L A PRATIQUE DES VERTUS CHRETIENNES., TO M E S E C O N D.   LA PRATIQUE DES VERTUS CHRETIENNES, o ü TOUS LES DEVOIRS D Ë L'HOMME; AVEC LES DEVOTIONS PARTICULIERES pour diverfes Occafïons Ordinaires & Extraordinaire^. OUVRACE UTItK ÏOUR TOUTES LES FAMIIXES. Traduit de L'ANGL O IS, augmenté & rédigé dans une nouvelle forme P AR JAQUES GEORGE de CHAUFEPIÉ, Pajltur de VEglife lïalonne d'AMSTERDAM. ^acadX 0 M E s E 0 0 ND' jkiÖt 7 AMSTERDAM, Chez D. CHAJVGUION. MDCCLXXXL   L S P R A T I Q U E DES VERTUS CHRETIENNES, o u TOUS LES DEVOIRS D E L'H O M M E. S E C T I O N X. I. Des Devoirs envers Nous-memes. De la Sobriété dans nos Penfées. II. De l'Humilité ; fa nicejjiti fcf Jon. utilitè. III. De l'Orgueil. IV. De la Vaine • Gloire , du danger 6? de la folie de ce pêché, fcf dei moyens de l'éviter ou de le vaincre. V. De la Dehonnaireté. Ses Avantages , &c. VI. De la Reflexion , &c. I- ÜJosCPIPre's avoir expofé nos De^ A ^ voirs envers Dieu, il fautj ^ examiner ceux auxquelsv H2^£icÉi nous fommes obligés en-N vers nous-memes, que St. Paul défiTsmt II. A gne xxiv evojrs en« •rs Nou»- EMES.  2 Pratique des Vertus ii faut RE GLER NOS PENSEES.' Prov. IV. S3> gne par le mot de Sobrement. Cetee Sobriitè confifte a nous renfermer dans les bornes que Dieu nous a prefcrites , tant par rapport a 1'Ame que par rapport au Corps. - La Sobriété par rapport è 1'Ame confifte a bien regler nos Pafïïons & nos Defirs; & la première chofe nécef. ïaire pour y réuflir, c'eft de bien regler nos Pensees ; car, ccmme dit le Sage , nous devons garder notre cceur avec foin, parceq'te c'eft de lui que procedent les jources de la vie, c'eft -5 - dire, que ce qu'il y a de bon ou de vicieux dans notre conduite, dópend entierement du plus ou moins d'attention que nous faifons aux penfées, aux mouvemens ou aux penchans de notre ame. C'eft donc une Queftion qui mérite un férieux examen que celle - ci, comment on peut avoir de l''empire fur fes penfées P On ne peut y fatisfaire par une feule réponfe , qui convienne également k tous les hommes , parcéqu'il en eft. qui, par la nature mime de leur conftitudon, font plus capables de regler leurs penfées que d'autres. On en trouve auffi , qui naturellement plus foibles, font parvenus par une longue habitude, & par des efforts réiterés & avoir plus d'empire fur leurs penfées que'd'autres. 11 arrivé encore, que dans un tems les mêmes perfonnes ont plus de pouvoir fur les mouvemens de 1'ame,  Chretiennes. Seft. X. g 1'ame, que dans un autre tems, felon létat de leur faoté, ou de leurs affaires , ou de mille autres circonftances extérieures qui les affeclent. Dans tous les cas les premiers mouvemens de notre efprit naiffent avec tant de rapidité, que la Raifon n'a pas le tems d'y mettre aucu.i ordre. Demême, lorfque les objets des fens font une forte impreffion fur 1'ame , ou qu'elle eft toute polTédée de quelque paffion violente , on n'a que peu ou point d'empire fur fes penfées; 1'ame eft toute occupée de ce qui l'affeöe alors, & tant que ces imprelïïons durent, on n'eft pas maf ere de penfer k ce que 1'on veut. II eft aufll des circonftances, oü, par quelque indifpofition du corps , certaines penfées fe préfentent a 1'efprit, fans qu'on puifie lempêcher; enforte que tant que le mal dure, on fe trouve dans 1'impoffibilité d'écarter ces penfées. C'eft le cas de quelques mélancoliques , qui font quelquefois obfédés de penfées & d'imaginations dont ils ne peuvent s'affranchir, quoiqu'ils le defirent fortement, & qui font a la lettre des tongen de gens éveillés. Qüoiqu'il ne depende donc pas de nous, en bien des occafions, de penfer' ce que nous voudrions; que nous ne puiflions pas même empêcher une mulfecude de penfées de fe préfenter a noA 2 tt e  4 Pratique des Vertifs Moyem i rcgier fes Pentëts. tre efprit, malgré nous, nous fommes pourtant coujours les maïtres d'y acquiefcer, ou de les condamner. Si, au - lieu d'y acquiefcer, nous les réprimons , nous t&chons de les écarter dès que nous les appercevons , nous prévenons le mal dans fa fource; & quelque déré^ées & indécentes qu'elles foient, on doit les regarder plutót comme des foiblefles de notre nature corroinpue , que comme des péchés proprement dits. Si nous nous attachons ö quelque penfée qui tend & nous porter au mal, que nous nous en occupions avec plaifir, & fi nous fuivons ce qu'elle nous fuggere> jufques è ce qu'elle fe termine en aftion, nous ne pouvons plus nous excufer fur notre corruption naturelle , mais nous tranfgreffons aftuellement les Loix de Dieu. ie Si nous voulons préferver notre coeur de toute mauvaife difpofition , & regler fagement nos penfées , notre premier & principal foin doit èire de nous propofer des vues légitimes, & de choifir pour notre grande affaire celle qui doit réellement 1'être. Nous devons furtout travailler è nous rendre agréables k ce Dieu qui nous a créés, & qui difpofe de tout ce qui nous regarde ; puifqu'il nous rendra heureux ou malheureux , tant dans cette vie que dans celle qui eft a-venir, felon  CïIRETlENNES. Seil. X. «|ue nous nous attacherons fincérement a fon fervice, ou que nous le négligerons. Pour maintenir fon cccur dans cette vertueufe difpofition, il faut encoreéviter l'oifiveté, & les mauvaifës compagnies. Un homme fage ne doic jamais fe trouver en fituation de dire, je n'ai rien a faire, je ne fais h quoi employer cette heure. L'oifiveté eft le principe de tant de vaines, inutiles & criminelles imaginations, dans lefquelles bien des gens paffent leur vie. Ec tandis que les tentations fe préfentent d'elles • mêmes è d'autres de tems en tems,l'homme oifif eft contraint de les chercher, pour être 1'écueil de fa vertu. Des compagnies frivoles & libertines ne font pas moins dangereufes que l'oifiveté , elle» énervent nos facultés, & font perdre tellement a 1'ame fa vigueur par rapport aux objets férieux, qu'elle ne fe remet que difficilement dans une difpofition propre.i s'en occuper; ce qui a fait dire a Sr. Paul, que les mauvaifes compagnies corrompent les bonnes maeurs. 11 eft donc impoffible que ceux qui paffent la meilleure partie de leur vie a courir de cöté & d'autre, au jeu, en partjes de plaifirs , en converfations vaines & frivoles , a écouter ou k débiter des nouvelles, ne s'en reffentent , & que leurs penfées , leurs inclinations & toute la difpofition de leur cccur ne A 3 foient r Cor. sv. 33.  6 Fratique des Vertüs foient afTorties a leurs occupations, c'eft - a - dire , qu'ils ne foient fuperfir ciels , légers , difllpés , pour ne pas dire profanes, vicieux, & même qu'ils n'wdoptent les principes de 1'Athéifme, s'ils fréqucnt'ent des fociétés ou ils reguent. Il fauc veiller furtout, autant qu'il eft poflible , fur les premiers mouvemens de fon cosur, & lorfqu'on s'appercoit qu'ils portent vers des chofes défendues, les réprimer aufli promptement qu'on le pourra. Par exemple, vous n'êtes peut-étre pas le maïtre de prévenir un mouvement de colere, que vingt occafions font naitre; mais dès que vous le fentez il dépend de vous de 1'arrêter du moins au point de n» pas le faire éclater par des paroles peu mefurées. II s'éleve dans votre efprit des penfées indécentes, impures, des defirs criminels: vous n'avez peut-étre pas pu les empêcher de fe préfenter a vous, mais il eft en votre pouvoir de vous dérober k la tentation qui les a fait naitre, & de tacher de tourner vos penfées fur d'autres objets; du moins de ne pas vous laifter aller è aucune aflion qui tende a fatisfaire ces defirs. Chaque afte de réfiftance que vous oppofez aux premiers mouvemens vicieux, rend les autres aflauts qu'ils vous livrent moins violens. Si vous veiliez ainü conftamment fur votre cceur.  Chretiennes. SeS. X. f -coeur, vous acquerrez peu a peu aflez d'empire fur lui, pour ne pas être expofés au quart de defirs criminels, de paffions déréglées, qui auparavant s'élevoienc en bien des occafions en vous. Le vrai moycn de prévenir non feulement les mauvaifes, mais d'avoir toujours une fource de penfées bonnes & utiles, c'eft de converfer avec des per. fonnes fages & vertueufes, de lire de bons Livres & furtouc 1'Ecriture Sainte, de s'occuper a la. médication, de fe recueillir , & furtout d'adrefl'er h Dieu fans cefle de fervences prieres. A toutes ces précautibns il faut en ajoucer une autre, c'eft d'ufer de retenue ; j'enrends par-la, que nous ne devons^ pas occuper exceflivement, & au-deia de nos forces, notre efprit, même des objets les plus utiles; mais nous donner de tems en tems du rel&che, & nous diftraire quelquefois, pourvu que ce foit d'une maniere innocente. Mais un des plus excellens moyens de bien regler nos penfées, c'eft d'étre toujours intimément pénétrés du fentiment de la préfence de Dieu, & de nous rappeller qu'il nous obferve. Celui qui a formé l'cèil ne verra. t-ü point? &s'il voit le crime, ne 3 le punira -1 - il point ? VEnfer £f la deftruclion font devant le Seigneur , com- } bien plus le casur des enfans des hommes eft-il découvert è fes yeux? Si A 4 1'on pr. LCiv. 9. Prov. ;v. 11.  8 Pratïque des Vertos L'IIuuili- ■ É. Mstth. vn. 20. 1'o'n röugit d'expofer a fes femblables des penfées vaines, frivoles, préfomptueufes, criminelles, de peur d'efluyer leurs reproches , ou d'être punis, a bien plus forte raifon doit-on avoir honce, & craindre de fe livrer a des penfées qui font criminelles devant Dieu , tandis que 1'on eft perfuadé qu'il les connoit, & qu'il eft en état dc nous en punir. II. Ce qui peut contribuer beaucoup a bien regler nos penfées, c'eft d'être parés d'Humilité , la première des vertus , non feulement par fa propre excellence, mais aufli parcequ'ellc eft le fondement de toutcs les autres. Sc flatter de les acquérir fans être humble , c'eft hdlir 'fur k fabk. Pour fe faire de juftes idéés de cette Vertu, il faut confidérer attentivcment les cffets qu'elle produit, S'agit-il de nos Supérieurs dans la Société Civile? la véritable Humilité confifte a leur obéir volontairement en tout ce qui eft jufte , & & nous foumettre a 1'autorité de ceux-la même qui font fdcbeux & peu dignes de leur rang , a ne point méprifer leurs perfonnes , a ne point dévoiler leurs défauts, & a ne point infulter a leurs foibleflTes. S'agit-il de ceux qui nous furpaffent en talens naturels & en lumieres ? 1'humilité conQfte , non 4 pous foumettre aveuglcment éc fans exa»  Chretïennes. Set}. X. s> examen k leurs décifions, mais a defi» rer & k recevoir avec plaifir leurs inftrudtions ; k ne pas leur envier les avantages que Dieu leur a accordés au deflus de nous; a ne pas murmurer, mais k nous réjouir lorfqu'ils font avancés ou rèfpecr.és k proportion de leur vrai mérite. A 1'ëgard de ceux qui onc porté la piété plus loin que nous, 1'humilité confifte a avoir de la joie de ce que la vertu eft pratiquée, & de 1'avancement du regne de üieu fur la Terre, a voir avec plaifir & fans chagrin ces perfonncs eftimées dans le Monde, & k nous les propofer pour modeles. A 1'égard de nos égaux, 1'humilité confifte en des manieres honnétes, affables & modeftes; a fouffrir patiemment qu'ils nous foient préférés, toutes les fois que cela arrivé; fans penfer qu'on nous fafle tort, quand ceux qui n'ont pas plus de mérite que nous , 1'emportent fur nous dans l'eftime du Pubüc; & a nous foumettre, pour le bien de la paix , k des chofes qui, fans étre entierement contraires k la Railbn, ne font pas, a notre avis , les plus avantageufes, & auxquelles nous ne donnerions pas d'ailleurs la préférence. A l'écjard de nos inférieurs, l'humilité confifte a ne pas nous arroger plus de fupériorité, que la différence des conditions, & ks devoirs qu'ils nous doivent, n'exiA 5 gent  jo Pratique dss Vertus gent pour le mainticn du bon ordre dans la Société. Et quant a ceux qui font au delTous de nous du cóté des talens naturels, des lumieres, ou des richefles , & d'autres avantages de eet ordre , l'humilité confifte k penfer qu'ils ont peut-étre d'autres dons qui nous manquent, & k être difpofés k leur faire part de ceux que nous pofledons, afin qu'ils foient d'autant plus avantagés, en partageant les biens que Dieu nous a difpenfés. La véritable humilité d'un Riche confifte k être prêt a aflifter ceux qui ne le font point, a ]es foulager dans leurs befoins , & k rendre aux plus petits leur condition douce & fupportable. La véritable humilité de ceux qui ont plus de lumie. res & de connoiflances que d'autres, confifte a les communiquer avec plaifir, & a defirer fincérement que leurs prochains puiffent atteindre au même degré de feience qu'eux-mêmes. A 1'égard de ceux qui font moins avancés que nous dans la piété, la véritable humilité confifte a fentir vivement nos nombreufes foiblefies, lors même que nous avons fait les plus grands progrès, a nous intérefier fincérement au falut de tous les hemmes, a leur infpirer des fentimens de Religion par les voies de la douceur,plutót que par celles de la contrainte & de Pautorité; a ne pas rechercher les vains applau- difie-  Chretiennes. Setï. X. i diflemeos des hommes en affi.cr.ant ex térieurement une plus grande piété qu les autres, è avoir de la condefcendan ce pour ceux qui nous font inférieurs & a ne pas dédaigner de leur céder ei des chofes indifférentes; è fupporte leurs infirmicés paciemment & fans cha grin, k éviter de condamner ou di méprifer ceux qui font d'un autn fentiment que nous; a être actentift i ne poinc choquer, par des procédé: fiers, ceux que la douceur auroit pi engager k croire en Jcfus • Chrift, ot ceux que des manieres honnétes é prévenantes auroient empêché de fe féparer de nous, & a ne pas chargei d'un joug inutile ceux qui dépendent de nous; ce que notre Sauveur reprochoit aux Pharifiens. Enfin l'humilité confifte a avoir beaucoup de fur>port pour ceux qui ont failli. Mesfrer&s, dit St. Paul, fi un bomme eft furpris en quelque faute, vous qui êtes fpirïtueis, redrejjez un tel bomme avec un ejpnt de douceur, vous confidérant vous-tnêmes, afin que vous ne foyez aujfi tentés. Sans l'humilité envers nos Supé¬ rieurs, u ne peut y avoir de gouvernement; fans cette difpofition envers nos égaux, 1'amitié & la charité mutuelle difparoiflent ; & pour ce qui eft de nos inférieurs,il y a ces raifons particulieres qui doivent no'is munir contre lorgueil, quels que foient les avanta- ges i Ca'at, VI. i. ?a Néceiïit & fes Av;m :ages.  la Pratiqde des Vertus Tlnni. XU1. 7. ges que nous avons au defTus d'eux. L'humilité nous empêchera de méprifer perfonne , & nous difpofera a inftruire tous ceux qu'il nous fera pofiible d'éclairer; è ne point eftimer des connoiflances qui ne font pas afibrties d'une conduite vertueufe; è regarder tous les hommes comme nos freres, & a reconnoitre que par les Loix de la Création nous ne pouvons fubfifter indépendamment de nos femblables. Cette difpofition nous engagera a nous acquitter avec plaifir des devoirs de 1'humanité envers tous les hommes: s'ils font nos Supérieurs nous leur rendrons ce qui leur eft du; d qui le tribut, le tribut; d qui le péage , le pêage; d qui la crainte , la cramte; & qui l'bonntur, l'bonneur. S'ils font nos inférieurs, nous aurons de la condefcendance pour eux. C'eft donc une contradidion palpable de dire, c'eft un Chretien orgueilleux , car c'eft comme fi 1'on difoit , c'eft un Saint vicieux. Toute la Dodlrine de 1'Evangile, fes Préceptes, les Exemples qu'il propofe, les glorieufes Efpérances qu'il donne , tendent a humilier 1'orgueil humain; & quiconque veut fui•vre Jefus-Cbriji, doit è eet égard renoncer dfoi-même. On peut s'attirer parrai les hommes la réputation d'être humble , par un extérieur modefte, par la fimplicité de fes habits, par des manie-  Chretiennes. Set}. X. 13 tnanieres infinuantes, par un ton doux, tandis que Dieu, qui fonde les cceurs, voit regner 1'orgueil au travers de ces déguiiemens, & démêle que le but de ces beaux dehors eiï de fatisfaire un coeur fier & hautain. II n'eft donc point de vertu qui foit plus digne d'attention , pour juger fainement de 1'état de notre ame , que l'humilité. Car fi nous croifibns en connoilTance, & que nous foyons enflés de vanité, nous perdons plus du cóté des vertus, que nous ne gagnons par 1'accroiflement de nos lumieres. Si nous nous perfeclionnons par rapport a d'autres talens , & que nous ayons une trop haute opinion de nous-mêmes, ces talens , qui auroient été de quelque prix fi nous en avions fait hommage a Dieu avec un efprit humble, foumis & débonnaire , deviennent méprifables k fes yeux. La Science enfle: bien des gens fupportent plus patiemment que 1'on attaque leurs mceurs, que leurs fentimens. Le Serpent comprit bien que c'étoit-la 1'endroie foible de 1'homme, quand il dit artificieufernent h nos premiers Pa« rens , que s'ils vouloient fuivre fon confeil, ils feroient comme des Dieux, connoiffant le Bien & le Mal. Le Séducleur réuflit a fon gré, 1'homme encourut la difgrace de Dieu, & a tranfmis a fa poftérité non feuiement le pêché 3e Ia bonna Dpinion da M\' wêuie.  14 Pratiq.de des Vertüj pt. cxxxix.6. ché & Ia mort , mais encore comme unhéritage parriculier la vaine opinion qu'on poffede cette connoiflance promire par le Diabic. Telle eft la fórce de 1'illufion, qu'il n'eft point d'efpece d'orgueil qui ait plus de befoin qu'on s'y oppofe , que la bonne opinion de notre capacité , quoiqu'il n'y en ait aucune qui ait moins d'appuis. Il importe donc, pour modérer cette haute opinion de nous-mêmes, de tScher de nous pénétrer intimement du femiment de l'imperfeótion de notre nature. Quoique nos facultcs nous diftinguent avantageurement des créatures qui font au delfous de nous, elles font néanmoins toujours bornées, & bien des chofes font au deflus de leur fphere, des chofes trop merveilleufes pour nous, £f fi baut éle vées que noui n'y Jaurions atteindre. La feule autorité de Dieu fufïït a un Efprit humbie pour acquiefcer a ce qu'il révele , & 1'Ecriture nous enfeigne k ne pas être fages au-dela de ce qui eft écrit en matiere de pure révélation, k je pas entreprendre de publier nos propres fpéculations pour rendre raifon ie quelle maniere les chofes font, & k ne pas être décififs è eet égard; par:eque les chofes de Dieu ne font conaues que de 1'efprit dt Dieu, & ne le font des hommes qu'autant qu'il lui a ?lü de les leur révéler dans fa Parole; c*  ClïRE TIENNES. SeS. X. ij ce qui doit nous faire fentir, combien nous fommes fujets k nous tromper, lors-même que nous le penfons le moins. D'ailleurs le pouvoir des préjugés , la précipitation dans les jugemens , les couleurs dont Terreur fe pare quelquefois , & 1'expérience qui nous indruk de la fauffeté des opinions que nous avons adoptées, doivent nous rappeller fans ceffe combien nous fommes faillibles. Nous penferons encore modeftement de nos lumieres, fi nous les comparons avec celles des autres. II eir. vrai que chacun croit avoir raifon, & étre bien fondédans fes feminiens; mais en fuppofant qu'on ne fe trompe point,& que les autres font dans Terreur , on ne doit pas s'enorgueillir, fi Ton penfe qu'ici - bas nous ne connoiffbns qu'en pirtie ; que les autres nous furpalfent J peut être è d'autres égards; qu'ils ont peut - être mieux profité des moyens qu'ils avoient de s'initruire, que nous ne Tavons fait; que nous fommes redevab'es k la Providence, & ó la grace de Dieu, & non 6 nous-mêmes, des avantages qui nous diltinguent des hommes les plus ignorans & les plus ftupides. La bonne opinion de nous-mêmes nous expofe è bien des erreurs, & a de faufles démarches , en nous rendant indociles: elle fait que Ton fouf- fre [ Cor. III. 9.  Prieie. Prov. IV. 23 -» j '• ■■ 1 16 PrATIQDE DES VlRTDI fre impatiemment la contradi&ion, & pour 1'ordinaire elle endurcit dans le pêché, parcequ'on penfe trop favorablement de foi- même. „ Pere des Efpritsl nous fentons le befoin que nous avons de ton divin „ fecours pour regler nos penfées, & pour garder notre cosur de tout ce „ dm ü faut le garder. Fais-nous la „ grace de veiller foigneufement fur „ nous-mêmes. Si par un effet de no„ tre conftitution , des circonftances ,, oh nous fommes placés & de la corruption de notre nature , nous na „ fommes pas les maïtres de prévenir „ toujours des penfées vaines, frivo„ les, criminelles & contraires a no. ,, tredevoir, donne-nous, Seigneur, „ de les réprimer , de les écarter, quand elles fe préfentent è notre ef„ prit; de redoubler tellement notre vigilance, que nous évitions tout „ cc qui peut les faire naitre; & for„ mions en nous 1'heureufe habitude „ de nous occupcr de penfées fages, „ utiles & dignes de créatures raifon„ nables & de Chretiens. Ne permets ,, pas, ó Dieu, que nous oubliyons que „ tu te plais a habiter avec ceux qui „ font humbles de coeur : que cette „ confidération nous anime k être pa„ rés au dedans d'humilité, h la faire ,, paroitre envers tous les hommes, en évitant d'avoir une haute opinion „ de  ChrEtiennes* Stü. X. i, de nous-mêmes, & de prétendre k une fupériorité fur eux, qui ne nous i, eft point düe : & qu'étant les imi3i tateurs de notre divin Sauveur, s, on reconuoiffe en nous ce beau „ caraólere de fes vrais difciples. Ai, men". III. L'Orgueil eft diamétralement oppofé k l'humilité; c'eft le pêché qui-: a banni des Anges du Ciel; & fi nous. devons juger de la nature de ce pêché < par celle de la peine qu'il leur a atti-s ree, c'eft non feulement le premier/ mais le plus grand de tous les péchés dont le Diable fe foit jamais rendu coupable. Mais ce qui prouve le plus fortement combien il eft odieux, c'eft la haine que Dieu témoigne contre ce vice , qu'il a fait éclater non feulement'par la punition du Diable, mais par les déclarations les plus précifes de fa Parole: ceux qui'ont le cmr orgueilleux, font en abomination devant Dim, dit Salomon; & dans 1'énumération des chofes que Dieu détefte, il met le emir hautain au premier rang. St. Jaques déclare, que Dieu réfifle auxh orgueilleux ; & 1'on trouve a chaque J page de 1'Ecriture des preuves de Ja haine de Dieu pour 1'orgueil: ce qui ne nous permet pas de douter, qu'il, ne foit extrêmement odieux en luimême. D'ailleurs ce pêché eft tres -danige 11. B o-e-- xxv De POrueü."eft un rand Pi£» hé. Prov. KVL 5. 'rov. VI; i . 17. iq. iv. 6, L'ri VécM  trè«-d«nge« renx. Pf. X. 4. Prnv. XXI. 24 Prov. XIII. v 18 PrATÏQÜE DES VïRTüf gereux. II nous engage en d'autres peché$,en quoi il eft diredtement contraire è 1'humilité; comme celle-ci eft la fource de toutes les vertus, 1'orgueil eft le principe de tous les vices. L'Orgueilleux s'érige lui - même en Divinité, & ne reconnoit par conféquent d'autres loix que celles qu'il trouve a propos de fe prefcrire: le mécbant bauf' Jant jon rURNÉE. 1 V Ayarice. tibr. xih.  t.uc XVI. Ui 44 Pratiq_ue du Vertos envers Dieu, envers nous-mêmes. & •nvers nos procliains. Premierement, il eft tellement contraire 4 ce que nous devons a Dieu, que Jcfus - Chrift lui - même nous dit : vous nepouvez fsrvir d Dieu & aux ncbejjes; attacher fon cceur aux richefJes, c'eft néceffairement le dérober k Dieu, C'eft-14 aufii ce dont la conduite ordinaire de 1'Avare fournit des preuves: il eft tellement occuné 4 fatisfaire fa cupidité, qu'il n'a ni 'le tems ni la volonté de penfer 4 s'acquitter de ce qu'il doit 4 Dieu; I'occafion de faire quelque profit , de conclure quelque affaire avantageufe, lui eft fi précieufe, que pour ne pas la perdre, il négbgera la Priere, & tous les autres exercices de Piété; il fe permettra même fans fcrupule les plus grands péchés, s'il peut par -14 fe procurer quelque avantage , ou prévenir quelque perte. En fecond lieu, 1'Avarice eft contraire 4 ce que nous nous devons k nous-mêmes, tant par rapport a 1'ame, que par rapport au corps. L'Avare ne fait aucun cas de fon ame, il la livre 4 une mort éternelle pour une chofe de néant; car c'eft-14 ce que fait tout homme qui cherche 4 s'enrichir par des voyes injuftes: & quand même il n'en employeroit point de cette nature, s'il a un amour dominant pour les  CeTretienneï. S$St. XL 45» les richefles, il eft celui duquel PApótre die, qu'il n'tntrera point aiv Roygume des deux. II ne pêche pas moins contre fon corps que contre ion ame , puifqu'il lui refufe fouvent les commodités nécelTaires, bien que ce foit pour eet ufage que les richefles lui font données, en ce qui le regarde lui - même. C'eft - la une vérité que 1'expérience confirme fl généralemcnr, qu'elle n'a pas befbin de preuve. En troifleme lieu, 1'Avarice eft contraire a ce que nous devons k nos prochains , tant è 1'égard de la jufticc, que de Ia charité. Quand on airhe exceflivement 1'argent, on ne fe fait aucun fcrupule de tromper tout le monde fans diftineïion , pourvu que Pon y trouve du profit; de-la tant d'artifices & de fraudes, qui font fi ordinaires dans la Société. On ne doit auffi jamais attendre de charité d'un Avare, qui eft bien plus touché de la crainte de voir dimjnuer fon tréfor, que de celle de voir fes freres mourir de faim. Telle étant Ia grandeur de ce pêché , on peut avec raifon dire avec St. Paul, que la convoitife des richejfes eft la racine de tous les maux. D'ailleurs il eft auffi inquiétant, qu'il eft criminel: PA vare ne jouit pas d'une heure de repos, partagé fans celTe entre le defir d'acquörir & la crainte de perdre. II n'eft donc perfonne, qui Cor.vi.ifc i Tim. VI. 10.  4<* Prat ictuï des Vertv* a VEnvie. WoyoBS d'acquérir U Contenteinem. ; : qui ait a ceeur fon bonheur préfent & a.- venir, qui ne foit infiniment intéreiTé k fe munir contre 1'Avarice, & il ne peut y réufïïr qu'en fe formant au contentement d'efprit. Cette Vertu eftoppofée, en quatrieme lieu, a VEnvie. Quand on eft fatisfait de f« condition, on n'eft pas tenté d'envier celle des autres. Nous verrons dans la fuite combien Penvie eft contraire a 1'efprit de 1'Evangile: tout ce que nous en dirons a préfent, c'eft qu'elle fait le fupplice de celui qui en eft polTédé, elle le ronge & le dévore, Mais plus 1'envic.eft odieufe, & plus le contentement qui nous en préferve, eft digne d'eftime. En réunilTant tout ce que nous avons dit, Dn ne peut que fentir combien cette vertu eftaimable, combien elle mérite ]ue nous ne négligions rien pour 1'acguérir. Voici quelques direêtions propres i nous y former. II. Premiekement, coniidérons 3ue, quelle que foit notre condition, :'eft le partage que Dieu a jugé a profos de nous faire , (Sc que c'eft par :onféquent Ie plus avantageux pour ious , puifque Dieu connoït mieux 5ue nous ne le connoiflbns nous-mênes, ce qui nous convient: c'eft donc Diétendre être plus fagesque lui, que ie ne pas nous en contenter. En fe:ond lieu, méditons a fond la vanité dc  Chretiennes. Stö. Xh 47 de toutes les chofes du Monde, coniidérons leur peu de folidicé pendant que nous en jouilTons, & combien leur polTeflion eft incertaine; mais furtout, qu'elles nous feront inutiles a 1'heure de la mort & au jour du jugement. Ces réflexions nous feront fentir qu'elles ne mén'tent gueres d'être 1'objet de nos defirs , & nous ne ferons pas mécontens d'en être privés. En troifieme lieu, ne nous occupons pas avec plaifir de ce que nous ne polTédons point: bien des gens fe dégoütent des objets qu'ils poffédent, parcequ'ils penient trop a ceux qu'ils n'ont point. Quand on voic fon prochain en poffeHjon d'un bien que 1'on n'a pas , on s'imagine fouvent que 1'on feroit fort heureux fi 1'on étoit a fa place , & 1'on ne penfe point h jouir de ce que 1'on poffede , tandis que notre condition eft peut-étre a bien des égards plus heureufc que la fienne, que nous admirons. Nous ne voyons que 1'extérieur de la condition des autres, & tel eft 1'objet de 1'en■vie, & palTe pour fort heureux , qui eft dévoré par quelque chagrin fecret qui 1'oblige a penfer tout autrement de lui - même. Ne comparons donc jamais notre condition avec celle des perfonnes que nous regardons eomme mieux partagées que nous, mais plutót avec celles des gens que nous favons être moins  4t Pratiqpe des Vertoï Gen. XXXII. K rrioins favorifés, & nous trouverons que nous avons fujet de nous réjouir de notre partage. Quatriemement, confidérons que nous fommes bien éloigrés de méritcr aucune des graces de Dieu , cc nous reconnoitrons avec Jacob, que nous ne Jommts pas dignes 'du moindre des biens, dont nous jouiffons: bien ioin de murmurer de ce qu'ils ne font pas afTez grands , nous fentirons que nous avons de juftes raifons d'admirer cc de célébrer la libérale bonté de Dieu. En cinquieme lieu, penfons fréquemment au bonheur qui nous eft réfervé dans le Ciel; envifageons ce glorieux lëjour comme notro véritable demeure, & ce Monde comme une Eótellerie oü nous ne faifons que loger en paffant; & comme un Voyageur ne s'attend pas è trouver dans une Hótellerie les mêmes commodités qu'il a chez lui, nous ferons contens de ce que nous tiouvons dans ce lieu de paflage, fachant que nous fommes en chemin pour le féjour du bonheur éternel , oh nous ferons richement dédommagés de tous les défagtémens, cc de toutes les incommodités que nous avons eu a efluyer. Enfin, demandons a Dieu, 1'auteur de tout bien, d'ajouter a toutes les bénédiétions qu'il nous accorde , le contentement d'efprit, fans lequel nous ne pouvons goüter de plaifir dans la jouiflance des avantages dout il nous favorife. III.  Chretiennes. Se£l. XI. 43 III. Un cinquieme devoir envers nous mémes eft la DiUGEtvce, qui comprend la figtlance & VIndujlrie. La Cigilance confifte è prendrt gar de è tous les dangers qui peuvent menacer nos ames; & comme il n'y a que le pêché a craindre pour elles , c'eft auffi principalement contre lui que nous devons veiller. Comme dans une ville affiégée on doublé la garde aux endroits toibles , nous devons en faire autant par rapport a notre état fpirituel ; fi nous nous fentons quelque penchant, capable naturellensnt de nous porter au pêché, c'eft Tendroit foible, fur lequel nous devons veiller. Examinons donc foigneufement è quels péchés notre tempérament, les compagnies que nous fréquentons, ou notre genre de vie , nous portent, & foyons particulierement en garde de ce cóté-lè. Ne nous en occupons pourtant pas tellement, que nous négligions de veiller contre les autres péchés, puifque ce feroit donner a notre grand ennemi trop d'avantage d'un autre cóté. Veillons contre tous les péchés en généra!, de furtout contre ceux dont nous avons le plus a craindre les attaques. La Diligence comprend auffi 17». 1 dujtnt ou le Travail , qui confifte è culnver nos ames ; qui fans Ce]a demeurent dans 1'état oh Salomon nous Tarnt II. D re 3 De li Dut. genc e qui comprend , L» Vigilan- 'Induftriei Prov. .XIV. 30.  $o Pratique des Vertui repréfente la vigne du Pareflèux. li en eft de notre ame comme de la terre, elle doit être cultivée , & le buc que 1'on doitfe propoler dans la culture de Tune & de i'autre , c'eft d'en multiplier les richefles. Les richefles de 1'ame font, ou Naturelles, ou Divines. Par les Naturelles j'entends no3 facultés, la raifon, 1'efprit, la mémoire. Par Jes Divines, j'entends les graces de Dieu, de qui elles viennent immédiatement, ne nous étant point naturelles. Nous devons faire valoir les unes & les autres, comme autant de talens qui nous font confiés dans cette vue. Le moyen de faire valoir nos facultés naturelles, c'eft d'en faire un ufage qui contribue è la gloire de Dieu. Nous ne devons ni les laifler inutiles par parefle, ni les étouffer par 1'intempérance & la débauche , comme cela arnve i bien des gens; mais nous devons en faire ufage, & les exercer, non pour les intéréts du Diable, comme le font tant de perfonnes, qui ne fe fervent de leur efprit que pour deshonorer Dieu , pour tromper leur prochain , & pour charger leur mémoiré de chofes qui ne devroient jamais être les objets de leurs penfées, Nous devons, au contraire, nous fervir de nos facultés de la maniere la plus propre a avancer la gloire de Dieu, è con*  ChretiEnnes. Secl, Xi. yt eontnbuerè 1'utilité de nos prochains, & a nous mettre en état d'en rendre un bon compce , quand Dieu nous y appellera. * Les autres talens de 1'ame, qui font ceux de la Grace, font encore plus précieux, & nous devons prendre un foin tout particulier de les ménager & de les faire valoir: c'eft a quoi nous exhorte exprefiement St. Pierre, Croifz fez, dit-il, en lagrace: vous donc auffi 1 yapportant toute la diligence piffible, ajoutez a votre foi la vertu , d la vertu la fcience, d la jcience la tempérance , d la tempérance la patience , d la patience la piété, d la pïétè ïamowr fraternel. Or le vrai moyvn de mettre Ja grace a profit, c'eft ci'en faire ufage , pour nratiquer les vertus dont elle eft deftinée è nous rendre tcapacles. Ce moyen eft infaillible , non feulement par la facilir&que 1'habitude donne , mais furtout parceque Dieu a promis de 1'accompagner de fa bénédidlion : d celui qui «, c'eft a-dire, 1 qui fait un bon ufage de ce qu'il a, $X.x ïlui fera donnd, £? il aura abondamment. Quand on met a profit fidelement & i avec zele les premières graces, Dieu I en accorde de nouvelles, & a propori tion que 1'on fait valoir celles-ci, on |en obrient une plus grande mefure; lenforte que ce que Salomon dit des mens temporels, eft vrai auffi des biens D a fpi- D a fpi- I I'icrre Ift. !. I. 5--8, 'itth. V. 29,  PRATlQUE DES VERTIBS Vtt v. X. 4. lueXI. 13. fpiriruels, que la main de l'bomme düU gent enricbit. Lok8 donc que nous fentons quelque bon mouvement en nous, fouvenons nous que c'eft le tems propre a nous appliquer a faire valoir nos talens fpirituels. Si notre confcience nous fait ie moindre reproche fur quelque p6ché auquel nous foyons fujets, prévalou.-nous-en pour faire naitre en nous de la haine pour ce pêché, paffons de la haine a !a réfolution d'y réfifter, & de la réfolution è des efforts pour nous en affranchir. Si nous y travaillons fiuelement & fincérement, Dieu nous afiiftera par fa grace, non feulement dans chacune de ces démarches, mais d nous mertra en état de reroporter une vidloire compktre. Nous ne devons ccpendant pas négliger d*e joindre a notre travail la priere, Dieu ayant promis de donner le Savit EJprit a ceux qui le demandent: enforte que ceux qui ne le demandent point, ne doivent pas fe flater de 1'obrenir. Nous devons le folliciter avec une ardeur proportionnée en quelque facon au prix du bien qui eft l'objet de no% \ccux; & comme il furpafle infiniment tous ceux du monde , tant en lui - même que par rapport a 1'avantage qui nous en revient, nous fommes obligés de le demander avec plus de zele & d'empreflement, que toutes les  Chretienwes. SeSt. XI. 53 les bénédicïions temporelies; fans cela nous témoignons que nous le regardons avec mépris. Ce qui doit nous engager a faire ufage de ces divers moyen* pour mertre les graces de Dieu a profit, c'eft le danger auquel notre négligence fur ce fuiet nous expofe. Ce danger ne confifte pas fimplement, comme en d'autres chofes, a perdre ce que 1'on pourroit acquérir par des foiris fages &acr,ifs, mais encore a'perdre ce que 1'on poiTede déja: car a celui qui n'a rien, c'eft-è-dire qui n'a point fait ufage de : ce qu'il avoit, cela même qu'il a lui/era óté Dieu ne manque point de retirer fa grace quand on la négligé, comme on le voit dans la Paraboie oh le talent eft óté è celui qui Pavoit caché en terre, fans le faire valoir au profit de fon Maftre , & c'eft le plus grand malheur qui puifie arriver, avant que de périr entierement ; c'eft un Enfer anticipé, c'eft être livré au pouvoir du Démon, & être banni de la préfence de Dieu, deux chofes qui ne font pas la moindre partie de la mifere des damnés; & c'eft être en quelque facon déja condamné a ces peines éternelles, préparées aux méchans dans la Vie 4-venir; puifque c'eft ici 1'arrêt décifif du Strviteur inutilt , ƒ et fez - le dans les tinebres de debors, ld ou il y aura pleurs (f s grincemens de denis. Tels étant les af. D 3 freux Mattb. CXV. *9S. Wattli. XV. |o.  Devoirsqi regdrdent ] Corps. La Ciias- teté. «£qr.vi. 18 54 Pratique des Vertü» freux dangers auxquels nous nous expofons, ii nous négligeons de profiter des graces divines , nous devons les faire valoir , fi nous nous aimons nous - mêmes, & fi nous prenons quelque incérêt au falut de nos ames. ' IV. Apue\s avoir fait connoitre les Vertus qui fe rapportent particulierement è 1'ame , emrons dans le détail de celles qui regardent le corps. La première eft )a Chasteté ou fa Püreté , puifque St. Paul repréfente le vice oppofé, comme un pêché qui .olfenfe parriculierement le corps, celui qui ccmmet paülardife , pêche contre Jont propre corps. La chafteté confifte a s'abftenir, non feulement de 1'adultere & de la fornication , mais de tous les autres péchés d'impureté , quels qu'ils foient, foit qu'on les commette fur ioi- même , ou avec quelque autre. Cette Vertu n'eft donc autre chofe que 1'attention a regler ces defirs naturels, que Dieu a mis en nous pour la propagation du Genre-humain , & a les rcufermer dans les bornes d'un Iégitirne mariage. On ne doit pas même penfer qu'il foit permis dans eet état de fe livrer fans réferve a fes defirs, comme les bêtes; 011 doit fe tenir dans les bornes de modération convenables aux fins du mariage, qui font de procréer des enfans, & de préferver de la fornication: on doit éviter tout ce  Chretiennes. Sec}. Xï. 55 cc qui peut mettre obftacle a la première de ces fins; & comme le but de la feconde n'eft que de dompter la convoitife, & d'en prévenir les effets criminels, rien n'y eft plus oppofé que de faire fervir le mariage a 1'enflammer & è la nourrir. Cette Vertu ne fe borne pas è s'abftenir des aétes les plus grofilers de 1'impureté , mais elle s'étend a tout ce qui la favorife : elle regie nos regards, felon ce que die le Sauveur, celui qui regarde une femme pour la con-^ uoiter, a néja commis adultere avec elle en fon casur: elle garde nos mains, comme il paroit par ce que Jefus-Chrift ajoute, fi ta main te fait piebtr, coupela: elle tient en bride notre langue, & 1'empêche de proférer des paroles deshonnétes & obfeenes; que nulle parole desbor.nête ne forte de votre boucbe, dit St. Paul. Elle étend fon empire jufques fur nos penfées «Sc fur notre imagination ; nous devons éviter de nous occuper d'idécs impures , de defirs criminels. Quand donc on s'abftient de» adtes les plus grofliers, & qu'on fe donne d'ailleurs une entiere liberté , il y a tout lieu de penfer qu'on eft retenu plutöt par quelque confidération extérieure , que par un principe de confeience. Car fi c'éroit la confeience qui infpirde de la retenue, elle étendroit fon influence fur D 4 tout Mitth. '. 28, 3°- Ephef. iv. 19.  jó Pratique des Vertus Priere. iTirc.VI. o.) s i ColofT. , 111.». , » I tout ce qu'il y a de criminel en ce genre , qui eft également odieux aux yt ux de Dieu. D'ailleurs, ceux qui fe permettent le relachement aux moindres égards , s'expofeut au danger de tomber dans les derniers excès de ce pêché, parcequ'il eft bien plus aifé d'être en garde contre tout ce qui tient de 1'impureté, que de s'arrêter quand on fe donne certaines libertés fur eet article. Mais il faut furtout confidérer que ce qu'il y a de plus léger dans rimpureté,erttrès odieux a Dieu, qui ionde les cceurs, & qui n'aime que ceux qui font purs. „ Sage & généreux Difpenfateur de „ tous les biens, comme c'eft toi qui „ regies la condition des hommes, „ fais-nous la grace d'être contens de ,, la portion de biens que tu nous ac„ cordes , & de renfermer nos defirs „ dans de juftes bornes , perfuadés , que tu connois mieux que nous ne , le connoifions nous-mêmes ce qui , nous eft utile & avantageux. Pré, ferve nos cceurs de 1'amour des ri, chefles, afin que nous ne tombions , pas dans la tentation & dans le piese. , Ne permets pas que nous portibns , jamais en vie è Ia condition de nos , prochains; donne - nous de penfer , aux chofes qui font en haut , non , d celles qui font fur la Terre. Infpi, re-nous la vigilance néceflaire con- ,, tre  Chretiknnes. Seci. XI. 37 ,, tre le pêché , 1'efprk d'apDlicariori „ dont nous avons befoin, pour faire „ valoir les dons de la Nature ei de la Grace, que nous tenon de toi; afin „ que nous puifïions alUr de foi en foi „ O1 de vertu en vertu. Que joignant „ toujours la Priere a la Vigilance & „ au Travail, nous puiflións, guidés „ par ton Efprit & fourenus par ra j, Grace, combattre le bon combat. Dieu 2 ,, de paix, veuiile twus fancl'fier ennere„ ment , èf que notre e'/pru, 1'ame £? le corps foient con/ervé> luns nprocbe d la venue de notre Seigneur Jejus,, Cbrilt. Amen". Pour fe convaincre combien Ia j Chafleté eft une Vertu aimable, il n'y'c a qu'è faire réflexion fur l'Korreur &£' les Omes du pêché qui lui eft con-T'i traire. En premier lieu, ce pêché abrutit I homme, &le dégrade, en le mettant de niveau avec les bêtes; ceux qui s'y abandonnent,font généralement réduits i n'avoir d'humain que la figure; parcequ'il obfeurcit toutes les lumieres de 1'efprit, & dépouille 1'ame de fa dignité naturelle : tellement que c'eft une image bien jufte que celle qu'employe Salomon, quand il dépeint le jeune homme qui va chez une femme débauchée: II va, dit - i]. aprèi elle com- 1 me le bosuf qui s'en va a la boucbariet V & comme le fou aux ceps pour être ebdüê, D 5 Se- Tim.IV. ~. 1 Theff. I. 13. xvtit l'l'NÉï. s Dan. r» de mpurete". 