MÉLANGES D E UTTÊRATURE ORIËNTALE.   MELANGES D E littératu re ORIËNTALE, Traduits de différens Manufcrits Turcs 2 Arabes & Perfans de la Bibliotheque du Roi. 'PaR M. CARDONNE , Secretaire-Interprett du Roi pour les Langues Orientahs è. la Marine & a la Bibliotheque de S. M. , & Profeffiur en Langui Arabe au College RoyaL Da y a joint les Pappies remarquables, & les bons Mots des Orientaux, fuivant la Traduétion de M. Galand. .Traduit dans fe Siècle dernier par M. GALAND. A LA H A Y E. M. © CC. LXXXvilI.   P R E F A C E. JLjEs Mille un Jour, les Mille & une Nuir , & quelques autres traduclions dediff.rens Livres oriem aux, ont toujours été recus du Public avec une e/pece d'applaudifement : je nignorc po int que la maniere dont ces Livres jont ecrits, a pa contribuer a l accueil qu'on leur a Jait. Trop foible pour egaler les favans Ecrivains qui les ont compoj':s , j'etois pret de dijcontinuer ces Mélanges de Littcraiure , lorjque j'ai conjidéré, que s'ils devoient beaucoup a la delicatere de leur plume , ils devoient aujji quclquc chofe au Ju jet qu'ils ont traite : cette reflexion a ranimé mon courage , & j'ai ejperé racheter les dcfauts du jlyk par la nouveauté } par le choix des matieres, J'ai pei.Jé qu'une autre raifon avoit pu contribuer au Juccès des écrits dont je viens de parler : ils peignent des humains aujji éloignés de nos mozurs que de notre chmat: toutes les Nations, tous les Peuples méritent l'aitention du Philofophe ; & moins les Orientaux nous rejfemblent, plus iljautles examiner, pour je convainere que les maurs infïniment varices, ne changent jamais le jond de l'homme , & que touies les pajfions qui sexpriment de tant de manieres , ont toujours la méme jouree, & k meme but. La^cllife , le  V P R Ê F A C E. IZuT' f^ hS habilh™™ d'unA^ t^e, l afrent a nos yeux très-difp'rent ±"r *Ue noH Jonmcs; mats nous n& fenfons pas pour eela , que l'Etre qui nou, «forrné, lau fait difflent de Öï£ 'ft de memede fin ame ; la paffion aA ejpnme autrement qu'un Europeen] feS fftrs , fes craintes, fis platfirs % fi £1 tntforfnUmi Un aiUre «Mi Lis ■I L^y1" fSmêmCS ; la "^reefiune, g f sfis enfans a qui elle a donnéles ml ^ néceMmW fi reffemPourcompofir eet Ouvrage , j'ai trabes iy Perfans de la Bibliotheque du Roi Sr' 1 Ul d°nné IaPréfércnce d tout ce qui fi rapponoit aux vertus morales & & l'0nrVerm dansUs d^en.esHijhires qui fi trouventici, destram de gntndeur-d'ame, de générofité, de juf. Heet? de courage pen communs; j'ofème- Z 7n ^ y-ma iud^s-uns au-defi Jus de l humanite: tam Heft vrai, qUe ces hommes que nous croy ons barbar el, fint ffcptibles de tout ce qu'on admirê {d tl C CT7 aUtres Kaii0nn V que fir la furface de la terre, tout li rapporte a deux points, l'horreur du vie f, V l doge de la vertu, '  P R E F A C Ep vtj Pour meier, autantqu'ilm'a étè pojfible , t'agréable & Vutile , j'ai joint quelques «llegories, quelques contes & quelques bons mots; je defire que cette variété puife amufer le Lecleur: un Traité d'éducation , ott des confeils d'un Pere a jbn Fils, écrits en vers par Nabi - Efendi , Poé te le plu-s eftimé parmi les Turcs, quelques maximes fe' quelques morceaux de Poéfie terminent te Recueil. Perfuadé que les Orientaux feulspouvoientfaire connoitre leurs mozurs &leurs uf'ages, j'attachéd'étrcpar-toutfi^ dele Traducleur, quoique j'aievécu bien des sinnées dans le pays dont jeparle, jen'ai rienvoulu tirer de moi , nid'aucun Livre t qui nefit oriental. Je n 'entretiendrai point le Lecleur de la géne continuelle oü je me Jiiis trouvé pour le choix des matieres : obligé quelquefois de puifer dans les mémes Jóu rees que Meffieurs d'Herbelot, Galand. & de la Croix , il a fallu fupprimer de mon Recueil, quand je men J'uis appercu, des Hifloires qui Jetrouvoient dans leurs Öuvrages : la lot févere que je me j'uis impofée, de ne riert donner que de neuf & le j'uccès qu'ont eu leurs Livres, ne me permettoient pas de répéter ce qu'ils avoient dit: il Je pourroit cependant qu'il Je fut gli ffe ici quelque Hifioirequi fe trouyeroit ailleurs fans que. je le fujfè.  AVIS D E JL'JÉ JD Ètëjg TTH; J'Al cru rendre eet Ouvrage très-agréablé par lui-mime, ëncore plus incé^cflanr, en y joignant 1'exceilente tradnaion des bons Mots des Oricntaux, publiée avec tam de fuccèsen 1604 par feu M. GALAND. Cette derniere tradoction eft trop eftimée pour que j'aie balancé a la rcunir a celle de M. CARDONNE. je n'ai fait d'autre changement que celui de fupprimer dans Ia verfijit de M. GALAND, les traics & les anecdotes que 1'on retrouve dans les Mélangès. Ces deux ouvrages ne doivent point être féparés, les deux Traducteurs ayant puifé dans 'es mêtnes fources & s'étant propofes pour hut de donner une idee utile & fansfa.fante de la Lictératiire & de la xMorale des ürientaux*  MELANGES D E ORIËNTALE, Traduits de dïfférens Mamfcrits Turcs, Arabes & Ferfans de la Bibliotheque du Roi. -TRAIT EXTRAORDINAIRE "Degbièrofutd'unArabs, & fidilhêfingulieie d'un autn , d garder Jh parole. I^U^I NE C°UtUme barbare> mt-lée de fuif Sïll Perflition^ s'«oic introduite parmi fóS^pSS les Arabes, avant le Mahometifme: tjls avoient confacré deux jours de la feraaine I deuxxde leurs fauffes Divinicés. Le premier de ces jours étoit regardé comme un jour de bönheur, & fe prince pour Ie c^bret ac_ A  $ Mélange? cordoit a tous ceux qui fe préfentoient devane lui la faveur qu'ils lui demandoient: le fecond, au contraire, étoit réputé de finiftre augure. L'on immoloit tous ceux qui, dans ce jour, avoient 1'imprudence de paroitre devant le Roi , pour folliciter quelque grace ;fans doute que 1'Idole, auquel ce jour étoit fpéeialement confacré , paifoit dans 1'efprk de ces peuples groffiers pour une divinité terrible, & qu'ils prétendoient appaifer fa colère par ces victimes. Sous le regne de Naam ibn Munzir ; un Arabe du défert, nommé Tai, étoit tombé d'une extréme opulence dans une affreufe mi» fere: il entendit vanter la Iibéralité de Naam , & il prit la réfolution d'y avoir recours : il part, après avoir embraffé fa femme & fes enfans, & après les avoir alfuré qu'il va chereher un remede a leurs maux, Cet infortuné , trop occupé de 1'idée de foulager fa familie, n'avoir. pas fait ftflexion au jour fatal qu'il ehoifuToit, pour paroitre devant le Roi comme fuppliant: Naam ne 1'eur pas plutót appercu , que détournantla vue, il lui dit; qu'as-tu fait, malheureux, & pourquoi te préfenter devant moi dans un jour aufli nanette que celui-ci ? II y va de ta vie , & il n'eft pas en mon pouvoir de tc ia fauver. Tai» voyant fa mort certaine, fe jettc aux  de Littêrature Cruntale. -j fneds du prince, & leconjure de différer du moins fonfupplice de quelques heures. » Qu'il » me foit permis , lui dit-il, d'embraiTer , » pour la derniere fois, ma femme & mes » enfans, & de leur porter quelques provi» fions,fautedefquellesils périroient. Vous êtes » trop équitable pour envelopper les innocens » avec le coupable : je jure, par ce qu'il y a de » plus facré , que je ferai de retour avant Ie » coucher du foleil; vous déciderez alors de 7i mon fort, je le fubirai fans murmurer «. Le Prince , touché du difcours de Tai', voulut bien lui accorder le délai qu'il demandoit; mais il y mit une condition qui rendoit prefque inutile cette grace ; il exigea une caution qu'il put faire périr a fa place, s'il manquoit a fa parole. Tai conjure en vain tous ceux qui entouroient le Prince; perfonne n'ofe s'expofera un danger aufli évident: il s'adreiTe alors a Chérikbénadi, favori du Monarque, &, les Iarmes aux yeux , il lui dit: w Et vous, Chérik , « vous dont 1'ame eft fi noble & fi grande , » ferez-vous infenfible a mes maux ? Refuferezh vous de me fervir de garant ? J'attefte les » Dieux & les hommes , que je ferai de retour 7> avant le coucher du foleil u. Le difcours de Taï, fes malheurs, toucherent Chérik, qui étoit naturellement fenfible; il die A %  '4 Mélanges au Prince, qu'il n'béfitoit point de s'obliget pour Tai. Celui-ciayant eu la liberté departir, difparut dans 1'inftant, & alla rejoindre fa femme & fes enfans. Cependant le temps limité pour fon retour, s'écouloit infenfiblement, & le foleil étoit pret de terminer fon cours, fans qu'il parut. On conduit Chérik au lieu du fupplice , on le garotte , le bourreau avoit déja la hache levée pour donner le coup, lorfque Pon appercut de loin un homme qui venoit de la plaine en courant. L'exécution efr fufpendue : c'étoit Tai lui-mème qui étoit hors d'haleine, & tout couvert de fueur & de poulTiere. II eft frappé d'horreur , loriqu'il appercoit Chérik monté fut ï'échafaud pret a recevoir Ia mort; il vole vers lui, délic fes Hens, & fe mettant a fa place : w Je meurs content, lui dit-il, puifque j'ai été )> alfez heureux pour venir a temps vous déli» vrer ( I) «. Ce fpeétacle atrendriffant arrache deslarmes a tout le monde; le Roi lui-même ne put retepir les hennes. „ Je n'ai jamais rien vu de fi ex„ traordinaire, s'écria-t-il, tranfporté d'admii, miration : toi, Tai, tu es le modele de Ia » fidéüté que Von doit garder a fa parole; & U> fDêïivrer.') Cette Hiftoirea quelque rapport i tellede Damon & de Pyttóu, fi fameufc daiu.1 W*i mais il me fembl- que l'aftion de Chénk efl fuper.e re a celle rPythias , en c. quel» pénérofitéfo fairea Chenkpour un ïacoiwu.cequel'-mitiéfitfakeaPythus en faveur de Pamyn.  de Litte'rature Oriëntale. « tol, Chérik, perfonne n'égale ta grande ame » en générofité :j'abolisen faveur de vous deux » une coutume odieufe, que Ia barbarie avoic « imroduite parmi nous. Mes Sujets pourront » déformais m'abcrder en tout tems fans crainte.". Ce Monarque cornbla Taï de bienfaits , & Chérik lui devint plus cher qu'auparavant. LA PANTOUFLE Du Sultan» \Jn Sultan appercut de la terraffe de fon palais uae jeune femme d'une rare beauté': Ia vue de fes charmes Ie frappa vivement ; il appellaunede fes efclaves, pour lui demander fi elle la connoifToit: « Seigneur, lui dit 1'efcla- V ve » eft"il poflible que Votre Majefté n'aifc „ jamais entendu parler de ChemfenniiTa (i ) „ Cadoun , époufe du Vifir Féirouz ; elle pafte „ avcc juftice pour la plus belle femme de „la ville, & fan efprit égale fa beauté. , Cesparoles enrlammèrentencoreplusle Sultan, & il réfolut d'apprendrea cette jeune mervcilie les fentimens qu'elle lui avoit infpirés : il s'a- gilToit d'écarter un mari; & qui dit un mari (i) ChemfenniiTa, ce nom en Arabe fignifie foleil des femmes. A 3  6 Mélanges en Oriënt, dit un jaloux très-incommode. Le Sultan envoie chercher Féirouz, & lui remettant un papier:" AUez , Vifir, lui dit-il , „exécuterles ordres renfermés dans eet écrit, & vencz me rendre compte du fuccès de vo„ tre démarche. „ Féirouz retourne chez lui , prend fes armes, & fort avec tant de précipitation, qu'il oublie fur fon fofa 1'ordre que lui avoit remis le Sultan. Ce Prince impatient eut a peine appris Ie départ de Féirouz , qu'il vola au palais du Vifir ; un Eunuque lui ouvrit, & 1'introduifit dans 1'appartement de fa maitreffe. Quel fut 1'étonnement de cette Dame, en voyantle Monarque devant elle ? Tremblante , interdite , elle ofe a peine lever les yeux ; revenue de fon trouble, elle connut le deiTein du Sultan : mais comme elle étoit auffi fage que belle , elle ne voulut pas lui donner le tems de s'expliquer, & fit ces deux vers arabes in-promptu, dont voici le fens. ( i) « Le lion croiroit s'avilir en rongeant „ les reftes du loup , & ce Roi des animaux „ dédaigne de fe défaltérer dans le ruiffeau que „ le (a ) chien fouille de fa langue impure ,' i ) ( Le Lion ) paffe che?. les Orientaux, comrne chez nous, pourle Roi des animaux ; allégoriquement, il lignihe auffi un Roi , un Sultan. ( •> 1 ( Chien. ) Le chien eft rj'ardé comaie impur pnr les Ma'hométans, & celui qui en a touché un a contraite  ie Littiratare Oriëntale. y Ces paroles , que Ie Sultan n'eut pas de peine a entendre, le convainquirent qu'il n'avoit rien a efpérer ; il fe retira tout confus, & fon trouble lui fit oublier une de fes pantoufles. Cependant Féirouz , après avoir cherché inutilement 1'ordre que lui avoit donne' le Pri nee , fe reiTouvint qu'il 1'avoit oublié fur fon fofa ; il fut contrahit de retoufner chez lui pour le prendre : la pantoufle du Sultan , qua perfonne n'avoit appercue avant lui, ne lui apprit que trop les véritables defTeins du Monarque, & les motifs qu'il avoit eus de 1'éloigner» Tourmenté en même tems par fon ambition & par fa jaloufie, il chercha les moyens de répudier fa femme, fansrifquerdc perdre fa dignité: il commenca par rendre compte au Roi, de la commiffion qu'il lui avoit donnée : de retour chez lui, il dit a fon époufe que le Sultan venoit de lui faire don d'un très-beau palais, & que pour lui laiffer le loifir de le meubler , il falloit qu'elIeallarpaiTer quelques jours chez fon pere,illui donna en méme tems cent pièces d'or. ChemfenniiTa, qui n'avoit point de repro- une fouillure- légale , & ne peut faire fa prière fans Ce laver auparavant : ce's ne les empêche point d'élevcr des chiens pour la chaffe & la garde des troupeaux. I.e chien des Sept Dormans eft fort ruvéré parmi eux;ils lui donnent une plsce dans !e paradis , avec 1'ane de Jefus-Chrift & 1'Alborac, montere fabuleufe fur Iaquelle, fuivant 1'AIcoran, Mahoir.et kt un voy;ge noflurne au ciel. A4  1 • ■ Mélanges ches k fe faire , étoit bien loin de foupconner la vérité. Elle obéit fans inquiétude ; plufieurs jours s'écoulerent fans que Féirouz parut: une fi longue abfence étonna fon époufe, & elle ne put diflimuler fes allarmes a fes freres ; ils alle— rent trouver Féirouz : » Apprenez-nons, lui s, dirent-ils, les motifs de votre conduire avec „ votre époufe; fi elle eft coupable , loin de „ prendre fon parti, nous Iaverons dans fon „ fang 1'outrage qu'elle vous a fait ". Le Vifir, fans vouloir entrer dans aucune explication, leur répondit qu'il avoit payé a leur fceur la dot dont il étoit convenu en fe rnariant, qu'elle n'avoit plu$ rien a lui demander. Ceux-ci irrités de la réponfe de Féirouz, 1'appellerent en juflice : 1'ufage du pays étoit que le Sultan affiftat a tous les jugemens qui fe rendoient, afin que la préfence du Prince contint les Cadis. Les freres de ChemfennifTa dirent au juge : Seigneur, nous avions loué a Féirouz un jardin délicieux ; ce lieu charmant étoit un pa„ radis terreftre; nous le lui avions cédé en„ touré de hautes murailles, & planté des plus beaux arbres parés de fleurs & chargés de „ fruits: il a détruit les murailles, il a ravi les. „ tendres fleurs & a dévoréles plus beaux fruits. „ II prétend nous rendre ce jardin dépouillé de „ tout ce qui le rendoit délicieux lorfque nous „ 1'y avons introduit  de Littémure Oriëntale. 'Xe Cadi ayant ordonné a Féirouz dedétailler fesraifons. „ C'eft malgré moi, dit-il, que je „ renonce a Ia jouiflance de ce lieu qui m'étoit „ fi cher : mais un jour que je me promenois „ dans une allée de ce jardin, j'appercus la tracé „ du pied d'un lion; la terreur s'empara de mon „ ame, & j'aimai mieux céder le jardin a eet „ animal terrible, que dem'expoferafacolere". Le Sultan qui étoit préfent, adreflant la parole au Vifir, lui dit : „ Rentre dans ton jardin, „ Féirouz, tu n'as rien a redouter; il eft vrai „ que le liony a mis lepied; maisil n'a putou„ cher a aucun fruit, & il en eft forti rempli de „ honte Sc de confufion : il n'y eut jamais un „plus beau jardin, mais auffi aucun n'eiï „ mieux gardé ni plus a I'abri des atteintes ". Ces paroles, qui étoient une énigme pour tous ceux qu'elles n'intéreffoient point, raüuterent Féirouz : il reprit fa femme, il vint a 1'en aimer davantage , des qu'il fut 1'épreuve diffidle a laquellc fa vertu avoit été mife.  io Mélanges L E V1SIR SeiU & bridé. U N jeune Sultan fort épris du beau fexe, avoit ralTemblé dans fon férail les plus belles efclaves de 1'Afie : plus occupés du foin de leur plaire que des affaires de 1'état, il fortoit rarement de ce lieu de dilices. Son Vifir lui repréfentoit fouvent, qu'il étoit honteux a un Roi de perdre dans les plaifirs, le temps qui lui avoit été donné pour le bonheur de fes peuples; le jeune Monarque fit enfin un généreux efFort, & oublia la volupté pour s'appliquer au gouvernement de fon Royaume. Tandis que le Vifir triomphoit du changement de fon maitre, fes efclaves languiffoient dans les plus vives allarmes: le férail, autrefois le féjour des ris & des jeux, étoit devenu celui de 1'ennui & de la trifteffe : un jour ce Prince étoit allé voir fes femmes, ce qu'il ne fiifoit plus que rarement; elles fe jetterent a fes genome,en luidifant: „Quel crime, Seigneur, „avons-nous commis, qui ait pu nous attirer „ votre indifférence ? Ah! fi c'en eft un que de ,trop vous aimer, fans doute nous fommes toutes coupables Le Sultan, fenfible a une  de Litte'mture Oriëntale. ï t fcene fi touchante, les releva avec bonté: pour les confoler, il eut la foibleffe de leuravouer, qu'il ne s'étoit éloigné d'elles que par les confeils de fon Miniftre. „ Je gagerois, dit au „ Sultan une d'entr'elles plus hardies que fe? „ compagnes, que ce cenfeur auftere, qui dé„ clame fi fort contre notre fexe ,, ne lui réfifi„ teroit pas mieux qu'un autre : envoyez- moi „ a ce trifre cenfeur , cela n'eft pas fans exem„ ple ( i); je veux devenir fon efclave, & j'af„ fure que cette efclave fera bientót fa maitref„ fe ". Cette idéé réjouit le Sultan , & il fit accepter la jeune efclave au Vifir, qui ne prêchoit tant contre les belles femmes, que paree que lui-même ne les ha'iffoit pas. L'adroite Odalifque mit en oeuvre toures les rufes de la coquetterie la plus rafnnée, & le vieillard devint bientót fon adorateur & la dupe ; quand elle le vit bien épris, elle changea de conduite & s'arma de rigueur. Le vieil amant défefpéré, la preifoit en vain de céder a fes vives infrances; elle inventoit fans ceffe de nouveaux prétextespour éluder ce qu'il defiroir. Un jour il étoit a fes genoux, il lui peignoit toute la violence de fapaiTion, & il en exigeoit f O ( Exemple. ) Les Su'tans font dans ï'ufage de f. ir» préTent de leurs efclaves a letirs Vüirs & k leurs favoris : aujourd'hui même , qnand !e Grand Seigneur meurt, !es efclaves qui n'ont pas eu d'enfans de ce Prino* . font rnariécs après fa mort a diffrrens Seigneurs de la Por;e.  I a. Mélanges le prix : „ Que vous êtes étranges vous aurres „ hommes, lui dit cette belle , nous devons „ toujours vous obéir, & vous ne faites aucuns „ frais pour nous plaire! Si vous exigez de moi, „ ce que vous appellez le bonheur de votre vie, „ 1'acheterez-vous trop cher en m'obéiffant un „ feul jour ? Promettez de faire mes volonte's „ pendant un fi court efpace, & je ferai les vó„ tres toute ma vie. Je n'ai rien a vous refufer, „ répondit le vieux Vifir; vous éprouverez tou„ jours de moi une égale complaifance Le lendemain 1'efclave fit dire fecretement au Roi de fe cacher dans 1'appartement de fon Miniftre : elle fit apporter une bride & une felle. „ Voici la pierre de touche de votre amour, „dit-elle au Vifir, voyons jufqu'ou ira cette „ complaifance tant vantée; il faut que vous „ fafTiez ufage de cette felle & de cette bride, & „ que vous fouffriez que je monte fur votre „dos". Lefoible Vifir, moitié répugnance, moitié plaifanterie, fe mit dans la pofture d'un cheval, 6c fe laiiTa fangler & brider ; le Roi fortanta 1'inftant de 1'endroit oü il étoit caché : „ Ah , „ ah, grave cenfeur, vous étes bien fol pour un „ moralifte fi auilere ? Prince, répondit le Mi„ niftre, fans fe déconcerter, c'eft paree que je „ connoiffois tous les caprices de ce fexe dan„gereux, que j'cxhortois Votre Majefté a ne  de Littèratür't Oriëntale. 13 % pas s'y livrer : mes lecons doivent faire plus „ d'impreiïion fur votre efpric depuis que j'ai „ joint 1'exemple au précepte; cette métamor„ phofe bizarre vous apprend combien I'amour „ eft a fuir. LE PHILOSOPHE Amoureux. T XL faut fcavoir , pour I'intelligence de ce conté, que les Orientaux, a qui leur Ioi défend les jeux de hafard, ont 1'ufage d'un jeu qui dure fouvent plufieurs femaines: il confifte a ne rien recevoir de la perfonne avec Iaquelle on eft conyenu de jouer, fans prononcer le mot diadeflé, & de-la le jeu a pris Ie nom diadejle'. Amfi les joueurs tachent par adreffè de fe faire oublier mutuellement la convention qui eft entr'eux, & celui qui a pu faire prendre a fon adverfaire quelque chofe que ce foit, fans que eet adverfaire ait prononcéle mot convenu, a gagné le prix. Certain philofophe avoit compofé un fort ample recueil de tous les tours que le fexe fcait faire ; il Ie portoic continueliement fur lui,' & fe croyoit par-la a 1'abri des rufes de ce fexe enchanteur. Un jour en voyageant il paffe proche un camp des Arabes du défert; une jeune  •T4 Mélanges femme Arabe 1'invita fi obligeamment a fe repofer dans fa tente qu'il ne put s'en défendre: le mari de cette Dame étoit alors abfent. Le pliilofophe fe fut a peine affis, que, pour le défendre des charmes qu'il commencoit a craindre, il prit fon livre, & fe mit a le lire : 1'Arabe, piquée de ce dédain apparent, lui dit: II faut que te livre foit bien intéreiTant, puif,j qu'il eft feul digne de fixer votre attention. „ Peut-on vous demander de quelle fcience il „traite? C'eft moi qui 1'ai compofé, répondit .,1e philofopbe; il contient des fecrets qu'il ne .,, convient pas de divulguer. Je m'étois ima„ giné, reprit la Dame, que 1'on ne faifoit des livres que pour les rendre publics; qu'eft-il bcfoin d'üre fcavant, li 1'on renferme fes connoifTances; c'eft un vol fait a lafociété. „ J'en conviens, reprit notre pliilofophe; mais „ le fujet de ce livre n'eft pas de la cbmpétence j, des Dames. Vous rabaiiTez furieufemeut notre fexe, lui dit la Dame oftenfée, le proj, phete nous a traitées plus favorablement que 7> vous tk ne nous a pas exclues du paradis ". Le refus du pliilofophe excita de plus en plus lacuriofité de la Dame ; elle le prefla fi fort, qu'il lui dit enfin : „ Je fuis, a la véiïté 1'auteur f, de ce livre; mais le fonds n'eft pas de moi; il „ contient toutes les rufes que les femmes ont 7f inventées; ce ne ftroit pas la peine de vous  'ie littèmture Oriëntale. rj }S lire votre propre ouvrage. Quoi! routes ab„ folument, dit la Dame ? Oui, tantes, répoa„ dit le philofophe , & ce n'eft qu'en les t'tu„ diant que j'ai appris a ne plus les crain&e. „ Voili un livre bien fingulier, reprit-elk era „ fouriant:croyez-moi, grand philofophe, vmn „ tentcz une chofe impoffible; vous voulez ffie:„ tre de 1'eau dans un crihle ". L'Arabe coquette & vindicative, en changeant de propos, fe mit a iancer au pretendu Sage dra tEillades fi vives, qu'il oubfia Bièntöt fora üvn & tous les tours qu'il contenoit. VoilaiEoa philofophe Je plus paffionné des hommes, & 3 ne tarda pas a en faire 1'aveu. L'Arabe eachantée de voir qu'il s'ofFroit de lm-mêu*± fa vengeance, feignit de 1'écouter; il concevwt de'ja les plus flatceufes efpérances : lorfque la jeune Dame apperau de loin fon mari: « Koas « fommes perdus, dit-elle a fonncuvel aroomt, » mon mari va nous furprendre : que devïem» drai-je? C'eft le plus jaloux & Ie plus iraial » de tous les hommes, au nom du propten; n cachez-vous dans ce coffre. >j Le philofophe ne voyant point d'autrepsni aprendre pour fe fauver de ce mauvais pas, fe mit dans le cofFre, que Ia Dame ferma fij lui, & dont elle prit Ia clef. Elle alla enfuire au devant de fon mari, & lui fervit ï diner : fur la fin du repas, voyant fon epoux de bék  ±4 Mélanges humeur; « Ilfaut,lui dic-elle, q« je vous w raconte une aventure bien finguliere; il eft „ venu aujourd'hui dans ma tente une efpece „ de philofophe, qui prétend avoir raffemblé „ dans un livre routes les fourberies dont » notre fexe eft capable. Ce faux fage m'a * entretenu d'amour; je 1'ai écoute , il eft „ jeune, aimable, preffant; vous etes amve bien k propos, pour foutenir ma vertu chan- 9) celante. » On peut fe repréfenter a ces motsla fureur du mari, qui étoit véritablement d'un naturel jaloux & empoité : le philofophe, qui avoit tout entendu de fon coffre, maudiffoit de bon creur fon livre , les femmes & les jaloux. Oü eft caché ce téméraire ? dit le mari a fa femme ; que je 1'immolea ma vengeance, ou que je t'immole toi-méme. La rufée , feignant beaucoup d'effroi, lui montra le coffre, & lui préfenta la clef : comme le jaloux fe difpofoit a 1'ouvrir, fa femme lui dit, avec un grand éclat derire:« Payez-moi,vous avezperdu Yiadejié;*, » une autre fois foyez moins curieux, & ayez )) plus de mémoire. » Le mari fe croyant fort heureux d'en être quitte pour cette fauffe allarme, rendit la clef a fa femme; lui paya tout ce qu'elle voulut, 5c ( i ) Gage-touché. , , sen  de Littirature Oriëntale. \j S*en alk, après 1'avoir prié de ne plus lui donner de pareils fujets de crainte. La jeune Dame tira alors le Philofophe du coffre, oü il étoit plus mort que vif: u Mon»> fieur le Dofleur, lui dit-elle , n'oubliez pas » ce tour; il mérite place dans votre recueil. » JUSTIFICATION ÏNGÉNIEUSE d'un Vifir. 1VI Éhemet , Roi du (i) Khouziftan, étoit, comme les autres Princes orientaux, environné de femmes, de flatteurs & d'eunuques. Le hafan! , qui fert quelquefois mieux que la prudence, lui avoit donnéun bon Miniftre;cet hommé aimoit la jufrice , fon Maitre & 1'Etat qu'il fricher, & qui fuflïroient a fa fubfiftance. » Méhemet, qui ne pouvoic s'empêcher d'aimer tin homme qui 1'avoit bien fervi, fit chercher dans tout fon royaume un canton inculte; mais on ne put en trouver : toutes les terres étoient fertiles; le commerce &c la culture, également encouragés, fourniiToient a des habitans induflrieux une fubfiftance abondante ; on ne trouvoit dans le Khouziftan ni indigent, ni terre en friche. Le Monarque , k qui ce compte fut rendu par des gens qui n'en tiroient pas les confé"quences néceflaires, fit dire k fon Vifir qu'il lui donneroit tel terrein cultivé qu'il lui plairoit choifir: « Je ne veux, répondit le Vifir, }> pour prix de mes fervices , que le bonheur r> de les avoir rendus. J'ai voulu que mon Maï» tre connüt 1'état dans lequel j'ai laifle fon » royaume; il ne me refte a defirer que mes v fuccefleurs en faflent autant que moi. » Cette réponfe éclaira le Monarque; il réta-  & Littêrature örUntaU: T^ Wit Ie Vifir dans fa dignité , bien réfolu de confier déformais a fes femmes Ie foin de fes plaifirs,& Ie gouvernement de fon royaume k des Sages. TRAIT SINGULIER De générofité d'un homme qui avok acheté une Efclave. XJ N jeune homme nommé Békir avoir hemd de grands biens; livré a lui-meme , & ti'écoutant que Iavoix de fes palïions, il diffipa en peu de tems une fortune immenfe : il fut obligé , pour contenter des créanciers avides i de vendre fon palais, fes meubles, fes efelaves même les plus chéries: une feule, nomme'e Gulroui (i) , lui reftoit, dont la poiTefiion le confoloit de Ia perte de toutes les a nres : ife brüloient tous les deux des mêmes feux, & jamais 1'Amour n'avoit vu fous fon empire deux amans plus parfaits. Cependant Ia mifere de Békir aïloit toujours en augmentant, &ilfe vit enfin réduita la plus trifte néceffité. Ün jour qu'il s'entretenoit avec Gulroui de fes malheurs, & qu'ils s'attendriffoient I'un & 1'autre , en rappellant toute 1W- < i ) Gulrovii fi^nifie vifage de rofe. B %  '&& Mélangii reur de leur deftinée : « Te fupporteroïs fan'* « rnurmurer , lui dit Békir, les maux dont le n ciel m'accable, & que je n'ai que trop mé» rités, li vous ne les partagiezpas avec moi; w je n'ai donc uni mes triftes jours avec les « vötres, que pour vous punir des fautes dont n vous n'êtes pas coupable, que pour voir ce ü que la nature a fait de plus aimable, éprou« ver toutes les rigueurs &c toutes les injuftices « du fort. Je ne vois qu'un remede a tant de * maux ; c'eft 1'amour qui me 1'infpire; je ne j) balance pas a m'en fervir : j'ai réfolu de vous Si vendre a un homme affez riche, pour vous 3) faire un fort digne de vous ; en fongeantk » votre bonheur , je tacherai d'oublier mes y> peines. Ah cruel! lui répondit la belle Gul« roui, en fondant en larmes , tu veux te j) féparer de moi, & tu ofes me parler de bon3) heur ; penfes-tu que la vie, éloignée de ta ft préfence, puiffe avoir des charmes pour moi ? «Non, je ne confentirai jamais a te quitter ; t) mais que dis-je, & oü m'emporte un amour » trop violent ? Tu immoles ton repos a ml j) tranquillité, & je balancerois a me facrifier )> pour toi; oui, je foufcris au marché que m » me propofes , puifque leprix que tu en reti3> reras, foulagera ta mifere. » Békir voyant fon amante déterminée , eut le wiSe courage de la reraettre entre les mams  de Litte'raiüre Oriëntale. lc d'un Marchand d'efclaves, qui Ia conduifit chen un „che Emir, nommé Moter : quoique rEmir «ut dans fon férail les plus aimables perfonneS de I Afie, Ia beauté de Gulroui 1'étonna: „ Que „ de charmes ! s'e'cria-t-il, en Iavoyant, quels " fUrX ' ?uel,e bou^e ! je n'ai jamais rien vu „ de li piquant; combien demande-t-on de „ cette jeune merveille ? Deux eens mille drach„mes, répondit le Marchand. Aufli-töt lc „ Patron de Ia belle Efclave fut mandé , & „lEmir lui compta Ia fomme conventie „ croyant ne pouvoir trop payer cette beauté ' „ le genereux Arabe fit encore preTent au ven„ deur de dix veftes de fatin, de dix chevaux & » de dix muiets. „ Le moment funefte arriva oü il falloic que f*ir abandonnat pour jamais ce qu'il avoic de plus cher au monde ; il feroit difficile d'expnmer I'abattement oü il étoit: Gulroui n'étoie pas dans unétatmoinsa plaindre; cette Amant* défolée Ie vifage baigné de Iarmes , & Ievant Ie défefpoir lui ditd'unevoix prefque éteinte: „Adieu, cher Amant, je vais entrer dans des » Heux ou je ne te verrai plus, mais ton image „mefuivrapar-tout; puiffe le prix que tu as „ recu pour ma perfonne, faire celTer tous tes „ malheurs; quanta moi, j'efperequ'unprompt n trépas terminera bientót tous les miens Ie B 3  41 Mélanges „ m'étois imaginé, lui dit Békir, en pouflant „ un profond foupir , que la mortfeule pouvoit „ brifer les liens qui nous uniffoient, mais Ia „ fortune cruelle m'a bien fait voirlecontraire: „vivez, belle Gulroui, vivez , & fouvenez„ vous quelquefoisd'un homme qui vousadore ; „ je vais trainer loin de vous des jours languif„fans, en attendant avec impatience que ma j, douleur en termine le trif+e cours. „ Un fpectacle aufli attendrilTant toucha Moter , qui étoit naturellement généreux ; il prit la belle Efclave par la main, & la remettant a Békir: „ A Dieu ne plaife , lui dit-il, que je „ fépare deux coeurs fi bien unis: je vous rends „ votre Amante, & la prie de garder pour „ 1'amour de moi, les deux eens mille dracht „ mes que vous avez recues : foyez heureux „ 1'un & 1'autre, & rappellez-vous quelquefois „ dans votre bonheur , celui qui y a contribué „ aux dépens méme du fien.  de Littérature Oriëntale. 13 LA FEMME JUSTIFIÉE. XJ"nriche Négociant d'Agra, déja vieux, & qui n'avoit plus de femme , réfolut de marier un hls unique qu'il aimoit tendrement: auiTitót que eet enfant eüt atteint 1'age de puberté, il lui donna une femme pourvue en même tems de toutes les graces & de tous les défauts de fon fiecle. Un Indien, paffant fous le balcon de cette belle, en devint bientót amoureux; il le lui témoignapardes geftes; elle n'y fut pas infenfible : les deux amans ne pouvoient pas fe communiquer facilement leurs fentimens réciproques ; mais leur adreiTe furmonta les difficultés. Le jeune homme employa d'abord des moyens les plus connus. Une vieille pour quelque argent fe chargea d'une lettre ; cetie avance fut en apparence mal recue ; la mefTagere , après avoir été bien rebutée, eut ordre de fuir par un aqueduc qui communiquoit du dehors dans le jardin. Elle rendit compte de fon meffage ; la circonfrance de 1'aqueduc n'échappa pasal'a- mant clair-voyant, bien fik que ce n'étoit pas fans myftere que Ia vieille avoit été chaffée par 1'aqueduc : il réfolut de s'introduire par ce même chemin dans la maifon de fa belle. L'Indiennequi avoitfoupconné qu'un amant ' B 4  'J-4 Mélanges £ empreffé devoit entendre a demi-mot, Fatt^ndoitdans lejardina 1'heurea laquelle ilavoie pu s'y rendre. Cette nuit délicieufe ne fut pas la feule que ces amans furent fe procurer. Plus les difficultés font grandes , plus les Orientaux favent s'armer contre elles ; mais pour être plus induftrieux que les autres amans, ils n'en font pas plus prudens : on fit fi fouvent ufage de eet aqueduc , que le pere du mari, qui vivoit dans la même maifon, s'appercut de 1'inndélité de fa bru. II épia les deux amans , & les furprit au, moment oü ils fe livroient inconfidérablemenc aux douceurs du fommeil. Le vieillard , jaloux pour le compte de fon fils comme il 1'auroit été pour le fien propre , chercha les moyens de convaincre 1'inndelle; iï détacha de fon bras un bracelet qu'elle tenoit de fon époux : la Belle a fon réveil, s'appercut du larcin ; elle foupconna fon beau-pere d'en être 1'auteur, plutöt que fon mari, qu'ellefcavoic plongé dans un fommeil profond. Pourfauvsr fon honneur & prévenirles maux dont elle étoit menacée, elle congédia bien vite 1'amant qui 1'y avoit expofée. De retour dans le lit cenjugal, elle trouva fon époux endormi; quelques feintes careffes le réveillerent bientót, & la traitreffe attira Ia dupe dans ce même jardin, témoin de foninfidélité ; ils y pafferent le refle de Ia nuit, qu'elle s'elforca de lui rendre délicieufe.  de Lietérature Oriëntale. ^ Avant de rentrer dans Ia maifon , Ia perfide fcignit de s'appercevoir de Ia perte de fon bracelet , qu'elle prétendoit lui avoir été ravi pendant quelques momens d'un fommeil fuppofe*. Aufli - tót que Ie matin fut venu, le beaupere s'empreffa d'avertir fon fils des déportemens de fa femme, & il lui donna pour preuve Ie bracelet que tous deuxconnoiffoient.Le jeune homme abufé ne fit que rire a la vue de ce témoin muet: „ Ceft moi - même, dit-il a fon „ pere, qui repofois avec ma femme dans le „ berceau oü vous nous avez trouvés. Elle „ n'eft pas infidelle; rapportez-vous-en a moi „ fur ce qui doit m'intérefTer plus que vous. „ Le pere, piqué de 1'aveuglement de fon fils" réfolut de le diffiper a quelque prix que ce fiic, On admiroit a Agra unbaffin myflérieux , coni; truit par des Sages qui y avoientfait venirl'eau fous la conjonaion de certaines planetes. La vertu de cette eau confifioit a éprouver tous les menfonges. Une femme foupconnée , juroic qu'elle avoit été fidelle, & étoit précipitée dans ce baflin, appellé le baffin d'épreuve : fi elle accufoit faux, elle tomboit a 1'inftant au fond ; fi elle difoit vrai, elle furnageoit fur l'eau. Le beau-pere irritécita fa bru a cetteépreuve, felcn le droit de tous les chefs de familie. Cette femme, convaincue dans fon cceur, cherchaïes moyens de fe laver aux yeux du monde. Elle fit  %6 Mélanges dire a celui, dont elle avoit e'te' la conquête ,de contrefairel'infenfé & de fe précipiter dans fes bras,au momentoü elleferoit prêteafubirl'épreuve fatale : eet amant, qui défiroit autant qu'elle de fauver 1'honneur & la vie de fa maitrefle, ne fit aucunedifficulté de s'expofer aux yeux du pu* blic ; il vint a bout de joindre & d'embraffer fon amante, & en fut quitte pour quelques coups de baton, étant réputéfol aux yeux de ceux qui ne Ie connoilToient pas. La femme accufée s'avance fur les bords du baffin, & élevant la voix d'un ton ferme & modefte: „ J'attefte le Dieu qui m'écoute , le Pro„ phete, auteur de notrelbi, lemari qu'on m'ac„ cufe d'avoir offenfé, fon pere mon délateur & „ mon juge , j'attefte la vertu , la vérité, 1'hony neur , la vie même , a laquelle je ne renonce „ pas, & le peuple qui m'entend , que je n'ai „ touché aucun homme que 1'époux quele ciel „ m'a donné,&que ce malheureux qui vientde „ m'infulter aux yeux de tous. Que cette eau me „ puniife,fi j'ai fait unfaux ferment " : Elledit, &feprécipitedanslebaffinfatal.Les eauxla foutiennent aux yeux du peuple qui 1'avoit entendu, &l'adreffe de fon ferment lui tintlieu de la vertu qu'elle avoit ofFenfée : tous les afliflansfe déclarerent pour elle,& ellerentra triomphante dans les bras de fon époux qui 1'avoit toujourscru fidelle. Le beau-pere obftiné, ne perdit point 1'opi-  de Littérature Oriëntale. %y pion que fes propres yeux lui avoient donne'e; quoique le baffin eüt afluré la vertu de fa bru , il n'envoyoit pas moins cette Belle fous le berceau, & dans les bras d'un amant, qui n'étoit pas fon fils: il continua la garde la plus févere dans le jardin. Mais le jeune amant moins fol qu'il ne 1'avoit paru aux yeux du peuple, & la Belle devenue fage par le danger qu'elle avoit couru , cefferent leurs rendez-vous. Uaftivité du vieillard n'en fut point ralentie. Le Roi des Indes apprit tous les foins que prenoit eet argus , & le crut plus propré qu'un autre a éclairer la conduite de fes femmes: bien perfuadé que 1'age avoit fait fur lui ce que l'opéVation fait fur ceux a qui 1'on confie dans 1'Oiient la garde des femmes, il crut pouvoir fans danger choifir eet homme pour fon Kislaraga ( i). Le vieillard , honoré de eet emploi , en rempliffoit les fonftions avec une févéïité merveilleufe; tout trembloit devant lui, & fes yeux fembloient péne'trerdesdehorsdu ferrail jufques dans le fecret des appartemens des Sultanes. Une nuit que 1'impitoyable Kislaraga faifoit fa ronde ordinaire , il appercoit 1'éléphant du Prince monté par fon conducteur; cette béte privilégiée s'avance fous le balcon de la Favo- ( I ) Le Kislaraga eft le chef des eurmques noirs, qui feuls dans 1'Orient peuvent entrer dans 1'appartement des Sultanes ; les eunuques blancs font deflinés a garder les portgs du Harem ou du lieu oü font renfermées les Sultanes.  a8 Mélanges rite; Ie balcon s'ouvre, 1'éléphant faifit Ia Sultane avec fa trompe , & la porte fur fon dos k. fon conducteur: après quelques tems, la Sultane retourna fur fon balcon par la même voiture qui 1'en avoit fait fortir. Le vieillard ne put s'empêcher de rire de la bonté de eet animal, de la confiance de la Belle & du bonheur du condu&eur : cette aventure lui ayant appris que le Sultan n'étoit pas plus heureux que fon fils , il fe confola, & réfolut de garder le fecret de la Sultane mieux qu'il n'avoit fait celui de ia bru. TRAIT EXTRAORDINAIRE, Dejzijlicede la part du Sultan Sandjar* L 'Oriënt a vu regner peu de Princesaufli renommés pour leur équité que le Sultan ( i ) Sandjar, fils de Melekchahle Selgiucide,comme on le verra par 1'hiftoire fuivante. Le Sultan Sandjar, après une guerrefanglante, oü il avoit donné les preuves les plus éclatantes de fa va- ( I ) Sandjar, fixieme Sultan de Ia première branche des Selgiucides: tous les Hifioriens louent fa valeur, fa jufiice, fa magnanirnité & fa bonté : les peuples qu'il gouvernoit , pour témoigner 1'amour qu'ils avoient pour lui, continuerent ane Eimée après fa mort, de publier fon nom dans les Moft ^uées, comme s'il eiit encore vécu Sc regné; il fut fuTHorK» «ic Ie fecond Alexsidre.  de Litdraturt Orieniate. ïeur & de fon habileté, entroit en triomphe dans la ville de Zalika : fon arme'e viSorieufa le fuivoit ; le peuple empreffé de revoir fon Prince, & d'être témoin d'une pompe auffi augufte, étoit forti hors de murs. II y avoit aux environs de cette ville un döme d'un hauteur prodigieufe; il étoit porté fur quarantes colonnes de marbre. Comme les troupes défiloient au pied de ce dóme, le fils d'un pauvre Dervich , pour mieux obferver leur marche, étoit monté tout au haut. Lè Sultan en pafTant auprès du dóme, appercut «juelque chofe qui étoit perché fur 1'extrêmité: il s'imagina que c'étoit un oifeau ; comme ce Prince étoit fort adroit a tirer del'arc, il voulut faire voir fon habileté a tout le monde : la fleche, décochée avec violence, atteignit 1'enfant qui tombaa terre baigné dans fon fang; quel fut 1'étonnèment, ou plutót quel fut ie défefpoir du Prince, lorfqu'il vit ce fpeSacIe runefte. II mit pieda terre, & fe précipitant fur Ie corps de 1'enfant, il s'abandonna a la plus vive douleur. II fit venir auffi-tèt Ie pere de 1'enfant, & le prenant par la main, il le conduifit dans fa tente, oh. il s'enferma feu! avec lui: prenant enfuite une bourfe remplie d'or, & tirant fon fabre qu'il pofa fur une table a cóte de la bourfe : « Vous voyez dans mois ** dit-il au Dervich, Ie raeurtrier de votre  3 o Mélanges n fils ; je pourrois me juftifier, en vous afluti rant que je ne 1'ai pas tué de deffein prémé» dité : mais mon crime, pour être involont) taire, ne vous accable pas moins Ju coup le » plus rude que 1'on puilfe porter a un pere: „vous fcavezlaloi, fi, comme»elle vous en „ donne la liberté, vous voulez me permettre „ de racheter le fang de vorre malheureux „ fils, voici de 1'or ; mais fi vous voulez ufer „ de toute la rigueur de cette mêmeloi, & „ que vous exigiez fang pour fang, voici mon „ fabre, otez-moi la vie; j'ai pris mes précau„ tions pour que vous n'ayez rien a craindre „ en fortant de ma tente. Ah, feigneur, dit le » Dervich, en fe jettant aux pieds du monar„ que, fi vous êtes au defius des autres hom„ mes par votre rang, vous 1'étes encore plus „ par votre équité ; a Dieu ne plaife, que je „ porte une main facrilege fur mon Prince, n qui eft 1'ame & la vie de fon royaume : mort „ fils infortuné a fubi le trifte fort qui étoit „ écrit de tout temps fur la table du ( i ) (O Les Mufulmans croient que la d ftinée de tous les hommes eft écrite fur un livre en cara&ères ineffac;ab'es , €ju'il nomment le livre des deftinées. Pour accorder la doc«trine du deftin rigide, avec le libre arbitre , Huféin Vaiz , linde leurs plus'fameux Dofteurs, dit, qu'après que nous arvons mal ufé de notre überté , nous n'avons plus le pouvoir de faire les bonnes ceuvres que nous voudrions : il tompare notre liberté a la bride que le cavalier tient en main, par le moyen de laquel'e il va a droite & a gauche , comme il lui plait ; mais auffi-tót qu'elle lui eft écliappée , f»n cheval 1'emporte Sc fuit fa fougue naturelle, Le pro*  de Littiraturt Oriëntale. 3 » >J deftin ; votre majefté n'eft point coupabïe «de fa m0rt> je ne dois paj £n receyo;r fc *> pnx ; je m'eftimerois heureux moi-méme, fi »je pouvois facrifier ma.vie pour conferver « celle d'un prince auffi bon, & auffi équitaw ble que votre rnajefté. » Ton défintéreflement, lui répondit le Sulh tan étonné, mérite récompenfe, & je te fais « gouverneur de la ville de Zalika. Les hom» mes fupérieurs aux autrés par les feminiens « font faits pour les commander. « verbe arabe fur ie deffineft, quequand Die:, veut exv a „ 't , volonte « H. lal, Poete Perfan, compare le monde & le evenemens qui sy palïent, a une bouie d'un mai[' & dit; ,, que le decret divm, eft !e lnail qu; pouff„ ^ «boule, qu. parelle-même n'a aucun rnouvLem" èe maiï » eft entre les mams de la Providence qui feit paffer la « par tel anneau qu'elle veut. ;t »ujio  4i Mélanges JUSTICE D'UN CALIFE$ Ou la femme coupée en morceaux & irouvé dans VEuphrate. XjE Calife ( i ) Motaded BiHah,fe promenant un jour fur les bords de 1'Euphrate avec fes courtifans, s'amufoit kconfidérer uri pêcheur qui retiroit fon filet de Peau : la fortune ne 1'avoit point favorifé, & il n'avoit pris que deux ou trois petitspoiffons. Motaded, pour le confoler^ lui ordonna de jetter fori filet une feconde fois ; le pêcheur comptant fur la générofité du Calife, obéit fur le champ ; fa joie fut extréme, lorfqu'ayant voulu retirer fon filet, il jugea a fa pefanteur qu'il avoit fait une pêche heureufe : mais quel fut fon ^tonnement, lorfqu'au lieu depoiflbri, il vit que le filet renfermoit un fac de cuir, dont 1'ouverture étoit coufue avec foin! II remit le fac au Calife qui le fit ouvrir. On trouva dedans des pierres & une main dont les ongles teints en {a) rouge, Sc les chairs encore fanglantes ( i ) Seiiieme Calife de la maifon des Abbaffides : i! ré* gnaneufans &neuf mois; ilrendoit une juftice exacte a tout Ie monde, & étoit extrêmement févere; il paffe auffi pour avoir été fort défintéreffé. ( a) Les femmes Turques & Arabes fe teignent lei on- ■ gieten rouge, & même les pieds 8c les mains avec le jus : d'uneherbe qu'ellesfont bouillir: rimpreflion du jus de cette : herbe dure une quinzaine de jours; & elles fe teignent dei! nauveavi , quand la couleur commence i t'stTacer. firem i  de Littératare Oriëntale. 33 èrent juger que c'étoit celle d'une femme maffacrée depuis très-peu de jours. Ce funefte fpeöacle fic frémir d'horreur Ie Calife. „ Eft-ce ainfi, s'écria-t-il avecdouleur, » que ceux qui font chargés de veiller a la fii» reté publique, s'acquittent de leur devoir ? » Qu'on fafie venir le Juge de police. u Celui-ci parut en tremblant devant le Prince , qui lui reprocha fa négligence: „ Montrez „ ce fac, lui dit Motaded, a tous les ouvriers » en cuir de Bagdad, & tachez de découvrir „ celui qui 1'a fait. « Le Juge fit toutes les diligences poflibles • enfin un vieillard, après avoir confidéré le fac', dit qu'il le reconnoiflbit, & qu'il 1'avoit vendu, peu de jours auparavant, avec dix autres pareilsal'Emir Jaiahhachémi, parent du Calife. Le Juge conduifit auffi-töt le vieillard devant Motaded, auquel il répéta les mêmes chofes qu'il avoit dites au Juge de police. 7) VotreMajefté, ajoutale vieillard, ignore les 7) coupables excès auxquels eet Emir s'aban>} donne tous les jours ; il abufe du droit que 3} lui donnent fa nailTance & fes dignités, 7) pour commettre toute forte de crimes : il 7> n'y a point d'afyle fi facré pour la pudeur & «pour la beauté, qu'il ne viole, & les plus 77 honnêtes femmes de la ville ne font pas a 1'av bri de fes odieufes entreprifes. Toutle monde C  ^ Melanges „ déteite fes violences, & gémit en fecret ; es* „ileftencore plus redoute qu'il n'eft hai U » v a quelque temps, qu'ayant vu par halard „ une efclave de 'fes voifms, fa beauté, fa ,eul neffe 1'endammerent : il propofa au maitre „ de 1'efclave de la lui vendre Gelui-a s en „ défenditfousle prêtexte qu'illui avoitdonné „la liberté. Un refus fi funefte pour fon „ amour, loin de le diminuer, ne fit que 1 aug„ «enter. II tenta d'avoir par adreffe ce qu il „ ne pouvoit avoir de bon grë. Comme cette „ efclave joue parfaitement de plufieurs inftru„ mens, il feignit qu'un de fes parens fe ma„ rioit, & pria le maitre de lui envoyer fon „ efclave pour amufer 1'alfemblée par festalens. „ Depuis eet inftant funefte 1'on ignore ce „ qu'eft devenue cette efclave infortunée : fon „ patron, inconfolable de fa perte, a fait de „ vaines recherches par toute la ville «. Le Calife, ayant entendu ce difcours da Vieillard, ordonna qu'on lui amenit 1'Emir Jaiah : des qu'il parut : » Reconnois-tu cette „ main, lui dit 1'Empereur d'un ton irrite, en „lui montrantlefac &la main. « L'Emir interdit, changea de couleur, & garda une morne filence. Motaded fit enfuite venirle maitre de 1'efclave, auquel il fit la même queftion. A peine eut-il appercu Ia main de fon efclave, qu'il verfa un torrent de larmes. » Faut-il qu'un monftre tel que toi,  de Litth'ature Oriëntale. 3 f fc dit alors Motaded a 1'Emir, me foit urn pae 3> les liens du fang, & que je ne puiffc te faire » expier dans les tourmens, les forfaits dont tu »t'es rendu coupable, fans violer la m3jeft« 3> du Califat. Je te bannis a jamais de mon «Empire, & je te condamne a payer mille ?) drachmes d'or, au maitre de celle que tu as ff égorgée fi inhumainement. « le d épositaire infidele. JUn Négociant fur le point de partir , remett j» un Dervich de fes amis, une bourfe plein» d'or; de retour de fon voyage, il lui redemand* fon dépot; mais le perfide Dervich nia d'avoir rien recu. Le Marchand indigné alla porter fes» plainres a Moavié Cadi, de Bagdad. Si ce Négociant, moins crédule, en remettant fon oc au Der'ich, eüt pris des témoins, 1'affaire eüc été bien vite jugée : mais il avoit négligé; cette précaution. Le Cadi fentit bien qu'il feroit impoüible de confondre ce dépofitaire infidele, il dit au Négociant de revenir le lendemain, & il envoya fur le champ chercher le Dervich. Le Cadi le recut avec bonté, & lui témoigna une eftimequ'il ne reffentoit pas, pour furprendre fa confiance. Après une aifez longue C %  ^6 Mélanges «onverfation : » Des affaires ïmportantes, luf j) dit— il, m'obligent de quitter ce pays pour » quelque temps. J'ai unefomme très-confidé9> rable en or, que je n'ofe porter avec moi; 3> je ne vous choifirois point pour mon dépo?jfitaire,fi je connoiffois dans cette ville un »> plus honnéte homme que vous. Comme il 3} faut ici du myftere, je vous enverrai mon >> depót demain dans la nuit. Le Dervich tout 3> joyeux affura leCadi d'une fidélité qu'il étoit „ bien réfolu devioler, & fe retira chez lui. « Le Marcband ne manquapas de retourner le Iendemain chez le Juge ; auffi-tót qu'il Pappercut: » Allez lui dit-il, chez votre Dervich, 3) & s'il refufe de rendre votre dépot, meua3> cez-le de me porter vos plaintes. « Celuï-ci obéit avec empreffement. Le Dervich entendant parler du Cadi, dont il croyoit avoir tant d'intérêt de conferver Ia confiance, remit promptement le dépot; Ie Négociant bien content, alla témoigner au Juge fa reconnoiffance. Cependant Ie Dervich attendoit avec impatience 1'effet de la promeffe qui lui avoit été feite : furpris de ne recevoir aucune nouvelle, il fe tranfporta chez le Cadi; mais quel fut fonétonnement, lorfqu'il s'entendit reprocher fa mauvaife foi par ce Juge. II fe retira couvert de confufion, & au déiefpoir d'avoirété la dup? de fa crédulité.  de Littimture Oriëntale. HARDIESSE D'un Ambaffadeur Grcc d la table d'un Calife. I L arriva \ Bagdad fous le regne de ( , ) Montevekul, un AmbalTadeur de I'Empereur de Vathek.Ce PHnce „ff™ a ™ a fon fr«« •nverS fes CoSïSi^&ÏSf^6*1 Cn,eI' fu™°» *e 6ute; ,1 avo % X™ r fevereme«pour lamoindedans de pointes de clous ° -frr"11 ^ fer> a™é ea «noins, pou? ffi ceuxauü'v 'f r^0" C,hauffer PUls •« Ton ViflS, moLutdans ce fcU Wst^-^ ce fils dénaturé a eonfpirer con,,L r " °" ' Poufler™ borna les Turcs qui é o ent Ia " rH " fu" tjui le maffacrèrent tand?S i ,1. I '"^ deS CaIifes > ra d • v"™' i tandis qu il etoit a tab'p convives; il fuifoit nT,ffi ™ J f ' eP°uva<"°it tous les ferpens, 'ou H^ciKttt^'? *»' ,a '^le des qu'il Ot permis a aucun de fe lt d able Tc' • fanr momdre mouvement Lorfm!» , . tab,e.ou de fa-re le ces animaux , H fefaif°ftu.S'r ' ^P1'"* Par' riaque qu'il aVoit. g ' aV£C une e*«"ente &(. leur deffein & entr7r^ iu< C0"«ifanspour exécuter Undes Seigneurs ^Pee dans U faile dufeffin. » n'eft »nX^oun?& des ions n' " V : " Ce ,, celle-des épées ■■ ' ™ d" fcrPens ' ™is c'eft ti^W^ThVZ^ 2aS l6S T"r« > •* Cour» Peinê e^il achev^ces „Tr ,X .-T^ tes éPées "  5S Mélanges Conftantinople : le Calife, qui avoit imérlt alors de ménager les Chrétiens, le combla d'honneur. Ce Prince, quelques jours; apres fon arrivée, 1'invitak un feftin fplendide, ou tous les Grands de 1'Empire furent adnus. Les vins les plus délicieux y furent prodigués. L'Ambaffadeur, étonné de voir les conyives boireduvin fans mefure & fans fcrupule, ne put s'empêcher de leur dire : « Votre Prophete „ vous a interdit 1'ufage du porc & du vin ; ces „ deux préceptes font égaux ; pourquoi etes„ vous fi rigides obfervateurs du premier , & „ violez-vous fi légérement le fecond ? « La queftion étoit embarralfante, & aucun de ceux qui étoient k table n'ofa la réfoudre : „ Je vais, avec la permiffion du Calife, repnc „ 1'AmbalTadeur, vous expliquerles motifs de „ votre conduite : vous vous êtes conformes „ fans peine a la lbi qui vous défend de man„ o-er le porc, paree que mille efpeces de vian„ des plus exquifes, flattent votre gout; mais „ vous n'avez pu vous foumettre k la loi qui , s, vous interdit le vin, paree que vous n'avez „ pas pu trouver une liqueurplus délicieufe. « Montevekul, je ne véu* pas vous furvivre. g*f.W™ «Ju Calife qui, a la vue des épées ƒ eto.t cache fous la table entendantcés paroles du Vifir , fe mit a ener: o Mon«evekul.'je ferai fort aife.de vivre apres vous.  ie Litthature Oriëntale. ALLÉGORIE. (i) \J N homme bienfaifant, voulant contribuer au bonhenr d'un de fes efclaves, lui rendit la liberté ; il fit enfuiteéquiper un vailfeau , & lui donna de quoi aller chercher fortun» dans tel pays qu'il lui plairoit choifir. L'efclave reconnoiiTant mit a la voile ; a peine étoit-il en mer,' qu'une tempéte affreufe le jetta dans une isle qu'il croyoit déferte ; il avoit perdu fes marchandifes; fon. équipage avoit été fubmergé, il étoit feul fans fecours , & livré a 1'incertitude d'un avenir qu'il croyoit ne pouvoir être que funefte : il marchoit fans delTein, abforbé dans fes réflexions, lorfqu'un chemin tracé s'offnt a fes regards ; il le fuivit avec joie, & découvrit de loin une grande ville. Ses efpérances fe ranimerent, & il y dirigea fes pas. Mais quel fut fon étonnement, lorfqu'en approchant il fe vit environné d'habitans accourus a fa rencontre : des Hérauts commencerent a crier : u Peuples voici votre Monarque ; les « acclamations le précéderent dans la ville, oü ( i ) Cette altégorie & la fuivante peuvent donner une idéé de la Plnlofophie oriëntale, qui ne préfente prefqu* iiicuBc vérité morale, que fous l'cmbjfme desfigures. C4  40 Mélanges » il fut conduit avec pompe ; on 1'introduifit 3> dans le palais, féjour ordinaire des Rois, il 3> fut revêtu d'un manteau de pourpre, & f> fa tête fut ceinte du diadême. Les princi3> paux Seigneurs vinrent lui jurer au nom du 3> peuple entier, 1'obéiifance due aux Souve3> rains. « Ce nouveau Monarque ne pouvoit croire que ce ne fut pas un fonge ; cependant, perfuadé par une plus longue expérience de la réalité du fort qu'il éprouvoit, il fe demandoit a lui-meme : » Qu'eft-ce que tout ceci ? & 3) que veut de moi PEtre Suprème ? « Cette penfée qui 1'agitoit fans ceffe, I'invita a prendre des éclairciffemens: il appella celui des Seigneurs de la Cour qui 1'approchoit Ie plus fouvenr, qui lui donnoit des confeils, & que la Providence fembloit avoir deftiné h partager le gouvernement avec lui. » Vifir, lui „ dit-il, qu'eft-ce qui m'a fait votre Roi? „ pourquoi m'obéit-on, & que dois-je de„ venir ? Sachez, Prince, lui répondit le Miniftre, que les Génies qui habitent cette isle „ ont demandé a Dieu de leur envoyer cha„ que année un enfant d'Adam pour régner fur „ eux. Le Tout-puilfanta daigné exaucer leurs „ vccux, & toutes les anne'es a pareil jour il „ aborde ici un homme : les peuples empreffe's „ accourent a fa rencontre, comme vous 1'avez  de Littirature Oriëntale 4P „vu ; ils le reconnoifTent pour leur Souve„ rain ; mais le cours de fon regne ne peut éire „ que d'une année. Ce terme fatal re'volu il eff „ précipité du trène, dépouillé des ornement „ royaux & revêtu d'habits groffiers ; des fol„ dats impiroyables le trainént fur Je bord de „ la mer, le jettent fur un vaifieau qui le con„ duit a une autre isle: cette isle efi par fa na„ ture aride & déferte. Celui qui, peu de jours ,. auparavant étoit un puilTant Monarque, ne „ trouve ni fujet, ni ami, ni confolateur ; & „ il traine une vie pénible & douloureufe. Les „ peuples, après avoir ainfi traité leur ancien „Roi, fortent de la ville pour aller au devant „ du nouveau Monarque , que la Providence „ leur envoie conflaniment chaque année : „ telle eft, Prince, la loi irrévocable que vous „ ne pouvez pas changer. " „ Mes prédéceffeurs, dit Ie Roi k fon „ Vifir, ont-ils été inftruits d'un fort fi rigou„reux? Aucun d'eux, répondit le Miniftrc, „ ne 1'a ignoré ; mais ilsn'ontpas eu le courage „de fixer fur un avenir facheux, des yeux „ éblouis de 1'éclat qui environne Ie tróne : J'i„vrelte des plaifirs paffagers les a détournés „ de 1'idée d'un bonheur durable, & ils n'ont if pas fu prévenir la fin qui les menacoit: 1'anj, née de leur profpériré s'eft tcujours écoulée , „ fans qu'ils s'en foient appercus; le jcur fatal  42. Mélanges „ eft venu enfin, & ils n'avoient Hen fait pour „ adoucir un fort inévitable & funefte. " Ce difcours du Miniftre pénétra de crainte le Prince: il fongea avec effroi qu'une partie de ce tems précieux s'étoit déja écoulée, & il réfolut de mettre a profit cè qui lui reftoit. Sage Vifir, dit-il au Génie, vous ni'avez „ annoncé des malheurs, quel autre que vous„ pourroit m'enfeigner les raoyens de les dé„ tourner de delfus ma tête. " „ Souvenez-vous, Seigneur, lui dit le Génie, „ que vous êtes entré nu fur cette isle ; fa„ chez que vous en fortirez de même, & que „ vous n'y rentrerez jamais. II ne vous eft „ donné qu'un feul moyen d'éviter les maux „ dont vous êtes ménacé; il faut envoyer dans „ 1'isle oü vous ferez conduit desouvriers habi„ les qui conftruifent de vaftes magafins, que „ vous remplirez de provifions nécelfaires pour „ les befoins de la vie. Profitez des momens „de votre profpérité, & faites-vous des ref„ fources pour un tems plus difficile ; mais il „ faut achever promptement tous ces travaux; „ le tems prelfe , le terme approche , 1'inftant „ échappé ne renaitroit plus. Souvenez-vous „ fur-tout que vous ne trouverez dans le lieu „que vous irez habiter fi long-tems , que ce „ que vous y aurez fait tranfporter d'ici dans „ le peu de jours qui vous refteut."  de Litte'rature Oriëntale. Le Roi approuva le projet du Minrftre , & fe conduifit par fes confeils pour 1'exécuter. Les ouvriers furent envoyés dans 1'inftant : les épargnes deftinées a ces travaux furent employés utilement pour avancer 1'ouvrage: le Monarque fit pafier dans cette isle autant d'habitans qu'il le crut néceffaire pour la rendre agréable & fertile. Cependantle moment approchoit oü il devoit quitter fon R-oyaume ; mais ce Prince, loin de le re°retter, foupiroit après l'inftant oü il devoit°prendre pofleflion de fes nouveauxEtats. Le jourprefcrit arriva enfin, il fut précipité du tróne, dépouillé des habits royaux,comm» on lui avoit prédit, & conduit fur un vailfeau qui le porta dans le lieu de fon exil. Le Monarque détróné y arriva heureufement, & J vécut plus heureufement encore , avec les fecoursquefa fagelfe y avoit amafles. Arabchah, duquel j'ai traduit cette allegorie, en donne 1'explication fuivante. L'homme bienfaifant, c'eft Dim : Vefclave, ceft Venfant qui eft concu : le vaiffeau fur lequel fon maitre le fait embarquer, eft le ventre de fa mere. Le naufrage du vaiffeau eft l'inftant de la. vaiffance: Visie oh il aborde , eft ce monde. Les Gênies qui vont a fa rencontre , ce font fes pareus qui prennent foih de fon enfance. Le Miniflrequi Vavertit du trifte fort qui Vattend, ceft  42- Mélanges „ ert venu enfin, & ils n'avoient rien fait pour „ adoucir un fort inévirable & funefte. " Ce difcours du Miniftre pénétra de crainte ïe Prince: il fongea avec effroi qu'une partie de ce tems précieux s'étoit déja écoulée,& il réfolut de mettre a profit cè qui lui reftoit. M Sage Vifir , dit-il au Génie , vous m'avez „ annoncé des malheurs , quel autre que vous „ pourroit m'enfeigner les moyens de les déj, tourner de deffus ma tête. " „ Souvenez-vous, Seigneur, lui dit Ie Génie, „ que vous êtes entré nu fur cette isle ; fa„ chez que vous en fortirez de rnême, & que „ vous n'y rentrerez jamais. II ne vous eft „ donné qu'un feul moyen d'éviter les maux „ dont vous êtes ménacé; il faut envoyer dans „ 1'isle ou vous ferez conduit des ouvriers habiles qui conftruifent de vaftes magafins, que „ vous remplirez de provifions néceflaires pour „ les befoins de Ia vie. Profitez des momens „ de votre profpérité, & faites-vous des ref„ fources pour un tems plus difficile ; mais il „ faut achever promptement tous ces travaux; „ le tems prefTe , le terme approche , 1'inftant „ échappé ne renaitroit plus. Souvenez-vous „ fur-tout que vous ne trouverez dans le lieu „ que vous irez habiter fi long-tems , que ce „ que vous y aurez fait tranfporter d'ici dans „ le peu de jours qui vous refteat."  'ie Littèrature Oriëntale. 45 Le Roi approuva le projet du Miniftre, & fe conduifu par fes confeils pour 1'exécuter. Les ouvriers furent envoyés dans 1'inftant : les épargnes deftinées a ces travaux furent employées utilement pour avancer 1'ouvrage: le Monarque fit paffer dans cette isle autant d'habitans qu'il le crut néceffaire pour la rendre agréable & fertile. Cependantle moment approchoit ou il devoit quitter fon Royaume ; mais ce Prince ,loin de leregretter, foupiroit après 1'inftant oü ïl devoit&prendre poffeflion de fes nouveau* Etats. Le jourprefcrit arriva enfin, il fut précipité du tröne, dépouillé des habits royaux,comm» on lui avoit prédit, & conduit fur un vaiffeau qui le porta dans le lieu de fon exil. Le Monarque détröné y arriva heureufement, & J vécut plus heureufement encore , avec les fecoursquefa fageffe y avoit amaffés. Arabchah, duquel j'ai traduit cette allegorie, en donne 1'explication fuivante. L'homme bienfaifant, c'eft Dieu : V'efclave , c'eft V'enfant qui 'eft concu : le vaiffeau fur kquel fon maitre le fait embarquer, eft le ventre de fa. mere. Le naufrage da vaiffeau eft Vinftant de U vaiffance: Visie oh il aborde , eft ce monde. Les Ge'nies qui vont a fa rencontre , ce font fes pareus qui prennent foin de fon erjance. Le Miniftre qui Vavcrtit du tnftefort qui Vattend, c eft  44 Mélanges lafagefe. Z''année guU dok reiner, c'efllt cours de La vie humaine- & risk déferte oh il ejtcondmt , dejl Vcrnn monde : les ouvriers fuil envoie font les bonnes ceuvres quil fait durant fa vie : les Princes qui Vont précédé , Jans faire réflexion aux malheurs qui les me nament, font la plupart des hommes, qui, unifuement occupés des plaifirs de ce monde, ne Songentpas k rautreoh ils font malheureux, ea Jeprefentant les mains vuides de bonnes auvres devant le tróne de Dieu. ALLÉGORIE Sur rAmitié. Un riche Négociant avoit nn fils unique quil aimoit tendrement; il le fit élever avec beaucoup de foin, & ne ménagea rien pour lui former le cceur & lui orner 1'efprit. L'émication du jeune homme étant preique finie, refolut de le faire voyager : „ Mon fils, lui „dit-il un jour, fachez que parmi les beLins " Prefm de !a vie> Ie plus grand de tous c'eft „ un bon ami. La prodigalité nous enleve nos nchelTes, un revers de fortune faittomberIes v plus puifTans dans 1'adverfité; mais lamort feule „ nous enleve un ami, comme elle nous enleve  de Litte'rature Oriëntale. 4^ nous-mémes; c'eft le feul avantage ( 1) qu'aucune puiffance humaine ne peut nous ravir: trouvez un feul ami dans le cours de „ votre vie, &c vous aurez trouvé le premier & le plus grand de tous les befoins. Je defi„ rerois aufli , mon fils , que vous parcou„ rufïïez le monde; les voyages donnent Ia „ véritable expérience ; plus on a vu d'hom„ mes, plus on fait vivre parmi eux. Le monde „ eft un grand livre qui inftruit celui qui fait „ y lire; c'eft un miroir fidele qui rend a nos „ yeux tous les objets dont laconnoiffancepeut 9, nous inflruire. Partez , mon fils, & ne fon- gez fur-tout dans vos courfes a faire d'acquifi„ tion , que celle d'un véritable ami. Sacrifiez „ s'il Ie faut pour cela , tout ce que vous avez de plus précieux. Le jeune homme prit congé de fon pere, & alla dans un pays peu éloigné de celui qu'il venoit de quitter ; il y féjourna peu de tems, &c revint dans fa patrie. „ Je ne vous attendcis (O Cette penfée eft affez femblable a une de CicéroH, dans fon Dialogue fur 1'Amitié , chap. 15.» Quelle plus !> grande folie , dit-il, pour un homme opulent, & qui eft » a portée de fe donner tous les agrémens de la vie, que 31 de rechercher tout ce qu'on peut avoir avec de l'argenH j> Belles terres , beaux équipages , maifens fuperbemenC » meublées , & de ne pas fonger plut&t a fe faire des 3) amis ; toute autre acquifition peut leur échapper, & 31 devenir la proie du plus fort; il n'y a que nos an.H., >» dont la pofifeffion ne puiffe nous être difputée Dc It n nutun des Ditux de l'Abbi d'VUrei, pag. i}6, tam, r„«-  ^6 Mélanges „ pas fi-tot, lui dit fon pere , étonné d'un fi „ prompt retour. Vous m'aviez ordonné , luï „ répondit fon fils , de chercher un ami, & j'en j, ai amené cinquante qui font le modèle de Ia vraie amitié. " „ Mon fils, reprit le Négociant, ne prodi, guez pas ce nom facré ; avez - vous oublié ce „ que dit le Poëte Perfan ? Ne vantez pas vo„tre ami, avant de Pavoirmis al'épreuve. C'eft „ une chofe rare; prefque tous ceux qui préten, dent a ce titre , n'en ont que le mafque : ils „ reffemblent a un nuage d'été qui fe fond au „ moindre rayon du foleil , ils agiffent avec ceux qu'ils prétendent aimer , comme les bu. „ veurs font avec une cruche remplie de vin , „ qu'ils embraffent amoureufement tam qu'elle , contient encore de cette liqueur enchante„ refle, & qu'ils jettent a terre , aufli-tót qu'elle „ eft vuide : je crains fort que ceux dont vous „ êtes fi content, ne reffemblent a ces amesfauf„ fes dont je viens devous tracerl'idée. " Mon „ pere, réponditlejeunehomme, votre défiance „ eft injufte ; ceux que je regarde comme mes amis,me verroient dans 1'adverfité, fans que f} leur cceur fe démentït. " „ J'ai vécu foixante-dix ans, reprit le Né„ gociant, j'ai éprouvé la bonne & la mauvaife fortune , beaucoup d'hommes ont parua mes „ yeux ; a peine dans une fi longue révolution  ■de Zitdrature Oriëntale. 47 J, cVannées ai-je pu acquérir un ami; commeni a votre age,& enfi peu de tems, enavez-vous „ trouvé cinquante ? Apprenez de moi a connoitre les humains. " Le Négociant égorgea un mouton , Ie mit dans un fac , & teignit du fang de eet animat les habits de fon fils ; tout étant ainfi difpofé pour Ie delfein qu'il avoit formé , il en rernit 1'exécution a la nuit. II prit le fac ou étoit le corps du mouton , le chargea fur les épaules du jeune homme , qu'il avoit inftruit du role qu'il devoit jouer : ils fortirent tous deux dans eet équipage. Le jeune homme frappe a la porre d'un de fes cinquante amis ; celui-ci ouvre d'un air emprefle , & lui demande le fujet de fa venue. „ C'eft dans le malheur , lui répondit le fils du „ Négociant , qu'on éprouve ceux qu'on „ aime. Je vous ai entretenu fouvenc de 1'anj, cienneinimitié qui régnoitentre ma familie, Sc ce'le d'un Seigneur de la cour ; le hafard „ nous a fait rencontrer dans un lieu écarté ; „ la haine nous a mis les armes a la main , je „ 1'ai étendu fans vie a mes pieds. Dans la ?, criinte d'être pourfuivi par la juftice , j'ai pris ,, fon corps, il eft dans le fac que vous voyez fur „ mes épaules : je vous prie de cacher ce corps „ dans votre maifon , jufqu'a ce que cette af„ faire foit affoupie. „ Ma rrjaifon eïl 11 petite,  Mélanges lui répondit fon ami, d'un air chagrin & em„ barralfé , a-peine peut-elle contenir les vi- varis qui 1'habitent, comment y pourrois-je „ placer un mort ? Perfonne n'ignore la haine qui régnoit entre vous & le Seigneur que j, vous avez tué ; on devinera bientót que vous , êtes 1'auteur de fa mort; on fera des recher„ ches; & comme notre amitié eft publique , }, on commencera par ma maifon ; rien ne vous „ ferviroit de m'envelopper dans votre mal„ heur, le feul fervice, que je puiffe vous ren„ dre eft de vous garder le fecret. " Le jeune homme fit de nouvelles inftances, mais inutilement : défefpérant enfin de fléchir eet ingrat , il alla trouver fuccefiivement les cinquante perfonnes , fur lefquelles il avoit fi légérement compté , & cinquante fois il recut le même accueil, „ Reconnoiffez enfin , mon fils , lui dit le „ Négociant, combien il faut peu compter fur les hommes ; qu'eft devenu le zele de ceux „ dont vous faifiez un éloge fi pompeux; ils „ vous ont tous abandonné dans votre dif5, grace. Ce font des murailles peintes , des , nuages fans pluie , des arbres qui ne portent 5, aucun fruit: je veux vous montrer la difte„ rence qu'ily a du feul ami que j'ai aux votres.