LE SPE CTATEUR AMÉRICAIN. o u REMARQJJES GENERALES SUR l'am é r i q u e septentrionale et SUR LA RéPUBLlQUE DES TREIZEETATS-UNIS. S ü I V I DE RECHERCHES PHILOSOPHIQ UES SUR LA D écOUVERTE DU NOUVEAU -MONDE. Par M. JH. M Nègocïant tl Ajnflerdam §p tnembre de PAcadèmfo de Bourg-en Brejfe. A AMSTERDAM, Chez tEvS héritiers E van HARRE VELT. MDCCLXXXIY.   A U X GRANDS HOMMES DES ET ATS-U N IS. Messieurs, S'il appartient la libertè cfimpritner dam l'ame de ceux qui la chérijfent, celte nobleffe, ce courage & ceite énergie qui cara&érifoient les anciens héros de la Grece & de Rome9 il n appartient pas moins aux ffiences & aux arts d'augmenler les Hens heureux de la philantropie qui doivent rapprocher tous les humains. Lè fouverain du monde rêfervoit au nouvel empire des Etats-Unis de rappclcr ces tems mémorables a tunivtrs, & d'en renouvsler Texemplt par le concours heureux des favaris & des héros qu'il a produits. FuiJJe eet empire acquérir la mme célébrité, fans en èprouver les revers t II a fallu des fiecles a VEurope pour fe civilifer, & malgré jon ancienneté, a peine y a-t-il deux fiecles qu'elle a des Académies, EAmèrique fait misux ; a peine a-t-elle ékvè un temple a la libertè , qu'elle en êrige ? 2  D Ë D I C A C E. vn autre aux fciences. Si jamais il regnt entre les deux bêmispheres une harmonie parfaite, les deux mondes en feront redevablesaux fciences, & les fciences, Messieurs, vous devront la gloire d'en avoir formé kpremier Hen. Tel eft le point de vue fous lequel je confidere larèvolution qui, fans le fecours des fciences; n'etJe point ètê couronnée par des fuccès auffi heureux. jfai Fhontieur dfètre avec une vènèration profonde, Messieurs, Votre très-humble &très-obéiffant ferviteur. Jh- M  INTRO DU CTI ON. 13rifer les chaines du defpotifme au nom facré de la libertè , eft lacte le plus jutte & le plus digne de 1'homme. Si les premiers qui oferent abufet de leur puiffance euflent été repouffds & punis, nous n'aurions que le fouvenir de cette audace & point d'efclaves. L'hiftoire de cette dépendance eft 1'hiftoire de la foiblefle des uns & du courage des autres, comme elle eft celle de la première inégalité parmi les hommes. Depuis trois fiecles 1'Amérique eft efclave de 1'Europe, & depuis ce tems les NordAméricains font les feuls qui aient eu le courage de relever la ftatue de la Hberté renverfée par les premiers conquérans de cette partie du monde, & montré que ceft une infamie pour des hommes de porter des fers. Les Nord-Américains defcendent, il eft vrai, d'Européens transplantés fur cette plage, & fous ce point de vue , cette ré vol ution en Amérique eft moins étonnante. La jullice & 1'humanité n'en réclament pas *3  vi INTRODUCTION. Kioins vivement leurs droits en faveur des malheureux indigenes defcendans du petit nombre de ceux que le fer barbare de 1'Européen a épargnés ou n'a pu flapper. Jaimerois mieux voir les empires du Mexique & du Pérou retomber fous la domination de leurs légitimes rrraitres, hérkiers naturels de ces fouverairfs" détrönés & égorgés , que de voir fecouer le joug de 1'Efpagne aux Européens établis dans ces deux empires. En effet, que peuvent gagner a cette révolution les naturels de ces pays dont les mains regoivent des chaines dès le berceau, & dont les coeurs flétris' par 1'efclavage, ignorent- même s'ils font faits pour être moins malheureux ? " Les faftes de Fünivers ne préfentent, pref4ue partout, que' des traits d'injuftice & de Warbarie. Quel eft le peuple fur la terre qui n'ait fouffert ou fait fouffrir ? Quel eft Je fictie qui n'ait pas été témoin de ces fcenes cThorremv de dévaftation? Quel eft le coin: de terre qui n'ait été arrofé de fang humain? Le fiïs du premier homme donna le premier fignal du crime & de la perfidie, & depuis, les loix , fecondées des fciences, n'ont pu encore préferver' 1'humanité du flëau deftruc-  INTROD U.C T I O N. vir teur des guerres & des autres maux qui la défolent. La malheureufe Amérique a été plus qu'au-cune autre partie du monde le théatre de ces défolations, paree qu'elle a conftamment été depuis fa découverte 1'objet de 1'infatiable cupidité des Européens, Les fecoufies violentes qui ont bouleverfé les empires du Mexique & du Pérou font du nombre de ces évenemens qui déchirent 1'ame de 1'homme fenlible: comment n'être pas touché du fort affreux de ces fouverains dontle feul crime étoitdepofféder de grands tréfors? Les Cortez, les Pizarre ont, il eft vrai, développé tout ce que le génie , le courage & 1'héroïfme infpirent de plus grand: on eft forcé de lesadmirer, furtout Cortez, qui eft, fans doute, après Colomb, le plus grand homme que 1'Efpagne ait envoyé dans le Nouveau-Monde. Solis, dans fa belle hiftoire du fiege de Mexico par Cortez, donne une idéé fi grande des talens de eet heureux aventurier, qu'on prend part a fes fuccès, malgré les flots de fang mexicain qu'il fit couler. Cependant, quels que fuffent fon courage & fon habileté , il eft a préfumer que fans les fecours des Tlafcalans & des Caciques qu'il fut attirer dans fon parü, il * 4  vin INTRODUCTION. n'auroit pu conquérir le Mexique. C'eft a des circonftances non moins heureufes que Pizarre dut fes vietoires fur les Péruviens; ces peuples adoroient, comme 1'on fait, le foleil, & refpeéloient leurs Incas commë les fils de eet aftre ; cette fuperilition fut caufe de leur ruine: ils crurent les Efpagnols également fils du foleil, & le préjugé fit qu'ils n'oferent prefque les combattre. D'un autre cóté, les efpagnols, habiles a profiter de la malheureufe divifion qui fubfiftoit entre 1'lncas Atahualpa (i) & fon frere Huascar, la firent également: fervir au fuccès de leur entreprife. Dès que les Efpagnols eurent afluré leurs conquêtes, ils s'occuperent de la conveificn de ces peuples a la religion chrétienne, mais fi 1'on doit louerleur zele, 1'on ne dok pas moins blamer la maniere dont ils 1'exercerenf. En effet, la douceur & la patience, vernis fi néceffaires pour porter la conviclion dans les coeurs, furent malheureufement celles quelesmiflionnaires négligerent le plus. Comment n'être pas révolté contre le fananque Valverde,qui abordant flncas Atahualpa, une croix a la main, après un difcours (_0 Ou par corrupüon Atabalilpa.  INTRODUCTION. ix très-long fur les myfteres de la religion chrétienne, qui ne pouvoit jeter aucune lumiere dansl'efprk du prince, paffe tout de fuke aux menaces & finit par lui dire que s'il s'endurciflbk, il pérkok comme Pharaon? Enfin le fanatifme acheva ce que la cupidité avok commencé. Cependant lesEuropéens détruifoient raffreufe habitude qu'avoient les Mexicains de facrifier a leurs. dieux des créatures humaines, en leur infpirant de 1'horreur pour ces dévouemens fanguinaires. On ne pourrok concilier un tel égarement chez un peuple qui avok déja fait tant de progrès dans les arts, fi dans notre Europe, on n'avok vu jufqu'oü 1'empire de la fuperilition peut égarer les hommes même les plus civilifés. Enfin, fi 1'on confidere h quel prix 1'Améiïque eft redevable des lumieres qu'elle a acquifes, la queftion propofée par 1'Académie des fcjences de Lyon: Si la découverte de VAmèrique ejï un bien ou un mal, ne préfente k 1'efprk que des doutes affligeans, une folution plus afiligeante encore. Ladécouvertede 1'Amérique eft certainement unbienfinous en conudérons lesfukes par rapport a la révolution adtuelle & furtout a i'accroisfement des fciences, qui du Nord de 1'Amérique : ; * 5  x INTRODUCTION. vont étendre au midi leurs bienfaifantes influences. Mais la philofophie ne devant confidérer dans eet examen , que le bonheur de Khumanité, les philofophes doivent n'avoir que ce feul objet pour principe & pour but. Ajoutons que ce ne fera jamais qu'après avoir comparé les réfultats de. ces biens & de ces maux, qu'après les avoir pefés dans la balance de la jufdce & de la xaifon, qu'on pourra prononcer. De quel cöté penchera-t-elle? On Tignore encore. II eft douteux qu'il en réfulte un équilïbre, encore moins une appa. rence en faveur de la fomme des biens. Cependant, malgré mes foibles lumieres & les foins de mon commerce (i), je n'ai pas craint de travailler fur cette grande queftion: CO Je dois k ma familie, k mes amis, k ia yérité, 1'aveu de n'avoir jamais facrifié au plaifir 4e m'inftruire aucur. des momens confacrés a mes devoirs : autrement, quelque penchant, quelque goüt que je me fente pour les lettres, quelques délices que j'aie * lescultiver, j'y aurois rendneé. Je me rdferve feulement de dohner' k mes récréations littéraires plus d'agrémentde méthode & d'ucilité: & mes mémoires," qui en fcront laclöture, feront peut-être pour ma famil-  INTRODUCTION. xi inais ne préfumant pas pouvoir la réfoudre ala fatisfaélion del'académie, je ine contente, en attendant 1'ouvrage intéreffant qu'elle dok couronner dans fon afïemblée publiquede 1785, de préfenter au public mes réflexions. Quoique ces recherches paroiffent au premier coupd'ceil étrangeres au Spe&ateur Amêrkain, elles nen feront pas moins un appendke utile.a ceux de nos leóteurs q«i aimentces difcuffions philofophiques. Le Speöateur, après avoir promené fes regards fur 1'Amérique en général, les fise avec intérêt fur eet efpace immenfe- oü la libertè paroit avoir établi fon empire , oü les bonnes mceurs paroiffent être refpeclées, oü les loix n'ontde force que pour conferver a rhomme les droits qu'il tient de la nature, oü le commerce furtout' jouit de tout ce qui peut enrichk la patrie & le citoyen, éc eet efpace immenfe eft la république des Ètats-Unis. La première partie du Spe&ateur offre un précis de tout ce qui a rapport a la; le & mes amis une confolation, fi je mérite les regrets de 1'une- & le fouvenir des autres, quand je -ne ferai plus. Divi/ion ie eet wvrage.  xii introduction: pofition , au fol & aux productions différentes de 1'Amérique feptentrionale; fa divifion géographique , fes latitudes & fes longitudes, (i) fa population, fon hiftoire naturelle, 1'origine des premiers établiffemens qui s'y font formés; quelles étoient les colonies anglaifes de 1'Amérique avant leur indé, pendance , ]a nature & le produit de leur commerce avec la métropole, leurs ufages, leurs monnoies, & enfin une balance ou tableau général de ce commerce, tendant a démontrer quelle eft la perte réelle que 1'indépendance a caufée a 1'Angleterre. Dans la feconde partie, nous confidérons ce que font les colonies proprement dites; (*) Quant aux longitudes & aux latitudes des différens pays dans cette partie du nouvcaumonde, je peux d'autant plus garantir l'exadtitude de celles marquées d'un aftérifque, qu'elles ont été foumifes k 1'examen de mon illuftre ami & favaiit compatriote, M. de la Lande, ce celébre afironome qui depuis plus de trente ans, eft l'admiration de fon fiecle par fes talens; & 1'ami de tous ceux ;qui cultivenc lés arts & les fciences, par fon penchant a les encourager.  INTRODUCTION. xni fous quel point de vue 1'on dok' regarder la libertè américaine; quels ont été la nature, les progrès & les fuitesde larévolution. Vient enfuite le portrait du général Washington qui précede une table chronologique des évenemens de cette guerre. Les chapitres fuivans traitent de tout ce qui concerne les négociations, le commerce & le crédit particulier des Etats-Unis chez les nations de 1'Europe. Chaque état y eft exarainé féparément. Nous avons réuni & ces remarques tout ce qui pouvoit faire connoitre ce pays & fes habitans. Unecarte exacte des treize états vient a la fuite de 1'ouvrage préfenter 1'enfemble des domaines de ce nouvel empire. Nous nous ferions plus étendus fur leurs conftitutions, fi eet examen n'eüt furpaffé nos forces. Quand on parle des loix d'un pays quelconque, il ne fuffit pas d?en faire 1'analyfe & la critique ; il faut encore indiquer les moyens les plus fimples & les plus propres de remédier aux inconvéniens. Les Américains fauront toujours mieux que nous quelles font les loix qui leur conviennent le mieux; donnons leur le tems de 1'examen, & nous verrons fuivre de prés la réforme, fi elle eft réellement néceffaire & pofiible. La fédération  xiv INTROD ü* C T I O N. des colonies réunies par le lien du congres Continental préfente une afibciation impofante. Si les premiers légiflateufs ont promulgué des loix différentes pour chaque état, il ne s'enfuit pas qu'elles doivent fubfifter ainfi. Les circonftances & la guerre les ont peut-être rendues néceiTaires; la paix les changera furement en un códe univerfel. Semblables a un arbre vigoureux dont les rameaux prolongés recoivent la meme lubfiltance & contribuent a la beauté du tout, 1'on verra les treize républiques n'avoir qu'un feul centre & qu'un feul rapport, je fais que 1'étendue du territoire & la différencedesmceursexigentdes loix différentes; les républiques de la Grece n'auroient pu fubfilïer fous le même gouvernement. Mais fi les Américains confervent les bonnes moeurs, les refpedlent, & les récompen. fent mêmeavec éclat; s'ils font affez heureux, affez forts pour réfifter au luxe, s'ils favent ou peuvent fe garantir des émigrations trop rapides de 1'Europe, fi la grande population de leur empire vient plus de 1'agriculture que du commerce, ils feront longtems heureux & puiffans, & leur gouvernement fera a 1'abri des fureurs du defpotifme, des divifions de 1'ariftocratie, des troubles de ranarchie, de  INTRODUCTION. xv tous les maux enfin qui tiennent encore a nos légiflations européennes. C'eft beaucoup demander & beaucoup attendre fans doute d'nn peuple déja imbu des idéés anglaifes fur le commerce &lesricheffes.!Qu,on ne sytrompe pas: le commerce, eft 1'ennetni le plus dangereux des Etats-Unis, & néanmoins celui qu'ils paroiffent le moins redouter: 1'habitude oü 1'on eft de regarder une grande extenfion de commerce comme le fontien d'un état, perpétue cette funefte erreur. La pofition topographique des Etats-Unis appelle, il eft vrai, le commerce des quatre parties du monde, & follicite tous les habi-. tans a devenir commercansd'un autre cóté, je vois toutes les nations de TEurope fe disputer a 1'envi la nouvelle branche de commerce que 1'indépendance vient de faire éclore. Ne doit-on pas craindre que de ce flux & refiux de jaloufie & d'ambition ne naiffent les maux de 1'opulence, du luxe & de la corruption des mceurs ? Si les hommes étoient affez fages pour fe conïger par 1'expérience, 1'exemple de 1'Angleterre iülfiruit aux Nord-Américains. Aprés une guerre de huit ans ce peuple a eu le bonheur de voir renaitre la paix  xvi INTRODUCTIÖN. dans fes guérets, de fe faire reconnoltre univerfellement libre & indépendant. Heureux dans toutes fes entreprifes, il n'a eu pour alliés que des amis généreux & fideles. 11 a forcé fes ennemis même & 1'admirer & a le craindre. L'Angleterre, qui dans la guerre de 1756 ptétendoit donner la loi a fancien & au nouveau monde, n'eft plus aujourd'hui ce qu'elle fut. C'eft: alfez qu'elle puiffe fe dire fégale de plufieurs. Tolluntur in altum, ut lapfu graviore ruant , eft une épigraphe applicable a fa fituation aftuelle. La révolution Américaine eft un phénomene en politique, une époque unique dans 1'hiftoire, un objet de furprife & d'admiration pour les adminiftrateurs des empires & pour la poftérité. Les premiers en tireront d'utiles legons pour gouverner les peuples; ils feront plus en garde contre le danger d'attenter aux droits facrés de 1'homme. La feconde aura fans cefle un exemple frappant de ce que peut une nation quand elle n'a pas perdu fon énergie, fon courage & fes reffources. Souhaitons qu'il n'en réMte qu'un bonheur pour les fujets, une maxime utile pour les fouverains, & paffons a nos remarques fur les caufes qui les ont fait naitre. L E  T A B L DES CHAPITRES Contenus dans ce Volume. Première Partie. Dedicace. . • « PaS Introdüction. • • • 111 £hap. I. Divifion da FAmérique feptentrionak. X II. Population del'''Amérique feptentrionak. 6 III. Hiftoire naturelle. ... 9 IV. Premiers voyages, G? origine des colo- nies dans P Amérique feptentrionak. 43 V. Pofefions angloifes , avant Vindépen- dance cks Treize - Etats - Unis. & VI. Commerce de la Grande-Bretagne avee fes colonies avant la rèvslution. Baie-d'Hudson. . - 53 yjl. Labrador. . • • • 55 VIII. Terre-Neuvë. , . .' 6i : ''TABLEAU de la pêche de mme faite per les Francois en 1773. 72 , 'Réfultat des trots pêckes. . ■ M'd- - Anticosti. . . .'' • 75 _ ISLE-llOYALE ou cap-breto n. 76 ■ ISLE ST. jean. , . . $q  T A B L E Chap. IX, Canada ou Nouvdk-France. Pag. 83 X. nouvelle-ECOSSE OllACADIE. 97 XI. Nouvelle-Angletere. 103 i Nouve.lle-York. . . 105 ■— Pensylvanie. . . .126 ViRGINIE ET MarYLAND. i07 LesCaroljnes. . . iio ■ GéoR gie. ; 112 XII. La Florjde. . . 1 114 XIII. Gouvernement civil & militaire, établi en Amérique par FAngkterrg. , . . . u% .XIV. Ufages, 3e cj>mmerce,, & monnoies en Amérique avant la révolution. 123, XV. Tableau ou Balance générale du com. merce de la Grande-Bretagne avec fes coknies depuis 1697 a *7?3. t , t ■ . 126 Seconde Partie. Chap. I. Des Coknies. . : . Pag. r II; Be la libertè Américaine. , . 8 III. Réfiexions fur l'Itidépendance Améri¬ caine. ... . . 1% IV. La nature , les caufis, les progrès , & les confidérations fur les fuites de la révolution américaine. . . i<5 V. Portrait du général /Fas/rington. k 43  bes CHAPITRES. Chap. VI. Tableau Chronologique des êvêtiimens les plus remarquables dans la guerre de la Révolution américaine , depuis le 16 décembre 1773 au 16 avril 1783 inclujivement. . . . Pag- 5* Vtt. Examen de la 'conduite Sf des inté' rêts refpecüifs entre la Hollands & les Etats-Unis. . . 55 VIIL Commerce aftuel, grandeur future ÊP crédit dé la Républïque des " Etats-Unis. . ; . €§ IX. Nou VELLE-ANBLEIEHEEi 84 . Etats-Unis. , . 93 X. Nouvelle-Hampshirb. jjó XI. Massachuset. , . 100 XII. Rhode-Island. , . 115 XIII. connecticut- . . Il8 XIV. Nouvelle-York. • . 123 XV. Nouvelle-Jersrï. . 125 XVI. D el a ware. . . 129 XVII. pensylvanie. . . 13» XVIII. Maryland. : . . 147 XIX. ViRGINIE. . . Um 153 XX. Koed-Ca roline. . 171 XXt. Sud-Carolune. . . 174 XXII. GéoRGïE. : 185 XXIII. Exportations propres pour l''Amé¬ rique Septentrionale. . . . 196 XXIV. Précis du Mémoire d;s EtatsUnis. %l%  T A « L E des C fi A P I T R S S Chap. XXV. Confidération fur les traités en général, & en particulier fur ceux entte les puiffances de l'Europe & les Etats - Unis. 221 XXVI. Remarques fur les ccyftitutions des Treize- Etats - Unis. . 234, XXVII. Conduite du général Washington envers les officiers £f les foldats de fon armée. 256 Let Ta e Circulaire, fuiyie d'une injonfiion de l'auteur aux Américains. . ; . 284 Supplément au Chap. XXIL . , 304 ■Recherches sur la découverte do n o u v e a u; m o n i) e. • A V I S a.*u . R E L I E U R. , . Cette Table doit être mife k la fin. du 'vol. ^ c'eft-a-dire après les Recherches Phjlosophiques.    L E SPECTATEUR AMÈRICAIN. Première Partie. CHAPITRE I. D'ivifion de PAmérique Septe/ttriowle* Amérique Septentrionale, féparée de ia mé« ridionale (1) par l'ifthme de Panama, qui n'a que 7 iieues d'éteniue dans fa moindre largeur, commence au 7™= degré dc latitude feptentrionale, s'étend jufqu'au 8omc degré de meme latitude, & comprend le Mexique, la Californie, la Louifiane , la Virginie , le Canada , Tcrre-Neuve , les grandes & les petites Antilles. Elle eft coupée du nord au fud par une chaïnedehautes montagnes qui s'éloignant & fe rapprochant aïternativement des cötes, laiffent entreelles&rOcéanun territoire de cent cinquante, de deux, quelquefois de trois eens milles anglais. Au-dela de ces monts eft un défert immenfe, dont quelques (O Elle s'étend depuis le riouzieme degré de latitude fep» temriomile jufqu'au 6ome degré méiiriional, & renferme le Penis la Terre Ferme, le Paraguai, le Chili, U Tent mageUani<^et Ie Brelil, & Ie pays des Amazones. I. Part. A lus.  2 L E SPECTATEUR voyageurs ont parcouru iufqu'k huit eens lieues fans en trouver la fin. On penfe que des fleuves qui coulent k 1'extrémité de ces lieux fauvages vont fe perdre dans la mer du fud. Cette conjecture n'elt pas fans vraifembla nee. Le continent embrafle un trés tvrand nombrede degres de latitude & de longitude, depuis les iimites de la zóne torride, le cercle du tropique feptentnonal, jufqu'k ces fieuves glacés, ces montagnes de glacé, oü. engourdie par les rigueurs extrêmes d'un hiver perpétuel, la nature femble exPirer, faute de facukés végétatives, & oü le peu d etres humains qu'on trouve dans ces triftes climats, portent fi peu le* traits aue les nations eiyihfees attribuent a fefpece humaine, qu'on n'ofe leur donner le nom d'hommes. Le Continent fe divifeen dix grandespartics j fgavoir i DU NORD AU SUU. continent. COXongitudes. Lat. fept. l».LaNouv.-Ereragne. oü c(l, le fort lorde. * 307°. 16. 550. art' 2. te Canada. . . lH?eiec', '■' * 3°?' 47- 4°. 5.5- 1 Mmtlreal. . . ,05. so. 45. 4->. „ r,.ro,. ( 'lnr.apolis. . 312. 20.44. 48. 3. LAcadie. . . icap de Sable. * 3,0. ir. 45. c4, l Vort Cenzcau. * jrfi. 45. 45. 2c. 4. La Niuv.-An.let. J Eoflim. . . * 307. j. 42. 2-. r r,„. .. ' 1 m»-&mati4fe. »jö6. 30.42. 95. 6. L. Caroline. . (. JCka?its.Tmn. . — j.. » ^ 7. LaFioride C0™»*. J Sc. Jnguftin. iy;;. 30. 30. o. 5 occiu. ^ L'snfacola. . 290. 50. 30. 55. DE L'EST a L'OUESTé g. La Loiiifiane. '. 1 Nouvelle- Orlétins. '2.S7. 30. 29. 53. 9. Le VieUK Mexiq. Mexico. . . 277. 0. ic. o. 10. Le Nouv. Mcxiq. | Santa Fê. . . 2.71. o. 35. 32. Cl; Tou.us ces longitudes font comptéesde la partie de 1'ifle de Fer qui tft a 20». juftu a Totieft de Paris, fuivant l*u;age des jéograplus Fr.incois. O Hts ïnarquét-s d'un altériliiue font les (Vuls points bien déterminés. Quant aux autres , quoiaue nous les ayons meiurées arte le plus grand lom fur 1'Atlas de ï'niftoire de 1'abhé Rainal, nous n'ofjns il'urer qu'elles foient auflï exaftes • 47. 30° L'ilkRoyale. . Louisbour-r. . . 45. 4<;. 54- L'ille St. Jcan. Ckarlotte ■ Town. . 314. 30, 46. 30» 3°. Les BERMUDES vis-a-vis de la Caroline font fituées entre les 30 & 34d. de lat. feptentrionale. Georges-town en eft la capitale. . 3T2. 20. 32. 20.' Sr. George. . iSt. Georpes-Tozon. . iio. .a ';a. IS. Sr. Payijt ... . • . . . *\~ \[ |g: 250. Wanvich. ....... 3^. ,0. 20. „•£ Sommerfet. .1 3i7. ap. 29. 5, 4°. Les LUCAYliS font partie des Antilles & lont fituées entre les 23 & 28degrés de latitude feptentrionale, au fud-eft de la Fluride. do.it elles font léparées par le cana'de Baliama. L ,s principales font, Bahama 2y8. 20. 26. 30.' Lucaynnique. 3oo. o. 27. o. San Salvador 302. 20. 24. 11. Bimini 2p8. o. 25'. 50, Alabaftre 301. o. 25. ja] Providence 2y0. 30. 25. o. Samaiia 305. o 23. 30. Ille-Loiijue 303. e. tj. 9, A 2  jf LE SPECTATEUR Longitudes. LM. feps^ 5*. Les ANTILLLES fedivifentengfandes & en pctites. Les Grande* font au fud-eft des Lucayes an nombre de quatre. Cuba. . . La Havant. . . 2550. o' 230. io' CSau Domingo, . 308. 20. 18. 20. St. Domingue. *• S' Bonaire • . . 3°9- an. 12. 26. Curacao 3o8- 25. 12. 10. Oruba. 3°7- 3°. »». l°' Quolque les ïfles fuivantes n'appartiennent point k notre plan , leurs rapports & leur utiliré, cu égard auxvoyages pour 1'Amdrique, nous ont naru rendre ce fuplément né celTaire. Éatre le détroït de Gibraltar les Cananes font. L'Mc de Madere. I Funclidl. . . * o". 44' 32°. 33'« Cap.St.Laurent.l . • • • * °' 59' S*- «»- ISLES CANARIES. Ténériffe. • Sainle croix. . * **■ 24' 35' Pic de Ténériffe * »• f lZ\ IfledePalme. Tafacorle. . . ,359- 4»- & 33. IfleGomore. . Le Fort. . . °' f' 2°" °" Lancero. . Pointe Efl. . . * 4- »4- =9- 14. Fortaventure. A>inf« Obj^Z. ■>' • 4* Ifle de Fer. /*« Z>tc. • • °* °' ^ ISLE DU CAP VERD. St. Jago. • 1 Porto rraya. . * 354- 7' *4- 54»  I LE SPECTATEUR cj/«- k ma Ufgt* CHAPÏTRE II. Population de P Amérique Septentrionale, C'est k 1'agricultureencouragée, c'eft k la néCeiïïté d'avoir des enfans pour la faire fieurir & en augmenter les produits, que 1'Amérique feptentrionale eft redevable de fa grande population. Qn y compte environ trois millions d'habitans. Le nombre des noirs s'y éleve k quatre eens mille, ft les calculs du congres ne font pas exagcrés. Les citoyens doublent tous les quinze ou feize ans dans quelques-unes de ces colonies, & tous les dix-huir ou vingt ans dans les autres. Le peuple, dit le dcóteur Franklin, s'accro?t partout en raifon du nombre des mariages , & ce nombre augmente k proportion des facilités qu'on trouve k foutenir une familie. "Dans un pays oü les moyens de fubfiftanceabondent,,plus de perJonnes fe hltent de fe marier. Dans une fociété vieillie par fes progrès méme , les gens riehes, eftrayésdes dépcrifes qu'entraine le luxe des femïïies, fe dötermincnc le plus tard qu'ils pcuventa 'Un établiffementdifneileaformer, coüteux kmaiiitenir, & les gens fans fortune paffent leur vie dans un célibat qui trop fouvent trouble les mariages. Les maitres ont peu d'cnfans;les domeftiquesn'en ont point, & les artifans craignent d'en avoir. Ce défordre eft fenfible , ifurtout dans les grandes villes , oü les genérations ne fe reproduifent même pas affez pour entretenir la population \ fon niveau, ik oü 1'on voit conftamment plus &e morts que de naiflant."> Heureuiement cette  AMERICAIN. 7 decadence n'a pas encore gagné les campagnes, oü 1'habitude de fournir au vuide des cités, laifle un peu plus de place a la population. Mais eomme tous les terres font occupées & mifes k peu prés dans leur plus grande valeur, ceux qui ne peuvent pas acquérir des propriétés, font aux gages de ceux qui poffedent. La concurrence qui naif de la multitude des ouvriers, tient leur travail a bas prix & la modicité du gain leur óte le defir, 1'efpérance & les facultés de te reproduire par le mariage. Telles font les triltes fuites de la dépravation des 'moeurs, de la parefTe & du goüt pour les plaifirs. Chez un peuple cultivateur les moeurs font ce qu'elle doivent être; les femmes font douces, modeftes ,compatiüantes & fecourables, elles ont ces vertus qui perpétuent 1'empirc de leurs charmes. Les hommes lontoccupés de leurs premiers devoirs, du foin & du progrès de leurs plantations, qui feront le fouticn de leur pofte rité. Un fentiment de bienveiilancc unit toutcs les families. Rien ne contribue k cette union comme une certaine égalité d'aifance comme la fécurité qui riait de la propriété comme 1'efpcrancc & la facilité d'au.mienter fes polTcflions •, comme la dépendance réciproque oü tous les hommes funt pour leurs befoins, leurs commodités & leurs plaifirs. A la place du luxe qui traine la mifere k fa fuite , au lieu de ce contraire afïïigeant & hideux, un bien - être univerfel , réparti figement par la première diftribution des terres, par le cours de 1'induftrie, a mis dans tous les coeurs le defir de le plaire mutuelleinent, dclir plus faüsfaifant, iiinsdoute, que la fecrete A 4 Zarr.Bcre ics feni-  tSnnheur tle In vie zliampêtrt ] ( (*) Les Nord ■ Américains. B LL SPECTATEUR tHvje de nuire qui eft inféparobTe d'unc extréme inéffalité dans les fortuncs & dans les conditions. On ne fe voit jamais fans plaifir, quand on n'eft ni dans un état d'cloignement réciproque, qui conduit k 1'indifférence, ni dans un état de rivalité, qui eft prós de la haine. On fe rapproche, on fe raflemble; on mene enfin dans les colonies cette vie champêtre, qui fut la première deftination ,de 1'homme, la plus convenable k la fanté, k la fécondité. On y jouit peut-être de tout le bonheur compatible avec la fragilité de 1'efpece humaine. On n'y voit pas ces graces, ces talens, ces jouiftances recherchées, dont 1'aprét & les frais ufent & fatiguent tous les reflbrts de 1'ame, amenent les vapeurs de la mélancolie, après les foupirs de la volupté, mais les plaifirs domeftiques, 1'attachement réciproque des parens & des enfans, 1'amour conjugal, eet amourfipur,fi délicieux pour qui fait le goüter. C'eft Ik le fpe&acle enchanreur qu'offre partout 1'Amèrique feptentrionale: c'eft la qu'on peut aimer toute ia vie ce qu'on aima pour la première fois; c'eft la que 1'innocence & la vertu ne laiiïent jamais périr Ia beauté toute entiere. C'eft aux bienfaits attachés k la pureté de ces moeurs que 1'on doit attribuer t'extrême population de 1'Amerique feptentrionale. Mais il eft k craindre que ce nombre prodigieux i'émigransEuropécns qui, avec 1'enviedcs'yenri5hir, y portent leurs vices & le dangercux poifon ie la féduction, n'operent en peu une révolution unefte dans les mosurs de ce peuple vertueux (*). ^ contagion du mauvais exemple n'eft pas moins k Taindre pour les peuples que pour les individus.  AMERICAIN. 9 CHAPITRE III. Bifloire .naturelle. Sous quelque point de vue qu'on envifage la nature, fon etude eft intéreffantc. C'eft par le rapprochement de fes différentes productions que nous pouvons la fuivre dans fa marche, augmenter nos connoiflances. j_'hiftoire naturelle du monde eft encore ïmparfaite, & les travaux journaliers des naturaliltes nous prouvent 1'immenfité des richeffes qui nous reftent encore a recueillir. L/Europe eft la feule partie du globe oü 1'on ait feuilleté ce hvre précieux avec fuccès. Nos favans, il eft vrai, ont fait pluficurs voyages en Afie,cn Afrique & en Amérique ; mais ces voyages toujours trop courts, trop gènés par les circonftances, ou laj néceffité de repartir, ont rendu leurs obferva-i tions imparfaitcs, & nous ignorons encore la, plupart des productions de la nature dans ces/ régions éioignées dont on ne connoit guere que; les cötes. Malheureufement pour la philofophie les habitans de ces trois parties du monde ont ou trop peu de zele, ou trop peu de lumieres pour s"occuper d'un pareil travail, & nous ne favons k eet égard que ce que les voyageurs europcens n'ont fouvent fait qu'entrevoir. _ L'Amérique feptentrionale doit furtout ïntérclfer les naturaliltes; elle doit offrir un champ vafte a la curiofité, & le peu que nous en connoiffons , fait defirer que les favans des academies de Philadelphie & de Bofton nous éciatA 5 ïbftaclet our por* enir èi •ne coii' ■oijj'ance ' lus cxac e de i'/t. 'lérique & ie fes prg. hictions.  IO LE SPECTATEÜR ttmta- i ] : ! { ren: fur les produétions indigenes de leur fo'i. En attendant cc travail de leur part, arrêtonsnous un inftant fur celles qui ont déja fixc Pceii des Européens dans le nord de cette partie du monde, &bornons-nous aux plus cfièntielles. La plupart des hautes montagnes dans le terntoire des Etats-Unis font des granits hétérogenes & très-adhérans. L'eau forte n'y caufe prefque aucunc effervefcence. Les pierres calcaires pures, criftallifées fous différentes figures & que 1'on defigne fous le nom général de Spath , y font très-abondantes. L'enfemble de ces montagnes paroit être un compofé, un mélange de plufieurs fubftances réunies, & feroit croire qu'elles font hétérogenes; mais elles ne font indubitablement telles qu'k leur fuperficie. Ces mcntngncs. que 1'on doit placer dans la claffe des primitives, n'ont dü être formées que par une matiere vitrifiée, en fufion bouillonnante pendant des milliers d'années, & f rit néceffairement homogenes d'origine. Mais la grande révolution qu'elles ont dü éprouver. les ont courertes de parties hétcrogencs ; les crevaffes qu'on y appergoit dans différens endroits, les 3locs immenfes qui paroiffent avoi- été jetés fur eur fommet & qui ne s'y foutiennent que par eur énorme pefanteur, atteftent ces révolutions mi ont tam de fois changé la face du globe. Si 1'on parcorjrt les monticules dont le Maryand eit rempli, on s'appergoit que ce pays n'eft >as affez décbuvert, & que fes monticules font :rop bas pour faifir aiiëment leurs directions ;értéra!es. Les naturaliltes du pays les placent ;ans la claffe des montagnes fecondaires. Pour  AMERICA IN. li adoucir la pente des montagnes & rendre les chemins plus commodes, les habitans ont entasfé des pierres dans les bas - fonds & rempli les interftices d'une terre végétale peu adherente. Les limites des poffefïïons refpeétives ne font prefque toutes défignées que par des pierres amoncelées affez négligemment en forme de muraille. Ces pierres dont les angles font brifés & effacés, leur arrondiffement, tout attefte d'une maniere authentique le long féjour des eaux dans ces contrées, principalement dans la province de NewYorlc. Les carrières de marbre font très-abondantes dans 1'Amérique feptentrionale, le Maryland furtout en fournit de très-beau & en quantité. En parcourant 1'état de Maffachulét & celui de Fenfylvanie, il n'eft pas étonnant de rencontrer des rivieres de communication dont le lit eft creufé dans des bancs de pierrc fitueufe, grife & rouge: on y trouve des bloes d'argile petrifice renfermant des galets, ou cailloux roulcs, qui en les frappant fe détachent facilement & y laisfent 1'emprcintc de leur forme. La main bienfaifante du créateur n'a pas voulu repandre partout les mêmes dons; elle n'a pas voulu que tous les pays produififfent les mêmes plantcs, les mêmes fruits ; de pareils rapports auroient nui k la communication des pleuples, paree que le véhicule puiffant de l'induftrie, de 1'admiration & de 1'ambition des hommes, eft la posfcfiion des objets nouveaux. La fecondité mcrvcilleufe de la terre préfente fous chaque climat la nature fous un point de vue toujours nouveau, tcffours intéreffant. Le foleil qui vivifie a fon Marbres.  Productwas généralesdc VAmé wipte. t'lsnus. 14 LESPECTATEÜR gré tous ces tréfors, lance fes feux différemment, & c'eft des divers degrés de fa chaieur que naiflent ces nuances, & cette variété infinie. L'Amérique en général contient feule plus de la moitié du globe, & 1'on fent combien fa découverte a dü enrichir nos connoiffances & notre hétuisphere. Mais ce n'étoit point affez pour nous, que 1'Amérique eüt produit de 1'or, de 1'argcnt & des pierres précieufes, on a prouvé que ces poffeffions ont plus appauvri 1'Europe qu'elle ne 1'ont enrichie: & quant a 1'Amérique, ces riches produdtions n'euflent dtéd'aucuneconfidération, fi elle n'eüt en même tems offert a fes habitans une mine plus précieufe que les autres: c'eft le fer. Nous devons a 1'Amérique des objets d'autant plus intéreflans , plus agrcables & plus utiles, qu'ils enrichiffent notre commerce, & fervent en partie a foulager la nature par 1'art de les mettre en ufage. Tels font par exemple, Ie fucre, le tabac, 1'indigo, la cochenille, le café, le gimgcmbre, lacaffe, lemaftic, 1'aloés, le coton, le cacao, 1'écaille, le quinquina, les bois de teinturc, les épiceries, les beaumes de Tola, dc Capahu, du Pérou, le bezoard, 1'hypécacuana, le fang de dragon, 1'amhrc, les gommes, Ie vifargent, les ananas, & des toiles précieufes par leur fineffe & leur beauté. A mefure qu'on approche des parties méridionales des Treize-Etats, on remarque un changement fcnfible dans les produdtions-, elles y font meilleures & en plus grande quantité qu'au nord. Les plantes y font presque toutes odoriférantes j les champs font remplis d'immortelles blanches, & le parfum qu'elles exhalent eft admirable. Un  A M E IM C A 1 N, 13 botanifte laborieux pourroit y faire une moiffon abondante & curieufe. Le développement des fciences dans cette république nouvelle nous promet des hommes qui en feront 1'hiftoire. La culture n'ayant point encore procuré aux terres de 1'Amérique le degré de force & de bon. té dont elles font fufceptibles, il n'ett pas étonnant que dans eertains endroits les arbres y périlfent fouvent par leurs racines'qui, pénétrant trop peu, font plus expoféesaux intempéries de Pair. C'eft fans doute pourquoi leurs bois font plus légers & durent moins que les nötres. Dans les Etats-Unis 1'ufage eft de labourer les terres pendant 1'automne, de femer depuis le milieu d'avril jufqu'au 10 de mai, & de couper les bleds depuis le 15 aoüt jusqu'au 20 feptembre. Les terres qui n'ont été labourées qu'au printems, rapportent moins, dit-on, paree que les parties nitreufes de la neige ne s'y infmuent pas bien. Dans les grandes forêtsdu Nouveau - Monde , vraifemblablement auffi anciennes que la terre qui les porte, on n'a jamais entrepris de connoitre toutes les efpeces d'arbres dont elles font compofées: mais de longues obfervations ont fait acquérir des lumieres que les voyageurs ont pris foin de recueillir. Ce qui les frappe le plus en arrivant en Amérique c'eft la hauteur & la grosfeur, furprenante des pins, des fapins & des cedres.' On y diftingue quatre fortes de pins; Pune relTemble a la nótre;les trois autres font 1'Epinette blanche, 1'Epinette rouge, & la Péruffe: les deux premières produifent une réfine fort propre a faire le brai & le goudron. Nature les bois. ilgrieuke. 'e. */«, Se* i;>s.  14 L E SPECTATEUR Le chétie. 3/erraiti- drift pariitt liers du • p ys- Le Tuli. 1 pier. j ( Le chêne, le plus grand, le plus beau, leplüi durable & leplus utile des végétaux qui croiflent dans les forêts, eft ici très-abondant; on en trouve méme de diiférentes efpeces; les uns ont leurs feuilles extrêmement dëcoupées^ d'autres les ont longues & écroites comme celles du pêcher. En Virginie le bois de chêne eft remarquable par fes veines rouges,- il y a une efpece de chêne toujoursvert,dont les feuilles font oblongues & fans finuofités , une autre dont le gland eft trés long. Les lndiens fontufage de celui ci, qui eft doux, pour épaiflïr leur foupe; ils en retirent auiïi une huile très-bonne. Le chêne du Canada & de la Caroline a fon écorce blancMtre, & le bois eft vertjil porredes glands aufli doux que la noifette. Cette efpece croir. un tiers environ plus vite; il eft très-robufte & s'accommode des plus mauvais terreins Le bois de chêne réunit tarit d'excellentes qualités, tant d'avantages, qu'il eft le plus recherché de tous les arbres pour un très-grand nombré iPouvrages ;• pour la ftruéture des moulins, des preffoirs ; pour la menuiferie , le charronage ; pour des treillages, des échalas, des cercles&no:amment pour la conftrudtion navale. On appele merrain le cceur du chêne dont on fait des dou«:s. Que de mocifs propres a en faire defirer la nultiplicationi Le Tulipier, óu arbre aux Tulipes, ou bois aune, eft de Virginie; c'elt un des plus beaux irbres qu'on puilfe cukiver, il crolt dans prefque oute 1'Amérique feptentrionale depuis le cap de a Floride jufqua la Nouvelle - Anglecerre. II levient fort grand, & quelques-uns ont jufqu'k'  A M E R I C A I N. 15 trente pieds de circonfércncc. Cet arbre eft remarquable par fes branches plie'cs en toute forte de fens. Ses feuilles ont la figure de celles de 1'érable. Ses fleurs ont toujours été comparées aux tulipes, d'oü 1'arbre a pris fon nom ; mais elles approchent plus de celles dc la Tritillaire: elles font d'un vert pale, teintes a la partie inférieure de rouge & de jaune. On a oblërvé que le calice eft compofé detrois pieceb: la corole a neuf pctales & renferme plufieurs étamines. Aux fleurs fuccedent des capfules obloigues, qui toutes réunies forment un fruit écailleux comme les cöïics du fapin. Cet arbre fe plait particulierement dans les terrains humides; il eft très-propre a former des masfifs & de fuperbes avenues. (On en voit un trèsbeau a Paris'dans le jardin des pépinieres du roi.) Le bois eft d'un trés grand üfagB pour les batiJnens; il paffe dans le pays pour être le meilleur dont on puiffe faire des pirogues ou des canots d'une feulc piece. Ainü 1'Américain jouit de 1'agrcment de voir par millions cette fleur charmante pour laquelle nos fleurtftes prennent tant de peine,afin d'en orncv leurs jnrdins. L'érable fert a faire des chaifes, des tables & e autres meubles femblables. Sa feve eft d'un grand ufagedans les feftins; elle eft blanche, très-claii-e, extrêmement rafraichiffante, laiflimt dans la bouche un agréable parfum , d'ailleurs falutaire & pectorale. C'eft au moyen d'une incifion qu'on extrait cette feve; pour 1'amener a 1'état de fucre,on la fait évaporer par 1'aftion du feu jufqu'a ce qu'elle ait acquit la confiltance d'un firop «fpais. On la verfe dans des moules de terre ou  16 LE SPECTATË U * d'écorce de bouleau; le firop fe durcit en fe fefroidiffant, & fe change en un fucre roux, presque tranfparent ec affez agréable. Pour lui communiquer de la blancheur, on y mêle quelquefois, en le fabriquant, un peu de farine de fro* ment; mais cette préparation en altere le goüt. Ce fucre fert au mêmeufage que le fucre de cannes: mais pour en avoir une livre, il ne faut pas moins de dix-huit ou vingt livres de liqueur. Ainfi le commerce n'en tirera jamais un grand profit. L'érable tient lieu de cannes aux fauvages de PA" mérique. Cet arbre croit jufqu'a la hauteur du chêne & fe plait fur le bord des ruiffeaux dans des lieux humides; 1'incifion fe fait dans le mois de mars, au bas du tronc, a deux ou trois pouces de profondeur. La liqueur des jeunes arbres eft fi abondante qu'en une demi-heure elle rem plit une bouteille de deux livres. Pour conferver Parbre, il faut n'y faire qu'unc ou deux incifions. Le cirier eft un arbriffeau rameux , tortueux , irrégulier, qui fe plait dans un fol humide. Ses feuilles difpofées alternativement, font étroites, entieres ou dentelées, toujours couvertes de petits points dorés presque imperccptibles. 11 porte des fleurs males & des fleurs femelles fur deux individus diflerens. Les premières forment des chatons, dont chaque écaille porte fix étamines; les fecondes difpofées de même fur les jeunes rameaux, ont, au lieu d'étamines, un ovaire furmonté de deux ftyles , qui devient une coque très-petite, dure, fphérique , recouverte d'une fubftarrce grenue , blanche & onctueufe. Ces fruits,dont 1'affemblage a 1'apparence d'une grappe, font ramafies a la fin de 1'automne & jeté» dans  AMERICAIN. 17 dans 1'eau bouillante. La fubfirance dont ils font enduits, fedétache, furnage & s'enleve avec une écumoire: lorsqu'elle eft figée, elle eft communémcnt d'un vert fale. On la fait fondre une feconde fois pour la purifier. Elle devient alors tranfparente & d'un vert agréable. Cette matiere, mitoyenne entre le fuif & la cire , pour la confiïtancc & la qualité, tenoit lieu de 1'un & de 1'autre aux premiers Européens qui aborderent dans ces contrées. Elle brüle plus lentement que le fuif, eft moins fujete a fe fondre, & comme 1'odeur n'en eft pas désagréable, elle obtient toujours la préférencc partout oü 1'on peut s'en procurer fans la payer trop cher; mêlee avec un quart de fuif, elle brüle beaucoup mieux. Outre cette propriété, on en compofe d'excellent favon & de bons emplatres pour les bleffures. On s'en fert même pour cacheter. Le noyer eft très-commun dans 1'Amérique, feptentrionale. Celui de la Virginie & de la Louifiancalebois plus coloré que le nótre; il eft quelquefois prefque noir , mais fes pores font tréslarges. Ce font de fort beaux arbrcs, dont les feuilles font très-longucs , quelquefois chargées d'onzc follioles. Mais le fruit des noix noires n'eft bon qu'en cerneaux , paree qu'en mürisfant le zefte en devient tropdur; cependant les naturels du pays en font une efpece de pain. Voici leur méthode: ils écrafent les noix avec des mailIets, & lavent cette pate dans pluüeurs eaux; le bois furnage avec une portion d'huile. A mefure qu'ils remuent la pate avec les mains, il fe précipite au fond une efpece de farine; c'eft celle dont ils font üfage. Dans le Canada on trouve / Part. B  Le CM. taig;iier. Le Ceri' fier. Le Snffafras. '18 LE SPECTATEUR une forte de noyer qui fournit, mais cn petite quantité, une liqueur auffi épaiffe & auffi fucrée qu'un firop, mais cette liqueur eft moins agréable que celle de 1'érable. Parmi les noyers de cette contrée 011 en trouve dont le bois veiné fert k faire de très-beaux meubles, cxhalant une odeur de citron. Le chataignier de Virginie, ou le chinkapin, a fes feuilles larges & porte un très-gros fruit; le tronc de 1'arbre y eft a-peu prés de la groffeur de ceux d'Europe; fon écorce liffe & tachetée tire fur le gris: il paroit que les Américains n'ont pas encore tiré de ce fruit autant d'utilité que les Européens ; ils ignorent même l'art de le préparer pour en faire une nourriture dans le befoin: c'eft fans doute paree qu'ils ont le bonheur d'ignorer les horreurs de la difette. Le cerifier n'y eft prefque pas connu, k moins qu'on ne donne ce nom a une efpece de cerifes a grappes, petites & ameres. II en eft de cet arbre comme de la vigne que 1'on voit ferpenter en Virginie prefque fur tous les arbres. Quand la population aura fait plus de progrès, les connoisfances journalieres augmenteront, & les Américains en tirant meilleur parti de la bonté de leur fol, acquerront la propriété de toutes les productions européennes- Le faffafras, ou laurier des Iroquois, que les Floridiens nomment Palamé ou Pavanea, eft un bois ou plutöt une racine d'un roux blanchatre, fpongieufe & légere, de couieur cendrée, rousfatre en dehors , d'un goüt acre, douceatre, aromatique, d'une odeur pénétrante qui approche de celle du fenouil, ou de 1'anis. Celui qui  AMERICAIN. IS> croït dans le Connedticut, eft une ei'pece dc laarier rofe couvert de fleurs, dont le coup d'ceil eft charmant. Le tronc du faffafras eft nud, fort droit & peu élevc. Ses branches s'étendent a fon fommet comme celles d'un pin ébranché; fes feuilles font k trois lobes comme celles du figuier, vertes en dcffus , blancMtres en deffous •, fes fleurs font en grappes, découpées en cinq parties: il leur fuccede des baies femblables a celles du laurier. II produit un petit fruit dans un calice laiteux; quand il croit il eft vert, & devient violet dans fa maturité. Sa propriété eft fudonfique; on en retire une huile effentielle, & cependant fon bois a de la peine a brüler. Au nombre des arbriffeaux particuliers k ce pays, il en eft que 1'on ne fauroit palier fous fi. lence. Tels font: le vinaigrier," arbriffeau trèsmoélleux qui produit un fruit aigre en grappes, de couleur de fang de bceuf; on fait infufer ce fruit dans de l'eau pour en faire du vinaigre dont la qualitc eft affez bonne. La pémine, autre arbriffeau qui croit le long des ruiiïeaux & des prairies. Son fruit eft en grappe & d'un rouge trcs-vif; fa qualité eft as tringeante. L'Atocaj, qui donne un fruit k pepins de Is groffeur des cerifes: cette plante rampe dans les marais; fon goüt eft acre, mais on peut en faire de très-bonnes confitures en 1'adouciffant par le moyen du fucre. Le cotonicr, eft une plante qui pouffe comme 1'afpergc k la hauteur d'environ trois pieds & qui fe termine par plufieurs touffes dc fleurs. Si 1'on fecoue ces fleurs le matin avant que la roB 2 \ Le Pinas* pier. La PimU ne* VAlocg, Le colO' nier a fil* ere.  [tillier. Le Mais, ou bied dc lurquie. 30 LE SPECTATEUR fée foit tombée, il en fort avec 1'eau une efpece de miel qui ne demande que d'être bouilli pour fe réduire en fucre. La graine fe forme dans une gouffe qui contient une forte de coton- Quoique les Américains ignorent 1'art de faire Ja gelee de grofeilles, ils font cependant dans le cas de fe procurer ce rafinement dans leurs desferts ; mais le goüt de ces fortes de préparations tient trop au luxe de nos tables, pour penfer qu'il refte longtems inconnu. Les trois fortes de grofeillers qu'on y voit font fem' lables aux nötres, & croiffent fans culture. Lorfque les Anglois aborderent dans 1'Amérique feptentrionale, les vagabonds de ces contrées folitaires ne cultivoient qu'a regret un peu de maïs. Cette plante a le port du rofeau, fes feuilles d'un beau vert, affez larges & fort longues, entourent a leur bafe, la tige qui eft ronde & noueufe par intervales. Un panicule de fleurs males la termine: chacun des paquets dont il eft compofé, a deux fleurs recouvertcs par deux écailles communes, & chaque fleur a trois étamines renfermées entre deux écailles propres: a 1'aiffelle des feuilles inférieures fe trouvent les fleurs femelles, difpofées en épis très-ferrés rur un axe épais & charnu , caché fous plufieurs envelopes. Le piftil de ces fleurs entoure Ie quelques petites écailles & funiionté d'un ong ftyle, devient une graine farineufe, preslue fphérique, enfoncée a moitié dans 1'axe :ommun. Sa maturité eft annoncée par la coueur & par 1'écartement des enveloppcs qui laisent appercevoir 1'épis. Cette efpece de bied, gnorée alors en Europe, étoit la feule qui füc  A M E R I C A I N. connue dans lc Nouvcau-Monde. La culture en étoit facile; les fauyages fe concentoient de lever du gazon, de faire des trous dans la terre avec un baton, & de jeter dans chacun un grain de maïs.qui cnryproduifoit deux cents cinquante ou trois cents autres. Ce fruit eft rempli d'une moélle blanche qui a un goüt fucré; c'eft dans cet état, c'eft-a-dire avant fa maturité parfaitc, qu'on le fait griller. Les préparations pour s'en nourrir n'étoient pas plus compliquées que la culture. On le piloit dans un mortier de bois ou de pierre, & après 1'avoir réduit en pate, on le cuifoit fous la cendre , fouvent même on le grilloit feulement avant de le manger (i). Le maïs réunit bicn des avantages: fa feuille eft Ci) L«s avantages que 1'humnnité retire de ce grain font infinis ; une grande partie des hommes & des animaux privés en font leur nourriture. Cette plante eft avantageufement cultivés en France, principalement dans la Praviftce de Brefe oü 1'on en. graiffe des volailles qui profitent a vue d'oeil avec cette feule nourriture. Les chapows de fircffe. fi fort en réputation pour leur extréme délicateffe & leur groffeur, font preuve de 1'excellence de ce grain. II n'eft pas rare de voir de ces chspnns pefer jufqu's. dnuze h'vres. Les fameux cochons de Naples qui pefent jufqu'a cinq eens livres, ne font engraiffés qu'avec ce grain. 11 eft peu de pays oü 1'on faff: une nourriture' pins générale de ce grain qu'en livcfTe; les payfans lui donnent le nora de panei ou pani; panouille e!l le terme qui défigne 1'épi en entier. Lei bourgeois mime font de la faiine de ce grain une bouillic affez épaifie que 1'on délaie enfuire avec du lait; darls cet état cene bouillie fe nomme Caude. Je connois des Mresfans aifés a Paris qui font venir de cette farine pour en régaler leurs amis. Si 1'on laiffi froidic cette bouillie, elle prend une confiflance ferme ; on la coupe par tranche ; mife fur le gril avec . du fucre en poudre, elle devient un mets excellent. B 3  22 LE SPECTATEUR trcs-bonnc pour la nourriture des beffaux chofe inüniment précieufe dans les contrées oü les. prairies ne font pas communes. La tige fraiche de cette plante contient un iuc de meme que la canne k fucre; on peut en faire un firop très-doux, & qui a le véritable gout du fucre. On a propofé dans les mémoires de 1'académie d'elTayer s'il ne pourroit point ie criftalhfer comme le fuc de la canne k fucre : Les Américains tirent un très-bon parti des tiges deiTéchées; ils les taillent en plufieurs filamcns dont ils font des paniers & des corbeilles de difFérentes formes & grandeurs. On a même trouvé le moyen d'en faire un mets délicat : on écaille les jeunes grapes lorfqu'ellcs font de' la groffeur du petit doigt, & encore vertes: on les fend en deux, & on les fait frire avec de la pate comme des artichauts. Elles peuvent auffi fe confire très-bien dans du vinaigrc , comme des cornichons. Elles font de même tres - agréables dans la falade. Outre ces diverfes manieres de fe fervir de cette plante , les Américains retirent encore dc ces grains pilés & macérés dans de l'eau, Une liqueur vineufe qui enivre,&dont on peut extraire un efprit ardent. Un terrain maigre, léger & fabloneux, eft celui qui convient le mièux k cette plante. Sa femence peut être gelée au printems, même a deux ou trois reprites , fans que les récoltes ibicnt moins abondantes. Enfin, c'eft de tous les grains celui qui peut foutenir plus longtems la féchereffè & 1'humidité : aufii les Anglois fe déterminerent k le coiiferver & k le multiplier  A M E R I C A I N. n dans leurs établiffemens CO- I,s en envoyerent au midi dc 1'Europa, dans les Indes occidentales, & s'en iervirent pour leur propre ulage. Entre les fimples, on vante Pj!poyomrofi ou, Patfifiranda, qui croit dans la Floride & dont on fait la defcription fuivante: fes feuilles reffernblent a celles du poireau, mais font plus longues & plus déliées; fon tuyau eft une efpece de jonc plein de poulpe, noueux & d'une coudée & demie dc haut. Sa fleur eft peüte & étroite, fa racine déliée, fort longue, femée de nceuds ou de boulcctes rondes & velues. C'eft ce que les Efpagnols nomment Chape/ets de Sainte Héle ine & les Frangois Patemtre:. Ces boulettes coupées & expofées au foleil, deviennent très-dures, noires au dehors & blanches en dedans. Elles ont une odeur aromatique, qui approche de celle du Galanga. Elles font feches & chaudes au troifieme degré & plus, un peu aftrigentes & réfineufes; cependant elles ne fe trouvent que dans (O Le maïs, qui eft le nom américain, eft le même que le bied que 1'on connolt 'en France fous celui de bied de Turquie o\\U'dcVjnie. II eit très-doureux que ce foient les Anglois.comme ils le prétendent, qui 1'aient tranfporté de 1'Atnérique dans les différentes partijs du monde: car pinfieurs auteurs célebres s'accordent a cire que 1'on donne a cette précieufe plante le «om de bied d'lnde, Frümentum Indicum, paree qu'elle tire fon orwine des Indes, d'oü elle fut apportée en Turquie, Triticum Tircicum, & de-la dans toutes les autres parties de 1'Europe, ,\e PAftique & de ('Amérique. On donne a cette plante dans rAnsroumois & dans le LimoUÜn, le nom de bied d'Efpagne. P«l confulté divers Américains inftruits, fur le nom de mais poul; 1'avoir ce que fignifioit ce nom que les fauvages lui ont donné E Us nnoroieut 1'on éti.nologie. C'eft fans douic ce «ui eft e»ufe qu'on croit le mais originaire de 1'Amérvque. B 4 iimpUs-  n LE SPECTATEUR ÊHftSlS. Ghenilles de Virgi' ni:. j ] i i i ( ] ■i c les lieux humides. Les fauvages broient les feuitles entre deux pierres, en tïrent un fuc & s'en frottent le corps, après s'être baignés, dans la la perfuafion qu'il fortifie la peau & qu'il répand une odeur agréable. Les Efpagnols ont appris d'eux auffi a réduire ce fimple en poudre, qu'ils prennent dans du vin comme un remede pour la pierre & pour les obftruótions des reins. Ils le broient & le prennent en bouillon pour les maux de poitrine. Lis 1'appliquent en emplatre pour arrêter le fang, pour fortifier 1'eftomac & pour les douleurs de 1'uterus. Les chenilles de 1'Amérique font abfolument différentes de celles de 1'Europe. Celles que Ton voit en Virginie paroiffent n'avoir ni tétcs, ni pieds. Leur corps eft prefque entierement couvert d'une efpece de houpettes, longues, ferrées, unies, comme fi on les avoit ébarbécs avec des :izeaux. Les unes font d'une feule couleur, les lutres d'un rofe très-vif; il y en a de fymétriquement tachetées. Mais il en eft une efpece très-rare plus remarquable par fa grofieur & fa beauté ongue d'environ 4 pouces fur 7 a 8 lignes de dianetre; fa peau fine d'un vert tendre, laiiTe apjergevoir Pagitation de fes arteres: fes criftallins ont de la groffeur d'un pois 6c fa queue d'un jaune 'if. Chacun de fes anncaux a quatre petites cories rameufes dures & d'un noir de jais d'environ teux lignes de longueur. Sa tête eft ornée dc mit autres comes longues de plus d'unpoucc, ortes, recourbées fur elles, jaunes, noires aux xtrémités &,du poli Ie plus brillant. Ce fuperbe ïfeclc fcmblc dans la fureté de fes mouvemens  AMERICAIN. ^5 nnnoncer qu'il connoit la noblefle de fa parure & fa fupcriorité fur fes femblables. C'eft encore en Virginie qu'on trouve une espece d'araignée très-dangereufe par la fubtilité étonnante de fon venin. II caufe k la perlbnne qui en eft piquée, une tenfion, une irritation cruelle dans toutes les parties du corps. Comme le genre nerveux paroit être principalement attaqué , au lieu de fe fervir de 1'Alkali volatil, le meilleur remede eft celui de 1'eau tiede. Les abeillcs font très-abondantes dans le norc de 1'Amérique; mais 1'on croit que cet infecte j a été apporté d'Europe. Depuis que les bras d< 1'indultrie ont fertilifé la terre dans cette région, on a vu qu'elle pouvoit donner aux cultivateur! les mêmes plantes ou les mêmes fruits que 1'Eu rope, & ce bienfait n'eft pas le moins confidérable dont ils aient été récompenfé»-. Le Nouveau-Monde contient néceffairement ur grand nombre de reptiles. Entre les ferpens d\ Canada, on ne parle avec diftinftion que du fer pent k fonnette. On en voit d'aufiï gros que 1: jambe d'un homme, quelquefois même plus gros & d'une longueur proportionnée; mais les plu communs ne font ni plus gros, ni plus longs qu nos plus grandes couleuvres deFrance. Leur fi ui re eft fort bizarre: fur un cou plat & très-large ils ont une alfez petite tête. Leurs couleurs fon vives fans être brillantes: le jaune pale y domin avec de belles nuances. La queue eft écaillée ei cotte de maille, un peu aplatie; elle croit, dit on , tous les ans, d'une rangée d'écailles, è fjrte qu'on connoit 1'age du ferpent k fa queue comme celui des chevaux k leurs dents. En ram B5 Arcügnleti . AieiUts.' { Serpent & jbitneile* l » » 1 » I  'Plante pnpre h guérir fc morfun. CO Ce qu'on sppelle ordinairement Ie chant de la cifiale a n'eft qu'un bruit qu'elle fait avec fes ailes. c6 LE SPECTATEUR. pant il fait le même bruit que Ia cigale ("Os & la reffemblance eft fi parfaite, qu'on y eft trompé; c'eft de ce bruit que ce reptile tire fon nom. Une des principales raifons pour lesquelles je m'arréte de préférence a ce ferpent, c'eft afin de guérir les terreurs qu'il infpire a ceux qui ne le connoiffent que par la relation peu fidele de quelques voyageurs ignorans. Ce reptile eft naturellement peureux, jamais il n'attaque les pasfans; mais fi on 1'irrite, ou qu'on ait le malheur de mettre le pied fur lui, dans 1'inltant on eft piqué. S'il eft pourfuivi, pour peu qu'il ait le tems de fe reconnoïtre, il fe replie en rond, Ia tête au milieu,& s'élance avec roideur&rapidité fur fon ennemi. Sa morfure eft mortelle, fi on n'y remédié fur le champ; on 1'avoit toujours regardée comme incurable, jufqu'a la découvertc qu'on fit, il y a quelques années, dans la Nouvelle-Ecofle, d'une plante que fa propriété fit appeler plante du ferpent, & que les Frangois nomment Seneka; la poudre de cette plante étant appliquée fur la plaie en forme de cataplafme, eft un véritable antidote. Cette plante eft facile a diftinguer: la tige en eft ronde, un peu plus grofie qu'une plume d'oie, de 3 ou 4 pieds de hauteur: elle fe couronne d'une fleur jaune d'une odeur agréable, qui reflemble a une marguérite commune, tanc par fa forme que par fa grandeur. Ses feuilles, qui font d'une figure ovale & étroite , font foutenues par un pédicule d'environ un pouce de long qui fort des nceuds de la tige:  AMERICAIN. Vf chaque pëdicule a cinq feuilles comme un pied de bied de Turquie. On trouve dans les parties du fleuve St. Laurent dont 1'eau eft falée, routes les efpeces de poiffons qui vivent dans 1'Océan (O, le faumon, le thon, 1'alofe, la truite, la lamproie, 1'éperlan, le congre, le maquereau, la fole, le hareng, 1'anchois, la fardine, le turbot & quantité d'autres. Dans le golfe, on y trouve en abondance le flottan , trois fortes de raies, le lencornet 6c la goberge (de 1'efpeec des moruesO la plie, le requin & le chien de mer, qui eft une efpece de requin. Sur toutes les cötes de 1'Acadie, les huitres font en grand nombre, les étangs font remplis de truites faumonées longues d'un pied. On y trouve des tortues de deux pieds de diametre dont la chair eft excellente & 1'écaille fupérieure, rayée de blanc, de rouge & de bleu. L'esturgeon eft ici un poiffon de mer & d'eau douce, que les Canadiens prennent pour Ie dauphin des anciens: le poiffon blanc que Ia Hontan met au deffus de toutes les efpeces connues, eft un manger dclicieux. Le poiffon armé , nommé par les fauvages Chaouferou , eft trop curieux pour ne pas en faire une defcription particuliere. II reffemble a peu-près au brochet; mais il eft couvert d'une écaille a 1'épreuve du poignard. Sa cou- CO Te ne par'e point ici des motues; ce qui les concerne fe trouve a la fuite du Chap. 8e. iere partie, oü je parle des pêches de Terre-Neuve, Poiffons du flcttye £? du golfe St- Laurent. Poijfont des lach Poifoa armé*  LE SPECTATEÜR. 'JSnimaux qui fourniQ'ei>t le. ptileteriei du Cana da. La Lou. d'une odeur forte , déragréabie, pénétrante , & qui s'enflamme aifément. II durcit k 1'air dans 1'efpace d'un mois; il devient brun , caffant & friable; fi 1'on elt prefle de le faire durcir , on le met dans une cheminée. Les droguiftes préferent le caftoreum deDantzick k celui du Canada, par des raifons apparemment connues d'eux feuls. II y a deux fortes de loups-marins; ceux de laz groffe efpece pefent jufqu'a deux mille livres femblent avoir le nez plus pointu que les autres on les prend tres aifément. /. Fan. C Cajlortum oup mg* ara, HUU.  34 LESPECTATEUR Peau ma' tin. Ecureuils ou yaitsgris. Les petits, dont la peau eft communément ti« grce, font plus vifs & plus adroits a fe tirer des pieges qu'on leur tend. Le loup-marina la peau dure & couverte d'un poil ras; il nait blanc, mais il devient noir ou roux en croiiTant; quelquefois il réunit les trois couleurs. La peau du loup-marin fervoit autrcfois a faire des manchons ; mais on 1'emploie a préfent a couvrir des malles , a faire des fouliers & des bottines ; lorfqu'elle eft bien tannéc , elle a & peu prés le même grain que le maroquin: fi d'une part elle eft moins fine , elle en conferve plus longtems fa fraicheur. On ne pêche cet amphibic qu'au Labrador. II ne faut pas palTer fous filence le veau-marin, animal remarquable par fes dents: il en a deux principales aux deux cötés de la machoire inférieure , longues & groffes comme le bras d'un homme, qui font une très-belle ivoire. Les écureuils de Virginie font plus gros que ceux d'Europe. Leur couleur eft un griscendré. On les spprivoife trèi-aifément: la fourrure de 1'écurcuil eft d'ufage fous le nom dc petit-gris, animal que 1'on voit en Laponie. II fe tient ordinairement fur les pins; il fe nourrit de fruits & de graines, dont il fait provifion pour 1'hiver, & qu'il dépofe dans les creux del'arbre oüilacoutume de fe retirer pour paffer la mauvaife faifon. On connoit trop la gentillefle, 1'adreffe & la vivacité de ce joli animal pour en faire Ia defcription. II eft moins quadrupede que les autres; prefque toujours il fe tient affis, même debcut, & lorfquil vcut manger, fes pieds de devant lui tienncnt lieu de mains pour porter a fa bouche.  AMERICAIN. 35 Dans cette attitude le corps eft dans une pontion verticale. Au lieu de fe cacher en terre, il eft toujours en l'air: fa légercté tient de celle des oifeaux-, perché comme eux fur la cime des arbres, il parcourt les forêts en fautant de 1'un a 1'autre, c'eft la qu'il fait fon nid & fes petits;, il écaille les graincs, boit la rofée, & ne defcend a terre que quand les arbres font agités par la violence des vents; il fe plait particulierement fur les arbres de haute futaie. L'abus des noms n'eft que trop fréquent dans l'hiftoire naturelle: on en a un exemple frappant moins dans 1'écureuil gris de Virginie que 1 on dit être auffi gros qu'un lapin, que dans 1 ccu-s reuil volant, qui a paru a M. de Buffb» fi reiTem-11 blant a de ccrtalns rats, qu'on feroit tentc de croire que ceux qui 1'ont nommé éeureml, n avoient jamais vu ni écureuils, ni loirs, ni lerots. II eft a fuppofer que la promptitude avec laquelle 1'écureil foute d'un arbre a un autre, a feuie caufé cette méprife dans les voyageurs: cependant L'écureuil qu'on appelle volant, a quelque différcnce de 1'autre dans fa conformation, en ce que fa peau très-lache & pnffce fur les cótes, regoit une grande extenfion au dehors j lorfqu'il veut s'élancer , cette peau paroit former des efpeces d'ailes; mais, pour croire qu'il vole, il faut ignorer qu'il n'eft pas né pour cela. . Les régions feptcntrionalcs étant ordinairement la patrie de 1'aigle , il n'eft pas étonnant d'en trouver dans le nord du Nouvcau-Monde: on y en voit de deux efpeces; les plus gros ont C a lan-. e proie UAlgU,  La Peririx. Canards, B?ca{[tnes &e. Oifeaux de rivier e. ■ i ( ( . t OTeaux tes bois. \ t C q 36 LE SPECTATEUR. la téte & le cou prefque blancs; ils- donnent la chaffe aux lapins & aux lievres, les enlevent dans leurs ferres & les emportent. Les autres font gris & fe contentent de faire la guerre aux oifeaux, & tous la font aux poiffons. Le faucon, Pautour & le tiercelet étant de la même efpece que ceux de France, nous n'en parlcrons pas. On voit en Amérique trois fortes de perdrix , des grifes, des rouges & des noires, toutes plus grofles que celles d'Europe. Elles ont toutes de belles & longues queues, qu'elles ouvrent en évantail comme les coqs d'Inde. Les bccaffines, les becaffes. les corbeaux, le, chats-huants, les merles y font auffi communs que chez nous. On y compte julqu'a vingt-deux efpeces de canards; ceux que 1'on nomme canards-branchus recoiveiit cette dénomination de leur habitude a fe percher fur les branches des arbres; leur plumage eft d'une variété fort brillante. Excepté vers les habitations dont on ne les voit joint approcher, les oifeaux de riviere font fort :ommuns: de ce nombre les principaux font les :ignes, les poules-d'Inde, les grucs, les poulesPear, les cercelles, les oies , les outardes & ous les grands oifeaux de riviere. Le pays a des grues de deux couleurs, les mes blanches, les autres gris-de lin; on vante ieaucoup leur chair par le goüt délicieux qu'elle onne au potage. Les piverts font en Amériue d'une grande beauté, par la diverfité & la ivacité de leurs couleurs.  AMERICAIN. S? Dans un des Etats-Unis, (Connecticut) il y a une efpece d'étourneau, dont le centre des ailes eft d'un rouge foncé; c'eft fans doute celui que 1'on trouve dans la Louifiane. Le fcrin y eft de la même couleur qu'en Europe, mais un peu plus gros. Le poliglotte que 1'on voit en Virginie, efl 1'oifeau que les Mexicains nomment Concontla tol/is, c'eft-k-dire qui a quarance langues. 11 efl de la grandeur d'un étourncau , il a le ventri blanc, le dos brun , mêlé de quelques plume blanches, principalemcnt a la tête & k la queue ce qui forme une efpece de couronne de couleu d'argent. On prétend que fon chant eft fi dou: & fi mélodieux, qu'il furpaffe en agrément eelt de quelque autre oifeau que ce foit. On aflur même qu'il contrefait la voix des autres oifeaux avec une exactitude furprenante. M. Barrington vice - préfident de la fociété royale de Londres dit avoïr vu cet oifeau contrefaire dans 1'efpac d'une minute le chant de 1'alouette des bois, d pingon, du merle, de la grive & du moineai cet avantage lui a mérité le nom de moqueur. Parmi la multitude d'oifeaux qui peuplent 1 forêts du Nouveau - Monde, 1'oifeau -mouche e un des plus finguliers. Son nom vient de fa p titeffe •, il a le bec long, pointu comme une; guille; fes patés n'ont que la groffeur d'une épi gle ordinaire. On voit fur fa tête une hup noire, d'une beauté incomparable fa poitrinei couleur de rofe, & fon ventre eft comme du la Un gris bordé d'argent , & nuance d'un jau d'or très-brillant, éclate fur fon dos, fur fes ai C3 L'Et'ur- nsau. Li Saint Le Poll' gintli ou Mwpeuu i » r i i e » » > e u i: DS O'feou" mnuche OU lt Colibri. 3- i13e:ft lt. ne es  3* LE SPRCTATEUR le Rotft■griol. & fur fa queue. Le duvet qui regne fur tout lc plumage de cet oifeau, lui donne un air fi délicat qu'il relfemble a une fleur veloutec , dont la fraicheur fe fane au moindre attouchement. Le printems eft 1'unique faifon de cet oifeau charmant. Son nid, perché au milieu d'une branche d'arbre, eft revêtu en dehors d'une mouflc grife & verdatre , garni en dedans d'un duvet très-mou, ramaiTé fur des fleurs jaunes. Ce nid n'a qu'un demi-pouce de profondeur fur un pouce environ de diametre. On n'y trouve jamais que deux ceufs, pas plus gros que les plus petits pois. Semblable aux abeilles - ce léger volatile ne fè nourrit que du fuc des fleurs fur lefqucllcs on Ié voit fouvent voltiger ; quelquefois il fe plonge dans le calice des plus grandes. Son vol produit un bourJonnement parcil a celui d'un rouet a ïiler. Malgré fa foibleife, il ne paroit pas méfiant ; les hommes pcuvent s'approcher de lui jufqu'a buit ou dix pieds. Croiroit-on qu'un être fi petit fut méchant colere & querelleur ? Souvent ces oileaux fe font entre eux une guerre acharnée; dans leur colere ou dans leur impaticnce, ils pouflent un cri femblable a celui du moineau. Tous les êtres ont une efpece ennemie; celle de 1'oifeau - mouche eft une grofle araignée très-friande de fes ceufs, contre laquelle il ne les défend pas fans peine. Si 1' ifeau-mouche eft le plus joli oifeau de 1'Amérique feptentrionale , le roffignol, dont il me refte a parler, en eft le pius intéreflant. Le roffignol de Virginie eft plus commun a  AMERICAIN. 39 mefure qu'on avance vers le midi; il ne reffemble en rien au notre; il eft plus gros; fa tête & fon ventre font d'un rouge femblable k celui d'un bouvreuil. Si la nature 1'a mieux partagé du cötc du plumage; il s'en faut de beaucoup qu'elle Lui ait donné un gofier auffi roélodieux. Le roffignol de la Louiüane efl le même qu'en Europe; il differe feulement en cc qu'il eft plus familier, & criante toute 1'annéc. Lecteur fentiblel arrêtez-vous un irittant fur ce chantre de la nature, & partagez avec moi le plaifir que j'ai eu de tracer ici fon éloge & fon hiftoire. Les chofes d'agrément rendent les chofes uüles encore plus intérelfantes, quand on les réunit avec fagcffe & difcrétion. On fait que le roffignol franc eft en Europe un oifeau de paffage qui tient le premier rang entre les oifeaux chanteurs. Autant 1'alouette eft recherchée pour la force & la facilité de fon charap, autant le roffignol la furpaffe par la douceur de fa voix, par la variété de fes tons doux, mélodieux, par fes fredonnemens & fon gazouillement harmonieux. Cet oifeau eft un peu plus petit qu'un moineau, quoiqu'il paroiffe plus long. II ne pefe qu'une once, fon bec eft longuet,tendre,flexible & noiratre; quand il 1'ouvre, il fait voir un large gofier de couleur jaune orangée; il a l'ceil grand & vif, la tête, le cou & le dos font couverts d'un plumage fauve qui eft plus brillant aux ailes & furtout k la queue; la gorge, la poitrine & le ventre font d'une couleur cendrée , les jambes longuetces & les ongles déliés. La femelle a le port du male, mais elle eft d'une couleur plus C 4 Sa desS triptiomi  40 LE SPECTATEÜR Son kistoire 6? (on éloge. I 3 ] ( I f a 1 ■ d F CO Dans !es clirmts c'iaurh , cet oifeau peut faire qnatre pontes chnque année: duns ce pays-ci, il n'en fait communément que deux k caufe dn froi.i. Chaque pon te eft pour (ordinaire d^ quatre ou cinq betfft de coulcur de bro-ze : voila le fruit de leurs amouis; ets reufs produifent p us de milles que de femelles, comme dans pretque tous les autres oifeaux- cendrée de même que les jeunes roffignols. Cet oifeau eft folitaire, craintif & fauvage quand il n'eft pas apprivoifé. L'auteur du traité du roffisnol franc a appris par expérience que la femelle de cet oifeau eft muette. II n'y a point d'oifeau auffi jaloux; rarement on en voit deux enfemble, foit pour chanter, foit pour voyager, foit pour être en fociété. Au retour du printems le male chante continuellement pendant quinze jours & plus; fes accens animés par 1'amour, annoncent la fenfibiiité de fon ame. Après quoi fon ramage n'eft plus varié , ni vif, ni harmonieux, mais :out fimple. Son chant dans 1'automne eft fi iifférent de celui du printems, qu'on ne fau;oit s'imaginer qu'il vienne du même oifeau. ^e roffignol aime éperdument fa femme, il a >our elle les petits foins de 1'amant le plus affilu, & la complaifance d'un mari fidele. Quand ine fois les peths font éclos O) > i' fufpend «ur que'ques jours fon ramage, il s'occupe du ïirï de les nourrir, & fait toujours compagnie fa femele. Les roffignols ont grand foin de ;ur poftérité ; les peres veillent a 1 cducation es petits, ils leur apprennent a chanter, & ces etits éleves les écoutent avec beaucoup d'at-  A M E R I C A I |N. 4* tention & de docilité, répétant enfuite leur legon. On ne fait point oü le roffignol fe retire dans 1'hiver ; ce qu'il y a de certain, difent les voyageurs, c'eft qu'il n'y en a dans aucun tenis en Afrique. Quoi qu'il en foit, cet agréable oifeau fe place ordinairement dans les lieuxécartés & paifibles, aux environs de quelque coline, ou d'un ruiffeau, s'il s'en trouve, & furtout dans les endroits oü il fe rencontre un écho; c'eft Ik qu'il fe plait k chanter: il coupe fon ramage par mefures & par paufes, pour s'écouter & fe répondre en quelque forte k lui-même , par le moyen de 1'écho des environs: de - la vient qu'il n'a que deux ou trois endroits favoris pour chanter. On croiroit, dit M- Pluche, qu'il fait combien valent fes talents; il fe plait k chanter quand tous les autres oifeaux fe taifent. Rien ne 1'anime tant que les lieux folitaires, le calme de la nuit, & le filence de la nature; c'eft alors qu'il compofe & exécute fur tous les tons ; il varie fes modulations; & la foupleffe de fon gofier fe prête k tout. II va du férieux au badin , d'un chant fimple & léger au gazouillement le plus bizarre , des tremblemens & des roulemens les plus légers k des foupirs tendres, languiiTans & lamentables, qu'il abandonne enfuite pour revenir k fa gaieté naturelle : il fait des cadences perlées , des fons filés , pleins de goüt , de fineffe & d'exprcffion. C'eft avec raifon que Pline lui a donné le titre gloneux de chantre de la nature. Cet aimable muficien fait entendre fes plus beaux fons dans le tems C 5  42 LE SPECTATEUR que fa femelle couve, il doublé alors la durée de fon chant, & pour rendre fes fons extrêmement éclatans, il met en jeu toutes les ierces de fes organes. Lorfqu'il donne a fon ramage toute fon étendue, il le commence & le finit fur feize tons différens avec une variété fucceffive & des notes intermédiaires d'un choix fi jufte, que 1'oreille en eft charmée.  A M E R I C A I N. 43 CHAPITRE IV. Premiers voyages, & origine des colomes dans P Amérique feptentrionale. A peine la foif de 1'or & 1'efprit des cortquêtes éloignées avoient dépeuplé fous le fer des pLarre & des Cortès les riches empires duMexique & du- Pérou, que les horreurs du fanatifme fous le glaive de Charles IX & de Jacques premier chafferent de leurs états tous les habitans qui ne vouloient être ni leurs complices m leurs vicïimes. C'eft ainfi que par deux crimes on vit les deux mondes en proie a la barbane & a la perfécution,fe dépeupler enEurope & fe pcupler dans le nord de 1'AmCnque. Mais hatons-nous de tirer le rideau fur ce fpeótacle affreux; eelt affez & même trop d'avoir eu Pidée d'en parler un inftant. . , Heureufement les contrées défertes & fauvages de 1'Amérique feptentrionale n'avoient rien dont 1'afpeft put féduire les Européens; auffi ne furent - elles point fouillées par leurs vexations, Le defir de trouver un paffa-e par la mer du nord a celle du fud fut la première caufe du voya-e de Cabot en U97 , qui découvrit 1'ifle de Terre-, Neuve & revint en Europe. Le bruit de ce voyage détermina des pêcheurs bafques, normands & bretons, a center en 150+ la pêche de la morue ïabot ié:ouiireCerreVtuyt.  Cartis d Jean Dc ait* Velascc. Ponec de •Lênn d(tmive la Fluridt. Verazzd' '■ si découvre la A'curelk- ] Franct. j ■ 44 LE SPECTATEUR fur ce grand banc & autour des ifles du continent voifin. Jufqu'alors on n'avoit eu que. des connoiüances très bornées fur cette partie du'Nouveau-Monde ; mais la carte de ces cótes que Jean penis de Honfleur publia cn 1,06, répandit plus de Iumieres, & fit naitre de plus grands projets: c'eft a cette époque que, fuivant Vincent le Blanc, un Efpagnol nommé Velasco remonta 1 efpace de deux eens lieues le fleuve St.Laurent. Un fiecle de fuperftition eft toujours celui de 1'ignorance & du délire: 1'efpoir descenquêtes avoit boukverfé toutes les tétes, & 1'on n'eft plus étonné de voir des hommes fe repaltred'idées cbimériques. En iJ(2 Ponce de Léon, perfuadé qu'il exiftoit un troiCeme monde dans le continent duquei devoit fe trouver la fontaine de fouvence , corjeut Ie projet extravagant d'y aller recouvrer fa première jeunefle pour avoir le tems 3e fuivre fon projet; mais s'il revint dans fapatrie, plus vieux qu'il n'cn étoit parti, fon voyage ne fut pas tout-a-fait infruclueux: il découvrit la Floride CO. C'eft ainfï que le hazard immortalifa e nom d'un aventurier qui ne fit une véritable iecouverte qu'en courant après une chimère La Floride n'ayant point offert aux Efpagnols ce ju'ils cherchoient, ils 1'abandonnerent. Le Flo•entin Verazzani, dans un voyage qu'il fit en i"3, par les ordres de Francois Ier, découvrit )lus de fept eens lieues de cotes dans le nord de Amérique, & donna au pays le nom de Nou-  AMERICAIN. 4J veile-France. L'hiftoire dir qu'il fut aflafliné par des fauvages. Quelque jugernent qu'on doive porter fur les relations de ce malheureux voyageur, il eft certain que les fruits de cette expédition n'ayant pas répondu a 1'attente de Frangois I, ce prince & la nation parurent oublier quelque tems 1'Amérique. Le regne malheureux de Charles IX & de fa mere ayant plongé la France dans tous les maux qui peuvent naitre des difputes de religion & d'intolérance, il n'eft pas étonnant que cette nation foit reftée tranquilc fpeétatrice des conquêtcs des Efpagnols & des Portugais dans le Nouveau-Monde. Un feul hömme enfin lui ouvrit les yeux. Ce fut 1'amiral de Coligny, un des génies les plus étendus, les plus fermes, les plus actifs qui aient jamais illuftré leur fiecle. Soixante-dix ans après 1'expédition du célebre Colomb, c'eft-k-dire en 1562, Coligny envoya Jean Ribaud de Dieppe lans la Floride , contrée immenfe qui s'étend depuis le Mexique jusou'k la Caroline. Si 1'on eüt fuivi les ordres de Coligny, ü la fubordination eüt été maintenue entre les Europécns; le tems & la patience auroient rendu cette première tcntative & les fuivantes une fource intarriffable de gloire & de profpérité pour la France; mais'on ne fit rien de ce qu'on devok faire, & les entreprifes fursnt fans fuccès: d'ailleurs, les Efpagnols qui y poffédoient déja le fort Saint-Auguftin,fe trouvoient par la plus en état de traverfer les entreprifes des Frangois qui ne durent leurs premiers établiiTemens qu'a la patience la plus opiniatre; mais a peine cette colonie naiffante cherchoit k fe dé- fean RU 'taud conluit Ia iremlert :olanis ians 'a Fltiriis,  4^ LE SPECTATEUR La colanie efl ex* terminé;. Vengeance (jtCer. tïre un Francais. dommager par fon induftrie du malheureux abandon dans lequel on la laiffoit; a peine efpéroitelle tirer quelques fruits de fontravail ,queleNéron du midi, Philippe II, tout occupé de 1'Amérique, & accoutumé a s'en attribuer exclufivement les poffeffions , irrité que 1'amiral Coligny , & furtout un proteftant, eüt ofé fonder une colonie dans cette région nouvelle, fit partir de Cadix une flote pour 1'exterminer. Menendez qui la commandok , digne d'exécuter les ordres du tyran , en fit un horrible maflacre, & tous ceux qui échapperent au carnage, furent pendus a un arbre avec cette infeription: Non comme Frangois , mais comme hérétiques. Le miniftere de France eut la laeheté de garder le filence & de ne point s'en plaindre: fans doute qu'il ne faut attribuer ce filence qu'au fanatique plaifirües catholiques d'alors, qui n'avoient d'autres jouiflances que dans les crimes & les horreurs de la perfécution. Quoique l'humanké ne puifie fe confoler dans le fiel de la vengeance, il femble ccpendant que 1'humanité fe trouve foulagée quand la vengeance a puni 1'opprefiion par le fer dont elle la faifoit fouffrir. L'honneur de la France demandoit en fecret juftice de cette atrocité, & Dominique de Gourgue, né au Mont-Marfan en Gafcojiie , parut ïur la fcene du monde pour laver cet opprobre. Ce navigateur habile & hardi vend fon bien, conftruit des vaiffeaux, choifit des compagnons dignes de lui, part, arrivé dans la Floride , attaque les meurtriers , les pourfuit, les défait  A M E R I C A I N. 47 partout, & pour oppofer dé rifion k dérifion, les fait pendre a des arbres avec cette infcription: Non comme Efpagnols , mais comme affaffins. Cet intrépide Gafcon ne quitta la Floridc qu'en 1567. Les découvertes du chevalier Walter Raleigh en 1584 & 1585 engagerent 1'Angleterre kformer des colonies dans la baie de Roenoque, qui fait aujourd'hui partie de la Caroline. Cette colonie détruite en partie par les fauvages, étoit fur le point de périr de mifere & de faim, lorfque le celebre Drake, envoyé par Elifabeth, vint donner aux habitans une nouvelle vie, en leur aportant des fecours. En 1606 , les Anglois fonderent James-Town en Virginie, & ces nouveaux habitans, de 50c qu'ils étoient, réduits par la famine k 6o. alloient s'embarquer pour Terre-Neuve, lorsque le lord Delaware fe préfenta avec trois vaisfeaux, une nouvelle peupladc & des provifions d« toute efpece. Pendant qu'en 1607 Henri Hudfon, cherchani auffi ce fameux paffage par la mer du nord, dé couvroit pour 1'Angleterre la baie k laquelle i donna fon nom ; Samuel de Champlain , aprè avoir remonté bien avant le fleuvc St. Laurent jetoit fur fes bords les fondemens de Quebec, qu devint le berceau, le centre & la capitale de 1 Nouvelle-France ou du Canada; Ces deux éts bliffemens devinrent pour 1'Angleterre & pour 1 France les fources d'un bénéfice confidérable. C'eft k cette époque que la Virginie commenc, k fe peupler & que de fon fein fortit la colonie d la Nouvelle-Angleterre , qui produifit enfuit par un démembrement de cette même contrC laleigh •onduit mecolonie i la Cara* 'ine. fecourue par Drake. JatmtsTown. Le lord Deiaivare pnrle du fecours h la colonie de Viginii. ; Hudfon. j l ï » i Cham.plain fonde Ovebec. a a La Vireia nie ft peu* cple. e e  4* LE SPECTATEUR fous le nom de Virginie feptentrionale les quatre principaux établiffemens de Maffachufet-Bay , Connefticut, New-Hampshire & Rhode-Ifland! Tel eft la marche des voyages, des découvertes & 1'origine des premières colonies dans PAmérique feptentrionale; nous allons les préfenter chacune féparément avec leurs avantages refpectifs de commerce, telles enfin qu'elles écoient fous les Anglois avant la révolution. Voyonsauparavant quelles étoient alors les pofleffions angloifes dans cette partie du monde. CHA-  A M E R I C A I N. 49 CHAPITRE V. PoJfeQton: angloifes , avant Pindépendanct (Ut 'Ireize Etats-Unis. pLüs U eft flatcur d'exercer une immenfe do • mination , plus il eft douloureux de la perdre ; plus lc degré de gloire oü 1'on eft parvenu eft éminent, plus la cliute en eft ordinairement rapide & honteufe. Les Carthaginois, les Romains & après eux les Anglois offrentdes exemples frappans dc cette triftc vérité. En fuppofant que lesfleuves quicoulent k l'extremité des défërts immenfes audela des Apalachcs, aillentfe perdre dans la mer da fud, la Grande-Bretagne auroit embraffé par fes coionies toutes les branches de la communication & du commerce du Nouveau-.Monde. En paffant d'une mer de 1'Amérique a 1'autre par fes pro-, pres terres, elle auroic touché, pour-ainfi dïre, k la fois aux quatre partics du monde; des-poffesfions qu'elle avoit: dans les mers orientales, elle auroit pu fe tranfporter aux Indes occïdentales par la mer pacifique. Une fois qu'elle eüt eu découvert les langues de terre, ou le bras de mer, 1'ifthme ou le détroit qui lient 1'Afie k 1'Amérique par l'cxtrémité du feptentrion, elle auroic probablement afpiré k prédominer fur les deux mondes par le commerce & par Je nombre de fea /. Part, D > wil» ■lnglois ïouvoien*  JO LE SPECTATEUR flottes. Mais Ia fortune fe joue de 1'ambidon des hommes en leur laiffant entrevoir ces jouisfances, & Ie tems en prouve la chimère. La Grande • Bretagne , avant fa malheureufe guerre avec fes colonies , étendoit fon autorité fur Ia plus grande partie du continent de 1'Amérique feptentrionale; fcavoirfur La Baie d'Hudfon. La Nouvelle-Bretagne, ou le Labrador. Le Canada. La partie de la Louifiane fituée a Pelt du Mifliiïipi. L'Acadie ou La Nouvelle EcofTe. La Nouvelle-Angleterre. La Penfyivanie. La Virginie. La Caroline. La Géorgie. La Floride. ISLES. Terre-Neuve. L'ifle- Royale ou Cap-Breton. La Jamaïque. Nombre des petites Antilies, dont les principales font: La Grenade. La Defirade. La Barbade*  AMERICAIN. 