'rov. II. as.  5* Pratique des Vert?s 2 Sa». xiii. Nüiub. xxv. 8. Secondement, ce Vice n'eft pas moins nuifible au corps qu'4 1'amele nombre de maladies honteufes & douloureufes qu'il attire fouvent en tournillcnt des preuves bien évidentes. VJue de gens qui deviennent par 1'impureté les marr.yrs du Diable, & s'expofent pour fatisfaire cette indigne paffion a des maux que les plus cruels lyrans n'auroient pu inventer ! Certainement ceux qui achetenc l'Enfer 4 un tel prix , mén tent bien qu'on ne ies pnve pas de ce qu'ils ont voulu acquérir. En troifieme lieu, ce font non feulement les fuites naturelles de ce péché qui doivent le faire redouter, mais auffi les féveres & terribles jugemens de Dieu qu'il attire. Ce fut 1'impureté qui donna lieu au cMtimene le plus extraordinaire qui ait jamais été, qui fit tomber du Ciel le feu & le foufre qui confumerent Sodome & t^omorre. C'eft ce même pêché que Dieui a puni févérement en divers particuliers , I'incefte tfAmnon lui coöta ia vie; Zimri rj? Cozbi furent tués dans le moment même qu'ils fe rendirent coupables; & il n'eft perfonne qui puilfe fe promettre de n'éprouver pas le même chitiment. Car, quelque fecrettement que 1'on commette ce pêché , on ne peut en dérober la connoillance 4 Dieu, qui punira infailli- ble-  Chretïennes. Sttï. XI. blement rous les crimes de cette nature; fes menaces font formelles: fi quelqu'un détruü le temple de Dieu , Dieu le détruira; car le temple de Duu eft faira, lequnl vous hes. Limpureeé eft uneefpice de facrUege, qui louille & profane ce corps , que Dieu a cho'fï pour étre fon temple : il n'eft donc pas étonnanc qu'il la pun.ffe avec tant de 'évérité. Enfin ce pêché nous exclut du Royaume des Cieux , oh nul impur ne peut cntrer. Car nous ne trou\ons aucun Catalogue des péchés qui en ferment 1'entrée, oh 1'on ne voye 1'impurecé: les ceuvrcs de la cbair Jont manifeftes, dit St. Paul, lefquelles Jont l'adultere, la paülardife , l'impur eti, l'info lence , &c. Fuyez, dit-il encore, fuyez la paülardife ; car quelque pécbi queV Vbomme commette , il eft bors du corps; mais celui qui paillarde, picbe contre fon propre corps: ne vous abufez point, ni les impurs, ni les idoldtres, ni les adulteres , ni les effimivés &c. tfbirittront point le Royaume de Dieu. Si donc nous nous livrons ace pêché , nous devons nous attendre a recevoir notre partage avec Ie Diable & fes Anges, & è voir les flammes de 1'Enfer fuccéder a celles de notre criminelle palTion. V. C'en eft aflez pour nous faire i fentir le prir de la Chafteté, & la£' seceflité de la conferver avec tout le foin 59 i Gor. hl 17. Galat. V. Kj. 1 Cor. i. 1», 10. foyens do ntiqiier U lafteté.  60 Pratique des Vertos foin poflible. Voici quelques direöions fur ce iujet. En premier lieu, il faut réfifter a Ia tentation dós qu'elle fe préfence, écarter avec indignation les premiers mouvemens de convoitife que nous rellen t ons; car fi nous entrons Ie moins du monde en compofiuon avec elle, elle prendra peu k peu le delfus, ei nousaurons plus de pei« ne a y ré(ifter; le plus für parti dans cette guerre, c'eft de fuir & non de combatne; non feulement pour ne pas courir nfque de tomber dans le pêché, mais auffi puur ne pas fe rendre coupable, en s'occupant de penfées qui Jont criminelles en elles-mêmes, & qui , comme nous 1'avons vu, font odieufes a Dieu. Secondement, évitons foigneufement I'Oifiveté , qui eft Ja grande & première fource de ce vice; occupons- nous toujours d'une maniere utile ou innocente, & nous ferons moins acceffibles è des penfées impures. En troifieme lieu , évitons de nous rappelier jamais avec plaifir aucune circontfance voluptueufe de notre vie, car c'eft aux yeux de Dieu réiterer Ie pêché; & peut-étre même eftce un plus grand crime de s'en occuper ainfi de deflein prémédité, que d'v tomber par furprife & dans le feu de Ja paffion ; puifque c'eft la marqué dun cceur vicieux , & difpofé k le commettre encore. En quatrieme lieu, il  «JtfRETlENNES, Seü. XI. 3 ïl faut éviter la compagnie de ceux qui par le libertinage de leur vie , par 1'obfcénité de leurs difcours , ou de quelque autre maniere , pourroient nous être en piége a eet égard. Cinquiemement, prions Dieu ardemment de nous donner 1'efprit de pureté, furtout lorfque nous fommes expofés a quelque tentation ; amenons 1'Efprit malin a [efus-Chrilt,afin qu'il le chaffe ; & fi la priere ne fuffit pas pour nous en délivrer, ajoutóns • y le jeune; du moins n'entretenons pas ce feu impur , en donnant a notre corps une nourriture trop abondante ou trop délicate. Enfin , quand tous les autres moyens font inutiles, la reflburce qui refce eft le Mariage , qui decent un devoir indifpenfable pour ceux qui ne peuvent conferver autrement leur innocence. Mais dans le mariage même, il faut prendre garde que ce qui eft deftiné a nous préferver de 1'impureté , ne nous devienne u.ic occafion de pêché, cn ne nous renfemant pas dans de juftes bornes. Nous n'infiftons pas fur eet article , que nous avons déja touché. Nous nous bornons & conjurer tous les hommes de confidérer férieufement la turpitude de 1'impureté, & les dangers auxquels elle expofe; a ne pas penfer que ce pêché foit, moins odieux , parcéqu'il eft devenu commun: mais a détefter, au con»  fa PrATIQUE DES VERTTfS Hdbr. XIII. 4. De la Tem. jpérancs. Dins le Hanger. ( ] ] contraire, Pétrange corruption du üe± cle , qui veut faire pafier pour une faute iégere , un crime contre lequel Dieu a prononcé de li teïribles malédidtions ; Dieu jugera les impurs & les adulteres, & il jugera auiïï, n'en cioutons point, tous ceux qui fe renden: coupables a eet égard , de quelque facon que ce foit. S E C T I O N XII. I. De la Tempérance: Regies de Tempérance d l'égara du Mangür II. De la Tempérance dans le Boire. Faux prétexces de ceux qui buivent avec excès. UI. De la Tempérance pour le Sommeie. IV. Dans les Recréations. V. Dans les Habits. VI. De la Patience. Vil. Du Kenon- cemünt' a soi - meme. [.TA feconde Vertu qui fe rapI— oorte au corps, c'eft Ia Tempérance , qui s'étend a regler Ie Matiger, le Boire, le Sommeil, les Re■réaiions . & les Habits. La Tempérance dans le Manger, :onfiftea prendre la nourriture confornément au bur auquel Dieu & la Nature Pont deftinée, qui eft de con- far-  Chretiennïs. StSt. XII. 63 ferver notre corps, & de le conferver dans un état de vigueur & de fanté. Telle eft la conftitution de notre nature , que nous avons befoin de nourriture pour entretenir notre vie; la faim eft une maladie naturelle, qui feroit mortelle, fi 1'on n'y apportoit le feul remede propre a en prévenir les fuites, qui eft de. manger, & la nourriture eft par cette raifon abfolument néceflaire pour la confervation de notre vie. C'eft donc dans cette vue que nous devons en ufer d'abord : & comme on ne prend point des remedes par plaifir, on ne doit pas non plus manger par plaifir. Mais Dieu a jugék propos, par un effet de fa bonté infinie, de pourvoir non feulement a la confervation de nosre corps, mais encore k fon bienêtre; deforte que nous ne fommes pas fi étroitement bornés, que nous ne devions manger qu'autant qu'il faut précifément pour ne pas mourir de faim. II nous eft permis d'ufer, tant pour la quantité que pour la qualicé, de tout ce qui peut contribuer è notre fanté. On fe renferme dans les bornes de la tempérance pour le manger, quand on prend des alimens dans ces vues , & on les paffe , quand on fe permet ce qui y eft contraire. Lors donc qu'on mange uniquement pour eontencer fon gout, ou, ce qui eft plus  ex Pratiqüe des Vertos plus cnminei encore. pour enfhmmer tan tempérament, c'elt al er dirtêtemenc contre les vues de Dieu , puifque la gourmandife & i'iviognerie caufent fouvent des maladies dangereuf.s, & précipitent la mort de ceux qui s y livrent. ]l faut, pour obferver les regies de la Tempérance, eviter de fe charger de erop d'ahmens, ou d'ufer, aurant qu'il eft pofïible , de mets qui puiffent nuire a notre fanté. Au refte, il eft impoflible de rien dérerminer ni fur la quantité ni fur la qualité ; I'une <5c 1'autre varie felon la différ. nee des teinpérameos: ]> s uns peuvent manger beaucoup fans être intempérans, parceque leur eftomac le demande; tandis que d'autres en ne mangeant que peu, péchent contre la tempérance , parceque c'eft encore tron pour leur conltitution. II en eft de-même pour la qualiré des mets ; ce qui eft pure délicacelfe & friandife dans les uns, peut être néceiïaire jufques a un ccnain point a d'autres, dont le tempérament foible demande une nnurriture moins groflkre. En général, les mets les plus (imples font les plus fains: mais chacun doit être a eet égard juge de ce qui lui convient, en évitant de fe rendre efclave de fon palais, qui veut ordinairement fe contenter, fut-ce aux dépeos dt Ja fanté & de la vie. Pour  Chretiennes. &&. XII. o$ Pour nou* munir contre les excès a eet égard, conödérons, en premier lieu, combien il eft contraire a la Raifon, que le corps entier foit tellement aflervi au feu! fens du goüt, qu'il doive courir les plus grands rifques pour le fatisfaire : mais ce qui eft plus dé* raifonnable encore, c'eft que 1'ame elle même fe trouve alTujettie par - la , & en danger de pórir éternellement; car, quoique 1'intempérance foit un pêché du corps, 1'ame ne laifTera pas d'en parrager la peine. Secondement, confidérons combien le plaifir de fa; isfaire fon goüt eft court & palTager; il difparoit en un moment, tandis que les maux qu'on s'attire par des exces, durent bien davantage: c'eft donc pécher contre le fens-commun, que de 1'acheter fi chen Mais, en troifieme lieu, ce Vice eft encore plus oppofé a 1'efprit du Chriftianifme, qui demande que nos cceurs foient tellement purifiés par 1'attente de ces joies fpirituelies & nobles, que le monde a-venir nous offre , que nous méprifbns ces plaifirs fenfuels & groffiers , doot les Bêtes ne font pas moins fufceptibles que nous; & il feroit méme convenable de lei leur abandonner, puifque c'eft tout ce k quoi elles peuvent prétendre; mais quant a nous, qui avons de plus hautes efpérances, il eft fouverainement honteux de chercher dans Tornt II. E I»  06 Pratique des Vertos Lue XXI. 34, i.uc XVJ. 25. Dn lis le Boi re. la fatisfaction de notre goüt Ia moindre partie de notre félicité. Enfin , la Gourmandife eft un vice fi criminel & fi dangereux, que Jefus - Chrift a jugé a propos de nous munir particuliercment a eet égard: Prenez garde que x a cceurs ne foient appefaniis par la gourmattdifei & perfonne n'ignore la fin malheureufe de ce Riche, qui s'étoit traité déiicieufement chaque jour, & qui fut réduit a dcfirer une goutte d'eau pour rafraichir fa langue, fans pouvoir i'obtenir. 11. La Tempérance regie en fecond lieu le Bare: comme 1'on doit fe propoler , en buvant , le même but qu'en mangeant, on doic obferver les mêmes regies de modcration, c'eft - adire , qu'on ne doit ufer ni pour la qualiré ni pour la quantité des liqueurs, qu'autant que cela convient a notre fanté , & a la confervation de notre vie. II n'y a qu'un avis a donner ici: c'eft que, comme nous courons plus de rifqae de troubler notre raifon par 1'ufage exceffif de la boiflbn, que par celui des alimens, nous devons auffi être plus fur nos gardes, & éviter de boire autant que nous Ie pouvons fans nuire è notre fanté, fi par-li nous donnons atteinte a notre raifon. II eft des perfonnes qui ont la tête Q foibie , qu'ils ne peuvent porter une quantité de boiflbn, qui d'ailleurs no nui-  Chretiennes. Set}. XII. 07 nuimit point a leur fan'é Ceux qui fout ue ce tempérament, doivrnt >'abfit nir de Ia quantité de liqueur, ou de cis (b tes de liqucurs qui produnent fur cux un mauvais effet, quand même 8'ailleurs ils pouiroient en ufer lans faire tort a leur fanté , & même que Puf ge qu'ils en ferofent y feróu utilé: Car, quoique nous déviuns veiller a la confervation de notre fanté, ce ne doit jamais éne en nous permectant un pêché, tel que Pivrognerié. Mais hélas! de cette multitcide de 1 gens qui boivenr avec excès, qu'il eireft peu qui puifTcnt alléguer la raifon 5f de leur fanté, la plupart buvant au-Js dela de ce qu'elle permet , ce jufques a la ruiner entiererner.t. C'elt ce qui monrre évidemmenr que 1'on fe propofe d'autres vues , en buvant, que celles que nous avons indiquées, & qui feules font légitimes. Cvft ce que nous allons prou^er en detail. On dit, en premier lieu, afïl-z communément, que 1'on boic par compagnie. Mais ne pourroit- on pas demander h ceux qui portent la complaifance jufques Ia , s'ils voudroient tenir Compagnie aux aurres, fi ceux - ci prénoient du poilbn ? S'ins doute qu'ils n'y (eroient pasdifpofés: or, par la mórhe raifon, clt par une raifon bien plus'' fo.-te, ils ne doivent donc pas s'afibeier a leurs excès; puifque faire un E- 2 ufage ?mr. Vri. ' tei di iventavec ces.  Piot XXI 25, 6i Pratique des Vertos ufage immodéré du vin ou d'aurre liqueurs de cecte efpece, c'eft preridre du poifon, qui ne donne pas a Ia véla mort fur le champ, quoique la chofe ne foit pas fans exemple, mais qui épu'fe infenfiblement les forces ce abrége les jours: c'eft donc peut-être un poifon lent, mais c'eft toujours un poifon. Mais ces excès producent de» cfFets plus funeftes, que tout homme fage doit redouter plus que la mort; , ils dérangent fa raifon Je rendent quelquefois furieux, fouvent rabrutiifent, . & le réduifent dans un état pire que I celui des bêtes, & expofent fon ame a 1. une perte inévitable. Secondement , quelques • uns allé' •[ guent pour excufe, qu'ils boivent peur 4 entretenir Vamitii: mais , qu'il me foit'ia permis de le dire , il faut être ivre J pour faire valoir une pareille raifon. . Car oh eft 1'homme, dans fon bon- 4 fens, qui puiffe penfer qu'il rend fer- 4 vice a fon ami, en lui aidant a ruiner J| fa maifon, fa réputation , fa fanté &il a perdre fon ame? D'ailleurs, l'expé-i rience démontre, que c'eft le moyenr d'exciter des querelles , qui font fou-i vent fuivies de coups, de blefTures &5 de meurtres : c'eft ce que Salomon 1 u.nous rappelle , ouand il dit: A quii eft malheur fur moi ? A qui eft Hétas ? A / qui les querelles? A qui les coups fans cau-% Js ? A ceux qui s'arrêtent auprès du vin.n  Chretiennes. Seft. XIT. 69 On allegue, en troifieme lieu, que 1 on dok pour s'égayer & Je rijmir. Mais c eft-la, felon ia remarque de Salomon, un ris d'infmfi; puifque 1'on E | le procure eette joie aux dépen» de fa i raifon , de fa fanté, de fon bien, de l fa réDutarion, & que 1'on fe prépare i un terrible compte pour la Vie a-venir. Ceux qui prétendent fe juftifier, ,1 en quatntme lieu , en dilant qu'ils boivent pour bannir U cbugrin , font ' 1'apologie de la plus grande folie | qu'on puiffe imaginer; parcequ'il eft impi fTïbk- d'éloigner de fon efprit i pour longtems, par ce moyen, des cha1 grins & des foucis de quelque impor1 tance. Vit-on iamais un homme pour1 fuivi par la Juftice, prétend-e fe met' tre a couvert en s'enivrant? & n'y at-il pas infiniment plus d'extravagance è vouloir étouffer les remords de fa confeience, qui nous citent devant le ! tnbunal de Chrift, en fe livrant a la | débauche & a 1'ivrognerie, au lieu dc 1 chn-cher il obtenir le pardon de fes ] péchés par la repentance? S'il ne s'a1 git que de foucis temporels, qu'il eft i permis d'éloigner, Dieu ne nous a r iï ! pas foami un mcyen légitime de nous 1 en affranchir, en nous ordonnanr de . i dicbarger nos foueis fur lui, parcequ'il a V Jmn de nous. Préférerons - nous un ; honteux excèj a ia proteftion de Dku? E 3 On :clef.II.s Pisrrs ■7-  70 Pratique des Vertos Pritre. Jlfttth. V. fl iTnn. II. S i Cor. Rotn.VI.13 M*tth. XV. 18. 1 ThelT. iv. 4. 1 Cor. VI. 20, On ne doit donc pas , a moins que d'avoir renonce a la Raifon & a la Religion, a1 oir rccours en pareiI cas a 1'ïyrpgnerie ; puifque c'eft méprifer éga'ement, adultere nécbante, le Fils de l'vomme aura bonte de lui , quand il viendra en la gloire de fon Pere avec tes Jaints Artges. Telle fera la fin déplorable de ceux qui renoncem a la fobnété, dans refpérarce ü'éviter les reproches, les infultes & les raillerie^ des autres; en quoi ils fe trompent même , puifqu'il eft tres-ordinaire que ceux qui tachent d'intimider ainfi leurs compagnons, qui font difficulté de boire avec excès, font les premiers a fe moquer d'eux , lorfqu'iis ont perdu la raifon: un ivrogne eft toujours 1'objet des railleries de 1'autre. Il eft encore des gens qui ne fe propofent que le plaifir de boire: mais il y a plus a efpérer d'un fou, que de ceux qui ont renoncé a ce point • la k la raifon : ce raotif eft un de ceur qu'o» tache de c-acher. Efsü ne fut il pas blamable de vendre fon droit d'aineffe pour un potage de lentilles.quoiqu'il eüt befoin de nourriture? Que doivent donc attendre ceux qui vendent leur fanté, leur raifon. leur ame, leur Dieu , pour ce qui, bien loin de les nourrir, ne fert qu'a ruiner leur corps? Enfin , un des prétextes les plus communs & les plus plaufibles , que des pcrfonnes, d'un certain ordre furE 5 tout» Mare Vlli. 38.  74 Piatique des Vertui tout, aHégucnt pour excufer leur ivrognerie, c'eft la nécejjt é de'boire pour co dure cks marcii. U eft vrai que • cette pernicieufe coutume a été introduite par des gens rufés & de mauvaife foi, afin de tromper par ce moyen ceux è qui iis ont è faire: or qui ne voit, que bien loin que cela dirainue Je crime , on l'aggrave au contraire rpar Ie deffein de profiter de 1'état de celui qu'on a enivré , pour le furprendre. Ü'ailleurs, eft-on aflez für de foi-même pour ne pas être pris au piés:e que 1'on a tendu a un autre? Apre's avoir fait voir le peu de fondement des précex'es qu'on allégue pour juftifier 1'iviognerie, ^1 eft néceffaire d'obferver que ce pêché ne confifte pas feulement a boire jufques a ce qu'on foit entieremeni abruti, mais encore a le f-iire de facon qu'on trouble fa raifon, foir que l'on fe rende mcapable d'agir , foit qu'on fe li vie a une. gaieté folie & extravagante, foit qu'on tombe par - la dans des acces die co ere & de fureur. Tout excès qui produit ces eiFers , ou d'autres de Ia rnême nature, eft une véritable ivrog'f rie. II eft même certam que cVft un ncché de boire au-dela de ce que demande ie but naturel qu'on doit fe pröpofer, qui eft de fe foulager avec mqidération, quand même on auron la 6êtt aflez forte pour boire beaucoup fans  Chretiennes. St-Bt, XII. 75 fans s'en reffentir. D'oh il s'cnfuit, que ceux qui paffent des jours entiers ou un tems confidérable a boire, qu nqu'ib ne s'enivrent point, font fi éloignés d'être innocens, qu'ils font rjarticulierement les objets de la malédictiorv prononcée contre ceux qui font puijjans a boire le vin: car s'ils confer-E vent leur raifon, elle ne leur fert gue« res, puifque leur occupation ne différe en rien de celle des ivrognes 'es plus abrutis, qui eft d'enco'nnt-r du vin. Il réfujte des réflexions précedentes qu'on fe rend trés coupable, lorfqu'aulieu de foulager & de recréer la nature, on abufe honteufement de cé que Dieu ne nous a donné que dans cette vue ; & comme nous ferons un jour •ppellés a rendre compte du mauv.iis ufage que nous aurons fair des dons de Dieu , les plu*, grands buveurs feront aulli les plus criminels. Ajourez a cela la perce du tems , & les excès de ceux qui fe ttouvent avec nous; furtóut fi 'en tèche de les em'vrer, & fi 1'on s'en fait un fujet de triomphe, on fe rend coupable de la nlus horrible rnéchanceté. Que ceux qui goüt'-mt du p'ailir a faire tomber les autres dans ce piége, pefenr mürement la maiédiotion que Dieu a dénoncée contre ceux qui fe permettent un procédé a'iffi lêche & auffi méprifable: Malheur fur eelui qui faü boire fon empagnon ,' lui ap. faieV.ï*. 11. 15.  16 Prattque des Vertus EfaiaV. \\ apptocbant la bouteiüe , 6? même l'enivtmt , ufin qu'on voie Ja nudiié : Certainemem c'eft adiettr bien dier un dr enifltment fi court & fi dérailonnable! Nous nous fommes étendus fur !es pretexces, les motifs & les divers degrés de 1'ivrogperie , Vice par lequel oi' abufe horueufetnent des dom de Dieu , & 1'on dtshonore 1'Humanité; parcequ'il eft malheureufemenr fi comniun, qu'il n'y a ni age, ni fexe. ni condition , qui en foit exempt. Cependant il eft certain qu'il n'eft point de pêché qui foic plus préjudiciable a 1'efprit , a la fanté, è la réputation, & aux biens dc ceux qui s'y livrent. Et rien ne prouve nveux tour ce qu'il a d'odieux» que ies malédiétions qu'E• faie dénonce è ceux qui fe Itvent de bon ntatin , qui Juivent la cervoiie, qui demeurera jujqu'au joir, tant que le vin les icuauffe; Cx que* les déclarations du Nouveau feftamrnt, oh le? ivrognes font mis dans la claffe des plus abomid^ibles pécheurs, & exclus du Royaume des Cieux. Que ton ceux qui ont déja contradte cette malheureufe habitude fe recueillent , & confiderent mürement qu'ils font dans le plus cruel efclavag:; & q-..e ce tte hum liante vue leur ir-fpire la réfolution d'aflurer pour jamais leur liberté, & la dignite de leur na»  {Chrettennes. SeA. XII. 77 nature, enforte que, quoiqu'ils aient vécu en brutes, ils puiffent mourir en hommes. Que touchés d'un fentiment de Religion i's jettent les yeux fur leur conduite palTée , & réfléchiffent fur 1'indigne abus qu'ils ont fait des gra« ces de Deu, en fe livrant a la débauehe ; & fur la grande bonté avec laquelle il les a fupportés, & les a invités a ia repentance, dans Ie tems qu'ils 1'ont le plus indignement outragé. Que le fentiment de fa miféricorde & de leur indignué , leur infpire cette vertueufe honte, cette vive douleur, qui produifent une repentance a falut: ou fi ni ia Raifon ni la Religion ne fonr pas capables de les toucher, que la frayeur du Seigneur les engage a ne pas perdre volontairement leur ame, en perfévérant dans un trainde vie, qu'ils n'ignorcnt pas devoir fe terminer bieniöc par un malheur éternel. Allrguf.ra - t on que c'eft une tiche difücile? Mais elle efl néeefTaire, & pour peu que 1'on foit capable de réflexion , il eft aife de décider quel parti on doit prendre, ou de fouffnr quelque peine dans ce^te Vie , ou d'être éternellement malheureux dans la Vie a- venir. Quand il s'agit de choiür entre ces deux; partis , tout ce que 1'on doit conclure de la difficulté de la chofe, c'eft de prendre une réfolution cou-  ?8 FRArrojDfi des Vertus r Cor. pC. af. courageüfe , proportionnée a la grandi ;r des o'ifïacle-s que 1'on a è vaince. Plus on fe fedcira foible , cc p us oa do t récourir ó Dieu par des pneres ferveoxes , pour obtenir fon fecours. On doft par certe laifon réfift-.r aux premières arteinies de /'inremperance, parerqu'elle fait inffenfiblement des pregrès, & maltrife ceux qui s'y font laifTés aller. C'eft un vie- qui n'acqau-'t que trop fouvent de nouvelles f 'ces avec lage ; ce qui eft un motif pour 'es jeunes gens a en éviter les niomdres degrés. Lt vrai moyen de s'en garantir, c'eft de tenir fes appétir^ en bridè, de les réprimer fouvent, afin d'en ére toujouvs les maftres, ou, pour pa-er avec St. Paul, de matter fm corps £s? de le tenir en fervitude. il faut encore donner a la Religion IVmpire fur notre cceur , faire un bon empioi de notie tems , & nous occupet de maniere que nous ne foyöns pas expo é\ a ia rcnration de iT.courir a des pla firs fenfüels pour paffer notre IbifieJ Un Chterien qui a mis en ufage ces moyens pour fe ga-anrir de 1'ifmmpérance, éprouvera bien-töï qu-- ni una lorgue hahiti'de'ni la compagnie, ne peuverr léffter a la puiflancfi de la Grace Divine, öpérarite dan? ur. coeur cui fe repent fincérement. Q.el eft 1'homme qui ne s'abftint de boire, fi un  Chre tien nes. Secï. X1T, 70 un Médecin 1'avertiflbit que par - lè il rifque fa vie? Et peut-on Cor.cevoir que la menace d'une mort éterneile, dénoncée contre les bueurs de profefïïon , ne fuffiroit pas pour les rappeller è leur devoir, s'ils pefoient mürement la grandeur du danger auquel ils s'expofent? Il y a des gens qui, ayant pris 1'babitude de boire, conviennent cependant qu'ils auroient été heureux , tant pour le corps que pour 1'ame, s'ils avoient d'abord vécu d'une maniere lobre & réglée , mais qui s'imaginent que la coutume leur ayant rendu certains excès néctfftires, ils peuvent innocemment fe les permettre, & qu'y renoncer ce feroit renoncer a la vie. Obfervons la-dcffl>, que, quelle que foit la force de 1'habitude , elle ne va pas julques k rendre néceffaire a la nature , ce qui par foi-même lui eft nuifib'e, comme le font certainement tous lts excès, que 1'on y foit accoutumé ou non. Deforte que ce qu'on allegue du belbin que 1'on en a pour fe confcrver Ia vie, n'eft réellemenc néceffaire que pour calmer & fatisfaire une paflion déréglée , tandis qu'en la contentant on abrége direêtement fes jours. Pour ce qui eft de la peine fi de 1'inquiétude que 1'abftinence de la boiflbn caufe d'abord , il ne faut pas en être furpris; une pafflon a qui 1'on n'a jamais rien refu-  to Pratique dei Vertus refufé, & que 1'on a toujours pleinement latisfaite , ne peut que faire reffentir de la peine , Jorfqu'on coinmence a la réprimer. Mais fi 1'on a aflez de réfolution & de fermeté pour continuer qudque tems a lui réfifter, elle fe calmera peu a peu, & 1'on goütera plus de plaifir a en ètre le maitre, que 1'on n'en a trouvé en s'y livranr. Une vie indolente & oifive forme un autre obftacle que 1'on trouve a renoncer a 1'ivrognerie. Bien des gens qui, comme ils parlent, ont les moyens de fubfifter, abhorrent toute idéé de travail , & s'adonnent a boire, ce qui devient enfin leur métier & leur profcflïon. Mais qu'ils cherchenc quelque occupation convenable a leur état, & qu'ils foient aftifs dans le pofte ob. ils fe trouvent, & alors ni ceux qui doivent vivre de leur travail, ni ceux qui font plus aifés, ne penferont a pafler leur tems a boire. Il peut arriver encore, que par la réfolution de renoncer è la débauche on foit expofé aux follicitations, & même aux reproches de fes anciens compagnons de bouteille. Mais ceux qui ont pris le parti d'être fobres, doivenr le prévoir & s'y atcendre, & fe préparer a être expofés k cette tentation. Ils feront d'autant mieux en état d'y réfifter, s'ils confiderent combien 1'amour & 1'approbation de Dieu font pré-  Chretiennes. SeSt. XII. 81 préférables a 1'amitié des hommes; & que les reproches d'liomfnes corrompus font bien moins a redouter que ceux d'une confeience coupable , & que la confulion éterneile donc un pécheur impénicenc fera couvert au dernier jour. Ir. faut donc éviter de donner la moindre. prife fur foi ; car fi une fois on mollit, la viéïoire échappe. En fe retrouvant dans la fociété de fes compagnons de débauche , 'on fe met en danger d'être entraïné par force ou par follicitation dans de nouyeaux excès, & de voir échouer les fages réfolutions qu'on a prifes. II faut donc pour fe mettre en füreté, réfifter aux premières occafionsj déclarer ouvertement le deffein qu'on a formé de vivre fobrement a 1'avenir, afin d'óter aux autres 1'envie & 1'efpoir de nous féduire On ne peut fe flater de conferver fon innocence, qu'en veillant fur foi-même, cc en évitant tout ce qui peut ranimer le penchant k 1'ivrognerie. A l.'ufage de ces divers moyens il faut joindre dés' prieres ferventes &affidues, pour demander è Dieu qu'il nous pénetre de plus en plus de ce qui doit nous détourner du pêché , & qu'il nous accorde les graces & les forces qu'il fait nous être néceffaires pour prévenir des habitudes vicieufes, & pour éviter avec foin tous les excès qui Tornt IJ. F pour-  G»l»t.V. Deli Tc pémuce rapport : Sommiil. 82 Pratiqüe des Vertus pourroient nous y faire tomber. Si 1'on s'applique ainfi de tout fon coeur a renoncer è 1'ivrognerie ou a s'en préferver, on réuilira ïnfailliblement; & la prétendue impoffibilité de détruire une longue habitude , bien loin d'être une excufe , n'eft que la preuve d'un coeur hypocrice , qui aime mieux perfévérer dans Ie pêché , que de faire le moindre effort pour en triompher. Enfin il n'eft que trop ordinaire d'entcndre alléguer aux ivrognes la courume, & l'ufage général, d'ou 1'on infere , ou que la débauche n'eft pas nuifible z la fanté, ou que c'eft tout au plus un pêché d'infirmité , qui ne fermera è perfonne 1'entrée du Ciel. JYIais autant vaudroit-il foutenir qu'il n'y a point de Ciel, que de prétendre que 1'ivrognerie n'en exclut pas ; puifque St. Paul la met au nombre des péchés qui empêchent ceux qui les com«• mettent d'birittr le Royaume de Dieu. m- III. La Tempérance regie, en troimfieme lieu , le Sommeü , a 1'égard duu quel nous devons entrer dans les vues de Dieu, en nous 1'accordant, qui fonr de rafraichir & de fortifier notre corps & notre efprit quand ils font fatigués : du travail , de réparer nos forces, & de nous mettre en état de mieux remplir les devoirs auxquels nous fommes appelles. II faut donc nous fouvenir tou-  Chretie nnis. Sett. XII. 83 toujours, que Dieu a deftiné le fommeil k nous rendre plus aftifs, & non a nous rendre parefleux & négligens. Quoiqu'il foit impoifible de déterminer précifémenc quelle eft la mefure de fommeil permife h chacun, parcequ'il en eft du repos, comme de i'ufage des alimens, qu'il doit être proportionné k notre conftitution, il faut cependant éviter le défaut du parefleux, dont parle Salomon , qui après avoir fuffifamment réparé fes forces , crie, encore un peu de fommeil, un peu de fommeil , un petit ployement de bras pour* dormir, L'exce's du fommeil nous fait tomber en divers péchés. D'abord il nous fait perdre un tems précieux, ce tems, du bon ou du mauvais ufage duquel dépend notre bonheur ou notre malheur éternel. Naturellement nous devons 1'employer de la maniere la plus propre k nous rendre heureux: la portion qui eft a notre difpofition eft très-petite, le paflë n'eft plus, 1'avenir eft incertain, & le préfent s'évanouit en un inftant. C'eft donc enfouir un talent ineftimable, que de nous livrer k la parefle, & de paffer une trop confidérable partie de notre tems a dormir. En fecond lieu, l'excès du fommeil eft nuifible k la fanté , il appefantit le corps, cc eft le principe de bien des maux, comme 1'expérience le démontre tous F a les Prov. XIV. 3$.  Prov. xxiii. 21. Priere. PI. civ. «4. 14, i£ tuc XXI. 34. 84 Pratiq_ue des Vertus les jours. En troifieme lieu, il énerve les facultés de 1'ame, & produit une efpece de ftupidité, & par-la il eft directement contraire au but que Dieu s'eft propofé, en nous créart, qui eft que nous loyons aQifs & diligens dans le pofte oLi fa Providence nous a placés. De plus la parede, qui porte a eet excès de fommeil, eft la ruine de ceux qui s'y livrent, & les conduit a la pauvreté : le long dormir fait porter des robes décbirées, dit Salomon; Enfin, comme le fommeil eft une efpece de mort, ceux qui y excedent, attcntent en quelque facon a leur vie, anticipent leur fin , & fe donnent une mort préma'urée. Grand Dieu, nous te béniffons de ce que tu as pourvu fi libérale,, ment a tous nos befoins: la terre efl .„ remplie de tes ricbejjis ; c'eft toi qui „ fais produire le foin pour le bitail, éjf l'berbe pour le fetvice de Vbomme, „ faijant forlir le pain de la terre , dej, même que le vin, qui rijouit le coeur „ de l'bomme, £if fuftentant fon ctiur «, avec le pain. Donne-nous d'ufer de „ ces biens avec modëration & aclions 3, de graces. Que nous rappellant fans j, ceffe l'outrage que nous te faifons, „ lorfque nous nous fervons de tes „ bienfaits pour t'ofFenfer, & combien „ il eft dangereux pour nous a'appe- fantir nos coeurs par la gourmandije ef „par  ' Chretiennes. Seft. XII. 85 „ par Vivrognerie, nous foyons en garde contre tous les excès a cec égard , & évitions avec foin que ,, notre table ne nous foit en piége. „ Obligés, Seigneur, a chercher dans j, le repos de la nuit du foulagement h „ nos travaux , des relfources contre „ 1'épuifernent de nos forces , fais„ nous la grace de fenrir combien il 3, eft contraire a nos véritables intéréts „ de pafler les bornes fur eet article. }, Pénetre-nous du prix du tems, afin „ que nous metrions a profit, autant „ que nos forces nous le permettent, „ celui que, tu nous accordes, pour remplir les devoirs de notre voca3, tion , & furtout pour travailler a „ la [tule cbofe néceffaire, enforte que nous puiffions un jour entrer dans „ le repos éternel ,auquel tu nous per„ mets d'afpirer par Jefus-Chnft notre S) Sauveur. Amen". IV. La Tempérance doit regner auffi dans nos Recréatians, qui font quel I quefois néceflaires tant au corps qu'ap" 1'efprit; ni Pun ni 1'autre n'étant ca- nifiquenent -vêtus font dans les Cours des Rois. 11 convienc que 1'on ait égard a cette iefunation des habits: les hommes ik !es femmes doivent fe vêtir convenaslement a leur fexe & a leur condition, &  Chretiennes. Seft. XII. 91 & ne pas chercher a égaler ou a furpaffer par la richeüe de leurs habits ceux qui font au-deffus d'eux: on doit éviter encore d'exciter par-li 1'envie de fes égaux: chacun doit s'habiller hon^ nêtement&décemment,felon fon rang & fa condition, & ne pas fe croire deshonoré fi un autre eft vêtu plus richement que lui. Souveno^s-nous que les Habits ne nous donnent aucun mérite réel, cc qu'il y a par conféquent une vanité infupportable , d'y employer une partie conüdérable de nos foins, de notre tems ou de notre bien, ou de nous eftimcr davantage par eet endroit , & de méprifer les autres , qui ne font pas auffi bien vêtus que nous. Si nous voulons avoir un ornement réel, que ce foit, felon le confeil que St. Pierre donnoit aux femmes de fon tems, Xbomme qui eft cacbi , favoir celui du coeur , qui confifte en l'ornement incorrup-1 tible d'un efprit doux & paifible, qui eft d'un grand prix devant Dieu. Qu'on fe pare , auffi richement qu'il fera poffible, de toutes fortes de vertus chretiennes, c'eft - la un vêtement qui nous rendra agréables aux yeux de Dieu , Sc même a ceux des hommes , qui , è moins qu'ils n'aient perdu la raifon, ou qu'ils ne foient des imbécilles, nous eftimeront plus d'être gens de bien, que parceque nous fommes bien vêtus. Et 1 Pierr» U. 4.  92 Pratiq_ue des Vertus i Tim. VI. io, De la Pa TlENCK. Et un habit fimple, dont nous aurons couvert un pauvre , nous fera plus d'honntur, que vmgt habits magnifiques donc nous nous ferons parés. Abre's avoir examiné ies divers objets de la Tempérance, il faut obferver , pour prévenir 1'abus que 1'on pourroit faire des regies que nous avons propofées , qu'elles ne favorifenc en aucune facon 1'Avaricc. Q^and on fe refufe les chofes néceffaires è la vie, felon fon état, fa qualité & fes facultés, on outrage Ia bonté divine, en fe dérobant è foi-même, pour remplir fa bourfe. On peut en dire autant de la vie fcrvile que menent ceux qui fe tourmentent & travaillent jour & nuit pour acquérir ce dont ils ne jouiront jamais , qui n'ont pas le courage de {.'cn faire le moindre bien , & privent leur corps de fa nourrirure convenable, du-repos & du délaffement dont il a befoin. L'Avare n'eit donc pas tempérant; parceque ce n'eft pas par un motif de devoir, mais par un defir déréglé des richeffes, qui ejl la racine de tous maux , qu'il fe renferme dans certaincs bornes , & qu'il" facrifie fa fanté, fon repos , fa confeience , fa vie & fon ame même, pour conferver fon argent. VI. Il y a encore deux Vertus, dont la pratique nous eft néceffaire, & qui intéreffent également 1'ame & le corps;  Chretiennes. Sctt. XII. 93 corps; Tune eft la Patience, & 1'autre le Renoncement d foi-même. La Patience confifte a fupporter leg maux de la vie préfente , & a attendre les biens a-venir, & la bienheureufe immortalité , avec un efprit calme & tranquüle, 6c dans la pratique conftante de fes devoirs: c'eft cette vertu a.laquelle Jefus-Chrift exhortoit fes Difciples, après leur avoir prédit les fouffrances & les dangers auxquels ils feroient expofés dans 1'exercice de leur minifteré & dans le cours de la vie Chretienne; pojjê lez vos ames par la patience : & il nous apprend par-la a foutenir tout ce qui nous arrivé avec une male fermeté , & a fuivre les.impreffions de la Raifon & de la Grace. Les maladies, les douleurs, la perte de nos amis, 1'ingratitude des hommes, les mauvais fuccès dans nos affaires , & tous les divers maux qui font 1'appanage de la condition humaine,échéent i 1'homme de bien,comme au méchant. Car comme la profpérité inff-ire fouvent une dangereufe fécurité, & fait tomber dans 1'oubü de Dieu t les afflicliiois, quelles qu'elles foient, quoique fenfibles dans l'état préfent, lont naturellement propres a nous in. fpirer de la prudence & de la circonfpedtion , du dégoüt pour les vianités du monde, & a former notre efprit & notre cceur a 1'attente d'une meilleure vie. Litcj XXI. igi  94 PR ati que des vèrtus vie. • Nous ne devons donc pas penfer, lorfque Dieu trouve a propos de nous faire paffer par de rudes épreuves, qu'il eft irrité contre nous , ou qu'il ne nous aime point : c'eft ainfi qu'il en agit avec fes enfans les plus obéiffans: il lesafflige, pour éprouver & perfe&ionner leurs vertus , pour exercer leur patience, pour les corriger de leurs défauts, & les mettre en état de produire des fruits plus abondans , jufques è ce qu'ils entrent dans le féjour éternel du repos & de la gloire , auquel nous pouvons parvenir auffi peu fans la patience, que fans une foi & une repentance fincere. Cepekdabt l'expérience nous apprend , qu'il eft peu de perfonnes qui fupportent les affliclions avec la réfignation néceffaire. Tel qui eft bleffé en fa réputation , fupporteroit, fi on 1'en croit, toute autre épreuve, mais il ne peut fouffrir qu'on attente a fa bonne renommée. Tel autre qui eft attaché a un lit d'infirmité, fe plaint que fes maux le rendent impatient & mécontent, & 1'empêchent de faire le bien qu'il feroit, s'il jouiffoit de Ia fanté. En un mot, chacun feroit prét a changer fa croix pour celle d'un autre, & la plupart fe croient malheureux dans ce qui conftitue leur épreuve particuliere; & ce mécontentement ics rend inquiets, & eft caufe qu'ils fe  1 Chretiennes. Sé&. XII. 95 fe conduifcnt d'une facon peu raifonnable ; puifque c'eft fans doute Dieu qui leur envoye cette affiidtion, cu qui la permet; & ce n'eft pas a nous k regler ce qu'il doit ou ne doit pas faire, mais nous devons recevoir avec foumiffion les maux qu'il nous difpenfe. La Patience doit être en nous une habitude formée, & fe déployer dans les grandes épreuves comme dans les moindres , & dans celles-ci comme dans les autres: car il arrivé quelquefois , qu'après avoir été patiens dans les plus dures aföidtions, on fe livre 2 1'impatience pour des fujets frivoles. Cette vertu doic regner d:\ps toutes les circonftances de notre vie, & rendre notre conduite uniforme: heurcux fi , lorfque notre Maïtre viendra a nous demander compte, il nous trouve dans cette fage difpofition. Un motif bien preffant pour nous engager a cette vertu , c'eft qu'elle porte avec elle fa récompenfe, & 1'impatiencc fa punition. Celle • ci, au - lieu d'adoucir nos maux, ne fait que les aigrir. Les plaintes , les murm'ures, 1'impatience & le rhécontentement, ne fervent qu'a nous rendre plus msiheureux, en offenfant Dieu. Il eft prefque incroyable qu'il y ait des gens aflez hardis pour fe piaindre de Dieu , & pour taxer cette Providence ,. qu'ils devroient adoier avec reconnoifLuce. 11  Dll RENONCEMENT A SOI - MEME. Matth. x. 33. jjö Pr"atique des Vertus II en eft pourcant qui jnfinuent que Dieu eft trop févére , & qu'ils n'ont pns mérité le traitement qu'iis recoivent; quelques-uns même fe permettent des expreflipnS de défefpoir. Des gens de ce caradtere ne peuvent jamais être convaincus que Dieu eft un Pere te'ndre & indulgent, qui chaiie fes enfans pour leur bien; qu'il eft un Médecin charitable, qui leur prefcrit des remedes amers & défagréables pour leur rendre la fanté, & par'conféquent ils font dénués de foi, fans laquelle il n'y a point de falut. D'ailleurs les gens impatiens fe tourmentent par un mécontentement inutile; ils fe rendent infupportables a eux-mêmes, fe privent du repos & de la tranquillité d'efprit, & par le trouble & 1'agitation qui regne chez eux, ils fe mettent hors d'état d'entreprendre rien d'important un nuage fombre leur dérobe la vue de ce qui peut leur être avantageux. VII. L'autre devoir que nous avons marqué, c'eft4e Renoncement d foi-même, qui confifte a être prêt è renoncer a tous les avantages du monde & a la vie même, plutöt que de manquer, par amour pour le préfent fieCle, a ce qu'exige de nous 1'Evangile. C'eft - la le feul moyen de nous affurer les récompenfes du Ciel: car Jinous re~ nions Jefus-Chrift devant les hommes, il nous reniera devant Jon Ptre, qui eft aux. Cieuxi  Chretïennes. Secl. XII. 97 Cieux; nous devons cboiftr- plutót d'être affligés avec le peuple de Die», que de jouir pour un tems des délices du pécté. La pratique de ce devoir cxigeque nous nous refufions quelquefois des chofes lég'times & innocente*, afin 'de contracter 1'habitude de reprimer nos defirs, qui fans cette précaution acquierent trop d'empire fur nous , & peuvent nous porter au pêché. De-ja vient que 1'Evangile nous parle de luïr pere & mere, femme &f enfam , fier es cïf fosurs, & fa propre vie. La conlidération des avantages qui nous en reviennent , eft un puifTant motif pour nous y cngager. Dieu nous a promis le fecours de fon Efprit pour nous mectre en état de remplir ce pénible devoir; il nous affure qu'il nous récompenfera è proportion des fijcri.fices que nous avons faits. D'ailleurs notre divin Sauveur, qui nous a prefcrit ce renoncement, nous en a donné 1'exemple le plus extraordinaire qui füt jamais, uniqucment pour nous procurer le falut & Ia vie. „ O Di eü! dont la bonté eft infi» „ nie, nous te rendons graces de ce „ que tu as daigné nous permettre de „ procurer a nos corps & a nos ames „ le foulagement dont ils ont befoin ,, dans ies travaux auxquels nous fommes affujettis pendant le cours j, de cette vie mortelle. Ne permets Tornt II G „pas Héb. XI. 26. I,uc XIV. 26. Ptiere.  