L E C A B I N E T DES F É E $9  CE VOLUME CONTIENT , Les Iilustres Fées , S a v o i » : Blanche-Belle. Le Roi Magicien. Le Prince Roger. Fortunio. Le Prince Guerini. La Reine de 1'Ifle des rieurs. Le Favori des Fdes. Le Bienfaifant, ou Quiribirini. La Princeffe couronnée par les Fées. La Supercherie malheureufe. L'Ifle inacceffible. La Tyrannie des Fées Détruite , par Madame h Comtefle d'Auneuil. Les Contes moins Coktïs que les autres , park Sieur de Preschac, Sa v o i r : Sans Parangon. La Reine des Fécs.  LE CABINET DES FÉES, o u COLLECTION CHOISIE DES CONTES DES FÉES, ET AUTRES CONTES MERVEILLEUX, Ornés de Figures. TOME CINQUIÈME. A AMSTERDAM, Et ft trouvea PARIS, RUE ET HOTEL SERPENTE. M. DCC LXXXV.   BLANCHE BELLE, CONTÉ. X i Amberiê, vrurquis de MontFerrat , gouvernoit fes états avec une grande profpérité • tout lui réuffiuoit a fouhaic ; a la réferve d'un feul bien qu'il défiroit pafiïonnément, il poflcdoit tout ce qui fait la féiicité des hommes ; mais il n'avoit jamais pu avoir d'ênrans , dont la marquife fa femme & lui étoient dans une grande affliction. La marquife avoit entendu parler de la naiffance de Romulus, que l'antiquité atcribue a unö fïmple converfation que Rhéa fa mère avoit eut avec un Sylphe. Elie fouhaiia mille fois une pareille aventure; & de quelque manière que cefüt, elle défiroit d'effacer la honte de n'avoir pu être mère. Un jour qu'elle étoit feule dans uh cabinet 'de fon jardin , ayant 1'imagination pleine dn pouvoir des Sylphes, elle s'eudormit, & fut occupéé durant fon fommeil, d'un fonge qui lui fit fort Tome V\ * A  1 BtANCHE BEtLE. grand plaifir j eHe avoit cru avoir paffe une nuit fort agréable , avec un Sylphe beau comme 1'amour , & elle s'éveilla fortement perfuadée qu'elle étoit groffe : elle ne s'y trompa pas , elle accoucha neuf mois après d'une fille qui parut, en naiflant , d'une beauté merveilleufe. Comme les maris ont la bizarerie de nepasapprouver que leurs femmes ayent des converfations myftérieufes avec les Sylphes mêmes, la marquife tint fon fonge fecret, & laiffa le marquis fe flatter d'être le père de cette charmante petite princeffe qu'on nomma Blanche Belle , paree qu'elle étoit 1'un & 1'autre. Elle devint, en peu d'années , la merveille des merveilles par fa beauté : elle fut élevée avec tant de foin j qu'on la vit bientót 1'admiration de toutleMontferrat j & le bruit s'étantrépandu dans toute 1'Italie qu'il n'y avoit jamais eu une perfonne li parfaite , il n'y eut pas de potentat qui n'en prétendit faire la conquête. Outre tous les agrémens qui la rendoient 11 défirable , elle tenoit du Sylphe a qui elle devoit le jour, un don d'un prix infini, car toutes les fois qu'en s'éveillant elle ouvroit les yeux , il lui fortoit une perle de chacun , & la première parole qu'elle proféroic chaque jour, étoit accompagnée d'un rubis qui lui tomboit de la bouche, ce qui étoit la fource d'une richelfe immenfe. Le marquis fachant qu'elle  B t A N C K E B E i U.' 3 avoit un fi beau moyen d'amafler de grands biens,1 devint fort difficile fur le choix du prince de qui 'elle feroit la fëlické. 11 fongea, avant que de s'en féparer, a fe fervir d'une fi belle occafion de met-' tre fa maifoii dans un état bien floriflant; & il amafla de fi grands tréfors, que rien ne lui pouvoit plus manquer dans lè cours de fa vie. Cette précaurion prudemment prife , il fe détermina » examiner lequel de tous les princes qui prétendoient a Blanche Belle , étoit le plus digne de pofféder tant de beauté & tant de grandeurs 5 il conjfulra même cette charmante fille qu'il aimoit Cl tendrement, & ayant appris qu'elle n'avoit pas èncore d'inclination au mariage, & qu'aücun de tous ceux qui avoient foupiré poür elle ne lui touchoit lecoeur i il ne fe prefla pas de fe détermijier, dans 1'efpérance, qu'avec le mérite & les fecrets admirables qu'elle avoit, elle pourroit tbujoiirs choifir qui il lui plairoit, quand le défir de s'engaget lui fëroit venu. Elle étoit dans eet état de nonchalance, il y avoit longtems , lorfque le plus aimable prince que le foleil eüt jamais? éclairé , parut a la cour de Cafal; c'étoit Fernan•din, roi de Naples, lequel voulaht vifiter touteS les cours d'Italie , ayant commencé par Milan, & étant venu de Milan a Cafal, y borna toute Ü curiofité. Aufli-tót qu'il eüt vu Blanche Belle; tous fes projets fe convertirent en celui de lui A z ■  % Blanche B e t l e: plaire. La princefle, de fon cöté, le trouva fi aimable > que le marquis lui ayant demandé ce qui lui en fembloit, elle avoua franchement qu'elle ne feroit pas fachée qu'un prince de fa forte voulüt penfer a elle, & elle déclara au marquis fon père qu'elle feroit toute prête d'obéir , s'il lui commandoit de 1'écouter favorablement, quand il lui feroit 1'ofFre de fon cceur. Le roi de Naples méditoit, dans ce même tems, les moyens de fe rendre agréable au marquis & a la princefle fa fille, & n'eut aucune peine a y réuflir; les difpofitions étoient fi grandes de part & d'autre pour cette alliance, qu'elle fut aufïit6t conclue que propofée. Le mariage fe célébra avec grande pompe. Le marquis étoit fatisfait d'avoir trouvé un grand roi pour gendre, & la princefle fa fille, charmée du mérite du roi fon cpoux, fe croyoit la plus heureufe perfonne du monde. Le roi voulut faire voir a" fes fujets Paimable princefle qui faifoit fon bonheur. Elle parut a Naples, toute brillante de fa beauté, & fes habits 1'étoient de perles & de rubis dont ils étoient chamarés par tout. Le peuple ébloui de tant d'éclat, alloit jufqu'a 1'adoration pour fa reine incomparable, Sc le roi étoit dans un contentement qu'on ne peut exprimer , de pofleder au milieu des applaudiflemens d'une grande ville , la plus aimable princefle qu'il y eüt au monde j  Blanchs Bell*? f mais comme on n'a pas encore vu de bonheur éternel, il n'eft pas furprenant que le fien ait été troublé. Le roi de Tunis ayant appris que Fernandin étoit le maïtre d'un li rare tréfor , réfolut de le lui ravir. Ainfi vivement touché de la relation qu'on lui avoit faite de la beauté de la reine Blanche Belle, & du don qu'elle avoit de produire tous les jours des perles & des rubis, il fit un grand armement pour faire la guerre a Fernandin , lequel ayant autant de foin de conferver fa chère Blanche Belle que fa couronne , 1'envoya dans un chateau qu'il avoit dans le fond des bois, & pria la reine veuve du roi fon père, & une fille qu'elle avoit d'un premier mariage, de lui vouloir faire compagnie; ce qu'elles accordèrent volontiers , étant fort aife d'avoir cette occafion d'exécuter un mauvais deflein qu'elles avoient médité contre la reine Blanche Belle, dès le premier jour qu'elle avoit paru X Naples. Cette vieille reine la haïfloit mortellement,parce qu'elle occupoit une place qu'elle avoit prétendu faire remplir par fa fille, pour qui le roi Fernandin avoit eu quelque bonne volonté, pendant la vie du roi fon père, jufqu'a lui avoir même fait efpérer qu'il 1'épouferoit quand il feroit roi. La vieille reine ni fa fille n'avoient fait aucune plainte de 1'infidélité du roi ; mais elles n'en étoient pas moins a craindre. Le roi devoit avoir A }  % Blanche Belle.1 jugé qu'une haine diffimulée, n'en eft que plus dangereufe, & qu'une dame abandonnée pour une autre, pardonne rarement l'affront qu'elle prétend qu'on lui a fait. L'aventure de Blanche Belle en a été un fameux exemple. Aulïi-töt que la vieille reine eut cette charmante perfonne en fa difpofiüon , dans un chateau oü elle étoit la maïtrefle, iplle ne fongea plus qu'a s'en défaire, & a mettre fa fille en fa place. Mais comment faire pour tromper les yeux du roi , & mettre la reine en Üeu oü il ne püt jamais la retrouver; car toute méchante qu'étoit la vieille reine , elle ne le fut pas aflez pour faire mourir une perfonne qui lui faifoit tous les jours mille carefles , ou peut-être qu'elle ne fe vouloit pas rendre le roi irréconciliable, s'il découvroit un jour la fupercherie qu'elle Jui faifoit. Dans tous les embarras d'un li grand defTein , la vieille reine crut qu'elle ne, pouvoit ïnieux faire que de fe fervir du fecours & du confeil d'une illuftre fée qui avoit beaucoup contribué, par fon art, a la faire reine, 8c avoit toujours pris un foin particulier de ce qui l'avoit regardée deplus fon enfancej ainli elle alla la trouver. La fée avoit fon palais dans l'endroit du bois le plus épais 5 la vieille reine y alla, ne menant que fa fille avec elle; & après avoir bien confulté, 8c pris de bonnes mefures, elle dit un jour a. la reine Blanche Belle qu'elle vouloit la mener dans le plus beau  Blanche B e l l ï. ? lieu qu'elle eüt jamais vu -y c'étoit, difoit-elle , une belle prairie entourée de canaux oü couroit une fi belle eau qu'elle faifoit plaifir a voir,& ils étoient remplis de toutes fortes de poifions; il y avoit a un bout de cette prairie, difoit-clle encore, un chateau oü demeuroit une de fes anciennes amies qu'elle feroit bien aife de connoïtte, & qu'on ne pouvoit voir que chez elle, paree qu'étant incommodée elle ne fortoitguéres; Sc pour donner encore plus de curiofité a la jeune reine, elle lui dit que fon amie étoit favante comme les fées , & qu'elle lui diroit, en voyant fa main, ce qui aviendroit de 1'entreprife du roi de Tunis , & toutes les chofes les plus confidérables qui lui devoient arriver dans tout le cours de fa vie. Quelle curiofité n'a pas une jeune perfonne qui fait fon mari, qu'elle aime tendrement expofé aux événemens incertains de la guerre, & en a-t-on vu quelqu'une qui négligé de favoir 1'avenir ? Ainfi il n'eft pas étonant, que la jeune reine fe füt laifle féduire & mener dans un lieu oü elle eüt palfé triftement fa vie , li le Sylphe qui avoit prélidé a fa nailTance, n'eüt eu le pouvoir de 1'en retirer. Ce Sylphe étoit fils d'une.fée plus puiflante que 1'amie de la vieille reine , & qui n'avoit jamais rien refufé au Sylphe le plus accompli de fes enfans. La vieille reine qui croyoit que Blanche Belle A4  ce  Le Roi Magicien. 2.7 qui fut exécuté en un moment 5 & la ptinceflê s'étant mife dans le char avec le prince , elle fut fort aife d'y trouver aufli fon perroquet. Auffi-tot que la princelfe fut dans 1'air, elle appercut une perfonne montée fur un aigle qui marchoit a la tête de fon char ; elle en fut étonnée , mais le prince la raffura , en lui difant que c'étoit la bonne fée , a qui elle avoit 1'obhgation de tout le fecours qui lui arrivoit , qui |a vouloit conduite jufqu'au cabinet de la reine fa mère. Le roi qui ne dormoit pas d'un fommeil tranquille , depuis le premier jour qu'il avoit vu la princelfe , s'éveilla en furfaut. 11 venoit de voir en fonge qu'on lui enlevoit fa maitreffe ; il reprit fa forme d'aigle , il vola a fon palais , oü ne 1'ayant pas trouvée, il entra dans une furie horrible 5 il revint au plus yite chez lui pout confulter fes bytes & ayant compris que c'étoit fon fils qui lui enlevoit ce précieux tréfor , il fe transforma en un moment en harpie , & poffédé de rage, il réfolut de dévorer fon fils, & même la princelfe s'il les rencontroit. Il per$a l'air avec une rapidité inouïe, mais il étoit paru trop rard • & la fée qui avoit prévu qu'il les fuivroit, avoit élevé derrière eux des vents impétueux dans l'air qui retardèrent fon vol, & donnèrent au prince & a la princefle le tems  Le Roi Magicien. d'arriver en fürété jufque dans le cabinet de la, reine, qui y étoit dans des impatiences dont elle ne connoiffoit pas la caufe, & comme fi elle eüt eu un preflentiment de quelqu'événement extraordinaire. Avec quelle joie croyez-vous qu'elle recut la princefle qu'elle avoit tant regrertée , & ce prince fi aimable qui la lui faifoit revoir ! La fée entra aufli dans le cabinet , & avertit la reine que le Roi Magicien , a qui on venoit denlever ce qui lui étoit plus cher que fa couronne, arriveroit inceflamment, & que rienne pourroir garantir de fa fureur, aidée de fes enchantemens , le prince & la princelfe, fi on ne les marioit; mais qu'il ne pourroit rien cofitr'eux , auflitöt qu'ils feroient unispar leliën du mariage. La reine en fit incontinent avertir le roi • & le mariage fe fit. Le Roi Magicien arriva l la fin de la cérémonie ; le défefpoir oü il étoit d'être arrivé fi tard lui ayant troublé la rête, il parut fousfa forme naturelle, & entreprit de jeter fur le prince & la princefle mariés, une liqueur noire capable de les faire mourir ; mais la fée avanca une baguette qu'elle tenoit d la main , & fit retourner la liqueur fur le roi qui la venoir de jeter, dont il tomba ayant perdu 1'ufage de tous les fens. Le roi chez qui il venoit de vouloir exercer une vengeance fi cruelle, s'en fentant fort offenfé,  Le Roi Magicien. 29 Ie fit eulever & mettre dans une prifon. Les magiciens n'ayant plus aucun pouvoir lorfqu'ils font en prifon, le Roi prifonnier , qui 1'éprouvoit, fe trouva fort embarraffé de fe voir fous la puiffance d'un prince qu'il avoit fi fort ofïenfé: mais on n'avoit garde de fe porter a aucune cruauté dans un jout d'une fi grande réjouifTance. Le prince ayant demandé la grace du roi fon père 1'obtint, &c lui fit ouvrir la prifon : elle ne fut pas plutot ouverte, qu'on vit le Roi dans l'air fous la forme d'un oifeau qu'on ne connoiffoit pas , il dit feulement en partant, qu'il ne patdonneroit jamais a fon fils, ni a la fée fa voifine , le cruel affront qu'ils lui avoient fait. La fée fut priée de s'établir dans le royaume oü elle fe trouvoit ; elle 1'accorda , 8i y tranfporta fes livres & fes fecrets de féerie. Elle y batit un nouveau palais oü elle fit fa demeure \ 1'on ne fongea plus dans cette cour qu'a rendre a la généreufe fée la reconnoiffance qu'on lui devoit de tant d'obligations ; & a jouir de la félicité patfaite oü elle avoit mis toute la familie royale. Le prince & la princefTe paflerent enfemble une longue vie trèsheureufe, & laiflèrent en pofTeffion d'un royaume une poftérité qui fut toujoufs couverte de gloire.  Il y avoit auttefois" ün comte de Poitou ,; qui vouloit faire voir le monde a fon fils aine , dans Ia vue de le rendre plus honnête homme, & d etre inftruit a fón retour de plufieurs chofes qu'il avoir curiofité de favoir; mais il avoit peur qu'il ne lui arrivat des accidens , comme il en arrivé alfez fouvent dans les grands voyages, principalement en ces tems-la, auxquels les chemins étoient pleins de voleurs , & oü 1'on fe difputoit les moindres chofes par les arm es. Quelle précaution prendre contre de fi grands dangers ? Il fe fouvint d'avoir ouï-dire que Mélufine , de qui il defcendoit en ligne directe , avoit été fée , qu'elle avoit laiffé des fecrets de féerie admirables, & plufieurs inftrumens fervant a des ufages particuliers de fon art. C'étoit une ancienne tradition de fa maifon ; il fe mit a. penfer oü il pourroit trouver tout cela , & jugea que ce feroit dans la tout de Lufignan , demeure LE PRÏNCE ROGERi CONTÉ-  Le Prince Roger. 31 ancienne de Mélufine , & 011 elle apparoit encore de tems en tems, fi 1'on en crok les chroniques du Poitou. Le comte impatient de trouver ce qu'il cherchoit, ne fe contenta pas de faire percer la tour en plufieurs endroits j il renverfa des murs entiers , Sc fit li bien , qu'il trouva ce tréfor caché pendant tant d'années : c'étoit un petk coffre couverr par-tout de lames d'acier, dont 1'ouvrage étoit fi fin Sc fi délicat, & la matière fi brillante, qu'il étoit aifé de s'y voir de tous cötés. Le comte ne douta nullement que les fecrets de la fée fon ayeule , ne fuflènt enfermés dans ce coffre. 11 chercha de tous cótés un endroit oü on le püt ouvrir, Sc n'en ayant pu trouver aucun, il prit la réfolution de ,1e faire rompre a coups de hache. C'étoit pourtant grand dommage; mais quel moyen de faire autrement, a moins que de renoncer a tous les avantages que 1'on pouvoit tirer de ces fecrets ? car il y avoit lieu de juger qu'un fi beau coffre contenoit des chofes encore plus belles ; on appela donc des ouvriers , Sc le coffre fut rompu : mais quelle furprife! lorfqu'on en vit fortir une lumière qui éblouir rous les affiftans , Sc les faifit d'un fi grand étonnement, que perfonne n'ofoit en approcher. Cette lumière étant peu-a-peu difparue , le comte mit la main dans le coffre, Si la première chofe qu'il en tira,  j2 Le Prince Roger. fut un livre , dont !a couverture étoit d'un beau cryftal, mais d'un cryftal peint de toutes les couleurs les plus vives Si. les plus éclatantes j imprimées dans la matière, de manière qu'elles y paroilfoient naturelles , les feuillets étoient d'un or fin & poli, & les lettres étoient d'azur & du plus beau caractère qu'on eüt jamais vu. Tout le monde fut furpris d'une chofe fi nouvelle , & le comte crut avoir trouvé un livre qui ne contenoit rien moins que des oracles ; il le lut avec emprefièment, & trouva des fecrets dont il ne fit confidence a perfonne, & qui comprenoient apparemment les prédiótions de ce qui ell arrivé de grand a fa poftérité , dont il y a eu des rois dans des régions éloignées. Le comte trouva aufli dans ce coffre quelques baguettes myftérieufes, & plufieurs anneaux d'or, a chacun defquels Mélufine avoit attaché quelque charme, & qu'elle avoit enfermés dans ce coffre pour fervir a celui de fes defcendans qui auroit le bonheur de le trouver. On ne compte pour rien les pierreries & 1'or qu'on y trouva en abondance, ceux qui ont la connoiflance des fecrets des fées, n'en ont pas befoin , & jamais rien ne leur manque; aufli le comte fit-il libéralement part a tous ceux qui étoient auprès de lui de ces richefles communes, & ne fe réferva pour lui que les feuls charmes de la féerie, qu'il communiqua au prince fon  Le Prince Roger. 35 fon cher fils j qu'il fit partit peu de jours après. 11 lui donna fur-tout une baguette d'ivoire qui avoit le pouvoir de métamorphofer tout ce qu'elle toucheroit en tout ce qui pouvoit plaire, a celui qui la portoit. Il lui donna auffi des anneaux dor qui avoient la vettu de rendre invifibles les hommes qui les portoient a découvert, & il lui en donna quatte, afin qu'il s'en put fervir dans les occafions oü il feroit obligé d'avoir deux ou trois de fes gens auprès de lui. Avec eet appareil, & un équipage magnifique, le jeune comte de Poitou partit pour chercher des aventures ; il fit dix lieues la première journée , & ayant lailfé fon équipage , il marcha avec fon écuyer feulement, & fit encore deux lieues a 1'entrée de la nuit; mais s'étant approché d'un chateau oü étoit une dame pour qui il avoit une forte inclinatiou , il laifla fes chevaux dans une hótelletie fur le chemin, & s'en alla avec fon écuyer droit au chateau. Ce fut la oü il cprouva la première fois le charme de fe's anneaux dor; car il s'introduifit jufques dans le cabinet de la dame , fans avoir été vu, quoi qu'il eüt rencontré beaucoup de monde j il s'y cacha pouc attendre qu'elle fut feule & couchée. II avoit fait mettre fon écuyer dans un endroit de la maifon oü il lui avoit dit de fe tenir jufqua ce qu'il le vint prendre. Comme le jeune Tome F. C  34 Le Prince R o g e r. cavalier n'aimoit pas a dire les particiilarités de fes aventures , on ne fait pas ce qui fe pafTa enne lui & la dame ; ce qu on fait, eft qu'il fortir le matiri avec fon écuyer , fort fatisfait apparemment de la nuit, & d'avoit éprouvé le pouvoir de fes anneaux ; il retouma au plus vite a 1'hótellerie oü il avoit laiffé fes chevaux, fit un léger déjeuner, & alla joindre fon équipage dans le iieu bü il 1'avoit lailfé. On jugea dans ce lieu Ia qu'il venoit de palier la nuit en bonne fortune, ik on le jugea d'autant plus, qu'il fe coucha en arnvant & dormit quelques heures. A fon réveil il partit après avoir un peu mangé , il prit le chemin de Barcelone & marcha fans avoir recherché les occafions de fe fervir de tous les beaux fecrets qu'il pofledoit, qu'il réfervoit pour la cour de Catalogne, oü il arriva le cceur plein de hautes efpérances. Ce n'étoit pas fansraifon, piüfqu'éran: beau comme 1'amour , il n'étoit pas poflible qu'il ne füt défiré , outre qu'ayant de fi beaux moyens de trompet, les jaloux , il devoit trouver de grandes facilités a fe reridre heureux. II arriva a Barcelone le premier jouroü commencoient des tournois , que le comte de Catalogne avoit convoqués a 1'occafion du mariage de la princefle fa fille, qui fe devoit faire inceffamment: tous les chevaliers de toutes les cours  LhPrihceRögër. i\ d'Efpagne, même de celles des rois Maures; y étoiencDchacun le plus magnifique J k princefle pour qui la fète fe faifoit, étoit plus belle que 1'aftre du jout» & le prince Róget, c'étoit le „om du jeune prince du Poitou , fut frappé de fa beauté au premier moment qu'il la vit; ayant appris qui elle étoit, & qu'elle s'alloit matier ,' il en fut fort faché : il eüt bien voulu Mee* i eet heureux rival, non pas qu'il 1'eüt voulu époufet i Car il favoit pas réfolu de bomer i cette cour les aventures qu'ibs'étoit ptopofé dé chercher j mais il étoit déja jaloux des faveurs qu'elle'deftinoit k fon mari, & il eüt voulu qu'elles euflent été toutes téfervées pour hu 11 fe fit préfenter au comte de Catalogne & a la princefle, comme un chevalier francois qui cherchoit les aventures de chevalerie , & qui étoit venu k leur cour, fur le bruit du toutnoi qui y étoit convoqué. On le trouva fort bien fait , Sé la princefle commenca de fort bonne beure a le regatder de bon ceil $ il s'en appercur & réfolut d'en profiter; il fe retira chez lui pour s'armer, & fe préfenta dans la lice avec une armure li belle, qu'elle attiroit les yeux de tout le monde S on n'en avoit jamais vu de fi éclatante. II courut contre tous venans , & fut toujours vainqueur : voyez quel avantage c'eft d'avoir la proteftion d'une puiflante fée comme Mélufine ! il C 2.  $6 Le Prince Roger," emporta les prix trois jours de fuite, & ]es re~ cm toujours de la main de cetre princefTe qu'il avoit trouvée fi charmante. Quel bonheur d'être couvert de gloire ! car il étoit 1'admiration de tous les fpedateurs, ft il étoit encore récompenfé par les mams de 1'amour même, puifqu'il eft vrai que la princefTe en avoit déjd pour lui. Les courfes finies , il fe mêla dans les converfations , Sc dans les autres plaifirs de la cour, plus tranquilles que les tournois. II fe fervit} plus d une fois, de fon anneau d'or pour fe tenir auprès de la princefTe fans être vu ; il ftc témoin des entretiensfades & languifTans que lui faifoit Ie prince, a qui elle étoit promife; il connut aifement que 1'amour ne fe mêloit guère de ce mariage, aufïi ne fe faifoir-il que par poIitiqlle. 11 effaya de connoitre ce qui fe pafToit dans le cccur de cette princefTe; il fut témoin de fes fréquens foupirs, & étant perfuadé qu'ils ne pouvoient être pour le prince qu'elle allcit époufer il préfuma que ce pouvoir être pour lui. II neut" plus fujet d'en douter ■ car Ia princefTe, qui ne croyoit être entendue que d'une perfonne, qu| etoit fa confidente, dit : Ah , ma chère! que Ie fort d'une princefTe eft cruel, de fe voir deftinée par pohtique, d époufer la perfonne du monde' quelle a.me le moins! Falloit - il me faire voir tous les plus aimables chevalier, du monde, pour  Le Prince Roger. 37 me faire, après cela, paffer ma vie avec celui de tous qui 1'eft le moins? Ha! que je croirois être heureufe , li je la paffois avec celui qui a été le vainqueur de tous les autres, & qui n'a re,cu de ma main que le moindfe des prix que je lui euiTe voulu donner , tant je le ttouve digne de tout ! ■ . Le ptince Roger étant' affuré par ce difcours qu'il étoit tendrement aimé, ne fut plus occupé que du foin de dite qu'il aimoit aulïi; il cacha auffitótfon anneau d'or, & s'étant rendu vifible , il aborda la princelfe , qui rougit a la vue de eet aimable chevalier , comme fi elle eÜD eu peur qu'il n'eüt entendu ce qu'elle venoit de dire ; ce n'eft pas qu'elle eüt été fichée qu'il leut fü , mais elle eüt eu honte de s'ètre déclarée la première. Le prince qui favoit parfaitement bien fon monde , & que c'étoit a lui a patlei le premiet, lui dit qu'il fe trouvoit bien malheureux d'ctre venu a la cour de Barcelone précifément pour être témoin de la félicité d'un prince qui n'en étoit peut-être pas le plus digne ; paree qu'il ne connoiffoit pas alfez le prix d'un bien qui ne devoit être que la récompenfe d'une grande pafiion , ce qui ne lui étoit accotdé , difoit-on a. la cour , qua caufe du voifinage de fes états : faut-il , continua le prince Roger , que la plus C 3  'j 8 L i Prince Roger. aimable princefle du monde n'air pas le pouvoir" & 1'empire de i'univers pour lui en faire un facrifice. La princefle Tullie, par 1'eflët de la fympathief Jont j'ai parlc, que beaucoup de ménte de part & d'autre fait prefque toujours naitre, le regardaaufli, dès les premiers jours , comme un prince digne d'elle j ce qui 1'avoit difpofée a 1'écouter favorablement quand il pafleroit. Le prince ne tarda guères k lui découvrir les fentimens de fon ccrur, & elle lui répondit aflez tor } qu'elle ne feroit pas fikhée que le comte d'Angoulême , fon père, eüt fon deflein agréable. Le prince Roger charmé de cette réponfe, en fit parler au comte d'Angoulême, qui fut fort fatisfait de cette propofition , & déclara qu'il accorderoit très-volontiers la princefle fa fille au prince Roger, fi le comte de Poitou la lui faifoit dcmander. Le prince Roger, plein de fa paflion , prit le parti, pour éviter les longueurs, d'aller lui-même en diligence en Poitou , afin d'obrenir le confentement du comte fon père , qui étoit pour lui une faveur plus précieufe que toutes celles qu'il auroit jamais dülui demanderj il luipeignitfi bien fon amour j &z le mérite qui favoit fait naitre, que le comte de Poitou, touché de ce qu'il encendoit,  Le Prince Roger. 4? le dépêcha en peu de jours avec un ambafladeuc chargé du pouvoir de régler les conditions de fon mariage avec la princefle d'Angoulême. Le prince Roger étoit fi impatient de la revoir , qu a peme eüt il le tems de donnet au comte fon père le plaifir d'apprendre les aventutes qu'il avoit eues pat le moyen de fes enchantemens, qu'il lui remit aufli-tot, n'en ayant plus befoin, puifqu'il ne vouloit deformais fonger qu a pafler une vie tranquille, en aimant fidellement une princefle qu'il croyoir la feule digne d'ètre aimée éternellemenr, ce qui arriva comme il en faifoit le projet} car il époufa la princefle Tullie , & palfa avec elle la vie la plus heureufe qu'on ait vu pafler dans le mariage. De cette belle union font defcendus tant de conquétans & de héros qui ont porté des couronnes dans une autre partie du monde.  4* FORTUNIO, C O N T Et T A L y avoit. autrefbis un homme, lequel dans une fortune médiocre ayant du cueur & de 1'efpnt, ne fe croyoit inférieur a aucu» autre; il rechercha en mariage une fille qui avoit, comme lui, beaucoup de mérire, & du bien médiocrement , & il 1'époufa. Quoi qu'ils n'eufl"entpas tous deux une forr grande fortune , ils eufient vécu enfemble très-concens de leur fort,s'ils eufleht pn avoir des enfans, prévenus que c'étoit la marqué de la bénédidtion du mariage. Après en avoir défiré longtems inutilement, réfolus d'en adopter quelqu'un pour leur confolation; un jout qu'ils fe promenoient fur le bord d'une rivière, ils appercurent un berceau qui flotoit fur 1'eau: curieux de favoir ce que c'étoit, ils femirentdans un bateau; ils furent bientot fatisfaits de leur curiofité , car ils renconttèrent ce qu'ils fouhaitoient; c'étoit un enfant qui leur parut d'une beauté metveilleufe, & d'une grande efpérance par les régies de laphyfionomie dont ils fe  F O R T ü N I Ó. 4^ fe piquoient d'avoir quelque connoiffance, commé ils le ténoient de la fortune, ils lui donnèrenc le nom de Forturiio, lelevèrent & l'inftruifireni avec tout le foin pofiible. Cet enfant étant né avec les plus belles inclirtatibns du monde, il faifoit honneur a leducarion qu'on lui donnoit j li bien qu'il farisfaifoit beaucoup ceux de qui il la recevoit li bonne, & les confoloit de n'avoir pu mettre des enfans au monde : il leur devenoit même fi cher , qu'ils ne fongeoient qu a. augmenter leur fortune , pour avoir le moyen de le pouifer dans Ie monde, & lui laiflei: un jour une fuccefllon conhdérable, pour le faire vivre avec l eclat qui convenoit a la naiïfance, dont il leur avoit para être par la richelfedes langes qui 1'enveloppoient. Mais {lans le tems qu'ils étoient plus occupés de ce foin, cette aimable femme devint grofle, ce qui ne diminua en rien la tendrelfe qu'elle avoit pour' Fortunio , ni celle de fon mari 5 ils fe difoient tous deux, que li le ciel augmentoit leur familie^ ils prendroienr le foin d'augmenter auffi leur biens, & qu'ils auroient fujet d'être fatisfaits, s'il leur donnoit un fils aufli aimable que celui qu'ils tenoient de la fortune. Le ciel exauca leurs veeux , & leur dbnna un fils, qui étoit tel qu'il ne pouvoit être plus joli en naiffant. A mefure qu'il croiflbit , il devenoië Tome V. D  5° F Ö R T U N I O. tous les jours plus aimable, Sc pour furcroït de contenrement qu'il donnoit a fon père & a fa mère , il eut beaucoup d'amitié pour Fortunio qu'il croyoirfon frere aïné,&vécut longtemsavec lui dans une fort grande union , qui eür duré éternellement, ii un jeune homme , qui étoit quelquefois de leur parrie de plaifirs, ne lui eut fait entendre qu'il avoir fujet de fe plaindre de ce qu'on traitoit Fortunio avec autant de bonté que lui, Sc tout comme s'il eüt été 1'enfant de la maifon, ce qui n'étoit pas ; qu'il n'étoit qu'un enfant trouvé , que fon père Sc fa mère avoient adopté, paree qu'ils avoient défefpéré d'en avoir; mais que leur ayant donné, par fa naiffance, la fatisfaéhon qu'ils avoient tant défirée , il étoit jufte qu'ils ne prodiguaifent pasailleurs des careffes qui n'étoient dües qu'a lui. Ce jeune enfant prévenu de cette forre, prir 1'ocralion de la première petite conteftation qui lui arriva avec Fortunio, pour lui reprocher qu'il n'étoit pas fon frère , qu'il étoit un enfant trouvé de qui on avoit pris foin par charité. Fortunio, qui avoit le coeur haut , très-furpris d'une pareille nouvelle , alla fupplier celle qu'il avoit cru jufques-la fa mère , de lui dire s'il étoit vrai qu'il ne fut pas fon fils , Sc s'il 1'étoit effecrivement, de faire taire fon frère, qui avoir foutenu qu'il ne i'étoit pas. Elle répondit , qu'il  Fortunio. $ï \ 'étoit véritablement, & qu'elle fauroit punir ce petit étourdi de lui avoir dit des injures; mais elle ne parloit pas aflez affirmativement , pour perfuader Fortunio, qui eut un fi grand foupcon de fon trifte état, & la preffa fi fort de lui parler pofitivement j qu'elle ne put lui cacher ce qui étoit vrai; elle 1'alfura en même tems , qu'il ne lui feroit jamais moins cher que fon propre fils < & qu'elle en auroit toujours le même fom. Comme il étoit trés bien né , il fut fort reconnoiflant des bontés qu'on avoit eues pour lui, &c de celles dont on 1'aifuroit a 1'avenir ; mais il étoic fi touché de ce qu'il venoit d'apprendre, qu'il réfolut fur 1'heure d'aller cherchèr par-tout le monde a faire des aftions qui pulfent elfacer la honte de fa naiiTance, & lui procurer une meilleure fortune. Cette perfonne qu'il avoit cru fa mère, & qui 1'aimoit véritablement, fit ce qu'elle put pour 1'arrêter, mais voyant que tous fes ef> forts étoient inutiles , dépitée de ne pouvoir le retenir, elle lui donna mille malédiótions, &C fouhaita même que fi jamais il fe ttouvoit fur la mer, qu'il fut englouti pat une Syrène. Son man. au contraire, plus généreux qu'elle, approuva la réfolution de Fortunio , & lui donna de 1'argenC pour fe mettre en équipage. Fortunio , après 1'avoir afliiré d'une reconnoiflance étemelle , le quitta, & partit incertain de la route qu'il piendroifcf D z  51 Fortunio. II neut pas fait grand chemin , qu'il fe rencontra auprès d'une forêt fi épaüTe, que le foleil n'y avoit jamais pénétré. II étoit a 1'entrée de cette forêt, dans un grand embarras, ne fachant quel parti prendre , quand il appercut un lion, un aigle & une fourmi qui difputoient enfemble iiir le partage d'un cerf qu'ils avoient chalTé & pris. Ces rrois animaux convinrent prudemmenr, pour éviter les fuites d'une fanglante guerre, de prendre pour juge le premier homme qui pafferoit; & ayant auffi-tót appercu Fortunio, ils s'adreffèrent a lui & le fupplièrent de vouloir mettre la paix entr'eux, en réglanr un différent qu'ils avoient pour le partage du cerf qui étoit étendu mort devant eux, lui jurant qu'ils fe tiendroient a fon jugement fans mutmurer, füt-il même injufte. Fortunio, qui étoit naturellement audacieux, répondit fans s'étonner qu'il étoit fort aife d'avoir occafion de faire plaifir a de fi honorables animaux, & l'on eüt dit en le voyant fi hardi, qu'il eüt été élevé parmi les lions. II leur demanda s'ils ne lui accorderoient pas leur amitié, en cas qu'il jugeat équitablement, & il recut mille affürances que non-feulement ils 1'aimeroient, mais qu'ils le ferviroient par-tout oü il auroit beibin d'eux. Fortunio charmé de leur procédé, qui lui avoit  Fortunio; 5? paru fort honncte, s'appliqua a juger cette importante conteftation , de rhanière que tous les mtéreiTcs fuflent fatisfaits , & qu'il put s'en féparer avec leurs bonnes graces, car quoi qu'il fit fort bonne mine, il croyoit, en homme de bon fens que lun de ces animaux , tout poli qu'il paroiflbit , n'étoit pas une trop bonne compagnie pour un homme tout feul ; il travailla enfin au partage, & fut fi'bien donner a un chacun ce qui étoit de fön goüt, que les trois animaux fatisfaits, lui firent mille remercimens , fe croyant trop heureux d'avoir rencontré un juge fi équitable. Les complimens de civilité finis , Fortunio fongea a fon voyage , & a laiffer fes nouveaux amis occupés de faire bonne chère, Dans le tems qu'il les vouloit quitter, parue une fée fi richement parée, que n'ayant jamais rien vu de fi beau, il en demeura furpris , & fut rout pret de fe profterner, tant l'air majeftueux de la fée lui infpira de refpecl:*, elle avoit un cor de chaffe pendu en écharpe , ce qui la lui eüt fait ptendre pour Diane, fi eüe ne s'étoit fait connoitre pour une fée qui avoit fon palais dans lé fond de cette forêt; car pour les trois animaux, ils la connoiflbient parfaitement & la refpeótoient de même. , . La fée eut la cutiofité de favoir- ce qui s'etoie p affé dans une aflemblée de créatures fi différeii  'H Fortunio. tes & 11 oppofées. Le lion prit la parole, Sc rendit compte de 1'équité du jugement que 1'homme qu'elle voyoit devant elle avoit rendu, & la pria d'avoir pour agréable d'ufer de fon pouvoir pour 1'en récompenfer. La fée loua Eortunio de 1'équité du jugement qu'il ayoit prpnoncé, & les trois animaux de la jutte reconnoilfaHce qu'ils en avoient, Sc donna, pqur les obliger rous, le pouvoir a Fprtunio de prendre la figure de ces trois animaux toutes les fois qu'il en auroit befoin , Sc la quitter comme il lui plairoit, pour reprendre la fienne. Elle fut même fi touchée de fa juftice Sc de fa bonne mine , qu'elle lui propofa d'aller palfer quelques jours avec elle dans fon chateau. Fortunio, qui ne cherchoit que des aventures, dit a la fée qu'il receyoit avec beaucoup de refpeót la prqpofition qu'elle lui faifoit, & qu'il étoit ptêt de la fuivre. II paffa quelques jours dans le palais de la fée avec tous les plaihrs qu'on fe peut imaginer, Sc il n'en forrit même qua regret; mais Ja fée , qui fayoit qu'il étoit deftiné a de grandes chofes, le congédia, après lui avoir fait des préfens de pierreries fort conlldérables, Sc lui avoir donué des inftrutftipns adniirables pour fa con- Avec ces moyens de faire parler de lui, Fortunio partit rempli d'efpérance , Sc s'arrêta a la première ville pu il fe pouryut d'équipage. II sJen  Fortunio. 55 alk en pjufieurs cours, oü il eut divetfes aventures , & acquit une grande réputation de valeur en de fameufes occafions de guerre oü il fe rencontra , dont je remets a faire une autrefois la relation, pour ne parler préfentement que de la plus célèbre & la plus heureufe de fes aftions , puifqu'elle lui valut la conquête de la plus aimable princelfe de fon fiècle, & dun royaume dont elle étoit 1'héritière, 11 arriva a la cour de cette princefTe , dans le tems que le roi fon père avoit fait publier chez tous les princes fes voifms, que voulant maner la princefTe fa fille, il avoit réfolu de la donner d celui qui feroit le vainqueur de tous les autres , dans un tournoi qu'il avoit convoqué pour êtte tenu en peu de tems, Fortunio arrivé a propos pour renter une grande aventure, fe préfenta au roi comme un chevalier qui couroir le monde, pour chercher des occafions de guerre, & des aventures de chevalerie : , le roi lui dit qu'il étoit venu fort a propos, pour être rémoin d'un tournoi qui fe tiendroit a fa cour dans peu de jours , & qu'il dépendroit de lui d'y entrer, puifque 1'exclufion n'étoit donnée a aucun chevaliet, outre que fa bonne mine , qui donnoir une grande opinion de fa naiflance, pouvoir le faire recevoir par-tout. Fortunio répondit au roi qu'il s'efforceroit de ne rien faire d'indigne D4  56 Fortunio; de la bonne opinion que S. M. avoit de lui : il demanda enfuite la liberté d'aller faire la révérence a la princelfe. Le roi ordonna au capitaine de fes gardes de le lui aller préfenter, & ij en recut un accueil très-favorable. La princelfe étoit la plus charmante perfonne qu'il eüt jamais vue , & ïlforma, en la voyant, ledelfein de la conquérir, ou de répandre jufqu a la dernière gourte de fon fang; il y fut encore encouragé par quelques regards de la princeife qu'il crut lui être favorables, & il fongea a lui devenir agréable par fes profonds refpeóts & fon afliduité , en attendant le jour oü il pourroit la conquérir par les armes. II vit , tous les jours fuivans , arriver tous les priuces & tous les chevaliers qui cherchoient a mériter la princelTe , ou a mo.urir pour un fi beau delfein -y & jamais on n'a vu une fi belle & fi noble alfemblée : un chacun s'emprelfoit auprès de la princeire , & eüt voulu la difpofer a faire des vceux pour lui dans. cette grande j'ournée; les uns vouloient I'y engager par les profonds refpecls qu'ils lui rendoient, 8c quelques aurres pat la paffion dont ils étoient fi touchés, qu'ils eurent la hatdielfe de la lui déclarer. Fortunio, le plus paffionné de tous, étpit aufli le plus refpecrueux, & a peine ofoit-il laiflet yoir daus^ fes yeux ce qui fe paflbitdans fon cceur, tantil avoit peur de déplajre : p'éroit ppurr^nt celui a qui la princefle  Fortunio. 57 eüt fóuhaité la yictoire, dont elle devoit être le prix, fi elle 1'eüt cru prince; & iïj avoit des mo^ mens qu'elle jugeoit qu'il ie pouvoit être , ou qu'en tout cas, un grand mérite le pouvoit égaler a tous les princes. Enfin le jour auquel elle fe devoit déterminer, ou du moins la fortune pour elle, arriva, & l'on vit far les rangs un npmbre iuÊni de princes Sc de chevaliers. Le roi avoit prefcrit qu'ils tireroient au fort pour voir a qui il appartiendroit d'être les premiers dans la licej il avoit établi des jnges pour les régler la-deifus, & fur les dimcultés qui pourroient furvenir entr'eux. Plufieurs princes combatirent, & fe détruifireut fucceflïvement les uns les autres. Un roi du voifinage, vaillant & fort, mais connu pour un prince fans mceurs Sc fans politefle, & par-deifus tout cela laid a faire peur entra dans la lice a fon tour, Sc mit hors de combat tous ceux qui fe préfentoient devant lui. C'étoit le rang de Fortunio de le combattre j mais la nuit étant trop proche , le roi remit au lenderfiain a voir décider ce grand événement, que la princelfe craignoit effroyablement , car elle fe voyoit en danger de torober fous la puiflance d'un prince qui lui faifoit horreur par la réputatkm, oü il étqit d'être féroce, Sc encore par fa rails»  5 8 Fortunio. affreufe , & elle ne voyoit plus que le feul Fortunio qui la lui dü difputet. II s'étoit répandu un bruit que Fortunio étoit d'une grande valeur; quelques princes qui 1'avoient vu dans des occafions de guerre 1'avoient dit, mais comme elle favoit qu'il feroit expofé contre un homme fi redoutable, elle n'ofoit efpérer de le voir vainqueur; elle eüt même défiré de le favoir prince, en cas qu'il eüt terrafle ce roi qu'elle haiffoit tant, & elle eüt regardé comme un autre malheur , quoique moindre, de faire la félicité d'un fimple chevalier. Agitée de ces diverfes inquiétudes, elle étoit appuyée fur une fenêtre de fon paJais , oü elle parut a Fortunio une perfonne trèsaffligée. II alla fe préfenter a la porrede fon appartement, maison lui dit qu'elle ne voyoit perfonne, Fortunio fort touché de 1'affliction oü elle lui avoit paru , avoit réfolu de lui dire qu'il la délivreroit le lendemain de la peine oü elle étoit. II defcendit dans la rue, & ayant fouhaité d'être aigle,il le devint, & vola fur la fenêtre du cabinet de la princefle. L'ayant appercue feule , il vola auprès d'elle, & il reprit fa forme naturelle : elle fat efFrayée, & cria ; on vint a elle, & Fortunio difparut : il s'étoit métamorphofé en Fourmi, & s'étoit glifle dans le falbala de la princefle, qui ne voyant plus rien, renvoya fes femmes, en  F O K T V M ï O. 5? Jear difant qu'elle avoit cru voir quelque cliofe & qu'elle s'étoit ttompée. Fortunio encore fourmi & caché dans les habits de la princefie , lui «mrendit poufler des foupirs , & dire même quelques paroles mal articulées, qui lui firent pourtant comprendre 1'horreur qu'elle avoit pour le roi qui étoit jufques - U le vainqueur, & la paffion qu'elle avoit de lui voir arracher la viüoire par un homme qui lui avoit touché le cceur, quoi qu'il ne parut être qu'un fimple chevalier. La fourmi n'eüt pas plutot compris ce qui fe paflbit dans le cceur de la princefie , qu'elle lui dit: ne craignez rien, charmante princefle-, le monftre qui vous fait peur , ne vous poffédera pas, 8c s'il vous plan de ne plus appe'er vos femmes, vous allez voir celui qui vous délivrera demain , 8c qui eft 1'homme du monde qui vous refpe&e le plus: ne vous alarmez donc pas, princefle, il va paroitre devant vous. Ainfi parut encore Fortunio devant elle , 8c i'afliira qu'il la délivrerok le lendemain du fujet de toutes fes alarmes, 8c je ferai, dit-il, trop heureux de vous avoir fervie , & plus heureux encore , fi par rous les foins de ma vie, je pouvois mériter la récompenfe que le roi a prqvnjle au vainqueur. Après cetre convetfation Fortunio , deyena encore aigle, s'envola par la fenêtre , dont la princelfe demeura fi effrayce , qu'a peine avcit  €@ Fortunio, elle la force de fe releverde delfts fon fauteuil; elle avoit beau rêver a ce qui lui venoit d'arriver, elle n'y connoifToit rien, & elle fe difoiteft-il poffible qu'il foit vrai que j'aie trouvé du fecours dans un fi preffant befoin; n'eft-ce pas un fonge ? Fortunio lui avoit paru fi refpectueux & fi aimable, qu'il n'étoit pas poffible de ne lui pas défirer la viétoire, quand il n'eüt même etequ'uniimpIechevalier.La manière dontil étoit entré dans fon cabinet, & dont il étoit forti, etoit ce qui 1'embarralToit le plus ; elle avoit fouventouï parler du pouvoir des fëes, & elle jugea que quelqu'une touchée de fon infortune, lui auroit fans doute envoyé un défenfeur. Dans toutes les différentes inquiétudes ou elle. tomboit, ne pouvant penfer 4 autre chofe , elle réfolut de fe dire malade , pour pouvoir artendre dans fon lit cette journée fi défirée , qu'on venoit de lui faire efpérer : elle appela aufli -tót fes femmes, & envoya dire au roi fon père , qu'elle alloit fe coucher avec fa permifEon, paree qu'elle etoit accablée d'un fi grand mal de tête, qu'il ne hu étoit pas poffible de voir du monde. Le roi vint, & ayant trouvé que la princefTe avoit la. tête toute en feu , il ordonna qu'on la laifsat en repos perfuadé que fi elle pouvoit dormir , fon mal de tete fe diffiperoit. II eft facile de juger que la princefTe laifTée  Fortunio. 6\ •feule, ne pafla pas bien tranquillement une nuic qui précédoit une fi grande journée, que celle donr dépendoit tout le bonheur de fa vie. Fortunio, d'un autre cöté, n'étoit pas fans inquiétude, il avoit a combattre un prince redoutable par fa valeur & par fa force y mais que ne peut-on pas lorfqu'on eft conduit par 1'amour , qu'on a beaucoup de courage, & la prote&ion d'une puiffante fée ! Auffi-tot que la lice fut ouverte , l'on vit entrer Fortunio monté fur le plus beau cheval qu'on eüt encore vu , & couvert d'armes brillantes d'or & de pierreries ; il fit 1'admiration de tous les fpe&ateurs, & la princeffe le reconnut a la quantité de rubans verts, dont il avoit mis de gros noeuds a 1'équipage de fon cheval, & aux plumes vertes dont il avoit chargé fon cafque, paree qu'il lui avoit demandé la permilïion de porter cette couleur, qu'il lui avoit vue le jour précédent. 11 attendoit ainfi dans la catrière, en une pofture fort fiére , quand on vit entrer le vainqueut de tous les autres , qui fembloit être furpris qu'il fe füt encore trouvé quelqu'un qui eüt 1'audace de le combattre, après fes triomphes que perfonne n'ignoroit. Qui es-tu ? lui dit-il, tgui t'a fait fi hardi de t'attaquer a. moi ? ne fustu pas hier témoin des défaftres de tous ceux  6* Fortunio. «jui osèrent' fe préfenter devant moi ? Songes* feulement a vous défendre, répondit Fortunio, cette journée ne vous fera pas fi heureufe que celie d'lner. Ils fe féparèrenr dans ce moment pour courre 1'un contre 1'autre, & la première courfe mit fin a 1'aventure , car Fortunio perca fon rival d'un coup de lance au défaur de la cuirafle, &lui fit mordre la pouflière. Comme tous les prétendans avoient déja été vaincus , Fortunio attendit inutilement dans la lice, il ne fe préfenta perfonne pour lui difpurer un prix qu'il avoit fi bien mérité , puifqu'il avoit vaincu le vainqueur de tous les autres; il s'éleva aufli tót «4e grandes acclamations parmi le peuple , & les Lérauts darmes étant enrrés dans la lice , ils conduifirent 1'heureux Fortunio , au bruit des t ompettes & des timbales , au piés du tróne de S. M. oü ayant quitté fon cheval, & óté fon cafque, la princefle fut charmée de ne pouvoir dourer que ce ne füt celui a qui elle s'étoit déja deftinée , par tous les mouvemens de fa reconnoiflance , & d'une forte inclination qu'elle avoit concue pour lui dès les premiers jours qu'il étoit arrivé a la cour. Le roi perfuadé, comme j'ai dit, qu'il n'étoit pas poflible que Fortunio ne füt de grande naiffance, ne balanca pas a 'lui tendre les bras , en lui difant: venez, aimable étranger; voila la prin-  Fortunio. 