« Tout en caufant, ils arriverent devant la porte dc celui qu'il avoit repréfenté ï fon filscommè k  & Zittérature Oriëntale. |g té modeïe de 1'amitié parfaite. D lui raconta Ie prétendu malheur arrivé a Ion fils. „ O jour „ trois fois heureux ! s'écria eer homme, qui „ me fournit 1'occafion de vous prouver mon „ attachement; fi vous comptez fur moi, vous „ me rendrezjufiice ; mamaifoneft affez grande ,, pour cacher mille corps morts ; mais quand meme il y auroit du danger pour moi, je „ I'affronterois avec joie dans 1'efpérance de „vous fauver. Rendez-vous aVec votre filsa „ ma terre, vousy vivrez tranquille, inconnu „ & a 1'abri de toutes les recherches de Ia „ Juftice. u Le Négociant, après avoir remercié fon ami de fes ofFres généreufës, lui dit que tout ce qu'il venoit de lui raeonter , n'étoit qu'une fable inventée , pour apprendre a fon fils a difcerner les faux amis des véritables. RÉPONSE INGÉNIEUSE D'un Dervich d un Roi. Un Sultan, étarit a Ia promenade, rencontra un Dervich qui tenoit une téte de mort fur fes genoux ; le Santon , fans appercevoir le Roi, confidéroit cette tête, & fembloit plongé" dans la plus pröfonde rêverie : 1'attitude da D  ■^0 Mélanges Dervich , fon attention furprirent le Sultan :i\ aborde le Dervich , & lui demande le fujet de fes réflexions. „ Prince, répondit le Moine, „ cette tête s'eft offerte a ma vue ce matin; depuis cetinfhtnt, je cherche en vain a dé„ couvrir fi cette tête eft d'un puiffant Mo„ narque comme Votre Majefté , ou d'un pau„ vre Dervich comme moi. " AUTRE BON MOT D'un Dervich. ü N Sultan avoit fait élever un palals k grands frais; lorfqu'il fut achevé , il y conduiht fa Cour, pour expofer ce palais a 1'admiration de fes Favoris ; comme on en louoit la> beauté, & fur-tout le nombre & la régularité des entrées : „ En effet, dit un Dervich qui „ s'étoit mêlé dans la troupe, ce palais eft ou„vertde toutes parts, 1'Ange de la mort peut „ y entrer aifément. "  de Littérature Oriëntale. j f TRA1T EXTRAORDINAIRE Dc générofiié d'un Égyptien. Un incehdie ayant embrafé urn» nuit Ia principale Mofquc'e du Caire, les Mufolnaas ne manquerent pas d'imputer ce malheur a la hame des Chrétiens; &, fans examiner fi un reproche fi grave étoit fondé, plufieurs jeunes gens coururent au quartier des Chrétiens & y mireiu le feu par repréfaiües. Un pareil exces devoit être puni: Ie Gouverneur fit faifirles coupables, qui tous avoient bien mérite la mort; mais, comme ils étoient en grand nombre, il ne put fe réfoadrea facrifier tant de jeunes gens qui s'étoient Iaiffé aller a un grand crime, plutót par fougue que par mahce. On jetta dans une urne autant de billets qu'il y avoit de coupables; un petit nombre de ces billets portoit un arréï de mort, & tous les autres condamnoient celui qui le retiroit a être feulement battu de verges. Lorfque tous les coupables eurent tiré leur fort de 1'urne fatale, un de ceux qui devoient mourir, s'écria avec douleur: „ Je ne regrette „point la vie, mais comment mes parer.s D %  ,% Mélanges accablés devieuleffefc réduits k la dermere ^ifere^ourront-ilsfepafferdernesfecours « L'unde ceux qui avoient échappé a la mort, dit k celui qui pleuroit: „ Ami, je n'aimpere „nimere, ma vie n'eft utile k perlonne donne-moi ton billet, & prends,1einnen. ' Cetétonnant facrifice excita 1'admiration de tous ceux qui en étoient témoins ; &le Gouverneur , qui netardaPaSal'aPprendre,fit crace aux deux coupables. jAtOUSIE CRUELLE D'un Arabe du défert. IJn Arabe du défert devint éperdument amoureux d'une jeune fille qui n'étoit pas de fa Tribu. Laloi lui défendoit abfolument de faire cette alliance; mais fa conftance & 1 ardeur de fa paffion furmonterent eet obftacle; il étoit plus riche que celle qu'il aimott: les parens de la jeune perfonne obtrnrent que la lol générale feroit violée, &l'amant devmtheureux , ft le bonheut peut exifter avec une ïaloufie effrénée. . , L'époux ne tarda pas a s'appercevoir quil • - r\vJ nuiffant : 1'amour mécontent ,  de Littlrature Oriëntale. 53 jui-même au fond d'un défert. II partit avec «Jle; après plufieurs jours de marche, il choifit pour fon domicile un lieu d'autant plus riant k fes yeux, qu'il étoit tout-a-fait folitaire , 6c très-éloigné de toute habitation. A peine y avoit-il tendu fa tente, fous laquelle repofoit cette époufe qui lui caufoit tant de plaifirs & tant de peine, qu'il appercuc de loin trois Cavaliers, parmi lefquels ilreconnut fon rival: enflammé de colère,il 1'attaque Ie premier, malgré 1'inégalitédu nombre, & eft bientót percé deplufieurs coups. Comme il avoit vendu cher fa vie , ce rival étoit aufli bleffé , tandis que fes fuivans lui donnent du fecours , le furieux Arabe fe traïne dans fa tente; fon époufe accouroit pour le foutenir ; il la regarde avec des yeux pleins d'amour & de rage. » Meurs avec moi, lui dit-il, plutót que de devenir la proie d'un infame raviffeur : a ces mots il la perca du poignard qu'il tenoit encore ; leur ,, fangconfondu fort agros bouillons, &ils ex,, pirent en même tems aux yeux du raviffeur-, qui bleffé lui-même, ne tira aucun fruit de ss fa cruelle entreprife."  5 4 Mélanges LES DEUX PANTOUFLES. J L y avoit a Bagdag un vieux Marchand , iiommé Abou-Cafem-Tambouri, fort célèbre pour fon avarice. Quoiqu'il fut tres-riche , fes habits n'étoient que pièces & morceaux : fon turban d'unetoile groffière, étoit fi fale que 1'on ne pouvoit plus en diftingner la couleur ; mais de tout fon habillement , fes pantoufles étoient ce qui méritoit davantage 1'attention des curieux : les femelles étoient armées de gros clous, les empeignes étoient toutes rapiécetées. Jamais le fameux navire d'Argos n'eut tant de pieces , & depuis dix ans qu'elles étoient pantoufles , les plus habiles Savetiers de Bagdag avoient épuifé leur art pour en rapprocher les débris. Elles en étoient même devenues fi péfantes , qu'elles avoient pafte en proverbe , & lorfque 1'on vouloit exprimer quelque chofe de lourd, les pantoufles de Cafem étoient toujours 1'objet de comparaifon. Un jour ce Négociant fe prcmenant dans le grand ( i ) bazar de la ville , on lui propofa d'acheter une partie confidérable de cryftal ; il conclut Ie marché, paree qu'il étoit avantageux : ayant appris quelques jours après, qu'un panu( I ) B»iar, marché public.  £e Litterature Oriëntale. 5 5 meur ruiné avoit pour toute reffource de Peaurofe a vendre, il profita du malheur de ce pauvre homme, & luiacheta fon eau pour la moitié de fa valeur : cette excellente affaire 1'avoit mis de belle humeur : au lieu de donner un grand feftin , felon 1'ufage des Négocians de 1'Orient, qui ont fait quelque marché avantageux, il trouva plus expédient d'aller au bain , oü il n'avoit pas été depuis long-tems. Comme il ötoit fes habits, un de fes amis , ou du moins qu'il prenoit pour tel, ( car les avares en ontrarement, ) lui dit que fes pantoufles le rendoient la fable de toute la ville , & qu'il devroit bien en acheter d'autres. J'y fonge depuis long-temps, répondit C?/em ; maisenfin elles ne font pas fi délabrées, qu'elles ne puilfent encore fervir : tout en caufant il fut déshabillé & entra dans Pétuve. Pendant qu'il fe lavoit, le Cadi de Bagdad vint auffi fe baigner. Cafem étant forti avant le Jusre, paffa dans la première piece ; il reprit fes habits & chercha en vain fes pantoufles: une chauffure neuve étoit a la place de la fienne ; notre avare perfuadé, paree qu'il le defiroit, que c'étoit un préfent de celui qui 1'avoit fi bien prêché, met a fes pieds les belles pantoufles, qui lui épargnerent le chagrin d'en acheter d'autres, & fort du bain plein da joie. D 4  |tf Mélanges Quand le Cadi fe.fut baigné, fes efclaves chercherent en vain les pantoufles de leur Maitre; ils ne tfouverentqu'une vilaine chauffure, qui fut auffi-tot reconnue pour celle de Cafem : les Huiffiers coururent après le prétendu filou, & le ramenerent faifi du vol; le Cadi, après avoir troqué de pantoufles, l*envoie en prifon. II fallut financer pour fortir des. griffes de la Juftice ; & comme Cafem paffoit pour être au moins aufli riche qu'avare, on ne 1'en tint pas quitte a bon marché. De retour chez lui, 1'affligé Cafem jette de dépit fes pantoufles dans le Tygre qui couloir fous fes fenêtres; quelques jours après, des pêcheurs retirant un filet plus lourd que de coutume, y trouverent les pantoufles de Cafem. Les clous dont elles étoient garnies avoient brilé les mailles du filet. Les pêcheurs, indignés. contre Cafem, & contre fes pantoufles, imaginerent de les jetter dans fonlogis par les fênetres qu'il avoit laiffées ouvertes: les pantoufles, lancées avec force , atteignirent les flacons qui étoient fur les corniches & les renverferem : les bouteilles furent fracafftes, & 1'eau-rofe fut perdue. On fefigurera,fi 1'on peut, la douleur de Cafem, k la vue de tant de défordre : maudites, pantoufles, s'écria-t-il, en s'arrachant la barbe, /vous ne me cauferez plus de dommage; ^  de Littlrature Oriëntale. 57 dit, & prenant unebêche, il fituntrou dans fon jardin pour y enfouir fes favates. Un de fes voifins qui lui en vouloit depui* Jong-temps, 1'appercut remuant la terre ; il court aufti-töt avertir le gouverneur que Cafem a déterré un tréfor dans fon jardin : il n'en fallut pas davantage pour allumer la cupidité du Commandant. Notre avare eut beau dire qu'il n'avoit point trouvé de tréfor, qu'il avoit feulement voulu enfouir fes pantoufles ; le Gouverneur avoit comptéfurde 1'argent, & 1'afHigé Cafem n'obtint la liberté, que pour une fort groffe fomme. Notre homme défefpéré, donnant fes pantoufles au diable de grand cceur, va les jetter dans un aqueduc éloigné de la ville : il croyoit pour le coup qu'il n'en entendroit plus parler : mais le diable, qui n'étoit pas las de lui faire des niches , dirigea les pantoufles tout juftement au conduit de 1'aqueduc, ce qui intercepta le fil de 1'eau. Les Fontainiers accourent pour réparer le dommage : ils trouvent & portent au Gouverneur la chauffure de Cafem, declarant qu'il avoit fait tout le mal. Le malheureux maitre de pantoufles eft remis en prifon, & eft condamné a une amende plus forte que les deux autres : le Gouverneur qui avoit puni le délit, prétendant n'avoir rien a perfonne, lui rendit fidélement fes précieufes  5 8 Mélanges pantoufles. Cafem, pour fe délivrer enfin de tous les maux qu'elles lui avoient caufées, réfolut de les brüler ; comne elles étoient imbibées d'eau, il les expofa au rayons du foleil fur la ( i ) terrilfe de fa maifon. Mais la fortune n'avoit pas encore épuifé tous fes traits contre lui, & le dernier qu'elle lui réfervoit étoit le plus cruel de tous. Un chien d'un voifin appercut les pantoufles, il s'élance de la terraffe de fon maitre fur celle de notre avare, il prend dans la gueule une des pantoufles, Jc en jouant la lache dans la rue : la funefte favate tombe direÖement fur la tête d'une femme enceinte qui paffoit devant la maifon. La peur & la violence du coup occafonnerent une fauffe couche a cette femme blefll'e : fon mari pórte plainte au Cadi, Sc Cafem eft condamnc a payer une amende proportionnée au malheur, dont il eft la caufe. II retourne chez lui, & prenant fes deux: pantoufles dans fes mains : " Seigneur, dit-il. au Cadi, avec une véhémence qui fit rire le : 3, Juge, voila 1'inftrument fatal de toutes mes ij peines; ces maudites pantoufles m'ont enfin J j., réduita la pauvreté ; daignez rendre un arrêt, J „ afin que 1'on ne puiffe plus m'imputer les> malheurs qu'elles occafionneront fans doute: f I ) TerrafTe : les maifons dans la plus grande partie de : 3'Orient n'ont point de toit, mais des terraffes, oii 1'on ref- • pire le frais, sprès le coucher du teleil.  de littlraturt OrientaTé. 59 *~n encore. Le Cadi ns put pas lui réfnfer fa „ gemande, & Cafem apprit a grands frais le „ danger qu'il y a de ne pas changer alfez fou„ vent de pantoufles. RECONNOISSANCE SINGULIERE, Et feminiens de ge'nérofïté entre deux Seipneurs Arabes. ^t\u Li-Ibn-Abbas, favori du Calife ( 1) Mamoun, & Lieutenant de Police fous le re- ( i ) Mamoun, fils du Calife Aroun Arrachid : fon nom eft fameux dans tout 1'Oriënt, & il paffe pour le plus grand Prinre de la maifon des Abbalfides ; fon regne fut de vingt ans & huit mois. II étoit grand Capitaine, plein de douceur, & d'une libéralité pouffée a 1'excès : mais ce qui 1'a Ie plus im ïiortalife , eft fon anaour pour les Belles-Lettres : il étoit lui-même fort verfé dans toutes fortes de fciences, fur-tout dans la Philofóphie & dans I'Afironomie. C'ell ce Prince qui fit traduire du Grcc en Arabe les meillenrs Ouvrages des Grecs, & q^.ï infpira a fa nation le gout des fciences, dans lefquclles elle égala bientót les Grecs, fes premiers maitres. Les Dofteurs Mahométans lui ont reproché d'.-.voir introduit la Philofóphie, & les autres fciences fpéculatives dans les Mahométifme : car les Arabes de fon temps , n'étoient pas accoütumés a lire d'autres livres, ([ue ceux de leur reliüfion : ce Prince favorifoit également les Sc;avans , de quelque rcligion qu'ils fuffent. La queftion de la création , ou de 1'éternité de 1'Alcoraa qui s'eleva de fon temps, lui fit verfer beaucoup de fang : il prétendoit, avec le plus petit nombre des Dofteurs, que ce livre avoit été créc : les autres Docleurs afluroient que 1'Alcoran, étant la parole émanée de Dieu , étoit écernel , comme lui-mème ; c'eft encore aujourd'huj 'e fentimenr des Mahométans qui regardent, eomise iuridcles ceux qui nier* ce dogme.  éó Mélanges gne de ce Prince, raconte en ces termes une hiftoire qui lui eft arrivée a Iui-même. „ J'étois un foir chez Ie Calife, lorfque 1'on „ y amena un homme pieds & mains liés. Ma„ moun m'ordonna de garder a vue ce prifon„ nier, & de le lui amener le lendemain matin. ,, Le Calife m'avoit paru très-irrité : Ia crainte „ de m'expcfer moi-méme a fa colere, m'inf- pira de renfermer le prifonnier dans mon 31 { 1 ) harem, comme le lieu le plus fur de „ ma maifon. „ Je lui demandai quelle étoit fa patrie ; il „ me répondit qu'il étoit né a Damas, & qu'il ,, demeuroit dans le quartier de la grande Mof- quée. Que le ciel, m'écriai-je, verfe fes „ bénédictions les plus abondantes fur la ville „ de Damas, & particuliérement fur le quartier que vous habitez. II voulut fcavoir Ie ( i ) f Harem ). C'eft le non que 1'on donne dans l'O» rlent, i 1'appartement deftiné aux femmes. II eft féparé du refte de la maifon auquel il communiqué cependant par une galerie ; aucun homme, excepté le maitre, n'a droit d'y entrer : ce nom vient de Ia racine arabe Haramé, il a défendu. Harem veut dire une chofe facrée, & a laquelle il n'eft pas permis de toucher ; ainfi ils appellent Ie temple de Ie Mecque , Bat el haram , la maifon facrêe. Le harem du Sultan a Conftantinople eft inacceftible a tout Ie mende ; aucune femme , pas même celle du grand Vilir n'a le privilege d'y entrer ; il n'y a que les efclaves du Sultan qui, ayant été élevées dans ce lieu, & mariées enfuite a quelques Seigneurs , ou bien les filles ou les foeurs du Sultan , & les Princefles du fang, qui étant forties du ferrail, ou pour mieux dire du harem , pour époufer quelques Pachas , ent la permiflion d'y entrer pour faire leur cour au Sultan & aux Sultanes. s  'ie Littcrature Oriëntate. ët >, motif du vif intérêt qui m'animoit; c'eft f, lui dis- je, que je dois la vie a un homme de votre quartier. „Ces paroles exciterent fa curiofué, & il ,, me conjura de la fatisfaire. II y a plufieurs „ anne'es, continuai-je, que le Calife, mécon„ tent du Vice-Roi de Damas, le dépofa: „ j'accompagnois celui que ce Prince avoit „ nommé pour lui fuccéder ; dans 1'inftant que nous prenions poffefiion du palais du Gou t) verneur, une querelle s'éleva entre le noui, veau Sc I'ancien Gouverneur ; ce dernier avoit apofté des foldats qui nous affaillirent; „ je fautai par une fenêtredu palais; me voyant pourfuivi par d'autres aflaflins, je me refugiaï „ dans votre quartier. Je vis un palais ouvert, „ dont le maïtre étoit fur la porte, je le con„ jurai de me lauver la vie ; il me conduifit „ aufli-tót dans 1'appartement de fes femmes, „ & j'y reftai un mois dans 1'abondance & dans la paix. „ Mon héte vint un jour m*avertir qu'unt? „ caravane fe difpofoit a partir pour Bagdad , „ & que fi j'avois delfein de revoir ma patrie, je ne pouvois profiter d'une occafion plus „ favorable ; la honte me ferma la bouche, & „ je n'ofai lui avouer ma mifere : je me trou„ vois fans argent, forcé par conféquent de fuivrela caravane a pied. Mais quel fut moo  '€% Mélanges. „ étonnement, lorfque le jour du dépaft, Von, m'amena un très-beau cheval , un mulet ,, chargé de toutes Cortes de provifions, avec „ un efclave noir, pour me fervir dans la route ; mon hóte me remit en mêmc-temps „une bourfe d'or ; il me conduifit lui-même ,, a la caravane, ou il me recommanda a plufieurs voyageurs de fes amis. Voila le bien„ fait que j'ai recu dans votre ville , &c ce qui „ me Ia rend fi chere : toute ma peine eft de „ n'avoir pu encore découvrir mon généreuX „ bienfaicteur. Je mourrois content, fi je pou„ vois lui témoigner ma reconnoiffance. „ Vos voeux font accorriplis, s'écria avec tranfport mon prifonnier; je fuis celui qui „ vous recut dans fon palais, pouvez-vous ,, me méconnoitre ? Le temps qui s'étoit „ écoulé depuis eet événement, & la douleur ,, dans laquelle il étoit plongé, avoient changé fon vifage, mais en cherchant fes traits, je „ me les remis aifément, & des circonftances „ qu'il me rappella, ne me permirent plus de „ douter que ce prifonnier, qui étoit prêt de perdre la vie , ne fut celui-la même qui ma 1'avoit fi généreufement fauvée. Je 1'embraf„ fai, les larmes aux yeux, je lui ótai fes chai„ nes, je lui demandai par quelle fatalité il avoit encouru la colere du Calife. Des en,, nemis méprifables^ me répondit-il, m'ont  de Zittirature Oriëntale. 6$ ï, noirci injuftement dans 1'efprit de Mamourt; on m'a fait partir de Damas avec précipita„ tion, 1'on a pouffc la barbarie jufqu'a me re/, fufer la confülation d'embrafler ma femme „&mes enfans ; j'ignore quel fort m'attend; „ mais fi, comme je dois le craindre, 1'arré: de „ ma mort eft prononcé, je vous conjure de leur annoncer ce malheur. „ Non, vous ne mourez point, lui dis-je, „ c'eft moi qui vous en affiire ; vous ferez „ rendu a votre familie : foyez libre des ce mo„ ment. Je choifis aufii-töt plufieurs pieces des. plus belles étoifes d'or de Bagdad, & je le „ priai de les préfenter a fon époufe : partez , „ajoutai-je enfuite, en lui remettant una bourfe, oü il y avoit mille fequins; allez „ rejoindre ces gages précieux de votre ten„ dreffe, que vous avez laiftjs a Damas ; que ,, la colere du Calife retombe fur moi, je Ia „ redoute peu, fi je luis affcz heureux pour vous fauver. „ Quelle propofition me faitez-vous, reprit „ mon prifonnier, & me croyez vous capable „ de 1'accepter ? Quoi! dans la vue d'échapper „ a la mort, je facrifierois aujourd'hui cette même ,, vie que je vous confervai autrefois. Tachez de prouver mon ïnnocence au Calife, je ne „ veux point d'autre témoignage de votre v reconnoiifance : fi vous ne pouvez le défabu-.  ^4 Mélanges „fer, j'irai raoi-même lui porter ma tétej „ qu'il difpofe de mes jours k fon gré, pourvu „ que les votres foient en füreté. Je le cónju„ rai de nouveau de prendre la fuite, mais il „ demeura inébranlable. „ Je ne manquai pas de mé préfenter le , lendemain matin devant Mamoun. Ce Prince étoit revêtu d'un manteau couleur " de feu, fymbole de fa colere ; k peine m'eür „ il appercu, qu'il me demanda, oü étoit mon , prifonnier ; il ordonna en même-temps qu'on , fitvenir le bourreau. Seigneur lui dis-je, " en me jettant k fes genöux, il eft arrivé quel„ que chofe de bien extraordinaire, a 1'occafioa de celui que vous m'avez. confié hier ; que „ Votre Majefté me permette de le lui appren„ drerces paroles lernirent en courroux. Je jure^ „ medit-il, parTame demon a'ieul que je té „ ferai périr k la place de ton prifonnier, fi M „ 1'as laifle échapper. Ma vie & la fienne, lui „répondis-je, font k la difpofuion de Votre „Majefté, qu'elle daigne feulement m'enten„dre. Parle, reprit-il. Jeracontai alors k cé Prince de quelle maniere eet homme m'avoit fauvé la vie aDamas; que defirant m'acquitter envers lui, je lui avois offert la liberté , ,'mais qu'il 1'avoit refufée,dans la crainte de , m'expofer k la mort. Seigneur, ajoutai-je, il '„ n'eft point coupable; un homme fi généreux  2t litterature Oriëntale) jcj £ne peut pas 1'être ; de Iaches calomm'ateurs » Vont noirci a vos yeux: il eft Ia malheureufe „ viaime de la haine & de 1'envie déchainés „ contre lui. ,, Le Calife parut touché ; ce Prince avoit „ 1'ame naturellement grande : il ne put s'em„ pècher d'admirer la conduite de mon ami. » Je lui pardonne a caufe de toi, me dit Ma„ moun : vas lui annoncer cette bonne nou» veile, & amene-le moi. Je me jettai aux „pieds de ce Prince, en les baifant, &;e Ie „ rcmerciai dans les termes les plus forts que „ put me diéter mareconnoiffance : je conduifis „ enfmte mon prifonnier devant le Calife. Ce „ Monarque Ie fit revétir d'un robe d'hon„ neur ; il lui fit donnerdix muiets & dix cha„ meaux de fes écuries ; il ajouta a toutes ces faveurs une bourfe qui renfermoit dix mille ,,, fequins pour les frais de fon voyage, & lui „ remit Iui-méme une lettre de recommanda„ don pour le Gouverneur de Damas. " LE GLOUTON. l^NGlouton nommé Mufeiré, étoit ami d'unReligieux Chrétien; unjour paffantdevant leMonaftere du Cénobite, celui-ci 1'invita a un repas frugal; comme Mufeiré n'en efpéro% JE  '(é Mélangii pas de meilleur, il accepta Toffte du Moine J qui de tres-bon creur mit fur la table ( i ) una dixaine de pains, & couruta la cuifine cher-» cher un plat de ( % ) lentilles : étonné de ne plus retrouver de pains a fon retour, il en va chercher une nouvelle provifion* Le plat de lentilles durant eet intervalle fut expédié, tellement que Ie Moine qui rapportoit du pain, fe crut obligé d'aller de nouveau chercher des lentilles : ces dix pains ne durerent pas plus que les premiers : le Moine de retour vit Ia table encore nettoyée ; il voulut voir jufqu'oü cela iroit ; il regarnk la table autant de fois qu'il la retrouva vuide ; mais quelque promptitude qu'il y mit, eet aftamé dévoroit plus vite encore. Enfin il fe rendit au dixieme fervice. Après avoir remercié fon hóte, il monta fur fa mule. „ De quel cóté dirigez„ vous vos pas, lui demanda le Religieux ? Je „ vais aune ville voifine, lui répondit Mufeiré, „ confalter un fameux Médecin ; mon eflomac „ eft dérangé depuis quelque temps, j'ai perdu 1'appétit. Quand vous 1'aurez retrouvé, reprit „ le Moine, ne repaffez pas ici; vous affame„ riez tous les Monafieres du monde. " { i ) Les pains en Tutquie font en g<*néral affez petits» 3 y en a qui peient moins d'un quarteron. ( 1 ) Les Moines Chrétiens en Turquie mangent maigrs teute 1'annce , & menent en général une vie affez aufiere.  Ie Littlrature Orientate. 'ij LE MÊDECIN HONTEUX. Un Médecin Turc étoit contraint de paiTer fouvent devant un cimetiere, il détournoit la vue | eet afpeö: un de fes amis qui 1'avoit accompagné plufieurs fois, lui en ayant demandé la caufe : „ C'eft, lui dit-fl, que j'ai „ fait périr prefque tous ceux qui font enterrés „ dans ce cimetiere ; je m'imagineies voir fortir „ de leurs tombeaux, & venir me reprocher tt leur mort. " REPARTIE D'UN POETE A un autre. D Eux Poëtes dinanta la table d'un Grand crurent devoir payer leur écot par des faillies. ( i ) Le premier, a qui 1'on avoit fervi d'un ragout trés-chaud, dit: » Que le Cuifinier 1'a9» voit fait au fourneau qui doit cuire les Mé- ( O (te premier.) L'hiftoire du Poè'te reffemble a une He'fiode. Un Poëte avoit dit qu'il n'étoit pas étonnant i|U2 le feu éüt prit au temple de Diane a Ephèfe , paree que cette Déeffe avoit été occupée cerre nuit-la aux couclies "?,01ympias, mere d'AIexandre ; Héfiode releve cette pen, ,,oi puilTe refroidir. JUSTICE D'UN SULTAN. L E Sultan Mafoud (i), fils du Sultan Mahmoud Sebukteghin, chaffoit, felon 1'ufage des Souverains d'Afie , avec une partie de fon armee : il rencontra un payfan qui paroiffoit accablédedouleur ; ce Prince lui demandaavec bonté le fujet de fa peine : » Seigneur , lui die , ce pauvre bomme, j'avois employé tous mes" foins depuis bien du tems a faire venir ur» *] melon, que je comptois vendre très-cher ; ., c'étoit toute la reffource de ma familie, un des vötres vient de me le ravir. " Le Sultan lui promit prompte juftice : en effet il appella un de fes Officiers : „ J'ai le plus grand defir f lui dit-il, de manger du melon , fi vous , pouvez m'en trouver un , je confens a le n PaYer très_ctier- " Celui-ci parcourut a 1'inf- f i) Sultan Mafoud, fils de Mahmoud: il étoit lefecond Sultan de la Dynaftie des GazWévides: ce Pnnce pent miferablement par la révolte d'une partie de fon arrnée apres un Je"ne de treize ans. 11 étoit ,ufte &. lfeéial, êt fut wué ^ $gnt de Lettres de fon fiecle.  de Litdtature Oriëntale. 6y fint toutes les tentes de 1'arme'e : après bien des pas, il rencontra enfin ce qu'il cherchoit dans Ia tente d\in Officier. „ Votre fortune eft faite , „ lui dit-il, fi vous voulez céder ce melon „ pour Ia bouche de 1'Empereur; c'eft une fans, taifie du Monarque dont vous pouvez tiret » un grand profit. " L'Officier ravi de porter lui- mêmea fon Maïtre ce préfent intérefté. „ Voila ton Efclave, dic „ aufli-töt Ie Prince au payfan , difpofe de lui. " Et il ordonna que 1'on attachat une corde au col du maraudeur. Le payfan rendit graces au Sultan, & fic marcher devant lui fon voleur, qui, forti de deflbus les yeux du Monarque , voulut compo. fer pour fa liberté: il offroit a fon nouveau maïtre cinq eens fequins. Le pauvre homme ébloui, recutfans balancer, un prix qu'itn'auroit jamais efpéré de fon melon , & courutpour témoigner fa reconnoiftance a 1'Empereur , en lui apprenant le marché qu'il venoit de conclure. „ Tu „ t'es contenté d'un trop bas prix , lui dit Ie „ Sultan, la juftice vouloit que tu priffes tout >, le bien de celui qui t'avoit enlevé tout le „ tien. " E3  rj0 Mélanges CONSTANCE SINGULIERE Uun Vifir de Cofroés. Osroés , Roi de Perfe, avoit convoqué fes Miniftres pour délibérer fur une affaire de la derniere importance. Tandis qu'ils étoient affembiés , un fcorpion tomba du haut du plancher fur un des Vifirs , & lui enfonca fon dard a plufieurs reprifes, dans le pied. Le Miaiiftre , qui dans eet inftant adreffoit la parole au Roi, continua fon difcours, fans faire le moindre mouvement, & fans qu'il parut aucune altération fur fon vifage. Cofroés, inftruit quelques jours après, de eet événement, demanda au Vifir comment il avoit pu réfifter a une douleur auffi violente , fans laiifer échapper la moindre plainte ? „ Prince, lui répondit le Miniftre, celui qui, „ en préfence de Votre Majefté , n'a pas le „ courage de fupporter un mal auffi léger que „ la piquure d'un fcorpion, pourra-t-il un „ jour decombat s'élancer au milieu des enne, mis , & affronter la mort qui fe préfente „ fous tant de formes différentes ? " Le Roi admirant fa conftance , combla de biens & d'honneurs ce Vifir intrépide.  de Lift/rotan Oriëntale. y e> 'Qxelles font les vertus qui rendent un Monarque heureux. Djemchid, Roi de.Perfe, demandoit un jour a fon Vifir quclles étoient les vertus qui pouvoient contribuer a rendre un Prince heureux ? „ Seigneur, répondit le Vifir, comme „ les Rois font au deffus des hommes, ils doi„vent être plus vertueux qu'eux tous. Le „ courage & la force font les Conquérans; la •„jufiice & la prudence font les véritables „ Monarques; la cïémence & la générofité, „ font les Peres de la patrie , & rendent un „ Prince heureux. " Qu'il riy a point de Hen plus fon que celui des bienfaits ( i ) Cofroés-Parvkz, Roi de Perfe, avoic \ la tête de fes armées un Général illuflre par ïJ-!^ ^:o^0'-s;Paryiz^O"Kh■.Ifrer-Parv;z , vuigf-froifienSt Roi de la Dynaftie des iaffanides , ayant été vaincu Sc ob'>é defiur de facap.tale devant Pufurpateur Behram , fe réWU aupres de iEmpereur Maurice , par le fecours duquel ilre£ faentot furie trSne, & fit périr a la fin fon Compémeur. Le Monarque Perfan , en recornoiffance d'un fervicé auffi eflentiel, rencut aux Grecs pluf1EUrs villes de la Syrië, dont fon pere ,'étóit emparé : Phocas , ayant fait mourir i Ernpereur Maunce & tous fes enfans, a 1'exception dun feul qui fe réfug.aaia Cour de Cofroés, celui-ci réfölut dè venger !a mort dVn Prince auqucl i! devoit fa couronne ; il marcha contreles Grecs, & leur-donna une grande partie de ,„m ^'e Vma,'S ™'Sre tot,s fes f"ccès, il ne put parvenir 4 remettre fur le trone de Conftantinople le fils de fon bienfai- E 4  Mélanges les plus rares qualités: Ruftem, c'étoit fon nora; étoit le bouclier de 1'Etat; mais après avoir fervi long-tems fon Maitre, il fut accufé de vouloir le trahir. Si eet ambitieux qui eft 1'idole des foldats, ( dit lui - méme Cofroés, ) ofe lever 1'étendard de la révolte, quel autre pourrai-je lui oppofer qui foit auffi habile & auffi puifftnt que lui ? Le Prince confulta la-deffus fes Vifirs; tous convinrent qu'il falloit charger de chaines le traitre Ruffem. Cofroés parut fe rendre a leurs avis; lelendemain il fit venir Ruftem & le combla de nouveaux bienfaits : la confiance & la bonte du Monarque toucherent ce Général , & Ie fïrent renoncer a fes delTeins. Le Roi s'en etant appercu, appella fes Vifirs : » J'ai fuivi vos „avis, leur dit-il, & j'ai enchainé Ruflem „ avec le lien le plus fort: il faut des chaines „ pour les mains, pour les pieds, pour le corps; „ il n'en faut qu'une pour le cceur, qui eft le „ roi de toutes les autres parties. " teur. II fut auffi ennemi déclaré d'Héraclius , fucceffaur rle Phocas , qu'il 1'avoit été de ce dernier. Les commencemens de la guerre qu'il lui fit, furent heureux pour lui , maisla fin fut très-funefte , ayant été vaincu & fa capitale ayant été prife. Sa mort fut encore plus triüe :ce Prince , qui avoit il'.uftré les premières années de fon regne par mille belles aftions, ternitl'éclat des dernieres par fa cruauté & fon avarice. Les Grands du Royaume confpirèrent contre lui, fe faifirent de fa perfonne, & 1'enfermerent dans une desvoutes foi'terraines, ouil gardoit fes tréfors, au milieu defquels i périt miférablement.  de Littérature Oriëntale. 73 SUR L'É DUCATION. U Ne guerre cruelle regna Iong-tems cntre 1'Egypte & rEmpire de Conftantinople ; les deux Monarques, également touchés des maux que la difcorde traïne après elle, mirent bas les armes. Pour eimenter leur union, le Sultan d'Egypte donna fa fille en mariage au hls de 1'Empereur, & Ia fille du Prince Grec fut deftinée au fils du Sultan : les deux Souverains , a 1'occafion de ce doublé mariage, lierent la correfpondance la plus intime, &c 1'un n'entreprenoit rien fans confulter 1'autre; le Sultan écrivit un jour a 1'Empereur. „ Un pere ne doit rien avoir de plus cher que fes enfans; c'eft par eux qu'il revit , „ même après fa mort; il doit donc faire fes efforts pour les mettre après lui a 1'abri des atteintes de 1'indigence. Pénétré de cette vérité , j'ai amaffé des tréfors pour mon fils : „ pourquoi ne fuivez-vous pas mon exemple, „ & ne vous occupez-vous pas de ce que votre ?, fils doit devenir après vous ? u L'Empereur répondit au Sultan : „ Le fage ne ',, met pas fa confiance dans les biens de ce monde ; la prodigalité les diftlpe, Ie malheur „ les fait perdre; mon fils trouvera après ma  74 Mélanges mört des biens plus folides : j'ai enrichi fon „ ame de dons ineftimables que perfonne ne „ peut lui ravir : il ponede les qualités du coeur „ Sc de 1'efprit.Le Sultan d'Egypte convint que la bonne éducation étoit le bien le plus précieux qu'un pere put laiiTer a fes enfans. LE DÉPOSITAIRE FIDELE. T j Es Hens de la plus étroite amitié uniffoient rEmir-Samouil avec 1'Emir-Alkis: celui -ci ayant pris la réfolution de voyager , crut ne pouvoir remettre fon bien entre des mains plus füres que celles de fon ami;ilfit donc porter toutes fes richeffes dans la ville ou commandoit Samouil, Sc partit pour fon voyage. L'on apprit quelque tems après que eet Emir avoit eu le malheur de périr dans un naufrage : Alkendé regnoit alors en Arabie; c'étoit un Prince dévoré de la foif des richelTes & peu délicat fur les moyens qui pouvoient les augmenter. La mort de 1'Emir-Alkis'lui parut une occafion favorable pour fatisfaire fon avidité : il favoit que le bien de eet Emir étoit entre les mains de Samouil; il le fit fommer de le lui livrer. Celui-ci fit répondre au Prince qu'il étoit au défefpoird'êtredans 1'impofiïbilité de lui accorder fa demande 7 qu'il devoic  ie Zitdrature Oriëntale. j% être inlïruit mieux qu'un autre des regies de 1'honneur & de la bonne foi, qu'elles obli■ geoientun dépofitaire a remettre le dépot qu'on» lui avoit confié , a celui a qui il appartenoit, & non pas a un étranger. Le Roi , irrité du refus de 1'Emir , réfoluc i d'avoir par la force ce qu'on refufoit de lui donner de bonne grace , & mit le fiege devant la ville oü commandoit Samouil. Le fils de eet Emir, allarmé du danger ou étoit fon pere, ramaiïa quelques amis, &c tenta de fe jetter dans la ville; mais il eut le malheur d'être pris. Alkendé fut charmé d'avoir entre les mains, un ótage capable d'ébranler la fermeté de Samouil :il fait charger de chaines le jeune Emir, le conduit dans eet état fous les murailles de la ville , & lui mettant le poignard fur la gorge , il menace Samouil de percer fon fils fous fes yeux, s'il ne lui livre fur le champ les richelTes d'Alkis. Samouil, fans faire paroitre la moindre émotion, & faifant taire la voix de la nature , pour n'écouter que celle de la fidélité , lui cria, que Ia crainte de perdre ce qu'il avoit de plus cher au monde, ne l'engageroit,jamaisatrahir fon devoir. L'héroïque fermeté de Samouil, loin de toucher le Roi, ne fit que redoubler fa fureur ; ce Prince barbare plongea fon poignard dans Ie  yt» Mélangesfein du jeune Emir : les habitans de la ville J ïndignés de cette cruautéj Sc craignant de tornber au pouvoir de ce Prince inhumain, fs défendirent avec tant de courage, qu'ils le forcerent de lever le fiege honteufement. Le fils de 1'Emir Alkis qui avoit accompagné fon pere dans fon voyage, Sc qui avoit eu le bonheur d'échapper au naufrage étant d« retour , 1'Emir Samouil lui remit le dépót que fon pere lui avoit confié , Sc dont la garde lui avoit été fi funefte. nui — u m MANIERE INGEN IEUSE D'un Philofophe pour confolet un Prince fur la mort de Jon fils, (^Osroés ayant eu le malheur de perdre un fils qui lui étoit fort cher, s'abandonna a la douleur la plus vive. Ses Vifirs, fes Favoris, les Miniftres même de la Religion , entreprirent en vain de le confoler. II y avoit a Chtéfiphon une efpece de Philofophe, dans 1'entretien duquel ce Prince s'étoit toujours plu; Behloul ( c'étoit fon nom ) entre chez le Roi > i qu'il trouve feul dans fon appartement, pénétré de chagrin. Behloul, feignant d'ignorer la perte que ce Prince avoit faite, lui demanda le fujet  'de Zittèratare Oriëntale. 77 d'une fi profonde trifteffe. Mon fils eft mort, lui répondit Cofroés, & je vais paffer le refte •de ma vie a le pleurer. „ Seigneur , lui dit le „ Philofophe, votre douleur eft jufte, mais „ elle cefferoit de 1'étre , fi vous ne confentiez „ a y mettre des bornes; qu'il me foit permis „ d'interroger Votre Majefté : Pouviez - vous „ defirer que votre fils feul exempt de Ia loi commune, fut immortel fur la terre ? Non , „ répondit le Roi, je fais que 1'Ange de la „ mort n'épargne perfonne ; mais j'aurois du „ moins fouhaité qu'il eüt vécu age d'homme ; „ qu'après avoir goüté les plaifirs de la jeunelTe, „il fe fut vu renaitre dans une brillante & „ nombreufe poftérité, & qu'au bout de fa car„ rière il eüt joui du repos dü k Ia vertu. » Hé bien ! reprit Behloul, fuppofez, pour t„uninftant, que votre fils a parcouru fuccef1 „fivement les quatre ages de Ia vie; pouffez 1; „ plus loin Ia fuppofition : imaginez-vous que I „ fes jours purs & fereins, n'ont jamais izé I „ offufqués par le moindre nuage du chagrin t „ ou de I'adverfité , & que fes années ont été" „ auffi nombreufes que les grains de fable, qui : „ couvrent la furface de Ia terre; mais que ce ; „ long efpace de tems écoulé, il a payé Ie tribut f „ qu'il devoit a la nature : cette vie fi longue 8 „ & fifortunée, n'eft-ellepas pour lui al'inftanc : „de fa mort, comme un fonge léger, dont:  rj% Mélanges „ les traces s'effacent au réveil? Ses grandeurs „fes richelfes, fes plaifirs, 1'accompagnent-ils „ dans la nuit du tombeau ? Non, répondit le „Roi. Si cela eft ainfi, reprit Behloul, pour„ quoi done vous affliger de la perte d'une vie „ qui, courte ou longue, heureufe ou mal- ■ „ heureufe, doit finir indubitablement ? Sou- ■ „ venez-yous de ces vers d'un Poè'te Perfan :: „ Prolongez , s'il eft poflible , vos jours au-dela. i „ des bornes ordinaires; goütez tous les plaifirs i „ imaginables, foyez conquérant & que la re- ■ „ nommée publiepar-tout 1'universla grandeur„de vos explbits; la trame de vos jours eftl „ ourdie avec le fil de la mort. « Ces paroles adoucirentla douleur de Cofroés, ,1 & il ne put s'empécher de dire que Behloul étoic J un véritable confolateur. TRA1T SINGULIER De, übéralité. IjEs peuples de 1'Orient plus vifs que le* autres habitans de la terre, portent les vertus: & les vices a 1'extréme: leur opinion fur le fata* lifme, les empêchent fouvent d'écouter la pnw dence : on le verra par 1'hiftoire fuivante. , Un homme libéral jufqu'a la profufion , habi toit Bagdad fousle regne du Calife Mamoun J autres habitans de la terre, portent les verrust Un homme libéral jufqu'a la profufion , ha-I  'de Zittirature Oriëntale. ^ i fa prodigalité épuifa bientót une fortune im-* j menfe; les Poé'tes avoient toujours été plus fe, Yorifés de lui, que les autres Artiftes, & comme il y en avoit a Bagdad , ainfi qu'ailleurs, beaucoup de faméliques , leur nombre n'avoit pas peu contnbué a épuifer les richelTes de ce proteÖeur. Un jour Afmaï, plus habile & plus avide que tous les autres, s'étant préfenté k Ia Porte de celui qu'il croyoit encore riche, pour lui porter des vers dont il efpéroit le prix I. portier refufa de le laiffer entrer. Afmaï , bleue de ce procédé , fit dans 1'inftant un diftique dont voici le fens. „ Quelle différence doit-on mettre entre „ 1'avare & le généreux , fi ce dernier ferme f, porte ? « II remit ces deux vers au portier Ie pnant de les montrer a fon Maïtre. II n'atte'ndit pas long-tems la réponfe : ce domeftique rapporta dans 1'inftant ce même papier , au re vers duquel Afmaï lut un autre diftique dont Voici le fens. „ Lorfque I'homme généreux a tout donné „ il tient fa porte fermée . nrmr „„„ i. „ chagnn de refufer. " Malgré Ie fens de eet impromptu , ces vers étoient accompagnés d'une hn,,rrPM,u^ . w -„„.iw muitltt - remplie d or. Le Poete d'autant plus frappé de cette Iibéijtlité,quele diftiqUe la rendgit plus étennantc,  4 o Mélanges allachezle Calife qui protégeoit auffi les Po'étest Afmaï raconta fon aventurea. ce Prince, & lui montra la bourfe qu'il venoit de recevoir. Mamoun en la confidérant reconnut fon cachet, & fe rappella que lui-même 1'avoit donné, peu de jours auparavant , a ce prétendu riche devenu néceffiteux. II fit venir eet homme pour lui demander compted'une conduite fi bizarre: „Etesvous véritablement pauvre ? lui dit-il. Sei„ gneur , répondit-il au Calife , celui qui nour„ rit tous les humains, n'abandonne pas ceux „ qui le craignent. J'ai donné ce que je tenois „ de votre générofité, pour imiter vous , & ce„ lui dont vous êtes 1'image : avec un fi bon „ Maitre que m'a donné la Providence : je ne „ fuis pas inquiet de 1'avenir. Le Calife flatté }, de cette repartie , fit donner a eet homme fi „ confiant une bourfe de dix mille fequins. Un Monarque doit réunir dans fa perfonne toutes les vertus. ( i) Nouchirevan , Roi de Perfe , fut ap- ( I) C'eft ainfi que les Mufulmans nomment Cofroés ; premier du nom , qui étoit fils de Cobadésfonprédécefleur, Roi de la quatrieme Dynaftie de Perfe , nommée des Saffasides ou des Cofroés. Tous les Hifloriens, tant Arabes que Perfans, propofent Nouchirevan, comme le modele que doivent fuivre tous les Princes, pour la conduite de leurs Etats. Ils affurent que ce Monarque polfédoit au fouverain^ degró toutes les vertus royales, fur-tout la juftice 8c la libéralité: Mshtmet fe gloriae dans 1'Alcoran d'ctre néfous fon regne. pellc  'de Lhtlrature Oriëntale. ggpellé, a bon titre , le Solomon de 1'Orient. Le Roi des Indes, 1'Empereur de la Chine & celui de Conftantinople, fe rendirent un jour a fa cour pour admirer fa fageffe, & profiter de fes lumieres : ces Monarques faifoient parler devant eux tous les Sages, & 1'on ne traitoit rien dans cette iUuftre aiTemblée, qui n'eüc trait a Ia plus fublime rnorale, & qui ne dut encourager la vertu. Nouchirevan demanda un jour a fes auguftes jbótes , qu'eft-ce qui pouvoit les natter davantage dans Ia vie ? L'Empereur de Conftantinople répondit que le bonheur d'accorder des graces, étoit a fon gré le plus bel appanage da laroyauté. „ Je ne connois point, dit 1'Empe„ reur de la Chine, de plaifir plus pur que celui de pardonner a 1'offenfeur que je fuis en „ droit de pünir. Et moi, dit le Roi des Indes, „ je mets tout mon contentement a étre aimé „ des bons, &c a être redouté des méchans. f, GrandsPrinces, reprit Nouchirevan, la vertu f, eft une, & tout ce qu'elle infpire doit être „ également précieux a des Sages : exercer fa ?, libéralité, montrer fa clémence , faire ufage ,,de la juftice, voila trois grands bonheurs; ,, chacundevousy a droit; ne les choifuTez pas, tf exercez-les tous enfemble. F  li Milartgei Sur h danger d'attacher trop de conjidération aux richejfes. Un Calife Abbaffide s'entretenoit avec fon Vifir, de la maniere dont les anciens Rois de Perfe avoient gouverné. Je voudrois, dit Ce Prince, connoure précifément le caractere de ces Monarques, & ce qui les a diilïngués les uns des autres. Seigneur, répondit le Miniitre ils ont eu prefque tous des principes différens (i). Djemchid croyoit que 1'expérience feule pouvoit inftruire , & il ne confioit les places intéreffantes qu'a des Miniilres d'un age avancé. Zahak penfoit que 1'opulence tenoit lieu de toutes les vertus; fous fon regne il fumïoit d'être riche pour devenir grand. L'opinion de ( a ) Manoudjeher étoit que les hommes d'un fang illufrre, connoiffoient feuls la vertu ,& qu'on n'étoit pur qu'autant qu'on étoit noble. Kich- ', ( I ) Djemchid , quatriemt Roi de la Dynaftie des Pifchadiens, qui eft la première des Rois de Perfe :ce fut lui qui batit la fameufe & Ia fuperbe ville d'Eftékar , appelle'e Perfépolis pariet Grecs. Les Perfans prétendent que Ja plupart des arts libéraux & méchaniques furent inventés fous fon regne. Ce fut auffi ce Prince qui donna i Ia main gauche la préférence , qu'elle conferve encore aujourd'hui en Oriënt : il difoit, pouriuftifier ce régiemens, quil fuffifoit a lamai» droite d'avoir 1'avantage d'être ta droite, & qu'il falloit hotiorer la gauche, pour faire quelque forte de comparaifon. ( i ) M3noudj.-her,huitieme Roi de Perfe de la première race , dite des Pifchadiens, étoit petit-fils de Féridoun ; il eiouverna fes peuples avec beaucoup de juftice & de douceur, & s'attacha a faire fleurir fe» Royaume par la cujtttre de* urrtt.  de Litthature Oriëntale. 8^ tab ( t) penfant qu'on n'étoit digne de conduire les hommes, qu'autant qu'on s'étoit entretenu avec Dieu, alloit chercher fes Miniftres dans les temples. Cofroés, dans des guerres fréquentes , s'étoit perfuadé que les plus forts étoient les plus fages, & ne choifit pour gouVerner fes fujets, que ceux qui avoient fait trembler fes ennemis. Nouchirevan, qui vint apres eux, n'adoptant aucun fyftême, chercha des Miniflres parmi les guerriers, parmi les nobles, parmi ceux \ qui Page avoit donné 1'expérience ; il ne rejetta que ceux qui s'étoient attaché a dèvenir riches. Tout eft perdu dans un Etaf (difoit-i!) lörlquè 1'opulence efl 1'unique fource de toute confidération ; tout le monde veut être riche, & perfonne ne fonge \ être Vertueux. PRÉROGATIVE DES DROITS De l'hofpitalitéparmi les Arabes, IVÏaan Benzaïd, Roi de 1'Arabie, ayant fait cent prifonniers dans une bataille, les condamna tous a avoir la tête tranchée; un d'eutre eux, fe jettant aux genoux du Prince, le c m-  $4 Mélanges jura de permettre qu'on lui donnar de 1'eau J pour étanclier la foif cruelle dont il étoit tourmenté. Maan dit a fon Echanfon de lui verfer a boire. Mes compagnons, reprit le jeune homme, ne font pas moins alttrés que moi, fi Votre Majefté veut que je profite de la grace qu'elle m'a faite, qu'elle daigne leur accorder la même faveur. Le Roi voulut bien y confentir, & ordonna que Pon donnat a boire a tous les prifonniers. Quand ils eurent bu, le jeune homme dit au Roi, ( i) nous fommes devenus les hötes de Votre Majefté, vous êtes trop généreux , Seigneur, pour faire périr ceux que vous avez admis a un pareil honneur. Le Prince ne put s'empêcher d'admirer Ia fubtilité de fon efprit, & révoqua, a fa confidération, 1'arrêt qu'il avoit prononcé. MANIERE INGÈNIEUSE De fe jujTijier. JjE Calife Mamoun, mécontent de Fadl fon premier Miniftre , avcit réfolu de le faire ( i ^ Les c'ro'ts de 1'hofpitaUté font facrés parmi !es Orientaux, & fur-tout parmi les Arabes; c'eft par cette riafon que Saladin, qui voulut faire périr Raynaud de Chatilloo, contre lequsl il étoit irrité, ne voulut pas permettre que ce Seigneur b.*;t en fa prélence.  de Zitdrature Oriëntale. Jj périr; il en fit la confidence a cinq de ceux qui 1'approchoientde plus prés, &leurrecommanda un fecret inviolable. La réfolution du Calife fut découverte; & Fadl, qui ne tarda pas a 1'apprendre, fit a Mamoun des reproches de fon ingratitude, & de fa cruauté. Le Calife, accoutumé a la diifimulation, tenta de diffuader fon Vifir, en Paccablant de careffes; mais n'ayant pas renonce a fon projet, il le fit étouffer quelque temps après dans le bain. Auffi-tót après la mort du Vifir le Calife, qui ne pouvoit favoir lequel des cinq Confidens 1'avoit trahi, les fit tous périr, afin d'être fik d'avoirpuni lecoupable. Plufieurs années après, 1'indifcret fut découvert; on apprit qu'Abdoulaziz avoit fait part k Ibrahim fon Secretaire du deffein du Prince, & que celui-ci en avoit inftruit Fadl, qui en devoit être la viSime. Mamoun irritc, condamna Ibrahim a Ia mort; Ibrahim ayantdemandé a paroitre devant le Calife : „ Prince, lui dit-il, ne me puniffez „ pas fans m'entendre; écoutez une hiftoire qui „ doit fervir a ma jufiification ". Nouchirevan, Roi de Perfe, avoit condamné a la mort un de fes Pages pour avoir répandu fur lui, par mégarde, de la fauffe en le fervant a table : Ie Page ne voyant aucune efpérance de pardon, verfa le plat tout entier fur ce Maïtre implacable. F 3  %£ Mélanges Nouchirevan, plus étonné encore qu'indigné, voulut fcavoir la raifon d'une pareille témérité: „Prince, lui dit le Page, j'ai voulu que ma „ mort ne fit aucun tort a votre renommée ; „ vous palTez pour le plus jufle des Monarques, „ mais vous perdriez ce titre, fi Ia poflérité fa„ voit que vous avez condamné un de vos fu„ jets pour une faute fi legere. Nouchirevan , „ revenu a lui-même, eut honte de fa colere, „ &c lui fit grace „ Serai-je plus malheureux que Ie Page ? & „ vous, Prince , feriez-vous moins équitable „que Nouchirevan? Fadl avoit été autrefois „ mon maitre , fuis-je donc coupable , pour „ avoir voulu lui fauver ïa vie ? Je n'ai point „ violé le fecret de Votre Majefté , car je n'en „ étois pas le dépofitaire. Celui a qui vous „ 1'avez confié , & qui vous a trahi, efr mort; „ fon fang doit fufhre a votre vengeance. " Le Calife touché de eet exemple lui pardonna, Quelles font les trois cbofes dans la vie que 1'on doit le plus eftimer? Nouchirevan demandoita ( i ) Buzurdjemher quelles étoient les trois chofes, dans Ia vie, ( I ) C'eft le nom que les IVlaliomérans donnenr au Vifir 6e Nouchirevan, ou de Cofroés premier: il eft fort"renommé dans tout 1'Orient pour fa prudence, & fon habileté : fon Prince lui confia 1'éducation de fon fils Hormouz, & le difciple fut digne du maitre, L'on prétend, avec raifon ,  ie Littêrature Oriëntale. 87 «juel'on dok le plus eftimer. Le Vifir répondit: „La femme, la mort, & le befoin réciproque j, que les hommes ont les uns des autres ". Nouchirevan étonné, voulut avoiiTcxplication de ce difcours. „ Seigneur, reprit le Vifir, s'il n'y avoit point „ de femme, le monde auroit-il le bonheur „ de pofféder un Empereur aufii grand & auffi „ jufte que vous? Si les hommes étoient im„ mortels, comment feriez-vous monté fur le „ tróne après votre pere? Et fans le befoin que „ vous avez eu d'un Miniftre , aurois-je été ho„ noré de cette dignité " ? RE PARTIE INGÉNIE US E D'un Vieillard a un Calife. Haroun ( 1 ) Arrachid, étanta Iachalïê, rencontra un viellard qui plantóit un noyer : que ce grand Homme renon$a a I'idólatrie des Ma "es , pous embrafler le Chriftianifme, & qu'il inftruifit fon éleve des myfteres de notre fainte Religion : ce fut Ia raifon pour laquelle Cofroés Parviz, fucceffeur d'Hormouz, Ie fit périr. ( 1 N Haroun Arrachid, frere de Hadi & fils de Mahadi, fut le cinquieme Calife de la maifon des AbbaffidesJ II étoit contemporain de Charlemagne, auquel il envoya des préfrns ; ces deux grands Princes ont eu cola de femblab'le , qu'ils partagerent tous deux leur fucceffion a leurs enfans. 11 efluya de vio'.entes penécutions de la part du Calife Hadi Ion frere. II fit alors Ie vccu de faire le pélérïnagé de ia Mecque a pied, s'il venoit jamais a monter fur le trone , & jl l exécuta. Les peuples, dont il étoit fort aimé , tendirent ƒ c^em!n depuis Bagdad jufqu'a la Mecque, de-tams. U feit furnommé Rachid ou le Jufte, a caufe de ion équitft F 4  89- Mélanges Quel fruit, dit Ie Prince en lui-mêrae comptet-il recueillerde fon travail? S'étant approché du bon homme, il lui demanda quel age ij avoit: J'ai quatre ans, répondit le vieillard. Un des Courtifan ayant dit au vieux Arabe que la plaifanterie étoit déplacée en parlanta fon Souverain. „ Je n'ai point commis Ia faute „ que vous m'imputez, ajouta le vieillard ; „ tout fidele Mufulman doit retrancher des an„ nées de fa vie , celles qui fe font écoulées „ fous les Califes Ommiades, qui avoient cor„ rompu notre foi. Seffah 8c Manfour, quoi„ que Califes légitimes, n'en étoient pas moins „ des tyrans; ils fe font fouillésdu fang de leurs „ fujets, Sc tout le monde trembloit a leur ap„ proche : ce n'eft pas vivre, que d'être dans unc crainte continuelle. Depuis quatre ans Haroun eft monté fur le tröne , depuis cette époque , qui a été celle du bonheur public , „ je compte les années de ma vie. Cette louange flatta Ie Calife, & il fit donner mille drachmes d'or au vieillard; puis il lui demanda, en fouriant, dans quel tems il comptoitrecueillir des fruits de 1'arbre qu'il venoit de de planter ? ,, Sire, répondit 1'Arabe, nos peres ,, ont planté des arbres, & nous en mangeons ', les fruits; il faut bien que nous plantions , pour la poftérité; Sc nos enfans prendront ce  de Littirature Oriëntale. 89 foina leur tour, pour ceux qui cLivent venir „ après eux. " Le Calife, content de, cette re'ponfe, lui fit donner encore mille drachmes d'or: „ Voici un „ miraclede votre bienfaifance, dit le vieillard • „ un arbre ne produit qu'après bien des années, „ & vous me faites jouir dès aujourd'hui des „ fruits de celui que je viens de planter ". TRAIT SINGULIER De la vie de Behram. \J~N jeune Roi de Perfe, appellé ( 1) Behram , héritier du tröne de fon pere , dans 1'age oü les hommes font faits pour être gouvernés , plutót que pour gouverner leurs femblables, fe croyoit Monarque feulement pour vivre heureux; & il fe débarraffoit fur un Vifir, des foins pénibles de fon Empire. Ce Vifir , qui croyoit ne devoir jamais rendre aucun compte, abufoic auffi de fon autorité; & chaeun de ceux qu'il employoit fongeoient, comme lui, plutót a leur bonheur particulier, qu'au bien général, dont ( 1) Behram , feconrl du nom, Roi de Perfe, & Ie quatrieme de Ia Dynattie des Saffanides; il étoit fils d'Hormouz , tils de Sapor, fils d'Ardchir, fondateur de cette Dynaftie. 11 nt penr 1'hcréfiarque Manès , & chaffa les Manichéens de tes Etats.  Mélanges ils étoient refponfables. Les troupes mal payée fiance; je 1'ai élevé , je 1'ai nourri pour qu'il t> garantit mes brebis du loup; il s'eft entendu „ avec ces antmaux voraces, & il apartagé avec „ eux la proie qu'il leur abandonnoit ; mon „ troupeau a été dévoré par la perfidie de mon „ chien : les malheurs de la multitude viennent toujours de ceux qui la conduifent ". Ce mot ouvrit les yeux au Roi ; il comprit qu'il avoit eu tort de fe confier a fon Vifir, auffi perfide que le chien du berger; & il lifi fit fubir le chatiment que le chien avoit juflement fouffert.  de Littérature Oriëntale. 91 - Cet exemple intimida tous ceux qui avoient abufé, comme le premier Vifir, de la portiort d'autorité qu'il leur avoit confiée ; 1'ordre fut rétabli dans la Perfe, & fon Roi ^pri^/im conducteur de troupeau, comment un MGa:1Gque doit conduire les hommes. DIFFÉRENS TR&ITS De générojiié d'Hatem-Taï, Prince Arabe. H Atem-Taï ( 1) palToit pour être fi libéral , que les Mon^rques les plus puiffans étoient jaloux de fa grande réputation. Le Sultan de Damas voulut reconnoitre par lui-même , fi ce que la renommee pubhoit de cet Arabe étoit véritable. II fit partir un de fes principaux Officiers, chargés de préfens pour Hatcm. avec ordre de lui demander vingt chameaux qui euffent le poil rouge & les yeux noirs; cette efpece de chameaux étoit très-rare, & par conféquent d'un grand prix. Sur cette demande; Hatem fit chercher dans (1 ) Hatem-Taï vivoit avant Ie Mahométifme" 8c ne fut poiat Mufulman; mais fon fils le devint 1'an 7 de I'hégire, Ce chef d'Arabes a été fi renommé dans tout 1'Orient pour fon extréme libéralité , qu'encore aüÏQurd'hui fon nom eft la plus grande louange que Ton puiffe donner a un homme généreux.  9 x Mélanges le délert tous les chameaux aux yeux noirs & a poil rouge, promettant de chacun le doublé de fa valeur. Les Arabes, qui avoient grande confiarv-';, rawmblereiit cent chameaux tels qu'il lefSjtemandoit: Hatem les envoya au Roi, Sc coï jibla de préfens rOfficier. Le .Souverain de Damas, étonné de cette magnificf ce, tenta de le furpaffer; il fit charger les me.nes chameaux d'étoffes précieufes, les renvoya aHatem. Celui-ci fitvenir auffitót tous ceux qui lui avoient amené ces animaux fi rares, Sc les leur rendit tous avec Ia charge qu'il portoient: a cette nouvelle le Roi de Damas fe confeffa vaincu. La réputation d'Hatem franchit bientót les limites del'Afie,Sc parvint jufqu'en 1'Europe; 1'Empereur de Conffantinople indigné de ce qu'on ofoit comparer un fimple Chef d'Arabes aux plus grands Monarques par fa libéralité, voulut, ainfi que le Sultan de Damas, en faire Fépreuve. Parmi Ie grand nombre de chevaux qu'entretenoit Hatem, il y en avoit un fi extraordinaire , qu'il le prifoit plus que toutes fes richeffes: jamais la nature n'avoit formé un animal fi parfait; le feu fembloit fortir de fes narines, Sc il furpaffoit a la courfe les cerfs lesplus légers. Ce cheval enfin n'étoit pas moins  de Zitte'rature Oriëntale. ^ célcbre dans tour. 1'Orient, par fa beauté, que fon Maïtre, par fa libéralité. L'Empereur, qui favoit combien Hatem aimoit fon cheval, réfolut de le lui demander, croyant mettre fa générofité a la "plus rude épreuve. II envoya vers ce Chef des Arabes urt Seigneur de fa Cour. L'Officier du Monarque arriva chez Hatem par une nuit obfcure , &"au milieu des orages, dans la faifon, ou tous les chevaux des Arabes paiffent dans les prairies. Cet Officier fut recu comme 1'Envoyé de 1'Empereur devoit 1'étre, par le plus magnifique de tous les hommes : après le fouper Katern conduifit fon hóte dans une tente très-riche. Le lendemain 1'Envoyé remït a Hatem, les préfens du Monarque avec la lettre de ce Prince. Hatem en Ia lifant parut affligé : Si vous ro'euflïez prévenu hier, dit-il a 1'Officier, de I'objet de votre mifiion, je ne feroispas aujourd'hui dans Ie plus cruel embarras , & j'aurois donné a 1'Empereur ce foible témoignage de mon obéilTance ; mais le cheval qu'il defire , n'exifte plus; tous les animaux paiffent maintedans les prairies, nous fommes dans 1'ufage de ne réferver alors qu'une feule monture auprès de nous. J'avois choifi celle-la; furprit par votre arrivée, & n'ayant rien pour vous traiter, je 1'ai fait égorger , & elle a été fervie a votr*  54 'Mélanges fouper : 1'obfcurité & le mauvais temps m'ont empêché d'envoyer chercher mes moutons qui font dans des paturages fort éloignés. Aulfi-töt Hatem fit venir les plus beaux chevaux, & pria 1'AmbaiTadeur de les préfenter a fon Maitre. Ce Prince ne pat s'empêcher d'admirer le trait extraordinaire de la générofité d'Hatem, & convint qu'il méritoit véritablemertt letitre du plus libéral de tous les hommes. II étoit de la deftinée d'Hatem de faire ombrage a tous les Monarques. Numan, Roi de 1'Arabie Heureufe , concut contre lui la plus violente jaloufie : ce Prince fe piquoit de générofité, mais dans le fond , il n'avoit que de 1'oftentation. II fit publier avec pompedans tout ï'Orient, que tous ceux qui defireroient quelque faveur, fe rendiflent au pied de fon tröne : il ne fongeoit qu'a furpaiTer Hatem en générofité. II auroit voulu efracer de la mémoire des hommes le nom d'un rival odieux; mais une foule innombrable répétoit le nom de ce bienfaicteurdu genre-humain, &publioit fes louanges. Numan devenoit furieux : „ Eft—il pofli„ ble , s'écrioit-il, qu'on ofe mettre en paral}) Iele avec moi, un Arabe qui n'a ni Sceptre f ni Couronne, & qui erre dans les déferts "? «Sa jaloufie augmentant fans cefie , il crut plus facile de le perdre, que de le furpaiTer,  'ie Lhterature örientaïe. II y avoit a la cour de Numan , un de ces Courtifans vendus aux caprices des Princes, & prees a tout comprendre , pour tout obtenir. Le Roi le choifit pour en faire 1'inih-ument d'un grand crime : „ Pars, lui dit-il; délivre - moi „ d'un homme que j'abhorre, & compte fur une ,, récompenfe égale au fervice que tu vas me „ rendre. " Le Courtifan avide vole , & arrivé dans Ie défert ou étoient campés les Arabes: endécouVrant de loin leurs tentes , il fe rappella qu'il n'avoit jamais vu Hatem , & il cherchoit les moyens de pouvoir le connoitre, fans laiiTer pénétrer fon deiTein. Comme il révoit profondément, un homme d'une figure aimable 1'aborda, Sc 1'invita d'entrer dans fa tente. II y confent , & eft enchanté des politeffes qu'il recoit: après un fouper fplendide, il veut prendre congé de fon hóte ; 1'Arabe le conjure de refter avec lui quelques jours. „ Généreux in- connu , lui répondit 1'Ofticier du Roi, jefuis j, confondu du traitement que vous m'avezfait; mais une affaire de la derniere importance „ me force de vous quitter. Seroit-il poflible, j, reprit 1'Arabe , que vous me fifïiez part de de cette affaire , qui paroit vous intéreffer li ,, fort ? Vous eLes étranger dans ces lieux, peutv être pourrai-je vous y être utile. „ Le Cour-  k)6 Mélanges tifan , après avoir fait réflexion qu'il ne pour-' roit venir a bout feul de fon entreprife, fe détermina a profiter des offres gracieufes de fervice que lui faifoit fon höte. „Vous allez juger.lui dit-il, de la confiance „ que j'ai en Vous par 1'importance du fecret „ que je vais vous révéler : Apprenez qu'Hatem „ a été dévouéalamortpar Numan, Roi d'Ara„ bie. Ce Prince , dont je fuis le favori, m'a „ choifi pour être Miniftre de fes vengeances : „ mais comment exécuter fes ordres, moi qui „ n'ai jamais vu Hatem ? Faites-le moi con,, noitre, & ajoutezce bienfaita ceux dont vous „ m'avez déja comblé. Je vous ai promis de vous fervir, répondit 1'Arabe , vous allez voir fi je fuis elclave de ma parole: Frappez , „ ajouta-t-il, en découvrant fa poitrine , ver„ fez mon fang: puiffe ma mort contenter votré „ Prince qui la défire , & vous procurer la ré„ compenfe que vous en efpérez. Au-refie , je dois vous prévenir , que les momens font „ précieux , ne diiTérez point d'exécuter les or- dres de votre Roi, & parteztout de fuite.Les ténebres vous déroberont a la vengeance de ?, mesamisSc de mesproches. Si demain le jour vous furprend dans ces lieux, vous êtes perdu. " Cesparoles furent un coup de foudrepour le Cour-  'ie Zittlrature Oriëntale. Êourtifan. Pénétréde la noirceur de fon crime, Sc de Ia nugnanimité de celui qui lui parloit,' ïl tombe a fes genoux. „ A Dieu ne plaife , s'c„ crie-t-il, que je porte fur vous une main facrilege ; duffai-je encourir la difgrace de mon ,, Prince ; düt-il mème me faire périr, rien ne fera capable de me forcer a une pareille la9) cheté." A ces mots il reprend la route de 1'A,, rabie-Heureufe. Le cruel Monarque demande a Ion favori Ia tête d'Hatem ; celui-ci raconte ce qui lui eft arrivé. Numan étonné , s'écrie : „ C'eft avec ?, juftice , 6 Hatem ! que 1'on te révere „ comme une efpece de divinité. Les hommes ,, pouffés par un fimple fentiment dé géné„ rofité, peuventdonnertous leurs biens; mais 9, facrifier fa vie , c'eft une a&ion au delTus de „ 1'humanité ". La générofité & la grandeur d'ame étcienc prefque héréditaires dans la familie d'HatemTaï. Après fa mort, les Arabes , dont il étoic Ie chef, refuferent d'embraffer 1'Islamifme. Le Législateur Mahomet les condamna tous a la mort ; il voulut épargner la fille d'Hatem, a caufe de la mémoire de fon pere. Cette femme généreufe voyant les bourreauxprêts a frapper^ fe jetta aux genoux de Mahomet, le conjurant de lui óter la vie. „ Reprends ton funefte bien« G  'ft Mélange» }, fait, lui dit-elle , il feroit pour moi un fupJ plice mille fois plus affreux que celui que tu t) prépares a mes Concitoyens ; ou pardonne k „ tous, ou fais-moi périr avec eux: " Mahomet touché d'un fentiment fi généreux , révoqua l'arrêt prononcé , & fit grace en faveur de la fille d'Hatem a toute la Tribu. Hatem-'1 aï étant mort, fon frere prétendit le remplacer. Cherbéka fa mere lui répétoit fans cefTe , qu'il n égaleroit jamais celui dont la réputatiön étoit fi méritée. Comme il vouloit, a 1'excmple d'Hatem, accueillir tous ceux qui avoient coutume d'aborder chez fon frere ; il fit drefferune vafie tente , dans laquelle ce Chef des Arabes recevoit de fon vivant la fóule des demandeurs. Cetce tente avoit foixante - dix portes ; Cherbéka s'étant déguifée en pauvre femme , entra dans la tente , le vifage couverc d'un voile épais ; fon fils qui ne la reconnut point , lui donna 1'aumóne : la même femme voilée rentra par une autr« porte , & reparut a fes yeux. Le nouveau Bienfaiteur, revoyant la même perfonne qui venoit de recevoir de fa main , la rebuta , en lui reprochant fon importunité Alors Cherbéka ótant fon voile : „ M'é„ tois je trompé, mon fils, lui dit-elle , en vous affurant que jamais vows n'égaleriez Hatem ? ,, Un jour, pour éprouver votre frere ? je me  'ie Littïfiitüre Önentati!. ^ JJ déguifai ainfi , & j'entrai fucceffivement par „ les foixante-dix portes de cette même tente * & foixante-dix fois je recus des bienfaits de „ fa part. J'ai eonnu dès votre plus tendre en- fance, que vos caraderes feroient différens, „ Votre frere Hatem ne vouloit point têter , „ qu'un au tre enfant ne partageat mon fein avec „ lui ; vous, au contraire , tandis que vous „ fuciezune mammelle, vous vous empariez de „ 1'autre, pour Ia dérober k celui qui auroit pu la faifir. " Hatem-Taïinterrogé s'il avoit rencontré dans fa vie un homme plus magnifique que lui: „ Af- furément, répondit-il; un jour que je voya„ geois, jepalTai pres latente d'un pauvre Arabe quim'orTritl'hofpitalité, fansmecennoitre; il » étok tard> & j'étois encore éloigné de chez „ moi. J'acceptai volontiers les offres de cë „Bédouin, j'avois vu quelques colombes qui „ voltigeoient autour de fa tente : comme ja „ m'attendois k manger du ris , & quelques o, CEufs, nourriture ordinaire des gens du peu» ple, je vis fervir fun un plat, une de ces co-* „ lombes, que je favois être toute Ia richeffe de „ ce pauvre homme : il ne voulut pas même „, que je lui en témoignaflè ma reconnoiffance, ?, & je ne pus le remercier , qu'en lui vantant ii beaucoup Ie méts qu'il m'avoit apprêté, G %  pest Mtlangti „ Je me difpofois a partlr le lendemaia tt matin , & je cherchois en moi-méme les 9, moyens de récompenfer la générofité de mon 9> höce; je le vis arriver qui tenoit dans fes „mains dix autres colombes , auxquelles il 9> venoit detordrele col, & qu'il me pria d'ac9, cepter, comme la feule chofe qui fut en fon „ pouvoir. C'étoit en effet tout ce qu'il poiTé„ doit au monde. Quelque affligé que je fus , „ qu'il fe füt ainfi privé de tojit fon bien , pour 9> me mieux recevoir, j'emportai ce préfent, qui „ m'étoit auffi devenu fort cher. A peine fus-je •„ de retour chez moi, que j'envoyai a ce pauvre t, homme trois eens chameaux , & cinq eens „ moutons. Que parlez-vous de générofité , lui „ dirent fes amis , vous fütes bien plus géné„ reux que cet Arabe. Non fans doute , reprit „ Hatem-Taï ; car ce Bédouin , qui ne favoit , pas qui j'étois, m'avoit donné tout fon bien, " fans en efpérer aucune reconnoiiTance , & je *l ne lui donnai moi qu'une bien petite partie „ de ce que je poffédois. "  de Littirature Oriëntale. iae REPARTIE INGÉNIEUSE D'un Courtifan d Alexandru «/^.Lexandre , irrité contre un de fesprirJj cipaux Officiers , le dépouilla de toutes fes dignités , & le condamna a rempür un des der— niers emplois de la Cour. Ce Conquérant ayant rencontré peu de tems après celui qu'il croyoit avoir fi fort humilié, lui demanda avec un fourire méprifant, comment il fupportoic fon abailTement ? „ Seigneur , répondit 1'Offi,, cier, les dignités les plus brillantes , n'hono,, rent point celui qui s'en montre indigne ; mais 1'homme de mérite honore 1'emploi le >, plus vil , quand il fait Ie remplir avec t) dignité ". RÉPONSE HARDIE D'Alexandre a Darius, 1 3 Arius , Roi de Perfe , étant attaqué par Alexandre , crut 1'intimider par le nombre de fes foldats. II envoya a fon nouvel ennemi, qu'il ne connoiifoit pas encore, un détail faf* G 3  %0* Miïangts tueux des troupes qu'il avoit a lui oppofér, Alexandre répondit fur le revers de la mêmt lettre : n Un boucher qui fait fon métier , n'eft „ pas effrayé de la quantité de mout-ons qu'on , lui envoie «, R É P O N S E 'J)u même Monarque a fes Courtifans9 T j E même Monarque s'entretenant famïliérement avec fes Favoris: » Grand Prince, •. lui dit un d'entr'eux , votre gloire remplit le w monde ; il ne vous inanque que des enfans ', qui en puiffent hériter ; les plus belles fem„ mes fe difputeroient le bonheur de vous don5, ner cette joie , & voudroient toutes partager „ le lit du plus grand homme qu'ak connu 1'u„ nivers. Ce ne font point les enfans, répondit „ Alexandre, mais les grandes aflions qui per„ pétuentla gloire; celui qui a vaincu le monde, %y ne fe laiffera pas vaincre par des femmes «,  ie Littérature örientah. ïej. GUÉRISON EXTRAORDINAIRE D'un Poëie. t^N Poëte très-entêté de fon talent, palToie la nuit a compofer, & trouvoit peu de gens qui vouluffent 1'entendre; fon aniour-propre blelTé le fit tomber dans la melancholie, & la mélan» choliele renditbientót malade. II allatrouver un Médecin qui connoifToit fa foiblelTe aulTi-bien que fon tempérament: après qu'il lui eut fait un long narré de fes maux : N'avez-vous pas, „ lui dit 1'Efculape , compofé depuis peu de 3, tems des vers que vous n'ayez encore récité „ k perfonne ? Oui, repartit le Poëce. Hé bien, „ dit le DoSeur , fakes-m'en la lecture. w Le NourrilTon des Mufes débita une piece affez longue avec beaucoup d'emphafe ; & fon Méde" cin , qui s'appercut du plaifir qu'il y prenoit, 1'engagea a la lui répéter. Comme le malade mettoit encore plus d'a&ion , & d'expreffion dans cette feconde lecture , « Récitez - la moi „ une troifieme fois, dit le Dotteur. « Et lorfque fon malade Teut de nouveau déclamée de toutes fes forces; » Allez, lui dit le Médecin, ,, voila une bonne purgation, vous devea être M maintenant bien foulagé } juftement la ma maladie ; je vous en avoia „ prévenu. " DROITS DE L'HOSPITALITÊ Sacrés. ï Brahim , 1'un des derniers du fang des Calites Ommiades, raconte ainfi un trait de fa vie, lorfque ( i) le tröne paffa de fa raaiion dans celle des Abbaflides. „ Je vivois dans Coufa, dit-il, fans foup„ conner les cruels revers qui étoient déja arri„ vés a notre maifon ; j'appercus d'une fenêtre „ de mon palais des troupes répandues dans la „ campagne voifne ; les drapeaux noirs qui „ flottoient au milieu d'elles, m'apprirentbien„ tot que ces foldats fervoient les Abbaflides = f I ) Cette fameufe révolution qui fit pafferle tronende la Dynafiie des Ommiades, dans celle des Abbaffidei, arriva ï'an 13 del'hégire , fous le Califat de Mervan fecond, dernier Prince des Ommi.des en Oriënt Les Abbaflides firent périr tous les parens de Mervan : il y eutcepcndant un Prince de cette maifon qui, après s'être réfugié en Afrique, paffa en Efpagne, ou il fe fit proclamer Calife, & devint le Chet d'une nouvelle branche d'Ommiades dans ce toyaume , qusi dstach* des Etats des Califes d'Orient.  ie Liitèrature Oriëntale. 107 '„ n'ayant aucune force a leur oppofer, je pris le „ parti de me dérober a leur recherche. Après „ avoir précipitamment changé d'habits, j'en„ tre tour éperdu dans le palais d'un homme „ que je favois être 1'ennemi de ma maifon ; je ,, lui demande un afyle fans me nommer. II me „ recoit avec bonté, me loge dans un apparte„ ment fecret, ou je trouvai pendant plufieurs „ jours toutes les douceurs & toutes les com- modités de la vie : m'étantappercu que ce gé„ néreux höte fortoit tous les jours a cheval, & „ faifoit des perquifitions, pour trouver un en- nemi, je lui témoignai avec reconnoilfance, „ que cet ennemi étoit devenu Ie mien , & que je le vengerois moi-méme volontiers, fi j« pouvois favoir de qui il avoit a fe plaindre. „ L'homme que je cherche, me dit-il, eft Ibra„ him , un Tyran qui a tué mon pere : depuis ,, que fa maifon n'eft plus fur le tróne , il eft „ livré a mon reffentiment; que ne puis-je lui rendre tout le mal qu'il m'a fait! Je répondis ,, a mon hóte , que j'étois moi-même 1'ennemi „ qu'il cherchoit, que , quoique je me reprou chafTe d'avoir fait mourirfonpere, je ne vou>} lois pas me dérober a fa vengeance; & qtie fa „ générofité envers moi me forcoit a cette fin„ cérité. A Dieu ne plaife que j'en abufe , me 8j répond Ofrnan, fi je vous rencontre hors d mauvais riche d'un pieux Solitaire ; il eft de 7> la bonté d'un Monarque de verfer fes bien« faits fur ceux qui Ie fervent; mais ces mêmes » bienfaits ne peuvent que corrompre celui » dont le devoir eft de renoncer au monde V & fur-tout aux douceurs de la vie. «  'iro Mélanges AVENTURE SINGULIERE Arrivée au Califé Mahadi» "S" l E Calife ( i ) Mahadi, eft un de ces premiers Commandeurs des Croyans, qui s'endormirent fur le tróne, abandonnant les rênes du gouvernement a des mains mal-adroites & avides. Un jour qu'il pourfuivoit une gazelle , 1'ardeur de la chaite 1'emporta trop loin, & la nuitle furprit féparé de fa fuite, mourant de foif & de fatigue. Après avoir marché longtemps, il appercut dans une campagne déferte une tente ifolée. II y pouffa fon cheval. Arrivé dans ce lieu, ou il efpéroit un hofpice, il y vit un homme qui 1'accueillit avec beaucoup d'humanité, a la maniere des Arabes : le Prince cacha qui il étoit, foit de peur d'embarralTer fon héte, foit pour jouir une fois dans fa vie des douceurs de 1'égalité; fi) Mahadi, fils d'Abougi Afar Almanfor, atiquel il fuo cécla, futle troifïeme Calife de Ia race des Abbaflides ; il fut aufli libéral & prodigue , que fon pere avoit été avare; & «üflipa, en peu de temps, les tréfors immenfes que ce Calife avoit amaffés. On en peut juger par ce feul trait. Ayant réfolu, a i'exemple de fes prédécefleurs, de faire le pélérinage de la Mecque; il dépenfavdans ce voyae;e fix millions (J'écus d'or, ce qui fait environ foixante millions de notre rnonnoie. Ce Prince monrut a la chafle, en pourfuivant une gazelle qui s'étoit réfugiée dans une mazure; il voulut 1'y ibrcer, fon cheval 1'engagea fous une porte trop bafle, om il fe rompit les reins, 8c expira fur le champ.  