I E CABINET DES FÉES.  CE VOLUME CONTIENT La suite d?s Aventures d'Ajpaua, ï«* p'H ANif , ou fon Voyage a 1'ile d? Boricp, T«du» tion de l'Arate.  LE CABINET DES FÉES. o u COLLECTION CHOISIE DES CONTES DES FÉES, ET AUTRES CONTES MERVEILLEUX, Ornés de Figures. ■ " *5 TOME TREIZIÈME. A AMSTERDAM, Et fe trouve a PARIS, RUE ET HÓTEL S ER PEN TE, hU DCC. LXXXV.   LES AVENTURES D'ABÖAllA, FÏLS D'HANIF. Hifloirc du Gêant ïlardóun & de la belle Nour: & VHlJloire du Génie Féndouri & de la Princefih Guroudak. C"te ile, pöurfuivir-il, eft ajTei grande 'i & eHe a ece autrefois fort habirce. Je ne vous du-ai pomt d'oi\ fes habitans avoiem tiré leur origine ; maïs ds yivoiefct fans ambirion & fans diftindhon de rangs. Les famiiies aJli^es enrre el es formoient dans le miliea Me er ;,ce dg vdle fans murs. Chacun S"appliquoit fuivan£ fo„ uichnanon, les po. a culciver le riz & Tomé XIII. £ *?  x Les Aventüres millet dans les campagnes , les autres a tirer des cocotiers toutes les utilités que vous favez qu'ils produifent. L'exercice ordinaire des jeunes gens étoit de chaffer dans les bois aux gazelles, animaux timides, que les filles même ne craignoient pas de pourfuivre. Nour , la plus jolie chatfeufe de toute 1'ile l s'étoit comme approprié les coteaux d'une haute montagne aflez voifine de la ville. Tous les matins on la voyoit partir , le carquois plein de flèches, & Tarc a la mam , pour y aller ; êc paree qu'elle aimoit la folitude s ordinairement elle y alloit feule. S'étant un jour aiïife , fort fatiguée, a l'ombre de quelques arbres , qu'un doux vent agitoit, elle entendit a cöté d'elle un bruit foudain, & vit un homme d'une grandeur démefurée. A la grandeur prés, il n'avoit rien de défagvéable. II étoit jeune , fon regard n'ëtoit pas rude„ de grands cheveux chatains, naturellement bouclés , lui flottoient fur les épaules , Sc il tenoit fous fon bras un cédreébranché, qui, dans les occafions pouvoit lui fervir d'appui ou de défenfe. Ce prodigieuxhomme demeuraquelque tems debout, puis il alla, fans rien dire, s'affeoir auprès de Nour, qui écoit prefque morte d'efFroi. Quel deftin peu favorable, lui dit-elle en reprenant fes efprits, m'a condamnée a trouver un tombeau dans ton eftomac ? Ne blamez pas  »' A B D A L L A. j les deftirts de vous avoir conduite ici, répondit le Géant, Sc ne me foupconnez pointde eruauté* S'd falloit en accufer 1'un de nous deux , vous fenez certainement plus embarraflee qüe moi a Vous juftine-r , puifque je ne fais que languit depuis que je vous ai vue la première fois. Je n'ai jufqu a préfent ofé me montrer a vous , de peur de vous épouvanter j je me fuis contenté de vous contempler fans être vu. Que je fus hier enchanté! que j'enviai le bonheür de ia, fontaine dont les ruifTeaux font entendre d'ici leur murmure ! Nour rougit a ces derniers mots, paree que le jour d'auparavant, elle s'étoit baignée avec peu de précaution dans cette fontaine, croyant ïi'être obfervée de perfonne. Je ne dis' rien qui doive vous troubler, continua le Géant; achevez de perdre cette peur mal fondée qui vous a d'abofd faifie. Si la grandeur de mon corps vous étonne, faites attention i fes juftes proportions, c'eft en cela que la véritable beauté confifte. Je puis d'ailleurs hardiment vous vanter ma naidance. Je m'appelle Hardoun. Je fuis fils du grand génie Feridoun & de la princefTe Cheroudah , fille du fultan Raz-Andaz , roi des eent 'des. Ce' prince eft le chef de tous les fages de 1'Orienr. Toutes ces ïles n'étoient d'elies-mêmes que des rochers ftériles , mais par fes enchanremens il Aij  4 Les Avetur.es les rendit feriiles , & en fit autant de petits royaumes. Dans chaque ile il y avoit une vilie grande & bien peuplée , dans chaque ville un palais magnifique , dans chaque palais un trone dor , & fur chaque tröne une figure de RazAndaz , majeftueufement aflife , qui parloit , devant laquelle on plaidoit, & qui rendoit une juftice exacte a chacun. Par une bizarrerie dont le fage Raz-Andaz n'auroit pas du être capable , il avoit fait dépendre tous ces enchantemens de la virginité de Clieroudah , fa fille unique , qu'il gardoit a caufe de cela , avec des foins incroyables ; s'étant lui-même enfermé exprès avec elle dans un lieu inacceffible aux hommes. Feridoun , étant devenu amoureux de cette princefle , furprit pourtant la vigilance du Sage; Cheroudah trouva bon qu'il 1'enlevat. Les enchantemens de fon père furent remplacés par d'autres plus admirables dans 1'inftant qu'ils cefsèrent. Cheroudah jouit de la liberté & de fon >£delle génie. En me voyant, vous voyez 1'unique fruit ds leurs amours. J'avois environ dix ans, lorfqu'un jour Feridoun parut fort trifte. Prefle par mon aïeul de déclarer la caufe de fon chagrin 5 c'efi: vous-même fans le favoir , dit-il, vous m'avez pardonné ma témérité , mais vos protedeurs plus iüfiexibles que vous , ne m«  n' A B D A t L A. j Vont pas encore pardonnée. turafch , R0i des gémes, a condamnécec enfant a être abandonné a Iiu-même , & nous défend de lui faire parc de nos fciences. Vous «e le verrez peut-êtrc plus. II me pritentrefes bras, & difparoifont f me Porra dalls Vilè de Subu , & me dit les larmes aux yeux : „ Mon fils , ne fuyez point les » grands travaux ; ne regrettez pas les voluptés * dcs enchantemens ■ fuivez la vertil, afin que » votre gloire vienne de vous-même. Par mon » aide vous pourrez aller par-tout , mais n'at» tendez que cela de moi, jufqu'a ce que ïin» dignation de Turafch foit paffée „. II s'évanouir en foupirant : Je reftai avec les tigres & les élcphans fauvages , dont je devins bientöc 1'effroi. J'ai parcouru depuis ce tems-H beaucoup de terres & de mers par le fecours de mon père , «Sc j'ai rendu la tranquillité a divers pays que des monftres ravageoient. J'avois abordé ici dans le même defTein , fï de pareds befoins s'of, froient, mais hélas! j'ai perdu moi-même le repos que je prétendois procurer aux autres ; au Reu de faire éclater ma vertu , je me fuis toujours caché , de peur d'être privé de votre vue. Hardoun regarda trirtement Nour en eet endroit de fon récit; enfuite il chanta une longue chanfon qu'il avoit compofée a fa louange. Sa voix bruyante , qu'il entrecoupoit de tems en A iij  € LtS AVENTUR.ES tems du fon aigu d'un grand fifflet, fit taire touS les oifeaux des environs. Quand il eut acheve Nour lui dit fon nom & 1'entretint de fa familie ] après quoi , fejgnant d'ètre charmée de fa conquête, elle lui promit de revenir fouvent, & lui donna pour gage de fon amitié une de fes flèches que le géant mit auffi-tot dans fa chevelure, au-defilis de fon front. Nour fe retira , Sc fe promit bien de ne plus s'expofcr a femblable aventure. Elle ne fortit plus; Hardoun la chercha inutilement dans tous les lieux qu'elle avoit accoutumé de fréquenter. II fouffrit , pendant cette abfence , tous les maux que 1'amour entraine après lui. Tantót il s'imagiuoit que les parens de Nour la retenoient malgré elle j & tantöt qu'une langueuc mortelle , ou quelqu'autre malheur 1'empechoÏE de paroitre. II réfolut enfin de defcendre luimème en perfonne dans la ville. La poitrine couverte d'une peau de lion , & fon arbre a la rnaiu , il quitta la montagne. A peine fut-il appercu du peuple, que routes les maifons furent ferme es, & que tous ceux qui fe trouvèrent a découvert, abandonnéren; ce qu'ils faifoient, pour prendre la fuite. Hardoun voyant que tout fuyoit devant lui, courut légérement après les derniers, & en attrapa un qu'il leva de tetre * le menacant de h je?er de 1'autre coté de la,  d' A ! d a i i a! ? inontagne , s'il ne lui apprenok la maifon da Nour. Le pauvre homme déja a demi-brifé , la lui montra. Nour brodoit un fer-apah {a) pour Scimdy , jeune homme a qui fes parens 1'avoient promife en mariage. Dès qu'elle eüt jeté la vue fur Hardoun, qui, après avoir arraché la porte, fe courboir pour entrer; elle fe cacha les yeux avec fes deux mains , & demeura immobile en atrendanr la mort. Mais le géant lui tint un langage fi doux, qu'il la raflura. Elle compofa fon vifage comme le premier jour. Elle lui fit accroire qu'elle Paimoit, que fans une longue maladie, elle n'auroit pas manqué au rendez-yous de la montagne , & qu'elle n'y manqueroit plus déformais. Le géanr adouci, lui demanda quelques gages de la fincérité de fes difcours. Nour, qui ne fongeoit qua 1'éloigner , lui donna le fer-apah même qu'elle ornoit. Hardoun 1'attacha fur fon épaule , & fier de cette parure & du bon fuccès de fon voyage, il reprit le chemin de la montagne. Les habitans ne 1'eurent pas plutot perdu de vue , qu'ils s'affemblèrent chez Nour. Informés des particulariiés de la vifite , les uns dirent qu'on ne pouvoit fans crime renvoyer la fille a la montagne , paree que le géant ne manqueroit (a) Efpèce de verte. h iv  $ Les Aventur.es pas de la forcer, & par confcquent de la tuer. Mais les autres répliquèrenr que le falut de Nour cauferoit la deftruéfcion de la ville ; que le géant reviendroit, Sc qu'il renverferoit tour. 11 rut déterminé que Nour entretiendroit toujours Hardoun dans de bonnes efpérances, Sc lui promettroit de 1'époufer dans un certain tems limité, pendant lequel on imagineroit les moyens de le faire périr. Cette réfolution prife , Nour fut envoyée au fils de Feridoun , qu'elle trouva adis fur une pierre , d'oü il fè leva pour venir au - devant d'elle. Nour 1'aborda avec une faufle joie , Sc lui débita beaucoup de menfonges obligeans. Har~ doun 1'invita d'entrer dans une grotte qui lui fervoit de palais. D'abord certe propofition caufa un affez grand trouble dans 1'efprit défiant de la fille j mais comme elle étoit en la puiflance du géant, & que d'un autre cóté eet amant ne pa^ roififoit avoir pour elle que des fentimens fort refpectueux , elle ne s'oppofa pas a fa volonté. lis defcendirent donc enfemble dans une vallée détournée qu'un ruifTeau d'eau pure rraverfoit; Sc Hardoun 1'introduifit dans une vafte caverne, ou il la fir afleoir fur un lit de moufle. Tandis qu'elle confidéroit un lieu li fauvage , il ramafla tout ce qu'il avoit de plus précieux, 8c 1'ayant apporté a fes pieds, il lui moRtra chaque chofe ,  d' Abdalla. $ Sc lui dit: » depuis le tems que mon amour me " retient dans cette montagne, j'y ai découvert » des veines dor très-pur, dont j'ai détaché ces » grands morceaux que je vous préfente. Ce » vafe que vous voyez eft d'une feule topafe; » c'eft un préfenr que me fit, il y a deux ans , » le roi de Queronde , après que j'eus étouffé » un dragon qui défoloit fon pays. La poudre » noire que ce même vafe renferme , eft un » chef-d'ceuvre dè médecine ; mêlee avec de » 1 encens, elle guérit routes fortes de bleflures. » Voici un grand nombre de pierres précieufes " que j'ai recueillies en diverfes contrées. Celle» ci éclaire la nuir, celle-la réfifte a la force du » Tary (a) ; cette aurre naït dans la tête du » poifion couronné, elle eft claire ou trouble , » felon le tems qu'il fait fur la mer. En voila » une qui repréfente la langue humaine j elle fait » réuflir ceux qui fe mëlenr des amours d'autrui. » Le pied de cette belle aigrette eft tout couvert » de diamans ; Sobafchid , fultan des monta» gnards de 1'ïle de Borneo, me 1'a donnée pour » honorer mon aïeul en ma perfonne. Ne re« fufez pas , charmante Nour , ce grand collier » de grofTes perles, je 1'ai arraché au faux-dieu » Mehahdeu , dont j'ai brifé la ftatue & détruit { le temple dans 111e dAru ». Enfin Hardoun offrit a fa makrefle des dons d'une valeur ineftiinable, & elle choifit ce qui lui agréa le plus. Elle mangea aulïï quelques fruits qu'il lui préfenta. Elle ne pouvoit s'empêcher d'être touchée de la géncrofité & de la magnificence de fon amant ; mais 1'ingrate étouffa des fentimens fi juftes. Poul- continuer a le tromper , elle lui promit, en fortant, de fonder la volonté de fes parens fur 1'alliance qu'il défiroit faire avec eux, & le flatta d'une réponfe prompte & favorable. Le fils de Feridoun la conduifit jufqu'au pied de la montagne. Elle fut recue dans la ville avec d'autant plus de joie qu'on la croyoit morte. Dès le même jour les habitans fe rafTemblèrent, & creusèrent un puits d'une profondeur prodigieufe , qu'ils couvrirent de quelques branchages & d'un peu de terre, dans le deflein d'y attirer le géant. Les parens de Nour mirent en même tems la dernière main au mariage de leur fille. Scimdy fe rendit chez eux avec grande compagnie ; on ne penfa plus qui célébrer joyeufement les nöces. Mais Mordrek , autre jeune homme qui avoit afpiré pendant plufieurs années a la poneflion de Nour , ne fe vit pas plutot afluré du bonheur de fon rival, qu'il fit éclater le plus afFreux défefpoir, 11 rompit fon baton fur fon genoa, fuivaut  d' A b r> a t t a; ii la coutume de fa nation , 8c après en avoir jeté publiquemenr les morceaux en 1'air , il fortit de la ville s en courant , dans 1'intention d'aller fe précipiter. Arrivé fur le haut d'un rocher, oü plufieurs autres amans défefpérés avoienr trouvé la fin de leur vie j « Rocher , s'ccria-1 •■ il, écoute les » dernières paroles d'un malheureux ! quelque »> dur que tu fois , Nour , la perfide Nour , 1'eft 3> plus que toi. Ah Nour! je fuis 1'objet de ton 3» mépris , & tu as préféré Scimdy a 1'infortuné m Mordrek. Tu as aujourd'hui accepté Scimdy s> pour ton époux. Scimdy, grand Dieu ! Scimdy jj le rebut de la nature. Quel prix a-t-il jamais s> gagné par fon adrefte ? A quelles danfes a-t-il »j réufli ? quand s'eft-il diftingué dans nos forêts 3> avec fon are ? quels vers a-t-il faits ? dans 3> quelle Agani a-t il jamais célébré ta bouche 8c sa tes yeux ? II eft plus riche que moi. II t'a donc s» achetée ? Ah! que fon efclave lui demeure : 8c 3> toi barbare, puifiertu être écrafée fous le poids 3» de ta chaine, 8c me fuivre bientót ». En difant ces paroles, il voulut s'élancer dans le précipice; mais une main puidante le faifit foudainement par derrière, & lui ferra 1'épaule & la poitrine avec tant de force , que eet homme , qui ne cherchoit que la mort s craignit de mourir quelques momens plutot qu'il ne 1'avoit projeté.  ' A B D A L L A. 13 tapis. Peuple maudit & abominable , leur criat-il, traitres qui méprifez dieu & la bonnefoi & qui avez la hardiede d'ofFenfer les enfans del gemes > votre dernière heure eft venue Ces ef&ayantes paroles, & la vue de celui qüi Ies avoit prononcées , jetèrent tous les habitans dans une confternation inconcevable. Les unsfe coulèrent fous les tapis , les autres grimpèrent lur les arbres , le plus grand nombre fe profterna en demandant la vie , les mains iointes par-defTus la tête. Les plus proehes parens de Wour & de Scimdy , prirent Nour entre leurs bras , & 1'oppofèrent au géant comme un boucher , dans 1'efpérance qu'un fi bel objet fe-oic capable d'arrêter fa fureur. Us ne fe rrompèrenr pont, ear il ne leut pas plutöt envifagée , qu'il fe modéïa , & qu'il fe repenrit d'avoir effrayé cdk qL1 d adoroit. Tour changé en un moment » d s approcha d'elle, & dit a eeux qui la tenoi-at* qu ds n'avoient rien a craindre, pourvuquela nmt mcme ils le fiflènt jouir de fes amours Eax qui, dans Ietat oü ils étoient, auroient abandonne au geant toutes les filles de la ville lui accordèrent très-volontiers fa demande & Iai proteftèrent qu'ils n'auroient Jamais pearé * donnet un époux a Nour , s'ils avoient 0fé fe figurer qu'un homme auffi extraordinaire Qns , eut voulu fe marier comme les aut es  i4 Les AventuRês hommes. Le iils de Feridoun approuva ce difcours , & mit fon doigt fur la tête d'un chacun , en figne de réconciliation , puis il s'aflit a cóté de la craintive Nour , que tous les conviés encouragèrent a fervir Sc a entretenir eet hote formidable. Pendant qu'elle 1'amufoit, les principaux de 1'afïemblée fe réunirent a 1'écart, Sc conjuièrent contre lui. Nour, dirent-ils , lui fera avaler autant de tary qu'elle voudra ; fon yvrede fera infailliblement fuivie d'un fommeil profond \ quand il fera endormi , nous faurons bien empêcher ce monftre de s'éveiller jamais. Sans dift férer, le niaitte de la maifon fit remplir du tary le plus fumeux , un grand feau de porcelaine de la Chine, Sc le fit préfenter a Hardoun par fa fille» Le géant également charmé de la liqueur Sc de la main, vida le feau tout d'une haleine. On eut foin de le remplir, Hardoun ne fut pas plus paredeux i le mettre a fee. Ce manége fut continué fi long-tems , qua la fin toute la compagnie s'appercut que le géant n'étoit plus maïtre de fa tête. 11 ne pronon?oit que des difcours confus Sc fans fuite ; fes yeux troublés fe fermoient malgré lui, le fommeil 1'emporta fur fa foible réfiitance , on 1'entendit ronder. Ce fut li le fignal de la viftoire, pour les perfides qui 1'envkonnoicnt.lls luiliètent les mains  tl' A B D A t t Al ij &c les pieds avec de grofles cordes, & s etant armés de tont ce qui fe préfenta , on vit comme autant de pigmées grimper fur ce corps vafte & robufte, & le percer en même-tems par-rour» Ce crime rendit Nour a Scimdy , & la joie a. tous les conviés. Quelques jours après Nour mena fon mari & fes parens a la caverne , d'ou ils tirèrent de grandes richeffes. Mais Feridoun ne fut pas long-tems fans favoir ce qui étoit arrivé a fon fils , & il réfolttt d'en venger la mort d'une manière digne de fa douleur & de fón amour. Les habitans de Me s'étant rendus de toutes parrs a la ville , pour y célébrer une fête, & mériter des prix que la belle Nour devoit diftribuer de fa main ; il fe trouva fubitement au milieu deux , & leur ayant dit d'une voix terrible qui il ctoit il toucha Nour du bout de fon doigr. Tous les membres de cette jeune femme crurenc a vue d'ceil, elle devintprefque auffi grande que 1'avoit été Hardoun , demeuranr roujours néanmoins parfaitement belle, & fes traits confervant leurs charmes en grandidant.Si mon fils vivoir,dit alors Fe génie , craindriez-vous encore que fes carefies ne caufadent la mort a cette créarure ? Et tandis qu'il vivoit, mon pouvoir n'étoit-il pas auffi grand qu'il 1'eft après fa mort ? Ne m etoit-il pas alors pofiible de faire de Nour ce que je  t€ ies Aventtjr.es vienS d'en faire ? Ah malheureux ! vous feriez peut-êtte excufables fi mon fils avoir caché fon origine a cette ingrate , fi vous aviez ignoré 1'étendue de ma puidance , G la tendrefle que j'avois pour lui vöus eut été inconnue. Puifque rien ne vous juftifie , portez tous la peine d'un crime que flulle peine ne peut edacer. Cruelle Nour , de géahte que tu es , deviens montagne i Et vous , parens barbares , coupables alliés , infortunés concitoyens de cette béte féroce, renfermez-vous dans fes entrailles pour les r'onger. Audi-tót Nour prit la forme d'une haute montagne qui occupa toute la place que tenoit la ville , & il ne parut plus perfonne dans toute 1'ile. Mais neuf mois après cette tranfformation , la montagne trembla , gémit, fit de grands mugiOetnens qui étonnèrent les des voifines. Leurs habitans paffètent en foule dans celle-ci, pour ètre témoins d'un fpeótacle qui fembloit fe préparer. Après avoir attendu quehque tems , üs virent fortir par mille ouver,ures un prodigieux nombre de founs qui fe perdirent dans les bois. Ce fut ainfi qu'avec des douleurs très-aiguës , la miférable Nour tendit fous une forme honteufe , tous les complices de fa cruauté. Telle fut la fin de la vengeance ^ Feridoun; mais fa douleur ne finit point. 11 aime cette de , ü la haitj il la protégé ,  fc'ABDALlA. j7 at ^fterilvverfeplusdelannes^uefon fils n y a verfe de f3ng c,eft k th,,tre ^ latthciion la plus opiniitre. Auifi n'y fouffret-iiI pour habitans que des affligés. Elle eft donc habitee , dis-je au Sanron? Elle 1'eft de ci„q Santoas , en me compranr , répondit il. Les quacre aurres s'affembleront ici demain pour faire la prière du point du jour. Le Sanron fe ieva, & après avoir rangé le lieu oü nous étions il nous montra deux parits lies de repos , & fe retira dans fon oraroire , oü il pada PrefqUe toure la nuir a pleurer. Le matinj les quarre Santons fe rendirent cnez lui, & nous faluèrent en gardanr le filence * il y en avoir rrois jeunes & un vie^ ^ aliames nous purifier rous a une fontaine qui «WC a cóté de la cabane, & nous enrrames dans 1 oratoire pour faire Ia prière. Norre fiöre fervir clman. Lorfque la priere fut achevée, il nous dt aHeou autour d'un coffre plus long que large qui eter au milieu de 1'oraroire : & ayant firé d une niche 1'Alcoran, i| en lut un chapirre que nous écoutames avec beaucoup d'atrenrion & de refped. II remir enfuite le divin livre i ia place , puis il s'approcha du coffre & fa coucha deffus en 1'arrofant de fes larmes. La contenance des autres Sanrons éroir forr trifte & la notre auffi, par indtation. Après qu'il fe' Tome XIII. g  l8 les Aventur.es fut relevé , il nous regarda tous deux , & du : Muiulmans, je vais vous monttet le fujet de mes pleurs. Il ouvrit le coffre : nous y Vimes le corps d'une jeune femme parfaitement belle, fi bien confervé, qu'il fembloit qu'elle dormit, ou qu'elle ne fit que d'expirer. Le Santon nous laiffa conddérer affez long- tems eet ob;et dont la vue fit couler de fes yeux de nouveaux torrens: aPrès quoi il referma le coffre , & nous remena dans la chambre , ou nous nous afsirnes. Les vifages changèrent un peu, & s'ds ne pafserent point de la triftefle a la joie , du moms paruLt-ils moins fombres. Le vieux Santon commenca la converfation , en difant que ïendoun ne viendroit qu'a la troifième priere. Si cela eft, dit notre hbte, ces étrangers qui veulent le confulter demeureront Lei aftez de tems pour apprendre les ditTerentes aventures qui nous ont rafTemblés dans cette de : & comme ds fonr fans doute frappes de ce qu'ils viennent de voir , ,e leur raconterai d'abord la mienne , d la compagnie le trouve bon. Tous les Santons ayant témoigné qu'ils en étoient contens , nous lui marquames de notre part combien nous etions fenfibles au fob qu'il prenoic de prevexut no* prières.  D' A B D A L L A. I9 Afenture du Santon \ mari dc la jeune femme. Je fuis, dit-il, fils d'un riche marchand de Mafluhpatan. Mon père m'éleva dans le négoce & dans les rravaux qui en font inféparables°; & quand je fus en üge d'être marié , il me fit époufer 1'infortunée Kakoulé, que je pleure. Elle avoit 1'efprit cultivé , des mceurs douces , un amout tendre pour moi. A 1'égard de la beauté, vous pouvez en juger par les trairs que la mort Sc le rombeau n'ont poinr encore eftacés. Deux ans après notre mariage , mon père f«t informé qu'un commis qu'il avoir a MacafTar , & qui étoit chargé du plus riche de fes magafins, avoic didipé par fes débauches une grande parrie des marchandifes qu'on lui avoir confiées. Je m'offris d allet arrêter ce défordre , & de me jerer pouc cela dans le premier vaifTeau qui mettroir a Ia voile. Mes offres furent agréables ü mon père , mais elles plongèrenr ma chère Kakoulé dans une fi horrible triftelTe, que fa douleur 1'auroit emporrée , fi je ne lui avois permis de me fuivre. Elle renonca donc généreufement ï Ia tranquillité & aux commodités , auxcpielles elle avoit jufqu'alors été accoutumce. Nous nous embar- Bij  le ï. E S AVENTUR.ES quames avec un grand nombre de perfonnes de routes fortes de nations & de conditions. Maxs bientót 1'agitation du vaifTeau , 1'air de la mer , les infomnies, le changement de nourritute, & mille autres défagrémens attachés a la navigation , causètent une révolution dans le tempérament de mon époufe. Elle tomba malade; &C dans très-peu de jours elle fuccomba fous la violence de fon mal. ». Je meurs contente , me » dit-elle , puifque je meurs auprès de roi : la „ feule grace que je te demande , c'eft qu'un „ même tombeau nous enferme, quand le ciel „ aura terminé tes jours ». Dès qu'elle eüt rendu 1'efprit, & que les premiers mouvemens de mon défefpoir furent un peu pafTés , je mis fon corps dans le même coftre oü vous 1'avez vu, & je fuppliai les officiers du vaifTeau de me permettre de le garder. Tandis que la mer & les vents nous furent&favorables, ils ne conrrarièrent pas mes défirs. Mais dès les premières apparences de tempète, quelques marchands fuperftitieux commencèrent a dire que fi nous périffions d ne falloit pas s'en étonner, puifque contre les loix de la mer , nous avions un cadavre dans le vaiffeau. Ces murmures, qui n'auroient pas eu de fuite, fi le beau tems étoit revenu, fe multiplièrent a mefnre que la tourmenre fe renfor^a ; a la fin tour le vaifTeau fe ligua contre mor.  Mes prières, mes Iarmes & mes préfens même furent rejerés. Je me vis contraint de céder a leur aveugle obftination. Je vous conjure , leur dis je alors , de différer au moins encore tin peu a livrei- aux dors une fi précieufe viótime ? que 1'inflexible Monkir vous écoure , comme vous m'exaucerez. En difant ces paroles , je paffai i J'aurre bout du batiment, & m etant confondu pour quelques momens avec les marelors & les foldats , afin que ces hommes inexorables me perdiflent de vue , j'allai , al'infcu de rout le monde , m'enfermer dans le coffre. » ru Tas » fouhaité, chère époufe , dis-je alors a Kakoulé, » comme fi elle vivoit encore ; ton défir fera » accompli : recois cette demicre preuve de ma » tendrede ,». Je fermai un refforr que j'avois autrefois fait faire a ce coffre, pour des vues bien différentes , & embradant étroitement le corps inanimé , je me tins immobile comme fi j'avois moi-même cté privé de la vie. Apparemment que la fureur des vents augmenta encore , car peu de tems après , on enleva le coffre avec une infinité d'imprécations, & on le précipita dans les ondes. Je perdis abfolumenc toute connoiffance, Sc je fes quelque tems le jouet des fiots, qui jetèrent enfin le coffre fuc le bord de cette ile. Feridoun, qui 1'appercur, U tira de 1'eau , 1'ouvrit, & voyant qu'il m& L lij  ii Les Avsntur.es reftoir encore un petit foufïle de vie , il me k conferva par fes foins. Feridoun eft heureux , m'écriai-je , de vous podeder dans fon ïle ; vous êtes un prodige d'amour & de fidéliré : je connois un monarque qui vous préféreroit a fes plus beaux diamans. Quoique nos propres malheurs , dit le plus ancien des Sanrons , nous foient fi préfens , que nous ne pouvons prefque être fenfibles a autre chofe 5 ce que nous venons d'entendre nous attendrit toujours, lorfqu'on nous le raconte. Vous que la jeuneffe rend plus vifs & plus impariens que moi, pourfuivit-il, en regardanr les trois jeunes Santons , faires parr de vos aventures a ces Mufulmans. Les jeunes Santons témoignèrent qu'ils étoienr prèts a obéir, Sc 1'un d'eux qui étois afiis auprès de mei, prit la parole. Nous fommes tous rrois , dir-il, natifs de k grande ïle du Schore-Pulou , & une loi , qui depuis un tems immémorial, y eft rigoureufement obfervée , nous a rendus malheureux. Par cette loi , le troifieme enfant de chaque familie eft privé de ce qui devroir lui revenir des biens de fes parens. Je dis qu'il en eft privé, paree que quoique k loi porte feulement qu'il n'héritera point, a. moins qu'il n'exécute un commandement que le Cadi lui fera lorfqüil aura atteint 1'age de quinze ans, le commandement  d' A b d a l l a." 1? eft toujours fi difficile , qu'il n'arrive prefque jamais que le jeune homme l'accomplifle. L'ordre de la naidance nous a adujettis tous trois a cette loi inhumaine. A VENT URE du premier des jeunes Santons trijies. Pi. l'age de quinze ans , je fus donc préfenté au Cadi avec les formalités otdinaires, car cela fe fait publiquement. II m'ordonna de lui apporter trois dattes au noyau d'or. Après avoir recu eet ordre, ma mère me donna fecrettement une bonne fomme d'argenr , Sc je m'embarquai. En converfanr dans le navire avec quelques voyageurs qui fe raconroient les uns aux aurres leurs aventures , je ne leur fis pas un myftère de letat de ma forrdne. Je leur déclarai en plaifantant le coramandement que m'avoit fait notre Cadi , que je rraitois de vifionnaire. Votre Cadi n'eft pas fi vifionnaire que vous penfez , interrompit un homme de la compagnie j les dattes au noyau d'or crohTent en Afriqne fur le palmier bleu. Mon aïeul qui étoit en grand commerce avec le roi de Souffel (0), Sc qui avoit appris de lui- (ü) Peut-être Sofala. B iv  •*4 Lis Aventur.es même que ce palmier étoit dans une de fes provinces, m'en a entretenu plufieurs fois. Agréablement futpris d'une découverte fi peu attendue, je voulus m'inftruire des difficultés que j'avois a furmonter j mais 1'homme qui avoit parlé m'affura qu'il ne favoit fur ce fujet que ce qu'il venoit de me dire. Nous mouillames a 1'embouchure d'une moyenne rivière de la grande de de Sherne {a) , ou je rrouvai la commodité d'un vaideau qui alloir paffer le canal qui fépare cette ïle de la rerre ferme, Etant arrivé au Souffel , j'interrogeai plufieurs perfonnes fur ce que je cherchois. On me répondit unanimement que le palmier bleu étoit dans Ie royaume , mais qu'on ne favoit pas en quel endroir. De qui avez-vous donc appris qu'il y eft, difois-je? A cela les habirans de Souffel me répondoient qu'ils 1'avoienr appris de leurs ancêtres , gens de bien , &C qui n'avoient nul intérêt a les tromper. J'achetai un cheval, je pris des vivres Sc j'entrepris de parcourir tout le royaume , qui n'eft pas grand. Après en avoir vifité inutilement les deux tiers , je m'arrêtai un foir dans un vallon , ou je m'endormis. Durant mon fommeil , je vis une dame habillée a la mode du. pays , qui me demanda , avec beaucoup de doin («) C'eft Madagafcar,  »' A b d a i x a; 15; ceur, ce que je cherchois. Le palmier bleu, lui dis-je? fi je favois ou il eft, peut-être que je ne ferois pas déshériré. Je lid expofai la loi de ma patrie , & le commandement que j'étois chargé d'exécuter ; & je la priai de m'accorder fon fecours, Puifque vous avez recours a moi, reprit-elle, ce fera votre faure fi vous êtes défhériré. Au fortir de ce vallon vous trouverez une belle fontaine , d'ou coule un ruideau qui va fe décharger dans un grand fleuve , qui n'eft pas fort éloigné de cette fource. Au fond de la fontaine vous appercevrez un perir caillou bleu, que vous ne manquerez pas de prendre , après quoi vous fuivrez le ruideau jufqu'au fieuve que vous cötoyerez jufqu'a un endroir ou il fe parrage en deux branches pour former une ile ou plurót un jardin. C'eft au milieu de ce jardin que fe trouve le palmier bleu. Sur le bras du fieuve, qui eft de ce cóté-ci, il y a un fort beau pont de marbre , dcfendu par vingt - fept léopards qui ne laidènr pafler perfonne. Avant qu'ils vous puident voir, mettez le caillou bleu dans votre bouche , & laifiant païtre votre cheval le long du fieuve , allez a pied au pont &c paflez hardiment, le caillou vous reudra invifible. Quand vous ferez prés du palmier, cueillez trois dattes Sc les emportez, fans toucher aux autres dattes ; gardezvous bien fur-tout d'en manger. La dame  t6 Les Aventur.es difparut; & d'abord que je fus éveülé , je fuivis la route qu'elle m'avoit marquée. Li fontaine, le caillou, le fieuve , le pont, les léopards , fe préfentèrent fucceffivement a moi. En entrant dans le 'ardin , je fus fucceffivement embaumé d'une odeur ravidante qui fortoit des fleurs & des fruits donr tous les arbres éroienr charges. Mais ni ces fruits , ni ces arbres , n'avoient rien de comparable au palmier bleu & a fes dattes. Son tronc fembloit être du plus précieux lapis (,7) de S.imarkande a grandes veines d'or , & fes longu- s feuilles avoient 1'éclat des plus fins faphirs. Que vous dirai-je de fes fruits? On ne peut rien imaginer de fi attrayanr. Je jure par Mahomer &c par AU fon gendre > fils d'Aburalib , que c'eft pour rendre rémoignage a la vérité , que j'en parle ainfi , & non pour exagérer la force de la renration qui me vainquit. En voyant ces dattes , je fus endammé d'un tel déiir d'en manger , que je crois encore a préfent que je ferois mort fur la place, fi je ne m'étois fatisfait. Je tirai donc de ma bouche le caillou bleu , j'étendis la main , & je commencai a arracher , a. manger de ces merveilleux fruits. J'étois enchanté de leur gout: mais que le plaifir (a) Le plus beau lapis vient de Samarkande Sc de Eokara.  »' A b d A l ï a'. 1? fut court! les léopards me virent ; ïls accoi1-* rurent en foufflant & en faifant de grands fauts; fe jetcrent tous fur moi , Sc me renversèrent. J'allois êrre déchiré fans 1'arrivée foudaine de la dame qui m'avoit apparu la nuit. A fa vue, ces bêtes cruelles s'enfuirenr. Je me relevai fur les genoux , Sc me profternanr a fes pieds , je tachai de lui exprimer mon repentir Sc ma reconnoiJTance. Vous avez manqué vorre coup , me dit-elle, reconnoiflez vorre faute , & allez la pleurer dans 1'ile du génie Feridoun , mon parenr, qui eft encore plus affligé que vous. Elle me prit par la main , Sc m'ayant conduit audela du ponr, elle m'ordonna de m'éloigner au plus vite, & de rejeter, en padant, le caillou bleu dans la fontaine. Je le fis dès que j'y fus arrivé , & dans le moment la fonraine s'évanouit. M'étant retourné, je ne vis plus ni le fieuve , ni le pont. Fort étonné de toute cette aventure , mais beaucoup moins furpris des difcours des habitans de Souffel, que je ne 1'avois été auparavanr , je repris le chemin de cette villela j oü je rentrai en mer pour venir ici.  x3 Les Aventvres A VENT URE du fecond des jeunes Santons trifics. IjE commandement que me fit notre Cadi, dit le fecond des jeunes Santons triftes , n'étoit pas moins difficile que celui duquel on vient de parler; mais il eur cela de plus commode , que ce juge ne me cacha pas le chemin que je devois fuivre. La belle Amberboi, fille du génie Arrour, ne vous refuferoir pas fes bonnes giaces , me dit-il, fi vous pouviez les mériter. Alkz donc vous montrer digne d'elle j fon palais eft dans 111e d'Hao. Je fis marché avec le patron d'un batiment porrugais de Macao , qui, en retournant a la Chine, touclia a Püe d'Hao , & me mit a terre. Cetre 'de eft fake en' pain de fucre. De quelque cóté qu'on y aborde, on dccouvre le palais de la fille d'Arrour , qui eft tóti fur la hauteur. Mais on ne peut fe rendre a ce palais que par un efcalier taillé dans le roe, que fix porres magnifiques partagent en autant d'efpaces égaux. Ayant frappé a la première porte, fix derviches {a) fe préfentèrent, & 1'un d'eux tout (a) Religicux Mahomctans. Ils font ordinairemenc  D' A B D A 1 I A; 1$ courbé de vieillede , me demanda qui j'étois , & ou j'adois ? Je répondis conformément a la vérité. Si je pouvois compteL' fur ta fagelTe, reprir-il, je re donnerois de bons avis. Oh! adurezvous , lui repartis-je, que j'en profiterai a merveide ; donnez-les-moi feulement. Le derviche fecoua la tête ; pade , pade , dit-il mon enfant, tu ne ferois rien de ce que je re dirois , tu as trop bonne opinion de toi-même. Jufqu'au revoir. II me toutna les épaules avec fes compagnons. Je montai lentement a la feconde porte , en faifant rédexion qu'effectivement je ne me défiois pas adez de moi-même. Quand on feut ouverte , cinq Calenders (a) fe mirent vêtus de peaux d'animaux féchées au foleil; ils vont tête & pieds nus , ils fe rafent tout le poil qui croit fur leur corps; ils fe brülent les tempes ; ils ont les oreilles percécs, & y portent de gros anneaux de jafpe de diverfes couleurs. (a) Religieux Mahométans plus eftimés que les Derviches. Ils font vêtus d'une petite robe conrte , fans manches , tiflue de poils de cheval ou de chamcau mêlés avec de la laine ; ils fe rafent le poil ils portent des chapeaux ornés de franges de erin, ils ont au cou un gros anneau de fer, & d'autres anneaux de même matière aux oreilles; quelques-uns deux en ont encore un autre du poids de deux livres, attaché a la partie de leur corps qui feit a la génération.  -© L ! S AVENTURES devant moi, & 1'un d'eux me dit: Qui es-tu? ou vas-tu? que veux-tu faire ? Je fuis, répondisje , un pauvre jeune homme , obligé par routes fortes de motifs a fervir la reine Amberboi ; je ne fuis ni adroir ni favant ; mais je faürai bien préférer fes volontés aux miennes. O la divine fcience ? s'écrièrenr les cinq Calenders. Jeune homme , fuis ron chemin. A la rroifieme porte , quarre Santons [a) m'arrêtèrent, & celui qui me paroidoit être leur chef, me dir : Tu viens , felon routes les apparences , fervir la reine; quel falaire en efperes-ru? & combien de rems prérends-ru demeurer a fon fervice? Je répondis que je ne voulois point d'autre récompenfe que le plaifir de lui obéir j que je la fervirois autant que je 1'aimerois , & que je 1'aimerois toute ma vie. Bonne réponfe, dirent les Santons, en me faifant place. Je les faluai, & afTez content de moi , je gagnai la quatrième porte, ou je rencontrai trois Mullahs (è). Eft-ce par force , me dirent-ils , ou fi c'eft par amour, que ru viens fervir la reine ? fi elle re commande des chofes impodibles , lui obéiras-ru? La reine eft trop jufte , répondis-je , pour impofer des loix dont 1'exécution foit impodible. (a) Prctres Mahométans. (£) Curés Mahométans.  i>' abdalla. jj II eft vrai qu'un prefTant motif d'intérêt m'adabord engagé a venir lui offrir mes fervices-, mais a préfent cette raifon n'eft plus , c'eft de mon plein gré que je veux étre a elle. Monte , répliquèrent les Mullahs. La cinquieme porte me fut ouverte par deux Imans {a) • voici quelle fut leur queftion : Si tu étois le maitre de choifir, qu'aimerois-ru mieux, ou demeurer avec la reine , ou qu'elle allat demeurer avec toi ? Si j'étois maïtre de choifir', je ne choifirois pas , leur disje , je m'en rapporrerois a la reine. Fort bien, repartirent les Imans, continue ta route. Une nymphe {b), des plus mignonnes , fe trouva a la fixieme porte. Si ma maïtrede vous juge indigne de fes bontés, me dit-elle, que ferezvous ? Charmante nymphe , repartis-je , je la fupplierai de m'en rendre digne j & je la défierat de m'empêcher de 1'aimer. Si elle vous aime a fon rour , répliqua la jeune nymphe, contentezvous de fa perfonne, & ne défirez rien de plus. Après eet avis, elle m'introduifit dans 1'appartement de la divine Amberboi , J qui je fis un don de moi-même en baifant Ie bord de 1'eftrade qui portoit fon tröne. Levez-vous, me dit-elle, j'accepterai vos offres , fi vous favez (a) Docleurs Mahomctans. (i) A la Icttrc il fant traduire Gïnc du fecond ordre.  jt Lis Aventüres obéir. Deux nymphes me prirent par les maln*» & m'emmenèrent. Pendant un mois j'obéis exactementatout ce qui me fut commande , & je mappereus que les beaux yeux de la terne 'ui dans les commencemens etoient 1 muitte rence mème , devenöient de jour en jour plus favorables. Elle m'aima enfin très-ardemment: , & fon cceur étant dans cette heureufe dupobtion elle me tint un jour ce difcours : Tu m as aagriee par tes foumidions j mais ce heu eft peu Propre a nos pfcrffes. Des gines curieufcs & Lufes , qui fe difent mes amies , en favent trop bien la route , nous y ferions ccop tot dccouverts. Je fais un réduit dclicieux ou -nous ferons beaucoup moins expofés : aüons-y. Je lui marquai que j etois tout prêt a la fuivre. Preparons-nous donc au dépatt, cönnnua-t-elle , en me faifant entrer dans un grand cabmet, Cétoit fon tréfor. 3'y vis avec étonnement hx tables d'or , fur chacune defquelles il y avoit un «and vafe de turquoife de viedle roche, rempli derichefTes ineftimables. Le premier etoit plein de topafes; le fecond d'émeraudes, le troifieme de rubis } le quatrième de faphus 5 & le cmquieme de diamans & de perles parfaitement rondes, grofles comme des noix de galle. Le dernier vafe qui étoit plus grand que les autres, renfermoit toutes fortes de bijoux fi délicatement travadles,  d' A b d A l 1 A." 3 j travaillés, que 1'art y furpafloit la matière, quoique la matière ne fut qu'or & pierreries d'une perfect ion achevée. Mon cher, me dir Amberboi, prenez dans ce tréfor tour ce qui vous plaira le plus, afin de 1'emporter. J'étois ébloui j mais me fouvenant fort bien du confeil de la nymphe: ma reine , répondis-je, je n'ai des yeux que pour vous feule ; vous me faites injure. En difant cela, je fis femblant de vouloir fortir du cabiner. Amberboi me retint en me jetant au cou fes beaux bras ; & avec un fourire qui fembla m'ouvrir les cieux , au moins , me dit-elle, ne refuferez-vous pas cette bague ? Elle en prit une qui éroit dans le vafe aux bijoux , & me la mie au doigr. Je confidérai quelques momens la bague, 8c je m'appercus qu'au lieu d'un diamant, c'éroit mon portrair qui y étoit enchade. Je fus fi furpris & fi charmé d'une nouveauté fi galante, que je dis a la belle Gine que je croirois commettre une grande incivilité , fi je ne laifiois pas cette bague oü elle avoit elle-même daigné la mettre. Amberboi changea tout a coup de vifage, &c avec une contenance fiére & dédaigneufe , impofteur , me dit-elle , fourbe , ingrat , parjure , tu aimes donc aurre chofe que moi ? Fui malheureux , fui, va t'idolatrer. Ces paroles me frappèrent comme "un coup de foudre. La fille d'Arrour fortit. Cinquante nymphes de fa fuire, Tome XIII q  j4 Les Aventures furieufes comme des lionnes , entrèrent, & fans que je fine aucune réfiftance, me tramèrent jufqua la feconde porte de 1'efcalier taillé dans le roe. Cette porte & les autres, jufqu'au bas de 1'efcalier , étoient ouvertes , & tous les gardes m'attendoient au paflage pour précipirer ma fortie. Les deux imans me faifirent chacun par un bras, & me lancèrent avec impétuofité aux mullahs ; ceux-ci me poufsèrent de routes leurs forces vers les fantons, les fantons m'envoyètent avec plus de roideur encore aux calenders, &c les calenders me firent pader fi rapidement l'efpace qui étoit entr'eux & les derviches , que je ne fais fi je touchai a terre. Je rombai fans haleine & a moirié morr au milieu de ces derniers, qui me laifsèrent refpirer un peu de tems en fe moquant de moi , & en faifant retentir toute la montagne de leurs huées. Quand je me fus remis , je 1'avois bien prévu, mon fils , me dit le derviche , courbé de vieillede , que vous n'auriez pas un grand fuccès. La préfomption eft la fource de trop de vices, 1'amour propre eft trop impérieux ou la vaniré règne. Sortez , allez vous afieoir fur ce rocher, ajouta-t-il, en attendant que quelque vailTeau paffe. Je fortis , il me montra un rocher fur le bord de la mer, & d ferma la porte. J'allai me mettre fur cette roche, & y pleurer ma folie. Je demeurai en ce lieu-la  d' Abdalla. 35 plus de trois femaines , pendant lefquelles Ie derviche m'apporta tous les jours un peu de riz Sc quelques herbes amères. Mes cris Sc mes fignaux afrerèrent le premier navire qui parut a ma porree ; il m'envoya fa chaloupe \ Sc quand » je fus fur le poinr d'y monter , le vieux derviche me confeilla de me réfugier dans cette ileci le plutót que je le pourrois. Je me trouve bien d'avoir fuivi fon confeil. Ave is! tvre du troifieme des jeunes Santons trijies. Ij'orbre que me prononca le Cadi de notre ville, dit le troifieme des jeunes Sanrons triftes, ihdigna rous ceux qui 1'enrendirent, paree qu'ils le trouvèrent plus impodible a accomplir que tous les commandemens qu'il eut fair en pareil cas depuis dix ans. Va prendre, dit-il, 1'ane du Daggial (a) dans la montagne de Caf, & me 1'amène. Je retournai a la maifon , fort rrifte. Ma ttiftede attendrir jufqu'a mes frères. Ils confentirent que mon père Sc ma mère me donnadent une trés - grode fomme, bien perfuadés (a) L'ante-Chrilt des Mahométans. Gij  f% Les Aventures cUe de ma vie je ne leur ferois a charge. Je prikt l a premie occadon, del'de de Schore-Pulou dans la rerre ferme , ou j'achetat un efclave , deux bons chevauK, lun pour mor, laurre pour lui, Sc une mule pour poner des provifions. Je Varmai , j'armai auffi mon efclave , a. qm ,e promis la liberté & des préfens au retour de notre voyage , & nous primes le chemm des Lntagnes. Comme celle de Caf entoure toure la terre,tl ne nous fut pas difhcde d en trouver la chaïne , & quand nous y fumes, nous la fuivimes a petires journées, en nous traxtant tor bien & en nous informant avec fom du Daggial &defonane dans tous les „eux habités. Nous jnarchames pendant rrois grands mois fans en rien apprendre. Un matin, après avoir traverfe un petit bois affez touffu, nous entendimes derrière nous des cris menacans, mèlés de quelques autres qui fembloient être pouffés pour exciter lacompaffion. Frère , dis-je a mon efclave , detoUrnons notre mule de la vue des paflans,& retournons fur nos pas , pourvoir ce que c s cris fignifieut. Siquelque malheureux a befom denotrefecours,hafardonsnos vies. Le pertl oU ils font tombés aujourd'hui, nous menace "t-ètre pour demain. Uefclave , qui ctoit nomme de réfolution , fit palier la mule dans un hallier fort épais ,& après 1'avoir attachee ,  D* A B D A L L A'. 