens ti(rés qlJe dfl gens qui ne le font pas. C'eft Monfieur Ie Colonel Monfieur Ie Major, Monfieur le Capitaine, Monfieur le Lieutenant, Monfieur ie Confeiller, Monteur le Chatelain, Monfieur Ie Maire, Monfieur ie Jufticier, Monfieur le Profefltur, Monfieur le Doctor, Monfieur 1'Ancien; fi j'avois pu reprendre iet mon ancien métier, je ne doute pas que je s'y fuffe Monfieur le Copifte. Les femmes poitent  166 Lettres de auffi les titres de 1-urs tnaris, Mauame Ia Confeillere , Madame Ia Miiülre; j'ai pour voifine Madame la Majore;& coi.me on n'y nomme ks gens que par leurs titres, on eft embarrafle comment dire aux gens qui n'ont que leur nom, c'eft comme s'ils n'en avoient point. Le fexe n'y eft pis beau; on dit qu'il a dégénéré. Les files ont beaucoup de 1 b -rté & en font ufage. Elles fe rafiembler.t fouvent en fociété, oü 1'on joüe, oü 1'on goüce, oü 1'on babille & oü 1'on attire tant qu'on p-ut les jeunes gens; mais par malheur ils font rares & il faut fe les arracher. Les femmes vivent affez fagement; il y a dans la pays d'affez bons ménages, & il y en auroit bien davantage fi c'étoit un air de bien vivre avec fon mari. Du refte, vivant beaucoup en campagne, Iifant moins & avec moins da fruit que les hommes, elles n'ont pas 1'efprit fort orné, & dans Ie défceuvrement de leur vie elles n'ont d'autre resfource que de faire de la dentelle, d'épier curieufement les affaires des autres, de médire & de jouer. II y en a pourtant de fort aimables; mais, en général, on ne trouve pas dans leur entretien ce ton que la décence & 1'honnêteté même rendent féducteur, ca ton que les Francoifts favent fi bien prendre quand elles veulent, qui montre du fentiment , de 1'ame & qui promet des héroïncs de roman. La converfation des Neufch&teloifes eft aride ou badine; elle tarit, fitót qu'on ne plaifante pas. ..Les deux fexes ne manquent pas de bon  J- L R O TJ S S E A tT. j(J? naturel, & je crois que ce n'eft pas un peuple fans mceurs, mais c'eft un peuple fans principes, & le mot de vertu y eft auffi étranger ou auffi ridicule qu'en Italië. La reltgion dont ils fe pi, fluent, fert plutót a les rendre hargneux que bons; Guidés par leur clergé ils épiiogueront fur Je* dogme, mais pour la morale ils ne favent ce que c'eft; car quoiqu'ils parient beaucoup da charité, ceile qu'ils ont n'eft affurément pas 1'amour du* prochain, c'eft feulement 1'affectation de donner 1'aumóne. Un cbrétien pour eux eft un homme qui va au préche, tous les dimanches, quoi qu'il fafle dans lmtervalle, il n'importe pas. Leurs Miniftres qui fe font acquia un grand crédit fur le peuple, tandis que leurs Princes étoient Catholiques, voudroient conferver ce crédit en fe mêlant de tout, en chicanant für tout, en étendant a tout la jurifdiaion de 1'églife; i.'s ne voient pas que leur tems eft pafte. Cependant ils viennent encore d'exciter dans 1'Etat une fermentation qui achevera de les perdre. L'importante affaire dont il s'agisfoit , étoit de favoir fi les peines des damnés étoient éternelks. Vous auriez peine a croire avec quelle chaleur cette difpute a été agitée; ceile du Janfénifme en France n'en a pas approché. Tous les corps affemblés, les peuples prêts a prendre les armes, miniftres deftitués, magiftrats interdits, tout marquoit les approches d'une guerre civile & cette affaire n'eft pas tellement Me qu'elle na  iSS Lettres de puiflë Iaifler de Jongs fouvenirs Quand i!s fe feroient tous arrangés pour aller en erfer, ils n'auroient pas plus de fouc d ■ ce qui s'y paffe. Voila les prii.cpales remarquc-s que j'ai faites jufqu'ici fur les gens du pays oü je fuis. Elles vous paroitioient peut-être un peu dures pour un homme qui parle de fes hótes, fi je vous lailïois ignorer que je ne leur fuis redevabie d'aucune hofpitalité. Ce n'eft point a Meffieurs de Neufchatel que je fuis venu demander un afyle, qu'ils ne m'auroient fürement pas accordé; c'eft a Mylord Maréchal, & je ne fuis ici que chez le Roi de Pruffe. Au contraire, a mon arrivée fur les terres de la Principauté, le Magiftrat de la ville de NeufcMtel s'eft pour tout accue.1 dépêché de défendre mon livre fans le connoitre, Ia Claffe des Miniftres 1'a déféré de même au Confeii d'Etat; on n'a jamais vu de gens plus preffés d'imiter les fottifes de leurs voifins. Sans la protection dé» ciarée de Mylord Maréchal, on ne m'eüt fürement point laiffé en paix dans ce village. Tant de bandits fe réfugient dans le pays, que ceux qui le gouvernent ne favent pas diftinguer les malfaiteurs pourfuivis, des innocens opprimés, ou fe mettent peu en peine d'en faire la différence. La maifon que j'habite, app3rtient a une niece de mon vieux ami M. Roguin. Ainfi loin d'avoir nulle obligation i Meffieurs de Ntufchltel, je n'ai qu'a m'en plaindre. D'ailleurs, je n'ai pas mis le pied dans leur  j. j. B. o o s s ï a tii icfo kar ville , ils me font éfrangeïs a tous égards, je ne leur dois que juftice en parlant deux & je la leur rends. ^ Je la rends de meilleur cceur encore a ceux d'entr'eux qui m'ont comblé de careffes, d'offres 1 de poiiteffes de toute efpece- Flatté de leur eftime' & touché de leurs bontés, je me fa-ai tou'ours un devoir & un plaifir de leur marquer mon attachement & ma reconnoiffance ; mais 1'accueil qu'ils m'ont fait,n'a rien de commun avec Ie gouvernement Neufchatelois qui m'en eut fait un bien différent s'il en eüt été le maltre. Je dois dire encore que fi Ia mauvaife volonté du corps des Miniftres n'eft pas douteufe, j'ai beaucoup a me louer en particulier de celui dont j'habite la paroiffe. II me vint voir a mon arrivée , il me fic mille offres de fervices qui n'étoient point vaines, comme il mé 1'a prouvé dans une occafion effentielle, oü il s'eft expofé a la mauvaife humeur de plus d'un de fes confrères , pour s'être montré vrai pafteur envers moi. Je m'attendois d'autant moins de fa part a cette juftice, qu'il avoit joué dans les précédentes brouilleries un róle qui n'annoncoit pas un Miniftre tolérant. C'ell, au futplus, un homme affez gai dans la fociété,'qui ne manque pas d'efprit, qui fait quelquefois d'affez bons fermons & fouvent de forc bons conté». Je m'appercois que cette Lettre eft un livre; & je n'en fuis encore qu'a la moitié de ma relauon. Je vais, Monfieur Ie Maréchal, vous laüler Lettrts h  170 Lettres de seprendre haleine , & remettre le'fecond tome i une autre fois. (*) Seconde Lettre a M. le Maréchal de Luxembourg , contenant la fuite de la defcription du Val de Travers. A Motiers, Ie a8 Janvier 1763» X l faut, Monfieur le Maréchal, avoir du courage pour décrire en cette faifon Ie lieu que j'habte. Des cafcades, des glacés, des rcchers r.uds, 'des fapins noirs couverts de neige, for.t les objets dont je fuis entouré; &, a I'image de 1'hiver le pays ajoutant 1'afpect de 1'aiidité ne promet, è Ie voir, qu'une defcripticn fort trifte. Auffi a-t-il 1'air affez nud en toute faifon, mais il eft prefque effrayant dar.s ceile-ci. II faut donc vous le repiéfenter comme je 1'ai trouvé en y arrivant, '&non comme je Ie vois aujourd'fcui, fans quoi 1'intérêt que vous prenez a moi m'empêcberoit de vous en rien dire. Figurez-vous donc un vallon d'une bonne demi-l'eue de large & d'environ deux lieues de long , au milieu duquel paffe une petite riviere appellée la Reufe, dans la direction du Nord-oueft au Sud-eft. Ce vallon formé par deux chalnes de (*) Pour apprécier les divers jugemens portés dans cette Lettre, le leéteur voudra bien faire attenüon ii Vépoau; de fa date & au lieu qu'habitoit 1'auteur.  J- J- ROUSSEAIT. I7X montagnes qui font des branches du Moot-Jura & qui fe refferrent par les deux bouts, refte pourtant affez ouvert pour Jaiffer voir au loin fes proion-' gemens, lefquels divifés en rameaux par les bras des montagnes offrent plufieurs belles perfpeétives Ce vallon, appellé Ie Val-d.-Travers, du nom d'un* village qui eft a fon extrêmité oriëntale, eft garni de quatre ou cinq autres viliages a peu de diftance les uns des autres; celui de Motiers qui forme Ie milieu, eft dominé par un vieux chateau défert, dont le voifinage & la fituation folitaire & fauvage' m'attirent fouvent dans mes promenades du matin, d'autant plus que je puis fortir de ce cö é par uns porte de derrière, fans paffer par la rue ni devant aucune maifon. On dit que les bois & les rocbers qui environnent ce chateau font fort remplis de viperes; cependant, ayant beaucoup parcouru tous les environs & m'étant affis a toutes fortes de places, je n'en ai point vu jufqu'ici. Outre ces villages, on voit vers Ie bas des montagnes plufieurs maifons éparfes qu'on appelle des Prifes, dans lefquelles on tient des bsftiaux & dont plufieurs font habitées par les propriétaires, la p'upjrt payfans. II y en a une entr'autres a micóteNord.pu- conféquent expofée au Midi fur uns terraffe naturelle, dans la plus admtrable pofition quej'aie jamais vus , & dont le difficile accès m'eüt rendu. 1'habitation trés-commode. J'en rus fi tenté que dés Ia première fois je m'étois prefque «rangé avec le propriétaire pour y loger; ma's H 2  17* , Lettres de on m'a depuis tant dit de ma! de cct homme l «qu'aimant encore mieux Ia paix & Ia füreté qu'une demeure agréable, j'ai pris Ie parti de refter oü Je fuis. La maifon que j'occupe eft dans une moins helle pofition, mais elle eft grande, affez commode.; elle a une galerie extérieure, oü je me promene dans les mauva's tems, & ce qui vaut mieux qua temt Ie refte, c'eft un afyle offert par 1'amitié. La Reufe a fa fource au-deflüs d'un village appellé St. Sulpice , a 1'extrêmité occidentale du vallon; elle en fort au village de Travers a 1'autre extrêmité, oü elle commence a fe creufer un lit qui devient bientót précipice s & la conduit enfin dans Se lac de Neufcbatel. • Cette Reufe eft une trésjolie riviere , claire & brillante comme de 1'argent, OÜ les truites ont bien de la peine a fe cacher dans des touffes d'herbts. On la vpit fortir tout d'un «ro.up de terre a fa fource, non point en petite fontaine ou ruiffeau , mais toute grande & déja liviere comme la font3ine de Vauclufe, en bouil. lonnant a travers les rochers. Comme cette fource «ft fort enfoncée dans les roebes efcarpées d'une montagne , pn y eft toujours k 1'ombre ; &\a fraicheur continuelle , le biuit, les chütes , le cours de 1'eau m'a'.tirar.t 1'été a travers ces roches fcrülantes, me font fouvent mettre en nage pour gller chercher le frais pies de ce murmure , ou jj'itttót prés de ce fracas, plus flatteur a mon oreille «j e es montagnes de Suiffe vont fe rendre les unes dans la Méditerranée & les autres dans I'Océan. Ainfi , quoique la Reufe traverfant le vallon foit firfette . a de fréquens débordemens qui font des bords der fon ltt une efpece de marais, on n'y fent point lemarécage, fair n'y eft point bumide & mal-fain, te vivactté qu'il tire de fon élévatiou 1'empècbantT de refter longtems chargé de vapeurs groffieres, les brouillards, affez fréquens les rnatfc-s, cederi* potft 1'ordinaire ê 1'aftion du foleil a mefure qu'il s'éleve. Comme entre'les montagnes & les vallées fe vue eft toujours réciproque, ceile dont je jouis ici dans un fond, n'eft pas moins vafte que ceile que j'avois fur les hauteurs de Montmorenci; ma's elle eft d'un autre genre; elle ne flatte pas, elle' frappe; elle eft plus fauvage que riante; 1'art n'yétale pas fes beautés, mais la majefté de la natureen impofe, & quoique le pare de Verfalies foit plus grand que ee vallon, il „e paroitroit qu'urr cohfichet en fortant d'ici. Aü premier coup d'ce.l le fteétacle, tout grand qu'il eft, fomble un peu nud; on voit très-peu d'arbres dans la vallée; ii* H 3  174 Lettres de y viennent mal & ne donnent prefque aucun fruit; 1'efcarpement des montagnes étant très-rapide montre en divers endroits le gr's des rochers, le noir des fapins ccupe ce grrs d'une nuance qui n'eft pas riante, & ces fapins fi grands, fi beaux quand on eft deffous , ne paroiffant au loin que des arbriffeaux', ne promettent ni 1'afyle , ni 1'ombre qu'ils donnent ; le fond du vallon , prefque au niveau de la riviere, femble n'oftnr a fes deux bords qu'un large marais oii 1'on ne fauroit marcber; la réverbération des rocbers n'annonce pis dais un lieu fans arbres une promenade bien fraiche quand le foleil luit; fitót qu'il fe couche, il laffe a peine un ciépufcule , & Ia bauteur des monts intercepta.it toute la lumiere fait paffer presque a 1'inftant du jour a la nuit. VM ais fi la première imprefïïon de tout cela n'eft pas agréable, elle change infenfiblement par un examen plus déta llé , & dans un pays oü 1'on croyoit avoir tout vu du premier coüp-d'ceil, on fe trouve avec furprife environné d'ob ets cbaque jour plus intéreffans. Si la promenade de la vallée eft un peu uniforme, elle eft en revanche extrémement commode ; tout y eft du niveau le p'us parfait, les chemins y font unis comme des allées de jardin ; les bords de Ia riviere offrent par places de Iarges peloufes d'ua plus beau verd que les gazons du palais-royal, & 1'on s'y promeneavtc délices le long de cette belle eau, qui dans le vailon prend un cours paifible en quittant fes  J. J. R o ü s*s E A TJ. j j5 eailloux & fcsroehers, qu'elle retrouve au forir du Val-de-Travers. On a propofé de planter fes bords de faules & de peupliers, pour donner da-! rant la cbaleur du jour de 1'ombre au bétail défofé par les mouches. Si jamais ce projet s'exécute les bords de Ia Reufe deviendront auffi charmans que ceux du Lignon, & il ne leur manquera pius que des Aftrées, des Silvandres & un d'ürfé. Comme Ia direérion du vallon coupe obliquement Ie cours du foleil , la bauieur des monts jetce toujours de 1'ombre par quelque cóté fur la plame, de forte qu'en dirigeant fes promenades & ÈhoifJffant fes heures , on peut aiférnent fa-re i 1 abn du foleil tout Ie tour du vallon. DJaüIems>, ces mêmes montagnes interceptant fes rayons fonj qu'tl fe leve tard & fe couche de bonne neurè' en forte qu'on n'en eft pis Iongtems bfülé. Nous" avons prefque ici Ia clef de 1'énigiae du del & trots aunes, & il eft certain que les maifons qui font pres de la fource de la Reufe , n'ont nas trots heures de foleil, même en été, Lorsqu'on quitte le bas du valTon pour fe promener è mi-cóte.. comme nous fitnes une fois Monfieur le Maréchal, le long des Champeaux du' coié dAnddly, on n'a pas une promenade auffi commode , mais eet agrément eft bien compenfé par la variété des fites & des poi-.ts.de vue. par fes découvertes que Ion fait fans ceffe autour de foi, par fes jolis réduits qu'on trouve dans les gorges des montagnes^ oü, Je coujs des torrtrs H 4  176* Let "tres de qui defcendent dans Ia vallée, les hêtres qui les ombragent, les cóteaux qui les entourent, offrent fr des afyles verdoyans & frais quand on fuffoque a découvert. Ces réduits , ces petits vallor-s ne s'appercoivent pas, tant qu'on regarde au loin les montagnes, & cela joint a 1'agrément du lieu celui de la furprife, lorfqu'on vient tout d'un coup a les découvrir. Coinbien de fois je me fuis figuré, vous fuivant a la promenade & tournant autour d'un rocher aride, vous voir furpiis & charmé de ietrouyer des bofquets pour les Dryades oü vous ji'auriez cru trouver que des antres & des ours. ' Tout le pays eft plein de curiofités naturelles qu'on ne découvre que peu i peu, & qui par ces déccuvertes fucceffi.es lui donnent chaque jour 1'aitrait de la nouveauté. La botanique offre ici fes tréfors a qui fauroit les connoitre , & fouvent en voyant autour de moi cttte profufion de plantes rares, je les fou'e a regret fous le pied d'un ignorant. 11 eft pourta.-jt néceffaire d'en connoitre une pour fe garantir de fes ternbks effets; c'eft le Napel. Vous voyez une trés-belle plante haute de trois pieds, garnie de jolies fleurs bleues qui vous donnent envie de la cueillir: mais a peine 1'a t-on gardée quelques minutes qu'on fe fent faifi de jnaux de tête , de vertiges, d'évanouiffemens & 1'on périroit fi 1'on ne jettoit promptement ce funefte bouquet. Cette plante a fouvent caufé des accidens a. des enfans & a d'autres gens qui ignoloient fa pernicieufe veitu. Pour le* beftiaux ils n'en  J. J. K o u s s e a u. ry-r n en apprcchent Jamais & ne broutent pas même 1'berbe qui I'entoure. Les faucheurs 1'extirpent. autant qu'ils peuvent;-quoi qu'on faiTe, 1'tfpece enrefte & je ne iaiffe pas d'en voir beaucoup en mepromenant fur les montagnes, mais on fa détruitsa peu prés dans le vailön. A une petite lieu de Motiers, dans la Seigneurie de Travers, eft une mine d'afphalte qu'on dit qui s'étend fous tout lepays: les habitans lui attrrbuent modeftement la galté dont ils fe vantent, & qu'ils prétendent fe tranfmettre méme è leurs beffiaux. Voila, fans doute, une belle vertu de ce minéral; mais pour en pouvoir fentir l'efficace» ii ne faut pas avoir quitté le cMteau.de Montmo* renci. Quoiqu'il en foit des merveilles qu'ils difent de leur afphalte, j'ai dbnné au Seigneur de Travers un moyen fur d'en tirer la médecine unU verfelle; c'eft de faire-une bonne penfion a Lorris; ou a Bordeu. A u deffus de ce méme village de Travers il f& fit, il y a deux ans, une avalancbe confidérables & de la facon du monde la plus finguliere. Un homme qui habite au pied de la montagne avoir fon champ devant fa f,nêtre, entre la montagne& fa maifon. Un matin qui fuivit une nuit d'orageii fut bien furpris en ouvrant fa fcnêtre de trouver un bois a la place de fon cnanrp; le terr-am s'é~ boulant tout d'une piece avoit reeouvert fon cbamp des arbres d'un hois qui étoit audeflus , & celay dit en, fait entre les ceux propriétaires ie fujet H s  ,178 Lettre» bi d'un proces qui pourroit trouver place dans le recueil de Pittaval. L'efpace qus 1'avalanche a mis . a nud eft fort grand & parolt de loin ; mais il faut en approcher pour juger de la force de 1'é» boulement, de 1'étendue du creu^-j i& de la grandeur des rochers qui ont été tratifportés. Ce fait récent & certain rend croyable *ce que dit Pline d'une vigne qui avoit été ainfi tranfportée d'un cóté du chemin a 1'autre: uais rapprocbons-nous de mon habitation. J'ai vis-a-vis de mes fenêtres'une fuperbe cafcade , qui du haut de la montagne tombe par 1'efcarpement d'un rocher dans Te vallon avec un bruit qui fe fait entendre au loin, furtout quand les eaux font grandes. Cette cafcade eft trés en vue, mais ce qui ne 1'eft pis de même eft une grotte a cóté de fon b.:ffin^ de laquelle 1'entrée eft difikile, mus qu'on trouva^au dedans affez efpacée, éclairée par une feiiêtre naturelle, ceintrée en tiers-point, & décorée d'un ordre d'architecture qui n'eft ni Tofcan, ni Dorique, mais 1'ordre de la Nature, qui fait mettre des proportions & de 1'harmonie dans fes ouvrages les moins réguliersInftruit de la fituation de cette grotte , je m'y rendis feul 1'été dernier pour la contempler a mon aife. L'extrême féchérefle me donna la facilité d'y entrer par une ouverture enfoncée & très-furbaiffée, en me tralnant fur Ie ventre, car la fenêtre eft trop haute pour qu'on puiffe y paffer fans échtlle. Quand je fus au dedans, je m'affis fur u;e pierre  7 ]• K O ü S S E A u. r79 & je me mis k contempler avec ravifTèment cette fuparbe falie, dont les omemens font des quartiers de roche diverfement fitnes , cVformant Ia déeo lat.on la plus tiche que j'aie jamais vue , fi du moins cn peut appeller ainfi cette qui montre la plus grande puiffance, ceile qui attaché & interesfe, ceile qui fait penfer, qui éleve 1'ams ceile qui force l'homme a oublier fa petiteffe pour ne penfer qu'aux ceuvres de Ia nature. Des divers rochers qui meublent cette caverne, Jes uns détacbés & tombés de la voute, les autres encorê psndans & diverfement fitués, marquent tous dans cette mine naturelle, 1'effet de■ quelque explofion terr.ble dont Ia caufe parolt difficile a imaPÏnèr • car même un tremblement de terre ou un volcan nexp'iqueroit pas cela d'une maniere fatfsfaifantr Dans le fond de la grotte, qui va en s'élevantde même que fa voüte , on monte fur une efp-ce d eftrade & de-Ia par une pente affe? roide fur un rocber qui mene de biais a un énfoccement trésobfeur, par oü 1'on pénetre fous la montagne. Te nai point été jufques-la, ayant trouvé devant mo> un trou large & profond qu'on ne fauroit franchit qu'avec une planche. D'aillcurs vers Je haut de eet enfoncement & prefque è 1'entrée da la galerie fouterraine eft un qüarrier de rocker tres,impofant, car fifpendu prefqu'en 1'air il porte a faux par un de fes angles, & penche tellement en avant qu'il femble fe détacher & partir pour écraferlefpsclateur. Je ne doutepas, cependa,nt. H 6  j8o Lettres de qu'il ne foit dans cette fituation depuis bien des fiecles & qu'il n'y refle encore plus longtems; mais ces fortes d'équihbres auxquels les yeux ne font pas faits, ne laiffent pas de caufer quelqu'inquiétude, & quoiqu'il fallut peut-être des forces immenfes pour ébranler ce rocher qui parok fi prêt a tomber, je craindrois d'y toucher du bout du doigt, & ne voulrois pas plu? refter dans la direction de fa chüte que fous 1'épée de Damoclès. La galerie fouterraine a laquelle cette grotie fert de veftibule, ne continue pas d'aller en montant, mais elle prend fa pente un peu vers le bas, & fuit la même inclinaifon dans tout 1'cfpace qu'on a jufqu'ici parcouru- Des curieux s'y font engagés £ diverfes fois avec des domeftiques , des flambeaux & tous les fecours néceffaires; mais il faut du courage pour pénétrer loin dans eet effroyablè lieu, & de Ia vigueur pour ne pas s'y trouver mal. On eft allé jufqu'a prés de demi-lieue en ouvrant le palTage oii il eft trop étroit, & fondant avec précaution les gouffies & fondrieres qui font a droite & a gauche; mais on prétend dans le pays qu'on peut aller par le même fouterrain a plus de deux lieues jufqu'a 1'autre cóté de la montagne, oü 1'on dit qu'il aboutit du cóté du lac, non loin de l'embouchure de la Reufe. Au-dessous du baffin de la même cafcade, eft une autre gi otte plus petite, dont 1'abord eft embarraffë de plufieurs grands. cailloux & quaitiers deroche, qui paroiflint avoir éxé entrainés-la ^ar  J- J. R O U S S E. A T>. ïaï les eaux. Cette grotte-ci n'éta- t pas fi praticable cjue 1'autre,n'a pas de mêmetenté les curieux. Le jour que' j'en examinai 1'ouverture, il faifoit une chaleur infupportable; cependant il en fortoit un vent fi vif & fi froid que je n'ofai refter longtems a 1'entrée , & tou'es les fois que j'y fuis retourné, j'ai toujours fenti le même vent; ce qui me fait juger qu'elle a une communication plus immédiate & moins embarraffée que 1'autre. A 1'Oueft de Ia vallée une mcmtagne Ia fépare en deux branches, 1'une fort étroite, oü font le village de Saint Sulpice, Ia fource de la Reufe & le chemin de Pontarlier. Sur ce chemin 1'on voit encore une groffe cbatne fcellée dans Ie rocber & mife-la jadispar les Suiffes pour fermer de ce cótéla le paffage aux Bourguignons. L'autre branche plus large & a gauche de Ia première, mene par le village de Butte è un pays perdu, appellé la cête aux Fées, qu'on appercoit de loin , paree qu'il va en montant. Ce pays n'étant fur aucun chemin paffe pour trés-fauvage & en quelque forte pour le bout du monde. Auffi prétend-on que c'étoit autrefo's le fejour des Fées, & le nom lui en eft refté. On y voit encore leur v falie d'affemblée dans une troifieme caverne qui porte auffi leur nom, & qui n'eft pas moins curieufe que les précédentes. Je n'ai pas vu cette grotte aux Fées., paree qu'elle eft affez loin d'ici; ma's on dit qu'elle étoit fuperbemjnt ornée , & 1'on y voyoit encore, il n'y a pas longtems, uti H 7  . i8z Lettres de tróne & des fieges trés - bien taillés dans Ie roe. Tout cela a été gaté & ne parolt prefque plus aujourd'hui. D'ailleurs, 1'entrée de la 'grotte eft prefque entiérement bouchée par les décombres, par les brouffailles, & la crainte des ferpens & des bêtes venimeufes rebute les curieux d'y vouloir pénétrer. Mais fi elle eüt été praticable encore & dans fa première beauté, & que Madame la Maréchale eüt pafte dans ce pays , je fuis für qu'elle eüt voulu voir cette grotte fingutiere, n'eütce été qu'en faveur de Fleur - d'Epine & des IFacardins. Plus j'examine en détail 1'état K& Ia pofition de ce vallon, plus je me perfuade qu'il a jadis été fous I'eau , que ce qu'on appellé aujourd'hui le Val - de - Travers , fur autrefois un lac formé par la Reufe, la cafcade & d'autres ruilféaux, & contenu par les montagnes qui 1'environnent, de forte que je ne doute point que je n'habite 1'ancienne demenre des poiffons. En effet, le fol du vallon eft fi parfaitement uni qu'il n'y a qu'un dépót formé par les eaux qui puiffe l'avoir ainfi nivelé. Le prolongement du vallon , loin de defcendre, monte Ie long du cours de la Reufe, de forte qu'il a fallu des tems infinis a cette riviere pour fe caver dans les ablmes qu'elle forme, un cours en fens contraire a'1'inclinaifon du terrain. Avant ces tems , contenue de ce cóté , de même que de -tous les autres, & forcée de refluer fur elle-même, -**lle dut enfin rempiir le vallon jufqu'a. la hsuteur  J. J. R o u s s s a tri ttg dè la première grotte que j'ai décrite, par Iaquelle elle trouva ou s'ouvrit un écoulement dans Ia. galerie fouterraine qui lui fervoit d'aqueduc. L ii petit lac demeura donc conftanjment a cette bauteur jufqu'a ce que par quelques ravages fréquens aux pieds des montagnes dans les grandes eaux, des pierres ou graviers embarrafferent tellement Ie canal, que les eaux n'eurent plus un cours fuffifant pour leur écoulement. Alors s'étant extrémement élevées, & agiiTant avec une grande force contre les obltacles qui les retenoient, elles s'ouvrirer.t enfin quelque iffue par le cóté le plus fobie & le plus bas.. Les premiers filets échappés ne ceffant de creufer & de s'agrandir, & le niveau du lac baiffant a proportion, a force de tems le vallon dut enfin fe trouver a fee. Cette conjefture qui m'eft venue en examinant la grotte oü 1'on voit des traces fenfibles du cours de 1'eau, s'eft confirmée premiérement par le rapport de ceux qui ont été dans la galerie fouterraine, & qui m'ont dit avoir trouvé des eaux cröupiffantes dans lei creux des fondrieres dont j'ai parlé ; elle s'eft confirmée encore dans les pélerinages que j'ai fait* a quatre lieues d'ici pour aller voir Mylord Maré« chal a fa campagne au bord du lac, & oü je fuivois, en montant la montagne, la riviere qui defcendoit a cóté di- moi par des profondeurs effrayantes, que felon toute apparence elle n'a pas trouvées toutes faites, & qu'elle n'a pas non plus creufées en ua jour. Enfin, j'ai psnfé que 1'afpbalte qui  ï%4 Lettres b e n'eft qu'un bitume durcï, étoit encore un ihdfca d'un pays longtems imbibé par les eaux. Si j'ofofs croire que ces folies puffent vous amufer, je tracerois fur le papier une efpece de plan qui put vous éclaircir tout cela : mais il faut attendre qu'une faifon plus favorable & un peu de relache a mes maux me laiffent en état de parcourir le pays. On peut vivre ici, puifqu'il y a des habitans; On y trouve même les principales commodités de la vie , quoi qu'un peu moins facilement qu'en France. Les denrées y font cberes , paree que Ie pays en produit peu & qu'il eft fort peuplé, furtout depuis qu'on y a établi des manufaftures de tpile peinte & que les travaux d'horlogerie ti de dentelle s'y multiplient. Pour y avoir du pain mangeable , il faut le faire cbez foi , & c'eft Ie parti que j'ai pris a 1'aide de M1Ie. le VafTeur; Ia viande y eft mauvaife, non que le pays n'en produifè de bonne, mais tout le bceuf va a Geneve ou a Neufchatel & 1'on ne tue ici que de la rache. La riviere fournit d'excellente truite, mais fi délicate qu'il- faut la manger fortant de l'eau. Le vin vient de Neufchatel, & il eft trés - bon , furtout le rouge: pour moi je m'en tiens au blanc, bien moins violent, è meilieur marché , & felon moi, beaucoup plus fain. Point de volaille, peu de gibier, point de frut, pas même des pommes; fvulement des fraifes bien parfurrées, en abondance & qui. durent longtems. Le laitage y eft excellent»  J- J. Roussïau. j8f moins pourtant que le fromage de Viry préparé par Mademoifelle Rofe; les eaux y font claires & légeres: ce n'eft pas pour moi une chofe indifférente que de bonne eau, & je me fentirai longtems du mal que m'a fait ceile da Montmorenci. J'ai fous ma fenêtre une trés-belle fontaine, dont Ie bruit fait une de mes délices. Ces fontaines, qui font élevées & taillées en colonnes ou en obélt'sques & coulent par des tuyaux de fer dans de grands baffins, font un ornement de la Suiffe. II n'y a fi chétif village qui n'en ait au moins deux ou trois, les maifons écartées ont prefque chacune la fienne, & 1'on en trouve même fur les chemins pour la commodité des paffans, hommes & beftiaux. Je ne fauiois exprimer combien 1'afpeét de toutes ces belles eaux cöulantes eft agréable au milieu des rochers & des bois durant les chaleurs; 1'on eft déja rafraichi par la vue, & 1'on eft tenté d'en boire fans avoir foif. Voila, Monfieur Ie Maréchal, de quoi vous former quelque idéé du féjour que j'habite & auquel vous voulez bien prendre intérêt. Je dois 1'aimer comme Ie feul lieu de Ja terre oü la vérité ne foit pas un crime, ni I'amour du genre-humain une impiété. J'y trouve Ia füreté fous la protection de Mylord Maréchal & J'agrément dans fon commerce. Les habitans du lieu m'y montrent de la bienveillance & ne me traitent point en profcrit. Comment pourrois - je n'être pas touché des bontés qu'on m'y témoigne, moi qui dois  ~ï36" Lettres eï tenir a bienfait de Ja part des hommes tout !e mal qu'ils ne me font pas? Accoutumé a porter depuis fi longtems les pefantes cbalnes de la néceflïté, je pafferois ici fans regret le refte de ma vie,.fi )*y pouvois voir quelquefdis ceux qui me la- font encore aimer. Lettre # M. David Humc. Motiers-Travers, le 19 Février 1763. Je n'ai recu qu'ici, Monfieur, 6: depuis peur la lettre dont vous m'honoriez k Londres, le 2 Juillet dernier, fuppofant qus j'é'ois dans cette capitale. ' C'étoit fans doute dans votre nation, ét le plus prés de vous qu'il m'eüt été poflïble, que j'aurois chercbé ma retra;te, fi j'avois prévu 1'accueil qui m'attendoit dans ma patrie. II n'y avoit qu'elle que je puffe préférer a l'Angleterre, & cette prévention, dont j'ai été trop puni, m'étoit alors bien par Joniwble; mais, k mon grand étonnement, & même a celui du public, je n'ai trouvé que des affronts & des outrages oü j'efpérois, finon de la reconnoiffance, au moins des confolations. Que de chofes m'ont fait regretter 1'afyle & 1'hofpitalité philofophique qui m'attendoient prés de vous! Toutefois mes malheurs m'en ont toujours approc^é en quelque maniere. La protection & les Twntés de Mylord Maréchal, votre illuftre & digne  J. J. R O TJ S S E A U. T?7 eompatfiote, m'ont fait trouver , pour ainfi dire ï'Ecofie au milieu de Ia Suiffe; mais il vous a rendu préfent a nos entretiens; il m'a fait faire avec vos vertus Ia connoiffance que je n'avois faite encore qu'avec vos talens; il m'a infpiré laplus tendre amitié pour vous & le pius ardent defir dobtenir la vótre, avant fe fufle que vous étiez difpofé è me 1'accorder. Jugez, quand je trouve ce penchant récproque, combien j'aurois de plaifir a m'y livrer! Non, Monfieur, je ne vous rendois que la moitié de ce qui vous étoit dü, quand je n'avois pour vous que de 1'admiration. Vos grandes vues , votre étonnante impartialité, votre génie, vous éleveroient trop au-deffus des hommes, fi votre bon ceeur ne vous en rapprochoit. Mylord Maréchal , en rn'apprenant a vous voir encore plus aimable que fublime , me rend tous les jours votre commerce plus defirable & nourrit en moi rempreffement qu'il m'a fait naitre de finir mes jours prés de vous. Monfieur, qu'une meilleure fanté, qu'une fituation plus commode ne me metelle a portée de faire ce voyage comme je le defi. rerois! Que ne puis -je efpérer de nous voir unjour raffemblés avec Mylord dans votre commune patrie, qui deviendroit Ia mienne ! Je bénirois dans une fociété fi douce les malheurs par lefqueli j'y fus conduit, & je croirois n'avoir commencé de vivre que du jour qu'elle auroit commencé. Puiffé-je voir eet heureux jour plus defiré qu'es.péié! Avec quel tranfport je m'écrierois en tour  1S 8 Lettkes De chant 1'heureufe terre oü font nés David Hume elle Maréchal d'Ecoffe : Snlye, fatis mihi deb'Ha tellus > llac domus, hac patria eft. J. J. K . Lettre a M..... Motiers, le i Mars 1763. J'ai lu, Monfieur, avec un vrai plaifir la lettre que vous m'avez fait 1'honneur de m'écrire, cc J y ai trouvé, je vous jure, une des meilleures crltiques /qu'on ait faite de mes écrits. Vous êtes éleve & parent de M. Marcel; vous défendez votre maltre, il n'y a rien la que de louable; vous profefTez un art fur lequel vous me trouvez injufte & mal inftruit, & vous Ie juftifiez; cJa eft affuiément trés-permis;, je vous parois un perfonnage fort fingulier, tout au moins , & vous avez la bonté de me le dire, plutót qu'au public. On ne peut rien de plus honnête; & vous ma mettez, par vos cenfures, dans le cas de vous devoir des lemerciemens. j e ne fais fi je m'excuferai fort bien prés de vous, en vous avouant que les fingeries dont j'ai taxé M. Ma;cel, tomboient bien moins fur fon at, que fur fa maniere de le faire valoir. Si j'ai  J- J- R o u s s x a ig. tort méme en cela , je 1'ai d'autant plus que ce neft point d'après autrui que je til jugé mais d'après moi-méme. Car , quoique vous en pmffiez dire, j'étois quelquefois. admis a 1'honneur de lui voir donner fes lecons ; & je me fouviens que, 'tout autant de profanes -que nous ettons-la, fans excepter fon écoliere, nous ne pouvions nous tenir de rire a la gravité ^magiftrale avec laquelle il prononcoit fes favans apophtesmes. Encore une fois, Monfieur, je-ne prétends point mexcufer en eed., tout au contraire: j'aurois mauvaife grace k vous foutenir que M. Marcel fa.fort des lingeries, a vous qui peut-être vous trouvez bien de l'imiterj.car mondeffein n'eft affiirément ni de vous offenfer ni de vous déplaire. Quamt k J'ineptie avec laquelle j'ai parié de votre art, ce tort plus naturel qu'excufable, il eft celui de quiconque fe mêle de parler de ce qu'ii ne fait pas. Mais un honnête homme qu'on avertit de fa faute, doit la réparer; & c'eft ce que je crois ne pouvoir mieux faire en cette occafion, qu'en pubinnt franchement votre lettre & vos correcuons: devoir que je m'engage k remplir en tems & lieu. Je ferai, Monfieur, avec grand plaifir, cette réparation pubiique a la danfe & a M Marcel, pour le malheur que j'ai eu de leurrnanquer de refpect. J'ai pourtant quelque lieu de penfer que votre indignation fe fut un peu calmée, fi mes vietlles reveries euffent obtenu grace devant vous. Vous auriea vu que je fle fa, pas fi eMeffli de  ïjo Lettres de votre art que vous m'accufez de 1'être, & qua ce n'eft pas une grande objectlon a me faire, que fon établilTement dans mon pays, puifque j'y ai propofé moi - même des bais publ cs, defquels j'ai donné le plan. Monfieur, faites grace a rats torts en faveur de mes fervices; & quand j'ai fcandalifé pour vous les gens aufteies , parJonnez- moi quelques déraifonnemens, fur un art duquel j'ai fi bien mérité. Quelque autorité cpendant qu'aient fur moi vos déc'.fions , je tiens encore un peu, je 1'avous, & la diverfité des caracteres dont je propofois l'introduction dans la danfe. Je ne vois pas bien encore cjq.ie vous y trouvez d'impraticable, & il me parelt n.oins évident qu'a vous, qu'on s'ennuyeroit davantage quand les danfes feroient plus variées. Je n'ai jamais trouvé que ce fut un amufernent bien piquant pour une affemblée, que cette enfilade d'éternels menuets par lefquels on commencé & pourfuit un bal, & qui ne difent tous que la même chofe, paree qu'ils n'ont tous qu'un feul caractere; au lieu qu'en leur en donnant feulement deux, tels par exemple , que ceux de la Blonde & de la Brune, on les eüt pu varier de quatre manieres, qui les euffent rendus toujours pittorefques & plus fouvent intéreiTans. La Blonde avec le Brun, la Brune avec Ie Blond, la Brune avec Ie Brun, & la Blonde avec le Blond. Voila 1'idée ébauchée; il eft aifé de la perfeétionner & du i'étendre: car vous comprenez bien, Monfieur,  j. j- R O u s s E A «; ipj •qu'il ne faut pas preffer ces différences de Blonde ■& de Brune; le teint ne décide pas toujours du temperament: telle Bruné eft Blonde par 1'indo-' lence; telle Blonde eft Brune par Ia vivacité- & 1'habüe artifte ne juge pas du caractere par les cheveux. . C E que J'e dis du menuet, pourquoi ne Ie diroisje pas des contredanfes, & de la plate fymétrie fur laquelle elles font toutes deffinées? Pourquoi ny mtroduiroic-on pas de favantes irrégularités «mme dans une bonne décoration; des oppofitions* & des contraftes, comme dans les parties de la &Démocrite;pourquoi ne les feroit-on pas danfer? Quels tableaux cbarmans, queues fcenes vanees, ne pourroit point introduire dans la danfe, un géme mventeur, qui fauroit la tirer de la froide untformite & M donner un ,angage & ^ T?ï' Cn 3 13 mufique! M™ votre Marccl n a rien ™é que des phrafts qui fo.t — avec lui; ilalaiffé fon art dans le même etat ou il la trouvé; il peut fervi p!us uCilement en perorant un peu moins & defïïnant davantaSe • & au lieu d'admirer tant de chofes dans un menuèt u eut mieux fait de les y mettre. Si vous vouliez fa.re un pas de plus, vous, Monfieur, qU3 je fuppofe homme de génie, peut-être au lieu Je vous amufer a cenfurer mes idéés, chercheriezvous a étendre & reftifier les vues qu'dles vous offrent: vous deviendrtes «éateur dans votre art-  ipi Lettres de vous rendriez fervic: aux hommes, qui ont tant . de befoin qu'o' leur apprenne a avoir au plaifir; vous imrhortaliferiez voire nom. & vous auriez cette obligation a un pauyre folitaire^qui ne vous a point offjnfé & que vous voul.jz haïr fans fujtt. Croyez-moi. Monfi.ur , laiffez-!a des critiquts qui ne conviennent qu'aux gens fans talens , incapables de rien produire d'eux mêmes, & qui ne favent chercher de la réputation qu'aux dépens de ceile, d'autrui. Echauffez votre tête, & travaillez; vous aurez bienrót oublié ou pardonné mes bavardifts, & vous trouverez que les prétendus inconvéniens que vous objectez aux recherches que je propofe a faire , feront des avantages quand elles auront réuffi. Alors, graces £ la variété des genres , Part aura de quoi contenter tout Ie monde, & prévenir la jaloufie en augmentant 1'émulation. Toutes vos écolieres pourront briller fans fe nuire, & chacune fe confolera d'en voir d'autres exceller dans leurs genres, en fe difant, j'excelle auffi dans le mien. Au lieu qu'en lenr faifant faire a toutes la même chofe, vous laiffez fans aucun fubterfuge, 1'amour-propre humilié; & comme il n'y a qu'un mo jele de per* fection , fi 1'une excelle dans le genre, unique, il faut que toutes les autres lui cedent ouvertement la primauté. Vous avez bien raifon, mon cher Monfieur, de dire que je ne fuis pas philofophe. Mais vous qui parlez, vous ne feriez pas mal de tacher da 1'être  j. J. R o v s s e a bi 193 rétre un peu. Cela feroit plus avantageux a votre art que vous ne femblez Ie croire. Qt!oi qu'il en foit, ne fichez pas les philofophes, ja vous Ie confeille , car tel d'entr'eux pourroic vous donner plus d'inftruétions fur la danfe, que vous ne pourriez lui en rendre fur Ia philofophie ; & cela ne laifTeroit pas d'être humiliant pour un éleve du grand Marcel. Vous me taxez d'être fingulier, & j'efpere que vom avez raifon. Toutefois vous auriez pu fur ce point me faire grace en faveur de votre maitre: car vous m'avouerez qUe M. Marcel lui-même étoit un homme fort fingulier. Sa fingularité, je 1'avoue, étoit plus lucrative que la mienne; & fi c'eft -Iè ce que vous me reprochez, il faut bien paffer condamnation. Mai* quand vous m'accufez auffi de n'être pas philofophe, c'eft comme fi vous m'accufiez de n'être pas maitre a danfer. Si c'eft un tort a tout homme de ne pas favoir fon métier, ce n'en eft point un, de ne pas favoir le métier d'un autre. Je n'ai jamais afpiré è devenir philofophe; je ne me fuis jamais dcmné pour tel: je ne le fus, nf ne le fuis, ni ne veux 1'êtrè. Peut-on forcer un homme a mériter malgré lui . un titre qu'il ne veut pas poïter? Je fais qu',1 n'eft permis quaux phüofophes de parler philofophie; mais il eft permis d tout homme de parler de Ia phiofophie; & ie B-ai rien fait de ^ ^ auffi parlé quelquefois de la danfe, quoique je n* Lettres. j  194 Lettres de fois pas danfeur; & fi j'en ai parlé méme avec trop de zele è votre avis, mon excufe eft que j'aime la danfe, au lieu que je n'aime point dutout la philofophie. J'ai pourtant eu rarement la précaution que vous me prefcrivez, de danfer avec ies filles, pour éviter la tentation. Mais j'ai eu fouvent 1'audace de courir le rifque tout entier, en ofant les voir danfer fans danfer moimême. Ma feule précaution a été de me livrer moins aux impreffions des objets , qu'aux réflexions qu'ils me faifoient naitre, & de rêver quelquefois, pour n'être pas féduit. Je fuis fiché, mon cher Monfieur, que mes rêveries a'ient eu le malheur -de vous déplaire. Je vous a'ffure que ce ne fut jamais mon intention; & je vous falue de tout mon cceur. Lettre a M. de Motiers , le 6 Mars 17 '3. J'ai' eu , Monfieur , 1'imprudence de lire le mandement que M. 1'Archevêque de Paris a conné contre mon livre , la foiblefie d'y rélondre & 1'étourderie denvoyer auffitót cette jtponfe ï Rey. Revenu a moi j'ai voulu h mirer; il n'étoit plus tems; 1'impreffion en étoit commencée, & il n'y a plus de remede a tinc fotjife faite. J'efpere au moins que ce fera  J. J. R O tj s s e a O. I05 la derniere en ce genre. Je prends Ia Iiberté da vous faire adreffer par la pofte, deux exemplai. resde ce miférable écrit;I'un que je vous fupplia d'agréer, & 1'autre pour M , è qui je vous prie de vouloir bien le faire paffer, non comma une lecture a faire pour vous ni pour lui, mais comme un devoir dont je m'acquitte envers 1'un & 1'autre. Au refte, je fuis perfuadé, vu ma pofirion particuliere, vu Ia gêne a laquelle j'étois affervi a tant d'égards, vu le bavardage eccléfiaftique auquel j'étois forcé de me conformer , vu I'indécence qu'il y auroit a s'échauffer en parlant de foi, qu'il eut été facile a d'autres da mieux faire,mais impoffible de faire bien. Ainfi, tout le mal vient d'avoir pris la plume quand il ne falloït pas. Let tre a M. K. Motiers, Ie 17 Mars ifffj. 5 ï jeune & déja marié! Monfieur, vous avez entrepris de bonne heure une grande tache. Je fais que la maturité de 1'efprit peut fuppiéer a 1'age, & vous ra'avez paru promtttre ce Supplément. Vous vous con-noiffez d'aiileurs en mérite, 6 je compte fur celui de 1'époufe que vous vous ètes choifie.Il n'en faut pas moins,cher I *  ic6 Lkttr.es si pour rendre heureux un établiffement 11 précoce; Votre age feul m'alarme pour vous, tout le refte me rafTure. Je fuis toujours perfuadé que Ie vrai bonheur de la vie eft dans un mariage bien aflbrti; & je ne le fuis pas moins, que tout le fuccès de cette carrière dépend de la facon de la commencer. Le tour que vont prendre vos occupations, vos foins, vos manieres, vos affeclions domeftiques, durant la première année, décidera de toutes les autres. C'eft maintenant que le fort de vos jours ejl entre vos mams; plus tard il dépendra de vos habitudes. Jeunes époux, vous êtes perdus, fi vous n'êtes qu'amans; mais foyez amis de bonne heure pour 1'être toujours. La confiance qui vaut mieux que i'amour lui furvit & le remplace. Si vous favez 1'établir entre vous, votre maifon vous plalra plus qu'aucune a^tre; & dès qu'une fois vous ferez mieux cbez vous que partout aiüeurs, je vous promets du bonheur pour le refte de votre vie. Mais ne tous mettez pas dans 1'efprit d'en chercher au lcin, ni dans la célébrité , ni dans les plaifirs , ni dans la fortune. La véritable félic'té ne fe trcuve point au dehors; il fauc que votre maifon vcusfuffife, ou jamais rien ne vo.us fufiira. Conséquemment a ce principe, je crois qu'il n'eft pas tems, quant a préfent, de fonger a 1'exécution du projet dont vous-m'avez parlé. La fociété conjugale doit vous occuper plus que la fociété helvé'.iquc; avant de publier les anna-  J. J- K fes de cerie - ci, mettez - vous en état d'eti fournir le plus bel article. II faut qu'en rapportant les scl.ons d'autrui , vous puiffiez dire comme Ie Correge: & moi auffi je fuis homme. M o n cher K * * * , je crois voir beaucoup de mérite parmi la jeuneffe Suiffe; mai» la maladie univerfelle vous gagne tous. Ce méme cherche a fe faire imprimer. & je eraf» bien que de cette manie dans les gens de votra état il ne réfulte un- jour a Ia tête de vos» répubhques plus de petits auteurs que de grand* hommes. II n'appartient pas * tous d'être des Haller. Vous m'avez envoyé un livre très-précieuE & de fort belles cartes ; comme d'aitleurs vou» avez acheté m & 1'autre, il n'y a aucune parite? * taire en aucun fens, entre ces envois & Ie barbouiilage dont vous faites mention. De plusvous vous rappellerez, s'il vous plait, que Ce font des commiffions dont vous avez bien voulu vous charger, & qu'il n'eft pas honnête de transformer des commiffions en préfens. Avez donc Ia bonté de me marquer ce que vous coüV tent ces emplettes, afin qu'en acceptant la peins qu elles vous ont donnée, d'auffi bon ceeur que vous 1 avez prife, je puiffe au moins vous rendre vosdébourfés; fan,quoi je prendrai Ie parti dl vous renvoyer le livre & les cartes. Aj>i*u, trèsrbon& aimable K***, ftites;  io8 Lettres de je vous prie, agréer mes hommages h Madame votre époufe; dites-lui combien elle a droit a ma reconnoiffance, en faifant !e bonheur d'un homme que j'en crois fi digne & auquel je prends ■un fi tendre intérêt. Lettre a Af. D. R, Metiers, Mars 1:63. Je re trouve pas, trés - bon. papa, que vous ayez interprété ni bénignement, ni'raifonnablement la raifon de décence & de modeflie qui m'empêcha de vous offrir mon portrait, & qui m'empêchera toujours de 1'ofFrir k perfonne. Cette raifon n'eft point comme vous le prétendez un cérémonial, mais une convenance tirée de la nature des chofes, & qui ne permttt a nul homme difcret de porter ni fa figure, ni & perfonne, oü elles ne font pas invitées , comme s'il étoit für de faire en cela un cadeau. Au lieu que c'en doit être un pour lui témoigner li - deffus cuelque empreffement. Voila le fentiment que je vous ai manifefté, & au lieu duquel vous me prêtez l'intention de ne vouloir accorder un tel préfent qu'aux prieres. C'eft me fuppofer un motif de fatuité 011 j'en mettois un de modeftie. Cela ne me paroit pas dans 1'ordre ordinaire de votre bon e'prit*  J. J. R O O S S E A 17.' ïQp.. Vous m'alléguez que les rois & les princes donnent leurs portraits. Sans doute, ils les donnent è leurs inférieurs, comme un honneur ou une récompenfe; & c'eft précifément pour cel* qu'il eft'impeKinent è de petits particuliers de croire honorer leurs égaux, comme les rois honorent leurs inférieurs. Plufieurs rois donnent auffi leur main k baifer en figne de faveur & de dtftinclion. Dois-je vouloir faire è mesamis la même grace? Cher Papa-, quand je ferai roi,je-ne manquerai pas en fuperbe monarque,. de vous offrir mon portrait enricbi de diamans.. En attendant je n'irai pas fotteinent m-marmer que ni vous, ni perfonne, foit empreffé de ma- ' mm figuren jl n'y a qu'un. témoignage bien pofit.f de.Ja part de ceusqui S'en foucient, qui puiiTe me pcrmettre de ie fuppofer ; furtout n'ayant pas le pafleport des diamans pour accom. pagner le portrait. - Vous me citez Samuel Bernard. C'eft, vous 1'avoue,.. un fingulier modele que vous mepropofez i imiter i J'aurois bien cru que vousme defiriez fes millions, mais non pas fes ridicu!es^|pour moi je ferois bien faché de les avoir avec fa fortune; elle feroit beaucoup trop cherea ce prix. Ja fais qu'il avoit 1'imperti.nence d'of-' fnr fon portrait, même ades gens fort au-deflus; de lm. Auffi entrant un jour en maifon étrangere, dans la garderobe, y trouva-t-il Jedft portxau qu'il avoit ainfi donné, fierement étalé *4  2c0 L t T T 1 I j Dl nu-delfts de la chaife percée. Je fais cette anecdote & bien d'autres plus plaifantes de quetqu'un qu'on en pouvoit croire, car c'étoit Ie Prëfidem de Boulainvilliers. Monsieur *** donnoit fon portrait? Je lui en fais mon compliment. Tout ce que jè fais, c'eft que fi ce portrait eft l'eftampe faftueufe que j'ai vue avec des vers pompeus au-deffous, ii falloit que pour ofer faire un tel préfent Juimême, ledit Monfieur fijt Ie plus grand fat que Ia terie ait porté. Quoi qu'il en foit, j'ai vécu auffi quelque peu avec des gens a portraits, & a portraits reeherchables: je les ai vu tous avoir d'autres maximes, & quand je ferai tant que de vouloir imiter des modeles, je vous avoue que ce ne fera ni Ie Juif Bernard, ni Monfieur ***, que je choifirai pour cela. On n'imite que les gens i qui 1'on voudroit reffembler. Je vous dis, il eft vrai, que Ie portrait que je vous montrai, étoit le feul que j'avois; mais j'ajoutai que j'en attendois d'autres, & qu'on Ie gravoit encore en Arménien. Quand je me rappelle qu'a peine y daignates - vous jetter lesyeux, que vous ne m'en dltes pas un feul mot, <3m vous inarquates lè-deflus laplus profonde inoifFérence, je ne puis m'empêcber de vous dire qu'il auroit fallu que je fufle le plus extravagant des hommes, pour croire vous faire Ie moindre plai» fir en vous le préfentant; & je dis dès le même föir, a Mlle. le V*fi*eur la rxiortificatioa que vous m'aviez  |» j. R o y s- s- e; a' art sta? m'aviez faite; car j'avoue que j'avois: attendu & même mendié quelque mot obligeant qui me mit en droit de faire le refte. Je fuis bien perfuadé maintenant, que ce fut difcrétion & non dédain de votre part, mais vous me permettrez de vous dire que cette difcrétion étoit pour moi. un psu humiliante, &. que c'étoit donner un grand prit aux deux fois qu'un tel portrait peut valoüv Lettre k Mylord Marécïmk. te 21. Mats 1763»- 1 l y a- dans votre lettre du 19 un article gag m'a donné des palpitations ;e'eftce!ui de 1'Ecoffë,,. Je ne vous dirai li - deffus qu'un mot; c'eft que je donnerois la moitié des jours qui me reftenr, pour y paffer 1'autre avec vous. Mais pour Cd. lombier, ne comptez pas fur moi; je vous aimep Mylord; mais il faut que mon féjour me plaife, & je ne puis fouffrir ce pays. la.. Il n'y a rien d'égal a la pofition de Frédérie;. II paroit qu'il en fent tous les avantages & qu'il faura bien les faire valoir. Tout le pénib'.e & ledifficile eft fait; tout ce qui demandoft. le concours de la fortune eft fait. II ne lui refte a prérent a remplir que des foins agréables & dont 1'effet dépend de lui. C'eft de ce moment qu'iT wa s'élever, s'il \eut, dans la poftérité un bj©. I S  202 LettBES Dt" miment unique; car il n'a travaillé jufqu'ici que pour fon fiecle. Ls feul piege dangereux quï déformais lui refte a éviter, eft celuTde la flatterie; s'il fe laiffe louer , il eft perdu. Qu'il fache qu'il n'y a plus d'éloges dignes de lui, que ceux qui fortiront des cabanes de fes payfans. Save z vous, Mylord , que Voltaire chercbe Hfcpraccommoder avec moi? II a eu fur mon compte un long entretien avec M***, dans lequel il a fupérieurement joué fon róle : il n'y en a point dctranger au talent de ce grand comédien, dolis inftruiïus & arte pelasgd, Pour moi, je ne pais lui pi'omettre une eflime qui ne dépend pas de moi: mais a cela p:ès, je ferai, quand il le voudra, toujours prêt a tout oublier; car je vous jure, Mylord, que de toutes les vertus cbrétiennes, il n'y en a point qui me coüte moins que !e pardon des injures. II eft certain que fi la protection des Calas lui a fait grand ïionneur, les perfécutions qu'il m'a fait effuyer a Geneve, lui en ont peu fait a Paris; elles y ont excité un erf univerfel d'indignation. J'y jouis, malgré mes malheurs, d'un honneur qu'il ïi'aura jamais nulle part; c'eft d'avoir laiffé ma mémoire en eftime dans le pays oü j'ai vécu. Bon jour, Mylord,  JU J. R o tj S s e A' V, 203 Lettre & Madame de ***„ Le 27 Mars 1763. Qus votre lettre, Madame, m'a donné d'émotions diverfes! Ah! cette pauvre Madam3 de*** ■ Pardonnez, fi je commencé par elle. Tant de malheurs ..... une arnitié de treize ans.... Femme aimable & infortunée !.... vous la plaignez, Madame; vous avez bien ra*ifon: fon mérite doit vous intéreffer pour elle; mais vous la plaindriez bien davantage, fi vousaviez vu comme moi, toute"fa réfiftance a ce fatal mariage.'