51 St. Chriftophc. Antigon. L'Anguille. Newis. Stc. Lucie. Monferrat. Tabago. Ces pofleffions faifoient toutes, plus ou moins , un commerce diredt avec les colonies américaines du continent; mais le commerce des EtatsUnis doit néceffairement prendre un autre cours. La libertè leur procurera des rapports & des Communications fur lefquels le tems feul pourra aougr é-clairer. Lè but de cet ouvrage n'étant que de développer la naifiance, la marche & les progrès du commerce dans le continent feptentrional de 1'Amérique, nous n'entrcrons CO Le plus Tür moyen d'éviter ce péril eft de ranger le plu» niès qu'il eft poffible la cfire du nord , que la diretfion des vents & des courans tient fans douie plus libre ou moins embarraffée. Ls vent du noid-oueft, qui regne prefque conti nuel-. lément durant 1'hiver & très-fouvent en été, exc'ite .lans la bai» même des tempêces éffioyahles •, elles font d'autant pius a ctlindre 'l»e 'es u»s - *nlis * Commerce [ de la Baie d Hudl'oi). i » i  5 L E SPEC TA TEUR i.tpiiU . tion des Franco :t tn 1782. rures pour des fommes immenfes. L'expéditioii de M. de Ia Peyroufe, en 1782, qui s'y eft ac1quis une gloire immortelle en furmontant des obftacles fans nombre, oppofes par tous les élémens combinés contre lui, & ftirtout par fon humanité exaltée par les ennemis même de fa nation, 1'expédition de ce gucrrier philofophe, en rendant fon nom ' cher a fa patrie comme a tous les peuples civilifes , nous dévoile entierement la fourberie des agens de la compagnie d'Hudfon, qui, c'achant foigneufement le produit dé leur commerce , trompoient également & leurs compatriotes & les Indiens. Qu'on fe rappelle qu'on compte par milüons cc qu'il remporta de la Baie d'Hudfon après fon expédition qui fut terminée après 36 heures de débarquement, & 1'oh ne craindra pas de conclure qu'il refte aux Anglois dans cet établiffcment une poiTefTion très'précieufe. Le commerce s'y eft fait entierement par échange, & s'y fait encore en plus grande partie. Cette baie n'eft, a proprement parlcr, qu'un entrepót de commerce de pêlleteries ; c'eft lc marché, le rendez-vous des naturels du pays, qui viennent y troquer le. produit de leur ch'aiie. Quoique les fourrures de ces cantons foient fort füpérieures ^celles qui fortent des contrées moins feptentrionales, on lesa a beaucoup meilleurmarché, puifqu'ils donnent fouvent dix caftors pour un fufll, un pour une hache ou une livre de tabac &c. Séparés de la partie la plus inftruite du globe, réduits a vivre dans un pays inculte, les peuples de ces régions lointaines bornoient leurs befoins.öans le cercie étroit des néceliite*  A MER ICA'I N. J* indifpenfables de 1a vie, fans penfer k quoi qu< cc foit qui auroit pu leur faire naitre 1'idée, encore moins 1'envie de fe procurer rien dc plus. Le commerce d'échange eft d'un avantage ma nifefte pour ceux qui favent en profiter, & i cet éaard les Anglois ne font en arriere d'au cune autre nation. C'eft un moyen de fe dé faire k bon prix des denrécs & marchandife furabondantes chez foi , & qui par-conféquen y font de peu de valeur. Ceu'*'k qui on le porte n'étant pas en état de 'fe les procure ailleurs, ne les demandent pas k meilleur mai ché, quelque abonclantes qu'elles foient, £ n'exigent pas qu'elles foient d'une délicateffe é d'un fitti qui les enchériroient beaucoup pou le vendeur, fans être d'une grande utilité pou 1'acheteur ; ils font même peu d'attention au defaut. d'une marchandife que d'autres rejettf roient. Cependant celui qui les leur porte, en retour des effets que 'les natifs lui abandoi r.ent k trés bas prix, & d'autant plus volontie qu'ils leur font inutiles ; ceux-ci fe trouve: même fort heureux de pouvoir ainfi les écha ger pour d'autres dont ils ont befoin, & qu'i ne fauroient avoir autrement. ASM 1'on ne peut afïïgner le bénéfice d't tel commerce; & tant que les fndiens de Raie d'Hudfon demeureront dans 1'ignorance i leurs vrais intéréts, leurs produdtions continu ront k enrichir les Anglois, fans que leur pr pre fort en foit beaucoup meilleur. lis fe fo dans les derniers tems appergus de 1'infigne fou berie des agens, qui tous les ans changeoienc E> 5 ■ Avanlaiet da com^merce d'ê, changs. i t S r c C r r x a i- rs rt iIs n la le 3_ Fourberics ■ des agens 1*ds la comr~P"gn>e' le  58 LE SPECTATEüR ProSueitems. t?atnre di •tarif de leurs marchandifes, de fagon qu'elles fatfoient toujours la balance de celles des Indiens * quoique celles-ci fuffent de beaucoup furabondantes. Ils fe font k leur tour régies fur les marchandifes qu'on leur portoit pour n'en préfenter eux-mêmes qu'une quantité proportionnée, mais ils n'en ont pas été moins la victime de la mauvaife foi des agens, une partie leur reftant en pure perte. Les marchandifes de la Faie d'Hudfon confifient en peaux, fourrures précieufes & autres articles, comme caftors, martres, loutres, fouines, renards, loups , lievres, ours noirs, ours blancs, pêcheurs, orignaux, gazelles, plumes de lit, plumes d'oie, cótes & huile de baleine, poil de caftor,- peaux d'élans & de bêtes fauvcs, caftoreum, articles qui année commune font  f54 LE SPE.CTATEUR & la reconnoiflance va bien foin quand elle? n'eft point arrêtée par la froide raifon." Telle eft 1'invitation qu'ont fait mille fois les Indiens de la baie d'Hudfon aux Anglois; s'ils y avoient répondu, fi loin de méprifer ces enfans de la nature, ils euflent fgu les mettre k leur prix, ils en auroient fait les iaftrumens de la félicité publique en les traitant comme des amis, des alliés, des frercs, des concitoyens; car la nation en les civilifant doit pcnfcr k les incorporer, en abjurant k jamais la funefte ambition de dominer. Rien de mieux pour parvenir a ce but. En condamnant le motif, on ne pourroit qu'applaudir aux moyens. Quel accroifiement de puiffance n'en refulteroit-ii pas après quelques années. Mais encore une fois, pour opérer ce grand bien , il faut mettre k la tête de 1'établiflement un homme habile & défintereflc , dont la politique foit fondée fur 1'humanité, en chafier les intrigans & les monopoleurs qui, fans amour pour leur patrie comme pour les indigenes, ne brülent que de la foif de s'en-, tichir. CHA-  AMERICAIN. SS CHAPITRE VII. Labr ador. A 1'Oueft dc la baie d'Hudfon 1'on trouve en allant au fud la terre du Labrador fituée au nord du Canada & au fud-oueft du Groenland; elle a au nord-oueft le détroit d'Hudfon & une partie de 1'océan atlantiquc ; au fud eft, elle eft féparée de Terre-Neuve par le détroit de Belle ifle; au fud elle a le golfe & la riviere de St. Laurent avec une partie du Canada. Le Labrador s'étend depuis le 50 jufqu'au 63^. degré de latitude feptentrionale & depuis le 51 jufqu'au 7£chs.  72 LE SPECTATEÜR TABLEAU De ia Pêeke de Morue faite par les Franpis en 1773. CÓTE de TERRE-NEUVE. £93,060 Quintaux de morue feche k iS liv. l.3,42i,cFlo.j 2,825 Barriques d'huile. • a!i40 liv. 305j5oo' J 3'8l6>539* St. Pierre & Miquelon. 56,670 Quintaux de morue leche a 21 liv. 770,070., 4 "05,49c 253 Barriques d'huile. . i 140 liv. 35,42r.5 Grand Banc de Terre-Neu vb. 1,041,000 Morues vertes les 100 a 67 liv. 10 fous. 1,377.675.% 641 Barrils de morue k 40 liv. . 25,640.Si,42f,6l5« 122 Barriques d'huile. &150IW. . 18,300.'' l 6,043,685. Réfultat des trois Pcches. %££ Navires. , . ,64. Tonneaux. . , 117,439. Hommes. . , 9,403. Bateaux de pêche . 1*3^7. Quintaux de morues. . 22^,630. Morues vertes. . 2,041,000. Barrils de morues. . 64X. Barriques d'huile.. . 3»^oo. Produit en argent. . 6,043,'>8j'. m st. L'ifle St Pierre a 25 lieues de circonfércnce; mm. un port oü trente petits bidmens trouvent un afilc fur; une rade qui peut contenir une quarantaine  A M E R I C A I N. K taine de vaifleaux de quelque grandeur qu'ils foient, des cótes propre, a fécher beaucoup de morue: en 1773 on y comptoit iïx eens quatre domicilies, 8c un nombre a peu prés égal de matelots y pafferent 1'intervalle d'une ï&che a 1'autre. ? Les deux Miquelons, moins importantes lous, tous les points de vue, ne comptoient que fix eens quarante-neuf habitans, & cent vingt-iept pêcheurs étrangers feulement y demeuroient pendant 1'hiver. Les travaux de ces infulaires, joints a ceux de quatre-eens cinquantes hommes arrivés d'« urope fur trentc-cinq navires, ne produifirent (comme nous venons de 1'indiquer par le tableau) que trente - fix mille fix eens foixantedix quintaux de morue & deux eens cinquantetrois barriques d'huile, qui furent vendus 805,4.90 liv. Cette valeur ajoutée a celle de 1,411,(1 6 liv. que rendit la morue verte prife au grand banc, a 3,816,580 liv. qu'on tira de la morue féchée fur 1'ifle même de Terre-Neuve, éleva cette pêche a 6,033,685 liv. Ces ifles ne font éloignées que de trois lieues de la partie méridionale de Terre-Neuve: par les traités les polTeffions des cótes emportent cette étendue. L'efpace devoit donc être en commun, ou partagé entre les pêcheurs francois & les pêcheurs anglois , dont le droit étoit le même. La force prend rarement conreil de la juftice, & s approprie tout; mais enfin , foit raifon , foit poütique,on adopta des fentimens plus modérés; & en i77<"> on confentit k une diftribution égale du canai. Ce changement mit St. Pierre & les Miquelons en état * de pêcher 1'année fuivantt E5 es deux liquebmt* B.-ilancc "s>2 liv. 19 fous 6\ den. fterl. Cet expofé doit fuffire pour montrer 1'étendue des avantages que les établiflemens de Terre-Neuve préfentent a 1'Europe. La plupart dc ceux que les Européens ont fondds en Amérique ont été un théatre odieux d'injuftice, d'oppreffion & decarnage: bien loin d'avcir été le tombeau de fes premiers colons, celui de Terre-Neuve a procuré des refibur-  AMERICAI N. ces & des forces k pluficurs autres que des cü« mats rhoins fains avoient épuifés II n'eft donc pas étonnant que cette ifle foit un objet de convoitife puur les nations de 1'Europe. Les Etats-Unis voudront probablement avoir part auffi k cette pêche, k laquelle leur pofition fembie leur donner naturellement plus de droit qu'aux Européens. Mais en leur efl cédant une partie, ceux-ci pourront encore s'y pourvoir abondamment des poiffons qu'ils y vont Chercher depuis la découverte de 1'ifle. PuiiTe une longue harmonie fubfifter entre les natiom des deux hémifpheres qui fréquenteront cette plage! Anticosti. L'ifle d'Anticofti, appelée par les Frangois iffi de 1'Aflbmption , a trente lieues de longueur elle avoifmc rille de Terre-Neuve; Quebec ei eft éloigné de 140 lieues. Cette ifle eft dan le golfe St. Laurent k 1'embouchure du gram fleuve de ce nom •, elle eft pléine de forêts. Pa le traité d'ütrecht les Frangois en refteren poffefleurs ; mais celui de 1763 qui leur fut funeftc pour le commerce, les obligea de céde aux Anglois cette pofleffion. Quel eft le Frar gois qui puiife fe rappeler fans attendriffemer le trait de biénfaifance d'une familie fauvap envers des matelots de fa nation. Un batiment frangois s'étoit brifé k 1'entrée c 1'hiver fur les rochers d'Anticofti. Ceux qi échapperent aux horreurs de la faim & aux r gueurs des frimats, formerent des débris de lei navire, un radeau qui les cónduffit dans le coni Prétrj'jort Ui Etatt' Unis. j l | l r t 3 r t e e li L- ir i-  r<5 LE SPECTATEUR. lt Port ftux Ours, Siiuat'vm at riiïe R'yult ou Cup-Ure- .'on. iient:. Un fauvage a la porte de fa cabane, s'offritk leursregards expirans. „ Touché de leur fituation, il leur dit affecïueufement: entrez ici,mes freres; les malheureux ont droit a notre commifération & k notre afiiftance , nous fommes hommes, & les miferes de 1'humanité nous touchent dans les autres comme dans nous-mêmes." Cuielle grandeur d'ame! Européens, foyez plusjultes & moins orgueilleux de votre civilifation, contre des peuples que votre vanité vous fait appeler fauvages. Vous pouvcz y puifer le précepte & 1'exemple des vertus fociales. Ils none pas, il eft vraij vos manieres polies, mais ils ignorent vos duplicités & votre corruption. Le Port aux Ours, dans 1'ifle d'Anticofti, fitué fous le 49e. degré 30' de latitude feptentrionale» & par le 316°. degré de longitude, eft le lieu principal de cette ifle, qui,comme Terre-Neuve, eft un rendez-vous pour les pêcheurs, & quoique de moindre importance , n'eft pas moins, proportion gardée, une poffeffion effcntielle pour le commerce de morue. Isle Royale ou Cap-Breton. Le Cap-Breton, troifieme ifle de Terre-Neuve, eft litué entre les 45 & 47 degrés de latitude nord, a 1'entréc du golfe St. Laurent. TerreNeuve, a fon oriënt, fur la même embouchure, n'en eft éloignée que de 15 a 16 lieues, & 1'Acadie, a fon couchant, n'en eft féparée que far un détroit de deux a trois lieues. Sa longueur eft d'environ trente-fix lieues & fa plus grande largeur de vingt-deux: cette iile a quatre - vingt-  A M E R I C A I N". V cinq lieues de circonférence. Tous fes ports fonc ouverts k 1'eft en tournant au fud. On ne trouve fur le refte de fon enceinte que quelques mouillages pour de petits batimens, dans des anfes ou entre des ifles: mais fon havre eft important pour la navigation de la riviere St. Laurent. Le climat eft trés - froid & la prodieufe quantité de lacs longtems glacés, qui couvrent une grande partie de toute l'iüe,l'étendue defesforêts qui la rendent inacceffible aux rayons du foleil. bornent fon commerce k la pêche: on pourroit y ajouter le bois de chêne propre pour toute forte de conftruftions. La ftcrilité du fol fait que les habitans de 1'ifle ne fe font jamais occupés de Pagricultureles premiers grains qu'on effaya d"y femer n'ont pu parvenir k leur maturité. Longtems avant que les Frangois euffent pris poffeffion de cette ifle Cen 1713) il y alloit tous les étés quelques pêcheurs; mais le nombre n'en pafloit guere vingt ou trente. C'eft k cette époque que les pêcheurs frangois quitterent TerreNeuve pour venir s'y établir , en forte qu'on peut les regarder comme les premiers habitans de cette ifle, qu'iis appelercnt dcs-lors 1'Ifle. Royale. Son importance confifte principalement dans fa fituation. Tant que la France 1'a poffédée, elle en a fgu profiter pour protéger fes pêches & nuire a celles des Anglois fur les bancsde Terre - iS'euve; mais cette importance a ceffé dés qu'elle eft tombée entre les mains de ceux-ci, d'autant qu'on les reconnoiffoit pour maitresdela pêche entiere, auffi ont-ils démoli tous les forts Son climat Les FraiiS cois euittent Terrei Nettvs pour s'établir dans l'lfleRoyale.  Louisiourg. Sa des- tfiftion, 78 LE SPECTATEUR que les Frangois avoient élev^s, leur utilité n'étant pas proportionnée aux frais de leur entrctien. Lorfque les Frangois s'établirent dans 1'IfleRoyale, ils jecerent les yeux fur le Fort-Dauphin pour y fixer le principal rendez-vous; mais n'ayant pu vaincre les diffieultés qui s'y oppofoient, leurs vues fe tournerent vers Louisbourg dont 1'abord éroit plus facile; & la commodité fut préférée a la fureté. Le port de Louisbourg eft fitué fur la cóte oriëntale de 1'ifle, fa profondeur eft au moins d'une lleue , & fa largeur dans 1'endrcit le plus étroit a plus d'un quart de lieue. Le fond en eft bon, on y trouve ordinairement depuis fix jufqu'a dix brafïes d'eau, & il eft aifé d'y louvoyer, foit pour entrer , foit pour fortir, dans les plus mauvais tems. Son havre eft excellent, & fa feule incommodite' eft de fe trouver fermé par les glacés depuis le mois de novembre jufqu'au mois de mai, même fouvent en juin. Louisbourg, ëdifié fur une langue de terre quï s'avance dans la mer, eft de figure oblongue. Cette ville a environ demi-lieue de tour; fes rues font larges & régulieres; on n'y voit guere que des maifons de bois, les feuls édificesen pierres ont été batis par le gouvernement pour y logcr les troupes. On fixe a l'année 1720 1'époque des fortifications de Louisbourg; elles furent exécutées fur des trés - bons plans , & rendent cette ville trés - refpectable. La France y dépenfa trente millions, on ne crut pas que ce fut trop pour foutenir les pêcheries, pour all'urer la communication de la France avec le Canada & pour ou*  AMERICAÏtf. i9 vrir un afile en tems de guerre aux vaiffeaux qui vicndroient des ifles méridionales. La prife de Louisbourg par les Anglois en 1758 entraina la perte de toute 1'ifle, & cette conquêleur ouvrit le cbemin du Canada. Cette ifle eft devenue depuis 1772 partie de 1'état particulier que forma dès-lors 1'Ifle St. Jean. Louisbourg, la terreur de 1'Amérique angloife, il y avingt ans, n'eft plus qu'un amas de ruines. Les quatre mille Frangois q f une défiance injufte & peu raifonnée difperfa après la conquête, n'ont été remplacés que par cinq ou fix eens hommes, moins occupés de pêche que de contrebande. On a même ceffé de penfer aux mines de charbon de terre. Louisbourg eft a 260 lieues de Québec, 90 d'Annapolis & 65 de Terre-Neuve. •L'Me-Royale eft d'autant plus utile par fa pofition, qu'elle fert a prépafer les poiflbns qu'oa prend fur les bancs de pêche qui 1'environnent dans toute fa circonférence. La pêche des morues occupe feule les habitans de 1'ifle, le produit de la chafle ne fuflïfant pas pour fubvenir k leurs befoins. Une peuplade fauvage de Mikmaks, de foixante hommes feulement, qui s'étoient établis dans 1'ifle avec les Frangois, n'apportoit qu'un très-petit nombre de peaux de loup-cerviers , d'orignaux , de rats mufqués, de chats fauvages, d'ours, de loutres & de renards roqges & argentés. Les mines de charbon de terre font trés - communes dans 1'ifle, & fi le gouvernement les eüt encouragées, il auroit été facile d'en tirer un meilleur parti: mais les habitans, toujours abandonnés a eux - mêmes, ne purent  So LE SPECTATEÜR Sa popHou. Son d'ma. 4? fon fol, fortir de 1'état de mifere oü ils étoient k Ia naisfance de cecte colonie. Depuis 1745 jufqu'k 1773 les exportations d'Angleterre fe font montées k 58,439 liv. 7 fous 1 d. & les importations de la en Anglcterre k 2,909 liv. 18 fous 4 den. ce qui porte 1'excédent des exportations k 55,899 liv. 9 fous 5 den. & celui des importations k 370 liv. 7 den. fterl. Isle St. Jean. Cette Ifle, plus avance'e dans 1c golfe St. Laurent, a 22 lieues de long & n'en a qu'une dans fa plus grande largeur. Elle eft k 10 lieues a 1'oueft de 1'Ifle-Royale. Sa courburc naturelle, qui fe termine en pointe aux deux extrémités, lui donne la forme d'un croiflant. Les Frangois, qui d'abord n'avoient examiné cette ifle que fuperficiellement, en jugcrent lapofleflion peuavantageufe; mais la perte de 1'Acadie & de TerreNeuve leur ouvrit Jes yeux fur ce qu'elle pouvoit valoir , & ils penferent aux moyens d'en tirer parti. Si 1'hiver y eft long, le froid excefiif, la neige abondante & la quantité d'infectes prodigieufe, ces défagrémens font puiflamment compenfés par une cöte faine, un port excellent & des havres commodes On y vit un pays unique que la nature avoit enrichi; des prairies abondantes, coupées par une infinité de petits ruiffeaux qui les traverfent; un fol extrêmement varié , propre a la culture de toutes les efpeces de grains, du gibier & des bêtes fauves fans nombre, un grand abord des meilleures fortes de poifions, en-  A M E a I C A ï N. St enfin une population de fauvages plus confidérable que dans les autres ifles. Ces avantages firent naitre le doublé projet dé défricher cette ifle & d'y établir une grande pê* che de morue: mais ces commencemens d'mdus-1 trie ayant écé limités & gênés par des prohibitions & fur tout par des privileges excluüfs, four* cè naturelle du dépérifiement de toute nouvelle entreprife, il ne réfulta de ces dépenfes fit de ces projets que le regret de les avoir fairs. L'Europe n'envoyoit annuellement k 1'HIe qu'un ou deux pêtits batimens qui nbofdöient au Port-la-Joie. C'eft Louisbourg qui fourmsfoit k fes befoins; elle les payoit avec fon froment, fon orge, fon avoine, fes légumes, les bceufs & fes moutons. Lorfque les Anglois s'emparerent de cette ifle, ils eurent la mauvaife politique d'en chafier quatre mille Franrois, qUi depuis peu y avoient formé des établiffemens. Dés que les traités eurent affuré cette propneté aux vainqueurs, en 1756, le gouvernement éh fit des coneefliohs •, on imagina de partager k divers particuliers le fol de St. Jean fous la coridition qu'après dix ans d'une jouiflance gratuite , ils pairoient cliaque année au fiic j comme dans la plupart des provinces du continent américain, 2 liv. 10 fous 7^ dempourchaquecentaine d'acres qu'ils pofféderoient l foit pareffe ou découragement*. ces nouvekux propriétaires cederent pour plus ou moins de tems, pour une rente plus ou moins forte, leurs droits k des Irlandois, ou k des montagnards ecoflbis. Le hombre des colons ne s'éleve pas encore ai deffus de douze eens. Ils n'ont aucune liaifoi I. Part* F Vrix & terresi IK»*  Son commtrce. Port-la. Joie ou Charhtte- 22 LE SPECTATEÜR avec 1'Europe , c'eft avec Quebec, c'eft avec Hallifax feulement qu'ils commercent. St. Jean fut une dépendance de la Nouvelle Ecofle jusqu'en 1772, qu'il devint, comme nous 1'avons dit, un état particulier. Les regiftres publics ne font mention de fon commerce que depuis 1764 jufqu'en 1767. Les exportations pendant cet intervalle fe font montées a 3,365 liv. 11 fous 7 den. & les importations de lk en Angleterre a 2^9 liv. 9 fous 10 den. Les premières ont un excédent de 3,186 liv. 18 fous 11 den. & les fecondes, celui de 8Q liv. 17 fous 2 den. fterl. Charlotte-Town, autrefois nommée le PorU la-Joie , eft le chef-licu de la colonie ,- nous ignorons quelles ont été les caufes de la faveur dont elle a joui depuis. Les ifles de la Madeleine, habitées par un petit nombre de pêcheurs de morues & de vaches marines, firent partie de la colonie de St. Jean. On y attacha encore 1'Ifle-Royale ou le Cap-Breton, fameux autrefois , mais qui a perdu fon importance en chapgeant de domination. Revenons maintenant aux autres colonies angloifes dans le continent.  AMERïCAlNv H CHAPITRE IX. Canada eu Nouvelle Francs, Le Canada CO pays prefque aufiï grand qbè PEurope, fut dccouvert en même tems qüe Terre-Neuve & une partie du Labrador , par Jean & Sébaftien Cabot en 1597. Jufqu'a préfent perfonne ne leur a contefté 1'avantage d'avoir été ies premiers qui appergurent ces contrées inconnues. Le Canada eft borné a 1'eft par POcéan^, a. Poueft par le Miffiffipi, au fud par les Etats-Unis,; & au nord par des pays inconnus. II a plus de Óoo lieues d'étendue de Porient a 1'occident, & plus de 250 du nord au fud; 1'air y ett froid , mais fort fain Le premier établiiTenient 6e ie 'plus confidérable en même tems que les Frangois y formercnt, fut Québec. Samuel de Cham* plain après avoir remonté bien avant le fleuvé Cl) Ce nom vient de quelques Efpagnols qui, étant venu cherCher en cet endroit des mines d'or & d'argent, & n'en aysnt point trouvé, s'éctierent en s'en allant: dqui-Nada, il n'y t rien ici. , (2) On a attriiinê la caufe du froid violent & long qu ori êprouve dans ces contrées, aux bois, aux fources, aux mon*. fagnes dont ce pays eft couvert: mais d'autres obfervateurs ajoutent a ces caufcs du froid, 1'élévation du terrein, un «el tout aérien & raremest chargé de vspeurs, & la direflion des ventf mii vierment du nord au raidi par des mers loujours glacées', F 2 ion &M Itenduii  Energie des langucs i.U Canada- Gouvernt ment des Ctnaditi Ceftons i la Franc «4 LE SPECTATEUR St. Laurent, jeta les foridemens de cette ville en 1608. Les Européens trouverent ce pays couvert de forêts immenfes & arrofé par des rivieres fans nombre qui leur offroient des caufes toujours aclives d'émulation & d'induftrie, tandis que la chaffe & la pêche qui faifoient les principales occupations des fauvages, fourniffoient k ceux-ci les marchandifes contre lefquelles ils échangeoient leurs importations. II y avoit dans le Canada trois langues principales, 1'Algonquine, la Sioufe & la Hurone ; elles font d'une energie & d'une précifion dont on a peine k donner une idéé; les métaphores en font plus hardies, plus familieres dans la converfation qu'elles ne le font dans la poéfie même épique des langues de 1'Europe. Ces peuples jétoient divifés en plufieurs nations dont le gouvernement étoit k peu pres le même. Quelquesunes reconnoiffoient des chefs héréditaires; d'autres s'en donnoient d'éle&ifsla plupart n'étoient dirigécs que par leurs vieillards. C'étoient de fimples affociations fortuites & toujours libres, mais fans aucun lien. On peut fe faire aifément une idéé de leur gouvernement, fi 1'on ajoute que la volonté générale n'y afTujetiiToit pas même la volonté particuliere. ie Louis XIV fur la fin de fon regne fut forcé de 'céder aux Anglois la baie-d'Hudfon , TerreNeuve & 1'Acadie, trois poffeffions qui, avec le Canada, formoient 1'immenfe pays connu fous le nom de Nouvelle-France. Ces pays, après avoir été tour k tour conquis par les Anglois & les Frangois, après avoir éprou-  AMERICAIN. 85 vé tous les inconvénicns qu'entraïne après foi le changement de maitre, furent finalement cédés a la Grande-Bretagne par le trai.é de Yerfailles de 1763. Nous ne nous arrêterons pas a difcuter fi c/a été une mauvaifc politique de la part des Anglois d'avoir conquis le Canada fur les Frangois. H s'agit feulement ici de favoir fi le Canada, fagement gouvcrné, eft un domaine qui puifle ajouter aux richcffes de la nation qui le ponede, & quels font les articles qu'il peut verfer dans le commerce, ** Le gouvernement du Canada, engagé dans de o-rands frais, & jufqu'k ce qu'on ait pris des tempéramens ou pour chaffer les Indiens du voifinage des colons, ou pour en faire de bons & fideles amis en ufant envers eux de procédés humains & honnétes, le Canada fera k la charge de la nation propriétaire. La première chofe que doit fe propofer le miniftere anglois, eft donc d'infpirer de la confiance aux naturels, & faire de fagon qu'ils aient interêt k entrer dans fes vues. II n'eft point de nation, quelque féroce qu'on la fuppofë, dont, avec de la douceur & de ia bonté 1'on ne puifle venir k bout. Les Canadiens, comme les autres Indiens de 1'Amérique, feront aus ordres des Européens, dès que ceux-ci n'abuferont pas de la fupériorité d'un peuple civilifé fui un peuple fauvage. Comment efpércr jamais unc harmonie gene rale & durable entre les Européens & lcsSauvages, fi les premiers ne travaillenteux-mêmeskfeconci lier entre eux? Depuis la découverte du Canada la jalouüe a fans cefle tyrannifé les Frangois & le F' 3 Rêflexïons Oir la conduite ti tehit entert Ut Canadiens, Mauvaife poliiir/ue des ÊuiO' 'péem. > S  S6" LE SPECTATEUP, 'X'rails de fraudeur ifame dam H;s fauyaUfo Anglois; ils ont fait pis: ils ont féduit tour-ktour les fauvages pour les attacher a leur parti. Les Anglois fe font alliés avec les Iroquois pour faire la guerre aux Francois, qui avoient pour eux les Illinois & les Hurons, Ainfi, au lieu de donner a ces peuples, des exemples de modération, d'humanité & de concorde, ils ont pour venger leurs querelles, mieux aimé les rendre ennemis les uns des autres. On jugera plus fainement du caractere naturel du fauvage, & de ce qu'on peut en efpérer ou en craindre par les traits fuivans. Des Frangois & des fauvages s'étoient réunis pour une expédition qui demandoit une longue marche, Les provifions leur manquerent en chemin i les Hurons chaffoient, abattoicnt beaucoup'de gibier, & ne manquoient jamais d'en pffrir aux Frangois,moins habiles chaffeurs. Ceuxci vouloient fe défendre de cette générofité. ,, Vous partagez avec noys les fatigues de la, guerre, leur dirent les fauvages, il eft jufte que nous partagions avec vous les moyens de fubfifter; nous ne ferions pas hommes d'en agir auSrement avec des hommes" Si quelqucfois des Européens ont été capables de cette grandeur, d'ame, voici ce qui n'appartient qu'a des fouvages. Un corps d'Iroquois averti qu'un parti de Frangois & de leurs alliés s'avangoit avec des farces fupérieures, fe difperfa précipitament. Un Dnnontagus, qui menoit cette troupe , agé de cent ans , dédaigpa de fuir & préféra de tomber :ntre les mains des fauvages ennemis, quoiqu'il 3'enpütattendrequedes tourmens horribles. Quel ^eLes principales pelleteries du Canada, confiftent en peaux de caftors, d'ours, de loutres, de martres, de fouines, d'orignaux, de gazelles, de lapins, d'élans, toutes d'une excellente qualité. Ajoutons a ces articles le caftoreum donc on retire annuellement plus de deux milles livres pefant. Les Anglois fe plaignent de Pafcendant que les Frangois ont acquis fur 1'efprit des Indiens fauvages & ignorans. Au lieu de s'en plaindre, il feroit plus fimple & plus naturel d'imiter leur douceur, leur aménité, leur affabilité ; ils acquerroient par ce moyen le même afcendant. Ce n'eft pas 1'Indien qui eft indomptable , c'eft le eara&iere dc 1'Anglojs (1). Comment ce fier infuïaire poutroit -jil fe réfoudre k s'humanifer avec ie fauvage, tandis qu'il rcgarde avec bauteur & dédain les nations les mieux civilifées ? CependanC ïon empire & fon commerce dans le Canada ne peuvent fubfüter, s'il ne vit en paix au moins  A M E R I C A I N. avec la plus grande partie des natifs voifins, & dans le cas contraire, ce vafte continent fera toujours i comme il eft encore, plus a la charge qu'a 1'avantage de la Grande-Bretagne. Le Canada offre donc des avantages réels & eonfidérables aux Bretons; mais il faut qu'ils fuivent d'autres erremens que ceux qu'ils ont fuivis jufqu'a préfent. Quicroiroitque,fous leminiftere du célebre lord Chatam, dans un tems oü 1'elprit d'intolérance eft méconnu prefque partout, 1'on ait pu propofer de chafier du Canada tous les prêtres & les écléfiaftiques frangois de toutes les dénominations, 'pour les remplacer par des tok niftres de 1'églife anglicanne ? Une telle propofttion, renouvelée même de nos jours, décele en même tems, une haine profonde pour la nation frangoife, & un caractere intolérant que la politique & la raifon condamnent également. Et c'eft un peuple qui fe targue de philantropie & de bienfaifance, qui veut ravir a 1'homme le droit de penfer comme il lui plait fur la religion1, ou qui le privera de fon état & le depouillera de tout. Cette méthode ne peut rendre le Canada floriffant; le colon gêné dans fon culte , fuivra fes prêtres & fuira fes oppreffeurs. II trouvera fans peine un terre hofpitaliere (O oü il fera bien accueilli, (O Cette terre hofpitaliere fera celle des Etats-Unis, oü le tolérantifme le plus pnr, répand le bonheur parmi tous les eitoyens. Ses prflgrès font fi grands, que dans 1'auemblée geréïale de Rhode-Ifland, on a ftatué que les catholiques rotuaios auronr le droit de devsnir officiers tant civils que militaire3 daas i u;end je de cet état. F 5  gö LE SPECTATEUR & oü il pratiquera le culte qu'il préfére. Ainft le Canada, au lieu d'augmenter fa population, fe dépeuplera de plus en plus, & le commerce era fouffrira d'autant» En proteftant contre toute tyrannie fpirituelle, je penfe qu'il feroit avantageux pour la fbciété en général que les Indiens adoptafiènt la religion chrétienne; mais ils y doivent être attirés par la force de 1'exemple plus que par tout autre moyen. Cette démarche faite de leur part 9 on les affoeieroit a tous les travaux, a tous les droits de la nation & 1'on ne s'arrogeroit aucun privilege (Btclufif. Fiers d'une telle affociation , il feroient tout ce que defireroit d'eux le gouvernement. En un mot, ils feroient le plus puiflant véhicule de la profpérité de 1'état. Les Européens tranfplantés en Amérique, ne feront de longtems en état de fupporter les fatigues de la chaffe des bêtes fauves qui fourniflènt les fourrures. Ce foin doit être laiffé aux naturels du pays accoutumés dés 1'enfance k fupporter le froid, la faim & la foif, a faire des courfes de 20 k 30 lieues dans des endroits couverts, de ronces & d'épines & k travers des marais fangeux. Mais il faut en outre, autant que faire fe peut, leur infpirer le goüt de Pagriculturej, dans un terrein neuf 011 peut faire des récoltes abon-. dantes, même en poifédant cet art très-impar-. faitement. II fuffit d'abord d'en inviter quelques-uns k venir prendre quelques legons des agriculteurs européens établis dans le pays, & de leur fournir des inftrumens. L'exportation du bied du Canada ne monte  A U E fi. I C A I N. 91 jnnuellement qu'a 12000 quarts (1). En encourageant 1'agriculture , en y employant les Indiens, elle feroit décuple en peu d'annèes, & il eft difficile dWigner le terme auquel elle pourroit monter par fueceftion de tems. Enfin, le Canada mieux connu offrira plufieurs autres branches de commerce & d'induftrie, qui formeront un enfemble de richeftes mnombrables. Nous avons dit que Québec fut le premier établiflement des Frangois dans le Canada , mais il paroit que la colonie frangoife fit auparavant fon commerce de pelleteries a Tadoufiac, port fitué k 30 lieues au-deffous de Québec. Cette ville, confidérée comme la capitale du Canada, eft h 1500 lieues de la.France, a 120 de la mer , & environ 260 de TerreNeuve, 300 de Louisbourg, 110 d'Hallifax & 90 de Port-Royal, capitale de la Nouvelle -Ecoflè. Elle eft batie en amphitéatre fur une péninfule formée par le fieuve St. Laurcnt Sc par la riviere St. Charles. Elle domine d'un cóté fur de valles campagnes qui 1'enrichisfent, de 1'autre fur une rade très-füre, ouverte a plus de deux eens vaiffeaux. Son enceinte eft de plus de trois milles. Au commencament de 1750 on y comptoit environ dix mille ames. C'étoit le centre du commerce & le fiege du gouvernement. (O Les 4 quarts font xfpi fetiers de Paris. Pofithn i!e Qpéut üapnpula'■ion..  Q2 LE SPECTATEfJR Guerres i Révolution du, Cansdu. Voyons rapidement les révolutions qu'elle a éprouvées dès fon origine jufqu'a nos jours. Le détrónement de Jacques II fut une occafion que les Anglois ne laifferent pas échapper pour fe. brouiller avec la France. Leur conduite fit voir que le vrai motif de cette rupture venoit d'une pjaloufie de commerce. Habiles k profiter des divifions qui régnoient alors entre les Frangois & les fauvages du Canada, ils envoyerent contre Québec, en 1690, une flotte confidérable pour en faire le fiege. Déjk les troupes angloifes; étoient débarquées & s'avangoiene dans les terres pour arriver en même tems que la flotte; ces troupes étoient conduites par les Illinois: mais foit que ces fauvages fiflent un retour fur eux-mêmes en penfant a labonne harmonie qui avoit ci-devant régné entre eux & les Frangois, foit qu'ils aimafient mieux ne pas changer de maitre, les Illinois abandonnerent les troupes angloifes dans 1'intérieur des terres, & cet événement arrêtant les opérations de la flotte, les Anglois furent forcés d'abandonner honteufement leur entreprife après des dépenfes aufli grandes qu'inutiles. La colonie fut délivrée, &ce fut aux fauvages , k fes ennemis même, qu'elle dut fon falut. La paix de Riswick vint aflure/ pour quelque tems fon repos, & favorifer fon commerce. Cet intervalle ne dura que jufqu'en 1756. Une flotte Angloife de trois cents voiles, cqmmandée par 1'amiral Saunders, parut fur le fleuve St. Laurent & vint menacer Québec. Les Frangois, a la faveur d'une nuit obleure & d'un vent iaw-  AMERIGAIN. 33 Tabtó-, lancerent huit brülots pour réduire en ccndre cette flotte. Tout eüt péri infailliblement homme & vaifleaux, fi 1'opération eüt été conduite avec 1'intelligence & ie fang-froid qu'elle exigeoit ; mais les Frangois, naturellement impatiens , fe haterent trop de mettre le feu aux batimens dont ils avoient la direction, & d'affurer leur retour k terre; 1'aflaillant, averti du danger, s'en garantit par fon aftivité & fon audace; il ne lui en coüta que deux foibles navires. L'amiral, foutenu d'une armée de dix mille hommes, bombarda la ville , qui fut prife dans ün aflaut donné au milieu de la nuit du cété oppofé au bombardement. Cet fut M. Murray qui donna cette idee heureufe & brillante. Le carnage fut horrible de part & d'autre, les Anglois & les Frangois s'y diitinguerent par des ïraits de courage inouïs. Cc fut dans cette aótion que 1'intrépide Wolf, général anglois, perdit la vie; la vicMre ne put confoler les vainqueurs de cette perte. Ce fut dans cette même aftion que le brave Montcalm fut blefle mortellcment: fi les Frangois euflent fuivi les confeils que leur donna ce grand homme avant d'expircr , ils euflent évité leur défoite & confervé la ville. Mais lorsque le chevalier de Levi accourut de fon pofte pour remplacer le général Montcalm & fuivre fes confeils, Québecavoit déjk capitulé. Le 23 avril 1760, les Frangois, qui s'étoient retirés k dix lieues au deflus dc Québec, fe préfenterent devant cette ville pour la reprendre, mais ne recevant point les fecours qu'ils attendoieni & Franse, ils fuient forcés de lever le fiege i< Mort St Volf •J de Montcalm,  94 LE SPECTATEUR 16 raai fuivant, après des attions de grande valeurs, Cependant, malgré le défaut de fecours, malgré. Ia difette affreufe de toutes chofes ou fe trouvoit depuis longtems la colonie, il eft a préfumer que, fans un accident fingulier., & qui prouve combien les grands évenemens dépëndent fouvent des petites caufes, les Frangois n'auroient pas fait une attaque infructueufe. Je ne iaurois. pafier ce fait fous filence. Le fleuve St. Laurent étoit alors couvert de. glacés, qui venant tout-k- coup a ferompre vers le milieu de fa largeur,y ouvrirentunpetit canal. Les Frangois firent gliffer les bateaux a force de bras pour les mettre a l'eau,- 1'armée toute eompofée de citoyens & de foldats qui ne faifoient qu'un corps, qui n'avoient qu'une ame, fe prccipita dans ce courant; déjk elle touchoit k une garde avancée de 1500 hommes, déjk elle touchoit k la vidtoire, & ce gros détachement alloit ctre taillé en piece & la ville prife, lorfque le hazard voulut qu'un canonier en fortant de fa chaloupe tomMt dans Peau. Un glagon fe rencontra fous fes mains, il y grimpa & fe laiffa aller au gré du flot. Le glagon, en defcendant, rafa la rive de Québec. La fentinelle angloife placée k ce pofte, voit un homme pret k périr, & crie au fecours. On vole au malheureux que le courant emporte,. & on le trouve fans mouvement, Son uniforme, qui le fait reconnoitre pour un foldat frangois, détermine k le porter chez le gouverneur, oü la force des liqueurs fpiritueufes le rappelle un moment k la vie; il recouvrë affez de voix pour dire qu'une armée de dis milfe  AMERIC A IN. 95 Frangois eft aux portes de la place; & il meurt. Cette foiblefTe, ou plutót cette trahifon, fut le falut des Anglois. Sans doute le courage des Frangois dans .cette occafion méritoit plus de bonheur. Sed qui pot'Jt.... Le traité de paix de 1763 vint aflurer cette poffefiïon k 1'Angleterre & augmenter la mafte de fes poffeffions dans le nord de 1'Amérique. Le montant des exportations d'Angleterre au Canada depuis 1759 jufqu'k 1773, s'éleve k. 2,810,085 liv. 2 fous 8 den. & celui des importations du Canada en Angjeterre eft de 496,972 liv. 11 fous 1 den. enforte que 1'exce» dent des exportations produit la fomme de 2,313^71 liv. '3 fous 8 den. & celui des importations 158 liv. 12 fous 1' den., fterl. Après Québec, les deux autres'villes du Ca* nada font Mont-Real & les Trois Rivieres. Cette derniere, batie en 1640 k 25 lieues plus haut que la capitale, devint un fecond entrepót, mais avec le tems Mont-Real attira feul toutes les pelleteries; on les y voyoit arriver au mois de juin fur des canots d'écorce d'arbre. Bientót les Anglois de la Nouvelle-York, jalous du commerce des Frangois, tacherent de détourner une fi grande circulation. Mont-Real eft dans une ifle longue de dix lieues, large de quatre au plus, formée par le fleuve St, Laurent, foixante lieues au defius de Québec, De tous les pays qui 1'environnent, il n'en efl point oü le climat foit aufii doux} la nature auffi belle & la terre auffl fertile. Mor.tRéalgltttrois Rivieres.  $5 LE SPECTATEUR. fleuviSl Laurent, CHA- . La riviere du Canada, ou le fleuve St. Laurent, traverfe toute cette province du fud-eft au nord oueft. Elle a plus de J5oo lieues de cours, plus de 200 braifes de profondeur* & k fon embouchure plus de 80 mille pas géométriques de largeur : elle fe jette par le golfe St< Laurent dans la mer du nord j fa fource eft en* core inconnue»  A M E R I C A I N.< 97 -CHAPITRE X. NOÜVELLE-ECOSSE OU ACADIE. L a Nouvelle-Ecoffe eft une prefqu'ile de i'Amérique feptentrionale bornée k 1'oueft & au nord par la riviere St. Laurent, k 1'oueft par le golfe St. Laurent & la mer du nord, au fud paï la même mer, & au fud-oueft par la NouvelleAngleterre. Elle eft fur les frontieres oriëntale; du Canada entre Terre-Neuve & la NouvelleAngleterre; fa longueur eft d'environ 120 lieues fur 40 de large; on détermine fa pofition entre les 311 & 316 degrés de longitude & les 43 & 4ü de latitude. Ce pays, qui embraffe aujourd'hui trois oenf lieues dc cótes comprifes depuis les limites de k Nouvelle-Angleterre jufqu'a la rive méridionalt du fleuve St. Laurent, ne paroit avoir défigm dans les premiers tems qu'une grande péninfule de forme triangulaire, fituée vers le milieu de ce vafte efpace. Cette péninfule, que les Frangois appcloient Acadie, eft très-propre par fa pofition k fervir d'afile aux b^timens qui viennent des Antilles. Elle leur montre de loin un grand nombre dc ports excellcns, oü 1'on entre & d'oü i'on fort par tous les vents. On voit beaucoup de morue fur fes rivages, & encore davantage fur «des petits bancs qui n'en font éloignés que de /. Pari, G Sa pojï* tion. Son tien* 1 Elk * nombre dt ports ezcellera.  $8 LESPECTATEUR. ttmapolis Ballifax. i I ] i quelques lieues. L'aridité de fes cötes offre du gravier pour fécher le poiffon; & la bonté des terres intérieures invite a toutes fortes de cultures ; fes bois font propres a beaucoup d'ufages. Le continent voifin attire par 1'appat de quelques pelleteries. Les Frangois s'établirent en Acadic en 1604, quatre ans avant d'avoir élevé la plus petite cabane dans le Canada. Port-Royal, qui étoit la feule défenfe de la colonie, fut appelé Annapolis en l'honneur de la reine Anne, quand les Anglois en prirent pofleffion en 1690. Cette ville eft fur Ia cóte de la baie des Chaffeurs, avec un beau & vafte port défendu par un bon fort. L'Angleterre n'a rien ou prefque rien fait pour former de bons établiffcmens dans la NouvelleEcoffe jufqu'a la paix de Paris, qu'elle y envoya une nombreufe colonie abondamment pourvue de toutes les chofes néceffaires , & qu'elle y fit conftruire pour le fervice de la marine, ftationnée dans cette partie de 1'Amériquc, un chanCier excellent, ainfi que des logemens commodes pour les officiers & ouvriers employés k ce fujet, & des cafernes pour 1'armée. Cet enfemblc comx>fe la belle ville d'Mallifax, fituée au fud-eft de a péninfule d'Acadie, dans un endroit que les Imvages appeloient autrefois Chiboucrou. Cette 'ille eft aétuellement entourée de bonnes fortifi:ations. Suivant les obfervations & les remarques Ie M. de Chabert, Hallifax eft a C5 degrés 51/ 8// le longit.,& k 44 degrés 39' 4" delat.Cmérid. de 'aris) a 110 lieues de Québec & 120 de Bofton. Les dépenfes qu'cntrainerent cet établiiTement 'urent confidérables pour 1'Angleterrc & néan-  AMER.ICAIN. 95 fiioins en pure perte (i), fi 1'on en exeepte Ie fervice particulier de la navigation. Quant k la culture & k 1'amélioration de cette province, on n'a fait d'avances que pour les terres des environs de la ville, & tout ce qui en efl k quelque diftance eft refté dans le même état d'inutilité qu'auparavant. II fint de lk que les habitans, au lleuj d'être en état de faire quelque exportation, n'ontJ pas même une fubfiftance fufïïfante, & que pour leur propre entretien, ils fontobligés dedépendre des autres colonies. D'oü cela vient-il.? De la négligence du gouvernement. La Nouvelle-Ecoffc mérite des foins. Hallifax eft d'une excellente reflburce pout la navigation; le havre eft commode pour s'y tenir k 1'abri & s'y radouber. Les vaifTeaux peuvent y refter quand la rigueur de la faifon rend la navigation impraticable fur ces parages, & y trouvent de quoi fe pourvoir de ce qui leur manque, fans être obligés de s'expofer k la fatigue, au dangef & k une perte de tems confidérable pour retourner. Le climat n'eft ni agréable ni excellent, cependant on ne peut pas dire qu'il foit mal - fain, ni peu propre k la végétation; il n'eft queftion que de bien faifir 1'k- propos des faifons ; le fol bien cultivé donnera du froment en abondance, ainfi que des plantes & des racines auffi bonnes qu'en Europe. Le véritablc obftacle aux progrès de cet éta« bliffement vient des. hoftilités continuelles des (i) Le gouvernement lui a donné tous les ans au moins 4000 .liv. fterl. En 1757 , fas richeff-'s mobiliaires & immobiliaire» /itoient cftimées il prés de 300,030 liv. fterl, G 2 'jet ie 'oiblejfefo a. colonie*  IOD LE SPECTATEUR Hojlilit/s des fauyagis. \ J i ( i f d r F j' c l e x l Havens de \j uur nmï. V tU. , li li t naturels, qui, malgré leur petit nombre, font rans cefle'en embufcade pour fondre en toute xcafion fur les colons & les maffacrer. Ces hommes féroces ne réuffilTent pas toujours dans leurs loitilités, mais dans une fituation auffi critique Sc auffi alarmante, il n'eft pas poffible que les :olons donnent tout leur foin pour la culture 8c 'amélioration de leur terrein, Quel parti convient - il de prendre ? J'entends a voix cruelle de la politique crier qu'il faut es exterminer. — Les exterminer ! Et de quel Iroit? Vous ne pouvez allégucr que celui du plus brt, & c'eft: celui des brigands. Ce terrein que rous leur difputez appartenoit - il a vos ancêtres »u aux leurs ? — Ce font des hommes féroces, ntraitables. — Que je crains que leur férocité ne )it votre ouvrage! Vous n'avez que 1'alternative e vous retirer, oü de prendre des moyens pour lériter leur confiance, que vous avez furem ent erdue par votre faute. Renoncez a 1'odieux pro:t de prendre a votre folde d'autres Indiens, afin e mettre aux mains hordes contre hordes. On n'a ue trop fait la trilte expcrience que les foldats luropéens font prefque toujours défaits dans les fcarmouches avec les Indiens. II n'elt que des forcénés qui puiffent conceoir 1'idée d'aller exterminer un peuple chez lui. ,es bons procédés font tout pardonner, tout oulier. Dites-leur & furtout montrcz-leur que ous les regardez comme vos freres, & vous les errez en peu de tems vous traiter comme les :urs. Un feul prifonnier fait fur eux , qui, au eu d'être condamné a des fuplices recherchés, :ur feroit renvoyé avec de bonnes paroles &  AMERICAI N. ioï même quelque préfens pour fa familie, feroit un meilleur effet que tous les tourmens rafinés qu'imagine la vengeance. Encore une fois , foyez avec les Indiens ce que vous devez être, & vous n'aurez plus k vous plaindre d'eux. La fureté & la profpérité de la Nouvelle-Ecoffe dépendent donc principalement dc lamaniered'en uferavec les natifs,& 1'on peutavancer, fanscraindtede fe tromper, qu'il ne tient qu'aux Anglois de rendre cet établiflcmcnt floriffant. C'eft ce que 1'on doit naturellement attendre dc la nouvelle ville de Shelburne qu'ils font élevpr dam cette prefqu'Ifle. Elle va être peuplée par dei gens adtifs & induftricux, qui ne manqueront pa; de tirer parti de fes ports nombreux, St de fes pêches. La Nouvelle - EcofTe cxporte, année commune pour 38,000 liv. fterl. de produdtions en poiffon! & en planches. La Grande -Bretagne , depuii 1749 jufqu'k 1773, fait monter fes exportations dans la Nouvelle -Ecolfe k 871,363 üv. 15 f. 2 d 6 fes importations de cette colonie k 35,^22 liv, 7 fous 8 den ; ainfi 1'exccdent de fes exportations eft de 036,141 liv. 7 fous 6 den. fterl.; mais celui de fes importations eft zero. Ajoutons encore avant definir, que, fi 1'on j avoit des établiffemens foüdes & tranquiles, on verroit en peu de tems le produit de la pêche doubler, & celui du bois feroit fans bornes, toute la furface du pays étant couverte de forêts. Ces avantages font grands fans doute; cependant ils font peu de chofe comparés k ceux qu'on retireroit des divers articles de culture dont j'ai déjk parlé , fource nouvelle d'un riclie commerce. G5 \ Mayens d'nugmert' ter fon commerte.  102 LE SPECTATEUR L'expérience & une connolffance plus faine des parties intérieures de la contrée, ajouteroient beaucoup encore a, cette maffe de félicité commune. Les colonies dont il nous refte a parler faifant, excepté laFloride, 1'enfemble de celles qui depuis leur indépendance paroiffent fur la fcene du monde fous le nom d'Etats-Unis; nous nous bornerons, dans ce Chapitre a l'expofition feule de leur commerce avec la Métropole, avant la révolution. Le Lecteur trouvcra ci-après fous la dénomination générale d'Etats • Unis, les détails hiftoriques & topographiques qui les cojv* eernqnt féparercenc  AMERICAIN. 103 T j a Nouvelle-Angleterre mérite ce nom comme la première & la plus confidérable des colonies qu'aient fondé les Anglois en Amérique. _ Avant la révolution les exportations & les importations de la Nouvelle-Angleterre femontoient, année commune, a 3<*S°37 10 fous 8 den. fterl. Cette fomme eft énorme fi Pon confidere le le peu d'encouragement des colons, qui, forcés par la mere-patrie de lui porter leurs denrees, perdoient par cette contrainte ia moitié ou plus de ce qu'ils en auroienc retiré, sil leur eüt été libre de ks porter k tel ou tel marché qu'iis auroient voulu, ou d'ouvrir leurs ports k telle nation qu'il leur auroit plu. La Nouvelle-Angleterre devenue libre, on doit donc s'attendre k en voir fortir des productions fans nombre. Le coIon travaillant pour lui-même, pour un nouvel état qui eft en partie fon ouvrage, redoublera d'aótivité, fans crainte qu'une maratre avide sapproprie la meilleurc portion du fruit de fes travaux. II demandera des richeffcs k la terre; & la terre lui en donnera avec profufion, fans exiger de lui que quelques foins. Des terreins immenfes couverts de bois ou de ronces. & d'epmeSj le G 4 CIIAPITRE XI. Nouvelle-Angleterre.  ÏD4 LESPECTATEUR feront dans peu par de riches moiflbns, de gras p^turages, ou d'excellens vignobles. Aux brouülards mal-fains fufpendus fur ies marais & les bois, fuccédera Pair vif & falubre des plaines & des terres en vnleur. Nous verrons dans la feconde partie de cet ouvrage combien cette province étoit précieufe & 1'Angleterre, puifque les trois colonies qui fortirent de fon fein, (la Nouvelle Hampshire, leConneóticut & Rhode-Ifiand) devinrent autant de fourccs fécondes qui toutes a 1'envi alloicnt enrichir les ports de la Tamife. Ges quatre provinces faifoient un commerce fi étendu, qu'en 1769 leurs exportations monterent k prés de quatorze millions de livres tournois. Afin de rapprocher les calculs généraux & donner une idéé claire de Pétcndue du commerce de 1'Angleterre avec 1'Amérique feptentrionale , il faut examiner la valeur des importations & des exportations. Elles ont été telles, qu'en 1771 il y eut en faveur de la mere-patrie , un excédent de 7,295,576 liv. fterl. & qu'elle cxporta feule pour 1'Amériquc 4,706,7<53 liv. fterl. de marchandifes de fes propres manufafturcs. Mais je réferve pour le Chapitre XV tous les details & les preuves qui attestent au jufte la perte de la Grande-Bretagne , dans un tems furtout oü cette puiffance étoit déjk ccrafée fous le fardeau d'une dette de 3,330,0^,000 de liv. tourn. qui lui coütoit 111,577,400 liv. d'intérét. A peine pouvoit-elle alors fuffire aux dépenfes les plus néceffaires avec 130 millions qui lui reftoient de fon revenu trés • précaire.  AMERICAIN. IC5 NoUVEELE-YORK. La Nouvelle-York, non moins intérenante pour 1'Angleterre que les autres colonies, prélénte des avantages auffi confidérables eu égard a fon heureufe pofition & k Ia facilité qu'elle a de cultiver avec fuccès généralement toutes les produdtions de 1'Europe. Aux richeffes de 1'agriculture, fe réuniffent celles du commerce, qui, malgré les entraves dans lefquelles il étoit xefferré par la mere-patrie, produifoit, année commune, une circulation de 190,800 liv. iofous fterl. Depuis 1697 k 1773 1'excédent des exportations de 1'Angleterre s'efl monté k 9,769,586 liv. 17 fous 7 den. & celui des importations k 5,514 liv. 13 fous 5 den. fterl. Ce fimple expofé fuffit pour montrer combien 1'excédent dc ces excédens étoit funette aux fabriques de la GrandeBretagne, mais il fert k prouver en même tems que les négocians de la Nouvelle-York ne bornoient pas leurs opérations de commerce avec 1'Angleterre feule;car, fuivant les regiltres publiés, les exportations de cette province, tant en Afrique qu'aux Indes occidentales & au midi de 1'Europe, fe montoient en 1769, k 118,594 liv. & fes importations de ik k 113,045 liv. fterl. Si ces habitans faifoient un tel commerce avec d'autres ports que ceux de 1'Angleterre , il ne faut pas préfumer que c'étoit entierement k fon détriment; loin de Ik , les anglois, trop clairvoyans en matiere de commerce & de frnance, ne permettoient cet interlope que moyennant des droits confidérables fur toutes les exportaG5  io5 L E SPECTATEUR. tions & importations fakes par les habitans de la Nouvelle - York, & le file public continuoit de s'enrichir aux dépens d'une circulation que ia mere-patrie ne pouvoit empêcher. Penstlvanie» Sous quelque point de vue qu'on envifage cette province;on ne peut difconvenir que de toutes les. colonies anciennes & modernes, il n'en eft aucune qui préfente un enfemble plus intéreffant. Douée par la nature du plus beau fol, peuplée par les amis de la vertu, protégée conftamment par les loix de la fagefle, enrichie par 1'agriculture le commerce, elle a eu le bonheur de conferver fes droits & d'ctre regardée comme le modeIe & le centre de toutes les colonies de 1'Amérique feptentrionale. Un terrein immenfe a défricher occupoit trop de bras pour en laiffer un nombre fuffifant au commerce, cependant celui que les Penfy lvains ont fait avec la mctropole depuis 1697 a i773femonte, exportations cc importations réunies,a 10,974,724 liv. 3 fous, ce qui fait, année commune, une circulation de 142,528 liv. 17 fous 6 den. fterl. On: fent naturellement qu'un pays dont la population eft confidérable & dont les produdtions ne confiftent qu'en bied & autres grains, en beftiaux & bois, ne peut fournir un équivalent aux marchandifes qu'on y importe, auffi 1'excédent de ces dernieres a-t-il été de 9,769.586 liv. 17 f. 7 d. Pendant cet intervalie la balance fut toujours ea  AMERICAIN. 107 faveur de 1'Angieterrc. Pour établir une idéé de comparaifon de fon commerce particulier & direct avec 1'Afrique, les Indes occidentales, le midi de 1'Europe & 1'Angleterre, ajoutons qu'en 1769 la balance de fon commerce montoit en exportations de chez elle a 583^86 liv. 3 f. 8 d. & en importations de tous ces différens ports a 222,943 liv. 9 fous ïii den. fterl. (les Jerfeys compris.) Virginie et Maryland, Sous la domination de 1'Angleterre ces deux provinces paroiffent n'en former qu'une. La nature a mis tant de reffemblance a tous égards entre elles-, leurs produdtions, leur liaifon intime de commerce font fianalogues, qu'on les prendroic pour deux diftridts d'une même province plutut que deux provinces diftinaes, formant deux gouvernemens particuliers. Si 1'on vouioit former une ligne de démarcation dans Péchellé de leur commerce, 1'exécution en feroit plus difflcile qu'avantageufe ; telle eft fidée 'qu'on doit s'en faire dans le tems qu'elles étoient foumifes a la Grande-Bretagne. La main feule de la libertè pouvoit en marquer les limites, en montrer les différentes nuances. Je vais donc m'arrêter & 1'état du commerce de 1'une & 1'autre comme n'en faifant alors qu'un. Outre le bied d'Inde, le froment, quelques pelleteries, du bois & de la terébenthine, la Virginie & Is Maryland produifent une quauiité coafide-  lo8 LE 3PECTATEUR rable de tabac, & ce dernier objet eft le plus important. A fégard du chanvre &dulin, la récolte commence k devenir plus grande, mais les colons la gardent prefque toute chez eux : on évalue déjk k plus de 4000 tonnes de chanvre & 2000 de lin ce qu'ils mettent annucllement en eeuvre pour lear propre ufage. Le commerce de ces deux provinces préfente un tableau différent des autres: ici les importations en Angleterre excedent de plus de huit millions de livres fterl. les exportations de 1'Angleterre, puifque les premières ont monté depuis 1697 k 1773 k 2&,oo9,797 liv, 10 fous 1 rien. & les fecondes k 20,727,465 liv. 14 fous 1 denenforte que 1'excédent net du premier produit donne 9,879,730 liv. 16 fous 5 den. contre 1'autre qui n'eft que de 1,697,399 liv. 4 den. Le réfultat de cette circulation pour 1'Angleterre feule donne en conféquence , année commune, un total de 6445539 liv- 15 fous 8 den. fterl. Ajoutons k cette évaluation moyenne leur commerce direct avec les autres parties du monde: Pannée 1769 nous fervira d'exemple. Le total de fes exportations au midi de 1'Europe, en Angleterre & dans les Indes occidentales fut de 719,803 liv. 8 fous 7 den. & celui de fes importations 498,089 liv. 2 fous 10 den. fterl. Ces expofés feuls fuffifent pour montrer les relfources immenfes que ces deux provinces tirent continuellement de leur fein. Obfervons que tous les articles exportés de Ia Grande-Bretagne k la Virginie & au Maryland étoient de fes produdtions & manufactures, un très-petit nombre excepté, encore ceux-ci  AMERICAIN. 109 étoient - ils [de fa propre importation, & une des branches les plus lucratives de fon commerce ; deforte que le bénéfice que 1'Angleterrc en retiroit, égaloit, ou a peu-prés, le prix qu'ils lui avoient coüté de premier achat, tandis qu'une partie affez confidérable des articles exportés de la Virginie & du Maryland a trés-bas prix, pasfoit dans les colonies voifmes pour y être échangée contre d'autres articles de leur cru que 1'Angleterre ne pouvoit fournir que dc la feconde main. Mais le plus grand avantage que 1'Anglcterre retiroit de fon commerce avec ces deux provinces , étoit celui du tabac, denrée qui, outre les profits particuliers de commerce pour le marchand, produifoit immédiatement un revenu public plus grand qu'aucune de celles qui entrent dans le ccrcle de fon commerce. Pour rendre cet avantage plus fenfiblc, il n'eft pas indifférent de remarquer que fi 1'on importoit annueilement 96,000 tonnes de tabac de la Virginie & du Maryland dans la Grande-Bretagne, il ne s'y enconfommoit que 13,500, dont 1'impöt, a 26 liv. par tonne, montoit a 351,675 liv. & que les 82,500 tonnes reftantes étant exportées par les Anglois dans les autres parties de 1'Europe, la valeur en retoumoit a la Grande-Bretagne en argent comptant. CO- II feroit inutile d'entrer en quelques détails (1) Comme les Anglois ne confommoient pas Ia fïxieme partie du tabac qu'ils importoient, ils augmentoient, par la venre du furplus en argent comptant, leur numeraire de 0 a 9 millions «nnée commune. Aucune autre poileflion mfime de lUnite ne £tux donnoit, peut-être, ue profic plus net.  ïio LE SPECTATEUR pour prouver les avantages. qui proviennent d'un tel commerce. Avec le fuperflu d'une denree qui n'entre pas dans le cercle des befoins, 1'on a dans fes mains la balance contre les chofes nécesfaires que 1'on eft indifpenfablement obligé d'a« cheter des autres pays & par conféquent k perte. Tel étoit le cas de 1'Angleterre: énoncer ces avantages, c'eft les prouver. Difons encore que ce feul commerce donnoit continuellement de 1'emploi a 330 navires St k 3960 matelots. La Virginie St le Maryland fervoient donc non-feulement k enrichir 1'Angleterre , mais encore a étendre la partie la plus effentielle de fa force nationale (i> Les Carolines. L'Angleterre comprenoit ancicnnement foua cette dénomination les diftricts qu'ils nommercnt enftüte Caroline-feptentrionale & Caroline-méridionale: le premier n'a jamais offert que des produits très-bornés en comparaifon de ceux du fccond , paree que les encouragemens y ont été moins grands pour la culture, & que peut-étre la nature du fol ne répondoit pas autant aux foins des colons. Quoi qu'il en foit, nous embrafferons fous un feul expofé le commerce de ces deux diftricts ou de ces deux provinces. Lorfque les Anglois s'occuperent des moyens d'augmenter les reffources des colons dc la Caro- (0 Voyez le Chap. XiX. 2e. partie. f  112 LE SPECTATETJR ner & conferver dans les marchés de 1'Europe cecte influence , cette prépondérance dont elle favoit fi bien tirer tous les avantages pour s'en prévaloir. Depuis 1'origine de la Caroline jufqu'a 1773 c'eft-a-dire pendant foixante & dix-fept années, le rnontant des exportations & des importations faites par 1'Angleterre s'élevent a 20,387,528 liv. 14 fous 6 den. & 1'excédent des importations en Angleterre a 3,393,556 liv. 16 fous; conféquemment 1'excédent des exportations en cette colonie n'offre que 349,967 liv. 15 fous 6 den. ce qui produifoit', année commune, une circulation de 264,773 liv. 10 fous fterl.; a cette fomme il convient d'ajouter celle que les regiftres publics de la province montrent avoir été produite en 1769 par fon commerce direct, tant en Afrique, qu'aux Indes oceidentales, au midi de 1'Europe & en Angleterre, retours compris, favoir 1,066,914 liv. 15 f. 6 den. fterl. Telles étoient les reflburces que les Carolines oftroient a la Grande-Bretagne avant Ia révolution. GéOKGIE. Avant que 1'Efpagne eüt cédé la Floride k 1'Angleterre, celle-ci crut qu'il étoit de la prudence d'établir une barrière refpeétable entre les Carolines & la Floride; en conféquence elle envoya en 1732 fur le terrein intermédiaire, qu'elle appela Géo'rgie, une nouvelle colonie d'habitans. Cette barrière étant enfuite devenue inutile par ia  118 LE SPECTATEUR [CHAPITRE XIII. Gouvernement civil & militaire, èiabli en Amérique par P'Angleterre. Dans les beaux jours du commerce de la Grande-Bretagne avec fes colonies, la mere-patrie entretenoit aux dépens de fes enfans, un fi grand nombre de gens en place, que j'ai penfé qu'on en verroit avecplaifir une énumération authentiquc, afin de fe faire'une idéé des dépenfes énormes que ces charges devoient occafionner. ETABLISSEMENT G k N £ R A L. i Commandant en chef de toutes les forces de S. M. en Amérique. i Vice-Amiral. i Secrétaire d'état, i foos-fecrètaire, i premier Gommis en chef. I Commandant en chef de tous les vaifieaux. i Intendant général des foréts, i autre dans lc Canada. i Auditeur général des plantations, i député. i Surintendant pour les affaires des Indes dans la partie méridionale, i autre de même pour la partie feptentrionale.  A MERICAIN. ■ 119 4 Juges de la cour fupérieure dc la vice-amirauté, refidants k Charles-Town, Philadelphie, Bolton & Hallifax, 6 Commifiaires k 1'établiiTemcnt de la douane pour le continent de 1'Amérique, lesBermudcs & les ifles deBahama, i fecrétaire, 1 caiffier, 1 receveur général, 1 député caifiier, 1 controleur général, 1 folliciteur général. a Infpedteurs généraux des exportations, 1 inspecteur en chef, 1 garde-minute. 1 Receveur général pour 1'Hópital de Grecnwicft en Amérique. t Député-maitre général des poftes pour le lud, 1'autre pour le nord. Pour P'Armee. 4' ' ' - \ 1 1 Général & commandant en chef, 2 aides de camp, 1 fecrétaire, 1 major - général, 1 aide de camp, 2 brigadiers• généraux , 1 depute adjudant-général. 2 Ingénieurs k New-York, 1 k Québec , 1 a Hallifax, 1 k Philadelphie, 2 dans la Floride oriëntale, 2 dans 1'oecidentale. t Maitre - général des barraques, 1 juge-ayocat. , Chirurgien-général, 1 directeur de l^ópital j Commiflaire- général des magafins & provifions. 1 Député-maitre payeur géneral. ^ 1 Commiffaire-général des revues, 1 prevöt-maréchal, &c. &c. H4  Gouvernrmem civii des EtatsUnis. 120 LE SPECTATEUR Qu'on ajoute a cela lc nombre prodigieux de fubalternes que toutes ces places exigeoient, on fentira aifément combien la caiffe des Etats-Unis doit être foulagée depuis qu'ils ont arboré 1'étendard de la libertè. Tel a été le préjugé des Européens contre les peuples de 1'Amérique jufqu'a la révolution actuelle, qu'ils n'imaginoient pas qu'il püt y avoir un fage gouverment au-dela de 1'atlantique. Tout attefte cependant qu'avant cette époque, les provinces qui compofent aujourd'hui les Etats-Unis, avoient toutes les fortes d'établilTemens qui peuvent contribuer au bon ordre, a 1'harmonie, k une communication facile, en un mot, a tout ce qui conftitue la félicité publique. Chaque état avoit fes alTemblées, fa cour de chancellerie, fon tribunal de juftice ordinaire, fa chambre pour les caufcs civilcs, fes fcffions générales de paix, fa cour d'amirauté, fes alTemblées d'amirauté, fa cour d'appel, fes officiers de douane, fa milice provinciale, fes garnifons, fes commisfaires pour 1'églife & pour les écolcs , fes officiers de pilotagc pour les rades & ports, fes officiers dc police pour la propreté & 1'entretien des rues, fes commiffaires & infpecteurs pour lc tabac & autres denrces , fés juges de paix, fa garde de nuit, fes tarifs; fes quayages, res poids, fes magazins , fes pofles, fes relais; en un mot, 1'on voit régncr tant d'ordre , de décence, de furetc, de tranquilité dans Philadelphie , Botton , Savannah , Charles-Town, St. AuguÜin , &c. &c. qu'il n'eft perfonne qui a tous ces égards ne preférat le féjour de ees  AMERICA! N. taf villes k celui de la ville la' micux 'policée de I'Ancien-Monde. Ofons. le dire : 1'Amérique feptentrionale a eu fon ficcle d'or, & cela efl: fi vrai que, fans dérogcr a la loi, on a vu jufqu'k 15 k 20 ans s'écouler fans qu'il y ait- été prononcé un feut arrét de mort» Les terres en Amérique font fi fertiles qu elles fourniffent toujours au cultivateur beaucoup au-dela de fes befoins. La difette, ce fiéau qui défole fi fouvent nos campagnes, ne s'y fait point fentir. Au contraire, une ÏKureufe aifance regne dans tous les viilages, & 1'ceil de l'Europeén doit être frappé en voyant aller & revenir de leurs champs ces cultivateurs k cheval. 11 eft même très-rare de rencontrer un voyageur apied. Ces cultivateurs né font niruftres, ni grosfiers comme les nótrcs CO i 11 n'eft Pas befoin de fe mettre en garde contre leur foupleffe & leur diffi mulation ; ils ne tiennent point comme eus aux préjugés de la routine & des ufages antiques. & font plus adroits kinventer, perfe&ionnei & fimplifier leurs inftrumens de ménages & autres. Ils favent tous lire, & les affaires publi ques les occupent comme leurs affaires particu lieres. Ils ont prefque tous la gazette qui s'im prime dans leur bourgade, k qui fouvent ils don nent le nom de ville. (O Lespaylans dans la plus grande partie de TEurope ne font tels que par rauerviffement, la dépendance honteure oü les tiennent la morgue, 1'orgutil !k la cupiditê' des feigne^.s de village. H 5 Richefe ie l'eigri' zuilure.  122 LE SPECTATEUR Peuples de 1'^urope, ceflez doncde regarder PAmérique comme une région fauvage,&comme une terre inculte & né? ligée. Sachez que la civilifation y eft parvenue au même degré de perfection que chez vous, & que peut-être elle iurpaflera bientót la vótre en vous forgant a 1'admirer.  AMERICAIN. 123 C H A P I T R E XIV. Ufages de commerce, £? monnoies en ufmériqus avant la révolution. Quoique les ufages de commerce, pratïqués ci devant entre la Grande-Bretagne & fes colonies , ne puiflent être confidérés comme devant fubfifter toujours les mêmes , ce n'eft pas une raifon pour les paflër fous filence;ils ferviront d'éclairciflement a ceux qui y font intéreffés par des opérations anciennes, & d'inftrudtion pour ceux qui cherchent a fe former un jufte idéé de ce commerce. D'ailleurs, puifque c'eft cette république nouvelle qui doit probablement un jour changer toute la conftitution civile du Nouveau-Monde, il faut être fcrupuleux fur tout ce qui la conceme.  324 L E SPECTATEUR USA GES de Commerce dans quelques-unes des principales villes de 1'Amérique-feptentrionale, tels qu'iLs étoient fuivis en 1774 relativement k leur commerce avec la Grande-Bretagne, & tels qu'ils le font encore, furtout a 1'égard du cours des changcs. Pour avoir 100 livres fterlings, la Virginie, la Nouvelle-Hampshire, Maliachufet, Rhode - Ifland, Con- necticut donnoient 125 liv. cour. La Nord- Caroline.? , dk New-\ork. . S , .. s Les Jerfeys 1 Les Etats de la Délaware. L . . • 143I dito. La Penfylvanie. . . . f Le Maryland. . . . ' La Sud - Caroline. .700. dito. La Georgië • . 108. dito. La Floride oriëntale. ? .} La Floride occidentale.? * . ' * * Icx" auo' L'mtérêt permis étoit de 8 pg par an, excepté en Virginie, oü il n'étoit qu'k 6 p§. Le change k Charles-Town, capitale dc la Sud-Caroline, étoit avec Bolton L^-JS^Spr. ico liv. argent de permiflion, New-York" 400.'—. ico liv cour deNew-York, Philadelphie- 433. 6. 8. . . 100 liv. cour. de Penfylvanie. Leslettres de change qui revenoient k protêt affujetiflbientle tireur danslaiXord-CaroI.k i5p|derechange& jopld'int. Les lettres de change fe tiroient toutes fur la GrandeBretagne, New-York & Philadelphie k 30 jours de vue; rarement fur quelques autres provinces ou ifies des Indes occidentales. Dans la Sud-Caroline. . . 10. . . . dito.» Dans la Géorgie 15. . . . dito. V 8 p| dito. Dans les deux Floridcs. . ij. . . . dito.]  AMERICAIN. 12? lord viscount and general Burgoine , as given before a committee of the houfe ofcommtns. L'auteur de ce rapprochemcnt des divers témoignages rendus fur eer objet, après avoir fait tous fes efibrts pour faire tomber le blkme des revers publiés fur la mauvaife conduite des généraux, ne peut s'empêcher de terminer fon ouvrage par ces paroles remarquables : The confequences of this unaccountaly wenk and wretchet couduit are, thirty thoufand men lost, thirty millions of money expen >'ed, thirteen provinces hst, and a warwith the whole houfe of Baurkon. C'eft-a-dire: „ Cmelles lont les fuites de cette conduite foible & déplorable? Trente mille hommes perdus, trente millions lier bugs facrifiés inutilement, treize provinces perdues pour jamais , & une guerre avec toute la nrüfon de Pourbon." Malgré les foins que nous avons pris de préfenter fidelement 1'état du commerce de 1'Angleterre dans 1 Amérique feptentrionale avant la révolution , nous croirions notre travail imparfait, fi nous ne préfentions au lecteur la balance exacte de nos calculs pour démontrer avec évidence & précifion quelle eft la perte réelle que 1'indépendancc des Nord-Américains a caufée k la GrandeBretagne. Nous garantiflbns ces calculs avec d'autant plus d'affurance que nous les avons fcrupuleufement rédigés d'après les regiftres du parlement. Ce tableau, ou plutöt cette balance générale, devoit naturellement terminer la première partie de cet ouvrage.  128 LE SPECTATEUR. Pour faciliter Pintelligence de nos calculs k 1'égard des excédens, voici la maniere d'en vérifier l'exacti.tude. Prenons par exemple les fommes cnoncées poür lc commerce de la Baie d'Hudfon, Pag. 50. On aura également un même refte fi 1'on déduic les excédens des fommes importées & exportées. 2 A- Import. 681,582. 18. 2. Exc. desimp. 460,311. 9. 9. Export. 227.622. 2. 4- Exc.desexp. 6,^50. 13. 7^ Refte 453,960. 16 tg Total 453,9*0. 16. i-^- Exportations. 227,622. 2. ^ Excédent des import. 460,311. 9. 9" Enfemble 687,933. n. 9^" Excédent des export. 6,550. 13. 7-f" Refte 681,582. 18. 2 total des imp.  A M E R I C A I [N. S aliéné les efprits contre elle en exergant fur fes colonies un defpotifme tyrannique. Quel bonheur pour ce peuple puiffant & induftrieux fi fon ambition fe fut borné a conferver lestérritoires, aufii riches que valles & peuples, qu'il avoit en fon pouvoir! ou bien fi, au lieu de poufler fes conquêtcs vers le nord, il fe fut contenté de les étendre vers le midi, en menant a fa fuite chezdes peuples piongés dans la barbarie & la pareffe, les arts qui fervent en même tems a les occuper & a les civilifer! il auroit longtems fleuri, comme une des nations les plus puiffantes & les plus heureufes qui aicnt jamais exifté. Mais les Carthaginois, entrainés par 1'idée orgueilleufe dc leur pouvoir & de leur opulence , affeéterent la monarchie univerfelle. Ils fe trouverent aux prifes avec les Romains,qui, avec un efprit plusopiniatre&plus belliqueux, épris de la même ambition, réuffirent a s'élever fur les débris de Carthage. Aucune nation fur la terre depuis les Carthaginois n'avoit rappelé par fon exemple unefemblablerévolution: a fa chutc prés, 1'Angleterre préfente k 1'univers les mêmes progrès, la même grandeur, les mêmes vexations & la même décadence. Chez les Carthaginois, c'eft un peuple éloigné qui vient donner des fers a la métropole & fou-' mettre fes colonies; chez les Bretons, ce fonr fes propres colonies qui, révoltées qu'on veuille leur donner des fers, les brifent fur la tête de leurs opprelTeurs, & fur les débris du tröneélevent leur puiffance. Ainfi le rapport qu'il y a entre Cartharge & Albion ne confifte que dans les ftdtes de 1'abus du pouvoir. La France, en époufant le parti des Nord-Américains, eüt pu jouer cnA 2 Rivale /les Rorrutittt.i Coinpaml'ondi Caf* ;htt%eavec 'Aiiglc* ene.  Vues politique des Anglois en formant fes colonies* \ LESPECTATEUR, v-ers PAngleterre le róle des Romains envefsCarthage, fi, comme les Romains, la France eüc voulu employer toutes fes reflburces a fubjuguer fon ennemi, mais les tems étant différens, & le ryftême politique des puifiances de 1'Ëurope contraire k 1'extenfion d'ua trop grand pouvoir, la France ne pouvoit prétendre dans cette querelle qu'k contribuer k 1'indépendance américaine & afoiblir ainfi la Grande-Bretagne; Pévenement a juftifié fes efpérances: PAmérique eft libre, & PAngleterre humiliée. L'Angleterre , comme toutes les puifiances dc 1'Europe qui ont formé des colonies éloignées , paroit avoir eu pour premier objet d'augmenter fa population & fes richeffes, en établiffant avec elles une communication de commerce d'une utilité réciproque. L'expérience a prouvé que les colonies angloifes ont parfaitement répondu k la première de ces vues , partout oü 1'on en a fait Peffai; il eft k préfumer qu'il en fera de même ailleurs en fuivant les mêmes principes; car on ne peut difconvenir que, Sfans les encouragemens de la mere-patrie pour tout ce qui tenoit k 1'agriculture & au commerce, les colonies américaines ne feroient pas parvenues k cet état de maturité qui les a rendues fi puiffantes & fi redoutables en même tems. C'eft envain que quelques mauvais politiques cherchoient k infinuer au gouvernement anglois, qu'en multipliant trop les colonies , il étoit k craindre de dépeupler la mere-patrie, les habitans n'en étant pas, difoient-ils, affez nombreux pour en pouvoir diftraire pour ces tranfplantaïions. Le gouvernement pluséclairé,s"eft conduit  AMERICAlN. 5 fur de meilleurs principes. Londres abonde en hommes qui, faute d'être employés comme il faut, font une charge & pour 1'indultrie de ceux qui le font utilement, & pour le commerce de la nation: la confommation qu'ils font k pure perte des denrées de première néceiTué en caufe la difctte & la chertéj conféquemment la main d'oeuvre eft plus chere, & les marchandifes portées au marché fe trouvent k un trop haut prix. Les capitalcs ont plus de ces hommes inutiles k nourrir, qu'il n'en faudroit pour fournir aux colonies qu'on voudroit établir ou maintenir. Au lieu de laifler une capitale chargée d'un poids fionereux, qu'on les envoie pcupler de nouveaux éiabliflémens, ce fera un avantage pour 1'endroit qu'ils quitteront & pour eux-mêmes. Le nombre des mcndians qui infeftent les capitales, montre qu'elles ont plus de peuple que de moyens pour 1'occuper , au moins convenablement, & conféquemment qu'on en peut envoyer une partie ailleurs. Peut-être dirat-on que-tandis qu'ils fourmillent dans,les rues de nos grandes villes, nos bourgs, nos villages font déferts; mais cela ne change rien k la chofe, paree que c'eft leur travail & non leur nombre qqi eft un avantage pour le public ,• fi ce travail eft difcontinué, femblables au frélon dans la ruche, ils font un obftacle k 1'induftrie, & il vaudroit mieux qu'ils n'exiftalTent pas que d'être k fa charge. En attendant donc qu'on exécutc les loix contrc les vagabons, ou qu'on en établilTe d'autres, ü celles-cine fuffifent pas, pourempêcherles ouvriers de qüitter les établiiTemens oü leur travail eft nécefiaüe & d'accourir dans les villes, A 3 Moycn fa. ;ile d'nc:upey les ncndlens.  6 LESPECTATEÜR Les cvlo' jiies favorifertt la fipulatio; furtout dans la métropole, qui n'a pas de quoi les occupcr tous, pourquoi ne pas accueillir tout plan propofé pour les envoyer dans des lieux oü leur travail & leur induftric peuvent être utiles? Cc feroit ajouter k la maflc générale du travail & épargncr en même tems la valeur de la conlömmation des oififs. Ainfi 1'expérience détruit 1'idée que 1'établiflément des colonies nuifoit k la population, & prouve que partout oü 1'induftriecft juftement encouragée en donnant aux habitans beaucoup d'occupation, elle augmente auffi beaucoup la population; c'eft la ruche d'abeilles dont il fort quelque effain tous lei ans fans qu'elle fe dépeuplc. Qu'on ne s'y trompe pas ; ce n'eft point le grand nombre d'habitans envoyés d'Efpagne pour former fes colonies, qui a dépeuplé ce royaume; c'eft le manque d'induftrie dont on a cru n'avoir plus befoin quand on y a vu abordcr les trcfors du Nouveau - Monde. A 1'égard de la difïérence des climats, c'eft une erreur populaire qui vient de ce qu'on a cru anciennement qu'il y avoit des zones inhabitablcs. On a prouvé depuis longtems qu'il n'eft aucun climat fous les cieux, auquel, moycnnant quelques précautions, la conftitution humaine ne puifle s'accoutumer. La néceffité même de ces précautions cefleroit avec les premiers colons, & ce climat deviendroit naturel auxenfans qui y naitroient. D'après cesvérités, il faut conclure que 1'établiflement des colonies eft avantageux k toutes les puislances qui les forment avec fagefle, qu'il ne fauroit ïiuifé k la population, puifqu'elle accroit toujours «apidement partout oü Pinduftric encouragéq  ï8 LE SPECT ATEUR Principes t? caufes naturelle-*, de la révolution. Mndéra. lion 6lfur lt thé réyolle tr,us ks solonS' i j 1 ( I ] I ] » I 1 V/frigle- < terre [iy'tt\ a ntrc Bi.fivn qui\ lui réfille. i i I gerement qu'il pourroit rarnener k.I'obéiiTance ies habiians dc ces colonies & obtenk enfin a force de perfévérance, plus de. foumiflïon de leur part trompé peut-être par fes délégués qui les répréfentoient dans des difpofitions plus favorables, ordonna en 1773 la perception de 1'impót furie thé. A cette nouvelle, tous les efprits fe foulevent & t'incendie fe manifefte dans toutes les colonies Angloifes. Chaque province veut fignaler fort patriotifme, dans quelques -unes on arrête des. remercimens pour les navigateurs qui ont refufé ie prendre fur jleurs bords cette produciion: ici :e font des négocians k qui elle étoit adreflee qui refufent de la recevoir; lk quiconque ofera la rendre fera déclaré ennemi de la patrie; ailleurs )n charge de la même fiétriffure ceux qui en conérveront dans leurs magazins, & tous d'un comnun accord jurent lölemnellement de fe priver ie 1'ufage de cette boifibn. Les uns brülent ce jui leur refte de cette feuille qui faifoit leurs deices , les autres détruifent dans le port trois car;aifons entieres de thé qui arrivoient d'Europe. -e thé expédié pour cette partie du monde étoit :va!ué cinq ou fix millions, & il n'en fut pas dé:hargé une feule caifie. Bofton, le centre de ces éfolutions vigoureufes, fut le principal théitre le ce foulevement. Cette ville devint 1'objet de Indigation du parlement, qui, irrité de 1'opiliatreté des Bolioniens, fit fermer leur port le 3 mars 1774, & défendit par un bill d'y rien ébarquer, ni d"y rien prendre. Cette févérité uroit peut-être pu produire chez un autre peu'le un bon effet, & fur ce principe, dans cette  A M |E' R I ;C A I N. 27 folie confiance, la cour de Londress'applaudifibit d'une loi fi rigoureufe; elle s'attendoit que cette ville altiere fléchiroit enfin, ou que fes voifins, alarmés de cet anathême, ou jaloux de profiter de fa difgrace, chercheroient a en tirer avantage: mais le miniftere, cruellement trompé dans fon attente, s'appergut trop tard de fon imprudence, & fut viótime de fa grande fécurité. (i) Bofton refte ferme, réfifte a 1'orage & brave latempête. Les efprits s'exaltent de plus en plus; le cri de la religion renforce celui de la libertè; on'court aux armes, chacun brüle de fe fignaler.&de maintenir' fes droits, enfin les liens qui uniflbient encore PAngleterre aux colonies, font brifés pour (O Ce n'étoit point afTez pour les Roftoniens que toutes les provioces fe fignataOent a 1'envi pour leur ofFrir des fecours d'hommes & d'argent: le trait fuivant, unique dins fon efpece, étoit bien capable de flatter & d'exalter Time de c;s nouveau* républicains. Les fauvages Masphi, ayant appris la tyrannie du gouvernement britannique envers la ville de Bofton , fe piquerent de montrer la pare qu'ils prénoiert a fon informne. Cette horde de chalïeurs fit une collefte générale de tont Targent qui fe trouvoit chea elle: la fomnie fe montoit \ feize fchiliiogs. La maniere dont elle fic ce modique préfent en reievc fin»ulierèment le pri.%. lis fe préfenterent devant la falie du commité. Tenez, dirent ils, en entrant, voile tout ce que nous pofêJous; nous comptions en acheter du rhum, nous ballons de Ceau. Adieu , nous allons chafer dans Is grand bois. Si nvus pefivons. vendre quel/ ues peaux aux habitans d'en kaut, nous vier.drons rite vous en apponer Vergunt. Pc-uples civiiil'és voila encore des fauvsjes qui parient, & .font honneur | 1'homrae,  28 LESPECTAT.EÜR TattTri' iamais' Les provinces fe re'unilTent, fe concerilcohn'itstent pour réfifter k 1'ennemi, & dès lors fe forme ia république (i) des Treize-Etats-Unis dans Pordre fuivant. Longitudes. Lat. Sept. 1. Nouv. Hampshire. Portsmouth. . . . 3070. 30. 43°. 7. 2. MaiTachufet. . .Bofton. .... 307. 3. 42. 25. 3. L'Ifle de Rhode. .New-Port. . . -305. 50. 41. 30. 4. Conne&icut. . . New-Haven. . . . 304. 40. 41^ 15. 5. Nouvelle. York. , $NJW r°rh ' ' 3°2- «°- 4°. 50. lAlbany. . . . 304. 19. 4I. 43. 6. Nouvelle Jerfey. . Amboy. . . . 302. 57. 40. 30. 7. Delaware. . . Wilmington. . . 302. 37. 30. 22. 8. Penfylvanie. . . Philadelphie. . . . 301. 40. 40. 25. 9. Maryland. . ÏBaltimore. . . .300. 30. i9. 45. \_A1map0lis. . . . 300. 10. 30. 25. ic Virginie. .. . |f f*\' »»* 32.37. 20.* l^Baie de Chejapeak. 101. 15. 3^ ». Caroline Septentr. Jf«"^«- • •'98. 22. 34'. 20,* ^5ru7uw»c*. . . .258. 15. 34. 