63 cefle qui vous eft deftinée pour prix d'une li grande victoire ; vous avez vaincu en un moment celui qui n'avoit trouvé aucun chevalier qui eüt pu lui réfifler, & je penfe que vous avez fait grand plaifir a la princefle ma fille, de 1'óttr a un homme qui n'avoit pas tant de quoi plaire que vous, tout roi qu'il étoit; & en fe tournant du cóté de la princefle, il lui dit : voila, ma fille, un chevalier qui vous appartient, c'eft a vous a le récompenfer de ce qu'il a fait pour vous mériter: je veux que dans deux jours vous lui donniez la maiii. Fortunio fe jeta aux piés du roi, & Ie fupplia de laifler i la princefle la liberté de fon choix , & a lui le tems de la mériter par fes profonds refpects , & par quelques meilleures aótions, qu'il vouloit chercher des occafions de faire pour fa gloire ; je fuis , dit - il, trop peu digne d'une grande princefle. Non, dit le roi, vous 1'avez trop bien méritée : n'eft-il pas vrai, ma fille , dit - il encore , que ce chevalier ne vous fera pas défagréable ? Je n'aurai aucune peine , répondit la princefle, i obéir a V. M. en certe occafion ni en aucune autre. Le roi fut donc obéi fans répugnance, le mariage fe fit , & fut fuivi de fêtes & de réjouiflances qui durèrent un mois. Fortunio pafla ainfi quelques années entre Les  6"4 Fortunio. bias de 1'amour } ne trouvant pas de quoi faire un fouhair; mais le roi ayant réfolu de porter la guerre chez un prince de fes voifins , qui avoit ufurpé les états d'un de fes alliés, fit préparer une armee navale. Fortunio pria inftamment le roi de lui en donner le commandement, difant qu'il vouloit faire des acFions qui le rendiflent digne de la princelfe , qu'il ne croyoit pas avoir affez méritée. La charmante princelfe répandit des larmes j & eut bien voulu empêcher cette réfolution 5 mais le roi qui aimoit la gloire , ayant approuvé le deffein de Fortunio , il s'embarqua enfin , après des adieux fort tendres ; mais fon pilote 1'ayant inconfidérément ccnduit dans un endroit de la mer qui eft de 1'empire des Syrènes, leur reine parut hors de 1'eau avec un nombreux cortège , curieufe de voir qui etoit affez hardi pour renir traverfer fes états, fans lui en avoir demandé la permilfion^ La reine étoit ennuyée de n'avoir que des tritons pour amans , &• elle avoit fouvent ravi des hommes qu'elle rrouvoit cent fois plus aimables; il n'eft donc pas furprenanr, qu'étant frappée de la bonne mine de Fortunio , elle fit deflein de 1'enlever ; elle fe fervit, pour en venir a bout, de fon art, & chanta avec tant de douceur, que Fortunio attiré fur le bord de fon vaifleau , en perdit 1'ufage de tous les fens. Elle ne le vit pas plutót  Fortunio. ■plutót dans raiToupiflement oü elle le défiroit, qu'elle s'approcha de lui & 1'enleva. Quelle affli&ion pour le pilote , &c pour tous les officiers de 1'armée ! mais comme le mal étoit fans remède, il fallut tourner la proue , & revenir rendre compte au roi du malheur qui étoit arrivé. Le pilote s'excufa le mieux qu'il put fur la firnplicité qu'avoit eu Fortunio , de vouloir prêter 1'oreüle a la voix de cette enchantereffe, malgré les avis qu'il lui avoit donné de s'en garder -y mais Fortunio étoit deftiné a fubir la malédiótion qui lui avoit été donnée par cette perfonne qui avoit eu foin de fon éducation. Le roi & la princefTe furent dans une affli&ion inexprimable d'une fi trifte aventure; cependant la princefle, infpirée par la fée, qui avoit donné fa proteclion a Fortunio , & a. tout ce qui lui appattiendroit, ne perdit pas 1'efpérance ; elle avoit un preflentiment fecret qu'elle reverroit un jour fon cher Fortunio, & elle réfolut de Palier chercher par-tout le monde : elle voulut mener avec elle fon fils, lequel érant le vrai porrrait de fon père, elle ne le pouvoit quitter de vue. Le roi s'étant rendu a fes inftances , & ayant confenti a fon départ, lui donna le même équipage & le même pilote qui avoit conduit Fortunio. Quand la princefle fut embarquée , elle ordonna Tomé V. E  €6 Fortunio. a fon pilote de la conduire ou fon cher Fortunio avoit été enlevé. La fée , qui avoit infpiré cette enrreprife a la princefTe , lui apparut fous une forme fort agréafale , lui donna trois boules d'un prix infini , & 1'afTura qu'elles auroient la vertu de lui faire voir ce mari qu'elle aimoit fi tendrement y mais qu'il falloit, étant arrivée au lieu oü il avoit été enlevé , les donner a fon fils , a trois différentes fois, pour 1'appaifer quand il pleureroit. Le pilote, ayant averti la princefTe qu'elle étoit dans le lieu qui avoit été fatal au prince fon mari, elle lui ordonna de mouiller Tancre , Sc fon fils s'étant mis a pleurer , elle lui donna , pour Fappaifer , une boule d'or, avec des diamans plats, enchafies de tous les cotés : les deux autres boules étoient, 1'une une grofTe émeraude ronde, & Sc 1'aurre un gros rubis. Le petit prince ayant aufli-tót roulé fur le tillac la boule qu'on lui venoit de donner j il en fortit une harmonie qui éronna tout le monde , & attira la reine des Syrènes de fon palais, qui étoit bati fur les fables de la mer. La reine s'adrefTa a la princefTe , Sc lui dit: donnez-moi cette boule , madame , Sc je vous eu ferai obligée. La princefTe lui répondit qu'elle la lui auroit donnée volontiers, mais que c'étoit  Fortunio', €j ce qu'elle avoit pour amufer fon fils quand il pleuroir. Donnez-la moi , dit encore la reine, Sc je vous ferai voir la tête de celui que vous cherchez. Je vous la donnerai de bon coeur a ce prix, repartit la princefTe ; mais quelle füreté y a-t-il a vos promefTes ? la reine jura qu'elle étoit incapa» ble de manquer a fa parole , qu'elle ne fouffroit pas même qu'on y manquat dans 1'étendue de fon empire. La princefle 1'ayant crue , & lui ayant donné ia boule , elle vit incontinent fon cher Fortunio jufqu'aux épaules ; mais ce ne fut que pour un moment : la reine fe plongea , & fit plonger fon amant avec elle. La princefle , retombée dans une grande affliótion , de n'avoir eu qu'un moment une vue qui lui étoit fi chère , prit fon fils entre fes bras , paree que c'étoit toute fa confolation. Cet enfant, qui vouloit être libre fur le tillac, fe mit encore a crier; la princelfe lui donna la boule d'émeraude , il la roula comme il avoit roulé Tautre , il en fortit une harmonie plus douce que la première ; & la reine des Syrènes , plus touchée qu'elle n'avoit été, dit a la princelfe que fi elle lui vouloit donner cette boule, elle lui feroit voir fon cher mari hors de 1'eau jufqu'aux genoux, ce qui fut exécuté fur Theure ; mais il fut plongé comme il l'avoit déja. été. Cette pauvre princefTe ne favoit qu'elle pouvoit fe promettre d'une E i  ê% Fortunio.' aventure fi extraordinaire : elle avoit vu deirx fols ce qu'elle défiroit fi palïionnément de voir; mais ■il avoit difparu fi fnbitement , qu'elle n'avoit pu lui dire une parole, ni en enrendre de fa bouche. La princefle ayant toujours recours a embrafler ce cher fils dans fon afiliclion, & eet enfant, criant entre fes bras comme un petit défefpéré, elle lui donna enfin la dernière boule, qui étoit un rubis j il la roula encore fur le tillac : elle rendit une harmonie mille fois plus touchante qu'on ne peut Pexprimer ; & la reine étant fortie de fon palais avec précipitation, s'écria, comme une perfonne fort pafiionnée : donnez-moi encore certe boule, «Sc je vous accorderai ce que vous voudrez. Je vous demande mön mari, répondit la princefle : la reine lui promit de lui laiifer voir depuis les piés jufqu'a la tête, rité a régné plufieurs fiècles avec grande gloire.  9i LA REINE DE L'ISLE DES FLEURS, CONTÉ. Il y avoir autrefois , dans le royaume de 1'Ifle des Fleurs , une reine qui perdit, dans une grande jeunefle, le roi fon mari qu'elle aimoit tendrement, & de qui elle étoit aimée de même y cette tendrelfe réciproque avoit donné la vie a deux princefTes parfaitement belles , que la reine leur mère faifoit élever avec tous les foins poffibles, & elle avoit le plaifir de voir tous les jours augmenter leurs agrémens. L'ainéé particulièrement, étoit a lage de quatorze ans , devenue incomparable en beauté, ce qui caufa quelque inquiétude a la reine , paree qu'elle favoit que la reine des Mes en auroit de la jaloufie. La reine des ifles qui croyoit être la plus belle princelfe du monde , exigeoit de toutes les belles perfonnes, une reconnoilfance de la fuperionte de fa beauté. Etant poulfée pat cette vanité, elle ayoit pbligé le roi, fon mari, a conquérir toutes  9* La Reine des Fleurs. les ifles qui étoient au voifinage de la lienne , & le roi qui étoit équitable &c qui n'avoit proprement fait cette entreprife que pour fatisfaire la reine, ne fongeant encore après fa conquête, qua ce qui pouvoit lui faire plaifir, n'impofa pour loi a tous les princes qu'il avoir fcumis , que l'obligation d'envoyet toutes les princeffes de leur fang , aufli - tót qu'elles feroient a lage de quinze ans, faire hommage a la beauté de la reine fa femme. La reine de 1'Ifle des Fleurs, qui favoit cette obligation , fongea auffi-tót que fa fille ainée eut quinze ans, a la conduire aux piés du tróne de la fuperbe reine. La beauté de la jeune princeffe avoir déja tant fait de bruit} qu'il s'étoit répandu par-tout, & que la reine des ifles , qui en avoit beaucoup entendu parler, 1'attendoit avec une inquiétude qui étoit le préfage de la jaloufie , dont elle fe trouva faifie dans la fuite; elle fut véritablement éblouie d'une beauté ft éclatante, & ne put s'empêchet de demeurer d'accord qu'elle n'avoit jamais rien vu de fi beau ; s'entend qu'elle jugeoit que c'étoit après elle , car 1'amour propre qui la poffédoit abfolument , 1'empêchoit de croire la princefTe plus belle qu'elle; elle la traitoit même afTez civilement, dans la penfée qu'elle ne lui óteroit pas la fupériorité. Mais les acclamations que tous les hommes, & toutes les fem-  La Reine des Fleurs." 95' mes de fa cour donnoient a la beauté de la princelfe , causèrent un fi grand dépir a la reine , qu'elle en perdit toute contenance; elle fe retira dans fon cabinet, faifant la malade , pour n'être plus témoin des triomphes d'une fi aimable rivale , & elle fit dire a la reine de 1'Ifle des Fleurs , qu'elle ne la pourroir plus voir , a caufe de 1'incommodité qui lui étoit furvenue ; qu'elle lui confeilloit, de plus, de fe retirer dans fes états , & d'y ramener la princefie fa fille. La reine des Fleurs , qui avoit auttefois fait un aflez long féjour en cette cour, y avoit fait amitié avec la dame d'honneur de la reine, laquelle lui confeilla confidemment de ne demander pas a prendre congé de la reine, & de fonger a forrir de fes érats le plus promprement qu'il lui feroit poffible. La dame d'honneur qui étoit bonne perfonne ; & qui avoir promis amitié a la reine de 1'Ifle des Fleurs , étoit embarraflee entte les devoirs de 1'amitié, & la fidélité qu'elle devoit a. la reine qu'elle fervoit: elle crut prendre un jufte tempéramment, en avertiflant feulement la reine fon amie, que la reine fa maïtrefle avoit quelque mécontentement qu'elle ne lui pouvoit dire; elle crur pouvoir feulement lui confeiller de fe rerirer dans fes états fans petdre aucun tems; & quand elle y feroit, d'empêcher durant fix mois la piïn-  $4 La Reine des Fleurs; celfe fa fille de fortir de fon palais, pour quel-< que caufe & quelque occafion que ce fut; elle lui promir de plus, d'employer pendant ce temsla tout fon crédit & toute fon induftrie, pour adoucir 1'efprit de la reine fa maïtrelfe. La reine de 1'Ifle des Fleurs , qui avoit comj pris par les difcours myftérieux de fon amie, que la princelfe fa fille avoir beauc oup acraindre de la vengeance de la reine, & que c'étoit patce qu'elle fe fentoit fort offenfée du grand bruir que la beauté de cette charmante princelfe avoit fait a fa cour, la ramena dans fes érats, & la conduifit dans fon palais en toute diligence. Comme elle n'ignoroit pas jufqu'oü s'étendoit le pouvoir que les fecrets de féerie donnoient a la reine irritée , elle aVertir la princelfe fa fille, qu'elle étoit menacée d'un grand danger, fi elle fortoit du palais , lui recommandant par toute 1'autorité , & par route la rendrelfe de mère , de ne pas 1'entreprendre fans fa permiflion , pour quelque raifon que ce fur. La reine n'oublioit rien pour divertir la princelfe fa fille, & ne fortoit même que rarement j pour lui rendre ce long féjour plus fupportable, en lui faifant compagnie. Les fix mois étant prêts d'expirer, il fe faifoit précifément au dernier jour une fête de grande réjouiffance , dans une prairie charmante , qui  La Reine des Fleurs.' 9 j etoit au bout de 1'avenue du palais , de forte que Ja princefle en ayant vu les préparatifs par la fenêtre de fon appartement, & étant très-ennuyée d'avoir été pendant un fi long - tems privée du plaifir de la promenade, dans un pays qui étoit par tout couvert de fleurs; elle fupplia la reine de lui permettre d'aller faire un tour dans la prairie ; la reine, qui crut que le péril étoit pafle, y confentit; elle y voulut même aller avec elle, fuivie de route la cour , qui étoit charmée de voir une princefle qui faifoit fes délices , en liberté après une détention de fix mois , dont la reine n'avoir pas dit la caufe. La princefle ravie de joie de marcher dans un chemin parfemé de toutes fortes de fleurs , après en avoir été privée fi long-tems, devancoit la reine fa mère de quelques pas : mais (quel cruel fpectacle !) ia terre s'ouvrit fous les piés de la charmante princefle , & fe referma après 1'avoir englourie. La reine romba évanouie de douleur; la jeune princefle répandit des larmes , & ne pouvoit quitter le lieu oü elle avoit vu difparoïtre la princefle fa fceur. Cet accident mit toute la cour dans une fi grande confternation, qu'on n'en a jamais vu de pareille. Les Médecins furent appelés pour fecourir la reinedaquelle étant revenue de fon évanouiflement pat leurs remèdes, fit percer la terre jufqu'aux  €)S La Reine bes Fieu b.s, abïmes; & ce qu'il y eut de plus furprcnant ; c'eft qu'on n'y trouva aucun vettige du paflage de la princefle; elle avoit fort promptement traverfé Fépaifleur de la terre, & s'étoit trouvée dans un déferr, oü elle ne voyoit que des rochers & des bois , fans pouvoir appercevoir la moindre tracé de pas d'hommes ; elle y rencontra feulement un petit chien d'une beauté merveilleufe , qui courut a elle aufli-tót qu'elle parut, «Sc lui faifoit mille carrefles. Tout étonnée qu'elle étoit d'une aventure fi terrible , elle ne laifla pas de prendre entre ces bras ce petit chien , qu'elle trouvoit fi joli & fi careflant : après 1'avoir remt quelques momens , elle le mit a terre , & incertaine de quel cóté elle devoit conduire fes pas , elle vit marcher le petit chien , lequel tournant a tous momens la tête , fembloit la convier de le fuivre. Elle fe laifla ainfi conduire fan sfavoir oü y elle n'eüt pas marché long-tems , qu'elle fe trouva fur une pctite éminence , d'oü elle découvnt un vallon chargé d'arbres fruitiers , qui portoient des fleurs & des fruits en même-tems -y elle appercut même que la terre , aux piés des arbres , étoit couverte de fleurs & de fruirs , & elle vir dans le milieu d'un fi beau parterre , une fontaine bordée de gazon ; elle s'en approcha, & trouva que Peau en étoit claire comme eau de roche : elle s'aflït fur ce gazon, oü acca- blée  La Reine des Fleurs, 97 blée d'un malheur qu'elle ne pouvoit regarder fans horreur, elle fondoit en larmes , voyant tout a craindre, Sc ne pouvant prévoir d'oü lui pourroit venir le moindre. fecours, Elle voyoit bien quelque remède contre la faim Sc la foif, elle prit des fruits; elle fe fervir de fa blanche main pour prendre de 1'eau , & en boire. Mais quel fecours pouvoir-elle fe promettre contte les bêtes fauvages ? elle ne pouvoit s'óter de la penfée , qu'elle étoit en danger d'en être dévorée. S'étant enfin réfolue a tous les maux qu'elle ne pouvoit éviter , elle cherchoit a étourdir fa douleur, en careflant fon petit chien : elle pafla ainfi le jour fur le bord de cette fontaine ; mais la nuit s'approchant, fes embarras redoublèrenr, Sc elle ne favoit quel parti prendre , quand elle s'appercut que fon petit chien la tiroit par la robe. Elle n'y fit pas au commencement une grande attention , mais voyanr qu'il s'opiniatroit, «3c qu'après 1'avoir prife par la robe , il marchoit trois pas, & toujours du même cóté, & revenoit un moment après la reprendre de même , paroilfant vifiblement lui vouloir faire fuivre ce chemin-la, elle s'y laifla enfin conduire, & fe trouvant au pié d'un rocher, elle y vit une ouverture fpacieufe, oü il lui fembla encore que fon petit chien la convioit d'entrer, par les mê»Torne V. G  $8 La Reine bes Fliürs. mes moyens dont il s'étoit fervi pour la conduite oü elle étoit. La princefle furprife, en entrant dans le rocher, d'y découvrir une caverne agréable , éclairée par 1'éclat des pierres qui la compofoient, comme elle Peut été par la lumière du foleil, y appercut dans 1'endroir le plus reculé un petit lit couvert de moulfe; elle s'y alla repofer, «Sc fon petit chien fe mit incontinent a fes piés. Elle étoit roujours dans un nouvel étonnement, de voir des chofes qu'elle connoiflbit li peu : les réflexions qu'elle faifoit, & le travail de la journée 1'ayant accablée , le fommeil la failit, Sc elle s'endormit. Le jour étant venu, elle fut éveillée par le chant des oifeaux, qui couvroient toutes les branches de quelques arbres qui étoient autour du rocher. Dans une aurre conjoncture, elle en eüt été charmée , car jamais ramage ne fut fi diverfifié, ni fi mélodieux. Le petit chien s'étant éveillé comme elle , s'approcha de fes piés avec de petites manières careflantes, il fembloit qu'il les lui voulüt baifer; elle fe leva, & fortit pour refpirer l'air le plus doux qu'elle eüt pu défirer, n'y ayant pas fous le ciel un plus aimable climat; le petit chien fe mit a marcher devant elle, «Sc revenoit, comme il avoit déja fait, la prendre par la robe j  La Reine des Fleurs. 99 elle fe laiffa ginder, & il la ramena dans eet agréable parterre , & au bord de la fonraine, ou elle avoit paffé une partie du dernier jour ; elle y mangea des fruits , & but de 1'eau, dont elle fe trouva fatisfaite, comme d'un bon repas : voila comme elle paifa plufieurs mois. Ne fe voyant aucun ennemi a. craindre , fa douleur s'appaifa peua-peu, & fa folitude lui devint plus fupportable. Son petit chien, fi joli & fi caiefTant, y avoit beaucoup conttibué. Un jour, qu'elle le vit fort trifte , & qu'il ne la careifoit pas , elle eut peur qu'il ne füt malade; elle le mena en un lieu oü elle lui avoit vu manger d'une herbe qu'elle efpéra qui le foulageroit; mais il ne fur pas poffible de lui en faire prendre ; fa trifteife dura tout le jour, & enfuite toute la nuit, qu'il paifa faifant de grandes plaintes. La princelfe s etoit endormie, &c a fon réveil fon premier foin fut de chercher fon petit chien; mais ne le trouvant plus a fes piés, qu'il n'avoit pas coutume de quitter, elle fe leva avec de grands emprelfemens, pour voir ce qu'il feroir devenu. En forrant du rocher , elle entendit la voix d'un homme qui fe plaignoit, & elle vit un vieillatd qui s'enfuit li promptement, qu'elle le perdit de vue en un moment. Voila une nouvelle futprife pour elle j un homme , dans un lieu oü il n'en avoit patu aucun depuis plufieurs mois , & la G x  ioo La Reine des Fleurs.' perte de fon petit chien , la furprenoit autant qu'aucune autre chofe. Comme il lui avoit été li fidelle depuis le premier jour de fa difgrace, elle ne favoit li ce vieillard ne feroit pas venu le lui enlever. Elle erroit autour de fon rocher, avec cent penfées différentes, quand tout d'un coup elle fe vit enveloppée d'une épaiffe nue , Sc tranfporter dans les airs : elle ne fit pas de réfiftance ; Sc s'étant laiffé conduire , elle fe vit, avant la fin du jour, ne fachanr par oü elle étoit paffée, dans une des avenues du palais oü elle étoit née, Sc la nue avoit difparu. Mais elle vit en approchant du palais , un rrifte fpeclacle ; tous les hommes qu'elle rencontroit étoient vêtus de deuil, ce qui lui fit appréhender d'avoir perdu la reine fa mère, ou la princefTe fa fceur. Quand elle fut plus prés du palais , elle fut reconnue , Sc elle entendit retentir l'air de cris de joie. La reine, avertie par la voix publique, courut au - devant de fa fceur , Sc 1'embrafTant tendrement , lui dit qu'elle lui remettoit fa coutonne , que les peuples 1'avoient obligée de prendre après la mort de la reine, leur mère , arrivée quelques jours après le fatal accident qui l'avoit fait difpatoïtre. II y eut entre les deux princefTes une noble conteftation , fe vouIant céder toutes deux la coutonne , & enfin, 1'aïnée 1'accepta ; mais a condition de partagec fon autorité ayec la princefTe qui la lui cédoit,  La Reine des F i r ü r s. ïoi & qui déclara qu'elle n'y accepteroit aucune part, étant ttès-fatisfaite de la gloire d'obéir a une fi charmante reine. La princefle ayant donc pris la couronne, qui étoit fon droit, fongea a rendre les derniers devoirs a la mémoire de la reine fa mère , & a donner a la princefle fa fceur , mille marqués de reconnoiflance , de la générofité qu'elle avoit eue de lui cédet une couronne , dont elle étoit en pofleflion; & enfuite, étant fenfiblement touchée de la perte d'un petit chien qui lui avoit été fi long tems fidelle dans fa folitude, elle ordonna qu'on le cherchat dans toutes les parties du monde qui lui étoient connues ; Sc ceux qu'elle y avoit employés ne lui en ayant rien appris, elle en fut fi affligée, que fa douleut la porta a. dire qu'elle donneroir la moitié de fes états a celui qui le lui remettroit entte les mains. La princefle fa fceur étant très-furprife d'une réfolution fi extraordinaire , pour ne pas dire extravagante , employa inutilement mille raifons pour la combattre. Les feigneurs de la cour, touchés d'uue fi belle récompenfe , partit ent chacun de fön cóté, & revinrent comme les ptemiers , n'ayant aucune nouvelle agréable a dire a la reine ;,elle en tomba dans une aftliótion fi exceflive , qu'elle fe porta a faire publier qu'elle épouferoit celui qui lui ap- G 3  ioz La Reine des Fleurs.' porteroit fon petit chien, fans lequel elle fentoit, difoit-elle pour s'excufer , qu'il ne lui étoit pas poffible de vivre. L'efpérance d'un prix, fi peu attendu, rendit la cour déferte. Pendant qu'un chacun cherchoir de fon cóté , on vint un jour avertit la reine , qui étoit dans fon cabinet avec la princefle fa fceur, qu'il y avoit un homme, de fort mauvaife mine , qui demandoit a lui parler -y elle ordonna qu'on le fit entrer : il enrra , Sc dit a la reine, qu'il venoit lui ofttir de lui rendre fon petit chien , pourvu qu'elle tint fa parole. La princefle paria la première, &c foutint que la reine ne pouvoit prendre la réfolution de fe marier fans le confentement de fes fujets , Sc qu'il étoit néceflaire d'aflembler le confeil, dans une occafion fi importante. La reine n'ayanr rien a répondre contre les raifons de la princefle, donna un appartement dans le palais a un homme qui avoit une fi haute prétention , Sc confentit de fe foumettre aux délibérations de fon confeil , qu'elle fir aflembler le lendemain. Quand la princefle fut feule avec la reine, elle lui repréfeuta fi forrement le rort qu'elle fe faifoit, en propofant une pareille récompenfe pour un petit chien , qu'elle la fit réfoudre de renoncer a un deflein fi bizarre. La reine ne fut peut-être pas fachée qu'on lui eüt fourni un prétexte pour manquer de parole a  La Reine dïs Fieurs; ioj un homme defi mauvaife mine. Le confeil écant affemblé le lendemain , la princefle y fit réfoudre qu'on offriroit a eet homme , fi laid, de grandes richefles, pout le ptix du petit chien y Sc que s'il les refufoit, on le feroit fortir du royaume, fans qu'il parlat davantage a la reine : eet homme refufa les richefles & fe retira. La princefle rendit compte a la reine de la réfolution du confeil, & de celle de eet homme, qui s'étoit retiré après avoir refufé les richefles qu'on lui avoit offertes. La reine dit que tout cela s'étoit paffé dans 1'ordre ; mais que, comme elle étoit maitrefle de fa perfonne, elle partiroit le lendemain , après lui avoir remis la couronne , & iroit errer par le monde , jufqua ce qu'elle eüt trouvé fon petit chien. La princefTe effrayée de la réfolution de la reine qu'elle aimoit véritablement , n'oublia rien pour la faire changer ; elle 1'afliira avec une générofité fans égale , qu'elle n'acceptetoit jamais la couronne. Dans le tems qu'elles étoient dans une converfation fi trifte , un des principaux officiers de la maifon de la reine fe préfenta a la porte de fon cabinet , pour 1'avertir que la mer étoit couverte de vaitTeaux : les deux princefles fe mirent fur un balcon , Sc virent une atmée qui s'apptochoit du port a toutes voiles ; Sc 1'ayant confidérée, elles jugèrent, par fa magnificence, qu'elle ne venoit pas pour faire la G 4  ic4 La Reine Des Fleurs: guerre : elles voyoient tous les vailfeaux couverts oe mille marqués de galanterie; ce n'étoient que pavillons , enfeignes, banderoles & flammes de fo.e, de toutes couleurs : elles furent confirmées dans cette penfée, quand elles virent avancerun des pks perits vailfeaux , qui portoit des enfeignes Manches en ligne de paix. La reine avoit ordonné qu'on courüt au port, & qu'on allat audevant de cette armee , pour favoir d'oü elle étoit ; & elle fut bientot avertie que c'étoit le prince de 1'Ifle des Emeraudes, qui demandoit la hberté de defcendre dans fes érats, & de lui venir offrir fes rrès-humbles refpecFs. La reine envoya fes principaux officiers jufqu'au vaifleau du prince, pour lui faire fes complimens , & l'affiirer qU?il éroit le très-bien venu. Elle 1'attendoit affife fur fon tróne, qu'elle quitta quand elle le vit paroïtre ; elle alla même quelques pas au-devantde lui. Cette entrevue fe fit avec une grande civilité de part & d'autre, & la converfation fut fort fpi. rituelle. La reine fit conduire le prince dans un appartement magnifique ; il demanda une audience particulière, & elle lui fut accordée pour le lendemain. Lheure de 1'audience étant venue, le prince fut inttoduit dans le cabinet de la reine , qui n'avoit que la princefle fa fceur auprès d'elle; il dit a la reine, en 1 abordant, ^u'il avoit des'  La Reine bes Fiïurs, 105 chofes a lui dire, qui euiTent pu furprendre route aurre perfonne; mais qu'elle en reconnoitroit aifémenrla vérité, par des circonftances qui n'étoient fues que d'elle. Je fuis , continua-t-il a dire, voifin des états de la reine des Ifles; les miens fonr une péninfule, qui a un petit paflage dans fon royaume. Un jour étant animé par la paflion que j'avois pour la chalfe, je fuivis un cerf jufques dans 1'une de fes forêts ; j'eus le malheur de la rencontrer, & ne 1'ayant pas crue la reine, paree qu'elle n'avoit pas gtande fuite, je ne m'arrêtai pas pour lui rendre ce qui lui étoit dü. Vous favez, madame, mieux que perfonne, dit-il encore , qu'elle eft très-vindicative, & qu'elle a une puilfance de féerie admirable; je 1 eprouvai fur 1'heure , la rerre s'ouvrit fous mes piés , & je me ttouvai dans une région éloignée, transformé en petit chien , & c'eft oü j'ai eu 1'honneur de vous voir, madame. Six mois érant expirés , la vengeance de la reine n'étant pas encore complette , elle me métamorphofa en hideux vieillard, & en eet état j'eus tant de peur de vous être défagréable, madame, que j'allai m'enfoncer dans 1'endroit le plus épais d'un bois , oü j'ai encore pafle trois mois; mais j'ai été afléz heureux pour y rencontrer une fée fecourable, qui m'a délivré de la puiflance de la fuperbe reine des Ifles, & m'a averti de tout ce qui vous étoit  ic6 La Reine des FtEURs, arrivé, madame , & du lieu oü je vous pourrois rencontrer. J'y viens pour vous ofFrir les hommages d'un cceur qui ne connok pas d'autre puiffance que la vótre, madame, depuis le premier jour que je vous ai rencontrée dans le défert. Après ce difcours, le prince continua a dire a la reine, que les fées offenfées du mauvais ufage que la reine des Ifles avoir fait de fes dons de féerie, les lui avoient ótés. Le prince eut enfuite, avec la reine, plulïeurs autres converfations, oü la reine & lui convinrent enfemble de fe lier de nceuds éternels; & cette réfolution ayant été rendue publique , fut recue avec des applaudiflemens univerfels. Ce n'étoit pas fans raifon ; car jamais fujets n'ont vécu fous une domination lï douce; ils en jouirent même prés d'un fiècle. Le roi & la reine les ayant gouvernés enfemble , «Sc vécu dans une patfaite félicité jufqu'a une extreme vieillefle.  io7 Galeran , jeune gentilhomme de la ville de Naples , & nourri a la cour, ayant été foupconné d'avoir donné un mauvais confeil au jeune princé, fuceeffeur de la couronne, de qui U éroit le favori, s'enfuit avec tant de precipitation, pour éviter la colère du roi, qu'il n'emporta chofe au monde : il avoit fi grand peur d'être fuivi, qu'il marcha jour & nuit, jufqu'a ce qu'il fut forti des confins du royaume. Il avoit marché ttente-fix heures, fans avoir mangé , ni fait repaïtte fon cheval qu'une fois, tellement qu'il fe trouvoit accablé de laffitude, & que fon cheval ne pouvoit plus mettre un pié devant 1'autte , il falloit donc néceffairement s'arrêter; mais ne trouvant aucune maifon fur fon chemin, il fut obligé d'entrer dans une belle prairie , pour faire patuter fon cheval; il appercut qu'il y avoit dans les haies des grenades & des oranges , il en prit & il en mangea, n'ayant pas mieux, & s'étant alfis a 1'ombre, ne pouvant LE FAVORI DES FEES, CONTÉ.  10S Le Favori des Fées. réfifter i la laffitude 8c au fommeil, il s'endormir, lailTant fon cheval a 1'aventure. Une puiffante fée qui avoit fon palais dans un bois de ce voifinage, étant venue fe promener dans cette prairie , appercut Galeran qui étoit dans un profond fommeil, 8c 1'ayant trouvé trés - beau , elle s'affit auprès de lui pour attendte fon réveil. Après avoir long-tems conremplé tant de beautés, impatiente de favoir s'il avoit le regard touchant, 8c de grands agrémens dans la bouche, dont elle ne pouvoit pas juger en 1'état oü il étoit, elle 1'éveilla en le pouffant doucement, avec une baguette qu'elle porroit a la mam. Galeran furpris de trouver une perfonne fi magnifiquement vêtue auprès de lui, fe leva , en demandanr par quel fort il fe trouvoit en fi bonne compagnie? La fée lui dit, qu'étant avertie d'une mauvaife aventure qu'il avoir eue, elle venoit lui offrir une retraite affurée, dans un chateau oü elle étoit la makreffe , & oü il pourroit demeurer autant de tems qu'il lui plairoit■ 8c que quand il en voudroir partir, elle feroit en forte que ce feroit avec tout ce qui lui feroit nécefTaire, dans tous les lieux oü il lui prendrok envie d'aller. Galeran qui s'eftimok trop heureux de trouver tant de bonté a une perfonne qu'il voyoit fi bien faite, lui dit qu'il étoit fache de n'avoir eu aucune occafion de mériter les  Le Favori des Fees. 109. faveurs qu'elle lui offroit; mais qu'il' noublieroic rien pour s'en rendre plus digne. Eniin , ies premiers complimens finis, elle le fir monter dans fon charriot a cóté d'elle, & le mena dans fon palais, oü elle n'oublia rien pour lui en rendre le féjour agréable. Le cavalier étant galant & poli, répondit longiems aux bontés de la fée , avec de grands emprelfemens; mais ce qui arrivé prefque toujours, arriva entr'eux , les grands empreflemens fe ra» lentirenr, & leur converfation devenue languiffante, la fée jugea en perfonne prudente, qu'il n'étoit pas poffible de bomer 1'ambition d'un jeune homme plein de feu dans les limites d'un chateau , & qu'il lui falloir laifler chercher a faire parler de lui, dans une carrière plus étendue. Comme elle avoit voulu apprendre les particularirés de ce qui avoit caufé fa difgrace ; elle jugea par les difficultés qu'il fit, de lui dire les fecrets du ptince , duquel il avoit été le favori, qu'il étoit incapable de faire un mauvais ufage de la confiance qu'on prenoit en lui. L'ayant ainfi ttouvé un jeune homme auffi fage qu'aimable , elle 1'efKma aurant qu'elle l'avoit aimé, & le jugeant digne de toute forte de bon* heur, elle lui voulut donner les moyens de paroïtre dans le monde , & d'y faire une grande fortunej mais ce fut a condition qu'il jurat de-  ito Le FaVori des Féês. tre toujours de fes amis, & de la venir voir de tems en tems. Ces conventions étant faites entr'eux, elle le congédia, après lui avoir donné de 1'or «Sc des pierreries, avec une lance & une armure enchantées , ce qui ne fe fit pas fans répandre des larmes. Enfin , après de tendres adieux il partit, & ne fe voyant en süreté en aucune des cours d'Italie, il voulut paffer la mer , 8c s'en alla dans le royaume d'Epire , oü il favoit qu'il y avoit un roi guerrier qui recevoit volontiers a fa cour les aventuriers, qui lui alloient orfrir leurs fervices, 8c qu'il avoit une fille unique, héritière de fon royaume. Galeran avoit le cceur naturellement capable des plus grands defTeins , 8c la fée lui ayant relevé fes efpérances, par la quantité d'or «Sc de pierreries qu'elle lui avoit donné, il s'étoit pourvu en Iralie de domeftiques «Sc d'habits magnifiques, & arriva chez le roi d'Epire en un équipage qui le faifoit juger un homme de grande condirion. II s'alla lui-même préfenter au roi, qui avoit nom Matcian , lui dit qu'attiré par 1» bruit de fes exploits, il étoit venu lui offrir fes fervices , «Sc qu'il le fupplioit de le regarder comme un homme qui feroit dans les occafions aufli zèlé pour la gloire de fes armes, que celui de fes fujets qui le fervoit avec le plus de paffion.  Le Favori des Fées. ui Le roi qui avoit ttouvé quelque chofe dans fa phyfionomie & dans fes manières qui marquoit de la gtandeur, fut curieux de favoir qui il étoit 5 mais Galeran le fupplia de 1'excufer , s'il ne lui difoit pas fa patrie; il lui dit feulement qu'il avoit nom Galeran , & qu'il avoit de grandes raifons de ne lui rien dire de plus. Le roi ne le voulant pas preifer davantage , lui dit qu'il voyoit bien qu'il étoit de bon lieu , & qu'il étoit très-bien venu a fa cour, ou il trouveroit toute fotte de fatisfacFion. Galeran lui rendit mille remerdmens trés - humbles, & lui dir, qu'il y attendoit les occafions de guerre, ou il fupplioit S. M. de 1'employer. La princelfe Murcie, héritière du royaume, étoit auprès du roi fon père, & Galeran lui fit une profonde révérence. Le roi fe toutna pour parler a quelqu'un; dans ce tems , ce jeune éttanger fe mêla parmi les courtifans , qui lui firent toutes fortes d'honnêtetés : c'étoit a qui lui fetoit le plus d'offres de fervices , & un chacun s'emprelfa de lui faciliter les entrées chez les dames j il fut même dans ce jour préfenté a la princefle par fa dame d'honneur. Galeran fut enchanté des beautés de la princefle , & 1'accueil gtacieux qu'elle lui fit, acheva de le rendre le plus paflionné des hommes; il qntra depuis ce jour dans toutes les parties, 8c  ux Le Fa v om des F e e s. dans toutes les plus ahnables fociétés de la cour; il étoit, fott aflidu auptès du roi, & chez la princefTe, aufli fouvent qu'il croyoit y pouvoir être recu : il y eut des tournois , ou il courut contre tout venans ; il y fut toujours vainqueur , 8c recut le prix de la vidtoire des mains de cette charmante princefle. Qu'il fe feroir eftimé heureux , s'il eüt ofé déclarer qu'il n'enttoit en lice que pour la gloire de la princefle ! II eüt foutenu contre toute la tetre, qu'il n'y avoit qu'elle au monde digne d ette fervie. II portoit dans fon écu un emblême , qui ne pouvoit être expliqué que par la hardiefle qu'il avoir d'avoir levé les yeux jufqua elle. C'étoit un aigle, qui avoit volé le plus prés du foleil qu'il avoit pu, avec ces paroles : je ne puis brület j ni être ébloui que de fes rayons. Les afliduités de Galeran chez la princefle, fes regards paflionnés, 8c 1'aigle de fon écu, firent connoïtte au prince Ponrian, que Galeran avoit 1'audace de penfer a plaire a la princefle. Le prince Pontian éroit du fang des rois d'Epire par fa mère, 8c fe cfloyanr 1'homme le plus confldérable de cette cout, 8c le plus proche de la couronne , il n'avoit pas jugé qu'on eüt ofé lui difputet la princefle; c'eft pourquoi il prétendit être en droit de punir , de tous les fupplices , un étranger , lequel n'étant qu'un inconnu, avoit eu cependant 1'audace  eL Favori des F é é s. tt | 1'dudace de devenir fon rival. II entreprit donc de 1'en punit > & de s'en défaire même par un alfaffinat, fë tenant certain que la mort d'un homme3 fans parens &: fans amis , en un lieu oü il étoit fi puilïant, rie lui cauferoit aucun embarras. II fe mit, avec quatte ou cinq hommes bien armés, fut le palfage de Galeran , qui fortoit du palais fuivi d'un feul domeftique, & alloit tomber dans 1'embufcade qu'on lui avoit dreflee , s'il n'eüc rencontré, a la potte du palais, une dame dans fon charior, qui lui propofa de prendre une place auprès d'elle; lui difant qu'elle le vouloit mener chez lui en süreté. Galeran, tout préoccupé qu'il étoit des appas de la princelfe, étoit trop jeune & trop galanr, pour refufer les faveurs d'une perfonne qui, par fon rrain, paroilfoit fort confidérable ; il fe mit dans le charior fans faVoir avec qui. II n'y fut pas plutot, qu'il s'appercut qu'il avoit cette obligation a une femme forr bien faite ; il apprit de plus qu'il lui en avoit une plus grande qu'il n'avoit cru , car elle lui déclara qu'il éroit en fort grand péril, puifqu'un grand de la cour avoit réfolu fa perte , & 1'attendoit fur fon palfage pont le faire périr; mais qu'elle vouloit 1'en garantir, en le conduifant en un lieu oü elle le tiendtoit en süreté pendant quelques jours, & oü elle concerteroit avec lui les mefures qu'il auroit a prendre, Tome V. H  ii4 Le Favori des Fées. pour fe mettre a couvert des entreprifes de fes ennemis. Galeran étonné de ce qu'il entendoit dire, ne fachant quels ennemis il avoit a craindre , ne Téfifta en aucune manière J & malgré la répu. gnance qu'il avoit d s'éloigner de la princelfe , il fe lailfi conduire aveuglément par une perfonne de qui il n'y avoit aucune apparence de devoir entrer en déhance. C'étoit une fée du voifinage de la cour , laquelle ayant connu par fa feienfé fecrette le péril oü étoit un homme aimable , avoit voulu 1'en garantir pour la gloire de faire une bonne aóFion , & peut-être auffi dans la vue d'obliger un homme qu'elle en jugoit digne , & qu'elle efpéroit de trouver reconnoiffanr. Ce n'éroit pas la première fois que la bonne fee s'étoit attiré des amis par fes bienfaits , qu'elle ne pouvoit plus efpérer par fa beauté ; comme elle avoit beaucoup d'efprit ■ elle badina avec Galeran , & lui dir les plus jolies chofes du monde, fur la peur qu'il devoit avoir de fe voir enlevé par une perfonne qu'il ne connoilfoit pas, & d'être conduit dans un lieu oü il ne favoit quelle compagnie il trouveroit, ni quel accueil on lui feroit. Mais la fée, en lui difant des chofes qui euffent pu l'embatralfer , le ralfuroit de tems eu  Le Favori des Fées. 115 tems par quelques careffes ; jufques-la même qu'on die qu'elle lui mit la main fous le menton. Galeran qui, en toute autre occafion, en feroit devenu plus hardi, n'ofa s'émanciper i aucune familiarité, ne fachant s'il n'étoit pas entre les mains de quelqu'être au-deffus de la nature humaine, qui le tranfportoit il ne favoit oü ; il vouloit attendre, enfin, a connoitre avec qui il avoit a traiter, & oü on le conduifoit. 11 fut bientot inftruit \ car il arriva dans un palais , qu'on peut nommer le palais des délices : il n'eüt pas trouvé de quoi fane un fouhait, fi c'eüt été celui de la princefTe qu'il adoroit. La fée donna fes ordres en arrivanr, & auffitot plufieurs efclaves s'emprefsèrent a qui feroit le premier a courir au-devant du moindre des défirs de Galeran ; tous les genoux plioient devant lui& il étoit obéi avant qu'il eüt achevé de parler : tout ce qui peut enfin faire la félicité d'un mortel étoit a fa difpofition , puifqu'aucun plaifir ne lui manqua, non pas ceux même que fa difcrétion 1'a empêché de publier. Après avoir ainfi pafle quelques jours , la fée, qui entendoit fort bien raifon , crut qu'il étoit tems de tendre Galeran a une princefie, qui étoit dans de grandes inquiér-udes de ne favoir ce qu'il étoit devenu. La fée pouifa même la générofité plus loin , car elle employa toute fa puiffance H 1  |if Le Favori des F é e s; Pour ajouter d fes premiers agrémens im air de beauté qu'il n'avoit pas eu jufques-U i elle lui donna de 1'or & des pierreries d pleines mains, & 1 alfura qu'il pouvoir hardiment pourfuivre fon entreprife d la cour , que fes ennemis avoient eu home d'avoir formé de mauvais delfeins, & y avoient abfolument renoncé. £Ue 1'alFura encore que tous les attentats qui fe feroient contre lui, avec des forces fupérieures, ne réulïiroient jamais. Quand d deux ennemis qu'il avoit a combattre d armes égales, elle lui dit qu'elle lui vouloit laiffer la gloire de les furmonter par Fa vertu , & qu'elle ne s'en mêleroir pas. Après cette converfation, elle congédia Galeran ; il répandit en parrant quelques larmes , qu d donna d la reconnoiffance j car il n'étoit véritablement touché que des attraits de la princeire, qu'il avoit grande impatience de revoir! Comme on avoit été fort en peine d Ja cour de ce qu'il étoit devenu, on fit d fon retour divers raifonnemens fur fon abfence , & on voulut apprèndre de lui ce qui 1'avoit caufée; le roi 1w pre/fé Id-delfus , il fut obligé de lui répondre qu il avoit fait un petit voyage , pour voir quelqnun qui venoit de fa patrie, qui avoit d lui parler d affaires importantes. La princelfe 1'embaraffa bien davaritage; comme elle prenoitplus dmteret que qui quc ce fut £ ce qui Je ^  Le Favori des Fées. 117 dok ( car elle étoit fort touchée de fon mérite) elle lui dit qu'elle vouloit abfolument favoir d'ou il venoit, Sc qu'il prit fon tems pour lui en rendre compte» Galeran , charmé de 1'inquiétude qu'il voyoit a la princelfe, Sc dë 1'ordre qu'il avoit recu de lui dire ce qui lui étoit arrivé , en chercha 1'occafion ; Sc 1'ayant bientot trouvée, il lui fit m récit exadt de- fon aventure ; il oublia feulement quelques particularités, dont un galant homme ne peut jamais faire mentisn, & que la princefTe concevoit bien , fans qu'on lui en parlat. L'occafïon étoit trop belle pour la manquer; Galeran exagéra combien il avoit fouffert éloigné d'elle , Sc lui peignie, avec des couleurs forr vives, rout ce qui s'étoit paffé dans fon corur, depuis le premier jour qu'il l'avoit vue. La princelfe répondit qu'elle n'avoit garde de fe plaindre de la déclaration qu'il lui faifoit, puifqu'elle fe 1'étoit attirée; mais, continua-t-elle a dire, n'allez pas croire du moins que j'ajbute foi a. ce que je viens d enrendre , Sc que je trouvalfe bon que vous m-'en parlafTiez une feconde fois. Galeran, qui avoit peur que véritablement elle ne lë voulüt- pas écouter, une autre fois , lui fit mille fermens d'une fervitude étemelle , Sc n'ëut aucnn fujet de s'en repentit; car la princefTe continua-a 1'écouter avec, affez de bonté , Sc lui dit feulement- en le quit- H5  'H8 Le Favori des Fée s. tant j le tems fera voir fi vous dites la vérité. Ce n'étoit pas de quoi défefpérer un amant, qui venoit de parler pour la première fois ■ aufli Galeran, très-fatisfait de cette converfation, ne fongea plus qua chercher les occafions den avoir de pareilles, & s'expliquoit t en attendant, par fes afliduités & des regards languiflans. Galeran étoit en eet état, quand on vit arriver un héraut du roi de Sparre , qui venoit pour déclarer la guerre. Le roi d'Epire répondir qu'il 1'acceptoit, & qu'il fe trouveroit k la tète de fon armée. II favoit que le roi de Sparte feroit a la tête de la fienne 5 & il étoit fi animé contre lui, qu'il fit proclamer dans fa cour qu'il donneroit la piincefle en mariage i celui de fes chevaliers qui le mettroit en fa puiflance. L'efpoir d'une pareille récompenfe enflamma tous les jeunes braves d'Epire, & plus que tous les auttes le prince Pontian & Galeran , tous deux plus touchés de la beauté de la princeflb que de 1'éclat de la couronne , dont elie étoit 1'héritière. Les deux armées fe mirent en marche peu de jours après, & ne rardèrent pas beaucoup 4 fe joindre. Galeran trouva auparavant 1'occafion de pariera la princefTe , 8c lui dit qu'elle ne le reverroit jamais s'il ne conduifoit le roi de Sparte a fes piés. La princefle répondit qu'elle feroir fort fatisfaitede lui voir mettre fous la puiflance du roi fon  Le Favori des F é e s.; 119 père, un roi qui lui avoir fi fouvent fair la guerre de gaieté de cceur, & qu'elle alloit faire des vceux pour cela. Galeran , qui fut expliquer dans toute fon étendue ce que venoit de dire la princefTe , partit plein d'ardeur & d'efpérance. II fe fouvenoit des obligations qu'il avoit aux deux fées, qu'il avoit rencontrées dans les premières occafions importantes de fa vie : il eüt paffionnément fouhaité d'en rencontrer une troifième , qui 1'eüt voulu fecourir dans une entreprife dont dépendoit le bonheur incomparable qui étoit promis au vainqueur du roi de Sparte. Galeran étoit deftiné 4 être le favori des fées : il s'en préfenta une troifième qui lui vint offrir de combattre a fes cótés , & de lui montrer le roi de Sparte, qu'il eüt eu de la peine a diftinguer autrement, paree qu'il avoit quatte chevaliers dans fon armée, en un équipage femblable au fien. Galeran avoit déja une lance & une armure enchantées; & la généreufe fée , qui vouloit partager avec lui le péril de cette journée, lui donna un bouclier qui étoit a 1'épreuve de tous les trairs; mais comme il ne couvroit pas par-rour, il y avoit encore affez de danger dans cette expédition, pour y avoir beaucoup de gloire. Auffi-tot que le combat fut commencé , Galeran & fa fidelle compagne voltigèrent, fans s'engager , jufqu'a ce qu'ils H 4  Le Favori pes F é e"s? ~connu ]eroi de Sparte dia ^ U en avoir déja renverfé deux, qui Fétoient venu afFronter,&il en artendoic un troifième qui marchoit d lui lance paifTée, dans le momenr que les deuxefeadronssalloienc joindre. Galeran «avanca , enleva le cafque du roi d'un coup de ance &ayanrfaifi la bride de fon cheval , nra hors de la mêlée & le fit prifonnier. Fe «1 avoir brifé fa lance contre 1'armure enchantée 4e Galeran ,. & fe voyant fans lance la tête découyerte &ferré de fi près yfr ne poilvoit ^ i cpee ; il déclara qu'il étoit le prifonnier d'un chevalier qui lui avoK paffl ^ ^ & ft J7 ^nduire. Cetre expédition faite , la fée tenditlamaiad Galeran, * Jui dit qu>elJe ^ foit jouir de fa viéboire, Sc qu'elle ne lui demandoit que de fe fouvenir qu elle 1'avoit voulu fervir Sws interêt, ce qu'il n'avoit pas toujours rencontre quand il avoit eu befoin d'être fecouru. La fee difparut • Galeran alla préfenter fon prifpnmer au roi d'Epire. Le prinCe Pontian qui venoit * mettre iefcadrou du roi d, Sparte en déroute, courut, Sc préteudit avoir droit de difputer Ia xecompenfe d Galeran, foutenant que c'étoit lui qui avoit vaincu le roi de Sparte , & que Galeran nelavoit fait prifonnier que paree qu'il 1'avpit trouvé abandonné de fon efcadron.  Le Favori des Fées. tit Après une longue conteltation , Galeran offnt de foutenir fon droit par les armes en préfence des deux rois. Le prince Pantian accepra 1'offre, Sc le roi d'Epire ordonna le combat pour le lendemain ; & après avoir employé le refte du jour a faire pourfuivre fa vióFoire , & avoir carelfé le foir les officiers qui y avoient le plus contribué , il paifa la nuit dans le repos dont on jouit, quand pn n'a plus d'ennemis; Sc le lendemain il fut témoin, en préfence de fon armée en bataille, du combat qui devoit décidet une querelle li importante. On vit arriver prefque en mème-tems les deux chevaliers qui baifsèrent auffi-tot la lance; l'on eut de la peine a reconnoirre Galeran , paree que ne voulant pas fe fervir d'armes enchantces dans un combat particulier, il n'avoit plus celles qu'il avoit portées a la bataille ; mais on le devoit reconnoütre a fa fierré. Ces deux chevaliers, animés par le prix da combar , s'arfrontèrent comme deux lions , Sc ayant tous deux brifé leurs lances du premier choc , ils commencèrent a coups d'épées un combat fi terrible, qu'on ne les pouvoit regarder que comme de fort vaillans hommes; mais Galeran fur le plus heureux, il donna un fi rude coup a Pontian, qu'il lui abattit prefque le bras, & lui fit tombej fon épée, Ce prince, fans armes , fut  f*$ L e Favori des Fées" obhgé de fe confeffer vaincu, & de céder le prk de la vicW a un homme, que k pri„ce «ante reine; il avoit fouvent des conférence, avec fes medecins, & confultoit rous les chymiftes qur fe= préfentoient. Mais ne crouvanr ni médeanSordlnaireS)nii%m.fteS)e ^ .} pouvoxr prendre confiance; unefemme de fa cour o-hee de fon embarras . ,ui dir qu'il avoir ^ns fes erars un honune , lequel ayant éré élevé Par les fees, po/Tédoit toutes les fciences fecrettes dans la dernière perfoction ; la dimculté étoit de le rencontrer, paree qu'il étoit toujours en voyage, cherchanr les occafions de fe fervir de fon art pour falre du bien i tous ceux qui avoient belom d etre fecourus. • Le roi ayant appris qu'il fe tenoit ordinaire«ent dans le fond d'une forêt qui n'étoit pas om de la cour, y envoya , & heureufement on le trouva de retour chez lui depuis fort peu de tems ; ,1 foivit ceux qui 1'éroient venu chercher & ayant appns ce que le roi fouhaitoit de lui il demanda la liberté d'aller confulter fes livres ' II connut après les avoir bien confultés , qu'il avoit ut, mterêt particulier qué Je roi eüt un fils qui futcedat d fa couronne, & il donna tous fes foins afomfierlafantéde la reine, pour la rendre capable de mettre des enf^s au monde. Comme il avoit une patfaite connoilfance des fi-pes, ,1 les choifir fi bien, qu'il compofa un bourlIon,qui mit la reine en peu de jours dan,  QuiRIBIRINI. IZ5 une fanté parfaite ; elle devint groflè bientot après , Sc accoucha d'un prince qui étoit fa véritable relfemblance , & qui parut en peu d'années orné de rous les talens qu'on peut défirer pour faire un grand prince; il fut élevé avec tous les foins qui peuvent contribuer a former les héros j Sc ce furent des foins bien employés, car ce prince devint incomparable. Le roi & la reine étoient dans un contentement qui ne fe peut exprimer , de fe voir un fils Sc un fucceffeur d'une fi belle efpérance : mais ils ne jouirenr pas long-tems de ce bonheur; ils moururent tous deux dans une même année , & laifsèrent ce prince fi aimable, maitre de leurs états & de fa conduite. Il étoit dans lage ou l'on ne fait point de pas qui ne foit gliffant; il fe conduifit cependant, Sc gouverna fes fujets avec tant de fagelfe , qu'il leur donnoit de 1'admiration. Un de fes voifins qui vouloit fe prévaloir de fa jeuneffe , lui déclara la guerre; le jeune prince fe mit a la tête de fes troupes, & fit tant d'actions de grande valeur, qu'il réduifit fes ennemis a reconnoitre qu'ils 1'avoienr attaqué témérairement, & a lui demander la paix , qu'il leur accorda même a des conditions fort douces. Après cela la grande néputation qu'il avoit. acquife, étant un sur garant que fes voifins n'entreprendroient rien  ütf QüIRIBIRini, contre lui, & fes fujets vivan[ dans ^ g^^ tranquilhté, il s'adonna a la chafle. II étoit furprenant qu'un jeune roi, qui avoit a fa cour un grand nombre de dames charmantes , parut infenfible a tant d'appas : plufieurs dWelles formèrenr le deflein de lui plaire; mais ce fut inutilement, & elles regardoientavec étonnement, qu'un prince jeune & poli fe confervat infenfible au milieu de ranr de belles perfonnes, avec qui il étoit dans des converfations continuelles. La cour ne laiflbit pas cependant d 'être fort galante , malgré 1'indifférence du prince : les hommes & les dames étoient de toutes les chaffes du prince , & y étoient chacun le plus magmfaque; la chafle finie, tous les autres plaifirs fe fuccédoient tour a tour, le prince feul n'étoit touché que de celui qu'il prenoit a-la chafle. Un jour qu'il couroit le cerf, lardeur de la chafle 1'ayanr emporté fort loin , il s'égara dans la forêt, & fe trouva dans un petit boccage d'arbres, qui portoient des fruits & des fleurs • eet endroit lui parut très-beau , & comme il le 'contemploit avec plaifir, il entendit du bruir derrière lui , il rourna la tête, & vit un homme de fort mauvaife mine, qui pourfuivoit 1'épée i la main un ferpent, lequel s'étant réfugié derrière le roi, comme dans un lieu de süreté, ce prince    QUIRIBIRINÏ. 