98 Pratique des Vertus „ pas que nous abufions jamais de ta „ condefcendance envers nous , en ,, donnant a nos recréations une por,, tion trop confidérable de ce tems précieux, que nous devons empioyer „ a avancer nos intéréts éternels,"en ,, les faifant fervir a nourrir & a facif„ faire nos paflions , & en nuus en ,, faifant une occupation férieufei „ Donne-nous d'éviter les excès du ,, luxe dans 1'ufage des vêtemens qui fervent a nous couvrir ; que bien loin d'y faire confiller notie gloire, „ nous nous rappellions 1'iiumiliant „ fouvenir de leur première infticu- tion , & qu'ainfi la fimplicité & la „ modellie y regnent toujours. Fais„ nous Ia grace d'être patiens dans les diverfes épreuves, par lefquelles tu s, trouves a propos de nous faire paf„ fer ; que pénétrant par notre foi 3, dans 1'éternité nous renoncions a „ nous-mêmes, & chargions notre 3, croix pour fuivre Jefus-Chrift, bien convaincus que ceux qui auront „ fouffert avec lui, regneront aulïi „ avec lui. Exauce-nous pour 1'a„ mour de eet adorable Sauveur. As, men". SEC  Chretiennes. Seft. XIII. 59 'SECTIO-N XIII. I. Des Devoirs envers le Prochain. De la Juftice tant Négative que Pofuive. II. A l'igard de Jon Am-;. III. A Vêgard de fon Corps. Du Meurtre; de Jon Atrocilé, de fes Peines. IV. Des Muiilations , desBl ffures. des Coups. V Du Suïcide , ou Meurtre de foimême. I. T TNe troifieme claffe de Devoirs \*J comprend ceux auxquels nous'l fommes obligés envers notre Pko-v( Chain, que St Paul défigne par 1'ex- ct preffion de vivrefujlemint; par oh il ne faut pas entendrc feulement la Jujlice proprement dite, maïs aufïi la Cbariti que nous devons au prochain en vertu de ia Loi de jéfus - Chrift, & dont nous me pouvons nous difpenfer fans injuftice. Nous rapporterons donc a ces deux Chefs tous nos Devoirs envers le Prochain. Commencons par Ja Juflice, qui eft L ou Négative ou Pojitive.' La Juftict0* Négative confifte a ne faire aucun 'tort a perfonne. La Jujlice Pojitive, a rendre a chacun tour ce qui fui eft dö. La Jujlice Négative confifte è ne w faire aucun tort au prochain, dans aux autres. C'eft ainfi qu'il y a des perfonnes d'une humeur tyrannique, qui feplaifentfi fort a  Chretïennes. Sedt. XIII. 117 tourmenter ceux qui dépendent d'eux, qu'ils lont charmés d'avoir quelque prétexte de les chatier, & le font fant regie ni mefure. D'autres fe diveniffent a mettre les gens aux mains, pour avoir ie plaifir de lei voir battre; tels que les anciens Romains, qui dans leurs fpecïacles pubücs s'amufoieut a voir des hommes s'entre • tuer; 6c certainement nous ne fommes pas plus Chretiens qu'eux, fi nous pouvons nous divertir a voir de pareils objets. Cette humeur cruelle tk féroce eft fi indigne de la nature de 1'nomme , qu'il ne lui eft pas méme permis de 1'exercer fur les bêtes: elle eft donc, è bien plus forte raifon , inexcufabie , quand elle a pour objet ceux qui font d'une même nature que nous, & qui font de plus héritiers des mêmes efpérances pour 1'éternité. Se permettre quelqu'une des iet ons dont nous avons parlé, & faire le moindre tort au prochain par rapport a fon corps , c'eft donc êrre injufte, & n'avoir pas feulement le plus bas degré de la Juftice négative, qui confifte a ne faire aucun mal a nos freres a i'égard de leur corps. En vain al!égueroit-on, pour fe juftifier, qu'on ne fait que rendte injure pour injure: fuppofé qu'on ait effedtivement regu quelque outrage, on n'eft pas cn droit de s'en venger, cc 1'on H 3 dc-  ïi8 Pratiqüe des Vertos Roin. XII ip. Du]Suicide devient injufbe envers celui qui nous a fait tort, lequel, pour être notre enne* mi, n'eft pas devenu notre efclave ni notre fujet, pour le traiter comme il nous plaft; 1'injurp qu'il nous a faité ne nous donne pas de plus grands droits fur lui , tellement que li nous n'avions aucun pouvoir fur fon corps, nous n'en avons pas davantage, & par conféquenc nous manquons non feulement de charité , ce qui fuffit pour nous damner, mais nous fommes injuftes dans chaque aéte de violence que nous commettons contre lui. Nous atrentons même fur les droits de Dieu, .qui s'eft réfervé la vengeance: d moi, dit-ilj apparlient U vengeance, & je le rendrai, dit le Seigneur: ainfi, fe venger foi même, c'eft ufurper le droit de Dieu, & c'eft en même temps méprifer fa Majefté. . V. On fe rend encore coupable de meurtre , lorfqu'on fe privé volontairement & de propos » vi- 'rov. XVI Priere. Lft.XVlL 6. - «  124 Pratique des Vertus Rom. vin 27. M'.tth. xxvi. j?. „ viter foigneufement tout ce qui „ potmoit leur rendre la v:e ou leur ,, condition am-ere. Donne nous de „ confidercr que nous n'avont fur eux aucun droit, qui nous autoritei les ,, faire fouffrir de quelque facon que „ ce foii; ou que s'il en eft,lur lef„ ouel» ou la Nature, ou notre fitua- tion nous donne quelque autorité, ,, nous ne pouvons , lans t'otTenfer, „ nous lailTer aller è des mouvemens „ de pallïon, cc penfer a ne fatisfaire ,, qu'une humeur ou faroucheoucruel,, le. Fais-nou* la grace en particu- lier, Confervateur des hommes, de ,, ne jamais renoncer aiTtz aux fenti„ mens de la Nature pour nous aban„ donner a un criminel défefpoir, en attentant a. notre propre vie. Qu'u„ ne attention perpétuelle a faire un „ bon ufage de notre Railnn, la crain„ re de ron nom , 1'inrérét de notre ,, falot éternel , Ia ferme pe-rfuafion ,, q: e touies chofes contribuent au bien de „ ceux qui i'aiment, accompagnés du „ fecours Duiffant de ton bon Efprit, ,, nous portent a être contens dans „ tous les éta's par lefquels tu trou„ veras a propos de nous faire paffer, „ & a dire avec notre divin Sauveur: „ Ptre, non pas ce que je veux, mais ce ,. que tu veux. Exauce-nous, car c'eft „ en fon nom que nous t'mvoquons. „ Amen". SEC  Chretixnhïs. SeS. XIV. 125 S E C T I O N XIV. I. De /a j'u/fo* ?ut regarde les Poffeffions du Prochain, & premitrement d l'égard de fa Femme. II. £n ftcond lieu d l'igard de fes Biens. De la Malice: De Vdvarice. III. De l'Oppreffvm, du Payement dis Dettts. IV. D i Vel. V. De la Mauvaife foi d l'é* gard ats clolts qui nous ont été confiées. V!. Des Fraudes dans le Commerce. VII. De la Refiitution. I. T" Es Biens du Prochain font un L, troifieme objec de la Juftice né-J gatfve. J'entends par les Biens du a prochain, en général, tout ce qui lui ap- t fes Biens. ï?8 P R A T I QU E DES VERTUS d'habitude , la repentance doit auffi écre h.ibituelle. II y a donc une étrange folie a fe livrer a un pêché , qui, lans parler des peine» auxquelles il expofe fouvent ceux qui Ie commettent, doit tót ou tard leur coüter fi cher , dans la fuppofition la plus favorable, qu'ils s'en repentironf. Mais il coütera bien plus cher encore a ceux qui ne s'en repentiront point , puifqu'il leur fera perdre la part qu'ils pourroient avoir au Ciel, le féjour de la pureté, & que leur portion fera dans 1'étang ardent de feu & de foufre , oh les flammes de leur paffion cnminelle feront punies par un feu qui les brftlera éternellement. Car quelque fecrettement que Ton ait commis ce pêché, & ,quoique 1'on fe foit dit, nul oeil ne mg %'trra:', on ne peut néanmoins , dans la plug profonde retraite, fe dérober aux yeux clair-voyans de Dieu, devant tqui les té' tbr es ne peuvent nous cacbtr, & c'eft lui qui a déclaré qu'if jugera 'les adulteres. Dieu veuille faire la grace a tous ceux qui font coupables de eet odieux pêché , de fe juger eux-mêmes afti'z a tems, & avec toute la févérité requife, pour éviter ce terrible jugement du joge fouverain. II. Nous öevons, en fecond lieu, pratiquer la Juftice négative è 1'égard des Biens du prochain, & par-laü faut entendre fes Maifoni, fes Terre», fes Trou-  GfiRËTIE NNIS. Stil. X1P. Troupeaux, fon Argent, & en général toutes les cliofes fur lefquelles il a des droits de propriété. La juftice nous oblige a 1'en lailfer jouir paifiblement j fans chercher a lui faire aucun dommage a quelqu'un de ces égards , od a nous emparer de ce qui lui appartient, On doit diftinguerces deux chofes, parccqu'on peut faire tort au prochain par un principe deMilice, ou par un principe d'Avarice. La Malice porte a faire du tort aux autres , lors même qu'on n'en retiref aucun avantage, & uniquement pour leur faire de la peine éi du chagrin. C'eft-la une inclination infernale , parfaitement conforme a celle du Diable, qui travaille avec toute Padrefle poffible, non a fe procurer aucun bien , mais feulement a ruiner 18. W. XII. t Prov. XXI 22, 2$. L« Vol ii «UkcI. 132 Pratique uit Vertus demande, pour fubvenir a fes preffan* befoins. C'eft auffi le cas des Propriétaires rigoureux, qui ranconnent leurs fermiers, & exigent d'eux de plus fortes redevances qu'ils ne doivent naturellement. Ce font-li autant de différentes efpeces d'oppreffion , qui eft odieufe i proportion que ceux qui en font les objets font plus dénués de fecours: dc-Ia vient que 1'Ecriture parle de 1'oppreffion de la Veuve de de 1'Orphelin , comme d'une chofe par laquel* le on porte ce pêché i fon comble. C'est un des péchés les pips atroces, contre lequel Dieu a fait les plus terribles déclarations en divers endroits de 1'Ecriture. Ezechiel dit, que ctlui qui foule l't'ffligé &? l'indigent 6? qui ra- \ vit par violence le bien d'autrui, mourra de inert, èf que fon fang fera fur lui. Dieu eft engagé par fa parole a prendre . la protection des opprimés: A caufe du fourragement des affligés, d caufe du gémiffement despauvres, je me lever ai maintenanl, dit VEternel, je mettrai d couvert ctlui auquel on tend des laqs. Profitons donc de 1'avis que nous donne . Salomon: Ne pille point le pauvre, parcequ'il eft pauvre, fiT ne foule point l'affiigé d la porte ; car l'Eternel prendra Uur caufe en main, £? volera 1'ame de ceux qui les auront volés. [m Le Vol eft la iéconde efpece d'injuftice, dont Pavarice eft le principe: il y  Chretiennes. Secl. XIV. 133 y en aauffi de deux ordres; 1'un confifte a ne pas paycrce que nous devons, & 1 autre a nous emparer de ce que le prochain poffede. C'esï une injuftice du premier ordre, que de ne pas payer fes dcttes, foit qu'on les ait contraclées par des emprunts, foit par un engagement volontaire ; nous fommes également redevables en vertu de 1'un ou de 1'autre de ces titres, & c'eft autant un vol de ne pas acquitter ces dettes, que de prendre au prochain ce qui lui appartient. 11 femble même y avoir une plus grande injuftice a ne pas payer ce que 1'on a emprunté , parceque c'eft retenir un bien dont le préteur a eu la jouiffance, & par conféquent le rendre de pire condition qu'il n'étoit. Quelque grande que foit cette injuftice, elle ne laiffe pas que d'être fort commune; ort voit tous les jours des gens refufer de payer leurs dcttes, avec autant d'affurance que s'ils refufoient une aumöne; & fouvent on s'attire une querelle en demandant ce qui nou* eft df). D'ailleurs, les longues pourfuites aux.' quelles on oblige les Créanciers aggravent 1'injuftice , non feulement en leur faifant perdre leur tems, mais aufli en les détournant de leurs affaires. II y a dans ce procédé une fi haute injuftice, que 1'on ne concoit pas qu un homme puiffe regarder rien 1 3 de  Ï3<5 FHATlQÜË DES VïRTÜÏ Dent.' XXIV. 14. 15. Priere. Gen. XIV, oreilles du Seigneur des armées. Dieu avoit donné une Loi exprefTe fur ce fujet : Tu ne feras point de tort au mercenaire, au pauvre , ni au néceffiteux d'entre tes freres , ou d'entre les étrangers, qui demewerit en ton Pays. Tu lui donneras fon falaire le jour mime qu'il aura travailli , avant que le fokil fe couche, car il eft pauvre , & c'e-Jl d quoi s'aitend fon ame; afin qu'il ni crie point contre toi d l'Eternel , & qu'il n'y ait pas de pêché en toi. C'eft donc s'expofer a la vengeance divine , que de fe rendre coupable d'un pêché fi criant; & nous devons 1'éviter autant pour notre propre intérêt, que pour celui du prochain. Souverain Poffejfeur des Cieux £f }, de la Terre, c'eft toi qui difpenles a j, chacun la portion dc biens que tu jugcs a propoj. Fais-nous la grace „ d'acquiefcer avec foumiffion a la diftribution que tu en fais , & de ,, ne jamais nou» élever contre toi , j, en manquant a la juftice que nous ,, devons k nos prochains. Préferve- nous de toute paffion impure , de j, tout defir qui pourroit nous en- trainer dans un crime auffi odieux devant toi & devant les hommes , i, qu'eft 1'aduitere. Ne permets pas ,, que nous ayons le coeur affez cor# rompu pour goüter du plaifir h nui- re au bien de notre prochain; don■ » ne-  5 J »> 5) V SI Chretiïnné». S«fï. -X"7^"- *37 ne-nous,au contraire, un cceur tendre & compatiffant, qui nous em' pêche de jamais opprimer nos fem" Diables, par quelque raifon & tous „ quelque prétexte que ce foit. Que ' la févérité de tes menaces contre ceux qui fe rendent coupables a eet égard, nous infpire une falutaire *' Frayeur. Fais-nous la grace , ö Dieu, d'être fideles a rendre k cha' cun ce qui lui appartient & k accomplir nos promeffes, fut-ce èno' tre dommage , afin de nous aflurer ' le precieux privilege de monter fur ' la montagne de ta lamteté, èt ü e' tre admis dans le féjour glorieux „ oh regneront a jamais la Juttice , 1'Amour & la Charité. Exauce" nous, Seigneur, pour 1'amour de „ lefus-Chrift. Amen". IV Le Vol direct confifte a prendre ce que notre prochain poffede déja , foit ouvertement & avec violence, lort, d'une maniere couverte & par adrelie: les Voleurs de grands- chemins , öc ceux qui pillcnt les maifons & s emparent par force du bien d'aiKrui, voientdela première maniere: les büoux & leurs femblables le font de la feconde, en prenant ce qui appartient aux autres a leur infu. Nous ne déciderons point quelle de ces deux efpeces de Vol eft la plus crimineile; j nutrit aue 1'une & 1'autre foit une injuftice , I 5 XXXIV JOURNBE. Le Vol dieft.  138 Pratiqde des Vertos Murc. VIII. 16. qui rend ceux qui la commettent odieux i Dieu, & ennemis de la Société , & qui les expofe dès cette vie même aux Elus grands malheurs; puifque par les oix ils doivent être également punis de mort, & qu'il en eit peu de ceux qui font ce métier longtems, qui n'en regoivent cette récompenfe. II y a eertainement de la folie è fe perfuader qu'on dérobera toujours impunément, puifque ceux que 1'on vole, ne négligent rien poar découvrir les auteurs de la perte qu'ils ont faite; & que d'ailleurs on a i redouter la Juftice Divine, qui pourfuit ordinairement les voleurs , jufques a ce qu'ils aient recu la peine düe a leur crime, dans cette vie même ; témoin la maniere. étonnante dont les plus rufés voleurs ont été découverts en bien des occafions. Mais quand même ils échapperoient ici-bas è la Vengeance Célefte, il n'y a que la repentance & un changement de vie qui puiffent les mettre a couvert de la colere a-venir. Si 1'on fait mürement réflexion fur les dangers auxquels s'expofent ceux qui dérobent, on conviendra que c'eft faire un trifte échange , de rifquer fa vie, ou fon ame, & fouvent 1'une & 1'autre, pour voler fon prochain; car fi le gain du monde entier ne fauroit égaler le prix de 1'ame, comme nous 1'apprend celui qui le connoiflbit mieux que per- fon-  Chretiennes. Se8. 13*0 fonne, puifqu'il les a rachetées, quelle étrange folie n'y a-t-il pas a vendre la fienne pour des chofes de néant, comme le font ceux qui ont tellement pris 1'habitude de dérober, qu'ils mettent la main fur tout? Les Receleurs & ceux qui achetent des chofes qu'ils favent ou qu'ils préfument avoir été dérobées, ne font pas moins coupables; & cependant il n'en eft que trop , qui, faifant profelfion d'abhorrer le larcin, ne fe font aucun fcrupule de receler ou d'acheter des chofes volées , parcequ'ils les ont & meilleur marché. Ceux qui trouvent des chofes perdues, & qui ne les rendent pas a ceux a qui elles appartiennent, lorfqu'ils leur font connus, ou qu'ils peuvent les connoitre , dérobent auffi en quelque facon, puifqu'ils s'approprient le bien d'autrui; & ce n'eft point manquer de charité, que de penfer que ceux qui font 1'un , feroient 1'autre, s'ils le pouvoient fürement. V. Une troifieme efpece d'injuftice 1 dont 1'Avarice eft la fource , c'eft la Fraude, qui fe diverfifie autant qu'il y a d'occaüons de commerce entre las hommes; ainfi il eft impoffible de rnarquer toutes les tromperies que 1'on peut commettre; elles peuvent fe rapporter a deux Chefs généraux: les Fraudes en matiere de dépots, & les Frau- ,a Fraude.  Ï40 PR A*f q^TJE DIS VlRTUS Gen. XXXIX. 4. Fraudes dans le Négoce. Le Jeu feul n'entre point dans cette divifion; quoiqu'il s'y commette bien des tromperies, qui ne font pas moins criminelles que les autres. Tromper quelqu'un a 1'égard des chofes qu'il nous a confiées , c'eft fe rendre coupable d'une haute injuftice, & d'une l&che perfidie; c'eft commettre en même tems deux grands péchés, tromper «Sc violer fa promefle. Car dès que 1'on nous confie quelque chofe, nous faifons une promefle , finon exprefle, du moins tacite, de n'en difpofer que felon la volonté de celui qui nous le remet entre lés mains; en reeevant un dépöt, nous nous engageons a la fidélité. On peut y manquer, ou envers les Vivans, ou envers les Morts. II y a différentes manieres d'y manquer envers les Vivans, felon la nature des chofes qui nous ont été confiées. Quelquefois on confie généralement tout ce que 1'on poflede , comme quand Potiphar remit a Jofeph le foin de fa maifon & de tout fon bien: c'eft ainfi qu'un Tuteur eft le dépofitaire de tout cequi appartient k fes pupilles, qu'un Intendant a la difpofition du bien de fon Maïtre. Quelquefois ce pouvoir eft limité & reftreint a de certaines cholèsi comme lorfqu'on charge quelqu'un de conclure un marché, ou d'a-.  Chretiennes. Sefi. XIV. ui gir en telle ou telle affaire en fon nom, ou qu'on lui confie quelque chofe pour la faire valoir: c'eft ainfi que dans une maifonj un domeftique eft chargé du foin d'une chofe , & un autre d'une autre. Ceux qui dans toutes les cireonftances de cette nature, & en d'autres femblables, n'en agiffent pas avee la même fidélité qu'ils feroient pour eux-mêmes; qui laiffent perdre par négligence , ou diflipent, ou convertiffent a leur profit ce qui leur a été confié, font coupables envers les vivans & de tromperie & d'infidélité. II en eft de - même par rapport a ceux qui font établis Exécuteurs d'un Teftament, quand ils ne fuivent pas les intentions connues du Teftateur, & qu'ils s'enrichiffent de ce qui eft deftiné k d'autres, ils fe rendent coupables envers les morts , ce qui eft d'autant plus criminel, que ceux-ci n'ont pas le moyen de fe faire rendre juftice comme les vivans: e'eft-la en quelque facon piller les tombeaux, crime pour lequel on a naturellement tant d'horreur, qu'il n'y a que des voleurs endurcis qui ont le courage de s'y porter. Mais ces deux efpeces de fraudes font encore plus odieufes, quand Dieu ou les Pauvres y font directement intéreffés, c'eft-i-dire, lorfque 1'on confie k quelqu'un des chofes deftinées a d«s ufages de piécé ou de charité; c'eft  «4» PRATlfcUI, des VERTU» *Rois V. •7. i)es Fraude: dal» le Commsrce, c'eft ajouter le facrilege a la fraude & a 1'infidélité, & s'expofer a toutes lei malédictions dénoncées at ces péchés; malédictions fi terribles, que ceux qu'un gain préfent engage a s'y expofer, fonc un marché auffi defavantageux cc pire encore, que celui que fit Guehazi, qui pour les deux robes qu'il prit gagna la lepre de Naaman. VI. Une feconde forte de Fraude», comprend celles que 1'on commet dans le Commerce, oh il peut y avoir de la tromperic, tant de la part du Vendeur que de 1'Acheteur. Celles de la part du Vendeur confiftent ordinairement i cacher les défauts de fa marchandife, ou k la mettre a un trop haut prix. On cache les défauts de la marchandife en différentes manieres. Premierement, en niant qu'elle ait un tel ou tel défaut, quelquefois même en la recommandant par une bonne qualité toute oppofée; c'eft-la un menfonge direct, ce qui eft ajouter un pêché k un autre; & fi, comme cela eft ordinaire, on..confirme le menfonge par ferment, c'eft fe rendre coupable de parjure, crime plus odieux encore. Et alors quelle complication de crimes! Certainement il n'y en a que trop pour précipiter une ame k une perte infaülibie, cc cela feulement dans la vue d'attraper quelque argent au prochain , qui fc réduit fouvent a fi peu de chofe , qu'il  ChrEtjennes. Se». XÏF. 143 qu'il eft inconcevable qu'un homme capable de penfer qu'il a une ame , puiffe êcre alfez malheureux pour la metcre a fi vil prix. Une feconde maniere de cacher les défauts de ce que 1'on veut vendre, c'eft de le déguifer, & d'ufer d'artifice pour le faire paroïtre ce que cela n'eft point; c'eft-la mentir d'adlion, fi ce n'eft pas de parole, ce qui dans le fonds revient a la même chofe, & 1'intention de tromper n'y eft pas moins réelle , que fi 1'on employoic le plus impudemment le parjure. Une troifieme maniere de tromper , c'eft de choiür des Marchands ignorans ; artifice qui n'eft malheureufement que trop connu parmi ceux qui font négoce, qui n'ont garde d'expofer leurs marchandifesdéfe&ueufes aux yeux des ConnoiiTeurs , mais ils attendent 1'occafion de les débiter a ceux qui par incapacité n'en découvrent pas les défauts. Cette forte de fraude eft euentiellement la même que la précédente, elle tend au même but, qui eft de furprendre & de tromper 1'Acheteur : or il n'y a pas moins de crime a profiter de fon ignorance, qu'il y en a a déguifer ce qu'on lui débite. 11 eft certain que fi 1'on veut fuivre les regies de la juftice , on doit faire connoltre a 1'Acheteur la qualité de ce qu'on lui vend ; & s'il n'eft pas en état d'en juger, ou s'il n'en découvre pas  Prov. XI. i. 744 Pr atiq he 'Dl Ve rt u t pas d'abord les défauts , on eft obligé de 1'en inftruire , autrement on lui fait payer ce qu'on ne lui livre pas , parcequ'il croit que ce qu'il achete a des qualités que 1'on fait qui ne s'y trouvent point: on pourroit donc avec autant de raifon prendre fon argent pour des chofes qui appartiennent k d'autres , & que 1'on fait qu'on ne pourra jamais lui livrer; ce qui de Paveu de tout le monde feroit une fourberie infigne. On peut rapporter a cette efpece de fraudes les faux poids & les fauffes mefures , parceque c'eft cacher a 1'Acheteur un défaut, qui fe trouve ici, non dans la qualité, mais dans la quantité ; ainfi c'eft encore lui faire payer ce qu'on ne lui livre point. C'eft de cette forte de fraude dont parle Salomon , & de laquelle il dit qu'elle ejl en abomindtion devant Dieu. Une feconde efpece de fraude dans le Commerce de la part du Vendeur, c'eft de furfaire la marchandife; quoiqu'il n'en ait ni déguifé ni caché les défauts j & qu'a eet égard il foit hors de blame,s'il ymetun prix déraifonnable, il trompe 1'Acheteur: j'appelle un prix déraifonnable, celui qui excede la valeur réelle de la chofe, avec le gain légitime que les Marchands doivent faire., &.qu'on ne peut leur contefter: tout ce qui va au-dela eft ac- quis,'  Chretienmi*. Setï. XIV. 14^ quis , felon les apparences; ou pareequ'on a profité de 1'ignorance de 1'Acheteur, ce qui eft une fraude évidente, comme nous 1'avons prouvé ; ou parcequ'on s'eft prévalu du befoin oti il étoit. Quand quelqu'un a un preffant befoin d'une chofe, & que Ton en prend occafion de le ranconner , on fe rend coupable d'extorfion & d'oppreffion, pêché dont nous avons déjè parlé. Car il eft certain que 1'on n'eft en droit de haufler le prix des chofes , que lorfqu'on les a achetées plus cher, ou qu'elles font meilleures a quelque égard: or, la néceftité oh fe trouve notre prochain ne fait ni 1'un ni 1'autie: fa nudité ne rend les habillemens dont il a befoin ni plus chers, ni meilleurs; par conféquent en augmenter le prix en ce cas-la, c'eft trafiquer des befoins du prochain, ce qui eft une vocation très-illégitime. II faut obferver ici , qu'il ne s'agit que det occafions oh le prochain a abfolumenc befoin d'une chofe ; car d'ailleurs , comme par Ic cours du Commerce le prix des marchandifes haulfe & baiffe, un Marchand eft expofé a être obligé de vendre au deffous du prix qu'il a donné, ce qui lui caufe une perte réelle, dont on devroit le dédommager, s'il ne lui étoit pas permis de profiter de 1'occafion de vendre au deffus du prix qu'une chofe lui a coóté , avec Ie Tornt 11. K gain  Pratique des Vertus gain ordinaire qu'il doit faire. Mais on nti doit jamais fe prévaloir des prefïamè's néafikés du prochain, funout tjuaód on peut y fubvenir fans fe faire le moindre tort. On prend aufiï quelquefois avantage de 1'imprudence de 1'Acheteur : quand quelqu'un a une 11 violente paffion pour une chofe, qu'il lë veut avoir a quelque prix que ce foit, & que 1'on prorite de fon aveugiemertt pour en haufler le prix, c'eft lui faire acheter fa folie,qui elt le plus 'cher des achats; car il eft cerrain que fa paffion n'ajoute pas plus a la valeur réelle de la chofe qu'il defire, que la néceffité du pauvre au prix de ce dont il a befoin. Deforte que, fi 1'on veut être jufte en matiere de vente^ on nè i >\t pas fe prévaloir des avantages que 1'Acheteur peut donner, mais on doit examiner mürement ce que la chofe vaut, & ce qu'on prendroit d'un autre , qui ne nous donncroit pas le même avantage. L'Acheteur n'a pas naturellement autaht d'oecafiotis de tromper; il peut eependant arriver qu'on vende des chofes dont on ne connoft pas la valeur, & dans ce cas - lè il n'y a pas moins d'injuftice a 1'Acheteur de profiter de 1'ignorance du Vendeur, qu'il y en a a celui-ci dans 1'autre cas. Mais ce qui eft plus ordinaire, c'eft que la néceffité oblige quelquefois a vendre auffi-  Chretiennes. Seclt: XIV. 147 bien qu'a acheterj quand le befoin eft fi prefiant, que le Vendeur ne peut attendre une occafion favorable , de qu'il eft contraint d'accepter la première offre qu'on lui fait, fi 1'on profite de cette circonftance pour acquérir une chofe fort au deflbus du prix» c'eft la même injuftice, que lorfque le Vendeur fe prévaut du befoin de 1'Acheteur. Jl fe rencontre tant d'occafions de tromper dans le Commerce, qu'il n'y a qu'une ferme réfolution d'obferver exactement la juftice, & un véritable amour de fon devoir, qui puifie empêcher de fuccomber a Ia tentation; car rien n'eft plus vrai que ce que dit 1'Auteur de 1'Eccléfiaftique, que comme une ebevüle fe fiche entre les jointures des pier- X 9es , auffi le pêché eft enferrè entre les ventes £ƒ les acbats. II eft tellement cntrclacé & comme tifiu avec le Commerce , & fi fort mêlé avec fes premiers principes, que l'art de tromper s'apprend en même tems que le Commerce & en fait partie; enforte qu'on regarde ceux qui n'y font pas propres, comme incapables de réuffir dans leur profelfion; tandis que ceux qui poffédent le mieux eet art odieux de tromper, s'en applaudiffent, s'en glorifient quelquefois , & fe félicitent d'avoir furpris leurs prochains. „ O Dieu! qui es k mittrt de faire l Ka „de X} Ecclef. kvii. 2, ■iere»' attb. •• IS*  148 Pratique des Vertus I Tim. VI. V- i Th «ff. IV 6. XXXV JOU&NÉE. „ de tes biens ce qu'il te plait, nous te fupplions de nous faire la grace d'ê„ tre contens de la portion que tu „ daignes nous accorder, & de ne ja„ mais nous laiffer féduire par des de* ,, Jirs infenjés £ƒ nuifibles, qui nous portent a nous emparer de ce qui „ appartient è nos prochains par vio„ lence oa par fraude. Donne-nous de (uivre toujours les regies de la juftice dans toutes les circonftances „ oh nous nous trouverons; d'être fi3, deles a 1'égard des chofes qui nous ,, ont été confiées, de quelque nature qu'elles foient; de ne jamais cher„ cher a faire un gain injufte , en trompant nos prochains. Que les j, nombreufes tentations, auxquelles „ nous fommes expofés a eet égard , „ nous rendent circonfpects, vigilans, & nous engagent a nous former de „ bonne heure au dcfintéreffement , „ enforte que nous ne penfions jamais , „ a faire notre profit au dommage de nos freres en aucune affaire. C'eft au „ nom de Jefus-Chrift notre Sauveur ,, que nous te demandons ces graccs, & que nous t'invoquons. Amen". Quelle honte! que des Chretiens , appellés par les préceptes de leur Maïtre au plus fublime degré de la Charité, au-lieu de s'y élever, s'écartent des regies les plus communes de la juftice, que la nature même nous pref- crit.  Chretiennes. Secl. XIV. 149 crit. Car on peut affirmer hardiment qu'il iv'eft aucune efpece d'injuftice, a 1'égard des biens de notre prochain, qui ne fut condamnée par un Païen fage; deforte que ce que St. Paul difoit des Juifs, que le Nom de Dieu étoit blafphémé parmi les Gentils, par 1'oppoütion qu'il y avoit entre leur Loi & leur conduite, fe peut dire aujourd'hui de nous, que le nom de Chriffc eft blafphémé parmi les Turcs & les Païens, è caufe des mceurs corrompues de ceux qui s'appellent Chrétiens , & furtout de leur injuftice dans le Commeree. Que la honte nous engage donc a efFacer ce qui deshonore notre profefïïon, en renoncant i toutes ces pratiques criminelles. Cette feule confidération de 1'honneur de notre Religion devroit fuffire pour nous y porter. Mais il y en a un grand nombre d'autres, parmi lefquelles il en eft une qui doit naturellement perfuader les plus intérefTés: c'eft que tous ces artifices ne font nullement propres è les enrichir ; paree qu'une malédiótion fecrette y eft attachée , laquelle ronge & devore tout le profit que 1'on s'en promettoir. C'eft une vérité dont on ne peut douter , dès qu'on reconnoït 1'autorité de PEcriture, oh 1'on trouve un grand nombre de pafTages qui l'établiffent: Celui qui fait tort au pauvre pur s'aterottre , ne peut manquer de7 K 3 tomber Rom. II. C4> Pro?. XII. 16.  Habrc. «. 6, r- 2ach. V, 3,4- Ï50 Pratique des Vertus tomber dans l'indigence. Malheur d celui qui ajjhnble ce qui ne lui appanünt poini; jufques d quand le fera-t-il, &f entajjera ■ t ■ il fur foi de la boue épaiffe ? N'y en aura-t-il point qui tout incontinent s'éléveront pour te mordre? 6f ne s'en réveillera-t -il point qui te feront courir cd & ld, & d qui tu J'eras en pillage ? C'eft ce qui arrivé aflez ordinairemenc è ceux qui pillent & qui trompent les autres; ils rencontrcnt enfin des gens qui les traitent de la même maniere. Mais rien n'eft plus décifif fur ce fujet que la vifion du Prophete Zicharie, dans laquelle la malédiction contre le pêché dont il s'agit ici, eft repréfentée fous 1'emblême d'un rouleau volants Je dêployerai cette malédicltion, dit l'Eternel des armées , & elle entrera dans la maifon du larron, & dans la maifon de celui qui jure fauffement par mon nom, éf elle logera au milieu de leur maifon, fc? la conjümera avec fon hois fes pier» res. On voit dans ces paroles deux chofes; premierement, que la raalédic» tion divine eft dénoncée au larcin & au parjure, deux crimes qui font trop ordinairement unis dans les fraudes dont il s'agit: en fecond lieu, que telle eft la nature de cette malédiction, qu'elle confume les maifons de ceux qui fe rendent coupables de 1'un ou de 1'autre de ces péchés, & ruine tout ce qui leur appartient. Ainfi, tandis que  Chretiennes. SctH, XIF. iji que 1'on s'occupe h pil Ier la maifon du prochain , on affemble des matitrcs qui confumeront la nö.re. L'expérience foumic auffi tous les jours des preuves de la malédiction divjne fur les biens mal acquis, & il n'eft perfonne qui ne les remarque dès qu'il s'agit des autres : quand on voit certaines perfonnes tomber en décadence, on fe rappclle qu'ils s'ctoient enrichis par 1'oppreffion ou par la fraude; & nous fommes cependant fi aveugles & fi poffedés de 1'amour du gain, qu'en obfervant ce qui arrivé aux autres, nous en profitons ra re ment pour nous mêmes, & ne fommes pas moins avides & moins injuftes. Mais, hélas! quand nous ferions affurés de confervcr toute notre vie ce que nous avons injuftement acquis, nous n'aurions aucune raifon de nous en féliciter , en nous rappe-llanr ce qu'il nous en coütera dans la Vic a- venir, puifque les larrpns & les ram^urs n'biriteront point le royaume des Ci-.u\: de quoi nous fervira -t-il d'avoir laifi'é de grands biens après nous, fi dans les Enfers nous ne pouvons avoir, ce que les plus pauvres ont ici bas, une feu]e goutte d'eau pour rafraiehir notre langue ? VII. Le vrai moyen d'éviter ce mal- r beur, c'eft de fake rtftitution a ceuxu: a qui 1'on a fait tort: c'eft - la un de oir K 4' in» 1 Cor. vi. 10. e la Reftition.  Ï5a Pratique des Vertui jndifpenfable. Celui qui emprunte eft obligé de payer, è bien plus forte raifon celui qui vole ou qui trompe. Ne pas réparer une injuftice quand on le peut, c'eft Ia réitérer; quand on trompe fon prochain, ou qu'on lui dérobe fon bien, on n'eft pas feulement coupable dans le moment de 1'action, mais auffi longtems que Ie tort qu'on lui fait, dure, & il dure jufques a ce qu'on lui ait reftitué ce qui lui appartient. On dira peut-étre qu'il n'eft pas toujours poffible de faire reftitution, celui a qui on a fait tort peut être mort: en ce cas-lè fon droit eft dévolu a fes héritiers, auxquels il faut reftituer. Alléguera-t-on , que ceux qui ont fait longtems le métier de tromper, peuvent avoir fait tort a bien des perfonnes qu'ils ne fe fouvieanent pas d'avoir trompées, & a d'autres qu'il leur eft impoffible de retrouver. En ce cas-lè, voici les confeils que nous pouvons donner. Premierement, on doit faire tous fes efforts pour fe rappeller qui font ceux a qui 1'on a fait tort, & pour les découvrir; & lorfque, nohobftant tous fes foins, on n'en peut venir a bout, il faut faire la reftitution aux pauvres: & pour ne la pas faire a demi, on doit calculer auffi foigneufement qu'il fe pourra jufques a la moindre partie du gain in« jufte que Pon a fait: que fi 1'on ne peuc le  Chretïinwes. Sed. XIV. ijj le faire , comme cela n'eft guere poffible k ceux qui ont trompé longtems cc fréquemment, on doit fe pre'fcrire certaines regies générales, felon lefquelles on proporcionne fes reftitutions. Par exemple, un Marchand, qui ne peut fe fouvenir combien il a trompé fur chaque article , pourra peut-étre fe rappeller en gros, s'il a vendu d'un tiers ou d'un quart au-dela de ce qu'il devoit ; «Sc après avoir connu par cette proportion ie gain injufte qu'il a fait , il doit le reftituer. Mais on doit fe fouvenir qu'il faut agir ici de bonne foi, & comme en Ia préfence de Dieu, & ne pas fe prévaloir de ce qu'on a oublié, pour reftituer moins, mais au contraire, rendre plutót plus que moins, pour être en füreté; & bien loin d'avoir fujet de regretter ce qu'il en coütepar-la, on doit Ie regarder comme une ofttande volontaire, par laquelle on fe fait une joie d'expier fon pêché. II peut fe rencontrer plufieurs autres difficultés h I'égard de la Reftitution, qu'il n'eft pas poffible de prévoir, & dans le détail defquelles on ne peut entrer par cette raifon. Mais plus il y en a , plus nous devons avoir d'éloignement pour 1'injuftice, puifqu'elle eft fi difficile & fouvent fi impoffible a réparer, plus nous devons déraciner de nos cceurs 1'Avance, qui K $ eft  154 Pr atique des Vertus I)c la Juftice !i l'egarc de 'a Reputatiun du Prochain. Des faux papports. eft la Iburce de tour.es fortes d'injuftices *. S E C T I O N XV. I. De la Juftice d l'égard ie la Réputation du Prochain. Des faux Rapporti, II. Des faux Témoignages. III. Des Calomnies , foit publiques, foit fecrettes. IV- Du Mépris ê? des RaiUeries. V. De la Juftice Pofitive; & premierement des Devoirs communs, auxquels vn eft tenu envers teus les hommes. VI. Des Devoirs envers ceux qui ont des malités extraordinair es. Vil. Envers les hommes par rapport d leur rang é? leur condition. VTLL Envers ceux qui ont quelques befoins. I. r A Juftice Négative s'étend aufïï L- a la Réputation de nos Prochains, que nou» ne devons ni flétrir, ni attaquer par quelque voye que ce foit, & particulierement par de faux Rapports , qui font de deux ordres. Les uns confillent a débiter des chofes qa'on fait être fauffes; les autres a en di- * Les Perfonnes qui fouhaiteront de plus amjiles éclairciflemens fur la matiere ci6.  Chretiennes, Suft XF, ijs divulguer dont on a qutjltjae toupcon* ou auxquelles on voit quelque apparence, mais. fur des fonde sens li foibles, que ia chofe peur e r. >. ufle.aulfibien que vériiable. Dans 1'un & dans 1'aütre cas le Rapporteur eft extrêmement coupable. Peribnne ne' doute qu'il ne Ie foit dan* le premier , Sc tout le monde convient qu'il n'y a rien de plus lache que d'inventer un menfonge pour diffamer le prochain; c'eft ce qu'on appel Ie Calomnie, On peut auffi peu douter qu'il y ait du crime dans Ia feconde efpece de rapports; quand on débite comme véritable une chofe qui eft incertaine , on eft du moins un Menteur; quand même on ne la donneroit pas pour füre , mais •fimplcment comme vraifemblable , fi 1'on n'eft pas coupable de menfonge., on 1'eft d'injuftice , en faifant tort a la réputation du prochain. Les hommes ont natureliement tant de penchant a croire le mal, que Ie plus léger foupcon, répandu dans le public, fuffit pour le leur perfuader: & c'eft fans contredit une extréme injuftice de faire un fi grand tort aux autres, fur le moindre prétexte, fur une imagination en I'air ; furtout quand on fait réllexion que ces foupcons, ces bruits fourds, tirent leur origine de 1'humeur chagrine & critique, ou de la malignité du Cenfeur, plutót que de quelqu©  De» faux, Témoigna- ïRois XXI, *J6 PRATIQUE DES VERTUS que faute réelle de la part de celui qui en eft 1'objet. II. La maniere de répandre les faux rapports n'eft pas toujours la même, tantót on le fait hautement & a découvert, tanrót fecrettement & avec quelque myftere. Les faux rapports qui fe font ouvertement, confiftent quelquefois a rendre faux téraoignage en juftice ; & par-la on nuk non 'feulement a la réputation du prochain , mais on lui fait tort encore a d'autres égards; on 1'expofe è fubir la peine établie par les Loix, & a lui faire par conféquent plus ou moins de mal, felon la nature du crime dont on 1'accufe fauffement; car fi c'eft un crime capital, il y va de fa vie, comme on le voit dans 1'exemple de Nabotb. Pour fentir combien ce pêché eft odieux 6z atroce, de-même que le parjure qu'il renferme, il n'y a qu'a relire ce que nous avons dit de 1'un & de 1'autre. Nous ne 1'envifageons ici qu'entant qu'il blefle la réputation du prochain; & c'eft certainement y faire une fi grande & fi profonde playe, qu'il eft prefque impofiïble de la guérir, quelque chofe que 1'on faffe enfuite; tellement que celui qui fe rend coupable de faux témoignage contre fon prochain , lui fait la plus fangiante injuftice, qui eft défendue en termes expres dans le neuvieme Commandernenc; & Dieu avoit  ChretiEnnes. Seiï. XV. ij? avoit ordonné qu'elle füt punie fur celui qui s'en rendroit coupable, en lui infligeant la même peine qu'il avoit deiïein de faire fouffrir par fon faux témoignage a 1'Accufé. III. Une feconde maniere de répandre de faux braks ouvertement, fans le faire devant le Magiftrat, c'eft de les publier partout & dans toutes les compagnies , & furtout en préfence de ceux qui font difpofés , felon les apparences, a leur donner cours ; & pour 1'ordinaire on accompagne ces calomnies de traits injurieux & de réflexions ameres, un des artifices les plus communs des Calomniateurs étant de charger extrêmement ceux qu'ils attaquent, afin de faire une plus profonde inpreffion fur 1'efprit de ceux qui les écoutent, par la noirceur des accufations qu'ils publient. C'eft-Ik, tant a 1'égard de Ia calomnie, qu'è 1'égard de la médifance dont on 1'affaifonne , une fi haute injuftice, qu'elle exclut du royaume des Cieux ceux qui la commettenc; c'eft ainfi que dans le portrait de 1'homme de bien , qui entrera dans le Sancïuaire de Dieu , que nous trouvons au Pf. XV, il eft dit, qa'il ne leve point de diffame contre fon procbain. Et a 1'égard de la Médifancs en général , Paul la met en divers endroits parmi les osuvres de la tbair, qui excluent ceux qui en font CüU. Bent. xix. ifi-ip. Des Calom» ï'es, tant publiques que facret- tta* PC XV. 3, i Cor.V. ti. VI. 10.  