5. 12. Caroline Mérid. /^.r0,ra. . 207. 24.32. 45- ^Por« Aoyai. . . 296. 55. 12. 7. 13. Géorgie. . . .Sa.va.nnah. . . .295, 45. jt> jj. CO L'efpace occupé par les treize républiques entre les montagnes & la mer n'eft que de 67 lieues marines; mais fur la cote leur étendue eft en ligne droke de 345, depuis la riviere de Ste. Croix jnfqu'a celle de Savannatv, comme 1'indique Is carte placée a la fin de cet ouvrage. Suivant les obfervations les plus récentes , les Etats-Unis poffedent une étendue de 207,050 milles quarrés, ils ne font ainfi guere moins grands que 1'AIlemagne, les Pays-Bas, & la SuifTe qui contiennent 207483 milles quarrés.  AMERICAIN. 29 Ces Treize-Etats, choifirent la ville dePhila-' delphie pour devenir la réfidence des membres' du gouvernement; ils y envoyerent le 5 defeptembre 1774 des députés chargés de défendre leurs droits & leurs intéréts; ce font ces députés réunis qui compofent le congrès américain. De ce moment ce ne font plus quelques particuliers qui oppofent une réfiftance opiniatre a des maitres impérieux, c'eft lc congrès de 1'Amérique qui lute contre le parlement d'Angleterre: c'eft une nation contre une autre nation. D'un cóté, Pon fait des préparatifs de guerre, des armemens; de 1'autre, on s'occupe des moyens de repouffer 1'ennemi, & ce qui pouvoit refter d'affeétion pour le gouvernement primitif eft étouffé. II ne manquoit plus que de donner de 1'énergie aux efprits: un ouvrage intitulé: Sens commun, produit cet effet. „ Jamais, difoit 1'auteur de cet écrit célebre, (M. Payne,) jamais un intérêt plus grand n'a occupé les nations. Ce n'eft pas celui d'une ville ou d'une province, c'eft celui d'un continent immenfe & d'une grande partie du globe. Ce n'eft pas 1'intérêt d'un:jour, c'eft celui des fiecles, Le préfent va décider d'un long avenir; & plufieurs centaines d'années après que nous neferons plus, le foleil en éclairant cet hémifphere, éclairera ou notre honte, nu notre gloire. Longtems nous avons parlé de réconciliation & de paix; tout eft changé. Dès qu'on a pris les armes, dès que la première goute de fang a coulé, le tems des difcufiions n'eft plus. Un jour k fait naitre une révolution; un jour nous a tranfportés dam yn fiecle nouveau 3 &c " Vtiladclhie deisnt la ■éfidencs tu congrii Pr/fiara'dons de vuerre. Mantfejle. 1  AMERICAIN. 3S les feuls qui manifefterent leur zele patriotiquc; 1'Amérique doit être trop jaloufe de fa gloire pour ne pas recueillir avec foin tous ces noms précieux: le marbrc & le bronze les offriront en exemple a leur fiecle & a la poftéri té. Tandis que le premier de ces héros, le favori des fciences, recevoit dans Paris les hommages que 1'on doit au génie, il travailloit a gagner le cabinet dc Verfailles en faveur de fa nation; auffi heureux dans fes négociations politiques que dans la philofophie, il eut la gloire d'allier la France h 1'Amérique, & ce traité figné le 6 février 1778, fut fignifié le 14 mars de la même année a la cour de Londres. Rien ne caractérife mieux ce grand homme que ce vers fi énergique & fi précis que 1'on grava au bas de fon bufie: „ Eripuit fuimen cceIo* fciptrumqui Tyrannii, Ces négociatiors hcureufes étoient foutenues en Amérique par le célebre Hancok, 1'ame du Congrès, & d'une maniere plus efficace encort par le courage, 1'habileté & les vicToires du général Washington. La défaite desHeflois a Trenton le 2ö décembre 1776, la bataille de Princetown le 3 juin 3777 n'étoient que les préludes de la fameufe journëe du 17 ocTobre de la même année, qui devoit amener aux pieds du général américain, le général Burgoyne & fon armée k Saratoga. Quoique des détails militaires n'appartiennent qu'indirccTement au fujet de cet ouvrage, je ne puis réfifter au plaifir de narrer les aotions mémorables de Trenton & de Prince Town, // Par t. C Traité avec la France. fièloires vnpitTtan- I'S ita gé- néralAmi. ricain.  34 LESPECTATEUR L'attaque & la prife du fort Washington avec une garnifon de deux milles cinq eens hommes, Pévacuation précipitée du fort Lée, qui fut la iuite de cette perte, occafionnerent en grande partie la retraite a travers les Jerfeys jufqu'a la Delaware: cette retraite, qui fut unemarche d'environ quatre-vingt-dix -milles , a de quoi étonner, fi Pon confidere qu'elle fe fit dans la laifon la plus rigoureufe de Pannée; que les deux armées furent quelquefois a la vue & k la portée du canon 1'une de 1'autrc, Parriere-garde de Pune étant occupée k rompre les ponts pendant que Pavant-garde de 1'autre les relevoit. M. Payne dit que c'étoit une époque de calamités, une crife, un danger qui paroifioient devoir être le tombeau de 1'indépendance. Une defcripcion fidele dc ces évencmens feroit même difficile aux acteurs mêmes qui y ont joué un röle ; ils ne favent pas comment ils ont pu échapper, comment ils pourroient rendre raifon de cette énergie d'efprit, de cette chaleur d'ame avec laquelle ils refillerent k toute la force de ces revers accumulés. L'armce américaine n'avoit dans fa retraite ni tentes , ni linge , aucun uftencile même pour apprêter ce dont elle avoit befoin. Malgré cet état de détrefle pendant une marche aufii pénible, le général qui ne cherchoit qu'k gagner du tems, eut Padrefiè & la politiqued'yemployer dix-neuf jours. L'Anglois victorieux pénétroit dans le cceur du pays fans qu'on eüt d'armée k lui oppofer, ni d'autres fecours k attendre que de la bonne volonté de chaque citoyen. Dans une conlternation pareille, le rentier , le négocians l  AMERICAIN. 3? Ie cultivateur, 1'ouvrier, le laboureur abandonnent comme de concert toutes les commoüitésde la vie pour endolfer la cuiraffe, défendre leurs proprietés, leurs droits les plus précieux. La lcnteur que Washington mit dans fa marche, donna le tems a ces volontaires de le joindre fur la Delaware. Je tiens la confirmation de ces détails d'un Américain (i) de mes amis, auffi recommandable par fon caraélere focial & fes vertus patriotiques , que par le courage qu'il montra dansl'armée, & les facrifices qu'il fit d'une partie de fa fortune pour foulager quelques vicrimes malheureufes des brigandages de la foldatefque. Pour donner une idéé jufle de 1'affaire de Tren-. ton, il eft néceftaire de décrire la place même. Trenton eft fitué fur un terrein qui s'éleve a environ un quart de lieue de la Delaware fur la rive oriëntale du Jerfey: il eft coupé en deux par une petite crique ou ruifleau oü il coule affez d'eau pour faire tourner un moulin qui s'y trouve,' après quoi il fe décharge, en formant a peu-près deux angles droits, dans la Delaware. Le bras fupérieur qui eft au nord-eft, contient environ foixante-dix a quatre-vingts maifons, & le bras inférieur environ quarante a cinquante. Le terrein de chaque cöte de la crique fur lequel font fituées les maifons, s'éleve en amphithéatre ; & les deux bras font, a légard 1'un de 1'autre, dans une pofition pittorefque , ayant la crique entre deux, fur laquelle eft un petit pont de pierre d'une feule arche. O) M. E. Drush, négociant a New «York. C a ijfaire rle frentnn (f k l'Tinct* Cown.  40 LE SPECTATEUR Op'nidlreté du miniflereAnglois, Varrhée d'sf-cours ƒ ancois uaufii une yive alégrttje aux américains (O La France s'eft trop intéreffée anx affaires de 1'Amérique, elle a eu trop de part a !a révolution & a 1'indépendance des Nord-Amérioins; fes fervices ont été trop appréciés, foutenus avec trop de nobleffe, pour ne pas nous arrêter un inftant -ut 1'entrée des Francois » Philadelphie. Cette narration puiféê dailles accördées; favoir, au général Washington, pour la prife de Bofton en 1776; au général Gates, pour la prife de 1'armée de Burgoyne, a Saragota en 1777; au général Wayne, pour la prife du fort de Stoney-point en 1779 ; au lieutenant-colonelde Fleury, & au lieutenant-colonel Stewart, déjk mort, pour la part que chacun d'eux a euc au même événement; au lieutenant-colonel Lée, pour la prife de Paulus-Hook en 1779; au général Morgan, pour la prife du corps du colonel Tarleton en 1781 ; au iieutenant-coionel Howard pour la part qu'il eut au même événement. Malgré les revers qui accompagnoient partout les Anglois fur ie continent des Etats- Unis; 1'Angleterre ne fe laffa point, & continua d'y envoyer des troupes. Le général Cornwalis part pour le Nouveau-Monde & fe met k la tête d'une irmée bien difciplinée, pour faire face aux Franjois & aux Américains réunis. Mais i'arrivéede trente-fix vaifl'eaux de ligne de la Baie de Chefapeak, commandée par le comte de GralTe, trois mille hommes dc troupe de débarquement qui établiffent leur communication avec le marquis 3e la Fayette , répandent une joie univerfelle. Cette alégrcffe fe manifefte furtout k Philadelphie oü la nouvelle arriva le 15 feptembre 1781, précifement le jour que 1'armée du comte de Rochambeau fit fon entrée k Philadelphie (1), &  A M E R I C A I N. 4t a 1'heure oü les officiers ge'ne'raux alloient fe mettre k tablc chez M. le Chevalier de la Luzerne, dans la vérité fervira ï donner au public une idéé de la bonne harmonie qui a conftamment régHé entre ces deux nations. L'armée du comte de Rochambeau ricvant palier par Philadelphie pour fe rendre dans Ie Maryland '& la Virginie , fit halte a un demi-mille de Ia ville. Le foUat s'approprie, fe pare, $i parotc en un clin d'ceil auffi fra*s & djns le mime état oü il feroit dans une garnifou pour une revue. Ce jour paroiffoit être un jour de triomphs p»ur le foldst & pour les fpeétateuis. Les rues de Philadelphie étoient inonriées de peuple ;le& dames étoient parées de leurs plus beaux ajullemens. Les troupes francoifes traverferent la ville, pré^édées de leur mufique guerlitre, ce qui sjoutoit un effet brillant a cette marche: on ne pouvoit fe lafler d'admïrer la propreté, 1'air fier & intéreffant du foldat, qui, flaté lui'mê.ne des applaudiiTemens généraux , s'en appliquoit une partie. Après avok défilé devant le congrès & Ie minifire de 'France, les troupes furent camper dans une vafte plaine fur les bords du Schulkill. Le régiment de Soiffonnois fit le lenderaain 1'exercice a feu. Vingt-mille perfonnes Sc quantité de voicures élégantes embellifloient ce fpeftrcle, lafuuation pitorefque du lieu, la férénité du jour, le poli des armes , tout contriuuoic a rendre ce coup d'ce',1 brillant. On admira lürtout la rapidiié des évolutions & cette précifion dans la manoeuvre dont on n'avoit qu'une três-fiiibie idéé en Amérique. Un autre objet non moins intérefiant pour les Américains, fut de vair dans 1'un des chefs, 1'ami & 1'allié du marquis de la Fayette, de c» jtune hiiros a qui ils doivent tant, & pour qui ils ont tant dc vénération. 11 payoit depuis quelques jours a la nature le tribut d'une ame fenfible; il étoit p?re & la perte da fon fils ne s'accordant pas avec 1'alégrefTe & les charmes de Philadelphie, il étoit refié daus fa tente plorgé dans la triftcfTe & la douleur. Scmblable a Acliilie, il n'y eut que le bruit des armes qui put 1'en tirer. On allure qui les Etats -Unis font dans 1'intention d'élever une ftatue a Louis XVI, que 1'on y appeile le Libérateur de l'Aménque. Voici les paroles qu'on doit graver fur ce monument de reconnoiflanee d'autant plus Acteur qu'il feroit érigé parun peuple libre & républicain. C5  42 LE SPECTATEUR 'Jlrie'tr des troU" fes. Poft Deum Diligenda & feryanda eft libertas Maximis empta loboribus , Jiumanique fanguinis flumine irrigaia Per imminentia belli pericttla, Juyante Optimo galliarum Principe Rege Lunovico XVI. liane ftaiuam Principi /laguftijjimo Conjecravit Et alernam pretiofamque beneficii memoriam Grata Reipublica veneratio Uliimis tradit nepotibus. C'eft -a-dire Apiès Dieu, il faut aimer & maintenir la libertè, achetée par les plus grands travaux, arrofée par des fleuves de fang hwmain, au milieu des dangers imminens de la guerre: avec 1'aide du très-bon prince Louis XVI, Roi de France. C'eft a ce très-augufte Prince que la vénération reconnniifante de la République a confacré cette itatue pour en tranfraettre le fouvenir .s offres des Amé* ricaini* l S t e  46 LESPECTATEUR fans orgeuil, & fans prétention; & s'il fe rend affez de jultice pour croire qu'il mérite fa célébrité, il fait auffi que la poltérité qui éleve & brife les ftatues ne fouillera jamais les trophées que fon fiecle lui aura érigées. La main| feule d'un barbare qui ne faura pas lire, ou d'un fauvage qui ignore nos hiftoireS, pourra brifer d'un coup de hache fa ftatue, en la prenant pour celle d'un defpote. Mais, quand des débris del'infcription on ne pourroit recüeillir 'que le hom de Washington , le chef de ce barbare ou de ce fauvage inftruit par la tradition feule de la révolution américaine le vengeroit de cet attentat, en faifant relever ce monument , au bas duquel, on lira: 1'ignorance 1'avoit renverfé, &• la jultice le releve : mortels, révérez fa mémoire! (*} (*; Cet ouvrage étoit déja livré a 1'imprefllon, Ionqu'une lettre particuliere de Philadelphie, en date du 20 aoüt, nous informe que les Etats-Unis affemblés en congrès ont réfolu a I'unanimité , qu'une ftatue équeftre ierait érigée a 1'honneur du général Washington dans J'endroit oü réfideroit le congrès. Nous nous félicitons d'avoir eu le tems d'inférer cette note fi iméreHante & d'avoir eu dans notre admiration la même idéé que le congrès. Cette flatus fera de bronze, & repréfentera Ie général dans Ie coftume romain^ ayant a la main droite le baton de commandement, & la tête ceinte d'une couronne de lauriers. La ftatue fera mife fur un pjédeftal de marbre, oü feront repréfentés en bas reliëf les évenemens les plus remarquabïes de Ia guerre, dans lefquels le général a commandé en perfunne; favoir, lévacuation de Bofton par les Anglois; l'af-  AMERICAIN. 4? Après avoir été 1'ame & le foutien d'un des plus grands évenemens du fiecle, il eft jufte que faire des Heffois faits prifonniers a Trenton; la batail• le de Prince-Town; le combat de Monmouth; & la reddition d'York.Town, oü lord Cornwallis fut fait prlfonnier. Sur le frontifpice du piédeflal, on gravera 1'infcription. fuivante. Les Etats-Unis, ajffemblês en congrès, ont, en Van du Jeigneur 1783, ordonnè d'ériger cette ftatue h Vhonneur de George Washington, très-illuftre commandant général de 1'armée des Etats-Unis de 1'Amérique, durant la guerre, qui dèfendit £f ajfura leur fouveraineté £f leur indêpendance. Cette ftatue fera exécutée en France p2r Ie meilleur artifte de 1'Europe, d'après Ie portiait le plus reffemWant qu'on pourra fe procurer du général Washington. Les frats en feront payés du tréfor des Etats-Unis. En attendant qu'une plurae plus délicate tracé 1'insaïption qui convient a Ia ftatue de ce grand homme; qu'il me foit permis d'en donner ici une idée. Peuples de Tunivers, célébrez Washington Célébrez fts vertus, fes talens & fon nom: Politique & guerrier, fauveur de la patrie, 11 honora fon fiecle , & fit taire 1'envie. On aime a voir que, dans la jouiffance d'une paix glorieufe, un des premiers foins de ces peuples foit d'acquiter la dette de leur reconnoiffance en élevant la première ftatue qu'aura porté Ia terre du NouveauMonde. Auffi hardi que Condé, auffi prudent qua Turenne , auffi adroit qu'Eugene , auffi désintéreffé que Catinat, Washington fera dire encore de plus a la poftérité, qu'avec tant de qualités brillantes, il fut refter modefte, & qu'a Ia fin d'une longue guerre cl« mie, Un'eutxien a fe repxocher.  50 LE SPECTATEUR pays la récompenfe de fes fervices & de fes talens c'eft mon héros; partout fêté, admiré, chéri, il ne voit partout que des cceurs empreffés k lui rendre hommage ,• entre-t-il dans une ville, paflet-il dans un village; vieillards, hommes, femmes, enfans, tous le fuivent par des acclamations; tous le combient de bénédictions; dans tous les cceurs il a un tcmple confacré au refpect & a 1'amitié. Que j'aime a me repréfenter le genérai frangois (i), également l'amour & le héros de fon armée, s'écriant k table, affis auprès de Washington, qu'il n'avoit jamais fu ce qu'étoit la vraie gloire, & un vraiment grand homme que depuis qu'il 1'avoit connu. Quand 1'Amérique, bouleverfée par les révolutions eiTrayantes de la nature, ne fubfifteroit plus, ou fe fouviendroit de Washington, qu'il fut le défenfeur de la libertè, 1'ami des hommes & le vengeur d'un peuple opprimé. f_i) M. de Rochambeau.  AMERICAIN. SU «1781 1781 ? 71 j Janvier Victoire de Morgan contre Taf'etnn 4 Cowpens dans la Caroline Septen ■ trionale. 3 Février Prife & pillage de St. Euftache par Rodney & Vaughan. 15 Mars Bataille de Guilford dans la NordCaroline entre les armées de Cornwallis & Greene. 8 Mai Reddition de la Floride occidentale par les Anglois aux Efpagnols. 3 Juillet Bataille a Greene - Spring èn Vir. ginie. 5 Aoüt Bataille fanglante du Doggersbanck, oü 1'amiral Zoutman battit I'amiral Parker. 6 Septemb. New-London brülé par les Anglois fous Ie traitre Arnold. 8 ... Bataille è Entaw- Springs dans Ia Caroline-Méridionale. 19 Octobre Reddition de Cornwallis avec fon ar¬ mée: perte des vaiffeaux Anglois en ftation a New-York & Glocefter en Virginie. 26 Novemb. Reprife de St. Euftache par les Fran¬ cois. 4 Février Prife de Minorque par les Efpagnols. 12 ... Prife de St. Chriftopbe par les Francais. 20 Mars Lord North déclare le miniftere dis- fous. 27 ... Nouveaux miniftres anglais bien inten- tiormés pour la caufe américaine,* pour la paix. 19 Avril La Holhnde reconnoit folemnellement 1'indépendance américaine. 1 D 3  54 LESP. ECTATEUR J782 3© Aoüt Prife de Trinconomale par Ie bailli cfe Suffren. 30 Novemb. L'Angleterre reconnolt 1'indépendance, & nomme des commiffaires pour traiter de paix avec les Etats- Unis. 1783 16 Avril Proclamation du général Washington pour annoncer dans le camp Ia ceffation des hoftilités, & la ratification des articles de paix entre les EtatsUnis & 1'Angleterre.  AMERICAIN. 55 C H A P I T R E VII. Examen de la conduite & des intéréts refpeiïifs entre la Hollands & les Etats-Unis. Pendant la guerre de la révolution, la France a prefque été la feule puiffance qui aic participé au commerce des Etats-Unis-, elle feule y aportélc produit de fes manufactures & tous les articles nécesfaires a cette partie du monde; cela étoit jufte& la reconnoiffance en faifoit' un devoir aux Nord-Américains; mais au moment que findépendance a été univerfellement reconnue & cimentée par la paix, ils ont pu & dü accorder a toutes les natïons de 1'Europe la libertè de commercer dans les ports des Etats-Unis. Nous avons déja eu lieu de voir que dc ce concours général réfukent une émulation, une induftrie, une concurrcnce qui ne peuvenc qu'élever cet étatapeine naiffanta un degréétonnant de profpérité, de richeffe & de puiffance. Plus heureufe dans fes commcncemens que la république des provinces Unies des Pays-bas, celle des Etats-Unis a eu moins d'obftacles a vaincre & plus de reffources pour 1'égaler, fi elle la prend pour modele. C'eft une vérité conügnéc dans toutes les hiftoires, que de tous les peuples commergans, il n'en eft aucun qui aic, avec les feules reffources du commerce, acqviis plus de gloire, plus de richeffes & de contiance que la D 4 JHialntrie dis Hul. lanthiu  56 LE SPECTATEUR Étendue de leur commerce. Hollande. Le nom des Beiges cd connu dans toutes les parties du monde; ils ne doivent leur célébrité , leur bonheur qu'au commerce. Leur terricoire, en général peu fécond, eft incapable, a beaucoup prés, de fournir a leurs premiers belbins. Cette circonftance jointe a leur fituation, fit qu'ils fe livrerent avec ardeur aux opérations mercantilles, dont ils firent leur principale étude. Dans peu de tems, par leur application, leur activité fecondées par une fage économie, leur pays auparavant pauvre, peu connu devint le rendez-vous & le dépót général de toutes les productions de 1'univers. On chercheroit inutilement un pays oü, fans autre fecours que le commerce, 1'on ait raifemblé autant de richefles que dans les Provinces-Unies. Une fi grande profpérité devoit naturellement exciter la jaloufie ou 1'émulation des autres nations. Ne craignons pas dc lc dire: fi lc fyftême de la plupart des puifiances européennes a changé, fi 1'on a jugé que rien ne contribuoit plus au bonheur & a i'opulence d'un empire que le commerce, c'eft cette république marchande, le plus beau monument de la fagefie humaine, qui, en leur fervant d'exemple , a préparé ce changement. Comme citoyen, je dois faire des vceux pour que nous reprenions nos anciens avantages; car nous ne devons pas nous difiimuler que la révolution américaine a ouvert aux opérations mercantilles un nouveau cours qui nuit a notre commerce au point que notre aclivité paroit s'étre ralentic , furtout depuis le commencement de cette guerre qui nous a été fi funefte.  AJVIERICAIN.  AMERICAIN. 77 Virginie 25^4-87- dollars. Caroline feptentrionale. . . 109,000. Caroline méridionale. . . . 96,183. Géorgie 16,030. Les revenus mentionnés ci-deflus feront percus par des gens établis, comme il a été dit; mais ils feront portés fur le crédit féparé des Etats oü ils doivent être recueillis. Qu'un compte annuel des procédés & de 1'emploi de tous lefdits revenus fera fait & tranfmis aux divers Etats en diflinguant les procédés de chacun des articles fpécifiés & le montant de tout le revenu regu de chaque Etat, ainfi que les appointemens accordés aux divers officiers employés a la perception defdits revenus. Qu'aucune des réfolutïons précédentcs ne fortira fon effet, que tous les Etats n'y aient accédé & cependant après cette acceffion unanime, elles feront confidérées comme formant un lien mutuel, obligatoire pour tous les Etats & qui ne pourra être diffous par aucun féparément, mais par le concours du Tout ou d'une Majorité des Etats-Unis, afTemblés en congrès. Que, foit pour accélérer 1'extinctiondesdettes, foit pour établir 1'harmonie parmi les Etats-Unis, il foit rappelé aux Etats qu'ils n'ont pas rendu des adtes a 1'effet de déférer aux réfolutions du congrès du 6 feptembre & du 10 ocTobre r780, relativement a la cefiïon des prétentions fur des terres, d'en faire la ceffion généreufe qui leur y effc recommandée, & aux Etats qui peuvent avoir paffe des actes pour n'y déférer qu'en partie, de Précttu'Jon pour impl'jyer ^age-meni !es deniet puilics.  73 LE SPECTATEUR les reviler & de montrer une condefcendance entiere. Que pour affurer, par une méthode plus convemble & plus certaine, les contingens que les Ecats refpeétifs doivent fournir au tréfor commun, il foit fait & il eft fait par la préfente les altérations fuivantes dans les articles de la confédéra„tion & de 1'union perpétuelle entre ces Etats. Et les Etats divers font avertis d'autorifer leurs délégués refpeétifs de les foufcrire & de les racifier comme partie dudit inftrument de 1'union dans les termes fuivans, révoquant & jannuliant k cet égard le huitieme des articles de la confédération. Nous déclarons & arretons d'après un arrangement convenu dans le congrès des EtatsUnis, que ce huitieme des articles doit être, & refter fans altération dans les termes fuivans. „ Que toutes les charges de la guerre & toutes les autres dépenfes qui ont été ou qui feront ,, contractces pour la défenfe commune ou 1'avan„ tage général & accordées par les Etats-Unis afTemblés en congrès ; k la réferve cependant „ de ce fur quoi il aura été pourvu autrement, . „ feront acquittées du tréfor commun qui fera „ formé par les divers Etats en proportion du „ nombre de tous les citoyens librcs & habitans „ blancs & autres, de tout age, fexe & condi„ tion, y compris ceux engagés k fervir un cer- , tain nombre d'années: & les trois cinquiemcs „ de toutes les autres perfonnes non comprilès , dans la claffe précédente, k i'exception des „ Indiens qui ne payent des taxes dans aucun Etat; & le nombre fera leve & tranfmis toias  AMEilCAIN. 79 „ les trois ans aux Etats-Unis afTemblés en con., gres d'après la méthode qu'ils indiqueront & „ établiront." Nous avons dit précédemment que le fyftême fifcal de 1'Amérique ne s'étoit point encore développé comme il eft fufceptible de 1'être ; mais celui des finances paroit avoir fubi 1'examen le plus févere ; 1'économie dans les deniers publics prouve cette afiértion. Suivant le journal des Etats Unis du 17 juin 1783, il paroit que 1'adminiftration des finances ne pouvoit trop mériter les applaudiflemens de la nation. En cxaminant les réformes qui ont été faites dans les dépenfes publiques, 1'attention du comité eft néceffairement tombée fur les dépenfes des années précédentes. En comparant ces dépenfes avec celles qui fe font aujourd'hui, & en faifant a la différence de tems & de circonftances 1'attention qu'elle mérite , on ne peut fe refufer de donner aux adminiftrateurs les éloges les plus grands: ils ont géré depuis l'érection de ce bureau avec un ordre, une économie dont il feroit a fouhaiter de trouver des exemples cn Europe. L'épargnc de 1'argent public entraine après foi les conféquences les plus heureufes, produit le plus grand des bienfaits aux peuples qui s'enrichisfent par leur induftrie. Les abus qui fe glificnt ft aifément dans tous les genres d'adminiftration, font toujours plus grands, plus multipliés & plus difficiles a détruire dans la partie des finances que dans toute autre. Qu'on juge combien ces abus doivent être confidérables chez un peuple indolent, efclave du luxe & du fafte des cours, puifque chez les Nord-Américains, oü ces vices n'exilteni Abus dans les finances de* truits.  22 LE SPECTATEUR. au fecours de quiconque i befoin d'argent pour quelque objet d'utilité que ce foit, jufqu'a la concurrence de 80 pour ico '.e fa propriété. La difficulté d'avoir de 1'argent au befoin ceffe pour tout propriétaire for.cier ; le commerce acquiert de PacTivité ; les entreprifes fe multiplient & ne reftent plus imparfaices, faute de fecours. Par la troifieme claufe. Bien différente des autres banqu.s qui n'allouent aucun intérêt pour Pargent ou les efpeces courantes,ce!le-ci nepayera qu'un pour cent de moins que le taux auquel elle emprunte fes fonds. La quatrieme claufe mérite d'être tranferitemot 'a mot: La banque prêtera encore fans intérêt, ,, avec les cautions convcnables jufqu'a la con» „ currence d'une certaine fomme, mais pour un „ certain tems , paffé lequel les fonds feront „ vendus jufqu'a 1'cnüer rembourfement de la „ banque." La cinquieme claufe a pour cbjet 1'établiffement des comptoirs de la banque nationale; & par la fixieme la banque doit être établie le premier créancier par la loi. Aucun établiflement humain n'eft fans inconvénient. Mais il nous femble qu'il n'en eft point en ce genre qui en foit mois fufccptible que celui- > ci. M. Grothaus préfente une belle perfpeciive de félicité publique. Une banque nationale fur le plan qu'il propofe feroit une fource de richeffé & de profpérité pour 1'état qui 1'adopteroit. Elle n'eft pas d'une égale néceffité pour tous, mais il n'en eft aucun a qui elle ne füt d'une trés-grande reffource. Le plan de M. le baron de Grothaus rélteroit fans exécution , qu'il n'en feroit pas  AMERICAINÏ 83 moins un monument précieux de génie, & de zelc pour 1'humanité. Tels font les fondemens fur lefquels 1'on peut affeoir la puiffance, la population, les avantages du commerce & le crédit de la république des Etats-Unis. Examinons maintenant le commerce particulier de chaque Etat, les rapports refpectifs qu'iis ont entre eux, & tachons de ne rien oublier de ce qu'ils offrent d'utile, d'agréable & d'intéreffant. F 2  «4 LE SPSCT ATEUR CHAPITRE IX. Sa [ittiatiuti, fon étendue, fes paris. C.itie colo' nie doit fon origim eu fanatifme. Nouvelle-Angleterre. I_va Nouvelle-Angleterre, contrée immenfek 1'eft de 1'Amérique feptentrionale , fut découverte au commenccment du fiecle dernier fous le nom de Virginie feptentrionale. Elle eft bornée au nord par le Canada, k 1'oueft par Ia NouvelleYork, a 1'eft & au fud par la Nouvelle-Ecoffe & par 1'océan; elle s'étend k plus de trois-cens milles fur les bords de la mer & k plus de cinquante dans les terres; on la trouve fous la latitude feptentrionale entre les \o &C45 deg ,& par les 306 k 307 deg. de longitude. Les principaux ports de la Nouvelle-Angleterre & oü fe traitent toutes les affaires, font Falmouth dans la baie de Cafco; Portsmoutli dans la Nouvelle-Hampshire; Bofton, Marble-Head, Salem & Newburry • Port dans la baie de MaiTachufet; Newporc dans Rhode-Ifiand; & New-London dans le Connecticut. Si la plupart des établifiemens Frangois & Efpagnols cn Amérique ont été formés par un principe d'intérêt, la plupart de ceux des Anglois Pont été par le fanatifme. C'eft k 1'intolérance que la Nouvelle - Angleterre doit fes premiers colons: c'eft ainfi, dit Raynal, que ce fieau qui avoit dépeuplé 1'Amérique au midi, dcvoit la repeupler au nord. Jufqu'a 1'époque de 162Q oü  AMERICAIN. 85 les puritains chaffés d'Angleterre quitterent la Hollande, qui leur avoit offert un afile, la Nouvelle-Angleterre n'avoit encore regu que detrèspetices peuplades d'Européens, qui fe bornoient a planter des cabanes durant l'-té pour faire un commerce d'échange avec les fauvages, & difparoiffoient comme ceux ci, le refte de 1'année. D'autres puritains, jaloux de fe procurer une exiftcnce conforme a leur goüt, & de profeffer librement leur religion, penfcrent ne pouvoir mieux atteindre a leur but qu'en allant fe fixer dans un autre hémifphere. En conféquence, ils acheterent les droits de la compagnie angloife de la Virginie, & s'embarquerent au nombre de cent vingt perfonnes a Plimouth le 6 feptcmbre 1621. Cette nouvelle colonie arriva au lieu de fa destination au commencement d'un hiver très rigoureux; de tous cótes environnés d'épaiffes forêts, de lacs & de montagnes arides, cesinfornés eurent a lutter contre les horreurs du froid , du fcorbut, de la faim: le plus grand nombre périt accablé de ces miferes-, le refte eüt éprouvélemême fort s'il ne leur füt vènü des fecours qu'ils nc devoient attendre ni efpérer. Une troupe de fauvages, au nombre de fbixantc , ayant leur chef a leur tête, arrivé au milieu d'eux , & leur donne quelques rafraichiffemens. Les malheureux Européens, prêts a fuccomber fous leurs maux,fe raniment, & 1'efpérance prend la place du découragement. Contens de trouver dans ces fauvages 1'image précieufe de la libertè, ils contraétent avec eux un traité d'amitié, & ce premier lien ne devinc que plus fort & plus facré par la fuite. Un de ces fauvages qui entendoit un peu PogriF 3  16 LE SPECTATEUR. s La Nouyells An. glclerre d»n -ie naiffance 'udtre a louics. (i) Voysz au Chap. II, p. iC. culture & favoit quelques mots anglois, s'offrit généreufemcnt pour leur inftituteur, il leur enfeigna la maniere de cultivcr lc maïs & de faire la pêche fur les cótes. Cette nouvelle colonie ayant fait enfuite facquifition des terres qu'occupoient leurs voilins, elle fe vit en état d'attendre les fecours qu'elle devoit recevoir d'Europe. Cette acquifition fut nommée laNouvelle Plimouth (i). II faut que les moyens d'établiffemens qu'elle attendoit foient arrivés bien lentement, puifqu'en 1629 la colonie ne montoit encore qu'a trois eens perfonnes. Mais le fanatifme recommencant de nouveau fes fureurs en Angleterre, les presbytériens, opprimés par le glaive fpirituel de 1'épiscopat, ne pouvanc réfifter k tant de perfécutiohs, prirent le parti d'aller en Amérique fe réunir a leurs freres. L'émigration fut fi confiJérable que 1'année fuivante les colons furent dans la nécefiité de fe difperfer. Les peuplades qu'ils établirent formerent d'abord la province de Maflachufet, d'oü fortirent .bientót les colonies de laNouvelle Hampshire, dc .'Conneciicut & dc Rhode-Ifiand, qui par la fuite formerent autant d'Etats féparés &obtinrent chacune une charte particuliere de la cour de Londres. Uniquement occupés du foin de vivre en paix, ces peuples nouveaux négligcrent de donner une bafc folide a leur bonheur; ils vécurent ainfi 1'efpace de vingt ans , & ce ne fut qu'en 1530 qu'ils fentirent la néceiTité de donner une forme k leurs colonies refpectivcs. A la fuite  AMERICA IN. d'une affemblée génerale ils convinrent d'avoir tous les ans un tems fixe pour fe réunir & délibérer fur les affaires publiques. Les députés a 1'afTemblée devoient être choifis par le peuple ; ils convinrent qu'il n'y auroit que les membres feuls de 1'églife établie qui pourroient y fiéger, & que le chef qui préfideroit feroit fans autorité particuliere. On établit un confeil national, chargé de régler toutes les affaires, de juger tous les procés. Les lumieres de la raifon, fans le fecours d'un códe devoient décider tous les différens. Heureufe la Nouvelle-Angleterre, fi elle eüt fu conferver un gouvernement aufii fage, auffi paifible; plus heureufe encore, fi après la trifte expérience que ces habitans avoient faite des maux de 1'intolérance, ils n'euffent pas été eux-mêmes intolérans! Mais il eft rare qu'un peuple naturellement mélancolique, ne prenne un caraétere fombre, farouche & perfécutcur. La nouvelle colonie avoit apporté avec elle un malheureux germe de piétifme qui nuit plus a la religion qu'il ne la fert ,■ & dont le voile impofteur & le prétexte fpécieux ont caché Ijs vraies caufes des plusgran4es féditions. De la les loix réligieufes qu'elle fit, ouvrage de la fuperltition & du fanatifme. Lc forcier , le blalphémateur , 1'adultere & le faux témoin furent punis de mort comme 1'enfant affez dénaturé pour frapper ou maudireles auteurs de fes jours, & le délire fut porté a un tel point que la danfe & les autres exercices du corps furent prohibés, & punis comme ï'ivreiTè & le menfonge, par le fouet; les plaifirs innocens y étoient fnterdits comme lc vice & lc crime; les jureremens & la violation du dimanche ne pouvoient F 4 Gouvernt» mint. Comileit V ent hou'iafme ou 'in zcle immudéri puur la religion peut iir-vinir r.uifiilt I  1 i 1 ] 1 I VefprH in iepenèar.ce * pretiiierement éclatt dans la NmivetleAngleterrt % LESPECTATEUR :tre expiés que par une amende confidérable: & 'on fe crouvoit fort heureux de fatisfaire avec de 'argent pour une omiffion de priere ou pour in ferment indiferet. On fent combien une telle !,êne devoit nuirc a 1'éducation , aux principes Pune fainemorale,au vrai but de la religion; rien n'étoit plus capable d'entretenir 1'efprit dans ce ömbre, cette mélancolie qui forment & carattérifent les faux dévots: quoique le tolérantifme foit actuellement la bafe des loix religieufes dans tout 1'empire des Etats- Unis, on prétend cependant que les habitans de la Nouvelle-Angleterre Dnt encore un refte de cette févérité; mais les jharmes heureux de la libertè, les voyages en Europe, nos émigrans, acheveront de les en guérir. Craignons plutót qu'ils ne donnent dans 'excès contraire, je vcux dire que leur philofophie ne lesgarantiflèpasde tomber danscerelacheinent de moeurs que 1'on reproche a la plus granJe partie des Européens, qui, fous prétexte d'aiopter le tolérantifme', ne fuivent les loix d'au;un culte. La Nouvelle-Angleterre, comme la colonie de 1'Amérique la plus confidérable, devoit être, comme elle Ta été, le centre & le foyer de la révolution qui devoit privcr la Mere-Patrie de tous fes droits fur le continent. Ces habitans connoiffoient mieux qu'aucun autre peuple du monde tout le prix de cet efprit de libertè qui fit déferter a leurs ancêtres leur pays natal & les conduifit dans celui-ci. Ils y jouiffoient comme individus de plus d'indépendance a divers égards, particuliercment dans leurs manieres, loix & fituation. N'étoit - il pas naturel de penfer qu'a la  AMERICA VN. O9 moindre crainte (fondée ou non) de quelque atteinte a cette précieufe libertè, ils prendroient ralarrne & fe porteroient aux dernieres extrémités pour s'y oppofer. C'eft donc par un principe louable qu'ils ont mieux aimé fe priver de tous les articles de luxe, de convenance ou de commodité, que la métropole leur fourniffoit auparavant, pour fe borner uniquement aux plus urgens. Ces principes fe fortifierent par la pratique» & ces privations qui dans le commencement devoient leur être pénibles, leur dcvinrent par 1'habitude fi familieres , qu'ils n'y firent plus attention. Le peuple de la Nouvelle-Angleterre doit cette indépendance d'individus, dans laquelle confifte! vraiment 1'effence de la libertè civile, fequienelt' la meilleure proteètion, k une loi particuliere d'nérédité qui veut que les poifeffions d'un pere foient réparties également entre tous fes enfans, afin de les tenir par lk dans une heureufe médiocrité, & les obligcr k tourner leurs penfées du cöté de l'induftrie pour éviter la mifere; loi fage qui en leur ótant & la tentation & les moyens dc fe procurer les objets dc luxe, les garantit de Ia néceffité de fe laiffer dépouiller de leur libertè. Comme ce peuple n'avoit point encore pris un goüt affez vif pour le luxe, pour hazarder, encore moins échanger contre quelques commodités que ce foit, les avantages ineltimables dont ils jouiffoient, rien au monde n'étoit plus abfurdc que de s'imaginer qu'ils facrifieroient leur indépendance k des befoins purement fadtices. J'ai dit précédemment que 1'agriculture ne peutêtre poulTée trop loin. paree que les confommaF 5 lauft ut* ut elle dz 'indépe:i'ance.  go LE SPECTATEÜR Avantage de. 1'agri tulture. Cemmerci &indajlri teurs augmentent régulierement en proportion des objets néceffaires k leur fubfifiance; & quand on a un fuperfiu de denrées , on eft toujours afluré d'en trouver une vente facile au dehors. La Nouvelle-Angleterre a mis ces maximes en ufage & fa profpérité eft montée au plus haut degré. Les défrichemens s'y font avec fagefle & toujours fous 1'infpeétion des loix qui font immuables a cet égard. Dès que foixante families offrent de batir une églife, d'entretenir un pafteur, un maitre d'ecolc, 1'afTemblée générale leur affigne un emplacement & leur donne le droit d'avoir deux repréfentans dans le corps légifiatif de la colonie. Le diftricr, qu'on leur affigne eft toujours limitrophe des terres déjk défrichées & contient ordinairement fix milles quarrés d'Angleterre. C'eft ainfi qué s'aggrandit la Nouvelle-Angleterre : fa population, fuivant un tableau publié par le congrès, fe monte k plusdehuit-cents milles ames. Plus on y défriche de terres, & 1'on y exploite de bois, plus l'air qu'on y refpire eft pur & fain. Cependant, comme 1'abondance des récoltes n'a pas rempli les vceux des colons, ïls ont dirigé leur induftrie vers d'autres objets. lis conftruifent des navires pour les navigateurs étrangers"-, ils ont des fabriques confidérables dc chapeaux, de toiles de lin & de chanvre, de draps communs &c. A ces manufa&ures qu'on peut appeler nationales , les habitans de cette province ajoutent des fabriques d'une eau de vie faite avec la mélaffe qu'ils vont chercher aux Indes occidentales. Ils vendent des quantitès prodigicufes de cette liqueur aux fauvages voifins, aux pêcheurs de morue, k toutes les colonies fep-  AMER.ICAIN. 91 tentrionales: ils la portent même jufqu'aux cótes de 1'Afrique, oü 1'on voit jufqu'a quatre-vingtdix de leurs vaiffeaux pour la traite des Negres. Ces 90 navires apportent ordinairenient 9900 negres qui k 35 liv. par tête rapportent une fomme de 346,500 liv. fterl. La conftrudtion des navires eft confidérable dans cette vafte contrée. On les envoie aux Antilles, k Surinam , k Demerary, chargés de toutes fortes de provifions qui y font vendues en retour du produit de ces ifles, qu'ils portent enfuite en Europe, oü ils vendent vaisfeaux & cargaifons, & expediënt de la des toiles k voile & autres articles pour achever 1'équipement d'autres navires déjk fur les chantiers. De cette fagon ils s'approprient une partie des denrées'de 1'Amérique, foit méridionale, foit feptentrionale, & les échanges de ces.deux régions fi néceffaires 1'une a 1'autre paflent par leurs mains. Le cacao, le café , le coton font encore des articles dont ils tirent des partisavantageux. Mais de toutes les reffources de cette colonie, la pêche eft la plus effentielle: le nombre prodigieux de bateaux qu'elle y employé en eft une preuve convainquante. La pêche du maquerau occupé annnellement durant le printems & 1'automne environ 1500 bateaux & 3000 hommes; celle dc la morue 500 batimens de 50 tonneaux avec aoco hommes d'équipage. La pêche de la morue eft au moins de deux eens cinquante mille quintaux. Avant 17Ó3 la Nouvelle -Angleterre faifoit la pêche de la baleinc en mars, avril & mai, dans le golfe de la Floride; en juin, juillet & aoüt, a 1'eft du grand banc de Terre-Neuve; elle n'y  9* LE SPECTATËUR Produc' tions. envoyoit alors que 120 chaloupes de 70 tonneaux chacuDe, & montées par 1600 hommes; mais en en 1767 cette pêche occupoit déjk 7290 matelots. Sous 1'empire de la libertè, fous les aufpices d'un fage gouvernement, avec les fecours d'une population qui augmente chaque jour, cette pêche tecevra un accrciffement qui ne peut manquer de devenir confidérable. A ces objets de commerce il faut ajouter fes autres produdtions telles que la poix, le goudron, la térébenthine, les chandelles de fpjrmaceti, le tabac, les huiles de poiffon, la baleine, le fuif, le cidre, les flaitons, le maïs, les porcs & les bceufs, la potaffe, leslégumes, les matures-pour les navires marchands & pour les vaiffeaux de guerre, ainfi que des bois de toute efpece. Nous avons vu que les exportations réunies de cette colonie fe montoient en 1769 a quatorze millions de livres tournois, mais elle recevoit annuellement plus qu'elle ne donnoit, puifqu'elle a dü conftamment k fa métropole environ vingt-cinq millions. Sans doute que le bas prix mis k fes produdtions ,&leprix immodéré des marchandifes importées par la Grande Bretagne contribuoient h 1'arriérer: mais affranchi de cette fujétion & de ce monopole, les habitans de la Nouvelle-Angleterre fauront apprécier & tirer parti de tous les obiets relatifs k leur commerce & k leur confommatiun.  AMERICAIN. 93 ETATS-UNIS. Les deux plus grandes époques de 1'Amérique & les deux plus étonnantes du globe font, fans doute, la découverte du Nouveau • Monde & la révolution aciuelle. La première époque lui donna des fers; la feconde les brife en grande partie. L'une eft produite par la foif de Por, 1'autre par Pamour de la libertè. La libertè! Quel eft donc cet attrait irréfiftible, ce charme entrainant, ce pouvoir indicible qui brave tous les obftacles & produit un changement fi fubit dans Pétac phyfique & moral du peuple qui eneftanimé? Eft-ce le fentimen: intime de la propre fureté, le defir preffant de jouir de for- même qui le fait naitre? Fait-il partie d'un fentiment plus noble, la gloire de rendre fes concitoyens heureux ? Eft-ce elle qui arme le bras du premier qui ofe en parler. Libertè! Exifte-t-elle réellement. fur la terre, dans toutes fes acceptions, fa pure-^ té ? En connoit-on bien les limites, les droits & 'esdevoirs? Quelle eft la région, le peuple, la république oü les droits de la libertè aient été pleinement refpeclés? Je n'en connois pas. C'eft envainqu'on nous cite lesGrecs & les Romains; la libertè ne fut chez eux comme partout qu'un mot vuide de fens , qu'un defpotifme réel auqucl le peuple romain fe foumettoit volontairement; il obéiffoit a la libertè & fe croyoit libre. Les tribuns qui foutenoient les droits du peuple contre les mfradtions des confuls n'étoient eux-mêmes \t\ libtrtè fans fon mi fens.  94 LE SPECTATE U^R que des defpotes qui commandoient au peuple, & le peuple obéilToit paree qu'il croyoit n'obéir qu'aux loix: obéir au fénat ou obéir a un roi, eft également contraire k la libertè. On peut expulfer un roi defpote, mais on ne chasfeia pas un fénat defpotique. Le citoyen dans Rome n'étoit pas plus heureux & plus libre fous fes confuls que fous fes rois ; mais 1'habitude de regarder la royauté comme un tifre incompatible avec la libertè , accéléra la révolution fans changcr 1'état primitif du citoyen de Rome. Ces mêmes Grecs & Romains que 1'on cite pour exemple , dont on nous vante tant la libertè, n'en profanoient-ils pas le nom facré en fe faifant un luxe, une gloire d'avoir k leur fuite un grand nombre d'efclaves? Eft-ce dont refpecter la libertè que de donner des fers k d'autres ? Et ces temples élevés k cette déeffe, n'augmentoient-ils pas l'infanne des efclaves en devenant un attentat horrible k la dignité de 1'homme. Un peuple peut être indépendant, s'il n'obéit point k une puisfance étrangere: mais il ne fauroit être libre, s'il a des loix. L'état feul du fauvage eft un état libre; les autres ne le feront jamais, paree qu'ils font civilifés. Quant aux Etats-Unis indépendans , ils ne font libres que du joug de la Grande-Bretagne , & dépendent de leur conftitution k laquelle ils ne fauroient renonce r fans s'anéantir entierement. 11 leur refte une grande üche, qui demandc du tems, de la fagellè & de 1'unanimité ; c'eft de faire des Treize-Etats-Unis une feule & même république, c'eft- k-dire que  A M E R I C A I N. 95 la légillation foit une dans toute fon étendue. Cette unanimité dans la loi eft effentielle , indispenfable même pour fe garantir des divifions & de Pefprit de parti. II eft moralement ivnpoffible que fans elle il fubfifte une harmonie permanente entre ces provinces. Le congrès eft trop éclairé, defire trop le bonheur de la nation, eft trop jaloux de fa gloire pour ne pas travailler k perfectionner ce qu'il a fi courageufement entrepris. Un feul cöde, un feul but, le bien public, tels font les moyens qui rendront 1'empire des EtatsUnis refpedtable aux nations, redoutatfle i\ fes ennemis, & a jamais floriffant.  96 LE SPECTATEUR CIIAPITRE X. Nouvelle-Hampshire. safitua- L/a Nouvelle-Hampshire s'étend depuis la baie non. ' de MaiTachufet jufqu'au fleuve St. Laurent. La ville de Pcrtsmouth en eft la capitale, elle eft fous la latitude feptentrionale de 43*7' & par les 307° 30/ de longitude. Toutes les expèditions de cet Etat fe font dans ce port qui eft fitué dans le havre de Piftataqua foixante milles au nord de j to;csBofton. La population de cet Etat s'éleve k ° ' cent cinquante mille habitans. Ses productions & fon commerce étant les mêmes que celles que nous venons de détailier dans ile chapitre précédent, nous n'en ferons pas 1'énumération. La proximité de MaiTachufet, le plus confidérable des étacs de la Nouvelle-Angleterre, fera toujours un obftacle k 1'extenfion du commerce de la Nouvelle Hampshire; mais il eft k préfumer qu"k mefure que la population de celle-ci augmentera, le défrichement, la culture des terres augmcnteront aufli fes produdtions , & que d'un plus c^^grand notibre de befoins, naitra un commerce plus confidérable avec les ports les plusfréquentés de 1'Amérique : d'un autre cöté , en fuppofant que fes importations & fes exportations fe bor- nent  AMERICAIN. 91 nent feulement aux ports voifins de la NouvelleAngleterre , 1'excédent des échanges n'en fera pas moins un avantage évident pour la balance du commerce de la Nouvelle-Hampshire. Cette confidération eft applicable a tous les diftnéts des Etats-Unis qui feront dans l&même cas que celui-ci. Dans le comté d'Enfield ,qui dépend de la Nouvelle - Hampshire , on compte cinq bourgades, York, Falmouth , Storborough, Walls& Kittery. Celle d'York donne fon nom a un comté qui fait une petite partie de celui de Main, comme celui de Cornouailles en fait une delaNouvelle-Hampshire. Au refte, ce qu'on nomme icibourgade, eft quelquefois qualifié du nom de ville, paree qu'on s'y eft muni de quelques fortifications contre les furprifes des fauvages, qui, fans cette précaution, pourroient infeiter le pays en vingtquatre heures. La fertilité des terres de la Nouvelle-Hampshire n'approche point de celle qui diftingue les terres fituées fur les cótes, cependant elles font arrofées par la grande riviere de Connedlicut fur les bords de laquelle toutes fes bourgades font fituées. Avant de quitter la Nouvelle-Hampshire il ne faut pas oublier la ville de Charles-Town, dans la comté de Middlefcx. Située fur la riviere de Charles, elle eft auffi bienbatie, plus peuplée & beaucoup plus marchande que celle de Cambridge , dans la même contrée; elle occupe tout 1'efpace qui eft entre la riviere Mis • tick & celle dc Charles qui la fépare de Bofton, dont elle dépend. Elle communiqué a cette capi- ƒƒ. Part. G cn/iR. LES- Totm.  CAMÊRtOGi Sc fi'uatien. REA- Dim- Ï1JTE1 'J.ON. (i) Voyez le Ch. XI. ci.aprcs p. 107, 9f? LE SPECTATEUR tale par un bac fi commode qull tient lieu da meilleur pont, cxcepté pendant 1'hiver oül'abondance des glacés ne laiffe aucun paffage pour la navigation, Les habitans tirent leur fubfiftance du commerce qu'ils font en poiffons & falaifons. Cette ville a furtout deux grandes & belles rues qui aboutiffent au bord des deux rivieres fit dont 1'afpect eft intéreffant. Sa latitude eli de 42'. 10/ nord, & fa longitude occidentale de 71A 15, (méridien de Londres.) , La ville de Cambridge du comté de Middeleiïex eft fituée a fept milles nord-oueft de Eofion; fon premier nom étoit New- Town, c'eft - a - dire, Ville ■ Neuvc. Elle prit celui dc Cambridge en devenant le fiege d'une univerfité ou d'un célebre college. Cet établiflement dont Cambridge tire fon importance , fait honneur a la fagefle des Boftoniens (i> Cette ville eft fous la latitude de 421. 5 min. & par 12 min. de longitude occidentale, (même méridien.) Reading eft une petite ville affez peuplée mais fort mal batie, quoique dans une fituation commode fur le bord d'un grand lac. On y voit deux moulins, 1'un a bied, 1'autre a fcier des planches, articles affez confidérables d'exportauons. ..Waterton eft renommé pour les foires quj ' s'y tiennent au mois de juin & de feptembre.  AMERICAIN. 0 Ce comté n'a point de grandes rivieres, mais le nombre des petitcs en eft fi grand, querépcndant de toutes parts la fraicheur, elles en font un des plus agréables & des plus fertiles cantons de la Nouvelle-Angleterre. f* 5  tol LE SPECTATEUR. CHAPITRE XI. Sa fituation. Son ètin» due. Sa population» Ses pro* dudions. (i) Les draps font ferrés & bien tiflus, mais dnrs & grolfiers; les chapeaux ont également peu réuffi; ils fo,nt épais, fpongieux & fans confiftance. Massachuset. Tt n'eft dans 1'Amérique feptentrionale aucuri état auffi confidérable, auffi floriffant que celui de MaiTachufet. 11 eft borné au nord par la Nouvelle-Hampshire , k 1'eft & au fud par 1'océan atlantique & le Conne&icut, & k 1'oueft par la Nouvelle-York. Sa longueur eft de 112 milles & fa largeur de 33. Sa population monte k 900 milles ames. Le bied d'Inde, les moutons, les boeufs, les cochons, les poiffons, le iin,, le chanvre , les bois de conftruction font fes producTions les plus confidérables. Ses manufaftures principales font celles de toiles , de draps de laine, de cuirs & de chapeaux (1). La quantité de bois & d'autres matieres propres a la conftruftion mettent cet état dans le cas de batir un grand nombre de navires. Un objet non moins précieux , font fes mines de fer qui 1'emporte fur tous ceux du monde par fa qualité dudtile & malléable; on en  AMERICAIN. ioi va augmenter 1'exploitation ainfi que de celles de cuivre. Tous ces articles fervent k fes échanges dans les Ifles k fucre oü les habitans vont acheter la rnélaffe pour leur fabrique d'eau de vie qui eft confidérable. Jufqu'a préfent MaiTachufet eft de tous les états américains celui dont le commerce ale plus d'étendue. C'eft k Bofton qu'eft le rendez vous général , c'eft la oü 1'on voit entrer & fortir continuellenaent des navires chargés des productions des deux mondes Avant la guerre, le commerce des Boftoniens étoit "déjk trés étendu : ils fournisfoient k la Grande - Bretagne des mits & des vcrgues pour fa marine royale; ils construifoient par commifiion, ou pour leur compte, un grand nombre de navires marchands, renommés par la fupériorité de leur marche. Leur principal objet de commerce étoit la morue qu'ils pêchoient fur leurs cóte; & particulierement dkns la baie de MaiTachufet. Cette pêche alloit k plus de cinquante mille quintaux, qu'ils exportoient dans les autres provinces de la Nouvelle-Angleterre, jufqu'cn Efpagne, en Italië & dans la méditerranée : celle de la moindre qualité étoit deftinée pour les negres des ifles. Bofton, la plus confidérable ville de 1'Amérique feptentrionale eft agréablement fituée dans une péninfule de quatre milles de long, au fondde la belle baie de Maflachufet qui s'enfoncc environ huit milles dans les terres. L'entrée de cette baie eft défendue contre 1'impétuofité des vagues par quantité de rochers qui s'élevent aa delfus de l'eau, & par une douzaine de petites, ifles, la pluparthabitées,qu'onnomrns Brewsters, O 3 Son com. mercet BOSTON ?j filua. ion.  icft LE SPECTATEUR Ses fortipceüons. (i) Dans les Etats américains tous les habitans depuis i'age dc feize ans jufqu'a celui de foixante font enrolés & compofent la milice: mais il y en a plufieurs qui, i raifon de leurs occupations, ou de leurs emplois , font difpenfés de fwivre les exercices qui fe font ï certains jours marqués: & cette diftin&ion a ionné lieu a établir deux controles différens , Van nommé Train-band, Bande prête a marcher, compie id feulement ceux q*)i font tcnus a tous les exercices, cfc a marcher au premier coup de tambour : 1'autre nommé Alarm List, Lifte d'alarme, comprend Ia totalité des habitans enrólés, parceque (aans le cas d'alarme, tout le monde doit marcher. La totalité de fa eompagnie a droit de fuftrage pour i'électien de» offi. «iers. Ces dïgues, remparts naturels, ne laiffent une libre entrée qu'a trois vaifféaux de front. Sur ce canal unique & très-étroit fut élevé a la fin du fiecle dernier, dans 1'ifle du Chlteau, une citadelle réguliere fous le nom de Fort-Guillaume. Elle a cent canons du plus gros calibre & trcsbien difpnfés. A une lieue en avangant eft un fanal fort élevé, furmonté d'un baril de goudron, prêt k être allumé en cas d'attaque,& dont les lïgnaux peuvent être appergus de la fortereffe qui les répete pour la cóte, tandis que Bofton a les fiens qui répandcnt en même tems 1'alarme dans 1'intérieur des terres voifines. Hors les momcns d'une brume épaiffe, dont quelques vaifféaux pourroient profker pour fe glifier dans les Ifles, la ville a toujours cinq ou fix heures pour fe préparer a recevoir 1'enncmi: en attendant elle peut en vingt- quatre heures raflèmbler quarante mille hommes en état de porter les armes (i)- Quand  A M E R I C A I N. 103 même unefiote pafferoit impunément fous 1'artillerie du chateau, elle trouveroit au nord & au fud de la place, deux batteries qui, commendant toute la baie, 1'arrêteroient k coup fur, & donneroient le tems k tous les batimens de fe mettre k couvert du canon dans la riviere de Charles. La rade de Bolton elt affez vafte pour que fix eens voiles y puiffent mouiller furement & commodément. On y a contlruit un magnifique mole, au nord, k prés de deux mille pieds dans la mer, affez large & affez avancé pour que les navires, fans le fecours de la moindre allege, décharuent dans les magafins qu'on a batis au nord. C'eit a 1'extrémité de ce mole qu'on a élevé la ville de Bolton, le terrein en eft inégal & en forme de cfoisfant au tour du port. Bofton n'eft qu'a trois lieues fud de Ncw-Cambridge. Cette ville fut fondée par une partie dc la colonie de CharlesTown. Elle eft fous le 42'J deg. 25' de latitude & par les 3070 3' de longitude. L'air y elt fain, & fi peu variable, qu'on y jouit fouvent du: témps le plus pur bz le plus ferein pendant deux ou trois mois confécutifs. Les étés y font plus courts & plus chauds que les nótres, les hivers plus longs & plus froids. Le foleil feleve k Boft011 dans le cours du mois de juin, k quatre heures vingt fix miniites, & fe couche trente fix minutes après fept heures. Le treizieme jour de décembre qui eit lc plus court de l'année, il fe leve k fept heures trente-cinq minutes, & fe couche vingtfept minutes après quatre heures. En arrivant a Bolton l'ceil elt enchanté de voir une magnifique perfpective de maifons en amphithéatre fe prolonger en demi-cerclc dans 1'cfpace de plus d'une G 4 ia temptature*  104 LE SPECTATEUR demi-lieue. L'intérieur de la ville répond k 1'idée qu'on s'en forme d'abord. Cette maniliquë jetée communiqué k angle droit a la rue principale de la ville qui, large & fpacieufe, fe courbe dans le fens de la rade: cette rue eft garnie de belles maifons élevées la plupart de deux k trois étages; les Européens accoutumésk 1'architeéture de leur hémifphere, ne peuvent qu'être étonnés en arrivant en Amérique de voir Ia forme des mailöns ; elles font entierement de bois , mais régulieres & bien percées. Rien n'eft plus lefte que leur ftructure ; la charpente extrêmement, bien liée, eft recouverte en dehors par des planches très-minces & bien polies, fuperpoféés k la maniere des tuiles de nos toits: une couleur ordinairemcnt grife fert k cacher les jointures, ce qui donne k 1'enfemble un agrément de plus. Une baluftrade regne tout autour du toit, fans doute k caufe des incendies: ces édifices pofent fur un mur d'environ un pied de haut qui leur fert de fondement; une tclle conftrucTion ne peut que contribuer k rendre les appartemens plus fains» & k cet égard ils 1'emportent fur les nótres. Un Américain m'a affuré que toutes les parties en ibnt tellement liécs, leur poids fi peu confidérable relativement k leur maffe, qu'il eft facile de les changer de place & de les tranfporter k un demi-quart de lieue. Cette opération me paroit cépendant fufceptible d'un grand inconvénient &" même d'un tres-grand danger, furtout au moment du déplacement & du replacement, le plus petit défaut d'équilibrefuffifantpour rendre vaines les plus fages précautions. La principale rue de la ville, qui vient jufqu'a 1'extremité du mole,  AMERICAIN. 105 oiïrc cn face k 1'autre bout, 1'hótel -de- ville , grand & bel édifice oü 1'on a réuni la bourfe marchandc , la chambre du confeil, celle de 1'afiemblée générale,& toutes les cours dejuftice. La bourfe eft environnée de libraires, qui s'enrichiffent de leur commerce. On compte dans Bolton jufqu'a cinq imprimeries, dans 1'une desquelles s'imprime une gazette, qui paroit deus fois la femaine. Les preffes font continuellement occupées. Les rues de Bolton font larges, 1'or compare le pavé k celui de Londres, c'eft-k-dire qu'il eft très-mauvais. Auffi eft-il defendu fous peine d'amende d'y faire galoper des chevaux. Bolton, ville fi heureureufement fituée pour le commerce. rcnferme en fon enceinte au-delk de quarante mille habitans de diverfes fedtes. Ses édifice s pu blies & particuliers font magnifiques & paroiffen être plutót 1'ouvrage d'un ancien peuple illuftr< par le commerce & les arts, que celui d'un éta naiffant. Le logement, les meubles , les vête mens, la nourriture, la converfation, les moeurs les ulages, tout y reffemble fi fort k la vie qu'oj mene k Londres, qu'il feroit difficile d'y trouve d'autre différence que celle que préfente toujour la population exceffive des grandes capltales. Le Dames k Bolton commencent k adopter le luxe & les modes frangoifes; fi elles n'ont pas encore au tant d'agrément & d'aifance dans leur parure qu ces dernieres, elles ont en retour plus de nobles fe dans leur extérieur. Le luxe & le goüt de ajuftemens font ordinairement les avant-coureur de la légereté & de la frivolité, dont les fuite influent fi fort fur le caractere moral d'un peuple & tendent k altérer chez lui la pureté des mcEurs G 5 Sis édlfifts pul/lies » | 5 s 5 » I  ÏOt> LE SPECTATEUR ] < 'évantas:s d'un édueatinu cul- ' tb ie. ] ] i cependant les progrès du luxe n'ont point encore produit cet effet ; on y obferve le dimanche dans le plus grand recucillement & avec la plus grande rigueur. Dans ce jour confacré a la priere, les rues font défertes ainfi que les promenades ; bien loin de penfer aux affaires on s'abftient des récréations même les plus innocentes. Bofton contient dix églifes, dont les noms marqucnt la variété des fecTes: telles font 1'églife mglicane, 1'églife frangoife, 1'églife anabaptifte, 1'églife quaker &c. Ce mélange ne nuit point lux douceurs de la fociété. Pour 1'avantage du commerce de Bofton il s'y :ient un marché tous les jeudi, & deuxfoires par in, 1'une le premier mercredi de mai, 1'autre le jremicr mercredi d'odtobre;cbacune de ccsfoires lure trois jours. Rien n'eft plus propre a maintenir fur la terre e bonheur dont les hommes font fufceptibles que es fruics d'une bonne éducation. Sans elle, tous es dons de la nature perdent de leur agrément & le leur beauté: bien plus, ils deviennent fans :e puiffant fecours, les premiers inftrumens dc ios infortunes ou de notre ignominie. Que feoient les graces fans cette décence, cette puleur qui les rendent fi intéreffantes ? Que feoit 1'efprit s'il n'étoit fubordonné, dirigé par 5s principes de la faine raifon, qui n'eft elle^ lême que le fruit de 1'éducation ? Que feroit 3 courage, s'il n'éroit dirigé par la prudence ? )ue feroient les viétoires, fi la clémence des ainqueurs ne les rendoit plus brillantes ? Sans 'éducation, aurions-nous des femmes vertueu»s, des grands hommes, des hommes de bien,  AMERICA IN. 10? des hommes aimables, des héros? Sans Péducation nous ferions privés de ces jouiflanccs, & nos lociétés ne feroient que des hordes dc fauvages; que dis je! elles n'en auroient pas mème les vertus, paree que le dangcreux exemple dc la corruption des grandes villes, détruiroit dans la jeuneffe, abandonnéc fans frein k fes paffions, les germes de vertu que la nature imprime univerfellemcnr. dans le co?ur de tous les humains. Ce font ces germes heureux qu'il faut confcrver , cuitiver & faire croïtre, & 1'on n'y réuffira parfaitement qu'en formant la jeuneffe loin des cours & des grandes villes. Peres tendres, initituteurs honnêtes &bienfaifans,protedteurs généreux des peuples , fi votre propre félicité, vocre propre gloire vous font vraiment cheres; fi vous êtes lesamis de 1'humanité, veillez fur les dépóts précieux que la nature vous confie, & n'offrez k la jeunefiè le fpedtacle dangereux & brillant des foeiétés & du grand monde, que lorfque leur cceur fera müri par 1'amour des vertus, par laraifon, & qu'il pourra réfilter aux dangers des paffions. C'elt fans doute , d'aprés ces principes que les Bofioniens fe font conduits, lorfqu'au lieu de placer leur univerfité k Bolton, ils l'ont fixée k Cambridge diftant de fept milles de la capitale: empreflés de faire mieux que nous, ils ont voulu joindre Pexemple au précepte, & pour donner des preuves encore plus convaincantes de leur tendreffe &deleur zele envers leurs jeunes éleves, ils ont été délicats jufque fur le choix de 1'emplacement. L'édifice qui fert d'afile k 1'univerfité, «ft fituée fur les bords de la riviere de Charles dans un lieu riant & fain. L'univerfité eft com- Univerftti  Maximes de J. J. Koufeaa. (i) 11 efl cependant de? peres qui, après s'être conftamment éfforcés, foit par leur bon exemple, foit p ir leurs tendret' confeils, d'inculquer dans leurs enfans les prin- toS LE SPECTATEUR pofée de quatre colleges, tout Pédifice eft construit de brique, fa forme eft réguliere & d'uné noble fimplicité La bibliotbeque contient déja' plus de cinq mille volumes, parmi lefqu^is on en; trouve de trés rares; l'ordre, la proprété & la diftribution font honneur a celui qui en a la direction. Son imprimeric mérite 1'attention des curieux; elle fut originairement conltruite pour un college indien. Les hommes inftruits qui font a la' tête de cette univerfité, font en correfpondance avec les hommes de lettres les plus diftingués de Pancien monde. Entr'autres favans Américains, on doit furtout remarquer M. Sewal, qui y profeffe les langues orientales avec fuccès & diftlnftion. Avec ces précautions, ces foins, de tels inftituteurs, la république ne peut qu'efpérer de voir augmenter rapidement le nombre des citoyens inftruits. Ecoutons notre Socrate moderne, dans fon Emile. „ Le développement interne de nos facultés & de nos organes, eft 1'éducation de la nature: 1'ufage qu'on nous apprend ï faire de ce développement, eft 1'éducation des hommes; & 1'acquit de notre propre expérience fur les objets qui nous affeétent, eft 1'éducation des chofes." II réfulte que c'eft de la maniere dont on nous apprend a faire ce développement que dépendent la maniere d'être, dc fentir _ de jouir & d'aprécier les moyens de fe ïendre heureux (t>  AMEIICAIN, iöc Dorchefter, la feconde ville de 1'état de Mas fachufet, eft fituée k I'embouchure de deux rivie cipes de la vertu ct la maniere d'en faire le développement , ont eu la douleur de voir tous leurs foins infruftueux. Que leur refte-t-il pour confolation ? leur propre confeience, le mérite d'avoir voulu bien faire, & d'être confolés par des amis honnêtes & vertueux. La Chine eft peut-être de tous les pays de 1'univers, celui quioffre le'moins ces exemples douloureux pour un bon pere, c'eft la que le refpeót filial s'obferve avec la plus grande exaftitude. Chez les Chinois il n'y a point de vertu fi néceffaire & fi fublime que 1'obéiiïance d'un fils, ni de crime fi énorme que la désobéiflance. L'ige, le rang, un mécontentemem jufte ou fuppofé ne peuvent difpenfer un fils du respeét, de Ia complaifance & de 1'affeaion qu'il doit ï fes parens. Ce fentiment eft pouffé fi loin parmi « peuple fage , que les loix accordent aux peres une autorité abfolue fur leur familie, & jufqu'au pouvoii de vendre leurs enfans aux étrangers, lorfqu'ils on a fe plaindre de leur conduite. Un pere qui accufi fon fils devant un mandarin, de lui avoir manqué d< refpeft , n'eft point obligé d'en apporter des preuves Le fils paffe néceffairement pour coupable, & l'accu, fation du pere eft toujours jufte. Au contraire, ui fils feroit regardé comme un monftre s'il fe plaignoi de fon pere. Cette auJace même lui coüteroit la vie ,, C'eft ie devoir d'un fils, difent les Chinois, d'obéi & de prendre patience: de qui fouffiira-t-il, s'il n peut peut rien fouffrir de fon pere ? " S'il arrivoit qu'un fils maltraitat fon pere, foit pa des paroles injurieufes, foit par des coups, ce qui el Kdücttion des Chinois i r t t .DOR' CUES. ■TEIL  BUUT. ffloyens faiiles (Ccxtirpa les vagehonds. Uo LÉSPECTATÈÜft res, fort prés de la cóte. Roxbury occupe 1< fond d'une baie qui a fort peu d'eau & qui n'offrc également rare & horrible, que dans un tranfport d« fureür il devlnt parricide, 1'alarme fe répandroit dans toute la province; Ia punition s'étendroit jufque fur fes parensj & les gouverneurs même courroient rifque d'être dépofés; paree qu'on fuppoferoit toujours qu'un miférable fils n'auroit pu parvenir que par degrés a ce comble d'horreur , & que ceux qui devoient veiller fur fa conduite, auroient prévenu le fcandale, s'ils l'eufient féverement puni dès fes premiers crimes; mais alors il n'y a point de chatiment t/op févers pour Ie coupable. II efl: coupé en mille pieces, fa maifon elt détruite, & 1'on éleve un monument pour éternifer I'horreur d'une fi déteftable aftion. On acoutumed'accorder indifFéremment aux voyageurs des pafleports pour aller librement d'un pays dans un autre, il feroit a foahaiter que le prince, le miniftre ou le magiftrat n'en accordat aux jeunes gens qu'autant qu'ils juftifieroient de leur bonne conduite par une atteftatiori duement iignée par leurs plus proches parens ou leurs fupérieurs, a défaut de quoi ils ne pourroient fortir de leur patrie. Les premiers pafleports s'appelleroient paffeports de conduite, les feconds palfeports d'Etat. Par cette précaution fi fimple on remédieroit promptement aux plus grands abus. Les enfans, s'ils avoient le goüt des voyages, foit pour leur agrément, foit pour acquérir des lumieres, auroient un doublé motif dc fe bien conduire. Les peres 6: les meres ne feroient plus expofés a voir des vagabons deshonorer i Ia fois chez 1'étranger , leur patrie & le nom qu'il» portent. Philofophes, mortlilles qui ecrivez tant fut  AMERICAIN. ilï pas la moindre retraite aux vaifféaux, mais le canton eft arrofé d'un grand nombre de fources, & la ville elt remarquable par une école ouverte a toutes les fecles. Braintry jouit du même avan-. tage; elle en réunit un autre non moins intéresfant, c'eft celui d'avoir vu naitre les Adams dont le nom fe trouve placé dans toutes les pieces qui ont rapport foit a 1'indépendance Américaine, foit aux négociations qui l'ont affermie. Weymouth eft la plus ancienne ville de cet état, mais' elle eft fort déchue de fa première fplendeur , quoique fon bac foit un paffage trés - fréquenté. MaiTachufet eft environnée de douze k quinze jolies bourgades, la beauté des vallées, le nombre des rivieres , la fertilité du fol, les fites' heureux l'ont fait nommer avec raifon le paradis de la Nouvelle-Angleterre. La ville de Salem eft fituée a dix-huit milles0 au nord de Bofton dans une plaine entre deux rivieres qui forment deux havres, dont Pun fe, nomme le havre d'été, & 1'autre le havre d'hiver. Les premiers colons de MaiTachufet s'établirent d'abord en cet endroit. Cette ville, célebre pour la conftruétion des navires, fait directement fon commerce avec les ifles k fucre; elle eft par ies 420. 25' de latitude feptentrionale & les 307". 15' de longitude occidentale (méridien de 1'Ifle i'éducation fi peu connue, fi peu approfondie, voila un nouveau fujet pour exercer votre génie & votre «Hiour pour rtnujianité. « Ü(in&m\ Rousseab, ÏRAIN* vt\r. VEI- mum, ALZM. >ts havrti.  Conduite courageu ft des hu habitans. Effet terrible de I fttperflitim» (t) On peut lire tous les détails de cette horrible fcene dans Raynal, tome IV. p. 237. Ed. in 40. 112 LE SPECTATEUR de Fer.) Ses habitans fediftinguerentfurtout dans ■ ie commencement des troubles & furent les premiers qui offrirent leurs fecours aux Boftoni'ens lorfque la cour de Londres fit fermer leur port: ce fut dans cette ville que les Anglois tranfporterent leurs bureaux d'adminiftration ; quelque haute idéé que les habitans de Salem euflent du courage de ceux de Bofton, ils publierent néanmoins que fi aucuns d'eux quittoit la ville pour venir s'établir a Salem , ils fermeroient leurs maifons & ne les regevroient point; qu'au furplus ils pouvoient compter fur tous les fecours qui feroient en leur pouvoir. On ne peut nommer cette petite ville fans fe rappeler les fgenes de défolation & de trouble qu'y cauferent anciennement 1'ignorance & la 2la fuperftition (1). Un pafteur fanatique croyant qu'une Indienne, qu'if avoit a fon fervice, avoit enforcelé fes deux filles, fujettes a des convulfions, fouleva la multitude contre tous les Indiens. Ces infortunés, foupgonnés du crime de forcellerie, devinrent 1'objet de la haine publique & furent en grande partie condamnés a mourir du dernier fuplice. Après cette horrible exécution,les efprits étant devenus plus tranquiles , le bandeau de Terreur tomba; ils virent qu'ils avoient trempé Jeurs mains dans un fang innocent, & a une aveu- gle  AMERICAIN. 113 gle fureur,fuccéderent une confternation affreufe & les regrets les plusaraers; on courut aux autels implorer la clémence du Tout-puiiTant, & le fouvenir de cette erreur a détruit pour jamais le danger dty retomber. Le Cap-Cod s'avance dans la mer comme un bras ;dont la main eft recourbée; il forme la baie de MaiTachufet a 1'cntréc de laquelle il eft, & la fépare de celle de Barnftable au nord de laquelle eft Mtie la ville de ce nom. Ce Cap tire fon nom de la pêche qu'on y fait. Cod en anglois, fignifie morue. Comme fon commerce , fes rapports & fes liaifons au dehors font peu connus, on penfe que fa proximité de Bofton en eft la feule caufe: c'eft ordinairement le fort de toutes les petites villes ou établiftemens qui avoifinent les capitales. La colonie de New-Piimouth dépendante de 1'état de MaiTachufet, s'étend jufqu'a cent milles le long des cótes depuis le Cap-Cod jufqu'a la partie nord, & a prés de cinquante milles de largeur ; elle fut appelée colonie de Plimouth, du nom de la première ville que le confeil en Devonshire fit tótir. La colonie eft fubdivifée en trois comtés, favoir: Briftol, Plimouth & Barnftable. La ville de Plimouth eft affez confidérable, on y compte environ quatre-cents families; elle fut le premier étabUffement des Anglois dans la Nouvelle-Angleterre: les maifons font régulieres & offrent un air de propreté qui plait; elle fe trouve par le+i0. ic/de latitude & a 3060. 35/ de longitude occidentale. II. Part* ïï  ri4 LE SPECTATEUR II nous refte a parlcr de la baie de Penobscot, autre dépendance dc Maffacbufet dans le diftridt de Sagadahoc; fon embouchure a vingt-un milles de largeur; la riviere de Penobscot, formée du courant de trois lacs, vient après un cours de cent trente milles former cette baie.  A.MERICAIN. 115 CHAPITRE XII. Rhode-Island, K^hode-Island ou 1'Ifle de Rhodc, le troifieme état en rang dans la Nouvelle-Angleterre, eft le plus petic des trois. Sa population elt de cinquantc - neuf mille fept-eens habitans. Cet etat, fitué fur le Mount-Hope, doit fes premiers habitans a un ancien établifiement de Providence. L'ifle qui lui donne fon nom eft dans ia baie de Narrhangufet •, elle fut longtems Pafile de ceux qui fouffroient de 1'efprit de perfécution , nommément de ceux qui furent chaffés de Bolton cn i630.{. Les habitans ont deux temples principaux, i'un pour les presbytériens, 1'autre pour les anglicans ou les épiscopaux. La fertilité du fol & la température du climat de l'ifle de Rhode l'ont fait nommer avec juftice le paradis de la Nouvelle-Angleterre. Bofton n'en eft éloigné que de foixante milles au fud; 1'hiver y eft moins fenfible; 1'océan 1'environne, & elle n'eft pas fi fujette aux vents de terre que les villes du continent. Son commerce d'importation & d'exportation eft confidérable en comparaifon de fon étendue: le beurre, le fromage, les bceufs, les chevaux, les porcs, les bois de conftruction & les vaifféaux font les articles que les habitans vent échanger H 2 Sa fKtfft SiitSm .re de fes produdtions les plus cflcntielles on doit  AMERICAIN. lf? furtout faire mention des mines dc plomb, dc fer & de cuivre qui contribucnt beaucoup a fa richeffe. Lorfquc les befoins de 1'agriculture ne feront plus un obftacle a rinduftrie des Américains, ils pourront s'occuper facilemcnr de 1'exploitation de leurs mines & en tirer de grands avantages. Le port & la ville de New-Haven font le rendcz-vous général du commerce. La ville ell fituée dans 1'enfoncement d'une baie dont le détroit fépare 1'Iflc-Longue du continent: elle étoil autrefois la capitale d'une colonie du même nom. mais elle fut réunie au ConnecTicut cn 1664, pai une charte de Charles II; cette ville eft fous li latitude de 41 degrés, 15 minutes, & fa longitude eft de 304 degrés, 40 minutes. Ainfi que dans 1'Etat de MaiTachufet, 1'éducation de la jeuneffe eft regardcc avec raifon dans le ConnecTicut comme un objet intéreflant & dc première néceflité. Le college de Yare-Hall,un des principaux édifices , eft un afile pour les jeunes étudians, qui y font en grand.nombre & affujettis a des régiemens très-fages. Parmi plufieurs villes de ce diftriét il ne faut pas oublier celle de Brehtford; les ouvrages en fei dont elle approvifionhe toute la contrée, la rendent une ville intérelTante: c'eft a cette occupation que la majeure partie de fes habitans confacrent leur induftrie. Bientöt 1'on verra les Américains porter cet art au même point de perfection que les Anglois. H 4 NEWILU'EVt. BKKNTFORT.  *ao LE SPECT ATEUR CHAPITRE XIV. ft naisJance. Sa ft nation. éLKANl nouvel le-Y o r k. Cette contrée, qui forme un état diftingué entre ceux qui compofent les treize républiques, fut découverte au commencement du fiecle dernier par Henry Hudfon , fameux navigateur anglois , qui étoit alors au fervice de la Hollande. Cette puiffance y fonda laNouvelle Beige ,qui ne prit le nom de Nouvelle-York qu'après que les Anglois en eurent une feconde fois pris pofièflion, & qu'elle leur fut afiurée par un traité de paix. Cet état, refferré a 1'eft par la Nouvelle - Angleterre , & borné a 1'oueft par la Nouvelle-Jerfey n'a que vingt mille d'efpace fur le bord de la mer, niais s'élargit infenfiblement & s'enfonce jufqu'a deux cents milles dans les terres, d'un cóté jufqu'au lac George ou Saint Sacrement, & de 1'autre jufqu'au lac Ontario. La riviere d'Hudfon qui fort des montagnes fituées entre ces deux lacs, ne porte que de foibles canots durant foixantecinq milles; encore cette navigation eft-elle interrompue par deux cafcades qui obligent a deux portages d'environ deux-cens toifes chacun; mais d'Albani, qui eft a cent cinquante milles de New-York, & oü 1'on compte environ trois-cents cinquante maifons, on voit voguer dans tous les tems, fans crainte d'aucun danger, a marée hau*  ' A M E R I C A 1 N. ra* te, des tótimens de quarante k cinquante tonneaux, ce qui entretient fur ce magnifique canal une navigation continuelle & une circulation rapide dans tout le pays. Suivant les derniers dénombremens, la population de cet état eft de deux eens cinquante mille habitans de diverfes nations, de diverfes fedtes. Le riches pelleteries qu'ils tirent des fauvages & lc furplus de celles de leurs propres chafles, font portées au marché géneral. Les exportations pour les Indes occidentales confiftent en pois , farine , feigle , bied , chanvre & lin , CO pommes, oignons , ais , planches . douves & autres bois , chevaux, moutons , ■bceufs, pores, beurre, fromagc , falaifons & huitres-, les retours font en rum, fucre & mélaffe. La Nouvelle-York eft k tous égards un des féjour les plus délicieux de 1'Amérique feptentrionale la falubrité du climat & la fertilité du fol y fon admirables. Outre fes productions indigene abondamment fufnfantes pour tous les befoins d la vie, toutes les produdtions de 1'Europe dor on y a fait des eflais y viennent parfaitement, t il en eft plufieurs qui, avec peu dc peine, y pai viennent a un degré de bonté infinimentau deflt de celui qu'elles ont en Europe après une cultui très-foignée & trés - difpendieufe. (i) On peut juger de 1'abondance de cette récofte*, puifqu'outre ce qu'elle envoie, eüe en met annnellement en oeuvre environ 2000 tonnes pour fon propre ufage. H5 Sa popai Luimt. > > Son cllntt t 3 t C s e  122: L-ESPECTATEUR tPKK. Quelque avantageux que puiflent être pour 13 Nouvelle - York, les diiférens articles dont je vicns de parler, ce ne font pas lesfeuls en quoi elle efl: fufceptible d'amélioration. La réuffite de plufieurs eflais fouvent répétés, a prouvé qu'elle abonde en inétaux précieux. Les quantités de fer & de cuivre qu'on a déja exploités forment des objets eflentiels de commerce: bien plus, il n'y a guere de doute qu'on ne découvre des métaux de plus grand prix, fi 1'on fait les chercher. Mais ce qui contribuera le plus efficacement k rendre fon commerce floriflant,ce feront les grains dont la bonté égale les meilleurs que 1'on connoifie en Europe. New - York, ville importante, défignée aujourd'hui fous lc même nom que la colonie entiere, fut batie par les Hollandois dans 1'ifle de Mahanatan qui n'a que quatorze milles de longueur & un mille dans fa plus grande largeur. La ville de New-York placée a deux milles de Pembouchure de la riviere d'Hudfon, n'a proprement niport, ni baflin: mais elle n'en a pas befoin; fa rade, ouverte dans toutes les faifons , acceflible aux plus grands vaifféaux , a 1'abri de tous les orages, doit lui fuffire. Cette ville eft fituée au 302% degré 40 min. de longitude & fous le 40e. degré 50 min. de latitude feptentrionale. Les rues dc New-York font régulieres, Pair de propreté qui y regne, préfente un afpeft intérelfant. La principale défenfe de la ville eft le Fort-Géorge, muni de deux batteries, qui regardent la mer; il eft en bon ordre & bien gardé. L'édifice le plus beau de New-York eft l'Hötel-de-Ville. Les maifons , comme celles  A M E K. 1 C A I N. ff» de Hollande, font en briques, & couvertes entuiles: fi Pélégance n'égale pas la comraodité, ce dernier point dédommage bien les habitans. L'aifance eft univerfelle; les vivres font abondans, d'excellente qualité & k bon marche'; la demiere claffe du peuple a une reflöurce affurée dans les huïtres dont la pêche feule occupe deux eens bateaux. On prétend que cette aifance univerfelle contribue k la moleffe & k 1'oifiveté dont on accufe les habitans, & qui ont fi fort influé fur les mceurs & fur la fociété en général. Mais fi j'en juge par les habitans que j'ai connus, par la maniere vigoureufe dont ils ont défendu leur libertè, par leur patience & leur courage a lupporter les maux de la guerre, par les foins 'qu'ils prennent de réparer les dommages que les déprédations des Anglois leur ont caufées, je dois croire qu'en les taxant de moleffe & d'oifiveté on leur fait réellement injuftice. Cette ville a befoin de quelques années de repos pour reprendre le degré de confidération & dc profpérité qu'elle avoit avant la révolution CO* (r) Suivant un arrêr. du iol de France que Ie cortfeil d'état a fait paroltre en juillet 1783 . 1'°" s'occu. pe d'étabür une navigation réguliere de paquebots entre le Port-Louis prés de 1'Orient & New-York; ils partiront tous les mardis de la troifieme femaine de chaque mots. Cette communication ne peut que favorifer le commerce de cette demiere ville & comribuer a fa profpérité.  ia,* LE SPECf ATEUR ISLELONGUl Sa fttuo' tion'r Sts pro. duShont. Commirci. L'Ifle - Longue, (Long-Ifland) appel ée quelquefois Ifle de Naffau, eft féparée du continent par un canal étroit. On lui donne cent vingt milles de long fur douze de large. Cette ifle a au nord la Nouvelle.York dont elle dépend, au nord-oueft le Conneéticut ; k 1'eft & au fud 1'océan. Elle eft divifée en trois comtés, Suflblck, Richmond & Queen's - County. Son commerce confifte en diverfes fourrures,en chevaux, bceufs, porcs, pois, froment & toute efpece de grains; fon fol eft propre k la culture de tous les fruits; le lin & le chanvre y croiflent aifément, ainfi que le tabac dont la qualité égale celle du Maryland. Comme les autres navigateurs , les habitans de l'Ifle-Longue vont dans les Indes occidentales échanger leurs denrées contre du rhum, du coton, du fucre & de 1'indigo. Ils ont également chez eux des fruits & des légumes en abondance & de la meilleure qualité Au millieu de l'Ifle on trouve la belle plaine de Salisbury qui a foixante milles de longueur fur quatre de large, & fur laquelle on ne voit pas une feule pierre qui en dérange le niveau. La latitude de l'Ifle - Longue eft par 40 degrés 32 minutes, & fa longitude & 3°4°. 59' (méridien de l'Ifle de Fer.)  AMERICAI N. CHAPITRE XV, N OUVELLE-J EU BEI. La Nouvelle-Jerfey, qui porta d'abord le nom de Nouvelle-Suede, eft dans le voifinage de la Nouvelle-York. Cet état a environ cent vingt milles d'étendue du nord au fud, & cent de largeur 'de 1'eft k 1'oueft. Avant la guerre de 1'indépendance fa population ne s'élevoit qu'a feize mille habitans; c'étoit bien peu en comparaifon d'un territoire auffi vafte. Mais depuis elle s'eft accrue au point qu'on porte aftuellement le nombre des habitans k cent trente mille. C'eft fans doute le furplus d'une trop grande émigration d'Européens, qui pour 1'ordinaire cherchent k fe fixer de préférence dans les grandes villes, & qu' ne trouvant point ou dc terres fuffifantes k défricher aux environs, ou la conceffion k un pris trop haut, fe déterminent k porter leurs vues fui un pays moins confidérable. Les adminiftrateurs de 1'état des Jerfeys font trop intérefles k aug menter la profpérité de leur pays pour ne pai attirer les étrangers par la modicité du prix dei terres fur un fol auffi fertile que celui-lk. Li Nouvelle-Jerfey n'eft point, comme le ConnecTi cut, hériffée de monticules rapprochés, qui re tardent la marche des voyageurs, bornent la vu< & font difparoitre cet enfemble que Ton aim Sou tten* hit, Populatiti i Beauté dt fon fol.  