117 généreux lui donna fa proteótion 8c défendic de le ruer; mais eet homme féroce ayant toujours fuivi fon deflein, le roi juftement ■irriré alla a lui 1 epée a la main, & le mit en fuite. Le roi le voyant fuir , ne daigna le pourfuivre , Sc -fut furpris un moment après, de voir le ferpent marcher devant lui, & tourner la tète de tems en tems, pour voir s'il le fuivoit; ce ferpent.femblant lui vouloir fervir de guide. Le roi curieux de favoir ce qu'il deviendroit, le fuivit véritablement, Sc vit qu'étant enrré dans le boccage d'oü il étoit forti, il s'approcha d'un homme qui paroiflbit endormi fous un arbre, Sc inconrinent le ferpent étant mort, Homme fe releva, Sc fe jeta aux piés du roi, lui rendant grace de la. vie qu'il lui venoit de conferver. Le roi étonné de ce prodige , en demanda 1'explication ; eet homme qu'il venoit de gatantir de la mort, lui dit qu'il étoit celui qui par des fecrets qu'il pofledoit, avoit rétabli la fanté de la. reine fa mère , & 1'avoir mife en état de lui donner la naiflance, Sc que le roi & la reine fatis-, faits deïes fervices , lui avoient accordé leur proteótion , & lui avoient permis de faire des établiflemens dans tous les lieux de leurs érats qu'il voudroit choifir; il ajouta que le défunt roi pouflanr fa bonté plus loin, 1'avoit nommé le Bienfaüant, pour marqué de fa fatisfa&ion;  enfuite il rendit compte au roi , qu'étaöt pourfuivi par ce cruel homme qu'il avoit vu 1'épée a la main, il avoit rencontté un ferpent mort Sc s'y étoit transformé , croyanr éviter la fureur de eet implacable ennemi, qui étoit defcendu dans im port du voifinage , n'ayant pour but de fon voyage que celui de le tuer, dont il n'avoit été garanri que par fa prorection j car s'il eüt été tüé ferpent, il ne lui eüt plus été poffible de ranimer fon corps. Le roi étoit très-curieux de favoir comment Bienfaifant fe pouvoit transformer de cette forte, Sc le pria de 1'en inftruife. Bienfaifant s'en excufa; étant cependant fort preflc par le roi, il lui fit efpérer qu'il ne lui cacheroit rien, quand il lui connoitroit la difcrétion nécelfaire pour être propre a apprendre les fciences fecrettes. Pour commencer a fatisfaire fa curiofité, il le mena dans une grette qu'il avoit dans le fond d'un rocher au milieu de la forêt, & qui n'étoit counue de perfonne; il y fit entrer le roi, Sc y renrra avec lui par Une ouverture qu'il fit en touchant le rocher , d'une baguette myftérieufe qu'il portoit toujours a la main. Ce jeune roi fut furpris de la beauté de cette demeute ; c'étoit un palais oü il y avoit un appartement de plufieurs chambres de plein - pié , remplies de toutes les raretés qu'on fe peut ima- giuer,  QülRÏBIRINI. ü£ giner, qu'il prit grand plaifir a regarder. Bienfaifant ouvrit tin cabinet ou le roi vit un are, un carquois & un troulfeau de flèches dont il fut charmé . Bienfaifant le fit pafler enfuite dans un autre cabinet tout de glacé, oü il fit paroitre devant lui toutes les belles perfonnes de fes érats magnifiquement vêtues; mais le roi n'y fit prefque pas d'attention; Bienfaifant lui dit , que s'il n'étoit pas plus touché des attraits de toutes les belles perfonnes de plufieurs cours étrangères qu'il alloit lui faire voir, il lui diroit infailliblement tous fes fecrets. Le roi vit pafler avec une grande indifférence , une quantité infinie de belles perfonnes; mais, enfin, il parur une princelfe d'une beauté merveilleufe , qui étoit fuivie de toute fa cour; elle paroifloit plus audeifus de toutes les dames qui la fuivoient par 1'éclat de fa beauté , que par celui des pierreries , & de toutes les magnificences dont elle étoit parée, & le roi en demeura tellement interdit, & fi attentif a regarder 1'endroir oü il l'avoit perdue de vue , qu'il n'en détoutna les yeux que pour demander qui étoit cette charmanre perfonne fi diftinguée par fa beauté , de toutes celles qu'il venoit de voir ? Bienfaifant lui dit, que c'étoit une jeune teine, qui commandoit dans une région fort éloignée. Le roi réfolut a l'inftant de lui envoyer un ambafladeur, pour lui faire une déclaTome F. I  I J O QuiRIBIRINI. ration d'amour, & lui propofer de venir donnet des loix dans un toyaume oü on les recevroit avec beaucoup de refpeét. Bienfaifant avertit le roi que la propofition de mariage qu'il vouloit envoyer faire a cette reine, ne feroit peut-être pas recue fi favorablement qu'il fe le promettoit; qu'elle venoit de refufer d'époufer un prince ,. fils d'un puhfant roi; qu'il étoit vrai que ce prince étoit un géant monftrueux , qui ne pouvoit jamais fe faire aimer; mais que, ne pouvant fe faire aimer, il fe faifoit craindre , auffibien que le roi fon père qui étoit magicien, 8c un fi méchant homme, qu'il avoit obligé le prince fon fils a tenir la reine affiégée, depuis le refus qu'elle avoit fait de 1'époufet. Bienfaifant déclara enfuite au roi, qu'il étoit la caufe de ce que le fiége tiroit en longueur, paree qu'il avoit eu le pouvoir, par fon art, de conferver a la reine affiégée fon port libre , par oü elle recevoir les fecours de fes voifins, malgré les foins du méchant roi, qui avoir obtenu, d'un roi fon allié, & auffi méchant que lui, une armée navale pour bloquer , du cóté de la mer, la ville affiégée; mais cette armée navale étant retentie dans les rades, par des calmes continuels, le méchant roi s'en étoit pris a Bienfaifant, qu'il favoit en être la caufe ; & ayant appris dans fes livres le lieu oü il étoit, il s'étoit mis dans une chaloupe, 8c étoit defcendu  QüIRIBIRINI. 13! a terre pour le chercher & le tuer : ce qu'il eüt exécuté fans la protection que la fortune lui avoic envoyé fi a propos» Bienfaifant rendir encore compte au roi, com~ ment il avoit été envoyé par les fées pour traverfer les defleins de ce roi qu'elles haïïfoient, a caufe qu'il étoit méchant; &c comment elles lui avoient donné , pour exécuter fa commiifion, 1'art de féerie dont il s'étoit fervi pour s'infinuer dans 1'efprit de ce roi; ce qu'il avoit fi bien fait, qu'étant devenu fon favori & fon confident, il avoit appris fes fecrets les plus cachés, & s'étoit fervi depuis de la connoiflance qu'il en avoit, & du pouvoir de la féerie, pour traverfer les cruelles entreprifes qu'il faifoit, dont le roi s'étant apper511, il l'avoit haï mortellement, & n'ayant pas douté, comme j'ai dit, que ce ne füt lui qui eüt atrêté fon armée navale, il l'avoit cherché pour le faire périr. Le roi étant inltruit que Bienfaifant avoit les dons de féerie , & fachant les mauvais defleins du méchant roi contre la charmanre princelfe , ne fongea plus qua chercher les moyens de 1'en garantir, & a prier Bienfaifant de 1'y fecourir par fon art. Bienfaifant lui dit qu'il n'avoit befoiu que d'un feul fecrer, qu'il lui eüt volontiers confié , s'il lui eüt cru le cceur libre ; mais qu'il ne pouvoit fe réfoudre de fe confier a un jeune princs I *  T$X QuiR.IBIR.INI. qui avoit une grande paflion, paree qu'il craignoit d'avoir le déplaifir de le voir accablé de mille malheurs s'il avoit la fragilité de le révéler. 11 lui aVoua pourtant qu'il n'y avoit pas d'autte moyen de délivrer la reine affiégée. Le roi lui fit tant de fermens de ne révéler jamais ce fecret, qu'enfin Bienfaifant réfolut de le lui confier. II lui dit donc qu'en prononcant le nom de Quiribirini, il auroit le pouvoit de fe transformer en quel animal il voudroit, 8c qu'il falloit pour cela prendre eet are qu'il avoit trouvé fi beau , & tirer une flèche en l'air , en intention de tuer 1'animal dont il autoit befoin , «Si qu'il viendroit incontinent tomber a fes piés. Le roi prit 1'arc, 8c ayant tiré, il vit tomber a fes piés une biche qu'il avoit défirée. Bienfaifant, qui ne voulut pas abandonner le roi, tira aufli une flèche , en intention de tuer une biche } 8c auffi-tót il en romba une a fes piés: ils dirent tous deux Quiribirini, enttèrent dans le corps de ces biches , laifsèrent les leurs dans les rochers , «Sc coururent tous deux dans la fotêt, pour faire un effai du pouvoir de ce charme. Après une petite courfe, ils revinrent dans la grotte , reprirent leur forme natutelle , raifonncrent fut les moyens de fecoutir la princefle, 8c conclurent qu'il falloit qu'ils fe transformaffent cn oifeaux , pour pouvoir pafler la mer; ce  Quiribirini. 153 qu'ayant fait , ils voltigèrent autour de cette flotte , laquelle ayant eu enfin, après de longs retardemens , le vent favorable , alloit pour bloquer le pott de la princefle. Ils devancèrent la flotte, & cherchèrent en arrivant s'ils ne pourroient pas tencontrer la princefle dans fes jardins. Ils furent aufli heureux qu'ils 1'avoient défiré , ils la virent & la vitent fort affligée ; ils lui entendirent même dire qu'elle feroit plutot tuée de fa propre main, que de confentir a époufer ce monftre qu'elle avoit en horreur , & qui la tenoit afliégée. Ils fe mirent fur la même branche , pour concerter le moyen de délivrer cette charmante princefle ; & ils convinrenr que Bienfaifant prendroit le corps d'un fcorpion pour aller faire mourir ce cruel prince, ce qui réuflit comme le projet en étoit fait : Bienfaifant rencontra un fcorpion mort, il en anima le corps & fe traina dans la renre du tiran dont on avoit réfolu de fe défaire, & enfuite dans fon lit, & lui fit une piquure dont il enfla , Sc mourut le jour fuivant. Aufli-tót que Bienfaifant eut fait fon coup , il laifla le fcorpion ou il l'avoit pris , reprit fa forme d'oifeau Sc s'en alla trouver le roi qui 1'attendoit avec impatience dans le jardin ou il l'avoit laiffé. D'abotd que 1'armée eut fu la mort du prince, déteftant fa cruauté & fon in- 13  ï 3 4 Quiribirini. juftice j elle leva le lïége, & laifla cette charmante princefle en repos chez elle. Le général de Parmée navale ayant appris que la ville étoit délivrée du fiége , fit mettre a la voile, & ramena fes vaifleaux dans le port d'oü ils étoient partis. Le roi , en parrant oifeau pour 1'expédition qu'il venoit d'achever, avoir laifle ordre de préparer une armée navale ; & 1'ayant trouvée prête a fon retour , il partit aufli-töt pour aller tacher de plaire a cette princefle, qu'il avoit trouvée fi charmante, &z mena avec lui fon cher Bienfaifant. Sa flotte étoit Ia plus galante qu'on eut jamais vue , chaque vaiffeau portoir fur la poüpe & a" tous les mats des pavillons de foie de toutes les couleurs ; mille banderolies de même , & mille Hammes rendoient ce fpectacle d'une beauté merveilleufe, & l'air retentiflbit d'un nombre infini de rrompettes : chaque corps de vaiffeau brilloit d'or & d'azur; & fi cette armée fentoit la poudre, c'étoit la poudre d'iris & non pas la poudre a canon. Le roi mouilla 1'ancre en eet état a la vue de la reine, & lui envoya des ambafladeurs pour lui demander la permiflion de lui aller offrir fes rrèshumbles refpeéts. La reine envoya tous les grands de fa cour recevoir le roi a la fortie de fes vaiffeaux J & s'avan^a fur le perron de fon palais  Quir.ibib.ini. pour l'attendre : jamais entrevue ne donna une fatisfaction fi réciproque. Le roi fut charmé de la beauté de la reine , qui lui parut ce jour la mille fois plus rouchante; la reine, de fon cóté, trouva le roi de fi bonne mine, qu'elle fut difpofée dans le premier moment a écouter favorablement les propofitions qu'il lui venoit faire; elle le fit loger dans un appartement magnifique , & quelques jours aprés les noces fe firent avec une pompe fans égale. La reine , après avoir fait pendant quelques mois goütet la douceur du gouvernement de leur nouveau maitre a fes fujets , confentit de pafler avec lui dans fon royaume, oü elle vécut longtems dans une grande félicité , qui ne pouvoit être égalée que par celie dont le roi jouiflbit. Les fujets des deux royaumes fe ttouvoient aufli fort heureux, ils vivoient fous la domination la plus douce & la plus aimable qu'ils pouvoient fouhaiter. Le roi magicien méditoit dans fes états de troubler un bonheur fi parfait; il étoit au défefpoir de la morr de fon fils , & de voir que la reine, qu'il avoit prétendu lui faire époufer, avoitépoufé fon ennemi : après avoir long-tems médité , il fit enfin le projet de fa- vengeance. Il avoit un neveu qui étoit beau & bien fait; mais méchant comme lui: il faflara qu'il le feroit le I 4  I$<5 QuiB.IBin.lKT. (ucceffeur -de fes états, pourvu qu'il vint l bout de le venger de la mott de fon fils j il 1'inftruifit, lui donna quelques-uns des fecrets de fon art magique , & 1'envoya pour ménager les occafions d'exécutet fa vengeance. Ce jeune prince promit au roi fon oncle de ne rien négliger pour le fatiffaire , & parut d ]a cour du roi qu'il vouloit faite pénr comme un chevalier étranger , qui voyageoit pour s'inftruire de ce qui fe paifoit dans le monde. Le roi le recut fort favorablement, & lui ayant trouvé beaucoup d'efprit, il le préféra en peu d© jours d tous les feigneurs de fa cour , & le fit fon confident & fon favori. II n'y avoit qu'un feul fecret que le roi fe réfervoit, il prenoit un plaifir infini d aller quelquefois fe promener dans la grotte de Bienfaifant, qui s'étoit abfenté pour aller chercher par le monde les occafions de fe fervir de fon art d faire de bonnes actions : le roi n'y menoit jamais petfonne, & fe faifoit foupconner de difparoirre pour quelque galanterie. Le favori, qui avoit en tête de connoïtre tous les fecrets du roi, pour s'en fervir d 1'exécution de fon deflein, fit 1'afrligé : le roi qui 1'aimoit ayant de 1'inquiétude de le voir trifte, & lui en ayant demandé la caufe , il répondit qu'il étoit au défefpoir du peu de confiance que S. M. prenoit en lui, qu'il r?e pouvoit fe confoler de lui voir faire de petits  Quiribirini. 137 yoyages, oü elle ne le menoit pas j 8c qu'il renoncoit volontiers a la vie, dont il ne pouvoit plus faire de cas, depuis qu'il connoilfoit qu'un fi aimable prince, a qui il s'étoit dévoué, ne 1'aimoit pas , & n'avoir aucune confiance en lui. Le roi lui vouloit faire enrendre qu'il n'avoit pas raifon de fe plaindre, puifqu'il ne lui cachoit qu'un unique fecret, qu'il étoit engagé d'honneur de ne jamais dire. Le favori ne fe contenta pas des raifons du roi, & parut s'affliger au point qu'étant devenu malade, les médecins le crurent en danget de fa vie, 8c en avertirent le roi, qui en fut fi touché, qu'il 1'alla aflurer qu'il lui confieroit tout ce qu'il favoit, & le méneroit oü il avoit coutume d'aller, auffi -tót qu'il feroit guéri; 8c il le pria de vouloir prendre foin de fa fanté, s'il étoit vrai qu'il eüt de 1'amitié pour lui, paree que rien ne le pourroit confoler s'il le perdoit. Le favori qui, par les fecrets de fon art, avoit paru malade fans 1'être, fut bientot en état de fuivre le roi qui le mena dans la grotte comme il lui avoit promis : le roi lui expliqua tout Ie myftère, 8c lui dit qu'il falloit qu'il fit tout ce qu'il lui verroir faire. Mais le perfide avoit bien d'autres defleins \ le roi tira une flèche avec 1'intention de tuer une biche , 8c il en tomba une morre a fes piés : il dit Quiribirini, eutra dans k corps de la biche , «Sc laifla le fien étendu dans  13 S Quiribirini. la grotte. L'infidèle favori, au lieu de faire c6 qu'il avoit promis , dir Quiribirini , anima le corps du roi , & mit 1'épée a la main pour tuer la biche, qui n'évita la mort que par fa vitefle. Ce perfide, en arrivant a la cour , avoit été touché de la beauté de Ia reine , & fe voulant fervir de cette occafion pout lui faire une craelle fupercherie, il s'en alla fous la forme du roi au palais, & prétendit ce que le roi avoit droir de prétendre. Mais la reine avoit concu une fi grande averfion pour celui qu'elle voyoit, qu'on ne put jamais lui perfuader de fouffrir qu'il couchat dans fon appartement ; c'étoit Bienfaifant qui, quoiqu'abfent, lui infpiroit cette averfion par fon are de féerie. Le feint roi rendoit de grands refpeéts a Ia reine , & ne vouloit pas la contredire , dans la vue de la gagner a la fuire du tems; & afin que rien ne le put jamais troubler dans ce deflein, il ordonna qu'on tuat toutes les biches de la forêt y 8c faifoit tous les jouts des parties de chafle pour hater cette exécution. Un jour, que la reine y étoit dans fon chariot, il en rencontra une qui tournoit toujours la tête du cóté de la reine; il ne douta pas que ce ne füt celle dont il avoit principalement deflein de fe défaire, & il la pourfuivit avec tant d'ardeur , qu'il 1'obligea a traverfer une rivière pour .éviceJf  Quiribirini. 139 la mort; elle trouva, de Fautre cêté de la rivière, un poiffbn morr, elle dit Quiribirini, 8c devint poiffbn. Les chiens ayant aufli paffe la rivière, le feint roi ne douta point qu'ils n'euffent dévoré la biche, s'en retourna fort fatisfait de fa chafle; mais la reine , qui 1'avoir quitté un peu plüfot que lui, s'étoit retirée dans fon appartement, & ayant fait dire qu'elle étoit malade , elle ne 1'y voulut pas recevoir. Dans ce même tems le véritable roi/, fous la forme d'un poiflbn, étoit fort en peine de favoir comment il fe tireroit de 1'eau , ne lui étant pas poffible de vivre long-tems dans eet élément; il appereutheureufement, furie bord de la rivière, un perroquet nouvellement morr", qui étoit encore le plus joli du monde, il n'eut gatde de perdre cette occafion , il dit Quiribirini; & ennuyé d'êtte poiffon , il entra dans le corps du joli perroquet , 8c s'envoladans les jardins du palais. Un grand de 1'érat s'y promenoit , en attendant le tems de pouvoir entrer chez la reine, qu'il vouloit avertir des bruits qui fe répandoient dans le monde de fon averfion pour le roi, le perroquet ne l'eut pas plutöt appercu , qu'il lui vola fur la main. On vint, dans ce moment, avertir ce feigneur qu'on entroit chez la reine; il y entra, 8c ravi de joie de pouvoir lui faire un préfenr qui lui fut agréable, il lui porta le penoquet. Mais  i4° Q u i r i b i r i n r. dans quelle furprife ne fut-on point! le perroquet vola fut 1 'épaule de la reine , s'approcha d'elle pour la baifer , & fe nut enfuite fur fa toilette, ou on lui entendit dire des chofes furprenantes. La reine étant entrée dans fon cabinet avec ce feigneur, qui lui avoir demandé une audience, le perroquer y vola , Sc s'étant mis en tiers dans la converfation, il leur déclara toute fon aventure. Ils concertèrent enfemble les mefures qu'il falloit prendre pour étouffer le feint roi, de manière qu'il abandonnat le corps qu'il occupoit fain Sc faufj ce qui fut exécuté fort heureufement & fort promprement. Le roi, dans le corps du perroquet, dit Quiribirini, Sc rentra dans le fien. Bienfaifant, qui avoit fu par fon art la malheureufe aventure, étant venu au fecours du roi Sc de la reine , les trouva enfemble, & délivrés du perfide qui les avoit fait fouffrir. Son avis fut de punir le roi qui avoit tramé cette trahifon , Sc il s'en chargea afin qu'aucun foin ne put troubler déformais la féliciré d'un mariage fi bien afforti des deux plus aimables mortels qu'il y eüt fous le ciel; ils en jouitent long-tems, Sc Bienfaifant fut prié, pour la rendre plus parfaite, de vouloir paffer fa vie avec eux, ce qu'il accorda j Sc il fut pendant prés d'un fiècle le plus accrédité favori, que les princes ayent jamais eu.  i4i Jadis une princefTe , qui avoit beaucoup d'efprit & de courage, époufa un prince qui vivoit en homme privé dans fes états , ou fes ancêtres avoient régné , & qu'un puiffant roi du voifinage avoit ufurpés, après la mort du detnier fouverain de ce royaume, qui avoit été tué dans une entreprife, oü trois rois perdirent la vie dans un même jour. Cette princefTe ne fut pas plutót mariée, qu'elle fongea a infpirer au prince fon mari, le deffein de remonter fur un ttone qui lui appattenoit; elle,lui en infinuoit le défir par fes difcours continuels, lui faifant entendre qu'il éroit honteux d'obéir dans un lieu oü l'on a droit de commander. Le prince goüta peu a peu fes raifons; mais les difficultés lui paroiffoient grandes; toutes les places de 1'état ufurpé , étoient occupées par les troupes de 1'ufurpateut, tous les gouverneurs LA PRINCESSE COURONNÉE PAR LES FÉES, CONTÉ.  141 La Princesse étoient fes fujets naturels ; il eft vrai que tous les habitans du royaume ufurpé , étoient au défefpoir, de gémir il y avoit long-tems , fous le joug des étrangers, & d'étrangers même orgueilleux 8c avares, qui avoient rendu la domination de leur roi odieufe a fes nouveaux fujets. Quel moyen de fe prévaloir de cette conjoncture ? le nerf de toutes les entreprifes manquoit : le prince & la princefle avoient affez de bien pour vivre en perfonnes privées; mais pour faire une révolution générale dans un royaume, il falloir employer des fommes immenfes, il étoit befoin de fe pourvoir d'armes &c de chevaux , d'engager les rimides par 1'appat de Tor j il falloit généralement faire du bien a tous ceux a qui on confieroit le fecret de 1'entreprife, afin qu'ils ne puflent pas efpérer une plus grande récompenfe en le révélanr, que celle qu'on leur donneroit de leur fidélité par avance 5 a qui avoir recours dans un befoin de cette imporrance ? La princefle avoit été élevée dans un chateau," fitué au milieu des rochers 8c des bois, ou elle avoit entendu parler du pouvoir des fées ; elle favoit qu'elles avoient fouvent transformé en plufieurs manières différentes, 1'équipage de chafle du prince fon père, toutes les fois qu'il s'étoit ttop approché de la caverne oü elles faifoient leur demeure , dont elles ne vouloient laifletj  couronkée. 14$ prendre connoiflance a aucun mortel. Elle crut que fi elle alloit paflet quelques mois a ce chateau , qui étoit fon hérirage depuis la mort de fon père & de fa mère , elle pourroit ménager le moyen d'écablir un commerce avec les fées fes voifines j ce qui arriva comme elle l'avoit prévu, la conjoncture qui fit eet événement , ne pouvant être plus favorable pour les defleins de la princefle. Un ogre effroyable habitué dans les mêmes bois, faifoit, il y avoit long-tems, la guerre a fes voifins, & ne fe repaiflant que de carnage , avoit dévoré une ou deux perfonnes qui appartenoient aux fées fes voifines, ce qui étoit contre le droit des gens; car il y avoit toujours eu quelque rrairé d'alliance entre les fées & les ogres, a peu prés comme nous en avons avec les mahométans, pour la néceflité du commerce. Les fées irritées contre cette déteftable nation ; avoient téfolu de 1'exterminer, & les ogres après quelques rencontres oü ils avoient toujours eu du défavanrage , fe trouvant inférieurs en puiflance & en enchantemens aux fées leurs ennemies, étoient venus demander retraite dans le chateau de la princefle : elle avoit cru qu'il étoit de 1'humanité de ne pas refufer la retraite a des malheureux, qui avoient recours a elle. Les fées que leur art inftruit de tout, quand  144 La Princesïê elles confultent leurs livres, ayant appris que la princefle avoit réfugié les ogres, envoyèrent lui en porter leurs plaintes, & lui firent dire que voulanr conferver des égards pour une princefle a qui elles connoiflbient un grand mérite , elles la faifoient avertir qu'elles pouvoient réduire fon chateau en cendres, avec leurs ennemis qui s'y étoient réfugiés; mais que puifqu'elles avoient pour elle la confidération qu'elles croyoient lui être düe, elles efpéroienr qu'elle les metttoit incontinent hors de chez elle , l'afliirant que s'il lui arrivoit d'avoir befoin d'elles en quelque occafion d'importance, elle éprouveroir qu'elles étoient des voifines forr fecourables; elles lui firent encore dire, que fi elle connoiffoit la mauvaife race qu'elle avoit rerirée, elle rrembleroit d'avoit des hótes qui n'étoient capables d'aucune humanité. La princefle répondit qu'elle n'avoit donné afyle chez elle, que pour ne refufer pas la prière que lui faifoient des hommes qui lui avoient paru malheureux;qu'elle lesalloir congédier; & qu'elle fupplioit les dames qui avoient envoyé vers elle, de lui permettre de les aller voir dans leur palais, ou du moins de lui marquer un lieu oü elle püt les entretenir. La plus importante des fées , touchée de la civilité de la princefle, lui vint faire vifite dans un char , tiré par fix animaux d'une efpèce incon- nue,  COURONNE Ë. I45 Mie , qui avoient quatre piés & quatte ailes chacun , & qui alloient d'une fi grande vitefle, qu'on étoit en peine de diftinguer s'ils voloient ou s'ils marchoient feulement avec rapidité. Elle portoit une cafTette dont elle fit préfenr a la princefle, & la pria de ne Pouvrir que quand elle feroit partie. Les fées bienfaifantes comme étoit celle dont je parle, ne font aucune vifite, qu'elles n'accompagnent 1'honneur qu'elles prétendent faire, de quelques marqués fenfibles de leur bonne volonté; la princefle recut la vifite & le préfent avec de grandes démonftrations de reconnoiflance , dont la fée étant fatisfaite, lui dit qu'elle favoit les grands defleins qu'elle médiroir, donr ëlle ne lui parloit que pour 1'aflurer qu'elle la trouveroit toujours prête a 1'y fecourir , paree qu'ils étoient pleins de juftice. La princefle qui étoit bien informée que la caverne oü la fée avoit fon palais étoit inacceffible a ceux qu'elle n'y vouloit pas recevoir , lui demanda la liberré de pouvoir la voir chez elle & la fupplia de lui dire le jour qu'il lui plairoit qu'elle eüt ce bonheur-la , afin qu'elle füt aflurée de la trouver, & de n'interrompre aucune de fes occupations. La fée lui marqua un jour auquel la princefle ne manqua pas, & fut recue a 1'enttée de la caverne par douze jeunes fées , chacune Tome F. K  i4 La P' r i n c b s s i k plus magnifique ; elles étoient. vêtues de brancard d'or, avec des bonnets chargés de plumes 8c d'aigrettes , attachées avec des boucles de diamans , & elles portoient toutes le portrait de la grande fée au bout d'un gros ruban couleur de feu,. qu'elles avoient en facon de collier ; cesdouze perfonnes ayant recu la princelfe avec de. grands refpeéts , la conduilirent dans 1'appartement de la fée, qui étoit couchée fur un lit out Tor brilloit de tous les cótés, avec un couvrepiéV d'aidredon. Elle recut Ia princelfe en eet état, pour éviter I'embarras des cérémonies elle avoit une grolfe; cour compofée de tous les officiers de fon palais & de toutes les fées de fa familie, qui étoient: tous dans un grand refpeét autour d'elle. II y avoit auprès de fon lit un bureau de eorail a pièces rapportées, couvert d'une écriroire d'or émaillé avec des papiers, des livres & des inltrumens de fcerie, & fur le pié de fon lir quelques petitschiens , & un peu plus bas, fur des carreaux, desperroquets, des nains, des finges; 8c enfin tout. ce qui fcrt a 1'amufement des grands. La princelfe fut placée auprès de la fée , dansun fauteuil d'un prix infini; il étoit d'une broderie d'or relevée de perles en grande quantité „ par-tout oü elles pouvoienr être mifes fansincommoder. Aufli-tót que la ptinceffe fut afiife > \s&  COURONNE E. I47 premiers difcours de civilité étant finis, tout le monde fe retira par refpeét, pour lailTer la princelfe & la fée en liberré de s'entretenir. Lors qu'elles furent toutes deux feules, la fée recommenca les ofFres qu'elle avoit déja faites de fon minilfère , dans les grands delfeins qu'elle favoit que la princefle avoit dans la tête. La princefle lui fit des remercimens du riche préfent qu'eile lui avoit fait; c'étoit cette caflette, que la fée lui avoit laiffée lorfqu'elle la vifita , qui étoit pleine de pierreries de grand prix. La fée lui dit qu'eiie lui en fourniroit toujoUrs , quand elle en auroit befoin pour des defleins aufli léguimes que les fiens , Sc lui donna dans le même moment encore une caflette pleine d'or monnoyé , afin qu'elle s'en put fervir dam les premières occafions en attendant qu'elle eut pu trouver a vendre fes pierreries : elle lui donna aufli des perroquers qui étoient fées, afin qu'elle put s'en fervir pour porter de fes nouvelles a ceux avec qui elle entretiendroit des inrelligences, Sc pour pouvoir apprendre par des efpions fi peu fufpects, tout ce qui fe pafleroit chez ceux de qui elle auroit fujetde fe défier. Avec ces moyens de réuflir dans fon enrreprife, & tous les confeils & les inftructions que la fée lui avoit données , la .princefle prit congé d'elle, en 1'afliirant d'une reconnoiffance éternelle. Elle étoit impatiente de revoir K 2  148 La Prince sse le prince fon mari, Sc de mettre £ti ceuvre tous les moyens qu'elle avoit de conduire un grand deffein , ce qui la fit partir de fon chateau , après y être encore demeurée feulement quelques heures. Le prince eut beaucoup de peine a ajouter fbi aux premiers difcours que lui faifoit la princefTe de ce qui lui étoit arrivé , ce qui n'eft pas furprenant. Le lecreur fera peut-être auffi quelque difficulté de croire la relation que j'en fais ; cependant le prince eur enfin tant de marqués fenfibles de ce que difoit la princefTe , qu'il fe réfblut a tentet la fortune ; 1'or & les pierreries qu'il voyoit étoient fur-tout des preuves convaincantes de ce qu'il entendoit dire. Les perroquets achevèrent de le convaincre ; ils faifoienr devant les gens en qui ils avoient confiance, des converfations plus raifonnables que celles des hommes ordinaires; par-rout ailleurs il leur échappoit , comme a tous les autres perroquets, feulement des mots mal articulés fans aucune fuite. Le prince ne doutant plus de la puiflance de la fée qui favorifoit fon deffein , crut qu'il n'y avoit plus de tems a perdre ; il envoya de concert avec la princefTe un de fes perroquets , bien inflruit de ce qu'il avoit a faire , pour fe renir auprès du gouverneur général de tout le royaume , avec ordre de revenir incontinent,  COUR. ON NEE. I49 s'il'apprenoit qu'il eüt quelque connoiflance de Fentreptife. Le perroquet étant allé dans le jardin du gouverneur , après avoir volé d'oranger en oranger pendant une heure ou deux, fe laifla prendre, &c ayant été préfenté au gouverneur , il fut rrouvé li joli & li careflant, que le gouverneur le fit placer dans fon cabinet, dans une cage magnifique, d'oü il fortoit quand il lui plaifoit: il fe fervoit de cette liberté pour voler toujours partoutoü il voyoit le gouverneur, particulièrement quand il ne voyoit qu'une feule perfonne avec lui; de telle forte qu'il ne fe parloit d'aucune affaire qu'il n'en eüt connoiflance. Ayant volé ttois ou quaere fois dans le jardin , & étant revenu incontinent, on ne 1'obferva plus, ce qui lui donna la facilité de rendre compte de ce qu'il avoit appris de nouveau a un autre perroquet-, que le prince envoyoit de tems en tems pour en être inftruit; par oü le prince & la princefle tirèrenr mille inftrucFions, qui leur firent prendre des mefures. certaines pour leur entreprife. Les autres perroquets furent employés en plufieurs endroirs du royaume pour porter & ra'pporrer des nouvelles , & s'en acquittèrent avec toute la fidélité qu'on pouvoit défirer : les pierreries furent vendues dans les grandes villes , <3r 1'argent qu'on en reent, aufli bien que celui qu'on. K 3  150 La Princesse tenoit déja de la libéralité de la fée , fut diftribué avec tant de fagefie, & enfemble tant de bonneut, que tout le royaume s'étant foulevé en un même jout, les garnifons de 1'ufurpateur furent prefque par-tout défarmées ; & ce fut avec fi peu de fang répandu , qu'il n'y a pas d'exemple parmi les hommes, qu'une pareille révolution ait été préparée & exécutée avec tant d'ordre. Les étrangers ayant été congédiés , le prince & la princefie furent couronnés dans la ville capitale, au milieu des acclamations de tous leurs fujets, qui étoient charmés de revoir leur légitime maïtre fur le rróne, & un maitre fi aimable , qu'il ne pouvoit être égalé en mérite que par la princefle qui avoit partage le foin d'une fi belle entreprife. Le prince & la princefle revêtus de la qualité de roi & de reine , fongèrent que pour fe conferver contre des ennemis trés - puiflans il falloit faire des alliances avec des potentats, qui euffent intérêt de balancer la puiflance de leurs ennemis. Ils n'eurenr pas de peine a y réuflir, ils eurent recours a des princes accoutumés a foutenir les foibles, & ménagèrent une alliance chez eux, pour 1'ainé des deux princes qui leur devoient le jour. Ces deux princes promettbient beaucoup dans leur première jeunefle; mais 1'ainé s'étant démenti, les fujets ont mieux aimé cbéir  COURONNE E. I5I au cadet, & le mariage propofé aufli bien que Ja couronne a ëté pour lui. Quand la princefle tqui étoit deftmée a 1'époufer arriva dans la capitale du royaume dont elle alloit recevoir la couxonne, elle y fit fon enttée au bruit de cinq eens coups de canon , tirés le long de la rivière qui «onduifoit au palais : fi cette princefle, qui étoit «ne des plus aimables perfonnes qu'on ait jamais vues, n'a pas été aufli heureufe qu'il fembloit qu'on dut fe le promettte , c'eft que le roi & la reine, qui avoient caufé la révolution par leur fagefle ne vivoient plus, Sc que la fée qui les avoit protégés avoit quitté le royaume , depuis ■la perre qu'elle avoit faite d'un prince & d'une princefle fi aimables, Sc qui avoient confervé pendant leur vie une reconnoiflance parfaite de fes K 4  Il étoit autrefois un roi, qui avoit été marié fort jeune a une aimable princefle qu'il aimoit tendrement. Elle lui donna un fils & une fille , & mourut prefque aulfi-tót qu'elle eut mis le dernier au monde. Le roi demeuré veuf, étant encore dans une grande jeunefle , contemploit dans fes deux enfans 1'image de la charmante princefle que la mort lui avoit ravie. Ne. fongeant qu'a les faire bien élever , & a gouverner fon royaume avec 1'application que demande une dignité qui eft toujours accompagnée de grands embarras, il ne croyoir pas qu'il fut poffible de rencontrer une perfonne qui eüt affez de mérite pour rèmplacer 1'admirable femme qu'il avoit perdue ; & il vivoit dans une grande indifférent, réfolu de ne prendre jamais aiicuh engagement. Etant' fatisfait L A FUPERCHERIE M ALHEUREÜSE, CONTÉ.  La Supercherie Malheureuse. 15; d'avoir un fuccefleur qu'il eftimoit digne de lui, il jugeoit que fes fujets n'avoient rien a défirer, puifqu'il y avoit apparence que le fang de leurs princes ne manqueroit pas. Pour les en rendre encore plus cerrains , il méditoit de trouver pour fon fils une jeune princefTe , qui lui put donner une alliance capable de le fortifier contre fes voifins , jaloux de fa grandeur. Après avoir long - tems cherché , il apprit qu'une jeune reine, qui poffëdoit de grands états , avoit une fille unique; Sc il jugea par la relation qu'on lui en fit , qu'il ne pouvoit rien défirer de plus grand pour fon fils. 11 apprit en même-tems que la reine étoit une jeune princefie, veuve depuis fort peu de tems ; que dans lage oü elle étoit, 1'inclination de fe remarier lui pouvoit facilement venir & qu'elle pouvoit avoir des enfans, ce qui éloigneroit la princefTe fa fille de la couronne ; car le royaume oü elle régnoit étoit fon héritage. 11 fit enfuite réflexion qu'il ne feroit pas de mauvais fens de fonger a. fe rendre maitre d'un fi grand royaume, en époufant la reine ; mais il avoit déclaré qu'il renoncoit au mariage , ce qui Tembarrafloit; car il fe piquoit de garder fes réfolutions. II lui prit cependant curiofité de favoir fi la reine étoit encore belle , Sc on 1'aflura qu'il n'y avoit pas une plus belle perfonne au monde:  154 La Supercherie il poufla fa cutiofité plus loin , il voulut voir fon portrait, & il le fit chercher chez les gens de fa cour qui avoient voyagé ; il fe trouva un fameux peintre qui l'avoit , 8c en otiginal, tiré de fa propre main. Auffi-tót que le roi eut jeté les yeux delfus , it Ie paya au peintre le prix qu'il en demanda, & le lit mettre dans fon cabinet comme une pièce fort rare : il prit grand plaifir a. le regarder y 8c dans peu de jours cette charmante reine ébranla fes rcfolutions , & lui infpira enfin une fi grande palfion, qu'il n'en avoit jamais eu une pareille. N'ayant pu y réfifter, & ne jouilfant plus d'aucun repos , il prit le feul parti qu'il avoit a prendre, qui étoit celui d'envoyer des ambalfadeurs a cette aimable reine , pour la fupplier d'agréer le don de fon cceur & de fa couronne. La reine répondit aux ambalfadeurs, qu'elle recevoit comme elle devoit, la ptopofition que le roi lui faifoit, qui étoit une marqué de fon eftime dont elle avoit de la reconnoiflance ; mais qu'elle ne fe pouvoit réfoudre a s'engager qu'elle n'eüt trouvé un établilfement confidérable pour la princelfe fa fille , qu'elle aimoit uniquement, & de qui elle ne pourroir être éloignée qu'avec une douleur infupportable. Les ambalfadeurs dirent a la reine que le roi avoit un fils de la plus belle efpérance qu'on püt concevoir , 8c qu'il y avoit  Malheureusse. 155 apparence qu'il feroit trés - fatisfait de lui voir époufer la princefle , lorfqu'elle & lui feroient en age d'être mariés. La reine confentit a cette condition d'époufer le roi : les ambalfadeurs eurent ordre d'en donner a la reine telles aflurances qu'il lui plairoit. La cérémonie du mariage étant faite, la reine fut conduite a la cour du roi fon époux, & y mena la princefle fa fille pour être élevée auprès d'elle , dans la vue qu'elle épouferoit le prince , fe tenant afliirée qu'une princefle aufli aimable qu'éroit,, fa fille , toucheroit le cceur du prince aufli-tót qu'il feroit en age d'être fufceptible de tendrefle; mais le ciel en avoit difpofé autrement, le prince concut une averfion invincible pour la princelfe dès le premier jour qu'il la vir. Comme il favoit qu'on le deftinoit a 1'aimer & a 1'époufer bientot , il eut la fagefle de fe contraindre & de cacher, autant qu'il lui étoit poffible, cette injufte averfion qu'il avoit pour une princefle, qui avoit paru très-aimable aux yeux de toute la cour. II fit confidence a la princefle fa fceur de 1'averfion qu'il avoit pour la princefle qu'on lui deftinoit , & de la-réfolution qu'il avoit prife de s'éloigner de la cour, lorfqu'on le prefferoit de 1'époufer , & de ne pas revenir qu'il ne la fut mariée. La princefle fa fceur lui dit toutes les raifons qu'elle lui pouvoit dit e, pour le détourner de ce  i$6 La Supercherie deflein: & n'y ayant pu réuffir, elle 1'obligea, lorfqu'il voulut partir, a prendre fes pierreries, pour lui fervir dans un fi grand voyage : il les prit, après de grandes difficultés, & ne put quit*er cette aimable fceur, qui lui étoit fi chère, fans répandre des larmes : mais il n'y avoit pas de remède, tous les maux lui paroiflbient petits, au prix de celui qu'il trouvoit a époufer la princefle qu'on vouloit qu'il époufat, ce qu'il ne pouvoit éviter qu'en fe dérobant a la puiflance du roi fon père, qui 1'y vouloit contraindre. II partit donc , pour éviter ce qu'il envifageoit comme le plus grand des malheurs, Sc partit n'ayant pour tout équipage que fon écuyet, Sc pour toute reffource que les pierreries de la princefle fa fceur. II avoit laifle fur la table de fon cabinet une lettre pour le roi, par laquelle il le fupplioit trèshumblement de lui pardonner la réfolution qu'il avoit prife d'aller voyager , jufqua ce qu'il eüt appris que la princefle a laquelle on le deftino't füt mariée : il étoit, difoit-il, Fort a plaindre, de n'avoir pu ployer fon cceur Sc fon efprit a obéir a fon père Sc a fon roi, aqui il devoit tant de refped , mais que fon étoile l'avoit fait naïtre pour avoir une antipathie pour Ia princefle, qu'il n'avoit jamais pu vaincre, quelqu'effbrt de raifon qu'il y eüt employé. 11 avouoit que c'étoit une cruelle & injufte prévention , puifque la princefle étoit trés-  Malheureuse.' 157 aimable, & digne des refpecrs de tous ceux qui la connoifloient; il ajoutoit que ne pouvant jamais 1'aimer , il eüt été malheureux de palier fa vie avec elle, & d'avoir a fe reprocher de rendre malheureufe une princelfe, qui méritoit de trouver une meilleure deftinée. Le roi averti du départ du prince Sc de fes rcfolutions par la lettre qu'il avoit lailfée , envoya des gens de toiis cótés pour tacher de le ramener, mais inurilement; le prince avoit fait fi grande diligence, qu'il étoit forti des états du roi fon père avaut qu'il füt fon départ. 11 voyagea en plufieurs cours , oü il eut diverfes aventures ; il fe trouva enfin a la cour d'un jeune roi, dans un pays fort éloigné de celui de fa nailfance. II fe fit préfenter au roi comme un jeune chevalier, qui cherchoit des occafions de guerre & des aventures de chevalerie; le roi le recut fort civilement, lui difant qu'il étoit le ttès-bien venu a. fa cour , & fouhaita qu'il la trouvat affez agréable pour être tenté d'y faire un long féjour. Le jeune roi étoit fort adonné a la chafle, Sc patticulièrement a celle du fanglier , & il avoit des fotêts oü il en trouvoit de redoutables, qu'il terrafloit toujours , mais fouvent avec péril. Peu de jours après que le prince fut atrivé , il fe fit une fameufe chafle , oü il ne manqua pas de fe trouver : le roi y attaqua un terrible fan-  158 La Supercherie glier, & lui ayant lance fon javelot, & manqué fon coup, le fanglier vim a la charge & tua le cheval du roi, qui fut obligé de faire tête a ce fanglier en furie, a pié, avec fon épée pour toute armes. Il eür été en grand danger li le jeune prince n'étoit venu a fon fecours , & n'eüt percé le fanglier d'un coup de javelot au rravers de la gorge : le fanglier fe fenranr grièvement blelfé n'en fut que plus animé ; & pourfuivant le roi, le prince mit pié a terre , affronta le fanglier & acheva de le tuer a coups d'épée. Le roi fut fi touché de cette aótion , qu'il embrafia fon défenfeur , & 1'aflura d'une reconnoiifance étemelle. Les officiers du roi & les courrifans qui le cherchoient, arrivèrent dans le tems que cette adtion finiflbit, öc le roi ayant monté un cheval qu'on lui menoit en main,mir fin a Ia chafiede ce jour-la; il dit a fes courtifans , fans cublier la moindie circonftance , 1'obligation qu'il avoit au chevalier qui étoit venu a fon fecours fi a propos , qu'il lui avoit fauvé la vie. Depuis ce jour-la tout inconnu qu'étoit le jeune prince, il eut les entrées libres par-tout, & il étoit confidéré a la cour comme 1'étoient tous les grands de 1'état, & forr peu après il le fut plus qu'eux , car il devint le favori du roi, & fa faveur alla fi loin , que le roi ne lui cachoit rien de ce qu'il penfoit, ni de ce qu'il vouloit faire ,  M A 1 H E U R E U S E. I 5 9 & ne s'en féparoit que quand il alloit voir la princefle fa fceur, qui étoit élevée dans un chateau , fuivant la coutume du pays, qui ne permettoit de lailTer voir les princelfes qu'a leurs proches parens , jufqu'a. ce qu'elles fuflent mariées; Sc cette coutume étoit obfervée avec tant d'exactitude , qu'aucun des courtifans n'entroit même dans 1'enceinte du pare du chateau, de peur que la princelTe n'y füt recontrée dans les promenades. Un jour le roi, par grace fingulière, fir entrer le prince fon favori dans le pare pour en voir les raretés , Sc il lui fut permis d'y demeurer pendant que le roi feroit chez la princefle. Le jeune prince étoit monté fur un cheval un peu ombrageux, Scpeu s'en fallut qu'il ne lui en coutat la vie ; il étoit tourné du cóté par oü il attendoit le roi, Sc s'érant un peu penché fur 1'encolure de fon cheval , la bride abandonnée, une profonde rêverie 1'occupoit quand le roi arriva tout d'un coup par un petit fentier par oü on ne 1'attendoit pas. II avoit fongé au plaifir de furprendre fon favori; mais il en fut un moment après bien faché, car ce cheval ombrageux ayant eu peur, fit deux bonds; le prince occupé de fa rêverie , ayant été furpris, tomba, & fut bleue confidérablement a la tête. Le roi, qui en fut trés - affligé , envoya a toute bride chercher les chirurgiens de la prin-  lóo La Supercherih celTe, qui trouvèrent la plaie du prince dangereufe ; le roi qui apptéhendoit de lui caufer de la fièvre en le faifant rranfporter plus loin , le fk coucher dans un appartement du chateau de la princefle, oü il le venoit voir tous les jours , &c en difoit continuellement tant de bien a la princefle , qu'elle le contredit, & lui foutint que toutes les merveilles qu'il en difoit ne pouvoient être vraies, qu'il étoit préoccupé pour fon favori , & que fa préoccupation lui avoit fafciné les yeux, n'érant pas poflible qu'il y eüt homme fous le ciel qui füt fi parfait. Le roi piqué de 1'incrëdulité de la princefle , lui dit qu'il vouloit la convaincre de la vérité de ce qu'il avoit avancé, en lui faifant voir le chevalier de qui il avoir parlé , aufli-tót qu'il feroit hors de danger ; il ajouta qu'elle feroir punie de fes doutes , 8c qu'elle le trouveroit peut-être trop aimable. II avertit enfuite le prince qu'il vouloit lui accorder une grace qu'il n'avoir jamais accordé a perfonne , 8c qu'il lui alloit mener la princefle dans fa chambre; elle étoit charmante, 8c le prince furpris de tant de beauté , & d'une grande paflion qui s'empara au premier moment de fon cceur , s'obferva 8c fongea férieufement i cachet fa furprife au roi, de peur qu'il ne fe repenrit de la grace qu'il lui accordoit, & que ce ne füt la dernière fois. Le  MAtHEÜREUSE. l6l te roi y mena rous les jours la princefTe , 8c le prince s'en trouvoit li honoré , & s'-eftimoit fi heureux de voir certe adorable perfonne , que ce qu'il craignoit le plus au monde, étoit d achever fa guérifon , paree qu'il favoit que fon bonheur ne dureroit qu'autant que fon mal; il guériflbit cependant a. vue d'oeil, & fe levoit pour prendre l'air a la fenêtte. 11 y étoit un jour tenant le porttait de la princefTe fa fceur i la main; il avoir cru qu'elle avoit quelque petite reffiemblance avec la princefle qu'il adoroit, & il vouloit voir s'il ne s'étoit pas ttompé. Le roi qui étoit entré doucement dans fa chambre , le furprit en cette occupation , & lui ayant vu un portrait garni de pierreries de grand prix, il ne douta pas qu'il n'eüt une grande paffion dans le cceur; il regarda ce portrait attentivement, & le trouva fi touchant, qu'il crut être dans eer inftant devenu le rival de fon favori, il en fut affligc ; mais il n'étoit plus poffible d'y réfifter , la beauté qu'il avoit vue avoit fait de fi gtandes impreffions, qu'il n'étoit plus le maïtre de fes réfolutions. Le prince ayant voulu mettre le portrait dans la poche oü il le portoit, le roi le pria de le lui laifTer confidérer encore un peu de tems : le ptince qui ne défiroit rien tant que d'en voit le roi touché , le lui abandonna volontiets j le roi le lui rendit apiès 1'avoir long - tems adTome V. L  i6i La Supercherii miré, & il n'ofa demander de qui il étoit, tant il craignoitdapprendreptécifément ce qu'il avoit déja jugé, que fon favori étoit le plus heureux des hommes d'avoir fu plaire a une fi aimable perfonne, ce dont il ne croyoit pas qu'il y eut lieu de douter , paree qu'il lui voyoit fon portrait entre les mains , & fa jaloufie lui faifant juger qu'il le tenoit d'elle - même. Prévenu de cette manière , il fortit affez brufquement de la chambre de fon favori; il y étoit venu feul ce jourla , paree que la princefTe s'étoit trouvée un peu incommodée ; il y revint le lendemain avec la princefTe , & la fit voir encore une fois a fon favori qu'il ramena enfuite a la cour, paree qu'il craignoit de caufer des murmures parmi fes courtifans , en continuant plus long-tems, a un étranger, une fi grande grace contre les loix de 1'étar. Le prince, très-affligé de fa guérifon , prit congé de la princefTe ; mais d'une manière fi rrifte , qu'elle s'appercut, fi elle y fit attention , qu'il la quittoit avec une grande douleur. Le roi & le prince marchèrent tous deux également rêveurs ; mais le prince s'étant furmonté, & ayant voulu parler au roi, il en fut recu avec froideur; il en demeura furpris, & s'examina pour lacher d'en connoitre la caufe , ce fur inutilement. II ne fe reprochoit d'avoir manqué a quoique ce fut; il s'étoit même fi bien ménagé avec tous les cour-  MALHEURHU SE. lifans, qu'il ne croyoic pas qu'on eüt pu avoir fongé a lui rendre aucuns mauvais offices, ce qui lui donna la hardiefle de fupplier trés - humblement le roi de lui dire, s'il étoit foupconné d'avoir en quelque occafion oublié le refpeét , ou manqué a la fidéliré qu'il devoit a un grand roi qui l'avoit comblé de faveurs. Le roi ne lui répondit rien; mais, après avoir rèvé quelques momens, il le pria, d'un air fort empretfé, de lui faire revoir le portrait qu'il lui avoit vu entre les mains dans le palais de la princelfe. Le prince le lui donna auffitot, & le roi 1'ayant conlidéré avec une grande attention , tourna rout d'un coup la vue fur fon favori, & le pria , d'une manière fort gracieufe, de lui avouer de bonne-foi li ce n'étoit pas-la une perfonne qu'il aimoir, & de qui il étoit aimé? Le prince ayant dit que c'étoit véritablement une perfonne qu'il aimoit, mais qu'elle étoit fa fceur, le roi 1'embralfa, & lui avoua ingénumenr qu'il avoit concü une grande paffion pour elle depuis le moment qu'il avoit vu fon portrait, & que ce qui avoit caufé la froideur dont il s'étoit plaint, c'étoit qu'il avoit eu peur de 1'avoir pour fon rival. Je fuis , dit le roi, ravi de joie d'apprendre que je n'ai pas a craindre , auprès de cette chatmanre perfonne, un homme auffi aimable que vous, & de pouvoir au conttaire efpèrer de vous trouver favorable au L i  i tout d'un coup élevé, fa flotte fut difperfée , quele fi peu avancé, elle étoit un chef - d'ceuvre de k nature pour le corps Sc pour 1'efprit. Pour Ia confoler de la violence qu'elles lui venoient de faire, elles la tranfportèrent dans un lieu charmant \ c'étoit un palais bati entre deux collines , donton découvroit une vallée remplie de tout ce qui peut plaire aux yeux ; jamais celle de Tempé, tant vantée par les poëres, neut tant de beauté. Un printems éternel règnoit dans ce lieu délicieuxj les jatdins étoient remplis de canaux Sc de fontaines jaillilfantes; les orangers y formoient un ombrage qui mettoit i couvert du foleil dans fa plus vive ardeur : enfin tout ce que la nature Sc lart de féerie avoient de plus furprenant, fe trouvoit dans ce féjour enchanté. La jeune princefie ne fut point fenfible d tant de merveilles ; elle éroit dans une mélancolie qui auroit fait pitié a toute autre qua ces impitovables fées.  