Ij8 Pratique des Vertos Hom. I. 38, 30. coupables, tant de la communion de PEglife fur la Terre, que du Royaume des deux. On répand auffi les faux rapports d'une facon fecrette & myftérieufe, quand on va de !'un h 1'autre, & que Pon débite fes caiomnies è 1'oreille, & en demandant le fecret ; non dans le deflein de les rendre moins publiques , mais au contraire, pour leur donner plus de cours ; parceque eet artifiee de les confier a titre de fecret, eft le vrai moyen de les faire croire & de les répandre davantage: celui a qui 1'on confie ce prétendu fecret, compre faire plaifir a un autre de lui en faire part; deforte qu'il paffe de main en main, jufques a ce que toute une Vilie en foit pleine. Les CalomDiateurs de eet ordre font les plus dangereux ; ils portent leurs coups dans les ténébres, ils exigent de tous ceux è qui ils parient, de ne les point nommer, enforte qu'au-lieu que, par rapport a des accufations publiques , on peut trouver des moyens de fe juftifier, & découvrir fon accufateur, ici cela n'eft pas poffible, & la calomnie, telle qu'un poifon caché, a produit des eftets incurables avant que 1'on s'en foit appercu. St. Paul place ces fortes de Rapporteurs dans la claffe de ceux que Dieu a livrês d un efprit reprouvé. En efFet les coups qu'ils portent, fonr mor-  Chretiennes. Secl. XV. 159 mortols ; cc font les pefr.es de la Sociécé , qui ruinent non feulement la réputation des particuliers, mais qui troublent fouvent la paix des families, & allument la divifion dans les Etats. Quels troubles ce pêché n'a t - il pas caufé dans Ie Monde? Salomon remarque, que les paroles du Rapporteur mettent la divifion entre les meilkurs amis; & 1'on peut bien dire avec St. Jaques, que la langue, employée de cette facon , ejt enfiammée du feu de la gevenne. C e pêché eft 0 odieux, que 1'on doit éviter tout ce qui peut y condui* re, ou Ie favorifer. Premierement, on doit éviter de prêter 1'oreille aux Rapporteurs , & de les accueillir, puifqu'on les encourage par-lè a débiter leurs calomnies : & comme 1'on dit que s'il n'y avoit point de receleurs, U n'y auroit point de voleurs; de-même , s'il n'y avoit point de gens qui écoutaffent les rapports, il n'y auroit point de Rapporteurs. En fecond lieu , 011 ne doit pas être trop facile a leur ajouter foi; car 1'excès de crédulité les fait réuffir en partie dans leur deffein , qui eft de donner a tout le monde mauvaife opinion de tel ou de tel , & le moyen d'y parvenir eft de perfuader d'abord a quelques perfonnes particulieres le mal qu'ils en difcnt: fi 1'on permet qu'ils y réuffiflent par Prov.' xvi. x& , Jaq.IH. £  i6o Pratique des Vertus par rapport a foi, ils ont déja h quelque égard atteint leur but; & 1'on fait une grande injuftice au prochain de penfer défavantageufement de lui, fans de juftes raifons, que de pareils rapports ne fourniflent point. En troifieme lieu, c'eft concourir è ce pêché, que de rapporter a d'autres ce que Pon nous a dit de cette maniere : on devient complice du Calomniateur, & après avoir injuftement renoncé a la bonne opinion qu'on avoit du prochain , on t&che encore de lui faire perdre 1'eftime des autres. Ce procédé n'eft gueres moins criminel que celui du premier Calomniateur , & tend autant è détruire la réputation du prochain. Ces diverfes manieres de favorifer les faux rapports ont une fi grande liaifon enfemble , que fi 1'on s'en permet une, il eft difficile qu'on ne fe laifle aller aux autres. En effet, on peut préfumer avec raifon , que celui qui eft capable de prendre plaifir h entendre diffamer fon prochain, ne fe fera pas de peine de donner cours è la calomnie. Le vrai rnoyen de conferver fon innocence a eet égard , c'eft de ne jamais accueillir ou ravorifer en aucune facon les faifeurs de rapports. Certe précaution n'eft pas moins néceffaire pour notre repos, que pour Ia confervation de notre innocence. Car quand on entretient commerce avec des  ChrEtiennes. SeS. XV. lol des gens de ee caractere, on ne doit jamais s'attendre a être tranquille, puiiqu'oo fe laiffera aigrir même contre ceux avec lefquels on a les plus étroites & les plus tendres relations. Enlbrte que les Rapporteurs & les Calomniateurs doivent être regardés comme des ennemis du genre humain , tant de ceux a qui ils font leurs faux rapports, que de ceux qui en font 1'objet. „ Notis nous humilions profondé- ment devant toi, ó Dieu, pour te i, demander de nous faire la grace de „ lèntir tout ce qu'il y a de honteux „ dans le procédé de ceux qui em- ployent des moyens illégitimes „ pour s'emparer des biens du proi, chain» cc de redouter la malédiction que tu as dénoncée aux injuftes & i, aux raviffeurs, tant dans cette vie, que dans celle qui eftè-venir. Que „ convaincus de 1'obligation indifpen» fable de réparer le tort que nous „ avons fait a nos prochains, nous j, foyons prompts a nous acquitter de i, ce devoir, fi nous avons eu le mali, heur de nous écarter des régies de „ la juftice envers eux. Ne permets pas , Seigneur , que „ nous oubliyons aflez les préceptes de s, ta Loi , pour attenter a la réputa„ tion de nos freres, foit par de faux 5, témoignages, foit par des calomnies Tomé IL h „ pu- Piier*.  ii«52 Pratique des Vertus xxxvi JOURNÉEi Dm Mépris & des Rai leries. „ publiques ou fecrettes. Qu'atten„ tifs a nous munir a eet égard, nous évitions de prêter 1'oreille aux discours qui tendent a deshonorer le „ prochain; de porter de lui des ju,, gemens défavantageux fans fondement folide; de jamais répandre ce qui peut lui faire perdre 1'eftime dont il jouit dans la Société. Exauj, ce-nous, Pere Célefte, pour Pa? „ mour de Jefus - Chrift ton Fils. Amen". IV. Outre cette maniere de calomnier groffiere & directe, il en eft une plus délicate, qui n'eft pas moins nui'fible ii la réputation du prochain, en 1'expofant aux mépris par les railleries qu'on en fait, & en le tournant en ridicule. Car la plupart des hommes aiment mieux adopter les jugemens des autres, que fe donner la peine de juger par eux-mêmes; enforte que lorfqu'ils voient quelqu'un que 1'on méprife & dont on fe moque, ils font difpofés è en faire autant. Ce mauvais effet que produifent les mépris, les rend déja criminels, mais ils font d'ailleurs fouverainement injuftes en eux-mê"« mes. II y a ordinairement trois cho> fes dont on prend occafion de méprifer le prochain, du moins parmi ceux qui n'en fpnt pas encore au point de ne trouver rien de fi méprifable que la piété & la vertuj mépris, qui eft non feui  Chretiennes. Secl. Xp. 16$ feulement injufte envers Ie prochain, mais qui eft injurieux a Dieu lui même, pour 1'amour duque! il eft méprifé. Les trois chofes qui «Xpofent communément Ie prochain a nos mépris, font fes infirmités, fes malheurs, fes péchés: mais ni les unes ni les autres ne nous donnent un jufte fujet de lui infulter. Première ment , h 1'égard des in•firmités de corps ou d'efprit , telles que font Ia difformité ou la laideur des uns , la foiblefle ou 1'imbécillité des autres, comme ce font des chofes auxquelles il ne dépend pas d'eux de remédier, elles ne doivent pas leur être comptées pour des fautes ; ce font les effets de la fage difpenfation du Créateur, qui diftribue les talens & les qualités de corps & d'efprit, comme il lui plaït: s'en faire un titre de mépris pour ceux qui ne les poffédent point, c'eft réellement s'en prendre a Dieu, qui ne les leur a pas accordées. ■ On en doit dire autant des maux & des difgraces qui arrivent a nos prochains, telles que font la pauvreté, la maladie, & d'autres calamités de cette nature; c'eft auffi la Providencc Divine qui les difpenfe, qui éleve les uns & abaiffe les autres, comme elle le juge a propos; & ce n'eft pas è nous a. nous ériger en juges des raifons que L 2 Dieu'  iö4 Pratique des Vertu« tuc. xii t,», s. pr. lxi •7' Dieu a d'en ufer aipfi; comme le font bien des gens, qui a la vue des malheurs qui arrivent a quelqu'un , en concluent d'abord, que c'eft fürement quelque grand pêché qui les lui a attirés, quoiqu'ils n'aient rien qui puiffe fonder cette conclufion. Ce font ces jugemens téméraires que notre Sauveur condamne dans les Juifs, en leur difant, a 1'occaüon du malheur extraordinaire arrivé a certains Galiléens: • Penfez - vous que ces Galiléens ■ la fujjent plus grands pécbeurs que les autres? Non, vous dis-je; mais fi vous ne vous amendez , vous périrez tous femhlablement. Quand nous voyons la main de Dieu appefantie fur les autres, ce n'eft pas a nous è les condamner; mais nous devons nous juger nous-mêmes, cc prévenir par notre repentance la punition que nos péchés ont méritée. Infulter a ceux qui font dans l'affliélion cc leur faire des reproches, eft une inhumanité barbare, dont le Pfalmifte parle comme du comble de la méchanl. ceté: ils perfécutent celui que tuas frap' 'fé, è? font leurs contes de la douleur de ceux que tu avois navrês. La compas? fion eft une dette envers tous ceux qui fouffrent: quelle n'eft donc pas 1'injustice de ceux qui, au - lieu de s'acquitter de cette dette, les affligent par des reproches & par des mépris? Qüqique les péchés des bonunea fcn>  CHRETiENNES. Setï. XP. j5f femblent mériter davantage notre mépris, parceque la volonté y a plus de part, cependaut ils ne demandent pas moins notre compaffion, & même dans le plus haut degré , parcequ'il n'y a rien qui rende les hommes plus miférables. S i nous confidérons qu'a ces trois égards nous ne fommes pas moins expofés que nos prochains, & qu'il n'y a que la bonté feule de Dieu qui nous empêche de tomber dans 1'état le plus trifte oh nous puiffions voir perfonne, nous fentirons qu'il nous convient de lever les yeux vers le Ciel avec reconnoilTance, plutót que de le* jetter fur les malheureux avec mépris. II eft donc évident qu'il y a une fouveraine injuftice a méprifer directement fes freres & a leur infulter; cc 1'on aggrave cette injuftice, lorfque 1'on contribue a les rendre 1'objet du mépris des autres, comme cela eft ordinaire, puifque c'eft flétrir leur réputa* tion. Pour juger de la grandeur du tort que 1'on faifr au prochain en ruinant fa réputation, il ne faut que faire attention a ces deux chofes. Le prix du bien dont on le privé, & la difficulté de réparer le mal qu'on lui a fait. Perfonne n'ignore qu'il n'eft rien qu'un homme chérifle plus que fa réputation , €c qu'il la préfére fouvent a la vieï 3 c'eft  x66 PrAtiqüe des Vertus^ c'eft ce que 1'on voit par les périté auxquels bien des gens s'expofent quelquefois pour une réputation chimérique & mal-entendue : ce qu'il y a de certain, c'eft que les gens fages 1'ont toujours regardée comme un des plus grands bien de la vie. Elle eft même fi néceffaire a certaines perfonnes , principalement a ceux qui font dans le Commerce & dans les Affaires, qu'on peut la regarder comme une chofe effentielle a leur fubfiftance; enforte que ce n'eft pas leur faire un médiocre tort, que de les priver de ce qui eft d'an fi grand prix pour eux. La difficulté de la réparer aggrave 1'injuftice qu'on fait au prochain , & cette difficulté eft fi grande dans le cas dont il s'agit, qu'elle peut être appellée une impoffibilité. Car, quand les hommes ont une fois concu mauvaife opinion de quelqu'un, il n'eft pas aifé de les défabufer. Et quand même ils feroient auffi difpofés a renoncer aux idéés défavantageufes qu'ils ont dq; leur prochain , qu'ils ont été prompts a les adopter, comment pourra-t-on s'affurer que la retradtation la plus publique, quand on la feroit, parviendra a 'tous ceux qui ont été prévenus fauffement? & quand il n'y en auroit qu'un feul qui ne füc pas défabufé , laréparation eft au deffous de 1'injure;, que fera-ce fi, comme il y a de l'ap-; ' .r J pa-  ChrEtIENNes. SeSt. XV. 16? parence, plufieurs demeurent dans 1'erreur? Cette réflexion eft bien propre a nous infpirer de 1'éloignement pour une injuftice de cette nature; mais elle ne doit pas fervir de prétexte pour empêcher ceux qui ont fait ce tort a leurs prochains, de ticher de leur en faire toute la réparation poffible; car, quoiqu'elle ne foit pas proportionnée a 1'injure, ils doivent cependant faire ce. qui dépend d'eux. C'eft ce qui eft fi indifpenfablementnéceflaire pour obtenir le pardon de fa faute , qu'on ne doit pas 1'efpérer fans cela. II faut donc que ceux qui.penfent k fe repentir férieufement de ce pêché, emploient tous les moyens que la prudence peut leur fournir pour rétablir la réputation du prochain, a proportion de ce qu'ils 1'ont avilie: & s'ils nepeuvens y réuffir fans fe couvrir eux-mêmes de honte, en confeflant publiquement leur calomnie, ils doivent plutót s'y: réfoudre, que de manquer a rendre 4 leur prochain deshonoré la juftice qui lui eft düe. ■ Observons ici , en finiflant ce qui regarde la Juftice négative, qu'elle dok non feulement régler nos paroles & nos actions, mais auffi nos penfées & nos fentimens. II ne nous eft pas feulement défendu de blefler, mais de haïr: nous deypns non.feulement ne pas fzu L 4 re  S68 Pratique oei Vert*§, Prov.IV. «»• re è nos prochains aucun des maux fpécifiés ci - deiTus, mais il ne nous eft pas permis de les leur fouhaiter, ou de nous réjouir quand ils leur arrivent. Nous ne devons pas leur porter envie, ni defirer même ce qu'ils poflédent. Ce n'eft pas aflez que nous tenions tellement notre langue en bride, que nous évitions de calomnier le prochain & de ternir fa réputation, fi nous nourriflbns quelque haine fecrette qui nous porte a fouhaiter fon deshonneur, ou qui nous fafle goüter du plaifir quand il lui en arrivé, lors même que nous n'y avons pas contribué. C'eft le caractere diftindtif des Loix de Dieu, d'étendre leur empire fur le ceeur, au-lieu que celles des hommes ne s'étendent qu'aux paroles & aux adtions; & la raifon en eft claire, c'eft que Dieu eft le feul Légiflateur qui connoifle les cceurs; ainfi t quand nous ferions parfaitement inaoeens par rapport a nos paroles & è nos aftions, fi notre cceur n'eft pas pur, cela nous fera inutile devant lui: c'eft donc un excellent confeil que donne Salomon, quand il dit: garde ton coeur de tout ce dont il faut le garder, car c'eft de lui que procedent les fonrces de la vie. Muniflbns - nous contre toute forte de penfées malignes ou injuftes, non feulement pour ne pas être entrafnés dans les péchés d'action, mais parceque ces  Cheetieïtnes. SeSt. XV. 16$ ces penfées nous rendent coupables aux yeux de Dieu, & nous rendent incapables de jouir jamais de fa bienheureufe préfence, puifqu'il n'y a que ceux qui font nets de cceur, qui le uer-x ront. V. Venons préfentement h hjujti^ ce Pojitive, qui conflfte 4 rendre achacun ce qui lui eft dü , en vertu de quelque droit que ce foit. Cette Jus? tice comprend les devoirs généraux auxquels nous fommes tenus envers tous les hommes, & les devoirs auxquels nous fommes tenus envers des perfonnes particulieres, en vertu de leurs qualités, de leur rang ou de leur condition dans la Société. A 1'égard des Devoirs généraux' anxquels nous fommes obligés envers; tous les hommes, il y en a troisprincipaux, la Sincéritè, l'Humanité, & la Débonnaireté. Nous devons h tous les hommes en général d'être véritables dans nos discours. La parole nous a été donnée pour être le fien de Ia Société, & pour nous communiquer mutuellement nos penfées , qui fans cela demeureroient cachées; & fans la parole notre commerce les uns avec les autres ne différeroit point de celui des bêtes. Pais donc que ce talent eft deftiné au bien & a l'avantage du Genre - huraain, nous fommes obligés d'en faire un ufa. L j go Matth. '. 8. lela (uilige oGure. Jevoirs géidrsux en- i rers tous les ïoinmes. La Sincéritè.  Ephef. iv. 35- coioff. m. v- Prov. vi. X6, 17. ■l ■ . ' ] Rom. iii.7.1 i < s r 1: d c 1< u f« #70 Pratique des Vertus ge conforme h cette deftination , & chaque homme eft en droit de 1'exiger; mais celui qui ment, bien loin de s'acquitter de ce devoir, fait fervir Ia parole a tromper celui a qui il parle, & elt par cette raifon injufte envers lui. On pourroit ici prefTer divers motifs, qui nous obligent a être véritables dans tous nos difcours; mais comme c'efc pour des Chrétiens que 1'on écnt, il fuffira de faire valoir 1'autorité de 1'Ecriture Sainte è eet égard , qui nous défend le menfonge : c'eft pourquot ayant dèpouillé le menfonge, parlez en vérité cbacun d fon prochain. Ne mentez point 1'un d 1'autre: & Salomon met la fauffe langue au nombre des chofes qui font en abomination au Seigneur. Le menfonge efc tellement odieux a Dieu, que quand même on s'y propoeroit la fin la plus fainte, il ne peut 'approuver: celui qui ment fous préexte de zele pour la gloire de Dieu e rend coupable, & fera condamné. :omme pécheur. A quoi doivent donc attendre ceux qui mentent par des aifons bien oppofées ? Les uns par ïalice, pour nuire a leur prochain; autres par avarice, pour le tromper; sux-ci par orgueil, pour fe faire vaiir; ceux-la par crainte, pour éviter 3 danger , ou pour couvrir quelque We. II en eft même d'un plus écran-, ge  Cpretiennes. Sett. XV, J71 ge caractere , qui, fans y êcre portés par aucune tentation , débitent des hiftoires fauiTes, & prennent plaifir & raconter des chofes incroyables, d'oh il ne leur revient d'autre avantage que celui de palier pour de ridicules menteurs. Au milieu de tant d'efpeces de faus* fetés, la vérité eft devenue fi rare aujourd'hui, qu'il feroit bien difficile de trouver un homme tel que celui que David dépeint, qui profere la vérité,1 telle qu'elle eft en jon cosur. Les hommes ont rendu leur langue fi fiexible au menfonge , qu'ils mentent è tout moment, même fans en avoir de fujet, s'imaginant que ni Dieu, ni les hommes ne les obferveht. Mais'ils fe trompent a 1'un & a 1'autre égard; car il n'y a point de pêché parmi ceux que Pon prend foin de cacher , qui foit plus aifé a démêler. II eft rare que ceux qui ont pris 1'habitude de mentir, ne fe trahiflent tót ou tard eux-mêmes, quelque fidele que foit leur mémoire; & quand cela arrivé, il n'y a point de pêché qui expofe davantage a la honte & au mépris, le titre de Menteur étant le plus honteux & le plus infame. Quant a Dieu,, il y a de la folie a fe flater, qu'avec toute I'adreflè poffible on puiffe fe déguifer aux yeux de celui qui n'a befoin pour connoïtre le menfonge, d'aucun de ces moyens qui t, les r. xv. s.  Apoc. XXI 8. l.uc. XVIII «. L'Humani té. iSam.XXV *7. 172 Pratique dei Vertü* les découvrent fouvent par hazard aux hommes; il lit dans Ie coeur, & connoic, dant le moment qu'on parle, la faufï'eté de ce que 1'on dit. Et en vertu du titre qu'il prend de Dieu de vériUy il eft non feulement obligé de haïr, mais auffi de punir le menfonge. C'eft par cette raifon que les Menteurs font mis au nombre de ceux qui font exclus de la nouvelle Jirufalem, & même qu'ils ont leur part dans l'étang ardent de feu & de foufre. Ainfi, a moins que d'être du caractere du Juge dont parle Jefus-Chrift, qui ne craignoit point Dieu, (31 qui ne refpeStoit perfonne , on doit être fermement réfolu de renoncer k un vice, qui eft égaleraent odieux a Dieu & aux hommes. Un fecond devoir auquel nous fom-' mes obligés envers tous les hommes, c'eft VHumanité & VHonnêteté dans nos manieres, qui eft oppofée a ce carac, tere bourru , attribué k Nabal, d qui perfonne ne pouvoit parler. II y a aflurement un certain refpeél dü a la Nature humaine, dont aucune fupériorité accidentclle , que donnent les richefles & les honneurs, ne peut dispenfer, même k 1'égard des moindres des hommes, enforte qu'un procédé brufque & chagrin envers qui que ce foit qui a la figure humaine, eft une injure a cette nature k laquelle il participe. Et fi nous confidérons combien  ChretIEnnes. Set}. XV. 173 bien cette nature a été honorée par Ie F ils de Dieu , en la revêtant , nous fentirons d'autant plus 1'obligation de la refpccter, & d'éviter de nous rendre coupables en la méprifant. C'est le défaut ordinaire des gens fiers & orgueilleux, qui s'occupent fi fort a s'admirer eux-mêmes, qu'ils ne font pas la moindre attention k ce qu'il y a d'eflimable dans les autres, cc fe croyent difpenfés de tous les égards que la civilité la plus ordinaire demande ; tandis , qu'a 1'exemple de Nébucadnezar, ils s'érigent euxmömes en idoles, qu'ils voudroient que tout le monde adorar. C'eft:-ia certainemenc Ie contraire de ce que Saint Paul prefcritaux Romains:P^t;e-i nez-vtus 1'un 1'autre par bonneur; cc de1 ce qu'il recommande aux Philippiens, ne regardez point cbacun ce qu'il a dei particulier, mais auffi ce qu'ont les au-4 tres. Que les perfonnes de ce caractere fe fouviennent de cette déclaration du Sauveur: Qtticonque s'éleve, Jerai abaiJJé, t# quiconque s'abaiffe , [era éle-i vè; qui fe vérifie fouvent par les étonnantes chütes des orgueilleux, dont il ne faut pas être furpris, puifque 1'orgueil arme Dieu cc les hommes contre ceux qui s'y livrent. L'Ecriture atteste par-tout que Dieu a en abomination ce pêché, & tous ceux qui s'en rendent coupabJes, & il n'y a rien qui .om. XII. 0. hilipp. II. uc. XIV. 1.  J74- Pr'Atïqtje des Vertus Priere. Aft. xvii. ■5' qui fouleve & irrtte davantage les hommes, que de fe voir traités avee hauteur & mépris. Or qui pourra mettre a couvert ceux qui ont Dieu & les hommes pour ennemis? ,, O Dieu, qui donnés d tous la vie, „ la refpiration & toutes cbojes , nous ,, fentons vivement combien nous fom,, mes coupables, lorfque nous nous „ croyons en droit de méprifer nos ,, prochains, parcequ'ils ne poffédent „ pas les dons que tu nous a accor„ dés,parcequ'ils éprouvent des maux & des difgraces dont nous fommes „ exempts, ou parcequ'ils tombent „ dans des péchés dont tu nous pré„ ferves; puifque par-la nous atten4, tons a la fageffe & a la bonté de ta „ Providence, qui difpenfe les dons „ & les graces, comme il lui plaft. „ Donne-nous, Seigneur, d'éviter „ déformais foigneufement tout ce qui peut porter atteinte k la réputation ,, de nos freres, & de ne jamais con„ tribuer a leur ravir un bien qu'ils „ chériffent a jufte titre; que, frappés „ de la difficulté qu'il y a k réparer le „ tort que nous leur avons fait a eet égard , nous nous préfervions d'un „ pêché fi funefte a nous-mêmes par eet endroit. ,, FAis-nous la grace d'avoir un a„ mour dominant pour la vérité, & „ d'éviter avec foin tout menfonge.& „ toute  Chretiennes. Secl. XF. 175 3i toute faulTeté, de refpedïer ton image j, & notre propre nature dans tous les „ hommes, d'être humains envers eux „ & difpofés a les prévenir par non* „ neur, & qu'ainfi nous croiffions en „ grace devant toi & devant les hom>, mes, comme notre divin Sauveur, „ au nom duquel nous t'invoquons. „ Amen". Un troifieme devoir auquel nous fommes obligés envers tous les hommes,{ c'eft la Débonnaireté, qui confifte In être d'un caractere patiënt & doux , propre k reprimer la colere; paffion impétueufe, qui eft non feulement ficheufe pour nous-mêmes, comme on 1'a vu, mais qui eft aufli très-nuifible au prochain , comme les excès auxquels elle porte fouvent, ne le prouvent que trop. Saint Paul nous prefcrit cette débonnaireté en termes exprès: foyez d'un efprit patiënt envers tous,t même malgrétout cequi pourroit nous u irriter, puifqu'il ajoute a la fuite: Prenez garde que perfonne ne rende d aucun mal pour mal, & pourfuivez toujours ce qui ejt bon , tant les uns envers les autres, qu'envers tous: & il ordonne a Timothée d'enfeigner avec douceur 1 ceux qui s'oppofent k la doctrine de" 1'Evangile, contre lefquels quelque chaleur ferois permife, s'il y avoit quelqu'un pour quil'on püt fe difpenfer d'avoir de la douceur. Cette XXXVj JURNÉE. a Debon«ireté. Thefli V; Timoth, 2.5.  ifé Pratique des Vertus fc»v. xxi: rrov.XXI. Cette Vertu eft fi néceffaire pour maintenir la paix dans le Monde, qu'il n'eft pas furprenant que Jefus-Chrift, qui eft venu pour faire regner la paix parmi les hommes, la leur recommande a, tous. L'impatience & la colere produifent généralement des effets oppofésj elles jettent le trouble & la divifion dans les Etats^ dans les Sociétés, dans les Families, & même parmi ceux qui font le plus étroitement unis par lesiliens du fang. De-la vient que Salomon nous avertit de ne point entrer en liaifon avec ceux qui font • fujets k ces pafiions: Ne t'accompagne point de 1'bomme colére , & ne va point avec 1'homme furieux. II n'eft rien qui rende les hommes plus infociables, 6c même plus infupportables k tous ceux qui ont affaire avec eux,♦comme le Sage nous 1'apprend encore , quand il dit, qu'il vaut mieux demeurer dans un défert, que de vivre avec une femme querelleufe; quoiqu'une femme n'ait ordinairement d'autre arme offenfive que la langue. Rien ne doit effeótivement être plus k charge a ceux qui ne font Eas de cette humeur inquiette & turulente, que de vivre avec des gens de ce caractere, quand même cela n'iroit jamais au-dela des paroles. On peut juger de la grandeur de ce pêché par ce que notre Sauveur en dit au Chap. V. de Saint Matthieu, oh il dé- noncc  Chretiennes. Sefit. XP. ï-jf nonce diverfes peine? , felon les difféfrens degrés. Et ü 1'on eft coupable en nommant fon frere fou, quel jugement porter de ceux qui fe permettent de jurer, de maudire, de blafphémer? Ceft-la le langage des Enfers, & ceux qui ie tiennent ne peuvent être propres a entrer dans le Ciel. Profitons donc de Pavis de 1'Apót.re , que toute aigreur, emportement, colere, k$ crierie, ' &médifance, avec toute malice, foient 6tiesv d'entre vous. VI. Examinons a préfent les Devoirs auxquels nous fommes obligés Di envers des perfonnes particulieres, en ve vertu de leurs qualités, de leur rang,Z ou de leur condition dans la Société, tn de leurs befoins, ou de quelque autrerei relation. Nous devons beaucoup d'eftime & d égards k ceux qui ont des qualités excellentes, telles que font la Sageffe, le Savoir, & furtout la Piété, parceque ce font-la des dons particuliers de Dieu. Nous devons toujours être prêts k faire honneur a ceux que Dieu en favorife, k reconnoftre ces talens en eux, & a leur témoigner des égards proportionnés k leur mérite, évitanc avec foin de mettre nos propres avantages a un fi haut prix, que nous aviliiïïons ceux des autres; comme cela eft ordinaire k ceux qui prétendent qi'jl n'y a rien de raifonnable que Tomé 11. M €

j n'y gagnerez qu'une aggravatioa „ de pêché & de chitiment ". Notre Seigneur difoit aux Pharifiens, que s'il n'éüt point parlé d eux , ils n'auroient point eu de pécbé ; c'eft - adire, qu'ils auroient été moins coupables , en comparaifon de ce qu'ils étoient. Ainfi ceux a qui l'Evangils n'a jamais été prêché , font certainement plus excufables, que ceux è qui il a été annoncé & qui y ont réfifté. Et a 1'égard du chitiment, nous pouvous nous appliquer ce que Ie Sauveur difoit è ceux a qui il avoit prêché, que Tyr £? Sidon , Villes Payennes, Jeroient traitées moins rigoureufement qu'eux. Enfin, nous devons prier pour nos Pafteurs: c'eft ce que Saint Paul exige en divers endroits de fes enfans fpirituels : après avoir recommandé aux Ephéfiens de prier pour tous les Saints, il ajoute, 6? pour moi, afin que la parole me foit donnée d boucbe ouverte avec bardiejje: il dit encore aux Colofficris: priez enfemble auffi pour nous, afin que Dieu nous ouvre la porte de la parole. C'eft donc un devoir auquel nous fommes toujours obligés envers nos Peres fpintuels, de prier Dieu qu'il les affifte tellement par fon Efprit, qu'ils puilTent s'acquicter dignement de  Chretiennes. Setï. XVI. 197 de leur fainte charge. Nous n'entrons pas ici dans 1'exaincn des devoirs des Pafteurs, parceque ce n'eft pas dans un Ouvrage de la nature de celui-ci qu'ils doivent s'en inftruire. „ O Dieu ! comme c'eft toi qui as afïï„ gné a chacun Ie rang ci la condition „ oii il fe trouve, fais-nous la grace de „ nous conduire d'une maniere con,, venable a 1'état oh tu nous as pla* „ cés, & de remplir les devoirs aux- quels les différentcs relations que „ nous avons avec nos femblables 3, nous engagent. Donne-nous d'être ,, reconnoifTans envers ceux qui nous ,, ont fait du bien, & furtout envers „ ceux qui par leurs avis tachent ,, de nous ramener dans le bon che3, min, quand nous avons eu le mal5, heur de nous en écarter. Que con- vaincus que c'eft par toi que les ,, Rois regnent, nous ayons toujours „ pour les Puiflances établies fur nous „ des fentimens de refpect, nous leur 3, rendions 1'obéiffance légitime qui „ leur eft düe , & nous acquittions ,, fidélement de tout ce qui doit fervir au maintien de la Société. Infpire- • „ nous auffi pour ceux que tu as éta„ blis Pafteurs dans ton Eglife ces fentimens d'amour & d'ettime que nous leur devons, cette docilité qui „ peut nous rendre utiles les enfeignea mens qu'ils nous donnent, les exN 3 „ hor- ?riere.  XXXIX. JOURNÉE. Devoirs ile Enfans en ■ Vers leurs Peres &m< res. L'Honnei & 'e Ref. peft. 6«n. ix. *3 198 Pratique des Vertu* „ hortations & les cenfures qu'ils nous „ adreffent felon ta Parole , afin que les encourageanc dans l'oeuvre im» „ portante que tu leur as commife, „ nous foyons leur joie & leur couronne, & falïïons partie du corps „ fpirituel de Jefus - Chrift, au nom duquel nous t'invoquons. Amen". V. Examinons h préfent les devoirs sauxquels nous fommes obligés envers nos Peres proprement dits , les Peres de notre cbair, comme les appelle PA■ pótre. r Premierement , nous devons les bonorer & les re/peiler, nous conduire a leur égard avec toute forte d'humili» té & de foumiffion, & éviter, fous prétexte des infirmités que nous croyons remarquer en eux, de les mépriïèr, foit par nos aclions, foit même intérieurement. S'ils ont véritablement des infirmités, nous fommes obligés de les couvrir, a 1'exemple de Sem & de Japhet, qui, tandis que 1'impie Cham . découvroit la nudité de leur Pere, la cachoient avec tant de foin, qu'ils ne la voulurent pas voir eux-mêmes. Rien de plus criminel que le procédé de piufieurs enfans, qui, non feulement publient les foiblefles de leurs Parens, & s'en moquent, mais leur en attribuênt qu'ils n'ont point. Tel eft ordinairement 1'orgueil & 1'entêtement de la Jeunefle, qu'elle ne peut fe rér foudre  Chretiennes. Seiï. XVI. 109 | foudre a fuivre les confeüs & les avis j des perfonnes agées; & pour s'en difpenfer, elle fait paffer pour des radoteries, ce qui elt le fruit de la fageiïe & de 1'expérience: les gens de ce caI ractere doivent profiter de cette exhori tation de Salomon : Ecoute ton Pere ,, | qui Va engendré, ö3 ne uéprife point ta' ) Mere, quand elle jera devenue dgée. On 1 trouve un grand nombre d'autres paffages dans le même Livre, qui prouvent que le plus fage de tous les 1 hommes a cru que les enfans doivent I prêter 1'oreille aux confeils de leurs Parens. Mais les jeunes gens de notre fiecle prétendent acquérir la fagesi fe en fuivant une route toute oppofée, & s'imaginent que c'eft être fort ; habile, que de méprifer les confeils & la perfonne même de leurs Parens: 1 mais s'ils ne veulent pas fe rendre aux exhortations du Sage , qu'ils fe foui viennent au moins de fes menaces : '. l'Oeil, qni fe moque de Jon Pere qui1 ! méprife l'enfeignement de fa Mere , les1 : eorbeaux des torrens le cr ever ont, & les 1 petits de l'aigle le mangeront. Nous devons, en fecond lieu, les i aimer. Nous fommes obligés d'avoir i pour eux une véritable tendrefle, qui i nous porte a leur fouhaiter fincére1 ment toute forte de bien, & nous in1 fpire de 1'horreur pour tout ce qui 1 pourroit leur caufer de la peine & du. N 4 cba- Prov. IXIU. ie. rov. XXX. L'AmoBf.  aoo Pratique des Vertus chagrin. Nous fentirons que c'eft -lè ]a moindre marqué de reconnoiffance qui leur eft düe, fi nous nous rappellons ce que nos Parens ont fait pour nous, eomment ils onr. été non feulement les iuftrumens dont Dieu s'eft fervi pour nous faire entrer dans le Monde , mais auffi pour nous y faire fubfifter enfuite. Quand on pefe mürement les foins, les inquiétudes <5c les craintes qu'il en coüte aux Parens pour élever un enfant, on trouvera que 1'amour de eet enfant pour eux n'eft certainement qu'un foible retour encore. Cet amour peut fe déployer en différentes manieres. Premierement par une conduite pleine d'affection, en nous comportant envers eux non feulement avec crainte & refpect, mais avec tendreffe; nous devons faire avec plaifir & avec empreflement tout ce qui peut leur donner de la joie & de la confolation, & éviter foigneufement tout ce qui pourroit les affliger & les chagriner. En fecond lieu, 1'amour que nous leur devons nous doit engager h prier pour eux. Les obligations que les enfans ont a leurs Peres & Meres font fi grandes, qu'ils ne peuvent jamais fe flater de s'en acquitter pleinement: ils doivent donc avoir recours a Dieu, & le prier fans cefle qu'il les récompenfe du bien qu'ils leur ont fait, en mulcipliant fes béné- dic«  Chretie nnes. Seiï. XVI. aoï didtions fur eux. Quel n'eft donc pas le crime des enfans qui, au - lieu d'implorer les bénédiólions du Ciel fur leurs Peres & Meres, conjurent les Enfers contre eux, en les maudiffanc, cc en vomifiant contre eux les plus horribles exécrations ? A peine croiroit-on un crime fi atroce poffible, li Dieu, qui connoit parfaitement le cceur humain, n'avoit dénoncé la peine de mort a ceux qui s'en rendront coupables ; celui qui maudira Pere out Mere, on le fera mourir de mort. K Mais un crime plus commun,fansdoute, c'eft de maudire fes Parens en fecret cc par des vceux, que la honte ou la crainte empêche d'exprimer. Que d'enfans qui, foit par 1'impatience d'être leurs propres maïtres , foit par le defir d'être poffefieurs du bien de leurs Peres , ont fouhaité leur mort! Mais que ceux qui fe portent a eet excès, fe fouviennent que s'ils fe déguifent aux yeux des hommes, ils ne peuvent fe cacher è ceux de Dieu, qui a la puilTance de les punir: cc comme il a prononcé la fentence de mort contre ceux qui fe rendent coupables a eet égard, ils ont fujet decraindre, qu'en attendant & fouhajtant la mort de leurs Peres, ils ne meurent eux-mêmes d'une mort prématurée , puifque la promefle d'une longue vie, faite dans le cinquieme Commandement a N 5 ceux xod. XXIi  202 Pratique des Vert»* l'Obéilftn. ct. Ephef. vr. i. coion. m, toi I 3 } 1 ceux qui honorent ieurs Peres & leurs Meres, Terrible renfermer une menace tacice contre ceux qui manquent a ce devoir. Un troifieme devoir des Enfans envers leurs Peres & leurs Meres, eft VObéiffance: elle nous eft prefcrite , non feulement dans le V. Commandement, mais en divers autres endroits de 1'Ecriture Sainte: Enfans, obéiffez 4 vos Peres d vos Meres au Seigneur, car cela eft jufte. Enfans, obéiffez d vos Peres 6? d vos Meres en toutes chofes, car cela eft agrêable au Seigneur. Nous devons leur obéir en toutes chofes, a moins que leurs commandemens ne foient contraires a ceux de Dieu; en ce cas-lè notre devoir envers Dieu doit l'emporter: fi un Pere exigeoit de fon enfant de voler , de mentir, ou de commettre quelque autre pêché, il n'eft pas tenu de lui obéir, puifqu'il manqueroit a ce qu'il doit a fon Pere Célefte, dont les ordres font bien plus refpedtables. Mais quand on fe trouve dans la néceffité de défobéir, on ioit fe conduire d'une maniere fi modefte & fi refpeüueufe, qu'il paroiflê 3ue c'eft par un principe de confcien' :e, & non par d'autres motifs que 'on en agit ainfi. Mais dans toutes es chofes juftcs, ou même indifférenes, dès qu'elles ne font pas contraires i la Loi de Dieu, nous fommes obligés  Chretiennes. Seil. XVI. 203 gés d'obéir a nos Parens, Oj eet étar, foit par Page ou par quelque accident, la plus légere reconnoiflance oblige les enfans de leur rendre les mêmes fervices. Ils ne font pas moins tenus de les foulager dans la pauvreté, puifqu'il eft trés-jufte de fubvenir aux befoins de ceux qui ont pourvu aux notres. Le Sauveur lui - même nous apprend d'ailleurs, que ce devoir eft compris dans le précepte qui nous ordonne d'honorer nos Peres & nos Meres: car lorfqu'il accufe les Pharifiens de rejetter les commandemens de JJieu pour s'attacber d leurs traditions, il infifte particulierement fur 1'obligation de fubvenir aux befoins de fes Parens. Comment donc pourront fejuf. «fier devant Dieu ceux qui refufent du iecours a leurs Peres ou Meres qui font pauvres, qui ne peuvent fe réfoudre a retrancher de leurs excès & de leur fuperflu pour fubvenir aux befoins de ceux a qui ils doivent la vie? Quelques-uns même vont plus loin, & ont honte, par un principe d'orgueil, de reconnoltre leurs Parens quand ils lont dans la pauvreté. C'eft ce qui arnve fouvent, quand les enfans font élevés en dignité , ou qu'ils deviennent nches; ils croient fe deshonorer en regardant leurs Peres qui font dans une condition abjecte, & craignent de découvnr par-lè 1'obfcurité de leur naiflance, enforte que les Parens fouffrent de Mare VU. 13.  £06* Pratique dïs Vertus Prov. XVI. 18. I Pierre II. 18. de la profpériré de leurs enfans. II y a dans ce procédé tant d'orgueil & quelque chofe de fi dénaturé , qu'on ne peut douter que Dieu ne le punifle très-rigoureufement ; car fi Salomon dit de 1'orgueil feul , qu'il précede la ruïne, que n'en doit-on pas actendre quand on s'y livre de cette maniere? Il n'y a plus qu'une chofe a ajouter a ce que 1'on a dit des devoirs des enfans envers leurs Peres & leurs Meres: c'eft qu'aucun mauvais traitement, aucun défaut ne peut difpenfer les enfans de leurs devoirs envers eux; mais, comme St. Pierre dit aux ferviteurs, qu'ils doivent être foumis , non feulement aux Maitres bons £7 équitables , mais aufji aux fdcheux; de-même les enfans font obligés de s'acquitter de leur devoir, non feulement envers des Parens tendres & vertueux , mais encore envers les plus rudes a leur égard & les plus vicieux. Car, quoique la reconnoiflance düe k un Pere tendre foit un puiffant motif pour engager k lui rendre ce qu'on lui doit, ce n'eft pas cependant le feul & principal fondement de notre devoir; c'eft le commandement de Dieu , qui nous prefcrit d'honorer nos Peres & nos Meres. C'eft pourquoi, quand on fuppoferoit un Pere aflez. dénaturé pour n'avoir jamais fait aucun bien k fon enfant, ce qu'il eft difficile de concevoir, 1'ordre de Dieu ne  Chretiennes. Secl. XVI. 207 ne laifle pas de fubfifter dans toute fa force , & nous fommes obligés en confeience de nous acquitter de notre devoir envers un Pere de ce caraöere , quand il n'y auroit aucun autre motif de reconnoilfance qui nous y port&t. VI. Si les Enfans ont des devoirs ar remplir envers leurs Peres cc leursr Meres, ceux-ci de leur cóté font obli-E gés a divers devoirs envers leurs Enfans, dans tous les ages cc dans tous les états ou ils paflent. En premier lieu, ils doivent les nourrir & les entretenir, depuis leur naiflance jufqu'a ce qu'ils foient en état de pourvoir eux-mêmes a leur fubGftance. Les animaux les plus fauvages prennent les plus tendres foins de leurs petits, & condamnent les Paren» affez dénaturés pour négliger leur devoir a eet égard. Nous n'entrerons pas ici dans 1'examen de la queftion, fi une Mere eft obligée de nourrir cc d'allaiter elle - même fes enfans; parcequ'il n'eft gueres poffible de la décider par rapport a toutes les Meres , y ayant diverfes circonftances qui peuvent changer le cas, & qui non feulement difpenfent une Mere de ce devoir, mais 1'obligent même a ne point prendre ce foin elle-même. Nous nous contenterons de dire que les Meres, que la maladie, la délicateffe de leur tem- evoirs des trens eners leur* nt'ans.  fi©8 Pratique des Vertus tempérament, ou quelque autre raifon femblable, n'empêchent point de nourrir leurs enfans, prennent le parti le plus fage & le plus fur de le faire elles-mêmes , parceque les enfans en retirent des avantages, qu'une bonne Mere doit aflez eftimer pour ne pas les facrifier a fa pareffe , a une faufle délicatelfe , ou a quelque autre motif auffi méprifable; car, lorfqu'il n'y a que de pareilles raifons qui les portent a fe difpenfer du 'foin dont il s'agit, elles font inexcufables , & ne peuvent fe juftifier d'une honteufe négligence. Mais outre ces premiers foins, qui regardent le corps, il cn eft un d'un autre genre dont 1'ame eft 1'objet, & qu'il faut prendre auflitót que les premiers, c'eft de préfenter les enfans au Baptême, afin de les mettre de bonne heure en pofleiïïon du droit aux précieux avantages que ce Sacrement leur affure. C'eft-la un devoir dont les Parens ne doivent pas difTérer de s'acquitter , parcequ'il eft trés-jufte qu'ayant été les inftrumens qui ont communiqué la tache du pêché k leurs enfans, ils s'empreflent a les en nettoyer le plutót poflible. Kt quoique 1'on ne doive pas penfer que Dieu ne faffe point grace aux enfans qui meurent fans Baptême, les Parens , qui par leur négligence en font la caufe, font  ClIRETIENNES. Seiï. XVI. 209 font coupables d'un indigne mépris pour ce faint Sacrement. Pf.re Célefte! nous te fupplions „ humblement de nous faire la grace „ de profiter des inftrudtions que nöus 3, venons de recevoir, foit pour nous ,, exciter a remplir nos devoirs en„ vers nos Peres & nos Meres, è les 3, honorer, a les aimer, a leur obéir, j, & a les foulager felon notre pou,, voir; foit pour nous rappeller de „ quelle maniere nous avons rempli 5, nos obligations envers eux, afin de „ nous réjouir li nous pouvons nous 3, rendre un témoignage avantageux a 3, eet égard, ou de nous repentir lin,, cerement fi nous avons des repro3, ches a nous faire. O Dieu! nous 3» bronchons toujours en plufieurs cho3, fes, daigne ufer de fupport envers nous , öc nous pardonner toutes nos fautes, pour 1'amour de Jefusj, Chrift ton Fils, notre Sauveur. As, men". Secondement , les Parens doivent avoir foin de 1'éducation de leurs en-N1 fans; & felon le précepte de Salomon, ils doivent inftruire le jeune enfant d l'en- : trée de fa voye. Auffi-tót donc que les enfans commencent a faire ufage de la raifon , il faut travailler a leur inflruction , & leur faire connoftre d'abord ce qui intérefie leur bonheur éternel. On doit leur eufeigner peu a peu tout Tmt II. O ce Priere; KL Jour.' ;e. Prov. CXII. tf.  ■ «io Pratique des Vertus ce que Dieu leur a commandé , & la néceffité d'y obéir ; leur faire comprendre quelles glorieufes recompenies il leura préparées, s'ils font leur devoir , & a quels féveres & éternels chatimens ils doivent s'attendre , s'il? y manquent. Ce font - la des chofes qu'il faut inculquer d'auffi bonne heure , qu'il eft poffible, aux enfans, qui confcrvent ordinairement toujours la teinture des premières inftructions qu'on leur a données , comme un vaiffeau neuf retient 1'odeur de la première chofe que 1'on y a mife. Tous les Parens font donc indifpenfablcment obligés d'être attentifs a leur infpirer de bonne heure des principes de Vertu & de Religion. La négligence a eet égard eft dangereufe, parceque la corruption naturelle de 1'homme , & les artifices de 1'ennemi de notre bonheur, ne peuvent que nous porter au mal, a moins que 1'on n'en prévienne les funeftes éffets par beaucoup de foin & de vigilance, en infpirant aux enfans 1'amour de la Vertu & la haine du Vice, afin qu'ils foient en garde contra les tentations , lors qu'ils s'y trouveront expofés. C'eft-la fans "contredit le devoir Je plus indifpenfable des Parens, & ils ne peuvent le négliger fans une barbare cruauté. On regarde avec raifon comme des monftres, les Peres & les Meres, affez dcauturés pour 6;cr  Chretiennes. Setï. XVI. 2ü óter Ia vie a leurs enfans; mais hélas! c'eft une preuve de tendrefte qu'ils leur donnent, en comparaifon de ce que font ceux qui négligent leur éducation, puifque ia perte de leur ame & un malheur étefnel font les fuites de cette négligence. Et combien n'y a-t-il pas de ces crucls Parens, qui livrent ainfi leurs enfans au Démon, en ne les inftruifant pas de bonne heure de ce qu'il leur importe le plus de connoitre? L'ignorance & le déréglement de la jeuneffe en général ne prouvent que trop , qu'il eft peu de Parens qui s'acquittent de leur devoir en confeience ; fouvent les enfans des Chretiens connoiffent auffi peu Dieu & jefus Chrift que les Pai'ens. Mais quels que foient ceux qui négligent ainfi ce grand devoir, qu'ils fachent, que non feulement ils attirent par-la les plus affreux malheurs fur leurs enfans , mais qu'ils fe rendent auffi coupables d'un Crime atroce. Dieu leur a cornmis le foin de veiller fur leurs enfans, & de contribuer è leur falut; s'ils y manquent ils doivent s'attendre au même fort, que les fentinelles endormies, k qui Dieu dit: Quand j'aurai dit au mécbant , tu mourras de mort, £5? que tu ne Vauraspoint averti.... ce méebant - ld mourra dans fon iniquité , mais je redemanderai fon fang de ta main. ün autre point de 1'éducation des enfans, O 2 c'eft Ezecb. III. 18.  Colofl". III. ai. *i2 Pratique des Vertus c'eft de les élever è quelque profeffion , ou de les occuper utücmenc, afin de leur faire éviter l'oifiveté, donc les fuites font tres-dangereufes; de les rendre propres a contribuer un jour au bien de la Société, & a gagner honnêtement leur vie. Po uk. bien réuffir dans 1'éducation des enfans on doit employer deux moyens, les Encouragemens & les Correclions. On doit d'abord les encourager, en tachant de leur faire aimer leur devoir, par la douceur & par 1'efpoir de quelque recompenfe : quand ils font bien, il faut témoigner qu'on le reraarque & qu'on eft content d'eux, & les cxciter a continuer. C'eft une pernicieufe méthode que celle de quelques Peres, qui croient ne devoir jamais montrer è leurs enfans qu'un vifage férieux & févere : c'eft ce que St. Paul femble leur défendre , quand il dit, Peres, n'irritez point vos enfans; & c'eft certainement les irriter , que de les traitcr auffi durement quand ils font bien, que lorfqu'ils font mal: PApócre nous apprend, au même endroit, que cette conduite a de ficheufes fuites , les enfans perdent courage, & n'ont 1c coeur de s'appliquer a rien de bon dès que les Parens ne les animent pas. Le fecond moyen donc il faut faire ufage, c'eft Ja CorreSlion, que 1'on doit employer quand I2 premier eft  ChretiEnnes. Seci. XVI. 213 eft inutile: quand toutes les voyes de douceur , les exhortations & les encouragemens ne fervent de rien , il faut uier de févérité. D'abord il fauc commencer par les paroles , cc employer, non les injures tk les invectives , mais des reprimandes graves & fortes: fi 1'on ne réuffit pas par-la, il faut en venir au chfitiment, c'eft le cas dont parle Salomon , quand il dit, celui qui èpsrgne la verge bait Jon fils, mais celui qui l'aime fe bate de le ebdtier. C'eft une crueile tendrelfe que celle des Parens , qui pour épargner quelques coups a leurs enfans, les expofent aux funeftes malheurs :j qui arrivenc ordinairement a ceux que 1'on a abandonnés a eux-mêmes. Mais le chdtiment doit être difpenfé de i la maniere la plus propre a produire un bon effet. II fauc donc y avoir recours de bonne heure, & ne pas laifi: fer perfévérer un enfant dans aucun 1 vice , de maniere qu'il en contracce I 1'habitude , & qu'il s'y endurciffe. C'eft une grande faute en bien des Parens, de laiffer , pendant plufieurs années, a leurs enfans une entiere Iiberté de faire ce qui leur plait; ils fouffrent qu'ils mentent , qu'ils déro;i bent, fans les en reprendre feulement; i ils fe divertiffent même des tours & ' des rufes qu'ils employent, & s'imaginent que ce qu'ils foat étanc petits O 3 ne I'rov. KIU. 24.  214 .Pratique des Vertus ne tire point a couféquence. Et cependant le vice prend racine, & quelquefois fi profondement, que tout ce qu'ils peuvent faire pour 1'arracher du cceur, foit par paroles, foit par des chatimens, eft inutile. En fecond lieu, le chatiment doit être modéré, & pro* portionné a la nature de la faute & aux forces de 1'enfant. En troifieme lieu , on ne doit jamais chatier étant en colere , parceque 1'on court rifque de pafier les bornes de la modération, & le cMtiment ne produira pas fon effet fur 1'enfant , qui penfera qu'on le chatie , non parcequ'il eft en faute, mais parcequ'on eft en colere; deforte qu'il fentira plutöt que fon Pere a tort, qu'il ne s'appercevra de celui qu'il a lui-même. Au-lieu qu'on doit avoir foin de lui faire autant fentir fa faute que la douleur du chatiment, fans quoi on ne doit pas fe flatter qu'il fe corrige vérirab/ement. En troifieme lieu, quand les enfans font parvenus è 1'age ou le tems de 1'éducation eft pafle , les Parens onc d'autres devoirs encore a remplir ; ils doivent veiller fur eux , & obferver avec foin quel ufage ils font des préceptes qu'on leur a donnés, afin de les exhorter, de les encourager ou de les reprendre, felon la maniere dont ils fe conduifcnt. Ils font obligés encore de procurer a  Chrettennes. Seft. XVI. 215 i leurs enfans quelque établiflemenc dans le monde. Si Dieu les a bénis en leur donnant du bien , iis doivenc leur en faire part a proportion de ce qu'ils poffedent , & fe fouvenir que puifqu'ils font les inftrumens dont Dieu s'eft fervi pour mettre leurs enfans au monde , ils doivent, autant qu'il leur eft poffible, les mettre en état d'y mener une vie douee. On ne peut donc regarder que comme des Peres dénaturés, ceux qui, pourvu qu'ils ayent dequoi fatisfaire a leurs propres excès, ne s'embarraffent point de ce que deviendront leurs enfans , & ae penfent jamais a leur établifiement. Un autre défaut tres-ordinaire, c'eft celui des Peres qui fe réfervent tout jufqu'a leur mort; ils accumulent ainfi beaucoup de bien pour Ie leurlaiffer, mais en attendant ils ne leur donnent pas dequoi fubfifter honnêtement; ce qui produit plufieurs effets funeftes. Ce procédé afFoiblit la tendreffe des enfans pour leurs Peres , & fouvent cela va jufques au point de leur faire fouhaitter la mort de ceux de qui ils tiennent la vie; & quoique ce foit-la un crime qu'aucune raifon ne peut juftifier dans un enfant, les Parens qui les expofent a cette tentation ne font pas moins coupables. Cette conduite porte auffi les enfans è employer la rufe, & quelquefois de mauvais moyens, pour fub0 4 vc-  fticT -Pratique des Vertus venir a leurs befoins. II n'arrive que trop que la dureté des Parens porte les enfans h des actions criminelles ; & quand une fois ils ont contracté de mauvaifes habitudes , fouvent ils y perfiftent, lors même que le motif qui les y a engagés ne fubfiite plus. Les Parens doivent donc éviter de les expofer a ces dangers. D'ailleurs ils fe privent du plaifir, qu'ils goüteroient a voir leurs enfans dans une fituation aifée ; plaifir auquel perfonne , a Ia réferve d'un vil efclave d'une fordide avarice , ne renonceroit, pour jouir de 1'imaginaire fatisfaction d'avoir de Pargent dans fes coffres. On doit cependant prendre garde, lorfqu'on tra. vaille è amaffer du bien pour fes enfans, de Ie gagner Iégitimément; fans cela, au-lieu de leur lailTer un héritage, on les trompe ; parceque la malédiction repofe fur les biens mal-acquis, & qu'ils ne font d'aucune utilité a celui qui en devient poffeffeur. C'eft une vérité fondée fur 1'expérience, & qui n'a pas befoin d'autre preuve. Plüt è Dieu qu'elle fft autant d'impreffion, qu'elle eft géréralement reconnue! Les Parens ne regarderoient pas comme un motif raifonnable de fe permettre des injuflices, 1'obligation de laiffer quelque chofe a leurs enfans ; puifque bien loin d'y réufllr, c'eft Ie vrai moyen de leur faire perdre ce qu'on a lcgi-  .Chretiennes. .Se&, XVI. 217 légitimément acquis ; la plus petice partie d'un gain ïllégitime étant capable de corrompre ]c refte, comme un peu de levain fuffit pour faire aigrir toute la pace. Que tous les Peres fe contentenc donc de laiflcr è leurs enfans ce que Dieu leur fera la grace de pouvoir acquérir par des voyes légitimes , & qu'ils fe perfuadent fermement que quelque petite que foic leur fuccefiion , elle vaudra mieux que les plus grandes richefles mal-acquifes, felon ce que Salomon nous dit , que mieux vaut un peu avec juftice, qu'un gros revenu oii 1'on n'a point de droit. En quatrieme lieu, les Parens doivent être en bon exemple a leurs enfans. II ne fuffit pas qu'ils leur prêchent la vertu & la piété, iis font obligés de leur en donner un modele dans leur conduite. On fait que la force de "'exemple eft fort au deflus de celle des précéptés, furtout quand ce font des perfonnes que nous refpectpns, ou avec lefquelles nous avons un commerce familier , qui nous le donnent ; deux chofes qui fe rencontrenc ordinairement dans nos Parens. Ceuxci doivent donc s'obferver tellement en préfence de leurs enfans , que leur exemple ferve a les porter a la vertu. Si un enfant voit fon Pere livré a 1'ivrognerie, qui fe permet de jurer.ou qui s'abandonne h d'autres vices éga0 j Iemcnt Prpr. XVI. s.  *iS Pratique des Vertcjs lement contraires k la Loi de Dieu, on ne doic pas étre furpris qu'il fe croye en droit de 1'imiter, & qu'il ne regarde les cenfures & les corredtions que fa mauvaife conduite lui attire, comme injuftes. C'eft ce qui impofe aux Parens l'obligation de vivre d'une maniere chretienne, puifque fans cela ils rifquent non feulemenc leur pro* pre falut, mais auffi celui de leurs enfans. Le cinquieme devoir des Peres eft de bénir leurs enfans : c'eft ce qu'ils peuvent faire tanc par leurs prieres, dans lefquelles ils doivent chaque jour implorer la protedtion divine fur eux pour le temporel & pour lefpirituel, que par leur piété, en tachant de faire paffer les béncdidtions qui repofent fur eux, fur leurs enfans. L'Ecriture promet cn divers endroits aux gens de bien , que har pnflériii fera bénile. C'eft ainfi que dans le fecond Commandement, Dieu promet de faire mifiricorde en mille génêrations d ceux qui Vaiment £? qui gardent fes commandemens. Ce qui eft bien digne d'attention fur ce fujet , c'eft que, quoique les Juifs fuffenc un peuple opini^tre & rebelle , & qu'ils irritaflent Dieu en bien des occafions , la piété de leurs Peres Abraham, Ifaac & Jacob, 1'empêcha plufieurs fois de les exterminer. Oa voit, d'un autre cöté, que des gens de  'Chrettennes. Secl. XVI. 219 de bien ont reffcnti quelquefois les triftes effets de 1'iniquité de leurs Peres. Quand Jofias eut détruit l'idolatrie, retabli le fervice de Dieu, & fait plus de bien que tous les Rois qui 1'avoient précédé, il refta encore un fujet d'indignation , k caufe des péchés de Manaflê fon Grand-pere, dont toute fa piété ne put obtenir le pardon, & Dieu réfoluc de rejetter Jüda de devant fa face. Si donc les Peres ont; quelque tendreffe nour leurs enfans," & qu'ds s'intércflenc fincérement a leur profpérité , ils doivent par la fainteté de leur vie leur aflurcr ia bénédiction de Dieu. En fixieme lieu, les Parens doivent prendre garde d'uièr du pouvoir qu'ils ont fur leurs enfans avec équité & modération , de ne pas les charger par des commandemens déraifonnables, uniquement pour exercer leur autorité , cc, d'avoir égard dans routes les chofes importantes a leur véritable avantage, fans exiger d'eux rien qui y foit préjudiciable. C'eft - Ja une regie dont les Parens ont fouvent occafion de faire ufage, mais principaleraent lorfqu'il s'agit de marier leurs enfans. Souvent il arrivé, que fur eet article ceux qui d'ailieurs font bons Peres, font dignes de blame , en forcant 1'inclination de leurs enfans, par un defir exceffif de leur procurer un riche parti; ce aui eft 2 Rois "Xlli. ?c , 6, 27.  Priere. pc pxxyii. 3. 2ïo Pratique des Vertus eft une véritable tyrannie, & qui expofe fréquemment ceux qui en fonc les objets , a des malheurs dont toutes les richefles du Monde ne peuvent les dédommager. Les Parens doivent avoir égard principalement è deux chofes, en mariant leurs enfans. Premierement, a les mettre en état de vivre en bons Chretiens , & dans cette vue ils doivent les unir a des perfonnes qui ont de la vertu & de la piété. En fecond lieu, a leur procurer le moyen de paffer l,eur vie avec douceur & agréablement ; & quoiqu'un bien raifonnable doive a eet égard entrer en ligne de compte , 1'abondance n'eft pourtant pas néceffaire , & 1'on ne doit pas la rechercher avec trop d'ardeur. L'union & la teadreiïe reciproque des parties eft tout autrement néceffaire au bonheur de eet état, puifque fans cela le mariage eft la plus malheureufe de toutes les conditions. Les Parens ne doivent donc jamais contraindre leurs enfans d'y entrer. , „ Per e des Esprits! nous nous humilions encore devant toi pour te ,, demander les lumieres & les fecours dont nous avons befoin. Les ,, enfans font un héritage de l'Eternel, ,, mais un dépót précieux , dont tu ,, demandes un févere compte. Que ,, ceux que tu as favorifé a eet égard, travaiilent a s'acquitter fidélement „ des  Chretiennes. Se£t. XVII. 221 des devoirs qui leur font impofés, „ qu'ils forment de bonne heure leurs s, enfans a ca crainte, qu'ils les exci„ tenc par leurs legons cc par leurs ,, exemples a fuivre les regies de la fageffe cc de la piété; cc qu'en tra3, vaillant a être eux-mêmes les objets" de ces bénédictions, ils les affurenc ,, è leur poltérité. Fais-leur la grace „ de te prendre pour modele dans „ 1'exercice de leur autorité cc dans les foins néceffaires pour le bon,, heur temporel cc fpirituel de ceux 3, è qui ils ont donné la vie, afin que „ de cecte maniere les Peres cc les ,, Enfans concourent a te glorifier, & ,, 4 rendre bonorable la doEtrine de no-: „ tre grand Dieu Sanveur Jefus„ Cbrift , au nom précieux duquel nous t'invoquons. Amen". S E C T I O N XVII. I Des Devoirs mutuels des Freres. II. Des Femmes. III. Des Maris. IV. Des Amis. V. Des Serviteurs. VI. Des Mattres. LU Ne autre relation , d'oli réful- xt\ Ues> Devoirs s au-tuels di tres.Frcres' tent des Devnirs rémnrnnnea . l0VR?és- „n _~n j r- V 1—.1--" » uei'oirsm». elt celle des Freres les uns avec les au-tueis des "ite ii. ic.  22 a Pratique des Vertus , Gen. XIII. 3. tres. A prendre, le terrne de Frere dans fon fens propre, il défigne ceux qui font nés d'un même pere , & qui font unis par un intérêt commun dans une même familie. Le devoir des Freres eft d'être unis de cccur & d'affedtion. C'eft ce que la Nature leur dicfe; car puifqu'ils font formés d'un même fang, ils font obligés d'avoir les uns pour les autres les plus tendres fentimens d'amitié. C'eft ainfi qu'Abraham fait envifager k Lot la proximité qui étoit entre eux comme une raifon qui de-voit prévenir toute querelle ; car, dit-il , nous fommes Freres: quoique par le mot de Freres ii entendie feulement ce que nous appellons Coufins-germains, cela même prouve plus fortement encore, qu'une relation plus étroite, telle qu'eft celle des Freres propremenc dits, doit d'autant plus être un préfervatif contre les querelles; & en même tems que notre afteclion & notre tendrefle doit s'étendre a tous ceux avec lefquels nous fommes unis par ie fang. Cette tendre & mutuelle amitië entre les Freres ik les Sreurs doit être fermement enracinée dans le cceur; puifqu'ils font autrement plus expofés que d'autres k de funeftes divifions, le commerce fréquent & continuel qu'ils ont enfemble, tandis qu'ils font dans la maifon paternelle, leur fournit fou-  Chretiennes. Secl. XVII. 2*3 fouvent des occafions de difpute. D'ailleurs.l'égalitéque la naiffance met entre eux, elt trés - propre a leur donner de la jaloufie, lorfque les uns ont quelque avantage fur les autres. C'elt ainfi que les Freres de Jofeph lui por» terent envie, parceque fon Pere Paimoit plus qu'eux; & que Rachel fut jaloufe de fa fceur Léa, a caufe qu'elle avoit des enfans. Pour prévenir ces fortes detentations, les Freres & les Soeurs doivent s'aimer avec la plus vive & la plus fincere tendreife , & fe regarder les uns les autres comme des paf des d'eux-mêmes; & alors ils penferont auffi peu a fe quereller , ou a être jaloux de leurs avantages mutuels, que les membres d'un même corps, & ils concourront, au contraire, a leut bonheur réciproque. Il ne faut pas oublier la Fraterniti jpirituelk qu'il y a entre tous les membres de 1'Eglife de Chrift. lis font tous freres par leur adoption en ce divm Sauveur, qui a déclaré que 1'amour & la charité elt le caractere diflinclif de fes Difciples. Le lien facré de la Religion eft celui de tous qui doit unir le plus étroitement nos cceurscc font ces freies fpiricuels que Sr! 1 ierre nous exhorte d'aimer; c'eft a eux que nous fommes particulierement obligés de rendre toutes fortes de bons effices : Faim du bitn d tous, dit St Paul,  r Cal. VI. ic Mntth. X. 42. Jude vs. 7. Heb. X. 13 224 Prat 1 0%e des Vertus" •Paul , mais principalement d ceux qui jont domefliques de la foi; nous devons être plus touchés de leurs befoins que de ceux des autres hommes: notre Sauveur neus dit que quiconque damera ■feulement un verre d'eau froiëe d un de ces petits , en qualité' de Difciple , 72e 'perdra point jon J'alaire : ce qui nous apprend , que eet amo'ur pour tous les Chretiens en qualité de Chretiens, eft trés-agréable a fes yeux. Nous fommes obligés a divers devoirs envers nos freres en Chrift; un des principaux eft d'entretenir communion avec eux. Premierement dans la Doctrine: nous devons perfévérer conftamment dans la foi & dans la profeflion de toutes les vérités capitales, qui eft lè caractere auquel on reconuoit les vrais Difciples de Jefus-Chrift: ] c'eft cette foi, dont parle St. Jude, j laquelle a été une fois donnés aux Saints i j & que nous devons conferver, pour demeurer toujours unis a cette Confraternité fpirituelle , par une profesfion conftante , nonobftant, tous les orages & toutes les perfécutions auxquelles elle expofe , conforroément a , 1'exhortation de 1'Apótre , retenons la ■ ' profejjion de notre efpérance fans varier. En fecond lieu , nous devons , autant que les occafions s'en préfentent, entretenir conamunion avec eux dans tous i  Chretiennés. Sèct. XVII. i expofée , & prier tous les jours arI demment pour elle, furtout lorfqu'elle : eft perfécutée & dans la détrefle ,en dii fant avec David: fais du bien d Sionfe- P I Ion ta bienveillanee, 6? éd^fie les murs de Ij Jérufalem. Ceux qui n'ont pas cette fènfibilité pour les maux de 1'Eglife, 31 ne peuvent pafler pour en être les I vrais membres. Car, comme dans le c corps naturel chaque membre eft int téreffé au bien-être de tout le corps, il en eft de même ici, comme 1'obfer- ve le Pfalmifte: les ferviteurs font af-VC. I ftclionnis d fes pier es t i$ ont pitié de fa P « pou- r. li. 2». cn. 15,  Rom. XII "5- i 'Cor. XII 26. Jttn XIII 35' Devoirs di femmes ei ver;- leun Maris. Ephef. V 22S P R ATI<"> UE DES VERTUS psudre. Nous ne devons pas moins cette tendre fenfibilitê a chacun de nos freres confidéré en particulier, nous fommes obligés de nous intéresfer a tout ce qui leur arrivé, & partager leurs joyes & leurs affliótions: .Joyez en joye avec ceux qui font en joye, dit Saint Paul, en pleurs avec ceux qui font en pleurs: il infifte fortemenc fur le même devoir , fous 1'emblême du . corps naturel; foit, dit - il, que 1'un des membres fouffre quelque cboje , tous les membres f bi-ffrent avec lui , ou foit que 1'un des membres foit bonoré , tous les memores s'en réjouijfent. Tel eft 1'amour que nous devons a nos freres fpirituels , dont Jefus-Chrift a fait la li- . vrée de fes Difciples; par cela tous connoitront que vous êtes mes dijciple.s , fi vous vous qimez 1'un 1'autre ; de forte qu'a moins de renoncer k la qualité de Difciples de notre Sauveur, nous ne pouvons nous difpenfer d'aimcr nos freres. 8 II. La Relation qu'il y a entre le " 21 ari & la Femme, eft encore plus étroite que celles dont nous avons parlé, comme il paroit par ces paro1 les, l'bomme laiffera pert &f mere , £? s'attachera d fa femme, &f les deux feront une même chair. Le Mari & la Femme font donc obligés k plufieurs devoirs 1'un envers 1'autre. Commencons par ceux de la Femme. D'abor»  Chretiennes. Seft. XFII. 229 D'abord elle doit obéir a fon Mari, c'eft ce que prefcrit Saint Paul; Femmes, foyez jujettes d vos Mans, comme il eft convenable , felon le Seigneur.' Elles doivent obéir en ce qui eft felon le Seigneur, c'eft k- dire, a tout ce qui eft conforme aux commandemens de Dieu; car il en eft ici, comme par rapport è tous les agtres Supérieurs, on doit obéir a Dssa pluiót qu'aux hommes; & la Femme ne doit pas faire ce que Dieu a défendu, par déférence aux ordres de fon Mari. Mais le Précepte eft formel par rapport k toutes les chofes qui n'ont rien d'oppofé aux Loix Divines; & il condamne 1'opiniatreré de ces Femmes, qui réfiftent aux ordres légitimes de leurs Ma. ris, uniquement parceque la fujettion leur déplait, quoique Dieu la leur ait jmpoféa. Que fi 1'on demande, fi une Femme doit obéir è un commandement, qui ne 1'obüge k rien d'illégiti» me, è la vériré, mais qui a des inconvéniens & qui eft imprudent ? nous répondons, que ce ne fera pas défobéiftance de fa part, mais 1'acquit d'un jufte devoir, fi elle repréfente tranquiilement & avec douceur k fon Mari, les inconvéniens qü'elle apper501c & qu'elle tache de 1'engager h te défifter de ce qu'il exige d'elle. Que ü elle ne peut y réuffir par des pneres & par amitié, elle ne doit jaP 3 mais "oioir. m. s.  Gen. II. i! sqo Pratique des Vertus mais fe permettre des difcoors vifs, ni refufer enfin d'obéir, n'y ayant rieti qui puiife 1'en difpenfer, k moins que le commandement de fon Mari ne Poblige a quelque chofe de criminel. La fidélité eft un fecond devoir de la Femme envers fon Man'. Elle doit fe conferver pure & chafte en toutes manieres, & par cette raifon ne jamais prêter 1'oreille aux difcours de ceux qui voudroient la féduire , & rejetter au contraire avec horreur toutes les propofitions qui tendent a la détourner de fon devoir: elie doit retrancher a tout homme , qui lui en a fait une fois , 1'occafion d'y revenir encore. Elle doit auffi être fidele k fon Mari dans les affaires qu'il lui confie , les regler de la maniere la plus avantageufe pour lui, & ne jamais le tromper, en employant fon bien k des ufages qu'il n'approuve point. Elle lui doit, en troifieme lieu, de Yamour , accompagné de manieres agréables & pleines d'affecïion : elle doit lui donner autant de fecours , & lui rendre la vie auffi douce, qu'il lui eft poffible, afin de répondre au but particulier que Dieu s'eft propofé, en . créant la Femme , qui eft qa'elle foit eh aide a fon Mari. Dans quelque fi. tuation que la Providence Ie place, en fanté & en maladie, dans 1'abondance & dans la pauvreté, elle doit lui être en  Chretienne». Seft. XFJI. 231 en fecours & en confolation, felon fon pouvoir. Rien n'eft donc plus oppofé a fon devoir que lopiniatreté, la mauvaife humeur , un caractere inquiet & chagrin; par-lè une Femme eft è charge a fon Mari, elle devient fon fléau, au-lieu de contribuer a la douceur & a 1'agrément de fa vie. Si c'eft un grand défaut d'en ufer ainfi envers qui que ce foit, comme on 1'a déja prouvé, combien plus fe rend-on coupable en traitant ainfi celui a qui 1'on doit Ia plus vive & la plus tendre affection ? E t que les Femmes de ce caractere ne penfent pas fe juftifier par les défauts & Ia mauvaife conduite de leurs Maris envers elles: cela ne les excufe ni au tribunal de la Religion , ni h celui de la Prudence humaine. Elles font inexcufables a celui de la Religion; car dès que Dieu aprefcritabfolument un devoir envers quelqu'un , il n'y a point d'indignité en la perfonne, qui puifle nous en difpenfer. Elles le font encore h ne confulter que les maximes de la Prudence, car plus un Mari eft facheux, & plus il eft néceffaire qu'une Femme fe conduife avec tant de ménagemenc & de douceur, qu'elle puiffe fe flatter de le gagner; c'eft le confeil que St. Pierre donnoit aux Femmes de fon tems: Que les Fern- z mes ft rtnisnt fujettes 4 leurs Maris, 111 P 4 afin Piarrè p 1.  ftiere. 233 Pratique des Vertus afin même que s'il y en a qui n'obêiffertt point d la Parole, ils foient gagnés fans la Parole , par la converfation de leurs Femmes. II paroit par-la, que 1'on re» gardoit alors la bonne conduite des Femmes comme un puifTant moyen pour convertir les Maris du Paganifme au Chriftianifme; & 1'on ne peut douter, qu'aujourd'hui encore elle ne produii'ït de trés-bons elfets, fi les Femmes avoient aflez de patience pour en faire 1'efiai. Du moins cela contribueroit a faire regner quelque tranquillité dans les families, au-lieu que les funeftes fuites de 1'humeur inquiette & turbulente des Femmes, ne font malheureufement que trop connues partout. Que de Maris, qui pour fe dérober aux défagremens de la mauvaife humeur d'une Femme querelleufe, fe font jettés dans la diflipation , dars 1'ivrogneyie , & par-la font tombés dans la pauvreté, & dans bien d'autres malheurs! 11 importe donc a toutes les Femmes de ne pas expofer leurs Maris a cette tentation. S'il eft des occafions ou leur tendreflë les obüge de donner des avis è leurs Ma*, ris, elles doivent le faire avec tant de douceur & de ménagement, qu'il paroifle que c'eft l'affeclion & non la colere, qui les fait parler. ,, Nous fenrons, ó Dieu! la gran„ deur & 1'importance des devoirs s, aux-  Chretiennes. Sett. XVII. S33 auxquels nous fommes appcllés par ,, Ia voix de la Nature & par celle de „ la Grace , & nous implorons avec „ toute 1'ardeur dont nous fommes ,, capables les lumieres & les fecours „ de ton Saint Efprit, pour nous „ mettre en état de les remplir. Don„ ne-nous d'avoir ces fentimens d'u,, ne vive & tendre affection que nous devons k ceux qui font nés d'un même fang que nous', qu'aucune raifon ne foit jamais capable de „ rompre les nceuds facrés qui nous ,, uniflent avec eux. Infpire-nous ces ,, difpofitions faintes dont nous de- vons être animés envers nos Freres ,, en Chrift ; qu'imitateurs des pre,, miers Difciples de PËvangile, nous „ ne foyons tous qu'un cosur & qu'u-. a, ne ame, nous nous intéreffions avec j, zele k tout ce qui arrivé a ton „ Eglife en général, & a chacun de „ fes Membres en particulier. O ,, Dieu 1 qui as jugé k propos de don5, ner k 1'homme une aide femblable „ a lui, accorde a toutes les perfon,, nes que tu as deftinées a lui êtie „ en fecours par la plus intime de toutes les unions, cette foumiflion, „ cette fidélité, eet amour, cette dou„ ceur, qui conviennent a la cotidi- tion ou tu les as placées. Et que 3, de cette maniere ton nom foit glogs rifié & le regne de Jefus-Chrift de P j plus iet. IV. 3ï.  234 Pratique des Vertus JoüHNÉB. Devoirs de, Jilaris tnvers leurs Femmes» Ephef. V. at, 2C Ephtf. V. aS. „ plus cn plus établi. Exauce - nous pour 1'amour de ce divin Sauveur. Amen". 111. Les Devoirs des Maris envers leurs Femmes ne font pas moins in'difpenfables , que ceux des Femmes envers leurs Maris. Le premier c'eil 1'amour, qui felon St. Paul doit être tendre cc affectueux, comme on le voit par les comparaafons qu'il employé fur ce fujet; l'une prife de 1'amcur que chacun porte a fon propre corps: celui qui aime •ja femme, s'aime foi même; car perfonne n'a jamais eu en baine Ja propre cbair, ,mais il la nourrit & l'entretient: 1'autre eft prife de 1'amour que Jefus-Chrift porte è fon Eglife , image bien plus forte encore : c'eft fur ces modeles que 1'Apótre veut que les Maris regiem leur amour pour leurs Femmes. lis doivent donc éviter toutes les manieres dures envers elles , les traiter comme faifant partie d'eux-mêmes, & ne rien faire qui puiffe leur nuire ou leur rendre leur condition amere, puifqu'ils ne feroient pas portés naturellement è fe bieder ou è fe déchirer eux ■ mêmes. Que les Maris qui exercent un pouvoir tyrannique fur leurs Femmes , cc qui a peine les traitent comme des créatures humaines, examinent fi c'eft - la les aimer comme leur propre chair? Un  Chretiennes. Seiï. XVII. Un fecond Devoir des Maris, c'eft de garder a leurs Femmes la fidélité. C'elt ce que Dieu exige des uns comme des autres ; & quoique le Monde femble envifager Pinfidéiité du Mari avec moins d'horreur que celle de la Femme , le fouverain & jufte Juge la regardera du même ceil. 1! eft inconteftable que d'une part, comme de 1'autre , c'elt une violation mamfefte de 1'engagement qu'ils ont pris par le mariage , & par conféquent que le parjure marche de pair avec 1'impureté. Ce qui fair perjcher la balance en faveur du Mari , ce font pluiót des raifons civiles & d'intérêt temporel, que la nature même du pêché. En troifieme lieu, Ie- Mari doit entretenir fa Femme , & partager avec elle tous les avantages extérieuis dont Dieu 1'a favorifé. II ne doit pas lui refufer par avarice les chofes qui lui font néceffaires, ni par fes diifipations fe mettre dans 1'impuifTance de pourvoir è fes befoins. On ne peut douter que ce ne foit-la le devoir d'un Mari, qui devant regarder fa Femme comme une partie de lui-même, eft obligé d'avoir pour elle le même foin qu'il prend pour lui. II ne faut pas pourtanc penfer, que la Femme foit difpenfée de partager les travaux de fon Mari , fi les circonftances oh ils fe trouyent 1'exigent; puifqu'il ne feroit pas jufte  23<5 Pratique des Vertus i Cor. XlV. ï5- jufte que le Mari füt condamné au traval! pour entretenir fa Femme dans l'oifiveté. . En quatrieme lieu , le Mari doit inftruire fa Femme des chofes qui jntéreflent fon falut éternel, fi eile eft ignorante a eet égard. Saint Paul ordonne aux Femmes d'apprendre de leurs Maris dans la maifon; ce qui fuppofe que les Maris doivent les inftruire. C'efc en effet le devoir de tout Chef de familie de ne rien négliger, pour que tous ceux qui dépendent de lui ioient inftruits fur un point auffi important; a plus forte raifon doit • il ce foin a fa Femme , qui le touche de plus prés que les autres. Ceci oblige les hommes a être foigneux de s'éclairer eux mêmes, afin d'être en état de donner aux autres les inftructions qu'ils leur doivent. Enfin les Maris & les Femmes font réciproquement obligés de prier les uns pour les autres, de demander è Dieu toures les bénédictions tempo» rclies & fpirituelles, & de faire tout ce qui leur eft poffible, pour fe procurer mutuellcment toute forte d'avantages , furtour par rapport a 1'ame, en s'encourageant 1'un 1'autre a s'acijuitter de leur devoir, & en em> ployant tous les moyens imaginables pour fe munir contre le pêché: ils doivent, comme des perfonnes qui font  CïïRETIENNES. Seft. XVII. 237 font fous un même joug, s'aflifter 1'un 1'autre, pour faire tout le bien qui dépend d'eux , tant è leur familie qu'a tous ceux qui font a porrée d'eux. C'eft en cela que confifte 1'amour le pld» réel & Ie plus précieux. En effee, comment peut-on dire qu'on s'aime, lorfque 1'on fe voit courir a une perte éternelle, fans témoigner la moindre fenfibilité? Si la vertu & la piété étoient ainfi le fondement de f affection réciproque du Mari & de la Femme , leur vie feroit une efpece de Paradis en terre; & ce feroit le moyen infaillible de prévenir ces querelles & ces diffenfions fi fréquentes dans lemariage , qui font la pefte des families, & comme nn Enfer anticipé: en un mot, on ne peut fe promettre de douceur dans les Mariages qui ne font pas cimentés par cette vertueufe amitié. C'est par cette raifon, que tous ceux qui veulent s'engager dans cec état, doivent faire de müres réflexion* avant que d'y entrer, & choifir une perfonne avec laquelle ils foient Hés par cette fainte affection, c'eft-è dire, qui ait véritablement la crainte de Dieu. JI n'eft rien de plus ordinaire dans le Monde, que d'avoir de mauvaifes vues, en fe mariant. Les uns le font pour le bien, les autres pour Ia beauté, & en général on n'a gueres égard  ™ RonwVlL 238 Pratique dès Vertus égard qu'a des confidérations mondair>es. Tandis que pour fe marier fagemenc , on devroit prendre des mefures , pour le faire dans des vues plus avantageufes , de fervir Dieu , & de faire fon faluc ; du moins devrok-on être fur de ne pas mettre obftacle a Pun & a 1'autre de ces devoirs : & c'eft a quoi la vertu de la perfonne dont on fut choix , peut contribuer ctavantage que toutes les richeffs du Monde : quoique ie ne difconvienne pas qu'on ne puiffe penfer è fe procurer cette portion de bien qui eft néceffaire dans la condition uti la Providence nous a placés. Sur toutes chofes on doit prendre garde de ne pas c.ntracter des Mariages, qui peuvent non feulement avoir des fuites facbeufes > mais qui font criminels par eux - mémes. Tels font les madames' de ceux qui fe font engagés a d'autre!- : dans ce cas lè ils appartiennent de droit a la perfonne a qui ils ont donné premierement leur parole; & tandu qu'elle eft en vie, un autre re peut les époulér fans fe rendre coupable d'adultere , comme :.nous Papprend St. Paul, a mo'ns que la perfonne intérefl'ée ne les dégage volontairement de la promefle qu'ils lui ont faire. On doit encore ranger dans la claffe des rrariages illégitimes ceux qui fe contractent entre des per- fon-  Chretiennes. Se». XVII. 230 Tonnes qui font parens en des degrés que Dieu è défendus, & que 1'on peut voir dans le Lévitique Chap. XVIII. 6-18. & XX. 11-21. Se marier dans quelqu'un de ces degrés de proximité, foit de fon cóté, foit de celui de fa femme décédée, ce qui eft aufti criminel, c'eft fe rendre coupable du pêché atroce d'incefte , dans lequel on per* févere tant que 1'on continue a vivre avec une Femme, qui felon ces loix: ne peut être une époufe légitime. Cette précaution dans le chcix de la perfonne que 1'on époufe , prévicndroit bien des fuites funeftes , auxquelles nous voyons tous les jours qué ces mariages imprudens & illégitimes expofent, & ce feroit le moyen d'attirer ia bénédiclion de Dieu", que 1'on n'eft pas en droit de fe promettre fans cela. IV. Considerons è - préfent ho Kelation qui eft entre les Amis; c'eft v< une des plus intimes & des plus uti-"3 les, quand elle eft bien fondée; mais il n y a rien fur quoi 1'on fe trompe plus généralement dans le Monde. On donne communément le titre d'Amis k ceux avec lefquels on a un commerce un peu fréquent & familier , quoique ce ne foit dans le fond qu'une liaifon dont le goüt pour le Vice eft le nceud. Llvrogne met au rang de fes amis Ion compagnon de débauche; le Trom- peur evoirs enis les A-  240 Pratique des Vertus peur celui qui lui aide a tromper; 1'Orgubilleux celui qui le flatte , cc ainfi de tous les autres vices, on regarde comme fes amis ceux qui les favorifent. Mais il s'en faut bien que ce ne foient-la des amis; fur ce pied-la ]e Démon feroit notre meilleur ami, puifqu'il eft toujours prêt k favorifer nos penchans vicieux. La véritable .Amitié eft d'une nature bien différente, c'eft une union de volontés dans' tout ce qui eft vertueux, cc non dans ]e Vice; en un mot, un véritable Ami eft celui qui aime fon Ami de maniere qu'il eft zélé pour fon bien ; cc un Ami de ce caractere ne contribuera jamais a faire a fon Ami le plus grand des maux, en 1'engageant a pécher. Le devoir d'un Ami en général confifte donc k ne rien négliger pour procurer k fon Ami tous les avantages folides qu'il pourra , & en conféquence il eft obligé aux devoirs fuivans. Premifrement, il doit lui être fidele a 1'ëgard de tout ce qu'il lui confie, foit qu'il dépofe entre fes mains fes biens, foit qu'il lui communiqué quelque fecret. Celui qui trahit la confiance de fon Ami a 1'un ou a 1'autre égard, eftregardé de tous les hommes avec horreur, parceque c'eft une des plus indignes infidélités que 1'on puifie eomraettre , cc jéfus fils de Syrach nous  Chrettennes. SeEt. XVII. 24^ üous die, que c'eft pour de pareiiles perfidies, que tout Ami Je redre. En fecond lieu, on eft obligc d'affifter fon Ami dans toutes fes nécefficés; de lui donner des conf ils , quand il en a befoin; de le confoler, quand il eft dans 1'afffiction ; de le foulager, quand il eft dans le befoin; d'adoucir, autant qu'il eft poffible, fes peines, & de le mettre a couvert de tóus les dangers. Nous avons un admirable exemple d'amitié entre Jonathan & David: Jonathan aimoit David comme* Ja propre -vie; & nous voyons qu'il veille non feulement a la füreté de fon Ami,( lorfqu'il eft en danger, mais qu'il s'expofe lui - même pour 1'en délivrer, & qu'il attire fur foi la colere de fon pere pour la détourner de deffus David. Le troifieme & principal devoir d'un Ami, c'eft de contribuer au falut de fon Ami, de travailler, par tous les moyens poffibles, a fon avancement dans la piété; de 1'exhorter & de 1'encourager a la pratique de toutes les Vertus , cc de le décourner avec foin de tout Vice. II ne doic pas même fe contenter de le faire en général, mais avoir égard aux befoins particuliers de fon Ami, & employer des repréhenfions douces & accompagnées de marqués d'affection, quand il faura certainement, ou qu'il aura lieu de penfer Tom; II, Q que Ecclef, XXU. 24, Sam.XX.  »42 Pratique des Vertus que fon Ami eft en faute. C'eft-la le devoir le plus effentiel de 1'Amitié, cc dont un Ami feul eft propre a s'acquitter. La plupart des hommes fouffrent li impatiemment qu'on les avertiffe de leurs défauts, qu'il n'y a que ceux qui leur ont gagné le coeur , qui puifient fe faire écouter avec patience. Tout le monde eft fi perfuadé que c'eft-lk propremenc 1'office d'un Ami, que s'il le négligé, il expofe fon Ami a tomber dans la fécurité; parceque fon filence lui donne lieu de penfer qu'il n'a rien è fe reprocher; deforte qu'un Ami négligent a eet égard fait le perfonnage d'un l&che flatteur, en lui laiffanc nourrir & chérir le vice. D'ailleurs, fi 1'on confidere qu'il n'eft perfonne qui n'ait befoin quelquefois d'être averti de fes défauts cc exhorté a faire fon devoir , on reconnoitra que d'y manquer , quand 1'occafion s'en préfente, c'eft non feulement violer les regies de 1'Amitié, mais être cruel envers fon Ami. Nous fommes naturellement fi prévenus en faveur de nousmêmes, que nous ne fommes pas auffi clairvoyans fur nos propres défauts, que fur ceux des autres ; & par cette raifon il faut que ceux qui les appercoivent plus clairement, nous en avertiffent quelquefois: &, fi on Ie fait de bonne heure,c'eft un moyen infaillible de nous empêcher de les multiplier, au-  Chretiennes. Se<3. XVII. 243 au-lieu que fi 1'od ne nous reprend point, nous contracïons de fi fortes habitudes, que les exhortations & les cenfures ne font plus aucune isnpresfion. Comment donc les Amis muërs pourront ■ ils répondre a Dieu & a euxmêmes, d'avoir par leur Ictche fiience précioité leurs Amis dans un tel malheur? Dieu lui-même, en parlant d'un Ami, s'en exprime en ces termes, toni intime Ami, lequel t'eft comme ton ame:( & certainement nous devrions les eftimer comme nos ames dans de pareilles occafions, & avoir pour leur Salut autant de zele & de vigilance , que nous devons en avoir pour le nótre. Tous ceux qui fe lient d'une étroite amitié devroient donc y mettre pour première & principale condition, qu'ils s'avertiront & fe reprendront réciproquement de leurs défauts: parceque chacun regardant ce devoir comme un point eflenciel de 1'Amitié , celui qui fera dans le cas d'être repris, ne pour. fa le trouver mauvais. En quatrieme lieu, c'efi: une obligation indifpenfable entre les Amis de prier les uns pour les autres. Nous devons non feulement faire pour nos Amis tout ce qui dépend de nous , mais nous devons auffi implorer le fecours de Dieu en leur faveur, & folli. citer ardemment fes bénédiclions temporelles & fpirituelles pour eux. q 2 Enfin teut. XIIL  ü44 Fratiqüe des Vertos Prov. xxvii. 