PR1NCI TUfTN, rilïienci actuclle d congres. Inftrumen curieux i mécaniqui C 11 A- -128 LE SPECTATEUR PAncien - Monde, & ne feroit guere plus connu dans le nouveau, fi cette colonie ne faifoit partie de celles qui font défignées fous le nom des Treize Etats-Unis. La Nouvelle-Jerfey n'a donc pas autant de célébrité que la plupart des autres états de la confédération; mais fes habitans n'en font pas moins heureux, & peut - être ne gagneroient - ils pas k fortir de leur paifible obfcurké. • La ville de Prince-Town eft peu confidérable; mais elle fera toujours célebre & par Ie féjour par les exploits guerriers des troupes américaines aux environs , fous la conduite du brave Washington. La fituation de cette ville eft pitorefque: on y voit quelques belles maifons; Pon y remarque furtout un college bati en brique comme tous les édifices publics; il a plufieurs étages, vingt-cinq croifées de front, & des falies très-bien diftribuées, dans une defquelles on admire 'deux chef - d'ocuvres de mécanifme ; le premier préfente le mouvement des corps céleftes mis en aétion d'après le fyftême de Newton; 1'autre eft la même opération du précédent, mais fuivant le fyftême de Copernic: la gloire de ces deux globes appartient k un Américain qui cultive les fciences & réfide actuellement k Philadelphie. En parlant de fes talens je fuis au regret de ne pou* voir le nommer.  AMERIC AIN. 129 'CHAPITRE XVI. Delaware. I_/é t at que 1'on connoit fous cette dénomination eft compofé de trois comtés ; favoir NewCaftle, Kent & Suffex,. toutes les trois fituées fur la belle riviere de la Delaware, qui donne Ion nom a toute la colonie. La ville de New-Caftlc{ qu'elle baigne da fes eaux; eft a trente milles fud-eft de Philadelphie; fes maifons au nombre de cinq a fix cents, font trés - bien baües; fon heureufe pofition ne peut, avec le tems, que produire une augmentation de commerce & de population. Moyennant de Pémuiation & une bonne harmonie avec fes'voiiins , cette ville efc füre de profpérer. , ii cn eft de même des villes de Kent & de Suitex: cette derniere , fituée comme les autres fur la rive de la Delaware, eft habitée par des colons dont les plantages font k des diftances inéga'les, paree que le choix n'a été décidé & fixé que par la volonté immédiate & arbitraire dès difierens habitans qui vcnöient fuceeffivement pcupler cette colonie. Le fol y eft bon, le ciel pur & les faifons bien reglées. Ces trois comtés faifoient autrefois partie de fétat de Penfvlvanie: mais a la révolution elles s'en font fèparées pour faire un état a part. Cependant // Fsrt. VFJF-  130 LE SP ECTATEUR Rh'isrt de la DEI./! WARE. 7RENTON.Sa fiiuation. fommcrcc leur gouvernement fe conduit fur les mêmes principes. La Delaware, après avoir féparé dans fon cours la Penfylvanie de la Nouvelle-Jerfey , va fe perdre dans 1'océan atlantique encre les Cap - May & Henlopen, oü elle forme une large baie. Cette riviere eft navigable pendant plus de deux cents milles; mais au deflbus de Briftol , il y a une chutc d'cau confidérable qui rend la navigation impracicable dans la partie nord du comté de Brucks, une des onze comtés de la Penfylvanie. Tous les articles néceflaires k 1'état de la Delaware lui viennent de Philadelphie. Nous manquerions ie but que nous nous fommes propofé dans cet ouvrage, abfolument conftcré a tout ce qui peut faire connoitre la république des Etats-Unis, fi nous ne faifions mention de la ville deTrenton. Quel- eft 1'Américain, quel eft 1'étranger ami de ce pays, qui puifle voyager fur ces rives fans aller lui rendre hommage? La ville de Trcnton joint k une fituation heureufe, 1'agrément d'un airextrêmement falubre; elle eft k vingt-huit milles de Philadelphie fur les bords de la Dèlaware. C'eft k cette pofition qu'elle eft redevable de fon commerce, dont la majèure partie confifte en comeftibles qu'elle vend avec avantage. La nature paroit avoir expres creufé le lit de la Delaware dans cet endroit pour faciliter la navigation des habitans de Trenton, car k peu de diftance de lk cette riviere eft fi peu profonde que les voitures peuvent y pafier lors fes marées baflès. L'afpedt riant des rives de la  AMERIC AIN. 131 Loire n'a rien qui foit préférable a celui que préfentent les bords de la Delaware; 1'ceil ne fe laffe point de 1'admirer, & toujours il eft re'crée par la diverfité des fites heureux qui 1'embelliffenr. Les terres y font d'une fertilité peu commune, & le maïs, qui partout ailleurs appauvrit le fol, croit ici dans toute fa vigueur: on en voit dont la tige s'éleve k la hauteur de 7 k 3 pieds & plie fous le poids du fruit. Le général Washington en fe couvrant de gloire , a donné k cette ville une cclcbrité qu'elle conferveroit lors même qu'elle cefferoit d'être (1). (1) Voyez ce que nous avons dit fur cette journée mémorable dans le chapitre IV page 20. On ne fau» roit trap y revenir; on ne fauroit trop réfléchir quel auroit été Ie fort des Américains fans cette vi&oire. Déja le congrès avoit quitté Philadelphie pourfe retirer a Baltimcre dans le Maryland , déja 1'armée hritannique enveloppoit 1'armée Américaine ; 1'Amérique cons. ternée attendoit avec efFroi le moment qui devoit lui redonner des fers; Washington, que I'amour ótledieu de la patrie infpiroient , paroit , écarté la tempête, & rend la vie & la gloire a fes concitoyens. I 2 Zélehriti ie cetic 'ille.  132 LE SPECTATEUït CHAPITRE XVII. / TENN fandateut de cette êalonie. Pensylvanie. De toutes les fondations de colonies tant anciennes que modernes, il n'en eft aucune qui ait cu un concours plus heureux de circonftances, & qui porte un caradtere plus noble & plus intéreflant. Au feul nom de Penfylvanie , quel eft 1'homme qui ne fe fente pénétré de refipect pour celui de fon illuftre fondateur! Sa naiffance, fes vertus, fon courage, fes talens politiques, fon humanité, le motif qui le fit expatrier , tout enfin ce qui tient a ce grand homme eft connu & a été répété dans une infinité d'ouvrages oü tous les auteurs le repréfentent k 1'envi comme un des philofophes qui honorent le plus 1'humanité. Guillaume Penn partit d'Angleterre en 1681 pour aller fonder cette colonie. Le terrein qu'il choifit, eft gardé a 1'eft par 1'océan , au nord par la Nouvellc-York, & la Nouvelle-Jerfey, au fud par la Virginie & le Maryland, k 1'oueft par des terres occupées par les fauvages; de tous cótés par des amis, & dans fon fein par des habitans vertueux. Fafle le ciel qu'ils ne dégénerent pas, & que dans les defcendans on retrouve les vertus des ancêtres! Faflè le ciel que les peuples corrompus qui viendront commercer avec eux leur iaiflent en partant la gloire d'avoir réfiité au pen-  AMERICAIN. *33 criant féduifant, mais perfide, des paffions & des vices. Les cötes de la Penfylvanie font refferrécs & s'élargifTent infenfiblement jufqu'a cent vingt milles; fa profondeur, qui n'a d'autres limir.es que celles de fa population & de fa culture embraffe déjk cent quarante - cinq milles d'étcndue. La Penfylvanie propre eft partagée en onze comtés, Philadelphie, Bucks, Chefter, Lancaftre, York, Cumberland , Berks , Northampton , Bedfort , Northumberland & Weftmoreland. Comme 1'on n'a défriché qu'environ la fixieme partie du terrein, 1'opulencc & les reffources de 1'étataugmenteront k mefure que la culture fera des progrès. Quand les Européens aborderent dans cette contrée, il n'y virent d'abord que des bois de. conftru&ion & des mines de fer k exploiter. En; abattant, en défrichant, ils couvrirent, peu-apeu, les terres qu'ils avoient nétoyées, de nombreux troupeaux, d'arbres fruitiers , de plantations de lin & de chanvre, de légumes& de toutes fortes dc grains. Inftruits par une heureufe expérience combien leurs terres font fertiles, les colons fe font occupés furtout k perfeótionner la culture du froment & du bied d'Inde, dont ils font tous les ans une moiflbn abondante & lucrative. De tous cdtés on pouffa les défrichemens avec une vigueur 8c un fuccès qui étonnerent toutes les nations. D'oü naquit cette profpérité furprcnante? De la libertè, de la tolérance, qui attirerent dans ce pays des Suédois, des Hollandois, des Frangois induftrieux, & furtout de laborieux Allemans. Cette profpérité eft 1'ouvrage des Quakers, des Anabaptiftes, des. Anglicaas, des l 3 ion é:ea» Ui. Sa div'jtQi 'iidujlria '■•s liauU  m LE SPECTATEUR - Set diftren'esfeêles. Unanin. (l) C'eft d'après ces principes d'humanité que les quakers de 1'Araérique ont préfenté dernierement au congrès une adreffe tendant a rendre la libertè a tous leurs efdaves. „ Pénétrés, difent-ils, de compaffion fur 1'état r.ffl.geant auquel les habitans d'Afrique font réduits, animés en outre d'une aitectlon (incere pour la profpérité de ce pays, nous croyons que notre devoir indifpenfable eft de, mettre fous vos yeux les griefs déplorables de ce peuple opprimé , qui réclame bien fortemer.c 1'attention férieufe de ceux qui, étant revêtusde Méthodiftes, des Presbytériens, des Moraves, des Luthériens & des Catholiques. La fecte des Dumpiers elt une de celles qui attire le plus d'attention par fa fingularité. Son fondateur fut un Allemand, qui, dégouté du tumulte du monde, fe retira dans une folitude agréable a cinquante milles de Philadelphie , pour fe livrer a la contemplation. La peuplade ne monte tout au plus qu'a cinq-cents, & porte le nom d'Euphrate,par allufion aux Hébreux qui pfalmodioient fur les bords de ce fleuve. Ce qu'il y a de plus édifiant & de plus fingulier en même tems, dans la conduite de toutes les feétes qui ont peuplé la Penfylvanie, c'eft 1'efprit de concorde qui regne entre elles, malgré la différence de leurs opinions religicufes. Quoiqu'ils ne foient pas membres de la même églife-, iléi\s s'aiment comme des enfans d'un feul & même pere» Ils ont vécu toujours en freres, paree qu'ils avoient la libertè de penfer en hommes (i> Ceft a cette précieufe harmonie qu'on doit furtout attribuer 1'accroiflement rapide de la colonie qui, fuivant les calculs du congrès général, por-  AMERICAIN. 335 toit fa population en 1774 a trois eens cinquante mille habitans. La Penfylvanie recueille beaucoup de chanvre & de lin, qui, avec le coton qu'elle tire de 1'Amérique méridionale, fervent a entretcnir fes manufactures. Du produit des laincs de fes brebis elle fabrique des draps groffiers. En échange de fes produdtions territoriales , qui confiltent tn bifcuits, farines, beurre, fromage, fuifs, légumes, fruits, viandes falées, cidre, biere, toutes fortes de bois de conltrudtion, elle fe procurc des ifles des Indes occidentales, du coton, du fucre , du café, de l'eau de vie, de 1'argent, qui font autant de matieres d'un nouveau commerce avec les nations de 1'Europe. Les Agores, Ma dcre, les Canaries, 1'Efpagne, le Portugal offrent des débouchés avantageux aux grains & aux bois de la Penfylvanie; le payemenc s'en fait en vins la puiTance du gouvernement, font regardés comme les défenfeurs de& droits univerfeis del'humanité &. les avocats de la libertè &c. " Le congrès a reen leur requête avec bonté & Pa remife a un comité pourl'examiner. Mais il eft douteux que ce commerce, tout injufte & inhumain qu'il foit, puilTe jamais être défendu efficacement dans 1'empire des Etats-Unis, 011, malgré 1'amour de la libertè, 1'avarice milite fans celTe contre celle des malheureux Africains. D'ailleurs, cette dé. fenfe n'empêchcroit pas ce brigandage dans le refte du Nouveau-Monde : il la faudroit générale; Mais k vil intérêt, cet atbitre c\a fort, Vend toujours le plus foihle aux crimes dti plas foK. Volt. Ses pr>' tlu;liuns» Son mm* me.ee.  f3<5 LE SPECTATEUR PW LA- DELJ>HIE ou la ville des XRERES, ju cn piaftres. Avant 1'indépendance, la GrandeBretagne recevoit de cette colonie du fer, du chanvre, des cuirs, des pelleteries, de la grainc de lin, des vergucs, des mütures, & fournifloiten échange du ril, des draps fins, du thé, des toiles d'Irlandeou des Indes, de la quincaillerie, des galons d'or & d'argent, d'autres objets d'agrément ou de nécefiité. A ces exportations il faut encore ajouter que les Philadelphiens envoient cn Europe du tabac, du froment, de la fleur de froment, des doures de chêne rouge pour les tonneaux , de la potaflc & des fourrures. C'eft k Philadelphie que fe font toutes Les opérations de commerce; c'eft la lc centre & le rendez-vous général. La célebre ville de Philadelphie eft fituée furune plaine clevce & fpacieufe k cent vingt milles de la mer au confluent de la Delaware &■ du Schuylkill, fous le 40- degré 25 min. de latitude feptentrionale & par le 30 ie degré 40 min. de longitude occidentale. Sa forme eft celle d'un parallelograme ou quarré long. Ses rues, toutes tirées au cordeau, font au nombre de trentcquatre, dont dix-huit font coupées k angle droit par feize autres moins longues que les premières & également larges & alignées; on donne aux plus petites environ un mille de longueur. Des poteaux placés a égale diftance défendent les trotoirs qui regnent des deux có.tés. Dans la fymécrie qu'on a obfervée pour les rues, on n'a pas oublié de ménager des intervalles pour placer avantageufement les édifices publics. Les deux rues principales de Philadelphie font le High Sc  A M E R I C A I N. 13? le firoadftreet; elles ont chacune cent pieds de largeur. Penn, qui la deflinoit k être la métropole d'un grand empire, vouloit qu'elle occupat un mille de large fur deux milles de long, entre les deux rivieres. Sa population n'a pu remplir encore un fi grand erpace. Jufqu'ici 1'on n'a bati que fur les""bords de la Delaware, fans cependant renoncer aux idéés du légifiateur. Chaque maifon a fon jardin & fonverger, elles font toutes construites en brique & ont communément trois étages; plus décorées aujourd'hui qu'autrefois, elle: doivent leur principal ornement k des marbres de différentes couleurs qui fe trouvent k un mille dt la ville. On en fait des tables, des cheminées 01 d'autres mcubles qui font devenus l'objet d'ur commerce affez confidérable avec la plus grand' partie de P Amérique. L'hótel dc ville eft de la magnificence la plu: fomptueufe: c'eft la que les repréfentans des Treize Etats-Unis,fous la dénomination de congrès,s'as femblent tous les ans CO» & P-uGeurs fois Pan née s'il en eft befoin, pour régler ce qui peut m téreffer 1'ordre public. On y a placé tous les ou vrages qui peuvent les éclairer fur le gouverne ment, fur le commerce & fur 1'adminiftratioi La facade extérieure de 1'édiflce eft de brique par conféquent fans ordre d'architeéture: malgr cela, ü eft auffi beau qu'un monument de cegem (i) La première s'y tint le 2 feptembre 1774 » & d'inlépendanca y fut poblié le i® décunbte 577*- I 5 Plan (Tal yrandiffe.; venl» l L > Hótel A .ville» I. » é c  iq8 eespectateur tiUiothe» College. peut Pêtre, & préfente une maffe noble, .impofante & réguliere. On ne peut le confidérer fans regretter qu'il ne foit pas dans un emplacement plus ifolé; comme il eft élevé parallelement aux maifons , il perd beaucoup a ne pouvoir être examiné dans un autre point de vue. a cóté de 1'hótel de ville eft un autre batiment qui contient une fuperbe bibliotheque formée en 173a par les foins de Pilluftre Frankün. On y trouve les meilleurs ouvrages anglois, & plufieurs livres latins & frangois; elle n'eft ouverte au public que le famedi. Ceux qui l'ont fondée en jouiffent librement dans tous les tems; les autres payent le loyer des livres qu'ils y empruntent, & une amende s'il ne les rendent pas au tems convenu: c'eft avec ces fonds toujours renaiffans' que s'accroit & groffit journellement ce précieux dépót. Pour le rendre plus utile, on y joint desinftrumens de mathématique & de phyfique avec un beau cabinet d'hiftoire naturelle. Non loin de ce monument en eft un autre du même genre: c'eft une belle collecTion des clafiiques grecs & latins avec leurs commcfitateurs les plus eftimés, & les meilleures productions dont puiffent s'honorer les langues modernes. En 1752, elle fut léguée au public par le favant & généreux citoyen Logan, qui avoit employé une vie longue & laborieufe a la former. La ville des Frercs a un beau college érigé en 1749 : 1'établiffement en eft dü principalement aux travaux du dodteur Franklin , dont le nom fe trouve toujours mêlé aux chofes grandes ou utiles, opérées dans la région qui Pa vu naitre. Philadelphie fournit a tovis les befoins de 1'hunoa-  AMERICAIN. I3S> nité; 1'induftrie y trouve toujours des reffources: c'eft fans doutc k ces caufes qu'elle doit 1'agrément de ne voir dans fes rues ni pauvres, ni infirraes, , , , Au centre de la ville fe trouve le marche dans une place vafte & belle, d'oü 1'on voit le percé azréabie de plufieurs rues qui y correfpondent,ce qui donne a cette place un ton plein d'acTivitél Les Penfylvaniens, forcés d'avoir des pnfons pout intimider les vicieux , ou punir le vice, n'ont pas voulu cependant, que les malheureux, dévoués k 1'infamie, ou au fuplice, fuffent commt dans nos capitales dans des afiles infects, imagt d'une mort anticipée: attentifs k tout, ils om profité des reproches que 1'on nous fait k cel égard, & remédié aux abus qui les occafionnent Les prifons pour dettes & pour crime, font vafte! '& fort aérées, furtout celles des prifonniers de guerre : heft-il pas effecrivement barbare & non teux que des hommes enchainés par la fubordi nation, innocens k tous égards de leur défaite après avoir expqfé leur vie, verfé leur fang poui leur patrie, foient traités comme des criminels, 8 dévcrenc dans la mifere la douleur qui les con fumc ? Des républicains vertueux ne peuvent être qui des hommes reconnoifians, & le foldat qui f facrifie pour la défenfe de la patrie & de la li berté, doit être pour eux le citoyen le plus di gne de leurs foins & de leur générofité : c'el pour remplir ce devoir facré qu'ils ont fait com truire un batiment commode öt agréable pou fervirM'afile k cesbraves vétérans ou aux iniirme que l'age ou les bleffures ne permettent plus d Marcht public Prifoi&i ■ > fc r BUel des s tmaliics, e  !4« LE SPECTATEUR Ses quais. (i) Les défenfeurs de la libertè ptiblique, qui, par Jeur age & leur fanté font en état de travailler, rego^vent auffi la récompenfe de leur zele & de leur courage: Je congrès a afluré a chacun une certaine étendue de terres capabls de fournir a leur fubfiftance. C'eft ainfi que 1'exiftence de ces guerriers, loin d'être onéreufe a 1'état, lui deviendra au contraire utile par l'auij» mentation de la culture générale & des manufaftes qui vont alimenter lf commerce des Etats-Unis. L'imagination fe plait avoir chaque guerrier cu'tiver fon champ, y élever fa familie, & apprendre a fes petits enfans qu'ils tiennent de ia patrie tout ce que les hommes ont de plus cher au monde, leur foitune, leur repos & ia libcrté, f fervir fous les drapeaux de Mars & de 1'honneurV L'efpoir de ne point être abandonné, d'avoir pour le refte de leurs jours une fubfiftance honnête & alTurée (i), enflamme leur courage & en fait des héros. Ces foins tendres 6e paternels font les mêmes dans les Treize - Etats. Les quais de Philadelphie font de la plus grande beauté. Le principal a deux eens pieds de large & préfente une fuite de magazins commodes, in» génieufement conftruits. L'on peut dire enfin, que cette ville renfermc toutes les beautés de nos plus célebres capitales, fans en avoir les défauts; cet ordre , cette diftribution font honneur k la fageffe & k la fagacité des hommes inftruits qui ta gouvernent. En 1781, l'on comptoit dans cette ville au moins trois mille maifons & vingt mille habitans de toute feéte & de toute nation. II eft facils  AMERIGAI» s*fe de juger de la rapidité de Paccroiffement de cet Etat quand on penfe qu'il exiftoit encore eh 1782 a Philadelphie un vieillard qui avoit été téraoin de fa fondation. . -r A Je ne connois point d'endroit ou le tolerantilme foit plus adopté. Chaque feéte a fon temple, üt\ ia libertè k cet égard eft fi grande qu'on y laifie parfaitcmciiL cn paix des citoyens qui n'ont hi prêtres, ni culte ; il fuffit de remplir les devoirs de la patrie 8fc de la fociété, pour être fïïr de jouir de 1'eftime publique. La police, en veillant fur les a&ions & non fur les opinions, a déjk plus opéré de bien dans cette partie du NouveauMonde que chez les peuples les mieux civilifés de Pancien, La république a pris de nos loix ce qu'elles ont de bon & rejeté tout ce qui lui a paru contraire k la' löi fuprême dé la nature, & par conféquent oppofé au bonheur public & particulier. La douceur du climat, la beauté du fol, la vie agrefte, une exiftence ifolée, toutafavörife les voéux du légiflateur qui defiroit avoir des concitoyens heureux, libres, égaux & fimples. Nos bibliotheques font remplies de P'hiftoire dé tous les peuples de 1'univers; qu'on les parcoure, on n'en verra aucune qui puifle offrir un empire plus heureux, plus vertueux, plus libre que celui de Philadelphie. La république de Platon, PUtopie de Morus, les fictions de Pabbé de St. Pierre, les rêves de nos philofophes modarnes, n'ont fien qui approche du gouveffiement de Philadelphie. Mais le moment critique approche; tremblez heureux Philadelphjens, que votre félicité ne Douciilt te Jon foweniè;} nenl. Le honheur public en ep Vêffet. Injonilion ficterneüs  Ï42 L' E SPECTATEUR s'altere k la fuite de votre grande population, de Pextenfion de votre commerce, de 1'augmentation de vos fortunes, de la fédudtion d'une vie trop commode & du trop grand nombre d'étrangers; ce font autant d'ennemis qui vous menacent. Vous favez que 1'ambition égare 1'efprit, que le commerce rétrécit 1'ame & le luxe amollit le corps. Si la marche du luxe eft lente, elle n'en eft pas moins füfë'j une fois établi, fes ravages font rapides & la mifere qu'il traine après lui, renverfe les monumens de 1'orgueil & de la frivolité, & en fait fervir les débris k la honte, k Ia décadence du peuple qui en a été i'efclave. Si vos moeurs s'altéroient, vous n'offririez bientót que le fpeótacle d'un éclatant météore qui ne fe feroit montré k 1'univers que pour 1'éblouir un ïnftant. Le féjour de Philadelphie eft brillant; il eft le fendez-vous des députés des Treize Etats, des principaux pèrfonnages, & des ambalfadeurs; c'eft un centre commun oü viennent aboutir les grands intéréts de 1'Amérique ; c'eft un, flux & reflux continuel qui lui donnent une adtivité prodigieufe. Ces caufes réunies k fon extréme population occafionnent une cherté confidérable dans les vivres; les chefs de 1'adminiftration l'ont déja fenti, & il a été plufieurs fois queftion de fixcr le féjour du congrès & des miniftrcs k quelque diftance de cette capitale, précaution d'autant plus fage & plus nécefiaire qu'il en réfulteroit un grand avantage pour le commerce, & que ce tranfplacemcnt ne nuiroit en rien aux intéréts des Etats: on défigne furtout Prince-Town, ou Annapolis.  AMERICAIN. 143 Nous avons dit précédemment que chaque étai avoit fes députés a 1'alTemblée générale pour y difcuter & défendre (es droits particuliers relaüvement aux intéréts de Ia république entiere; mais outre fes députés, chaque Etat a fon congrès particulier, dans lequel fe motivent les instruétions a donner aux députés généraux. Le nombre des repréfentans eft proportionné a 1'étendue de chaque province; le plus petit eft de deux, le plus grand de fept. Quel qu'il foit, chaque Etat n'a qu'une voix. L'on n'a rien épargné a Philadelphie pour y fa, ciliter les opérations de commerce; tout y porte Eempreinte du travail & de 1'induftrie. Les navires de cinq cents tonneaux y abordent fans difficulté, hors les tems de glacé. Les marchandifes arrivées par la Delaware, par le Scliuilkill, font enfuite traqfporté.es dans les terres par des chemins plus beaux que ceux de la plupart des états de 1'Europe. C'eft ainfi que cette ville ha,tie d'après un plan réflechi, doit devenir une des plus belles du monde. A peu de difiance, on rencontre fur Ie bord du Schuilkill un trés - beau bois qui fait les délices des habitans. La ville de Philadelphie eft , comme furent Athenes & Sparte, environnée dc plufieurs petites villes très-jolies, telles que Wioco, Teaucum, Abingdon, Dublin & German-Town:' on obferve, comme une fingularité, que toutes les rues de cette demiere ville font plantées de pêchers. Cette ville, habitée par des Quakers Allemands & Hollandois, cont-ient environ trois eens families. Sa navigatiun. Ses envi' -ons. Vierman* Town.  m L E SPECTATEÜR. Ce feroit ici le lieu de parler de certains Ufages & coutumes pratiqués tant dans le commerce que dans la vie privée des habitans; mais comme ces coutumes & ces ufages different peu d'un état kun autre, nous les placerons k la fin du XXIP. Chap. ainfi que les diftances exactes des principales villes du continent, k compter de la ville la plus méridionale jufqu'a la plus feptentrionale des TreizcEtats. Au moyen d'une fouftra&ion ou d'une addition facile dans les rapports de ces villes, le ledteur pourra voir promptement leur éloignement refpectif. On compte communément de Portfmouth, capitale dc la Nouvelle Hampshire, k Savannah, capitale de la Géorgie, une étendue de 1454 milles en ligne directe. Quoique Philadelphie paroilfe occuper en rang le centre du territoire des etats, elle eft beaucoup plus prés de la partie nord que de celle du fud, puifqu'elle eft k 42a milles de Portfmouth & k 1032 de Savannah. CHA.  AMERICA I Né 145 CHAPITRE. XVIIL Maryland. L'etat du Maryland èft divifé en deux parties au nord de la baie de Chefapeak^, 1'une k 1'ori'enc & 1'autre k 1'occidenc. II eft fitué entre les 33 & 40 degrés de latitude feptcn•trionale, & les 74 & 78 degrés de longitude occidentale (méridicn de Londres). Cet État, comme celui de Virginie, eft baigné par les eaux de Ja baie de Chefapeak avec cette fingularité poui >un & pour 1'autre, qu'on ne peut dire précifé; Wnt de quel cóté, paree qu'ils y touchent diver fement & qu'elle coupe les deux gouveruemen ' par le centre. La Penfylvanie fert au Marylam ' de limites au nord ainfi qu'k 1'eft avec 1'oeéaj atlantique; k 1'oueft il eft borrié par les rnont Apalaches, & au fud par la Virginie. Sa lor «ueui eft dc 140 milles, ainfi que fa largeur. Ce Stat eft fubdivifé comme celui de Penfylvanie e onze comtés, fix k 1'oueft & cinq k 1'eft du cöt ' de la baie de Chefapeak. Les premiers font Stl 'Marie, Charles , Prince-George, Caivert,Ann( ■ A rundel & Baltimore. Les fecondes font Son merfet, Dorchefter, Talbot, Kent & Cécil. C fait monter fa population k trois eens vingt nul , habitans. ƒƒ. Part. 3$fc;c; i£r*H& tf"£M Sr. fvuettïont 'i 'V i 1 t s 1 .; ï t ' ' ' é '"Ses dl i-petiiames 1- n lc  34« LE SPECTATE ÜR Sou origi ite, Cette eolo nie doit aux fauvages un partie de fesprogrè Ses rlyie tes. Baie de CUESJ. Le Maryland efl arrofé de beaucoup de ruisfeaux; cinq rivieres navigables letraverfent; cette contrée elt une des moins confidérables de 1'Amérique feptentrionale. Le fils du lord Bal timore, a la mort de fon pere, qui fut le fondatcur de cette colonie, fuivit religieufement fes projets. II partit d'Angleterre, en 1633, avec deux eens catholiques, tous d'une naiffance honnête; 1'établiffement fut fixé dans la partie inhabitée de Ia Virginie qui eft fituée entre la'riviere de Potow• mak & la Penfylvanie. Les fauvages , gagnés par la douceur & les bienfaits des habitans de la '■ nouvelle colonie , s'emprefferent de concourir k ■leurs deffeins & a leurs progrès. II ne paroit pas que cette heureufe harmonie ait jamais été troublée entre eux. C'eft a cette caufe, & en grande partie aux efclaves occupés a plus ou moins de diftance de la mer dans les plantations de tabac, que le Maryland doit fa profpérité. 1 Les principales rivieres de cet Etat, font Patowmak, Patuxent, Severn a 1'oueft, & Chip» touk, Chefter, Saffapas, &c. a 1'eft. La baie de Chefapeak, formée par plufieurs rivieres a 1'oueft, n'eft féparée de 1'océan que par une petite péninfule ; elle s'enfonce deux eens cinquante milles au nord dans les terres. • Sa largeur commune eft de douze milles •, deux caps forment fon entrée: au milieu eft un banc de fable. Le canal voifin du Cap-Charles n'ouvre un paffage qu'a de trés légers batimens; mais celui qui longe le Cap-Henry, admet dans tous les tems les plus grands vaifféaux. La profondeur du canal eft de neuf braffes qui diminuent en quelques endroits jufqu'k fept. La partie la plus fure eft proche dn,  A M kllCAINi 14? Cap-Henry, exactement k trente-fept degrés; de forte qu'ayant pris cette latitude kmidi, le jour qu'on s'attend d'arriver k 1'entrée, on peut fans crainte avancer pendant la nuit & fuivre le rivage méridional jufqu'k deux lieues au delk du Cap oü l'on fe trouve dans une excellente rade nommée Lynn-Haven. Les anglois placent fon embouchure par les 37d. de latitude nord. La navigation par cette baie eft trés-confidérable-, c'eft k cette deftination que fe rendent la plupart des navires expédiés d'Europe pour le Maryland & la Virginie. Baltimore, Sainte-Marie & Anna polis font trois villes fituées le long de cette baie. Entre les Apalaches & la mer, peu de terres font auffi bonnes que celles du Maryland. Sainte-Marie, autrefois la capitale du Maryland, n'eft rien aujourd'hui; ellea perdu cette prérogative depuis que le commerce de Baltimore eft devenu floriflant. La ville d'Annapolis, capitale de la comté d'Anne-Arundel fut défignée en 1694 pour étre un port de mer, & cinq ans après elle fut la réfidence des cours de juftice & des officiers du 'gouvernement de la province: on y fonda pour 1'inftrudtion de la jeuneffe une école fous le nom d'école du roi Guillaume (king William's fchool) mais jufqu'k préfènt cet établüTement eft refté fans vigueur & prefque fans fuccès. Cette petite ville eft fous la latitude de 39 degrés 2f minutes, & par 78 degrés 10 minutes de longitude (méridien de Londres). Elle eft placée k 1'embouchure de la riviere de Saverne dans la baie ; les édifiees y font la plupart très-grands; cette ville ri© SAWTE  ...J-i CAL' V'ERTON. BALTlëlO&E. r4D L E SPECTATE v\ peut que devenir très-brillante & très-peuplé*» par la réfidencc actuelle du congrès & des ministres étrangers. Cc concours de protecvteurs, de protégés, de follicitans, va lui donner une nouvelle viö. Avant cette révolution , Annapolis pafToit déja pour une ville oü le luxe avoic fait des progrès rapides, quoique 1'e commerce y fut tfès-borné. Cependant on a de la peine k fe perfuader ce qu'un auteur moderne avance fur legoüt des dames d'Annapolis pour la frifure, au point de donner jufqu'k mille écus de gages k un coèfTeur. L'édifice le plus beau d'Annapolis, & fans contredit le plus achcvé de tous ceux dc 1'Amérique, eft celui des Etats: un fuperbe pétiftile, orné de colonnes , donne un air majeftueux a ce batiment furmnnté d'un döme dont les proportions font tres bien ménagées pour 1'optiquè. II eft k craindre qüe les plaifirs raflemblés dans une ville de cour, les concerts, les fpecïacles, les fociétés brillantes ne faflent perdre aux Marylandais le goüt qu'ils ont, comme les Virginiens, pour leur plantations. La ville de Cal verton, ainfi nommée deCalvert, comté dans 1'état du Maryland, eft fur la rive du Patuxent qui la fépare du comté de Charles; elle eft trop voifine d'Annapolis pour tenir un rangdiftingué dans la contréc ,• elle eft a cet égard dans le même cas & a fes mêmes reffources que celles des environs des grandes capitalcs. Baltimore, capitale de la comté du même nom & la ville la plus confidérable, la plus riche & Ia plus commercante du Maryland, fut Mticen 1631 par le lord Calvert, Irlandois, qui lui donna fon nom en vertu d'une conceflion que Charles I lui  AMERICAIN. m fit du Maryland. Elle eft fous la latitude de 40 degrés 50 minutes & par les 75 degrés 5 minutes de longitude occidentale (méridien dc Londres). Placée prefque k 1'entrée de la baie , cette ville eft a portée de regevoir de la première main les denrées de la Penfylvanie & des états circonvoifins. Sa forme eft un croiffant, la partie feptentrionale avance dans la baie fur une langue de terre fort étroite; elle paroit en cet endroit fortir des eaux & montrer en s'élevant qu'elle y tient fon empire. Le port dc Baltimore peut recevoir des navires tirant 17? pieds d'eau: c'eft le rendezvous général de tout le pays pour les importations & los exportations. C'eft lk que les Acadiens, chaffés par les Anglois de leurs domiciles, trouverent un afile, des confolations dans leur détreffe , & les moyens de réparer leurs pertes, Ces Frangois, quoique éloignés de leur patrie, en ont confervé le langage & les mceurs, & leur conduite pacifique les a rendus chers k leurs bien faiteurs. Le commerce du Maryland, conflftc en tabac, bied d'Inde,pois, feves, froment, peaux de bètes fauves , fer en barre, mats, planches, folives. térébenthine, goudron, faffafras, ferpentine, lin chanvre & toute fortes de beftiaux. Lecidre, boiffon ordinairfe des habitans , s'y fait fi bien qu'il égale en bonté le meilleur vin blanc. On j fabrique avec fuccès des bas, des étotTes de laini & de foie, des toiles de coton, toutes les efpe ces de quincaillerie, jufqu'k des armes k feu. Le Marylandois tirent du rhum des barbades; Ma dcre leur fournit fes vins ainfi que 1'Europe. Cel k ces branches de commerce & d'induftne qu K 3 Son cctai mem. > 1 t  LE SPECTATEÜR Ttliac. 9cn efl. gint. cet Etat doit fon importance, fes reffources & fes avantages. Le tranfport entre le Maryland Sc la Virginie fe fait k peu de frais par les baies de la Delaware & de la Chefapeak, divifées feulement par une langue de terre, qui s'étend environ dix milles Angloifes du port de Chriftiana, k la tête de la riviere d'Elk; de forte qu'a 1'exception de cette langue de terre, tous les tranfports fe font par eau & conféquemment k bon marché. Chester-Town Sc quelques places de débarquement peu confidérables, le long des différentes rivieres, font autant de rendez-vous pour les opérations de commerce du pays. Le tabac du Maryland, diftingué fous lenom 4'Oroonokc , eft plus fort & plus piquant que celui de Virginie; la récolte en eft très-abondante & le produit confidérable. Quoiqu'il nc foit placé qu'au fecond rang ,'il n'en eft pas moins trés - recherché dans le nord & 1'oricnt de 1'Europe par rapport k la bonté de fa feve. Les meilleurs tabacs du globe croiffent dans le nord de 1'Amérique. Nous traiterons plus amplement de ce commerce & des revenus qu'il produit dans le chapitre fuivant. Cette plante acre Sccauftique, trouvéeen 1520 prés de Tabasco dans le golfe du Mexique, transportée de lk dans les ifles voifmes, paffa bientck dans nos climats , oü fon ufage devint un objet de difcufiion entre les favans: les ignorans même prirent parti dans cette querelle, & le tabac acquit ainfi de la célébrité. ,La mode&l'habitude en ont avec le tems prodigieufement érendu la confommation dans toutes les parties du monde  AMERICAIN. i?t connu. Les uns prirent du tabac par remedej pour diminuer la trop grande abondance d'humeurs dans le cerveau, les autres contre les maux d'yeux: ceux-ci pour révcillcr les efprits trop afioupis, ceux-la par contenance & pour remplir le vuide de la converfation; plufieurs uniquement pour montrer une belle boete: c'eft ainfi que la nouveauté d'un cóté, la charlatanerie de 1'autre & le luxe furtout ont établi 1'empire du tabac. Le mal feroit moins grand , fi nos dames & furtout nos demoifelles avoient fu réfifter a la mode, par amour pour leurs graccs. Lcnez, comme l'on fait, contribuefinguheremcnt; a la perfedïon du vifage & augmente la beauté du profil: fi malheureufement fon épiderme eft gerfé par le tabac, les narines s'arrondiffent & 1'enfemble ne préfente alors qu'un effet tres»désagréable. En arrivant dans le Maryland pour voyager dans la partie méridionale des Etats-ünis, on appergoit un changement de fites, une différence dans les moeurs & les coftumes des habitans. Ce ne font plus,comme dans lesétats-feptentnonaux, des maifons placées fur les routes a petitcs in tervalles, bornées au logement feul d'une familie & meublées du plus fimple néceffaire. Les habitans qu'on y voit annoncent des propriétaires opulens, dont les métairies, les plantations qui les environnent, font autant de dépendances, On fe rappelle en les voyant, ces riches maifons de campagne, ces chateaux d'Europe autour delquels font les fermes qui font partie des domaines d'un feul homme. L'ufage oü l'on eft de K 4 ■s p-»a ietés, fefl efiU Obfervn. tjons fur les kaii» tar.S'  Lttif luxe. (i) Dans lc fiecls d'or de la Grande Eretagne, c'eft-a-dire lorfqu'elle s'cngrailfoit dans les riches piturages de fes colonies d'Amérique , elle importoit tous les ans dans les feuls établiffemens du Maryland & dc Ia Virginie fept a huit milles negres, qui lui rapportoient un bénéfice immenfe. A la iiberté prés, ces efclaves font dans Ia république des Etats-Unis, beau. coup moins a plaindre que dans les Ifles. Tr..ités comme des hommes, ils éprouvent toutes les douceurs qui peuvent adoucir la fervitude ; ils font chez les Nord • Américains, nourris, vêtus comme s'ils étoient leurs égaux, & fi la terre qu'ils cultivent eft arrofée de leurs fueurs, elle ne 1'cft jamais de leur fang, pa$ raême 4e leurs Iarra.es. [52 LE SPECTATEUR fe fervir de negres (1), foit pour les travaux' do-1 rnefiiques, foit pour ceux de la campagne, annonce dans les particuliers qui les acbettent a prix d'or unc aifance , une opulence peu commune. Leurs maifons font magnifiquement meublées. Sortent-ils de chez eux, vont-ils a la campagne, ils ont des voitures éldgantes, conduites par des chevaux leftes & fringans & des efclaves élégamment vêtus. Cette magnificence éclate furtout dans Annapolis, dont les habitans s'enrichifient par leur commerce dans les principaux ports du Maryland.  AM ER I C AI N.' m C H A P I T R E XIX, Virginie. X-/a Virginie fut découverte en 15^6, ainfi que nous 1'avons dit, au Ch. IV de la F. partie, par le chevalier Walter Raleigh , fous le regne d'Elifabeth. La riviere de Patowmack la fépare du Maryland au nord-eft. L'océan lui fert de limites a 1'eft. Elle a les monts Apalaches k 1'oueft & la Caroline au fud. Les géographes Anglois ont détcrminé fon étendue entre les 30" deg. 3cf & les 39 deg. 30' nord k la partie oueft de la baie de Chefapeak, mais k 1'eft du Cap - Charles elle n'eft que de 37 deg. 13/ k 38 deg. nord. On lu donne environ ioo milles de largeur dans l'efpacf des terres cultivées. Ses limites k 1'oueft fon' indéterminécs & le Canada lui fert de fureté. Le deux eapsde la Virginie font le Cap-Henry & 1< Cap-Charles, tous deux fitués vis- k- vis 1'un di 1'autre k 1'entrée de la baie de Chefapeak. ■ Quoique la Virginie s'étende entre les 36 & les 39 degrés de latitude, 1'hiver y eft tres-ri goureux, la neige fort abondante. L'irrcgulariti des vents y amene fouvent les quatre faifons ei ün jour. Les vents de fud & d'eft font trés chauds; comme les autres viennent des monta gncs & des lacs fitués au neird & k 1'oueft, il Jont excefiivement froids. Malgré ces intempé K5 Sa di'coui yerU. Sa jituai tiun. \ c ; 1 !  Ij4 LE SPECTATEUR Sadwfion Sa f.tuvet i ries, il y regne peu de maladies; les habitans y vielliffent & le climat conferve la réputation d'être un des meilleura des Treize- Etats. Les montagnes qui bornent la Virginie a 1'oueft, font une partie de celles qu'on nomme Apalaches. II eft affez fingulicr que toutes les cataradtes des rivieres qui en fortent & qui arrofent la Virginie, foient régulierement a quinze ou vingt milles l'une de 1'autre , & que les plus proches des montagnes en foient a foixante ou foixante 8c dix milles. Sous la domination britannique la Virginie fut divifée en vingt-cinq comtés, favoir: Norfolk, Princefs'Anne , Nanfemund , Mc dc Wight, Surry, Henrico, Prince-George, Prince-Charles, fames, York, Warwick, Elizabcth, Ncw-Kcnt, le Roi, la Reine, Middlcfex, Ellbx ou Rappahanock , Richmond , Staflbrd , Wcftmorcland, Lancaftre, Northumberland, Accomack & Nortlampton. Ces départemens nombrcux n'ont pas [ous, a beaucoup prés, les mêmes reffources, es progrès de la culture étant plus ou moins grands dans ces divers diftricts. Les grands fleuves qui arrofent la Virginie, prennent leurs fources dans les montagnes bleues, lont la chaine fe prolonge du nord au fud. Auiela ferpente h. travers de grandes prairies I'Ohio, ]ui vient s'unir au Miffiflipi. Sur les bords peu ronnus dè ce fleuve, on trouve les plus belles 8c es plus fécondes contrées du monde. LebonIseur 8c la libertè paroiffent y avoir établi leur impire. C'eft dans ces endroits folitaires & for:unés qu'on prétend que Washington avoit cboiü "on afile, s'il n'eüt pu rompre les fers de fa patrie i  AMER.ICAIN. ï55 c'eft lk qu'accompagné d'un grand nombre d'amis, de concitoyens, d'admirateurs, il auroit été fonder une colonie. Sous un tel guide, elle eüt lans doute été heureufe. Avec le même fol, avec le meme climat, la Virginie a fur le Maryland quelques avantages ; fon étendue eft beaucoup plus confidérable, fes fleuves regoivent de plus gros navires & les portent plus avant dans les terres; fes habitans ont un caraftere plus élevé, plus ferme & plus entreprenant. Cet état étoit, il y a deux fiecles, tout le pays que PAngleterre fe propofoit d'occuper dans Ie continent de 1'Amérique feptentrionale. Sous ce nom l'on n'entend plus que Pefpace borné d'un cóté par le Maryland & de 1'autre par le Canada. La plupart des habitans de la Virginie font attachés k la religion anglicanne, St quoiqu'il y ait libertè de confcience pour tout chrétien qui veut fe foumettre aux charges de la paroiffe, on ne connoit dans toute la colonie que cinq conventicules de non-conformiftes, trois de quakers & deux de presbytériens. C'eft a la nécefiïté de peupler le pays, d'y rendre le commerce floriffant, k 1'amour de la tolérance que les chrétiens de toutes les nations qui viennent s'y établir, doivent les privileges dont ils y jouiffcnt. Les étrangcrs peu. vent y obtenir aifément le droit de naturalifation; la formalité ne confifte qu'k prêter ferment de fidélité, & le certificat s'en délivre fimplement fous le fceau de la colonie. Lc nombre des perfonnes qui payenc la dïme détermine feule la grandeur de Phabitation. Chaque paroiffe a fon .égliig; celles dont les Religion^ IhnOTUi* fes des miniftres.  ï$6 LE SPÈtiTATEÜR paroiffiens font trop difperfés ont une ou deux chapelles de plus , oü le fervice divin fe fait tour-k-tour. La grandeur de la paroiffe n'augmente point le revenu du miniftre, il eft généralement fixé a feize mille livres de tabac. II tire d'ailleurs quelques droits des mariages, des enterremens, & furtout des oraifons funcbres qui accompagnent toujours la cérémonie des fépultures, de forte que la dilférence des richelfes du clergé ne peut venir que de celle du tabac dont le prix varie fuivant la bonté des ter* fes, & la grandeur des paroiffes qui donne occafion k plus ou moins de mariages &d'oraifons funebres. Le droit d'un miniltre pour ces discours , eft fixé k quarante fchellings, ou k quatre eens livres de tabac, & pour un mariage k cinq fchellings ou cinquante livres de tabac. Lorfque ces appointemens furent accordés aux miniftres, le tabac n'étoit eflimé qu'k dix fchellings le quintal; &, fur ce pied, les feize mille livres revenoient en argent, k quatre - vingts liv. fterl. (environ dix-huit cents livres) mais le bon tabac fe vend aujourd'hui le doublé. Quelques églifes ont des terres, fur lefquelles la paroiffe entretient une certaine quantité de negres & de beftiaux au pront du miniftre qui n'eft refponfable que du fonds quand il abandonne fon bénéfice. 11 faut obferver qu'il ne faut pas moins de douze negres pour cultiver le tabac qu'on lui paie, furtout, s'il eft de la meilleure efpece, que les Anglois nomment Sweet-Jcented 9 c'eft-k • dire, d'odeur tiouce & parfumée. Le gouvernement ecclefiafüque de chaque paroiffe eft entre les mains du miniftre, & de douze principaux habitans; lorfqu'ii  A M E R I C A '1 N. ' 15? eri meurt un, ce font fes collegues qui lui choififfent un fuccefiéur. Dans toute 1'étendue du territoire des Etats-Unis, le traitement des miniftres efl: auffi doux, & quoique les honoraires y foient diflerens par rapport au genre de productions, ils n'ont pas moins une exiftence honnête & gracieufe. La défenfe du pays elt confiée a un certain nombre d'habitans, enrülés par clafle; ces troupes font défignées par le nom de milice k pied &. a cheval. A peu de différence prés, on obferve chez les nord-Américains en général, lemême ufige qu'en Virginie. Tout Virginien libre eft enrolé dans la milice , depuis 1'age de feize ans jufqu'k foixante. Tous les ans il fe fait une revue générale, & les compagnies font exercées féparement trois oü quatre fois. II regne une -tellefubordination, un tel patriotifme chez ces nouveaux répüblicains, .qu'on affure qu'en vingt- • quatre heures toutes les compagnies de cavalerie & d'infanterie peuvent être raffemblées. On dis- • timrue les gens de fervice en domeftiques perpé1 tüeïs & paffagers. Les negres & leur poftéritt ; font du premier ordre, fans qu'on en donne d'au- ■ tre raifon que la maxime commune, portusptquitur ventrem; c'eft-k-'dire, que les peres & lei meres étant achetés pour 1'efclavage, la natun ■ lemMe condamner les enfans au même fort. Lei autres domeftiques ne fervent qu'un certain nom ■ bre d'années., fuivant leurs conventions avec le . maitres, ou fuivant la loi, qui s'exécute littérale i ment au défaut de contrat: elle porte que le , domeftiques qui s'engagent au deflbus de dix-neu ijfcs, doivent être .préfentós k la commune , $ D'iffirenci. des gens de tnilicen > |  IgS LE SPECTATEtFR. Tempera* ture, _ qu'elle détermine leur age, & qu'enfuite ils fe* ront obligés de fervir jufqu'k vingt-quatre ans} s'ils font plus agés, leur fervice ne peut-être que jufqu'k vingt-cinq ans. On n'a pas befoin d'autres forces militaires dans un pays oü les habitans jouiffent d'une paix profonde avec auffi peu de crainte de la part des fauvages qui ne font plus en état de leur nuire, que de celle des étrangers, dont ils ne redoutent point les invafions; car la conquête de leurs plantations qui font éloignées les unes des autres, coüteroit plus de peine qu'on n'en tireroit jamais d'avantage. Le climat de la Virginie eft un des plus beaux & des plus heureux que l'on connoiife. Le philofophe qui fe plait k admirer la nature, k 1'étudier, k jouir des douceurs de la retraite dans le fein de 1'innocence & fous les loix du tolérantistne, rle fauroit choifir un afile plus fortuné que dans la Virginie. Voici les détails que l'on donne de fa température. Les chaleurs de 1'été n'y font difficiles ,a fupporter que lorfqu'elles font accompagnées d'un grand calme, qui dure peu, & qui n'arrive au plus qüe deux ou trois fois 1'année. On peut même s'en garantir k la faveur de 1'ombre, qu'on trouve toujours fous les arbres touffus, les grottes & les berceaux des jardins ou dans des chamfcres & des pavillons expofés au grand air. 3 Mais le printems & 1'automne font d'un agrément extraordinaire dans tous les cantons de la Virginie. Les hivers font fort courts. Leur durée n'eft que d'environ trois mois; & trente jours après ©n y jouit d'un foleil pur & d'un air ferein. £i  A M E R I C A I No 'm ta gcléc y eft quelquefois très-rude, elle ne dure pas plus de trois ou quatre jours, tfcft-kdire jufqu'k ce que le vent change-, car il ne gele jamais que lorfqu'il vient des monts Apalacheg, entre le nord - eft & le nord - oueft. D'ailieurs, rien n'approche de la beauté du. ciel pendant ces courtes gelees. Dans 1'hiver les pluies font fa~ cheufes par leur excès-, mais en toute autre faifon elles n'ont rien que de fain & d'agréable. Rarement celles d'été durent plus d'une demi-heure; elles fe font fouvent defirer, comme le dedommagement d'une longue féchereüe, pour faire reprendre un air riant k toute la campagne. Quoiqu'il y ait une extréme variété de terroir dans un état de ii grande étendue, il réfulte du total, que la Virginie peut porter toute fortes de plantos Sc de fruits, même les plus délicieux de 1'Europe. On diftingue particulierement trois fortes de terroirs , celui du plat pays, celui du milieu & le troifieme vers les fources des rivieres. A 1'embouchure des rivieres > la terre eft presque partout humide & graffë, propre par conféquent pour les grains . les plus groffiers, telsque le ris, le chanvre, le maïs, Sec. 11 s'y trouve auffi des veines froides, maigres, fablonneufes, 8c fouvent couvertes d'eau, qui ne font pas ftériles puifquelles produifent des baies de huckle 8c de eran, des chincapins 8cc. D'ailieurs, ces parties balles font prefque généralement bien garnies de chênes, de peupliers, de pins, de cyprès, de? ccdres 8c de diverfes efpeces d'arbres aromatiques, dont les tiges ont depuis trente jufqu'k foixantedix pieds de haut, fans aucune branche dans cet efpace. On y voit même du hou$, du mirthe & üifémtt IssterrQ&t  *6» LE SPEGTAT E-Ü R Leur fo!< quantité «Parbrifteaux toujours verds , dont la plupart n'ont point de nom dans les langues de 1'Europe. Le chêne y laifie tomber fes glands pendant neuf mois de 1'année, & ne ceffe point d'en produire de nouveaux. Vers le milieu du pays, le terroir eft fort uni, a la referve de quelques petites montagnes & de leurs vallées, qui font arrofécs par uneinfinité de ruiffeaux. En quelques endroits, la terre eft grafie, noire & forte ; en d'autres, elle eft maigre & plus légere. Quelquefois, le fond offre, a peu de diftance, de 1'argile, ou du gravier, ou de grofles pierres, ou de la marne commune. Lé milieu des langues qui font entre les rivieres, eft ordinairement un terroir pauvre, d'un fable léger ou d'argile, ce qui n'empêche point qu'il n'y croifle des chataigniers, des chincapins, & pendant 1'été une forte de petites cannes, qui font une bonne nourriture pour les beftiaux. Les endroits les plus fertiles font proches des rivieres; ils font couverts de chênes, denoyers, d'hickories, de frênes, de hêtres, de peupliers, & de quantité d'autres arbres d'une prodigieufe grosleur. Vers les fources des rivieres, c'eft un mélange de montagnes, 'de vallées & de plaines, les unes plus fertiles que les .autres oü l'on trouve une grande variété de plantes, d'arbres & de fruits: dans les endroits marécageux on admire la grosfeur des arbres, & 1'on.doute que dans aucun autre pays du monde, il y en ait d'aufii gros. On regrette en même tems que leur éloignement de la mer & des grandes rivieres, ne permette : Point de les embarquer. 1*1  AMEniCAIN, ïöi Les rivieres & les anfes forment en divers endroits, des marais fort vaftes, oü les paturages t excellens. D'autres lieux offrent dwer e fortes de terres, les unes médicinales, d'autref propres a la poterie. 11 s'y trouve de Pantimoine, du talc, de 1'ochre jaune & rouge, de la terre k dégraifïer, de la marne & de 1'excellcnte Klaife dont on fait des pipes. Le haut pays a du charbon > des ardoifes , des pierres propres k batir, du pavé plat, de la pierre a tulil. A 1'égard des minéraux, la latitude du pays, & d'autres circonftances font juger qu'il doit y en avoir en abondance: mais on ne s'eft point encore occupé de ce foin. On afiure que les pierres tram-parentes qui fe voient fur la furfaee des terres, font de quelque prix, & que, par leur eclat, elles approchent plus du diamant que les pierres de Briitol & de Karry: elles n'ont que le défaut d'être molles; mais, expofées quelque, tems k Pair» elles durciffent. Ges pierres n'ont peut-être befoin que du fecours d'un artifte intelligent pour les faire eftimer. La Virginie, fur la réputation de la bonté de fon fol & de fa fécondité, vit augmenter rapidement le nombre de fes habitans: la paffion des richefles qui infeiloit de plus en plus 1'ancien continent, fut furtout le mobile des énngiations multipliées des Européens. Suivant les calculs du cono-rès, la population de cet état monte k fix cents cinquante mille habitans, y compris les efclaves * que Popinion commune porte k cent cinquante mille. Les Hollandois furent les premiers qui introduifirent en 1620 les negres dans Ja colonie. Les travaux des blancs & des noirj II. Part. h nUrrts ranfpa. 'CH.iS: Sa po{iO\ iaiwn.  Sts Pi duction Son coi tnerce. TUcejfnê de ^cpplU c/tcr ii yggricul. Ï63 LE SfECTATEüR b> donnent aux deux hémifpheres du bied, du maïs, r. des légumes fecs, du coton, du chanvre, dei ,. cuirs, des fourrures, des falaifons, dubrai, du bois, des matures & furtout des tabacs, dont le meilleur vient de la riviere d'York. Les vers a foie y réuffilTent trés-bien. On doit préfumer qu'ils formeront un jour une des branches importantes du commerce de cet état. Quoique dans le Chap. XP. I". partie , nous ayons donné une idéé claire fur le commerce de la Virginie, & le produit de fes tabacs, nous ajouterons ici quelques obfervations utiles. II eft naturel de penfer que les avantages offerts par la fertilité des terres, font trop eflentiels & trop grands ., pour être negligés. Cependant les habitans ont préféré la culture du tabac a celle des autres denrées. quoique celles-ci les euflent mis dans le cas de jouir d'une aifance mieux foutenue. Le chanvre & le lin, pour lefquels leur fol paroit être deftiné & dont les produits font li utiles , y font auffi peu cultivés que le bied. Si les Virginiens fe fulfent adonnés a ces objets, ainfi qu'aux manufaólurcs d'ouvrages de première nécefiité , ils n'auroient pas eu befoin de les acheter de 1'étranger. II eft vrai qu'ils ont enfin commencé k s'appercevoir des maux qu'entraine la négligence de ces articles, . & qu'en conlèquence, ils ont fait quelques efforts pour recueillir le bied néceffaire a leur fubfiftance, & ne plus s'expofer au danger de manquer d'un aliment de ious les jours, en comptant fur des fecours étrangers & précaires, tandis que le ciel le leur offroit en abondance fur leur propre territoire. Mais les entreprifes  A M E R I C A I N. 153 des individus font trop fujettes k être traverfées, & celles qui le font le moins, ne font pas poufTées avec alTez d'aétivité: pour remédier k un mal qui a jeté de fi profondes racines, il faut qu'elles foient encouragées par la munificence publique. Dans 1'écat actuel oü font les chofes, il feroit dangereux de différer k s'occuper férieufement de la culture de ces divers objets; car le défaut de variété dans les occupations des habitans ne peut que ralentir beaucoup Pefprit d'induftrie , augmenter en eux ce goüt déjk trop marqué pour Ia diffipation & la dépenfe, goüt qui commence d'abord par nuire k la profpérité de quelque pays que ce foit, & finit par en caufcr totalement la ruine. Lorfque la Virginie étoit réunie au Maryland, c'eft- k-dire en 1674, ces provinces produifoient au delk de 130,000 boucauts (1) de tabac; mais, depuis qu'elles ont été féparées, les regiftres publiés de la Virginie montent graduellement ce commerce, & ce tableau n'eft pas indifférent. Depuis 1752 jufque & compris 1755, 1'exportation du tabac fut confidérable. Dans Pannée 1763 & les fept annés fuivances, ce commerce diminua au point que dans 1'intervalle de ces fept années, il fe réduifit, année commune , k foixahte-deux mille fept eens quatre vingt quintaux, environ un tiers moins; tandis que la confommatron angloife augménta chaque année de quarante-un mille cent foixante-dix quintaux» (1) Le böücaut eft un conneau de moyenne grandeur d'environ 700 fQ. h * du latac.  1Ö4 L E S P E C T A T E U R Cette diminution vient de la culture que la Hollande, 1'Alface, le Palatinat & la Ruffie font de cette denree, & furtout des frais exorbitans que la métropole faifoit fupporter aux Américains , vexation qui fut caufe d'une révolution confidérable dans la culture des terres de la Virginie & de la Sud-Caroline. La première ne donnoit autrefois que du tabac & trèspeu de grains, la feconde beaucoup de grains & point de tabac: aujourd'hui, le tabac k cédé une partie de fes terres k d'autres grains qu'on y recueille abondamment, & ce changement ayant faitaugmenter le prix des terres, les payfans&Ies petits planteurs de la Virginie, ne pouvant plus fe tirer d'affaire, fe font retirés derrière les deux Carolines, dans des terres qui étoient k bas prix; Ik ils cultivent lc tabac avec tant d'avantage , qu'avant le commencement des troubles on exportoit annuellement de la Sud-Caroline feule, au - delk de 2000 boucauts de tabac, tandis que la Virginie s'enrichiffoit par la quantité de grains qu'elle recueilloit. Sans les droits énormes dont on chargeoit le tabac, qui diminuoient confidéra-; blement le bénéfice des planteurs, les habitans de la Virginie n'eufTent point fitöt tourné, comme ceux de Philadelphie & de New-York, leur in'duftrie k la culture d'autres denrées. C'elt ainfi que d'un mal il réfulte prefque toujours un bien. Le produit du tabac étoit une des recettes les plus confidérables de la Grande-Bretagne, & fi l'on vouloit en faire un examen, il n'y auroic qu'k confulter le petit ouvrage in-8°. que le ■flotteur Price publia en 1776 fous le titre:  AMERICAI'N. lój tfObfervations on the nature of the cfoil lihrty, the principles of the governement and the juftice êf policy of the war wilh America. Dans Pexcellent difccrurs de Burke fur le commerce des Américains, on lit p. 43 k la fuite dc ce qu'il expofoit fur une médiation avec les colonies d'Afrique & des Indes occidentales: „ que le commerce des colonies Américaines étoit en 177 a auffi confidérable que celui de PAngleterre avec toute 1'Europe au commenceinent de ce fiecle." Suivant le compte & la balance des exportations & des importations entre les colonies & la métropole mis fous les yeux du parlement pour onze années, avant 1774, le bénéfice montoit annuellement k environ un million & demi de livres fterlings." „ Le montant annuel du payement k 1'échiquier, fuivant le tarif des droits fur le tabac depuis 1770 k 1774, c'eft-k-dire pendant cinq ans, étoit, fans y comprendre les revenus de PEcofie. de 219,117 liv. fterl. La moitié du tabac efl importée en Ecoffe •, de 1'autre moitié les \ paflent en France, en Hollande, en AUemagne & autres pays. Les autres exportations feules pour la France rapportoient annuellement k PAngleterre environ 150,000 liv. fterl. en argent. En 1775, les droits fur lé tabac en Angleterre rapporterent 298,002 liv. fterl. mais, hélas! cette année fut 1'année d'adieu. On peut juger aifément , d'après ce feul produit, de quelle conféquence il eüt été pour 1'Angleterre d'épargneï fes colonies." Nous prions le lecteur de réunii L 3 ce com* merce.  165 LE SPECTATEUR ces obfervations a celles qui terminent la première partie de cet ouvrage; elles n'en font que la fuite. On ne fauroit trop mettre fous les yeux les exemples qui tendent a donner une idéé claire du monopole que la Grande-Bretagne exergoit fur" quelques denrées de 1'Amérique; le tabac furtout en préfente d'extraordinaires. Je parle d'après le témoignage d'un négociant de mes amis, qui a fait dans les colonies une réfidence d'environ 14 ans ; j'écris d'après une faóture originale que j'ai fous les yeux, & que je peux exhiber a ceux qui douteroient de ma véracité. II eft bon , avant de tranfcrirc ce compte courant, de dire que ce monopole étoit fi confidérable, que 131 boucauts de tabac, expédiés en 1775 pour compte de ce négociant, alors a Charleston dans la Sud-Caroline, ne lui produifirent que 3307 liv. 4 fous ijr den. fterl. par les droits excesfifs, qui réunis monterent & 3605 liv. 6 fous 7 den. y compris la provifion de fon correfpendant qui n'étoit que de 3 p|, c'eft-a-dire en tout 147 liv. 7 fous 6 den, Faifons en 1'examen fur lafacture même.  SPECTATEUR. AMERICAIN, II. Part. P. \66. COMPTE de, vente de 131 houckts de tabac envoyés de Charleston a Briftol, fur le navire le Lively, Cap. G. Carter, pour le compte de M. L. P. Fret a 32 f. 6 d. par tonneau. • L 212.17. 6. Prime a 10.12. 9. Avarie • 9' i6- 6- Droits d'entrée 109,280 gg vieux gtnouv.fubf.k3|S. . . • 3^-^-~ Augm. du droit de nouv.fubf. J| fubf. 47,59, & impót k raifon V 2838. 4. 9- de 7'f- rabais 15 p«. . . .} Etrennes k la déclaration, atter- rage & falaïré au chantier. . 5. i7«"— Tonnelage * par tonneau augm. 7 den 13.12.11. ' Magaflnage & falaire aux pe- feurs 8.14. H. Pour prime d'affürance de L 800 k 2 p§, police 13 fous. . . - 16.13.— Commiffion & mauvais débiteurs a raifon de 3 pi * lAr7' 7" 6' Produit net • I3°7» 4-*Jr L 4912.10.8Jr Vendu k divers & livré en dif- férens tems depuis le 15 °o- vembre 1775 jufqu'au 16 janvier 177(5, au prix de 8| d & de 10U. fuivantlaqualitépour L. 4762. 9. 2. Pour 9 mois d'efcompte fur L 2838,4,9 ^ raifon de 7 pg. par an , • • • J49- <=• «• Permiffion royale i d. par iivre fur 575 ©. pour dommage de vaifféaux. ....... s !• ï» 5? L 4912,10.81- Nous laiffons au, négocUns éclaircs le Mn dWn* la ">nne «/" >feomW cette commiffion «ie 3 ft fur la fomme totale,* nous nous bomerons ^w ^^"^ doit fleurir, ces enyaves rompucs!   A M E R I C A I N. If>7 Le premier établifiement des Européens en Virginie fut a James -Town. Mais cette ville tomba dans un tel difcrédit, que les habitans déferterent, & malgré tous les cncouragcmens de la mere patrie, elle ne putfe relcver. Au moyen des rivieres, il eüt été facile aux colons de former des Communications d'une plantation a 1'autre , & de multiplier leurs reiïources; mais ils tomberent dans une tcllc apathie, qu'ils regarderent toute amélioration comme impoffible. Jaraes-Town, capitale de la comté du même nom, efl: fituée fur une péninfule au nord de la riviere de Ponhatan a 42 milles de fon embouchure; on n'y compte guere plus dc foixante-dix maifons, la plupart habitécs par des pêcheurs , fon gouvernement refforcit de celui de Williamsbourg qui n'en eft éloigné que de 8 milles au nord. Cette petite ville eft fituée fous 1637e degré 36/ nord & au 76e degré 51/ de long. (méridien de Londres.) La comté de James eft fituée a 1'eft de de celle de Charles, & s'étend aux deux cötés de la riviere. Tout ce territoire contient environ 108,362 acres. Williamsbourg, capitale de la Virginie, en eft aufiï 1 la ville la plus confidérable & la plus importante; \ c'eft la que les affaires publiques & mercantiles fe traitent. Elle fait partie de la comté de James, & fe trouve fous la latitude de 37 degrés 29'nord & par 76 degrés go7 de longitude occid. de Londres. Cette ville eft éleveé fur un fol très-uni» elle n'eft point comme les autres, fituée fur les bords d'une riviere; elle eft a une égale difiance de deux petites dont 1'une fe jette dans celle de Charles Sc 1'autre dans celle d'York: cette iituaL4 j-ames* TOWN, vil. 'ouilg.  1(53 LE SP ECTATEUR Son col- tion la met dans le cas de manquer fouvent d'eau; a cela pres on ne pouvoit choifir un emplacement plus agréable. Comme le meilleur tabac de la "Virginie croit aux environs, on fuppofe que cette caufe a déterminé le choix de cet endroit. Ceux qui connoilfent la marche du commerce de la Virginie , penfent que la fituation plus commode des villes de Norfolk, de James, d'York & d'Edenton attirera dans celles -ci les négocians & fera perdre a Williamsbourg une partie de fa fplendeur. 11 y a une académie ou college fondé en 169a pour 1'éducation de la jeuneffe, auqucl le roi Guillaume & la reine Anne firent une donation de 2000 liv. fterl. & 20,000 acres de terres avec le droit d'un denier par livre du tabac qu'on exporteroit de la Virginie & du Maryland pour les autres colonies. C'eft avec ces bienfaits que ce college a profpéré: trois eens éleves peuvent y être logés commodément; la bibliotheque peut contenir environ trois milles volumes: le cabinet de phyfique expérimentale eft affez complet; ce bitiment eft a une des extrémités de la grande rue qui coupe la ville en deux ct a laquelle oi\ donne plus de cent pieds de largeur: a 1'autre bout de cette rue on appercoit en face 1'hótelde-ville; il eft petit mais régulier: les habitans en font redevables au colonel Nicholfon , ainfi que de quelques rues bien percées. Au centre de la ville il y a une églife batie en forme de croix, qui mérite d'être vüe. L'arcemil eft prés de la; il y a plufieurs places ou marchés trèsvaftes , ainfi que deux prifons , 1'une pour les criminels, 1'autre pour les débiteurs. Les mailbus des particuliers font pour la plupart en bri-  AMERICAIN. ïfffi que, fort commodes & bien meublées, mais en pcr.it nombre. Les Virginiens avoient, avant la révolution, contracté une dette énorme & l'on ne peut trop s'étonner que ce foit le luxe & le falie qui en foient la caufe, fi l'on confidere que ce peuple préfere le féjour de la campagne a celui des rités. On affure qu'au commencemcr.t des troubles la dette nationale s'élevoit a 25,000,000 millions de livres tournois. Le mal n'eft cependant pas fans remcdc; ils ont dans la fertilité du fol dc quoi fe libérer promptement. L'expcriencc du paffé fera qu'ils fe reformeront fur leurs ufages, leurs goüts & leur adminiftration, & nous les verrons profpércr avec rapidité. Leurs exportations fe font par les rivieres de Patowmack, James & York. Petersbourg eft encore un port important en Virginie. La Virginie, d'abord 1'afile des perfécutés, fut dans la fuite jufqu'en 1774. celui des perfécuteurs; ces défordres, ces troubles furent furtout occafionnés par des gouverneurs ignorans & avides. >ün ne parle plus aujourd'hui de ces demèlés; cet état fe conduit fur le même efprit de douceur & de tolérantifme que ies autres. Mais le fouvcnir malheureux de ces diffenfions ne peut aifément tomber dans 1'oubli, quand il laiffe après, foi un caraótere qui frappe & attendrit. 11 nous refte un difcours de Logan chef des Shawenesfes, (1) a Dunmore, gouverneur de la Virginie, qu'il nous eft impolüble de paffer ici fous ülcnce. (1) Teuples indigénes de la Virginie. L 5  f7tf LE SPECTATEUR ,, Jc dcmande aujourd'hui k tout homme blanc, fi prelTé par la faim, il eft jamais entré dans la „ cabane de Logan, fans qu'il lui ait donné k manger ; [fi , venant nud ou tranfi de froid, Logan ne lui a pas donné de quoi fe couvrir ? „ Pendant le cours de la derniere guerre, fi lon„ gue & fi fanglante, Logan eft refté tranquile „ fur fa natte, defirant d'être 1'avocat de la paix. „ Oui, tel étoit mon attachement pour les blancs, ,, que ceux mêmes de ma nation, lorfqu'ils pas„ foient prés de moi, me montroient au doigt, „ & difoient: Logan eft ami des blancs. J'avois „ même penfé k vivre parmi vous; mais c'étoit „ avant 1'injure que m'a fait un de vous. Ce „ printems dernier le colonel Crefiop, de fang „ froid & fans être provoqué, a maflacré touS „ les parens de Logan, fans épargner ni fa fem- me ni fes enfans. 11 ne coule plus aucune „ goutte de mon fang dans les veines d'aucune „ créature humaine. C'eft ce qui a excité ma venr geance. Je 1'ai cherchée: j'ai tué beaucoup des vótres. Ma haine eft afibuvie. Je me „ réjouis de voir luirc les rayons de la paix fur „ mon pays. Mais n'allez point penfer que ma „ joie foit la joie de la peur. Logan n'a jamais „ fenti la crainte. II ne tournera pas le dos pour „ fauver fa vie. Que refte-t-il pour pleurer „ Logan quand il ne fera plus? Personne." Que cela eft beau, fimple, énergique & touchant! Démofthene, Cicéron, Bofluet, furent-ils plus éloquens que ce fauvage? Queile meilleure preuve de cette fentence fi connue: que c'eft le coBur qui rend 1'homme difert?  AMERIC A I N. tl*, C H A P I T R E XX. Nor.d-Car.oli ne, C3et état, un de plus étendus du continent de 1'Amérique, eft borné au nord paria Virginie, au fud par la Caroline méridionale, a 1'eft par ia mer & a 1'oueft par les Apalaches. II comprend fix provinces , ou comtés, Albermale, Clarendon , Craven , Barkley, Colleton & Carteret. Dans le principe, la Nord & la Sud-Caroline ne faifoient qu'une feule & même province ; mais depuis la paix que les Anglois firent en 1723 avec les Indiens voifins, les Cheroques & les Catanbas, elles formerent deux provinces féparées , fituées entre les 31 &4Ó degrés de latit. nord: leur étendue eft de 400 milles, & leur largeur jufqu'aux nations fauvages eft d'environ 300. Le fol de la Nord-Caroline eft plat, fabloneux, rempli de marais, & par cette raifon, fera toujours un obftacle a fes progrès •, fes bois de chêne font trop gras pour être employés a la conltrudtion des vaifkaux; d'ailieurs, la quantité de bancs dc fablc empêche les navigateurs d'approcher de fes cótes. Malgré les défauts du fol, les habitans pourront par une culture opintè trc le procurer toutes les produdtions néceffaires a leur fubfiftance. Les principales confiftent  rjs lë spectatèur BRUKS. WICK. (1) Voyez a ce flijet Ie Ch. XI. Ie, part. Art, Caroline. (»; Les premiers colons y abordercat en 1663. 2n poix, goudron & riz qu'ils cnvoient en Europe. Les deux premières augmenteront infailliblemcnt a mefure que le pays fe peuplera & qu'on défrichera le terrain pour étendre les établiflemens; & 1'aiïurance d'un débit iucratif de Ia derniere fera un motif de plus pour la cultiver avec foin, comme article de commerce auffi bien que de confommation domeflique (i> Suivant le congrès, cet état compte trois cents mille ames, compris les negres, qui font en pctit nombre. La plus grande partie des habitans font d'origine écoflaife (2). Ces colons font rarcment raflémblés, auffi paroiffent-ils les moins inftruits des infurgens, & les moins occupés de 1'intérót public. La plupart vivent épars fur leurs plantations fans ambition & fans prévoyance. On leur trouve peu d'ardeur pour le travail, & rarement font - ils bons cultivateurs. Le porc, le lait & le maïs font leur nourriture ordinaire, & l'on n'auroit rien a leur reprocher fans leur paffion démefurée pour les liqueurs fortes. Telles font les notions regues; mais, ou elles font exagerées, ou ces colons, excités par 1'cxemple de leurs voifins & par un changement d'adminiltration, travailleront a nous donner deux une meilleure idée. Les principaux ports de cet état font Brunswick , New-Burn , Wilmington & Edenton. RIais dans toute 1'étendue des cótes il n'y a que Brunswick qui puifle recevoir les navires delti-  AMERICAIN. T/j nés aux opérations de commerce. Ceux qui ne tirent que feize pieds d'eau abordent k cette ville batie prefque k 1'embouchure de la riviere du Cap-Fear, vers 1'extremité méridionale de la colonie. Edenton, capitale de cet Etat, placée plus haut fur le même fleuve, a un havre trés-commode qui s'étend au fud fur la riviere de Neus; mais il n'admet que de petits batimens. Aux articles précédens du commerce de la Nord • Caroline il faut encore ajouter que FEurope en recoit des cuirs, un peu de cire, de la térébenthine, • des peaux de daims, quelques bois, quelques fourrures, dix ou douze millions pefant d'un tabac inférieur. Elle envoie aux Indes occidentales , beaucoup de cochon falé, de légümes fecs, du maïs, une petite quantité de mauvaife farine & plufieurs objets de moindre importance. Cependant les exportations ne paflent pas douze k quinze cents mille livres tournois. Elle recoit en échange du nord de 1'Amérique des eaux de vie, du fucre dont elle fait une confommation immenfe; & de 1'Europe, des vêtemens & des ïnttrumens propres a 1'agriculture,  Ï74 LE SPECTATEUR Sa Jiluih tiei. 'jsapofula- los [ol. "Ses proiudlons. Son Com tnprce. CHAPITRE XXI. Sud-Caroline. Jl n'eft aucune colonie en Amérique qui ait été cultivée avec plus de lbïn que la Sud-Caroline, bornée au nord par la Nord Caroline, au fud par la Géorgie, a 1'eft par 1'océan & a 1'oueft par les Apalaches & par les Cherokees, nation indienne. L'activité de fes habitans a été cou« ronnée par les fuccès les plus brillans. La population de cet état monte actuellementadeuxcentg cinquante mille habitans, moitié blancs, moitié noirs. II eft peu de régions oü la civilifation 8c la culture foient a un plus haut degré de perfection. Les productions aborigenes y font cultivées avec foin, & il n'eft aucune région connue oü les exotiques réulfiüent auffi bien Sc perdent auffi peu de leur bonte naturelle que dans la SudCaroline. Elles fournit aux deux mondes du riz, de la poix, du goudron, de la térébenthine du porc & du bceuf fumés, des fourrures, de 1'indigo, des bois propres a la conftruc~tion,du bledd'fnde, des légumes & toute forte de beftiaux. Elle regoit de 1'Europe toutes les marchandifes qui tiennent a Putilité, au luxe 8c aux agrémens de la vie. Les habitans paroiffent avoir tourné leurs travaux vers le riz 8c Pindigo, a quelque düiance de 1'océan.  AMERICAIN, 175 ; Les premiers établiffemens s'étant naturellement fa ts auffi proche de la mer qu'il eft poffible, c'eft lk qu'ont du commencer les améliorations du pays ; elles fe font étenducs dans la fuite bien avant dans 1'intérieur. Mais, on ne compte que le quart du terrain qui foit défriché; le refte eft inculte par la perfuafion oü l'on eft que les trois autres quarts ne font bons k rien: il eft certain cependant qu'il feroit poffible d'en tirer un bon parti en y cultivant 1'olivier & le mürier, & de procurer ainfi k cet état deux excellentes branches de commerce. La Caroline eft capable de nourrir & de conténir fix fois le nombre de fes habitans actueis. On y feme le bied d'Inde, ou le maïs depuis le premier de mars jufqu'au 10 de juin. Un acre de terre commune produit depuis dix-huit jufqu'a trente boiffeaux. La faifon pour femer le riz, elt entre le premier d'avril & le 20 de mai. On le feme dans des fillons, k dix-huit pouces 1'un de 1'autre. Chaque acre donne raremcnt moins de trente boiffeaux, & quelquefois plus de foixante; mais la récolte ordinaire monte ou baiffe entre ces deux termes fuivant la qualité du terrain. Cette derniere moiffon fe fait en feptembre jusqu'au 8 octobre. Les vers k foie commencent a y profpérer ; ils fortent de leurs ceufs vers le 6 de mars qui eft le tems oü les feuilles du mürier s'ouvrent. Depuis 1'endroit oü les collines commencent a s'élcver jufqu'k fextrémité de la colonie, ie ciel y a répandu avec profufion fes dons les plusprécieux; l'air y eft infiniment plus doux, plus' fiüubre que lelong de la mer; les collines font cou-  *7Ö LE SPECTATEUR Commerce du riz. (*) On appelle cette ville aujourd'hui Charleston &non. Charks-town: ainfi 1'a ordonné 1'état de la Sud - CaroliEiN vertes de bois de prix,les valléesarroféesdebelle* rivieres. II ne refte done qu'a mettre a profit des faveurs fi marquées. Quelque grande quantité de riz qu'on recueille dans la Caroline, il eft conftant qu'on en peut cultiver beaucoup plus, & fournir ainfi a des demandes plus confidérables. C'eft dc cette culture que la Caroline tire fes plus grandes reffources: auffi en fait • elle un commerce prodigieux. Suivant le tableau des difTérens prix du riz dc la Caroline publié a Londres, l'on voit que cette denrée n'a jamais été au deffous de 37 fch. 6 den. ni plus haut, que 75 fch. argent de la Caroline, dont la difTérence du change avec la métropole eft ordinairement de 700 p§, puis qu'une livre fterl. en fait 7 a la Caroline. Le fret fe regie toujours fur le prix du riz; par exemple : fi le riz vaut k Londres 13 k 14 fch. le fret fera de 25 fch. par tonnes de 2200 £g ou 4 tonneaux de riz dans la Caroline , ou de 80 fch. fi le prix montoit jufqu'k 25 fch. Suppofons qu'k Charleston C*) le riz coüte 47 fous 6 d4 a combien reviendra-t-il k Londres avec tous les, frais que l'on doit faire k raifon de 50 fous fterl. de fret par tonne? On trouvera en conféquence qu'il doit être vendu 18 fous 6 den. fterl. d'ou il Tuit que la difTérence de ce qu'il coüte k Charleston vient des frais, dont il faut faire la répartition k qui dc droit. Voyons  AMERICAlN. r/7 Voyons maïntenant combien feront tcoo tonnes, d'après les prix que nous venons de déterminer. iooo Tonnes riz de 500 fS net par tonne fönt k 18,6 fterl. par ico 68 . • L 4< 500,000 fg k 47r- ^ cr- de la Caroline font L is fu. le change k 7 pour. 1 . ^Jjj L Sterl. 25 Le commerce du riz étant depuis 1'ihdcperidance un commerce libre pour toutes les nations, Ta puiffance qui en exportera le plus avec fes propres navires, fera celle qui jouira d'un benefice plus grand. Les Hollanddis, qui ci-devant étoient les facteurs des deuxmondés par le nombre de leurs navires répandus dans tous les ports, font ceux qui importcront le plus de riz dans leur pay s foit k caufe de la grande confommation qui fe fait de cette derirée chez eux, foit par l'habitude ou ils font de 1'importer dans les divers ports de 1'Europe. L'Angleterre, qui de fes colonies failoit exclufivement ce commerce chez elle, approvifionrioit les Hollandois & joüiffoit par-la d un doublé bcnéficc: le bas prix de 1'achat dü riz, le bénéhee fur les objets d'échange , les droiti oue l'on devoit payer pour 1'exportattort & 1 imnortation, le bènélicc enfuite qu'ils faifoient en vendant cette denree étoient autant de fources fècondes de rickffes. SuppoTons maïntenant que la Hollande importe chez elle 60,000 tonnes de riz au prix ci-delTus , ce fera un prodiur* 375,680 livres fterlings répandues chez elle* & f IJ Part. M :a5— 59%8,5. Le commerce /in riz fera toujours pour lit Hollande une jouree icJichcjfti f*  17* LE SPECTATEUR Valeur du fret avant la guerre. elle fait ces importations avec fes propres navires, cette république en retircra les plus grands avantages, & fa navigation prendra une nouvelle vie. Avant 1'indépendancc de 1'Amérique le fret étoit k Charleston a 50 fous fterl. par tonne pour Londres, Sedans lc même tems a do fous pour Cowes & Amfterdam ou autres marchés. Cette difTérence de 10 fous par tonne étoit un gain dont les navires devoient profiter , vu qu'ils étoient fouvent obligés de refter k Tancre 4 ou 5 femaines1 a Cowes pour acquitter les droits qui montoient au-de!a de 160 livres fterl. fur un chargement de mille tonnes, les 10 fous de plus non compris. Tous ces frais conliftoient en droits d'entrée, décharge, charge, magafinage, falaires aux travailleurs pour le remuage, pefage, tonnelage, étrennes aux officiers de ladouanne, commiffion Sc ports de Iettres. Ce commerce fera fans doute toujours fujet a des droits au pro* Et des Etats-Unis; les frais feront k peu prés les mêmes, mais au moins les navigateurs propriétaires Sc négocians en général, ne feront plus forcés de paffer préalablement par les mains des Anglois, puifque le monopole Sc leur puisfance k cet égard n'exiftent plus. Ajoutons k ces réflexions, que le commerce du riz eft fi avantageux qu'il' peut rapporter même un bénéfice net de 100 pg., puifqu'une cargaifon de cette denrée, achetée k Charleston Sc chargée fur un navire hollandois, enfeptembre 17 3"» tous frais faits Strendue a Rotterdam a 35 fch. la tonne, s'eft vendue fur le champ k 70 fch. Quelle perfpeftive, quels encouragemens pour une nation qui ne connoit,  A M E R. I C A 1 N. 179 nVimeque la mer, re fe foutient & ne s'enrichit que par la navigation! La culture du riz efl: pouffée fi loin , qu'en 1773 les Anglois exporterent 150,000 tonnes de riz, & pour actiever de montrer les reffources de ï'état de la Sud - Caroline, c'eft que dans la même année elle recueillit 1,200,000 t£ d'indigo. Ces exportations chargées fur 507 navires produifirent une fomme dc cinq eens mille livres fterlings. Le commerce des negres O) n'eft pas moins avantagcux; les Anglois en 1774 en importerent k Charleston p'-oo , qui turent vendus 42 liv. par tête & produifirent une fomme de 378,000 liv. fterl. Les exportations des deux Carolines feulement en riz & en indigo s'éleverent en 1769 k 10,601,336 livres tournois. Nous croyons ces expofés fuffifans pour prouver 1'importance dc cette contrée. Les deux états réunis occupent plus de quatre eens milles fur la cöte & environ deux eens milles dans les terres: c'eft une plaine généralement fabloneufe que le débordement des rivieres, que des pluics fortes & fréquentes rendent très-maréca°-eufe: le fol ne commence k s'élever qu'k quatre-vingts ou cent milles de la mer, & 1'élé* (1} Je ne ferois pas furpris qu'un ordre émané du congrès, de cette augufte affemblée d'hommes toiérans, éclairés , amis de la libertè & de 1'humanité , ne proscrivit dans peu dans toute i'étemhie de fes ddinainés; ce commerce infame, qui deshonore a la fois & ki fouverains qui le permettent & les fujets qui oftnc 1'txercer. M a R&ollè 'mmenft le cette leurde* Étendue des dtüx Carolines*  I8C L E S P E CT ATE0R GF.OR. CES. 1'OWN PORT- cmn- LESJüN. vation devient plus fenfible en avangant vers les Apalaches. Les habitans de la Sud-Caroline cultivent, comme nous 1'avons dit, beaucoup d'indigo, maia il faut en défigner les efpeces: la première fe nom-. me indigo frangois oii hifpagniola; la feconde , Guatimala ou vrai Bahatna; la troifieme eft 1'indigo fauvage , „ production indigene de cette contrée. On ne compte dans la Sud-Caroline que trois villes, qui font en même tems des ports. Georges-Town, fituée a 1'cmbouchure de la riviere de Black, eft encore peu de chofe; mais fa fituation doit la rendre un jour confidérable. Beaufort, ou Port-Royal eft un des meilleurs havres de la Caroline; il eft fort avancé vers le fud, & fitué fur les bords de la Géorgie: c'eft dans cette ville que fe firent les premières opérations dc commerce de la colonie: mais elle ne fortira pas probablement de fa médiocrité, paree que Charleston eft & fera toujours le rendez-vous génCral du commerce de la Sud - Caroline. La ville de Charleston , capitale de la SudCaroline, eft une des plus confidérables, des plus riches & des plus commercantes de la république des Treize-Etats-Unis. Elle doit fon origine a un Frangois, nommé Jean Ribaut, qui partie en 1562 de Dieppe pour continuer fes Vuyages au nord de 1'Amérique: il aborda dans cette contrée & y fit batir le Fort-Charles, bientöt apres les Anglois s'en emparerent, & y éleverent la ville de Charleston. Le canal qui y conduit eft femé de récifs & embarrafle par un banc de fable; mais ayec le fecours d'un bon pilote, on  ' A M ERICAIN. i8r arrivé furement au port, qui, dans tous les tems peut recevoir jufqu'a quatre cents navires avec leur chargement entier. Le doublé avantage qu'a Charleston d'être 1'entrcpöt de toutes les produdtions de la colonie qui doivent être exportées, & de tout ce qu'elle peut confommer de marchandifes ctrangeres, c'eft d'y entretenir un mouvement rapide, qui occafionne des fortuncs confidérables. La ville occupe un grand efpace au confluent de V4shley & de laCopcr, deux rivieres navigables. Elle a des rues bien alignécs, la plupart fort larges; deux milles maifons commodes , & quelques édifices publics qui pafferoient pour beaux en Europe même: on diftingue furtout 1'églife paroifiiale qui n'a d'autre défaut que celui d'être trop grande pour lc nombre des habitans. La bourfe oü les négocians s'afiemblent tous les jours a midi, eft fort belle ; on y monte par des degrés trés-commodes; elle eft entierement couverte, & décorée en dedans par des piliers comme celle d'Amftcrdam. Au deffus fe trouvent les falies de 1'amirauté & au deflaus des caves très-feches & très-vaftcs. La bourfe & les cafés font les rendez-vous ordinaires le dimanche au fortir de 1'églife. Charleston eft auffi bien fortiüée par l'art que par la nature, elle a fis baftions qui la défendent: outre ces travaux réguliers, on a élevé un fort fur la pointe de la riUe'a l'embouchure de la Coper, qui commande 11 bièn le'canal qu'il feroit impofiïble a un VaiOeau' d'y pafier impunément. Le fort Johnfon eft garni de vingt pieces de canons placées k fleur d'caiu Charleston, dans une heureufe fituation, offre M 3  jS2 LE-SPECTATE-UR Maniere ie traite Ui «faire dans fes environs de très-beaux fitcs, les promenades y font belles & trés - variées. Elle eft fous la latitude fud de 3a degrés 35'&de79 degrés 10' de longitude occidentale: (méridien dc Londres.) Les habitans vivent avec luxe & magnificence; ils aiment a jouir du fruit de leur induftrie; la plupart ont des voitures & tous des chevaux de felle; rarement ils vont k la promenade k pied, Le féjour de Charleston pafte pour étre nuiftble k la fanté des étrangers, en ce que dans un même jour on y éprouve quelquesfcis des chaleurs étouffantes & des vents froids. Tous les environs font agréables & fertiles. On vante avec raifon la beauté des grands chemins, furtout de celui qui fe nommc Broad- way. Les arbres dont la verdure eft continuelle pendant 1'efpace de quatre milles, forment une promenade fi réguliere qu'il. eft douteux que l'art cn ce genre ait jamais produit rien d'approchant en Europe. Les particuliers qui vivent dans leurs planta!tions, fe fervent ordinairement de courtiers pour vendre leurs récoltes ; ces facteurs réfident k Charleston: dès qu'ils ont regu les denrées des planteurs, ils vont les offrir aux négocians, & le prix en eft fixé fuivant le nombre des chargemens. Le payement s'en fait fur lechamp; il eft rare que le négociant demande un terme pour les payer. Cette excellente habitudc entrecient 1'abondancc & 1'acTivité chez le.cukivateur. La plupart des payemens fe font en un fimple billet de change que l'on appelle Note \ jamais on ne les rcfufe même pour les plus petites fommes : ces billets font k Charleston ce que les aftignations fur les caitEers font k Amfterdam,  AMERICAIN. 