37 il me rejoignic. Nous mïmes nos arcs en étar,' & nous courumes au bruit. Nous vimes trois hommes adoffés a un gros arbre, qui fe défendoient courageufemenr contre fept brigans. Nous décochames fans héfiter fur les adaillans, & de nos deux coups nous en mimes deux par rerre. Un fuccès pareil fuivit notre feconde décharge. Les trcis qui reftoient vinrent a nous comme des tigres déchahiés ; mais dans le rems que le cimetèrre tiré , nous nous difpofions a les bieu recevoir , les trois hommes que nous avions délivrés , & qui s'étoient mis a leur pourfuite , les atteignirent, & les percèrenr. J'embraffai ces voyageurs, trés - fatisfait des remercimens qu'ils me firent , & je leur dis : Medieurs , je crois qu'il vous eft aflez indifférent audi bien qua moi, d'entendre les dernières paroles de ces miférables j ainfi je votis confeille de venir avec moi vous donner une occupation moins ennuyeufe. Je les menai droit a la mule. Nous fimes enfemble furl'herbe un repas ou ils mangèrent de très-bon appétit. Je leur racontai le fujet de mon voyage, & je les exhortai a me dire franchement ce qu'ils en penfoient. Une bonne ceuvre n'eft jamais perdue , dit 1'un des trois voyageurs ; nous pouvons vous inftruue mieux que perfonne , de ce que vous cherchez, car nous demeurons au pied de la montagne ou. Ciij  3S Les Aventures eft 1 ane du Daggial , & nous n'ignorons pas ce qu'd faut que vous fadiez pour vous rendre maitre de eet animal. Loué foit dieu , chers amis, mecriai-je , vous finiflez mes peines. Ne nous darrons encore de rien , reprit le voyageur, on ne vient pas toujouts a. bout de ce quon entreprend , mème avec le plus de connoidance. Continuons notre marche j quand vous ferez fur les lieux , vous aurez tout le tems de confulter votre cceur. Au refte vos montures ne peuvent que vous nuire déformais ; car il faut entrer bien avant dans les montagnes, par des chemins prefque impraricables. Je demeurai quelque rems penfif, puis prenant courageufement mon parti, je fis vider les paniers de la mule, & je divifai nos vivres en cinq parts. Nous nous chargeames chacun de la nótre, les trois voyageurs & moi ; après quoi je dis a mon efclave: la cinquième te fuffira pour aller jufqu'au premier lieu habité ; je te donne , avec la liberté, ces trois animaux &c cette bourfe ; prie dieu pour moi. Je lui mis dans la main une bourfe ou il y avoit vingt-cinq fequins. L'efclave ne recut mes dons qu'en pleurant; pout moi , je fuivis a pied mes conducteuts. Nous marchames fix jours entre des précipices , & enfin nous arnvames dans une vallée bien arrofée & fort verdoyante , dans laquelle paidoit une grande  d' A b d a. l t a; 39 multitade d'animaux utiles. Il y avoit dans cette vallée de grandes maifons grodièrement baties , oü celui qui me portoit ordinairement la parole, me fit entrer , & oü il me traita avec une magnificence ruftique. Quand tout fon monde fut retiré , il me dit : » feigneur , fur le fommet » de la montagne a laquelle nous touchons , » il y a un bois qui n'eft compofé que d'arbres » odorifcrans. C'eft dans ce bois que fe tient » 1'ane du Daggial , paree qu'il ne vit que de » bonnes odeurs. Il eft noir comme de la poix , » & il a des ailes de même couleur. Il ne peut » fouffrir, ni la moindre infection, ni la moindre 5j pefanteur fuperdue, nila moindre crainte dans s> celui qui le monte. Les précautions a 1'égard jj des deux premiers articles , fonr aifées a preny> dre ; mais, feigneur, pefez bien le troifièine j » car fi lane de Daggial vous fenr timide , » lorfque , comme un aigle , il s'clèvera avec r> vous dans les nues , c'eft fait de votre vie, r> il vous précipitera du ciel en terre». Le courage ne me manquera pas , mon cher höte, lui répondis-je ; ne fongons qu'a nous remettre de nos fatigues. Deux jours après je le priai de me fervir de guide. Ayant long-tems montc , nous nous arrêtames auprès d'une ttès-belle fontaine. Je m'y lavai depuis les piés jufqua la tête j j'y lavai audï mon far-apat, & le peu de Civ  40 Les Aventures vêtemens que j'avois gardés. Mon hote prit congé de moi , en difant qu'il ne pouvoit aller plus loin, de peur d'encourir 1'indignation du Dag'gial, & en me fouhaitant routes lorres de profpérités. Je montai jufqüau bois odoriférant , ou je trouvai 1'ane tel qu'on me 1'avoit dépeint. Il me laifla approcher de lui, il fouffrit même que je le carelTade, & je le caredai aflez long-tems afin de l'accoutumer un peu a moi. Enfin , je fautai deflus , & dans 1'inftant il déploya fes grandes ailes, & commenca a fendre 1'air avec une rapidité merveilleufe. Enmoins d'une heure, je me vis au-dedus de 1'océan. Je n'avois nulle peur j je me dattois même déja que mon cceur ne pouvoit en êcre fufceptible , lorfque je vis devant moi, au milieu des nues , un gtand géant noir , armé d'un javelot de feu , qui m'attendoit pour me petcer. Quoiqu'il fur noir , fa barbe , fes cheveux, & les autres poils de fon corps étoient blancs. II n'avoit qu'un ceil & un foutcil; mais eet ceil étinceloit comme une comète , 8c le regard en étoit horriblement effrayant. C'étoit le Daggial lui-même. Je 1'avoue, une vifion fi épouvantable me troubla , je fus faifi de crainte. Peut-être me ferois-je rafluré, mais c'eft ce que 1'ane n'attendit pas. 11 fe dreffa en fecouant 1'échine du cou j forcé de lacher  d'Abdalia. prife, je tombai dans la mer. Ven iffez de bonheur pour n'être pas fuffoqué d'abofd. Je revins au-deffus de 1'eau , fuivanr la coutumë, & comme je fai nager , & que d'ailleurs j'crois vêtu forr a la legére, je m'y fourins. Des pêcheurs qui n etoient pas loin de-la , & qui avoienr entendu le bruit de ma chute, s'avancèrenr promptement avec leurs barques , & me tirèrent de 1'eau. J'appris deux qu'ils. étoienc d'une ile voifine de celle-ci , & avec quelle humaniré le génie Feridoun accueilloit les fidèles affligés. Cela m'engagea, après m'être rétabli pendant quelques jours , a les fupplier au nom même de ce genereux génie, de me paffer dans fon ile ; ce qu'ils m'accordèrenr très-volontiers. A FE 'NT URE du vieux Santon che\ la Reine des montagnes. ï , e troifième des jeunes Santons triftes ayanc ceffé de parler •, je me fuis aufli rendu dans 1'ile de Feridoun, dit le vieux Santon , fur la grande réputation de générofité que ce génie s'eft acquife a jufte titre. Après avoir pade ma jeunefle dans les armées , ou j'avois donné , dans routes les occafions qui s'en étoient offertes, des preuves  4i Les Aventures de ma valeur a 1'invincible Jehan-Guit ; ce Sultan des Mogols , pour récompenfet mes fervices , me mit a h tére de mdle chevaux. Une marqué fi glorieufe de fon eftime ayant encore animé mon zèle , je continuai a le fervir fidélement, & a prodiguer mon fang dans routes les guerres qu'il entreprit. La dernière expédition a laquelle je me trouvai, fut le fiége de Candahar , ce rempart de la Perfe , que le Sophi croyoit infurmontable. La prife de cette importante place ayant terminé la campagne , tous les officiers eurent ordre de mener leurs troupes en divers endroits du royaume qui leur furent marqués. En mon particulier, on me commandade mener la miemie a la frontière du pays d'Ancheran. Pour y arriver, il fallur traverfer les hautes montagnes qui féparent le royaume de Thibet de la province de Cabul. Ces montagnes, ou plutot les vallées qu'elles forment, font hal bitées. On y rencontre non-feulement des hameaux , mais auffi des villages très-peuplés. Quoique je pritTe les mefures les plus juftes pour loger rous les foirs ma rroupe dans les meilleurs endroits , il arriva pourranr que la grande difEculré des chemins nous ayant un jour empêchés de faire une affez longue traite , nous fumes obligés d'arrèter dans un hameau qui n'étoit compofé que de fept ou huit méchantes car  D' A B D A 1 t A. 4J banes. Contraints de camper contre notre ordinaire , nous dépliames nos rentes ; & comme il étoit d'aflez bonne heure, nos officiers chercbèrent un lieu comn-ode. Ils découvrirent, a 1'extrémiré d'une petire vallée adez agréable , un grand édifice qui n'étoif, ni tout-a fair entier, ni tout-a-fair ruiné j & ils demandèr<. nt aux gens du pays ce que c'étoit ? C'eft , leur dit un vieux montagnard, la forterede de la reine de ces montagnes. Les légitimes poffedeurs ayanr été forcés de 1'abandonner a caufe des courfes des Perfans cette dame s'en eft empatée. Elle y demeure avec fa cour depuis environ quinze ans, & n'y fouffre aucun érranger. Quelle perfonne eft-ce que cette reine , reprirent les officiers, de quelle familie eft elle ? quelle eft fa fuite ? fait-elle beaucoup de dépenfe ? Je ne fai, repartit le montagnard , de quelle race elle eft; elle a 1'apparence d'une belle princede, & néanmoins je ne crois pas que ce foit une femme compofée de chair&d'os, car je J'ai vue plufieurs fois voler comme un oifeau. Ses gens font auffi des chofes furprenantes , & ils font en fi grand nombre, qu'ils pourroient faire une petite armée. Ils ne s'arrêtent jamais ici, ils ne nous patiënt que trèsraremenr, & perfonne ne fait de quoi i's fubfiftent. Nous n'ofons approcher de la forterede depuis que cette reine y demeure; plufieurs de  44 Les Aventures nous ayant penïé perdre la vie pour s'être trop avancés de ce cótéda avec leurs troupeaux. PatIe croilTarit , dit U-dedus un des officiers, voici raventure la plus digne de notre curiofué que nous puiffions rencontrer. 11 ne faüt pas la laider échapper, & puifquü nous cefte encore adez de jour, faifons paffier nos cavaliers dans la torterede ; elle eft vafte , nous y ferons plus a 1'abri que fous des rentes. Vous verrez , ou que la reine n'ofera paroïtre, ou qu'elle ne paroitra que pour nous faire accueil. Croyez-moi, la vue d'une tróupei comme la notre ren< r »n gracieux Afmough {a) même. Le payfan repllqua , qu'il ne leur confeilloit pas de fe Her a cela : mais les autres officiers qui étoient de jeunes étourdis pour la pluparr , ne laidèrent point d'approuver la propofition téméraire de leur camarade. On vint me rendre compte de cette délibération. Etant au moins auffi curieux que ceux qui 1'avoient faite, je commandai aux cavaliers de marcher, & aux montagnards dapporter du bois, des vivres, & tout ce qud y avoit de lampes dans le hameau. Lorfque nous fumes entrés dans 1'édifice , nous le vifitames, & 1'ayant trouvé en bon état (a) Divemalin qu'Aherman emploie pour femer la iifcorde entte les hommes.  V A B D A 1 L A? 4 Jij pour un Heu abandonné , nous diftribuames les compagnies ca & la , le plus commodément qu'il nous fur poflible. On fit grand feu partout, on mangea , on but, on fe réjouit; chacun tinr néanmoins fes armes en état. Je foupai avec tous m;s officiers dans une belle falie que nous nous éions réfervée , & qui fut éclairée de toutes les lampes du hameau , que j'avois fait fufpendre tout autour des murailles. Après nous ètre divertis jufqu'après minuit, nous commencames a fentir les approches du fommeil ; mais un tintamarre effroyable qui fe fit affez prés du lieu ou nous étions, nous obligea de penfer a toute autte chofe qüa dormir. Notre nombre, & un courage fignalé en mille occafions, ne nous " permirent pas d'avoir peur : nous primes nos armes , 8c tournés du cóté de la porte , nous attendïmes avec intrépidité ce qui devoir arriver. Le bruit ceffa tout-a-coup ; ce n'étoit apparemmênt qu'un fignal. Peu après nous vïmes paroirre la prérendue reine des montagnes , précédée d'une douzaine de gardes bien arm és , accompagnée de plufieurs dames, très-richement parées , & fuivie d'un grand nombre de gens , qui, a leur air, & a la beauté de leurs armes & de leurs habits , fembloient ètre autant de Rajas. La reine étoit audi très-magnifiquement liabillée.  Ag Les Aventur.es J'arrètai d'abord mes yeux fur elle, & elle me parut fi aimable, & en même-tems fi digne de tefpeft , que je demeurai comme interdit. Qaoi , feigneur , me dit-elle dun ton farmlier , je vous furprens chez moi le fabre a la main ? Eft-ce donc ainfi que vous faites vos vifites ? Madame , répondis - je , j'efpère que vous pardonnerez aifément cette incivdite a un homme qui s'attendoit a trouver ia des enne-. mis. Peut-être en avez-vous trouve en eftet, repartit la reine, mais il faut d'autres armes que celles que je vois pour les défaire. Comme je me préparois a répondre galamment a ce difcours enjoué , un brutal , qui fembla fe detacher de ma compagnie , s'avangant & mettant infolemment la main fous le menton de a reine, lui dit qu'il s'oftroit a fe battre avec elle en la manière qu'elle 1'entendoit. La reine fit un pas en arrière , en marquant un grand trouble. Une de fes dames fauta aux yeux du téméraire , aucuel je donnai un grand foufflet. Au meme inftant tous ceux qui étoient dans la falie hauffèrent le fabre. Les officiers de la reme vouloient venger leur maitteffe , les miens crioient que le coupable feroit puni. Les foldats dilperfés dans la fortereffe , accoururent au brult. En très-peu de tems la falie fut fi pleme , qu'on ne pouvoit ptefque s'y remuer.  d' A b d a 1 i A. 47 La reine fufpendit pour un moment le défordre, en demandant X celui qui Favoit caufé , qui il étoit ? Ce malheureux ne répondit pas un mot : fur quoi fes gens dirent qu'il étoit fans doute du nombre des miens. Mes officiers fubalrernes qui ne 1'avoient jamais vu, foutinrenr avec moi qu'il étoit de la maifon. L'on s'échauffa , il y eut plufieurs démentis de donnés de patt & d'autre , les coups fuivirent, chacüri s'acharna fur fon voifin , les lampes furent abartues, le fang commenca a ruifleler de tous cètés. Les ténèbres, au lieu de rallentir la fureur des combartans , la redoublèrent , Sc Ie carnage dura prefque jufqu'au jour. Alors ceux qui reftoient virent, a la porte de la falie, la reine qui faifoit de grands éclats de rire;' & qui , la joie peinte fur le vifage , leur dit : » Ouvrez les yeux , miférables, reconnoiflez-vous , & apprenez a ne jamais loger dans la maifon d'autrui fans en avoir obtenu la permiffion. J'avois deux profondes bleffures, & quoique la perte que je venois de faire de prefque tout mon fang m'eut óté la force de parler , je ne laiffai pas de voir 1'exécrable fantóme Sc de l'entendre. Cette feconde apparition fur fuivie d'une affreufe furprife. Nos yeux furenr dégagés de l'enchantement funefte qui les avoir fafcinés jufqua ce moment j la rage qui nous  Les Aventures poffédoits'évanouui nous nous trouvames fans ennemis, & nous reconnümes que nous ne nous étions armés que contre nous-memes. Dabord t0us ceuxqui püren^e mouvou, «anfpo^tes d'un jufte reffentiment , coururent a la reine pourfevenger cruellemenr de cette perhdie■ Lis elle difparut en continuant de fe moquet de nous. . , > Réduits au quart de ce que nous avions ete , nousne penfames plus qui rendte les dernlers devoirs auxmorts.&afoulager les Heffes. On fit alalvare des brancards, & on nous porta dans les cabanes, ou nous recouvrames peu-a-peu la fanté. A mefure que quelqu'un guenfloit , je le faifois partir pour 1'Ancheran , ou j'avois envoyé les autres dès le lendemain de 1 aventure. Hs croyoient tous que je ne manquerois pas dalier les trouver ; mais la home de ce qui rftó arrivé, & le défefpoir ou m'avoit plonge la malheureufe deftruétion de la troupe la plus lefte de 1'armée de Jehan-Guir, moterent laffurance de reparoitre devant lui. Audi-tot donc cue ie fus en état de marcher, je recommandai Aceux qui languiffoient encore de venir me joindte au plutót dans 1'Ancheran ; & au heu d'en prendremoi-mêmela route , ,e tirai vers la mer. Vous ne doutez pas , Meffieurs, que ce ne fut en maudiffant 1'abominable Dive, qüi, apres  d' A b d a l l a. 49 après avoir faic changer de figure a la moitié de mes cavaliers , avoit mis cette moitié aux mains avec 1'autre, par le moyen d'un fpectte qui commenca la querelle. Le tems s'étant infenfiblement ccoulé psndant tous ces récits, notte Santon fortit pour regarder le Soleil , & étant rentré, il nous avertit que 1'heure de la feconde prière approchoit. Nous nous levames, & nous nous féparames les uns des autres , pour nous y préparer par le bain , 8c par de pieufes rédexions. La prière faite, nous primes notre réfeétion en commun, & la compagnie ayant fouhaité que nous lui fidions part de nos aventutes, nous la contentames. 11 n'eft pas trop mal-aifé, nous dit enfuite notre Santon, de deviner ce que vous dédrez favoir du génie Feridoun ; mais fouvenez-vous de ne lui donner que laqualité de génie (a), ne 1'appelez ni dive, ni peri. De grands foupirs dont le fon venoit de dehors la cabane, nous annoncèrent le maïtre de 1'ile,, Le Santon chez qui nous étions , alla prendre 1'alcoran , 8c s'étant mis a la tète de fes confrères , il nous ordonna de les fuivre. Nous mar- (a) Feridoun ne veut pas qu'on 1'appelle dive, paree qu'il 1'eft , ni peri, paree qu'il ne 1'eft point. C'eft un dive converti. Tornt XIII. D  j0 Les Ave n t u r e s chames jufqu'a 1'entrée d'une grande allée que la nature avoit forméc au mdieu du bois , 8c nous nous y tïnmes debout, rangés en haie. Feridoun fe montra un moment après a 1'autre extrémité , & il s'avanca vers nous a grands pas. Les arbres agités par fes foupirs , faifoient un bruit pareil a celui que les grands vents excitent dans les forèts. Les plus hauts co'cotiers ne lui venoienr que jufqu'aux épaules •, & néanmoms ïl étoit li bien proportionné dans tous fes membres , que fa ftature ne paroiffoit pas énorme. U étoit très-beau de vifage, mais d'une beauté male 8c pleine de majefté. Ses bras repliés l'un fur 1'autre , embradbient fa large poitrine. II fe tenoit la tète penchée fur le devant, Sc il reeardoit fixement la terre , comme un homme abïmé dans une profonde mélancölié. Quand d fut ï vingt pas de nous, il s'arrêta. J'avangai avec Almoraddin a la fuite des fantons; & après que nous 1'euroes tous falué rrois fois comme on falue le fultan des lndes , en nous ihclinant jufqu'a terre , notre chef ouvrit refpeótueufement l'alcoran , 8c y Uit a haute voix ces ver- fets. v - „ Au nom de dieu trés-clément, & rres-mife„ ricordieux. Dis au peuple : j'ai appris par une „ infpiration que quelques génies m'ont écouté , „ lorfque je lifois l'alcoran , & qu'ils ont dit:  d' Abdalla. 51 « nous avons ouï lire le miraculeux alcoran , il » montre la voie droite , nous ajoutons foi a ce jj qu'il contient. Nous ne croyons pas que dieu » air des compagnons, nous fommes perfuadés 3> qu'il n'yj a qu'un feu! dieu, qui n'a ni femme 35 ni ménage. Nos ignorans blafphêment contre 3> fa divine majtfté, quoique nous n'ayons jajj mais jugé qu'il leur fut permis de le faire. Il » ya des hommes qui n'implorent que 1'aide des » efprits crécs , & qui augmentent leur propre >3 confufion, en alTurant que dieu ne fera ref» fufciter perfonne. Quelques génies ont dit : n nous avons été jufqu'au ciel , nous 1'avons » trouvé étoilé & gardé. Nous nous fommes » arrètés en un endroit un peu écarté , pour >■> écouter. Une étoile épie les curieux , & les » chaflTe. Nous ne favons pas fi dieu haït les j> hommes qui font en terre, ou s'il veut leur » découvrir le droit chemin ; mais nous fommes 33 a préfent du nombre de ceux qui croyent fon 33 uriité. Ils ont dit : O peuple , nous étions au33 paravant dans la voie de 1'erreur , nous nen33 fions que 1'attèntiori de dieu ne s'étendit pas » jufque fur la terre ; mais la vérité eft que 33 perfonne ne peut fe fouftraire a fa puiffance. 33 Nous avons ouï lire le livre qui enfeigne la j> voie droite , nous y ajoutons foi. Celui qui 33 croira en dieu, n'aura peur d'aucun malheur. Dij  ji Les Aventures „ ni d'aucune injuftice. 11 y en a parmi nous qui » font bons & qui fe confient en dieu. En eet endroit le fjnton ferma le livre. Le génie tranquiUifé & confolé pat la lecture, demanda, audi doucement qu'il le pouvoit faire, qui étoient, & ce que fouhaitoient les deux Mufulmans qu'il voyoit pour la première fois. Cette qualité qu'il nous donnoit , nous adura de fa bienveillance. Je fis figne a Almoraddin ; Sc nous étant avancés-, généreux génie, dis-je a Feridoun, vous u'ignortz peut-ètre pas qui nous fommes , &c ce qui nous a conduits devant vous; mais puifque vous commandez qu'on vous le dife , ce jeune homme , fils d'un marchand , a perdu les deux tiers de fon bien, en manquant deux fois Ia belle Zulikhah, reine du Barroftan, Sc ii perdra encore le tiers qui lui refte, s'il la manque cette fois-ci. Pour moi, je fuis un des efclaves de Chah - Jéhan. Pcufle d'une louable curiofité, je voyage pour me cultiver 1'efpnt Sc les mceurs, & principalement pour découvrit 1'ile de Borico , oü fourr une fontaine dont 1'eau fait rajeunir ceux qui en boivent. O génie bienfaifant, nous doutons du fuccès de nos enrreprifes ; éclairez-nous par vos confeils. Le génie répondit: que celui qui s'eft tü fuive ponduellement les avis de celui qui a parlé ; & que celui qui a patlé, efpère tout de la bonne ceuvre qu'il  b' A b d a i i a! 53 fait. Nous nous baifsames profondément, après avoir recu cette courte réponfe , & les fantons nous ayant dit tout bas de nous retirer, nous retournames a la cabane Quoique ce foit a vous a régler ma conduite, dit alors Almoraddin en m'embndanr, fi vous voulez men croire , nous repaiTerons a notre navire , nos gens pourroient s'impatienter. Repadons-y, lui répondis-je, mais que ce foit pour en rapporter quelques témoignages de notie reconnoidance. Nous defcendïmes donc au rivage, Sc étant rentrés dans la chaloupe , nous retournames au navire , nous criames , en y montanr, que nous ne venions chercher perfonne. L'étonnement & la joie éclatèrent enfemble dans tout 1 equipage. Le pilote qui avoit tremblé jufqu'alors , nous accabloit d'interrogations , auxquellea nous didérames de fatisfaire. Almoraddin choifie par mon confeil , trois pièces de btocard d'or pour Feridoun , & compofa le préfent deftiné pour les fantons , de cinq pièces de fin drap , de cinq belles jattes de porcelaine, Sc d'un fac de prunes de Bokara Sc d'abricots Kichmiches. Nous retournames dans 1'ïle , Sc aptès avoir mis tout cela a la porte de la cabane du fanton qui n eeoit pas encore revenu ; notre devoir eft rempli, dis-je a Almoraddin , embarquons-nousj tout de bon. Un vent frais qui s'étoit levé penj Diij  j4. Les Aventures dant la nuit, nous promettoit une heureufe na- vigation. CONTINUATION DE 1'HlSTOIRE d'Almoraddin & de la Reine Zulikhak. En effet nous neumes pas plutót déplié les voiles , que le navire fut légérement emporté entre le nord & 1'orient. Quand nous eumes contenré la cutiofité du pilote Sc des mariniers, nous nous retirames en particulier , Almoraddin Sc moi, pour raifonner. L'oracle qui nous avoit d'abord paru fort confolant , nous embarrada. Pour réudir , dit Almoraddin , je dois fuivre pon£tuellement vos avis. Cette ponaualité m'inquiète ; car avec la meilleure volonté du monde, fi je viens a manquer a la moindre circonftance, je n'aurai pas été ponduel, 1'entreprife échouera, & ce ne fera pas la faute de l'oracle. Je ne fuis pas moins intrigué que vous , lui répondis- je. Le fuccès que je défire, dok ètre la récompenfe du fecours que je vous donne ; mais fi par inadvettance je laide échapper quelque obfervation a faite , ma bonne ceuvre fera défedueufe , Sc nous ferons tous deux fruftrés de notre attente. Mais, continuai-je, ne rafinons-nous pas unpeu  d' A b d a l 1 a. 5f trop ? Je ne faurpis croke .que le génie ak voulu nous tromper \ or ce feroit nous trompet, que d'exige: de nous une exaótkude, dont communcment les hommes ne font pas capables. Confidérons nos devoirs d'un ceil plus fimple. Et comme j'ai plus de raifon que vous de m'atracher a vos intéréts, racontez-moi plus au long que la première fois ce qui .s'eft paflé entre veus & la reine.du Barroftan , n'oubliez pas la plus petite ckconftance. Almoraddin fit ce que je fouhakois. J'épiuchai avec une attention fingulière routes les particularités de fes aventures ; elles firent le fujet ordinaire de mes rédexions dans le refte du voyage de Sumatra. A la vue du port, nous otnames le vaifTeau d'une infinké de banderoles de roures les couleurs. Nous entrames enfuite comme en triomphe, au bruit de notre artillerie. Nous jetames 1'ancre a une jufte diftance de la ville , fans détacher perfonne pour y porrer de nos nouvelles \ & en attendant qu'on vint a nous , nous fïmes entendte une mufique de timbales , de katnas (a), & de plufieurs autres fortes d'inftrumens , qui artira tout le peuple au bord de la mer. La reine & toute fa cour nous regardoient avec autanc (<0 Karna eft une efpèce de hautbois long d'une brafle & demic, 8c qui a un pied d'ouverture par le bas. Div  5 veuille que vous obfetviez mieux la loi de » notre reine que les deux autres fois. Pourquoi » différez-vous de defcendre ? craignez-vous de » n'ètre pas recu a bras ouverts ? » Ce qui m'arrête , répondit Almoraddin , c'eft 1'incertitude oü je fuis de ce qui peut arriver au meilleur de mes amis. 11 me montta, en difant ces paroles. Si j'allois , continua-t-il , être encore dépouillé &c renvoyé , le retiendroit-on malgté lui ? que la reine daigne s'expliquer la-dedus. L'officier alla faire fon rapport, & étant revenu peu de tems après; la loi, dit-il a Almoraddin , vous mettroit en pofTeffion de la petfonne de la reine, & ën pofTeffion de fes biens , fi vous rempliffiez la condition marquée \ elle ne vous accorderoit rien de plus. L'équité exige donc auffi que fi vous manquez a la condition , cette même loi ne confifque au profit de la reine que votre perfonne & vos biens. Ainfi votre ami eft en süreté. Si vous faites une troifième faute , il fera libre  t' A B 0 A 1 I Al 57 de demeurer ou de vous fuivre ; mais il faut qu'il jure qu'en ce cas la il ne vous donnera aucufl fecours jufqu'a oe que vous foyez forti des états de norre maitreiTe. Que ne m'a-t-elle donc gardé', reprit Almoraddin , puifque la loi me rendoit fon efclave ! L'officier répliqua : elle laiffe la liberté a fes amans , ou afin qu'ils reviennenr, ou paree qu'elle ne fauroit fouffrir long-tems leur vue. Les coupables , repartit Almoraddin , en rougidant, méritent fon indignation ; ils méritent auffi de revenir. Je prêtai le ferment qu'on fouhaitoit de moi. Ayant fait avancer le navire ■, nous defcendïmes, précédés de nos joueurs d'inftrumens, &c fuivis du rede de notre monde , tous habillés très-proprement. Dès que je vis Zulikhah , je ceffai d'être furpris des folies d'Almoraddin. Je crois fermement que les pucelles du paradis ne font pas plus belles. Le jour que vous arrivez, ditelle a fon amant, je vous prends pour un prodige d'amour; pourquoi faut-il que la nuit me détrompe ? Almoraddin demeura muet un moment, puis ne fachantque répondre au reproche, il fit valoir du mieux qu'il put 1'excès d'amour qu'elle lui atttibuoit elle même. Il me préfenta de fort bonne grace a Zulikhah, baucoup plus éloquent fur notre amitié , qu'il ne I'avoit été fur fon amour. Après les premiers complimens,  •jg Les Aventures je m'écartai adroitement pour aller retrouver nos gens. Je les renvoyai la plupart au vaiffeau , en leur réitérant certains ordres que je Lur avois dé ja donnés. Avec les autres je me tranfportai dans un des logemens du Bazar , ou je préparal tout ce que j'avois a faire ce jour la. Les chofes ctant en état, je retournai au palais. Almoraddin , adis a coté de la reine , Sc tout occupé de fes beautés , faifoit femblant d'admirer le chant, la danfe & les tours de foupleiTe d'une troupe de jolies Kenchenys (a). Je me mêlai parmi elles , pour ètre plus en hberté de voir & d'écourer les courtifans, & je me mis a faire mille bouffonneries. Je remarquai qu Almoraddin plaifoit a toute la Cour ; qu'on déploroit fon fort ; & que ce n'étoit qu'avec douIeur qu'on s'artendoit i le voir malheureufement renvoyé le lendemain. Quelques-uns difoient que la reine étoit plus a plaindre que lui, & qu'elle 1'aimoit fans doute , comme elle en avoit fujet. D'autres ajoutoient que rien ne pouvoit ctre plus douloureux a une jeune princede que d'être contrainte de voir tomber un amant aimé dans une faute que la féparation feule expioit. Les jeux furent fuivis d'un grand fouper, ou je (a) Danfeufes & chanteufes de profeflion. Il f cn a beaucoup dans les Indes.  d' A b d a l i a." 5 9 n'obfervai rien de particulier, finon que la joie que faifoit paroïtre Zulikhah, n'étoit qu'une joie étudiée. Je le teconnus par le férieux ou elle retomboit toujours malgié elle , & d'ou elle ne fortoit qu'avec un petir eftort. En devenant féricufe , elle envifageoit Almoraddin ; en ceflant de 1 etre , elle tournoit fes yeux ailleurs , & s'amufoit avec les autres convives. Je conjecturai de la qu'elle aimoit Almoraddin, & qu'elle ne fe favoit pas trop de gré de cette inclinatiou. M'étant dérobé de la compagnie fur la fin du repas, je trouvai a la porte de la rue , comme je m'y attendois , trois de nos gens les mieux faits , avec les préfens d'Almoraddin. Le Barroftan produit de la poudre d'ordu poivre , du camphre & du benjoin. J'avois réglé la-deffiis nos préfens. Les porteurs étoient habillés, par mon ordre , a la mode du pays; je m'habillai comme eux, & je les conduifis dans la falie du feftin. Nous nous rangeames tous fur une ligne , nos préfens dans les mains, vis-a vis de la reine , qui, n'ayant été avertie de rien , fut fort furprife. Nous fimes le falam en grand filence. Le premier porteur s'avanca & mit fon préfent aux pieds de Zulikhah , puis il revint a fa place. Son préfent étoit la plus belle corbeitle qui foir jamais fortie de la Chine , pleine de paftilles très-rares, avec un peu de. camphre par-  ÏJo Les Aventures deflus feulemenr pour la forme. Le fecond préfent , de Ia même manière, une made d'ambre gris du poids de fix livres , couvert de petits morceaux de benjoin , dans un bafiin d'émail du Japon. Le troidème offrir un petit arbre d'or mafllf, planté dans un vafe de criftal de roche, rempli de poudre d'or qui fervoit de terre a. 1'arbre. Quand mon rour fut venu , je m'avancai auflï , mais au lieu de pofer , comme les autres, mon préfent fur 1'eftrade, je Ie mis entre les mains de Zulikhah, en lui difant: » reine de » Por & des parfums, ne dédaignez pas les pré»> mices du poivre. J'ofe vous prier d'accepter »> ces grains, paree que je fais qu'ils changeront » de nature, & qu'ils deviendront très-précieux » entre des mains accoutumées a faire des mi>» racles. ». Mon préfenr étoit une grande boete de vermeil doré , pleine de fort belles perles. Zulikhah 1'ouvrit , & après avoir confidéré ce qui étoit dedans , elle dit avec enjouement , qu'elle ne favoit pas encore qu'il y eut du poivre blanc d'une fi charmante efpece. Elle nous remercia enfuire, & nous congédia de la même facon qu'elle auroit fait fi nous avions été effectivement fes fujets. Nous fortïmes ; mais comme je me revêtoïs de mes habits , deux de nos mariniers arrivèrent tout hors d'haleine , & me dirent *  d' A b d a l l a. 's% » Seigneur, tout eft en combuftion dans le na» vire , nos gens commencent a s'égorger les » uns les autres ; les moins forts , ou plutor » les plus enragés , menacent de mettre Ie feu » aux poudres, tout eft perdu fi Almoraddin » difftre de paroure. „ Audi-tót je pris avec moi ces deux hommes, & les ayant menés avec précipitation devant la reine & devant Almoraddin, je leur fis répéter ce qu'ils venoient de me dire. Almoraddin demanda très-inftamment la permidion d'aller calmer les efprits , & 1'ayant obtenue a condition de retoutner incelTamment au palais, il courut avec moi au port. D'abord que nous fumes entrés dans le vaideau , les menaces des combattans, Ie cliquetis des armes , les gémiflemens des bledes, en un mot, tout Ie bruit qu'on avoit entendu, cefTa. C'étoit une pure comédie que j'avois fait jouer, afin de pouvoir enttetenir Almoraddin , & lui donner mes derniers confeils après avoir tout examiné. II les recut avec une grande docilité. Je le reconduifis moi-même a. la reine, ï qui il fit un récit agréable ducarnage imaginaire qu'il venoit d'arrêter. Lorfque 1'heure fut venue , la belle Zulikhah commanda i fes officiers de me loger dans un des appartemens du palais, & en préfence de toute fa cour, elle introduifit dans fa chambre 1'amoureux Almoraddin.  Les Aventures Suite de l'Histoire d'Almoraddin, & de la Reine Zulikhah. Ö-an s le court tête a-tête que j'avois eu 1'adreffe de nous ménager dans le vaiffeau, j'avois tenu a-peu-prèsce difcours a Almoraddin.» Puifque fuivant l'oracle dn génie Feridoun, votre fort eft attaché a 1'exécution de mes avis , écoutez-moi. Je conjefture que Zulikhah vous aime , qu'elle voudroit vous avoir pour époux; & que cependant , par une bifarrerie qui parolt incompréhenfible , c'eft elle - même qui vous empêche de le devenir. Elle eft fans doute contrainre d'en ufer ainfi. Quelque loi fecrette l'obli?e a tendre des pièges aux hommes qu'elle attitetVous voila fur le point d'entrer dans la chambre nuptiale ; c'eft la , fans doute , que vous aveztoutacraindre.Ce qui s'v paffe fe rcduit a un fort petit nombre d'adions. D'aimables efclaves vous préfentent des liqueuts & des confitutes, vous en prenez ; on vous déshabdle , vous vous couchez. Et je m'endors , interrompit Almoraddin en foupirant. Quoi! repris-je, déja de fombres vapeurs vous appefantiffent les paupiètes ? Je ne vous dis pas cela, répondi^  d' A b d a l t a.' il , je neus jamais moins d'envie de dormir. Prévenons , continuai - je , ce funefte fommeil qui vous a déja ruiné deux fois „. i> II n'eft point naturel. Je me défie des mains qui vous ótent vos habits ; elles ont pu vous frotter adroitement de quelque drogue afloupiffiante. Je me défie encore plus de ce que vous mangez. Mais ce qui m'eft parfaitement fufpecl:, c'eft ce que vous buvez. Tous les jours on endorc auffi vïte , & pour autant de rems qu'on veur, les gens qu'il importe d'endormir. II n'eft point de liqueur qui ne s'allie avec 1 opium. Si vous m'en croyez , vous vous abftiendrez de manger. Ne buvez pas non plus ; faites pourtant femblant de boire. Ne fouffiez point que les efclaves vous deshabillent. Si , comme je 1'efpère , votre raifon vous refte lorfque vous ferez couché j ne laidez pas de ronfier , afin que la reine trompée par cette rufe innocente , aille , fans aucune crainte , prendrë fa place auprès de vous ». Almoraddin fut trésattentif k ces avis , & me promit de les exécuter avec toute 1'adtede & toute Ia ponérualité poflïble. Je me flattois d'avoir touché au but; &quand j'entrai dans mon lit , je ne doutois pas que je n'eulTe donné un roi au Barroftan. Je me trou-vois au comble de la joie en fongeant que ce  £4 Les Aventures roi étoit mon meilléur ami. Mais je ne fus pas aiTez heureux pour m'endormir fut une penfee h douce. U m'en futvint d'autres qui me remphrent 1'ame de mille inquiétudes. Je me figura, qae le lit oü 1'on faifoit couchet Almoraddin ctoit un lit enchanté; que fon fommeü etou 1 ef&t de quelque talifman , & que par conféquent routes LsqFécautionsavoientétéinutile,CescruelleS rédexions me tourmentèrent fans relache : la peur que j'avois que mon ami ne dortmt, me fit veiller prefque toute la nuit. Dans le tems que 1'autote , en repandant a «ofte, faifoit 1'ablution générale de tource qu elle éclaitoit i je fis la mienne , qui fut aufii-tot fuiviedesgénuflexions,& de la pnete prefcrite parlelivre(a) de gloire. Je joignis aux invocadons ordinaires des vceux très-ardens; mats ce ne fut pas fans diftradion que je macquittai de Ldevoirs:car,quoiqu'ilfütfimaun ,entendoisunbfuitfoutdc,confus dans tout le palais. Comme j'achevois, un des eunuques de Ctinevintme'prier de fa part de pad-er dans fon appartement. En y allant, eet homme ne Linuapasmesalarmes-llmedrtquelech des eunuques venoit de chatger un grand nombre de gens d'aller avertit les grands-offiaers, les (a) L'alcoran. , . x emirs.    X>' A .B D A L L A. j 6"5 emirs , les magiftrats de la police j les.docleurs, les imans-, les fup.érieurs des derviches, & les chefs du peuple , de fe rendre. daiis.la falie du divan. .E.c letranger, Uui dis-je., que dcvient-il ? Je n'en.fais rien, répliqua 1'eunuque ; il a fair t&nt de biema la reine ', que s'il ed. encore malheureux, il mérite au rricins u 1 congé for lennêl. . . Ayant.,été introduit chez la reine., je penfai niounr de joie..]Zulikhah , vermeide comme La plus vive des Houris; ('g ) dü. paradis,' & Almoraddin pénétré, ou plutót enivré.de p.laifir, m'artendoien: a demi-habillés. Dès.' qüils m'appercurenr, ils fautèrent au cou 1'un Ce 1'autre, & s'avancant vers moi fans fe quitter, ils me direnr: Jugezde nqus par ce que vous nous voyez faire. Ils m'embradcrent tous deux a mon tour , &c me ferrèrent avec un' emporte'uient. qne je leur pardonnai aifément. Votre .ami .m'a trompte, me dit la charmante Zulikhah.; mais c'eft, vous quiêtes; le maitre fburbe'; vous porterez.la peine de. votre .crime & -du den. Cher ami, ajonta 1'heureux Almoraddin , je vous dois ma félicité. Que votre boidieur , interrompis - je , foit un prélude de'celui que le-prophéte nou: a promis. (a) Mahometrcmplit ('on paradis de belles fillcs, cjui n« «effent jamais d'êcre pucelks, & il les appelle houris. lome XIIL E  66 Les Aventures Jouiflez 1'un de 1'autre, vivez contens en attendant les voluptés parfaites du féjour délicieux ou coulent les deuves de lait Sc de malvoide. Mon lit Sc le vótte, ont été cette nuit 1'image de ce monde-ci ; mes inquiérudes ont adurément égalé vos plaifirs. Cette réflexion morale donna lieu a des plaifanteries. Les époux me racontètent les aventures de la nuit. Le picge, aind que je 1'avois prévu , étoit dans la Hqueur. Almoraddin fit beaucoup valoir la dextériré avec laquelle il Favoit répandue dans le haur de fa robe) la reine fit une defcriprion fort divertiffante des attentions qu'elle avoit eues , & de la fécurité parfaite avec laquelle elle s'étoit couchée en entendant ronfler Almoraddin. Le foin de s'habiller fuccéda a cette agréable converfation. Les femmes de la reine la revêtirent de fes habillemens les plus pompeux. Des efclaves fort adroits ornèrenr Almoraddin de tant de pierreries , que j'étois tenté de le comparer au Grand-Mogol mon maitre , lorfqu'il daigne accepter les hommages des autres fouverains. On ne lui mit tontefois fur la tête qu'un turban commun ; mais il y en avoit un autte très-riche qui lui étoit deftiné. Le chef des eunuques le potta dans fes mains immédiatement devant la reine , lorfque nous la fuivimes au divan.  d' A b d a l l a G~J La joie & 1'admiration paroiflbient a 1'envi fur rous les vifages de la nombreufe afTemblée qui y étoit. On y gardoit un fdence qui tenoit de 1'extafe. Zulikhah s'aflït fur fon tróne avec une grande majefté : Almoraddin fe tint debout a. fa droite, & le chef des eunuques a fa gauche. Elle paria en ces termes : « Mes chers amis , 3> vous favez tous que la reine Aïfchah , ma 33 tante, a qui dieu falie miféricorde, m'a laiffe 33 ce royaume par fon teftamentj mais, cxcepté 3> mes quatre principaux miniftres, vous ignorez 33 tous a quelle condition elle me Fa lahTé. Je 33 veux aujourd'hui vous faire part de fa dernière 33 volonté , puifque je 1'ai fidèlement exécutée. » Vénérable interprète de la loi, continua-t-elle 33 en fe tournant vers le Mufti, levez-vous, lifez ss tout haut la claufe dont 1'obfcure rigueur m'a » tant de fois fait défefpérer de me marier ,,. Le Mufti fe leva, & ayant tiré de fon fein un rouleau , il le développa, & lut a haute voix ces paroles. « Quoique je ne fois pas mariée , mon in33 tention .n'eft pas que Zulikhah demeure ,3 vierge : la fynagogue célefte des Prophètes 33 qui bénilfent dieu , & qui tous ont eu des 33 mères , ne me fauroit guères de gré d'une 33 telle difpofirion teftamentaire. J'ordonne , au » contraire, a ma nièce de fe marier , pourvu Eij  'ë% Les Aventures m que ce foit a un étranger , d'un age Sc d'une » condition convenables. Mais le choix ne dé„ pendra , ni d'elle , ni d'aucune autre per5> fcnne. Bien loin de choifir parmi les étran„ s?;ers qui viendront la rechercher , fous peine 5S d'être privée de Ia' couronne, elle empêchera 9> fufnfamment chacun d'eux de devenir fon » épóuX , & cela clans les circonftances les plus » propres a en remplir le devoir eflentiel. Qui'ü conque ne prendra point pofTeffion d'elle, fera « punï par le bannidement, Sc par un dépouil» lement généra'1. Que fon manage fe fade » ainfi ». Après la leóture , le Mufti remit le teftarnent dans fon fein , Sc fe raffit, & la reine reprit fon difcours. « Par cette claufe , dit- elle , j'ctois obligée d'attirer les étrangers j de les to mettre dans les déiicates circonftances exprin méés dans le teftament ; Sc d'oppofer a leurs „ défirs un obftacle, fuffifaut a la vérité , mais „ non abfolument invincible. La condition des » étrangers fut bien-töt fixée dans mon conf> feil. Le choix de 1'obftacle nous embarraffa n long-tems , mon exacte fidélité ne s'accom» modant point d'un empechement qui n'eut „ pas fuffi. A la fin, nous nous déterminames » a employer l'opium , Sc je publiai ma loi. „ Vous avez tous été témoi.ns du fuccès qu'elle  T>' A B T) A L L A. ë<) ft a ea ; cent téméraires qui n'ont plus reparu, »j vous onr enrichi de leurs dépouiiles. Le feul » Almoraddin , mes chers amis , a fignalé fa » conftance & fon amour; mais j'en atceftc les s) anges qui écrivenr nos aófcions , fon amour 55 & fa conftance ne lui euflent fervi de rien, 35 s'il n'eut triomphé de rempêchement qui 53 avoit jufqu'a préfent arrêté tous les autres , » & qui deux fois 1'avoit fait échouer lui33 même 33. D'abord , un murmure agréable s'cleva dans 1'affemblée:, les Emirs ayant batm des mains-, tout le monde les imita , & fe mir a crier : Vive la belle Zulikhah ! Vive notre reine qui s'ejl mariée ! Quelle nous donne bientót des princes qui aient un co&ur pour nous aimer, des bras pour nous défendre , & une langue pour louer dieu ! Quand les applaudidemens eurent un peu cefi~c : la reine fe leva , & ayant pris des mains du chef des eunuques le turban royal, elle le mit fur la tête d'Almoraddin , qu'elle fis affeoir a coté d'elle , en difanr a la compagnie : Reconnoidez votre maitie & mon époux. Les acclamaticns recommencèrent avec plus d'éclat qu'auparavant. Toutes les voix fe réunirenr. On répéta une infinité de fois : Ils font dignes l'un de 1'autre. Tous les ordres rendirent enfuite leurs hommages au nouveau fouverain , qui leur paria Eiij  yo Les Aventures avec une préfence d'efprit dont je fus charmé. Les grandes largedès qu'd fit au peuple après cette importante cérémonie , & les aumónes abondantes qu'il diftribua aux derviches & aux hopiraux , lui attirèrent de toutes parts une foule de bénédiórions. On publia aux quatte coins du royaume, que déformais les étrangers, quelque riches & quelque jeunes qu'ils fudent, pouFroient y venir en route füreté. Le couronnement du fultan Almoraddin fut folemnifé dans le Baroftan , par des fêres magnifiques qui durèrent quarante jours. II fut défendu a tout le monde de prendre le deuil, & de prononcer la moindre parole trifte, fous peine de danfer un quifqua ( a ) dans la rue, ou de donner un feftin public a fix perfonnes que le cadi nommeroit. On alluma dans tous les catrefours de grands feux, oü 1'on faifoit cuire de la viande & du riz pour régaler les pauvres. Le bazar & les autres placesfurenrparées de branches d'arbres qu'on renouveloit tous les jours. Depuis le lever du foleil jufqu'au foir, la grande, karna des foixante ne ceda de fonner. Cette trompette eft l'inftrumenr le plus bruyant de 1'orient. Elle a au moins quarante-fix pieds de ()! Au même moment , avec une conftance capable de convertir rous les infidèles, il enfonca la pointe de fon couteau dans fa chair, & grava profondément la figure d'un cceur au milieu de fa poitrine. Les aurres Derviches imitèrent fon zèle héroïque, & répandans courageufement leur fang pour la gloire de la belle Zulikhah , ils (a) Autre poudie dout les derviches ont le fecret, St qui les anime beaucoup plus que raiTerai. (i) Les derviches confervent par le fecours de quelques drogucs les cicatrices des incilions qu'ils fe font.  d' A b d a 1 i a! 73? répétèrent a haute voix : Accepte nos cceurs, & en contemple l'image ineffacable. Ils fe mirent enfuite a tourner (a) tous fur le talon , fans changer de place , & leur tournoiement fut fi. rapide , qua peine pouvoit-on difcerner fi c'étoientdes hommes qui pirouettoient. Ils ne laififoient pas d'avoir 1'ame tranquille , nonobftant un mouvement fi vif, puifqüils prononcoient, avec une lenteur extiême le tendre difcours de leur chef : O Sultane , ó fleur de beauté6 lumiere de nos prunelles, 6 joie de notre foie, nous t'aimons tous \ A la fin , ils tombèrent pêlemêle a la renverfe , comme s'ils avoient été privcs de vie. La fultane les fit traiter fplendidement d'abord qu'ils fe relevèrenr , & on leur compta, par fon ordre , une fomme d'argent fort confidérable. La félicité dont jouidbit Almoraddin , ne diminua nullement fon amitié. Cher Abdalla, me difoit-il quelquefois, le plaifir de régner cède dans mon cceur aux charmes de notre union •, fi je pouvois comparer quelque chofe au bonheur de podeder la belle Zulikhah , j'y comparerois celui de vous avoir pour ami. Souventj afin de nous entretenir avec plus de liberté , nous nous dérobions aux yeux de toute la cout \ Sc ordi- (a) Cette efpece de danfe fe nomrae e^amack.  \ 74 Les Aventures nairement la reine venoit fe mertre de la partie, auffi-róc qu'elle s'appercevoit de notie abfence. Dès les premiers jours, je la fuppliai de m'apprendre par quel mottf la reine Aïfchah ,^fa tante , avoit fait un teftament fi extraordinaire. Almoraddin qui n'étoit pas encore trop inftruit de cette affaite , ne témoigna pas moins de curiofité que moi. Vcici ce que Zulikhah nous raconta a diverfes reprifes. Histoire de la Reine Aïfchah & du Roi Kerker. D u n grand nombre d'enfans; dit-elle , que le fultan Mot ad, mon ayeul, avoit eu de plufieurs femmes , il ne lui reftoit que le prince Kerker & la princefle Aïfchah lorfqüil mourut. Kerker étant monté fur le tröne , s'occupa de fes devoirs, fans fe preder de fe marier, quoiqu'il fut déja agé de vingt-cinq ans. Aïfchah n'en avoit que quinze : c'étoit une beauté parfaite, mais elle avoit encore plus d'efprit qu'elle n'éroit belle. Elle aimoit les langues étrangères, les fciences 8c les arts , 8c s'y appliquoit avec tant de fuccès , que tout le monde la regardoit comme un prodige. Kerker Padmiroit, 8c en  r>' A b d a r. l a. 75 baifant cinq fois par jour la poufliere des pieds du Prophère , il remercioit dieu de lui avoir donné une fceur d accomplie. Aïfchah de fon cöré avoit pour lui la refpedhieufe rendrede que méritoit un frere fi aimable, & un maitre fi complaifant. Cetre douce correfpondance faifoit leur bonheur , & celui de leurs fujets. Un jour revenant de la chafie, ils appercurent, auprès d'une fontaine qui n'eft pas forc éloignée de certe ville , un jeune homme & une jeune fille , habdlés rrès pauvrement, & qui paroiffoienr étrangers. Accablés de fatigue , ils fe repofoient, Sc mangeoient quelques amandes qu'ils mouilloienr dans 1'eau de la fontaine. Le jeune homme avoit tout au plus vingt-ans. Une phyfionomie heuteufe , un regard affuré , une taille haute Sc bien prife prévenoient en fa faveur. La fille pouvoit être agée de dix-huit ans. Elle avoit les cheveux noirs , de grands yeux , dont la vivacité fembloit avoir été aftoiblie par quelque maladie dangereufe. La paleur de fes joues confirmoit ce foupcon. Quoiqüelle fut gatée du hale &c de la poufiiere , on voyoit bien qu'elle étoit natutellement blanche. Ses dents feules avoient triomphé des injures de la fortune ; elles étoient d'une beauté furprenante. Ils fe levèrent aux approches du fultan & d'Aïfchah, 6c le jeune étranger dit a Kerker:  'jS Les Aventures Ö Prince ! un frère & une fceur bien unis méritent quelque chofe. Kerker regarda la Princeiïe en fourianc, &dit : Ils mérirenr vraiment beaucoup ; vous netes pas, ce me femble, fi étrangers que vous le paroidez. Nous ne fommes en certe ile que depuis avant-hier, reprit le jeune homme. Que la terre vous fok toujours favorable, qu'elle prenne tous vos pas pour des caredes , puifque vous nous jugez dignes de quelques fecours ma fceur & moi. Je commence a vous entendre , répliqua le fultan ; fuivez-nous du mieux que vous pourrez. Kerker & Aïfchah continueren* leur chemin , & en rentrant dans le palais, ils commandèrent qu'on recür ces mendians avec chariré, & qu'on les revêtk honnëtement. Ils arrivèrent peu de tems après. Les ordres du fultan ayant été ponóbuellement exécutés , 1'ofricier qu'il en avoit chargé vint fur le foir lui dire : O glorieux monarque , ces étrangers que vous m'avez recommandés , ne font plus ce qu'ils étoient; ils ont 1'airgrand, & ils femblent nés pout commander. Amenezles ici , répondkent Kerker 8c Aïfchah , qui étoit préfenre, nous voulons les revoir. Quand ils fe préfenrèrent , ils parurenr effedtivement tout autres. Ils s'avancèrent avec une contenance noble 8c aifée. Le jeune homme fit un remerciment fpirituel & bien tourné, 8c la fille ne fit  d' A b d A l l Al jj pas briller moins de graces dans Ie peu de paroles qu'elle dir pour marquer fa reconnoidance. Après quelques difcours généraux Sc peu intéreftans, Aïfchah leur demandacomment ils s'appeloienr, Sc les conrraignit de s'adeoir, en les inviranr a raconter leurs aventures. Je m'appelle Ortogrul, reprit le jeune homme Sc ma fceur fe nomme Menoulon. Nous fommes de Guncalam (a). Des parens riches Sc nobles nous ont donné une éducation proporcionnée a notre naidance. Nous étions déja grands lorfque notre père mourur. Chadijah, fon époufe, étoit pourtanr encore adez jeune. La douleur qu'elle redentit de fa mort fut fi vive , qu'elle crut ne pouvoir 1'appaifer que par un fecond mariage. Un Naïre (i) qui avoit long-rems fait la guerre fous fon mari, fut lui plaire. II fe difoit du fang royal de Patane (c ), & il faifoic fouvent devant nous de pompeux dénombremens de fes biens. D'abord qu'il 1'eut époufée , il lui confeilla de changer d'air , & de le fuivre dans fa délicieufe patrie , qu'il comparoit fans cefle au jardin d'Eden. La complaifance eft un fruit que Famour produit toujours quand il eft (a) Dans la prefqu'ile oriëntale des Indes, (b) Noble Indien. («O Dans la mèrae prefqu'ilc.  78 Les Aventur.es fincère. Chadijah fe laiffa gagner. Elle pric fes bijoux Sc fon argent, Sc me recommandanc aux foins de deux tuteurs , elle partit avec fon mari, Sc emmena ma fceur. La petite caravane fit un heureux voyage jufqu'au défilé des montagnes de Mahafpin, qui font a 1'entrée du royaume de Patane ; mais la , une troupe de voleurs 1'environna le fabre a la main. Leur nombre étoit fi grand , que la réfiftance patut dangereufe. Ils pillèrent Sc emportèrent impunément tout ce qu'ils trouvèrent de plus précieux. Après une fi grande perte , notre mère remercia le ciel de 1'aveuglement de ces fcélérats , dont pas un , a ce qu'elle croyoit , n'avoit fait attention a la beauté Sc a la jeunefle de ma fceur. Elle fe trompoit. Un des voleurs étoit épris des charmes de Menoulon; mais il n'avoit ofé 1'enlever , de peur d etre obligé de faire part aux autres d'un fi précieux butin. Tandis que fa ttoupe s'avaucoit vers les antres qui lui fervoient d'azile , il fe détache , avec deux de fes amis , & ayant coupé par un détout qu'il connoidbit, il fe remontra tout- a- coup aux voyageurs aftligés. Ma belle, dit-d , en mettant la main fur Menoulon j je jurerois que vous me foupconniez de vous avoir oubliée : .mais mon prompt retour vous fait voir que 1'idée d'une jolie perfonne ne s'efface pas fi aifément. Le Naïre,  ï>' A B D A L Z A.' yt) m-iri de 1'audace du voleur , Ie perca; & en même tems il fut attaqué par les deux autres. Chadijah, devenue courageufe par le danser des deux perfonnes qu'elle aimoit le plus au monde, fe faifit d'une épée qui honoroit inutilement la ceinture d'un lache efclave , & courut défendre la vie de fon mari, & 1'honneur de fa fille. Le voleur amoureux & fes camarades, ne purent réfifteralafureur des époux, qui les facrifièrent a leur jufte vengeance. II n'eft pas- facile d'exprimer ce qu'ils fouffrirent pour arriver a Patane. Notre mère s'attendoit i y trouver un palais , des richefles , roures les délices dont la peinture fiatteufe lui avoit tant de fois charmé Timagination. Mais fon Naïre étoit un perfide qui lui en avoit impofé. II n'avoit pas même une retraite qui fut a lui dans Patane. Chadijah & fa fille furent conduites par ce fourbe chez une de fes anciennes amies, qui, n'étanr pas trop a fon aife, témoigna bientotque rhofpitalité qu'on lui faifoit faire 1'incommodoit. Notre pauvre mère, déchue de fes vaines efpérances , fut faifie d'une douleur inconcevable. Le fouvenir de ce qu'elle avoir perdu } le dcfefpoir d'avoir été trompée, & les afFreufes circonftances ou elle fe voyoir, la plongèrent dans une noire mélancolie qui la précipitaÖ dans le tombeau. Le Naïre peu touché de fa mort,  'So Les Aventures parut fouffrir impatiemment les règtéts de Menoulon. H eut la cruauté de les interrompre , pour lui propofer de recevoir de fa main un époux qu'il lui deftinoit, difoit-il, depuis longtems. C'étoit un de fes parens , qui, comme lui, vivoit aux dépens d'a urui ; &c qui bientót commenca a témoigner fon indigne amour par de choquantes adiduités. Ma fceur s'oppofa courageufement aux vues & aux follicitacions de ces deux miférables. Il furvint entr'eux , & 1'amie du Naïre, une brouillerie; & ceUe-ci pour fe venger , m'apprit, par une longue lettre , la trifte fituation de Menoulon. Je montai a cheval fans faire part de mes deffeins a mes tuteurs, de crainte qu'ils ne m'arrêtaflent. J'avois quelque argent, que je regardois comme une femme très-eonddérable , faute d'expérience. Arrivé a Patane , je cherchai la femme qui m'avoit écrit; mais comme elle s'étoit apparemment raccommodée avec fon ami, je ne pus la joindre. Ma fceur avoit auffi difparu j on 1'avoit cachée chez une dame. Après une longue recherche je la découvris enfin » & je 1'enlevai, ne voyant point d'autre moyen fur de la ravoir. Il n'étoit pas poffible de fuir par terre; bien éloigné d etre en état d'acheter un cheval pour ma fceur , j'avois vendu le mien ; ainfi le Naïre &c fon parent, nous euflent bientot ratrapés.  