'ie Littirature Qritnialel njj » moi-méme ; & je te réitere toutes les pron melïes que je t'ai faites. « A ces mots 1'Arabe faifit la cruche en filence, Si comme il Ia rebouchoit & s'apprétoit a la reiTerrer : » Que faites9* vous ? « dit le Prince, qui s'attendoit a des témoignages d'adoration Sc de reconnoifTance. » Oh ! qui que vous foyez, répondit le bon w Arabe, je veux vous empécher de boire da« vantage ; au premier coup, vous vous êtes » dit un grand Seigneur, & je n'ai pas eu de ?> peine a vous croire ; au fecond coup, vous ï>> avez été le Favori du Calife, & ce titre m'a 75 infpiré du refpeS: ; au troifieme, vous vous n êtes déclaré le Calife même, je veux lo » croire encore ; au quatrieme vous ferez fans a» doute notre grand Prophete, & au cinquieme, » le Dieu tout-puiffant. Je fens que je ne » pourrois ajouter foi a tout cela. « Mahadi ne put s'empêcher de rire de cett© naiveté, Sc comme il fentit que le vin commenfoit a embarraffer fa tête, il ferepofa fur les tapis que fon hóte lui avoit préparés. Lè lendemain, les fumées du vin étant diffipées , il remonta fur fon cheval, & il prit pour guide 1'Arabe qui ne favoit que penfer de tout ce qu'il avoit entendu. II le convainquit en arrivant a Bagdad, qu'il étoit vraiment le Calife, & lui prodigna des richeiTes, pour le  fcl4 Mélanges roettre en état de rappeller dans le de'fert dk il demeuroit, les habitans que les malheurs des temps en avoient chafles. PRÉSENS MAL REgUS. U N Roi des Indes, envoyant un tribut au Calife, lui fit offrir par fon Ambaffadeur trois fioles, qu'il annoncoit comme précieufcs. »> Commandeur des Croyans, ditl'Ambaffadeur, }* la premierede ces fioles contient une liqueur w qui déguife la vieilleiTe, en noircilfant la barbe & les fourcils : la leconde renferme „ un opiat merveilleux qui prévient toutes f, les maladies que peuvent caufer les exces de la table : dans Ia troifieme, efi le plus par„ fait de tous ces elixirs dont on fait tant d'ufage dans nos ferrails. Remporte tes pré,, fens, dit le Calife ; quel cas puis-je faire de ta première fiole ? La vieillelfe eft le ,, temps de Ia raifon, de la fageffe & de la ma„ turité ; malheur aux infenlés , qui n'en „ connoilTent pas le prix, & qui en diffimulent „ les marqués. A 1'égard de ta feconde fiole, ,, qu'elle utilité peut en tirer celui qui fcait que 1'homme eft venu au monde pour penf, fer? non pour brouter, comme les animaux ?  SSp Zkthdtufe TBAauiïü t • % ;,Pour Ia troifieme, j'en méprife .Vage* „ comme des deux autres ; Ia nature eft maloi première, je lui obéirai toujours fans préten„ dre jamais la forcer. M LE DERVICH ROL ÏT \_;N Roi des Indes voyoit terminer fee jours, avec la douleur de ne point lailTer d'héntiersde fon iróne. II aimoit fon peuple & connoilfoit 1'ambition des Grands; pour préyenir les troubles qu'ils auroient pu exciter, il défigna pour fon fuccelTeur celui qui, le lendemaindefamort, fe préfenteroit le premier aux portes de la Ville. Ce Prince mourut quelques mftans après avoir ainfi difpofé de fa couronne. Les habitans de la Capitale, impatiéns de connoitre celui que le fort devoit leur donnet pour Roi, accoururent le lendemain a 1'ouverture des portes : un Dervich qui parcouroit Je monde fut le premier qui parut a leurs yeux ; il eft auffi-töt proclamé Roi, & fes nouveaux fujets lui rendent leurs hommages, én lui apprenant les dernieres volontés du Sultan Jon prédéceffeur. Le paffage rapide d'un état obfcur a un* H %  Mélanges dignité fi. éminente, étonna d'abord le Santo» qui s'y accoutuma infeniiblenaent ; les commencemens de fon rtgne furent même alfea heureux; mais la fuice lui apprit qu'un tróne n'eft pas un rempart allure contre les chagrins & les adverfités. Les Grands confpirerent contre lui: un ennemi puiiTant lui déclara la guerre,& s'empara de plufieurs villes de Ion royaume : le trouble, 1'agitation ou il étoit, lui faifoit regretter fon premier état, lorfqu'un Dervich, fon ancien ami & le fidele compagnon de fes courfes, qui avoit appris fon élévation, accourut pour le féliciter. « Graces foient'rendues a 1'Immortel, s'écria » le Santon, qui fait éclore, quand il veut, les v rofes du fein des épines, & fait d'un humble t> Dervich un Roi puiiTant. Vous vous tromn pez, lui dit le Sultan, fi vos yeux éblouis de «la pompe qui m'environne, ne percent pas i) jufqu'aux chagrins qui me dévorent: je fuia » aujourd'hui moins heureux que quand je h parcourois le monde avec vous. Le bonheur w n'eft pas dans les grandeurs, il ne fe trouv© » que dans la médiocrité. «  'ie Lhtlmati GrieniaU; Sï-a VA NI TÉ DES MAUSOLÉES. L E fils d'un homme riche, étant allé vifites letombeau qu'il avoit fait éleverifon pere, pnoit Dieu auprès de ce monument; un Der' vich, qui avoit rendu les mêmes devoirs au fien fans mille magnificence, feignit d'admire* «out le marbre, le porphyre, les riches fcuto, «3 RÉPONSE HARDIE D'un Dervich d un Sultan. Un Roi de Perfe, détefté par fes tyran» nies, demandoit a un Dervich quelle étoit la priere la plus touchante qu'il put adreiTer a Dieu. «Dormez 1'après-midi, lui dit Ie Dervich, » votre fommeil fera plusagréableau Seigneur, »que toutes les oraifons que vous pour« riez dire. u Le Sultan étonné lui demanda 1'explicationdeces paroles myftérieufes :» C'eiï «que votre fommeil, repartit hardiment la V Santon, fufpendra du moins pendant quel« ques momens Ie cours de vos cruautés, & » procurera un peu de tranquillité a vos mal» heureux fujets. cc  Mil Mélanges tures & la belle architecture qui décoroienï le tombeau duvoifin ; ce fils qui s'énorgueilliffoit de tant de fafte, demanda au Dervich, pourquoi une fimple brique diftinguoit le lieu ou fon pere avoit été enterré ? Le Santon lui répondit: » Au dernier jour mon pere échap9} pera bientót de deffous cette piece légere, 9> comment le votre pourra-t-il percer un édipt fi.ce fi pefant ? « JIÉPONSE DE NOUCHIREVAN A un Courtifan, N Courtifan, croyant faire fa eour » Nouchirevan, lui annonca, d'un air empreffé f que la mort venoit de le délivrer d'un ennemi puiiTant. » Si j'étois immortel, dit Nouchi«revanau Courtifan, 1'événement que vous w i..-'apprenez pourroit me flatter : commens 9> 1'homme en fanté peut-il fe réjouir de la mort » de fon ennemi, tandis qu'il eft afluré lui> »j même de fubir bientót le même fort ? «  ie Zittfrature Oriëntale. yt^ AUTRE REPONSÊ D'un Roi d'Arabie. U N Roi d'Arabie fe mouroit, lorfqu'on lui fit part d'une viétoire fignale'e que fes troupes venoient de remporter fur les ennemis. » Porte f> cette heureufe nouvelle ï mon fucceffeur, » dit le Prince, en poulTant un profond lou» pir ; elle 1'intérelTe plus que moi. « HARDIESSE D'un Dervich. H Adtadt, ce fanguinaire Géneral des armees du Calife Abdoulmelik, voulut engager un Dervich qui paffoit pour fainf, a prier Dieu pour lui: » Seigneur dit le dévot perfonr [ge «enlevantles mains au ciel, fi jamais vous » daignates exaucer les foibles vccux de votre » ferviteur, ne rejettez pas celui qu'il forme » aujourd'hui ; il ofe vous conjurer de ne pas «prolonger davantage les coupables jours «d'Hadjadj. Quelle priere adrelfez-vous la, » pour moi, au Tout-puiifant, dit le Générai H 4  m * Mélanges ft tout interdit au Santon ? La plus favorabïe^ 9> repartit le Dervich, que je puiffe faire pour 9> vous, &pour tous les Muiulmans. « BELLE RÉPONSE D'un Arabe du défert a. Afmai. C Eux qui ont ofé écrire que Mahomet excluoit les femmes des re'compenfes de 1'autre vie, ont avancé une grande impofture. Ce fexe, qu'on appelle en Occident le fexe dévor, ne 1'efl: pas moins chez les Orientaux ; & les femmes qui font moins heureufes en Oriënt qu'ailleurs, en ont d'autant plus le droit d'efpérer les biens de 1'autre vie. Le Poëte Afmai, allant de Bagdad a la Mecque, paffa proche un camp des Arabes du défert ; il y vit une femme d'une rare beauté, qui, felon la loi de 1'hofpitalité, 1'invita a venir fe repofer dans fa tente. Comme il s'entretenoit avec fa belle höteffe, un Negre d'une figure rebutante vint fe mêler de la converfation : la femme fe leva avec empreffement, & s'approchant d'un air tendre & refpeöueux de cet homme hideux, elle lui effuya le vifage, & demeura en polbare de fuppliante devant celui  ie Zittcrature Oriëntale. ixr qui ne paroiifoit pas aigne d'être fon efclave. Cet importun s'étant retiré, ( car les Arabes du défert font bien moins jaloux que les autres ) Afmai témoigna fon étonnemem & fon indignation a cette Belle : » Seigneur, lui dit-elle , « 1'homme que vous venez de voir eft mon »> époux ; Dieu me 1'a donné, pour le fervir & » pour lui plaire, & le Prophete nous ordonne 3> de nous foumettre aux devoirs de notre état: « mon mari n'eft pas aufii agréable que j'aurois *> pu le defirer ; mais qui dans cette vie a ob» tenu tout ce qu'il defire ? u MANIERE INGÉNIEUSE D'un Cadi , pour faire fentir a un Calife l'injuflice quil commeuoiu ü Ne pauvre femme poffcdoit a Zebra petit ville aux environs de Cordoue, une piece de terre contigue aux jardins du Calife Hakkam ( i ) : ce Prince, voulant agrandir fon palais, fit propofer a cette femme de lui céder fon terrein. Celle-ci refufa toutes les oftres qu'on lui fit,&ne voulut jamais fe défaifir de 1'héritage de fes peres : PIntendant des batimens s'empara (i) Hakksm-Bcn-Hacchiam , troificme Calife de Ia Dynafue aes Ommiades. ' ' * "  ïii Mélanges par force, de ce que 1'on ne vouloit pas lui donner de bonne grace. Le femme défolée alla a Cordoue implorer le fecours de la Juftice: Benbechir étoit alors Cadi ou Juge de cette ville : le cas étoit embarraffant, & quoique la loi fut formelle, il n'étoit pas aifé de la faire " entendre a un Prince qui fe croyoit, par fon rang, au deflus des loix. Ibn Béchir monte auffi-tót fur fon ane, & prend avec lui un fac d'une énorme grandeur. II fe préfente dans cet équipage devant Hakkam , qui pour lors étoit dans un pavillon qu'il avoit fait conftruire fur le terrein même de cette femme. L'arrivée du Cadi, Sc plus encore le fac qu'il avoit fur fes épaules, étonnent le Prince : Ibn Béchir, après s'être profterné, lui demande en grace la permiffïon de remplir le fac qu'il portoit, de la* terre ou il étoit. Hakkam y confent; quand le fac fut plein, il conjure Ie Calife de lui aider ale chargerfur fon ane. Une pareillepropofition étonna Hakkam encore plus que tout le rede. II dit au Cidi que le fardeau étoit trop lourd : „ Prince, répondit Ibn Béchir, avec une nobl» „ hardieffe, cefac que vous trouvez trop pefant, „ ne contient cependant qu'une très-petite par„ tie de la terre que vous avez enlevée injufte„ ment a une de vos fujettes ; comment pour„ rez-vous porter, au jour du Jugemcnt der-  ie Littirature Oriëntale. „ nier, cette terre toute entiefe „ ravie ? "Hakkam, loin d'étrc irrio le Cadi, reconnut généreufement fa f rendit a la femme le terrein, dont il emparé, avec tous les batimens qu'il a conftruire delTus, L'ESCLAVE IN FIDELE. T.Lis jeune, aimable 5c coquette, étoit 1'efclave d'un riche Négociant. Son Patron fut obligé de faire un voyage ; il connoiiToit le cccur tendre de Zélis , Sc combien ie plaifir avoit d'attraits pour elle : une longue abféncè pouvoit devenir fatale a fes amours. Notre jaloux voulut du moins être infttuitdu fort qu'on lui préparoit. Zélis fut mife fous la garde d'un eunuque févere Sc vigilant: le Négociant en lui remettant un dépot fi fragile , revètit 1'argus d'une robe blanche de coton ; il lui donna en même lems une bouteille remplie d'une liqueur bleue , Sc lui ordonna d'en verfer une goutte fur fa robe toutes les fois que 1'efclave feroit infidele. Cette robe , fi par accident 1'ennuqu* venoit a mourïr , devok être un témoin muet, qui dépoferoit en faveur ou contre Zélis. Le Négociant, quelque tems après fon départ,  X14 Mélanges écrivit a 1'eunuque, & lui demanda des rtmi- velles de celle qu'il lui avoit confiée : „ Reve» nez au plutót, lui répondit 1'eunuque; fivous « differez plus long-tems votre retour, vous n trouverez la ro'~te que vous m'avez donnéc, k plus tachetée que la peau d'un tigre. u TRA1T EXTRAORDINAIRE De générofué dg ia aart d'un EJclavt Turc. J3e s Turcs , efclaves fur une Galere Chrétienne , mouillée dans le P'ort de Naples , formerent une conjuration , &c choihrent pour J'exécuter le jour d'une grande iéte. Le fignal donné , ils brifent leurs chaines , maffacrent le peu d'Officiers & de foldats qui étoient reftés fur la galere , coupent les cables & mettent a Ia voile. Un jeune Seigneur Napolitain, agé feulement de dix ans, qui faifoit fa première campagne , étoit alors de garde. Un des efclaves (i) Turc vole vers lui le poignard a la main , & (i) Ce fait eft ve'ritable, & eft arrivé a Naples, fous Ie regne de Dom-Car!os , aujourd'hui Roi d Efpagne. Ca Fnnce, fi rempli lui-même d'humanité , ne laiffa pas fans recompenfe une aaion auffi généreufe. 11 rendit la liberté i 1'efclave, & lui donna le choix de refter a Naples avec une yen(;on honnéte, ou de retourner dans fa patrie avec une fomme confidérable ; le Turc préféra ce dernier parti,  ie Z'uü'rature Oriëntale. sa 5 j feint de Ie lui plonger dans le fein ; il prend 1 eniuite cec enfant, le jette a la mer , & fe préciJpiant lui-même après le jeune Seigneur , il :| 1'aide a nager. L'un $£ 1'autre aborde heureufeI ment a terre , 1»; Turc embr:.ffe en pleurant ce1 lui qu'il vient de fauver: w Je fuis toujours 1» ton efclave , lui dit-ii , ou plutót celui de | f> ton pere , mon bon Patron , qui m'a traité I» avec tant d'iiumanité : je regrette peu ma 1 i> liberté , puifqu'elle eft le prix de ta vie ; tu I »> périiTois, fi j'avois voulu paroitre t'épargner t 11> & j'aurois eu la douleur de te voir maffacrer i »> par mes compagnons, fans que je puiiT; t'ari *> racher de leurs mains. « I On trouva dans hs papiers du Calife (1) Abdoulrahman apres fa mort, ces paroles qu'il avoit écritis de fa propre main. » Depuis 1'inftant que je regne jufqu'a ceI t> lui-ci, j'ai fupputé exaitement les jours ou I » j'ai goüté un plaifir pur & véritable : & ces I (i) Abdoulrahman III du nom, huitieme Calife de la faI «nille des Ommiades en Efpagne , re ;na prés de foixanta I .ans : ce fut le premier qui ch.an.7ea de"nom, & qui prit lx 2ua!ité d'Emir Almouménin, c'èft-a-dire, de Commandant es Fideles, d'oü eft venu notre mot de Miramöulin. U poC 1 fédoit de grandes nchefles, & étoit très-magnifique; ce fut 1 lui qui ^batit la ville de Zéhra , a trois milles de Cordoue; 1 Zéhra étoit le nom d'une de fes efclaves qu'il aimoit éperj jÈuhent : rien n'égaloit , dans ce temps-la, la beauté & U i magnificence du palais & des jardins que ce Prince fit conf; I Jr.Hire dans cette ville, qui eft détruite aujourd'hui.  Tzé , .. .. 'Méïangts » jours font au nombre de quatorze. Mortels'j « conüdérez ce que c'eft que ce monde, & le » fond que 1'on doit faire fur les plaifirs qu'il 9> nous préfente : rien cepeudaut ne paroït 9» manquera nu félicitJ,richeffesj honneurs, & » pour tout dire , fouveraine puiflancc : crain» i) & eflimé des Princes mes contemporains, ils 9> envient mon bonheur , font jaloux de ma 9> gloire , & recherchent mon amitié. Cin9> quante années fe font déja écoulées, depuis w que je fuis fur le tróne ; & dans un fi long t> efpace de tems , je compte a peine quatorze y> jours dont le cours n'ait pas été empoifonné 9> par quelque chagrin. « DIFFÉRENS TRAITS Dc la vie de quelques Califes. jl. i E Calife ( i ) Aboulabbas difoit : „ Qus p, ceux qui dans un Empire , remplilTent les (i) ( Aboulabbas ) furnommé SetTah, mot qu! (ignifie ce« Jui qui verie le fang , a caufe que ce Prince n'obtint la poft feffion paiiible du Califat, qu'après une très-grande effufion de fang; car on fit en effet un maiTacre épouvantable des Ommiades, & de leurs adherent dans toute 1'éténdue de J'Hmpirc des Arabes, fanscoroptercelui qui fut répandudans r- i-rentes batailles fur 1'Euphrate, prés de Uamas, & en Egypte. Ce Prince ef* le premier Calife de la race des Abbaflides i il commenca a regncr 1'an 131 de 1'hégire , & mourut 1'a* 5:36, agé leulement de trente-deux ans.  'ie Litte'rature Oriëntale. ï%1 T, premières charges, font moins expofés que le „ relte des hommes a la fougue des paffions , ,, paree que leur feu eft comme amorti par Ie „ tumulte des affaires, & que la même granM deur qui femble les favorifer par la facilité de „ les fatisfaire, & par Ia fédudion des objets „qui nous environnent, les affoupit, & les endort en quelque forte, par 1'importance & „ par la variété des occupations qui en font „ inféparables. " Le Calife (i) Manfour, irrité contre un de fes Courtifans, fit venit le bourreau pour lui trancherla tête:,, Si la vengeance dans un • 1 ,de m.e c°^n-er la vie, ph0Ur vous fervir fTZ » vous demandera, d'autre bien que Ia fanté « ' Ji n ent pas plutót proféré ces mrolet „,,>';i . j^es efclaves dePfon antichambre ! qTd foit a' 0 cWa' e" mien W V°'S 3 <* ff<5f?nCe ^ƒ « h ■f m.en, n eft que de cinq jours ... Ces parcles toüfherenc auffi v.vement G.afer, que s'il «fe entendu prononcer le óf faTvt de? ' qi" fiSnifót 'e t6rme rfe ^ vieTen effet ï fut peu de temps apres attaqué de Ia petite verole & móu Sé proK" & c'nq '°l,rs 3prèi ^ c« p«ta avoZ ïülah, LctfcaIif^b°rG!aTr'MJ,nf0llr ' Almanfor- cle & fon neveu voulurent lui difputer le Cali&it maï?'ï les vainnnit- l'.m s, i» ^ om 1*,Kul-cr 'e aaltrat; mais il h Cappadoce, & f„l, Fpndgteut jft ^fe^  ffgf Mélange* Prince ofFenfe', dit le patiënt au Calife, eft '„ réputée pour un aae de juftice, la clémenc* ' eft un ade d'héroïfme; votre choix eft fait .! entre ces deux vertus , & douter que vous " avez donné la préférence a la derniere, feroit "un crime plus grand que celui dont je fais coupable. " Le Calife ne put refufer la grace ï celui qui 1'y forcoit, pour ainfi dire, par le tour ingénieux qu'il avoit pris. Le même Prince ayant rencontré un Arabe du défert, lui dit: » Rends graces a Dieu, qui „ a bien voulu faire cefier la pefte qm defoloit „ton pays.Dieu eft trop bon reprit leBe„ douin, pour réunir fur nos têtes deux fleaux i! fut att^ué en f«&nt le p «»|^ la 1 malade> tr0ub'c.rent fort: en vo.a le fens ^ ^ £ £S£firÜrL DU, qui eft irreële, * d°tu penant d'A/trologues que tu vouiras ; tts derruers jour Pnnce etoit •?a""f , & des Mathématiciens, . ours avec des Ph'^™». * %l ce pri„ce trouva écrit Althaban , " patriotes , avoit dérobé jufqu'a préient k ma vue les rares qualités de Ziad : 1'éloge que l Votre Majefté en a fait, a diflipé ce nuage ' & mes yeux font enfin frappés de léclat de " tant de vertus. Mais , Prince , un Mimftre auffi parfait doit faire fucceffivement le bon' heur de tous les peuples de votre empire ; ils fe plaignwt depuis long - tems du long  'ét Littt'rature Orientate. ^féjour Je Ziad a la Mecque ; fakes celTeE 5, leurs murmures, Sc donnez-leur , pour Gou- verneur, celui qu'ils defirent avec tant d'ar- „ deur: il eft jufte qu'ils relfentent a leur tour t „ les précieux avantages de fon adminiftra„ tion. " Le rïiême Calife converfoit un jour avec les plusfameux Do&eurs de fon empire, lorfqu'une femme vint fe préfenter devant lui: „ Prince 0 des vrais Croyans , lui dit-elle , je réclame „ votre juftice contre d'avides héritiers. De fur. }, eens pieces d'or que mon frere a laifTé en j, mourant, ils ne m'en ont donné qu'une feule. „ Ils ne vous ont fait aucun tort, répondit le „ Calife a cette femme , & vous avez recu Ia ?, jufte portion que la loi vous adjuge. Les deux ?, filles de votre frere ne font-elles pas héritie)} res chacune du tiers de fes biens , ce qui fait t, quatre eens pieces d'or ; il a fallu donner cent j, pieces a la veuve pour Ie fixieme qui lui re„ venoit de la fucceffion , & cent foixante?, quinze pieces pour le huitieme a la mere du „ défunt : les vingt-cinq pieces reftantes ont ?, été partagées entre vos douze freres & vous; „ mais le lot des garcons, fuivant la loi, étanc „ le doublé de celui des filles, ils onteuchacun n deux pieces d'or , Sc vous une feule. " Les Do&eurs furent étonnés de trouver Ma» I 1 *  jjï Mélanges xnoun auffi & plus éclairé qu'eux-mémes, fuc un objet qui faifoit leur unique étude; ils ne pouvoient comprendre comment ce Prince , accablé des détails immenfes du gouvernement , avoit pu acquérir une connoiflance auffi profonde des loix. Ce Prince aimoit beaucoup les échecs : f> N'eft-il pas extraordinaire , dit-il un jour k „ un de fes Favoris avec lequel il jouoit, que „ feize pieces placées fur un plan auffi petitque 9,1'eft 1'échiquier , me donnent plus de peine k bien a conduire , que des millions d'hommes „ qui couvtent 1'immenfe furface de mon em„ pire ? Le même Calife avoit fouvent ces paroles, a la bouche: „ Si les coupables favoient com„ bien j'aime a pardonner , leur cceur, au lieu j, d'être agité par la crainte , feroit tranfporté „ delajoie la plus vive, par 1'alfurance qu'ils t) auroient d'obtenir leur grace. " Ildifoit auffi: „ Si les coupables coiuioiffoient toute la „ force de mon amour pour la clémence , ils t, s'emprelTeroient bien davantage de fe pré„ fenter devant moi, pour me fournir 1'occa„ fiond'exercerune vertu qui fait mes délices." (i) Vafikbillah ayant été élevé au Califat, ( i ) Vaf.kbillah , neuvieme Calife de Ia race des Abbaffides, fuccéda a fon frere 1'an 117 de 1'égire. Ce Prince perfécuta ceux qui refufoient de «reire 6t d'affurer que 1'AU  de Littirature OritntaU. jjj Amrou, Gouverneur Je ce Prince , vint Ie féliciter fur fa nouvelle dignicé. Dès que Vafik 1'appercut, il fe leva de ibn tröne, & fit quelques pas comme pour aller a fa rencontre. Ses Vifirs lui repréfenterent qu'il bleffoit, par un» pareilledémarche, la Majefté du Califat, & que le Commandant des Croyans devoit recevoir les hommages de tout le monde , fans en rendre d'aucune efpece a qui que ce fut: „ Puis _ j9 „ trop honorer , leur répondit ce Prince, celui „ qui a délié ma langue, & qui lui a fait pro„ férer le grand nom de Dieu (i) ? " * „ Pourquoi vous livrer a la triftefle ? « difoit un jour a Mutéwékul un de fes Courtifans qui trouva ce Calife plongé dans une profonde *taqué une feconde fois de { O Ce mot eft affeZ ftmblgble i celui de Henri IV " 13  Mélanges mélancholie. „Eft-il fur la terre un mortel plus „ favorifé du ciel que vous , & dont le bonheur , égale le vótre ? Oui fans doute , répondit le Prince , celui qui a affez de .bien pour vivre ", dans une honnête médiocrité , a qui le fort a donné en partage une femme aimable & vertueufe , & qui n'eft ni obligé , ni curieux de „ me connoïtre, eft mille fois plus heureux que moi. GRANDEUR ET MAGN1FICENCE Des Califes Abbajfides, X L y a eu peu d'Empires fur la terte comparables a celui des Califes Abbaffides : ces Princes qui tenoient 1'encenfoir d'une main , & le fceptre de 1'autre , réuniffoient dans leur perfonne toute 1'autorité du Souverain , & celle du Chef de la Religion : on ne les abordoit que dans la pofture la plus humiliante , & on leur donnoit en leur parlant, les titres les plus relevés. Pour mieux imiter-la Divinité , dont ils prétendoient être Pombre fur la terre , ils fe fe -montroient rarement a leurs fujets. Ils daignoient a peine recevoir les hommages des plus grands Rois de 1'Afie, & plufieurs de ces Prin-, ces ayoient la confufion ; après avoir refté long-  de Littirature Oriëntale. 13 J tems a Bagdad, de s'en retourner dans leurs Etats fans avoir pu voir le Calife. Les Hiftoriens Ibneldjouzi & Miranchahi , pour donner une idee de la magnificence & du faire de ces Defpotes, racontent la réception qui fut faite aux AmbalTadeurs de 1'Empereur de Confhntinople , 1'année 304 de 1'hégire , fous le regne de Moktader Billah. Le jour marqué pour 1'audience , les Ambaffadeurs fe rendirent au palais du Calife, accompagnés du grand Vifir. Trente-huit mille tapis de Perfe décoroient les rues par ou ils pafferent. La première porte du palais étoit gardée par huit mille Portiers rangés en haie , chacun d'eux avoit la tête ornée d'un cafque d'or , & tenoit a la main un baton couvert du même métal; leur habillement n'étoit ni moins riche , ni moins fuperbe. L'on avoit tendu la première cour qui étoit immenfe , de tapite magnifiques. Les AmbafTadeurs y virent avec étonnement cent foixante-mille hommes rangés en bataille : ils la traverferent & arriverent a la porte de la faconde cour , qui étoit gardés par mille Pages revêtus de drap d'or. L'on voyoit a la porte de la troifieme cour cent Portiers qui 1'emportoient fur tous les autres par la richefTe & par la magnificence de leurs habillemens. Au deinis de cette porte I4  t}6 Mélanges étoit fufpendu ce fameux rideau de velours noirtout couvert de diamans & de perles, que les plus grands Seigneurs de 1'Empire, & que les Rois mème étoient obligés de baifer. Le grand Vifir & les Ambaffadéurs fatisfirent a cet ufage avec les marqués du plus grand relpect: parveïius a 1'appartement du Calife , ils palferent au milieu d'une doublé haie de quatre mille Eunuques blancs & de trois mille Eunuques noirs. II falloit avant d'entrer dans la falie d'audience, traverferla falie d'armes; on y voyoit dix mille cuiraffes d'or enrichies de pierredes , & trente mille armures d'acier dorées Sc cifelées : cent ïions avec leurs chaines d'or étoient les gardiens de cet arfenal. Les Ambaffadéurs furent enfin introduits dans la falie du tróne; il étoit de bois d'ébene revêtu de toute forte de pierres précieufes , & d'un grand nombre de perles : il y avoit dans cette falie un baffm de marbre, du milieu duquel fortoit un grand arbre d'argent. Dix-fept branches partoient du corps de cet arbre, dont les fruits & les feuilles étoient d'or de différentes couleurs qui imitoient parfaitement le naturel: ces branches étoient couvertes d'oifeaux de différentes efpeces, qui formoient un concert admirable. Les Ambaffadéurs fe profternerent devant  de Lhtérature Oriëntale. 137 Ie Calife : ils refterent éloignds de fon tróne de plus de deux eens pieds; telle étoit 1'orgueil de ces Defpotes Pontifes , qu'il n'étoit pas permis d'en approcher de plus pres que d «' d« Roman que de 1 Hiftoire II y a eu , fuivant eux , deux Alexandres , tous les deux lurnommés Dhoulcarnéin , c'eft-a-dire aux deux cornes; c'eft ainfi qu'ils défignent 1'Occident que ces ceux Pnnces ont conquis. Le premier & Ie plus ancien de ces deux Alexandres, eft celui qm paffe pour avoir conftruit la muraille qui renterme les nations feptentrionales dans les confins du Nord & qm les empêche de faire irruption dans les pays plus mé! ridionaux de 1'Afie; c'eft cette muraille qui eft ordinairement Dommee Ie rempart de Gog & de Magog. Les Perfans donnent au fecond Alexandre, outre Ie furnom de Dhoulcarnéin , celui d'Ibn Phiüppos , c'eft-a-dire de fils de Plulippe-Ie-Grec; mais au lieu de Ie faire fils de ce Prince lis prétendent qu'il n'étoit que fon petit-fils, né de fa fille qui avoit epouie Danus. Ils difent que Ie Monarque Perfan ne pouvant fouffrir fon époufe a caufe de !a puanteur de fa bou. che, Ia renvoya a fon pere , quoiqu'elle fut groffe; cette ^nnceffe accoucha d'un fils de Darius dans Ie palais de PhiIippe , qui le fit élever comme s'il eut été fon propre fils. Alexandre, fuivant cette tradition des Perfans, étoit freres «Je Dara . qm eft Ie dernier Darius, furnommé Codomanes, pis ou premier Darius, d'une autre femme que la mete d'Ai  ,j§ Mélanges lui diaa la lettre fuivante adreffée \ fa mere Olympias. 1,-xandre Ce Prince ayant appris de qui 11 étoit véritable«nenffiuï, & quet couWde Perlelui rPP^,™"™™ frainé déclara la zuerre a fon frere Danus, le defit en plu- en Perfe en qualité dedixiemeRo. de la race des K^e*. Ilmourut dans la ville de Chebrézour en Affyne , apre» avoir partagé fes états entre quat«-vm«^-d« ie fes C-apl taines , don? le premier fe nommoit Lagos ; c eft Ptolomee, *l£SÊ nis, c'eft Arideus, qui, ^^ffi^ ^^£2*. af* qu'Alexandre-le-Grec battit !es villes d'Alexandrie en Egypte , de Damas en Syne , de Hérat, qui eft ï'Aria des Anciens en Khoraffan & de Sa "arcande dans la Province de Mavouara.nnahar c f-^"e> de dela du fleuve Oxus, & que fon corps fut porte snort a Alexandrie dans un cercue.l d'or, que fa mere nt *ÏE£Sï£t cXSe-p-arche cl'Alexan„rie^dan^es Annales dit, qiAlexandre étant tombe malade a Kom, fe fit tranfporter a Cherezour. ■Ce F,mee, etnt al* U préoiftion qui avoit été faite par les Aurorogues au moment de fa naiffance ; fa mere 1'en ^«fe^ horofcope portoit, qu'1 de la nature quelque avantage pour ecrire ; mais vous , » grand Prince , qui êtes fi cé'ebre par votre magnificence êc j. par votre libéralité , vous tn avez un très-grand au deffus » de rooi , en ce qui regarde 'a diftribution & la qualité des •> habits m, Alexandre fiit fi centent de cette repartie ingénieufe qu'il lui fit aufli-tót donner un habit de grand prix. Le même auteur dit encore , que ce Prince voyant fa derrière heure venue , écrivit ces deux vers a fa mere pour la confoler : Votre fils, apres avoir conté quelques momens ie vie , ejt llvrè a la mort. II a pajjï comme un éclair, & laiffe feulcment apres lui, la matiere de beaucoup difcourir. L'Auteur du Rabialakiat, rapporte les aflions & les paroles fuivantes d'Alexandre. Ce Prince , interrogé pourquoi il honoroit plus fon maitte que fon pere , répondit ; >i M oa pere m'a fait defcendre du ciel en terre, & mon maitre » m'a fait monter de la terre au ciel Alexandre étoit fujet alacolere, & il avertiffoitfesamis dn péril qu'il y a d'approcher les Princes lorfqu'ils font irrités ; Car fi la mer, difoit-il , eft dangereufe même dans le cali. me, que fera-ce quand les vents 1'agitert & foulevent fes » fiots .( > . Le même Prince dit a un de fes Mimftres qui 1 avoitlongtems fervi:.. Je ne fuis point fatisfait de vous; car je fins » homme , & par conféquent, fujet a^ Terreur & a 1'oubh ; » cependant vous ne m'avertiftez jamais d'aucun de mes déi ,. fauts : fi vous ne vous appercevez pas plus que moi de » mes fautes , c'eft ignorance ; fi vous vous en appervevea ti & que vous me les cachiez, c'eft trahifon «,, ,Voyez D'Herbelot, au mot EsKander,  H° Mélanges » la plus tendre des meres, qu'il afi peu vue >> & qu'il ne reverra jamais : falut. » Mes ancêtres m'ont frayé le chemin ou je m fuis , & je vais le frayer a ceux qui vienwdront après moi; vous-même, mere infor»tunée,vous marchez fur mespas:il en eft w des hommes ce qu'il en eft des jours; ils fe w fuccédent rapidement lesuns aux autres, & « vont fe perdre dans 1'abyme de 1'éternité : w ne vous laiffez donc pas féduire par les atf) traits de ce monde trgmpeur ; plus fes fa» veurs font grandes, moins elles font duraW bles. Ia fin tragiqne au Roi Philippe mon tt pere en eft un exemple bien frappant: fes » triomphes, vos vceux, votre amour, rien » n'a pu le fouftraire au coup mortel qui vous f) 1'a enleve , & quoique je meure dans laforce 3> del'age, il n'a pu me furvivre : fupportez wma perte avec courage, & ne laiffez pas ft écbapper des larmes également indignes de » vous & de moi: paffez dans la retraite les „jours qui vous reftent a couler; ou fi la „folitude vous effrais, n'admettez dans votre „compagnie que ceux qui n'auront pointref„ fenti les e'preuves de 1'adverfité; leur petit „ nombre, ( fi cependant il eft quelqu'un fur „ la terre de conftamment heureux ) fera pour „ vous un motif de confolation.  'ie littèratare Orlentaïe. t^£ ï, Quant a moi je parts ; les lieux qui m'at. „ tendent, m'ofFrent une tranquillité que jc ,, n'ai pu gputer ici bas. Au nom des tendres „hens qui nous uniffent, ne vous laiffez pas „ abattrepar le chagrin; c'eft ladernier, preuve „qu'exige de votre amourun fils reipectueux „Puiffe cette lettre, que je date du dernier „jour de ce monde, & du premier de 1'autre „adoucirvospeines& foulager vos maux Je' „ le defire & je m'en natte ; ne trompez pas un „ efpoir fi confolant pour moi, & ne contriftez „ point mon ame par une douleur immodérée „ Adieu ". Olympias, après avoir lue Ia lettre d'AIexandre,fit préparer un feftin, & y invita indifteremment tous les habitans de la ville oü elle etoit: elle ordonna feulement afon Maitre des Cérémonies de ne laiffer entrer que ceux qui 1 affureroient de n'avoir reffenti, dans le cours de leur vie, aucune afflifiion. I/Officier annonca a tous ceux qui fe préfentoient la conduion que la Reine avoit impofée : la retraite de tous les conviés apprit a Olympias , que 1 adverhte eft commune a tous les hommes , & elle tacha de fe confoler de la mort de zon hls. Le corps de ce Prince fut enfermé dans un cercued d'or, que Philémon, 1'un de fes Gé-  >, me lui, & qu'obligés par votre profelfion a une vertu plus auftère, on vous fera un jour, „ avec plus de juftice, les mémesreprochesque vous lui faites a préfent "„ Olympias  ie Littlratart Oriëntale. 14J Olympias, qui pendant cette triffe ce're'monie s'étoit tenu panchée fur le cercueil de fon filst fe leve, & lui adreffant Ia parole: O fils trop ambitieux ! ce que je t'avois prédit t'eff enfin m arrivé ; trop avide de conquêtes, tu as fait „ celle de 1'univers, & 1'univers n'eft rienpout » toi % SUR LE DANGER QUE Courènt les Princes en accordant leur confiancea ceux qui en font indignet» J3 Ans lesempiresde 1'Órient, lesPrinces, accoutumés a la plus grofliere flatterie, n'écoutentprefque jamais la vérité que fous 1'emblême de la fable : perfonne n'ofe donner des confeils a celui qui peüt öter la vie; les ames les plus nobles & les plus honnêteSj font en quelque facon comprimées par les mceurs générales, & celui qui veut le bien craint de le montrer en face. Un jeune Prince parvenu au tröne dans urt age oü les hommes font a peine capables de demêler Ia vérité, demandoit a fon Vifir, a qut le nombre des années avoit donné une profon» K  %Si6 Mitanges de expérience : quels hommes font dignes d'ap„ procher les Rois? Hélas! lui répondit fon Miw niftre, ils ne devroient fe fier qu'a ceux qui „ femblent le moins emprefles a leur plaire. La „ connoilTance des hommes difficile a tous, eft „ prefque impoflible aux Monarques. Un Sul„ tan d'Alep , qui avoit eu le malheur de s'y „ tromper, fut heureufement défabufé par des n animaux ". Ruftem, c'étoit fon nom , plongé dans Ia mollelTe , abandonnoit a fes Vifirs les foins pénibles du gouvernement dont il fe fentoit incapable. Les objets du luxe rempliflbient fon coeur, il aimoit mieux un jouaillier qui lui fourniffoit des bijoux bien choifis, qu'un Général qui lui gagnoit des batailles: 1'emploile plus important de la Cour étoit celui de jouaillier. Un fils étoit né de la Sultane favorite: Ruftem, qui avoit confié a fon jouaillier le foin de ce qu'il avoit de plus cher, c'eft-a-dire , fes pierreries, crut ne pouvoir mieux faire que de lui confier auffi Phéritier du tróne. Le nouveau Gouverneur mit dans 1'ame du jeune Prince tous les vices qui étoient dans la fienne , ou plutót il cultiva les germes de ces vices que tous les hommes portent avec eux, qu'une éducation fage & de bonnes réflexions peuvent feuls étouffer,  de Zitn'rature Oriëntale. T47 Le jeune Béhadirchah , a qui rien n'avoit jamais réfifté, & dont les flatteurs avoient corrompu 1'enfance, étoit impétueux, injufte, avi» de, ne regardant les hommes qu'il devoit gouverner un jour, que comme un bien qui lui appartenoit, & dont il avoit droit de difpofer fuivant fon caprice. Le métier que fon Gouverneur avoit faitt avant d'arriver a la Cour , lui avoit laiffé un grand amour pour les pierreries, & cet amour étoit paffe dans le cceur de 1'élcve, comme toutes fes autres inclinations. Sadi, c'étoit le nom du Gouverneur, apprit qu'un Juif étoit arrivé a Alep avec une riche partie de pierreries; il voulut en faire acheter au jeune Prince, & profiter pour lui-même de la circonitance favorable. Le Juif arrivé au ferrail, vit qu'on s'emparoit de fes pierreries, & que Ie prix qu'on lui en laiifoit ne répondoit pas a fes efpérances; il fe plaignit de la violence, & réclama fes diamans. Béhadirchah, peu fait aux contradictions,ordonna quele Juif fut mis hors duferraiL Ce malheureux,pénétré de l'injuftice, fe plaignit amérement 5i en termes trop peu mefurés , le Prince, irrité par fon barbare Gouverneur, fit charger de coups le pauvre Juif, avec tant decruauté , qu'il expira fur la place. K i  148 Mélanges Le bruit de cette action indifpofa Ruitens contre fon fils, & contre fon Gouverneur:1e jeune Prince fut relégué dans un chateau éloignédela Cour;,Sadi, chaffé du palais, voulut fe préfenter devant fon éleve; mais il n'en recut que desreprocb.es, & un ordre de s'écarter pour jamais de fa vue, de peur qu'il ne voulüt lui perfuader de nouveaux crimes. Le malheureux fe retira tout confus: s'étant engagé la nuit dans une forét épaiffe,une de ces foffes, que l'on couvre d'une mouffe légere pour fervirde piege aux bètes féroces, trop communes en Oriënt, fe rencontra fous fes pieds. II y tomba entre trois animaux qui auginenterent fon effroi; un lion, un finge & un ferpent; notre homme en fut quitte pour la peur que ces terribles hotes lui firent. L'animal le plus cruel devient doux lorfqu'il fe fent prifonnier : le jour furprit Sadi au milieu des réflexions les plus triftes: il s'attendoit a perdre par la faim la vie que ces animaux lui laiffoient lorfqu'il appercut au haut du précipice un hom. me qai lui paroilfoit touché de fon fort. Cette vue lui ayant rendu Fefpérance , les cris du malheureux déterminerent le voyageur a lui jetter une corde, au moyen de laquelle il pourroit fe tirer de cet horrible féjour. Le finge, plus adroit que l"homme, faifu eet  . _ éeZittérature Oriëntale. 14a inftrument favorable, & parut fur Ie bord de Ja fofTe au lieu de celui que le v.yageur attendoit. » Vous ne ferez peut-être pas faché un «jour, lui dit le finge, de m'avoir confervé la » vie ; les animaux favent reconnoitre & ché» rir leur bienfai&eur : vous voulez fauver cet «homme qui partageoit ma difgrace ; fahe m le ciel que cet ingrat ne vous falTe pas repenm tir de votre générofité ! Ma demeure eft au » pied de cette montagne que vous voyez d'ici; » puiffe-je vous y rencontrer & vous y être n utile. « Le voyageur, qui comptoit médiocrement fur les promeffes du finge, acheva de le tirer par un mouvement de pitié ; preffé de rejetter la corde dans 1'efpérance oü il étoit de délivrer fon femblable : a cette feconde opération, comme il fentoit un poids plus confidérable , il ne douta point que ce ne fut 1'homme, qui avoit enfin faifi la corde ; mais la criniere monftrueufe , les dents & les griffes du roi des animaux , 1'effrayerent fi fort qu'il penfa laiffer tomberce terrible fardeau. » Raffure-toi, lui « dit le lion, d'une voix douce & fiere ; que ta » fraysur ne nous foit pas funefte k tous deux ; « tu acquiers un defenfeur qui n'eft pas k dé» daigner ; je puis te conferver la vie que tu w m'as rendue; ton camarade qui eft dans le  tj0 Mélanges „piege, ne te fera jamais autant de bien. u Le vóyageur perfuadé par cette éloquente harangue,redoublafes efforts, & réuffit enfin a tirer le lion hors de la fblTe « Ami, lui dit » alors lelion avec un air de proteaion,ma tat, niere eft dans cette forét voifine de la capin tale ; j'efpere que nous nous y verrons queln que jour. « II reftoit encore deux prifonniers a délivrer; la corde retombée au fond du puits, fut entortillée par le ferpent. » Généreux libérateur, 3> dit-il a celui de qui il tenoit la vie, je vais te 9> donner un confeil que tu ne fuivras pas ; les 9> ferpens ont la prudence en partage, & les 9> hommes en manquent quelquefois : j'ai laiffé 9» au fond de la foffe le plus grand des ingrats ; 9> je me connois en phyfionomie : il faut que ce 9i malheureux ait commis quelque crime dont 9) la Providence a voulu le punir. Abandonnety le a fa deftinée, fi tu ne veux pas te repentir 9, de tes bienfaits : tu m'as 1'air d'être un peu 9) facile,je te promets, foi de ferpent, de te )} tirer du premier embarras oü ta trop grande 9> bonté t'aura fait tomber. Adieu, mon domi» cile eft le long des murs de la ville. Profite » de mon avis, & compte fur la reconnoiffance j) d'un animal trop éclairé pour être ingrat. <« Le voyageur étoit trop humain pour fuivre  de Littcraturc Oriëntale. 151 un confeil peut-être utile, il rejettk la corde pour la quatrieme fois, &Ie malheureux Sadi 1'ayant enfin faifie, fe vit fauvé contre toute efpérance. II eft inutile de peindre les tranfports de joie, 1'effufion de reconnoilfance, qu'il montra z fon libe'rateur ; il promit beaucoup plus que n'avoient fait ceux qui avoient été délivrés avant lui : en embraflant le voyageur avec des larmes de tendreife, il commenca, ( pour prix d'un fi important fervice ) par le tromper. L'hiftoire de Sadi étoit en effet trop hurniliante, pour qu'il ofat la raconter dans 1'exacte vérité ; il fe dit bien difgracié de la Cour, & déchu dufaïte de la fortune; mais il fe garda bien d'en expliquer les motifs : Sadi ne paria que de 1'ingratitude des Grands , de 1'injuftice dont ils fe rendent fans cefle coupables; il répéta au voyageur qu'il étoit un de ces exemples faits pour apprendre aux hommes qu'il ne faut pas s'attacher aux Princes, & il mit dans fes difcours un appareil de moral & de vertu , qui fit que le bon voyageur crut avoir fauvé un fage. » Je demeure dans le fauxbourg de la « ville, lui dit Sadi; je vous offre un afyle „ dans ma pauvre retraite. " Le voyageur s'étoit propofé un autre but; il alloit aux Indes pour y employer quelque arK 4  j 5 % Mllangtt gent a 1'achat de plufieurs marchandifes. I! continua fa route avec la fatisfaction intérieure que caufe toujours une bonne acfion. Arrivé aux Indes, tout lui fut favorable, fon argent bien employé tripla en peu de temps; devenu riche plutót qu'il ne 1'avoit efpéré, il eut envie derevoir fapatrie,il reprend la même route, «5c traverfant la forèt dans laquelle i! avoit fauvé, peu d'anntes auparavant, ces malheureux pris dans le piege, il fe rappella avec plaifir les beaux difcours du reconnoiffant Sadi. Les trois animaux n'avoient fait que peu d'impreffion fur lui ; il leur favoit gré feulement de n'avoir pas dévoré le bienfaitteur auquel ils devoient la vie. Comme il étoit tout plein de ces réfiexions, d'autres animaux beaucoup plus féroces 1'environnent, c'étoit des voleurs ; ils faifilfent le malheureux Négociant, le font defcendre de fon cheval, le dépouillent, & ils fe préparoient a lui óter la vie, lorfque 1'un d'eux repréfenta aux autres, que ce crime étoit touta-fait inutile. On garotte au pied d'un arbre 1'infortuné voyageur, qui demeure expolé aux injures de l'air : les brigands s'enfoncent dans la forêt, & ne lui laiffent d'autre reffource que la mort, qu'il ne vpyoit pas alfez prochaine. J-es cris plaintifsque ladouleur lui arrachoit,  de Zittlrattire Oriëntale. 153 irapperent les oreilles d'un grand finge qui vivoit a quelque diffance de ce lieu ; 1'animal accourt, & reconnoic fon libt!rateur dansun état auffi trifie que celui donc il 1'avoit autrefois tiré. D'abord il déchire avec fes mains & fes dents les liens qui attachoient Ahmed, c'étoit le nom du voyageur; il le réchauffe par fes emb'raffades, & ayant appris fon malheur, il le conduit dans une grotte, ou quelques fruits fauvages appaiferent la faim d'Ahmed, qui n'avoit pas mangé depuis long-temps. Le récit de fa trifre aventure attendrit le cceur de 1'animal reconnoiffant: 1'habitude qu'il avoit dans cette forêt, lui avoit fait découvrir plufieurs jours auparavant le repaire de ces brigands qui avoient dépouillé fon ami. 11 vole vers eux avec 1'adreffe & la légéreté dont cet animal eft capable, il les furprend endormis dans la fécnrité des coupables, qui cioient n'avoir p int de chatiment a craindre. Notre finge appercoit des facs, & leur pefan* teur lui apprend qu'ils font pleins d'or ; il fe charge avec plaifir d'un fardeau que la reconnoiffance lui rendoit léger ; il traine des habits qu'il crut être ceux de fon hóte, & il arrivé a la grotte avec cette joie qu'infpire une action généreufe. Ahmed, ayant recouvré fa fortune , remercia le finge, & voulut continuer fon chemin.  T<4 Mélanges II s'étonnoit en lui-même d'avoir trouvé un finge fi bienfaifant, & fe reprochoit de trèsbonne foi le peu de cas qu'il avoit toujours fait de cette efpece, lorfqu'un lion terrible parut a fa vue ; il étoit déja glacé de crainte, mais au lieu de rugiffement, il entendit ces deux paroles fortir de la redoutable gueule du roi des animaux:,, Viens, mon ami, viens oion li„ bérateur ; c'eft toi qui m'a fauvé la vie, je „ veux toujours t'en marquer ma reconnoif„ fance; allons dans mon antre, tu t'y repoferas s, avec moi ". Les procédés du finge avoient un peu raccommodé Ahmed avec lesbêtes ; quelque effroi que put lui caufer la focieté d'un lion, il efpéra que le roi des animaux ne feroit pas moins généreux qu'un finge ; &, tant pour amuferfa majefté, que pour lui fournir un bon exemple, il lui raconta naivement la maniere noble dont le finge en avoit agi avec lui. Le lion trouva 1'action très-belle ; il réfléchit a part lui, qu'il ne lui convenoit pas d'être moins généreux , qu'un de fes plus foibles fujets, & ayant fait donner parole a fon hóte, qu'il ne fbrtiroit pas du lieu de fa demeure avant fon retour, ilfe mit en quéte. Le chateau dans lequel le Roi d'Alep avoit relegué Béhadirchah fon fils, n'étoit pas éloi-  de Littérattire Oriëntale. 155 gné de cette forèt ; ce Prince infortuné, qui n'avoit qu'un fort petit nombre de domefliques, fe promenoit fouvent feul dans un pare environné de murs très-bas. Son goüt pour les pierreries n'étoit pas diminué, il porroit fans ceffe un turban orné d'aigrettes ; c'étoit la feule chofe qui lui reftoit de fon ancienne profpér i té. Le lion ayant appercu cette magnificence, vit deux profits a faire en Croquant le fils du Potentat, un fort bon déjeüné pour lui, & un préfent confidérable pour 1'höte qui 1'attendoit dans fon antre. Le prince des animaux s'étant élancé fur le Prince des hommes, la viótoire ne fut pas long-temps douteufe : la Providence qui vengeoit la mort injufte du Juif par les griffes du lion, deftinoit au pauvre voyageur la belle aigrette du fils du Rei, que le lion apporta a fon ami avec joie. Ahmed, comblé des bienfaits de celui qui lui avoit fait tant de peur, dirige fes pas vers la ville, oü il efpéroit trouver fon ami Sadi, dont il attendoit au moins de bons confeils. En effet, puifque les animaux payoient fi magnifiquement les fervices, que devoient faire les hommes ? II entre dans la ville vers la pointe du jour; la nouvelle de la mort du Prince y étoit déja parvenue; on avoit trouvé dans le pare du keu  f)S Miltingit de fon exil, du fang & les reftes d'un corps hutnain dechiré. Le malheureux Béhadirchach avoic-il été la proie des bêtes firoces ou des brigands, qui auroient fouftrait une partie de fon corps, pour déguifer leur crime ? Voila ce qui occupoit toute la ville, ce qui étoit le fujet de toutes les converfations, &c fur quoi chacun prenoit parti, fans qu'on put foupconner le vrai, epcor° moins le connoitre. Auffi-tót qu'Ahmed fut arrivé dans le logïs de fon ami, après le témoignage de fes premiers tranfports, le voyageur raconta ces étonnantes aventures : un finge lui a rendu fes biens ravis par les brigands ; un lion plus magnifiqueque tous les Potentats, lui adonné une aigrette digne d'orner le turban du Commandeur des vrais Croyans. L'infortuné voyageur ne prcvoyoit pas les maux que devoit lui caufer cette fatale aigrette ; il ignoroit qu'elle eüt appartenu au fils du Roi, & qu'elle avoit été la caufe de la fin tragique de ce Prince : comme ce préfent ineftimable étoit de difficile défaite; Ahmed confulte fon ami pour favoir ce qu'il fera de tant de richeffes ; il le conjure de lui faire trouver le prix de fes pierreries qu'il veut partager avec lui. Sadi reconnut facilement les diamans que lui-même avoit montés : voila 1'aigrette du  de Littlratart Örhntak. .'57 Prince dont on pleure la pene, dit-il en luimême ; quelle réccmpenfe a efpérer pour le dénonciateur qui donnera des nouvelles au Monarque & qui fervira fa vengeance contre Ie meurtrier, ou tout au moins contre le complice du meurtre de fon fils. Après avoir embraffé tendrement fon libérateur, & avoir rempli a fon égard les premiers devoirs de 1'hofpitalité, comme le voyageur fe livroit au fommeil dans le fein de la confiance, le perfide jouaillier fe prépare a exécuter Paffreux delfeiri qu'il a concu. 11 n'eft pas effrayé de Patrocité* du crime dont il va fe rendre coupable; il compte pour rien de facrifïer celui qui Pa fauvé , pourvu qu'il puiffe recouvrer fa première faveur : il accourt au ferrail du Sultan, pour lui annoncer qu'il croit tenir le meurtrier de fon fils. „ Voila, dit-il, la dépouille de celui „ que vous avez fi rigoureufement chatié, & „ que vous pleurez maintenant. Cette aigrette „ appartenoit au Prince, je la connois, c'eft „ moi qui 1'ai montée ; celui qui mel'a confié, „ & que je tiens dans ma puilfance, eft fans ,, doute le meurtrier du Prince ou le complice „ de ceux qui Pont affaffmé. Le Sultan fe fit auffi-tót amener le prétendu coupable : 1'infortuné voyageur, qui ignoroit le crime dont on 1'accufoit, parut devant le  s; S " Mélanges Prince, le trouble & la confufion peïnte fur le vifage. 11 appercut fon perfide ami, & foupconna qu'il e'toit la caufe de fon malheur : reconnoiflant alors, mais trop tard, la fagelfe des confeils du finge, du lion & du ferpent: „ Je „ mérite, s'écria-t-il, le fort qui m'eft pré„ paré Le Sultan qui ignoroit le véritable fens de ces paroles, les prit pour un aveu du coupable a qui la vérité échappoit malgré lui. 11 le condarnna a être promené fur un ane par toute la ville, & a être renfermé enfuite dans une affreufe prifon. Son exécution fut différée jufqu'a ce qu'on eut terminé les obfeques de Béhadirchah. L'infortuné voyageur, après avoir été donné ên fpectacle a tout le peuple, fut jetté dans un noir cachot, ou il eut tout le temps de réfléchir fur fon malheur, & fur ce qui 1'avoit entrainé. Le ferpent qui avoit veillé attentivement fur le fort de fon libérateur, qui avoit été témoin de fon ignominie, qui connoiffoit le traitre qui en étoit la caufe, & qui avoit autant d'envie dele punir, que de fauver Ahmed , pénétra facilementdans fa prifon : „ Ne t'avois„ je pas prévenu, lui dit-il, que lliomme eft „ le plus ingrat de tous les animaux, & qu'il 9> rend le mal pour le bien : je m'étois bien  de Littirdtare Oriëntale. ijj j, douté que 1'ingrat que tufauvois malgré moi, „ feroit un jour la caufe de ta perte, & j'avois „ prévu dès-lors une partie des mauxauxquels „ tu es maintenant en proie, pour n'avoir pas écouté des confeils dief és par la fageife & par 1'amitié ,, Cruel ami, s'écria 1'infortuné Ahmed, „ qui reconnut Ia voix du ferpent, mon mal- heur n'eft-il pas alfez grand, fans chercher „ encore al'augmenter par tes reproches amers; „ fonge plutót a faire éclater mon inno„ cence, & a me tirer, s'il eft pofiible, de 1'état „ affreux oü je fuis. „ Je t'ai promis, lui repartit le ferpent, de „ réparer tes imprudences, je fuis fidele a mes engagemens : tu n'as pas voulu me croire ; „ mais il eft temps que tu me donries toute ta „ confiance, je ferai peut-être plus adroit que „ le fcélérat qui a voulu te perdre ; prends cette „ herbe, elle feule a la vertu de guérir le poi„ fon que je viens d'infinuer dans les veines de „ la Sultane favorite. Le Monarque eft en „proie a Ia plus vive douleur, toi feul peut „ maintenant 1'appaifet : on oubliera bientót „ tes prétendus crimes; chez vous autres hom„ mes, celui qui fait être utile, eft toujours in„ nocent ;van:e~coibien fort de tes taléns, c'eft  té? Cme hiftoire, Seigneur, ponrfuivit le „ vieux Vifir, en adreffant la parole au jeunJ „ Sultan, renferme une lecon importante pour' „ les Souverains ; elle leur apprend combien il „ eft dangereux pour eux d'accorder leur con- fiance a des hommes qui ont le cceur pervers t „ & 1'efprit corrompu ". SUR LA DIFFÉRENCE De la dejlinée des hommes. E même Sultan, qui aimoit tant a raifonner fur les biens 3c fi r les maux avec fon vieux Vifir, voulut favoir ce qu'il penfoit fur la différence de la deftinée des hommes. „ Pour„quoi le fage, lui dit-il, gémit-il prefque „ toujours dans 1'affliétion & dans la mifere, L  iét Métanges s, tandis que Ie plus fouvent 1'infenfé vit envï$, ronné de gloire, de plaifirs & d'abondance? f} lafagelfe qui eft le partage du premier, ne peut lui faire préVoir ni évitcr les maux qui „ 1'environnent; & le fecond, malgré fon imJ} prudence, jouit d'un bonheur conftant. Sire, ?, répondit le Vifir, Dieu feul eft le fouverain s, difpenfateur des biens & des maux ; les hom9i mes doivent fubir leur deftinée, telle qu'elle eft écrite avec Ia plume ( i ) divine, fur ,, la ( i. ) Tablette facrée des décrets éternels ; rien ne peut déranger 1'ordre des événemens „ tracés fur cette Tablette merveilleufe qui eft „ fufpendue au milieu du feptieme ciel. (i ) (La plume divine. ) Voici la defcription que fait de cette plume A'.gazel, un des plus eftimés Commentateurs •de 1'AIcoran, dans fon expofition de la profefiion de foi des ïvlufulmans Sonnites, c'eft-a-dire , Orthodoxes. » C'eft un article de foi de croire a la plnme divine créée 5> par les doigts de Dieu; la matiere de cette plume eft de 3> perles; un cavalier courant a toutes brides, parcoureroit 51 a peine fa longueur en cinq eens ans : cette plume a la si vertu d'écrire d/elle-même, 8c fans le fecours d'une maira 3> étrangere, le paffé, le préfent 8c 1'avenir; 1'encre qui eft » dans cette plume , eft une lumiere fubtile : 1'Ange Séra^ ?i phaé'1 eft le feul qui puiffe lire les carafteres tracés par ■» cette plume merveilleufe : elle a quatre-vingt becs , qiü fi ne cefferont de marquer jufqu'au jour du jugement tout 3> ce qui doit arriver dans le monde. « Le chapitre fdixante-huitieme de 1'Alcoran, a pour titre , la Plume; paree que Mahomet commence ce Chapitre par ces paroles : Je jurepar la plume divine, 8cc. (2 ) (La Tablette facrée. ) Les Mufulmans la nomment Ellciuh el makfoud : la Planche bien gardée. Voici les propres paroles de Gélaleddin, autre Commentateur de rAlcoSan, très-fuivi. ■ 1 Cette Tablette eft fufpendue au milieu «u feptieroê  B Litlératart Oriënt'dei jffi' » L'liiftoire que je vais raconter \ Votris j, HaUtefie , fervh» de preuve a ce que j'a— vance." Asfendiar, fils pulné d'un Roi de Grece , montra dès fa plus cendre jeunefle un caraSèré réfléchi, &: un efprit me'ditatif, qui fit craindrë a ibn pere que ce Prince , né a cöté du tróne, lie.vöuluts'y placer au préjildiee de 1'héritier, préfomptif. Ce Roin'eiditpas affez cruel pour faire raourir fon fils qui n'étoit coupable d'aucun crime; mais comme il ne fe fentoit aucune inclinacicn pour lui, dans la crainte qu'Asfendiar ne de-, vintun ufifrpateur , il 1'éloigna , non-feulement de fon palais, mais même de fes états J'il poulfa la dure té jufqu'a ne lui donner aucun fecours pour fa fubfiltanee, 1'abandonnant aux: foins de la providénce qui veille fur les malheureux. Une difgrace fi peu méritée , loin d'abattre le jeune Prince, ne 1'étonna même pas. Perfuadé par 1'étude profonde qu'il avoit fait de la loi de Mahomet, de cette fatalité (i) , 3 Si ciel & eft gardée foigneufement par les Anges, de peur » que les démons ne veuillent changer ce qui eft écrit def» fus; fa longueureft égale a 1'efpace qui eft entre le ciel >! & )a terre, & fa lar< eur eft comme de 1'ürient a 1'Gcci » dent. Cette Tablette, ou plutót cette Planche merveil^ i> leufe, eft d'une feule perle d'une blancheur éblouiflante. « (i) (Fatalité.) J'ai déja parlé du dogme de la fatalité iju'ont embraffé les Mahpmétans, dans une autre note ' /'ajouterai ici quelque chsfe a ce fuiet. h %  ïf4 Me'tangei laquelle rien ne peut réfifter, & qui ehtrains les événemens, fans que la prudence humaine puiife en dérangerle cours, ilréfolut de s'y fou- mettre. II marchoit fansdefiein, révant k fon malheur, 1'orfqu'il rencontra un jeune homme d'une rare beauté, & dont la politeffe égaloit la bonne mine ; cet inconnu, prévenu lui-même'par 1'extérieur du Prince, lui demanda la permiffion de voyager avec lui. Voici les propres paroles d'Algazel, que je viens de cittr plustaut, dans fon expofition de la Foi Mahometane , en narlant de la volonté de Dieu. . P Oui le erand Etre veut ce qui exifte; c'eft Uu-meme , 'qui rég'it & difpofe les refforts fecrets de ce que nous " vöyonf paroitre' de nouveau : tout dans le cel & fur la ; terre eftïoumis a 1'économie de fa prov.dence. Ce au. eft borné , étendu , petit, grand , le b.en , le mal, 1 utile, ie " 3 , Ia foi" >'ïncredulité,fo falut, la reprobation, , raugmei tation, le manque de oies fpirituelles, 1'obé.f' f'nceTia rebelüon, tout fe meut par le reffort de Ia ceefte Puiffance , & fefoutientpar le fecoufs de la volonte " divine • or, tout ce que veut 1'Etre Suprème armer* " infaiUiblement; & jamais ce qui! ne veut pas naura d et " ê que dis-je , il ne fe fait pas uncoup d'oe.1 contre fa " volónié, pas même un mouvement de l ame; Dieu eft ' Uü même le principe des êtres, .1 en eft le Createur, & le„r donnera un nouvel ordre après leur deftmft.onil feit ce qu'il lui plait, fa fentence eft .rrevocable , & fes " d1cret,qfont immuables : davantage 1 homme eft necefta" remen rebelVe , s'il n'a le concours immediat de la grace " & de la miféricorde divine. Homme petit & vain, les " fcrces te manquent pour obéira 1'Etre des ctres, fi tu n es " 1'objet de fes complaifances , & fi tu ne reqo.s pour te " déterminer, 1'influence de la volonte fupreme " Le treizieme verfet du dix-fept.eme chapitre de 1 Alcow ran, établit le do me de la fatalité d'une facon plus forte. Mahomet fait ainf. pariet Dieu - Et nous avons fufncndu a* fl chique homJ un oifiau. Les internretes les plus fmvis de 1'AWan, entendent par le mot U/eau, la defünee  ie Zittiratare Oriëntale '. itfj La néceflïté, 1'occafion , la conforrrüté de fortune , unirent tellement ces deux jeunes Aventuriers, qu'en moins d'un jour ils prirenc heureufe ou malheureufe ; de même que les Latins par le mot de bona , mala avis, de bon ou de mauvais oifeau , entendoient le bon ou le mauvais augure. Mogiahed, Commentateur de 1'Alcoran , ajoute ces paroles au tujet du verfet que je viens de citer : Tous les hommes en naiffant ont un papier fufncndu d leur col, fur lequel eft écrit leur falut ou leur reprobation. L'onzieme chapitre de 1'Alcoran renferme plufieurs paffa» ges qui établiffent ce même dogme : 'Houd, qui eft le Prophete Heber , dit dans ce chapitre, en parlant au peuple, vers lequel il avoit été envoyé : J'ai mis toute ma confiance en Dieu, qui eft mon Seigneur & le vótre ; car il n'y a aucune cre'ature fur la terre qu'il ne tienne entre fes mains par lx touftè des cheveux de fon front, pour les conduire par le droit chcmin ou il lui plait. Les ln"erpretes de ce paffage difent que cette facon de parler, tenir quelqu'un par les cheveux du devant de fa tête , fignifie que l'on eft maitre abfolu de fa perfonne ; enforte qu'il ne puiffe rien faire que ce qu'il plait a celui quile tient par cet endroit. Dans le même chapitre, il eft dit de ceux qui feront ptéfentés au jugement de Dieu , qu'ily a parmi eux des heureux ou des malheureux; c'eft-a-dire, felón le langage des Mufulmans , des élus & des réprouvés. Aboufaïd Karras, autre Commentateur de 1'Alcoran, dit «jue ce chapitre nous déclare deux grandes chofes; la première eft la punition de tous les pécheurs qui étoient fur Ia terre au temps du déluge : la feconde eft Ie fecret de Ia prédeftinatioH des hommes; c'eft-a-dire, de ce décret éternel qui deftine les uns au bonheur , & les autres au malheur éternel, fans que rien puiffe en empêcher 1'exécution. Ce qui a fait dire a Mahomet même ces paroles : Le Chapitre de Houd m'a fait venir les cheveux gris avant le temps. Un auteur Perfien dita ce fujet : ,, De toute érernité, il „ y 3 une planche préparée a celui-ci pour Ie fauver du ,, naufrage & le conduire au port ; & cet autre a Ie front ,, marqué d'un bouto» de feu pour 1'éternité ; la juftice di- vine pouffe l'un a gauche du cóté des réprouvés, & fa bonté a.ppelle 1'autre a fa droite avec fes élus. " Le Cheih Aleflam dit a ce propos : ,, Tout dépend du ,, fouftle du vent des décrets divins : fi ce vent foufile du si „cótf des graces, il fai. de la ceinture de Baharam le Mage, L 3  3,46 M(iang6t 3'un pour 1'autre tmecnuèreconfïance ;.un troificme voyageur fe joignit a eux le lendemain : c'étoit le filsd'un Négociant qui paroiiToit bien '.ine Iifiere d'enfant, avec laquelle il le conduit dans Ie „ chemin de la foi; s'il foiiffie du cóté de la juftice , il óte '„ au Prophete Balaam , la foi du vrai Dieu , & le rond auffi méprifable qu'un chien : comment eft-ce qu'un efprit auffi 3> foible que le nótre pourra co-nprenHre la caufe de ceci ! ~, C'eft qu'étant de vous-même, 1 fouverain '/ïaitre & 1'Ins dépendnnt, vous déterminez toutes chofes comme il vcms », plait. (t . Dans le même chapitre de Houd , Noé dit de la part «Je Dieu s \y. peuples qu'il inftruifoit : Dieu m'a fait pare de fa miféricorde par le doft de prophètie dont il m'a fa•yoriféy mais elle vous eft cachte, & je ne veux pas vous contraindre de la connoitre, pufque vous ne voule[ pas la receilioir. Cotadah dit fur ce paffage : „ Noé auroit pu contrain3, dre ces peuples incréciules d'ajouter foi a ces paroles , & ., d'embrafier la loi de Dieu. II Pauroit fait fans doute; , 3, mais les rênes du franc arbitre de liiommefont entre les ,, mains de Dieu, qui les geuverne felon favolonté : 1'Huifs, fier de fa juftice chafle & repouffe de fa porte celui qu'il veut , & 1'introduftcur de fa miféricorde fait entrer qui bon lui femble. Vous dites, Seigneur : Appelle-t-moi ce3 , lui-ci, paree que je veux le recci'oir; chaffe^-moi celui-la , e, paree que je l'abandonne. Le méchant & le bon font-également dépendans d» vos ordres ; & tous de x doiventêtre pareillementfoumisaux ordres de votre fageffe éternelle On Irt dans Ie chapitre de 1'Alcoran , intitulé : Anfal, que Dieuaccomplit fon ouvrage , tel qu'il Va defiiné & ordonné, tvforte que celui qui doit périr, périjj'e ; & que celui qui doit vivre , vive ; & cela par des fignes manifeftes. On lit dans le verfet fuivant : Dieu. Iaiffe errer plufieurs hors de la voie , & adreffe plufieurs dans le bon chemin. Abdoulrahman, Auteur du P.oman de Jofeph, & de Zéliklia, en langueTurque, s'exprime fur la prédeftination d'une maniere fort dure , car il dir : ,, Que c'eft Ie décret cle Dy;u ,, qui -prédefiine les hommes pofitivement ou a la gloire ou a la peine. " Le Cheih Sacli s'explique a peu prés de Ia rnême facon : ,, Celui a qui on a donné une ereille fourde, dit ce Poëte , comment fera-t-il pour entendre? Et celui ,, qui eft tiré par de forts Hens, pourra-lF-il ne pas fuivre s, celui qui le tire? " D'Herbelot, Biblior. Oriënt, au mot iCadha. pag. 226. Naraccio prorfcro.ad rofut. A'.cor. part, tert. p. S8.  Be Zitte'rature Oriëntale. 