183 Les capitaliltes de cet état ont une maniere de faire valoir leurs capitaux qui mérite d'être connue. Ils achettent autant d'immcubles 6 au plus bas prix qu'ils pcuvent; comme 1'intérêt eft a 7 pi üs profitent du befoin que lesctrangers ont dc fe loger, & comme rien ne flat te plus un nouveau venu que de pouvoir acquérir un immcuble fans payer le capital, les propriétaires s'en prévalent en gagnant fur le prix de 1'immeuble & cn redrant 1'interct de cette fomme a 7 p|. On fixe un certain nombre d'annécs pour payer le capital, au'défaut de quoi lc premier propriétaire rentre dans fon immeuble & peut même exiger des dommages pour cette réintégration prétenduc forcce. Les négocians de Charleston ont établi depuis quelques années une chambre de commerce coumofée des principaux d'entre eux. Tous les ans ils éüfent un nouveau préfident; ils s'aflcmblent douze fois par an, favoir le premier mercredi dc chaque mois. On y juge dc toutes les conteltations qui pcuvent furvenir entre les négocians, & il eft rare que les parties en appellent au tribunal du bautconfeil; aufïi cette conftitution utile a beaucoup éprouvé de difricultés dan. fa naiffance par les vives réclamations des procureurs & des avocats qui ont perdu par la un£ partie de leurs gains déja très-confidérables, puis qu'une fimple confultation leur vaut quclqucfois di) hvres ftcrlinzs; ilencftmêmequi donnent jufqu'i co & 30 livres; le plus ou le moins dépend di genre dc la confultation ou de la générofité di particulier. Cette chambre de commerce a cou tume de nummer pour chaque mois trois députés M 4 Ihamhra ie c»»ivetes. I l i )  18| LE SPECTATEÜR uniquement pour régler les contefiations qui ne peuvent fouffrir de délai. Ces députés ont un café attitré oü ils fe rendent tous les mercredis depuis fix heures jufqu'a neuf pour y attendre ceux qui pourroient avoir befoin de leurs lumieres^ & dans le cas oü ils ne peuvent mettre les parties d'accord, ils les renvoient jufqu'au jour de la grande affembléc dans laquelle on commence toujours par examincr le rapport des trois députés. Les membres qui manquent de comparoitre font mis k 1'amende, k moins qu'ils n'allcguent des raifons valables. Avant de terminer cc chapitre, difons un mot fur une opération de commerce ufitée a Charleston , & fans doute ignorée de quelques négo^ cians d'Europe & de la plupart des planteurs de la Caroline. Ces derniers font une confommation immenfe de vin foi-difant de Madere; mais comme ils font peu connoifleurs ou peu délicats , leurs commifiïonnaires peu fcrupuleux leur fourniffent du vin de Ténérife, auquel ils donnent le nom de Madere & qu'ils paffent en conféquence. IMB. La difTérence n'eft que de ico pg dans Ie prix. Je tiens cet avcu d'un négociant de Charleston , qui eft, die-il , forcé de fuivre le tarrent.  AMERICA! N. 1^5 CHAPITRE XXII. Georgië. L'etat de Géorgie eft féparé de la Sud-Ca-,< roline par les rivieres de Savannah & d'Alatama-** ba au nord ; k Telt il a pour hornes 1'océan, k 1'oueft la Floride. II occupe une langue de terre qui n'a que foixante milles le long de la mer, mais qui en approchant des Apalaches embraffe plus de trois eens milles de largeur. A 1'oueft il a pour limir.es tout le territoire appclé par les Francois la Louifiane, & par les Efpagnols la Floride. Les cótes de la Géorgie font défendues du cóté de 1'océan par une chaine de petites ifles abondantesen bois. La Géorgie doit fon origine k un trait de grandeur , de bienfaifance & de générofité dont il eft bien peu d'exemples. Ön citoyen de Londres, compatiffant & riche, voulut qu'après fa mort fes biens fuffent employés k rompre les fers des débiteurs infolvables que leurs créanciers détenoient en prifon. Le gouvernement fecondant les vceux de 1'humanité, ordonna que les infortunés qu'on rendroit libres feroient tranfportés dans la terre inhabitée qu'on fe propofoit de peupler. Ce pays fut appelé Géorgie en 1'honneur du fouve. rain qui gouvernoit alors les trois royaumes. La nation voulut avoir part k cette entreprife, &c M 5 on élen- ie & fa ■ifit'mn. ?os origï' te»  i8ci L E S P E CTATEüR Sa popuItti-jn. Sts producliont.& fon eemmtrce. le parlement ajouta 325,000 liv. fterl. au legs facré du citoyen. Une foufcription volontaire produiiït des fommes encore plus confidérables. Ces premiers colons y arriverent au mois de janvier 1735- - Oglethorpe, citoyen célebre & vertueux, fut leur conducteur & mérita la confiance du gouvernement. II placa fes compagnons a dix milles de la mer-, fur les bords de la Savannah, riviere qui donna fon nom k la nouvelle ville qu'ils Mtirent fur fes bords. .La pcuplade, bornée d'abord a cent pcrfonnes, fut groffie avant la fin de 1'année , jufqu'au nombre de ïöifï, dont 127 avoient fait les frais de leur émigration. On y compte adtuellement plus de 30,000 ames, & pour peu que 1'agriculture augmcntc, le nombre des habitans ne pourra que s'accroitre avec rapidité. La Géorgie cultive du riz, de 1'indigo & de Ia foie; elle fak entrcr dans fon commerce des fourrures, des planches, des bois de conftru&ion, des écailles de tortue, & toute forte de beftiauxelle échangc ces objets contre tous les articles de fabriques curopéenncs, foit d'utilité, foit d'agrément. Cet établifièment n'étant pas auffi ancien que les autres , ne peut avoir lc même degré de profpérité; mais fi l'on cxamine la marche rapide de fon commerce,on préfume qu'il ne leur oédcra en rien par la fuite. L'expéricnce a prouvé que le fol étoit propre k la culture des vignes , & qu'on pouvoit fe procurer une qualité de vin auffi bonne que ceux que lui fourniiïent le Portugal, 1'LïpugnC', 1'italie & Madere; il ne manque aux habitans que des encouragemens nouveaux pour y parvenir. Le riz fe cultive dans les terres fcaifes, tandis  A1 M E R I C A I Ni j 1S7 que le fol le plus élevé produit un indigo préférable k celui de la Caroline. Nous avons eu occa-1 fion de donner un état exact de fon commerce &' de fes progrès dans lc Chap. XI de notre première partie : nous allons ajoutcr un excmple frappant de la rapidité de ces progrès. Dans Pannée 1772» fuivant les regiftres de la douane,, il y eüt 217 vaifféaux qui exporterent les productions dont le montant fut de 121,677 livres fterl. Qui ne verra avec étonnement que cette augmentation s'eft faite dans un efpace de' 23 ans! car en 1750, il n'y eut de denrées que ce. qu'on voit par la lifte fuivante, extraite des regiftres de la douane de cet état. En 1750 4 avec. 8 Vaifféaux. L 2004. Sterlings. 51. . . 11 3810. 52. . . 17- • • • • 4841- J3- . . 23 °403- 5+. . . 42 9S°7- 55. ' . . 52' • • • • 15744- 56. . . 42 1^766. 57- • • 44 i&Arh 58. . . 21 8*23. 59. . . 48. . . . . 12694. Co. . . 37 20852. ór. . . 45« • • • • US70' 62. . . 57 0,7021. 63. . . 02 47541. 6\. . . 115. .... 55025. 65. . . 148 73426\ 65.' . . 154., .... 81228. 67. . .;. J54. . . . • 67092. rems 'rnpreseu te & ie 'indigo. "ropris ■apide is t commtt' e.  Les Alle- manos ont été les premiers habitans dc tetts cola- tic Tropriêti des terres four la culture du yin £? de hfoie. - IÜ LE SPECTATEÜR En 1768, avec 1 Of?.Vaifféaux. L 922R4. Steriings. 69. . . ifti. . . . 8^480. 7c. . . 186. . . . 95383. 7r. . . . . • ïcótf'*?. 73. . . 217. . . . 121677. C'eft air.fi que la Georgië vit augmenter en fi peu de tems 1bn commerce; la population1 qui cn eft une fuite naturelle , eut auffi pour caufes 1'étenduc immenfe du pays, la bonté de fon terroir partout arrolé par de belles rivieres, enfin fa fituation avantageufe , falubre ec montucufc. Cet Etat, air.fi que celui dé la SudCaroline fut peuplé d'abord en grande partie par des Allemands qui ayant fini leur fervice dans les provinces feptentrionales, comme Philadelphie & New-York, exercerent leur induftrie a la culture de 1'indigo, du tabac, du chanvre, du lin & de toutes fortes de grains fur des terres dont 1'acre ne leur coütoit fouvent pas 40 fchelings Les habitans de la Géorgie font auffi commerce avec les Indiens; c'eft-dans cc trafic qu'ils échangent les marchandifes européennes pour des peaux de cerf, de caftor & pour de la cire, objets d'une affez grande-importanGC. Les raifons que j'av dennées, pour exciter les colons de la Géorgie a la culturc.du vin, font, en grande partie, applicables a la foie; P.ufagc cn eft devenn fi commun, qu'elle .eft prefque regardée aujourd'hui comme une néceffité.de la vie; il 'ne faut pas croire que ceux qui .font en état i'en acheter, s'en priveront , quel qu'en puifle Jtre le prix. La production de cet actiele ne futfile qu'en quantité fuffifante pour 1'ufagc de la  AMERICAIN. m colonie feroit toujours une épargne importante pour elle, & fi elle devenoit telle qu'on en put exporter une partie, ce feroit une branche de plus ajoutée k fon commerce. Le climat de la Géorgie convient, k tous égards, au ver a foie. Les végétaux qui font la nourriture naturelle de cet infecte y font indigenes. La foie de la Géorgie ne cede en qualité k aucune. La feule chofe qui femble mettre obftacle k la pourfuite d'un objet fi lucratif, c'eft qu'on manque d'un nombre fuffifant de mains pour en préparer une quantité qui puifle mériter 1'attention publique. Pour foigner le ver-k-foie, il n'eft befoin qut de femmes & d'enfans qui n'ont pas encore la fora requife pour des travaux plus pénibles. II cf manifefte que de cette maniere on peut s'appli quer a cette culture fans nuire k aucune autr< qui intérene le bien public. C'eft un fait connu qui la population augmente en proportion des moyen qu'a 1'induftrie de s'enrichir. Tandis donc que de leur cóté, les hommes confacreroient leur at tention & leur tems k des ouvrages qu'ils font feul en état d'exécuter, cette partie de leur familie au lieu d'être une charge fur leur induftrie, 8 de diminucr leurs reffources, les encourageroit répandroit 1'aifance dans leur maifons, & la joi dans leurs cceurs, vraies & immanquables fourcc de population. Cette fpéculation n'eft point chi mérique; ce commerce peut produire cesheureu effets; nous cn avons pour témoignage irréfn gable tous les pays oü il eft en vigueur: le pei ple qui fait ce commerce, quoique alfujetti beaucoup de difhcultés & d'entraves inconnu 'Moysns .faciles de J'uivre ets jcu'.tures* > S ■ » s X l1- k  iqo L È SPECTATEUR SAVANNAll.Sa fitua. tion. Ses iiip' ces. Les Géor. guns fin alliance avec les indiens, Ê? fixent les limite, de leurs domaines >cfpeiïifs> dans les domaines heureux & libres des EtatsUnis, y a néanmoins un air charmant de fanté & de gaité. Habitans de la Géorgie, puiffiezvous en être perfuadés & mettre ces confeils en ufage. Savannah , capitale de la Géorgie, eft fituée fur les bords de la riviere qui lui donne fon nom & facilite le commerce de fes habitans en rendant la navigation plus facile & plus avantageufe. Elle eft a 118 milles de Charleston , par eau. Les vaifféaux de trois cents tonneaux peuvent entrer dans la ville, & remonter même au plus haut de la riviere. Entre autres édifices, on remarque furtout 1'églife, lamaifon duconfeil, 1'hêtel-deville, & 1'arfenal oü l'on voit des canons toujours drefles fur leurs aftiits. Les maifons, au nombre d'environ trois cents, y font büties avec régularité & a une égale diftance 1'une de 1'autre, elles font conféquemment uès-aérées & très-faines. Les places y font vaftcs, les rues belles. La première maifon de cette ville fut conftruite le 9 février 1733. La ville eft en forme decroifiant» foixante pieds au deifus du niveau de la riviere. Le centre de Savannah s'éleve en amphithêatre, & facilite le coup-d'ceil riant d'une riche prairie placée vis-a- vis. Elle eft fous la latitude de 32 degrés 5/ nord & par 80 degrés 7 minutes de longitude occidentale (méridien de Londres). \ II convient beaucoup a un gouvernement fage de vivre en paix avec fes voifins, c'eft pour parvenir a cette félicité peu commune que le gouvernement de Géorgie vient de déterminer anücalement avec les nations indiennes leslimitesrespedtives de leurs pays. L'affemblée eut lieu %  AMERICAIN. »r Augufta, petitc ville non loin de Savannah. Elle étoit compofée des commiflaires de cet état 5c des 36 chefs de la nation chiroquoife. Ce traité de cefiion fut figné le 31 mai 1783; il porce entre autres articles, que la ligne de démarcation com* mencera fur la riviere de Savannah au point oü commence la ligne a&uelle; de lk en remontant cette riviere jufqu'a un endroit fur fa branche la plus feptentrionale, communément nommée Keowe, d'oü l'on tirera au nord - èft une ligne qui coupera la première k commencer du fommet de la monragne ó^Occuna^ de lk au fud-oueft vers la riviere de Jugelo jufqu'au fommet de la montagne de Cunokee, 6c depuis cette montagne jufqu'k la fource de la riviere iVOcccnee en la prolongeant dans fon cours jufqu'k la ligne des Creeks. Une affemblée pareille eft un témoignage authentique de 1'heureufe harmonie quifublifte entre les indiens & les habitans de la Géorgie. Ainfi les douceurs de la paix vont répandre dans toute cette immenfe contrée le bonheur & la profpérité la plus complete : elle fera certainement de longue durée, paree qu'il n'eft pas k préfumer qu'aucune puiffance de 1'Europe ait jamais la folie de vouloir la troubler, ni que les Word - Américains aient 1'ambition de vouloir étendrc leur domination. Après avoir parcouru du nord au fud tout 1'empire des Etats-Unis, fait connoitre leurs différens rapports , & les événemens principaux qui les diftinguent, arrêtons nous un inftanc  jVa LE5PECTATEUR Coutumes & ufages généraux des ringloAmérï'tains. ür quelques coutumes & ufages parmi les haaitans. Ces coutumes & ces ufages font a Philadelphie Sc dans toutes les villes de commerce k peu - prcS les mêmes. Les négocians fe raffemblent journellement entre midi & deux heures pour traiter ie leurs affaires, foit k la bourfe, foit dans les cafés, lomme k LondreSi Les termes que les négocians s'accordent mutuellement pbur payer font de trois jufqu'a douze mois fuivant la nature du commerce; par exemple: dans les villes maritimes les négocians accorient aux marchands & particuliers des autres villes qui viennent acheter des marchandifes fe:hes le terme de douze mois; fouvent ce payement fe fait fur le champ par 1'échange des productions du pays; mais les négocians d'une ville fe payent prefque toujours comptant, foit par des notes ou billets de banque payables au porteur, foit en papier fur TEurope, les ifles, &c. ou en efpeces qui confiftent comme nous 1'avons dit précédemment en guinées, portugaifes& piastres d'Efpagne; les Frangois y ont introduit leurs monnoies & les louis d'or, les écus ont également cours en Amérique principalement k Phi* ladelphie. L'ufage eft de vendre la plus grande partie des marchandifes en ventes publiques, dans lefquelles les marchands Scboutiquiers ont coutume des'approvifionner , & comme le commerce n'eft point fujet aux entraves des maitrifes, les affortimens de marchandifes font généraux dans les magafins, c'eft lk oü les particuliers vont faire ordinairement leur choix.  A MERICAIN. m La ville de Philadelphie efl la première oü pon a érigé une banque; elle eft k peu prés fur le même pied que celle de Londres. Quoique cette banque ne foit point nationale, elle jouit du plus grand crédit, & les acYions moment beaucoup. Cet établiffement fait honneur aux lumieres de M. Morris qui le dirige en chef: comme il n'y a point de difTérence entre 1'argent de banque & 1'argent courant, il n'y a point d'agio; les porteurs de notes ou billets peuvent en aller recevoir le payement tous les jours -fans efcompte , ainfi les caifiiers ou payeurs k la banque ne font point a la charge de public. A 1'égard des obligations , 1'efcompte fe regie fuivant la nature de ces mêmes effets. II eft défendu par la loi d'exiger 1'intérêt au-delk de 7 pg. Les frais de protêt y font confidérables; ils fe tncntent k 20 p§. Cnioiqu'il y ait comme en Europe des procureurs, des notaires & des avocats, il eft rare qu'on les employé en matiere de commerce : les difterens entre négocians fe reglent par des arbitres; fi le cas ne peut fe terminer ainfi, les parties ont alors recours aux loix, & chacune fe choifit un avocat pour plaider fa caufe; mais l'on n'y a recours qu'avec peine, k caufe du haut prix de leurs honoraires. Les ordonnances de commerce font enregiftrées dans chaque état, & lorfque les circonftances exigent qu'on y fafTe quelque modification, addition ou autres changemens, ils font exaétement publiés. La loi contre les mauvais débiteurs eft la même qu'en Europe. On ne refufe fe droit de bourgeoife k aucun individu; il s'accorde gratis. Ceux II. Part. N  LESPECTATEUR qui fe font rendus coupables de quelques crimes, Ou dont le caractere eft connu pour dangereux, font généralement êxclus de ce privilege. Dans toute 1'étendue des Etats-Unïs il y a des voitures publiques pour le tranfport des marchan, difcs & des habitans; le prix varie fuivant la bon« té ou ladifnculté des chemins; il eftordinairement pour chaque voyageur de trois pences fterlings par mille & d'un peny par livre de bagage. Les particuliers voyagent pour la plupart d'une ville a 1'autre avec leurs propres chevaux & voitures, mais plus communément k cheval, fuivifi de même par leurs domeftiques. Ces voyages font irès-fréquens, & les Communications font trèsgrandes d'un état a un autre. Dans les belles routes l'on fait jutqu'h foixante milles par jour ou environ 20 lieues de France. Jl y a partout des chemins de communication ; aucune barrière , aucune porte aux villes: les chemins publics font entretenusavix foin par chaque 'ville oU bourg, cependant ils font trésma vais dans certains endroits par rapport aux montagnes. Comme le goüt des fpeétacles ne s'eft point encore introduit en Amérique , les recréatiens des habitans font les cafés, fes promenades, les alTemblées & les danfes. L'union conjugale eft en 'Amérique un fujet d'édiiication pour les Européens ; les femmes font prefque toujours accompagnées de leurs maris & admifes dans toutes leurs'parties. Les heures du repas différent peu des nötres» on déjeüne a huk, on dine a deux & l'on foupe a dix heures.  A M E R I C A 1 Ni los Quoique le congrès ait fixé fa réfidence aftuelie k Annapolis, capitale du Maryland, Philadelphie efl: toujours la plus intéreflante ville des Etats-Unis, par fa fituation, fa température & la douce harmonie de fes habitans. Si elle efl: privée du lenat américain, elle en efl: dédommagée en quelque forte par la diminution du prix des denrées que l'affluence des étrangers & la réfidence des miniftres avoient fait beaucoup trop augrnehter: d'ailieurs une ville de commerce ne fauroit être une ville de cour. Lorfquc nous avons fait dans le cours de cet ouvrage Pénumération du nombre d'habitans de chaque république , nous n'avons fuivi que des calculs généraux; mais nous nous réfervions d'en donner un état plus exact en même tems que les diftances réciproques des treize capitales. Etaïs. Habitans Capitales. pisTANCfiH du Sud au En Georgië. 25,000. deSavmnati. ..... Nord. Sud-Caroline. 170,000. i Charleston 265 milleSjl Nord Caroline» 200.000. Edemon. ..... 37c. Virginie. 400,000. Williamsbourï. . . . yi. Ülaryland. 220,000. Annapolis prés Baltimore. 108 ItekwMtt 35.000. New-Callle. ' . . . E4. Penfylvanie. 320,030. Philadelphie. . . . . ■ 30. ■ Nouvelle - Jerfey. 130,000. Princeton 42. Nouvelle. York. 200,000. . New. York 551 Conntfticut. 200,900. New-Haven. . . . . 83. Rhode-Mand. 50,400. Providence. .... 1.-2- Maflauhufet. 350,000. Boftoi 45. Nouvelle-Biuipshire. 82,200. Pojrtimouüi. . . . f 6b; **38y,.50o liafaitaiis, SnfemuJe 1454 mille». N 3  L£ spectateür CHAPITRE. XXIII. Pourfervir de faite au Ch. VUL »p- parti». ■exportations propres pour PAmériqu» Septenlrionale. tlau fes de. mauvaifes fpécula. tions ave PAméti' fue. Le calme que la paix va répandre fur les deux hémifpheres ne peut que contribuer a affermir les liens que les puifiances de 1'Europe fe font empresfées de former avec les Etats-Unis. JNousnedevons regarder les traités de commerce que l'on vient de conclure, que comme des articles préliminaires, des traités préparatoires k ceux que l'on formera par la fuite, paree qu'il étoit impoffible, dans la confufion des objets divers qui occupoient les parties contraftantes, de ftipuler avec clarté tous les points efientiels. On ignoroit encore quels élémens l'on devoit fuivre-, on ne pouvoit avoir encore cette certitude que donne 1'expérience , :pour autorifer des expéditions confidérables; auffi avons nous vu que la plupart fe font croifées mutuellement, que tous les articles font tombés au deflbus de leur valeur: j'en donnerai un exemple. Les marchandifes Angloifes de différentes fortes étoient en iy32 k bien meilleur marché a New- Yörk qu'k Londres. Je fuis même informé par des lettres particulieres de Philadelphie, que les marchandifes d'Europe y lont aftuellement a  A M E R I C A 1 N. m plus de 25 p| au deflbus des prix de fabrique. D'oü vient cette baiiïe énorme, fi ce n'elt de la trop grande abondance de ces mêmes articles ? Si les négocians qui fe font emprefles d'y faire des expéditions, avoient plus confidéré les loix de la prudence que celles d'une ambition démefurée, ils ne feroient pas maintenant dans le cas de regretter le zele qu'ils ont prétendu manifefter pour la bonne caufe, zele qui dans la plupart n'étoit que le mafque de leur intérêt particulier. Les négocians bien intentionnés, & peu récompenfés. ne doivent cependant pas rcnoncer au commerce de 1'Amérique; la Tuite les dédommagera probablcmcnt de ces effais malheureux. II importe poui cela de connoitre les befoins de 1'Amérique & eeux des Européens, les articles que l'on peul fournir & ceux qu'il convient de tircr; il faui confidérer quelles nations peuvent fournir a meilleur compte. C'elt d'après un tel examen qu'ur négociant prudent doit travailler avec 1'Amérique Après avoir foigneufement détaillé les différentes produdtions des Treize-Etats-Unis;. il eft ï propos de dire quelles marchandifes de l'Europ« il convient le plus d'y envoyer, pour fe procurei des retours avantageux. Ces articles confilteni principalement en Toute forte d'ouvrages travaillés en fer, acier cuivre, étain, plomb & bronze. Clincailleries d'Angleterre, de France & d'Al magne, articles trés-recherchés, furtout le premiers, par rapport a la beauté de la mair d'ceuvre. Soie a coudre de différentes couleurs & qua lités, N 3 Mny/ns tU réfuier ces pa tts^ Marchait' difes propres au c-mmerci ' ie t/imi* > rique, I  io* L E SPECTATEÜR Toute forte de draperies , comme drap, demïdrap, flanelle, baye &c. Les couleurs les plus recherchées dans les draps font le bleu, le gris & le rouge. Harnois de toute efpece. Bonneterie; fous cette dénomination, je comprends les bas & gands de foie; peu de noirs. Chapeaux de toute qualké. Galons d'or & d'argent a lame & fans lame, boutons d'or & d'argent brodés & non brodés. Ces articles de luxe font des échanges précieux pour ceux des NordAméricains qui trafiquent avec les colonies efpagnoles. Etoffes de foie pour femmes: on ne fauroit apporter trop de foin pour le choix des deffins' & des qualités. Toiles blanches de toute forte, furtout de belles toiles d'Hollande-, rouleaux de tapifTerie en toile & en papier. Toute efpece, de marquetterie. Poterie; les fervices de terre blanche d'Angleterre, fi bien imités en Hollande, y font d'un prompt débit. Meules a aiguifer, de toutes grandeurs. Bijouterie. Verreries, carreaux de vitres, glacés de miroirD'. Outils de ferrurier & de charpentier. Filets pour la pêche, hamegons &c. Toute fortes d'ultenciles propres a la chafle, poudre èc plomb &c. RUbans de foie &defil, padoux, chevliercs &c. S.emences de jardin, oignons de fleurs.  AMERICAIN, Fromage, faumure, biere forte. Pipcs, tabac préparé, vin & drogueries médicinalcs. Gommes, Opium. iPierrecalaminairepréparée. A-uda ■ — Camphre. Crème de tartre. fü^pwr Myrrhc Cannelle. i J^»^ . Arabique. Quinquina. , AiTafocüda.'Alun. . Ammoniac-.Tartre émétique. . Gayac. Nitre d'Antimoine. Racine de Jalap. Antimoine cru. — Gentir.ne. Huile de vitriol. Hipecacuana de canelle. Scl de Glauber. Beaume de Capahu. Epfon. de Tolu. < Saturne. Elixir de nitre ano din. Ammoniac cru de nitre doux. ■ de Nitre. Baies ou grains de gcnevre, Vif-argent. Cantharides. Aloës fuccotrin. Mufc. Vitriol romainoubleu.jFleur de foufre. Feuilles de féné. —- de Benjoin. Magnéfie blanche. Calomel ou panacée mercu- Manne. rielle. Suc de réglilTe. L'empire de 1'habitude eft trop grand chez tous les peuples pour ne pas entretenir chez les Américains méme le goüt qu'ils ont eu pour les marchandifes de manufactures angloifes. C'eft envain qu'on oppofera les motifs de la défunion des deux empires, c'eft en vain que les ravages de ia guer' N 4  Examen de la qua lilt différente de ce; cxpor tatiuns. Draps. voo LE SPECTATEUR :e rappelleront longtems encore aux Américains :es fcenes de dévaftations & de cruautés. La paix ra répandre fes pavots bienfaifans fur les deux hémifpheres , & le fentiment qui 1'accompagne fera pour les cceurs ulcérés un baume falutaire qui fermera toutes les plaies. On eft généralement d'opinion que le commerce entre 1'Angieterre & les Etats-Unis va devenir confidérable; avant de juger fi cette opinion eftfondée, examinons quels font les objets principaux de ce commerce. La comparaifon des diverfes marchandifes de fabrique européenne va être la bafe de notre. examen. A 1'égard des 'draps, ceux que l'on nomme Abbeville, Louvier, Sedan feront toujours pour la France des qualités k oppofer aux plus belles de 1'Angleterre. Si les qualités font égales, le luftre de ceux de France eft plus beau. Avouons cependant que dans les draps mélangés , ceux d'Angleterre 1'emportent fur ceux de France. Avant la guerre la confommation de 1'Amérique étoit principalement en drap de 12 fchelings la verge (1). Les draps fins y valoient 13 k 14 fch. Mais 1'empire dc la mode qui fait varier le commerce & dirige la plupart des hommes, confervera toujours a la France cette prépondérance qu'aucune nation de 1'univers ne peut lui difputer. Combien k plus forte raifon y prétendroitelle, fi elle réduifoit les droits qu'elle met fur les laines qui y font environ 15 pour cent pluscheres (1) Ou 17 liv. 16 fous 4 den. tournois l'aune d« ïrarïce.  A M E R I C A I N. *« . qu'en Angleterre. Les manufactures de laine en France exigent une réforme & des foins dignes d'un miniltere auffi éclairé qu'il 1'eft. Les fabricans en France n'ignorent pas que les étoffes de laines légeres d'Angleterre, telles que les camelots, les calleraandes, les ras de Chalons, tammis ou étaraines &c pour la doublure des habits font préférés en France & dans les Pays-Bas Autrichiens, malgré les droits énormes qui en augmentent le prix. Ces articles font trop elTentiels pour ne pas cherchcr les moyens d'y remédier en les perfectionnant. Les fabriques de draps, jadis fi flonflantes en Hollande, notammentk Leyde & k Utrecht, ne font déchues de leur ancienne fplendeur que par 1'introduction trop rapide des draps d'Angleterre, & furtout par la cherté de la main d'ceuvre. On a de la peine k concevoir comment les Hollandois ont perdu cet avantage, eux qui achetoient autrefois leurs laines de 1'Angleterre & faifoient prefque feuls le commerce de draps dans 1'Europe. Ces achats étoient fi confidérables que fous Edouard 111, ils alloient jufqu'a 23,000,000 liv. fterl. Alors les Anglois ne favoient pas travailler leurs laines: mais trop aftifs pour fermer longtems les yeux fur les avantages de ce commerce, ils fe font induftriés, ils ont eflayé, & leurs eflais ont amené des progrès. C'eft furtout aprèsavoir prohibé ces exportations que l'on vit s'elever dans toute PAngleterre une foule de manufactures pour les draps dc toute efpece: a 1'égard des draps fins, ils les fabriquoient avec les laines d'Efpagne. N 5  202 LE SPECTATEUH Couulleri manufactures de ft £? ifaciet ie toute efpece. Dans les états feptentrionaux de 1'Amérique; le prix commun de la bonne laine eft i 1 fch. Les grands articles de confommation en laine dans les dtats méridionaux font prinüpalement pour les efclaves; on y envoie des cotons de Kendall faitsdans le Weftmoreland, de - 2 jufqu'a 16 den. fterl. par verge; des flanelles du pays de Galles, depuis 16 jufqu'a 20 den.; des plaindings d'Ecofte, forte de ferge ou d'étamine qui fert aux Ecoffois de manteau, a environ 6 ou 7 den. la verge; des bas de la même étoffe, depuis 8 jufqu'k ro fch. la douzaine. Pour les planteurs, des buffles de 1'Yorkshire, verge large de £ de 4 k 5 fch.; des frifes dito de 4 k 6 fch. & des draps étroits de 4 a 5 fch. La France & la Hollande peuvent imiter avec fuccès ces articles, & prétendre de même k une certaine confommation. , Les Anglois ne fe fervent ordinairement que du rfer Suédois pour leurs manufaétures en ce genre, paree qu'il eft plus dur & d'une meilleure qualité que d'autre. L'Amérique a toujours préféré les cloux de Glascow pour cette raifon , quoiqu'ils foient environ 15 p; plus chers que ceux de Bristol. Afin de donner aux autres puifiances des notions claires fur ce commerce, & un objet de comparaifon pour examiner les moyens de participer k ce commerce avec 1'Amérique, entrons dans quelques détails. Le cout d'un tonneau de fer eft en Angleterre de 10 liv. fterl. les droits k 10 fch. la charge, lc fret, la main d'ceuvre depuis ir jufqu'k 45 livres; enforte que la valeur totale d'un tonneau de fer étranger, quand 11 eft travaillé en Angleterre, eft, fuivant l'efpeee  AMERICAI N. 203 de travail, depuis 21 liv. jufqu'k 56 liv. fterl. h peu - prés dans les proportions fuivantes. ■Verges 20 Livres, Cercles 21. Verroux 25. Ancres S°- Cloux. 3r- Houes, Effieux. . . 49- Enclumes 41- Acier depuis 26 jufqu'k 5Ö' L'exportation en ce genre étoit avant la guerre ie 15 k 20,002 tonneaux; ainfi on peut en eftimer Ie prix moyen k 28 liv. par tonneau, puifque le plus bas prix eft de 11 liv. & le plus hauc de 45, ce qui produifoit annuellement k 1'Angleterre un profit de 484,000 liv. Nations rivales de 1'Angleterre en induftrie, profitez du moment; imitez fa perfecfion dans la main d'ceuvre & cherchez. a balancer avec elle un commerce auffi lucratif. Auffi longtems que cette puiffance confervera les impöts énormes qu'elle met fur le fer, vous êces affurées d'obtenir au moins la concurrence ; & comme 1'impót tue 1'impót, ce droit nuira toujours k cette partie lucrative de fon commerce & finira par 1'écrafer. On fait qu'en Angleterre le droit fur les fers étrangers étoit en 1781 de 54 fch. 4 den. par tonneau, & qu'il n'eft en Irlande que de 10 fch. Comme ce royaume peut actuellement , fans violer le traité, envoyer du fer dans les états de 1'Amérique feptentrionale qui ne font plus colonies anglaifes; que les Irlandois jouiffent en Amé-  Porcelair,: 0 poterie, yerres. iÖJ LE SPECTATEUR ■ique de la plus grande confidération, PAngleter•e paroit ne devoir craindre de plus grande con:urrence dans ce commerce que de leur part. 3ependant la Ruffie , l'Allemaitne & les autres pays qui ont du fer fans droit, ne peuvent manquer d'obtenir certaine préfércnce par rapport k la modicité du prix, furtout depuis qu'on a élevé des moulins pour fendre & a rouleaux. De leur cóté, les Américains, attentifs k faifir tout ce qui peut augmenter leur commerce &leur profpérité, ne négligeront furement pas les fabriques de fer; déjk leurs effais font heureux, les eflieux y font meilleurs que dans aucun endroit; ils y emploient le plus beau fer qui fert aux Anglois k faire des ouvrages plus délicats, mais ils font une fois plus chers. Quoique les effais que l'on a faits k Philadelphie pour y établir des manufactures de poteries, n'aient pas eu de fuccès, ils annoncent un principe d'induftrie qui conduira probablemcnt k des effais plus heureux; c'eft affez qu'ils aienc effayé pourpenfer qu'ils réuffiront. Le feul inconvénient que les Américains éprouveront, c'eft qu'on affure qu'ils n'ont pas chez eux une quantité affez confidérable de fint, objet indifpenfable pour la manufadure de la bonne porcelaine. Acedéfaut la Hollande peut leur fournir k meilleur marché qu'aucune puiffance, la porcelaine des Indes orientales qui porte le nom de Chine; & k peu-prés dans les mêmes prix, la poterie blanche que l'on fabrique a Leydc , k l'imitation de celle d'Angleterre. Lorfque les manufactures de verreries de Philadelphie auront regu les encouragemens dont elles font fufceptibles, les Américains pourront, kquel-  AMERICAIN, 20$ «ucs articles pres, fe paffcr des fecours de 1'Europe. En attendant, la Hollande peut jouir dc Pavantage de leur fournir k bon compte les miroirs ordinaires. Quant aux belles glacés, la France aura toujours la préfcrence, depuis furtout que la chymie a dirigé fes travaux. Le verre pour les fenêtres, qui faifoit autrefois un objet fi important pour le commerce de PAngleterre, fe fabrique avec fuccès par des Allemands k NewJerfey, & fi Pon parvient k découvrir en Amérique la terre propre k faire les pots dont on fe fert dans les manufactures de verres, fi le flint s'y trouve en plus grande quantité, ce commerce fera entierement perdu pour 1'Europe. On a de la peine k concevoir PaiTertion de milord Scheffield qui prétend qu'il n'y a pas en Amérique affez de laine pour faire une paire de bas k cliacun de fes habitans. Un territoire immenfe , des campagnes fertiles , des prairies couvertes de troupeaux prouvent évidemment le contraire. Le lord Scheffield veut peutêtre dire que les fabriques de bas ne font pas affez multiplées pour fuffire aux befoins des habitans •, cela paroitroit au moins plus probable. La plus grande confommation en ce genre eft en bas de laine, de fil & de coton; ceux de foie n'y font pas d'un grand débit, ce luxe n'y eft encore que dans fon enfance. Quand 1'Amérique aura affez de fonds pour pouvoir tanner le cuir, & le laiffer comme en France & en Angleterre trois ans dans la foffe, les Américains pourront fe procurer chez eux des fouliers auffi bons que les meilleurs d'Europe. On efl Bas. Soulier*.  SloS LE SPECTATÊUR Chapeaux Velours, panne £? draps de *t}on. Slerceries 0 modes. d'opinion en Angleterre que pour avoir une paire* de fouliers excellens, il faudroit unir une empeigne de cuir anglois avec une femelle de cuir américain, » La cherté de la main d'ceuvre nuit aux fabriques de chapeaux de 1'Amérique. Si c'eft Ik le feul obftacle, il ne peut être de longue durée. L'augmentation rapidede la population d'un coté, ]e grand nombre d'émigrans de 1'autre, préparent k 1'Amérique les fecours les plus grands & les fuccès les plus confidérables. L'Angleterre eft depuis longtems cn poffeffion de ce commerce, & n'a guere eu en ce genre d'autre concurrence qu'avec Rouen, qui depuis quelques années a confidérablement perfeftionné fes fabriques de coton. Mais on donne la préférence k celles de Manclrefter. Les laines y font k 20 p.ï meilleur marché qu'k Rouen , mais k Rouen la main d'ceuvre & lc coton y font k meilleur compte, il ne manque k cette ville qu'une confommation plus fuivie & plus confidérable pour la mettre dans le cas de balancer les fabriques de Manchefter, tant en Allemagne, en Hollande & dans les Pays - Ras qu'en Amérique. Les beaux rubans de ril & le beau fil qui viennent de la Hollande & de la Flandre font les meilleurs que l'on connoiffe. Amfterdam en eftl'entrepdt général. La France peut fournir auffi ces articles, furtout ce que l'on nomme rubans de laine , jarretieres, gros fils & foie k coudre. Quoique PAngleterre prétende que les rubans qu'elle fabnquc font plus beaux que ceux de Franse, paree qu'elle n'emploie que de la foie de Turquie*  AMÉRICAIN, ±&t du Bengale & de la Chine, la France aura toujours une préponderancc marquée dans ce genre. Elle la confervera par la variété que les ouvriers Qiettent dans leurs defiins & par le ton que ce royaume donne k tous ceux qui 1'environnent. Si les gazes d'Angleterre font plus belles que celles de France, les taffetas, les fatins & généralemem toute efpece d'étoffes de foie font plus beaux, mieux fabriqués, & a meilleur marché en Francs qu'en Angleterre. Les épingles, les aiguilles & plufieurs mercc! ries en ce genre font beaucoup mieux linies en Angleterre qu'ailleurs, même a égalité de prix. Le traité de commerce que la Suede vient de conclure,avec les Etats-Unis paroit lui-alTurer la préférence dans le commerce du fer & du cu^vre brut. La cherté de la main d'ceuvre.;en Amérique fera quelque tems un obftacle aux progrès de ce commerce; mais il ne peut être de longue durée. Les Américains emploient en batteries de cuifine & autres articles 1'étain en feuille, & le plomb en faumon & en feuille qu'ils tirent d'Europe. Mais ces objets d'importation dans 1'Amérique feptentrionale fe reduiront k peu de chofe, lorfque par la fuite lesAméricainspourront faire exploiter avec vigueur les riches mines qu'ils ont dans leur territoire tant en plomb qu'en cuivre & en fer. II y a furtout des mines de plomb dans la Virginie fur I'Ohio & fur le Miffifiïpi qui fontfi riches,'qu'elles paroiffent prés de la furface & promettent les plus heureux fuccès. Si l'on excepte les grandes villes, la plus gr^anp»rtie des maifons en Amérique font coniirui- AjjïXttt • d" étain, plomb en faumon & en feuille , cuivre en feuille £f travailli en uflenciles de cuifine 6?, autres.  E0& LE SPECTATEUR Couleurs pi ur pein ■ dre. Coria^es f? chandelles de yoifleau. folies. :es en bois , & néceffite comme en Hollande Ie jefoin de les peindre. L'huile de lin qui fert k marier les couleurs, fe tire comme l'on fait du rebut de la graine de lin qu'on met de cóté lorsqu'on nettoie cette graine pour 1'exportation; ainfi cet article réuni au blanc,oukla craie,&au blanc de plomb qui forment au moins les trois quarts de toute efpece de peinture, offrent au commerce des motifs pour la fpéculation. C'elt aux pays qui peuvent les fournir k meilleur compte k fe procurer la préférence chez les Américains. Aucune nation d'Europe ne peut fournir au* Américains des cordages meilleurs que ceux qii'ill font chez eux. Les Hollandois en fabriquent comme les Ruffcs d'une qualité aufii bonne, mais ils la gardent pour leur propre ufage, & n'exportent que les cordages qu'ils font du chanvre le plus médiocre & de vieux cables. Quant aus chandeiles de vaifleau, la Hollande peut le difputer a PAngleterre, foit pour les afibrtimens convenables, foit pour la qualité, & a cet égard le. Américains s'en pourvoiront chez ceux qui leur feront les meilleures conditions. Les Américains préféreront toujours pour leur ufage les toiles de Gand & de Courtrai, paree qu'elles réuniffent la beauté a la folidité. La toileappelée belle Hollande, n'aura guere la préféren ce que lors qu'elle fera moins chere que les pre mieres, mais la Hollande étant k peu- prés Pentrepót général des belles toiles, elle conferverd toujours 1'avantage de 1'exportation. Les Anglo^ envoyoient ci-devant beaucoup de toiles d'Osnabrugh; les afiortimens s'en faifoient k Brèn*; d'oii  A M E R I C A I N". 20f d'oüles négocians deGlascow les exportoient. Le Beeding-roll étoit la toile qui fervoit dans la Vireinie, le Maryland & la Caroline k faire des pantalons pour les negres, des facs &c. Ert 1772 ön exporta póur 1'Amérique, de la Ruffie en Angleterre, 15000 pieces de toiles pour draps. Quant aux toiles k voile * il eft apparent que la Ruffie reftera en poffeffion de ce commerce, k moins que les fabriques qui font k Philadelphie i n'augmentent & ne prorperent. Le papier commun pour les gazettes fefabriqüe en Amérique k meilleur marché que partout ailleurs; k 1'égard du papier k écrire, les fabriques de Hollande font trop confidérables & trop perfectionnées pour ne pas jouir de la préférence. Celles d'Angleterre font trés-belles, mais le pri* en eft trop haut. Celles de France font bien k auffi bon marché que celles de Hollande , mais celles-ci 1'emporteront toujours fur les autres par rapport k la blancheur & k la fineffe. La France peut fournir k PAmérique des dentelles de ril & de foie tant blanehes que noires \ auffi bon compte que la Flandre; celles de Marfeille ont furtout beaucoup du débit en Améri que. A 1'égard des dentelles fines de Bruxelle: & de Flandre, elles n'y font point encore deve nues néceffaires au luxe; on en confomme trés peu. II fe fait en Amérique une fi grande cori fommation de dentelles noires, de cravates noi res, & de mouchoirs de foie de toute efpece qu'elle égale k peu de chofe prés celle de tou autre article en foie. Le fel en Angleterre eft plus beau & k meillei ^narché qu'en France; les Américains psyoiffei //. Part, O Papijf •Dtnttïlm t tt  ïWarckan. difes des Indes orrientaUs. Vempire de la moi efure til, i'runce u. covtmerse toujours astif cht, téirangei 2IO LE SPECTATEUR préférer le fel anglois pour faler le bceuf, celui des Indes occidentales pour faler le lard & le beurre , & préférent k tous égards celui de Lisbonne & de St. Ubes pour faler le poiffon. Jufqu'k ce que les Américains fe foient procuré les moyens d'établir eux-mêmes un commerce direct avec les Grandes Indes ils devront nécesfairement s'approvifionner en ce genre chez les nations d'Europe qui fe font emparées de ce commerce. Les compagnies de Hollande & d'Angleterre font jufqu'k préfent celles qui fourniffent ces denrées k toute 1'Europe; la France n'a pas encore pu parvenir k foutenir la concurrence,elle paroit cependant s'occuper férieufemcnt des moyens d'y parvenirjles Américains trouveront plus d'avantage pourle moment k profiter des ventes des compagnies hollandoifes & angloifes ; c'eft par elles qu'ils feprocurerontlefalpêtre des Indes orientales le meilleur que l'on connoiffe. Quant au thé & autres marchandifes dont ils peuvent avoir befoin, toute indication quelconque feroit ici un horsd'ceuvre,& ce fera toujours le cas quand il s'agira de parler d'un commerce exclufif. La raifon de Pintérêt, la raifon du bas prix, . peuvent porter atteinte aux progrès de la mode; jmais comme il n'eft aucun pays qui puiffe mieux que la France faire adopter fes modes & établir :des bas prix, les Frangois jouiront toujours d'une • confommation affurée chez les Américains. On fait par exemple qu'en Italië, dans certaines contrées , il eft des articles de foirie manufacturées fur le lieu même k bien meilleur compte que les articles de France, mais les grands qui donoent le ton, les bourgeois qui veulent les imiter,  AMERICAIN. 2IÏ rameneront toujours en France une confommation fure. L'on vante actuellement la fimplicité du coftume chez les Américains: dans peu Ton verra arrivcr a pas rapides le luxe & le rafinement, fuites inféparables de la profpérité du commerce. Par les dénominations générales que nous avons données au commencement de ce chapitre fur les exportations a faire en Amérique, nous entendons des affortimens que la mode & le goüt doivent prefcrire : mais il eft prudent d'éviter la concurrence pour des articles que Pon fauroit y être trop abondans pour donner du bénéfke. Dans ce cas, comme dans la maniere de recevoir fes retours, le négociant inftruit n'a pas befoin d'éclairciffemens, ni de confefts, & nous terminerons ce chapitre par prévenir qu'après avoir confidéré les habitans des Treize-Etats-Unis comme des hommes également verfés dans le commerce & dans la politique, ce feroit entendre peu fes intéréts que de leur envoyer des marchandifes hors de mode, ou de mauvaife qualité Leurs rapports avec la France font trop étendus, pour ignorcr ce que l'on défigne par le beau & bon; ils favent même jufqu'aux prix de fabrique Cette demiere connoiftance n'eft furement pas ï Pavantage du commiffionnaire; mais l'««/c«/^/;, jlium eft de tous les peuples, & de tous les pays O 3 Ce que lt 'irudence luit joggerer dans 'les fpéculotionspour l'A' meriqut'  &I2 LE SPEC-TATEUK CHAPITRE XXIV. Précis du mémoire des Etats- Unis. D ans le IVe chap. de la IIe part. de cet ouvrage, nous avons promis de donner un precis du mémoire que S. E. M. J. Adams préfenta k Leurs Hautes-Puifiances, fur une alliance avec les Etats-Unis de 1'Amérique. Cette piece eft un chef-d'ceuvre. 11 y regne ce ton fimple convenable k un état naiflant, cette fermeté républicaine incapable de rléchir fous les obftacles qu'on pourroit oppofer a fon indépendance. La néceffité de cette alliance y eft démontrée par 1'hiftoire, la politique Sc les avantages réciproques de commerce. II étoit difficile, nous dirons même impoffible, que ce mémoire ne fit la plus grande fenfation fur les efprits, & ne les préparac k reconnoitre cette indépendance & k former un traité d'alliance & de commerce. Après avoir juftifié la conduite des colonies unies par les provocations & le defpotifme de la mere-patrie, la néceffité de foutenir courageufement leur indépendance, de la rendre folide & " permanente par une fage adminiftration, le miniftre américain juftifié ainfi la fage politique dt>s colonies envers la nation hollandoife. „ Quand le congrès, fuivant les notions de la faine politique, imagina d'envoyer des perfonnes ehargées de négocier des aUiances en Europe, ce  AMERICA I*N. 213 ne fut point par un oubli dédaigneux, qu'il n'envoya pas en même tems un miniftre k Vos Hautes PuilTances: mais connoifiant la nature des liaifons poütiques entre la Grande-Bretagne & cette république, ainfi que le fyftême dc paix & de neutralité, qu'elle avoit cherché depuis fi longtems; il jugea qu'il ne convenoit pas de tenter alors k la brouiller avec ces alliés, k fomenter la difcorde dans la nation oü k la jeter dans 1'embarras. Mais depuis que 1'adminiftration britannique, uniforme & conftante dans fes plans d'iniquité, méprifant fes alliés comme elle avoit méprifé fes concitoyens établis dans les colonies, fe jouant de la foi des traités, comme elle s*étoit jouée des chartres royales, violant les droits des nations, comme elle avoit violé les loix fondamentales des colonies & les droits inhérens des fujets britanniques, a fupprimé arbitrairement tous les traités entre la couronne & cette république, déclaré la guerre & commencé les hoftflités, après avoir laiffé longtems auparavant pereer les defieins qu'elle avoit adoptés: tous ces motifs qui ont retenu le congrès, n'exiftent donc plus; & Poccafion s'offre de propofer des liaifons telles que les Etats-Unis de PAmérique ont droit d'en former , telles qu'elles puifient fe concilier avec celles qu'ils ont déjk formées avec la France & 1'Efpagnc, liaifons qu'ils font tenus par tous les motifs du devoir, de fintérêt & de 1'inclination d'obferver comme inviolables & facrées,liaifons enfin quy ne foient pas contraires k tous les autres traités qu'ils font dans 1'intention de pro.3pofer k d'autres fouverains.'' 0 3  *i4 LE SPECTATEUR inqixiiuft tSfine. 'jfnnhlit entre les jfméricains 6? lts flW» Inntois* „ S'il y eut jamais une alliance naturelle entre les nations, c'eft celle qui pourroit être formée entre les deux républiques." „ Les premiers colons qui jeterent les fondemens des quatre Etats feptentrionaux, trouverent dans cette république un afile contre la perfécution religieufe. En ouvrant nos annales nous apprenons qu'ils refterent ici depuis 1'année 1608 jusqu'en 1620, ainfi pendant les douze années antérieures k leur émigration. lis ont entretenu conftamment & tranfmis avec joie k la poftérité le fouvenir de la protedtion & de 1'hofpitalité & particulierement de cette libertè religieufe qu'ils avoient trouvées ici, après avoir cherché vainement tous ces avantages, en Angleterre." Les premiers habitans des deux autres Etats, la Nouvelle-York & la Nouvelle-Jerfey, étoient fortis dircctement de ce pays; & leurs defcendans confervent encore la religion , le langage , les coutumes, les moeurs & le caractere de cette nation. L'Amérique en général, avant qu'elle eüt formé des liaifons avec la maifon de Bourbon, a toujours confidéré cette nation comme fa premiere amie en Europe. Les principaux traits de fon hiftoire. les grands hommes qu'elle a produits, foit dans les difFérens arts de la paix, foit dans les opérations militaires par mer & par terre, ont été regardés comme des modeles & des objets particuliers d'étude, d'admiration dans chacun ues Etats de rAmérique." „ La conformité de religion, quoiqu'elle nefoit plus confidérée actuellement comme aufiï effentielle k des alliances qu'elle 1'étoit autrefois, ne laifle pas de paffer pour une circonftance heurcu-  a m e r I c A i n; ary fe. On peut donc aflurer, fans s'écarter de la vérité, qu'il n'y a pas de nations qui aient plus de reifemblance pour la religion, les dogmes & la difcipline éccléfiaftique, que ces deux républiques. D'après cette confidération , autant qu'elle peut ajouter du poids a la chofe, 1'alliance ferait parfaitement naturelle entre les deux états.'' ,, La reifemblance des formes de gouvernement eft encore ordinairement regardée comme un autre circonflance qui rend les alliances naturelles, Quoique les conftitutions des deux républiques ne foient pas exactement les mêmes, on n'a pas Iaiifé de remarquer beaucoup d'analogic entr'elles; il y en a du moins affez pour faciliter les liaifons réciproques." ,, Quant aux ufages généraux, quant alaliberté des fentimens fur les articles importans relatifs aux examens des cultcs, au droit du jugement particulier, a la libertè de confeience, avantages fi précieux a maintenir & fi doux a difpenfer au genre-humain, avantages actuellement plus expofés dans la Grande-Bretagne par 1'efprit d'intolérance qui ne cefie d'y fermenter, que dans aucun autre pays, quelle reifemblance eft plus frappante que celle qui fubfifte entre les deux nations ? " „ L'origine des deux républiques a tant deresfemblance que Phiftoire de 1'une parait n'être que la copic de 1'autre: II n'eft pas dans les Provinces Unies de citoyen éclairé qui ne foit obligé d'avouer la juftice & la néceffité de Ia révolution Américaine, s'il ne veut condamner ce qu'il y a de plus brillant dans les actions de fes immortels ancêtres: actions revêtues du fufFrage & de O 4  arö LE SPECTATEUR tion des /ivatitages récipri)mits. Papplaudiffement du genre-humain & juftifiécs par les décrets irrévocables du ciel.'' „Ueftun autre circonftance qui, dans ce fiecle, a plus d'influence encore que toutes les autres pour la formation des amitiés nationales. Je veux parler du grand & puiftant intérêt du commerce. Vos Hautes PuilTances en connaiflent le fyftême général & les progrès continus dans toutes les partiés du globe, d'une maniere trop fupérieure, pour qu'il me fut poffible de leur développer a cet égard des chofes qui leur feroient inconnues. II n'eft, cependant, pas hors de propos de faire obferver que la pofition centrale de ce pays, la vafte étendue de fa navigation, Pimportance de fes établifiemens dans les Indes orientales & oer cidentales, 1'intelligence fupérieure de fes marchands, le grand noipbre de fes capitaliftes & la richefiè de fes fonds ont infpiré a 1'Amérique un penchanc particulier pour fe lier avec elle. D'un autre cóté, 1'abondance & la variété des productions de 1'Amérique ; les matieres premières qu'elle ofire pour les manufaétures, pour la navigation & pour le commerce; Ia grandeur de lés demandes & des confommations des marchandifes Européennes, de celles de la Baltique & des lndes-orientales & la fituation des établifiemens Hollandois dans les Indes-occidentales , toutes ces confidérations levent tous les doutes qu'on pourrait avoir fur les avantages que cette république renrerait d'une alliance avec les Etats-Unis. Les Anglois font tellement convaincus de cette vérité, qu'ils ont toujours regardé cette nation coaime leur rjvale pour le commerce de  AMERICAlN. 2:7 l*Amérique 3 c'eft cette oplnion qui leur infpira 1'idée de rendre & de maintenir ce terrible acts de navigation, également funefte au commerce & a la puiffance maritime de ce pays, ainfi qu'au commerce & aux droits des colonies. L'occafion s'offre actuellement pour les deux états de brifer pour toujours ces entraves odieufes. Si quelque confidération eüt pu jamais empêcher les Anglois d'éclater en guerre avec vos hautes puilTances, c'eüt été la crainte d'une alliance entre les deux républiques: il eft aifé de prévoir que rien n'eft plus capable de les obliger a faire la paix qu'une alliance femblable, des qu'elle fera complcttement formée. II feroit inutile d'indiquer en particulier, les avantages infinis que retireroient les établisfemens de la république dans les Indes-occidentales d'un commerce ouvert, encouragé & protégé avec le continent de 1'Amérique. II eft également inutile d'indiquer en particulier les immenfes avantages que retireroit la compagnie des Indes - orientales en envoyant direétement fes? denrécs dans les marchés de 1'Amérique: quelle extenfion on peut donner au commerce même de la Baltique par la libertè de la navigation avec 1'Amérique qui a toujours fait de fi grandes demandes & qui en fera de bien plus grandes encoredes chanvres, des cordages, des toiles a voile & des autres articles de ce commerce: quels avantages la navigation nationale retitera de la conftruction & de 1'achat qu'elle y fera de vaifféaux: combien le nombre de leurs matelots pourroit s'augmenter: enfin, quels avantages les deux pays retireroient en ouvrant mutuellement leurs ports O 5  ai* L E S P E C T A T E ü R aux vaifleaux de guerre & armateurs de 1'un cTe 1'autre." „ Si, donc, la conformité de religion, de gouvernement, de mceurs primitives; fi dnnc les intéréts de commerce les plus étendus & les plus durabies peuvent former un motif & un attrait pour des liaifons politiques, le fouffigné fe flatte que dans tous ces points, 1'union eft fi évidemment naturelle que jamais la providence n'a défigné, d'une maniere fi frappante, deux na* tions éloignécs, a être unies 1'une avec 1'autre." Ces confidérations étoient, fans doute, bien capables de faire une imprefiïon avantageufe dans les efprits: mais comme 1'intérêt doit aller avant tout, il étoit efientiel de tranquilifer fur ce point une nation auffi jaloufe de fon commerce que la Hollandaife: c'eft pour atteindre ce but que le miniftre fait 1'énumération fuivante des avantages réciproques de commerce. „ Puifqu'il eft évident & certain que d'un cöté les Américains n'ont aucun penchant a rentrer fous la dominationbritannique, & que d'un autre cóté, les puifiances de 1'Europe ne pourroient ni ne devroient y confentir avec fécurité, pourquoi laifler cette funefte fourcede querelle ouverte au hazard d'événemens qui plongeroient les nations de 1'Europe dans de nouvelles fcenes d'horreur & de fang; lorfque les puifiances maritimes n'auroient qu'un pas décifif a faire pour la fermer; en faifant des traités avec une nation qui jouit depuis longtems de 1'avantage d'être fouveraine, & qui 1'eft de fait & de droit. Je crois pouvoir ma. flatter que 1'exemple de vos  AMERICA1N, 419 Hautes Puifiances feroit imité par tous les états maritimes, particulierement par ceux qui ont eu part a la rédaction du dernier códe de marine. L'idée que 1'indépendance de 1'Amérique pourroit nuire au commerce de la P>altique, efl une crainte frivole." ,, Cette objection eft non-feulement deflituée de fondement•, on peut même aflurer qu'il arriveroit précifément le contraire. Le fret, les afiurances pour les voyages oü il faut traverfer 1'Atlantique, font fi hauts; la main d'ceuvre eft fi chere en Amérique, que le goudron, la poix, la térébcnthine & les bois de conftruction navale ne pourroient jamais être tranfportés en Europe k des prix auffi modiques que peuvent le faire les pays a portée de naviguer dans la Baltique. Avanc 1'époque de la révolution, les Anglois ne foutenoient ce commerce qu'avec la plus grande difficulté, le parlement fe vit même obligé d'affigner des primes énormes pour encourager la culture de cette branche d'induftrie. Quant au chanvre, aux cordages, & aux toiles k voiles, bien des fiecles s'écouleront probablement, avant que 1'Amérique en recueillc une quantité fuffifante pour fa propre confommation. La raifon eft de la derniere évidencc; c'eft que ces articles peuvent être apportés, ou d'Amfterdam, ou même de Pétersbourg & d'Archangcl k beaucoup meilleur marché qu'ils ne coütcroient dans Ie pays. L'Amérique fera, conféquemment, pendant des fiecles, un marché des plus avantageux pour la plupart des marchandifes,qui viennent de Ia Baltique.''  LE sPECT ATEÜR Quand même les efprits n'auroient pas été favorablement difpofés, il eft douteux qu'ils euffent pu réfifter k des aflertions auffi prépondérantes: c'eft au tems k en développer la justefle & les heureux effets.  AMERICA IN. 2T2I CHAPITRE XXV. Conjidérations fur les traités en général^ '. £? en particulier fur Ceux entre les puisfances de P Europe & les Etats-Unis. tres pBcificateurs des querelles desc rois, i'en appelle a vos confciencesSc non a celles^ 3e vos maitres qui communément ne voient que' par vous. Quand vous traitez enfemble de Pin-' térêt des peuples, leur intérêt eft-il bien le vötre, &^ mettez-vous votre gloire a augmenter leur félicité?' Employez-vous bien fincérement toute votre faga*; citék prévenirles faufies interprétations, k n'emn ployer que les termes les plus clairs pour exprimer vos réferves & vos conditions? Etes-vous bien fürs quand vous condulfez la main des fou» verains pour figner ces alliances & ces traités, que vous ne compromettez point leur dignité, que vous ne travail lez que pour leur gloire & le bonheur de leurs fujets? Etes-vous bien perfuadés, bien tranquilesk 1'égard des moyens de prouver 1'injuftice du premier infra&eur? Pardonnez ces queftions k un ami de 1'humanité. Et pourquoi vous en offenferiez - vous , puiftpie vous n'êtes que des hommes & non des dieux qui feuls ne peuvent fe tromper? Pourquoi ie genre humain eft-il depuis les premiers fiecles du monde, e cut int lts 'altês en. "e les uijfances f ce qu'ils evruient tre.  222 LE SPECTATEUR dupe & victimc de 1'erreur & de la mauvaife foi ? Ne feroit-il donc pas poffible de juger les procés des rois fans effuffion de fang? Les fouverains qui promulguent des loix, érigent des tribunaux, conftituent des juges pour les interpréter, les faire obferver & terminer les querelles dc leurs fujets, ne pourroient - ils donc pas convenir entre eux de former un cöde particulier pour terminer leurs différens ? La caufe des rois n'eft-elle donc qu'une caufe fanguinaire, & ne font - ils donc fur la terre que pour occafionner des guerres & verfer le fang de leurs fujets ? Cette funefte foif de guerres ne peut - elle donc s'étancher que par un remede encore plus funefte? Eft-ce donc être pere de fon peuple, ami de Phumanité que de fouffrir ces horreurs, égorger Pun & dégrader 1'autre, & pourquoi/ Pour des caufes fouvent fi fimples qu'un particulier rougiroit de témoigner même du reflentiment. Ces milliers d'hommes dévoués ainfi a la mort, peferoient-ils donc trop fur la terre, & les créatures que le ciel fait naitre doivent elles être en grande partiedétruites paree fléau? Souverains, ministres, fi vous n'êtes que les difpenfateurs des volontés des peuples, vous ne fauriez fans vous dégrader oublier vos devoirs. Vos droits ne viennent que de la volonté publique , & vous ne pouvez en abufer fans vous rendre indignes d'une confiance qu'on ne vous auroit pas donnée , ii l'on vous en eüt foupgonnés indignes. Depuis que les nations forment entre elles des traités d'alliance, de commerce & d'amitié, elles paroiflent n'avoir eu d'autre principe. d'autre but que d'aflurer les droits, les propriétés d'un  AMERICA IN; S25 chacuti cn contribuant a la gloire & k la profpérité de tous. Cependant 1'expérience prouve le contraire. L'intére-t qui leur fait contracter ces cngagcmens, les leur fait rompre fans fcrupule, fans égard au blüme que méritent les infraéteurs de fermens auffi folemnels. Qu'on confulte les traités & les manifeftes des nations, partout on y verra des interpretations forcées, des explications infidieufes, des fubterfuges, des tergiverfations, des obliquités. Les traités de paix ne font dans 1'efprit des fouverains & de leurs miniftres qu'une convention mutuelle d'interrompre des hoftilités funeftes aux deux partis, avec les difpofitions de les recommencer auffitót qu'on croira pouvoir le faire avec avantage. Et voilk comment la pauvre humanité eft en proie k des viciffitudes éternelles! Faifons des vceux pour que les traités de paix ne fe falTent plus avec de papareilles intentions. Ofons efpérer que les fiecles étant plus éclairés, les fciences plus encouragées, les fouverains mieux confeillés, plus libres de développer la bonté naturellede leurcceur, plus k 1'abride la perfidie des courtifans, les intéréts de 1'homme feront enfin mieux connus, plus refpecftés. Ofons efpérer qu'on trouvera enfin pour le repos de la terre, des moyens de concilier fans effufion de fang les intéréts, la gloire & les befoins mutuels des nations. D'après ce vceu & la confiance que les traités aétuels feront purs & inaltérables, je bénis d'avance votre augufte nom, monarqus intéreflant, bon Louis XVI! Puiffiez-vous pendant une longue fuite d'années jouir du fruit de votre fagelïe, n'avoir auprès de votre tróne que  PZ4 LE SPECTATEUR des miniftres dignes de vous, dans votre empire que des fujets dans la profpérité. Le premier traité que les Etats-Unis aient fait en Europe fut celui qu'ils fignerent avec la France le 6 février 1778. II étoit naturel que leur première liaifon fut avec la nation qui la première & la feule les ait aidé a confommer heureufement cette révolution. En voici les articles principaux. I. II y aura [une paix ferme * inviolable, univerfelle , & une amitié fincere entre S. M. T. Ch. & les Etats-Unis. II. Les parties n'accorderont aucune faveur particuliere k d'autres nations en fait de commerce & de navigation, qui ne devienne auflitót commune k 1'autre partie. III. Les Frangois ne payeront chez les EtatsUnis d'autres ni plus grands droits & impóts de quelque nature qu'ils puifient être & quelque nom qu'ils puilfent avoir, que ceux que les na« tions les plus favorifées font ou feront tenues de payer, & jouiront des mêmes privileges & exemptions quelconques. J V. Réciprocité en faveur des habitans & fujetsCes Etats-Unis. V. Les Etats-Unis jouiront de 1'exemption de 1'impofition de 100 fous par tonneau, établie en France fur les navires étrangers, fi ce n'eft lorsque les navires des Etats-TJ nis chargeront des marchandifes de France dans un port de France pour un autre port de la même nation, dans ce cas ils acquitteront ce droit auffi longtems que les nations les plus favorifées feront obligées de 1'ac.'  AMERICAIN. Pacqultter. Libre aux Etats-Unis d'établir chez eux un droit équivalent. VI, VII. Les partis fe prêteront en mer & dans les ports refpectifs tous les fecours poffibles & naturels entre deux nations amies & alliées. VIII. Sa Majefté Trés • Chrétienne interpofera fes bons offices auprès des puilTances barbarefques en faveur des Etats-Unis pour la fureté, Pavantage & la commodité de la navigation & du commerce defdits Etats - Unis. IX. Sous peine de confiscation aucune des parties ne pêchera dans 1'étendue des mers de 1'autre. X. Les Etats-Unis ne troubleront jamais les Frangois dans la jouiffance & exercice du droit de pêche fur les bancs de Terre-Neuve, défigné dans les traités d'Ütrecht & de Paris. XI. Aucuns des fujets des Etats-Unis ne feront réputés Aubains en France , & les Frangois auront la même faveur chez les EtatsUnis, fans qu'il foit dérogé aux loix promulguéeg en France contre les émisrations. Permis aux Etats-Unis de ftatuer fur cette matiere telles loix qu'ils jugeront k propos. XII. Les navires marchands des deux nations deftinés pour des ports ennemis de Pune ou de 1'autre feront tenus d'exbiber, foit en haute mer, foit dans les ports Sc havres, leurs palfeports Sc certificats pour conftater fi leur chargement n'eft pas de la qualité de ceux qui font prohioés comme contrebande. XIII. Défenfe aux navires furpris en contraventioh de rien détourner, brifer ou jeter en mer. Si le capitaine pris offre de délivrer au corfairc II Pm. E  325 LE SPECTATEUR les marchandifes de contrebande, le corfaire ne pourra empêcher ledit capitaine de continuer fa route avec fes autres marchandifes qui feront réputées ne point être de contrebande. Mais fi ces marchandifes prohibées ne peuvent entrer fur le vaiffeau capteur, ce dernier fera le maitre de conduire ledit patron dans le plus prochain port, libre enfuite au capitaine de repartir avec fon navire. XIV. Mais au contraire, toutes marchandifes quelconques ehargées par les fujets refpe&if's fur des vaifféaux ennemis feront réputées de bonne prife, a 1'exception des effets & marchandifes mis a bord defdits navires avant la déclaration de guerre & même après, fi au moment du chargement on a pu 1'iznorer, & dans ces deux cas lesdites marchandifes feront rendues aux propriétaires. Convenu entre les deux parties contractantes que paffé le terme de deux mois depuis la déclaration de guerre, aucuns des fujets des deux nations, de quelque partie du monde qu'ils viennent, ne pourront prétexter en leur faveur caufe d'ignorance. XV. Défenl'e a tout vaiffeau de guerre ou armat'eur de molefter aucun des vaifféaux de 1'une & de'1'autre nation fous peine aux capitairies des vaifféaux de guerre &c. d'être punis & d'en ré-póndre -en leurs p'erfonnes & biens & de réparer tous les dommages & intéréts. XVI. Tous vaifféaux & marchandifes quelconques enlevés d'è's mains de quelques pirates cn •p'eir.e nier feront amenés dans les ports de 1'un «s deux Etats & remis aux officiers de ces ports>  A- MERICAI N. 227 pour être enfuite rendus en entier aux propriétaires qui devront conftater leur propriété. XVII. Libre aux vaifféaux de guerre ou autres, des deux parties,de conduire ou bon leur femblera les prifes qu'ils auront faites fur leurs ennemis, fans être obligés de payer aucuns droits foit aux amiraux ou a Pamirauté, fans.qu'ils puiffent être arrête's ou fuivis , ni que les officiers des lieux puiffent prendre connoiffance de la validité des prifes, lefquelles pourront fortir & être conduites franchement & en toute libertè aux lieux portés par les commiffions dont les capitaines desdits vaifféaux feront obligés de faire apparoir. Au contraire, il ne fera donné afile ni retraite dans leurs ports ou havres a ceux qui auront 'des prifes fur les fujets des deux deux parties. Ec s'ils font forcés d'y entrer par tempête ou périls de la mer, on les fera fortir le plutót qu'il fera poffible. XVIII, XIX. Onaccordcra tous les fecours poffibles & des fauf- conduits pour affurer le paslage & le retour dans leur patrie a tous les vaisfeaux des deux Etats qui auront échoué , fait naufrage ou fóuffert quelque autre dommage, & ■ pourront fuivant Partiele XIX fe réparcr & fixer leur départ a leur volonté, moyennant qu'ils aient fatisfait au payement de ce qu'ils auront eu befoin. XX. En cas de rupture entre les deux parties, il fera accordé fix mois après la déclaration de guerre aux marchands dans les villes & citésqu'ils habitent pour raffembler &tranfportcr leurs marchandifes , & s'il en elt enlevé quelque chofe ou fait quelque injure durant ce terme, il leur P 2  a23 LE SPECTATEUR fera donné a cet égard pleine & entiere fatisfaction. XXI. Défenfe refpedtive de prendre mutuellement des lettres de marqué de quelque puiffance que ce foit pour courre lus a 1'un ou a 1'autre a 1'effet d'agir comme corfaire. En cas d'infradtion, puni comme pirate. XXII. Les deux nations conviennent de ne laiffer armer aucun corfaire étranger dans leurs ports, d'y amener les prifes qu'il aura faites fur 1'un ou fur 1'autre, d'y charger ni décharger aucunes marchandifes ou effets, pas même d'y acheter d'autres vivres que ceux qui lui feront nécesfaires pour fe rendre dans le port le plus voiftn de 1'état ou du prince dont il tient fa commisfion. XXIII. Excepté les militaires au fervice de 1'ennemi, aucunes perfonnes fur les navires refpectifs des deux nations contraétantes, ne feront ni pourront être enlevés ni troublés dans leur commerce, foit qu'ils aillent ou non dans les ports appartenans aux puifiances ennemies des parties, bien entendu que la contrebande eft toujoufs exceptée. Marchandifes de Contrelands. XXIV. Sous le nom de contrebande ou de marchandifes prohibées doivent être compris les armes, canons, bombes avec leursfulées & autres chofes y relatives, boulets, poudre k tirer, mêches, piqués, épées, lances, dards, hallebardes, mortiers, pétards, grenades, falpêtre, fu-  AMERICAIN. 250 fils, balles, boucliers, calques, cuirafies ,cottes-demailles & autres armes de cette efpece, propres a armer les loldats , porte - moufquetons , baudriers, chevaux avec leurs équipages , & tous autres inftrumens de guerre quelconques. Marchandifes per mi fes. Toutes fortes de draps & autres étoffes de laine, lin, foie, coton ou d'autres matieresquelconques, toutes fortes de vêtemcns avec les étoffes dont on a coutume de les faire; 1'or ou 1'argent monnoyé ou non, 1'étain, le fer, laiton, cuivre, airain, charbon , de même que le froment & l'orge & toute autre forte de bleds & légumes; le tabac & toutes les fortes d'épiccries, la viande falée & fumée poifibns falés, fromage & beurrè, bierre, huiles, vins fucres & toute efpece de fel, & en général toutes provifions fervant pour la nourriture de 1'homme, & pour le foutien de la vie; de plus, toute- fortes de coton, de chanvre, lin, goudron, pois, cordes, cables, voiles, toiles il voiles, ancres, parties d'ancres mats,phnches, madriers & bois de toute efpece, & toutes autres chofes propres a la conftruciion & réparation des vaifféaux , & autres matieres quelconques qui n'ont pas la forme d'un inftrument préparé pour la guerre, par terre comme par mer, ne feront pas réputées contrebande, & encore moins celles qui font déja préparees pour quelque autre ufage. Enfin toutes les autres marchandifes ou effets qui ne font pas compris & particulierement nommés dans les articles de contrebande, P 3  230 LE SPECTATEUR XXV. Dans le cas oü 1'une des deux parties fe trouveroit en guerre , les vaifféaux ou batimens appartenans aux fujets ou peuple de 1'autre allié devront être pourvus de lettres de mer ou paffeports qui cxprimeront le nom, la propriété & le port du navire, ainfi que le nom & la demeure du maitre ou commandant dudit vaiffeau pour conftater que le roéme vaiffeau appartient réellement aux fujets de 1'une des deux parties contractantes, les articles de la cargaifon feront détaillés, le lieu d'oü le vaiffeau elt parti fera defi gné, & l'on fera une déclaration des marchandifes de contrebande qui pourroient fe trouver a bord. ; XXVI. Permis aux navigateurs mutucls d'approcher des cötcs fans avoir le deffein d'entrer dans lc port, ou d'y entrer fans avoir le deffein de décharger la cargaifon. On fe conduira a leur égard fuivant les régiemens généraux prefcrits ou a prefcrke a cet égard. XXVII. l.orfqu'un batiment fera rencontré par un vaiffeau de guerre naviguantle long des cótes ou en pleine mer, ledit vaiffeau de guerre ou armateur, afin d'évker tout défordre, fe tiendra hors de la portee du canon & pourra envayer fa chaloupe a bord du batiment marchand. & y faire entrer deux ou trois hommes, auxquels le maitre ou commandant du batiment montrera fes paffeports fuivant 1'ufagc, fans lui donner aucun empêchernent dans: fa courfe, ou le molefier. XXVIII. Lorfque les marchandifes feront chargées fur les vaifféaux, elles ne feront plus fujetcs a la vifue, a moins qu'on n'ait des indices mani-  AMERJCAIN. 231 feftes Ou des preuves de vcrfemens frauduleux, qu'on y embarque de la contrebande, & les fauteurs feront punis duement pour cette contravention. XXIX. Accordé qu'il y aura de part & d'autre des confuls, vice-confuls, agens & commifiaires de marine. XXX. Les Etats-Unis auront en France un ou plufieurs ports francs pour vendre leurs productions , ainfi que ceux que Ie roi leur a accordés dans les ifles frangoifes de 1'Amérique &c. Les Etats-Unis ont pris pour bafe des traités qu'ils ont conclus avec les puilTances de 1'Europe, 1'égalité & la réciprocité la plus parfaite en oblérvant d'éviter toutes les préférences onéreufes, fource de divifion, d'embarras & dé méCöntentement. En effet, dans ces traités les parties contraétantes onc la libertè de faire relativement au commerce & a la navigation les réglemcns intérieurs qui font a leur convenance, de ne fonder les avantages du commerce que fur fon utiiké réciproque & fur les loix d'une jufte concurrcnce& de conferver ainfi de part & d'autre la libertè de faire participer, chacun felon fon gré, les autres nations aux mêmes avantages.. C'eft d'après cc fyftême d'égalité & de réciprocité que les Etats Unis firent avec les EtatsGénéraux des Pays-bas un traité d'alliance & de commerce, figné a la Haye le 7 oétobre 1782. Ce traité congu dans les mémen forme & teneur que celui avec la France porte cette reflriction articie kxïïi „ ce traité ne fera point cenfé dé„ roger aux art. 9, 10, 14 & 24 de celui avec la P4  *3* LE SPECTATEUR France tels qu'ils étoient numérotés au même „ traité conclu le 6 février 177» & qui font les „ artiles 9, 10, 17 & 22 du traité de commerce „ fubfiftant préfentemenc entre la France & les „ Etats-Unis; il n'empêchera pas non plus Sa „ Majelté Catholique d'y accéder & de jouir de „ 1'avantage desdits quntre articles " Comme ces traités, ces conveotions font partout, nous penfons pouvoir nous difpenfer de les transcrire ici, en nous bornant k détailier les poffeffions refpeétives des puilTances belligérantes aflurécs 4 1'une & k 1'autre par les préliminaires de paix fignésentre elles kParis le 20 janvier 1783, favoir, LA FRANCE En Europe. Dunkerque affranchi. En Afie Pondicheri avec 162 Aldées ou villages, 'vce qu'on eftime a so & sf lieues ds pays a 1'entour.) Mahé. Carrical. & anciennes polfeflions. En Afriqut. Le Sénégal. Gorée. En Amérique. Ste Litcie. Tahago. La tnotié de Ter'e - Neuve pürtagée par une ligne pour i étanliflcment de la pêche. Oes COnditionJ avantageufes pouc les Caraïbes de St. Vinwnt. L'E S P A G N E. En Emcpe. Minorque. En Amérique. Les deux Florides. Mais par une convention elle permeitra la coupe du bois du campêche. L'A NGLETERRE. En Europe. Gibraltar. En Amérique. St. Vincent. Li Grensde. St. Cliriftophe. Mewis. Bahama. Proujilence. Racun. "  AMERICAIN. 333 tA HOLLANDE. Excepté Négapatnam, elle rentre dans toutes fes poffesfions tant dans 1'lnde que dans 1'Amérique. LES ETATS-UNIS. Leur indépendance dans Ia partie la plus vatte & la plus fertile de 1'Amérique. Uti commerce libte avtc toutes les puifTinces de 1'Kurope ; & partout oü leur induftne, la juftice & la loi des traité* les conduironc. P 5  234 LE SPECTATEUR Néieftté de tonner les'.oixfi'r le t,arable* re des nations. : i < j ] ! j i j CHAPITRE. XXVI. Remarqiies fur les ConfUtutiotts des TreizeEsats - Unis. X^e principe & la caufe des vertus fociales viennent de la fageiTe & de la bonté des loix, & les bonnes loix ne font autre chofe qu'une heureufe interprétation des loix de la religion cornbinées avec celles de la nature. Mais ce concours heureux ne fuffit pas pour procurer aux peuples :ette félicité pour laquelle ils font fur la terre. De même que les loix de Lycurgue n'auroïent ju convenir aux Athéniens, celle des Nord\méricains ne conviendroient peut-être pas a 1'autres peuples dont les coutumes & les ufages èroient différens. Ce principe adopté, fi les :onftitutions des Etats-Unis font 1'ouvrage de la néditation & de 1'humanité , fi la dignité de 'homme confervée fous l'autorité des loix eft >rotégée par ceux qui rendent en leur nom la ultice, de telles conftitutions ne peuvent être neilleures, de tels peuples ne peuvent être ni nieux gouvernés, ni plus heureux. Un empire vraiment fondé fur la vertu , devroit itre conltamment dans la plus haute profpérité. 7e[t la que 1'agriculture, les arts, les fciences & e commerce encouragés, a 1'ombre de la paix, irofcriroient l'oifivete , 1'ignorance & la mifere. i'eit la que le lé^illateur, pour faire ie bien par-  AMERICAIN. 235 ticulier, ne feroit occupé que du bien général. C'eft Ik que les loix fimplifiées n'auroient pas befoin de commentaires pour être ftables & refpedtées. C'eft la que le mot patrie*. au lieu d'être un vain nom, fignifleroit le bien public. Dès qu'un peuple n'a point de loix, ou qu'il veut changer les fiennes, il doit choifir dans fon propre fein les hommes les plus vertueux & les plus inftruits pour faire ou réformer le code auquel ils promettent tous d'obéir, & le plus beau jour de cette république eft celui qui éclaire la première affemblée de fes légiflateurs. Ces hommes refpeétables par leurs fonctions, fincerement pénétrés d'amour pour leurs concitoyens n'auront d'autre jouiffance fans doute, que de parvenir aux moyens d'alTurer le bien public. Voila 1'idée que préfente la conftitution américaine. Voyons maintenant fur quoi pofe fa ftabilité. Les Américains inftruits des caufes qui ont troublé les anciennes républiques, fe font furtout occupés k méditer fur ces grandes révolutions; il ont vu que la république romaine ne fut jamais plus brillante& plus refpedtée que lorfqu'elleavoit Carthage pour rivale & pour ennemie, & fi le févere Caton n'eüt pas excité fes concitoyens k détruire cet Etat, longtems Rome eut été florisfante & libre: Céfar n'auroit point affervi fa patrie & peut-être le tröne des empereurs n'auroit jamais été élevé fur les débris de la gloire & de la libertè du peuple romain. Les Infurgens, pour affurer leur indépendance, n'avoient pas befoin de détruire Albion; mais il étoit néceflaire pour eux de diminuer fa puiffance & de s'emparer de fes domaines, c'eft ce qu'il ont exécuté en changeant  236 LE SPECTATEUR leurs loix & en devenant fes rivaux. Au refte, comme il n'appartient point a notre fiecle de ju* ger fi les conltitutions américaines font bonnes ou non, que le tems feul développe lts évenemens que toute la prudence & la fageflè humaine ne fauroient prévoir ou changer, il elt fnpofiïble de prononcer, & nous ferions coupables envers la poftérité ou de flaterie ou de témerité. Cependant, comme il elt naturel de defirer le bien de 1'humanité , il faut efpérer qu'il fera conftamment le réfuitat des déhbérations & du zele patriotique des membres du congrès: il faut efpérer qu'elle aura fes Scipion, fes Fabius, fes Camille & fes Cincinnatus, fans avoir jamais befoin des Caton, des Brutus, ni redouter 1'ambition des Sylla ni des Cefars. Le recueil des conftitutions des Etats-Unis nous inftruit que les pouvoirs légiflatif & exécutif font émanés du peuple & divifés entre plufieurs compagnies. Chaque année ces pouvoirs rentrent dans les mains du peuple qui feul a droit d'en faire une diftribution nouvelle. Dans la plupart des treize républiques le pouvoir légiflatif eft confié a une aflemblée générale compofée des repréfentans des comtés ou diftricts cette aflemblée feule a le droit de régler le fifc, d'impofer les taxes , d'ordonner des levées d'argent &c. Toutes ces loix foumifes a 1'examen d'un fénat, aufli nommé par la commune, ne peuvent recevoir leur fanétion fans fon confentement.. Dans ces mêmes états, le pouvoir exécutif elt confié a un gouverneur annuel affitté d'un confeil dont il doit prendre les avis pour agirconftitutionellement. Dans ces mêmes états ce gouverneur a le com-  AMERICAIN. 23? mandement des forces de terre & de mer, dans d'autres, il ne i'a que de 1'avis de fon confeil & pour peu de tems. Dans 1'état de NewHampshire , par exemple, Paffemblée des repréfentans & le confeil font revêtus des pouvoirs légiflatif & exécutif. Le préfident, le général & les officiers fupérieurs font nommés par les deux chambres. Dans tout 1'empire des Etats-Unis les inférieurs font nommés par leurs compagnies refpedtives. A 1'égard de l'adminiftration judiciaire, l'autorité fe partage en différens degrés de jurifdiction inférieure & fupérieure.. L'état feul paye les juges; ils font éledtifs, & maintenus dans leurs fondtions tant qu'ils fe comportent bien. Dès qu'il n'y a point de vénalité dans les charges, il efl: rare que les loix foient mal adminiftrées , qu'il y ait des oppreffeurs & des vidtimes. Etablir & fixer les droits naturel & civil du peuple, elt le fujet qui fert d'exorde a chaque conftitution particuliere des colonies ; c'eft le premier devoir dont fe font occupées les légiflatures (0> paree qu'il eft auffi le plus facré. Ces droits font fpécialement dètaillés en 30 articles dans la conflitution de Maifachufet qui paroit avóir fervi de bafe & de regie k celle des autres états. Voyons-en les articles principaux. Io, „ Tous les hommes font libres (2), égaux, (l) La légiüature eft le corps revêtu de la puIlTan* ce légiflatrice, & la legiflation eft 1'action de cette puitTance. (2; On fera peut - être furpris de trouver une dfstinction d'hommes libres dans un pays oü l'on croit  238 LE SP ECTATEUR ont certains droits naturels, eflentiels & inaliénables, parmi lefquels on doit compter d'abord, que tous les hommes le font. Voici a ce fujet la nota d'un Amiricain. 