ï' A B O A l 1 Ai Sl ratrapés. Nous nous embarquames donc dans un vaideau qui aHoit partir s & nous iie iious mformames feulement pas de la route qu'il devoir tenin Dès le conimèncemént de la navigation , ma fceur tomba malade. II feroit enhuyéux , grand prince , pöurfuivit Ortógrul, de vous raconter les difgraces dónt nous fumes accablés dans la fuite. Réduits a unè extreme iridigence , nous nous vimes contraints de nous défaire même de nos habits, & de nous revêtir dé haillohs. Avanthier , le vaideau ayant relaché au bord dè cette ile , nous obtinmes fans peine qu'on nous mit a terre. Un homme aimable qui dit des chofes touchantes, & qui les dit bien , fait toujoutS de grandes impreflions. Aïfchah nè détoufna pa? les yeux du vifage d'Ortogtül pendant tout fon difcöuts , incèrtaine a qüoi ellé prenoit le plus de plaitlr , ou a le regar'der , du a l'entendte. D'un autrecóté, les appas dè Menoulon n'étoient pas oififs. Kerker eii fentit toute la force. Quel fond de beauté ! difoit-il en lui-rriême , elle erfaceta tout ce qu'on i. jamais vu de plus metveillêux , dès qu'elle lera un péu témife dè fes fatigues. De reis fentimens he font pas ordinai-* rement fans effet. Le fultan 8t fa fceur firent & leurs hötes, les offres les plus obligeantes j Sc Tomé XUL £  fi. ltS AVïNTW«.ÏS après les avoir conduits eux-mêmes dans un appartement magnidque , ils donnèrent a Menoulon des femmes , & a Ortogrul des hommes pour les fervir, & leur fournir abondamment tout ce qui leur feroit néceflaire. Kerker 8c Aïfchah foupèrent enfemble , 8c mangèrent fort peu. L'amour déguifé en compadion, leut fuggéra de belles rédexions fur ce qu'ils avoient entendu. Le fultan loua Ortogrul; & Aïfchah , Menoulon. Ils s'écoutèrent 1'un 1'autre avec plus de plaifir qu'ils ne s'en fatfoient a eux-mêmes en parlant. Ils fe fépatètent rëveurs , 8c fe couchèrent inquiets. La nuit , le fommeil leur refufa fes douceurs, qüils ne regrettèrent point. Aufli-tót que le foleil fe fit revoir , le fultan appela un jeune efclave, qui couchoit au pied de fon lit , 8c lui commanda de titer de fa garderobe , & de porter de fa part a 1'étranger, une vefte de brocard , une ceinture tiftue de fil d'or, un furtout de moufleline , des fouliers brodés, un tutban de fine toile de toutes fortes de couleurs, un crit (a), & un fabre. Aïfchah s'étant levée de très-bonne heure , demanda , felon fa coutume , des nouvelles de fon ftère ; & ayant appris ce qu'il avoit fait a 1'égard d'Or- (ö) Le «it eft un poignard qui a la larae ondée.  »' A B H A I U, 8j togrul, elle lui envia la gloire d'une atrention qu'elle fe reprocha de n'avoir point eue la première. Se hatant de réparer fa faute, elle fic venir les femmes qui fervoient Menoulon, & après leur avoir ordonné d'apporter tous leurs foins a la parer, elle leur donna des chemifes de moudeline , un calecon de foie rouge , enrichi d'une broderie d'or très-délicate , un jupon de gaze , un petit manteau de drap d'or , un beau collier de perles * & des pabouches ornées de deurs d'argent ( La princefie pouvoit a peine s'empècher de talie éclater fon amour par fes applaudüTemens. Le foir quand elle fut feule avec fon frere , elle lui dit : « A vous parler franchement , je voudrois qu'Ortogrul fut né prince. A en juger par fes manières, pour moi je crois qu'il 1 eft en effet. Je le crois auffi, repartit le fultan j & fans ètre devin, je vous dirai bien pourquoi vous défiretiez que nos conjectures fudent vraies. Avouez oue vous ne le haïflez pas. Aïfchah rougit, & Sa échaPP=t un perit foupir. 11 faut que la confidence foit complette , continua Kerker j fi vous aimez le frère, j'adote la fceur. Je ne fais ce que le ciel nous réferve, mais je ne vols cue trop que nos hotes feront le bonheur ou le malheur de notre vie. lis fe propofèrent enfuite de ne rien négliget pour fe rendre heureux ; & comme on fe flat» aifément, ils fe prominent  n* Abbalia. ?t Ie fuccès le plus favorable, qu ils fondèrent principalementfur leur propre mérite , Sc fur le bon efprit des étrangers» Les jours fuivans , ils profitèrent de routes les occafions qu'ils purent faire naïtre de rémoigner leur tendrede , & d'expliquer leurs intentions» Les étrangers répondirent a tant d'emprefTement avec une modedie qui ne découvroit que des fentimens de reconnoitfance. Cette réferve déconcerta un peu les amans ; mais quel fut leur ctonnernent lorfqu'au fortir d'un diné, Ortogrul & Menoulon fe jetèrent a leurs pieds, & les fupplièrent de trouver bon qu'ils pourfuivident leur voyage. Une prière d défagréabie , & fi peu attendue, fit frémir le fidran ; & rempüt le cceut de fa fceur d'un dcpit que rien ne fut capabie de difiiper dans la fuite. Kerker les fit lever , puis d'un ton qui n'exprimoit pas toute la colère dont il brüloit, il leur dir : « Vous nous ss trouvez donc bien odieux,' puifque vous ne 5> pouvez pas même fouffrir notre vue. Mani» fefter foi-mëme fon ingratirude, c'eft y mettre » le comble. Des vaifleaux partent d'ici tous » les jours , que ne vous dérobiez-vous fans y> rien dire ? Vous avez appareniment voulu » vous faire un fpeciacle de notre trouble $ & ij terminer par' un plaifir fi piquant pour dss t> ames noiies , tous les divertiflèmens que F iij  i3 L E S- A -V E «4 T W K t 9 s» notre fimplicité vous a procurés. Ne deviez»» vous pas fonger en même tems , que la fu»> reut pouvoit fuccéder a 1'amour , & effacet v 1'infulte par la vengeance la plus cruelle ? » j» Prince , reprit Ortogtul, nous nous expo» fons volontairement ï cette vengeance ; & d »» vous continuez a nous croire ingrats , nous la » dédrons. Que 1'ange du fang partage nos ames •» en cent parties immortelles, & qu'il les plonge » toutes dans le foufre qui embrafe le centra i) de la terre , d nous ne fommes pas pénéttes »> de la plus dncère reconnoilTance >». Ce difcours fut interrompu par 1'arrivée de 1'émir de la mer qui vint annoncer au fultan qu'un coulier de la reine d'Achen étoit a la porte. Les fultans des différentes patties de cette ile ont eu de tout tems de grands égards pour les reines dAchen , foit a caufe de la puidance de ces ptincedes, foit paree que c'eft d'elles qu'ils ont recu la connoidance de 1'envoyé de dieu. Kerker ordonna qu'on fït entrer le courier, qui lui préfenta une lettre concue a peu prés en ces termes, « Sultan , mon parent & mon ami. Un brave '»> qui eft a ma cour depuis quelques jours, ayant „ appris que vous aviez chez vous fon plus „ grand ennemi, m'a priée de vous faire con,» fentir qu'il adle fe battre avec lui. Je ne lui  d' A b » a 11 a: ij » ai point refufé fa demande; & comme j'ai » réfolu de vous conduire moi-même ce cham» pion , je fuis perfuadée que vous ferez a la » mienne toute 1'artention que métite votre pass rente & votre amie j). Zanapiulah, reine d'Achen. Kerker ayant lu cette lettre , la fit lire a fa fceur , & la montra avec une joie maligne a Ortogrul, qui en patcourut toutes les lignes fans s'émouvoir. Si c'eft a moi qu'on en veut, dit-il au courier , je fuis prêr a me défendre. Peut-on favoir qui eft ce brave que la reine d'Achen honore de fa proteftion ? II fe fait fans doute connoitre dans cette lettre , répondit le courier, en lui en donnant une qu'Ortogrul lut tout haut. En voici la fubftance. «< Ce n'eft pas aftez que nous ayons pattagé » les effets de 1'amour , il faut que toute la a terre foit informée de ce partage, & qu'elle » 1'apprenne de toi-même. J'ai pout ma part j) les fentimens d'honneut qu'il fait naitre dans » les cceurs nobles : la perfidie , qui eft la „ portion des laches , t'eft reftée. C'eft ce que » ton aveu, ou ta mort , publieront incefiam>i ment. Règle le choix des armes. » Pir-Aské. F iv  88 Li s AVÏNTUS.1S Tu diras i ce Pir - Aské , que je ne connois point, dit Ortogrul au me dager , que j'accepte le dén , & que je le ferai repentir de fa folie. A Tégard du choix des armes , je m'en remets a la volonté du fultan & de la princefle. Aïfchah rompit alors le fdence. Tous les inftruroens, dit elle , que les hommes ont inventés jufqu'ici pour fc faire périr, peuvent ètre utilement employés en cette rencontre. Que PirAské n'oublie donc aucun des fiens, reprit Oritogrul; qu'il apporte fa farbacane [a) & fes flêches , fa raadde, fon ctit , fon fabre , fon ganjar. L'air gai, avec lequel il prononca ces paroles, fit fourire Kerker , qui écrivit fut le champ une lettre fort refpectueufe a la retne d'Achen. Quand le eourier fut parti, nous vous podederons donc encore quelque-tems , dit-d & Ortogrul & a Menoulon , nous avons cette obligation a votre ennemi. Préparez-vous a défendre votre vie , ajouta-t-il , en regardant Ortogrul , on continuera de vous obéir ici. Ce que mon inclination vous refuferoit a jufte titre, (a) Les farbacanes , dont les Ipdians fe fervent, fpn? longues de fix era fept pieds, Elles fon; ordinaircmenc 4'ébène ; les grands tireurs foufRent leur? flèches jufcjua fent psis de diftanc?, « m mangent pref tion; mais pardonnez a un amant ttahi, & » aun ami lachement trompé ». Zanapiulah prit Ia parole , & lui dit : « Pir-Aské , j'ignore en» core la caufe de votte haine; vous ne devez » ma prote<5tion qu'au fervice que vous m'avez »> rendu. Levez-vous ; & quoiqu'il n'y ait nulle » apparence que vous puiffiez juftifier une ac» tion de la nature de celle qui vous désho» nore j expliquez-vous ». Histoire de Daen Bofamco3 Prince de Macaffar. N e m'appellez plus Pir Aské , dit - il en fe levant, & en atrachant fon mafque, je fuis Daën Bofamco , dis ainé du roi de Macadar. Le deffein d'obfetver de prés les mouvemens de 1'empereur du Japon , qui méditoit d'envahir 1'ile de Célèbes , m'ayant conduit a Getigam (a), j'y vivois inconnu,depuis quelques mois, lorf- 0) Capitale d'un royaume fnué au nord de Célèbes.  Lis Aventures qu'un jour j'appercus, a 1'extrémité d'une rue aflez détournée , une troupe de gens armés qui fe battoient. J'approchai nvec deux efclaves qui me fuivoient , & je vis un jeune cavalier attaqué pat dix hommes qui alloiest le mettre en pièces. Choqué de 1'indigniré de 1'action , j'ordonnai a mes efclaves de faire diverfion de leur coté , & frappant a droite & a gauche , je percai jufqu'au jeune homm? , qui, par la vue du fecours , reprit une nouvelle vigueur. Après un combar fort opiniatre , la viftoire nous demeura t viftoire d farigkhtè, que ne pouvant plus nous fourenir , il fallut nous reporter chez moi. En guéridant , nous nous liames d'une amitié très-étroite , qui de ma part étoit fincère. Je me fis connoitre a celui que j'avois delivré , & il me découvrit audi qui il étoit. Il fe donne ici le nom d'Ortogrul; a. Getigam , il s'appeloit Olub ; mais il m'apprit que j'avois fauvé la vie a Ibrahim , fulran de Guncalam. Mous étions prefque inféparables. Le plaifir d'être avec lui , m'engageoit fouvent a 1'accompagner a la cour d'AbafTah , reine de Getigam , ou il aimoit, ou il n'étoit que trop aimé. L'objet de fon attachement étoit a ce qu'il difoit , la jeune princefTe de Sanguin ( a ) , que la reine (a) Royaume dans 1'üe de Célèbes.  d'Abdaila. 9$ faifoit élever avec la princelfe Konguitay , fa fille, que je retrouve déguifée en Menoulon , & dont je devins éperduement amoureux. Je fentis , avec joie , naïtre une paffion fi favorable a celle de mon ami , a qui je procurois l'occafion de patler feul a fa rnaitreffe , routes les fois que je pouvois détacher fon aimable compagne. A la vérité, Konguitay n'écoutoit qu'avec indifférence les tendres adiirances que jeluidonnois de mon amour ; mais fes froideurs n'ayant fait qu'augmenter ma flamrae, je pris le chemin le plus court pour arriver au bonheur après lequel je foupirois , & je m'adredai a fa mère. Dès que j'eus inftruit. Abadah de ma naidance & de mes défirs : « Prince , me dit-elle , toute tranf» portee d'allégrefie , je vous accorde 1'heu» reufe Konguitay ; je puis bien 1'appeler heu» reufe , puifqu'elle a plu a 1'hërkier du plus » puidant des rois de Célèbes. Votre mariale » ne fera difteré qu'autant de tems qu'il vous » en faudra pour obtenir le confenreraent du » fultan de Macadar. » J'allai avec un emprtffement non pareil, faire pare de ma joie a mon ami. Je dépêchai , par mer & par terre, des couriers a Macadar. Quelques jours après , Olub ne parur plus, Pour furcroit d'afflicfion , étant allé au paldis , pa me dit que Konguitay étoit malade , & que  j4 Les AvenTü&és la reine & la princeffe de Sanguin ne fe möiirroient point. Je ds pendant un mois de vains efforts pour les voir; & , ce qui penfa me défefpéretj je ne recus , durant ce long infefvalle, aucune réponfe de mon père. A la fin, il me fut permis dennet dans 1'appartement d'Abadah. II étoit tendu de noir. Cent femmes habillées de même couleur, qui fe frappoient la poittine en gémidant, envitonnoient un fofa dechiré , ou la reine étoit adife > les yeux baignés de larmes. J'ai perdu ma fille , me cria-t-elle d'abotd qu'elle me vit; votre ami vous a enlevé Konguitay ; Olub , le perfide Olub , eft coupable de ce crime. Une foule de fanglots 1'empêcha d'en dire davantage. A cette funefte nouvelle mes fens fe troublèrent , la rage s'empara de mon cceur, tout mon fang s'embrafa. Je vous vengerai , Madame , dis-je X la reine ; vous pouvez vous fier a la parole d'un prince doublement joué. Je fortis du palais avec la précipitation d'un forcené. II ne fe trouva point de vaideau pret a faire voile. Tous ceux d'Abadah étoient en mer pour chercher les fligitifs Elle les avoit fait pattir dès le lendemain de 1'enlèvement, avec des ordres cachetés que les capitaines ne devoient ouvrir qua une certaine diftance de llle. Ce ne fut qu'après avoir défefpéré de recouvrer fa fille  fi' A 1 D A U A .' 9{ aflèz tót pour en cacher la honte , qu'elle diVulgua fon malheur. Un billet que m'écrivit la belle princeiTe de Sanguin , dont les appas auroient certainemenc du m'arrêter , ne retatda pas d'un moment mon départ. Je traverfai file par terre. Quand je fus arrivé; a Macadar , le fultan me dit qu'il avoit défaprouvé mon choix, & que j'avois du connoitre fes fentimens par fon filence. De peur de m'expofer a des railleries offenfantes, je gardai audï le dlence fur tout ce qui étoit atrivé; & ayant fait atmer fecrettement un bon vaideau , je m'embarquai. J'eus foin d'informer du motif de mon entreprife les foldats & 1'équipage. Je déguifai mon nom , ma patrie, mon vifage même J pour mieux adurer ma vengeance. Mon dedein étoit d'aller droit a Guncalam ; mais , grande reine, 1'occadon de dgnaler mon courage dans votre dotte que je rencontrai aux mains avec celle des inddelles de Malaca, me parut trop belle pour la négliger. Je pris donc part a votte viótoire. Le ciel fe joignit bientót a vous , pour récompenfer mon zèle. Je découvris que le ra^ videur étoit avec fa proie dans cette cour. Ah ! d le fort des armes ne favorifoit que la vertu , ce couple infolent ne m'écouteroit pas maintenanc avec tant de tranquillité. A U vue  'jff Les Aventures du traitre, toute ma haine fe ralluma, Un em-i pottement aveugle me rendit d'abord imprudent, & enfuite téméraire. A 1'enttée du combat, je m'oubliai möi-même , fut la dn , le défefpoir & la fureur effdcèrent vos otdres de mon efprit. J'ai voulu venger , par un feul coup, 1'amout outragé , & 1'amitié violée ; d c'eft li Un crime , en fut-il jamais de plus digne de pardon. Ce difcours avoit excité des paffions fort différentes dans les perfonnes intértffées. Les plus vives couleurs de la pudeur 5c de la confufion éclatoient fur le vifage de la belle Konguitay. L'étonnement fembloit adoucir Kerker, & redoubler la colere de 1'implacable Aïfchah, La fierté s'allioit avec Ia joie dans les regards du fultan de Guncalam. La feuie Zanapiulah paroiflbit exempte d'agitation. Le prince de Macaffar n'eut pas plutöt fini, qu'lbrahim fe leva, & prit la parole. HISTORE  d' A e d a l i, a.' 97 Hl s f O I RE d'ïbrahim , Sultan de Guncalam & de la PrinceJJe Koii* guitay. Ï\.eine d'Achem, dit-il , fi mes prières font de quelque poids , je les joins a celles du sénéreux Daè'n Bofamco. II n'a pas été maitre de fa colcre. D'ailleurs , les idees dont il eft en» core frappé , & la droiture de fes intenrions, aurorifent fuffifamment tout ce qüil a fait. Mais fi les appa'rences le juftifient, qu'il fe contente d'avoir tiré ce fecours de fon erreur, & trouvez bon que je la diffipe. II eft vrai que je fuis Ibrahim , fultan de Guncalam. Un jour après avoir donné audience a mon peuple 4 je fus abordc par un vieux Fakir , qui me dit d'un ton brufque : Pri'c:, d'gne de la belle Konguitay , fais-mai la charité.Je lui ré-, pondis qu'il demandoit 1'aumöne avec trop d'orgueil, & je pafTai outre. Prince, digne de la belle Konguitay , reprit-il en me fuivant , fais moi k charite'. Je me retournai plein d'impatience , & afin de faire taire eet importun , je lui jêtai im féquin. D'abord qu'il 1'eutramafle, il iebaifa, & m'adrefla ce remerciment: Tespremiers déjï{» Tornt XIII. Q  ?8 Lbs Avbktures rcront rcmplis comme tu me faïs l'aumêne; mais t tZes non Plus auemo, Qui faU la c ante tune manierc déjagreab'e, eftendangerdela demander auelaue jou, Bon homme lui dis- ,e, * depour dautres ce que tu fa, de lavemt I patllmoide Konguitay dont tu cto, qu Ufuisdigne. ^W,réPondu-d eft JOU lZd>^,rdee diftufte , rtchevai, en la voyant , de petdte ce qui pouv"t encore m'êtte tefté de Hbetté. Sacnfice fotfcané, puifquaptès quelques ttavaux que ,e trou-  fc' A B D A 1 L A. val ddiix , celle que j'adorois daigna 1'accepter , & m'aiuirer de fa tendrefle. J etois dans cette Keureufe ficuation , ö Daën Bofamco , lorfque Vous expofates fi vaillamment votre vie pour moi. Je vous cachai ma vétitable paffion , paree que ma maïtrede, qui avoit fes raifons, me lbrdonna, & pour écarter d'aurant plus furement vos foupcons & ceux d'Abadah, je feignis un attachement différent. Pouvez-vous me reprocher d'autre réferve ? Je vous dédommageai même de celle la > & vous connutes Ibrahim dans un tems ou Konguitay ne connoidbit encore qu'Olub. II ne m'étoit permis d'avoir ni plus d'ouverture par rapport a vous, ni moins de fecret par rapport a la princede. Sur qU0i fondez-vous donc vos plaintes ? Mais de quel droit les étendez-vous jufques fur Konguitay t qui ne vous a jamais flatté de la plus légère efpérance ? Elle toléra vos empredemens, tandis qu'ils furent refpectueux j mais quand ils devinrent impétueux & violens , quand elle vit fa hberté fur le point d'être opprimée, devoit - elle encore foudrir ? ^ Sa peine me fit renoncer alors au plaifir délicat d'être aimé comme Olub. Fuyez, lal disje , le plus modefte & le plus foumis de tous les amans fera votre guide. Cet amant vous offre Gij  iet? Les Aventures un trone pour afile , & Ibrahim , fultan de Guncalam , pour époux. Konguitay me regarda long-tems fans parler , puis elle me répondit: Je vous fuivrai ; mais fouvenez - vous que je veux toujours reconnoitre Olub dans le fultan. Notre évadon ne fut traverfée d'aucun obftacle. Ma frégare , qui avoit été cachée jufqu'alors parmi les vaideaux marchands , s'éloigna des Célèbes par un bon vent. Notre faute , quelque nécedaire qu'elle nous eüt paru , ne fut pourtant pas impunie. Konguitay fut attaquée d'une maladie qui la mit plufieurs fois a deux doigts de la morr; & au bout de deux mois de navigarion, un outagan mit en défordre toutes nos voiles. Pour comble de malheur , nous nous vimes pourfuivis de fi prés par fix vaideaux, que nous défefpérames d'échapper. Nous voetmes jufqu'a la nuit du coté d'une terre que nous avions appercue de loin. Quand les renèbres eurent couvert la face de 1'océan , le patrom me dit : « C'eft a préfent qu'il faut mon„ rrer que vous ètes roi, & donner des preuves 3, de votre fermeté & de votre prudence. Les „ vaiffeaux que vous avezvus font de Getigam , „• mes yeux m'en ont alTuré. Demain , dès le » matin , ils prendront le nótre qui ne peut 5, fuir , ni réfifter. Suivez donc mon avis, & l profitez de la nuit. Nous ne fommes pas  h'Abb'aiia! fof » Ioin de Ia cête de Siimatra, je vous y con» duirai fürement dans la chaloupe. Mais au» paravanf-j déguifez - vous d'une manière a ■» n'être pas foupconné d'être ce que vous êtes; » at ne doutez pas que la reine de Getigam » n'ait promis de grandes récompenfes i ceux " reprit la reine d'Achem : je faurai d^aüleurs „ accorder votre union avec les intéréts des „ fultans de Macadar 5c de Sanguin „. Tout le Divan applaudit 4 une fentence fi fage 8c fi douce. Les deux princes s'embrafTèrent , en fe faifant mille proteftations finceres d'une éterpelle amitié. On fe retira. Kerker 8c fa fceur, kffés de fe contramdre, s'enfermèrem eafcmUe  d' A b d a l z a. ioj dans leur cabinet. Jugez de leur converfation par les padions qui devoient les agiter après ce qüils venoient de voir & d'enrendre. Le roi de Guncalam , qui les avoit toujours obfervés, ne put les laider long-tems dans la tride dtuation ou il fe doutoit bien qu'ils étoient. Entrant tout-a-coup dans le cabinet : « Ne » dédaignez pas, leur dit-il, la prière d'Ibra» him , qui, en qualité de fuppliant , vient » vous demander pardon de vous avoir trom» pés. La ruine de vos efpérances caufe le cha» grin qui vous accable ; elles euffent été moins » vives d j'avois eu plus de dncérité. Je ne vous » dirai point que dans 1'ét.at ou la fortüne jj m'avoit réduir , la prudence & 1'amour me » défendoit de prendre un autre parti. Ce n'eft » pas pour me défendre que je me préfente » devant vous, c'eft pour avouer ma faure, & 5» vous aflurer que j'en fuis adez puni par les » obligations immenfes que je vous ai. Votre n trouble me pénètre d'une douleur qui em» poifonne toute la joie que je devrois reflentir. » Je ferois a jamais inconfolable , s'il m'étoit » impodible de calmer 1'orage que j'ai excité. w Mais il me femble qu une fceur & un frère jj que je viens vous oflrir , pourroient vous re» préfenter Olub & Menoulon ) & que fans » ceder d'aimer , il vous feroit facile de flnic G iv  ïo4 Les Avbntub.es 55 vos peines »; En achevant ces paroles, U dra de fa poche deux porcraits qu'il préfenta fort refpeftueufemenr, 1'un au fultan, & 1'autre a la princefle. Pendant qu'ils les confidéroient , d conrinua de parler. - Au défaut de mon cceur , „ madame, dit-il a la fceur de Kerker, je ne „ puls vous en donnet un qui me foit plus cher. Si vous fakes attention aux traits, la „ relTemblance eft parfake entre mon frère^ s5 m0i , excepté qu'il eft de quelques annees * plus jeune : a 1'égard de la fortune,> . royaume de Ligor qu'il pofsède n'eft gueres ,, moins confidérable que celui de Guncalam. „ Puis adredant le difcours au fultan : Ma fceur „ n'eft point flattée dans ce portrait, pourfui„ Vu il, elle n'a que quinze ans j fi fes traits „ vous touchent, parle. ; je vous la hvre, & „ ie lui donne mon royaume pour dot „. fct vous , interrompk Aïfchah , que vous rcfervez-, vous ? Getigam, répondit Ibrahimj j'y repten, drai le nom d'Olub , & j'y ferai le premier fujet de Konguitay.. A cette rcponfe, Aïfchah faifie dun tranfport eoropofé de tout ce que 1'admitation , 1'amour $ Je défefpok ont de plus vit , jeta a terre le portrait du roi de Ligor, & forut en s ecriant ? O Dieu , pourquoi m'avez - vous fait voir le plu§ grand , li fta généreux, le p-«s  d' A b d a l i a. 105 «umable des mortels , d vous ne vouliez pas me Ie donner ! Kerker , narurellement moins emporté , fe lailfa fléchir. Peu après la jeune print-ede de Guncalam , dont la beauté favoit d'abord ébloui, prit dans fon cceur la place de Konguitay. La médiation de la reine d'Achem eut un prompt effet a Macadar , a Sanguin & a Getigam. Le mariage de Kerker & de la charmante fceur d'lbrahim , fuivit de prés les deux autres. Ibrahim abandonna fa couronne, malgré la longue réfidance de fon beau-frere, qui , en 1'acceptant endn , céda Ja fienne a la trifte Aïfchah. Certe princede perpétuellement occupée d'Or. togrul, ne put jamais fe réfoudre k en. aimer d autre. Ses fujets la prièrent inutilement de fe marier : les princes étrangers la recherchèrent en vain. Quelquefois elle fembloit accovder a ces derniers de petites faveurs pour animer leur cfpérance ; mais de nouveaux mépris , de nouvelles infultes, effacoient bientót ces agréables; imprefdons. Elle ne voyoit en eux que le feul Ortogrul, que ie feuj étranger qui caufoit fon martyre ; & comme elle ne pouvoit 1'aimer, fans le hair, ni le haïr fans 1'aimer, elle fe plaifoit d faire feutir a tous les autres , cette bifarre difpofition de fon cceur, Sur la fin de.  J0g LesAventuk.es fes jours, elle me demanda au fultan Kerker , Jn père ;* elle me défigna fon hermère dans le teftament qui ma engagée a vous raconter fon Inftoire. J'y étois , comme vous avez vu deftinéeadonnet, après fa mort, des preuves plus étonnantesde haine * d'amour aux etrangets, qu'elle nen avoit donné elle-meme pen- dant fa vie. Suite des Autoris d'Abdalh , fils i'Hanlf. T»«t que les réjouiffances du raatiage «lmMa=.dm durèrenr , je m'Mm de pader de SLn & de fép.rarion ; me concemau. de f«.re ÏL. pameier mes recherche, ordma.res tTulnt Hle de Borico. quaud lWion seu Tque le fui™ eto commencé i sappta,»»« 3eL. Je tepaffai dans - efpn. 1 oracle aeLlun do« la Prière pame avoK eu taccompliffemeurfiparfair^dmefemba ^epuifqu'ilmW permk de tour efperer,,»  d' A b d a i i a. 107 ne devois pas différer de tout tentet. Je tins donc ce diicours a mon ami en préfence de la fultane : » d je féjournois ici plus long-rems, je » me rendrois coupable d'inconftance ou de pa» rede ; vous favez par quel motif j'ai quitté »' fes douceurs de ma patrie. L'heureufe fin de » vos travaux m'afïure du fuccès de ceux qui me « reftent a entreprendre ; ce feroit un crime de » douter de Ia promefie du génie ». La fultane que nous avions inftruite de tout dans les converfations précédentes , prir la parole. » Ma re»» cónnoilïance , dit-elle, m'infpire un peu d'au» dace j j'ai la témérité de m'imaginer que - je puis entrer pour quelque chofe dans 1'ex» plicarion de l'oracle. Ce que vous avez fait » pour Almoraddin & pour'moi, mérite certai» nement la récompenfe que vous attendez , » mais pourquoi n etabliriez - vous I'efpoir de » 1'obtenir , que fur le feul mérite de cetre » bonne oeuvre , fans vous rien promettre de » ceux qui en ont profité? Ce feroit bien nous » méprifer, dit Ie fultan , que d'en ufer ainfi. » Je n'ofe m'oppofer au départ d'Abdalla : qu'il » rrouve bon du moins que mon amirié le force » k prendre ici tout ce qui lui fera nécedaire pour » voyager commodémenr. Vaideaux , hommes, » argent, munitions , tout eft a lui. Sachez-m'en » gré, ajouta-til, chère Zulikhah, & décou-  »ïo8 Les Aventur.es » vrez' tout mon amour dans la violence que „ je me fais; fans vous , je fuivrois moi-mème „ le plus généreux de tous les amis ». La fultane exprima, par un regard plein de tendrede, 1'agréable émotion ou la mettoient ces fentimens , & recommencanr a parler : » Ce font-la , dit-elle, „ de vrais' fecours ; mais ils font d'une efpece fi commune , que je ne faurois me réfoudre » a y bomer le fens de la prédidion. N'en dou» tez pas, Feridoun a prérendu promertre de „ nouvelles lumieres , & je me trompe fort „ fi je ne les dois fournir. Je difpofe de celles » du fage Rem-Corim». De qui nous parlezvous, Madame , interrompis-je ; quelle retraite cache eet homme éclaité? „ Rem-Corim , reprit Zulikhah > eft un prince l voifin , & notre rributaire. Les autres payent „ leur ttibut en argent, ou en marchandifes j y, ila toajours payé le den en confeils & en int „ ttuaions, que mon aïeul , mon père & ma p tante eftimoient plus que tous les tréfors. 11 „ réunit en lui feul tous les perfonnages que l vous cherchez. C'eft un vieillard qui ne ret n fent aucune des incommodités de la viedlelie; „ c'eft un voyageur fameux ; c'eft un fage dont „ les connoiflances s'étendent fort au-dela des n bornes prefcrites aux découverces des hommes. „ prdinaires. Ah l courons le confuker, me-  ï>4 A e d a t z a: j09 v Criai-J'e5 Feridoun a eu fur vous les vues que » vous penfez. Nous pourrons partir dans quel» qnes jours , répondit la fultane : auffi - bien » faut-il qu'Almoraddin , pour fe faire voir a » fes fujets, parcoure le Baroftan. Pendant le " voyage on vous préparera le vaideau qui vous » a apporté ici j je vous en parle comme s'il » etott d moi, ajouta-t-elle en riant, & je vous » Ie dedine avec la même confiance que fi j'avois » eu 1'efpntde legagner ». J'acceptai loffre de Ja belle reine, qui mit un tel ordre aux préparatifs du voyage, que nous fommes de la vide quatre jours après. II ne faut point fe figurer ici une marche femblable a celle du makte des Indes, lorfque lade de fes vicloires ou de fes profondes méditations ■ ?I quitte Agra&Dheli.poar aller prendre le' frats dans le délicieux royaume de Cachemire Mats ou il y a moins de monde , il y a au Ii moins d'embarras. Notre efcorte n'étoit compofee que de cent cavaliers, dont einquante fuivotent féléphant royal qui nous portod. Cet animal etoit magnidquement enharnaché ; a fes cotes marchoient deux autres ëléphans prêts l ltufuccéderen cas de befom. Le petit chdteau dans lequel nous étions, étoit couvert de plaques dor qui jetoient un éclat merveilleux , & Lm beau velours couleur de feu en rendoit le dedans  ,,o Les Avsntures „ès.pIopre. Nous y voyagions fort i uorre a.fe , ? L de «os eoumns de meme eroffc Les l a e , es"—* les chanots ;rharges de oAdons & du bagage , aUorent devant fledrftaueeafo grande pourue pas ancom "ts'pavs que uous trave,s4me, éroient ferrile, tane eurem ic ^ j t e long des CKT ré dC ioie pure, qu'U témoignoit pat ""Ir0Z dWarJrionsldeWuédiaious. T holes, les femmes, les enfans mème noüS pad'"'"- M nous empMta pas ie"M , r2 deuousenrre.emrdelacouSrohlonbuns^dufagequlycom, tnandoit.  »' A B D A L ï. a. ilt Aventures Ju fage Rem-Corim, Pnnce de la Longue- Vallêe. L\ conrrée, dit-elle , s'appelle Ia LongueVallee , paree qu'ayant beaucoup de Iongueur fur tres-peu de largeur, elle ed prefque toute environnee de hautes montagnes. Ce cöté-ci, qui eft le feul endroit par oü Ion y puide entrer, eft tortifie par une grode rivière fur laquelle il y a pont , dont l'iflue eft fermée & difficile d forcer, la porte qui la ferme étant défendue de deux grofles tours. La principale ville eft d un tran d'arc de cette porre. Toute Ia vallée eft habitee par une petite nation qui, de tout tems ; iu.t des loix fort patticulières. Quand le prince meurt , nul droit connu des autres peuples „eft confulté pour remplir fa place ; il fuffic même aux habitans qu'on foit du pays , pour être exclu de la premrère dignité; il leur faut un < f mais un étranger agréable aux dieux Huon & Barcob, qu'ils adorent. Jufqu'a ce que le hafard 1 amen-, le tiers du peuple eft toujours fous les armes , & le pont & la porte font foigneufement gardes. Lorfque Rem-Corim, qui ne fongeoit d rie„  ut t « ? Aventures mofos qua tcrminer ici fes courfes, arriva ï cette porte , un interrègne de fept ans leur avoit fait fouffrit tous les ttiaux quiaffhgent les focietes que nulle autorité bien ademde ne retient dans 1'ordre. La gravité de fa contenance & fa vicülefte (car il étoit vieux) lui attirèrent d'abord le refpeófe des gardes & même des anciens de a nation , auxquels ils le préfentèrent, fuivant la règle établie. ,« Vénérable vieillard , lui dit un „ de ces anciens qui parloit arabe, & qui dans la „ fuiteluifetvittoujoursd'interprète,faveZ-vous „ en quel état nous fommes? venez-vous ici pour „ réaner? pour régner , moi? réportdit le phdo„ fophe , défabufez-vous i fi vous croyez avoir „ ttouvé votre efclave. Admirateut de la nature, „ je viens en examiner les fecrets dans vos rnön* » tagn#s , comme j'ai fait eu plufieurs autres re^ „ gions. Je ne m'informe jamais ni des intéréts „ des peuples, ni de leur conduite : pourvu qu'ik „ pratiquent l'hofpitalité , cela me fuffit. Com„ mander aux autres, c'eft leur être alTtijetti»Cette téponfe furprit celui qui avoit fait la queftion Qui êtes-vous , pourfuivit-il, ou avez-vous commencé a voir le jour ? Vaine curiofité répliqua le fanton ; nul homme ne le fait ptefentemenf, & parmi les génies, il n'y en a que trois qui en aient connoilTan.ee. Chantez-nous quelque air religieus , reprit 1'anciCn ; quel eft  ö' A B D A L 1 A, I 13 votre culte ? Alors Rem-Corim chanta une longue hymne , ou , après avoir célcb:é ie ciel & la terre , le foleil & la lune , la nuit & le jour, il reinercioit Dieu de les avoir crééi. Le truchemenr interprétoit fes paroles a mefure qu'il les prononcoit. D'abord qu'il eut fini, tous les adiftans remplirent l'air de ïifflemens , (c'eft leur manière d'applaudir) & crièrent tous d'une voix: il connoit nos dieux : huon eft le ciel , barcob eft la terre , huon eft le foleil , barcob eft la lune, huon eft le jour , barcob eft la nuit: aux épreuves , aux épreuves. Audi-tót plufieurs fe dérachèrent, & coururent a la ville avertir le peuple & les agguys {a). Le philofophe fe vit, a fon grand regret, accablé d'une foule tumultueufe qui n'envifageoit que lui, & qui ne parloit que de lui. Les agguys 1'invitèrenr a les fuivre au temple , & lorfqu'il y fut arrivé , ils le préfentèrent au dieu barcob, en lui difant de faire foji oftrande. Le fage vieiüard indigné, regarda fièrement 1'idole , & ayant relevé de terre cinq ou fix coquilles , il les jeta aux pieds de cette ftatue. II s'attendoit a être déchiré par ces infidelles : mais au contraire les joyeux fifflemens recommencèrent, & 1'on cria , a 1'autre épreuve , a 1'autre (a) Prêtres. Tomc XIII. H  n4 Les Aventures épreuve. Pour faire cette épreuve , les agguys anporrèrent le dieu huon , & ayant placé debout Rem-Corim a cbté de la ftatue , ils fe mirenr a conddérer les deux vifages, & a en corftparer les traits. Soit réalité , foit eiTorr d'imaginanon , ils trouvèrent que la redemblance étoit parfaire , & en le déclaranr aurhentiquement, üs firent fur-tout bien remarquer plufieurs vernies omées de grands poils , qui défiguroienr le vifage de Rem Corim , & dont les pareilles n'embeihffoient pas adurément celui d'huon. Ces marqués de fouveraineté parurent inconteftabies. La nombreufe ademblée fit éclater de nouveaux tranfports •, toutes les bouches s'ouvrirent pour éleve jufqu'aux nues le choix des dieux. L'interprète s'adreda , après cela , au phdofophe , & lui dit: « Les peuples de la longuevallée vous acceptent de la main des dieux pour leur prince; ils vous obéiront déformais. Et qui de vous , interrompit le fage , s'eft trouvé au divan célefte pour en rapporter 1'ordre des dieux? Les dieux-mèmes, reprit 1'ancien , fe font exphqués. La fuite de nos fouverains eft marquée dans'les facrées archives: des qu'un prince vient a mourir, fon fucceffeur nous eft tou jours défigné par un oracle. On va lire celui qui vous regarde, & qui a fait le fujet de nos impatientes attentions durant un interrègne fi périlleux». A ces  t>' Abdalla. li^ mots Ie plus refpe&able de tous les agguys tira de la poitrine du dieu huon, qui s'ouvroit comme une armoire, un vieux livre oü il lut gravement ces fentences. " L'homme qui méprifera les grandeurs, en »? fera un bon ufage : fa patrie fe glorifiera de » I avoir produir. Pour louer les dieux , il faut » les connoirre, & favoir qu'ils n'ont pas befoin » de nos dons. Heureux l'homme fage , c'eft Ie » vrai portrait de la divinité , c'eft un dieu 33 mortel. Cet oracle prétendu fut interprèté mot a mot a Rem-Cotim. Les afliftans perfuadés qu'ils 1'y voyoient évidemment dépeint, n'eurent la patience d'attendre , ni que 1'agguy le lui appliquat , ni qu'il convïnt lui-même de la jufteffè de 1'application. Le temple retentit de mille fons percans; mille voix répétèrent: « il fuir les honneurs , c'eft 1'ami des dieux, il fait que les préfens les plus magnifiques ne font pour eux que de viles coquilles, c'eft Ia vraie efiigie du grand dieu huon, c'eft un huon mortel: qu'il règne „ ! Le philofophe fut enlevé avec une violence mêlee de refpecb, on le porta au palais, on le traita en prince , malgré qu'il en eüt. Audi-tót que la nuit fut venue , les feux qu'on alïuma fur routes les hauteurs voifines de la ville , apprirent aux habitations les plus éloignées le bonheur de la Hij  ,^ Les Aventures lon' A B D A I L A. ïnon père, dit-elle, il n'y aura jamais rien de commun enrre Périfirime & Dilfenguin. Je n entre point dans vos raifons de politique; vous êres mon fouverain ; mais vous n'aurez jamais adez de puidance pour m'empècher de mourir quand il me plaira , & je préférerai toujours la mort a un tel mariage, Le nom feul de eet amant me fait frémir. Oü eft votre tendrefie , feigneur, continua -1-elle , en fe jetant a fes genoux , comment 1'ai-je perdue ? Elle verfoit un torrent de larmes en faifant cetre demande d tpuchante , & Giamfchid qui 1'aimoit uniquement, ne put retenir les fiennes. Que vous me connoiflez mal, ma chère Périfirime , lui dit-il en la relevant, fi vous me foupconnez de vouIoir donner la moindre atteinte a votre liberté! & fi vous me croyez incapable d'une réïolution fi barbare , que vous ètfs imprudente de vous alarmer comme vous faites! efTuyez ces pleurs. J'approuve cette averfion pour Dilfenguin. A ces mots , une joie exceffive brilla fur le vifacre de la princeffe; elle embrafTa Giamfchid ; ene exagéra la grace qu'il venoit de lui Faire; ils fe donnèrent une infinité de témoignages vifs & éLquens de la conformité de leurs fentimenf. Ces tranfports firent enfin place a quelques réflexions fur la conduite qu'il falloit garder. II y avoit i craindre que fi Périfirime maltraitoit tour lome XIII. i  : «neme« ^ ^ * sr. h 't(fe natutelletnent ttès-fincète , n y U pnncelfe , nam vonlut )»ma.s content». HU B P y,nt enltet. QueIcon fe „ „■cevoit la viSte, njilgis K« Ile" / „ais Dilfenguin étoit tout convet. ainaue , mats f » Giamfchid en ** * * f" BuiWftS i—1 tris-peu de patdes ; na *e „«„évetsPetttttne «"fi" Pomroe ' A B t> A L £ A. 13c ment forts , & lui avoit doniié une garde de quatre eens hommes , des plus braves de Ion royaume. II avoit en même tems expédié un ordre feeree aux principaux chefs de fes fujets, de tenir leurs compagnies prêtes. Les nouvelles que lui apporta Schadi , diminuèrent un peu les inquiétudes de ce bon Roi. On vint dire a ces deux princes que Dilfenguin , au fortir du palais, s'étoit mis a courir les rues de la ville , en criant qu'on le fuivit avec des hoyaux & des pelles : qu'une grande foule de monde s'étoit jointea lui: qu'il les avoit conduits dans les ruines d'une vieille tour, & leur avo-.: ordonné de fouir en un certain endroit: qu'en moins de rien , on avoit ouvert par le haut un fouterrein dans lequel il s'étoit précipité. Les vieillards regardcrent cette aófcion comme Ia dernière fcène de la tragédie. Schadi ne lailTa pas de faire publier fur le champ qu'il donneroit dix livres d'or a quiconque fe feroit defcendre dans le fouterrein , & découvriroit ce que Ddfenguin étoit devenu. La récompenfe excita un grand nombre de gens déterminés , qui s'offrirent a 1'envi pour cette expédition. Mais les quatre premiers qui fe firent defcendre dans le fouterrein, en ayant été retirés fans vie, il ne fe trouva plus perfonne qui voulut rifquer la denne. Giamfchid alors fe datta tout de bon I iv  l i4 Les A v e n t u *. e s de la mort de fon ennemi , & Schadi ne douta plus de celle de fon fils. lis n'apprirent que trop tot qu'ils ctoient 1'un 8c 1'autre dans 1'erreur. Eblis la), eet immortel perfécuteur de la race 'd'Adam , avoit initié Dilfenguin aux myftères déteftables de la magie , par 1'entretmfe des man-s de Zerdafch , & 1'avoit choifi pour repandre dans le monde la connoiflance de eet att pemieieux, que perfonne n'avoit encore^faic profeffion d'enfeigner. Les difcples de Zerdafch n'avoient pas furvécu long- tems a leut ma*re; feséeritsne paroiiïoienc pas, fc l'on n en voyott que de petits extraits entre les mains de quelques hommes & de quelques femmes impies , du nombre defquelles étoit la mère de Dilfengum. Eblis avoit caché lui-mêine ces volumes abomïnables fous laplus ancienne des tours de Merou; & ee fut-U que Dilfenguin les alla chercher pat le eommandement de Zetdafeh, qui 1'avott affure que fon obéidance feroit fuivie de 1'accomphifement parfait de fes défirS. Ayant fauté comme un furieux dans 1 ouverture qu'il avoit fait faire, ü tomba dans un bourbier oh il enfonca jufqu'a la eeinture. La d s abandonnoit i de nouvelles fureurs , lorfqu tl vit (a) Eblis ou Axazcl eft, felon les Onemaux , le chef des anges a^oftats.  D* A B D A L L A. 137 H'i fantöme qui avoir les mains fanglantes & le regard féroce, & qui lui paria en ces rermes s »Tü m'as déji vu, je fuis Zerdafch. Ton courage répondra-t-il a la bonne opjnion que j'en ai? Prépare ces mains a me facrifiet les vtótimes qui vont fe préfenter». Ce fur dans ce tems-U qu'on defcendic avec des cordes ceux que les dix hvres d'or promifes par Schadi , avoient engagés a la recherche de Dilfenguin ; & ce fut ce barbare qui les éttangla de fes propres mains a mefure qu'il put les atteindre. Le fantóme fatisfait 1 arracha de la boue , & a la lueur d'un gtand feu follec , il le conduifit dans un labynnche, dont ils ne trouvèrenr le centre qu'après avoir marend forc long-rems. Ce centre étoit un puits. Le fantöme s'en étant approché, prit Dilfenguin par les pieds, & le jeta dans ie puits , la tête la première, en lui difant, fois dur & invulnérable. Dilfenguin fut emporté fous terre rvr un conduir Iarge & glilfant , fait en vis ; & fa defcente fut fi longue &z fi rapide , qu'il crut entrer ce jour-U dans les enfers. A la fin il s'arrêta. Ses yeux purent apeine foutenir la lumière vive & fubite dont ils furent frappés dans le heu cü il fe trouva. C'étoit un tempte bati de marbre noir & de marbre blanc , d'une grandeur extraordinaire , couvert d'une vcüte foutenue  r}i Les Aventures par vingt-quacre colonnes accouplées. Il y avoit au milieu de eet édifice un vafte badin de fonte, élevé de terre d'environ trois pieds , dont les bords étoient ornés de crapauds en bas-reliefs, & qui étoit rempli d'ambre gris , fondu Sc bouillant. On voyoit a la clef de laïvoüte , juftement au-dedus du badin , un globe de feu , qui tantbt obfeur Sc tantbt trés - brillont , remplüToi: le temple d'éclairs. Les deux efpèces de marbre éroient pattagées , de manière que le noit compofoit le pavé , les colonnes Sc la corniche, Sc que le blanc formoir tout le rede. Le noir étoit poli Sc fort luifant, mais le blanc étoit mat , Sc chargé de fculptures admirables qui repréfentoient les plus fameux ctimes du prince des démons. L'impie Dilfenguin confidéra très-attentivement tous ces ouvrages; Sc vil adorateur du perfide Eblis, il fe profterna Sc lui adrefla cette coutte prière : Souveraine intelligente , qui dominee pendant la nuit, & dont le pouvoir s étend tncorefur les deux extrémkés du jour, reuve^-moi au nombre de vosfujets. Aufli-tot qu'il eüt achevé ce peu de paroles , la tetre trembla, les éclairs du globe endammé redoublèrent, d'horribles mugidemens fe fitent entendte , la liqueur bouillante s'enda, &: menara de pafler par-dedds les bords du badin. II en fortit deux ombres qui difoient d'une voix  D' A B D A L L A. Ijj, enrouée , filence, filence , & qui firent figne a Dilfenguin de fe dépouiller. II obéicdans le moment , Sc quand il fut tout nud , les deux ombres fe retirèrent pour faire place d trois autres ombres qui s'élancèrenr hors du baiïïn , Sc qui, après avoir voltige long tems autour de lui, lui firent chacune un don. La première fouffla fur lm' , Sc le rendit infatigable. La feconde lui fourra une afpic dans la gorge, Sc lui dit.: malice Sc cruauté. La troifième ombre entra ellemême toute entière dans fa bouche ; Sc il recut la puilTance de faire routes fortes de preftiges & de transformations. Ces ombres ayant difparu, la liqueur ardente s'éleva fort haut a divetfes reprifes, & le globe de feu s'ébranla dans le milieu de la voute. Un tröne d'une matière femblable au fer, Iorfqu'ayant été rougi, il commence a fe réfroidir, forrit peu d peu de 1'ambre liquide. En même tems le globe s'ouvtit, & il en defcendit un grand vieillard couvert d'une longue robe jaune , tenant un fceptte d'or de Ia main droite, & de la gauche un petit coffre qu'il pofa fur fes genoux , lorfqu'il fut aflis fur Ie tröne. C'étoit le redoutable Eblis qui fe montroit fous cette forme; il avoit Ie regard trifte , la barbe Sc les cheveux hérilTés , un trou au beu de nez , les lèvres grpiTes & fort avancées; les extrémités  i4o Les Aventures de fes pieds reffembloient a des griffes de hibott. Le petit mouvement qu'il fit en s'affeyant, couvtit fon habit d'étinceUes, qui s'écatrètent avec plus de vïteffe que ne font celles que de violen* coups de marteau détachent d'un fer bralant. II fit figne a Dilfenguin de monter fur le baffin & de venir a lui fur la liqueur bouillante. Le nouveau magicien exécuta affez promptement le premier ordre , mais la crainte d'être confumé en un inftant, le fit un peu balancer fur le fecond. II franchit le pas néanmoins , & 1'ambre s'affermit fous fes pieds. Etant auprès du trone, il fe mit a genoux devant le vieillard qui lui donna le petit coffre. Dilfenguin , voulant marquer fa reconnoiffance , leva les yeux & commenca a remercier Eblis , en difant : rol fouterrein Mais Eblis indigné que contre fes ordres , un mortel rompït le filence dans fon remple , ne lui permit pas de continuer , & lui appliqua fi rudement fes deux pieds fur 1'eftomac, qu'il le jeta a la renverfe. Ce coup fit perdre connoiffance au magicien ; & quand il revint a lui, il fe retrouva tout habillé , aifis d l'entrée du premier fouterrein , avec le petit coffre auprès de lui. L'ayant ouvert, il y vit ttois rouleaux d'écorce d'arbres , qui contenoient les dogm-es impurs de Zerdafch. 11 les hu avec une applica-  A B d A l l A: i^j tion inefoyable , afin d'y découvrir les moyens d'exécuter ince(Tamment 1'infdme réfolution qu'il avoir prife d'adouvir, d quelque prix que ce für fes défirs bruraux , & de rendre enfuite Périfirime la plus malheureufe des créarures. Mais une puüTance plus forte que la fienne, renverfa fes crOels deneins. Périfirime fauvée alla fonder 1'école des fages , & vainquit glorieufement Dilfenguin. Ces événemens mémorables , ajouta Rem-corim , appartiennent a 1'hiftoire de notre établilTement. Nous ne le prefsames pas d'en dire davanrage ce jour-la. Comme nous nous promenions avec lui dans fes beaux jardins ou la dépenfe & 1'indudrie avoient réuni rout ce que la nature produit de plus merveilleux dans les autres climats , le gouverneur de fon palais lui amena une jeune fille , & lui dit : „ feigneur , vous voyez Ja bede Nahda, fille du fcherif Motacem; fort effrayée, elle invoquoit votre notn aux portes du palais, lorfque je 1'ai appercue; elle m'a fupplié, avec-beaucoup d'inftances, de la conduired vos pieds. Nahalas'y étoit déjd profternée, mais Rem-Corim ne la fouffrit pas long-tems" dans cette pofture. Que vous eft-il arrivé , ma fille , lui dit-il, que fouhaitez-vous ? J'implore. votre proteólion , grand prince , répondir-elle ; je viens de me fauver de chez mon père; quel  Mr Les Avsntuf.es afile plus honorable pouvois-je choifir? Er M* perfécution , reprit le philofophe , vous a obhge l chercher un afile ? Je ne vous déguiferez rieft, répliqua-t-elle. HlSTOIRE de Zincddin & de ld belle Nakala.. Vous avez pu favoir de mon père même , qui eftun de vos plus fidelles miniftres avec Lbiendefoin&de ^ ^ [ Je le fais parfairement, répartit Rem-Corim, il L' padé cenr fois de vous, il fa.foic fans celTe 1 vceux pour vorre vie, & fe croyou heureux de pouvoir vous laider de grands biens a fa mor,Mamère,reprir Nahala, a un neven a peu' prés de même ige -que mor, nomme Zineddin, qu'elle fit venir de Palimban quelques JLsavantmacirconcifionW^^qurfutat- (,) Dans !cs montagnes de Sumatra , » Macaffar * £L - circoacU les fille. , paree que les Maho- ^decesp^neles^^p.