!Il fernble qu'elle prévoyoit fon fort. Pour cel!e-Ia, les écus ne Pont pas éWouie; on Pa bien rendue malbeureufe malgré elle! Hélas! elle n'eft pas la feule. De combien demaux j'ai 9 gémir! Je ne fuis point'étouné des bons procédés de Madame ***; rien de bien ne me furprendra de fa part; je 1'ai toujours eftimés & bonoréejmais avec tout cela elle napasPams de Madame de Dites-moi ce qu'eft deveni ce miférable: je n'ai plus entendu parler de.lui. J e penfe bien comme vous, Madame • je naime point que vous foyez a Paris. Paris, Ie: fiege du goüt & de la politefiè, convient è votre efprit, a votre ton, a vos manieres; mais 1©. féjour du vice ne convient point a vos mauis-, l m  204 LlTTUïS DE & une ville oü 1'amitié re réfifte ni a 1'adverfité ni a 1'abfence, ne fauroit plaire a votre cceur. Cette cor.ta^ion ne le gagnera pas; n'eft-ce pas, Madame? Que ne lifez-vous dans le mien , rattendiiffement avec lequel il m'a dicté ce motia! L'heureux ne fait s'il eft aimé, dit un poëte latin ; & moi j'ajoute , Pheureux ne fait pas aimer. Pour moi, graces au ciel, j'ai bien fait toutes mes épreuves; je fais a quoi m'en tenir fur le cceur des autres & fur le mien. II eft bien confiaté qu'il ne me refte que vous feule en France, & quelqu'un qui n'eft pas encore jugé, mais qui ne tardera pas è 1'être. S' i l faut moins regretter les amis q.ue Pad.' verfité nous óte, que. prifer ceux qu'elle nous donne, j'ai plus gagné que perdu: car elle m'en a donné un qu'affurément elle ne m'ótera pas. Vous comprenea que je veux parler de Mylord Marécbal. II m'a accueillL, il m'a honoré dans mes diigraces, plus peut-être qu'il n'eüt fait durant ma profpérité. Les grandes ames ue portent pas feulement du refpect au mérite; elles en portent encore au. malheur. Sans luT j'étois tout auffi mal recu dans ce pays que dans les autres, & je ne voyóis plus d'afyle autour de snoi. Mais un bienfait plus précieux que fa protection , eft 1'amitié dont il m'honore , & qu'as.furément je ne perdrai point. II me reflera celui-la: j'en réponds. Je fuis bien-aifeque xqw m'ayez marqué ce qu'en penfoit M. d'A***;  cela me prouve qu'il fe comaoit en hommes; & qui s'y connolt, eft de leur claffe. Je compte aller voir ce digne protecteur, avant fon départ pour Eerlin: je lui parlerai de M. d'A*** & de vous, Madame; il n'y a rien de lï doux pour moi, que de voir ceux qui. m'aiment,. s'aimer entr'eux. Quanb des quidams fous Ie nom de S*** ont voulu fe porter pour juges de mon livre, & fe font auffi bêtement qu'infolemment arrogé Ie droit de me cenfurer; après avoir rapidement parcouru leur fot écrit, je 1'ai jetté par terre & j'ai craché deffus pour toute réponfe. Mais le n'ai pu lire avec le même dédain, le Mandement qu'a donné contre moi M. 1'Arcbevêque de Paris; premiérement, paree que 1'ouvrage en lui-même eft beaucoup moins inepte.; & paree que, malgré les travers de Pauteur,. je 1'ai toujours eftimé & refpecté. Ne jugeant donc pas eet écrit indigne d'une réponfe, j'en ai fait une qui a été imprimée en Hollande, & qui, fi elle n'eft pas encore publique, le fera dans peu. Si elle pénetre jufqu'a Paris & que vous en entendiez parler, Madame, je vous prie de me marquer naturellement ce qu'on en* dit; il m'importe de le favoir. Il n'y a que vous de qui je puiffe apprendre ce qui fe paffe è mon égard, dans un pays oü j'ai paffé une partie de ma vie, oü j?afe ea des amis & qui ne peut me devenir indifféI T  ace» • Lettres d b rent. Si vous n'étiez pas è portée de voir cette lettre imprimée, & que vous puffiez m'indiquer quelqu'un de vos amis qui eut fes ports francs, je vous Penverrois d'ici: car quoique la brochuïe foit petite, en vous Pen voyant direécement, elle vous coftteroit vingt fois plus de port, que ne vaient Pouvrage & 1'auteur. j e fuis bien touché des bontés de Mademoifelle L*** & des foins qu'elle veut bien prendre pour moi; mais je ferois bien fkbé qu'un auffi j'oli travail que le fien & fi digne d'être mis en vue, reftat caché fous mes grandes vilaines manches d'Arménien. En vérité, je ne faurois me réfoudre i le profaner ainfi, ni par conféquent a Paccepter, a moins qu'elle ne m'ordonne a le porrer en écharpe ou en collier , comme un ordre de chevalerie inftitué en fon honneur. Bon jour,'Madame , recevez les hommages de votre pauvre voifin. Vous venez de me faire paffer une demi-heure délicieufe , & en vérité' j'en avois befoin ; car, depuis queïques mois , je fouffre prefque fans relache, de mon mal & de mes cbagrins. Mille chofes, je vous fupplie, a M. le Marquis,.  £ j: R O O S S E A DV Wf Lettre a M. Favre , premier Syndk de Ia Républiqüe de Geneve. Motiers. Travers, le lï.Mai 1^53, Monsieur, en u du long étonnement oïi m'a jétte?*de la part du Magnifique Confeil, le procédé que j'en devois le moins attendre , je prends enfin le parti que Phonneur & la raifon me prefcri» vent, quelque cher qu'il en coute h mon cceur. Je vous déclare donc , Monfieur, & je vous prie de déclarer au 'Magnifique Confeil, que j'abdique a perpétuïté mon droit de Bourgeoifie & de Cité dans la ville & républiqüe de Geneve. Ayant rempli de mon mieux les devoirs attachés a ce titre , fans jouir d'aucun de fes avantages, je ne crois point être en refte avec 1'Etat en le quittant. J'ai t&ché d'honorer le nom Genevois; j'ai tendrement aimé mes compatriotes; je n'ai rien oublié pour me faire aimer d'eux ,• on ne fauroic plus mal réufSr; je veux leur complaire jufques dans leur haine» Le dernier facrifice qui me refte & faire, eft celui d'un nom qui me fut fi cher. Mais, Monfieur, ma patrie , en me devenant étrangere, ne peut me devenir indifférente; je lui refte attaché par un tendre fouvenir, & je n'oublie d'elle que fes outrages. Puiffe.  iü8 L t T T 1 ! t D- x t-elle prófpérer toujours, & voir augmenter fav gloire! PuiiTe-t-elle abonder en citoyens meilleurs & furtout plus heureux que moi l , Recevez, je vous prie, Monfieur, les aiïii. rances de mon prorbnd refpeéh LittK£ a, M. UJleri ~ Profeffeur d Zurkh, fur le Chapitre VIII du dernier. Livre du COBTKi CT S OCIAL. Motiers , le 15 Juillet 1763. Quel qu'excédë que je fois de difputes & d'objections , & quelque répugnance que j'aie d'employer a ces petites. guerres le précieux commerce de 1'amitié, je continue a répondre 4 vos difiicultés, puifque vous 1'exigez ainfi. Jè vous dlrai donc avec ma francbife ordinaire , que vous ne me paroiffez pas avoir bien faifi 1'état de la queftion. La grande fociété , la fociété hutnaine en général, eft fondée fur 1'humanité, fur Ia bienfaifance univer'ftlle. Je dis, & j'ai toujours dit que le Chriftianifme eft favorable è celle-Ia. Mais les focfétés particuüeres, les fociétés politiques & civiles ont un tout autre principe; ce font dés étabiiffemens purement humains , dont par conféquent Ie vrai chriftiauifme. nous  j. j. E. o » s s e A ü." 26$ détache, comme de tout ce qui n'eft" que terreflre. II n'y a que les vices des hommes qui rendent ces établiïTemens néceffaires, il n'y a que les paflions humaines qur les confervent. Otez tous les vices & vos chrétiens, ils n'auront plus befoin de magiftrats ni de loix. Otez-leur toutes les paffions humaines, le li'en civil pefd a j'inftant tout fon reffört: plus d'émulation, plus de gloire, plus d'ardeur pour les préférences. L'intérêt particulier eft détruit, & faute d'un foutien convenable, 1'état politique tombe en langueur. Votre fuppofftion d'une fociété politique ét rigoureufe de chrétiens, tous parfaits a la rigueur, eft donc contradictoire ; elle eft encore outrée quand vous n'y voulez pas admettre un feul homme injufte, pas un feul ufurpateur. Sera-N elle plus parfaite que ceile des Apótres ? & cependant il s'y trouva un Judas Sera t-elle plus parfaite que ceile des Anges? & le Diable, dit-on, en eft forti. Mon cher ami, vous oubliez que vos chrétiens feront des hommes, & que la perfeélion que je leur fuppofe, eft ceile que peut coinporter 1'humanité* Mon livre n'eft pas fait pour les Dieux. C e n'eft pas tout. Vous donnez a vos citoyens un tact moral, une finefle exquifej & pourquoi? paree qu'ils font bons chrétiens. Comment i Nul ne peut être bon chrétien è votre compte-, fans être un la Rochefoucault, un la Bruyers-?  aio Lettres r>» A quoi. penfoit donc notre maitre , quand il béniiToit les pauvres en efprit ? Cette affertionla, premiérement, n'eft pas raifonrable, puifquela fineffe du tact moral ne s'acquiert qu'a force de comparaifons & s'exerce mênns infïniment mieux fur les vices que 1'on cacbe, que fur les vertus qu'on ne cache point. Secondement, cette même affertion eft contraire a toute expérience, & 1'on voit corftamment que c'eft dans les plus grandes vil-les, chez les peuples les plus corrorapus qu'on apprend a mieux pénétrer dans les cceurs, a mieux öbferver les hommes, a mieux interpréter leurs difcours par leur fentiment, a mieux diftinguer la réalité de 1'apparence. Nieiez-yous qu'il n'y ait d'inficiment meiileurs obfervateurs moraux a Paris qu'en , Suiffe ? qu conclurez-vous de la qu'on vit plus vertueufémmt a Paris que chez vous? Vous dites qne vos citoyens feroient infiniment choqués de la première injuftice. Je ie crois; mais quand ils la verroient, il ne feroit plus tems d'y pourvoir; & d'autant mieux qu'ils ne fe permettroi-ent pas aifément de mal pen fer de leur prochain, ni de donner une mauvaife interprétation a ce qui pourroit en avoir une bonne. Cela feroit trop, contraire 4 la charité. Vous n'ignorez pas que les ambitieux adroits fe gardent bien de commencer par des injuftices; au contraire, ils n'épargnent rien pour gagner d'abord la confiance & 1'eftime publique, paria  j". J. roos s e a u." &x3 pratique extérieure de la vertu. Ils ne jetcent Je mafque & ne frappent les grands coups, que quand leur partie eft bien liée & qu'on n'en peut plus revenir. Cromwe! ne fut connu pour un tyran, qu'après avoir paffé quinze ans pour le vengeur des loix & le défenfeurde la religion. Pour conferver votre républiqüe chrétienne, vous rendez fes voifins auffi juftes qu'elle; a !a bonne heure. Je conviens qu'elle fe défendra toujours affez bien, pourvu qu'elle na foit point attaqués. A, 1'égard du courage que vous donnez a fes foldats, par le fimple amour de la confer. vation, c'eft celui qui na manque & perfonne. Je lui ai donné un motif encore plus puiffant fur des chrétiens-; favoir, 1'amour du devoir. La-deffus, je crois pouvoir pour toute réponfe vous renvoyer a mon Iivrs , oü ce point eft bien difcuté. Comment re voyez-vous pas qu'il n'y a que de grandes paffions qui faffent de grandes chofes? %ii n'a d'autre-paffion que ceile de fon falut,ne fera jamais rien de grand dans le temporel. Si Mutius Scevola' n'eüt été qu'un faint, croyez* vous qu'il eüt fait lever le fiege de Rome ? Vous mecitérez peut-être la magnanime Judith. Mais nos cbrétiennes hypothétiques, moins barbare» mejit coquettes,, n'iront,pas, je crois, féduire leurs ennemis, &puis, coucher avec eux pour les maftacrer durant leur, femmeil. Mok cher ami, je n'afpire pas a vous convaincre. Je fais qu'il n'y a pas deux têtes orga.  iïZ L e t t * e s de nifées de même, & qu'après bien des difputesv bien des objeétions , bien des édairciflemens, chacun Unit toujours par refter dans fon tui» ment comme auparavant. D'ailleurs, quelque pbü lofophe que vous puiffiez être, fe fens qu'il faut toujours un peu tenir a 1'état. Encore une fois-, je vous réponds, paree que vous le voulez; mais je ne vous en eftimerai pas moins, pour ne pas penfer comme moi. J'ai dit mon avis au public, & j'ai cru Ie devoir dire, en chofes importantes & qui intéreffent Phumanité. Au refte, je puis m'être trompé toujours , & je me fuis trompé föuvent fans doute. J'ai dit mes raifons; c'eft au public, c'eft è vous i les peter, a les juger, 1 choifir. Pour moi, je n'en fais pas davantage, & je trouve trés - bon que ceux qui ont d'autres fentimens, les gardent, pourvu qu'ils me-laifTent en paix dans le mien. Lettre a M. de M***. Motiers - Travers, Ie 11 Septembre i?63; Je ne fais, Monfieur, fi vous vous rappelleren un homme, autrefois connu de vous; pour moi qui n'oublie point vos honnêtetés, je me fuis avec plaifir rappellé vos traits dans ceux de Monfieur votre fils, qui m'eft venu voir il y a luelques- jours. Le récit de^ fes malheurs m *  J. J. R O U S S B A 0? Zli vivement touché; Ia tendreflb & Ie refpect avec lefquels il m'a parlé de vous, ont achevé de m'intéreflèr pour lui. Ce qui lui rend fes maux plus aggravans, eft qu'ils lui viennent d'une main fi chere. J'ignore, Monfieur, quelles font fes fautes ; mais je vois fon affliftion; je fais que vous êtes pere, & qu'un pere n'eft pas fait pour être rnexorable. Je crois vous donner un vrai témoignage detachement, en vous conjurant de n'ufer plus.envers lui d'une rigueur défefpérante, « qui, le faifant errer de lieu en lieu , fans resfource & fans afyle, n'honore ni Ie nom qu'il porte, ni lepere dont il Ie tient. Réfléchiffëz,> Monfieur , quel feroit fon fort fi dans eet état il avoit Ie malheur de vous perdre. Attendra-til des parens , des collatéraux, une commiféra-' tion que fon pere lui aura refufée? & fi vous y comptez, comment pouvez-vous laifTer è d'autres le foin d'être plus humains que vous envers votre rils? Je ne fais point comment cette feule idéé ne défarme pas votre bon cceur. D'ailleurs de guoi-s'agit-il ici? de faire révoquer une malheureufe lettre de cachet qui n'auroit jamais dft être follicitée. Votre fils ne vous demande que fa liberté, & n n'ea veut ufer que pQur ré f fes torts, s'il en a. Cette demande même eft un devoir qu'il vous rend; pouvez-vous ne pasfentir le vóire? Encore une fois penfez-y, Monfieurj je ne veux que cela; la raifon vous dira le refte.  £14 Lettres de Quoique M de M*** ne foit plus ici, je fais, fi vous m'honorez d'üné tépoi.fe, oü lui faire paffer vos ordres, amli vous pouves les lui donner par mon canal. Recevez, Monfieur, mes faluiations & les affurances de mun refpect. Lettre d M, C., LieutenarA. Colonel, Septembre 1763. Je crois, Monfieur, que je ferois fort aife de vous connoitre; mais on me fait faire tant de connoifTances par force, que j'ai réfolu de n'en plus faire volontairement: votre franchife avec moi mérite bien que je vous la rende, & vous confentez de fi bonne grace que je ne vous lépondepas, que je ne puis trop tót vous répondre; car, fi jamais j'étois tenté d'abufer de la liberté, ce feroit moins de ceile qu'on me IailTe, que de ceile qu'on voudroit m'óter. Vous êtes Lieutenant - Colonel , Monfieur, j'en fuis fort aife; mais fufiïez-vous Prince , & qui plus eft Laboureur, comme je n'ai qu'un ton avec tout le monde, je n'en prendrai pas un autre avec vous. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur.  Lettre d Af, I. D. L> d,.ïK Motiers, Ie 29 Septenbre ir<53. "Vo'us me faites, Monfieur Ie Duc, bien plus* d'bonneur que je n'en mérite. Votre AitefTe Séréniffime aura pu voir dans Ie livre qu'elle daigne citer, que.je n'ai jamais, fu comment it faut élever les Princes; & la cla.neur publique me perfuade que je .ne fais comment ii faut élever .perfonne. D'ailleurs., les difgraces & les maux m'ont affefté le cceur & affoibli Ia tête. II ne me refte de vie que pour fouffrir; je n'en ai plus pour penfer. A Dieu ne plaife, toutefois, que je me refufe aux vues que vous m'expofez dans votre lettre. Elle nie pénetre de refpeft .& d'admiration pour vous. Vous me paroifTez plus qu'un hotnme, puifque vous^favez 1'être encore. dans votre rang. Difpofez de moi,, Monfieur' le Duc; marquez-moi vos doutes, je vous dirai mes idéés ; vous pourrez me convaincre aifément d'infuffifance, mais jamais de mauvaife volonté. Je fupp'ie Vorre AltetTe Séréniffime d'agréer les affurances de mon profond refpect.  «iö Lettres de Lettre au Prince Louis de Wirtemberg. Motiers, le 10 Novembre 1753. Si j'avois le malheur d'être né Prince, d'être enchalné par les convenances de mon état j que je fuffe contraint d'avoir un train , une fuite, des domeftiques, c'eft - h - dire, des maitres; cc que pourtant j'euffe une ame aflez élevée pour vouloir être homme malgré mon rang, pour vouloir remplir ies grands devoirs de pere, de mari, de citoyen de Ia républiqüe humaine; je fentirois bientót les difikultés de concilier tout cela i ceile furtout d'élever mes enfans pour Pétat ou les p'aca Ia nature, en dépit de celui qu'ils ont parmi leurs égaux. J e commencerois donc par me dire ; il ne faut pas vouloir des chofes contradictoires ; il ne faut pas vouloir être & n'être pas. La diffi. culté que je veux vaincre eft inhérente 4 la chofe; fi Pétat de la chofe 11e peut cbanger, il faut que Ia difiïculté refte. Je dois fentir que je n'obtiendrai pas tout ce que je veux: mais n'importe , ne nous décourageons point. De tout ce qui eft bien , je ferai tout ce qui eft poffible, mon zele & ma vertu m'en répondent; une partie de la fageffe eft de porter le joug de la néceffité: quand le fage fait le refte il a tout fait.  !• j. R o V s s e a ü. S!y faff. Voila ceoue Je me dirois fi j'étois PHnce Apres cela, j'irois en avant fans me rebuter " fans rien craindre; & queI que m mon ^ ayant fait ainfi je ferois content de moi Je ne crois.pas que j'euffe tort de 1'être Il faut, Monfieur le Doe, commencer par vous b.en mettre dans 1'efprit, qu'ü n> , poPfnt paternel que celui d'un pere, ni d J maternel que celui d'une mere. je voudroi, employer vmgt rane, de papjer . ^ être peie, vous aurez trop d'autres foins i remplir: .1 faudra donc que d'autres rempliLt les vötres Madame Ia Ducbeffe fera dans e même cas è peu prés. De-la fuit cette première regie. Faites en flwe que votre enfant foit cher ïquelquZ U convient que ce quelqu'un foit de fon'fexe. L age eft t-ès-difficile è déterminer. Par portantes raifons il la faudrok ^ une jeune perfonne a bien d'autres foins enTêta .uedevei„erjour&n,itfur un enfant. C I eftuninconvenientinévitab,e.&déterminant prenezde^ pas jeune, ni belle, nar conféquent; car ce feroit encore pis t'" cefi elle que vous aurez d craindre: belle S tout ce qui 1'approchera. ' ft Lettres.  2ig Lettres de Il vaut mieux qu'elle foit veuve que fille. Mais fi elle a des enfans , qu'aucun d'eux ne foit amour d'elle & que tous dépendent de vous. p o i n t de femmes a grands fentimens, encore moins .de .bel efprit. Qu'elle ait affez d'efprit pour vous bien entendre , non pour rafiner fur vos inftructions. Il importe qu'elle ne foit pas trop facile i vivre, & il n'importe pas qu'elle foit libérale. Au contraire, il la faut rangée, attentive a fes intéréts. >H eft impoffible de fonmettre un pro'digue a la regie; on tient les avares par leur propre défaut. : ,Poi nt d'étourdie ni d'évaporée ; outre le mal de la chofe il y a encore celui de.l'humeur, car toutes les folies en ont , & rien n'eft plus a craindre que 1'humeur ; par la même raifon les gens vifs, quoique plus aimables, me font jufpeds, a caufe de 1'emportement. Comme nous ne trouverons pas une femme parfaite, il ne faut pas tout exiger : ici la douceur eft de précepte, pais pourvu que la raifon la donne, elle peut n'être pas dans le tempérament. Je Panne auffi mieux égale & froide qu'accueillante & capricieufe. En toutes chofes préférez un .caraftere fur a un caractere brillant. Cette derniere qualité eft même un inconvénient pour notre objet; une perfonne faite pour, être audeffus des autres peut être g&tée par le mérite  j- j« R o u s s e % rj. at9 *** ce"x & réIevent- Elle en eaige enfoüe autant de tout Je monde, cVcela Ja rend inMe avec fes inférieurs. Du refte, ne cberchezdans fon efprit aucuhe ■Elle fedésutfera. fi elle fait; vous Ia connoitrëz b.en nneux fi ene eft ignorante: düt-elie ne nas favoir lire tant mieux, elle apprendra avec fon ÏT r3 f qiiaÜté d'GCpdt ^ faut «Jgor, ceft un fens droir. 6 ' Je ne parle point ici des qualités du cceur nf ^ mceurs , qui fe fuppofent; paree qU8 e contrefart lé.deffus. On n'eft pas fi en garde £ le refte du caraétere, & c'eft par-Ia qne de bons yeux jugent du tout. Tout ceci demanderoi peut-etre de plus grands détails ; mais ce n'eft pas matntenant de quoi il s'agit. Je dis, & c'eft ma prfnuere regie, cm'ü faut que Penfant foit cher a cette perfonn -li M*s comment faire? is .Vous ne lui ferez point aimer 1'enfant en fa drfant de 1'aimer; & avant que i'habitude ait fa.tnaitrel'attachement, on s'amufe quelquefo s -ec les autres enfans, mais on n, Je q^I OIIf "E P°urroit fi elle aimoit Ie pere d amts & Jamais . dans H K e  aio Lettres be O 8, 1'aSection qui ne natt pas du fentiment? .tTou peut-elle naitre, fi-ce n'eft de 1'intérêt ? Ici vient une réflexion que le concours de mille autres confirme , c'eft que les difHcultés que vous ne pouvez óter de votre condition,, .vous ne les éluderez qu'è force de dépenfe. Mais n'allez pas croire, comme les autres,' «jue 1'argent fait tout par lui ■ même , & que pourvu . qu'on ;paye on eft fervi. Ce n'eft .pas cela. Je ne connois,rien de fi diffkile quand on eft riche, que de faire ufage de fa richeffe pour aller a fes fins. L'argent eft un reffort dans la mécanique morale, mais il repouffe toujours la main qui le fait agir. Faifons quelques obfervations néceffaires pour notre objet. Nous voulons que 1'enfant foit cher a fa gouvernante. II faut pour cela que le fort de la gouvernante foit lié a celui de 1'enfant. Ii ne faut pas qu'elle dépende feulement des foins qu'elle lui rendra , tant paree qu'on n'aiine gucres 'es gens qu'on fert, i connois les- hemmes pour m'imagino, que ces, juges K 3 ■  222 Lettres de qu'une jeune Princefle de quinze a vingt ans a été mal éievée. Mais cette réflexion que je fais - lè, la Bonne. ne la fera pa!j quand elle la feroit, elle ne s'y fieroit pas tellement qu'elle. en négligeat des devoirs dont dépend fon fort,, fa fortune, fon exiftence. Et ce qu'il importe ; ici n'eft pas que la récompenfe foit bien admi; aiftrée, mais 1'éducation qui doit 1'obtenir.. Comme la raifon nue a peu de force, 1'intérêt feul n'en a pas tant qu'on croit. L'imagination feule eft aclive. C'eft une paffion quenous voulons donner a la gouvernante, & 1'on n'txcite les paffions que par 1'imagination. Une ■ récompenfe promife en argent eft très-puiffante „ . mais Ia moitié de fa force fe perd dans Ie loinrlo l'üVBni'r On rnmnare da fana-froid Pinteivalle & 1'argent, on-compenfe le. rifqu-2 avec Ia fortune, & le cceur refte tiede.. Eten» dez , pour ainfi dire , 1'avenir fous les fens, afin de lui donner plus de, prife. Préfentez-la fous des faces qui le rapprochent, qui flattent Pefpoir & féduifent 1'efprit. . On fe perdroit dans la multitude de fuppofitions qu'il faudroit parcourir, felon les tems, les lieux, les caracteres.. Un exemple eft un cas dont on peut. tirer l'induétion pour cent mille autres. Ai-je a faire a un caractere paifible, aimant Pindépendance & le repos? Je mene promener cette perfonne dans une campagne; elle voit daas une jolis fituation une petite maifon bien  J. J. R O V s S e a V. » 223 firnée, une baffecour, un jardin , des terres pour 1'entretien du maitre , les ag'rémens qui peuvent lui en faire aimer le fé'jour. Je vois ma gouvernante encbantée; on s'apprcprie toujours par la convoitife ce qui convient k notre bonheur. Au fort de fon enthoufiafme , je la prends è part; je lui dis: „ Eievez ma fille a ma „•fantaifie; tout ceque vous voyez eft avous." Et afin qu'elle ne prenne pas ceci pour un mot en 1'air, j'en paffe facie conditionnel; elle n'aura pas un dégout dans fes fonctions, fur lequel fon imagination n'applique cette maifon pour emplatre. Encore un coup, ceci n'eft qu'un exemple, Sr la longueur du tems épuife & fatigue 1'imagination, fon peut partager 1'efpace & h récompenfe en plufieurs termes , mémo * plufieurs. perfonnes: je ne vois ni difficulté, ni inconvénient a cela. Si dans fix ans mon enfant eft-ainfi, vous aurez telle chofe. Le terme venu,fi la condition eft remplie on tient paroie & 1'on eft libre des deux cóté?. Bien d'autres avantages découleront de 1'expéJienr que je propofe, mais ja ne peux r.i ne dois tout dire. L'enfant aimera fa gouvernante, furtout fi elle eft-d'abord févere & qt:e l'enfant ne foit pas encore gaté. L'effet de 1'ha bitude «ft naturel & für, jamais il n'a manqué que par.la faute des guides. D'aiileurs, la justtce a fa mefure & fa regie exacte'; au lieu q»;e 1*. complaifance qui n'en a point, rend les enfar.s K 4 ,  224 Lettres rr k toujours exigeans & toujours mécontens. I/en.' fant donc qui aime fa Bonne, fait que Ie fort de cette Bonne efi dans le fuccès de fes foinsj jugez de ce que fera l'enfant, 4 mefure que fon intelligence & fon cceur fe formeront. PittïENuE è certain age, ia petite fille efl capricieufe ou mutine. Suppofons un mo-> ment critique, important, oU elle ne veut rienentendre; ce moment viendra bien rarement , on fent pourquoi. Dans ce moment ücheux Ia* Bonne manque de reffource. Alors elle s'attendrit en regardant fon éleve, & lui dit: c'en ejièanc fait; tu m'ótes le pain de ma vieillejje; j js fuppofe que la Alle d'un tel pere ne fera jas un monftre: cela étant , 1'effetde ce mot» eft fur ; mais ii ne faut pas qu'il foit dit', deux fois. On peut faire en forte que la petite fe Iedife il toute heure, & voilé d'oü naiffent mille, biens a ia-fois. Quoi qu'il en foit , croyezvous qu'une femme qui pourra parler ainfi a fonéleve, ne s'affeclionnera pas è elle? On s'affeétionne aux.gens fur la tête defquels on a mis. des fonds; c'eft le mouvement de la nature, &. tft! mouvement non moins naturel eft de s'affeetonner a fon propre ouvrage, furtout quami> on en attend fon bonheur. Voila dons notre. première recette accomplie. S e c o Nu e regie. Il faut que la Bonne ait fa. conduite, tout3* tracés  J. R* O V S' s e A ft. ïj^. eracéö & une pleine -confiance dans lé' firccéV Le ménioire inftructif qu'ij Faut tui 'donnel:, eft une piece tres-importante. II fauf qu'elle- Téttfdie fans'ceffe', ,| faiït -q[I-ëne w fache par cceur, mieux qu'un AmbafT-deur n-« dok favoir fes-inftruclions. 'Mais ce qui êit ptUa wipon»nf encore , c'eft qu'elle foit parfait, ment' convaincuc qu'il n'y a point d'autrö route pour' aller au but qu'on lui- marqué, & par conféquent ■ a-uilen. ■ I l ne faut pas pouTcela lui 'donner 'd'ab'órd' Iè mémoire. II faut lui dire premiérement ce" que vous voulez-faire; luimontrer 1'état de' corps & d'ame ou 'vous- exigez qu'elle trfettffvotre enfant. La-delTus toute difpute ou objeflion de fa part eft inutile: vous*n'avez point de'ratfons i lui rendre de votre'volonté'.' Mafs ' il fant lui prouver que Ia chofe eft faifable "& qu'elle ne feft que par les moyens que vous propofez: c'eft fur cela qu'il faut beaucoup raifonner avec 'elle; il faüt lui dire* vos-taifons dairemerjf, fimplement. au-long, en term -s a fa portée. II faut écouter fes 'réponfcs y fes fent.mens, fes objs&ians , les difcuter-a loifir enfernble, non pas 'tant- pour - ces objeéVons m.m s,-qui probabiement feront'fuperficielles que pour faifir l'occafi>ri de bien lire dans fon efpm, de:la bien eonvaincre que les'moyens que vous indiquez font ks feuls propres a rfe 3ir. il faut Vaffurer que de tout point elle eft K s  126 L E T T R Ë S D K convaincue,non en paioles mais intérieuremer^ Alprs feulement il faut lui donner. le mémoire, le lire avec elle', l\xaminer , 1'éclaircir , le Geuriger,. peut,-êtie^ ck.s'alTurer quelle 1'eruend parfaitement. -. I i fur.viendra fouvent durai:t 1'éducation des circo^ftances , imprévucs ; fou ent ks chofes piefciitts ne Kunerort pas comme on avoit era: Ic 3 élémeis i éceffaires pour réfcudre les proWêmeo moraux font en nès- grand nombre, Ü, un feul. orois rend la foluuon fauffe. Cela demandera . des. co.rfé>ti;cts fréquentes , des difculliors , dis éclaiiciffeauns auxquds il ne faut jamais fe refufer, & quM faut même rendre agiéables k la>gouvernante par le plaifir avec iequel.on s'y, prêtera. ■ C'eft encore.un fort bon moyen de i'étudier elle- même» . Ces,, détails me femblent pius particuliére» :mert la tach,e de la mere. . II faut qu'elle facbe le méni"ire auffi bien que. Ia gouvernante: mais jl f..ut qu'clie. Ie f, che aurrtm'rt La gouvernante le faura par les reghs- la mere Ie faura par les principescar premiértment ayart recu. une éducation plus foignée, & ayant eu i'efprit plus txercé, elle dor ê;ie i lus en état de sénéïalifer fes idéés & d'en voir tous les rappoits; &,de plus prenant au fuccès un intérêt plus vif encore, elle. doit plus s'occuper des moyens si'y patvenirv .  J. J. ROüSSE&fj. 23j. • Troisiemé regie. La Bonne doit avoir un . pouvoir abfotu fur l'enfant. s Cette regie bien entendue fe réd uit a celle-ci, que Ie mémoire feu! doit tout gou. Vgtwmc&f, quand chacun fe réglera fcrupuleu-9 fement fur is mémoire, il s'enfuit que tout Is • monde agira' toujours- de' concert ,'fauf ce qui • pourroit ê re ignoré des uns ou des autres; maia il eft aifé de pour voir a cela. • Je n'ai pas perdumon objet de vue, mais j'ai été forcé de faire un bien' grand détour.' Voila déja la difficulté levée en grande partie; car notre éleve aura peu a craindre des dorneftiques, quand la feconde mere aura tant d'intérê°t a ia furveiller. Parions è préfent de ceux ci. Il y a dans une maifon nombreufe des moyens généraux pour tout faire, & fans les.-< quels on ne parvient jamais a rien. •- D'abordIss mceurs, 1'impofanre image de 1 la vertu devant laquelle tout flécbit , jufqu'au ■ vice mê-ne; enfuite l'ordre, Ia vigilance; enfin 1'imérêc, le dernier de tous; j'ajouterois Ia va» • nité , mais Pétat fervile eft trop prés de la m ft re; la varfité n'a fa grande force que ffir les gens qui ont du pain. ■ Pour ne pas me répéter ici , permèttez , • JMonfisur le Duc , que je vous 'renvoye a Ia cinquieme partie de 1'Héloïfe, Lettre' dixieme. :: Vous y trouverez un recueil de maximes qui me parouTent fondamentales, pour donnei dans une K 6  2«8: h e t t -x-e- s » -e raa'fon grande ou petite du reffort a PdutGritcV du refte je conviens de la difrkulté de l'exécu-.i tïon, paree.que, de tous-les ordres d'hommes imag-inablcs, celui des-valets lailTe lè moir s de> prüe pooi le mei er ou 1'on. veut. Mais-tous* ks raifonnamers du.monde ne feront pas qu'uneehofe ne fdït pas ce qu'eile eft , que ce qui n'y eft pas. s'y .trouve;, que des. valets ne foient pas des valets. Le train d'un grand Seigneur eft fufceptible de plus.ck de moins, fans ceffer d'être con, v^nable. Je pars de»la. pour-établir ma première maxime.. 1. RÉDuisEZ votre fuite au moindre nom* bre de gens. qu'il foit poffibïe; vous aurez moins d'ennemis- & vous en ferez mieux fervi. S'il y a dans votte, maifon un feul homme. qui n'y foit pas néceffaire, il y eft t uifible; foyez-en fü-r. " 2. Jv5s.ttez du choix. dans ceux que vous garderez, &,préférez de beaucoup .un fervice exact è un fervice-..gréab!e. Ces gens qui applaniffent tout devant leur maitre, font tous des friponj- Surtout point de diffipateur. * 3* S ou-M.tiTEz-Lis a la regie en toute chofè, même au travaii, ce qu'ils. ferpnt döt - il n'êire bon, è rien., 4. Faites qu'iis» aient un grand intérêt; i jeftcr longtems è votre fervice, qu'ils s'y attar chent è mefuie qu'ib y reftent, qu'ils craignent-, pai conféquent, d'autant plus d'ea fojttir qu'ils y  J. )V. R? e> Ü-S---S e a.-tf. 2a5,. " font reftés-plus longtems. La raifon & les moyenstte cela fe rrouvent dans Ie livre indiqué. Ceci font les données que je peux fuppoferv paree que,, bien qu'elle. ie vous choifisfiez, il faut qu'il foit fans exception & fe même pour vos gens de tout é age, excepté ce que vous deftinez fpécialement au fervice de i'enfant & qui ne peut être en trop petit nombre , ni trop fcrupuleufement choifi. U n jour donc vous affemblez vos gens, S dans un difcours graye & fimple, vous kor direa  j. ' j. R o o s s e A u. 231 t que. tous croyez-devoir, en bon pere, apporter tous .vos foins è bien, élever l'enfant que Di>u vo-us a don.-.é. „ Sa mere & moi fenrons ro'ut „ cequi nuifit a la tere. Neus Pen voulons-„ .préferver; & fi Dieu bér.it nos efforis, not:s „ n'aurons point de compte a iui rendre >des „ défauts ou des vices. que notre enfant pourroit „ contrafler. Nous avons pour cela de grandes „ précauuons a prendre: voici .celles qui vous „ rega.denc , & auxquelles j'efpere que vous 3,,vous prêterez en honnêtes gens , dont les „ pr«. m'ers devoirs font d'aider a remplir ceux ), .ae leurs maltres.'t. Ap-ès Pénorscé de Ia regie dont vous prefert vez .lobfervationvous ■ ajontez que ceux qui feront exaét* a la fuivre, peuvent compter fur votre bienveillance & même fur vos bienfalt». * Mais J'e vous, rféclare en même tems," pour- fuivez-vous. d'une voix plus. haute; „ qUe, „ quicorque y aura manqué une feule fois, & „ ,en-quoi que ce puiffe être, fera caiTé fur ie „ champ & perdra fes gages. • Comme c'eft-la „ la CMdiiion f.us ,laquelle je vous garde, & „.que je vous en préviens toust ceux qui'n'y. ' „ .veulent pas acquiefcer,® peuvent 'fortir." Des. regies fi peu gênant.es, ne feront fortir r que,ceux.qui feroient fortis fans cela. ainfi vous . ne perdez rien è leur mettre le marché a la marn, & A ons leur en impofez beaucoup. Peut . être au «ommencement, quelque étourdi fera-t-ü  lavi&ime, & il faut qu'il Ie foit. Ftit-ce !e> Maitre - d'Hótel, s'il rt'éjl chaffé comme un co' quin, tout eft mariqué. Mais s'iis voient uns fois que c'eft tout de bon-& qu'on les furveilie^ on aura déformais peu befoin de les furveiller. • Mille petits moyens relatif» naiffent de ceux-ia; mais il ne faut pas tout dire, & ce nic.moiré eft-de-ja-trop long. J'ajouterai feu c-ment un avis trés-important & propre a couper cotirs au mal qu'on n'aura pu prévenir. C'eft d'examiner toujours l'enfant avec le plus grand foin^ & de fuivre attentivement les progiès de fon co/ps & de fon cceur. S'il fe fait quelque chofe autour de lui • contre la regie, l'impreffion s'en marquera dans l'enfant même. Dés que vous y verre:7, un figne nouveau, cherchez-en la caufe avec foin ; vous la trouverez infailliblement. A certain age il y a toujours remede au mal qu'on n'a pu prévenir, pourvu qu'on factie leeonnoi;rej< & qu'on s'y prenne a tems pour le guérir. Tous ces expédiens ne font pas faciles, &. je ne réponds pas abfolument de leur fuccès : eependant je crois qu'on y peut prendre une confiance raifonnable, & je ne vois rien d'équi» valent dont j'en puiffe aire autant. Dans une rouie toute nouvelle, il ne faut pas chei cher des chemirs battus , & jamais en» treprife extraordinaire & difficile ne s'exécute par des moyens aifés & commurs. £)w xefte., ce.ne font peut-être ici que let  J. J. R o o s s K A u. fg;J délires d'un fiévreux. La comparaifon de ce qui eft a ce qui doit être, m'a donné 1'efprit roraanefque & m'a toujours jetté loin de tout ce qui fe fair. Mais vous ordonnez, Monfieur le Dac; j'obéis. Ce font m«s idéés que vous demandez, les voila. Je vous tromperois, ft je vous dormois la raifon des autres, pour les folies qui font a moi. En les faifant paffer fous les yeux d'un fi' bon juge, je ne crains pas le mal qu'elles peuvent caufe?.- Lettre d Madame de B. (*) Décembre 1763» Jj n'ai rien, Madame, a vous.dire fnr le jugement que vous avez porté de la probité de (*) Potd le dihut de la Lettre de Mde. de B., a laquelle répond ceile de M. Roujfeau, „ Paris, le ïo-Noveinbre 1763. „ MONSIEUR, „ II y a enviren un mois que j'eus I'honneur de vous „ écrire; ignorant vo-rc adrefie , j'em-oyai ma lettre bien„ cachetée a M. de Voltaire, av;c. L'aluirance de-cette ,,. probité commune a tous les honnêtes gens, je le priai „ de yous 1'envoyer.; mais queUe a été ma furprife, lors. „ que le 4 de ce mois j'a- refu en réponfe un impiimé „ qm a pour titre, Sermon des cinquante ! Seroit - ca „ vous , Monfieur, ou M. de Voltaire qui me 1'avez«ÉfftóW** Jen'ofe.penler que c'eft vous,, &c, &c."  234' ..Lettres de M. de Voltaire; je vous dirai feulement que je n'ai point recu la lettre que vous lui avez adresiée pour moi, & que je n'ai envoyé ni a vous, ni a perfonne, Pimprimé intitulé : Sermon des (inquants , que je n'ai même jamais vu. Du refte , il me parólt bizarre que, pour me faire parvenir une lettre , vous vous foyez aireffée au chef de mes perfécuteurs. * A 1'égard des doutes que vous pouvez avoir, Madame , fur certains points de la religion ? pourquoi vous adreffez - vous pour les lever, k un homme qui n'en eft pas exempt lui-même t Si malheureufement les vótres tombent fur les principes de vos devoirs, je vous plains. Maiss'ils n'y tombent pas, de quoi vous mettez- vous en peine ? Vous avez une religion qui difpenfe de tout examen; fuivez-Ia en fimplicité de cceur.' C'eft le meilleur confeil que je puis vous donner i & je Ie prends autant que je peux pour moi - même. IIecevez, Madame, mes falutations Sc mon refpect. Lettre d M. l'A. de Motiers-Travers, le 27 Novembre 1763. J'x 1, recu, Monfieur, Ia lettre obligeante dans laquelle votre honnêce cceur s'épanche avec moi.  J." ƒ. R. O ü S S E A 17. . E35 Ja fuis touché de vos fentimens & reconnoiffant de votre zele; mais je ne vois pas bien fur quoi vous me confultez. Vous me dites: „ j'ai de „ la naiffance dont je dois fuivre Ia vocaiion, . „ paree que mes parens le veulent; apprenez„ moi ce que je dois faire: je fuis gentilhomme „ & veux vivre comme tel; apprenez-moi tou-. „.'tefois a vivre en homme: j'ai des préjugés i „. que je-veux refpeéter; apprenez-moi tcutefois „ ,k les vaincre." Je vous avoue, Monfieur, que je ne fais pas répondre a cela. Vous me parlez avec dédain des deux feuls métiers que la nobleffe connoiffe & qu'elle veuille fuivre: cependant, vous avez pris "un de ces: métiers. Mon confeil eft, puifque vous y êtes, que vous tkhiez de,Ie. faire bien. Avant de prendre,un état, on ne peut trop raifonnér fur fon objet: quand il eft pris, il en faut remplir Jes devoirs; c'eft alors tout ce qui refte k faire. . Vous vous dites fans fortune, fans biens, vous ne favez comment, avec de la naiflance, , (car la naiffrhee revient toujours) vivre libre .& mourir vertueux. Cependant; vous offres un afyle k une perfonne qui m'eft attachée; vous m'affurez que Madame .votre mere Ia mettra k fon aife: Ie fils d'une Dame qui peu^ mettre une étrangere k fon aife, doit naturellement y être auffi. II peut donc vivre libre & mourir vertueux.-,, Les vieux gentilshommes, qui valoient bien ceus d'aujourd hui, cuitivoisnt leurs terres & faifoiens  i^S* L e t tres d-t du bien è leurs payfans. Quoi qua vom en puiffiez dire, je ne crois pas que cc fut déroger que d'en faire autant. Vous voyez, Monfieur, que je trouve dans. votre lettre même la folution des difficultés quivous embarraffent. Du refte, excufez ma franchife, je dois répondre i votrseftime par lamienne , & je ne puis vous en donner une. preuve plus füre qu'én ofant, tout- gentilhommeque vous êtes, vous dire !a vérité. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceurv Lettre au même* Metiers, 1c 6 Janvier 1764; Qu 0 r , Monfieur , vous avez renvoyé vosportraits de familie & vos titres! vous vous ête» défait de votre cachet I voili bien plus de prouesfcs que je n'en aurois fait è votre place. J'aurois' laifTé les portraits oü ils étoient; j'aurois gardé mon cachet, paree que jeTavois; j'aurois laiffé> moifir mes titres dans leur coin . fans m'imaginer même que tout cela valüt Ia peine d'en faire unfacrifice; mais vous êtes pour les grandes .aftkms. Je vous en féliciie de tout mon cceur. A force de; me parler de vos doutes, vousm'en donnez d'inquiétans fur votre compte. Vous ae. faites doutersil y a descbofes dont vous^  J. J. Rgusseatj, 237 doutiez pas. Ces doutes mêmes, è mefure qu'ils croiffent, vous rendent tranquille : vous ~vous y repofez comme fur un oreiller de parelfe! Tout cela m'effrayeroit beaucoup pour vous, fi •vos grands fcrupules ne me raffuroient. Ces fcru. pules font afliirément refpeftables comme fondés fur la vertu ; mais 1'obligation d'avoir de la vertu, fur quoi la fondez-vous? II feroit bon ■de favoir fi vous êtes bien décidé fur ce point. Si vous 1'êtes, je me raflure; je ne vous trouve plus fi fceptique que vous affecrez de 1'être ; & quand oneft Wen décidé fur les principes'de fes devoirs, le refte n'eft pas une fi grande af. faire. Mais fi vous ne 1'êtes pas, vos inquiétudes me femblent peu raifonnées. .Quand on eft fi .tranquille dans-Ie doute de fes devoirs, pourquoi tant s'affeéter du parti qu'ils nous.impofent ? V o.T rt rs déUcateffe fur 1,'état eccléfiaftique eft fublime ou puérile, felon le degré de vertu que vous avez atteint. Cette déficatefTe eft, fans doute, un devoir pour quiconque remplit tous les autres; &, qui n'eft faux ni menteur en rien dans ce monde.ne doit pas 1'être.même en cela. Mafs je ne connois que Socrate & vous i qui la raifon put paffer un tel fcrupule : car i ■noas autres hommes vulgaires, il feroit impertinent ét vain d'en ofer avoir un pareil. u n'y a pas un de nous qui ne s'écarte de Ia vérité «ent fois ie jour dans le commerce des hommes  •233 'Lettres d b en chofes claires , importantes & fouvent Cré« judiciables, & dans un point de pure fpécuiation, dans leqüel nul ne voit ce qui efi vrai ou faux, & qui n'impoite ni ii Dieu ni aux hommes, nous nous ferions un crime- de condefcendre aux préjugés de nos freres, & de dire oui, oü nul n'eft en droit de dire non? Je vöus avoue qu'un homme, qui d'ailleurs n'étant pas un faint, s'aviferoit tout de bon d'un fcrupule que 1'Abbé de Saint Pierre & Fénelon n'ont pas eu, me deviendroit par cela trés-fuipect. Quoi! dirois - je en moimême, eet homme refufe d'embrafter le noble état d'officier de morale,. un état dans lequel il peut êtrè le guide & le bienfaiteur des hommes, dans lequel il peut les inftruire, les foulager, les confoler, les protéger ,Ieur fervir d'exemple; & cela pour quelques énigmes auxquelles ni lui ni nous n'entendons rien, & qu'il n'avoic qu'a .prendre & donner -pour ce qu'elles valent^pn ramenant fans bruit le Chriftianifme è fojijwitable objet ? Non, conclurois-je, cet'fewime ment , il nous trompe , fa fauffe vertu n'eft point active, elle n'eft que de pure oftentation; il faut ê're un hypocrite foi-même pour ofer taxer d'hypocrifie détcftable ce qui n'eft au fond qu'un formulaire indifférent en lui-^fhe, mais confacré par les loix. Sondez.^fcMptre cceur, Monfieur, ie vous en conjtiter'fiJBp y trouvez cette raifon telle que votife 'niej^onnez, elle  j. J. R o v s s e a u. -23$ , doit vous déterminer, & je vous admire. Mais fouvenez-vous bien qu'alors ii vous n'êtes Ie plus digne des hommes, vous aurez été Ie plus fou. A la maniere dont vous me demandez des préceptes de vertu, 1'on diroit que vous Ia regardez comme un métier. Non, Monfieur; la vertu n'efl que Ia force de faire fon devoir dans les occafions difficiies, & la fageffe., au contraire, eft d'écarter la difficulté de nes deyojrs. Heureux celui qui fe contentant d'être homme de bien, s'eft mis dans une pofition a n'avoir jamais befoin d'être vertueux . Si vous n'ailez a la campagne que pour y porter le fafte de la vertu, reftez è la ville. Si vous voulez a toute force exercer les grandes vertus, 1'état de prêtre vous les rendra fouvent néceffaires. Mais fi vous vous fentez les paffions affez modérées, 1'erpric alfez doux , le cceur affez fain pour vous accommoder d'une vie égale, fimple & laborieufe, allez dans vos tems, faites-les valoir, travaillez vous-même, foyez le pere de vos domeftiques, l'ami de vos voifins, jufte & bon envers tout le monde: laiffez-Ia vos rêveries Biétaphyfiques, & fervez Dieu dans la fimplicité de votre cceur: vous ferez affez vertueux. Je vous'falue, Monfieur, de tout mon cceur. Au refte, je vous difpenfe, Monfieur, du fecret qu'il vous plait de m'offrir , je ne fais pourquoi. Je n'ai pas, ce me femble, dans ma conduite, 1'air d'un homme fort myftérieux.  S4® Lettres de Lettre au même. Motiers , le 4 Mars 1764. J'ai parcouru, Monfieur, la lofgue lettre cït vous m'expofez vos fentimens fur la nature de 1'ame & fur 1'exiftence de Dieu. Quoique j'euffe réfolu de ne plus rien dire fur ces matieres, j'ai cru vous devoïr une exception pour la peine que vous avez prife, & dont il ne m'eft pas aife de démêler le but. Si c'eft d'établir entre nous un commerce de di'fpute, je ne faurois en cela vous complaire; car je ne difpute jamais , perfuadé que chaque homme a fa maniere de raifonner, qui lui eft propre en quelque chofe & qui n'eft bonne en tout a nul autre que lui. Si c'eft de me guérir des erreurs oii vous me jugez être, je vous remercie de vos bonnes intentiors; mais je n'en puis faire aucun ufage, ayant pris depuis longtems mon parti fur ces chofes la. Ainfi, Monfieur, votre zele pbilofophique eft a pure perte avec moi, & je né ferai pas plus vorre profélyte que votre miffionnaire. Je ne condamnö point vos facons de penfer , mais daignez me laiiTer les miennes; car je vous déclare que je n'en veux pas changer. Je vous dois encore des remerciemens du foin  J. "J. RöUSSEAO. 24.Ï foin que vous pnenez dans Ia même lettre, de m'óter I'inquiétude que m'avoient donné les premières, fur les principes de la haute vertu Jont vous faites profeffion. Sitót que ces principes vous paroiffent folides, le devoir qui en dérive doit avoir pour vous la même force que s'dls 1'étoient en effet; ainfi , mes doutes fur leur folidité n'ont rien d'offenfant pour vous. Mais je vous avoue que quant a moi de tels princip.s me paroitroient frivoles; & fitót que je n'en admettrois pas d'autres, je fens que dans le fecret de mon cceur ceux-la me mettioient fort rt 1'aife fur les vertus pénibies. qu'ils' paroitroient rn'impofer. Tant il eft vrai que lts mêmes raifons ont rarement la même prife en diverfes têtes, & qu'il ne faut jamais difputer de rien 1 D'abord 1'amour de 1'ordre , en tant que eet ordre eft étranger a moi, n'eft point un fentiment qui puilTe balancer en moi celui de mon intérêt propre; une vue purement fpéculative ne fauroit dans le cceur humain 1'emporter fur les paffions; ce feroit, a ce qui 'eft moi, préférer ce qui m'eft étranger; ce fentiment n'eft pas dans la nature. Quant a 1'amour de 1'ordre dont je fais partie.il ordonne tout par rapport a moi; & comme alors je fuis feul le cêtjtre de eet ordre, il feroit abfurde & contradictoire qu'il ne me fit pas rapporter toutes chofes è ma bien particu» lier. Or, la vertu fuppofe un combat co tre nous-mêmes, & c'eft la difficuhé de la victuire Lettres, L.  s.12 Lettres d s - qui en fait le mérite; mais dans la fuppofition, pourquoi cï combat? Toute raifon, tout motify manque. Ainfi, point de vertu poffible par le feul amour de 1'ordre. L e fentiment intérieur eft un mot'f trés puiiTant, fans doute. Mais les paffions & 1'orgueil 1'alterent & 1'étouffent de bonne heure dans prefque tous les cceurs. De tous les fentimens que nous donne une confcience droite, les deux plus forts & les feuls fondemens de tous les autres, font celui de la difpenfation d'une providence, & celui de Timmortalité de 1'ame. Quand ces deux-la font détruits, je ne vois plös ce qui peut refter. Tant que le fentiment intérieur me diroit quelque cVofe, il me défendroit , fi j'avo's le malheur d'être fceptique, cValarmer ma propre mere des doutes qne je pourrols avoir. L'amour de foi-même eft Ie plus puiffant, &, feion moi, le feul motif qui faffe agir les hommes. Mais, corrment la vertu, prife abfolument & comme un ètie métaphjfique, fe fondeLt-elle fur eet amour-la? C'eft ce qui me paffe. Le crime, dites-vous, eft contraire a celui qui le cornmet; cela eft toujours vrai dans mes principes, & fouvent trés-faux dans les vótres. 11 faut diftinguer alors les tentations, les pofitions, 1'efpérance plus ou moins grande qu'on a qu'il refte inconnu ou irrpuni. Communément Ie crime a pour 'motif d'éviter un grand mal ou d'acquérir un grand bien; fouvent il parvient a fon trut, Si ce fentiment  ]• j. R o u s s e a v. 243 n'eft pas naturel, quel fentiment pourra 1'être? Le? crime adroit joult.dans cette vie de tous jes avaa, tages de Ia fortune & même de Ia gloire. La juftice, & les fcrupules ne font ici-bas que des dupes. Otez U juftice éternelle & la prolongation de mor, etre apres cette vie, je ne vois plus dans Ia verttr qu une folie è qui 1'on donne un beau nom. Pouc «n matérialifte, 1'amour de foi-même n'eft qua Iamourdefon corps. Or, quand Regulus alloit, pour te„ir fa foi . momk ^ ^ £ ..^^ ^ ^■nbage je ne vois point ce que Pamour de fon corps faifoit è cela. Une confidération plus forte encore confinne les précédentes. C'eft qUe' dans yotr* fyftême le mot meme de vertu ne peut avoir aucun fens. C'eft ™ fon qui bat 1'oreiIIe, & rien deplus. Car enrrn, fdon vous, tout eft néceffaire; oü tout eft neceffaire, il n'y a point de Iiberté: fans liberté point de moralité dans les aftions ; fèB8 i' morahté des aétions, oü eft la vertu ? Pour moi je ne le vois p.aSi En parlant du fentiment intë'. «eu*, je devois mettre au premier rang celui du libre arbitre; mais il fuffit de Py renvoyer d'ici. Ces raifons vous paroltront très-foibles ' ;e «en doute pas; mais elles me paroifTent fortes i rïïardÏT ^ ^ WM *» R roient fait de mot qu'un fripon. Or, un homme vertueux comme vous, ne vou.lroit pas confacrer &» peu» a mettre un fripon de plus dans k L 2  244 Lette es de monde: car je crois qu'il y a bien autant de ces gens - la que d'hypocrites, & qu'il n'eft pas plus a propos de les y multiplier. A u refte, je dois avouer que ma morale eft bien moins fublime que la votre, & je fens que ee fera beaucoup même fi elle me fauve de votre mépris. Je ne puis difconvenir que vos imputations d'hypocriiie ne portent un peu fur moi. Il eft trés - vrai que fans être en tout du fentiment de mes freres & fans déguifer le mien dans 1'occafion, je in'accommode trés-bien du leur; d'accord avec eux fur les principes de nos devoirs, je ne difpute point fur le refte qui me paroit trés • peu important. En attendant cue nous fachions certainement qui de neus a raifon , tant qu'ils me fouffriront dans leur communion , je conauuerai d'y vivre avec un véritable attachement. La vérité pour nous-eft cou verte d'un voile, mais la paix & 1'union font des biens cer:ains. Il rél'uUe de,toutes ces , réfiotions, que nos facons de penfeï font trop dfférentes pour que nous puiflions nous er.tendre, & que par conféquent un plus long commerce entre nous re peut qu'êcre fans fi uit. Le tems eft fi court & nous en avons befoin pour tant de cbofis qu'il ne faut pas 1'employer inutilement. Je vcus foubate, Monfieur,' un bonheur folide, la paix de 1'ame qu'il me ftmble que vous n'avez pas, & je vous fa'ue de tout mon cceur.  