11 y a encore en Amérique deux clafles d'hommes qui ne font point libres. L'une entierement efclave; ce font les negres. A Ia vérité plufieurs, & même la plus grande partie des colonies ont toujouis été op. pofées a leur importation, & fouvent ont fait des loix pour 1'empêcher; mais comme Ie confentement alors de I'Aügleterre étoit nécefTaire pour Ia confommation de ces loix, elles n'ont jamais pu être établies, Ie roi fes ayant toujours rejetées comme contratres aux intéréts de Ia compagnie angloife d'Afrique: aufiï la défenfe d'importer ces malheureufes vicbimes de 1'avarice eüfopéenne a-t-elle été une des premières opérations du congrès général; & l'on doit croire qu'il ne tardera pas a ftatuer fur le fort des negres exiftans dans I é. tendue des Treize-Etats- Unis. Car quoique rilufieurs propriétaires' en Penfylvanie leur aient donné Ia überté , il en exifle encore d'efclaves même dans cette colonie, ' & beaucoup dans les colonies méridionales ■ L'autre c alfe d'hommes non libres, ne gémit pas dans lefclavage, mais elle eft privée de la libertè dans le fens politique de ce mot qui implïque la part dans le gouvernement , cc le droit de voter aux éleclions des officiers publics; cette feconde clalTe fe fubdivife en plulieurs efpeces & comprend, i°. Les enfans mineurs, c'eft - 4 - dire qui n'ont pas vin^t ans accomplis. Comme ils font en général fans propriétés jufqu'a cet age, & fous l'autorité immédiare (*) Voyez la note du Ch. XVII, Penfylvanie; elle paroit in, 4lquer cette révolution.  AMERICAIM. *3Ï> ie droit de jouir de la vie & de la libertè, & celui de les défendre; enfuite le droit d'acquérir de leurs parens, on fuppofe q?e ceuxge'nent fe regie fur 1'age & les talen's du domeftique: des oiivriers déja formés n'en contra&ent que de fort courts. Les capitaines en arrivant en 1'Amérique, cedent ces -éntragemens defervice aux habitans-qni ont befoin de domeftiques; mais il faut que la ceiïion fe fafle devant un magiftrat qui regie 1'engagcmep.c conformément a la raifon & a la juftice, & qui oblige les maitres de promettre par un acte écrit, que pendant 'la durée de 1'engagement Ie domeftique fera bien & duement nourtï, vêtu, logé, &c. .qu'on lui apprendra A lire , a écrire & i cornpteu qu'on lui montrera quelque metier, qu'on 1'inftruira dans une profeiïïon qurpunTs lui pro,curer par la fuite de quoi vivre, &.qu'a:la fifl du' ter. me il fera mis cn libertè, f& recevra en quittant fon maitre un hahillement .complet &. des harcles neuves. On 'délivre au domeftique une copie de cet cngage«  240 LE SPECTATEUR des propriétés. de les polTéder & de les protéger, enfin le droit de chercher & d'obtenir leur fureté & leur bonheur." II. „ C'eft un droit, aufii bien qu'un devoir pour tous les hommes vivans en focieté, de rendre a des tems marqués, un culte public au grand créateur & confervateur de 1'univers & aucun fujet ne doit être troublé, ni molefté, ni contraint dans fa perfonne, dans fa libertè ni dans fes biens, pour le culte qu'il rendra a Rieu de Ia maniere & dans les tems les plus convenables a ce que lui dicte fa confcience, ni pour fes fentimens en matiere de religion, ni pour la religion qu'il profeffe, pourvu qu'il ne trouble point la tranquillité publique, & qu'il n'apporte aucun empêchement au culte religieus des autres." III. „ Comme Ie bonheur d'un peuple, le bon ordre & la confervation du gouvernement civil dépendent eflentiellement de la piété, de la religion & de bonnes moeurs, qui ne peuvent fe répandre parmi tout un peuple que par 1'inftitution d'un culte public de la divinité,&par desinftruc- tions ment, & il en refte une autre fur les regiftres entre les mains du magiftrat, a qui le domeftique peut dans tous les tems avoir recours, fi forf» maitre le maltraité ou n'exécute pas fidellement fa partie du contrat. Cette heureufe coutume facilite aux colonies 1'aequifition de nouveaux habitans. & fournit aux pauvres role & des débats dans 1'une & 1'autre chambre de la légiflature efl: fi effentielle pour les droits du peuple, que 1'ufage de cette libertè ne pourra jamais £tre le fondement d'aucune accufation ou pourfuite, d'aucune action ou plainte dans aucune autre cour ou lieu quelconque." La multiplicité des emplois fur la même tête ou le même corps eft un obftacle trop vifible k 1'exercice de leurs fonctions , pour n'avoir pas frappé les premiers légiflateurs des colonies. Dans le gouvernement de cette république, dit la convention (i). „ Le département légiflatif n'exercera jamais le pouvoir exécutif ou judiciaire, ni aucun des deux; le département judiciaire n'exercera jamais le pouvoir légiflatif ou exécutif, ni aucun des deux, afin que ce foit le gouvernement des loix & non le gouvernement des hommes." Avant de pafler k la feconde partie des conftitutions, nous ne pouvons nous difpenfer de faire remarquer qu'il n'eft aucun pays connu oü la to- (i) Du mot latin Conventtn , aiTemblée, états, diete, &c.  AMERICA! N. 24J ïérance foit mieux établie que dans les Etats-Unis. Ün n'y voit aucune religion dominante; chaque individu, quel que foit fon culte, peut également prétendre aux charges & aux emplois. Cette libertè de pouvoir agir fuivant fa confcience, eft un chef-d'ceuvre en politique. Cette libertè eft naturelle dans un état oü des citoyens libres font convenus de n'admettre parmi eux aucun rang qui exige des preférences, diftinótions dangereufes a la tranquilicé & a la fureté de la nation. A 1'égard de l'adminiftration de la juftice, notre Europe, toute éclairée qu'elle eft, n'a pas a beaucoup prés cette clarté, cette fageffe fi nécefiaires pour faire aimer les loix, la juftice & les juges. Nous avons vu par le XVI. article qu'il eft également libre d'écrire, comme de penfer: ces nouveaux fouverains, inftruits par le trifte exemple du defpotifme inouï exercé fur les gens de lettres, frappés de 1'ignorance & de 1'aveuglement dans lefquels le peuple eft plongé, n'ont pas voulu relfembler a des tyrans qui craignent la lumiere, ou le cri des opprimés. Partout oü le fouverain ne fouffre pas qu'on s'explique librement lur les matieres économiques & politiques, il donne Patteftation la plus authentique de fon pcnchant a la tyrannie & du vice da fes opérations. Je fais qu'il eft des états ou le maitre n'ofe pas 1'être a cet égard, puifque fous le prétexte fpécieuxque la libertè d'écrire peut nuire aux mceurs, a la religion, il eft obligé de facrifier a cette réclamation frivole & illufoire : plaignons donc les rois abufés & n'accufons que leur corrupteurs. Un gouvernement fage ne craint point d'être furveillé , critiqué i il demande au contraire des lumieres pour £3  245 LE SPECTATEUR parvenir avec plus de fureté k faire le bonheur de la nation. PalTons k la feconde partie. Le II. are. traite de la forme du gouvernement & nous préfente les mefures que les pouvoirs légiflatif & exécutif doivent prendre pour donner la fandtion aux bills:, il efl: congu en ces termes: „ Aucun bill ou réfolution du fénat ou de la chambre des repréfentans ne deviendra loi , & n'aura force de loi qu'après avoir été préfenté au gouverneur pour la révifion: & fi d'après cette révifion, le gouverneur Papprouve, il fera connoitre fon approbatien en le fignant. S'il a quelque objedtion k faire contre la paflation d'un bill ou d'une réfolution, il le renverra, en y joignant fes objedtions par écrit, au fénat ou a la chambre des repréfentans, c'eft-k-dire k celle de ces deux chambres de la légiflature oü 1'adte aura pris naisfance, & la chambre enregiftrera tout au long dans fes regiftres les objections envoyées par le gouverneur, & procédera a examiner de nouveau ledit bill ou ladite réfolution-, mais fi d'après ce nouvcl examen les deux tiers du fénat ou de la chambre des repréfentans font d'avis, nonobltant les objections, dc pafier lefdits acles, ils feront envoyés avec les objections k 1'autre chambre de la légiflature pour y être examinés de nouveau, & s'ils y font approuvés par les deux tiers des membres préfens, ils auront force de loi Et pour prevenir tous délais inutiles, fi quelques bills ou réfolutions ne font pas renvoyés par le gouverneur cinq jours après qu'ils lui auront été préfentés, ils auront force de loi." On voitpar-ia qu'en Amérique le confentcment du gouverneur n'eft pas ftrictement néceflaire,  AMERICAIN. 247 & que les légiflatures américaines pcuvent paffer outre, tandis qu'en Angleterre, le confentement du roi, 1'aveu, 1'attache du prince font de rigueur, ou de néceffité abfolue. Le fénat, première chambre de la légiflature, eft compofé de quarante francs - tenanciers ou poffeffeurs d'une franche - tenue, valant au moins 300 livres fterlings, ou d'un effet mobilier valant au moins 600 livres fterlings ou de deux montant enfemble a cette fomme. Dans la feconde fection art. V. il eft dit: „ Le fénat choifira fon préfident, nommera fes officiers, réglera fesformes de procéder, s'ajournera lui-même, mais pas plus de deux jours chaque fois: il fera cour de juftice avec pleine autorité pour entendre & décider toutes aceufations de crimes d'état, fans pouvoir prononcer que la destitution de 1'office & 1'incapacité de pofféder aucune charge d'honneur, de confiance ou de profit; mais en vertu d'une plainte, ceux ainfi jugés pourront être condamnés aux punitions conformes aux loix devant les tribunaux ordinaires: il faut feize membres pour lui donner fon adivité. Pour êcre repréfencant, il faut pofféder une) franche-tenue de ico livres fterlings. Pour être éledteur il ne faut qu'une franche - tenue de 3 liv. fterl. de revenus,ou un bien de la valeur denoliv. fterl. mais nous obfervcrons ici que les colonies varient fur la quotité du bien des éleóteurs & des éügibles pour le fénat, les repréfentans , les confeillers du gouverneur, &c. La chambre des repréfentans fera la grande cour des enquêtes, Sc routes les aceufations de crime d'état faites par elle feront entendues & décidées par le fénat. Q 4  f.48 LE SPECTATEUR „ Tout les bills d'argent, art. VII. troifieme fection, prendront naifiance dans la chambre des repréfentans; mais le fénat pourra y propofer des changemens , ou y concourir avec des changemens, comme fur les autres bills." „ Art. X. Aucun des repréfentans ne pourr* être arrêté, ni tenu de donner caution pour une aétion civile durant fon voyage pour fe rendre a la chambre, ou fon retour, ou pendant qu'il fiégera.". Quelques colonies n'ont pas jugé a propos d'étendre fi loin les privileges des repréfentans, fans doute crainte d'abus. Celles oü ils en jouiifent, les ont également accordés au gouverneur, aux membres du confeil & du fénat, avec pouvoir de punir felon la loi les infraéteurs ou auteurs de tous les autres dclits contre leur perfonne- Le gouverneur, titré d'Excellence, eft annuellement élu par le peuple. Si un fujet a la pluralité des voix, il eft proclamé par les deux chambres; fi les voix ont été partagées, la chambre des repréfentans en élit deux parmi ceux qui ont eu le plus de fuffrages, ou parmi les ballotés , le fénat en élit un au fcrutin, & il eft déclaré gouverneur ; il faut lire dans le recueil fes droits, qui, comme nous 1'avons déjkobfervé ne font pas exactement les mêmes dans toutes les colonies oü il eft établi. „ Les membres de fon confeil, au nombre de neuf fans compter fon lieutenant, & qui doivent toujours être cinq pour donner de l'adtivité a fes réfolutions, font élus par la chambre des repréfentans & le fénat réunis, parmi les fujets nommés par les villes ou diftricts, & s'il n'y en avoit  AMERICAIN. 249 •pas neufqui acceptaiïent cette charge, les fufdits éledteurs compléteroient le nombre des fujets pris dans runiverfalité du peuple (1) & le nombre des fénateurs 'qui refteroient après ce choix compoferoient le fénat pour 1'année. Les places des fujets ainfi choifis dans le fénat & qui auront accepté la place dans le confeil, refteront vacantes dans le fénat." Quant au pouvoir judiciaire, nousinvitérons encore a voir dans le Chapitre IIL oü il en elt traité, la maniere dont il eft diftribué. Nous obferverons feulement ici que toutes les caufes de mariages, dedivorce & de provifions alimentaires, tous les appels des juges vérificateurs, des teftamens, feront entendus & décidés par les gouverneur & confeil, jufqu'a ce que la légiflature ait fait par [une loi d'autres difpofitions fur ces matieres, & que ce n'eft pas la le feul point fur lequel les légiflatures des colonies aient encore k ftatuer par de nouvelles loix. Après 1'énumération des articles les plus eflen«t;els de la conftitution Américaine, il convient de parler de ceux qui ont quelque nouveauté ou diflerence dans leurs difpofitions. L'état de New- (1) On obferve avec raifon que cette claufe eft un peu obfcure ? Si ces fujets font choifis dans runiverfalité du peuple, on ne comprend pas comment ils laisfent des places vacantes dans le fénat pour cela; il frmble qu'il faudroit que ces fujets eufTent été tirés du fénat. Peut-être s'eft-il glilTé quelque négligenco dans Ia traduction. L'original nous manquï pouj Ia feftifter, Q5  250 L E S P'E CTATEUR York nous en donne un fujet remarquable, dans le XXXVIK arcicle. „ Attendu la grande importance dont il eft pour cet état, y dit - on, que la paix & 1'amitié avec les Indiens y foient dans tous les tems foutenues & maintenues, & attendu que les fraudes trop fouvent pratiquées envers lefdits Indiens dans les contrats faits pour leur terres, ont en plufieurs occafions produit des mécontentemens & des animofités dangereufes, il eft ordonné qu'aucuns achats ou contrats pour vente de terres faits depuis le 14 oftobre de Pan de notre Seigneur 1775, ou qui pourront 1'être par la fuite, derdits Indiens, ou avec eux dans les limites de cet état, ne feront obligatoires pour lefdits Indiens ni réputés valables, a moins qu'ils n'aient été faits fous l'autorité & avec le confentement de la législature de cet état." Dans le XVII. art. de la conftitution de 1'état de New-Jerfey, la convention abolit un ufage bien digne de 1'être: „ les chofes qui pourront occafionner accidentellement la mort de quel-» qu'un ne feront plus déformais réputés acquifes a Dieu (O & ne feront plus confifquées fous aucun prétexte a raifon de ce malheur." fi) Autrefois en Angletere I'épée dont on s'étoit fervi pour tuer un homme, le chrtriot qui 1'avoit écrafé, toure chofe en géneral qui avoit contribué è Ia mort de quelqu'un étoit confiTquée au profit de 1'églife: a la réformation , les feigneurs fe font empsrés de ce droit qui s'exerce encore dans Ia Grande-Bretagne: ils auroient mieux fait de 1'abolir.  AMERICAIN. 151 L'état de Penfylvanie nous paroit avoir fait une difpofition bien fage dans Partiele XXXVI de fa conftitution. „ Comme, pour conferver fon indépendance, tout homme libre, (s'il n'a pas un bien fuffifant,) doit avoir quelque profeffion ou quelque métier, faire quelque commerce ou tenir quelque ferme qui puiffent le faire fubfifter honnêtement, il ne peut y avoir ni néceffité, ni utilité d'établirdes emplois lucratifs dont les effets ordinaires font dans ceux qui les poffedent ou qui y afpirent une dépendance & une fervitude indigne d'hommes libres, & dans le peuple des querelles, des facfions, la corruption & le défordre; mais fi un homme eft appelé au fervice public au préjudice de fes propres affaires, il a un droit a un dédommagement raifonnable. Toutes les fois que, par 1'augmentation des émolumens ou par quelque autre caufe , un emploi deviendra affez lucratif pour émouvoir le defir & attirer la demande de plufieurs perfonnes, le corps légiflatif aura foin d'en diminuer le profit." Les autres Etats Américains ont penfé fans doute que les corps auxqucls les diiférens pouvoirs étoient confiés fe furveilleroient mutuellement affez pour ne point laiffer craindre d'abus. La république de Philadelphie a été plus loin: elle leur a établi des cenfeurs qui examinent leur adminiftration. „ Afin, dit elle (Art. 47) que la libertè de cette république puifle être a jamais inviolablement confervée, le fecond mardi d'octobre de ['année 1783 , & le fecond mardi d'oótobre dans chaque feptieme année après celle-la il fera choifi par  852 L E SPECTATEUR les hommes libres, dans chaque ville & comté de cet état, refpectivement deux perfonnes pour chaque ville & comté. Ces différens membres formeront un corps , appelé le Confeil des cenfeurs, qui s'afTemblera le fecond lundi du mois de novembrequi fuivra leur élection. La majorité des membres de ce confeil formera dans tous les cas un nombre fuffifant pour décider, excepté s'il étoit queftion de convor-uer une afTemblée extraordinaire ; pour ce cas feulement, il fandra que les deux tiers de la totalité des membres élusy confentent. Le devoir de ce confeil fera d'examiner fi la constitution è été confervée dans toutes fes parties fans la moindre altération, & fi les corps chargés de la puiffance légiflatrice & exécutrice ont rempli leurs fonctions, comme gardiens du peuple, ou s'ils fe font arrogés & s'ils ont exercé d'autres ou plus grands pouvoirs que ceux qui font donnés par la conftitution. Ils devront auffi examiner fi les taxes publiques ont été impofées & levées juftement dans toutes les parties de la république, quel a été Pemploi des fonds publics & fi les loix ont été bien & duement exécutées &c." La Caroline feptentrionale a exécuté dans fon gouvernement ce que le parti de 1'oppofition demande depuis longtems au parlement d'Angleterre, & ce qu'il n'obtiendra vraifemblablement jamais, que tous les fourniffcurs, publicains &c. ne puisfent pas cn même tems être repréfentans du peuple dont ils font les fangfues. „ Aucun officier de troupes réglées ou de marine au fervice & a la paie, foit des Etats - Unis, foit de cet état, foit de tout autre, dit la conftitution (art. 27) & aucun traitant ou agent pouf  AMERlCAIN. 253 les fournitures de vivres ou d'habillemens k des troupes réglées ou k une marine quelconque, ne pourront avoir place ni dans le fénat, ni dans la chambre des communes, ni dans le confeil d'état, & ne feront éligibles pour aucune de ces places; & tout membre du fénat de la chambre des communes & du confeil d'Etat qui feroit nommé k quelque emploi de cette nature & qui 1'accepteroit, feroit par cela feul vaquer fa place." Dans les treize colonies, les eclefiaftiques, de quelque dénomination que ce puilTe ótre. ne peuvent'entrer dans aucun des confeils de la légifla* ture. Les colonies n'ont pas été fi féveres envers les citoyens chargés de 1'adminiftration de la justice: elles ont laiffé aux grands juges, aux juges de paix &c. 1'entrée de ces aflemblées. II eft évident que , pénétrés de la grandeur & de 1'étendue, de 1'importance & de la faintetédes fonctions des miniftres de la religion, ils ont cm qu'il falloit qu'ils s'y livrafient tout entiers; que les emplois civils ne pouvoient leur caufer que des diftraétions nuifibles, & n'étoient pas compatibles avec les exercices de piété & de charité, avec le zele toujours aótif du miniftere. La feconde feétion du Ch. V. des conftitutions de 1'Etat de Maflachufet eft uniquement confacrée k aflurer le progrès des fciences en honorant en elles les favans qui les cultivent. Qu'il eft beau, qu'il eft intéreflant de voir un peuple fe confoler du fléau de la guerre, de la perte de fes biens, de fes paren s & de fes amis, dans le fein de la philofophie, fe perfuader que les fciences font la bafe la plus folide du gouvernement, & s'occuper autant de leurs progrès que  254 LE SPECTATEUR de fa propre défenfe. La crainte de nous répéter fur ce que nous avons déjk dit k ce fujet Ch. XI. p. 12, nous difpenfe d'en dire plus. Ecoutons les légiflateurs mêmes: leur zele fe manifefte aflez dans ces paroles. „ Comme il efl; néceflaire que la fagefiè & les connoiflances foient ainfi que Ia vertu, généralement répandues parmi le peuple pour la confervation de fes droits & de la libertè; & comme il fkut pour cela répandre les moyens & les avantages de 1'éducation dans les differentes parties du pays, & parmi les différens ordres du peuple, il fera du devoir de la légiflature & des magiftrats, dans tous les tems futurs de cette république, de chérir les intéréts des lettres, des fciences & dc toutes les inftitutions qui peuvent contribuer k leurs progrès, ipécialement 1'univerfité de Cambridge, les écoles publiques & les écoles de grammaire des differentes villes; d'encourager les foeiétés particulieres & les inftitutions publiques, les récompenfes & les immunités pour les progrès de 1'agriculture, des arts, des fciences, du commerce, du négoce, des manufactures & de Phdstoire naturelle du pays; de maintenir & d'inculquer parmi le peuple, les principes d'humanité & de bienveillance générales, de la charité publique & particuliere, de 1'induftrie & de la frugalité, de 1'honnêteté & de Pexactitude dans les procédés, de la fincérité, de toutes les affecrions fociales & de tous les fentimens généreux." Cet expofé fuffit pour donner une idéé générale de la fagcffe qui a préfidé k la rédaction de ce códe immortel. Quoique la prudence paroiflè n'avoir oublié aucune précaution pour aflurer le  AMERICAIN. 255 bonheur & Ia libertè a ces nouveaux républicains, les légiflateurs ont préfumé avec raifjn qu'il pourroit fe glifler par la fuite quelque abus dans le gouvernement, & dans ce doute ils ont chargé les légiflatures fubféquentesde réformer leur propre ouvrage, de faire des loix nouvelles, toutes les fois que les circonltances, l'intérêt du peuple & le bien public 1'exigeroient. Les liaifons de 1'Amérique avec les puilTances de 1'Europe ne pcuvent manquer d'influer fur la légiflation de la première & la rendre dépcndante des évenemens politiqucs ou moraux & furtout des connoiflances & des opinions. Mais dans ce fiecle éclairé les loix de 1'Amérique n'ont point a fouffrir comme les nótres de 1'impreflion qui leur reflcnt encore des tems anciens & barbares.  358 LE SPECTATEUR CHAPITRE XXVII. Conduite du général Washington envers les officiers & les foldats de jon armée. Si la vraie gloire & le vrai mérite ne font poinc a 1'abri de la calomnie, il n'eft pas étonnant que le général Washington fe foit vu dans la néces-> fité de la repouffer en fe défendant avec les traits de la vertu. Auffi fes ennemis, vaincus par la vérité de fes affertions, par la pureté de fes fentimens envers la patrie, fe font • ils vus contraints de Padmirer & de refter dans le filence. Quelques efprits gagnés par de mauvais patrlotes, exciterent a la fin de 1782 une fermentation dans 1'armée qui auroit pu avoir les fuites les plus dangereufes, fi le général n'y eüt porté un prompt remede. En voici 1'origine, les détails & le réfuitat. Au mois de décembre T782, 1'armée prit la réfolution de s'adreffer au congrès relativemcnt a plufieurs griefs devenus prefqu'infupportables. On adrefla un mémoire, qui fut arrêcé par un commité de 1'armée. Les demandes fe réduifoient aux points fuivans. 1'. Paie du préfent. n". Régler les arrérages du paffé, & donner fureté pour ce qui étoit dü. 30. Changement de la demi-paie accordée par différentes réfolutions du congrès, pour un équivalent en gros. 40. Régler le compte du déficit danf  AMERICA IN. 257 dans les rations & les dédommagemens. 5*. Régler le compte du déficit dans les habillemens Sc les dédommagemeh6. Le major-général M. Dougal & deux officiers de 1'état-major furent nommés poür préfenter ce mémoire au congrès , & faire leur rapport a 1'armée de leur diligence k cet effet. Après deux mois de vaines pourfuites, on regut une lettre des commiffaires qui informoient 1'armée qu'ort n'avoit encore décidé rien d'important a cet égard. Alors parut l'invitation fuivanté: „ On prie les officiers-généraux & 1'étatmajor de s'affembler mardi prbcbain k dix heuresaux bkimens publics; on efpere que chaque compagnie y enverra un officier, & qu'il y aura une iepréfeiitarion convenable de 1'état • major. L'objet de cette affemblée eft de prendre en confidération les dernieres lettres regues de nos commisfaires k préfent k Philadelphie, & quelles mefures on doit prendre pour obtenir la juftice qu'ili femblent avoir follicitée envain." Première adreffe aux officiers de 1'armée. - Messieurs! 5>Un foldat que Pintéröt ScPaffedtionattachent fortement k vous, qui a fbuffert cruellement par le paffé, & qui n'efpere pas pour 1'avenir une meilleure fortune que la votre ^ vous demande la permiffion de s'adreffer k vous. La vieilleffe & le rang ont des droits pour donner des confeilsï quoiqu'il n'ait pour lui ni 1'age ni les dignités, il fe flatte que le langage de la üncérité , de i'expë//. Part, ■ R  s53 LE SPECTATEUR rienoe dont il va faire ufage, ne fera pas indigne de votre attention. Comme la plupart d'entre vous, il aima la vie privce & la quitta avec regrct: il la quitta avec la réfolution d'y rentrer, lorfque la dure néceffité qui lui mettoit les armes a la main, n'exiiteroit plus. Alors les ennemis de fa patrie. les efclaves du pouvoir, & les foutiens merccnaires de 1'injuftice n'avoient pas été forcés d'abandonner leurs funcftes projets, & dc rcconnoltre que les Américains étoient auffi terriblcs fur le champ de bataille que foumis dans leurs remontrances. C'eft avec cette pcrfpective qu'il a longtems partagé vos fatigues, qu'avec vous il s'eft jeté dans le danger. 11 a fenti ia main glaciale de la pauvreté, fansmurmure; il a vu fe développer 1'infolencc de 1'homme opulent fans donner un foupir. Longtems aiTez foible pour facrifier fes dcfirs & fa réfolution k Popinion, il a jufqu'a ces derniers tems cru dans la juftice dc fon pays. 11 efpéroit que, lorfque les nuages de Padverfité feroient diffipés , lorfque le premier rayon de la paix luiroit & feroit efpérer dc plus beaux jours, la froidcur & la févérité du gouvernement fe rclacheroient; que lareconnoiffance furpaffant la juftice verferoit fes bienfaits fur ces hommes dont les bras vigourcux avoient foutenu 1'état dans fon paffage périlleux de la fervitude menacante a une indépendance reconnue. Mais la confiance a fes limites comme la modération, & il eft un terme qu'on ne peut paffcr fans que 1'une dégénéré en crédulité, & 1'autrc en lacheté. Teile eft votre fituation, mes amis: amenés * ce point délicat, un pas de plus vous perdroit k jamais. Ltrc tranquille & indifférent, lorfque  A M K R I C A I N. 25t) les injuftices s'accumulent & pefent fur nostêtes, feroit plus que foibleife. Se borner k des fupplications, fans développer de males cfforts, feroit dégrader votre caraïtere & montrer k 1'univers que vous méritiez bien ces chaines que vous venez de rompre. Pour parer k ces maux, confidérons le point oü nous fommes, &de-lk portons nos regards fur la foule d'expédiens qui s'oifrironc k nous. Après fept ans de combats & de peines,Pobjet qui vous arma, vient de vous être accordé. Alors mes amis, votre courage qui cut tant k fouffrir, déploya toute £bn activité. II a conduit k la paix les Etats - Unis de 1'Amérique au travers d'une guerre douteufe & fanglante. II la fait aflcoir fur lc tróne de 1'indépendance * & le calme renait^ pour le bonheur. — De qui ? Eft-ce d'une patrie qui vous accorde la douceur de rentrer dans vos foyers, en verfant fur votre retraite les larmes de la reconnoiflance, en 1'accompagnant du fourire de 1'admiration ? Eft-ce d'une patrie qui brüle de partager avec vous cette indépendance que lui donne votre valeur, & ces richeffes achetées au prix de votre fang? N'eft-ce pas plutót d'un pays invrat, qui foule aux pieds vos droits, dédaigne vos cris, infulteavos miferes? N'avez-vous pas plus d'une fois fait connoitre au congrès vos defirs, vos befoins? Ces befoins, ces defirs que la gratitude & 1'honnêteté devoient prévenir & non pas éluder! N'avez-vous pas dernierement dans le langage foumis d'un mémoire, demandé de fa juftice ce que vous ne pouviez plus efpérer de fa faveur! Quelle a été fa réponfe? Que la lettre R 2  2<5o LE SPECTAT-EUtt qui fera demain le fujet des réflexions de Paffemblée réponde ici. Si tel eft votre traiternent, lorfque les armes que vous portez font encore nécefiaires pour la défenfe de PAmérique, qu'avez-vous k attendre de la paix, lorfque vos cris s'affoibliront & que la féparation anéantira votre force, votre infiuence? Lorfque ces épées, lesinftrumens & les compagnons de votre gloire, vous feront enlevées, qu'il ne vous reftera d'autres marqués de vos travaux, d'autres diftinctions de vos fervices, que les bleffures, les infirmités, les cicatrices? Pouvez-vous confentir k être les feules vidtimes dans cette révolution, & en vous retirant du champ de bataille, k vieillir dans la pauvreté, la mifere, le mépris? Pouvez-vous confentir k croupir dans la fange de la dépendance, & k devoir k la pipd les miférables reftes de votre vie qui a été jusqu'ici employée au chemin dc Phonneur ? Si vous le pouvez, — allez, emportez avec vous les railleries des Toris, & fes dédainsdes Whigs, le ridicule, & ce qui eft pire, la pitié de Punivers. Allez mourir aceablés par la faim, & que vos noms périffent dans Poubli. Mais fi votre courage fe révolte k cette idéé; fi vous avez affez de fens pour pénétrer les deffeins de la tyrannie, quelque mafque qu'elle prenne; fi vous avez affez de fermeté pour les combattre; fi vous avezappris k mettre unediflinction entre le deffein & la caufe , entre les hommes & les principes; éveillezvous, quittez votre léthargie, ouvrez les yeux fur votre fituation, & réparez vous-mêmes les outrages que vous avez foufferts. Si vous iaiffez  AMERICAIN. cöl échapper ce moment, c'en eft fait dc vous pour toujours; tout effort fera inutile; vos menaces feront auffi vaines que vos fupplications actuelles. Je vous confeille donc de déterminer d'une maniere pofitive, & ce que vous pouvez fupporter, & que vous voulez fouffrir. Si votre réfolution eft en raifon de vos maux, n'invoquez plus la justice, mais éveillez les craintes du gouvernement. Laiffez le ton mielleux des mémoires, prcncz-en un plus élevé, plus convenable; qu'il foit décent, maisvif, maisanimé, mais déterminé, & défiezvous des hommes qui vous infinueroient d'avoir plus de modération & plus de patience. Que deux ou trois d'entre vous, de ceux qui fentent auffi vivement qu'ils écrivent, dreffent une derniere remontrance', car je ne voudrois pas qu'on lui donnat 1'épithete trop adoucie & malhcureufo de mémoire. La qu'on rappelle dans un langagc qui ne vous déshonore point par fa durcté, mais qui ne vous trahitte point par fes craintes, ce que le congrès a promis, ce qu'il a fait; qu'on y rappelle avec quelle patience, pendant quel intem valle, vous avez fouffert; le;peu que vous avez demandé, & combien peu de vos dcmandcs ont été accordées! Lk, dites-leur que, quoique vous ayez été les premiers a vous précipiter dans le danger, quoique vous dcfiriez d'en fortir les derniers, quoique le défefpoir ne puifle jamais vous entrainer k un parti déshonorant, il peut cependant vous entrainer hors du champ de bataille, Dites-leur qu'une blefture fouvent irritée, & jamais entierement guérie, peut enfin devenir incAirable, & que la plus légere preuve d'indignité du congrès peut k préfent avoir lc terrible efjèji R 3  26*3 LE SPECTATEUR de Ia mort, & vous féparcr k jamais; que dans les évenemens politiques 1'armée peut avoir fon alternative ; s'ils veulent la paix, dites-leur que rien ne vous féparera de vos armes que le tombeau. S'ils veulent la guerre , dites-leur que recherchant les aufpices de votre illultre chef & Pinvitant k vous commander toujours, vous vous retirerez dans quelque pays inhabité, que lk vousfourirez k votre tour, & que vous les raillerez, lorfque leurs craintes feront excitées par de nouveaux dangers.- Qu'on repréfente encore au congrès que s'il accede au contenu de votre dernier mémoire, il vous rendra plus heureux, il fe'rendra plus rcfpectable; que tant que la guerre continuera, vous fuivrez fes drapeaux; que lorfqu'elle ceiTera, vous vous retirerez dans 1'ombre d'une vie privéc, que vous y donnerez k 1'univers de nouveaux fujets d'étonnement & d'admiration, le fpecfacle d'une armée viótorieufe de fes ennemis, viétorieufc d'elle-même." II parut k cette occafion un ordre général 9 concu de la maniere fuivante. Du Quattier-Général le n mars 1783, „ Le commandant en chef ayant appris qu'il devoit fe faire une affemblée générale des officiers de 1'armée aujourd'hui même aux nouveaux batiments, k 1'occafion de billets d'invitation répandus hier par des perfonnes inconnues, imagine que, quoiqu'il foit bien perfuadé que les officiers ne feront aucune attention k une invitation auffi irréguliere, cependant ion devoir, la réputation & le véritable intérêt de 1'armée exigent qu'il  AMERICAIN. 263 désapprouve une parcille conduite: cn même tems il prie les officiers généraux de 1'état-major, avec un officier de chaque compagnie & un nombre fuffifant de repréfentans,de s'aiïemblera midi, famedi prochain, aux nouveaux Mtiments, pour entendre le rapport du committé de 1'armée nommé prés du congrès. Après une müre délibération on arrêtera les mcfures les plus convenabies pour obtenir 1'objet important en queftion. L'offtcier le plus ancien préfidera, & rapport.:ra lc réfuitat dc leur délibération au commandant en chef." Conformément k 1'ordre général du n mars les officiers de 1'armée Américaine s'étant alfcmblés, Son Exc. le commandant en chef ouvrit la féance par 1'adrcfle fuivante fur 1'objet de cette aflernblée, laquelle fut avec d'autres papiers founiifc a la confidération de 1'afTcmblée, qui fut préfiJée • par 1'honorable major-générai Gates, comme le plus ancien officier préfent. Messieurs! „ On a tenté par une invitation snonyme, de vous raflèmbler ici: je laifie a juger a 1'armée corabien un pareil procédé contrarieroit tout a la fois les regies de la propriéré, de 1'ordre & de la difcipline. Cette invitation a été accompagnée d'une autre produétion anonyme, plutót adrellèca la fenflbilité, aux paffions, qu'a la raifon & au jugement. L'auteur de cette piece mérite fans doute des éloges pour la beauté de fa plunje; ja defirerois qu'a cette qualité il joignic la droiture du coeur; car ne peut-onpas lui repracacr d'aR 4  a6+ LE SPECTATEUR voir élevé des foupcons injultes & malicieux fur Pame honnête qui vous porteroit a la modération? Chacun eft il obligé de voir comme Pauteur luimême, de penfer comme lui ? Et devient-on coupable dès que Pon voit, dès que l'on fent autrement? Voila pourtant ce qu'il tentede nous perfuader. II avoit en vue un autre plan fans doute que celui de la pacification, plan que ne caraclérifent pas la candeur, la libéralité du fentiment, 1'amour de la juftice St de fon pays. II avoit raifon d'infinuer les plus affreux foupgons pour effectuer le plus noir projet. Que cette adreffe foit faite avec beaucoup d'artifice, qu'elle ait pour objet des deffeins infidieux, furtout de faire naitre dans les efprits 1'idéc d'une injuftice préméditée dans la conduite du congrès, St d'exciter les refientimens qui doivent infailliblementdécouler d'une pareille idéé; que le moteur de ce plan, quel qu'il foit, ait eu lc deffein de tirer avantage des paffions, lorfqu'elles font encore excitées par le fouvenir des calamités palfées, lorfqu'il n'y a pas alfez de tems pour les kuiler refroidir & remplacer par la réflexion , qui feule peut donner de la dignité Sc de la ftabilité aux mefures, ce font des vérités dont la leéture feule de cette adrelTe peut convaincre 1'efprit. J'ai donc jugé , Meffieurs, qu'il étoit de mon devoir de vous obferver, de vous montrer par quels principes je m'oppofois k 1'alfemblée prématurée, irréguliere, propofée pour mardi dernier, de vous prouver 1'inclination que j'avois k faifir toqtes les occafions oü, fans bletfer 1'honneur Sc la dignité de 1'armée, elle pouvoit faire CQnnokre au congrès fes fouffrances. Si ma con~  AMERICAIN. c6s duite jufqu'k préfcnt ne vous a pas convaincu que j'ai été un ami fidele dc 1'armée, ma déclaration dans ce moment feroit inutile & fans effet. Mais comme j'ai été le premier k embralfer ouvertement la défenfe de ma patrie; comme je ne vous ai jamais quittés, que lorfque mon devoir public m'éloignoit de vous; comme j'ai été le compagnon conflant & le témoin de vos détresfes, & que je n'ai pas été des dcrniers k reffentir & reconnoitre votre mérite; comme j'ai toujours confidéré ma réputation militaire comme inféparablement liée avec celle de 1'armée, que mon cceur s'eft conftamment ouvert k la joie quand j'cntendois chanter fes louangcs, que je fentois tout le feu de 1'indignation quand la Douche de la calomnie ofoit s'élever contre elle, on ne fuppofera pas fans doute que je fois indifférent pour fes intéréts, lorfque nous touchons au terme de Ia guerre: mais comment doit-on opérer le bien de 1'armée? La maniere eft fimple, dit 1'anonyme, dans le cas de guerre, retirons-nous dans un pays inhabité, formons y des établiffemens, & laiffons notre ingrate patrie fe défendre elle-même. Mais qui défendrpns nous? Nos femmes, nos enfans» nos fermes & nos propriétés, que nous aurons laiffés derrière nous? Ou dans cet état d'hoftilité prendrops-nous avec nous les premiers (car on ne peut emporter les autres,) pour périr dans les déferts parlafaim, lc froid, le manque de toute qfpece de provifions ? Dans le cas de la paix, continue 1'anonyme, ne quittez point vos épées, que vous n'ayez obtenu une pleine & ample juftice. Cette effray ante alternative, ou d'abandonner notre patrie dans fon malheur , ou detourner nos. R 5  26S LE SPECTATEUR armes contre elle, a moins que le congrès n'accede k nos demandes, ne doit-elle pas révolccr Phumanité, le patriotifme? Bon Dieu! quelle a pu être 1'idée de 1'auteur en prêchant de pareilles mefures? Peut-il être 1'ami de 1'armée? L'ami de fon pays? Ou plutót n'en eft-il pas un infidieux ennemi? Ne feroit-ce pas quelque émiffaire parti de New-York, qui s'étant griffe dans notre camp concerteroit la ruine de cet état, en femant la divifion entre les pouvoirs civil & militaire de ce continent? Et quel cas fait-il donc de notre intelligence, en nous propofant des expédiens impraticablcs par leur nature dans 1'un ou dans 1'autre cas? Ici, Meffieurs, je dois tirer le rideau,paree qu'il feroit auffi imprudent en moi de détailler les raifons qui fondent mon opinion, qu'infultant pour vous, li je croyois que vous en euffiez befoin. Un feul moment de réflexion convaincra tout homme dégagé de prévention, de 1'impoflibilité phyfiquc d'exécuter 1'un ou 1'autre projet. Peut-être paroitra-t-il peu convenable que je me fois étendu fi lo iguement dans cette adreffe fur une produ&ion anonyme, mais la maniere avec laquelle elle a été répandue dans 1'armée, Peffet qu'on en efpéroit & d'autres circonftances juftifieront amplement mes obfervations fur le funefte objet de cet écrit. „ Relativement k 1'avis donné par 1'autcur k 1'armée, de fufpeéler 1'homme qui leur recommandeïa la modération & la patience, je le méprife , comme doit faire tout homme qui aime cette libertè & cette juftice pour laquelle nous eombattons:, car fi de pareils préjugés doivent nous erapêcher de propofer nos fentimens fur une  AMERICAIN. 26? rnatiere aufïi importance, nous devons donc mettre k Pécart la raifon; la übcrté de penfer, de parler, n'exifte plus pour nous. Muets, & dans une aveugle crédulité, nous devons nous laiffer conduire au carnage comme des ftupides troupeaux. Je ne puis, dans ma propre opinion, qua j'ai de grandes raifons de croire être celle du congrès, conclure cette adreffe fans vous donner la pleme affurance, que ce corps honorable a la plus haute efUme & reconnoifjance pour les fervices de 1'armée, qu'il connoit fes calamités pasfces, qu'il fe promet de lui rendre juftice , de 1'en dédommager, que fes efforts pour découvrir & établir des fonds k cet effet ont été infatigables, 65 continueront jufqu'a ce qu'ils foient asfurés. „ Mais il en eft ici comme de tous les corps ou la variété des intéréts caufe une variété d'opinions; les délibérations font lentes. Mais eftce une raifon d'öter notre confiance, de perdre tout efpoir ? & fous ce prétexte d'adopter un parti qui ternirait a jamais la gloire que nous avons acquife & flétriroit une armée fi célebre jufqu'a prefent par fa confiance & fon patriotifme ? Et pourquoi cela? Pour nous faire accorder plutót 1'objet que nous réclamons. Certainement nous nous en éloignerions davantage. Quant k moi, guidé par des principes de gratitude, de véracité, de juftice, de reconnoiffance pour la confiance dont vous m'avez honoré, par le fouvenirde Pappui que vous m'avez prêté, de Pobéiffance prompte que j'ai trouvée en vous dans toutes les vicilïïtudes de la fortune, enfin par 1'afiedtion fincere qui m'attache k une armée que j'ai eu 1'honneur de  i6% LE SPECTATEÜR commander 11 longtems, je me crois obligé de vous déclarer publiquement & d'une maniere folemnelle, que pour faire accorder de juites dédommagemens k vos fatigues, k vos périls paffés, que pour faire réufiir vos defirs, autant qu'ils pourront fe concilier avec mon devoir, le ferment fait k 1'état, l'autorité qu'il m'a confiée, je me dévoue entierement k vous, & que vous pourrez librement tout exiger de votre commandant.'' „ Tandis que je vous donne ces afiurances, & que je garantis moi-même d'une maniere non équivoque de déployer tout ce qu'on me croit de talens&d'expérience en votre faveur, permettezmoi de vous conjurer, Meffieurs, de ne prendre aucun parti qui, envifagé par 1'ceil froid de la raifon, pourroit diminuer cette dignité & flétrir cette gloire que vous avez fi bien confervées jusqu'k préfent. Qu'il me foit permis de vous prier de mettre la plus grande confiance dans la jultice de votre patrie, dans les bonnes difpofitions dü congrès. Croyez qu'avant votre licenciement, il fera liquider tous vos comptes, comme il a été arrêté dans les réfolutions publiées, il y a deux jours, & qu'il adoptera les moyens les plus efficaces pour vous rendre juftice & vous récompenfer de vos ferviceslongs&méritoires. Enfin,qu'il me foit permis de vous conjurer au nom de notre commune patrie, des droits facrès de 1'humanité, de cet honneur facró que vous révérez, au nom, ce nom fi cher de 1'Amérique, de témoigner la plus grande horreur pour 1'homme qui brüle de renverfer fous de fpécieux prétcxtes la libertè de votre pays, & qui peut par une rufe infame ouvrir la porte k une guerre civile, & inonder ce  A M E R I C A I N, 269 pays de torrens de fang. En prenant eette réfolution, en agiffant ainfi, vous obtiendrez füreraent 1'objet de vos démarches; vous détruirez les projets infidieux de nos ennemis, qui, de la force ouverte, defcendent k des artifices fecrets. Vous donnercz une preuve de plus de ce patrictifme fans exemple, & de ce courage fi patiënt, fi fupérieur au fardeau des maux les plus accablans. Et par la dignité de votre conduite, vous forcerez votre poitérité a dire, lorfqu'elle célébrera cet événement fi glorieux de 1'humanité: Si ce modele n'eut pas exifté, 1'univers n'auroit jamais vu jufqu'k qual degré de perfection 1'efprit humain peut monter." C%*0 G. Washington. Son excellence s'étant retirée, en conféquence d'une motion faite par le général Knox, & fecondée par le brigadier-général Putman, on réfolut: Qu'on feroit parvenir au général en chef, de la part des officiers de 1'armée, desremerciemens unanimes de fon excellente adreffe, & de ce qu'il a bien voulu leur communiquer; & qu'on 1'asfureroit en leur nom de la réciprocité de leur attachement le plus fincere. L'Adreffe de 1'armée au congrès, le rapport du committé de 1'armée, & la réfolution du congrès du 25 janvier, ayant été lues. En conféquence d'une motion du général Put. nam, fecondée par le général Hand, on vota: De former un committé pour dreffer immédiatement une inftruétion de 1'affaire fur laquelle 1'affemblée avoit k délibérer, & pour la rapportei dans une demi-heure. De compofer ce committé  27o LE SPECTATEUR d'un général, d'un officier-général, & d'un capitaine. Enfin, on choifit pour cet effet, le général Knox, le col. Brooks & le cap. Howard. Le committé ayant fait fon rapport, & 1'aiTcmblée 1'ayant pleinement examiné , on dcclara unanimement: „ qu'au commencement de la guerre aétuelle, les officiers de 1'armée Américaine s'étoient engagés au fervice de leur patrie, par 1'amour le plus pur & 1'attachement le plus inviolable aux droits & aux libertés de la nature humaine, motifs qui exiftent encore chez eux dans le degré le plus éminent, & qu'il n'eft ni malheur ni péril qui puiffent les porter a fouillcr la réputation & la gloire qu'ils ont acquifes au prix de leur fang & de huit années de loyaux & fideles fervices." On déclara avec la même unanimité: „ que 1'armée avoit une confiance inébranlable dans la vertu du congrès & de la patrie, & étoit pleinement convaincue que les repréfentans de 1'Amérique ne licencieroient, ni ne difperferoient 1'arméé, fans avoir liquidé les comptes, donné des aflurances fuffifantes pour les reliquats, & affigné des fonds fuffifans pour le payement. Et que les officiers s'attendent, que les retraites ou un équivalent, feront efficacement compris dans cet arangement." On réfolut encore unanimement „ de prier fon exc. le commandant en chef d'écrire a fon exc. lc préfident du congrès, & de lui demander inftamment la décifion la plus prompte de la part de cet honorable corps, auprès duquel elle étoit aótuellement follicitée par un committé de 1'armée. Ce parti, foit que nous ayons la paix, foit que nous cuntinuyous la guerre s étant le plus propre a faire  AMERICAl N. t%f$ naltre la tranquillité dans les efprits des gens de guerre, & k prévenir 1'cffet des funeftes deffeins de ceux qui cherchent k feraer la difcorde entre les pouvoirs civil & militaire des Etats-Unis.1' On ajouta: que les officiers des arméesAméricaines avoient vu avec horreur, & rejeté avec mépris, les infames propofitions contenues dans la demiere adreffe anony me aux officiers de 1'armée; & que tous avoient regardé avec indignation les efforts fecrets de quelques inconnus pour aflembler les officiers, d'une maniere capabie de fubverrir toute difcipline& de détruire le bon ordre." Enfin, „ qu'on .feroit au nom de 1'armée au committé qui avoit préfenté au congrès la derniere adreffe, des remerciemens de la fageffe & de la prudence avec lefquelles il avoit conduit les affaires, que copie des réflexions & déclarations de ce jour feroit adrefiee par le préfident de 1'affemblé au major M. Dougal, & qu'il feroit requis de continuer fes follicitations prés du congrès jufqu'k ce qu'il eüt accompli fa miffion.'* Après quoi, 1'aflèmblée fe fépara. Horatio Gates, major-genéral,préfident. Réfolution que le congres prit relathement au payement des troupes americaines. Réfolu, que le commandant en chef fera prévenu d'accorder des congés aux officiers fans commiffion & foldats au fervice des Etats - Unis, enrólés pour fervir dans le cours de cette guerre, & qui doivent être licenciés k la conclufion du traité de paix définitif, enfemble avec un nombre proportionné d'officiers en grade, & quele fe-  Ü72 LESPËCTATEUR crétaire de la guerre & le commandant en chef prendront les mefures les plus convenables pour faire conduirc ces troupes k leurs demeures respeétives, de maniere k les fatisfaire & k ne pas nuire aux provinces par lefquelles elles paffen:, & que les hommes ainfi licenciés pourront prendre leurs armes avec eux. Publié par ordre du congrès. rf>ignè) Ch. Thompson, Secrétaire. A la promulgation de cette réfolution, P adreffe fuivante fut prêfentée au commandant en chef Monsieur. „ II eft difficile de vous exprimer le regret que nous fentons d'être obligés de folliciter de nouveau Pappui de votre excellence. Après la douleur que fait naitre en nous la perfpective de notre mifere, eft celle qui s'éleve dans nos ames de la connoifiance que nous avons de vos inquiétudes fur Ie fort des hommes qui ont étó les compagnons de vos exploits, & qui vous ont conftamment fuivi au travers de toutes les viciffitudes de la guerre. La néceffité feule pouvoit donc nous engager k vous faire des répréfentations qui vous affligeront fans doute." „ Votre exc. a une connoiftance fi intime de Pétat actuel de 1'armée, qu'il eft inutile de vous le peindre. Vous avez été le témoin au milieu de nos fouffrances d'une guerre unique par fon origine, fans exemple dans fes circonftances*, vous 1'êtes encore du fardeau que nous fupportons, par Le befoin de cette proviüon, k laquelle nos  AMERICAIN. 273 nos ferviccs perpétuels nous dormoient des droits. Ayanc dernierement exprimé nos fentimens fur ce qui étoit dü k notre pofition, ayanc cru d'après 1'affurance de Votre Exc. que nos comptes feroient liquides , le montant affure ; que l'on feroit des fonds pour le payement, avant de nous licencier; ayant vu avec plaifir 1'appro* bation que le congrès donnoit k nos demandes; c'eft avec un mélange d'étonnement & dechagrin que nous apprenons laderniere réfolution du congrès, qui ordonne de congédier les foldats & les officiers, fans avoir terminé aucun de ces objets importans; & pour mettre le comble knos maux, ils font obligés de quitter 1'armée fans avoir aucune reffource pour payer les dettes que le fervice entraine, pour gratifier ceux qui les ont fervis, pour foutenir leurs families, & les dédomraager d'une fi longue abfence. Expofés aux infultes du dernier valet de 1'armée, k être arrêtés par un Shérif, privés de la facilité d'aider nos families, fans aucune preuve qu'il nous foit dü quelque chofe pour notre fervice, & conféquemment fans la moindre efpérance d'obtenir crédit pour une , fubfiftance momentanée jufqu'au moment oü nous puiffions gagner de 1'argent, quelle reffource avons-nous? Nous prenons la libertè de le demander k votre Exc.; nous fommes bien perfuadés de fefficacité des derniers effbrts qu'eile fera en notre faveur. Nous appelons donc k Votre Exc de la maniere la plus folemnelle: 1'horreur de 1'oppreffion & de 1'injuftice qui üous a mis les armes k la main, le fouvenir de nos communs périls, & de ces événemens furprenans qui nous II Pm. S  274 LE SPECTATEUR rcndent Ia libertè, & que nosforces réunies ont produits, nous autorifent k folliciter votre fecours, & k vous demander que 1'ordre du 2 courant, fondé fur Padie du congrès du 16 mai dernier , puilfc être fufpendu, de facon que nul officier, ni foldat ne foit obligé de recevoir fon congé , avant que cette honorable compagnie foit informée de 1'état miférable oü cette réfolution va nous plonger. Nous efpérons que Votre Exc. engagera le congrès, & que d'après les principes de la juftice commune elle infiftera fur ce qu'aucun officier ou foldat ne foit forcé de quitter le camp, jufqu'k ce que la liquidation des comptes foit eftèdtuée, que les balances foient arrêcécs , que l'on ait expédié des certificats pour les fommes dues, renfermant la commutation de la demipaye pour les officiers , & la (rratification de 20 dollars puur les foldats , jufqu'k ce qu'enfin on accorde k chacun une fomme d'argent fuInfante pour le tranfporter du camp k fes foyers. „ Nous croyons que cette patrie, au fervice de laquelle nous nous fommes dévoués, ne regardera jamais avec indifference les hommes qui ont fi eflentiellement contribué k raffermir fa libertè, fes propriétés, fon empire. Au nom des généraux & des officiers , commandant le régiment & les corps en cantonnement fur la riviere d'Hudfon» J'ai 1'honneur, &c. 5 Juin 1783. W. Heath, major-gén., Pr.  AMERICAIN. * sxjs Le ge'néral qui s'étoit engagé envers 1'armée a lui procurer une fatisfaétion fur fes juftes demandes, fit cette réponfe. Du Quartier général le 6 juin. Monsieur, „ Avant que je puifle répondre a 1'adrefle de« généraux & officiers, commandant les corps & régimens de cette armée, je les prie d'être perfuadés de ma reconnoiflance pour la confiance qu'ils veulent bien mettre en moi; je les prie de croire que comme perfonne ne connoit mieux que moi les fervices rendus par eux, perfonne auffi n'eft: plus touché de leur fituation préfente, & ne defire plus vivement d'adoucir ou d'éloigner leurs maux. II feroit peut-être inutile de détailIer ici tout ce que j'ai fait encore pour remplir cet objet important. 11 eft fuffifant d'obferver que je ne défefpere pas du fuccès; car je fuis parfaitement convaincu que les Etats ne peuvent pas, fans fe précipiter dans une banqueroute nationale, lans ruiner leur crédit, refufisr d'accéder aux réquifitions du congrès. II faut 1'avouer, il a fait tout ce qui étoit en fon pouvoir pou- obtenir une juftice complette en faveur de 1'armée. Son grand objet, dans le moment prëfent, étoit, par une réduétion de dépenfe, de mettre Pintendantgénéral des finances a portée de faire un payement de trois mois k 1'armée, jugé comme indispenfable & néceflaire. Pour expliquer davantage ce point, permettez-moi d'inférer ici 1'extrait d'une lettre du fur-intendant, du 29-du mois S 3  2p LE SPECTATEÜR paffé. II y a plus d'un mois que le committé a conféré avec moi fur cet objet; je lui ai dit que l'on ne pouvoit faire a 1'armée aucun payement que par le moyen d'un papier d'anticipation, & même qu'il ne pouvoit être faic fi l'on ne réduifoit immédiatement & confidérablement nos dépenfes. Nos dépenfes ont cependant été continuées, lorfque nos revenus fe font diminués, les Etats étant trés - lents dans leurs remifes. II en réfulte que je ne puis faire de payement dans la maniere que j'avois propofée. Les billets auroient été payables a deux, quatre & fix mois de date; a préfent ils ne peuvent 1'être qu'a fix mois, & encore faut-il fur le champ retrancher les dépenfes. Je ferai expédier de pareils billets pour la paye de trois mois,& je vous conjure, Monfieur, d'employer toute votre influence fur les Etats, afin qu'ils foient compris dans la lifte de mes autres engagemens qui doivent être rempiis par la taxe. ,, J'ai expédié, il y a trois jours, un expres pour prefier 1'envoi de ces billets. Dans cet état des chofes, je n'ai pas befoin d'ajouter que la dé.penfe de chaque jour pour 1'entretien de 1'armée, augmentera 1'incapacité oü eft; le congrès de s'acquitter au moins de trés - longtems. „ Quoique les officiers de 1'armée connoilTent bien ma fituation officielle, & fachent que je fuis le fervitèux du public, & que je ne puis me dispenfer d'éxécuter les ordres qu'il eft de mon devoir de remplir, cependant comme les congés, en matiere de fervice , font plutót affaire d'indulgence que de force; comme le congrès eft dans les meiileures difpofitions pour 1'armée; comme les deux principaux articles de plainte feront dans  AMERICAIN. 277 peu de tems arrêtés au gré de 1'arméc, jufqu'k ca que le bon plaifir du congrès foit connu, je n'héfite pas k me rendre k vos defirs, fous la réferve feulement que les foldats, qui préféreront avoir leur congé fur le champ, feronc conduits par détachemens par un nombre d'officiers fuffifant. La néceffité de cette précaution fepréfcnte k tous les yeux; je n'ai pas befoin d'y infifter. Quant aux officiers en grade & particuliers, qui par les cir» conltances ne fouhaitent pas prendre leur congé, ils donneront leurs noms k leurs commandans respeétifs, afin que fur le rapport de 1'adjudant général, on licencie un nombre égal d'hommes engagés pour trois ans, ce qui épargneraau public la dépenfe qu'on veut fauver. j'efpere que les billets ne tarderont pas k arriver, & que le réglement des comptes fera terminé par les tréforiers dans peu de jours. En même tems, j'aurai Phonneur d'expofer au congrès les fentimens des officiers & des généraux. Ils font exprimés d'une maniere fi décente, fi honnête, & fi attendriffante, que je ne doute point qu'üs ne foient bien accueillis. J'ai 1'honneur d'être , &c." (Signe) G. Washington, Les deux lettres précédentes furent envoyées k Son Excellence le préfident du congrès, avec ia fuivante. Du Ouartier - Général, New-Burcii , 7 juin. „ J'ai 1'honneur de joindre k Votre Exc. la copie d'une adreffe, qui m'a été faite par les généraux & officiers commandant 1'armée, avec ma, réponfe. Ces pieces vous feront voir les confé^ S 3  »7S LESPECTATEUR quences rnalheureufcs de 1'exécution de la réfolution du 26 mai. Les deux fujets de plainte principale de 1'armée font, i°. Le délai du payement du trimeftre, & 2». Le défaut du reglement des comptes. Je me fuis cru autorifé a Paffurer que le congrès y feroit une attention particuliere, & j'ai fait quelques changemens relatifs aux congés, Le fecrétaire de la guerre vous en expliquera les raifons & la néceffité. Tandis que je confidere comme un tribut dü i la Juftice de vanter ici la conduite modérée de toute 1'armée, & particulierement Pefprit de docilité & 1'ordre avec lequel les officiers fe font prêtés pour le commandement des bataillons qui doivent fervir pendant trois ans, permettez-moi de vous rappeler leurs anciennes fouffrances & leurs fervices, & de les recommander aux bonnes difpofitions du congrès." J'ai 1'honneur d'être, &c. (.Signé) G. Washington. Proclamation dans le campAmïricain. La ratification des articles de paix étant arrivée au camp de 1'armée américaine, la joie fut univerfelle, & le foldat, fatigué d'une guerre longue ge pénible, éprouva dans ce moment tout ce que le repos & la douce confolation d'avoir bien mérité de la patrie pouvoit infpirer: le lendemain 16 avril, le général fit la proclamation fuivante: „ Le commandant en chef ordonne que la cefiation des hoftilités entre les Etats-Unis de PAmérique & le roi de la Grande-Bretagrte, foit proclamée publiquement demam a midi au nouveaubltiment; & que la proclamation qui fera com-  AMERICAIN. 279 muniquéc par la préfentc, foit lue dcmain au foir a la tête de chaque régiment & corps de 1'armée; après quoi, les ehapelains, avec les diverfcs brigades , rendront des actions de grace au Dieu Tout-PuifTant, pour toutes fes miféricordes, particulierement pour avoir enchainé la fureur des hommes k fa gloire & fait celTer la rage de la guerre parmi les nations. Quoique la proclamation dont il s'agit, fe bornc k interdire leshoftilités & non k annoncer la paix générale, ce doit cependant être une fatisfaction bien raifonnab!e& bien pure pour toutes les amesbiep-veuillantes, que 1'époque qui met fin k une conteftation longue & douteufe,arrête 1'effufion du fang humain, ouvre une perfpeétive plus brillante &, femblable a une autre étoile du matin, promette 1'afpect d'un jour plus éclatant que celui qui, jufqu'k préfent, a éclairé 1'hémifphere occidental. Dans un jour fi h;ureux qui eft le meirager de la paix, un jour qui couronne une guerre de nuit années, il y auroit de la noirceur k ne pas fe réjouir; ce feroit infenfibilité que de ne pas prendre part k la joie générale. Le commandant en chef, bien loin de tacher d'étouffer les fentimens de joie dans fon propre cceur, préfente fes félicitations les plus cordiatcs a cette occafion k tous les officiers de toatedénomination, k toutes les troupes des Etats Unis en général; & particulierement k ces hommes braves & fermes qui avoient réfolu de défendre les droits de leur pays envahi,tant que la guerre continueroit. Car, voilk ceux qui doivent être confidérés comme 1'honneur & 1'orgueil de 1'armée américaine, & qui, couronnés de lauriers bien S 4  28o LE SPECTATEUR acquis, peuvent quitter bientót les champs de Ia gloire pour les boccages paifibles de la vie civile. Quand le commandant en chef fe rappelle la variété prefque infinie des fcenes par lefquelles nous avons palTé avec un plaifir mêlé d'étonnement & de gratitude; lorfqu'il contempleavec raviffement la perfpeétive qui s'offre a nous; il ne peut s'empêcher de defirer que tous les braves gens, de quelque condition qu'ils puiffent être, qui ont eu part aux fatigues & aux dangers pour opérer cette glorieufe révolution, pour délivrer des millions du joug de 1'oppreffion, & pour jeter les fondemens d'un grand empire, foient pénétrés de 1'idée convenable du róle augufte qu'ils ont été appelés a jouer, fous les aufpices de Ia providence, fur le thcatre des affaires humaines; car heureux, trois fois heureux, feront dorenavant nommés ceux qui ont contribué en quelque maniere, qui ont rempli 1'emploi même le plus mince dans la conftruélion de ce coloflè étonnant de libertè & d'empire fur la vafte bafe dc 1'indépendance; jqui ont donné du fecours pour défendre les droits de la nature humaine & pour établir un afyle aux •pauvres & aux opprimés de toutes les nations & de toutes les religions. La tache glorieufe pour laquelle nbus avons volé aux armes étant remplie, les libertés de notre pays étant pleinement reconnues & folidement établies par la faveur du ciel fur la pureté de notre caufe & fur les efforts honnêtes d'un peuple foible, déterminé a être libre, contre une nation puiffante prête a 1'opprimer; & la réputation de ceux qui ont perfévéré a travers tous les excès de fatigue, de fouffrance fe de danger, étant immortaüfée par ia glorieufe  A M E R I C A I N. a8i dénomination d'armée patriotique ; il ne refte plus a préfent aux acteurs de cette fcene mémorable, que de conferver un caractere conféquent & inaltérable jufqu'au dernier acte, afin de terminer ce drame avec applaudifiement; & de fe retirer du théatre militaire avec les mêmes fuftrages des anges & des hommes qui ont couronné toutes leurs actions vertueufcs. Pour cet effet on ne tolérera aucun défordre, aucun excès. Tous les foldats prudens & bien intentionnés doivent fe rappeler qu'il doit leur être abfolument nécefiaire d'attendre avec patience que la paix foit déclarée, ou que le congrès ait pu prendre les mefures nécefiaires pour la fureté des magafins publics &c. Auüitót que ces arrangemens feront faits, le général ne tardera pas a décharger, avec toutes les marqués de diftinction & d'honneur, tous ceux qui fe font enrölés pour la guerre, qui dès-lors auront fidelement rempli leurs engagemens avec le public. Le général s'eft déjk intérefle en leur faveur; & il penfe qu'il n'a pas befoin de répéter l'alTurance de fes difpofitions k leur être utile dans cette occafion , comme dans toute autre convenable. Dans le même tems, il eft réfolu qu'aucune négligence ou desordre militaire ne refte impuni, tant qu'il retiendra le commandement de 1'armée. L'ajudant général aura telles parties détachées pour 1'afiifter k faire les préparatifs de réjouiflances publiques que le chef-ingénieur jugera propres avec 1'armée ;& le quartier - maitre • général fera fans délai, imprimer tel nombre de licenciemens qui fera nécefiaire pour tous ceux qui étoient arrêtés pour la guerre; il aura la bonté de s'adrefler au qua/S5 ,  sg2 LE SPECTATEUR ticr-général. Une ration extraordinaire de liqueur fera diiïribuée a chaque homme demain pour boire. „ Paix & bonheur perpétuels aux Etats-Unis de PAmérique! {Signé') G, Washington. Également propre a briller dans le cabinet comme dans les camps, Washington répand dans fes écrits une nobleffe, une énergie que Péloquence du cceur infpire. Nous venons de voir avec quelle fagacité, avec quelle candeur, il difcute les fujets les plus délicats; nous allons 1'admirer encore plus dans fa modeftie (i). Des hommes efclaves de (i) II efl rare que renthoufiafme n'aille au-dela de la vérité. Un auteur qui entend célébrer de toutes parts Ie héros donc il veut parler s'enflamme pour lui; fon imagination s'exalte & ne fait plus s'arrêter. L'écrivain mercenaire, ou feulement prévenu, induiroit la poftérité en erreur, fi Ia poftérité pouvoit fe lattier prévenir; mai» heureufement elle juge avec fang-froid; elle diftingue la baflè fiatterie de 1'écrivain mercenaire, des juftes hommages de 1'hiflorien honnête, & fait mettre a leurs places les hommes célebres & les grands houmies. Je ne me défends point d'enthoufiafme pour mon héros; mats il ne m'entraine point au • dela de ce qui lui eft dü. Je ne puis mieux confirmer ce que j'en ai dit qu'en rapportant les mêmes expreffions de Son Exc. M. P. S. van Berckel, miniftre plénipotentiairede L.L. H.H. P.P. prés le congrès: ce citoyen, illuftre autant qu'éclairé, dit: „ Quand je n'aurois pas recu de ce général les marqués les plus flateufes de fon attachement, je n'en publierois pas moins que tout ce que l'on a dit 6: tout ce que l'on peut dire de cet homme célebre, fera toujours au delfous de 1'idée que  AMER.ICAIN. 283 ia jaloufie & vendus aux ennemis de la patrie, ne roudrent point de répandre, a 1'époque des divifions quf régnoient dans 1'armée, „ que les troupes, „ aux ordres du général n'ayant point encore été „ licenciées, il en étoit réfulté beaucoup te „ jaloufie entre lui & le congrès, vu qu'on „ craignoit quelque chofe qu'il n'étoit pas encore „ prudent de dire jufqu'k préfent. "Cette infinuation injufte ne pouvoit paroitre qu'invraifemblable a ceux qui ont obfervé d'un ceil attentif & impartial la conduite de cet illuftre guerrier pendant toute la guerre. Auffi refpeétable par les vertus de 1'homme jufte & auffi eftimable par les qualités du citoyen vraiment patriote, que diftingud par les talens militairas, le grand homme qu'011 vouloit rendre fufpect d'une maniere auffi indigne, étoit incapable de fonder fon pouvoir perfonnel fur les débris de cette libertt qu'il venoit d'affurer k fa patrie au péril de fa vit & au prix de fon fang. Dédaignant conftammen tous avantages pécumaires, fans poftérité d'aü leurs qu'il put defirer d'illuftrer, eüt-il vouh fouiller le nom immortel qu'il a acquis par le re proche bien mérité de n'avoir travaillé que pou lui même, en feignant de combattre pour le biei public; eüt-il facrifié fa vraie gloire k la vain fplendeur d'une diétature perpétuelle ? Ceu: l'on s'en forme quand on a le bonheur de le voir & de le connoitre." Cet éloge n'eft furement pas fufpeft; ceptndant je ne penfe pas qu'on puilTe céléhrer plus dignement, en auffi peu de mots , le grand homme dont parle M. van Bt-rcktl. 'FashmZ' on caloin\;é. I r 1 E  a!?4 LE SPECTATEUR qui étoient capables de lui fuppofer une auffi baffe arnbition , montroient combien les fentimens d'un cceur vraiment généreux leur étoient étrangers. Mais M. "Washington s'eft empresfé de donner la preuve la plus com plette de la faufleté de leurs infinuations. Semblable k ces vertueux romains qui retournaient k la charrue après avoir guidé le vaiffeau de la république, il déclare vouloir fe démettre du commandement pour aller bientót goüter dans la retraite d'une vie privée les douceurs du repos & de ce calme qu'aflure k 1'ame la confcience d'avoir exaótement rempli fes devoirs: écoutons - le parler lui-même dans cette fameufe lettre circulaire qu'il adrefia au général Green. LETTRE CIRCULAIRE. Jlu quartier général* Newhurg le 18 juin 1783. Le grand objet pour lequel j'avais 1'honneur de gérer un emploi au fervice de mon pays, étant rempli, je me prépare aétuellcment k le réfigner dans les mains du congrès & k retourner k cette retraite domeftique que je n'ai, comme il eft bien connu, quitté qu'avec laplus granderépugnance, retraite pour laquelle je n'ai jamais cefTé de foupirer, depuis une longue & pénible abfence; dans laquelle, k 1'écart du bruit & des embarras du monde, je pufte coulerle refte de ma vie dans un état derepos & fanstrouble; mais, avant que je mette cette réfolution kexécution, je penfe qu'il eft de mon devoirde donner ici mon dernier avis officiel pour vous féftciter fur les glorieux événemcns qu'il a plu au ciel deproduireennotre  AMERICAIN. 285 faveur, d'expofer mes feminiens fur quelque9 objets importans, qui me paroiffent extrêmement lies avec la tranquillité des Etats-Unis, & de donner ma bénédictionfinale kce pays, au fervice duquel j'ai confumé le printems de ma vie, pour le bien duquel j'ai palfé tant de jours dans Pinquiétude &tant de nuits dans les veilles; &dont le bonheur, m'étant extrêmement chcr, formera toujours une partie confidérable du mien. Pénétré de la plus vive fenfibilité dans cette agréable occafion, je demande la permiflion de m'étendre fur le fujet de nos félicitations mutuelles. Quand nous confidérons la grandeur du prix pour lequel nous avons combattu, la nature incertaine de la querelle, & la maniere avantageufe dont elle s'eft terminée, nous avons les plus grandes raifons poflïbles de gratitude St d'alégrefie : C'eft un fujet qui procurera des charmes infinis a tous les efprits bienfaifans & libres, foit que 1'événement en conüdération foit regardé comme la föurce des jouiffances préfentes, ou la caufe d'un bonheur futur; & nous aurons également occafion de nous féliciter du partage que la providence nous a afiigné , fous quelque point de vue que nous Penvifagions, naturel, politique ou moral. Les citoyens de 1'Amérique pfacés dans la pofitior» la plus digne d'envie, comme les feuls lèigneurs & propriétaires d'une vatte étendue du continent, contenant tous les fois & climats du monde, abondant dans toutes les chofes de néceffité 011 d'agrément pour la vie, font acluellement, par la derniere paciiication fatisfaifante, reconnus comme inveftis d'une libertè, d'une indépendance abfolüei. Dès cette époque on doit les, cou-  285 LE SPECTATEUR fïdérer comme acteurs fur le théatre le plus brillant, que la providence femble avoir choifi d'une maniere particuliere, pour le développement de la grandeur & de la félicité humaines: ils ne font pas feulement environnés de tout ce qui peut contribuer k remplir les jouiflances privées & domeftiques; mais le ciel a couronné toutes fes autres faveurs, en leur offrant la route la plus facile de bonheur politique, qu'aucune autre nation ait jamais goütée. Rien ne peut prouver ces obfervations d'une maniere plus frappante, que Ie fouvenir de 1'heureufe conjonéture des tems & des circonftances, fous lefquels notre république a pris place parmi les nations. Les fondemens de notre empire n'ont pas été pofés dans les fiecles ■nébulcux dc fignorance & de la fuperftition ; mais k une époque oü les droits du genre humain étoient mieux entendus, & plus clairement déterminés qu'ils nel'avoient jamais été auparavant. Les recherches de 1'efprit humain fur la félicité fociale ont été portées k une grande étendue; les tréfors de connoiflances, acquis par les travaux des philofophes, des fages, des légiflateurs, k travers une longue fuite d'années, font ouverts pour 1'ufage public; & leur fagefle peut être recueillie avec fuccès pour 1'établiflement de nos formes de gouvernement. La libre culture des lettres, 1'extenfion illimitée du commerce, les progrès perfeétionnés des moeurs, Paccroifiement de la libertè de penfer, & furtout la lumiere pure & bienfaifante de la révélation ont eu un heureux effèt fur Pamélioration du genre-humain & augtnenté les douceurs de la fociété. C'eft fous ces  AMERICAIN. 2S7 aufpiccs favorables que les Etats-Unis ont acquis 1'exiftence comme nation, & fi leurs citoyens ne font pas parfaitement libres & heureux, le blïtme ne pourra tomber que fur eux. Telle eft notre fituation; telle eft notre perfpective. Mais, quoique la coupe du bonheur foit a notre portee, quoique la félicité foit notre lot, fi nous fommes difpofés a profiter de 1'occafion; il me paroit cependant que les Etats-Unis ont encore a opter, s'ils veulent devenir refpectables & heureux, ou méprifables & malheureux, comme nation ; c'eft le tems de leur épreuvc politique; c'eft le moment oü les ycux de tout 1'Univers font tournés fur nous; c'eft le moment d'établir ou de ruiner a jamais notre caractere national; c'eft le moment de donner au gouvernement fédératif, un ton qui le mette en état de répondre aux objets de fon inftitution; ce moment fatal peut relacher les nceuds de 1'union, détruire le ciment de la confédération, & nous expofer ii devenir le jouet de la politique Européenne qui pourroit foulever un écat contre un autre, pour empêcher Paccroifiement de leur importance & fervir fes vues intérefiees. Car, d'après le fyftê. me de politique que les états adopteront dans cet inftant, ils fe loutiendront ou tombéront; & d'après leur affermiflement ou leur chüte, il fera a décider fi la révolution doit être, après tout, confidérée comme un bonheur ou un malheur: un bonheur ou un malheur, non pas feulement pour le tems préfent; car notre deftin doit entrainer la deftinée de millions qui ne font pas encore nés Dans la conviction de 1'importance de Ia crifis  a88 LE SPECTATEUR attuetle, le filence feroit un crimekmoi; je tiertdrai donc k votre excellence le langage de la libertè & de la fincérité, fans déguifement. Je prévois, cependant, que ceux qui different avec moi d'opinion, pourront obferverque jem'écartc de la ligne de mon pofte; & peut-être attribueront- ils k 1'orgueil & k l'oftentation, ce que je fais n'être que 1'effet de 1'intention la plus pure; mais la droiture de mon cceur dédaigne ces motifs indignes. Le róle qui j'ai joué jufqu'k préfent; la réfolution que j'ai formée de ne prendre plus aucune part aux affaires publiques; le defir ardent que j'éprouve & que je concinuerai k manifefter, de jouir dans la tranquillité d'une vie privée, après toutes les fatigues de la guerre, des.douceurs d'un gouvernement fage & libre, convaincront, je m'en flatte, tót ou tard, mes compatriotes, que je ne pouvais avoir des vues finiftres, en expofant, avec fi peu de réferve, les opinions contcnucs dans cette adreffe. 11 y a quatre chofes que jeregarde humblement comme effentielles au bien-être, & je pourrai hafarder de dire, k 1'exiftence des Etats-Unis comme puiffance indépendante. i°. Une indiflö» luble uniondes états fous une autorité fédérativc; 2°. un refpecl facré pour la juftice publique; 30. 1'acceptation d'un établiffement de paix convenable; & 40. parmi les peuples des Etats-Unis 1'empire de ces difpofitions pacifiques & amicales, qui les engagent k oublier leurs préventions & ' & leur politique locale, pour fe faire ces conces■fions mutuelles, qui font requifes k la profpérité générale, & pour facrifier, k quelques égards, leurs avantages individuels k 1'intérêt de la cgrnmunauté. Voila  . A M E R I C A I N. sflp Voiia les colonnes fur lefquellcs 1'édifice glorieux de notre indépendance & de notre caractere national doit être iöutenu. La libertè en eft la bafe; & quiconque oferoit en fapper les fondemens ou en bouleverfer 1'architeér.ure, fous quelque prétexte fpécieux qu'il le ten te, mériteroit 1'exécration la plus amere, & la punition la plus rigoureufe qu'un pays outragé pourroit lui infliger. Je me bornerai k faire fur les trois premiers articles un petit nombre d'obfervations, laiflant le dernier au bon efprit & k la confidération férieufe de ceux qui y font intéreffés immédiatement. Quant au premier article, quoiqu'il ne foit ni néceffaire, ni convenable k la place oü je luis, de faire une recherche particuliere des principes de 1'union, & d'élever la grande queftion, li fouvent agitée, s'il feroit expédient& requis que les états déféraffent une portion plus confidérable de pouvoir au congrès, ou non; cependant il eft de mon devoir, ainfi que' de celui de tout vrai patriote, d'affurer fans réferve, & d'infifter fur les propofitions fuivantes; que fi les états ne veulent pas permettre au congrès d'exercer ces prérogatives qui lui font indubitablement dévolues par la conftitution, tout doit acheminer rapidement vers 1'anarchie & la confufion. Qu'il eil indifpenfable pour le bonheur des états en particulier , qu il y ait quelque part un pouvoir fuprême pour régler & diriger les intéréts généraux de la république confédérée, fans quoi 1'union ne fauroit être de longue durée. Qu'il y ait de la part de chaque état une complaifance fidele & //. Part, T  290 LE SPECTATEÜR. ponótuelle aux dernieres propofitions &demandes du congrès, fans quoi les conféquences les plUs fatales auront lieu. Que toutes meiures qui tendent k diflbudre 1'union, ou contribuent k vióler ou aflbiblir l'autorité fouveraine, doivent être confidérées comme ennemies de la libertè & de 1'indcpendance de 1'Amérique , & les auteurs traités comme tels. Et finalcment, qu'a moins que le concours des états ne nous mette k même de partager les fruits de la révolution & de jouir des avantages effentiels delafociécé civile fous une forme de gouvèrnemeht, - auffi libre, auffi pure, auffi heureufement garantie contre les dangers del'oppreffion ,que celle combinée&adoptée par les articles' de la confédération, il y aura fujet de regretter que tant dc fang &-de tréfors aient été répandus pour aucun efTet; que tant de maux aient été foufferts fans rccompenfé, & que 'tant de facrifices aient été faits envain, On pöurroit expofer ici plufieurs autres contidérations, pour prouver que fans une entiere adhéfion a Pefprit dé 1'union, nous ne pouvons exifter comme puiflance indépendante. II me fuöira pour mon objet'de mentionner un ou deux points qui me paroiffent de la plus grande importance. Ce n'eft que dans notre caractere réuni, comme dans un 'feul' empire ', qu'on a reconnu notre indépendance , que notre puiffance peut être refpeétée ou notre crédit fouteim parmi les nations étrangeres. Les traités des puifiances euïopéennes avec les Etaüs • Unis de'1'Amérique n'aurönt aucurfcValidité, k la diffolutiörfdecette union. Nous féronS abandonnés k peu prés a Pétat de nature; nous pourrons voir par nótre  AMERICAIN. i0r propre expérience qu'il y a une progrefiion naturelle de 1'extrême de 1'anarchie a 1'extrême de la tyrannie; & ce pouvoir arbitraire efl: écabli de la maniere la plus facile fur les ruines de la libertè abufde jufqu'a la licence. Quant au fecond article qui regarde 1'exécution de la juftice publique, le congrès, dans fa dcrniere adreffe aux Etats-Unis, a prefque épuifé le fujet; il a expofé fes idéés fi pleinement; il a prouvé 1'obligation oü font les Etats de rendre juftice complete a tous les créanciers publics , avec tant de dignité & d'énergie, que, dans mon opinion, aucun ami fincere de 1'honneur & de 1'indépendance de 1'Amérique ne peut héfiter un moment fur la cohvenance de condefeeridre aux mefures juftes & honorables qu'il a pfopofées. Si ces argumens ne produifent pas la conviction, je ne fache rien qui puiffe avoir plus d'influence; fpécialement, quand nous'nous rappelons que le fyftême auquel on fe réfere, étant fe réfuitat de la fageflè raffemblée du continent, doit être regardé, finon cortime parfait.,certainement comme le moins fujet a des incohvéniens, qui puifle ècre imaginé; & que s'il n'eft pas mis immediatement a exécution, une banqueroute nationale aura lieu avec toutes fes conféquenccs déplorables, avant qu'il foit poffible de propofer ou d'aqopter quelque autre plan ; tant les circonftances actuelles, font prefiantes; & telle eft 1'alcernative offerte aétuellemenc aux Etats. ! L'habileté du pays a décharger les dettes que Pon a coritractées pour fa défenfe eft au dcifus du foupgom Je me flatte que la bonne volonté ne lüanqué pas non plus. Le fentier de notre devoir T a  293 LE SPECTATEUR eft ouvert devant nous; la probité, après toutes les épreuves, eft encore la meilleure, la vraie politique. Soyons donc juftes comme nation ; rempliffbns les contrats publics que le congrès a indubitablement eu Je droit de faire k 1'effet de pourfuivre la guerre ; avec la même bonne foi croyons - nous engagés k fatisfaire k nos engagemens particuliers. Dans le même tems qu'une attention k remplir de bon coeur notre propre tache, comme individus & comme membres d'une fociété, foit férieufement inculquée aux citoyens de 1'Amérique; alors ils renforceront les mains du gouvernement & feront heureux fous fa proteétion. Chacun recueillera les fruits de fes travaux; chacun jouira de ce qu'il aura acquis, fans moleftation, &fansdanger. Dans cet état de libertè abfolue & de fécurité parfaite, qui voudroit héfiter de céder une portion légere de fa propriété pour maintenir les intéréts communs de la fociété & afiurer la protcétion du gouvernement? Qui ne fe rappeüe les déclarations faites fi fouvent au commencement de la guerre ï Alors nous aurions été completement fatisfaits, fi nous eufiions pu conferver la moitié de nos pofleffions aux dépens du refte. Quel homme trouveroit - on qui voulut refter rede vable de la défenfe de fa perfonne & de fa propriété, aux effbrts, k la bravoure & au fang des autres, fans faire un eftbrt généreux pour fatisfaire k la dette de 1'honneur & de la gratitude? Dans quelle partie trouverons-nous un homme ou un corps d'hommes qui ne rougiroit de fe lever pour propofer des mefures directement combinées pour dépouiller le foldat de fa folde & le créancier  AMERICAIN. fi£>5 public de fa dette ? Et s'il étoit poffible qu'il arrivüt un pareil exemple d'injuftice, n'exciteroitelle pas 1'indignation-générale? N'attireroit - elle pas fur les auceurs de ces mefures la vengeance redoublée du ciel ? Si après tout 1'efprit de défunion ou un caraétcre d'obftination & de perverficé fe manifeftoit dans quelqu'un des Etats; fi des difpofitions auffi facheufes tendoient k faire échouer tous les heureux effets qu'on pourroit attendre de 1'union; fi Ion refufoit de déférer aux demandes de fonds propres k fatisfaire k 1'intérêt annuel des dettes publiques, & fi ce refus venoit k refiufciter toutes ces jaloufies & k produire tous ces maux qu'on a fi heureufement fait difparoitre, le congrès qui, dans toutes fes tranfaétions, a montré beaucoup de magnanimité & de juftice, reftera juftifié aux yeux de Dieu & des hommes! Et 1'Etat feul qui s'oppofe k la fageffe raflemblée du continent & qui fuit des confeils auffi erronés & auffi pernicieux, fera refponfable de toutes les conféquences. De mon cóté, convaincu d'avoir agi, lorfque j'étois ferviteur du public, de la maniere la plus propre k favorifer les intéréts réels de mon pays; m'étant en vertu de mes principes fixes, engagé en quelque fagon envers 1'armée, que la patrie lui rendroit juftice ample & complette; & ne voulanr, pas cacher un feul trait de ma conduite officielle aux yeux du monde , j'ai jugé convenable de tranfmettre k Votre Exc. la colledtionci-inclufe de papiers, relativement k ladcmi-paye, & aux tranfports concédés par le congrès aux officiers de 1'armée: ces Communications feront comprendre clairement mes fentimens décidés, ainfi T3  4% LESPECTATEUR «jue les raifons perfuafives qui m'ont engagé de bonne heure, k recommander 1'acceptation de cette mefure de la maniere la plus férieufe&la plus preffante. Comme les opérations du congrès, de 1'armée & de moi même, font ouvertes ï tout le monde, & contiennent dans mon opinion des informations fuffifantes pour faire disparoitre le préjugé & les erreurs, que quelquesuns peuvent avoir confervés, je juge qu'il efl: inutile d'en dire davantage & qu'il eft'jufte d'obferver que les réfolutions du congrès auxquelles on fait allufion, font indubitablement & abfolufflent obligatoircs pour les Etats-Unis, comme étant les actes les plus folemnels de la confédération ou de la légiflation. Quant a 1'idée qui, j'en fuis informé, a prévalu k quelques égards, que la demi-paye & le tranfport ne fauroient être envifagés que fous le jour odieux de penfion; c'eft ce qu'on doit rejeter a jamais. Que la provifion foit regardée, comme elle étoit. réellement, une compenfation raifonnable offerte par lc congrès, dans un tems oü il n'avoit rien autre k accorder aux officiers de 1'armée pour des ferviccs a remplir. C-étoit le féul moyen de prévenir un abandon total du fervice: c'étoit une portion de leur falaire; & l'on peut me permettre d'ajouter, c'étoit le prix de leur fang & de leur indépendance. C'eft donc plus qu'une dette commune ; c'eft une dette d'honneur; on ne fauroit plus fa confidérer comme une penfion, une gratification, ni 'la retenir jufqu'k ce qu'elle foit bien acquittée. Quant k la diftinótion entre les officiers & les foldats, il fuffit que I'expérience conftante de tou>  'AMERICAIN. 