™ • , , „,rmi les "ens de diftinétion , le tait a 1 -g* cérémonie , paimi les  D' A B D A L L A. j i concis avec de grandes folennicés en même renis 77° °USVéCÜmeS ^^■Joiqu-etS WVO15'001™'"0115 -^^'frcréi W. Nous nous ainuons réciproquement, „ous ne pontons etre un moment 1'un fans 1'autre, Jamais on ne vit deux humeurs plus femblablesles memes /eux nous plaifoient; je ne faifois rien fans le confeil de Zineddin; Zineddin prenoK tien fans mon avis. Je décidois de Ia qua«c des petus ajuftemens qu'il devoit demander »ƒ» rante } & je n'en demandois aucun a mon Pere, que Zineddin ne m'eüt auparavant dé- t l°ngAU;- Uneflécro- K^on faifoit plarfir atlSchenfMotacem&afon époufe , qJ pvol jetoient depuis long-tems de nous donnet Van 3 1 autre. Parvenus i I'age ou la raifon achève de fe dé e qud enfallou retrancher pour nous confor-er aux bonnes mceurs. Mais notre affedion nediminua point ,& „ous fümes accorder Ia tendtelfe avec la bienféance, comme nous 1'accordtons avec la vertu. Quelquefois je trouvois enforta„tle matin,un bouquet attaché | £ Porte & je Jevinois aifément de quelle part ce dans des charr.bres différentes , Ie garcon & . ,„ , aaellcm de maner eijfembie.  Ï44 Les Aventures petit préfent me venoit. Quelquefois il trouvoit wie couronne de fleurs attaché* a Ia fieine , & il n'étoit pas fort embarraffé a déconvrir qui avoit fait cette galanterie. Nous nous donnions mutuellement diverfes autres petites marqués d'aniitié.Nos parens ne 1'ignoroient pas, mais d'un cbté , perfuadés de notre vertu , & de 1'autre , ayant notre mariage en vue , ils n'en étoient pas mécontens.Tandis qu'ils tintent leur delfein caché, nous joumies d'une féliciré digne d'envie. Mais il y a envirou un an & demi qu'ils crurent qu'il étoit tems de le manifefter. Le fcherif Motacem écfivit fes intentions au père de Zineddin , qui n'eut que des remercimens a lui^ faire. J'aimois Zineddin , il devoit me cotnbler de richefies ; c'étoit, a ce qu'il fembloir ï mon pète , tout ce que je pouvois défirer. Les mefures'étant prifes , ma mère & lui nous appelèrent un jout , & nous ouvritent leurs cceurs, Le fcherif porta la patole. « Mes enfans, nous dit-il , vous avez déja eu bien des preuves de notre affeftion, mais nousallons vous en donnet une plus fenfible que toutes les autres. Nous ferons préfent d'un époux a la belle Nahala, & d'une cpoufe a 1'aimable Zineddin ; & leut laiffant dès a préfent tous nos biens, nous ne fongerons plus qu'a attirer fur eux par nos prières les bénédióHons du ciel. A  1>' A B D A L L A. A cette propofition, nous baifsames les veux & »ous gardames un profond filence. Quöi - mes enfans , reprit mon père , vous ne répondez Hen ? craignez-vous que nos offres ne foienr cap«eufes ? Que nous ne voulions vous furprendre Iorfque nous vous donnerons les marqués les' plus forres de notre tendreffe ? N'appréhendez nen de femblable, nous necherchonsqu'd vous rendreheureux , & nos vues font vcritabIement les meines que les vötres. Mon neven , pourfuiVK-iI, en fe tournant vers Zineddin , foyez fincere qui choifirez-vous pour votre époufe > n eit-il pas vrai que vous aimez Nahala > En mcme tems ma mère me fit Ia même queftion par rapport a Zineddin; & nous nous trouvames cejeune homme 5c moi, dans un embarras in! concevable. *os pa*ns voyanr que nous ne düions pas un feul mot, fe petfuadèrént qu'un peu de honte nous fermoit la bouche , & que nous fenons d'accord fi on nous laiiToit fel Dans cette penfée ils fortirent, en nous avertulant, d'un air alïez enjoué, qu'ils reviendroienc bientot. Je vous aime,NahaIa, me dit Zineddin mats Comme il ne continuoit pas , je lui dis auffi de mon cöté, je vous aime,Zined_ dm, ma,s Et je m'arrêtai. Achevez, ma chere Nahala, reprit-il, & dites que vous ne lome XIII. £  i46 Les Aventures m'aurez jamais pour mari, comme je ne vous aurai jamais pour femme. Vous dites vrai, repartis-je , mon attachement n'a rien de commun avec 1'amour. Et le mien, répliqua-t-il i, y eft contraire. Nous comprimés aifément que nous parlions de 1'amitié qui nous unidoit , & que nous croyons incompatible avec ramout. L'amttié ne fait point de mariages, dis-je a Zineddin; un autre génie préfide a ces onéreux engagemens. L'amitié, reptit-il, s'oppofe aux mariages ; dès qu'on fe marie , le génie ttanquille fait place au génie inquiet. Nous allions conclureque nous nous aimerions toujouts fans nous époufer, lorfque le fcherif & ma mère entrèrent. Eh bien, mes enfans , dit Motacem , a quoi en ètes-vous? ferons-nous bientót de noces? Les nóces de Zineddin ,1ui répondis-je, ne feront pas fi-tot prètes. Comment, interrompit ma mère , c'eft donc mon neveu qui fait le rétif? Mes noces, dit Zineddin , feront bien aufli-tót prêtes que celles de Nahala. Mon père &c ma mère fe regardèrent 1'un 1'autre, fans favoir que dire ni que penfer; & je crus qu'il étoit de mon devoir de les tirer de peine. « Nous nous fommes aimés jufqu a préfent, Zineddin & moi, leut dis-je, fans avoir la moindre vue de nous marier. Nous connoiflbns les charmes innocens d'une parfaite amitié , mais nous ignorons quels  D' A B D A l L Al i^j font les plaifïrs que d'autres liaifons peuvent produire. II y auroir de 1'imprudence a préférer un bien que nous ne connoiüons pas, a des déiices dont nous fommes afTurés. Nous n'avons qne des idéés très-défavantageufes de 1'amour , & Pamitié nous paroit le plus excellent de tous les dons que le ciel ait accordés aux hommes. L'amitié eft éclairée & 1'amour eft aveugle ; 1'amour eft intéreffé , & l'amitié ne fait° peofer 'qu'aux intéréts de cc qu'on aime. Rien n'eft comparable a l'amitié, rien de pms faint. La mienne m'attache fortement a Zineddin ; d'aurres Hens font fuperflus. Les mariages les mieux concertés font fujets a de grands chagrins < je ne puis me deftiner a en caufer a Zineddin. II vaur beaucoup mieux que je me prépare a confoler ceux qui ne m'imiteront point. Je ferai fon amie jufqu'au dernier foupir , mais je ne ferai jamais fon époufe. Zineddin ne paria pas moins réfolumenr que moi; & ce jour-la nous eumes, pour la. première fois de notre vie, le malheur de. déplaire a nos parens. Ils prétendirent forcer nos volonrés. De 1'humeur dont je fuis , les moyens bifarres qu'ils mettoient en ufage pour venir a bout de leur deffeln , n'auroient fervi qu'a me divertir, fi Zineddin n'en avoit pas fouffert. Je ne voyois qti'uneperpétueUecontrariétédeconduite. Tantot Kij  ,48 Les Aventures on nous défendoit de nous voir & de nous parler , cantor on nous faifoit trouver enfemble, & fon écartoit avec foin tout ce qui autoit pu interrdmpre notre converfation. On paflbu toujours aind d'une extrémité a 1'autre : Sc quand nous étions un jout en un cerrain état nous prédidons a coup sur ce que nous deviendnons fe lendemain , en imaginanr 1'êtat contraire. A la dn, fatiguée d'une perfécution qui ne faifoit qu'augmenter , Sc dont la moitié tomboit fur mon am» , j'ai pris , fans en nen dire l perfonne , le parti de recounr a votre équité. L'efprit Sc la naïveté de la jeune Nahala nous plut infiniment. Belle fille , lui dit la Sultane, vous vous attirez plus d'une proteóhon. Naturellement , continua-t-elle , en jetant fur nous Un re-ard fort ga», la décidon de cette affaire m'aPP°artient: les hommes n'entendent rien aux mYftères du cceur. Mon procés eft gagné , madame dit tefpeftueufement Nahala , fi je vous ai pour juge. Zulikhah fourit, Sc paria enfuite i Rem-Corim , qui commanda au gouverneur d'apprendre a Motacem que fa fille étoit chez la fultane , Sc de lui enjoindre de venir fe prefenter a cette princefle le lendemain avec Zineddin. lis ne manquèrent pas de comparoitte a eet  D' A B D A L L A. I49 aimable tribunal. Le fcherif fit fa plainte, monrra les lettres du père de Zineddin , & s'efforca de prouver que la deftinée des ëfifaris étoit uniquement 1'affaire des parens. Après qu'il eut-fini fon difcours, on le fit paffer dans une chambré voifine , & la gracieufe fultane paria au jeune homme. » Rendez témoignage a la vérité , lui dit elle ; n'aimez-vous que Nahala , & Nahala n'aime-t-elle que vous ? Zineddin affez embarraffé , a ce qu'il paroiffoit, rêva un moment , puis répondit : » perfonne ne partage l'amitié que j'ai pour elle , & je me flatte que je ne partage avec perfonne l'amitié qu'elle a pour moi. Vorre réponfe ne me fatisfait pas , reprit Zulikhah. Encore une fois, n'aimez-vous que Nahala? Le jeune homme rougit. Je 1'avouerai, dit-il d'une voix timide , j'aime la belle Am ine , fille de 1'emir Horruz , & elle m'aime. Mais eet amour ne diminue pas 1'amkié que j'ai peur Ia vertueufe Nahala. Et Nahala pourfuivir la fultane, n'aime-t-elle que vous? Jene fais, répliqua Zineddin. Si elle aimoit auffi le brave Gaouth , fils du cheic Mouffa , je n'en ferois pas jaloux -y un amant peut-il nuire a un ami? Gaouth adore Nahala , & quoiqu'elle le fache bien , elle ne m'en a jamais rien dit. C'eft qu'elle 1'aime antrement qu'elle ne vous aime , interromfultane j on publie l'amitié , mais o  ijo Les Aventures foin de cachet 1'amour. Qu'on inrroduife Nahala, ajouta t-;lle , en haudanr la voix. Dès qu'elle parut, Zulikhah lui dit d'un ton un peu railleur : quel plaifir , Nahalah , de jouir toujours des plus pures délices d'une tianquil'le amitié , 8c d'ignoret toujours les douceurs inquiètes que d'autres liaifons peuvent prodture! Que 1'aveugle amour eft haïdable ! qu'il eft intéredé! que fes biens font incettains ! que fes engagemens font onéteux! quel ami, quel père , quel juge ne fe rendroit pas a. ces vérités ? Je vous félicite , Nahala , de la peine que vous avez prife a les bien imprimer dans votre efprir, 8c du choix que vous avez fait du célibat, afin d'être plus en état de confoler ceux qui auroient Ie malheur de fe marier. Zineddin que vous voyez , va époufer Amine. Je ne doute point que l'amitié fainte 8c défintérelfée que vous avez pour lui , ne vous engage , dès a préfent , a ptévoir fes chagrins pour les adoucir. Il n'eft pas le feul a qui vorre zèle foit nécedaire , car d'autres mariages fe préparent. Celui de Gaouth , fils du cheic Moufla, fait fur-tout beaucoup de bruir. 11 eft plus aifé d'imaginer 1'eftet de ce difcours , que de le dépeindre. Les rubis les plus hauts en couleur, auroient femblé pales auprès des joues de Nahala. Elle n'ofoit , ni parler ,  r>' A B D A L L A.' 151 ni lever les yeux , ni prefque refpirer. Le trouble de cette belle perfonne nous toucha fenfiblement, la reine mère en fut émue. Confolez vous, Nahala, reprit-elle ; vous avez plus gagné que vous n'aviez demandé. II me fuffit d'avoit vengé 1'amour , de 1'avoir vengé de vous par vous-même» Publiez déformais fa gloire, fans ceder de cclébrer celle de l'amitié. Sacrifiez a l'amitié ; le cceur de Zineddin en eft pour vous 1'autel : mais puifque 1'amour a placé le den dans le cceur du brave Gaouth , ne rougilTez pas de facrifier auffi a 1'amour. Après ce doux arrêt, qui changea tout-a-coup la confuflon de Nahala en une joie que la modeftie tacha vainement de modérer, la prudente Zulikhah fir fortir Zineddin & fon amie. Puis elle demanda au prince Rem-Gorim , s'il vouloit bien fe charger de tout ce qui reftoit a faire ? 3) Sage fultane , répondit ce prince , les partis font fi heuteufement afibrtis , que vous ne devez pas douter un moment du fuccès des deux mariages. Le fcherif & le cheic font amis ; & je fuis bien sur que le père de Zineddin fe fera un grand honneur de l'alliance de 1'emir Horruz. Je porterai les paroles nécedaires ; & fi je rencontre quelques difficultés , je ne manquerai pas de moyens pour les lever fur le champ. Les promedes du prince de la longue- K iv  152. Les Aventuk.es vallée furent en effet fuivies d'une prompte exé- cution. Nous attendions avec impatience qu'd reprit 1'hiftoire de Peridrime & de Dilfenguin } & il le dt dès que fes occupations indifpenfables le lui permirent. CONTINUATION DE l'Hl S TOI R E de Dilfenguin & de Périfirime. JLiES rois Giamfchid & Schadipadoient, ditil , affez triftement leut tems : celui.ci , a caufe de la perte qu'il croyoit avoir faite de fon fils; & celui-la paree que Schadi ne le quirtoit prefque poinr. La belle Périfirime vivoit plus heureufe dans fa retraite. Elle avoit fait de fi grands progrès dans les fciences auxquelles elle s'éroit appliquée dès fes plus tendres années , que perfonne ne 1'égaloit dans ('oriënt. Tous les fecrets des traditions anciennes lui étoient connus. La vertu prodigieufe des plantes & des pierres fembloitprendre de nouveaux accroiffemens entre fes mains. Le ciel étoit pour elle un livre roujours ouvert & toujours inrelligible. Les nuits tempérées & 1'air ferein de fon pays 1'invitoient fouvent a le confultet, &c a monter, pour eet effet,  d* A b d a £ £ a. 153 fur le donjon du palais. Giamfchid lui avoir donc fait plailir de la loger dans cette tour , qui d'ailleurs la mettoithors d'infulte. Dès la troifieme nuit elle s'attacha férieufement a examiner les deftins de Dilfenguin. Ce qu'elle appercut d'abord 1'effraya. Les jeunes filles de qualité qui lui fetvoient de compagnes , & qui 1'avoient fuivie fut la plateforme, la virent palir & trembler. Mais peu a peu elle fe ralTura, & a la fin la joie prit la place de 1'épouvante. Quand elle fut rentree dans fa chambre , elle fe profterna & prononca cette prière facrée : grande ame de l'univers , que toutes les créatures te réverent, je te remercie du choix que tu as fait de moi pour être l'interprete des cieux. Elle écrivit après cela un billet qu'elle donna a Barfine , en qui elle avoit le plus de confiance , avec otdre de le remettre a Giamfchid au point du jour. Ce Prince le trouva concu a peu prés en ces termes : » Seigneur , notte ennemi n'eft point mort, » mais fon père n'a pas fujet de s'en réjouir. » Ne vous troublez poinr de ce qui arrivera au)> jourd'hui; je ne puis a préfent vous le dire; jj commandez feulement a tous vos fujets de » la ville de fe tenir enfermés chez eux, & de » fe préparet a s'y défendte.  »54 Les Aventures Giamfchid', qui avoit déja plufieurs fois fait 1'expérience de la vérité des ptédiótions, & de Ia folidité des confeils de fa fille , fit audi - tot avertir fes principaux officiers de guetre d'aller mettre routes les maifons en état de défenfe, & placa lui-mème de nouveaux corps-de-garde dans fon palais. Tout cela ne fe put faire fans cclat. Les fujets de Schadi, qu'on appeloit communément les noirs, pour les diftinguer de ceux de Giamfchid qu'on nommoic les blancs, prirent Talarme , &c coururent en rumulte avertir leur roi , qui envoya dans les rucs des blancs découvrir fi ce que fon peuple difoit étoit vrai. On lui rapporta qu'il ne paroidoit perfonne dans lesmes, que routes les maifons étoient fermées, & qu'on y- entendoit un grand bruit comme des gens qui fe barricadent en attendant un alfaut. Schadi ne comprenoit rien a cela. Quelle rerreur panique s'eft donc emparée de mon ami, difoitil, que ctaint-il ? fi c'étoit un ennemi de dehors, le péril feroit commun , il m'en donneroit avis. Eft-ce moi qu'il appréhende , 1'efprit lui auroit donc tourné. Dieux immortels , la fageffe de eet ami m'eft nécefiaire après la mort d'un fils ! J'irai, j'irai moi-même diffiper cette frayeur foudaine. Les emirs des troupes de Schadi, affemblés auprès de fa perfonne , s'opposèrent unanjmement a fa réfolution. Que quelqu'un de  D' A B D A L L A. 15 J vous, reprit Schadi, aille donc tout-a-l'heure s'inftruire des véritables difpofitions de Giamfchid. L'emir qui fe déracha , vit la paix Sc la guerre tout enfemble, en abotdant ce prince : la paix dans fes paroles Sc la rguerre dans fes aétions , caril faifoit aómellement diftribuer routes fottes d'armes. L'émir s'inclina profondément, Sc lui témoigna 1'inquiétude de fon roi. Giamfchid 1'adura qu'il ne vouloit attaquet perfonne , Sc qu'il ne favoit pas trop lui-même contte qui il avoit a fe défendre. L'emir rapporta ce difcours a fon maïtre , qui fe confirma dans 1'opinion ou il étoit déja que Giamfchid avoit perdu 1'efprit. Sans vouloir rien écouter > il fe dt tranfporter chez eet ami qu'il croyoit fi malheureux. Pendant fon abfence, fes généraux perfuadés que les blancs n'avoient pas pris les armes fans deflein 3 ordonnèrent auffi aux noirs de s'armer. Giamfchid courut au-devant du Roi Schadi, d'auffi loin qu'il 1'appercut , Sc 1'embrada a fon ordinaire. Venez , lui dit-il, que je vous rende raifon de ma conduite. II 1'introduifit dans fa chambre , s'enferma feul avec lui, Sc lui monrra le billet de Périfirime. Quelle foule de penfées facheufes s'éleva pour lors dans 1'ame de ce prince, qui éroit auffi petfuadé qu'aucun autre du profond favoir de Périfirime! » Mon fils eft  i5 t'avertis que tu mérites la mort pour trois » raifons. Premiérement, paree que tu nas pas » daigné époufer 1'adorable Pirehzen , ma mère. » Secondement, paree que tu n'es point venu „ en perfonne me chercher dans ma retraite. » Troifiémement, paree que tu es en liaifon n avec mes ennemis. Quoique tu ne puides nier » aucun de ces crimes , j'ai pitié de tes cheveux „ blancs , & je veux bien t'enfeigner un moyen „ de te foufttaire a ma juftice. Je fais avec qui » tu es : tire ton falut de ta faute même , & » lave a ce moment ton infidélité dans le fang „ de ce petfide que tu as devant les yeux. Ou » remets entre les mains de mon envoyé le cceur  d' A b d a t l a. 157 >» de eet indigne roitelet, ou ne compte plus » fur la vie. La lettre de Giamfchid écoit concue en ees termes : » Dilfenguin, favori d'Eblis , &c. fouverain » de tout 1'univers , & fpécialement -de la ville » entiète de Merou ; a Giamfchid, mort & ma» lédiction. Dans 1'exécution de 1'airêt que j'at » prononcé contre toi , admire ma bonté, tu » n'auras point d'autte bourreau que ton ami, » hate-toi de lui préfenter ta poitrine , afin qu'il » 1'ouvre , & qu'il s'acquitte de la commiflion » exprefie que je lui en ai donnée. S'il t'aime » trop , ou s'il ne me craint pas aflez pout => m'obéir , je re réferve des fupplices incom» préhenfibles. Le déplorable Schadi tomba en défaillance ; après avoir lu fa lettre. Giamfchid fit entrer fes gardes , tant pour la sureté de fa perfonne , qu'afin de procurer du foulagement au vieillard évanoui. L'homme roux voyant qu'on ne fongeoit a rien moins qu'a exécutet 1'ordre barbare de fon maïtre, difparut. Peu de tems après , il forrit du fouterrein ou étoit Dilfenguin , une fumée épaifle qui, s'éle-  158 Les Aventures vant a la hauteur des maifons , enveloppa Ia moitié de Ia ville que les noits öccupoient. Cette horrible fumée leur déroboit la lumière du jour, & s'infinuant jufques dans les tecoins les plus cachés , elle y portoit une infecYion intolérable. En même tems une multitude effroyable de fantömes qui avoient la reffemblance de leurs parens mbrts , fe répandirent dans toutes les maifons, en difant d'un ton lugubre', mais ttèspaflionné : » Que faites-vous ici, laches , qui fouffrez que les blancs jóuiffent de la lumière , tandis que vous êtes enfevelis dans les ténèbres ? Aux armes! aux armes! C'eft Périfirime qui vous aveugle, c'eft fon père qui vous empoifonne ; jufqu'a quand leurs fujets jouiront-ils de 1'air Sc de la clarté qu'ils vous ont enviés ? Vengeance ! vengeance ! Egorgez, maffacrez , brülez vos ennemis. Les reproches de tant de futies déchainées remplirent tous les noirs d'une rage iiiexprimable. Ils fortent, courent pêle mêle dans les rues des blancs , portent partout le fer Sc le feu. Les emirs de leur parti, emportés de la même futeur , fe mirent a la tête des troupes de Schadi , Sc marchèrent droit au palais de Giamfchid. Tandis que les blancs purent fe défendre a couvert, leurs ennemis expofés a leurs coups , fouffrirent beaucoup plus qu'eux ; mais  D A B D A L l A. le feu appliqué aux maifons, devint en peu de tems fi violent, qu'ils furent contraints de fe jeter dans les mes, & d'y attaquer d leur tout ceux contre qui ils s'étoient défendus. Le défotdre fi 'étoit pas fi grand a 1'entrée du palais affiégé j quoiqu'on ne s'y battit pas avec moins de vigueur. Giamfchid faifoit tout ce qu'on pouvoit attendre d'un chef prudent & courageux , & remplacoit fans celTe , par des gens frais , ceux que la mort emportoit, ou que 1'excès du rraya,I contraignoit de fe recirer pour reprendre naleine. Schadi fe tenoit accoudé fur «ne fenêrre ; feul, immobile, inconfolable , mécontent des fiens , expofé a Ia colère des autres. S'étant enfin appercu que 1'ardeur infenfée de fes foldats fe rallentilToit, il fe fit conduire fur une rour avancée, & fe montra tout i découvert aux afïïégeans. A fa vue , le combat cefTa de part & d'autre. II paria a fes fujets d'une manière & touchante , & leur remontra, avec „ne éloquente fi ammée, les maux irréparables qu'ils fe fotent a eux-mêmes, qu'il leur fit tomber les armes des mains. Mais Dilfenguin, bien inftruit de ce qui fe pafloit, parut tout-a-coup en 1'air , fur un dragon d'une grolTeur monftrueufe, dont Ia gueule vomiffoit une infinité de dammes. „ Efféminés  , le même nom que fon père. Chacun de ces princes envifageoit en même tems, avec une tendre émotion la fée qui le regarduit. L'homme férieux érudioit les uns & les autres , & les étudioir avec une attention fi marquée, qu'il s'attira a fon tour celle de tout le monde. Eh bien ! doóteur, lui dit le roi Sabalem i que nous direz-vous ? Sire, répondit le docteur} c'en eft fait, les mariages font arrêtés. Les yeux des perfonnes qui doivent s'époufer fe font déja mariés vingt fois depuis un moment. Aptès avoir rendu cette réponfe, il écrivit avec un ctayon , fut une tablette d'ivoire , les noms des amans Sc ceux de leurs maïtreifes ; puis il donna la tablette au roi Giamfchid, fit fes trois révérences Sc fe retira. Giamfchid lut tout haut les noms accouplés. Les'cinq ptinces crièrent auflï-tót comme de concert: La fclence des phyJionomijles eft infaillible ! les loix d'Ophir font juftes! Le filence de la princefle Sc de fes compagnes, joint a un cettain air de contentement répandu fur leurs vifages, foutint merveilleufement bien ces acclamations. « Vous voyez , dit Giamfchid au roi d'Ophir, que ma fille n'eft pas née pout la deftrucfion de vos coutumes. Pour moi, j'accepte votre alliance avec beaucoup de reconnoiflance Sc de plaifir. Les nóces fe célébrèrent dès le lendemain,  170 Les Aventures avec toute la pompe 8c toute la magnificencë dont ce fiècle la étoic capable. Tout le peuple de 1'ile quitta fes occupations ordinaires pour fe réjouié. Perihrime fit le don de féerie au prince Abar , 8c le déclara premier fage. Ses compagnes obtinrenr fans peine la même faveur pour leurs époux, qui ne tardèrent guères a faire des effais de leur nouvelle fcience. On voyoit tous les jours des fpectacles ravidans qui étonnoient prefqu'autant ceux qui les donnoient que ceux qui y afliftoienr. II fallut fonger a partir. Périfirime , Barfine , Rezené, Parma 8c Sidgim , s'étant aflemblées avec leurs époux pour prendre Ia-deffus une dernière réfolution , la princefle paria en ces termes aux nouveaux fages : » princes , je ne puis plus différer de remettre a la voile; vous nous fuivrez puifque vous nous aimez; & il ne fera pas , a ce que je crois , néceflaire de nous affurer de vos perfonnes par la puiflance de notre art. Abar & fes ftères témoignèrent tous d'une voix qu'elle difoit la pure vérité. La fée continua ainfi : et Comme Sabalem reftera fans héritiers, par votre cloignement, il faut faire en forte qu'il n'en ait pas befoin, du moins de plufieurs fiècles. Je trouverois a propos que mon père achevat fa vie dans cette ile , & qu'il partageat le tems & la royauté avec le votre. Je m'imagine qu'ils  T>' A B D A L l A. I7T n'auroient pas de peine a confentir de vïvre & de rcgner tour a rour. Mais pour agir plus sürement, il faut tenir la chofe cachée a Sabalem ; je me charge de perfuader Giamfchid. Pendant que 1'un gouvernera , 1'autre fera enchanté ; Sc 1'enchantement que je ferai fera de relle nature, que celui qui en fortira , fe trouvera audi vigoureux qu'il étoit en fortant du ptécédent , c'efta-dire , qu'un an d'enchantement aura la vertu de rcparer les forces perdues pendant un an de travail. La compagnie applaudir a cette propofirion , & Périfirime fut inftamment priée de s'appliquer fans aucun délai a 1'exécution d'un projet fi bien concu. Dès la nuit fuivante , elle batit un palais d'une grandeur Sc d'une beauté admirables, vis-a-vis des fenêtres du roi d'Ophir , & fe rendit au lever de ce prince , avec le roi Giamfchid qui ne favoit rien de fon dedein. Quand Sabalem mir la tête a la fenêtre, il fut bien furpris de voir le nouvel édifice , Sc fe doutant qu'il étoit de la facon de Périfirime : " Depuis que vous etes ici, ma fille , vous me procurez tous les jours de nouveaux plaifirs. Les dedans de cette merveilleufe maifon furpafient apparemment les dehors en richefles; ainfi je vous prie de m'y introduire tout-a-Pheure. La fée qui ne cherchoit que cela, y confentit; Sc ptenant d'une  171 Les Aventures main fon père , Sc de 1'autre le roi d'Ophir, elle les emmena. Les portes du palais s'ouvtirent Sc fe fermèrent , fans donner pafiage a d'autres qua eux rrois. Les rois admirèrent les portiques, les cours , les efcaliers, les galeries, les appartemens , les meubles de ce magnifique palais. » C'eft un grand dommage , difoient-ils , que ces fortes d'ouvrages ne durent pas plus longtems. Ma fille, ajouta Sabalem , eet efier miraculeux de votre fcience va-t-il encore fe didiper comme tous ceux que vous nous avez fait voir depuis le jour de vos noces ? Seigneur , répondit la fée avec un petit fourire, puifque cette maifon vous plait tant, je vous jure qu'elle ne durera pas moins que vous. En difant cela, elle toucha de la baguette des merveilles le bon vieillard , & elle 1'enchanta. Elle ptit enfuite Giamfchid pat la main , Sc 1'ayant conduit dans la première cour, elle lui expliqua tout le myftère , Sc lui découvrit la réfolution qui avoit été ptife. Le roi fut d'abord trés - mécontent. » Je ne faurois me réfoudre, dit-il , a vous permettre de me quitter ; & quand je m'y réfoudrois , comment perfuaderiez-vous au peuple d'Ophir de m'obéir ? Périfirime applanit la ptemière difficulté , en lui promettant de venir le revoir aufli fouvent qu'il le fouhaitetoit. Quant au peuple d'Ophir , pourfuivit - elle , il vous honorera  t>' A B D A L L A. iyj comme fon roi , vous en allez être convaincn par votre propre expérience en fortant d'ici. Ils iortirent : auffi-tót les gardes du Roi Sabalem écartèrent le peuple ; les princes fes enfans & les emirs de fa cour fe mirenr a la fuite de Giamfchid , & même quelques particuliers lui demandèrent des graces comme a leur roi légitime. Giamfchid ne favoit que penfer de tout cela, & fe contentoit de diffimuler fa furprife , en hatant le pas fans rien répondre. A 1'entrée du palais, il fut arrêté malgré lui par un Mullah fort vénérable , qui lui dit : lire ; je vous prie de me faire la grace d'amener chez moi le roi Giamfchid , votre hbte , & la princefle Périfirime fa fille ; j'aurois envie de les régaler. Je vous fais d'autant plus volontiers cette demande en leur préfence , que j'efpère qu'ils voudront bien contribuer a me la faire accorder. Giamfchid ne put s'imaginer autre chofe , finon que eet homme fe moquoit 'de lui , & il paffia outre , nonobftant la refpedueufe réfiftance du Mullah. Deux merveilles qu'il ignoroit, faifoient qu'on le prenoit ainfi pour le roi d'Ophir , & qu'on lui parloit de lui-même comme d'une troifième perfonne. La fée lui avoit donné la figure de Sabalem , & avoit mis auprès de lui un fantöme qui repréfentoit Giamfchid, qu'il n'appercevoit  174 , Les Aventures pas , & que tout le monde prenoit pour lui. Elle n'avoit communiqué fon feeree ni a fon mari, ni a fes compagnes, qui furerit les premières attrapées , quand le roi fut rentré dans fa chambre, ou Pon eut foin de ne laider entiet nul Ophirien. Elles drent des complimens au fantöme , comme fi elles avoient parlé a Giamfchid , & voyant que le fantöme ne répondoit rien : « roi Sabalem , dirent-elles a Giamfchid, le dlence de notre prince nous effraye, il n'a pas accoutumé de nous dédaigner ainfi. Giamfchid, de fon cöté perdoit 1'efprit, de voir qu'on regardoit en Pair , & qu'on avoit même quelquefois le dos toutné en patlant a fa perfonne. A la vérité , lorfqu'il prenoit la parole , on fe retournoit vers lui, mais on 1'étonnoit plus qu'auparavant, en le traitant de roi d'Ophir. A la fin remarquant que fa fille rioit, je crois , lui ditil , tout en colère , que tout le monde eft fou aujoutd'hui, vous , paree que vous riez toute feule , fans aucun fujet; les autres paree, qu'ils me parient ou je ne fuis pas , & qu'ils parient au roi Sabalem ou je fuis. Périfirime continua de rire , & lui dedillant tout-a-coup les yeux , lui fit voir fon fantöme. L'apparition de eet autre Giamfchid pofté vis-a-vis de lui, le jeta dans un nouvel excès de furprife. Adurément , s'écria-t-d , j'ai audi ma part de la folie com-  ü' A B D A L L A. 17? mune ; il me pavoïc que je ne fuis pas 011 je fuis, & que je fuis oü je ne me fens pas; mais approchons-nous de nous-mêmes. La deffus il aborde le fantöme, qui lui fait une profonde révérence , en lui difant : grand roi d'Ophir! le tems de mon dépatt ed arrivé. Alors Périfirime prenant un a.it plus férieux, adrefla la parole a fon père : » Seigneur , lui dit-elle, je vous apprends que vous avez la figure du roi d'Ophir, &c que ce fantbme qui a la votre , n'eft qu'un nuage que j'ai mis en ceuvre pour tromper les yeux du peuple. Régnez donc ici comme fi vous étiez Sabalem , puifque perfonne ne doute que vous ne le foyez pas, & que fes enfans mêmes & le Mullah, qui a toujours vécu avec lui, vous ont pris pour lui. Le refte du jour fe pafia a informer Giamfchid des maximes les plus ordinaires du roi enchanté. Abar & fes frères , inftruits de tout, les lui apprirent fi parfaitemenr , que dès le foir même il foupa en public , en qualité de Sabalem , avec fa familie , & le fantbme qui mangea de bon appétit, & qui par intervalles prononca, du ton du vrai Giamfchid , certain nombre de paroles adez a propos. Le lendemain , dès le point du jour , les fées & les fages prirent leur dernier congé, & le vaideau ne fut pas plutbt en pleine mer, que le fantóm ■,  ij6 Les Aventures déformais inutile, difparut par 1'otdre de celle qui 1'avoit formé. Jamais navigation ne fut plus agréable que celle-la. La félicité fembloic avoir établi fon trone dans le navire enchanté. Un amour mutuel y fatisfaifoit rous les cceurs; différens caradères de fagefle n'y contentoient pas moins tous les efprics. L'air &l'océan ne faifoient que ce que Périfirime défiroir. A fa voix les monftres de la mer abandonnoient les abimes pour fe laifler voir , & les animaux de la terre accouroient du fond des forèts Sc des déferts fe préfenter fur le rivage. Le vaifleau s'arreta un jour de lui-même fur le bord d'une riante péninfule, a 1'embouchure d'un fieuve large Sc profond , qu'on a depuis nommé Algrin. Les dix aimables voyageurs étoient tous fur le tillac : ils découvrirent des deux cótés du fieuve deux armées , 1'une de finges blancs, Sc 1'autrë de finges noirs, qui tous étoient armés de gtofles cannes, & cherchoient a pafler 1'eau , comme pour fe battte. Ces armées demeurèrent fort long-tems en préfence, n'ayant ni 1'une ni 1'autre la hardiefle de traverfer la rivière , dont le bruit Sc la rapidité les épouvantoit. Notte fimplicité eft exttëme , dit la princefle , en s'impatientant; a quoi nous amufons-nous ? Changeons 1'état des chofes &: donnons-nous un fpeétacle chatmant. Elle ne fit que deux  p' A B D A l L A. 177 deux fignes en 1'aif avec fa baguette; au même moment tous les finges devinrent grands comme les plus démefurés géans, Sc leurs cannés furent changées en maffues. Le fieuve , après cela , n'éroit plus un obftacle $ les géans-fingés y entrèrent de parr Sc d'autre , nëurent de 1'eau que jufqu'aux jarrets. Mais quelle fut la confufion de la fage Périfirime, lorfqu'au lieu de fe battre, ces animaux lafcifs commencèrent a prendre des contenances impudentes, Sc a fe mêler honteufement a fes yeux ? Ah ! 1'horrible infamie , s'écria-t elle , en fe couvrant le vifage avec les mains, Sc a. finftant elle rendit leur petite figure aux finges, qui furent prefque tous noyés. Après certe aventure finguÜère , Périfirime fe recueillit en elle-même. Un feu nouveau s'alluma dans fes yeux. Ses couleurs devinrenr plus vives. On la vir plus grande & plus majedueufe qu'a 1'ordinaire. Elle jeta douccment fes regards fur les fages Sc les fées qui , en 1'admirant , gardoient un filence éloquent. Elle leur dir enfin: » l'oracle du roi Ormoz eft accompli; nous voici au terme de notre voyage ; defcendons, prenons gaiement poffefïïon de Theureufe contrée , qui fera jufqua la fin du monde le centre de notre empire. Elle ne fut pas plutbt a terre avec fa compagnie , que le vaifTeau s'évanouit. Une colline Tome XIII. M  178 Les Aventures que la nature fembloit avoir formée pour com-' mander a tout le pays , fut choifie pour en portee le premier & le plus riche édifice. Les fées feules le batirent. Ne mën demandez point la defcription , continua Rem-Corim; tout ce que je pourrois vous en dire , feroit infiniment audeffbus de ce que j'ai vu , il y a environ cent ans» Les fages s'appliquèrent a fortifier les dehors de la contrée , Sc ils y réuflirent fi parfaitement, que le nom d'inaccejjible en eft refté a la péninfule. Rien n'y entre fans la permiffion expreffe des puiflances. Elle eft ceinte de rochers de plus de trois lieues de hauteur , tellement efcatpés du cóté de 1'océan , & fi ferrés les uns conrre les autres, qu'ils ne font qu'un mur d'une feule pièce. II y a fous leurs racines des abïmes quivomiffent de toutes parts des fleuves cachés, d'une grofteur Sc d'une roideur fi épouvantables, que le choc de leurs eaux foulève route la maffe de la mer, Sc qu'il n'y a que d'horribles tempêtes Sc des orages perpétuels a plus de foixante lieues a la ronde. Des vents toujours déchainés Sc toujours en fureur , dont la violence inouïe s'étend dix fois plus haut que 1'enceinte de Ia péninfule , ne font de tout ce vafte efpace qu'un affreux rourbillon , qui ne permer pas même aux oifeaux de pafler. Lorfque le palais des fées fut en état d'être habité, elles le peuplèrent, en y  D' A B D A t 1 A, i79 tranfportant les jeunes gens les plus ingénieux de Punivers. Elles composèrent avec les fages cinq volumes qui porten: encore leurs noms, Sc renferment les principes de la féerie; car il faut remarquer que ce qui avoit été pour elles 8c pour leurs époux un pur don d'Ormoz , fut dans la fuite un art atfez pénible pour les autres» Ces livres furent communiqués fuivant les tègles mêmes qu'on y apprend. Les fages & les fées fe multiplièrent dans le monde; on en vit bientöc la face renouvelée , malgré la haïne 8c les noirs artifices du perfide Dilfenguin. Fin de l'Histoire de Dilfenguin & de la princejfe Périfirime. CjE malheureux fe fatigua pendant plufieurs jours a pourfuivre inutilement les fantömes de Périfirime 8c de Giamfchid , 8c ayant a la fin reconnu fa folie , il s'occupa férieufement a recueillir le fruit de fes crimes. II fit téparer Merou. II choifit dans tout fon toyaume les garcons 8c les filles qui donnoient les plus grandes marqués d'efprit , 8c leur fit des lecons publiques de magie pendant' plufieurs années. Lorfqu'il les vit capables de fecondet fes pernicieux defleins, Mij  i8o Les Aventures il leur commanda de le fuivre. Transformés en hirondelles , au nombre de trois eens, ils parcouiurent avec lui une grande partie du monde. L'ile d'Ophir ofrrit a la vue de Dilfenguin le premier objet qui 1'arrêta. L'admitabie palais que j'appercois, dit-il, ne peut être d'une autre main que de celle de la fille de Giamfchid. Cela dit, il s'abattit avec quelques-uns des fiens, & pril les manières d'un homme du pays , afin de s'informer plus aifément de ce qu'il vouloit favoir. On lui apprit 1'arrivée , le féjour & le départ de fon ennemie. Sans perdre un moment, il reprit le chemin des nues , & difperfa fes difciples de tous les cótés , avec ordre d'examiner les terres & les mers circonvoifines, & de lui venir rendre compte de ce qu'ils découvriroient. Dans ce tems-la Périfirime étoit en route , fous la forme d'un épervier. Elle rencontra plufieurs de ces hirondelles qui lui devinrent fufpectes, tant paree que ce n'en étoit pas la faifon, que paree qu'elles avoient quelque chofe de trifte & d'inquiet dans leut vol. Pour s'éclaircir , elle fondit fur 1'une d'elles, & la ferra fortement entte fes griffes ; mais la fauffe hirondelle fe changea tout-a-coup en une grande femme qui lui cchappa des ferres par fa pefanteur. La fée ne s'amufa point a regarder ce que cette for-  d'Abdalla. 1S1 cière devenoit elle retourna inceflamment dans la péninfule inacceflible , Sc fit part de fon aventure aux fées & aux fages. Perfonne ne douta de ce que c'étoit. On fe prépara a la guerre : tous les fujets & les difciples de Périfirime fê métamorphosèrent en éperviers , & fe poftèrent fur les bords du tourbillon impénétrable qui fecvoit de mur a la péninfule. La forcière , délivrée de la pourfuite du terrible oifeau , le fuivit de loin , vit ou il fe retiroir, Sc fans aucun délai rejoignit Dilfenguin , a qui elle raconta ce qui lui étoit atrivé. A cette nouvelle le magicien ramada fes troupes , Sc guidé par l'hirondelle , il s'approcha du petic royaume des fages , fe flattant de s'en rendre maïtre dès Ia première attaque. II s'éleva donc audi haut que les éperviers , Sc s'étant tranfformé en aigle avec tous les fiens , il donna un aflaut général. Périfirime ne jugea pas a propos d'abandonner fi - tot fa forme d'épervier , ni de la faire abandonner a fes gens. Dès 1'entrée de 1'action , cette courageufe princefle s'attacha perfonnellement a Dilfenguin, bien réfolue de ne le pas quitter qu'elle ne 1'eut vaincu ; Sc ce combat patticulier fervit comme de modèle aux deux armées, chacun étant attentifala conduite de fon chef. Les aigles s'étant vainement fatigués a porter M iij  i8* Les Aventures des coups que 1'adrede & la légéreté des éperviers rendoient inutijes ; ceux-ci fe changeren: en ferpens , & fe lancant fur eux , les prirent par les jambes , s'enrorrillèrent autour de leurs alles, leur ferrèrent érroitement le gofier , Sc leur otèrent tour enfemble le mouvement & la refpirarion. Dilfenguin fut le ptemier a tomber, mais il fut auffi le premier a rétablir le combat au milieu de fa chüte , en devenant tout-a-coup un petit tourbillon de feu. Les fiens en ayant fait aurant , Périfirime Sc fon armée pensèrent périr par 1'ardeur infupportable qui les confumoit. Sa préfence d'efprit lui fit prendre , en cette occafion , 1'unique moyen qu'il y eüt d'échapper. Vous favez que la falamandre fe défend contre le feu; elle s'en donna la forme, & fes guerriers ne manquèrent pas de fuivre fon exemple. Le magicien demetfra long-tems feu , quoiqu'il vit bien que c ctoit fans fuccès , & a la fin ne fachant plus fous quelle forme paroltre , il fe tourna en pierre , dans le dedein d'enfermer foudainement la falamandre , Sc de 1'en.tiaïner prifonnière au fond de la mer. Périfirime Sc la plupart des fées & des fages fentirent cette tranfformatiou dans 1'indant même qu'elle commencoit a fe faire , cV évitèrent le danger par un faut: mais il y en eut d'autres qui n'eurent ni ïanï d'agilité, ni tant de bonheur, Les pierres  D' A B D A 1 t AÜ lS 3 tomboient de toutes parts dans 1'océan, & Ddfengidn alloit fe fauver, pour peu que Périfirime 1'eüt perdu de vue. Ede fe précipita dans 1'eau avant lui, y prit la forme d'une baleine 8c 1'englotitit tout vivant. Ce mifétable voulut fe faire rat d'eau , pout ronger les enrrailles de la baleine viétotieufe , & fe ménager une fortie a travers fes cbtes , mais elle interrompit cette petnicieufe métamorphofe , & prévint fon ennemi par une aófcion que les fées regardent encore a préfent comme la plus belle qui fe foit jamais faite parmi elles. En un clin d'ced cette héroïne fortit de 1'eau , devint fronde , lanca Dilfenguin , moitié pierre 8c moitié rat , par dedus le tourbillon ; 8c ayant repris la figure d'épervier , tandis qu'il étoit en 1'air , elle arriva aufli-tot que lui a 1'endroit ou il tomba , 8c 1'y enchanta, fans lui donner le tems de fe reconnoitre. Abar, Corcut & Sabalem firent audi des prifonniers, qu'on échangea dans la fuite avec les fées 8c les fages qui étoient reftés engftgés dans les pierres.Zarin, Framir Sc les quatre fées principales ne firent point de quartier. Irrités de ce qu'étant ferpens on avoit entrepris de les faire cruellement mourir par le feu, ils fe métamorphosèrent eux-mêmes en feux audi-tot que leurs adverfaires fe futent converties en pieires, &C M iv  184 Les Aventures en firent impitoyablement de la chaux. A l'égard de Dilfenguin , les vainquëurs le forceren: d'avouer fes crimes , & pendanr qu'il vécut, il ne fit que pafier d'un fupplice a un autrc. Ses dificiples ralliés au fond de la mer , fe fauvèrent déguifés en macreufes. Les uns retournèrent a Merou & remirenc Schadi en libercé ; les autres fe difpersèrent dans la plupart des provinces du monde. Ce fonr leurs difciples qui le rempliffent aujourd'hui de maléhces , & qui dreffent aux fages de continuelles embüches. Au refte , ajouta Rem-Corim , la reconnoiffante Périfirime s'acquitta fideliement de la promefle qu'elle avoit faite a fon père , qui , de fon plein gré , prit au bout de Pan la place de Sabalem. Ces deux excellens princes regnèrent par eet artifice auffi innocent que merveilleux , pendanr une trèslongue fuite de fiècles. La fille de Giamfchid vécut plus de huit eens ans. La dernière lecon qu'elle donna eft la première que nous apprenons. Elle inftruit les fages des biens que les rois attendent d'eux. » Les monarques, dit-elle » a fes chers difciples , fouvenr trop ardens & » trop vifs , tiennent leurs peuples & leurs voi3j fins dans de continuelles alarmes ; c'eft a nous 3) a. calmer ces faillies. Souvent trop retires & jj trop férieux, ils répandent fur la face de leurs jj royaumes, un air fombre & lugubre qui aug-  d' Abdalla. i8S » mente le poids des affliótions de chacun de » leurs fujets; c'eft a nous a didiper ces humeurs » noires & mélancoliques. Souvent trop durs Sc » ttop rigoureux , ils exercenr tellement la juf» tice , qu'ils n'accordent rien a la clémence ; » c'eft a nous d'adoucir ces naturels farouches » Sc tout d'une pièce. Souvent ttop laborieux. » Sc trop exafts , ils s'appliquent inutilement a » des petits détails d'affaires qui les ufent 6c » qui minent leur fanté ; c'eft a nous a leur » infpirer de fe décharger d'une partie de ce » fardeau fur les épaules de quelques rainiftres » vtaiment éclairés Sc ddelles. Souvent endn » trop paredeux Sc trop adonnés a leurs plaidrs, » ils ont une averdon prefque invincible pour » les affaires , Sc confient le foin de leuts peupies a des gens qu'ils n'ont pas affez exa» minés, qui deviennent dans la fuite de petits » tyrans; c'eft a nous a les arracher a la mol» leffe , Sc a leur ouvrir les yeux fur 1'incapa» cité de ceux en qui ils ont une imprudente n confiance.  \t*é ttS AVEMTURÏS Suite des Aventures d'Abdalla. Zulikhah & Almoraddin , que la feule curioiité rendoit atcentifs, me parurenc écouter cette hiftoire avec un plaifir adèz pur. II n'en fut pas ainfi de moi, qui la regardoit comme une inftrudion fétieufe. Je dis au prince : cette guerre allumée dès le commencement entre les fages & les magiciens, dure donc toujours ? Si elle dure! répondit-il, elk eft plus échauffée & plus fanglante que jamais. Du tems dAbar & de^ Dilfenguin, les génies & les ginnes ne s'en mêloient prefque pas ; mais depuis les péris & les dives y font tellement entrés, que les fages Sc les magiciens font moins fouvent en prife enfemble qu'avec eux. Les dives exercent tous les jours fur les fages leur malice & leur barbarie. Qui pourroit compter combien Nemeroufch (a) en a écrafés , combien Sehelan en a brulés, (a) Ce nom, & tous ceux qui fuivent, font les noms des génies les plus célébrés dans les livres des Orientaux. Abdalla indique en paffant Ie yrai caraclère de chacua de ces génies.  d' A b d a l 1 a. 187 combien Mordafch en a noyés , combien Chamerage & Argenk en ont étranglés ? Deme-t roufch taille en pièces tous ceux qu'il furprend; & qui ne furprendroit-il point par les rufes Sc les tromperies de Gaddar Sc de Makhiar qui le fuivent partout ? Houdkons , fi tetrible par lui-mème , ttaïne encore a fa fuite des légions de Gouls , de Cothrobs & de Geims qui font un carnage affreux dans les lieux ou ils paflenr. Eh quelle eft donc la reflource des fées Sc des fages, interrompis-je! Les magiciens, reprit RemCotim , n'évitent guères la punicion qu'ils méritent; on n'en a pas encote vu un feul qui n'ait a la fin fuccombé fous nos coups, ou plutbt fous les coups des péris qui nous protègenr. Lorfqu'ils fe marient , Aniran change fouvent en un tombeau leur lit nuptial. Zohara déttuit leurs enchantemens; il les enchante eux-mêmes Sc les livre a Tabekh (a). Surkrag les enlève Sc les emprifonne dans les noirs cachöts de la montagne de Caf. Rocaïl [b) fe promène par toute la terre, & les fait mourir par le feul éclat de fon fabre, Jamais 1'invincible Ormoz, invoqué comme (a) C'eft le bouneau de 1'enfer. (£) Rocaïl n'eft qu'un genie adoptifjil étoit fils d'Adam, & grand faifeur de miracks tahfrnaniques. ie roi Surkraf» Je fit fon vifir.  iS8 Les Aventures il faut ? ne refufe aux fages fon fecours : mais pourquoi ne nommer qu'Ormoz ? Jamais aucun peris ne differe de paroitre dès qu'une fee ou un fage en péril le réclame , fuivant les régies marquées dans les cinq livres. Que fi les pai ticuliers font suis de la viótoire , vous jugez bien que 1 etat n'a rien a craindre ; 8c pour achever de vous en convaincre , je vous dirai que j'ai vu dans la péninfule inacceflible la cuiraffe Gebeh [a) & 1'épée Tirgatefch qui font trembler non feulement les peris & les dives, mais auffi Elis & tous les démons. Je veux bien croire , répliquai-je , que la forterefie des fées eft imprenable. Revenons au fort des parriculiers. Les bons génies ne font pas toujours fort foigneux de les défendre , puifqu'il y en a tant qui périflent. Ils périflent par leur faute , répartit Rem-Corim ♦ car ou ils font moins favans que les magiciens qui les attaquent , ou ils n'ont pas affez de préfence d'efprit pour oppofer aux génies qui viennent contr eux , les talifmans & les noms que ces génies craignent j ou enfin ils manquent aux formules & aux cérémonies qui appellent efficacement les péris , fans parler de la vanité pernicieufe de la plupart de ces infortunés O) Les auteurs Perfans attribuent le premier ufage de ces deux armes aux Solimans préadamites.  I>' A B D A L L A. l8t> qui s'attirent Ie dernier des malheurs, pat des merveilles qui ne fervent qua indiquer leurs demeutes a leurs plus cruels ennemis. Vous ne verrez ni palais inutiles dans Ia Ionguevallée , ni magnificences fuperdues. II eft dangereux de tant btiller : la prudence conferve la vie. Ne feroit-ce pas 1'eau de Ia fontaine que je cherche , lui dis-je , qui auroit aind multiplü vos années ? Les fages , répondit-il, favent s'approprier ce que la nature produit de plus falutaire. Si vous le devenez , je puis vous adurer d'une monture vraiment miraculeufe , qui porta autrefois le héros Thamurath (a) dans ïa montagne de Caf, & qui y eft encore. J'ai ouï parler de 1'ane du Daggia , repartis - je. Par Alii , reprit Rem-Corim , ne vous avifez jamais de chercher ce noir animal. La monture que je vous promets , c'eft le fameux oifeau SimorgAnka(i), qui a mis tant de fois tous les dives en fuite. (a) Lorfqu'il alla fe battre contre le dive Argenk. (i) Cet oifeau. a ce que prétendent certains auteurs, eft un dive lui-même. Les dives n'ont pourtant pas de plus terrible ennemi. II parle , il eft raifonnable . ainfi qu'on le peut voir dans les Thamurath Nameh.  