j. J. R o u s s e a tj. ï 1j Lettre au même. Motiers-Travers, )e n Novembre 175^» voila donc, Monfieur, tout d'un coup* devenu croyant. Je vous félicite de ce miracie, car c'en eft fans doute un de Ia grace, & Ia ra fon o pour I'ordinatre n'öpere pas fi fubitement. Mais ne me faites pas honneur de votre converfïon, je? vous brie. Je fens que eet honneur ne m'appaitient point. Un homme qui ne croit gueres a'ix miracles, n'eft pas fort propre a en faire : un homme quine dogmatife ni ne difpute, n'eft pas un fort bon convertiffeur. Je dis quelquefols mon avis quand on me Ie demande, & que je crois quer c'eft a bonne intention : mais je n'ai point Ia folie d'en vouloir faire une loi pour d'autres, & quand ils m'ep veuient faire une du leur, je m'en défends du mieux que je pu's fans chercher a les convaincre. Je n'ai rien fait de plus avec- vous. Ainfi, Monfieur, vous avez feul tout le mérite de votre' léfipifcence, &. je ne fongeois fürement point h vous catéchifer. Mais, voici maintenant les fcrupules qui s'élevent. Les vótres m'infpirent du refpect pour vos ' fentimens fublimes, & je vous avoue ingénument que, quant a moi qui marche un peu plus terre a terre, j'en ferois beaucoup moins tourmenté- les L°3  246" Lettres de me dirois d'abord que de cofifefler mes fautes eft une chofe utile pour m'en corriger, paree que me fa'fant une loi de dire tout, & de dire vrai, je ferois fouvent. retenu d'en commettre par la honte de les révéJer. I n tft vrai qu'il pourroit y avoir quelque embarras fer la foi robufte qu'on exige dans votre égi.fe, & que cbacun n'eft pas maitre d'avoir comme il lui plait. Mas de quoi s'agit-il au fond dans cette affaire?Du finceredefir de croire, d'une ibumiffion du cceur plus que de la raifon : car enfin Ia raifon ne dépend pas de nous, mais la volonté en dépend; & c'eft par la feule volonté, qu'on peut être fouaiis ou rebelie a 1'églife. Je commencero's donc par me cboifir pour confeffeur un bon prêtre, un bomme fage & fenfé, tel qu'on en trouve partout quand on les cherche. Je lui dirois: je vois 1'océan de difficultés oü nage 1'efprit humain dans ces matieres ; le mien ne cherche point a s'y noyer;je cherche ce qui eft vrai & bon; je le cherche fincérement; je fens que la docilité qu'exige 1'églife eft un état defirable pour être en paix avec foi: j'aime eet étatj'y veux vivre; mon tfprit murmure, il eft vrai, mais mon cceur lui impofe filence & mes fentimens font tous contre mes iaifons. Jene crois pas, mais je veux croire, & • je le veux de tout mon cceur. Soumis a la foi malgré mes lumieres.quel argument puis-je avoir a craindre? Je fuis plus fidele que fi j'étois convaincu. Si mon confeffeur n'eft pas un fot.qu* voulez-  J. J. ROTjfSSEAü. 247 tous qu'il me dife? Voulez-vous qu'il exige béte. ment de moi rimpoffible; qu'il m'ordonne de voir du rouge oü je vois du bleu ? 11 me dirafoumertez - vous. Je répondrai; c'eft ce que je fais. II priera pour moi & me donnera 1'abfolution fansbalancer ; car il la doit a celui qui croit de toute fa force & qui fuit Ia loi de tout fon cceur. Mais fuppofons qu'un fcrupule mal entend* le retienne , il fe contentera de m'exhorter e» fecret^fc de me plaindre ; il m'aimera méme ; je fuis fur que ma bonne foi lui gagnera le cceur. Vous fuppofez qu'il m'ira dénoncer a 1'ofïïcial; & pourquoi? qu'a-t-il a me reprocher ? De quoi voulez-vous qu'il m'accufe? d'avoir trop fidellement rempü mon devoir ? Vous fuppofez un extravagant, un frénétique; ce n'eft pas l'homme qüe j'ai choifi. Vous fuppofez de pius un fcélérat abominable que je peux pourfnivre , démentir , faire pendre peut-être pour avoir fapé le facrement par fa bafe, pour avoir caufé le plus dangereux fcandale , pour avoir violé fans néceffité, fans utilité, Ie plus faint de tous les devoirs-, quand j'étois fi bien dans Ie mien que je n'ai mérité que des éloges. Cette fuppofition, je 1'avoue, une fois admife, paroit avoir fes difficultés. Je trouve, en général, que vous le?-preffez en homme qui n'eft pas fiché d'en faire naltre. Si tout fe réunit contre vous, fi les prêtrss vous; pourfuivent.fi le peuple vous maudit, fi la douleur fait defcendre vos parens au tombeau-, voila, j$ L 4  248 Lettres- de - l'dV0U3, des inconvéniens bien terrib'es pour n'avoir pas voulu prendre en cérémonie un morceau de pain. Mais que faire, enfin, me demandezvous ? La-deiTus voiei, Monfieur, ce. que j'ai a vous dire. Takt qu'on peut être jutte & vrai dans !a foc'été des hommes, il-eft des devoirs diffictles fur lefquels un smi dé.fintéreffé peut être utilement confuhé. Mais quand une fois les inftitutions humaines font a tel point de dépravation, qu'il n'eft pius poffible d'y vivre & d'y prendre un parti fans mal faire, alors on ne doit plus confulter perfonne; il faut n'écouter que fon propre cceur, paice qu'il tft injufte & mal-honrête de foicer un hom.ê:e homme a nous confeilier le mal. Tel eft mon avis, J e vous faiue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre. & ■ M* * *. ~p, n f i n, mon cher * * *, j'ai de vos nouvelles, Vous attendiez plutót des miennes & vous n'aviez p s tort; mais pour vous en donner, il falloit favoir oü vous prendre, & je ne voyois perfonne qui put me dire ce que vous étiez, devenu;n'ayant éjt ne voulant avoir déformais pas plus de reUtion avec Paris qu'avec Pekin, il étoit difficile que je puTe être mieux inftruit; cependant, jtudi dernier tui per.fionaajre c'es Vertus. qui me vint voir avec le'  J. j. R o u s s e &■ u. 24 e> Ie Pere Curé, m'appn't que vous étiez a Liege," maïs ce que j'aurois dü faire ii y a deux mois,. étoit a préfent hors de propos, &'ce n'étoit plus" le cas de vous prévenir, car je vous avoue que je' fuis & ferai toujours de tous Tes hommes le moinspropre a retenir les gens qui fe détacbent de moi. J'a 1 d'autant plus fenti le coup que vous ave2' recu, que j'étois bien-plus content' de votre nouvelle carrière, que de. ceile oü vous êtes en trainde rentrer. Je vous crois affez de probité pour vous conduire toujours en homme de bien dans lesaffaires,ma>s non pas affez de vertu pnu - préferer toujours le bien public a votre gloire, & ne dire'jamais aux hommes que ce qu'il leur c-ff bon de favoir. Je me complaifois a vous imaginer d'avance-danslj cas de relateer quelque fois les fripons.' aulieu- que je tremble de vous voir conrrtfrer les ames: fimples dans vos écrits. Cher ***, défiez vous de votre efprit fatyrique, furtout' apprenez a refprcter la religion. L'hurnanité feule exige ce refpefh Les grands, les riches, les heureux du fiecle, feroient charmés qu'il n'y eüt poin.r de Dieu; mats* 1'attente d'une au L 5  a$o. Lettres de me de bien; & je me réjouis prefque de h fienne l puifqu'elle m'eft une occafion de vous eftimer da^ • vantage. Ah!-***, puiffé-je m'être trompé & goüter le pl ifir de me repr jcher cent fois le jour de vous avoir été juge trop févere. I l eft vrai que je ne vous parlai point de mon ëcrit fur les fpectacLs, car, comme je vous 1'ai dit plus d!u e fois, je ne me fiois pas a vous. Cet écrit eft bien loin de la prétendue méchanceté dont vous parlez; 1 eft lache & foible, les méchans n'y font p'us gourmandés; vous ne m'y reconnoitrez plus: cependant,je 1'aime plus que tous les autres, paree qu'il m'a fauvé la vie & qu'il me fervit de öiftraction dans des momens de douleur, oü fans lui je ferois mort de défefpoir.' 11 n'a pas dépendu de moi de mieux faire; j'ai fait mon devoir, c'eft affez pour moi. Au furplus, je livre 1'ouvrage a votre jufte critique. Honorez la vérité , je vous abandonne tout le refte. Adieu, je vous embraffsf de tout mon eceur. J. J. Rouss eau. Lettke è M. Romilli. O n ne fauroit aimer les peres fans aimer des enfans qui leur font chers; ainfi, Monfieur, je vous aiinois fans vous connoitre & vous croyez bien qus ce que je recois de vous n'eil pas propre  1' J- R O TJ S S E A V. 2 j r h retócber eet at'tachement. J'ai lu votre ode, j'y ai trouvé de 1'énergie, des images ncbles, & ouelquefois des vers heureux; mais" votre pbéfie psroit gênée, elie fent Ja larrpe, & n'a pas aequis la correéiion. Vos rimes , quelquefois riches, font rarement élégantes, & Ie mot propre ne vous vient pas toujours. Mon cher Romiili, quand Je paye les cotr.plimens par des vérités, je rends mieux que ce qu'on-me donne. Je vous crois du talent, & je ne doute pa» que vous ne vous faffiez honneur dans Ia carrière ou vous entrez. J'aimerois pomtant mieux . pour votre bonheur, que vous euffiez faivi la profeffion de votre digne pere; furtout fi vous aviez Fu vous y diftinguer comme lui. Un travail modéré, une v.e égale & fimple, la paix de 1'ame & h farté du corps qui'font le fruit de tout cela, valent mieux pour vivre heureux, que le favoir & k gioirö. Du moms , en culavant les talens des gens de lettres n'en prenez pas les préjugés ; n'eftimez votre etat que ce qu'il vaut, & Vcus en vaudrez davantage. Je vous dirai que je n'aime pas Ia fin de votre eure; vous me paroiffez juger trop févérement les rtches. Vous ne fongez pas, qu'ayant contraélé des leur enfance mille befoins que nous n'avons Pont, Ks réomre a 1'é.at des pauvres, ce feroit es rendre plus miférables qu'eux. II faut être oÏ neTr lemOTde'^me envers ceux «Ie font ras pour nous. Eh , Monfieur, L 6  25* Lettres b e ' fi nous avions les vertus contraires aux vices qus nous leur reprochons , nous ne fonaerions pas même qu'ils font au monde, & bientót ils auroient plus befoin de nous que nous d'eux! Encore un mot, & je ftnis. Pour avoir droit de méprifer les riches, il faut être économ- & prudent foimême, afin de n'avoir jamais befoin de richeffes. Adieu mon cher Romiili, je- vous embraffg de tout mon cceur. J. J- Rousseau. Lettre è M. F***; Motiers, i Mars 1754. J e fuis flatté, Monfieur , gue fans un fréquent «ommerce de lettres, vous rgndiez juftice a mes fent'mens pour vous;. ils feront auffi durables que Peftime fur laquelle ils font. fondés,, & j'efpere que ]e retour dont vous m'honorez, ne fera pas moins a ''épreuve du tems & du filence. La feuie chofe cbangée entre nous eft l'efpoir d'une connoiffance pirfónnelle. Cette attente , Monfuur , m'étoit douce; ma:s il y faut venoncer, fi je ne puis la renpl;r q.is fur les terres de Geneve, ou dans les environs. La d=ffus mon parti eft pris pour la vie, & je puis vous affurer que vous êtes entré pour beaucoup dans ce qu'il m'en a coiïté de le prendre- Du refte., je fens avec furprife qu'il  P J. R O 17 S S E 1 X3. 25 f m'en coutera moins de Ie tenir que je ne m'étois figuré. Je ne penfe plus a mon ancienne patrie quavec indifFérence; c'eft même un aveu qUe je vous fats fanshonte, fa-hant bien que nos fentimens nedépendentpas de nous ;& cette indifférence étoit peut-être Ie feul qui pouvoit refter pour el'e dans un cceur qui ne fut jamais haïr. Ce n'eft pas que je me croye quftte ênvers ells; on ne 1'éfl jamais qu'a la mort. J'ai, le zele du devoir encore; mais j'ai petdu ce!ui. de 1'attachement, Mais oii eft-elle cette patrie ? exifte-t-elle encore? Votre lettre décide cette queftion. Ce ne font ni les murs ni les hommes qui font la patrie' ce font les loix , les mceurs, les coutumes le gouvernement, Ia conftitution , la maniere d'être qui réfulte de tout cela. La patrie eft dans les relations de 1'Etat a fes membres : quand ces relations changent ou s'anéantiffent, la prtrie s'évanouit. Ainfi, Monfieur pleurons la notre; elle a péri; & fon fifJlulacr' qui refte encore, ne fert plus qu a la déshonorer. Je me mets, Monfieur, a votre place, & je comprends combien le fpeclacle que vous avez fous les.yeux. doit vous déchirer le cceur Sans contredit on fouffre moins, loin de fon pays, que t i6 V°ir dans m ét3t ü' déplorable ; mais les aftedtions quand la patrie n'eft plus,: fe refferrent autour de Ia familie, & un bon pere fe confole avec fes.enfans, de ne plus vivre avec fis freres. CsU me.fut coraprendre que.des intéréts fi c'iers L 7  254 Lettres de jnalgré les objets qui vous affligent, ne vous per« mettront pas de vous dépayfer. Cependant s'il arrivoit que par voyage ou déplacement, vous vous éloignaffiez de Geneve , il me feroit trés - doux de vous embraffer : car bien que nous n'ayons plus de commune patrie , j'augure des fentimens qui nous animent, que nous ne cefferons point d'être concitoyens; & les liens de 1'eftime & de 1'amitié demeurent toujours quand même on a rompu tous les autres. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre a M. L. P. L. E. de W. li Mars 1764. Qui, moi ? Des contes ! a mon age & dans mon état? Non , Prince, je ne fuis plus dans 1'enfance , ou plutót je n'y fuis pas encore, & malheureufement je ne fuis pas fi gai dans mes maux- que Scarron 1'étoit dans les fiens. Je dépélis tous les jours, j'ai des comptes a rendre, & point de contes a faire. Ceci m'a bien Pair d'un bruit préliminaire répandu par qaelqu'un qui veut m'honorer d'une gentillefie de fa facon. Divers auteurs non contens d'attaquer mes fottifes, fe font mis a m'imputer les leurs. Paris eft inondé d'ouvrages qui pu.tenrmon nom, & dont on a foin de faire des chefs-ct'ceuvre de bêtife, fans doute  J. J. R O V % 9 E A ü. ajj afin de mieux tromper les leéteurs. Vous n'imagineriez jamais quels coups détournés on porte ê ma réputation, a mes mceurs , a me? principes; en vo ci un qui vous fera juger des autres. Tous fes amis de M. de Voltaire répandent i Paris qu'il s'intérefie te; drement a mon fort; (& il eft vrai qu'il s'y ii.tén ffe) ils font entendre qu'iieft avec moi dans la plus ineime liaifon. Sur ce bruit, une femme qui ne me connoit point, me demande par écrit quelques éclairciffemens fur la religion, & envoie fa lettre a M. de Voltaire, Ie priant de me la faire paffer. M. de Voltaire glrdela lettre qui m'eft adreffée , & renvoie a cette Dame, comme en réponfe , le Sermon des cinquante. Surprife d'un pareil envoi de ma part, cette femme m'écrit par une autre voie (*) , & voila comment j'apprends ce qui s'eft paffe. Vous êtes furpris que ma lettre fur la providence n'ait pas empêché Candide de naltre? C'eft elle, au contraire, qui lui a do-nné nailTance ; Candide en eft Ia réponfe. L'auteur m'en fit une de deux pages (f), dans laquelle il battoit la campagne,& Candide parut dix mois après. Je voulois philofopher avec lui; en réponfe, il m'a perfifflé. Je lui ai écrit une fois que je le haïffois, & je lui en ai dit les raifons. 11 ns m'a pas écrit Ia même chofe, mais il me 1'a vivement fait fentir. (?) Cette lettre exifte parmiles papier.s de M. RouffeaB. ün en trouve la réponfe ci-deflus, page 233. Cf) C'eft ceile du 12 Septembre 1750,  'fi 5* Lettres de Je me venge en profitant des excellentes lecons qui' font dans fes ouvrages, & je le force a continuer de me faire du bien malgré lui. Pak don, Prince, voila trop de Jérémiades; mais c'eft un peu votre fiu'e fi je prerds tant de plaifir a m'épancher avec vous. Que fait M'dame la Princeffe? Daignez me parler qutlquefois de fon état. Quand aurons - nous ce précieux enfant de 1'amour qui fera 1'éleve de Ia vertu? Que ne deviendra-t-il point fous de tels aufpïces ? De quelles fleurs charmantes , de quels fruits délioeux né couronnera-t-il point les l ens de fes dignes parens?1 Mais cependant- quels nouveaux fóins vous font impofés? Vos travaux vont redoubier ; y pourrez1 vous fuffire: aurez-vous Ia force de p:rfévérer jufqu'a la fin? Pardon, Monfieur le Duc , vos fentimens connus me font garans de vos fuccès. Auffi mon inquiétude ne vient-el'e pas de défiance, mais du vif intérêt que j'y prends. Lettre a Mylord Maréchal. 25 Mars 176'4.. En tin. MvlorJ, j'ai recu dans fon tems par M. Rougemont votre Lettre du 2 Février ; & c'eft de toutes les iéporfes dont vous me parlez, la frule qui me foit parvenue. J'y vois par votre dégout de 1'Ecoffe, par finceriitudja du choix de  J. J. ROUSSEAU. 257 votre demeure , qu'une partie de nos chateaux en Efpagne eft déja détruite, & je crains bien que le progrès de mon dépériffement, qui rend chaque jour mon ddplacement plus difficile, n'aeheve de renverfer 1'autre- Que Ie cceur de l'homme eft inquiet! Quand j'éto's prés de vous, je foupirois, pour y être plus a mon aife, spi ès le féjour de rEcoffe; & maintenant je donnerois tout au monde p.our vous voir encore ici Gouverneur de Neufchatel. Mes vceux font divers , mais leur objet eft toujours le même. Revenez a Colombier 3 Mylord, cultiver votre jardin & faire du bien a des ingrats, même malgré eux; peut-on terminer plus dignement fa carrière? Cette exhortation de ma part eft intéreffée , j'en conviens. Mais fi elle offenfoit votre gloire, le cceur de votre enfant ne fe la permettroit jamais. J'ai beau vouloir me fiatter. Je vois, Mylord , qu'il faut renoncer" a vivre auprès de vous, & malheureufement je n'en perdrai pas fi facilement le befoin que 1'efpoir. La circonftance oü vous m'avez accueilü, m'a fait une impreffion que les jours patTés avec. vous ont rendue ineffacable; ü me femble que je ne puis plus être libre que fous vos yeux, ni valoir mon'prix que dans votre eftime. L'imagination du moins me rapprocheroft fi je pouvois vous donner les bons momcns qui me refient: mais vous m'avez refufé des Mémoises fuf votte iliuftre frere. Vous avez eu peur  458 Lettres de que je ne fïffe le bel - efprit, & que je ne giraffe la fublime fimplicité du probus vixit, fortis obiit. Ah, Mylord! fiez - vous a mon cceur ,• il faura trouver un fon qui doit piaire au vótre pour parler de cë qui vous appartient. Oui, je donnerois tout au monde pour que vous vouluffiez me fournir des matériaux pour m'occuper de vous, de votre familie; pour pouvoir tranfmettre a la poftérité quelque témoignage de mon attachement pour vous, & de vos bontés pour moi. Si vous avez la complaifance de m'envoyer quelques mémoires, foyez perfuadé que votre confiance ne fera point trompée;, d'ailleurs vous ferez Ie juge de mon traval, & comme je n'ai d'autre objet que de fatisfaire un befoin qui metourmente, fi j'y parviens, j'aurai fait ce que j'ai vouiu. Vous dédderez du refte, & rien ne fera publié que de votre aveu. Penfez a cela, Mylord, je vous conjure, & croyez -que vous n'aurez pas peu fait pour le bonheur de ma vie, fi vous me mettez a portée d'en confacrer le refte a m'occuper de vous. J.e fuis touché de ce que vous avez écrit a M. le Confeilier Rougemont au fujet de mon teftament. Je compte, fi je me remets un peu. Palier voir eet été a Saint-Aubin , pour en conférer avec lui. Je me détournerai pour paffer a Colombier. J'y reverrai du moins ce jardin, ces aliées, ces bords du lac , oü fe font fait de fi doüces promenades, & oü vous devriez venir les reccin-  J. J.' R O U S S E A ü. 2 59 meneer, pour réparer dn moins, dans un cümat qui vous étoit falutaire , i'altération que celui d'Edimbourg a fait a votre fanté. Vous me promettez, Mylord, de me donner de vos nouvelles, & de m'inftruire de vos direc-* tions itinéraires. Ne 1'oubliez pas, je vous en fupplie. J'ai été cmeliement tourmenté de ce long filence. Je ne craignois pas que vous m'euffiez oublié, mais je craignois pour vous la rigueur de l'hiver., L'été je craindrai Ja mer, les fatigues, les déplacemens & de ne favoir plus oü vous écrira Lettre au même. 31 Mars 1764, 5 urt racquifïtion, Mylord, que vous avez faite; 6 fur 1'avis que vous m'en avez donné, Ia meilleure réponfe que j'aye a vous faire, eft de vous* tranferire ici ce que j'écris fur ce fuiet a la perfonne que je prie de donner cours è cette lettre; en lui parlant des acclamations de vos bons compa'riotes. Tous les plaiftrs ont beau être pour les méchans;en voila pourtant un que je leur défie de gouter. II n'a rien eu de plus preffè que de me donner avis du changement de fa fortune ; vous devinez aifément pourquoi. Félkitez-moi de tous mes maWeurs, M*. dame, ik m'ont donnépour arm Mylord Maré'chaL '  i<5o Lettres de Sur vos offres qui regardent Mlle. le Vaffeur & moi, je commencerai, Mylord, par vous dire que loin de mettre de 1'amour - propre a me refufer a vos dons , j'en msttrois un trés - nobie a les recevoir. Ainfi la - deffus point de difpute ; les preuves que vous vous intéreffez h moi, de quelque genre qu'elles puiffent être, font pius propres a m'enorgueillir qu'a m'bumilier, & je ne m'y refuferai jamais, foit dit une fois pour toutes. Mais j'ai du pain quant a préfent , & au moyen des arrangemens que je médite, j'en aurai pour le refte de mes jours. Que me ferviroit le furpius ? Rien ne me manque de ce que je defire & qu'on peut avoir avec de 1'argent. Mylord, il faut préférer ceux qui ont befoin a ceux qui ■ n'ont pas befoin, & je fuis dans ce dernier casD'ailleurs, je n'aime point qu'on me parle de teftamens. Je ne voudrois pas être, moi Ie * fachant, dans- celui d'un indifférent; jugez fi je •.voudrois me favoir dans le vótre? Vous favez,. Mylord , que Mlle. Ie Vaffeur a une petite penfion de mon Lbraire, avec laquelle elle pïut vivre, quand elle ne m'aura plus. Cependant , j'avoue que le bien que vous voulez lui faire m'eft plus précieux que s'il me regardoit directem-mt, & je fuis extiê.nement touché de ce moyen trouvé par votre cceur , de contenter la bienveillance dont vous m'honorez. Mais s'il fe pouroit que vous lui affignaffiez plutót la rente de la fomme que.. la fomme même, c;la m'éviterpit  J. ■ J. Rousseaü. aff r Pembarras de cbercher a la placef; forte d'affaire' oü je n'entends rien. J'espere, Mylord, que vous aurez recu ma précédente lettre. M'accorderez-vous des mémoi-t res? Pourrai-je écrire Fhiftoire de votre maifon? Pourrai-je donner quelques éloges a ces bons Ecoffois a qui vous êtes fi cher & qui, par-la, me font chers auffi? Lettre au méme. -Avril 1764. J'ai répondu trés - exaélement , Mylord, a cbaenne de vos deux lettres du 2 Février & du 6 Mars, & j'efpere que vous ferez content de ma facon de penfer fur les bontés. dont vous m'honorez dans la derniere. Je recois a 1'inftant ceile du 26 Mars, & j'y vois que vous prenéz le parti que j'ai toujours prévu que vous prendriez a la. fin. En vous menacant d'une defcente , le Roi 1'a effectué, & quelque redoutable qu'il foit, il Vous a encore plus fürement conquis par fa lettre (*), qu'il n'auroit fait par fes armes. L'afyle C*) Voici cette Lettre que la verfion qu'en a publiée M. d'Alerr.bert dans fon Eloge de Lord Maréchal d'E'coüe-, nous autorite i donnar ici. „Je dirp-uterols bien avec les liabitans d'Edimbourg I „ 1'avamage de vous pofieder; fi j'avois des vaiffeaux , ,, je médiccrois une defcente en Eeoffe pour eniever men  262 Lettres de qu'il vous prefie d'accepter, eft le feul digne de vous; allez, Mylord, a votre deftination, il vous convient de vivre auprès de Fréderic, comme il m'eut convenu de vivre auprès de George Keith. II n'eft ni dans 1'ordre de Ia juftxe, ni dans celui de Ia fortune , que mon bonheur foit préféré au vótre. D'aiileurs, mes maux empirent & deviennent prefque infupportables; il ne me refte qu'a fouffrir & mourir fur Ia terre; & en vérité c'tüt été dommage de n'aller vous joindre que pour cela. Voila donc ma derniere efpérance évanouïe Mylord , puifque vous voila devenu fi riche & fi ardent a verfer fur moi vos dons, il en eft un que j'ai fouvent defiré, & qui malheureufement me devient plus defirable encore, lorsque ja perds 1'efpoir de vous revoir. Je vous laiffe expliquer cette énigme. Le cceur d'un pere eft fait pour Ia deviner. Il eft vrai qus le trajet que vous préférez, vous épargnera de la fatigue. Mais fi vous n'étiez pas bien fait a la mer, elle pourroit vous „ cher Mylord & pour 1'emmener ie:; mais nos barques „ de.l'Elbe lont peu propres a une pareille expédition. „ II n'y a que vous fur qui je puifle compter. J'étois „ ami de votre frere, je lui avois des obligations , je „ fins le vótre de cceur & d'ame ; voila mes titres; voi„ IH les droits que j'ai fur vous ; vous vivrez ici dans „ le feta de 1'amitié, de la liberté & de la philofophie„ ilny a que cela dans le monde, mon cher Mylord„ quand on a palTé par toutes les mécamorphofes del „ éuts, quandon a goïité de tout, on cn revient-la.  J. J. R o u s s e a tr. éptouvei beaucoup a votre age, furtout s'il furvenoit du gros tems. En ce cas , le plus long trajet par terre me paroltroit préférable, meina au rifque d'un peu de fatigue de plus. -Comme j'efpere auffi que vous attendrez, pour vous embarquer, que la faifon foit moins rude; vous voulez bien, Mylord, que je compte encore fur une de vos lettres avant votre départ. Lettre a M. A. Motiers-Travers, le 7 Avril 1764. L'état oü j'étois, Monfieur, au moment oh votre lettre me parvint, m'a empéché de vous en aecufer plutót la réception, & de vous remercier, comme je fais aujourd'hui, du plaifir que m'a fait ce témoignage - de votre fouvenir. J'en fuis plus touché que furpris., & j'ai toujours bien cru que 1'amitié dont vous m'honoriez dans mes jours profperes, ne fe refroidiroit ni par mes difgraces, ni par mon exil. De mon cóté, fans avoir avec vous des relations fuivies, je n'ai point ctffé, Monfieur, de prendre intérêt aux changemens agréables qüe vous avez éprouvés depuis nos anciennes Iiaifons. Je ne doute point que vous ne foyez auffi bon mari & auffi digne pere de familie, que vous étiez homme aimable, étant gargon; que vous ne vous appliquiez a donner a vos enfans  264 Lettres de une éducation ra'fonnable & vertueufe , & que vous ne fafficz le boriheur d'une femme de mérite qui doit faire le vótre. Toutes ces idéés fruits de 1'eftime qui vous eft due, me rendent la vcV.re plus précieufe. ]e voudrois voüs rendre conpte de moi pour répondre & 1'intérêt que vous daignez y prendre; mais que vous dirois-je? Je ne fus jamais bien grand'chofe ; raaintenant je ne fuis plus rien; je me regarde comme ne vivant déja plus. Ma pauvre machine délabrée me laiffera jufqu'au bout , j'efpere, une ame faine quant aux fentimens & ï la volonté; mats du cóté de 1'entendement & des idéés, je fuis auffi malade de 1'efprit que du corps. Port - être eft ■ ce un avantage pour ma fituation. Mes maux me rendent mes malheurs peu fenfibles. Le cceur fe tourmente moins quand le corps fouffre, & la nature me donne tant d'affaires que 1'injuftice des hommes ne me touche plus. Le remede eft cruel, je 1'avoue, mais enfin c'en eft un pour moi. Car les plus vives douleurs me laiffent toujours quelque relache, au lieu que les grandes afBicïions ne m'en laiffent point. II eft donc bon que je fouffre, & que je dépériffe pour être moins attrifté; & j'aimerois mieux être Scarron malade, que Timon en fanté. Mais fi je fuis déformais peu fenfible aux peines, je le fuis encore aux confolations; & c'en fera toujours une pour möi d'apprendre que vous vous portez bien, que vous êtes heureux, & que vous continuez de m'ai- msr  j. j- R o u $ s e a V. 2Ö"5 Bier. Jevousfalue, Monfieur, & vous embraiTe de tout mon cceur. Lettre a Mademoifelle de M. '7 Mai 1764. Je ne prends pas Ie cbange , Henrlette , fur robjet de votre lettre, non plus que fur votre date de Paris. Vous recherchez moins mon avis fur le parti que vous avez a prendre, qUe mon approbation pour celui que vous avez pris. Sur chacune de vos Iignes, je lis ces mots écrits en gros caracteres : Foyons fi vous aurez le front decondamner a ne pluspenfer, ni lire , quelqiïun qui penfe écrit ainfi. Cette interprétation n'eft afmréaient pas un reproche, & je ne puis que vous favoir gré de me mettre au nombre de ceux dont les jugemens vous importent. Mais en me fiattant , vous n'exigez pas, je crois, que je vous flatte; & vous déguffer mon fentiment, quand il y Va du bonheur °de' votre vie, feroit mal répondre k 1'honneur que vous m'avez fait. . comi«e ncons par écarter les délibérations inutiles. 11 ne s-agit p[us de vous ïéMts , cQu_ dre & broder. Henriette, on ne quitte pas fa tete comme fon bonnet, & ym ne revient pas plus a la fimplicité qu'a 1'enfance; 1'efprit une fois Lettres. M  atfö Lettres de en effervefcence, y refte toujours , & quxonque a psnfé, penfera toute fa vie. C'eft-ia le plus grand malheur de Pétat de réflexion; plus dn en fent les maux, plus on les-augmente,- & tous nos .efforts pour en fortir, ne font que nous y embour&jr plus profondément. Ne parions donc pas de changer d'état, mais .du parti que vous pouvez tirer du vótre. Cet ■état eft malbeureux, il doit toujours 1'è're." Vos jnaux font grands & fans remede; vous les fentez, vous en gémiffez , & pour les rendre fupportables, vous cherchez du moins un palliatif. N'eftce pas ia 1'objet que vous vous propofez dans vos plans d'études & d'cccupations ? Vos moyens peuvent être bons dans une autre vue, mais c'eft votre'fin qui vous trompé, paree que ne voyant pas la véritable fource de vos maux, vous en cherchez radouciflement dans la cauli qui les fit nakre. Vous les cherchez. dans votre fituation, tandis qu'ils font votre ouvrage. Comfiien de peifonnes de mérite néss dans le bienêtre .& tombées dans 1'indigence , 1'ont fupportée.avec moins de fuccès & de bonheur que vous, .& toutefois n'ont pas ces réveils triftes & cruels dont vous décrivez 1'horreur avec tant cTénergie. Pourquoi cela? Sans doute, elles n'auront pas, direz - vous , une ame auffi fenfible. Je n'ai vu perfonne en ma vie qui n'en dit autant. Ma's qu'eft-ce enfin que cette fenfibilité fi vantée? Vou--  j> J. Rous.seav. 2 6"? lez-vous le favoir , Henriette? C'eft en deroiere analyfe un amour-propre qui fe compare. J'ai mis le doigt fur le fiege du mal. Toutes vos miferes viennent & viendronf de vous être afiichée. Par cette maniere de chercher Ie bonheur, il eft impoffible qu'on Ie trouve. On n'obtient jamais dans 1'opnion des autres Ia place qu'on y prétend. S'ils nous 1'accordent J' quelques égards,ils nous Ia refufent è mille autres , & une feule exclufion tourmente plus que ne flattent cent préférences. C'eft bien pis encore dans une femme, qui voulant'fe faire homme, met d'abord tout fon fexe contre elle, & n'eft jamais prife au mot par le nótre 5 en forte que fon orgueil eft fouvent auffi mortifié par les honneurs qu'on lui rend , que par ceux qu'on lui rêfufe. Elle n'a jamais précifément ce qu'elle veut, paree qu'elle-veut des chofes contradictoires, &' qu'üfurpant les droits d'un fexe ,' fans vouloir renoncer a ceux de 1'autre, elle n'en poffede aucun pleinement. , Mais le êïan(* malheur d'une femme qui s affiche, eft de n'attirer, ne voir que des gens qui font comme ellè, & d'écarter le mérite folide & modefte qui ne s'affiche point & qui ne court point ou s'affemble Ia foule. Perfonne ne juge fi mal & fi fauffement des hommes, que les gens a pretenttons; car ils ne les jugent que d'après én* mêmes & ce qui leur reffemble; & ce n'eft certamement pas voir le genre humain par fon beau M 2  Et)8 ilTTUi DE «6te. 'Vous êtes mécontente de toutes vos fociér' lés; je le crois bien. Celles oü. vous avez vécu., rétoient les moins propres a vous rendre heureufe, Vous n'y trouviez perfonne en qui vous puffiez ■prendre cate confïance qui foulage*. ■Comment J'amriez-vous trouvée parmi des gens tout occupés d'eux feiils, a qui vous demandiez dans leur cceur ia première place, & qui rt'en ort pas même une jcconde a donner ? Vous vouliez briller , vous vouüez primer-» <& vous vouliez être aimée ; ce font des .chofes incompatibles. 11 faut opter. II n'y a point-d'amitié fans égalité, & il n'y a jamais d'dgalité recor.nue entre gens a prétention. II ne fuffit pas d'avoir befoin d'un ami, pour eh trou« ver.; il faut encore avoir de quoi fournir aux v befoins d'un autre. Parmi les provifions que vous avez faites, vous avez oublié ceile - la. " La marche par laquelle vous avez acquis des xonnoiffances, n'en juftifie ni 1'objet ni 1'ufage: vous avez voulu paroltre philofophe: c'étoit renoncer a 1'être; & il valoit beaucoup mieux avoir Pair d'une falie qui attend un mari, que d'un fage qui attend de 1'encens. Loin de trouver le bonheur dans J'effet des foins que vous n'avez donnés qu'a la feule apparence, vous n'y avez trouvé que des biens apparens, & des maux véritables. L'état de réflexion *"oü vous vous êtes jettée, vous a fait faire incelTamment des retours douloureux fur vous-même, & vous voulez pourtant bannir ces idéés par le même genre d'occupation'qui vous les donna.  J. J. R O U S S E A ÜV 2 6j Vous voyez 1'erreur de la route qnty vous; avez prife,& croyant en changer par votie projet,, vous allez encore au même but par un détour. Cer n'eft point pour vous que vous vou'ez-revenir * Pétude, c'eft encore pour lés autres. Vöus vouïes. faire des provifions de connoiffances pour fupplétr ,-^ans un autre age, a Ia figirre; vous vouléz fub» ftituer 1'erpire du favoir a celui des charmes. Vous ne voulez pas devenir la complaifante d'une autre femme, mais vous voulez avoir des complaifans. Vous voulez avoir des amis, c'eft-ai dire,^ une cour. Car les amis d'une femme jeuneou vieille, font toujours fes conrtifans. Ils Ia fervent , ou la quittent; & vous prenez de loin déï mef.res pour lesretenir, afin d'être toujours Ier. centre d'une fphere, petite ou grande; Jé crois-fans c.la que les provifions que vous voulez faire> feroient la chofe la plus inuttle, pour i'objerqire vous croyez bonnement vous propofer. Vous ; voudriez, dites-vous, vous mettre en état d'entendre les autres. Avez-vous befóin d'un touveh acqu's pour cela? Je ne fais pas au vrai, quelfe opinion vous avez de votre intelligence aétueller. mais dufiréz- vous avoir pour amis des Oedipes , fai peine a croire que vous foyez fort curieufe der; jamais entendre les gens que vous ne pouvez enten-dre aujourd'hui. Pourquoi donc tant de foins pour obtenir ce que vous avez dé/a? Non, Henriette,. ce n'eft pas cela; mais quand-vous ferez une Sy* bilie, vous voulez prononcer des oracks; votrs.:M  &7o- Lettres b e vrai prpjet n'eft pas tant d'écouter les autres, que d'avoir vous-même des auditeurs. Sous prétexte de travailler pour 1'indépendance, vous travaillez er.eore pour la dominaticn. C'eft ainfi que , loin d'alléger. le poids de 1'opinion qui vous rend mal. heureufe, vous voulez en aggraver le j'oug. Ce n'eft pas le moyen de vous procurer des. réveils plus fereins. *"* Vous croyez que le feul foulagement du fentiment pénibie qui vous tourmente, eft de vous éloigner de vous. Moi, tout au contraire , je crois que c'eft de vous en rapprocher.- Toute votre lettre eft pleine de preuves que jufqu'ici, 1'unique but de toute votre conduite, a été de vous mettre avantageufement fous les yeux d'autrui. Comment, ayant réuffi dans le public autant que pei fonne , & en rapportant fi peu de fatisfaftion intérieure, n'avez-vous pas fenti que ce n'étoit pas Ia le bonheur qu'il vous falloit, & qu'il étoit tems de changer de plan ? Le vótre peut être bon pour la gloire, mais il eft mauvais pour la félicité. 11 ne faut point chercher a s'é. loigner de foi, paree que cela n'eft pas poffible, & que tout nous y ramene, malgré que nous en ayons. Vous convenez d'avoir pallé des heures trés douces en m'écrivant & me parlant.de vous*. 11 eft étonnant que cette expérience ne vous mette pas fur la voie , & ne vous apprenne pas oü ; vous devez chercher, finon le bonheur, au .moins, la paix..  J- J. R o u S S E A üo- 2?I. ' Cependant, quoique mes idéés en cec£ different beaucoup des vótres , nous fommes & peu prés d'accord fur ce que vous devez faireL'étude eft déformais pour vous la lance d'Achille,. qui doit guérir la bleffurequ'elle^a faite- Mais vous. ne voulez qu'anéantir la douleur, & Je voudrois óter la caufe du mal. Vous vouiez vous diftraire dé^ vous par Ia philofophie ; moi , Je voudrois* qu'elle vous détachat de tout & vous rendit a; vous - même. Soyez füre que vous ne ferez contente des autres que quand vous n 'aurez plus befoin-* d'eux , & que la fociété ne peut vous devenbr agréable-, qu'en ceffant de vous être néceffaire.N'ayant jamais a vous plaindre de ceux. dont vousn'exigerez rien , cieft vous alors- qui leur ferez néceffaire; & fentant que vous vous fuffilèz 4a vous-même , ils vous fauront gré du mérite que vous voulez bien en mettre en commm.- Ils ne croiront plus vous faire grace; ils la recevront toujours. Les agrémsns de la vie vous rechercheront, par cela feul, que vous ne les rechtreherez pas; & c'eft alors que, contente de vous,. fans pouvoir être mécontente cles-autres -, vous aurez, un fommeil pa fible, & un réveil delicieus, Il eft vrat que des études"faites dans des vuesft contraires, ne doivent pas beaucoup fe reffembler, & il y a bien de la différence entre la cul* turequi ome 1'efprit, & ceile qui ncurrit 1'ame.-Sï vous aviez le courage degoüter un projet, dont 1'exécution vous fera d'abord très-pénible, ftj M 4.,  3,7.2 L I T T I I J Dl faudroit beaucoup changer vos direét'ons. Cela demanderoit d'y bien penfer avant de-fe mettre a 1'ouvrage,, Je fuis malade*, occupé, abattu ,• j'ai 1'efprit lent; il me faut des efforts pénibles pour foitir du petit eerde d'idées qui me font familieres, & rien n'en eft plus éloigné que votre fituation. II n'eft pas jufte que je me fatigue a pure perte ; car j'ai peine k croire que vousvouliez entreprendre de refondre, pour ainfi dire, toute votre conftitution morale. Vous avez trop de philofophie pour ne pas voir avec effroi cette. entreprife. Je défefpérerois de vous, fi vous vousy mettiez aifément. N'allons donc pas plus loinquant k préfent. 11 fuffit que votre principale queftion eft réfolue: fuivez la carrière des Lettres. 11 ne vous en refte plus d'autre a choifit. Ces lignes que je vous écris a la hate, diftrait & fouffrant, ne difent peut-être rien de ce qu'il faut dire: mais les erreurs que ma précipitationpeut m'avoir fait faire, ne font pas irréparables. Ce qu'il falloit avant toute chofe , étoit de vous. faire fentir combien vous m'intéreffez; ctje croisque vous n'en douterez pas en lifant cette lettre. Je ne vous regardois jufqu'ici que comme une bellepenfciife qui, fi elle avoit recu un caractere de la nature, avoit pris foin de 1'étoufFer, de 1'anéantir fous 1'extérieur; comme un de ces chefs-d'oeuvre jettés en bronze, qu'on admire par les dehors, & dont le dedans eft vuide. Mais fi vous favez pUureiL encore fur votre état, il n'eft pas fans res- fource;  J." J^w R O ü 9-3 £5 A V. . 2 7£< Caurce; .tant qu'il refte au cceur urr peu, -d'étoffe, il ne faut défefpérer de rien. Lettre' h la même.- Motiers,- 4 Növembre; 1763, S1 votre fituati me le donner.. Je vous parlai donc moins fur ce' que vous me difièz de votre caractere, que fur ce qui m'éto:t connu du fien, Je crus trom er dans fa manie de s'afEcher, car cfift une favante Sc un bel-efprii en titre, la raifon du mal - aife intérieur dont vous,me faifiez.le détail; je commen-. cai par, attaquer-, cette manie, comme fi c'eitt été Ja vótre, & je ne doutai point, qu'en vous rame» nant a vous-même, je ne vous rapprochaffe du • repos, dont rien n'eft plus éloigné, felon moi , , que 1'état d'une femme qui s'affiche.. U N.E lettre feite fur un pareil quiproquo ,. doit r contenir b-en des balourdifes. Cependant il y, avoit cela de bon dans mon erreur, qu'elle me, donnoit la clef de 1'état mpral. de ceile a qui je penfo's écrire; 5? fur eet état fuppofé, je croyois. entrevoir un projet a fuivre, pour vous tirer des angoiffes que vous. me décriviez.- fans recourir aux diftractions qui, felon" vous, en font le feul remede , & qui, felon moi, ne font p3s même un palliatif. Vous mapprenez que je me fuis trompé, & que je n'ai rien vu de ce que je croyois voir. Comment trouverpis-je, un remede a votre état , puifque eet état m'eft incorc vable ? Vous m'êtes una énigme affligeante ft humüiante- Je. croyois -  J.' J& R O 'O 3 S E t ui' 2 csrmohre Ie cceur hutnaiH, & je ce cormots riénr: aa Vótre. Vous fouffrez-, & je ne puis vous foulager. Q ü o i! paree que rien d'étranger a vous', n«r vous contente, vous voulez vous fuir,- & paree qoe vous avez è vous plaindre des autres-, paree' que vous les méprifez , qu'ils vous én ont donné le droit, que vous fentez en vous une ame-digne d'eftime, vous ne voulez pas vous- confokr avec elle, dirmépris que vous infpirent celles qui ne lui reffemblent pas ? Non, je n'entends rien k cette bizarrerie, elle me pafte.' ■ Cette fenfibilité qui vous rend mécontente detout , ne devoit-elle pas fe repüer fur eüe-même? ne devoit-elle pas nourrir-votre cceur d'un fentiment fublime & délicieux d'amour- propre ? •'n'ai: t-on pas toujours en lui la reflburce contre i'inius» tice & le dédommagement de .1'infenftbilité? "II eft' fi rare, dites-vous, de rencontrer une ame; iJ * eft vrai; mais comment peut-on en avoir une, &< ne pas fe complaire avec elle. Si 1'on fent a Ia fonde, les autres étroites & refferrées, op s'en ' rebute, on s'en détacbe; mais .après s'étre fi ■'mal trouve chez les autres, quel plaifir n'a~t~on pas de rentrer dans fa maifon ? Je fais combien 1».-: befoin d'attachement rend affligeante aux- cceurs ; fenfibles, 1'impoffibilité d'en former. Je fais com-' bien eet état eft trifte; ma's je fais qu'il a pourtant des douceurs; il fait verfer des ruiffeaux de larmes; ; ii donne une mélancolie qui nous rend témoignags-1 M- 6-  2f& L. E T T- R- E g-, t> ,1 de nous-memes, & qu'on ne voudro't pas re pa* avoir. 11 fa!t-recbercher Ia folitude comme le frul afyle cü 1'on fe retrouve avec tout ce qu'on a. raifon d'aimer. Je ne puis trop, vous le redirc j je ne connois ni bonheur ni repos dans 1'éloignt-. ment de foi - même; & au contraire je fens mieux, de-jour en jour, qu'on ne peut être heureux fu& laterre, qu'a proportion qu'on s'éloigne des clo« fes , & qu'on fe rapproche de foi. S'il y a quelque fentiment plus doux que 1'eftime de foi, même; s'ft y a. quelque occupation plus aimable que cella d'augmenter ce fentiment, je puis avoir tort. Mais voila comme je penfe; jugez fur cela, s'il m'eft poffible d'entrer dans vos vues , & même decor ce voir votre état. J e ne puis m'empêeher d'efpérer encore que vous vous trompez fur le princ pe de votre malaife , & qu'au lieu de venir du fentiment qui léfléchit fur vous-même, il vient au contraire de ce'ui qui vous lie encore a votre infeu, aux, choLs dont vouo vous croyez détachée, & dont ptut être vous défefpérez feulement de jouir; je voudrois que cela £ut; je verrois une prife pour agir; mais fi vous acaifez jufte, je n'en vois. point. Si j'avois actusJlement fous les yeux votre première kttre, & plus de loifir pour y réfléchir, peut - être parviendrois - je a vous comprendre , & je n'y épargnerois pas ma peine ; car vous m'inquiétez véritablement; mais cette lettre eft noyée dans des tas de papiers; il me faudroit, pour la  J. "j- R: o u s se &-,xf. i'fl . retrouver, plus de tems qu'on ne m'en laiffe; je fuis forcé de renvoyer cette recherche a d'autrest momens.Si 1'inutïlité de notre eorrefpondance ne vous rebutoit pas de m'écrire, cg feroit vraifem-, b'ablement un- moyen- de vous, entendre- a la fin» Ma's je ne puis vous promettre plus d'exactituia dans mes réponfes, que je ne fuis en état d'y.en. mettre; ce que je vous promets & que je tiendrai bien, c'eft de m'occuper beaucoup de vous, & de ne vous oublier de ma, vie. Votre derniere lettre, pleine de traits de lumiere & de fentimens profonds, m'affefte encore plus que la précédente. Quoique vous en puiffiez dire, je croirai toujours qu'il ne tient qu'a.ceile qui 1'a écrite, de fe plaire avec elle-même, ét de fe dédommager par 5 la dss ligueurs de foa. fort. . Lettbe d Mademoifelle G. en lui envoyant • m lacet. H Mai 1764* 1 C3e préfent, ma bonne amïe, vous fut deftfné. du moment que j'eus le bien de vous connoitre, & quolqu'en püt .dire votre modeftie , j'étois für. qu'il auroit dans peu fon emploi.. La récompenfe fuit de prés la bonne oeuvre. Vous étiez eet hiver garde-malade & ce printems Dieu vous donne un mari; vous lui. ferez charitable & Ditu vous donAl 7  2? 8 ! L E T T rTÏ S D X: nera des enfans; vous- les éleverez en fage mere & ils vous rendront heureufe un jour. D'avance vous devez 1'être par les foins d'un époux aimab'e & aimé, qui faufci vous rendre le bonheur qu'il a*tend de vous. Tout ce qui promet un bon choix, m eit garant du votre; deS hens d amitié formés dès 1'enfance, éprouvés par le tems, fondés fur la connoiffance des caractereSj 1'union des cceurs que Je mariage afférmit, mais ne produit pas,Tac» cord des efprits oü des deux parts la bonté domine» & oü la gaieté de 1'un, la folidité de 1'autre fe tempérant mutuellement, rendront douce & chere a-:tous deux 1'auftere loi, qui fait fuccéder aux jeux de l'adolefcence des foins plus graves, mais plus toucnans. i>ans parler d autres convenances , voila de bonnes raifons de compter pour toute la entrez, & que vous honorerez par votre conduite. Voir vérifier un augure fi bien fondé, fera, chere Ifabelle , une confolation trés-douce pour votre ami. Du refte, la connoiffance que j'ai de vos s principes. & 1'exenple de Madame votre fce-ur, me difpenfent de faire avec vous des conditions. Si vous n'aimez pas les enfans, vous aimerez vos devoirs. Cet amour me répond de 1'autre ,& votre mari dont vous fixerez les gcüfs fur divers arti-. des, faura bien changer le vótre fur celui - la. En prenant ia plume, j'étois plein ue ces idees.Les voila pour tout compliment. Vous attendiez peut-être une lettre faite poui être montréei  J.\ jV Kro jj s s e a o»- ayfl mats aunez - vous dü me la pardonner, & reconnoltriez - vous 1'amitié que vous-m'avez infpirée,1 dans une épltre , oüi je fongerois au . public era parlant ■ a vous?:' Lettre & M. de P.\ «3 Mai 176*4. . Je fais, Monfieur-, que depuis deux ans Paris foutmille d'écrits qui portent mon nom, mais dont heuteufement peu degens font les dupes.. Je n'ai ni écrit ni vu ma prétendue lettre a M. 1'Arche» vêque d'Aufch, & la date de Neufcbètel prouve que 1'auteur n'eft pas même inftruit de mademeure» Je n'avois pas attendu les exhortations des Proteftans de France pour réclamer corrtre les mauvais traitemens qu'ils effuienr. Ma lettre a M. 1'Archevêque de Paris porte un témoignage affez éclatant du vif intérêt que je prends k leurs. peines ; il feroit difficile d'ajouter a la force des raifons que j'apporte pour engager le gouvernement a les tolérer, & j'ai même lieu de préfumer qu'il y a fait quelque attention. Quel gré m'en ont-ils fq ? On diroit que cette lettre qui a ramené tant de Catboliques , n'a fait qu'acbever. d'aliénsr les Proteftans; & combien d'entr'eux ont ofé. m'en ■ faire.un nouyeau .«mie ? Cooiment voudriez.-vous  a8e> L * t~t i, i s< »«e Monfieur, que je priffe avec fuccès leur défenfs • lorfque j'ai moi-même a me défendre de leurs outrages ? Opprimé, perfécuté, pourfutvi chez eux de toutes paris comme un fcélérat-, je les ai vu tous réunis pour achever de m'accabler ; & lorfqü'enfin la protection du Roi a mis ma perfonne a couvert, ne-ponvant plus autrernent me nuire, ils n'ont ceffé de m'injurier. Ouvrez jufqu'a vos Mercures , & vous verrez de quelle facon ces charitables Chrétiens m'y traitent: fi je continuois a "prendre leur caufe, ne me detnandefoit- on pas de quoi je me mêle ? Ne jugeroit-on pas qu'apparemment je fuis de ces braves qu'on mene au combat a coups de baton ? „ Vous avez bonne » grace de venir nous prêcherla tolérance, me „ diroit- on , tandis que vos gens fe montrent plus „ intolérans que nous. Votre propre hiftoire dé,j ment vos principes, & prouve que les Réformés, „ doux peut - être quand ils font foibles, font trés i „ violens fitót qu'ils font les plus ■ forts. Les „ uns vous décretent, les autres vous bannifferit^ les autres vous reeoivent en rechignant. Cependant vous voulez que nous les traitions fur des maximes de douc:ur qu'iïS- n'ont pas eux-mêmes i „ Non, puifqu'ils p.rfécutent, ils doivent être „ perfécutés,'c'eft la loi de 1'équité qui-veut qu'on 3) fafle a chacun comme il fut aux autres. Croyez» „ nous, ne vous mêlez plus de leurs affaires, car 3) ce ne font point les vótres. - lis ont grand foin ■  J. j: R o u s s e JL- v. aêï s, de Ie dédarer tous les jours en vous reniant „ pour leur frere, en proteftant que votre reli* gion n'eft pas Ia leur." Sr vous voyez, Monfieur, ce que j'aurois de folide a répondre è ce difcours , ayez Ia bonté de me le dire; quant a moi je ne le vois pas. Et puis, que fais-je encore? Peut-être en voulant les défendre, avancerois-je par mégarde quelque héréfie , pour laquelle on me feroit faintement biuler. Enfin-, je fuis-abattu, découragé .fouffrant, & 1'on me donne tant d'affaires è moi-même, que je n'ai plus le tems de me mêler de celles d'autrui. R e c e v e z mes falutations, Monfieur, je vous fupplie, & les affurances de mon refptct. L,ettee a M. I. P. de W. Motiers, le 26 Mai 17(14. Ja rcco's avec reconnoiffance Ie livre que vous. avez eu la bonté de m'envoyer; & lorfque je relt-, rai eet ouvrage, ce qui, j'efpere , m'arrivera queUquefois encore, ce fera.toujours dans 1'exemplaire* que je tiens de vous. Ces entretiens ne font point de Phocion, ils. font de 1'Abbé de Mably, frere, de 1'Abbé de Condillac , célebre par- d'excellens. livres de métapbyfique, & connu lui-même par,; divers.ouvrages.de politique, trés-bons auffi jians.  