295 tes les nations du monde. combinée avec la notre, prouve l'utilité & la convenance de cette diftinction. Des récompenfes proportionnées au fecours que le public retire d'cux, font indubitablement dues a tous ceux qui le fervent. A quelques égards les foldats ont eu peut-être une récompenfe auffi ample puur leurs fervices, par les primes confidérables qu'on leur a accordées, que leurs officiers en recevront dans Ie tranfport mentionné; pour les autres , li outre la donation des terres, le payement des arrérages d'habits & de gages, articles fur lefquelles toutes les parties qui compofent 1'armée doivent être fur le même pied, nousfaifons entrer dans Peftimation les primes que plufieurs des foldats ont regues & la gratification de la paye entiere d'une année qu'on a promife a tous; peut-être leur fituation (toute circonltance duement confidérée) ne fera pas regardée comme moins a envier que celle des officiers. Si toutefois on-jugcoit de Péquité d'accorder une récompenfe altérieure , je hazarderai d'affurer que perfonne ne goütera une fatisfadtion plus grande que moi, fi une exemption de taxes pour un tems limité que l'on a demandée plufieurs fois, ou quelque autre indemnifation ouimmunité étoit accordée aux braves défenfeurs de la caufe de leur pays: mais ni 1'acceptation ni le refus de cette propofition, n'affedtera en aucune maniere ni ne militera contre Padie du congrès, par lequel il a offert une paye entiere pendant cinq ans, au lieu d'une demi-paye pour la vie qui avoit été promife auparavant aux officiers de 1'arméeAvanc que j'acheve le fujet de la juftice publique, je ne puis m'empêcher de faire mention des obliT 4  196 LE SPECTATEUR gations que doit ce pays a cette clafle méritante de vétérans, les officiers & fimples particuliers, qui, fans être revêtus de commiffions , ont été déchargés pour inhabileté, en conféquence de la réfolution du congrès du 23 avril 1782, avec une penfion annuelle pour la vie: leurs fouffrances, leur mérite & leurs prétentions particulieres a cette provifion n'ont befoin que d'être connus, pour intérelfer les fentiments d'humanité en leur faveur: rien qu'un payement ponctuel des conceffions annuelles qu'on leur a faites, ne peut les délivrer de la mifere la plus compliquée; & il n'y auroit pas d'afpect plus mélancolique & plus défastreux que de voir ceux qui ont répandu leur fang, ou perdu leurs membres au fervice du pays, fans afyle, fans amis, & fans les moyens d'obtenir aucune des confolations ou des chofes néceffaires a la vie, contraints a mendier leur pain quotidien de porte en porte. Pcrmettez-moi de recommander ceux de cette clafle qui font de votre Etat, a la protecr.ion la plus vive de votre Exq. & de votre légiflature. II n'eft befoin que d'ajouter quelques paroles fur le troifieme fujet qui a été propole Sc qui regarde particulierement la defenfe de la république. Comme il n'eft guere a douter que le congrès ne recommande un établiflement de paix convenable pour les Etats-Unis, oü l'on donnera 1'attention due a i'importance de placer la milice de 1'union fur un pied régulier Sc refpectable; fi tel eft le cas, je demanderai la libertè d'en expofer le grand avantage dans les termes les plus forts. La milice du pays doit être confidérée comme lc Palladium de notre fécurité & le premier reliörc eflentiel en cas d'holtilités:  AMERICAIN. 297 il efl: donc effentiel que le même fyftême fe répande dans le tout; que la formation & la difcipline de la milice du continent foit abfolument uniforme; & que la même efpece d'armes, d'habits & d'appareil militaire loit introduite dans toutes les parties des Etats-Unis. Perfonne, a moins qu'il ne 1'ait appris par 1'expérience, ne pourra concevoir la difficulté, la dépenfe & la confufion qui réfultent d'un fyftême contraire, ou des arrangemens vagues qui ont prévalu jusqu'ici. Si, traitant des matieres politiques, on s'eft étendu plus que de coutume dans cette adreffe; 1'importance & la grandeur des objets en difcusfion doivent fervir d'apologie. Ce n'eft cependant ni mon fouhait, ni mon attente que les obfervations précédentes exigent aucune attention, excepté autant qu'elles paroitront dictées par une bonne intention , conformément aux régies immuables de la juftice, combinées pour produire un fyftême libre de politique & fondées fur tout ce que 1'expérience peut avoir acquis d'une attention exacte & longue aux affaires publiques. Je pourrois ici parler avec plus de confiance d'après mes obfervations aétuelles: & fi ce n'étoit pas grofiir cette lettre déja trop prolixe au-dela des bornes que je me fuis prefcrites , je pourrois montrer a tous les efprits ouverts ï la conviction, qu'en moins de tems & avec beaucoup moins de dépenfe que nous n'en avons confumé la guerre auroit pu être amenée a la mêmeiffueheureufe,fi les reflöurces du continent eufientétédéveloppées convenablemenc; que les détrefies & les revers qui fouvent font furvenus, ont trop fouvent réT 5  S9S LE SPECTATEUR fulté plus d'un manque d'énergie dans le gouvernement Continental, que d'un defaut de moyens dans les Etats particuliers: que 1'inefficacité des mefures réfultant du manque d'une autorité convenable dans le pouvoir fuprême, d'une condescendance partielle aux réquifitions du congrès dans quelques-uns des Etats, & d'un manque d'exa&itude dans d'autre?; ce qui tendantaraïentir le zele de ceux qui étoient de bonne volonté , a fervi également a accumuler les dépenfes de la guerre, & a faire échouer les plans les mieux concertés; & que le découragement occafionné par les difficultés & les embarras compliqués oü nos affaires fe trouvoient plongées par ce rooyen, auroient depuis longtems produit la disfolution de toute autre armée, moins patiënte, moins vertueufe & moins perfévérante que cellé que j'ai eu 1'honneur de commander. Mais pendant que je fais mention de ces chofes, qui font des faits notoires, comme des défauts dans notre conftitution fédérative, particulierement pour la pourfuite dc la guerre, je demande qu'on entende que comme j'ai toujours pris plaifir a reconnoitre avec gratitude Paide & le fupport que j'ai tirés de toutes les claffes de citoyens, ce fera toujours une fatisfaótion pour moi de rendre justice aux efforts non-pareils des Etats particuliers dans plufieurs oecafions intéreffantes. C'eft ainfi que j'ai découvert avec franchife, ce que je defirois avoir fait connoitre avant que je rendifle lc dépot public qu'on m'a confié: la tache eft actuellement finie; je dis actuellement adieu k Votre Exc comme magiftrac en chef de cet Etat : dans le même tems je dis un éterncl adieu aux  A M E R I C A I N. 29* offices & k tous les emplois delaviepublique. C'eft encore ma feule & demiere requête que votre Exc. communiqué ces fentimens k votre légiflature, a la première aflemblée, & qu'ils foient confidérés comme le legs d'un quelqu'un qui a defiré ardemment, dans toutes les occafions, d'être utile, k fa patrie & qui même, k 1'ombre de la retraite, ne manquera pas d'implorer la bénédiction divine fur elle. C'eft a&uellement ma priere la plus ardente que Dieu vous ait, ainfi que 1'Etat, fur lequel vous préfidcz, dans fa fainte proteélion; qu'il veuille engager les cceurs des citoyens k cultiver un efprit de fubordination 6c d'obéiflance au gouvernement , d'entretenir un amour fraternel 1'un pour 1'autre pour leurs concitoyens des Etats-Unis en général & particulierement pour leurs freres qui ont fervi dans leurs campagnes; & finalement qu'il ait gracieufement la bonté de nous difpofer tous k rendre juftice, k aimer la miféricorde, & k nous conduire avec cette charité, cette humilité & cette dirpofition pacifique d'efprit qui caraótérifbient le divin auteur de notre fainte religion, fans 1'imitation de 1'exemple duquel nous ne pouvons, dans ces choTes, jamais être nation heureufe. J'ai 1'honneur d'être, &c. ' - Cs*3*ö G. Washington.  303 LE SPECTATEUR Pour achever nos détails fur le général Américain, voici les remercimens publics de la nation, & ceux que le général fit en quittant le commandement pour aller jouir en paix de fa gloire. En Tajjemblèe- générale le 9 dècembre 1783. Monsieur, Rentrant du commandement fuprême des arméés des Etats-Unis dans la condition de fimple particulier, agréez les témoignages de cette gratitude & de ce refpect, que votre conduite fans exemple fait naitre i jufte titre dans les cceurs d'un peuple libre & heureux. En notre propre nom, Monfieur. & au nom des citoyens de Penfylvanie , que nous repréfentons dans Pafiemblée générale, nous faififibns cette occafion de transmettre a la poftérité le fentiment jufte & profond dont nous fommes pénétrés pour ces talens éminens & ces vertus , qui, fous Pinfluence de la divine providence, ont été des inftrumens fi fignalés pour établir la libertè & 1'indépendance de ce pays. En même tems nous ne faurions manquer de reconnoitre les obligations que nous övons a Votre Exc pous le legs ineftimable que vous avez laiffé i votre patrie dans votre Lettre Circulaire. Lorfque votre épée ne fut plus longtems néceffaire pour notre défenfe, vous nous avez montré, comment nous devions conferver, par fagefie & par juftice, cette libertè & cet honneur, que nous avons défendus par la voye des armes, comme notre héritage national. Puifle le ciel épargner longtems les jours de "Votre Exc. pour le bien de ce pays! & puifïiez-  AMER-IC AIN. 301 vous, parmi les douceurs domeftiques d'une vic privée, avoir le bonheur de voir un empire naisfant fage, jufte & uni! Ce bonheur, nous er» fommes convaincus d'après la connoiftance que nous avons de votre caractere, fera la maniere la plus agréable , dont on pourra récompenfer les fervices fideles & desintéreffés, que vous avez rendus k ces Etats-Unis & k 1'humanité en général. Rien moins que cela, Monfieur, ne fauroit vous rendre heureux. A Son Exc. le général Washincton. S/gni par ordre de la chambre George Gray, Orateur. „ A cette adreffe le général TFashington répondit en ces termes." A 1'Hon. Affemblée Générale de l'Etat de Pensylvanie. Messieurs, Je confidere 1'appröbation des repréfentans d'un peuple libre & vertueux comme la récompenfe la plus digne d'envie, qui puiffe jamais s'accorder k une perfonne revêtue d'un caractere public. Un fentiment de devoir m'a porté k contribuer tout ce que mon épée ou ma plume pouvoient effectuer pour Pétabliffement de notre libertè & de notre indépendance. Puiffent les regards propices de 1'Etre-Suprème fur les Etats-Unis les faire Ï>rofiter de 1'heureufe occafion & conferver par ageffe & par jultice cette libertè & cet honneur, qu'ils ont fi noblement défendus par les armes'  '302 L E S P E C T A T E U R Anticipant d'avance fur le bonheur croiffant & le 'luflre de cet empire, qui prend fans celfe de nouveaux accroiffemens, je rehtrerai dans la condition d'un fimple particulier avec un dégré de fa'tisfaction qu'on peut plus aifément concevoir qu'éxprimer. Comme c'eft ici Ia demiere fois que j'aurai Phonneur de vous voir, Messieurs, dans ma qualité officielle, je né faurois vous dire un adieu final, fans reconnoïtre la grande'affiflance que jai fouvent tirée de votre Etat, & le plaifir que j'ai regu en dernier lieu par Pilluftre exemple que le corps légiflatif a donné, en adoptant les recommendations du congrès avec tantdepromptitude & d'unanimité. Puiffent les repréfentans & fes citoyens de cette république continuer a pofféder les mêmes bonnes difpofïtiöfis; & puisfent-ils être auffi heureux dans la jouiffance de la paix, qu'il eft poffible de 1'êtrc pour un peuple lage, jufte & uni! A Philadelphie, le 9 décembre 1783. CjSignè) G. Washington» „ Braves;Américains, ö vous, que 1'amour facré de la libertè a feul dirigés dans cette céiebre révolution , continuez & perfectionnez 1'ouvrage que vous avez commencé ; imprimez de bönne heure dans lc cceur de vos enfans que la fervitude eft un opprobre, qui avilit & dégradc 1'espece. humaine. "Vous devez 1'apothéöfe aux homtaès'refpectables qui ont combattu & font morts pour leur'pays. 'Placez leur image'dans vos tem-  •A MERICAIN. pies, un philofophe du fiecle 1'a.déja dit:.que ce foit le cuke de la patrie. Formez un calendrier politique & religieux ou chaque jour foit marqué par le nom de quelqu'un de ces héros. Quelle gloire pour vods' & quelle joie pour vos defcendans de lire un jour avec un faint refpect ces noms fi précieux, &defedire: voilk ceux qui ont brifé les fers du Nouveau-Monde & mérité i'admiration dé PA'ncien; ce font eux qui nous ont affranchi pour jamais de 1'efclavage! ■ Votre poftérité dirü comme vous: fi rien n'eft plus jufte que de combattre pour la libertè, rien n'eft plus doux que cl'en jouir. Cette révolution de la libertè eft une lecon pour les defpotes ; elle les avertit de ne pas compter fur une trop 'longue patience 'des peuples & fur une étcrnelle'impunité. C'éft "ainfi que PEtre Suprème prépare a'tix opprefleurs 'ces évenemens terribles, qui confondent 1'orgueii des tyrans , & brifent fur leurs têtes les temples .qu'ifs avoient élevés par les mains de Pinjuftice 5t «e 1* 'é¥uauté. L'homme ■dé bieri feoTröuve cónfolé par ces revers, & fon ame aifaifféè7p'ar('iarcruinte, reprerid une nouvelle vie, & ün riouVeau courage. Telle eft la fource de ce> vif intérêt qui donne lieu a toutes les guerres de libertè & fait reprendre ï 1'homme '& première dignité.  3°4 LE SPECTATEUR SUPLKMENT Au Chap. XXII. Cet ouvrage étant abfolument confacré k 1'utilité publique, nous nous faifons un devoir de re* cueillir tout ce qui peut intéreffer le leéteur fur les coutumes & ufages de 1'Amérique. Je dois la plupart des éclairciffemens que je publie k une perfonne revêtue d'un caraciere éminent auprès du congrès & qui après avoir rendu des fervices k fa patrie, ne Pa quittée que pour lui en rendre de plus grands encore dans le Nouveau-Monde. Je me ferois gloire de la nommer fi fa modèfiie ne m'impofoit filence, & fi ma foumifiion n'étoit en même tems une preuve de mon respect & de ma reconnoiffance pour la confiance & 1'amitie dont elle m'honore. On tient communément les livres dans les Etats Unis cn monnoie courante, favoir Poutids, Schcüings &. Pences.. dont 166 L. 13 fous 4 d. égalent 100 L. fterlings', mais comme le change varie fuivant Pubondance ou la rareté du papier, on ne peut déterminer une jufte valeur. . Par exemple: le 17 février 1784, on payoit 172 L. 10 fous pour avoir 100 L... fterlings , & 3 fch2 pences pour un flptiri de Hollande. Le Dollard paffe k Philadelphie pour 7 fch. 6 pences, & le demi-Johannes de Portugal pour 8 dollars. X Nous  A M E R I C A I N. 3Q5 Nous avons dit qu'on ne peut exigcr 1'intérêt au-dela de 7 pS; maisrarement il pafle 6 pS: on fuit en cela la pratique de la banque qui ne regoit .jamais plus de- 1'argent qu'elle prête. II n'y a point d'autres. obligations commercables que celles :de la banque, velles font ordinairement fur un papier timbré ou fceau , mais uniquement fous le fceau de la banque. La valeur de la première fbufcription étoit dc 400 dollars par obligation, aujourd'hui on les demande-beauv'oup & le prix en elt haulfé. A 1'égard des loix contre les mauvais débiteurs , jl feroit eflèntiel qu'elles fulfent moins défectueufes 6 elles accordent un terme trop long pour terminer les procés, ptiifquö fur toutes les Vertes qui furpafl'ent les 5 livres, ils ne peuvent Être fommairement décidés par aucun juge. Ouand'^n vaiffeau marchand arrivé, le capi-taine doit fe faire enregUtrer au Tonnage-office, ■Health • office & -Naval-office, Ik quand il part, s'adrclfer encore aux mómes bureaus; les frais font de peu d'importance & caufent peu d'em: barras pour les acquitter. i 11 n'y a point de droits d'expörtation; le rhum, le brandevin & les autres liqucurs fortes payent 2 pences par gallon d'importation, le vin de Made ré 4 pences par gallon, tous les autres vins ,. 2 pences: les vins en bouteilles 6 pences par douzaine; le fucre en-pain J p§, le fucre non raliné 1 p§, la Melaffe 1 pence paf gallon\ le caffé & cacao i pS; le thé verd 6 pences par livre, le thé bohé I pence par livre; toutes fortes de marchandifes (eches, comme falpëtre, poudre a canon, plomb, payent 1 p| de la valeur* //. Part, V  3o5 LE SPECTATEUR Les voitures & les chevaux font taxés comme de propriété; mais on ne paye rien pour avoir le droit de s'en fervii. Le prix d'achat d'une bonne maifan bourgeoife Cil n'y en poinc dc meilleures) monte de 40 jusqu'a 80 mille fiorins de Hollande, & l'on paye 3 a 4 mille florins de loyer: ainfi il paroit que le terrein commence a devenir plus pricieux k raifon des progrès de la population; cette augmentation ne peut qu'influer autii fur le prix des terres. J'ajouterai que fi le commerce de 1'Amérique n'eft: point encore de nature k procurer un bénérice forc avantageux pour les étrangers, ils peuvent s'en dédommager en achetant des terres. par fpécnlation, & fe procurer par les défrichemens & une fage culture un profit confidérable: mais pour cet'effet il importe d'avoir beaucoup de fonds pour. faire le facrifi.ee des intéréts dans les premières années. Les conceflions de terres que les particuliers veulent acheter fe font fimplement en vertu d'un acte que l'on fait enre^iftrer. . éj . . : La marine des Etats-Unis n'eft point encote fur le pied oü elle doit être, & jufqu'a prefent ils n'ont que deux ou trois frégates & quelques paqu*bots.; , Les officiers de marine n'ont point d'affemblées particuüeres, leur uniforme eft un habit bleu, revers & paremens, velte èc culotte rouges, ils onc ..une ancre fur le bo.utön comme les Holtanduis-, mais point encore de gaïoflSSil les habits; ie corps de la marine fe determmcra furement a jmite.r en cela ceux d'Europe, car i.s ont de.»a .Wals? ïrfaD Sq'i ftfoprftfnoq ,*ML  A M E R I C A I N. 507 trois defieins fur lefquels ils doivent fixer leur choix. Le commandant en chef a 125 dollars (Pappoincement par mois, un capitaine 60 dollars, un lieütenant 30 dollars, fi le vaiffeau eft monté de 20 canons & au-dela: mais fi le vaiffeau ne porte pas tant de canons, la paye d'un capitaine eft de 48 dollars, & celle du lieütenant de 24. Quoique nous ayons dit au Chap. XXII p. 194 que les femmes en Amérique font admifes dans toutes les parties, il eft bon cependant d'ajouter que l'on y fuit les mêmes ufages qu'en Angleterre a 1'égard du repas, c'eft -a dire que les femmes fe levent plutót de table, & laiifent les hommes entre eux boire leurs Toaft:, ou fantés. Vers les fept heures du foir les femmes recoivent du monde, on boit du thé & 1'on caufe; a 9 heures on fe retirc de ces affemblées. Le jeu eft trés-peu en ufage parmi les hommes, & quand ils prennent des cartes, ils jouent pour une bagatelle & fouvent pour rien. A 1'égard des heures du repas, elles different par rapport a la claffe des uns & aux circonfiances des autres. L'artifan dine a une heure aprés midi, le marchand a deux, le négociant a trois; mais lorfque ces derniers donnent a diner, 1'heurc du repas eft fixée fur les billets d'invitation, &; alors on ne fe met communement a table que vers les cinq ou fix heures du foir. F I N Oü Spectateur. Amé&icaiïJ,-  v ; iajrt anaviuL «li t!ai cftaJ itil aoislbb-»x't--»;1 a-usiiob 7:2r js Iwls a'j ioakffitpigoo sJ .^h ofl aniuiqc;» no taü oiwq 30901»:1 yfl ' DK'iüisv ol ii tai»u."ib og iv.m00 UUÜllfciV Ol il tiftm UE ,33 tftOO&i ie v« soiei : a n«*f> SY«i pl .anpnsa yb ans; ü ifS aL 30JB93MO ob 3Ü«>3 3§ *;3wUob ■ . ^qi .q IL'lZ .qSiJO CMS 3& k~^r.2u00 9) j viafii» U/iirnLs ano'ï sopnèoi'. op 2010015*1 ?.«p ïaaopjfi'p ;nsbnofpa no<; fis ;i f?9ir»tg esi -ts.^m -vl^aA ns'üp tsgfilo j/.ï <»i Jiu'i \' n . -oi'Jt vu! sup oiibft-ikfr e*,ifif? öb inejp'i i^n?»} •rnuri »9l jnvüièl ;3 ,9idi3 ob 3Ó3«lq.3öavoi u} pm ajaV .2b:niü ou f iV^Y jnoal aiigd xuo o-;:.. j n ;jb jnsijojoj öojojsI zsl I ob aaioori 3<$ êoiüüd q t i'Jiv'ec hg) & ->...; up 3éöd no t vtyiooi j ^. , .sob'c'.Mp';';*; Kao.pb-.öii.J-$ v.0 -tnof' wi i.mcq■ ogi&u nu u^^H 3b tr-i, }*4 . üb^jiöj, 4' «89j-t6& s»b soycfloiq üü Lonup ;ï. fBsat ,, _ .noh WiOq afl3vop} 3J. ölbJSJiBd - ; -OBjlncojio xi.'i; 38 ïgo Bob tficto cl ii :~r. 1 ; eduqh oiuart aoü'i.onib ruSc*;^ r89j30« ?*J3 «*¥•" * 3fUioQgto9.I1.xt;oL «'Maum <..•. i iag soari'l t v,iD},M:3ns.nR,ok ^ain-wk. «óo aop'hoi ^lua? 56 f noufiji /n *u cj-jllid aai ui soxrl ilo acqv: ai ai sop. cici**" .lidi uü es-wad x8 00 poia aol^wv RECHERCHES  RECHERCHES PHILOSOPHIQUES SUR LA DECOUVERTE DE L'AMÉRIQUE, O u DISCOURS SUR CETTE QUESTION, 'propo/ée par t'Académie des Sciences, BellesLettres & Arts de Lyon: La découverte de 1'Amérique a-t elle été utile ou nuifible au genre - humain ? S'il en eft réfulté des biens , quels font les moyens de les conferver & de les accroitre? Si elle a produit des maux , quels font les moyens d'y remédier ? Par M. JH. M ******** *, A AMSTERDAM, Chez les héritiers E. van HARRE VELT. MDCCLXXXIV.  Ven ie fit atinis facula fetis, Qjiibus Oceanus vincula rerum Laxet & ineens pateat tellus, fkyphifque novos delegat orbes^ Neque fit terris ultima Thule. Senec.  P M Ê jF C JE. Depuis la découverte de VAmérique on a vu des favans de toutes les claffes ê? de toutes les nations faire de cet événement important le fujet de leurs difmffions: mais aucun jufqua préfent , fi l'on en excepte MM. Raynal 69 Robertfon, ne ma paru Vavoir conftdéré fous le vrat point de vue phïlofophique. Cette découverte préfente a ïefprit une carrière immenfe a parcourir, des obflacles infnis a furmonter. D'un cóté, l'afpecl d'un nouveau monde enricbi des produStions les plus brillantes de la nature, féduit £? frappe d'admiration. De 1'autre, un peuple nomhreux, encore dans fon enfance par rapport aux progrès du génie, lai(fe entrevoir d Vhomme fenftbk tous les devoirs pénibles de la civilifation. Les biens 6? les maux* également répandus fur la terre & continuellement en conflicl lts uns avec les autres, ne permettent guere a Vhomme qui en efl le jouet, de montrer quel efl le réfuitat de cette découverte pour les deux hémifpheres. Le philofophe, peut être leplus en état d'en faire la recherche, a fenti toute la difficuU A  P R É F A C E. té de Tentreprife. Content de propofer h fon fiecle cette queflion importante fë? d'en foumettre f examen a une célebre Académie, il veut laiffer fans doute a d'autres la gloire du Jucces. II y a, je l'avoue, de la têméritè dans un homme peu exercé , d'entreprendre cette folution, mais comme elle intéreffe tous les amis de Thumanité, cet intérêt feul réclame l'indulgence en faveur de ceux dont les connoijfances trop hornées n'auront pu percer le nuage qui leur iérobe la vérité. Incapable de préfenter mes idéés dans un ftile brillant, je me fuis contenté de les rendre avec précifion & fimplicité. S'il s'en trouve une feulement dont ü puiffe- refulter quelque bien, je fer ai affez payé de mes recherches 6? de mon premier elTai.  DISCOURS SUR CETTE QUESTION: La découverte de ï'Amérique a-t-elle été utile ou nuifible au genre humain ? S'il en eft réfuhé des biens, quels font les moyens de les conferver & de les accroUrel Si elle a produit des maux , quels font les moyens d'y remédier? Effodiuntur opes, irritamenta malorum. O VI D. Examen de ces Questions. V_Jn e matiere fi importante, qui tient fi fort aux qualités phyfiques & morales des premiers navigateurs qui découvrirent cette partie du monde & des hommes qui y furent fuc ceflivement envoyés pour y faire obferver les loix européennes, exige préliminairement le développement des feétions fuivantes. A s  i°. Qnels font les maux que cette découverte a produits ? • °. Quels font les avantages que 1'humanité en a retirés ? 3°. Quels font les réfultats d'unejufte comparaifon de ces maux &de ces biens? On fent que dans la fomme de ces biens & de ces maux, l'on doit faire entrer nonfeulement. les maux paiTés & actuels, mais encore les biens & les maux futurs que cette découverte peut produire. C'eft d'après ce réfuitat qu'on connaitra les moyens de conferver le bien & d'obvier au mal. PREMIÈRE PARTIE. Avant de donner la nomenclature doulouïeufe des maux, ü n'eft pas indifférent de rechercher d'abord: Quel fut le but qu'on fe propofa en cherchant a découvrit un nouveau continent ? Quels moyens l'on prit pour foumettre ces peuples & conferver cette conquête? La découverte d'un Nouveau- Monde a 1'occident du globe , furpaffe toutes celles que les Portugais peuvent avoir faites dans  i* pas avoir été celui d'y porter les germes de. la félicité , ou d'y aller puifer les moyens de devenir meüleurs. Si ce principe eüt été le mobile des découvertes on ne fe feroit pas attaché a parcourir feulement les cótes, on auroit cherché a pénétrer avec fora dans 1'intérieur des terres: & 1'étude des hommes auroit été 1'objet le pips important; mais depuis plus de deux fiecles & demi que les Européens ont doublé le cap méridional de 1'Aftique, & qu'ils ont porté le commerce dans la plupart de fes ports, ils ont trop négligé les recherches utiles dans ces contrées intérieures. Quoique lescmiflionaires jéfuites les aient traverfées en plufieurs endroits de 1'eft a 1'oueft, & qu'il y ait même encore 'actuellement de's voitures réglées qui tranfportent des marchandifes du Paraguay auPérou, nos connoiflances $ cet égard font toujours trés - bornées. Cette leuk remarque fuffit pour montrer que 1'efprit de commerce & 1'efpoir du gain ont été les ie..js inoL^fs de ces voyages. .De tout tems, 1'avarice & fambition ont étouné faihour dü bien public; Le plus grand nombre de ceux qui par leur influence & leur autorité auroient pu répandre ces heureufes difpofitions, n'y ont pas mis affez de prix: c'eft 1'hiftoire  «K 7 >*t> inorale de tous les ages & de tous les peuples. En effet, le bonheur de 1'humanité, tant vanté, tant prêché dans les ouvrages anciens & raodernes, ne fe préi'ente encore a. nous que comme une ombre qui nous échappe a 1'inftant que nous eifayons de nous en faifir. Si l'on excepte Colomb, 1'efprit naturel* lement inquiet des premiers navigateurs en Amérique , la foif brülante des richeffes plus encore que. de la célébrité, ont toujours été le véhicule puiffant de leurs tentatives. lis n'ont confidéré cette région que comme le centre des plus riches métaux, & , pour s'en rendre maitres , ils ont fait autant de vic~times ou d'ennemis qu'ils y ont trouvé d'habitans. On ne peut diiconvenir que des fouverains ou des compagnies particulieres ne fe feroient jamais déterminés a favorifer, a feconder les. projets de ces aventuriers, s'ils n'cullentefpéré, pac 1'aug.mentation de leurs richeffes ou de leurs pofftffions, trouver un ample dédommagement aux rifques & aux; dépenfes. qu'exigeoit une pareine entreprife. Cette affertion paroïtra plus vraifemblable, fi 1'en réfléchit fur les prérogatives & les bienfaits dont la cour d'hlpagne gsatiiia Colomt?, A. 4  fiecle des établiiTemens au Groenland , regardé aujoud'hui comme une partie du nouveau continent. Mais il en eft des Groën» landois comme des Kamfchaikadales chez qui les glacés empêchent de voyajer fort avant dans les terres & d'ayancer beaucoup vers le pole. Ces obftacles , joint a la dureté concinucüe du climat , Xuffifoient pour rebuter les navigateurs les p!us déterr.inés. qui auroient voulu faire des découvertes. Enfin , de quelque maniere que 1'Amérique ait été peuplée, Monde d'arais; mais tant de gloire ne pouvoit embellir les jours d'un feul homme. Tu devins victime de ta confiance 6c de la baife jaloufie des courtifans ; ton ouvrage, continué par des mains moins habiles, au lieu d'être achevé & perfeclionné , ne fut plus qu'une opération hériffée d'obftacles toujours renaiiTans 6c accompagnée de maux dont le fouvenir feul attendriroit les cceurs les plus durs 6c les plus infenübles. Quand la découverte de 1'Amérique feroit un mal pour 1'Europe, nous ne devrions pas moins refpecler la mémoire de Colomb, paree qu'il n'a jamais terni fa gloire patdes aclions . indignes d'un grand homme ; loin de lui en imputer la caufe, nous n'en devons accufer que notre imprudence 6c notre.  tnéchaticeté. Si cette découverte eft un bien ^ il a de nouveaux droits a. nos hommages & a notre reconnoiflance. Après avoir montré le but qu'on fe propofa dans la découverte d'un nouveau continent, voyons, pour parvenir au développement des maux qui en refulterent, quels moyens l'on prit pour foumettre ces peuples, & conferver cette conquête. Si l'on eüt fuivi le fyftême de Colomb , l'on n'auroit employé que les moyens les plus doux ; mais bientöt fon autorité fut méprifée, & l'on ne mit en ufage que ceux diétés par la barbarie , 1'inhumanité & la plus infatiable cupidité. La plus grande partie des peuples indigenes (2) fut exterminée , & l'on réduifit le refte a un efclavage odieus qu'on augmenta par le tranfport des negres. Chriftophe Colomb, revêtu des pouvoirs les plus étendus, s'occupa du foin de conferver les terres dont il venoit de prendre (2) Ce fera toujours de ce peuple indigene dont J© voudrai parler dans la fure de ce difcours, foit fliU? je me ferre du terme A'Américain öu d'Indien*  poiïeffion au nom de fon fouverain, & d'y faire adopter & chérir les loix de fon nouveau gouvernement. Semblable ü un pere de familie qui veille au bonheur de fes enfans, ce fage légiflateur-fit publier divers régiemens affignant aux Américains le genre d'occupatlon k laquelle ils pouvoient être propres. II fe portoit fuccefllvement dans les divers diftricts pour les encourager au travail; la douceur fut toujours le moyen dont il fe fervit pour fe faire obéir, & s'il s'en écarta quelquefois, ce fut par un principe d'ordre, de prudence & de juftice, plutöt que de févérité. Les momens de repos étoient employés a cultiver leurs efprits, a éclairer leurs cons*ciences dans les voies du falut. Pendant le féjour de Colomb, les Américains furent traités avec bonté; la préfence du chef en impofoit a ceux qui, moins humains que lui, auroient pu abufer de leur autorité & de la foibleiTe des Indiens. Tout enfin paroiffoit promettre a cet illuftre navigateur 1'avenir le plus flateur & le plus confolant; heureux d'avoir augmenté les pofleffions de fon maitre fans effulion de fang , content des régiemens qu'il avoit faits pour maintenir le bon ordre & 1'harmonie la plus heureufe,  il crut pouvoir retourner en Efpagne pour rendre compte de fes opérations. On eüt dit, quand ü\partit, qu'il emportoit avec lui tout le bonheur des Américains: ils fuivoient triftement des yeux le vaiifeau qui le portoit, mais quand la rapidité de fa courfe le leureut entierement dérobé , un fecret preifentiment s'empara de leurs efprits & fembloit leur annoncer tous les maux. Ce preifentiment hélas! n'étoit que trop vrai. A peine Colomb eüt-il quitté 1'ifle d'Hayti, que les premiers Efpagnols qu'il y laiifa , furent les premiers tyrans qui fouillerent cette contrée malheurcufe. Toutes les loix humaines furent méprifées, le defpotifme le plus cruel adopté, & 1'arrêt de mort pronnoncé contre tous les Américains. Séduits par Tappas de 1'or, unique but de leurs recherches , les Européens ne virent dans les propriétaires de ce riche métal que des hommes d'autant plus indignes d'en jouir, qu'ils n'en faifoient d'autre ufage que celui auquel nous deftinons le cuivre ou le fer. Ces peuples attachoient fi peu d'importance a cette riche, mais funefte producfion, que négligeant de 1'aller puifer dans le grand foyer des mines, ils ne daignoient ramaiTer  4*< 15 >*§► que celui que les torrens détachoient de k maffe & entrainoient après eux dans les plaines. L'Américain, naturellement bon, doux & confiant, quand on n'étouffe pas en lui ces heureufes qualités, enchanté de prévenirles Européens & de fatisfaire leur impatiente avidité, s'empreffa de leur découvrir la fource de ces tréfors immenfes que la terre recéloit (3). Mais, que cette condefcendance (3) Dans toutes les excurfions des Efpagnols en Amérique, on les a continuellement vus guidés par le defir de fe procurer de l or. Que l'on réfiéchilTe fur le courage de Balboa & de fes compagnons, lorsqu'inftruits par un cacique qu'il y avoit un pays peu éloigné du Darien oü ils étoient alors, qui produifoit une quantité immenfe d'or & de perlcs , fans être rebutés par les fatigues & les dangers d'une marche longue & pénible, épuifés, tombant prefque d'inanition, rien ne fut capable de ralentir leur projet, tant la foif de 1'or leur faifoit braver toutes les fouffrances. Cn eüt dit, a les voir affis fur ces mines précieufes, qu'ils en faifoient leur fubfiftance. Quand la nouvelle de cette découverte parvint en Efpagne, elle y produifit une auffi grande joie que celle qu'on avoit éprouvée lors de la découverte du NouveauMonde; la fermentation fut fi grande dans les efprits, qu'il s'enfuivit une émigration confidérable. On vit jufqu'a 1500 gentilshommes abandonner leur patrie pour aller dans un pays oü Ia renommée publioit qu'il n'y avoit qu'a jetcr les filets dans la rr.er pour en retirer de 1'or.  coüta cher a ce peuple! Elle devint le principe & la caufe de tous leurs malheurs, en même tems que de la décadence del'Efpagne. Si les Efpagnols euifent mieux connu leurs intéréts, ils fe feroient contentés de former avec les Indiens des liaifons conformes aux loix de rhumanité,en établiiTantentre eux une dépendance & un avantage réciproque: les échanges des manufa&ures d'Europe contre 1'or & 1'argent brut des Indes auroient été utiles & avantageux aux deux nations, & les heureux fruits de cette confiance mutuelle auroient été la fource & la bafe d'une intimité dont 1'Espagne auroit tiré les plus brillans avantages. Le fang des deux nations, au lieu d'arrofer les champs de 1'Amérique auroit été épargné, & le Mexique ainfi que le Pérou feroient également tombés au pouvoir de 1'Efpagne: quelle difiérence de gloire & de profpérité pour cette puiffance ! Elle auroit vu les rois & les empereuts de ces regions lointaines appoiter leurs richeffes au pied du tróne d'Efpagne! Weut-il pas été plus doux, plus avantageux de rendre ces fouverains tributaires , que de les égorger pour fatisfaire la i plus indigne avidité & la plus cruelle des dominations, que de prétendre régtier fur des terres arro- fées  fées de fang, & fur des palais reduits'en eendres! Mais, au mépris des loix divines & humaines, les officiers de Colomb braverent la honte dont ils fe couvroient, & la crainte même des chatimens qu'ils méritoient: malheureufement perfuadés que les Indiens n'étoient que des hommes avilis & dégradés par la nature, entierement privés des dons les plus ordinaires a la qualité d'hommes, ils ne les regarderent que comme des brutes, &les traiterent comme tels. Le foldat, efclave par fubordination , & moins éclairé que le chef, devint machinalement rinflrument de la barbarie de celui-ci & fut dupe de fon propre aveuglement. L'exploitation des mines étant 1'unique objet des Européens, on les vit condamner a ce travail de mort ces habitans timides & dociles: privés de la lumiere du jour dans ces gouffres creufés par 1'avarice, ces malheureux Indiens ne revoyoient le foleil que pour fe montrer mutuellement leurs larmes. Replongés de nouveau dans ces abimes, fouvent le pere périffoit a cóté du fils fins avoir au moins la confolation qu'il lui fermat les yeux... C'eft dans ces antres ténébreux que fut enfevelie la plus B  «K 18 >«> grande partie des natifs. Qu'on juge de la douleur de ceux qui venoient remplacer les premières viétimes, lorlqu'avant d'arracher 1'or des fentes des rochers, ils devoient ou porter les cadavres de leurs proches hors de ces fouterrains infecls , ou les fouler aux pieds pour obéir a 1'avide impatience des barbares qui fans ceffe les harceloient. Bientót tout le pays devint un défert. La plupart des habitans préférant la mifere a 1'efclavage, quitterent leurs maifons, leurs propriétés, pour s'enfuir dans le fond des forêts, dans des montagnes inacceifibles oü la rigueur du climat les rendit fauvages. Heureux encore de n'être pas arrêtés dans leur fuite, car Las Ca/as dit quil a vu cinq caciques brülés pour s'être enfuis avec leurs fujets. Tel eft le tableau de la conduite que tinrent les officiers de Colomb pendant fon abfence. Le mal étoit déja trop enraciné & la plaie trop profonde, pour que Colomb par fon retour püt y porter du remede. Cette terre qui peu d'années auparavant, avoit été pour lui la récompenfe de fon courage, de fes talens & de fon humanité, cette terre dont le premier afpect lui fit verfcr des larmes de joie , & fur laquelle enfin il avoit fondé fes plus belles efpérances, cette terre dont les  habitans lui étoit fi chers, ne paroit plus a fes yeux que couverte de morts & de mourans; ce n'eft plus qu'un défert jonché de membres & d'offemens épars. Au bruit de fon retour les indiens quittent leurs travaux, accourent au rivage & femblent en 1'abordant lui redemander un pere & un vengeur. Le refte de ces malheureufes viclimes ne s'of* fre plus a 'fes yeux que comme des ipectres hideux dont les larmes & 1'abattement femblent lui reprocher d'avoir ofé franchir les limites que le ciel paroiffoit n'avoir mis entre eux & lui, que pour en interdire Ü jamais la communication. Emu, pénétré d'un fpeclacle fi touchant, Colomb tombe évanoui; rappelé quelques momens après a la vie par 1'abondance des pleurs qui fe font paffage, il paye a la nature le tribut que lui rend dans la douleur & 1'amertume toute ame tendre & compatiffante. Mais ranimé par fon courage, il cherche les moyens de réparer ces injuftices & ces barbaries en faiiant féverement punir les coupables. Tandis qu'il vengeoit ainfi 1'innocence opprimée, dont il fe déclaroit le pere & le proteétcur, la baffe jaloufie, 1'envie & la calomnie le peignoient a la cour d'Efpagne comme B 2  un tyran, un ambneux, un homme indigne des faveurs & des bontés du fouverain. Bientöt on obaent du prince, ou plutót on lui arrache les ordres les plus précis de s'en faifrr & de le conduire en Efpagne pour examiner fa conduite & lui faire fon procés. En conféquence , de vils miniftres fe tranfportent dans le Nouveau - Monde, & a la honte de 1'efpece humaine, ils ofent charger de fers le mortel dont elle devoit le plus s'honorer. Qu'on fe réprefente ce grand . homme fi respeélable & fi digne d'être refpeclé, Colomb qui méritoit des ftatues, accufé d'un crime qui n'étoit pas le fien, fe voir conduire comrne un criminel devant des juges iniques qui connoiffoient fon innocence! Qu'on fe repréfente cet homme célebre, trainé honteufement devant un fouverain qui auroit dü ceindre fon front du bandeau royal & J'affocier au tróne. Mais, fans égard a fes fervices &' fes vertus, il fut traité comme coupable. En récompenfant Colomb, la gloire du monarque auroit été aufli grande, aufli méritée que le fera dans tous les iiecles celle de ce navigateur k jamais célebre. Cette injuftice fut en quelque forte le préfage fatal de toutes les barbaries dont ce malheureux pays devoit être le théatre.  Je paffe fous filence les autres événemens de la vie de Colomb, quelque intéreffans qu'ils aient été jufqu'a fa mort, paree que ces détails font très-connus, & que je n'écris point la vie de ce grand homme. Je me bprnerai, fans m'arrêter aux dates, a rapprocher les actions des Européens dans le NouveauMonde; car, malgré mes regrets & ma fcnlibilité, je dois expofer encore certains traits qui mettent un grand poids dans la balance des maux# Jenappelle a vous, Montezuma, Guatimoiïn, Atahualpa , victimes infortunées des Cortez des Pizarre & de leurs fucceffeurs. Les efforts des Caciques, pour fe fouftraire aux horreurs de la tyrannie & recouvrer leur libertè, occafionnerent de nouvelles fcenes de défolation & aceélererentl'entierefclavage des Américains. Parcourons les faftes del'hiftoire ; nous verrons avec douleur, que ni 1'efprit de bieflfailance & d'humanité, ni le caractere facré de la Religion (1) , encore moins le defit ', ii . - .1 ■ " (i) Plufieurs hiftoriens qu'on ne peut foupgonner de vouloir flatter Ifabelle, s'accordent a dire que le principal raotif des encourageraens que cette xdno donna i 1'expédition de Colomb, fut le defir d'éten. dre Ia foi chrétienne, de porter la connoiftance de la vérité & des confolations a des peuples privés des B 3  d'éelairer 1'Amérique , d'en rendre les habi* bitans plus heureux, n'ont dirigé le projet de faire des découvertes. L'or feul enchainoit tous les efprits & dirigeoit toutes les opérations. Auri facra fames 1 Depuis le golfe de la Trinité jufqu'aux extrémités du Mexique , la dépopulation fut prompte & confidérable (ij. Les Efpagnols himieres de la religion. Mais I'évenement répondit fi peu a ces intentions chrétiennes que, s'il n'eft pas permis de révoquer en doute le témoignage de ces hiftoriens, il faut convenir que lés fouverains font larement obéis quand ils comtnaneterit 'le bien, • furtout quand 1'ambition & la cupidité étoufFent dans les jniniftrcs de leurs volontés tous les principes de juftice & d'humanité, & qu'ils peuvent en impofer a leurs 'maitres par de perfides rapporrs. Auftïtót què le cri des opprimés vient frappcr leurs oreilles, les fouverains doivent penfer qu'ils font fervjs par des traitres. 11 eft de leur devoir & de leur réligion de lemonter a la fource du mal. C'eft alors qu'ils doivent févir contre les coupables & n'accorder leur confiancs qu'a des hommes intcgres dont ils fe font alTurés: s'ils ne venlent ou n'ofent réprimer ces abus, ils n'en font pas moins refpon'fables i leur fiecle ft i la poftérité. (i) Las Cafas dit qu'en parcourant toutes les petites ifles Lucayes il n'y trouva qu'onze habitans, refte de plus de cinq centsmille; il compte plus de deuxmillion9 d'hommes détruits dans Cuba & dans Hifpagniola & dil raillions dans le continent. Voyez k note pa^e 31.  &les Portugais porterent k 1'envi dans ces ré« gions nouvelles avec tous les fiéaux qui défcloient 1'Europe, 1'exemple de tous les crimes. D'un cóté je vois des hommes autant pervers qu'avilis, commander une multude d'aventuriers encore plus pervers & plus vils; des loix de fang, & des régiemensinfamesautoriferle vol, lebrigandage & la cruauté; d'un autre cóté le foible Indien courbé fous le poids des travaux, fuccomber k la fatigue & périr fous les coups de fouets de fes barbares tyrans. Ici ce font des milliers de malheureux que l'on force k excaver les plus hautes monta. gnes pour en tirer ce métal funeile , caufe toujours renaiifante de défordre & de divifion ; ce font des rochers qui , impregnés des larmes, des fueurs & du fang de ces victimes, femblént perdre leur dureté naturelle pour offrir plus promptement k 1'oeil les richeiTes quïls recellent, principe unique de leur malheur & de leur fervitude. Lk c'eft le rarinement des fuplices exercés fur des créatures innocentes, qui déja dévorées k demi par des chiens dreffés k ces horreurs, fe voient enfuite mourir k petic feu fur un bucher qui leur fert de fépulture. Partout cq B 4  •£< 24 ]H» font des campagnes fertiles entierement dévaftées, des villes réduites en cendres, des citoyens autrefois heureux & paifibles qui, dénués de fecours & d'afile, perdent leur droits & leur libertè ; des tiöiaes renverfés , des temples profanés , des rois égorgés fous le diadême , des enfans poignardés fur le fein palpitant de leurs meres, des prêtres maflacrés ou brülés fur les autels mêmes quifervoient a leurs cultes, a leurs facriiïces. En Hn mot, les Européens fe font fouillés de t;ant de crimes dans cette partie du monde, que prés de trois fiecles n'ont encore pu effacer ni adoucir ces barbaries aux yeux de la poftérité. Telle fut la conduite que tinrent les vainqueurs du Nouveau - Monde: & tels furent les moyens dont ils fe fervirent pour s'affurer la pcflefllon entiere de leur conquête. Enfin, le fang ne cefla de couler que lorfqu'il ne refta plus de victimes ou de réfiftance. Le refte infortuné de ce peuple indigene ne pouvant plus fuffire aux befoins des Européens, il falut s'occuper des moyens de remplacer ce vuide affreux , &j ces moyens furent de même un crime de leze-humanité. L'importation des negres dans cette régipn miï  ie comble & le dernier fceau a la perveriitè du cceur humain. 11 importe infiniment a la fuite de ces ré« fultats d'exatniner les conféquences qu'ils eurent refpeétivement pour 1'Amérique & pour 1'Europe: corpmencons par 1'Amérique. Nous venons de voir que la cupidité des Européens fut la première caufe des maux des Américains: mais il me refte iï montrer qu'il eft des caufes encore plus grandes qui les étendirent en les perpétuant. Ce furent les loix auxquelles on aflujettit cette partie du monde, & qui deviarent une fource intarisfable & permanente de deftruction. Des hommes ignorans, pareffeux & diflipés, chargés de l'adminiftration de ces nouveaux domaines, ne pouvoient fentir fimportance de leurs devoirs, encore moins le prix d'une fage induftrie & d'une culture réguliere. Aufli laifferent-ils les terres en friche , & perdirent ainfi tout ce que pouvoient leur promettre la bonté du fol & la docilité des Indiens. Uniquement occupés de 1'exploitation des mines, ils facrifierent a leur intérêt particulier celui de leur patrie. La cour d'Efpagne éblouie , aveuglée par 1'appas d'une moiifon abondante. B 5  d'ór & d'argent, que les adminifirateurs en Amérique faifoient efpérer encore plus confi* dérable par la fuite, donna volontiers les jnains a toutes leurs infinuations- Par les premiers régiemens les Indiens furent divifés par clafle pour les occuper plus afliduement au travail des mines : ces régiemens eurent lieu,malgré les réclamations' de quelquesindividns qui en fentoient toute 1'in'uitice & 1'inconvénient. Semblables a des bêtes de fomme, l'on vit ces malheureux Indiens prefiés, pousfés, écrafés fous le poids des travaux. Une conduite auffi deshonorante ne pouvoit manquer de révolter ceux qui,par état autant que par humanité , déploroient le fort de tant dfinfortunés. Privés des confolations de leur religion, ces malheureux Indiens en périffant dans la mifere & les tourmens, ne pouvoient que maudire leurs opprefieurs, & blalphénier contre le dieu des Européens: quelques miffionnaires envoyés dans cette région pour y propager la religion chrétienne & diriger la confcience de ces peuples vers fes principes falutaires & confölans, éleverent fortement la voix contre ces abus , & porterent même des plaintes a la cour d'Efpagne. Las Cafas, 1'ami des Américains, mais dont malheureufement  la politique n'égaloit pas le zele, fut de tong les mifiionnaires le feul ofa foutenir & défendre la caufe des opprirriés. II le fit avec d'autant plus de confiance & de fermeté que perfonne n'étoit plus convaincu que lui de 1'injuftice des chefs de 1'adminiftration en Amérique # l'on vit qu'il é oit des moyens de remédier aux maux des Indiens, fans nuire aux avantages qu'on pouvoit efpérer de leurs travaux. La caufe fut plaidée au tribunal même de Charles - Quint entre Las Cafas & Quevedo évêque du Darien: ce dernier ofa avancer & foutenir en préfence du fouverain que les Indiens étoient des brutes, des hommes que •la natuie avoit marqués du fceau de la fervitude. Las Cafas combattit vivement cette aflertion & démontra avec évidence que ce peuple au contraire n'étoit pas moins doué des facultés intellectuelles que les Européens, & qu'en fe fervant des moyens de la douceur & de la patience, on pouvoit en faire nonfeulement de bon chrétiens, mais encore des citoyens utiles. Charles-Quint, perfuadé , édifié des raifohnemens de Las Cafas, le chargea de nouveaux ordres, de nouveaux régiemens, & lui donna fes plein.' - pouvoirs pour travailler au bonheur de fes nouveaux fujets. De retour en Amérique, ce généreux défenfeur s'occupa du foin de promulguer les nouvelles ordonnances & d'en faire jouir ceux en faveur de qui elles étoient formées. Mais ü rencontra tant d'obftacles, tan a'ennemis puiflans, que ne pouvant furmonter les uns  4< 29 & vaincre les autres, fes plans refterent lan 5 exécution. Le forc des opprimés fut d'autant plus douloureux que, fur le zele & les affurances de leur protectie ur, ils avoient eu quelque lueur d'efpérance de voir bientöt, fi non finir leurs maux, au moins adoucir leur fervitude. D'après cette expofition, on ne fauroit donc attribuer ces maux uniquement k 1'intolérance, au fanatisme des miüionnaires, puifqu'il paroit que plufieurs furent les défenfeurs des Indiens & que 1'avidité, la barbarie des chefs de radminiftration civile en furent les caufes principales. Ce n'étoit point affez de faire de nouveaux régiemens, il eüt fallu rappeler tous les hommes qui étoient fufpeéts & les remplacer pas des citoyens vertueux, des juges integres dont on auroit été fur; il eüt fallu, (s'il étoit donné a un feul homme, furtout k unroi, de bien voir & de bien juger du cceur humain ) il eüt fallu, dis-je, que le fouverain, ufant de fon autorité fuprême, au lieu de fe laiffer entrainer & féduire par les brigues & les cabales de fes courtifans & de fes miniftres, eüt dit: je le veux,'\\ auroit ainfi fait taire'lajaloufie, 1'envie & 1'iniatiable avidité, & en facrifiant une een-  taine de coupables il auroit fauvé un million d'innocens. Au lieu de ces opérations vigoureufes, on fe contenta de recommander plus de juftice, plus de modération a ces administrateurs; mais accoutumés a abufer de la confiance & de l'autorité du fouverain, au mépris des menaces du parti oppoié, ils n'en continuerent pas moins leurs vexations. A' ces vices de 1'adminiftration il faut ajouter encore la maniere qu'employoient les mifiionnaires pour aifujettir ces peuples aux dogmes de 1'Europe, en exigeant qu'ils compriffent des myfteres que les inftituteurs ne pouvoient expliquer eux-mêmes. Quoi de plus abfurde, quoi de plus oppofé a la faine raifon & a la bonté du créateur, que d'ufer de menaces & de violence pour forcer les hommes a honorer Dieu d'un culte particulier a telle ou telle fociété ! Nétoit-il pas plus naturel de chercher ü les leur perfuader avant de vouloir les leur faire croire ? Et ne devoit - on pas penfer qu'au défaut de perfuafion, il n'y avoit que 1'empire feul de la douceur & du bon exemple qui put établir en eux le don de la foi, don fi néceflaire & fi précieux pour les humain s, furtout pour les malheureux. Nous avons dit ci-devant, que les mifiionnaires défen-  4< 31 doient Ia caufe des Indiens contre leurs oppreffeurs, & Ton auroit raifon de réfuter maintenant ce que nous venons de dire fur la conduite peu chrétienne qu'ils tinrent en les inftruifant en matiere de religion, ii 1'hiftoire ne nous apprenoit que dans le grand nombre de ces inftituteurs, il n"y en avoit qu'une partie natu* rellement portée aux voies de la douceur, & qu'il y eut autant de faétions & d'animofités entre eux que parmi les chefs de radminiftra* tion civile. Enfin le zele immodéré de la religion , coüta prefque autant de fang & de larmes aux Indiens que les chaines du defpotifme & la tyrannie des loix. On évalue % douze millions d'hommes le nombre des Indiens maffacrés dans le vafte continent du NouveauMonde. Cette profcription, dit M. de Voltaire, eft a 1'égard de toutes les autres ce que feroit Tincendie de la moitié de la terre a celui de quelques villages (1). (1) Quoique ce nefoit point du nombre plus oa moins grand des viftimes que nous devions tirer nos conféquences pour ou contre, il n'eft pas indifférent de re&ifïer cette évaluation. Quelques auteurs ont ofé la porter a cinquante millions, Cans confidérer que tout 1'empire d'Allemagne, 1'Efpagne & la France enfcmble contiennent a peine auiouré'hui ca nombie  4K 3* >^ Plufieurs de ces malheureux, oupar igno» rance, ou par abrutiffement, eurent k fouffrir des maux affreux, & préfererent de mourir plutót que d'adopter un culte qui permettoit tant de vexations. D'autres moins fermes& moins courageux, mais plus diflimulés, parurent être pénétrés des vérités qu'ils ne com« prennoient pas afin de conferver par la leur exiftence & quelque adoucifiement dans les travaux publics: c'eft de cette crainte ou de cette néceffité , qué l'on vit naitre pour la première fois chez ce peuple, jadis fi franc, un mal prefque auffi funefte que la fervitude dont il eherchoit a s'affranchir: je veux parler de 1'hypocrifie. Ctoiroit - on, qu'a 1'exemple des Européens, il fe füt trouvé parmi ce peuple indigene, des hommes qui donnant tout a 1'extérieur ofoient fe mentir a eux-mêmes, fe parjurer, devenir les délateurs infames & les d'habitans. D'ailieurs, au moment de la découverte de 1'Amérique , la population de tout le Nou. wau- Monde ne pouvoit guere être portée au-diü de quarante millions, ce qui ne fait que la vingtieme partie de la totalité de 1'efpece humaine dans la fuppofuion de ceux qui donnent a notre globe nuit cents millions d'individus.  -§$• ïes opprefleurs de leurs propres concitoyens! C'eft ainfi que des mains qui auroient dü s'armer contre le fanatifme devinrent les ins* trumens dé fes fureurs. Non content de leur avoir infpiré des moeurs perverfes & perfides, on altéra encore leur conftitution phylique en leur fourniffant en abondance des liqueurs fortes , préfent fatal, poifon mortel, caufe toujours renaifiante de querelles & de divïuons entre les families indiennes. Pour balancer ces maux, que n'ai-je k préfenter maintenant la fomme des biens que cette découverte peut avoir produits a 1'Amérique! Mais, malgré mes recherches, & le defir que j'aurois eu d'en faire 1'énumération, je n'en ai vu d'aucune efpece ni en morale, ni en politique pour les indigenes. Avant 1'arrivée des Européens, les peuples du Nouveau-Monde; vivoient heureux & paifibles; leurs defirs ne paftoient point les bornes de leur pouvoir. Leur' fol, il eft vrai, étoit en partie hériifé de ronces & couvert de forêts; la culture étoit ou ignorée, ou négligée. Ces mêmes terres, fécondées par une culture reguliere, font maintenant des terres productrices; 1'air y eft plus pur & plus falubre , le féjour plus agréable & moins pernicieux. Ces peuples ignoroient C  ^ le fecret de forger le fer, ce qui les privoit de beaucoup de comraodités & les mettoic dans rimpoflibilité d'exploiter leurs forêts, de perfectionner la culture des terres. C'eft fans doute a 1'Europe que 1'Amérique eft redevable de cette amélioration: mais n'eft-il pas vraifemblable que les Mexicains 6c les Péruviens, dont les empires étoient fi brillans, qui avoient déja fait tant de progrès dans les arts 6c dans la civilifation, auroient perfectionné leurs connoiffances 6c communiqué leurs lumieres au refte de 1'Amérique? Et certainement ces peuples n'euifent pas vendu leurs fervices auffi cherement que les Européens; les avantages réciproques auroient été bien mieux établis 6c plus confidérables; il eft donc évident que 1'Amérique fauvage fe feroit tót ou tard civiliféefans le fecours de 1'Europe. Au furplus, On ne peut defirtr ce qu'on ne connoit pas ; ' Sc Flndien , pour être moins. bien inftruit, n'en auroit pas été plus malheureux, puifque fes connoiffances lui fuffifoient pour être content. Examinons 1'état des fauvages de 1'Amérique, 6c des autres indigenes: nous verrons qu'ils ne font ni mieux inftruits, ni mieux civilifés, quoiqu'il y ait prés de trois fiecles que les Européens paroiffent s'en occuper. Au contraire^  *& mier féducteur, du premier époux infidele & du premier mauvais pere. Nous venons de montrer les maux que cette découverte a caufes a 1'Amérique, le peu dtitilité qu'elle en a retiré: voyons maïntenant les maux qu'elle a caufés a 1'Europe. 10. „ Par cette découverte, la dépopulation fut confidérable en Europe , & furtout en Efpagne; Bn. „ Les Européens rapporterent d'Amérique la maladie honteufe qui fait de fi' grands ravages parmi eux. 3Q. La quantité d'or & d'argent qu'on en a tirés a fait hauflèr le prix des chofes de pure néceflite, fans que le falaire des ouvriers ait été augmenté a proportion." Je vais m'arrêter fur chacun de ces objets afin d'établir avec plus de clarté mes prcuves & mes conféquences. Quoiqu'il fe fut écoulé prés de deux fiecles, depuis que les tréfors de 1'Afie avoient féduit 1 efprit des Européens & caufé une dépopulation confidérable, ce laps de tems n'avoit pas fuffi pour en réparer la perte, lorfqu'un évement qui frappa d'admiration toute 1'Europe, vint augmenter d'une maniere plus fenfibl»  4» l'Amérique; faifons en 1'examen. Sï dé ces" 6 milliards 422 millions apportés en Europe par ïes Efpagnols & les Portugais on déduit 1375 millions pour tout 1'or & 1'argent envoyé' d'Europe par les négocians & les compagnies commercantes tant dans les Indes orientales, le Levant, 1'Egypte & la cöte de Barbarie * que dans 1'Aiie par les caravanes & les Rusfes* & qu'a cette exportation on ajoute 1500 millions pour 1'or & 1'argent travaillé & employé en meublés, ornemens, bijoux, étoffes &c* en ne 1'évaluant qu'au quart ou environ, ce fera enfemble 2 milliards 875 millions de piaftresquï réduiront la fomme venue de l'Amérique & 3 milliards 547 millions de piaftres ou 19 milliards 262 millions de livres de France (2). Cette fomme prodigieufe étant venue augmenter celle qui étoit déja en Europe avant la découverte de l'Amérique, il dut néceflairement y avoir une augmentation fenfible dans le numéraire. Elle a été telle en effet, que depuis cette époque jufqu'a nos jours, on la fuppute en Hollande en rai- (2) Chaque piaftre efl comptée pour 5C0 as d'argent fin & la livre pour 92 as fuivant Ia valeur intrinfeque des monnoies aftuelles d'argent d ans les deux royaumes.  < 46 >"j*> fon de i ü s|, enforte qu'un particulier quï avant 1493 avoit un revenu de 4000 florins', auroit aujourd'hui en gardant la proportion de 1'augmentation dans le numéraire des efpeces une fomme de 13000 florins. Mais le prix des chofes ayant augmenté dans la proportion de 1 a 12 (3) , il en réfulte que ce même particulier fe trouveroit réellement apauvri: car avec fes 13000 florins il ne peut fe procurer aujourd'hui ce qu'il étoit alors a même d'avoir avec fes 4000 florins: ajoutons qu'il eft d'autant plus apauvri que fes befoins augmentés par le luxe, rendent encore fes revenus plus infuffifans. Si les denrées de première nécefiïté n'étoient augmentées qu'en proportion du numéraire, & que le déficit ne fut fupporté que par les objets de luxe & de frivolité, le mal feroit moins grand en ce qu'il ne rejailüroit que fur la clafle de ceux qui ne fouffrent pas. Mais, (3) Il faut entendre par ü que ce qui avant 1492 valüif. 1 fou vaut aujourd'hui 12 fous, mais que comme 1 fous d'aiors valoit autant que 35| fous d'a préfent, le prix des chofes n'a augmenté réellement depuis cette épnque que dans Ia proportion de 1 a s|, ou pour parler plus jufte de 1 a 3-£*.  flélas! la clafle la plus indigente efl celle qui en efl; la première victime, puifque le falaire même des ouvriers peut fournir a peine a leur fimple fubfiftance. N'étant point a portee de prendre mes exemplcs en France, je vais offrir ceux que k Hollande me fournit; ils font puifës dans les documens les plus authentiques,&fuöiront pour démontrer ce que je viens de dire. Avanc k découverte de l'Amérique , un garcon couvreur gagnoit 3 fous (argent d'Holknde) par jour avec la nourriture, ou 4 fous fans nourriture; 1'argent fin étoit alore a 8 florins le mare, & ces 4 fous étoient en poids d'argent 4 efterlins ou 128 as. Aujourd'hui que ce mêmeouvriergagne 20fous par jour, 1'argent fin eft a 25I florins le mare, cequi fait 6?|j efterlins en poids d'argent. II réfulte de ce calcul que 1'ouvrier n'a réellement en'poids que T££ de plus de ce qu'il gagnoit autrefois;^ tandis qu'en numéraire il a réellement 4 fois plus; les conféquences font faciles a tirer (4). (4) Tour donner plus dg clarté a cet expofé, entrons dans quelques détails. En gagnant 4 fous par jour , le premier ouvrier (1'argent fin a 8 fl. le mare) gagnoit ï3gZ-jI de mare on 4 efterlins. Le fecond ouvrier en gagnant 20 fous  M 4y M* On vient de voir que l'on payoit 1 fóu de plus parjoür aux ouvriers qui préfétoient de fe nourrir eux-mêmes, c'eft-a-dire 4 fous, ce qui fert a nous prouver que les ouvriers recevoient en proportion une plus forte paye qu'aujour* d'hui, puifque leur nourriture n'étoit évaluée que le quart de leur falaire journalier. Boxhorn, hiftorien hollandois, vient a 1'appui de cette obfervation dans le détail qu'il donne des dépenfes que pouvoit faire alors un journalier avec fon falaire de 6 fous. Pour 2 fous (5% par jour (1'argént fin i t% florins le mare) gagoe ^2.o—__4 de mare ou 6T=| efterlins. Pour voir les Japports du poids d'argent qu'a chaque ouvner , je réduirai leur poids refpeftif a même dénomination ^_ _ 4-i-_I||. ; ainfi les rapports font de 103 a 160 o7i7ce3quY eft hVmêmechofe.l'un a & 1'autre du mare d'argent .fin pour leur journée. Le fecond ouvrier a donc 160 contre 1'autre 103 ou celui-ci ±% de, 1'autre. (5) Ces 2 fous d'alors étant de nos jours environ 6± fous, les 72 demi-facs a ce prix, feront 1? ü. d'or,. qui, dans la proportion de 1'augmentation des chofes, donnent 8 fl. d'or. On fait que dans les années abondantes on peut acheter du froment de qualité inférieure a ce dernier prix, ce qui eft encore une preuvs. de ce que je viens de dire que 1'augmentation des chofes a été de 1 a 3|, au lieu que le falaire ne 1'a été que dans la proportion de 1 J Ij.  ü pouvoit acheter environ un demi fac-de froment, 6c maintenant avec les 20 fous qui font le prix ordinaire des journées, il peut fe procurer a peine le tiers d'un fac de feigle, qui, a 84 florins d'or le laft de 36 facs,faifc 65 fous pour un fac. Si la denrée la plus néceffaire è 1'homme differe aufli prodigieufement en prix de la valeur du falaire, combien a plus forte raifon les autres denrées moins urgentes, mais abfolument nécefiaires, doivent-elles augmenter fa détrefle. Ainfi la quantité d'or 6c d'argent venue de l'Amérique en Europe, loin d'avoir produit Cn bien «t 1'efpece humaine, n'en a que plus accéléré la miiére, paree que nous n'avons pas eu affez de prudence 6c de fageffe pour préyoir toutes les viciifitudes dont nous avons été accablés. Les efpeces d'or cV d'argent devant fervir de fignes dans les échanges, on auroit dü pré voir que lorfqu'on altéroit ou diminuoit les fignes, il étoit abfolument néceffaire que le prix des chofes variat en proportion , 6c que la progreffion de la valeur de 1'un répondit préciiément a la progreffion du prix de 1'autre. Mais la caufe qui fait altérer le figne, produit dans les fociétés tant de changemens qui D  *(t 50 > tous ont leurs rapports avec le prix des chofes» qu'il eüt été bien difficile de parer aux inconvéniens qui en font réfultés. D'ailieurs, le prix des denrées n'ayant éprouvé dans 1'origine que des changemens très-lents , ils ont été prefqu'imperceptibles, & n'ont frappé que par la fucceffion des tems. Les fouverains en permettant dans leurs Etats, 1'altération dans les efpeces, n'ont augmenté leur avoir que pour le moment feul de 1'opération; & bientöt retombés dans leur ancienne indigence, ils n'ont pu remonter aux fources du mal, paree qu'il avoit déja jeté de trop profondes racines. Ajoutons que moins un empire altere la monnoie, plus il eft riche & plus fon crédit efl; folide. Pour nous tirer du cahos aflxeux des maux caufés par la découverte de l'Amérique , nous avons été obligés de partager ce fujet, malheureufement trop abondant,en plufieurs branches différentes; mais hélas! la fomme des biens efl: fi petite que nous n'avons a les préfenter que fous un feul point de vue. Heureux, fi ces biens font fuffifans pour adoucir par leur utilité les tableaux affligeans que nous venons de tracer!  SL 5i > SECONDE PARTIE; Quels biens la 'découverte du NouveauMonde peut-elle avoir procurés? „ Tous ces biens confiftent dans 1'acquifition des produdtions principales de 1'Amérique, tels que le caftor, Findigo, les bois de tein» ture, la cochenille, le coton, le cacao, re fucre, les plantes médicinales, 1'or, 1'argent, les perles & les pierres précieufes, articles qui ont donné la plus grande extenfion au commerce. Nous devons furtout k 1'Améri•que nos progrès dans la géographie, la construction des vaifféaux, la navigation, 1'aftronomie & 1'hiftoire naturelle." La plupart des productions de l'Amérique font a la vérité des objets qui nous feroient inutiles fans le luxe: car ils font ou indifférens ou inutiles aux befoins de 1'humanité, mais puifque le bonheur des hommes tient fi fouvent aux chofes de pur agrément, nous fommes forcés de conüdérer certaines produdtions comme faifant partie de la félicité de 1'homme, D 2  tant il eft vrai que 1'empire de Phabirade peut devenir un befoin de première néceffité. Le caftor eft de tous les animaux del* Amérique celui qui a le plus exercé 1'efpritdu philofophe, il eft auffi celui qui approche le plus de 1'homme par fon intelligence & par fon industrie. Doué d'une patience & d'un principe d'ordre peu commun, fes travaux font notre admiration. Comme nous il a un penchan: pour la fociété, & paroit avoir fait a cet égard plus de progrès que le fauvage avec qui il vit. Pourquoi faut-il que les folies du luxe aient porté 1'homme a brifer les édinces admirables qu'il conftruifoit pour fa fureté , & qu'il ait porté le fer & le feu chez cet animal industrieux? Pourquoi faut-il que dans la nature «ne efpece ne puifle fubfifter qu'au détriment de 1'autre ? Le Caftor avoit fait des progrès dans les arts, dignes de notre admiration, mais la cupidité a fait taire ce fentiment, & la beauté de la peau de cet animal a caufé tous fes maux. Nos fabriques enrichies de cette précieufe dépouille, paroilfent lui devoir le degré de finefle & de perfe&ion qu'elles ont aujourd'hui. Le Caftor eft utile aux vieillards par fa chaleur naturelle, agréable aux riches, par fa foupleffe & fa beauté,  53 falutaire aux infirmes par les propriétés qu'on lui attribue, ce qui fait qu'il eft extrêmement recherché. Mais le commerce, qui atténue tout en voulant tout étendre , a employé le Caftor en tant d'objets différens, qu'il eft méconnoiffable par la quantité de mélanges qu'on lui a affimilés. La connoiffance du Caftor a perfectionné nos fabriques de draps & de chapeaux par les foins que nous avons pris d'imiter fa couleur naturelle, jufqu'au point même de tromper les yeux; le tact feul nous eftrefté pour diffiper Terreur. Ainfi tout ce qui peut contribuer a perfeótionner notre induftrie eft un bien, & c'eft fous ce feul point de vu* qu'il faut confidérer celui que le Caftor peut avoir procuré a TEurope. Avant Chriftophe Colomb, TEuropetiroit fon indigo de TIndoftan, mais depuis Tépoque de fes voyages, la bonne qualité de celui du Nouveau-Monde lui fait donner la préférence. Comme les bois de temture, il eft un objet effentiel au commerce. On a trouvé par la décompofition de cette plante & de ces bois, un moyen admirable & facile de cola» rer & d'embellir nos marchandifes. La Cochenille , cet infecte deiféché qui nous eft apporté du Mexique, s'emploie avec D 3  <*K 54 >i* fuccès dans la teinture en écarlate , au cramoifi, & fert & faire le carmin. Cette fécule d'un rouge tendre fi amie de 1'ceil, fi précieu. fe en peinture, fi propre a nuancer, rehausfer par une heureufe illufion les foibles couleurs de la pommette des joues de quelques dames, ajoute une nouveau prix a cette production: c'eft a la toilette qu'on admire cet art: c'eft la que le pinceau armé du carmin, devient rival de la nature. On a calculé qu'il entroit eh Europe chaque année huit- cents quatre-vingts milles livres pefant de cochenille, dont on évaluoitle commerce a plus de quinze millions tournois année commune. A mefure qu'on a fu varier les couleurs & les nuances, que nos modes & nos goüts leur ont donné un plus grand mérite & un plus grand prix, la confommation en a été plus grande. C'eft a cette facilité de varier & de nuancer les couleurs que la France eft redevable de ces ouvrages magnifiques & immortels , dont 1'art eft porté k un tel degré de perfection, que même il féduit 1'homme prévenu. "Sans le fecours des bois de teinture, les taphTeries des Gobelins, malgré 1'habileté des ouvriers, ne feroient point, comme elles font, radiniration de 1'Europe  < SS > entiere. Au refte, ces propriétés font trop connues pour qu'il foit néceffaire de m'étendre davantage fur ce fujet. Paflbns a 1'article du coton. Plus doux & plus poreux que le filde chanvre , le ril de coton eft plus fufceptible de s'impregner des couleurs & de prendre les nuances dont on veut le revêtir : fans cela, comment ferions-nous parvenus k imiter lea toiles des Indes f II eft vrai que 1'art du teinturier y contribue pour beaucoup, paree que c'eft la folidité & furtout 1'éclat des couleurs qui font qu'on y attaché plus de prix. Mais cet art eüt été fans fuccès, fi le fonds de 1'étoffe n'y eüt eifentiellement contribué. Le coton, de quelque maniere & pour quelque ufage qu'on le fabrique, conferve longtems fa blancheur & fa foupleife,deux caufes quicontribuent a le rendre un objet confidérable de commerce. 11 eft d'autant plus précieux a Pin* duftrie, que le befoin qu'on en a, entretient continuellement la plus grande émulation dans les villes qui fe font comme excluüvement approprié cette branche de commerce. Le cacao, nouvelle produétion pour nous „ eft d'un ufage fi commun qu'il feroit fuperflu d'entrer a cet égard dans quelques détails. D 4  < $6 > L'habitude oü l'on eft aujourd'hui'du chocolat dans toute TEurope a rendu ce fruit trèsrecherché. La quantité de fucre que produit l'Amérique fuffit pour approviiïonner toute TEurope. Cette grande abondance en a confrdérablement diminué le prix, & fait entierement tomber celui que nous recevions auparavant des grandes Indes. Cette denrée, qui recoit chaque jour de nouveaux accroilfemens par Tufage immodéré qu'en fait le luxe, forme aujourd'hui une branche confidérable de commerce en Europe. Parmi les plantes médicinales de l'Amérique il en eft peu, fi j'ofe m'en rapporter a Tavis d'un médecin connu par fes talens & fa philantropie, qui ne puiffent être remplacées par celles de TEurope, fi Ton en excepte le kinkina , la racine de jalap, & le bois de quaffi, dont la médecine fe fert dans des cas particuliers , avec des fuccès connus. La première de ces productions eft d'un fecours fi grand dans la médecine, qu'elle peut balancer a cet égard,les avantages que procurent le mercnre, Topium, la rhubarbe & Tipécacuana , dont TEurope étoit auparavant en poffefiion. Le commerce doit a la découverte de l'Amérique , une étendue, une énergie qu'il n'ausoit jamais eu autrement, & le commerce de-  K 57 > venu par le relachement des moeurs le nerf &c la richeffe d'un Etat, en maintient la profpérité s'il ne furpaife pas les moyens qui doivent le foutemr: il en eft donc réfulté que la nation qui a le plus de moyens pour augmenter fes rapports avec le Nouveau - Monde , a dü devenir auffi la plus puiffante : j'en excepte 1'Ëlpagne & le Portugal , paree que ces deux royaumes n'ayant qu'un fol pauvre & peu cultivé, peu ou point de manufactures & de produdtions territoriales, ils n'ont pu foutenir longtems la concurrence des nations induftrieufes: c'eft en vain qu'on y voyoit re« fluerle produit des mines du Nouveau>Monde. Cette poffeffion a feule détruit 1'émulation , & augmenté le nombre de bras inutiles; auffi fontce ces deux royaumes qui ont le plus fouffert par la quantité d'or & d'argent qu'ils ontrecus. Je n'entends par commerce que 1'exportation des productions & marchandifes de 1'Europe échangées contre celles de l'Amérique, dont le luxe rendoit la poffesfion néceffaire (6). (6) On m'objettera comment une chofe inutile & même pernicieufe peut rendre l'acquiïïaon d'une autre chofe néceffaire. A cela je répondrai que l'émulation dans les arts rend le luxe utile. D5  < 58 > Un pareil échange produit fans doute une circulation plus abondante , une aifance plus générale , en même tems qu'il occafionne, foit par les émigrations, foit par un plus grand befoin d'induftrie , une diminution fenfible & confidérable dans la clafle des gens désceuvrés, qui ne fert jamais qu'a appauvrir 6c déshonorer un Etat. Un autre bien que la découverte d'un NouveauMonde a procuré au commerce, c'eft d'avoir donné une nouvelle vie a tous les genres d'induftrie de TEurope. A mefure que ce commerce réciproque s'eft étendu; que les voyages ont été plus fréquens ; le nombre des vaisfeaux plus grand , il a fallu pourvoir a un plus grand nombre de denrées 6c d'objets, pour approvifioner 6c armer les navires. Les terres ont été mieux cultivées; beaucoup ont été défrichées, & le cultivateur afluré d'une confommation plus grande , a redoublé de foins pour angmenter fon bien-être. Le commerce entretient une attivité nécesfaire a 1'homme, augmenté fes connoiflances, guérit fes préjugés, le rend plus communicatif & plus humain. Le commerce nous procuré la plupart de nos agrémens, augmenté notre population, fait naitre les fciences 6c les  59 arts, & devient la fource de 1'abondance & de la profpérité des Etats bien gouvernés. L'or, 1'argent, les peries & les pierres précieufes font autant d'objets utiles au commerce. Ces riches productions, que le luxe, la fantaifie ont fait monter a un prix exhorbitant, nous ont mis plus a même de nous procurer les productions & manufactures des Indes, que nous ne pouvions avoir avant d'être en poffeffion de ces riches métaux. Ces productions & marchandifes des Indes importées en Europe, occaüonnent une circulation d'autantplus grande, qu'ellesprocurentau-dela du doublé de la valeur première, excedant qui n'ajpauvrit ni la nation, ni le commerce, puisque le bénéfice refte dans 1'Europe, & fert a fe procurer de nouveau & avec plus d'aifance les moyens d'augmenter les importations en ce genre. Si nous n'euffions eu dans le commerce, ni peries, ni pierres précieufes, & moins d'or & d'argent pour employer les uns & les autres a flater le goüt, fournir a la magnificence des fouverains & des cours, la poffeffion de ces métaux ne feroit dans les mains du négociant ou des compagnies qui les procurent a 1'Europe, qu'un furnuméraire indifférent au commerce & a Tart. Mais avec le fecours  ^ 60 d'un artifte intelligent, ces matieres brutes fe métamorphofent, & prennent un éclat, un brillant qui en augtnentent prodigieurement la valeur première. C'eft de ce changement opéré par 1'art, & de cette augmentation eaufée par le faite, que réfulte une adivité immenfe dans le commerce , & une circulation d'efpeces qui répand 1'aifance parmi ceux qui en font leur principal objet. C'eft encore un moyen pour conferver & repréfenter, en un très-petit volume, un capital confidérable. Le commerce de TEurope s'eft encore entichi d'un trés - grand nombre d'articles dont il étoit privé avant la découverte du nouveau monde. La nature, toujours fage dans fes distributions, a donné k chaque région des propriétés qui lui font particulieres. Les forêts de l'Amérique produifent en abondance pour la conftruétion des vaifféaux, des bois que ceux de TEurope ne peuvent furpaffer ni même égaler; de ce nombre fout TAcajou, le bois de ier & furtout TAcomat qui caché en terre ou expofé al'air, fe conferve longtems, fans fouffrir des vers, ni de Thumidité: tel eft encore le Mapou dont le tronc de 4 a 5 pieds de diametre fur une fleche de 40 a 50 fert it  4< 6t former des canots d'une feule piece. Ces forêts de bois de conftruétion font d'autant plus précieufes pour TEurope, que fans leur fecours , notre marine éprouveroit une difete & un dépérifement fenfible. Qu'on fuppofe en effet, qu'il n'y ait dans cette partie du monde aucun bois propre k la conftruétion dés vaisfeaux, il s'enfuivroit une perte fi confidérable pour TEurope, que faute de pouvoir ré"parer les navires délabrés par les tempêtes, ou ufés par vétufté, les voyageurs éprouveroient xme perte de tems irréparable, s'ils étoient obligés d'attendre ces fecours de TEurope. Les produits de la chaffe & de la pêche en Amérique,font de plus,des fecours très-efientiels a TEurope; la première, en augmentant nos fourrures procure encore & nos artiftes plufieurs objets également de commerce & de curiofité. Les produits de la feconde, par la diverfité des poiffons qui peuplent les mers , offrent une carrière immenfe a Tinduftrie; les uns nous fourniffent leurs huiles & leur graiffes, en même tems que la chair marinée ou féchée des autres devient une provifion précieufe pour les gens de mer. Sans ce puiffant fecours ils feroient fouvent expofés a périr dans les horreurs de la famine au milieu d'un voyage.  dont le but' auroit été de rapporter dans leur patrie des lumieres & des connoiflances utiles. Ces fecours m'ont paru trop effentiels pour les pafier fous filence, quoiqu'en géné« xal on ne les confidere pas comme tels. L'aétivité & Témulation dont les fciences ont befoin, les fecours de toute efpece que les hommes retirent de la peifection des fciences, ne pouvoient qu'augmenter par la découverte de 1'Amérique. Les hommes auroient honte fans doute de ne pas connoitre le globe qu'ils habitent; or, qu'étoit la géographie a 1'époque de 1492? La fcience de la navigation, qui réunit les hommes de tous les pays, n'a commencé a fe perfectionner que depuis la découverte de l'Amérique. Le befoin d'entreprendre des voyages plus longs, & de diminuer les dangers de la mer, néceflita un examen plus réfléchi de la conftruétion des vaifféaux; lafphere du génie s'aggrandit, & la réforme fut générale dans les chantiers ; les vaifféaux moins lourds & plus folides, marcherent avec plus de rapidité. Ces progrès s'étendent jufqu'a 1'agrément, & dès lors il y eut un luxe particulier pour les navigateurs, qui, a quelques commodités prés, ont fur 1'océan celles doat  ils" ont coutume de jouir dans leur patrie. Mats, voiles, cordages, tout fut calculé & foumis aux proportions & des regies certai* nes, invariables devinrent la bafe & le principe de toutes les opérations de 1'architecture navale. La manoeuvre des vaifféaux ne fut point oubliée, on connut la maniere de les diriger avec fureté , promptitude & facilité. La taétique fut employée avec art pour attaquer & défendre; tout devint pour les marins 1'objet d'une théorie lumineufe & d'une pratique favante. La fcience des longitudes en mer, par le moyen de la ltme & des machines d'horlogerie , a produit 1'amélioration des cartes marines, la connoilfance des vents, des cou» rans, des bancs 'de fable , des giffeniens des cótes. Enfin, c'eft du nombre & du ré. fultat des obfervations qu'on a faites fur mer, que l'on eft parvenu a voyager fur cet élément prefqu'aufli facilement que fur la terre (7). (7) Si Ie génie parvient a perfe&ionner l'admirable invention de MM. de Montgolfier, a diriger dans 1'air les Aéroftats, comme les vaifleaux fur mer, peut-êtra verra-t-on des favans propofer a leurs contemporains ta folution du même problême oui fait fobjet de est recherches.  Si Colomb dut a 1'aftronomie les certitudes qu'il avoit de découvrir un nouveau con« tinent, on d'arriver aux Indes par cette même route , 1'aftronomie doit a cette découverte une partie de fes progrès. Dès 1671. M. Richer alla a Cayenne pour y connoitre les réfraétions, 1'obliquité de 1'écliptique ; en même tems il y fit des remarques fort intéres* fantes fur la longueur du pendule a fecondes, & dès lors l'on commenca a foupconner 1'aplatiffement de la terre. Des académiciens célebres furent envoyés en 1735 fous 1'équateur pour mefurer les degrés du méridien, & déterminer la figure de la terre. Au moyen de ces obfervations, on eut une connoiflance plus exacte des mouvemens céleftes. Les paflages de Vénus fur le foleil obfervés en Amérique en 1761 & 1769 nous ont appris la véritable diftance du foleil & de toutes les planetes a la terre , par conféquent leurs grandeurs, leurs forces attraétives, & toutes les circonftances du fyftême du monde. Il ne faut que parcourir 1'aftronomie de M. de la Lande, pour voir combien les obfervations faites en Amérique on fervi aux progrès de cette fcience. C'eft. en Amérique oü l'on a obfervé la loi (des  des dilatations de 1'atmofphere, par le moyen des hautes montagnes du Pérou. M. Bouguer y trouva une méthode fimple & commode pour mefurer les hauteurs par le fecours du baronietre. C'eft dans le même pays qu'il obferva la force attraétive des montagnes par la déviatio» laterale du fil a plomb, ce qui conftata d'une maniere vifible la loi générale de 1'attraaion. Les obfervations du flux & du reflux de la mer qu'on y a faites, ont montré l'univerfalité. & les circonftances de ce phénomene important dans la phyfique & le fyftême du monde. La Botanique a pris une face nouvelle & s'eft enrichie furtout par les obfervations faites fur les plantes de l'Amérique par Cornuti , Barelier , Piumier , Catesby , Gronovius, 3uflieu, Commeffon &c. On ne pouvoit fe' flater jufque-la de connoitre 1'étendue de la nature & de fes productions, tant' dans le regne végétal que dans le regue animal. 11 eft inutile même de remarquer combien 1'histoire feule des quadrupedes, dounée d'une maniere fi eomplette par M. de Buffon, avec les additions aufli curieufes qu'intéreffantes de M. Allamand,profefleur deLeyde, renferme d'especes fingulieres originaires de 1'Aroérjqqe.  