ïjo Les Aventures Après cette confétence , dont je n'ai rappotte que le ptécis , j'eude prefque voulu n'avoir jamais vu Rem-Corim. Je me voyois obligé de patoitre ou lache , en refufant fes offres , ou infenfé , en les acceptant. En moi-même je ne balancois pas a renoncer k toutes mes efpérances plutót que de ne les remplir qu'en m'attirant fur les bras des légions de mauvais génies dont les noms feuls me faifoient horreur; mais il falloit au moins fauvet les dehors , 8c faire eu forte qu'on crut qu'il ne tenoit pas a moi que je ne fufle un des zélés do&eurs de la féerie , & que je n'allade fur 1'échine du bon oifeau Simorg-Anka faire ma provifion d'eau de Borico. C'étoit-la mon embarras. Zulikhah, qui avoit Pefprir ttès - délié , s'en douta , felon toutes les appatences ; car me voyant fort rêveur le foir même , elle me prit a 1'écart 8c me paria ainfi : « II me femble , Abdalla , que dans la longue-vallée on met la fagelfe k un prix fi incommode , que perfonne ne peut 1'acquérir fans rifquer beaucoup. Votte vie m'eft ttop chète pour fouffrir que vous vous expofiez aux attaques des Gouls, des Geheims & de ces autres monftres dont le vieux Rem-Corim nous a fait la hideufe énumération. Sultane, lui dis-je, s'il s'agiffoit de vous fauvet de quelque danger, je le braverois avec une intrépidité héroïque 8c  d' A b d a l i a. jor digne d'un courageux Mufuiman; mais a ne point mentir, je ne m'intérefle pas aflez a la gloire de la péninfule inacceflible , pour époufer toutes fes querelles / en prenant la qualité de fage. Je n'afpire pas non plus a me diftinguer dans le monde par des transformations, ni par d'autres prodiges. Je ne cherche qu une fontaine. Si Rem-Corim, qui la connoït, ne prétend me 1'indiquer qu'aux conditions qu'il me propofe j je me condamne volontiers a n'y puifer jamais par fon moyen. II vous ferviroit en effet de beaucoup , reprit 1'aimable fultane , de vous êtte rajeuni en buvant de 1'eau de Borico, fi, manque de préfence d'efprit, vous étiez réduit en cendres par Sehelan , étouffé par Mordafch, ou haché en morceaux par Demeroufch. Laiflezmoi faire, je parlerai demain au philofophe quand nous nous ferons rafiemblés. Elle me tint parole. Je ne fais, lui dit-elle; a quoi fe réfoudra le feigneur Abdalla ; mais je vous confeillerois a 1'un & a 1'autre de ne plus penfer au projet dont il eft queftion entre vous.' Que favez-vous fi ce projet feioit du gout des puiflances bienfaifantes du Ginniftan; il eft d'ailleurs évident que 1'exécution pourroit en être funefte. Quand le prince de la longue - vallée propofe de faire venir ici le célèbre SimorgAnka, & d'envoyer Abdalla voyager comme un  n Cf Les Aventures aurre Thamurath, fonge-t-il au parti qu'il a pris de fuir 1'éclat pour fa propre süreté. D'un autre cbté la fociété des fages eft compofée de gens libres, & Abdalla eft efclave de Scha • Jéhan. Parmi eux , la vie dépend des fciences ; un efclave peut - il dérober a fon maïtre le tems qu'il faudroit employer a les acquérir ? Regardez donc, pourfuivir-elle avec fa gaieté ordinaire , regardez comme fuperflu 1'expédient que vous aviez trouvé , & payez-nous votre rribut de confeils , en une monnoie plus accommodante. De grands éclairs, dont nous fumes éblouis, arrétèrenr Ia réponfe du fage fur le bord de fes lèvres. II fe leva avec précipitation , les yeux tournés vers le midi , & s'érant avancé de ce coté-hl , il fit le falam avec autant d'humilité que s'il avoit eu devant lui le plus redoute des fultans de 1'Afie. Il demeura enfuite long-tems debout dans 1'attitude d'un homme qui écoute trés - attentivement; après quoi les éclairs ayant recommencé , il fit encore le falam & fe rapprocha de nous avec la même tranquillité que s'il n'étoit rien arrivé. « Le fublime confeil du Ginniftan, dit-il a la fultane , eft déja inftruit de vos défirs. Nané , petite-fille du roi Ormoz , & la plus belle des périfes , vient de m'apporter des ordres qui s'accordent parfaitemenc avec    d' A b ,d a x i a: i6>j avec les judicieufes remontrances que vous m'avez faites. Abdalla, conrinua-t-il d'un ton de prophéte } & en me regardant' fixement , partez ; votre intérêt & 1'intérêt des péris le demandent. Sans' être fage , vous ferez de plus grands exploits que les fages les plus hardis & les plus expérimentés. Feridoun vous favorife toujours ; mais une dive réconciliée depuis lóng-rems avec le bon parti , a pour vous une bienveillance plus vive encore que celle de ce génie , paree qu'elle attend de vous un fervice important. Vos deftins fe développeront d'eux-mêmes. Suivez feulement votre méthode, interrogez les gens qui ont vu beaucoup de pays ; & dans vos navigations , conformez-vous aux iumières que je vous ai données. Comme cette décifion me délivroit d'une efpece d'angoiile , & me découvroit un avenir ttès-riant, j'exprimai de mon mieux tour ce que je fenrois de contentement & de reconnoidance. La belle fultane , d qUi j'avois une obligation fi eirentielle, fe joignit a moi pouf remeraer Rem-Corim , & „OUs nous „nïmes ' Almoraddin & moi , pour la remercier eile' même. Nous rentrames quelques jours après dans le Baroftan , & nous nous rendïmes a la capitale par une route différente de celle que nous avions fuivie en allant a la longue - vallée. Dans Tome XIII. ^  ic)4 Les Aventures ce retour nous traversames beaucoup de bois , oü nous eümes le plaifir lingulier de la chaffe du crara. Le crara eft un animal de la grandeur , & a peu prés de la figure d'un écureuil de Bomeo. C'eft le plus agile de tous les animaux qu'on connoiffe. II fe tient ordinairement fur les arbres , & il ne vit que d'oifeaux. II ne fait grace qu'au perroquet , pour qui il a naturellement tant d'amiiié , qu'il accourt dès que eet oifeau l'appel!e." On en fait donc appeler un grand nombre par des perroquets apprivoifés qu'on porte fur le poing ; & quand les arbres en font remplis, on lache fur eux des finges emmufelés qui grimpent fur les plus haures branches , & qui , après les avoir pourfuivis avec beaucoup d'ardeur 8c d'induftrie , les prennent & les appottent aux chafleurs. II s'en faut bien que les finges foient auffi bons fauteuts que les craras ; mais en récompenfe ils font plus rufés, fi bien que la légéreté des uns & la fineffe des aurres contribuent cgalement a rendre cette chaffe divertiflante. A notre arrivée , nous trouvames la ville remplie d'étrangers que le mariage de Zulikhah, & 1'abolition de fa loi, y avoit attirés. Le fultan me mit en poffeflion du vaiffeau qui étoit en fort bon état, 8c gatni non feulement de vivres &  d' Abdalla. 195 de munitions, mais audi d'une grande fomme d'argent, &c de quantité de marchandifes propres a faire des préfens. Je renris l'éqtiipage qui nous avoir amenés ,'& qui m'aimbit II éroir une.fois plus nombreux que ceux des autres vaideaux > de pareille grandeur , mais audi il pouvoit fervir, fuivant les occafions , a deux tïfages l a combattre & d faire la manceuvre. Je fi'avois plus rien a défirer , que quelques compagnons de voyage, propres a m'inftruire , d me défennuyer & d me feconder dans mes dedeiiiï. Pour en avoir , je m'avifai d'ordonner au crieur public de faire , rrois jours de fuite , ce cri au fon de la grande karna : Tous ceux qui ont beaucoup voyage' fans intérêt, & qui font en difpofition de continuer , pourront le faire a leur aifc avec le feigneur Abdalla , bon ami du fultan Almoiaddin. Qu'ils fe prefentent donc au feigneur AbdaLa. Ceux qu'il chofira , feront traités comme s'iis étoient fes frères , nés d'un même père & d'une même mère. Je m'attendois bien a ce qui arriva. II vint au palais une foule prodigieufe de curieux & d'étourdis qui m'auroient fort embarrade d j'avois été obligé de leur parler. Mais je dis d deux des plus anciens officiers de la fultane , montrezvous a cette multitude , qui fans doute n'a pas compris le cri qui 1'a attirée ici. Demandez férieu- Nij  i9' A B D A L L A. iOi d'avoir le plaifir de les voir padër. Dès le premier jour, j'en vis quinze , dont le port & la taille me ravirenr. Je ne pouvois admirer que cela ; car un voile envieux , qui n'étoit tranfparent que pour elles , cachoit leur vifage. Je n'en faluai aucune , excepté la dernière qui , mieux faite , plus magnifiquement habillée , & fuivie d'un plus grand nombre de femmes efclaves que les autres, me forca, pour ainfi dire, a un refpedk involontaire. EUe prit garde a mon a&ion , elle fe retourna plufieurs fois tout de fuite , & enfin elle chargea une de fes femmes de me parler. » Madame veut faire connoiflance avec vous, me dit l'efclave. Qui eft votre dame, lui répondis-je? Comment, pouvez-vous me faire cette quedion? affurément vous êtes encore plus étranger que votre habir. C'eft la belle , la riche , la libérale Géhernas-, veuve du Cheic Adir qui lui a laifté tous fes biens. Hatez-vous de me fuivre ». Elle me conduifit dans une grande maifon magnifiquement meublée ; Sc je fus préfenté a. la dame par trois autres efclaves plus belles & beaucoup plus richement parées que ma conductrice. Géhernas voulut d'abord favoir qui j'étois, d'ou je venois, ou j'allois •, Sc quand j'eus fatisfait a fes demandes , elle me dit : « Le faint voyage de la Mecque peut fe différer a un autre tems, je puis mème t'en obtenir la  toi Les Aventures difpenfe du mufti, mon patent. Ta phyfionomie me revient; me refuferas-tu de demeurer a mon fervice ? Je t'offre 1'inrendance de mes chameaux. Adieu mon pélerinage , quanr z préfent , lui répondis-je ; je ferois indigne de ma bonne fortune fi j'avois la fimplicité de la rejeter : je vous ferv irai fidellement. On me donna un appartement commode , a cóté de l'écurie qui étoit vafte Sc bien remplie. Le tréforier & le pourvoyeur eurent ordre de fournir tout ce qui me feroit néceflaire ; Sc on me mit en main les clefs d'une armoire , ou je trouvai un gros regiftre qui contenoit la lifte des chameaux , des modèles de recette & de dépenfe , Sc diverfes inftruétions fur mon emploi. La veuve d'Adir avoit deux eens chameaux & vingt-cinq hommes pour les conduire Sc les panfer. Les deux tiers de ces animaux alloient pat troupes plus ou moins nombreufes, recueillir dans tout flemen , de 1'encens, du benjoin, de la mirrhe & des gommes , que 1'autre tiets tranfportoit enfuite a Moca, ou les marchands étrangers les achetoient. Je m'acquittai de ma charge avec un zèle, une vigdance , un défintéredement qui m'attirèrent 1'apptobation & la confiance de ma maitrefle. Je vous avouerai que dans les commencemens je m'étois datté qu'elle fentoit pour moi un tendte  b' A b d a l l a." 205 penchant; mais peu a peu je me détrompai, & dans mon dépit, je me figutai que 1'indifférence de Géhernas ne nailToic que de fon affeófion pour quelque amant plus heureux. J'épiai toutes fes actions, je gagnai fes conddentes, j'interceptai de fes letttes. Que me découvrit ma jaloufe curiodté '. un adèmblage de vertus , qui acheva de me convaincre de ma folie. Cependant, au lieu de tout net mon indignation contte moi-même, je ne laiffois pas d'accufer ridiculement ma maitrede de cruauté & d'ingratitude. L'ordre excellent qu'elle faifoir régner en fa maifon , me devint infupportable. Réfolu de quitter , je lui dis un jour adez brufquement que je prenois congé d'elle , & que la voix qui m'appeloir a la Mecque, étoit d forte, que je ne pouvois plus différer d'obéir. » Je ne fuis pas furpri/e de ton compliment, me répondit-elle ; il y a du tems que j'ai lu dans tes yeux. Je ne t'arrête plus ; regois une marqué de ma libéralité, qui t'empêchera d'oublier la veuve d'Adiro. En difant cela, elle me fit préfent d'un mouchoir & me tourna les épaules. Le mouchoir étoit fott beau; mais comme il n'y avoit nulle proportion entre cette récompenfe & mes fervices , je crus qu'elle s'éroit moquée de moi. Plein d'un nouveau dépit, j'abandonnai fur le champ fa maifon & la tille , tel a peu ptès que j'y étois entré.  i©4 Lis Aventures Après avoir marché jufqu'a la nuit, je m'adis fous un térébinthe. La , touché d'un repentir, qui me vint a force de rédexions , je m'accablai moi-même d'une infinité de reproches. Ne te fuffifoit-il pas, difois-je, de plaite a 1'aimable Géhernas, comme fon efclave ?.Tu la voyois du moins, tu pouvois impunément 1'adorer dans ton cceur. Meurs malheureux : 1'indignation de Géhernas mérite une viétime. La mort dont je me menacois pouvoit devenir fort réelle , car je n'avois pas eu la précaution de me charger de providons. J'étendis le mouchoir fur le fable , & ayant pofé ma tête fur ce mince oreiller, je m'endormis en 1'arrofant de mes larmes. Le lendemain je me réveillai tout rompu , & avec une extréme faim. Ah ! mouchoir, m'écriai-je , tu me fervirois bien de nappe. A peine avois-je prononcé ces paroles , que je vis le mouchoir couverr de mets appctidans , dont la favoureufe fumée m'embauma , & qui étoient accompagnés d'un grand vafe rempli d'excellent forbet. Quelque grand que füt mon étonnement a cette dclicieufe vifion , il ne m'empêcha pas de bien manger & de bien boire , en faifant mille agréables retours fur la libéralité de Géhernas. Dans ce tems la un voyageut qui vint a pafler, jeta les eux fur moi, & jugea a propos de fe détourner de fon chemin pour s'approcher & me  d' Abdalla. jij regarder. Frère, lui dis-je , eft-ce befoin ou fimple curiodté qui t'amène ? Ta cuifine , me répondit-il , ed-elle loin d'ici ? que t'importe qu'elle foit loin ou prés , réparris-je , pourvu que tu puiffes avoir ra part de ce qui en vient ? Si le cceur t'en dit, prend place a cette table énigmatique , & confole ton edomac ». II s'aflic fans fe faire prier davantage ; il but, il mangea. II paroidbit fort furpris de ce que rien ne diminuoit. Quand il fut radafié , je tirai avec force le mouchoir par un coin , au hafard de tour renverfer, & je dis: Ah ! précieux linge , nappe fans prix ! je vais me remettre en marche , le foleil eft ardent , j'autai befoin de mouchoir pour m'efluyer ». Tous les mets difparurenr ; je repliai proprement le mouchoir, & je le remis dans mon fein. « Frère , me dit Ie voyageur, il n'eft pas indifférent fans doute de porter fur foi fa cuifine & fon cuifinier, & d'êtte toujouts en état de faire fumer un bon diner au milieu de la folitude la plus sèche ; mais ton gite , oü Ie prends-tu? Pat-tout oü je me trouve , répliquaije. Tu es donc fouvent fott mal a ton aife, répartit le voyageur; pour moi , je fuis toujours sur d'un gite magnifique , & voila un flacon qui, dès que je 1'ordonne , fe change en un beau chateau. A ces mots il me montra un flacon de cuir qui étoit attaché a fa ceinture. Je le priai de  ïoiJ Les Aventures me faire voir un prodige fi nouveau. Etoignonsnous donc de 1'arbre &c du chemin, me réponditil. Nous fimes environ trois mille pas pour gagner le derrière d'une colüne. D'abord que nous y fumes, il détacha fon dacon; nous nous afsimes; il le pofa entre nous deux , & en ayant défait le couvercle , il me die de prendre 1'attache de mon cóté, tandis qu'il tiendroit 1'autre. Une petite exhalaifon fort douce fortoit du dacon débouché , comme celle qui s'élève d'une cafiolette ou 1'on a jeté quelques grains d'encens d'Armoïn. Cette exhalaifon , d'abord d délicate , s'épailfit a mefure qu'elle fe répandit autout de nous, & elle occupa un grand efpace. Bientot nous nous trouvames environés de ténèbres & d'une profonde nuit. Tiens bien mon attaché , me difoit le voyageur , ne crains rien. Au bout d'un demi-quart d'heure , nous revimes le jour, mais ce jour entroit par une grande fenêtre , & nous étions adls dans une falie bade fur deux peaux de mouton. II n'y avoit au rede dans ce lieu-la ni meubles ni propreté. Frère, dis-je, voici une magnidque mafure , eft-ce la le logemement que tu vantois tant ? J'ai raifon de le vanter , répondit-il, en retirant 1'attache que j'avois dans la main, je le batis facilement ou je veux , & quand il me plaïc. N'eft-ce rien que cela ? D'ailleurs il n'eft pas fi  D' A B D A L L A. 207 délabré que tu penfes , viens le vifiter. Nous montames par un alfez bel efcalier, nous parcourümes un grand nombre de falies & de chambres, ou 1'on ne voyoit que les quatre,murs ; étant arrivé fur la plate-forme, je remarquai que tout le batiment étoit entouré de muraiiles trèsépaiffès. Nous defcendimes par un aurre efcalier dans Ia falie baffe , & nous nous remimes fur nos peaux de mouton. Je n'appelle plus ton chareau une mafure , dis-je au voyageur - mais fi j etois a ta place, je me lafferois d'être fimple macon , & je voudrois me faire auffi tapiffier , peintre, ferrurier. L'homme n'eft jamais content' répliqua-t-il- mais enfin que dis-tu de mon flacon ? troquons. Je perdrois au troc , répartisje , les vivres font bien d'une autre conféquence que^ le logement. Si tu ne veux pas troquer , reprit-il, jetons le fort, pour fa voir qui de nous deux aura le mouchoir & le flacon. Frère, répon-; dis je , que chacun garde ce qu'il a. Infenfiblemenr toute la journée s'écoula. Sur le fair j'étendis mon mouchoir. Dès que je 1'eus nommé nappe, il fut chargé des mêmes alimens qu'il 1'avoit été le matin , fans aucune différence. A la fin du repas le voyageur me dit, nous ne voyons prefque plus , je vais battre le' fufil. II tira en effet une pierre & un fufil de fa mallette & fe mit a battre. Ciel! quel mal-  io8 Les Aventures heur ! qu'il eft important de ne fe der qu'a gens qu'on connoit! qu'un perfide eft a craindre ! ce traïtre battit le fufil, en difant: fortez chadeurs y a 1'ours , a 1'ours! & toutes les étincelles qu'il fit éclater furent autant d'hommes cruels qui, la demi-piqué a la main , m'environnèrent , tandis que le brigand rioit & fe faifidoit de mon mouchoir. Maïtre , percerons-nous 1'ours ? dirent ces hommes. Je lui permets de vivte , répondit-il, afin qu'il apprenne les métiets de tapidier , de peintre & de ferrurier ; je ne fuis pas mécontent de fon apprentidage de cuifine. Emportez-le , débarradez-en mon chateau. Ils me prirent par les pieds & par les bras, & me portèrent au milieu de la campagne, ou ils me jetèrent rudement fur le fable. Je padai la nuit dans les plus amers regrets , je templis 1'air d'imprécations de toutes efpèces. Le matin j'allai fut le grand chemin , dans le dedein d'implorer le fecours des voyageurs. Je vis de loin une caravane , je courus au-devant de quatre pélerins qui Ia dévancoient , & je leur expofai pathétiquement mon malheut. Les péletins m'entendant patier de viandes miraculeufes , de dacon enchanté & d'apparitions de chadeurs, me prirent pour un fou; mais comme jl n'y avoit pas beaucoup a fe dérourner , ils eurent la complaifance de me fuivre jufque derrière  A b d a t z A; 2oj) derrière Ia colline. Nouvelle mortification i y rerrouvai pas feulement le moindre veftVe de chateau. Les pélerins regardèrent le défefiW q«e;'en témoignai comme une dernière preuve degarement defpric, & animés de cette dunré qui fait le caracftère des vrais croyans , ils couragèrent a ne pas quitter la caravane. J'alla'i a la Mecque, fuivant mon premier proiet, & de la a Medine, oü la vue du tombeau du prophete efFaca de mon efprit le fouvenir de tout-, mes difgdces. J'ai fait depuis plufieurs autres voyages , tantot matelot, tantót foldat, & t0u jours fans autre envie que celle de fatisfaire ma curiofité. Histoire de Mojlema & de la fidelle Rajïmé. Moslema , 1'autre Arabe, avant que de nous raconter fon hiftoire , mit fa main droite fur fon turban & dit: „je/ure par les dauzeenfansdHah que eed le chagrin qui m'a rendu voyageur, & que je vais r'ouvnr une profonde plaie en rappelant i ma mémoire Ie fiujet de ma vive douleur. Je fuis, pourfaivit.il, de Mocca.oö: je ladfiu ma mère , pour dIer m-attadier lome XIII, q  iio Les Aventur.es fervice du roi de Zibit. Comme mon père nous avoit amafle beaucoup de bien , je ds a la Cout mon chemin en peu de tems. Après quelques annéés d'adiduité & de fervices , le fulran Zirifdin daigna me former lui-mème un étabhlfement. Sachant que j'aimois Rafimé , dlle de 1'émir Sarmudak , il 1'obtinr pour moi , fans m'en rien dire , Sc il me mit inopinément au comble de mes fouhaits. Agrcable furprife! Pour concevoir 1'excès de joie que je reiïentis alors , Sc 1'excès de mes regrets préfens , il faadroit que vous eudiez connu Rafimé. Environ fix mois après notre mariage , ma mère étant tombée malade, je me ttanfportai a Mocca , avec 1'agtément de mon époufe Sc de 1'émir fon père. Ma mère guérit, Sc tandis qu'elle recouvroit peu a peu fes forces, je ne fongeai qua célébrer fon heureufe convalefcence avec mes anciens amis, Sc avec des jeunes commereans de bonne humeur , qui avoient leut vaideau dans le porr. Parmi ces derniers il y en avoit un de Zibit même , nommé Kachek , qui m'entendant un jour louer ma femme , prit étourdiment la parole Sc me dit : » d le portrait que tü nous fais de Rafimé eft reflemblant, c'eft affurément une des plus jolies femmes de 1'Atabie ; fon corps feroit perdre 1'efprit au plus auftère Santon, Sc ion efprit chatmetoit les anges. Mais après tout,  d' A b d a l l a. 2 11 notre cher ami , c'eft une femme , & tu n'as pas apparemment la vanité de te croire plus privilégié que Ie prophéte. As-tu oublié que la belle Aïfchah, celle de toutes fes femmes qu'il aimoit le mieux , ne fe contentoit pas de lui feul , & qu'elle fe donnoit encore a 1'aimable Zaphagam? mais peut-être ajoura-t il que Rafimé eft plus parfaite & plus vertueufe que Ia mère des Mufulmans , dont cependant le üvte apporté du ciel fait 1'éloge. Je léppndis avec une gaieté feinte , que notre félicité ne dépendoit que de nous-mêmes , & que fi Rafimé prenoit certe héroïne pour fon modèle , je choifirois pour le mien le prophéte qui n'ignoroit pas fa conduite , & qui ne s'en foucioit guères. Nous continuames a boire , & quand la débauche fut finie , je tirai mon homme en particulier & je lui dis : * tu m'as enfoncé un poignard dans le cceur ; que fais tu de ma femme ? II fe mit a rire X gorge déployée , en me demandant ce que je voulois qu'il en fut ? Si tu n'en a rien appris , interrompis - je , fur quoi fondes-tu le beau difcours que tu as ofé m'en tenir devant tout le monde ? Je t'ai ainfi patlé devant tout le monde, répliqua-t-il, paree que je ne fais rien ; & ce que j'ai dit fignifie leulement que je croisque toutes les femmes, fans aucune exception font de fort bonnes créatures. La O ij  ui Les Aventures tendre réfifte aux préfens, & fe laifle toucher aux larmes ; la magnifique, infenfible aux pleurs, ne refufe pas les dons; les louanges enivrent la fpirituelle , & les friandifes gagnent a coup sur celles qui n'ont que du corps. Tout cela peut êtte vrai en général, repris-je , mais fois petfuadé que Rafimé eft au-deflus des foibledes ordinaire* de fon fexe. Kachek recommenca a rire. Veux-tu parier cent roupies d'or , me ditil, que dans deux mois je ferai fon Zaphagam? laifle-moi feulement le champ libre. Piqué au vif, je le pris au mot; nous nous frsppames dans la main ; il partit pour Zibit deux jours après. Au bout du tems qu'il avoit pris, il revint Sc il m'aborda d'un air triomphant. Ou font mes roupies d'or, me dit-il? je les ai. je t'affure , bien méritées. Tu peux te vanter d'avoir la plus Gngulière de toutes les femmes ; pour en venir a bout, j'ai employé plus de foins Sr d'adreffe qu'il n'en faudroir pour en gagner vingt autres. Mauvais fourbe , lui dis-je , te dattestu donc de m'en impofer fi aifément ? Prouvemoi, avec évidence , que Rafimé fe foit rendue ates follicitations. Ne querellons point, repritil • quelles preuves délires-tu ? voudroïs-tu que j'eufle ptié le cadi d'ctre témoin de nos aétions, Sc de m'en dreder un certificat fur le pied du lic. Tes trois rrwtelats de foie font, au refte,  ö' A B D A L L A; JIJ encore fort mollers. Le foyer dargent eft d'un excellent goür, auiïi-bien que la grande caffblette. II ne croit pas de fandal plus précieux que celui du petit fofa de ra femme, ni de calambour plus odoriférant que celui de fes trois peignes. La lune d'or , chargée de caraétères talifmaniques qu'elle porte toujours fur fon eftomac, ne feroit-ce pas un préfent de fa mère ? Mais a propos de fa mère, plus je penfe a certaines chofes, plus j'admire fa prudence. Je fentois croitre ma confufion , a mefure que eet effronté parloit. Je reconnoiflois des meubles qu'il ne pouvoit avoir vus qu'en pénétrant jufque dans la chambre de ma femme. La lune d'or fur-routme frappoir. Je ne laiflai pas de dire réfolument, Kachek, tu extravagues. Quel rapport y a-t-il entre ce que tu me rapportes, & la prudence de la femme de Sarmufiak ? II y en a un aflez grand , repartir-il fort tranquillement. La nature a orné la belle peau de Rafimé de quelques figures j j'ai eu le plaifir de remarquer fur fa cuiffe droite trois grains de café , & au milieu de fon dos une petite fouris bien velourée & fort mignone. Sans doute que la mère de ta charmante époufe fouhaita du café pendant fa groflefle, qu'elle fut effrayée de Ia vue de quelques fouris , & qu'elle eut la fage précaution de ne fe toucher qua des endroits Oiij  214 Les Aventures qu'on ne mcntre guères qu'a...... Il vouloit pourfuivre ; ceffe , lui dis-je, de me bourreler; atcends un moment. Je tirai de mon coffre une bourfe de cent roupies , & la lui jetant avec colère; tiens, reptis-je , achève de profiter de ma folie ; mais n'oublie jamais qu'il n'y a que le fdence qui puiffe déformais fufpendre ma vengeance a ton égard. Je pris congé de ma mère, Sc je m'embarquai , dès le jour même fur un vaiffeau qui devoit relacher a Zibit. Je ne roulois d'abord dans mon efprit que penfées de fang & de carnage. Mais je ds réflexion que d je me laiffois emporter a trop de fureur , je partagerois le danger, & qu'il importoit peu que je me vengeaffe ptomptement, pourvu que je le fide surement. Je me remonttai donc avec un yifage content en apparence. Mon beau-père & ma femme me donnèrent toutes les marqués d'une joie fmcère. De jour en jour Rafimé me parut devenir plus carelTante , comme fi elle eut chetché a me dédommager du tort que j'étois convaincu qu'elle m'avoit fait. Quelques mois s'écoulèrent. J'avois fait entendre , en arrivant, que ma mère défiroit padionnément de la voir. Elle n'eut pas de peine a confentir de faire avec moi un voyage a Mocca. L'agrément de 1'émir qui reftoit feul, fut plus difficile a obtenir j mais enfin il fe ren-  d' A b d a l l a. ir5 dir. Nous entrames dans une barque dont j'avois gagné le patron par une grofTe fomme, & qui , fuivant mon projet, nous fit fortir du détroit, 8c entrtr en pleine mer. Nous ne cefsames de naviguer nuit & jour, en cherchant une petite ïle déferte que le patron connoiffoit. L'ayant découverte enfin , nous y defcendimes comme pour paffer la nuit. L'innocente Rafimé, couchée auprès de moi fur un tapis que j'avois fais apporter de la barque, s'endormit profondément. Je la laiflai en eet état, feule , fans vivres , fans fecours , & je remis a la voile , eu lui fouhaitant une mort lente & proportionnée a fon infidélité. Le patron, que fes affaires particulières engageoient d'aller a Surate, m'y conduifit. Je fetvis deux ans dans les troupes du Grand Mogol; après quoi je repafTai a. Zibit & je me rendis chez Sarmuffak , couvert de méchans haillons 8c les yeux baignés de larmes : Rafimé n'eft plus, m'écriai-je ; Ia mer cruelle m'a envié mes délices ; que n'ai-je péri avec elle ! Le vieillard fe couvrit Ia tête de pouflière, s'arracha la barbe, déchira fa robe , & en voulant fe jeter fur moi, il tomba évanoui entre mes bras. Lorfqu'il fut revenu a lui: « Mon gendre , me dit-il, contezmoi vos malheurs & les miens , 8c n'en omettez aucune circonftance. Je lui fis un conté que j'avois ptéparé de longue main , dont 1'abrégé eft : Oiv  ïi6 Les Aventures qu'une hortible tempète nous avoit emportés au-dela du dérroit; Sc que notre barque s'étant brifée contre un écued de la cóte d'Ajan, tous ceux qui étoient dedans avoient été noyés, excepté deux matelots & moi : qu'aptès avoir erré plufieurs jours fur la plage , nous avions été pris par les Africains qui nous avoient vendus a un corfaire , avec lequel nous avions couru routes les mers des Indes; & qu'enfin ce même corfaire ayant été reconnu & arrêté dans le port de Surate , j'avois recouvré la liberté. Sarmudak pleura quelque tems fans rien dire. II m'exhorra enfuite a entrer dans le bain , Sc il s'en a'.la (a ce que j'ai fu depuis) droit chez le cadi. Je fus bien furpris , environ une heure après, de voir entrer dans le lieu ou j'étois dix archers % qui s'étant faids de ma perfonne, me firent pafier ignominieufement du bain au fond d'un cachot. Le lendemain on me traina, chargé de chaines, devant le cadi. L'émir qui s'y trouva comme accufateur , lanca fur moi des regards que la fuveur allumoit ij puis fe toutnant vers le juge , « vous voyez devant vous, lui dit-il, le plus infame de tous les adadins. 11 a inhumainement fait mourir ma fille & fon époufe, lui qu'une alliance dont il étoit indigne, avoit rendu le jeune homme le plus heureux de 1'Arabie. Je demande le fang de ce gendre perfide,  d' A b d a i i a* 11 f de ce mari dénaturé; qu'il le répande goutte a goutre , 8c que fon fupplice effraye jufqu'a fes bourreaux ». Conviens-tu du crime dont on t'accufe ? me dit alors le cadi. Je viens d'entendre, lui répondis-je, la plus affreufe des calomnies; eet injurieux vieillard mérite la mort. Voici de quelle manière la perte que je déplore , 8c qui 1'aigrit, eft arrivée. La-deffus je débitai , avec tout 1'art poffible, ma fi&ion. D'abord que j'eus fini, le Juge regarda 1'émir & lui dit que c'étoit a lui a prouver. Je ferai dans buit jouts en état de convaincre pleinement ce fcélérat, répondit l'émir. On me remena en prifon. Les huit jours expirés , mon perfécuteur produifit contre moi un des mariniers de la barque , 8c un jeune homme de Zibit qui avoit entendu une partie du complot que j'avois fait avec Ie patron, inv médiarement avant le départ. J'eus beau trailer d'impofteurs ces deux témoins, je fus condatnné a ètre fcié vif. Les bourreaux s'avancoient déja, lorfqu'un archer charitable me dit a 1'oreille : appelez en au roi. Auffi-tot j'élevai la voix & je dis qu'ayant 1'honneur d'apparrenir au grand Zirifdin , je le devois avoir pour juge. Quelques courtifans qui fe trouvèrent la, & qui fongèrent a leurs priviléges , appuyèrent mon appel. Le cadi n'ofa pafler outre. Je fus préfenté au fultan en plein divan. Mon  2i3 Les Aventures premier juge rendit un compte exact de fa con duite , & fit voir la juftice de fon jugement, fans cacher aucune de mes raifons. L'accttfateur & les témoins confirmèrent tout ce qu'il avoit avancé. Ta fentence, dit gravement Zirifdin , eft conforme aux ioix. Et toi, ajouta-t-il , en m'envifageant, ofetas-tu niet ton crime en ma préfence ? attendtas-tu que je te le fafle avouer dans les tourmens ? Une frayeur foudaine , & plus encore le refpect fincère que j'avois pour mon bienfaiteur , m'arracbèrent la vérité. Mon hiftcire fur écoutée avec un filence merveilleux, & je la terminai en difant que fi j'étois coupable , je 1'étois d'un crime que les gens d'honneur rrouveroient toujours nécelfaire en de pareilles circonftances. Tu es bien plus criminel que tu ne crois , & que tu ne le parois, reprit le fultan •, il faut qu'aujoutd'hui tu te condamnes toi-même a la mort. Qu'on fafle venir les coupables. Les huifliers amenèrent un homme que je reconnus pour Kachek , & une vieille femme que je ne me remettois point. Ils avoient 1'un & 1'autre les mains liées. Kachek s'érant profterné , le fultan lui commanda de déclarer tout ce qu'il avoit fait. Je 1'ai déja avoué , feigneur, répondit-il , & je le répétetai trés - volontiets devant ce trop crédule mari. Rafimé ne m'accorda jamais rien. Mes foumidions , mes fer-  r>' Abdalla. 119 mens, mes offres furent inutiles auprès d'elle ; ma préfence ne fervit qua lui faire regretter fon mari abfenr. Cette malheureufe , pourfuivit-il, en montranrla femme prifonnière, qui fréquenroit familièrement chez elle , & dont je connoiflois l'habileté confommée , mit auffi inutilement en ceuvre fes artifices pour la féduire. Rafimé rint bon. Ce trifte fuccès , auquel je ne m'attendois pas, me réduifit a fauver ma vanité par la rufe. Je ne pouvois , ce me femble , rien imaginer. de mieux , que de me faire dépeindre , avec la dernière exaótitude, la chambre & la perfonne de Rafimé, & d'employer enfuito ces lumières fecrettes a gagner 1'argent de Moflema. Je fus fidellement fervi par cette vieille, & je fis fi bon ufage des particularités qu'elle m'apprir , que Mollema ne douta pas qu'il n'eüt perdu la gageure. Ah ! déteftable , m'écriai-je, en fecouant mes chaïnes, que n'ai-je un fabre & un moment de liberté ! Puis faifant réflexion au lieu ou j'étois, je m'humiliai devant le fultan & je lui dis : pardonnez, feigneur, un jufte tranfport; le ctime de Kachek ne me fait pas oubliet le mien. Je foufcris a votre décifion. Je fuis doublement coupable , puifque Rafimé étoit innocente. Livrez-moi aux plus rigoureux fupplices. Tu ne ferois pas afiez puni, reprit Zirifdin ; un juge  'ii.O t I S' AVENTCR.ES plus févère va décider de ron fort. A ces mots 'on Icva une portière de drap d'or, qui étoit a cote du trone ; & avec le plus grand excès d'étonïiement oü puhTe tomber un mortel , je vis entrer Rafimé pleine de vie, plus belle que jamais, & toute étincelante de pierreries. Prononcez, Rafimé, lui dit le fultan, prononcez a ce criminel fon dernier arrèt; que Pémir puiiïe douter fi le plaifir de vous revoir, égale celui de fe voir vengé par vous. Seigneur , répondit Rafimé , je connois alTez mon père , pour ofer vous aflurer que dans ce moment il n'eft fenfible qu'a la joie que ma préfence lui caufe. D'ailleurs il eft homme , & plus attaché qu'un autre aux loix de 1'honneut. Eft-il ici un feul homme marié qui , dans fon cceur ne juftifie mon époux ? Moimême , qui fuis femme , & par conféquent intéreflee k condamner la trop grande févérité des maris , je ne trouve pas le mien digne de punition. Cet impofteur ne Pa que trop adroitement trompé ; le piége étoit inévitable. J'admire plus la modération de Moflema , que je ne m etonne de fa vengeance. Quoique pleinement perfuadé que je Pavois deshonoré , il a eu horreur de tremper fes mains dans mon fang; plutot que de fe réfoudre a exercer lui-même un droit inhumain , il Pa remis, il Pa cédé au deftin & a la nature. La providence m'a con-  D' A B 6 A I I AÏ 121] ferv'e , Sc paree que j'étois innocente , Sc afin qu'il cefsat de paroitre criminel. Tournez, feigneur , toute votre colère contre ce miférable qui a penfé faire périr deux innocens ; tournezld contre cette infame féduétrice; pout Mofiema il ne doit reflentir que les effets de votre clémence; rendez-nous 1'un d 1'autre, je vous en conjure. Elle s'agenouilla aux pieds du tróne , en pronongant ces derniers mots j & I emir ap-j paifé 1'imita. Je fondois en larmes, tout le divan, tout le peuple étoit attendri. Le fultan releva lui-même Rafimé 8c mon beau-père ; enfuite ' adreflant la parole au cadi : « Saififlez - vous ; lui dit-il , de ce fourbe & de la complice de fon crime, je veux qu'il lui ferve de bourreau 3 & qu'il la fuftige de fa main dans tous les carrefours de la ville. Qu'ils fortent, après cela i de toute 1 etendue de mes états ; je les bannis i perpétuité , & je donne tous leurs biens a 1'émii; Sarmuflak & a Rafimé fa fille. Le cadi obéit d 1'ordre du fultan, qui repre-! nant la parole • d préfent , dit-il, que ces indignes objets font écartés, ne nous en donnons plus que d'agréables. Belle Rafimé , exécutez vous-même votre fentence, Sc brifez les liens de Mofiema. Cette chère époufe , tranfportée de joie , accourut d moi , SarmulTak fe joignit d fa fille , mes gardes les aidèrent a me décharger  nz Les Aventures Üe mes chaïnes. J'allai avec précipitation ms jeter aux pieds de Zirifdin 8c lui offrir les prémices de ma libercé. Ce grand prince m'adura de fon amitié, 8c voulut que j'embradade devant tout le monde ma fidelle Radmé 8c l'emir Sarmudak. Comme nous étions fut le point de nous retirer, le peuple & même une partie des Omrahs crièrent : Honneur & longue vie au plus noble des fultans ! au fultan Zirifdin , notre aïeul & notre mattre ! il va faire une aumóne d Jon peuple : il va ordonner a Rafimé de raconter tout haut Jcs aventures. Honneur ! honneur d notre lion ! au 'fultan Zirifdin. Je vous fcais bon gté de votre curiofité, reprit le fultan, elle fera fatisfaite. Ü pria Rafimé de faire part a fes concitoyens de ce qui lui étoit arrivé. Mon époufe regarda 1'affemblée , 8c paria aind : ' f Mes anciens & mes frères , quand je me réveillai dans 1'ile défette , j'aurois juré que je durmois encore, 8c que je rêvois que le plus affeótionné des maris m'avoit abandonnée. Du haut d'un rocher ou je montai , je découvris toute 1'ctendue de mon malheur ; repréfentezvous mon défefpoir 8c mes rédexions. II me fuit le ctuel., il me livre a la mort; mon amout toujours fidelle. m'auroit-il donc rendu coupable ? Hélas ! ma tendrelfe méritoit toute fa  d' A b » a l l a. 21 J reconnoifiance , quand même je n'aurois eu nul combac a foutenir ! Quelles couronnes ne devois-je pas efpérer après tan: de victoires' Kachek , le dernier de mes amans méprifés , feroit un bon témoin de ma vertu. Le fouvenir de eet homme donna lieu a de nouvelles penfees. Son mécontentement, fon retour fubit a Mocca, qui dans le tems ne m'avoient fait aucune imprelïion , paree que nul foupcon ne m'ouvroit alors les yeux , une infinité d'autres attentions me firent concevoir que j'avois été calomniée , Sc que mon malheureux fort étcit Ia récompenfe de ma fidelité : il m'en fit moins d'horreur. Contre toute raifon, je me fiattai que je fortirois quelque jour de 1 etrange prifon ou 1'on m'avoit confinée fiinjuftement. J'avois , par bonheur, fur moi des cifeaux, Sc le refte du petit attirail de femmes qui favent coudre. J'accourcis mes habits, j'en changeai la forme , je me fis une efpcce de turban , ou je cachai mes cheveux ; en un mot je me déguifai en homme. Je parcourus 1'ilé , oü je ne rencontrai perfonne. Parmi les plantes qui la couvroienr , je vis une grande quantité d'aloës. Je ne connoiffois point les autres , Sc pour difcerner celles qui pouvoient me convenir, je m'en rapportai a mon goüt , qui ne me trompa point. Le bord de la mer me fourniffoit des coquillages que je  2.24 Les Aventures faifois cuire fur des pierres que les rayons dü foleil avoient embrafées. Les cavités des rochers me donnoient un peu de miel qui étoit fort amer , paree què les abeilles le cueilloient fur les fleurs de 1'alocs. Que cette plante me fera chère défotmais! Je lui dois mon falut. Dans le tems de la maturité du fuc falutaite qui la nourrir , un marchand d'Hadramurh vint aborder dans 1'ile avec plufieurs efclaves , qui dAibord s'employèrent a drefler des tentes 5c a y potter de 1'aloës. Ayant reconnu leurs intentions , je me montrai ; & après avoir fait au marchand le récit d'un naufrage fabukux , j'offris de conduire fes gens dans les endroits les plus feniks Sc les mieux fournis de ce qu'il cherchoir. Mes offres furent fuivies d'un effet folide. Le vaifTeau fut richement chargé d'aloës auffi précieux que celui qu'on tire a grands frais de 1'ik de Zocotora qui eft dans la même mer. Le marchand , enchanté de Tidée du gain qu'il alloit faire, témoigna une reconnoifiance trés - vive au bon foliman , (c'étoit le nora que je m'étois donnéh Je recus de lui mille preuves d'amitié dans fon vaifTeau , durant les neuf jours que dura notte «avigation. Nous débarquames a Gabith , oii il avoit un magafin. Je 1'accompagnai de la a Hadramuth. II m'introduifit dans fa maifon, Sc m'y traita comme  comme fijeufle été fon fils. Les grands fervices que je rendis, & i lui, & aux autres marcliaiids, par la connoilfance que j'ai du calcul , m'attirètent bientöt une telle confidération a la ville & i la Cour , que Mahul, fultan d'Hadramuth , mhonora de la charge de fon grand-douanier. Je 1 exercois depuis environ un an & demi, avec beaucoup de fuccès , lorfque le prince invincible qui m'écoute, vint, pour mon bonheur, vifiter fon ami Mahul. A fa vue , 1'amour de la patrie cette paflion fi naturelle & fi légitime , qui jufqu'alors avoit été comme aflbupie dans mon cceur, reprit toute fa vivacité. Je ne réfiftai point a fa violence. Je cherchai 1'occafion de pariet fans témoin a mon fouverain , & je fus afieZ heureufe pour la trouver. Je lui déclarai mon fexe, ma nailTance, mon défaftre, mes foupcons. Touché de mes malheurs il me promit genereufement fa proteftion , & il commenca 4 me la faire fentir , en me demandant comme an préfent fingulier au fultan fon ami. M'ayant obtenue, il me ramena a Zibit, aflèz riche de ce que j'avois amadé dans mon empioi. II imerrogea mon père , en ma préfence, fur lefort de fa fille. L'emir expofa en pleurant ce qu d avoit appris des deux tcmoins. Je ne parlai point , de peur que le fon de ma voix ne me trahit Mais quand il fe fut retiré, feigneur, Tomc XIII. p 1  n6 Les Aventures dis-je au fultan , quoique mon père ne m'accufe de rien , je ne puis me perfuader qu'il penfe que Moflcma m'ait voulu faire mourir fans aucune raifon. Je dois lui être fufpefte , je dois 1'ètre aux tcmoins , & peut-être a beaucoup d'autres. Si la calomnie fe raic, c'eft qu'on croit que je „e vis plus; & certainement il vaudroit mieux aue je tufte morte , que de rentrer parrm les hommes ■ fans ètre en état de confondre leurs téméraires jugemens. Mon mari m'a cru criminelle , &c Kachek eft fans doute 1'auteur du taux rapport qui 1'a trompé. Je vous fupplie, feigneur, de le faire armer fans éclat, & de 1'interroger. Le généreux Zirifdin approuva ma remontrance. Kachek arrèté avoua fa fourberie , & découvrit Hnfamie de 1'hypocrite qui vient d'être condamnée avec lui. C'en ctoit affez pour ma ,uftification : j'allois me rcfoudre a paroitte, lorlou'on annonca au fultan la capture de mon époux. Je fis tous mes efforts pour empêcher qu'il ne comparüt une feconde fois devant le cadi; mais te fultan, qui le jugea digne au moins d'une rande peur , réduifit mes empreifemens au feul confeil d'appeler, qu'il me permitde faire donner au criminel prétendu. Vous avez feu tout le refte, mes anciens & mes frères. Remercions le fultan, none makte. Joignez vos acclamations a celles ie Rafimé, qui n'a cefté aujüurd'hiu d'ctre Soh-  d' A b d a l l a. 1z? »an , qu'afin de redevenir votre fille & VOtre iceur. Elle cria enfuite : Mille ans de vie d l'excellent modèle de toutes les vertus , & prin^palement delagénérofue; Toüs ^ j • affernblee fe fépara. La vie des bienheureux neft pas plus douce, ajouta Mofiema, en fangtotanc, que celle que nous menames , Rafimé & mot pendanr deux ans que Ie ciel me Ja laxffa• Elle moUru,A fa mort je quirtai la marion, Zibit, route VArabie, réfolu de ne revoir jamars des lieux ou un fi grand malheur m'étoit amve^Nous fumes rous fort touchés du récitde L'Iman Portugais, preiTé de nous déclarer Ie motif qul I avoit obligé de fortir de 1'occidenc & de fon pays natal , pour venirerrer dans 1 0nent nous adura qutl étoit parti uniquemenc pour fe perfedionner & pour concribuer autant qatl Ie pourroit, d Ia perfediion des autres hommes. Mon départ, nous dit-il, ne fut ni precedé, m fuivi d'aucune aventure qui mérite detre racontée. Mais comme il eft jufte néanmoms que je vous entretienne d mon tour je Pms, fi vous le voulez , fuppléer d cette efpèce de recir, par une inftrudion folide, qui peu* être ne vous fera pas moins agréable. Parlez bon-homme , lui dimes-nous, Ia diverfité plak Pij  ü8 Lis Avsnturis toujours. Je vais donc , reprit-U, vous faire voir que la confidération de nos défauts eft un des plus txcellens remèdes que nous ayons contre lafuperbe. CoNTE de VIman Portugais. L A corneille ayant un jour confidéré avec une attention fingulière les beautés du paon, concut contre lui une d ctuelle envie , quelle refout de lui faire une guerre mortelle, & de le broudler avec les autres oifeaux. Elle alla donc les trouver eeus Elle vit 1'épetvier dans fon aire, le cigne au bord de fon étang , le coq fur fon fumier , la chouette dans 1'obfcur enfoncement de fa mafute- en un mot elle fe donna la peine de vidter tous'les oifeaux chez eux, afin que gagnés par cette honnèteté , ils fe rendiflent plus aifement a fes follicitations. Elle louoit d'abord malicieufement celui qu'elle vouloit perdre : on ne fauroit nier, difoit-elle, que le paon ne foit beau, & ou'on ne doive le confidérer comme un des plus charmans fujets de notie république. Mais, ajoutoit-elle , il a le malheut de tourner tous fes avantages contre lui-mème , en les faifant trop valoir. C'eft grand dommage ! que ne fe conteme-t-il de la juftice qu'on lui rend ? II U  A B D A t 1 A. 119 femble que les autres ne foient pas feulement dignes d'être tegardés. Pour moi, j'avoue que fon oftentation me le rend infupportable, & je crains qu'd la fin il n'y ait plus moyen de durer auprès de lui. L'aigle , notre maurefle , n'étale pas, avec cette arrogance, fon majeftueux plumage. Le phénix, qui eftTadmiration de 1'univets, eft fi modefte, qu'il paffe toute fa vie dans la retraite. Ne fera-t-il permis qu'au paon de nous braver ? Ainfi parloit la médifante. ^ Ses difcours remplirent toute la république ailée de jaloufie & de haïne, contre le bel oifeau. II fut réfolu qu'on feroit la lecon ï ce préfomptueux , & qu'on 1'accuferoit inceflamment de vanité & d'orgueil. II fut queftion de députer quelqu'un pour exécuter i'arrêt. La colombe refufa cette commiflion , qui ne s'accordoit pas bien , difoit-elie , avec la fimplicité. Le phénix, le faifan & le cigne n'en vouhirent pas non plus; & ils alléguèrent pour excufe , Ie premier, fon humeur fauvage, le fecond , fa timidité, & le troifieme, fon amour pour Ie filence \ Ie cigne fe tak toute fa vie , afin de bien chanter une feule fois. A leur refus, le corbeau, la pie , & quelques autres oifeaux d-peu-près auffi importans , fe chargèrent de parler au coupable. I a corneille fe mit a leur tête , & ils fe rendirenc chez le hon dont la majefté n'eft pas moins ref- Piy  pectéédes oifeaux que-des autres animau*. Le paon demeuroit a fa cour , paree quelle ro» l'aimoit. • , . Un perroquet, que ces deputés trouverent a 1'entrée du bois qui fervoit de palais au lion, leur apprit que celui .qu ds cherchoienr fe ptomenoit feul dans une petire prairie , & ds prirent audi-tbt leut vol de ce coté-la. Le paon les recut parfaitement bien , & pour leut témoigner La joie qu'il avoit de leur arrivée , il dr laroue, Sc .expofa a leurs yeux toutes les richelTes de fa queue. Un fi agréabie fpedtacle ne fit qu augmentet leur jaloufie, Infenfé , crièrenr-ds, cette vaine parade te fied bien en préfence de gens qui font ici pout la réformer. Ecoute avec refpeft les ordres du fénat volant , & par avance , Uuv prime ce grand étalage de plumes inutiles _ Tu fauras que la nation ne peut plus fouftrir ta fuperbe , & que ton afFeftation lui déplait. Tu te mires fans cefle dans ta queue , avec la dernière infolence. 11 n'y a parmi nous que tol qui fe diftingue d'une manière fi odieufe } quoiqu'il y en ait plufieurs qui, fans crainte de pafler pour vains , pourroient avec raifon fe préférer a toi. C'eft pourquoi tous les oifeaux t'ordonnent de ceder, dès ce moment, de te fmgularifer ; & en cela, ils ont principalement égard \ ton honneur j car fi tu avois autant de tête que tu as  d' Abdalla. x$i de quene , tu aurois déja compris que ce que ta as de Iaid ne patent jamais tant, que lorfque tu montres avec le plus de fade ce que tu Peux avoir de palfable. L'aimable oifeau étant un pen revenu du trouble extréme oü cette temonrrstoce maligne 1'avoit d'abord jeté , s'écria : O louange ! tu ne fors jamais que de la bouche des étrangers. O mépris! tu ne nous viens jamais que de nos proches. Efc.il poffible que tandis que j'attire fur moi les yeux de tout Pariivers par 1'éclat admirable de mes plumes, & par la vivacité miraculeufe des couleurs que Ie foleil y fait briller tour a tour, je fois fi indignement expofé aux réflexions d'une corneiUe & d'une pie? N'ofant me faire un crime de ma beauté, vous vous plaignez de 1'incliuation que j'ai d la faire paroitre • mais cette inclination eft-elle moins un don de la nature que la beauté même ? II eft inutile d'être beau , fi on ne le paroit \ ces deux petfections ne fervent de rien 1'une fans 1'autre ; qui les poffede , doit les faire valoir également, en dépit' de 1'envie. Le paon , en difant cela, recommenca a faire la roue, & regarda d'un ceil fier & méprifant les oifeaux jaloux de fa gloire. Ceux-ci tranfportés d'une nouvelle fureur, fondirent fur lui. Le corbeau s'attacha d fes yeux, les autres d fes plumes; le pauvre paon fe trouva dans le danger le plus ptelTant qu'il eüt jamais couru de fa vie. Comme P iy  ijl Les Aventures feroit une jeune beauté brufquement attaquée, il appela pat de gtands ctis le ciel & la terre * fon fecours. Ses agredeurs ne crioient pas moins haut, Sc fembloient vouloir le ptiver même de la légère confolation d'être entendu. Plufieurs animaux accoururent au bruit. Le lion & fa maifon , qui pour lors étoit compofée du tigre, du rhinoceros , de la panthère & du fmge , n'ayant qu'un pas a faire , furent les premiers arrivés Sc prirent la défenfe du paon. La hienne & le re„ard vinrent de la campagne , attirées par lei croaflemens du corbeau qui, a ce qu'ils crurent, les invitoit a quelque bon repas , felon fa coutume. L'aigle fe trouva auffi préfente , fuivie d'un grand nombre d'oifeaux de rapine. Le lion interpofa d'abord fon autorité , & témoigna vouloir être inltruit a fond du fujet Sc des circonfsances de la querelle. On les lui expliqua, & il teconnut bientbt que 1'envie feule avoit armé les oifeaux contre le Paon. Néanmoins , de peut de paroitre trop favorabie a fon domeftique, il confeilla aux parties de ptendte le renard pour juge. Cette fine béte, qui ne vouloic déplaire ni i l'aigle qui étoit contraire a 1'accufé , ni au Hon qui le protégeoit, inventa fur le champ un tempérament digne de fa prudence, & s'expUqua ainfi; „ Le paon eft un très-bel oifeau, & perfonne  »' A b d a t t a: 13 J •e dolt trouver mauvais qu'en fe montranc il «ontribue a nos plaifirs. La nature ne Fa pas enfichi de tant d'agrémens , dans 1'intention qu'il les dérobat a notre vue : un delTein fi bifarre feroit peu conforme a la fagede de cette mère commune. Mais il ne faut pas que fur ce prétexte le paon fe croye en droit de fe glorifier, comme il a fait jufqu'a préfent, de méprifer les autres. On Pa fouvent averti de ne pas tant s'en faire accroire; & ces avertilTemens ont plutot augmenté fa vanité qu'ils ne Pont modérée. Nous étant un jour flattés que la raillerie feroit plus emcace que les remontrances férieufes ne 1'avoient été, nous commandames au coq de la grande efpèce [a) de fe moquer tout ouvertement de lui, de faire la roue en fa préfence, & de marcher gravement en tournant fa queue , tahtot d'un cbté & tantot d'un autre. Mais le paón , par un excès d'effronterie , ne s'en émut aucunement; au contraire il affeda de paroitre plus que jamais , & nous infulta tous. Je ne fais plus qu'un moyen pour le réduire , & pour 1'humilier dans le tems même quoa 1'admirera. Remarquez-vous fes pieds? Ils font horribles, & fi hornbles, que pas un oifeau n'en voudroit avoir de pareils. Qu'il f0jc ordonné au paon \es (a) C'eft 1c coq d'Indc.  454 Les Aventures regarder, lorfqu'il érendra fon be.ui plumagc 5 en force que faire la roue & jeter la vue fur fes vilains pieds, ce foit pour lui une même ac~Hon. Ce jugement du tenard fut écouté avec 1'applaudilTement général. Le lion & l'aigle le confirmèrent, & le paon fut contraint de s'y conformer dorénavant fort exaófemenr. Votre allegorie , ó Iman , dit le jeune Indien , renferme des vcrités qu'une belle fille entendroit mieux que nous. Tous les jours les belles éprouvent, de la part de leurs meilleures amies, des perfécutions incroyables. La beauté ne fe pardonne point entre les femmes. Les plus grandes perfeófcions , intetrompis-je, font infupportables dans la fociété , fi la fagefle n'en regie 1'éclat. En ne confidérant que fes défauts, on fe décourage ; en ne penfant qu'a fes bonnes qualités on s'enorgueillit; & dès que 1'orgueuil nous élève, Iss autres hommes travaillent a nous abattre. Mais la fagefle nous retient dans un jufte équilibre : au dehors par la modeftie : au dedans par une vue égale de ce que nous avons de bon & de mauvais.  