282 LETTRES BE leur genre. Cependant on retrouve quelquefoisdans ceux - ci de ces principes de la politique moderne , qu'il feroit a defirer que tous les homme3 de votre rang blamaffent ainfi que vous. Auffi , quoique 1'Abbé de Mably foit un honnête bomme, rempli de vues très-faines, j'ai pourtant été furpris de le voir s'élever, dans ce dernier ouvrage, a une morale fi pure & fi fublime. C'eft pour cela, fans doute, que ces entretiens, d'ailleurstrés - bien faits, n'ont eu qu'un fuccès médiocre en France;mais ils en ont eu un trés-grand en Suiffe, tü je vois avec plaifir qu'ils ont été réiirprimés. J'ai le cceur plein de vos dtux dernieres lettres. Je n'en recois pas une qui n'augmente mon refptct, & fi j'ofe le dire, mon attacbement pour vous. L'homme vertueux, le grand homme élevé par lts difgraces, me fait tout-a-fait oubiier lp Prince & le frere d'un Souverain, & vu 1'antipathie pour eet état qui m'eft naturelle, ce n'eft pas peu de m'avoir amené-la. Nous pourrions bien cependant n'être pas toujours de même avis en toute chofe, & par exemple, je ne fuis pas trop convaincu qu'il fuffife, pour être heureux, de bien remplir les devoirs de fon emploi. Sürement Turenne en biülant le Palatinat par 1'ordre de fon Prince., ne jouiffoit pas du vrai bonheur, & je ne crois pas que les Fermiers • Généraux les plus appliqués autour de leur tapis verd, en jouiffent dayantage: mais fi ce fentiment eit une erreur.,,  J.o J. R t t s s i i & 233 elle eft plus belle en vous que Ia vérité même j, elle eft digne de qui fut fe choifir un état, donc tous les devoirs font des vertus. Le cceur me bat a chaque ordinaire , dans 1'attente du moment defiré. qui doit tripier votre être. Tendres époux que vous êtes heureux! que vous allez le devenir encore, en voyant multiplier? des devoirs fi charmans a remplir! Dans la difpofition d'ame oü je vous vois tous les deux, non, je n'imagine aucun bonheur pareil au vótre. Hélas! quoiqu'on en puifie dire , la vertu feule ne Ie donne pas; mais elle feule nous le fait connoitre, & nous apprend a le goüter. Lettee a M* * *. Motiers, le 28 Mai 1764. | C'est rendre un vrai fervice a un folitaire éloigné de tout, que de 1'avertir de ce qui fe paffe par rapport a lui, Voila, Monfieur, ce que vous avez trés - obligeamment fait en m'envoyant un exemplaire de ma prétendue lettre a,M. 1'Arcaevêque d'Aufch. Cette lettre, comme vous favez deviné,. n'eft pas plus de moi que tous ces écrits pfeudonymes qui courent Paris fous.mon nom. Je n'ai.. point vu le mandement auquel elle répond, je n'en, ai même jamais ouï parler, öt-.il y a huit jours  2gf Lettres de que j'ignorois qu'il y eut un M. in Tüïèt au monde. J'ai peine a'croire que 1'auteur de cettelettre ait voulu peifuader fe'rieufement qu'elle étoif de moi. N'ai-je pas affez des affaires qu'on me fufcite fans m'aller mêler de celles d'autrui ? Depuis quand m'a-t-on vu devenir homme de parti ? Quel nouvel intérêt m'auroit fait changer fi brusquement de maximes? Les Jéfuites font-ils en meilléur état que quand je refufois d'écrire contr'eux dans leurs difgraces? Quelqu'un me connoitil affez lache, affez vil pour infulter aux malheureux ? Eh ! ff j'oubliois les égards qui leur font düs , de qui pourroient-ils en attendre ? Que mÜmp-irte, enfin, le fort des Jéfuites, quel qu'il puiffe être? Leurs ennemis fe font-ils montrés pour moi plus tolérans qu'eux? La trifte vérité délaiffée eft-elle plus chere aux uns qu'aux autres ? & foit qu'ils triomphent ou qu'ils fuccombent, en fetai • je moins perfécuté ? D'ailleurs, pour pen qu'on life attentivement cette lettre, qui ne fentira pas, co T-me vous, que je n'en fuis point 1'auteur ? Les mal-adreffes y font entaffées: elle eft datée daNeufchatel , oü je n'ai pas*m:s le pied ; on y emploie la formule du trés ■ humble ferviteur, ddnt je n'ufe avec perfonne: on m'y fait prendre le titre de Citoyen de Geneve, auquel j'ai renoncé: tout en commencant on s'échauffe pour M. de Voltaire,. le plus ardent, le plus adroit de mes perfécuteurs, & qui fe paffe bien , je crois, d'un défenfeur tel que moi:. on affects quelques imitations de mes 3  7. J» R 'O V S 4 K A Ü.~ «8.5 ■ybrafes , & ces imitations fe démentent 1'inftant après; le ftyle de la lettre peut être meilleur que le mien ,*mais enfin ce n'eft pas le mien: on m'y • prête des expreffions baffes; on m'y fait dire des grofiléretés qu'on ne trouvera certainement dans aucun de mes écrits : on m'y .fait dire vous a Dieu; ufage'que je ne blime pas, mais qui n'eft pas Ie nótre. Pour me fuppofer 1'auteur de cette lettre, il faut fuppofer auffi que j'aie vculu me'déguifer. II n'y falloit donc pas mettre mon nom, & alors on auroit pu perfuader aux fots qu'elle étoit de moi. Telles font, Monfieur, les armes dignes de mes adverfaires, dont ils achevent de m'accabler. Non contens de m'outrager dans mes ouvrages, ils prennent le parti plus cruel encore de m'attribuer les leurs. A la vérité Ie public jufqu'ici n'a pas pris le ohange, & il faudroit qu'il fut bien aveuglé pour le prendre aujourd'hui. La juftice que j'attends fur ce point, eft une confolation bien foible pour tant de maux. Vous favez la nouvelle affliction qui m'accable: la perte de M. de Luxem. bourg met le comble a toutes les autres ;je la fentirai jufqu'au tombeau- 11 fut mon confolateur durant fa vie, il fera mon protecteur après fa mort. Sa chere & honorable mémoire défendra Ia mienne des infultes de mes ennemis, & quand ils voudront la fouilier par leur? calomnies, on leur dira: „ com„ ment cela pourroit-il être? Le plus honnête „ homme de France fut fon ami." Je vous remercie & voiis.falue, Monfieur, de .tout mon cceur.  aSS Lettres de Lettre a M. de €hainfortm 24 Juin 1764. J'ai toujours defiré, Monfieur, d'être oublié de ia tourbe infolente & vile qui ne fonge aux infortunés que pour infulter a leur mifere; mais Peftime des hommes de mérite eft un précieux dédommagement de fes outrages , & je ne puis qu'être flatté de 1'honneur que vous m'avez fait en m'envoyant votre piece. Quoiqu'accueülie du public , elle doit 1'être des connoifleurs & des gens fenfibles aux vrais charmes de la nature. L'effet Ie plus fur de mes maximes, qui eft de m'attirer Ia haine des méchans & l'affeétion des gens de bien, & qui fe marqué autant par mes malheurs que par mes fuccès, m'apprend par 1'ap. probation dont vous honorez mes écrits, ce qu'on doit attendredes vótres, & me fait deiïrer, pour 1'utilité . publique , qu'ils tiennent tout ce que promet votre début. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Lettre a M. H. d. P. Motiers, le 15 Juillet 1704. S 1 mes raifons, Monfieur, contre la propofition qui m'a été faite par le canal de M. p*** vous  j. j. rousseau» 2 8? paroiffent mauvaifes, celles que vous m'objectez re me femblent pas meilleures, & dans ce qui regarde ma conduite, je crois pouvoir refter juge des motifs qui doivent me défermifier. Il ne s'agit pas, je le fais, de ce que tel ou tel peut mériter par la loi du talion; mais il s'agit de 1'objeciion par laquelle les Catholiques me fer» meroient la bouche, en m'accufant de combattre ma propre religion. Vous écrivez contre les perfé» cuteurs , me diroient-ils , & vous vous dites Proteftant! Vous avez donc tort; car les Proteftans font tout auffi perfécuteurs que nous , & c'eft pour cela que nous ne devons point les tolérer, bien fürs que s'ils devenoient les plus forts, ils ne nous toléreroient pas nous-mêmes. Vous nous trompez, ajouteroient - ils, ou Vous vous trompez-, en vous mettant en contradiction avec les vótres, & nous prêchant d'autres maximes que les leurs. Ainfi 1'ordre veut qu'avant d'attaquer les Catholiques, je commencé par attaquer les Proteftans, & par leur montrer qu'ils nefavent pas leur propre religion. El» ce la, Monfieur, ce que vous m'ordonnez de' faire ? Cette entreprife préliminaire rejetteroit 1'autre encore loin,& il meparolt que la grandeur de la tócbe ne vous effraye gueres,quand il n'eft que de 1'impofer.- Q u e fi les argumens ad hominem qu'on m'objecteroit vous paroiffent peu embarraffans, ils me le paroiffent beaucoup, a moi, & dans ce cas,c'eft a celui qui fait les réfoudre, d'en prendre le'foiu. Il 7 a encore, ce me femble, quelque chofe  2ÏS L e t t e e 's db de dur & d'injufte de compter pour rien tout ce que j'ai fa:t, & de regarder ce qu'on me prefcrit comme un nouveau travail a faire. Quand on a bien établi une v£r:té par cent preuves invincibles, ce n'eft pas un fi grand crime a mon avis, de ne pas courir après la cent& unieme, furtout fi elle n'exifte pas; j'aime è dire des chofes utiles; mais je n'aime pas a les répéter; & ceux qui veulent abfolument des redites, n'ont qu'a prendre plufieurs exemplaires du même écrit. Les Proteftans de Fiance jouiffent maintenant d'un repos auquel je puis avoir contribué, non par de vaines déclamations comme tant d'autres , mais par de fortes raifons politiques bien expofées. Cependant voila qu'ils me preflent d'écrire en leur faveur; c'eft faire trop de cas de ce que je puis faire, ou trop peu de ce que j'ai fait. ""Ils avouent qu'ils font tranquilles; mais ils veulent être mieux que bien , & c'eft après que je les ai fervi de toutes mes forces , qu'ils me reprochent de ne pas les fervir au-dela de mes forces. Ce reproche, Monfieur, me paroit peureconnoiffant de leur part, & peu raifonné de la vótre. Quand un homme revient d'un long combat, hors d'haleine & couvert de bleflures, eft - il tems de 1'exhorter gravement a prendre les armes, tandis qu'on fe tient foi-même en repos? Eh! Meffieurs, chacun fon tour, je vous prie. Si vous êtes ii curieux des coups, allez - en chercher votre part; quant a moi, j'en ai bien la mienne; U eft tems de  j. J. R o o -s s e a v. 'aB9 4e fonger a la retraite ; mes cheveux gtis m'avertiffent que je ne fuis plus qu'un vétéran; mes maux & mes malheurs me prefcrivent le repos, & je ne fors point de la lice, fans y avoir payé de ma perfonne. Sat Patrits Priamoque datum. Prenez mon rang , jeunes gens, je vous le cede; gardez-le feulement comme j'ai fait; & après cela ne vous tourmentez pas plus des exhortations indifcretes, & des" reproches déplacés, que je ne m'en tourmenterai déformais. AiNsr, Monfieur, je cbnfirme a Ioifir ce que vous m'accufez d'avoir écrit è Ia bate , & que vous jugez n'être pas digne de moi; jugement ■auquel j'éviterai de répondre, faute de Pentendre fuffifamment. Recevez, Monfieur, je vous fupplie, les affurances de tout mon refpect. Lettre a M... I 2% Juillet 1764; Je crains, Monfieur, que vous n'alliez un pen vicett! befogne dans vos projets,- il faujroit, quand rien ne vous preffe, proportionner la matunté des deliberations a 1'importancedes réfolutions. Pourquoi quitter fi brufquanent 1'état que vous aviez embraffé, tandis que vous po„viez a Ioifir vous arranger pour en prendre u„ autre, il tant Lettres.  5>$o Lettres de eft qu'on puiffe appelier un état le genre de vie que vous vous êtes choifi, & dont vous ferez peut-être auffi'ót rebuté que du premier? Que rifquiez-vous è'mettre un peu moins d'impétuo* Jité dans vos démarches. & è tirer parti dê ce retard, pour vous confirmer dans vos principes, & pour aflurer vos réfolutions par une plus müre étude de vous-même?_ Vous voila feul fur la terre dans l'ige oü l'homme doit tenir a tout; je vous plains, & c'eft pour cela que je ne puis vous approuver, puifque vous avez voulu vous ■ifoler vous - même , au moment oü cela vous convenoit' Ie moins. Si vous croyez avoir fuivi mes principes, vous vous trompez , vous avez fuivi 1'impétuofité de votre Sge; une démarche d'un tel éclat valoit affurément la peine d'être bien pefée avant d'en venir a 1'exécution. C'eft une chofe faite, je le fais: je veux feulement vous faire entendre que la maniere de la foutenir, ou d'en revenir, demande un peu plus d'examen que vous n'en avez mis i la faire. Voici pis. L'effet naturel de cette conduite a été de vous biouiller avec Madame votre nere. Je vois, fans que vous me le montriéz , le til "de tout cela; & quand il n'y auroit que ce rue vous me dites, a quoi bon aller effaroucher la conference tranquille d'une mere, en lui montrant, fans néceffité, des fentimens différens des flens? 0 ÉaÜoit, Monfieur, garder ces fentlmens au-dedans de vous Four la re^le de votre ■  J. J. ROUSSEAÜV m conduite; & leur premier effet devoit étre de vous faire endurer avec patience les tracafferies de vos prêtres, & de ne pas changer ces tracasferies en perfécutions, en voulanc fecouer hautement Ie joug de Ia religion oü vous étiez néV Je penfe tl peu comme vous fur eet art iele, que quoiq.,e Ie clergé proteftant me fafle une guerre ouverte & que je fois fort éloigné de penfer comme lui fur tous les points , je n'en demeure pas moins fincerement uni è la communion de ixrre églife, bien réfolu d'y vivre & d'y mourir, s'il dépend de moi, Car il e!t t-è*-confolant pour un croyant affligé, de refter en communauté de culte avec fes freres, & de fervir Dieu conjointement avec eux, Je vous dirai plus. & j3 vous déclare que fi j'étois né Catholique, je demeurerois Catholique, fachant bien que votre églife met un frein trés-falutaire aux écarts de Ia raifon humaine, qUi ne trouve ni fond ni rive, quand elle veut fonder 1'ablme des chofes& je fuis fi convaincu de HiöUtó de ce frein ' que je m'en fuis moi-même impofé un fembla*. ble, en me prefcrivant, pour Ie refte de ma vie, des regies de foi dont je ne me permets plus de fortir. Auffi je vous jure que je ne fuis tranquille que depuis ce tems-la, bien convaincu que fans cette précaution je ne 1'aurois été de ma vie. Je vous parle, Monfieur, avec effufion de cceur , & comme un pere parleroit a fon enfant. Votre brouillerie avec Madame votre N s  apa Lettres db mere me navre. J'avois dans mes malheurs la ccnfolation de croire que mes écrits nepouvoient faire que du bien; voulez ■ vous m'óter encore cette confolation? ]e fais que s'ils font du mal, ce n'eft que faute d'être entendus; mais j'aurai toujours le regret de n'avoir pu me faire entendre. Cher ***, un rils brouillé avec fa mere a toujours tort: de tous les fentimens naturels le feul demeuré parmi nous, eft 1'affeetion mater» nelle. Le droit des meres eft le plus facré que je connoiffe; en aucun cas, on ne peut le violer fans crime; raccommodez-vous donc avec la vótre. Allez-vous jetter è fes pieds; i quel' que prix que ce foit appaifez - Ia; foyez fur que fon cceur vous fera rouvert, fi le vótre vous ritmene è elle. Ne pouvez-vous fans faufieté lui faire le facrifice de quelques opinions inutiles, ou du moics les diffimuler? Vous ne ferez jamais appel'é a perfécuter perfonne; que vous importe le refte ? II n'y a pas deux moraies. Ceile du Chriftianifme & ceile de la Philofophie font la même; 1'une & 1'autre vous impofent ici le même devoir; vous pouvez Ie remplir; vous le devez; la raifon, 1'honneur,'votre intérêt, tout le veut; moi Je 1'exige, pour répondre aux lentimens dont vous m'honorez. Si vous le faites, comptez fur mon amitié, fur toute mon eftime, fur mes foins , fi jamais ils vous font bons a quelque chofe. Si vous ne Ie faites pas, vous n'avcz qu'une mauvaife tête , ou, qui pis eft ,  J. J. R o i) i s e i a' Sp3 votre cceur vóus conduit mal , & je nc veux conferver de liaifons gu'avec des gens donc la tête & le cceur foient fa,ins. Lettbe a Myhnl Maréchal. Motiers, Ie 21 Aoüt 170V Le plaifir que m'a caufé, Mylord, hnoB: veile de votre heureufe arrivée è Berlin par votre lettre du mois dernier , a été retardé Par un voyage que j'avois entrepris, & que la laffitude & le mauvais tems m'ont fait abandonner* 4 moitré chemin. Un premier reiTentiment de fcattque, mal héréditaire dans ma familie, rn'etfrayort avec raifon. Car jugez de ce que devien-' droit cloué dans fa chambre un Pa,„re rnalbeureux Ze 1 aUtrertp,aifir dans '* vie que Ia prome«de & qtu n'eft plusqu-une machine ^ Je méto.s donc mis en chemin pour Aix, dans i.ntentton d'y prendre la douche * auffi 7y ver mes amis les Savoyards.le meilleur peupie! 4 mon a,ls qui foft fur ^ PP» route jufqu'a Mor.es pédeftrement a mon „dÏ naire, affez careffé narrrw r* r \^ * , partout- En traver fant Ie lac, & voyant de loin les clochers de Geneve J. ™^topri.4fJUp^a^I4chMnte^ N 3 *  294 Lettres 'os' j'aurois fait jadis pour une perfide maineffe. Arrivé a Thonon.il a faliu rétrograder, malade, & fous une pluie continuelle. Enfin me voici de retour, non cocu a Ia vérité, mais battu» Ma is content, puifque j'apprends votre heureux i retour auprès du Roi, & que mon protefteur & mon pere aime toujours fon enfant. Ce que vous m'apprenez de PaiTranchiffement des payfans de Poméranie, joint a tous les autres traits pareils que vous m'avez ci-devant rapportés^ me montre partout deux chofes également belles, favoir, dans 1'objet le génie de Frédéric , & dans le choix le cceur de George. On feroit une biftoire digne d'immortalifer le Roi, fans autres Mémoires que vos Lettres. A propos de Mémoires, j'attends avec impatience ceux que vous m'avez promis. J'abandonnerois volontiers la vie particuliere de votre frere, fi vous les rendiez affez amples, pour en pouvoir tirer 1'hiftoire de votre maifon. J'y pourrois parler au long de 1'Ecoffe que vous aimez tant, & de votre illuflre frere, & ds fon illuftre frere , par lequel tout cela m'eft devenu cher. H eft vrai que cette entreprife feroit immenfe & fort au-deffus.de mes forces, futtout dans létat oü je fuis; mais il s'agit moins de faire un ouvrage, que de m'occuper de vous, & de flxer mes indociles idéés qui voudroient aller leur train malgré moi. Si vous voulez que  J. j. R o u s s e a' tr.' 295 j'écrire la vie de 1'ami dont vous me' parlez , que votre volonté foit faite; Ia- mienne y trouvera toujours fon compte , puifqu'en vous obéiffant , je m'occuperai de vous. Bonjour, M lord. Lettre d Madam la C. de B> Motiers, Ie 26 Aoflt 1754, les preuves toucbantes , Madame, que j'ai eues de votre amitié dans les plus cruels momens de ma vie, il y auroit a moi de l'ingras titude de n'y pas compter toujours; mais i! faut pardonner beaucoup a mon état ; la confianee ' abandonne les malheureux & je fens au piaiiïr que m'a fait votre lettre, que j'ai befoin d'être ainfi raffuré quelquefois. Cette confoiation ne pouvoit me venir pius a propos: après tant depertes irréparables, & en dernier lieu ceile de Monfieur de Luxembourg, il m'importe de fentir qu'il me refte des biens affez préciéux pourvaloir lapeinede vivre. Le moment oü j'eus le bonheur de Ie connoitre,refiembioit beaucoup è celui oü je 1'ai perdu; dans 1'un & dans 1'autre j'étois affligé, délaiffé, malade. II me confola de tout;qui mi confolera de lui? Les amis que j'avois avant dele perdre; car mon cceur ufé par les maux & » 4  S9ö" Lettbes d 2 déja durci par les ans,eft fermé deformais a tout nouvel attachement. jEne puis penfer, Madame, que dans les critiques qui regardent 1'éducation de Monfieur votre fils, vous compreniez ce que, fur le parti que vous avez pris de Penvoyer a Leyde, j'ai écrit au Chevalier de L***. Critiquer queN qu'un, c'eft biamer dans le public fa conduite ; mais dire fon fentiment a un ami comrnun fur un pareil fujet, ne s'appellera jamais critiquer; a moins que 1'amitié n'impofe la loi de ne dire jamais ce qu'on penfe, même en chofes ofc les gens du meilleur fens peuvent n'être pas du même avis. Après la maniere dont j'ai corfftammenf penfé & parlé de vous. Madame, je me décrieiois moi-même, fi je m'avifois de vous critiquer. Je trouve, a la vérité, beaucoup d'inconvéniensa envoyer les jeunes gens dans les univertités i mais je trouve auffi que, felon les circonftances,. il peut y en avoir davantage a ne pas le faire, & 1'on n'a pas toujours en ceei le choix du plus grand bien, mais du moindre mal. D'ailleurs , une fois la néceffité de ce parti fuppofée, je crois comme vous , qu'il y a moins de danger en Hollande, que partout ailleurs. J e fuis ému de ce que vous m'avez marqué de Meffieurs les Comtes de B***; jugez, Madame , fi Ia bienveillance des hommes de ce mérite m'eft précieuCe, a moi, que celle-même des  ƒ• J. R O O S S JE A ff."1 jj^y des gens que je n'eftime pas fubjugue toujours? Je ne fais ce qu'on eüt faic de moi par les ca. refies: heureufement on ne s'eft pas avifé d* me g&ter li-deffi». On a travaillé fans relache a donner è mon cceur, & peut-être h mon gé. me, le reffort que naturellement ils n'avoieru P«. J'étois né foible; [es mauvais traiten*™ m'ont fortifié: a force de vouloir m'avilir, on tn a rendu fier. Vous avez Ia bonté, Madame, de vouloir dirai-je? Rlen n.eft p,u> unj ^ ^ ^ n eft plus borné que mes projets. Je vis jour la journée fans fouci du lendemain , ou plu. tót jacheve de vivre avec plus de lenteur Le je navors compté. Je ne m'en irai pas plutöf J»« -nepwtn. nature; mais fes LgJrr ne laiffent pas de m'embarraffer, car je n'ai Plus «on * faire ici. Le dégoüt de toutes chofe" me livre toujours plus a 1'indolence & a 1'oifi. veté.. Les maux pbyfiques me donnent feuls un peu d aftivité. Le féjour que j'babite, qui q_u affez fain pour les autres hommes, eft pern . cieux pour,mon état; ce qui fait que pOUPr me d rober aux injures de 1'air 6> d 1'importunL des defeuvrés, je vais errant par le pays d nnt ,, be >.faifon ; mais J approc "de 1W qui eft ici trés-rude & trés - long, il fZ ^déloger; mais oü aller? Comment mal N 5  2gg Lettres de ranger ? J'ai tout a Ia fois 1'embarras de 1'indfgence & celui des ricbeiTes ; toute efpece de foin m'effraye; le iranfport de mes guenilles & de mes livres par ces montagnes eft pénible & coüteux : c'eft bien Ia peine de déloger de ina maifon , dans l'attente de déloger bientót de mon corps 1 Au lieu que reftant oü je fuis, j'ai des Journées délicieufes , errant fans fouci , fans projec , fans affaires , de bois en bois & de jocbers en rochers , rêvant toujours & ne penfant point. Je donnet ois tout au monde pour favoir la botanique ; c'eft la véritable occupation d'un corps ambulant & d'un efprit pareffeux; je ne répondrois pas que je n'euffe la folie d'effayer de 1'apprendre, fi je favois par oü commencer. Quant a ma fiiuation du c&té des reffources, n'en foyez point en peine ; le néceffaire , même abondant , ne m'a point manqué jufqu'ici , & probablement ne me manquera pas fitót, Loin de vous gronder de vos offres , Madame, je vous en remercie; mais vous conviendrez qu'elles feroient mal placées, fi je m'en prévalois avant Ie befoin. Vous vouliez des détails; vous devez être contente. Je fuis très-contenc des vótres i cela prés , que je n'ai jamais pu lire le nom du Jieu que vous habitez. Peut être le connoisje, & il me feroit bien doux de vous y fuivre, du moins par Pimagination. Au refte, je vous platos de n'en être encore qu'a la philofophie,  J- J- B. O D S S 2 * V2 ^ Je fuis bien plus avancé que vous, Madame • fauf mon devoir, & mes amis, me voila re', venu è rien. re Je ne trouve pas Ie Chevaïier fi dér-rif™ f ,e, P?U'i! V°US ^ s'i' n'éfo derarfonnable ilny parvie„droit (üreme P". II eft blen a plaindre dans les accès Je fa goutte.cnr on fouffre cruellement: mais il a du moins Pavantage de foufPrir fars rif™ Des.fcélérats ne Paffaffineront pas & p^Ze' «a.ntérêtUetuer. Eres-vous a ponée Ma! dame, devoir fouvent Madame laMa^r Dans les tnftes circonftances oö «He fe ou ve elle a bien befoin de tous: fes amis ft £ tout de vous. 1 Lettre & M. Butta-Foco (*), Motiers.Travers, lc 22 Septembre i754o Il eft fnperfiu , Monfieur , de chercher eaater mon zele pour 1'entreprife que vous me C) Ceiu lettre eft une réponfe h ceile ie M. Buila-Fcc du 31 jhtt 1764, dontvoici rexnmt. n**Z 'TJ^ m/nt:°" desCc'f« d^»s votre Con. „ nat social d'une %on bien svantagenfè pour eux K 6  303 Lettres de propofez. La feule idéé m'éleve 1'ame & met tranfporte. Je croirois le refte de mes jours bien _ „, fincere que la vótre, eft trés-propre it exciter 1'ému„ lation & le defir de mieux faire. II a fait fouhaiter b. „ la nation que vous vouluffiez être eet homme fage qui 3, pourroit lui ptocurer les moyens de conferver cette s, liberté qui lui a coüté tant de fang. ,, Qu'il feroit cruel de ne pas prn- „ fiter de 1'heureufe circonftance oü Te trouve la Corfe „ pour fe donner le gouvernement Ie plus conforme 3 „ 1'humanité & a la raifon; le gouvernement le pluspro- „ pre a fixer dans cette ifle la vraie liberté „ Une nation ne doit fe flatter de devenir heureufe & „ florifl'ante que par le moyen d'une bonne inftitutioh „ politique: notre ifle, comme vous le dites très-bien, Monfieur, eft capabl-e de recevcir une bonne légiflation-, „ mais il faut un légiflarour& il faut que ce. légiflateur „ ait vos principes , que fon bonheur foit indépendant „ du nócre, qu'il cortnoiffe a fond la nature humaine, & que dans les progrès des tems fe ménageant une gloire éloignée, il veuille travailler dans un fiecle & „ jouir dans un autre. Daignez, Monfieur , être eet „ homme-la, & coopéïer au bonheur de toute une na„ tioti, en tracant le plan du fyftême politique qu'elle j, doit. adopter. . . • „ Je fais bien , Monfieur, que le travail que j'ofe vous prief d'entreprendre, exige des détails qui vous faffent ' connoitre a fond notre vraie fituation; mais fi vou» " daagnez vous en charger, je vous fournirai toutes les lumiefe» qui pourront vous êcre néceffaires , & M. " Paoli, général de la nation , fera trés - empreffé a vous " procurer de Corfe tous les éclaircillcmens dont vous pourrez avoir befoin. Ce digne chef & ceux d'entre ' mes compatiiotes qui font a portee de connoitre vos ottvrages, partagent mon defir & tous les fentimens d'eftime que i'Europe entiere a pour vous, & qui ' vous font dus a tanï de titres, &c, &c, &C.  J. J. R o u » s a * & 3 af; noblement, bien vertueufem.nt, bien heureufe* ment employé; Je croirois même avoir bien ra* cheté 1'inutilité des autres, fi Je pouvois rendre ce trifte refte bon en quelque chofe a vos braves. compatriotes; fi je pouvois concourir par quelque confeil utiie, aux vues de leur digne chef & aux vótres ; de ce cóté - lè donc foyez für de moi; ma vie & mon cceur font è vous. Mais, Monfieur, le zele ne donne pas les, moyens, & le defir n'eft pas le pouvoir. Je ne veux pas faire ici fottement le modefte; je fens bien ce que j'ai, mais je fens encore mieux ce qui me manque; Premiérement, par rapport 4 la chofe, il me manque une multitude de connoiffances relatives è la nation & au pays; connoiffances indifpenfables, & qui, pour les acquérir , demanderont de votre part beaucoup d'inftruftions, d'éclairciffemens, de mémoires, &c; de la mienne, beaucoup d étude & do ré! flexions, Par rapport a moi, il me manque plus dejeunefle, un efprit plus tranquille, un cceur moins épuifé d'ennuis, une certaine vigueur de génie qui, même.quand on 1'a, n'eft pas a Pépreuve des années & des chagrinsjil me manque la fanté, le tems;. il me manqué, accablé d'une maladie incurable & cruelle, 1'efpoir de voir la fin d'un long travail , que la feule attente du fuccès peut donner Ie courage de fuivre; il.me manque, enfin, 1'expérience dan,s les affaires N 7  «jui, feule, éclaire plus fur 1'art de conduïre ïês hommes que toutes les méditations. Si je meportois paffablement, je me dirois: j'irai en Corfe. Six mois paffes fur les Iieux, m'inftruiront plus que cent volumes. Mais comment entreprendre un voyage auffi pénible, auffi long, dans 1'état oü je fuis? Le foutiendrois - je ? me laifferoit-on pafTeas, vous vous y occupez de notre objet, vous verrez mieux ce qu'il faut me dire que je ne puis voir ce que je dois vous demander. Mais, permettez-moi une curiofité que m'infpirent 1'efHme & 1'admiration. Je voudrois favoir tout ce quï regarde M. Paoli; quel dge a-t-il? eft-il marié? a-t-il des enfans? oii a-t-il appris Part militaire? comment le bonheur de fa nation 1'a-t-il mis & la tête de fes troupes? quelles fonftions exerce t-il dans Padminiftration politique & ci< vile? ce grand homme fé réfoudroit-il a n'être que citoyen dans fa patrie, après en avoir été le fauveur? Surtout parlez- moi fans déguifement a tous égards ;la gloire ,1e repos ,1e bonheur de votre peuple dépendent ici plus de vous que de moi. Je vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. Mémoire joint a cette réponfe. Une bonne carte de la Corfe, oü les divers diffricts foient marqués & diftingués par leurs noms , même s'il fe peut par des couleurs. Une exacte defcription de 1'ifle, fon hiftoire naturelle , fes productions , fa culture , fa divifion par diftrifts ; Ie nombre , la grandeur, la fkuation des villes, bourgs , paroiffes, Ie-  J. J. ROUSSEAU. 307 dénombrement du peuple auffi exact qu'il fera poffible; 1'état des fortereffes, des ports; 1'induftrie, les arts, la marine; le commerce qu'on fait, celui qu'on pourroit faire, &c. Quel eft le nombre, le crédit du clergéj. quelles font fes maximes, quelle eft fa conduite relativement a la patrie? Y a-t-il des maifons anciennes, des corps privilégiés, de la noblefte? les villes ont- elles des droits municipaux ? En, font- elles fort jaloufes? QuiiLLEs font les mceurs du peuple, fes gouts, fes occupations, fes amufemens, 1'ordre. & les divifions'militaires , la difcipline, la maniere de faire la guerre, &c? L'hiffoire dé la nation jufqu'è ce moment, les, loix, les ftatuts; tout ce qui regarde 1'admini. ftration aétuelle, les inconvéniens qu'on y trouve, 1'exercice de la juftice, les revenus publics, 1'ordre économique, la maniere de pofer & de lever les taxes; ce que paye a peu piés le peu» ple, & ce qu'il peut payer annuellement & 1'un portant 1'autre. Ceci contient, en général, les inftructions néceffaires; mais les unes veulent être détaillées; il fuffit de dire les autres fommairement. En général, tout ce qui fait le mieux connoitre le génie national ne fauroit être trop expliqué. Souvent un trait, un mot, une aétion dit plus que tout un livre; raais il vaut mieu&trop «ju© pas afiez..  308 LïTTRE* de Lettre au même. Motiers. Travers , »4 Mars 1765. Je vois, Monfieur, que vous ignorez dans queï gouffre de nouveaux malheurs je me trouve en» glouti. Depuis votre pénult.ieine lettre on ne m'a pas laiffé reprendre haleine un inftant. J'ai recu votre premier envoi fans pouvoir prefque y jetter les yeux. Quant a ceïui de Perpignan, je n'en ai pas ouï parler. Cent fois j'ai voulu vous écrire, mais 1'agitation continuelle, toutes les fouffrances du corps & de 1'efprit, 1'accablement de mes propres affaires, ne m'ont pas permis de fonger aux vótres. J'attendois un moment d'in. tervalle; il ne vient point, il ne viendra point,. & dans 1'inftant même oü je vous réponds, je fuis, malgré mon état, dans le rifque de ne pouvoir finir ma lettre ici. Il eft inutile , Monfieur, que vous comptiez fur Ie travail que j'avois entrepris; il m'eüt été trop doux de m'occuper d'une fi glorieufe tkhe: cette confolation m'eft ótée : mon ame épuifée. d'ennuis n'eft plus en état de penfer: mon cceur eft le même encore, mais je n'ai plus de tête: ma faculté intelligente eft éteinte: je ne fuis plus capable de fuivre un objet avec quel. «ue atteation ; & d'ailleurs , que voudriez - vous gue fit un malheureux fugitif qui,. malgré la pro-  J. J. a O V S i E A O. 30() teölon du Roi de Pruil*, Souveen du pays, malgré la protection de Mylord Maréchal qui en eft Gouverneur, mais maloeureufement trop éloïgnéslun & 1'autre, y boft fes afFronts comme leau; & ne pouvant plus vivre avec honneur Cans eet afyïe, eft forcé d'aller errant en chercher un autre fans favoir plus oü le trouver? . J Si fait pourtant, Monfieur, j'en fais un digne de moi, & dont je ne me crois pas indi, gne: ceft parmi vous, braves Corfes, qui favez Être hbres, qui favez être juftes & qui fHtei VoITm TX P°Ur n'êtrC Pas c^Patifi-ans. Voyez, Monfieur, ce qui fe peut faire; parlezen M.PaoIi. Je demande è pouvoir loüer dans ■quelque cantor, folitaire une petite maifon pour y fimr mes jours en paix. J'ai ma gouvernante depuis vmgt ans me foigne dans mes infirniités conunuelles ; c'eft une fille de quarante-' «nq ans, francoife, catholique, honnête & fage>,ƒ qui feréfout de venir, s'il Ie faut; au bout de 1 univers, partager mes miferes & me fermer les yeux. Je tiendrai mon pe£it ménage avec elle, & je tkherai de ne point rendre les foins de 1'hofpitalité incommodes è mes voifins. Mais, Monfieur, je dois vous tout dire : il faut que cette hofpitalèéfoit gratuite, non quant a h fubfiftance, je ne ferai la-deffus a charge i perfonne mais quant au drort d'afy,e qu'il faut quon maccorde fans intérêt. Car fi.dt que je ferat parmi vous, n'attendez rien de moi fur le  3io Lettres de projet qui vous occupe. Je ie répete , je fuis déformais hors ct'état d'y fonger; & quand jVne le ferois paf, je m'en abftiendrois par cela même que je vivfufc au milieu de vous; car j'eus, & j'aurai toujours pour maxime inviolable de porter le pl is profond refpect au gouvernement fous lequel je vis, fans me mêler de vouloir jamais le cen'urer & cririquer , ou réformer en aucune maniere. J'ai même ici une raifon de plus & pour moi d'une très-gran ie force. Sur le peu que j'ai parcouru de vos mémoires, je vois que mes idéés different prodigieufement de celles de votre nation. 11 ne feroit pas poffible que Ie plande je propoferois ne'fit beaucoup de mécontens, & peut-être vous-même tout le premier. Or, Monfieur, je fuis raffafié de difputes & de querelles. Je ne veux plus voir ni faire de mécontens autour de moi, a quelque prix que ce puiffe être. Je foupire après la tranquillité la plus profonde, & mes derniers vceux font d'être aimé de tout ce qui m'entoure & de mourir en paix. Ma réfolution Ü-deffus eft inébranlable. D'ailleurs, mes maux continuels m'ahforbent & augmentent mon indolence. Mes propres affaires exigent de mon tems plus que je n'y en peux donner. Mon efprit ufé n'èft plus capable d'aucune autre appKcation. Que fi peut-être Ia douceur d'une vie calme prolonge mes jours affez pour me ménager des loifirs , & que vous me jugiez capable d'écrire votre biftoire , j'entre;  J. J. R o u s s e a tj. gu prendrai volontiers ce travail honorable qui fatisfera mon cceur, fans trop faciguer ma tête, & je ferois fort flatté de laiffer a la poftéri(é cémonument de mon féjour parmi vous; mais ne me demandez rien de plus. Comme je ne veux pas voustromper, je me reprocherois d'acheter votre protection au prix d'une vaine attente. Dans cette idéé qui m'eft venue, j'ai plus conful.é mon cceur que mes forces ; car dans 1'état oü je fuis, il eft peu apparent que je föutienne un fi long voyage, d'aiüeurs très-emSarraffant, furtout avec ma gouvernante & mon petit bagage. Cependant pour peu que vous m'encouragiez je Ie tenterai , cela eft certain, duffé-je refter & périr en route; mais il me faut au moins une afiurance morale d'être en repos pour le refle de ma vie; car c'en eft fait, Monfieur, je ne peux p'us courir. Malgré mon état critique & précaire , j'attendrai dans ce pays votre réponfe avant de prendre aucun parti, mais je vous prie de d;fférer le moins poffible ,- car malgré toute ma patience, je puis n'ê're pas le maitre des événemens. Je vous embraffe & vous falue, Monfieur, de tout mon cceur. P. S. J'oubliois de vous dire, quant è vos prêtres, qu'ils feront bien difficiles s'ijs ne font contens de moi. je ne difpu[e ja,nais' fuf ^ Je ne parle jamais de religion. J'ainie naturelle! ment même autant votre clergé'que je hais le nótre. J'ai beaucoup d'amis parmi ie clergé de  '312 Lettres de France , & j'ai toujours fès-bien vécu avec eux; jnais quoi qu'il arrivé, je ne veux point changer de religion, & je fouhaiie qu'on ne m'en parle jamais, d'autant plus que cela feroit inutile. Pour ne pas perdre de tems, en cas d'affirmation , il faudroit m'indiquer quelqu'un £ Livourne a qui je puffe demander des inftructions pour le paiTage. L e tt r e au même. Motiers , 26 Mai 1765. T j a crife orageufe que je viens d'effuyer, Mon« fieur, & 1'incertitude du parti qu'elle me feroit prendre, m'ont fait différer de vous répondre & de vous remercier jufqu'a ce que je fuffe déterminé. Je le fuis maintenant par une fuite d'événemens qui, m'offrant en ce pays, finon la tranquillité, du moins la fureté , me font prendre le parti d'y refter fous la protection déclarée & confirmée du Roi & du gouvernement. Ce n'eft pas que j'aie perdu le plus vrai defir de vivre dans le vótre; mais 1'épuifement total de mes forces, les foins qu'il faudroit prendre, les fatigues qu'il faudroit eiTuyer, d'autres obftacles encore qui naiflent de ma fituation, me font du moins pour le moment abandonner mon entreprife, a laquelle, malgré ces difficultés , mon cceur ne peut fe réfoudre a renoncer tout-a-fait encore.  J. ƒ. K o u s s e & rj." 3,£ encore. Mais, mon cher Monfieur, je vieijlfs, je dépéns, les forces me quittent, le defir s'ir' nte & l'efpoir s'éteint. Quoi< qu'il en foit, tfeceyez & faites agréer a M. Paoli mes plus vifs mes plus tendres remercieme* de 1'afyle qu'il l bien voulu m'accorder^PeupIe brave & hofpita. lierj..,.. Non, jen'offlierai jamais un moment de ma vie que vos cceurs, vos bras, vos foyers montété ouvertsaP/nftant qu'il ne me reLic Prefqu aucun autre afyle en Europe. Si je n'ai pointleebonh eurde iaiffer me/cendre^ dan que monument de ma reconnoiffance, & je „,.ho. norerai aux yeux de toute Ia terre de vous al peller mes bótes & mes protecleurs P Je regus bien par M. Ie Chevalier R Ja lettre de M. PaoIi; mais pour V0Us f £ re pourquoi j'y répondis en fi peu de ^ dun ton fi vague, il faut vous dire, Monfieur que Ie brult de la propofition que vous m w ^te s'étant répandu fans que ie fichecom,nZ Voltaire fit entendre a tout Ie monde qlla' cette Propofition étoit une invention de fi lon? il prétendoit m'avoir écrit au nom des r?r «ne lettre contrefaite dont j'avoITé? 7 Comme j'étois trés für a, é Ia duPe' Ma^ i, V ^Tre^h'^ dern.rque 11 mS fei01t chaffer d« Pays. II aroit , Lettres. q  'Lettres de des émiffaires, les uns conhus, les autres fecrett. Dans Ie fort de la fermentation k laquelle mon dernier écrit fervit de prétexte, arrivé ici M. de R....; il vient me voir de Ia part de M. Paoli,* fans m'apporter aucune lettre ni de la fienne, ni de Ia vótre, ni de perfonne; il refufe de fe nommer ; il venoit de Geneve, il avoit vu mes plus ardens esnemis, on me 1'écrivoir, Son long -féjour en cepays, fans y avoir aucune affaire, avoit Pair du monde Ie plus myftérieux. Ce féjour fut précifément le tems oü 1'orage fut excité contre moi. Ajoutez qu'il avoit fait tous fes efforts pour favoir quel'.es relations je pouvois avoir en Corfe. Comme il ne vous avoit point jjommé, je ne voulus point vous nommer non plus. Enfin il m'apporte la lettre de M. Paoli dont je ne connoiffbis point Pécriture; jugez fi tout cela devoit m'être fufpeft? Qu'avois-je 4 faire en pareil cas? — lui remettre une réponfe dont, è tout événement, on ne püt tirer d'éclairciiTement; c'eft ce que je fis. Je voudrois k préfent vous parler de nos af. Jfaires & de nos projets, mais ce n'en eft gue. yes Ie moment. Accablé de foins, d'embarras •, forcé d'aller me chercher une autre habitation k Cin.q ou fix lieues d'ici , les feuls foucis d'un .déménagement très-incommode m'abforberoient quand je n'en aurois point d'autres; & ce font Jes moindres des miens. A vue de pays, quand pa tête fe lemettroit, ce que je regarde cemme  j7. J. R O ü S S E A *; |,e; Jaipofllble, de plus d'un an d'ici, il ne feroit pas en moi de m'occuper d'autre chofe que de moi-même. Ce que je vous promets, & fur quoi vous pouvez compter dès & préfent eft que pour Ie refte de ma vie je ne ferai plus occupé que de moi ou de Ia Corfe: toute autre affaire eft entiérement bannie de mon efprit. Ea attendant, ne négligez pas de raffembler des matériaux, foit pour Phiftoire, foiupour I'inftitut.on; ils font les mêmes. Votre gouvernement me parolt être fur un pied a pouvoir attendre. J ai, parmi vos papiers , un mémoire daté de Vefcovado 1754, que je préfume être de votre facon, & que je trouve excellent. L'ame & Ia tête du vertueux Paoli feront plus que tout Ie refte. Avec tout cela pouvez-vous manquer d un bon gouvernement provifionnel ? Auffi bien tant que des puiffances étrangeres fe mêleront dé vous, ne pourrez - vous gueres établir autre chofe. Je voudrois bien, Monfieur, que nous puslions nous voir: deux ou trois jours de confé- ' rence éclairciroient bien des chofes. Je ne puis gueres être affez tranquille cette année pour vous rien propofer; mais vous feroit-il poffible, Pannée prochaine, de vous ménager un paffage par ee pays? J'ai dans Ia tête que nous nous verrions avec plaifir, & que nous nous quitterions contens 1'un de 1'autre. Voyez, puifque voili lhofpitalité établie entre nous, venez ufer de votre droit. Je vous embraffe. O *  LïTTRÏS 6 Ë Lettre & M. de C***. Motiers, 6 Oétobfe 1764. Je vcus remercie, Monfieur, de votre derniere •piece, & du plaifir que m'a fait fa leöure. Elle décide le talent qu'annoncoit la première, & déji 1'auteur m'tofpire affez d'eftime pour ofer lui dire du mal de fon ouvrage. Je n'aime pas trop qu'a votre age vous faffiez le grand-pere, que vous me donniez un intérêt fi tendre pour le petit-fils que vous n'avez point, & que dans une épltre oü vous dites de fi belles chofes, je fente que ce n'eft pas vous qui parlez. Evitez cette métayhyfique k la mode, qui depuis quelque tems obfcurcit tellement les vers francois qu'on ne peut les lire qu'avec contention d'efprit. Les vótres ne font pas dans ce cas encore, mais ils y tomberoient, fi la différence qu'on fent entre votre première piece & la feconde alloit en augmentant. Votre épltre abonde, non-feulement en grands fentimens, mais en penfées philofopbiques, auxquelles je reprocherois quelquefois de 1'être trop. Par exemple, en louant dans les jeunes gens la foi qu'ils ont, & qu'on doit k la vertu , croyez-vous, que leur faire entendre que cette foi n'eft qu'une erreur de leur age, foit un bon moyen de la leur conferver? 11 ne faut pas, Monfieur, pour paroltre au-deffus des préjugés,  J. J. R O O S S E m ir. gr? faper les fóndemens de Ia morale. Quoiqu'ïl n> ait aucune parfaite vertu fur Ia terre, il n'y a peut-être aucun homme qui ne furmonte fes penchans en quelque chofe, & qui par confé-qaent n'ait quelque vertu; les uns en ont plus . les autres moins. Mais fi la mefure eft indéterminée.eft-ceè dire que Ia chofe n'exifte point ? Ceft ce qu'aflurément vous ne croyez point, & que pourtant vous faites entendre. Je vous condamne, pour réparer cette faute-, I faire une piece, on vous prouverez que malgvé les vices des hommes, il y a parmi eux des vertus, & même de Ia vertu , & qu'il y, ea aura toujours, Vod*, Monfieur.de quoi s'élever è Ia plus haute phtlofophie-: il y en a davaatage a combattre les préjugés philbfophiques qui font nuifibles qu'a combattre les préjugés populaires qui font' utiles. Entreprenez hardiment eet ouvrage & ft vous le traitez, comme vous Ie pouvez faire un prix ne fauroit vous manquer; E ar vous parIant des gens qui m'accablent dans mes malheurs, & qui me portent leurs coups en fecret, j'étois bien éloigné, Monfieur, de fonger i rien qui eüt le moindre rapport au Parlement de Paris. J'ai pour eet illuitre Corps, les mêmes fentimens qu'avant. ma. difgrace & ie rends toujours Ia même juftice a fes membres quotqu'ils me Paient fi mal rendüe; Je veuxmeme penfer qu'ils ont cru faire envers mof, leur devotrd'homnus. publiés; mais c'en étQ^ ' 0-8.  318 lettres d 1 un pour eux de mieux 1'apprendre. On trouvei-oit difficilement un fait, oü le droit des gensfüt violé d'autant de manieres: mais quoique le» fuites de cette affaire m'aient plongé dans- un goufFre de malheurs d'oü je ne fortirai de ma vie, je n'en fais nul mauvais gré a ces MeffieursJe fais que leur but n'étoit point de me nuire, mais feulement d'atler k leurs fins. Je fais qu'ilsb'ont pour moi ni amitié, ni haine; que mon être & mon fort eft la chofe du monde qui les jntéreiïe le moins. Je me fuis trouwé fur leur paffage comme un caillou qu'on pouffe avec le pied fans y regarder. Je connois a-peu-près leur portée & leurs principes. Ils ne doivent pas.dire qu'ils ont fait leur devcir,. mais qu'ilsont fait leur métier... LoasQUE vous voudrez m'honorer de queb que témoignage de fouvenir, & me faire quelque part de vos travaux littéraires., je les recevrai toujours avec intérêt & reconnoiffance. Je vousfalue, Monfieur, de tout mon ccsur- Lettre a M. D ***;. Motiers, Ie 4. Novembre 1764, j|>;ï e n ies- remerctemens, Monfieur, du Dlo« tionnaire philofophique. II eft agréable k lira;; ilysregne une.bor.ne morale; 11 feroit afouhai*  j. J. R o u s s e 0 ü; g;i(jj> ££r qu'elle fut dans Ie cceur de 1'auteur & de t'ous* les hommes. Mais ce même auteur eft prefque' toujours de mauvaife foi dans les extraits- de! 1'Ecriture; il raifonne fouvent fort mal, & 1'air de ridicule & de mépris qu'il jette fur des fentimens refpeftés des hommes-, réjaiiliiTant fur les; hommes mêmes, me parott un outrage fait a la fociété. Voila mon fentiment & peut-être mon; erreur, que je me crois permis de dire , mais que je n'entends faire adopter è. qai que ce foit. J e fuis fort touché de ce que vous me marqaez de la part de M. & Mde. de Buffon. Je. fuis bien aife de vous avoir difce qüe je penfoisr de eet homme illuftre, avant que fon fouvenfe récbauffat mes- fentimens pour lui, afin d'avoiir> tout 1'honneur de la juftice qüe j'aime a lui rem dre, fans que mon amour-propre s'en foit mêié.Ses écrits m'inftruiront & me plairont toute ma; vie. Je lui (,*) crois des égaux parmi fes coktemporains en quaiité de penfeur & de philofophe : mais en quaiité d'écrivain je ne lui en connois point. C'eft la plus belle plume de fon' fiecle; je ne doute point que cé ne foit - la Ie jugement de h pofiérité.- Un de mes regrefs eft de n'avoir pas été a portée de le voir davantage & de profiter de fes obligeantes invitations. Je fens combien ma tête & mes écrits auroienr gagné dans fon commerce. Je qui'ttai Paris as: CT) Quand M. Uoufieau écrivoit ceci, M. le Comte dé Buffon n'avöit pas encore puMK \e% Ep01uts de U Naturk Q 4?-  320 Lettres de moment de fon manage; ainfi je n'ai point eu le bonheur de connoitre Madame de BufFon, mais je fais qu'il a trouvé dans fa perfonne et dans fon mérite 1'aimable & digne récompenfe du fien. Que Dieu les béniffe 1'un & 1'autre de vouloir bien s'intérefier & ce pauvre profcrit. Leurs bontés font une des confolations de ma vie: qu'ils fachent, je vous en fupplie, que je les bonore & les aime de tout mon cceur. Je fuis bien éloigné , Monfieur, de renoncer aux pélerinages projettés. Si la ferveur de la botanique vous dure encore , & que vous ne rebutiez pas un éleve è barbe grife, jecompteplus que jamais aller herborifer eet été fur vos pas. Wes pauvres Corfes ont bien maintenant d'autres affaires que d'aller établir 1'TJtopie au milieu d'eux. Vous favez la nwche des troupes Francoifes; il faut voir ce qu'il en réfultera. En attendaht ,. il faut gémir tout bas & aller herborifer. Vous me rendez fier en me marquant que Jvllle. B*** n'ofe me venir voir i caufe des bienféances de fon fexe , & qu'elle a peur de moi comme d'un circoncis. II y a plus de quinze ans que les jolies femmes me faifoient en France 1'afFront de me traiter comme un bon homme fans conféquence, jufqu'è venir diner avec moi tête-a-tête dans la plus infultante familiarité , jufqu'è m'embrafler dédaigneufement devant tout le monde» comme le grand-pere. de  J*. J. IV O- rj, S 5- E. Al Bi JMS de leur nourrice. Graces au ciel-, me voi-lè" bien rétabli dar.s ma dignité, puifque lesDemoi.felles me font 1'honneur- de ne m'ofer venir voir;,. Lettre a Mi Hirzell ii Novetnbre 1764;, J-z recois, Monfieur', avec reconnoiffance lp feconde édition du Socrate ruftique , & les bontés dont m'honore fon digne bittonen.. Quelque étonnant que foit le héros' de votre livre, 1'auteur ne reft pas moins a mes yeux.II' y a plus de payfans refpeétables qus de favans: qui les refpeftent & qui 1'ofent dire. Heureux Iepays oü des Klyioggs cultivent Ia terre, & o&.< des Hirzels cultivent les lettres! L'abondanceyregne & les vertus y font en honneur. Recevez, Monfieur, je vous>fuppIie, mes* remerciemens & mes falutations* L e ttEï i' M, Duclos. ■ Motiers, !e 2. Décenibre tfKfr T '< Je crois', mon cher ami, qu'au point oü nouir en fommes, la rareté des lettres eft plus uneffiarque dg. confiance que de négligences. votte9 5 I  g*ïl L 2 T' T r e" S be filence pent m'inquiéter fur' votre fanti , mais non-fur votre amitié, & j'ai lieu d'atteridre de vous !a même. fécurité fut la mienne. - Je fuisenam tout 1'été', maladé tout 1'hiver, & en toataems fi furch'argé de défceuvrés, qu'a peine aLi-je- un moment de. relacbe pour écrire. & mes- amis.. Ee< recneil' fait par Duchefne-, eft en effef: incomplét,. & qui prV eft trés-fautif; mais il n'y manque rien que vous ne connoifflez,. extseptéma Réponfe aux Lettres-écrites-de la Campagne;, q-ui n'eft'pas encore publique. j'efpé»rois: vous la faire remettre auffitót qu'elle fëroir a Paris; mais on m'apprend que M. de Sartine©n a défendu Peatrée, quoiqu'aifürément il n'y ait< pas un mot dans eet ouvrage, qui puifie déplaire. a la France ni aux Franccis, öc que le.: dergé. Catholique y ait i fon tour les rieurs aux dépens du notre. Malheur aux opprimés, furtout" qaand ils 3e font injuftement; car alors ils n'ont' pas-même le droit de fe plaindre, & je ne ferois pas> étonné qu'on me fit pendre , uniquement t pour avoir dit & prouvé que je ne méritois pas d'être décrété. Je preffens le contre=coup deletie; défenfe en ce pays. je vois d'avance le jfarti qu'en vont tirer mes implacables ennemis,, i&, furtout ipft deli fabricator Epem.. Yav toujours-le projet de faire enfin mof:iBème un recueil de mes écrits, dans lequel je gpaziai- hke entrer quelques chiSbns- o,ui fost--  J.' J. R O V S S E A tfr. gij;? encöïe en manufcrlts, & entr'aucres Ie petit cönter" dont vous parlez , puffque vous jugez qu'il en' vaut la peine.'- ?*fais outr'e'que cètte entreprife" m'effraye-, furtout dansTétat oü jé fuis, • j> ne^ fais pas «op oü la faire. En France il n'y Hut' pas fonger,- La Hollandé eft trop loin dembLLes libraires de- ce pays n'ont 'pas-d'affèz 'vaftes • débouchés pour cette entreprife JS les profits en feroient peu de chbfé; & Je vous avoue que je n'y* fónge, que pour me proctirer du'pain durant !elefte de mes malheureux" Jours, Ue-ffie fentant" plus en état d'en gagner.. Quant aux' mémoires de ma vie dont vous parlez, ils font très-difficilés a faire fans compromettre perfonne'; pour y * fónger il faut plus de tfanquilité qu'on' rle m'en laiffe & que Je n'en aürai probablement JamaiSsli Je vis toutefois; Je n'y renonce pas • vouravez'toute ma confiance, mais vous fentez qu'il p asdes chofes qui ne fe difent pas de fi loin„ MES^courfes dans nos montagnes fi riches en"1 plantes, m'ont donné du goüt pour Ia botani. que ; cette occupation convient fort a une machine ambulante, i laquelle il'eft interdit ds penfer. Ne pouvant laiffer ma tête vutde, jl la veux empailler; c'eft de fóin qu'il faut 1'avoir pleine , pour être libre & vrai , fans-'cr'ainte " d'êrre décrété. • J'ai 1'avantage dö iie cönnoitre encore que dix plantes, en comptant 1'hyfope; j'au.ai longtems du plaifir a prendre, avant d'SB «ïtre -aux arbres de nos forêts.O ö •  344 Lettres de J'attends avec impatience votre nouvelle édition des Confrdérations fur les mceurs. Puifque vous avez des facilités pour. tout le. royaume, adreffez le paquet a Pontarlier, a moi direclement, ce qui fuffit, ou a M. Junet, Directeur des poftes; il me le fera parvenir. Vous pouvez auffi le remettre a Duchefne, qui me le fera paffer avec d'a.utres envois. Je vous demanderai même fans facon de faire relier 1'exemplaire, ce que je ne puis faire ici fans Ie gater; je. le prendrai fecrétement dans ma poche en allant herborifer, & quand je ne verrai point d'archers autour de moi , j'y jetterai les yeux 1 la dérobée.. Mon cher ami, comment faitesvous pour penferêtrehonnêtehomme,& nevous pas faire pendre? Cela me parolt difficile, en vérité. Je vous embraffe de tout mon cceur. Lettre d M. Mylord Marèclwl, 8 Décerabre 17Ö4. $urt la derniere lettre, Mylord, que vous avez du recevoir de moi, vous aurez pu juger du plaifir que m'a caufé ceile dont vous m'avez bonoré le 24 Octobre. Vous m'avez fait fentir un peu cruellement, è quel point je vous fuis attaché, & trois mois de filence de votre part,, m'ont plus affefté & navré que ne fit te décret  J. J. R O U S S Z A »; gij du Confeil de Geneve. Tant de malheurs ont rendu mon cceur inquiet, & ie crains toujours de perdre ce que je defire fi ardemment de conferver. Vous êtes mon feul proteéteur « le feul homme a qui j'aye de véritables obligations, Ie feul ami fur lequel je compte, le dernier auquel je me fois attaché & auquel il n'en fuccédera. jamais d'autres. Juge* fur cela, fi vos bontés. me font cheres, & fi votre ouhli m'eft facile è. fapporter. Je fuis faché que vous ne puiffiez habiter TQtre maifon que dans un an. Tant qu'on en eft encore aux chateaux en Efpagne, toute habitation nous eft bonne en attendant j mais quand enfin 1'expérience & la raifon nous ont appris, qu'il n'y a de véritable jouiffance que ceile de foi-même, un logement.commode & un corps , fain deviennent les feuls biens de Ia vie , & dont ie prix fe fait fentir de jour en jour i mefure qu'on eft détaché du refte. Comme il n'a pas fallu fi longtems pour faire votre jardin , j'efpere que dès-a-préfent il vous amufe, & que vous en tirez déja de quoi fournir ces oittes Ü favoureufes , qUe fans être fort gourmand je regrette tous les jours. Qüe ne puis-je m'inftruire auprès de vous dans une culture plus utile, quoique plus ingrate! Que mes bons & infortunés Corfes ne peu.' vent-ils, par mon entremife, profiter de vos longues & profondes obfervations fur les hommes O 7  yi<$i Lettres o m & les gouvernemens? Mais je fuis loin de vousriN'importe : fans fonger- a 1'impoffibilité dufuccès , je m'oecuperai de-ces pauvres gens, comme fi mes rêveries leur pouvoient être utiles. ■ Püifque je fuis dévoué aux- chimères-, jö veux-du moins m'en forger d'agréables; En fongeant a ce que les hommes pourroient être, je tachelai d'oublier ce qu'ils font. Les Corfes font, comme vous le dites fort bien , plus prés de eet état defirable , qu'aucun autre peuple»- Par exemple, je ne crois pas que la difiblubilité des mariages-, trés-utile dans lé Brandebourg , ie fut de longtems en Corfe, oü la fimplicité des mceurs & la pauvreté générale rendent encore les grandes paffions -insclives , & les mariages paifibles & heureux. Les femmes font laborieufes & chaftes; les hoTsimes n'ont de plaifirs que ■ dans leur maifon : dans eet é:at, il n'eft pas bon de leur faire envifager comme poffible, une féparation qu'ils n'ont nulle occafion de defirer. Je n'ai point encore recu la lettre avec la ■ Waduction de Metcber que vous m'annoncez. Jé 1'attendois pour vous écrire, mais voyant que ■ le paquet ne vient point, je ne puis différer plus' longtems. Mylord, j'ai lë cceur plein dë vous1JaTQS -cefle. Songez quelquefois a votre fils lè cadet* ■  J." J.' a o • v s m m & ■ &>. 