167 inltruit dans Ia profefiion de fon pere ; la converfation du nouveau venu plut a nos voyageurs, qui 1'affocierent volontiers a leur fortune. Un homme de la campagne , fort tk vigoureux, qu'ils rencontrerent Ie troifieme jour , leur ayant dit qu'il alloit chercher du travail dans la ville de Laodicée , dont ils commencoient a s'approcher, les trois pélérins 1'admirent dans kur fociété , qui jufqu'a ce moment n'étoit pas bien pécunieufe , Ie pen d'argent que cette petite troupe avoit pu raffembler, ayant été bientót épuifé par fes befoins. „ Voici 1'inftant, dit le Payfan a fes compa„ gnons , d'employer le talent que Ie ciel a dé„ parti a chacun de nous, fi nous ne voulons „ pas devenirles triftes vicrlmes de la mifere "i „ Mes amis ,• repartit Asfendiar , pourquoï „ nous inquiéter d'un avenir que nous ne pou„ vons ni prévoir , ni changer ; notre fort eft „ tracé fur la Tablette divine, qui eft fufpendue „ au milieu du feptieme ciel. Si la Providence „ nous a deftiné quelque bien , nous en devien- drons lés tranquilles ponelfeurs, fans aucune „peine ni fans aucun travail; mais fi elle a décidé que 1'indigence feroit notre partage , » tous nos efforts feront rmpuiffans, & rien L4  Mélanges „ ne pourra lui faire révoquer fes décrets c{. Le jeune homme prenant la parole , combattit le fentiment du Prince , & ibutint qu'une figure aimable , étoit un des moyens le plus avantageux pour réuffir dans le monde. Vous nous faites-la 1'éloge d'un avantage b:en fragile , répartit le Négociant; la beauté ,, eft un capital qui échappe promptement des mains de celui qui le poffede, Sc dont lereve,, nu eft fort incertain ; mais le génie eft la vé,, ritable fource des richeffes: celui-la feul peut „ nxer 1'inconflance de la fortune qui réunit Ia y, prudence & l'aitivité , avec une profonde connoilfance des affaires ". „Etmoi, je prétends, dit Fhomme de la cam. „ pagne , que quiconque a des bras , & veut ?, en faire ufage , eft fur de ne point mourir de faim ; Ie travail eft la reffource Ia plus affurée „ contre 1'indigence ; tputes les,autres font incertaines. f' Asfendiar vit avec chagrin que fes eompa-gnons fe repofoient fur leurs talens plutöt que fur la providenee ; il n'oublia rien pour les faire revenir de cette erreur , Sc leur cita a ce fujet plufieurs paffages de 1'Alcoran. Le Payfan pntendoitpeu des matieres auffi fublimes ; il avoit raim , Sc il favoit que celui qui parloit fi bien n'avoit pas de quoi dine/F,  di Littirature Oriëntale. \6y Pendant le beau difcours du fils du Roi, notre ruftre alla dans une forét voifine recueillir des bois morts qu'il voyoit en affoz grande abondance; le vigoureux Payfan ramaffa de fes mains, & lia plufieurs fagots , & les porta fur fon échine a la ville dont il étoit fort pres ; il cn fit quelque argent avec lequel il acheta des vivres qui rejouirent fort la petite troupephilofophique, & notre homme eut 1'avantage de nourrir ceux qui croyoient avoir bien plus d'efprit que lui. Lc jeune homme fi bienfaifant voulut a fon tour être unie a fes camarades ; il alla a la ville, & comme itrêvoit aux moyens de mettre a profit ce qu'il pouvoit avoir de talens, une vieille 1'appella , & lui dit qu'une femme riche , qui 1'avoit appercu d'une jaloufie , defiroit beaucoup de s'entretenir avec lui. Notre jeune Indigent n'étoit pas dans une pofnion a fe refufer a une aventure : il fe laiffe conduire ; il plait, il enchante , & comblé des bienfaits de fon Amante , il revoie vers fes compagnons, avec des provifions plus abondantes que celles fournies par ie Patfe. Le fils du Négociant qui avoit entretenu Ia fociété des grandes vues de commerce , & des moyens les plus efficaces pour faire fortune, étQk honteux dans le fond-de fon cocur, d'avoir  syó Mélanges été jufqu'alors fi peu utile; réfolu de fervir fes samarades a fa maniere , il emprunte quelques pieces de monnoie du jeune homme. Avec ce foible fecours notre Négociant fut s'en procurer de plus grands. Arrivé droit au port de Laodicée , il appercut un vaifleau qui venoit de jetter 1'ancre ; il s'étoit informé quelles marchandifes étoient devenues les plusrares: il avoit appris que les oliviers étant. prefque tous morts cette année , 1'huile étoit prête de manquer ; ce vaifleau , heureufement chargé de cette denrée , étoit attendu avec la plus grande impatience. Notre jeune homme fe prelfe de parlerauPatxon ; il n'étoit pas connu, mais fon induftrie fuppléa au crédit:Je fuis, lui dit-il, l'aflb„ cié d'Ibrahim, le plus fameux Négociant de w cette ville ; il m'envoie vous dire qu'il faut „ que vous nous abandonniez toutes vos huiles, pour faire un nouveau chargement. II eft „ jufte que vous profitiez de la rareté de cette „ denrée ; nous vous en donnerons par mefure deux drachmes d'or de plus que 1'année palfée. „ Voila des arrhes , écrivezle nom d'Ibrahim Sc j, le mien &que ]es ZZl« In dTf riIeUrMa^^i£ndro: fan, doute funeltes a Ia Patrie. Les Grands ^nunudes par cerécit, avoient voulu interro! ger 1 efpton arrété, & voila pourquoi Asfendiac étoit introdmt dans I'aiTemblée Ce Prince ne déguifa, ni fon nom, ni fa naiffance, ni les raifons qui I'avoient fait fortir de fa Patrie, ni fes aventures, ni les réflexions qui les avoient occafionnées. Asfendiar s'énon. foit avec beaucoup de nob!eflè& d'éloquenceIa naiveté defonrécit, fa confrance, fa con-" fiance da"S VE™ %>^e, lafagefTe de fes difcours, Ia rigueur de ibn fort, & h puretd de fa conduite, émurent tous Ies affinans PIU ■eurs reconnurent fes traits qu'ils avoient vus i la Cour de fon pere : dans 1'embarras oü tous Ment de choifir un de leurs égaux pour leuc  §fl Métdngéi HA 1 Maïtre, ils convinrent prefque unanimement dt-1 lire Asfendiar. „ Le ciel fans doute, s'écrièrenf" ,, ils, nousa envoyé cet étrangerpour terminer: „ nos dift'érens : celui-la feul eft digne de re"-} „ gner fur nous, iffu d'un fang royal, il a les: 5, vertus de fes ancétres a imiter, & leurs tracés: a fuivre. Les malheurs qu'a elTuyés ce jeune: „Prince, 1'expérience quils lui ont donné ,, „ fon air noble & majeftueux, tout nous préfagejl „ qu'il fera un grand Roi, uniquement occupéjl „ du bonheur &c de la gloire de fes fujets Toute 1'affemblée a ce difcours le reconnut pour Souverain, & il paffa dans un inftant dej la prifon fur le tröne. On prépara précipitam-j| ment le couronnement d'Asfendiar : on le re-Hl vétit d'une robe précieufe, &1'ayant fait monter fur un éléphant blanc, fuivant 1'ufage coiih facré, on promena le nouveau Monarque dans les principales rues de la ville, pour Fexpolej au refpeèt, prefque a 1'adoration de fes nouveauxj fujets. Trois jours s'étoient paffés depuis qu'Asfendiar avoit quitté fes compagnons d'infortune :|l ceux-ei qui aimoient le fils du Monarque , &È\ qui craignirent pour un Etranger fans reffourceII les traitemens que leur camarade avoit effecti- I vement effuyés d'afcord, s'étoient tranfportéfN ala ville, pleins de laplus vive inquiétude,-  de Littirature Oriëntale. ïls apprirent a leur arrivée qu'on avoit prodamé un nouveau Sultan : ils efpéroient qu'urs jour de couronnemenc, feroit un jour de grace pour tous les malheureux. Comme Asfendiar: parcouroit fur 1'éléphant blanc la principale rue d'Antioche, les trois Etrangersoferentattach.es fur lui leurs regards. Leur camarade , tout Monarque qu'il étoit devenu, daigna les reconnoitre ; il les fit approcher avant qu'ils fa/Tent revenus de leur extreme furprife:,,Voici mes amis, leur dit-il, „ au milieu de toutle peuple, undes plus grands j, effets de Ia Providence. Croyez-vous que ce „ foit mei, qui me foit fait Sultan de Laodicée, ,, & quand je verferai fur vous les bienfaits que „vous doit ma reconnoiffance, croyez-vous i>tenir de moi ce que le Tout-puiffant vous „ a réfervé? Nous fommes tous les efclaves de „ 1'Etre Suprème, mais aucun de nous ne fait „ le fort qui lui eft réfervé «. En effet, ce Prince fcifia agir en lui Ia Providence, qui avoit réfolu d'en faire un des meilleurs Monarques du monde entier ril combla de biens fes compagnons de mifere, & il fit le bonheur de fon peuple par un gouvernement fage & éclairé. „ Seigneur, pourfuivit Ie vieux Vifir , en „ adreffant la parole au jeune Sultan, cette hifp toirs doit difliper vos dour.es, & vou? con-  Mélttngei „vaincre que perfonnene peut éviter fa M\u „ nee ". . TRAIT RARE DEGÉNÉROSITÉ De la pan d'un Calife* 5 Ou s le regne ( i) d'Abdoulmélik , cinquieme Calife de la race des Ommiades , vivoit a Coura un riche Négociant nommé Djaber, qui n'avoit qu'un fils : cet enfant fut 1'objet des plus tendres fo'ins d'un bon pere, 6 quand il lui eut donné dans fes premières années une éducation conVenable , il defira de le rendre heureux pour le refte de la vie en lui aflbeiant une Compagne aimable. Djaber étoit riche , comme nous 1'avonsdit, il prodigua 1'or pour trouver une Beauté touchante, qui plus jeune que fon fils, püt s'embellir encore fous fes yeux , & mériter la ten- ( I ) Abdoulmélik, fils de Mervan, cinqifieme Calife dë la Dynaftie des Oramiades d'Orient; il regna vingt-un ans, & fut fumommé la Sueur de la pierre , pour marquer fori extrémeavarice. II étoit dansle Chateau de la ville de Coufa, lorfqa'on lui apporta la tête de Mafaab qui s'étoit révolté contre lui, Un de fes Courtifans lui dit: >t J'ai vu apporter >, dans ce même Chiteau-ci la tête de Huffein a Obeidallah »qui 1'avoit vaincu ; celle d'Obeidallah a Moktar fon vainnqueur, celle de Moktar a Mafaad, & celle de Mafaad a ♦i Votre Majefté. «Abdoulmélik furprit & troublé de ce difcours, commanda a 1'heure même qu'on démolitce Chateau, •pour en détourner le mauvais augure, dreffc •  "4e Ziettraturt Oritntak; tff, ètcKc du maitre dont elle devoit devenir Vépoufc. Une Circaffienne fut choifie, entré beaucoup d'autres, pour jouir de cet heureux fort. Zeineb ( c'étoit fon nom ) s'en trouva «bgne; k une figure raviffante elle joignoit des momrs douces, & plus d'efprit que n'en ont ordmairement ces femmes renfermées dans les inurs d'un harem, Sc dont les idéés font toujours retrécies par 1'efclavage & par lacraintc, Zeineb, née pourplaire, enchanta bientót 1c jeune Numan, (c'étoit Ie nomdufils deDjaber;) 1'éducatiön de ces deux Amans fe continuoit fous les yeux du pere, & fe perfeaionnoit par leur tendreffe mutuelle ; les mêmes Maitres les initierent dans tous les arts agréables, Sc leurs progrès étoient d'autant plus rapides 3 qu'ils avoient tous deux lemotif de fe plaire davantage. Les années ayant peife&onné leur caractere Sc leur beauté, Numan réfolut de les tinir. Ils touchoient a ce moment defiré, lorfqu'un jour, s'entretenant fous Ie Kiochkl, qui ëtoit a 1'extrêmité du jardin deDjaber, Zeineb pnt un luth pour accompagner fa voix, Sc fe mit a chanter les graces de fon Amant Sc le bonheur dont elle alloit jouir. Hadjadj (r), Général des armées du Calife, J'llnY" 1" P'"5^'10^"5 & «"« pUis grands Capitaine* qua.enteiiles Arabes. II droit Général des armées d'Abdoulmélik, anquieme Calife de I» rnaifon des Ommiades M  it fihabile. II lui dépêcha la Kaher-  ï88 Milangei mané, ou Surintendante des Femmes du ferraif. appellée Razié, qui vint faire au Dofteur de la par: du Souverain, de longs détails furl'état de fa Favorite. L'Arabe avoit eneffet, auprès de lui la feule perfonne qui püt guérir Razié. II ordonna au jeune Numan d'aller chercher une bouteille, & lui fit écrire de fa main fur un papier attaché a ce, vafe, quelle étoit la maniere d'employer la liqueur qu'il contenoit. On peut juger que les caractcres de Numan étoient connus a la tendre Zeineb, & il feroit difficile d'exprimer le trouble qu'elle fenut a leur vue : il augmenta lorfqu'elle eüt apprisque cette écriture étoit celle d'un jeune homme de Coufa, d'une beauté ravilfante , & qui paroiffoit avoir du chagrin. A ces détails Zeineb s'évanouit: quand elle fut revenue a elle-même par le fecours de Razié , & plus encore par la vertu de la divine liqueur, les larmes de cette Amante, fes queftions précipitées, la joic qui éclatoit malgré elle, trahirent bientót fon fecret. La compati (Tante Kahermané réfolut de fauver Zeineb, qu'elle avoit vue toujours fi malheureufe , & a laquelle elle prenoit un tres - vif ïntérêt; car le fort de cette Beauté, étoit d'éue toujours aimée. Razié retourne a Ia boutique de 1'habilePharmacien, & ayant parlé Ion?-'-  'ie Littèrature Ontnttlt* \ g ^ oe fa jeune malade, du foulagement que le medicament lui avoit procure, de fa beauté, de fa Vjftefle, des graces qui la diflinguoient de toutes fes Compagnes, Sc de 1'amour du Calife , dont ce Prince n'avoit jamais recu le prix, Numan qui dévoroit ce qu'il entendoit dire/finic par s'évanouir a fon tour. ■r Razié, qui avoit voulu lire dans le cccur du jeune homme, fut très-contente de le trouver fi tendre. Après avoir aidé le Médecin a lui donner du fecours, elle lui fit connoitre qu'elle 1'avoit pénétrée ; Sc pour foulager fa douleur & enhardir fa flamme, elle lui promit une protection, que le jeune homme auroit voulu payer de tout fon fang, & qu'il offrir dc dfi toute fa fortune. Le premier de tous 1p« biVnA;^ a • » ' . ~ , ucvuic etrc a introduire Numan aux niedsde rPnPn„';i .« pelloit fon Epoufe. Razié y confentit. La chofe devint aifée k la faveur d'un déguifement. Numan fut travefti en fille. Malgré la régularité defestraits.fonvifage forméne pouvoit plus être pns pour celui d'une femme : le voile qui devoit le couVrir favorifoit feul cette importure. Arrivés a la porte du ferrail, la Surintendanteapplanit les difficultés,que les Eunuques iwfojent pour admettre dans 1'ictérieur une  ï90 "MUngt» femme étrangere. Celle- ci paffa pour 1'époufe dit Médecin. Elles montérent 1'une Sc 1'autre vers une longue galerie, & Razié qui, par difcrétion, ne vouloit pas être témoin de la première entrevue de ces deux jeunes Amans, indiqua ala prétendue femme du Médecin 1'appartement de Zeineb. II étoit voifin de celui de la Princeffe j Abaza. Numan tout troublé, prit une porte pour 1'autre. Etant entré dans une enfilade de pieces toutes plus magnifiques les unes que les j autres, il appercat dans la derniere une femme fuperbement vêtue , qui lui demanda avec hauteur, qui la rendoitfi hardie d'entrer ainfi chez elle fans être mandée ? Numan, pénétré d'effroi, voulut prononcer quelques mots: fa voix le trahit encore. La j Princeffe quifoupconna que ce voile cachoit un homme, 1'arracha, & ne tarda pas a fe convaincre de la vérité. Alors fa colere redoubla, i «5c comme elle étoit préte a faire périr le témé- i raire, il fe précipite a fes genoux, Sc demanda'j a mourir aux pieds de Zeineb, qui étoit la véritable caufe de fon crime : fe croyant perdu fans reffource, il raconta ibn hiftoire en peu de mots, avec autant de naiveté que de douleur ,| & fans quitter les genoux de la Princeffe qu'il) tenoit toujours embraffés. Abaza, naturellement bonne, écouta aveci  «fe litthatüré Oriëntale: ït?ï ïntérêt le récitdefes malheurs, & fe foi «rf d avoir deviné la caufe de la langueur de Zei- f,: Cüe fi;rVe"ir a rinfta^ cette jeune Amante, & lui préfenta celui qui lui avoit fait verfer tant de Iarrnes. Nous nous difpenferons de peindre laforprife, le tranfport & la joie des deux jeunes Amans. Quand ils eurent palfé enlemble plufieursheuresdélicieufes, la Princeffe devenueleur Prorearice, voulut leur donner une petite fête exécutée par tous les efclaves qui Ia fervoient. Numan toujours voilé, paffa pour une Etrangere que la Princeffe avoit appelléepourjouer du hith, qu'en effet il tou choit a ravir. Après un fouper délicat, la Princeffe fit chantera Zeineb des airs tendres, que fa mélancohe lui avoitfait répéterplufieursfL tandis qu elle regrettoit fon cher Numan : celuia accompagnoitavec fon Wh la voix de fa Manreffe:&ce concert exécuté par des ac teurs qui favoientfi bien s'accorder, feinbIoit dehcieux acelies même qui ne fav^n/ l combiencesMuficiens reffentoient deplaihj en uniflant amfi leurs talens. Lavoix touchante de Zeineb fe fit cnren LeCaliff C "r"6^- de h S LeCahfejqm paflbit ,u ^ • .echemindefoncr>Ur:ilentra,&ntagréa-  'Mélanges blement la guerre a fa fceur, de ee qu*elle goü* toit dans fon appartement des plaifirs auxquels elle ne vouloit pas 1'admettre. La bienfaifante Abafa faifit 1'occafion de faire deux heureux, & de guérir le Prince d'une paiüon qui ne pouvoit lui être que funefte. Elle recut le Calife avec tous les refpects qu'elle devoita fon Souverain, & toute la tendrefle qu'elle avoit voué* a fon frere ; elle lui verfa elle-même des liqueurs délicieufes, &c fit exécuter devant lui, par fes femmes, des danfes légeres & brillantes, pour amufer fes yeux & égayer fon humeur. Puis lui demandant la permiflion de varier les plaifirs, elle fit contet plufieurs hiftoircs par celles de fes femmes qui s'en acquittoient avec le plus de grace. Comme le Prince prenoit plaifir a des contes ingénieux , Abaza fe mit a raconter a fon tour. » Seigneur, lui dit-elle, je vais rapporter a )> Votre Majefté une hiftoire, dont la cataftro» phe fait également frémir 1'amour & 1'huma« nité. Un riche Marchand d'Agra avoit un n fils qu'il vouloit rendre heureux ; il lui choi„ fit une Époufe qu'il croyoit digne de lui, & it la fympathie des deux jeunes Amans juftifia t, bientót le choix du pere : tous trois auroient « joui d'un bonheur conftant, fi un méchant „ Vifir, qui ne fongeoi qu'a fatisfaire les de-  'de Zittc'rature Oriëntale. ïqj firs d'un Maitre qu'il vouloit endormir dans „la mollefle, n'eüt arrachc la jeune époufe a „ fon beau-Pere &a fon Amant, pour la don„ ner, comme efclave, au Sultan. Le Prince, „ polfelTeur de ce rare tréfor, en devint bien„ tót amoureux ; mais il ne put jamais réuuirk „ plaire : fon efclave féchant de douleur dans fes „ bras, regrettoit fans celfe 1'Epoux qu'on lui „ avoit arraché, & ne payoit les carelTes de fon „ Maïtre, que par le plus froid dédain. Enfin „ cet Epoux qui 1'adoroit, trouva le moyen dc „ pénétrer dans la prifon de fa Maitreife ; ( car il n'eft rien d'impoffible a 1'amour;) il „jouiffoit du bonheur de voir, & d'entendre „ celle k laquelle il avoit confacré fa vie, lorf„ que le jaloux Sultan les furprit tous deux. Sa „ puifTance & fon amour méprifés, I'enflam„ merent de laplus vive colere: ilnevoulut pas „ écouter leur juftification ; & ne voyant dans » ces deux Epoux qu'une efclave infidele, & «un téméraire qui avoit violé fon harem, il » tira fon poignard, & les facrifia 1'un & 1'autre » a fa vengeancc. J'avoue que le malheur de « ces deux vi&imes innocentes m'a toujours m fait frémir, & je ne penfepas que la puiflance « d'un Sultan foit fupérieure a celle de 1'amour « Sc de 1'hymenée. Je penfe, comme vous, dit » le Prince tout attendri; nous n'avons point N  £f? Mélanges » de pouvoirle'gitime fur deux cceurs qui s*ai«A » ment, & qui font unis par des nceuds facrés* « Une femme eft a Ion époux avant d'être k » perfor.ne ; & quelque que foit la palTion » d'un Sultan, elle doit cédera 1'amour muj» tuel «. n Commandeur des Crcyans, s'écria la Prin« n ceffe, vous avez prononcé une fentence di» giie de votre fageffe & de votre bonté. Veil» » 1'Epoufe & 1'Epoux dont je viens de vou> » parler; Sc vous êtes le Prince bienfaifant qui *> réparerez tout le tort qu'on vouloit leur „ faire. Cette efclave a laquelle vous n'avez „ pu plaire, eft la femme légitime de celui que vous voyez fous les habits peu convenables „ a fon fexe. L'amour & la douleur lui ont fait „ violer les loix du harem, vous lui pardon„ nerez d'avoir écé fidele & fenfible, Sc de vouj „ avoir cru plus g;néreux que tous les Prince* „ de 1'Orient ". Numan & Zeineb tremblans, éperdus, tornberent aux genouT du Calife, qui, échauffé par les éloges prématurés de fa fceur, ne fongea qu'a les mériter en couronnant la fidélité, lc courage, & la vertu de ceux que les loix orien» tales auroient condamnés a la mort. II les renvoya coniblés de biens, ne leur impofant d'autre loi que celle de j'aimer toujoun j loi a kg  'ie Littiratüre Oriëntale. r 9 j qüeïle ils obéirent toute leur vie. L'habile Docïeur qui avoit fu fi bien trouver le remede a leurs maux, paffa dans toute PArabie pour 1* Médecin des ames, autant Sc plus que celui des corps. AVENTURE DE LA FILLE D'un Vijïn I i E Royaume de Kachemire étoit autrefoiï gouverné par un Prince nommé Aladin. II étoit pere d'une fille, qui eüt été fans contredit la Beauté la plus parfaite de 1'Orient, fi la fille de fon Vifir ne lui eüt difputé cet avantage. L'on neparloit dans tout 1'Orient, que des attraits divins dont ces deux Princelfes étoient pourvues. Plufieurs Rois, fur la foi de la renommée, s'étoient lailfé enflammer pour elles, 5c fongeoient a les demander en mariage. II auroit été difficile de décider qui de ces deux Beautés étoit Ia plus accomplie ; mais foit prévention, foit que la fille du Vifir, moins fiere éc plus humaine que fa rivale, eüt gagné les cceurs de Ia muldtude, tous les fuffrages étoient pour elle. La fille du Roi concut un chagrin fi violent N a  «jtf Mélanges de fe voir préférer Ghulnaz, ( c'e'toit le norS de la Fille du Vifir ) qu'elle tomba dans un© langueur mortelle. Son pere allarmé, fit venht les Médecins, qui 1'alTurerent que le mal de la Princeffe proVenoit de quelque déplaifir fecret. Le Roi prefik fa fille de lui ouvrir fon cceuf. Pourl'y déterminer, il s'engagea par un ferment folemnel a lui accorder tout ce qu'elle demandcroit, düt-il lui en coüter la moitié de fon Royaume. La Fille d'Aladin, bien loin de découvrir la baffe jaloufie dont elle étoit animée, auroit voulu fe la diflimuler a elle-même* Mais, touchée des marqués de tendreffe que lui donnoit fon pere, & de la profonde douleur qu'il témoignoit, elle neput réfifter davan» tage ; & lui avoua que Ghulnaz étoit la caufe de fon mal, qui ne cefferoit que par l'éloignement de cette odieufe Rivale. Aladin tacha de confoler fa fille , & 1'aflura que dans peu elle n'entendroit plus parler de celle qui caufoit fes peines. En efFet, il manda fon premier Miniftre. „ Vifir, lui dit-il, c'eft „ a regret que je vous ordonne de vendre votre „ Fille ; je fens combien il en coütera a votre „ cceur : mais la vie de maFilley eft intéreffér. „ C'eft vous en dire affez; & j'attendscefacrifice ,, du zele que vous ra'avcz toujourj témoi„gnei «  de Littirature Oriëntale. jyy Le Vifir confterné balanca quelque temps entre 1'amour paternel Sc 1'ambition. Cette derniere paflion 1'emporta enfin, & étouffa Ia voix de la nature. Un refte de home Pempêcha pourtant d'expofer fa Fille aux regards du puplic. Pour éviter cette ignominie, il imagina de la faire mettre dans un coffre ; faifant enfuite venir un crieur : " Vous vendrez, lui dit-il, ce coffre quarante mille afpres ; mais ,, j'y mets une condition, celui qui en fera „ 1'acquifition le prendra fans voir ce qu'il ren- ferme Le crieur voulut en vain exécuter les ordres du Vifir : la condition qu'il avoit mife au marché, éloignoit tous les acheteurs, Un jeune Porteur d'eau, plus hardi que les autres , foupconna du myftere, & s'ofFrit a en courir le rifque : il emprunta d'un Négociant de fes amis la fomme fixée, Sc après 1'avoir comptée au crieur, il porta le coffre chez lui, Rien ne put égaler fa furprife, que fa joie, lorfqu'en ouvrant avec empreffement le coffre, il vit dedans une jeune Fille d'une beauté raviffante. „ Charmante Houri, lui dit„ il, car vous êtes fans doute une de ces Nym„ phes célefies deflinées aux plaifirs des Elus „dans 1'autre monde , par quelle étrange „ aventure êtes-vous enfermée dans ce coffre " ? La fille du Vifir qui ne vouloit pas fe faire conN 3  198 Mélanges noïcre, lui répondit: » Vous voyez une infbr„ tunée que le malheur pourfuit; ie fort m'a fait „ votre efclave, je n'en murmure point, & „ vous trouverez dans moi toute la foumiflion „ & toute la fidélité que je vous dois". L'aimable Ghulnaz avoit trop de charmes, pour que fon Patron n'en reifentit pas le pouvoir. Elle étoit fon efclave, & il pouvoit difpofer d'elle a fon gré : mais il avoit dans fes amours une déh'catefle de fentiment bien au delfus de fa condition. Son bonheur, s'il eut été une fuite de la contrainte, lui auroit paru imparfait, & il vouloit le devoir tout entier a 1'amour. II prit donc la réfolution de rendre a Ghulnaz la liberté, & de s'unir enfuite avec elle par les Hens de 1'hymenée. Mais avant d'exécuter ce deffein, il voulut éprouver fi elle étoit dignedu fort qu'il lui deftinoit. II la conduifit chez fa mere, qui demeuroit dans une petite ville éloignée d'une journée de chemin de Kachemire : „ Ma mere, lui dit-il en par- ticulier, j'ai des vues fur cette jeune Efclave, „ que je confie a vos foins ; éclairez fa con„ duite, & examinez fi fa fageffe égale fa beau„ té. " II pris enfuite congé de fa mere & de Ghulnaz, en les affurant qu'il ne tarderoit pas 2 les revoir. La belle Efclave gagna bientót le cceur d* t  ie Zittlrature Oriëntale. tfé «elle qui avoit donnt le jour a fon Patron. Elle fut enchantée de fa douceur & de fes complaifances; Sc elle lui devint en peu de temps auffi chere, que fi elle eüt été fa propre fille. Cette bonne femme qui étoit dans une extréme pauvreté, 1'avoit toujours fupporté avec patience ; mais depuis qu'elle étoit avec Ghulnaz, elle fouffroit de lui voir partiger fa miftre, & defiroit des richelTes, pour lui faire un fort plus digne de fes vertus. Cette airnable Fille, de fon coté, touchée da trifte état de celle qui lui témoignoit tant de bonté, chercha a la foulager. E!le lui ïemit un diamant qu'elle avoit caché lorfque fon barbare Pere 1'avoi tender mée dans Ie cofire, & ordonna a la Vieille de le vendie deux mille fequins. Comme Ie diamant étoit d'une grande beauté, celle-ci trouva bien vite un acheteur, & revins toute joyeufe au pres de celle qu'elle appelloic fa chere fille. Ghulnaz louapour elle Sc pour fa compagnie, üne maifon plus commode Sc plus lpacieufè , qu'elle fit meubler proprement. Elle cornmencoit a fe confoler de fes malheurs, Sc a fe conformer a la condition dans laquelle elle fe trou* voit, lorfque de nouvelles difgraces la rendirent plus a plaindre que jamais, quoiqu'elle aienat une vis fort retirée, Sc qu'elle ne fortït N 4  j.oo Mélanges que très-rarement & toujours voilée. Le bruit de fa beauté fe répandit dans la ville oü elle étoit; un jeune Homme en devint éperdument amoureux, & ofa lui déclarer fa paflion. Sa témérité , n'ayant pas eu le fuccès qu'il en attendoit, fon amour fe changea en fureur, & ii réfolut de fe venger de celle qui méprifoit fes feux. II partit pour Kachemire, & ayant rencontré le Porteur d'eau : „ Que je vous plains, „ lui dit-il, d'élever avec tant de foin une in„ grate ; tandis que vous êtes ici accablé de tra,, vaux, elle nage dans une criminelle abon„ dance qu'elle a fu fe procurer par fes intri„ gues avec fes Amans Le Porteur d'eau furieux, fans examiner fi Ie rapport qu'on lui fait a quelque fondement, part pour fe venger. La beauté de la maifon qu'habitoit fa mere, la propreté des meubles , tout le confirme qu'il eft trahi : il entre, Ghulnaz , qui ne défioit de rien, paree qu'elle n'avoit rien a fe reprocher, veut aller au devant de lui ; mais il ne lui en donne pas le temps ; il feprécipite fur elle, & lui plonge dans le fein un poignard qu'il avoit caché fous fa robe. Voyant qu'elle ne tombe pas du premier coup , il veut lui en porter un fecond, Ghulnaz éperdue 1'évite en fe jettant par Ia fenêtre. Un Juif qui paffoit dans Ia rue, voyant une  de Littirature Oriëntale. s,oï jeune Fille baignée dans fon fang, la releve & Ia conduit chez lui. Cependant la mere du Porteur d'eau, qui étoit dans une chambre voifine, étoit accourue au cri qu'avoit jettc Ghulnaz. Elle voit fon fils, Ia fureur pcinte dans les yeux, & un poignard tout fanglant a la main. n A qui en voulez-vous, mon Fils , „ lui dit-elle, & qu'eft devenue Ghulnaz ? Ce >, fer, lui répondit-il, vientde ine venger d'une perfide qui me trahiffoit. Quelle eft votre er— j, reur ? s'écria la Vieille toute éplorée , &c „ qu'elle vouscoütera de larmes ; vousavez fait „périr injuftement la plus aimable & la plus „ vertueufe de toutes les Filles ". Elle lui raconta alors de quelle maniere générewfe Ghulnaz 1'avoit tirée de Ia mifere. Le Porteur d'eau a ce récit s'abandonna a Ia plus vive douleur ; il defcendit dans la rue , croyant y trouver fa chere Ghulnaz, mais elle étoit difparue ; il parcourut toute la ville fans pouvoir découvrir fes traces. Cependant Ie Juif envoya chercher un Chirurgien, qui, après avoir vifité la plaie de Ia fille du Vifir, affura qu'elle n'étoit pas mortelle. II ne fe trompoit point, ic elle ne tarda pas a recouvrer avec fa fanté tous fes attraits. Le Juif ne put pas les contempler d'un cei' indifférent, & lui déclara fa paflion en Amant  »ai Mitargtt «ui vouloit être obéi. Ghulnaz frémit du danger qui lamenacoit. Obfervéede trop prés pour prendre la fuire, elle prit la réroIution de fe jetter dans la nier, qui baignoit les mi.rs de la maifon du Juif. Comptant peur rien la perte de fa vie, pourvu qu'elle put fauver fon honneur. Pour exécuter ce deffein, il falloit écarter Ion Amant ; elle feignit de confentir \ ce qu'il exigeoit de fa complaifance, mais elle voulut qu'il allat auparavant au bain pour fe la ver. Le Juif parti, Ghulnaz ouvre la ferêtre & s'élance avec intrépidité dans la mer. Trois freres quipêchoientauxenvirons, 1'appercureni qui fe débattcit dans les Hots. Comme ils étoient d'habües nageurs, ils la faif ffent par fes habits, la mctient dans leur bateau, & vont aborder i Une prairie d'un autre cöté de la ville. La fille du Vifir rappellée a la vie par leurs foins, fe vit bientót expoféea un danger encore plus terrible, que celui auqnel elle venoit d'échappcr. Son extréme beauté fit la plus vive imprefiion fur les trois Freres ; une querelle violente s'éleva entr'eux, & chacun d'eux en prétendoit la poiTeffion Ils étoient préts d'en Tenir aux mains, lorfque le hafard conduifit auprès d'eux un jeune Cavalier, qu'ils prirent pour arbitre. „ Le fort feul, ( leur dit le je»r,t5  '2e Zirtérature Oriëntale.' aoj „ homme, après s'être inftruit du fujet de leut? „ difpute ) peut terminer votre différent: je „ vais tirer trois fleches de trois cótés oppofés, „ celui qui de vous aura plus vite atteint une „ des fleches, fera le poffefTeur de cette Beauté, ft La prcpofition parut fi raifonnabïe aux Pêcheurs, qu'ils 1'accepterent fans balancer : 1© Cavalier bande auffi-tót fon are, & tire fucceflivement trois fleches, vers troispoints differens. Les trois Freres partent avec rapiditc, chacun d'eux dans Pefpérance d'atteindre le bup Ie premier. Le Cavalier les voyant éloifrnés, fautea terre, met Ghulnaz en croupe, Sc rernontant a cheval, s'éloigne au grand galop des . Pécheurs, Sc gagne fon village. II étoit de la deftinée de Ghulnaz d'embrafer tous ceux qui la voyoient. A peine le Cavaliee eut mis pied a terre , qu'il lui déclara la violen* ce de fa paffion. Ghulnaz, voyant q.i'c'Je ne pouvoit éviter cette nouvelle attaque que par larufe, écouta fans courroux 1'aveu qu'il lui fit de fes feux : elle feignit même d'y être fenfible; elle le conjura feulementde différerfort bonheur jufqu'a la nuit. „ II me vient, lui dit „ la Fille du Vifir, une idee qui, toute bizarre „ qu'elle eft, pourra contribuera votre tranquil„ lné Sc \ la mienne. Perfonne n'eft prévenu „ ici de mon arrivée : prêtez-moi un de vo*  Xf«J Mélanges „ habits, vous me ferez paffer pour un de vos „ parens qui revient des pays étrangers: comme „l'on ne foupconnera point mon fexe, vous „ n'aurez point de rivaux a redouter. " Le Chevalier enchanté lui donna un habillement. Quand elle s'en fut revêtue: „ Je veux vous „ prouver , ajouta-t-elle, que je ne démens „ point le fexe fous lequel je parois a vosyeux, „ & que peu d'hommes égalent mon adrelTe a „ manier un cheval ". Elle dit, &c en mêmetems faute avec légéreté" fur celui du Cavalier; Sc lui fait faire plufieurs voltes : tandis qu'il admiroit fa bonne grace, elle s'éloigne infenblement, & preffant avec 1'éperon les flancs du cheval, elle lui fait prendre le grand galop , & difparoit comme un éclair aux yeux du Cavalier éperdu. La crainte d'être pourfuivie, la fit courir tout le refte du jour & toute la nuit, fans fuivre de route affurée. Les premiers rayons du foleil qui frapperent 1'horifon, lui firent découvrir une grande ville. Incertaine, elle tourne fes pas de ce cóté-lL Quel fut fon étonnement, lorfqu'elle vit les habitans venir a fa rencontre ? „ Notre Roi eft „ mort cette nuit, lui dirent-ils, comme il n'a point laiffé d'héritiers de fon tröne, & qu'il „ craignoit une guerre civile, il a ordonné par K fon teftament, d'y placer celui qui fe trouve-  de Zittératurc Oriëntale. roit Ie premier a 1'ouverture des portes de Ia „ ville «. Ghulnaz recut d'un air majeftueux & affab,e tout * Ia fois, les hommages de fes nouveaux fujets, qui étoient bien éloignés de foupconner fon véritable fexe. Elle traverfa les rues aux acclamations du peuple, & alla Prendre polTeflion du palais , féjour ordinaire des Souverains de cette contrée. Dès qu'elle fut furie tröne, elle s'appliqua toute entiere au gouvernement de 1'Etat. Elle choifit des Vifirs integres & éclairés , & elle eut un foin tout particulier de faire rendre jufticea tout le monde. Ses fujets admiroient la fageïTe de fon adminiflra, & bénifibit Ie lort qui leur avoit donné un Roi plus occupé de leur bonheur qUe du fien propre. La belie Ghulnaz regnoit depuis quelque tems, Iorfqu'eile fit élever une fontaine ma-nihque aux portes de Ia ville. Quand cet édifice fut achevé, elle fit faire fon portrait; mais fans exphquer au Peintre les raifons particulieres quelle avoit, elle voulut être repréfentée fous un habillement de Reine. Le portrait fut placé fur Ie haut de Ia fontaine : des efpions qu'elle pofta aux cnvirons eurent ordre de lui amener tous ceux qui, en confidérant ce portrait , poufferoient quelques foupirs , ou témoigneroient quelque fentiment de douleur.  eo£ 3ïé!angts Cependant le Porteur d'eau étoit inconfolabïe de la perte de fa chere Efclave; il parcouroit toutes les villes , dans 1'efpérance de découvrir fes traces. II vint a cette fontaine; a peine eutil appercu les traits de cet objet chéri, qui étoit toujours préfent a fon efprit, qu'il pouffa un profondfoupir. Les foldats lefaifüTent auffi-töt, & leconduifent devant Ghulnaz, qu'il n'avoit garde de reconnoïtre fous le déguifement ou elle étoit. Elle lui ordonna , d'un ton irrité, de lui apprendre Ie motif qui 1'avoit engagé k verfer des larmes k la vue du portrait placé fur la fontaine. Celui-ci,tout tremblant, luiracontc fes malheurs : Ghulnaz les fit mettre en prifon. Le hafard conduifit a quelques jours de-Ia les tr-is freres Pêcheurs k la même fontaine ; ils reconnurent dans le portait qui en faifoit 1'ornement, celle qu'ils avoient fauvée du naufrage : leur flamme mal éteinte fe ralluma k cette vue, & ils ne purent s'empêcher de foupirer. Ils furent menés devant Ghulnaz, qui, après leur avoir fait les mémes quefHons qu'au Porteur d'eau, les envoya aufTi en prifon. Le Cavalier & le Juif vinrent auffi a la même fontaine, & ayanttémoigné la mêmefenfibilité, lis eurent le même fort. Quand ils furent tous réunis, la Fille du Vi£n les Êc comparoure devant elle. Si la per-  ie titthature Orientate. 40^ fenne quieftI.oSjet de Vos die, dun aar ému, paroirTbic ici a vos yeux lareco„nounez-Vous?APeineeuc-eIlepr0non: fexe To« I«fix toruberent a fes genoux & lui demanderent pardon des exces auxquel/u* .m0urtr pv IcntJesavoien orc,J ^™r les releva avec , I A^blanr enfuite les defe leur raconta fon hifloire, & Ies pria de ^ J noure fon ancien Patron pour leur Roi ; ellc Hpoufapeu de purs après, & les nöces furen rot reL7ef r vraimenc Cav He ' tr°IS frereS Pecheurs> * Ie . enT' f ^"^""«onfidérableiqu'elle.  »o8 Mélanges LES TROIS FILOUX. \J N Payfan menoit a Bagdad une chevre ; il étoit monté fur fon ane 8c lachevre lefuivoit, ayant une clochette au col. Trois filoux virent paffer cette petite caravane, Sc ne tarderentpas ala convoiter. „Je gage, dit le premier, que „ je ravirai la chevre de cet homme, fans qu'il „ s'avife jamais de me la redemander. Et moi, „ ditlefecond, je lui enleverai 1'ane fur lequel „ il eft monté. Voila qui eft bien difficile, dit le „ dernier : moi je veux lui öter tous fes habits» „ Sc qu'il en foit bien-aife." Le premier voleur , fuivant le Payfan a pas compté, délie adroitement la clochette du col de la chevre, 1'attache a la queue de 1'ane, & fe retire avec fa proie. L'homme monté fur fon ane, Sc qui entendoit toujours le fon de la clochette, croyoit fermement être fuivi par fa chevre: au bout de quelque tems, il tourne la tête & eft bien étonné de ne plus trouver cet animal qu'il alloit vendre au marché. II en demande des nouvelles a tous les paffans; lefecond filou s'avance, Sc lui dit: „ Je viens d'apperce„ voir, du coin de cette ruelle, un homme qui ., fuyoit entrainant une chevre. 5 ie  de Littêrature Oriëntale. tos» Le Payfan defcend avec pre'cipitation de fon ane, & prie Ie filou de vouloir bien le lui garder, & fe met a courir de toutes fes forces après le prétendu voleur : aprèi avoir parcouru bien du terrein, il revient accablé de fatigue , & pour comble de malheur, il. ne trouve ni fon ane, ni fon gardien. Nos deux filoux gagnoient au pied, chacun très-contentde leur proie: le troifieme attendoit fon homme au bord d'un puits par oü ii devoit nécelTairement paffer. Le filou pouffe des cris douloureux, & fe plaint fi améremenc, que 1'homme qui avoit perdu fon ane & fa chevre, eft tente d'accofter quelqu'un qui lui paroilfoit être bien affligé : „ Qu'avez-vous a » vous défefpérer, lui dit-il; vous n'êtes füre« ment pas fi malheureux que moi ? J'ai perdu » deux animaux, dont le prix devoit faire ma « fortune, mon ane & ma chevre m'auroient » rendu riche un jour. Voila une belle perte , » reprit Ie filou : avez-vous, comme moi, laiffé „ tomber dans ce puits une caffette pleine de » diamans que j'étois chargé de porter au Ca» life ? Peut-être ferai-je pendu, comme ra« vifTeur. Que n'allez-vous au fond du puits , » dit le Payfan, chercher cette riche proie, il » n'eft pas profond ? Hélas! je ne fuis pas w adroit, repartit le filou; j'aimc mieux courir  t-ifl Mtiangtt n le rifque d'être pendu, que de me noyer ïn«3 n failliblement : mais fi quelqu'un vouloit me » rendre ce fervice, je lui donnerois volontier* tv dix pieces d'or u. La pauvre dupe remercia le Prophete, qui lui préfentoit une occafion fi favorable de réparer la perte de lón ane Sc de fa chevre : » Pro» mettez-moi dix pieces d'or, Sc je vous rapw porterai votre caiTette. Aulfi-töt dit, auffitöt fait ; il öte fes habits Sc defcend dans le puits avec tant de légéreté, que le filou vit bien qu'il n'auroit que le temps d'enlever fa proie. Le Payfan arrivé au fond du puits, n'y trouva point de caiTette ; Sc quand il fut remonté, il ne put plus douter de fon malheur : les habits, 1'ane Sc la chevre , avoient pris des chemins différens, Sc leur malheureux maitre regagna avec bien de la peine un lieu, oü 1'on ▼oulüt couvrir fa nudité.  'ie Littirature OntMaU: %t\ LES DEUX OURS. ux Amisintimes,l'un Peintre & 1'autre Orfevre, voyageoient de compagnie. La nuit les furprit pres d'un convent de Religieus Chrétiens : ils y furent recus avec beaucoup d'humanité. Comme nos voyageurs manquoient d'argent pour continuer leur route, le Peintre, qui étoit habile dans fon art, offrit aux Moines de travailler pour leur Monaflere : il ne tarda pas a donner a fes hötes Ia plus haute idéé de fes talens ; il parvint même a leur infpirer une confiance, dont il les fit bientót repentir. Les Moines ayant laiifé une nuit la SacrifHe de leur Eglife ouverte, il y entra avec fon compagnon 1'Orfevre ; & après avoir enlevé* les vafes d'or & d'argent qui s'y trouvoient, ils prirent tous deux Ia fuite. Devenus poffeffeurs d'un ü riche butin, ils ne fongerenc plus qu'a retourner dans leur patrie. Quand ils y furent arrivés, dans la crainte que l'on ne découvrit leur vol, ils mirent toutes leurs richeffes dans un coffre, & firent enfemble une convention, felon laquelle 1'un ne devoit rien^ prendre fans que 1'autre en fut informé. L'Orfevre fe maria peu de temps après, & O %  kit Mélanges devint pere de deux enfans. Pour fubvenir a des dépenles qui augmentoient avec fa familie, il s'appropria la plus grande partie du tréfor qui étoit dans le coffre : le Peintre s'en étant appercu lui reprocha fon infidclité ; mais celuici nia le fait. Le Peintre, irrité de fa perfidie , réfolutde Pen punir ; mais pour mieux affurer fa vengeance, il diffimula & feignit d'ajouter foi aux; fermens de fon affocié. Le Peintre s'adrelfa aunChaffeur de fes amis, & le priade lui procurer deux jeunes ours en vie; quand il les eut en fon pouvoir, il fit faire une ftatue de bois, dont les traits, la taille & les habits, répondoient fi parfaitement a ceux de 1'Orfevre que 1'oeils'y méprenoit. Après avoir ainfi préparé tout ce qu'il lui falloit pour fon entreprife, il dreffa les deux jeunes ours a manger dans la main de la ftatue; il les conduifoit tous les matins dans la chambre ou elle étoit pofée ; dès qu'ils la voyoient, ils fautoicnt vers elle, & prenoient des mains de la ftatue la viande qui y avoit été mife. Notre Peintre employa plufieurs femaines a leur faire faire tous les jours cet exercice: il ne vit pas plutöt fes deux ours drefles a cette forte de manege, qu'il invita 1'Orfevre a fouper avec fes deux petits enfans. Le repas fut pouffé af-  ie Zlttlrature Oriëntale. a, r j fez avant dans la nuit, & 1'Orfevre coucha chez fon hóte avec fes deux fils. Vers la pointe du jour le Peintre enleva adroitement les deur enfans de 1'Orfevre, & leur fubfiitua les deux ours. Quelle fut la furprife du pere a fon réveil , de trouverdeux ours dans fa chambre au lieu de fes enfans ! II pouffa des cris affreux. Le Peintre accourut en contrefaifant fétonné: » Une métamorphofe aulTi extraordinaire, dit» il enfuite a fon hóte, eft peut-être une puni» tion du ciel, que vous avez irrité par quel» que grand crime «. L'Orfevre ne fut point la dupe de ce que lui difoit fon ami, Sc bien perfuadé que celui qui lui parloit étoit 1'auteur de la métamorphofe, il le forca de comparoitre devant le Cadi, en 1'accufant d'a» voir volé fes enfans. Seigneur, dit le Pein» tre au Cadi, il vous eft factie de décou» vrir de quel cóté eft la vérité: ordonnez que «l'on amene les deux ours; fi par leurs gef» tes & par leurs careffes, ils paroilfent difn tinguer 1'Orfevre des autres performes qui » font ici, l'on ne pourra plus douter qu'ils » font réellement fes enfans «. Le Cadi confentit a faire cette épreuve : des que les deux petits ours, que le Peintre avoir pris la précaution de faire jeüncr depuis O 3  * I 'J Mélanges deux jours, eurent appercu 1'Orfevre, ils coururent a lui & lui lécherent les mains. Un pareil fpeóbcle étonna 1'aiTemblée, & le Cadi luimême embarrafle, n'ofa prononcer fur cette affaire. L'Orfevre confus retourna chez le Peintre; après s'être jette* k fes genoux, il lui avouafon ïnfidélité, & le conjura de prier Dieu, pour qu'il daignat rendre a fes enfans leur forme naturelle. Le Peintre fit femblant de fe lanfer toucher, & ils pafierent tous les deux la nuit en prieres. II avoit eu 1'attention auparavant d'enïever les deux ours, & de mettre a leur place les deux fils de 1'Orfevre, qu'il avoit tenu cachés jufqu'alors. Le Peintre conduifit leur pere dans la chambre oü ils étoient, & en les lui rendant : n Dieu, dit-il, a exaucë mes s> foibles vceux; apprenez k ne plus manquer a s» 1'avenir k vos engagemens ».  '4t littératurc öritntak. a t J CRUAUTÉ INOUIE D'un Pere. ^J"n Négociant, nommé Kébal, avoit époufié unc Femme jeune , riche & aimable ; quoique Ia loi mahométane autorife la polygamie, cett© Époufe impérieufe ne vouloit partager, ni le cceur, ni le lit de fon mari. Kébal, foible Sc fubjugué, redoutoit fa femme a laquelle il devoit fa fortune ; il avoit même renoncé , en fa faveur,au privilege que lui d^nnoit la loi, Sc lui avoit juré une fidélité a toute épreuve. Eloigné de fa femme, il oublia bientót les fermens qu'il lui avoit faits. Les affaires de fon négoce, 1'ayant obligé de faire un voyage, il devint épris des charmes d'une jeune Efclave qu'il acheta dnq eens fequins. Au bout de neuf mois 1'efclave mit au monde un enfant, dont la naifTance, loin de flatter fon pere, lui caufa les plus vives allarmes. Kébal, qui vouloit la paix dans fon ménage ne fit pas difficulté de 1'acheter par un crime; fon Époufe, qu'il avoit oubliée dansuninftant d'ivreffe, fe préfente alors a fon efprit, Sc la srainte d'une Femme jaioufe, lui fit dépcuillef o 4  'S.ï£ Mélanges tout fentiment d'humanité. II commenca par immoler a fon repos 1'objet infortuné de fes tmours: aprèsavoir fait périr la mere, il voulut facrifier Ie fils; mais la voix de Ia nature, tout cruel qu'il étoit, fe fit entendre au dedans de lui-même malgré lui, & arréta fon bras. Pour ne point verfer fon propre fang, il prit le parti de porter 1'enfant dans un défert, perfuadé que cette innocente viótime ne tarderoit pas a y périr. Mais la Providence, qui veilloit fur fes jours, conduifit un Patre dans 1'endroit oü il étoit expofé ; fa beauté, fes cris , fa mifere, toucherent le pauvre Berger qui le porta a la cabane : fa femme, aufii compatiffante que lui, fe chargea volontiers de cet enfant, & lui donna une chevre pour fa nourrice. II étoit déja parvenu a 1'age de quatre ans, lorfque Kébal voyageant paffa dans le village oü demeuroit ce Berger, & devint fon hóte ; il appercut fon fils, qu'il n'avoit garde de reconnoitre : foit qu'il fut frappé de la beauté de cet enfant, foit que la nature lui parlat en fa faveur, il fe fentit ému a fa vue, & demanda au Berger s'il en étoit le pere. Quelle fut la furprife de Kébal, lorfque Ie Berger lui eut raconté de quelle maniere il avoit trouvé cet enfant, & qu'il reconnut fon fils. A cette fympathie qui 1'avoit touché, fuc-  'ie littlrature Oriëntale. l\J céderent les fentimens d'une haine violente ; il diiTimula cependant, & feignit que les charmes de cet enfant le touchoient: il prelfa le Berger de le lui vendre, & lui en offrit cinquante fequins. La mifere du Berger, fon amitié pour cet enfant, la perfuafion qu'il feroit plus heureux entre les mains d'un homme riche, qu'entre les hennes, le firent confentir a cette propofition. II étoit bien éloigné de foupconner le fort qui attendoit fon éleve. Kébal ne l'eut pas plutöt a fa difpofition, qu'il 1'emmena & le conduifit fur le bord de la mer : la beauté de ce jeune enfant, fon innocence , fes tendres careffes, fes cris, fes larmes, rien ne peut fléchir 1'ame atroce de Kébal. II prend fon fils, le coud dans un fac de cuir, & le jette a la mer, fe flattant que pour cette fois il n'échappera pas a la mort. Mais le ciel en avoit ordonné autrement. Le fac donna dans les filets d'un Pêcheur, qui le retira par hafard dans le même moment. Le Pêcheur étonné, ouvre le fac, & voyant dedans un enfant qui refpiroit encore, il lefufpendit par les pieds; & après 1'avoir rappeilé a la vie, il le porta dans fa cabane. Le fils de Kébal étoit deftiné a trouver par-tout des ames fenfibles, excepté celle de fon barbare pere,  li 8 Mélanges Ce Pêcheur réieva dans fa profeffion, 5c le jeune enfant s'y difhngua par fon adreffe 5c par fon intrépidité. II étoit déja parvenu a 1'age de quinze ans, lorfque Kébal qui faifoit de fréquens voyages pour fon commerce, paffa par la ville ou demeuroit ce jeune homme ; il le rencontra avec le Pêcheur qui lui avoit fauvé la vie ; ils étoient chargés de poiffons qu'ils débitoient dans les rues. La bonne mine de ce jeune homme frappa Kébal, 5c pour avoir occahon de favoir qui il étoit, il acheta quelques poiffons du Pêcheur. II lui demanda enfuite fi celui qui le fuivoit étoit fon fils. Le Pêcheur lui répondit qu'il n'étoit pas fon pere , & lui raconta de quelle maniere il l'avoit trouvé dans fes filets coufu dans un fac. Kébal, reconnoiffant fon fils, ne pouvoit comprendre comment il avoit échappé a une mort qu'il avoit cru inévitablc. Défefpéré de Voir le mauvais fuccès de tant de crimes, il réfolut de prendre mieux fesmefures :iloffritcinq eens fequins au Pêcheur pour le prix de ce Jeune homme, 5c Ie marché fut bientót conclu. Kébal, fans fe faire connoitre a fon fils, le garda auprès de lui comme efclave : fadouceur, fa fidclité, rien ne put toucher ce pere cruel t qui étoit toujours plus déterminé a le faire périr,  de Littérature Oriëntale. %\f Deux années s'étoient écoulces depuis que fon fils le lervoitavec un zele lans exemple, lorfqu'il lui remit une lettre cachetée. » Par» tez, lui dit-il, pour Bagdad ; vous y trouve« rez ma fille, & vous lui remettrez cette » lettre : je lui recommande de prendre foin 3* de vous ; vous refterez auprès d'elle jufqu'a » mon retour, je ne tarderai pas a vous fui» vre «. Le jeune homme obéit k Kébal, & fe mit aufli-tót en route. Arrivé a Bagdad, il s'informa de la demeure de fon maitre, Sc frappe a la porte de celui qu'on lui indique. La fille de Kébal ouvre, Sc voit un jeune homme plus beau que 1'Amour, qui lui remet une lettre de la part de fon pere. Impatiente, elle 1'ouvre; mais de quelle horreur n'eft-elle pas faifie en lifant ces paroles: n Celui qui vous remettra » cette lettre eft mon plus grand ennemi ; jc »> vous 1'envoie afin que vous le falïiez périr; w j'exi dreffe «. La fille deKéhal, loin de refiembler a fon pere, avoit un creur fimple, & plein de fentiment d'humanité; elle confidéra plus attentivement celui qui lui avoit remis la lettre, & elle ne put fe défendre de 1'aimer. L'amour lui fuggéra uii moyen de fauver la vie a celui qui  izo Mélanges dans un moment lui étoit devenu bien cher, «5c de fe 1'attacher pour jamais. Ayant ordonné au jeune homme de 1'attendre ; elle écrivit, en contrefaifant le caractere de fon pere , une autre lettre concue en ces termes: » Celui qui » vous remettra cette lettre, m'eit plus cher w que ne me feroit mon fils : regardez-le com» me un autre moi-même ; confiez-lui 1'admi»> niftration de tous mes biens, 6c faites-lui » époufer ma fille Mélahié «. Après avoir écrit cette lettre, elle la cacheta. Paffant enfuite dans la chambre ou elle avoit laiffé le jeune homme : » Vous vous êtes mét> pris, lui dit-elle ; la lettre que vous m'aviez „ donnée étoit pour ma mere, je vais vous ,, conduire a fon appartement ". Le jeune Kébal remit la lettre a la mere, qui après 1'avoir lue, & ne doutant pas qu'elle ne fut de fon mari, exécuta les ordres qu'il lui donnoit, «5c fit époufer fa fille au jeune homme. Cependant Kébal, après avoir terminé toutes fes affaires, reprit la route de Bagdad. II fut le plus étonné des hommes, en arrivant chez lui, de retrouver fon fils plein de vie. Sa furprife augmenta lorfqu'il apprit qu'il étoit devenu fon gendre. Tous ces événemens lui paroiffoient incroyables ; mais la crainte de découvrirfes forfaits, lui óta 1'envie de s'éclaircir:  de Littirature Oriëntale. iaf il prit Ie parti de la diffimulation, & déguifa , fous les apparences de 1'amitié, la haine mortelle qu'il portoit toujours a ce fils innocent» Mélahié fa fille n'étoit pas la dupe de cette tranquillité trompeufe; fa tendrefie allarmée pour les jours d'un époux chérl, lui faifoit éclairer toutes les démarches de fon pere. Kébal, quelque temps après fon arrivée, donna un mouton a fes dorneltiques avec plufieurs cruches de vin. „ Réjouilfez-vous, leur .> dit-il, cette nuit, & célébrez mon heureux „ retour dans ma patrie ; mais j'exige de vous „ un grand fervice : Un ennemi feeret en veut „ a ma vie, je 1'attirerai ce foir dans ma mai„ fon ; il defcendra vers la quatrieme heure „ de la nuit 1'efcalier de mon appartement, „ aufli-tót que vous 1'entendrez , poignar„ dez-Ie ". L'heure venue, Kébal dit a fon fils d'aller dans Ia cour oü étoient fes domeftiques, & de lui en amener un : il alloit paffer par 1'efcalier fatal, lorfque fon époufe, toujours foupconneufe, 1'arrêta, & Ie conjura de ne point exécuter une commilfion dans laquelle elle entrevoyoitdu myftere, & 1'emmena avec elle. Cependant Kébal étoit agité de différentes paffionsjunedemi-heures'étant écouléefans qu'il eüt appris le fuccés de fa perfidie, il voulut favoir  Mélanges fi fes domeftiques avoient enfin fervi fa venj geance: comme ildefcendoitavec promptitude, ceux qu'il avoit chargé d'exécuter fes ordres, & qui jufques-la n'avoient entendu paffer per» fonne dans 1'efcalier, ne doutant point que c'eft leur victime, fe prt'cipitent fur lui & le maffacrentdans 1'obfcurité. Telle fut la fin bien méritée de ce pere barbare. Celui a qui il avoit donné le jour, &z auquel il avoit tenté plufieurs fois de 1'öter, hérita de tous fes biens: comme fa nniffance étoit un myftère pour lui, il vecut tranquillement avec fon époufe, & ne fut jamais qu'elle étoit fa fceur. L'Hiftorien Oriental termine cette hiftoire par ce proverbe arabe: „ Celui qui creufe un „ puits a fon frere , tombe lui-même dedans". REVE EXTRAORDINAIRE D'un Tailleur. U N Tailleur étant dangereufement tombé malade, eut un rêve extraordinaire. II voyoit flotter dans les airs un drapeau d'une grandeur immenfe, compofé de tous les morceaux de différentes étoffes qu'il avoit volées. L'Ange de & mort portoit ce drapeau d'une main, & de  'ie Zktlrsture Oriëntale, g^g faufre ïl lui déchargeoit plufieurs coups d'une jtoaiTue de fer. Le Tailleur a fon réveil fit vceu, en cas qu'il guérit, d'être plus fidele. II ne tarda pas a recouvrer Ia fanté. Comme il fe Il y avoit a Bagdad un fameux Aftrologuej nornmé Aboue-Méachir ; aucun des mouvemens du ciel ne lui échappoit, & les phénomenes les plus extraordinaires ne 1'étoient pas pour lui: il connoiffoit les chofes les plus cache'es, & prédifoit 1'avenir par la feule infpection des adres : il n'étoit ni moins verfédans les myfteres de la cabale, ni moins profond dans la Géomance. Ce favant Philofophe étoit uni par les Hens de I'amitié la plus intime avec Numan, Favori du Calife Aroun-Erréchid. Ce Courtifan eut le malheur d'encourir la difgra* cedu Prince qui voulut le faire périr. Numan, voyant fes jours menacés, fe réfugia chez 1'Aftrologue fon ami, & implora fon fccours. „ Je „ pourrois aifément vous dérober aux recher— „ ches du Calife, lui dit Méachir, fi ce Prince „ n'avoit auprès de lui un Aftrologue dont je „ redoute la fcience,: Tachons cependant de „ mettre fon favoir en défaut, & empêchons- (lVt.es Mahométans or.t toujours eu , Sc ont encoret Bujourd'hui la plus grande conlïance dans 1'Adrologie tüeiairt, P  4atf 'Mélanges ',, le, s'il eft pofïible, de découvrir le lieu de „ votre retraite ". Méachir placa dans une grande marmite de cuivre un mortier d'or renverfé, fur le fond duquel il fit aftèoir Numan ; il remplit enfuite la marmite de fang. Le Calife, après avoir inutilement fait dierchercher par-tout Numan, eut enfin recours a fon Aftrologue, 6c lui ordonna de découvrir, par le moyen de fon art, 1'endroit ou s'étoit refugié le coupable. L'Aftrologue du Calife, après plufieurs obfervations, lui dit: „ Celui „que vous cherchez, Seigneur, s'eft retiré „ dans une isle d'or, fituée au milieu d'une mer „ de fang, 8c cette mer eft environnée de mu, railles de cuivre ". Aroun, qui n'avoit jamais entendu parler d'une ,isle femblable, crut que pour cette fois 1'Aftrologue s'étoit trompé. Ce Princa défefpérant de trouver Numan , lui fit grace, 6c déclara qu'il pouvoit fe préfenter fans crainte devant lui. Numan, fur la parole d'Aroun, parut a la Cour. Dès que le Calife 1'appercut, il lui demanda comment il avoit pu échapper aux recherches exactes qu'il avoit faites de fa perfonne : le Courtifan lui ayant raconté la chofc comme elle s'étoit paffee, le Calife vit alors, avec étonnement , 1'efpece de rapport qui fe trouvoit entre les ob fervations de fon Aftrologue, & 1'isle oü s'étois retiré Numan,  'de Littlratute Oriëntale. è.if RUSE SINGULIERE D'une Femme. ï L y avoit au Caire un Négociant chercheur de bonne fortune ; quoiqu'elles foient plus rares en Egypte, que dans les pays oü les Femmes font moins renfermées, le libertinage trouve par-tout a fe fatisfaire. Une de ces Beautés obligée de cacher fon vifage k tout autre qu'a fon époux , cherchoit a fe dédommager de cette gêne : elle rencontra notre Marchand, & la partie fut bientót liée entre un homme quï aiaaoit le plaifir & une femme qui haïffoit la contrainte ; aufli-tót quele Galant eut amené chez lui fa conquête, il 1'y enferma , pour aller par la ville lui préparer une collation. Mais il fe rencontre bien des traverfes dans la vie. Voila qu'un maudit créancier faifit au collet le pauvre amoureux ; faute de paiement j il fallut aller en prifon , & 1'infortuné débiteur, plus affligé encore de 1'occafion perdue, que du malheur qui le tourmentoit, pria un de fes amis, qu'il rencontra par hafard, d'aller tirer de fa clóture 1'objet de fes regrets ; & fur-tout de lui garder le fecret fur fon aventure malencontreufe. II lui donne la clef de fa maifon * P %  aal ~Mélangts 5c le conjure de lui apprendre le fuccès de fa commiffion. L'ami officieux court a Ia maifon du prifonnier ; mais quelle fut fa furprife, lorfqu'en ou« vrant la porte il reconnoit fa fidelle, ou plutöt fon infidelle époufe qui aceouroit a fa rencontre: On peut juger de leur étonnement réciproque; car le pauvre homme étoit bien éloigné de penler que c'étoit a fa femme qu'il vouloit rendre ce bon office, & la belle ne fe feroit jamais doutée que fon mari fut venu la furprendre dans la maifon de fon Amant. Après bien des reproches, la Belle, qui fongeoit a éviter de plus grands maux , dit au pauvre mari abufé : » Tout dépofe ici contre «moi, Sc ma faute eft trop grande pour en efpérer le pardon ; mais en vous vengeant, » reffouvenez-vous que je fuis votre époufe, » & que la honte d'un éclat réjaillira fur vous ; 9> il vous eft facile de fauver votre honneur Sc }) le rnien. Confentons au divorce, & faifons91 Ie approuver par le Cadi. J'avoue que j'ai 9> mérité de perdre ma dot; & je vous promets 9> de ne point Ia réclamer : reprenez auffi les » pierreries & les bracelets que vous m'aviez t> donnés, je ferai affez riche, fi je puis confer■w ver ma réputation u. Le mari, tout furibond qu'il étoit; trouvt  ie Zitt/rature Oriëntale. * t« la propofition raifonnable ; il s'empara des bï~ joux, Sc confenti: au divorce. Tous deux de concert fe rendirent chez le Cadi. Arrivés chez le Juge ; le mari expofa que fa femme Iaffée de leur union confentoit a perdre fa dor,pourvu que le divorce fut prononcé. Le Cadi ayant demandé a la femme fi elle étoit d'accord fur ces conditions : >» Seigneur, répondit-elle, il w faut bien qu'une infortunée cede a la violcn» ce : ce cruel, qui eft mon époux, m'accable » de coups chaque jour, pour me faire confen» tira renoncer a ma dot, aujourd'hui même, » il m'a dépouillée avec violence des bracelets n que je tenois de mes parens; j'aimerois mieux »lui abandonner tout, que de rifquer plus w long-temps mes jours : mais je vous demanda » juftice de 1'oppreftion, de la violence ; pour n preuve de ce que j'avance, il porte encore fur p) lui les bracelets qu'il vient de m'arracher: „puifqu'il m'a répudié en votre préfence, je ,, m'eftime heureufe de n'étre plus a lui, mais „ j'invoque la puiffance des loix, & je répete „ ma dot Cette femme artifkieufe accompagna fon difcours d'un torrent de larmes, qui perfuaderent le Cadi de la vérité de ce qu'elle difoit: il fit fouiller le mari; on trouva fur lui les bijoux, Sc fans qu'on voulut 1'cntendre, il fu| P 3  9.3» Mélanges trainé en prifon, poury demeurer jufqu'a ce qu'il eüt fatisfait a la dot. L'amoureux Négociant, qui attendoit avec impatience des. nouvelles de celle qu'il avoit enfermée, fut très-furpris de voir arriver fon prétendulibérateur les fers aux pieds: „ Qu'as„, tu fait, lui dit-il,de celle que je t'ai confiée ? „ Que le ciel te confonde avec elle, répond le v malheureux mari ; c'eft ma femme que tu „ avois féduite, & c'eft elle qui me fait punir „ de fes fautes fie des tiennes. Après cette bouffée decolere, il raconta au galant, en pleurant de rage, comme il avoit rencontré fa femme chez lui, & après s'être querellés tous deux de la bonne forte, ils prirent le parti de fe pardonner 1'un a 1'autre pour fupporter enfemble leur captivité. L'AVEUGLE MARIÉ. U N Bourgeois de Tauris alTez riche , avoit une fille qu'il aimoit; mais elle étoit fi contrefaite, qu'il falloit être fon pere pour la fupporter. Cet homme voulant la pourvoir, imagina de la marier a un aveugle, dans Fefpérance qu'il ne mépriferoit pas fon époufe. En effet 'y"mer? c'étoit le nom du maii? vécut en affez  it Littc'raturi Oriëntale. 23 s bonne intelligence avec fa femme. Peu c!e temps après furvint a Tauris un fameux Ocuïifte, qui avoit, difoit-on, rendu la vue a une infinité de perfonnes ; comme on preffoit le beau-pere de mener fon gendre a cet Ocuïiffe: „ Je m'en garderai bien, répondit-il; s'il rendoit la vue a mon gendre , mon gen„ dre me rendroit bientót ma fille BON MOT D'UNE FEMME A un homme laid. Citoyen de Bagdad,nommé Fasli,d'une laideur exceflive, caufoit dans une rue avec un de fes amis: une femme voilée, comme elles le font toutes dans 1'Orient, s'arrêta très-longtems devant lui, le confidérant avec une. attention a laquelle il ne devoit pas être accoutumé. Fasli fut furpris de 1'obftination de cette femme, il lui en demanda la caufe, & êtoit prêt a 1'en remercier : „ Mes yeux , répondit- , elle , ont confidéré trop attentivement un „beauvifage, Scfelonlaloi du Prophete, j'ai , voulu les punir dans ce monde : j'efpere que la contemplation de votre figure expiera ce w crime, & m'épargnera les peines de 1'enfer.li P 4  *3 % Mélanges RÉPONSE D'UN AVEÜGLE. D An s la même ville de Bagdad, un aveugle qui porcoit unegrofle cruche furfes e'paules, tenoit en même-tems une lanterne a la main : „Pauvre homme, lui dit quelqu'un, n'ayant „ point d'yeux de quoi te peut fervir cette lan„ terne ? Ce n'eft pas pour moi, lui repartit „ 1'aveugle, que je la porte, mais de peur qu'un „ étourdi comme toi, venant k me choquer, ne „ renverfe cette cruche que j'ai eu bien de la„ peine a remplir d'eau. " RÉPARTIE D'UN SOLDAT A fon Général. ^J~N Général Indien paflant en revue une troupe de Cavalerie :Pourquoi, dit-il k un „des Cavaliers, ton cheval eft-il fi maigre ? ,,J'ai une femme & des enfans, répondit Ie „ Perfan, qui font plus maigres encore : puis-je „ nourrir tout cela avec la paie que nous donne „ le Sultan? " Le Général, touché de la mifere „ & de la bonne foi de cet homme: „ Tiers, lui »j dit - il, en lui donnant une fomme affez co,n«  de Littlrature Oriëntale. 13 5 "„ fidérable, nourris ta familie, & engraifTe ton „ cheval. " BON MOT SUR UNE BARBE. \Jn homme avoit la barbe fi épaiiTe, qu'elle couvroit prefque tout fon vifage: „ Faites cou„ per votre barbe, lui dit quelqu'un, fanscela , "„ on croira que vous étes tout ( 1 ) tête, & que „ vous n'avez point de vifa»e, " / ' , -""'s * ciner, lui mande que etui Tl ItQnt r" ih0n votre mort, encore moins qu'il ait pu me « choifir pour un tel crime ; mais vos préten» tentions doivent 1'inquiéter: il faut que vous » me juriez fur la tête du Prophete, fur celle w du refpedable Ali dont vous defcendez , que » jamais vous ne fongerez k détröner Mahadi, » ni k former aucun parti contre lui. « Le pauvre Méhémet, bienheureux d'en être quitte ace prix, promit tout ce qu'on voulut. t> Allez , lui dit fonLibérateur, je vousimpofe » encore cette loi de ne pas reparoitrea Bagdad; » mais comme il faut que vous viviez, voila » une fomme que mon Maitre vous donne. «II lui remit auffi-töt les vingt milledrachmes d'or qu'il venoit de recevoir. Cette action fut bientót fue du Calife; car Ia Wlle Efclave abandonnée fi généreufement k  it littfrature Oriëntale. ^ Iacoub n'étoit qu'un efpion, que Ie défiane Mahadi avoit attaché a fes pas. Le Calife irrité faitVenir le prétendu traitre : » Comment vous « êtes-vous acquitté, lui dit-ilavec colere, dc » la commiflion dont je vous ai chargé ? Prince » lui répond Iacoub, avec lafïdélité d'un fujet' « & 1'intérêt d'un ferviteur zélé. Malheureux, «repliquale Calife, vous aver fait échapper )> ma victime. Sans doure, reprend Iacoub }> j'ai dü vous épargner nn crime, dont vous » vouliez que je fns complice, plutót que de » fervir votre inquiétude& votre cruauté! Vous « êtes fouverain pour pfotéger les foibles , & »> la vie d'unhommen'eftpasplusa vous,qu'au » refte de vos fujets. Vous devez faire punir les « coupables, & non pas faire mourir les inno« eens. « Le Calife , frappé de cette vérité > rendit fa faveur a cet homme jufte. » Je ne te « croyois qu'un Courtifan aimable, lui dit-il. n mais je vois que tu es un véritable Ami, « « eens. « Le Calife , frappé de cette vérité ,  94« Mélangït MOYEN MNGÉNIEUX Quemploya un Vifir, pour délivref fon Maitre qui avoit été fait pnjonnier par fon imprudence. ]Vt Elekch ah ( i ),Roi de Perfe, foutenoit la guerre contre 1'Empereur de Conftantinoplejles deux armées étoient en préfence, féparées par une riviere, qui devoit faire lafureté commune. Sur la foi de cette barrière, le jeune Roi des Perfes crut pouvoirchaffer tandis qu'on étoit en obfervation: mais 1'Empereur Grec avoit fait paffer la riviere a quelques troupes légeres, qui furprirent cés chafleurs & les emmenerent a (O Melekchah, troifieme Sultan de Ia Dynaftie dés Seleiucides, étoit le fils cadet d'Alpars'an, «ui 1'appella au tróne au pré"|udice de fes' ainés parle confeil de Niramelmulle fon Vifir. II dut a ce Miniitre une grande partie des fucces, des vifloires & de la gloire de fon regne. Nizamelmilk le brouMa avec la Reine 'Turkhankhatoun, au fujet de la fucceffion que cette Princeffe vouloit faire tomber fur fon hls, quoiqu'il ne fut que le cadet des enfans du Sultan, 5c que Nizamelmulk vouloit faire tomber fur Berkiarok qm etoit 1'ainé , & le plus digne de regner. T a Sultane voyant qu elle ne pourroit réuffir rant que ce Vifir feroit en place , chercha i jetter des founcons dans 1'efprit du Sultan fon epoux, fuï lequel elle avoit'beaucoup d'empire. Elle le repréfenta comme un homme dangereux pi s'emparoit de tous les Gouvernemens pour les d»nner a fes enfans & a fes creatures J elle ir.difpofa fi fort le Sultan contre lui , qu'il le pnvi de fa Dignité. Tadjelmulk-elkami , Chef des Confeils de Ia Sultane, fut mis a fa place, & eut ordre de faire informet dss malverfations de fon prédéceffeur, leur  tt Littitature Oriëntaïe. 44» ktu-camp. Lc Monarque Perfan n'avoit confervé aucune des marqués de fa dignité, il étoie vetua la légere comme des chaffeurs doivent 1 etre, ainfi que ceux qui 1'accompagnoient: il réfolu de cacher fon rang, pour dérober al'enaiemi I'importance de fa proie. Ce Prince avoie un Vifir fur lequel il s'étoit repofé du commandement de 1'armée. Nizamelmulk, ( c'étoit le nom de ce Vifir,) inftruitdu malheur qui venoic darriver, prit des mefures pour le cacher • il fit faire Ia garde comme k i'ordinaire devant la tente du Sultan, & envoya des troupesa 1'armée ennemiepourdemander une conférence au Prince Grec Sur Ia réponfe favorable des Grecs, le Grand Vifir fe tranfporte au quartier de fon vers Peï&J un bi et au'sS vT mort d**™ «« de fa.enfans Voici Se te feT^ " » orand Monarque, revêtu de votre autnrM ;> • » ffcré une partie de ma vie a bannir1°£?,-fcede™ » «»mS4rdem0i ' &H->-fentert1oV;eVp: i: » trouve dans ia cniarre • • 6tal de ma VIefe » &!un coup decoq t^r ,"r X,':^ ^ t,e » lerez , en voyant mon fils les ld„esV0US •ÏPF"- Q  ft4«- Miïanga ennemi, & lui fait, de la part de fon Maïtre, de8 propofitions fi favorables, que 1'Empereur de Conftantinople les accepte avec joie. II ne s'agiffoit plus que de quelques difficultés de peu d'importance. Nizamelmulk prétendit qu'il devoit rapporter a fon Maitre Ia volonte de 1'Empereur : comme il alloit partir le Grec lui dit, que fes coureurs avoient pris la veille quelques Officiers Perfans qui s'étoient écartés pouc chaffer. n Ce ne peut être que des Subaltemes , w répondit le Grand Vifir, avecun air d'inn différence; car on ne m'a pas rapporté qu'auw cun Chef ait été fait prifonnier. Je vais vous » les faire voir, reprend 1'Empereur de Conftan« » tinople, & vous les ramenereza votre Maitre8 p> comme premier gage de la paix. « Le Prince Perfan futamenéauffi-tót, accotn» pagné des fiens. Sa confufion contribua a le cacher; car il n'ofoit lever les yeux, ni devant fon ennemi, ni devant fon Vifir. Celui-ci paria 'aux prifonniers avec la févérité d'un Chef qui réprimande; puis il quitta 1'Empereur Grec , lui promettant une réponfe prompte du Mo» narque Perfan. Quand le Vifir & les prifonniers furent hor» du camp, Melekchah recut les excufes de fon premier Miniftre, & n'eut pas de peine a lui pardonner ce prétendu manque de refpe&: les  Je Lhïlraturt Oriëntale. %^ propoficions de paix qui n'avoient été faites de la part du Vifir que pour la circonftance, furent bientót rompus. Le Prince Grec, mécontenr. d avoir été joué, fe prelfa de livrer bataille elle fut vive & meurtriere : les Grecs ayant été defaits, lEmpereur fut fait prifonnier. On le conduifitdans la tente de fon Vainqueur; quelle fut la furprife du Monarque Grec, lorfqu'il reconnu fur un tröne environné de gloire ce jeune imprudent qu'il avoit vu peu de jóurs auparavant dans un état fi humble, repris par le Vifir, & trop heureux de tenir fa liberté de lui qui étoit maintenant fon captif. ' Le Prince Grec, fans renoncer a la fierté de Ion rang: v Je ne me cache point, lui dit - il » vous favez qui je fuis: Si vous êtes 1'Empereuï » des Perfans, renvoyez-moi; fi vous êtes Mar- «chand,vendez-moi;fivous êtes Boucher w tuez - moi. « * Melekchah, piqué de générofité, lui dit • »Si je n'ai pas toujours été Empereuravos » yeux, je veux 1'étre aujourd'hui; retournes » dans votre camp, nousnégocieronsenfuite.rt  £44 'Mélsnges DIFFÉRENS TRAITS De Bahaloul, foL d'Aroun Erréchid. A Roun - Erréchid , ce Prince fifage , avoit a fa Cour un Fol chargé de le divertir , nommé Bahaloul. Ce Calife lui demandoit un jour combien il y avoit de fois dans Bagdad ? n Lalifte, lui répondit Bahaloul, feroit unpeu *> longue. Je te charge de la faire, ditle Prince, ** & je prétends qa'elie loit exacle. Attendez , w reprit Bahaloul, comme je fuis ennemi da »> travail, je m'en vais faire celle des fages ; » celle-ci fera courte, jt vous le jure , & par m ce moyen vous faurez quels font les fois. « Le méme Bahaloul s'ctant un jour affis fur Ie •röne du Calife, cette témérité lui valut, comme de raifon, une voléede coups de baton de la main des Huiffiers. Les cris réitérés de Bahaloul attirerentle Prince, qui, riant de la folie de cet infenfé, entreprit de le confoler de la corre£Hon qu'il venoit d'éprouver. » Ce n'eft pas fur moi » q ie je pleure, dit le Fo!, mais fur vousa qui je *» dois ra'intérefler. Si j'ai recu tant de coups, m pour avoir occupé q:ï inflant votre tröne , a» quelle grêle vous menace la-bas, vous qui n 1'aurez occupé pendant une longue vie*  'ie Zhtifaturt örientah. Le même F >! du Calife avoit eu au moins Ia fagefle de ne vouloir pas fe marier. Rachid lui ordonna d'époufer une fille jeune, belle 3f Vertueufe, qu'il prnendoit devoir le rendro heureux. Bahaloul obéit; mais a peine étoit-il aux cótés dc fa nouvelle époufe, qu'il fe leva brufquement, & ruit avec une frayeur affectée. Lesparensde la jeune Mariée, pénétrésde cette mfulte, coururent s'en plaindre a Rachid. Le Prince fait venir fon Fol, &c lui demande avec févérité la raifon d'une condui te fi bizarre. » Seigneur, lui répond Bahaloul, avec un air de w naïveté, je n'ai aucuns reproches a faire a Ia « femme que vous avez voulu me donner, elle « eft belle, & je la crois fage; raaisa peine fuis» je entré dans le lit nuptial, que j'ai entendu « plufieurs voix confufes qui fortoient de fon » fein. L'une demandoit un turban ; 1'autre du » pain; celle-ci des ( i ) papoutchs; celle-la w une vefte. Alors je n'ai plus été le maitre de » mon effroi; malgré vos ordres & les charmes » de mon époufe, je me fuisenfuide toutes mes „ forces, de peur de devenir plus malheureux & „ plus fol que je ne le fuis. " (O (Papoutchs.) Souliers «Us Orienttux.  s .t .• Mélanges TRAIT SINGULIER De la vie d'Amrou. Amrou ( i ), Sultan Gazna, faifant Ia guerrea Ifmaël Samain, Sultan du Karifme „ livra une bataille dans laquelle il eut le malheur d'être fait prifonnier. Le Vainqueur, peu généreux, fit enfermer fon captif dans une Citadelle, oü il devoit être gardé avecbeaucoup dcfoin. Ce Prince accablé defatigues,& qui n'avoit pas mangé de lajournée» demanda a fes gardes qu'on lui fit prendre quelque nourriture. On apporta un morceau de viande qu'il falloit faire cuirc au même feu qui fervoita tfchauffer le malheureux Sultan. Tandis qu'Amtou attendoit impatiemment que ce chétif fouper futprêt, un chien, non moins affamé que lui, vint faifir le morceau de viande & s'enfuit. Le Sultan, dont le premier mouvement fut de courir après ce raviffeur, fe fentit arrêté par fa chaine, 5cfe mit a rire de toutes fes forces. Les gardes dont ilexcitoit la compaffion, s'empref- ( I } Amrou-ben-Laith , fecond Sultan de la Dynafiie des Soffarides. II vécut d'abord en affez bonne intelligence avec les Califes , & leur rendit même des grands fervices. Mais le Calife Moraded, qui voyoit avec crïinte la puiffance d'Amrou au^menter, lui fufcita un ennemi dans la perfonne «Ie Samain. 'Amrou fut vaincu, & envoyé au Calife, qui ls fit périr miférablemcnt de faim en prifon.  