DÉtRUITE» J*t I Cependant elles la donnèrent en garde a la moins barbare d'entr'eües , qui fe nommoic Serpente; mais fur-tout elles lui recommandèrenc qu'elle n'eüt point de commerce avec perfonne. Pour exécuter leur ordre , Serpente fit en un moment fortir de terre, a un des bouts du jardin, un pavillon magnifique oü elle condmfit Philonice; elle lui donna, pour lui tenir compagnie , une fille nommée Elife , qui avoit été enlevée a 1 age de deux ans ; elle lui donna auffi toutes fortes d'animaux rares pour la divertir 5 elle la faifoit travailler a des tilfus d'or & de foie une partie du jour pour 1'occuper : les habits magnifiques, les diamans & les perles ne lm étoient point épargnés • enfin tout ce qu'elle croyoit qui pouvoit plaire a une jeune perfonne , elle le lui dom noit en profufion: elle fe gardoit bien de lui pariet du monftre a qui elle la deftinoit pour femme, ^ Ce tems n'étoit pas encore venu, qu'elle avok Téfolu de faire ce mariage fi peu fortable j elles vouloient 1'accoutumer a leurs manières auparavant que de lui annoneet fon malheur. Quelquefois elle la menoit promener dans ces beaux lieux dont j'ai déja parlé , & lui faifant admirer tant de fi belles chofes , elle lui difoit que fi elle étoit obéifiante a fes volontés, elle en fe•ïoit un jour maitreife j mais qu'elle prit garde. 4*  i8S La Tyrannie des VÈes «epas mériter fa haine, qu'elle favoit punir comme recompenfer. Pendant que la fée parloit ainfi, Philo.ice voyant fur le bord du canai deux tourrerelles qui parotiToaentfiprivéesqu'ellesnesenfuyoientpoint de leur préfence, elle en eut envie; elle lui demanda Ia permiffion de les prendre pour les porter dans fa chambre. Je ne puis vous 1 accorder, IU1. dlC la fee > le deftin de ces oifeaux eft de ne point quuterce canal; ils n ont pas toujours été dans eet «ar; c'étoit autrefois un beau prince «Sr une belle princefie, que nous avions pris en affection. Nous les deftinionsl'un pour 1'autre & ils s aimoient tendrement; mais dans le tems que nous ne fongions qu a leur bonheur, ils rencontrerenc une de nos fceurs, qui fe baignoit dans ie canal, dont tout le corps étoit couvert de plumes de tourterelle : ce qu'elle cachoit avec foin. Le dépt d'être découverte lui fit fouhaiter que ceux qui 1'avoient vue ne puffent le dire , & qu'ils devinflent eux-mêmes tourrerelles. Dans ce moment elle leur jeta de 1'eau % le vifage, qui ne les eut pas plutöt touchés , qu'ils changèrenr de nature & devinrent les oifeaux que vous voyez ; depuis ce tems ils ne fe quittent Point, & confervent fous cette nouvelle forme Jeur tendrelfe; ils paffent leurs jours a fe plaindrede leur commun malheur.  DÉTRUITÏ. 189 IJ y a bien d'autres exemples ici de notre pouvoir , continua la fée ; toutes ces flatues que vous voyez le long de ces terraffes, étoient autrefois des fujets d'un prince notre voilin j ces jardins n'étoient point faits encore , nous n'y faifions pas notre habitation ; quelquefois la beauté de cette vallée nous y attirant, un foir que nous y danfions au clair de la lune, nous fümes appercues par ces hommes 5 ils fe moquèrent de nos poftures différentes : irritées contre ces infolens, nous les f imes demeurer immobiies dans la fituation oü ils étoient, & depuis nous les avons convertis en ftatues. Ce difcours ne faifoit qu'augmenter la crainte de Philonice ; elle lui promit qu'elle feroit fi foumife a fes volontés , qu'elle ne mériteroit jamais leur haine , quoique la chofe lui parut trèsdifficile. Cependant fa beauté augmentoit tous les jours i c'étoit le délice de toutes les Fées } elles la voyoient réufïir avec plaifir a. tout ce qu'on lui montroit , elles 1'accabloient de careffes & de préfens j elles vinrent a un point d'amitié pour elle, qu'elle avoit la liberté d'aller par-tout fans la fée Serpente. Si elle avoit pu oublier fa patrie, elle auroit mené une vie affez heureufe. La jeune Elize étoit aimée d'elle avec paflion; cette perfonne le méritoit, elle avoit rant de douceur dans J'efprit, qu'il étoit difficile de s'empêcher d'avoir  190 La Tyrannie des Fées du penchant pour elle. Un jour qu'il avoit fait très-chaud, elles furent le foir fe promener dansun bois de citronniers, éloigné de leur pavilloiii La beauté de Ia nuit les charmoit fi fort, qu'elles ne pouvoient fe réfoudre a fe retirer , quand elles virent venir a elles une femme qui tenoit unmouchoir a la main , dont elle efluyoit de grolfes larmes qui couloient de fes yeux en abondance. Une renconrre li trifte fit pitié a ces deux jeunes perfonnes ; elles s'avancèrent toutes les deux en même-tems pour lui demander ce qu'elle avoit: mais elles en furent empêchées par la frayeur que leur fit un dragon, d'une grandeur énorme, qui fortant d'un buiflbn , fe vint jeter au col de certe femme, fans qu'elle témoignat en avoir peur j au contraire, elle lui rendit fes carefles , & s'étant aflife a terre , il fe coucha auprès d'elle avec des mouvemens fi tendres , que Philonice ne douta pas qu'il n'y eüt quelque myftère caché fous cette figure. Dans cette penfée, elle s'approcha pour tacher d'apprendre une avenrure qui lui donnoit de la curiofité 5 quand elle enrendit que cette perfonne affligée difoit au dragon en redoublant fes larmes i mon cher Philoxipe , jufqu'a quand vous verraije fi différenr de vous-mème ? la barbarie de nos cruelles ennemies ne fe laffera-t-elle point de nous perfécuter ? ne devroient-t-elles pas être ralfafiées  DÉTRUITE. 191 de mes larmes, depuis le tems que nos malheurs en tirent de mes yeux , ou plutöt quand fera- ce que cette adorable princefle que le folitaire nous a dit être née pour le bonheur de 1'univers, viendra rompre nos chaïnes en détruifant les déteftables fées, dont le pouvoir tyrannique s'étend jufque fut les cceurs ? Philonice ne put s'empêcher de faire un foupir au difcours de cette femme qu'elle entendit; elle tourna la tête pour voir d'ou il partoit, & appercevant la princefle, elle eut peur que ce ne füt une des fées, cela la fit lever pour s'enfuir de fa préfence. Mais Philonice connoiflant fa frayeur , lui dit en 1'abordant: ne craignez rien , madame, nous fommes des infortunées comme vous , retenues dans ces lieux j véritablement touchées des plaintes que vous venez de faire, fi nous pouvions vous foulager dans vos maux, nous nous y employerons de tout notre pouvoir. C'eft beaucoup, madame, lui répondit cette perfonne, de trouver dans ces lieux quelqu'un capable de compaflion , & voici la première fois depuis cinq ans , que les fées me retiennent auprès du déplorable Philoxipe, continua-t-elle en montrant le dtagon , que cela m'eft arrivé. Plüt aux dieux ! reprit la princefle , que j'eufle le pouvoir de finir vos malheurs, vous verriez que je ne m'arrêterois pas a les plaindre j mais puifque c'eft tout ce qui  lyi La Tyrannie des Fées eft en ma puiflance , ne nous refufez pas ce trifte plaifir, & conrez-nous par quel fort cruel vous avez été conduite ici. C'eft un difcours trop long pour Je faire ce foir, reprit 1'inconnue , nos implacables ennemies pourroient trouver mauvais mon abfence ; elles ne m'accordent en toute la journée qu'une heure pour voir eet aimable dragon , encore eft-ce après bien des pleurs que j'ai obtenu cette grace de la fée Serpente, la feule qui quelquefois fe lailfe toucher de pitié; mais demain a. la même heure je fatisferai vorre curiofité. Philonice eu convint, & lui laiiFa employer le peu de tems qui lui reftoit avec fon cher dragon. Cet objet avoit tellement touché la jeune princefie & fa compagne, qu'elles n'en dormirent de la nuit. La fée Serpente, entrant dans fa chambre , la trouva route abattue : elle lui en demanda la caufe ; mais Philonice fe garda bien de la lui dire j &c après lui avoir dit qu'elle fe trouvoit mal , elle la fuivit au palais , oü les fées étoient aifemblées. Elle y paifa la journée , avec impatience d'être a 1'heure de fon rendez-vous , qui arriva enfin. Elle prit congé de fes impérieufes maïtrelfes , pour aller trouver la belle affligée, avec fa chère Elize; mais le deftin lui préparoit une autre aventure. Au lieu de prendre le chemin du bois des citronniers, elles prirent, fans s'en appercevoir, une route qui les conduifit fur une grande  D É T R. U I TE. I95 grande terrafle qui régnoit le long de la vallée , dont on découvroit des beautés de la nature qui enchantoient les yeux. Elles furent furprifes de s'être égarées \ & voulant reprendre leur chemin , elles rencontrèrent au détour d'une allée un homme couché au pié d'un if, qui paroiflbit endormi. Cette nouveauté les fit arrêter : elles n'avoient jamais vu d'hommes dans ces lieux; & la jeune Elize, qui n'en avoit point forti depuis qu'elle étoit née , demanda i la princefTe quel animal c'étoit-la. Elle patla fi haut, que eet inconnu s'en réveilla. Il fe leva avec précipitation a la vue de ces deux belles perfonnes , qui vouiurent s'enfuir; mais ayant avancé au-devant d'elles: fuis-je afTez malheureux , dit il , en s'adrefTant a Philonice, dont la beauté furnaturelle le furprit, pour vous avoir fair quelque frayeur; & aurezvous la cruauté de m'en punit, en vous éloignant avec tant de promptitude ? Le peu d'habitude , reprit la princefle en s'arrêtant, que nous avons de voir des perfonnes comme vous, nous a etonnées. Dans une heure fi avancée de la nuit, il feroit peut-être dangereux de nous arrêter ici: vous ne connoiflez pas fans doure le lieu oü vous êtes , puifque vous vous y êtes endormi fi tranquillement; les Fées, qui en font les maïtrefles, ne vous pardonneroient pas d'y être entré fans leur permiflion: fortez-e.nau plus vite, de peur d'éprouTomeF. N  194 La Tyrannie bes Fées ver leur dangereufe colère, & nous lailfez aller, de crainre d'être prifes pour complices de votre crime. Ha ! madame, s'écria eet inconnu, Je ne crains point le pouvoir des Fées, quand il s'agir de vous perdre : quoique je ne vous connoifle que de ce moment, je feras bien que je ne vous quitterai de mes jours , dufFai-je FoufFrir les maux les plus terribles; quelques menaces que vous me falfiez, je ne puis m'empêcher de louer le ciel de m'avoir égaré de mon équipage, pour me faire voir une beauté aufli accomplie que la vórre. Mais quel démon faral , au plaifir de toute la tetre , vous cache dans ces lieux , inconuus aux mortels ? C'eft- pour mon malheur particulier , reprit Ia princelfe , que j'y fuis retentie depuis plufieurs années. Ah ! madame, reprit 1'inconnu, fi c'eft malgrc vous que vous êtes ici, «Sc qu'un fi beau féjour vous ferve de prifon , Vous n'avez qua me commander dans quel endroit vous voulez que je vous conduife, je le ferai au péiil de ma vie , fans vous demander d'autte récompenfe que de palfer le refte de mes jours a vos piés. Non, généreux inconnu, répondit Philonice , je ne puis acceprer vos oftres, quelqu'obligeantes qu'elles foienr, je vous metttois dans un danger inutile , vous ne pourriez me titer de leurs rriaïns cruelles ; prenons garde feulement qu'elles ne vous découvrent j fortez avec diligence pendant  dÉtruite. i e? 5 que vous êtes libre de le faire : profitez de mes avis ; encore un coup > fuyez pour votte repos 6c pour le mien. En achevant de patler, elle prit Elize pat Ie bras; elle s'éloigna de lui. II ne put fe réfoudre de fe retirer.de ce lieu fatal, fans favoir oü habitoit cette belle perfonne : pour s'en éclaircir, il la fuivit de loin, & la vit entrer dans fon pavillon. II demeura encore long-tems a regarder ji'eudroit oü s'étoit renfermé eet aimable objet de fbn amour nailfant; mais ctaignant d'être furpris par le jour, il fe retira par le même chemin par oü il étoit venu , fans être appercu des gardes qui étoient poftés autour de ces jardins. La princelfe avoit oublié la belle affligée ; la rencontre de 1'inconnu 1'occupa toute la nuit, malgré qu'elle en eür \ le jour parut fans qu'elle eüt dormi: la générofité avec laquelle il lui offroit de la rirer de captivité, la touchoit de reconnoiffance. Enfin , une violente paflion s'empara de fon cceur, fans qu'elle la connüt ; elle pafla le jour comme elle avoir fait la nuit, dans des inquiétudes qui lui femblèrent toutes nouvelles j & le foir étant arrivé , Élize la fit fouvenir du rendezyous du jour d'auparavant, oü elle fe laifla conduire fans nulle attention. La préfence de la belle affligée qu'elle trouva auprès de fon cher N 2  ijxJ La Tyrannie des Fées dragon la tira de fa rêverie. La princelfe lui fit excufe d'avoir manqué a 1'heure qu'elle lui avoic promife , & s'afTéyant auprès d'elle , elle la pria de fatisfaire fa curioliré. L'inconnue, fans s'en faire prier davantage, commenca fon hiftoire en ces termes. HIST OIRE DE CLEONICE. J E fuis nee , dit elle en s'adrelTant a Philonice , de parens qui tiennent un rang conlidérable a la cour du plus grand roi du monde , Sc qui fe font fait un plaifir de mériter par leurs actions la gloire d'être nés fes fujers. C'eft un bonheur que tout 1'univers envie : jamais roi n'a éré plus aimé de fes peuples, Sc plus crainr de fes ennemis ; fes victoires ne lui ont pas plutót donné des provinces nouvelles, qu'il n'a que faire de troupes pour les garder ; fes fujets nouveaux trop heureux de vivre fous fa puiflance, facrifieroient leur vie pour s'y maintenir. Maitre de nos cceurs comme de nos fortunes , il fair le plaifir Sc la terreur de route 1'Europe : emprelfé a récompenfer , lent a punir, facile a pardonner , ce font fes moindres vertus. Mais oü m'emporte mon zèle pour un prince fi digne de louanges ; que l'on fait tort a fon mérite d'ofer en parleri  detruite; 197 Je vous diral donc , madame , que ma mère n'eut que moi d'enfant; que mon nom eft Cléonice y que je fus élevée avec tous les foins pofïïbles. La facilité que j'eus a apprendre tout ceque l'on m'enfeignoit, faifoit plaifir a ceux qui étoient auprès de moi ] je me faifois aimer de mes parens avec tendteffe. Ma mère étoit d'ordinaire a une terre proche de ces funeftes lieux. Un jour comme elle fe promenoit avec moi, elle eut envie d'aller confulter fur ma fortune un folitaire très-favant dans les chofes futures. Nous y allames , & après m'avoir regardée avec application , il nous die que j'elfuierois un fort malheureux, jufqu'au moment qu'une princefTe que le ciel avoit fait naitte pour le bonheut de ce royaume , viendroit détruire le pouvoir de ces furies, qui fous le nom de Fées, fe faifoient craindre par tout le monde. Nous nous en retournames , peu fatisfaites de mon horofcope; & a quelque tems de la, mon père eut deffein de me donner en mariage au fils de fon frère. C'étoit un feigneut bienfait 5 accompli en tout ce que l'on pouvoit fouhaitet. Notre inclination avoit prévenu le choix de nos parens ; nous nous aimions rendrement: notre joie fut grande, quand on nous commanda de nous regarder comme devant êtte unis bientot. Nous attendions ce moment avec impatience 3 & ^uand ce jouï  198 La Tyrannie des Fées heureux arriva, nous crümes que rien ne pourroit plus troubler notre félicité. Hélas ! qu'elle dura peu ; Sc que nous avons éprouvé depuis de chagfliïs morrels ! A peine avions-nous pafle quatre mois enfemble , que l'on vint avertir Philoxipe , c'eft le nom de mon cher époux , qu'un dragon monftrueux défoloi: nos terres par le maiFacre d'hommes & de beftiaux qu'il faifoir tous les jours. Philoxipe commanda a fes geus de fe tenir prcts pour le lendemain , pour aller lui-même fecourir fes fujets par la mort de ce monftre. Je fis ce que je pus pour Pen détourner, mais mes pricres Sc mes larmes furent inutiles. II partit dés la pointe du jour, & quelques défenfes qu'il me fit de le fuivre , je 1'accompagnai dans ce trifte voyage. Nous atrivames bientot au fcjóur de ce dragon : c'étoit un antre affreux dans Ie plus épais de la forêt ; tous les gens de notre fuite lui lancèrent des traits , mais inutilement, ils ne firent qu'irriter fa rage. II vint droit a Philoxipe avec des fiftlemens horribles, Sc déployant fes ailes , il prit fon vol pour fondre fur lui avec plus de violence, quand mon époux prenant le tems qu'il fe rabaifibit , fans s'effrayer d'un fi grand danger, lui enfonca fon cpce dans le cceur. Le monftre, en tombant. renverfa fon vainqueur, Sc le couvritdefon fang venimeux. Mais, Dieux! cjuelle fut ma furprife , quand m'approchan't de  detruite. 19$ ce cher époux , je le vis fous la même forme que le monftre qu'il venoit de détruire, & rampanr fur la terre , prendre le chemin de ces lieux! Je le fuivis , aufli-bien que tous fes fujets: il entra dans ces jardins; & de toute notre fuite, il ne fut permis qu'a. moi de le fuivre ; une puiflance invincible les repouffa , fans que je fache ce qu'ils font devenus. Pour moi, une troupe de Fées me recut avec des menaces effroyables } de fe venger fur nous de la mort d'un monftte qui leur étoit cher. Sans me vouloir permettte de voir davantage cette innocente vicFime de leur fureur, elles me contraignirent d'entrer dans ce pavillon que vous voyez, oü elles m'abandonnèrent a tout mon défefpoir. Que de larmes j'ai verfées depuis ce moment fatal ! La fée Serpente , a qui l'on me donna en garde , plus fenfible a la pitié que fes fceurs , rouchée de mon malheur , au bout de quatre ans de prifon, m'a enfin permis de venir une heure de la nuit auprès de 1'infortuné Philoxipe, qui pafle fes jours infortunés fous ce buiflbu , a attendte le moment qu'il me foit petmis de joindre mes foupirs a fes fifflemens affreux. S'il éroit en notre puiflance de nous donner la mort, il y auroit long- tems que nous aurions fini -nos malheurs, n'en voyant de fin que dans la foible efpérance de 1'oracle du folitaire. Cléonice finit fon difcours par un ruifleau de N 4  aoo LaTyranniedesFées; larmes qui forrirent de fes beaux yeux. Que fe fuis fenlible a vos malheurs , lui dit Philonice en 1'embralfant; & que le pauvre Philoxipe me fait de pitié ! Que ne fuis-je en état de vous rendre heureux tous les deux ! Quel plaifir feroit-ce pour moi de vous revoir dans vorre premier bonheur , & d'aller jouir avec vous de la préfence de vorre roi! Quoique je ne fois pas née fa fujette, vous m'avez infpiré pour lui un refpect infini. Ce n eft pas , madame , reprit Cléonice , un de mes moindres malheurs d'être éloignée de la cour, & de ne pouvoir êrre témoin des conquêtes qu'il fait tous les jours ; il fera bientót maitre de 1'Europe entière, malgré la jaloufie des rois fes voifins, qui fe font tous ligués pour arrêter ce héros dans fa rapide courfe, Leurs effbrts feront vains , fes journées font marquées par fes victoires;& a moins qu'il ne veuille, par fa bonré, donner la paix, leurs couronnes ne font pas en süreté fur leurs têtes. Mais je ne fonge pas que 1'heure de ma retraite approche, continua la trifte Cléonice ; Serpente, chagrine de ma défobéiffance, m'en puniroit févèrement. Je ferois bien fachée, reprir la princelfe, d'augmenrer vos maux au lieu de les foulager. Après cela ils fe quittèrent ; cependant 1'inconnu avoit rettouvé fes gens a la pointe du jour, & il fut fe loger a une ville peu éloignée du palais  D E T R U I T E. 2.0I 'des Fées , dans 1'efpérance qu'il pourroit encore retrouver le moyen d'entrer dans ces jardins, Sc revoir Philonice. Dans ce deflein, il monta a cheval 1'après-dïnée , avec un feul écuyer, & fut faire le tour de ce lieu enchanté. II reconnut le pavillon de la princefle : voila, dit-il en foupiranr, la prifon qui cache la plus grande beauté de 1'univets. Après cette réflexion il continua fon chemin , ayant rematqué un endroit auquel la rivière fervoit de muraille, Sc qui n'étoit point gatdé, dans la etoyance que la nature le défendroit affez d'elle même; il comprit que , fachant parfaitement nager, il pourroit traverfer aifément la rivière. Conrent de fa découverte, il fe retira chez lui, Sc il fe coucha avec un peu moins d'inquiétude , dans 1'efpérance qu'il verrok encore fa princelfe. Le lendemain , dès que la nuit fut venue, il s'avanca du cóté de la rivière; il avoit envoyé fon écuyet par le ponr , pour lui tenir des habits prêts ; il la paifa a la nage : étant habillé, il quitta ce confident de fa paflion , avec ordre de 1'attendre a eet endroit, & , marchant avec diligence, il arriva bientot dans une gtande route, qui le conduifit a la porte du pavillon de Philonice; mais n'ofant fe hafarder d'entrer , il fe cacha dans un petit bofquer. II n'y fut pas long-tems qu'il lavk  loi LaTyranniedesFÉes forcir avec Elize, & prendre leur promenade drójt a lui; il s'avanca au-devant d'elle avec précipitanon J il fut a fes piés avant qu'elle 1'eüt appercu. Eh quoi! lui dit-elle, en fe reculant de 'quelques pas, vous revenez encore vous expofer aux malheurs que je vous ai prédics ? Ah! madame, reprit 1'mconnu , il n'y en a point de plus grands pour moi que de ne vous poinr voir, après vous avoir vue une fois en ma vie. Dieux! que j'ai fouffert depuis avant-hier, dans la crainte de ne vous poiut rencontrer. Ne m'enviez pas le plaifir de votre vue , continua-t-il , charmante perfonne , mon amour vous le demande avec toute 1'ardeur dont il brüle mon cceur : ne craignez pas qu'on me découvre , j'ai trouvé un endroit trés-sur : fi vous étiez un peu fenfible pour moi, q„e ma préfence yous fit autant de plaifir que la vótre m'en fait, je pourrois vous voir tous les foirs , & vous dire tout ce que la tendreife la plus forte infpire a un cceur aufli tendre que le mien. Mais vous ne répondez point, adorable perfonne, peut-être même ne m'avez vous point entendu?En vériré, répondit enfin la princelfe, je fuis fi occupée de la crainte que nous ne foyons trouvés ici, & fi combattue de 1'envie de vous accorder ce que vous me demandez, que je ne fai quel parti prendre. Celui de m'écouter, madame, lui dit-il, & de bannir les frayeurs qui vous occupent-Ilfautdoac  D É T K. U I T E. 2.O3 vous croire , lui dit-elle, en lui préfentant la main pour le relever; elle s'enfonca dans 1'épaifleur du bofquer; elle le fit entrer, avec Elize , dans un cabinet dont elle ferma la porte fur eux. Ils furent s'afleoir fur un canapé de velours cramoifi afond d'or. Le clair de lune étoit aflez grand pour faire voir a 1'inconnu les magnificences de ce cabinet; mais il étoit fi hots de lui d'être auprès de Philonice ^ & de comprendre qu'il pourroit un jour en être aimé , qu'il ne voyoit qu'elle. La princefle avoit envie de favoir qui il éroit, Sc qui l'avoit conduit au féjour des fées. L'inconnu, pour la farisfaire , lui dit qu'il fe nommoit Anaxandre , qu'il étoit fils d'un prince puiflant, que dès fon enfance il l'avoit deftiné pour la fille de fa fceur, qui étoit mariée a un prince peu éloigné de fes états ; mais que dans le tems qu'il penfoit faire cette alliance, la jeune princefle fut enlevée , comme elle fe promenoit avec fa mère. Hélas ! vous la voyez, s'écria Philonice, ne pouvant plus fe cacher au prince, cette malheureufe princefle que les fées ont tranfportée dans ce lieu, fans qu'elles m'aient jamais dit, quel deflein elles ont eu en m'arrachant des bras d'une mère fi tendre. Quoi! reprit Anaxandre, avec étonnement , vous êtes cette Philonice, qui m'a été deftinée de tout tems, & de qui la perte me fut fi fenfible ? Je la fuis, fans doute, reprit elle. Ah, ma prin-  204 La T y r a n n i e des Fées cefle , s'écria le prince, je ne m'étonne point de Feffet que vous avez fait fur mon cceur dès le premier moment que je vous ai vue; il n'y avoit que Padmirable Philonice qui put me toucher ; les dieux, protecFeurs de ma race, m'ont conduk dans ces lieux pour jouir feul du plaifir de vous voir & de vous adorer. Je ne fuis plus étonnée non plus que vous, reprit Philonice en rougiffanr, de 1'eftime que je ne puis m'empêcher d'avoir pour un homme que je n'avois vu qu'un moment; le fang parloir dans mon cceur fans que j'en fufle rien. Ah! madame, lui dit le prince, que ce que vous me dites eft cruel! que ne me laiflez- vous penfer que votre penchant vous entrainoit ? Nous examinerons une autrefois, reprit la princelfe en rianr, fi je ne me fuis point trompée j mais dites-moi des nouvelles de la princefle ma mère ? La princefle vorre mère, répondit Anaxandte, au défefpoir de votre perte, ne pouvant s'en confolet par la longueur des années qu'il y a que vous lui êtes enlevée, mène une vie très-languiffante. Pour moi, madame, continua-t-il, voyant mon père en paix avec tous fes voifins, pendant que toute 1'Europe eft en guerre , j'ai obtenu de lui de venir apprendre mon métier fous le plus grand roi du monde. Dans ce deflein je partis d'auprès de lui : ayant traverfé tout ce royaume, j'arrivai le foii  t> 1 T R U I T E. 20J que vous me trouvates fur la rerraiïe , dans une grande forêt , percée de cent mille allées différentes; je marchois fort vïte , mes gens demeurèrent derrière , 8c prenant une roure contraire a celle que je fuivois , ils furent bientot éloignés de moi. Je ne m'appercus de m'être égaré , que quand la nuit tomba; mais voyant au clait de la lune une potte au bout de PalMe oü j'étois , je m'y avancai ; je n'y trouvai poinr de garde ; je defcendis de deffus mon cheval, je Pattachai a. un arbre , j'entrai dans ces jardins; leur beauté m'enchanta : étant arrivé fur cette terraffe , j'y admirai long - tems la diverfité du payfage de cette vallée , je m'y endotmis de laflitude. O dieu ! que je fus réveillé agréablement par votre préfence, 8c que je fus touché, quand vous me quittates ! réfolu de vous revoir a quelque prix que ce für, je vous fuivis jufqu'a votre demeure, & m'étant retiré , je retrouvai mes gens. Depuis ce moment je n'ai été occupé que du foin de vous chercher; je vous ai retrouvée, graces au ciel, rien ne manque plus a mon bonheur , pourvu que mon adorable princefTe veuille un peu m'écoutet favorablement: tout vous y oblige, charmante Philonice , la volonté de nos parens qui nous ont deftinés 1'un a 1'autre dès notre enfance, celle des dieux qui femble s'expliquer par cette  io6 La Tyrannie des Fées rencontre fi miraculeufe, Famour ardent qne vous avez fait naïtre dans mon cceur, 8c qui mérite quelque reconnoiflance. J'avoue, reprit Philonice , que la princelfe ma mère m'avoit commandé de vous recevoir comme un homme qu'elle me deftinoit pour époux. Mais, prince, ma fortune eft: bien changée; je ne dépens plus d'une mère bonne 8c tendre, je fuis entre les mains des Fées qui ne me lailferont pas fuivre mon penchant. Si je répondois a votre tendrelfe, vous n'en feriez que plus malheureux ; fongez plutót a m'oublier, fuivez le premier deffein qui vous a amené dans ce royaume , & ne venez plus dans ces lieux infortunés. Moi, vous quitter ma princelfe ! moi, vous oublier! Ah quel confeil ofez-vous me donner'. reprit le prince ; penfez-vous que je fois en état de le fuivre ? Non, ma chere Philonice , ne penfez pas que j'aie d'aurres occupations que celles de vous voir & de vous adorer ; c'eft en vain que vous voulez m'épouvanter du pouvoir de vos Fées; elles ne me fauroient empêcher de vous voir fi vous le trouvez bon ; il ne tiendra qu'a vous de vous trouver tous les foits dans ce bofquet avec cette aimable perfonne , ditil en montrant Elize ; ne vous embarraflez point de ce que je deviendrai, je faurai me cacher aux yeux de tout le monde, poutvu que vous me permettiez de voir quelquefois les vótres.  dÉtruite. 207 Vous réfoudrez cela demain a la même heure, reprit Elize, voyant que Philonice ne répondoit rien ; cat pour ce foir il eft tems de nous retirer, de peur de donner du foupcon de norre conduire. Mais, Elize , a quoi nous engagez-vous, reprit vivement la princefle ? Ah! madame, interrompit le prince , ne me refufez pas la grace que la charmante Elize m'accorde, ou je ne vous quitte plus, quelques malheurs qui puiflent m'en arriver. Et bien, dit Philonice en fe levant, que demain foit donc la dernière fois. Après cela elle forrit fans qu'Anaxandre osac lui répliquer , remettant au lendemain a faire retarder un arrêt fi cruel, & fut retrouver fon écuyer. D'autre cóté, Philonice en rentrant chez elle y trouva la fée Serpente. D'oü venez-vous fi tard ? lui dit-elle d'un ton fevère, qui fit trembler la jeune princefle. Je viens, lui dit-elle, après avoir fait effort pour fe remertre , defaire une rencontre qui m'a touchée de tant de pitié , que je n'ai pu me réfoudre de quittet plutot cette perfonne affligée. Après cela , elle lui fit 1'hiftoite de Cléonice , & continuant fon difcouts, elle la pria de trouver bon qu'elle allat pafler les foirées avec elle. Serpente , touchéé du malheur de cette petfonne, lui dit qu'elle le vouloit bien , pourvu qu'elle süt fi bien fe cacher de fes fceurs, qu'elles ne 1'ap-  2o8 La Tyrannie des Fées perculTent point. Philonice embrafia tendrement la fée pour la remercier , Sc lui donnant le bon foir , elle fe mit au lit : ce ne fut pas fans avoir parlé avec Elize , de la peur qu'elles venoient d'avoir. Le lendemain elles pafle tent la journée a chercher des inventions pour cacher le prince , ce qui leur paroilfoit très-difficile: elles craignoient que quelqu'une de ces furies ne le rencontraflent en entrant ou en fortant du jardin j elles conclurent que fi elles ne pouvoient le réfoudre a n'y plus revenir , qu'il falloit qu'il ne fortït plus du cabinet. Après avoir cru bien prendre toutes leurs süretés , elles furent le foir a leur rendez-vous \ elles y trouverent Anaxandre , a qui la princelFe conta la frayeur qu'elles avoient eue en trouvant Serpente chez elle ; de-la elle prit occafion de lui dire , qu'il ne falloit plus qu'elles s'expofaflent aétre découvertes, & qu'il ne falloit plus qu'il vint dans un lieu fi dangereux. Anaxandre écoura ce difcours impatiemment, Sc reprenant la parole dès qu'elle eut cefle de parler: Je vois bien , madame, que vous vous repentez des bontés que vous avez eues pour moi; que peu touchée des maux que je fouffrirai en ne vous voyant pas , vous voulez m'abandonner a tout ce qu'il y a de plus affreux chagrins. Hé bien , cruelle perfonne, privez-moi de vous voir avec liberté , vous  BETRUIT E. iog vous le pouvez ; mais vous ne fauriez m'empêcher d'liabiter les mêmes lieux que vous, de refpirer le même air , & de vous voir quelquefois pafler auprès de moi: peut êrre que la charmante Elize fera moins cruelie que vous, qu'elle voudra bien écouter mes plaintes , & recevoir mes derniers foupirs. La princefle , reprit Elize avec une fimplicité qui fit grand plaifir au prince, afi peu deflein da ne vous plus voir , que nous avons réfolu que vous ne fortiriez plus de ce cabinet : j'aurai foin de vous y fournir tout ce qui eft néceflaire a la vie, & nous y viendrons le plus fouvent que nous pourrons. Ah! ma chère Elize , que je vous fuis obligé, reprit Anaxandre , de me donner cette preuve de la bonté de Philonice. D'oü vient donc, aimable princefle , que vous me teniez un difcours fi cruel ? vouliez-vous éprouver ma rendrefle , & voir li votre préfence m'éroir chère ? En vérité , reprit Philonice, je fuis fi troublée de la crainte d'ètre découverte, que je n'ai pas plutót pris une réfolution , que je m'en repens s 1'idée toujours préfente de la colère implacable des, fées , m'épouvante a un point, que je crois vous voir a tout moment, loup, lion, ou quelque chofe de plus affreux , & moi pafler mes jours a vous fuivre comme la trifte Cléonice fuisj Tome V. O  Ho La Tyrannie des Fée s fon cher dragon. Ah ! ma princelfe, s'écria Anaxandre , que les fées faflent de moi ce qu'elles voudront; après ce que je viens d'entendre de votre belle bouche, il ne m'importe plus de mou, rir. Quoi! madame, vous m'aimez alfez pour vouloir me fuivre fous une li elfroyable forme, li le couroux de vos furies m'y avoir réduitlj'en ai fans doute dit plus que je ne voulois , repritelle en rougiflant; mais puifque mon cceur s'eft exprimé avec tant de tendrelfe, je ne men repens pas , pourvu que vous méritiez des feminiens li avantageux. Anaxandre jura cent fois a fa chère Philonice, qu'il 1'adoreroit toujouts avec la même ardeur, quelques difficultés qu'il trouvat dans la fuite de fa pallion. Après cela ils réfolurent qu'il demeurèroit quelques jours dans ce cabinet, & que de peur que Cléonice, n'étant point avertie de ce qu'elles avoient dit a la fée Serpente , ne gatat quelque chofe, Philonice itoit la trouver le lendemain au foir ; qu'a fon retour elle reviendroir prendre Elize, qui feroir avec le prince. Après cela elles fe retirèrent dans leur pavillon , ou n'ayant point d'envie de dormir , elles ne fe couchèrent qu'après avoir long tems parlé de ce qui les occupoit le plus. Elles ne favoient pas qu'entre tous les  DÉTRUITE. 211 animaux que la fée Serpente leur avoit donnés , il y avoit une guenon qui ne l'avoit pas toujours été. C'étoit une jeune perfonne , qui avoit de la beauté & un efprit plaifant 8c malicieux ; mais fut-tout elle excelloit dans 1'art de bien contrefaire. Un jour qu'elle éroit en compagnie, & qu'elle fe promenoir, elle vit venir de loin une femme, dont le pas lent avoit quelque chofe de fi indolent , qu'elle déplaifoit infiniment. Cette fille fe mit a la contrefaire avec des manières fi naturelles, que toute la compagnie en rir beaucoup; mais a qui s'étoit-elle adrelfée ? c'étoit une fée de ce féjour, qui, pour la punir de fa rémérité, la changea en guenon, 8c la tranfporta dans ces lieux. Sous cette nouvelle figure , elle garda fon naturel envieux & malicieux. La fée Serpenre, en la donnant a la princefie , lui ordonna de remarquer tout ce qu'elle feroit; & pour qu'elle put 1'en inftruire, elle lui redonnoit la parole quand elle avoit quelque chofe a lui dire. Cette mauvaife guenon avoit concu une haine mortelle pour Philonice : elle attendoit avec impatience , qu'elle tui donnat occafion d'exercer fa langue; fi bien qu'ayant entendu la converfation d'Elize & de la princefie , elle crut avoir O 2  2i2 LaTyranniedesFées trouvé de quoi farisfaire fon envieufe rage. Elle attendoit avec impatience, que la fée Serpente füt arrivée. Dés qu'elle entra dans la chambre , elle lui fit figne qu'elle avoit a lui parler. La fée s'approcha d'elle ; elle lui dit qu'elle favoit bien des chofes ; mais qu'elle ne pouvoit les lui diie devant Philonice. Je reviendrai ce foir, quand elle fera fortie , lui dit Serpente ; mais prends garde de ne me pas mentir, de peur que je ne te punifle plus févérement que ma fceur la fée Tante. Après cela elle fe rapprocha de Philonice 8c ayant fon deflein caché , elle fe retira. Le foir étant venu , Élize fut potter au prince d e quoi manger , 8c la princefle prit le chemin du bois des citronniers, pendant que la fée curieufe de favoir ce que lui vouloit dire la guenon, rentra dans le pavillon. Cette maudite bete lui rendit compte de tout ce qu'elle avoit entendu dire a ces deux jeunes perfonnes , 8c comme elle avoit vu Élize chargée de beaucoup de chofes bonnes a manger, qu'elle avoit dit a. Philonice d'aller porter au prince , 8c qu'elle 1'y attendroit , 4 fon retour d'auprès de Cléonice. La fée fortit trés en colère contre la princefle; elle fut au bois des citromuiers, pour voir fi fa guenon ne mentoit ppim;,  DÉTRUITÏ. lij* Bien réfolue de découvrir le myftère ; elle la trouva comme elle quittoit Cléonice ; elle la fuivit au cabinet du bofquen Elle fut bientot favante de ce qu'elle vouloit apprendre. Le prince ne vit pas plutot Philonice, qu'il lui dit qu'il mouroit d'impatience de la revoir ; qu'il ne pouvoit plus vivre dans une fi dure contrainte; que s'il étoit vrai qu'elle eut de la bonté pour lui, elle confentiroit qu'il la tiraï des mains de ces barbares furies , pour la conduire auprès de la princefle fa mère, qui languiffoit depuis plufieurs années dans le chagrin de Pavoir perdue. Pour moi, reprit Elize, je ne vois pas que vous deviez balancer a, fuivre un prince qui vous étoit deftiné par les perfonnes qui avoient droit de difpofer de vous, puifqu'il vous promet, de vous remettte entre les mains de la princefle, votre mère, & qu'il vous afliire de vous tirer de cette malheureufe prifon. Mais, Elize, reprit Philonice, croyez-vous que j'aime affez ce féjour infortuné, pour ne pas accepter le parti qu'Anaxandre nous propofe, fi je le croyois poffible ? Ah ! crueile perfonne , interrompit le prince , vous ne le trour vez impoflible que par la répugnance que vous avez pour moi; je me fuis flatté en vain d'avoir un peu de part dans votre cceut : vous avez fucé, avec le tems , la batbarie de vos démons, fo.is k figure de femmes; vous verrez avec joie nu O 5  *i4 La Tyrannie des Fées mort, puifque vous ne voulez pas confentir a un deffein fi jufte. Hé bien, reprit la princefTe , il faut vous fuivre , quoiqu'il en puifTe arriver 5 mais quand la foudre tombera fur vous , reflouvenez-vous qu'il n'a pas renu a moi de vous en garantir. La fée ne pouvant plus long-tems écouter ce qu'on difoit contr'elles , fe montra comme la princefTe achevoit de parler j elle penfa la faire mourir de frayeur , auffi-bien qu'Elize. Qui t'a fait fi hardi , jeune audacieux , dit-elle, en s'adrefTant a Anaxandre, de venir dans ces lieux fans notre permiffion , & d'avoir la témérité de croire nous pouvoir óter cette princefle ? Crois-tu que nous 1'avons élevée avec tant de foin pour toi ? Tu te trompes, fi tu 1'as penfé ; malgré tes beaux projets, tu ne la verras plus : fors au plus vite de devant mes yeux, de peur que je ne te puniffe plus févérement. Ah ! cruelle fée , reprit Anaxandre , a quelle punitionplus affreufe pouvez-vous me condamner, que de me priver de la vue de ma princelfe ? Si vous aviez été quelquefois fenfible , vous vous lailferiez toucher a la pitié ■ & favorifanr deux cceurs que 1'amour unit, vous me rendriez Philonice. Je 1'avoue , reprit la fée , que fi j'étois maïtreffe de la deftinée de cette princefle , je ferois ce que tu dis ; mon cceur , plus fenfible a  BETRUIT ï. $ la pitié quM 1'offenfe, te pardonneroit aifément une injure que 1'amour t'a forcé de nous faire ; mais , Anaxandre, je n'en fuis que gardienne : c'eft un dépot que mes fceurs m'ont remis; je fai le deflein qu'elles ont fur elle , je dois leur conferver avec foin ce qu'elles m'ont confié. Retiretoi, encore une fois, laifle cette prigceflè en repos, fi tu ne veux être caufe de tous les malheurs de fa vie. Ah ! madame , reprit enfin Philonice, enhardie par la bonté de la fée , n'en craignez point pour moi fi vous me privez de voir Anaxandre. Mais Philonice , répondit la fée , ne craignez vous point ma colère , quand vous me faites une pateille confeflion ? qu'eft devenue cette obéiflance a mes volontés ? J'avoue, madame, reprit la princefle , que je mérite toute votie indignation ; je connois ma faute , il n'eft plus en mon pouvoir de m'en repentir , les ordres d'une mère que je refpede, un penchant plus forr que moi qui m'entraïne vers ce prince , me ferviroient peut-être d'excufe auprès de vous, fi vous vouliez fuivre les mouvemens de votre cceur. Ah ! madame, toutes les infortunées qui font dans ces lieux, n ont trouvé de pitié qu'en vous: ferai-je la feule que vous rendrez malheureufe ? II n'eft pas en mon pouvoir, reprit la fée, de vous donné,.? a ce prince; vous êtes deftinée pour un au- O 4  s.i Et neme donnerez-vous point le moyen de moul «r a fes pres , fi |e ne puis Parracher k fon mal. Wnx^^ ^^^^ le deftin de la princelfe; „„ tems viendra » ^a plus heureufe, mais cene fera ni „ Ws ni par le mien: tout ce que je pul faire, eft de vous condmre dans les lieux oüeile paffe fes jours mfortunés, en vous revêtant de ia forme de quelque monftre, aufll-bien qu'Elize, de peur    DÉ TRUITI. 233 que le roi de ces lieux fouterreins ne vous reconnoiflë. En difant cela, elle les toucha de fa baguette , & ils parurent demi-hommes «Sc dèmichevaux , femblables au Centaure de la fable : elle les conduifit en eet état, après leur avoir donné d'une herbe dont ils n'avoient qu'a. fe toucher pour reprendre leur véritable figure au féjour du roi des monftres. Ils defcendirent dans cette plaine , oü la malheuteufe Philonice gardoit jour «5c nuit ce monftrueux troupeau : ils la tto'uverent couchée fur le rocher , fa houlette d'une main 8c fa tête appuyée fur 1'autre; de grolTes larmes'couLoient de fes yeux fur fon beau fein , qui paroiflbit a moitié découvett. Le jout commencoit a paroitre' quand ils approchèrent'd'elle. Le bruit qu'ils firent en marcharit, la tira de fa rêverie : elle treflaillit de crainte de voit des monfttes nouveaux ; mais le prince ne voulan't pas la laiffer davantage dans 1'état déplorable oü il la voyoit : puifqu'il n'eft permis qu'aux monftres de vous approcher , divine princefTe', lui dit-il , ne vous étonne'z pas de noüs voir1, Elize «Sc moi , fous cette forme hrdeufe • rien ne paroit impoflible a 1'amour & a Tamitié , joinres enfemble ; la fée Serpenre , pitoyable a fon ordinaire , nous a rransformés ainu , pour nous donner le plaifir de pafler nos jours auprès de vous. Hélas! Anaxandre, reprit enfin la prin-  ij4 La Tyrannie des Fées celfè après être revenue de fon étonnement , quel démon ennemi de vos jouts, vous ronduit ici 1'un & 1'autre! N'étoit-ce pas alfez de mes malheuts, fans être accablée de la crainte, continua-t-elle , que le tyran affreux , qui me tient fous fa puilfance , ne vous découvre & ne vous fafle , par des fupplices horribles , payer bien cher le plaifir de nous voir ? Ah ! ma chère Elize, continua-t-elle, emmenez le prince , fi vous m'aimez , & ne me préparez pas, par votre imprudence , le trifte fpecFacle d'être caufe de fa morr. Ceflez , reprir Anaxandre , de craindre pour la charmanre Elize & pour moi, en vous difanr que c'eft la fée Serpente qui nous ronduit dans ces lieux j c'eft vous dire que nous n'avons rien a" craindre. Comme il achevoit de parler , Ie foleil commencant a s'approcher , le rroupeau monftrueux fe réveilla , & remplit l'air de hurlemens terribles. Elize , peu accoutumée a de femblables cris s'enfuit, pleine de tetreur, de 1'autre cóté du rocher ; &c y trouvant une concavité , elle y entta avec précipitation. Mais elle fut bien étonnée de trouver une chambre dans ce lieu tendue de deuil; un cercueil étoit placé au milieu de eet antre, éclairé de deux lampes de cryftal de roche. Une jeune perfonne, vêtue de noir, étoit auprès de ce cercueil, dont la beauté, malgré les larmes  DÉTRUITE. 2>5 qUJ toulqsnt de fes yeux en abondance, parut a Elize une des plus accomplies de la terre. La furprife qu'elle eut d'un fpedacle fi nouveau lui fit poufler un cri fi haut , que la .princefle & Anaxandre , qui la fuivoienr , 1'entendirent, & précipitant leurs pas,ils entièrent dans ce tombeau. La préfence de tant de gens retira la belle affligée de fon occupation ordinaire, & faifant effort pour arrêter les fanglots qui lui étoient 1'ufage de la parole : Quel malheureux deftin vous ronduit ici , dit-elle, en s'adreffant i Philonice? eft-ce le hafard , ou les barbares qui pofsèdent ces lieux, qui vous contraignent de venir mêler vos larmes avec les miennes ? Une même deftinée nous contrahit aufli-bien que vous , reprit la princefTe , d'habiter ces lieux infernaux : ainfi, madame , ii votte douleut peut-être foulagée par la compagnie de perfonnes aufli malheureufes que vous, nous vous offrons cette trifte confolation. Ma douleur eft d'une nature, reprit 1'inconnue, a ne pouvoir jamais finir. Tout ce que les dieux avoient fait de parfait fur la terre , &z tout ce qui pouvoit me plaire, eft enfermé dans ce tombeau : je paffe mes jours inforrunés a vouloir lui donner un fecours inutile. Je vois, lui dit-elle, voyant que Philonice étoit étonnée de ces dernières paroles , que vous ne comprenez pas que la perfonne que je regrette puifle être en état d'avoir befoin de fe-  *5tf La Tyrannie des Fées cours, après vous avoir dir qu'il étoic enfermé dans ce tombeau; mais, madame, il faudroit, pour vous éclaircir de cette aventure, vous apprendre la caufe de mon fupplice, ce qui ne feroit que renouveler mes douleurs avec plus de vivacité. Comme la princefle alloit lui répondre , une voix plaintive, qu'elle entendit fottir de ce tombeau , la fit arrêter, &l'inconnue, en redoublant fes larmes, fit des efforts incroyables pour ouvrir ce fépulcre. Philonice, le prince , & Elize fe joignirent a cette belle affligée ; mais tous leurs efforts futent inutiles. Ne vous fatiguez point en vain, leur dit cette voix plaintive, laiffez-moi achever ma deftinée dans cette trifte demeure • un jour viendra, & ce jour n'eft pas loin, qu'il me fera permis de revoir la lumière, & de vous dire, ó! ma chère Melicerre, que la glacé du tombeau ne peut rien fur mon amour; jouis, en attendant, de Ia confolation que le ciel t'envoie pat la préfence d'un prince & d'une princefle aufli malheureux que toi. La voix plaintive fe tut après ces mots , & Mélicerte fe jetant au col de Philonice : Ah' madame , lm dit-elle, quel bonheur votre préfence m'apporte ! j'entends mon époux me pro-' mettre un rems plus heureux, je puis efpérer de le revoir un jour > mais n'eft-ce point un fonge !  DETRUITE. 1}J reprit-elle, en fe lailfant tomber fur un lit dont elle s'étoit levée : Ah ! fans doute mon efprit rroublé par la longueur de mes malheurs, me fait croiredes chofes impoffibles! Non, madame, reprit Philonice , vous ne vous êtes point flattée dans ce que vous venez d'entendre , nous 1'avons entendu comme vous; fans doute le ciel las du fupplice de tant d'innocentes victimes , nous donneta bientot un fecours proportionné a nos maux j ce n'eft pas feulement par la bouche des morts qu'il nous le ptomet, les vivans Pont prédit comme lui. Ah! madame, dit Mélicerte , que ne vous dois-je point de me confirmer ce que je n'ofois croire ! Mais oü eft donc, dit-elle en regardant de rous cótés , ce prince dont mon époux m'a parlé ? feroit-ce eet aimable Centaure qui m'a aidée avec tant d'empreflêment a foulaget le malheuteux Yphidamante ? Oui, madame, dit Anaxandre , c'eft moi qu'une fortune ctuelle oblige de me cacher fous cette figure li extraordinaire. Je vous avoue , reprit Mélicerre , que je vois des chofes li furprenantes, que je ne puis rn'empêcher d'être fenfible a la curiofité d'apptendte vos aventures , avec la parole que je donne a cette belle perfonne, dit-elle en montrant la princefTe , de fatisfaite la fïenne quand elle le voudra. Ce feroit dès ce moment, reprit Philonice, fi je n'étois pas obligée de vous  238 La Tyrannie des Fehs quitter pour lè refte du jour , de peur que le roi des monftres qui vient fouvent voir li je m'acquitte de mon devoir , ne me trouvanc pas, ne me retranchat le peu de liberté qu'il me donne. Pour vous, continua-t-elle, généreuxprince, demeurez auprès de 1 aimable Mélicerte, 8c quittant votre dcguifement, faites-lui voir que vous méritez fon eftime, pendant que ma chère Elize, délivrée aufli bien que vous de cette métamorphofe , fera connoitre a certe belle perfonne , en lui contant mon hiftoire, qu'elle n'eft pas feule malheureufe. Mais, ma princefle , reprit Anaxandre , penfez-vous que je vous puifle quitter fi-töt, 8c que fatisfait de vous avoir vue un moment , je n'aie pas encore mille chofes a vous dire ? Dès que la nuk fera venue , reprit Philonice , je viendrai volontiers les écouter; mais, Anaxandre , ayez cette complaifance pour moi de ne vous point montrer devant mon atgus; 1'agitation qu'il verrok fur mon vifage , lui apprendroit ce que nous avons tant d'intérêt de cacher. Après cela elle fortit , fans vouloir permettre qu'on la fui.vït. Elle arriva rout-a-propos fur la pointe du rocher. Cet affreux roi paroiflant dans le moment : vous êtes bien gaie aujourdhui, Philonice, lui dit-il , en s'approchant d'elle, je ne vois point, comme j'ai coutume, la tracé de  DÉTRUITÏ. 