327. L'ettee « M. AVauzit;., en--lui envoyqnt lés.< Lettre 1-de. la- Montagnes. Mótiérs, 9iVécembt&:>iï6&. JEK ig h-ez, vériérablë Abauzir,. écouter mes* juftes plaintes; combien j'ai gémi que Ie Confeil & les Miniftres de Geneve m'aient mis en droit de leur dire des vérités fi dures! Mais puifqu'en» fin je leur dois ces vérités , je veux payer ma < «lette. Ils ont rebuté mon refpect, ils auronfdéformais toute ma franchife. Pëfez mes raifons& prononcez. Ces dieUx de chair ont pu me punir fi j'étois coupablc; mais fi CaKHrm'abfouts,. ils n'ont pu que m'opprimer. Lettre a M* D***, Motiers, le 13 Décerrtbre 1754.. H vous parlerai maintënant, Mönfieur, de mons affaire (*) , puifque vous voulez bien vous cbarger de mes intéréts.- J'ai revu mes gens; leur fociété eft augmentée d'un libraire de France,, homme.entendu, qui aura rmfpectlon delapartie^ itsrpDgrsphique. Ils font en état de faire-les fondr Ct3.ï^éditio* g^n^falë-de. fes OBvr»g*if,  $28 Lettres v % néceffaires fans avoir befoin de foufcription, & c'elï d'ailleurs une voie è laquelle je ne confentfrai jamais par de trés-bonnes raifons , troplongues a détailier dans une lettre". E n combinant toutes les parties de- 1'entreprife, & fuppofant un plein fuccès, j'eftime' qu'elle doit donner un pront net de cent miils; francs. Pour aller d'abord au rabais, réduifonsle a cinquante. Je crois que fans êtredéraifonnable, je puisporter mes prétentions au quart de cette fómme, d'autant plus que cette entreprife demande de ma part un travail afiidu de trois ou quatre ans, qui fans dóute acbevera de ra'épuifer, & me coütera plus de peine a prépa» rer. & revoir mes, feuilles, que je n'en eus a les compofer. Sur cette confidération , & laiffant h part ceile du profit, pour ne fonger qu'a mes befoinsj je vois que ma dépenfe ordinaire depuis vingt ans, a été 1'un dans 1'autre de fóixante louis par an. Cette dépenfe deviendra moindre, lors qu'abfolument féqueflré du public , je ne ferai plus accablé de ports de lettres & de vifites qui , par la loi de 1'hofpitalité , me forcent d'avoir une table pour les furvenans. Je pars de ce petit calcul, pour fixer ce qui m'eft néceffaire pour vivre en paix le refte de mes jours , fans manger le pain de perfonne; réfolution formée depuis longtems, & dont quoi qu'il arrivé, js ne me dép.artirai jamais.  f. j. r o ü t s t a v. giji _ Je eompte pour ma part, fur un fonds da dix è douze mille livres, & j'aime mieux ne pas faire 1'entreprife s'il faut me réduire a moins, paree qu'il n'y a que le repos du refte de mes jours que je veuille acheter par quatre ans d'efclavage. Sr ces Meffieurs peuvent me faire cette fomme, mon delfein eft de la placer en rentes viageres , & puifque vous voulez bien vous eharger de eet emploi, elle vous fera comptée, & tout eft dit. Ê convient feulement pour Ia företé de la chofe, que tout foit payé, avant que Por* commencé Pimpreffion du dernier volume; paree que je n'ai pas le tems d'attendre le débit de 1'édition pour affurer mon état. Mais comme une telle fomme en argent comptant pourroit gêner les entrepreneurs, vu les grandes avances qui leur font néceffaires, ils aimeront mieux me faire une rente viagere, ce qui, vu mon êge & Pétat de ma fanté, leur doit probablement tourner plus a compte. Ainfi, moyennant des fóretés dont vous foyez content, j'accepterai la rente viagere , fauf une fomme' era argent comptant lorfqu*on commencera Pédition, & pourvu que cette fomme ne foit pas moindre' que cinquante louis, je m'en contente en déduétion du capital dont on me fera Ia rente. Voila, Monfieur, les divers arrangement* cont je leur laifferois le choix , fi je traitois directement avec. eux ; mais comme il fe peuc  330 LE tt 1 i s de que Je me trompé , ou que j'exige trop , os' qu'il y ait quelque meilleur parti è prendre pour eux ou pour moi, je n'entends point vousdonner en cela des regies, auxquelles vousdeviez vous tenir dans cette négociation. Agiffez pour moi comme un bon tuteur pour fon pupille, mais ne chargez pas ces Meffieurs d'un traité qui leur foit onéreux. Cette entreprife n'a de leur part qu'un objet de profit, il faut qu'ils gagncnt; de ma part elle a un autre objet, il fuflit que je vive; & toute réflexion faite, je puis bien vivre a moins de ce que je vous ai marqué. jQinü n'abufons pas de la réfolution oü ils paioiffent être d'entreprendre cette affaire a quelque prix que ce foit ; comme tout le rifque demeure de leur cóté, il doit être compsnfé par les avantages. Eaiter 1'sccord dans eet efprity. & foyez für que de ma part il fera ratifié. Je vous vois avec plaifir prendre cette peine. Voilé , Monfieur, le feul compliment que je vous ferai jamais. Lettre è M. de Montmollin, en lui envoyant les Lettres écrites de la Montagne. Le 43 DécemBre 1764»- 3?LAroNEz-MOi, Monfieur, d'aimer tant !*' pais &■- d'avoir toujours la guerre.- Je n'ai pu  ƒ. J. R o u s s ï * $3r ïeMer k mes anciens compatriotes de prendre leur défenfe comme ils avoient pris la mienne. Ceft ce que je ne pouvois faire fans repouffer les outrages dont , par Ia plus noire ingratitude,. les Miniftres de Geneve ont eu Ia baffeffe de m'accabler dans mes malheurs, & qu'ils ont ofé porter jufques dans Ia chairè facrée. Puifqu'ils aiment li fort la guerre, ils 1'auront; & après mille agreffions de leur part, voici mon premier aae d'hoflilité, dans lequel toutefois je défends une de leurs plus grandes prérogatives, qu'ilsfe laiffent lkhement enlever; car pour infuker è leur aife au malheureux , ils rampent volontiers- fous Ia tyrannie. La querelle au refte eiï tout-k-fait perfonnelle entr'eux & moi; ou fl j'y faisentrer Ia religion Proteftante pour quelque chofé,. c'eft comme fon défénféur contre ceur qui veulent Ia renverfer- Voyez mes. raifons, Monfieur, & foyez perfuadé que plus on me mettra- dans Ia néceiïité d'expliquer mes fentimens , plus il en réiultera d'honneur pour votre conduite envers moi & pour la juftice que vous m'avez ren dus. Recevez:, Monfieur, je vous prie, mes falu» Utions & mon reipeft..  Lettres bz Lettre & Af*'**, au-Jujet d'un Mémoire en faveur des Proteftans, que 1'on devoit aireffer aux Evêques de France. 17S- 3L/a lettre, Monfieur,& le mémoire deM***. que vous m'avez envoyés , confirment bien" i'eftime & le refpect que j'avois pour leur auteur. II y- a dans ce mémoire des chofes qui font tout -k-fait bien; cependant il me paroit que le plan & Pexécution demanderoient une refonte conforme-aux excellente* obfervations contenues dans votre lettre. L'idée d'adreffer un mémoire aux évêques n'a pas tant pour but de. les perfuader eux - mêmes , que de perfuader indiredement la cour & le clergé Catholique, qui feront plus portés è donner au corps épifcopal le tort dont on ne les chargera pas eux* mêmes. D'oü il doit arriver que les évêques auront honte d'élever des oppofitions- k la tolé.. rance des Proteftans , ou que , s'i's font ces oppofitions, ils attireront contr'eux la clameur publique & peut-être les rebuffades de la cour. • Sun cette idéé, il paroit ne s'agir pas tant, comme vous le dites trés- bien, d'explications fur la doctrine qui font affez connues & ont été données mille fois, que d'une expofition politique & adroite del'utüité dont les Proteftans font  J. J. Roosje a oi 333 a la France; a quoi 1'on peut ajouter la bonne remarque de M***. fur 1'impoffibilité reconnue de les réunir è 1'églife, & par conféquent fur 1'inutilité de les opprimer ; oppreffion qui ne pouvant les détruire , ne peut fervir qu'a les aliéner. En prenant les évêques, qui, pour la plupart, font des plus grandes maifons du royaume, ■du cóté des avantages de leur naiffance & de leurs places, on peut leur montrer avec force, ■combien ils doivent être attachés au bien de 1'état, a proporrion du bien dont il les comble & des privileges qu'il leur accorde; combien il feroit horrible k eux, de préférer leur intérêt & leur ambition particuliere, au bien général d'une fociété dont ils font les principaux membres; on peut leur prouver que leurs devoirs de citoyens, loin d'être oppofés i ceux de leur miniflere, en recoivent de nouvelles forces; que Fhumanité, Ia religion, la patrie leur prefcrivent la même conduite, & la même obligation de protéger leurs malheureux freres opprimés, plutót que de les pourfuivre. Ilya mille chofes vives & faillantes è dire lè-defius, en leur faifant honte d'un cóté, de leurs maximes barbares, fans pourtant les leur reprocher; & de 1'auire excitant contr'eux, 1'indignation du miniftere & des autres ordres du royaume, fans pourtant pa. toitre y ticher. Je fuis, Monfieur, fi preffé, fi accablé, ii  334 £• ï T T R E • SE furchargé de lettres, que je ne puis vous jetter ici queiques idéés, qu'avec Ia plus grande rapidité. Je voudrois pouvoir entreprendre ce mémoire , mais cela m'eft abfolument impoffible, & j'en ai bien du regret; car outre le plaifir de bien faire , j'y trouverois un des plus beaux fujets qui puiffent honorer la plume d'un auteur. Cet ouvrage peut être un chef- d'ceuvre de politique & d'éloquence, pourvu qu'on y mette Ie tems: mais je ne crois pas qu'il puiffe être bien traité par un théologien. Je vous falue, Monfieur , de tout mon cceur. Lettre a M, D. Motiers , le 24 Janvier 1765. Je vous avoue que je ne vois qu'avec effroi 1'engagement (*) que je vais prendre avec la compagnie en queftion, fi 1'affaire fe confomme; ainfi , quand elle manqueroit, j'en ferois tréspeu puni. Cependant , comme j'y trouverois des avantages folides, & une commodité trésgrande pour 1'exécution d'une entreprife que j'ai a cceur ; que d'ailleurs je ne veux pas répondre malbonnêtement aux avances de ces Mesfieurs, je defire, fi 1'entreprife fe rompt, que ce ne foit pas par ma faute. Du refte, quoique (?) Pour une édirion générale de fes ouvrages.  J, J. R » u i s K i tï 32* je trouve les dernandes que vous avez faites en mon nom un peu fortes, je fuis fort d'avis, puifqu'elies font faites, qu'il n'en foit rien rabattu. J e vous reconnois bien, Monfieur , dans -l'arrangement que vous me propofez au défaut de celui-la; mais quoique j'en fois pénétré de •reconnoiffance, ja me reconnoltrois 'peu moimême, fi je pouvois 1'accepter fur ce pied-Ii Toutefois j'y vois une ouverture pour fortir, avec votre aide, d'un furieux embarras oü je fuis. Car, dans 1'état précaire oü font ma fanté & ma vie, je mourrois dans une perplexité bien cruelle, en fongeant que je laiffe mes papiers, mes effets & ma gouvernante è la merci d'un inconnu. II y aura bien du malheur, fi 1'intérêt que vous voulez bien prendre a moi & la confiance que j'ai en vous, ne nous amenent pas a quelque arrargement qui contente votre cceur, fans faire fouffrir Ie mien. Quand vous ferez une fois mon dépofitaire univerfel , je ferai tranquille; & il me femble que Ie repos de mes jours m'en fera plus doux, quand je vous en ferai redevable. Je voudrois feulement qu'au préalable nous puffions faire une connoiffance encore plus intime. J'ai des projets de voyage pour eet été. Ne pourrions-nous en faire quelqu'un enfemble? Votre bètiment vous occupera-1- il fi fort, que vous ne puiffiez le quitter quelques femdnes, même quelques mois, fi le  5SS Lettres de cas y échéoit ? Mon cher Monfieur , il fairt commencer par beaucoup fe connoitre , pour favoir bien ce qu'on fait quand oh fe lis. Je m'attendris a penfer qu'après une vie fi tnalheureufe, peut-être trouverai-je encore des jours fereins prés de vous, & que peut-être une cbalne de traverfes m'a-t-elle conduit a l'homme que la providence appellé a me fermer les yeux? Au refte, je vous parle de mes voyages , paree qu'a force d'habitude , les déplacemens font devenus pour moi des befoins. Durant toute la belle faifon, il m'eft impoffible de refter plus de deux ou trois jours en place, fans me contraindre & fans fouffrir. Lettre d M. le C. de ***. Motiers, 26 Janvier 1765. Je fuis pénétré, Monfieur , des témoignages d'eftime & de confiance dont vous m'hono* rez: mais comme vous dites fort bien , laisfons les complimens &, s'il eft poffible, allons è 1'utile. Je ne crois pas que ce que vous defirez de moi, fe puifie exécuter avec fuccès d'emblée dans une feule lettre, que Madame la Comteffe fentira d'abord être votre ouvrage. II vaut mieux , ce me femble, puifque vous m'aflurez qu'elle  J. J. R O ü S S E A ü. 3 3? qu'elle eft portée a bien penfer de moi, que je faflèavec elle les avances d'une correfpondance qui fera naltre aifément les fujets dont il s'agit, & fur Iefquels je pourrai lui préfenter mes réflexions de moi - même, a mefure qu'elle m'ea fournira 1'occafion. Car il arrivera de deux cho. fes 1'une, ou m'accordant quelque confiance elle épanchera quelquefois fon honnête & vertueux cceur en m'écrivant , & alors la liberté que je prendrai de lui dire mon fentiment, autorifée par elle-même ne pourra lui déplaire; ou elle reftera dans une réferve qui doit me fervir de regie, & alors n'ayant point 1'honneur d'être connu d'elle, de quel droit m'ingérer è lui donner des lecons ? La lettre ci-jointe eft écrite dans cette vue & ' prépare les matieres dont nous aurons a traiter fi ce texte lui agrée. Difpofez de cette lettre,'je vous fupphe, pour la donner ou la fupprimer feloa qu'il vous paroltra plus convenable. En vérité, Monfieur, je fuis enchanté de vous & de votre digne époufe. Qu'aimable & tendre doit etre un mari qui peint fa femme fous des traits fi charmans. Elle peut vous aimer trop pour votre repos, ma s jamais trop pour votre mérite , ni vous, l'aimer jamais affez pour le fien. Ts ne conno:s rien de plus" intéreffant que le üabieau de votre talon & tracé par vous - méme. Toutefois voyez que fans y fonger vous n'ayez donr.é P ut - etre a fa délicateffe quelque raifon partta, fiere de craindre votre éloignement. Monfieur, Lettres. p  338 Lettres de les caurs fenfibles font faciles è bleffer, tout les alarnip, & ils font d'un fi grand prix qu'ils valent bien 'es peings qu'on prend a les contenter. Les foins amoureux de nouveaux époux bientót fe relnchent. Les témoignages d'un attachement durablej fondé fur 1'eftime & fur la vertu , font moins frivoles & font plus d'effet. Laiffez a votre femma le plaifir de facrifier quelquefois fes goüts aux vótres , mais qu'elle voye toujours que vous cherchez votre bonheur dans le fien, & que vous la diftinguez des autres femmes par des fentimens a 1'épreuve du tems. Quand une fois elle fera bien convaincue de la folid té de votre attachement j elle n'aura pas peur que vous lui foyez enlevé par des folies. Pardon, Monfieur, vous dema< dez des avis pour Madame la Comteffe, & c'eft a vous que j'ofe en donner. Mais vous m'infp'iez un intérêt fi vif pour votre union, qu'en vous pariant de tout ce qui me femble propre fi 1'affermir, j'e crois déja me méler de mes affaires. Lettre i Mie. la C. de***. Motiers ^26 Janvier 1765. J'a pp rends, Madame, que vous êtes une f mme auffi vertueufe qu'aimable, que vous avez jour votre mari autant de tendreffe qu'il en a pour ■vous, & qus c'elt a tous égards dire autant qu'il  j. J. R o u s s e a u." 3 33'eft poffible. On ajoute que vous m'honorez da votre eftime & que vous m'en préparez même un témoignage qui me donneroit 1'bonneur d'appartenir a votre fang par des devoirs. (*) En voila plus qu'il ne faut, Madame, pour m'attacher par le plus vif intérêt au bonheur d'un fi digne couple, & bien affez, j'efpere , pouc m'autorifer a vous marquer ma reconnoiffance pouc la part qui me vient de vous des bontés qu'a pouc moi Monfieur le Comte de***. J'ai penfé qu3 1'beureux événement qui s'approcbe, pouvoitl' felon vos arrangemens, me mettre avec vous en correfpondance, & p0Ur un objet fi refpeclable ja fens du plaifir a Ja prévenir. Une autre idéé me fait livrer è mon zele avec confknce. Les devoirs de Monfieur Ie Comta de * 1'appelleront quelquefoïs loin de vous Te rends trop de juftice a vos fentimens nobles pour douter que fi Je charme de votre préfence lui faifoit oubher ces devoirs, vous ne les lui rappel!affi»z fonde fur Ia vertu peut fans danger braver 1'abfence, il n'a rien de Ia moileffe du vice, il fe ren ' force par les facrifices qui Iui coucent & dor£ fl sbonore a fes propres yeux. Qu8 vous'êtes heureufe. Madame, d'avolr un mérite qui vou met au-deffus des craintes, & un époux qui-faft t 3.  340 Lettres de fi bien en fentir le prix! Plus il aura de comparaïfons a faire, plus il s'applaudira de fon bonheur. Dans ces intervalles, vous pafferez un tems tiès-doux a vous occuper de lui, des chers gages de fa tendreffe, a lui en parler dans vos lettres, a en parler a ceux qui prennent part a votre union. Dans ce nombre oferois-je me compter auprès de vous pour quelque chofe? J'en ai le droit par mes fentimens; effayez fi j'entends les vótres, fi je fens vos inqulétudes, fi quelquefois je puis les calmer. Je ne me flatte pas d'adoucir vos peines, mais c'eft quelque chofe que les partager, & voila ce que je ferai de tout mon cceur. Rccevez, Madame," je vous fuppüe, les affurances de mou refpefi, Lettre a M.ihmie la M. de V. Motiers, le 3 Février 1765. Au milieu des foins que vous donne, Madame, le zele pour votre familie, & au premier moment de votre convalefcence , vous vous occupez de moi; vous prefientez les noiweaux dangers oü vent me replonger les fureurs de mes ennemis,* irdignés que j'aie ofé montrer leur injuftice. V^ous re vous trompez pas, Madame; on ne peut rien imaginer depareil a la rage qu'ont excité les Lettres de la Montagne. MefSeurs de Berne viennent de.  ƒ• J. R o u s t ë a v. 34r défendre eet ouvrage en termes trés infültans; fe ne ferois pas furpris qu'on me fit uh mauvais parti fur leurs terres, lorfque j'y remettrai le pied. II faut en ce pays même toute la protection du Roi pour m'y laiffer en füreté; le Confeil de***, qui fouffle Je feu tant ici qu'en Hollande, attend le moment d'agir ouvertement a fon tour, & d'achaver de m'éerafer s'il lui eft pofiïble. De quelque cóté que je me tourne, je ne vois que griffes poirr me décbirer, & que gueules ouvertes pour m'engloutir. J'efpérois du moins plus d'humanité du cóté de la France, mais j'avois tort; coupable da crime irrémiffible d'être injuflement opprimé , je n'en dois attendre que mon coup de grace. Mon part: g,t pus, Madame; je Iaifférai tout faire, tout dire, & je me tairai; ce n'eft pourtant pas faute d'avoir a parler. Je fens qu'il eft impoffible qu'on me laiffe refpirer en paix ici. Je fu:s trop prés de *** & de***. La paffion de cette heureufe tranquill'té m'agite & me travaille cbaque jour davantage. Si je n'efpérois Ia trouver a la fin, je fens que ma conftance acheveroit de m'abandonner. J'ai quelque envie d'eflayer d'Italie, dont le climat & 1'inqmfition me feront peut - être plus dom qu'en France & qtfici Je tacherai eet été de me trainer de ce cóte-Ia, pour y chercher un gite paifible,; & fijele puts trouver, je vous promets bien qu'on nentendra plus parler de moi. Repos, repos, chere idple de mon cceur, oü te trouverai- je'è'  34s Lettres de Eft • il poffible que perfonne n'en veuille laiffer jouir un homme qui ne troubla jamais celui dg perfonne! Je ne ferois pas furpris d'être a la fin forcé de me réfugier chez les Turcs, & je ne doute point que je n'y fulTe accueilli avec plus d'humanité & d'équité que chez les Chrétiens. On vous dit donc, Madame, que M. de Voltaire m'a écrit fous le nom du Général-Paoli, & que j'ai donné dans le piege. Ceux qui difent cela , ne font gueres plus d'honneur , ce me fembie, a la probité de M. de Voltaire qu'a mon dTeemt ment. Depuis Ia réception de votre lettre, voici ce qui m'eft arrivé. Un Chevalier de Malte, qui a beaucoup bavardé dans Geneve, & qui dit venir d'Kalie, ctt venu "±, !! I a auinae jours, de la part du Général Paoli, faifant beaucoup 1'empreffé des commiffions dont il fe difoit chargé prés de moi, mais me difant au fond trèspeu de chofe , & m'étalant d'un air important d'affez chétives paperaffes fort pochetées. A chaque piece qu'il me montroit, il étoit tout étonné de me voir tirer d'un tiroir, la même piece, & la lui montrer a mon tour. J'ai vu que cela Ie mortifioit d'aufant plus, qu'ayant fait tous fes efforts pour favoir queiles relations je pouvois avoir eues en Corfe, il n'a pu la-deiTus m'arracher un feul mot. Comme il ne m'a point apporté des lettres, & qu'il n'a voulu ni fe r.ommer, ni me donner la moindre notion de lui, je 1'ai remercié des vifites qu'il vouloit continuer de me faire. II n'a pas  j« J. R o ü s 9 e A v. 343 raiffé de paffer encore ici dix ou douze Jours fansme revenir voir. J'ignore ce qui] y a fait. On m'apprend qu'il eft repard d'hier. Vous vous imaginez bien, Madame, qu'il n'eft plus queftion pour moi de Ia Corfe, tant 3 caufe de 1'état oü Je me trouve, que par m'lle raifons qu'il vous eft aifé d'imaginer. Ces M;sfeurs dont .vous me parlez (*), ont de Ia fanté, du pain, du repos; ils o'it la tête libre, & le cceur épanoui par le bien - être; ils peuvent méditer & travailler a leur aife; feion toute apparer.ce*le* troupes Francoifes, s'ils vont dans le pays, ne maltraiteront point leurs perfonnes; & s'ils n'y vont pas , n'empêcberont point leur travail. Je defire paffionnément voir une légiflation de few facon: mais j'avoue que j'ai peine a voir quel fondement ils pourroient fui donner en Corfe.- 'car malheureufement les femmes de ce pays-la' font très-laides, & trés -c'iaft.s, qui pis eft. Que mon voyage projetté n'aille pas, Mada-me, vous faire renoncer au vótre. J'en ai plus befoin que jamais, & tout peut trés-bien s'arranger, pourvu que vous veniez au commencemert ou è la fin de la belle faifon. Je compte ne parti* qu'a la fin de Mai, & revenir au mois de Septembre. ^ Meffieurs ilelvMius & Diderorr auxqie!. les Co*. P 4>-  .344 Lettres r> s Lettre a M. D. m ■ Metiers, le 7 Février 1755. j e ne doute point , Monfieur , qu'hier jour de Deux-Cent, on n'ait bi'ulé mon livre a Geneve; du moirs toutes les mefures étoient prifes pour cela. Vous aurez fu qu'il fut brülé le 2 2 a la Haye. Rey me marqué que 1'Inquifiteur a écrit dans ce paygvla beaucoup de lettres, & que le Miniflre Cr,*** de Geneve s'eft donné de grands mouvemens. Au furplus, on laiffe Rey fort tranquil'e. Tout cela n'eft.il pas plaifant? Cette affaire s'eft tramée avec beaucoup de fecret & de dJiger.ce ; car le Comte de B***, qui m'écrivit peu de jours auparavant , n'en favoit rien. Vous me direz, pourquoi ne 1'a-t-il pas empêcbée au mo. ment de 1'exécution? Monfieur, j'ai partout des amis puiffans, illuftres, & qui, j'en fuis trés - für, m'aiment de tout leur cceur ; mais ce font tous gens droits, bons, doux, pacifques, qui dédai. gnent toute voie oblique. Au contraire, mes ënnemis font ardens , adroits , intrigars , rufés, infaf'gables pour nuire, & qui manceuvrent toujours fcus terre, conme lts taupes. Vous fentez que la partie n'eft pas égale. L'Inquifiteur eft l'homme le plus aciif que la terre ait produit; il gouverne tn quelque facon teute L'Europe. Tu  ƒ• J. R o- u s s e a u.' 54'.^ . T o dois régner, ce monde eft fait ponr les méchans. Je fuis trés-für qu'a moins que je ne. luifurvive, je ferai perfécuté jufqu'a la mort.. Je ne digere point que M. de *** fuppsfe que c'eft moi qui m'attire fa haine. Eh! qu'ai-je donc fait pour cela? Si 1'on parle trop de moi, ce B'eft pas ma faute: je me pafferois d'une célébrité acquife a ce prix. Marquez a M. de*** tout ce que votre amitié pour moi vous infpirera*. & en attendant que je fois en état de lui écrire, parlez-lui, je vous fupplie, de tous les fentimens. dont vous me favez pénétré pour lui.. JvL Vernes défavoue hautement &. avec horreur Ie libelle ou j'ai mis fon nom. II m'ai écrit Ia-deffus une lettre honnête, a laquelle j'ai répondu für Ie même ton , offrant de contribuer autant qu'il me feroit poffible, è répandre fon dé•faveu, Malgré la.certitude oii je croyois être que üouvrage étoit de lui, certains faits récens mefont foupconner qu'il pourroit bien être de quelqu'un qui fe cache fous fon manteau. Au refte, 1'imprimé de Paris s'eft trés-prompt tement & très-flnguliérement répandu a Gene.?e.Plufieurs particnliers en ont recu par Ia pofte des exemplaires fous enveloppe, avec ces feuls mots écrits d'une main de femme: Lifez, homes gentl Je donnerois tout au monde,, pour favoir qui sft cette a:mable femme qui s'intérefTe fi vivement a un pauvre opprimé, & qui fait marquer. fon indignauon en teimes fi brefs & fi pieirJs d'énergis.. P 5.  340 Lettres de J'a vois bien prévu , Monfieur, que votre calcul ne feroit pas admiffible, & qu'auprès d'un bomme que vous aimez , votre cceur feroit déraifonner votre tête en matiere d'intérêt. Nous eauferons de cela plus a notre aife, en herborifant eet été; car, loin de renoncer è nos caravanes, même en fuppofant le voyage d'ïtalie, je veux bien ticher qu'il n'y nuife pas. Au refte, je vous dirai que je fens moi, depuis quelques jours, «ne révolution qui m'étonne. Ces derniers événsmens qui devoient achever de m'accabler, m'ont, je ne fais comment, rendu tranqui!le& même affez gai- II me femble que je donnois trop d'importance a des jeux d'enfans. 11 y a dans toutes ces brüleries quelque chofe de fi niais & de fi béte, qu'il faut être plus enfant qu'eux pour s'en émouvoir. Ma vie morale eft finie. Eft - ce la peine . de tant choifir la terre ou je dois laiffer mon corps? La partie la plus précieufe de moi - même eft déja morte: les hommes n'y peuvent rien, & je ne regarde plus tous ces tas de magiftrats fi barbares, que comme autant de vers qui s'amufent & ronger mon cadavre. L a machine ambulante fe montera donc eet été pour aller herborifer; & fi 1'amitié peut la réchauffer encore, vous ferez le Prométhée qui me rapportera le feu du ciel. Bon jour, Monfieur.  J. J. R 0 u S S e a Ef. 34? Lettre au Lord Maréchal d'Ecojfe. Motiers, Ie n Février 1765. urs favez, Mylord, une partie de ce qui m'arrive. La brülerie de Ia Haye, Ia dëfenf; dj Berne, ce qui fe prépare-a Geneve; mais vou; n; pouvez favoir tout. Des malheurs fi conftirs , une animofité fi univerfelle commencoient a m'accrbler tout-a-fait. Quoique les mauvaifes nouvelle; fe multiplient depuis Ia réception de votre lettre, je fuis plus tranquille & même affez gai. Quand ils: m'auront fait tout Ie mal qn'ils peuvent, je pourrai les mettre au pis. Graces a la proteftion du Roi & è la vótre, ma perfonne eft en füreté contre leurs atteintes; mais elle ne 1'eft pas contre leurs . tracafferies, & ils me Ie font bien fentir. Quoi qu'il en foit, fi ma tête s'affoiblit & s'altere, mon cceur me refte en bon étar. Je I'éprouve en lifant votre derniere lettre & le billet qne vous avez écrit pour la comrnunauté de Couver„. Je crois. que M. Meuron s'acquittera avec plaifir.de Ia commiflion que vous lui donnez ; je n'en dirois pas autant de 1'adjoint que vous lui aflbciez pour eet effet, malgré 1'emprelTement qu'il afFeéte.. Ua destourmens de ma vie eft d'avoir quelquefoV a me plaindre des gens que vous aimez & a me Idwer de ceux que vous n'aimez pas. Cojnbien tost c« P 6  348 Lettres de qui vous eft attaché me feroit cher, s'il vouloit feulement ne pas repouffer mon zele. Mais vos bontés pour moi font ici bien des jaloux, & dans 1'occafion ces jaloux ne me cachent pas trop leur haine. Pifffe-t-elle augmenter fans ceffe au même prix! Ma bonne fceur Emétuila, confervez - moi foigneufement notre pere. Si je le perdois , je ferois Ie plus malheureux des êtres. • Avez-vous pu croire que j'a:e fait la moindre démarche pour obtenir la permiffiön d'imprimer ici le recueil de mes écrits, ou pour empêcher qua cette permiffiön ne fut révoquée? Non, Mylord , j'étois fi parfaitement la-deffus dans vos fentimens fans les connoitre, que dés le commencement je parlai fur ce ton aux affociés qui fe préfenterent, & a M***. qui a bien voulu fe eharger de traiter avec eux. La propofition eft venue d'eux, & je ne me fuis point preffé d'y confentir. Du refte, je n'ai rien demandé, je ne • demande rien, je ne demanderai rien, & quoiqu'il arrivé on ne pourra pas fe vanter de m'avoir fait un refus, qui après tout me nuira moins qu'a eux - mêmes, puifqu'il ne fera qu'Óter au pays cinq ou fix cents mille francs que j'y aurois fait entrer de cette maniere, & qu'on ne rebutera peut • être pas fi dédaigneufement ailleurs. Mais s'il arrivoit contre toute attente, que la permiffiön füt accordée ou ratifiée , j'avoue que j'en ferois touché comme fi perfonne n'y gagnoit que moi feul, & que je m'attachero s au pays pour le refte de ma vie.  J. J. R o■ v sr s z. ï ir~ g ^ Comme probablement cela n'arrivera pas, & qua Ie voifinage de Geneve me devient de jour en jour plus infupportable , je cherche a m'en éloigner a tout prix; il ne me refte a choifir que deuxafyles, 1'Angleterre ou I'Italie. Mais 1'Angieterre eft trop éloignée; il y fait trop cher vivre, & mon corps ni ma bourfe n'en fupporteroient pas le ttajefc Refte I'Italie & furtout Venife, dont Ie climat & 1'inquifuion font plus doux qu'en Suiffe. Mais St. Mare, quoiqu'évangélifte, ne pardonne gueres & j'ai bien dit du mal de fes enfans. Toutefois je; crois qu'a la fin j'en courrai les risques, car j'aime encore mieux la prifon & la paix que la liberté & la guerre. Le tumulte oii je fuis ne me permet encore de rien réfoudre; je vous en dirai davantage quand mes fens feront plus raffis. Un peu de vos confeils me feroit bien néceffaire : car je fuis fi malbeureux quand j'agis de moiraême, qu'après avoir bien raifonné dtteriera fequox. Lettre & Mrs. de Luc. £4 Février i?6g. J'apprends, Meffieurs, que vous étes en peine des Iettres que vous m'avez écrites. Je les ai toutes recues jufqu'a cdle du 15 Fé/rier inclufivement. Je regarde votre fituation comme P 7  356 Lettres de décidée. Vous êtes trop gens de bien pour poufTérles chofes a 1'extrême, & ne pas préférer la paix a la liberté. Un peuple ceffe d'être libre quand Jes loix ont perdu leur force: mais la vertu ne perd jamais la fienne, & l'homme vertueux dejneure libre toujours. Voila déformais, Meffieurs,. votre reffource; elle eft affez grande, affez belle, pour vous confoler de tout ce que vous perdez eomme citoyens. Pour moi je prends le feul parti qui me refte," & je le prends irrévocablement- Puifqu'avec des intentions auffi pures, puifqu'avec tant d'amour pour la juftice & pour la vérité, je n'ai fait que du mal fur la terre, je n'en veux plus faire, & je me retire au-dedans de moi. Je ne veux pius entendre parler de Geneve ni de ce qui s'y paffe. Ici finit notre correfpondance: Je vous aimerai toute ma vie, mais je ne vous écrirai plus. Em. brafiez pour moi votre pere. Je vous embraffe, Meffieurs, de tout mon ccétir. L ettre « M. Meuron, Procureur-Général. S5 Février 1765. J'apprends, Monfieur, avec quelle bonté da cceur & avec quelle vigueur de courage vous avez pris la défenfe d'un pauvre opprimé. Pourfuivi  J. J, R O V S S E A ü. SfgfJ par Ia claffe, & défendu par vous, je puis bies dire comme Pompée: Fiiïrix caufa Diis pkcuit,fed vitïa Catoni, . Töutefois j'e fuis malheureux, mais nors pas vaincu: mes perfécuteurs, au contraire, ont tout fait pour ma gloire, puifque c'eft par eux qvs j'ai pour proteéteur Ie plus grand des Rois, povc pere le plus vertueux des hommes, & pour patron 1'un des plus éclairés magiftrats. Lettre a M. de P. 25 Février 1763. Vox, e lettre , Monfieur , m'a pénétré jusqu'aux larmes. Que la bienveillance eft une douce chofe ! & que ne donnerois - je pas pour avoir ceile de tous les honnêtes gens ! Puiffent mes nouveaux compatriotes m'accorder Ia leur i, votre exemple! puiffè le lieu de mon refuge être auflï celui de mes attachemens! Mon cceur eft bon, il eft ouvert è töut ce qui lui reflembla, il n'a be. foin, j'en fuis trés - für , que d'être connu pour être aimé. II refte après la fanté trois biens qui rendent fa perte pius fupportable , la paix , k liberté, 1'amtié. TeuU cela, Monfieur, fi je le trouve, me deviendra plus doux encore, lorfg.ua j'en pourrai jouir prés de vous.  3Js Lettres ö b Lettuï h. M. de C. P. a A. Février 1765.* J'attendois des réparations, Monfieur, & vous en exigez; nous fommes fort loin de cömpte. Je veux croire que vous n'avez point concouru, dans les lieux oü vous êtes , aux iniquités qui •font 1'ouvrage de vos confrères, mais il falloir, Monfieur, vous élever contre une manoeuvre ii oppofée è 1'efprit du chriftianifme, & fi déshonorante pour votre état. La lacheté n'eft pas moinsrépréhenfible que la violence dans les Miniftres . du Seigneur. Dans tous les pays du monde il eft permis a 1'innocent de défendre fon innocence. Dans le vótre on 1'en punk, on fait plus, on ofe employer la religion a eet ufage. Si vous avez protefté contre cette profanation, vous êtes excepté dans mon livre, & je ne vous dois point de réparation; fi vous n'avez pas protefté, vous êtes coupable de connivence, & je vous en dois encore moins. A g r é e z , Monfieur, je vous fuppüe, mes; ï'alutattons & mon refpect..  J» J. R o » s s i a u. SS3 Lettre è M. Qairaut. Motiers-Travers, le 3 Mars 17C5. L e fouvenir , Monfieur , de vos anciennes bontés pour moi vous caufe une nouvelle importo nité de ma part. II s'agiroit de vouloir bien être, pour la feconde fois, cenfeur 'd'un de mes ouvrages. C'eft une trés - mauvaife rapfodie que j'ai compilée il y a plufieurs années, fous le nom de Dmhmaire de Mufiaue, & que je fuis forcé de donner aujourd'hui pour avoir du pain. Dans le torrent des malheurs qui m'entralne, je fuis hors d'état de revoir ce recueil Je fais qu'il eft pleia d'erreurs & de bévues. Si quelqu'intérét pour Ie fort du plus malheureux des hommes vous portoi* a voir fon ouvrage avec un peu plus d'attentioa que celui d'un autre, je vous ferois fenfiblement cbiigé de toutes les fautes que vous voudriez biea corriger chemin faifant. Les indiquer fans les corriger ne feroit rien faire, ear je fuis abfolument hors d'état d'y donner la moindre attention, & fi vous daignez en ufer comme de votre bien , pour changer, ajouter, ou retrancher, vous exercerez une charité trés-utile & dont je ferai trés. reconnoiffant. Recevéz , Monfieur , mes trés. humbles excufes &'mes falutations.  3J4 Lettres de Lettre dM. M. * * *. 9 Mars 1765. Vo u s ignerez, je Ie vois, ce qui fe paffe ici par rapport a moi. Par des manoeuvres fouterraines que jignore, les Miniflres, Montmollin a leur tête, fe font tout-a-coup déchainés contre moi, mais avec une telle violence que, malgré Mylord Maréchal & le Roi même, je fuis chaffé d'ici fans favoir plus oü trouver d'afyle fur la terre; il ne m'en refte que dans fon fein. Cher M***, voyez mon fort. Les pius grands fcélérats trori' vent un refuge; il n'y a que votre amf qui n'en trouve point. J'aurois encore 1'Angleterre; mais quel trajet, quelle fatigue, quelle dépenfe! Encore fi j'étois feul! . . , Que la nature eft lente a me tirer d'affaire! Je ne fais ce que je deviendrai; mais en quelque lieu que j'aille terminer ma mifere, fouvenez - vous de votre ami. 1 l n'eft plus queftion de mon édition générale. Selon toute apparence je ne trouverai plus a la faire , & quand je le pourrois, je ne fais fi je pourrois vaincre 1'horrible averfion que j'ai concue pour ce travail. Je ne regarde aucun de mes livres fans frémir; & tout ce que je defire au. monde, eft un coin de terre oü je puiffe mourir en paix, fans toucher ni papier ni plume-  J.' J. R o v s s s' a v. J e fens le prix de ce que vous avez fait pendant que nous .ne nous écrivions plus. Je me plaignois de vous, & vous vous occupiez de ma défenfe. On ne remercie pas de ces chofes-la; o» les fent. On ne fait point d'excufe, on fe corrige. Voici Ia lettre de M. Garcin, il vient bien noblement a moi au, moment de mes plus cruels malheurs ; du refte, ne m'inflruifez plus de ca qu'on penfe, ou de ce qu'on dit. Succes, revers, difcours publics , tout m'eft devenu de la plus grande indifférence. Je n'afpire qu'a mourir en repos. Ma répugnance a me cacher eft enfin vaincue. Je fuis a peu prés déterminé a changer de nom & k difparoltre de deflus la terre. Je fais déja quel nom je prendrai. Je pourrai le prendre fans fcrupuie. Je ne mêntirai furêmênf pas. Je vous embraffe. En finiffant cette lettre, qui eft'écrite depuis hier, j'étois dans le plus grand abattement oü j'aye été de ma vie. M. de Montmollin entra, & dans cette entrevue je retrouvai toute la vigueur que je croyois m'avoir tout-a-fait abandonné. Vous jugerez comment je m'en fuis tiré par Ia relation que j'en envoie a l'homme du Roi, * dont je joins ici copie, que vous pouvez montrer. L'aiTemblée eft indiquée pour la femaine procbaine. Peut-êtfe ma contenance en impofera - t-elle. Ce qu'il y a de für, c'eft que je ne fléchirai pas. En attendant qu'on fache quel parti ils auront.pris, ne montrez cette lettre a perfonne. £oa voya^e.  3 5"6 Lettres b-r Lettre k M. Meuren, Gmfeilkr d'Etat £i? Procureur - général a Neufchatel. Motiers, Ié j> Mars 1765. H. er, Monfieur, M. de Montmollin m'honora d'une vifite, dans laquelle nous efimes une conférence affez vive. Après m'avoir annoncé 1'excommunication formelle comme inévitable, il me propofa , pour prévenir le fcandale, un tempérament que je refufai net. Je lui dis que je ne voulois point d'un état intermédiaire; que je voulois être dedans ou dehörs, en p3ix ou en guerre,. brebis ou loup. 13 me fit fur toute cette affaire plufieurs-' objections que ""je mis en poudre ; car comme il n'y a ni raifon ni juftice a tout ce qu'on fait contre mei, fitót qu'on entre en difcuflïon , je fuis fort. Pour lui montrer que ma fermeté n'étoit point obftination , encore moins inlblence, j'offrij, fi la claffe vouloit refter en repos, de m'engager avec lui de ne plus écrire de ma. vie fur aucun point de religion; il répondit qu'on fe plaignoit que j'avois déja prs-'cet engagement & que j'y. avois manqué: je repliquai qu'on avoit tort; que je pouvois bien favoir réfolu pour moi, mais que je ne 1'avois promis a perfonne. 11 protefta qu'il n'étoit pas le maitre, qu'il craignoit que la clafle ü'eüt déja pris fa réfoluüon. Je répondis que j'en  j. j. R o u s s e a -ï. 35/ étofs fiché, mais que j'avois auffi pris la mienne. En fortant, il me dit qu'il feroit ce qu'il pourro't; je lui dis qu'il feroit ce qu'il youdroit; & nous nous quittimes. Ainfi, Monfieur, jeudi prochain, ou vendredi au plus tard, je jetterai Fépée ou Ie fourreau dans la riviere. Comme vous'êtes mon bon défenfeur & patron , j'ai -cru vous devoir rendre compte de cette entrevue. Recevez, je vous fuppiie, me» falutations & mon refpect. Lettre è M. le Profeffeur de Montmollin. Pa r déférence pour M. Ie Profeffeur de Montmollin mon pafteur, & par refpeét pour Ia vénérableClaffe, j'offre, fi on 1'agrée, de m'engager, par un écrit figné de ma main, ï ne jamais publier * aucun nouvel ouvrage fur aucune matiere de religion , même de n'en jamais traiter incidemment dans aucun nouvel ouvrage que je pourrois publier fur tout autre fiijet; & deplu^ je continuerai a temoigner, par mes fentimens & par ma conduite tout Ie prix que je mets au bonheur d'être ua'i a 1'églife. Je prie M. Ie Profeffeur de communiquer cette declaration a Ia vénérable Claffe. Fait a Motiers le 10 Mars 1705.  3'sS Lettres de Lettre a M. D. Motiers, Ie 14 Mars 1765. "Voici; Monfieur, votre lettre^ en la lifant, j'étois dans votre cceur; elle eft défolante. Je vous défolerai peut-être moi-même, en vous avouant que ceile qui 1'écrit, me paroit avoir de bnns yeux, beaucoup d'efprit & point d'ame. Vous devriez en faire, non votre amie, mais votre folie; comme les Prinees avoient jadis de foux, c'eft - i vfdence pour m'en cbaffer, ou qu'on ne me montre un ordre du Roi, fous 1'immédiate proteclio* ' duquel j'ai 1'honneur d'être. Je tiendrai dans cetta affaire, Ia contenance que je dois a mon proteéteur & a moi. Mais de maniere ou d'autre, il faudra que cette affaire finhTe; fi 1'on me fait trainer dehors par des archers, il faut bien que Je m'en afi'e. Si 1'on finit par me laiffer en repos, je veux alors m'en aller; c'eft un point réfolu. Que voulez-vous que je faff/e dans un pays ofr 1'on me traite plus mal qu'un malfaiteur ? Pourrai-je jamais jetter fur ces gens-Ia, un autre ceil que celui du mépris & de Iindignation ? Je m'avilirois aux yeux de toute Ia terre, fi je reftois au milieu d'eux. Je fuis bien aife que vous ayez d'abord feriti & dit Ia vérité fur Ie prétendu livre des Princes. Mais favez-vous qu'on a écrit de Berne a 1'impnmeur d'Yverdun, de m demander ce livre & de 1'imprimer; que ce feroit une bonne affaire • J'ai d'abord fénti les foins officieux de Pami * * * J'ai tout de fuite envoyé a M. de Féüce Ia lettre* dont copie ci-Jointe, Je faifant prier de 1'imprimer & de Ia répandré. Comme il eft livré a gens qui ne m'aiment pas,,j'ai p„'é M. Roguin en cas d'obftacle, de vous en donner avis par la pofte; & alors je vous ferois bien obligé, fi vous vou'liez la donner tout de fuite i Faache, & la lui faire imprimer bien correétement. II faut qu'il la verfe le plus promptement qu'il fera poffible a Berne, » Geneve & dans Ie pays de Vaud; mais avant.  jrjo Lettres de qu'elle paroiiTe, ayez la bonté de la relire fur limprimé, de peur qu'il ne s'y gliffe quelque faute. Vous fentez qu'il ne s'agit pas ici d'un petit fcru« püle d'auteur, mais de ma füreté & de ma liberté , peut - être pour le refte de ma vie. En attendant 1'imprefiïon, vous pouvez donner & envoyer des copies. Je ne ferai peut-être en état de vous écrire de long-tems. De grace, mettez-vous a ma place & ne foyez pas trop exigeant. Vous devriez fentir qu'on ne me laiffe pas du tems de refte. Mais vous en avez pour me donner de vos nouvelles & même des miennes; car vous favez ce qui fe paffe par rapport è moi. Pour moi, je 1'ignore paifaitement. Je vous embraffe. . Lettre a M. le P. dg Felice. Motiers, le 14 Mars 17Ö5. Je n'ai point fait, Monfieur, 1'ouvrage intitulé des Princes; je ne 1'ai point vu ; je doute même qu'il exifte. Je comprends aifément de quelle fabrique vient cette invention, comme beaucoup d'autres, & je trouve que mes ennemis fe rendent bien juftice en m'attaquant avec des armes fi dignes d'eux. Comme je n'ai jamais défavoué aucun ouvrage qui fut de msi, j'ai le droit d'en être  j- j- R o «r -s s e a u. 3 fur 1» matiere de foi qili Q 2 • 4  364 LETTRES DE fait 1'un'ique objet de la citation , réfiéchitTant ,<]ue je pouvois également m'expliquer par écrit, je n'ai point douté, Meffieurs, que la douceur de fi charité ne s'all'at en vous au zele de la foi, & que vous n'agréaffiez dans cette lettre la mêrae réponfe que f aurois pü- 'faire de bouche aux queftions de M. de Montmollin, quelles qu'elles foient. I l me paroit donc qu'a moins que la rigueur dont la vénérable claffe juge a propos d'ufer contre moi, ne foit fondée fur une loi pofitive , qu'on m'alTure ne pas exifter dans eet Etat, rien n'eft p'us nouveau, plus irrégulier, plus'attentatoire i la liberté civile, & furtout plus contraire j Pefprit de la religion , qu'une pareilie procéduie en pure matiere de foi. Car, Meffieurs, je vous fupplie de confidérer que, vivant depuis longtems dans le fein de 1'églife, & n'étant ni pafteur , ni profeffeur, ni chargé d'aucune partie de 1'inftructïon publique, je ne dois être foumis, moi particulier, moi fimple fidele a aucune interrogation, ni inquifition fur la foi i és telles inquifitions , inouïes dans ce „avs fapant tous les fondemens de la réformation '& bleffant a la fois la liberté évangélique, la chaijté chrétienne, 1'autorité du prince & les Softs des fujets, foit comme membres de 1'égltfe, foit comme citoyens de 1'Etat. Je dois toujours compte de mes aftions & de ma conduite aux loix fr Lx hommes; mais puifqu'on n'admet point parmi nous .d'éèlife infaillible qui ait droit d9'  ]". j. r ö ü s s e a- v'. 355 prefcrire a fes- membres- ce qu'ils doivent croire j. donc, une fois recu. dans 1'églife,, je ne dois plus qu'è Dieu feulcompte de ma- foi.- J'ajoute a cela que lorfqu'après la publi» caüon de 1'Emile, je fus admis a la communion dans cette paroilTe, il y a prés de trois ins, par M. de Montmollin, je lui fis par écrtt Une déclaration dont il fut fi pleinement fatisfait, que nonfeulement il n'exigea nulle autre explication fur le dogme, mais qu'il me promit méme dé n'en point exïger. Je me tiens exactement a fa promeffe & furtöut a ma déclaration : & qüelle inconféquence, quelle abfurdité, quel fcandale ne ferotece point de s'en être contenté, après la-publication. d'un livre oü le chriftianifme fembloit fi violemment attaqué, &- de ne s'en pas contentê-r maintenamv après la publication d'un autre lïvre, oü 1'auteur peut errer, fans doute, püifqull eft homme, mail que je " m'aille refourer tout exprès fous ja jurifdjction d'un autre confiftoire, dont le confeil d'état ne m'a point exempté, & fous ceile d'un autre miniftre qui me tracaffera plus poliment fans doute, mais qui me tracaffera toujours; voudra poliment favoir comme je penfe, & que poliment j'enverrai pro. mener ? Si j'avois üsfe hab'tat'on a cboifir dans ce pays, ce feroit celte-ci, précifément par ia raifon qu'on veut que j'en forte. J'en fortirai donc puifqu'il le faut ; mais ce ne fera fürement pas p-iur aller a Couvet. Quant a la latte que vous jugez aproposque j'écrive pour promettre le filence pendant mon* féjour en Suiffe, j'y confsns. Je dtfirerois feulement que vous me fiffiez- 1'amitié de m'envoyer le modeh de cette lettre, que je tranfcrirai exactement & de. me marquer a qui je dois Padreffer. Garrotez moi fi b:en que je ne puiffe plus remuer ni pied ni patte; voila mon cceur & mes mains dans les liens de 1'amitié. Je fuis très-détermiré a vivre en repos fi je puis , & è ne plus rien écrire quoi qu'il arrivé, fi ce n'eft ce -que vous Q 4  36S Lettres de favez, & pour la Corfè, s'il le faut abfolument & que je vive affez pour cela. Ce qui me fache-, encore un coup, c'eö d'aller offrant cette promeffe de porte en porte , jufqu'a ce qu'il fe trouve quelqu'un qui la daigne agréer. Je ne fache rien au monde de plus humiliant. C'eft donner a mon filence une imponance que perfonne n'y voit que moi feul. • PiiRDOHKEz, Monfieur, 1'humeur qui me ronge; j'ai onze lettres fur ma table, la plupart très-défagréables & qui veulent toutes la plus prompte réponfe. Mon fang eft c?lciné, la fievr-e me confume, je ne p'ffe plus du tout; & jamais rien ne m'a tant coü é de ma vie que cette pro. meflè authentique qu'il faut que je faffe d'une chofe que je firs bien déterminé a. tenir, que je la prom tte ou non. Mais tout en grognant fort. mauffadement, j'ai le cceur plein des fentimens les pius tendres pour cm qui s'intéreffent fi génér stufement a mon ïepos, & qui me donnent les meilleurs confeils pour 1'affurer. Je fais qu'ils ne me confeillent que pour mon bien; qu'ils ne prennent a tout cela d'autre intérêt que Ie mien propre. Moi de mon cóté, tout en murmurant, je veux leur complaire , fans fonger a ce qui, m'eft bon. S'ils ine demandoient pour eux ce qu'ils me demandent pour moi-même, il neme coüteroit plus rien. Mais comme il eft permis de faire en rechignant fon propre avantage, je veux leur obéir, les aimer & les gronder. Je. vous embraffe.  