10. Devoirs de ServiteuTS envers leur Mat tres. Ephef.Vl. 5, 7, 3. Enfin, nous devons être conftans dans nos amitiés , & ne pas nous dégoüter d'un Ami par légéreté, & fans autre raifon que parcequ'il 1'a été longtemps. C'eft lui faire une grande injuitice, parceque s'il en a bien agi a notre égard, nous devons 1'eltimer plus, è proportion qu'il a perfifté dans fes bons procédés: par rapport a nousmêmes , c'eft une extréme folie de nous priver du plus grand tréfor que 1'on puiffe avoir fur ja terre, n'y en ayant point qui égale le prix d'un Ami éprouvé: de-lè eet avis du plus fage des hommes; ne quitte point ton Ami, ni l'Ami de ton Pere. On ne doit pas rompre avec un Ami pour quelque légere offenfe , il faut donner quelque chofe a la fragilité humaine; & fi nous avons aujourd'hui a lui pardonner quelque faute, peut - être aurons-nous befoin dès demain de fon indulgence; ainfi il n'y a quel'infidélité ou des vices incorrigibles qui doivent rompre les liens de 1'Amitié. : V. Une derniere Relation qui impofe des devoirs réciproques, eft celle 'des ServiteuTS & des Maitres. Voyons d'abord quels font les devoirs des premiers. Pkemierement, les Servitcurs doivent obéïr è tous les ordres légitimes de leurs Maitres ; c'eft ce que prefcrit exprefTémenr, Saint Paül^erviteurs, obéis- Jez  Chretiennes. Sett. XVII. t4S fez en toutes cbojes d vos Mattres. Leur obeiffance ne doic pas être forcée & rendue avec répugnance, mais prompte & volontaire, comme le même Apötre 1 exige, fervant de bonne affection. Pour les y engager, il veut qu'ils con£derent que c'eft Dieu qu'ils fervent, & non les hommes; parceque c'eft Dieu qui leur a commandé d'obéir a leurs Maitres ainfi c'eft proprement è lui qu'ils obéiffent: motif bien présJan t pour les engager a le faire avec plaifir, quelque dur & indigne que foit leur Maftre: furtout s'il pefent mürement ce que 1'Apótre ajoute, qiie cbacun recevra de Dieu le bien qu'il aura fait. * 1 *^/?-cond devoir des Serviteurs eft la j/tdtitté, tant par rapport è 1'ouvrage qu ils doivent faire, que par rapport aux chofes qui leur font confiées. Un Serviteur fidele doit s'acquitter de fon devoir, non feulement quand il eft fous les yeux de fon Maïtre, & qu ils auront è craindre le chatiment de fa neghgence, mais en tout tems, Sc lors même qu'il pourroit préfumer que fon Maitre ne s'appercevra poirt qu'il ait manqué. Celui qui ne fert pas de cette facon par principe de confeience» neft rien moins que fidele: 1'Apótre met ce• fervice d Vuil en oppofition è la fimplmté de coeur, qu'il demande en ceux £ui font appellés au fervice Q 3 d'au-  245 Pratique des Vertus Lue. XVr. Titell. ie d'autrui. Un Serviteur doit encorè Être fidele dans les chofes qui lui ont été confiées; il ne doit point difltpet le bien de fon Maitre, comme le Maitre d'hötel iniquc fut accufé d'avoir fait, ni le laiffer dépérir par fa négligence, ni en convercir la moindre partie a fon profit, fans le confentement de fon Maitre; c'eft ce que Saint Paul appelle le fouftraire, & ce qu'il défend aux Serviteurs, parceque c'eft un vrai larcin. C'eft a cette claffe qu'il faut rapporter toutes les voyes indiredles que les Domeftiques employenc pour profiter aux dépens de leurs Maïtres, comme de fe laiffer corrompre pour faire des marchés qui leur font defnvantageux , & d'autres moyens de la même nature. II eft même certain que ce genre d'infidélité eft plus criminel que le larcin ordinaire; plus pn a de confiance en quelqu'un & plus fon infidélité eft odieufe. On n'eft guerc moins coupable, lorfqu'on diflipe le bien de fon Maitre, quoique 1'on n'en profite point, parcequ'il peut perdre autant d'une facon que de 1'autre; & que lui importe alors, que ce foit par 1'avarice ou par la négligence de fon Serviteur qu'il perde fon bien ? C'eft toujours abufer du dépóc confié, puifqu'un Maitre fe repofe fur la vigilance comme fur la probité de •selufè qui il remet fes affaires. Car que.  Chretiennes. SeS. XVÏL. 247 que ferviroit-il a un Maïcre d'être asfuré que fon Domeftique ne le trompera point, fi par fa négligence il donne occafion a d'autres de le tromper? Par conféquent, celui qui ne ménage pas foigneufement les intéréts de fon Maitre , manque également a fon devoir, comme celui qui ne travaille qu'aux flens propres par des voyes inj uft.es. Les Serviteurs font encore obligés è recevoir avec patience & douceur'les, reprimandes de leurs Maïtres, ƒ072x les contredire, felon 1'exliortation de Saint Paul, c'eft-a -dire, en ne répondanc poinc en termes chagrins & infolens, propres a irriter leurs Maitres, comme cela n'eft que trop ordinaire , même dans le cas des repréhenlions les plus juftes; quoique Saint Pierre leur recom-1 mande de fouffrir patiemment les correftions les moins méritées, & lorsqu'on les reprend, quoiqu'ils fe foient bien acquittés de leur devoir. Ils doivent non feulement fupporter patiemment les cenfures, mais auffi fe corriger des fautes dont on les reprend, & ne pas s'imaginer qu'ils ont fatisfait a leur devoir, en écoutant leur Maitre avec refpect & foumiffion. La Diligence eft un quatrieme devoir des Serviteurs: ils doivent fans cefle prendre garde h tout ce que demande leur pofte, ne pas fe livrer a l'oifiveté, Q4 * rite II. 9, Pierre II. 0.  248 Pratique des Vertu* Triere. k la parefle, a la débauche, au jeu, ni k aucun autre vice qui les ernpêche de faire les affaires de leur Maitre. ïels font les devoirs des Domefliques, dont ils doivent s'acquitter foigneufement & en bonne confeience, non tant pour éviter de déplaire k leurs Maitres, que pour ne pas encourir la colere de Dieu , qui certainement les appellera a rendre compte de leur conduite envers leurs Maitres. ,, O Dieu! qui as uni les hommes „ par des Hens différens pour leur uti„ lité & pour leur bonheur mutuel, „ nous te prions humblement de faire „ Ia grace a ceux qui felon ton infli,, tution s'afTocient une aide fembla« „ ble k eux, de confulter toujours les „ regies de la vraie fageffe dans le „ choix qu'ils ont k faire, d'être at„ tentifs a témoigner a leurs Compa„ gnes cette tendreffe & ces égards „ qui leur font düs, de ne jamais des„ honorer leur couche, de contribuer „ a leur rendre la vie douce, & fur„ tout de travailler par leurs inflruc- tions & par leurs exemples au falut „ de leurs ames. Donne-nous k tous „ d'être prudens dans le choix de nos „ Amis, de ne nous lier jamais étroi,, tement qu'avec des perfonnes qui „ ont ta crainte, & d'avoir pour eux ,, cette fidélité, cette affect ion qu'ils i, font en droit d'attendre de nous; » d'ê-  Chrettennes. Se&. XVU. 249 „ d'être toujours difpofés a partager „ leurs peines, a avancer leurs inté- réts éternels, de leur être conftam- ment attachés , & de t'adreffer en „ leur faveur des vceux qui te foient agréables. Fais la grace è ceux que „ ta Providence appelle au fervice des „ autres, d'avoir pour leurs ordres la „ foumiffion requife , de ne jamais 3, manquer a aucun égard a la fidélité, „ d'être doux, humbles, refpectueux, „ dihgens & actifs dans leur condition. >, Aiïn que concourant ainfi a notre „ bonheur mutuel, dans quelque érat que nous foyons placés, nous puis„ fions avec confiance folliciter tes bé,, néiictions fur nous & fur nos pro- chains. Accorde - nous ces graces „ pour 1'amour de Jefus-Chrift notre „ Sauveur. Amen". VI. Si les Serviteurs ont des devoirs a remplir envers leurs Maïtres, eeux-cij en ont auffi, qui ne font pas moins in-, difpenfables. < Premierement , ils doivent être5 juftes envers eux, en accompliffant les conditions auxquelles ils les ont engagés, qui fe réduifent ordinairement a leur donner la nourriture & des gages: les Maïtres qui manquent a 1'une ou a 1'autre de ces chofes, font coupables d'oppreffion. En fecond lieu, ils font obligés d'avertir & de reprendre leurs DomeftiQ 5 ques, XLIfl. JODRNÉE. jevoirs des ladrss en■ers leun erviteurs.  350 Pr ati Q_üe des Vertu* ques, non feulement quand ils font en faute è leur égard , è quoi il eft peu de Maïtres qui manquent, mais furtout quand ils en commettent contre Dieu, auxquelles les Maïtres doivent être plus fenfibles, qu'a celles qui leur eaufent quelque préjudice ; parceque les offenfes qu'on fait a Dieu, & le danger qui menace 1'ame du dernier des hommes, font bien plus dignes de notre inquiétude, que quelque chofe que ce foir. D"oh il s'enfuit, que les Maïtres qui fe mettent en colere pour la moindre négiigence ou pour la plus légere faute qui les intéreffe , & qui voyent avec indifférence leurs Domeftiques commettre les plus grands péchés contre Dieu , témoignent qu'ils ont trop a coeur leurs intéréts paniculiers, & trop peu ceux de la gioire de Dieu & dü falut de leurs Serviteurs. II n'eft que trop ordinaire de voir des Maïtres négügens fur eet article, qui ne s'embarrafïenc guere de la religion & des meeurs de leurs Domeftiques , & ne leur adreffent jamais ni exhortations ni cenfures, pour les porter è la vertu & pour les éloigner du vice: ceux qui en agiffent ainfi , oublient le compte qu'ils auront a rendre un jour de la maniere dont ils onc gouverné leurs families. C'eft cependant un devoir indifpenfable de tous ceux qui ont quelque autorité fur les autres, de travailler è  Ch re t) en nes. Setï. XVII. '251 a faire fleurir la piété parmi ceux qui dépendent d'eux; & par conféquenc auffi bien dans une feule familie, comme dans un grand Etat. David en étoit fi convaincu, qu'il protefie, que? celui qui employé la tromperie ne demeurera point dans fa maifon, fjf que celui qui prof ere mmfonge ne fera point cffermi devant lui; tant il fe croyoit obligé d'avoir foin que fa Familie ne füt comrofée que de perfonnes vertueufes: & fi tous les Chefs de familie travailloienc a regler la leur fur ce modele , outre la recompenfe éternelle qu'ils obtiendroient, ils en recueilleroient des fruits dés la Vie préfente , parceque leurs affaires n'en iroient que mieux, s'ils pouvoient infpirer des fentimens de piété a leurs Domeftiques , & les porter a fe conduire en tout par principe de confeience, ils n'oferoienc être ni négligens ni infideles. Mais fi les Maitres doivent avertir & reprendre leurs Serviteurs, ils doivent auffi le faire de la maniere Ia plus propre è produire un bon effet; non avec colere & emportement, parceque c'eft le vrai moyen de fe faire méprifer ou haïr; mais d'une facon grave & tranquille, propre a faire fentir a leurs Domeftiques leur faute, & a les convaincre que c'eft le defir fincere de les corriger, qui les fait agir, & non la paffion» '. cr. 7.  *52 Pratique des Vertuï Un troifieme devoir des Maïtres eft de donner a leurs Domeftiques des exemples de vertu & de piété , fans quoi toutes les exhortations & les eenfures feront inutiles; car ils détruifent plus par le mauvais exemple , qu'ils ne peuvent édifier par leurs difcours; & c'eft une folie k un Maitre profane ou ivrogne de prétendre avoir une familie oh regne la tempérance & la piété. En quatrieme lieu , ils font tenus de procurer k leurs Domeftiques les moyens nécelfaires de s'inftruire de leur devoir, & de leur donner chaque jour le tems de fervir Dieu, en les appellant aux Prieres qui doivent fe faire dans chaque Familie. Mais c'eft fur quoi nous n'infiftons point, en ayant parlé en traitant de la Priere. En cinquieme lieu, les Maftres ne doivent exiger de leurs Domeftiques que des chofes juftes & raifonnables & ne pas les charger de fardeaux qui furpaffent leurs forces. Ils doivent furtout éviter de leur demander tant ë'ouyrage, qu'ils ne puiffenc penfer au falut de leur ame: comme d'un autre cóté il faut qu'ils prennent garde de ne pas les laiffer vivre dans une oiliyeté qui les rende inutiles è leurs Maïtres, & qui les porte è fe livrer au Tjce. En fixieme lieu, les Maf tres doivent  ClIRETIENNES. Setï. XVIII. 2J3 vent encourager leurs Serviteurs è bien faire , en les traitanc avec toute la bonté & tous les égards, que leur fidélité, leur diligence & leur piété méritent. Enfin, ils doivent dans toute leur conduite fe fouvenir de ce que dit Saint Paul, qa'ils ont eux-mémes un Maitre au Ciel, auquel ils rendront compte de la maniere dont ils auront agi envers le plus vil de tous les efclaves. *iH[*#(Sl S E C T I O N XVIII. I. De la Cbarité envers nos Prochains. II. Des Sentimens du coeur qu'elle demande. III. Des Atlions auxquelles elle engage. IV. De l'Aumóne. V. A quoi la Cbarité nous oblige d 1'égard de la Réputation du Prochain. VI. De la Pacification des Différends cs5 des Procés. VII. De l'Arnour des Ennemis. I. APres avoir examiné a quels jLJl Devoirs la Juftice, tant Négative que Pofitive, nous oblige envers nos Prochains, voyons quels font ceux de l'Arnour ci de la Charité, de cette Charité qui eft le grand devoir de PEvangile , & qui eit li fouvent re^ commandée par Jefus - Chrift; c'eft ïphef. VI. )• De la Cha-t rité.  Jcan XIII. 34- Jean XV. »2 J I/. Tean XIII S5. Scntimcns du cneur, qu'elle demande. 254 Pratiqsie des Vertus le nouveau commandetnent , comme il 1'appelie lui-même, que nous nous au tnions 1'un 1'autre; il le répete même deux fois dans Ie même difcours. Ec Saint Jean employé prefque toute fa première Epitre a preffer ce Devoir. II eft évident par-la, qu'il ne s'agit pas ici d'une chofe indifferente, mais d'ua devoir auquel tout Chretien eft indispenfabiement obligé: c'eft-la en effet Ia livrée que notre Seigneur lui - même a donnée è fes Difciples: Par cela, dit- il, tous conmltront que vous êtes nies Difciples , fi vous avez de 1'amour 1'un pour 1'autre. On peut confidérer la Charité a deux égards, par rapport aux Sentimens du cceur ci par rapport aux Acïions. II. La Charité, par rapport aux Sentimens du coeur, confifte a avoir une affection finccre pour nos Prochains, qui nous porte a leur fouhaitter toute forte de biens a tous égards. Comme la juftice nous oblige de ne fouhaitter aucun mal a perfonne, ni a 1'égard de fon ame & de fon corps, ni a 1'égard de fes biens & de fa réputation, Ia Charicé nousimpofe la Loi de leur fouhaitter toute forte de bien a tous ces égards. Si nous avons la moindre étincelle de Charité, nous ne pouvons nous difpenfer de nous intéreffer vivemenc au benheur de 1'ame de notre Prochain ;  Chretiennes. Seiï. Xmi. 25$ chain; JeHis- Chrift 1'ayant jugée digne d'être rachetée par fon propre fang, elle a un jufte droit k notre affecr.ion & a nos vceux ; tellement que fi nous ne nous aimous pas les uns les autres de cette maniere , nous fommes bien éloignés d'obéir a ce commandement, cVaimer comme il nous a aimis. 11 a fait éclatter fon amour pour nos ames principalement par deux chofes, en les purifiant par fa grace, & en les rendant éternellement heureufes dans la Gloire. Nous devons 1'imiter , autant qu'il nous eft poffible, & témoigner notre amour pour nos prochains a ces deux égards ; en fouhaittant avec ardeur que tous les hommes parviennent ici-bas k ce degré de pureté & de fainteté, qui peut les rendre capables d'être éternellement heureux dans la Vie a-venir. II femble que 1'on dcvroit pouvoir raifonnablement efpérer de quiconque a une ame, qu'il ne feroit pas affez cruel pour ne point fouhaitter fincérement ces avantages aux autres, fi 1'expérience ne nous apprenoit qu'il y a des gens, dont la malice eft affez diabolique, pour leur infpirer des fentimens diamétralement oppofés , & pour les porter a defirer non feulement que leurs prochains tombent dans le pêché, mais qu'ils foient éternellement damnés. On en voit, qui, lorfqu'ils fouffrent quelque in-  2j6 Pratique des Vertus injuftice, quelque tort, ne fe confolent que par la penfée que leurs ennemis fe damnent en les maltraitant; tandis que tout vrai Chretien devroit être plus accablé de cette penfée, que de tous les maux qu'il fouffre. C'eft le caractere d'un Difciple de Satan & non d'un Difciple de Jefus Chrift , parceque cela eft directement oppofé au grand précepte de 1'Evangile, d'aimer notre procbain comme nous-mêmes. Car il eft certain qu'il n'eft point d'homme qui croye un Enfer, qui fouhaitte d'en éprouver les tourmens; quelque charmé qu'il foitde la route qui y conduit, il ne fouhaitte pas cependant d'y arriver: il doit donc, en fuivant la regie de la Charité, le redouter autant pour fon Prochain. En fecond lieu, nous devons nous intéreffer au bonheur du Prochain par rapport au corps, & lui fouhaitter la fanté & le bien-être: nous fommes généralement fort fenfibles pour nousmêmes a eet égard, & nous redoutons le moindre mal,la plus légere douleur. Or, felon le précepte de Jefus Chrift, la Charité doit étendre cette fenflbilité è tous les hommes, & nous devons nous faire de la peine de voir arriver aux autres ce que nous craignons pour nous-mêmes. II faut en dire autant des biens & de la réputation; nous devons fouhaitter & ces deux égards a nos  Chretiennes. XVIII. 2j7 jnos prochains , ce que nous defirons pour nous-mêmes, fans quoi on ne peut dire que nous les aimons comme nous • mêmes. S i cette Charité du cceur eft fincere , elle produira infailliblement les effets qui en font fi inféparables, que 1'Ecriture Sainte en parle fouvent , comme faifant partie de la Charité, ce qui les rend d'une indifpenfable néceffité. Premierement , elle nous rendra doux & pacifiques envers les autres , en forte que bien loin de chercher des occafions de querelle, les plus grandes jnjures ne pourront nous y porter; car on n'eft gueré difpofé a fe brouiller avec les perfonnes que 1'on aime tendrement, un des principaux caracleres de la Charité étant de ne point s'ai-, grir: ainfi ceux qui ne font pas pacifi- 5 ques, montrent qu'ils n'en ont point dans Ie cceur. En fecond lieu, elle excitera de la compaffion pour toutes les miferes des autres. Nous regardons tous les maux qui arrivent è ceux a qui nous fouhaittons du bien, comme s'ils nous arrivoient a nous-mêmes : deforte que fi nous nous intéreflbns au bonheur de tous les hommes, nous reflentirons tous leurs malheurs, nous nous affligerons d'en voir dans la mifere, & Tomé II. r nous Cor. XIII.  Prov. XIII. KJ. Rom. XII. 15. » ( t 1 T T 1 Jaq. L 17. < 1 C i c K c r r ti "258 Pratique des Vertus nous en aurons une douleur proportionnée a ce qu'ils fóüftVent. En troifieme lieu , la Charité nous infpirera de la joie de la profpérité des -autres: Salomon obferve, que le foubait accompli eft une chofe douce d 1'ame: lors donc que 1'on defire fincérement la profpérité du prochain, on ne peut que goüter une véritable fatisfaction en voyant 1'accomplilfement de fes vceux. Saint Paul nous prefcrit ces deux chofes: Soyez, dit-il, en joie avec ceux qui font m joie, fjf en pleurs avec ceux qui jont en oleurs. En quatrieme lieu, la Charité doit aotis porter a prier pour nos prochains, Nous fommes par nous-mêmes des :réatures foiblcs , impuiffantes, & in:apab!es de procurer du bien k ceux 1 qui nous en fouhaittons le plus: ii lonc nous defirons véritablement le lonheur des autres, nous devons im•lorer en leur faveur Ia bénédiftion de :elui de qui vient tout don parfait. C'efti un ëftet fi effende! de la Charité, ue fans cela notre affection n'a rien de 3Üde, & n'eft qu'une vaine apparene. Car comment peut-on penfer, u'un homme fouhaite férieufement u bien a quelqu'un, s'il ne t&che de :ndre fes vceux efficaces par fes prie» is, fans lefquelles ils ne peuvent qu'öe inutiles ? Saint Paul n'a pas cru de- ▼oir  CilRETI EK NES. Setf, XFIIL 2J9 voir Cs borner è exiger defimples vceux j| exhorte a faire des prieres & des fup*1 plicalions, cc a rendre des aclions de gra^ ces pour tous les hommes \ précepte, auquel ceux qui ont un cceur rerapli de charité, n'auront pas de peine a obéir. Ce font - Ik des fruits fi naturels de* cette Vertu, que c'eft fe faire illufion que de s'imaginer qu'on la pofiede, tandis que 1'on ne peut en prouver la réaiité par ces effets. Ce qui démontre encore 1'excellence de la Charité, c'eft qu'elle nous munit contre plufieurs Vices, également grands & dangereux. Premierement contre 1'Envie. L'Apótre nous apprend que c'eft le caractere propre de la Charité de n'étre point i < envieufe: c'eft ce que le fens-commun nous dicte; car 1'Envie eft un déplaifir de la profpérité d'autrui, & par conféquentelle doit néceffairementêtre direftement oppofée a cette difpofition qu'infpire la vraie Charité, qui faic fouhaiter du bien au prochain: tellement que fi elle regne dans le cceur elle doit certainement en bannir 1'envie. C'eft donc envain que 1'on fe rflorifie d'être charitable, tandis que ï'on voit a regret la profpérité des autres, cc qu'on s'en afflige. En fecond lieu, elle reprime Pofgueil cc ia fierté: c'eft encore ce que Saint Paul nous apprend, la Charité nt Ra Je Timoth. . i. :or. xm.  200 P R A TI qv E DES VERTUS Coioir. in, 12. Rom. XII. 10. Je vante £f ne s'enfle point: auffi voyonsnous qu'en d'autres endroits, oh elle nous eft recommandée, l'humilité 1'eft auffi: Revêtez les entrailles de miféricorde , de bénignité , d'bumilité , de douceur , d'efprit patiënt. Soyez enclins par cbarité fraternette d montrer de Vaffection 1'un envers 1'autre , vous prévenant 1'un 1'autre par bonneur. On voit dans ces pafrages que l'humilité marché de pair avec la Charité. En effet, elle en découle naturellement. L'amour met a un haut prix les objets qu'il aime, & nous les fait eftimer; c'eft ce que nous n'éprouvons que trop conftamment dans l'amour - propre; il nous infpire une grande opinion de nous-mêmes, & nous perfuade que nous fommes fort au-deffus des autres. Or fi l'amour, quand nous en fommes nousmêmes les objets , produit 1'orgueil, nous n'avons qu'a Je faire changer d'objet , en le tournant fur nos prochains; il ne manquera pas de produire 1'humilité , parceque nous eftimerons alors en eux des qualités & des talens , que notre orgueil ou notre haine nous empêchoit d'appercevoir & nous cachoit; & nous ne trouverons pas, qu'en nous comparant avec eux, nous ayons aucune raifon ni de les méprifer, ni de nous enorgueillir; au contraire, nous fentirons que nous en avons de fort juftes de pratiquer 1'ex- hor>  Chretiennes. Setï. XP11I. 201 hortation de Saint Paul, d'ejlimer les autres par humilité de coeur plus excellens que nous-mêmes. Ainfi tous ceux qui lont aflez orgueilleux pour dédaigner & méprifer les autres, doivent conclure qu'ils n'ont point la vraie Charité dans le cceur. _ En troifieme lieu, elle prévient les jugemcns téméraires, & nous empêche de nous livrer a 1'envie de critiquer ros prochains: la Cbarité, dit Saint Paul, ne penfe point d mal ; elle n'eft pas1 portee a avoir des idéés defavantageu-* fes d'autres, mais au contraire elle croit tout, elle efpere tout; c'eft-a-dire qu'elle a toujours du penchant a croire & a efpérer ce qui eft avantageux a tout 1c monde. Et c'eft ce que nous apprend notre propre expérience; car nous n'appercevons que difficilemene les défauts de ceux que nous aimons, quelque palpables qu'ils foient, témoin notre extréme aveuglement fur les nötres: ainfi ii n'y a pas d'apparence que nous leur en attribuïons qu'ils n'ont point, ou que nous groffiffions ceux quils ont. A quel principe attribuer donc ces cruelles cenfures & ces jugemens précipités, fi commuus dans°lQ monde, fice n'eft a un défaue de Charité? En quatrieme lieu , elle bannit la DUfimulation & la faufte Amitië. La ou regne la véritable «3c fincere ChariR 3 té Philipp. II }• Cor. XIII. , 7.  $'5a Pratique des Vertus Rom. XII, 0. i Cor. XIII. 5« té, celle qui eft affeclée & faufle difparoit, & c'eft cette Charité non feinte que St. Paul' nous recommande. Quand elle eft bien enracinée dans le cceur, il eft impoffible que la diffimulation y trouve place; paree que la vraie Charité eft en effet ce que la fauffe affecte d'être, & qu'elle la furpaffe autant que la Nature 1'emporte fur 1'Art, & une Vertu divinefur un Vice odieux ; car la Charité hypocrite en eft un réellement. Et cependant il n'y a que trop fujet de craindre qu'elle n'ufurpe trop généralement la place de la vraie Charité; n'y ayant rien de plus ordinaire, que de voir des gens faire de grandes proteftations d'amitié a ceux dont ils fe moquent, ou qu'ils déchirent dès qu'ils ont le dos tourné. En cinquieme lieu, la Charité nous infpire le Défintéreffement. Elle eft fi noble & fi généreufe, qu'elle dédaigne toutes les vues mercenaires & d'intérêt particulier, elle ne c'oercbe point fon profil. Ainfi cette amitié artifivieufe Sf intérelTée, fi commune dans le monde, qui ne s'attache qu'a ceux dont elle efpere quelque avantage, eft bien éloignée de la vraie Charité. Enfin , elle hannit du cceur toute malice & tout defir de vengeance, qui y eft fi directement oppofé, qu'il eft abfolument incompatible avec elle; c'eft un caraftere diftinétif de la Charité  Ci-iretiennes. Secl. XVUL 263 té de fupporter tout, de fouffrir les plus 1 grandes injures, en y répondant par; des prieres & des bénédictions. Par conféquent les gens malins ót les vindicatifs font de tous les hommes les plus éloignés de 1'efprit de Charité. Il eft vrai que fi elle étoit bornée dans fon exercice a un certain ordre de perfonnes , elle pourroit compatir avec Ja haine pour d'autres; paree qu'on peut haïr forr.ement les uns, tandis que 1'on aime les autres. Mais la vraie Charité s'étend a tous les hommes, même, a nos ennemis, fans quoi ce n'eft point cette vertu divine que Jefus-Chrift nous recommande. 11 y a fi peu de vertu è aimer nos amis & ceux qui nous font du bien , que les Piagers ö5 les, Pécheurs , les plus in-v dignes des hommes, en font capables: d'oh vient que dans un Difciplo de PEvangile, elle n'eft pas jugée digne de recompenfe. Notre divin Maitre veut que nous aüions plus loin, c'eft pourquoi ii nous a donné ce précepte plus excellent & plus fublime, d'airner nos ennemis: mais mui je vous dis, ah mez vos ennemis ; kinijjez ceux qui pousV. maudijfent, pricz pour ceux qui vous eaujent jus & qui vous perjécuient: & il n'avouera jamais pour lés Difciples ceux qui défobéiflent a cetre loi. D'oh il s'enfuit que tous les devoirs de cette Charité tendre & fincere} dont nous R 4 avons Cor. xiii. \l.;tth. 44.  SÖ4 Pratique des Vertus Pri«re.' PC, CXLV 9' xliv, JOURNÉE. Motifs a Q.«itó» avons parlé, regardent autant nos en« nemis les plus cruels , que nos arms les plus afredtionnés. ,, O Dieu! qui es bon envers tous, in'„ fpire-nous ces fentimens de Chari,, té, dont nous devons être animés envers tous les hommes. Fais-nous „ la grace de reflëntir cette fincere, „ vive & tendre affection , qui porte „ a s'intérefïèr a tout ce qui peut con,, tribuer è leur bonheur temporel & ,, éternel. Donne-nous d'être doux & pacifiques , puifque ceux qui font „ tels ont 1'honneur d'être appellés tes enfans. Que la profpérité de ,, nos prochains nous réjouiffe , que ,, leurs difgraces nous touchent, & „ que pleins de compaffion nous res,, fentions leurs maux comme les nó- tres. Fais-nous la grace que, dans „ les prieres que nous t'adrefibns pour „ nous-mêmes , nous implorions tes „ graccs avec une égale ardeur pour ,, tous nos femblables. Que banniffant ,, de nos cceurs 1'envie , 1'orgueil, la „ diffimulation , la haine , les defirs ,, de vengeance, nous ayons cette „ vraie Charité, qui eft le caractere de ,, tes Enfans & celui des Difciples de „ Jefus-Chrift , au nom duquel nous „ t'invoquons. Amen." Comme la Charité envers nos ennelamis eft un devoir auqusl la Corruption réfifte , il ae fera pas inutile de pres-  Chretiënnes. Set). XVIll. 265 preffcr les motifs qui doivent nous 1'infpirer. Et d'abord confidërons que JefusChrift nous la recommande exprelTément, comme nous 1'avons déja vu, & qu'il n'eft point de précepte qui foit'plus fréquemment répété dans le Nouveau Teftament , que celui qui nous prefcrit d'aimer nos ennemis & de leur pardonner; Soyez béniris les uns 1 envers les autres, pleins de compajfion 6? •vous pardonnant les uns aux autres. Sup-' pnrtez - vous 1'un 1'autre & vous pardonnez les uns aux autres, fi 1'un a querelle contre 1'autre. Comme Cbrijl vous a pardonnés, vous auffi faites de même. Ne rendez point mal pour mal, ni outrage ■ pour outrage, mais au contraire bénijjez. On pourroit faire un Volume des pasfages 011 ce devoir nous eft commandé, mais ceux-ci fufftfent pour nous convaincre que notre Sauveur 1'exige de nous a toute rigueur; & il n'elt perfonne qui ait entendu parler de 1'Evangüe, qui puiffe 1'ignorer. C'eft ce qui fait qu'il eft d'autant plus étrange, que des gens qui fe difent Chretiens , non feulement n'y obéiffent point, mais faffent ouvertement profeffion du contraire, n'y ayant rien de plus ordinaire , que d'èn trouver qui font déterminés è ne jamais pardonner è tel ou tel , & qui s'en expliquent hautementjfans que le commandement R 5 Pré* ïphef. IV. [2. :oiocr.iii. s» : Pierre III. I.  tuc, VI. 4d HicVI. 35 J<5. IWiith. V. 45- a56 Pratiq_ue des Vertus précis de Jefus-Chrift puiffe les' ébranIer. Mais c'eft-lè une concradiction formelle de faire profeffion de reconnoitre ce divin Sauveur pour fon Maitre, & de refufer d'obéir a fes ordres .les plus exprès; pour quoi, nous dit-il lui-même, pour quoi .m' appellex-vous Seigneur , Seigneur. c? ne faiits point les chofes que je dis? En agir dc cette maniere , c'eft vouioir qu'il nous défavoue pour fes Difciples au grand & dernier Jour. L'exemple de Dieu nous offre un fecond motif, non moins preffant, que Jefus-Chrift lui-même fait valoir, nu iChap. VI. de Saint Luc. Après avoir prefcrit l'amour des ennemis, il tache de nous y porter, en difant que par li nous deviendrons les enfans du Souverain, c'eft - a - dire . que nous lui resfemblerons, comme des enfans reffembient a leur Tere: car il eft bon envers ks ingrats & les méebans. Ailleurs il nous dit, que Dieu fait lever fon foleil fur les bons rjf fur les méebans, £ƒ qu'il envoye la pluie fur ks jujles (ƒ Jur les injujles. Que ce motif eft noble! qu'il elt puiftiiPt pour nous porter a ce devoir! Nous favons que Dieu eft la fource de la perfection, & notre plus haute ambition doit être de lui reftembier. II eft vrai que 1'ambition d'être femölable au Souverain a été la caufe de Ia chüte du Diable; mais s'il eöt afpiró  Chretiennes.' Sed. XVIII. 267 afbiré è lui reffembler en Sainteté cc en j3onté, il feroit encore un Ange de lumiere. Ce defir d'iiniter notre Pere Célefte eft le caractere diftinctif de fes enfans, Or la bonré èc la charité envers des ennemis brille d'une facon éminente en Dieu, non feulement par rapport a fes bénédictions temporelies, qu'il difpenfe indifféremment aux bons cc aux méchans , mais fur - tout a 1'égard de fes graces fpirituclles. C'eft lui qui, lorfque nous étions fes ennemis par nas mauvaijes osuvres , nous a2 donné fon propre Fils pour nous reconcilier avec lui, au-lieu de fe venger, cn nous laiffant périr éternellement. Nous avons un pareil exemple de Charité cc de Patience en Jefus - Chrift, qui non feulement a mis Ja vie pour i nous, qui étions fes ennemis; mais qui a2 aufti fouffert avec cette douceur & cette humilité, que Saint Pierre dépeint fi admirablcment, & qu'il nous appelle a imiter. En réunilTant ces réfiexions, pouvons-nous nous difpenfer de conclure avec Saint Jean: Bien-aimés, fii Dieu nous a ainfi aimés, nous devons auffi1 nous aimer les uns ks autres. C'est ce qui nous conduit a une troifieme confidération, qui eft 1'extrême difproportion qu'il y a entre les péchés dont nous fommes coupables envers Dieu , cc ies offenfes que nous rcccvons de nos prochains; difpropor» tion Colofl". U i. Pierre ii. !> 23, 24. Jean IV,  263 Pratique des Vertus tion qui eft fenfible h divers égards, i. La Majefté de celui que nous offenfons aggrave infiniment nos fautes, au-lieu qu'il pe peut y avoir une fi grande différence d'homme a homme: car quoi» qu'il y en ait que Dieu éleve a des dignités fi éminentes , que les injures qu'on leur fait font plus grandes a proporrion de leur rang , ce font cependant des hommes de même nature que nous; au-lieu que celui que nous offenfons eft le Dieu vivant & éternel. 2. II faut confidérer Pautorité fouveraine qu'il poffede par lui-même; car nous fommes fes créatures, nous tcnons tout de lui, & par conféquent nous fommes obligés de lui rendre Fobéiffmce la plus refpeccueufe & la plus parfaite; au-lieu que toute Pautorité des hommes vient de Dieu, & pour 1'ordinaire les différends naiflent plus entredes égaux , qu'entre les fupérieurs & les inférieurs. 3. Si nous faifonsre flexion fur la Bonté infinie de Dieu, a laquelle nous devons tout ce dont nous jouisfons, tant pour cette vie que pour celle qui eft a-venir, il eft évident qu'en 1'offenfant nous ajoutons la plus noire ingratitude a nos autres crimes. A eet égard il eft encore impoflible, que les offenfes de nos prochains contre nous approchent des nótres contre Dieu; de quelques bienfairs que nous leur puiffions être redevables, ils n'ó- gale<  Chuettennes. Seci. XFIÏL 269 galeront jamais-ceux que nous tenons de la pure libéralité de Dieu. Enfin, la grandeur & le nombre de nos péchés contre lui furpaffe infiniment tout ce que les hommes peuvent nous faire d'injures; car nous péchons plus fouvent & d'une facon plus odieufe contre Dieu, que le plus méchant de tous les hommes ne peut avoir d'occafions de nous offenfer. C'eft cette immen* fe difproportion que notre Sauveur a en vue dans laParabole, oh il compare nos offenfes contre lui h une dette de dix mille talens, & celles de nos freres contre nous a une dette de cenO deniers; & malgré 1'énorme inégalité qu'il y a entre ces deux fommes, la difproportion entre nos péchés contre Dieu, & les offenfes que nous pouvons recevoirde nos prochains, eft infiniment plus grande encore. C'en eft affez. pour confondre les vains prétextes des Vindicatifs: 1'exemple de Dieu fuffit pour leur fermer la bouche, & il n'y a que la corruption de notre cceur qui nous faffe trouver de la difficulté è pardonner a nos ennemis. Travaillons è ladéraciner, & nous éprouverons ce que la Sageife dit de fes lecons, qu'el-P les font aifées d trouver d l'bomme enten- 9. du, & droites d ceux qui ont trouvè la fcience. La Charité envers nos ennemis eft non feulament un devoir jufte, mais agré- Mattb.' VIII. ' ov. viit  Eftue; V. 13. 270 Pratique des Vertus agréable; c'eft: un quatrieme motif, qui dok nous y porter. J'avoue qu'il n'y a gueres que ceux qui en ont fait l'expérience , qui foient capables do juger des douceurs qui en accompagncnt la pratique^ Telle ctant la nature du plfaifir en général, qu'il n'y a que la jouiifance qui le falfe bien connoitre, & c'eft ce qui a lieu furtout è 1'égard des platfirs fpirituels. II faut donc pour juger de celui qui fe trouve dans le pardon des injures , en faire l'expérience; & il n'eft rien de plus déraifonnabie que de le dépeindre comme une chofe pénible & defagréable, tant que 1'on n*en a pas fait 1'effai. C'eft cependant ce qui eft fort ordinaire dans le monde, tandis qu'il feroit jutte de s'en rapporter au témoignage de ceux qui ont pratiqué ce devoir. Mais, quoique l'expérience foit le plus für moyen d'en juger, un peu de réflexion fuffit pour faire concevoir qu'il doit être agréable. Que 1'on comparc la tranquillité d'un Chretien qui pardonne a fon ennemi, aux agitations & aux inquiétudes auxquelles eft en proie un homme livré a la haine , & animé du defir de fe venger , & 1'on s'appercevra bientót que ce dernier eft dans la plus cruelie fituation, & que fa paffion empoifonne toutes les douceurs de fa vie : témoin Haman, que fa haine pour Mardochée rendoitinfen- fible  Chretiennes. SeQ. XV1IL 271 fible a tous les brilians avantages donc il jouifibit. Au beu qu 'un E'prit qui aime la paix, qui peut fotrffrir tranquiltement les injures qu'on lui fait, joint d'un calme que fes ennemis ne peuvent troubler, tel qu'un rocher que les vents ni les tempêtes ne peuvent ébranler; au-lieu que le vindicatif eft comme la vague que le moindre vent agite. Mais, outre que ces inquiétucies mtérieures troublent fon repos, il s'expofe encore a bien des maux extérieurs , il irrite fes ennemis & les provoque a 1'attaquer a fon tour; fouvent même il facn'fie a fa vengeance biens, repos, réputation , fa vie & même fon falut ; tant cette paflioD aveugie tranfporte les hommes! Aulieu que 1'homme doux cc pacifique défarme quelquefois fon ennemi , cc calme fa colere; la riponfe douce appai- F fe la fureur, dit Salomon. Que fi fon ennemi eft dur cc inflexible, \\ ne laisfe pas de recueillir des avantages de fa ;| patience: il trouve une belle occa/ion d'exercer Ia grande vertu du Chriftianifme, d'obéir k fon Sauveur & d'imiter fon exemple , avantage précieux pour une ame fidele; il Vaffure une plus grande recompenfe dans la Vie a-venir, dont la certitudc lui faitgoüter une fatisfaótion plus raviffante, que ne peut le faire Ia jouïflance de tous les plaifirs du Monde. rov.XV. ij  272 Pratique des Vertus Le danger .auquel on s'expofe en manquant a ce devoir, foumit un cinquieme motif. Nous n'infifterons que fur le plus grand de tous, qui eft de ne pas obtenir de Dieu le pardon de nos péchés. Quoi de plus propre a calmer nos reifentimens! Car que pouvons-nous faire a nos ennemis, qui approche du tort que nous nous faifons en nous excluant de la grace de Dieu? C'eft-la un fi grand malheur, que le Démon, avec toute fa malice, ne nous en peut fouhaiter un plus accablant; il n'a d'autre but que de nous porter au pêché , & d'empêcher que nous n'en obtenions Ie pardon; paree qu'il eft bien für que nous ne pouvons alors éviter 1'Enfer, qui doit ê:re la portion de tous ceux a qui Dieu ne pardonne point leurs péchés. C'eft un mot digne de PEfprit de ténebres, que celui qu'on entend quelquefois fortir de la bouche des hommes, que la vengeance eft douce: ne faut-il pas avoir un goüt bien dépravé pour y trouver une douceur qui puifle balancer Pamertume dont elle doit être fuivie dans 1'Eternité? En donnant un libre cours a fon rcfientiment, on fera peut-être quelque mal a fon ennemi , mais qui n'eft nullement comparable a celui que 1'on fe fait a foi-même, en s'attirant la damnation éternelle. En vain le Vindicatif fe flaceroit-il d'obtenir ds  Cbretiennes. Set}. XVIII, ie Dieu le pardon de fes péchés, celui qui efc la vérité méme nous affure du contraire: fi vous ne pardonnez point aux hommes leurs offenfes, votre Pere Cé- V lejte ne vous pardounera point auffi les vólres: & pour nous faire fouvenir fans ceffe de la néceffité de ce devoir, il l'a inféré dans la Priere que nous devons faire tous les jours, oh nous faifons dépendre le pardon que nous demandons a Dieu de celui que nous accordons a nos prochains : Pardonne • nous nos offenfes, comme nous pardonnons d ceux qui nous ont offenfés. Ufer de cette Priere en confervant fon reffentiment, c'eft donc implorer fur foi la malédiction de Dieu, & lui demander de ne point nous pardonner. C'eft ce que Jefus-Chrift nous apprend encore dans la Parabole, oh il nous dépeint la punition que s'attira le ferviteur inhumain , qui refufa de quitter a ftrn compagnon une dette de cent deniers, après avoir obtenu de fon Maitre la rémifïïon d'une de dix mille talens: Ainfi vous en fera auffi mon Pere Cilefle, fi vous ne pardonnez de bon cwur cbacun x d Jon frere fes fautes. II feroit inutile de multiplier les paffages , pour prouver le danger éminent auquel on s'expofe en refufant de pardonner è ceux qui nous ontoffenfé. Dieu veuille nous faire la grace de le fentir fi vivement, que aous travaillions avec foin a 1'éviter! Tom* II. S tT« IWattM; 1.15. Matth. /III. jg.  s Cor. y. i5. 1 Pierre 1.18, « £J4 Pratique des Vertéi Un dernier motif que nous preffe* fons, c'eft la ReconnoilTance que nous devons 4 Dieu. 11 nous a témoigné la plus grande miféricorde, & JefusChrift a fcuffert tout ce qu'il y a de plus cruel pour nous mettre en état d'être les objets de cette miféricorde, & pour nous obtenir le pardon de nos péchés : après cela ne nous croirionsnous pas obligés a la reconnoiflance ? St. Paul en juge ainfi: il dit, que puis'que Chrift eft mort pour tous, il eft jufte que nous ne vivions plus diformais d nousmêmes, mais d celui qui eft mort 8* qui eft rejjufcitê pour nous. Oui , quand tous les momens de notre vie feroient confacrés a fon fervice , nous ne ferions que ce que la reconnoiflance la plus ordinaire exige , & infiniment moins que ne le méritent des bienfaits auffi ineftimables. Quelle honteufe ingratitude n'y a-t-il donc pas a lui refufer une auffi légere fatisfaction, que de pardonner a nos freres? Si un homme délivré de la mort, ou racheté de 1'esclavage, par les plus pénibles travaux & par de crüelles fouffrances d'un autre , lui refufoit de remettre une petite dette, ne le regarderoit-on pas comme un monflre d'ingratitude? C'eft-14 cependant le caractere de tous les Vindicatifs, & ils font même plus coupables encore: Jefus - Chrift nous a rache• tés d'un efclavage éternel, non par << des  CöRETIENNES. Seft. XPIJI. 