239 vos larmes fur votre vifage ; votte fupplice n'en eft-il plus un pour vous ? a force de le fouffrir , ou contente de votre fort , auriez-vous pris le parti de m'époufer ? Parlez , continua-t'il en fe voulant radoucir , ma bonté eft encore prête a vous recevoir; mais prenez garde de ne me plus irriter par vos refus 5 tout ce que vous avez fouffert jufqua préfent, n'eft rien en comparaifon des maux que je vous prépare , fi vous n'êtes réfolue de m'obéir. La princefle trembla a ce difcours } mais prenant fa réfolution dans un inftant : Je vois bien, lui dit elle, que je ferai contrainte a la fin de me rendre a une fi longue conftance; je ne vous demande plus que le tems du retour de la lune nouvelle , pour faire un facrifice a cette déeffe. Je te 1'accorde, reprit le Polyphême avec un air content , pourvu que tu ne me trompe point, quoiqu'un mois foit encore long pour mon impatience. Je vais avertir tous mes fujets , aufll-bien que toutes les fées , de fe tenir prêts pour célébrer ce mariage avec la pompe düe a ma grandeur. A ces mots il fe fépata de la princefle. Elle auroit bien voulu , dès qu'elle le vit parrir , retoutner au tombeau d'Yphydamantej mais craignant qu'il ne revint avant, la fin du jour ,  *49 La Tyrannie des Fées elle attendic que la nuit eüt fermé les yeux k fon terrible troupeau. Elize venoit de finir fon hiftoire, quand elle parut dans Ia chambre. Méhcerte lui témoigna combien elle s'étoit intérelfée a tous fes malheurs ; le prince lui dit cent fois avec des tranfports que nul autre amant n'avoit jamais fentis, qu'il ne pouvoit plus foutenirfon abfence, qu'elle ne lui demandat plus de fi cruelles preuves de fon obéiifance. Elle répondit avec tendrelfe k fon Anaxandre , & adrelfant la parole a Mélicerte : II ne tiendra qui vous, madame , lui dit-elle , de contentet ma curiofité , k préfent que je vous puis écoutet fans craindre d'être troubléepar mon cruel tyran. Cela eft jufte , aimable princelfe, reprit Mélicerte, & pour ne pas perdre des momens li précieux. HISTOIRE De la Princejfc Mélicerte. Je vous dirai, madame, que je fuis fille d'un prince qui eft fouverain d'un grand pays, audela d'un fleuve que Fon nomme le Rhin. Javois deux frères, dont le courage s'étoit fignalé dans toutes les occafions d'une guerre qui occupe depuis  DétRuite. 241 depuis plufieurs années , 1'Europe entière contre le roi de ce royaume, qui, a la honte de plufieurs têtes couronnées , ne peut être vaincu en nulle occafion , quelques forces qu'ils arment contre lui. Pendant que mon père & mes frères étoient employés a. défendre leurs provinces des conquêtes de ce grand conquérant, je paflois mes jours auprès de la princefle ma mère , a appren-: dre tout ce qui peut perfedtionner une jeune perfonne ; mais 1'hiver revenant, ramena nos guerriers, & remplit notre cour de tous les grands feigneurs de la province. Le bruit du peu de beauté que le ciel m'a donnée, en attiroit des états voifins; mais entre rous ces feigneurs, le prince Yphydamante paroiflbit fi au-deflus des autres, que je ne pus m'empêcher de fentir un penchant pour lui, dont je m'appercus avec chagrin, Tout ce qu'il faifoit, avoit une grace que je ne trouvois point ailleurs; les foins qu'il me rendoir paroifloient fi emprefles , qu'il étoit aifé de comprendre que fon cceur étoit touché d'une violente paflion. II n'avoit pu encore me la découvrir; ce que je fentois pour lui, me faifoit évitet les occafions de lui parler ; j'avois peur qu'il .ne connut que je 1'aimois autant qu'il me vouloit perfuader qu'il m'aimoit. Dans cette contrainte, 1'hiver fe paifa, & le Tomé F. Q  142 L A*T ÏRAMN1! DEsFÉES printems ramenant la guerre, je ne pus réfifter a lui dire adieu, fans qu'il s'appercüt des mouvemens de mon cceur. Avec quels tranfports de joie recut - il ces marqués de ma tendreffe ! combien de protefrations de m'aimer éterneilement! II ne fe feroit jamais laffe de me les téitérer , li on ne lui avoit dit que mon pète 8c mes frères 1'attendoient pour partir. Je fus bien heureufe que 1'abfence de ranr de perfonnes qui m'étoient chères , me donnat ptétexte de cacher le mo&tel chagrin dont j'érois remplie. Je palfai toute la campagne dans des inquiétudes infupportables , & li 1'hiver n'étoit venu calmer mes ennuis, je n'y pouvois plus réfifter. Nous fumes loin au-devant de mon père ; le prince me voyanr, après avoir falué la princelfe ma mère, vint a moi avec un emprelfement qui fut remarqué de toute la cout. Tant que dura le chemin qu'il y avoit a faire pour retourner a la ville, il 1'employa a me dire les chofes du monde les plus tendres. Je les écoutois avec plaifir ; il me fembloit qu'il étoit encore plus aimable, 8c mon cceur ne fe put ref ufer de lui avouer fa défaite. Dans une converfation fi tendre, nous arrivames au palais. Depuis ce tems-la, chaque jour ne fervoit qua augmenter notre amour, 8c  D É T R U I T E. 243 le prince fe ttouvant maïtre d un état confidérable , me ptia de lui donner la petmillion de me demander a ceux qui difpofoienr de moi. Je le lui permis fans peine , 6c ne voulant pas retarder fon bonheur , il en paria dès le foir même au roi mon père. Il fut recu avec tout 1'agrément poffible ; mais quoi qu'il lui promït qu'il ne me donneroit jamais qu'a lui , il ne voulut pas lui permettre que nous fuffions unis avant la paix ; lui difant qu'il n'étoit pas jufte de célébrer des noces pendant que toute 1'Eutope languilfoit fous le poids de la guerre. Yphydamante me vint redire cette converfation , & le chagrin ou il étoit de voir que fon bonheur dépendoit du repos public ; je tachai de lui faite goütet les raifons que mon père avoit d'en ufer ainfi. Depuis ce jour nous paflames la vie du monde' la' plus douce ; nous nous voyions a. toutes les heures , rout approuvoit notre amour s que nous aurions été heureux } fi ce tems avoit duré! Mais la belle faifon vint commencer nos malheurs j il fallut nous féparer. Quel défefpoir pour des cceurs aufli tendres que les nötres! il m'en penfa coütet la vie ; l'on m'emporra évanouie fur mon lit , pendant que mes frères arrachoieut Yphydamante de ma chambre. Hé-  244 La Tyrannie des Fées Jas! nous fentions ce qui nous devoit arriver un preflentiment fecret nous avertilToit , que notre abfence ne feroit bornée que par la mort. Mon évanouiflemenr fut ftiivi d'une fièvre violenre , qui me réduifit en peu de tems aux portes du trépas. La princefle ma mère étoit mconfclable; elle ne me quittoit pas d'un moment : mais ma jeunéflè me tira de ce mauvais pas. Quand je fus en érat de fortir de ma chambre , je priai ma mère de me permettre d'aller palfer le reite de 1'été a une maifon de campagne , éloignée de quelques lieues de la ville ; j'y employois le tems a rêver X mon cher Yphydamante ; je comptois les jours , les heures 6c les momens que je devois être fans le voir. Une après-dinée , plus preflee de ma tendrefle qua 1'ordinaire , je fus me promener dans une forêt qui étoit proche ; j'étois peu accompagnée ; je marchois aflèz lentement dans une route très-belle , mais fort obfeure. Un lieu fi conforme X mon humeur préfenre , me fit marcher plus loin que je ne peufois ; je me trouvai laffe j je m'aflis au pié d'un arbre, 6c m'y endormis : mais, oh Dieu ! que devinsje , quand X mon réveil , je me rrouvai dans un antre affreux , 6c le même tyran qui vous tient fous fes loix auprès de moi. II étoit accompagné de la fée la Rancune, 6c de fes fceurs  BETRUIT E. 24J la Cruelle & 1'Envieufe. Je ne favois fi j'étois mono on fi j'écois encore du nombre des vivans ; j'onvrois la bouche pour demander dans quel lieu j'étois, quand la fée la Rancune me dit : loue le ciel de ra bonne fortune , Mélicerte , de nous avoir fait paffer dans la forêt ou tu étois endormie j ta beauté a furpris le roi des monftres, il a été fi touché des graces qu'il t'a remarquées , que nous t'avons enlevée dans le moment , pour te faire reine de tout ce que pcifède ce roi puüfant j recois , comme tu le dois , un fi grand honneur : mérite notre amitié par ton obcifiance. Je croyois , lui dis - je, que je ne devois obéir qu'a ceux dont je tiens la aajflance , & je ne puis comprendre quel droit vous avez de me commander , ni quelle juftice vous trouvez dans 1'action que vous venez de faire ? Nous n'avons , répondit la Rancune , de règle de ce que nous laifons , que nos volontés j tout reconno'ït notre pouvoir fur la Terre; heureux ceux qui, comme roi , ont trouvé grace devant nous ! profites - en , fi tu es fage , ou crains notre colère. Et que pouvezvous me faire de pis , repris - je , que de marracher des bras de ma ramille , pour me livrer a ce monftre exécrable ? Ah ! renc'ez - moi la liberté , ou m'ótez la vie. Allée , d;t enfin ce charmant amant 5 ne vous inquiétez point de Q 3  x\6 La Tyrannie des Fées' la répugnance qu'elle vous témoigne , je faurai la réduire a m'obéir ; laiflez-moi feul avec elle. Ah ! Madame, m'écriai - je en me jetant aux piés de la Rancune ; fi jamais vous avez été fenfible a la pitié, ne me lailfez pas feule avec votte roi , fi vous ne voulez que j'expire de frayeur. La fée , pour la première fois de fa vie, fut fenfible a. ma douleur; elle dir au monftre, qu'elle prend roir foin de me difpofer a lui obéir ; mais qu'elle croyoit qu'il falloit me gagner par une feinte douceur. Le roi confentit a ce que dit la Rancune ; je fus remife dans fes mains, elle me mena dans le féjour des fées ; elle m'y fit voir toutes les beautés de ces lieux , après cela elle me conduifit dans fon pavillon ; c'eft, comme vous favez , celui qui tient au grand bofquet ; tout y brilloit d'or & de pierres précieufes; l'on m'y donna des habits magnifiques , & la fée n'oublia rien pour me faire oublier 1'injure qu'on m'avoit faite. Mais tout cela ne pouvoit tarir mes larmes , 1'éloignement du prince mon père , & de la princelfe ma mère , m'étoient trés - fenfibles ; mais 1'idée de ne plus voir Yphydamante me défefpéroir. Cependant le roi des monftres s'impatientoit de ne me point voir difpofée a 1'époufer ; & la Rancune , fe lalfant d'une douceur qui ne lui étoit point naturelle , me dit,  D É T R V I T Er 247 un jout ; que j'abufois de toutes fes bontés, que je me difpofalTe l ne plus leur réfiftei, ou que je me preparate au plus cruel fupplice. Mes larmes ni mes foupirs ne purent rien gagner fur fon cceur irritc , elle me ramena dans ce féjour infortuné , & m'abandonnant a tout mon défefpoir , elle m'y laifla plus motte que vive. Je la rappelai, comme elle étoit prète de e'éloigner. Ah ! madame , lui dis-je , comment voulez-vous que j'époufe le roi des monftres , puifque je fuis promife a Yphydamante ? il n'eft pas en mon pouvoit de rompre des fermens fi faintement jurés. La Rancune ne goüta pas mes excufes • & fans m'écouter davantage , elle me laifla avec ce matrak tyran , cent fois plus cruel qu'il n'eft effroyable. Je demeurai fans fentiment quand je me vis feule avec lui, une longue foiblete fuccéda a mes pleurs 5 mais enfin je revins a moi-même , fans qu'il me donnat nul fecours , me difant que je ne méritois pas qu'il prit foin de ma vie ; qu'il ne vouloit plus m'époufer j que les Fées lui élevoient une belle jeune princefle , qui fans doute étoit vous, madame; mais que je n'en ferois pas plus heureufe ; que puifque je n'étois fenfible que pour Yphydamante , il me le feroit venir pour partager les peines qu'il me préparoit. Toute la nuit fe paffa dans une fi trifte converfation, & le jour ne parut pas plutót, que Q4  .248 La Tyrannie des F é e s je vis la Rancune. Suivez-moi, me dit-elle, dun ton févère , qui me fit trembler. je la fUIVis avec une paleur mottelle jufques dans ces triftes lieux ou ,e trouva! dans cette chambre ce cercueil, couvert d'un drap noir, qu'elle óta, pour me faire voir Ypnydamante, couché fans fentiment dans ce tombeau. Jamais douleur ne fut pareille a la rmenne ! A cette funefte vue, tout ce que 1'amour Je plus rendre fait dire & faire, je le fis & je Je dis avec excès • je voulois mourir avec ce cher objet de ma tendrefle. Tout autre que la fée cruelle auroit été touchée du malheureux état oü j'étoismais comme fi la vue de ce déplorable prince tof eut été de quelque confolation , elle rabaiifa le drap noir qui ]e couvroit; & ayant fait quelques rours autour de ce cercueil, elle me quitu après m avoir dit d'un ton moqueur, que je devois être contente ; qu'elle me laiifoit avec tout ce que j'aimois. Dès que je la vis partie , je courus lever ie voile qui me cachöit mon cher époux ; mais dieux ! que je fus étonnée de rrouver ce tombeau' fernie. Je redoublois mes larmes , quand j entendis foren u„e voix de ce cercueil, qui poufforr de grands foupirs. Jugez de mon dclèfpoir : u fis aes efforts incroyables pour ouvnr ce fépulcre f appelois les dieux & les hommes a mon feco.rs' mats tout étoit fourd pour moi. Pendant ce temsh la voix ceila de fe faire enrendre -t je crus qne  dÉtrüite. Z49 »ion cher Yphydamante étoit étoulfé : je paffai tout le jour & toute la nuit dans des agitations qui me mettoient hors de moi-même , quand mes oreilles furent frappées de la même voix. Je eourus au tombeau ; je voulus le foulager, mais ce fut aufli inutilement que la première fois. Depuis ce moment fatal, je n'ai pas manqué, a la même heure , d'entendre mon époux fe plaindre, Sc fans me fouvenir qu'il n'eft pas en mon pouvoir de finir fes peines, je fais les mêmes efforts pour le tirer du tombeau, dont vous avez éte témoms. Mélicerte s'arrcta, preffée par fa douleur, a ce cruel endroit de fon hiftoire. Philonice lit ce qu'elle put, pour lui faire efpérer que fes maux finiroient bientot. Le prince & Elize fe joignirent a la princefle, pour la confoler ; mais les plaintcs d'Yphydamante recommencanta 1'ordinaire, elle courut au tombeau avec le même empreflement qu'elle avoit accoutumé, fans vouloir t'couter ce que ces aimables perfonnes lui difoient, Pendant ce tems le roi des monftres étoit revenu de donner ordre aux fées de faire aifembler tout ce qui dépendoit de leurs puiifances, pour célébrer fon mariage avec Philonice, & pour lui dire que rien de li beau n'avoit point encore paru dans 1'empire des Fées, que tout ce qu'il avoit .ordonné pour fes noces ; qu'en attendant ce jour h.eureux, il venoit Lt prendre , pour la conduire a  250 La Tyrannie des Fées un appartement magnifique qu'il lui avoit fait préparer. Etonné de ne la poinr trouver, il regarda de quel cóté la chaïne, dont elle étoit attachée au rocher , toumoit; & la fuivant, il arriva dans la chambre de Mélicerte, dans le tems que les plaintes d'Yphydamante celfoient. Quel effroi pour nos amans ! ils en demeurèrenr immobiles; ils écourèrenr avec une frayeur mortelle toutes les injures que le roi des monftres vomit contre Philonice ; mais paffant des injures aux effets , il la prir par le bras, & la fit forrir avec violenee de la caverne. Anaxandre voulut lui arracher des mains la princefle ; mais le regardant d'un ceil méprifant 3 jeune téméraire , lui dit-il, apprends a connoitre tes forces; viens, pour augmenter les peines de cette infidelle, partager fes tourmens. Au même tems Anaxandre fe trouva lié de la même chaine que Philonice, & contraint de fuivre aufli-bien qu'elle ce ryran monflxueux. Ce n'eft pas que dans le défefpoir de ne pouvoir fecourir la princefle , ce ne lui fut une confolation de porter les mêmes chaines. En eet état malheureux, il Jes conduifit dans une prifon obfcure. La pauvre Elize étoit inconfolable ; Mélicerte redoubla fes fanglots; il n'y eut pas jufqu'au malheureux Yphydamante, qui, par des plaintes nouvelles, fit connoitre qu'il y éroit fenfible. Cependant le roi des monftres fut trouver les Fées»  DÉTRUITE. 2.51 qui s'étoient affemblées de tous les coins du monde , pour étre préfentes au mariage de leur roi. II n'y en avoit pas une qui n'eüt préparé un don extraordinaire pour doter la princefle ; mais elles furent bien étonnées de la nouvelle que le Polyphéme leur annonca. Elles s'emprefsèrent d'inventer de nouveaux fupplices, pour tourmenter Philonice & fon amant, afin de prouver a leur roi le zèle qu'elles avoient pour lui. 11 les en remercia , & leur dit qu'il en favoit un plus cruel que tout ce qu'elles lui venoient de dire, qu'il avoit réfolu de 1'époufer, & de faire mourir Anaxandre devant elle , le même jour. Elles le louèrent toutes de favoir fi bien fe venger , & fe preparèrent a voir ce terrible fpectacle. Le lendemain le cruel ryran fut rettouver nos illuftres malheureux, pour leur annoncer une fi rernble fentence. Jamais douleur ne fut égale a celle qu'ils fentirent 1'un & 1'autre. Encore , difoir Anaxandre , fi par ma* mort je vous iendois heureufe, je la fouffrirois avec joie ; mais vous laifler en proie a rout ce que la Nature a de plus effroyable, c'eft un défefpoir pour mei, cent fois plus plus affreux que le trépas ! Ah ! prince , reprit la trifte Philonice, fi le roi des monftres veur me donner votre vie, je 1'épouferai fans répugnance; mais le barbare fait bien qu'il ne peut me pumr que par votre mort.  *5* La Tyrannxe de s FÉES : ;ls.Pafsèrent ""G route la nuit a fe plaindre* & Ie joor ne parut pas plutot, que les fées la Rancune , Ia Cruelle & FEnvieufe, vinrent prendre ia princefle, pour la mener au palais. Le roi des mpnftres 1 y vint joindre , & fans être touché de letat pitoyabie ou il la voyoit , ni enrendre les ardeutes prières qu'elle lui faifoit de conferver la vie au malheureux Anaxandre , il la conduilit au tempie. Un échafaud y étoit drelfé, le prince attaché i un poteau , prêt a être immolé, pour fervir de ttcW nuptiale. Quelle vue pour la rendre Philonice ! Elle fe jeta aux piés de ce crue! ty.ran & rerommencant fes pleurs, elle le fupplia en-ore une fois de lui accorder la vie du prjuce s'il ne vouloit qu'elle expirot du même coun'qui le frapperoit. L'on fut auffi fourd cette fois_1A 1 aurre a fes prières j & le couteau mortel étoit deja levé, quand on entendit un coup de tonnerre, accompagné d'éclairs , qui fit trembler la voute du tempie 5 & en même-cems Ie bruit de mille -trompettes éclatantes frappèrent les oreilies d« roi des monftres & des Fées • ils coururent avec empreffement a la porte du tempie, pour apprendre ce qui caufoit ce bruit militaire. Mais Ja fee Serpente entrant avec précipitation : courage , Philonice , s'écria-t-eiie , vos mau, vonc mm} la diyine princefTe, que les oracles ont pré.  DÉTRUITE. 155 dit, s'avance ; le ciel, pour nous annoncer un fi grand bonheur , eft rout en feu > mes barbares fceurs vont recevoir la punirion de leurs crimes.Toutes les fées trembloient de cette nouvelle , eiles voulurent s'enfuir, pour éviter fa préfence; mais dans le même moment la princefle parut avec une beauté fi majeftueufe , que ces furies commencèrent leur fuppiice en la regardanr. Allez , monftres exécrables , leur dit-elle d'un ton menacant, fubir le chatiment que vous méritez j foyez réduites a fouffrir tant que le monde durera,tous les maux que vous avez faits a tant d'illuftres malheureux , dont ces lieux font remplis ; & que vous voyant contraintes d'employer eet art magique dont vous vous ferviez a les accabler a vous inventer des tourmens nouveaux , ils reconnoiflent que le ciel eft jufte , de vous punir de tant de crimes. Aliez donc , continua la princelfe irrirée , comme de nouvelles Danaïdes, remplir d'eau fans fin des macliines monftrueufes , fans que vous puifliez jamais en avoir affez tiré. La printeffe n'eut pas fini, que le roi des monftres , & toutes ces furies , en jetant des cris différens, s'enfuirent du cóté de la rivière ; & rravaillant elles-mêmes a préparer leurs fupplices, elles remplirent le courant de 1'eau de grofles poutres , oü elles attachèrent des roues d'une  254 La Tyrannie des Fées grandeur prodigieufe 5 & les faifant r0urner a force de bras > elles remplifFoient de grands vaiffeaux de 1'eau qu'elles tiroient, qui fe conduifant par des pompes , montoient aux jardins enchantés. Un tourment fi nouveau leur faifoit jeter des hurlemens fi percans , que tout le voifinage en étoit cpouvanté • ils parvinrent jufqu'aux oreilles de la princefTe , qui étoit occupée a délivrer le malheureux Anaxandre. Philonice Sc lui fe jetèrent a fes piés , pour la remercier de leur avoir fauvé la vie. Elle les releva avec bonté , Sc fe tournant vers la fée Serpenre : puifque nous fommes délivrés de toutes ces furies infernales, allons, Serpente, dit-elle, en lui prenant la main, conduifez-moi au palais. Je fai que vous n'avez jamais contribué aux maux que vos pernicieufes fceurs 'ont fait dans le monde ; j'aime la fcience que vous avez , fervez-vous-en comme a votre ordinaire, pour embellir ces lieux fortunés par la préfence du plus grand roi du monde , qui, venant de donner la paix a 1'Europe, viendra fe délalTer de fes grands travaux dans ces jardins enchantés : trouvez tous les jours des inventions nouvelles pout plaire a fes yeux ; joignez a la nature tout ce que Part de féerie a de plus beau, je vous en fais la maitiefie de fa part ; mais, fur-tout, ne laifions point de malheureux, ou  dÉtruite. 255 tous lés plaifirs doivent faire leur féjour : allez, prudente Serpenre , rirer de leurs chaines tant d'innocentes viótimes, & me les amenez. En difanr cela elle arriva, fuivie de Philonice, d'Anaxandre & de toute fa brillante cour, au palais, ou elle fit mille amitiés a notre infortunée princefle. Tout le monde laregardoit ayec admiration; fa beauté, fa bonne grace les charmoient: & li Serpente ne fur entrée dans la falie, de long-tems on auroir cefle fes louanges. Elle tenoit par la main Cléonice fuivie de fon cher dragon : la fée la préfenta a la princefle , en lui difanr qu'elle méritoit fa protedion ; & lui faifant un récit de fes avantures, elle la toucha de tant de pitié, qu'elle ne voulut pas tarder un moment a tarir la fource de fes larmes. Elle roucha de fes belles mains le pauvre Philoxipe ; aufli-tót quittant cette horrible figure qu'il avoit fi long-tems gardée , il parut aux yeux de tout le monde tel qu'il étoit quand il fit la conquête du cceur de fa charmante époufe. Elle penfa mourir de joie aux piés de la princefle j & fi Philonice ne s'étoit avancée pout la foutenir, elle feroit tombée. Les deux toufterelles fuivoient, qui fe trouvèrenr en état de remercier cette divine princefle; elles firent voir par la manière polie donr elles firent leurs complimens, qu'elles n'étoient pas indignes du fecours que le ciel leur envoyoit.  156 La Tyrannie des Fées Dans ie même moment les ftatues de la terraffe fe trouvèrent auimées de ia méme vie que la maüce des fées leur avoit ótée, & revinrent routes faire rerentir la falie des iouanges dües i 1'adorable princeffe qui faifoit leur bonheur. La princefle Biche Blanche , celle qui de feu* veraine fut fi %g-cems chatte-blanche ; la reine qui avoit fi long-tems langui fous la tyrannie de la fée Geante; la princefle Lionne avec fon airnable époux; Léoniffeconduite par la charmante Levrette , vinrent augmcnter Ie triomphe de la princeife. Toures ces aimables perfonnes, quoique de pays différens , fe trouvèrent parler la même langue , pour reconnoitre une fi charmante fou-, veraine. La feule Mélicerte ne paroifloit point ; elle pleuroit encore au milieu d'une joie fi générale, aufli-bien que la trifte Elize que le roi des Monftres avoit ccntrainte de ne point fuivre Philonice ; elles ignoroient toutes les deux un changement fi éronnant ; mais 1'incomparable princefle d qui la fée Serpente avoit dit que Pen-" chantement d'Yphydamante ne pouvoit être dé-, truit que par fa préfence , arriva dans le moment que défefpérées de leur fort, elles étoient toutes les deux réfolues d fe laiifer mourir. Un féjourfi trifte ik fa beauté de celle qui J'occupoit, touchèrent vivement cette grande princefle, laquelle voulant finix leurs maux promptement , s'approcha  détrtjite. 2,57 Vapprocha du tombeau oü étoit Yphydamante \ elle leva le voile qui le couvroit, & il en fottit dans 1'inftant même. L'étonnement oü Mélicerte Sc Elize avoient été en voyant la princefle, redoubla quand elles virent Yphidamante vivant. Mélicerte , fans regarder celle qui favoit retiré du féjour des morts , courut embralfer ce cher objet de fa tendrefle : Elize en fit autant a Philonice, & ce ne fut qu'après un rrès-long-tems que, honteufes de leur faute, elles vinrènt en demander pardon a leur aimable bienfaictrice. Elle leur pardonna aifément ; mais n'étant jamais laffe de faire du bien , elle demanda a la fée Serpente, s'il n'y avoit plus de malheureux qüi euffent befoin de fon fecours ? Tout fe reflent de vorre préfence divine, reprit la fée, 8c les malheureux ne peuvent 1'être oü vous portez vos pas: vous devez êtré conrente de tout le bien que vous avez fait aujourd'hui ; toutes ces illuftres perfonnes n'oublieront pas ce moment fortuné. Allons donc goüter le repos que nous avons donné aux autres , dit la princelfe; fortons tous d'un lieu fi trifte , je ne crois pas que Mélicerte le veuille occuper plus long-tems. ' En difant cela , elle fortit en effet de 1'anrre affreux , Ê T R Ü I t E. 275 avoit fait foulever les peuples , qui ayant furpris les o-arnifons de Thomiris , les avoient taillés en pièces , & qu'ils avoient remis leur roi fur le trone ; qu'il fe préparoit a venir tirer vengeance des Scythes , accompagné de la fée Amazone. II n'écoit pas befoin de ce dernier coup de malheur , pour accabler Thomiris; cependant ne fachant plus quel patti prendre, pour fe tirer du labyrinthe oü elle étoit tombée , elle prit la réfolution d'avoir recours a une fée trèspuiifanre , qui avoit fon palais dans une forêt voifine de 1'Araxe , & qui éroit du nombre de celles qui avoient comblé la princefle Agatie de dons. La fée la recut avec tendrefle ; mais elle lui dit qu'elle ne pouvoit finir les malheurs oü la ven^eance fanglante qu'elle avoit voulu prendre du roi des Ifdones l'avoit plongée : que la fée Amazone avoit juré fa perte ; que le monftte alréré du fang royal, demandoit fa fille ; que c'éroit a elle a facrifier fon fang , pour conferver le refte de fes malheureux fujets : qu'elle ne prévoyoit de fin a fes maux , que par fon plus grand ennemi. Une fi trifte réponfe , mit la reine dans Ie dernier défefpoir; elle ne pouvoit le cacher , toute la cout qui l'avoit fuivie en étoit témoin, elle ne doutoit point que ce peuple cruel ne S %  La Tyrannie des Fées la contraignit de livrer Agatie au monftre , plucöt que de fe voir périr. £IIe retourna aux rentes royales , dans une confternation que rien ne pouvoit égaler. Toute la cour étoit dans le mème état. Agatie étoir fi généralement aimée , qu'on regardoit fa mort comme le plus graad des maux. Cette princefle ignoroit fon fort j elle n'avoit point fuivi Thomiris chez la fée , & venant au - devant d'elle, elle lui demanda avec empreflement , fi l'on pouvoit efpérer un remède au malheur public ? Ah , ma chère fille ! lui dir - elle, en I'embraflant avec un rorrent de larmes , que nos maux dureut éternellement plutöt que de les voir finir par vorre morr ! Fa princefle frémit au difcours de la reine , & fans ofer lui demander une plus grande explicarion , elle attendit fon arrêt. Thomiris fe repentit de ce que fa douleur lui avoit fait dire ; mais voyant qu'elle ne pouvoit plus le lui cacher , elle lui apprit ce que la fée lui avoit prédir, en lui jurant que toute la Scythie entière périroit, s'il falloit un fang fi précieux pour la fauver. Je ne mérite pas de fi tendres marqués de vorre bonté, madame, lui dit la belle princefle, après avoir efliiyé quelques larmes qu'un fort fi affreus arrachoit de fes beaux yeux ; fi les dieux veulent ma vie pour garantie vos fujets de la dent  D É T R V ï T 1. 177 meurtrière du dragon , je la donnerai fans nul mirre regret, que celui de vous quitter. Non , ma fille , s 'écria la reine ; c'eft en vain que les dieux cruels me demandenr votre vie ; je faurai garantir une tête fi chère. Ce feroit bien, inutilement, reprit la princefle , que vous voudriez m'arracher a leurs ordres ; ils m'en puniroient fans que ma mort füt utile a vos malheureux fujets : ainfi , madame , ne me rendez point plus ctiminelle que le dragon monftrueux. Depuis que la fée vous a annoncé leurs volontés, jufquau moment de ma mort, je fe» rai conpable de tous les meurtres qu'il fera. Tout le monde admiroit la conftance d'Agatie dans une fi grande jeunefle ; & de fi nobles fentimens, redoublant la rendrefle de lareine , elle lui défendit fi abfolument de panler davantagej qu'elle n'ofa plus le faire. Cependant la fureur du monftre redoubloit; il fembloit venir demander rous les jours, fa victime, par les meurtres qu'il faifoit a toute-. heute autour des rentes royales. Tout le peuple demandoit a haurs cris • qu'on le délivrat d'un fi cruel ennemi, & menacoit de prendrela princefle de force , fi. la reine ne vouloit pasla livrer au monftre ; puifqu'il n'y avoit point. d'autre moyeu de. les tirer d'un jpug fi affreux.Agatie fe jcita aux.. piés dg^ la», reine , pour. la, S 5  2.78 La Tyrannie de s Fées prier de fe rendre a de fi prelFantes néceffités , lui repréfentant combien il feroit honteux qu'une princefle fe fït trainer au fupplice. Elle obtint enfin que le lendemain on la livteroit au monftre ,. & fe retiraut dans fa tente , elle y pafla la nuit d fe préparer a ce cruel facrifice. Le peuple ne fut pas plutót la réfolution de la reine, qu'il fe calma • & comme fi Ie monftre eüt commencé de fe repatee d'un fi beau fang, il fe retira dans fa retraite fans faire de mal a petfonne. Le jour ne parut pas plurót , que la princefle fortit des rentes royales , conduite par la reine toute en pleurs. Toute la cour admiroir la force de cette jeune perfonne. Jamais elle n'avoit paru fi belle ; il falloit être aufli cruel que le monftre , pour n'être pas touché de fon fort. Elles afrivèfent au lieu fatil; la reine penfa mourir de douleur , quand elle vit le monftre s'approcher. La princefle Ie voyant, embrafla Thomiris pour la dernière fois , & s'arrachanr de fes bras , elle s'avanca au - devant de lui; mais les dieux protedFeurs de 1'innocence, lui envoyètent du fecours. Le même berger qui l'avoit déja fauvée de 1'ardeur de fon cheval , vint encore pour la tirer d'un fi grand danger , ou pour perdre une vie qu'il trouvoit infupportable faas elle. II parut au - devant d'elle, comme  • dÉtruite. 279 le monftre alloit la dévorer ; & le frappant du fer de fa houlette, il fut fi bien trouver 1'endroit mortel , qu'il le fir tombet noyé dans fon fang. Quelle joie pout la reine, quand elle vit cette chère fille délivrée d'un fi grand danger! Elle courut ï elle les btas ouverts , & fe tournant vers ce beau berger : Quel démon favorable a eet empire , lui dit elle , vous envoie a mon fecours ! Et quelle honte a mes infidèles fujets, qu'un étranger vienne tirer leur princefie du fupplice ou ils 1'avoienr condamnée ! Ah ï madame , lui dit Agatie, en reconnoiffant le berger , ce n'eft pas la première fois qu'il me rend la vie , c'eft déja la feconde; c'eft lui que vous fites chercher avec tant de foin; fans doute , c'eft quelque dieu : un homme mortel ne peut faite ce que nous venons de voir. C'eft porter trop haut, madame , lui dit le berger, une action qui ne mérite pas tant de louange ; je loue le Ciel , qui malgré tous mes malheurs , m'a confervé jufqu'a ;e jour , puifque je puis vous être utile. Ah ! je n'oublierai jamais un fi grand fervice , reprit Thomiris; & fi c'eft la fortune qui vous manque pour être heureux, je vous mettrai en un rang oü vous n'aurez pas fujet de vous en plaindre. Après cela, la reine reprit le chemin des S 4  'zSo La Tyrannie des Fées tentes. L'on n'entendoit par-tout retentir q„e des cris de joie ; chacun s'empre/Toit de voir le berger miraculeux. Ce peuple fi courageux , qui n'avoit pu vaincre le monftre, vouloit pour fauver fa gloire, que le berger füt le démon tutelaire du royaume. Dans cette penfée, on lui rendoit des refpects peu différens de ceux que l'on rendoir a Ja reine. L'armée que Ie roi des Ifdones levoit par-tout fur fes terres, 8c le fecours de la fée Amazone , ne les épouvantoient plus ; tous les généraux prièrent Thomiris de lui donner Ie commandement des tronpes • elle n'y étoit que trop difpofée. VoiI4 donc notre berger devenu général d'armée; il affura la reine qu'il facrifieroit fa vie , pour fe bien acquitter de 1'honneur qu'elle & toute Ia Scythie lui faifoit. Si la princefTe reffentoit de la joie de voir que l'on combloir fon bienfaicteur de biens , elle avoit quelques chagrins de fentir que fa reconnoiffance alloit plus loin qu'elle ne vouloit; la baffefle de fa naiflance lui faifoit défapprouver les fenrimens qu'elle avoit pour lui ; quelquefois pour flater fa douleur, elle fe difoit , qu'il n'étoit pas naturel que le jeune homme füt ce qu'il paroiflbit être ; une chofe la confirmoit dans cette penfée , c'eft qu'elle s'étoit appercue qu'il  E> É T R V I T E.' 281 avoit un fceptre fur la main : elle ne pouvoit croire que les dieux euffent donné cette marqué royale a un homme d'un rang li bas. • Cependant , la reine qui vouloit le combler de biens , lui fit faire un train tout pareil au lien j & lui envoyant des habits femblables i ceux que les princes porrent , elle lui ordonna de s'en fervir dorénavant. Qu'il étoit beau dans eet ajuftemenr magnifique ! Cela lui paroiffoit fi naturel , qu'on ne pouvoir croire qu'il ne les eüt pas portés toute fa vie. Les fervices fignalés qu'il avoit rendus a Agatie , lui rendoient 1'entrée de fa tente libre a toutes les heures oü elle étoit vifible ; il favoit li bien en profiter , qu'il ne la quittoit plus; fes yeux , quelque contrainte qu'il fe fit , ne parloient que trop de la violente pallïon qu'il fentoit pour elle , depuis le fatal moment qu'il l'avoit vue fur les bords de 1'Araxe : il étoit confumé d'un li beau feu , que s'il ne l'avoit pas fuivie dans 1'inftant , une puilfance furnaturelle 1'en avoit empêché. La jeune princelfe prenoit affez d'intérét au beau berger, que nous nommerons dorénavant Agatrice, nom que la reine lui ordonna de porter, pour s'appercevoir de ce qu'elle lui faifoit fouffrir ; mais fe fouvenant toujours qu'il n'étoit pas prince , elle cachoit fi bien fes fenti-  * 8 2 La Tyrannie des Fées mens , que ce malheureux amant ne croyoit pas être entendu. II favoit bien qu'il étoit né de condition égale a elle , quoiqu'il ignorat le nom de ceux qui lui avoient donné la naufance. Cette connoifFance lui donnoit la hardielFe d'aimer la princefle : mais ne pouvanr lui en donner des preuves , & craignant de pafler pour téméraire , il fe contentoit de foupirer en fecret; cette contrainre le mettoir dans un chagrin morrel. La reine qui 1'aimoit avec paflion, lui en demandoit fouvent la caufe ; fi Agatie lui eüt fait la même demande , je ne fai s'il eüt pu fe refufer le plaifir de la lui apprendre. Cependant, Thomiris recevoit tous les jours des nouvelles , que le roi des Ifdones étoit prêt de fe mettre en campagne. Elle voulut le prévenir ; elle donna les ordres néceflaires pour que 1'armée fut prête a marcher dans peu de Jours. Les Scythes honteux d'avoir contrahit leur princefie a fe livrer a un monftre cruel, vouIurenr par de belles acFions , réparer leur barbarie dans cette guerre , & que cette infamie fut lavée dans le fang de leurs ennemis. Agatrice artendoit avec impatience les occafions de faire voir a la princefle , qu'il n'étoit pas indigne de 1'honneur que les Scythes lui avoient fait. Ce n'eft pas que la crainre de mourir dans cerre guerre fans qu'elle füt fes fentimens, ne lui re-  DÉTRUITE. 285 doublat fa mélancolie ; mais le jour deftiné pour le départ étant arrivé, Thomiris dit adieu a la princefie. Agatrice ne put prendre congé d'elle qu'en préfence de toute la cour ; enfin il fallut fuivre la reine , &c le plaifir de fe voir a la tête d'une armée, compofée de fi braves gens , lui fit en quelque facon oubliet la palfion qu'il avoit pour Agatie. Après quelques jours de marche , ils arrivérent dans une gtande plaine , d'ou ils découvroient 1'armée du roi des Ifdones. Le deffein de la reine étoit de donner bataille le plutöt qu'elle pourroit , ayant appris par des efpions qu'elle avoit dans le camp ennemi , que le roi attendoit un renfort de dix mille hommes , qui ne devoit arriver que dans deux jours , ce qui 1'obligea, quoique fes troupes fuffent fatiguées , a vouloir combattte le lendemain. Elle donna fes detniers ordres; & dès que le jour parur, Agatrice fit mettre 1'armée en bataille, &c marcha droit aux ennemis. Ils ne refufèrent pas le combat, quoiqu'il fuffent plus foibles j la fée Amazone leur difant que cette journée décideroit de la guerre. Agatrice y fit des chofes futnaturelles ; la reine ne pouvoit affez iouer le Ciel de lui avoir envoyé eet homme miraculeux. Seul, il s'oppofoit au prodigieux courage de 1'Amazone. li avoir prefque défait toute 1'armée  i*4 La Tyrannie dis F ê e s enne.nie 5 il étoit prés d'immoler a la vengeancè de la reine, le malheureux roi des Ifdones, quand la fée lui retenant le bras : Arrète, jeune téméfaire, hu cna-t-elle; veux-tu faire périr un prince qm t'a donné ia vie ? Agatrice s'arrêta a un difcours fi furprenant; & k reine, qui n'étoit paséloignée de lui, s'approcha & fit figne a- ceux qui combattoient dans eet endroit, de fufpendre leur victoire pour un moment. Cruelle fée! lui dit-elle, n etes-vouspas contente de tous les maux que voul m'avez faits, fans vouloir encore, par une chofefi éloignée de la vérité, retenir le bras vicForieux de mon défenfeur ? Trop vindicative princelfe, lui dit Ia fée, les maux que tu as fourferts doivent t'apprendre que les dieux défapprouvent ta vengeancè; mais loin de ten punir, je veux te rendre heureufe, fans que rien puilfe troubler le refte de tes jours. Sache, Thomiris, que ce prince. eft véritablement fils du roi des Ifdones , que jè laiélevé avec foin, dans le delfein de faire uné union érernelie entre les Ifdones & les Srythes; qui vivent fous ta puilfance, par le mariage.d'A* gatie & de lui. Voyez, fage toi, dit-elle, en fe tournantvers le prince, la marqué royale que les dieux lui ont donnée, & recevez ce préfent glcrneitx de ma main. Le roi , revenu du p*£ mier étonnement que le difcours de la fée lui avoit caufé, tegardacette marqué extraordinairey  DBTRUITE. iSj & reconnoiflant le prince fon fils, fe jeta a fon cou avec tendrefle. Ah ! mon cher Agatrice , lui dit-il, quel démon eunemi vous fair combattre pour m'ótet la vie ? Seigneur, lui dit le prince, en fe jetant a fes piés , Pignorance ou j'écois de ma naiflance peut fervir d'excufe a mon crime. De vous dirè tout ce que la reine fouffroit dans une avenrure fi furprenante, c'eft ce qui ne fe peut exprimer ; il lui prit envie mille fois de petcer de ion épée le roi des Ifdones , dans le tems qu'il embrafibit le prince; mais la rendrefle qu'elle avoit pour le fils, lui retint le bras. Dans cette incertkude , Agatrice fe tournant de fon cêté : madame, lui dit-il, a quelle extrémité me réduirez-vous , fi vous ne vous laifiez fléchk par un fpectacle fi nouveau ? puis-je combattre un roi malheureux, qui m'a donné le jour? puis-je être dans le parti de vos ennemis après Thonneur que vous m'avez fair , Sc le violent amout que j'ai pour Ja princefle Agatie ? Non , madame, fi vous ne m'accordez la grace que je yoiis demaude , je me percerai le cceur de cette même épée , qui a penfé faire perdre la vie au roi mon père. Vous avez vaincu , trop généreux prince, s'écria Thomiris, en lui tendant la main pour le relever, je ne puis être ennemie du  28 le donnant a fa femme pour le nourrfr, lui recommanda den avoir foin. Je neus pas'befoin, dit la fée, de prières pour qu'ils m'accordafi/entjee que je leur demandois, 1'exrrême beauté de ce prince les prévint d'une amitié fi forte ; que je fus en repos. Je laiflai palfer quelques années fans revoir mon nourrirfon , & il pouvoir avoir quinze ans, quand je fus le revoir. Je fus charmés de le trouver fi bien fair, & de lui connoïtre tous les feminiens d'un grand pnnce fous eer habit de berger. Ce fut environ dans ce tems, madame, dit-elle a Thomiris , que vous emmenates le roi des Ifdones prifonnier & toute fa familie : la princelfe Ménalipe devint chère d Agatie , tous leurs plaifirs étoient, comme  d £ t r u i t' e. 289 comme vous favez , d'aller s'exercer a monter a cheval fur les bords de 1'Araxe j vous n'avez pas oublié que fans mon berger, la princelfe • étoit perdue y mais vous ne favez pas que ce prince fut frappé comme d'un coup de foudre , de la beauté d'Agatie. II écouta tous les remercimens qu'on lui fit des fervices qu'il venoit de rendre a toute la Scythie en la perfonne de la princefle , fans órer les yeux de defliis eer objet charmant. Quand elle partit il voulut la fuivre, 8c il faifoit déja quelques pas pour cela; mais il fe fenrir tranfporrer en l'air , ou après avoir rraverfé des rivières & des montagnes, on le defcendit dans un palais magnifique. Tout ce qu'il vit de beau 8c de furprenant, ne le confola point de n'avoir pas fuivi fa princefle , quoique dans la condition oü il croyoir être né, il suf bien qu'il ne lui feroit jamais permis de lui découvrir ce qu'il fentoit pour elle. Ilvécut ainfi pendant la prifon du roi fon père, & jufqu'au momenr qu'Agatie fut expofée au monftre cruel; mais mon deflein étant de vous le rendre cher, madame , pour pouvoir faire une paix fplide entre deux royaumes que j'aimois , je le fus trouver. Généreux berger, lui dis-je , la belle Agatie va être la proie du dragon affreux , fes cruels fujets Fy contraignenr, courez la délivrer, 8c ne craignez point qu'il puifle éviter la Tome V. T  mort queje lui donnerai par votre main j enfin ne combattez pas en berger qui ne fait que fe ,garanur des loups, mais en grand pnnce, puifque Ie ciel vous a fait naitre tel. En difant ces mots , je hu ouvris les portes du palais , & lui fis voir Ja princefle prête A être engloutie; il courut A fon iecours fans me répondre : vous favez comme il Uia le monftre, les acclamations du peuple, votre joie, madame, & comme Agatie le reconmit pour le même berger qui l'avoit fecourue fur les bords de 1'Araxe. Je n'ai plus qu'A vous dire que la paflion qu'eUe lui avoit infpuée, dès la première fois qu'A l'avoit vue , s'augmenta avec tant de violence, qu'il en tomba dans une melancohe qui 1'auroit infailliblement fait mounr, fi 1'envie qu'il avoit de faire dans la ouerre des Ifdones des actions dignes de fa princefle, n eut foutenu fa vie. La fée finit ainfi fon difcours , & Jes deux reines la remercièrent de la peine qu'elle avoit prife, Vous ne fauriez me récompenfer , leur dit-elle , de vous avoir élevé un prince fi parfait, qu'en confentant que je le rende heureux. Quelque envie que Thomiris eüt que eet hymenée ne s accomplit qu'aux rentes royales , elle lui répondit qu'elle n'avoit qu'A commander ce qu'elle vouloit qu'on fit. La fée lui dit qu'elle auroit lom de tout, & qu'dle n'avoit ^ troiwer büft  BETRUIT E« *9* qu'on la vïnt prendre avec la belle Agatie, pour la conduire au lieu qu'elle feroit préparer. Après cela , la reine des Ifdones fe retira conduite par fon fils : pour Menalipe , elle demeura avec fa chère Agatie. Le lendemain au lever du fcleil, on entendit dans les deux camps une mufique guetriere , qui réveilla les princefles agréableroent; la fée Amazone fit prendre les armes a toutes les troupes, & ayant fait drelfer un autel magnifique dans le lieu de cette gtande plaine , elle y conduifit Thomiris & fon illuftre fille : elles y trouvèrent le roi Sc la reine des Ifdones. La fée ayanr pris la main du roi & de Thomiris, leur fit encore jurer une paix éternelle. Après cela le grand facrificareur acheva Phymenée ; ils retournèrent aux rentes de Thomiris, au bruit de mille inftrumens , & des cris d'allégrefle des deux armées; ils y trouvèrent un repas délicieux : 1'après-dinée , toute cette royale troupe eut tous les plaifirs qu'ils auroient pu fouhaiter dans la cour la plus tranquille; & le foir étant venu , la fée mena les deux charmans époux dans une tente toute brillante d'or Sc de pierreries : elle étoit éclairée de cent lampes de cryftal de roche ; & laiflant ces amans bienheureux, elle fut préparer pour le lendemain toutes les chofes nécelfaires pour le déparr. T x  *St La TYRAnnie D£s f,£s Ce „efut fam ^ cJ e r £^ dlUd°r & d« P-Ce ' fUr Me»aV . elle fuivie fon cher fe* ? * la fée les ayant fi* moncer fur d ente royales, oü après Jes avoir comblés de toi, les dons qui poiIvoient Jes rendre heureux, elle Iaiffa Agatnce paifïble poffer de fa chère ■Agatie.  détrvite. 293 L A PRINCESSE LÉONICE. NOUVEAU CONTÉ DE FÉE. Ïl y avoit autrefois un roi, qui étoit le modèle des autres rois , pour les grandes qualités qu'il poffédoit. II avoit perdu la reine fa femme trèsjeune , dont il avoit eu un prince , beau & bien fair: c'étoit toute fa confolation; aufli le méritoit-il bien , car jamais prince n'a eu plus de perfections. Comme le roi étoit déja avancé en age, il fongeoit a le marier. Les rois de ce royaume ne fouffrant point de fang étranger fur le rróne , il jeta les yeux fur une princelfe de fa cour , nommée Florinice, qui étoit fouveraine d'une province dépendante de lui : elle éroit belle , mais très-ambitieufe, jaloufe de tout ce qui approchoit d'elle. Elle avoit une fceur, dont la beauté furpalfoit de beaucoup la fienne y fon efprit doux & complaifant, la faifoit autant aimer que les airs impérieux de fa fceur la faifoient haïr. Le prince ne l'avoit pu voir fans en être tout T 5  i?4 La Tyrannie des Fèes ché : elle l'avoit charmé. II y avoit déja du tems qu'il fentoit un amour violent pour elle, auquel Léonice, c'éroit ainfi qu'on 1'appeloit, n'étoit point indifférente. Ils cachoient leur paffion avec foin; perfonne de la cour ne s'en étoit encore appercu , qu'une fille de Léonice, nommée Céphife, qui étoit chère a fa maitreffè. Ces deux jeunes cceurs goüroient dans leur tendrefle un bonheur d'autant plus parfait , qu'ils n'aVoient point été troublés jufqua cette heure. Mais le roi ayant formé le deflein que je viens de dire , envoya querir fon fils, pour h}i commander de fe difpofer a époufer Florinice. Jamais douleur ne fut égale a celle du prince. A eet ordre cruel, il répondit au roi qu'il le fupplioir de ne poinr fonger encore fi-töt a 1'étabhr ; qu'il avoir une averfion naturelle pour le mariage; que dans un age plus avancé,elle diminueroit peut-êtte ; mais Ie roi lui répondir que la beauté de la princefle lui feroir perdre cette avetfion fans fondemenr ; que les princes comme lui ne fuivoient pas leurs inclinarions ; & qu'enfin il fongear a lui obéir : qu'il en avoit déja parlé a Florinice , qui, étant puiflante dans Ie royaume par la grande province dont elle ctoir maittefle, pourroit caufer de grands rroubles , s'il n'exécutoit pas ce qu'il lui avoit promis. Toutes ces raifons n'étoient point du gout du  D É T R U I T E. Xf) prince, 1'amour qu'il avoit pour Léonice lui rendoit le mariage de fa fceur un fupplice affreux ; mais n'ofant irriter le roi par un refus obftinc , il fe contenta de lui dire qu'il le fupplioit de lui accorder du tems pour fe difpofer a lui obcir. Le roi le lui accorda, a condition qu'il commenceroit dès ce foir même I s'attacher auprès de la princelfe , & après cela il congédia fon fils. II n'eut pas plutót quitté le roi fon père , que courant chez fa chère Léonice , il fut lui apprendre leur commun malheur. Quel coup de foudre pour la jeune princelfe ! elle en penfa mourir de douleur. Céphife éroit affez empêchée a les confoler rous les deux. Mais après bien des plaintes, des fouoirs, des larmes, & des proteftations de s'aimer toujours , ils réfolurent que le prince feroit femblant d'obcir k fon père , qu'il donneroit des foins a Florinice. II y avoit bal ce foirfi même au palais ; les deux princeffes s'y trouvèrenr parées de tout ce qu'il y avoit de plus magnifique. Le prince , pour commencer ce qu'ils avoienr réfolu , ne paria qu'a Florinice , qui fe croyant déja reine, le recut avec une fierré infupportable. Cela ne toucha guère le prince. Le roi qui les regardoit avec attention , le trouva très-mauvais, & le fit dire k Florini:e. Le lendemain toute k cout fut a la chaffe du T4  La Tvunnie d£s f,eg dames étoient a cheval, habillées en amazones Que Leonice f « « La cha/Te fut très-agtéable pour les dames ; Ie va 'dl IOngtemS' ^ ^ de- vangeiles: ma -comme il faifoit chaud, Ia princefie fettouva altérée. Elle vit deux fontails , rrSr ^^^'r^^-^-ient é oie»f C0Ul01C Ie Ia route oü ils «oient elle savancapour étancher fa f0if, Je pnnce la fuivoit dans le même deflein ; & 'lu ayant anfe a defcendre de cheval, elle but de leaudehmedecesdeuxfontainesenquantitl Ie pnnce fit la même chofe; mais cene fut pa delam fans « fc ƒ Ciudfutlaveaudecesdeuxfontai„es5dontlC infpito1tdelamour&fautredeIahaine La prmceffe avoit bu des eaux de celle qui caufouIatendreffe;elIeenfentitleseffet,Dar e meme moment, fon cceur qui n avoit jamais «e touche que d ambition , fe trouva fenfible auneautte pafnon ; elle vit le prince avec d'au 2 S; T tfèS-heUreufe W * defliné : m s dans e tems quelle concevoit des fentimens ^endres3lepnncef€ncoirrecloi]bIerfahain eile avec tant de violence , qu'a peine put-al fe  D É T R U I T E. 297 contraindre a demenrer auprès d'elle; dans des penfées li différentes, ils retournèrent joindre la chaffe. Le prince n'étant plus maitre de lui-même, s'approcha de la chère Léonice , malgré tout ce qu'elle lui put dire, & ne la quitta point le refte du jour. La fiére Florinice ne remarquoir que trop les foins empreffés du prince. Dans ce moment cruel , mille chofes lui revinrent dans 1'efptit, auxquelles elle n'avoit point pris garde , qui la perfuadèrent qu'il y avoit du tems qu'ils s'aimoient. La jaloulie s'empara de fon cceur, avec a"Urant de violente que 1'amour; déchirée de fes deux paffions, elle fe rerira chez elle fi hors d'elle même, qu'elle ne fe connoiffoit plus. Léonice n'étoit pas plus tranquille ; elle connoiffoir bien que le prince 1'aimoit tendrement ; mais les ordres du roi lui faifoient peur ; de plus , elle craignoir 1'humeur impérieufe de fa fceur , elle trembloit qu'elle ne s'appercüt des fentimens de fon amanr. 