de Littfrature Oriëntale. t*}f ferent a réparer ce malheur; & ils lui demanderent, avec étonnement, ce qui pouvoit exciter fes ris dans le trifle état oü ils le voyoient. „ Je „ ne puis m'empêcher de rire de moi-mème , , répondit le Prince : ce matin, en faifant mon , ordre de bataille, j'ai vu paffer aux équipages „ trois eens chameaux que le Grand Maitre de „ ma maifon m'a affuré fuffirea peine pourpor„ ter ma cuifine , & ce foir un petit chien 1'e „ emportée toute entiere dans fa gueule. " BELLE RÉPONSE D'un Vieillard fur le mariage. N Iman devenu vieux, vivoit depuis longterm dans lecélibat après avoir perdu fon époufe : un de fes amis 1'engageoit a fe remarier.,, J'ai toujours, lui répondit ITman, fentit de la ré„ pugnance pour les femmes agées. Hé bien ! „repartit fon ami, vous êtes riche, vous aves ?, un état confidérable, tous les peres de cette ville fe difputerontl'avantage de vous donner „ leur fille. Cela peut être, reprit ITman, mais „ me répondez-vous que celle que j'épouferai „ m'aimera ? Si avec mes cheveux blancs , fi „ fous les rides de'la vieilleffe, je me dégoüte Q 4  *4§ Mtlanga „ d'une femme auffi vieille que moi, quel ftntf» „ ment voulez-vous qu'éprouve unejeuneper„ fonne aux cötés d'un vieillard ? " LE FILS INGRAT. \Jn Vieillard fort riche s'entretcnoit avec un Dervich , auquel il avoit donné 1'hofpitalité. „ Je n'ai qu'un fils , difoit-ilauSan„ton, que j'aime a 1'excès : de combien de „ vccux n'ai-je pas fatigué le ciel avant qu'il „ I'accorde a ma tendreffe ! II eft dans ce vallon „ un arbre connu feulement de ceux qui ont „ des graces a demanderauTout-Puiffaht; j'ai „ paffe bien des jours & des nuits dans les „ pleurs & les gémiiTemens au pied de cet arbre facré. " Tandis que ce bon pere exprimoit ainfi fa tendreife, fonfils dit affez haut pour que leDerVich put 1'entendre:,, Que ne puis-je connoïtre „ 1'endroit ou eft cet arbre qui a tant de vertus ; „ je m'y rendrois pour hater, par mes voeux * j, Ia mort de mon pere ? "  £e Littlrature Oriëntale. ■ 14* LE PERE AVARE. jLj/E fils d'un homme auffi riche qu'avare, étoit dangereufement malade ; les amis du pere lui conieilloient d'égorger quelques moutons pour les diftribueraux pauvres, ou tout au moins de réciter quelques chapitres de 1'Alcoran: „ J'aime „ mieux réciter 1'Alcoran, leur répondit lepere; 7, je porte ce livre facré fur moi, & mes troupeaux „ fon fort éloignés d'ici.Tuveux en vain pallier „ a nos yeux la véritable raifon de la préiérenc© „ que tu donnés aux prieres fur les iacrifices „ repartit un Santon qui étoit préfent; les prie„ res font fur le bord de ta langue, tu les pro„ fere fans peine; mais ton or eft au fond de ton „ cceur,il t'en coüteroit trop pour 1'en arracher.w SUR LE DANGER Des Plaifirs. XJ N Dervich, renommé par Ia fainteté de fa vie, entra chez un Confifeur; Ie maitre de k boutiqucs'cmpreifa de régaler 1'homme laint, & lui préfenta un vafe plein de miel; mais apeine reut-il dccouvcrt, qu'une légion de mouckï*  5,5© Mélanges fondit deffus: le Confxfeur pritunéventail pour les mettre en fuite; les mouches qui le trouverent fur le bord du vafe, fe fauverent aifément, mais celles qui, plus avides, s'étoient jettées dans le milieu, retenues par le miel, ne purents'envoler. Le Dervich, plongé dans une profonde révc rie , exaiuinoit ce fpe&acle d'un ceil attendf ; revenu a lui-même, il lailTa échapperunlbupir ; le Confifeur étonné lui en demanda le fujet. „ Ce vafe, dit le Dervich, eft le monde, & ces mouches font fes habitans; celles qui fe font arrêtées fur le bord du vafe, reffemblent auxfages, qui mettant desbornesa leursdefirs, ne courent pas comme des infenfés après les plaifirs , & fe contentent feulement de les „ effleurer : les mouches qui fe font précipitées „ au milieu du vafe , repréfentent ceux qui, j, lachant la bride a leur penchans déréglés , „ s'abandonnent fans aucune retenue k toute „ forte de voluptés. „ Lorfque 1'Angede la mort, parcourantd'un , vol rapide la furface de la terre agitera fes alles, les hommes qui ne fe ferontarrêtés que „ fur les bords du vafe de ce monde, prendront „ librement leur effor, & voleront d'une aile „légere versla patrie célefte; mais ceux qui, „efclaves de leurs paffions, fe feront piongés it dans le vafe empoifonné des plaifirs , s'y  de Zitte'rature Oriëntale. ijl enfonceront de plus en plus . & feront pré- ,, cipités dans les abymes. " SUR L'ÉDUC ATION Des Princes. U N Gouverneur fage , éclairé, prudent, préfidoit a 1'éducation du fils d'un Sultan : occupé du foin de faire éclorre le germe des vertus , & d'étoufFer celui des vices de fon éleve , il étoit fouvent obligé de s'armer de rigueur , & de s'oppofer aux penchans les plus doux du jeune Prince. Celui-ci fupportoit impatiemrnent un joug qui lui paroiffoit odieux, &cherchoit a le fecouer. II porta des plaintes a fon pere de la févérité prétendue de fon Maitre. Le Sultan qui aimoit tendrement fon fils , reprocha au Gouverneur la dureté avec laquelle il le trakoit, & lui dit qu'il auroit plus d'indulgence pour le fils d'un fimple particulier. „Pri nee, „ répondit le Gouverneur, fi l'on doit infpirer „ 1'amour de la vertu a tous les hommes, ceux „ qui, par leur naiflance, font deftinés a com„ mander unjour, doiventy être excités encore plus que les autres, puifque de leurs bonnes „ ou de leurs mauvaifes inclinations, dépend le  *5* Mélanges „heur ou Ie malheur des peuples. Les Prinees „ ne peuvent trop chercher a fe rendre parfaits , i, s'ils font un peu jaloux de leur réputation. Le» „ vices ou les vertus des particuüers meurent „ ordinairement avec eux ; mais les Grands ,, font en fpedaclea tout 1'univers,leurs aöions, „ leurs paroles paffent de bouche en bouche, & fe tranfmettent d'age en age. " CONS OLATION Des Malheureux. N pauvre Dervich, pieds nuds, faute de fouliers,faifoit le pélérinage de la Mtc.me , maudiffant fon fort , Sc accufant Ie ciel de* cruauté : arrivé a la porte de la grande mofquée de Coufa, il appereut un pauvre qui avoit les pieds coupés. La vue d'un homme plus malheureux que lui le confola, & lui apprit que c'étoit une infortune plus légere d'être fans fouliers, que fans pieds. SUR LE SILENCE. U N des amis de Sadi lui reprochoit de garle filence. „ J'ai embralfé ce parti comme le  ie Littirature Orientaïe. ayji £ plas fage, lui répondit le Potte; tel réfervé „ que l'on foit dans la converfation, une parole „ efl bien vïte échappée, & nosennemis en pro* „fitent pour nous perdre; fouvent même ils „ trouVent le mal oü il n'eft pas, & donnent „ une interprération criminelle aux paroles les „ plus innocentes. Vous avez raifon , repartit a „ Sadi, fon ami; le bandeau de la haine déna„ ture tous les objets, quiconque a ce fatal ban„ deau furies yeux, voit le crime oü eft la vertu; „ en vain le foleil éclaire 1'univers, la lumiere „ de cet aftre brillant, paroit une lueur fombre „ aux yeux du trifte hibou. " DÉFAITE INGÉNIEUSE De deux Ivrognes. Ff j| JLJL adjage, Ce Lieutenant des Califes, fi I renommé par fa févérité, avoit ordonné a 1'Inj tendantde Police de Bagdad, de faire périr 1 tous ceux qu'il rencontreroit dans les rues deux: I heures après le coucher du Soleil: cet Officier I faifant fa ronde furprit deux jeunes gens pris I de vin. „ Qui êtes-vous, leur dit-il d'un ton I „ menacant, pour ofer contrevenir aux ordres v du Lieutenant du Calife ? " L'un des deux  4J4 Mélanges jeunes gens lui répondit par ces deux vers im~ prornptus. „ Les plus grands Seigneurs pales & tremblans devanr mon pere, inclinent la tête en „ fa pre'fencc ; mais leur pofture humiliée le „ touche peu : il verfe leur fang, & s'empare de „ leurs richefles. " L'Intendant, perfuadé que ce jeune homme étoit un proche parent du Calife, n'ofale faire périr, & fe contenta de le faire conduire en prifon. II fit la même queftion a fon compagnon, qui lui répondit par ces deux autres vers. „ Le feu eft allumé jour & nuit dans les „ cuifines de mon pere, &: une foule de con- vives ailiege continuellement fa table. " L'Intendant le prenant pour le fils de quelque Prince des Arabes du défert ( i ) , crut devoir a ce coupable les mêmes ménagemens qu'au premier. Ilconduifit le lendemainles deux jeunes gens devantHadjage, en lui racöntantcequi étoit arrivé. Ce Vifir les avant interrogé, le premier avoua qu'il étoit Ie fils d'un Chirurgien ( a ) ; ( i) I Arabes rlu dé ("t. ^ Ils font fort hofpitaliers : 'eurs Princes ou leurs Chefs ir-tout recoiventindifféremment tous les voyageurs. ( 2 ) ( Chirurgien.'- II y a dans le texte Chirurgien qui applique les ventoufes ; elles font fortenufage dansl'Orient: f»ut le monds fait que c'eft un vaifleau vcntru, que 1'onap*.  'ie Littérature Oriëntale: aj^ ■R le fecond dit que fon pere vendoit des feves ( i ) toutes cuites dans le bazar ( x ) de la ville. Hadjage, malgré fa lévérité naturelle , ne put s'empécher de rire de Ia méprife de ITntendant de Police , & fit grace aux deux coupables en faveur de la fubtilitédeleur efprit.' DANGER DES LOUANGES. Ïj E Poëte Ne'bati, quivivoit habituellement des louanges qu'il prodiguoit aux Grands du Khorafan, fut cité un jour devant Ie Cadi. Cet homme trop accoutumé a louer & a flatter jufqu'aux valets de fes Patrons, étoit bien fur den'avoir fait injure a perfonne; il n'avoit ni terre, ni poffeffion quelconque ; il ne prétendoit rien, ne devoit rien, & ne concevoit pas ce qu'on pouvoit lui difputer. Arrivé devant Ie Cadi, il entendit qu'un Particulierformoit contre lui Ia demandede cent pieces d'or. „ Oüpeu- plique fur quelque partie pour rftirer avec violence 1'humeur du dedans au dehors : en les chauflfe avec des éroupes om une bougie, & on les applique fur la partie malade, fus Jaquelleon fait enfuite une fcarificatfon. Les Orientaux font «n ufage de les appliquer fur les épaules : c'eft a cette fitua» tion que le jeune homme, dont le pere étoit Chirurgien fait illufion. (i) I Feves.) II y a dans 1'Orient des boutiques eu i'sq yend des feves toutes cuites pour le bas peuple. (i) (Baiar.) Marche public.  tjf Mélange» t, vent être Vos tiers ? dit le Poëte étonné. Dans „ vos Ouvrages, répondit le Demandeur; vous ?, avezfait pour Ibn-Malik, notre Grand Vifir, 9) les plus beaux vers du monde, & vos vers 9> doivent me valoir néceffairement cent pieces 9, d'or de lui ou de vous. " Voici le fens de ces vers. „ Ibn-Malik furpaffe tous les hommes en générofité, &fi quelqu'un lui demande unbien- „ fait, je fuis caution, qu'il ne lui fera pas „ refufé. " Sur la foi de cebeau diftique, j'ai été demander au Vifir cent pieces d'or, dont j'ai un preffantbefoin;il n'apas accueillima demande; mais je n'en fuis pas inquiet, puifque vous voulez bien répondre pour lui. Le Poëte, plein de confianee, ne demanda que le tems de voir le premier débiteur; & courant „ chez le Vifir: „ Je vous ai fait, lui dit-il, un honneur auqv.el vous ne voudrez pas „ renoncer; je ne vous demande pas d'acquit„ ter ma caution , mais je vous confeille de „ vous montrer tel que je vous ai préfenté au „ monde. A la bonne heure , dit Ibn-Malik ; , mais ma modefHe vous enjoint de ne me „ faire plus tant d'honneur a 1'avenir. '* BELLE RÉPONSE  rii Littfratare Oriëntale. BELLE RÉPONSE D'un Médecin chrétien d un Calife. JLe CaüfeMute'vékul concut des foupcons contre Honain ( i) fon M^cin C , nePengagear k attenteA fts j~~ Médecin , refolu-c de mettre fa vertu k „ épreuve difficile. 3 Une " H°nain > lf dit^ n» jour, j'ai un ennemi „que je veux fa!re périr {ecTéJment. „ que tu me prépares un poifon fi fubtile a„P «lon nepuiffi endécoavrir Ia trance! „ a qui je Ie defiine. " „Seigneur, réponditHonain avec une noble „affurance jen'aiappris que Ia compofition „desremedes utiles ; pouvois-je m'imag.ner „quelEmpereurdes vrais Croyans dut m'e* ^Sa^^S^ d„ CailTe Mai Aicin d'Aroun-Errechid : ^„enéS/TT M* Grecqueluieto.tauffi familiere que 1'Arabe i * '. 1?«u* ment b>en dans ces deux langues: ?1 avoit I'?. e'?nvIt>1«" I-our y apprendre la langi Jd'Homere & de H^rl? C* iradu.fit, parordre du ffalife Mute^ékul •«°7ofth««- tt hvres Grecs en Arabe : 1'Euclide 1' Al ' Sn nombre d« la Plus grande partie d« n e'1Almage^ dePtolomée,  l5g Mtianges demander d'une autre nature ? Si cependana ''vous voulez être obéi, qu'il me foit permis "dequitter votre Cour, & d'aller puiferdans „un autre pays dei connoiffances que jai ignorées jufqu'aujourd'hui. " Mutévékul lui répondit qu'il vouloit que fes ordres fuffentexécutés fur le champ. Ce Prince employa tour-a-tour les prieres, les menaces & les promeffes, fans pouvoir 1'engagera condefcendre a fes volontés. Irrité de fa réfiftance, illefit conduire en prifon, & mit auprès de lui un efpion pour lui rendre un compte fidele de fes moindres actions. Honain, perfuadé que la honte eft dans le crime, & non pas dans la peine , fuppona avec fermeté celle qu'il n'avoit pas méritée; rétude charma les ennuis de fa prifon, il paffa tout le tems qu'il y fut enfermé a traduire des livres Grecs en Arabe, & a faire des Commentairesfur les üuvrages d'Hippocrate. Une année s'étant ainfi écoulée le Calife le fit renir. L'on avoit placé fur fa table de 1'or, des diamans , des étoffes précieufes; ï cöté l'on voyoit fur la même table des fouets, & tous let autres inftrumens propres k la torture. „ Tu as eu tout le tems, dit Mutévékul au n Médecin, de faire des réflexions, je ne crois „pas que tufois affei ennemi de toi -même „  'de Littlrature Oriëntale. 2. j * f} pour réfifter davantage k mes volonte's : au „ refte choifis ou ces richefles qui font devant „tes yeux, ou ton fupplice, dont tu vois les n redoutables apprêts. Je vous ai déja repréfen„ té, répondit Honain avec intrépidité, que je ne connoilfois que les remedes a prolon„ ger la vie des hommes, & que j'ignorois ceux „ qui pouvoient 1'abréger: ordonnez de mon „ fort, je fuis pret a le fubir. " Le Calife dépofant la feinte févérité qui paroiffoit fur fon vifage : „ Raffure-toi, dit-il a „ Honain; l'on m'avoit infpiré des foupcons „ de ta fidélité , il falloit cette épreuve pour „ les diffiper. Je te rends toute ma confiance ; mais je veux que tu me dife les raifons qui ont pu t'obliger a me délobéir. " „ Seigneur , répondit Honain, c'eft a regret „ que j'ai réfifté aux volontés du plus grand „ Prince de la terre ; mais ma religion, mon „ état, m'y ont obligé. La religion chrétienne, qui ordonne de faire du bien même I fes „ ennemis , défend a plus forte raifon de faire „ du mal a ceux quine nous en ont point faüt; & lamédecine, cette fcience divine inventée pour la confervation des hommes, ne doit „ pas fervir k leur deftruétion. Les Médecins avant d'exercer cet art fublime, s'engagent, fl par un ferment folemnel, de ne jamais adR %  ■?ss> Mélanges miniitrer des remedes nuifibles. Voili de „belles loix, dit le Calife, & je ne peux refufer mon admiration a une religion & a „ une profeilion fondées fur de pareilles loix. 'e DIFFÉRENS TRAITS De la vie d'Avicenes , tirés du Catalogue raifonné des Manujcrits Arabes de la Bibliotheque de l'Ejcurial & du Nighianjlun. JnLBou-ALi-Alhuifsin ben- Abdoullah, benSi na, dit Avicene* , le Prince des Phi'o'ophes & des Médecins Anbes , étoit né a Afséna, Boarg des environs de Bokhara ; fon pere étoit de Bu k ia en Perfe, & s'étoit marié a Bokhara. Lej premières années dAvicenes furent confacrées 4 l'étude Je 1'Alcoran & des Belles-Lettres : il annonja dés ce mo.uent ce qu'il devoit étre un jour; fes progrès furent fi rapides, qu'a 1'age di dix au,, il avoit une intelligence parfai;e des fens les plus ca hés de 1'Alcoran. Abou-Abdoullah, nacif de Napoulous en Syrië, profeffoit alors la Philofóphie a Bokhara avec la plus grande réputation Avicenes étudia &us lui le. principes üe la Logique; mais  de Littlrature. Orientah. \f% bientót dégoücé des lenteurs de 1'Ecole, il f» «ka travailler feul} St lut tous les Auteurs qui ont écrit fur la Philofóphie , fans aucun autre fecours que celui de leurs Commentaren». Les Mathcmatiques n'eurent pas nioinsde charmes pour lui, & il parvint feul jufqu'a la derniere propofition d'Eaclide, apres avoir lu les fix premières. Avide de toute forte de fcience , il fe livra auffi a celle de la Médecine; perfuade' que cet Art divin confifte autant dans la pratique que dans la théorie, il recherchoit avec empreffement toutes lei occafions de voir les malades; & il a avoué depuis, que 1'expérience lui en avoit appris plus que tous leslivres.il étoit dans fafeizieme année, & déja il pafToit pour une lumiere de fon fiecle. II réfolut a cet age de reprendre fes études de Philofóphie , que la Médecine lui avoit fait un peu negliger : il paffa une année & demie dans ce travail pénible, fans avoir, durant cet efpace de tems , jamais dormi une nuit entiere de fuite. Se fentoit-il accablé parle fommeil, ou épuifé parle travail, un ver de vin ranimoit fes eforits abattus, & lui redonnoit une nouvelle vigueur pour 1'étude ; fi fes yeux,malgré lui,fe ferrm;ient pendant quelques inffans u la lumiere, il lui arrivoit alors de repaffer en dormant les matieres dont il  9.6% Mélanges . étoit occupé avant fon fommeil. A 1'age de vingt-un ans il concut le deffein hardi de réunir dans un feul corps d'ouvrage toutes les connoiffances huma'ines; & 1'éxécuta dans une Encyclopédie en vingt volumes, a laquelle il donna letitrede VVülité des utdités. Nouhben-Manfour, feptieme Sultan de la Dynaftie des Samadides, étant tombé dangereufement malade , Avicenes fut le feul qui put connoitre fon mal,&leguérir. Sa réputation augmentoit de jour en jour, & tous les Rois de TAfie vouloient fe 1'attacher. Mahmoud , hls de Sébukthéghin , premier Sultan de la Dynaftie des Samanides, étoit alors le Prince le plus puiiTant de 1'Orient : perfuadé que rien ne devoit lui réfifler, il écrivit avec hauteura Mamoun , Sultan du Kharifme , de lui envoyer Avicenes qui étoit a 'fa Cour avec plufieurs autres Savans. La Philofóphie, amie de la liberté & de 1'indépendance, redoute les travers de la gêne & de la contrainte. Avicenes, accoutumé aux diflinctions les plus flatteufes de la part des Grands , ne put fouffrir la maniere impérieufe avec laquelle Mahmoud 1'invitoit a fe rendre afa Cour, & refufa d'y aller. Mais le Sultan de Kharifme, qui redoutoit le fils de Sébukthéghin, obligea le Philofophe de partir avec les autres Savans que ce Prince avoit demandés,  i^fj Mélanges plaifirs, & fes ïnfirmités, ont fait dire a u» Poëte, qui fit ;r it vers 'e commencement de ce fiecle. J'ai cru que la traduclion de ces conleils pourroit être infreretlante, paree qu'elle peut nous donmr uiie idéé de ia Morale des Turcs. On (era peut être furpris de les voir penfer comme nous fur bi;u des objets ; c'eft que les idéei Se 1'honnêteté, de la juïbce, de la vertu, font les mémes chez tous. les Peup'es. ( i ) La prolsifion de Foi Mahométane eonfifte en ces paroles : Lailahilla Allah Muhammed li.foul Allah; il n'y a de Dieu que Dieu , Sc K ahomet eft fon Prophete. Les Mufulmans ont continuellement ces paroles a la bouche , öt ïeur attribuent un 'irand nombre de vertus. Ce font ces paroles que 1'Imam fait prononcer a un mouranr, 8c iis font perfuadés qu'elles fuftifent pour fauver un homme. V» Chrétien qui prononceroit ces paroles devint des Mufulmans , feroit farcé d'erabraffet le Mahométifme, dont ellss dut !s formule.  de Zittlrature Oriëntale. xjj Méditez, mon Fils, les loix divines & humarnes ; elles font toutes renfermées dans 1'Alcoran : ces connoiffances une fois acquifes, appliquez-vous a la Logique & a la Phyfique. Nourriflez-vous fur-tout de la lecture des rneilleurs Auteurs. Un Oifeau fans ailes, ofet-il s'élever dans la région de Pair ? Le coo uillage précieuxqui rentermela perle, ne fetrouve point fur la furface de Peau ; c'eft au fond de Ia mer, & a travers milledangers qu'ilfaut aller le pêcher. Qu'il ne faut point defirer les richeffes avec trop d'ardtur. Le faux é"clat des richeffes, mon Fils, éblouit les yeux des hommes foibles & inte'refïés ; qu'il n'éblouiffe point les vótres : ils foupirent fans ceffe après des biens qu'ils n'ont pas, & leur cceur infatiable eft en proie a mille defirs inutiles. Que leurs malheurs vous inftruifent & vous les faflent e'viter. N'ouvrez jamais la bouche pour demander; Ie perfonnagede iuppliant dégrade 1'homme d'honneur. Pourquoi vous adreffer a un foible mortel comme vous dans vos befoins? Que peut-il, & que poffede-t-il, pour vous en faire part > Dieu a départi a chacun les richeffes felon fa divine S3  «l~8 Mélangts volonté, & perfonne n'a pu s'emparer de Ia portion qui vous a été defïinée. La tranquillité 5c le bonheur de la vie confifïent a être fatisfait de fon état, Dieu qui vous y a placé, n'ignore pas vos befoins. Mettez votre confiance dans fa divine Providence, & il les préviendra. Pourquoi 1'homme eft-il fi pafïïonné pour 1'or & 1'argent ? Ces vils métaux ne peuvent appaifer ni la faim, ni la foif; ils ne peuvent pas même remplacer les alimens les plus fimples. En vain le laboureur efpéreroit de recueillir une moilfon utile d'un champ oü il auroit femé 1'or & 1'argent: ces deux métaux ne font point les véritables richeffes , ils n'en font tout au plus que les lignes. Evitez de jamais rien recevoir de quelqu'un. L'on peut cependant accepter un préfent d'un ami intime ; mais il faut faire naitre adroitement 1'occafion, pour avoir fa revanche avec lui. Soyez retenu & circonfpect dans vos promeffes; mais quand vous avez donné votre parole, tenez-la religieufement : les promeffes font des dettes pour un homme d'honneur, qu'il doit acquitter fidélement. Sur la Raillerie. Evitez, mon Fils, la raillerie; elle bleffé  Je Zittlratüre Oriëntale: ±jf fouvent celui qui en eft 1'objet. Un Railleur de profeflion eft le fléau de la fociété, & tout le monde le redoute & le fuit. Ne facrifiez perfonne a la fureur de dire un bon mot; femblable aune fleche aigue, il perce Ie cceur de celui contre lequel il eft lancé. Ce n'eft pas qu'en rigide Cenfeur, je veuille bannir une plaifanterie innocente, un badinage léger» Une raillerie fine & délicate eft 1'ame de Ia converfation, & en fait tout le fel; mais combien peu de gens Ia favent manier, & qu'il eft difficile de ne la point poufler trop loin./ Interdiffez-vous abfolument toute forte de méfiance. II y a de la baflefie & de la lacheté a attaquer celui qui ne peut pas fe défendre; paree qu'il eft abfent. Un médifant eft abhorré de tout le monde ; fes meilleurs amis 1'évitent, & perfonne ne croit ètre a 1'abri destraits de fa langue envénimée. Surl'Orgueil, la Haine , & les Procés* Tous les hommes font égaux, mon Fils: la vertu feule , & non pas la fortune, devroit mettre de la différence entr'eux. Ne faites donc fentir k perfon ne la fupériorité de votre rang, Soyez acceflible & affablea tout le monde: la véritable gj-andeur eft humaine. N'ayez pas ua S 4  Mélanges front dédaigneux, & un oeiloüfemblent réfider 1'orgueil Sc le mépris des autres. Que votre vifage, loin d'infpirer la terreur, porte par-tout la férénité, & annonce la bonté de votre ame. N'ufez point de termes durs envers ceux qui dépendent de vous, & n'exigez pas d'eux des fervices au defïus dq leurs forces. Ne confervez pas de Ia haine ou de Pinimitié contre votre prochain; c'eft renoncer a fapropre tranquilité, & fe préparerbiendes chagrins, que de felivrer au relTentiment. La vengeance la plus noble que l'on puiffe tirer d'une injure, c'eft de n'imiter pas celui qui nous 1'a faite. Evitez furtout la colere & les défordres qu'elle entraine après elle. Entrez dans les peines de vos Amis, & tachtz de les adoucir par vos ioins généreux : prodigue quand il faut les obliger, devenez de la derniere réfervé quand vous aurez hefoin d'eux, & tichez de ne leur devenirja, mats a charge ; c'eft 1'unique moyen de conlerver Pamitié. Evitez, s'il eft poffible, de vous mêler des affaires des autres ; & ne vous chargez ni de Ia tutelle, ni de Ia procuration de perfonne. Fuyez les proces, Sc ne faites point retentir de vos crïs Ie Temple de la Juftice. Celui qui aime les proces eft le plus malheureux de tous les hommes : il coule fes jours dans les que-  de Zittêratnre Oriëntale. a8i relles, & les termine dans la pauvreté. Ne vous préïentez pas devant la porte du Sultan, pour porter des plaintes contre celui qui vous a offenfé : remettez votre vengeance a Dieu; il vous protégera , & confondra vos ennemis. Que vos mains ne foient ouvertes que pour faire le bien, & que vos pieds foient immobiles pour marcher dans la voie du crime. DIVERS CONSEIL 5. 5 Ongez, mon Fils, au plus tendre des Peres ; fon bonheur ou fon malheur dépendent de votre attachement a la vertu ou au crime. Soyez doux & affable avec les autres : la douceur nous concilie tous les efprits. Un air fier 6 dédaigneux rebute tout le monde ; tandis qu'un vifage, fur lequel font peintes la douceur & la bonté, attire tous les cceurs. Laiffez 1'orgueilaux habitans des enfers ; ils n'y ont été précipités que pour s'étre livrés a cette funefte paffion. Fuyez Ia compagnie des gens altiers & hautains, ou fi le hafard vous raffemble avec eux , fans que vous puiffiez 1'éviter, confondez leur vanité par votre modefiie. Ne fuivez point Ia  "de Littirxture Oriëntale. %%j Soumetter-vous fans murrrmrer a Ia Ia loi (i) qu il a porcée. Le vin dégrade celui qui en boit avec exces de 1'humanité même, & lui fait perdre la raifon, qui devroit étre fon guide il ruïne Ia réputatioh , & nous ferme pour toujours I'entrée des honneurs & des dignitës. Mais fi le vin produit des effets fi pemicieux ceux de 1'Opium (a) font mille fois plus funeftes. Cetoit fans doute de cette plante que Mahomet, l'ayant interrog fn » ' £ r, fufceffl="" Les Mufulmans de ce temnt li •>,.., . fe, HïiTerent a part la fflXdS1 aux avanta^es oue Irc h™.., „• • a,15pr > cv s arretant » vous vous fauviez. .< retirez-vous-en, afin qua Nonobftant ces paroles fi claires ;i ,r , »,„ , fe fervent a/ffi Jn^MCXtT- "Seft IT.yofciamus ou la jufquiame aönt laS i "* r*-* Ae même que celle du palot? eft d'enLir " TUt?'  4q9> Mtlange» qu'ils noUJ accordcnt fur l'utilité donr nous leur fommes. Celui qui fait couler 1'or & 1'argent dans leur tréfor, en ouvrant les canaux de 1'injuftice & de lavexation, devient leut favori. Quiconque veut parvenir auprès d'eux, doit renoncer k tous les principes de 1'honneur & de Péquité. II faut facrifierles peuples k leur avidité, porter la défolation dansles families, & devenir 1'objet de la terreur & de la haine de toute une Province. Examinez, mon Fils, la conduite d'un ambitieus qui veut parvenir a jouir feul de la faveur d'un Pacha. Des rivaux dangereux lui font-ils obftacle ? il emploie tour-a- tour la trahifon, la calomnie, les noirceurs les plus atroces: les crimes ne lui coütent rien, pourvu qu'il puiffe réuiïïr. Mais fes deifeins injuftes ne réuffiffent pas toujours. Ceux qui courent la même carrière, & qui font aufli méchans que lui, 1'arrêtent dans fa marche, & le font rentrer dans le néant d'oü il eft forti. Que s'il eft affez heureux pour terraffer fon adverfaire, il fe livre alors k la vengeance la plus cruelle ; il ne peut 1'affouvir qu'en faifant couler tout le fang de celui qui aofé lui réfifter. Ses intrigues , fes crimes 1'ont enfin conduit a la place après laquelle il foupiroit depuis fi long-tems, Ses rivaux ont pris la fuice ou font péris. II  ie Litttrature Oriëntale. poffede feul la faveur du Pacha, qui n'eft plm conduit que par fes confeils, Sc qui recoit toutes les impreffions qu'il lui donne. Quel changement fon élévation ne caufet-elle pas dans fa perfonne .'L'orgueil eftpeint fur fon vifage ; le fiel le plus amer découle de fa bouche. II daigne a peine jetter un coup d'cEil fur fes anciens amis. II faut flécKir le o-». nou devant cette idole Sc encenfer fes caprices. Quiconque ofe le contredire, eft perdu fans reffource; il empéche de réuflir une affaire qui n'eft pas entreprife fous fes aufpices. Habile dans 1'art de fouler les peuples, les boutiques, les fours, les bains, les jardins font foumis a un nouvel impöt qu'il s'approprie. II envahit enfin Ie bien du public & celui des particuliers. Mais fon bonheur n'eft ni pur ni conftant; la crainte, la défiance, les foupcons, mille paffions différentes agitent fon ame. L'idée de fes crimes fe préfente fans ceffe a fon efprit & le tourmente rfouvent une mort violente leplonge dans la nuit du tombeau ; ou bien un ennemi puiffant s'éleve contre lui, le terraffe, Sc il termine fa carrière dans un trifte exil, ou dans une prifon obfeure. Malheur a 1'homme avide Sc ambitieux qui fait couler nuit Sc jour les larmes des peuples dcfolés ! ces larmes réunies T 3  Mélanges forment enfin un torrent qui 1'entraine avec fes richeffes criminelles. Je vous ai fait, mon Fils, le portrait des Prands dévorés d'ambition : il faut maintenant yous tracer celui des Grands qui ont la modération & la probité en partage. On ne les voit point afiiéger la porte des Pachas, 8c tacher de s'infinuer auprès d'eux, pour leur faire commectre mille injuftices. Ils ne font ni courtifans, ni flatteurs. Leur bien, fruit de leur épargne ou de celle de leurs ancêtres, eft adminiftré fagement, & les fait vivre avec dignité. Les ambitieux cenfurent une conduite fi oppofée a la leur, & les accufent de lacheté & de foibkffe ; mais ils méprifent leurs vainesclameurs & cou!e;;t des jours purs & fereins. Prenez , mon Fils, ces derniers pour modele ; que votre ame foit inacceffihle a 1'ambition. Fuyez la Cour des Pachas ; ce n'eft pas la ou réfide le bonheur : il eft chez vous, fi vous favez y attirer des Amis vertueux, & fi vous pouvez pecuper votre loifir par une lecture utile & agréable. Sur le Menfonge, 1'HypocriJie & fa véritable Sainteté. Que votre bouche, mon Fils, foit le tem-  ie Zitt/rature Oriëntale, tjj pïe de la vérité , & non pas celui du menfonge. Celui qui ne craint pas de fouiller fes levres par une faulfeté, eft le plus méprifable de tous; les hommes. Le menfonge eft la fource d'une infinité de maux : mais il ne fufüt pas de ne point bleffer la vérité ; il faut encore fuir ceux qui la trahiffent. Le Prophete a dit, que la bouche du menteur, femblable a un gouffre empefté, infectoit 1'air de tous les environs. Si l'on paroit douter de ce que vous dites, necherchez pas a l'affirrner par des fermens. La parole d'un honnète homme doit avoir toute I'autorité des fermens : il n'y a que trop de gens fans foi & fans pudeur, qui en abulent pour appuyer le menfonge. Le faux dans les actions n'eft pas moins contraire a 1'amour de la vérité, que lefaux dans les paroles. Défiez-vous de ces Hypocrites, qui affectent un air de fainteté ; leur extérieur modefte, leur barbe longue & négligée, 1'étoffe groftiere dont ils font vétus, leurs yeux élevés, tantót vers le ciel, tantót baiffés vers la terre, tout enfin confpire a en impofer au foible Vulgaire : mais leur cceur eft faux, corrompu & rempli du plus fubtil poifon de 1'hypocrifie. Pattaque ici les faux Dévots ; a Dieu ne plaife que mes traits portent fur la véritable dévosion! T4  %yS Mélanges Les faux Dévots veulent tout envahir : ils fe rendent les arbitres des proces , les tyrans deï families, & la tsrreur des enfans qu'il privent de la fuccelfion de leurs peres pour le la faire adjuger. L'on vend fes biens pour les diftribuer a ces fourbes qui difpofent, a les en croire, des tréfors du ciel, & qui les diftribuent pourvu qu'on leur faffe part de ceux de la terre. Ils n'ont ni mérite, ni fcience, ni vertu : ils couvrent leurs défauts par de belles apparences. Leur extérieur eft mortifié, & ils prêchent la morale la plus févere, tandis qu'ils fe livrent en fecret a toutes fortes de voluptés. Ils débitent avec emphafe cinq ou fix mots <3e fpiritualité,&aftectent un langage myft érieux pour mieux tromper les ignorans. Cependant les perfonnes fimples & crédules deviennent leur dupe, & les prennent pour de véritables Saints. Bientót leur nom devient célebre : les Ambitieux qui briguent les honneurs, les Filles qui veulent époufer leurs Amans, les Femmes qui foupirent après la mort d'un Epoux furanné ou trop jaloux, sous ceux enfin qui forment quelque vocu vont les confulter, & les conjureiit d'intéreffer le ciel en leur faveur. Si 1'impofteur, dont je parle, eft un Fourbe r^bile, qui ait des fonges & des révélations de <;o:r,mande ; s'il fait contrefairc 1'Infpiré, qu'H  « Zittèrature Oriëntale. |wf öécrire ïes maux dont ils accablent la province qui leur a été confiée? Leurs Officiers, Minif tres cruels de leur injuftiee, fuivent 1'êxemplë de leur Maitre. Malheur au village dont ils font chargé de percevoir les impóts! Les malheureux habitans fe voient accufé du crime qu on leur fuppofe pour s'emparer de leur bien' Usréclament en vain Ia Juftice du Gouverneur' qui protégé des injuftices dont ilpartagele pro ! nt. Ma plume refufe de tracer de pareilles horreurs. C eft ainfi que 1'Empire Ottoman fe d* truit infenfiblement. La plupart des villaces autrefois fifloriflkns, font maintenant défensles chaumieres abandonnées, fervent dere-raite aux chouettes & aux hiboux. Lorfque les premiers Califes, fuccefleurs de Mahomet, firent la conquéte de la Perfe \U trouverent dans Ie tréfor de Cofroës un h'vre ecnt de la propre main de ce Monarque oü il y avoit ces paroles. h Un Etat n'a de force & de vigueur, qu'au„ » tam qu ü eft peup,,. ,£ dggr, de ] «depend de Ia fubf.ftance affurée de chaoue «indmdu.Ua Prince n'eft véritablernenr « riche, que quand fes fujets le font. La fource » de toutes richeffes eft Ia culture des terres *> Si le laboureur eft tyrannifé, il paffe dans uri » autre pays, ou bien il péric de mifers. L* V  'goS 'Mttanga r> profpérlté d'un état eft liée étroitement aveé » les principes de la modération & de la juftice. » Tout royaume qui n'eft pas conduit par ce» » principes, penche vers fa ruine. « Sur l'Alchymie ou la Pierre Philofophalc. L'alchymie (i), mon Fils , eft de toutes les Sciences la plus vaine & laplus fauffe: c'eft même profaner le nom de fcience que de le donner a une invention qui a fait tant de malheureux. Défiez-vous de ces Charlatans qui fe vantent de pofféder le fecret du grand oeuvre. La Pierre Philofophale eft le nom d'une chofe qui n'a jamais exifté : elle reifemble au Phénix, dont on raconte tant de merveilles, & que jamais perfonne n'a vu. Les creufets & les alembicsfont les inftrumensde lapauvreté, & non pas de 1'opulence. La feule tranfmutation qu'ils operent eft celle de changer les richeffes del'Alchymifte en une affreufe indigence. Si quelquefois 1'Alchymifte eft affez heureux dans fes opérations pour imiter la couleur de l'or,ilfe croit enfin arrivé au terme heureux (i) L'Alchymie. II eft cependant vrai que les Alchy«fiiftes rendent quelquefois de grands fervices, par les utiles découvertes qu'ils font; on doit donc leut favoir gré , & de leurs peines & de leurs depenfes.  Je Ilttlrctare Oriëntale: jo^ après lequel il foupire, & pofTede ^ . fl ^ gination des tréïors immenfes: mais 1'eau-fort* ou lacoupelle, „c tardent pas a le détromper. Le défefpoir fuccedekl'efpérance: les fourneaux qui cuifent 1'or dans les entrailles de la terre , font d'une autre nature que ceux de la main des hommes : c'eft en vain qu'un téméraire mortel veut paffer les bornes qui lui ont été prefcntes, & qu'il prétend imiter les ceuvres da Tout-Puiffant. Eft-lil un fort plus trifte que celui d'urt Alchymifte, condamné a paffer le jour dansdes fouterrains, de peur d'être découvert ? II n'en fort que quand les étoiles commencent a paroitre; il ne connoitni les doux plaifirs, ni 1'amitié encore plus douce. Des fourneaux, des foufflets, des baffms de terre remplis de diverfes liqueurs, font fa feule compagnie. Enfin, après avoir paffé la plus grande partie de fa viea faire d'inutiles expériences, il en termine le cours dans le fein de la mifere. Sur la Médifance, & Us Nouvellifies. La médifance, mon Fils, eft une pent* fecrette de 1'ame a penfer mal de tous les hommes, & a donner a leurs aftions les plus indifferentes un motif crimincl. La calomnie va V a  g ©8 Mélanges plus loin ; elle aiguife fes traits contre la verni même : défefpérée de ne la trouver fujette a aucune imperfection, elle lui en luppofe pour ternir fon éclat. Un médifant & un calomniaceur font regar-^ dés comme les fléaux de la fociété : le filence regne des qu'ils paroiffent dans une affemblée; & 1'indignation eft peinte fur tous les vifages. Dès qu'un homme de ce caractere a appris quelque chofc de défavantageux de quelqu'un, ileft impatient de le faire favoira toute la ville; il court de maifon en maifon:c'eft un outre rempli de vinaigre, qui créve fi on ne le vuide promptement. Les noirs chagrins réfident fur le front du médifant: fon cceur ne s'ouvre a la joie, qu'en affligcant les autres : fa bouche , femblable k 1'antre de la Difcorde ( i ) , vomit les brouilleries, les querelles, les haines, les inimitiés & tous les autres monftres qui troublent la fociété. Les nouvelliftes, quoique moins dangereux, font encore plus ridicules; leur bouche eft comme 1'entrepot de toutes les nouvelles fauffes ou véritables. Rien de ce qui fe paffe dans 1'Empire ne leur eft caché; ils annoncent la nomination (l) ( Antre de Ia Difcorde.) J'ai ajouté ces mots qui ne font pas dans le texte; les. Turcs n'ayant aucune cennoifij fance de la Fable»  ie Littérature Oriëntale. 31 % fageffe, tu nous fais percer les myfteres les plus eachés; tantöt nous livrant a la vanité & a l'é— garement de nos penfées, tu permets que lea chofes, même les plus fimples , deviennent autant d'écueils ou notre foiblc raifon va fair» de triftes naufrages. Tu pionges dans les ténebres de 1'ignorance le Savant orgueilleux, & tu fais luire talumiere aux yeux de l'humble Ignorant. Quipourroit, grand Dieu ! mefurer les hornes de ta fcience, ou en découvrir 1'immenfité ? Attribut de ta divinité, elle n'eft pas le fruit pénible du travail. Etre éternel, de toute éternité tu as une connoiffance parfaite de toi-mème & de toutes tes perfections. Tu vois 1'avenir comme le préfent : les plus épaiffes ténebres fe changent en lumiere pour toi; 8c Ie cceur de 1'homme qui eft un myftere pour lui, tu en connois les plis 8c les replis les plus fecrets. Ouvrier libre 8c indépendant, quel Etre peut s'oppofer a tes oeuvres admirables , 8c en garder 1'effet? Tu as dit: Sois, 8c 1'univers eftforti du néant; il y rentreroit, ft tu difois: Ne fois plus. Ton exiftence n'eft ni bornée par les tems, ni limitée par les lieux; ou plutöt elle remplit a la fois tous les lieux, elfe embraffe tous les sems. V4  |i# Mélanges c'eft pour en verfer une partie dans le fein de 1'indigence. Aujourd'hui il eft en ton pouvoirde faire du bien; demain, il ne fera plus tems. Chemfi ( i ), ce monde trompeur eft parlemé de routes féduifantes, fur lefquelles fe trouvent les jeux, les ris, & les plaifirs; évite-les, pour marcher avec conftance dans le chemin de la vertu : c'eft le feul qui conduit au fouverain bien. Sur l'inconflance de la Fortune. O mon cceur ! ne t'aniige point, fi 1'échanfon de la deftinée remplit ta coupe d'une liqueur , tantöt plus agréable que 1'ambroifie, tantot plus amere que 1'abfynthe. Rien n'eft conftant dans ce monde : ne t'inquiete point de ce que le vent de la fortune ne foufHe pas en ta faveur. Efpere un moment plus heureux, & fongeque fi d'épaiffes ténebresontfuccédé au jour le plus beau; bientót la lumiere fortira vi&orieufe du fein de 1'obfcurité, & la fera difparoitre. Sur ce Monde, & fur la Mort. O mon cceur ! tu t/es donc laiffé féduire pat ce monde trompeur, tut'es livré a fes illufionsï (i) Chemfi , poëte, Autevir de ces Vers. II s'adreffe la parole a lui-même. 1 es Turcs ont une efpece de poéfie Dommee Ga^c/, dans laquelle le poëte eft toujours forcé i"S % dommer dans le dernier dyftique.  ie Zittlratare Oriëntale. «ii as trempé tes Ievres dans la coupe empoifonnée qu'il t'a préfentée ? S'emblable au papilIon, tu as voltige' de plaifir en plaifir, jufqul ce que tu te fois brülé au flambeau de tes paffions. r Eft-ce que tu t'es fié aux promeffes que te faifoit ce perfide ? & as-tu pu te repofer fur la foi de fes fermens ? As-tu pu t'imaginer que ce monde périffable pour les autres, celferoit de 1 etre pour toi feul? Ou bien t'es tu flatté que conv,veprivilégié, tu ferois toujours affis au banquet de la volupté ? Ou font ces Conquérans fameux , qui ont remph 1'univers du bruit de leurs exploits * Va lont ces Monarques fuperbes, fur lefquels leurs fiqetsofoienta peine lever un ceil tremblant? Ils ont difparu de defliis la furfacedela terre; ou plutöt, ils ne font plus que cendre & que pouffiere. Que font devenues ces Beautés divines, qui traïnoient a leur char une foule d'Amans ? Leurs beaux yeux noirs, qui ont caufé tant de maux, fe font éteints, & ont été couverts des ténebres' de la mort. Leur bouche, jadis plus vermeille que les rofes, s'eft flétrie; & leur corps autrefois plus blanc que 1'albatre, n'eft plus qu'un monceau de terre^  'Mélanges Sur la difficulté de la connoiffance du Cceur humain. Un homme fe laïlTe appercevoir par mille endroits. Bientót vous découvrez fes talens , fon efprit; lui-même il vous inftruit de fa noblefle,de fes richeffes, de fes dignités : ce qui vous échappe, c'eft fon cceur; il faut des année* entieres pour le connoitre a fond. Sur la Science & fur l'Ignorance. Une pierre, parfa pefanteur, peut écrafer Hn vafe de 1'or le plus fin ; mais ni la pierre n'acquiert un nouveau prix, ni 1'or ne perd rien de fa valeur. Ainfi 1'ignorant, dans 1'opulence , fe moque du favant dans 1'indigence, Sur l'Obflination des Méchans. Le fage a beau élever fa voix, il ne peut fe faire entendre d'une multitude d'infenfés; leurs ! cris confus étouffent cette voix qui les rappelle : a la vertu. Ainfi les doux fons de la lyre, font: couverts par les bruyantes trompettes. Comparaifon fur le Savant & l"Igno- • rant. Le Savant fe tait, & malgré fon filence,, wille traics lui échappent qui décelent fes con- ;  '1. Ti**I..-* . «ounces. Ceft un parfum precieus, qui quoiquerenfermé dans un vafe, n'en exhale' FS moms une odeur fuage. I/Ignorant fefépare de Ia converfation, & Crie a pleine téteril reflemblea un tambour qui frappe I'air de fons aigus, mais dont Ie dedans eft vuide. Autre comparaifon fur la Science & l'Ignorance. Un Savant placé dans un eerde d'Ignorans reffemblea une belle Femme au milieu dW troupe daveugles. Les premiers ne feront pas «eiHero jugesde la fcience de I'un, que Iea leconds de la beauté de 1'autre. QueleSagenedoit pas garder lefüencc Jur les defordres des Méchans. t > Sage ne doit pas diflimuler les défordre* de homme vicieux, il eft méme de fon devoir de les lui reprocher. Son filence cauferoit un doublé mal; le méchant fe confirmeroit de plus en plus dans le vice, &le Sageperdroit de cette autorité que donne Ia vertu fur Ie crime. Sur le Savant vicieux. Ll Vice eft odieux, quelque foit celui aui sy^rejrmtsi, eft aflCore plus odieux dL  3 io Mélanges un homme éclairé. La fcience eft une arme quj nous a été donnée pour combattre 1'efprit de ténebres , auteur de tout vice. Quelle honte pour un fcldat d'être pris les armes a la main 1 Sur les Femmes. L'homme prudent ne fe livre pas entiérement aux femmes, & ne fe repofe point fur elles de 1'adminiftration de fes affaires. Telle force d'efprit qu'ait une femme, elle fe reffent toujours de la foibleffe de fon fexe; elle n'a jamais cette fermeté d'ame, qui eft le partage de l'homme. Sur la Vertui Aimez la vertu, difoit un pereafes enfans; & ne 1'abandonnez jamais; les biens qu'elle nous procure, font plus folides que ceux que nous préfente un monde flatteur. Les richeffes font périlfables, un rien peut nous en priver. La vertu feule eft a 1'abri de toutes les révolutions; elle nous apprendanous modérer dans la profpérité, & a ne point nous décourager dans 1'adverfité. Elle fait les délices des gens de bien i & force même les méchans a lui rendre hommage. €ONSEI&  2i4 Mélanges Vifible pour quiconque n'eft pas fon épotii? % elle doit pouffer la févérité jufqu'a rcfufer fes regards a aucun Homme, fut-il plus beau qu'un Ange. Sur le Silenes. Cosn.oès avouoit qu'il s'étoit fouvent yepenti d'avoir parlé, & jamais d'avoir gardé lefilence. «Efclave de la parole que j'ai pro« férée, difoit ce Prince, il n'eft pas en mori « pouvoir de la retirer: mais je fuis le maitre „ de ctlle qui n'eft pas encore fortie de ma « bouche «. COMPARAISON Sur la faveur des Rois. "£J*N Voyageur, après mille fatigues, eft parvenu au fommet d'une haute montagne; maisa peine y eft- il, qu'il s'éleve une violente tempête:Les éclairs brillent a fes yeux, la foudr» gronde fur fa tête, & le frappe. De rr.ême ui* Courtifan, a force dmtrigue, de manege & d'afliduité, devient le Favorid'un Sultan, mais dans le tems que cet anbitieux croit fa fortune la mieux établie, il eft difgracié, & fa chüte eft d'autantplus éclatante qu'il éum plus ëleYÉ.  334 Mélanges aux autres des richeffes qu'il nous a prodigué'es» L'arbre de la générofité porte fa cime jufqu'aux cieux. Quiconque veut goüter du fruit délicieux de cet arbre, ne doit pas avec la faulx de 1'avarice, le couper par le pied, Pourquoi tirer une vaine gloire des biens que l'on poffede ? Ne doit-on pas plutöt remercierDieu, qui en nous les donnant, nous a fourni les moyens de lui être agréable. Un bon Courtifan ne vante pas fes fervices : avoit été mis a même de les rendre, eft une faveur précieufe a fes yeux. Sur le Silenes. Pourquoi, difoit un Pere a fon Fils, gar~' dez-vous le filence quand vous êtes avec des Savans, & ne leur faites-vous point part a votre tour des connoiffances que vous avez ? C'eft Ia crainte oü je fuis, répondit le Fils , qu'en parlant de ce que je fais, l'on ne vienne a m'interroger fur ce que j'ignore. RÉPONSE DÈ LOKMAN. Ïj'oh demandoit ( i ) a Lokman de qui il avoit appris la vertu ? C'eft, répondit-il, des (O Lokman , furnommé Elhakim ou le Sage. Le chapirro 31 de 1'Akoian porte fon nom. Mahomet y feit pader Bien  'ie litte'rature Örientaïei ^ teécham Le„rs mauvaifes ^ m>inf. du dégout pour Ie vice. P RÉPONSE DE BUZUR - DJUMHER. -fi-rf 'On demandoit a B,,,,,, rv > étoit Ie meilleur Roi PC^^1^^ j , , cuce,ul, repondit-il Jut es bons n'ont rien aappréhendL,&q: les méchans redoutent. q ^ la Afleer & rinjujlice. e: monde, & que la tyrannie ]e £ ^quité, comme un foleil fcfe ™ l^^^^6»*., lokman, w •le fob: d'autres Ie fon t T qi'^neve» |«nd nombre affure qu" e'tSSnatiiu v^-^ ,e Plus «l« ees efclaves nolrs a t 0T° ,„ tei q„e les Mahométans xacoZt i r ,d,ft"e«« anecpres ferr-blables a celles ' " c!eLo<<™" . font a pe« préfumer avec raifon que9 'eftTa "ZT & f°nt ™eme que les Grecs, «miont tl f fe.r(?n™- Le nom *>nne a ,eur Fabulifle ,*p l^ffi £^ £ L°kmf °nt «les Onentaux ; EfoFe en Grec f,tnifi e fT*™ e"faveur or> trouve dans les Vraboles , kmZ^T^"] 1 re«= lokman en Arabe, les mêmes chil" =po!ogues de ïfope. II plus d'appareTe n /? ^ n°l'S lifojls dan« des Arabes', q/e ceu^d," gUs Ces ? " °? pnTeS man font antérieurs au temns c" sPolo?u" de Lok. I« Arabes, cV ou i's frenTtraduir"/. '""f,fleurirïBt rbeS «les Grecs. D'silleurscette ™, • ,ej,.™>"eurs ouvrages t'es eft plus conforme?S d''n(l™i-par les Fa©nentaux, & aexifté de tolt temps ll^T™™  g3f5 Mélanges les lieux oü elle regne ; & 1'injuftice, femHaDle k une nuée obfcure, plonge daas les fine* bres rout ce qui 1'environne. Sur la Science & ïlgnorance. La fociété de frgndrant eft dangereufe pour le Savant. Un pareil commerce obfcurcit (es connoilfances, fans que lui-même puiffe porter la lumiere dans t'ame de 1'Ignorant; elle eft enveloppée de ténebres tróp épaiffes. Ainfi e roftignol enferraé dans une même cage avec le corbeau, oublie bientót a former ces fons melodieux qui charment les oreilles. Sur l'Autnonei Oiui qui, Hvrë a fes plaifirs, donne cependant de fon fuperrlu aux pauvres, eft plu» \ louer qüe ce Santon qui jeune continuellement, & foupire après les biens de ce monde. Toute privatioii de plaifirs qui n'a pas Dieu. pour objet-, eft vicieufe. » Santon, que fais- ■ „ tu dönc dans ce lieu folitaire, quel objet tej » peut préfenter le miroir de ton ame,fi elle: i> eft enveloppée de ténebres & aflïégée pat: » mille pallïons «, Sur'  'de iïtürature Oriëntale: 337 Sur l'avidité des Dervichs. Deux fortes de gens font inconfolables de Ia perte qu'ils ont faire, & réciproquemenc leur perte eft irréparable. Le Négociant qui a Vu brifer fon vaiffeau contre un rocher ; & Ie jeune Héritier qui, mélé dans la compagnie des Dervichs, s'eft laiffé enlever tout fon bien. Le Dervich avide verferoit Ie fang de 1'béritier, s'il ne trouvoit pas d'autre moyen de s'emparer de fes richeffes. Evitez tout homme portant chemife bleue ( 1 ), ou bientót il vous réduira a en porrer une vous-même. Quand on invite 1'éléphanr chez foi, il faut faire batir une maifon alfez vafte pour un pareil hóte. Sur le Menfonge, & fur la Vérité. Le menfonge une fois reconnu , fait perdre toute croyance. C'eft une bleffure profonde, dont la cicatrice paroit toujours. Le partifan de la vérité eft cru , quand même il 1'a trahiroit; & celui du menfonge ne 1'eft jamais, dans les chofes même qui font vraies. Sur l'Ingratitude. L'Homme eft Ia plus parfaite de toutes les (iï (Chemife bleue.) Les Dervichs en Perfe portent »n» chemife bleue-, *  331 Mitangts créatures, ik le chien une des plus viles: ce=* pendanc ( i ) le chien reconnoiflant l'emporte fur 1'homine ingrat. Le chien n'oublie jamais lamainhienfaifante qui lui a donné du pain, quand bien même elle le frapperoit. Vous avez obligé un ingrat dans mille occafions ; la plus légere circonftance ou il croira que vous lui avez manqué , efFacera de fa mémoire le prix de tous vos fervices. Quon ne doit pas fuivre les mauvais Exemples. Le ciel répand fur la terre fes bénignes influences, & la fertilife par fes rofées abondantes. La terre réciproquement éleve un nuage de poi i'Iiere vers le ciel : Un contenant ne peut donner que fon contenu. Suivez les douces imprelfions de votre heureux naturel ; ofez être bon, quoique je fois mauvais ; plaignezmoi, mais ne m'imitez pas. (il ( Le chien. } Cet animal eft «gardé cemme immonds pat les Mah»métsns.  ie Zittérature Orientatel ^ DIVERSES MAXIMES. Celvi qui croit avoir alTez de prudence pour fe conduire tout feul, eft celui qui a fe plus befoin de confeil. Chacun eft content de fonefprit, perfonne aie veut avouer qu'il en manque : de même un pere eft enchanté de la figure de fon enfant quoiqu'il foit difforme. L'ambitieux, combiéde biens & d'honneurs» eft toujours plus avide, & voudroit tout envahir. Le fage, content d'une fortune médiocre, en jouit tranquillement fans envier celle des autres. Celui qui, dans 1'lge viril, n'a pas fongé i amaffer du bien pour la vieilleffe, a beaucoup a fouffrir quand il parvienta ce dernier période de la vie, Perfonne ne plaint le méchant quand il luf arrivé quelque difgrace, ni ne lui préte une main iecourable : jufte vengeance de tous le maux qu'il a caufés! Les méchans évitent les gens vertueux^ de même le hibou fuit Ia lumiere du foleil. Ne profanons point Ie nom facré d'ami' en lcdonnant acdui qui, inféparable dansnotr»  LES PAROLES REMARQUAB LES, E T EES BONS MOTS, DES ORIENTAUX.   P R É F A C £. c \~/ E T Ouvrage renferme les Paroles remarquables & les bons Mots des Orientaux. Le Lecleur qui aura quelque connoijfance des Ouvrages des Anciens, remarquera fans peine que cc dtrc eft l' interprétadonoul'explication de celui d'Apophthegmes, fous lequel Plutarque nous a laiffé les Paroles remarquables & les bons Mots des anciens Rois, des Capitaines Grecs & Romains & des Lacédémoniens. Le dtrc de, Dicta memoratu digna; c'eft-d-dire, de paroles di~ gnes de mémoire, que Valere Maxime a donné en partie au Recueil que nous avons de lui, n'en eft pas auffi beaucoup diftcrent. Le dejfein dc Plutarque dans fes Apophthegmes , comme il le marqué en les adref Jantd 1'Empereur Trajan, fut de faire voir quel étoit 1'efprit de ces grands hommes. Mon dejfein eft auffi de faire connoitre quel eft 1'efprit & lc genie des Orientaux. Et comme les Paroles remarquables repréfentent la droilure & Véquite de l'ame, & que les bons Mots marqué nt la vivacitc, la Jubtilité, ou mtme la naïveté de 1'efprit, on aura lieu de connoitre que les Orientaux n'ont pas 1'efprit ni moins droit, ni moins yif que les peuples du Couchant. £>qus le nom d'Orientaux, je nc com~  ie Littlraturt Oriëntale. 357 de fes voifins qu'il avoit grand mal a un ceil, & lui demandoit s'il ne favoit pas quelque remede ? Le voifin répondit: J'avois 1'an paffé un grand mal a une dent, je la fis arracher & j'en gueris, je vous confeille de vous fervir du même remede. (1) Une Mahométane d'une grande laideur , demandoit a fon mari: A qui de vos parens voulez-vous que je me faffe voir ? Le mari répondit: Ma femme , faites vous voir a qui vous youdrez , j'en ferai content, pourvu que je puiffe ne vous pas voir. (1) Un Cadis interrogeoit, en préfence d'un Sultan, uuMahométan qui fe difoit Prophete, & le fommoit de prouver fa Miffion pac un Miracle. Le Prophete prétendu dit que fa Miflion étoit évidente en ce qu'il reffuf- (1)Sivri-Hiflar eft une petite ville de 1'Anatolie dont les , \ nS-r0nt k réPutatio" d'être fimples. 1) Pu.fque cette femme étoit fi laide, on pourroit demander pourquoi le man 1'avoit époufée .' '. ais il eft aifé de pondre que parmi les Mahométans de même que parmi nous" on prend des femmes par intérêt de familie, & paree oue .' re™damerr 'e VeU-'ent- r°e PU!S' ^e« »uffiPoarceqqu'o' les prend prefque toujours fans les avoir vues aüparavantle v.lage decouvert, & quand on les a époufées, ell« ne Deu vent fe découvrir le vifage devant perfonne qu'avecTa pe - T rnétane" F™ & ^ i un< *™ tiometane de fe faire voir a un autre Mahométan qu'a fon mar. Maïs ,'a. lu dans un de leurs Livres, que ce n'eft pa" un pêche pour e les de fe faire voir a d'autres qu'a des Af" hometans. En raifonnant fuivant leurs principes': en voi i la raifon, fi Je ne me trompe. C'eft qu'ils croienfque ïeurs fcm" mes en le fiufam vo.r a des Chrétiens, par exemple,quiidï. z 3  3 < 8 Mélanges citoit les morts. Le Ca»lis ayant repliqué que c'étoit ce qa'il falloit voir, & qu'il nelufR'oit pas de le dire, il dit au Cadis: Si vous ne me croyez pas, faites-moi donner un fabre que je vous coupe la tête, & je m'engage de vous reffufciter. Le Sultan demanda au Cadis ce qu'il avoit a dire lk-deffus ? II répondit : II n'eft pas befoin de miracle, je 1'en tiens quitte, & je crois qu'il eft Prophete, (i) Dans la ville de S.imarcande, un Savant prit place dans une afiemblée au deffas d'un Mahométan qui favoit 1'Alcoran par cceur. Celui-ci offenfé de la hardiefTe du Savant , demanda a la Compagnie: D'un A'coran & d'un autre Livre, fi c'étoit le Livre ou 1'Alcoran qu'on mettoit deffus ? Le Savant qui com- Juifs, re feront pas faci'es a fe laiffer corrv-mpre ; premiéYetnent a caufe de 1'averfioncontre 'es uns & contre 'es autres dans laque'le ils ont fom de les élever; & en fecond lieu , a eauff du rude chatiment de laridation ou de fubmerfion auquel elles font condamnée< lorfqi.'e'le» font convaincues de ce crime, lis regardent auffi le grand bien qui peut en revenir a leur Re'l'gion , en ce que les Chrétiens ou les Juifs retenus d'entreprendre de corrompre des M ahométanes par la crainte du feu, peuvenr par ce moyen en devenir amoureux & ahandonner leur Religion pour e» époufer quel«ju'une. Ileftcertain qu'ils ont cette vue, & qu'elle ne leur a réuffi & ne leur réuffit encore que trop. ' i) Sur ce principe que 'es Prophetes doivent prouverleur Miffion par un mirac'e , les Mahométans qui croient que Mahomet eft !e dernier des Prophrtes, & que Dieu sVfffait une loi de n'en plus envoyer après lui, tiennent pour conf» tant qu'il a partagé la Lune en deux du bout de fon doigt , & fur ce faux miracle, ils ont 1'aveuglemrnt de le tenir pour prophete , & d'sjouttr foi a tout ce qu'il leurenfeigne daas 1'AIcoran.  ie Littlrature Oriëntale. 3 5 ^ prit fon intention dit : C'eft 1'Acoran qu'on met delTus, mais non pas 1'étui del'Acoran. (1) Un Chre'tien fe fit Mufulman. Six mois après fes voifms qui 1'avoient obfervé & qui avoient remarqué qu'il fe difpenfoit de faire par jour les cinq prieres auxquelles il étoit obligé comme les autres Mahométans, le menerent au Cadis afin qu'il en fit le chatiment , & le Cadis lui demanda la raifon de fa conduite. II répondit : Seigneur, lorfque je me fis Mufulman, ne me dites-vous pas en propres termes que j'étois pur & net comme fi je venois de fortir du ventre de ma mere ? Le Cadis en étant tombé d'accord , il ajouta : Si cela eft, puifqu'il n'y a que fix mois que je fuis Mufulman, je vous demande fi vous obligez les enfans de fix mois de faire la priere ? [1] (0 tes Mahome'tans ont des gens qui font profeffion d# lavoir 1 Alcoran par cceur; mais le plus fouvent ils ne favent autre chofe. Onles appelle du nom d'Hafu formé d'un verb. qui hgmne conferver dans fa mémoire. Mais, paree qu'ils ne lont recommandables que par un eftort de mémoire , les autres Mahométans qui font profeffion de favoir quelque chofe, nont pas pour eux le refpeft qu'ils prétendent, quoique d'ailleurs i!s aieut de la vénération pour 1'Alcoran. Comme 1'Alcoran eft d'un grand ufage on le met ordiJiairement dans un étui de drap pour le conferver ; 5c ce drap eft prefque toujours verd. On le met auffi dans des étuis de cuir ou de carton. On fait de même des étuis de cuir ou de carton pour d'autres livres, particuliérement lorfque la reliure n eft pas_ commune , & qu'on veut la conferver. (2) Ceci fait voir que chez les Mahométans, les caufes qm regardent la Religion font jugées par les Cadit de même que les caufes cmles. z4  13 óo Milangts Un autre Mahométan qui ne faifoit pas Ia Priere fut mené de même en Juftice. Sur Ia demande que le Cadis lui fit de la caufe de cette négligence, il répondit; Seigneur, j'ai une femme & des enfans a nourrir, je fuis pauvre, & je ne puis gagner de quoi nous nourrir ma familie &c moi que par un travail qui ne demande pas de relache, c'eft ce qui m'empêche de faire la Priere. Le Cadis lui dit : On vous donnera deux afpres par Jour , faites la Priere comme les autres. Quelque tems après on amena le même au Cadis , & on lui expofa qu'a la vérité il faifoit Ia Priere, mais qu'il ne fe lavoit pas auparavanr. Le Cadis lui en fit une grande réprimande, & lui demanda pourquoi il ne fe lavoit pas ? II répondit: Seigneur, ft vous voulez que je me lave avant que de faire Ja Priere, faites-moi donner quatre afpres au lieu de deux. C'eft pour perdre moins de tems que je ne me lave pas. [i] (i) Quoique chacune des prïeres que les Mahométansfont ©bligés de faire chaque jour foient courtes; néanmoins , en ƒ comprenant le temps qu'il faut qu'ils emploient a fe laver, ce qu'ils font avec circonfpection 6c avec tnefure , ils ne peuvent pas y en mettre mojns qu'une demi-heure : les cinq temps prefcrits pour cela, font a la pointe du jour, a midi, a deux rieures 8c demie avant Ie coucher du foleil, au coucher du foleil, 8c a une heure 8c demie après le coucher du foleil. Ainfi dans tous les pays ou l'on fait profeffion du Mahométilme, on fe leve géneralement de grand matin en quelque temps que ce foit; car il n'y a point d'exception, Princes, Seigneurs, nobles 8c roturiers, tout le monde y eft obligé guand on eft en age de Ie faire;  ge Littlrature Oriëntale. 36'r Un Calender qui avoit une grande faim préfenta fon bras a un Médecin afin qu'il lui tatat le poulx , & lui dit qu'il étoit malade. Le Médecin qui connut que le Calender n'avoit pas d'autre maladie que la faim, le ména chez lui, & lui fit apporter un grand plat de Pilau [rj. Quand le Calender eut achevé demanger , il dit au Médecin : Monfieur le Doiteur, vingt autres Calenders ont la même maladie que moi dans notre Couvent. On louoit dans une aifemblée un Savant qui paroiffoit avoir 1'efprit un peu égaré , & qui marchoit toujours la tête levée , & entre autres fciences, on difoit qu'il étoit bon Aftronome. Baffiri [x] qui étoit de la converfation, dit: Je ne m'en étonné pas, il regarde toujours aux aflres. Un Calife avare recevoit les Poéfies faites (0 Le Pilau eft du ris ctiit & préparé avec du benre ou avec de la grjiffe ou de bon jus de viande. .'.ais par cette fnaniere de préparer le ris, les grains font dans leur entier & non pas écachés comme quand nous en préparons avec du lait ou en potage. (1) Baffiri étoit un Poëte Turc des confms de Ia Perfe , quivintala Cour de Conftantinople fous le regne du Sultan Bajazid , fils & fucceffeur duSultan Méhemmed Second , oii il fe fit diflinguer par fes Poéfies en langue Turque & en langue Perlanne. tetiü qui parle de lui dans fon ouvrage touchant les Poëtes Turcs, remarque qu'il étoit agréable dans la converfation & qu'il avoit toujours le mot pour rire. Balfiri eft un mot tiré de 1'Arabe , & fignifie Ie voyant, Pin. telligcnt. Peut-étre que l'occafion fe préfenteta aüleurs de parler des noms des Poëtes Orientaux.  3 6% Mélanges afalouange qu'on lui préfentoit; mais pour récompenle, il ne donnoit qu'autant que le livre ou 1'écrit pefoit. Un Poëce qui favoit fa coutume, s'avifa de faire graver fur un gros i marbre une piece de Poéfie qu'il avoit faite i pour lui, &c lorfque la gravure fut achevée, il, fit charger le marbre fur un chameau , & -le i fit porcer jufques a la porte du Calife, avec: ordre d'attendre. Cependant, il alla faire fa ; cour, & en parlant de fon travail au Calife, , il lui demanda s'il auroit pour agréable qu'il I fit apporter le marbre. Le Calife répondit i: Non, ne le faites pas apporter, mais coru- ■ pofons. \i] Schahroch , fils de Timour, c'eft-a-dire de! Tamerlan , étoit un Prince naturellement avare: & d'un grand ménage. Un vendeur de pots i de terre fe préfenta a lui & lui demanda, s'ill ne tenoit pas pour véritable la doctrine de lai (1) La compofvtion fut de cinq mille afpres, c'eft-a-dire,, de cent vingt-cinq livres quele Califefit comptera 1'Auteur;; mais ce n'étoit pas une récompenfe ni pour fa peine ni pourt la gravure. C'eft pourquoi, il y a apparence que c'étoientt des drachmes, monnoie d'argent au coin des Califes ,. Sc: qu'ainfi la fomme fut un peu plus confidérable. Cette piece de Poéfie étoit une de celles que les Orientaux : appellent Cacideh, dont la plus courte eft au moins decin-quante diftiques, & la plus longue de cent plus ou moins., lies deux premiers vers riment enfemble & les autres feule-ment alternativement; tous fur une même rime; de forte; que les p'us longues font celles qui font fur une lettre ou i fur une terminaiïon qui tournic plus de rimes qu'une autre.. Elle eft principalement confacrée a la louange des Princes St I des grands hommes.  de Zittérature Oriëntale. 36*3 religion Mahomécane , qui enfeigne que tous les Mufulmans tont freres; Schahroch répondit qu'il la tenoit pour véritable. Le vendeur de pats repartic: Piufque nous fommes tous freres , n'eft-ce pas une injuftice que vous ayez un fi grand tréfor, & que je fois dans le befoin d'une pauvre maille ? Donnez-moi au moins la portion qui me touche en qualité de frere. Schahroch lui fit donner une piece de monnoie d'argent de la valeur d'environ trois fois, mais il n'en fut pas content, & il dit: Quoi! d'un fi grand tréfor il ne m'en revient que cette petite portion ? Schahroch le renvoya, & lui dit: Retire-toi & ne dis mot a perfonne de ce que je t'ai donné. Ta porcion ne feroit pas fi confidérable, fi tous nos autres freres le favoient. f 1] Avant que de manger , un Mahomctan avare difoit toujours deux fois BiJ'mi-llah c'eft-adire» au mm de Dieu. Sa femme lui en demanda un jour la raifon. II dit : La première fois, (i) C'eft un écrivain Turc qui taxe ici Scbnhrcch d'nvarice & de ménage. Néanmoins , c'étoit un grand H pniffant Monarque, comme on pourra le connoitre par fon ruftcire que j'ai traduite du Perfan en notre langue. Ce qui peut faire croire qu'il eft quelque chafe du vice qu'on lui reproche, eft qu'il paroit que les gens de iettres s'attschoient plutót aux princes fes fils qu'a lui. Mais pour 1'excufer de ce défaut, on peut dire qu'il paroiiïoit 1'avoir, paree qu'il fe donnoit tout entier aufoin du gouvernement defes Etats.qui s'érendoient depuis la Perfe jufques a la Chine , & qu'il ne fe donnoit pas l'.ipplicrttion qu'il falloit pour connoitre dar.s le détail ceux qui m.'iitojent d'être rrcjmpcnfés.  3^4 Mélanges c'eft pour cbaffer le Démon, Sc lafeconde^ pour chaffer les efcornifleurs. [i] Dans une alTemblée en préfence du Sultan Méhemmed [z] , fecondEmpereurde Conftantinople, quelqu'unavancaque MiraKhan avoit promis mille pieces de monnoie d'or a celui qui lui feroit voir une feule faute dans les ouvrages des Po'Jtes de fa Cour. Sultan Méhemmed dit: J'épuiièrois mes tréfors fi je voulois imiter Mirza Khan. Un Iman avoit fa maifon fort éloignée de la Mofquée dont il étoit Iman. Les Mahomé tans qui en dépendoient lui dirent un jour : Votre mailon eft trop éloignée , Sc vous ne pouvez vous rendre chaque lbir a la Mofquée (0 Les Mahométans ne prononcent pas, Bifmi-llah, feulement avant 411e de manger ; mais encore en cemmeiKjant da jnarcher , de travailler 6c de faire quelque ouvrage que ce foit. (2 T e Sultan Mehemmed eft celui qui prit Conftantinople. Quoiqu'il eüt fi peu bonne opinion des Poëtes de fa Cour, néanmoins il y avoit déja de bons poëtes Turcs de fon tems, comme Letifi Ua remarqué. Le mot de Mirza dans la Perfe & dans les Indes fignifie Ie fils ou le parent d'un Souverain , Sc il fe dit par abréviation au lieu d'Emir Zadeh , qui fignifie en Perfan né d'un Emir. Je crois qu'il y a faute dans le nom du Prince de qui il eft ici parlé, 6c q.ie c'étoit un Prince de la familie de Tamerinn, qui portoit encore un autre nom avec celui de Mirza 8c de Kh^.n. Le mot de Khan chez les Tartares fignifie uni grand Monarque. Les Empereurs Turcs qui prennent leur origine da Turejucltan qui fait partie de la grande Tartarie , le prennent avec le nom de Sultan. Ainfi on dit 8c on écrit thez les Turcs : Sultan Mehemmed Khan, Sultan Ahmed: Khan, Sultan MuradKJian, &c,  de litüratüre Oriëntale: ^6$ pour 'faire la Priere a une heure & demie de nuit: c'eft pourquoi nous vous en exemptons: nous la ferons entre nous, fans qu'il foic nécefiaire que vous preniez la peine de venir. L'Iman répondit : Mufulmans , Dieu vous fafle miféricorde, vous m'exemptez de cette Priere, & moi je vous exempte de la Priere du Matin. [i] Un Mahométan qui faifoit peur a voir tant il étoit Iaid, trouva un miroir en fon chemin, & 1'ayant ramaffé il s'y regarda ; mais, comme il fe vit fi difforme , il le jetta ■de dépit, & dit : On ne t'auroit pas jetté , li tu étois quelque chofe de bon. Un Calife étoit a table &c on venoit de lui fervir un agneau roti, lorfqu'ün Arabe du défert fe préfenta. Le Calife lui dit d'approcher, & de prendre place a fa table. L'Arabe obéit, & fe mit a manger avec avidité , & morceaux fur morceaux. Le Calife a qui cette maniere déplut, lui dit: Qui êtes-vous donc qui (i ) Le mot d'Iman eft Arabe , & fignifie proprment la même chofe que le mot latin, Anti/les, c'eft-a-dire, celuï «jui eft a la tête des autres ; Sc a cette fignification chez les Mahométans , c'eft celui qui fait la Priere publique , non feulement dans la Mofquée, mais encore en quelque endroit que ce foit, 8c ceux qui font derrière lui, font en même tems les mèmes génuflexións, les mêmes profternations contre terre, & tous les geiles qu'ils lui voient faire. Les Turcs app«llent en leur langue , latfinama\, cette friere qui fe fait a une heure & demie de nuit, c'eft-a-dire , Priere du coucher, Priere qui fs fait avant que fe coucher.  |££ Mélanges dépecés ce pauvre agneau avec tant cte furie ? II femble que fa mere vous ait donné quelque coup de cornes. II répondit : Ce n'eft pas cela ; mais, vous'avez autant de dépit de voit que j'en mange que fi fa mere avoit été votre rtourrice. ( i ) Behloul arrivan: pour faire fa cour au Calife^ Ie grand Vifir lui dit: Behloul, bonne non^ veile, le Calife tc fait 1'Intendant des finge? & de? pourceaux dc fci Etats. Behloul repartic au Vifir : Préparez-vous donc a faire ce que jc vous commanderai: car, vous êtes un do met fujets. Un Saviot écrivott a un ami, & un importun ctoit a cö:é de lui qui regardoit pardeffas 1'épaule ce qu'il écrivoit. Le Savant qui s'en appercut, interrompit le fil de la lettre $6 écrivit ceci a la place : Si un impertinent qui elt a mon cóté ne regardoit pas ce que j'écris, je vous écrirois encore plufieurs chofes qui nei devoient être fues que de vous & de moi.L'Importun qui lifoit toujours prit la parole, &> dit: Je vous jure que je n'ai regardé ni lu ce que vous écrivez. Le Savant repartit: Ignorant f i) Les Arabes du défert ne font pas fi polis que let Arabes qui demeurent dans les villes, mais ils ne laiflenti pas d'avoir de 1'efprit Sc du bons fens, Sc de vivre entrei «ux avec plus de bonne foi que ne vivent les autres Arabes.!  ie Litdrature Oriëntale. jfy que vous êtes, pourquoi donc me dites-vous ce que vous dites? Un Tifferan qui avoit donné un dépot l un Maitre d'Ecole, vim redemander, & trouva le Maitre d'Ecole a fa porte, affis & appuyé contre un couffin faifant la lecon a fes Ecoliers qui étoient affis autour de lui. II dit au Maitre d'Ecole : J'ai befoin du dépot que vous favez, je vous prie de me le rendre. Le Maitre d'Ecole lui dit de s'affeoir & d'avoir la patience d'attendre qu'il eüt achevé de faire la lecon. Mais leTilTeran avoit hate, & la lecon d'uroit trop Iong-tems. Comme il vit que le Maitre d'Ecole remuoit la tête par une coutume qui lui Sc en faifant pendre !e Gouverneur avec la lettre du Sultan ; i! h\ crier a haute voix que c'étoit-h lechaciment que méritoient ceux qui n'obéiffoient pas aux lettres du Prince leur Maitre. ( 1 ) Sultan Mafoud , fils de Sultan Mahmoud Sebekceghin, étoit brave & vaillant; mais, il Tl Le Su'tan Mahmoiid Sebekteghin étoit fils de Sebekteghin , & Seb kteyhin hit d'.-bord efclave a la Cour des Samaniens, qi i 1'avancerent fi avantageufement aux premières Charges de leurs F.rats, qu'il fucceda enfin a 'eur puiffance «lans le Khoraflan. Après fa mort, Sultrn Mahmoud lui fucceda & augmentJ fes Etats par de grandes conquétes dans les Indes. 