57.5- des chofes corruptibles, comme par argent ou par or , mais par fon précieux fang; & il nous a commandé de la facon la plus preflante d'aimer nos freres» & pour nous y engager plus puiffamment il nous. a mis devant les yeux la grandeur de fon amour pour nous. Lui refufer opiniatrement une chöfe fi juste , fi peu confidérable, c'eft la plus 1&che ingratitude; & c'eft cependant ce que nous faifons, lorfque nous confervons de la haine & du reffentimenc contre qui que ce foit. II y a plus;; nous joignons è 1'ingratitude le plus outrageant mépris pour notre Sauveur; la paix & 1'union entre les freres étoit d'un fi grand prix a fes yeux,que lorsqu'il quitta lc Monde, il crut ne pouvoir nous laifiér un plus précieux héritage, & par cette raifon il Ia légua, comme parTeftament, è fes Difciples: Je vous laiffe la paix, je vous donne majc paix. Si nous eftimons ordinairement2' beaucoup les moindres chofes que nos Amis nous léguent, & fi nous les confervons foigneufement, négliger d'entretenir 1'union avec nos freres , c'eft une preuve évidente que nous n'avons pour Jefus-Chrift & pour fes dons ni amour ni eftime. Nous nous fommes étendus fur ce fujet, parceque le défaut de Charité eft fort commun dans le Monde. Dieu veuille que nos réflexions faflenc de fi profondes impres * . S 2 fions an XIV.  276" PRATIQÜE DES VERTUS fions fur nos Lecleurs, qu'elles les engagent a s'acquitter fidélement de leur devoir. Nous n'ajouterons feulement qu'un Avis; c'efc qu'il faut s'occuper de bonne heure de ces motifs ; fouvent les remedes les plus efficaces ne produifent aucun effet, parcequ'on les applique trop tard, & c'eft ce qui arrivé plus fréquemment encore dans les maux fpirituels. Occupons-nous donc des motifs qui doivent nous potter a la Charité , de facon que la douceur & l'humilité nous deviennent naturelles par 1'habitude, & préviennent en nous les premiers mouvemens d'animofité & tous les defirs de vengeance. Que fi malheureufement cette pafiion ryeft pas encore tellement fubjuguée en nous, que nous n'en relfentions quelques mouvemens, nous devons les étoufter dès leur naifiauce. Evitons de nous occuper de 1'injure que nous avons recue, en y penfant beaucoup; rappellons nous de bonne heure les grands motifs qui ont été propofés, & difons-nous en même tems, que c'eft une occafion ou Dieu nous éprouve, éc nous procure le moyen de faire voir fi nous avons profité dans 1'Ecole de Jefus - Chrift. En faifant ces réflexions de bonne heure, cc avant que la pafiion ait obfcurci nos lumieres, nous fentirons qu'il nous eft infiniment plus avan-  Chretiennes. Setï. XPI1I. 277- avantageux de plaire a Dieu, en pardonnant k nos prochains, que de nous expofer a une perte éternelle, en fuivant les confeils de rEnnemi de notre bonheur. „ Nous élevons nos mains & nos cceurs vers toi, óDieu! pour te fup„ plier de nous rendre attentifs & do„ ciles k tes lecons, & de nous faire „ la grace de fentir la force de tant de „ motifs , qui doivent nous infpirer „ des fentimens de charité pour nos „ prochains. De quel droit préten„ drions-nous a la qualité de Difci„ pies de Jefus-Chrift, ü nous défoa, béiffons au plus exprès de fes com„ mandemens? De quel droit préten„ drions-nous recueillir les fruits pré„ cieux de la tendre charité qu'il „ nous a témoignée, en mettant fa „ vie pour nous, fi nous refufons de „ pardonner k ceux qui nous ont of„ fenfé? De quel droit prétendrions,, nous au glorieux titre de tes enfans, „ tandis que nous aurions honte de „ porter les traits de ton image , & „ d'imiter cette Bonté, qui eft envers P1 ,, tous, & ces Compq/Jions, qui furpaf-9. „ fent toutes tes ceuvres. Haf Seigneur „ ne permets pas que nous portious „ Pingratitude jufques a payer l'amour que tu nous as témoigné par le plus „ indigne retour. Pénetre-nous de la w difproportion immenfe qu'il y a ens 3 » tre Priere; • CXLV.  'i78 Pratique des Vertuj Matth. VI. 15, XLV.Jour. Des Actions auxquel les la Clwrite' en gï£e. Jaq. II. 20. ï ]canIII. tre les fautes dont nous avons a ob« „ tenir le pardor>, & celles que nous „ avons h pardonner. Pénetre - nous „ des dangers auxquels nous nous ex„ pofons par le défaut de Charité, & „ grave dans nos cceurs cette déclara„ tion: Si vous ne pardonnez aux bom,, mts leurs offenfes , votre Pere Célejle ,, ne vous pardonnera pas auffi les vótres. ,, Donne-nous d'étoufFer dans leur ori„ gine tous les mouvemens d'aigreur, ,, de colere, de haine & de vengean„ ce, afin de nous afiurer les dou* ,, ceurs de la paix de 1'ame, le confo„ lant privilege de pouvoir efpérer „ que tu uferas de miféricorde envers ,, nous, en confidération du facrifice & de 1'interceffion de Jéfus notre „ Sauveur, au nom duquel nous te „ demandons ces graces. Amen". III. Considerons è préfent la Charité par rapport aux Aêlions, qui font la preuve de la fincérité des fentimens du cceur. Envain prétendroit-on en être animé intérieurement, fi elle ne paroit pas au dehors & par nos ceuvres; on peut en dire ce que Saint Jaques dit de la Foi fpéculative, qu'elle eft morte. Ce n'eft pas en aimant de parole £f de langue , mais d'oiuvre 6f de vérité , que nous affurons nos cceurs devant Dieu. Cette Charité d'action a les mêmes objets que celle de fen* timent, 1'ame, le corps, les biens - 1 &  Chretiennes. Sett. XVU1. 279 & la réputation du prochain. Nous avons obfervé que par 1'ame on peut entendre ou 1'efprit de 1'homme, confidéré en lui-méme, ou fon état fpirituel; a 1'un & è 1'autre égard la Charité nous oblige è lui faire tout le bien qui dépend de nous. S'agit-il Cmplement de 1'ame, confidérée com. me 1'efprit de 1'homme? nous devons procurer a nos freres toute la douceur & toute la fatisfaction poffible, les réjouir, furtout lorfqu'ils font abattus, & qu'ils ont des fujets de triftefïe ; nous devons confoler ceux qui font en quelque affliclion que ce foit. Mais nous devons prendre encore plus d'intérêt a 1'ame de nos prochains, confidérée par rapport a fon état fpirituel: autant que les peines éternelles de 1'Enfer furpaffent les plus grandes angoifTes de 1'ame dans cette vie, autant la Charité nous oblige-t-elle è travailler au falut de nos freres. Nous ne devons pas nous borner a de fimples vceux a eet égard ; ce n'eft - la qu'une Charité ftérile, indigne de ceux qui doivent imiter le grand Rédempteur des ames, lequel a tant fait & tant fouffert pour lesracheter; il faut encore travailler è leur procurer ce que» nous leur fouhaitons. Dans cette vue, il feroit & propos d'avoir pour grand but dans le commerce que nous avons avec les autres, de contribuer au bien S 4 de Pnr rapport h 1'Ame. t Cor. 1. 4.  ago Pratiq_ue des Vertus de leur ame. Si nous formions fermement ce deifein, nous appercevrions peut-être nombre d'occafions , qui nous échappent, d'avaneer le falut de nos prochains. L'ignorance groffiere de 1'un nöus engageroit è travajller a fon inftruction : les vices connus de 1'autre, a le reprendre &a 1'exhorter; Ja foibleüe de la vertu d'un autre, a le fortifier & k 1'encourager. Chaque befoin fpirituel de nos freres nous fournit 1'occaüon d'exercer k quelque égard notre charité: ou fi la nature des circonftances nous perfuade, après un mür examen , que nous agirions fans fuccès nous-mêmes, comme par exemple, iï la médiocrité de notre condition, ou le défautd'habitude avec les perfonnes, ou quelque autre raifon femblable nous donnoit lieu de penfer que nos exhortations feroient inutiles, fl notre charité eft réelie, elle fera induftrieufe a chercher d'autres perfonnes, dont les •avis puiffent avoir plus de fuccès. 11 n'eft pas d'occupation plusnoble, que celle de travailler au bonheur des ames: lors donc que les moyens directs n'y font pas propres , nous devons nous étudier a en trouver d'autres, & y apporter la même induftrie que nous avons pour avancer nos intéréts temporels. Que fi après nos efforts les plus empreffés, l'obftination des péchcurs nous e-rapêche, ou pour mieux dire  Chretiennes. Seët. XVlll. 28Ï dire les empêche eux-mêmes d'en recueillir du fruit, cc que toutes nos follicitations ne puiffent les engager k avoir pitiéd'eux-mêmes, nous devons concinuer k les exhortcr par notre exemple , leur prêcher le prix infini de leur ame, par le foin que nous prenons du falut de la nótre , cc avoir compalïion d'eux; que notre ame pleure en fecret pour eux , 6? que nos yeux fe5 fondent en rwffeaux d'eaux , parcequ'ils* n'obfervent point la Loi de Dieu , cc qu'ils ne veulent point connoftre les cbo-i fes qui appartiennent d leur paix. Lors.4 que toutes nos prieres cc nos exhortatjons n'ont rien pu gagner fur leur esprit, ne ceflbns pas de prier Dieu pour eux, & de lui demander de les convertir. C'eft, ainfi que Samuel, n'ayant pu diffuader les Ifraélites du deflein criminel qu'ils avoient formé, déclare qependant qu'il ne cefferoit point de prier pour eux , cc il s'y croit tellement obligé , qu'il fe croiroit coupa- ' ble s'il y manquoit: d Dieu ne plaifei que je pêche contre l'Eternel, 6? que je* ceffe de faire requête pour vous. Ne craignons pas que nos prieres foient inutiles; fi elles ne font pas exaucées en faveur de ceux pour qui nous les faifons , elles retourneront dans notre 1 fein , éc nous fommes certains de re-1 cevojr ia recompenfe de notre charité. S ^ Le Jerero. :fii. 17. r. cxix. Jö. uc. XIX. 1. Sam. XII. 3- T. XXX.  Par rappon au Corps. Jaq. IL 151 16. Matth. XXV. I. 282 Pratique des Vertus 1 Le fecond objet de la Charité d'action , eft le corps de nos prochains. II ne fuffic pas d'être fenfibles a leurs peines & è leurs miferes, mais il faut auifi les foulager autant qu'il dépend de nous. Le Samaritain charitable ne nous auroit jamais été propofé pour modele, s'il fe fut borné k un attendriflement ftérile, & qu'il n'eüt pas fecouru le bleiTé qu'il trouva dans iba chemin. Les vceux & les difcours confolans ne fuffifent pas dans ces occafions, comme nous Papprend Saint Ja» ques: Si le frere ou la fceur font nudst & matiquent de ce qui leur eft néceffaire cbaque jour pour vivre, & que quelqu'un d'entre vous leur dife: Allez en paix , cbauffez - vous £f vous raffafiez , & que vous ne leur donniez pas les cbofes nécesfaires pour le corps, que leur fervira cela"? Certainement cela ne leur fervira de rien par rapport au corps, & nous fera auffi inu'tile a nous - mêmes pour 1'ame , parceque Dieu ne nous le comptera point pour un acte de Charité. Ce foin de foulager les befoins corporels de nos freres eft un devoir auquel nous fommes fi étroitement obligés, qu'il nous eft préfenté comme le point principal fur lequel nous ferons jugés au dernier jour, & dont 1'omiffion nous attirera cette terrible fentence: Retirez-vous 4e moi, Maudits, au feu éternel, préparé au Diable  Chretiennes. SeSt. XPIII. 283 £P 'd fes Anges. Que fi 1'on demande, quels font les aótes particuliers de Charité auxquels nous fommes appellés, nous ne pouvons en être mieux inftruits, du moins pour ceux qui font les plus ordinaires, que dans le même endrqit du Chapitre cité, oh il eft fait mention de donner d manger d ceux qui ont faim; de donner d boire d ceux qui ontfoif; de recueillir Vètranger; de vêtir celui qui ejt nud; de vifiter celui qui eji malade ou en prifon; oh par vifiter, il faut entendre, les confoler cc les foulager; autrement ce feroit imiter ce Lévite, qui s'approcba Éf regarda lel blejé, mais qui ne fit rien de plus; ce qui ne fuffit pas pour plaire a Dieu. Mais, outre ces occaüons ordinaires d'exercer la Charité , qui fe préfentent fréquemment, la Providence nous en peut offrir d'extraordinaires: un bleflé peut fe trouver fur notre che* min, comme fur celui du Samaritain, auquel cas nous devons en agir comme lui. 11 peut arriver que nous rencontrions un innocent condamné è mort, comme le fut Sufanne, & alors nous devons, a Pexemple de Daniël, faire tout ce qui nous eft poffible pour fa déhvrance: c'eft ce que Saloraon femble avoir en vue, quand il dit: Sip tu te retiens lorfqu'il s'agit de délivrer 1 ceux qui font trahés d la mort, & ceux qui font préts d être iris, & quetudi- ,uc. X. JJ,' 'ov.XXIV.  ^84- Pratique des Vertus fes; voicinous n'en avons rien fü: celui qui pefe les cceurs n'en tendra-t-il point ? & celui qui garde ton ame ne le faura -t-il point, £f ne rendra t-il pas a cbacun felon fon oeuvre? Nous ne dsvons pas nous dispenfer de ces ceuvres de Charité fous de vains prétextes, mais nous fouvenir que Dieu , qui connoft nos penfées les plus fecrettes, examinera févérement , fi c'eft de propos délibéré que nous les avons négligées. Quelquefois encore, & même trop fouvent dans notre fiecle , nous trouverons des gens qui, par leur intempérance, & par des excès habituels, font en danger de ruiner leur fanté & d'abréger leurs jours ; la charité, que nous devons tant a leur ame qu'a leur corps, nous oblige de travailler a les ramener de leur égarement. II eft impofïible d'indiquer tous les actes de cette Charité qui a le corps pour objet, parcequ'il peut naitre des occafions que 3'on ne fauroit prévoir. Nous devons donc être toujours dans Ia ferme réfolution de faire a eet égard tout le bien cue nous pourrons, quand 1'occafion s'en préfentera, & envifager même ces occafions comme une invkation du Ciel, qui nous appelle h exécuter cette réfolution. Cette partie de Ia Charité paroft fi naturelle a 1'homme, que 1'on regarde d'ordinaire, non feulement comme de mau-  CltRETIENNÊS. Sett. XPIII. 2Sj mauvais Chretiens, mais comme deg gens fans humanité, ceux qui y manquent. C'eft ce qui donne lieu d'espérer, qu'il n'eft pas néceffaire d'infiIter beaucoup pour engager les hommes a un devoir, auquel la Nature même les porte. Mais il eft certain que c'eft aulli ce qui aggravera fort le crime de ceux qui ne s'en acquitrent point. Car, puifque ce devoir eft fi conforme aux fentimens rnêmes de la chair, r?hieTnf T 'e d*nScrde diminuer Ipn bien par fes aumönes peut mettre fc&icie a ce plaifir, & par-la ouïmpeque 1'on n'en fafle, ou du moins ion ne ks fafle fi gayement? q V 0-and même on auroit un jufte fu. In' c,rh»dre Cectc di™nution de fon Ben , cela ne nous difpenferoic point * notre devoir ; parceque nous fom. |s obligés d;obéir 4 Dieu, qu f prefent: ainfi nous ne devons pil !4us faire plus de peine de faire Je fa. jfice de nos biens, en donnant 1'au. *ne , qu en d autres occafions oh Dieu 3!fcHe,1emande> & oh Jefus-Ch ifll jus déclare, que cehd qui n'aband n. fymt tout ce qu'il a, ne Jaurmt être/m fUis, enfecondlieu, Ja fuppofitjon T 2 eft  Pratique des Vertus Prov. xl 25- I'rov. XXVUI.»7 Prov. xix* 17. eft faufie; puifque Dieu a promis expres» fément aux perfonnes charitables , qu'il répandra fur eux, même fes bénédidtions temporelies: la perfonne qui bénü fera engraiffée , cf celui qui arrofe abondamment regorgera lui-néme; celui qui don.ne au Pauvre , n'aura point de difette; celui qui a pitié du Pauvre, préte d i'Eternel, & il lui rendra fon bienfait. C'eft donc fe défier de Dieu que de faire cette objection , & c'eft lui faire le plus grand outrage: puifque c'eft douter de la vérité de fa parole, de fa puiiTance infinie, & de fa fidélité dans 1'accomplifJement de fes promeffes. Que Ja crainte de tomber nous-mêmes dans Ja difette, qui eft une difpofition d'iacrédule, ne relïerre donc jamais notre main envers nos freres indigens; car s'il n'y a pas d'apparence qu'ils puiffent jamais nous rendre le bien que nous leur faifons , Dieu eft leur caution, & s'engage a nous le rendre avec ufure. Ainfi, bien loin que 1'aumóne nous foit prëjudiciable , elle nous eft au contraire très-avantageufe. II n'eft perfonne qui n'aimat inieux mettre fon bien en des mains füres, oü il pourroit profiter , & d'ou il pourroit le retirer au befoin, que de le garder, fans en avoir aucun intérét, furtout s'il couroit rifque d'être volé , ou de le perdre par quelque autre accident. Or nous fomnjes a tout moment expo- fó*  Chretiennes, Set!, XV1U. 203 fés au danger de perdre tout ce que nous pofledons. Les plusricb.es peuvent être réduits k la mendicité en un inllant, par mille accidens imprévus, comme 1'hiftoire de Job en fait foi. Pouvons-nous donc agir plus prudemment, que de placer notre bien de facon qu'il ne coure aucun rifque, en le mettaat entre les mains de Dieu, oh nous fommes affurés de le trouver toutes ies fois que nous en aurons befoin, & même avec profit. C'eft ce que Saint Paul a en vue quand il compare les aumónes a de la femence , qui mife en terre y multiplie; il en eft de même de nos ceuvres de miféricorde, qui nous rapportent une abondante moiflbn. Notre propre intérêt, comme celui de nos prochains, nous oblige donc a donner gayement. En fecond lieu, nous devons donner d-propos. II eft vrai qu'il y a des Pauvres, dont la inifere eft fi grande, que 1'au.móne eft toujours de faifon par rapport a eux. Cependant il eft des circonftances, oh h leur égard même les feaours font plus avantageux, qu'en d'autres; on peut quelquefois, non feulement tirerun pauvre de fa détreffe préfente, mais auffi, en lui donnant du fecours è-propos, le mettre en état de fubfïfter plus commodément dans la fuite. En général, c'eft une bonne regie, que de donner le plus T 3 promp' 2 Cor. ix. [O.  2$4 Pratique des Vertus promptement qu'il nous eft poffible, ce que nous deftinons a un Pauvre; les délais étant fouvent également préjudiciables cc aux objets de notre charité & a nous-mêmes. Aux premiers, parceque plus nous différons de les fecourir, cc plus ils gémiffent dans la inifere! & il y a de la cruauté a prolonger leurs fouffrances , en différant de leur donner le fecours que nous leur avons deftiné. Les délais peuvent auffi nous être préjudiciables a nous - mêmes, en nous expofant a renoncer a nos deffeins charitables, paï un principe d'avarice ou par quelque autre tencation. C'eft ce qui n'arrive que trop fouvent h 1'égard de plulieurs des devoirs du Chriftianifme* comme nous n'exécutons pas afleg promptemenr nos bonnes réfolutions, elles fe rallentiffent cc demeurent fans effet. Combien de gens qui forment le deflein de fe repentir , mais qui ne mettent pas d'abord la main k 1'ceuvre, différent de jour en jour, cc par-la demeurent tels qu'ils étoient, La même chofe peut aifément arriver dans Ie cas de 1'aumöne, furtout a ceux qui ont du penchant a 1'avarice ; cc il n'y a perfonne qui doive fe défier dava rits ge de foi-même, ils ne peuvent être trap prompts h donner, cc ne doivent fè permettre aucun délai. L* Prudence eft une troifieme qualité re-  CHB.ETIENNES. Seii. XVffl. 295 requife dans 1'exercice de 1'aumóne: c'eft-a-dire, que nous devons donner le plus la 011 les befoins font les plus grands, & de la maniere la plus avantageufe a ceux qui font les objets de notre cbarité. Souvent les aumönes font mal difpenfées , faute de cette précaution. Car fi nous donnons au hafard è tous ceux qui paroifient être dans le befoin , il peut arriver que nous donnions plus h ceux qui ne font dans la mifere que par leur pareffe ou par leurs excès, qu\i ceux qui méritent davantage notre fecours, & par - la nous eneretenons la parefie des uns, & nous nous mettons dans 1'impuiflance dc fecourir les autres. Cependant les plus indignes peuvent fe trouver dans une fi prefiante néceffité, que nous devons les foulager; mais fans cela , il elt convenable de cboifir les objets les plus dignes de notre charité; tels font ceux qui font hors d'état de travailler, ou qui par leur travail ne peuvent fuffire è 1'entretien de leur familie. II faut même è leur égard diftn'buer nos aumónes avec prudence, de la maniere la plus utile pour eux, qui peut varier felon les circonftances oh ils fe trouvent. II eft plus avantageux aux uns de leur donner peu a peu, & è d'autres de leur donner a une fois. II eft même des occafions oh un fimple prét fera aufiï utile qu'un don , & il eft des T 4 per-  296 Pratique des Ve'rtus perfonnes qui peuvent prêter une fom« me, qu'ils ne feroient pas en état de la donner. Mais quand on préte par, un principe de charité , ce doit être fans intéréc, & dans la réfolution , qu'en cas que 1'eraprunteur devienna infolvable , de relacher de la dette, autant que fon état 1'exige, & que le nótie nous Ie permettra. C'eft pécher contre la Charité que de faire mettre en prifon des débiteurs qui n'ont pas de quoi payer; il y a même de la cruauté a rendre les autres miférables, fans en retirer aucun profit. En quatrieme lieu , nous devons donner libérakment; nos aumónes doivent être proportionnées aux befoins des indigens; donner fi peu qu'ils n'en foient pas foulagés, c'eft en quelque fagon fe moquer d'eux , & comme ft on vouloit rafi'afier un homme aftamé avec une miette de pain. Chacun doit être libéral felon fes moyens; la pauvre Veuve, qui donna deux pites de fa difette, furpaffa en charité les riches, qui donnoient beaucoup de leur abondance. Deforte que , quoiqu'il foit impofiible de déterminer précifément la mefure de nos aumónes, a caufe de la diverfité des circonftances oh 1'on fe trouve, la cbarité exige que 1'on foit libéral a proportion du bien que 1'on poffede. D'ailleurs, fi nous ne fpmmes pas en état de foulager nos freres  Chretiennes. SecJ. XVlll. 297 freres par nous-mêmes, & que nous Je puiffions en expofant leurs befoins a d'autres, nous y fommes obligés; fi en demandant pour eux un fecours qu'ils auroient honte de folliciter euxmêmes, nous pouvons contribuer 4 leur foulagement , la Charité nous y oblige, & Dieu agréera ce que nous aurons fait ainfi, comme les plus abondances aumónes de notre propre fonds. II recoit notre bonne volonté comme nos aétions , & nous met en compte les bonnes ceuvres qu'il voit que nous aurions faites, fi cela avoit été en notre pouvoir. Chacun doit être fon propre juge a eet égard, & décider en confeience de ce que fon état lui permet de fiüre. Quoique Saint Paul exhorte les Corinthiens de la fagon la plus preflante a la libéralité envers les Pauvres, il ne leur prefcrit pourtancpoinc jufqu'oh ils la doivent porter: que c'oacun, dit-it, en faffe felon qu'il s'efi propofé en fon coeur, & non d regret ou par contrainte , car Dieu aime celui qui donne gayement. Mais fouvenons-nous toujours , que plus nous donrions libéralement, pourvu que nous ne faffions point de tort a ceux qui dépendent immédiatement de nous, fit aux befoins defquels nous devons pourvoir , & plus nous nous rendons agréables a Dieu,& nous nous affurons une grande recompenfè. Mais pour T 5 nous ï Cor. IX. 74  *98 Pratique des Vertus i Cor. nous mettre en état de faire des aumónes , en quelque mefure que ce foit, nous ne faurions fuivre un meilleur confeil , que celui que St. Paul donne aux Corinthiens: Que chaque premier jour de la femaine , cbacun de vous mette a part cbez foi, ce qu'il pourra ajjembler felon la bonté de Dieu. Si Pon fuivoit cette regie , & que 1'on mit chaque femaine quelque chofe a part pour des ceuvres de Charité , ce feroit le moyen le plus fur d'avoir toujours de quoi donner quand 1'occafion s'en préfente , & en le faifant ainfi peu h peu on le fentiroit moins, ce qui préviendroit la peine & le chagrin que 1'on reflent quelquefois, lorsqu'il faut donner confidérablement. Cette méthode auroit bien fon utilité è d'autres égards. Par exemple, quand è la fin de la femaine un Marchand fait fes comptes, & qu'il voic le gain qu'il a fait, peut-il prendre un tems plus convenable pour offrir a Dieu ce tribut de fa reconnoiflance , & pour lui faire hommage de ce qu'il a gagné par fa bénédiftion ? Que fi 1'on dit qu'il n'eft pas poffible dè favoir précifément chaque femaine quel gain on a fait, & qu'il faut plus de tems, nous n'entrerons point en difpute la-deflus, nous ne prétendons pas fixer précifé* ment ce terme ; que 1'on fafle ce que nous demandons tous les mois, ou.au bout  C ijs e ti en nes. Seft. XPII1. 20o bout de trois mois , n'iraporte. Mais il eft toujours trés-avantageux de fe faire une efpece de fond pour des ufages pieux, & de ne pas laiffer une chofe fi jufte & fi néceffaire a la dispofition denos caprices: c'eft ce dont on peut fe convaincre par l'expérience. Il feroit facile de propofer ici un grand nombre de raifons, pour engager a 1'exercice de la Charité tous ceux qui font profeffion d'être Difciples de Jefus-Chrift; nous nous bornerons a deux , que St. Paul fait valoir , en écrivant aux Corinthiens, La première eft 1'exemple de Jefus - Chrift : vous connoiffez , dit 1'Apótre , la grace de notre Seigneur Jefus - Chrift; Javoir, qu'il s'eft rendu pauvre pour vous , bien qu'il fut riche; afin que par fa pauvreté vous fuffiez rendus ricbes. Chrift s'eft dépouillé volontairement de la gloire, dont il jouiffoit dans le Ciel avec fon Pere, & s'eft affujetti a une vie abjecte & pauvre, uniquement pour nous enrichir; ainfi nous devons rougir fi nous nous faifons une peine d'employer une portion de nos biens pour foulager fes pauvres membres. La feconde raifon eft 1'attente de la recompenfe, qui fera proportionnée a nos aumónes; car celui qui feme chicbement, recueillira^c duffi cbicbemm , ctu nous oblige d mettre notre vie pour 'nos freiV} a plus forte raifon devons» nous  Chretiennes. Söel. XFItl. 301 nous être difpofés a employer une partie de nos biens a leur foulagement. Rappellons-nous toujours cette confolante déclaration: Dieu n'eft pas injufte pour oublier votre ceuvre, & le travail de la cbarité, que vous avez têmoignèe pour fon nom, en ce que vous avez fecouru les faints, £? que vous les fècourez encore. „ O Dieu! qui nous as appris que la plus grande de toutes les vertus eft la Charité , nous defirons fincé„ rement & avec ardeur de nous fai„ re connoitre par ce beau trait pour ,, tes enfans. Fais-nous la grace de „ nous porter avec joie k fubvenir aux ,, befoins de nos freres, & d'avoir ces „ entrailles de miféricorde, qui font „ goüter les plus délicieux plaiürs k ,, ceux qui recréent par leur libéralité 1'ame des miférables. Qu'aucun pré„ texte ne nous engage a retarder les fecours que nous leur devons. Que ,, nos aumónes, difpenfées avec pru„ dence, deviennent véritablement uti„ les k ceux qui en font les objets, ,, furtout qu'elles foient abondantes, „ felon la mefure des biens que tu ,, nous as accordés. Que 1'exemple „ de notre grand Maitre, qui alloit „par'tout faifant du bien, & qui par un principe d'amour s'eft fait pauvre „ pour nous enricbir, nous encourage s, a la béuéficense; bien afjurés que „ l'm- Heb. VI, Q. Prier».  xlvii JOURNÉE. A quoi la Charité no oblige il 1'égard de Réputatio du Prochain. 302 Pratic^üe des Vertus „ Vceuvre & le travail de notre cbarité, „ non feulement ne fera pas mis en uu„ Mi devant toi, mais fera abondam„ ment récompenfé par la poffefïion „ d'un héritage éternel. C'eft au nom ,, de ton Fils, notre divin Sauveur,que nous t'invoquons. Amen". V. Le quatrieine Objet de notre Charité eft la Réputation de nos Pro[,schains. Nous avons de fréquentes occafions de 1'exercer fur eet article ,tanlatót en faveur des innocens, tantöt en " faveur des coupables. Quand nous voyons calomnier quelqu'un, don: 1'iunocence nous eft connue, la charité nous oblige è faire tout ce qui dépend de nous pour mettre fon innocence au jour, & pour le décharger des fauffes imputations par lefquelles on blefle fa réputation, en rendant témoignage a la vérité , non feulement lorfque nous y fommes appellés, mais encore de notre propre mouvement. Que fi ce n'eft pas une accufation intentée devant le Juge Civil, & qu'ainfi nous n'ayons pas lieu de dépofer publiquement en fa faveur , mais que ce fok feulement une de ces calomnies, qui paffent de bouche en bouche, nous devons alors auffi faire tout ce qui dépend de nous, pour le juftifier, en fajfiflant toutes les occafions qui fe préfenteront, de rendre publiquement témoignage k fon innocence, autant qu'elle  Chretiennes. Set}. XFII1. 303 qu'elle nous eft connue. La Charité peut même fe déployer envers les coupables, tantót en cachant leur faute, fi elle n'eft pas d'une nature a exiger que la Charité envers d'autres oblige de la révéler, ou fi elle n'eft pas fi frappante, qu'il foit impoflible qu'elle ne fe découvre d'elle-même. II n'eft point de bleflures plus incurables que celles que 1'on regoit en fa réputation, ainfi il eft digne de la Charité Chretienne de les prévenir par rapport è ceuxlè-même qui les ont méritées. Ce tendre foin a couvrir les fautes d'un coupable, eft quelquefois un moyen efficace de le porter è la repentance, furtout fi 1'on y joint, comme on le doit, des exhortations férieufes en particulier. Que fi la faute eft de nature è ne pouvoir être tenue fecrette, la Charité demaade qu'on 1'excufe & 1'extéuue, autant que la vérité le permet. Si 1'on y eft tombé par furprife, la Charité adoucira la cenfure , qu'elle* auroit méritée, fi elle efit été commife de deffein prémédité, & elle aura toujours égard aux circonftances favorables, quelles qu'elles foient. Mais on a le plus fréquemment occafion d'exercer la Charité fur eet article è 1'égard de ceux dont 1'innocence ou le crime nous font inconnus, & qui ont feulement donaé lieu è des foupcons par quelques actions équivoques: C'eft- la  i Cor. xiii i» Matth. VU. i. 304 Pratique ües Vertus' la le cas de fe fouvenir que la Charité 'ne penfe point de mal, & qu'elle juge toujours le plus favorablement qu'il eft poffible. Nous devons donc nous ab« ftenir nous-mêmes de juger defavanta. geufement, & autant que nous Ie pouvons, empêcher les autres de le faire; & ticher ainfi de conferver la réputation de nos prochains, qui fouffie quelquefois autant des foupcons injuftes, que des aecufations les mieux fondées. C'eft a des cas de eet ordre qu'il faut rapporter ce précepte de Jefus-Chrifti Ne jugez point; & fi nous pefons mürement les paroles fuivantes, afin que •üousne foyez point jugès, nous fentirons qu'il y a tout lieu de croirc, que ces jugemens téméraires ne font pas d'auffi peu de conféquence qu'on le penfe communément, puifqu'ils retoraberont fur nous au jour du grand & févere jugement de Dieu. . Tels font les devoirs de la Charité Active a 1'égard de 1'Ame, du Corps, des Biens & de la Réputation de nos Prochains. Nous en avions déja touché quelque chofe , en traitant de la Juftice. Peut-être trouve-t-on extraordinaire que les mêmes actions foient confidérées également comme des effets de Juftice & comme des devoirs de Charité. La furprife ceflera, fi Pon confidere , que la Charité nous ayant été commandée par Jefus - Chrift^  Chretiennes. SecJ. XVÏU. 3©* eft devenue une dette que nous devons acquitter, & par conféquent qu'elle peut a eet égard fe rapporter a Ia Juitice , qui exige Ie payement des dettes. Maïs comme on diftingue communément les devoirs de la Juftice de ceux de la Charité, nous nous y fommes étendus fous ce dernicr chef Mais on doit toujours fe fouvenir* que tout ce qui eft de précepte, nous oblige tellement, que fi nous Ie négligeons, nous péchons non feulement contre la Charité, mais auffi contre la Juftice. Réflexion bien digne de notre attention , tant pour nous animer davantage a faire notre devoir, qUe pour prévenir une erreur fort ordinaire fur ce fujet. On regarde les ceuvres de Criante, comme une chofe purement hbre, & è laquelle on n'eft nullement obligé; ce qui fait que 1'on s'applaudit beaucoup, quand on en a fait quelqu'une, quelque médiocre qu'elle foit, & que 1'on ne fe fait aucun reproche , quand même on y auroit entiérement manqué. C'eft-lè 1'effee auffi dangereux que naturel de ce Préjugé, que la Charité eft arbitraire S'il eft des adtes de Charité, que la Juftice n'exige point auffi , ils font dun genre fi hérorque , que ce ne lont pas des devoirs proprement dits, & que Dieu ne nous les a point pre'ents dans ce haut degré , quoiquïl Tornt II. V * foit  Rom. xiii. 9 3oö pratique des vertus foit digne d'un Chretien de s'en rendre capable. Mais il ne Je fera jamais , fans pratiquer les ceuvres de Charité ordinaires & néceflaires , & par conféquent on doit commencer par-la. Rien n'eft plus propre a nous faciliter la pratique de nos Devoirs è eet égard, que d'avoir toujours devant les yeux cette grande & fondamentale Regie , Tu aimeras ton prochain GOM- 1 me toi-meme ; c'eft-la, felon St. Paul, 1'abrégé de tous nos devoirs envers nos Prochains. Que ce foit donc la la regie conftante de notre conduite. Toutes les fois que nous verrons notre Prochain dans quelque néceffité, demandons-nous a nous-mêmes, fi, fuppofé que nous fuffions dans le même cas, l'amour-propre ne nous porteroit pas a nous procurer par tous les moyens poffibles , le foulagemeut .néceffaire ? D'oh nous devons conclure , que l'amour pour le Prochain nous oblige a faire la même chofe en fa faveur. C'eft. la cette Loi Royale , comme 1'appelle St. Jaques , felon laquelle fe doivent conduire tous ceux qui font profesfion de reconnoitre Jefus ■ Chrift pour leur Maitre & leur Seigneur , & tous ceux qui font vérkablement fes fujets s'acquitteront envers les autres des devoirs de Charité qu'ils attendroient d'eux en pareille occafion. II n'eft per-  Chretiennes. m. XV1IL 307 perfonne qui ne fouhaite de voir fa reputauon défendue , d'être fecoum dans fa pauvreté , d'être foula^é dans fes infirmités corporelies. II eft vrai quil y a des gens, qui par rapport a ieurs befoins fpirituels, ont fi peu leur propre intérêt a cceur , qu'ils ne defirent point de fecours; & bien loin de chercher des cenfures ou des inftructions , ils s'irritent contre ceux aui entreprennent de leur en adreffer • il iemble donc qu'ils ne font point tenus , en vertu de la regie dont nous avons parlé, de remplir ces devoirs de Charité envers les autres. Mais il fauc obferver, que l'amour de nous-mêmes qui nous eft donné pour regie de celui que nous devons è nos Prochains, eft: 1 amour raifonnable que nous nous devons, tellement que, quoiqu'un homutiï™ pm Pour.lu>-n.ême eet amour égitime il ne s'enfuit pas de-la que le Frochain n'ait toujours droit d'attendre de lui ce degré d'amour , qUe chacun fe doit a foi-même : or il eft certaun que le foin de notre falut eft un des principaux objets auquel 1'amour raifonnable de nous-mêmes nous oblige de nous intéreffer. Ainfi notre néghgence par rapport è notre propre laluc, ne nous difpenfe point de travailler a celui du Prochain. Mais il feroit mutile d'infifter la-deflus , pa", cequil ny a pas d'apparence qu'on v 2 puis-  DelaPacification des DiffeYends , & des Pro ces. Matth.v. s 508 Pratique des Vertus puiffe perfuader des gens de ce caractere , ou qu'ils puffent faire quelque bien; quand même ils voudroient s'acquitter de ce devoir , leur mauvais exemple anéantiroit tout le fruit de leurs bonnes exhortations. VI. Il elt encore un acte de Charité qui ne fe rapporte proprement point a aucun des chefs précédens, cc qui cependant a de la relation a tous en général; c'elt le foin de procurer la Paix, cc de réconcilier nos Prochains les uns avec les autres. Par-la on eft également utile a leur ame , a leur corps, a. leurs biens 6c k leur réputation, qui foufFrent plus ou moins des divifions 6c des querelles. La réconciliation des ennemis eft une oeuvre chretienne ,• qui attire Ia bénédiction de Dieu fur ceux qui s'y employent , comme Jefus-Chrift lui-même nous en . affure, bienbeureux font ceux qui procurent la paix, die-il. C'eft-lè un puiffant motif pour nous engager a faifir avec empreffement toutes les occafions de nous acquitter de ce devoir, & d'employer toute notre adrefle pour öter tous les fujets de mécontentement & de querelle entre nos freres. ( Nous devons non feulement travailler a rétablir la paix \h oh il y a du trouble, mais tScher de la maintenir \k oh elle regne. Premierement, en infpirant k tous eeux avec lefquels nous fomT mes  Chretiennes. Sic}. XPI1I. 300 mes en commerce, 1'eftime qui eft fi juitement düe a un bien aufli précieux que Ja Paix. En fecond lieu, en prévenanc de bonne heure les mécontentemens & les divifions, que nous prévoyons pouvoir s'éiever entre eux. 11 eft fouvent au pouvoir d'un ami ou d un voifin prudent de diffiper les ombrages, de faire ceffer les mefintelli. genees, qui font les fources & les principes des querelles & des diftenuons; & il eft beaucoup plus aifé & plus avantageux de les prévenir, que de les appaifer. Plus aifé , parceque quand les querelles ont éclaté, elles lont telles qu'une flamme violente , quil eft plus difficile d'éteindre, qu'un reu qui couve fous la cendre. Cela eft encore plus avantageux, parceque 1'on previent divers péchés, qui font comme inévitables dans les querelles déclarées. Salomon dit, qu'en beaucoup r>c. de paroles il n'eft gueres poffible qu'il n'y ' au du pêché -, ce qui eft plus vrai encore des paroles qui échappent dans la colere. iellement qu'encore que 1'on s accorde enfuite, on a toujours a rendre compte des péchés commis dans la chaleur de la difpute. C'eft donc un ofhee important de Charité que de les prévenir. Mais pour être propre h réufiir dans une oeuvre auffi excellente que celle de procurer la paix, il faut être conV 3 nu )v. x. 19,  310 Pratique des Vertus Mrtth. Va. 5. nu pour pacifique; car de quel front exhorteroit-on les autres a la paix, fi pn ne Paime & ne la chercbe pas foimême? ou quel fuccès pourroit-on fe promettre de fes exhortations ? On s'expoferoit a s'entendre dire : Hypocrite, óte premierement de ton csil le chevron , C55 alurs tu penferas a oter le fêlu qui eft dans l'osil de ton frere. 11 faut donc fe rendre propre a faire regner la paix, avant que de 1'entreprendre. Il y a dans 1'exercice de ce devoir une chofe a laquelle on fait généralement peu d'attention, je parle des Procés. On s'y engage pour des objets peu importans , & 1'on penfe n'avoir rien a fe reprocher dès qu'on a le droit de fon cóté. Mais fi nous aimions vé> ritablement la paix , comme nous le devons, nous nous ferions de la peine de troubler le repos de nos Prochains, & de les inquietter pour fi peu de chofe. Ce n'eft pas que la Religion Chretienne défende abfolument toute forte de procés, mais elle interdit certainement ceux que 1'on entreprend par fierté ou par opiniatreté, pour maintenir des droits fi peu confidérables, que Pon pourroit y renoncer fans fe faire que peu ou point de tort , ou, ce qui eft encore pis, pour fe venger de quelque légere atteinte è nos droits. Lorsmeme'que dans des chofes plus importantes, cj cede de fes droits pour Ie bien  Chretiennes. Seü. XVIII. 311 bien de la paix, on agic conformément 4 1 efprit de 1'Evangile, & 4 Pavis de plutot que 1'on nous fajje tort, que d'entreprendre un proces contre nos freres. Que s'il s'agit de chofes qui nous caufero.ent un trop grand préjudice . & que par cette raifon nous loyons contramts d avoir recours a la Jultice , nous devons, en ce pas'. 14- ver la paix. Premierement, en avant toujours des fentimens d'affection vraiement chretiens pour notre Partie , lans permettre jamais que notre cceur en foit aliéné. En fecond lieu en etant toujours porté 4 accepter un accommodement, dès qu'il nous fera ottert fous des conditions raifonnables. t m°In!LQue no"s ne confervions cette difpofition dans nos procés, on ne comprend point, comment ils font compatibles avec eet efprit pacifique, que 1 Evangile exige fi formellement de tous les Chretiens. C'eft ce qui merite de férieufes réflexions de Ia part de ceux qui prennent plaifir a inquieter leurs Prochains, ouia y porter les autres. Car tous ceux qui font profeffion d'être les Serviteurs de cefnnr fJ-/6 A?1^ Pri™de />«*, Efaie lont indifpenfablement obligés de nourrir en eux - mêmes, & de tacher d'infpirer aux autres eet amour de la paix. V 4 VIL Cor. vi.7. ix. 5.  512 Pratique des Vertus De l'A'.nour des Enneinis. VII. Il ne refte plus rien a dire fur Ja Charité adtive, fi ce n'eft d'en déterminer 1'étendue. Elle ne doit pas être plus bornée que celle qui conüfte dans les fentimens du cceur ; & par conféquent elle doit embraffer non feulement les étrangers & ceux qui n'ont point de relations particulieres aveq nous, mais auffi nos plus grands ennemis. Comme nous nous fommes déja fort étendus fur 1'obligation oh nous fommes de leur pardonner, nous n'y infifterons pas ici. Mais en préfuppofant que c'eft -la un devoir indifpenfable , il ne paroitra pas déraifonnable de faire un pas de plus, & de porter la Charité jufqu'è leur faire du bien. Dès que nous leur avons pardonné , nous ne pouvons plus les regarder comme nos ennemis , & par conféquent il ne doit pas être difficile, k ne confulter même que la chair & le fang, de leur rendre tous les fervices qui. dépendent de nous. II n'y a pas même de moyen plus fur de découviir q c'eft finceremept que nous leur avons pardonné. 11 eft aifé de dire, je par dunne d un tel; mais s'il fe prérente une occafion de lui faire du bien, qu'on 1'éviie, c'eft une preuve que 1'on a encore de la haine dans le cceur. Quand on a pardonné de bon cceur & fans réferve, on eft auffi difpofé a faire du bien a un ennemi qu'a un ami; on  Chretiennes. Set}. XPIII. 