JV Jf R o ö s s'E'&'rx.: xxq-, P- S. Töut bien penfé , je crofs'-pourtant qü'avarit Je départ de M. Meuróa- je ferai ce qu'on defire. -Ma parefTe commencé toujours par fa dépiter, mais a h fin mon cceur cede.. ; Si je reftoïs, j'en reviendrois, en attendart que votre maifon fut faite, au projet de chercher quelque joüe babiration prés de Neufchatel, & de mabonner a- qutlque fociété oü j'eufTe a Ja fois 'a liberté & Ie commerce des hommes. Je n'ai ras befoin de fociété pour-me garatór de 3ennui-"au contraire : mais j'en ai befoin pour me détourne* de rever & d'écrire. Tant que je vivrai feul, m fete ira malgré moi. ■ L-e t t r e d Mylord Marêthah ■ Il me paroït , Mylord, qüe graces aux foins des honnetes gens qui vous font attachés-, ks E? ^ Prédicansconrre. mof S'en iront ^ fumée, ou about.ront tout au plus k-me garaatir de lennui de - leurs lourds fermons. Je n'en era pomt dans le détai. de ce qui s'eft pié f fa de la chakur que M. Chaillet a mife a toute c c & de Padtivité-pleme a:,a fois de p/udence. Q 5  37ö Lettre» » e & de vigueur avec laquelle M. Meuron Pa con. duite. A portée, dans Ia place oü vous 1'avez mis , d'agir & de parler au nom du Roi & au vótre, il s'eft prévalu de eet avantage avec tant de «textirité que, fins. indifpofer perfonne, il a ramené tout le confeil d'état a fon avis, ce qiii n'étoit pas peu de chofe, vu l'extrême fermentation qu'on avoit trouvé le moyen d'exciter dans les efprits. La maniere dont il s'eft tiré de cette affaire, prouve qu'il eft tr& en état d'en maniet de plus grandes. Lorsque je recus votre lettre du 10 Mars avec les petits billets numerotés qui l'accompagnoient, je me fentis le cceur fi pénétré de ces tendres foins de votre part, que je m'épancbai ladeflus avec M. Ie Prince Louis de Wirtemberg, homme d'un mérite rare, épuré par les difgraces & qui m'bonore de fa correfpondance éï de fon amitié. Voici la-deflus fa réponfe; je vous la tranfmetsmot a mot. „ Je n'ai pas douté un moment „ que ie Roi de Pruffe ne vous foutlnt : mais „ vous me faites chérir Mylord Maréchal; veuillez w lui témoigrrer toute la vivacité des fentimens „ que eet bomme refpt-ftable ro'infpire. jamais „ perfonne avant lui ne s'eft avifé de faire ua „ journal fi houorable pour 1'humanité." Quoiqu'ïl me paroifle a peu prés décidé que je puis jouir en ce pays de toute la füreté poflihle, fous la» proteflion du Roi, fous la vótre, et , graces a vos précautions , comme fujet de  j- J. R o ü s s e a t?r 27t 1'état g% cependant il me parolt toujours tóposfible qu'on m'y Mflè tranquille. Geneve n'en eii pas pius loin qu'auparavant, & les brouiilons de miniftres me baïffent encore plus è caufe du mal qu'ils n'ont pu me faire. On ne peut compter fur rien de folide dansun paysoi, les têtessécbauffent tout dïm coup fans favoir1 pourquoi; Je perfifte donc a vouloir fuivre votre confeilo &' m'éloigner d iet. — OStfals comme il n'y a plus dë danger, rien < ne preffe; & je prendrai tout le tems de Mitórer & de bien pefer mon choix, pour ne pas faire une fottife & m'aller mettre dans dé nouveaux laqs. . Toutts mes raifons contre i'Angleterre fubfiftent, & il fuffit qu'il y ait des miniftres dans ce pays -fa pour me faire craindre d'en approcher. Mon é'at & mon gout m'attirent égalément vers 1'italie; & fi la lettre dont vous m'avez envoyé copie, ootient une réponfe favorable , je penche- extrémement pour en profiter. Cette lettre, Mylord, eft un chef-d'ceuvre; pas un mot de trop, fi ce n'eft des louanges;. pas une idéé omife pour aller au but. Je compte fi bien fur fon effet, que fans *utre fureté qu'une pareille lettre, j'irois volontiers me livrer aux Vénitiens. Cependant, comme je puis rendre & que la faifon n'eft pas bonne encore pour paffer les rooms, °je ne prendrai nu] parti déSnM, fans en Wen confulter avec vous.' Q ö  37* LïTTJlES DE Il eft certain, Mylord, que je n'ai pour Ie motnert nul befoin d'argënt. Cependant ie vouj 1'ai dit & je vous le répete; loin de me défendre de vos donsje m'en tiens honoré. Je vous dois les bier.s Les plus précieux de ia vie; marchandsr fur les autres, feroit de ma part une ingratitude. Si je quitte ce pays, je n'oublierai pas qu'il y a dans ks, mairsde M. Meuron cinquante louis doat je pu's difpoftr au befoin. J e n'oublierai pas non plus de rernercier le Roi de fes graces: c'a toujours été mon deifein, li jamais je quittois fes états. Je vois, Mylord, avec une grande joie, qu'en tout ce qui eft convenable & honnête, nous nous- entendons fans. neus être communiqués. Lettre d M. d'Ivernois. Motiers, le 8 Avril JBien arrivé, mon cher Monfieur, ma joie eft grande, mais elle n'eft pas complete, puifquevcus n'avez pa» paffé par ici. II eft vrai que vous y auriez trouvé une fermentation défagTéable a votïe amitié pour mou J'efpere quand vous viendrez, que vous trouverez tout pacifié. La cbance commencé a tourner extrémement. Le Roi s'eft fi fcautement déclaré, Mylord Marécbal a fi vivement écrit, les gens en crédit ont pris man parti fi  J. J. R o u. s s b a o.' 3 73 cbaudement, que Ie confeil d'état s'eft unan mement dédaré pour moi, & m'a, par un arrêt, exempté de la jurifdiction du confiftoire & affuré la proteétion du gouvernement. Les Miniftres font gér.êralement tmés ; l'homme a qui vous avez écrit eft confterné & ftirieux; il ne lui refte plus d'autre reffource que d'ameuter la canaille , ce qu'il a fa t jVqu'ici avec affez de fuccès. Un des plus plaifans _ bruits qu'j] fait courir, eft que j'ai dit dans mon dernier livre que les femmes n'avoient point d'ame; ce qui les met dans une telle fureur par tout le Val de Travers que, pour être honoré du fort d'Orphée, je n'ai qu'a fortjr de chez moi. C'eft tout le contraire a Neufcbitel, oü toutes les Dames fe font déclarées en ma faveur. Le fexe dévot y traine Iesminillres dans les boues. Une des plus aimables difoit, il y. a quelques jours, en pleine affemblée, qu il n'y avoit qu'une feule chofe qui la fcandalifat dans'tous mes écrits; c'étoit 1'éloge de M. de Montmollin. Les fuices de cette affaire m'occupent extrémement. M. Andrié m'eft arrivé de Berlin de la part de Mylord Maréchal. II me furvient de toutes parts des multitudes de viütes. Je fonge è déméuager de cette maudite paioiffe pour aller m'établir prés de Neufchatel, oü tout le monde a la bonté de me defirer. Par deffus tous ces tracas, mon trifte état ne me laiffe- point de relache, & voici le feptieme mois que je ne fuis forti qu'une feule fois , dont je me fujs trouvé fort mal. Jugez Q 7  374 L E T TRES DE d'après tout cela fi je fuis en état de recevoir M. êe Servant, quelque defir que j'en euffe. Dans tout le cours 'de ma vie, il n'auroit pis pu choifir plus mal fon tems pour me venir voir. Diffua iez1'en, je vous fupplie, ou qu'il ne s'en prenne pas a moi, s'il perd r^s pas. Je ne crois pas d'avoir écrit a perfonne que peut - être je ferois dans le cas d'aller a Berlin. Ii m'a tant paffé de chofes par la tête que ceile-la pourroit y avoir paüe auffi; mais je fuis prefque allure de n'en avoir rien dit a qui que ce foit La jnémo're que je perds abfoltiment, m'empêche de rien affirmer. Des motifs trés • doux, très-presfans, irès - honorables m'y attireroient fans doute; Ma's le clim.it me fait peur. Que je cherche au moins la bénignité da foleil, puifque je n'en dois point attendre des hommes 1 J'efpere que ceile de 3'amitié me fuivra panout. Je connois la vótre & m'en prévaudrois au befoin ; mais ce n'eft pas 1'argent qui me manque; & fi j'en avois befoin, cinquante louis font a Neufchatel a mes ordres, graces è la prévoyance de Mylord Maréchal. Lettre J. R O U | s K A v. 387 démarche me feroit de Ia peine? Que vous con. noiffez mal mon cceur! Eh plüt a Dieu qu'une heureufe réconciliation entre vous, opérée par les, foins de eet homme illuftre , me faifant oublier tous fes torts, me livrit fans mélange é mon admi. rat.on pour lui! Dans les tems oü il m'a Ie plus cruellement traité, fai toujours eu beaucoup moins d'averfion pour lui que d'amour pour mon pays. Quel que foit l'homme qui vous rendra la paix & la liberté , il me fera toujours cher & refpeftable. Si c'eft Völtaire, il pourra du refte me faire tout le mal qu'il voudra; mes vceux conftans jufqu'a mon dernier foupir, feront pour fon bonheur & pour fa gloire. Laissez menacer les J..... ttljhtpti ne tus pas. Votre fort eft prefque entre les mains de de Voltaire; s'il eft pour vous, les J.. Vous feront fort peu de mal. Je vous confeille & vous exhorte, après que vous 1'aurez fuffifamment fondé ' de lui donner votre confiance. H „'eft pas c ' ble que, pouvant être 1'admiration de 1'urjivers jl veuille en devenir I'horreur. II fent trop b; * lavantage de fa pofition pour „e pas Ia mettre è pront pour fa gloire. Je ne puis penfer qu'il veuille, en vous trahiffant, fe couvrir d'infamie. En un mot, il eft votre unique reiTource; ne vous lótez pas. S'il vous trahit, vous êtes perdus je lavoue; mais vous 1'êtes également s'il ne fe' det P,al f T" Livrez_ V0US d0nc * Iui fondement & franchement; gagnez fon cceUr pix cet£9 R a  -$313 L » ff t r % s n e confiarce. Prêrez - vous a tout accommodement raifonnable. Affurez les loix & la liberté; mais Jpacnfiez 1'amour - propre a la paix. Surtout aucune mention de moi,, paur ne pas aigrir ceux qui. me haïflent; & fi M. de Voltaire vous fert comme il Ie doic, s'il entend fa gloire, comblez-le d'honneurs, & confacrez a Apollon pacificateur, Phcebo pacatori^ la médaille que vous m'aviez deflinée. Lettre au même. Chiswick, le £9 Janvier 1765. Je fuis arrivé beureufement dans ce pays; j'y ai été accueilli & j'en fuis trés-content : mais ma fanté, mon humeur , mon état demandent que je m'éloigne de Londres; & pour ne* plus entendre parler, s'il eft poffible, de mes malheurs, je vais dans peu me confiner dans le pays de Galles. Puifféje y mourir en paix! c'eft le feul vceu- qui me refte a faire. Je vous ernbraffe tendrement. Lettre a M. Humt. Wootton, le 22 Mars 1761?. V o u s voyez déji , mon cher patron, par la djie de soa lettxe, que je fuis arrivé au lieu de  f. Ji R O' O S S E'- Jkr « 38£' sla deftlnation. Mais vous ne pouvez voir tous les charmes que j'y trouve; il faudroit connoitre le lieu & lire dans; mon cceur. Vous y devez lire au moins les fentimens qui vous regardent &' que vous avez fi' bien mérités. Si jé vis dans eet agréable afyïe auffi heureux que je 1'efpere, une des douceurs de ma. vie fera de pen fer que je vous les dois. Faire un homme heureux c'eft mériter de 1'être. Puifllez - vous trouver en vousmême le prix de tout ce que vous-avez fait pour moi! Seul , j'aurois pu trouver de 1'hofp'talité, peut- être ; mais je ne 1'aurois jamais auffi bien goütée qu'en la tenant de votre amitié. «Confervez - ia moi toujours, mon cher patron-, aimez. moi pour moi qui vous dois tant;. pour vous-même;. aimez-moi pour le bien que vous.. m'avez fait. Je fens tout le prix de votre fincere amitié ; je la defira ardemment; j'yveux répondre par- toute la mienne, & je fens dans mon cceur de quoi vous convaincra un jour qu'elle n'eft pas non plus fans- quelque ' prix. Comme, pour des- raifóns' dont nous avons parlé, je ne veux rien recevoir par la pofte, je vous prie.Iorfque vous ferez la bonne oeuvre dem'écrire, de remettre votre lettre a M. Davenport. L'affairê de ma-voiture n'eft pas arrangée, paree que je ftis qu'on m'en a impofé „-c'eft une petite faute qui peut n'être que i'ouvragé d'une vanité obligeante, quandelle ne revrent pas deux fois. Si vous y avez trempé» je vous confeille de quitterune fois pour toutes ces petitesrufes quine peuvent avoir un,bonprinc*ipe quandR 3s  LSTTEXS BI elles fe tournent en pieges contre la fimplidté. Je vous ernbraffe , mon cher patron, avec le même cceur que j'efpere & defire trouver en vous. Lettre ou même. Wootton, le 09 Mars 1766. Vo u s avez vu , mon cher patrcm , par Ia Jettre que M. Davenport a dü vous remettre, combienje me trouve ici placé feion mon goüt. J'y ferois peut-être plus i mon aife fi 1'on y avoit pour moi moins d'attentions; mais les foins d'un fi galant homme font trop obligeans pour s'en fscher; &, comme tout eft mêlé d'incon▼éniens dan» la vie, celui d'être trop bien eft un de ceux qui, fe tolerent le plus aifément. J'en trouve un plus grand i ne pouvoir me faire bien entendre des domeftiques, ni furtout entendre un mot de ce qu'ils me difent. Heureufement Mademoifelle le Vaffeur me fert d'interprete, & fes doigts parient mieux que ma langue. Je trouve même è mon ignorance un avantage qui pourra faire compenfation , c'eft d'écarter les oififs en les ennuyant. J'ai eu hier Ia vifite de M. le Miniftre qui, voyant que je ne lui parlois. que Francois, n'a pas voulu me parler Anglois; de forte que 1'entrevue s'eft paffée a peu prés fans mor dire. J'ai pris goüt è i'expédient; je  J. J. Roosje x v. 39t m'en fervirai avec tous mes voifins, fi j'en ai,. & duffe-je apprendre PAnglois, Je ne leur parlerai que Francois , furtout ii j'ai le bonheur qu'ils n'en fachent pas un mot. C'eft a peu prés la rufe des firiges qui, difent les Negres , neveulent pas parler, quoiqu'ilsle puiffent.de peur qu'on ne les falie travaiiler. Il n'eft point vrai du tout que je fois convenu avec M.. Goffet de recevoir un mo-Jele en préfent. Au contraire, je lui en demamiai Ie prix, qu'il me dit être d'une guinée & demie, sjoutam qu'il m'en vouloit faire Ia galanterie, ce que Je n'ai point accepté.' Je vous prie donc devouloir bien lui pnyer Ie mode'e en queftion „ dont M. Davenport aura la bonté de vous retm bourfer. S'il n'y confent pas-, il faut le lui rendre & Ie faire acheter par une autre main 11 eft deiliné pour M. du Peyrou , qui depuislongtems defire avoir mon portrait, & en a fait: faire un en miniature qui n'eft point du teut resfemblant. Vous êtes pourvu mieux que lui, mais je fuis fiché que vous m'ayez óté par une diligence auffi flatteufe le plaifir de remplir Ie même devoir envers voas. Ayez la bonté, mon cher Patron , de faire remettre ce modele a MM. Guinarid fif Hankey, Liftte St. HëltenS Bishop/ga', te-Street, pour I'envoyer a M. du Peyrou par la première occafion fure. II geIe ici depuis qW j'y fuis: il a neigé tous les jours: le vent cóupe le-vifagej. malgré cela, i'aimerois miewbabitei. R 4  39* Lbttiis de Le trou d'un de* lapins de cette garenre, que ie plus bel appartement do Londres, Bon jour, mon cher patron, je vous ernbraffe de tout mon cceur. Lettre a Mylord * * *. 7 Avril 17 65. C3e n'eft plus de mon chien qu'il s'agit, My» lord, c'ell de moi-même. Vous verrez par Ia lettre ci-jointe pourquoi je foubaite qu'elle pa» loiffe dans les papiers publics, furtout dans le St. James Chronicle, s'il eft poflible. Cela ne fera pas aifé, feion mon opinion; ceux qui m'en* ïourent de leurs embüches ayant óté è mes vrais amis & a moi-même tout moyen de faire entendre la voix da la vérité. Cependant, il cónvient que le public apprenne qu'il y a des traltres fecrets qui, fous le mafque d'une amitié perfide, travaillent fans relSche a me déshonorer. Une fois averti, fi Ie public veut encore être trompé » qu'il le foit. Je n'aurai plus rien a lui dire. J'ai cru, Mylord, qu'il ne feroit pas au- deffous de vous de m'accorder votre affiftance en cette ccrafion. A notre première entrevue , vous jjr^erez fi je Ia mérite & fi j'en ai befoin. Efi attendant, ne dédaignez pas ma confiance, on ne m'a pas appris a Ia prodiguer ; les trahifor.sque j'éprouve doivent lui donner quelque- prix. L E T-  J.' )> R' O U S- ï~ £ • A- I7o*. 3f.3' Uettre è 1'auteur du Saint-James €$ronfeiet- Wootton-, le 7 Avri! ï^rtff.- u:s avez manqué , Monfieur, au-refpedii que tout particulier dok aux têtes couronnées,. en attribuant publiquement au Roi de Pruffe: une lettre pleine d'extravagancecc de-méchariceté, dont par cela feul vous deviez favoir qu'il ne pouvoit être 1'auteur. Vous avez même- ofé tranfcrire fa fignature, comme fi vous- Paviex vue écrite de fa main. Je vous apprends, Mon°fieur, que cette lettre a été fabriquée i Paris, & ce qui navre & déchire mon cceur, que 1'im^ pofteur a des complices en Angleterre. Vous devez au Roi de Pruffe^ a la vérité, 4 moi, d'imprimer la lettre que jé vous éeris & que je figne, en réparation d'une faute que vóus vous reprocherièz fans doute, fi' vous faviez de*quelles noirceurs vous vous rendez Pinflrumenr, Je vous fais, Monfieur, mesiinceres falwations. ■ ft" §  394 L c %T l I i be Lettre o Lord ***. Wootton, le 19 Avril 176Ö. Je ne faurois, Mylord, attendre votre retour4 Londres, pour vous faire les remerciemens que je vous dois. Vos rontés rrï'ont convaincu que j'avois eu raifon de compter fur votre générofité* Pour excufer PindiCcrétion qui m'y a fait recourir, il fufïït de jetter un coup-d'ceil fur ma fituation. Trompé par des traltres qui, ne pouvant me déshonorer dans les lieux oü j'avois vécu, m'ont entralné dans un pays oü je fuis inconnu & dont j'ignore la langue , afin d'y exécuter plus aifément leur abominable projet , je me trouve jetté dans0 cette ifle après des malheurs fans exemple. Seut , fans appui, fans amis, fans défenfe, abandonné è la témérité des jugetnens publics & aux effets qui en font la fuite ordinaire, furtout chez un peuple qui naturellement n'aime pas les étrangers , j'avois le plus grand befoin d'un protefteur qui ne dédaignSt pas ma confiance; oü pouvois-je mieux le chercher que parmi cette illuftre nobleffe a laquelle je me plaifois a rendre honneur , avant de penfer qu'un jour j'aurois befoin d'elle pour m'aider a défendre le mien? Vous me dites, Mylord, qu'après s'être un  T" ]• R' O O liï A> v. 395;. peu amufé , votre public rend ordinairement juftice; mais c'eft un amufement bien cruel, ceme femblé, que celui qu'on prend aux dépens des infortunés, & ce n'eft pas affez de ffeir par rendre juftice, quand on commencé par en manquer. J'apportois au fein de votre nation deus grands droits qu'elle eütdürefpefter davantage; le droit facré de 1'bofpitalité & celui des-égards que1'on doit aux malheureux; j'y appottois reftrm^ univerfelle & Ie refpect même de mes ennemis. Pourquoi m'a-t-on dépouillé chez vousdecela? Qu'ai - je fait pour mériter un ti aitement li cruel ? En quoi me fuis-je mal conduit d Londres, oü1 1'on me tfaitoit fi favorablement avant que j'y.' fuffe arrivé? Qüoi, Mylord! des diffa.mationsfecretes qui ne devroient produire qu'une jufte horreur pour les fourbes qui les répandent, fuffiroient pour détruire 1'effet de cinquante ans d'honneur & de mceurs honnêtes! Non, les pays oü je fuis connu ne me jugeront point d'aprcs votre public mal inftruit; 1'Europe entiere conti-* nuera de me rendre Ia juftice qu'on me refufe." en Angleterre , 6r 1'éclatant accueil que, malgré Ie décret, je viens de recevoir è Paris a mon* paiTage, prouve que partout oü ma conduite efir connue , elle m'attire 1'honneur qui m'eft dü. Cependant fi Ie public francois eüt été aufffi prompt a mal juger que ie vótre, il en eüt eu 3e même fujet. L'année derniere op-.fit ceiïró R 6  39fr L 1 T' T H S" I B * t Geneve un libelle (*) affreux fur ma conduite a- Paris. Pour toute réponfe , je fis imprimer oe libelle & Paris- même. II y fut recu commsil niéntoit de 1'être, & il femble que tout ce* que le» deux fexes ont d'illullre & de vertueux. gans» cette capkale, alt voulu me venger par lesp-his grandes marqués d'eftime, des outrages da nies vils enncmis, Vous ditez , Mylord, qu'on me connolt i Paris 6c qu'on ne me connoit pas h Londres; voila précifément de quoi je me plains. On n'óte point è un homme d'honneur, fans le con» - noltre & fans 1'entendre, 1'eftime pubüque dont il jouit. Si jamais je vis en Anglêterre auffi Jorgtems que j'ai vécu en France, il faudra bien qu'enfin votre public me rende fon eftimemais quel pré lui en faurai-je , lorfque je \'f aurai forcé? Fardokkez, Mylord, cette longue lettres me pardonneriez-vous mieux d'être indifférent 4 ma- répwation dans votre pays ? Les Anglois valent bien qu'on foit faché de les voir injuftes ■, & qu'afin qu'ils cefTent de 1'être, on leur faffe fentir combieB ils le font. Mylord , les mat heureux font malheureux partout. En France on-les décrete; en Suiffe on les lapide; en Anglêterre on les déshonore: c'eft leur vendre chef J'bofpitalité» . Stniiment èu CHoytW  J: J. R o » t t e a jb. 3*07 Lettre » Mte. de L'aw.v' Wootton, le io Mai 1766. Suis-je affez heureux-, Madame-* pour qu« vous penfiez quelquefois a mes torts, & pour qua vous me fachiez mauvais gré-d'un il long fiience? J'en ferois trop puni-fi vous n'y étiez pas fenfible. Dans le tumulte d'une vie orageufe, combien j'ai regretté les douees heures que je pafFois prés de vous! Combien de fois les premiers momens du reposaprès lequel je foupirois ont été confacrés, d'avance au plaifir de vous écrire! J'ai maintenant celui de remplir eetenga» gement,& les agïémensdu üeu quej'habite m'invi» tent 4 m'y occuper de vous, Madame, & .de; Mi de Luze , qui m'en a fait trouver beaucoup 4 y venir. Quoique je n'aie point directement de fes nouvelles, j'ai fu qu'il étoit arrivé 4 Paris en bonne fanté-, & j'efpere qu'au moment o4 j'écris cette lettre, il eft heureufetnent de retour prés de vous. Quelque intérêt que je prenne 4 fes avantages-, je ne puis m'empêcher de lui envier celui-14, &• je vous jure, Madame, que cette paifible retraite perd pour moi beaucoup de fon prix quand je fonge qu'elle eft 4 trois cents" lieues de vou«. Je voudrois vous la décrire avec tous fes s charmes, afin de vous tenter, je n'ofe R JL  Lettres d ï : dire de m'y venir voir, mais de Ia venir voir,. & moi j'en profiterois» Figurez-vous, Madame, une maifon feule, non fort grande, mais fort propre, batiea mi-cóte fur le penehant d'un vallon, dont la pente eft affez interrompue pour laifTer des pro. menades de plein-pied fur Ia plus belle peioufe de 1' univers. Au-devant de la maifon regne une grande terraffe, d'oii I'ceil fuit dans une demi. tirconférence quelques lieues d'un payfage formé de prairies, d'arbres, de fermes éparfes , de maifons plus ornées Sc bordée en formede baflin par des cóteaux élevés qui bornent agréablement la vue quand elle ne pourroit aller au-dela. Au fond du vallon , qui ferta la fois degarenne & de paturage , on entend murmurer un ruifféau, qui d'une montagne voifine vient couler parallélement i la maifon, & dont les petits détours, les cafcades font dans une telle diredlion , que des fenêtres & de la terraiTe I'ceil peut affez longtems fuivre fon cours. Le vallon eft garni par places de rocbers & d'arbres, oü 1'on trouve des réduits délicieux , & qui ne laiffent pas de s'éloigner affez de tems en tems du ruifféau, pour offrir fur fes bords des promenades commodes, a 1'abri des vents & même de la pluie, en forte que par les plus vilains tems du monde je vais tranquillement herborifer fuus les roebes avec les moutons & les lapins; mais, bélas,.je ne trouve point de Scordium.  ]i J. R ö u s s e A vl 3M' A o bout de la terralTe a gaucbe font les bati* mens fuftiques & lepotager, k droite font desbofquets & un jet-d'eau. Derrière la maifon eft un pré entouré d'une lifiere de bois, laquelle tournant au dela du vallon couronne le pare-, fï 1'on peut donner ce nom è une enceinte è laquelle on a laiffé toutes les beautés de la nature., €e pré mene k travers un petit village qui dépend: de la mailon, a une montagne qui en eft a une deini-lieue & dans laquelle font diverfes-mines de plomb que 1'on exploite. Ajoutez qu'aux environs on a le choix des promenades , foit dar s des prairies charmantes, foit dans les bois, foit dans des jardins al'angloife, moins peignés, mais de meilleur goüt que ceux des Francois. La maifon, quoique petite, eft trés -logeable & bien diftribuée. II y a dans le milieu de la facade un avant- corps k 1'angloife, par lequel la chambre du maitre de la maifon & la mienne qui eft au-deffus ont une vue de trois cótés. Son appartement eft compofé de plufieurs pieces fur le devant, & d'un grand fallon fur le derrière 4 le mien eft diftribué de même, excepté que je n'occupe que deux cbambres , entre lefquelles & ie fallon eft une efpece de veftibule ou d'anticbambre fort finguliere, éclairée par une large lanterne de vitrage au milieu du toit.. -Avec- cela, Madame, je dois vous dire qu'on fait ici bonne chere a la mode du pays, e'eft-a. dire, fimple & faine, précifément comrae il ine  4Ö0 L" e T T 1'E t n B li faut. Lepays eft humide & froid, ainil les" légumes ont peu de goüt, le gibier aucun; mais la viande y eft excellente, le laitage abondant & bon. Le mattre de cette maifon la trouve trop fauvage & s'y tient peu. II en a de plus riantes qu'il lui préfere , & auxquelles je la préfere, moi, par-la même raifon. J'y fuis non-feulement le maitre, mais mon maitre , ce qui eft bien plus.o Point de grand village auxenvirons; la ville Ia plus voifine en eft è deux lieues: par conféquent peu de voifins défceuvrés. Sans 3e Miniftre, qui m'a pris dans une affeétion linguliere, je ferois ici dix mois de 1'année afafolument feul. Que penfez-vous demon habitation, Madame? la trouvez-vous affez bien choifie, & ne croyez-vous pas que pour en préférer une autre il faille être ou bien fage ou bien fou? Hé bien -, Madame, il s'en prépare une peu loin du Biez^ plus prés du Tertre, que je regretterai fans «effe, & oü, malgré 1'envie,, mon casur habitera toujours. Je ne la regretterois pas moins quand celle-ci m'offriroit tous les autres biens- poflibIes> excepté celui de vivre avec fes amis. Mais au refte, après vous avoir peint Ie beau cóté, je ne veux pas vous diffimuler qu'il y en a d'autres; & que, comme dans toutes les chofes de Ia vie, les avantages y font mêlés d'inconvéniens. Ceux du cümat font grands; il. eft. tacdif & froid; le pays eft beau , mais trifte ; la nature y. eft  J. J. R O O S t S A V. 4♦ £. itt" ris »i pas Ie meilleur des hommes , il faudroit que vous en fuffiez Ie plus noir. En penfanf 4 votre conJuite fecrete, vous vous direz quélquefois que vous n'êtes pas le meiiieur des hommes; et je doute qu'avec cette idée. vous en- foyez jamais le plus heureux. Je laiffe un libre cours aux manoeuvres de tos amis & aux vóties -, & je vous abandonne avec peu de regret ma réputation durant ma vie, bien für qu'un jour on nous rendra juftice 4 tous deux. Quant aux bons offices en matiere d'in. térêt, avec Iefquels vous vous mafquez, je vous en remercie & vous en difpenfe. Je.me dois ^de n'avoir plus de commerce avec vous, & de n'accepter, pas même 4 mon avaouage, aucune affaire dont vous foyez te médiateur. Adieu., Monfieur, je vous fouhaite le plus vrai bonheur; mais comme nous ne devons plus rien avoir 4 nous dire, voici la derniere lettre que vous recevrez de moi. Lettbe a M. Davtnport. Woottoq, Ié 2 Juillét 1766. Je vous dois, Monfieur-,.toutes fortes de déférences ;. & puifque M. Hume demande abfola. ment une explication , peut-être- Ia lui dois-je auffi; il l'aura donc, c'eft fur quoi vous pouvw  J. J. R O U S 5 E A V. xompter. Mais j'ai befoin de quelques jours pour me remettre, car en vérité les forces me manquent tout-è - fait. Mille trés humbles falutafions. 'Lettre d Mylord Maréchal. Xe 20 Juillet 1766. •L a derniere lettre, Mylord , que j'ai recue de vous étoit du 25 Mai. Depuis ce tems, j'ai été forcé de déclarer mes fentimens i M. Hume; il a vquIu une explication ; i! Ka eue: j'ignorê 1'ufage qu'il en fera. Quoi qu'il en foit, tout eft dit déformais.entre lui & moi. Je voudrois vous envoyer copie des lettres , mais c'eft un livre pour la groffeur. Mylord, le fentiment cruel que nous ne nous verrons plus, charge mon cceur d'un poids infupportable. Je donnerois la moitié de mon fang pour vous voir uri feul quart - d'heure encore une fois en ma vie. Vous favez combien ce quart-d'heure me feroit doux, mais vous ignorez combien il me feroit important. Après avoir bien réflécbi fur ma fnuation préfente, je n'ai trouvé qu'un feul moyen poffible de m'affurer quelque repos fur mes derniers jours. C'eft de me faire oublier des hommes auffi parfaitement que fi je n'exiftois plus, iï tant eft qu'on puiffe appeiler exiftence un refte  405 Lrttrbs Bt de végétation inutile i foi-même & aux autres,' loin de tont ce qui nous eft cher. En conféquence de cette réfolution , j'ai pris ceile de rompre toute correfpondance hors les cas d'abfolue néceffité. Je ceffe déformais d'écrire & de répondre è qui que ce foit. Je ne fais que deux feules exceptions, dont Tune eft pour M du Peyrou; je crois fuperflu de vous dire quelle eft 1'autre; déformais tout a Pamitié, n'exiftant plus que par eile , vous fentez que j'ai plus befoin que jamais d'avoir quelquefois de vos lettres. J e fuis très-heureux d'avoir pris du goüt pour la botanique. Ce goüt fe change infenfiblement en une paffion d'enfant, ou plutót en un rado. tage inutile & vain: car je n'apprends aujourd'hui qu'en oubüant ce que j'appris hier, mais n'importe. Si je n'ai jamais le plaifir de favoir, j'aurai toujours celui d'apprendre, & c'eft tout ce qu'il me faut. Vous ne fauriez croire com. bien I'étude des plantes jette d'agrément fur mes promenades folitaires. J'ai eu Je bonheur de me conferver un cceur affèz fain, pour que les plus fimnles amufemens lui fuffifent, & j'empêche, en m'empaillant la tête, qu'il n'y refte place pour d'autres fatras. L'occtjpation pour les joürs de pluie, fréquent en ce pays, eft d'écrire ma vie: non ma vie extérieure comme les autres ; mais ma vie réelle, ceile de mon ame, 1'hiftoire de mes fentimens les plus fecrets. Je ferai ce que nul  homme n'a fait avan't moi, & ce tjue vraifem. 'blabiement nul autre ne fera dans Ja fuite Te Arai tout, le bien, Je mal, tout enfin; je me fens une ame qui fe peut montrer. Je fuis loin de cette époque cbérie de 1762 , mais j'y viendrat, jel-efpere. Je recommencerai du moins •en idéé ces pélérinages de Colombier, qui fureDt les jours les plus purs de ma vie. Que ne peu vent-ris recommencer encore & recommencer fans cerTe ! je ne demanderois point d'autre eternité. M. du Peyrou me marqué qu'il a recu lés trois cents louis. Ils viennent d'un bon pere W, non plus que celui dont if eft I'image nattend pas que fes enfans lui demandent leur pain quotidien. Je n'entends point ce que vous me dites d'«ne prétendue charge que les habitans de Derbentshire m ontdonnée. 11 n'y a rien de pareil, je vous afiure; & cela m'a tout Pair d'une plaifanterie que quelquun vous aura faite fur mon compte; du refte, je fuis trés-content du pays & des habnans , autant qu'on peut 1'être a mon 4ge dun cl.mae & d'une maniere de vivre auxouels on n'eft pas accoutumé. J'efpérois que voul me parlenez un peu de votre maifon & de votre jardm, ne füt-ce qu'en faveur de la botanique. Ah que ne fuis-je a portée de ce bienheureux jarchn, dut mon pauvre fultan le fourrager un peu, comme il fit celui de Colombier"  408 LiTTRES D « Lsttre ou même. Le 9 Aout i?fS. Les chofes incroyables que M. Hume écrit i Paris fur mon compte, me font préfumer qüe, s'il 1'ofe, il ne manquera pas de vous en écrire autant. Je ne fuis pas en peine de ce que vous en penferez. Je me flatte, Mylord, d'être affez connu de vous, & cela me tranquiiiife. Mais il'm'accufe avec tant d'audace d'avoir refufé malhonnêtement Ja penfion après l'avoir acceptée, que je crois devoir vous envoyer une copie fidelle de la lettre que j'écrivis a ce fujet è M. le Général Conway (*). J'étois bien embarraffé dans cette lettre, ne voulant pas dire la véritable caufe de mon refus , & ne pouvant en alléguer aucune autre. Vous conviendrez , je m'affure, que fi 1'on peut s'en tirer mieux que je ne fis, on ne peut du moins s'en tirer plus honnêtement. J'ajouterois qu'il eft faux que j'aie jamais accepté la penfion. J'y mis feulement votre. agrément pour condition néceffaire., & quand eet agrément futvenu, M. Hume alla en avant fans me confulter davantage. Comme vous ne pouvez favoir ce qui s'eft paffé en Angleterre è mon egard depuis mon arrivée, ileft impoffible que o (•) Ceile du ia Mai 1766.  J' J R o V ï s e A ïf. 40J> «jue vous prononciez dans cette affaire , avec connoiffance, entre M. Hume & moi; fes procédés fecrets font trop incroyables , & i! n'y a perfonne au monde moins fait que vous, pour y mouter foi. Pour moi qui les ai fentis fi cruelement & qui n'y peux penfer qu'avec Ia douleur Ia plus amere, tout ce qu'il me rede i defirer, eft de n'en reparler Jamais. Mais comme M Hume ne garde pas Ie même filence , & qu'il avance le, chofes les plus fauffes du fon le Plus affirmatif , Je vous demande auffi , My. lord, une juftkë que vous ne pouvez merefufer ceft lorfqu'on pourra vous dire ou vous éoriré que j'ai fait volontairement une chofe injufte ou malbonnête, d'être bien perfuadé que cela n'eft pas vrai. L ettie au même. Le 7 Septembre 1766". j* ne puis vous exprimer , Mylord , è quel point, dans Ies circonftances oü je me trouve. 1 "1S a,armé de VOtre fiIence' La derniere Jettre que j'ai recue de vous étoit du Seroit-il pofnbIe que ,e,te„ib.es C1M« de' M. Hume euffent fait impreffion fur vous, & nieuffent, au milieu de tant de malheurs, ó'é ia feule confolation qui me reftoit fw h'^ Lettres. g  jj.ic Lettres de Non, Mylord, cela ne peut pas être. Votre ame ferme ne peut être entralnée par Pexemple de la foule; votre efprft judicieux ne peut être abufé a ce point. Vous n'avez point connu eet homme, perfonne ne 1'a connu, ou plutót il n'eft plus le même. II n'a jamais haï que moi feul; mais aufix quelle haine ! Un même cceur pou'rroit-il fuffire è deux comme celle-la?Il a marché jufqu'Lci dans les ténebres, il s'eft cacbé, mais jnaintenant il fe montre a découvert. II a rempli 1'Angleterre, la France, les gazettes, 1'Europe enJere de crisauxquels je ne (ais que répondre, & d'injures dont je me croirois digi.e, fi je daignois les repoiiffer. Tout cela ne décele-t-il pas avec évidence le but qu'il a caché jufqu'è préfent ■avec tant de foin? Mais laiffons M. Hume; je veux 1'oublier, maigré les maux qu'il m'a faits. Seulement qu'il ne m'óte pas mon pere. Cette perte eft la feule que je ne pourrois iiipportec Avez-vous recu mes deux dernieres lettres, 1'une du 20-Juillet & l'aut-re du 9 Aoüt? Ont-elles eu ]e bonheur d'écbapper aux filets qui font tendus tout autour de moi, & au travers defquels peu de chofe paffe ? II paroit que 1'intention de mon perfécuteur & de fes amis, eft 4e m'óter toute commumcation avec le continent, & de me faire péi ir ici de douleur & de mifere. Leurs mefures font trop bien prifes pour que je puiffe aifément leur échapper. Je fuis préparé a tout, & je puis tout fuppoiter, hors votre filence. Je  I' I' R « b s s e lu, 4U »;«dr.fie 4 M. Rougemont; je ne connois que lui feul è Londies-4 qui j'ofe me conSer. S'il me refufefcs fervices, je fuis fans reffource & fans moyen pour écrire 4 mes amis. Ah, My. lord! qu'il me vienne une lettre de vous & je me confole de tout le refte. Lettre au méme. Wootton, le 3.7 Septembre 1766. Je n'ai pas befoin, Mylord, de vous dire combien vos deux dernieres lettres m'ont fait de plai. fir & m'étoient néceffaires. Ce B!aifir a pourtant été tempéré par plus d'un article, par ua furtout auquel je réferve une* lettre exprès et auffi par ceux qui regardent M. Hume, dont je ne faurois lire Ie nom ni rien qui sy rapport fans un ferrement de cceur & un mouvement conyulfif, qui fait pis que de me tuer, puifqu'fi me laiffe vivre. je ne cherche point, Mylord. a détru.re 1'opinion que vous avez de eet hom! me , ainfi que toute 1'Europe ; mais je vous conjure par votre cceur paternel de ne me reparIer jamais de lui fans la plus grande néceffité Je ne puis me d,fpenfer de répondre è ce que vous m'en dites dans votre lettre du s de ce mois. Je vois avec douleur , me marqUez. vous, que vos namis mettr ont Jur le comité de S z  4.11 L-ettb2s de M. Hume tout ce qu'il leur plaira d'ajtuter ca démêlé d'entre vous fj? lui. Mais que pourroientils°faire de plus que ce qu'il a fait hii-mcme ? Diront-ils de moi pis qu'il n'en a dit dans les lettres qu'il a écrites a Paris, par toute 1'Europe, & qu'il a fait mettre dans toutes les gazettes?- Mes autres ennetnis me font du pis qu'ils peuvent & ne s'en cachent gueres; lui fait pis qu'eux & fe cache, & c'eft lui qui ne manqueia pas de mettre fur leur compte, le mal que jusqu'a ma mort il ne ceffera de me faire en fecret. Vous me dites encore, Mylord, que je trouve mauvais que M. Hume ait follicité la penfion du Roi d'Angleterre k mon infcu. Comment avez-vous pu vous laiffer furprendre au point d'affirmer ainfi ce qui n'eft pas? Si cela étoit vrai , je ferois un extravagant , tout au moins; mais rien n'eft plus faux. Ce qui m'a fiché, c'étoit qu'avec fa proforde adrefTe il fe foit fervi de cette penfion , fur laquelle il revenok k mon infcu, quoique refufée , pour me forcer de lui motiver mon refus & de lui faire la déclaration qu'il vouloit abfolument avoir , & que je voulois éviter, fachant bien 1'ufage qu'il en vouloit faire. Voilé, Mylord, 1'exaéte vérité, dont j'ai les preuves, & que vous pouvez afïïrmer. 1 Graces au ciel , j'ai fini quant a préfent fur ce qui regarde M. Hume. Le fujet dont j'ai maintenant i vous parler eft tel que je ne  j- j. R o ü i j if o-, puf» me réfoudre a Je mêler avec celui -14 dan* ia même lettre. Je [e réferve pour la première que Je v.us écrirai. Ménagez pour moi vosprecieux jours, je vous en conjure. Ah' vous «e favez pas, dans I'ablme de malheurs oü je fus plongé, quel feroit pour moi celui de vou» furvivre! Lettre &■ Madame de *** Wootion, Ie %7 Septsmbre lyeé, Le cas que vous m'expofez , Madame, efï dans le fond tres-coinmun, mais mêlé de chofes fi extraordinaires, que votre lettre a fair d'un roman. Votre jeune homme n'eft pas de fon fiecle; ceft un prodige ou un monftre. II y a des monftres dans ce fiecle, je le fais trop-, maispius vil, que courageu», & p!us fourbes féroces. Quant aux prodiges, on en voi-t fi peBf que ce n'eft pas la peine d'y croire, & fi- Caffius en eft un de force d'ame, il n'en eft aflurément pas un de bon fens & de raifon; I ü fe- vante: de facrifices qui, qu0i qu'ils- faflent horreur , feroient grands s'ils-étoient pénibles, & feroient hëroïques s'ils étoient néceffaires • »aa ou faute de 1'une & de 1'autre de, ces con. duions, Je ne vois qu'une extravagance qui me fait tres-mal augurer de celui qui ks faItl4. s *  414. LïTTfi*» » * Convenez, Madame, qu'un amant qui oublie fa belle dans un voyage, qui en redevient amoureux quand il la revoit, qui 1'époufe & puis qui s'éloigne & 1'oublie1 encore , qui promet féche. ment de revenir è fes couches & n'en fait rien, qui revient enfin pour lui dire qu'il 1'abandonne, qui part & ne lui écrit que pour confirmer cette belle réfolution; convenez , dis-je, que fi eet homme eut de 1'amour, il n'en eut gueres, & que la viétoire dont il fe vante avec tant de pompe, lui coüte probablement beaucoup moins qei'ii ne vous dit. Maïs fuppofant eet amour affez violent pour fe faire honneur du facrifice, oü en eft la néceffité? C'eft ce qui me paffe. Qu'il s'occupe du fublime emploi de délivrer fa patrie, cel* eft fort beau, & je veux croire que cela eft utile: mais ne ie permettre aucun fentiment étranger è ce devoir, pourquoi cela? Tous les fentimens vertueux ne s'étayent-ils pas les uns les autr.es, & peut-on en détruire un fans les affoiblir fous? J'ai cru longtems, dit-il, combiner mes affeü'uns avec mes devoirs* II n'y a point la de combinaifons a faire, quand ces affections elles-mêmss font des devoirs. L'illufion cejje , i$ je voisqu'un vrai citoysn doit les abolir. Quelle eft donc cette illufion, & oü a-t-il pris cette affreufe maxime ? S'il eft de triftes fituations dans Ia vie, s'il eft de cruels devoirs qui nous forcent queiquefoisaleur en facrifier d'autres,a déchire*  J. J. ROUSSEAÜ. 413; notre cceur pour obéir a la néceffité preffante ou è 1'inflexible vertu , en eft-il , en. peut-iljsmais être qui nous forcent d'étouffer des fentimens aulïï légitimes que ceux de 1'amour filial ,, conjugal, paternel j & tout homme qui fe fair ane expreffe ioi de n'être plus ni fils, ni maii, «i pere , ofe-t-il ufurper le nom de citoyeu ofe-t-il ufurper le nom d'bomme? Ow diroit, Madame, en lifant votre lettre,qu'il s'agit d'une confpiration. Les conpirations Peuvent être des ades héroïques de patriotifme, * «J V en a eu de telles-; mais prefque toujours e.Ies ne font que des crimes puniffables, dont les auteurs fongent bien moins 4 fervir la patrie' qu'a 1'afll-rvir, & 4 |a délivrer de fes-tyrans qu'fc lêtre. Pour moi je vous déda.-e qus je rre voudrois pour rien au monde avoir trempé dans la confpiration la plus légitime; paree qu'enfin ces fortes d'entreprifes ne peuvent s'exécute* fans troubles , fans défordres , fans violences quelquefois fans effufion de fang, & qu4 mon avts le fang d'un feul homme eft d'un plus grand F>x que la liberté de tout le genre humain. Ceux qui aiment fincérement Ia liberté n'ont pas befoini pour Ia trouver, de tant de machines& fans caufer ni révolutions ni troubles-, quiconque veut êrrejibre, Peft en effet. Posons toutefois cette grande entreprife^ comme un devoir facré qui doit régner fur tous les autres, doit - il pour cela les -anéantir, &-cesS 4-  différens devoirs font-ils donc & tel point ra* cotnpatibles , qu'on ne puiife fervir la patrio fans renoncer a 1'humanité ? Votre Caffius eft-il donc le premier qui ait formé le projet de délivrer Ia fienne, & ceux qui 1'ont exécuté, 1'ontils fait au prix des facrifices dont il fe vante? Les Pélopidas, les Brutus, les vrais Caffius & tant d'autres ont-ils eu befoin d'abjurer tous les droits du fang & de la nature, pour accomplir ieurs nobles defleins ? Y eut-il jamais de meilieu s fils , de meilleurs maris, de meilleurs peres que ces grands hommes ? La plupart, au contraire, concerterent leurs entreprifes au fein de leurs families, & Brutus ofa révéler , fans néceffité , fon fecret è fa femme, uniquement paree qu'il la trouva digne d'en être dépofitaire. Sans aller fi loin chercher des exemples , je puis, Madame, vous en ciier un plus moderne d'un héros è qui rien ne manque pour être a cóté de ceux de 1'antiquité , que d'être auffi connu qu'eux. C'eft le Comte Louis de Fiesque, lorfqu'ü voulut brifer les fers de Gênes fa patrie, & la délivrer du joug des Doria. Ce jeune homme fi aimable, fi vertueux , fi parfait , forma ce grand deffein prefque dès fon enfance, fcs'éleva, pour ainfi dire, lui-mêmepour 1'exécuter. Quoique trés-prudent, il Ie confia a fon frere , a fa familie , i fa femme auffi jeune que lui; & après des préparatifs trèswands, trés-- lents., trés - difEciles, le ftcret fut h fi  J". J: R o ü s s g At w- 41 Jbien gardé, 1'entteprife fut fi bien coneertéa. & eut un fi plein fuccès, que Je jeune Fiefqutr étoit maitre de Gênes au-moment qu'il pérk par un accident. Je ne dis- pas qu'il foit fage dé' révélér ces. fortesde feerets-, même a fes procbes', fon» ii. plus grande néceffité ;- mais autre chofe eiry garder fon feeree, & autre chofe, rorr.pre avec ceurè qui on le cache. J'accorde mê-ne qu'en méd.tant un grand deffein, 1'on eft obligé de s'y livrer quelquefois au point d'oublier- pour un teras, des devoirs moins p.reflans peut- être,. maïs non moins facrés fitót qu'on peur, le» ttimplir. Mais que de propos déiibéré, dfc gaitéde cceur, le faehant, le voulant, cnait, avec la barbarie de renoncer pour jamais a-tout ce qui nous doit être cher, ceile de l'ac€abter de cette déclaration cruelle, c'eft, Madame,.«■ qu'aucune fkuation imaginable ne peut ni auto/ifer, ni fuggérer même a un homme dans fonborr fens qui n'eft pas un monftre. Ainfi je conclus, quo.qu'a regret, que votre Caffius eft fou tout aa* moins, & je vous avoue qu'il m'a toat~è-fa'« 3'air d'un ambitieux embarraffé de fa femme, qui veut couvrir du mafque de 1'béroïfme fon incor, ftance & fes projets d'agrandiffemenw Gr„eeu^ qui favent einployer è fon age de pareilles-rufes^' font des gens qu'on ne- rainene jamais, &. qui . larement en valent Ia peine. 0 k-fc peut, Madame ,.-, que je ■ nje^ Ucmoe;  418 Lettres de c'eft k vous d'en juger. Je voudrois avoir des chofes plus agréables a vous dire: mais vcs;s me demandez mon fenümeni ; il faut vous le dire, ou me taire , ou vous tromper. Des trois par-is j'ai chqifi le pius honn.ête , & celui qui pouvroit le miei'X vous marquer, Madame, ma dérérence & mon reipecl.. Lettre fi Mlle. Dewes. Wootton, le 9 Décembre 1766. M a belle voifine, vous me rendez irjufte ét jaloix pour Ia première fois de ma vie; je n'ai pu voir fans envie les chaincs dont vous hanoriez mon fultan; êV jelui ai ravi 1'avantage de lesporter le premier. J'en aurois dü parer votre brebis chérie, mais je n'ai ofé empiéter fur les droits d'un jeune & aimable berger. C'eft déja trop paffer les miens de faire le galant k mon age; m us puifque vous me 1'avez fait oublier, tacbez de I'oublier vous-même, ékpenfez moins au barbon qui vous rend hommage, qu'au foin que vous avez pris de lui rajeunir le cceur. Je ne veHX pas, ma belle voifine, vous ennuyer plus longtems de mes vieilles fornettes. Si je vous contois toutes les bontés & amitiés dont votre cher°oncle m'honore, je ferois encore ennuyeux par mes longueurs; ainfi je me tais.  j. j. R O U s S E a u. 419 Mais revenez 1'été prochain en être Ie témoin vous-mêrne, & ramenez Madame-Ia Cömtes-fe (*), è condition que nous fcrons cette fois-ci les plus forts, & qu'au lieu de vous laiffer enlever comme cette année , vous nous aiderez k l Ia retenir. Lettre a Mylord 'Mvéchal. 11 Décembre 17Ö& • •Abréger ia correfpondance!... Mylord, que m'annoncez-vous, & quel tems prenez-vouü pour cela? Serois-je dans votre.difgrace? Ah! dans tous les malheurs qui m'accablent, voiü Ie ' feul que je ne faurois fupporter. • Si j'ai-deslorts , daignez les pardonner , en eft-il, en' peut-il être que mes fentimens pour vous ne doivenc pas racheter ? Vos bontés pour moi font toute la confolation de ma vie. Voulez- vous m'óter cette unique & douce confolation V Vous avez ceffé d'écrire i vos parens. Eh! i qu'importe , tous vos parens , tous vos amis enfemble ont - ils pour vous un attacheraent comparable au mien? Eh ! Mylord, c'eft votre age, ce font mes maux qui nous rendent plus unies 1'un a I'autie. A quoi peuvent mieux s'em (*) Madame Ia Comtefle Cowper*veuve du feu Comte Cowper & rille du Comte de Granville. S 6  4'.io Lettres de ployer les reftes de la vie qu'a s'entretenir avecceuxqui nous font chers ? Vous m'avez promis une étemelle amitié , je Ia veux toujours, j'en fuis roujours-digne. Lesterres& lesmersnous féparen?,. Jes hommes peuvent femer* bien des erreurs entre nous,; mais rien ne peut féparer mon cceur da vótre, & celui que vous. aimates une fois n'a point chargé. Si réellement vous craignez fa, peine d écrire,. c'eft mon devoir da vous 1'épargner autant qu'il fe peut. Je ne demande a chaque fois que deux lignes , toujours les mêmes & rien de plus. .J'ai re$u votre lettre de telle date. Je me potte Men, £? je vous aime toi jours. Voilé tout. Répétez moi ces d'x mots douze fois 1'année , & je fuis content. De mon cóté j^aurai le p'us grand foin de ne vous écrire jamais rien qui puiffe vous importuner ou vous déplaire; Mais ceffer de vous écrire avant que la mortnous fépaie., non Mylord, cela ne peut pas Stre ; cela ne fe peut pas plus que ceffer de. vous aimeri Sr vous tenez votre cruelle réfolutión, j'en mourrai dans la douleur, & je vous prédis que vous y aurez du regret J'attends une réponfe} je Pattends dans les plus mortelles inquiétudes; mais je connois votre ame & cela me raffure. Si vous pouvez fentir combien ceite réponfe m'efV Méceffaire, 'je fuis trés- für que je 1'aurai promp« JenjeuU.  J., J» R O U g .3 E A U.' 421 Lettre d M. le Duc de. Grafftom. VKootton, le_7 Février 1767*. Mowsie ür le Duc,, Js vous dois des remerciemens-que je vous pri> d'agréer. Quoique les droits qu'on avoit exigés pour mes livres, a la douane, me paruflent.forts pour la chofe & pour ma bourfe, j'étois bien éloigné d'en demander &, d'en defirer le rem., hourfement.' Vos boncés, très-gratuïcés fur ce point , en font d'autant plus obligeantes ; & puifque vous voulez que j'y reconnoiffe même celles du Roi, je me tiens auffi flatté qu'honoré d'une grace d'un prix.ineftimable, par la fource dont elle view, & je la ree .is avec la reconnoiffance & la vénéracion que je dois aux faveursde Sa Majefté, paffant par des mains. auffi dignesde les répandie. Daickez, Monfieur Ie Duc, recevoir avee bonté les affurances de mon profond refpect,.  422 Lettres » e Lettre d M. Cuy.. Wootton, Ie . . . Février 1757. < J'aiIu, Monfieur, avec attendriffement 1'ouvrage • de mes défenfeurs, dont vous ne rn'aviez point parlé. II rfïè femble que ce n'étoit pas pour moi que leurs honorables noras devoient être un feoet, comme fi 1'on vouloit les dérober i ma reconnaiffance. Je ne vous pardonnerois jamais tuitout' de m'avoir tft celui de la Dame, fi Je ne l'et;ffe k 1'inftant deviné. C'eft de ma part un bien petit mérite: je n'ai pas affez d'amis cspables de ce zele & de ce talent, pour avoir pu m'y tromper. Voici une lettre pour elle, i laquelle je n'ófe mettre fon nom, è caufe des rifquesque peuvent courir mes lettres, mais cü elle verra que je la reconnois bien. Je vous charge, Monfieur Guy, ou plutót j'ófe vous permettre en la lui remettant, de vous mettre en mon nomè genoux devant elle, & de lui baifer la main droife, cette charmante main, plus aueufte que celles des Impératrices & des Retnes, qui fait défendre & honorer fi pleinement & fi ncblement 1'innocence avilie. Je me flatte que j'auiois reconnu de même fon digne collegue fi nous nous é.ions connus auparavant, mais je n'ai pas eu ce bonheur; & je ne fais fi je dois m'en féli-  j. j. R o V s s e a Ü. Al$\ ctter-ou m'en plaindre, tant Je trouve noble & beau , que Ia voix de 1'équité s'éleve en ma faveur, du fein même des inconnus. Les éditeurs du faclum.de M. Hume, difent qu'il abandonne fa caufe au Jugemept des efprits droits Sa. des cceurs bonnêtes; c'efMa ce qu'eux &.Iui fe ■ garderont bien de fairemais ce que je fais moi avec corfiance , & qu'avec de pareils défenfeurs j'aurai fait avec fuecès. Cependant on a mis dans ces deux pieces des chofes trés - eflentielJes; & on y a fait des méprifes qu'on eüt é.itées fi, m'avertifrant a tems de ce qu'on vouloit faire, on m'euc deroandé des éclairciffemens. II eft étonna-t que perfonne n'ait encore mis la queftion fous fon vrai point de vue; il ne falloit que cela , feul, & tout étoit dit. A u refte , ii eft certain que Ia lettre que je. vous écrtvis a été traduite par extraits faits, comme vous pouvez penfer, dans les papiers de Londres; & il n'eft pas difBcile de comprendre d'oü venoient ces extraits, ni pour quelle fh. Mais voici un fait affez bizarre qu'il eft facheux que mes dignes défenfeurs n'aient pas fu. Croiriez - vous que les deux feuilles que j'ai citées du St. James - Chronicie ont difparu en Angleterre? M. Davenport les a fait chercher inutilement chez 1'imprimeur & dans les cafés de Londres, fur une indication fuffifante, par fon libraire, qu'il m'a affuré être un bonuête homme, & il n'a rien trouvé. Les feuilles font  4* l Lettres bk éëlipfées. Je ne ferai point de commentaire fur ce fait ; mais convenez qu'il donne è penfer.C^mon cher Monfieur Güy, faut - il donc mourir dans ces contrées éloignées, fans revoir jamaisi la face d'un ami für , dans le fein duquel je puiffe épancber mon cesur. Lettre d Mylord Maréchal. te. 8 Février 1767.. Q.u o t , Mylord, pas un feul mot dé* vous?' Quel filence, & qu'il eft cruel! Ce n'eft pas le* pis encore, Madame la Ducheffe de Portland" m'a donné les plus grandes alarmes en me marquam que les papiers publics vous avoierc dit fort mal , & me priant de lui dire de vos nouvelles. Vous conroiffez mon cceur, vous pouvez' juger de mon état; craindre h la fois pour votreamifié & pour votre vie, ah! c'en eft trop;J'ai écrit auffitót a M, Rougemont pour avoir de vos nouvelles; il m'a marqué qu'en effet vousaviez' été fort ma lade, mais que vous ériez mieux. II n'y a pas la de quoi me raffurer affez , tant que1 je ne recenai rien de vous; Mon protecleur, mon bieifaiieur, mon ami, mon pere, aucun de ces titres ne pourra -1 • il vous émouvoir ? Je me profterne a vos pieds pour vous demander un feul mot. Que voulez» vous que je marqué*  j. j. R o ü s s eau. 415 i Madame de Portland? Lui dirai.je: Madame , Mylord Maréchal m'aimoit , mais il me trouve trop malheureux pour m"aimer encore, il nt m écrit plus? La plume me tombe des mains. Lettre a M. Granvitle. Wootton ,1c... Février 1707. Je crois ,' Monfieur , la tifanne du médecin Efpagnol meilleure & plus faine que le bouillon rouge du médecin Francois; la provifion de miel n'eft pasmoirs bonne, & fi les apothicaires fourniffoient d'aufli bonnes drogues que vous, ils auroientbientót ma pratique; mais, badinage apatt, que j'aye aveG vous un moment d'explication férieufe. Jadis j'aimois avec paffion la liberté, 1'éga^ rité , & voulant vivre exempt des obligations dont je ne pouvois m'acquitter en pareille monnoie, je me refufois aux cadeaux mêmes de ' mes amis , ce qui m'a fouvent attiré bien de querellts, Maiutenant j'ai changé de geilt, & c'eft moins la liberté que la paix que ji'aime: je foupire incelTamment après elle; je la préfere déformais è tout; je la veux i tout prix avec mes amis; je la veux même avec mes ennemis-, s'il eft poflible. J'ai donc réfolu d'endurer déformais des uns tout le. bien, & des autres tout  426 Lettr-bsdi i le mal qu'ils voudront me faire, fans difputer, fans m'en défendre , & fans leur réfilter en quelque facon que ce fok. Je me livre è tous pour faire de moi, foit pour , foit contre, entiérement a leur volonté: ils peuvent tout, hors de m'enpager dans une difpute, ce qui trés eertainement n'arrivera plus de mes Jours. Vous voyez, Monfieur, d'après cela combien-vous avez beau jeu avec moi dans les cadeaux conti, nuels qu'il vous plait de me faire; mais il faut tout vous dire, fans les refufer je n'en ferai pas plus reconnoifiant que fi vous ne m'en faifiez aucun. Je vous fuis attaché, Monfieur, & je bénis Ie ciel, dans mes miferes, de la confolation qu'il m'a ménagée , .en me donnant un voifin tel que vous: mon cceur eft plein de 1'intérêt que vous voulez bien prendre h moi, de vos attentions, de vos foins, de vos bontés, mais non pas de vos dons; c'eft peine perdue, je vous allure; iU n'ajoutent rien a mes fentimer.s pour vous; je ne vous en aimerai pas moins, & je ferai beaucoup plus a mon aife fi vouï voulez bien les fipprimer déformais. Voos voila bien averti , Monfieur; vousfavez c( mment je penfe , & je vous ai parlé trés féiieufement. Du refte, votre volonté foit faite & non pas Ia mienne; vous ferez toujours ie maitre d'en ufer comme il vous plaira. L e tems eil bien froid pour fe mettre en toute. Cependant fi vous êtes abfolument réfo!»  