11 régnoit d.ns le quatrieme fiecle de 1'Hégire, c'tft-a-dire dans le dixieme fiecle de notre époque , & fa Capitale étoit la ville de Gaznin aux confins des Indes, qu'il avoit préférée a Bokhara ou les Samaniens avoient fait leur réfidence, afin d etre plus voifin des conquête* qu'il avoit faites, & plus en état de lesfouteair. Nifa eft une ville confidérabie du Khoraffan, fameufe pa» Pfixcellense de les paturages & par fes bons enevaaj:.  3 So Mlldngt$ ne favoit pas 1'art dcgouverner comme fon pere le (avoir. Pendant qu'il étoit dans les divertiffcmens, au milieu des concerts avec les Dames de fon Palais, les Gouverneurs de fes Province, & fes troupcs vivoient dans Ia derniere licence Sc commc-ttoient de grande? violences. Une femme nnltraitéc lui fit des plaintct , Sc il lui fit drifter une lettre en fa faveur pour le Gouverneur de qui elle fc plaignoit. Mais le Gouverneur ne fit rien de ce qui lui étoit ordonné. Elle retourna au Sultan, & s'éiant mêlee parmi la foule dc ceux qui demmdoir juflice , elle lui préfenta un fecond placet. Sultan M.iloud ordonna qu'on lui expédiAt une fecondc lettre; Sc fur ce qu'elle repréfenta que le Gouverneur n'avoit pas obéi ■ la première, le Sultan ayant dit qu'il ne pouvoit qu'y faire; elle repartit avec hardieffe : Donnet vos Provinccs h gouverner a des gens qui fachent obéir a vos lettres, Sc ne perdcz pas Ie temps dans les divertiflemen! pendant que vos penplcs, qui font les créatures de Dieu, gemifwm fous la tyrannie de vos Gouverneurs. Le Médecin Ii.ireth difoit: Quoiqiie la vie foit tojjours tropcoure, néanmoins pour vivre long-temps, il faut manger du matin , il faut are léger d'rubit Sc uier de femmes fobre- I  it 1'mlmare OrientaU. I Ie Tigre, & Mefué fon Médecin étoitpresda I lui. Le Calife chagrin de ce qu'il ne prenotC I rien, dit a Mefué : Retire-toi, malheuren* , tu me portes malheur. Mefué piqué de crue rebufade ; dis au Calife : Empercur des Croyani, ne m'accufez point de ce qui n'ell pas. II dl vrai que mon pere étoit un fimple Boutgeoif de Khouz, & que ma mere Recala avon t ic' efclave Mais avec cela, je n'ai pas M8& qM d'arnverau bonheur d'être favori dc plufieufp Calites, de manger, de boire avec eux, tc d / n de leurs divertiffemens ; & par leurs bienfaits, j'ai des biens & des richeffes au dela dc Vcfoé» rance que je pouvois concevoir. Cela nc peut J»as s'appeller étre. malheureux. Mai* fi root voulez bien me Ie permettre, je vou* dirai qni eft celui qu'on peut véritabletnent appeOer m;.:-.ju:*ux. Le Ci'.l "e j t irr.o-. . .} Ipas s'appeller étre malheureux. Ma» fi yoi»  584 JMlanga pouvoir s'expliquer, il reprit: Celt un Seigneur deOrendu de quatre Califes. que'Dieu a'l fait Calife comme eux, lequel laiffant a part dignité, grandeur & Palais, eft affis dans une cabane de vingt coudées en toutes fes dimen-j fions, exposé a un coup de vent qui peut la J fubmergèr , & qui fait ce que font les plus pau- j vres & les plus difgraciés de tous les hommes, (i) | Le Médecin Bacht Iefchoua alla un jour faire i fa cour" au Calife Matevekkd-ala-llah , & lej trouva feul II s'affit pres de lui, comme il avoit ; coutume de le faire; & comme fa vefte étöia \in peu découfue par le bas, le Calife , en dif-f courant, acheva infenfiblement de la décou-■ dre jufques a la ceinture; & dan? ce moment,, fuivant le fujet dont ils s'entretenoient, ill demanda au Médecin a quoi l'on connoiffoitji qu'il étoit temps de lier un fou ? Bacht Iefchoua répondit : Nous le lions lorfqu'il eft venu au point de découdre la vefte de fonf Médecin jufques a la ceinture. (a) 1 (') Abou-lfarrge remarque que le Ca);fe fut outré de la hardieffe de Mefué; mais, que la préfence de M itevekkeM' ala-llah (on frere, qui fut Calife après lui, IVmpêcha d'éc a'erl Le Cilife Vathek Billah mourut 1'an 231 de 1'H'égirej c'eft-a-dire, 1'an S46, de J. C. _ I 2^ Au rapport d'Ahou-lf irage, le Ca'ife rit fi fort delf répoi fe du Médecin . qu'il fe aiffa aller a la renverfe fur 1» tapis ou il étoit affis. En même-temps il 'ui fit apporter un«J autre vefte fort riche avec une fomme d'argent tiès-conddé-fi lable qu'il lui donna, Mehemmef  'ie Litüratüre Oriëntale. 397 que 1'autre avoit de la peine a fubfifter. Le riche dit au pauvre : Pourquoi ne vous mettezVous pas au fervice du Sultan comme moi, vous vous délivreriez des maux que vous fouffrez. Le pauvre repartit: Et vous, pourquoi ne j travaillez-vous pas pour vous délivrer d'un efclavage fi méprifable ? Dans le confeil de Noufchirvan oü Noufchirvan étoit préfent, on délihéioit furune affaire, & chaque Vifir dit fon avis, excepté Bouzourgemhir. Les autres Vifirs lui en ayant demandé la raifon, il répondit: Les Vifirs font comme les Médecins, qui ne donnent des remedes aux malades que Lrfqu'ils font en grand danger. Vous dites tous de fi bonnes chofes, que j'aurois tort d'y rien ajouter du mien. Le Calife Haroun-Errefchid après avoir conquis 1'Egypte, y mit pour Gouverneur un certain Cola'ibjle plus vil de fes efclaves; & la raifon qu'il en apporta fut 1'indignation qu'il avoit de ce que Pharaon avoit exigé que l'on crut qu'il étoit Dieu. Or, Cofaïb étoit un Nok le plus groffier & le plus rufiique que l'on püt imaginer, comme il le fit voir en plufieurs occafions, & particuliérement en celle-ci. Les Laboureurs, dans 1'efpérance de quelque diminution des droits auxquels ils étoient obligés, lui firent remontrance fur une innondation du  398 Mélanges Nil a contre-tems qui avoit fait périr le Cotoi» qu'ils avoient femé. Cofaïb leur dit : il ta'loit femer de la Laine elle n'auroit pas été perdueOn demandoit a Alexandre-le-Grand comment il avoit pu fubjuger 1'Orient & 1'Occident, chofe que d'autres Rois , qui avoient d'autres finances, d'autres Etats, plus d'age &C plus de troupes que lui, n'avoient jamais pu faire. II répondit : Je n'ai pas fait de tort aux peuples dss Royaumes que j'ai conquis avec 1'aide de Dieu, & jamais je n'ai dit que du bieri des Rois avec qui j'ai eu affaire. (1) (1) Alexandre-Je-Grand eff illuftre chez les Mahométan* fous le nom d'lskender ; mais ils font partagés tóüchant lx Nation dont il étoit. Les uns écrivent qu'il étoit fils de Darab, Roi de Perfe , & qu'ayant monté fur li Tróne après Dar» fon ainé, qui eft le même que Darius, il conquit tout Ié imonde. Les autres qui approchent plus de la vérité, difent qu'il étoit fi's de Philippe. Mais les uns & les autres tomkent d'accord de 1'étendue de fes conquêtes , & lui a'tribuent une grande fageffe qui avoit été cultivée par Arifto-e, fon précepteur. lis difent auffi que dans Ie cours de fes viftoires il chercha la fontaine de vie , mais q.i'elle ne fut trouvée que par Hizir , fon Général d'armée , & f ,iv.int leur penfée , Hiz.it eft le mêmequ'EIié, qui n'eft pas mort j paree qu'il but de cette eau. Ils l'appellent auffi le Co-nua caufe de fa grande puiflance dans 1'Orient & dans 1'Occident. Touch~ant cette appellation , je dirai que je fuit comme perfuadé que les Orientaux la lui ont donnée k 1'occafion des Médailles Grecques de Lyfim.'chus , & particuliérement de celles qui font d'atgent ou Lyfimachus eft tepréfenté avec des'cornes , & que ces Médailles étant tombées entre leurs mains , ils les ont prifes pour des_ Médailles d'Alexandre ; paree qu'ils ne fivoient pas 'ire !e Grec , & qu'amfi ils ne pouvo'ent pas diftinguer l'un d'avec 1'autre, outre que ces IV; édai' les étant p'us granrics que telles d'Alexandre, il femb'e qu'i's ófit été biert fondés par leur grandeur, & même par leur beauté, de croireiJu'eUe* étoient plutót d'Alexagdre que d'un autrej  ét Littiraturt Oriëntale. jyy Un Derviche qui avoit été invité par un Sultan a manger a fa table, mangea beaucoup moins qu'il n'avoit coutume de manger chez lui, afin de faire remarquer qu'il étoit fobre, & après le repas, il fit fa priere plus longue que les autres, afin qu'on eüt bonne opinion de fa dévotion. En entrant chez lui, il commanda qu'on mit la nappe, & dit qu'il vouloit manger. Son fils qui avoit de 1'efprit, lui demanda: Mais, mon pere, n'avez-vous pas mangé a la table du Roi ? Le Derviche répondit: Je n'ai ■ pas beaucoup mangé, afin que ni lui ni fes Courtifans ne cruffent pas que je fuflè un grand mangeur. Le fils repliqua : Mon. pere, il faut donc que vous recommenciez auffi votre priere elle n'eft pas meilleure que le repas que vous avez fait. (i) L'auteur du Guliftan, enparlant de lui-même, écrit en ces termes: Etant fort jeune, j'avois coutume de me lever la nuit, pour pner Dieu, pour veiller, & pour lire 1'Alcoran. Une nuit que j'étois dans ces exercices, (0 A 1'occafion du fils de ce Derviche, il eft bon de r» marquer, quoique les Derviches foient des gens qui l ", nent une v,e auftere qui pourroit faire croire qu¥S „  400 Mêlangts & que toute la familie dormoit, exceptémofl pere, pres de qui j'étois, je dis a mon pere : Voyez, pasun neleve feulement la tête pour prier Dieu, 8c ils dorment tous d'un fommeil fi profond, qu'il femble qu'ils foient morts. Mon pere me ferma ia bouche, en me difant : Mon fils, il vaudroit mieux que vouj dormiffiezcomme ils dorment, que d'obferver leurs défauts. On louoit dans une affemblée une perfonne de remarque qui étoit préfente, & l'on en pa<-loit très-avantageufement. La perfonne leva la tête 8c dit : Je fuis tel que je le fais. Un Roi demandoit aun Derviche fi quelquefois il ne fe fouvenoit pas de lui ? Le Derviche répondit: Je m'en fouviens , mais c'eft lorfque je ne penfe pas a Dieu. Un Dévot vit en fonge un Roi dans le Paradis & un Derviche en Enfer. Cela 1'étoana , & il s'informa d'oü venoit que l'un & 1'autre étoient chacuti dans un lieu oppofé a celui dans lequel on s'imagine ordinairement qu'ils doivent être après leur mort ? On lui répondit : Le Roi eft en Paradis \ caufe de 1'amour qu'il a toujours eue pour les Derviches, 8c le Derviche eft en Enfer a caufe de 1'attache qu'il a eue auprès des Rois. Un Derviche mangeoit dix livres de pain par jour, 8c paffoit toute la nuit en Prieres juf- que»  de Littérature Oriëntale. 40$, euts au matin. Un homme de bon feris lui die: Vous feriez beaucoup mieux de ne manger que la njoitié d'autant de pain & dormir. L'Auteur du Guliftan dit encore, en parlanc de lui-même : J'étois efclave a Tripoli chez. les Francs , lorfqu'un ami d'Kalep qui me reconnut en paffant, me racheta pour dix pieces de monnoie d'or , & m'emmena avec lui a Halep, oü il me donna fa fille en mariage & cent pieces de monnoie d'or pour fa dot. Mais, c'étoit une méchante langue , & elle étoit'd'une humeur très-flcheufe. Quelque temps après notre mariage, elle me reprocha ma pauvreté , & me dit: Mon pere ne vousa-t-il pasdélaVrg des chaines des Francs pour dix pieces de monnoie d'or ? Je répondis : II eft vrai, il m'a procuré la liberté pour le prix que vous dites, mais il m'a fait votre efclave pour cent. Dans une affaire de grande importance, un Roi fit voeu, s'il en venoit a bout, de diftribuec une fomme d'argent confidérables aux Derviches. L'affaire réuffit comme il fouhaitoit, & alors, 'pour accomplir fon voeu, il mit la fomme dans une bourfe, & en la confiant a un Officier, il lui ordonna d'en aller faire la diftribution. L'Officier qui favoit quelle forte de gens étoient les Derviches, garda la bourfe jufg«e* au foir, & en la remettant entre les mains Cc  '401 Milangts du Roi, il lui dit qu'il n'avoit pas trouvé un feul Derviche. Le Roi dit : Que veut dire cela : Je fais qu'il y en a plus de quatre eens dans la ville ? L'Officier reprit: Sire , les Derviches ne recoivent pas d'argent, & ceux qui en recoivent ne font pas Derviches. On demandoit a un Savant ce qu'il penfoit dela diftribution de pain fondée pour les Derviches ? II répondit: Si les Derviches le mangent dans 1'intention d'avoir plus deforces pour fervir Dieu, il leur eft permis d'en manger ; mais s'ils font feulement Derviches pour le manger, ils Ie mangent a leur dam. Un Derviche quitta fon Couvent & alla prendre des lecons d'un Profelfeur dans un College. Je lui demandai ( c'eft PAuteur du Guliftan qui parle ) puifqu'il avoit changé de profelfton, quelle différence il faifoit entre un Savant & un Derviche ? II me répondit: Le Derviche fe tire lui-même hors des vagues; mais le Savant en tire encore les autres. (i) Un Mahométan qui avoit donné plufieurs [i] Les Derviches , chez les Mahométans, ne font pas des •yceux qui obligent auffi étroitement que nos Religieux font obligés par leurs voeux. C'eft pourquoi ils quittent librement 1'habit , la regie & la clóture pour embraffer telle autre profeffion qu'il leur plait. Les M ahométans ont un grand nombre de Colleges fondés par des Sultans & par des particuliers , oü des profeffeurs gagés enfeignent ce qu'ils doivent favoir pour ac« quérir le titre de Savant. Ils y arnventpar degrés,demême  de Littérature Oriëntale. 403 preuves d'une force extraordinaire, étoit dans une fi grande colere qu'il ne fe poffédoit plus, & qu'il écuraoit de rage. Un homme fage qui le connoifLit, le voyant en cet état, demanda ce qu'il avoit, & il apprit qu'on lui avoit dit une injure. Cela lui fit dire : comment! ce miférable porte un poids de mille livres, Sc il ne peut pas fupporter une parole Un Vieillard de Bagdad avoit donné fa fille en manage a un Cordonnier, Sc le Cordonnier en la baifant la mordit a la levre jufqu'au fang. Le Vieillard lui dit: Les levres de ma fille ne font pas de cuir. Un Derviche parloit a un Rói qui ne faifoit pas beaucoup d'ellime des gens de fa forte, & lui difoit : Nous n'avons ni les forces , ni la puifLnce que vous avez en ce monde ; mais nous vivons plus contens que vous ne vivez. Avec cela, la mort nous rendra tous égaux, & au jour du Jugement nous aurons 1'avantage d'être au delfus de vous. (z) .qu'on arrivé au titre de Dofleur dans les Univerfrtés de 1'Surope , & les fciences qu'ils apprennent regardent la Religion & les Loix q.ii font chez eux inféparabies de la Religion. [ij Ce mo- eft plus jufte dans Ie' Perfan que dans le Francois , en ce que le même mot qui fignifie porter , fignifie auffi fupporter. [2] Les Mahométans, comme les Chrétiens, attendent un Ju; ement univerfel pour Ie chitiment des mécbans & poux la récompenfe des bons» Cc 1  404 Mélanges Dans la ville d'Halep, un pauvre d'Afriqtffc difoit a des Marchands affemblés : Seigneurs qui êtes riches, fi vous faifiez ce quel'équité voudroit que vous fiiïïez, & fi nous autres pauvres étions des gens a nous contenter, on ne verroit plus de mendians dans le monde. Deux Princes fils d'un Roi d'Egypte, s'ap©liquerent, l'un aux fciences, &C 1'autre aamaffer des richelfes. Le'dernier devint Roi & reprocha au Prince fon frere le peu de bien qu'il -avoit en partage. Le Prince repartit: Mon frere , je loue Dieu d'avoir 1'héritage des Prophetes en partage, c'eft-a-dire, la fagefTe. Mais votre partage n'eft que 1'he'ritage de Pharaon & d'Haman, c'eft-a-dire le Royaume d'Egypte. (1) (1) Ce Pharaon eft celui que Dieu, fuivant 1'ancien Teftament, fit fubmerger dans Ia Mer rouge , & Haman, fuivant les tradition:, des Mahométans, étoit fon premier Mijiiftre & 1'exécuteur de fes méchantes intentions. Suivantles mêmes Mahométans, ce Pharaon fut le ptemier des Rois «3'Egypte qui porterent le nom de Pharaon ; car fi nous les cncroyons.il n'étoit point de race Royale , mais de fort Baffe naiffance. Voici ce qu'ils en difent. Son pere qui s'apJjelloit Maflab , & qui gardoit les vaches, étant mort dans le tems qu'il étoit encore en bas aga , fa mere lui fit apprendre le métier de Menuifier; mais cette profeffion ne lui ayant pas plu , il abandonna fa mere & fon pays, & fe Snit chez un Vendeur de fruits, chez lequel il demeura longtems. S'étant mis dans lenégoce, il alla a une Foire; mais ïl en fut dégouté, fur ce qu'on exigea de lui a un pafiage un droit dont la fomme égaloit Ie prix defamarchandife , & de dépit il fefit voleur de grands chemins- Enfuite , il trouva le moyende s'établir a une des portes de Ia Capiuela de 1'Egypte , & quoique ce_füt fans aveu, d'exiger, au nom du Roi ,  ie Littrature Orien.ig.ti'. 40J Un Roi de Perfe avoit envoyé un Médecin a Mahomet, & le Médecin demeura quelques années en Arabie ; mais, fans aucune pratique de fa profeffion, paree que perfonne ne 1'appel loit pour fe faire médicamenter. Ennuyé de nc pas exercer fon art, il fe préfenta a Mahomet , & lui dit en fe plaignant: Ceux qui avoient droit de me commander m'ont envoyé ici pour. faire profeilion de la Médecine ; mais, depuis que je luis venu, perfonne n'a eu befoin de moi & ne m'a donné occafion de fair? voir de-, quoi je fuis capable. Mahomet lui dit: La coutume de notre pays eft de manger feulement lorfqu'on eft preifé par la faim, & de ctffer dc un droit fur tout ce qui paffoit; mais ayant été découvert en vou'ant ex'ger le même droit fur le corps d'une fille du Roi d'Egypte que l'on portoit pour étre enterrée , il fe délivra de la mort par les grandes fommes d'argent qu'il avoit amaffées. La fortune ne labandonna pas pour cela , il eut encore affez d intrigues peur devenir Capitaine du Guet , & dans cet emploi, il eut un ordre expres du Roi d'Egypte de faire mourir tous ceux qui marcheroient pendant la nuit. Le Pvoi d'Egypte , fans lui donner avis de fon deffein , fortit lui-même une nuit pour aller communiquer quelque affaire fecrete a un de fes Minifttes. La Garde 1'ayant rencontré, il fut atrêté & conduit a Pharaon, qui ne voulut pas croire qu'il fut le Roi, quoiqu'il l'eut déja dit aux gens du Guet , qui n'avoient pas auffi voulu le croire. Au contraire, il le fit defcendre de cheval , & lui fit couperla tête. Après cette aftion, ayant conr.u que c'étoitvéritablement le Roi , il fut affez puiiTant pour aller forcer le palais, s'en rendre maitre , & fe faire déclarer Roi. II introduifit le culte des Idoles , & voulut qu'en !e reconnut lui-même pour Dieu. Enfinil pourfuivit les Ifraélites dans leur retraite ; mais il fut fubmergé dans la Mer rouge. Toutes ces particularités fe trouvent dans 1'Hiftoire des Prophetes de Kefani. C c 3  4©$ Mitunges manger lorfqu'on peut encore manger. Le médecin repartit: C'eft-la le moyen d'être toujours en fanté, 5c de n'avoir pas befoin de Médecin. En difant cela, Ü prit fon congé & fetourna en Perfe d'oü il étoit venu. Ardefchir Babekan (i), Roi de Perfe, demanda tin Médecin Arabe combien il föffifbit de prendre denourriture par jour ? Le Médecin répondit qu'il fuffifoit d'en prendrecentdrachmes, & le Roi dit que ce n'étoit pas affez pour donner de la force. Le Médecin repartit : C'eft affez pour vous porter ; mais vous le porterezvousinême, fi vous en prenez davantage. Deux Sofis de la ville de Vafete prirent de la Viande a crédit d'un Boucher 5c ne la lui payerent pas. Le Boucher les pretfoit tous les jours pour en être payé, avec des paroles injurieufes qui les mettoient dans une grande confufion mais ils prenoient Ie parti d'avoir patience, paree qu'ils n'avoient pas d'argent. Un homme d'efprit qui les vit dans cet embarras, leur dit: II étoit plus aifé d'entretenir votre appétit dans 1'efpérance de la bonne chere , que d'entretenir (Vi Ardefchir Babe'-an eft Ie premier de la race des Rois de Perfe qui regnerent jufqu'a ce qu'ils furent chaffés parles Maho* métans. Son pere s'nppelloit Safan, d'oü vient que lui 6cles Rois qui lui fuccéderent furent appelles Safaniens, fuivant 1'Hifioire ancienne des Perfans, dans ce qui nous en refla par les écrits des Arabes*  'ie Zittlratüfe Oriëntale. 407 le Boucher dans 1'efpérance de le payer. (1) Un Mahométan officieux entretenoit un Derviche d'un homme fort riche, & lui difoit qu'il étoit perfuadé que cet homme lui feroit de grandes Iargelfes, s'il étoit bien informé de fa pauvreté. II fe donna même la peine d'aller julques a la porte de la maifon de cet homme, & de lui faire donner entree. Le Derviche entra ; mais comme il vit un homme mélancolique , avec les levres pendantes, il fortit d'abord fans avoir feulement ouvert la bouche pour lui parler. Le conducteur qui 1'attendoit, lui demanda pourquoi il étoit forti fi promp— teraent. II répondit: Sa mine ne me plait pas, je le tiens quitte de la libéralité qu'il pourroit me faire. Hatemtaï de fon temps étoit le plus bienfaifant & le plus libéral de tous les Arabes. On Cx) Les Sofis font les Religieux les plus diftingués chez les Mahométans, tant par la droiture de leurs lenti i ens touchant leur Religion, que par le réglement de leur vie & par la pureté de leurs mceurs , fuivant 1'origine de leur nom , qui fignifie les purs , les choifis. Les Rois de Perfe dont la race regne encore aujourd'hui , ont aulfi pris le nom de Sofis, a caufe qu'ils font defcendre leur origine de Mouca Caffem, le feptieme des douze Imams, qui mourut env ron 1'an de PHégire 183 , de J. C. 799, prétendant que la fefte d'AIi , de qui les douze Imams font eiefcendus , eft la meilleure & la plus pure, & paree que leurs ancêtres fe font toujours diftingués par un zele fingulier pour la Religion jMahométane. La ville de Vafete étoit autrefois une ville confidérabl^ dans la partie de 1'Arabie qui porte le nom d'Erak. Cc4  40$ Miïangts lui demanda s'il avoic vu quelqu'un ou entendu parler d'un feul homme qui eüt le cceur plus noble que lui ? II répondit: Un jour, après avoir fait un facrifice de quarante chameaux , je fortis a la campagne avec des Seigneurs Arabes, & je vis un homme qui avoit amaffé une charge d'épines feches pour brüler. Je lui demandai pourquoi il n'alloit pas chez Hatemta'i, oü il y avoit un grand concours de peuple, pour avoir part du régal qu'il faifoit ? II me répondit: Qui veut manger fcn pain du travail de fes mains, ne veut pas avoir obiigation a Hatemta'i. Cet homme avoit 1'ame plus noble que moi. Un Roi avoit befoin d'une fomme d'argent pour donner aux Tartares, afin d'empécher qu'ils ne fiflènt des courfes fur fes Etats, & apprit qu'un pauvre qui gueufoit avoit une fomme très-confidérable. II le fit venir & lui en demanda une partie par emprunt, avec promeffe qu'elle lui feroit rendue d'abord que les rcvenus ordinaires feroient apportés au tréfor. Le pauvre répondit : II feroit indigr.eque V. M. fouillat fes mains en maniant 1'argent d'un mendiant tel que je fuis, qui 1'ai amalfé en gueufant. Le Roi repartit: Que cela ne te faffe pas de peine, il n'importe, c'eft pour  410 Mdangtt toit ? II répondit: Je veux porter du foufre de Perfe a la Chine, oü l'on dit qu'il fe vend chérement. De la Chine j'apporterai de la Porcelaine & je la viendrai vendre en Grece. De la Grece je porterai des étoffes d'or aux Indes. Des Indes j'apporterai de 1'acier a Halep, & d'Halep je porterai du verre en Arabie heureufe, & de 1'Arabie heureufe, je tranfporteraf des toiles peintes en Perfe. Cela fait, je dirai adieu au négoce qui fe fait par ces voyages pcnibles, & je pafferai le refle de mes jours dans une boutique. II en dit tant fur ce fujet , qu'a la fin il fe laffa dcparler, & en finiffant, il m'adreffa ces paroles : Je vous prie, dites-nous auffi quelque chofe de ce que vous avez vu & entendu dans vos voyages. Je pris la parole, & je lui dis : Avez-vous oui dire ce que difoit un voyageur qui étoit tombé de fon chameau dans le défert de Gour ? II difoit: Deux chofes feules font capables de remplir les yeux d'un avare , la fobriété ou la terre qu'on jatte fur lui après fa mort. (i) (il Outre que cette mrration eft très-belle par Ie portrait qu'elle donne d'un Marchand qui ne met pas de hornes a fon avafice, elle eft encore très-curieufe , en ce qu'elle fait connoitre de quelle maniere & avec quelles marchand fes le ne'goce fe fait dans le Levant. On fait encore aujourd'hui tout'js ces routes par terre , Sc fouvent la même perfonne les fait toutes, & quelquefois davantage. Le Turqueftan eft une Province d'une vafte étendue dans ia gtande Tartarie , dont la ville de Cafchgar eft la capitale»  de Littirature Oriëntale. 411 Le même Auteur du Guliftan dit encore ceci de lui-même: Un homme de peu d'efprit, gros & gras, richement vètu, la tête couverte d'un Turban d'une groffeur déméfurée, 8c monté fur un beau cheval Arabe, paffoit, & l'on me demanda ce qu'il me fembloit du brocard dont ce gros animal étoit vêtu. Je répondis : II en eft de même que d'une vilaine écriture écrite en caracteres d'or. (1) Un voleur demandoit a un mendiant, s'il n'avoit pas honte de tendre la main au premier qui fe préfentoit, pour lui demander de 1'ar- Elle a pris fon nom des Turcs qui 1'habitent , êc c'eft de-'i que fous ce nom une infinitc de peup.es font fords en différens tems , dont les Turcs qui occupent encore aujourd'hui 1'Empire de Conftantinople font partie. Par Ia Mer d'Afrique , 1'Auteur du Guliftan entend la Mee Méditerranée qui baigne toute la cóte d'Afrique vers Ie Sud. Quant a ce qu'il dit qu'elle eft dangereufe , c'eft que de fon tems les Chrétiens en étoient le maitres dans toute fon étendue , 8c qu'il n'étoit pas libre aux Aiahométans d'y naviger. Le défert de Gour eft aux environs du Jotirdain , entre Damas Sc la Mer Morte , par oü l'on paffe de Syrië en Arabie. II y a auffi un pays du même nom pres de i'Iadus , qui confine avec le Khoraffan. (1 Encore aujourd'hui a Conftantinople , les Gens de la Loi , c'eft-a dire, le Mouphti , les Cadileskers , les Mullas , ou les Cadis du premier rang portent des Turbans d'une groffeur furprenante, Sc fans exagération il y en a qui ont prés de deux pieds dans leur plus grande largeur. fis font faits avec beaucoup d'art Sc d'adreffe , Sc quoiqu'ils foient fi gros , néanmoins ils font fott légers , paree qu'il n'y entra que de Ia toils très-fine Sc du coton. Quand quelqu'un de ces Meffieurs n'a pas la capacité qu'il doit avoir , malheur pour lui. Les Turcs imitent I'exemple de 1'Auteur du Gu» iiflan, ils (e moquent de lui Sc de la groffeur de fon Turban»  4 li Mélanges gent. Le mendiant répondit : II vaut mieux tendre Ia main pour obtenir une maille , que de fe la voir couper pour avoir volé un fol ou deux liards. Un Marchand fit une perte confidérable, & recommanda a fon fils de n'en dire mot a perfonne. Le fils promit d'obéir ; mais il pria fon pere de lui dire quel avantage ce filence produirok. Le pere répondit : C'eft afin qu'au lieu d'un malheur, nous n'en n'ayons pas deux a fupporter; l'un, d'avoir fait cette perte, 8c 1'autre, de voir nos voifins s'en réjouir. Un fils qui avoit fait de grands progrès dans les études ; mais naturellement timide 8c réfervé , fe trou.voit avec d'autres perfonnes d'étude Sc ne difoit mot. Son pere lui dit: Mon fils, pourquoi ne faites-vous pas auffi paroitre ce que vous favez ? Le fils répondit: C'eft que le crains qu'on ne me demande aufli ce que je ne fais pas. Galien vit un homme de la lie du peuple qui maltraitoit un homme de Lettres d'une maniere indigne. II dit de l'homme de Lettres : ils n'auroit pas eu de prife avec 1'autre s'il étoit véritablement homme de Lettres, (i) (t) Gnlien n'étoit pas feulement Médecin, c'étoit encore un grand Philofophe. C'eft pourquoi ilne faut pas s'étonner que Saadi rapporte de lui ce hoi, mot qu'il pouvoit avoir appris dans quelque livre traduit de Grec en Arabe, ou. eotendu dire a quelque. favant Chrétien dans fes voyages.  ie Zittêrature Oriëntale. 415 Des Courtifans du Sultan Mahmoud Sebekteghin demandoient a HalTan de Meimend (1) , Grand Vifir de ce Prince, ce que le Sultan lui avoit dit touchant une certaine affaire. Le Grand Vifir s'excufa, en difant qu'il fe garderoit bien de rien apprendre a des perfonnes a qui rien n'étoit caché , & qui favoient toutes chofes. Ils repartirent: Vous êtes le Miniftre de 1'Etat, & le Sultan ne daigne pas communiquer a des gens comme nous ce qu'il vous communiqué. Le Vifir reprit : C'eft qu'il fait que je ne le dirai a perfonne, & vous avez tortdeme faire la demande que vous faites. Saadi dit encore en parlant de lui-même : Je voulois acheter une mailon, & je n'étois pas encore bien réfolu de le faire, lorfqu'un Juif medit :Jefuisundes anciens du quartier, vous ne pouvez rnieux vous adreffer qu'a moi pour favoir ce que c'eft que cette maifon. Achetez-la fur ma parole, je vous fuis caution qu'elle n'a point de défaut. Je lui répondis: Elle en a un grand d'avoir un voifin comme toi. (2) Un Poëte alla voir un chef de voleurs, & ƒ11 Méimentl eft une ville du Khoraffan d'oü étoit ce grand Vifir du Sultan M.-hmoud Sebekteghin. (2) Quoique les Mahométans aient une grande averfion pour tous ceux qui ne font pas de leur Religion; néanmoins ils cn ont p!ns pour les Juifs que pour les Chrétiens. C'eft pourquoi Saadi avoit de la peine a prendre une maifon dans un quartier 01'. il y avoit des Juifs,  Mélanges Place, Sc on lui dit que dans cette Place , il J avoit un Philofophe de confidération. II commanda qu'on le fit venir; mais il fut fort furpris de voir un homme fort laid, & il ne put s'etnpêcher de lacher quelques paroles qui mar- ' quoient fon étonnement. Le Philofophe 1'entendit, Sc quoiqu'il fut dans un grand défordre a caufe du faccagement de fa patrie, néanmoins, il ne laiifa pas que de lui dire , en fouriant: II eft vrai que je fuis difforme ; mais il faut confidérer mon corps comme un fourreau dont 1'ame eft Ie fabre. C'eft le fabre qui tranche & non pas Ie fourreau. (i) Un Philofophe difoit : J'ai écrit cinquante volumes de Philofóphie ; mais je n'en fus pas fatisfait. J'en tirai foixante maximes qui ne me fatisfirent pas davantage. A la fin de ces foixante maximes, j'en choifis quatre, dans lefquelles je trouvai ce que je cherchois. Les voici: N'ayez pas la même confidération ni les mê- j mes égards pour les femmes que pour les hom- ! mes. Une femme eft toujours femme, de fi [i] Je ne me fouviens pas d'avoir lu ce trait de 1'Hiftoire | d'Alexannre-Ie-Grand dans aucun Auteur Grec ou Latin, ni « entendu dire qu'il s'y trouvat, & je ne fache pas auffi qu'au-1 cun des philofophes que nous connoiffions, ait ditce mot. En } cfTet, il reffent plutot la fageffe des Orientaux que des Grecs. 1 Quoi qu'il en foit, il eft jufte & digne d'être remarqué, 8cï les Orientaux n'en fachant pas le véritable Auteur, ont pul l'attribuer a Alexandre-le-Grand, qu'ils ont feit un Héros* ie I««t pays, bonne I  'de Zittérature Oriëntale. 41^' On demandoit a un Médecin quand il falloit manger ? II répondit: Le riche doit manger quand il a faim, & le pauvre quand il trouve de quoi manger. Un Philofophe difoit a fon fils: Mon fils , ne fortez jamais de la maifon le matin qu'après avoir mangé, on a 1'efprit .plus raffis en cet état» & au cas que l'on foit offenfé par quelqu'un on eft plus difpofé a fouffrir patiemment. Car , la faim deffeche & renverfe la cervelle. (1) On demandoit a Bouzourgemhir qui étoit Ie Roi Ie plus jufte ; il répondit: C'eft le Roi fous le regne de qui les gens de bien font en affurance, & que les méchans redoutent. Les Arabes difoienta Hagiage leur Gouverneur qui les maltraitoit : Craignez Dieu &C n'afHigez pas les Mufulmans par vos vexations. Hagiage qui étoit éloquent monta a la tribune, & en les haranguant il leur dit: Dieu m'a établi pour vous gouverner; mais quand je mourrois vous n'en feriez pas plus heureux; car (1) Jene fais fi les Orientaux font fonde's fur cette maxi.' me qm eft de très-bon fens & véritable; mais généralement ils mangent tous de grand matin , & ordinairement après la Priere du matin, qu'ils font avant le lever du Soleil , &ce qu'ils mangent font des laitages, des confitures liquides , & autres chofes femblables & froides , mais pas de viande , après quoi ils prennent le Café. II eft certain que 1 air fombre , férieux & mélancolique que l'on remarque le matin dans ceux qui font a jeun , ne prouve que trop la uéceffité de mettre cette maxime en pratique. Dd x  4io Milangti Dieu a beaucoup d'autres ferviteurs qui rrfê reffemblent, & quand je ferai mort, peut-être que je ferai fuivi d'un autre Gouverneur qui fera plus méchant que moi. Un Derviche voyoit un Sultan fort farniliénient; mais il obferva un jour que le Sultan ne le regardoit pas de bon ceil, comme il avoit coutume de Ie regarder. II en chercha Ia caufe, & croyant que cela venoit de ce qu'il fe préfentoit trop fouvent devant lui, il s'abftint de le voir & de lui faire fa cour. Quelque tems après le Sultan lerencontra, & lui demanda pourquoi il avoit ceffe' de venir le voir. Le Derviche répondit: Je favois qu'il valoit mieux que V. M. me fit la demande qu'elle me fait, que de me témnigner du chagrin de ce que je la Voyois trop fouvent. Un Favoris faifoit cortege a Cobad , Roi de Perfe, & avoit beaucoup de peine a retem'r fon cheval, pour ne pas marcher a cóté du Roi. Cobad s'en appercut, & lui demanda quel égard les Sujets devoient avoir pour leur Roi, quand ils lui faifoient cortege ? Le Favori répondit: La principale maxime qu'ils doivent obferver eft de ne pas faire manger a leur cheval tant d'orge que de coutume la nuit qui précede Ie jour auquel ils doivent avoir cethonneur, afi»  ie Littérature Oriëntale. 4x5 den'avoir pas la confuiion que j'ai préfentement (1) Un jour de Nevrouz, (1) Noufchirvan, Roi de Perfe, régalant toute fa Cour d'un grand fefh'n , remarqua pendant Ie repas qu'un Prince de fes parens cacha une taffe d'or fous fon bras; mai» il n'en dit mot. Lorfqu'on fe leva de table , 1'Officier qui avoit foin de la vaiffelle d'or t cria que perfonne ne fortït, paree qu'une taffe d'or étoit égarée, & qu'il falloit la retrouver. Noufchirvan lui dit: Que cela ne te faffe pas de peine, celui qui 1'a prife ne la rendra pas, & celui qui 1'a vu prendre ne déclarera pas le voleur. Harmouz, Roi de Perfe, fils de Sapor , avoit acheté une partie de perles, qui lui avoit coüté cent mille pieces de monnoie d'or; mais il ne s'en accommodoit pas. Un jour fon Grand Ji] Cobad , Roi de Perfe , étoit pere de Noufchirvan quï lui fuccéda , fous lequel Mahomet naquit. On donne de 1'orge aux chevaux' dans Ie Levant & no« pas del'avoine qui n'y eft pas fi commune que 1'orge. (z) Le Nevrouz eft le jour auquel le Soleil en're dans Ie Belier , & ce mot fignifie le nouveau jour , paree que chez les Perfans c'eft le premier jour de 1'année 'olaire qui étoit fuivie fous Ie regne des anciens Rois de Perfe, a laquelle les Mahométans ont fait fuivre 1'année Lunaire. Néanmoins depuis ce tems-la les Perfans continuent de célébrer ce jourla lafète folemnelle qui s'y célébroit. Le Roi de Perfe Ia celebre lui-même par un grand regal qu'il fait a toute fa Cour , dans lequel le vin que l'on boit eft auffi fervi dans des taffes d'or, comme on peut Ie remarquer dans les reis», Aons des Voyageurs de netre tems, Dd3  4H Mélanges Vifir lui réprefenta qu'un Marchand en offroit deux eens mille, & que le gain étant fi confidérable, il feroit bon de les vendre, puifqu'ellesneplaifoient pas a S. M. Hormouz répondit: C'eff peu de chofe pour nous que cent mille pieces de monnoie d'or que nous avons débourfées, & un gain trop petit pour un Roi que cent mille autres que vous me propofez. De plus, fi nous faifons le Marchand, qui fera le Roi, & que feront les Marchands ? (i) Pendant laminoritédeSapor, fils d'Hormouz, Roi de Perfe, Ta'ir, Chef des Arabes , fit une cruelle guerre aux Perfans, dans laquelle il pilla la Capitale du Royaume, & fit la fceur de Sapor efclave. Mais quand Sapor eut atteint 1'age de gouverner par lui-méme, il attaqua Taïr & le prit dans une Forterelfe par la trahifon de Melaca fa propre fille, qui ouvrit la Ci) On compte quatre Rois c!e Perfe qui ont porté le nom d'Hormouz, fuivant la lifie que nous en avons dans lesHiftoires des Orientaux. Celui-ci eft 'e premier de ce nom, & le troifieme de la quatrieive & derniere race des anciens Rois de Perfe , que les mêmes Hiftoriens appellent Safaniens, de Safan , pere d'Ardefchir Babecan , premier Roi de cette race. Sapor fon pere avoit fait barir Tchendi Sapor dans 'e Khouziftan , d'oü étoit le Médecin Bacht-lefchoua , de q .i nous avons parlé ci-devant. Avant celui-ci, il y avoit eu un autre Sapor, Roi de Perfe; mais il étoit de la race des Afcaniens , comme les appellent les Orientaux , & ce font !es mêmes que ceux que nous appellons Arfacides. II fut fucceffeur d'Ask , qui donna le nom a toute la race , Sc ce fut celui qui fe rendit fi redoutable aux Rórhains. D'Asl: les Grecs *c les Pomains ont fait Afuk , 6c d'Afak Arfak , d'oü eft venu le nom des Arfacides,  de Zittirature Oriëntale. 415' porte de la Forterefle. Après qu'il fe futdéfait de Taïr, il fit un grand carnage des Arabes, tkk la fin laffe de cette tuerie, afin de rendre fa cruauté plus grande par une mort lente, il ordonna qu'on rompit feulement les épaules a tous ceux qu'on rencontreroit. Melik, un des ancétres de Mahomet, lui demanda quelle ani— mofité il pouvoit avoir pour exercer une fi grande cruauté contre les Arabes ? Sapor répondit: Les Aflrologues m'ont prédit que le deftructeur des Rois de Perfe doit naitre chez les Arabes, c'eft en haine de ce deftructeur que j'exerce la cruauté dont vous vous plaignez, Melik repartit: Peut-être que les Aflrologues fe trompent, &fi la chofe doit arriver, il vaut beaucoup mieux que vous faffiez ceffer cette tuerie, afin qu'il ait moins de haine contre les Perfans quand il fera venu. (1) On préfenta un voleur fort jeuneaun Calife, & le Calife coinmanda qu'on lui coupat la main droite, en difant que c'étoit afin que les Mufulmans ne fulfent plus expofés a fes voleries. Le voleur implora la clémence du Ca- [i] Sapor, de qui il eft parlé en cet article, eft le fecond du nom de la race des Safaniens , & fon pere Hormouz de même eft le fecond du nom de la même race. A caufe de cette cruauté de caffer les épaules , les Arabes lui donnerent Ie nom de Sapor Zou l'eÉtaf , comme qui diroit , le brifeur. d'épaules, avec lequel ils le diftinguent toujours des aurres, lorfqu'ils parient de lui dans leurs Livres. D d 4  416 Mélanges de regner par lui-même, comme il ne fe . trouva pas avoir la capacité néceffaire pour foutenir uh fardeau fi pefant, on lui laiiTa feulement le titre de Roi, pendant que Séideh continua d'en faire les fonótions. Sultan Mahmoud , Roi du Maverannahar , du Turqueftan, de la plus grande partie du Khoraffan & des Indes , eniié de la poffeffion de ces puiffans Etats, envoya un Ambaffadeur a cette Reine , pour lui fignifier qu'elle eüt a le reconnoitre pour Roi, a faire prier a fon nom dans les Mofque'es du Royaume qui dépendoit d'elle, & de faire frapper la monnoie a fon coin Si elle retufoit de fe foumettre a ces conditions , qu'il viendroit en perfonne s'emparer de Réi &C d'Ifphan , & qu'il la perdroit. L'Ambaffadeur étant arrivé préfenta la Lettre remplie de ces menaces dont il étoit chargé. La Lettre fut lue, & Seïdeh dit a 1'Ambaffadeur : Pour réponfe a la Lettre de Sultan Mahmoud, vous pourrez lui rapporter ce que je vais vous dire : Pendant que le Roi mon mari a vécu , j'ai toujours été dans la crainte que votre Maïtre ne vint attaquer Rei & Ifpahan. Mais d'abord qu'il fut mort cette crainte s'évanouit ; paree que Sultan Mahmoud étant un Prince tres* fage, je m'étois perfuadée qu'il ne voudroit pas employer fes armes contre une femme.  de Littlrature Oriëntale. 417 Puifque 'je me fuis trompée , je prends Dieu a témoin que je ne fuirai pas s'il vient m'attaquer, & que je 1'attendrai dans une bonno contenance pour décider de mes pretentieus & de mon bon droit par les ar mes. Si j'ai le bonheur de remporter la vitloire, je ferai connoitre a tout PUnivers que j'aurai foumis le grand Sultan Mahmoud , & ce fera pour moi une gloire immortelle d'avoir vaincu le Vainqueur de cent Rois. Si je fuccombe, Sultan Mahmoud ne pourra fe vanter que d'avoir vaincu une femme. ( 1 ) On demandoit a un Arabe ce qu'il lui fembloit des richeffes. II répondit : C'eft un jeu d'enfant, on les donne ; on les reprend. Schems Elmaali, Roi de Gergian & du Tabariftan, ou , ce qui eft la même chofe , Roi du (1) Séideh étoit fille d'un oncle de la mere de Kikiaous , Roi du Mazanderan , comme il le marqué lui-même en rapportant ce trait d'Hiftoire dans 1'inftruftion pour fon fils , dont il a déja été parlé. Le même trait eft auffi rapporté dans 1'Hiftoire choifie , qui eft un abrégé de 1'Hiftoire Mahométane en Perfan. Fakhr-Eddevlet étoit Roi de Perfe , le feptieme de la race de Boieh , qui commenca a y regner 1'an de 1'Hégire 321 , do J. C 933 , par Ali, fils de Boieli, & Boieh fe difoit defcendre de Beheram Gour, ancien Roi de Perfe, de la race des Safaniens. Fakchr-Eddevlet regna onze ans , & mourut 1'an 38-", de J. C. 997. Saheblfmail, fils d'Ibad , qui faifoit porter fa bibliotheque en campagne par quatre eens chameaux, comme nous 1'avons marqué ci-deffus , étoit fon Grand Vifir. Séideh défarma Mahrroud Sebekteghin par fa fermeté & par fa réponfe. Mais d'abord qu'elle fut morte il détróna Meged-Eddevlet, & le fit mourir en prifon.  4^8 Mélanges Mazanderan, avoit de très-belles qualités, mais il e'toit emporté & faifoit mourir fes fujets pour la moindre chofe fur le ehamp ; car il n'en envoyoit pas un feul en prifon pour garder au moins quelque forme de juftice. A la fin fes fujets laffés de le fouffrir mirent la main fur lui> & en I'enfermant dans une prifon oü ilmourut, ilsluidirent : Voila ce qui vous arrivé pour avoir öté la vie a tant de monde. II repartit: C'eft pour en avoir fait mourir trop peu, car je ne ferois pas ici aujourd'hui, fi je n'en avois pas épargné un feul de vous tous. ( r ) Noufchirvan , Roi de Perfe , demanda a un Empereur des Grecs, par un Ambaff ideur , par quels moyens il étoit fi ferme & fi ftable dans fon Empire ? L'Empereur lui fit réponfe : Nous n'employons que des perfonnes expérimentées dans l'adminiftration de nos affaires. Nous ne promettons rien que nous ne le tenions. Nous ne ch.nions pas fuivant la grandeur de notre (i) Schems-E'masli s'appelloit Schems-Elmaali Cabous, & étoit grand-pere He Kikiaous , Auteur de rinftruftion dont nous nvons déja patlé plus d'une fois , qu'il 3 intitulée : Caboulnameh pour lui faire honneur. 11 mourut de froid dans cette prifon Pan 403 de 1'Hégire , paree qu'on l'y mit en désha'billé , dans le même état qu'on 1'avoit furpris , & on l'y laifla fans !ui donner feulement ce qu'on donne aux che- i vaux pour litiefe, quoiqu'il le demandat en grace, & ce : .qu'on donne aux chevaux pour litiere dans le Levant eft de Ia fiente de cbeval feche. Schems-Elmaali étoit favant en Af. . tronomie & en plufieurs autres fciences, 8cila laifle des 01»» ■ «rages Perfans en profe & en vers.  43 o Mélanges Le Poëte acheva de lire, mais il ne lui dit Sutre i chofe. A ce filence le Poëte lui dit: Vous dites: Cela eft bien, cela eft bien ; mais la fatigue ne < s'achete pas avec cela. (i) On difoit a Alexandre-le-Grand qu'un Prince i qu'il avoit a vaincre étoit habile & expéri-menté dans la guerre, &onajoutoitqu'il feroit bon de le furprendre & de 1'attaquer de nuit-: II repartit: Que diroit-on de moi, fi je vain— quois en voleur. On demanda a un Sage ce que c'étoit qu'uni ami ^ II répondit : C'eft un mot qui n'a pointi de fignification. Le Sage Locman étant au lit de la mort ütl venir fon fils , & en lui donnant fa bénédic— tion, il lui dit: Mon fils, ce que j'ai de plusi particulier a vous recommander en ces derniers' mornens, eft d'obferver fix maximes qui ren— ferment toute la morale des anciens & des mo-i dernes. N'ayez de 1'attache pour le monde qu'a pro-) portion du peu de durée de votre vie. Servez le Seigneur votre Dieu avec tout le zele que demandent les befoins que vous avez:;1 de lui. Travaillez pour 1'autre vie qui vous attend, (i) Par le nom rl'Emir, il faut entendre unGénérai d'arméeil su un Gouverneur de Province,  de Littimtire Oriëntale. 4}f & confldérez Ie temps qu'elle doit durer. ^ Efforcez-vous de vous exempter du feu , d'oü jamais on ne fort quand une fois on y a ete' pré ci pi té. Si vous avez Ia témérité de pécher, mefurez auparavant les forces que vous aurez pour fupporter le feu de 1'Enfer & les chatimens de Dieu. ^ Quand vous voudrez pécher cherchez un lieu ou Dieu ne vous voie pas. (i) On demandoit au même Locman de qui il avoit appris la vertu , il répondit : Je 1'ai appnfe de ceux qui n'en avoient pas ; car je me fuis abflenu de tout ce que j'ai remarqué de vicieux dans leurs a&ions. Ali recommandoit a fes fils HalTan & Huffein de pratiquer ce qui fuit, & il leur difoit: Mes I i-nLn" °f.:,entaux,<'nt «" rèmèW de Fables ck's Ie nom de beaucoup de conform.te avecce que les Grecs difent d'Efone fe, rr"m du-temps auquei n vivoit." *» dou I eto.t 1 y en a qu. avancent que c'étoit un Patriarche & qu'.l eto.t fils d'une fceur dejob , & d'autres écriventt.Vl & difoit a un certain Manfour : Si vous avez [i] Après la mort du Calife Maavia , fils d'Iczid , cet Abdullah s'étoit emparé de la Mecque & de fes dépendances & d'autres pays, 8c il s'y maintint plus de nenf ans , jufques i ce qu'il fut tué dans le dernier nffaut en défendant la place. Après fa mort, Hagiage lui fit couper la tête, qu'il envoya a Medine, & fit mettre fon corps en croix. Ce fiege de la Mecque Sc la mort de cet Abd-ullah arnverent 1'an 71 de 1'Hégire', Sc de T. C, 1'an 690^ _ ; Les Mahométans ne font point de guerre oü la Religion rie foit mêléc, c'eft pourquoi ils Ctoient que tous ceux qui y font tués , font Martyrs. . i befoift! ■  ie Littlratüre Oriëntale. 433 befoin de quelque chofe, demandez-Ie moi. Manfour répondit: Ce feroit une honte pour moi de demander mes befoins dans le Temple de Dieu a un autre qu'a Dieu. (1) Le Calife Haroun-Errefchid voulant récompenfer Bakht-Iefchoua(a)qui 1'avoitguérid'une apoplexie, le fit fon Médecin, & lui donna les mêmes appointemens qu'a fon Capitaine des Gardes-du-Corps, en difant: Mon Capitame des Gardes-du- Corps, garde mon corps; mais Bakht-Iefchoua garde mon arme. Le Calife Vathik Billah (3) étant il'article de Ia mort, dit : Tous les hommes font égaux & compagnons au moment de la mort. Sujets Rois, perfonne n'en eft exempt. II ajouta er» s'adrelfant a Dieu : Vous de qui Ie Royaume n'eft point périiTable , faites miféricorde a celui de qui le Royaume eft périiTable. Le Calife Mutezid Billah avoit befoin d'argent pour les préparatifs d'une campagne, & onlui dit qu'un Mage qui demeuroit a Bagdad (1) Suivant la tradition des Mahométans, Ie Temple de Ia Mecque eft Ie premier Temple confacré a Dieu, 8c ils veulent qu'il ait é<é bati par Adam , Sc rebati enfuite par Abraham 8t par Ifmaél. C'eft pour cela qu'ils y vont en pelérinage pat un des cinq riréceptes de leur religion. r 1 Bakht-Iefchoua-, eft le même que Ceorge,fils de BakhtIefchoua , de qui eft nar'é ci-devant. II étoit fort jeune lorfqu'il guérit Haroun-Errefchid de cette apoplexie, 8c ce fut le commencfmeat de fa fo-tune a la Cour des Califes. (r t.e Calife Vathik Billah étoit petit fils du Calife Hafeun-£rrefchid & neveu de Mamoun. Sen pere auquel il avoit Ee  434 "Mélanges avoit de groffes fommes en argent comptant." L'ayant fait appeller il lui en demanda a emprunter, & le Mage lui répondit que le tout étoit a fon fervice. Sur cette bonne foi le Calife lui demanda s'il fe fioit bien a lui, & s'il ne craignoit point que fon argent ne lui fut pas rendu. II répondit: Dieu vous a confié le commandement de vos ferviteurs & les pays qui xeconnoiffent votre puiifance; il eft public aufii qu'on peut fe fier a votre parole , & vous gouvernez avec juftice. Après cela, puis- je craindre de vous confier mon bien ? (ï) Gelal-Eddevlet Melek-Schah, un des premiers Sultans de la familie des Selgiucides, qui ont régné dans la Perfe , fit un jour fa priere a Mefched dans Ie Khoraffan au tombeau d'AIi Riza, dansle tems qu'un de fes freres s'étoit rebellé contre lui. En fortant de Ia priere, il demandaa fon Vifir s'il devineroit bien ce qu'il avoit demandé aDieu ?Legrand Vifir répondit: Vous lui avez demandé qu'il vous donne la vitbire contre votre frere. Le Sultan repartit: Je n'ai pas fait cette demande; mais voici ma fuccédé , s'appeHoit Mutaflem-Bülah. II étoit vaillant & Hbéra', & comme il étoit amateur de Ia poéfie , les Poetes étoient fcien vernis a fa Cour, & il leur faifoit du b:en. II ne régna que cinq ans & quelques mois, & mourut 1'an de 1 Hegire 231 , de J. C. S45. (i) Ce Calife mourut a Bagdad 1'an de 1'Hégire a8?i de J. C. 1'an 901. ■  de Littèmnrè Oriëntale. 43$' priere: Seigneur, fi mon frere eft plus propre que moi pour le bien des Mufulmans , donnez- lui la vidoire contre moi; fi je fuis plus propre que lui, donnez-moi la viSoire contre lui. ( 1 ) Le Calife Soliman (2.), qui étoit bienfait de fa perfonne, fe regardoit dans un miroir en pré*fence d'une de fes Dames, & difoit: Je fuis le Roi des jeunes gens. La Dame repartit: Vous feriez la marchandife du monde la plus belle 5c laplus recherchée, fi vous deviez vivre toujours ; mais l'homme n'eft pas éternel, & je ne fache pas d'autre défaut en vous que celui d'être périffable. Au retour du fiege de Mouffoul, qui ne lui (l> Ces Sultans ou ces Rois Selgiucides prennent leur nont tie Selgiouc ,chef d'une puiffante inondation de Turcs qui naflerent en deca de 1'Oxusdans le Khoraffan , fous le regne de Mahmoud SebefWhm , de qui .1 eft fait mention ci-deffus Dogrulbeg, petit fils de Selgiouc , commenca leur Empire qui fut partage en plufieurs branches, 1'an 420 de l'Hégire * de J C. 1'an 1037. Quelques-uss de nos auteurs, par unê grande corruption, 1'ont appellé Tangrolipix, Sc M. Belpier dans fesNotes furl'Etat de 1'Empire Ottoman deM. Ricaut " s eft donne beaucoup de peine pour en trouver la correétion; Celle qu li a donnee de Togrulbcg eft la meilleure, 3c il auro.t trouve auffi Dogrulbeg s'il avoit fu que les Turcs prononcent le Ti des Arabes comme un D ; mais il ne pouvoit pas le favoir, puifqu'il n'avoit appris Ie peu de Turc qu'il lavoit qu en Normanaie. Ce mot ne vient pas auffi de Tangn quifigmfie Dieu en Turc , comme ils Ie prêtent; mais dedrogu , qui fignifie droit , Sc Dogrulbeg fignifie, Ie Seigneur droit. Gelal-Eddevlet Melek-Schah , qu'un autre Auteur appelle Gelal-Eddin, fut le troifieme Sultan après Dogrulbeg , St mourut 1'an de 1'Hégire 485 , de J. C. iLz. (2 Le Calife Soliman étoit Ie feptieme de la rac des Ommiades quiregnerent avant les Abbaffides.II mourut 1'an *o 4e 1 Hcgire, de J. C. 1'an 717. 7y £e %  4j£ Méfanges téuffit pas, Salahh-ddin (i), Roi d'Egypte & de Syrië, tómba dans une maladie très-dangereufe , dont peu s'en fallut qu'il ne mourut. Naffireddin Mehemmed fon coufin en ayant eu la nouvelle, écrivit aulfi-töt a Damas de la ville d'Hims oü il étoit , pour folliciter ceux qu'il croyoit lui être favorables de fonger a ledéclarer Sultan , au cas que Salahh-ddin vint a mourir. Salahh-ddin ne mourut pas;mais peu de tems après Naffir-eddin Méhemmed tomba malade ^ & mourut lui-même. Salahh-ddin qui avoit été informé de la démarche qu'il avoit faite, s'empara de fes richeffes & de tous fes biens, & quelque tems après il voulut voir un fils agé de dix ans qu'il avoit laiffé en mourant. On le lui amena, & comme il favoit qu'on avoit foin de fon éducation , il lui demanda oü il en étoit de la lecture de 1'Alcoran. II répondit avec efprit & avec une hardieffe qui furprit tous ceux (l) Salahh-ddin eft le fameux Saladin de nos Hiftoires des Croifades , qui reprit Hierufalem 1'an ƒ85 de l'Hégire,de J. C. 1'an 1189, quatre ans après le fiege de Mouffoul, dont il eft ici parlé, la feule de toutes les entreprifes qu'il avoit faites jufqu'alors, qui ne lui réuffvt pas. Lorfqu'il fut arrivé devant la place, Sultan Atabek Azz-eddin Mafoud lui demanda la paix , en lui faifant propofer Ia ceftion de toute la Syrië. Mais Salahh-ddin , perfuadé par fon confeil, s'obftina i vouloir faire le fiege qu'Azz-eddin foutint fi vigoureufement, qu'il fut contraint de le lever avec honte, & de fe retirer après avoir fair une paix qui lui fut bien moins avantageufe que celle qui lui avoit été offerte. 'ïfiins eft le nom que les Arabss donnent a la ville d'Emefiii ta Syrië.  44® Méfanges les haranguant, il leur dit, entr'autres chofes: Peuple, il faut que vos péchés foient bien énormes, puifque c'eft la colere de Dieu toutpuiffant qui m'a envoyé contre vous, moi qui fuis un des fléaux de fon Tröne. (i) Après la deftruaion de la ville de Bokhara par Ginghizkhan, on demanda dans le Khoraffan a un des habitans qui s'y étoit refugié, fi le défordre que les Mogols y avoient commis e'toit auffi grand qu'on le publioit. II répondit & en exprima Ia défolation en fa langue qui étoit Perfane, en ce peu de mots : lis font venus, ils ont détruit , ils ont brulé, ils ont tué, ils ont emporté. (a) Un Scheich d'une grande réputation & d'un ( I) Bokhara eft une Ville du Maverannahar ou de Ia Tranfoxiane, qui étoit trés-grande , très-peuplée & trèsopulente. Mais Ginhizkhan, après s'en être rendu maitre , y fit mettre le feu , & paree qu'elle n'étoit prefque batie que de bois, elle fut toute confumée en un feul jour; & il n'y tefta furpiedque la grande Mofquée & quelquesmaifons baties tle: bnques. Ogtaikhan, fils & fucceffeur deGinghhkhan la fit rebatir. Elle étoit encore illuftre du tems deTamerlan&de fes fucceffeurs, & elle fubfifte encore aujourd'hui fous Ie re^ne des Uzbecs. ° (z) Après avoir parlé de I'incendie de Bokhara dans Ia note précédente , pour dire un mot de 1'effufion de fang que 1'armée de Ginghizkhan y fit; le jour qu'elle arriva devant la Place.vmgt mille hommes en fortirent a 1'entré de Ia nuit pour la furprendre <, mais les Mogols les appercurent, & ils en firent une fi grande tuerie , qu'il n'en rentra dans Ia Ville qu'un petit nombre. Le lendemain au lever du Soleil. les habitans ayant obfervé de deffus leurs remparts que la campagne paroiffoit comme un grand Iac de fang , c'eft 1'expreffion de Mirkhond , ils capïtulerent & ouvrirent leurs fortes.  ie Littêrature Oriëntale. 441 profond favoir demeuroit dans la ville deKharezem, capitale du Royaume du même nom, lorfque Ginghizkhan fortit de Ia grande Tartarie pour étendre fes conquêtes du cóté du Couchant. Les Mahométans qui étoient auprès de lui ayant fu qu'il avoit réfolu d'envoyer affiéger cette ville-la par trois Princes fes fils, le fupplierent d'avoir la bonté de faire avertir le Scheich de fe retirer ailleurs. Ginghizkhan leur accorda cette grace , &: on donna avis a ce Scheich (1) de fa part,qu'il feroit fagement de fortir de la ville pour ne pas être enveloppé dans le malheur de fes concitoyens , s'il arrivoit que la ville fut forcée comme elle le fut, paree qu'alors on feroit main-baffe fur tous les habitans. Le Scheich refufa de fortir , & fit cette réponfe : J'ai des parens, des alüés , des amis &c des difciples , je ferois criminel non-feulement devant Dieu, mais encore devant les hommes, fi je les abandonnois. Ginghizkhan étant a Bokhara après fes gran- [i] Ce Scheich qui s'appelloit Negem-eddin Kebri ,fut tué dans le fac de Kharezem , mais auparavant, quoiqu'il fut dans une grande vieilleffe , néar.moins, il ne laiffa pas que de tuer plufieurs Mogols de ceux qui le forcerent dans fï maifon. Sans parler des Kharezemiens qui furent tués dans le dernier affaut, par lequel ils furent forcés après un fiege de prè» de fix mois, Mirkhond rapporte que les Mogols quand ils furent maitres de la Ville, en firent fortir tous les habitans, fuivant leur coutume lorfqu'ils prenoient une Place, qu'ils firent efclaves, favoir, les Marchands Sc les Artifims avec le»  44^ Mélanges des conquêtes en deca de 1'Oxus, furie point deretourneren fon pays dans la grande Tartarie , oü il mourut peu de tems après fon arrivée, eut un entretien avec deux Dofteurs Mahométans touchant leur religion , dont il fut curieux d'avoir la connoiffance; & a cette occafion il dit plufieurs paroles très-remarquables & de bon fens, qui méritent d'avoir ici leur place. Le Docteur Mahométan qui portoit Ia pa^ role, lui dit: Les Mufulmans reconnoilfent un feul Dieu créateur de toutes chofes , & qui n'a pas fon ièmblable. Acela Ginghizkhan dit: Je n'ai pas de répugnance a croire la méme chofe. LeDofteur pourfuivit: Dieu tout-puiffant & très-faint a envoyé a fes ferviteurs un Envoyé , afin de leur enfeigner par fon entremife ce qu'il falloit qu'ils obfervalTent pour faire le bien , & pour éviter le mal. Ce difcours ne déplut pas ï Ginghizkhan plus que le premier, & il y répondit en ces termes : Moi qui femmes & les- enfnns qui étoient au deffous de quatorze ans, & quele refte fut dilïrib é aux foldats pour les égotger. II ajouta que les foldats étuient au nombre de plus de cent mille i 8c que des Hiftoriens rffuroient que chaque foldat en avoit eu vingt-quatre in partage. Si cela étoit, plus de deux millions quatre eens mille ames auroient péris dans ce feu] carnage. On pourroit dokter qu'une Ville eüt pu contenir tant de monde ; mais il faut confidérer que la Ville étoit grande, puifque c'étoit une Capitale, & q-ieles habitans des Villes voifmes 8c les peuples d'alentour s'y étoient refugiés avant le fiege,  ie Littcrature Oriëntale. 443 fuis ferviteur de Dieu , j'expédic tous les jours des Envoyés pour faire favoir a mes fujets ce que je veux qu'ils falfent, ou qu'ils ne falfent pas, & je fais des ordonnances pour la difcipline de mes arme'es. Le Docteur reprit la parole, & dit : Cet Envoyé a fixé de certains tems pour faire la Priere , & en ce tems-li, il a commandé d'abandonner tout travail & toute occupation pour adorer Dieu. Voyant que Ginghizkhan agréoit cetarticle , il dit encore: II a auffi prefcrit de jeüner une Lune entiere ehaque année. Ginghizkhan repartit : II eft jufte de manger avec meiure 1'efpace d'une Lune pour reconnoitre les faveurs du Seigneur, après en avoir employé onze a manger fans regie &c fans ménagement. Le Mahométan continua, & dit : Le méme Envoyé a aiilïï enjoint aux riches, par un exemplc de vingt pieces de monnoie d'or, d'en donner la moitié d'une chaque année pour le foulagement des pauvres. Ginghizkhan loua fort ce Statut, & dit : Dieu éternel a créé toutes chofes indifféremment pour tous les hommes ; c'eft pourquoi il eft raifonnable que ceux qui en font partagés avantageufement en falfent part a ceux qui n'en ont pas. Le Docteur ajouta que les Mahométans avoient encore un commandement exprès d'aller en pélérinage au Temple de Dieu , qui  444 Mltanga é*coic a la Mecque pour l'y adorer. Ginghizkhan répondit a cet article : Tout 1'Univers eft la Maifon de Dieu. On peut arriver a lui de-tous les endroits du monde , & Dieu peut m'écouter de 1'endroit oü je fuis préfentement, de même que du Temple que vous dites. (i) On rapporta a Ogta'ikhan, fils de Ginghizkhan & fon fucceflèur aux grands & puiffans. Etats qu'il avoit laiffés, comme une nouvelle qu'on croyoit devoir lui faire plaifir, qu'on (i) Le Dofleur qui avoit parlé dans cet entretien prétendoit conclure que Ginghizkan, fur les réponfes qu'il avoit faites , étoit Mahométan. Mais fon Collegue foutint le contraire ; paree que Ginghizkhan n'avoit pas reconnu la néceffité de faire le pélérinage de la Mecque. 11 avoit raifon : Car , eomme Mirkhond 1'a remarq.ié , il eft conftant que Ginghizkhan n'a été attaché a aucuné Religion particuliere des peuples qu'il avoit fubjugués, qu'illaifloit a chacun la liberté de profelfer celle qu'il vouloit , 8c qu'il ne contraignoit perfonne d'embraffer celle dont il faifoit profeffion. Au contraire, il avoit de la confidération pour tous ceux qui avoient de Ia vertu , du favoir 8c du mérite, fans avoir égard i leur Religion , comme il paroit par fon Hiftoire. Et comme le reuiarque encore Mirk'.iond , c'eft une des grandei «ualités qui le rendirent recommandable. A confïdérer fa Religion en particulier , de I'entretien qu'il eut avec ces Docteu-rs, des autres circonftances de fon Hiftoire Sc de VHifloire de fes fucceffeurs , il femble qu'on pourroit dire qu'elle r.'avoit pas beaucoup dégénéré de celle que Japhet ou fa poftérité avoit porté dans la Tartarie. Soit que ce fut une opinion re$ue par les Arabes du tems de Mahomet, qu'Abraham & Ifmaël avoient bati un Temple a Dieu a la Mecque , ou que Mahomet ait inventé le fait, c'eft ce qui lui a donné lieu de fiire un article de fa Religion , par lequel il enjoint a tous fes Seftateurs d'y aller e» pélérinage au moins une fois en leur vie. lis 1'obferve.it encore aujourd'hui, Sc il y en a peu de ceux qui en ont les moyens qui ne le faffent, oü s'il ne le font, aui ne croient qu'ils y font obügés, 6c qui »'«ient deffein de le faire.  'te Littimurc Oriëntale. 44$ avoit trouvé dans un livre que le tréfor d'Afrafiab , ancien Roi du Turqueftan, étoit dans un certain endroit qui n'étoit pas éloigné de fa capitale. Mais il ne voulut pas en entendre parler , & il dit: Nous n'avons pas befoin du tréfor des autres, puifque nous diftribuons ce que nous avons aux ferviteurs de Dieu & a. nos fujets. (1) Un Marchand préfenta a Ogta'ikhan un bonnet a la mode du KhoraiTan, & alors Ogta'ikhan étoit un peu échauffé de vin. Le bonnet lui plüt, & il fit expédier au Marchand un billet pour recevoir deux eens balifches. Le billet fut drelTé & livré ; mais les Officiers qui devoient compter la fomme ne la payerent pas, croyant qu'elle étoit exceffive pour un bonnet, & que le Khan, dans 1'état oü il étoit, n'y avoit pas fait réflexion. Le Marchand pa/ut le fl) Ogtai[ étoit le troifiemefils de Ginghizkhan, qui Ia declarafon föcoeffeui-Ju fon TeiWnt, préférablement k Giagatai fon fecond fils , qui fe foumit a la volonte de fon pere , & qui reconnut lui-même Ogtaï en cette qualité dans 1 affemblee génerale de tous les Etats, lorfqu'il fut co»firmé deux ans apres la mort de Ginghizkhan. Cette Diete ou. cette Affemblee n'avoit pu (e tenir plutöt, paree qu'il ne falloit pas moins de tems i tous ceux qui devoient la compofer pour sy rendre des extrêmités de 1'Empire de Ginghizkhan. Ogtaikhan mourut 1'an de 1'Hégire 639 de J £ lan iaai. C'étoit un Prince clément & pacifique , & fur toutes chofes ttes-hbéral, comme on peut le reïnarquer par les articles qui fuivent 4 v Ogtaï fut particuliérement appellé Kaan au lieu de Khan ; maïs cefut par corrupti.n, & fuivant la maniete plus erof*ere des Mogols deprenoncerce mot au rapport de Mirkhend s  44^ Mélanges lendemaïn, & les Officiers préfenterent Ie billet au Khan, qui fe fouvint fort bien de 1'avoif fait expédier ; mais au lieu d'un billet de deux eens balifches, il en fit expédier un autre de tr.is eens. Les Officiers en différerent lé paiement de même qu'ils avoient différé le paiement du premier. Le Marchand en fit fes plaintes, & le Khan lui en fit faire un troifieme de 600 balifches (i) que les Officiers furent contraints de payer. Ogtai, le Prince du monde le plus moderé, ne s'emportapas contre eux , fur le rctardement qu'ils avoient apportéa 1'exécution de fa volonté. Mais il leur demanda s'il y avoic au monde quelque chofe qui fut éternel ? Les Officiers répondirent qu'il n'y en avoit aucune. II reprit: Ce que vous dites n'eft pas véritable, car la bonne renommée & le fouvenir des bonnes actions doivent durer éternellement. Cependant par vos longueurs a diftribuer les largeffes que je fais, paree que vous vous imaginé que c'eft le vin qui me les fait faire , vous faites voir que vous êtes mes ennemis; puifque vous ne voulez pas qu'on parle de moi dans le monde. (1) Une baüfche chez les Mogols valoït environ cinq cem livres de notre monnoie. Ainfi de la fomme qu'Ogtaikhan fit donoer aü Marchand pour le bonnet qu'il lui avoit préfeivé , on peut juger de fa libéralité. En voici un autre exemple qui n'eft pas moins furprenant;  'ie Zitte'rature Oriëntale. Un Perfan de la ville de Schim [il fe Dre'fenta deva .t Ogtaïkhan , & lui dit que fur le bruit de fes largeifes il venoit du milieu de Ia Perfe implorer fon fecours pour s'acquitter dune dette de cinq eens balifches. Ograï Ie recut fort bien, & „donna qu»on lui c k mille balifches. Ses Miniftres lui repréfenterent que ce n'étoit pas une largeffe, mais une prodigahté de donner plus qu'on ne demandoit. Ogtai repartit: Le pauvre homme a paffé les montagnes & les déferts fur le bruit de notre libéralité , & ce qu'il demande ne fuffit Pas^pours'acquitter de ce qu'il doit, ni p0Ur la depenfedu voyage qu'il a fait & de-celui qu'il a encore k faire pour retourner chez lui En paffant parle marché de Caracoroum fi) fa capuale, Ogta'ikhan vit des Jujubes, &com. manda k un Officier de lui en acheter. L'Officierobéit, &retourna avec une charge de Jujubes. Ogtai lui dit : A la quantité qu'en voila, apparemment qu'elles coütent plus d'une balifl le Per,an de 'qS nlT^lt'iéZ 'ir™ d? Perfe- ™ m ^ d* Ia grande T**£Zmï?tV P-° ^ a Pextrêta.khan, & Ogtaïkhan eut eVard ft <: 3 C°Ur d'°5bté avec .acmelle il avoit en^ ) „Cfce e" fa (2 Caracoroum dan, la crande Ta, S ? Ja naiffance de Ginghizkhan t Tartarie etoit le lieu de &fo après fes ancêtrèdcmMl P-atr;mo,'ne '' '"i fit cell-ci p*e' Ff  45 O Mélanges que vous faites gloire de tout renverfer comme le Démon. Timour étoit un jour au bain avec plufieurs de fes Emirs, parmi lefquels fe trouvoit auffi Ahmedi, Poëte Turc,yqu'ilavoit attiréauprès de lui comme un homme de Lettres & comm» bel efprit. II demanda a Ahmedi: Si mes Emirs que voila étoient a vendre , a quel prix les mettriez-vous ? Ahmedi les mit chacun a tel prix qu'il lui plut , & quand il eut achevé; Timour lui demanda : Et moi, que puis-je valoir ? II répondit: Je vous mets a quatre-vingt alpres. Timour reprit: Votre efiimation n'eft pas jufte ? Le linge feul dont je fuis ceint en vaut autant. Ahmedi. répartit : Je parle auffi de ce Jinge : car pour votre perfonne vous ne valez pas une maille. (i) Un jour Timour expédia un Courier pour d) II étoit aifé que ^ converfation tombat fur ce fujet parrri des perfonne,' chez qui les hommes fe vendo.ent & Ja h toient tous les jours, comme il fe pratique encoreauLt d'hui dans tout le Levant, & P*rt™herer"' In bain ou il étoit facile de juger de 1'embonpo.nt & des «iéf-mts du corps d'un chacun. . Want ce qui a été remarqüé ci-devant, quatre-v.ngt sfnres font quarante fois de notre monnoie. PThr.our ne fe facha pas de la hardieffe duPoete , au contrauT5 entendit raillirie , & il ne fe content, de fa plaifanteriejil W & préfent de »" ^™ Z bain dont il fe fervoit en cette occahon , lequel eonfiftoit end;Tbamns& en de grandes taffes d'or & d'argent & des vafes de même matiere propres a verfer de leaa Les Mahométans hommes & femmes par bierfcance fe teignent dans le bain au deffous des épaules d'un linge qu.  it LUtlraturt Cr'untate. 45 f «ne affaire de conféquence, & afin qu'il fit plus de diligence, il lui donna le pouvoir, quandil en auroit befoin, de prendre tous les chevaux qu'il rencontreroit en chemin, fans regarder a. qui ils appartiendroient, de tel rang que cé put être. En paffant par une prairie, le Gourier. vit de très-beaux chevaux , & voulut en prendre un a la place de celui fur lequel il couroit. Mais les Palefreniers s'oppoferent al'exéeution de fon dtlTein , lui caiTerent la tête quand ils virent qu'il vouloit ufer de violence. Contraint de fe retirer en cet état, i! montra fa tête enfanglantée a Timour , & fe plaignit du mauvais traitement qu'on lui avoit fait. Timour en colere, commanda qu'on s'informat qui étoit le maitre des chevaux, & qu'on le fit mourir lui & les Palefreniers. Ceux qui eurent cette commifiion ayant appris qu'ils appartenoient au Mouphti Saad-Eddin [1], ne voulurent pas eft ordinairemënt de toile bleu?, dont ils font ènVeloppé* prelque jufques aux pieds pardevant & parderriere de maniere que r.enne bleffé Ia modeftje. Ils appellent ee lin-e Fota.duquel mot Cogia Efendi s'eft fetvi en rappórtant cette plaifanterie. 