d' A b d a l l a: 2 3Ï CONTINUATION DES AVENTURES d'Abdalla. N ous avions paiïe dans ce tems-la le fameux détroit de Java, une partie du canal tortueux qui s'étend le long de cette ile & 1'ïle de CéJèbes. Nous allons êrte privés de la vue de Botnéo , dis-je a la compagnie ; mais nous n'abandonnerons Célèbes que quelques jours. Gilolo fe montrera enfuite : au- dela de cette ile une mer prefque fans bornes fe préfentera a nous , & en y entrant, nous nous trouverons au vrat commencement de notre voyage. Un grand foupir qui échappa dans ce moment au jeune Indien , attira fur lui tous nos regards. Je foupire , nous dit-il avec une contenance trifte , & je n'en ai que trop de raifon , lorfque j'entends faire mention des iles que 1'on vient de nommer. Vous ferez dans peu convaincus qu'un témoignage fi hbte de mon afflidion eft une gtande marqué de mon eftime , & une preuve de la confiance que j'ai au feigneur Abdalla. Votre vertu me difpenfe de me contraindre plus long-tems , Sc dc cacher, comme je 1'avois d'abord réfolu , mes vcritables aventures fous 1'enveloppe d'un conté fait a plaifir. Mais avant que j'en entame le ré-r.  *3 il lui dit en un langage qui nous étoit inconnu , quelques paroles qui embarrafsèrent & firent rougir celui a qui il les adreffoit. L'efclave s'en alla en baiflant la tête ; Sc un quart d'heure après nous vimes reparoitre , au lieu d'un gtand homme fee , une grande femme maigre , afiez bien habillée , qui portoit un paquet. Elle fe ptofterna devant 1'Indien, en le lui mettant entte les mains. L'Indien óta fon turban , & tout-a-coup fes épaules futent, pour ainfi - dire , inondées de flots de cheveux forr noirs & fort luftrés. Le paquet défait lui fournit des habits de femmes très-riches , qui , par le feeours de 1'adroite efclave , produifirent en un moment la plus charmante des métamorphofes. Ah! madame , m'écriai-je , que vous remplacez agréablement le camarade dont vous nous privez! quel tréfor pofledions - nous fans le connoïtre '. quel ennemi vous a obligé a quitter 1'heureux climat ou vous avez commencé a voir le jour, & dont vous faifiez fans doute les délices & la gloire ? Plüt a dieu , reprit la dame , que la fortune eüt botné fa haine a me cha'.ïer de ma patde! Une autre patrie infiniment plus douce3  »' a B D A L l a: jj7 me confoleroir encore de fa perte. Vous ne vous rrompez pas, Abdalla, conrinua-t-elle , en arrê tam fur moi fes beaux yeux , c'eft un ennemi qui m a mife dans 1'érat oü vous me voyez & mon dernier voyage a d'abord été une fuite' Histoire de la Princefle Zemeb ts du Roi Léopard. ^^^^^^ que moi. Mon père étant un;oura la cnafie dans les montagnes s'avanca jufque dans un endrc" fort defert, * fut extrêmement étonné d'y vo »n fuperbe pala,s dont il n'avoit jamais ouïpar Curieuxdapprendrecequec'étoitquecetLfice mconnu, r voulut s'en approcher;,Lis une 0 x jours, nenvoyoit une de fes filles a celui qui 1-parloK Leroi Batoche ayant levé les y uT Wurdunefenèaeun Léopard oui E par le feu percant de fes veux llfr j, nÉiv. f,,r /; j 7 a frayeur de mon P^re fut fi grande, qu>iIs'é]oi lans ofer répondre. S »  »38 Les Aventures Nous fumes conftetnées, mes fceuts & moi, de la trifteflb qui i'accablöit , & qu'il porto* peinte fur le vifage.' Nous le catefsfcnes , nous e prefsdmes de nous déclarer ce qu d avoit fut le cceur. 11 fe fit long-teuts ptiet. 11 eft quelhoft de ma vie ou de la vótre , nous dit - il enfin ; ah ' j'aimë mieux mourir que d'expofer mes enfans i pour qui j'ai tant de tendreffe. Sur cela , il nous conti, la latme a Fttil , ce qu'il avoit vu, & le danger dont il étoit menacé. Si nulle autte crainte ne vous inquiète , mon cher père , lui dit notre ainée , confolez-vous j je pars des demain ; peut-êtte ce Léopard ne fera-t-d pas fi impitoyable que vous penfez. Le roi s'oppofa vainement i fon delTein-, elle fe fit conduite au palais défert. Les pottes s'ouvrirent, le Léopard fe fit voir j mais ma fceur le rrouva fi horrible , qu'oubliant toutes fes belles réfolutions , elle tourna le dos & s'enfuit. Mes trois autre fceurs la voyant de retour , lui reptochètent aigrement fon peu de coutage , & le lendemain elles tentèrent fottune toutes enfemble. Le cceur ne leur manqua pas moins qu'a notte aïnée ; ainfi la vie du roi ne dépendit plus que de moi. Je marchai a mon tour , Sc plus intrepide qu'elles , non feulement je foutins les regards affreux du Léopard qui étoit a la fenêtre quand j'arrivaij mais auffi j'enttai courageufement dans  *>' A B D A L L A: 16 mer:eil,e«* P*his\ fort réfolue de n'en fortir quapres uri entier écftircifeehr. Dès cue je fus dans la cour 3 les porres fe fennèrent &' un -naculeufetnent he parloient pöint, s'étant L fentees a moi p0Ur me fervir, je fus menée dans «n appartement magnifique. Je pafTai toute Ja journee-a confïdérer les beautés du batimenr & desjardms. Le foir mon fouper fut délicieux- on me coucha dans un lit meilleur que tous ceux" du rot Batoche • mais mille peines d'efprit m'y ble • Tres peu de tems après que je fus couchée je lentendrs ve™ > * peu s'en fallut que je ne «oaznflè d'épouvante. I, entra impétueufeLe" dan, la chambre, en faifant un bruit efFroyable avec fes dents, fes griffes & fa queue; * il^ setendre tour de fon long auprès de moi. Je Ju -?1s lacune belle place 5car je n'en occuoois gueres. Cet annual le comportW avec u„e 'fi£g —e;il nemetouchapointdutout^li " q"1Cta aVant le Jaurois bien voulu proper dece tems-la pour dormir , mais ma p' r ttop vrolente. Les mêmes nymphes qu » avoient fervre le jour d'auparavanr, vinren, a «on lever, me firent changer d'habits, n'oubherent rien pour me charmer par leur complaifance. Men diner royal ; un concert d „f.  trumens me diverrit 1'apfh midi ; pout CowM* d'agrémens, le Léopard ne fe monrta pa» de toute la joutnée. Ce jout fut comme le modèle de tous ceux qui fuivitent. A la vétité je paflai plufieurs nuits fans ofer fommeiller ; mais enfin la modeftie éprouvée du Léopard me rendit ma tranquillité. Pout abtéger , je vous dirai que dix. mois s'écoulèrent de cette manière , & qu'au bout de ce tems-la je m'abandonnai a un défir curieux qui m'avoit pris dès le commencement, & auquel j'avois toujours réfifté. Je voulus favoit enfin fi mon Léopard étoit auffi bien Léopatd la nuit qu'il 1'étoit le jour. Je me levai donc du lit , tandis qu'il doimok, & n'ofant le toucher lui-même , j'allai a tatons chercher pat toute la chambre de quoi m'éclaircir. Je me doutois que la peau de 1'animal refto.it a tette. L'y ayant renconttée en effet, je fus faifie d'un mouvement de folie , cat quel autte nom donner a mon emportement ? J'eus la hardieffe de mettte en pièces cette peau , fans faire aucune attentipn a ce qui en poutroit arriver j & après cette expédition téméraire, j'allai me recoucher dans mon coin, comme fi de rien n'étoit. Mon voifin fe leva a fon heure ordinaire , Sc trouvant fa peau hots d'état de fervir , il poufla un long gémiffement , auquel je répondis en touflant, pour lui faire comprendre que j'étois éveillée  *>* A % d a t t a; m eveillée. Les ménagemens feroient mamtenant fuperflus , me die triftement celui qui avoit gémi. Jermsun puiiranttoi;&j'étoisici enchanté par un MagIcle„ de mes ennemis. Mon ench trone & ma couche avec vous j héïas ! votre cunohte me rejette dans le même état que fi ie n avois encote rien foufferr. Pourquoi avez-vous refifte aux lumietes de votre raifon ? £He vous rcperött fans cefie que toute adion trop hardie vous etoudéfendue dans unlieu dont vous igncriez les loix. J'avouai ingénument ma faute, Sc jeepmtdeconfidererquelesfil,^^,,^^ rellementtres-curieufes,il devoit me favoir quelque gre de n'avoir pas cherché plutót Féclairciflement que je venois de trouve, Cette excufe penfatoutgater^mattiraunefouledenouveaux reproche, AIa fin le roi enchanté fe radoucit & fe fit voir un moment d la dafté de fon vifa^è niemequt bnlla d'une lumière fubite. Sentanr que les puilTances ténébreufes recommencoienr dagirfurluijllpriccongédemoij&.I ^ leigna des paroles, qui érant prononcées contre que qu un qui feroit une chofe , Ie contraindroient de continuer d la faire jufqu'a ce que je prononcaiïe d'autres paroles au'i! auffi Ta nfl ï r f^es qu il m apprit aufli. je ne les fu> ^ pIut& j *J difparoiffimt avec tnnc f«c ' K M  242. Les Aventures trouvai toute feule & toute nue , couchée fut un rochet. Je verfai des tottens de larmes, en maudiflant ma curiofité & mon imprudence. Le jour étant venu , & la honte m'ayant obligée de tourner les yeux de tous cotés, pour voir s'il n'y avoit rièn autour de la qui put fervir a me couvrir , j'appercus des habits alfez prés du lieu oü j'étois, & je les allai prendre. C'étoient mes propres habits , qui avoient été expofés pendant dix mois a toutes les injures du tems , & qui étoient prefque confumés. Je mis fur moi ces triftes haillons, du mieux qu'il me fut poflible; & dans la crainte que j'eus que ma faute n'eüt caufé la mort a mon père , je jugeai qu'il éroit plus a. propos de m'éloigner de mon pays en demandant 1'aumbne , que d'aller me préfentet a mes fceurs en 1'état oü j'étois. Je me barbouillai le vifage, & je me mis courageufement en marche. Après de long-nes fatigues , j'arrivai a un port de mer , oü un vieux Mufulman qui alloit trafiquer a Bomeo, me prit par charité fur fon bord. Le trajet fut heureux. Nous mouillames dans une anfe de cette grande ile , pour quelques befoins dont je ne m'informai pas. Etant defcendue avec plufieurs autres perfonues, fariguées de la mer, je me dérobai de leur compagnie fans qu'on s'en appercüt, n'ayant nulle envie d'accompagner le  t>' A B D A I L A, i^j patron dans les villes de la cbte oü fon comrnerce 1'appeloit. J'avancai dans 1'intérieur de 1'ïle qui efl fort peuplée , & j'arrivai en rrois mois d la belle ville de Soucad, qui recoit fon nom d'une groffe rivière qui la travecfe. Jé remarquai dès les premiers jours , que Ia broderie qui ornoit les habillemens des dames > étoit extrêmement groflière, & je me perfuadai que plus adroite I eet ingénieux travail que les ouvrières de Borneo, je trouverois une reflburce •afTurée dans mon induftrie. Le fuccès pafTa de bien loin mes efpérances, d abord que mon hafcileté fut connue. Je louai une petire maifon , & je me fis en peu de tems un établilTement fort honnête. Je n'eus pas de peine d apprendre la Iangue , paree qu'on parle d Soucad d peu prés Ja même langue qu'a Gilolo. Je vécus tranquillement de mon travail pendant fix ou fepr mois , & je recouvrai peu a peu la beauté donc on m'avoit quelquefois flattée j & que la misère & les fatigues avoient prefque entiérement effacée. Ce changement m'expofa d 1'attention de plufieurs perfonnes , & entr'autres , de ttois jeunes hommes des plus diftingués de la ville > qui ayant complotté enfemble d'éprouver fi je ferois cruelle , convinrenr que 1'un d'entr'eux , qui paflbir pour féduóceur fort adroit, feroit la première tentative. II vint chez moi dès le fok  l44 Les Avsntuk-BS même , & commenca la converfation par un deflein de broderie qu'il me propofa pour une ceinture. U fit enfuite parler fa paffion j nulle beauté de facile conquête n'entendit jamais tout a la fois tant de ptoteftations d'amitié & de fervices. A 1'heure du fouper il me prelTa de lui permettre de me régaler , & j'y confentis aptès qu'il eut furmonté quelques légères répugnances que je lailTai paroïtre. Le repas fut propre &C de bon gout. Les petites chanfons ne futent point oubliées ; mon amant [ne fit pas difficulté d'exprimer dans deux ou ttois airs libres tout ce qu'il attendoit de ma complaifance. 11 y avoit dans ma chambre une fenêtte ouverte qui commencoit a devenir incommode : il voulut la fermer ; mais tandis :qu'il la poufibit, je prononcai les paroles efficaces que j'avois apprifes du roi Léopard , & je le fixai a cette unique occupation. Pout moi , je me couchai a mon ordinaire , fans me mettre en peine de rien. Le pauvre enchanté pafla toute la nuit a faire ce qu'il faifoit. Le lendemain au matin je le délivrai & je le congédiai avec un bon avertiffement d'être plus fage a 1'avenir. Ses camarades , qui dès la pointe du jour 1'attendoient avec impatience dans une rue voifine, ne 1'eurent pas plutot vu fottit, qu'ils accoumrent i lui. II leur fit habilement accroire  ©' A B D A t t A', *45 qu'il avoit été parfaitement bien recu , & leut décrivit fa bonne fottune avec des couleurs qui les mirent tout en feu. Le fort décida lequel des deux jouiroit du bonheur annoncé , & le jour fembla long a celui fur qui le fort tomba. La nuit fut pourtant beaucoup plus ennuyeufe encore pour lui, car je le conttaignis de dévider du fil de Sagon (a), pendant autant de tems que 1'autre en avoit mis a fermer la fenêtte. Le troifième, auffi dupe que fes confrères, fut pris a fbn tour , & par mon ordre il fe peigna toute la nuit. Ils n'euient pas la force de fe cacher longtems leurs aventures. Egalement outrés, ils changèrent leur tendrefle naitTante en une haine confommée, &, d'un commun accord , ils allèrent me déférer aux juges comme la plus déteftable magicienne qui füt au monde. On m'enleva de ma maifon , je fus emprifonnée , on travailla avec chaleur a inftruire mon procés. Mes adverfaires étoient puilfans & très-animés; d'ailleurs je ne niai aucun des faits qu'on m'objeóta. Ainfi lafFaire n'auroit pas duré quatre jours , fi je (a) Le fagon eft un arbre fort commun dans 1'ile dc Gilolo 5c dans celle de Borneo. De 1'écorce de eet arbre !es infulaires tircut une efpèce it foi-e dont ils font tout ce qu'on fait ailleurs avec la véritable foie. Le fruit leur donne du \ ain Sc du vin. Q»i  ia.6 Les Aventures n'avois fair diftribuer un peu d'arqent aux gens de juftice, par le miniftcre d'une bonne amie qui avoit de la beauré. La décifion fut fufpendué pendant trois mois entiers , en partie par ce moyen-ia, & en partie auffi paree que deux de mes juges, fendbles aux agrémens qu'ils croyoient voir en ma perfonne, ne négügèrent rien pour me fauver, fe perfuadant que je ne ferois pas ingrate après un fervice fi figualé. A la fin néanmoins mes perfécuteurs 1'emportèrent, & je fus èbndamnée a être brülée toute vive. Cette cruelle fentence m'ayant été prononcée,' on me conduifit au bucher qui avoit été dreffé dans le milieu de la plus belle place de Soucad. Lorfque j'y fus arrivée , on ne manqua pas de me dire tout ce qu'on dit en ce pays-la a ceux que 1'on tue en cérémonie , & on m'attacha au poteau avec une grode chaine. Le peuple m'accabloit de malédicrions, comme une enchanterede ennemiedu genre humain, &il m'accufoic de tous les maux arrivés naturellement ou pat hafard a ceux a qui j'avois vendu de mes ouvrages. 11 éroit ravi de voir que le bourreau , Ia tjrche ardente en main , s'avancoit vers le bucher. Mais cette populace ignorante fut fort furprife , un moment après , de voir ce même bourreau immobile & comme extafié, ne fair£ autre chofe que bien tenir fon funefte flambeau.  d' A b d a l £ a.' 247 C'etoit 1'effet des paroles que je venois de pro-; horteer fecretremenr contre lui. Tout le monde demeura en fufpens a cette nouveauté , puis les esprits changeant tout a coup de difpolition , perfonne ne put s'empêcher de rire en confidérant la figure vraiment ridicule que faifoit 1'exécureur. Les trois jeunes hommes qui étoient prélens, & qui avoient un grand nombre de partifans dans l'aiTemblée, entrèrent en une fureur étranse ;i la vue d'un évcnem. n't qui leur remettoit en mémoire ce qui leur étoit arrivé a eux-mêmes. Fis crièrent que cette preuve étoit pubüque , qu'il falloit fe hater de rédiiire en cendres une femme qui, n^jme fur le point de mourir, avoit d'exécrables liai'ons avec les efprits noirs. La canaille , animée par ces paroles , courut aux maifons voifines prendre des tifons allumés. Je me preparois a arrêrer encore ces furies , lorfqu'un bruit mêlé d'acclamations retentit dans la rue principale qui aboutifloit a la place. C'étoit le roi de Soucad qui excitoit cette agréablealarme. Après une longue abfence, il avoit voulu futprendre fon peuple par une arrivée foudaine. Comme il étoit forr aimé , route l'affiftance alla au devant de lui , & abandonna le bucher, le bourreau, la patiënte & les gens de juftice. Ce prince, qui étoit defcendu de 'on char 8c > Qiv  S4S L I i AVENTVRES qui marchoit lenteraent a cheval , afin de parpitre plus populaire , s'étant avancé jufque dans, la place, y vit un fpeótacle qu'il crut incompatible avec la joie publique que caufoit fon heu-! reux retour. II piqua donc vers le bucher, &c portant lui-même la grace qu'il étoit maitre d'accorder, il me fit détacher. Je courus audi - tot f rrjbrader les genoux de mon libérateur qui me regardoir rrès-attentivement. Au peu de paroles que je lui dis confufément, il acheva de me reconnoitre. II defcendit de cheval & m'embrada avec une joie qui égaloit 1'admiration de tous les afliftans. Je n'avois pas encore ofé lever les yeux , mais ayant enfin-envifagé celui de qui je recevois des faveurs fi furprenantes, je reconnus le roi Léopard, dont 1'image étoit reftée profondément gravée dans mon efprit. II eft impoffible d'exptimer ni les fendmens de mon cceiir, ni ce que je penfai, ni ce que je voulus dire, Je ne pouvois former aucun difcours fuivi; ma reconlioifiance & ma joie fe dérobaient 1'une a 1'autre foutes les paroles qui fe préfentoient, Le toi me fip monter fur fon char j & fms y monter luU même, il me cqnduifit en triomphe dans fon galais, Quelques jours après il m'époufa folennellement, & me déclara toute puiflanre dans fes états. La premiète gtace que je lui demandai €f fai felle d? mes accufateurs, Le? juges qu|  s'étoient lailTé corrompre par mon argent, furent les premiers donc je fis faire juftice. A 1'cgard des juges que ma beauté avoit touchés, ils furent auffi chatiés, mais avec indulgence. Les malheurs qui jufqu'alors étoient arrivés au roi, & celui qui termina fa vie, font fi affligeans , que je voudrois pouvoir me difpenfec d'en parler, Sa naiflance l'avoit fait montet fut le tröne, fon mérite 1'y avoit maintenu , avec 1'applaudhTement de tous les peuples, L'ambition , 1'envie, la perfidie d'un frère 1'en priva d'abord pendant deux ans , puis 1'en ptécipita pat une fin tragique. Ce monftre , étroitement lié avec un magicien , fit enchanter 1'aimable prince dans Gilolo, & enfuite dans Borneo même, Son deffiein étoit que Penchantement n'eüt jamais de fin; mais un fage favorable au roi, s'oppofa, dès le commencement, a cette entreprife criminelle , & ne potivant 1'empècher tout-a-fait, paree que le magicien étoit plas, favant que lui, il fit du moins en forte que 1'enchantement ne fiit que conditionnel. II en pénétra même les conditions , malgré les mefures que le magicien avoit prifes pour les cacher , & il en informa 1'infortuné roi de Soucad, Mon hiftoire les a fait connoitre ;,l'accomplilTement en étoit prefque impoffible, Etoit-il aifé de rencoutf er une fille «e roi qui fe liyrar pour 1§ faluï de fon père 2  tji Lis Avbntur.es fept jours pour arriver a Bend-Armaflln. Je n'y demeurai qu'autanr qu'il fut néceftaire pour nous ttaveftir ; & comme toutes les patties du monde m'étoient également indifférentes , nous nous jetames dans le vaiffeau qui fut le ptemier prèt a mettre a la voile. Il étoit fretté pour le Baroftan, fur le bruit du mariage de la reine Zulikhah , qui s'étoit répandu dans toutes les mdes. Pendant le voyage , la mort nous enleva Amet. Quand le cri obligeant que vous fites faire, feigneur Abdalla , invita tous les voyageurs défintéreffés a fe ptéfenter a vous , il y avoit enviton trois femaines que j'étois dans 111e de Sumatra. Nous fumes tous extrêmement fenfibles aux malheurs de la belle & courageufe Zeineb. Il feut avouer , lui dis-je , que les anciens adorateurs des idoles avoient quelque raifon d'offrir des vont* a la fortune , & de fe figurer qu'elle faifoit fans ceffe tourner une roue , qui tantót élevoit & tantót abailToit les hommes. A quelles vicilfitudes nous fommes fujets! Mais je n'ai point encore entendu d'hiftoire particuliète 011 ü y eut de fi bifarres révolutions que dans la vótre. La roue fatale n'eft pas encore arrêtée , madame , vous ne demeurerez pas dans 1'écat mitoyen. J'ofe ajouter a cette prédiéfion , que vous avez plus k efpétet qua craindre. Votro  ü' A B D A 1 L A. 153 fituation eft celle d'un convalefcent: n'allez pas, continuai-je en badinanc, prononcer contre vousmême les paroles qui contraignenrfi eflicacement a refter comme on eft. Zeineb fourit: je ne fais , dit-elle, ce qui m'eft réfervé. Si je pouvois fixet mon fort, il ne changeroit plus; votre générofité le rend fort doux. Ah ! charmanre princefle ; repris-je, vous méritez la féliciré la plus parfaite, puifque vous favez aimer la médiocrité. Si le roi Batoche vit encore , il déplore votre perte, & morte ou vive, il vous préfere dans fon cceur a fes autres filles. Et poutquoi auroit-il Cefle de vivre ? 11 a obéi, c'étoit tout ce qu'on exigeoit de lui. Informons-nous de 1'état des chofes , dès que nous le poutrons ; il n'y euc jamais de curiofité plus louable. La reconnoiffante princefle écouta avec joie ma propofition. Dans ce tems-la le pilote emta dans ma chambre. C'étoit un homme qui avoit beaucoup plus d'efptit & de connoiflances que n'en onc communément les gens de fa forte. II ne fe tenoit guères au gouvernail , que Iorfqu'il y avoit quelque péril d craindre ; & il pafihit prefque tous les jours plufieurs heures avec nous. Je lui racontai en peu de mots les caufes des transformations qu'il voyoit; & lui communiw quant la réfolution que j'avois prife en faveur  ÜL 54 Ï-ES AVENTUR.ES de Zei.neb , je lui commandai de régler ladeflus notre navigation. Voici , dit le pilote > la plus furprenante des métamorphofes , après la mienne. A 1'cgard des nouvelles que vous defirez favoir, nous fommes a portee d'en apprendre. Auffi tbc que nous nous verrcns a la hauteur de Gilolo , nous nous approcherons de cette ïle , & nous la córoyerons jufqu'au port •de Coheb oü nous pourrons mouiller. C'eft un des potts de mon père , dit Zeineb \ il n'eft qu'a trois journées de Sagonafaé , capitale du royaume. Nos doutes y feront donc éclaircis , repris-je , & nous y prendrons le parti qui córiviendta. Puis adreflant la parole au pilote : Almoraddin , lui dis-je , m'a déja raconté confufément les aventures de ta jeuneffe , fi tu nous en faifois un récit bien circonftancié , je ts ferois obligé, & la compagnie t'en fauroit gré. Seigneur, répondit le pilote, je vous obéirai fans répugnance. HIS TOI RE du Pilote & de Mefrem. Cinq ou fix ans avanr le funefte voyage oü mon père fut fi cruellement mis a mort par le génie Feridoun, je devins amoureux de Mefrem  »' A e n a t t. a; 1j5 *|iu paflèh pour la plus acoomplie des filles du ^ «en ^-.uilLnc,. petit village fitué prés !, r - Je M de la mer. Comme nos c - - -■■■rr.peu prés égales , & que je 1 V03S *,e d" ™es l*gW«*s , je ne caehai *mtm .-.^on. Mefrem en reeut les premiers t,mo, v, s avtc une indifférence apparente ; je 7 v 1 ; 'us heure^ dans la fuite ; & enfin les dn .s'accordanrparfaitement avec les mi,ns nous c-onvïnmes que je la ferois demander en ^nage. Je pnai mon père & ma mère dWéer mon choix, & de me donner pour époufe la belle Mefrem. Je fus écouté avec bonté. II y a déji long-tems me dit mon père, que nous nous fommes appercus , votre mère 8c moi, de 1'inclination que vous aviez pour cette fille. Nous IWiferons ■ comme vous le défirez , dès que vous ferez de' retour d'un voyage qu'il fmt qiie VOils faffiez , Cambaye. Cette courte abfence hatera votre fatisfaéhon , bien loin de la rerarder ; car vous -nirai a Cambaye que pour y prendre de quoi vous etabhr avec honneur. Nous y avons un parent nommé Schamfac , qui a entre fes maW trois mille roupies qui m'appartiennent, & donc ,e vous fa,s préfent. II vous fera d'ailleurs trésavantageux d'être connu d'un homme comme Schamfac. Je remerciai mon père, qui me donna  ijff Les Avsntures les papiers néceflaires & une lettre. Je demandai & ml maitrefle la permiffion de partif. ÈUe hë me 1'accorda qu'avec une peine incroyable. Blamant généreufement le rriotif de mon voyage , elle vetfa tant de latmes , que je ferois fans doute tefté, fi j'avois pu me difpenfer d'exécutet les ordres de ceux a qui je devois la vie, Arrivé a Cambaye , il me fut aifé de ttouver none parent. C'étoit un homme veuf, qui patoifibit affèz a fon aife , Sc qui occupoit , avec tine fille unique, une maifon commode 4 ou il ■vivöit des épargnes qu'il avoit faites en fa jeunefle. Dès qu'il eut lu la lettre de mon père , il teconnut notre parenté, il avoua le dépot , il ordonna a fes domeftiques de m'honorer , Sc chargea en particulier fa fille d'avoir foin que lien ne me manquat. La jeune Célime (c'eft ainfi qu'elle s'appeloit) n'étoit pas dépourvue d'agrémens. Elle m'auroit même femblé belle , & je Teufle apparemment aimée , fi j'avois été maitre de mon cceut. Le fien , encore libre , lui échappa d'abord qu'elle me vit. Elle m'aima , & fa pa£ fion s'accrut tellement en peu de jours, qu'elle éclatoit dans toutes fes aftions. D'un autre cóté fon père , qui n'étoit pas fi riche qu'on penfoit, Sc qui auroit bien voulu ne fe pas deflaifir des trois mille roupies , fe mit dans 1'efptit que je me tiendrois fort heureux de devenir fon gendre.  B* A B D A L t A. 157 gendre. Ils m'attaquèrent l'un & 1'autre , en me comblant de louanges, & en me faifant, comme par hafard, de petites offres indirecles. Je leuc rendis des hoimêtetés générales , & j'affeétai un grand défaut de pénétration. Célime ne crue pas devoir fe gêner long-tems. Un foir je trouvai fous mon oreüler un billet de fa main, oii elle m'apprenoit, en termes peu ménagés , ce que la pudeur ne lui avoit pas permis de me dire de bouche. Je fus adez adroit pour recacheter le balier, fans y laiffèr aucune marqué que je 1'eude ouvert. On le remit inutilement au même endroit quatre jours de fuite. Une autre renrative qu'on dt immédiatemenc après celle-la, fut plus forte, & n'eut pourtanc pas plus de fuccès , paree que les empredemens trop vifs de Célime m'avoient infpiré une véritable avetfion pour elle. Charmé de n'avoir pas revu 1'odieux billet en me couchant, j'allois m'endormir, mais ma porte s'ouvrit tout a-coup , Sc j'entendis marcher dans les ténèbres autour de mon lit. Je haudai la tête, je demandai qui troubloit mon repos. Au lieu de répondre on fe jeta a mon cou & on foupira. Je me levai tout effrayé. Que je fuis malheureufe , dit-elle ; lejour je vous glacé , la nuit je vous épouvante. Ah! vous ne favez que trop que je vous aime éperdument. Qui vous empêche de répondre a ma eendrede? Tome XIII. R  i j 3 Les Aventures Quelle fureur vous tranfporte, belle Célime; lui répondis-je , pourquot fermez-vous les yeux a ce qu'exige de nous un devoir indifpenfable ? L'intérêt même de votre amour en devoir fufpendre la violence Sc vous empecher de m'en donner des preuves , qui certainemenr fonc trop fortes. Quelque extraordinaire néanmoins que foit cette démarche, votre inrenrion vous juftifie auprès de moi; vous me regardez déja comme un époux. Mais je vous conjure de faire réflexicn que fi le ciel a réfolu de nous unir , il nous défend févérement de prévenir fes ordres. Je joignis a ces remontrances des proteftations réitérées de reconnoilTance & de difcrétion. Célime fe retira mécontente de moi , & beaucoup plus mécontente d'elle-même. Elle feignit les jours fuivans une maladie , & demeura enfermée avec une vieille efclave qui avoit été fa nourrice , Sc en qui elle avoit une entière confiance. Dans eet interval'.e je repréfentai a Schamfac qu'il étoit tems que je reprifle le chemin de ma pacrie; ce qui 1'obligea de me déclarer plus ouvertement fes vues. Si je ne me trompe , dit-il , Cambaye vaut mieux que le lieu de votre nahfance. J'en convins aifément. Ma maifon, continua-t-il, eft auffi plus agréable que celle de votre-père. Affiirément, répondis-je. Et ma fille, ajouta-t-il, ne  »' A B B A L L A." mérite t-elle pas , a votre avis , d'être préférée aux filles de votre village? Cette troifième queftion me rendit muet, je changeai de couleur, Schamfac > qui irtrerprétoit mon trouble fuivant fes défirs , me demanda en riant quel étoit le choix de Thomme fage? L'homme fage , répartis-je> prend toujours ie meilleur Sc laifle le moins bon. Eh bien ! notre cher parenr, repritil, reftez donc a Cambaye , demeurez dans ma maifon & cpaufez ma fille; je vous donne avec elle tout mon bien. II y auroit eu de 1'ingraritude ï contrifter Schamfac par un refus. Mon père Sc ma mère , lui dis je , vont être enchantés du parti avantageux que vous daignez me propofer. Trouvez bon que je parte dès demain , pour leur annoncer une fi charmante nouvelle. Ils' m'accorderont leur confentement avec un p'aifir extréme; & je reviendrai ici, feigneur Schamfac, avec une pareille précipifation. Vous parlez en enfant bien né, répliqua-c-il , & vous confirmez merveilleufement la bonne opinion qUe j'avois de vous. Allez , mon fils , rendre un fi jufte devoir d vos parens , & faites en forte que nous vous revoyions inceffamment. Le foir, m'étant renté de bonne heure dans ma chambre, je me pféparai joyeufement au déparr, quoique je „e duffe pas emporfer avec moi 1'argent que j'étois venu chercher. Je me Rij  zo-o Les Aventué-bs coachai ; mais quand je fus endormi, on me révtilla, en me tirant par la mam. J'ouvris les yeux , & Ha fombre lueur d'une lampe polee fur la table , auprès d'une cadetre que je ne connodTois point , je vis la vieille nourrice adife au pied de mon lit. Que faites-vous la hu dis-je, L ne me laidez-vous dotmit ? Tu dors, mhumain, répondd elle, tandis que ma brenannee Célime veille,fouffre, fe confume. Tu la meprifes , & ton mépris la met au tombeau. tiperetu donc commettre impunément un tel ohm** Ecoute-moi, prends ta dernière réfolution ; ou tu rendtastout-a-l'heure juftice aux charmes de Célime , ou les miens te feront porter la peine de ta cruauté. Choifis. Patoidez, ma fille, ajoutat-elle , en élevant un peu fa voix. Célime entra & me caufa une grande furpnle par fon imprudence , car elle étoit prefque nue. La vieille la confidéra quelque tems avec beaucoup de complaifance , & hu dit a tant d appas ;ereconnois 1'excellence de mon lalt.Mais toi, ;outfuivit-elle,enme regardant, de quel lait Ltuéténoutri,monfttefauvage?Tuasfans doute fucé quelque béte féroce: infénfibk comme elles aux beautés humaines, il faudroit te prefenter quelque tigteffe ou quelque louve , pour t.infpiret de 1'amout. Ma mère , mterrompit leffrontée Célime, les paroles font  d' A b d a l l a". 161 flues, vainquons eet aimable ennemï, ou qu'il achève de méneer toute votre colère. En difant cela , elle accourut a moi & voulut m'embratTer. Ah ! c'en e£f trop , m'écriai-je , en la repoulïant rudement. Ah ! Mefrem, adorable Mefrem , a qui j'ai donné ma foi, que ta vertu me ravit, quand je te compate avec cette infame! Je vous ferai bientót repentir 1'une & 1'autte de votre infolence, continuai-je en me levant. Vengeonsnous , vengeons-nous, ditent en même tems les deux furies. La vieille avanca vers moi la main gauche , & prononca des mots qui eurenc la force de m'engourdir , & de me faire retomber fur mon lit, Je voyois , j'entendois , j'étois dans mon état ordinaire , excepté que je ne pouvois ni parler , ni remuer aucun de mes membres. Célime & fa nourrice m'ótèrent tout ce que j'avois fur moi. Le voila nud & immobile , dit la magicienne, qu'allons-nous faire de lui ? quelle fera notre vengeance ? Ma chère mère , répartit Célime , les inclinations de ce barbare font baffes , Mefrem qu'il anommée,eft apparemment quelque villageoife ; qu'il rampe donc , faites - en un horrible lézard. AulTi-tbt la noutrice tira de la calfette une fiole , un poincon & un long papiet oü étoit repréfenté un lézatd de la grande efpèce. Dans la fiole il y avoit de 1'huiie dont R iij  %6i Les Aventures elle me frotta les tempes, le bout du nez, le nombril & les genoax, Elle me piqua avec le poincoh , aux mêmes endroits, en prononcant des conjuratiens fecrettes, puis elle étendit fur moi le papier magique fur lequel étoit peint le lézard. La colère & la frayeur me faififlbient tout a tout je fuois a "grofies gouttes. Célime contemploit mes foumances avec une joie qui approchoit de 1'enthoufiafme. La magicienne lut je ne fais quoi dans un livre , & dt mille hideufes grimaces. A la dn , elle remit la dole » le poincon , le papier , le livre dans la cafletre qu'elle donna a Célime , & m'ayant bien recouvert, elle prit la lampe & me tint ce difcours que je n'ai pas encote oublié : Que le feu te manifefle , froid anmal, griffes , queue } \entre a terre f verdure fur le dos , tête alerte , jufqu'a ce que tu boives le fang de l'ind'gne rivale de ma fille. Elles ne furent pas plutbt forcies de ma chambre, que je m'endormis, Pès la pointe du jout je quittai cette déteftable maifon , & j'allai au port ou je me mis dans une barque chargée pour Moha Les autres paflagers remaiq nt que j'étois pa!e , dcfait 8c fort mélancolique , me dernandcrent fi j'avois été malade? Je leur dis que je letois encore, mais que j'efpérois que Ie changement d'air dit- fiperoit mon mal. Etant arrivé a Moha, je pris  D! A B B A I I Ai 163 a piecl le chemin de Patan. Environ a une lieue de mon village, je me fentis rout pénécré, tout tranfi de froid. Une fumée que j'appercus lortit de quelques broiuTailles , me confola un peu. Je tournai mes pas vers ce cóté-la , Sc je trouvai un refte de feu que des bergers , felon toutes les apparences, avoient allumé pendant la nuit. Je rétablis le feu, je me chauffai ; mais hélas \ que ce plaifir me coüta cher ! Dans 1'inftant même mes habits me quittèrent , je tombai fur les mains, toute ma fubftance fe fondit & parut s'ancantit j mes jambes Sc mes bras , réduits ptefque k rien , ne foutinrent plus que la tête Sc Je corps d'un lézard couverr d'écailles vertes Sc luifantes ; Sc m'étant retourné, je vis avec horreur une queue qui venoit de fortir de 1'extrémité de mon échine. Je voulus invoquer le prophéte & fon gendre Ali, mais je ne pus former le moindre fon. CONTINUATION DES AVENTURES d'Abdalla. Ï_/E vent qui jufqu'alors avoit été au couchant Sc au midi, devint tout-a-fait méridional Sc fi irnpécueux , que le pilote fut contraint d'interr Riv  i qui me regardoit avec une reconnoilTarice mèlée d'admiration, fut bien plüs furprife encore, lo'rfqu'au lieu de m'enfuir , cómme autoit fait tout autre lézard, j'allai droit a elle , en remuant la tête & la queue en figne de joie. En vétité , dit-elle en riant, voila un joli petit animal, il m'aime. En même tems elle fe balfla & me toucha d'abotd avec une fleur, puis avec la main: enfin devenue touta-fait hardie , elle me mit fur fon bras, & elle m'emporra en me carreflant. Je me conciliai fi bien fon amitié, en trés-peu de jours, qu'elle ne pouvoit êtte un moment fans moi. Elle me dtella dans fa chambre un petit lit très-propre , oü je paflois la nuit. Le jour elle me portoit  !>' A B D A. t L A.' 277 parrout. Quand elle voidoit briller extraordinairemenc, je devenois une dei fes parures-, & je me tenois tranquilieme.n:, plufieurs heures de fuite , èntre deux boucles de cheveux , fur le fiaut de fa t.êt,e. A table , je partageois avec elle tout ce qu'on lui fervoit de plus friand, Je faifois tant de gentilletfes, que j'étois le divertiffement de toute la maifon. Jamais lézard ne fut fi a fon aife 5 & fans le fouvenir de Mefrem Sc de ce que lui devoit coürer mon rétabliffement , mon bonheur eüt été parfait. Mais dans ce monde , les félicités ne font pas de longue durée,. Toute la familie étant un jour adïfe dans le jardin , a 1'ombre d'un grand oranger , il furvint deux hommes de connoidance a qui on fit beaucoup d'accueil. L'un étoit encore fort jeune il avoit l'air guerrier , Sc au tant que j'en pus juger , Zaïde ne lui étoit pas indifférente. L'autre étoit un Mullah , que cette qualité , fon age avancé , & une grande févérité de vifage ren-, doient fort refpeótable. D'abord quils fe furent placés; je crus qu'il étoit de mon honneur de donner quelque nouvelle preuve de mon induftrie. Je m'échappai des mams de ma maïtrefle, j.e montai fut 1'arbre , je fis tomber fur la compagnie une grande quantité de fleurs , & ayant coupé avec mes dents une petice branche qui S iij  27 8 Les Aventures pdftoit la plus belle de toutes les oranges , je defcendis chargé de ce bouquet , &c au grand éronnement des deux étrangers, je le placai dans ïè fein de Zaïde. Si c'étoit la un ferpent , dit le jeune homme , j'adiirerois hardiment que c'eft une fée ou un fage; eet animal a trop d'intelligence pour un lézard ordinaire. Comment , dit la mère de Zaïde , eft - ce que les fées font des ferpens ? Non, reprir-il, mais elles en prennent fouveht la forme ; & je ne vous citerai point d'autre témoin de cette vériré que moi-m'ême. A VEN TVRE du jeune Guerrzer. Ïl y a environ trois ans , qu'allant avec un Manfebdar de mes amis, d'Agra" a Delhi , ouétoit la cour, nous nous arrêtames a 1'entrée d'un grand bois, pour laifler pader la chaleur du jour. En nous enrretenant de ce qui fe préfentoit a notre imagination , comme' c'eft la coutume des Voyageurs , nous vimes une couleuvre d'une grandeur démefurée, & qui tmtbt s'éloignant, Sc tantót fe rapprochant d'elle-même , faifoit' & défaifoit mille entrelas qui la réjouidbit. Le Manfebdar fe; leva , Sc tïra fon fabre pour' la  D' A B D A l 1 Ai 279 couper en morceaux. Ah ! lui dis-je, en le retenant par le bras, ne commettez pas une adion fi inhumaine ; tous les férpens ne font pas également nos ennemis : celui - ci mérite d'ê.tre épargné , quand ce ne feroit que par la confiance qu'il a témoignée en fe tenant fi prés de nous. C'eft par malice, & pour nous furprendre, qu'il Pa témoignée, cette confiance, répondit le Manfebdar, en sefforcant de fe dégager de moi pour faire fon coup. Je contiuuai a le retenir , &c pendant ce tems-la le ferpent effrayé prit la fuite & fe fauva dans le bois. Notre conteftation finit auffi-tot que Pobjet qui 1 avoit fait naïtre eut difparu. Nous nous remïmes comme nous étions auparavant , & quand Pardeur du foleil nous permit de remonrer a cheval , nous reprïmes notre chemin & nous entrames dans la forêt. A peine avions-nous fait une demi-lieue , que le ciel s'obfcurcit, que d'horribles coups de tonnerre retentirenr, & qu'une pluie mélée de grêle nous menaca d'un déluge. Nous nous mïmes a Pabri dans une grotte que nous tro.xvames fort a propos. La tempête , au lieu de finir j augmenta toujours, & nous fumes contraints de nous réfoudre a paffier la nuit oü nous étions. Nous nous y accommodames donc du mieux que nous piimes , & après avoir fait notre fouper d'un petit refte de provifions que j'avois, nous nous endor- S iv  iSo Les Aventures rmmes. Au milieu de la nuit je fus thé ce mon fommeil par une dame , dont la beauté que je voyois a la lueur de deux efcatboucles qu'elle portoit a fes oreilles , me ravit , m'enchanta. Suivez-moi, me dit-elle, & ne craignez rien. Par de longs détours , elle me mena dans un palais bati de marbre précieux , ome de fculptures & de peintures exquifes, & fi richement meublé, qu'on ne pouvoit tourner les yeux nulle part, qu'on ne vit étinceler de gros diamans. Le trairement que je recus répondit parfaitement a toute cette magnificence. D'autres dames , qui avoient beaucoup de déférence pour celle qui m'avoit conduit, fe joignirent a elle pour me régaler ; & fur la fin de la nuit, elle me dit : f jeune homme , j'ai voulu vous marquer ma reconnoifiance : je fuis la couleuvre que vous délivrates hier de la morr. II eft tems que vous alliez retrouverle barbare qui voyage avec vous: fakes-lui détefter fa cruauré , en lui contant votre agréable aventure; & afin qu'il ne prenne pas votre réck pour un rêve, donnez-lui de ma part cette boke , fans 1'ouvrir. Elle me mit entre les mains une petite boke d'or, 8c elle me reconduifit jufque dans la grotce , oü je cefiai tout-acoup de la voir. Quoiqu'il commencat a faire jour , le Manfebdar dormoit encore. En attendant qu'il fe  d' A b ï> a t 1 'AÏ 'ïS*1 réveillat, je mis les chevaux en état de partir* Au bruit que je fis fon fommeil fe diflipa. Je lui rendis compte de ma nuit, & le trouvant incredu'e, comme je m'y étois attendu , je lui montrai le préfent de la fée. II prit la boite , 6c après en avoir admiré le travail , il Fouvrit , & tomba roide mort, étoufie d'une vapeur maligne qui en fortit. Epouvanté d'un accident fi écrange , & craignant pour moi-même, je fautal hors de la grotte. J'attendis adez long - tems ; J'appe'ai plufieuts fois le Manfebdar , mais en vain. Cela me fit comprendre que la fée s'étoit vengée , 6c je plaignis beaucoup mon pauvre compagnon de voyage. Je n'ofai ni remettre le pied dans la caverne, a caufe de 1'infeétion de 1'air , ni profiter du cheval, de peur qu'on ne maccusat dans la fuite d'en avoit tué le maïtre. CONCLUSION DE L'HlSTOlRE du Pilote. C^uand le jeune guerrier eut achevé de patier, toute la compagnie , excepté le vieux docteur * me regarda avec plus de plaifir qu'auparavant. La chatmante Zaïde foutint que j'étois véritablement une fée, & la plus aimable des fées.  z8i Les'Aventures Cependant , reprit fa mère en badinanr, ce joli animal n'eft ni couleuvre, ni ami des couleuvres. A ces mots le vieillard fronca les fourcils & dit : « Cela prouve clairement que c'eft quelque. magicien , ou quelque démon. Oui, c'eft un démon , je le reconnois a fa phyfionömie. If iïe vous amufe que pour vous faire tous pent qïfana fon moment fera arrivé. Prévenons le cruel deiT'in de cette créature immonde &pernicieufe; aflbmmons-la. Mère imprudente, hatezvö-is de fauver la vie a votre fille; & vous, Zaïde, ne différez pas a fortir de 1'extième danger oü vous vous êces ïï inconfidérémen't eligagée. Cet affreux difcours remplit d'horreur les affiftans. Tout Ie monde courut prendre des pierres & des batons. Le mécliant vieillard que j'eulfë volontiers dévifa_'é , te tint au pied de 1'arbre , pour m'empêcher d'y chercher un afy'e. J'allois être accablé , fi Zaïde ne m'eüt arraché a leur fureur. Je ne puis ine réfoudre , s'écria-t-elle, ai voir écrafer un animal que j'ai tant aimé. Difanc ces paroles , elle me prir, Sc précipita fes pas vers le mur du jardin. La , toute hors d'haleine , elle me dit un tendre adieu , & me jeta avec bien du regret par-delTus la muraille. Par bonbeur je tombai dans un marais qui n'étoit pas fort éloigné du grand chemin. J'employai le refte du jour Sc toute la nuit a. me  D' A B B A 1 L A. i*Jj tirer de la fange , puis je repris, avec une nouvelle vigueur, la route du lieu de ma naiffance, me nourriiTant d'herbes que je connoiflois , &£■ ne faifant que de petites journées. J'eus a combattre la malice des ferpens & l'amitié des lézardes. Les hommes me fecoururent contre les premiers , & j'avoue que je fuis redevable de la vie a 1'heureufe perfuafion oü 1'on eft communément que les lézards font amis de l'homme. A 1 egard des lézardes, j'en renconrrai plufieurs qui s'appliquèrent avec beaucoup de vivacité acaptiver mes bonnes graces , & qui me cbtoyèrent long-tems , dans 1'efpérance que je ferois a la fin touché des beautés qu'elles croyoient étaler a mes yeux. Ma vueflTe me délivra de ces importunes amantes, a mefure qu'elles fe préfentèrent. Le feptième jour depuis ïfson départ de la maifon de Zaïde j'arrivai a mon viltage. Je palTai d'abord par-deffus le mur d'un grahd ja'rdui qui appartenoit a un óncle de Mefrem , & qui étoit contigu, a fa maifoii.' A 1'extrémité par oü j'enrrai, il y avoit un. petit bois enttecoupé de plufieurs allées trés— agrcables. Je réfolus d'y attendre la nuit., tant pour me remettre de mes travaux , que pour délibérer fur ce que ie devois faire. Un peuavant que les ténèbres commencalTent a 1^ répandre , j'apper^us un jeune homme qui, ayant  , Les Aventures grirapé fur la muraille , fauta dans le jardin , & vint fe cacher entre un gros arbre & un buidon fort épais fous lequel j'étois. II avoit 1'efptir violemment agité , & a fes contotfions , je jugeai qu il méditoit quelque entreptife extraordinaire. II fe frappoit le front, il fe mordoit le doigt, il palidbit de colère , puis je le voyois fourire, & un peu après il foupiroit, en prononcant des demi-paroles auxquelles je ne comprenois rien. Une voix mélodieufe qui frappa nos oreilles , 1 obligea de fe cacher encore avec plus de foin. La perfonne qui chantoit , s'avancoit toujouts de phis en plus vers moi. Je la reconnus , dès qu'elle fut a portée de ma vue; c'étoit Zaphie, coufine de Mefrem, Sc après elle , la plus belle fille du village. Elle fe promena afles long-tems dans 1'allée ou nous étions , fe croyant fans doute foit en süreté. Mais quelle fut fon épouvante, lorfqu'au moment qu'elle y fongeoit le moins , le jeune homme parut devant elle les bras ouverts! L'ayant contrainte de s'afleoir auprès de lui: » Le ciel favorife enfin mes défirs , belle Zaphie , lui ditil , je ferois un ingrat Sc un infenfé, fi je ne profitois d'une occafion que j'ai jufqu'a préfent fi vainement recherchée. Zaphie tremblante , éperdue , voulut crier; mais le jeune homme tiranfun poignard, lui dit: » Barbare, ta crainte  d' Abdalla igj' va me rendre inhumain a mon tour : 1'amour & la vengeance pattagent mon cceur & s'oftrent a toi dans eet inftant, choifis. Cachez ce fer criminel, répondit Zaphie, & calmez des tranfports dont la contrariété doit vous déchirer. Depuis quand la eendrede emprunce-t-elle le fecours de la fureur ? Vous vous ttompez , au rede, d vous penfez m'intimider. Je ne crains point la mort, quand il s'agit de conferver un bien plus précieux que la vie. Et combien de fois mourrois-je tous les jours , fi j'étois aujourd'hui aflez lache pour me rendre i 1'infame padion qui vous aveugle ? Effacez votre témérité par un prompt repenrir , Sc fi vous défirez d'être aimé, foyez aimable : vous me le paroiffiez avant eer honteux attentat. Eh ! commenc eet aveu , que vous méritez fi peu , mechappet-il ? Ede fit un grand effort pour fe dé^a^er en dilant ces derniers mots , qui, felon elle , devoient avoir défarmé fon amant. Mais celuici , obftiné plus qu'auparavant, la retint Sc lui dit: que m'impotte que tu m'aimes , ou que tu ne m'aimes pas ? II faudroit être bien fimplq pour s'amufer i démêler les fentimens d'une femme.Ne fonges qua fauver taréputation. Si tu m'accordes de bonne grace ce que je fouhaite, fois sure de mon filence : mais fi je 1'emporte , je me vanterai partout de ma viétoire. II fit en  i.