TROISIEME PARTIE. Quels font les réfultats a tirer d'une jufte comparaifon de ces maux & de ces bieas ? Après les expofés que je viens de préfenter des maux & des biens que la découverte de l'Amérique a occafionnés aux deux hémispheres: il me refte k plaider la caufe de 1'humanité & celle des arts & des fciences. An premier coup d'ceil, on voit avec douleur que les hommes ne font redevables d'un plus grand nombre de lumieres qu'a des caufes qui font rougir 1'humanité. Pour être plus inftruit , 1'homme eft-il donc plus heureux & meilleur ? Cet examen feul doit décider la question, ou faciliter au moins les moyens de M* réfoudre. Si les arts & les fciences" ne peuvent fe perfectionner, s'agrandir, qu'en augmentant la fomme des maux, il vaudroit mieux fans doute pour les hommes qu'ils fuflent plutèt heureux que favans 1'acquifuion la plus précieufe peut-elle compenfer une feule goute de fang ? Qu'importe & Tunivers que  Rome ait un tableau de plus parmi fes chefd'ceuvres, fi elle n'en doit la poffeifion qu'a un forfait! Excuferions • nous ce peintre inhumain & perfide, qui, dit-on, pour rendre avee plus de vérité les p&leurs de la mort, tandis qu'il poignardoit d'une main fon femblable, tracoit de 1'autre avec un enthoufiafme barbare 1'expreflion de la douleur & du trépas! Telle eft la vanité des hommes que, pour acquérir de la célébrité, ils mépiifent tout ce qui tient a la pudeur, a la vertu. - J'ofe le dire: la découverte de l'Amérique eft un mal; jamais les biens qu'elle peut avoir fait naitre (fous quelque point de vue qu'on veuille les envifager & les peindre) ne pourront compenfer la fomme du mal qu'elle a caufé (8). (8) Un te! aveu fins doute eft pénible pour une ame compatilTante qui ne peut être accufée de prévention. S'il eft doulotireux pour 1'humanité que les paffions des hommes empoifonnent continuellement les biens dont elle pourroit jouir, il n'eft pas moins honteux pour 1'efpece humaine que les hommes qui méri» tent le plus de jouir de leurs travaux & de leur gloire, deviennent par ces mêmes caufes viftimes de l'audace ft de la jaloufie, & péiiffent dans 1'infortune & i'abaa- E a  L'Amérique aura longtems encore h fouffrif des fuites du defpotifme affreux que les Européens y ont exercé. Le peu de foins que l'on prend de travailler a fa populationaux progrès de fa culture, & furtout a ceux de fa civilifation, ne permet pas d'efpérer que jamais les Européens aient Ie bonheur & la gloire de triompher des obftacles & ramener dans 1'es- don. Les faits que je viens de préfenter ne fonï point d'imagination, 1'hiftoire les conftate. Qui les révoquera en doute? Qui oferoit les juflifier F Les faftes du monde ne parient d'aucun fiecle plus célebrö que celui de Coiomb, & pius funefte cn même tems par la foif immodérée des richeffes. Que tes noms de Colomb & de Gama font grands dans 1'hiftoire! lis rappellent les deux plus belles entreprifes dont 1'efprit humain puiiTe fe glorifkr. Tandis que le premier ce-nduifoit les Efpagnols au-delè de 1'océan Occidental, jufqu'a cet hemifphere inconnu qu'il leur avoit annoncé Ie fecond alloit avec les Portugais chercher de nouvellcs terres au-dela des mers de Pinde & de 1'Afrique. Tous les deux enrichirent leurs fouverains; tous les deux en furent payés d'ingratitude. Jamais les élans du génie n'ont opéré une révolution aufli étonnante dans les deftinées de 1'univers & pour les générations futures , qu'a cette époque i jamais mémorable. Rien ne proure mieux que la richeiïë & Ia célébrité fuppofent Ie bankeur, & nc fe d^nnent pas.  prit des fauvages difperfés dans 1'intérieur des terres, cette confiance naturelle qui fait la bafe de leur caractere primitif. Ce ne fera point eux qui rendront florüTans les pays qu'ils ont dévaftés. Dans 1'ombre du filence , les deftins préparoient une révolution qui devoit étonner 1'un & 1'autre hémifphere. Un peuple enchainé dans les entraves d'un monopole tyrannique la devoit annoncer au nom précieux de la libertè. Ce feront les colonies indépendantes qui auront la gloire de civilifer le refte de l'Amérique. Leur puiffance s'accroitra par degrés; (9) d'autres colonies iuivront cet exemple, & l'on verra dans cette partie du monde autant d'états différens & civilifés que dans TEurope. Le fouvenir des maux des Européens fervira probablement un jour d'exemple a de nouveaux navigateurs & de nouveaux conqué* rans dans leurs découvertes & leurs conquêtes. lis auront appris de nous que ces peuples inconnus ou foumis font d'autant plus dignes de (9) Difons même, avec rapidité: 'partout ou la cnU ture des terres efl une loi fondamentale, il s'enfuit toujours une grande population , fource féconde & permanente de force & de profpérité. E 3  4< 70 leurs ménagemens que ces découvertes & ces conquêtes portent toujours atteinte a leur félicité , quelque médiocre ou bizarre qu'elle puiiTe paroitre. Suivant le caractere & 1'éducation des Américains, avant que leur pays nous fut connu, ils jouiffoient furement comme nous d'un bonheur qui leur étoit propre & qui nous étoit étranger, car la nature étant univerfellement la mere & 1'inftitutrice du genre-humain, autant il y a de conditions différentes parmi les hommes, autant il y a de manieres de jouir, & d'être heureux. Chaque pays, chaque peuple, chaque individu fur la furface du globe a fes biens & fes maux qui lui font particuliers & analogues a fon exiftence. Ce qui conftitue la félicité de 1'un fait fouvent le tourment de 1'autre. Le philofophe eft heüreux dans la folitude, 1'homme du monde, au contraire, eft malheureux s'il eft feul. II fuit de ces vérités,que les Européens, en voulant rendre les Indiens heureux & leur maniere, n'ont fait que leur malheur. Si dans 1'état oü font les chofes, les premiers pouvoient réparer les maux qu'ils ont foufferts & fait fouffrir aux feconds, ce feroit au moins un adoucilfement pour les uns & les autres. Ils pourroient, au moyen d'uneréeonciliation lincere fe féliciter, des connoiffances qu'ils n'au-  roient jamais acquifes fans la découverte de l'Amérique, & fe confoler de les avoir fi chérement achetés , par 1'efpérance de les voir fervir a la félicité commune. Mais, loin de pouvoir remédier a ces maux , a peine les Européens font-ils capables d'en diminuerles triftes effets : a peine les biens même qu'ils ont acquis, font-ils fuffifans pour balancer la fomme de ceux après lesquels leur inquiétude & leur ambition les fait foupirer fans ceffe. Telles font les funeftes fuites de la poffeffion; plus les defirs ont été grands, moins l'on jouit de ce qu'on poffede. Selon 1'opinion généralement regue, il regne dans la nature un équilibre parfait entre les biens & les maux, &fi cet équilibre ne paroit pas tel it quelques individus, c'eft que ces biens & ces maux font indifféremment répandus fur la terre, & qu'accoutumés a fe faire un bonheur idéal, les hommes fe croient toujours plus malheureux qu'ils ne font. lis fe> familiarifent fi bien avec ce qu'ils poifedentï que la fatiété fuit de bien prés la jouiffance. Telle eft la caufe de la plupart des maux dont 1'homme eft continuellement tourmenté. Dès que nous reconnoiffons ces vérités pour exnctes, il eft facile de fe peindre combien les E4  Indiens, réduits'par la force, ont dü fouffrir de nos vexations: nous avons tellement augmenté leur maux que nous les avons contraints, par la privation, de regarder comme un bien ce dont ils n'oppergevoient pas la jouiifance. lis n'ónt appris k aimer leur patrie, a. chérir leur libertè, que lorfqu'ils ont été privés de 1'une & de 1'autre. Enfin, hommes & animaux , les Européens ont mis tout a contribution. Dans 1'énumération des biens que cette région nous a procurés, fi l'on en excepte les fecours que la géographie, la navigation & l'aftronomie en ont recus, je n'en trouve aucun dont TEurope n'eüt pu fe paffer: on fera d'abord étonné de ce que j'avance, mais ü s'agit d'en faire Texamen: L'Europe eft-elle plus heureufe avec les produdtions que l'Amérique lui a fournies & ne pouvoit-elle pas aifément s'en paffer? De ce que plus le commerce eft étendu, plus grande eft la circulation, il ne s'enfuit pas qu'on augmenté les reffources d'un Etat en proportion de cette extenfion. C'eft par fa trop grande extenfion que nous perdons le fruit de fes premiers avantages. Quand le commerce eft parvenu a fon dernier période, il commence a. nous rendre efclaves des fu-  73 >**' perfiuités (10), de 1'opuknce , de Tavaricej & les hommes écrafés fous le poids du luxe, amollis par la délicateffe & les rafinemens de tout genre,perdent le goüt des bonnes mceurs; bientót corrompus & corrupteurs, ils méprifent la vertu & renverfent ainfi les fondemens (iq) Heureux, dit on, le Iaboureur, s'il fa voit jouir! Pius heureux, dirai- je, le commercant s'il favoit ce que vaut la médiocrité! au lieu de devenir 1'efclave de 1'ambition , de confumer fes jours a groffir un tréfor que des ingrats & des fainéans difliperon» bientót, il fe borneroit au plaifir de travailler pour vivre.aulieu de vivrepouramafTer. O précieufe médiocre, dans toi feule eft le vrai bonheur! Bornée d'abord au néceffaire honnête, fi tu defires plus d'aifan. ce, c'eft pour en répandre le fuperflu fur les malheu-i reux, & non pour les accabler comme la dédaigneufe opulence. L'homme de bien qui chérit la médiocrité, fait que fi l'induftrie augmenté les richeffes, elle augmenté auffi 1'amour de 1'argent: cette paffio» favorite de 1'imagination qui nuit tant aufentiment, eft peut. être de toutes, la plus dangereufe & la plus incurable. C'eft dans les grandes villes de commerce qu'il faut obferver les viciffitudes de 1'ambition; c'eft.li oü les jaloufies, les haines excercent toutes leurs fureurs, c'eft la que le riche croit avoir droit d'infulter paf fon fafte a la médiocrité de fon voifin, & qu'oubliant ce qu'il peut devenir par les revers, il fe targue d'un bonheur momentanné; c'eft ■ la oii l'on peut aifément fuivre la naiffance, les progrès & les fuites du luxe $ de la corruption des mceurs. E 5  des vrais principes. Sans ces rafinemens , qu'avoient befoin nos fabriques de la riche dépouille du Caftor ou de tel autre animal: en fommes-nous mieux couverts, & la toifon de nos brebis, le poil de nos animaux d'Eu« rope n'auroient - ils pas fuffi ? Nos artiftes par leur habileté&le mélange de nos couleurs, n'auroient - ils pas pu fupléer la cochenille & 1'indigo? Et que fert & 1'humanité que nos peintres & nos teinturiers aient une ou deux couleurs de plus, un plus beau rouge ou un plus .beau bleu que ceux dont ils étoient auparavant en poffeffion? Nos dames en feroient-elles moins aimables, notre amour moins tendre, nos paffions moins vives pour elles fi elles n'avoient point de fard? Peut-être que privées de ce fecoursimpofteur, elles feroient plus en garde contre les effets pernicieux des veilles & des méts recherchés qui portent fi promptement atteinte k leurs charmes, & font naitre les rides dans 1'age oü les rofes ne devroient que commencer a s'épanouir. Charmantes villageoifes , j'en appelle a la fraicheur de votre teint! II eft pour nous une preuve pariante que rien n'eft plus beau que la fimple nature. — Sera-ce  75 le coton qui paroitra une riche acquifition ? Qui fait fi fa découverte & fon ufage n'ont pas fait négliger les expériences qu'on auroit pu faire fur le chanvre & le lin üt qui certainement le coton a fait tort. Sans lui, peut-être, on auroit déja trouvé, comme on le trouvera peut • être un jour, le moyen de préparer le fil d'une maniere a lui donner autant de chaleur, de foupleife & de blancheur; trois propriétés qui feules ont fait la réputation du coton. A 1'égard des bois de teinture, on ne peut difconvenir combien ils nous font utiles; mais on ne peut en regarder la poffeffion comme néceffaire a 1'homme, dès-lors qu'ils ne fervent qu'a. des objets abfolument fuperfius. — La conféquence que nous avons tirée fur 1'ufage du cacao , fuffit pour montrer qu'il nous ei! inutile. — C'eft encore vt notre exceffive fenfualité que le fucre doit fa plus grande confommation. Nos peres en ignoroient 1'ufage & s'en paffoient fans effort: le travail de nos laborieufes abeilles leur fuftifoit & vraifemblament nous préférerions le miel au fucre , fi nous ctions affez fages pour ne pas multiplier nos befoins par de nouveaux defirs, & réfifier au penchant pernicieux de boire des liqueurs.  Ajoutons que la culture du fucre (n) a nui prodigieufementau produit des terres en faifant tomber celui des ruches a miel. Cette denrée & le café, dont les récoltes Américaines ont beaucoup augmenté la confommation, ont fait un tort infini aux boifibns nationales & par conféquent a l'induftrie, fans compter le tort fait a la fanté. Quant aux plantes médicinales, ne feroitü donc pas poffible que des médecins habiles & laborieux fe palTaifent de celles qui nous viennent de 1'Amérique ? Nos corps ne fontils pas conformés actuellement comme ilsl'é- toient il y a trois fiecles: au défaut de remedes, nos anciens & célebres médecins fefontils plaints qu'ils manquoient de fecours pour foulager les hommes; bien loin de remarquer qu'il périffoit plus de perfonnes alors, onpeut obferver que 1'homme étoit d'un tempérament plus robufte & vivoit plus longtems. Etoit-ce donc paree qu'on avoit moins de remedes & moins de luxe dans 1'art de la médecine? On me répondra que fi les hommes font moins robuftes & leur vie moins longue, fn) Je paffe fous filence Ia culture du tabac.  «Ht 77 il ne faut en accufer que le déréglement de leurs moeurs, je 1'accorde: mais quelle eft la plante falutaire de 1'Amérique qui a rétabli leur débilité ou prolongé leurs jours; qu'on Ia nomme ? Quant au quinquina, on pourroit demander ii la providence a mis la fievre en nos climats, & le remede en Afrique ? S'il étoit vrai que le bonheur des humains conüfte dans les richeffes, 1'extraction feule des métaux & des pierres précieufes, fuffiroit pour nous faire regarder la découverte de l'Amérique comme le plus grand des biens: mais , hélas l c'eft du fein de 1'abondance & du luxe que font fortis la plupart des maux qui dé-, foient la fociété. On penferoit que les mines de 1'Amérique, en enrichiffant 1'Europe, y auroient répandu plus d'aifance, plus de profpérité; loin de lk, nous en avons démontré tous les funeftes effets, furtout pour la clafle la plus pauvre & la plus laborieufe. Pour ce qui eft de la géographie, la navigation & 1'aftronomie, nous ne pouvons disconvenir que ce font des biens fi utiles au dévelopement de 1'efprit humain, qu'ils feroient feuls capables de balancer la fomme des maux gaufés par la découverte de 1'Amérique, ü  l'on pouvoit fe familiarifer avec 1'idée qu'il vaut mieux que les hommes foient favans qu'heureux. Mais, qui oferoit le dire? Quel efl: 1'homme réfléchi qui ne voit pas-combien la marche du mal efl: prompte & rapide, & combien au contraire , la marche du bien efl: lente & tardive. II me refte k parler de fhiftoire naturelle. L'Europe s'eft enrichie d'un nombre prodigieux d'oifeaux, d'animaux & de plantes dans tous les genres, dont nous n'avions aucune idéé, & qui tous ont fervi h. étendre nos connoiflances fur les productions de la nature. Jufqu'a préfent la curiofité feule y a gagné, puifqu'il importe peu pour notre bonheur, que nos herbiers foient plus complets & nos cabinets plus riches en productions froides & ftériles. A dieu ne plaife que je veuille confidérer le travail des naturalifles comme inutile ou indifférent 1 Bien loin de la, je conviens qu'il eft toujours beau , toujours intéreffant d'aequérir de nouvelles produétions : mieux 011 connoit la nature, mieux on peut fuivre fa marche. Dailleurs, quand il ne réfulteroit de 1'afpect de ces variétés admirables d'animaux , de végétaux & de minéraux répandus,  *» affliger que de nous réjouir. Nos moeurs fe corrompent de plus en plus; notre conftitution s'altere de génération en génération ; chaque jour nos befoins deviennent plus nombreux & plus preifans ; 1'amour du repos nous rend le travail plus pénible ; il énerve nos corps, affoiblit les reflbrts de notre ame. Ce que nous aurons gagné par les arts & les fciences, nous le perdrons par notre indolence & notre frivolité. Tel eft le trifte tableau que nous devons nous faire des générations futures. Ce fera le Nouveau-Monde, jadis notre efclave, en grande partie peuplé de nos émigrans, qui viéndra nous donner des fers a fon tour. Son induftrie, fa force & fa puiffance, augmenteront a mefure que diminueront les nó'jes; 1'Ancien - Monde fera fubjugué par le Nouveau: & ce peuple conquérant, après avoir également fubi les loix de la révolution, périra de même par les mains peut-être d'un peuple qu'il aura eu le malheur de découvrit. C'eft ainfi que les biens & les maux en fe perpétuant & ne fe féparant jamais, iront toujours F 4  «Hf. 83 dans une indgalité apparente, étonnerfurprendre , au milieu de fes méditations, l,c philoiophe qui voudra les diftinguer, les con> parer décider. F I N.  PORTRAIT D E CIIRISTOPHE COLOMB. JLes deftins de Colomb furent marquéspar des événemens fi extraordinaire* & fi disparates qu'on ne fait lequel on doit plus admirer ou fa modeftie au faite des grandeurs, ©u fa patience dans fadverfité. Également grand fous tous les points de vue , il infpi« re a fa poftérité ia plus grande vénération. Dans un fiecle plus éclairé , fous un gouvernement plus jufte que celui de Fer-. dinand, Colomb eüt joui, vivant,"de fon imraortalité. On ne péut lire fans douleur & fans attendriflcment les détails de fa vie par Don Fernand fon fils. Quel fpeétacle peut infpircr plus d'horreur pour fingratitude que celui oü Colomb fort en cheveux blancs & les fers aux pieds de ces mêmes vaifteaux auxqucls il avoit ftayé la route glorieuf© d*un Nou-  Veau - Monde ! Enfin après vingt ans de fervice , des fatigues fans exemple j des fujets continuels de larmes, accablé d'années & de maladies, la feule refiburce de ce vieillard vénérable pour la nourriture & le forameil, c'eft - a - dire pour les befoins les plus communs de la nature (*) fut les hótelleries publiques. Son chagrin fut ii vif qu'il en mourut: il avoit alors foixante-cinq ans. „ Colomb étoit d'une taille haute & bien proportionnée. Son regard & toute fa perfonne annoncoient de la nobleffe. II avoit le vifage long, le nez aquilin, les yeux bleus & vifs, & le fond du teint blanc, quoiqu'un peu enflammé. Dans fa jeuneffe, fes cheveux avoient été d'un blond ardent; mais la fatigue & les chagrins les firent blanchir avant le tems, U avoit d'ailieurs le corps bien conftitué, & autant de force que d'agilité dans les membres. Son abord étoit facile & prévenant, fes moeurs douces & aifées. II étoit affable pour les étrangers, humain a 1'égard de fes domeftiques, enjoué avec fes amis & d'une admirable égalité d'humeur. On reconnoït dans les (*) Sic 'invidia virtuti comss.  évenemens de fa vie, qu'il avoit 1'ame grand* & forte , 1'efprit fécond en reffources, le cceur a 1'épreuve de tous les dangers. Perfonne ne poffédoit mieux que lui le ton de 1'éloquence du commandement. II parloit peu & avec grace. 11 étoit fobre, modefte dans fon habillement, plein de zele pour le bien public & pour la religion. II avoit une piété folide, une probité fans reproche , & 1'efprit orné par les fciences." Si des défauts légers onc quelquefois obfcurci tant de qualités rares & brillantes, c'eft qu'il étoit homme. L'antiquité eüt mis Colomb au rang de fes demidieux, & 1'encens auroit fumé fur les auteis qu'elle lui auroit érigés. ERRATA. P- 57 %«* 5 qui ale plus, li fez qui a eu le plus.      A M E I I C A I N. ïlt fine-feptentrionale, ils firent plufieurs tentatives pour cultiver le bied & le vin. Les premiers efiais répondircnt k leur attente, & 1'on vit que le fol étoit également propre k 1'une & a 1'autre de ces denrées finécefiaires kl'homme. Indépendamment de cesheureufes tantatives, il paroit que les colons, accoutumés k fuivre les fentiers battus, renoncerent k un avantage fi grand & fi manifefte, peutêtre par manque d'encouragement, peut-étre par manque de débouché. D'un autre cöté, 1'Angleterre avoit par devers elle des raifons d'intérêt & de politique qui ne lui permettoient pas de donner une trop grande extenfion k la culture & au commerce de cette province. Ces raifons fe devinent aifément, quand on confidere le bénéfice de fes exportations pour le fifc public; mais paifons a la Caroline-méridionale. Aucunc des colonies angloifes n'a été cuitivée avec plus de foin que celle - ci; aufiï 1'Angleterre a été amplement récompenfée de fes dépenfes. Ainfi que 1'agriculture, la civitifation y eft. au plus haut degré de perfectum. Les produdtions aborigenes y font trés-bien cukivées, & il n'eft aucune région connue oii les exotiqucs réuflilfent auffi bien & perdent aufiï peu de leur bonté naturelle que dans la Sud-Caroline. Parmi fes differcntes produdtions le riz eft fans contredit une mine très-riche, très-abondante & le foutien immédiat de la colonie. La Caroline produifbit annuellement k la Grande-Bretagne environ iooooo barrils de riz; elle en vendoit le furplus de fa confommation au nord de 1'Europe: la poffcffion exclufive d'un tel commerce contribuoit pour beaucoup k lui don-  A M E R I C A I N. "3 la ccffion dc l'Efpagrie, les Anglois ne s'occuperent pas moins des moyens de faire profpérer cet établiffement. On y cukiva du riz, de 1'indigo & de la foie. Le commerce de la Géorgie a produit dans le cours de 37 ans, la fomme de 746,093 liv. 11 fous pour les exportations faites par 1'Angleterre & celle de 622,958 liv. 1. f. 5 «• fterl. pour les importations : les premières ont produit un excédent de 421,1,82 liv. 18 fous 9 d. & les, fecondes celui de 98,1547 liv. 9 fous 2 den. c'eft, année commune, un commerce réciproque de 37,001 liv. 5 fou?. Suivant les regiftres pubics de la'province pour 1769, fi 1'on ajoute les importations & les exportations directement faites par cette colonie dans différens ports étrangers, fon commerce total fera de 105,664 liv. 19 f. 7 d. Depuis cette époque cette colonie a beaucoup profpéré, nous aurons dans la fuite occafion d'en parler plus amplement en montrant ce que peuvent produire fur 1'efprit des cultivateurs & du négociant les douceurs d'une exiftence ïndépendante & d'un commerce libre. , H  iix L E SPECTATEÖR. Sa fituation. CHAPITRE XII. La Floride. La Floride eft, comme la Caroline, divifée en deux provinces du même nom , diftinguéos feulement par leur fituation, Tune a 1'oueft, 1'autre a l'eft. La partie oriëntale, dont St. Auguftin eft le chef-lieu, eft fituéeau 2o8e degré 30' de longitude & au 30'. degré de latitude feptentrionale ; la Floride occidentale, qui a Penfacola pour capitale , eft fous la latitude feptentrionale de 30 deg. 55/ & par les 290 deg. 50' de longitude. Nous avons vu dans le chap. IV 1'hiftoire de fa découverte; voyons maintenant quels ont été les révolutions & les progrès de ces deux provinces. Sous le nom de Floride, 1'ambition efpagnole comprenoit anciennement toutes les terres de PAmérique quis'étendentdepuis legolfedu Mexique jufqu'aux régions lesplusfeptentrionales; mais la fortune qui fe j oue de 1'orgueil national, a refferré depuis longtems cette dénominationillimitéedans la Péninfule que la mer a forrrice entre la Géorgie & la Louifianne. La Floride ne fut divifée en deux gouvernemens, que lorfqu'elle paffa au pouvoir des An~  AMÉRICAINE 115 glois par !e traite de paix de 176 X; cette poffesfion devenoit d'autant plus précieufe qu'elle facilitoit les opéraüons de commerce avec les colonies efpagnoles. La nature du fol le rend propre.' aux chofes les plus nécefiaires des autres pays," pamcuiierement a difFerentes fortes de drogues médicinales, au vin, a la cochenille, turtout au falfafras & a l'indigo. L'imporcance de ces objets dans le commerce eft. trop univerfeilement connue pour qu'il foit befoin d'en recommander la culture. On penferoit naturel lement que Pacquifition de la Floride auroic mis les Anglois dans le cas de regarder comme inutile la barrière qu'ils avoienc formée entre les Carolines, les colonies efpagnolcs & leurs Indiens en Floride; mais cette barrière étoit au contraire, indifpenfable, car il eft clair que les Efpagnols ne pouvoient être que trés-jaloux d'une colonie fi voifine des leurs & fi bien firuée pour commercer avec elles; ce qui ne cadre point avec le principe fondamental de leur gouvernement, qui eft de fournir entierement lui-même a fes domaines d'Amérique les marchandifes d'Europe dont ils ont befoin. Dailleurs, c'eüt été une faute en politique, de la part des Anglois, de négliger ou de fe difpenfer d'avoir des troupes, des fortereffes, & des places d'armes dans un pays fi expufé aux incurfior.s des Indiens, qui n'attaquent jamais que par furprife & mettent tout a feu & a fang. II ny a point de fureté contre eux tant qu'on les a pour ennemis. Qu on en faffe des amis & 1'on n'aura rien a craindre de leur voifinage; c'eft le feul moyen qui refte aux EuH 2 ss pro.  iió L E SPECTATEÜR Soit COtl' tnetci. Sekt Av> Sultin. Ptnfacote. Ci) Voyiz ce que nous avors dit k ce lujet dans notre Ch. VI. ropéens; c'eft èn vain qu'ils voudront vaincreces Indiens par la force (i). Le commerce de la Floride n'a pas eu des progrès proportionnés k la bonté de fon fol & k fon heureufe fituation. Cela peut venir de 1'inquiétude que les Indiens caufoienc aux colons & des principes de jaloufie toujours fubfiftans entre PEfpagne & 1» Angleterre. Quoi qu'il en foit, cette colonie n'exporta de fes denrées én 1769 que pour 29,9:0 liv. 8 fous 10 den. & fon importation ne paffa pas 14,693 liv. 13 fous 1 den. A 1'égard de fon commerce direct avec 1'Angleterre, les exportations depuis 1763 jufqu'a 1773 fe moment k 375,0(58 liv. 15 fous 4 den. les importations a 79,993 liv. ic fous 3 den. fterl. Pendant ces dix années 1'excédent des importations k été nul, mais celui des exportations s'eft monté a 295,075 liv. 5 fous 1 den.: cette difFérence annonce un défaut de culture nuifible k cette colonie. Le réfultat de ces opérations donne pour terme moyen un commerce, année commune, de 45506 liv. 4 fous 10 den. fterl. Saint Auguftin, capitale de la Floride oriëntale , eft fitué fur la cóte- est eft de la péninfule, baigné par les eaux de 1'océan* atlantique, k 80 lieues environ dc 1'embouchure du golfe de la Floride ou du canal de Bahama, & environ 47 de la ville & riviere de Savannah. Penfacola, capitale de ia Floride occidentale, eft un havre excellent dans la baie du Mexique k 11 lieues k 1'eft des Port-Lewis & Mobile, &; ijO k 1'oucft de 1'Ifle des Tortues. C'eft dans  AMERICAIN. "7 ces deux villes que fe font toutes les expéditions & tout le commerce des deux Florides. La Floride eft une poffeffion délicate a maintenir par rapport au fyftême de 1'Efpagne qui ne permet a aucune puiffance de faire le commerce direct, de fes colonies, & n'a jamais vu fans jaloufie cette poffeffion dans les mains d'une autre. D'ailleurs , 1'Angleterre , furveillée par cette puiffance & par les Etats-Unis, ne pouvoit fans s'expofer a des tracafferies conti'nuelles, conferver aucune domination dans cet éndroit; c'eft ce qu'elle a compris non-feulement en cédant a l'Efpasne dans 1'afte des préliminaires la Floride oriëntale, mais en lui affurant encore la libre poffeffion de la Floride occidentale. Cette ceffion auroit été plus naturelle & plus convenable, fi elle eüt été faite aux Etats-Unis, dont les provinces font contiguës a la Floride & terminent a tous égards la pointe fud du continent feptentrional. On fent trés-bien que les Nords-Américains trouvent la Floride ainfi que le Canada trop a leur convenance pour ne pas iiüfir les occafions qui pourroient légitimer leurs droits & arrondir ainfi leur empire. Faffe le ciel que cette acquifition ne foit pas la fuite & le prix de la guerre! H 3  AMËRICAIN. 1=5 TABLEAU de Ia valeur des monnoies d'Angleterre, de Portugal & d'Efpagne qui ont cours dans la SudCaroline, la Géorgie &c. Grande - Brei. i Sui Caroline. Géorgie. L. f. d. L. f. d. L. f. d. s rGuinée. . . . . t. i. o 7., 7. o 1. 3- °> SjEcu -|o. 5. o- 1. 15-0.0. 5.0. "S-SScheling. . . . 0. ti 0. 0. 7. o. o. 1. o. ^ iSix petices. . . .'o. o. 6. o. 3. 6. o. o. 6. {Johannes. . . .3* I2- °- 26. o. o. 4. o. o. Demi-Johannes. . 1. 16. o. i}. 0.0. 2, o. o. Moé'dore. . . . 1. 7. o. 9. ij. o. 1. 10. o. fPiftole. . . . . o. 16. 6. 6. o, o.. o. j8. o. Demi-piftole. . . o. 8. 3- 3» 9t °- o. 9. o. | Piece de 3 piftoles. 1. i",. 0. 12. co. 1. 16.0. Piece de 4 piftoles. 3. 6. o 24. o. o. 3. 12. o. ^ I Dollar CO- • • o 4. 6. r. 12. 8. o. 5- o. ji\Demi-Dollar. .' . 0. 2. 3. o. 16. 3. o. 2.6. «• W dito milled. °- 8. i§ o. 1. o. | Dito un milled. o. 7. 6. 1. o. l§ dito. milled. o. 4. % . . . . Vpiftarine o. 6. 3. . . 10J Dans la Floride oriëntale la piftole vaut, 6f. 6K le Dollar. ... 4- 8. le Johannes 16 dollars. Dans la Floride occident. la piftole vaut 4 dollars. le Dollar. . . . 4C 8*. , le Johannes, 17 dollars. : le Moé'dore. . 6 dollars. 1 CO Le d9llar eft actudlemeut 1'argent repréfentatif du commerce des Etats-Unis, dont le change dirett avec la Francé eft i dollar pour 5 liv. tournois, a 30 jo«rs de vue.  12ó" LE SPECTATE rjR CHAPITRE XV. Tableau ou Balance générale du commerce de la Grande - Bretagne avec fes colonies depuis 1697 a 1773. Tl eft malheureux, fans doute, pour 1'Angleterre, qu'elle ait eu la folie de vouloir fubjuguer un pays que la nature fit pour,être libre, & dont 1'étcndue feule devoit lui paroitre un óbftacle invincible a 1'accomplilTement de fes defleins. Mais, comme il faut aux empires ainfi qu'aux particuliers des exemples qui les frappent pour leur fervir de regie & de legon dans leur condfite, 1'arbitre des deftinées a permis que ce fut une nation fiere de fes avantages, orgueilleufe de fes viétoires» qui devint la victime de fon ambition , & un exemple dans les fiecles futurs pour les puiflances qui feroient tentées d'avilir leurs fujets enlesrendant efclaves. Longtems avant la reconnoiflance de 1'indépendance, mais dans un tems oü 1'Angleterre n'ofoit pas revenir fur fes pas, les Anglomanes les plus ardens étoient obligés de convenir que 1'Amérique étoit a jama'is perdue pour 1'Angleterre: on peut confulter a cot égard un ouvrage qui a pour titre: A view of the evidsnee relative to the conduit of the American warundcr öir William Howe,  SPECTATEUR. AMERICAIN, 1". Paht. Chap. XV. P. 128. BALANCE GENERALE t DU COMMERCE RESPECTIF DE L'ANGLETERRE ET DE t | SES COLONIES DU CONTINENT DE L'AMERIQUE, DEP U I S 1697 J U S £ U'A 1773. , Le compte rendu en parlement des Exportations & des Importations pendant 1'efpace de 77 anne'es nous a paru fi efientiel a notre ouvrage, que nous avons cru devoir en faire un examen particulier pour en tirer un léfultat fommaire. EXPORTATIONS d ANGLETERRE IMPORTATIONS t/iMERIQJJE EXCEDANT des EXPORTATIONS Annèe Commune liv. 77,087,168. 18 f. 65 d. fterlings. liv. 52,753,470. 2 f. iij d. italings. liv. 24,333,789. 15 f. 75 d. fterlings. liv. 316,023. 4 f. 11 d. fterlings. liv. 1,734,463,550. 17 f. 7} d. tournois. (1) Uv. 1,186,953,280. 16 f. 65 d. tournois. liv. 547,510,270. 1 £ 1} d. tournois. liv. 7,110,522. 19 f. loi d. tournois. Mais il eft bon d'obferver que depuis la naiffance de ce commerce en 1697 jufqu'a 1'année 1745 , les excédans des Exportations & des Importations ont été tantöt en faveur, tantót au défavantage de 1'Angleterre. Enforte qu'on peut dire qu'a 1'époque de 1746 ce commerce paroit avoir pris toute fa confiftance, & que les excédans des Exportations Angloifes en Amérique ont été de beaucoup plus fortes pendant ces a8 ans que les Importations de 1'Amérique en Angleterre, comme on le peut voir dans 1'expofé fuivant. EXPORTATIONS ANGLOISES IMPORTATIONS AMERICAWES EXCEDANT des EXPORTATIONS Année Commune en Amérique de 1746 il 1773. EN Angleterre de 1746 a 1773. d'Ancleterre en Amérique en 28 ans. Ces excédans d'Exportations répondent a liv. 53,622,400. — f. 3 d. fterlings. liv. 27,936,613. 13 f. 1 d. fterlings. liv. 05,685,786. 7 f. 2 d. fterlings. liv. 917,349, 10 f. 3 d. fterlings. ou ou ou ou H£" 1,206,504,000. 5 f. 1 ij d. tournois. | liv. 628,573,807. 4 f- 4-t d- tournois. liv. 577,930,193. 1 f. 3 d. tournois. liv. 20,640,364. — f. 7-c d. tournois. Comme nous avons pris collectivement toutes les Colonies Anglo-Aniéricaines, que notre but dans les Tableanx ci-deffus, eft de n'appliquer le réfuitat de nos calculs qu'aux feules Colonies indépendantes, il feut déduire de cette fomme da -liv 917>349- 'o f. 3 d. fterlings. ou liv. 20,640,364. - f. yi i. tournois, 1'excéJant des Exportations d'Angleterre dans les colonies indépendantes; favoir: la Baie d'Hudfon, le Canada, flfle Si. Jean, le Cap-Breton, Terre-Neuve, Ia Nouvelle-Ecofe, les Florides, formant enfentble, année commune, un Excédant de liv. 173,650. 3 f. 3 d. fterlings. 0u liv. Jijxy.isa. 13 f_ ij-d. tournois, & donnent pour le véritatle cxcc.ia'it des Exportations de la Grande-Bretagne dans ces colonies «StteM ,.,'.„,. ,. , , > liv. 743,699- 7 f. — d- fterlings. ou liv. 16,733,235. 7 f. 6 d. tournois; lement indépendantes un fokle annuel pour la Mere ■ Patrie de . . j ' • ' == pour le payement duquel les Américains retiroient de leur commerce direct avec la midi de 1'Europe, les Indes occidentales & 1'Afrique un folde en leur faveur d'environ trois-eens mille livres fterlings, il en juger par celui qu'ils firent en 1769, fuivant un tableau qui fut fait dudit commerce fin les regiftres particuliers de chaque province. EXPORTATIONS IMPORTATIONS EXCEDANT TOTAL des Colonies Amêricaines en 1769 des Colonies Amsricaines en 1769. D E S E X P O R T A T l 0 N S Aux Indesoccidentales. liv. 758,574. af. o*. fterl. Des Indes occidentales. liv. 800,427. 8r- —d. ftei-1. En Afrique 20,273. 5. 1. De 1'Afriqne. . . . 155.613- — — des Colonies Américainesch i 769. Au midi de 1'Europe. 657,577. 6. 6. Du midi de 1'Europe. 82,657. i. 6. Liv- 1,436,429. 16. 4. Liv. 1,038,697. 9. 6. liv. 397,732. 6 f. 10 d. fterlings. 0u liv. 8,948,977. 13 f. 9 d. tournois, dont il faut déduire 1'excédant du commerce particulier des colonies qui font reftées foumilès a 1'Angleterre; telles que Terre- Neuve, le Canada, la Nouvelle - Ecojje 5c les deux Florides qui font enfemble un objet de. . . liv. 99,713. 11 f. m d. fterlings. ou liv. 2,243,555. 2 f. 2 d. tournois, folde en faveur du commerce des colonies indépendantes avec 1'Europe, 1'Afrique & les Indes occidentales. . . liv. 298,018. 15 f. 7\ d. fterlings. ou liv. 6,705.422. 1 TT~~7 d. wurm*. Du réfuitat de ces tableaux', il paroit que 1'Angleterre, comme corps particulier, indépendamment d'une femme de . liv. 2,912,821. 18 f. 4 d. fterlings. 011 liv. 65,538,492. 13 f. 6 d. tournois, qu'elle mettoit annnellement en circulation, depuis 1746, dans fon commerce avec les colonies indépen. dantcs, tant Importations qu'Exportations, retiroit annnellement un folde en fa, faveur, de . ... h'v. 743,699. 7 f. — d. fterlings. ou liv. 16,733,245. 7 f. 6 d. tournois. Ce folde augmentoit dans la même proportion fes ricliefles & fon induftrie, tandis que d'un autre cöté, comme corps pelitique & chef de 1'état, 1'Angleterre participoit aux bénéiices généraux que les colonies indépendantes faifoient avec les autres pays, commerce étendu, & plus utile fans doute que celui que les Anglois faifoient avec elles, paree que fans cela les Colonies-Unies n'auroient jamais pu payer leur dette a la métropole. Cette detre auroit confidérablement augmenté fi 1'excédant des Exportations ent continué d'être en faveur de 1'Angleterre. Si 1'on ajoute au béncfice annuel attaché a cette circulation, la perte pour le fisc public, h perte de propriété, d'induftrie nationale, de concurrence & de prépondérance dans les marchés de 1'Europe, de reffource dans le commerce des particuliers, donr les Etats-Unis vont s'-enrichir au fein de la paix & de la libertè; on fe fera aifément une idéé de ce que coute ^ i*Angieterre 1'indépendance des Américains.   L E SPECTATEUR AMÉRICAIN. Seconde Partie. GHAPITRE. £ Des Colonies, L'histoire des fociétés nous apprend que Ia civilifation s'eft étendue de 1'orient a 1'occident, de 1'Afie vers 1'Afrique & 1'Europe, & de 1'Europe vers 1'Amérique. C'eft ainfi que la fondation des colonies a fuivi prefque pas - a-pas les progrès de la civilifation. Les récits authentiques des évenemens les plus reculés paroiffent indiquer que les peuples de l'Afie commencerent a fe rendrc fameux par des établiffemens formés fur la cóte oriëntale de la mer méditerranée, qu'ils répandirent des colonies dans la plupart des ifieS & fur plufieurs cótes de cette mer, qu'enfm ils introduifirent des peuplades ou tout au moins l'art de la culture jufque dans la Grece. De la Grece les colonies fe font étendues vers 1'jtatte» ou la Sicile: & de Tltalie les Romains en ont enƒ/. Part. A Origim les col*, mis.  I-itir ut. lüi. Ltt plus ancier.ne conmie. 2 Lespectateur vöyé jufqu'aux frontieres occidentales de leur empire. Depuis la deftrué/tioh de Pempire Romain en Europe jufqu'k la décóuverte de 1'Amérique & des Indes, 1'établiffement des colonies paroit avoir été inrerrompu. La barbarie & 1'ignorance qui couvrirent toute 1' urope k cette époque, 1'empire qu'ufurperent la fuperftition & 1'erreur fur les efprits, arrêterent toutes les en • treprifes qui auroient pu contribuer k perfedtionner, a éclairer 1'efpece humaine. ■ Des pays dévaftés & dépeuplés par les maux de la guerre ne pouvant offrir aux conquérans qu'une poffeffion iiérile, il étoit néceffaire qu'on y envoyat des colonies pour les cultiver & les repeupler. L'hiftoire des colonies n'eft que 1'hiftoire des ufurpations: & fi de telles fondations ont contribué k la gloire & k la puiffance des Phéniciens, des Grecs & desRomains, elles ont été auffi la caufe première de leur décadence & de leur chüte. Carthage, qui ne fut au commencement qu'une fimple colonie p'hénicienne, devint par fon commerce & par le fentiment lc plus exaltédel'amouf de la patrie & de la libertè, une ville fi floriffante & fi confidérable, qu'elle comptoit 700,000 habitans '(0 & plus de trois eens villes fous fa ïurifdidion cn Afrique. c'eft de toutes les colonies ccllc qui a ;joué le plus grand róle; auffi les Romains mirent toute leur gloire, employerent toutes leurs reffourecs & leur force k la détruire. ii eft k préfumer qu'elle auroit été viètorieufe, même de 1'empire romain, fi elle n'eüt pas (t) Stwb, liv. 17.  AME1ICA.IN. 7 eft un moycn sur de fe procurer les aifes de la vie. Deplus, 1'établilTeraer.t d'un commerceavantageux entre les colonies & la métropole procurc a toutes les deux des reiTources infinies& devient une caufe permanente de •profpérité , fi la métropole fait conferver le mérite dc fes bienfaits, & ne les met pas k un prix trop haut. A 4  $ LE SPECTATEUR La Vèerti ejt un mm yuüe de fens dans les états cvjup(tns PHAP1TRE II. De la Libertè Américaine. C3hez tous les peuples de 1'univers l'amour de la libertè paroit 1'avoir emporté fur celui même de la patrie; 1'un a toujours produit des héros, le plus fouvent 1'autre a fait des victimes. Rarement on a vu facrifier la libertè a la patrie, trèsfouvent la patrie a été facriliée k la libertè. Ce fentiment eft fi vif & fi naturel en 1'homme, que, s'il n'eft flétri, éteint même dès fa naiiTance fous 1'empire du defpotifme & de la tyrannie, 1'homme préférera plutót mourir libre que vivre efclave. Ce n'eft point dans nos monarchies ni dans la plupart de nos républiques modernes qu'il faut chercher cet amour exalté de 1'indépendance: leg premières en féduifant par le fafte qui les environne, contribuent k énerver les coeurs fous les charmes dangereux de la molefie &del'indolence. Les fecondes, efclaves elles - mêmes de 1'eprit de parti qui les divifent, fe difputent pour la libertè fans favoir en jouir. S'il eft un peuple fur la terre qui ait fu garantir & conferver fes privileges contre toutes les atteintcs, c'eft fans doute chez lui qu'il faut puifer des exemples de la véritable libertè: & ce peuple, quoiqu'il commence k dégé-  AMERICAIN. 9 ncrer, eft le peuple anglois. Dan la paix comme dans Ja guerre, fous des rois féroces comme fous des rois, jmbécilcs, dans des mpmens de fervitude comme dans des tems d'anarchie, il réclama fans cefle fes droits: on la vu détröner, décapiter fes rois pour avoir voulu les enfreindre, ou livrcr ia tête fous la hache des bourreaux plutöt que d'y renoncer. II étoit naturel que ce peuple en fondant des colonies cn Amérique, portat fes principes au-dela des mers, & que les mêmes idéés fe tranfmiflent k leurs enfans. Les Anglois d'Europe devoient donc penfer que c'étoit attaqucr leurs proprcs droits, & blefler leurs principes, que d'attaquer ceux des Anglois d'Amérique, qui, après avoir adopté les maximes de leurs ancêtres, après en avoir fu faire le fondement & la bafe de leur conftitution, ne fouffriroient jamais qu'on les détruisit. L'Amérique feptentrionale va devenir le berceau de la libcné du Nouveau-Monde, mais il) faudra bien des fecouflès a la partie qui refte; efclave, avant qu'elle fuive un tel exerr ple. Rien n'eft plus propre k nourrir dans les Américains les germes heureux de la libertè , que le fol qu'ils habitent. Difperfés dans un continent immenfe, libres comme la nature qui les enyironne, parmi les rochers, les montagnes, les vaftes plaines de leurs déferts, au bord de ces forêts oü tout eft encore fauvage, & ou rien ne rappelle ni la fervitude, ni la tirannie de 1'homme, ils lèmblent recevoir de tous les objets phyfiques les legons de la libertè & de 1'indépendance. Ce n'eft point comme -en Europe oü 1'on voit 1'efclavage ?ffis au milieu des vices, des richefles & des arts, A j nflaeaci 'e larévo'UVM fur c rtfle ae 'Amiri\ue.  10 LESPECTATEUR JAS dmé ricains uxd mal & propos de parefe oü le fanatifme & la fuperftition rétrécifient les cceurs, oü la baffe flatterie forme & carefle les tyrans. Tout y porte 1'erapreinte de 1'homme libre & vertueux. Dailleurs, ces peuples continuellement livres k 1'agriculture, au commerce & k des travaux utiles, ne peuvent que conferver leurs mceurs & leur énergie. Plufieurs écrivains ont répété les uns après les ■ autres que les Nord - Américains étoient parcsfeux.- j'ofe d'autantplus élever la voix contre une alTertion auffi injufte,que ce préjugé commence a gagner le plus grand nombre de ces efprits fuperficiels qui croient volontiers fur parole. Qu'on examine Washington k la tête de fon armée, fans ceffe actif, fans cefle vigilant, le foldat coucher fur la dure au milieu des champs, & dans la faifon la plus rigoureufe, faire des marches longues & pénibles fans fe plaindre, fans murmurer. Qu'on réfléchiiTe que la grande révolution qu'ils viennent d'opérer exigeoit des efprits fans cefle tendus, fans cefle occupés k la conduire k fa perfection, des loix k former, des précautions infinies k prendre, & 1'on verra 11 cet ouvrage eft celui d'un peuple indolent & parefleux. A peine ont-ils élevé un temple k la libertè qu'ils en erigent un autre aux fciences. De tels hommes fonc encore bien éloignés de la pauvreté , du luxe & de l'excès des befoins. En fuppofant pour un moment que les Américains font indolent plutöt que pareffeux , leur indolence viendroit de ce qu'ils ignorent encore 1'indigence: mais quand, a la fuite du luxe dont elle eit la compagnc infcparable, elle fe fera fait fentir a ce peu-  AMERICAIN, ii ple, ü deviendra moins indolent & plus laboneux. N'anticipons pas les tems , & ne diminuons pas le mérite des Nord-Américains par nos fuppofiüons ; non-feulement nous n'avons pas le droit dc lesjuger,- a peine fommes-noas en état d'apprécier & d'imiter leur courage, leur patience & leur vertu.  LE SPECTATEUR Nouveau fyjlême de poliligue. occafiotwé par 1'indépendance. 1'exê'U' üou des grands 'proiets dépcnd de lo prnience Sduginit CHAPITRE lil Réflexions fur Plndépendance Américaine. HJn des plus grands & des plus me'morables évcnemens de ce fiecle eft fans doute 1'indépendance américaine. Toutes les puilTances de 1'Europe ont été en fermentation, & cette explofion a caufé un meenette prefque général: la guerre s'eft allumée de toutes parts; les ports mêmes les plus éloignés de PAfle en ont reflcnti la commotion, Cette révolution étonnante & rapide a changé le fyftême politique & mercantille de 1'Europe. Les Faftes de 1'Angleterre atteftent que depuis fon sxiftence elle n'avoit jamais éprouvé une fituation plus critique. En efFet, rien ne pouvoit arriver le plus facheux pour elle que 1'indépendance de res colonies d'Amérique; prefque toutes les branches de fon commerce en fouffrent, & cette fcisfion brife a jamais dans fes mains le fceptre des mers qu'elle avoit ufurpé. Mais en même tems, rien de plus heureux pour les autres puilTances maritimes & pour la nouvelle république qui /ient de fe former. S'il eft beau de lever 1'étendard de la hberté & de s'affranchir des vexations du defpotiöne, il efl: dangereux auffi de 1'entreprendre, a moins qu'un fentiment intime de confïance, fondé fur la juftice des réclamations, n'exaltedans 1'efprit du peu-  pre le befoin d'une révolution préparée en fecret paf la politique prudente & réfléchie des chett ?ui la méditent. Alors cette **r^*£& rant générale, on tenteroit envain d'en détruirc les principes & de foumettre un peuple pareu aux loix de 1'ancien gouvernement qu il yeut abjurer. Tel eft le point de vue fous lequel on doit confidérer la caufe américaine, & le peu de fuccès des armées britanniques dans cette partie du monde. II fe paffera encore bien des fiecles & des fcenes de défolation avant que 1'indépendance des treize Etats-Unis amene celle de toute 1'Amérique: mais elle paroit inévitable. C'eft du conflit des biens & des maux des deux hémifpheres que doit naitre cette fciffion générale qui ébn-nlera les trönes de 1'Europe, en leur faifant perdre les fources abondantcs oü ils puifoient leurs richefles. Le Nouveau-Monde en recouvrant fon ancienne libertè, & plus de civilifation, deviendra peut-être affez rcdoutable pour nous intimider jufque dans nos propres foyers. Les naturels de 1'Amérique ne font fans doute pas fans vices; mais il s'en faut dc beaucoup que la corrupion foit auffi grande parmi eux que chez; les Européens; au lieu que leurs vertus, puifées dans la nature & dans la fimplicité des moeurs, ne font point comme chez nous ou 1'ouvrage de Phypocrifie, ou celui de 1'orgueil. C'eft la vertu fans mélange, fans ornement, telle enfin qu'elle étoit dans les tems heureux oü 1'innoeence primitive de 1'homme n'avoit point a lutter contre i'empire des paffions & le danger toujours renaisfant du mauva s exemple & de la féduttion. Les indi- 1 •enes noins coromp'isiue les Européens  14 LE SPECf ATEtlR. jZfetS heureux de In tolirance. Des fureurs & des dévaftations des Européens dans 1'Amérique il réfultera cependant un bien pour les habitans de ce nouvel hémifphere: Pesprit de fociabilité, le développement des lumieres dans les arts & dans les fciences, fuccédant a 1'ignorance & a la barbarie, les naturels fe rapprocheron: plus entre eux deviendront plus communicatifs, & fe prêteront mutuellement des fecours. Je fais que les arts & les fciences entrainent bien des maux après eux, qu'ils font 1'aliment du luxe, caufe continuelle de la dépravation des mceurs, & dunt il ne faut pas efpérer de s'afFranchir jamais. Mais fi les biens doivent toujours être en équilibre avec les maux, fans qu'il tiennent au pouvoir de 1'homme d'en déranger 1'ordre immuable & éternel, il faut efpérer que les Américains , en général plus fages que nous, profiteront de leurs lumieres & de notre exemple pour fe garantir des vices de nos conftitutions, de nos loix & de nos fociétés. Le tolérantifme paroït déjk faire la bafe fondamentale des loix des Treize-Etats-Unis, & cette fage politique prépare le bonheur & la population de cette république nailTante. Heureux lê peuple qui, après avoir adopté ce principe, s'y tiendra fortement attaché! c'eft par fes mains que s'opérera la grande révolution dont 1'indépendance de 1'Amérique feptentrionale n'eft que le prélude, heureux, dis-je, le peuple qui faifant chérir fon gouvernement) aux indigenes , leur fera quitter leurs retraites pour concourir avec eux a l'-accroisfement de la population du Nouveau-Monde, & k la gloire de brifer k jamais fes fers. Tous les peuples fenfibles & bons doivent defirer que 1'Eu-  americain. 15 rope voie cette révolution fans jaloufie & fans crainte, & que la confidérant comme un décret éternel & inviolable, elle s emprefle d'y donner les mains en facrifiant des prétentions imaginaires que la force lui a données & que la force peut lui enlevcr de même. Laiffons a ces nouveaux peuples le droit de neus apporter leurs produdtions & leurs marchandifes \ laiffons leur 'commerce libre ainfi que leur indus • trie, & que la nation européenne qui les traitera le mieux, foit feule celle qui puifle avoir des droits a leur prcférence; defirons enfin qu'une noble émulation, ainfi qu'une douce fraternité, . foient a j mais entre eux & nous les liens indisfolubles de nos rapports & de nos befoins mutuels. .Les traités de commerce & d'amitié (i) que les Etats-Unis fe propofent de faire avec les puifiances de 1'Europe font fondés iur ces principes -heureux. CO Nons donnerons un précis de ces picces intéreSanres k -!a fin rle cet ouvrage, c'eft un cöde ovi Ie lecteur ponrra pulCer aVcc utilité dans le befoin.  iS LESPECTATEUR C H A P I T R E IV. Lii nature, les caufes, les progrès & les confidètions fur les fuites de la révolution amèricaines. Lu révolu tion amélicaxnen'eft fusceptibleil''aucune comparai fon. ■ 1L/ES fiecles antérieurs ne préfenteht aucun evenement qui ait du rapport a la révolution américaine: c'eft en vain que quelques auteurs modernes fe font effbrcés de la comparer a celle qui ■donna la libertè aux peuples des Pays-Bas-Unis. C'etoït bién comme en Amérique un joug qu'il falloit brifer, mais cette reflemblance de terme eft fufceptible de tant de nuances, de tant d'acceptations différentes, que, pour peu qu'on ouvre 1'hiftoire des anciens Hollandois, on n'y trouvera ni les mêmes caufes, ni les mêmes fecours, ni les mêmes reflburces , ni les mêmes fuceès, encore moins les mêmes opérations politiques & militaires qu'en Amérique : c'eft bien , fi 1'on veut, comme en Hóllande des provinces féparées qui fe réuniflent pour une même caufe & forment énfcmble une confédération pour la fureté de toutes, mais les droits.de ces provinces, la forme de leurs liens refpectifs, le centre auquel elles vont toutes aboutir pour former le pouvoir légiflatif, different en tout de 1'acte d'union des Etats-Américains. Au premier coup d'a'il 1'un paroit calqué fur 1'autre, mais a 1'examen on Voit que les Améri- cains  AMERICAI N. cains ont puifé dans tous les códes pour établir le leur; ils paroiffent avoir étudié dans tous les gouvernemens d'Europe, les moyens d'éviter les vices qui défigurent ces loix , afin de rendre les leurs moins imparfaites; & quoiqu'ils paroiffent avec leurs précautions & leur fageffe pouvoir y réufiir, ils n'atteindront ce mieux , qu'après avoir diffipé les entraves & les difcufiions dont un nouveau gouvernement eft fufceptible. La nation eft bien en général libre, mais comme il importe k la plus fage république de détcrminer jufqu'oü s'étend le droit qu'a chaque citoyen k cette libertè, il eft néceffaire d'en connoitre les limites, d'en affurer la jouiffance en profcrivant les abus. Heureux d'avoir moins de préjugés que nous, les Américains parviendront probablement mieux a concilier la richeffe de leur empire avec la paix, le bonheur & la libertè de chaque individu. Anticiper fur les tems, & les juger défavorablement dans les circonftances a&uelles, ce feroit certainement fe tromper, & leur faire injuftice. 11 en eft de même de la comparaifon qu'on a faite des Américains & des Romains, lorfque ces derniers eurent chafle les rois de Rome : mais nous penfons qu'a plufieurs égards les nouveaux républicains ne font comparables dans cette révolution k aucun peuple ancien ni moderne. II n'eft pas même jufqu'au principe qui leur mit les armes k la main pour recouvrer & défendre leur libertè qui ne foit different. La révolution américaine ne préfente k lefprit ni le befoin d'agrandir fa puiffance , de porter le fer & le feu chez leurs voifins pour en faire des tributaires &desefclaves, ni ces traits de barbarie, de vengeance & de féII. Part, B  na LE SPECTATEÜR Lm Nouvelle - An glderre a /ié le ber ceau cis l, tiyolumr. toire de cette guerre, en retracant les circonftanqui 1'accompagnerent, offrira aux fiecles futurs des exemples frappans de la fermeté, du courage, du défintercflement & de la grandeur d'ame des deux alliés, & une legon terrible pour les fouverains defpotes & pour les miniftres trop préfomptueux. Yoyons maintenant les progrès & les fuites de cette célebre révolution. II n'elt pas indifférent de chercher dans les evénemens anciens qui caractérifent les colonies américaines, fi les germes de cette révolution n'existoient pas déjk longtems avant qu'elle éclatat. II paroit néceflaire de fuivre pas-a-pas ces époques; elles ferviront a mieux aprécier la nation. En 1043 les quatre provinces de la NouvelleAngleterre, MaiTachufet, Nouvelle-Hampshire , Connedticuc & Rhode - llland, qui dans 1'origine Vavoient rien de commun entre elles, formerenc une conféderation fous le nom des Colonies-Unies, pour fe garantir de 1'infurrection & des attaques des fauvages. En vertu de cette union , deux. députés de chaque établifiement devoient fe trouvcr dans un lieu marqué pour y décider des affaires de la Nouvelle - Angleterre, fuivant les instruétions de 1'affemblée particuliere qu'ils repréfentoient. Cette afrociation ne bleflbit en rien le droit qtPavoit chacun de fes membres defeconduire en tout a fa volonté. Cette indépendance anticipée infiuoit jufque fur la métropole: cependant elle avoit eu foin de ne confentir a cette conféderation qu'après avoir ftipulé que ce code nouveau ne blefferoit en rien lalégifiation britannique; & que le jugement de tous les grands criïfiQS. commis fur leur territoire lui ferokréfervé;  AMERICAIN. on établit furtout expreiTément que leur commerce viendroit en entier dans les ports dAn gleterre. Malgré ces conventions & ces obligations, les habitans de la Nouvelle-Angleterre re fuferent de s'y conformer de même que fur d'au tres devoirs moins importans. L'Angleterre au roit déjk dü s'appergevoir que 1'efprit républicair faifoit des progrès rapides chez ces colons , & que fitót qu'ils paroiifoient ne point fe croire liés par ces arrangemens, ils pouvoient fe permettn des libertés plus grandes. L'Autorké du fouverain même n'y étoit plus reconnue que d'une maniere vague, & très-précaire. La province de MaiTachufet, la plus riche & te plus floriiTante des quatre, agiiToit plus ouvertement auffi, & fe permettoit des chofes plus graves contre le gouvernement britannique. Une conduite auffi fiere lui attira -le reffentiment de Charles II: ce prince annulla en 1684, lachartt que fon pere avoit accordée: il établit une adminiftration prefque arbitraire, & pour manifeftet d'une maniere plus éclatante encore fon autorité, il fit lever des impóts pour fon propre ufage. Le defpotifme ne diminua pas fous fon fuccefleur, & le mécontentement augmenta tellement qu'k la première nouvelle de fa deftitution, ils arrêterent fon lieuter.ant, le mirent aux fers & le renvoyerent en Europe. A 1'avenement de G.uillaume III k la couronne, on penfoit généralcmcnt qu'étant élevé dans un pays & dans des principes répubicains, ce prince refpecteroit mieux que fes prédécelTeurs les droits des ckoyens; mais fon regne a montréque B 4 t Le defrol tifme dc Gmllaume UI rimli* les co,"».  £4 LE SPECTATEUR pour bien jugcr les hommes , il faut attendre qu'ils aient déployé l'autorité dont on les inveftit, 6 montré Pufage qu'ils favent en faire. Cc regne fut auffi defpotique que le précédent. Le genre d'adminiftration qu'il introduifit en Amérique ne fit que gêner encore plus la libertè de la province de MaiTachufet. Les quatre provinces de la Nouvelle-Angleterre foumifes k l'autorité d'un feul chef n'étoient cependant pas dirigées avec les mêmes maximes, tandis que le pouvoir de la cour s'appéfantiffoit fur MaiTachufet, il fe relachoit un peu en faveur du Connecticut & de Rhode-Hland qui avoient montré moins de fermeté & plus de foumiffion. La Nouvelle-Hampshire étoit traitée comme MaiTachufet. Une des réclamations les plus fortes des colonies étoit d'obtenir de la Grande-Bretagne les mêmes franchifes pour la pêche de la baleine que fes propres fujets. Les Américains devoient payer un droit de 56 liv. 5 fous par tonneau a leur entrée dans Ia métropole, & quoique ce droit ne s'élevat qu'a la moitié de celui que payoient les propres navires de la Grande-Bretagne, II ne leur en paroilToit pas moins onéreux; & leur efpérance de s'en voir aftranchie fut vaine. En irjoy k ce droit on ofa en ajouter un fecond de 5 fous 7 den. par liv. pefant de fanons; mais cette nou. veile taxe eut des fuites fi funeftes, qu'il fallut Ia fupprimer en 1723, k 1'exception cependant de la pêche du continent feptentrional. A ces réclamations prés, rien ne paroilToit annoncer a PAngleterre forage qui devoit 1'écrafer fous le poids dame guerre inteftine, & la priver  30 LE SPECTATEUR Commcti' cemtnt dc. hoflilitds. Mort g> Warren» Trait har* di tiet hahit ans 'Lc New Tork. . Dans Ia nuit du 18 avril 1775, Gage, comman* dant des troupes royales, fait partir de Bofton un detachement chargé de détruire un magafin d'armes & de munitions qu'avoient les américains h Concorde: elles y réuffiffent; mais k leur retour elles font alTailües par la milice. Quelques mois après fe livrent des combats plus réguliers ,& c'eft dans un de ces combats que le brave Warren devient une des premières vidTimes de la libertè. Le concrès honora fa cendre, & fon oraifon funebre fut pror.oncée avec cette nobleffe, cette énergie & cette décence qui careéterifent des ames libres. En voici quelques traits. „ Le fignal du carnage eft donnè, le falpêtre s'embrafe; la foudre part; elle atteint un héros, il tombe. — Citoyens, il n'eft point mort; non , il ne mourra point; c'eft 1'homme obfcur qui périt tout entier; le grand-homme fe fur vit k luimême dans 1'ame de fes compatriotes.... Approchez, peres & meres de familie , du corps fanglant de Warren; contemplez fes blesrures honorables & funeftes; allez raconter a vos enfans la cruauté des tyrans & les fuites affreufcs de 1'efclavage. Qu'ils s'animent k ces peintures anglantes;;& qu'ils ne forment qu'un cri d'indi;;nation & de vengeance. Donnez-leur des ar- mes envoyez - les aux combats.... ils revien- iront vainqueurs, ou périront, comme Warren, ians les bras de la gloire & de la libertè." Animés par ces exemples, les habitans deNewYork fe fignalerent par un trait hardi, en s'emparant des canons de toutes les batteries'royales. ils monterent la nuit aux retranchemens dans lc  A M E R I € A ï N. 31 plus grand filence; & malgré le feu des vaifreaux de guerre, ils les emporterent en lieu de fureté. Jufqu'alors les Américains n'avoient point eu un corps d'armée réguliere; leurs attaques & leur maniere de fe défendre n'étoient point foumifes aux regies de la taétique ; fans uniforme, fans Cngagemens formels, les Américains ne paroiffoient encore que comme de fïdelescitoyens, de paifibles laboureurs, qui, dansles vêtemens de leur profesfion, quittoient brufquement leurs foyers, leur charue, pour repouffer des aggreffeurs injuftes & une foldatefque méprifable. Cependant 1'amour de la libertè, la confiance dans la bonté de leur caufe les rendent tous foldats; inftruits par quelques défaites, ils apprennent a leur tour a vaincre. La nécelTité de repouffer vivement 1'ennemi avec des fuccès plus foutenus, plus éclatants, infpire au congrès d'affembler une armée; chacun veut s'cnröler; tous veulent partager le fort des combats , vaincre ou mourir pour la libertè. Mais il falloit a ce corps donner une ame pour en diriger ies mouvemens, & le choix heureux que 1'on fit de George Washington, juftifia pleinement 1'efpérance de la nation. II eft devenu lc Fabius de 1'Amérique, & comme un autre Cincinnatus, nous le verrons fufpendre fon bouclier & fes laüriers aux arbres que fa main avoit plantés, & reprendre avec autant de nobleffe & de fimplicité fes délaffemens champêtres, qu'il les avoit quittés avec courage & générofité pour le falut de fa patrie. Mais reprenons le lil des évenemens, nous reviendrons enfuite a ce grand homme Washington a la tête de fon armée, voleaMasfachufct, preffe, enferme 1'ennemi dans Bofton, W::shintTton el! nummi ainiral de l'artnée Americai' ne. 11 deliyre Roflon Hf  32 LE SPECTATEUR mille ho». mes af uit Mions d deux arsnüs* Jrlde qu'c doit avo des siittél ictiits. P revier, chefs de reyokitio & force enfin fix mille foldats a fuir: Bofton eft 'évacué le 24 mars 1776. Cette victoire fut le falut de la patrie, & le préfage heureux d'un triomphe conftant. Le vceu général de 1'indépendance fut accéléré, & le congrès, profitant fagement de cette heureufe circonftance la prononga folemnellement le 4 juillet 1776, jour mémorable oü les colonies briferent le joug & rompirent tous les liens qui les uniflbient k PAngleterre. •s Si Pon examine avec impartialité les premières opérations des deuxarmées, on verra que fi les Bretons ont triomphé k Brooklyn, k Cambden, les fuccès furent balancés k Brandy-wyne, équivoques k Bunkershill, k White-plains, k German-twon, & que les Américains ont été inconteftablemcnt viétorieux a Benington, k Nantasket, k Still-water, a Beaumont-edge, k Saratoga & k Kings-mountain &c. &c. n Les habitans de 1'Amérique feptentrionale ne Tont point ces Américains ignorans qui, comme affedtoicnt de le dire les Anglois dans leurs papiers , combattcnt machinalement pour la libertè, fans pouvoir repréfenter leurs droits & juftifier leurs actions: c'eft au contraire un peuple chez qui la philofophie a répandu fes heureufes influences. Des que le Congrès eut prononcé l'afte de 1'indépendance, on vit fortir auffi tot de la prefie des ouvrages qui tendoient k développer aux nations policées la juftice de la caufe américaine & la néceffité de tout facrifier plutót que de 1'abandonner. ; Les principaux acteurs de cette révolution mé,ömorable furent le doéteur Franklin , Hancok , "Washington & les deux Adams; ils ne furent pas les  35 LE SPECTATEUR C'eft ce pofte que le génc'ral américain vouloit furprendre & attaqucr; en conféquence il traverfe la Delaware, dans 1'épaifieur de la nuit & dans les horreurs d'une tempête a travers la neige & les glacés. A peine eut-il pris fon pofte dans ce lieu, avant même que les difterens partis de milice qu'il avoit détachés ou qui étoient encore en route fuflent rafièmblés, que les Bretons laiffant derrière eux une forte gamifon a Prince-town, firent une marche fubite & entrerent a Trenton par le quartier fupe'rieur au nord-eft. Un parti «'Américains engagea une efcarmouche avec 1'avant- garde britannique , pour donner le tems d'enlever les munitions '& les bagages, & profiter du pont pour fe retircr. En peu de tems les Bretons fe virent maïtres d'une moitié de la place, & Je général Washington de 1'autre: la crique feule féparoit les ennemis. Jamais fituation ne fut plus délicate, & fi jamais Ie deftin de 1'Amérique dépendit de 1'évenement d'une journée: ce fut la le moment critique. La Delaware charrioit des maffès enormés de glacé; on ne pouvoit plus la traver (èr; toute retraite en Pénfylvarné étoit coupés. D'ailleurs, quelle pofiibilité de palier un ficuve'de cette largeur en préfence de 1'ennemi ? Des chemins rompus & couverts de neige, tous les défilés gardés, les Américains fembloient ne pouvoir fortir de ce pofte qu'avec la mort ou la honte d'une défaite. Sur les quatre heures, les Anglois s'approcherent du pont pour s'en emparer; 'mais ils furent repouffés; & quoique le paffage de la crique entre la Delaware & le pont fut facile, Pennemi n'ofa  AMERICAIN. 37 plus former d'entreprïfe. Ce fleuve roule fes eaux fur un lit naturellement irrégulier & raboteux, & dans quelques endroits une perfonne peut le franchir aifément; cependant il eft en général très-profond & fon cours très-rapide. Le foir approchoit, & les Bretons, fe Bant trop aux circonftances, fe préparoient a jouir le lendemain d'une viótoire fignalée , la prife du général leur paroiflant afïïirée; mais ce kndemain devoit avec 1'aurore déconcerter les Anglois & préparer une fcene auffi brillante qu'inattendue. Les Anglois étoient fous les armes & préts k marcher a 1'attaque , lorsqu'un foldat de leur cavalerie légere arriva a bride abbatue de Prince-town, dans les rues de Trenton, apportant pour nouvelle que le général Washington avoit attaqué ce matin même & emporté le pofte britannique de Prince-town, déjk même étoit en route pour enlever le magafin de Brunswick. A cette nouvelle, les Bretons, qui fe préparoient k fondre fur le camp des Américains, font comme frappés de la foudre; ils jetournent en arriere, & dans un accès de consternation, ils marchent vers Prince-town. Les fiecles futurs feroient tentés de regarder comme une fable une retraite auffi finguliere, fi elle n'étoit conftatée dans les faftes du NouveauMonde. Cet événement doit être placé au rang des cas les plus extraordinaires de la guerre. On aura peine a croire que de deux armées, dont les mouvemens étoient prêts de produire des évcnemens d'une conféquence auffi grande, renfermées dans un efpace auffi refferré que Tien» ton, 1'une des deux k la veille d'un engagement décifif, lorfque toutes les oreilles doivent être C3 Retraite ■élebre.  gS LESPECTATEUR ouvertes, tous les poftes exacTement gardés, ait. pu abandonncr la place auffi completterxient avec tout fon bagage & fon artillerie, fans que 1'autre s'en foit appergue , fans même en avoir eu des foupgons. Les Bretons étoient cetté;nuit dans une fécurité fi grande, qu'au bruit du canon & de la moufqueterie entendu de Prince - twon, ils crurent, quoiqu'au milieu de 1'hiver, que c'étoit le tonncrre. Le héros de 1'Amérique, rfin de mieux couvrir & mafquer fa retraite de Trenton, avoit fait allumer des feux au front de fon camp en forme de ligne. Ces feux fervirent non-feulement a faire croire que les Américains alloient fe livrer au repos,- mais encore a éclairer leurs opérations & les cacher a 1'ennemi en prolongeant cette erreur. On fgait que la flamme n'a pas plus de tranfparence qu'un muraiile; on ne peut voir k .travers: effectivement les Anglois n'appergurent rien de ce qui fe paffoit derrière: & 1'on peut dire a cet égard que cette flamme fut une colonne de lumiere pour les uns & un voile épais pour les autres. Les Américains firent une marche circulaire d'environ fix lieues pourfgagner Prince-town, oü ils arriveTent k la pointe du joar. Après avoir fait deux k trois eens prifbnniers, Washington fe retira, & lorfque les Anglois y arriverent il y avoit déjk une heure qu'il èn étoit parti. Ces infatigables & braves guerriers ne ralentircnt point leur marche; ils la continucrent toute la journée, & le foir ils camperent dans un pofte avantageux k environ quatre lieues & demi de Prince-town, & loin de la grande route qui conduit k Brunswick. Mais ils étoient dans  AMERICAIN. 39 un tel épuifemcnt •, leur fervicc avoit été fi continu ; ils étoient fi harraffés d'une fatigue de deux jours & d'une nuit, d'aétions qui s'étoient fuccedées fi rapidement, fans abri & prefque fans aucun rafraichiiTement, qu'ils s'eftimerent heureux de pouvoir fe repofer fur la terre encore glacée, & fans autre couvert que le ciel. C'eft: ainfi que les Américains fermerent glorieufemcnt cette campagne & réparerent tous leurs défaftres précédens. Le congrès retourna a Philadelphie, les efprits reprirent courage , 1'armée de Washington s'augmenta, les affaires des Américains changerent de face, & combierent de joie tous les véritables amis de la patrie & de la libcrté. C'eft: a peu prés h cette époque que le congrès ordonna que 1'on fit frapper des médailles pour récompcnfer le courage de ceux quiavoient leplus contribué aux viétoires brülantes des Américains CO'> mais 11 n'a Pas avili cette diftinaion honorable en la multiplant. Pendant neuf années de guerre, M. de Flcury eft le feul étranger qui Pait regue. Et il n'y a eu en tout que huit me- fi) La cour de France & les Etats-Unis viennent, dit-on ,de donner leur fanéïion i 1'idée de créer fous le nom de Cindnnaias un ordre militaire dont le général Washington fera le grand-maitre ; il ne fera permis qu'aux véritables défenfems de la libertè d en p,rter la décoration. On affi.re que Ia modeftie du moderne Fabius a eu de la peine a fe dé:erminer a acceprer cet hommage; il fait que daus une république oü tous les hommes font égaux, les diflinftions particulieres peuvent produire des nuages lur la brmheur & le repos public ; mais ente décoration n etam pomt héréditaire en Amérique, elle ne fauroit prelager rien de d-tavorable pour les chevaliers aftuels; les militaires porteront le cotdon a la boutonuiere & les autres en fautóir. C 4 MiiaiUet frappics pal ordre du congrès  LE SPECTATEUR. VinUpendamt reconnuepatles ElaiS' généraux. bonheur de leurs fujets, fe déciderent a reconnoitre comme la France, les Etats-Unis libres & indépendans. Cette déclaration fe fit Ie 19 avril 173a. Ces deux républiques contraclcrent enfuite enfemble un traité de commerce & d'amitié, fjgné le 7 oftobre, & ratifié le 23 juin 1783. La reconnoiflance univerfelle dc cette indépeniance en Europe devant être la bafe de la paix, il faut efpérer pour le bonheur de l'humanité,que toutes les puilTances (e réunironc bientót pour concourir a cette fin heureufe, & couronner jinfi glorieurement la révolution américaine du prix de la libertè.  AM.ERIC AIN. 4j CHAPITRE V. Portrah -du général Washington. Que n'ai-je regu efl nailTant le génie & 1'éloquence des célebres orateurs de la Grece & de Rome! Que ne puis-je dérober un inftant leur pinceau pour traccr rapidement le portrait du plus grand homme que 1'Amérique ait vu naitre, & un des plus célebres qui aient jamais exifté! Avec quelle énergie, avec quel enthoufiafme ne parlerois-je pas de fes brillantes vertus! Quel eft 1'homme qui fera jaloux des hommages que je lui rends? Quel eft 1'homme qui pourra les taxer de flaterie? Nous ne fommes plus dans ces fiecles barbores oü 1'on encenfoit les tyrans , & oü 1'on ofoit appeler du nom de héros, des hommes qui avoient tous les vices, & que 1'on redoutoit trop pour offenfer. Nous ne fommes plus dans ces fiecles oü des fouverains cruels avoient des écrivains k leurs gages pour pallier leurs crimes, & leur fuppofer des vertus. Notre fiecle plus éclairé nous préfente dans 1'hiftoïre les fouverains & les hommes tels qu'ils ont été: Ia vérité en eft le caractere. La vénération publique pour le général Washington eft le fruit précieux de 1'examen le plus févere de fa conduite. Jaloux de fa gloire & des fulïrages de fes contemporains, il en jouit  Qiialiids & lahns tie Washington. LE SPECTATEÜR Washington coule des jours fans nuages au feiti du repos, de 1'honneur, & de la vénération publique. Quelquefois la nature met dans un corps débile 1'ame d'un héros ; mais quand on parle des brillantes adtions d'un homme dont on ignore les traits & la ftature, on aime a fe peindre cet homme doué de tous les dons de la nature, & 1'on fe plait a croire que fes traits portent 1'empreinte du génie qui le diftingue & 1'éleve au deffus de fes femblables, Perfonne n'eft plus fait que Washington pour entretenir cette opinion. Une taille avantageufe, noble & bien proportionnée, une phyflonomie ouverte, douce & tranquile, mais telle qu'on ne pariera en particulier d'aucun de fes traits, & qu'en le quittant il reftera feulement le fouvenir d'un bel homme & d'un belle figure, un extérieur fimple & modefte, un caracïere infinuant & ferme fans rudefie, un courage male, une pénétration peu commune pour faifir 1'enfemble des chofes foumifes a fon jugement, une expérience confommée dans la guerre & dans la politique ; également grand, également utile dans le cabinet comme dans les champs de Mars, 1'amour dc fa patrie, 1'admiration de 1'ennemi qu'il fait combattre & vaincre; modefte dans la victoire, grand dans les revers, que dis-je les revers! bien loin d'en avoir été abattu, ils les a tous fait tourner a fes fuccès. II fait obéir comme il fait commander, & n'a jamais fait fervir fon pouvoir & la fimmiffion de fon armee, pour déroger aux loix de fa patrie, ou changer les ordres qu'on lui donnoit. Habile dans l'art de connoitre les hommes, il a fu gouverner en paix des  AMERICAIN. 49 des hommes libres & par fon exemple, fon a&ivité, fon énergie, il leur a fait aimer la gloire & les périls,malgré 1'apreté du climat & les rigueurs de 1'hiver. Le foldat, jaloux de fes éloges, redoutoit jufqu'a fon filence ; jamais général n'a été mieux obci ni mieux fecondé. Plus jaloux de la gloire de fa patrie que de la fienne(i), il n'a jamais rien rifqué au hazard ; fes opérations marquées au coin de la prudence avoient toujours le falut de la patrie pour objet unique; il paroilToit ne vouloir tenir fa gloire que d'elle feule : fa maxime fut toujours de gagiièr du tems, d'être fur la défenfive; fans attaquer 1'ennemi en face, il a fu le harceler, épuifer fes forces par des excurfions , des furprifes dont un grand homme peut feul apprécier Putilité. Comme Camille il quitte les charmes de la vie champêtre pour voler au fecours de fa patrie; comme Fabius, il la fauve en ternporifattc (2); comme Pierre le Grand, il triomphe de fon ennemi par Pexpérience de fes défaites. II n'eft pas un particulier , un monarque même en Europe qui n'enviat la gloire d'avoir joué un röle auffi brillant que Washington. On dit que le roi de Prune en lui envoyant une épée mit cette feule adreffe: Le plus grand général de P Ancien - Monde au plus grand général du Nouveau- Monde. Sijamaismortelajoui pendant fon vivant de toute faréputation, fi jamais citoyena trouvé dans fon (1) Voyez a la fin ds cet ouvrage fa lettre circulaire oü ;1 s'eft peint lui -même. (2) Unus homo nobis cun^ando reflituit rem. II. Part. D  AMERICAIN. 51 UilAi'i 1 sa. & »*• TABLEAU CllRONOLOGJ&UE des êvènemens les plus remarquables dans la guerre de la Hévolution américaine, depuis le 16 décembre 1773 au 16 avril 1783 inclujïvement. 1773 I 16 Décemfa. J Deftrufbion de Ia compagnie des Indes Orientales pour le thé i Bofton. 1774 1 Juin j Bofton bloqué. 5 Septemb. Le congrès fe fïxe a Philadelphie. 1775 19 Avril Bataille de Lexington. 17 Juin Bataille de Bunker-Hill. 2 Novemb. Reddition de St. Jean. 12 .... Reddition de Montréal. 31 Décemb. üéfaite & mort du général Montgoj mery a Québec. 1776 17 Mars I Evacuation de Bofton par les troupes I Britanniques f*). 28 Juin I Bataille de 1 ifle de Sullivan. 4 Juiilet Les Colonies américaines déclarées par le congrès Etats-Indépendans. 27 Aoót Bataille de 1'Iflc- Longue. 15 Septemb. L'Armée britannique évacué Ia ville de New-York. 29 Novctsb. Reddition du Fort-Washington aux Anglois. C*) Les étoiles indiquent les aflions pour lefquelles les Etnts ■ Unis ont accordé des médailles. D 2  3> LE SPECTATEUR 1716 1777 Ï778 1779 1780 i78r ! 26 Déceinb. Défaite des Heffois a Trenton. 3 Juin Bataille de Prince- Town. 16 Aout Bataille de Bennington. 11 Septemb. Bataille. è Brandywine. 4 Oftobre Bataille de German-Town. 7 . . . Bataille de Still-Water. 17 ... L'Armée Britannique fous le général Burgoyne faite prifonniere 1 Sara. toga, par le général Gates. 6 Février Alliance conclue entre la France & PAinérique. 28 Juin Bataille de Monmouth. 22 Aoüt Bataille de Rhode-Island. 7 Septemb. Prife de la Dominique aux Angloiï par les Francois. 7 Ocïobre Prife de Pondichery par les Anglois. 13 üécemb. Les Anglois prennent Ste. Lucie. 11 Février Les Francois prennent St. Vincent. 5 Juillet Prife de la Grenaile par le comte d'Eftaing. 16 ... La garnifon anglaife faite prifonniere a Stoney-Point parle général Waine. 18 Aoüt Surprife de Powles-Kook par le co!o- nel Lée. 0 Oftobre Aflaut inftru&ueux fur Savannah par Ie 'comte d'Eftaing & le général Lincoln. 12 Mai Capitulation We Charles-Town. 23 Juillet Bataille de Springfield. 16 Aoïit Bataille prés Cambden dans la Caroline^ Méridionale, 20 Décemb. Hoftilités par ordre du roi d'Angleter. re contre les Provinces-Unies des Pays-bas. 4 Janvier Ouverture de Ia banque de 1'Amérique a Philadelphie.  AMERICAIN. 57 Je laiffe aux hiftoriens du pays le foin de tracer a la poftérité quel a étéle principe, lc but & le réfuitat de la politique des Pays-bas-Unis pendant cette guerre ; ces difcuffions ne font point de raon fujet. Mais il me paroit que la Hoüande n'a pas ofé ou voulu faire tout ce qu'elle auroit pu, ni tout ce qu'elle devoit k elle-même & aux autres: auffi les nations belligérantes profitant de fon irréfolution , de fes Ienteurs, autant que de fa foibleffe, lui ont impofé des conditions qu'elle n'a pu refufer, malgré la juftice & la validité de fes repréfentations. Si la Hollande n'a pas foutenu fes droits contre fes ennemis, fi elle n'a pas fecondé ouvertement & courageufement les projets des fes alliés, fa conduite envers 1'Amérique mérite des applaudisfemens. D'abord tranquile fpectatrice des premières opérations militaircs de 1'Amérique, elle attendoit le moment favorable de fe déclarer poui la caufe américaine & s'alfurer un avamage réel en reconnoiffant 1'indépendance. 11 fe peut que 1'état ait eu quelque répugnance k conlèntir at defir unanime des négocians; mais le befoin d< ménager cette reffource fi précieufe &fi néceflairt au commerce, le danger de réfifter trop longtem; aux follicitations des Etats-Unis, la néceffité dc fuivre 1'exemple de la France, de faire caufe com mune avec elle, de fe venger des dévaftations du pillage & des brigandages commis par 1'An gleterre dans fes pofieffions d'Amérique & dc: Indes, d'accélérer finalement le grand ouvrage d< la paix, ont été tout autant de moüfs preflam D 5 Motifs de lc. Icntiur ,Us Hóllandois & ruwtntftre Clndi* pet'.dance. i  j8 LE SPECTATEUR Këcriftié aux Américains & mix Hollandoh it fe conferver une tmliii réciproiue. pour former un traité de commerce & d'amitié entre les deux républiques. Ainfi en reconnoifiant 1'indépendance des Américains , la Hollande ne pouvoit agir avec plus de fagefle , puifqu'elle déféroit en même tems aux vceux de la nation. Mais cela nefuffit pas: il faut établir une confiance réciproque. Nos richefles & notre crédit ne peuvent manquer de nous attirer celle des Américains. Ils n'ignorent pas que la plupart des emprunts qu'ils ont faits fe font négociés & concius a la bourfe d'Amfterdam, & que ceux qu'ils devront néceflairement faire encore, s'y négocieront de même. En leur montrant notre confiance & notre zele, notre amitié leur deviendra plus- précieufe & nous ne tarderons pas a nous appercevoir combien la leur peut nous devenir utile. Dans peu 1'on verra s'établir entre les nations une correfpondance qui, ayant pour bafe une confiance & une amitié réciproques, fera circuler entre elles les tréfors des deux mondes. Ne craignons pas de le répéter: il eft vifible que la Hollande tirera un parti confidérable du con merce libre de 1'Amérique. La richefle de fes foncjs, la quantité de marchandifes dont f?s magazinp regorgent en tout tems, 1'efprit vigilant & actif des habitans & 1'intclligence de fes régocians lui afiurent les liaifons les plus avantageufes avec les Américains. Si 1'on ajoute que les Hollandois ont la facilité de fe procurer a un prix avantageux non-feulement toutes les produdtions de 1'Europe, mais celles des Indes orientales, les épiceries & même le thé. on :oncevra aifément quelle étendue ce commerce  A M E R I C A I NV 59 réciproque peut avoir entre ces deux républiques. II étoit d'autant plus cffentiel a la Hollande de s'attacher 1'Amérique, qu'il étoit a préfumer que fi elle lui eüt refufé fon aveu, PAngleterre, habile a profïter de toutes les circonftances, auroit fait les plus grands facrifices pour fe réconcilier avec 1'Amérique & traverfer les Hollandois dans tout ce qu'ils auroient voulu entreprendre avec elle. Les Bretons auront beau fe flater de regagner promptement 1'amitié des Américains, ceux-ciparoifient trop profondément Ulcérés pour s'y préter, au moins de fitót; c'eft envain qu'on alléguera qu'ils font des compatriotes qui n'étant plus ennemis pour les intéréts Tefpectifs de leurs pays, feront amis pour leurs intéréts particuliers ; que fi les Américains ont de 1'éloignement pour PAngleterre, ils n'en ont point intérieurement pour les Anglois. Ces aflertions paroiffent en effet trés-naturelles, mais un voile fpécieux les couvre aux yeux de ceux qui confiderent plus les évenemens du cóté des probabilités, que de celui de la faine politique: il eft vrai qu'ils ont le même langage, les mêmes principes, qu'ils ne font prefque qu'une même familie par leur origine: mais ces liens fi facrés, qui paroiffoient indiffolubles , ont été irrévocablement brifés par les mains de 1'oppreffion d'une part, & le-glaive de la libertè de 1'autre. Si jamais a la fuite des évenemens imprévus auxquels toutes les puifiances du monde font éaalement affujctties , 1'on voit dans des tems poftérieurs 1'Amérique unie a 1'Angleterre, ce fera Pouvrage de la politique plus que de la  Co LE SPECTATEUR Pro'iaiilité fur um harmonie future en tre les An elois & k, Américains. : fincere amitié; une telle liaifon n'auroit même rien d'étonnant. Qui fait fi 1'Amérique, malgré fa délicatefie naturelle, fa reconnoiffance actuellë, ne fe verra pas obligée, par un effet des circonftances, de devenir 1'amie & 1'alliée d'une nation autrefois ennemie, pour faire la guerre a Ja puiffance qui avoit auparavant avec elle un intérêt commun & une même caufe ? Qu'on ouvre l'Hiftoire, on en trouvera vingt exemples. Enfin, abtlraétion faite de ces confidérations, trop éloignées pour influer fur les circonftances actuelles, on peut, je peufe, alfurer que fi jamais 1'Amérique eft en guerre avec la France, ce ne fera furement pas fous le regne de Louis XVI: les Américains font trop généreux, trop reconnoiifans pour devenir ingrats envers ce bon roi; ils aimeront mieux faire les plus grands facrifices que de s'avilir en devenant parjures. Quoique la Hollande fe trouvat alors dans un état de crife & de détreffe, il n'eft cependant pas moins vrai que fi elle n'eflt point reconnu formellement 1'indépendance, & qu'elle eüt fait caufe commune avec PAngleterre; les Américains, malgré les fecours de la maifonde Bourbon , feroient encore fort éloignés de jouir du fruit de leurs travaux , de leur patience & de leurs viétoires. La France a placé la libertè fur ön piédeftal, mais la Hollande en la couronnant 'a rendue inébranlable. Les Américains doivent être & feront certailement reconnoiffans envers la France, c'eft une uftice autant qu'un devoir. Mais fous quelque joint de vue qu'on envifage la conduite de la  AMERICAIN. 61 Hollande envers eux, il feroit diftïcile de trouvcr une circonftance qui puifle jamais affoiblir la reconnoiffance qu'ils lui doivent. La France a déployé un caraftere de nobleffe, de grandeur, de générofité & de défintéreffement jufqu'alors in| connu dans 1'hiftoire des nations; elle en a éte doublement récompenfée , & par les avantages qu'elle a retirés de cette guerre, & par fapplaudiffement même de toute 1'Europe. La Hollande, moins heureufe, a préféré des'expofer k tous les dangers, k toutes les pertes, k toutes les humiliations plutót que de refufer fon apui k un peupk opprimé qui follicitoit fon bras pour la caufe d( la libertè. Que ne doit-on pas k un ami qui ft facrifie pour iauver un ami ? Braves Américains vous fentez mieux que je ne puis le dire, tout ci que la Hollande a fait pour vous; oui, vous li fentez mieux, & mon admiration pour vous rw le perfuade. L'Amérique ne pourra pas d'abord donner ou vertement des préférences k la Hollande: fes liai fons aótuelles, fes traités moiivés par la décenc & par 1'impartialité ne le lui permettent ps encore. Puiffe-t-elle fe perfuader que dc tot tes les nations, il n'eh elf. aucune qui foit pk fidele k fes engagemens, plus conftante dans f Maifons & plus noble dans fes procédés! A confiance qu'elle lui infpirera, 1'on verra fuccédt une eftime particuliere pour elle. Le commen de la Hollande recouvrera ainfi fon ancien Juftn elle fera heureufe par 1'Amérique, & verra < nouveau renaitre en fon fein, 1'abondance & profpérité. Les deux républiques s'applauc Oroit ia•,onirfl"blete hi France & i, ia IMlantle a la rec»nnais-\ fance dts Américains» » -Efpoir des Hollanioïs " piur le g :mnmeret ifA