0n fe ba^gne dans 1'eau froide avec Ia meme referve ; mais plutót avec le calëcon qu'avec Ie Fota. ii la meme chofe fe pratiquoit cn France, on ne reprocheroit pas aux Dames Ia promenade en Eté le Ion? de la riviere hors h potte <-nint Bernard. Ahmedi étoit de la Cour de Sultan Eajaz.et Ildipm. Après que Timour ie futretiré del'Anatolie , ilfe donna a Fmir■Soliman, fils du même Bajazet, & luidédin 1'Hiftoire d'AIexanare- e-Gfand en vers , qu'il avoit compofée fous le titre clskendemameh. (:) Ce Mouplui étoit d'un lied aux envifons d'Herat, au! Ff %  Mélanges txécvuer F ordre qu'ils avoient, a caufe de la dignité de la perfonne, qu'ils n'en eulTent donné avisa Timour , 5c qu'il ne leur eüt donné un autre ordre. La colere de Timour s'appaifa quand il fut que les chevaux appartenoient au Mouphti. II fit venir le Courier , 5c lui dit: Si une femblable chofe étoit arrivée a mon fils Schahroch, rien ne m'auroit empêché de le faire mourir. Mais comment puis-je m'attaquer a un homme qui n'a pas fon pareil au monde , a un homme de qui ia plume ne commande pas feulement dans les pays de ma domination ; mais encore au dehors 5c dans les climats oü mon fabre ne peut arriver ? Mirza Omer (r), petit-filsdeTimour, chaffé des Etats que fon grand-pere lui avoit donné conjointement avec Mirza Miranfchad , fon pere , 5c Mirza Ababckir, fon frere ainé, le réfugia au Khoraffan auprès de Scahroch fon oncle. Schahroch non-content de 1'avoir bien s'anoellnit Taftazzn. A caufe ce fon habileté on le confulfoit de tous les eneroits ou l'on fiifoit profeflion tle Ia Religion Wahométane; c'eft pourquoi Timour eut pour lui le refpect qu'il s'étoit acquis par fa grande autorité. ril Mirza Omer ne proiita pas long-tems de fon ingratitude; car Schahroch Ie vainquit dans une bataille prefque fans coup férir. Comme il nvoit pris Ia fuite au travers des Ktats de Schahroch , il y fut arrêté & amené au vainqueuf avec une grande blcffure qu'il avoit recue en fe délendant contre ceux qui 1'avoicnt arrêté. Schahroch eut encore Ia bonté de lui donner un Médecin &r un Chirurgien, & de 1'esvoyer a fa Capital t pour y être traité. Mais il mourut en themas  'de Littiratare Oriëntale: 453 recu , le fit encore Souverain du Manzanderan, qu'il conquit peu de tems après fon arrivée. Mais Mirza Omer ne fut pas plutöt établi dans ce Royaume qu'il fe révolta, & qu'il de'clara la guerre a Schahroch , fon oncle & fon bienfacreur. Lorfque Schahroch recut la nouvelle de fa rebellion , un de fes Officiers en qui il avoit beaucoup deconfiance, Sc qui avoit été d'avis de ne pas faire a ce Prince le bon traitement qu'il lui avoit fait, le fit fouvenir de ce qu'il avoit eu 1'honneur de lui dire fur ce fujet, qu'il n'y avoit pas d'apparence! qu'il dik vivre en' meüleure intelligence avec un oncle qu'il n'avoit vécu avec Ion pere & avec fon frere , & remarquer en même tems que {'événement faifoit voir qu'il ne s'étoit pas trompé. Schahroch lui dit: Nous ne lui avons pas fait de ma!, & le Royaume que nous lui avons donné n'étoit pas a nous. Sachez que les R.oyaumes font a Dieu ; il les donne & il les öte a qui bon lui femble. Schahroch donnoit lesRoyaumes qui dépcndoient de lui a fes fils, a fes parens ou a fes Emirs; mais ordinairement a la charge d'un trihut, & de frapper la monnoie a fon coin. Alors il donnoit a chacun les Avis dontil croyoit qu'ils avoient befoin pour bien gouverner, Sc la plupart de ces avis ont été recueillis par ï f 3  414 Mélanges Abdurrizzac Efendi , fon Hiftorien. II die a fori fils Mirza Ulug Beg en le faifant Roi du Msverannahar ou de Ia Tr3nfoxiane & du Turqueftan : Le Tout-Puiffant nous a fair le préfent relevé dont nous jouiffons , & nous 4 gratifié de 1'autorite' abfolue que nous avons en main , fans avoir égard a nos foibleffes ni a nas défautj. Le Souverain pénétré de quel prix eft un Empire, doit premiérement lui rendre graces de fes bienfaits. Enfuite i! faut qu'il ait fr' Ulug Beg, ainé des fils de Schahroch, régna longtems dans le Royaume du Maverannahar & du Turqueftan pendant le regne de fon pere. Après fa mort , il eut quelques guerres a foUtenir pour la fucceffion des Etats qu'il lui avoit laiffés enrnourant, dont il ne fut pas lons-'ems en poffeffton par les fafHons qui fe formerent con-re lui; mais particuiiéremenrparla revolte de fon propre hls Mir/a-Abdulletif. Car ce fils dénaturé lui fit la guerre, le vainquit 3c commit en fa perfonne, en le faifant mourir, un parricide d'autant plus déttftabie, q :'il s'étoi" acquis nor.-feulemer.t paf fa valeur, mais encore par fa bonté , par fa fageffe , & furtout pavfa doétrir.e &. par 1'amou» qu'il avoit nour les Lettres &r>our les Savans , une réputation qui 1'avoit diOingué par deffus tous les autres Princes ie fon tems. En eft'et, parmi les Mahométans & parmi les Chrétiens on pariera toujours de 1'Onfeivatoire qu'il fit bitir a Samarcande , des Mathématiciens & des Aftrologues qu'il y avoit attirés & qu'il y entretenoit , & des obfervations dont les Tables aftronomiques qu'ils mirent au jour fous fon nom furent le fruit. Comme 1'Alcoran eft le fondement de la Religion & des loix civiles des Mahométans, les Interpretes de ce Livra fe font acquis une grande autorité parmi eux. C'eft pourquoi Schahroch qui ne 1'ignotoit pas , & qui étoit lui-même très-religienx obfervateur de ce qu'il contient , reco-nmanda a fon fils d'avoir de la /énération pour eux , & de les maintenir dans leurs honneurs &: dans leurs dignités , comme un des ptincipaux moyens pour fe faire aimer des peoples, Car les peuples o,itde la peine a fouffrir patiemment qu'on méprile & qu'on maltraité les ghefs & lts adniiniftraceurs c5 Mélanges blement Sc doucement, & prenez jjarde que perfonne n'entreprenne de les maltraiter. Ayez les mêmes égards pour les p3Rvres & pour les foiblcs que pour les riches & pour les grandsProtégez les Marchands Sc les Ncgocians. Ce font les oifcaux des Etats; ils y portent 1'abondance par le trafïc qu'ils y font. II dit eacore a Mirza Ibrahim [i] Sultan, fon fils, en 1'établiifant Rbi de Perfe dans la ville de Schiraz : La fplendeur Ia plus brillante d'un Royaume confifte a avoir des troupes nombreufes Sc un grand attirail de train, de fuke & d'équipage; mais fa force principale eft d'avoir un bon Confeil, de tenir les frontieres fortifiées Sc les palfages bien gardés, de ne pas fouler les Sujets, Sc de maintenir la Religion. Graces a Disu , mon fils, je fais que vous n'avez pas befoin de confeils. Néanmoins la tendreffe paternelle m'obiige de vous dire que vous devez (i) Mirza Ibrahim, Sultan, fit un ufage de la bonne óducation que Schahroch lui avoit donnée, & dé ces bons avis, qu'il y ajouta en le faifant Roi de Perfe , 1'an 827 del'Hé'gire, & de J. C. 1'an 1414. 11 tint fon fiege dans la ville de Schiraz , oü il mourut 1'an Sj3 de 1'Hégire , de J. C. 1'an 1434, que Schahroch fon pere vivoit encore. 11 aiinoit la vertu & ceux qui en faifoient profoffion ; mais particuliére«nent les Savans auxquels il faifoit de grandes largeffes 5 fjur-tout il en combia Scheref-eddin Ali de Ia ville d'Jezd , qui a écrit la vie de Timour ou de Tamerland en Perfan , «;ue M. de la Croix le fils a mife en Francois, dans Pinten, tion ie faire voir au public l'Hiftoire Ia plus accompiie de ce Conquérant, toutes celles qui ont été publiées jufques sprcfent »tant très-uéfeftueufics en plufieurs msnieres.  de litte'rature Oriëntale. tfy faire enforte que vos Sujets vous béniffent fous 1'ombre de votre clémence Sc de votre bonté, & qu'ils goütent parfaitement les plaifirs d'une vie füre 5c tranquille 5c d'un bon gouvernement. Pour cela ayez foin que vos Officiers n'exigent rien d'eux qu'avcc juftice , & qu'ils n'excedent pas les régiemens étabüs dans 1'cxaction des revenus du Royaume. Par cette conduite on nous eftimera vous 5c moi; on nous louera , on nous bénira , on nous fouhaitera toutes fortes de bonheurs, 5c ces puiffans motifs feront que jamais nous ne cefferons de faire notre devoir. J'efpere que vous pratïquerez toutes ces chofes ; car je fais pcrfuadé que vous afpirez a la gloire des Monarques les plus puiifans de la terre. Avant que de donner le Royaume de Perfe a Mirza Ibrahim , Sultan , Schahroch en avoit difpofé en faveur de Mirza Iskender (i) , un (O Mirza ïskender étoit fils de Mirza Omer Scheich , un des fils de Timour, & Schahroch lui avoit donné le Royaume de Perfe après lamortde Mirza Pir Mehemmed, autre (ils d* Mirza Omer Scheich. Sur la nouvelle certaine de fa révolte, Schahroch tacha de le ramener par une lettre remplie de bonté qu'il écrivit. Mais fur ce qu'il apprit qu'il perfiftoit, il marcha contre lui & alla le forcer dans Ia ville d'Ifpahan qu'il avoit enlevée a Mirza Ruftem. Mirza Iskender prit la fuite ; mais des Cavaliers qui le pourfuivireat 1'arriterent, & 1'amenerent a Schahroch, qui le remit entre les mains de Mirza Ruftem (on frere, en lui recommandant d'en prendre foin , & de leconfaler. Mais Mirza Ruftem lui fit creverles yeux , afin de lui óterpar la 1'cnvie de renuiet & dVntreprendre u® regncr autrciojs..  '4ób Mélanges de fes neveux. Mais Mirza Iskender ne garda pas long-tems la fidélité qu'il devoit. Schahroch ne voulut pas a jou ter foi a la première nouvelle qui vint de fa révolte, Sc fur ce que fes Minifires lui repréfenterent que jamais fon Empire ne feroit tranquille pendant que ce Prince vivroit, il leur dit: Vous avez raifon , & vous parlez en fages Politiques. Mais, fi par ignorance ou par un emporrement de jeuneffe, mon fils Mirza; Iskender s'eft porté a cette folie entreprife , peut-étre qu'un bon confeil 1'obligera de-fevenir a lui, & de reconnóïtre fa faute. S'il ne le fait pas, ce fera a nous de faire enforte qu'il ne trouble pas le repos de nos peuples. Scus Ie regne d'UIugBeg (i), Roi du Ma- D.e ces. Pnro,e5 remarquables de Schahroch & des autres jparticularités de fa vie, que nous avons rapportces pour fuivre le dcffein de cet ouvrage , on peut jiiger que fon Hiftoire mérite d'être mife au jour. Elle eft u'autant plus confidérable qu'elle renferme un re ;nejde 41 ans rempli d'événemens trés-finguliers. Car Schahroch commen^aa ré<*ner Pan 1404, & mourut en 1446de J. C. De plus Abdurrizzak Efendi qiü en eft 1'Auteur,a été fon Imam, & Juge de fon armée lorfqu'il étoit en campagne , & fon pere avoit exercé les mêmes'emploisavant lui; avec cela Schahroch 1'employa en'plufieurs Ambaffades , de forte qu'elle eft éciï»e fur de bons Memoires. La traduftion en Francois de cette Hiftoire & de l'Hiftoire des fils de Schahroch & de fes fucceffeurs prefque jufqu'au commencement des Sous de Perfe qui regnent aujourd'hui, écrite en Perfan nar le méme Auteur, eft en état de pouvoir être imprimée. [1) Ulug Beg prit cette réponfe en très-bonnc part, & ». ne fe.contenta pas feulement ('e rétablir le Profeffeur qu'il ; avoit dépofé; mais encore il fit ferment que jamais il ne lui artiveroit d'en dépofer aucun.  de Littératxr:! Oriëntale. tft . Verannahar & du Turqueftan, Kadi-zadehRoumi, favant dans les Mathématiques , e'toit ProfelTeur a Samarcande dans un College avec ! trois autres Profeffeurs, ou il enfeignoit avec tant de réputation que ces PrcfcfTeurs entcndoient fes lecons avec leurs Ecoliers , après quoi ils faifoient leur lecon chacun dans leur claffe. Ulug Beg dépofa un de ces Profeffeurs , &: en mit un autre a fa place. Cette dépofitio» fut caufe que Kadi-zaden Roumi demeura chez lui, & ne fit plus de lecons. Ulug B;g qui en eut avis, crut qu'il étoit malade; & comme il avott ber.ucoup de vénération pour lui a caufe de fa doörine , il alla le voir, & trouva qu'il e'toit en bonne fanté. Ii lui demanda quel fujet pouvoit I'avcir obligé de difcontinuer fes lecons. Kadi-zadeh répondit: Un Scheich m'avoit conné avis de ne pas rn'engager dans aucune charge de la Cour, paree qu'on étoit fujet a en étre dépofé, & je m'étois engagé dans la charge Kadi-zadeh Roumi s'appcJloit nutrernent Mo";i Pacha , Sc avoit eu pourpere un Cadis de Broulfe fous le regne d« -Sultan Murad I , fils de Sultan Orklian. C'eft pour cela qu'on lui avoit donné 'e nom de Kadizadeti Roumi, c'eft-iciire fils de Cadis du pa/s de P.oum , dans le Khoraffan, oii («étoit allé fur la réputation des favans Mahométans dece Royaame-la qui fleuriffoient alors. II favqit les MathématiMaes, & i! fut un de ceux qui travaitlerentaux Tahles Aflronomiqnes d'ülug Beg ; mais il mourut av^nt qu'elles fuffent achew.:es & mifes au jour. Ces particularités font rapportées par Cogia Efendi, dans fon Kii'oire Ottomane a la fin du .fegne de Sultan Murad I, ouil fait mention des Savans qui furent céle'eres en ce tems-li.  4t»j, Mélanges de Profeffeur , croyanr qu'il n'en étou pas c\é même. J'ai appris le contraire par Pexemple de mon Collegue. C'eft pour cela que je me fuis retiré pour ne pas étre expofé au même affront. Un Mahométan voyoit un Livre Arabe, qui contenoit un texte en lettres rouges avec des notes fort courtes en lettres noires, de maniere qu'il y avoit plus de rouge que de noir. II dit '• Il femble que ce font des mouches fur de la chair de bceuf. Schems-eddin Méhemmed Fanari, Cadis de Brouffe fous le regne de Sultan Bajazet Ildirim, étoit riche de cent cinquantemille fequins (i) , & avoit grand train ck grand équipage. Cependant il affectoit lapauvreté parun habit fort fimple & parun petit turban, quoique les Cadis de fon rang le portaffent fort ample. Comme il achetoit cet habillcment de 1'argent qui lui venoit de la foie qu'il recueilloit des vers a foie qu'il nourriffoit lui même , pour excufer les richeffes qu'il avoit d'ailleurs & lafplendeur de fa maifon, il difoit: Je ne puis pasen gagnef davantage par le travail de mes mams. Le Poëte Scheichi [ i ] étoit pauvre, &C (1) Cent cinquante mi'le fequins font environ la fomme d'un million de livres. Ce Cadis qui étoit très-fav.mt a compofé plufieurs Livre»; dont les Turcs font grande eftime. 11 portoit le nom de Fa4 tiari , paree qu'il étoit d'un village qui s'appelloit Fanar. (2) Ce Poëte vivoitdu tems de Suitan Murad 11 qui gsgn*  ie L'v.'J.mnre Orientste. tcndoit un remede pour le mal des yeux, afin de gagnerde quoi pöuvoir vivre. Mais il avoit lui-même mal aux yeux, & il ne s'étoit pas avifé de fe fervir du remede qu'il vendoit aux autres. Un jour une perfonne qui avoit befoin de fon remede lui en acheta pour un afpre , &en le payant, au Keu d'un afpre, il lui en donna deux. Scheichi voulut lui en rendre unmais 1'acheteur lui dit: L'un eft pour Ie remede' * que je vous ai acheté pour mon ufage; & 1'autre je vous le donne afin que vous en preniez autant pour vous en frotter les yeux vousméme, puifque je vois que vous y avez mal. Sultan Murad II, après avoir gagné la bataille de Varna[i] , paffok Par le^hamp de bataille, &confidéroit les corpsmorts des Chrétiens,il dita Azab Beg: iln'y enapas unfeul qux n'ait Ia barbe noire. Azab Beg répondit • S une feule barbe blanche fe fütrencontrée parmi eux, jamais un defiein fi mal confu ne leur feroit venu dans la penfée, ils ne s'y font engagé que par un emportement de jeuneftè. " Ia bataüle de Vafiia. Prr 1'ivtc nii! r „ i occafion , i, comr,rit fi JSSffi «d£ ft f} M> vendre aux autres un remede dont i! ne (e kri jt ^ \ ■ s;S de tV c: L%!uI444, n,ourut Via  4'?4 Mélanges Un Pacha [i] qui toutes les fois qu'il fe retiroit a 1'appartement de fes femmes après avoir paru en public pour donner audience, avoit coutume de faire jouer les Tymbales, voulut railier un Poëte qui lui faifoit fa cour ordinairernent, &c lui demanda : Quand vous retournez chez vous , ne touffez-vous pas pour avertir que c'eft vous ? Le Poëte qui rail— Tók lui-même finement, comprit ce que cela vouloit dire , & repartit : Je fuis un trop petit Seigneur pour imiter un Pacha comme vous qui faites jouer les Tymbales. Ali (a.) difoit qu'il avoit entendu dire a Mahomet: Quand faumóne (i) fort de la main de celui qui la fait, avant que de tomber dans la main de celui qui la demande , elle dit cinq belles paroles a celui de la main de qui elle part: J'étois petite, & vous m'avez fait grande. [i] Les Gouverneurs des Provinces chez les Turcs font appelles Pachas. Suivant qne'ques-uns , le mot de Pacha eft Perfan,& fedit au lieu de Pai Schah , c'eft-a-dire ,1e pieddu Roi . paree que 1- s Pachas font va'oir & repréfentent 1'autorité Royale dans les lieux ou les Rois ne peuvent pas aller e» perfonnne. Les Timbales dont)' eft ici parlé font de pe'ites Timbale* d'environ un demi-pied de diametro , de 'a même forme que les plus grandes. Les Pachas ont aula de grandes Timbales é des Trompcrtes & des Hautbois qui fonnent devant eux dans les marebes & dans les cérémonies , tous a cheval. (ï Ali eft le gendre de Mahomet & le quatrieme de fea fucceffeurs de qui il a été parlé ci-devant. [ij L'aumöne fe ptend ici dans une fignification paffive , c'eft-a-dire, pour ce qui fe donne par aumöne. J'étois  ie Zittlrature Oriëntale. 4^5 J'étois en peu de quantité, & vous m'aves multipliée. J'étois ennemie , & vous m'avez ïendue permanente Vous étiez mon gardien, Sc je fuis préfentement votre garde. Un Cadis, en arrivant au lieu ou il devoit exercer facbarge(t) , logea chez le Commandant qui fit de fon mieux pour Ie bien régaler. Dans Ia converfation le Commandant dit au Cadis : Peut-on , fans vous offenfer, vousdcnaander comment vous vóus appeliez ? Le Cadis répondit: On m'a trouvé d'une lévérité fi grande dans les lieux oü j'ai été Cadis avant que de venir ici, qu'on ne m'y appelle pas (l"1 Les charges de Cadis chez les Mahométans , partituliérement chez les Turcs , ne font ni vénales , ni a vie, ni héréi'itaires ; eVes fe donnent au mérite & a la capacité par les Cadileskers qui les diftribuent , & elles font changées tie deux ans en deux ans ; de forte qu'au bout de deux: ans un Cadis eft cb'.igé de retourner a Conftantinople pour folliciter d'être employé ai'leurs , a moins qu'il n'a it un A^ent ou un ami qui folücite pour lui , & qui obtienne qu'on 1'envoie en un autre endroit immédiatement après le terme de deux ans achevé. 11 ne leur en coüte qu'un droit pour 1'expédition des Parentes , en vertu defquelles ils exprcent leur charge , & ce droit eft au pront des Cadileskers qui' les expédient au nom du Grand-Seigneur. 11 y a auffi quelques frais dont les Officiers des Cadileskers profitent. Les Mahométans croient qu'ü y a un Ange qu'ils appellent Azraïl , c'eft-a-dire, Azriel, de qui la fonéüon eft de ravir 1'ame de ceux qui meurent. Ils ont emprunté cette croyance de Juifs, ou même ils Pont communiquée aux Juifs, qui en ont un qu'ils appellent auffi 1'Ange de ia mort & 1'Ante deftruéteur, fous le nom de bamaël, & qu'ils repréfentent, les uns,avec une épée, & les autres avec un are & des fleches. M. Gaulmain , dans fes Nötes fut la vie de Moife qu'il a traduite de 1'Hébreu en Latin , en fait mention a 1'occafion de 1'entretien de Samasl avec Moiieavant qu'il mourut. Gg  '4$ 6 Mifangn autrement qu'Azra'il, qui eft le nom de 1'Ang* de Ia mort. Le Commandant fe mit i rire, en dilant: Et moi, Seigneur , je fuis connu fous le nom dc Cara Scheitan, c'eft-a-dire, de Diable noir. Nous ne pouvions pas mieux nous rencontrer pour mettrc a la raifon le peuple* qui nous avons a faire,vous & moi; car je vous donne avis que ce lont des gens trèsfacheux & fujets a rebellion , Sc qu'il n'y a pas moyen de lesdompter. C'eft pourquoi agiffons de concert. Pendant que vous leur óterez la vie, j'aurai foin de les obliger- a renier leur Religion. Autrement, jamais ils ne fiechiront-, Un begue marchandoit une fourrure a Conf- II remarque auffi qu'encore aujourd'hui en Allemagne les Juifs , quand quelqu'un eft mort chez eux , jéttent 1'eau dé tous les pots & autres vafes qui font dans la maifon , par une fuperftition qu'ils ont de croire que 1'Ange de la mort y a lavé 1'épée dont il s'eft fervi pour ravit Pame du défunt.Sur toutes les autres Nations , les Turcs font ingenieus & donner des noms aux gens , fuivant qu'on leur plait ou qu'on leur déplait, 8t n'épargnent perfonne la-deffiis. Ainfi ils avoient nommé Scheitan le brave Pacha qui foutint fi bien Ie premier fiege de Bude contre les Impériaux , lequel rftoit Pacha de Candie, paree qu'il ne laiffoit pas fes fo'dats en repos, & quil les tenoit toujours en haleine. Maisdan* Cf s derniers tems on a vu un Caplan Pacha , c'eft-a-dire , Pacha Léopard , & fouvent ils ont des Pachas Schahin , c'eft-a-dire , Pachas Faucon. Ils ont auffi des noms fatyri-' ques , & ils appelloient un Favori de Sultan Mehemmed VI, Coul-oglou, a caufe de fa naiflance , c'eft-a-dire , fils de Janiffaire. Les défauts du corps leur donnant auffi matiere d'en impofer ; c'eft pourquoi ils ont une infiniré do Topals, de Kiors & de Kufehs. Topal fignifie un boiteux , Kior un borjne, 8t Kuleh im homme qui a peu de barbs Aii menton.  'ie Zittfratare Oriëntale.' 4&f (BSntïnople , & chagrinoic fort le Marchand Pelletier par fa longueur a s'expliquer. Le Marchand ayant demandé ce qu'il vouloit faire de cette fburrure , il répondit en bégayant toujours fortement: Je veux m'en fervir cet hiver. Le Marchand répliqua : L'hiver paffe pendant; qne vous prononcez le mot qui le fignifie: Quand prétendez-vous vous en fervir ? Un defcendant d'AIi (1) ayant befoin de bois, fortit de grand matin, & alla attendre au paffage les payfans qui en apportoient a Ia Ville pour le vendre ; mais avec I'intention d'en acheter feulement kun vendeur qui s'appelleroic Ali. Chaque payfan qui arrivoit, il lui demandoit fon nom, & l'un s'appelloit Aboubekir, un autre Omer, un autre Öfman, &un autre d'un autre nom différent de celui d'AIi; de forte qu'il les laiffoit tous paffer, <5c qu'il n'achetoit pas de bois. Après avoir attendu prefque jufques a la nuit, pour furcroït de peine, il fe mit encore a pleuvoir, & le défefpoir alloit le prendre , lorfqu'il vit paroitre un boiteux qui marchoit devant un ane chargé d'affez mé> chant bois & mal choifi. II s'approche de lui , fi) Comme je 1'ai déja remarqué, Ali fut le quatrieme Calife après Mahomet; mais le Califat qui devoit palier a fes fucceffeurs après lui, p ffa aux Ommiarles , & enfuite aux Abbaffides. Ainfi la réprimande du defcendant d'Ah au Vendeur de bois qui portoit le même nom qu'Ali, eft fundés (kir ce point d'Hjfteire, Gg 4  4*8 Mélanges & lui demande comment il s'appelloit ? té boiteux répondit qu'il s'appelloit Ali. L'autre lui demanda : Comhien la charge de ton ane? II répondit: Donnez-vous patience, je fuis de compagnie avec un autre qui vient derrière moi, vous marchanderez avec lui. Le defcendant d'AIi repartit: Poltron que tu es, tu vends du bois après avoir été Calife, & tu dis que tu as un affocié ? Ne peux-tu pas faire ton affaire fans affocié ? II ne s'étoit pas encóre vu un homme qui eut fi peu de barbe que Kufeh Tchelebi, que l'on avoit ainfi nommé a caufe de cette fingularité. II n'en avoit pas du tout au menton0, & il" n'avoit que vingt a vingt-cinqpoils alamouftache. Le Poëte Baffiri (i) fe plaignant a lui de fa pauvreté , il lui dit: Je m'étonne que vous foyez pauvre , car on m'avoit dit que vous «viez beaucoup d'argent. Baffiri repartit: Sei- f l) II eft fait menfion du Poëte Baffiri ci-devant & i'a? «^remarqué que Kufeh fignifie un homme qTa'p-dé Tchelebi eft un titre d'honneur qui fe donne aux nerf™ nes de quelque „aiffanc. Ce mot peut venir du motÖ» »***  £e Zitthature Oriëntale. qgj gneur, je n'en ai pas plus que vous avez d« .poil a Ia mouftache. Des Juifs a Conftantinople eurent conteftation avec des Turcs touchant le Paradis, & foutinrent qu'ils feroient les feuls qui y auroient entree. Les Turcs leur demanderent: Puifque cela eft ainfi , fuivant votre fentiment, ou voulez-vous donc que nous fcyons placés ? Les Juifs n'eurent pas la hardieffe de dire que les Turcs en feroient exclus entiérement, ils re'pondirent feulement: Vous ferez ^ors des murailles 5c vous nous regarderez. Cette difpute alla jufqu'aux oreilles du Grand Vifir qui dit : Puifque les Juifs noas placent hors de 1'enceinte du Paradis, il eft jufte qu'ils nous fourniffent des pavillons, afin que nous ne foyons pas expofés aux injures de Pair. (i) Le monde appartient alfa (1 ) fils de Marie, déguifé fous la forme d'une vieille décrepite. Ifa lui demanda combien avez-vous eu demaris ? La vieille répondit : J'en ai eu un fi^grand nombre , qu'il n'eft pas poffible de le dire. Ifa [il En même tems le Grand-Vifir taxa le corps de Juifs , cutre le tribut ordinaire , a une certaine fomme pour la dépenfe des pavillons du Grand-Seigncur, qu'ils paientencorö aujourdhui depuis ce tems-la. Je n'ai pas lu ceci dans aucun livre ; mais on le dit communément a Conftantinople oü je 1'ai entendu dire. (2 Ifa fignifie Jéfus-Chrifl chez les Arabes, qui lui atrribuent plufieurs autres paroles qui ne ft trouven: pas da-s li Nouveau Teftament ; mais qui ne laiffcnt pas que d'ctr* très-édifiantes. Gg 3  47« Mélanges, &c: reprit: Ils font morts apparemment, & ils vam ont abandonnée en mourant. Elle repartit: Au contraire , c'eff moi qui les ai tués, & qui leur ai öté la vie. Ifa répliqua : Puifque cela eft , il eft étonnant que les autres , après avoir vu de quelle maniere vous les avez traicé tous, ont encore de 1'amour pour vous , & ne prennent pas exemple lur eux. Du tems d'Ifa trois Voyageurs trouverent un tréfor en leur chemin, & dirent: Nous avons faim , qu'un de nous aille acheter de quoi manger. Un d'eux fe détacha & alla dans 1'intention de leur apporter de quoi faire un repas. Mais il dit en lui-même : II faut que j'empoifonne la viande, afin qu'ils meurent en la mangeant, & que je jouiffe du tréfor moi feul. II exécuta fon deifein, & mit du poifon dans ce qu'il emporta pour manger. Mais les deux autres qui avoient concu le même deffein contre lui pendant fon abfence , 1'aiTaffinerent a fon retour , & demeurerent les maitres du tréfor. Après 1'avoir tué , ils mangerent de la viande empoifonnée, & moururent auffi tous deux. Ifa paffa par cet endroit-la avec fes Apötres , & dit: Voila quel eft le monde. Voyez de quelle maniere il a traité ces trois perfonnes. Malheur a celui qui lui demande des richeffes.  TABLE. fjf ' R a t t extraordinaire dt générofité d'un Arabe , & fidiltté fingulie.e d'un autre a. garder fa parole , page. I Za ÏPanfufle du Sultan. 5 Ze Vifir fellé & bridé. ie> Ze Philnjophe amoureux. IJ Juffification ingénieufe dun Vifir. IJ Traitfingulier de générofité d'un homme qui avoit acheté une Efclave. J? Za Femme jnfifiée. aJ Trait extraordinaire de juftice de la part du Sultan Sandjar. 18 Juflice d'un Calife , ou la Femme coupée en morceaux , & trouvée dans l'Euphrate. 3» Ze Dépnfitaire infdele. 3 £ Hardieffe d'un Ambaffadeur Grec a la table d'un Calijé. 37 Allegorie. 39 Allegorie fur Vamitiè. 44 Réponfe ingénieufe d'un Dervich h un Roi. 49 Aitre bon mot d'un Dervich. 5° Trait extraordinaire de générofité d'un Egyptien* 51 Jaloufie cruelle d'un Arabe du défert, 5% Les deux Pantoufles. 54 Reconnoijfance finguliere , &fentimins de gênérofité entre deux Seigneurs Arabes. 5 9 Zt Glouton. 6Ï Ze Médecin hontettx. 67 Repartie d'un Foè'te a un autre. Voia. Juftice d'un Sultan, ^ Gg4  474 TABLE Confiance Jinguliere d'un Vifir de Co/roè's. 70 Quelles Jont les vertus qui rendent un Monarque heureux. yr Qu'il n'y a point de Hen plus fort que celui des bienfaits. Ibid. Sur l'iducation. yj Le De'pofitaire fidele. Maniere ingémeuje d'un Philofophe pourconJoler un Prince fur la mort de fon fils. y£ Trait fingulier de libéralité. yg Un Monarque doit rêunir dans fa perfonne toute» les vertus. 80 Sur le danger d'attacher trop de confidérations aux riche fes. 8 a Pre'rogative des droits de Vhofpitalité parmi les Arabes. 83 Maniere ingénieufe de fe jufiifier. 84 Quelles font les trois chofes aans la vie que l'on d' it le plus efiimer. 8(5 Repartie ingénieufe d'un Vieillard a un Calife. 87 Trait fingulier de la vie de Behram. 89 Dijferens traits de générofité d'Harem-Tai, Prince Arabe. y j Repartie ingénieufe d'un Courtifan h Alexandre. Ior 'Réponfe hardie £ Alexandre a Darius. Ibid. Réponfe du même Monarque d fes Courtifans. 102. Guèrifon extraordinaire d'un Poëte. 103 Les fouhaits du Dcvot. 104 Le Charlatan dupé. ioj Droits facrés de l'hofpitalité. i06 Le Santon amolli par les délices de la Cour. 108 Mnenture finguliere arrivé e au Calife Eahadi. 110  table. 47j Préfens mal recus. 114 Le Dervich Roi. 115 Réponfe hardie d'un Dervich a un Sultan. 117 Vanité des Maujolées. Ibid. Réponfe de Nouchirevan d un Courtifan. 118 Aure léponje d'un Roi d'Arabie. 119 Hardieff: d'wi Dervich. Ibid. Helle réponfe d'un Arabe du défert d Afmai. ïzo .Maniere ingénieufe d'un Cadi pour faire jentir k un Calije VmjvMce. qu'il ccmmettoit. 111 L'EJclave infdd'le. 1:2.3 Trait extraordinaire de générofité de la part d'un Turc. 114 Sur kpeu de bonheur dont l'on jouit dans ce monde. izj Différens traits de la vie de quelques Califes Ab- baffdes. 134 Lettre d' Alexandre d fa me 'e Olympias. ijj Surle danger que courent les Princes en accor- dant leur confiance a ceux qui en font indignes. 14$ Sur la différence de la dcfiinéc des hommes. ï6i Trait de généiofité de la part d'un Calife. 176 Aventure de la Fille d'un Vifir. 195 Les trois Filoux. ao8 Les deux Ours. 111 Cruaut: inouie d'un Pere. 115 Réve extraordinaire d'un Tailleur. iix Ron mot d'un Aftrologue. 114 Définition finguliere du courage. Ibid. Les deux Aflrolvgues. 2.2.5 Ru/e finguliere d'une Femme. zij VAveugle marié. 130 Mon mot d'une Femme d un homme laid. 3.31  474 T A B L E. Réponfe d'un Aveugle. 13* Repanie d'un Soldat d fon Général. Ibid. Bonmot fur une Barbe. 2,31 Belle réponfe d'un Vifir d un Sultan qui s'étoit confidéré dans fon miroir. Ibid. Le Courtifan vertueux. 1^6 Moyen ingénieux quemploya un Vifir pour dé~ livrerfon Maitre qui avoit été fait prifonnier par fon imprudence. 2.40 Differens traits de Bahloul, fol d' Aroun-Erré- chid. 244 Trait fingulier de la vit £ Amrou. Belle réponfe d'un Vieillard fur le mariage. 247 Le Fils ingrat. 248 Le Pere avare. 149 Sur le danger des Plaifirs. Ibid. «Sur l'éducation des Princes. a 5 I Confolation des Malheureux. 2.51 Sur le Silence. Ibid. Défaite ingénieufe de deux Ivrognes. % 5 j , Danger des louanges. 257 Belle réponfe d'un Médecin Chrétien d un Calife. 16% T)ifférens traits de la vie d'Avicenes , tiré du Catalogue raifonné des Manujcrits Arabes de la Bibliotheque de l'EJcurial & du Nighiarifan. %6o Confeils de Nabi-Eféndi d fon fis. 167 Sur la Religion. Ibid. Sur la Prrjeffion de foi. a.68 Sur la Priere. i6cf Sur le feu ne. Ibid. Sur le Pélérinage de la Mecque ïjo Sur la Dixme des biens } & fur l'Aumónt. 2.73  TABLE. 475 'Sur fhude des Sciences. 2.7 $ Qu'il ne jaut pas defirer les richeffes avec t op d'ardeur. .2.77 Sur la Raillerie. 2.78 Sur l'ürgueil, la Haine & les Proces. 2.79 Divers Conjeils. 2.81 Sur la Fouderie. 2,8$ Sur le Vin &Jurl' Opium. 18 6 Sur la Parure & Jur les Dettes. 2.88 SurVAmlition. Portrait de ceux qui recherchent la Javeur des Pachas. 19 I Sur le Menjonge, l'Hypocrife, & la véritable Sainteté. 194 Surle Printems & fur la Muf que. 2.97 Sur la Poéfie. 2.99 Portrait des Pachas ou Gouverneurs des Provin~ ces; dangers & malheurs de ces états. 302. Sur 1'Akhymie ou la Pierrephilcfphale. 306 Sur la Médifance & fur les Nouvelliftes. 307 Sur la grandeur dc Dieu & le néant de l'homme. 309 Paroles qui étoient écrites fur le tróne de Féri- diun. 314 Sur la briévcté de la vie, & furie bon ufage qu'on en doitjaire. Ibid. Sur le danger dei Plaifirs fa Mort&la Vertu. 315 Sur l'inconflance de la Fortune. 3r<^ Su • ce Monde & Jur la Mort. Ibid. Sur la difficulté de la connuijfance du cceur huma in. 318 Sur la fcience & fur l'igrorance. Ibid. Sur l'obflination des Méchans. Ibid. Comparaij-n fur f Ignorant &furle Savant. Ibid. Autre comparaifon Jur la fcience & l'ignorance. 31?  47^ T A B L fe. Que h Sage ne doit pas garder le filénce fur let dejordres des méchans. Ibid. Sur lejavant vicieux. Ibid. Sur les Femmes. Sur la Vertu. Ysiè.. Conjeils du Roi Fe'ridoun a fes enfans. jfci Qu lleejllalkuation de la vie ou l'homme ejl le plus k plaindre. ja2> Bibliotheque des Rois des Indes. Ibid. Sar le Siknee. , ^ Comparaifon. fur la faveur des Rois. Ibid. Sur la Colere, & en particulier, que celle des Rois doit étre renfr.née dans de jujles hornes. 315 Sur VAvarice. J' Difpofuions de celui qui veut donnar des confeils aux Rois. ^2(j Sur le danger qu'il y a £ éclair er les Rois fur les fautes de leurs Miniftres. lid. Diverfes comparaij-ins. ISjj. Sdtyre de Veifi-Efèndi contre les maeurs de fon fiecle. . Sur les Ennemis. i 1 ^ Sur la faufeAmitii. Ibid. Sur l.'s Donneurs demmivaifes nouvelhs. 330 Sur les faux Amis & Flat'eurs. J>id. Sar la fcience, & fur Vignorance. Ibid. Sur l'Indigence. • 33 * Sur les Malheureux. Vnd. Comparaifon fur VIgnorant & le favant. Ibid. Surle véritable Bonheur dans cette vie. 33a Sur 1'Amour. Vö\A. Sarles Richeffes & fur leur ufage. " 33-3 Sur le Silence. ' 334  TABLE. 477 Réponfe de lokman. T, ■, Réponfe de Bu{ur-D;umher. , ' ' Sur lafaence & flgnorance. ,5 Surl Aumöne. Hf Sur favidité des Dervichs. , Sur Ie Menfonge & la Vérité Tf?-3/ Sur l'Ingratitude. i?1.^ Won nedoitpasfuivrelesmauvais exemples. ^i Diverfes Maximes. 1 33 LeSOrieZZ nmarqmlhS & US l°nS M°"% 343 Fin de la Table.        it llttlrature Örientate. tïi Tandis que ce bon homme s'empreffoit do lui rendre tous les devoirs de 1'hofpitalité, lé Calife lui demanda pourquoi il habitoit dans ces déierts. Ce que vous appellez avec raifon Un défert, lui répondit le Bédouin, étoit autrefois une vafte peuplade d'Arabes & de Turcotoans, que le commerce & la culture des terres nourriffoient abondamment, & qui payoient gaiement au Calife Abou-Giafer-Almanfor, des impöts raodérés. Ce bon Prince s'óccupoit du gouvernement de fes Etats, & Vouloit que fon peuple fut heureux ; mais 1'oifiveté de fon fuccelTeur adtuel abandonne fes peuples aux Gouverneurs des Provinces de 1'Empire : ceux qui habitoient cette campagne ont été difperfés par 1'avidité de ces Gouverneurs. Le Calife qui entendoit, pour la première fois, la vérité, n'en fat point choqué, comme 1'auroit été un mauvais Prince. II réfolut au contraire de s'occuper a 1'avenir du bien de fes fujets ; mais il ne fit aucune part a fon höte, qui ne le connoiffoit pas, des réflexions quï 1'occupoient: 1'Arabe qui defiroit de le fêter, Sc qui craignoit en même-temps de fcandalifer un étranger, fut long-temps a lui faire entendre qu'il poffédoit une cruche de vin, dont Ü lui teroit boire volontiers, s'il n'en avoit poinr, fcrupule,  ïri Mélanges Le Calife peu fait k certe liqueur, faifit 1'occafion de gouter d'un plaifir que la défenfe rendoit plus vif, & que le fecret devoit couvrir ; après avoir bu le premier verre, il dit au bon homme avec gaieté 5c douceur : « Ami „ n vous voyez en moi 1'un des premiers Offi- ciers du Calife, & vous ne vous repentirez » pas du fervice que vous m'avez rendu. u L'Arabe, enchanté de ce difcours, reniercia celui qu'il n'avoit pas connu, & affeaa dele traiter avec plus de refpect. Le prétendu Officier du Calife retourna bientót a la cruche ; le plaifir & la familiarité augmentant a chaque verre : « Mon hóte, dit-il n au Bédouin, je vous ai fait un myftere que je » me reproche, vous voyez en moi le favon du » Calife, fon ami particulier ; je ne veux jouir „ de 1'amitié dont m'honote ce Prince, que «pour 1'engageraverfer fur vous fes bien?> faits. « A ces mots 1'Arabe crut ne pouvoir marquer trop de refpea k fon nouveau proteaeur ; il fe lera, baifa le bas de fa vefte, & le conjara de ne pas épargner cette liqueur qui lui procuroit tant de gaieté. Mahadi, qui prenoit du gout au vin, ne fe fit pas preffer plus long-temps: „ Je m'appercois que le vin provoque la vénté, „ dit-il a fon hóte, je ne fuis ni un Officier, «, ni unFavori du Calife, mais bien le Cante caoi-meme.  'ie Littirdture OrienttTt. %(% Avicenes feignit d'obéir , mais au lieu de prendrela route de Gazna, il prit celle deGiorgian : Mahmoud qui s'étoit fait une gloire de 1'avoir auprès de lui , fut irrité de fa fuite. II envoya des portraits crayonnés de ce Philofophe a tous lesPrinces d'Afie, avec ordre dele faire conduire a Gazna, s'il paroiffoit dans leurs Cours. Mais Avicenesétoitheureufementéchap. pé k toutes les recherches que l'on avoit fakes de fa perfonne; il étoit arrivé dans lacapitaledu Giorgian, oü, fous un nom déguifé , il faifois des cures admirables. Cabous régnoit alors dans cepays; un neveu qu'il aimoit beaucoup étant tombé malade , les plus habiles Médecins furent appellés, fans qu'aucun d'eux put connoitre fon mal, ni y apporter aucun foulagement. On eut enfin recoursa Avicenes. A peine eut - il taté le pouls du jeune Prince, qu'il connut que fa maladie provenoit d'un amour violent qu'il n'ofoit déclarer. Avicenes commanda au Conciërge du palais de faire 1'énumération de tous les diiférens appartemens qu'il renfermoit. Une émotion plus vive dans le pouls du Prince, en entendant nominer un des appartemens, trahit une partie de fon fecret. Le Conciërge eut ordre alors de nommer toutes les efclaves qui habitoient cetap» partement: au nom d'une de ces Beautés , 1» R 4  i<$4 Mélanges jeune Cabous ne put pas fe contenir, un battement extraordinaire dans fon pouls, acheva de découvrir ce qu'il vouloit en vain tenir caché. Avicenes certain que cette efclave étoit la caufe de la maladie du prince, déclara qu'elle feule avoit le pouvoir de 1'en guérir. II falloit le confentement du Sultan , qui eut Ia curiofité de voir le Médecin de fon neveu ; il feut a peine envifagé , qu'il reconnut dans fes traits ceux du portrait crayonné que lui avoit envoyé Mahmoud; mais Cabous, loin de forcer Avicenes a, fe rendre a Gazna , Ie retint quelque tems auprès de lui, & Ie combla d'honneurs & de préfens. Ce Philofophe paffa enruite a la Cour «Ie Nedjmeddevlé, Sultan de la race des Bouides. Devenu premier Médecin de ce Prince, il fut fibien gagner fa confiance, qu'il Péleva a la charge de Grand-Vifir. Mais il ne jouit pas long-rems de cette dignité brillante;un goüt troovif pour les plaifirs, fur-tout pour ceux de 1'amour & de Ia table, lui firent perdre en jmêmc-temsfon pofte, & lafaveurdefon Maitre. Avicenes deouis cet inftant éprouva toutes les rigueurs de 1'adverfité, qu'il s'étoit attiré par fa tnauvaife conduite; il fut errant & fugitif; il fut fouvent obligé de changer de lieu & de demeure pour mettre fa vie en füreté. Un lui  ie Zittifature Oriëntale. ±S\ ftifoit un crime de certaines propolkions qu'il avoit avancées, qui paroilfoient contredire le fens de 1'AIcoran. Ce Philofophe qui regardoit ( i ) Alfarabi comme fon Maitre, avoit embraifé toutes fes opinions ; c'eft pourquoi le Docteur Algazali, dans fon livre intitulé : Ze Préfervateur de ferreur, les accufe également tous les deux d'être tombés dans 1'impiété, pour s'être plas attachés a fuivre les maximes & les opinions des Philofophes, que les principes de 1'AIcoran. Benchounah, Hiftorien fameux, dit cependant que plufieurs Doéteurs Mufulmans ont foutenu qu'Avicenes avoit abjuré fes eireurs fur la fin de fa vie. II mourutaRamadan a 1'age de cinquante huitans , 1'ande 1'hégire 418, & de Jefus-Chrift 1036T. La connoilfance parfaite qu'il avoit de la Médecine, ne le mit pas a 1'abri des maux qui affiigent 1'umanité. II fut attaqué de plufieurs maladies dans le cours de fa vie; il étoit furtout fort fujet a la colique. Ses exces dans les _ ( I ) Alfarabi, furnom d'Aboriuafr Mohammed-Tarkhalü , que les Arabes appellent Alfarabi , paree qu'il éfoit natif de la ville nommée Farab, qui eft la même qu'Ottrar. On Jui donne auffi le furnom de Mualhm-Sani, ou de focond Maitre; paree que les Mufulmans regardent AriCote comme Ie premier. Alfarabi a paffe pour i'homme Ie plus favant de fpn fiecl». Quelques Dofteurs Mufulmans 1'ont accufé d'im- Ïiiété, & Algazaüle range avec Avicenes fon djfciple psrmi es Philofophes qui ont cru ''éternité du mondè , quoiqu'ils admiffent un premier moteur; ce qui paffe chez les Mah»>initan» pour an put athiifme.  ie Zittémture Oriëntale. a$y ibh d'accord avec vos i'vres. Cette proféffi a facrée eft le fonde nent fur lequel eft élevé 1'édifice de la Religion MufuLnane : elle délarme le bras du Tout-PuifTant pret a trapper le pêcheur , & Ie juftifie a fes yeux; fèmbluble l une lumiere éclatante, elle nous éclaire dans Ie chemin de la véritabl^ Religion, & nous fait éviter les routes obliques de Terreur: elle diftingue enfin le Mufulimn de 1'Iufidele. Sur la Priere [ i J. L'heurs de Ia priere venue, prép2rez-vcus-y par les ablutions que prefcrit Ia loi; mais Ia pureté du corps na fuffi; pas, elle n'eft que le fymbo'e de celle de I'ame : ne regardez pointla priere conme un exercice pénible, envifao-ez. la plutót comme Ia plus augufte fonction que P«ifTe remplir un mortel. Elle rapproche, ea effet, la créaruredu Créateur, & établit,pour ainfi dire , une efpece de commerce entre Dieu & 1'homme : foyez recueilli durant ces n.omens, & anéantiflez vous devant 1'Étre fupréme. Sur le jeune. Obfervez, mon Fils le Jeiine du Ramazan (a); (l) Les Mufulmans prient Dieu cinq fois par jour. ' ( 7. Kama/an, c'eft le nom du neuvieme muis de l'année fewure Arabique; ceft «e mw a„ns lequel Mahomet»  a7o Mélanges Jl nV a que les raaladies qui puilTent légkimemenc en difpenfer. Quel eft le Mufulman pénétré de la vérité de fa religion , & jouiffant de la fanté, qui ofe le tromper ? II eft la fource j de mille bienfaits, dont Dieu récompenfe notre j fidélité afoordres:lespamons les plus violentes font domptées par le jeune, & n'ont plus d'accès dans notre cceur ; il nous fait prefque participer a la nature des Anges. Sur le Pélcrinage de la Mecque. N'entreprenez point, mon Fils d'autres pélé- j rinages ( i) que celui de la Mecque; cette ville eft le centre du monde & celui de toute fain- j -manaé Vobfervance d'un jeune , qui confifte a s'abftenir | rSSt & de coucher avec fa femme, depuis f U Po ntë du Tour8 ufWau coucher du Soleil :ii eft d'une obferva ion fi indifpenfaMe , que les malades qu, ne le peuoblervat on , . „ un autre mols entier, aPres ^ilsborTrecou»ré la'fanté, ainfi que les voyageurs & les foldats qui font en campagne. ; ttYfPélérinage.', Mahomet, après avoir parle des exceltences du Temple de la Mecque dans le Chapitre d Araran tablit la toi du pélérinage par ces paroles : » Dieu , T a ordonné le pé'érinage du Temple de la Mecque , a qui-l « conaue fera en état de faire ce voyage. « dont les avis partagent tous les fentimens, exphquem dif- I ïérëmment le? conditions qui rendent ce peler.nage .nd.f-J peScahafe'i dit qu'il fuffit d'avoir des provifions néceffaires, & I une monture, pour y être obligé. Walek veut que ces conditions fo.ent la fante du corps, & des facultés fuffifantes pour fe pourvo.r des chofes né-| ««. le pouvok requi» da» ce ChapU I  'ie Zittêrature Oriëntale. ajs teté ( i ).Quel bonheur pour un mortel de voic la Kaaba ( % ) ou la maifon de Dieu, & de bai- tre, s'étend non-feulement aux proviuon- néceffaires pout* Ie voyage, mais qu'il comprend auffi I? fanté Ia commodité d une venture , fans laquelle on n'y eC pas obfigé ; c'eft cette décifion que la plupart des Mufulmans, &'particuliérement les Turcs ont recue. I! y a , malaré ce'a, ua grand nombre de pélérins qui fuivent la Caravane a ptéd. Les Ca* lifes fatisfaifoient autrefois eux-mêmes a l'obligaticm du pélérinage; Haroun-Erréchid fut le dernier des Cwfes Abbaflïdes qui Ie fit : il diftribua dans ce voyage aux habitans de la Mecque & de Médine , la fomme d'un million cinq eens mille dinars d'or, ce qui fait la fomme de trente millions de notre monnoie. Les Arabes prétendent que ce pélérina e étoit en vogue dans 1'Arabie avant le Mahométifme , & même dés le temps d'Abraham 8c d'lfmaël fon fils , qu'ils fuppofent avoir été le fondateur de ce Temple. (1) Les Mufulmans croient que la Mecque eft le centre du monde. (2) Kaaba, ou Beitoullah; ce font les noms qu'ils donnent au Tempte de la Mecque. La Kaaba eft un batiment quarré , qui a vingt-quatre coudées en longueur des deuxeótés, qui regardent 1'Orient 8c 1'Occident, 8c vingt-trois feulementdes deux cótés qui font expofé; au Midi 8c au Septentrion : fa porte eft au cóté Oriental , 8c a un feuil relevé de terre. d'environ quatre coudées; enforte qile n'y ayant point de degrés pour y monter, ceux qui s'en approchent font leur £riere en appliquant leur front fur le feuil de cette porte. a hautetir de ce batiment eft de vingt-fept coudées ; fa première couverture n'eft point expofée aux injnres de 1'air, etant parée par un fecond toit .qui re9oit les eaux du cielr le premier toit 8c les murailles font ccuvertes de riches étoffes, 8c de brocard d'or 8c de foie, que les Califes fourniffoient autrefois, & que les Sultans de Confiantinople envoient toutes les années aftuellement. L'on voit autour de ce Temple, des portiques ou galleries mr.gnifiques , qui font éclairées la nuit par une infinité de lampes pour la commodité des pélérins. Les Arabes prétendent que du temps d'Adam dans la place 011 le Temple eft bati, il y avoit une tente toute dreflée , laquelle avoit étéenvoyée du ciel, pour fervir aux hommes de lieu propre a rendre le culte fouverain qu'ils doivent a Dieu. Adam vifitoit fouvent ce lieu : fon fils Seth jugea a propos d'y batir un Temple de pieiro, lequel pdt feivar  XJi Mélanges fer Ia pïerrenohe (i) ? Zimzim ( % ) puits me» veilleux , tes eaux plus précieufes que les diamans , donnent la vie a ceux que tu défaltere, i fa poftérite. Ce premier Temple ayant été renverfé p*« le Déluge , fut rebati enfuite par Abraham & par fon fils Ifrnaël. La tradition des anciens Arabes avant Mahomet, étoit qu'Abraham ayant voulu , pour obéir a. Dieu , facrifier fon hls Ifmaè'i, 1'Archange Gabriël fut envoyé de Dieu pour J'en empêcher, & pour fubftituer en la place d'lfmaël, un lélier que le pere & le rils facrifierent enfemble au Dieu viyanr. Après ce facrifice, ils recurent ordre de Dieu de lui batir un Temple oii ieth en avoit bati un. Ces deux Patriarches édifierent donc la Kaaba , & pour éternifer la mémoire de leur obéiffance Sc de leur facnhce, ils attachelent les cornes du bélier qu'ils avoient immolé a la gouttiere «jui recoit les eaux de la couverture; & elles y demeurerent jufqu'a cc que Mahomet les fit enlever, pour öter aux Arales tout fujet d'idölatrie. (1. La pierre noire, hadjaroul-affouad, pierre noire en général, mais en particulier, une pierre de cette couleur attachéc a un des piliers du portique du Temple de la Mee que. Cette pierre, felon la tradition des Arabes, a été révérée dès les premiers temps dans le Temple de la Mecque. Les Mufulmans lui attribuerent des qualités merveilleulës, comme de nager fur 1'eau , d'engraifler un chameau maigre «m Ia porte, d'avoir quelquefois une fi grande pefanteur que jlufieurs hceufs ne peuvent 1'ébranler, Sc quelquefois d'être ion légere, Si. plufieurs autres chofes fabuleufes. Ils prétendent auffi qu'autrefois cette pierre étoit d une blancheur «blouiffante, Öc que les pécfeés des hommes l'on rendu noire comme elle eft aujourd'hui. Les pélérins baifent religieufe■ment cette pierre noire; Sc ils ne creiroient pas, fans cela avoir fatisfait aux devoirs du pélérinage de la Mecque. (i Zimzim, nom d'un puits qui eft a la Mecque , que les j^iilulmans duent être la fource que Dieu fit lortir en taveur «l'Agar Sc d'ifmaél, qu'Abraham avoit chafies de fa maifon & obhges dele retirer en Arabie. Ce puits eft en grande véaieration parmi les Mufulmans, 8c tous les Pélérins ne man«juent pas de boire de fon eau, 8c d'en rapporter même dans Jeurpays dans des bouteilles de plomb. Mahomet, pour jendre la ville de la Mecque, qui étoit le lieu de fa naiffcneeplus conhderable , pour échauffer la dévetion des peujles 8c y att.rer une plus grande foule de Pélérins , a donné «Ie grands eloges a 1'eau de ce puits. II y a une tradition da ïm, ree.ue par Omar, qui poite que 1'eau du puits de Zim, Profternez-vous  Je Littérature Oriëntale. -zj-g, ïrofrernez - vous , mon fils , du plus loin que vous appercevrez ce Temple facré, & faites-er» letour plufieurs fois. Sur la Dixme des biens & fur l'Au-' móne. Le Zékath ( i ) ou la dixieme de vos biens, mon Fils, eft de précepte divin ; c'eft le pa— trimoine des pauvres, & la leur refufer, c'eft: retenir le bien d'autrui. Les riches ne font „ pour ainfi dire, que les tréforiers de ceux qut font dans 1'indigence. Vos biens, loin de di—< minuer par voslargeffes, ne feront qu'augmenter. Ceux de 1'homme dur & avare, au con—' traire , fe difliperont comme une fume'e légere qu'emporte le vent, & il fera tout étonné de fe trouver les mains vuides. Dieu qui vous a fait naïtre dans le fein de 1'opulence, pouvoic zim fert de remede & donne la fanté a celui qui en bcit, 6t aue celui qui en boit abondamment recoit la rémiffion de tous fes péchés ( I) Zékath : les Mufulmans appellent ainfi la portion der leurs biens qu'ils doivent diftribuer aux pauvres, felon leuc loi. Onlui donne ordinairement Ie nom de Dixme; mais c'eft abufivement ,tant paree que cette portion n'eft pour les Imans ou Prêtres, qu'a caufe que fouvent elle va jufqu'au cinquieme, fuivant la nature des bien; que l'on poffede, & que les bons Mufulmans fe dépouill?nt fouvent d'un quart ou de Ia moitié de leurs biens, pour (atisfaire a cette obligation. 11 y en a même plufieurs, comme Hafan, fils d'Ali, neveu de Mahomet, & autres, qui fe font dépouillés de tous leur< biens, en une feule fois, en faveur des pauvres. s  &74 Mélangïi vous placer dans celui de la pauvreté :ayeé donc de la douceur & de 1'humanité pour ceux qui font dans le befoin ; que jamais aucune parole défagréable ne vous e'chappe en leut parlant : Ouvrez votre porte aux Dervichs Sc aux pauvres; cette aétion eft plus agréable \ Dieu, que de batir des Mofquées, que de jeü«er continuellement, ou de faire plufieurs foi» le pélérinage de la Mecque. IIne fuffit pas de donner, mon Fils, il faut choifir 1'objet de vos dons : Que la veuve Sc que 1'orphelin tiennent le premier rang; effuyez les larmes que fait couler la mort d'un mari ou d'un pere , ou plutöt qu'ils le retrouvent en vous. Que ceux qui font accablé» d'infirmités touchent votre cceur ; adouciflea par vos foins généreux leur trifte fituation. Qu'il eft doux de porter fur nos pas Ia férénité" &l'abondance! n'eft-cepas imiter en quelque facon le Tout-PuiiTant ? Prenez garde, mon Fils, qu'une vaineoftentation n'empoifonne vos dons : fi vous le» publiez, ils ont perdu tout leur mérite ; Dieu feul doit en avoir la connoiflanc-. Adouciflez, par la maniere de donner, la honte toujours attachée a recevoir. Combien de gens préferent la mort a Phumiliante pofture de fuppliant * D'autres nés dans les grandeurs, Sc devenus h  r£e Littimate Oriëntale: jouct de Ia fortune, dévórent en fecret leurs miferes, & périffent en cachanc leurs maux. Faites vos efForts pour les découvrir , & tariffez la fource de leurs larmes. N'oubliez point cette parole d'un ancien : « En faifant du bien » aux autres, vous vous enfaites a vous-mê« me u. Ne vaut-il pas mieux difpofer ainfi de fes richeffes que de les diffiper dans le luxe & dans la molleffe, ou bien dans des repas fomptueux avec de vils adulateurs qui vous louent en votre préfence, & qui vous déchirent quand vous êtes difparu? Sur V'Etude des Sciences. Coksacrez, mon Eils, 1'aurore de votre raifon a 1'étude des fciences ; elles font d'une reffource infinie dans Ie cours de Ia vie ; elles forment le cceur, poliffent 1'efprit & inffruifenc ITiomme de fes devoirs. C'eft par elles que l'on parvient aux honneurs & aux dignités ; elles neus délaffent & nous amufent dans la profpérité, & deviennent notre confolation dans' 1'adverfité. Je ne finirois point, fi je voulois entrer dans le détail de tous les avantages qu'elles renferment ; mais en vain, fans une application continuelle, vous voudrez acquérir les fciences ; elles font filles du travail, & ce £ z  ijZ 'Mittngtt n'eft que par fon moyen que vous pourrez ob~ tenir leur pofleffion. Tachez de vous orner 1'efprit de toutes fortesde connoiffances ; il fepréfente dans le cours de la vie une infinité d'occafions oü elles deviennent néceflaires. Quelle immenfe diftance n'y a-t-il point du Savant a 1'Ignorant ? La lumiere la plus éclatante comparée avec les ténebres les plus épailfes, la vie avec la mort, &i'exiftence avecle néant, expriment foiblement 1'intervalle quifépare 1'homme inftruit de celui qui ne 1'eft pas. L'ignorance eft la fource empoifonnée d'oü découlent tous les maux qui affligent cet univers, 1'aveugle Superftition, 1'Irréligion la Barbarie deftructrice des Arts, marchent a fes cötés ; elle eft fuivie de la honte, du mépris & de la balfelfe. Lalangue Arabe, cette langue fi riche, & en même temps fi ancienne, qu'elle paroit avoir commencé avec le monde; cette langue que parloit Abraham & fon fils Ifmaël, & qui , depuis ces Patriarches jafqu'St nous, s'eft confervée dans toute fa pureté, doit être le premier objet de vos études : mais il ne faut pas confacrer tout le temps de votre jeuneffe a 1'apprendre. Les langues ne font, pour ainfi dire, que les avenues qui conduifent au temple ok réfident les Sciences.  icta Mélanges maxime ordinaire du fiecle, qui ordonne d» rendre fierté pour fierté L'orgueil elf une maladie cruelle, qui fait enfin périr celui qui en eft attaqué. Ne foyez pas avides des honneurs & des dignités ; elles vous rendroient malheureux dans ce monde, & attireroient peut-être fi»r vous la colere de Dieu dans 1'autre. Je veux pour un inftant que Ia roue de Ia fortune, conf» tante pour vous feul, vous éleve au plus haut degré ; devez-vous pour'cela vous imaginer etre d'une nature plus parfaite que le refte des hommes, & verfer fur eux le mépris a pleine» mains ? Prenez donc garde, mon Fils, que les hommes ne fafcinent vos yeux. Si élevé que vous foyez, n'affectez pas un air de grandeur; ne fouffrezpas que l'on baife votre main (i), ou le pan de votre robe. Saluez tout le monde avec bonté, & n'exigez pas que l'on fe leve quand vous marchez par les rues: mcins vous exigerez de refpeft des hommes, & plus ils feront empreffés a vous en rendre. La diftimulation,quand elle n'eft pas pouifée a 1'excès , eft quelquefois permife dans le cours de la vie, fur-tout avec les méchans. L'on n'eft pas obligé de dévoiler fon ame a leurs yeux pervers : trop de fincérité, en traitant (i) Les petits dans 1'Orient baifent Ia main ou le bas d* lirobs des Grands quand ils !cs abordent.  de Littlrature Oriëntale. 283 avec eux, altéreroit notre tranquillité & troubleroit notre repos. N'allez pas en vil parafite vous préfenter k toutes les tables, & ne faites point gémir fous les coups redoublés du martcau les portes des Grands. Le temps, femblable a un fleuve rapide, s'écoule avec impétuofité, fans jamais revenir, & va s'abymer dans le gouffre des fiecles. Quel aveuglement ou plutót qu'elle fureur de le perdre a faire notre cour a des Hommes qui recoivent nos hommages d'un air dédaigneux ? Le meilleur moyen de conferver un fecret , feroit de ne le révéler a perfonne; il y a cependant des circonftances oü l'on eft bien aifè de le verfer dans le fein d'un Ami ; mais il faut 1'avoir bien éprouvé auparavant, être fur de fa difcrétion. Fuyez ceux qui n'aiment que le plaifir & Ia dilftpation, & qui ont un efprit léger & inconftant. La trop grande crédulité, & Pextrême défiance, font deux défauts oppofés qu'il faut éviter. L'on ne doit ni croire aveuglément tout ce que l'on dit, ni douter de tout ce que l'on entend. Le flambeau du difcernement doit no us éclairer, & nous montrer oü eft la vérité : fermez 1'oreille aux louanges. La plupart nc font dief ées que par une baffe flatterie ou un  S 8 4 Mélanges vil intérêt. Quant aux louanges des méchanj, il ne faut jamais lesécouter; ils ne vous encenfent que pour ternir votre vertu , & vous attirer dans le crime. Ne vous préfentez jamais nulle part, fans y avoir été invité; fur-tout n'allez que dans des majfons oü regne 1'honneur. Que les affemblées oüvous vous trouvez, foient 1'écol* de la vertu & non pas celle du vice. II y a un jufte milieu entre Ie filence & lx trop grande abondance de paroles. On fuit 1'homme taciturne ; & un grand parleur eft regardé comme le tyran de la converfation. La nature ( i ) qui ne nous a donné qu'un feul organe pour la parole, nous en a donné deux pour 1'oüie, afin de nous apprendre qu'il faut plus écouter que parler. Soyez concis dans vos narrations : le véritable moyen de plaire eft de direbeaucoup en peu de mots, & d'inftruire en amufant. ( I ) ( La Nature. ) Ne diroit-on pas que ces paroles font la tradition des deux vers fuivansde Caton le Cenfeur: Os unum Natura , duas formavit CV aures; Ut plus audiret, qu&m loqucrttur homo. Certainement Nabi-Efendi, Auteur de ce petit Traité de) Worale , ne les avoit jamais lus, & ne favoit pas un mot de I-atin. Les Savans , parmi les Turcs, ne s'attachent qu'a Pétude de 1'Arabe & du Perfan , & ont un fouverain mépris pour le Latin, le Grec, & toutes les autres Langues en ufage parmi les Chrétiens. Celui qui parmi eux s'y adonneroit, feToit prefque regardé comme un infidele. Les beaux-efprite le rencontrent.  ie Littiraturt Oriëntale. agfll Parlez a tout le monde avec une douceur mêlee de noblefie & de dignité; fur-tout ne répondez jamais avec aigreur. Reprocher aux autres leurs défauts, c'eft s'ériger en cenfeuc de la fociété. Les hommes ne nous pardonnent jamais de les avoir humiliés. Ne faites point trop fentir dans la converfation la fupe'riorité de votre génie ; c'eft un grand art de mettre les autres a même de faire briller leur efprit. Leur amour-propre en eft flattë, & ils font contens de nous, quand ils le font eux-mémes. Ayez de 1'indulgence pour ceux qui font moins éclairés que vous. Dieu n'a pas de'parti a tous les hommes le même degré de lumiere. Sur la Fourberie. Ne vous abandonnez point, mon Fils, a fo fourberie & a fes détours obfcurs : elle eft !c partage des ames Iaches & balfes. II faudroit encore mieux donner dans 1'autre extrémité & paffer pour un homme fimple. La fourberie eft unvice méprifable, & pre'cipite dans le malheur celui qui s'y livre. Elle nous eft infpiréepar le démon, qui nous égare pour nous faire partager fes malheurs. Le menfonge réfide fur les levres du fourbe * fa bouche n'eft ouverte que pour tromper;  Mélanges II feme par-tout Ia divifion, & il allume Ie feu de la difcorde ; mais il en eft bientót puni luimême. Devenu 1'objet de la haine & du mépris public, aucune de fes entreprifes n'eft couronnée par le fuccès ; & comme il eft 1'ennemi de tout le monde, chacun s'emprelfe a traverfer fes deffeins : fes jours font empoifonnés par les peines ; il meurt enfin déshonoré. Vous n'ignorez point le proverbe qui dit : « Que tót ou « tard le fourbe eft pris dans les filets qu'il tend s> aux autres u. La fourberie, le menfonge & Ia calomnie , font trois monftres échappés des enfers pour ravager la terre. Un véritable Mufulman doit les combattre & les vaincre. Le bien, la vie, 1'honneur du prochain font des dépots facrés qui nous ont été confiés par le Tout-Puiffant. Ofer y toucher eft un facrilege horrible. Sur le Vin & fur l' Opium. Le vin, mon Fils, étoit un préfent que Ia Nature avoit fait aux Mortels, pour réparer leurs forces épuifées par le travail & adoucir leurs maux. Mais ils ont abufé de ce don précieux ; 1'ufage immodéré qu'ils en ont fait, a obligé notre Prophete a profcrire cette liqueur.  3,88 Mélanges Dallé Mutaléha ( i ), cette fameufe Mag"icïett« ne d'Egypte , préfenta a ceux qui vouloient la faire périr, quand elle les changea en toute forte d'animaux. C'eft 1'effet que produit le jus du Pavot: elle tire de la clafle des hommes, celui qui en fait ufage , pour le ranger fous celle des bêtes. Voyez la démarche d'un preneur d'Opium : il s'avance a pas lents & tardifs; fes jambes peuventa peine foutenir fon corps, tout maigre & décharné qu'il eft; fes yeux pales & éteints, fes joues creufes, fon teint livide & plombé, fontdouter en le voyant, fi c'eft nn cadavre forti du tombeau ou un être qui refpire. Sur la Parure & fur les Dettes. Prenez garde, mon Fils, de vous livrera «nluxe exceflif dans voshabillemens; la beauté étant une des qualités que les hommes prifent le plus dans les femmes, elles font excufables de rechercher avec empreffement tout ce qui 1» liberté de l'eforit cV privant ce 1'ufage de la raifon , elles yroduifent le même effet que le vin, & doivent être profcntes également. _ ... , . _.,» Le meü'eur opium fe trouve a Aboutige, ville de_ Ia I hefcaïde en Egypte, oü il croit beaucoup de pavots noirs; c eft «ela qu'il fe tranfporte dans le Levant jufqu'aux Indes. i i ) Fameufe t agicienne d Egypte , dont il eft beaucoup ?»rlé dans les Romans Orientaux, & que l'on peut compam a notre Circé. ' peut  ie Zitterattire Oriëntale. ügcj pëutla relever. La parure eft faite pour le beau^ fexe j 1'hómme ne doit fonger qu'a orner fori efprit de cortnoiffances utiles & agréables.. Mais fous Ie pre'texte d'e'viter une parure trop recherchés, il ne faut pas donner dans 1'autre extremité, & avoir un air cynique. La propreté & la modeftie, dans les habits, ne font pas incompatibles. Que votre habillement foit conforme a votre état; cependant telles richeffei que vous ayez, ne portez point des fourrures trop précieufes. Celles de renard noir & de martrezibéline, ne font que les dtpouilles des animaux; quelle petiteffe d'efprit n'y a-t-il pas a en tirer vanité ? Souvenez-vous qu'a la mort il vous faudra quitter ces habits fuperbes, & qu'il ne vous reftera qu'un linceul. Le fafte dans les habits plonge dans les dettes,& les dettes précipitent dans une infinité de malheurs. Celui qui eft endetté perd le bien le plus préeieux de la fociété, qui eft la libcrté ; il devient 1'efclave de fon créancier : le terrtle d'un billet échu qu'il eft dans 1'impoflibilité de payer, eft pour lui Ie terme de la vie ; la prifon ou il eft renfermé, lui paroït un tombeau. Un ufurier avide abufe de fon malheur; bientót un change énorme abforbe tout fon bien , Sc acheve de le ruiner : il eft trainé de Tribunaux en Tribunaux, & il devient enfin la fable dg T  a^o Mélange** toute une ville. Voila, mon Fils, les maux qui accompagnent le luxe : je vous en ai fait la peinture, afin que vous les évitiez. II vaudroit mieux être couvert de haillons, aller même tout nud, que d'être endetté : l'on jouit au moins de la liberté. Ne prêtez jamais de 1'argent ; l'on eft fouvent la victime de trop de bonté. La droiture & la reconnoifTance font deux vertus bien rares parmi les hommes. Ils oublient aifément les bienfaits, & nient leursdettes: les faux fermens ne leur coütent rien ; & ils aiment mieux confumer leur argent en frais de Juftice , que depayer leurs dettes. Votre débiteur eft- il attaché a quelque Pacha, ofez-vous alors lui demander votre argent ? fon protecteur va folliciter lui-même les Juges, il fuborne de faux témoins, & malgré la juftice de votre droit, fon crédit le met a 1'abri de toutes vos pourfuites. Ce fiecle eft fi pervers, que l'on n'ofe pas même rendre fervice.  ie Zittcrature Oriëntale. i^fr SUR L'AMBITION. Portrait de ceux qui recherchent la faveur des Paclias. N'Ecoutez point, mon Fils, Ia voix dei 1'ambition : fuyez les dignités élevées ; lebonheur eft dans la médiocrité. Les grandes affaires entraïnent après elles de grands foins ; & celui qui en eft chargé, doit renoncer a fa propre tranquillité. Mais c'eft peu que de faire Ie facrifice de fon propre repos, il devient encore 1'objet de Fènvie publique : Iahaine, la jaloufie fe déchaïnent contre lui, & la calomnie aiguife fes traits. Le Sage fuit les Cours des Pachas. Eh ! qu'iroit-il faire dans des lieux d'oü la vertu eft bannie, &oü regnent 1'injuftice & la tyrannie? La fcience, le mérite, la probité, ne fontpoint des qualités qui puiffent nous attirer la faveur des Gouverneurs de Provinces : ils ne 1'accor, dent qu'a d'infames délateurs, qui ontle coupable talent de les enrichir, en leur apprenant Part de fouler les peuples. Les Pachas reffemblent au chaffeur avide; qui fe fert du faucon pour faire la guerre aux habitans des airs. Ils mefurent la confidératiori T *  de ZitttfaMre Oriëntale. 2.57 torde affreufement la bouche, qu'il roule des yeux égarés ; mais fur-tout s'il flatte ceux qui le confultent, & qu'il ait 1'adrelTe de leur pné' dire des chofes agréables, il ne manque pas de ' réuftir. Si par hafard une de fes prédiftions hafardées eft vérifiee par 1'événement, c'eft alors que la foule des Clienrs augmente: 'les Grands, lesPetics aftiégent fa porte : les préfens pleuvent de tous cótés, &z fes richeffes augmentent avec la réputation de fa fainteté. Prenez garde, mon Fils, de vous livrera ces Importeurs. Les véritables 5'aints ne font pas avides des biens périffables de Ia terre. Hs font humbles, cachés, Sc fe dérobent aux yeux du Vulgaire profane. Ils ne cherchent pas a éblouir les yeux de la populace par des preftiges. Leurs miracles font revêtus du fceau de 1'authenticité : ils commandent aux élémens & aux maladies. La mort même obéit a leur voix, Sc leur rend Ia proie dont elle s'étoit déja faifie. Ils font les Favoris du Tout-Puiffant, qui fe plait a les inftrnire de fes fecrets. Ils font caufe que Dieu conferve le monde ; Sc ils dëfarment fon bras vengeur, pret a Ie faire rentrer dans le néanr. Sur le Printemps & fur la. Mujique. Lz Printemps, mon Fik , eft la plus bellis;  498 Mélanges de toutes les faifons; la Nature qui paroiftoit \ expirante, pendant les rigueurs de 1'hiver, fe ranime & reprend une vie nouvelle. Tous les j êtres qui la compofent font dans un doux mou- ] vement, & tout annonce une révolution gé- j nérale. La feve dans les végétaux, & le fang dans les animaux, circule avec plus de rapidité. j Les arbres fe parent de leurs nouveaux vête- ! mens, & les prés font émaillés de mille fleurs jiaiflantes.. Les ruiffeaux, dont 1'onde captive ; paroiffoit enchainéc par les noirs aquilons, bri- j fent leurs chaines a 1'approche des doux zéphyrs„ I Les oifeaux chantent leurs plaifirs, & font retentir les bois de leurs ramages amoureux. Livrez-vous, mon Fils, a tous les charmes j de cette belle faifon. Abandonnez alors la pompe des Cités, pourhabiter les humbles cam- j pagnes. Elles ont été le premier féjour de 1'Homme ; l'on y goüte des plaifirs , moins brillans peut-être, mais plus pursque ceux que ï'on prife tant dansles Villes. C'eft-la ou le Philofophe, après avoir contemplé la Nature, ne peut s'empêcher d'admirer la grandeur de Dieu dans fes ouvrages. Les prairies & les forêts ne laiffent point de trifteffe dans le cceur de 1'homme. Eft-il un lieu plus favorable aux amans , & oü ils puiffent giieux entretenir leur douce rêverie ? Tous les  de Zittirature Oriëntale. 299 fens font flattés a la fois: les yeux par la verdure, 1'odorat par le parfum qu'exhalent les fleurs, & le chant du roffignol fait les délices d'une oreille fenfible. Que la mufiqueait del'empire fur votre ame ; abandonnez-vous a toutes fes impreflïons: qu'elle vous enleve &c vous tranfporte hors de vous-même. La Mufiqne» ainfi que la Poéfie, peint les objets a 1'efprir. Elle exprime les différentes pafhons; elle a des refforts fecrets, tantöt pour nousattendrir, tantot pour nous mettre en courroux : 1'ön diroit dans ces inflans, que le cceur eft d'intelligence avec les oreilles. Sur la Poéjie. Avant de courir, mon Fils,'la pénible carrière de la Poéfie, il faut confulter vos forces : fi vous fentez au declans de vous-même, ce feu divin qui embrafe les grands Poëtes , livrez-vous alors a votre génie. Nourriffez d'abord votre efprit par la lecfure de ceux qui ont excellé dans 1'art des Vers. Néfi & Baki tiennent le premier rang parmi les Turcs. La Perfe, fertile en beaux efprits , a produit un grand nombre de bons Poëtes. Quelle puretë & quelle force ne trouve-t-on pas dans Saïb & dans Kélimi ? Djami, Nouri tk Hakani bril—  30© Mélanges lent de mille beaurés que l'on ne peut décrire. Sadi, comme un tendre roifignol, fait retentir les bocages de fes accents mclodieux, Chevket, femblable a un aigle, éleve fon vol ambitieux jufqu'au ciel. Hafiz chante 1'amour Sc le doux jus de la treille, tandis qu'Attar tache de rendre les Hommes plus vertueux par les préceptes de la plus fublime morale. Les Arabes n'ont point cultivé avec moins d'ardeur la Poéfie que les Pcrians: ils ont mème plus de cet enthoufiafme divin, de cette fureur poétique ( fi j'ofe ainfi m'exprimer ) qui faifit, échauffe Sc enleve le cccur. Leur nyle eft impétueux, leur imagination vive peint avec forces les objets, & ils mettent dans leurs vers toute la chaleur du climat qu'ils habitent. Ils reffemblent a un diamant qui étincellede mille feux; mais pour fentir leur beauté, il faut entendre leur langue. Quiconquc veut atreindre la perfe&ion, doit favoir parfaitement 1'Arabe & le Perfan : ces deux langues font comme les ailes avec lefquelles un Po;Jte qui veut prendre fon effor, peut s'élever dans les airs : fans leur fecours il rampera toujours par terre. Voulez-vous, mon Fils, que vos Vers , eftimés de vos Contemporains, paffent a la poftérité. Que toujours la rime foit d'accord avec la raifon; que fous un erablême ingénieux , fous  de littirature Orientate. $öt une allegorie fine , ils renferment une vérité utiïe, qa'ils contribuent enfin a rendre les hommes plas vertaeux. Le jardin de la poéfie eft fee ik aride, s'il n'eft arrofé des eaux de la Philofóphie. La plupart de nos Poëtes médiocres, ne parient que de Narciffe, de boucles de cheveux , de vin & de roifignol. Veulent-ils faire le portraitde la Beauté imaginaire dont ils font épris, ils la comparent tantót au Printems , tantót a une prairie émaillée. Ses levres font comme la rofe, & fon teint comme le jafmin. Servils & froids imitateurs, leurimagïnation languiffante, ne leur préfente point de nou velles images; ils n'ofent marcher par un chemin qui n'a pas été tracé. La vérité, mon Fils, n'a pas befoin de Ia fatyre,pour nous faire entendre fa voix. N'occupez donc jamais votre mufe a ce genre de Poéfie. Un fatyrique de profelfion eft redoute de tout le monde , & perfonne ne croit être a. 1'abri des traits malins de fa plume. Lahaine, 1'envie fe déchainent contre lui, & les maux que lui caufent fes Vers mordans, le font repentir mille fois de s'être livré a fon génie cauftique,  gox Mélanges Dangers & malheurs de cet état. H Eureux celui qui, la balance a Ia main, pefe exa&ement fon revenu avec fes dépenfes! Plus heureux encore celui qui, confidérant 1'inconftance des chofes humaines, prévoic de loin un revers de fortune, ic fait, par une fage e'conomie, fe ménager des reffources affurées contre un avenir facheuxl Mettez un frein a votre ambition, mon Fils, & ne foupirez pas après les honneurs. Plus vous ferez élevé, plus vousferez malheureux: le bonheur eft dans la médiocrité; il n'eft pas dans les richeffes & les hautes dignités. Un ruiffeaü qui roule paifiblement fes eaux, fuffit pour fertilifer votre jardin; un torrent impétueux, en 1'inondant, le détruiroit. Mais de toutes les Dignités, que 1'ambition des hommes a inventée, celle des Pachas eft la plus dangtreufe. La vie d'un Pacha eft un tiffu' de chagrins & d'inquiétudes. Iljouit, il eft vrat d'un autorité fans bornes dans ce monde ,mais PORTRAIT DES PACHAS Ou Gouverneurs de Provinces.  