11 n'avoir pas plus de repos ; 1'amour , la haine , la crainte de déplaire au roi fon père , le tourmentoient égalemenr. Jamais nuir ne fe paffa plus triftement pour ces trois perfonnes ; le jour ne fit qu'augmenter leurs maux. Florinice ayant réfolu de favoir s'il étoit vrai  i5>3 La Tyrannie des Fées que le prince füt amoureux de Léonice , fit dire qu'elle fe trouvoit mal, qu'elle ne vouloit voir perfonne. Ellen'eut pas donné ces ordres qu'elle fe leva ; elle favoit qu'il y avoit un cabinet qui donnoit de fon appartement dans k ruelle du lit de fa fceur qui étoit forr obfcure , qui ne fervoir qu'i ferrer les hardes que ia jeune princefle ne mettoit plus; elle fut s'y caclier , ne doutant point que le prince fachant que l'on ne la devoit point voir de tout le jour , ne profitat de ces bienheureux momens pour être avec Léonice , s'il étoit vrai qu'il 1'aimat. Elle ne fe trompa pas. Le prince ayant été chez elle , paffk dans 1'appartement de fa fceur, & 1'ayant trouvée feule avec Céphife , r\ fe mit afes genoux. Ma belle princefle, lui dit-il* j'aurai le plaifir de vous voir aujourd'hui fans conrrainrc, Florinice eft malade; l'on ma dir chez elle que l'on ne la voyoit point : quel plaifir pour moi ! continua - t - il après qu'elle 1 eut fait afieoir auprès d'elle , de pouvoir vous dire tout ce que j'ai fouffert depuis le moment fatal oü vous m'avez ordonné de ttomper mon père ! Je ne fuis plus maïtre de le faire , je hais trop Florinice, je vous aime avec trop de violence pour cacher mes fentimens. Oui , ma belle princefle , lui dit-il en fe rejetant a fes genoux, il faut que vous me petmettiez de dé-  D É T R U I T E. 2<)9 clsrer au roi 1'amour que j'ai pour vous, & de le fupplier de ne me point contraindre dans le choix que mon cceur a fait de vous. Hélas! reprit rriftement Léonice , eet éclat ne fervira qu'a nous rendre plus malheureux. Le roi, votre père , a fes raifons, comme vous le favez, pour préférer ma fceur : quelque rendrelfe qu'il aye pour vous, la politique 1'emportera dans fon cceur. De plus, je dépends de la fiére Florinice, par la mort du prince mon père, & de la princelfe ma mère; comment croyez-vous qu'elle recoive un pareil affronr ? Non , mon cher prince, conrinua Léonice , ne prenez point un fi mauvais parti, je vous en conjure , il ne ferviroir qu'a nous feparer pour toujours. Mais que voulez-vous donc que je faffe ? reprit le prince; faudra-t-il que j'époufe Florinice ? Je n'ai pas la force de vous le confeiller, dit encore la princelfe, conrinuez plutót de faire efpérer au roi que vous lui obéïrez , 8c tachez de vous contraindre auprès de ma fceur; mais furtour qu'elle ne puiffe deviner que vous m'aimez. A quoi toutes ces conttaintes aboutironr - elles , reprit le prince ? A nous donner du tems , répondit Léonice, c'eft tout ce que nous pouvons efpérer dans nos malheurs. La fiére Florinice écoutoit, avec un déplaifir mortel , une convetfation fi rendre; ne la pouvarit plus foutenir, elle fe retira dans fon appartement  3°o La Tyrannie des Fées de crainte de n'être pas maitrelFe delle-même. D-x lcjue ne dit-elle pas, quand elle fe vit en W>ertc de fe plaindre! Toutes les réfolurions les plus violentes , contre le prince & Léonice, lui paffoient par 1 efprit ; ie fer & Je poifon ^ trop doux póur les punir de Jeur perfidie, felon les fentnnens de fon cceur irnré. Une agitation h violente ia rendit effectivement malade; mais que,qUe befoin qu'elle eut d'être feule, elle ne fe fut Pas Pl"tót remife dans fon iit.qu'appelant fes iemmes, elle leur ordonna d'aller dire è ft faur de venir auprès d'elle. Un mouvemenr jaouxluifitfouhaiterde ia voir , p0Ur ne lui pas fel&r Je d'être avec le prince davantageli y etoit encore, quand la jeune princelfe recut eer ordre. Elle paifa auprès de Florinice en rrem-anr;elieluidit, en Pabordant, que Ie prmce ayant fu qu'elle étoit malade , étoit venu chez elk pour en favoir des nouvelles. Je lui fuis bien obligee oe fes foins , reprit la princelfe avec un ris dedaigneus; mais il fe fera confolé avec vous de mon mal & de mon abfence. Léonice rou.it alarcponfedefafoeur^ne lui «^pondic rien. Cela I mquièta le refte du jour; leur converfation fu tnfte. Le lendemain le prince vint voir Florimceavecle roi fon père, qui „>v mc menr. Le prince auroit bien voulu le fuivre en W;mais il n'ofa Ie faire : il demeura donc  d é t r u i t e. 301 feul avec elle; ce qui 1'interdit li fort, qu'il fus long-tems fans parler; mais la princelïe ne vollut pas perdré une li belle occafion. Voyant qu'il qu'il ne revenoit point de fa rêverie : Avouez la vérité, lui dit-elle, avec des yeux enflammés d'amour & de colère; votre cceur vous reproclie les momens que les ordres du roi yous forcenr de me donner ? la rrop heureufe Léonice vous occupe même jufqu'auprès de moi. A cenom de Léonice, le prince forti de fa rêverie: D'oüvient,madame, lui dit-il, que vous me faites ce reproclie ? ne fuisje pas alfez coupable d'avoir pu oublier un moment que j'étois auprès 'de vous, fans m'accufer d'aimer Léonice , fachant que le roi m'ordonne de m'attacher a vous ? Pouvez - vous me dire que vous n'aimez pas ma fceur , reprit Florinice, après la converfation que j'entendis hier? Oui, perfide, continua-t-elle avec un emportement dont elle n'étoit plus la maïtrefie , j'étois en lieu dont je ne perdis pas un mot de. toutes les proreftarions que vous lui fites de n'aimet jamais qu'elle; je fus témoin de tout ce que vous vous dites de tendte tous les deux; mais 1'ingrate Léonice ne rriomphera pas impunémenr de moi, je lui vendrai cher le plaifir de votre conquête; elle me répondra de tous les maux que 1'amout que j'ai pour vous me fait fouffrir; je la réduirai a maudire le jour qu'elle recut votre  }ot La Tyrannie des Fees cceur; & fi je ne puis me faire aimer, j'aurai ie plaifir de me venger fur ce qui vous eft plus cher que vous-même. Jufques-ld le prince avoit été fi furpris de fe voir découvert, qu'il n'avoit fu qUel parti pren, dre; mais voyanr qu'il étoit inutile de lui rien déguifer, il ne put fouffrir plus long-tems les menaces qu'elle faifoit d fa chère princefTe. De quoi vous plaignez-vous, madame, lui dit-il, fi j'aime Léonice ? étant maïtre de fon deftin , lemien me donne a votre aimable fceur. Quand le' roi m'a ordonné de vous aimer , mon cceur n'étoit plus A moi; je n'ofai le lui dire. Vous ne m'aimiez point avant eet ordre faral. Je fuis perfuadé encore, en ce moment, que c'eft Ia couronne, dans mon alliance , qui vous fait plaifir: que le roi vous la donne , j'y confens, & me laiffez mon aimable Léonice , nous ferons tous les trois contens. II falloit donc, reprit Florinice , me laiffer mon cceur pour faire ce partage ; mais dans les fentimens oü je fuis pour roi, la couronne fans toi, me feroit un préfent affreux : & quoi ! fuis-je fi peu aimable que ru me la cèdes plutot que de la vouloir partager avec moi? fais y réflexion, prince rrop charmanr; vois les malheurs que tu vas caufer dans ron royaume , fi tu continue A me méprifer ; profire d'un moment de tendrefle que je ne puis retenir; abandonne  DETRUITE. 30J Léonice ; donne toi a moi, & j'oublierai les maux que tu nf as caufés ; mais il eft tems de fe détetminer. Puifque j'ai tant fait , reprit le prince , de vous avouer 1'amour que j'ai pour votre fceur , vous devez comprendre que je ne changerai jamais de fenrimens pour elle ; routes vos menaces ne me font point de peur, &c vous pouvez fans que je palifte , me prendre pour but de votre vengeance. Je faurai te prendre par des endroits fi tendres , que je re la ferai fentir , lui dit - elle. Ah ! c'eft de ma princelfe que vous voulez parler , s'écria le prince ; mais Florinice, fongez-y bien auparavaut que de 1'entreprendre , je faurai faire retomber fur vous tout ce que vous ferez contre une tête fi chère. Va , va , lui dit-elle d'un ton méprifant, je ne te crains pas ; les maux que tu me fins fouffrir, m'ont appris a n'en plus craindre d'autres. Une converfation fi emportée , ne fe pur faire fans être entendue des femmes de Florinice Céphife qui étoit avec elles , 1'ayant entendue comme les autres, courut 1'apprendre a Léonice ; elle fut dans un chagrin mortel d'une fi trifte nouvelle-, c'étoit tout ce qu'elle appréhendoir au monde; elle connoiffbir que la princeffe étoit capable de tout , quand elle étoit offenfée ; dans cette appréhenfion , elle fortit dans le moment même , & ne voulant pas s'ex-  3°4 La Tyrannie des Fée s pofer aux violences de fa fceur, elle alla fe renrer dans un tempie de Veftales , qui étoit aupres du palais. La feule Céphife Py {mvu. ]es autres filles de la jeune princefie coururenr en avertir Florinice; elle étoit encore avec le prince} cela fufpendit leur colère i tous les deux s le prince demeura comme mort. Florinice ne favoit fi elle en étoit bien aife ou fichée ; car fi cela ötoit les moyens au prince de la voir fi fouvent, en même tems cela Pempêchoit de lm faire fouffrir tous les maux qu'elle lui préparoit; mais le prince emporté par fa paffion , la laiffa démêler fes fenrimens , & courut au tempie oü fa makreffe s'étoit enfermée. II demanda avec tant d mftance a ia voir , qUe Ia grande Veftale , craignant de fe faire une affaire avec un prince qui vraifemblablement devoit bientot être roi, conrraignit la trifte Léonice a venir lui parler en fa préfence. Dès que le prince la vit , Hé ! quoi ma princefie ! s'écriat-il, vous m'abandonnez donc aux fureurs de votre fceur ? Sont-ce lHes proteftations de m aimer toute votre vie ? & que penfez-vous que je devienne, fi je ne vous vois plus ? A quel deffein vous retirez-vous dans ces lieux facrés' Penfez-vous que je ne puiffe vous défendre contre la colère de Florinice ? Je connois votre amour & votre courage, reprit Léonice; mais prince 3  D Ë T R U I T E.' 305 prince , il ne feroit pas beau a moi de m'en fervir contre ma fceur , qui eft appuyée des ordres du roi votre père. Je vois le feu que ma malheureufe rendreffe va allumer; c'eft a moi a y mettte le remède néceffaire ; c'eft moi qui doit être facrifiée. Epoufez la fiére Florinice , pour mettre la paix dans vorre royaume , qu'elle veut remplir de troubles Sc de confufions; obéiffez a votre père , oubliez-moi fi vous pouvez, Sc me laiffez pafler le refte d'une vie qui ne fera pas longue, au fervice de la déeffe ; vous n'aurez qu'elle pour rivale : puifque je ne fuis pas née pour mon cher prince , jamais morrel ne touchera mon cceur. Non , ma princefle , reprit le prince défolé , vous ne m'aimez plus, puifque vous êtes capable de me donner de pareils confeils ; ne vous artendez pas que je puifle les fuivre , je n'adorerai jamais que vous. Que la furieufe Florinice ait la puiflance de fon cóté ; qu'elle mette le roi de fon partij ils ne feront jamais maïtres de mon ccEiir ni de ma main. Si vous ne me promerrez de vous conferver pour moi, d'être toujours mon aimable Léonice, je ne vous répons pas d'être maitre de mes emportemens. O, dieux! s'écria la trifte. princefle, en donnant un libre coursafes larmes qu'elle avoit retenties jufqu'a ce moment, qui Tome F. V  La Tyrannie bes FEES voyez mon innocence, fecourez-nous dans une fi grande mfortune ! ; La grande veftale , .qui jufqu'alors les avoit ecoutes, fe mêla de la convetfation, pour prier le prince de fonger a ce qu'il devoir au roi fon pere ; mais cela fut inutile; elle fut conrrainte de faire retirer Léonice fans avoir pu rien obtenir. Cependant Ie roi fur averti de tout ce grand défordre; il ordonna que Pon cherchat le prtnce & qu'on Ie lui amenar. On le trouva comme ii fortoit du tempie 5 on lui dit que le roi Ie demandoir. De ce pas il Ie fur trouver. Seigneur lui dit-il en fe jetant a fes piés, quand vous me commandites d'aimer Florinice, j'adorois fa fceur il y avoir long-tems ; Ia crainte de vous déplaire m'a fait cacher ma paflion ; Florinice s'en étant appetcue, fiére de votre autorité, il n'y a point de menaces qu'elle n'ait faites contre 1'aimable Léonice, qui, pour les évirer & VOus donner une preuve qu'elle n'étoit point coupable de ma défobéilfance, s'eft allée renfermer dans le tempie pour y pafler le refte de fes jours ; mais, feigneur, je ne puis vivre fans elle, mon amour redouble dans le moment que je m'en vois privé; jeyiens vous fupplier, fi vous voulez me conferver la vie , de la retirer d'un lieu fi fatal a mon repos, & de la défendre des fureurs  BETRUIT E. 307 de fa fceur. Je devrois , reprit le roi, vous punir de votre défobéilfance plus févéremenr que je ne vais faire ; mais , prince , vous pouvez encore mériter votre pardon, cc revoir Léonice en liberté. Ah ! feigneur, que faut-il que je falfe ? s'écria le prince avec précipitation ? Allez trouver la princelfe, jurez-lui que vous n'aimerez plus fa fceur, que vous êtes foumis a mes ordres , '8c foyez prêr a. lui donner la main dès demain; je vous réponds que Florinice redonnera fon amitié a fa fceur, & qu'elle n'aura rien a craindre auprès d'elle. Ah! fire, s'écria le prince encore une fois , fi la liberté de ma princelfe n'eft qu'a ce prix, je vois bien que je ne la verrai de mes jours ; je n epouferai jamais la déreftable Florinice ; 8c quoi qu'il puilfe arriver , j'aimerai toujours fon adorable fceur. Et bien, lui dit le roi d'un ton de colère , je 1'épouferai donc pour toi, je te déshériterai de ma couronne , fans que tu puilies jamais pour cela voir cette Léonice > qui te fait btaver mes ordres avec ranr d'infolence; je te donne jufqua demain pour y penfer, voila toute la grace que tu auras de moi. Après cela il congédia le prince, qui fe retira dans fon appartement dans un défefpoir qu'on ne peut exprimer; il y paifa la nuit dans des agitations aftreufes , & dès qu'il crut que l'on pon-* voit voit Florinice , il fut la trouver. Madame , V 2  3°S La Tyrannie des Fées lui dit-il entrant dans fa chambre , vous voyez un prince dont la vie ne dépend que de vous; le roi vent que je vous époufe , ou qu'il le fera lul-même pour tenir la parole qu'il vous a donnée de vous mettre fur le trónej il m'en privé pour toujours , en 1'alTuranr aux enfans qui nainont de vous & de lui j j'y confens de bon cceur, je vous verrai dans cette place fans chagrin, fi vous obtenez de mon père qu'il ne vous vange qu'A demi, Sc qu'il me falFe rendre ma princelfe : je confens même de ne la point époufer, pourvu que je la fache heureufe , Sc que je li puilfe voir quelquefois. ElFce rrop vous demander , madame , continua-t-il , pour une couronne , que quelques momens oü je puilfe dire. A Léonice que je lui facrifie ma gloire Sc ma vie ? O dieux ! reprit la princelfe irrirée , comment ai-je pu fouffrir fi long-tems un difcours fi ourrageant ? comment crois-tu , prince , ayant la tendrefle que j'ai pour toi, que je recoive Poffre que tu me fais de ta couronne ? ne te dis-je pas dès hier, qu'elle ne me pouvoit plaire fans toi ? la beauté de ma fceur t'aveugle-t elle jufqu'au point de croire que je puilfe fervir a re la faire rendre , moi qui voudrois au prix de mon fang , que tu ne la vifle jamais, Sc qu'oubliant fes permcieux charmes , tu me rendilfes le moindre des foins que tu as pour elle? tu veux que je te  betr uite. 309 la rende pour me faire voir le mépris que tu fais de moi en me cédant a ton père. Non , perfide , ne t'y attends pas ; puifque je ne puis rien gagner fur ron cceur par route ma tendrelfe , je vais m'abandonner a route ma fureur : j'accepterai la main du roi, mais ce fera a condition que je ferai toujours maïtrefle de ma fceur : Dieux! quel plaifir pour moi , de te faire partager les maux que tu me feras fouffrir, & me rendre ta Léonice fi malheureufe , qu'elle foir eontrainte de renoncer a la vie ! Ah! cruelle princelfe , interrompit le prince , vous me pouffez dans le dernier défefpoir ; mais vous me répondrez de la vie de votre fceur ; il n'y a poinr d'excrémirés ou je me porte, fi elle eft en dariger. En difanr cela , il fe levoic pour fortir, mais le roi qui entra dans ce moment, 1'arrèta. Demeurez , prince , lui dit-il, & ditesnous, a cette belle princefie & a moi, fi vous ctes prêt de lui rendre la juftice qui lui eft due ? Seigneur, lui dit-il, vous favez ce que je vous dis hier , je ne puis vivre fans Léonice, c'eft a vous a me donner la mort ou la vie. Va , lui répondir le roi en colère , ru te rends indigne, par ton obftination , que l'on en premie foin. Madame , continua le roi en fe tournant vers la princelfe, que puis-je faire pour réparer 1'aveuglement de mon fils , que de vous offrir V5  Jio La Tyrannie des Fées ma main cc ma couronne , & de vous promertre que votre foeur ne fortira jamais du tempte que par vos ordres ? Je fuis confufe des bontés de votre majefté, reprit Florinice & foumife a tout ce qu'il lui plaira de m'ordonner. Quel coup pour ce malheureux prince quand il entendit la réfolution de la vindicarive' Florinice ! mais il n'étoit pas en fon pouvoir de 1'empêcher; il fallut le fouffrir, & la voir femme de fon père dès le foir même , le roi „'ayant voulu nul préparatif pour ce mariage. Toute la cour en fut fachée ; ion connoiffoit 1'humeur de la princelfe, & l'on ne douta pas que le roi qui éroit déja vieux , ne fe Iaifsar gouverner par cette méchante femme; fur-tout on plaignoit le prince qui ne méritoit pas une fi mauvaife fortune. II voulut aller s'en confoler avec fa chère Léonice; mais la reine avoit donné des ordres fi abfolus, qu'on lui refufa ce plaifir, quelques prières qu'il fit pour cela. La pauvre princelfe étoit inconfoiable quand elle apprit le mariage de fa fceur; elle vir bien. que c'étoit pour avoir plus de pouvoir de les rourmenter qu'elle s'étoit réfolue d'époufer le roi, & qu'elle ne verroit jamais le prince. Quelles plaintes ne faifoit-elle point a fa chère Céphife de fon malheureux fort! Cette fille tachoit de la confoler • mais elle voyoit fi bien qu'elle avoit raifon, qu'elle  DÉTRUITE. fl ne pouvoit que pleurer avec elle. Cependant I nouvelle reine goütoit un plaifir bien melé de grin ; elle n'eut pas plutót époufé le roi, q comprit qu'il ne lui étoit plus permis de re le prince; elle fe repentir d'avoir mis elle-u une oppofition éternelle a ce qu'elle fouhaitoit 1 é plus au monde; fa vengeance retomboit fur elie avec plus de violence qu'elle ne s'éroit imaginée; & quelque efFort qu'elle fit pour trouver de la fatisfacVion d'avoir rendu malheureux les objers de fa haine & de fon amour, elle fe trouvoir encore plus malheureufe ; elle ne pouvoir même s'empêcher d'appréhender que le roi fe repenrant de i'injuftice qu'il avoit faite a fon fils, nelui permir enfin d'époufer Léonice pour le confoler de lui avoir donné une belle-mère. Elle ne fut pas plutótfrappée de cette penfée, qu'elle fongea a y remédier pendanr qu'elle étoit toute-puilfante fur 1'efprit de fon époux. II y avoit un prince, nommé Ligdamon, qui étoit amoureux de Léonice il y avoit long-tems , pour lequel la jeune princefie avoit une averfion morrelle, a caufe des mauvaifes qualités qu'elle lui connoiffoit, outre qu'il étoit ttès-laid & ton mal fait. Elle 1'envoya quérir, & elle lui dit que s'il vouloit enlever fa fceur , & 1'époufer , qu'elle lui en donneroit les moyens : qu'il ne craignït point Ia colère du prince , qu'elle lui donneroir main-forte V 4  $n La Tyrannie de s Fée s pour les conduire dans la province oü elle étoit maitreffe, oü il feroit maïtre abfolu. Ligdamon accepta des offres qui étoient fi conformes a fes fenrimens; il n'avoit pas la délicatelFe de vouloir être aime : poutvu qu'il poffédat Léonice, il ne luumportoit comment; & la reine étant contente de le trouver difpofé a lui obéir, le congédia en lui difant d'affembler par fous-main le plus de monde qu'il pourroit, & qu'il lui laifsat faire le refte. Pour réuffir dans fon defFein , il falloit tirer Ia princefTe du remple oü il n'étoit pas poffible de 1'enleverj pour cela, elle fut un jour trouver le roi , & fe jetant d fes piés , elle lui demanda grace pour fa fceur; elle le pria de vouloir fouffrir qu'elle füt auprès d'elle, lui répondant qu'elle Pempêcheroir bien d'avoir nul commerce avec le prince. Le roi, qui ne lui pouvoit rien refufcr & qui, depuis fon mariage, avoit concu pour elle une tendreffe très-forte, y confentit. La reine n'en eut pas plutót la permiffion , que cherchant le prince avec empreffemenr, i qui elle n'avoit pu parler depuis qu'elle étoit fi belle-mère, elle lui dit qiie fe repentant des maux qu'elle lui avoir caufés, elle lui vouloit rendre Léonice, qu'elle en avoit obtenu la permiffion du roi fon époux, qu'elle alloit la faire fortir du tempie. Le prince ne favoit ce qu'il devoit croire, & d'oü pouvoit  BETRUIT E. JIJ venir un fi grand changement. Elle s'appercut de fes irréfolutions, & le voulant perfuader de fa fincérité : Je vois bien, lui dit-elle , que vous ne mecroyez pas; mais,prince, foyez-entémoin, & venez me donner la main dans un lieu oü tout ce qui vous peut être cher eft renfermé. Ah ! madame, reprir le prince , en recevant la main qu'elle lui préfentoit; quelle grace ne vous rendrai-je point fi vous ne me ttompez pas? Ma vie eft trop peu pour ce qne vous faites aujourd'hui pour moi. Après cela ils allèrent au tempie , & la reine montrant les ordres du roi a la grande veftale, elle lui ordonna de faire fortir fa fceur. Elle lui répondit qu'elle étoit prête d'obéir au roi , fi la princefle vouloir le faire; mais que le temple étant un lieu de füreté qu'elle avoit choifi pour fe mettre fous la protection de la déefle, elle ne pouvoit la forcer de quitter 1'afyle qu'elle avoir choifi. La reine écouta ce difcours impatiemment, & fe tournant du cóté de la princefle ! Eh bien , Léonice , eft- ce que vous voulez demeurer ici le refte de votre vie ? ne voulez-vous pas obéir aux ordres du roi , qui a ordonné de vous mener au palais ? me haiflez-vous aflez pour aimer mieux une prifon que d'être auprès de moi ? parlez , puifqu'il fiuit votre confentement. Hé ! madame , lui dit le prince,  314 La Tyrannie des Féïs voyant qu'elle demeuroit incertaine de ce qu'elle -devoit faire , que tardez-vous a fortir d'un lieu fi contraire au repos du prince qui vous adore ? La reine toucliée des maux que je fouffre de votre abfence , a bien voulu fléchir le roi mon père; ferez-vous plus inexorable que lui ? Je ne doure point des bontés de la reine , reprit enfin Léonice ; mais , prince , quoique je fois difpofée a lui obéir ; je ne puis me réfoudre fans peine a quitter ce lieu facré. Après ce peu de mots, elle prit congé de la grande veftale, & de toutes fes aimables compagnes ; mais ce ne fut pas fans verfer des larmes , & elle fuivir la reine au palais , qui la préfenta au roi. II la recut affez froidement ■> mais toute la cout s'emprelfa de lui témoigner la joie qu'ils avoienr de fon retour : la reine 1'accabla de carefles ; quand elle fur dans fon appartement, elle lui jura qu'elle avoir oublié le pafle, qu'elle tacheroit de faire confenrir le roi a fon mariage avec le prince ; qu'en attendant, ils fe pouvoient voir avec toute liberté , pourvu que ce ne füt pas devant lui ; qu'elle vouloit réparer par tant de fetvices , le mal qu'elle leur avoir fait, & qu'ils fuflent coutrains de lui redonner leur amirié. Le prince ne favoit quel remercïment lui faire ; il croyoit que tout ce qu'elle difoit étoit  BETRUIT E. 315 fincère; mais la jeune princefle ne pouvoit fe le perfuader; elle etoit plus rerenue dans fa joie. La reine 1'ayant fait conduite dans un appartement magnifique qu'elle lui avoit fait préparer , elle dit au prince qui la fuivoit , la défiance qu'elle avoit des carefles de Florinice \ le prince ne pouvant approuver cette méfiance de la princelfe , étoit dans des tranfports de plaifir in* concevables , de revoir fa chère Léonice; rout ce que 1'amour le plus tendre infpire de plus fort étoit dans ces deux cceurs ; mais la princefle n'y répondoit qu'avec des larmes. Quoi que le prince lui pür dire pour la remettre de fes appréhenfions, il ne la perfuada pas que la reine n'eüt quelque deffein caché dans ce qu'elle faifoit , & qu'elle ne leur vendït bien cher le plaifir qu'elle leur donnoir; elle ne fe rrompa pas aufli. Cette méchante femme ne fut pas retirée dans fon cabinet , qu'elle envoya querir Ligdamon , pour 1'avertir de fe tenir pret pour la nuit fuivante. Sa rage ne pur attendre plus long-tems a fe fatisfaire; la vue de 1'amour du prince pour cette innocente vicFime de fa fareur , avoit redoublé fon amour & fa jaloufie ; elle ne put foutenir les momens qu'ils paffoient enfemble , & quoique par politique elle eut réfolu de laifler pafler quelques jours, elle changea de deflein ; elle ordonna routes chofes avec  5^ La Tyrannie des Fées ce miniftre de fa haine , pour que ]a chofe ne manquat point, & lui donna des ordres pour etre foutenu dans toutes les places oü il pafTe- roit Après cela il prit congé d'elle , & fut pofier fes gens prêts a exccuter leur deffein dès que tout le monde feroit retiré au palais. La reine avoit donné expres i la princefTe un appartement éloigné du fien qui donnoit fur les jardins, afin que par une porte du pare qu elle fit tenir ouverte, on put Fenlever fans bruit. Toutes chofes étant fi bien préparées , la reine parut pleine de joie route la foirée ; elle dit mille douceurs a fa fceur , & Fheure de fe retirer étant venue, elle 1'embraffa pour lui donner le bon foir. Le prince qui ne la pouvoit quitter, voulut hu donner la main ; mais elle le pria de la laiffer aller de peur que le roi ne s'appercüt de fes foins empreflés. 11 la IaifTa donc aller malgré lui ; mais ne pouvant fe réfoudre de fe coucher fans avoir trouvé le moment de la voir fans rémoins, il crut que quand elle feroir feule dans fon appartement, il pourroit rentrer fans .qu'elle le trouvat mauvais. Dans ce deffein il fut fe promener dans les jardins , & fe mnz cians un cabinet de verdure qui donnoit fous fes fenêfes, il y attendoit avec impatience qu'il n'y eüt plus que Céphife auprès de la princefTe.  DETRUITE. 317 Ligdamon, après avoir placé ion monde , vinr prefque au même endroit que le prince, pour exécuter fon pernicieux deflein, 8c voyant fort peu de lumière dans le palais , 8c fachant qu'il n'avoit rien a craindre des gardes de Léonice , il crut qu'il éroit tems. Pour cela il fit figne a fes gens d'avancer ; a ce même fignal les portes de la princelfe s'ouvrirent. Ligdamon entra avec une parrie de fon monde , auparavanr que le prince s'en füt appercu , paree que la nuit étoit fort obfeure , & ce ne fut que les cris de la princefle & de Ccphife qui le retirèrent de fa rêverie : il courut a cette voix fi chère , comme Ligclamon la vouloit forcer de le fuivre. A cette vue il devint comme un lion furieux , & tirant fon épée : arrête, infame, s'écria-r-il ,fi tu ne veux de ta mott payer ton infolence. Ligdamon tourna la tête, & palit de frayeur , croyanr être découvert ; mais ne voyant que le prince feul, il ne daigne pas lui répondre , 8c faifant figne a fes gens d'empêcher le prince de Kapprocher , il voulut prendre la princefle ; mais le prince ayant pafle fon épée dans le corps de celui qui s'étoit avancé le premier, le renverfa mort par terre, fauta légèrement par deffus, & .criant ace perfide de fe défendre, il lui donna un  *i8 La Tyrannie des Fées coup dans le bras dont il tenoit Léonice & 1- hi fir quitter. ! Cependant les cris des fillês de Ia princefTe reveillerenr tout le monde dans le palais j des gardes , qui n'étoient point de la confidence accoururent pour voir ce qui fe paffoir , & fê nngèrenr auprès de leur prince dans le tems qu'il alloit être accablé par le grand nombre d'hommes qui étoient a la tête de Ligdamon, qui voulut fe lauver dès qu'il les vit venir ; mais Ie prince lui porta un coup fi furieux, qu'il le fir tomber mort fur le plancher. La pauvre princelfe, pendant tout ce défordre étoit dans un état pitoyable : elle imploroit ié ciel pour fecourir fon cher prince, qu'elle voyoit pret a tous momens d'être immolé. Sa joie fut grande, quand elle vit les gardes arriver, & Ligdamon tomber noyé dans fon fang. Dès que fes gens le virent morr, ils s'enfuirent avec tanr de vitelfe, que dans le trouble ou l'on éroir on ue courur après eux que quand ils ne furent plus en etat de rien craindre. Cependant la reine fut tranfportée de douleur de iavoir que fon Coup avoit manqué , & que fon dellein n'avoit fervi qu'a rendre fa fceur d fon amant. Cette penfée la défefpéroit, mais ne voulant pas qUe l'on connfit fes mauvaifes inten-  BETRUIT E. 319 dons, elle fe Ieva , & paifa dans 1'appartement de Léonice avec tous fes gardes, pour lui donner un fecours qu'elle favoit lui être inutile. Elle ttouva la princefle a demi-morte de frayeur, fa chambre remplie de fang & de corps morts , le prince a genoux devant elle , qui tenant une de fes belles mains , tachoit de la remettre de fa peur. Quel fpedacle pour elle ! elle en penfa mourir de rage; mais fe conttaignant, elle vor> loit dire a fa fceur qu'elle éroit fachée de eet accident , quand le prince 1'inrerrompanr, lui fit connoitre qu'il ne favoir que trop que c'étoit 1'ouvrage de fes mains , & que dorénavanr il ferviroit de garde a. la princefle pour la garantir de fes mauvais defleins. La reine s'en défendit avec aigteur, & ayant dit a la princefle qu'elle ne devoit pas demeurer dans un lieu li plein d'horreur , elle lui ordonna de la fuivre. Le jour parut dans tout ce défordre , 8c le prince fur fe plaindre au roi de 1'infulre que l'on avoit faite a la princefle 8c lui dit que la reine en éroit complice. Le roi ne 1'écouta pas fur le chapirre de la reine, mais il lui promit de donner de fi bons gardes a Léonice , qu'elle ne feroit plus expofée a un pareil malheur. Tour cela ne rafluroit point le prince; il alla retrouver la princefle, 8c lui jura qu'il ne la quittetoit plus.  3 zo La Tyrannie des Fées Ses précautions furent inutiles; la reine voyant que tout fon pouvoir ne pouvoir féparer ces deux cceurs , s'adrelfa a une fée qu'elle favoit être ennemie de la familie royale, pour quelques déplaifirs qu'elle en avoit recus , & lui dit qu'elle venoit implorer fon fecours contre le prince fon beau-nls, & fa perfide fceur, & qu'en la vengeant , elle fatisferoit fa haine particuliere. La fée ravie de trouver cette occafion , dit a la reine que , pourvu qu'elle conduisit la princelfe dans les jardins du palais , elle n'avoir que faire de s'inquiérer du refte. La reine s'en retourna tréscontente , efpérant d'être délivrée de fa rivale pour toujours. Pour ce deffein , elle fut le foir fe promener dans les jardins, peu accompagnée ; elle mena fa fceur avec elle. Le prince, qui ne la quittoit plus , les fuivit malgré la reine, a qui il fut contraint de donner la main : la princelfe marchoit après eux , appuyée fur les bras de Céphife quand elle fe fentit enlever en l'air, fans qu'elle vit ceux qui 1'enlevoient : elle fit un cri fi efhoyable, qu'il fit arrêter le prince ; il quitta la main de la reine pour courir au fecours de fa princeffe, mais il ne trouva que Céphife; il 1'entendoit toujours , & Ia fuivant a la voix , il s'éloigna en peu de tems du palais ; mais quelque effort qu'il fit pout arriver oü il enrendoit fa voix , il ne put y atteindre ; elle fe perdir en l'air ,  DHTRUITE. 3 21 1'air, 8c il demeura comme mort de laffitude & de défefpoir. Cependant la pauvte princefle fut tranfportée pat la fée dans un vieux chateau, bati fur la pointe d'un rocher fi efcarpé , que nul mortel n'y avoit jamais monté, & 1'ayant mife a la garde d'un dragon qui avoit trois langues de feu, elle revint auprès du prince défolé, oüprenantla figure d'une femme déja agée : Que fais-tu, malheureux Prince ? tu te repofes pendant que l'on t'enlève ta princefle ? Hélas ! reprit le prince , en faifant effort pour parler , je 1'ai fuivie rant que j'ai entendu fa voix ; mais les dieux cruels n'onr pas voulu que je 1'entendifle davantage , de peur que je ne la leur arrachafle des mains. Viens , lui dit-elle en le frappant de fa baguette : je te veux mener a 1'endroit ou elle eft. II la fuivit avec une légèreté pareille a celle d'un oifeau ; ils arrivèrent bientot au pié du rocher , & la fée , lui monttant le chateau : Voila le lieu oü eft ta princefle, je vais te la faire voir, pour que ru n'en doures pas ; tirela d'un lieu fi affreux fi tu peux. En.difant cela, elle laifla le prince accablé de douleur , & entrant dans le chateau , elle prit Léonice par la main , la conduifit fur la pointe du rocher. Vois que je fuis véritable , lui dit-elle , en lui montrant de la main la princefle ; öte - la de mon pouvoit fi cela t'eft pof Tornt F. X  3ü La T yrannie des Fées fible. Et fans leur donner le tems de fe parler ni 1'un ni 1'autre, elle la fit rentrer dans cette 4horrible prifon. . Le prince refta dans une conlternation cruelle, quand il vit rentrer fa chère Léonice. L'impolïibiliré de la retirer d'un lieu fi affreux , le défefpéroit; il tacha vainement de monter fur le rocher, il reromboit dès qu'il avoit fait un pas; il vouloit retourner au palais querir du monde , pour tacher de tailler un chémin dans le roe, mais craignant de ne plus retrouver-la fa princelfe , il ne put fe réfoudre d'en partir. Dans ces irréfolutions , il paifa la nuit a fe plaindre fans efpérance que le jour le rendit plus heureux; d'autre coté , la reine étoit très-fatisfaite d'être délivrée de fa fceur; mais elle ne 1'étoit pas de ne point revoir le prince: & le roi étant inquiet de fon fils, envoya des gens pat-tout après lui; mais cefutinutilementjon ne le trouva point, quelque peine qu'ils fe donnafient. Cela redoubla fon chagrin; il s'en prit a la reine, & lui paria avec aigreur : il fe repentit, mais trop tard, des maux qu'il avoir faits a fon fils : il n'avoir plus que de 1'averfion pour elle; cela ne 1'inquiéta pas beaucoup : elle avoit, par fes brigues, une parrie du royaume a elle; & le roi n'étoit plus qu'un roi en peinture : 1'abfence du prince lui étoit bien plus fenfible que la froideur de fon époux.  DETRUITE. Èlle fut retrouver la fée pour lui demander oü il étoit, & ce qu'elle avoit fair de fa fceur? El'e lui répondit qu'elle lui donneroit le plaifir de les voir tous les deux dans le pitoyable état oü fa haine les avoit réduits. La reine Pen pria avec empreflement, & dans le moment la fée Ia tra'hfporta dans le chateau oü étoit la malheureufe Léonice; elle la rrouva enchaïnée au pié d'une colonne, d'oü elle pouvoit voir le prince fans en êtte vue. Un dragon effroyable qui ne dormoit jamais, étoit auprès d'elle. La barbare reine fut ravie de joie de la voir dans un trifte érar ; elle 1'accabla de reproches au lieu de la confoler : la princefie ne daigna pas lui répondre , ni êter fes yeux de delfus le prince qu'elle voyoit faire des efforts pour monter fur le rocher; mais la reine toutnaht les yeux du cóté oü elle voyoit ceux de fa fceur attachés , vit eet objet de fa haine & de fon amour, dans le tems qii'ayartf tourné tant de fois autour de ce rocher, il avoit enfin trouvé un fentier moins efcarpé. II commenca a montér avec grande peine; elle fit un cri, dans la peur qu'il ne vint délivrer fa rivale; mais la fée lui dit qu'elle n'avoit rien a craindre, que le dragon la défendroir bien quand même il viendroit jufqu'a elle. Cependanr le prince monroir toujours par ce fentier en tournoyant. L'efpérance de fecourir fa princefie lui donnoit des forces, quand X 1  ii4 La Tyrannie dis Fées il appercut une levrette attachée a un éclat de la pierre qui compofoit cette montagne, qui fembloit être prète de s'étrangler. Cela lui fit pitié, il s'approcha de eet auimal, & prenant fa chaine d'un .bras puiflant, il la rompit avec peine. Mais quelle fut fa furprife de voir cette levrette devenu femme dès qu'elle fut libre! Il recuia quelque pas , & cette belle perfonne le prenant par la main : Prince malheureux, lui dit-elle, n'aie nulle frayeur de 1'enchanrement que tu viens de rompfe. ; je fuis de la race des fées, & j'ai plufieurs dons que je te donnerai; mais mon pouvoir eft borné : la fée 1'Envieufe , qui tient ta princelfe grifönnière , m'a attachée depuis plufieurs années a ce rocher, fous cette forme hideufe, pout me punir de ce que j'érois aimée de plufieurs princes qui la méprifoient. J'attendois ta venue avec impatience; je te fervirai de tout mon pouvoir par reconnoilfance, & pour me venger d'elle. Entre dans certe caverne , lui dit-elle , en lui montrant une ouverture qui étoit taillée dans le roe, revêts toi des armes que tu y trouveras, & ne crains point la fureur du dragon; tu le vaincras afliirément: je vais t'attendre au bord de ce ruifleau que tu vois couler parmi ces cailloux. En difant cela elle le quitta, & le prince, après avoir pris les armes fatales, poutfuivit fon chemin jufqu'au portes du chateau. La fée le voyant monter, déta-  détrtjitb; 315 cha Ie dragon d'auprès de la princefie, & le fut mettre pour garde a la porte oü le prince éroit. Sans s 'épouvanter d'un fi horrible monftre , il s'avanca pour lui donner d'une lance qu'il tenoit a la main; mais ce monftre , en pouflant un fifflemenr horrible, s'élanca en l'air póur le couvrir de fon corps; ce que le prince voyant, fit quelques pas en arriére, & prenant fon tems que ie monftre tendoit leventre, il lui donna de fon épée fi adroirement, qu'il. le fit tomber mort a fes piés. La fée ne le vit pas plutót a terre, que prenant la princefle-, malgré fes cris, elle 1'enleva une feconde fois comme elle l'avoit fair la première. Cependant le prince victorieux du dragon , entra avec précipitation pour délivrer fa princefle : O dieux ! quel fut fon défefpoir s quand il ne trouva que Florinice ! 1'épée fanglaate lui tomba des mains, & il fut quelque tems comme infenfible ; mais la préfence de cette mcchante femme, le ranimant de colère , il fur droita elle. Qu'as - tu fait de ma princefle ? lui dit-il d'un air menacant; il faut que tu me la rendes , ou crains que je ne te punifle de tous tes crimes. Elle n'eft plus en mon pouvoir , reprit la reine, fans paroitre étonnée des menaces du prince; la fée 1'Envieufe, dès qu'elle t'a vu vicForieux du dragon, 1'a enlevée de ces lieux, donr elle vöyok  $i ce qu'elle fit d'un air alfez froid. Après cela toute la cour retourna au palais, oü Pon ne paria que de la bonne mine du prince Curieux, de fa valeur , & de Pair galant avec lequel il avoit fait fon préfent. Tous les princes vaincus par 1'Ambitieux étoient ravis d'êrre vengés , & que ce ne füt pas par leurs rivaux. Ces louanges n'auroienr pas ceflé fi-tót, fi on ne Peüt vu entrer dans la falie avec un air fi noble , que tout Ie monde convint qu'il étoit incomparable de quelque manière qu'on le vit. La princefle le recut avec une bonté extraordinaire, & 1'ayant pris par la main, elle le préfenta a Modefte ; recevez ce chevalier , lui ditelle , je vous en conjure , comme le feul digne de vous fervir. Curieux ne répondit que par une profonde révérence, & fe jetant a genoux devant Modefte : Serez-vous aflez cruelle , madame , lui dit-il, pour refufer la grace que la princefle vous demande pour moi avec tant de bonté , & ne me fera-t-il pas permis de me nommer votre chevalier ? La princefle eft fi abfolue fur mes volontés, reprit Modefte fans  dÉtruite. 34t regarder Curieux , que dès quelle pariera , je fuis toujours prête d'obéir. Après cela elle lui préfenra la main pour le relever. Le refte de la journée fe paifa a parler de ceux qui avoienr bien ou mal combattu; la princelfe , en fe retiranr, dir qu'elle vouloit aller le jour fuivanr a la chalfe , & fit donner un ordre que tout le monde recur avec plaifir. Dès le point du jout , tous les équipages furent prêts , le bruit des cors réveilla Modefte ; elle ordonna a fes femmes de lui apporter un habit de chalfe qu'elle s'étoit fait faite il n'y avoit pas long-tems ; mais elles furent bien étonnées de ne le trouver plus, & d'en voir un a la place, d un velours couleur de feu , dont tous les boutons étoient de diamans. Elles coururent toutes furprifes dans la chambre de la princefTe Modefte y elle ne la furprirent pas moins qu'elles 1'avoient été , en lui montrant eet habillement magnifique ; elle fut long-tems incertaine de ce qu'elle devoit faire ; mais 1'heure preffanr de partit, elle fe fit habiller , & parut aux yeux de la princefle d'un ait fi brillant, qu'elle éblouit tout le monde. Ptodigue la loua beaucoup, & Modefte s'étant apptochée d'elle , lui conta fon aventure, ou ni Tune ni 1'autre ne purent rien comprendre. Leur furprife augmenca de beaucoup, quand Y }  J41 La Tyrannie des Fées la princefle, étant defcendue de fa chambre pour" monter a cheval, elles trouvèrent le prince Curieux au bas de 1'efcalier , vêru du même habit y elles reculèrent quelques pas, & Prodigue s 'étant tourriée du cóté de Modefte : II y a de Penchantement dans cette aventure , lui dit-elle : en même tems le prince Ambitieux s'étant avancé pour lui donner la main, & Curieux ayant rendu le même fervice a Modefte, elle montèrent a cheval. Le jour étoit beau , & il fembloit que le gibier,qu'on chaflbir, ne fe défendoit que pour donner du plaifir aux dames. La journée fe pafla le plus agréablement du monde, & on ne rentra au palais que quand la nuit y contraignir. Ce ne fut pas fans avoir parlé de la conformité des ajuftemens de Modefte, & du prince Curieux. La princefle impatiente de favoir cette aventure , congédia tout le monde , & refta feule dans fon cabinet avec Modefte & Curieux. Je vous avoue , lui dit Prodigue , après les avoir fait afleoir, & en s'adrelfant au prince Curieux, que depuis votre arrivée clans cette cour , je vous y vois faire des chofes fi furprenanres , que je ne puis m'empêcher de vous demander qui vous êres; comment vous avez eu le portrait de mon amie; par quel enchanrement vous vous trouvez tous deux habillés de la même manière, & quel démon a fait ttouver eet habit dans la sar-  b i t R u i t F. 543 derobe , au lieu du fien ? Parlez , je vous ea conjure, continua-t-elle, ne me déguifez rien. Puifque vous me 1'ordonnez , reprit le prince, je vous dirai , madame , que je fuis fils du roi de Phrygie , & que ma mère étant grofle de moi, fe fut un jout promener , accompagnée d'une fille qu'elle aimoit rendrement , dans un bois qui étoir au bour des jardins de fon palais} a peine y eut-eHe fait quelques touts , qu'elle fut abordée par une grande femme d'un air majeftueux, qui en la faluant, lui dit qu'elle étoit grofle d'un fils qui feroit 1'adoration de fes peuples , mais que 1'amour rendroit très-malheureux } que cependant il viendtoit a bout de fes defleins, qu'elle vouloit en prendre foin , qu'elle étoit la fouveraine des fées de la Licïe. Après cela elle difparur , & laifla ma mère fi furprife, qu'elle ne fut de long-tems en état de retourner au palais. A quelque tems de la elle acoucha de moi} elle n'oublia pas de prier la fée dans fon cceur de fe reflbuvenir de fes promefles. Je fus élevé avec foin., & 1'erivie que j'avois de favoir toutes chofes, me fit nommer Curieux. Je palfai les premières années de ma vie , comme tous les princes de mon age } le roi & la reine m'aimoient avec paflion; la mienne dominante , étoit-lachafle. contre toutes les bêtes les plus farouches.. Un jour que j'étois allé chercher. un fanglier. fu- Y4  344 La Tyrannie des Fées rieux qui défoloit toutes nos terres, je m'égarai dans la forêt fans pouvoir me retrouver 5 je matchai tour le jour fans efpérance , & k nuit tomba fans que j'eulfe pu rencontrer perfonne de ma f ute: je me réfolus de la pafler au pié d'un arbre. Je defcendois de cheval pour exécuter mon deflein , quand mes yeux furent frappés d'une lumière furprenante; & la même fée dont j'avois ouï parler bien des fois s'approchant de moi, me dit: je viens d ton fecours, prince Curieux „ fms-moi fans crainte. En achevant de parler, elle marcha droit a un pakis magnifique que je voyois devant nous; nous y arrivames en peu de tems , & je ne vous puis repréfentet tout ce que je vis dans ce féjour enchanré. : C'eft peu que de vous dire que les murs étoient d'or , & que mes yeux ne purent foutenir 1'éckt des pierres precieufes qui y brilloienr de tous cótés. La fée me conduifit dans un appartement de même beauté, 8c l'on nous y fervit un fouperde tout ce qu'il y avoit de plus exquis. Quand nous fümes forris de rable, elle fe retira 8c me dit de repofer toute la nuit, que jen avois befoin. Je me couchai, & le lendemain je fus réveillé par une mufque fi charmante, qu'autre qu'Apollon & les Mufes ne Ia pourroient faire. Quand je vouius me lever, je trouvai un habit des plus galans fur ma toilette, cv l'on m'habilk fans que je viffe  Détruite. 345 qui me fervoit. A peine fus-je en état de paroitre, que la fée entra dans ma chambre : je voulus la remercier de tant de faveurs; mais elle me dit que dès ma naiffance elle m'avoit pris fous fa protection , que j'y pouvois compter; qu'elle ne m'abandonneroit jamais, pourvu que je ne fuffes poiut ingrat: je 1'aflutai que ma reconnoilfance feroir éternelle. Après cela , elle me mena dans des jardins donr les beautés répondoient a la magnificence de la maifon. De tout ce que je vis, rien ne me parut plus furprenant qu'une grande allée d'orangers , donr tous les troncs avoient la figure d'homme. Je ne pus m'empêcher de lui demander ce que c'étoic que ces figures ? elle me répondit que c'étoit tous les amans qu'elle avoit eus, qu'elle avoit ttansformés en arbres pour les punir de n'avoir pas fu lui plaire , & que leur deftin les condamnoit a demeurer dans eer enchantement jufqu'au moment qu'elle trouveroit un homme aflez heureux pour fe faire aimer d'elle. Je plaignis beaucoup ces pauvres malheureux; mais je n'ofai le dire a la fée, de peur de 1'irritet. Au bout de cette allée, nous entrames dans un pavillon , elle m'y fir affeoir fur un lit de repos. Après avoir fermé la porte fur nous: Prince Curieux, me ditelle , il eft tems que vous commenciez vos aventures , je vais vous faire voir toutes les beautés de  ?4T-Iyaaroit une charmante mufique, qu'on y pourroit ;0ller ^ forte, de jeu*, qu'il y auroit même de magni%ues_ colations , oü tout le monde trouveroit i Waire fon goüt. Sans Parangon fut vfvement touche de cette grace, par rapport au plaifir qu'il jugea que cela pourroit faire a Belle-Gloire • mars cette princelfe étoit d'une humeur fi extraordinaire, qu'on ne fayqit jamais comment on etoit avec elle, & fouvent les ibins qu'on fe donnoit pour hu plaire la chagrinoient. Elle s'imagma que Ja curiofité du prince l'avoit encW d demander ces divertilfemens d CIairance& pour etre une occafion de voir & d'entretenir plus'commodement les belles perfonnes enchantées qui etoiem:dansce palais i & quoique toute'fone de defirs deregles foient bannis des ^ chanccs, &que la jaloulie n'y fok connue de Perfonne, Belle-Gloire ne pouvoir fouffrir que le pnnce eut la moindre attention pour d'autres que pour elle, perfuadée qu'elle feule méritoir tout fon attachement, & que t0l!t ]e refte ^ indtgne de lui. Sans Parangon, qui aimoit fort la muiique , ne perdoit jamais d'occafion de 1'entendre- mais Belle-Gloire lui ayant témoigné ouelle le trouvoit mauvais, il n'héfita point d 1"! faire ce facrifice, & fo priva de la mufique. Pendant que Sans Parangon, qui avoit déjd  Sans Parancon, 377 prés devingt & un ans, s'attachpit uniquement a plaire a Belie-Gloire, Sc fe perfectionnok dans toures foites d'exercices, la reine fa mère attendok, avec une impatience extréme, PefFet des promeffes de la bonne fée, & fe flatoit qu'au premier jour elle lui rendroit fon cher eikant. Cette grande princefTe fouffrok, avec une vertu fans exemple, les perfécutions de fes ennemis , & écoutoit, fans s'émouvoir, les murmures du peuple, qui crioir tout haut qu'il falloit la renvoyer en fon pays, &c donner au roi une princefTe plus féconde, n'étant pas raifonnable qu'un grand royaume manquat d'héritiers par la ftenlité de la reine, pendant qu'il étoit facile d'en trouver d'aurres qui feroienr bien aifes d'occuper fa place, & cjui donneroienr infailliblement des fucceffeurs a ia couronne. Sa grande verru lui faifoit fouffrir tous ces murmures avec beaucoup de patience, attendant toujours que le terme de vingt Sc un ans füt expiré ; elle ne fe trompa point, car la fée, voyant que le tems fatal des menaces de Ligourde étoit pa(Té , dcciara au prince que fon enchantement étoit fïni, & qu'il etoit tems d'aller confoler fes parens. Sans Parangon, qui fe croyoit fils de la fée, parut fort alarmé de ce difcours , fur-tout lorfqu'il comprit qu'il falloit s'éloigner de Belle-Gloire; mais la fée lui ayant expliqué tout le myftére de fa  }7$ Sans Parang «ailTance, il marcjlIa beaucoup de ^ & demanda pour dernière grace a Clairance, qu elle ss ?er voirie feroit poffible, Ia fappHanr ftlr toutes chofes de "ener toujours Belle-Gloire avec elle. La fée qui "e lux pouvoir rien refufer, lui promir tout ee quil fouhaita , & s'étant fervie de fes enchantemens , Je prince difparut, & la reine fe trouva groffie, au grand contentement du roi & de ies peuples. Elle accoocha quelque tems après & comme jamais prince n'avoit été fi déliré ' celui-Ia, ü n'eft pas étonnanr que fa naiffance causat une joie univerfeUe : tout le monde fut mrpns de le rrouver plus grand & pJus formé que les autres enfanS ne Ie font d'ordinaire en naiffiant • mais ce qui caufa bien plus d'étonne";ent,& qui failliti tout gater, fe lotfqu'on sappercur qu'il avoit des dents , ia fée ayant oubhe deles lm enchanter; en effet, on eut toutes les pemes du monde d lui trouver des nourrices, Paree quil les bleffoit avec fes dents, & ieur ecorchoit le fei,, L extréme joie que tout le royaume eut de fa naiiTance,empècha que perfonne ne s arrêtat d examiner ce prodige- on ft de toutes parts des réjouiffances publiques & par, "culieres, & chacun tdcha de fe diftinguer par des demonftrations d'une véritable joie. La reL voulut toujours qu'ü S'appellat Sans p n.  