%6 Les Aventures même tems agir des mains hardies. Celles de la belle ne furent pas oifives ; elle m'étonna par fon adretTe, fa force Sc fa prefence d'efpnt. Je ne pus néanmoins foutfrir long tems eet indigne combat. Je défirai tout le venin des afpics Sc des vipères; j'en avois déja la colère & la rage. Je fortis de mon buiffon , je me jetai au vifage du brutal , je lui déchirai avec mes griffes & mes dents aigucs, le nez Sc les joues, Sc je lui donnai dans les yeux mille coups de queue. La douleur Sc 1'efTroi le contraignirent bienrbc de porter fes mains fur moi, Sc de lacher Zaphie qui prir la fuite. Ne pouvant m'arracher fans augmenter horriblement fon fupplice, il fe veautra par tette comme un défefpéré, en s'efforcant de m ecrafer: mais je ne ceffd de venger Zaphie, jufqu'a ce qu'elle fut tout-a-fait hors de danger. Alors j'abandonnai le coupable a fes remords, Sc je regagnai promptement ma petite retraite. II ne fut pas moins prompt, de fon cóté , a repaffer le mur. Je demeurai deux jours,entiers fans pouvoir me remuer , tant j'avois fouffert. L'aimable coufine de Mefrem ent auffi befoin de tout ce tems-la pour fe rétablir , & mon bonheur voulut que ma maitteffe vint lui reuk compagnie avec quelques autres amies. Elles fe renclitent toutes , le troifième jour, fur le champ de bataille, & j'eus le fenfible plaifir de revoir  t)' A B D A L L A. 2S7 ce que j'aimois le plus au monde. Zaphie raconta fon aventure , & paria de ce que j'avois faic commed'un vrai miracle. J'appris, par fon récit, que fon aggrelTeur avoit quitté le pays. Comme Mefrem paroitToir rêveufe, fes compagnes s'attachèrent a la ranimer par de petites railleries enjouées. Ma coufine , lui dit Zaphie , déclareznous fincèrement ce que vous auriez fair 15 vous eufiiez été en ma place ? J'aurois fait tout comme vous , répondit Mefrem. O ui, mais reprit Zaphie , auriez-vous fait comme moi , fi 1'amant dont la longue abfence vous akrme , eüt été a la place de mon perfécuteur ? Vous êtes fi malicieufe , répliqua Mefrem , que je ne répondrai point a votre queftion. C'eft y répondre très-clairement que de fe taire , continua Zaphie. Les autres feignirent de juftifier 1'embarras de Mefrem , & elles y donnèrent des interprétations qui ne fetvirent pas peu a 1'augmenter. Tous ces dilcours, quoique plaifans en eux-mêmes, firent fur elle une telle impreflion , qu'après que la compagnie fut rentrée dans la maifon , je la vis revenir feule, fort trifte. Je ne répéterai ici ni les plaintes douloureufes qu'elle fit en me parlant comme fi elle m'avoit cru préfent, ni les vifs reproches dont elle me chargea. J'en fus fi touché, fi attendri, que fortant du buidon fans favoir ce que j'allois faire , je courus d elle ,  2.88 Les Aventures comme fi j'avois été capable , ou de me difculper, ou de lui demander pardon. Mefrem me vit avec tant de frayeur, un fi grand trouble la faifit, que voulant s'enfuir au travers des arbres, elle donna de la tête contre une branche & tomba évanouie > le vifage & la gorge couverts de fang. Ce malheur imprévu me pénétra d'une douleur mortelle. Ne pouvant faire autre chofe, je me mis a lécher ce fang qui m'étoit fi cher , & a 1'inftant mon corps reprit fa figute naturelle. Je fus ie premier objec que vit Mefrem en revenant a elle. Au commencement elle s'imagina que j'étois un fpeétre; mais m'étant pleinement fait connoïtre de derrière un arbre ou je ïn'étois retiré pour lui parler avec plus de bienféance, je diffipai fa terreur & je la comblai de joie. Elle alla avec précipitation me chercher un des habits du frère de Zaphie , & elle me 1'apporta. Nous convinmes d'un rendez-vous pour nous entretenir le jour même plus a. loifir, & nous nous féparames. Sorti du jardin , fans avoir été appeicu de perfonne , j'entrai dans le village , comme fi je ne faifois que d'arriver : je rendis compte a mon père & a ma mère du dedein de Schamfac, & de 1'averfion que j'avois a époufer Célime. lis approuvèrent ma répugnance , & peu de jours après j'eus le bonheur de recevoir de leurs mams la fidéle Mefrem. Suite  b' A b d a i i a: i8j suite des Aventures d'Abdaüa. N öüs allions fi a fouhait , qu'il fembloic qu'une puiifance fecrétfcè nous conduisïr. Nous découviimés, dès le troifième jour, le cap de Franoïa, qui s'avance beaucoup dans la mer, a. lorient dè Gilolo. Nous le doublames le lendemain , mais fans nous approcher, paree que les mariniers affuroienr qu'il éroit bordé , a fleur d'eau , de rochers tranchans & tres - dangereux. Quoique le refte de la cötè fut fort uni, nous ne voulümes toucher nulle part, & nous continuames notre navigation jufqu'au porr de Coheb , oü nous apprimes que le roi Batoche vivoit encore. Le cceur de Zeineb fut rempli de joie a cette nouvelle. Seigneur Abdalla , me dit-elle, ne difterons pas d'aller confoler 1'affligé Batoche qui croit m'avoir perdue. Mais par un redoublement de furprife , rendons plus vif le plaifir que nous lui préparons. Je vais reprendre mes habits d'homme j mon efclave fe revêrira aufli du fiert. Le petit projet de la princefle me parut bien imaginé , j'y applaudis : & tandis qu'elle fe traveftifloit, je fis tirer du magafin des draps d'or, lome xiii. T  i9o Les Aventur.es de 1'écarlate 8c des mouffelines en aflez grande quanticé , dans le deiTein d'en faire préfent an roi. On en compofa trois ballots que la chaloupe porta a tette avec deux hommes d'efcorte. La chaloupe étant revenue , j'y entrai avec la princefle , 1'Iman, la femme de Zeineb & quatre de nos gens. En quittant le vaifTeau , je priai les Arabes de veiller a tout, 8c de ne permettte d perfonne de defcendre jufqu'a mon retour. Quand nous fümes dans 1'ile , notre premier foin fut de nous pourvoir de montures, & de tout ce qui pouvoit contribuer a faciliter notre voyage. La première joumée nous fatigua, paree qu'il fallut traverfer de grandes plaines fablonneufes. Le jour fuivant nous entrames dans la vafte forèt de Sagons , au milieu de laquelle.eft fituée la capitale qui tire fon nom de ces arbres. Alors la fermeté du tetrein , la fraicheur , la verdure , le chant des oifeaux , les fauts des finges, nous firent ptefque oublier que ce n'étoit pas pour le feul plaifir que nous voyagions. Nous comptions rendre nos pavillons dans un endroit que Zeineb nous avoit dépeint comme le plus délicieux de la fotèt , 8c oü venoient aboutir tous les chemins des divers ports du royaume. Mais nos gens que j'avois envoyés devant avec les équipages , y trouvèrent un magnifique car3.vanferail, 8c reyinrent ftjr leurs pas nous 1'an-  p' A B b A L L Ai ijl hÖricër. J'aurai donc , dit la princefle , la con-* folation de pafler le refte du jour 8c la nuit chez le roi mon père ; car fans doute ce batiment eft i'oüvrage de fa dévoriou. En entrant dans la cour de ce grand édifice ,' nous vimes un corps de logis plus fomptueufement bati que tout ce qui 1'environnoir. II en fortit un derviche fuivi de douze efclaves. Je ne crois pas qu'il y eut alors au monde un plus beau vieillard que ce derviche. Nous avions tcus mis pied i terre quand il nous aborda. Je portai la parole pour notre petite caravane. Sa réponfe noble 8c pleine d'humanité nous charma, quoiqu'il eut quelque peine a s'expliquer en arabe. Ses efclaves emmenèrent les nótres, 8c nos montures , aux lieux qui leur étoient deftinés, & le derviche lui-même nous introduifit dans un fuperbe falon , oü il fit fervir une colladon trèsabondante. La converfation fut agréable 8c variée ; Ie derviche étoit de fort bonne humeur j & de notre cbté nous n'avions 1'efpric troublé d'aucun nuage de rrifteffe. Notre hóte avoit fouvent les yeux attachés fur Zeineb, il lui adreffbit volontiers le difcours. II auroit déconcerté route autre : mais elle jouoit a merveille le perfonnage d'homme , & débitoit d'un air aifé de petites aventures fort différentes des fiennes. Comme en apportoit les parfums pour terminer la col- tij  191 LES AvENTtTRBJ lation, le derviche lui préfenta une coupe plein© de vin de Sagon , en lui parlant en langue giloloife. Zeineb feignit de ne pas entendre , & le remercia en arabe, ce qui fit fourire le derviche. Nous ne favions que penfer de lui. Seigneur , me dit-il, aptès qu'on eut deflervi',' j'ai donné ordre qu'on préparat le bain , pout achever de vous délaiTer : nous y entrerons tous enfemble , & vous me permettrez de vous lavet tous , de vous rafer & de vous oindre moimème. Si vous m'accordez cette gtace , vous m'aiderez a gagnet le ciel; c'eft la feule marqué de reconnoidance que j'attends de vous. En parlant , il patoifioit étudier le vifage de Zeineb, qui fe ttouva fi embaiiadee, qu'elle changea plufieurs fois de couleur. Ses regards implotoient mon fecouts. O faint homme , répondis-je au derviche, que le fouverain proteófceur des pélerins, & de ceux qui pour lui plaire les recoivent avec bonté, récompenfe votre vertu. Nous ne fouffrirons pas que vous vous abaidiez jufqu'a nous fervir dans le bain. Nous fommes accoutumés a nous purifier feuls, ou aidés de nos propres efclaves , en faifant les ptières & les invocations ordinaires. Pour moi , ajouta le vieil Iman , on ne me rafe jamais que la tête , & jamais je ne me baigne que quand je fuis malade. A préfent, graces au  j' A b D A l I a! 29J ciel, je me porte bien. Ah! reprit le detviche , avec émotion , vous êtes trop raifonnables pour me contrifter •, vous ne pouvez d'ailleurs rejerer fans ingratitude une prière auffi jufte que la mienne. Je fuis fort affuré , pourfuivit - il en montrant la princefle , que ce jeune feigneur condamneroit un refus fi dur. Ces mains que je léve continuellement vers le ciel font fancfiriées, 8c je vous réponds qu'elles ne font pas moins adroites qu'elles font putes. Zeineb qui ne voyoit nul moyende fortir d'intrigue, fe mit en colère, & dit brufquement qu'elle vouloit s'en aller. Je commencois a craindre quelques mauvais traitemens de la part du Derviche. Mais ce qui m'étonna extrèmement , il fit tout a coup de grands éclats de rire , 8c après avoir effuyé les Jarmes de joie qui couloient de fes yeux , feigneur , me dir-il, je ne ferai que ce qu'il vous plaira. L'ange qui tient le régiftre des ceuvres méritoires , écrira ma bonne intention , & je ferai récompenfé au jour du jugemenr, comme fi je vous avois lavés , rafés & parfumés. En achevant ces mots , il fortit avec une gaieté qui nous tranquillifa. Beni foit dieu , dit Zeineb , de ce que ce bon vieillard ne s'eft pas obfliné davantage ; il m'a mis en grand danger d'abandonner mon löle. Qui a jamais vu exercer l'hüfpitalité a de Tiij  194 Les A v e ntuk.es telles conditions ? Nous ne pouvions pourtant, répondis-je a la princefle , nous défendre de fon zèle par de bonnes raifons ; & notre réfiftance. devoit le choquer. 11 n'a pas laifle d'en bien rire, dit 1'lman, Sc les ris m'ont femblé aufli hifarres, que la récompenfe qu'il exigeoit de nous , m'avoit paru fingulière. Nous nous amufions a de femblables rérlexions, lorfque deux hommes d'un port majeftueux , vêtus & armés avec la dernière magnificence, entrèrent dans le falon. Nous nous levames pour les recevoir. Dans la perfonne du premier je crus reconnoitre notre derviche : Zeineb atrêta fixement fa vue fur lui Sc s'écria : Ah fage Afis ! Mais ayant envifagé celui qui 1'accompagnoit, elle fit une acclamation bien plus éclatante & tomba a la renverfe fur fon fopha. Aulfi étonné qu'elle, il fe laifla aller fur le vieillard & lui dit: fage Afis , pourquoi m'avez-vous trompé ? Eft-ce ma chère Zeineb que je revois ? N'en doutez pas, feigneur , répondit le vieillard 3 reprenez vos efprirs, Sc tirez Zeineb de 1'extafe que votre vue lui a caufée. Pleinement raffiiré par ce difcours d'Afis, il fit quelques pas vets le fopha. La ptincefle fe remit dans le moment , courut 1'embrafler en pleurant de joie , & lui dit : 1'ombre même du roi de Soucad mérite tjOUte ma tendrefle. Ce n'eft pas une ombre que vous fffl^  X>' A B D A L L A. 295 braffez , aimable Zeineb , c'eft un époux qui vous adore toujours , tépondit ce ptince , en la ferrant entre fes bras. Un fpeótacle fi attendriffant fit naïtre en nous des tranfports prefque pareils a ceux que nous voyons. Dès qu'ils furent un peu paffes, nous reprimes nos places , & le vieillard commenca la converfation. Ce n'eft pas a mon ait , dit-il , en regardant la reine de Soucad , ce n'eft pas a mon art que je dois le bonheur de vous avoir retrouvée , c'eft a vos propres traits , profondément gravés dans rna mémoire. Malgré votre déguifement, d'abord que je vous ai vue , je vous ai foupconnée d'être ce que vous êtes en effet. Le fon de votre voix m'a confirmé dans cette idée. Je n'ai prefque plus douté lorfque je vous ai parlé gilolois. Vos yeux & votre vifage n'étoient pas d'une perfonne qui ne m'auroient pas entendu ; quoiqu'enfuite vous ayez fort habilement fait femblant de n'avoir rien compris a mon difcours. Enfin vous avez achevé de me convaincre par la répugnance extreme que vous avez témoignée lorfque je vous ai propofe le bain, & je n'ai pas héfité d'aller chercher le Roi , fans néanmoins lui faire connoïtre 1'objet qui 1'attendoit. Et peu s'en eft fallu , interrompir agréablement le roi , que cette réferve ne m'aic caufé la mort. Qn ne meurt pas de joie, reprit Zeineb, T iv  Les Aventures puifque je refpire encore. Mais prince , quelle étoile bienfaifante vous a ici conduit fi apropos? Suite de L'histqire du Roi Léopard & de La Reine Zeineb. T J-L y a déja quelque tems que j'y demeure , repartit le roi de Soucad Au milieu des feux & des maiTacres de cette funefte nuit qui nous fépara , le fnge Afis que vous voyez , me fauva la libeité & la vie. Rendu invifib'e par fon art, je vis égorger le capitaine de m^s gardes qui dormoit dans ma chambre , & qu'on prir pour moi. Nous courumes , ou plutót nous volames a votre appartement, belle Zeineb , dans le deflein de vous dérober a la barbarie des parricides ; mais nous ne vous trouvames point, & le fage jugea que vous aviez vous-même heureufement prévenu leur fureur. Nous fornmc-s par la même iflue qui avoit fervi a votre évafion ; nous pafisames la rivière dans une barque que nous déta* chames a la hate, & Ahs me fit entrer dans un tombeaii. Attendez moi ici, me dit il, fur-touE ne vous montrez pas : invifible pour les autres, vous ne le feriez nullement pour le magicien ' notre ennemi. je me tins dans le fouterrein le  d' A b d a l l Al X97 refte de la nuit & le jour fuivant , fur la fin duquel Afis me rej*oignit, habillé en derviche , & portant fous le bras un habic femblable an fien. II n'étoit accompagné que d'un efclave qui étoit chargé d'un bifiac de cuir. Je m'habillai en derviche : le bifiac me fournit quelques rafraichiflemens qui me redonnèrent ma vigueur ordinaire. Nous fuivimes a pied le cours de la rivière. Piufieurs perfonnes nous dirent qu'on avoit vu defcendre une barque avec deux femmes 8c un homme qui ne paroilfoit point être bateliet de profefiion. Nous conjedurames que c'étoit vous , 8c je me flattai de vous retrouver a Bendarmaflin ; mais routes les recherches que nous pumes faire en cette ville-la, furent inutiles. Le fage Afis , voyant que je m'en affligeois immodérément, me dit : il y a long-tems que je crains les revers de la fortune, 8c que pour m'y oppcfer , je me fuis fait un tréfor portatif. Je 1'ai été prendre , tandis que vous attendiez dans le tombeau. J'ai des pierreries qui valent des fommes immenfes ; employons-les, feigneur, a. coiuir toutes ces mers , peut-être y rencontrerons-nous celle dont 1'abfence vous accable. Ce confeil fut pour moi une efpèce de confolation; nous 1'exécutames , & neus armames aux dépens d'Afis un brigantin. Je vous cherchai dans ïeus les ports de 1'ile 8c de la terre ferme : rebuté  198 Les Aventur.es a la fin de tant de vaines fatigues, je retombai dans une profonde triftede dont le fage me délivra encore par un nouveau confeil. Zeineb, me dtr-il, contrainte de fe fauver de Bomeo, n'avoit au monde nul autre afyle que la cour de fon père. II y a donc bien de 1'apparence qu'elle s'y eft retirée, ou qu'elle s'y retirera dans Ia fuite : allons la trouver ou 1'attendre dans fa patne. Nous_ tournames fans délai la proue du cóté de Gilolo , & après une heureufe naviganon, nous defcendïmes au port de Coheb , ou nous nous défimes du brigantin a peu de perte, ne retenant avec nous que quatre hommes fidèles qui nous fuivirent a Sagonofaé. La nous apprimes que le roi Batoche pleuroit toujours la mort de la plus jeune de fes filles, & qu'il avoit marié a des rois voifins toutes les autres. Nous fümes témoins nous-mêmes de la défolation & de la folitude qui régnoient dans fa cour. Je n'eus garde de me faire connoitre, j'aurois imprudemment aigri fa douleur. Nous lui rendimes pourtant nos devoirs, & nous eumes avec lui plufieurs fonverfations conformes .1 notre étar de derviches. Un jour Afis lui dit, fire , la félicité des enfans d'Adam confifte a plaire a dieu ; ils ne plaifent a dieu qu'autant qu'ils font unis par lacharité, & cette divine unie. • foppd* une patfaite égalité. Les hommes ont «4 égalés  ©' A B D A 1 L A. 199 les uns aux autres par le créateur qui a répandu fur eux les mèmes biens & les mêmes maux ; mais ils ne fe font confervés que trés - peu de rems dans cette heureufe fttuation. Les dons du ctéateut étant communs entr'eux , ils ont ceffe de les eftimer , fe font fait de faux biens qui les diftinguaiTent; & au lieu de demeurer unis, ils fe font uniquement occupés a fe féparer, Parmi ces faux biens les rhhelfos ont été les plus rechetchées & ont auffi caulé les plus grands défordres. Elles font la fource empoifonnée des plus horribles inégalitésqui défigurent 1'univers. On les regarde comme le prix de tous les autres biens, qui pour cette raifon n'abondent que chez les gens riches. Si elles étoient égaJement partagées, on verroit renaitre I'harmonie; mais comment perfuader a ceux qui les polTèdent de s'en deflaifir ? Le premier etfet des richeffes eft 1'infenfibiüté. C'eft donc cette infenfibilité , fne , que doivent combattte les vtais fages qui s'intéreiTent a ramener 1'ordre , a rétablir les proportions , a ferrer les nceuds de l'amitié naturelle , & a rendre les hommes agréables au très-haur. Pour y réuffir , ils joignent, autant qu'ils le peuvent, 1'exemple aux paroles , & en diftribuant libéralement leurs ttéfors aux autres hommes, ils leur apprennent que c'eft la le feul ufage légitime qu'on puhfe faire des richeiTes.  $oo Les Aventures Je-voudrois , lui répondit le roi Batoche, qué tous les derviches te reiTemblalTent , & qu'ils fulfent tous fort riches. Sire , répartit le fage , ne jugez pas de l'homme avant de voir fes ceuvres. Je vous fupplie de m'accorder la permiflïon de faire batir un caravanferail fur le chemin de la mer , d'y recevoir a mes dépens tous les voyageurs. Le roi fut fort furpris d'une telle propofition ; mais comme il ne rifquoit rien a 1'accepter, il l'agréa, en ajoutant toutefois , que quand la bourfe du derviche feroit vide, il efpéroit bien qu'on auroit recours a celle du roi. Nous convertimes en argent une grande partie des pierreries d'Afis , & nous élevames en peu de rems les édifices que vous voyez. C'étoit un filet, charmante Zeineb, que nous tendions au milieu de cette forêt, dans 1'efpérance de vous y prendre quelque jour. On ne le pouvoit mieux placer : fi vous aviez a revenir dans Gilolo , la mer feule devoit vous y ramener , & tous les chemins de la mer a votre capitale fe terminent ici. Vous êtes vraiment un habile chafleur , dit Zeineb , en embraiTant fon époux avec un tendte ttanfport; il eft bien jufte que je vous raconte par quelles routes la proie que vous attendiez eft venu donner dans vos piéges. Je n'ai pas moins d'obligation au généreux Abdalla, que  »' A ! » A t I A." JOI vous en avez au fage Afis. A ces mors, le roi de Soucad jeta fur moi des regards oü la reconnoifiance étoit vivement peinte, & me caufa une agréable confufion par les termes obligeans dont il fe fervir pour me remercier. Le récit de la reine augmenta encore la bienveillance de ce prince a mon égard, & je dirai a fa gloire que jufqu'a préfent cette bienveillance ne s'eft pas démentie. Avant le fouper, nous primes le bain & nous y rimes beaucoup , en nous reflouvenant du ftratagême d'Afis ; nous nous hatames, lui 8c moi, de laifler les heureux époux en liberté. Zeineb avoit alTurément lieu d'être conrente , 1'éloignement de fes fceurs mettoit le comble a fon bonheur. Le fage Afis me conduifit a la chambre oü je devois palier la nuit ; 8c après m'avoir donné toutes les marqués d'une amitié fort grande , quoiqu'elle ne fit que naitre , il me dit que le jour fuivant le toi Batoche pourroit bien venir diner au Caravanferail. Le hafard , repartis je , nous favoriferoit-il jufqu'au point d'amener ici ce prince , jultement dans la conjonóture oü nous nous trouvons ? Au mot de hafard , Afis fit un petit branlement de tête en fouriaut, 8c il me quitta fans s'expliquer. Ce qu'il m'avoit prédir arriva le lendemain. Six coureurs yinrent avettir le fage qui avoit  $oi Les Aventur.es repris fon habit de Derviche , que le roi fetoié dans deux heures au Caravanferail. Nous nous aiTemblam.es & nous tinmes une efpèce de cohfeil ou , pendanr qu'on dreiToit un trbne pour le père de Zeineb , nous convinmes de la manière donc nous paroicrions devant lui. Son cortège n'étoit ce jour-la compofé que de cent gardes fans bras , 8c de cent gardes fans jambes. Les premiers marchoient a pied : on ne leur voyoit point de bras , paree que , fuivant 1'ancienne difcipline de ce royaume-la , il les tenoient cachés dans de longues manches qui pendoient jufqu'a terre. Ils étoient armés de deux longues j.ivelines qu'ils portoient fur le dos , dans un étui de chagrin , d'oü elles s'élevoient adlz haut au-dedus de leurs têtes. L^s gardes fans jambes étoient a cheval , aflis dans des paniers brbdés qui leur tenoient lieu de felles , & qui les cou"vroient jufqu'au nombril. Ils avoient pour armes 1'arc , le fabre 8c de belles rondaches couvertes de cuir peint de diverfes couleurs. Ces derniers environnoient le roi qui, monté 8c armé a peu prés comme eux , ne fe didinguoit que par fon air plein de majêflé. II nous trouva prodernés , lorfqu'il entra dans le falon ; & nous ne nous relevames qu'après qu'il fe fut adis fur le tröne, & qu'il nous 1'eut commandé trois fois de fuire. Ce vénérable vieillard nous envifagea tous avec  Ü' A B D A t L A. JOJ ttne ttès-grande atcention , puis il dit au fage Afis : O derviche ! on m'a promis cette nuit que je vetrois ici des chofes merveilleufes aujourd'hui. Je ne te dirai point qui m'a fait cette promeffe , car je'n'en fais rien; mais une voix favorable m'a dit très-diftinótement : Roi Batoche , préfère demain le nouveau caravanferail a. ton palais : tes yeux Ji accoutumés aux pleurs , y auronc un fpeclacle qui fera renaüre ton ancienne alle'grejfe. Roi Batoche , ton ^è/e pour la juftice fera bientót récompenfé. Detviche , continua ce prince, crois-tu que ces paroles ayent leur accompliflement ? Y vois - tu quelque apparence de vérité ? Afis , qui les avoit lui - même été prononcer a fon oreille , lui répondic : fire , il ne faut fe défaire que le plus tard que 1'oa peut d'une efpérance qui datte : donnés une preuve éclatante du zèle dont on vous a parié, en voici 1'occafion. Aufli-töt je m'avancai jufqu'auprès du tröne, & ayant déployé mes préfens , j'adreflai ainfi la parole au roi : Sire , quoique je ne fois pas né yotre fujec , j'ai recours a vous , paree que je fais que vous aimez la juftice & que , toutes les des redoutent votre courage & la valeur de vos. foldats. Une fille aimoit fi rendrement fon père qu'elle s'expofa a la morr pour lui. Dieu la con-. ferva ; mais afin d'exercer fa vertu, il la livra  304 Les Avektüres l une longue fuite de fouffrances : après qtidï il lui donna un époux fort fiche , Sc d'une naif» fance pareille a la fienne. lis vécurent heureux pendant quelque tems, Sc ils jouitoient eueore de cette félicité , fi la cruauté d'un ufurpiteuf ne les en avoit privés. Ce fcélérat, pout s'ernparer de leurs biens , a tenté de les faire pétit par le fer & par le feu ; ils n'ont évité la mort que par une fuite qui tient du miracle. Si vous n'avez pitié d'eux, fire , fi votre zèle ne s'embrafe , s'il n'extermine leur perfécuteur , ils ne cetTeront jamais d'être malheureux i Sc ce qui doit le plus vous aiiimer a la vengeance, c'eft que eet ennemi batbafe eft le propte frère de 1'époux. Armez-vous donc contre le perfide , &C daignez me faire connoitre , en acceptant ces préfens , que ma prière ne vous a pas été défagréable* Le roi Batoche , nonobftant fon grand age ; avoit les paffions fort vives. Le commencement de mon difcours 1'avoit extrêmement attendti^ la fin le remplit d'une jufte indignation. Qui que tu fois, me dit-il, je recois tes dons & je loue ta confiance. Mais, fans le favoir, tu m'as replongé dans une amertume que rien n'a pu adoucir jufqu'a ce jour. Ah Zeineb! fille tendrement chérie d'un père infottuné, tu t'es volonf.airement livré pour moi a Favidité d'un monftre. S'il  D* A B D A L L A, jo5 S'il t'a épargnée , quel eft a préfent ton fort J 1 eut-être qu'auffi malheureufe que celle donc on v.enr de me dépeindre le délaftre, ru es cievenue comme elle la vicW de Imconftance ou de lambition de quelque trakre. Ah Zeineb ■ ie m maagmerai re venger, en vengeanr cetre gé«creufe fille, fidigne de route ma compJon, Etranger, ou eft-elle?oü eft fon époux! qui eft fon perfecuteur ? en quelle contrée s'eft commiie une li horrible injuftice. Suivant notre projec du matin , j'avois une aflez longue reponfe a faire a ces interrogations qne nous avtons bien prévues; mais la reine ne Fn feconteni, Comme j'ouvrois la bouche fes larmes &fon cceur la forcèrent de ni W rompre. EHe jera fon turban , & courut route echeveleeembrafferlesgenouxdefonpère en dtfant: c'eft pour Zeineb que vous vous inrérefiez vota Zeineb. Le vieux roi, comme ravi hors de Wmcmclaconfidéra pendant quelque^ momens , Puis pleurant de tendreffe il secna: Ahma fille! ah ma chère Zeineb ' ie mourrat content. IIfermt, après cela, fansaucu„ mouvement, levifagecolléfur celui de fa filleft- nous cratgnïmes que 1'excès de fa joie ne i'eü'c futexpirer -mais elle ne lui caufa qu'une dé^Hance qul fut auffi courte qu'elle étoit douce. Nous nous etmns tous approchés du tróne. Zeineb lome XIII, XT  jo(J Les Aventures prit par la main fon mari, Sc le préfentant a fon père '. Sire , lui dit-elle , vous voyez le roi de Soucad Sc mon époux. Nos états font la proie de fon indigne frère, qui ne nous a laiiTé la vie que paree qu'il n'a pu nous 1 otet: il règne, il rriomphe, tandis qu'errans , fugitifs , a peine nous eft-il permis de jouir de 1'air Sc de la lumière. Alors le magnanime vieillard fe leva de fon trone pour embralfer le roi de Soucad; & paftant foudainement de la tendrefle a la colère : je jure , dit-il, par les quatre anges qui préfident a la punition des coupables , que je titetai une vengeance folennelle du crime de 1'ufurpateur. J ar* merai , s'il le faut, tous mes fujets; je couvrirai la mer de vaiiTeaux, Sc je ferai de Borneo le théacre de la plus fanglante des tragédies. Mais racontez moi, ajoutr-t-il dun ton plus modéré, racontez-moi tout ce qui vous eft arrivé depuis que vous m'avez quitté : fire , répondit la belle reine de Soucad , le roi vorre gendre commencera , fi vous le trouvez bon , le récit que vous fouhaitez entendre. C'eft lui qui, fous la figure d'un léopard, fut contrainr de paroitte menacer vos jours au palais du déferr. Vous me reverrez dans un inftant. Elle fortit pour s'habiller , Sc elle rentra un peu après fi charmante que ce n'étoit prefque plus elle-mème. Mufulmans, a qui il lied fi bien de juger des graces, ne décidez  d' A b d a r. l a. ?07 jamais de celles d'une jeune beauté , tandis qu'eüe eft troublée ou inquièce ; attendez que la paix & la joie ayent recommencé a régner dans fon cceur. Mille appas effacés, mille agrémens qui vous étoient inconnus, reparoïtront alors , & vous vous applaudirez davoir fagement fufpendu votre jugement. D'abord que le roi de Soucad eut atteint 1'endroir de fon hiftoire ou Zeineb commencoir d y avoir part, elle prit la parole & fatisfit pleinement la curiofité du roi Batoche. II nous combla d'honneur , Afis & moi. Ce fage mit en liberté l'efclave fidéle qui 1'avou fuivi dans fes courfes , & lui confia 1'adminiftration du caravanferail. J'avoue que j'avois foupconné d'exagération le monarque Gilolois dans fes difcours ,°& qUe je ne le croyois pas afiez puiiTant pour chatier avec tant d eciat, le beau frère de Zeineb 5 mais je me détrömpai dans le fcjour que je fis d fa cour. Sagonofaé eft une ville peuplée & opulente. J'appris qu'il y avoit dans le royaume plufieurs autres villes confidérables , que le roi pouvoit metre fur pied une armee de cinquance m.lle hommes , également propres d combatrre fftf mer & fur terre 5 ik qu'il avoit a.Tez de vaiffeaux pour tranfpèrre'r, i fon gré, les deux ners de fes troupes. Le retour de Zeineb fut célébré V:ij  3o8 Les Aventures par toutes fortes de réjouiffances. Tous les rois infulaires felicitèrent Batoche par des ambalTades magnifiques. Ses gendres, aceompagnés de leurs époufes , fe rendirent eux-mêmes a fa cour , & hatèrent les préparatifs de la guerre de Borneo, dans la vue d'éloigner Zeineb , en la remettant fur le trbne de Soucad. Leurs intrigues commencoient a inquiéter cette reine lorfque je partis. Ce fut ce qui 1'empêcha de me reconduire jufqu'a la mer avec le roi fon époux, & le bon Iman , qui ne voulurent jamais me quitter qu'ds ne m'eudent vu remonter dans mon vaideau. Je leur confirmai une piomede que j'avois faite au roi Batoche & a fa fille , de revenir a Sagonofaé, fi les deftins me le permettoient. Suite des Aventures d'Abdalla. Les Arabes , & tout 1'équipage, me revirent avec des tranfports de joie. Le pilote me demanda en riant , fi j'avois réfolu de n'aborder de dix ans nulle part ? Pourquoi donc , lui disje , me fais-tu cette queftion ? C'eft que depuis huit jouts , me répondit-il, vous n'avez cedé d'envoyer des vivres au vaideau ; nous en avons  D' A B D A L L A. j09 «op. Je n'y ai rien envbyé, répliquai-je , 1'abondance donc cu parles eft fans douce un efFec de iadroite reconnoifTance de Zeineb. Cela écoic vrax. Je fis fans délai diftribuer aux pauvres du porc une bonne parcie de nos vieilles provifions, & nous cinglames gaimenc vers 1'orienc. Comme je n'avois pu rien découvrir rouchanc üonco , m dans 1'ile des Ghiavambars , ni dans celle de G1I0I0 , oü j'avois interrogé une infinicé de gens qm avoient erré toute leur vie, je réiolus de ne m'arrêter en aucun endroit que je «e fofle fort au-dela des hornes des navigations ordinaire». Dans les commencemens nous découvrions prefque tous les jours des iles : mais nous n'eümes plus enfuite que le ciel & l'eau pourobjets; & cette ennuyeufe uniformicé nous fangua pendant trois mois entiers. Nous défirames tres-ardemment de revoir bientót Ia nourrice des hommes, & nos converfacions ne rouoient plus que fur les avancages de la cerre & les incommodicés de 1'eau. Après avoir fi Ionetems langui, une cempêce aiïez force nous donna d autres inquiétudes que Ie pilote vint encore ausmencer le macin. II n'arriva jamais un femblabfe prodige, nous dit-il cout étonné : nocre vaifTeau va concre Ie vent depuis deux heures. Nous forumes fur le tillac, & „ous fümes de la merveille. Le vent étoit oriental, il fouffloit Viij  jio Les Aventures impétueufemenr ; nos voiles étoient enflees , comme elles le devoient êtte en recevant fa violente imprefïïon , & néanmoins nous avancions avec rapidité vers 1'orient. Je ne témoignai pas la moindre crainte a Ia vue d'une fi grande nouveauté ; j'affeótai au contraire d'être plus gai qu'a 1'ordinaire , & je fis entendre a la compagnie que ce qu'elle admiroit n'étoit pas pour moi un myftère. Je n'étois toutefois pas moins troublé que les autres , & j'eus befoin de rappeler tout mon courage. Je voyois manifeftement que les puiflances de la péninfule inaccedible commencoient a agir , & que j'allois être expofé a des ennemis inconnus. Jc ne cefiois de baifer en fecret la bague de Zulikhah, & de me recommander a la dive convertie, dont je devois mérirer la protedlion par mes fervices. Nous naviguames de la même manière pendant cinq jours , & le fixième le navire s'arrêta au bord d'une ile oü nous defcendimes tous. Nous formames d'abord un petit camp pour notre süreté , & nous ne fongeames qu'a nous repofer & a nous réjouir. Le troifième jour j'invkai les deux Arabes a venir avec moi a, la découverte. Nous parames enfemble , bien armés, fuivis d'un efclave robufte qui menok un chameau chargé de vivres. Les dehors de 1'ile  D' A B D A L t A. 3 I I étoient aflez rians; mais après une demi-lieue de chemin, nous trouvames des campagnes arides & ftériles , au-dela defquelles couloir une groffë rivière donr les eaux entrainoient un grand nombre d'hommes nuds. Le fieuve étoit bordé d'arbres, a. 1'ombre defquels nous nous afsïmes pour prendre un peu 1'air & nous fortifier de quelques alimens. Nous voulumes arrêter de ces hommes piongés dans l'eau , mais ils nous parurent ne rien comprendre a nos fignes. Tandis que nous les confidérions , nous entendimes derrière nous un grand bruit , & nous découvrimes avec effroi des troupes de lions , d'ours , de tigtes & de panthères qui accouroienr vers la rivière, foit pour nous devoter, foit pour étancher leur foif. Nous mïmes le fabre a. la main , quoiqu'il n'y eut guères d'apparence que nous pufïïons réfifler a tous ces animaux , s'ils en vouloient a notre vie. Les panthères qui devancoient les autres par une extreme viteffe, étoient déja fort prés , lorfqu'une jeune fille qui defcendoit la rivière dans une barque , s'approcha de nous & nous dit: ma mère vous a appergus de loin , & elle fouhaite paffionnément vous voir de plus prés : elle vous donnera des avis qui vous feront réuffir déformais dans toutes vos entreprifes. Ce difcours flatteur, & plus encore le danger évident oü nous étions, nous engagea V iv  j ii Les Aventurïs trut d'un coup a fauter dans la barque oü nous fmes auffi entrer le chameau. D EST RU CTION des etichantemens de Nerkè^. ^Pendant le trajet je ne pus tirer un feul mot de notre conductrice. Dès que nous fümes a 1'autre bord , il nous prit une envie furieufe de nous jeter a l'eau. Les Arabes & l'efclave fe dépouillèrent & s'y ptécipitèrenr. Si je réfïftai au penchant que j'avois a les fuivre , ce fut fans doute paree que la verru de ma bague affoibliiToit tous les enchantemens. Je reflentis un extréme chagrin de la perte que je venois de faire ; mais 1'efpoir de me venger me confola en quelque forte. Je pris le chameau par le licol, & marchant a grands pas, j'arrivai en un endroit oü une petite femme louche & forr bafanée , s'occupoit acluellement a efluyer deux beaux jeunes hommes qu'elle venoit de tirer de la rivière. En me voyant , elle fit paroïtre un grand ttouble mêlé de colère. Tremble , me ditelle , téméraire aventurier : ma maitrefle , dont tu ofes épier les fecrets , va te punk de ron audace. Elle accompagna ces paroles de geftes me-  ü' A B D A I L A.~ 31J nacans , & fe retira dans une groiTe tour qui n'étoit pas loin du lieu ou je 1'avois futptife. Je me tournai vers les jeunes hommes, & je leur demandai civilement en quel pays nous étions , &z s'ils connoilToient cette femme louche & fa maitreiTe. L'un des deux qui étoit Mufulman , me répondit : feigneur , je prie Ia divine unité , qui a donné fon épée au prophéte qui ne favoit ni lire ni écrire , de vous garantir de la misère dans laquelle nous vivons ici depuis plufieurs années. Je ne fais fi cette ile a un nom. Nerkèz qui s'en eft emparée , eft une magicienne qui y attire les vaiiTeaux qui s'en approchent de deux eens lieues. Vous avez tout a craindre des artifices & des fureurs de cette déteftable : elle ne demeure ici que pour cacher fes dérégiemens, & pour s'abandonner, fans diftinction , aux plus infames voluptés. Comment avez-vous pu fortir de la barque fans aller tenir compagnie a tant de miférables ? Un enchantement inévitable les a piongés dans l'eau, &c l'eau enchantée ellemême , leur a fait perdre le jugement. Ceux que Nerkèz choifit chaque jour pour les faire fervir a fes plaifirs , recouvrent a la vérité une partie de leur raifon ; mais en les rejetant dans Ie fieuve , elle les dépouille bientbt d'un avantage que fes lafcifs emportemens ne peuvent rendre que trés - onéreux. Un horrible tourbillon qui  514 Les Aventures nous environna, interrompit Ie difcours du jeune homme. La magicienne, avercie de mon arrivée, £r gronder de fi furieux tonnerres , & briller des éclairs fi épouvantables , qu'il fembloit que le monde dut fe bouleverfer. Cette tempête dura afTez long-tems ; mais 1'air ayant enfin repris fa clarté ordinaire , la fille de Nerkèz fortit de la tour, Sc m'ayant abordé : feigneur, me dit-elle, ma mère , touchée de compaflion, vous petmet d'aller retrourer vos gens , 8c confent que vous ne vous expofiez pas aux périls inouis de eet enchantement. Ce compliment me perfuada que la magicienne craignoit que je ne détruifitfe fon touvrage ; & je répondis fièrement: dites a votre mère que j'ai réfolu de rifquer ma vie pour délivrer du plus indigne des efclavages cette grande multitude d'hommes libres qu'elle regarde comme autant de viótimes deftinées a afibuvir Fes paffions. La fille étoit a peine rentrée dans la tour , qu une porte de fer s'ouvrit, & qu'il en fortit un animal qui avoit les pattes d'un lion, une qneue longue de quinze brafles, Sc fouple comme une corde. Sa grandeur égaloit celle d'un chameau , Sc il étoit armé de deux cornes qu'il remuoit comme il vouloit. Je fus effrayé a cette apparition; mais je ne laifiai pas de me metcre en défenfe. Le monftre accourut a moi les cornes  d' A b d a l l a.' 315 baitTées > & n'ayant pu me choquer de front, paree que je Fefquivai légèrement par un faut , il fit en paiTant un mouvement fi jufte de la corne gauche , qu'il me porta dans la tempé un coup dont je fus renverfé. L'impétuofité de fa courfe ne lui permit pas de s'arrêter, & quand il eut fourni fa carrière , il me trouva fur pied. Je n'étois point blefTc, il m'avoit femblé feulement qu'un grand fac de laine me fut tombé fur la tête. Je déchargeai fur 1'animal un pefant coup de fabre entte les deux cornes , & 1'acier entra auffi peu dans fon crane , que fi j'avois frappé un rocher. II me renverfa une feconde fois , me foula aux pieds, & m'ayant lié le corps avec fa queue , il me traina du cóté de la rivière. Je le faifis forremenr par la cuifle, & je m'écriai: O bague! ou eft ta vertu ? En faifant cette exclamation, je le touchai de ma bague, & il difparut. Ah ! dis-je alors , les armes font inutiles ici; le préfent de Zulikhah me fera triompher. Jc remis mon fabre dans le fourreau , & je me rapprochai de la tour , me propofant de faire au plutót toucher ma bague a tour ce qui fe préfenteroit pour me nuire. Nerkèz s'étoit mife a une fenêtre , après avoir employé les plus grands efforts de fon art pour fe parer. Invincible Mufulman , me dit-elle, je t'accorde avec plaifir la liberté de tous les pri-  Les Aventures fonniers que j'ai dans ce fieuve. CeiTe donc de troubler mon repos, & retourne a ton camp. Sa beauté & 1'agréable fon de fa voix me touchèrent : je me ferois infailliblement rendu a fes défirs, fi le jeune homme ne m'eüt crié : O courageux Mufulman , gardez-vous bien d'ajouter foi aux paroles ttompeufes de cette infame ; elle ne vous tiendra rien de sce qu'elle vous promet. DitTuadé par cette remontrance , je repris de Nerkèz les idéés que j'en devois avoir; 8c je 1'aflurai que je ne m'en irois qu'après que j'aurois diffipé toutes fes illufions. A 1'inftant elle envoya contte moi un nouveau monftre. II étoit homme , quant a la difpofition de fon corps , mais tous fes membres étoient les membres des animaux les plus féroces; & il portoit fur fon épaule une fourche d'acier très-aiguë. Je paiTai mon anneau dans le fecond doigt de ma main droite, afin de le faire toucher plus aifément; & j'allai a lui le bras tendu 8c le poingt fermé. II fe mit a rire en me voyant oppofer a fa terrible fourche une lance fi peu redoutable. Tu préfentes ta main de fort bonne grace , me ditil , viens faire la révérence a 1'adorable Nerkèz. Raillant ainfi, il eut la fimplicité de me tendre la main & d'y enfermer la mienne ; ce qui le fit évanouir en un clin d'ceil. La magicienne quitta la fenêtre , 8c de tout le refte du jour je  d' A b d a l l a: ?i? neus aucuu ennemi a combattre. Je me tbs la öuu avec les deux jeunes hommes daus une We q«» «oit fur le bord de la rivière , & oü nous trouvames les vêtemens & les armes des enchantes .Mes deux compagnons eurenr le plainr de fe r habdler. La joie & Mpérance nous tinrent heu de fouper, car le chameau s'étoit perdu Pendanr mes combats. A la pointe du jour un changement que j'appercus dans la rivière , me caufa une agréable furprife. Tous fes malheuren* nabitans mettoient la tête & la poitrine hors de eau , battoient des mains & rioient en me re- D'un autre cöté la magicienne s'oiTrit a mes yeux , belle comme une pérife. J'allai alTez loin au-devant d'elle. Je m'admire encore a préfenc moimême, quand je la rappelle en ma mémoire & que je fonge que je fus atfez maïtre de mes pafïions pour préférer le devoir a un objet fi charmant. Lorfque Nerkèz fut auptès de moi elle me paria comme fi elle avoit été perfuadéê que ,e ne m'étois expofé a de fi grands dangers: que dans la vue de la conquérir. Aimable Mufulman, dit-elle, me voici toute prète a vous fatisfairej il feroic fuperflu Je VQus ^ guer davantage. Comme elle fe penchoit pout membraiTer, je reculai & je iui dis avec ^  ?i8 Les Aventures pris : Quelle force peuvent avoir des charmes empruntés ? Allez , Nerkèz , offrir vos gtaces aux dives vos amis, & mendier les carrelTes des magiciens de votre connoiiTance. La magicienne futd'autant plus piquée de cette réponfe, qu'elle s'étoit flattée que je ne lui échappetois pas. Me voyant fi éloigné de recevoir de 1'amour, elle s'abandonna toute entière a la futeur & me dit: J'aurai donc fait une démarche de cette importance , homme brutal, pour ètre ainfi honteufement méprifée ? Tu te repentiras bientót de ton infolente groifièreté. En faifant cette menace , elle fourra fes doigts dans fes cheveux , & il tomba foudainement un pluie de cailloux qui m'autoit fort maltraité , fi je ne m'étois promptement réfugié dans la loge. Tous les arbres voifins en furent ébranchés , j'eus plufieurs contufions j fans mon préfervatif j'étois aiïbmmé. Cette pluie écrafante n'avoit pas encore touta-fair cefle lorfque tous les hommes du fieuve en fortirent, & accoururent prendre leurs habits & leurs armes. Je leur cédai la loge , de peur d'êrre étouffé par la multitude. Ce fut une chofe merveilieufe a voir , que la promptitude avec laquelle ils s'habillèrent & s'af mèrent pour me venir attaquer. Une fi grande ingratitude n'étoit pas naturelle ; la force de 1'enchantement  D' A B B A ,L l A." ?13 fc» emportoic; je voyois même i leur tête mes deuxchets Arabes qui, dans leur bon fens, auroient donné leur vie pour moi. J'attendis cette pertre armee', fans rerauer de ma j leur prefentar feulement mon anneau , dont ia vertu calma fubitement leur furie. Ils s'arrêtèrenc tous a une cerraine diftance , comme fi une forte barrière les eut empêchés de pafier. La magicienne qui avoit efpéré me voir fuccomber fous les efForts de tant d ennemis , s'appercevanr que perfonne ne me frappoit, imagina un nouveau moyen de me faire perdre la vie. Elle & tout-a coup paroïtre fur la rivière un pont qu elle avoit ;ufqu-alors tenu caché , de peur que les W,les panthères & les autres bêtes carnaff etes ne palfadenr. Ces animaux n eurent pas plutot vu le pont, qu'ils accoururent en foZ aifembles Nerkèz auroit peut-être du pourvoir a U sureté de fes propres efclaves ; Ls ede s emitdejafauvéeau plus vke dans fa forteede,& les bêtes féroces les attaquèrent de outesparts. Ils tournèrent tête pour leur rèfifter Je me melai avec eux parmi les lions & les rigres. Nous en blefsames, nous en malTacrames en peu de tems unfi g^d nombre qu'il en d" rneura plus des deux tiers fur la place. Le rede *e jeta dans la rivière.  ,io Les Aventures Cette viétoire rempottée , 1'enchantement des jeunes hommes tités de 1'eau, fin« ; * * « ensètent plus qu'a fe venget de la; mcchan» Nerkèz. Les Arabes ne pouvoient fe lader de m remercie, II y avoit dans la troupe pikeur Mufulmans. Jamais jout ne fut plus gbneu prophéte. Nous nous avancames en bon otdre cour pour yafliéger nocce^mmune^ l de nouveau* enchantemens , Sc aveugla ton „osfoUars. Préfervéfeuldecemalehce que je ne pusdiffiper dans les auttes avec ma bague •e cLchai vainement un chemur pourdes Gure ntrer,toutaveuglesqu'ds étoient. En f.fant tour de laforteteffe, je trouvarun grand arke TqU ètok attaché uncors, avec cette tnfcnpJn: Je l'ai mis dregret.}, jugeai que ces p£ roles prédifoient la fin de 1'enchantement j & q une autotkéfupéneure avoit force la magic nneafournirelle-même 1'mftrument^de fa Pe e Je P"* ie cors Sc je 1'emboucha, Au fon 5 en fortit tous les aveugles recouvrerent k Zo & la tour commeneadfume, La portel t0uteslesfenecres s'ouvrkent en meme tems, 6 je crus que la magicienne prenoit mvifiblement la fuite ; mais je me trompois La tour fumapendant prés d'une heure, puis elle tomba. /lors Merkez fe montra en f air fut un nuage noir,  B' A B D A L t A. ?zr boir , accompagnée de fa fille & de la petite femme louche. Elle s'arrêta vis-a-vis de moi & me regardant d'un ceil fuperbe & indigné \ élle me die: „Abdalla, d ny a qu'un moment que ,e te connois. Si j'avois daigné confulter mes iivres lorfqu'il en étoit encore tems , je ferois a préfent ihaureflTe de ton anneau, & tu ferois mon prifonnier. Que je te hais! Tu as manifefté im myftère que je cachois a toute la terre ; tu «as pdlnt voulu me laider vivre^ans cette'ïle que je m ctois appropriée : mais fois sur qu'en quelqu'endroit que tu ailles , je ferai toujours d tes cotcs,que je renverferai tes dedeins, & qu'en particulier je mettraides obftacles invincibles au fuccès de 1'affaire que tu as le plus d cceur. Ne te figure pourtant pas que tu fois le plus grand objet de mahaine. C'eft d cette dive qui a fi lachenat trahi notre parti, & qUi s'eft fervi de toi pout me furprendre, c'eft.d la perfide Gorec que je réferve mes vcruables vengeances. Elle auroit continué eer effroyable difcours , fi une pluie de feu qui commenca d tomber fur elle ne leut épouvantée Elle neut que le tems de s'envelopper dans fon nuage & de fair de toutes fes for:es j car un moment après nous vimes paroïtre une géante allee qui, femblable a une flamme, la pourfuivoit. Cette brillante Gine pada au-dedus de nos t-êtes comme un éclair. Tomé XIII. x  J1Z Les Aventures N'ayant plas rien k voir au ciel, je cherchai mes Arabes, mon efclave & mon chameau egare. Par bonheur nous retrouvames cette bete^ qui m'étoit alors fi néceffaire , & nous appatsames notre faim. J'étois en peine de ce que deviendroient tous ceux que j'avois délivrés; maisen me rendant gtkes , les uns me ditent qttd efpéroient retrouver encore leurs vaifleaux dans les endroits oü ils avoient abotdé - les autres m'appritent que LUe n'étoit pas fi déferte que ie me 1'imaginois ; qu'il y avoit au couchant une irande ville appelée Hum , avec un port ou lis comptoient s'embarquer, & que pour y amver, il ne falloit que traverfer un défert de trois jours de chemin. lis fe difpersèrent par troupes; ahn de fe mieux défendre s'ils étoient attaques pat les bêtes fauvages , Sc auffi afin de trouver plus aifément des fruits Sc du gibier pour fe nournr. 11 y en avoit quelques-uns de bleffes a qui la feule efpérance de revoir leur patrie donnoit de la force Sc du courage. Plufieurs voulurent ptendre parti avec moi - mais je ne retms que le jeune Mufulman avec qui j'avois fait une liaifon patticulière. Pour repeter le fieuve , nous coupames des branches d'aibres k coups de ci-meterre, Sc nous flmes un radeau quOr* can conduifit avec beaucoup d'adrefle. Occan etoit notre nouvel aiTocié qui nous entretmc  »>' A B D A i. t A; jt} agréablement jufqu'au camp 5 je lui demandai depuis combien de tems il étoit dans I ile .pourquoi je n'avois point vu de femmes dans la pnfon fluide de Nerkèz , quel étoit le lort de celles que portoient les vailleaux arrêtés pat cette magicienne , & fi rous les hommes tomboient dans fes piéges. Ceux qui font demeures dans notre camp , ajoutai-je, ont.