êe Llttérature Oriëntale. ^ il a tout a redouter dans 1'autre. Cruelle alternative que celle oü il f, trouve continuelleroent: s'il commet des injuftices, il fe renfj[ coupable aux yeux de Dieu, & s'il n'en commet p01nt, üne peut fefoutenir dans Ia place qu il occupe. Tout lagite, 1'inquiete, le r0nge Une dort ni jour, ni nuit. La vue d'un Officier de la Porte, quiarrivede Conftantinople, lefaitpaIir;illc croit porteur du cordon fatal, ou tout au moins de 1'arrét de fi trl'éZ ^ 1ui»fM»fcWffir éblouir par léclat trompeur attaché k Ia dignité de Pacha, perce jufqu'aux peines & aux chagrins qui en font mféparables, ceffe de defirer un Inen auffi dangereux, & refuferoit Ie „Z2 Je n'ignore point qu'il y a quelques Pachas i templis de droiture & de probité; loin d'avoir brigué la dignité k laquelle ils font élevés , ilsnelontacceptëe que par force: mais malJ toutes leurs bonnes intentions, ils font oblies €ielela,lfer entraïner par Ie torrent, & leur j vertu fait naufrage. Pourroient - ils foutenir leur rang , & vivre avec dignité, s'ils fe bornoient au feul revenu de leur charge ? Un (O nouveau Gouverneur, pour aifouvir ( « ) R.en n'ég.1. la tyrannie qui regne danj ,M  3o4 MiUngtt ___\ 1'infatiable avidité d'un Sultan, ou de fes Fa~ voris, de fes Miniftres, de fes Eunuques, eft obli^é, avant d'obtenir fon Gouvernement , de puifer dans labourfe d'un ufurier. Sontrain, fes équipages, fes chevaux, fes tentes, 1'habillement de fes Officiers, fes troupes d'Infanterie & de Cavalerie, lui coütent des fommes ïmmenfes; il arrivé dans la province oü il doit commander, abymé de dettes, il ne peut les acquitter qu'en foulant les peuples. II y a d'autres Pachas qui aiment naturellement la tyrannie. Leur cceur fombre & farouche eft inacceflible a la pieté : ils fe font une .loire de leurcruamé, & de dépouiller égafement les Grands & les Pedts. On leur donne, en leurparlant, le titre pompeux de Confervateurs & de Modérateurs de 1'Univers, dont ils font le fléau, & dont ils troublent 1'ordre & 1'harmonie par leurs vexations. Qui pourroit ces de 1'Empire Ottoman. te defpotitme & l'avidité de. Pachas & Plus encore celle des Favons du Sultan & des 1 'roeiers de la Porte en font la caufe. Quoique es Srt neX" pas v'nales, il n'en coute pas moins des ommes trè -confiriérables a ceux qui y parv.ennent.; .1 fant tommes tr préfens a tous ceux qui ont du pour les ohten r ^ D;van. Celut " M ^ poTn^e t^ins^ IZ de „ uvtnx préfens? il ne fe &fle continuer 1'année foj J , U Pacha anivé dans une Province ne fonge qua amaffër de 1'or par toutes fortes de vo.es; del* ftceueil q"f fait aux de^lateurs, & tous le* maux qu. defolent lal Province qui lui a été conüee. décrirsl  'de Littiratare Oriëntale: 3 @y m ïa dépofition de tous les Pachas. Ils fa vent, a les entendre, tout ce qui fe paffe dans le Divan de notre augufte Sultan; & ils prédifent la paix pu la guerre.Les négociations les plus fecrettes , ne Ie font pas pour eux, & rien n'échappe a leur prétendue fagacité. Ils s'entretiennent de millepro jets chimériques, & font occupésde 1'Erat, tandis qu'ils négligent leurs propres affaires! Les imbe'cilles les écoutent avidement & les admirent; tandis que les gens feniës femoquene de leur babil inutile. SUR LA GRANDEUR DE DIEU ; Et le néant de ühomme. CjRand Dieu ! qu'eft-ce que 1'homme comparé a ton immenfité ? Unatome imperceptible, une goutte d'eau plongée dans la vafte e'tendue de 1'Océan. Et cet univers,fi grand, fi manifique , ce n'eft qu'un jeu de ta main puiffante : ces globes lumineux qui décorent Ie firmament, qui roulent fi majeftueufement fur nos têtes, leur éclat leur beauté; & cette harmonie fi conftante qui regne dans tous leurs mouvemens; tantdemerveilles, grand Dieu ! s'éclipfent & difparoiffenc 4evant ta Majefté & ton pouvoir. Ainfi voit-oa  gio Mélanges dans des déferts arides, ces faux lacs formés des rayons du foleil fur un fable brülant, trompet 1'ceil avide du voyageur altéré, difparoitre a fes yeux a mefure qu'il s'en approche, & ne lui Jailfer que fon défefpoir Sc de trifies regrets. Pur Efprit, fuprême Intelligence, tu échappes aux vaines recherches des mortels orgueilleux ! Le 'téméraire qui a ofé fonder 1'abyme de ton effence n'a pu y trouver de fond. La feule penfée de ton Etre divin plonge tous les efprits dans 1'étonnement ; en vain veulent-ils s'élever jufqu'a toi, & méditer fur ta nature Si tes perfections iafinies : Plus ils te contemplent, moins ils te concoivent; ils font enfin forcés de reconnoitre 1'infuffifance & la folie de leur foible raifon, & il ne leur refte que la honte d'avoir été affez téméraires pour prétendre approfondir tes canfeils impé•nétrables. Quel ccil pourroit percer ce voile épais qui te dérobe aux yeux des enfans d'Adam ? Quel eft Phomme capable de foutenir la lumiere éblouiffante qui brille fur ta face adorable ? Les Anges eux- mêmes, abymés a la vue de tant de gloire Sc de Majefté, & proflernés aux pieds du tröne, fe couvrent de leurs ailes 5c te réverent en tremblant. Taiuöt nous éclairant des lumieres de ta  S11 Mélanges Souverain Difpenfateur des biens & des ynaux, tu les répands fur tes créatures, felon fes vues de miféricorde ou de juftice fur elles ; & les tréfors de ta colere font auffi inépuifables igue ceux de ta bonté. Tu donnés les Empires, & tu les ótes a ton gré : tu diffipes comme de la pouffiere les Puiffances les mieux affermies, & de leurs débris épars, tu en formes mille autres. Le Monarque prgueilleux, qui enflé de fon pouvoir & de fa profpérité, éleve une tête altiere dans les aiues, & veut s'égalera toi, fe fent tout-a-coup accablé fous le poids de fa propre grandeur ; landis que ta main puilfante va tirer le limple berger de fon humble toit, pour le mettre a fa place, & le décorer de fes dépouilles. Tu tiens entre tes mains le fort du genre humain.-une feule parole de ta bouche divine peut ouvrir les tombeaux, rendre la vie aux morts, ¥feyelir les coupables vivans; & 3'homme rentre dans la boue dont tu 1'as pêtri. Les élémens font foumis a tes ordres ; ils fhangent de nature a ta voix, & deviennent les ünftrumens de ta vengeance ou de ta miféricorde. C'eft en vain que tes ennemis tachent de fe fouftraire a ton courroux:ils vont au devant de la mort, en voulant 1'éviter; & les rivieres yoient avec étonnement leurs ondes transfer-  de Littlrature Oriëntale. 3 Tjj Wies en un feu vengeur qui les confume a 1'inftant. Tu n'operes pas de moindres prodiges, pour confoler tes amis ; & Ia fournaife ardence dans laquelle J'impie Nembrod ( 1 ) fait jetter Abraham ton fidele adorateur, eft changée en un bain d'eau rofe. L'univers faifi de crainte, s'eft tü devant ta Majeflé adorable. Le Prophete a dit, que tes perfeaions font comme une mer dont on ne peut trouver le fond; & moi, vile argille, j'ofcrois en fonder Ia profondeur?Hélas!le monde que j'habite, eft un myftere pour moi; & je porterois des yeux curieus dans les fecrets des cieux ? Nos plus éclairés Philofophes n'ont rencontré que ténebres dans une pareille entreprife , & en voulant tout connoitre, ils ont tout ignoré. Pour laver les taches d'iniquité qui couvrent les vètemens des hommes , une feule goutte d'eau de 1'océan de tes miféricordes eft fuffifante, ó mon Dieu ! Imitateur de cet animal, fymbole de la fidélité, qui ne connoït que la voix de fon maitre; c'eft vers toi feul que j'adreffe mes regards, c'eft a toi feul que j'adreffe mes vceux. (i) Abraham, fuivant la tradition des Mufulmans, avant refufe d adorer Nembrod , ce I'rince irrité le fit jetter dans Wf.e fournaife ardente, d'oüaéanmoin» Uen fortit fair. & fau£  314 Mélanges Puifque tu as dit aux pécheurs : Implorez ma clémence; laiffes-toi donc nechirpar les cris que pouffe vers toi le coupable Khalil. Féridoun , Roi de Perfe, avoit fait graver fur fon tröne ces paroles : EEtre immuable, qui a créé cet univers, mérite feul notre attachement : ce monde périffable nen eft pas digne. II ne nous éleve au fake des grandeurs, que pour nous précipiter dans la nuit dutombeau. Puif~ que la mort n'épargne perfonne , il eft indifférent quelle nous furprenne fur le tróne , oufous le toin d'vne humble chaumiere : mais il ne l'eft point y qdelle nous trouve vertueux. Sur la briéveté de la Vie , & fur le bon ufage qu'on en doit faire. Les momens fe fuccedent rapidement les uns aux autres, nous avancons a grands pas vers le terme de notre vie : O toi ! qui a paffe la plus grande partie de tes jours dans la diffipation, profite du moins de 1'inftant qui te refte. La fatale trompette ( 1 ), fignal d'un départ, s'eft déja fait entendre, fans que tu fois pret a te mettre en marche, un fommeilléthargique s'eft (1) { Trompette.) Cette comparaifon eft tirée des Caravanes , dont 1'heure du. départ eft anngncée tous les marine par des trompettes.  de Zittlrature Oriëntale. 3 i j emparé de tes fens; tu foupires après les honneurs & les richeffes, au moment qu'il faut les quitter. Superbes palais, valles édifices, vos premiers habitans ont difparu ; de nouveaux leur ont fuccédé,qui feront fuivis par d'autres: tout finit, tout a un terme. Nous ne devons donc pas nous lailfer éblouir par le faux éclat des biens de ce monde; la vertu feule nous accompagne dans le tombeau. Sur le danger des Plaifirs, la Mort & la Vertu, Arïach e-toi, Mortel indolent, au fommeil léthargique qui s'eft emparé de tes fens» fonge au long voyage que tu dois faire; n'oublie point que 1'heure de ton départ eft incertaine: des dangers de toute efpece t'attende fur le chemin ; femblable a un labyrinthe , il eft rempli de fauffes routes :tu es perdu fi tu t'égares. Ne t'énorgueillis point de tes richeffes, & ne mets pas ta confiance dans les grandeurs qui t'environnent : elles difparoitront un jour k tes yeux, comme un nuage léger que chaffe le vent. O toi! qui regarde les pauvres avec dédain, psnfe que Dieu eft le diftributeur des biens, & que ft tu as recu plus que les autres ,  wé ïittirature Oriëntale. aafr CONSEIL DU ROI FÉRIDOUN A fes Enfans. TT- JTEridoun (ï), «Roi de Perfe fi re~ nommé par fa fageffe, difoit a fes enfans: „ La « vie de l'homme eft comme un livre, & les » jours dont elle eft corupofée font les feuillets » de ce livre : ayez foin de n'y écrire que des » aaionslouables, & qui concourent au bon» heur des peuples que vous êtes deftinés a » gouverner ft. de la Couronnede Perfe Unf,m„i f ' ufllrPateur torg ron attacha au bout d'un baton fon uWiel de * ooun , pour conferver a la poftérité la j " ^fSS-Sd^J 5?e' 11 W ft. Wpere.cmi aimoit ptus Teur"& ^Sffitó! prejud.ee , hrent périr ce frer- ,n Mwc "antag= » leur ~e jufuu'a ^aterÖfe^ £STStf ^Tc\UeparryaeVi4^P°HUr r'T r--efipar' I en étatde porte le armé ilT'-a;0,t ,V dement dun' £ 1™^!^ Pnnce vanuit feï deux ónclef. qUe"e Ce 'ei!ri* X  3 is. Mélanges Quelle ejl la jituaüon de la vie ou. L'Homme ejl le plus d plaindre. Cosroès, Roi de Perfe, s'entretenoit un jour avec deux Philofophes, 1'un Grec, & 1'autre Indien, &Buzur-Djumher, fon grand Vifir: II leur demanda quelle étoit la fituation de la vie oü l'homme étoit le plusa plaindre? Le Philofophe Grec foutint que c'étoit Ia vieilleffe, accompagnée d'une extréme pauvreté. » Avoir le corps accablé d'infirmités, & 1'efprit « Sc le cceur malade par Ie fouvenir de longues » infortunes, eft a mes yeux, dit le Philofophe » Indien, le fort le plus déplorable. Je connois » quelqu'un de plus a plaindre, dit Buzur)> Djumher, c'eft celui qui a paffé fa vie fans «faire le bien, & qui, furpris par la mort, n va paroitre devant le Tribunal du fouverain » Juge «. " BIBLIOTHEQUE Des Rois des Indes. jLrf A Biblotheque des Monarques Indiens , étoit compofée d'un fi grand nombre de volumes, qu'il falloit cent chameaux pour la tranfporter.  «fe Litteraturc Oriëntale. 3^ Ün Prince, amateur de la ledïure & des voyages, pria un Savant de choifir ce qu'il y avoit de meilleur dans chaque livre, & d'en compofer une Bibliotheque plus portative LeSa^ vant fit desextraits, & dix chameaux fuffirent au lieu de cent. Un autre Roi trouva qu'il y avoit encore trop de volumes : un Bramin fut chargé de Ia diminution. Comme il connoiiToit Ie génie du Pnnce ennemi de la leflure, il réduifit toute la bibliotheque a ces quatre maximes. i. La Jufiice doit étre 1'ame des adions d'un Koi: elle fan naïtrela tranquillité dans fes Etats & ï amour dans le cceur de fes Sujets. L'injuftfeé au contraire efi la fource de tous les troubles «x lui ahene les efprits. ' *• Un Etat ne peut fubfifter, fi les mceurs de ceux qui Ie compofent font dépravées ; en vain réclameroit-on 1'aütorité des loix. Un Sultan doit donc empêcher la corruptior. de fe glifier parmi fes Sujets. Un peuple vertueux eft toujours un peuple fidele. 3- L'unique moyen de conferver la fanté , ce bienfiprécieux, eft de manger quand 1'appéut 1'ordonne, & de ceffer avant de 1'avoit entiérement contenté. 4- La vertu d'une Femme confifte dans une retraite qui la mette a 1'abri des occafions : in-  de Littèrature Oriëntale, 3 % j Sur la Colere, & en particulier que celle , des Rois doit être renfermée dans dz ju/les hornes. L a colere du Prince doit avoir des bornes, meme avec fes ennemis; autrement il perdroit laconfiance de fes propres Sujets, auxquels il deviendroit trop redoutable.Lefeu de la colere s'il n'eft modéré par la prudence, eft fi violent qu'il commence par confumer celui qui en eft embrafé, au lieu qu'il eft fort incertain qu'il produife le même effer fur celui qui l'a allumé. A voir un foible mortel s'emporter & fe mettre en fureur , diroit-on que la terre eft l'élément dont il a été compofé, ne croiroit-on pas plutót que Ie feu eft le principe de fon exiftence ? Sur l'Avarice. L' oh. enfermé dans les entraillesde la terre, cede a peine aux travaux pénibles de ceux qui vont 1'en tirer. Ce métal pricieux n'eft pas moins difHcile a arracher des mains de 1'avare : il ne s'en défaifit qu'en mourant. L'efpérance de^la poffefïion le flatte plus que la pofllffion même : il accumulc des richeffes pour un héritier impatient, quelquefois pour un inconnua ©u même pour un ennemi. X 3  31£ Mélanges DISPOSI TIONS De celui qui veut donner des Confeils aux Rois. 0> El ui-la ( i ) feul peut porter lave'rité jufqu'au pied du tróne, & la faire entendre au Sultan qui y eft aflis, de qui 1'ame n'eft ébranlée ni par 1'efpoir des richeffes, ni par la crainte de la mort. Sur le danger quil y a ct éclair er les Rois Jurles fautes de leurs Minijlres. Il eft dangereux ( i ) d'éclairer les Rois fur les fautes que commettent leurs Miniftres. II faut être bien fur auparavant qu'ils feront ufage des lumieres qu'on leur donne ; autrement la mort eft la récompenfe d'un zele indifcret. DIVERS COMPARAISONS. U N Sultan fans équité, eft comme un flcuvefans eau ; un pauvre fans patience, eft comme (1) (Celui-la. ) II n'y a qu'un homme né fous un Gouvernement defpotique qui puiffe ainfi'parler (2) (II eft dangereux. ) Cette maxime & Ia précédente ne font vraies que dans 1'Orient, ou tous les Gouverne-. mens font defpotiques.  de Zittlrattire Oriëntale. 3 %j une lampe fans huiie ; une femme fans pudeur eft comme un ragout fans fci. Un homme qui étudie les fciences, fans aucune difpofition naturelle, reffemble a un Amant fans argent. Un yoyageur fans fcience, eft comme un oiieau fans ailes. Un Savant que la fcience ne rend pas meilIcur , eft comme un bel arbre qui ne porte aucun fruit. Un Religieux fans fcience, eft comme une maifon fans porre. SATYRE DE VEISI- ÉFENDI Contre les Moeurs de fonjlecle. G Rawds de Conftantinople que les accents de ma voix frappent vos oreilles, & vous réveillent du fommeil léthargique dans Iequel vous étes piongés. La colere de Dieu eftprête a eclater fur vos tetes coupables. L'éclair brille déja il va lancet fes foudres. Loin de Wer a defarmer fon bras, vous provoquez fes vengeances par de nouveaux crimes ; vous détruifez ledificefacré de la Foi & de Ia Religion pour élcver des Temples a 1'Ambition & a la" X4  5 li Mélanges Volupté. L'impiété de Pharaon a-t-elle jamaïs, égalé la vótre ? Vous opprimez les Petits par vos tyrannies, 6 vous envahiffez 1'héritage de la Veuve & de 1'Orphelin. Les pleurs, les gémifferaens de tant de malheureux, qui ne le font devenus que par vos injulfices, ne vous touchent point. Vos coeurs plus durs que le marbre font .inacceffibles a la pitié. J'ignore la Religion que vous profelTez : comment la pourrois-je connoitre, puifque les coupables exces auxquels vous vous livrez, font profcrits dans ( i ) les quatre livres émanés du Très-Haut. Vous avez fecoué le joug des loix. Les conftituticns admirables de cet empire, qui ont élevé fa gloire a wn fi haut degré, oppofent unefoible barrière a votre avi^ dité. Rien ne vous arrête, quand ilfautfatisfaire vcs paffions. Comment les loix feroient-elles refpectées, puiiquc les Cadis, qui en font les dépofitaires , font les premiers a les éluder. Le Temple de la Juftice eft devenu celui de la fourberie &c de la faulTeté. Cadis injuftes, vous cifférez k rendre juftice aujourd'hui, craignez demain un Dieu vengeur. Les quatre livres. ) Les Mabomettns regardent comme canoniques le Penrareuque de Moyfe , les Ffeaumes de David , 1'Evangile & 1'Alcoran.  ie Littêrature Oriëntale-. 32,^ 7e connois votre fyftême & toute fon abfurdité; vous prétendez que l'homme après fa mort, fcmbJable aux brutes, rentre dans le ne'ant d'ou 11 eft forti, èV qu'il n'a rien a craincre ni a efpérer. J'entrevois le motif qui vous engage a foutenir une opinion aufli erronée r vous niez le Jugement dernier, paree que vous Ie redoute?, & paree que vous defirez qu'il n'y en ait point. L'or, 1'argent & la volupté font les feules divinités que l'on adore dans ce fiecle pervers. Les Grands de Conftantinople fe font enttérement Hvrés aux Femmes. Ont-ils oublié Ia coupable complaifance d'Adam pour Eve, & les maux qu'elle attira fur ces premiers Peres du genre-humain ? Sur les Ennemls^ LTn Prince doit être tranquille quand il voic la diviiion & 1'animofité régner parmi fes ennemis; ils ne deviennent redoutables , que quand d'accord entr'eux, ils peuvent réunir toutes leurs forces contre lui Sur la fauffz Amitiéi Quand un ennemi a épuifé tous les traïtS de la violence & de la force, il prendle mafque  ,330 Mllangu de i'aminé, & nous porre, comme ami, les coups dont il n'avoit pu nous fra^per étanr, notre ennemi. Sur les Donneurs de mauvaifes nouvelles. Ne foyez point le premier a annoncer une mauvaife nouvelle ; il vaut mieux qu'elle s'apprenne par un autre. N'imitez point la chouette & le hibou, dont lescris lugubres alarment trut le voifinage. Rèffemblez plutót a 1'aimable roffignol qui, par fon chant mélodieux, nous apprend le retour du printems. Sur les faux Amis & les Flatteurs. Ne vous laiffez point furprendre par les feintes marqués d'amitiéde votre ennemi, ni par les louanges empoifonnées d'un flatteur. Le premier s'enveloppe du manteau de 1'amitié, pour vous perdre ; & le fccond, en vous prodiguant un vil encens, fe rit de votre crédulité. Sur la Science & fur Vignorance. Un Ignorant qui fe trompe eft plus excufable qu'un Savant qui commet la même fautc. Le premier reffemble a un aveugle , qui ne pouvant fe conduire, s'eft égard" de fon che-  de Zittérature Oriëntale. 331 min : Ie fecond eft comme celui qui, avec des yeux de linx, fe laiflèroit tomber dans un puits. Sur l' Indigence. On ne peut bien connoitre toutes les peines attachées a 1'indigence, fans les avoir éprou. vées foi-méme. Un homme dans le fein de 1'abondance, Sc dont la table eft fèrVie des mets lesplusdélicats, cqnnoit-Ulafaim & tout ce qu'elle fait fouffrir ? Sur les Malheureux. Un homme eft tombé dans la mifere; ne lui demandez point la caufe de fon malheur , a moins que vous ne youliez lui porter une main fecóurable. Sans cela , vos queftions déplacées rouvriront toutes fes plaies. CO MP AR AIS ON Sur 1'Ignorant & le Savant. T | 'Ignorant , dans Ie fein de Ia ricbciTe , I reffemble a un vafe de terre dont les donors' |fontdorés; Sc le Savant dans Pindigcnce, eft j;comme une pierre précieule enchaflee dans ua vil métal.  ijj l Mélanges Sur le véritable Bonheur dan? cette vz'*, Cinq chofes contribuent au bonheur de: l'homme dans cette vie. Avoir un véritable ami, tk point d'ennemi ; jouir d'une bonne fanté, & d'une honnêce médiocrité des biens de la fortune : ajoutez a cela la tranquillité » Caroun, qm vous en a conjuré par q ntre fois différen- * tes; s,l fe fut adreffé a mti une feule fois, je ne la lm m aurois aas refufée. $ >  34© Mélanges profpérité , nous abandonne dans nos difgrs» ces. L'adverfité eft le véritable creufet de 1'amitié. Les bienfaits s'écrivent fur Ie fable, le moindre fouffte les efface; & les injures fe gravent fur 1'airain, rien ne peut détruire i'impreflion qu'elles font fur nous. Le meilleur ami eft celui qui nous infpire de la haine pour le vice, & de 1'amour pour la vertu. La vie de l'homme n'eft pas trop longue pour étudier les Sciences. II doit commencer au fortir du berceau, & ne finir qu'en entrant dans le tombeau. Les mets les plus délicats ne peuvent faire aucun bien kun eftomac foible & dérangé : de même les confeils les plus fages ne font aucune imprefiion fur celui qui, poffédé de la foif des richeffes, court fans ceffe après elles. La prudence fans le courage eft inutile; & Ie courage qui n'eft pas guidé par la prudence, eft fureur. L'Etre Suprème qui lit jufqu'au fond de nos cceurs, & auquel nos actions les plus fecretes n'échappent pas, les couvre d'un voile; l'homme d'une main facrilege ofe arracher ce voile. Le Savant connoir. 1'Ignorant, paree qu'il a  'de Littirature Oriëntale. 3 4 r lui-même autrefois enveloppé des ténebres öc Iignorance. Mais celui-ci ne peut pas connoure le Savant, paree qu'il n'a jamais été éclan-e du flambeau de la fcience. Deux fortes de perfonnes font infatiables celui qU1 cherche la fcience, & celui qui courc apres les richeffes. Un Monarque adoré de fes fujets, eft plus fort que celui qui a des armées nombreufes, fans le cceur de fes peuples. La perfeSion confifte dans trois chofes : 1 amour de Ia religion, Ia patience dans les adverfités, & la prudence dans les adions de ïa vie. Le Méchant eft mort, quoiqu'il foit encore fur la terre; & 1'Homme de bien eft vivanr, quoiqu'il habite la fombre région des morts. Les paroles font comme les médicamens qui font du bien, fi l'on en fait un ufage modïré; & qui nuifent, en les multipliant trop. L'Amour eft un maitre impérieux, ou plutót un tyran cruel : il fe fait un jeu de nos peir.es ; le repos qu'il nous procure eft une véritable fatigue. Si les commencemens de fon regne ont quelque douceur apparente, la fin eft un joug infupportable ; il affoibüt 1'efprit, énerve le corps, & finit par nous faire tomber dans Ia mifere & dans le mépris.  tj4£ Mélanges, tVc: La plus difflcile de toutes les fciences, eft la connoilfance de foi-même. Un malheur eft fimple, pout celui qui le fupporte avec conftance ; & doublé, pour celui qui fe livre a 1'impatience. L'homme infatiable dans fes defirs, eft enfin obligé de fe contenter d'une poigne'e de terre, Le véritable Orphelin, n'eft pas celui auquel la mort a enlevé fes parens; c'eft celui qui n'a ni lcience, ni éducation. Les fciences reffemblent a un foleil environné de nuages. Sois humble dans ta jeuneffe, & tu feras honoré dans ta vieilleffe. L'Infenfé foupire après les richeffes, & le Sage ne defire que la perfection. Fin de la traduclion de M. Cardannc,  P R Ê F A C E. ■prends pas fculcment les Arabes & les Pet** fans; mais encore les Turcs & les Tartares , & prefque tous les peuples de l'Afie. jufques d la Chine, Mahomètans & Pdiens ou Idoldtres. Les Paroles remarquables do Gengij-Kan & d'Ogtaï-Kan que j'ai rapporties, font foi que les Tartares & les Turcs qui font les mêmes que les Scythes , confervent encore aujourd' hui le même génie CJ a peu prés les mêmes coutumes que, celles dont Quinte-Curce & d'autres Auteurs anciens ont fait mention. Mais > c'eft ce qui arrivé d toutes les Nations qui ne clmngentpas le principal caraclere, fuiyant tequel elles penfent & elles agiffent. Valere Maxime, comme il le dit, ne s'étoit pas propoje de ramaffer toutes les paroles remarquables des Romains & des autre. Nations, paree què c'étoit une entreprife d une trop vafle etendue. Pour la même raifon, je n'ai pas eu auffi en vue de recucillir toutes les paroles remarquables , ni tous les bons Mots des Orientaux. J'ai puij'i dans les msilleurs Auteurs & dans les connoiffances que j'ai acquif'es dans mes voyages au Levant, les Remarques que j'ai cru néceffaires pour l intelligence entiere des paroles remarquables & des bons Mots qui m'ontparu en avoir befoin. Ainfi, elles ne contiennent rien que jcn'aie lu dans ks Livres Arabes, Perfans &  F R É F A C E. "Turcs, ou que je n'aie vu & connu par moi-métne. Je les ai aujji employees d marquer le temps au quel vivoient les Califes , les Sultans, les Princes & les autres perjonnes dont il y ejl fait mention, & je 1'ai fixé précifèment en réduifant les annces de ÏHégire aux annces de la naijjance de Jefus-Chrift. J'ai extrait tout cet Ouvrage en partie de Livres imprimes & en partie de Manuf crits. Les Livres imprimés Jont, VHifloire des Califes par Elmacin, VHifloire des Dynafties par Abou-lfarage, l'une & 1'autre en Arabe, & le Gulijlan Ouvrage de, Sadi en Perfan. Les Manufcrits font, le Bahariftan de Giami en Perjan, compofé jür le modele du Gulijlan, L' Inftruclion d'un Roi de Ma-ianderan pour fon fils aujji en Perfan. Je parle amplement de cet Ouvrage & de fon Auteur dans les Remarques. L'Abrégé de VHifloire Mahométane en Perfan fous le titre d'Hifloire choifie dont il y a une Ver/ion en Turc que j'ai confültée. Un autre Abrégé de la même flifloire auffi en Perfan par Ommia Jahia de Ca-^bin. L'Hiftoire de Gengif-Kan en Perfan par Mirkhond, faifantpartie de fon Hiftoire générale comprife en fix Volumes in-fblio. L'Hiftoire en Peifan de Schahroch fils de tamerhn & de fes fucceffeurs par Abdur-  P R É F A C E. rizzac Efendi. L'HiJIoire Univerfeïïe da Mchemmed Lari ou de la Ville de Lar dans la Perfe écrite en Perfan, dont il y a une ttaduclion en Turc qui fe trouve d la Bibliotheque du Roi. L'HiJIoire Ottomanc depuis Sultan Ofman jujques d Sultan SeUrn premier inclufivement , par Cogia. ■ Efendi autrement nommé Saad-eddin, fils d'un favori du même Sultan Sehm. L'Hiftoire des Poètes Turcs parLetifi qui vivoit du temps de Sultan Soliman. Deux Recue ils dc bons Mots en Turc dont] 'ai choifi ceux qui méritoient d'être publiés. J'ai négligé les autres, paree qu'ils étoient trop yulgdircs ou trop libres & indignes de la, curiojtté des honnétes gens. Je pourrois m ètendre jur les qualités dc 1'efprit des Orientaux. Mais , ce feroit peui-être diminuerle plaifir du Lecleur que de lui expofer par avance ce qu 'il aimera mieux fentir par lui-même. C'eft pourquoi, je lui laijfece plaifir tout entier, afin qu'il juge par le témoignage même des Orietïiaux, plutót que paree que j 'enpourrois dire, s'ils ont raifon de croire qu'ils ne font pas moins partagés d'efprit & dc bon jens que les autres Nations qui nous Jont plus connuesd caufe de leur voifinage.  LESPAROLES REMARQUABLES, E T DES ORIENTAUX. jjjpg pNMahomécan confultoit Aïfcheh , Ij U 1 une des femmes de Mahomet, & lui Ü,5? ïgjt demandoit cor.feil fur la conduite de k t-++++3i fa vie Aifcheh lui dit: Reconnoiffez un Dieu, retenez votre hngue, réprimez votre colere, faites acquifition de la fcience, demeurez ferme dans votre Religion, abftenez-vous de faire le mal, fréquentez les bons, couvrez les de'fauts de votre prochaiii, foulagez les pauvres de^vos aumónes, & attendez 1'éternité pour récompenfe. ( i ) quatorze femmes. Aifched qulfut de ce nombre, étoit fille d Aboubek.r qui fut le premier fucceffeur de Mahomet E t* vecut neuf ans avec lui, & ne mourut que long-temps aprfc fous le regne du Calife itaavia, &gée de 6j ani. ? P ■  34 Méfanges deKhofrou, Roi de Perfe (i), fur une affaire, & Bouzourgemhir n'eut pas de réponfe a lui don. ner La femme lui dit : Puifque vous n'aveas pas de réponfe a me donner, pourquoi étesvous dans la charge que vous occupez ? Les appointemens & les bienfaits du Roi que vous recevez font fort mal employés. Bouzourgemhir repartit : Je fuis payé pour ce que je fais, & non pas pour ce que je ne fais point. Un Tailleur de S'amarcande, qui demeuroit pres de la porte de la ville qui conduifoit aux Cimetieres, avoit en fa boutique un pot de terre pendu a un clou , dans lequel il jettoit une petite pierre a chaque mort qu'on portoit pour étre enterré , & a la fin de chaque Lune il comptoit les pierres pour favoir Ie nombre des morts. Enfin, 1? Tailleurmourutlui-méme, Sc quelque tems après fa mort, quelqu'un qui n'en avoit rien fu voyant fa boutique fermée , demanda oü il étoit, & ce qu'il étoit devenu ? Un des voifins répondit: Le Tailleur eft tombé dans Ie pot comme les autres. ( i ) f0 Khofrou elt Ie mémeRoi de Perfe, qu! s'?ppeHe Nonff. cnirvan & Anoufchirvan fous qui Mahomet nnquir, & Bou. zourgernhir eroit fon premier Miniftre. L.s Orientaux parient de Nonfeh.rvan comme du modele d'un Prince accóm- P ' ■ ÏI?n„cnt B""zourgemhir pour fervir d'exemple a tous les Mmiftres. r2 KiWaous rapporte cette plaifanterie dans Pinflruflion pour le Prince fon fi!s, en lui marquant qu'il faut tous mou«r, jeunes Sr. vieux.  de Zittlrature Oriëntale. 377 U11 jeunehomme railleur rencontra un Vieillard Sgé de cent ans, tout courbé , & qui avoit bien de Ia peine a fe foutenir avec un baton , & lui demanda : Scheich (1), dites- moi, je vous prie , combien vous avez acheté cet are, afin que j'en achete un de même ? Le Vieillard re'pondit : Si Dieu vous donne de Ia vie, & fi vous avez de la patience, vous en aurcz un de même qui ne vous coütera rien. Kikiaous, Roi du Mazanderan , dans 1'inftruaion pour fon fils , rapporte le conté qui fuit , & dit en ces termts : Cal mi , un des Chiaoux de mon pere , agé de plus de 70 ans, voulant acheter un cheval, un maquignon lui en amena un d'un beau poil & vigoureux en apparence. 11 lui plut & il 1'acheta Quelque tems après il s'avifa de Ie regarder a Ia bouche, & trouva que c'étoit un vieux cheval. II chercha auffi-tót a s'en défaire & le vendit a un autre. Je lui demanda pourquoi il s'en étoit défait , & pourquoi 1'autre s'en étoit accommodé. II répondit: C'eft un jeune homme qui n'a pas connoifTance des incommodités de la vieilleffe II eft excufable de s'étre laiffé Lnr r / 'gn,t:' & " Para!t P",es Hirtoir« «lu t-e- Vam qu,I fe donne même aux enfans pour être joint a leur «om. Amfi, dans 1'Hiftoire de Tamerlan, on a Mirz» Om« Scheich qui etoit un de fes hls.  j-S Mélanges tromper a 1'apparcnce; mais, je ne le ferois pas É je 1'avois gardé, moi qui fais ce que c'efr. j que la vieilleffe. Sous le regne de Sultan Mahmoud Sebecteghin, le Gouverneur de la Ville de Nifa dans le Khoraffan, ruina un Marchand fort richs' & le renferma dans une prifon. Le Marchand ■ s'échapa ck alla a Gaznin la Capitale du Sultan, oü il fe jetta a fes pieds & lui demanda juftice. Sultan Mehmoud fit expédier une lettre adreffée au Gouverneur , par laquelle il ènjóignoit au Gouverneur de rendre au Marchand ce i qu'il lui avoit pris. Le Gouverneur recut Ia lettre; mais, dans la penfée que le Marchand j jie prendroit pas la peine deretournerune autre j fois a ta Cour , il fe contenta de la lire, & ne fit rien de ce qui lui étoit commandé. Le Marchand ne fe rebuta pas, il retourna une i autre fois a Gaznin, &c prenant le tems que I le Sultan fortoit de fon Palais, il demanda encore juftice contre le Gouverneur, les lar-} mes aux yeux , & en des termes accompagnés s de gémiffemens & de fanglots Le Sultan com-i manda qu'on lui expédiat une autre lettre. Le f Marchand lui repréfenta : Je lui ai déja porté f nne lettre de la part de V. M. a laquelle 111 n'a pas obéi, il n'obéira pas encore a celle ci. i Saltan Mahmoud qui avoit 1'efprit occupé ail-l  ie Zittêrature Oriëntatie. 38 r ment. Par la légéreté d'habit , il entcndoit q/il ne falloit pas avoir de dettes. ( r ) Le Calife Manfour avoit pour Médecin George , fils de Baclnjefchoua , qui étoit Chréticn, qu'il chériffjit, paree qu'il 1'avoit guéri d'une maladietrès-dangereufe. George, qui étoit dans Un age avancé, étant tombé malade, le Calife Voulut le voir, & commanda qu'on üapportftt Je plus commodénient qu'on pourroit On I'ap. porta, & le Calife lui demanda 1'état de fafanté. Le Médecin le fatisfit, & le fupplia de lui accorder Ia permiffion de retourner en fon P«ys d,l ant qu il (ouhaitoit de voir fa familie avant que de mourir, & particuliéremtnt un fils unique qu'il avoit, & d'être enterré avec fes ancetres après fa mort. Le Calife lui dit : Médecin, crains Dieu,& fais-toi Mufulman, je te promets Ie Paradis. Le Médecin répondit: En Paradis ou en Enfer, je ferai content d'être oü font mes pcres. ( 1 ) Jean,fiïs de Mtfué,connu fous Ie nom de Mtfué, Médecin du Calife Harour.-Eirefchid, O"! Ce Médecin étoit Arabe, de la ville dc Taïcf, qui Kerci premiérement la Médei ine m P,»tV n, ,'„„„;., .„/.._ pays, dans le tomrs que Mahomet vivcit. fréWlfnoil», il Bel pas certain qu'il ait été A. ahométan ; mais il eft conftant qu il étoit ne Paien [1] Abou-I&rage , qui rappnrte cettr Hiftoire, i joute que » Calife, aprêi avoir ri de la réponfe du Médecin, fit ce »ll rut pour Ie retenit; mais a la fin, qu'il lui cccorda Ce qnil demandoit, 8c Ie renvova »v«r un nr(r..n, ,!„ Ai* _ :u- ficccs dc monnoie d'or, 8t cette momioio étoit a peu pre*  j8i WLll&ngtt étoit un railleur ; mais il ne put empïchet qu'un autre Médecin ne lui fe ruilt la bouche dans une converfation en préfence d'Ibrahim frere d'Haroun-Errefchid; cir ce Mélecin qui s'appelion Gabriël, lui dit : Vous êtes mort frere, fils de min pere. Aces mots Mefué dit au frere du Calife : Seigneur, je vous prends a témoin fur ce qu'il vient de dire , paree que -e prétends partager 1'héritage de fon pere avec lui, Gabriël repartit: Cela ne fe peut, les batards n'héritent pas. ( i ) Le Calife VathekBilla pêchoit a la ligne fur de la valeur de 1'écu d'or de France ; de forte qu'il eft aifé de juger que la libéralité étoit confidérable "Ce Médecin étoit '<3e"Giondi Sabor, ville de Perfe , oü il fut conduit Sc efcorté f.\r un Eunuque , qui avoit ordre de taire tranfporter fon corps chez lui , au cas qu'il mourüt en chemin , afin q -'i'1 y fut enterré comme il le defiroit ; mais il y arriva étant encore en vie Le Calife Manfour s'appelloit Abougiafar Manfour. C'étoit le deuxieme de la race des Abbaffides. II mourut a peitj de difr'ance de la Mecque , oü il étoit allé en pélérinage, 1'an' de 1'Hegire i j3 , de J. C. 774. (1) Mefué étoit de Syrië , 8c Hiroun-F.rrefchid quil'ayoM fait Venir, lui fit traduire en Arnb; les anciens é^ecins Sc; d'autres ouvranes Grecs. Comme d'ailleurs il étoit trè*-fa-j vant, il avoit établi une école a Bagdad oü il enfeignoit tou^ tes les fciences. Gabriël étoit petit fils de George , fils de Bncht Iffchoutjl «3e qui il eft fait mention ci-deffits, & Védecin .i la Coutj d'Haroun-Errefchid, auprès de qui il fe mit dans un aranol crédit, a l'occafion d'une Dame de fon palais. Cet'e Dnmej «'étoit étendue, 8c en s'étendant, fon bras étoi<- demeurej roide a ne pouvoir s'en fervir. Après toutes 1rs omft'^ns Sq toutes les fomentstions dont les Médecins nurent s'avifer , le mal continuant touiours, Gabriël fut appel'é , cV on lui dit «l« quelle maniere il étoit arrivé a la Dame. .Sur ce rapporti  ie Littlratürt Orientaïe. jgj Mehemmed , fils de Zekeira, ou plutóc Razis, de qui il a déja été parlé , devint aveugle dans fa vicilkile, Sc un Êmpirique s ofFrit de lui rendre la vue en faifant 1'opération. Razis lui demanda combien 1'ccil avoit de tuniques ? L'Empirique répondit qu'il n'en ('avoit rien; mais que cela n'empêcheroit pas qu'il ne le guérit. Razis repartit : Qui ne fait pas combien l'ceil a de tuniques ne touchera pas a mes yeux. Se; parens Sc fes amis le prefferent, en lui repréfentant qu'il n'hafardoit rien quand l'Opérateur ne réuffiroit pas, & qu'il pouvoit récouvrer la vue s'il réalfifToit. Mais il s'en excufa, Sc dit : J ai vu le monde fi long- tems que je n'ai point de regret de ne le pas voir davantage. Le Calife Cah'er Billah avoit chargé Sinart , fils de Thabet fon Médecin, de faire fubir 1'examen a Ceux qui voudroient faire profeffion de Ia Médecine. Un jour , un Vieillard de belle taille, grave, vénérable , .étant venu fe préfenter a lui, il le recut avec tous les hon- ^ Ce Bacht Ulïhoua étoit fils ds Gabriël , de quï il e(t parlé ci-deffas. Mais, nonobftant cc-te grande Familiarité, il lüj arriva ma! d'avoir fait un grand fi'fiin au même Ca'ife , qui fut choqué de la magnificence & de la grande gpulence .-lyec laquel'e i! 1'avoit régalé ; car, peu de temps IjSlrèi il \e c;;fl grscin , & exigea de lui des fommes très-ccnüdérah'es. II eft remarqué que de la vente feule du bois, du vin , du charbon & d'autres provifions de fa maifon, on fit une fomma d'environ trente-fix mille livres, Bb  38 c» Miïaflgti neurs que méritoit un homme de cette apparence; & après lui avoir fait prendre place, & avoir témoigné qu'il ëcouteroit avec plaifir les bonnes chofes qu'il attendoit de fa capacite'; il lui demanda de qui il avoit appris la Médecine ? A cette demande , le Vieillard tira de fa manche un papier plein de pieces de monnoie d'or qu'il mit fur le tapis devant Sinan en le lui préientant, & répondit : Je vous avouefranchement que je ne fais ni lire ni écrire Mais j'ai une familie, il faut que je trouve tous les jours de quoi la faire fubfifter. Cela m'oblige de vous fupplier de ne me pas faire interrompre le train de vie auquel je fuis engagé Sinan fourit & dit: Je le veux bien; mais a la charge que vous ne verrez p int de malades de qui vous ne connoitrez pas la maladie , & que vous n'ordonnerez ni faignée ni purgation que dans les maladies qui vous feront trés. connues. Le Vieillard répondit que c'étoit fa méthode, & qu'il n'avoit jamiis ordonné que de 1'Oxymel & des Juleps. Lelendemain , un jeune homme proprement vêtu, bien fait & d'un air dégagé , virit le trouver pour le même fujet, & Sinan lui demanda de qui il avoit pris des Iecons de Médecine. II répondit qu'il les avoit prifes de fon pere , & que fon pere étoit le Vieillard a qui il avoit donné Je pouvoir  'ie Zittlraeure Gtïentaïè: •3 Weer la Médecine le jour précédent. Sinait reprit: C'eft un brave homme, vous fervezvous de la même méthode dont il fefert? Lè jeune homme dit qu'oui, & Sinan lui recommanda de la bien obferver , & Is renvoya avec le même pouvoir d'exercer la Médecine què fon pere. ( 1 ) Un Médecin Grec d' Antïoche étoit convent., pour une fomme d'argent, de guérir un malade de la fievre tiercé ; mais, au lieu de le °-uénr, les remedes qu'il lui doritta firent chan*er la fievre tiercé en demi-tiercé, de forte que hs parens le renvoyerent , &c ne voulurent ras qu il approchat davantage du malade. II leur dit: Payez-moi donc la moitié de la fomme qui m'a été promife, puifque fai chaff, fe mome de la maladie. II étoit fi ignorant «u'il s arreto.t au nom, & qu'il croyoit que la'fievre, demi-tiercé étoit moins que la fievre tiercé quoiqu'elle foit doublé de la tiercé ; & quoi qu'on put lui dire, il demandoit toujours la moitié du paiement. Une Dame Egyptienne fit venir un fameus 1'Hégire, & de J. C I'Z Q„ ™u?^ B:lla 1'an V-0 da teprefeer Médecin du Grand^e'^"™ V &S°*™>. Me'decln de ee Calife le ST"-"' d Vime 1a' '« la eapncïté de eeux enfZ ° "Z™"** & dVP™»vet Bh %  3«S Mé ranges Aftrologue, & le pria de lui dire ce qui lui faifoit peine dans 1'efprit. L'Aftrologue dreifa une figure de la difpofuion du Ciel tel qu'il étoit alors, & fit un long difcours fur chaque Maifon, avec d'autant plus de chagrin, que tout ce qu'il difoit ne fatisfaifoit pas la Dame. A la fin il fe tu, & la Dame lui jetta une Drachme. Sur le peu qu'elle lui donnoit, 1'Aftrologue ajouta qu'il voyoit encore par la figure qu'elle n'étoit pas des plus aifées chez elle ni bien riche. Elle lui dit que cela étoit vrai. L'Aftrologue regardant toujours la figure, lui demanda: N'auriez- vous rien perdu ? Elle répondit, J'ai perdu 1'argent que je vous ai donné. ( i ) Les Savans des Indes tomboient d'accord de la capacité & de la grande fageffe de Bouzourgemhir ; mais ils trouvoient a dire qu'il fatiguoit ceux qui le confultoient par 1'attente de fes réponfes. Bouzourgen.hir qui fu ce qu'ils lui reprochoient, dit: II eft plus a propos que je penfe a ce que je dois dire, que de me repentir d'avoir prononcé quelque chofe mal-ipropos. Un Roi avoit prononcé Sentence de mort contre un criminel, & le criminel qu'on alloit «xécuter en fa préfence, n'ayant plus que la (l* Nous avons déja dit qu'une Drachme étoit une monnoia «'argent. Elle étoit do la valeur de huil a dix foit,  £t Litttraturc ÖnentaU. 3 8 f Sangue dont il put difpofer, vomiffoit mille injures &c mille malédiclions contre le Roi. Le Roi ayant demande ce qu'il difoit, un de fes Vifirs qui ne vouloit pas 1'aigrir davantage con« tre ce malneureux, prit la parole, & dit que Ie criminel difoit que Dieu chériffoit ceux qui fe modéroient dans leur colere, & qui pardonnoient a ceux qui les avoient offenfés. Sur ce rapport le Roi fut touché de compaffion & donna fa grace au criminel. Un autre Vifir, ennemi de celui qui venoit de parler au Roi, dit: Des perfonnes de notre rang & de notre caraétere ne doivent rien dire aux Monarques qui ne foit véritable. Ce miférable a injurié le Roi & a proféré des chofes indignes contre S. M. Le Roi en colere de ce difcours, dit: Le menfonge de ton Collegue ni'eft beaucoup plus agréable que la vérité que tu viens de me dire. ( 1 ) Un Roi avoit peu d'amour & de tendreffe pour un de fes fils, paree qu'il étoit petit & d'une mine peu avantageufe cn comparaifon des Princes fes freres, qui étoient grands, bienfaits & de belle taille. Un jour ce Prince voyant {il Le premier chapitre du Gu'.iftan , commence par cette petite Hiftoire ; mais je remarquerai en pail.int que Gentius qui Ta trarkiite en Latin , n'a pas bien entendu 1'endroit qu'il a traduit en ces termes : Lingua quam callebat convit iis rcgem profcinderc ceprt. II fa'loit traduire Linpici quant habebat, ou qua illifupercrat, fk 1'entendre de la maniere que je 1'ai rendu en. notre langue. Bb 3  59® Mélanges que fon Pere le regardoit avec mépris, lui dit: Mon pere, un petit homme fage & avifé eft plus eftimable qu'un grand homme groffier &C lans efpnt. Tout ce qui eft gros & grande n'eft pas toujours le plusprécieux. Labrebis eft blanche & nette, & 1'éléphant fale & vilain. (i) UnRoi s'embarquadans un de fes Ports pour faire un trajet, & un de fes Pages ne fut pas plutot fur le yaiffeau que tout le corps lui tremfcla de frayeur, & qu'il fe mit a crier d'une maniere effroyable. (Jn fit tout ce qu;on put pour Pobliger de fe taire ; mais il crioit toujours plus fort, Sc le Roi même étoit importuné de fes cris. Un Savant qui accompagnoit le Roi, dit: Si votre Majefté me le permet, je trouverai le moyen de Ie faire taire. Le Roi lui ayant témoigné qu'il lui feroit plaifir, il fit letter le Page a la mer. Mais, ceux qui 1'y jetterent, avenis de ce qu'ils devoient faire, eurent 1'adreffe de le plonger feulement deux ou, trois fois &c de le retirer pir les cheveux dans ïe temps qu'il s'étoit pris au timon, croyant qu'on vouloit le faire noyer tout de bon. Quand ïl fut dans le navire, il fe retira dans.un coin & ne djt plus mot. Le Roi très-fatisfait du fuccès, (O Le fuccès fit voir que ce Prince avoit plus de coeue «me fes freres ; car il fe fignala a la guerre rar de beaux £:'.ploits, pendant que fes freres n'eurent pas le courage d? Sareitie deyant 1'ennemj.  de Littlrature Oriëntale. 391 en demanda Ia raifon au Savant, qui dit: Le Page n'avoit jamais fu ce que c'étoit que d'être plongé dans la mer, ni ce que c'étoit que d'être délivré du dangé d'être noyé , & le mal qu'il a fouffert fait qu'il goüte mieux le plaifir d'tn être échappé. Hormouz, Roi de Perfe, peu de temps après fon élévation furie tróne, fit emprifonner les Vifirs qui avoient été au fervice du Roi fon pere. On lui demanda quel crime ils avoient commis pour Pobligera leur faire ce traitement ? II répondit: Je n'ai rien remarqué &C je ne fais en eux rien de criminel. Mais, malgré; les affurances que je leur avois données de ma bonté & de ma clémence, j'ai connu qu'ils avoient toujours le cceur faifi de frayeur, &C qu'ils n'avoient pas de confiance a mes paroles; cela m'a fait craindre qu'ils ne fe porcafftnt a me faire périr, & en ce que j'ai fait, j'ai fuivi Ie confeil des Politiques, qui difent qu'il faut craindre celui qui nous craint. ( 1 ) Un Prince , en fuccédant au Roi fon pere, fe trouva Maitre d'un tréfor confidérable, dont il fit de grandes largeffes a fes Troupes & a fes (li De quatre anciens Rois de Perfe nommés Hormouz , comme il eft encore marqué plus bas, celui-ci étoit le premier ou le fecond du nom , paree que 1'un & 1'autre ont été de bons Princes. Le troifieme étoit un Tyran, & 1« quatrieine ne réjna qu'un »n. Sb 4  Mélanges fujets. Un de fes Favoris voulut lui donner confeil la-deffus, & lui dit impruclemment: Vos ancétres ont amaffé ces richeffes avec beaucoup de peine & de foins. Vous ne devriez pas les diiïiper avec tant de profufion comme vous le faites. Vous ne favez pas ce qui peut vous arriver dans 1'avenir, &vous avez des ennemis qui vous obfervent. Prenez garde que tout ne vous manque dans le befoin. Le Roi indigné de cette remontrance, repartit: Dieu m'a donné ce Royaume pour en jouir & pour faire des lj'-éralités, & non pas pour en étre fimplement Ie gardien. ün avoit fait rótirde la chaffepourNoufchirvan Roi de Perfe, de celle qu'il avoit prife fur le même lieu oü lachaffe s'étoit faite. Quand il fallut fe mettrea table, il ne fe trouva pas de fel, Sc on envoya un Page en chercher au prochain village. Mais Noulchirvan dit au Page: Payez lefel que vous appcrterez, decrainte que cela ne paffe en méchante coutume, Sc que le village ne fouffre. Un Favori dit que cda ne valloit pas la peine d'en parler, &c qu'il ne voyoit point le mal que cela pouvoit caufer. Noufcbirvan repartit : Les vexations dans le monde ont eu leur commenccment de très-peu de chofe, Sc dans la fuite elles ont tellement augmenté qu'elles fontarrivéesaucomble oü ort les voit.  ie Uttlrature Oriëntale. 393 Sans conteftation, le Lion eft le Roi des 1 animaux, & 1'Ane le dernier de tous. CepenI dant, les Sages ne laiffentpas que de dire : Un 1 Ane qui porte fa charge vaut mieux qu'un Lion 1 qui dévore les hommes. Un Marchand de bois extrêmement intérefI fe', achetoit le bois a bon marché des pauvres I Payfans qui le lui apportoient & le vendoit I chérement aux riches. Une nuit le feu prit a I fa cuifine, fe communiqua au mag?fin de bois I & le confuma entiérement. Quelque tems après I il difoit : Je ne fai comment le feu prit chez moi. Un de la compagnie lui repartit: I! y prit de la fumée qui étoit fortie du cceur des pauvres que vous avez ranconnez par votre avarice. Un Maitre Lutteur, de trois eens foixante tours d'adreffe de fon art, en avoit enfeigné trois eens cinquante-neuf a un de fes difciples, & ne s'en étoit réfervé qu'un feul. Le difciple jeune & difpos, qui avoit bien profité des !econs qu'il avoit prifes, eut la hardiffe de délier fon Maitre a lutter contre lui. Le Maitre accepta le défi, 8c ils parurent 1'un & 1'autre devant le Sultan, qui n'approuvoit pas la témérité du difciple Sc en préfer.ce d'une grande foule de peuple. Le Maitre qui n'ignoroit pas que fon difciple avoit plus de force qu» lui, ne  394 Mtïangts lui donna pas le temps de s'en prévaloir. D'a-' bord, il 1'enleva de terre adroitement avec les 1 deux mains, &l'ayant élevé jufques fur fa tête, j il le jetta contre terre aux acclamations de 3 toute 1'affemblée. Le Sultan rdcompenfa le Maitre & blama Ie difciple, qui dit qu'il n'avoit j pas été vaincu par la force , mais feulement par ; un tour de 1'art qui lui avoit été caché. Le Maï- ] tre repartit: ii eft vrai ; mais je me 1'étois réfervé pour un tel jour qu'aujoud'hui; paree que je favois la maxime des Sages, qui dit, quelque affeflion qu'on ait pour un ami, que jamais il 1 ne faut lui donner un avantage a pouvoir s'en prévaloir s'il devenoit ennemi. (i) Un Roi paffoit devant un Derviche, & Ie Derviche ne leva pas feulement la tête pour le regarder. Le Roi qui étoit du nombre de ces Rois qui ne favent pas fe pofféder , & que la nioindre chofe offenie, fut piqué dé cette irrévérence,&dit : Ces fortes de gens vetus de haillons font comme des betes. Le Vifir dit au Derviche : Pourquoi ne rendez-vous pas au Roi le refpect que vous lui devez ? Le Derv iche répondit: Dites au Roi qu'il attende des refpects de ceux qui attendent fes bienfaits, & Til II y a encore des Lutteurs chez les Orientaux, qu! luttent comme autrefois chez les anciens Ils font nuds, e'xcepté qu'i's ont un calecon de cuir depuis le deflus des ge- j roux jufqu'au deffus des reins, & ils fe frottent le corps d'huile pour faire cet exercice,  ie Zittirature Oriëntale. 395 il facrez que les Rois font étab'is pour la conferi vacion des fujets, mais aue les lujets n'ont pas ] la même obligation d'avoir du refpect pour lts I R.is. Le Roi qui avoit entendu ce difcorrs, I hardi, invita le Derviche a lui demander queli que ch-fe. Le Derviche lui dit: Je vous deI mande que vous me laiiïiez en repos. (1) Noüfchii'van délibéroit dans Ion Confeil I d'une affaire de grande importance, & les Vifirs propofoient chacun leur fentimtnt. Nonfchirvan avar.ca auffi fon avis& Boi.zourgenihir le fuivit: On demanda i Bouzourgtmhir pourquoi il avoit próieré I'avis du Roi a 1'avis des Vifirs ? II répondit : !.e fuccès de 1'affaire dont il s'agit eft très-incertain, & j'ai cru qu'il valoit mieux fuivre le confeil du Roi, afin d'être a couvert de fa cclere au cas que la chofe ns réuffiffe pas. Un vakbond déguifè1 fóus I'habit d'un defcenuant d'AIi , entra dans une Ville Capicale avec la Caravane des Pélérins de la Mecque, pubiiant par-tout qu'il venoit dece Pélérinage. S'étant introduit ï la Cour, il lut devantle Roi une piece de Poéfie dont il fe difoit 1'auteur. (1 Diogene fit a peu pres 'e même compliment a Alexandre; mai il ne faut pas s'en étonn?r , car ia plupart de ces Derviches , a proprcment parler , font - es feftateurs de ca chef des pVii'ofophes Cyniques. lis ont la même impudence la même induïérence pour toutes les, chofes du monde.  3 9 6 Mélangts Un des principaux Officiers nouvellement arrivé de 1'armée, dit au Roi: Je 1'ai vu a Bafra le jour de la féte du facrifice, comment peut-il dire qu'il a fait le pélérinage de la Mecque ? De plus fon pere eft un Chrétien de la Ville de Malatia. Quel rapport d'un defcendant d'AIi avec un Chrétien ? Avec cela, il fe trouva que le Poeme qu'il avoit récité étoit du Poëte Enveri. Le Roi qui connut que c'étoit un trompeur, commanda qu'on lui donnit quelques coups & qu'omle chaffat. A ce commandement le vagabond fe jettant aux pieds du Roi, dit: Je fupplie V. M. de me permettre de dire encore un mot, je me foumets a tel chaciment qVil lui plaira d'ordonner, fi ce que je dirai n'eft pas véritable. Le Roi le lui permit, & il dit : Ce que j'ai a dire, eft que les voyageurs diient beaucoup de menfonges. (i) Deux freres étoient chacun dans un état fort oppolé 1'un a 1'autre. L'un étoit au fervice d'un SVitan, & 1'autre gagnoit fa vie du travail de fes mains, de forte que l'un étoita fon aife &c tl) T.es pélérins de 'a Mecque célebrent la f;te du facrïfice a la Montagne d'Arafat, oü i's facrifient chrcun un mouton. Ainfi , puifque ce jour-la . 1'impofleur étoit a Bfra fur le Go'fe f'eriïque qui eft fort éloigné de la '''or.ti.gne d'Arafat, c'étoit une marqué qu'il n'étoit pas pélérinde laMecque. Malst ia eft une ville d'Anatolie dans la Capadoce das anciens finviri eft un ancien pcëte Perfan.  ie Littlmtnre Oriëntale. 409 donner aux Tartares. Telles gens, tel argent. (1) • L'Auteur du Guliftan, de qui font quelquesuns des articles précédens, parle de lui-méme en ces termes : J'ai connu un Marchand qui voyageoit avec cent chameaux chargés de marchandifes, & qui avoit quarante tant efclaves que domeftiques a fon fervice. Un jour, ce Marchand m'entraina chez lui dans fon magafin, Sc" m'entretint toute la nuit de difcours qui n'aboutiffoient a rien. II me dit: J'ai un tel affocié dans le Turqueftan , tant de fonds dans les Indes; voici une obligaticn pour tant d'argent qui m'eft dü dans une telle Province ; j'ai un tel pour caution d'une telle fomme. Puis, changeant de matiere, il continuoit : Mon deffein eft d'aller rn'établir en Alexandrie, paree que Pair y eft excellent. II fe reprenoit, & difoit : Non, je n'irai pas a Alexandrie, la Mer d'Afrique eft trop dangereufe. J'ai intention de faire encore un voyage ; après cela , je me retirerai dans un coin du monde, & je laifferailale négoce. Je lui demandai quel voyage c'é- ■ Ces Tartares font ceux de la grande Tartsrie , quJ ent été de tous tems de grands faileurs de courfes fur leurs voifms; & c'eft d'eux que les Tartares de Crimée, nonobftant le long-tems qu'il y a qu'ils fe font féparés d'avec eux , retiennent cette coutume qui coüte tant de millicrs d'hommes i 1'AUemagne & a la Pologne depuis le cotnmeneïmeat dj »ette derniere guerre.  414 Mélanges lui recita des vers qu'il avoit faits a fa louange ; mais au lieu d'agréerfes vers, le chef des voleurs le fit dépouiller & chaffer hors du village , & avec cela, il fit encore lacher les chiens après lui. Le Poëte voulut prendre une pierre pour fe défendre contre les chiens; mais il avoit gêlé, & la pierre tenoit fi fort qu'il ne put 1'arracher. Cela lui fit dire, en parlant des voleurs : Voila des méchantes gens, ils lachent les chiens & attachent les pierres. (1) Un mari avoit perdu fa femme, qui étoit d'une grande beauté ; mais la mere de la défunte qui lui étoit fort odieufe, demeuroit chez lui par une claufe du contrat de mariage , au cas qu'elle furvéquit a fa fille. Un ami lui demanda comment il fupportoit la perte de fa femme. II répondit : II ne m'eft pas fi étrange de ne plus voir ma femme, que de voir fa mere. Le même Auteur dit encore , en parlant de lui-même : Par un exeès & par un emportement de jeuneffe, je maltraitois un jour ma . (iï L' Auteur du Guliftan a ajouté que ce bon mot fit : lire le chef des voleurs qui Pentendit d'une fenêtre , & qu'il i cria au Poëte de demander ceSqu'il voudroit & qu'il le lui i accorderoit. Le Poëte lui dit: Si vous aviez envie de me ! faire du bien , je ne vous demande que la vefte dont vous ; m'avez fait dépouiller. Le chef des voleurs eut compaiïion 1 de lui, & avec fa vefte il lui fit encore donner une vefte : fouxrée.  de Littérature Oriëntale. 475 tïiere de paroles. Sur les chofes facheufes que jc lui dis, elle fe retira dans un coin les larmes aux yeux, & me dit: Préfentement que vous avez la force d'un Lion, avez-vous oublié que vous avez été pept, pour avoir 1'infenfibilité que vous avez pour moi ? Vous ne me maltrai. teriez pas comme vous le faites, fi vous vous fouveniez de votre enfance Sc du temps que je Vous tenois dans mon fein. Un Sage difoit a un Indien qui apprenoit a jetter le feu Grégeois : Ce métier-la ne vous eft pas propre, vous de qui la mailon eft batie de cannes. (1) Un Mahométan de peu d'efprit, qui avoit mal aux yeux, s'adreffa a un Maréchal, Sc Ie pria de lui donner quelque remede. Le Maréchal lui appliqua une emplatre dont il fe fervoit pour les chevaux ; mais le malade en devint aveugle, Sc fut faire fes plaintes a la Juftice. Le Cadis informé du fait, le chaffa, 6V lui dit Retire-toi, tu n'as pas d'aélion contre celui que tu accufes. Tu n'aurois pas cherché un Maréchal au lieu d'un Médecin, fi tu n'étois un ane. Le Grand Iskender, ou Alexandre-le-Grand, car c'eft Ia même chofe, venoit de prendre une (i) Les Orientaux parient Convent du feu Grégeois, 8c par ce qu'ils en difent, il parcit que le bitume entroit dans fs cempoiition.  ie Littirature Oriëntale. 4x7/ bonne maifon 8c de telle qualité qu'elle puiiTa être. Si grandes que puitTent être vos richeffes ^ n'y ayez point d'attache, paree que les révolutions des temps les diffipent. Ne découvrez vos fecrets a perfonne, nori pas même a vos amis les plus intimes ; parcë que fouvent il arrivé qu'onrompt avec un ami, & que 1'ami devient ennemi. Que rien dans le monde ne vous tienne attaché que la fcience accompagnée de bonnes tuuvres; paree que vous feriez criminel a 1'heuré de votre mort fi vous la méprifiez. Les Philofophes des Indes avoient une Bibliotheque fi ample, qu'il ne falloit pas moins de mille chameaux pour la tranfporter. Leur Roi fouhaita qu'ils en fiffent un abrégé , 8c ils la réduifirent a la charge de cent chameaux ; &C après plufieurs autres retranchemens, enfin tout cet abrégé fut reduit a quatre maximes. La première regardoit les Rois qui devoient êtrö juffes. La feconde prefcrivoit aux peuples d'être fouples 8c obéilfans. La troifieme avoit \i lantéenvue, 8c ordonnoit de ne pas manger qu'on n'eüt faim, 8c la quatrieme recommandoit aux femmes de détourner leurs yeux dé deffus les étrangers, & de cacher leur vifagé Dd  4i 8 Mélanges z ceux a qui il ne leur étoit pas permis de le faire voir. (i) Trois Sages, l'un de la Grece, un autre des Indes & Bouzourgemhir, s'entretenoient en préfence du Roi de Perfe, & la converfation tomba fur la queftion; favoir, quelle étoit la chole de toutes la plus facheufe. Le Sage de la Grece dit que c'étoit la vieilleife accablée d'infirmités, avec 1'indigence &c la pauvreté. Le Sage des Indes dit que c'étoit d'être malade & de fouffrir fa maladie avec impatience. Mais Bouzourgemhir uit que c'étoit le voifinage de la mort deftitué de bonnes ceuvres, & toute raifemblée fut du même fentiment. (O A propos de bibliotheque portee pardes chameauxf Saheh , fils ri'Ibad , Grand Vifir de deux Rois de Perfe de la race des Boiens , qui aimoit les Lettres, 8c qui mourut 1'an de 1'Hégire 385, de J. C. 1'an 995 , en avoit une que cjuatre eens chameaux portoient afafutte, même dans les campagnes qu'il étoit obügé de faire. Le Grand Vifir Kupruli, tué a la bataille de Salankemen , qui avoit une bibliotheque très-fournie , n'alloit auffi en aucun endroit qu'il ne fit porter avec lui plufieurs coffres remplis de livres ; car tout Ie tems qu'il ne donnoit pas aux affaires , il le donnoit a la lefture, ou a enfeigner , ce qu'il pratiqua particuliérement au commencement de cette derniere guerre contre 1'Empereur, qu'il n'eut pas d'emploi jufques a la mort du Grand Vifir Cara Mufhpha Pacha , qui 1'en avoit éloigné , paree que dans le Confeil il s'étoit oppofé lui feul a la déclaration de cette guerre. Dans cet intervalle il faifoit tous les jours lecon a foixante écoliers, qu'il nourriffoit auffi & qu'il habilloit. Bien des gens peut-être auront de la pcir.e a le croire , paree qu'ils ne font pas accoutumés a voir de femblables exemples devant leurs yeux. Cependant cela s'eft fait Sc vu fur un Théatre affez grand , puifque c'étoit au milieu de Conftantinople,  4M Mélanges ïife, & lui dit : Dieu m'a créé avec Pune Ss 1'autre main, je vous fupplie de ne pas permettre qu'on me faffe gaucher. Le Calife reprit: qu'on lui coupe la main, Dieu nevcut pas qu'on fouffre les voleurs. La mere qui étoit préfente repartit: Empereur des Croyans [1], c'eft mon fils, il me fait vivre du travail de fes mains, je vous en fupplie pour 1'amour de moi ne fouffrez pas qu'il foit eftropié. Le Calife perfifta dans ce qu'il avoit ordonné, & dit : Je ne veux pas me charger de fon crime. La mere infifta, & dit: Confidérez fon crime comme un des crimes dont vous demandez tous les jours pardon & Dieu. Le Calife agréa ce détour & accorda au yoleur la grace qu'elle demandoit. Un jeune homme de la familie d'Hafchem, familie confidérabie parmi les Arabes, avoit offenfé une perfonne de confidération, & l'on en avoit fait des plaintes a un oncle fous la direction de qui il étoit. Le neveu voyant que fon oncle fe mettoit en état de le chatier, lui dit: Mon oncle, je n'étois pas en mon bon fens lorfque je fis ce que j'ai fait; mais fouvenez- filEmpereurdes Croyans eft In traduftion fidelle du titre «l'Emirelmoumenin que les Califes fe font attribués, & après eux les Rois Arabes en Efpa^nc , & d'autres "rinces, Mahométans. Omar, fecond fucceffeur de Mahomet, le prit le_ premier, au lieu du titre de Succeffeur de Dieu, qu'on \u\ avoit donné d'abord, & qui fut trouvé trop long, comme A^bou-lfarage 1'a remarqué.  êt Littirature Oriëntale. 415 Vcms de faire en votre bon fens ce que vous allez taire. Hagiage interrogeoit une Dame Arabe qui avoit été prife avec des rebelles, & la Dan.e yenoit les yeux bailfés & ne regardoit pas Hagiage. Un des auiftans dit a la Dame : Hagiage vous parle &c vous ne le regardez pas ? Elle répondit : Je croirois offenièr Dieu fi je regardois un homme tel que lui que Dieu ne regarde nas. ( 1 ) On demandoit a Alexandre-le-Grand par quelles voies il étoit arrivé au dtgi é de gloire & de grandeur ou il étoit. II répondit: Par les bons traitemens que j'ai faits a mes ennemis , & par les foins que j'ai pris de faire en forte que mes amis fulfent comtans dans 1'amitié qu'ils avoient pour moi. Sous le regne de Sultan Mahmoud Sebekte» ghin, Fakhr-Eddevlet, Roi d'Ifpahan , deReï, de Kom, de Kafchan & de la Province du Cahiftan dans le KhoraiTan , mourut & laiffa pour fucceffeur Megededdevlet fon fils en basSge. Pendant fa minorité , Seïdeh fa mere Princeffe d'une fageffe extraordinaire, gouverna avec 1'approbation générale de tous les peuples du Royaume. Lorfqu'il eut atteint Page (il Nous avons déja remarqué qu'Hagiage éfoit un Gout verneur de 1'Arabie , Sc qu'il y avoit exercé de grandgs cruautésj  'de Zittiratwe Oriëntale. 42.$ Colere ; mais feulement fuivant fénormité des 1 crimes. Nous ne donnons les charges qu'aux perfonnes de nailTance, & nous ne prenons confeil que des perfonnes de bons fens. Le même Noufchirvan voulut qu'on gravat ce mot fur fon tombeau : Tout ce que nous avons envoyé avant nous, eft notre tréfor; celui qui récompenfe plutót le mal que le bien, eftindigne de vivre tranquillement. (1) Platon difoit: La faim eft un nuage d'oü il tombe une pluie de fcience & d'éloquence. La fatiété eft un autre nuage qui fait pleuvoir une pluie d'ignorance & de grofliéreté. II difoit encore : Quand le ventre eft vuide , le corps devient efprit, & quand 'il eft rempli, 1'efprit devient corps. II difoit auffi : L'ame trouve fon repos en dormant peu , le cceur dans le peu; d'inquiétudes & la langue dans Ie filence. (1) Un Poëte lifoit a un Emir des vers qu'il avoit faits a fa louange, & a mefure qu'il lifoit, 1'Emir lui difoit: Cela eft bien , cela eft bien, [1] Par cette expreffion: Tout ce que nous avons envoyé avant nous, Noufchirvan a voulu dire : Toutes nos bonnes •suvres. [z] Je ne fache pas que ces paroles remarquables de Pls> ton, fe lifent dans fes ouvrages, ou fe trouvent dans aucun de nos auteurs anciens. Je les ai trouvées dans un recueil de différentes matieres en Arabe, en Perfan & en Turc , (me j'ai apporté de Conftantinople. A chaque article, le Coüefteuï cite Pauteur d'oü il Pa tiré , excepté en quelques endroits , «omrne en celui-ci, quim'a parudigne d'avoit ici fa place»  ie Littlrature Oriëntale. 43 7 qui étoient préfens, & dit: J'en fuis au verfet qui dit: Ceux qui mangent le bien des orphelins font des tyrans. Dans une bataille que Ginghizkhan gagna } des Officiers de 1'armée ennemie faifoient des actions furprenantes, & faifoient retarder le moment de la victoire. Ginghizkhan les vit, & dit en les admirant: Un Monarque qui a de fi braves gens a fon fervice peut vivre en füreté. (1) Giougikhan prioit Ginghizkhan fon pere de donner la vie kun Prince de Meerit, fort jeune & très-adroit a tirer de 1'arc , de qui le pere & deux freres venoient d'être tués dans un fanglant combat. Ginghizkhan le refufa} & lui dit: (1) II n'y a prefque quelepetit nombre de ceux qui ont quelque intelligence des Livres orientaux , a qui Ginghizkhan foit kien connu. Néanmoins le public peut efpérer d'avoir bientót le même avantage par 1'Hiftoire que M. de la Croix le pere en a recueilüe de différens Auteurs Arabes , Perfans & Turcs qu'il doit faire imprimer. Cependant ayant a rapporter en cet endroit ~quelques-unes de fes paroles remarquables tirées de Mirkhond, un de fes hiftoriens, afin de donner des marqués de fa grandeur , je dirai en paffant que par fesconquêtes il fut Empereur de la grande Tartarie , de la Chine , des Indes , de la Perfe, Sc de tous les pays qui font au fud de la Mofcovie , au deffus de la mer Cafpienne & de la mer Noire. II regna vingt-cinq ans avec grand éclat , Sc mourut 1'an de 1'h^gire 624, de J. C. 1'an 1226. II gagna la bataille ,dont il eft ici parlé contre Taï«nkKhan, Roi d'une bonne partie de la grande Tartarie , dans laquelle ce Roi fut bleffé fi dangereufement , que peu de jours après il mourut de fes bleffures. Cette viftoire lui ouvrit le chemin a toutes les autres conquêtes qui 1'éleverent au point de grandeur qui a été marqué. E e 3  43 8 Mélanges Le peuple du Meerit eft de toutle monde le peuple a qui il faut le moins fe fier. Le Prince pour qui vous me parlez n'eft préfentement qu'une fourmi; mais cette fourmi peut devenir un ferpent. De plus , un Prince n'a jamais moins a craindre d'un ennemi que lorfqu'il 1'a mis au fond du tombeau. (i) Ginghizkhan avoit pris a fon ferment le Secretaire d'un Roi Mahométan qu'il avoit vaincu, pour l'empl&yer dans fes expéditions. Un jour , il eut a ccrire au Roi deMouffoulpourlui mander de donner paffage a un detachement de fes troupes qu'il avoit envoyé de ce cóté-Ia , & il fit venir ce Secretaire a qui il dit, en termes fort précis, ce qu'il vouloit que Ia lettrecontint. Le Secretaire accoutumé au ftyle pompeux &r rempli de titres emphatiques que tous les Princes Mahométans de ce tems-la fe donnoient, dreffa une Lettre en Arabe , tiffue de belles penfées Sc de mots recherchés , Sc la pré- ( i"l G;»ugik!',''n étoit I'ainé des fils de Genghizkhan qui lui donna Ie kommandement abfolu fur tous les pays qui s'étendent depuis l,i qjande Tartarie au deffus de la Mer Cafpienne & de la mer Noire , & une grande partie de la Mofcovie y étoit comprife. II mourut quelque tems avant la mort de Genghiz han. Le pnys de Meerit eft une province du Mogollftan , dans la grande Ttrtarie , dont le Roi & le peuple avoient caufé de grandes traverfes a Genghizkhan dans fa jeuneffe , & qui étoient eutrés dans toutes tes ligues qui s'étoient formées contre lui. C'eft pourquoi , il ne faut pas s'étonner qu'il n'nitpas voulu écouter lesprieres de fon fils Giougi pour facriiier ce jeune Prince * ion reffentiment.  de Litdratnre Oriëntale. 439 fenta a Ginghizkan pour avoir fon approbation. Ginghizkhan fe la fic interpréter en Mogol, qui étoit fa langue ; mais il la trouva d'un flyle oppofé a fon intention , & il dit au Secrétaire que ce n'étoit pas ce qu'il lui avoit dit d'écrirc Le Secretaire voulut fe défendre, & dit que c'étoit la maniere ordinaire d'écrire aux Rois„ Ginghizkhan qui ne vouloit pas qu'on lui repliquat, repartit en colere : Tu as 1'efprit rebelle, & tu as écrit en des termes qui rendroient Bedr-edJin ( c'étoit le nom du Roi de Mouffoul), plus orgueilleux en lifant ma lettre, & moinsdifpoféafairecequejeluHemande. (1) Ginghizkhan s'étant rendu maitre de la ville de Bokhara, fit affembler les habitans, & en [1] Ginghizkhan ne fe contenta pas de cette reprimande »' il fit encore mourir le Secretaire pour avoir eu la hardieffe de ne pas faire précifément ce qu'il lui avoit commandé. Bmr-eddin,Roide Mouffoul, n'avoit été premiérementque Miniftre de ce Royaume-la fous Azz-eddinde Mafoud, de la race des Atabeks, auquel il fuccéda après fa mort. II régna long-tems , 8c moutut 1'an de 1 Hégire ' ro . de J. C. 1260. ' Le Lefteur ne fera pas fiché de trouver ici le contenu de lx lettre qje Ginghizkhan écrivoit au Roi de Mouffoul en font propre ftyle. Le voici tel qu'il eft rapporté par Mirkhond: Le grand Dieu nous a donné 1'Empire de la fur face de la terre a moi & ma Nation. Tous ceux qui fe foumettcnt fins fe f.iire contraindre ont leur vie, leurs biens , leurs EtJts & leurs enfans: faufs. Dieu qui eft e'ternel fait ce qui doit leur arrivé:: Si Bedr-eddin fe foumet & donne paffage a nos troupes , il lui et arrivera bien S'il fait le contraire , que deviendroient fes États , fes richeffes & la Fille de Mouffoul, lorfque nous y firons arrivés avec toutes nos troupes raffemblées} Ginghizkhnr» & fes fucceffeurs ne prenoient pas d'autres titres que celui do Khan, £ 6 4