Sans Parangon. 379 elle i'airnöit avec tant de tendrefle, qu'elle fouffroit avec peine qu'on le lui órat quelques heures de la journée pour commencer a 1'inftruire. Mais i mefure qu'il avancoit en age , Pidée de ce qu'il avoit appris dans le palais de Clairance grofliflbit , & il apprenoit facilement toutes chofes , fe fouvenant bien qu'il les avoit déja fues. II eut même, dès fon enfance , beaucoup de complaifance pour toutes les belles perfonnes, par 1'habitude qu'il s'étoit faite de plaire a BelleGloire , dont il n'avoit plus qu'une idéé confufe. On remarquoir cependant qu'il ne rioit qu'aux chofes agréables, qu'il parloit peu , mais ce qui furprenoir davantage, il ne donnoit fon applaudiflemenr qu'aux chofes cenfées, & favoit déja refufer & donner a propos. Le fouvenir de EelleGloire fe renouvelloit infenfiblement dans fon efprit, & en même-tems fa complaifance pour les dames augmentoit. La reine, qui rarement le perdoit de vue, fe réjouiflbir de le trouver d'une humeur fi douce & fi portée au bien. Le roi fon père étant mort pendant que SanS Parangon étoit encore bien jeune, fon règne commenca par le gain d'une bataille , qui fut donnée par fes généraux, ce qui parut de bon augure a rout le monde ; la reine ne pouvant foutenir feule tout le poids du gouvernemenr , choifit un fameux druide, fort expérimenté dans  38o Sans Parangon. les affaires , pour 1'aider de fes confeils ; mm ce choix divifa la cour, & caufa de grands déiordres dans rour le royaume. Ligourde rrouvanr 1 occafion favorable pour excirer des troubles, munua i plufieurs grands qu'on leur faifoit injuftice de les élojgner du gouvernement des affaires : plufieurs d'entr'eux fe liguèrenr, & prirent les armes , en forte que la reine eu: befoin & de toute fa prudence , & de fa grande verru Pour diffiper leurs cabales, & poL1r maintenir le dru.de dans le pofte qu'elle lui avoit donné! Sans Parangon , qui avoit plus de pénétration qu'il n'étoit permis d'en avoir a fon age, & qui connoiffoit déja le bon efprit du druide , écouta toujours fes confeils avec beaucoup de dociliré • & comme il avoit encore les mêmes inclinations qu il avoit eues dans le palais enchanté, il aimoit fort les foldats, & fe faifoit un extréme plaifir de leur voir faire Pexercice , qu'il leur commandoic fouvent lui-même, & quoiqu'il n'eüt plus de iiffler pour faire fortir autant d'hommes armés qu'il auroit voulu , il pric U11 foin paniaj_ her de ceux qui étoient i fon fervice , donnant ordre q.'ds „e manquaffent jamais de rien Comme il étoit retenu par les fages confeils du druïde , qui 1'empêchoit de fuivre tous les mouvemens de fa noble ardeur , il fe contentoit de bien dffciphner fes troupes , & de les paffer fou-  Sans Pargngon. vent en revue ; il ne donnoit fa faveur qui ceux qui faifoient leur devoir mieux que les autres , & favorifoit particulièremenr les officiers lors que leurs troupes fe trouvoient en bon état, ce qui faifoit que chacun y travailloit I 1'envi j & il eft certain que jamais prince n'avoit pris tant de foin de fes foldats , que Sans Parangon. Ce prince méditoit plufieurs grands defleins ^ lorfque la méchante Ligourde , qui ne comprenoit pas comment il avoit cvité, dans fon bas age , le fort qu'elle lui avoit donné , trouva moyen de faire gliffer adroitement dans le palais du prince une de fes fuivantes , qu'elle nommoit Fièvre, qui par fa malignité faillit a faire mourir le jeune prince •, mais Clairance en étant avertie , y courur , chafla la fuivante , & guérit le prince. Cette fée, qui avoit découvert que Belle-Gloire étoit cette maitreffe capricieufe dont Ligourde avoit menacé le prince , & qui prévoyoit les embarras oü elle le jerteroit, éviroit expres de paroitre devant lui, de peur d'être obligée de tenir fa parole, & de lui mener BelleGloire ; mais le péril exttême oü Sans Parangon fe trouvoit, la fit pafler par-delfus toutes fortes de confidérations. S'étant adreflée a la Reine : voici, madame, lui dit-elle , les derniers efforrs de votre ennemie , que j'ai rendus inutiles, tk je vous reponds qua 1'avenir Sans Parangon jouira d'une  Sans Parangon. longue vie. La Reine fut fort fenfible aux foins de la fee, & n'oublia rien pour lui marquer fa reconuoilfance ; elle la préfenta au roj fon fils , en lui exagérant les grandes obligations qu'il lui avoit. Sans Parangon, qui étoit forr reconnoilfant, eut une fenfible joie de voir fa bienfaictrice, & dans ce moment tout ce qu'il avoit appris chez elle, lui revinr dans 1'efprit; il lui prit les mams pour les baifer , lui fit mille & mille amitiés, & lui marqua , par tous les endroits dont il put s'avifer, la fatisfatfion qu'il avoit de la voir; & comme il connoiffoit parfaitement le goüt des fées, il ordonna qu'on lui apportat une colation compofée de noifettes, de pain bis , de miel, & d'eau claire. La fée fut très-fenfible 4 fon att'ention, & quoiqu'elle ne mangear jamais hors de fon palais, elle ne laifla pas , par complaifance pour le prince , de goürer de fa colarion. Ce fut alors que tous les charmes de BelleGloire fe préfentèrenrdans 1'efprit de Sans Parangon ; il mouroit d'envie d'en demander des nouvelles 4 la fée; mais il ne Pofoir, de peur qu'elle ne crur qu'il lui reprochoit adroirement de lui avoir manqué de parole. Clairance devinant fa penfee : L'état oü vous êtes, lui dit - elle , ne me permettoit pas de vous mener la princelfe de Ia Chine ; il eft vrai que je me fuis avifée un peu tatd que je m'y étois engagée trop legèrement :  Sans Parangon. 383 Hclas! continua-t-elle, vous ne la verrez que trop tót; je ne vous en dirai pas davantage, car il eft inutile de raifonner fur les chofes qu'on ne fauroit éviter; c'eft le fort que vous a donné la méchante Ligourde ; mais puifque je n'ai pas le pouvoir de vous en garantir, au moins vous me difpenferez d'aurorifer , par ma préfence , fes dangereux confeils, Sc les efpérances chimériques dont elle vous amufera. Vous la verrez, puifque je vous Pai promis , toutes les fois que le foleil, en patcoutant le Zodiaque , paflera d'un figne 2 un aurre , Sc je la rendrai invifible pour tout autre que pour vous, de peur que vos fujets, en la voyant, ne devinflent autant de rivaux , n'étant pas poffible qu'un foible mortel puiffie s'empêcher de la fervir lorfqu'il 1'a feulement envifagée une fois; tout ce que je puis faire pour 1'amour de vous, c'eft de la cachet aux yeux de tout le monde , & d'infpirer aux autres hommes la mème envie de vous fervir, que vous aurez de plaire a Belle Gloire. La fée difparur en achevant ces paroles , & le prince , fans faire aucune attention a tout ce qu'elle venoit de lui dire conrre BelleGloire , ne fut occupé que du défir de la revoir. II attendoit, avec une impatience extreme, que le foleil changeat de maifon ; Sc bien loin d'avoir du chagrin de ce que Clairance venoit de lui dire, il fentit une joie fecrète, de penfer qu'il neferoiq  3§4 Sans Parangon. permis qu a lui feul de voir & de fervir cette incomparable princelfe. Enfin, le changement du foleil, fidéfiré, arriva, & le même jour BelleGloire parut dans le cabinet du roi,dans un char, en forme de tróne, parfemé d'émeraudes & de lauriers , & attelé de douze cygnes. Je ne parlerai point de fon ajufiement, paree qu'il étoit effacé par fon extréme beauté, & par 1 eclat de fes yeux qui auroient ébloui tour le monde, fi elle n'eüt pas été invifible. Le prince fe jeta d'abord a fes piés, & parut tranfporté de joie en la voyant : mais , malgré fa grande beauré, elle infpiroit tant de refpecl, que Sans Parangon n'ofa pas feulement lui baifer le bas de la robe. Je fuis bien aife, lui dit-elle, qua ptéfent que tu es fur un tróne réel & que ru n es plus enchanté , ru aies pour moi les mêmes fenrimens que tu avois dans le palais de la fée; car fi tu as aifez de vertu pour me fervir a ma mode & pour me facrifier routes chofes , peut-être que le rerme de mon enchantement" finira bientót, & que je me ttouverai en état d'ajoutef plufieurs couronnes a celle dont tu as hérité de tes pères. De femblables paroles , prononcées par une belle perfonne, font toujours beaucoup d'impreflion fur un amanr; mais BelleGloire les aflaifonna avec tam de grace & d'un ton de voix fi touchant, qu'il ue faut pas être furpris  Sans Parangon. 38* furpris fi le jeune prince en fut trés-vivement pénétré ; il Palfura d'un artachement étcrnel, ik lui fit mille & mille proteftations qu'il ne rrouveroir jamais de difficulté lorfqu'il s'agiroit de gagner fon eftime. Belle-Gloire n'ofa point faire une plus longue vifite, de peur que la fée, pour la punir, ne lui donnar quelque pénible occupation; elle lui promit néanmoins de profiter de la permilfion qui lui avoit été accordée de revenir une fois le mois. Sans Parangon , qui étoit charmé de la voir, tacha de lui faire connoitre , avec toute la politefle & le refpett imaginable, qu'il auroit été bien aife de la retenir encore quelques momens, mais elle fut inexorable, & lacha le cordon a fes cygnes, qui 1'enlevèrenr dans l'inftanr. Le roi fouffrit ce départ fort impatiemment, mais il étoit fi foumis aux ordres de Belle-Gloire , qu'il n'ofa pas même s'en plaindre. Cette agtéable vifite ne laifla pas de lui donner une extréme joie, & de lui infpiret une vivacité qu'il n'avoit pas encore fait voir. Toute la cour s'appercut de ce changement, qui fut fuivi de plufieurs fêtes & galanteries que le prince fit en faveur des dames; car, rapportant? tout a fon amour, il jugea qu'il devoit eet hommage au fexe de fon aimable maitrefle. Infenfiblement le foleil pafla d'un figne a un autre, & la princefle fe rendit dans le cabinet Tome r. B b  3™ Sans Parangon du roi. II eft tems, lui dit-elle, que tu renonce* a des amufemehs peu convenables ï un prince cjui fe nommeSans Parangon , & qui s'eft dévoué a Belle-Gloire; tu nas rien fait jufqu'a préfent qui puifle te rendre digne du nom que tu portes, & fi /e ne cbnnoilTois ton grand cceur, & que' jen jugeafie par tes actiofts , j'aürois peine d croire que tu voulufles re donner d moi comme tu me Pa promis; ce n'eft pas aifez pour BelleGloire de porter une couronne, je veux qu'elle foit ornée de lauriers; tes courtifans r'aifurent que ru es galant , jeune & bien fait, & les dames te traitent de héros, lörfque ru as exercé tes foldats fur de paifibles campagnes : il me ftut des victimes mêlées de fang & de lauriersen un mor , fönge que ru es né pour BelleGloire. En achevanr ces paroles , elle ldcha le cordon d fes cygnes, fans vouloir attendre la réponfe du roi, qui demeura fort honteux d'un reproche qu'il n'avoirpas mérité, puifque fa grande jeunefle , & la déférence qu'il avoit toujours eue pour le druïde qui 1'aidoit par fes confeils dgouverner fon royaume, 1'avoient empêché de fuivre les mouvemens de fon courage. Cependant ce fenfible reproche ne laifla pas de le piquer, & lui fit méditer de grands defleins , dont il jugea que 1'exéciition pourroit plaire a fa prinfefle. Les vifites qu'elle lui rendoic Panimoient  Sans P a i<. a n g b n. 387 encore davanrage , & il tachoit cependant & fb rendre digne d'elle par tous les endroirs qui dcpendbient de lui , car il étoit d'une politefle extréme, fort galant, fort libéralj & aimoit la probité par tout. Le fage druide étant mort eri ce tems-la Sans Parangon réfolut degouverner feul fes érats^ & de prendre foin lui-même de fes affaires j mais de peur que la princelfe n'augurat mal de fa tranquillité, il lui rendit cömpte de la fituatioh ou il étoit j, & de la nécellité oü il fe trouvoit de fe donner tout entier aux foins de Fétat, avant que d'cntreprendre aucune guerre étrangère, n'ayant pliis de baguette enchantée pour faire fortir des foldats armés, Sc ayant befoiri de fommes confidérables pour foutenir les guerres qu'il projetoit. Belle-Gloire approuva fes raifons t Sc lui dit même que c'étoit le véritable chèmin pour fe rendre digne d'elle. Tl n'en fallut pas davantage pour engager Sans Parangon a teriter 1'impofïible j il s'appliqua forrëment aux affaires ^ & fe rendit aflidu a tous les confeils j il cömmenca dans cette occafion a mettre en pratique tout ce qu'il avoit apptis chez la fée; foil application ± fon affiduité & fon difcernement admirable, furprirent tout le monde, & il eft certain que.j par fes foins , il démêla en peu de tems utt cahos d'affaires fort intriguées Sc trés-difficiles $ Bb 2  fcSS Sans Parangon. & fe mie en état de pouvoir fuivre les nobles fenrimens de fon cceur. Belle-Gloire qui jugea,' par ce pénible travail , qu'il éroit capable de routes les grandes chofes, lui paria plus obligeammenr qu'elle n'avoit jamais fait; mais ces paroles étoient autant d'enchantemens qui redoubloient 1'ardeur du prince. Sans Parangon fe mit peu de tems après a la tête d'une belle armée, & fe rendit maïtre de plufieurs places importantes , malgré la réfifrance des affiégés, qui avoienr mis routes leurs troupes dans ces places pour les défendre. Belle-Gloire, qui n'avoit jamais douté du courage du prince , ne parut pas fort fatisfaite de cette première campagne , & lui dir, dans une de fes vi/ïtes , qu'il n'étoit pas bien extraordinaire qu'un prince belliqueux, avec de belles troupes & dans la belle faifou, prit des places, mais qu'un prince qui fe nommoit Sans Parangon, & qui cherchoit X plaire X Belle-Gloire , devoir attaquer les places en plein hiver, X travers les glacons & les frimars, fans attendte même que toutes fes troupes fuffent affemblées. Ce terrible difcours n'étonna point le prince, car il ne trouvoir rien de difficile lorfqu'il éroir queftion de gagner Peftime de fa maitteffe; il parrir peu de jours après dans le cceur de 1'hiver , & attaqua avec un perit nombre de troupes, malgré les neiges & les  Sans Parangon. jS? gTacons, une grande province oü il y avoit plufieurs places très-fortes, dont il fe rendit enfin le maitre par des travaux incroyables, & après une infinité d'actions héroïques : ce fut alors aufli que Belle-Gloire , fenfible a tant de marqués de valeur, lui permit de baifer, pour la première fois, le bas de fa robe. Sans Parangon, flatté par une grace fi parriculière, leva de nouvelles troupes, & fe difpofoit d enrrer de bonne heure en campagne, fe promettant déja de conquérir plufieurs provinces, lorfque Belle-Gloire, s'étant rendue dans le cabinet du roi, lui paria en ces termes : Je fuis fatisfaite de ton courage, & je te tiens quitte des places que tu pourrois prendre; je fuis même perfuadée qu'il ne s'en trouveroit point qui put te réfifter , fur-tout pendant que tes ennemis n'ontpas d'arrnée pour te difputer la campagne; de femblables conquêtes ne feroient d'aucun mérite auptès de moi, je n'aime point les victoires aifées, & fi tu veux me faire plaifir , tu fufpendras ta noble ardeur, & ru attendras- que res ennemis, revenus de leur étonnement, foient en état de t'oppofer des forces aufli nombreufes que les tiênnes. Sans Parangon eut befoin de toute fa modération pour renoncer aux conquêtes qu'il s'étoit promis de faire ; néanmoins, comme il n'avoit pris-les armes que pour Bb 3  r39o Sans Parangon plauei.Belle-Gloire , il félut fe foumettre 4 fe* Volontes. Ce facrifice ne lailfa pas de lui être très^gréable , & die Pen remeraa en des termes'fo* Dbhgeans. Comme ce prince étoit continudienst occupé d'un défir ardent de farre quelque phofe qui fut du goüt de fa charmante maïtrelTe ft qu'il n'avoit plus d'occafïon de fe diiWuer par les armes , il s'appliqua de nouveau aux foins del'etat; il abrégea les loix, réforrna un d nombre d'abus qui s'étoient gliffiés dans Padminiftrauon de la juftice. Belle-Gloire donna des louanges 4 fa vigilance & 4 fon application ; mais die Jm demanda tme nouvelle preuve de fon at tachement, qui jeta ce prince dans de grands embarras : Tu fus , lui dit-elle, Pefpérance oü ie fuis de vo(r bientót finir mon enchantement: tu as ofe potter tes vceux jufqu'a moi j tu n'ignore pas que j'aime les beaux palais, & cependant tu .1) en as point ou tu puiiTe me recevoir. Sans Parangon Palfura quelle feroit bientót fatisfaire , & ayant fur venir les plus habiles architectes de 1'umvers, il fit batir, dans la capitale de fes états, nn des plus beaux palais du monde, avec des jardins trjs-agréables & proportionnés 4 la magnifb MRCfcfe palais. Ce. grand ouvrage étoit prefque fe*.. lprfque M*W* épant ajlée yifitet J? J>nnce,4 ftn ordinaire, elle j«j fif cpnnoitre  Sans Parangon. 391 qu'elle n'aimoit point le féjour des villes, Sc que s'il vouloit lui donner un témoignage bien véritable de fon attachement, & de fa complaifance pour elle, il falloit lui batir, a la campagne , un palais & des jardins femblables a ceux qu'il avoit imaginés lui-même chez Clairance, par la vertu de fa baguette. Sans Parangon, épouvanté d'une propofirion fi extravagante , lui repréfenta que le palais de la fée n'étoit qu'une Ulufipp, Sc que tout le marbre de la rerre, ni Por du Pérou, ne fuffiroient pas pour un femblable édifice. Tu fais bien, reprir Belle-Gloire, que les chofes ordinaires ne m'accommondent point , Sc que je n'aime que celles qui approchent de l'impoflib.'e : je t'ai fair connoitre ce que je déiire, c'eft a toi a exaininer fi tu as Sc aflez de courage , & aflez d'envie de me plaire, pour 1'entreprendre: eüe n'attendit point de réponfe Sc difparur. Jamais il n'y eut d'embarras pareil a celui de ce prince, qui auroit mille fois mieux aimé moiir rir, que d'avoir déplu a fa princefle. Cependant, quoiqu'il trouvat de 1'impoflihilité a 1'exécution de ce grand deflein, il ne laifla pas, pour marquer fa foumilfion aux ordres de Belle-Gloire , de 1'entreprendre , fans pourtant qu'il osat f? flatter d'y réuflir; il traca lui-même un plan le plus approchant qu'il lui fut poflible, de celui du palais de la fée j a peine fe Honna-t-il le tems de B b4  I«i Sans P a r a n g o n. confulter les architectes , & eommenca , fans perdre un moment, d batir le palais, 8c i fake dreflerles jardins; en forte qu'au bout de deux ans, ce grand ouvrage fe trouva fort avancé. Cette diligence plüt beaucoup d ia princelfe j Sans Parangon , s'en étant appercu , redoubla fes foins, & „'eut jamais de repos que le palais & les jardins ne fuffent dans leur perfeótion; Por y étoit Par-tout avec tant de profufion, que les roits en étöient couverts; & quoiqu'il ne tachat qu'd imiter ce qu'il avoit déjd fait chez la fee, il eft conftant qu'il furpalfa le palais enchanté en beaucoup de chofes. Sans Parangon, fe flattant que Ia princelfe feroit contente de fon palais s attendoit, avec impatience, qu'elle Peut vu pour lui en demander fon fentiment; mais il fut extrêmement furpris de voir qu'une nouvelle planetre préfidoir fur Phémifphère , fans que Belle-Gloire parut; cela lui donna de cruelles inquiétudes, dont il fut accablé jufqu'au lendemain que la princefTe arriva, qui lui apprit que les cygnes de fon char ayant été eblotus par la révetbérarion du foleil qui donnoit lor des toits , étoient allés au canal au lieu d entrer dans Ie cabinet, 8c que leurs ailes ayant ete momllées, il leur avoit été impoflible de reprendre leur vol; que la fée y étantaccourue,les avoit condamnés d y demeurer toute leur vie; &  Sans Parangon. 393 1'ayant enfuite ramenée dans fon palais , elle Pavoit retenue jufqu'a ce moment, qu'elle venoit de lui donnet un attelage d'aigles qui traineroient fon char a Pavenir ; elle lui témoigna enfuite beaucoup de reconnoiffance de 1'empreflement qu'il avoit eu de lui plaire en achevant ce raagnifique palais, & lui promit, de ne Poublier jamais. Comme par fon enchantement elle étoit invifible a tout le monde, Sans Parangon la pria de jeter les yeux un inftant fur Pordonnance des appartemens; elle y confentit, &, après les avoir bien examinés , elle PalTura qu'elle y trouvoit plus de magnificence , une muiïquc- bien plus excellente, & beaucoup meilleure compagnie que dans ceux de la fée. Dans une autre vifite , le prince la fupplia de fe promener fur le canal , & lui fit remarquer 1'agréable chateau de porcelaine , qui paroiflbit a 1'extrémiré : elle le trouva fort refiemblant a. cilui de la Chine , & convint fans peine que celui de Sans Parangon étoit plus galant & plus parfait que 1'autre. Mais foit que cela même lui donnat quelque jaloulie, ou qu'elle eut changé de goüt, elle pria le roi de 1'abattre , tk d'en faire batir un autre de marbre & de jafpe a la place de celui-la , ce qui fut exécuté peu de jours après. Ce fuperbe édifice , aufli bien que les riches.  'm Sans P a r a n g 0 n> tables donc il étoit or„é,augmentèrem ^ F»** que Sans Para„g0, ^oit ^ par fes conquêtes. J I* prangers atrivoieut de toutes patts dan, fes , une ,mfi„„e de cutiofités d.fférentes & P-qaeroutle^e.lesfcp^,^* ? Z'4 m37eire •» «Pplaudiffemens de '°U' '"^^nfemble : & da„s PempreOe- dC 8nnd P°"r »W fo» eftime , il fe pfalgnj, SS * 7» * «* - lui don, no, pl»s d occafion de lui matq„et le plaifir qu. 1 avo.ti 1„, obeir. Hélas Mui dit-elle „ m as fine admirer le canal de ton jatdin , comme uno„vtagefotteï,taotdi„aite,&cepe;ida;t e t dans leuts maifo,,, de campagne; tu fij. teu oue ,e „'„me pas ce ,„| eft com,„„„ . 6 m "™ "fe.. envie de me plaite & » uu penfes te reudte digne de li ,q ; «*f«)r,,,„(t,4vil / «ux.medonnatleplaifit lotfo efen, feu.plusenchantce.depaffet de l'l'l, m r W= P^edé dans des e„n;o„aures , ° «abhdinc ^ & t r"türe & "* - *™« «droits ^ rems après ,„ipat!a en ces termes. Tu as *« .» mfintté de belles acti„ns, je te Pavoue .Imeparohcependanrqnetunasg^^.' «ta» i ce „ui ,„e regarde perfonflellemeW, fo.%.e ru „ as pas feulement encore penfe d ' en te de pouvoit envo.er „,fe amba ! «.de a I empereur de la Cldne mon père , „ol,r » —r lotfnue naon enchantémen fa fe.. t"'fe.'^ports,„i,J-„„ttesat„,eeS„a «les Sans Parangon fetaïI cp,e fa 1Ba fcngeat elle-même aux movens d'être i lui . £ LtbaatJ° »P»rt,cc conlltuireplu feursgtandsvadreaux.aveedesfoi^ jes  Sans Parangon. 393 dépenfes immenfes. Belle-Gloire en parut fort contente ; elle ne lailfa pas de dire au prince, que le voyage de la Chine étant fort long 8c difficile , il feroit bon de faire par avance quelque établiflement dans PAmérique , pour fervir d'entrepót, & en cas de befoin de rettaite aux ambafladeurs , qui fans cela couroient rifque de fe perdre dans une fi longue riavigation. Auflitöt dit, aulïi-tot fait. Sans Parangon donna de fi bons ordres , qu'il aflura peu de rems après plufieurs porrs dans le nouveau Monde , 8c y établit des compagnies qui avoient un commerce continuel , &c aux Indes , 8c en Amérique. Belle-Gloire qui avoit déja été fervie par plufieurs grands héros , fut obligée de convenir qu'elle n'en avoit jamais trouvé qui entfat fi généreufemenr dans rour ce qui lui faifoir plaifir , ni qui eut travaillé a lui plaire avec tant d'application 8c tant de fuccès que Sans Parangon. II faut convenir, lui dit-elle, que tu as de grandes richefles , de belles armées , des palais magnifiques , & des jardins délicieux y mais il te manque encore un rréfor d'un prix ineftimable , & dont 1'empereur mon père faifoit plus de cas que de fa couronne y ( c'eft un ami fidéle) je lui ai fouvent ouï dire , qu'il plaignoit beaucoup la coudition des rois, qui étoient envitsnnés d'une foule d'adorateurs, qui avoient la  4°o Sans Parangon. dernière complaifance pour toutes leurs volontés; mais rarement d'amis fidelles, qui leur parlalfent avec franchife, & fans quelque vue particulière ; il en avoit un fort défmtérelfé , qui avoit beaucoup d'efprit, une grande douceur , une pénétration infinie , qui raifonnoit jufte fur toutes fortes de madères, qui ne le flattoir jamais , & qui aimoit mon père , indépendamment de 1'empereur. Ce portrair, qui frappa le prince, fe trouva li fort de fon goüt, & fi conforme a fes inclinations , qu'il s'eftima malheureux au milieu de fes richefles , puifqu'il n'avoir pas un ami de ce cara&ère : il remercia la princelfe de fes avis, & les aigles ayant pris leur vol a leur ordinaire, le prince demeura fort rêveur , faifant de férieufes réflexions fur tout ce qu'il venoit d'entendre. II obferva depuis ce rems-la ceux qui 1'approchoient y il examina leur efprit & leur cceur, cherchanr toujours la relfemblance du portrait que la princelfe venoit de lui faite. Enfin , après bien des épreuves différentes, il fut affez heureux de rrouver une perfonne d'une rare vertu, & d'un mérite extraordinaire , qui avoit précifémenr routes les qualités du portrait. Sans Parangon qui jufques-la avoit été livré d des courtifans paflïonnés , qui fouvent fe déchaïnoient les uns contte les autres 3 fe rrouva fi  Sans Parangon. 401' fi foulagé de pouvoir parler de toutes chofes a cceur ouvert , & fans craindre qu'on lui dit du mal de perfonne , qu'il ne perdoit jamais d'occalion de 1'entretenir , toutes les fois que fes grandes occupations pouvoient-le lui permettre. Cependant Belle-Gloire n'aimoit pas a le voir long-tems tranquille ; elle lui infpira peu de tems après , d'enrreprendre de nouvelles guerres. L'oifeau jaune que Ligourde avoir enchanté , 8c qui s'étoit fort accrédité depuis , ne laifla pas de fe donner beaucoup de mouvemenr , & de faire plufieurs tentatives pour arrêter les progrès de Sans Parangon ; mais' fes foins n'empêchèrent pas que ce prince ne continuat toujours la guerre avec le m8me fuccès : car paroïrre en campagne , & faire des conquêres , étoit pour lui une même chofe. Toutes les faifons lui étoient égales ; il faifoit des iièges indirféremment en hiver comme en éré ; il campoit fur la neige , comme fur une prairie couverre de fleurs. Ses ennemis s'étant ligués par les foins de l'oifeau jaune, firent de nouveaux efforrs, 8c marchèrent a la tête d'une puiflante atmée , pour s'oppofer a fes conquêtes; ce qui n'empêcha pas qu'il ne prit plufieurs places devanr eux , & leur préfence ne fervir qua lui donner plus de rémoins de fes viétoires. Belle Gloire voyant que rien ne pouvoit réfifter J eet incomparable prince , lui fugTome V. Cc  4°* Sans Parangon. géra de nouveau de pofer les armes , & lui fic connoitre que puifqu'il ne trouvoit plus d'ennemis dignes de lui, elle fouhaiteroit qu'il s'atrachat a embellir fes maifons & fes jardins : ce ayant pas d'apparence qu'elle put fublilter long-tems. Belle-Gloire ne fut pas la dermerea féhciter Sans Parangon de tant d heureux fucces, qui ne produifirent pourtant pas I -et qu on en avoit attendu, car, bien lom de  Sans Parangon. 409 fe rebuter, ils 1'attaquèrent en plufieurs endroits différens rout-a-la-fois , perfuadés qu'ils pourroient le vaincre plus facilement lorfque fes forces feroienr divifées ; mais fa vigilance & fa valeur fupplécrent a rout, & il fur toujours vidorieux. Cependant ni les places importantes qu'il prenoit fur eux, ni les batailles qu'il gagnoit, ne décidoient jamais de rien; leur nombre étoit fi grand, qu'ils fe trouvoient toujours en état de réparer leurs pertes , &«de renouveler leurs rroupes. Belle-Gloire admiroit également, 8c la conduite , & la valeur, 8c la prévoyance du prince , qui foutenoit fi courageufement une guerre fi difhcile,, & qui fe croyoir toujours trop récompenfé de fes travaux par la fadsfaótion que la princefle lui en témoignoit; fon unique crainte étoit cle n'avoir pas aflez fait pour elle, & il étoit condnuellement occupé a chercher de nouvelles occafions de mériter fon eftime. Remoii de cette penfée, & fongeant a attirer les ennemis pour les engaget a un combat général & décifif, il attendit que toutes leurs troupes fuffent en campagne , & alla attaquer , en leur préfence, une roche imprenable, dont le feul nom donnoit de la terreur a tous les pays voifins. Une réfolution fi furprenante étonna fort les alliés , qui envoyèreut cent mille hommes pour fecourir la place , quoiqu'ils fuffent fort  4i° S a n s Parangov. perfuadés qu'elle „e feroir pas prife dans Ie tems que Sans Parangon la prelfoit vi.ement. La méchante Leurde, après lui avoir fufcité tous les elemens , fit encore glilfer chez ce prince une de les fuivantes, appelée Goute, & un de fes couriers, qu'on nommoit Mauvaife-nouvelle Tout autre que Sans Parangon fe feroir trouvé fort embarrafie dans une conjoncture aufii délicare que celle-la, mais ce héros ne chercha de fe cours que dans fa fermeté, &, oubliant fon mal il ne confulta que fon courage; il fe fit porter > Ia queue de la rranchée, & anima fi bien toures chofes par fa préfence & par fon exemple, que I ennemi fur repoufifé, & Ja place prife> Belle-Gloire, pour lui marquer combien cette grande aóhon lui étoit agréable, ki donna fa mam a baifer pour la première fois de fa vie qui fut une faveur fi fignalée pour Iui ^ ^ ^ ^ fache dans cette occafion, de n'avoir pas eu autant d ennemis & autant d'affaires qu'il en avoit Cependant les puiflances liguées petfiftoient dans leur opmidtreté , toujours prévenues que leur umon & leur perfévérance épuiferoient eefio les forces de Sans Parangon, qui étoit feul contre rous ; mais fon courage ne fe ralentiffoit jamus , & il Ies battit encore ^ ^ , ,ons les campagnes fuivantes. Belle-Gloire ctonnée de ia fermeté de Sans Parangon, qu'elle'  Sans Parangon. 411 trouvoit li fort au-deflus des héros qui Pavoient fervie, & remarquant qu'il .fe jouoit de cette guerre , réfolut de le mettre a une nouvelle épreuve, qui n'éroit pas moins difficile que toutes les auttes; elle lui dit un jour que les importans fervices qu'il lui avoit rendus lui faifoient défirer d'êtte bientót défenchantée, afin de fe voir en état de le récompenfer , mais que faifant reflexion & au nom de Sans Parangon & a celui de Belle-Gloire, elle ne croyoit pas qu'il y eut dans 1'univers une étoffe aflez digne d'elle pour lui fervir de manreau royal le jour de fes noces; qu'elle avoir autrefois ouï parler de la toifon d'ot, & qu'elle autoit fortement fouhaité de Pavoir pour cerre grande cérémonie; qu'elle efpéroit de lui qu'il voudroit bien envoyer aux Indes une florre bien équipée, pour enlever cette toifon Sc la lui appotter. Le prince fut dans le dernier étonnement d'enrendre une propofition fi exrraordinaire ; il lui repréfenra qu'il n'héfireroit jamais a rout entteprendre lorfqu'il s'agiroir de lui plaire, qu'elle pouvoit fe fouvenir de fes conquêtes , de fes magnifiques palais , de la jonction des deux mers, & de rant d'autres chofes qu'il avoit faites pour elles, mais que les Indes érant fort éloignées, Ia toifon difficile a trouver, & fes ennemis beaucoup plus forts que lui fur la mer,  4i 2- Sans Parangon. il ne voyoit pas qu'il y eüt aucune apparence de faire réuilir ce projet. Belle-Gloire, qui étoit de Phumeur de la plupart des autres perfonnes de fon fexe, qui n'écoutenr aucune raifon lorfqu'elles veulent fortemenr quelque chofe, trouva forr mauvais que Sans Parangon lui eüc fait routes ces difficultés : il étoit inutile , lui dit-elle, de récapiruler ce que ru as fait pour moi , puifque je ne Pai pas oublié , & que ru as pu remarquer que je n'y érois pas inrenfible, & c'eft précifément la facilité que tu as toujours trouvée a exécuter rout ce qui pouvoit me plaire, qui m'engage a te faire une demande li nouvelle; j'ai affez bonne opinion de toi pour croire que, puifque je le dé-lire , cela ne re fera pas impoffible. Sans Parangon, confus de Phonneur que fa princelfe lui faifoit, ne balanca point a tenter ce ridicule projet, & jera les yeux fur un capiraine, de qui la valeur & 1'expérience lui faifoient tout efpérer, & 1'envoya aux Indes avec une belle flotte. II y arriva après une longue & pénible navigation; il découvrit, par fes foins, une fortereflè oü l'on gardoit la tcifon, mais il trouva qu'elle éroit défendue par des Cyclopes, donr le nombre étoit fort fupérieur a la flotte. II ne laifla pas de les attaquer, Sz il s'appercur, peu de tems après,. que la répuracion de Sans Parangon étoit aufli connue  Sans Parangon. 415 dans le nouveau monde que dans fes propres états , & que le feul effroi de fon nom avoit intimidé les Cyclopes, qu'il forca a lui remettre la toifon, & ia rapporta a Sans Parangon. Ce prince la mit aux piés de Belle-Gloire, qui fut charmée de ce riche préfent, 8c lui en fut plus de gré que d'une conquêre beaucoup plus confidérable; les louanges qu'elle lui donna 1'engagèrent a chercher de nou velles occafions de lui plaire, en tachant d'attirer 1'armée des alliés a une bataille: il affiégea de nouveau, en leur préfence, une place trés-imporrante, qu'il prit fans qu'ils fiffent aucun mouvement pour s'y oppofer. Alors il fe détermina d'entrer bien avant dans le pays ennemi, & d'afliéger, par mer 8c par terre, une fameufe forrereffe qui fervoit de rempart a un grand royaume , & qui étoit gardée par des troupes aulli nombreufes que celles des afliégeans. Cette entreprife parur fort téméraire ; mais le général qui conduifoit ce fiége , animé du même fang de Sans Parangon , & fortifié par les ordres & par le grand courage de ce prince , preffa fi vivemenr les afliégés , qu'après mille 8c mille furprenantes actions , qui fe firenr de part & d'autre, la place fut enfin forcée a. capituler , & fe rendit au vainqueur. Belle-Gloire en fut tranfportée de joie , 8c demeura convaincue que rien ne pourroit réfifter  4i4 SaN,PArangon a 1'avemr a Sans Parangon. La mefure eft comWe , lui dir-elle , & mon efprit ferrile en épreuves ne me fournir plus rien pour exercgr ^ grand courage ; les expériences que j'en ai déja faires, me perfuadenr aflez , & me font juger de quoi tu es capable : Je veux que ru Wennes res ennemis par une victoire route nouvelle • on eft fi accoutumé a te voir prendre les places' que cela n'eft plus d'aucun mérire pour roi • mais puifque ru cherches i faire des actions extraordinaires, & dignes 'de Sans Parangon, rends a tes ennemis ces fameufes fortereifes qui leur donnenr tant d'inquiétude , & qu'ils ne fautoient jamais reprendre fur toi. C'eft pour Pamour de vous , charmante princefTe, répondit Sans Parangon , que je les ai prifes, je me trouve trop recompenfé, puifque je fuis aflez heureux de vous plaire en les rendant. Cette furprenanre modération plut beaucoup a Belle-Gloire, fur-tout dans un tems oü Sans Parangon fe trouvoit en état de donner la loi par-rout, s'il eüt voulu profirer de tant de conjonctures favorables. Cela défarma aufli les puiffances confédérées , qui s'empreflerent toutes ï gagner la bienveillance de ce prince , & fe repentirent même de lui avoir fait la guerre, i mefure qu'ils connurent de plus prés, & fon merite & fes rares vertus>  Sans Parangon. 415 Ce fut alots que Beüe-Gloiie fentit plus vivement le malheur de fon enchantement, ne fachant pas quand il finiroit, & fe voyant hots d'état de couronner Sans Parangon ; elle ne le diflïmula poinr a ce prince , & lui témoigna le chagrin qu'elle en avoit, lui faifant connokre que dans Pincertitude oü elle étoit, li eet enchantement finiroit bientót, ou s'il duieroit encore plufieurs fiècles, fon grand courage & les chofes extraordinaires qu'elle lui avoit vu faire , lui avoient infpiré une penfée qui paroïtroit exttavagante , mais qu'elle trouvoir digne de Sans Parangon. Tu as , lui dit-elle, défarmé les puiffances de la tetre , par ta valeur & par tes ver* tus, qui t'empêche d'attaquet a préfent les enfers , & de faire la guerre aux fées , qui par le fecours des démons font tant de défordres fur la terre ? j'avoue que les armes dont tu te fers pour tes expéditions militaires n'y font pas propres , il en faur pour cette guerre d'autres fort différentes ; mais je fuis afiurée que tu les trouveras, fi tu veux bien t'appliquet a les chercher, Sc qu'il ne tiendroit qu'a toi de rompre mon enchantement. Quoique ce grand projet fut trés-conforme aux fentimens de Sans Patangon , &c qu'il fur fort touché des raifons de Belle - Gloire , & fur - tout du plaifir de la défenchantet , le fouvenir des grandes obligations qu'il avoit a la bonne fée ,  *\6 Sans Parangon. s'étant ptéfenté a fon imagination, fa reconnoif fance 1'empêcha de goüter tont le plaifir qu'il auroit eu par la feule idéé de pouvoir délivrer fa charmante princefle. • *Mais Belle-Gloke , qui connoiffoit fon cceur généreux, s'étant appercu de fcn embarras, le défabufa en 1'informanr de tous les myftères dont elle s'étoit éclaircie , par ie féjour de plufieurs fiècles qu'elle avoir fait dans le palais de Clairance , & qu'elle n'avoit jamais ofé révéler par la crainte des cruels fupplices qu'on lui auroit fait fouffrir, & qu'elle commencoit a méprifer, dans 1'efpérance ou elle étoit que le prince pourroit bientót Ia délivrer: elle lui apprit que la boune"& la mauvaife fée n'étoient que la même perfonne, qui jouoir ces différens perfonnages pour mieux impofer au public, que tous les enchantemens, & même les riches palais des fées , n'étoient qu'une illufion; que pour donner ces forts , par lefquels elles fe rendoient fi redoutables auxhommes, elles profitoient de la connoiflance que les démons leur donnent de 1'avenk; & quoiqu'elle n'euifentaucun pouvoir de changer en naiffanr la deftinée de perfonne , elles ne laiffoient pas de donner des forts qu'elles régloient fur la connoiffance qu'elles avoient de ce que chacun devoit devenir. Sans Parangon, furpris d'apprendre un détail fi  Sans Parangon. 417 fi curieux, &c qu'il rrouvoit forr vraifemblable, fut bien aife d'être défabufé, & aiiura Belle Gioire, que puifqu'elle étoit contente de lui, & qu'il n'avoit plus d'ennemis, il alloit mettre tous fes foins a trouver ces armes il difliciies pour entreprendre la nouvelle guerre qu'elle venoit de lui propofer. La princelfe fe préparair a lui répliqner, lorfque les aigles de fon char partirenr brufquemenr & fans attendre fes ordres. C'étoit la fée ellemême qui traïnoit ce char fous la figure des aigles, & qui fut terriblerrient irritée de la hardieffe de Belle-Gloire, & des téméraires deifeins qu'elle avoit infpirés au prince. Elle ne voulut plus que la princelfe conrinuar fes vilires, & fe préparoit a lui faire fouffrir d'horribles fupplices, fi elle ne fe füt appercue que Sans Parangon, ne voyanr plus fa princelfe, s'appliquoit bien'férieufemenr a la délivrer. La crainte qu'elle eut que ce redoutable monarque, de qui elle connoiffoit le grand courage , ne vainquit encore les puiffances infernales, lui fit fufpendre 1'exécution de fes cruautés, & dillimuler fa colère; elle affecta au contraire de bien traiter Belle-Gloire, en lui faifant connoitre qu'elle étoit intérelfée elle-même a détourner le prince de fa réméraire entreprife, puifque s'il y réulfilfoir, & qu'il rompit fan enchantement, elle n'étoit plus qu'une limple mortelle, & Tome F. Dd  4i § ^ Sans Parangon. qu'il étoit même dangereux que ce prince ne s'attachat, pour une bonne fois, 4 une gloire plus folide, & qu'il ne méprifat tout le refte. La princelfe , qui fe défioit des artifices de Penchanterelfe, & quj jugea que 1'entreprife du prince n'étoit pas impoffible , puifque la fée en avoit peur, la remercia fièrement de fes avis, & attendir, avec beaucoup de confiance, que Sans Parangon allat rompte fon enchantement.  419 LA REINE DES FÉES. Il y avoit une fois un roi qu'on appeloit le roi Guillemot. C'étoit bien le meilleut prince de la terre , qui ne demandoir qu'amour & fimpleffe ; on affure même qu'il fe mouchoit a la manche de fon pourpoint : il n'avoit -aucun empretTement pour le mariage. Cependant comme la race Guillemote étoit forr ancienne , les pëuples fouhaitoient qu'il leur donnar des fuccefieurs j on avoir parlé de plufieurs mariages différens mais il s'y étoit toujours trouvé des difficultés invincibles. Une princefie du voifinage, qui fe nommoit Urraca , avoit des états qui étoient fort a la bienféance du roi Guillemot ; mais Urraca avoir toujours marqué de la répugnance pour le mariage, & beaucoup d'infenfibilité pour les foins que plufieurs fouverains, & particulièrement le comte d'Urgel , s'étoient donnés pour lui plaire. Sa paffion dominante' étoit l'afrrologie , 8c elle ne fe dérermina a fe marier , qu'après avoir reconna dans les aftres qu'elle feroit mère d'une  4io La Reine des Fées. princefie route parfaire, qui feroit un prodtgè de beauté & de vertu , qui feroit des biens infinis \ & n auroit d autre paffiqn que de foulager les affligés. Cette connoiflance 1'obligea & écouter les propofitions qu'on lui faifoit de toutes parts : fa nourrice lui paria fouvent en faveur du comte d'Urgel, qui l'avoit mife dans fes intéréts par de grandes libéralirés j ir.ais Urraca qui ércit de 1'humeur-de la plupart des autres femmes, qui font fenfibles aux rangs diftingués , aima mieux être reine que comtefle d'Urgd. Le roi Guillemot averti des difpofitions.de la princefle, fit partir un ambafladeur , avec une procuration pour 1'époufer, & lui envoya en même rems une ceinture dorée , un paquet d'épingles , un petit coüteau & une paire de cifeaux, (préfens' ordinaires de ce tems-la.) Ce mariage fut bientót conclu , & la cérémonie des époufailles aufli. La nouvelle reine précendit que le roi fon mari iroic la chercher lui-même, & qu'il feroit quelque féjour dans fes états, avant que de la mener dans fon royaume. Mais le roi Guillemot rejeta cette propofition, & voulut abfolument que la reine allat le trouver. La fiére Urraca ne s'accommoda poinr d'un ordre fi abfolu) & la méchante nourrice , qui n'avoit reai aucun préfent des Guillemots, anima 1'efprit de fa maitrelfe, eu forte qu'ils pafsèrenr  La Reine des F:i i s, 411 plus d'un an en eet état. Le comte d'Urgel, qui avoir trouvé moyen de voir la reine fans qu'elle s'en fut appercue, en.