J. J. R 9 O S S E A V. is partir, recevez tous mes fouhaits pour votre bon "oyage, & pour votre prompt & heureux retour. Quand vous verrez Madame la Ducheffe de Portland, faites-lui ma cour, je vous fupplie; raffurez-la fur Pétat de Mylord Maréchal. , Cependant , comme je ne ferai parfaitement rafiuré moi-même quequand j'aurai de fes nou. velles, fitót que j'en aurai recu. , j'aurai 1'bonneur d'eB faire part a Madame la Ducheffe. Adieu, Monfieur, derechef, bon voyage, &. fouvenez - vous quelquefois du pauvre hermite, ▼otre voifin. Vous verrez , fans doute , votre aimabïe niece. Je vous prie de lui parler quelquefois du captif qu'elle a mis dans fes chalnes & qui s'honore de les porter. Lettke a Mylord Maréchal. i>e 19 Mars 1767. C'en eft donc fait, Mylord; j'ai perdu pour jamais vos bonnes graces & votre amitié, fans qu'il me foit même poffible de favoir & d'imagi. ner d'oii me vient cette perte, n'ayant pas un fentiment dans mon cceur, pas une aclion dans ma conduite qui n'ait dü.j'ofe le dire, confirmer cette précieufe bienveillance, que felon vos promeiles tant de fois réitérées, jamais rien ne pouvoit  41* Lettre» db m'óter. Je concois aifément tout ce qu'on a pu faire auprès dc vous pour me nuire; je 1'ai prévu, je vous en ai prévenu; vous m'avez affuré qu'on ne réuffiroit jamais, j'ai du le croire. A-t-on réuffi malgré tout cela , voilé ce qui me paffe; & comment a-t on réuffi au point que vous n'ayez pas même daigné me dire de quoi je fuis coupable, ou du moins de quoi je fuis accufé? Si je fuis coupable, pourquoi me taire mon crime; fi je ne le fuis pas, pourquoi me traiter en criminel ? En m'annoncant que vous ceffere? de m'écrire , vous me faites entendre que vous n'écrirez plus k perfonne. Cependant j'apprends que vous écrivez i tout Ie monde, & que je fuis feul excepté , quoique vous fachiez dans quel tourment m'a jetté votre filence. Mylord , dans quelque erreur quevous puiffiez être, fi vous connoiffiez , je ne dis pas mes fentimens vous devez les connoitre, mais ma fituation , dont vous n'avez: pas 1'idée, votre humanité du moins vous parleroit pour moi. Vous êtes dans Terreur, Mylord , & c'eft ce qui me confole. Je vous connois trop bien pour vous croire capable d'une auffi incompré* henfible légéreté, furtout dans un tems-oü venu par vos confeils dans Ie pays que j'habite, j'y vis accablé de tous les malheurs les plus fenfb bles a un homme d'honneur. Vous êtes dans Üerreur, je- le répete; l'homme que vous n'aunez.  I J. R O u S S Z A U. plus mérite, fans doute, votre difgrace , mais cec homme que vous prenez pour moi n'eft pas moi. Je n'ai point perdu votre bienveillance, paree que je n'ai point mérité de la perdre & que vous n'êtes ni injufle , ni inconftant. On vous aura figuré fous mon nom un fantóme, je *ou. labandonne & j'attends que votre illufion ceffe bten für qu'auffitót que vous me vertbz tel que je fuis , V0Us m'aimerez comme auparavant. MAts en atterrdant ne pourrai-je du moins fcvorr f vous recevez mes lettres ? Ne me reftetril nul moyen d'apprendre des nouvelles de votre fanté qu'en m'informam au tiers & au quart, & n'en recevant que de vieilles qui ne ™ tranqurlltfentpas? Ne voudriez. vous pas du nroins permettre qu'un de vos laquais m'écrivic de tems en tems comment vous vous portez ? Te me refigne a tout, mais je ne congois rien de plus cruel que 1'ineertitude continuè'lle oü je vjs fur ce qui m'intéreffe le plus. Lettre a M. le Général Conway. Wooton, le 26 Mars 1767. Monsieur, Aussi touché que furpris de Ia faveur dont il plait au Roi de m'honorer, je vous fupplie  4.3» Lettj.es » * d'être auprès de Sa Majefté 1'organe de ma vive reconnoiffance. Je n'avois dioit i fes attentions que par mes malheurs, j'en ai miintenar t aux égards du public par fes graces, & je dois efpérer que 1'exemple de fa bienveillance m'obtiendra ceile de tous fes fujeif. Je recois , Monfieur , le bienfait du Roi comme Panne d'une époque heureufe autant qu'honorable qui m'affure, fous la protection de Sa Majefté, des jours déformais paifibles. Puiffé-je n'avoir a les remplir que des vceux les plus purs & les plus vifs pour la gloire de fon regne & pour la profpérité de fon augufte maifon! Les aétions nobles & généreufes portent toujours leur récompenfe avec elles. II vous eft auffi naturel, Monfieur, de vous féliciter d'en faire, qu'il eft fiatteur pour moi d'en être 1'objet. Mais ne parions point de mes talens, je vous fupplie; je fais me mettre è ma place, & je fens a rimpreflïon que font fur mon cceur vos bontés, qu'il eft en moi quelque chofe plus' digne de votre tftime que de médiocres talens, qui feroient moins connus s'ils m'avoient attiré moins de maux, & dont je ne fais cas que par la caufe qui les fit naltre, & par 1'ufage auquel ils étoient deftinés. Je vous fupplie , Monfieur , d'agréer les fentimens de ma gratitude & de mon profond refpect.  J. J. R o o i s n i Lettre a Mylord Comte de Harcourt. Wootton, le 2 Avril 1767. J'apprends, Mylord, par M. Davenport que vous avez eu Ia bonté de me défaire de toutes meseftampes, hors une. Serois-je affez heureux pour que cette eftampe exceptée fut ceile du Roi; je le defire affez pour I'efpérer; en ce cas, vous auriez bien lu dans mon cceur & je Ovous prierois de vouloir conferver foigneufement cette eftampe , jufqu'a ce que j'aie 1'honneur de vous voir & de vous remercier de vive voix. Je la joindrois è ceile de Mylord Maréchal, pour avoir Ie plaifir de contempler quelquefois les traits de mes bienfaiteurs, & de me dire en les voyant, qu'il eft encore des hommes bienfaifans fur Ia terre. Cette idéé m'en rappelle une autre que ma mémoire abfolument éteinte "avoit laiffée échap. per. Ce portrait du Roi avec une vingtaine d autres me viennent de M. Ramfay, qui ne voulut jamais m'en dire le prix. Ainfi ce prix lui appartient & non pas i moi; mais comme probablement il ne voudroit pas p|us 1'accepter aujourd'hui que ci-devant, & que je n-en veux pas non Plus faire fflon profic, je ne vois è cela d autre expédient que de diftribuer aux pauvres  4Jt Lettre* de le produit de ces eflampes,& je crois, Mylord, qu'une fonction de charité ne peut rien avoir que l'humxnité de votre cceur dédaigne» La difficuké feroit de favoir quel eft ce produit, ne pouvant moi-même me rappeller le nombre & la quaiité de ces eftampes. Ce que je fais, c'eft que ce font toutes gravures Angloifes, dont je n'avois que quelques autres avant celles - lè. Pour ne pas abufer de vos bontés , Mylord, au point de vous engager dans de nouvelles recberches, je ferai ure évaluation groffiere de ces gravures, & j'eftime que le prix n'en pourroit gueres pafTer quatre ou cinq guinéts. Ainfi, pour aller au plus für, ce font cinq guinées fur le produit du tout, que je prends Ia liberté de vous prier de vouloir bien diftribuer aux pauvres. Vous voyez, Mylord, comment j'en ufe avec vous. Quoique je fois perfuadé que mon impommité ne paffe pas votre complaifance , fi j'avois prévu jufqu'oii je ferois forcé de la porter, je me ferois gydé de m'oublier a ce point. Agréez , Mylord , je vous fupplie, mes trèshumbles excufes & mon refpect. Lettre a M. E. J Chirurgien. Le 31 Mai 1767. "Vous me parlez , Monfieur, dans une langue littéraire, de fujets de littérature, comme è un homme  I I- 8lB!!Uï. 4.33 homme de lettres. Vou. m'accablez d>é, pompeux qu'ils font ironiques, & «"ï * enmer d'un pareil encens. Vous vous Z P». Monfieur, fur tol)s ces point" ^ pomt homme de lettres • ;a i- r, ''€n dS Ce fe "PPorto . ce métier ne 1' convent plus. LeS grands é, £ a« *• l7a,Sf'^ «iourd'hm furtout que rai p^s ^^^^^^^ Panfer, vouS lui des dö * raifon • f- r ' r Pféce»ds point avoir eu ratton , Je fals feulement oue me« t„,. • étoient afPe2 droites , .J^," Crreu,s Pe««ntêtre grandes - mes fenff mensaurotent dó les racheter. Te S f y a beaucoup de chofes fur lefouel/es o 9U " voulu m'entendre. Telle eft i, P" 1'origine du droit natu el L,* P*, 6Xemple' prêtez des fentimen " qU£"e vous "» miens. C'eft 27 T " °nt iamis été le, belles, de toutes el?!0".355-3" ^ faütes m'attribuer. TM 21°" 7 ' Pr0|,°'* je remets ma 11 en ^ homme«' &  434 Lettres de Je ne répondrai donc point, Monfieur , ni aux reproches que vous me faites au nom d'autrui, ni aux louanges que vous me donnez de vousméme: les uns ne font pas plus mérités que les autres. Je ne vous rendrai rien de pareil, tant paree que je ne vous connois pas, que paree qua «arme a être fimple & vrai en toutes chofes. Vous vous dites chirurgien ; fi vous m'euffiez parlé potanique & des plantes que produit votre contrée , vous m'auriez fait plaifir & j'en aurois pu caufer avec vous: mais pour de mes livres & de toute autre efpece de livres, vous in en paileriez inutilement , paree que je ne prends plus d'intérêt a tout cela. Je ne vous réponds point en latin, par la raifon ci-devant énoncée: il ne me refte de cette langue qu'autant qu'il en faut pour entendre les phrafes de Linnasus. ftecevez , Monfieur, mes trés-humbles falutations. Lettre d Madame la M. de .... Du 12 Scpteinbre 1767- 1 E reconnois, Madame , vos bontés ordinaires Sara les foins que vous prenez pour me procurer un afyle oü 1'on veuille bien ne pas m'interdire le feu & 1'tau; mais je connois trop bien ma fituation pour attendre de ces foins bienfaiCans un fuc-  j' j. R o..o s s e a rj. 43S *ès qui me procure le repos après lequel M «ent foupiré, & qüe je „P ^ " paree que je ne 1'efpere plus. 6 pIus dSveut «en prendre è mes mal ^eurs Je V0l)sfupplfe) £, U' fa're Paff- les témoignages de mHrèï Rumble reconoiffance:.c'eft „„e d'mes JjT «epouvou alier moi-même la lui témoje m * quant au voyage ici qUe S. E. daïme niLf Je ne fuis pas airez Jin M S proPof PerW 3UCUne d« £ Utuation, s rl étoit poffible ffia aucune efpece de démarche c* P S faire ^lepofdsdemes^Srf^™'" «■» ont entrepris de me chaffer d'M Jf ^ ront aucune forte d'efforts po - DI néparSne' je les attends ie m> 7 parv™Ir: mais pi- ri;t^/f;r^a;: ■,& ° -e T 3  4s6 Lettres v * encore pris: c'eft de m'éloigner, fi ie pens, de 1'orage qui ffl'accable j mais fans empreffement , fans précaution > fans crainte , fans me cacher, fans me montrer, & avec la fitnpitctté qui convient a Vinnocenc». Je confidere, Madame, qu'ayant prés de foixante ans, accablé de malheurs & d'infirm'ués, les reftes de mes triftes jours ne valent pas la fatigue de les mettre a couvert. Je ne vois plus rien dans cette vie qui puiffe me flatter ni me tenter. Loin d'efpérer quelque chofe, je rie fais pas même que defirer. L'amour feu! «Ju repos me reftoit encore; 1'efpoir m'en eft óié , je n'en ai plus d'autre. Je n'attends plus, je iVt-fpere plus que la fin de mes miferes; que je ÏVobtienne de la nature ou des hommes, cela m'eft affez indifférent; & de quelque- maniere qu'on veuiile difpofer de moi , 1'on me fera toujours moins de mal que de bien. Je pars de cette idéé, jyladame, je les mets tous au pis, & je me tranouülife dans ma réfignation. Il fuit de-la que tous ceux qui veulent bien S'intércffer encore a moi, doivent ceffer de fe donner en ma faveur des mouvemens inutiles , ren ettre a mon exemple mon fort dans les mams de la providence, & ne plus vouloir réfifter a la üéceffié. Voili ma derniere rélolution; que ce foit la vótre auffi. Madame , a mon égard , & même a 1'égard de cette chere enfant que le ciel ffous enleve fans qu'aucun fecours humain puiffe voos 1* rendre. Que tous les foins que vous lm  J- J- R o u s s x 4 o; é%f rendrez déformais foient pour contenter votre ten-' dreffe&Ia lui montrer, mais qu'ils „e réveillent: plus en vous une efpérance oruelle, qui-donne la* mort a chaque fois qu'on Ia perd.- 1>2T-Trs ÏMlie. Dewes. H Janvier 1768; $1 je vous- ai fa.flg , ma beIIe voi& ve^ïïSfG b(en ^ée, vous'm en ^larffee une autre que j'ai gardée encore mieux. Vous n'avez mon. cachet que fur un papier q,rf mon cceur d ou r.en ne peut PefFacer. Fuifn^! SxcT" qUere'Ws votre gage, ^cU teux que vous euffiez confervé le mien, c'étoit - feu qui devois defirer de vérifier- fa chot ; Jo c befom pour mieux fentir mon malheur, qu! vous men faffiez encore un crime? cela n'eft pa rroj bunata Mai, votre fouvenir me conf fed ' vos reprocbes; j'aime mieux vous favoir rlft r ouir-& * r e ^rne11 5* p0:rsrfl j.^;frqaeiquefois *• dke IeE „a, "Joiors a mon tour vou« IeSVÓtrM' vous™ trouv-eriez trop galanV r i  433 L « tt r e s I ! pour un barbon. Bon jour , ma belle voifinè » puiffiez-vous bientót, fous les aufpices du cher 3: refpeftable onde, donner un pafteur k vos brebis de Calwich. Lettre a M. d'Ivernois. Trye, le 29 Janvier 17Ö8. J'ai recu, mon ctigne ami, votre paquet du 18'l & il me feroit également parvenu fous 1'adreffe que je vous ai donnée, quand vous n'auriez pas pris 1'inutile précaution de la doublé enveloppe, fous laquelle il n3eft pas même è^propos que le nom de votre ami paroiffé en aucune facon. C'eft avec le plus fenfible plaifir que j'ai enfin appris de vos nouvelles: mais j'ai été vivement ému de 1'envoi de votre familie a Laufanne; cela m'apprend affez k quelle extrêmité votre pauvre ville, & tant de braves gens dont elle eft pleine, font a la veille d'être réduits. Tout perfuadé que je fois qtfe rien ici-bas ne mérite d'être acheté au prix du fang humain, & qu'il n'y a plus de liberté fur la terre que dans le cceur de l'homme jufte , je 'fens bien toutefois qu'il eft naturel k des gen» de courage, qui ont vécu libres, de préférer une mort honorable a la plus dure fervitude. Cependant, même dans le cas Ie plus clair de la jufte défenfe de vous - mêmes, la certitude ou je fuis,  J- J. Roossbaü. 435 qu'eufïïez.vous pour un moment Tavantage, vos malheurs n'en feroient enfuite que plus grands & plus fórs, me prouve qu'en tout état de caufe les voies de fait ne peuvent jamais vous tirer de la fituation critique oü vous êtes, qu'en aggravant vos malheurs. Puis donc que perdus de toutes ftcons, fuppsfé qu'on ofe pouffer Ia chofe a 1'extrême, vous êtes prêts a vous enfevelir fous les rutnes de Ia patrie, faites plus; ofez vivre pour fa gloire, au moment qu'elle n'exifkra pius. Oui Meffieurs, il vous refte., dans le cas que je fup' pMe, un dernier parti a prendre; éi c'eft, j'ofe ie dire, le feul qui foit digne de vous: c'eft, au lieu de fouilkr vos mains dans Ie fang de vos compatriotes, de leur a'oandonner ces murs cur devoient être 1'afyle de la liberté , & qui vont n'être plus qu'un repaire de tyrans. C'eft d'en fortir tous, tous enfemble, en plein jour, vos femmes & vos enfans au milieu de vous, & puifqu'il fautporter des fers , d'ailer porter du moins ceux de quelque grand Prince, & non pas I'irfupportable & odieux joug de vos égaux. Et ne vous imagmez pas qu^en pareil cas vous refteriez fans afyle: vous ne favez pas quelle eftime & qu«I refpect votre courage, votre modération, votre fagefle ont infpiré pour vous dans toute 1'Europe. Je nimaginepas qu'il s'y trouve aucun Souverain je n'en excepte aucun,qui ne recüt avec honneur! jofc dire avec refpect , cette colonie émigrante d hommes trop vertueux pour ne favoir pas être T 4  44» liTtmi at fujets. auffi fideles qu'ils furent zélés citoyens. Je comprends bien qu'en pareil cas plufieurs d'entre vous feroient ruinés; mais je penfe que des gens qui fa vent facrifier leur vie au devoir, fauroient 1'acrifier leurs biens k 1'bonneur & s'applaudir de ce f.crifice; &. après tout , ceci n'eft qu'un dernier expédient pour conferver fa vertu & foa innocence, quand tout le refte eft perdu. Le cceur plein de cette idéé, je ne me pardonnerois pas de n'avoir ofé vous la communiquer. Du refte , vous êtes éclairés & fages; je fuis trés - fur que vous ptendrez toujours en tout le meilleur parti» & je re puis croire qu'on laiffe jamais aller les choks airpoint qu'il eft bon d'avoir prévu d'avance pour être p. ê s a touf événement. S i vos aft', ures vous laiffent queiques momens a donner a d'autres chofes qui ne font rien moins que preffées, en voici une qui me tient au cceur & fur laquelle je voudrois vous prier de prendre quelque éclairciffement, dans quelqu'un des voyages que je fuppofe que vous ferez a Laufanne, tandis que vctre familie y fera. Vous favez que j'ai i lsTyon une tante qui m'a élevé & que j'ai toujours tendrement aimée, quoique j'aie une fois, comme vous pouvez vous en fouvenir, facrifié le plaifir de la voir k 1'empreffement d'aller avec vous joindre nos amis. Elle eft fort vieille, elle foigne un mari fort vieuxj'ai peur qu'elle n'ait plus de peine que fon Age ne comporte, & je voudrois lui aider a payer. une fervante pour la foulager. Malton*  JV }. R o v a s e g u„ 44?- heureufement, quoique je n'aie augmenténi-mon' »ain, nimacuifine, que je n'aie aucun domeftique a mes gages, & que je fois ici logé & chauff^ gratuïtement, ma.pofition me rend la vie ici fi difpendieufe-, que ma penfion me fuffit i psint pour les dépenfes inévitables dont je fuis chargé Voyez, cher ami, fi cent francs de France par ast' pourroient jetter quelque-douceur dans la vie de m pauvre vieille tante & fi vous pourriez les lui faire accepter. En ce cas , Ja première année courroit depuis le commencement de ceile - ci & vous pourriez la tirer fur moi d'avance, auffitdt que vous aurez arrangé cette petite affaire-k Mais je: vous conjure de voir que eet argent foit employé felon fa deftination, & „on pas au profit de parens ■•• ou-voifins-apres, qui fouvent obfedent les vieilles gens. Pardon, cher ami, je choifis bien mal mon tems; mais ii fe peut qu'il-n'y en ait pas a perdre. r ItEttre au même, 24 Mar» 1768. ■ E nfin- je-.refpi-e • vous aurez la paix, & vous 1 aurez avec un garant fur qu'elle fera folide, favo r leftime publique & ceile de vos magiftrats, qui vous trattant jufqu'ici comme un peuple ordinaire, pont jamais pris fur ce faux préjugé que de fan*.  44* Lettre» di fes mefures. Ils doivent être enfin guéris de Cf tte erreur, & je ne doute pas que le difcours tenu par le procureur - général en Deux - Cent ne foit fincere. Ceh pofé, vous devez efpérer que 1'on ue tentera de longtems de vous furprendre, ni de tromper les puiffances étrangeres fur votre compte; & ces deux moyens manquant, je n'en vois pius d'autres pour vous afftrvir. Mes dignes amis, vous avez pris les feuls mcyens contre lefquels Ia force même perd fon effet; 1'union, Ia fageffe & le courage. Quoi que puiflent faire les hommes, on eft toujours libre quand on fait mourir. J b voudrois a préfent que de votre cóté vous ne fiffiez pas a demi les chofes, & que Ia concorde une fois rétablie ramenit la confiance & Ia fuborJination auffi pleine & entiere, que s'il n'y t(k jamais eu de diffention. Le refpeét pour les mfgiftiats fait dans les républiques la gloire des citoyens, & rien n'eft fi beau que de favoir fe foumettre après avoir prouvé qu'on fa voit réfifter. Le peuple de Geneve s'eft toujours diftingué par ce refpect pour fes chefs qui le rend lui-même fi refpeétabie. C'eft a préfent qu'il doit ramener dans fon f&in toutes les vertus fociales que 1'amour de 1'ordre établit fur 1'amour de h liberté. II eft impoffible qu'une patrie qui a de tels enfans ne retrouve pas enfin fes peres, & c'eft alors que la grande familie fera tout i Ia fois illuftre, floristuite, heureuie., & donnera vraiment au monde  Ji J. Robuiu 443 an exemple digne d'imitation. Pardon, cher ami;. emporté par mes defirs, je fais ici fortement le' prédicateur ; mais après avo'r vu ce que vouséti&z, je fuis plein de ce que vous pouvez être, Des hommes fi fages n'ont alTurément pas befoin d'exhortation pour continuer a Pêtre; mafs moi j'ai befoin de donner quelque cflbr aux pius ardens .vccux de mon cceur. Au refte, je vous féiicite en particulier d'un bonheur qui n'eft pas toujours attaché a la bonna caufe; c'eft d'avoir trouvé pour le foutien de Ia vótre des talens capables de la faire valoir. Vos mémoires font das chefs-d'ceuvre de logique & de dicb'on. Je fais quelles lumieres regnent dans vos cercles, qu'on y raifonne bien, qu'on y connoit a fond vos édits, mais on n'y trouve pas communément des gens qui tiennent ainfi la plume. Celui qui a tenu la vótre, quel qu'il foit, eft un homme rare; n'oubiiez jamais la reconnoiflance que vous lui devez. A 1 egard de la réponfe amicale que vous me demandez fur ce qui me regarde, je la ferai avec la plus pleine confiance. Rien dans le monde n'a plus affiigé & navré mon cceur que le décret de Geneve. 11 n'en fut jamais de plus inique, de plus abfurde & de plus ridicule: cependant il n'a pu détacher mes affections de ma patrio, & rien au monde ne les en peut détacher. 11 m'eft n*. différent, quant a mon fort, que ce décret foit annullé ou fubfifte, puifqu'il ne m'eft poiiible en T ö  44-4 LiTtlfl Jt aucun cas de proöter-dö mon rétabliflèment: maft il ne me feroit pourtant pas indifférent, je 1'avoue, que ceux qui ont commis la faute, fentiffent leirr tort & euffent le courage de le réparer. Je crois qu'en pareil cas j'en mourrois de joie, paree que j'y verrois Ia fin d'une baine implacable, & que je pourrois de bonne grace me livrer aux fentimens jrefpeétueux que mon cceur m'infpire, fans crainte de m'avilir. Tout ce que je puis vous dire a ce fujet, eft que fi cela arrivoic, ce qu'aiTurément je n'efpere pas;, Ie confeil feroit content de mes fentimens & de ma conduite , & il connoltroit 'olentót qutl immortel honneur il.s'eft fait. Mais je. vous avoue auffi que ce rétabliffement ne fauroit me flatter, s'il ne vient. d'eux-mêmes; & jamais de mon confentement il ne fera folltcité, Je fuis fur de vos fentimens, les preuves m'en font inudles; ma's celles des leurs me toucberoient d'autant plus que je m'y attends moins. Bref, s'ils font cette démarche d'eux-mêmes, je ferai men devoir; s'ils ne la font pas, ce ne fera pas Ia feule injuftice dont j'aurai a me confoier; & je ne veux pas, en tout état de caufe, rifquer de fervir de pierre d'achoppement au plus parfait rétabliffement de la concorde. V o r c i un mandat fur la veuve Duchefne pour les cent francs que vous avez bien voulu avancer a ma bonne vieille tante.. Je vous redois autre chofe, mais malheureufement je n'en fais pas Ie rnontant.  T* j. r o u i i B x *?; Lettre <è M. D. Lyon , le ao Juin 1768. Je ne me 'pardonnerois pas-, mon cher hóte, de vous laifler ignorer^ mes marches, ou les apprendre par d'autres. avant moi. Je fuis a Lyon depuis deux jours, rendu des fatigues de la-diligence, ayant grand befoin d'un peu de repos & trés-emprelTé d'y recevoir de vos nouvelles, d'autant plus que le 'troubte qui regne dansje pays oü vousvivez me tient en peine, & pour vous, & pour nombre d'honnêtes gens auxquels je prends intérêt. J'attends- de vos nouvelles avec I'impatience de 1'amitié. Donnez-m'en, je vous prie, le plutót; que vous pourrez, L e defir de faire diverfion k tant d'attrifians fouvenirs qui, a force d'affecter mon cceur, altéroient ma tête , m'a fait prendre Ie parti de chercher dans un peu de voyages & d'berborifations., les. amufemens & les diftracïions dont j'avois befoin; & Ie patron de la cafe ayant approuvé cette idéé, je 1'ai fuivie: j'apporte avec moi mon herbier. & quelques livres, avec lefquels je me propofe de faire queiques pélerinages de botanique. Je fouhaiterois, mon cher hóte, que la relation de mes trouvailles put contribuerè vous amufer; j'en aurois encore plus. de plaifir a les faire. Je vous dirai, par T 7  446 LbtTïss de' exemple, qu'étant allé hier voir Madame Boy de la Tour k fa campagne,- j'ai trouvé dans fa vigne beaucoup d'ariftolocbe que je n'avois jamais vue, & qu'au premier coup-d'ceil j'ai reconnue avec tranfport. Adieu, mon cher hóte, je vous embraffe, & j'attends dans votre "première lettre de bonnes nouvelles de vos yeux. Lettre au même. Iiourgoin, le 9 Septembre 1768. rès diverfes courfes, mon cher hóte, qui ont achevé de me convaincre , qu'on étoit bien déterminé k ne me laiffer nulle part la tranquillité que j'étois venu chercher dans ces próvinces, j'ai pris le parti, rendu de fatigue & voyant? la faifon s'avancer, de m'arrêter dans cette petite ville pour y paffer 1'hiver. A peine y ai-je été, qu'on s'eft preffé de m'y harceier avec la petite biftoire que vous allez lire dans Pextrait d'une lettre qu'un certain avocat *** m'écrivit de Grenoble le 22 du mois dernier. Le Sr. Tbevenin, cbamoifeur de fon métier, fe trouva logé il y a environ dix ans cbez le Sr. Janin, héte du bourg des Verdieres de Jouc prés de NeufcMtel, avec M. Roujfeau, qui fe trouva lui-même dans le cas d'avoir befoin de quelque  J. !• BdJÜIAB, 44? argent, qui s'adreffa au Sr. Janin fon btte, pour obtenir eet argent du Sr. Thevenin. Ce dernier n'ofant pas préfenter h M. Rouffeau la modique fomme qu'il < demandoit , attendit fon départ & iaccompagna effeStivement des Perdieres de Jouc jufqu'a St. Sulpice avec ledit Janin ; fcf après avoir dinè enfemble dans une auberge qui a un foleil pour tnfeigne, il lui fit remettre neuf livres de France par ledit Janin. Af. Rouffeau pénétré de reconnoiffance, donna audit Thevenin quelques lettres de recommandation, entr'autres une pour Af. de Faugnes, direüeur des fels i Yverdun, & une pour Af. Ardiman de la même ville, dans laquelle Af. Rouffeau figna fin nom , {jf figna , le voyageur perpétuel, dans une autre pour quelqu'un a Paris dont le Sr. Thevenin ne fe rappelle pas le nom, Voici maintenant, mon cher hóte, copie de ma réponfe en date du 23. „Je n'ai pas pu, Monfieur, loger il y a envit, ron dix ans oü que ce fut, prés de Neufcha„ tel, paree qu'il y en a dix, & neuf, & buit, „ & fept que j'en étois fort loin, fans en avoir ,, approché durant tout ce tems plus prés de cent lieues. „Je n'ai jamais logé au bourg des Verdieres, „ & n'en ai même jamais entendu parler. C'eft „ peut-être le village des Verrieres qu'on a voulu 3, dire. J'ai paffé dans ce village une feule fois, .> il n'y a pas cinq ans , allant a Pontarlier; j'y  44$ Lettres de; „ repatTaien revenant; j'e n'y logeai pomt; j'dtois„ avec un ami (qui n'étoit pas le Sr. Thevenin); „ perfonne-autre ne revint-avec nous, & depuis„ lors je ne fuis pas retourné aux Verrieres. „ ] e n'ai jamais vu, que je fache , le Sr. „■ Thevenin chamo'feur, jamais je n;ai ouï parler „ de lui, non plus que du Sr. Janin, mon pré'. „ tendu hóte. Je ne connois qu'un feul M. Jean„. nin , mais il ne demeure-. point aux Verrieres; }t il demeure a Neufchatel, & il n'eft point caba„■ retier; il eft feciétaire d'un de mes amis. „ J e n'ai jamais écrit, autant qu'il m'en fou„, vient, a M- de Faugnes, &je fuis fur au moins „ de ne lui avoir jamais écrit des lettres de recom,. mandation, n'étant pas affez lié - avec lui pour „ cela. Encore moins ai-je pu écrire a M. AUi,r man d'Yverdun, que je n'ai vu de ma vie & ■ avec lequel je n'eus jamais nulle efpece de „ liaifon. „Je n'ai jamais figné avec mon nom le voyageur perpétuel , premiérement paree que ceia „ n'eft pas vrai, & furtout ne 1'étoit pas alors, „- quoiqu'il le foit devenu depuis quelques années; ,,, en fecond lieu, paree que je ne tourne pas -mes „ malheurs en piaifanteries •; & qu'enfin fi cela „ m'arrivoit, je tacherois qu'elles fuiTent moins ,y plates. „ J'a 1 quelquefois prêté de 1'argent a Neuf • i„ cbitel, mais je n'y en empiuntai jamais, par 1  J. J. R o u t * t k 0. „ Ia raifon trés-fimple qu'il- ne m'a jamais.manqué „ dans ce pays - la, & vous m'avouerez, Monfieur, „ qu'ayant pour amis tous.ceux qui y tenoient Ie „ premier rang, il eut éte du moins fort bfarre „ que j'ailaffe emprunter neuf francs d'un cl-amoi„ feur que je ne connoiffois. pas, & cela i un „ quart-de-lieue de chez. moi; car c'eiï a peu „ prés la diftance de St. Sulpice, oii 1'on dit que „ eet argent m'a été prêté, a Motiers oü je de„ meurois." Vous croiriez, mon cher hóte, fur cette-Jettre' & fur ma réponfe que j'ai envoyée au. commandant de la province, que tout a été fini, ét que 1'impofture étant fi clairement prouvée, 1'impofteur 3 été chfttié , ou bien cenfuré. Point du tout. L'affaire eft encore Iè; & ledit Thevenin, confeilié par ceux qni 1'ont apofté, fe retranche a dire qu'U a peut- être pris un autre M. Rouffeau pour J. J„ Rouffeau , & fferfifte a fóutenir avoir prêté la fomme a un hemme de ce nom, fe tirant d'affaire, je ne fais comment, au fujet des lettres de recommandacion. De forte qu'il ne me refte d'autre moyen pour le confondre, que d'aller moi-méme a Grenoble me confronter avec lui; encore ma mémoire trompeufe & vacillante peut-elle fouvent m'abufer fur les faits. Les feuis ici qui me font certains, eft de n'avoir jamais connu ni Thevenin ni Janin; de n'avoir jamais voyagé ni mangé avec eux; de n'avoir jamais écrit a M. Aidiman; de n'avoir. jamais emprunté de 1'argent, ni peu ni  45 Lettres b b beaucoup de perfonne durant mon féjour a Neufchatel ; je ne crois pas non pius avoir jamais écrit a M. de Faugnes, furtout pour lui recommander quelqu'un; ni jamais- avoir figné le voyageur perpétuel; ni jamais- avoir. coucbé aux Verrieres, quoiqu'ïl ne me foit pas poffibie de me rappelier oü nous couchimes en revenant de Pontarlier avec Sauttersheim dit le Baron, (car en allant je ms fouviens parfaitement que nous n'y coucbames pas). Je vous fais tous ces détails, mon cher hóte, afin que ii, par vos amis, vous pouvez avoir quelque éclairciffement fur tous ces faits, vous me rendiez le bon office de m'en faire part le plutót qu'il fera poffibie. J'écris par ce même courier a M- du Terreau , Maire des Verrieres, a M. Breguet, a M. Guyenet Lieutenant du Val-de-Travers, mais fans leur faire aucun détail ; vous aurez la bonté d'y fuppléer , s'il eft néceffaire , par ceux de cette lettre. Vous pouvez m'écrire ici en droiture : mais fi vous avez des éclairciffemens intéreffans a me donner, vous ferez bien de me les envoyer par duplicata , fous enveloppe , a 1'adrelTe de M. le Comte de Tonnerre, Lieutenantgénéral des armées du Roi , Commandant pour S. M. en Dauphiné , a Grenoble. Vous pourrez même m'écrire a 1'ordinaire fous fon couvert; mes lettres me parviendront plus lentement , mais plus fürement qu'et\droiture. J'espere qu'on eft tranquille a préfent dans totre pays. Puiffe le ciel accorder i tous les-  J. J. Rousseau. 45ï hommes la paix qu'ils ne veulent pas me laisferl Adieu, mon cher hóte, je vous ernbraffe. Lettre au méme. Bourgoin, le ai Novembre 176%. I e vous remercie, mon cher hóte, de 1'arrêt de Thevenin; ie 1'ai envoyé a M. de Tonnerre, avec condition exprelTe (qui du refte n'étoit pas foit néceffaire a fMpuler) de n'en faire aucun ufage qui put nuire a ce malheureux. Votre fuppofition qu'il a été la dupe d'un autre importeur, eft abfolument imconpatible avec fes propres déciarations, avec ceile du cabaretier Janet & avec tout ce qui s'eft paffé: cependant, fi vous voulez abfolument vous y tenir, foit.^ Vous dites que mes ennemis ont trop d'efprit pour choifrr une calomnie aufü abfurde. Prenez garde qu'en leur accordant tant d'efprit, vous ne leur en accordiez pas. encore affez: car leur objet n'étant que de voir quelle contenance je tenois vis k vis d'un faux témoin, il eft clair que plus l'accufation étoit abfurde & ridicule, plus elle alloit a leur but. Si ce but eut été de perfuader le public, vous auriez raifon; mais il étoit autre. On favoit trés bien qus je me tirerois de cette affaire; mais on vouïoit voir comment je m'en tirerois. Voila tout. On fait que Thevenin ne m'a pas prêté neuf francs,  455 L * I I 1 u o | peu irrporte; mais on fair qa'un importeur peut' m'embarraffer; e'eft quelque chofe (*), (*) M. Rouffeau pouvoit ajouter que toute groflTere qü'étoit cette farce jouée p»r Thevenin , elle tendoit 4 compromeitre fa fóreté, en le metrint dans l'obljgation de fe produire fous ié nom de J. J. RbuiTeau, que paf confidérarions majeures il avoit quitte- pour prendre «lui-de Renesti Quant au nom de Voyagiur perpituel dónné par Th*. Vemn a M.Roufleau, voici utit «neCdote aflez frnguliere, tranfcnte mot a mot fur 1'original d'une lettre qui nous a éié adreiTée. „ J'étois un jour a me promener au jardin des ThuiJi „ leries; appcrcevant quelques-uns d* nas lettrés, & „ fachant 1'endrok oü ils tenoient ordinaireinent leurs „ afiifes, je fus les y dévancer, plutót par défceuvrement que par curiofité. ,, La Lettre de M. Roulftau i M. l'Archevfqne de ,, Beaumnnt paroilToit depuis peu. Ce fut fur eet etr„ vrage que ronla prefque la converfation. On en paria ,, diverfement, on critiqus; la critique fut plus injufVe „ que févere; on attaqué 1'auteur, & on ne fut ni „ modfiré ni honnête.- „ li. Duclos en paria feul comme un admirateur de „ M. RoulTeau, pénétré de fes malheurs & paroiflant „ les partager: il me parut déplacé dans ce cercle. M. „ de Sie. Foix paria en inquifiteur. „ Un abbé dont ma mémoire ne me permet pas dans „ le moment d'a'ppliquer le nom fur fa figure fratcbe „ & bénéficiale , brilla.. M. D*«* étoit vis - a - vis da „lui, & fourioic de tems en tems-a 1'abbéen fbrme ,, d'approbation,. „ Je ne tardai pas-d'éntendre une voit de faufiet qui „ difoit: cs pauvra Roufeau veut & tout prix occuper ii « P"blic Bit**, gleriole eft bien-ptrmifê, fans doute, „ quand elle ut dégénéré pas en folie que dites-vous „ de fes allées & yenves il n'eft bien nulle part..... 3,-C'£S-T UN VQïAÜEUIi PERPETUEL*  J- J. R o u s s e 4 tf. 4-53 Vos maximes, mon trés cher hóte, font trés- ftoïques ■& trés, belles, quoiquUm peu ontrees, eomme font celles de Séneque, .& généralemïrt celles de tous ceux qui phiiofophent tranquillement dans leur cabinet fur les malheurs dont ils font loin, & fur 1'opinion des hommes qui les honore. J'ai appris affurément a n'eftimer l'opinion d'autiui que ce qu'elle vaut, & je crois favoir, du moirs auffi bien que vous , de combien de chofes la paix de 1'ame dédommage; mais que feule elle tienne lieu de tout, & rende feule heureux les infortunés , voila ce que j'avoue ne pouvoir admettre, ne pouvant, tant que je fuis homme, compter totalement pour rien la voix de la nature patiffante & le cri de 1'innocence avilie. Toutefbis, comme il nous importe toujours, & fiutou.t dans 1'adverfité , de .tendre a cette impaffibilité fublime a laquelle vous dites être parvenu, je tacherai de profiter de vos femences , & d'y faire la réponfe que fit 1'archjtecte Athénien ,a Ia harangue de 1'autre .- Ce qu'il u dit, je le ferai. „ Ce n'eft pas fur Ie difcours philofophique que j'ap. ,, puie. Je ne m'arrête qu'a ces mots : un royegeur „ perpétuel. II eft bien fingulier que ie maraud de The„ venin ait eu la même idéé, bien longtems après; & „ que M. Rouffeau l'ait fait nattre, lui qui depuis fon „ retour d'Itahea Paris jufqu'a fon départ pour la Suiffe £, n'avoit fait qu'un royage en dix-huit ans. „ Mais chaque fiecle a eu fon genre de perfécutton , „ ,& tel qui s'eft livré a ddiaihTer Rouffeau, n'auro.t «, peut - être pas été le dernier a accufer Socrate."  454 Lettres de Ce rt ai nes découvertes, amplifiées psutêtre par mon imagination , m'opt jetté durant plufieurs jours dans une agitation fiévreufe qui m'a fait beacuoup de mal; & qui, tant qu'elle a duré, m'a empêché de vous écrire. Tout eft calmé; je fuis content de moi , & j'efpere ne plus ceffer de 1'étre , puifqu'il ne peut plus rien m'arriver de la part des hommes, a quoi je n'aye appris a m'attendre & a quoi je ne fois préparé. Bon jour, mon cher hóte, je vous ernbraffe de tout mon cceur. Lettre (*) écrite de Bourgoin le 2 Décemlre 17 61 par J. J. Rouffeau a Madame la Préjidente dt Verna de Grenoble, laquelle informée qu'il étoit venu herborifer en Dauphiné, lui avoit offert un logement dans fon chdteau. La 1 s s o k s a part, Madame, je vous fupplie, les livres & leurs auteurs. Je fuis fi fenfible i votre obligeante invitation, que fi ma fanté me permettoit de faire en cette faifon des voyages de plaifir, j'en ferois un bien volontiers pour aller vous remercier. Ce que vous avez la bonté de me dire, Madame, des étangs & des montagnei (*) Madame la Marquife de Ruffieux, fille de Madame la Préfidente de Verna , pofiede l'original de cette lettre. Elle a permis a M. I. C. d. L. d'en tirer une copie, qui a été imprimée pour la première fois dans le Journal ét Paris du 14 Juillet dernier.  J. J. R o u s s E A u. ■de votre contrée, ajoutereit a mon empreffement, mais- n'en feroit pas la première caufe. On dit que la grotte de Ia Balme eft de vos cótés; c'eft encore un objet de promenade & même d'habitation, fi je pouvois m'en pratiquer une dont les fourbes & les chauves-fouris n'approchaffent pas. A 1'égard de 1'étude des plantes, permettez, Madame , que je la fafTe en naturalifte & non pas en apotbicaire. Car, outre que je n'ai qu'une foi trés-médiocre a la médecine , je connois 1'organifation des plantes fur la foi de la nature, qui ne ment point, & je ne connois leurs vertus médicinales que fur la foi des hommes, qui font menteurs. Je ne fuis pas d'humeur a les croire fur leur parole, ni a portée de Ia vérifier. Ainfi, quant a moi, j'aime cent fois mieux voir dans' 1'émail des prés des guirlandes pour les bergères, que d.s herbes pour des Iavemens. Puiffé-jei Madame , auffitót que le printems ramenera la verdure, aller faire dans vos cantons des herborifations qui ne pourront qu'être abondantes & bril. lantes, fi je juge par les fleurs que répand votre plume , de celles qui doivent naltre autour de vous. Agréez, Madame, & faites agréer a M le Préfident, je vous, fupplie, les affuranees de tout mont refpect. (Signt) Re sou (*). (*} C'eft le nom qus prit le Citoyeu de Geneve daaa fa retraite en Dauphiné.  455 itltlBI O * Lettee a M. I. C. d. L. Monquin, le 10 Oétobre 1769. M e vo;ci } Monfieur , en vous répondant, dans une fituation bien bizarre, facbaijt bien a qui, rnais non pas a quoi: non que tout ce que vous écrivez ne mérite bien qu'on s'en- fouvienne, mais paice que je ne me fouviens plus de rien. J'avois mis a part votre lettre pour y répondre; & après avoir vingt fois renverfé ma cbambre & tous ies fatras qui la remplifiènt , je n'ai pu parvenir a retrouver cette lettre; toutefois je n'en veux pas avoir le démenti, ni que mon étoi;rderie me privé du plaifir de vous écrire. Ce ne ftra pas , fi vous voulez une réponfe, ce fera un bavardage de rencontre, pour avoir, aux dépens de votre patience, l'avantage de caufer un moment avec vous. Vous me parliez, Monfieur, du nouveau-né, dont je vous fais mes bien cordiales félicitations. Voila vos pertes réparées. Que vous êtes heureux de voir les plaifiis paternels fe multiplier autour de vous! Je vous le dis, & bien du fond de mon cceur; quiconque a le bonheur de pouvoir remplir des foins fi cbers, trouve chez lui des- plaifirs plus vrais que tous ceux du monde, & les plus douces confolations dans 1'adverfité. Heureux qui peut élever fes enfans fous fes yeux! Je plains un pere de  J. J. R O V S S E A V. f57 de familie obligé d'aller chercher au loin Ia fortane: car pour le vrai bonheur de la vie, ii en a Ia fource auprès de lui. Vous me parliez du logement auquel vous aviez eu la bonté de fonger pour moi. Vous avez bien. Monfieur, tout ce qu'il faut pour ne pas melaiffer renoneer fans regrer k I'efpoir d'être votre voifin; & pourquoi y renon eer ? Qu'eft-ce qui empêcheroit que, dans une faifon plus douce, je n'ailaffe vous voir, & voir avec vous les habitations qui pourroient me convenir? S'il s'en trouvoit une affez voifine de la vótre pour me procu-ei'agrément de vctre fociété, il y auroit- Ik de quoi racheter bien des inconvéniens, & pourvu que ja trouvaffe a-peu^près le plus néceiTaire , de quoi me confoler de n'avoir pas ce qui le fero,t moins. Vous me parliez de littérature, & précifément eet arttcle, le plus plein de chofes & le pius chgne d'être retenu , eft celui que j'ai totalement oublié. Ce fujet qui ne me rappelle que des idéés triftes & que lïnftinct éloigne de ma mémoire, a fait tort a 1'efprit avec lequel vous 1'avez traité Je me fuis fouvenu feulement que vous éciez trésatmable, même en traitant un fujet que je n'aimois plus. _ Vous me parliez de botanique ét d'herborifatrons. Ceft un objet fur lequel il me refte un peu plus de mémoire; encore ai -je grand'peur qu2 bientót elle ne s'en aille de même avec Ie goüt de la chofe, & qu'or, De parvienne a m ïendre défa-  458 Lettres de gréable jufqu'a eet innocent amufement. Quelque ■ ignorant que je fois en botanique, je ne le fuis pas au point d'aller , comme on vous 1'a dit, chercher en Europe une plante qui empoifonne par fon odeur; & je penfe. au contraire, qu'il y a beaucoup a rabattre des qualités prodigieufes tant en bien qu'.n mal, que 1'ignorarce, la charlatanerie, la crédulité , & quelquefois lalnécbanceté piêtenï anx plantes', &.qui, bien examinées, fe léduifent pour 1'ordinaire a tiès peu de chofe, fouvent .tout • a feit a rien. J'allois a Pila faire avec trois Mtffi urs, qui faifoient femWant d'aimer la botanique, une herborifation, dont le principal objet étoit un commencement d'heibier pour 1'un des tiois , è qui j'avois 'taché d'infpiier le gt ü> de cette douce & aimable étude. Tout en rnarebant, M. le médecin M '***. m'appella pour ©e moitrer, difoit-il, une trés belle arcolie. „ Comment, Monfieur, une ancoliel" lui dis-je en voyant fa plante : „ c'eft le napel." La- deffus je leur racontai les fables que le peuple débite en Suiffe fur le napel , & j'avoue qu'en avancant & ' nous trouvant comme enfevelis dans une forêt de napels, je crus un moment fentir un peu de mal de tête, dont je reconnus la chimère, & ris avec ees Meffieurs au même inftanr. Mais au lieu d'une plante a laquelle je n'avois pas fongé , j'ai viaiment & vainement cherché a Pila une fontaine glacante qui tuoit, a ce qu'on nous dit, quiconque en buvoit. Je déclaxai que  J- J- R O V S S B A ^9 j'en voulois faire 1'eiTai fur moi méme, non nas pour me tuer, je vous jure, mais pour déftL fer ces pauvres gens, fer la foi de ceux qui fe pmfent acalomnierla nature, cragnant jüfeuW tat de leur mere, & ne voyant prrtcir que les penis & k mort. J'aurois bu de 1'eau de cette* fonta.ne , comme M. Storck a man^é du nap»! Maïs au lm de cette fontaine hormicide qw nes vft pomt trouvée, nous trou,ames une fontaine trésbonne tres fnicbe. dont nous bu,es tous avec grand plaifir & qui ne tua perfonne. A u refte , mes voyages pédgftres ayant été dÏuH ^^-^'^ avec des camarades d auffi bonne humeur que moi, j'avois efpéré que ce feroit tc, Ia mém. chofe. Je voulus ,'abo j banmr routes peti.es facons de ville: pour mettre en tram ces Meffieurs, Je leur dis des canons' je vou us leur en apprendre, je m.'imaginois què «ous alUons chanter, crfailfer , foktrer toute Ia journee Je ,eur fis même m ^f ^ tend)que je „otai, tout en marchant p r l pluie avec des chiffres de mon invention. Ma s quand ma chanfon fut faite, il n'en fut X queftion; al d'amufemens ,. ni de gaLé famfearité.- voulant être badin tout feul e 1 me trouvai que groffier; toujours Ie gra d cérf! ™mal, & toujours Monfieur Dom J^het a & je me Ie tins pour dit,- & m'aimünt flP^tes; f W« ces Meffieurs s'amufe ^efatredesfaeons. Je ne fais pas trop fi ^ V S!  Afip Lettres de ipngues rabacberies vous amufent. Je fais feulement que fi je ks prolongeois encore, elles vous ennuyeroient certainement a la fin. Voila, Monteur , l'hifto're exacte de ce tant célebre pélerina,ge, qui court déja les quatre coins de la France ife qui rcmplira .bientót 1'Europe entiere de fon iifible fracas. Je vous falue, Monfieur , & vous .embraffe de tout mon cceur. Lettre d M. du Belloy. £ Monquin, par Bourgoin, le 10 Février 1770. Pauvres avcugles que nous rommes 1 Ciel 1 démafque les impojleurs , Et force leurs barbares creurs A s'ouvrir eux regards des hommes, J'h o n o r o 1 s vos t ajens, Monfieur , encore plus le digne ufage que vous en faites, & j'admi» rots comment le même efprit pa'.riotique nous avoit conduks par la même route a des deftins fi contraires: vous è l'acquifition d'une nouvelle patrie & a des honneurs diftingués, moi a la perte de la rnienne & a des opprobres inouis. Vous m'avez reffemblé , dites-vous , par le malheur; vous me feriez pleurer fur vous, fi je pouvois vous en croire. Eies-vous feul en terre étrangere , ifolé, féqutfiré, trompé, trahi, diffemé pat tout ce qui vvu* environne> enlacé ds  ƒ• f. & o u s s i ï w; 45r tramès horribles dont vous fentiez 1'effet, fans pouvoir parvenir i les connoitre, a les démêïer'T Etes- vous a Ia merci de la puiffance, de Ia rufe". de 1'iniquité . réunies pour vous trainer dans la' range, pour élever autour de vous une impénétra'ble oeuvre de ténebres, pour vous enfermer tout vrvant dans un cercueil? Si tel eft ou fut votre fort, venez, gémiffons'enfemble; mais en tout autre cas, ne' vous-vantez point de faire avec moi'. focié'.é de malheurs. J é lifois votre Bayard, fier que vous euffiez tröuvé mon Edouard digne de lui fervir de modele en quelque chofe, & vous me faifiez-vénérer Ces anfques Francois auxquels ceux d'aniourd'bui reffemblert fi peu, mais Qlle vous ^ trop bieh. agir & parler pour ne pas leur reffembler vousmême. A ma feconde lecture, je fuis tombé fur un vers qui m*avoit échappé dans la première, & qui par réflexion m'-a déchiré (*). yy ai reco non, graces au ciel, le cceur de J. J,, mais les gens è qui j'ai a faire & que pour mon malheur je?conno's trop bien. J'ai compris, j'ai penfé du moms qu'on vous avoit fuggéré ce vers-la Misère bumaine, me fuis-je dit! Que les méchans diffaraent les bons , ils font leur oeuvre ,• mais comment les trompent-ils les uns a 1'égard des- (*) II eft probable que ces deus vers droient ceux-cis-' Ore-de vertu Irilloit dam fön faux repentir > Beut-rmfi, bien la peindre & ne pas- la^fentir-9V J,  fo*2 Lettres d k autres ? Leurs arnes n'ont - elles pas pour fe reconïioltre des marqués plus füres que tous les prefti? ges des importeurs? J'ai pu douter qu Jques inftans,, je 1'avoue, fi vous n'étiez point féduit, plutót que trompé par. rne3 ennemis.. D sus ce même tems j'ai recu votre lettre & Votre Gabrielle, que j'ai lue & relue auffi, mais avec un plaifir bien plus doux que celui que m'avoit donné le guerrier Bayard; car l'héroïfme de la valeur m'a toujours moins touché que le charme du fentiment dans les ames bien nées. L'attachement que cette piece m'infpire pour fon Auteur, eft un de ces mouvemens, peut-être aveugles, mais auxquels mon cceur n'a jamais réfifté. Ceci me mene a 1'aveu d'une autre folie, a laquelle il ne réfilte pas mieux. C'eft de faire de mon Héloïfe le criterium fur lequel je juge du rapport des autres cceurs avec le mien. Je conviens volontiers qu'on peut être plein d'honnêteté, de vertu, de fens; de raifon, de goüt, & tioüver 'ce romandéteftable ; quiconque ne 1'aimera pas, peut b;en avoir part a mon eftime, mais jamais a mon amitié. Quiconque n'idolatre pas ma Julte, ne fent pas ce qu'il faut aimer; quiconque n'eft pas 1'ami de St,. Preux, ne fauroit être le mien. D'après eet entêtement, jugez du plaifir que j'ai pris en lifant votre Gabrielle , d'y retrouver ma Julie un peu plus; hétoïquement requinquée, mais gardant fon même naturel, animée peut-être d'un peu plus dechjleur, plus énergique dans les fituations tragt-.-  J- J. R o u s s e j& u. ques, mais moins enivrante auffi , feIon moi dans le calme. Frappé de voir dans des muHru' des de vers, è quel point il faut que vous ayëz? contempié cette image fi rendre dont je' fuis le Py^nanon, jjai cru fur ma regie ou fur ma manie, que la nature nous avoit fait ams; & revenant avec plus d'ineertitude aux vers de votre Bayard, J a. refolu d'en parier avec ma franchife ordinaire" fiuf a vous de me répondre ce qu'il vous plaira.