313 on s'y portera méme avec plus de chaleur ; parcequ'une ame vraiemenc chantable envifage comme un avantage particulier, de pouvoir démontrer ia iincénté de fa réconciliation, & fa ioumiffion a eet ordre de fon Maïrre, faites du bien d ceux qui vous haijjent. Umcluons donc, que nous devons ren- ^ dre a nos ennemis tous les bons offices dont Ja véritable amitié eft capable , puifque Jefus - Chrift nous 1'a nonleulemenc commandé, mais qu'il nous en a donné 1'exemple. I! ne s'eft pas borne i avoir quelques fentimens de bienveillance pour nous, qui étions fes ennemis les plus implacables «Sc les plus obftinés ; mais il nous a donné des preuves réelles de fon amour non des preuves foibles, «Sc qui ne lui aient rien coüté , mais les plus extraordmaires, jufques è verfer fon précieux fang pour nous. Nous ne pouvons donc prétendre que nous obéiffons a fes ordres , ou que nous imitons fon exemple , fi nous avons de Ja repugnance a témoigner notre charité pour nos ennemis par des actions qui nous cofitent beaucoup moins , comme font de leur donner d manger &m s i s ont faim , fc? h boire s'ils ont /óif.so. felon ie précepte de Saint Paul. II y auroit même une doublé charité, fi nous pouvions témoigner a nos ennemis notre amour d'une maniere a leur gav J gncr Mattli. '•44- B. XIÏ,  314 Pratique des Vertus gner le cceur , & k y décruire toute animofité. C'eft du moins le but que nous devons nous propofer , comme St. Paul nous Papprend par rapport aux actes de Charité, dont nous avons parlé; afin, dit-il , que nous puiffions leur amajfer par-ld des cbarbons de feu fur la tête, non pour les brüler, mais pour amollir leur cceur, & 1'attendrir en notre faveur. Ce feroit-la fans contredit Pimitation la plus parfaite de 1'exemple de Jefus - Chrift , qui en tout ce qu'il a fait & fouffert pour nous, s'eft propofé de nous gagner & de nous reconcilier avec lui. Nous avons développé les différentes parties de notre devoir envers nos Prochains. 11 n'eft rien de plus nécesfaire pour nous en acquitter avec fuccès, que de bannir de nos cceurs eet amour-propre, qui y regne fi abfolument & en rempiit li fort toute la capacité , la plupart du tems, qu'il n'y laiffe plus de place a la Charité, ni même è la Juftice, envers nos freres. Nous n'entendons pas par l'amour - propre, l'amour légitime que nous nous devons è nous - mêmes, qui confifte a aimer notre ame & è prendre foin de fon bonheur; bien loin de mettre obftacle a notre devoir, il nous y portera. Mais nous entendons par l'amour-propre, eet amour immodéré de nos intéréts & de nos avantages tem-  Chretiennes- Setï. XVIII. 315 temporels, qui eft vifiblement la four4 ce de 1'injuftiee & du défaut de Charirité envers nos femblables. L'Apótre met eet amour - propre k la tête d'une longue lifte de péchés; éz ce n'eft pas fans raifon, puifqu'il n'eft jamais feul, & qu'il mene a fa fuite tous les vices, & anéantit en nous tout égard pour les autres. 11 nous rend fi ardens & (i attentifs a nous fatisfaire nous-mêmes, que nous ne penfons en aucune facon a ce qui intéreffe nos Prochains ; ce qui eft directement contraire è ce que nous prefcrit St. Paul, quand il dit, que nous ne devons pas nous complaire a nous-mêmes , mais que cbacun de nous1 doit complaire d /on prochain dans le Men , pour fon édification; & il apnuye ce précepte de Pexemple de Jefus. Chrift; car, ajoute-t-il, Cbrifl même n'a point voulu complaire d foi même. Si nous defirons donc fincérement que la Charité regne dans nos cceurs , nous devons travaiiler foigneufement a nous dépouiller de l'amour-propre , car il eft impoffible que ces deux difpofitions y fubfiftent enfemble. Après avoir détruit eet obftacle, nous devons nous fouvenir que la Charité , comme les autres Vertus , ne nous vient pas de nous-mêmes, mais qu elle eft un don de Dieu. Nous devons donc lui demandetpar de ferventes prieres de la produire en nous, & de 2 Tim. [ii. z. Rom. XV,  316 Pratique des Vertus Prieve. Jaq. 1. 17. Rnm.XlI. 18. de nous accorder fon Saint Efprit, pour former nos cceurs a l'amour du Prochain , & pour nous mettre en état de * remplir tous les devoirs auxquels il nous appelle. „ Pere des lumieres, de qui defcend tout don parfait , nous implorons j, avec toute l'humilité & toute 1'ar,, deur poffible les fecours de ta gra- ce, pour nous mettre en état d'ob„ ferver la Loi Royale que tu nous as donnée , & d'aimer nos Prochains „ comme nous-mêmes. Donne-nous j, u'être toujours prêts a maintenir les droits de Pinnocence, & a ufer de „ fupport envers les coupables ; de s, nous fouvenir que c'eft un des ca- racteres propres de tes enfans de procurer la paix, foit en prévenant, 3> foit en appaifant les diffenfions & les querelles : qu'ayant eet efprit „ doux & paifible , qui eft d'un fi ., grand prix a tes veux, nous foyons attentifs a éviter "les différends avec „ nos Prochains, ou a termincr avec ,, joye & en charité ceux oh nous „ nous trouverons engagés, enforte „ que nous ayons la paix avec tous ,, les hommes , autant quil eft poffi„ He. Qu'intimément pénétrés de 1'obligation de faire aux autres ce que nous fouhaitons qui nous foit „ fait a nous • mêmes, nous ayons tou„ jours cette grande regie devant les „ yeux,  Chretiennes. Conclujion. 317 ,, yeux, pour juftifier que nous lom* ,, mes les vrais Difciples & les fideles ,, Imitateurs de ce jEbas, qui fuc dé., bonnaire £? bumble de emir. C'eft „ en fon nom que nous c'invoquons. „ Amen". CONCLUSION. NOus avons rempli le plan que nous nous étions propofé, d'ex-J pofer tous les devoirs de 1'Homme envers lui-möme 5 & nous fommes en droit de dire avec le Sauveur, Fais ces cbofes tf du vivras. Cette tache n'eft nullement impos-i fibie a remplir, finon auffi parfaitement que nous le devrions, du moins en y travaillant de bonne foi & avec un cceur fincere. Que nous manquet-il pour nous en acquitter? Ce ne fopt pas les lumieres ; puifque nous avons dans la Parole de Dieu toutes les connoiffances nécefTaires pour nous rendre fages a falut. Ce ne font pas non plus les moyens de mettre nos lumieres a profit, puifque Dieu nous ménage le tems & les occafions» qu'il nous a accordé la Raifon pour difcerner ce qui convient a nos véritables intéréts, & qu'il s'eft engagé k nous XLvni. OURNEE. UC. X, 23  3i3 Pratique des Vertus jaq. m. a Lue XIX. 21. pc cm. 13. m' nous donner des fecours puiffans , a nous foutenir par fa grace, li nous la follicitons avec la ferveur requife, cc que nous faffions valoir les talens qu'il nous met entre les mains; que fi malgré tous nos foins nous brvncbons encore en phifieurs chofes; Dieu n'eft point un Maitre rude , qui moiJJonne ■ ld oü il n'a point femé; il fait de quoi font faits les enfans des hommes ; cc de telle compaffion qu'un pere ejt ému envers fes enfans , de telle compaffion VEternel eft ému envers ceux qui le craignent. La pratique des Devoirs de la Religion n'eft pas non plus aufïï difficile & auffi defagréable, que la plupart des hommes fe 1'imaginent. 11 eft vrai que Ia Vie Chretienne a fes difficultés, furtout dans les commencemens. Mais ce n'eft pas la une chofe qui lui foit particuliere , cc une raifon légitime de fe difpenfer de s'y appliquer. 11 n'y a aucun Art, aucune Profeffion , aucun genre de vie dans le Monde , qui n'ait les difficultés: elles ne rebutent pourtant point ceux qui veulent s'y former; pourquoi donc feroit-on valoir contre la Religion feule une raifon qui n'arrête point dans toute autre affaire importante? D'ailleurs, il eft incontefta. ble que la grandeur d'un bien adoucit les travaux qu'il en coüte pour s'en aflurer la pofieffion : & è envifager la Religion de ce cóté-la, pourroit-on dou-  Chretiennes. Conclufion. 3ro douter que les obftacles que nous avons h fin-monter pour pratiquer les Vertus Chretiennes , doivent nous paroftre moins confidérables, que ceux qui fe rencontrent dans toute autre entrepnfe ? 11 s'agit de nous affurer, en terminant notre vie mortelie, un bonheur auffi excellent en foi-même, qu'éternel dans fa durée. Quoi .' 1'on s'agite 1'on travaille pendant plufieurs années pour fe procurer une fituation agréable dans le Monde, fans être asiuré du fuccès de fes travaux, ni fi 1 on aura le tems de jouir des biens quon aura acquis, & p0n fe plaindroit d avoir a fuivre les lecons de ILvangile pendant quelques années davoir, fi 1'on veut, a faire des fa! crifices meme pénibles pour obéir a Uieu, ayant une entiere certitude que notre travail ne demeurera point fans recompenfe & que le tout-puiflTanc Maitre du Monde nous mettra en posleffion d un bonheur capable d'éppifer tous nos defirs! Ne feroit-ce pas être auffi deraifonnable qu'injufte ? 11 v a b us. La Piété a fes douceurs & fes plaihrs; le témoignage des Saints hom'mes dans nos Ecritures, qui ont parlé d expénence , ne permet pas de te contefter: & iï y auroit de la témériié & de la préfomption a démentir ceux qui en ont fait 1'épreuve, fans avoir jamais™ tenté, pour connoïtre ces dou-  Hel). XI F. 14- j Jean III, S, 3- Matth. VII. 81. 3ao Pratique des Vertos douceurs & ces plaifirsj tout différens de ceux du Monde. Si nous voulons étre heurcux dans Ja vie a-venir, nous ne pouvons nous difpenfcr de la tache qui nous eft impofée; la fainteté eft une condition quel'Évangile nous prefcrit: Saint Paul déclare , que fans la fanciification perfonne ne verra Dieu; Saint Jean, que quiconque a l'efpérance de wir Dieu tel qu'il eft , doit fe purifier comme lui - même eft pur; & notre Sauveur lui-même s'eft expliqué bienclairementla-delTus: ce ne (ont point ceux qui me diront, Seigneur ! Seigneur! qui entreront au Royaume des Cieux, mens ceux qui auront fait la volonté de mon Pere Célefle. 11 n'eft pas même difficile de comprendre que l'amour de la Vertu eft une difpofition abfolument néceffaire pour jouir du bonheur du Ciel; quand nouspourrions être admis dans le féjour des bienheureux fans être faints, nous ne goüterions pas le bonheur dont ils jouiffent, a moins que Dieu ne changeat nos idéés, nos habitudes, notre goüt, par un miracle, que nous ne fommes pas en droit de nous promettre. Ce n'eft que par une vie Chretienne que 1'on peut fe qualifier pour le Royaume des Cieux; il n'y a que les ames qui fe font formées, par la pratique des Ver» tus Evangéliques, le goüt des chofes fpirituclies & céleftes, qui foient propres  Chretiennes. Conclufioh. 5u pres a devenir membres d'une Société donc la féJjciré confifte a pofieder des biens fpirituels & céleftes. Ce qui empêche, fouvent les hommes de travailler comme ils devroient a fe former è la Piété, c'eft qu'ils ont de> faufles idéés de la Religion , & qu ils la font confifter dans cè qui n'en fait tout au plus qu'une très-petite partie. On fe perftiade qu'il fuffic d'étudier fuperficiellementdans fa jeunelTe les véntés de 1'Evangile, de lire quelques Chapitres' de 1'Ecriture Sainte, dy lomdre de tems en tems la leciure de quelques Livres de Dévotion, de participer au Sacremenc de la Ste. Cêne , d'adreffer réguliérement è Dieu une priere affez froide, de vivre d'une maniere décente & fans donner de icandale, de n'être ni fourbe, ni ivrogne. La Religion Chretienne demande quelque chofe de plus: elle confifte a connoitre k Jeul vrai Dieu Wie ceuit qu'il a envoyè Jefus ■ Cbrijl, a être spénétre des bienfaits donc d nous a combles, & furtout a fentir tour ce que mérite de notre part le don qu'il nous a fait de fon Fils, pour nous racheter & pour nous procurer w bonheur éternd; elle confifte a é re faints > 1 dans toute notre converfation, comme ce-1*' lui qui nous a appellés e/t faint; a faire fervir la Icclure de la Parole de Dieu, Tome 11. X ]J m XVII. lerre I.'  322 Pratique des Vertus la Priere, les Sacremens, le Culte public & particulier , a faire naitre en nous des fentimens de refpect , de foi , d'humilité , de crainte, d'amour , de foumiffion & d'obéiffance pour notre Pere Célefte & pour notre Sauveur; a nous rendre juftes & charitables envers nos prochains, felon les diiférentes relations que nous avons avec eux; a nous porter a la modération , a la douceur, a la tempérance, & a la patience dans tous les états oh la Providence nous place. En un mot, la Religion doit être en nous une fource de difpolitions, qui paroisfent dans toutes nos aclions; elle doit regler nos penfées & nos defirs, purifier notre cceur & fanctifier nos mceurs. Il elt aifé de voir par-la, combien eft frivole le prétexte de ceux , qui pour fe difpenfer de la pratique des Vertus Chretiennes , alleguent que le tems leur manque , & que les befoins de la vie préfente ne leur permettent pas de faire de celle qui eft a-venir leur principale affaire. II eft vrai que tous les hommes n'ont pas également du loifir, que les uns font beaucoup plus occupés des affaires temporelies que les autres. Des Artifans, des Laboureurs, & d'autres perfonnes, qui font obligées-de travaiiler affidument, afin de  Chretiennes. Cmclufion. 323 de pourvo;r k leurs befoins «Sc è ceux de leurs families , ont certainement moins de tems libre , que ceux qui font dans une ikuatiori plus aifée. Mais , quelque borné que 1'on foit, alléguer que le tems manque pour travailler è fon falut, c'eft fe tromper. Et d'abord il fauc obferver, que s'acquitter fidélement des devoirs de fa vocation, c'eft remplir déja une partie de fon devoir. D'ailleurs, quelque nombreufes que foient nos occupations , nous n'avons pas befoin de tems pour ne point pécher; nous pouvons toujours refpecter «St aimer D:cu , élever notre cceur a lui , lui adrcfler humblement nos prieres, nous fouraettre aux ordres de fa Providence , implorer fon fecours & fa bénédiction , former des vceux ardens «St finceres pour la polfeifion du Ciel, nous conduire envers les autres hommes felon les regies de la Juftice «St de la Charité , être doux , humbles, fobres, patiens, en nous acquittant des fonctions de nos différens emplois. Mettons donc inceffamment Ia main a 1'ceuvre , & ne différons pas de nous appliquer a la pratique des Vertus Chretiennes. Ne renvoyons pas a nous occuper d'une tAche , qui doit être 1'affaire de toute notre vie. X 2 Plus  324 Pratique des Vertus Plus nous nous fornmes écartés du bon chemin , & plus nous devons nous hater d'y rentrer; plus nous y fommes avancés, & plus ncfus devons perfévérer pour parvenir au but. 11 n'y a que le tems préfent qui foit è notre difpofition , nous ne pouvons compter fur 1'avenir, qui n'exiftera peutêtre pas pour nous, puifque nous ne fommes. pas les maïtres de notre vie, & qu'il ne dépend pas de nous d'en prolonger le cours. D'ailleurs, quand nous ferions aflurés de parvenir aux dernieres bornés de la vie humaine, pouvons-nous nous flatter d'être plus difpofés a changer de vie que nous rie le fommes a préfent, ou que nous aurons le libre ufage de nos facultés? L'Expérience ne nous apprend-elle pas, qu'il y a des perfonnes , qui confervent dans Patge le plus avancé les goüts de leur jeuneffe, & qui font plus attachés au Monde qu'ils ne Pont jamais été ? L'Expérience ne nous montre-t-elle pas des perfonnes dont 1'efprit affoibli eft incapable d'agir? Y a-t-il quelqu'un qui puifle compter qu'un pareil avenir ne rattend point ? Enfin , ne faut-il pas s'aveügler volontairement, pour s'imaginer que Dieu fera toujours prêt a nous accorder fa grace, & qu'il agréaa les facrifices tardifs & foreés qu'on  Chretiennes. Conclufion. 325 qu'on lui voudra offrir, quand on Tentara qu'il fauc abandonner le Monde? N'a-c-on pas lieu de craindre 1'accompiiuement de cecte menace : 072 crieraf a mot, mais je ne répondrai point; on 2 me chercbera de grand matin , mais on ne me trouvera point ; parcequ'ils auront bat la fcience , fcf qu'ils n'auront point cboifi la crainte de l'Eternel? Nous ne pouvons doucer que tóe ou tard nous ne devions mourir & quitter cette ferre, oii nous ne fommes qu ecrangers & voyageurs , pour entrer dans un Monde tout différent, ou il n'y aura plus de tems; nous ne pouvons douter que de la maniere dont nous aurons vécu, dépendra notre fort pendant toute 1'Eternité. Envain nous flaterions- nous fur eet article, envain nous attendrions - nous a la miféricorde divine: Ne nous abu Gfons point , on ne peut fe moquer de7' Dieu: ce que l'bomme aura femé , il le moiffonnera auffi ; celui qui feme d la cbair, moiffonnera auffi de la cbair la corruption ; mais celui qui feme d Ves~ prit , moiffonnera de 1'efprit h vie éternelle, Gravons cette regie dans nos cceurs , fuivons le fage confeil de 1'Auteur du Livre de 1'Eccléfiaftique: Ne tarde point de te convertir au Sei-E* gneur , & ne differe pas de jour en ]our; cc a lexemnle de David, fai-K- X 3 Jf0m59: rov. I. 2: lar. VI. lef.V. 8. CXIX. (5o.  326 Pratique des Vertus Priere. Rom. XII.2 Pf. LI. is ï Pierre i. 15. Tite ii. II, 12. M tth. XXII. 37- i Pierre i, i fons le compte de nos voyes, & rebrousfons chemin vers les témoignnges de l'Eternel; batons ■ nous , 6? ne diffêrons point de garder fes commandemens. Dieu, dont la Volonté eft bon■ne , agréable 6? parfaite , c'eft de „ toi que nous attendons les graces qui nous font néceffaires pour 1'ac„ complir. VeuilJe, Seigneur, nous . „ renouveller dans 1'efprit de notre en- tendement , & créer en nous un cceur „ vet , afin que nous foyons faints „ ta is toute notre converfation , comme tin , qui nous as appeliés , es faint'. ,, Que ta Grace falutaire , qui eft fi aairement apparue d tous les bomj, mes, nous en/eigne efficacement d ,, renoveer d 'fimpiété 6f aux convoi,, lifes mondaines , £? d vivre dans ce ,, préfent Ji-cle fobrement , jujlement „ Êf religieufement. Que ton Efprit rég'anc nos affcöions, nous t'ai,, minus de teut notre coeur , de toute ,, notre ame £ƒ de toutes nos forces. ,, Fais que nous foyons pénétrés de „ reconnoiflance & d'amour pour no. „ tre divin Sauveur , qui nous a ra3, cbetês par fon piéveux lang ; que „ nous l'a mwhs , quoique nous ne 1''ayons point vu; que, croyant en t, lui , quoique maintenant nous ne le „ voyions point, mms nous égayions en lui }, d'une joie ineffable glorieufe. In- fpi.  Chretiennes. Conclufion. 327 ,, Tpire-nous pour nos prochains ces „ fentimens de charité que nous leur „ devons. Fais que nous foyons humbles, doux , modérés, fobres, patiens. Ne permets pas que nous négligions de profiter de tant de lumieres dont tu nous éclaires , de „ tant de. moyens de nous fauver „ que tu nous accordes ; que nous foyons affez infolens pour nous j, plaindre que tu es un Maitre rude, „ tandis que les voyes de tes comman- J „ demens font des voyes agréables, Pénetre-nous de plus en plus de la ,, néceffité de la fanStification, fans la3, quelle perfonne ne verra ta face, '■ j, afin que nous travaillions de bonne 3, heure & confiamment a nous for„ mer a la piété ; rcnds - nous toi,, même fermes, immuables, & toujours ,, abondans en ton oeuvre , bien per- 2 „ fuadés que notre travail ne fera pas vain , afin qu'après avoir été par ta „ grace , quoique imparfaitement en,, core , les images de notre grand 5, Rédempteur , nous foyons pleinement rendus conformes a lui dans le féjour des bienheureux, oh nous „ te célébrerons éternellement, Pere „ des miféricordes qui nous a donné ton Fils, Divin Sauveur qui nous as racbetés par ton fang, Efprit „ Saint qui nous as conduics, & fcelX 4 „ lis Matth. XV. 24. Prov. til. 17. Heb. CU. 14. 1 Cor. :v. 58.  3i8 Pratique des Vertus &c. Ephcr.lV» „ \ês pour le jour de la rédemption. A« *0, „ men". F i N. De-  DrVOTIONS PARTTCULIERES QUI PEUVENT SERVIR E N DIVERSES OCCASIONS ORDINAIRES E T EXTRAORDINAIRE S.   AVERTISSEMENT. f~\N n'a pu donner a ces Dévotions autant d'étendue , qu'on l'auroit fouhattê. 11 a faliu fe bomer. Les psrjonnss qui Jouhaiteront d'atoir quelque tbofe de plus complet, doivent fe pöurvoir de F excellent Ouvrage de Mr ?FAM RODOLPHE OSTERFALD, Pasteur de Balie, intitulé: La Nourriture dj 1'Ame, ou Recueil de Prieres tjfc imprimé a Halle &? a Leipzig, pour la cwquicmefois, en 1759. On ena Ure la plupart des Prieres qui Je trouvent tci, parcequ'on les a tronies plus fimples , fcf générale-ment plus dégagées de certaines exprejfttms. figurées de fkcriture, que tout le monde nemend pis. On a profitè auffi de quelques morceaux d'un Ouvrage a tous égards bien propre a DODDRIDGE, qui kpourtitre: Les Commencemens & les Progrès de Ja vraie Piété. On a profité encore de ce que Ion a trouve de wvenable au but que l'onfe popofoit, dans quelques autres Ouvrages, non moins utiles que ceux que Ion vient d'indiquer; tels font les De- ^irSj felon tes commandemens. Que plein I de foi cc de repentance , je reoare tous i les défordres de ma vie, en commenI cant aujourd'hui è la régler, comme I je te prie de m'eri faire la grace. ParI donne-moi tous mes péchés, pour PaI mour de Jefus - Chrift ton fils; affermu mes  Pf. XVII. 5. Pf.cxlvii 1. Rom.VI.i: rr. cxlii: 10. . 336 DEVOTIONS ParTI CÜLIER ES. mes pas fur ta parole, cïf ne permets pas | qu'aucune iniquiti domine en moi. lïxau- | ce moi pour l'amour de mon divin 1 Sauve^r. Amen. III. Priere du Matin pour une perfonne jeuk' Seigneur mon Dieu! je viens me préfentei de\am toi au commencement de ce jour pour tt bénir & poui te .louer Cefl une belle chofe que de céli- 'brer fElernel. Que donc mon Ame t'exalte pour ta onrrection paterndle que tu m'a- accordée durant la nuit paffée: c' ft toi, ó Dieu! qui as veil]é fur moi pendant que j'é ois enféveli enne les bras du fommeil; ïe° faffie 1'unique regie de ma conduite. O Dieu' J ai tout mon recours è Pefficace de la mort de mon Sauveur, perfuadé que pour 1 amour de lui tu fera* grace a tous,les Croyans, cc que m'ayant pardonné tous mes péchés, tu me fauve- ïme?20 élUS da"S t0n Royaume- Priere pour un Pécbcur, qui après s'être examiné, eft forci de reconnoitre qu'il neft pas en état de grace, g> „ui eft touché de fon état. J Je me jette è tes pieds , ó mon Dieu! pour confeffer cc pour déplorer Lnom^e & la g''andeur de mes péchés. L examen de mon cceur cc celui de ma confeience me convainquenc, que malgré tout ce que ta miféricorde a fait pour ma converfion, j'ai continué jufques ici dans mes défordres, & que même è divers égards mon état eft plus trifte cc plus déplorable. Que deviendrai-je, ó mon Dieu! fi tu retires entiérement de moi ta grace, & fi tu terraines en ta jufte colere une vie-, 2a " dont  35 6 Devotions Particulieues. dont j'ai fait un ufage fi criminel? Je pafl'e condamnation devant toi; je reconnois a ta gloire & a ma confufion, que je mériterois d'être pour jamais rejetté de devant ta face. Je t'ai fait de fi grands outrages , & en particulier j'ai profané tant de fois le faint Sacrement, que je me reconnois indigne de m'y préfenter de nouveau. Eft-il posfible, ó Dieu! que ta miféricorde n'ait pas encore pris fin, & mon cceur pourroit-il encore être renouvellé & changé? Aurois-tu encore lailTé dans ce cceur ingrat & rebelle quelque étincelle & quelque femence cachée, par ou je puifle être converti? II me femble, Seigneur, que j'éprouve en moi-même quelque fentiment qui me rappelle a toi; mais mes infidélités paffées m'empêchent d'y faire aucun fond. Pénétre-moi de plus en plus de tout ce que 1'écat, dans lequel mes péchés m'ont réduit, a de trifte & d'eifrayant; que je confidere, pendant que je puis y remédier, les funeftes iffues de la route dans laquelle j'ai marché jufques ici; & puifque tu es difpofé a faire grace aux plus grands pêcheurs,- s'ils fe repentent, jette fur moi, Seigneur, des regards de compaffion. Je fens ma mifere, je dép'ore les defordres de ma vie, & la dépravation de mon cceur; affermis-moi dans la réfolution de m'amender. Oue je trouve dans le fang x de  Devotions Particulierés. 357 Je n,aj pas rouc.a.fajc Qu, mie tes commandemens, quoicue ie les aye tranfgrelTés. Je connois encore ta volonté & les vues de miféricorde que tu as fur moi. Je vois ce qui me manque pour me convertir, & ma conlcience me follicite de le mettre en exécution. Viens feulement a mon aide, ó mon Pere! & que felon toutes tes compaffious, ton indignation & ta colere foient décournées de deilus moi. Seigneur exauce; Seigneur pardonné ; Seigneur fois attentir a ma fupplication , è caufe de J?i!"-Aem.e & pour ^mour de JefusChnfr. Amen. J Priere Z3  35/8 Devotions Particulierés. Priere pour une Perfonne, qui aprh ïépreuve de foi-méme, peut s'ajjurer quelle a fait des frogrès dans la Piété. O Dieu! qui es la fource de tout bien , & 1'auteur de tout don parfait , je te rends graces de ce que nonobftant tant de foibleifes & tant d'imperfections qui fe trouvent en moi, j'ai lieu de croi're que tu as mis dans mon cceur les fentimens de ta crainte , & que je fuis du nombre de tes enfans. C'eft toi , ó Dieu tresbon! qui m'as prévenu par le fecours de ton Efprit. Tu m'as ouvert les yeux pour me tirer de la corruption du fiecle, & pour me faire entrer dans les voyes de la piété. Je penfe a toi plus fréquemment. Je t'invoque avec plus d'ardeur, mon ame te cherche avec un nouveau zele , & je fens en moi un fervent defir de t'appartenir a jamais. C'eft pour cela, ó mon Dieu! que mon cceur te loue, & que j'exalte la grandeur de ta miféricorde. Acheve 1'ouvrage de ta Grace, que tu as commencé en moi. Affermis mes pas dans tes voyes, afin que jamais il ne m'arrive de me relücher, ni d'oublier ma foiblefle & les tentations qui m'environnent.  DEvonoNS Particulierés. 350 ■ Que je trouve , ó mon Dieu! de nouveaux fecours dans la communion de ton Fils, & que luivant conftamment ce divin Chef, je lui fois un jour réuni dans la gloire éternelle. Amen. Priere avant que d'approcber de la Sainte Table. Seigneur, qui m'invkes préfentemenc a la Sainte Cene, j'implore humblement fur moi la divine efficace du fang que mon Sauveur a répandu pour la rémifïïon de mes péchés. Envoye du faint lieu de ta demeure ta lumiere & ta vérité, & qu'elles me conduifent è ta Sainte Table, pour y reeevoir le fentiment de ta paix, & les fecours de ton Efprit. Purifie mon cceur de tout ce qui pourroit re déplaire, & m'empécher de remplir les faints engagemens oh je vais entrer. Et puifque Jefus - Chrift s'eft donné foi-même pour moi , que je me confacre auffi k lui entiérement & pour toujours. Allume de plus en plus en moi, & furtout dans ce moment, le feu de ton amour. Remplis mon ame de repentance, de foi, de charité, de zele, de joie & de reconnoiflance. O Dieu! mon cceur me dit de ta part, Cberebeï ma face. Je la cherche, SeiZ 4 gneur,  36Q Devotions Particülieiiei. gneur, ne fois pas fourd è mon humble priere , & fauve • moi, qui efpére» en toi. Amen. Ekvations de coeur, en allant d la Table, tirées de l'Ecriture. Seigneur, fois appaifé envers moi, qui fuis pécheur. Eternel, ne te fouviens point de mes transgreflions. Eternel , pour l'amour de ton nom, tu pardonneras mon iniquité, quoiqu'elle foit grande. Si'tu prends garde aux iniquités, Seigneur, qui eft-ce qui fubfiftera devant toi ? mais il y a pardon par devers toi, afin que tu fois crainr. Seigneur, regarde a ton Fils bienaimé, en qui tu as pris ton bon-plaifir : écoute fon fang, qui crie de meilleures chofes que celui d'Abel. Qui eft-ce qui condamnera? Chrift eft celui qui eft mort, Priere d'aëtion de graces après être de retour de la Table. Seigneur mon Dieu, permets-moi de verfer dans ton fein une partie de ce que je fens. Qui fuis-je? Quelle grace que celle que tu viens de m'accorder ? Que te rendrai-je?Foibles fentimens,  Devotions Particulierés. 3ör metis, foibles louanges, foiblesadtions de graces, que vous êtes peu dc chofe au prix de ce que je dois a mon Dieu. Eternel, ta gratuite eft meilleure que la1 vie; je te bénir ai cbaque jour, fc? je loue-A rai ton nom d jamais. Pere de miféricorde , qui n'as point êpargnê ton Fils, , ton unique, mais qui l'as livré d la mort pour moi, accorde - moi toutes cbojes avec lui <5c pour l'amour de lui. Donne-moi furtout l'amour & la reconnoiflance que je te dois, avec la fidélité & la perfévérance dans fon fervice. Sois mon guide & ma force: fois ma lumiere & mon efpérance , pendant que je fuis dans ce corps mortel , & que lorfque tu viendras des Cieux pour nous rendre a tous felon nos ceuvres, je fois du nombre de ceux qui trouveront grace devant toi. A celui qui nous a aimés, 6f qui nous üa lavés de nos pécbés par fon fang, £? qui neus afait Rois {6 Devotions Particulierés. Priere pour une Perfonne malade dans ks cas ordinaires. O notre Dieu & notre Pere! tu nous commandes dans ta fainte Parole, de t'invoquer au jour de notre dêtreffe, avec promefle que tu exauceras Jes prieres que nous te préfenterons au nom de Jefus-Chrift & felon ta fainte volonté. Nous ofons donc efpérer que tu recevras favorablement la priere que nous t'offrons pour ce pauvre malade, & qu'il te préfente lui-même par notre bouche, afin d'obtenir de ta paternelle miféricorde tout cc qui lui eft néceffaire, tant pour le corps que furtout pour 1'ame , dans 1'étac oh tu as trouvé a; propos de le réduire. Après 1'avoir favorifé de la fanté & de diverfes autres bénédictions, tu 1'as couché dans ce lit d'infirmité, d'oh il recourt avec humilité au tróne de ta grace, pour te fupplier de n'entrer point en compte ni en jugement avec lui; il avoue a. ta gloire & a fa propre confufion, que de mille articles il ne fauroit répondre d un feul. Il pafle condamnation devant toi, y étant forcé par fa propre confeience; il t'avoue fes fautes, il en fent Ie nombre & la grandeur , il fe repent de les avoir commifes, il en a horreur, & il .-•at t'en  Devotions Particulierés. tff fen repent fur le fac 5f fur la cendre. Accepte, óDieu! les effbrts de fa repentance , & agis toi - même fur fon cceur, touche-le, brife-Ie, convertisle; il t'en fupplie pour l'amour de Jefus-Chrift, qui eft notre unique refuge & dans la vie & dans la mort. Ne le retire de ce Monde , qu'après que tu 1'auras mis en état de mourir de la mort des juftes, ou des vrais pénitens, afin qu'ainfi il trouve grace devant ton Tribunal. Que fi tu voulois prolon^er fes jours, fais.lui la grace de former une fincere & irrévocable réfolutwn de t'en faire le facrifice. Qu'il vive pour mener une vie nouvelle, que fon ame vive pour te louer. Difpoie, ó bon Dieu! de lui felon ta volonté; que foit qu'il vive, il vive a toi ; foit qu'il meure , il meure a toi. Nous Ie remettons entre tes bras patertiels, & que craindroit-il dans eet afyle ? Benis toute la familie,accorde-lui les confolations & la réfignation dort elle a befoin. Pais-nous la grace a tous de penler tellement k notre mort, qu'a 1'exemple des Vierges fages nous ayons toujours de 1'huile dans nos lampes, afin que nous ne foyons pas furpns par la venue de notre célefte Epoux. Sois le Médecin de tous les Malades, & écoute ceux qui du fein de  368 Devotions Particulierés. de 1'adverfité crient a toi. Nous t'invoquons avec confiance, puifque c'eft au nom de Jefus - Chrift, ton Fils, notre Sauveur. Notre Ptn &c. Autre Priere pour un Malade, plus courte. Ecoute, grand Dieu! favorablement la priere que nous te préfentons pour ce pauvre Malade, & envoye-lui du hauc de ton Ciel les graces & les fecours dont il a befoin , tant pour le corps que pour 1'ame. Pénetre le furtout d'une vive repentance, qui t'appaife en fa faveur. Calme fes agitations , fes craintes , & fes combats, en lui faifant entendre le langage de la paix & de la reconciliation , pour l'amour de celui, qui eft venu appelier les picbeurs d la repentance. 11 fe remet entres tes bras: fi cu veux qu'il meure, il efpere que fa mort fera précieufe a tes yeux , & que fon corps glorieux fortira un jour du fein de la poufiiere; mais fi tu veux encore prolonger fa courfe , il te demande, ó Dieu! la volonté & les forces néceflaires pour ne vivre que pour ta gloire & pour fon falut. Epargne-lui les douleurs qui pourroient 1'empêcher d'élever fon cceur a toi, & le plonger dans 1'impatience. Sanótifie tous ceux qui lui ap-  Devotions Particuliere?. 309 appartiennent, foutiens-les dans cette épreuve, & apprens-leur è en profiier. Fais luire fur nous tous la clarté de ta face, & détache nos cceurs du monde & de nous - mêmes; que, comme étrangers & voyageurs nous nous abftenions fcrupuleufement de toutes les con•voitifes cbarnelles, qui font la guerre ci 1'ame, aüa que lorfqu'il faudra entrer dans 1'éternité, nous nous endormions dans une douce & légitime efpérance de voir ta face en juftice, tj> d'être d jamais raffafiés de ta glorieufe reflemblance. Notie Pere &c. Priere pour un Malade que 1'on ne croit pas dans un bon état, mais qui ne donne pour tant pas des marqués d'une totale impênitence. Seigneur! aye pitié de nous, & permets-nous d'élever nos cceurs vers toi, & de faire monter nos foupirs en ta fainte préfence. JNous le favons, o Dieu ! & notre propre expérience nous Pa appris, que tes compalfions lont mfinies , mais nous favons aufli qu'elles ne font que pour les pécheurs pénitens: cornment donc aurions-nous ofé les implorer cn faveur de ce Ma■•lade, que nous avons cru dans Pétat de ceux qui font morts dans leurs fautesPn] & dans leurs péchés ? JNous te louons - J.ume 11. & et II. 1  ■ Heb. VI. 6. Lue. XV. 6. j I 570 Devotions Particulierés. & nous te béniffons de ce que nous croyons remarquer que fon coeur s'amollic, & qu'il n'eft pas impoffible qu'il foit renouvellé d la repentance, ■ [erem. II. 9.  372 Devotions PAmicuurnts. Heb. III. 13 Matth. VII, sa, 23. paroftre en jugement. Vicrs a fon aide , Dieu tout bon! afin qu'il ne lui arrivé pas de fe laifler furprendre & entrainer par la fiduQion du iêcbi S'il a eu le malheur de fe mcconnottre, viens 1'édairer fur cc qu'il elt veritsblemenc devant loi: qu'il eomptcnos que la connoiffance de la véricé , que de 1'avoir profeffée, d'avoir marqué quelque zele pour ta gloire , quelque amour pour la vertu , quelque bonne intention, que tout cela ne fuffit pas pou* te plaire ni pour trouver grace devant ton tribunal, puifque nlufiëurs te diront au dernier jour: 5 'gneur! Seigneur! n'avons-nouspaspropbèiijé en ton nom? Et n'avons-nous pas cbajjé les démons en ton nom? n'avons-nous pas fait plufieurs miracles en ton nom? 6? qu'akrs tu leur diras ouvertement je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui faites le métier d'iniquité. Fais, Seigneur, que ce Malade comprenne, qu'un coeur dans lequel tu habites, t'elt dévoué entierement & a tous égards. Donne-lui, ó bon Dieu! le tems, les forces, le courage & la réfolution de bannir de fon ame tout ce qui pourroit t'en éloigner; qu'il ne fe faffe illufion fur aucun article, & qu'il te demande .grace d'une telle maniere qu'il 1'obtienne pour l'amour de fon Sauveur. Apprens - nous a juger droi-  Devotions Particulierés. 373 droitement de l'érat de notre cceur, ne nous donne aucun repos jufques è ce que ton Efprit rende un témoignage légjti- r< me d notre efprit, que nous fommes dul6 nombrede tes Enfans,&que ton Efprit lui.ef même nous f celle pour le jour de la rédemp-r> tion. Notre Pere, &c. Priere pour un Malade que Ton a lieu de croire en état de jalut. Pere de grace, qui es la ferme conlolation & la douce confiance des ju ft es & des humbles de cceur, nous élevons nos cceurs & nos mains vers le Ciel ^ pour te préfenter au nom de Jelus- Chrift notre ardente priere en faveur de cette perfonne malade , qui cbercbe taface, & qui la cherche de tout fon cceur. 11 fe reconnoit trop pent au prix de toutes les graces & de toutes les bénédictions temporelies & fpirituelles , que tu lui as accordées depuis le jour de fa naiffance jufques k ?°-tte iLeure: Tour tes bienfüts font fur lui, & tu Pas couronné de gratuïtè 6? de compaffion. Par ta bonne ProviJence tu l'as fait naitre dans ton Eglifetu l'as appellé k la connoifTance de ton divin Fils & è l'béritage des Saints. Tu as répandu dans fon ame les lumieres « les graces du Saint Efprit; tu lui as donné cette Foi, qui eft la viéïoire du Aa 3 Mon- m. vm. hef. IV.  374 Devotions Particulierés. Monde, par laquelle tu as afïermi fes pas dans les fentiers de la vie, deforte que, quoiqu'a divers égards il fe reconnoiffe trés-coupable, & que comme tel il recoure humblement a ta miféricorde, il fenc pourtant dans fon ame Ie fentiment de ta paix & 1'efpérance de ta gloire, C'eft de-la que nait cette douce & humble perfuafion oh il eft, que fi tu trouves k propos de borner maintenant fa carrière, Jon ame Jera précieufe d tes yeux, & que pour l'amour de ton Chrift tu 1'introduiras dans ton faint Paradis. Oui, 6 Dieu tout bon! il éprouve cette paix qui Jurmonte tout entendement, & il triomphe dans 1'efpérance de remporter les fruits de faglorieufe vocation. O Dieu! que les avantages que ton amour & ta paix nous procurent, font grands & précieux! Pendant cette vie, tu es la force & la joie des tiens, tu es leur confeil & leur efpérance: ils favent, que tant qu'ils te feront fideles, rien ne les Jauroü féparer de ton amour, que tu nous as démontré en Jefus - Chrift notre Seigneur; ils font aufïï perfuadés, que fi leur demeure terreftre de cette loge eft détruite , ils ont dans le Ciel un édifice qui vient de Dieu, une maifon éternelle qui n'eft point fait e de main; c'eft-ïk oh ils efperent voir ta face en juftice, 6? être d jamais raffafiés de ta glorieuf* rei-  Devotions Particulierés. 375 rejjemblance. L'état heureux oli fe trouve notre Frere Cou Sceur) eft 1'ceuvrede ta grace, elle Pa foutenu, relevé, encouragé. II te fait un humbie hommage de tout, il a regu de toi tout ce dont il puit. Fortifie dans fon ame le fentiment de fon adoption. Exauce auffi les prieres qu'il te préfente avec confiance pour tous ceux qui lui appartiennent, pour fes Amis , pour ton Eglife, pour 1'établiiïement du regne de Jefus - Chrift, & pour Ia deftruction -de celui du Pêché. Augmente, Seigneur, de plus en plus le nombre de tes enfans, afin qu'ils foient comme des fi ambeaux au milieu de la génération tortue & perverfe. Retire tant de pécheurs & tant de mondains du tomfbeau de leurs vices; ne les recranche pas en ta jufte colere, mais donne-leur la repentance pour pouvoir obtenir la vie. Fais-nous è tous la grace. Seigneur, de recevoir inftruccion; que 1'heureux état dans lequel notre Frere (ou SceuO fe tróuve, & pour lequel nous te béniffons, nous engage è travaiiler fans délai & de toutes nos forces a mourir un jour de la mort des juftes, &? a faire que notre fin foit femblable a la leur; furtout que nous fuivions Pexemple & les préceptes de notre glorieux Rédempteur. Oui , ó Dieu! que nous fortions un jour de ce Monde avec le témoignage d'une bonAa 4 ue  3?6 Devotions Particulierés. ne confeience, & la douce nerftiafion de notre entrée dans ton Royaume Céleite. Notre Pere, &c LecJure d'un ajjemblage de PaJJages de VEcriture Sainte, pour ia confolation d'un , Fidele mourant. Comment vous abattriez - vous encore, quand Dieu vous dit lui même: Ne crains point, car je fuis „ avec toi. Ne fois point étonné, car „ je fuis ton Dieu. Je te fortifierai &» „ je t'aiderai; même je te foutiendrai j, par la droite de ma Juftice Or il „ n'eft point homme pour mentir, ni 3, fils de 1'homme pour fe repentir. II „ a dit, & ne le fera-t- il point? il a „ parlé, «Sc ne le ratifiera- t-il point? „ L'Eternel eft ma lumiere «Sc ma dé„ livrance , de qui aurois-je peur? „ L'Eternel eft la force de ma vie, de „ qui aurois-je frayeur? C'eft le Dieu, ,, qui eft mon Dieu è toujours «Sc a „ perpétuité: il m'accompagnera jus„ qu'a la mort. C'eft: pourquoi, quand „ je marcherois par la vallée de 1'om„ bre de la mort, je ne craindrois „ 'aucun mal, car tu es avec moi; ,, ton biton «Sc ta houlette font ceux „ qui me confolent. O Eternel! j'ai ,, attendu ton falut: continue ta gra„ tuité fur ceux qui te connoifient, «Sc „ ta  Devotions Particulierés. „ ta juftice fur ceux; qui font droits „ de cceur; car la fource de la vie elt ,, par devers toi, & par ta clarté nous „ voyons clair. Tu me feras connot„ tre le chemin de la vie; ta Face eft „ un raffafiement de joie, cc il y a des „ plaifirs è ta droite pour jamais. „ Quant a moi je verrai ta face en jufti„ ce, & je ferai raffafié de ta reiTem* „ blance, quand je ferai réveille. Car „ je connois celui en qui j'ai cru, & ,, je fuis perfuadé qu'il eft puiffanc „ pour garder mon dépót jufqu'a cette „ journée.la. Ainfi mon cceur s'eft ,, réjoui , 6c ma langue s'eft égayée; „ ma chair auffi habitera en affurance: car fi nous crovons que Jéfus eft „ mort, cc qu'il eft reflufdté , de „ même aulfi ceux qui dorment en Jé,» fus, Dieu les ramenera avec lui. —. „ Je donncrai è mes brebis Ia vie éterj, nelle, dit Jesos, Ie bon Berger, & „ elles ne périront point, éc perfonne „ ne les ravira de ma main. C'eft ici ?, Ia volonté de celui qui m'a envoyé, „ que quiconque croit en moi ait la „ vie éternelle; & je Je refiufciteraï >, au dernier jour. Que votre coeur ne „ foit point allarmé, vous croyez „ en Dieu, croyez aulfi en moi: il y „ a plufieurs demeures dans Ia maifon „ de mon Pere ; s'il étoit autremenc », je vous 1'eulTe dit: je vais vous pré- „ pa- 37?  37 § Devotions Particulierés* „ parer le lieu; & quand je m'en ferai ,, allé, & que je vous aurai préparé le „ lieu, je retournerai & je vous pren* drai avec moi, afin que la ou je fuis, „ vous y foyez aufïï. Vas a mes Fre„ res, & leur dis; je monte è mon Pere „ & a votre Pere, a mon Dieu & a vo» tre Dieu. Pere! mon defir eft tou„ chant ceux que tu m'as donnés, que la ou je fuis ils foient aufïï avec moi, ,, afin qu'ils contemplent ma gloire, ,, laquelle tu m'as donnée, cc que 1'a,, mour dont tu m'as aimé Ibit en eux, ,, cc moi en eux. Celui qui rend té„ moignage de ces chofes, dit; certai„ nement je viens bientót , Amen ! ,, Oui, Seigneur Jefus, viens! Oh eft, ó „ Mort! ton aiguillon? Graces a Dieu, „ qui nous a donné la vidtoire par no„ tre Seigneur Jefus-Chrift. F I N.