étoit devenu paffionnément amoureus , &z conrinuoit toujours a- accabler la nourrice de préfeus, pour être informé des fentimens. & des moindres occupations de la reine. : La fierté de cette princefle ne lui laiiToit rien efpérer •, mais fon amour ne lui permettoit pas de fe défabufer, & il croyoir fe pouvoir flatrer de rout par 1'avarice de 1'arriricieufe nourrice ; & quoique dans ces premiers rems on fur fort éloigné de la corruption de ce liccle, 1'amour, qui dans tous les tems a été fubtil & plein d'inventions , lui infpira d'engager la nourrice a le produire auprès de la .reine , en lui- perfuadant que c'étoit le roi Guillemot qui i'alloit voir incognito. Cela lui parut d'autant plus aifé , que la reine n'avoit jamais vu le prince fon époux. Il le propofa a la nourrice , & lui préfenta en même tems fa toque pleine de guillemots d'or , qui alors étoient fort rares. La nourrice éblouie par un li riche préfent, lui promit rout, & ils concertèrent enfemble que le comre feroit habiller un page des livrées du roi Guillemot; que ce page porteroit une guirlande de fleurs a la reine, & lui diroit que fon confeil n'ayanr pas voulu permettre qu'il allat la voir en équipage de roi, il déflroir fe rendre auprès d'elle Dd j  4H La Reine Des F éis. fecrètement, & 1'envoyoit pour lui en deman-, der la permiffion. Ce projet fut exécuté dans toute fon étendue, & la nourrice ne manqua pas de fatre valoir a. Urraca la galanterie du roi Guillemot i en forte que cette pauvre reine fe trouva grofle , & accoucha au. bout de neuf mois d'une belle princeiTe , fans. qu'elle entendit plus parler du roi Guillemot : elle ne laifla pas néanmoins de lui envoyer un courrier , pour lui apprendre la naiifance de fa fille.. Le roi Guillemot .fe mit fort en colère , en apprenaur cette nouvelle, & voulut faire mourir le courrier; mais fon confeil 1'en empêcha , & le renvoya avec une lettre trèspiquante contre 1'honneur de Ia reine. Comme la race des Guillemot étoit fort an~ cienne, & qu'ils avoient pour devife :plutót mourir que de perdre 1'honneur > toute la maifou fut fort mottifiée de eet affront, fur-tout le roi, qui étoit inconfolable, & menacok fes fujets de fe laiflet mourir de faim (fiècle groflier, ou les maris moins polis que ceux d'aujourd'fuii , avoient la fimplicité de fe punk des faures de leurs femmes). Revenons au roi Guillemot, qui faillir a devenk feu , lorfqu'un jour, fe promenant ie long d'une allée, il entendit une voix qui le fuivoit, criant,: coucou -f- coucou ; c'étoit en ce tems-la la plus grande injure qu'on put dire a un hommt marie, Le roi entra en fureur, appela fes cardes,  La Reine des Fées. 423 & commanda qu'on mït en pièces ce téméraire. la voix ne cefla point pour toutes ces menaces. On apprit au roi, pour 1'appaifer, que c'étoit un oifeau : cela ne fervit qu'a 1'irriter davantage, fe plaignant que tout le monde s'entretenoit de fon aventure , jufqu'aux oifeaux , qui difoient tout haut ce que les hommes ne faifoient que penfer. Dans la colère ou il étoit, il otdonna qu'on exrerminat tous les oifeaux de fon royaume ; & fa vengeance n'étant pas fatisfaite par ce cruel malfacre, il voulut encore qu'on les mangeat. Tous les courtifans en mangèrent par complaifancej & on les trouva fi bons , qu'on a toujours continué , car iuiparavant on auroit eu de Phorreur pour un homme qui auroit mangé un oifeau 5 & le plaifir que le roi Guillemot eut a fe venger, lui fit changer la réfolution qu'il avoit faite de fe laifier mourir de fairn. Pendant que le roi Guillemot exterminoit 1'innocenre volatille , la reine, qui attendoit le retour de fon courrier , nourrifibit elle-même la petite princelfe, craignanr que fi elle fucoit le lait d'une nourrice ordinaire, elle ne prit aufli les mauvaifcs inclinations qu'elle pourroit avoir, & comme les fées fe mêloienr de rour en ce rems-la, elle envoya prier une fée de fes amies, qu'on nommoit Belfunjine , & qui habitoit dans les Pyrénées, de vouloir être marraine de la princefle. Dd 4  4M La Reine n E s Fées. La fée, fenfible a un fi grand bonneur, Ia doua d'une infinité de bonnes qualités, Sc la nomma .Meridiana. La reine donna une fêtë rrès:magninque pour faire plus d'honneur a Ia fee, Sc 1'auroir continuée plufieurs jours, fans 1'arnvée du courrier qui lui apporta ia lertre outrageante du roi Guillemot. La pauvre reine, qui étoit dans la bonne foi , penfa mourir fubitc-ment lorfqu'elle eür appris que le roi GuilJemor défavouoit 1'enfant, & la traitoir avec la dernière indignité. Dans Je dcfefpoir ou elle étoit, elle ne trouva point de meilleur remède que d'aMembier fon confeil 5 ejle leur expofa route 1'affaire cornme elle s'étoit paifée , les afiurant que fa nourrice étoit un témoin fidellede toute fi conduite; elle leur demanda enfuite juftice contre le mauvais procédé du roi Guillemot. II fut réfolu d'une commune voix qu'on lui déclareroit la guerre , Sc quoique les états du roi Guillemot fuifent d'une plus grande étendue que ceux de la reine Urraca, fes fujets étoient fi perfuadés de Ia perfidie du roi Guillemot & de 1'innocence de la reine, qu'ils jurèrent tous de hafarder leurs biens Sc leurs vies pour la réparation de cette injure. On déclara la guerre au roi Guillemot, * 011 leva des troupes de toutes parts : on fe préparoit fort féneuferaent i la guerre, & chacun raifonnoit fur  La Reine des Fées. 415 une aventure fi extraordinaire. Ceux qui connoiffoient la fimplicité du rei Guillemot, & fon peu d'emprefiement pour les dames, jugeoient que 1'enfant n'étoit pas de lui, fachant bien qu'il n'étoit pas capable d'entreprendre un tel voyage, ju de faire une femblable galanterie. La reine étoit en réputation d'être la plus verrueufe princelfe de la terre; plus on examinoir toutes fes actions, moins on trouvoit d'occafion ni même de prérexte de foupconner fa conduite. Plufieurs porentats voifins vouiurent fe mêler d'accommodement, mais les Guillemots , jaloux du point efhonneur , rejetcrent toutes les propofitions qui tendoient a recennoitre 1'enfant, & la reine, qui croyoit avoir été abufée fous la foi du mariage, aimoit mieux périr avec tous fes fujets, fi le roi Guillemot ne convenoit du fair, & n'alloit lui demander pardon de fa perfidie. Le comre d'Urgel fut un de ceux qui s'emprefsèrent davantage pour eet accommodement, & comme il aimoit toujours la reine , & qu'il ne faifoit pas grand cas des Guillemots s il propofa, pour épargner le fang de tant de peuples, de décider 1'affaire dans un combat en champ clos, & s'offrit a défendre 1'honneur de la reine en qualité de fon chevalier. Le roi Guillemot ne voulut point accepter ce parti, mais le prince Guilledin, fon frère, qui avoit un courage digne  4*6 La Reine des Fées. des anciens Guillemots, pria les étars du royaume alTembïés , de lui permettre de combattre le comte d'Urgel. Comme il „e s 'agilfoit pas moins que de la perte du royaume, les érats lui permirent le combat avec de grandes acclamations, & s'étant rendu au jour marqué par le cartel, armé de routes pièces, dans la ville capitale des états de la reine, il y rrouva le comte d'Urgel, qui témoigna beaucoup de mépris pour un champion qu'il croyoit fort au-defious de fon courage. Le combat fe fit en préfence de la reine & de fon confeil, & foit que le prince Guiiledin fut plus adroit que le comte d'Urgel, ou que la victoire fe déclare toujouts pour la vérité, le prince renverfa le comte d'un coup de Jan'ce , dont il le blelfa mortellement. Les juges y étant accourus , il déclara, avant que de mourir, qu'il avoit ttompé la reine par le fecours de Ia nourrice. Cette méchante femme fur arrêtée , & n'eur pas la force de difconvenir de tout ce que Je comte venoit de dire. La malheureufe reine, éclaircie d'un myftère qui, malgré fa bonne foi, la faifoit paroitre coupable, feroit morte de douleur li, par les confeils de Belfunfine , elle neut fufpendu fon défefpoir pour 1'amour de Méridiana : elle ne laifla pas d'ordonner que la nourrice fut remifs  La Reine des F e e s. 417 au prince GuilJedin , & de lui faire rendre la celmate dorée , les épingles, le petit coüteau 8c les cifeaux que le roi Guillemot lui avoit envoyés. Le prince Guilledin fe retira victorieux , & fut recu dans les états de fon frère avec des applaudiflemens extraordinaires. La nourrice , enfermée dans une cage de fer, fut long-tems trainée par les rues, & on la jeta enfuite dans la mer. Le roi Guillemot, qui avoit refufé le défi du comte d'Urgel, fut tondu &enferrné, 8c le prince Guilledin monta fur le tróne. Urraca, honteufe de fes malheurs, n'eut pas le courage de fouffrir la vue d'aucun de fes fujets, 8c fe retira, avec fa chère fille 8c la fée Belfunfine, dans une montagne des Pyrenees qui eft la plus haute de toutes, & qu'on nomme le Pic de midi. Elle mit toute fon application a bien élever Méridiana, a lui infpirer du mépris pour rous les hommes, & a. lui apprendre rout ce qu'elle favoit d'aftrologie. Cette jeune perfonne devenoit chaque jour plus agréable, 8c avoit déja beaucoup plus d'efprit & de raifon que n'en ont d'ordinaire les enfans de eet age. Belfunfine 1'aimoit aufli tendrement que fa propre mère, 1'une & 1'autre lui faifoient part, Urraca de fa fcience, & la fée de fes fecrets furnaturëlsj elle fe fou-  La Reine des Fées. venoit de tout ce qu'on lui avoit dit une feule fois, & elle étoit d'un naturel fi doux, qu'elle obéilfoit toujours fans réplique a tout ce qu'on vouloit exiger d'elle. La grande beauté de Meridiana , fa docilité, & les progrès conrinuels qu'elle faifoit dans les fciences öc dans tous les fecrets des fées, confoloient beaucoup fa trifte mère; mais comme tous les bonheurs de la vie font de peu de durée, une autre fée, qu'on nommoit Balbafta, jaloufe de la beauté & des talens extraordinaires de la jeune princefTe, i'ejileva fecrètemeut, & de peur que Belfunfine ne découvrit fa retraite, elle brüla du genièvre & dautres graines dans tous les endroits de fon paifage, & alla enfermer la princelfe dans une tour fort haute, qui eft au chateau de Pau , fitué au pié des Pyrénées ; elle lui donna pour niche de tirer de Peau d'un puits forr profond, de la mettre dans un cnble , & de monter enfuite cinq eens dégrés, pour la porrer au haut d'une tour ou la fée avoit un petit jardin qu'elle lui faifoit arrofer. La reine Urraca, déja accablée par fes malheurs , ne put furvivre a la perte de fa chère fille, & mourut peu de tems après 1'enlévement de Méridiana , fans que Pamirié que Belfunfine lui témoignoit, ni toutes les aflurances qu'elle lui  La Reine des Fées. 419 donnoit de n'avoir jamais de repos qu'elle n'eüt découvert fa retraite , fuffent capabies de la confoler. Cependant Méridiana, bien loin de fe plaindre de fa pénible tache , s'en acquittoit avec beaucoup de fuccès, & s'aidoir même des fecrets que Belfunfine lui avoit déja appris, fans que Balbafta s'en appercüt jamais, enforte que toutes les fois que cette méchante fée paroifibit, la princefle la recevoit d'un air fort gracieux , Ia fuppli ant toujours de lui ordonner quelque chofe de plus difficile, & 1'affurant qu'elle ne fauroit jamais prendre affez de peine pour plaire a une fi bonne fée. Balbafta, furprife Sc du rude rravail & de la parience de la princefle, ne lailfoir pas de lui donner chaque jour de nouvelles occupations, dont les dernières éroient toujours plus pénibles que les autres , jufqu'a lui faire ramafler un boiffeau de millet grain a grain, la menacant de lui faite fouffrir d'horribles fupplices fi elle en oublioir un feul , Sc fi elle ne favoit lui dire combien il y avoit de grains dans le boiffeau. Méridiana s'en acquittoit toujours de la même mamere , & ne manquoir jamais de remercier Balbafta de fes bonrés. La fée, vaincue par la docilité de la princefle, fe laffa enfin de la perfécuter, Sc ayant un jour vifité Belfunfine , qu'elle  43® La Reine des FÉes/ trouva forr affligée, elle lui demanda le ftqet de fon chagrin. La bonne fée lui conta naturellement d'eü venoit fon affli&ion, & lui exagéra en même-tems la beauté, le bon naturel, & les talens admirables de Méridiana : elle fondoit en larmes en faifant ce récir. Balbafta , qui étoit perfuadée du mérite de la princelfe, fe lailfa attendrir par les larmes de fa compagne, & lui promir de découvrir fa retraite, & de la lui ramener fur le Pic de Midi, a conditiën quelle engageroit cette charmanre princelfe a Paimer. Belfunfine, ravie de la feule penfée de revoir fa chère Méridiana , promit rout. Dès le lendemain Balbafta fe rendit fur le Pic de Midi, & préfenta la princelfe a Belfunfine, qui faillit a mourir de joie en la revoyanr; elle tacha de la confoler de la mort de fa mère, & les deux fées Payant embralfée tendrement, lui promirent Pune & 1'autre de lui fervir de mère, & de ne lui cacher aucun de leurs fecrets. Elles lui donnèrent, par avance, une bague qui la mettoit X couvert des infultes que d'autres fées jaloufes auroient pu lui faire. Elle fut long-tems a pouvoir fe confoler de la mort de fa mère; elle lui fit batir un magnifique maufolée fur le haut de la montagne, & cette morr ne lailfa pas de Pengager a de nouvelles réflexions fur la malheureufe condition des mortels, qui font expofés a tant de misères diffé-  La Reine des Fées 43j rentes, fans que les grands princes foient difpenles de cette fatale viciflitude. Alors elle fe confirma dans la réfolution qu'elle avoit déja prife , & que la reine fa mère lui avoit fi fouvent infpirée, de pratiquer la vertu, de renoncer au commerce des hommes , de s'appliquer de nouveau k la connoilfance des aftres , & de prohter de la bonne volonté que les fées avoient pour elle : remplie de fes fentimens, elle s'artacha fortement k Belfunfine , qui acheva de lui apprendre rout ce qu'elle favoit. Balbafta , qui ne Paimoit pas moins que fa compagne, lui fit part aufli de tous fes fecrets j elle fe trouva en plufieurs affemblées de fées, oü elle fut forr admirée & applaudie ; comme elles remarquèrenr qu'elle étoit informée de tous leurs fecrers, & qu'elle étoit entiètement dérachée de la vie, elles réfolurent de la rccevoir au nombre des fées. Elle parut touchée de Phonneur qu'on lui faifoit ; mais lorfque, dans la cérémonie, on lui propofa de prendre la figure d'un -dragon, pour avoir le don des illufions , & pour faire paroitre un magnifique palais oü il n'y avoit que de la fumée, elle s'en défendir, & allégua qu'elle ne vouloit tromper perfonne. La plupart des fées murmurèrent contie cette délicateffe , mais cela paifa a la pluralité des voix, en faveur de fa beauté  4J2 La Reine des Fées. & de fa grande naiflanee. Auiïï-töt qu'elle fut fée, elle ne fongea qu'a profiter des avantages du férfme pour foulager une infinité de perfonnes opprimées; elle choiiit, pour fa derneure, nne grotte au pié des Pyrénées , qu'elle orna d'une infinité de belles ftarues, & qu'on appelle encore aujourd'hui 1'Efpalungue de Méridiana. File parcourur routes les contrées de 1'univers , fous prétexte de vifiter les fées fes compagnes , a qui elle fit de nches préfens, quoiqu'elle n'eüt entrepris ce voyage que pour connoitre les mceurs de toutes ces nations. Mais elle reconnut qu'il y avoit par-tout de la malice, de 1'infidélité &c de la foiblefle, & que la plupart des hommes avoienr prefque toujours les mêmes défauts en quelque pays qu'ils fufient , & n'en trouvant aucun qui füt parfairement heureux, & qui ne défirat encore quelque chofe, cette connoifiance lui donna beaucoup de compaffion pour leurs misères, & la fortifia dans la réfolution oü elle étoit de foulager roujours les malheureux. Pendant tout fon voyage, elle ne perdit jamais occafion de faire du bien. Eranr arrivce aux Indes, chez la fée Mamelec, elle remarqua dans fon palais une jeune perfonne d'une beauré furprenante, qui étoit occupée a couper du chaume pour faire de la litière a cinquante chameaur- Méridiana jugeanr qu'il pouvoir y avoir quel- i que  La Reine des FÉ'eS. 433 que chofe de fort extraordinaire, lui demanda qui elle éroit ? la belle lui avoua qu'elle éroit fille du roi de Monomotapa, & lui dit que fa maratre cherchant a fe venger de ce qu'elle n'avoir pas voulu époufer un de fes fréres , avoir prié la fée Mamelec de 1'enlever, & que la fée l'avoir enchantée pour trois eens ans, dont il n'y en avoit encore que deux eens de palfés. Elle fe mit a pleurer, en achevant ces paroles , Si pria Méridiana de ne la détourner pas de fon travail, paree que s'il n'étoit pas fini a 1'heure marquée, quatre vieilles, qui étoient fes furveillantes, fe relayeroienr a la battre ; la première lui donneroit cinquante coups de baton fur la plante des piés, la feconde lui en donneroit autant fur les épaules, & les deux autres chacune vingr-cinq , moitié fur le ventre , & 1'aurre moitié fur les fefies. Méridiana , attendrie par le récir de tant de cruautés, donna un coup de baguette fur une pierre , & en un inftant 1'écurie des chameaux fut garnie de litière. La belle Indienne , étonnée de cette' merveille , jugea que Mendiana étoit une grande diviniré , & la conjura , les yeux baignés de larmes , d'avoir pirié de fa misère. La fée la confola, & lui promit de s'employer pour fon fervice ; elle en paria a Mamelec, Sc lui demanda avec de fi grandes inftances, la grace de cette belle princelfe , qu'elle lui accorda de fort bon cceur. Tomé V. E e  434 La Reine des Fées. Méridiana accourut vers la princefle , & l'afliira en lui préfenrant une rofe blanche , qu'elle fe trouveroit au bout d'une heure dans la même chambre d'oü elle avoir écé enlevée , fous le même habit & avec la même jeunefle & beauté qu'elle avoit le jour de fon enlévement. 11 eft vrai qu'elle arriva dans le palais du roi fon père; mais comme ce royaume étoit paflé dans une autre maifon depuis un fi long efpace de rems, perfonne ne la reconnut. Le roi qui avoit plufieurs enfans, fur fort furpris de voir la princefle ; on admira fa grande beauté , mais comme il s'agiflbit de lui céder le royaume , perfonne n'ofoit fe déclarer en fa faveur. On examina les archives , & on rrouva qu'il étoit vrai qu'une princefle du fang royal avoit été enlevée par les fées , mais quelle apparence qu'on 1'eüt rendue au bout de deux eens ans. En un mot , le roi ne trouva pas a propos d'approfondir une queftion qui auroir pu lui coüter fa couronne. Comme tous les peuples aiment la nouveauté, & que ceux de Monomotapa marquoienr beaucoup de curiofité de voir certe perfonne fi extraordinaire , on fit craindre au roi qu'il fe pourroit faire quelque foulévemenr en faveur de cette princefle , & que pour fe mettre 1'efprit en repos, & aflurer la couronne a fes enfans, il falloit, en bonne politique, la faire mourir : d'au-  La Reine des Fées. 435 tres, moins cruels , lui infpiroient de maner cetre belle princelfe a fon hls ainé ; mais le roi, qui éroic fort avare , Sc qui s'éroit propofé de tirer aflez d'argent du mariage du prince , pour marier deux de fes filles, rejeta ce dernier avis , Sc réfolut de faire mourir la princelfe , 1'accufant de féduire fes peuples. Elle fur arrêtée ; Sc pendant qu'on lui faifoit fon procés, le fils aïné du roi, touché des charmes de cette belle perfonne, alla déclarer a fon père , que s'il faifoir mourir cette princelfe , il fe jetteroit dans le même bucher qu'on drelferoit pour la brüler. Le roi fut fott offenfé de la déclaration de fon fils , qai ne fervit qu'a hater le fupplice de la rmlheureufe princelfe. Mais la fée Méridiana qui avoit prévu ce qui lui arriveroit., i'alla vifirer dans fa prifon , & la trouva beaucoup plus affligée de la réfolution que le prince avoit prife de mourir avec elle , que de fon propre malheur. La fée lui fut bon gré de la reconnoilfance qu'elle avoir pour ce jeune prince ; Sc après lui avoir promis de ne 1'abandonner jamais, elle lui apprit que le roi fon père avoit caché un riche tréfcr dans un endroit qu'elle lui indiqua, l'affurant que le roi régnanr lui feroit de bon caeur époufer fon fils en lui découvranr ce rréfor. La fée pafla enfuite dans le cabinet du roi , lui paria d'un ton menacant, Sc le traira de cruel Ee 1  43 6 La Rei ne des F i e s." & d'ufurpateur , ajoutanr qu'il étoit ttop heureux de pouvoir aflurer le royaume a fes enfans par le mariage de cette belle princelTe , qui avoit plus de tréfors elle feule que toutes les autres princelfes des Indes enfemble. Elle difparut en achevant ces paroles , & le roi , épouvanté de cette vifion , fut agité d'une infinité de penfées confufes & différentes ; mais fon avarice prenanr le deffus de rous ces mouvemens , il réfolur de s'éclaircir par la princelfe même , s'il étoit vrai qu'elle eüt des tréfors ; & jugeant que la reine feroit plus propre a lui arracher ce fecret, il la chargea de cette commiflion. La reine, artificieufe comme le font tous les Indiens , la flatta & la careffa , 1'appelant déja fa chère bru, & lui exagéranr la forte pailïon que fon fils avoit pour elle, puifqu'il vouloir mourir pour fon fervice. La princefie qui avoit déja vu plufieurs fois ce prince, & qui favoir les obligations qu'elle lui avoit, affura la reine qu'elle feroir ravie de lui conferver ce cher fils , & lui dir que fi les droits qu'elle avoit déja fur la couronne ne fufiifoienr pas , elle lui donneroit un tréfor d'un prix ineftimable : la reine 1'embraifa mille fois y & le ttéfor ayanr été trouvé dans 1'endroit que la fée avoit indiqué , le mariage fe fit avec des magnificences extraordinaires , & a la fatisfaétion réciproque des deux amans.  La Reine des Fées. 437 Méridiana ravie d'avoir fini une fi grande affaire, s'en retourna dans fa grote des Pyrenees. Sa vigilance & fon bon cceur ne lui permirent pas de demeurer long-reras tranquille ; elle fe trouvoit aux couches de toutes les reines , & ne fe contentoit pas d'empècher la fupercherie des auttes fées, elie douoit les princeffes d'une extréme beauté , & les princes d'une grande valeur, & les rendoit même quelquefois invulnérables : deda vient que dans les fiècles paffés, les enfans des rois n'avoient befoin que de leur épée pour conquérir plufieurs royaumes. La réputation de Méridiana s'étendit par-tout Punivers; & quelque envie que les aurres fées lui portaffent, elle les traitoit avec tant de civilité , & elle leur favoit faire de petits ptéfens fi agréables & fi a propos , qu'elle n'avoir prefque point d'ennemis, & étoit généralement eftimée dans tout le corps des fées. Le fecours qu'elle donnoit aux têtes couron- nées , ne 1'empêchoit pas de rendre fervice aux perfonnes d'une condition médiocre; 6c fi elle trouvoit une pauvre bergère qui n eut pas la fotce de défendre fes moutons contre un loup affamé , elle voloit a fon fecours, & la conduifoit dans un bon paturage, d'oü les loups n'auroient pas ofé approcher. Si un Bucheron endormi avoit perdu fa coignée, elle ne dédaignoit point de la lui rap- E e 3  438 La Reine des F é e s. porter, & fi un pauvre voyageur tomboit entre les mains des voleurs, elle fe trouvoit a fa défenfe, & ie garantifibit de leurs cruantés. Enfin , route perfonne qui réclamoit la fée Méridiana étoit affurée d'être promptement fecourue. Ce fur par de femblables acrions qu'elle gagna le cceur des perfonnes de roures forres de conditions, faifant tout fon plaifir a procurer le bien & a empêcher le mal. Comme il n'y a perfonne qui n'approuve les bonnes a&ions , quoique tout le monde n'ait pas la vertu de les faire , les fées étoient ravies de rout le bien qu'elles entendoient dire de leur compagne , & s'appercurent avec plaifir que la terreur qu'elles infpiroient autrefois , fe rournoir en affection , qu'elles étoient bien recues par tout, & appelées dans tous les confeils d es rois , même des families particulière?. Belfunfine & Barbafta , publioient par-toutqu'elles avoient cette obligation a la belle Méridiana , & les autres fées n'en difconvenoient pas. L'ambition qui fe glifie dans toute forte d'états, fit juger aux fées que fi elles choifiifoient une reine, leur corps en deviendroit bien plus confidérable ; puifque cette reine auroir rang parmi les auttes têtes couronnées. Ce projer ayant été applaudi pat toutes les fées , elles arrêtère:it un jour pour faire l'élecbion. S'étant ren-  La Reine dee Fées. 439 dues dans le lieu marqué , 1'affaire fut fort agitée ; 011 y propofa de limiter le pouvoir de celle qui feroit élue: mais ce choix étant tombé fur Méridiana , toutes les fées avoient tant d'eftime pour elle, Sc tant de confiance en fa probité , qu'elles lui donnèrent une autorité fans bornes, jufqu'a pouvoir interdire celles qui lui auroient déplu. Méridiana fut enfuite couronnée malgré fa réfiftance , Sc nonobftant les raifons qu'elle donna pour obliger 1'aflemblée a lui préférer la princefle Merlufim ; cependant elle n'abufa point de fon autorité , & eut encore plus d'égards pour les fées , qu'elle n'en avoit auparavant. Cette bonne conduite les cliarma a un point, qu'elles. n'avoient aucune peine a lui obéir. La nouvelle reine ayant bien établi fa monarchie , renvoya les fées avec ordre de 1'informer régulièrement de tout ce qui fe pafleroit dans les différentes contrées oü elles habitoient; & elle fe rerira elle-même dans fa grotte des Pyrénées , oü elle recut plufieurs ambaflades de la part d'un grand nombre de fouverains qui lui avoient de 1'obligation , & qui la félicitèrent fur fa nouvelle dignité. Son élévation lui donna de nouveaux foins, ne fe ménageant fur rien , Sc toujours empreffée de fe trouver dans tous les endroit? oü elle E e 4  44° La Reine des Fées.' jugeoit qu'elle pouvoit être utile a quelqu'un ; elle foufFroit avec impatience qu'on la remerciat d'un bienfait , & aflüroit qu'elle avoit beaucoup plus de plaifir a le faire , que les autres n'en trouvoient a le recevoir. Elle btèmoit les grands fur le peu d'attention qu'ils onr a faire la fortune de leurs inférieurs , puifque cela leur coüte f peu : elle excufoit les défauts de rout le monde, & ne comprenoir pas comment on pouvoit fe réfoudre i rendre un mauvais office , ou a faire du mal a quelqu'un. Enfin il n'y eut jamais perfonne qui honorat davanrage la vertu, ni qui eut tant d'indulgence pour les foiblefles des hommes. Elle fe laifloit voir tantót dans fa gr0tte , quelquefois fur le Pic de midi , & fouvent dans d'aurres endroirs différens , oü elle écouroit tous ceux qui vouloient lui parler , fe fervoit même des tréfors qu'elle découvroit pour les indigens, donnant aufli libéralement un boilfeau d'or a une' princefle pour être manée , qu'elle donnoit une fomme modique d une bergère , pour réparer la perre d'une brebjs qui lui éroit morte. Une marquife qui aVoit été long-rems mariée fans avoir d'enfans, fur enfin aifez heureufe pour devenir grofle ; elle choifit une femme de confiance qui l'avoit déja fervie pour nourrir fon fils. Cette nourrice ayant fort fubtilemenr changé fon enfant avec le fils de la marquife, ce jeune  La Reine des Fées. 441 homme eut les inclinations fort baifes, & don-, noit mille chagrins a fes prétendus parens , jufques-la que le marquis accufoit la femme d'infidélité , n'étant pas poffible qu'il füt père d'un garcon li mal touiné. La marquife qui n'avoit rien a fe reprocher , gémilfoit 8c pleuroit continuellement ; car a mefure que ce faux marquis devenoit plus grand , fe. mauvaifes inclinations fe découvroient davantage. Elle avoit oui parler de la reine fi'e 8c de fes merveilles , ce qui 1'obligea de faire un voyage aux. Pyrenees pour implorer fon fecours : la marquife fe jeta aux piés de la fée , la conjurant de la faire mourir , ou de changer les inclinations de fon fils. La fée la releva fort gracieufement , & lui dit qu'elle n'avoit aucun fujet de fe plaiudre, ni de fon fils , ni d'elle-même , puifque re fils lui reffembloit de corps 8c d'efprir. La marquife mortifiée & honteufe d'une léponfe qui lui paroilfoit fi défobligeante , fe difpofoit déja a fe retirer , lorfque Méridiana 1'embralfa , & lui apprit de quelle manière fon fils avoit été changé par fa nourrice; comme il lui feroit aifé de le jultifier par une petite matque jaune qu'il avoit fur le bras gauche ; la marquife s'en fouvint d'abord , & eut de 1'impatience de quittet la fée, pour aller chercher fon fils. Méridiana, qui s'en apper$üt , & qui jugea que le voyage lui tparoitroit  441 La Reine des Fées. bien long pour fe rendre auprès de fon mari , & lui faire part de cette bonne nouvelle , lui fit préfent de deux chevaux qui faifoient cent lieues pat heure, & la renvoya trés-contente. Le marquis qui ne pouvoit fe confoler de fe voir O» héritier fi indigne, penfa mourir de joie en écoutanr le recit de fa femme : fon premier mouvement fut de tuer cette méchante nourrice ; mais la marquife 1'appaifa , & ils allèrent enfemble chez la nourrice , qui demeuroir dans une de leurs rerres ; ils lui demandèrent d'abord des nouvelles de fon fils : elle répondit en pleurant , que c'étoit le plus méchant garcon de rout le pays , qu'il laiflbit perdre leur troupeau , & , paiïbir les journées enrières a la chalfe , ajoutant qu'il auroit été bien plus propre a être marquis que berger. Voudriez-vous le changer avec le nórre , lui dit la marquife ? Vous croyez rire , répartit la maligne bergère , peur-être vous feroit-il autantd'honneur que le vótre ; mais, faites mieux, chargez-vous des deux. Pendant ce dialogue , le jeune chalfeut arriva chargé de gibier qu'il préfenta au marquis , avec une politelfe digne de fa naiffance. La marquife qui crur fe voir dans un miroir , en regardant ce jeune homme qui lui relfembloit beaucoup , ne put retenir plus long-tems les mouvemens de la nature , & 1'embraffa a plufieurs reprifes  La Reine des Feês. 443 les yeux baignés de larmes. Nous parlions , lui dit le marquis , de faire un échange de vous avec mon fils, en feriez-vous faché ? Si cela pouvoit être , répartit le jeune homme , fans faire tort a monfieur votre fils, je me fens affez de courage pour foutenir un rang fi illuftre. Oui, continua le père , mais c'eft une néceffiré pour être marquis , d'avoir une marqué jaune fur le bras gauche : le jeune homme retrouffe aufiitót fa manche , & montre fa marqué jaune. Le marquis & fa femme ne pouvant douter de la vérite , 1'embrafierent de nouveau ; & la nourrice voyant le myftère découvert, n'eut pas la force de foutenir fon impofture , & leur avoua le tout. Ce fut par de femblables actions que la reine des fées s'acquit l'eftime & la vénération d'une infinité de peuples. Sa générofité étoit admitée de toutes les fées ; mais il s'en trouvoit fort peu qui vouluffent 1'imiter ; la plupart, au conrraire fe fervoient de leur pouvoir pour faire mille maux aux hommes, & foit par envie ou par malice , elles s'attachoienr d'ordinaire a perfécuter' les belles perfonnes , & fur-tout les grands princes ; ce qui faifoit beaucoup de peine a la reine Méridiana, qui auroit bien voulu être par-tout pour y remédier : elle effaya plufieurs fois a leur donner de 1'horreur pour le mal, & a leur infpirer do nobles fentimens > mais ce fut inutile-  444 La Reine bes - Fie s, ment. II y avoit de vieilles boffues qui ne fe nourriflbient que des larmes & des fanglots des princefles perfécutées , & qui auroient mieux aimé mourir que de celfer leurs malices. Méridiana voyant que la mauvaife liabitude avoit pris le delfts , & que la chofe étoit fans remède, réfolur enfin de fe fervir de fon autoriré & du pouvoir qu'elle avoir de les interdire de leurs fonctions de fée, pour aurant de tems qu'elle voudroir ; elle les alfembla routes, & leur témoigna le fenfible déplaifir qu'elle avoit, de voir que les fées qui feroient honorces comme des divinités li elles s'appliquoient au bien , ne fongeoient la plupart , qua tourmenter les perfonnes illuftres; que les hommes étoient alfez malheureux , par la courte vie, par les maladies, par le manque de biens, & par une infinité d'accidens imprévus qui leur arrivoienr journellement, fans que les fées mifTent route leut induftrie a les perfécuter; que cela lui paroifioit fi injufte, qu'elle avoit réfolu de les interdire pour rrois fiècles , & de ne leur laifier que la liberté de faire du bien , afin qu'elles eufient le tems de s'appliquer a des exercices de vertu s & qu'elles fe corrigeafient de leur maliceinvétérée. Elle leur ordonna enfuire de fe trouver , dans les dernières années du troifième fiècle, dans la falie du chateau de Montargis , qui etoit grande & fpacieufe, pour lui rendre compte  La Reine des Fées. 445 des progrès qu'elles auroient fait, promettant de rétablir dans leur fonctions toutes celles qui fe feroient bien conduites, & qui auroient quelque bonne action pardevers elles. Ce fulminant arrêt fit murmurer toute la troupe; mais il fallut obéïr: la plupart des fées abandonnèrent les monragnes, Sc fe retireren! prefque toutes dans de vieux chateaux, ou elles s'amusèrent a filer, en attendant la fin de leur interdiction, Sc depuis ce rems-la on n'entendit plus parler, ni d'enlèvement, ni dautres lemblables vexations que les léés faifoient; Sc la mémoire s'en feroit perdue , fi leurs Conres ne nous fuffent demeurés. La reine Méridiana , toujours appliquée au bien , fit un voyage dans 1'Arabie heureufe , d'oü elle rapporra le quinquina , la fauge , la bétoine, & plufieurs aurres herbes qui avoient la vertu de prolonger la vie. Elle les planta dans les Pyrénées, oü on les trouve encore aujourd'hui, & dreffa un magnifique parterre, garni de toutes fortes de fleurs, fur le haur du Pic de Midi, fans que le tems ait pu détruire eet agréable parterre , qui fubfifte encore, & que tous les curieux vont voir avec plaifir. Elle s'attacha enfuire , pendant plufieurs années , a connoirre les eaux cryftalines qui fortent des Pyrénées , Sc s'érant appercue que ces eaux avoient plufieurs vertus différentes, elle jugea que fi elle pouvoit  44^ La Reine des Fées. les faire pafler dans les mines d'or, de plomb & de foufre qu'il y a dans ces montagnes, les eaux prendroient la vertu de ces minéraux, 8c feroienr d'un grand fecours pour le foulagement des hommes. Elle examina leurs fources, les fit couler par de nouveaux conduits, & les mêla fi bien, que ces eaux guérifibient toute forte de maladies; & c'eft aux foins de cette illuftre fée que nous devons les eaux de Bagnères pour les fièvres 8c d'autres maladies différenres; celles de Barèges 3 pour routes forres de blefïures; celles de Cautères , pour les indigefïions; Aigue-bonne pour les ulcères, 8c Aigue-caute 3 pour les rhumatifmes. Quoique Méridiana fur bienfaifante pour rout le monde, elle avoit une prédiledtion parriculière pour fon pays, &, fongeant que la plupart des rois de ce rems-la étoient fainéans ou imbéciles , elle étoit touchée de compaflion de voir que les hommes étoient gouvernés par de femblables princes. L'opinion ou elle étoit que les gens de fon pays fe portoient tous au bien, 8c la connoiflance qu'elle avoit de leur bon efprir, lui avoit fouvent fait défirer qu'un prince de Béarn püt régner quelque jour dans le beau royaume de France \ mais comme elle étoit ennemie des injuftices, & que cela ne pouvoit fe faire fans détróner les rois légitimes, elle différa  La Reine des Fées. 447 long-tems Fexécution de ce projet. Enfin elle en trouva 1'occafion par le manage d'Antoine de Bourbon avec Jeanne d'Albret , héririère de Mavarre & de Béarn: la fée difpofa fi bien les cfprits, que 1'affaire réuflit. La reine accoucha de quatte enfans différens, que la fée, qui avoit de grandes vues, abandonna aux deltinées, ne rrouvant pas qu'ils euflent les qualirés néceflaires pour remplir fon projet. Mais enfin , la reine étant devenue grofle pour une cinquième fois, la fée doua 1'enfant d'un bon efprit 8c d'une grande valeur , & fit enforte qu'il fut élevé fans aucune délicatelfe , tout comme les enfans des particuliers, Sc ce fut lui qui parvint a. la couronne de France par £bn mérite, 8c peut-être aufli par les fecours de la fée. Ce prince eut un fils que la fée doua de beaucoup d'efprir, de valeur & de juftice; mais ayant oublié de douet ces deux ptemiets d'une longue vie , 8c s'appercevant que les hommes avoient befoin d'exemples qui leur fulfent longtems préfens pour les cxcitet a la vertil , elle réfolut de réparer cette faute a la premiète occafion; en effet, elle doua le fils de ce dernier prince de la juftice de fon père, de la Valeur de fon ayeul, & y ajouta encore une gtande piété Sc une longue vie. Satisfaite de tant de bonnes actions, Sc fur-  448 La Reine bes Fées. tout de penfer que les Béarnois, qu'elle eftimoit beaucoup, auroient occafion a Favenir de faire quelqu'ufage de leurs talens Sc de leut bon efprit, par la faveur des rois qui fe ttouveroient leurs compatriotes, elle voulut effacer de la mémoire des hommes le fouvenir des fées , Sc fe retira dans fa grotte, oüelle demeura plufieurs années fans fe killer voir a perfonne. II ne s'en falloir qu'environ deux ans que les trois fiècles de Pinterdiótion des fées ne fulfent pafies, lorfque leur reine, qui les avoit afiignées au chateau de Montargis, s'appercur qu'il éroit trop en défordre pour recevoir fi bonne compagnie; néanmoins, comme la ficuarion de ce chateau eft très-avantageufe, qu'il y a une falie forr fpacieufe, une vue charmante, une grande forêt Sc une belle rivière, Méridiana délira que 1'alfemblée y fut tenue ; mais ne voulant pas fe fervir de fon art pour le rérablir, elle fe fouvint que le grand prince qui en éroit le makre, tiroir fon origine du voifinage des Pyrénées, & elle étoit informée qu'il favoir embelhr les maifons avec la même facilité qu'il gagnoit les batailles. Elle fe fervir fort a propos de cette connoifiance, Sc infinua a ce prince de rérablir le chateau de Montargis , ce qui fut exécuté avec autant de diligence que fi les fées y eulfent travaillé; enforte que cette maifon , abandonnée  La Reins des Fées.' 449 abandonnée depuis plufieurs années, fe trouva, en foit peu de tems, en état d'y loger commodément plufieurs grandes princefles. Méridiana y étantarrivée, toutes lesautres fées, impatientes de faire lever leur interdiction , s'y rendirent aufli. La reine les ayant regues trés - favorablement, leur témoigna la joie qu'elle avoit de les revoir, Sc fut la première a. leur rendre compte de fes occupations pendant les trois fiècles de leur abfence. Sa modeftie la fir pafler fuccintement fur tous les biens qu'elle avoit ptocurés, & elle ne paria que de 1'impatience qu'elle avoit eue de les revoir, perfuadée que chacune de fes fceurs avoit bien fait , Sc s'étoit conduite beaucoup mieux qu'elle. La Metlufine, ayant fait une profonde révérence , aflura la reine qu'elle n'avoit jamais perdu d'occafion de faire du bien a. ceux de fa maifon, Sc a beaucoup d'aurres, & quoiqu'elle habitat depuis long-tems les montagnes de Dauphiné, elle avoit cédé fa rerraite aux Chattreux, Sc s'étoit retirée dans le chateau de Saflenage, oü elle faifoit fectètement tous les biens dont elle étoit capable, fans autte motif que la fatisfaction que les ames bien nées trouvent a pratiquer la vertu. La reine la traita fort civilement; Tomé F, F f  45° La Reine des Fées. Sc après lui avoir fait beaucoup d'honneur & donné de grandes louanges, elle leva fon in-_ terdicFion. Une vieille fée, fort chaffieufe & mal batie, fe préfenta devanr la reine , Sc lui remontra qu'elle s'étoit rerirée dans le chateau de PierreEncife, oü elle avoir empêché que les prifonniers ne reg uflent point de lettres de perfonne, & qu'aucun d'eux n'échappat de cette rude prifon , demandant pour récompenfe que la reine lui permït de féer comme elle faifoit autrefois. La reine lui répondit que puifque 1'emploi de geolière étoit fi forr de fon goüt, elle lui ordonnoit de le conrinuer , fans fe mêler d'autre chofey ce jugement fut applaudi, & il s'éleva une grande huée contre la pauvre vieille. Alors une grande fée, de bonne mine, s'avanga vers la reine , & lui apprit qu'elle avoit choifi pour fa retraite le chateau de Moncalier fur le Pó; qu'elle s'étoit ttouvée aux couches d'une duchefiè qui alloit de pair avec les reines; qu'elle avoir doué la petite princefie dont elle étoit accouchée de beaucoup d'efprit, d'une folide vertu, des plus beaux yeux du monde, d'un beau teint, Sc même d'une bonne conduite j forr prémarurée, paree que dès fa naiftance elle l'avoit deftinée a occuper le plus augufte ttóne de Ia terre, ajoütant  La Reine d es Fées. 451 que fa confiance, fur les bonnes qualités de cetre aimable princelfe, avoir été fi loin, qu'elle avoit petfuadé a la duchelfe fa mère , de la donner a 1'épreuve pendant un an, alfurée que plus on la connoïtroir, on 1'aimeroit toujours davantage ; ce qui avoit réulfi comme elle l'avoit dit. La fée voulut enfuite parler de beaucoup d'autres avantages qu'elle avoit ptocurés a fon pays ; mais la reine voyanr qu'elle entroir dans des détails trop délicars, 1'intetrompit, & 1'alfura que ce qu'elle avoit fait pour la charmanre princelfe dont elle venoit de parier , étoit plus que fuffifant pour mériter qu'elle continuat a féer avec la même liberté qu'elle faifoit avant fon interdiction : & pour lui marquer plus fortement combien fa conduite lui étoit agiéable , elle leva encore, en fa faveur , rintetdiction d'une autte fée de fes amies, qui n'avoit tien fait pour mériter cette gtace. II parur une autre fée qui avoir l'air fort compofé ; elle apprit a la'reine, qu'elle étoit depuis long-tems retirée au chateau de Ferrare ; qu'elle avoit empèché, dans plufieurs occafions, les princes voifins de s'en rendre maïrres ,<& que fon zèle pour la religion l'avoit engagée a faire tomber ce beau duché entre les mains du pape : la reine, fans entrer dans aucun détail , la blama d'avoir laiifé éteindre la maifon des anciens ducs de Ferrare, & la renvoya. Ff %  451 La Reine dss Fées; Alors , il fe préfenta une autre fée qui portoit une toque de velours noir fur fa tête, & dit a la reine quelle habitoit au chateau de Boffu en Flandres , Sc que pour imirer les bonnes acFions de la reine des fées, elle avoir cru ne pouvoir mieux faire que de purger le monde d'une infinité de hbertins; que pour j réuflir, elle attiroittous les ans, aux environs de fon chateau, plufieurs milliers d'hommes de routes fortes de nations, & en faifoit périr une bonne partie : la bonne reine eut horreur de cette grande cruauté; & lui ayant reproché la mort de plufieurs héros, elle lui défendir de paroïtre jamais en fa préfence. Une autre fée en habit de chafle fe préfenta devant la reine , & lui dit qu'elle habitoit dans le chateau de Fontainebleau , long-tems avanc que Francois Premier en eüt augmenté le batiment; qu'elle avoit été expofée a une infinité de médifancès ; jufques-la, qu'on la faifoit pafler pour un phantóme , fous prérexre qu'elle chaffoit quelquefois dans la forêt.; qu'elle afliiroit fa ■ féale majefté, qu'elle n'avoit jamais fait de mal a perfonne, évitant même de faire peur aux bergers i Sc qu'elle avoit eu la fatisfadtion de fe trouver aux premières couches d'une fage reine , & de douer fon enfant de routes les vertus d'un héros, & fur-tout d'une bonté femblable l celle de la reine fa mère, Sc qu'elle voyoit avec plai-  La Reine des Fées, 453 fir que ce prince ne s'étoic jamais démenti en rien, foit que le toi fon père 1'eüt mis a la tête de fes armées, qu'il 1'eüt appelé dans fes confeils, ou qu'il 1'eüt chargé d'autres foins. La reine, qui s'intéreflbit beaucoup au prince de qui la fée venoit de patier , leva fon intetdiction, & rit même fon éloge. Une autre fée, qui paroiflbir la fuivante de celle de Fontainebleau, fe jeta aux piés de la reine, & lui apprit qu'elle demeuroit dans le chateau de Chambor , oü elle n'avoit prefque point eu d'occafion de faire ni bien ni mal; que cependant elle avoit toujours eu bonne volonté ; & que ne pouvant mieux faire, elle avoit fouvent empêché les renards de manger les faifans: elle avoua même que la feule malice qu'elle eüt jamais faite , étoit de fe préfenter a un chafleur fous la figure d'un renard , de fe faire tirer plufieurs coups de fulil, & de revenir fous la même figure demander au malheureux chalfeur s'il n'avoit point vu pafler deux de. fes petits camarades j toute la compagnie fe prit arire ,.& la reine aufli. La fée pria cependant la reine de Ia rérablir dans fes prérogatives de fée: la reine y confentit, mais elle les boma a. faire du mal aux renards , aux loups , aux chars, & a toutes les autres bêtes qui mangent le gibier. Ff 5  454 La Reine des Fbes. Une autre fée, qui avoit la mine fort fpirituelle , fe ptéfenta devant la reine, & lui dit qu'elle s'étoit rerirée au chateau de Chantilly, oü elle avoit beaucoup contribué a 1'éducation de plufieurs grands héros; que dans ces derniers tems, elle avoit eu un foin particulier d'embellir la maifon & les jardins, & qu'elle avoit eu 1'adrefle d'y attirer une princefie fi charmanre, qu'elle feule , fans le fecours des eaux & des jardins , fuffifoit pour rendre ce chateau le plus agréable féjour de la rerre. La reine , qui aimoir les actions oü il paroiflbir de la vertu & de l'induflrie, lui permit de féer comme aurrefois. Une nouvelle fée fe préfenra avec des habirs aflez extraordinaires , & dir a Ia reine qu'elle habiroit auttefois au chateau de Heydelberg ; que d'autres fées ennemies de la maifon Palatine , s'étoient rrouvées aux couches de 1'électrice, & avoient donné plufieuts mauvais forts aux princes &: princelfes qui en étoient nés ; qu'elle s'y étoit renconttée une feule fois pat hafard, dans le rems que 1'électrice accouchoit d'une princelfe, qu'elle avoit douée d'une grande vertu, d'un bon efprit, de beaucoup de probiré Sc d'élévation , d'une ame fott noble ; qu'elle n'avoit pas même négligé de lui donner de belles dents , & de beaux cheveux ; mais cette princefle ayant pafle dans d'autres états, & 1'électorat dans des bran-  La Reine bes Fées. 455 ch.es éloignées, oü elle ne connoiffoit perfonne, elle étoit dans la réfolution de ne retoutnei plus i Heydelberg , fuppliant la teine de lui affignet un autre chateau pout fa demeure , & de lever fon interdiction. La reine , fatisfaite de la bonne-foi de la fée Allemande, la rétablit dans fes anciens priviléges , & lui affigna le chateau & la forêt de Montargis pour fa demeure ordinaire. Une aurre fée , fort replette , fe profterna devant la reine, & lui dit qu'elle habitoit au chateau 8c dans la forêt d'Amboife, que même une fois qu'elle fe baignoit dans la Loite , elle avoit empêché le naufrage d'un bateau , 8c que cette acKon feule métitoit qu'elle füt rétablie dans fes priviléges; mais la reine qui fe fouvint que cette fée avoit eu part a la confpirarion qui s'étoit tramée aurrefois dans le chateau d'Amboife , la renvoya fans vouloir 1'écourer davantage. La fée du chateau de Blois fe préfenta devant la reine , & lui dit qu'elle avoit eu foin de conferver a Blois le beau langage 8c la bonne crème, demandant l être rérablie dans fes droirs ; mais la reine qui fe fouvenoit qu'elle avoit donné occafion a tout ce qui s'étoit paffé dans les detniers érats de Blois, & qui avoit la mémoire encore récente des pernicieux confeils qu'elle avoit infpirés depuis peu a un grand prince qui Ff 4  '45^ La Reine des FéesJ habitoit dans ce chateau , lui ordonna de tras vailler a perfectionner la crème de Blois , & lui défendit de fe mêler jamais d'autre chofe. ^ II fe préfenta une autre fée aflez fimplement vètue , qui dit a la reine qu'elle étoit une des plus anciennes fées de 1'univers • qu'elle habitoit dans le chateau de Pons en Xaintonge , qu'elle l'avoit vu avec douleur changer fouvent de mairre , & dans la crainte qu'il ne tombat enfin en de mauvaifes mains , elle en avoir procuré la poffeflïon a un prince , qui n'étoit pas moins recommandable par fon efprit & par une infinité de bonnes qualirés , que par fa grande naifTance ; la reine , en faveur de cette bonne aétion , permit a la fée de continuer a féer comme autrefois. Une autre fée s'avanca , qui dit k la reine qu'elle habitoit au chateau d'Epagny en Bourgogne , dont elle avoit procuré la pofleffion k une grande princefle , qui par fon extréme beauté ; par fon air majeftueux, & par fa bonne conduite , méritoit d'être comparée i la reine des fées , puifque fa réputation étoit connue par-tout 1'univers ; jufques-H que des peuples des extrêmités de la terre en faifoient leut divinité : la fée demanda d'être rétablie dans fes priviléges , & ajouta même qu'elle n'avoit jamais fait d'autre  La Reine des Fées; 457 malice , que de rompre une fois le pont-levis du chateau , pour y rerenir plus long-tems la plus augufte compagnie du monde qu'elle y avoir attirée ; la reine trouva qu'elle étoit de bon goüt, & leva fon interdiction. II en parut une aurre qui avoir la mine fort férieufe, & qui dit qu'elle habitoit dans le chateau de Nancy : que c'étoit avec beaucoup de regrer qu'elle avoit vu 1'abfence de fon prince , que li quelque chofe avoit contribué a 1'en confoler , c'étoit 1'alliance qu'il avoit faite avec une reine d'un fang augufte, qui avoit beaucoup de vertu & de piété ; qu'elle avoit abandonné pour quelque tems le chateau de Nancy , pour fe trouver aux ptemières couches de cette reine , & qu'elle avoit doué 1'enfant d'une bonne mine , d'une grande valeur , & d'une forte inclination de retourner dans fes états; que ce prince fe ttouvant en age d'êtte marié , elle avoir fi bien conduit fes affaires , qu'elle lui avoit procuré une jeune princelfe , qui ne comptoit que des rois & des empereurs parmi fes ayeux ; mais beaucoup moins conlidérable par fa haure naiffance , que par fa docilité, par fon efprit 8c par fes manières nobles. Je me natte , grande reine , continua la fée , qu'en faveur de eet illuftre couple , vous me rétablirez dans mes an-  458 La Reine des Fées. ciens droirs , dans 1'affurance que je vous donna que le premier enfant qui naitta de eet augufte mariage , ne manquera d'être doué fort avantageufement. La reine fe prit a rire, Sc leva 1'interdiction de la fée. U fe préfenra une autre fée , qui parloir un francois corrompu, & qui die a la reine qu'elle habitoit dans le chateau de Rifwick , oü elle avoit attiré par fon adrefle les ambalfadeurs des plus grands princes de la tetre , & après plufieurs conférences , les avoir enfin obligés a conclure une bonne paix. Elle voulut parler enfuire du mérite des princes de la maifon de Naffau , a qui ce chateau appattient j mais la reine qui en étoit ttès-petfuadée , 1'afiura qu'elle n'avoit pas befoin d'autres raifons pour 1'engager i lever fon interdiction , elle donna de grandes louanges a fon zèle , Sc non-feulement la rétablit dans toutes fes anciennes fonctions , mais elle lui accorda la même grace pour une aurre fée, telle qu'il lui plairoit de la choifir. Une fée fort décrépite patut devant la reine , Sc lui remontra qu'elle habiroit depuis ttès-longtems dans le chateau de Loches , oü il ne s'é-, toit jamais rien palfé contre le fervice du prince j que même les Anglois ayant afiiégé ce chateau qu'ils croyoient prendre par famine , Sc  La Reine des Fées. 459 ayant réduit les afliégés a la dernière extrêmiré faute de vivtes, elle imita la voix d'un cochon , Sc fe mit a crier jour & nuit fur les remparts , en forte que les Anglois perfuadés qu'il y avoit encote de grandes provifions dans le chateau , levèrent le fiége ; que d'ailleurs elle avoit été d'une fi gtande délicatelfe fur le choix des gouverneurs de cette place , qu'elle n'y avoit jamais fouffert que des perfonnes d'un grand mérire , & d'une probité connue , fans que dans ces derniers tems oü ce chateau n'avoit plus m garmfon ni fortifications, elle fe füt jamais relachée fur la probité du gouverneur. La reine qui ai-* moir les actions d'honneur , la rérablit dans tous fes priviléges. II fe préfenra une autre fée , qui dit a. la reine qu'elle habiröit dans le chateau de Barcelone , qu'elle avoit toujours aimé les belles actions ; que néanmoins quelque ptédilecFion qu'elle eüt pout fa patrie , elle avoit été fi touchée de 1'exrrême valeur de deux princes qui avoient attaqué fes remparts, qu'elle n'avoit pu leur refufer 1'entrée de fon chateau. La reine répliqua , que toutes les femmes fetoient vertueufes fi elles n'étoient touchées du mérire de quelqu'un , que puifqu'elle avoit eu plus d'attention a la valeur de ces deux héros , qu'a fon devoir , elle lui  460 La Reine des Fées. ordonnoit de fortlr du chateau de Barcelone; & de fe rendre d celui d'Anet oü elle pourroit veiller d 1 'établiflement de cette maifonj lui laiffant la liberté de fe fervir de tous fes anciens privileges pour cela. La reine vouloit firrir la féance , lorfqu'il parut une autre fée, vêtue d la turque , qui dit qu'elle habitoit depuis long-tems au chateau d'Andrinople , oü elle avoit fouvent changé la condition d'une efclave en celle de fultane; 8c que , pour fe conformer au caradère de la. reine des fées, elle avoir vejllé a la confervation des pnnces Ottomans , ayant même fait bannir Ia barbare coutume d'étrangler les cadets pour la süreté de Paine : par-ld, rrois frères avoient régné conféentivement, & enfuite le fils du premier avoir fuccédé d fon père & d fes oncles. La reine leva fon interdidion, donna de grandes louanges d la vigilance de cette fée, & dit qu'il feroit d fouhaiter que toutes les fées eufient la même attention, & veillalfent continuellement d la confervation des grands princes, fe piaignanr qu'il ne s'en für trouvé aucune qui eüt eu la vertu de pafler en Efpagne pour veiller d la maifon royale, mais les fées lui répondirenr qu'elles ne choififlbient que de vieux chateaux pour leurs retraites, & que fa majefté favoit bien qu'il n'y avoit point de chateaux en Efpagne.  La Reine des Fées. 4 1 Le Favori des Fées 3 107 Le Bienfaifant, ou Quiribirinin} La Princeffe Couronnéepar les Fées 3 141 La Supercherie malheureufe 3 1 j 1 L'Ifle Inacceffwle, 169 D' A U N E U I L. La Tyrannie des Fées détruite , 185 Hijloire de Cléonice,  TABLE. Hifloire de la Princeffe Mélicerte 3 pages 140 Agatie, Princeffe des Scythes, 165 La Princeffe Léonice , 19? Le Prince Curieux 3 337 PRESCHAC. Sans Parangon , 257 La Reine des Fées 3 419 Fin de la Table du Cinquième Volume. De rimprimerie de Cl. SIMON, rue Saint-Jacques, prés Saint-Yves, N°. 37.