- Monsieur du Belloy, je ne penfe pas de 1'bonneur. .conme vous de la vertu, qu'il foit poffibie d en parler , d'y revenir fouvent par goüt, par choix & den parler toujours d'un ton qui touche . & remue ceux qui en ont, fans' I'aime, & fansen avorr foi-même: ainfi, fans vous connoitre: autrement que par vos pieces, je vous crois- dans le cceur 1 honneur d'un ancien Chevalier & je' vous demande de vouloir me dire, fans détour, S.U y a quakjus vers dans votre Bayard dcnt en lecr.vant vous m'ayez voulu faire 1'application, D.tes-mo, fimplement oui ou non, & jevous crois Quant au projet de réchauffer les cceurs de vos compatriotes P,r 1'image des antiques vertus de leurs peres, il eft beau, mais il eft vain, L'on peut tenter de guérir des malades, mars non pas de reffufciter des mortSi Vous venez foixante-dix ans trop tard. Contemporain du grand Catinat, du bnllant Villars , du vertueux Fénelon, vous, aunez pu dire: voila encore des Francois dont j£ vous parle, leur race n'eft pas éteinte : mal V 4t  46"* Lsttii» m i aujourd'hui vous n'êtes plus que vox chmans in iejerto. Vous ne m.ttez feulement fur la fcena des gens d'un autre fiecle, mais d'un autre monde; ils n'ont plus rien de commun avec celui - ci. II ne refte a votre nation , pour fe confoler de n'avoir p'us de vertu, que deKn'y plus croire & de la cliffamer dans les autres. O s'il étoit encore des Bayards en France , avec quelle noble colere, avec quelle vive indignation ! Croyez- snoi, du Belloy, ne faites plus de ces beaux: vers * la gloire des anciens Frar.cois, de peur qu'on re foit tenté , par la jufteffe de la parodie, de 1'appliquer a ceux d'aujourd'hui. Adieu, Monfieur, fi cette lettre vous par* vient, je vous prie de m'en donner avis, afin que je ne fois pas injufte. Je vous falue de tout mon cceur., Lettxe au même. Monquin, Ie 12 Mars 1770. Pauvres aveugles que kous fommes I Ciel! démaf[ue les itnpofleurs, Et force leurs harbares cceurs /l s'ouyrir aux regards des hommes. Il faut, Monfieur, vous réfoudre i bien de 1'ennui , car j;ai grandpeur de vous écrire une longue lettre» Que  Qüe vous m'avez rafraicbi Je fang cVque j'airae' verre colere! J'y vois bien Ié fceau de la vérité'; dans- une ame fiere, que le patelirtage des gens'qui m'entourent marqué encore pius fórtemént è mes" yeux. Vous- avez daigné me fairê fentir montort; c'eft une indulgence dönt je? fens 'e prix 6. & que je n'aurois peut - être pas eire a votre place & il ne m en refté que le defir1 de vous Ié fairs oublier. Je fus < quarante ans Ie plus cönfiarit des hommes, fans que durant tout ce téms jamais une feule fois cette confiance ait été trompée. ■ Sitóe. qüe j'eus pris la p'ume, je' me trouvai dans unt autre univers, parmi de tout autres être's, aux* quels je continuai de donner la même confiance; & qui m'en ont fi terribkment corrigé , qu'iK W'ont jetté dans 1'autre extrêmité. Rien ne m^evu> vanta jamais au grand jour, mais tout meffaroui che dans les ténebres qui m'environnent, cViene vois que du noir dans 1'obfcurité- Jamais 1'objet le plus hideux ne me fit peur dans mon enfance,,. mais une figure cachée fous un drap blanc mö = donnoit des convuhions ; fur ce point comme fur • beaucoup ^'autres, je refterai enfant jufqu'a la raortt • Ma défiance eft : d'autant plus < déplorable , qua prefque toujours fondée , (& je n'ajoute prefqi* • qu'a caufe de vous) elle eft toujours fans bornes ; . paree que tout ce qui eft hors de la nature n'en < connolt plus. Voila, Monfieur , non l'afcufef mais la caufe de ma faute que d'autres cfreohirari* ces- ont amenée & même aggravée, & qu'il faut c V 5  a<53 Lettres de bien que je vous déclare pour ne pas vous tromperv Perfuadé qu'un homme puiflant vous avoit fait entresr dans fes vues a mon égard, je répondis. felon cette idéé a quelqu'un qui m'avoit parlé de vous, & je répondis avec tant d'imprudence , que je nomraai, l'homme en queftion. Hé avec un caractere boüüant dont rien na pu calmer 1'effervefcence, mes premiers mouvemens font toujours marqués , par une étourderie audacieufe, que je prends alorspour de 1'intrépidité, & que j'ai tout, le tems de pleurer dans la fuite, furtout quand elle eft injufte', comme dans cette occafion. Fiez-vous è mes. ennemis du foin de m'en punir. Mon repentir auticpa même fur leurs foins a la réception de votre lettre;. un jour. plutót elle m'eüt- épargné beaucoup de fottifes ; mais puifqu'elles font faites,. il ne me refte qu'a les expier & a tacher d'en. obtenir le pardon que je vous demande par lavcomsmifération due i mon état. Ce que vous me dites- des imputations dont vous m'avez entendu charger & du peu d'effet qu'elles ont fait fur vous-, ne m'étonne que par 1'imbécillité de ceux qui penfoient vous furprendre par cette voie. Ce n'eft pas fur des hommes tels que vous que des difcours en 1'air ont quelque prife; rads les frivoles clameurs de la calomnie qui n'excitent gueres d'attention, font bien différentes, dans leurs effets, des complots tramés & concertés durant longues années dans un profond ülence, et dont les développemens fucceffifs fe  J- J. Sons s - Z : & e# fönf Ientement , fourdement avec-méthode. Vous parlez d'évidenee -,; quand vous Ia verrez contre moi, jugez-moi, c'eft votre droit; maisnoubliei pas de juger auffi .'mes accufateurs-? exammez quel motif leur infpire tanfda zele. J'aitoujours- vu que les méchans infpiroient de 1'horreut», mais point d'animofifé. - On les punit o«. on les fuit, mais on ne fe tourmente pas-d'emr. fans celTe; on ne s'occupe pas fans ceffe a les circonvenir, è les tromper, è les trahir;.ce n'eftpomt a eux que 1'on fait ces chofes-la, ce foner: eux qui les font aux autres. Dites donc k ces bon-' netes gens fi zélés, fi vertueux , fi fiers furtout ' detre des traltres, & qui fe mafquent avec-tant. de fotn pour me détnafquer: t „ Meffieurs, j'ad*' m,re votre zeIe» & vos preuves me paroiffenr „ fans réplique; mais pourquoi donc craindre fi i w fon <3ue raccufé ne les fache & n'y réponde ? ' » Permettez que je 1'en inftruife & que je vous^ .» nomme.. II n'eft pas généraix-, - il .n'eft pas . » meme jufte de diffamer un homme, quoi qu'ij. » foit, en fe cachant de lui. C'eft, dites-vous,,, „ par ménagement pour lui que vous ne voulez • ,, pas le confondre; mais il feroit moins crue!,, ^ ce me femble, de le confondre que de le diffa- „ mer, & de lui óter Ia vie que de la lui rendre » mfupportable. Tout hypocrite de vertu do's1 etre publiquement confondu; c'eft-la fon vrafr » cbatiment, & 1'évidence elle-méme eft fufpecte » quand elle élude la conviftion de l'accufé." Kn > V> 6  458 Lettres fc e leur parlant de la forte, examinez leur contenan*ce, pefez leur réponfe;. faivez , en la jugeant» les mouvemens de votre caeur ét les lumieres de votre raifon; voila, Monfieur, tout ce que je vous demande, & je- me tiens alors pour bien jugé.- Vo u s me tancez avec grande raifon fur la maniere dont je vous parois-juger'votre nation 5 ce n'eft pas ainfi que je la juge de fang-froid, & je fuis bien éloigné , je vous jure,. de lui rendre ï'injuftice dont elle ufe envers moi. Ce jugement trop dur étoit 1'ouvrage d'un moment de dépit & de colere qui même ne fe rapportoit pas a moi, mais au grand homme qu'on vient-de chaffer de fa raiffante patrie , qu'il illuftroit déja dans fon berceau, & dont on ofe encore fouilier les veitits avec tant d'artifice & d'injuftice. S'il reftoic, ma difois-je, de ces Francois céiébrés par du Belloy, pourquoi leur indignation ne réelameroit - elle point contre ces manoeuvres fi peu dignes- d'eux? C'es t a cette occafion que Bayard me revint en mémoire, bien fór de ce qu'il diroit ou feroit, s'il vivoit aujourd'hui. Je ne fentois pas affez. que tous les hommes, même vertueux, ne font. pas des Bayards, qu'on peut être timide fans ceffer d'être jufte, & qu'en penfant iceux quimachinent & crient, j'avois tort d'oubüer ceux qui gémifient"' & fe taifent. J'ai toujours aimé votre nation, elle. eft même ceile de 1'Europe que j'honore le plus, non que j'y croie appercevoir plus de vertus que. dans les auues , mais par un précieux refte de.  T' ]i R O Ü S S- E A' ti At> leur amour qui s'y eft confervé & que vous réveifléz , quand il étoit pi** a s'éteindre. II ne faut jamais défefpérer- dun peuple qui aime encore ce qui eft jufte & bonnête, quoiqufil ne Ie pratique plus. Les. Francois- auroBt beau applaudir aux traits -héroïques que vous leur préfentez , je doute qu'ils les imitent, mais ils s'en tranfportercnt dans vos pieces, &lesaimeront dans les autres hommes,, quand on ne les empéchera pas de les y voir. On eft encore forcé de les tromper pour les rendre injuftes, précaution dont je n'ai pas vu qu'on eüt grand! befoin pour d'autres psuples. Voilé, Monfieuri comment je penfe conftamment a 1'égard des Francois , quoique je n'attende plus de leur part qu'injuftice , outrages & perfécution ; mais ce n'eft pas a la nation que je les impute, & tout cela n'empêche pas que plufieurs de fes membres, n'aient toute mon eftime & ne la méritent, même dans 1'erreur oii on les tient. D'aiHeurs, mon cceur s'enflamme - bien plus aux injuftices. dont je fuis témoin , qu'a celles dont je fuis Ja viétime; il lui manque, pour ces dernieres, 1'énergie & la vigueur d'un généreux 'défintéreflement. II me femble que ce n'eft pas la peine. de . m'échauffcr pour une caufe qui n'intérefle que moi. Je regarde mes malheurs comme liés a mon état d'homme & d'ami de la vérité. Je vois le méchant qui me perfécute & me diffame, comme je verrois un rocher fe détacher d'une montagne & venir m'écrafer. Je le repouiTexois, fi j'en avois ,1a force, mais V 7  470 Lettres du fans colére, & puis je le IailTerois - la fans y plus fonger- J'avoue pourtantwrue ces mêmes malheurs m'ont d'abord pris au dépourvu , paree qu'il en • eft auxquels il n'eft pas même permis a un< honnete homme d'être préparé; j'en ai été cependant pius abattu quiirrité; & maintenant que me voila prét, j'efpere me laiffer un peu moins accabier-, mais pas plus émoiwoir de ceux qui m'atten-dent. A mon age & dans mon état, ce n'eft plus la peine de s'en tourmenter, & j'en vois le terme de trop prés , pour m'inquiéter beaucoup de 1'efpace qui me refte. Mais je n'entends rien a ce que vous me dites de ceux que vous avez effuyés: affurément je fuis fait pour les plaindre; mais que peuvent-ils avoir de commun avec les mïens? Ma fituation eft unique, elle eft inouie depuis que le monde exifte, & je ne puispréfumer qu'il s'en retrouve jamais de pareille. Je necomprends donc point quel rapport il peut y avoir dans nos deftinées, & j'aime a croire que vous vous abufez fur ce point. Adieu, Monfieur, vivez heureux; jouiffez en paix de votre gloire & fou« ■ ▼enez-vous quelquefois d'un homme qui vous honorera toujours*  j.' j-'. R o v g s e a 0. 4i7j. Lettre & m. Va. M„. a Monquin, par BonrgoinIe 9 Février 1770,, Pauvres areng/es que nous fommes J : Gel.' rlémafqae les inpojleurs, El force leurs larbares cceurs EA s'ouyrir aux regards des hommes* n vérité, Monfieur, votre lettre n'eftpomt.' d'un jeune homme qui a befoin de confeil; elle eft d'un fage très-capable d'en donner. Je ne puis vous dire a quel point cette lettre m'a frappé. Si vous avez en efitt letofFe qu'elle annonce", il eft a defirer pour le bien de votre éleve, que fis parens fintent Ie prix. de l'homme qu'ilaont mis auprès de lui.. Je fuis, & depuis fi longtems, fi loin des idéés, fur lefquelles vous me remettez, qu'elles me fontdevenues abfolument étrangeres, Toutefois je. remplirai felon ma portée , Ié devoir que vousm'impofez; mais je fuis bien perfuadé que vous ferez mieux de vous en rapporter a vous qu'a moi, fur la meilleure maniere de vous conduire dans le cas difficile oü vous vous trouvez. S 1T ó t qu'on s'eft dévoyé de la droite route de la nature, rien n'eft p!us difficile que d'y rentrer. ^ Votre enfant a pris un pit d'autant moins faeile a corriger , que néceflairement tout ce qui 1'environne, doit empêcher 1'effet de vos foins  4 7 & L' e ' t ' t r' e s" b e pour y parvenir. G'eft ordirairement le premier ' pli que les enfans de quaiité contractent, & c'efè le dernier qu'on peut leur faire ptrdre , pareequ'il faut pour cela le concours-de Ia ïaifon, qui Jtur vient plus tard qu'a tous les autres enfans. Ke vous effrayez donc pas trop que 1'efFet de vosfoins ne réponde pas d'abord a la chaleur de votre zele ; vous devez vous attendre è peu de ' fuccès jufqu'a ce que vous ayez la prife qui prat 1'amener; mais ce n'eft pas une raifon pour vous relacher en attendant. Vous voila dans un bateau', qu'un courant trés • raprde entralne en arriere; il faut beaucoup de travail pour ne pas recu'er. La voie que vous avez prife & que vcus craignez n'être pas la meiileure, ne Ie fera pas toujours, fars doute. Mais elle me parolt la meiileure en attendant. I! n'y a que trois inftrumens pour agir für les ames humaines; la raifon", le • fentiment & Ia néceffité. Vous avez inutilement employé le premier; il n'eft pas vrajfemblable que ' le fecond tüt plus d'effet; refte le troifieme, & mon avis eft que pour quelque tems vous devez vous y tenir; d'autant plus que la première & la plus importante philcfophie de l'homme de tout état & de tout age, eft d'apprendre a fléchir fous le dur joug de la néceffité-. Clavos trabaks £f »neos manü gejlans aJmnd, I l eft clair que 1'opinion, ce monftre qui dé»ore le genre humain, a déja farci de fes préjugés la tête du petit bon-homme. 11 voas regarde cour-  J. J. R O V S S E A 17. 4-7,5 we un homme a fes gages, une efpece de domeflique, fait pour, lui obéir,.pour complaire a fes caprices; & dans fon petit jugement, il lui parolt fort étrange que ce foit vous qui prétendiez I'affervir aux \6ires; car c'eft ainfi qu'il voit tout ce que vous lui prefcrivez- Toute fa conduite avec vous n'eft qu'une conféquence de cette maxime, qui n'eft pas injufte, mais qu'il applique mal, que c'eft d celui qui paye de commander. D'après cela qu'importe qu'il ait tort ou raifon; c'eft lui qui paye. Essayez chemin faifant, d'effacer cette opinion par des opinions plus juftes, de redreffer fes erreurs par des jugemens plus fenfés. Tachez de lui faire comprendre qu'il y a des chofls plus eftimables que- la naiffance & que les richeffes , & pour le lui faire comprendre, il ne faut pas Ie lui dire, il faut.le lui fa re fentir, Forcez fa petite ame vaine a refpecter Ia juftice & le courage, a fe rmttre a genoux devant Ia vertu; & n'aliez pas pour cela lui chercher des livres. Les hommes des livres ne feront jamais póur lui que des hommes d'un autre monde ; je ne fache qu'un feul modele qui puiffe avoir a fes yeux de la réallté , & ce modele c'eft vous, Monfieur ; le pofte que vous rempliffez eft a mes yeux Ie plus noble & le pius grand qui foit fur la terre. Que Ie vil peuple en penle ce qu'il voudra, pour moi je vous vois a la place de Dieu; vous faites un homme. Si vous vous. voyez du même ceii que moi, que:  474-' Let-tris d z cette idéé doit vous élever en dedans de vetwmême! qu'elle peur vous rendïe grand en effet.' & c'eft ce qu'1 faut, car fi vous ne 1'éf'ez qu'en apparerce & que vous ne fifïïez que jouer Ia vertil, Ie petit bon homme vous pér^'reroit infarlIiblemenr , & tout feroit p*rdtti Ma s fi cette image fublime du grand & du beau lè frappe une fois en vous; fi votre défintéreff-ment lui apprend que la richefle ne peut pas tout ,■ s'il voit en vous combien il eft plus grand de commander a foi-même qu'a des valets; fi vous le forcez en un mot i vous refpefter; dès eet inffimt vous 1'aurez fuf> jugué, & je vous réponcls que quelque femblant qu'il faffe , il ne trouvera plus éga! que vous foyez d'accord avec lui ou non; furtout fi en le forcant de vous honorer dans le fond de fon petit cceur, vous lui marquez en même tems faire peu de cas de ce qu'il penfe lui même, & ne vouloir plus vous fatiguer a Ie faire convenir de fes torts. II me femble qu'avec une certaine facon graVe & foutenue d]exerccr fur lui votre autorité,, vous parviendrez a la fin a demander froidement a votre tour, qu'e!l-ce que cela fait que nousfoyons d'accord ou non? Et qu'il trouvera lui que cela fait quelque chofe. II faudra feulement éviter de. joindre a ce fang-froid, la dure'é qui vous rendroit haïffable. Sans entrer en explication avec lui, vous pourrez dire a d'autres en fa préfence : „ j'aurois fait mes délices de rendre fon en„.fance beureufe, mais il nc 1'a pas voulu, &.  f- J. ROUSSEATJ. 47g. „ j'aime encore mieux qu'il foit malheureux étant „ enfant, que mépdfable étant homme". A I'égard des purifons je penfe comme vous , qu'il n'en faur [atrmis venir aux coup--, que dans Ie feul cas ou il auioi: commencé lui-même. Ses cbatimens ne doivent jama s être que des abftinences, & tnées, autant qu'il fe peut, de la nature du delit. Je voudrois même que vous vous y foumiffiez toujours avec lui, quand cela feroit poffibie, & cela fans.affechtion, fans que cela parüt vous cofiter, & de facon qu'il pilt en quelque forte lire dans: votve cceur fans que vous le ]u; difiez, que vous fentez bien la privation que vous lui impofez, que c'eft fans y fonger que vous vous y foumettez vous-même. En un mot, pour réufiïr, il faudroit vous rendre prefqu-impaffible , & ne fentir que par votre éleve ou pour lui. Vo«'ia je Iavoue, une terrible tache , mais je ne vois nul autre moyen de fuccès. Et» ce fuccès me paroit allure de part ou d'autre, car quand avec tant de foins vous n'auriez pas le bonheur d'avoir fait un homme, n'eft-ce rien que de 1'être devenu? Tout ceci fuppofe que Ia dédaigneufe hauteur de l'enfant n'eft que la petite vanité de la petite grandeur, dont fes Bonnes auront bourfouffié fa. petite ame; mais il pourroit arriver auffi que ce fut I'effet de 1'apreté d'un caractere indomptable & fier, gui ne veut céder qü'i lui-même ; cette. dureté propre aux feuls naturels qui ont beaucoup, detofFe, & qui ne fe trouye gUfcres au ^  47*' L ! rrs i s © i vous vivez, n'eft pas probablement ceile de votrs éleve; fi cependant cela fe trouvoit (& c'eft un difcemement facile- a faire) alors il faudroit bien vous garder de fuivre avec lui la méthode dont je viens dé*parler, & de heurter la rudeffè avec !a rudefle; les ouvriers en bois n'emploient jamais fer fur fer; ainfi faut-il fa re avec les tfprits roides qui réfiftent toujours a la force; il n'y a fur eux qu'une prife, mais aimable & ftVe , c'eft 1'attachement & la bienveillance; iffaut les appri"voifer comme les lions, par les careffes.- on rifque peu de gater de pareils enfans ; tout confifte a s'en faire aimer une fois; après cela vous les feriez Biarcher fur des fers rouges. Pardonnez, Monfieur, tout ce radotage a ma pauvre tére qui diverge, bat la campagne & fe per.d a la fuite de la moindre idée. - Je n'ai pas le couiage de relire ma lettre, de peur d'être forcé de la recommencer. J'ai voulu vous montrer le vrai defir que j'aurois de vous complaire & d'ap« plaudir a vos rsfpeftables foins; mais je fuis trèspgrfuadé , qu'avec les talens que vous me paroisfez avoir & le zele qui les anime, vous n'avez bvfoin que de vous> n.ême pour conduire auffi fagement qu'il eft poffibie, le fujet que Ia Providence a mis entre vos roains. Je vous honore* Monfieur , & vous falue da tout mon cceur.  J. J. RouisEAir. 477 L e t t r e a« mem?. Monquin., le 28 Février 1770. Votre précédente lettre, Monfieur, m'en promettoit fi bien une feconde & j'étois fi für qu'elle viendroit, que, quoique je me cruffe obligé de vous tirer de Terreur oü je vous voyois, j'aimai mieux tarder de remplir ce devoir, que de vous óter ce plaifir fi doux aux cceurs honnêtes, de léparer leurs torts de leur propre mouvement. (*) La bizarre manierede dacer qui vous a fcandahfé, eft une formule générale dont depuis quelque tems j'ufe indifféremment avec tout le monde; qui n'a ni ne peut avoir aucun t-rait aux perfonnes a quij'écris, puifque ceux qu'elle regarde ne font pas faits pour etre bonorés de mes lettres & ne le feront fürement jamais. Comment m'avez-vous pu croire affez brutal, affez féroce poür vou'oir infulter ainfi de galté de cceur, quelqu'un que je re connois que par une lettre pleine de témoigna,ges d'eftime pour moi & fi propre a m'en infpirer pour lui? Cette erreur ett ia-deflus tout ce dont C*) Pour rintefligence de cette pbrafe & de celles qui la fuivent, il fan: fav ir que la perionne ï qui cetre fecomte lettre éroit adreiTée, avoic mis en tête de fa réponfe a la première, un qu.itrain qui fembloit annoncer qu ede avoit pns en mauvaife part celui de M. RouiTeau j Cf qui cependant n'étoit pas.  473 Lettres de je peux me plaindre; car fi ce n'en eüt pas été une, votre reffentiment devenoit trés -Iégitime & votre quatrain-très-méri:é. Si même j'avois quelque autre reproche è vous faire, ce feroit fur le ton de votre lettre, qui cadroit fi mal avec celui de votre quatrain. Quoique dans votre opinion je vous en euiTe donné. Texemple , deviez-vous jamais 1'imïter ?JNfe deviez-vous pas.au contraire, être encore plus indigné de Pironie & de la fauffeté déteftable que cette contradiction mettoit dans ma lettre, & la vertu doit-elle jamais fouiller fes mains innocentes avec les armes des mécbans , même pour repouffér leurs atteintes ? Je vous avoue franchement, que je vous ai bien plus aifément pardonné le quatrain, que le corps de la lettre. Je paffe les injures dans la colere, mais j'ai peine a paffer les cajolerieji. Pardon, Monfieur. a men tour. J'ufe peut-être un peu durement des droits de mon age. Mais je vous dois la vérité , depuis que vous m'avez infpiré de 1'eftime. C'eft un bien dont je fais trop de cas, pour laiffer pasfer en filence rien de ce qui peut 1'altérer. A préfent oublions pour jamais ce petit démêlé, je vous en prie, & ne nous fouvenons que de ce qui peut nous rendre plus intéreffans 1'un a 1'autre, par la maniere dont il a fini. Revenons è votre emploi. S'il eft vrai que vous ayez adopté le plan que j'ai tiché de tracer dans l'Emile, j'admire votre courage; car vous avez trop de lumieres pour ne pas voir, que  J- J- R O D S S I A & dans un parei! .fyftême il faut tout ou rien, & qu'il /aulroit cent fois mieux reprendre Ie train des éducations ordinaires & faire un petit talon rouge, que de fuivre a demi ceile-la pour ne faire qu'un homme manqué. Ce que j'appelle tout' n eft pas de fuivre fervilement mes idé.s, au coo tratre c'eft fouvent de les corriger; mafs de s'attacner aux principes & d'en fuivre exact .ment les conféquences, avec les modifications qu'exige néceiTairtm.nt toute application particuliere. Vous ne p mvez ignorer quelle tacbe immenfe vous vous do„n z. Vous -voila pendant dix ans au moins nul pour vous-même, & livüé tout entier, avec toutes vos facultés, a votre éleve. Vigilance patience , tarteté , voda furtout trois quatités fur lefquelles vous ne fauriez vous relacber un feul lïïïtant, fans rflquw de tout perdre. Oui de tout perdre, entiérement tout. Un moment d'impatience, de négligence ou d'oubli, peut vous óter le fruit de fix ans de iravaux, fans qu'il vous en refte rien du tout, pas même la poffibilité de le recouvrer par ie travail de dix autres. Certainement sM y a que.que chofe qui mérite Ie nom d'heroïque & de grand parmi les hommes, c'eft le fucces des entrep.ifes pareiiles a Ia vótre; car le fuccès eft toujours proportionné a la dépenfe de talens & de vertus dont on Ta acheté. Mais auffi, quel don vous aurez fait a vos femblables, & quel pnx pour vous-même de vos grands & pénibles travaux? Vous vous ferez fait un ami, car c'eft.  4?o Lettres ia la'Ie terme néceffaire dn refpeft, de reftime & de la reconnoiffance dont vous 1'aurez pénétré. Voyez, Monfieur, dix ans de travaux immenfes, & toutes les plus douces jouiffances de la vie pour le refte de vos jours & au-dela. Voilé les avances que vous avez faites, & voila le prix qui doit les payer. Si vous avez befoin d'encouragement dans cette entreprife, vous me trouverez toujours prêt. Si vous avez befoin de confeils, ils font déformais au-deffus de mes forces. Je ne puis vous promettre que de la bonne volonté. Mais vous la trouverez toujours pleine & fincere. Soit dit une fois pour tout-s, & lorfque vous me croirez bon & quelque chofe , ne craignez pas de m'importuner. Je vous falue de tout mon cceur. Lettre au même. Monquin, le 14 Mars 1770. Je voudrois, Monfieur, pour 1'amour de vous, que 1'applcation qu'il vous plait de faire de votre quatrain, fut affez naturelle pour être croyable: mais puifque vous aimez mieux vous excufer, que vous accufer d'une promp:itude que j'aurois pu moi-même avoir a votre place, foit; je n'épiloguerai pas la deffus. Depuis rirrpreffion de YEmile, je ne 1'ai relu qu'une fois, ii y a fix ans, pour corriger un exem- piaire,  J" J. R O V S t E A V. ^fjï plaire, & Ie trouble continuel oü 1'on aïme k me faire vivre , a tellement gagné ma pauvre tête , que j'ai perduje peu de mémoire qui ms reftoit, & que je garde a peine une idéé générale du con' tenu de mes écrits. Je me rappslle pourtant fort bien qu'il doit y avoir dans YEmile un paffage lelatif a celui que vous me citez; mais je fuis parfaitement für qu'il n'eft pas le même, paree qu'il préfente, ainfi défiguré, un fens trop différent de celui dont j'étois plein en ïécrivant. J'ai bien pu ne pas fonger k éviter dans ce palTage, le fins qu'on eüt pu lui donner, s'il eüt été écrit Pt Cartouche ou par Raffiat, mais je n'ai jamais pu m'exprimer auffi incorrecrement dans Ie fins que je luidonnois moi-même. Vous ferez peut-é.re bien aife d'apprendre 1'anecdote qui me conduifit a cette idéé- Le feu Roi de Pruffe, déja grand amateur de Ia difciplme militaire , pafTant en revue un de "fis régimens, fut fi mécontent de la manoeuvre, qu'au lieu d'imiter le noble ufage que Louis.XIV en colere avoit fait de fa canne , il s'oublia jufqu'a frapper de Ia fienne Ie Major qui commando.-,, L officier outragé recule deux pas, porte la main J Iun de fes piftolets , Ie tire aux pieds du cheval du Roi, & de 1'autre fi caffi la tête. Ce tra t auquel je ne penfe jamais fans treiTaillir d'admira* üon , me revint fortement en écrivant VEmUe & jen fis 1'application de moi-même au cas d'un particulier qui en déshonore un autre, mais en Lettres. v  48a Lettres de modifiant 1'acte par la difFérence des perfonnages. Vous lentez, Monfieur, qu'autant le Major ba;tor:né eft grand & fublime, quand^ piêt è s'óter Ja vie , maitre par conféquent de ceile de lof. fimfeur, & le lui prouvant, il la refpecte pourtant en fujet vertueux, s'éleve par-Ia-mêtne au - deffus de fon Souverain, & meutt en lui faifant grace; autant la même clémence vis ï vis un biutal obfcur feroit inepte. Le Major employant fon premier o-up'de piftolet, n'eüt été qu'un forcené; le particulier perdant le fien, ne feroit qu'un Sot. Maïs un homme vertueux, un croyant, peut avoir le foupule de difpofer de fa propre vie, fans cependant pouvoir fe réfoudre a furvivre a fon désronneur, dont la perte, même in jufte, entraine des malheurs civils, pires c;nt fois que la moit. Sur ce cbapitre de 1'honneur , Pinfuffifance des loix rif us laiffe toujours dans 1'état de nature; je crois ttïa prouvé dans ma lettre a M. d'Alembert fur les fpectacles. L'bonneur d'un homme ne peut avoir de vrai défenfeur, ni de vrai vengeur que lui-même; loin qu'ici la clémence qu'en tout autre cas prefciit la vertu, fo'tpermife, elle eft défendue, & laiffer impuni fon déshonneur , c'eft y confent'r; on lui doit fa vengeance; on fe la doit a foi-même; on la doit même a la fociété, & aux auTcs gens d'honneur qui la compofent; & c'eft ici 1'une des fortes raifons qui rendent le duel extravagant, moins paree qu'il expofe 1'innoGent a pét'tt, que paree qu'il 1'expofe a périr fans  J. J. R O TJ S S E A O. 483 vengeance, & * laiffer le coupable triomphant • & vous rcmarquerez que ce qui rend le trait du M.jor vra'ment héroïque, eft moins Ia mort qu'il fe donne , que la fiere & noble vengeance qu'il fait tirer de fon Roi. C'eft fon premier coup de piftolet qui fait valoir Ie ftcond : quel fujet fi iüi óte, & quels remords il lui laiffe! Encore une fo>s, le cas entre particuliers eft tout différent. Upendant fi 1'honneur prefcrit Ia vengeance il la prefcrit courageufe; celui qui fe venge en Ikhe au beu d'effacer fon infamie y met Ie comble ■ mais* «lui qui fe venge & meurt, eft bien réhabilité. 61 donc un homme indignement, injuftement flétri par un autre, va le chercher un piftolet a la main dans 1'amphithéatre de J'opéra , lui caffe la tête devant tout le monde, & puis fe lailTant tranquil. lement mener devant les juges, leur dit: % viens de faire un aSe de juftice , que je me devois R qui n appartenoit qu'a moi , faites-moi penJre fi vous iofez; il fe p0Urra bien qu'üs Ie fairent dfe en effet, paree qu'enfin quiconque a donné ia mort la merite & qu'il a dü même y CQmpter . ^ je réponds qu'il ira au fupplice avec 1'eftime de tout homme équitable & fenfé, comme avee I3 mxenne; & fi cet exemple inümide un p£u les titeurs d'hommes, & fait marcher les gens d'honneur, qui ne feraillent pas, ]a tête un p£u p!us levee, je dis que Ja mort de eet homme de eourage ne fera pas inutile a la fociété. La corX ^nt de ce détail, que de ce que j'ai dit i X 2  484 Lettbes de' ce fujet dans l'Emile, & que je répétai fouvent quand ce livre parot, a ceux qui me parierent de eet article, eft qu'on ne déshonore point un homme qui fait mourir. Je ne dirai pas ici fi j'ai tort; ce!a pourra fe difcuter a Ioifir dars la fuite: mais tort ou non, fi cette doctrine me trompe, vous permettrez néanmoins ,n'en déplaife a votre iliuftre próneur d'oracles, que je ne me tienne pas pour déshonoré. J e viens , Monfieur, a la queftion que vous me propofez fur votre éleve. Mon fentiment eft qu'on ne doit forcer un enfant a manger de rien. 11 y a des tépugnances qui ont leur caufe dans la conftitution particuliere de l'individu, & celles-ia font invincibles; les autres qui ne font que des fmtaifies, ne font pas durables, a moins qu'on ne les rende telles a force d'y faire attention. 11 pourroit y avoir quelque crofe de vrai dans le cas de piévoyance qu'on vous allegue, fi (chofe prefque ïnouïe) il s'agiiToit d'alinens de première néceffité, comme le pain, 1e laic , les fruits. II faudroit du moins lacher de vaincre cette répugnance, fans que l'enfant s'en apper'cüt & fans le contrarier; ce qui, par exemple, pourroit fe faire en 1'expofant a avoir grand'faim, & a ne trouver, comme par riafard, que 1'aliment auquel il répugne. Mais fi eet effai ne réuffit pas, je ne ferois pas d'avis de s'y obftiner. Qae s'il s'agit de mets compofés tels qu'on en fert fur les tables des grands, la précaution parolt d'abord affez fuperflue ; car il tft  J. j. R o o i s ï a ir, 4?5 * peu apparent que Ie petit bon-homme fe trouve un jour réJuit darts les bois ou ailleurs, a des ragouts de truffes ou k des profiteroles, au chocolat pour toute nourriture, Mais peu'.-être a-ton un autre objet qu'on ne vous dit pas & qui n'eft pas fans fondement. Vo're éleve eft fait pour avoir un jour place aux petits foupés des rois & des princes: il doit aimer tout ce qu'ils aimeront; il doit préférer tout ce qu'ils préféreront ; il doit en toute-chofe avoir les goüts qu'ils auront;. & il n'eft pas d'un bon courtifan d'en'avoir d'exclufifs. Vous devez comprendre par-la & par beaucoup d'autres chofes, que ce n'eft pas un Emiie que vous ave? a éle'-er, Ainfi gardez-vous bien d'être un Jean - Jaques; car comme vous voyez, cela ne réuffit pas pour Ie bonheur de cette vie. Prêt i quitter cette demeure, je n'ai plus d'adreffe affez fixe a vous donner pour y reeë» voir de vos lettres. Adieu, Monfieur. Lettre a Madame B. Monquin., Is 28 Ottobre 1769. 5 1 je n'avois été garde • malade , Madame, & fi je ne 1'étois encore , j'aurois été moins lentr 6 je ferois moins bref k vous remercier du plaifir que m'a fait votre lettre , & du. defir que. X '3,  436 L ! t t s £ ( D X j'ai de mériter 6c culdver Ia correfpondance que vous daignez m'offrir. Votre caractere aimable & vos bons fentimens m'éioient déja affez connus pour me donner du regret de n'avoir pu leur rendre mon hommage en perfonne, lorfque je fus un inftant votre voifin. Maintenant vous m'offrez, Madame, dans Ia douceur de m'entretenirquelquefois avec vous, un dédommagement dont je fens déjè le prix, mais qui ne peut pourtant qu'a 1'aide d'une'imagination qui vous cherche, fuppléer au charme de voir animer vos veux & vos traits par ces fentimens vivifians & Jhonnêtes dont votre cceur me parolt pénétré. 3Ne craignez point que le mien repoulTe Ia confiance dont vous voulez bien m'honorer & dont Je ne fuis pas indigne. Adieu', Madame , foyez fftre , je vous fupplie, que mon cceur répond très-bien au vótre , & que c'eft pour cela que ma plume n'ajoute rien. Lettre d Ia méme. Wonquin, le 7 Décembre 1769. Je préfume, Madame, que vous voila heureufement arrivée a Paris & peut être déja dans le tourbillon de ces phifirs bruyans dont vous. preffentiez Ie vuide, en vous propofant de les  J. J. H o u ss u a 4>?2~ chercher. Je ne crains pas que vous les trouviez k 1'épreuve, plus fubftantiels pour un cceur. tel que le vótre me paroit être , que vous ne; les avez eftirnés • mais il en pourroit réfulter de leur habitude une chofe bien cruélle, c'eft qu'ils devir.ffent pour vous des befoins, fans ê:re des alimens ; & vous voyez dans quel état cruel cela jette , quand on eft forcé de chercher fon exifience la oü 1'on fent bien qu'on ne trou -era jamais le bonheur. Pour prévenir un pareil malheur quand on eft dans le train d'en courir le rifque, je ne vois gueres qu'une chofe è faire , c'eft de veiüer férérement fur foi-même, & de rompre- cette habitude , ou dumoins de 1'interrompre avant de s'en killer fubjuguer. Le mal eft que dans ce cas, comme dans un autre plus grave , on ne commencé gueres k craindre Ie joug que quand on le port* & qu'il n'eft plus tems de le fecouer; mais j'avoue auffi que quiconque a pu faire eet acte de vigueur dans le cas Ie plus difficile, peut bien compter 'fur foi. même auffi dans 1'autre; il fuffit de prévoir qu'on en aura befoin. La conclufion de ma morale fera donc moins auftere que Ie débu' Je ne blame affurément pas que vous vous li', vriez , avec la modération que vous y voulez mettre , aux amufemens du grand monde oü vous vous trouvez. Votre &ge, Madame, vos fentimens, vos réfolutions, vous donnent tout lé- drott d'en goüter les innecens plaifirs fans X 4.-  LlTTRES DE alarmes; & tout ce que je vois deplus h ÉKndre dans les fociétés oü vous alfez briller, eft que vous ne rendiez beaucoup plus difEcile a fuivre pour d'autres, 1'avis que je prends Ia liberté de vous donr.er. J ii crainsbien, Madame, que 1'intérêt peutétre un peu trop vif que vous m'infpirez, ne Jifait fait vous. prendre un peu trop légérement au mqt fur ce ton de pédagogue que vous m'invitez en quelque facon de prendre avec vous. Si vous trouvez mon radotage impertinent ou mauiTade, ce fera ma vengeance de la petite ma.'ice avec laquelle vous êtes venue agacer un pauvre barbon qui fe dépêche d'êire fermoneur, pour éviter la tentation d'être encore plus ridicule. Je fuis même un peu tenté, je vous 1'avoue, de m'en renir -14; 1'état oii vous m'apprenez que vous êtes acïuellement, & le vuide du cceur, accompagné d'une trkleffe habitueiie que laiffe dans le vótre ce tumulte qu'on appelie fociéié, me donnent, Madame, un vif defir de rechercber avec vous s'il n'y auroit pas moyen de faire fervir ure de ces deux chofes de reinede a 1'autre; mais cda me meneroit & des difcuflions fi déplacées dans le train d'3muftmens cii je vous fuppofe , & que le carnaval dont üous approchons va probablement rendre plus vifs, qu'il me faudroit de votre part plus qu'une permiffiön pour ofer entamer cette matiere dans i.n moment auffi défavantageux; ii vous m'en.. tendez  J. J.. R o u s s e. a. y„ 4,851- tendéj^d'avance, comme je puis 1'efpérer ou les craindre , dites-mor de grace fi je dois parler ou me faire, & foyez füre, Madame, que dans: Kun ou 1'autre cas je vous obéirai, non pas avec le même plaifir peut-êtte,. mais avec la- même fidélité- Lettre a la même* Monquin, le. 17 Janvier 1770^ "Votre lettre, Madame, exigeroit une loni gu»réponfe, mais je crains que le trouble pasfager oü. je fuis., ne me permette pas de la fairecomme il faudroit. II m'eft difficile de m'accouiumer affez aux outrages & a 1'impofture même la plus comique, pour ne pas femk ü chaque fois qu'on les renouvelle, les bouillon, riemens d'un cceur fier qui s'indigne, précéder Je ris moqueur qui doit être ma feule réponfe èt tout cela, Je crois pourtant avoir. gagné beam coup ; j'efpere gagner davantage& je croiV voir le moment affez proche oü je me ferai un. amufement de fuivre , dans .leurs mar.ceuvrea fouterraines, ces troupes de noires taupes qui' fe fatiguent ame jetter de la terre fur las pieds,. En attendant, nature pütit encore un peu , ja' 1'avoue; mais le mal eft court, bientêt il fera* mL Je viens è vous.  490 Lettres db J'eus toujours Ie cceur un peu romanefque,. & j'ai peur d'être encore mal guéri de ce penchant en vous écrivant; excufez donc, Madame, s'il fe mêle un peu de vifions a mes idéés; & S'il s'y mêle aufiï un peu de raifon, ne Ia dédaignez pas fous quelque forme & avec queique cortege qu'elle fe préfente. Notre correfpon.. dance a commencé d'une maniere a me la rendre a jamais intéreiTante. Un acte de vertu dont je connois bien tout le prix; un befoin de nourriture h votre ame qui me fait préfumer de la vigueur pour la digérer, & Ia fanté qui en eft Ia fource. Ce vuide interne dont vous vous plaignez, ne fe fait fentir qu'aux cceurs faits pour être remplis. Les cceurs étroifs ne fentent jamais de vuide, paree qu'ils font toujours pleins de rien; il en ell, au contraire, dont Ia capacité vorace eft fi grande , que les chétifs êtres qui nous entourent ne la peuvent remplir. Si la nature vous a fait le rare & funefte préfent d'un cceur trop fenfible au befoin d'être heureux, ne cherchez rien au • dehors qui lui puiffe fufHre : ce n'eft que de fa propre fubftance qu'il doit fe nourrir. Madame, tout Ie bonheur que nous voulons tirer de ce qui nous eft étranger , eft tin bonheur faux. Les gens qui ne font fufceptibles d'aucun autre, font bien de s'en contenter; mais li vous êtes ceile que je fuppofe, vous ne ferez jamais heureufe que par vous-même; n'attendez rien pour cela que de vous. Ce fens  J. J. rousseao. 491 moral fi rare parmi les hommes, ce fentiment exquis du beau, du vrai, du jufie, qui réfié» chic toujours fur nous. mêmes, tient 1'ame de quiconque en eft döué, dans un raviffement continuel qui eft la plus déücieufe des jouiffances. La rigueur du fort, Ia méchanceté des hommes, les maux imprénis, les calamités de toute efpece peuvent 1'engourdir pour quelques moment, mais jamais 1'éteindre; & prefque étouflë ' fous Ie faix des noirceurs humaines, quelquefois une explofion fubite peut lui rendre fon premier éciat, On croit que ce n'eft pas i une > femme de votre age qu'il faut dire ces chofesIa; & moi je crois, au contraire, que ce n'eft ■ qu'a votre age qu'elles font utiles & que le cceur s'y peut ouvrir; plutót il ne fauroit les entendre; plus tard fon habitude eft déja prife, ii ne fauroit les goüter. Comment s'y prendre, me difez-vous*Que faire pour cultiver & développer ce fens moral ?' Voila, Madame, a quoi j'en voulois venir; le ■ goüt de la vertu ne fe prend point par des préceptes, il eft 1'effet d'une vie fimple & faw ne; on parvient bientót a aimer ce qu'on fait, quand on ne fait que ce qui eft bien. Maêtre 1'ami perfide qui trahit la confiance de fon ami & divulgue pour le diffamer le fecret qu'il a' verfé dans fon fein. Jeune femme, voulez-vous travailler a vous rendre heureufe, commencez d'abord par nourrir votre enfant. Ne mettez pas votre rille dans un convent, élevez-la vous-même; votre mari eft jeune, il eft d'un bon naturel, voila ce qu'tl nous faut. Vous ne me dites point comment il vit avec vous; n'importe, fut-il üvré a tous les goüts de fon age & de fon tems, vous J'en arracherez par les vötres, fans lui rien dire. Vos enfans vous aideront è le retenir par des Hens auffi forts & plus conftans que ceux de 1'amour. Vous pafferez la vie la plus fimple, il eft vrai, mais auffi h pJug Jouce & ia plus heureufe dont j'aie 1'idée. Mais encore une fois, fi ceile d'un ménage bourgeois vous dégoüte, & fi Topinion vous fubjugue, guérisfez-vous de la foif du bonheur qui vous tourmente, car vous ne 1'étancherez jamais.  j. J. R o v s s e a u. 495 Voila mes idéés; fi elles font faufles ou, ridicules, pardonnez Terreur & 1'intention. Je me trompe peur-être, mais il eft für que je ne veux pas vous tromper. Bon jour, Madame ;. 1'intérêt que vous prenez i moi me touche, & je vous jure que je vous Ie rends bien. Toutes vos lettres font ouvertes; la derniere 1'a été; celle-ci le fera; rien n'eft plus certain. Je vous en dirois bien Ia raifon, mais ma lettre ne vous parviendroit pas. Comme ce n'eft pas ö vous qu'on en veut, & que ce ne font pas vos fee;ets qu'on y cherche; je ne crois pas que ce que vous pourriez avoir a me dire , fut expofé a beaucoup d'indifcrétion; mais encore faut-il que vous foyez avertie. Lettre a la même. Monquin, le 2 Février 1770. Si votre deffein, Madame, lorfque vous commencates de m'écrire, étoit de me circonvenir & de m'abufer par des cajoleries, vous avez parfaitement réuffi. Touché de vos avances, je prêtois è votre ame Ia candeur de vo> tre ige ; dans 1'attendriffement de mon cceur, je vous regardois déjè comme 1'aimable confolatrice de mes malheurs & de ma vieilleffe; & 1'idée charmante que je me faifois de vous ,  49.6 Lettres db effarpit l'idée horribie des auteurs des trames dont je fuis enlacé. Me voila défabuféj c'eft. Pouvrage de votre derniere lettre. Son tortülage ne peut être ni la réponfe que Ia mienne. a dü naturellement vous fuggérer , ni le langage ouvert & frarc de la droiture. Pour moi ce langage ne ceffera jamais d'être le mien;. je vois que vous avez refp;>ré 1'air de votre voifinage. Eb! mon Uieu, Madame, vous voila, bien jeune initiée è des myfteres bien noirs.. J-en fuis facbé pour moi, j en fuis afiligé pour vous a vingt-deux ans ! Adieu.,. Madame. Roüss-iaü, En reprenant avec plus de fang-froid votrelettre , je trouve la mienne dure & même ffrjufte; car je vois que ce qui. rend. vos phrafes embarraffées , eft qu'une involontaire fincérité s'y mêle a la diffimulation que vous voulez avoir. En blêmant mon premier mouvement, je ne veux pourtant pas vous Ie cacber. Non,. Madame, vous ne voulez pas me tromper, je le fens; c'eft vous qu'on trompe, & bien cruelJement. Mais cela pofé, il me refte une queftion a vous faire; dans le jugement que vous portez-. de moi, pourquoi m'écrire? Pourquoi me rechercber? Que me voulez-vous ? Recherche-t-on quelqn'un qu'on n'eftime pas? Eh I je fuirois. jufqu'au bout du monde, un bomme que je ver.-  J. J. Rousseüu. 457 rois comme vous paroiiTez me voir. Je fuis environné , je ie fais, d'efpions empieffós & d'ardens fatellites qui me flattent pour me poignarder; mais ce font des traitres, iis font leur métier. Mais vous , Madame , que je veux honorer autant que je méprife ces miférables, de grace, que me voulez-vous? Je vous demande fur ce point une réponfe précife, & pour Dieu fuivez, en la faifant, le mouvement de votre cceur & non pas h'mpulfion d'autrui. Je veux répondie en dé'ail a votre lettre, & j'efpere avoir longtems la douceur dc vous parler de vous ; mais pour ce moment commencons par moi; commencpns par nous mettre en regie fur ce que nous devons penfer 1'un de 1'autre. Quand nous faurons bien a qui nous parions, nous en faurons mieux ce que nous aurons a nous dire. Je vous prie, Madame, de ne pius m'écrire fous un au;re nom que celui que je figne & que je n'aurois jamais dü quitter. Lettre d la même. Monquin, le 16 Mars 1770. ^Rose je vous crois, & je vous croirois avec plus de plaifir encore fi vous euffiez moins infifté. La vérité ne s'exprime pas toujours avec limplicité , mais quand ceia lui arrivé , elle:  498 Lettkes de brille alors de tout Pon éclat. Je vais quitter cette habitation : je fats ce que je veux & dois faire; j'ignore encore ce que je ferai: je fuisentre les mains des hommes; ces hommes ont leurs raifons pour craindre la vérité, & ils n'ignorent pas que je me dois de Ia mettre en évidence, ou du moins de faire tcus mes efforts pour cela. Seul & è leur merci, je ne puis rien, ils peuvent tout, hors de changer Ia nature des chofes, & de faire que la poitrine d« J. J. Rouffeau vivart , ceife de renfermer Is cceur d'un homme de bien. Ignorant dans cette fkuation en quel lieu je trouverai, foit unepierre pour y pofer ma tête, foit ur.e terre pour y po fer mon corps, je ne puis vous donner aucune adreffe affirrée: mais fi jamais je retrouve un moment tranquille, c'eft un foin que je n'oublierai pas. Rofe, ne m'oubliez pas non pluf. Vous m'avez accordé de 1'eftime fur mes écriis; vous m'en accorderiez encore plus fur ma vie, ii elle vous étoit connue; & davantage encore fur mon caeur, s'il etoit ouvert a vos yeux: H n'en fut jamais un plus tendre, un meilleur, un P'us jufte; la méchanceté ni la haine n'en approcherent jamais. J'ai de grands vices, fans doute, mais qui n'ont jamais fait de mal qu'a moi; & tous mes malheurs ne me viennent que de mes vertus. Je n'ai pu malgré- tous mes efforts percer le myftere affreux des trames dont je fuisenlacé; elles. font fi ténébreufts , on me  J. J. r o u s s e a ü. 400 les cache avec tant de foin, que je n'en apper«ois que la noirceur. Mais les maximes 'communes que vous m'alléguez fur la cdomme & I'impoft-ure ne fauroient convenir a ceHe-la; & les frivoles ciameurs de la calomnie font bien différentes, dans leurs effets, des complots tramés & concertés durant longues années, dans uo profond filence, & dont les développemens fucceffifs, dirigés par la rufe , opérés pa' la puiffance , fe font lentement , fourdement & a-ec métb cfn). Ma.fituation eft unique; moti cas eft inoui depuis que Ie monde exifte. Selon toutes les regies de la prévoyance humaine, je dois fuccomber; & toutes les mefures font tellement prifes, qu'il n'y a qu'un miracle de la. Providence qui puiffe confondre les impofteurs. Pourtant une certaine confiance fóutient encore mon courage. Jeune femme, écoutez-moi, quoi qu'il arrivé, & quelque fort qu'on me prépare: quand on vous aura fait 1'énumération de mes crimes; quand on vous en aura montré les frappans témoignages, les preuves fans repüque, Ia démonftration, 1'évidence ; fouvenez - vous des trois mots par lefquels ont fini mes adieux JE suj.s ihnocent. rousseau. Voos approcbez d'ün terme intéreffant pourmon cceur; je defire d'en favoir 1'heureux é énement auffitót qu'il fera poffibie, Pour cela ,  5oa Lettres de fi vous n'avez pas avant ce tems-Ia de mes nor> velles, préparez d'avance un petit billet que vous ferez mettre a la pofte aufïïtót que vous ferez déüvrée, fous une enveloppe a 1'adreffe fuivante: A Mie. Bois ie la Tour, née Roguin, a Lyon. Lettre S 3 S. D. E: k faire dans la circonftance; i! y a une cor.ti* nuité de régime è obferver qu'on ne peut détail» 'Ier-dans- une lettre, & qui ne peut fe déterminegque par- 1/examen du fujet; & d'ailleurs ce n'eft pai une rnete: auffi" tendre que vous,. ce. n'eft; pa* un efprit auffi. elair-voyant que. le vótie qu'il faut guider dans^ tou* ces détails;. Je- vous J'ai. dit, Madame, je na'en fuis pénétré dans notra Ufliqua c-onverfation; vous» n'avez befoin des confeils de perfonne dans la grande &. refpectar ble_-tacbe dont vous êtes chargés, & que vous; rempjiüez. fi bien. J'ai du. cependant m'aequitter de cslle que votre mededie-m'a impofée.j. je.- 1'ai fait. par obéiffance & par devoir, mais bien-perfuadé que pour favoir ce qu'il y a.de mieux. k faire.,, il fuififoit d'obferver ce que yousi feiaz». Iet the a Madame. .,..»» Paris-le 14 Aoüt 1772.. Jir. efl3, Madame:, des-fituations auxqueües il' n'eft pas- permis k, un honnête homme d'être. préparé;, &, ceile oü je me trouve. depuis dix. ans,, eft lapiusinconcevable & la plus étranga «lónï.onpmffe avoir 1'idée» J'en ai.fenti l'hor~asuTj fans; en pouvoir. percer-les. ténebres» J'ai jri£u70C3^é.. les, impolteurs,. & les traitres pat. teus- !es-.  J. J- E » I) ï 8 ! i ffi jtj fe* moyens permis & Mes qui- pouvoient avoir prife fur des cceurs bumains. Tout a été ïnutïle. Ils ont fait le piongeon , & eontinuant leurs manoeuvres fouterraines, ils fe font cachés de moi avec le plus grand foin. Cela étoit naturel, & jaurois du m'y attendre. Mais ce qui 1'efl moins , eft qu'ils ont rendti Ie public entter complice de leurs trames & de leur fausfeté; qu'avec un fuccès qui tient du prodige , on m'a óté toute connoifTance des complots dont je- fuis la viétime, en m'en faifant feulement bien fentir 1'effet, & que tous ont marqué le même empreflement a me faire boire ia cor> pe de l'ignominie , & ü me cacher Ia bénigne matn qui prit foin de la préparer. La colere & 1'indtgnation m'ont jetté d'abord dans des transports qui m'ont fait faire beaucoup de fottifes, fur lefquelles on avoit compté. Comme je troui vois mjufte d'envelopper tout mon fiecle dans le mépris qu'on doit d quiconque fe cacbe d'un homme peur Ie diffarner, j'ai cherché quelqu'un qui eut affez de droiture & de juftice pour m'é* clairer fur ma fituation, ou pour fe refufer au moins aux intrigues des-fburbes. J'ai po-té partout ma lanterne inutiiement, je n'ai point; trouvé. d'homme ni d'ame humaine, J'ai vu avec dédain la grofïïere faulfeté de ceux qui vouloient m'abufer par des careffes fi mal-adroites & fi peu diétées par la bienveillance & reftfc ma,, qu'elles. cachoient même & affez mal une  S*4 L 2 T T R I 8 » * fecrette animofSté. Je pardonae Terreur, mais non la trahifon. A peine dans ce dé'ire univerfel , ai-je trouvé dans tout Paris quelqu'ui qui ne s'aviiit pss a cajoler fadement un homme qu'ils vouloient tromper, comme on caiole un oifeau niais qu'ön veut prendre. S'ils m'euffent fui, s'ils m'euffent ouvertement maltraité, j'att» rois pu , les plaignant & me plaignant , du moins lei eftimer encore. Ils n'ont pas voula me laiffer cette confolation; Cependant, il eft parmi eux des perfonnes , d'ailleurs fi dijnes d'eaime, qu'il parot* injufte de les méprifer. Comment expliquer ces contradi'ffions? J'ai fait mille efforts pour y parvenir; j'ai fait toutes les fuppofitions- poffibles ; j'ai fuppofé fimpofture armée de tous les flambeaux de I'évidence. Jë me fuis dit, ils font trompés, leur erreur eft invincible; Mais, me fuis-je répondu;. nonfeulement ils font trompés; mais loin de déplorer leur erreur, ils 1'aiment, ils la chérilTent'. Tout leur plaifir eft de me croire vil hypocrite & coupable. Ils craindroient comme un malheur affreux de me retrouver innocent & digne d'eitime. Coupable ou non , tous leurs foins font de m'óter 1'exercice de ce droit fi naturel, fi facré de la défenfe de foi-même. Hélas ! toute leur peur eft d'être forcés de voir leur injuftice, tout leur defir eft de I'aggraver. lis font trompés ? Hé bien ! fuppofons. Mais , trompés doivent-ils fe conduire comme ils  J- J. R O V S S E A V. font? d'honnêtes gens peuvent-ils fe conduite ainfi? Me conduirois-je ainfi moi-même a leur place? Jamais, jamais. Je fuirois le fcélérat ou confondrois l'nypocrice. Mais Ie flatrer pour Ie circonvenir, feroit me mettre au deffous de lui Won , fi j'abordois jamais un coguin que je croirois tel, ce ne feroit que pour le confondre & lui cracher au vifage. Avnks mille vains efForts inutiles pour expliquer cequi m'arrive dans toutes les fuppofitions, j a, donc ceffé mes recherches & je me fuis du: je v,s dans une génération qui m'eft inexpl.cable. La conduite de mes contemporains a mon égard ne permet a ma raifon de leur accorder aucune eftime. La haine n'entra jamais dans mon cceur. Le mépris eft encore un fentiment trop tourmentant. Je ne les eftime donc, ni ne les bais, ni ne les méprife. Ils font nuls a mes ..yeux; ce font pour moi des habitans de Ia lune Je n'ai pas la moindre idéé de leur être moral' La feule chofe que je fais, eft qu'il n'a point de rapport au mien & que nous ne fommes pas de la même efpece. J'ai donc renoncé avec eux a cette feule fociété qui pouvoit m'être douce & que j'ai fi vainement cherchée , favoir è ceile des cceurs. Je ne les cherche ni ne les fuis A moins d'affaires je n'irai plus chez perfonne. Mes vifites fontun honneur que je ne dois plus è qui oue ce foit déformais, un pareil témoignage d'eiume feroit trompenr de ma part, & je ne fuic  5ió" Let tres, pas homme 4 imicer ceux dont je me détache. A 1'égard des gens -qui pleuvent chez moi je ferme autant que je puis ma porte aux quidams & aux brutaux; mais ceux dont au moins le nom m'eft connu, & qui peuvent s'abftenir de m'infulter chez moi, je les recois avec indifférence, mais fans dédain. Comme je n'ai plus ni humeur ni dépit contre les pagodes au milieu defquelles je vis, je ne refufé pas même , quand 1'occafion s'en préfente, de m'amufer d'elles & avec elles, autant que cela leur convient & a moi auffi. Je laifterai aller les chofes comme 'elles s'arrangeronc d'elles-mêmes, mais je n'irai pas au-delè ; & k moins que je ne retrouve enfin contre toute attente ce que j'ai ceffé de chercher, je ne ferai de ma vie plus un feul pas fans néceffité pour Kchercher qui que ce foit. J'ai du regret, Madame , k ne pouvoir faire exception pour vous; car vous m'avez paru bien aimable. Mais cela n'empêche pas que vous ne foyez de vorre fiecle, & qu'il ce titre je ne puiffe vous excepter. Je Oen* bien ma perte en cette occafion. Je fens même auffi la vótre, du moins fi , comme je dois le croire, vous recherchez dans la fociété, des chofes d'un plus grand prix que 1'élégance des marii'res & 1'agrément de Ia converfation. Voila mes réfolutioi s, Madame, & en voilï les mjufs. Je vous fupplie d'agréer mon refpect. f I ff,