évité fes fureurs , & nous ne les avons éprouvées que paree que nous nous y fommes expofés nousmemes. J'ai été environ deux ans entre les mains de Nerkèz, repondit le jeune Orcan, elle attirok tous les navires qui faifoient route dans ces mers excepré ceux qui portoient pavillon noir & rou-e' etant convenue avec les habitans de Hum dès le commencement de fon établiftement, qu'elle epargneroit ceux-la, afin de ne pas ruiner le commerce de cette ville. Les matchands qui avoient coutume de trafiquer avec les Humois ne manquoient pas d'arborer ce pavillon. Tous les autres navires étoient de bonne prife pour 1» magicienne. Dès qu'ils étoient arrivés a quelque endroit que ce fut de la cote déferte , car c'étoit toujours a cette cóte quelle les faifoit venir es hommes & les femmes defcendoient, felon' la coutume. Les plus déterminés s'écartoient les premiers pour découvrir le pays, & étoient aufii Xij  n4 L E 3 A V E « T U * E S Lrètès les premiers. Les autres ne les voyant *u Je retournai au Caire , & je racontai a mon pète , qui eft un riche marchand , tout ce qui venoit de m'auiver. Je me fuis roujours bien douté , me di:- l, que tu te repentirois quelque jour de ta trop grande curiofité : fois fage a 1'avenir , & remercie dieu de t'avoit confervé Ia vie & le jugement. 11 me propofa enfuite de m'embarquer avec des marchandifes qu'il envayoit en Chypre. N'ayant point de tems k perdre , je partis pour la mer , & je me rrouvai "dans le vaideau avanr que les trois jours expiradent. A peine avions - nous perdu de vue l'Egypte, que nous. fümes a,ccueillis de la plus  d' A E D A L L A, Jlji effroyable de routes les tempêtes. Les vents en furie fe livrèrenr un combat, dont il fembloie que notre malheureux navire dur être le prix. Les voiles en furent'déchirés & les mats rompus, tk après avoir pirouerté quelque tems , il fut emporté avec une violence inouïe fur les cbtes d'Afrique , oü il fe brifa, Je me fauvai a la nage, & je me fauvai feul, Comme le pays étoit inhabité, je me chargeai de quelques vivres que la mer jeta a bord, &c je marchai plufieurs jours le long du rivage, en remontant vers 1'Egypte. Après bien des fatigues , j'entrai dans une contrée , donr la feuls vue me confola de toutes mes peines. Une infinité de ruiffeaux 1'arrofoient & y faifoientcroïrre un nombre prodigieux de beaux palmiers trèsfertiles. Toute Ia terre étoit couverte de plaines fleuries qui réjouiffoient en même tems les yeux & 1'odorat. Cet heureux cantcu n'a d'étendue que trois petites journées de chemin. Quand je les eus faites , j'aimai mieux retourner fur mes' pas que de m'engager de nouveau dans un défett affreux. En paffant j'avois vu de loin comme une ville; j'allai de ce cóté-la. C'en étoit une en effet, mais détruite & fans un feul habitant. Les marqués de ce qu'elle avoit été , lotfqu'elle fleurifToit , m'étonnèrent ; on ne trouve nulle part de fi magnifiques ruines. Je choifis pour  33» les Aventures mon palais un portique de marbre blanc, qui étoit encore aflez entier. Les gtandes huées que firent nos matelots , empêchèrent d'entendre la fuire de 1'hiftoire de 1'Egyptien ce jour-U. Nous voulumes avoir notre part de la nouveauté, lis nous monttèrent dans la mer plufieurs poiffons qui reflembloient parfaitement a des femmes; & qui, hors de l'eau jufqu'au nombril , fe tenoient par les mains & s'avancoient, comme en danfant, vers un rivage ou le vent nous portoit. D'abord que nous fumes aflez prés du rivage pour difcerner les objets, nous vimes , a la pointe d'une langue de terre, un homme nud , très-bien fait, que des fatyres & des finges attachoient a un pieu (a). Indignés de cette barbarie , nous fautames a terre pour fecourir ce malheureux , que les monftres abandonnèrent au (Ti-tot qu'ils nous appercurent. Nous lui otames fes liens , & nous le conduisimes promptement au vaifTeau pout lui donnet des habits. Nous jugeames , a. la frayeur qui étoit peinte fur fon vifage, que nous 1'avions tiré de quelque grand péril : comme nous lui témoignions notre éronnement de 1'avoir trouvé ainfi expofé aux infultes de ces animaux, je vous (a) Continuation & fuite de la traduclion du manufcrit: arabe.  d' A b d a l L A. 33 i dois trop, nous répondit-il avec modeftie, pour ne pas vous faire connoïtre celui que vous venez de fecourir avec tant de générofité. Afentvres de l'Homme nud y ou. Hifi oire d' Eliaman^or & de la Priticejfe Sidi. Je fuis fils du fultan Your-Sophi & de la princefle Naïskah, qui règnent dans 1'ile de Botico. Cette ile eft fituée dans cette vafte mer, fous un ciel pur & tempéré : on y jouit d'un printems continuel; les arbres y donnent, a la fois , des fleurs, des fruits Sc une verdure agréable. Elle eft habkée par des colons de différentes nations, attirés par la vertu d'une eau qui rajeunit les vieillards, & rend les forces aux corps les plus épuifés. Elle eft environnée d'une infiniré d'autres ïles , pour la plupart inconnues & inabordables ; celles qui font connues font gouvernées par des princes tributaires de Borico ; de ce nombre eft le royaume de 1'ile Tranfparente. Le .grand Your-Sophi, aidé des lumières Sc des confeils du fage Ben-Addir, revenu depuis quelque tems i fa Cour , avoit lui-même pris foin de mon éducation. j'étois nc avec une inu-  $}* Les Aventures gination ardente ; & j'atteignois lage ou les paflions font naïtre ce délïr inquiet d'acquétic de nouvelles connoiflances. L'envie de voyager pour m'inftruire , me rourmentoit fans cefle. Une nuir que je m'étols endormi , fortement occupé de rette idee „ je vis une femme dont Fair noble 8c majeftueux étoit relevé par 1'éclat d'une robe d'azur parfemée de diamans 8c de rubis; elle s'approcha de moi 8c me dit: Jeune homme , c'eft moi qui tai infpiré la pajjion que tu as de voyager ; pars , & hate-toi d'aller fecourir la belle princejfe de fik Tranfparente , que le mag!cien Zangu'f[af (a) , mon ennemi, tient enfermée. Tu la reconnoüras a fon portrait que je te donne , & au tien qu'elle porte a fon bras. Frappé de cette appatition , je m'éveillai en futfaut; les ptemiers rayons du jour commencoient a paroitre : quelle fut ma furprife de trouver fous ma main une boite que j'ouvris avec précipitation ! elle renfermoir le portrait d'une beauté raviffante 5 je le contemplai longtems avec une émotion que je n'avois point encote éprouvée. J'attendis avec impatience le (a) Le devoir d'un tradufteur eft de rendre , autant qu'il fe peut, le fens de fon original : aiufi , d'après Ia note du manufcrit arabe , Zanguizaf fignifie Croqutr. pucdle*  »' A B D A L L A. jjj tooment ou je pourrois voir le fultan. Je le preffai vivement de me laüTer pattir , en lui cachant néanmoins le nouveau motif de mon voyage. II y confentit avec peine, a condition cjue Ben-Addir m'accompagneroit. On équipa par fes ordres une faïque; je m'arrachai des bras de ma mère , le cceur déchiré de fes larmes; je joignis Ben-Addir qui m'attendoit au port ; nousjious embarquames & nous primes la roure de 1'ile Tranfparente. Nous voguions d fouhait depuis deux jours ; lorfque notre vaifTeau fut jeté par un coup de vent fur une cóte inconnue. Son immobilité , le fpectacle furprenant de quantité de tortues que nous vimes fur la plage , dont les écailles bnlloient comme des diamans , m'excitèrent a defcendre peur admirer de plus prés ces phénomènes • Ben-Addir voulut s'y oppofer; mais fans 1'écourer, je fautai fur le rivage. A peine y eus-je mis le pied , qu'un autre coup de vent contraire remit le vaifTeau i flot & 1'emporta en pleine mer, malgré les efforts que le pilote & les matelots faifoient pour reprendre terre; je les perdis bientót de vue. Abandonné feul dans une ïle que je croyois inhabitée, je ne pus me défendre de la frayeur & des triftes réflexions que ma fituation m'infpiroit: je déplorai amèrement mon imprudence.  334 Les Aventuk.es Je ne découvrois , en regardant autour de mol, qu'une longue chaine de montagnes qui me paroiffoient inacceffibles, Sc dont 1'afpeót ne m'offroit que des images effrayantes Sc 1'idée du défefpoir. J'allois y fuccomber , lotfqu'au fon d'une voix épouvantable qui me fit trembler , les tortues fe changèrent en pygmées lumineux Sc s'enfuirent tout a-coup vets une montagne , fur le fommet de laquelle je remarquai une autre figure plus grande , que je crus être un homme. Cette découverte fit renaitre mon courage ; je courus moi-même vers ce rocher , a la pointe duquel je gtavis avec beaucoup de peine Sc de fatigue. J'appercus derrière ce rideau de montagnes un palais entouré d'arbres, dont les feuilles dun largeur extraordinaire, fembloienr autant de platines d'acier , qui réfléchifloient fut fon dóme les rayons du foleil ; je ne pus foutemr ce .fpectacle fans en être ébloui. Je foupconnai que ce palais devoit être la demeure de quelque magicien. Une certaine fraycur mc fit balancer quelque tems fi je tenterois d'y pénccrer. Bieni&c emporté par 1'idée que j'y pourrois rencontrer mon aimable inconnue, je me bil & - ndre dans la plaine. Je m'avancois vers ce fcjour érounant , lorfque je revis les pccia-s figurcs btÜlantes qui entroient dans un magnifiquc falon,  »' A b d a l 1 a. bztl au milieu des jardins dont la beauté me ïrappa. La douceur d'une voix agréable & mélodieufe que j'entendis chanter , en me caufanc un rendre faififlement, m'attira du cóté de ce charmant édifice. Je me figurai que ce pouvoic «re Ia voix de ma belle princefle ; je n'en eus que plus d'ardeur d pourfuivre mes recherches Dès que je fus entré dans 1'allée qui aboutiflbit au falon , je remarquai avec étonnement que la «ge des plantes & des arbres étoit rouge comme du corail, & que leurs feuilles, d'une blancheur qui effacoit celle de la neige, étoient parfemées de fleurs qui reflembloient parfaitemenr d des laphirs. En approchant du falon , j'admirai fur Ion frontifprce cette infcription en caradères de diamans enchaflés dans un marbre noir : Entre fttu apportes d ïaimable Bou^oulah (a) le premier hommage de ton cceur. J'achevois d peine de lire 1'infcription, que les portes du falon s'ouvrirent. J'en vis fortir les nains brillans, fuivis d'une femme dont la taille courte & ramaflee étoit accompagnée d'un vifa^e qui reflembloit d une lune : elle avoit un dohman {b) rofe, garni de grelots , au fon defquels ia) Bouzoulah vcut dire qui a une gcrge énonac. (i) Robe a ralïatiquc.  5;' A B D A L L A. 34.5 d'enfuite que Ie pavor étoit óté ; j'en conclus que Melec étoit abfent. J'étois dans 1'agitation de la joie que cette nouvelle me caufoit, lorfque ma belle mamefTe & fa compagne pafsètent auprès de moi, & me firent figne de ,es fuivre dans le cabinet des bains. Clier Ofcan , me " dK-elIe ' dePuis je r'ai vu , j'en hais da" "anrta§e le fier Melec i je frémis aux approches » de fon retour; profite de fon abfence pour-tirer » de fes mains la tride Samour. Non , Idches efclaves , s'écria Melec en entrant tout-a-coup, les yeux étincelans de colète; vous ne m'échapperez point. II tira fon poignard quil plongea dans le fein de Samour. Cette infortunée tomba baignée dans les dors de fon. fang. Je voulus me jeter au-devant des coups du funeux Melec; non, dit-il, en me repouffant , ce n'eft point par le fang de trois perfides que ma vengeance peut être fatisfaïte. II otdonna a fes autres efclaves , qui étoient accourus i nos cris , de nous lier les pieds & les mains, & nous üc tranfporrer , avec le corps fanglant de Samour , fur une barque qui fut abandonnée A la merci des dots. Ce barbare vouloit nous faire périr de faim & de douleur & nous roteer d'avoir toujours fous nos yeux Ia malheureufe vidime de fa jaloude. Je poudois des gemuTemens affreux, tandis que ma com-  54£ Les Aventur.es pagne étoit tranquille ; j'étois indigné de la voir fi peu fenfible a la caufe de mon défefpoir. Quand nous eümes perdu de vue le rivage , elle fe traina vers le corps de Samour , & fuca le fang qui couloir encore de fa plaie. O joie inefpérée ! ma chère Samour donna quelques fignes de vie : fes beaux yeux fe r'ouvrirent a la lumière & fe remplirent de larmes en voyant le trifte écat ou nous étions. Notre compagne lui dit de ptendre dans fa poche un baume &C de 1'appliquer fur fa bleflure. La vertu en fut fi prompte , que Samour eut bientót aflez de force pour nous oter nos liens, Nous nous tinmes long-tems ferrés dans nos bras , en verfant des pleurs d'attendriflement. La joie que j'eus de la voir rappelée a la vie , fut ttoublée par la fituation cruelle oü nous nous trouvions réduits. Ah! malheuteufe Samour, m'écriai-je, a quelles horreurs es-tu réfetvée ! tu ne m'es rendue que pour te voit périr une feconde fois avec plus de barbarie'. Féroce Melec , que n'aflouviflbis-tu ta rage fur moi feul. Cher Orcan, me répondit Samour, je mourrai contente avec toi: mais notie généreufe bien- faitrice . ? Des larmes qui couloient des' yeux de cette femme furprenante , nous firent connoitre qu'elle étoit touchée de notie inquiétude pour elle. » Mes chers enfans, nous dit-  »' A b n a i l a; 347 » elle, votre dèftinée a fans doute ére afTreufe, » je n'ai pu en empêcher i'accompliflement } * il vors refte encore des traverfes d effiuyer » mais elles ne vous feront pas auffi funeftes » que les premières. Vos cceurs reconnoiffians » na attachent d vous ; comptez fur le fecours » de la Ginne des pyramides. A ces mots elle » difparut. Lorfque nous vïmes qu'elle nous quittoit, nous nous crümes perdus fans teflburce. Un vaideau qui nous découvrit ainfi flottans, nous envoya fa chaloupe pour nous fecourir. C'étoient des adorateurs d'Iifa (.,) , qui alloient commercer en Aue : ils s'emprefsèrent de nous donner tous les foulagemens dont nous avions befoin Nous leur apprimes par quel événement terrible nous nous étiöns trouvés abandonnés d la merci de ja mer , & la guérifon éronnante de Samour Ils ne doutèrent point de i'admirable propriété du baume qu'ils connoidbient, mais ils ne vou lurent point croire d la puiffiance proteótrice des genie». Ils furent fi touchés de nos malheurs , qu'ils nous offrirent de nous remettre • a leur retour , dans notre patrie. Je fus alors' que ma chère Samour étoit Egyptienne. Elle me dit , les larmes aux yeux , que fon frère' (a) Jéfus-Chrift.  '54^ Les Aventures avoit péri en la défendant contre la violence des Pirates qui 1'avoient enlevée. Elle m'apprk que la Ginnè que nous venions de perdre , étant accourue a fon fecours , les corfaires 1'avoient auffi faifie & emmenée. Elle a eu pour mol, ajouta t-elle, les foins & la tendteffe d'une mère, en changeant les emportemens du barbare Melec en un amour refpecfueux. A ce nom je friffonnai en paliffant. Samour remarquant mon agitation , reprit tendrement, cette chère confolatrice me faifoit fupporter mon efclavage > par 1'efpérance qu'elle me donnoit , que vous feriez la caufe qu'il finiroit bientót. Hélas! devois-je m'attendre que ce feroit par tant de cruautés ! Mais, cher Orcan , j'oublie tous mes maux, puifque je fuis avec toi. Ces dernières paroles firent paffer le calme dans mon ame ; mais il dura peu. Le mouvement que je vis faire au navire m'inquiéta; je m'appercus que le pilote n'étoit pas plus rafluré que moi; je remarquai que nous dérivions de beaucoup. Nous fumes emportés pendant plufieurs jours par un courant rapide auquel nous ne pumes réfifter. Un vent impétueuxnous poufla avec furie vers la cbte enchantée , ou 1'impudente Netkèz fe livroit a fes infames plaifirs. Vous m'avez tité de fes mains, feigneut, en détruifant fes abominables preftiges , mais la  ■>' A B D A L 1 i. «cup» ,e c„„r„Iet,lorfqi,enoi,;f.,ucJ ; f ';dM d °» g'°b= da lumière AJ. m7recompre°'Jre^''a"dl'A'»t««bsl nement. II nous d,t qU(! da,]s un ablu «o» générale de la nature • votre teint en mque aux fleurs. * commu- L'aimable Menekcke fe rendit a Ja cour Am l^eLummeufe. Elle y parut comm£ ^ ' dJ affre qm cchpfa bienrót Jes autres beautés To - yeux fe réunirem fur ejJe. Ies™^ futent fi chagrtnes & fi jaIoufeSj , u « e es la firent epterun jour qu'elle faifoit ^ des dons dugénie;nouslefavionsbienïS'écrit -t-elles, qu,l falloit qu'elle empIoyatd W «g« Pour fe rendre belle. P Cette découverte leur infpira le deiTein de lui d-ber fon ecre, El.es gagnèrent une des f laves qu, a fervoient. Yaghuth, i„fimit complot, fubfittua d'autres efiences a la p c.  351 Les Aventures de celles qu'il avoic données a la fille de Zohair. L'efclave profita du fommeil de fa maïtrefle pour les livrer a fes ennemies. Ces envieufes , apiès s'en être lavé le vifage , ne purent fetmer 1'ceil de la nuit, tant elles étoient impatientes de voir le jour , pour jouif de 1'humiliation de Ménekcké, & du triomphe qu'elles fe promettoienc fut elle : mais , o défefpoir! les unes avec des yeux éraillés , les joues pendantes & le front fillonné de rides ; les autres avec une bouche de travers & un menron qui fe joignoit a leur né , cherchèrent plutót a cacher leurs figures hideufes. Hélas! s'écrioienr-elles douloureufemenr , il falloit que la terre fut peuplée de nos femblables , quand le prophéte fongea a nous exclure du féjonr de délices ! elles vinrent fe jeter , en rarhpant , aux pieds de Ménekcké , pour lui demander grace : la fille du fage ne comprenoit tien a leur étrange métamorphofe. Saphiadöun & la reine en étoient tout ftupéfaits. On corifulta, fur ce rerrible événement, la .grande Pagaly ; cette devinerefle , apiès avoir placé fur fa tête & fur ceiie de fes compagnes , qui étoient les plus vieilles femmes de 1'ïle , des rubans en forme de cornes, fe mit a danfer avec elles au fon du trifa & du rabana (a).autour d'un (a) Deux inftrumens parciculiers a ces infulaires. feu  £ude bois defandal. Elle traca enfuite , avec m bagl]ette5 des cercles mvftérieux & réponcbt: ^ * ^ qu'i la péninfule A,gentée que tu verras la Jin ae [es peines. Le roi, précédë de fes orancaies (a) & accom Pagode,aPagalv.fe.it en -Jj£™% rendre avec la reine , la fille de Zokaïr & ]es femmes défigurées , couvertes de voiles. Ce cor tege eto.t fuivi d'une foule de monde que la cur.ofite ne manqua pas d'attirer. Zokaïr, averti de leur arnvée , accourut embralTer fa chère Menekcke:,Iconduif" le barque & fa fuite au P1ed du rochet fur lefommec d { , J la grotte du genie , qui relTembloit a un petit Pala.s a quatre facades ornées de frontons de lapis, & de colonades de marbre d'un blanc ï eblomr Cette grotte avoit quatre ouvertures auxquelles répondoient quatre karnas (6) cui fer- voient au génie pour rendre fes oracles. Au- deflbus étoient ajuftés plufieurs tuyaux , avec des embouchures , par le moyen defquels on commun.quoit au génie les demandes qu'on avott a hu faire. Le rocher étoit couvert de plantes toujours vertes, & d'arbres femblables m ia) G^»iIshommeSoup„-nclpauxfdgncurs_ (^D^ntl^S^foffiede,Wbois. lome XIII,  jj4 Lu Aventures des palmiers d'oü découloit fans cefTe une gomme argentée qui formoit une lave brillante au pied de la montagne. La Pagaly , après avoir fait plufieurs révérences au foleil, emboucha un des tuyaux qui étoit placé fous la gtande katna du midi; elle le fit réfonner avec une force étonnante , en adrefiant cette prière au génie : » Puilfant Ya„ ghuth , nous avons beau attacher aux bras de „ nos infortunés compatriotes , des talifmans „ pour les délivrer de 1'affreufe ditlormité qui „ les défefpète ; eet enchantement réfifte a leur „ vertu : tu vois ces fuppliantes inconfolables , „ profternées , les latmes aux yeux, qui implo„ rent ton fecours. O génie bienfaifant , con„ cois la douleut & le défefpoir de ces femmes „ d'avoir perdu ce qu'elles ont de plus cher au » monde. Un bruit femblable au fon de terreur & de confternation de la trompette fatale, (a) annonea cette réponfe du génie : Ouvre la bouche. La violence de 1'air qui fortit de la katna , produke par le fouffle du génie , renvetfa par (a) Les Mufulmans difentque ce premier fon annoncera le jugement dernier ; il fera fuivi quarante ans après, de etufde mort, & d'un troifième de léfuneftioa.  i>' A b b a t t a. 3f| terre tous ceux qui fe trouvèrent vis-d-vis, & emporta les voiles des femmes. La honte qu 'elles eurent de ce qu'on voyok a découvert leur laideur rendit leur reine plus vif que le corail; elles fe cachoienr le vifage avec leurs mains cependènt toure 1'aiïemblée, a la voix du génie fe trouva la bouche béante. Au même inftant on vit fortir de la grande karna une infinkc dé petits tuyaux qui , s'allongeant en ares, furent fe placer d'eux-mêmes dans les bouches ouvertes O prodige ! ils y firent couler une liqueur qui rendit tous les corps diaphanes. Le monarque, la reine Zokaïr & fa filje ; furent feuls exempts de la métamorphofe. Yaghuth s'amufa quelque rems de 1'alarme qu'elle donna d ceux qui la fubirent. Ménekcké connut toute la manceuvre des femmes jaloufes de fa beauté ; elle excufa leur foiblefie & leur pardonna. Tous les rubis de 1'orient auroient plli auprès du vifage de Saphiridoun quand il lut dans les cceurs de fes fujets : il les vit prefque tous en proie d 1'ambkion , d 1'amour propre & d la méchanceté : il fut indigné de découvrir le mérite dans 1'oubli, &la vertu opprimée & dans 1'indigence : il jura de réparer fes rorrs. Ses courtifans fe tapetiftbient & ferroient les épaules , pour empêcher qu'on ne démêldr leur manége & le véritabie motif de leurs flatteries. Les Zij  556* Les Aventures mancanas (a) triomphqient de pouvoir faire de belles & de favantes differtations fur la caufe des maladies. Le dépit des femmes fut a fon comble quand elles virent qu'elles ne poutroient plus didimuler leur penfée , ni ufer du privilége que leur accorde le livre de gloire (h) ; d es en étoient fi furieufes , qu'elles auroient volontiers dévifagé le génie. On n'entendoit de tous cotés que des plaintes amères; c'étoit par-tout une confufion & un défordre affreux. La généreufe Ménekcké conjura le génie d'avoit pkié de leur défolation. Yaghuth ne put rcfifter a fa prière : on vit fottir des fentes & de la cime du rocher, de petits nuages de couleur d'or &c d'azur , qui , prelfés par les vents , fe ramafsèrent & enveloppèrent bientót la montagne. Le génie defcendit enfuite, porté fur un autre nuage de feu, ayant a fes cótés un jeune homme qui fit rougir la belle fille de Zokaïr , par 1'attention avec laquelle il ne ceda de la regarder. Tous les fpeftateurs furent agités des mêmes mouvemens qu'éprouvoit le prophéte divin a la vue de 1'ange qui convetfoit avec (a) Médecins. {b) Mahomet leur permet les infidélités, pourvu qu'elles y foieut encrainécs par la force de 1'inclination.  »' A B D A l t A. 3J ,ai W' ^'ghuth élevan't Ia voix : h jute dit il Vous ma chère fille, ajoura-Vil £n a Mcnekckc , « dlgKe ds ^ * peine y ave^-vous paru , que l'envie vous a calomniee. ^ ajw nms ^ /g ^ de la vertu , jouir des hommages qui vous Jont dus & de la tendrefe d'Yrem qui vous préfente la main. La belle Menékcké , toute tremblante, abandonna la fienne au jeune Péri• elle parut moins wqmete , quand elle gnrèndk que le génie ordonnoxt i fon père de les fuivre. Auffi-tót une parne du nuage de feu fe détacha pour enveoPPet Je fage & fa fille. Un tourbillon de vent les emporta au-dedus du rocher. Les fpedateurs emervedles les fuivoient des yeux, quand une pkne abondance, qui tomba tout-a-coup fm eux , les obligea de changer d'attitude. Ils fe fentirent pénétrer d'une frakheur qui les furprit encore davantage , en s'appercevant que leur v^ge& leurs habits avoient repris leur opacité Pendant que cettepluie mervei'lleufe opéroit W Md.on.ct diïoi, cue la vue de lange Gabrici lui caufou les convulfions auxqucll„ il étoit f„j«. Z iij  'j58 Les Aventures ces prodiges , Saphiridoun & lrem étoient a 1'abri fous dn grand arbre dont les feiblles étoient devenues a l'inftant d'une largeur furprenante. Ils reconnurent la bienveillance du génie pour eux, & regrettèrent la belle Ménekcké dont la féparation les toucha. Ils ne purenr s'empècher de remarquer que les femmes, en qui la beauté avoit fuccédé a la laideur , fe tournoient en teut feus pour recevoir la pluie , craignant fans doute qu'il ne reftat a leur corps quelque jour pat oü 1'on puf les furprendre, Elles y demeurèrent fi long^-tems expofées , qu'elles fe font rendues tout-a-fait impénétrables. Un nouveau prodige augmenta bientbt leur étonnement. Ils virent, en rentrant dans 1'ile , la terre devenir tranfparente fous leurs pas j ds n'y marchèrent d'abord qu'avec frayeur , mais peu a peu ils s'y accoutumèrent, en voyant que les plantes & les arbres continuoient d'y croitre comme a 1'ordinaire. Depuis ce tems 111e a retenu le nom de Lumineufi. Sa tranfparence offre yue infinité de cutiofités admirables; on y voit a découyert la formation des métaux, la caufe des volcans , la ckculation des fources qui forment les rivières, & le travail étonnant des animaux qui font dans fes entrailles , qu'on diftingue audi facilement que s'ils étoient enfermés, dans un globe de verre.  »' Abdalia 5 Le vent contraire qui fouffloir, nous empêcha de diriger notre route vers cette ïle furprenante. LliamanzordernandaavecempreiTementai'Arabe quek en étoient les fouverains lorfqu'il y étoit arrivé; mais comme landen ne lui en avoit rien dit, il ne put fatisfaire le prince qui en parut fort chagrin. Nous fümes bientót diftraits de nos regrets d'avoir perdu de vue cette ile, par un gram («) qui répandit tout a coup 1'obfcurité fur notre navire , au moment que nous comme»cions a jouit des premiers rayons du foleil. Nous fümes auaiïlis d'un déluge d'eau Sc de gtêle qui nous obhgea de nous mettre i couverr. Après que cette bourafque fut palfée, nous fommes fur le tillac , d'oü nous fumes étonnés de voir au deffous de nous des nuagés ; en regudantplus attennvement, nous nous appercümes que nous étions portés fur une montagne d'eau d'une hauteur prodigieufe. Nous vimes, tous avec frayeur, que notre vaifTeau étoit fur la pente de cette montagne, au bas de laquelle s'élevoient en pointe plufieurs rochers. Nous rentrames tous, piongés dans la confternarion ; nous nous crumes a notre dernière heure quand nous fenames notre navire ' qui avoit été quelque tems immobile, faire un mouvement Sc s'mclmer. Nous ne doutair.es plus (a) Gros rniage noir. Z ïy  360 Les Aventures qu'il n'allat fe brifer contre ces écueils. La lapid é avec laquelle il defcendit, le bruit du choc qu'il recur, nous fit tous palir. Une malfe que nous .entendimes tombei fui notre pont, neus fit imaginer que le rocher fe décachoit pour nous écrafer. Je fortis , fort peu ralTuré , pqur reconnoirre ce qui avoit occafionné ce fracas. Je vis un homme étendu par terre, que je fus fecourtr en vrai Mufulman. Je voulus lui aider a fe relever j mais a peine 1'eus- je touché , qu'il lui prit un tremblement par rout le corps : il me crioit de 1'épargner. Je vous révélerai tout , ajouta-t-il , en fe débattant, fi vous me promettez la vie. Je i'aiTurai que je ne lui voulois aucun mal : ne me touchez donc pas , me répondit-il d'un air inquiet. Tout 1 equipage attiré par fes cris , frémit comme moi, quand il nous apprit que nous étions dans 1'ile Submergée, qui n'étoit habitée que par des magiciens 8c des magiciennes, oü 1'on fabriquoir les vices & les paflions qui rroublent notre monde. II nous dit que les magiciens , pour en dérober la connoiffance aux génies du bon parti, 8c aux fages , avoient foin de la tenir toujouts cachée fous les eaux. II faur, continua-t-il, que quelque puif* fance furnaturelle 1'ait découverte a vos yeux. Il avoit , pendant fon difcours , la vue fixée fur ma bague j au moindre gefte que je faifois, il  d' A b d a l L A. 3 ijl reculoit de frayeur. Hé bien, lui répartis-je, puifque tu ne peux pas douter qu'il n'y ait un pouvoir fupérieur a celui de 1'orgueilleux Eblis que tu adores , reconnois donc Ia divine unité, & que Mahomet eft 1'envoyé & le favori de dieu. Je fuis forcé de le fentir intérieurement, me répondit il, mais je me garderai bien de 1'avouer devant mes camarades , car ils me mettroient en pièces. Je ne fuis cependant pas trop content d'eux ; ils m'ont fait quitter le métier de zyangi(a) que i'exercois dans les Moluques , oü je gagnois beaucoup d'argent, pour me faire vivre ici miférable & travailkr fans relache. Je fuis quelquefois tenté , pour m'en venger, d'embraiTer Ia bonne voie. II n'eft que celle du prophéte , repris-je vivement! Je lui parlai enfuite avec plus de douceur, pour tdcher de 1'attirer * la loi par excellence ' & je ne défefpérai pas de venir i bout de cette' ceuvre agréable au glorieux vifir du trés - haut; je trouvai dans 1'aveu que la force de la vérité* qui le preiioit, arracha i ce kafer 'b), une nouvelle preuve de la miffion célefte de 1'apótre (a) Sorcier. (£) Impic.  j fabriquent; auffi m0n laboratones appelle-t-il/e^^W Celui q;„i^eftacóté5&quivousrendIavue louche, eft la manufadture de lïiypocrffie & deS -tres vices qui ont une marche équivbque; vous Je difcerneza peine, quoiqu'il fok doublé , & que vous en foyez fort proche, paree qn'il eft ^jours enveloppé dune vapeur doucereufe , ^ de même les ames qui touchent fes' Ne vous approchez pas de trop prés de ces deux autres rochers, dont 1'un eft couvert de Fmpre qui forpente autour comme du Jierre &iautrequi eft de carron chargé d'hiéro.1 ' phes,&furmonté de petits cubes, marqués de ponKsmyfténeu,Vousmepuniriez,peut-ètre denevousavoirpasavertisdelafureurpourfo jeu & pour le vin qu'ils communiquent a ceux r s r.chent > nos taHr— ,0S dufrU1C -is voyez noircir autour du premier; & les iigures de IVutre sy Jg^ delles-memes. Les ames qui viennentfeW: auptes^mportentlegermedecesdeuxpaZ; (a) Exacleurs.  $66 Les Avintüres qui font le fleau de la raifon , du repos , de 1* fortune , & fouvent des mceurs. Je ne dois pas oubliet de vous dirê que ces deux rochers ont autrefois fouftert de violentes fecoufles par le pouvoir de leur plus grand ennemi {d) qui cherchoit a les détruire. Mais heureufement que leurs génies tucélaires font ac* coutus d'Europe alfez a tems pour les foutenir SC ies remettte dans leut afiiette. C'eft depuis cette époque que les ames de fes fectateuts n'en effleurent que légérement les talifmans \ néanmoins nous cherchons toujouts a leur faire donnet quelque entorfe a une loi fi contraire a nos vues, Sc nous ne réuffiiTons pas mal aujourd'hui a leur infpirer le goüt du jeu Sc de 1'ivrognerie* Ce groupe de deux petits rochers, dont 1'un vous éblouit par fon clinquant, Sc 1'autre s'eva* pore en fumée ,• eft la fabrique des talifmans deftinés aux ames de ces êtres merveilleux qui relTemblent a la matière brillante du premier* La fumée du fecond eft pour les ames de ceux qui courent après la chimère de 1'immortalité , qui leut échappera toujours, puifque votre monde dolt finir. La flèche qui tetmine le rocher qui eft derrière les deux que je viens de vous montrer , vous II défigne fans doute Mahomcc.  P™ve„t atttaner X .PTS' lM a™s qu-ib cl.nat.on pout Ia débauche (tlr ' "" P ft enoore , diff,Kmes te|nK X c m «n tyran, on plotSt u„ ^ * A"C » un monftre & „„ barbare D, , q"e c e* *- * ,ang„n«„, m£^£&» «nent, ,1 eft ftmiJIanr & ^ """" ">»• qm chang-nt achaque inftanc O, J * &" s paree qu ij Ên r, {a) L'arnéïitjuc. '  5*8 , L B S A V B N T V H B * Pefcalier qui s'éleve autour en fpirale , pat le moyen duquel nous navons qua monter a Ion {°Zls voyages du grand prophéte d*ns les cinq cent qturlnte efpaces W , vous moquezvousdenous,interrompis.jeavecv1vacue,de nousp-pofer certe folie , i nous qui fommes des corps & des corps tres-pefans. Smette, q- ie réunic le che^uYre d no^e art dans la compofition des tahfma Z{ doivent décider du caraftère dune joh femme Comme il nous avoit paru de bonne fTSquiors, nous nous h.fardames,de mon° Cüs reconnnmesqüilnenousavoupomt nlfur lafolidité des matches, nos pieds S ent aucune empteinte. Nous gagnames Wil qui étoit tranfparent , autour duquel 'ohuneealerieod nous nous rangeames avec regnoitunegaie _ firrpmarauerle procédé notre conducteur qui nous fit remarquer p U) vifion de l'alcoran, (i, Urnanufcritarabe porte , djne fernrnc ; enVcru devoir yfubftuuerrépithecede;^, ^  D' A B D A L L A- fU ***** dans Ia compofition des «dY d' ""ges. Nous vïmes plufieuTs m • • ^ iequel lune d elles verfoic un» li! ' MS P- q«e cette iiqueur s'appeloic^ T ^ *«re -agiciennetdchoitdele C f 5 [eiue, en 1'anJ' ' pré' Nous entendin.es diftindtement qaW ^ Y mettions une dofi> A>*~ r 5 fi nous uue aoie d amour pronre X, A Pour la parure & pour Jes pll°^ de -pondit-elle,aconditionq^ un extrait de cïiflï^uIatioj? d^m^ Om. A merveilles r rePntlautre? de faupoudrer le tour d„ , ' US°ublions -nge^ondepar/6 F«n de ^ U'°OÜS d"^re hómme, Jes raliL f°nt ■ e» vont i la chaflè des ine, V * qiii Vous ne devez plus e 1 " deS>°,,es ^mes. foient fi chan^ ItL r;"""" ks b^ Aa  J7o Les Aventures vous en avez fous vos yeux la vérifable caufe. L'attention que nous donnions a ce qui fe paffoic dans le globe magique , nous avoit empêchc de remarquer une terrafle magnifique en jardin, qui étoit de plain pied a la galerie oü nous étions } notre guide neut pas de peine a nous engager , par la beauté du lieu , a nous y promener. Nous découvrimes de la un palais fu- ■ perbe , avec une colonade dun beau matbre jafpé, dont les chapitaux étoient ornés de perles grofles comme des ceufs. J'allois queftionnet notre conducteur , lorfque je fentis la terrafle s'abaifler fous mes pieds. Nous nous trouvames de niveau avec une grande cour dont le pavé étoit de nacre. Je foupconnai de la trahifon ; un regard terrible que je lancai fur notre guide, le fit palir. Par le fabre redoutable de Rocail (a) , lui dis-je , je te punirai de ta perfidie! Au mou. vement que je fis pour le prendre a la gorge , il fe jeta a mes pieds, en me criant miféricorde. II me confelTa que c'étoit par ordre de fa reine qu'il nous avoit attirés fur la terrade. Je me reffouvins , mais ttop tatd , qu'il faut fe méder de tout inconnu. Et qui eft ta reine , lui demandai-je avec colère? C'eft , me répondit-il d'une voix ttemblante & les yeux égarés , (il évitoit (a) Sou éclat feul cue les magiciens.  D> A B D A l | A. fe mettre a portee de moi, en regnrdant mon ^ deux enfans Zanguizaf & Bouzodah. Je d";nS^'leUX^diWndis ces,oms:je e de lui iorfqudme fit remarquer norre navL fufpenduaia girouette du rocher que nou v -onsdequnrer. Ah ! trakre m ecrLje , no s fommes perdus !ru es la caufe de norriina 'ence. Ilme conjura, les larmes aux yeux de LTd 7 fupercherie qu'on ^ con. ttamt.de nous faxre. Je frémis quand il me dk que Nerkèz hu avoit ordonné de nous précipiter tousd;ihaut de la galerie, mais que mon li -anne pour lui IWoir détourné d'exécuter cec ordre. Je yis, par M combien on courr de dangers en Ia compagnie des méchans. Cepeadanc jefusun peuradouci en trouvanc un magicien reconnotflan, Depuis votre arrivée, ajouta-t-il «os fouverams font dans une coufternation qui "C S 7rimer' la W que vous avez obligee dabandonner fon ïle favorite , eourt par tout, eporée, les cheveux épars , & s agke comme une forcenée. J'allois tirer de plus grandS eclatrcfTemens de eet impie,lorfque nous furnes enroures par une troupe de jeunes filles couronnees de fleurs ,& revêtues de robes Iégères qtu ne lailfoient rien perdre de leurs charmes! Aaij  S7i Les Aventures Eliamanfor & mes compagnons coururent avec ces nvmphes qui rentrèrent en folittant, dans le palais. Indigné du piège que rabommable Nerkèz leur avoit tendu, je les fmvis & ) eutói avec précipkation dans une falie ou ,e v» ces malheureux changés en finges dont le aentillefles amufoient cette cour infernale. Ah. puiffante Gorec , m'écriai - je avec amenume , fouffriraS-tu Je n'eus pas letems dachever; on vu parmtre tout-a-coup une femme dont 1'habillement etoit fnnple, mais noble. Nerkèz, Zangtuzaf, Bouzoulah & leurs couttifans , patmi lefquels je reconnus la perite femme louche , le vifage alongé, demeurèrent pétrifiés de, cette appan•ongL:inconnue jeta au milieu de la fade des gilles qüe les nymphes & les finges ramafètent & mangèrent avec avidité. Nerkèz fit un cti de douleur en m'appercevant; ,e la vis prete ife jetera mes genoux , pour me demander tracé! L'inconnue joua dun petit inftrument, au fon duquel les magiciens fe mirent a danfer : a chaque faut qkilsfaifoient, je les voyois fenfiblement diminuer. lis devinrent bientot de perites figures conttefaites & tatatinees qüi coururent fe placet d^mbn^^ ^ffl)C';ftfc^ « nolmóüe de eet événement qu'on a vu 1« chemiaécs chargé* de pareiHeS figurdu  V A B D A t L A.' jj. J'aurois ri des grimaces qu'elles faifoient, fans la fcène intéreffante qui attira mes regards d'un aurre cóté : je vis mes compagnons qui avoient repris leur figure naturelle. Eliamanzor & Orcan étoient aux genoux de deux nymphes , & s'éctioient, ah Sidi ! ah Samour! Je courus dans leurs bras verfer avec eux des larmes d'attendrifTement. Ces chers amis ne pouvoient fe lader de me monrrer leurs belles maitredes. Notre libératrice fe transforma en ferin & s'envola vers le rocher au fommet duquel notre vaideau demeuroit toujours attaché. Les magiciennes enchantées ne pouvant fe venger fur nous , a caufe de la petitefle de leur ftature , fe battirent entr'elles , en criant : Perfide Gorec , ton triomphe fera de peu de dure- ' Elles fe poufsèrent fi rudement, qu'elles tomberent fur le pavé qui étoit de marbre , & furent réduites en poudre. Au même inftant nous entendïmes notre vaifTeau tomber avec fracas • nous le crümes brifé en mille pièces. Les grains de pouffière des débris des petires fiaures fe changèrent en vers luifans , qui formolent un contrafte fingulier avec les carreaux de mad-e non- fur lefquels ils fe placèrent par préférence aux carreaux blancs. , N°US fÜmes au combie de la joie quand nousvimes notre vaideau qui étoit entier , veuir de A a iij  '374 Les Aventures lui-même fous les fenêrres du palais. Nous nous hatam'es d'y monter avec nos nouvelles compagnes, paree que la cour étoit déja toute mondée , & que l'eau éroir prefque a fleur des croifées; peu a peu nous fentïmes notre vaifieau s e1 ver, & nous nous retrouvames au même niveau que la mer. L'ile que nous quittions , fut en un inftant fubmergée , de manière qu'il nous auroit été impoffible de la retrouver, quoique nous dufïions être encore au-deffus de fes rochers. Je fis le fouhait fincère pour le bien de l'humanité que ces fources impures de vices fuflent a jamais détruites comme les magiciens que nous avions vu s'anéantir. Le ciel fembloit, pat fa beauté , nous faire oublier les frayeurs morrelles que nous venions d'éprouver : le vent, d'accord avec lui, pouflbir légérement notre vaifieau : nous allions toujours vers 1'orient, en nous écartant fort peu de la ligne. L'étrange aventure qui nous étoit atrivée dans l'ile Submergée, nous faifoit défirer de favoir celles qui nous y avoient procuré la rencontre de nos belles compagnes. Eliamanzot & Orcan éroient dans un faififfement ftupide & les dévoroient de leurs yeux. L'aimable princeffe de 1'ile Tranfparente prit la parole & nous dit: L'infame Bouzoulah , après avoir abufé de Ia confiance de mes parens qui fe repofoient fut  »' A B D A L l A. elle du foin de mon éducation, avoit fbrmé le deteftabie projet de me corrompre : ce monftre que le roi Schach - Gévaher avoir réfugié d fa cour comme une princefle opprimée , cachoir, fous le mafque de la verru , la turpitude & la fcelerarefle ■ elle me deftinoir, comme je 1'ai vu depuis, aux infolens plaifirs de 1'odieux W gu.zaf. Une nuit que je me croyois feule, je fus iaifie par ces deux complices du crime ; les cris pergans que je jetai, mirent tout le palais en alarme. Ces perfides magiciens craignant le jufte reflentiment du roi , m'enlevèrent & me rranfPortèrent dans 1'ile qui étoit è leur pouvoir , & fans un ferin furprenant qui vint me carrefler , lorfque je revins de mon évanouiffemenr, j'aurois peut-être fuccombé aux violences de'l'impudent Zanguizaf. Ce petit animal , avec fes ongles & fon bec, lui déchiroit les yeux & le vifage , & 1'obligeoit de fuirpar la douleur qu'il y reflenroit; pour m'en punir , il me confina dans 1'aïreufe prifon d'oü mon cher prince ne m'a tiré que pour me voir précipiter dans les flots par 1'impitoyable Bcfuzoulab. Je perdis toute connoiiTance , & je ne la recouvrai que quand je fus dans la barque de deux pêcheurs qui m'avoient fauvée. Je tremblai quand je me vis au pouvoir de deux hommes. Ces bonnes gens remarquant mon inquiétude, me dirent qUe leur Aaiv  376" Les Aventures reine m'attendoit avec impatience , & qu'elle étoit même fur le rivage avec fa cour , paree que je devois lui rendre un fervice d'cu dépendoit le bonheur de fes jGurs. Par le grand BathalaMay - Capal [a), ajoutèrent-ils, vous êtes fans doute celle que nous cherchons depuis longtems par fes ordres , pour lui expliquer la dernière volonté de fon père. Je ne comprenois rien aux difcours de ces pêcheurs : je m'appercus qu'ils avoient le regard de travers ; ils me mirent a rerre , a quelque diftance d'une foule de monde qui s'avanca vers moi en pouflant des cris de joie. La reine m'accueillit avec beaucoup de douceur ; elle me fit mettre a cóté d'elle dans fon palanquin. Ses carrefles me radurèrent beaucoup 5 mais qu'elle me les a fair payer cher depuis. C'elr cette même petite femme louche que vous avez vue dans l'ile fubmergée. Son hiftoire vous fera connoitre les motifs de fes attentions pour moi, (ü) Divinité de ce peuple.  A B D A I t A'.' 377 Histoire de Louchine & des trois Princes bojjus. I oütes les vérités ne font pas bonnes d dire, L'amour propre vent bien qu'on lui faffe appereevoir les défauts des autres , mais non pas les fiens. La princefle Louchine, fille du redoutable Tibalang (a) , quoiqu'elle ne manqudt pas d'ailleurs d'agrémens , avoir le défaut de loucher ; cela lm étoit venu de ce qu'elle avoit été obligee de regarder de cóté pour foutenir la préfence de fon père qui faifoit fuir tous les enfaus de 1'ile par la fray.ur que fa vue leut infpiroit ; auffi fa fille ne 1'aimoit-elle guères. Elle étok vame, orgu.iileu >, avare , vindicarive & aimant la flatteris. 1 .US fes couvafans , po„r lui plaire, avoient d'abord louché comme elle } mais ds furent punis de leur adularion en reftant depuis avec Ie regard de travers. Le peuple , qui eft le finge aes grands , votilut les copier & eut le même fort qu'eux; de forte que tout le monde louchoit d la cour & d Ia ville. L'ombre de Tibalang, irritce de ce que fa fiile O) Signifle fantóme.  '378 Les Aventures lui avoit fait des obsèques peu dignes de fon rang , quoiqu'il lui eut lailTé , en mouraut, des tréfors ivnmenfes , étoit revenu prononcer contre elle cette terrible fentence qui fut entendue de toute 1'ile : Que l'ingrate Louchine meure ,Jc dans un mois il ne fe rencontre pas d fa cour trois princes qui aient le même défaut , & une femme fubmergée qui lui dife la vérité. Ces paroles funeftes portèrent la confternation dans le cceur de Louchine. Le terme fatal approchoit, fans qu'elle eut aucune efpérance d'éviter la cruelle fentence de fon père. Elle envoyoit de tous cbtés des vaitTeaux a la quête des princes, elle recommandoit aux pêcheurs de fecourir tous ceux qui auroient fait naufrage , & fur-rout les femmes qu'ils verroient furnager. Mais fes recherches étoient fans fuccès. Eile avoit beau offrir des facrifices au vieil arbre facré (a), pour appaifer 1'ombre de fon père , on la voyoit toujours voltiger fur la cime fous une forme giganrefque , ayant le corps peint, de longs cheveux, de petits pieds, & de larges ailes érendues ; 'les cris aigus qu'elle poulToit, marquoient combien elle étoit courroucée contre fa fille. Louchine défefpérée , pale & tremblante , (a) Les Talages, dans les Philippines, ont la même fuperftition.  d' A b d a l l x." ^ qUe)deUXiOUrS de ^Jorfquon ar é ' ? !m & Gib°lao£ Ces ri™*V H L7 Je;nChefreS de L°Uchi"e' -„oien jo xnconcevable quand elle if ^ nou_ -flex on qu fl manquoit encore Ia femme de véZ^ "g,nam ^ fes gens "e la cherchoient Sal °,n ,/e,,e fe re0dit «««-«faneiur Ie -age pour épler II elle nela verroir pas fur- X's FT raV0ient^e,ils ét0ienC obhges pour Ia voir, de fé tenir toujours a «We, de la vienr la „uturne de regarder cette Place comme Ia plus honorable Ces riv " avo.ent. chacun une bofle fur Pépaule droite de mamere que Louchine Sc fes courtifans, dont' les regardsfedirigeoienttouiours dans „n Z5 contrane ne pouvoient sen appe ree voir. Les "es-hen dans fon „val; auffi difoient-fls en eux- -mes, parMahomet! cepetirboflu-ldnePem. P°-ra V* **** lis rioient fous cap, nfe moquant les uns des autres. WEnorrc„tIagaucheeft]aplaccdWiir(  380 LES A'VENTURES Louchine fe mettoit 1'efprit a la torture pour découvtir leur défaut commun. Comme elle n en voyoit point dans leur extérieur, elle s'attacha a étudier leurs inclinations , mais elles étoient tout-a-fait différentcs. Elle s'étoit appereue, dès le foir même de leur arrivée , paree qu'ils ne fe conttaignoient point , que Mirloulouk étoit adonné au jeu , Chinchicn aux femmes , & Gibolaof au vin. Déja elle défefpéroit d'échapper a la loi funefte j le tems prelToit, il ne lui reftoit plus qu'un feul jour ; mon arrivée fembla adoucir la détrelTe oü elle éroit, elle m'en apprit en chemin la caufe. Lorfque nous fümes dans fon palais: Aimablt inconnue, me dit elle , dites-moi naturellemcnt queh font mes défauts & ceux des trois princes que vous voye^ ? Je vous accorderai tout ce que vous me demanderc\. La candeur apparente avec laquelle elle me faifoit cette queftion , 1'efpoir qu'elle me rendroit au diets auteurs de mes jours , me firent répondre ingénument : Princejfe , vous louche^ d'une maniere cppofée d celle de ces trois princes qui Jont bojfus ,&.... lnfolente , intetrompit-elle brufquement, les yeux allumés de dépit , je te pardonnerois fi tu ne m'avois reproché que les défauts de mon aöe! mais attaquer ma beauté ! orgueilleufe} je te ferai repentir de ton indifcrétion.  A e d a i r, a; ,8 A 1'inftant même je fcnas le planchet fondrè lous mot , pour me faire tomber dans un fou-em templi d'eau. La vindij Loilchme £dï^ , ou je rus fort étonnée de ;aiK' L^P^able magicienne ne borna pas la fa vengeance, elle me condamna d avouer «PeHe etou une beauté parfeire , & d être con -elementoccupéedlaparer.Quedeca;^ que dmjures pour un cheveu dérangé ou une 7etre ^roitpaai fa place ! Elfe en é d une maufiaderie * d'une colère incrova Mars pour avorr plus de prétextes de meZ,! ^ ellem'avoitpnvéedelamémoire3deCe q-1 oubhors , d'un i„Wd 1'autre, celtL mavoKcommandé^ quand elle me deman! don fi je la trouvois belle, je lui reónnA elleiejetoit alors memaltrartoitUn jour que j'étois en bn^fe oups je vis les autres xnagiciennes ac our £*" -CheVe,éeS > hurlemens I pl I5 qU'eüeS all0iem me **» « p ; . Jetots toute tremblante de la fraycar ^e lumière extraordi-- p,netra_tout-d-coup dans notre demeure; " --ntrenrées en montagnes d l'e! I to«r des rochers qui la défendoient. Les magi-  3§i Les Aventures ciennes redoublèrent leurs cris: elles confultèrenc leurs livres , & firent des conjurations effroyables; elles fe défefpéroient de ne pas pouvoir ouvrir le réfervoir des tempêtes, ni percer les outres qui renferment les vents. Cetoit fans doute pour les déchainer contre vous ; car j'entendois Nerkèz & Louchine s'écrier, ou fuir ? C'eft le redoutable Abdalla. Zanguizaf s'ofrrit au mème inftant a ma vue, en me lancant un regard finiftre & terrible qui me glaca d'effroi. Les yeux lui forroient de la tête , allumés de rage ; il me déchargea un fi furieux coup d'une maffue entorrillée de ferpens , que je me crus motte ; je tombai toute étourdie du coup , &c j'eus beaucoup de peine a me relever. Le fouvenir de ces aventures effrayantes s'eft retracé nettement a ma mémoire , après que j'eus mangé des paftilles qu'une inconnue nous a apportées. Samour , en pafiant fes beaux btas autour du col d'Orcan , lui dit : ce font fans doute ces paftilles qui me remplkfenr auffi 1'imaginarion d'ours , de tigres & des auttes bêtes fcroces qui me pourfuivirent quand nous fümes fi cruellemenr féparés , & que je croyois t'avoir perdu pour jamais , ajouta-t-elle en eiïuyant fes larmes ; il me femble que je les vois encore j j'en fus fi cpouvantée que je me réfugiai a demi-  D' A b d a l r A; ™»e .dans une fente de rocher oü reu, JJa peine a entrer t7„ j j 8rand meurtrière. «happe a fa dem ^'«« fa» ijr^:te"core- ™" i iV fus fin» par l-obiet I r Je m appercus qu'elle avoit de I, ement > P«yer fur „ne de fes Dal ^ * Je lexaminai &X - ^ étoit enHée' e louüIou patiemmenr que je  384 Les Aventures tirafle fon lait qui m'a fervi de nourrimre pendant deux ans , que j'ai été contrainte de refter dans ma prifon. Ma nourrice n'ofoit fortit que la nuit pour aller chercher fa fubfiftance ; elle venoit, a fon tetour , fe mettre d'elle - même devant moi, comme pour me dire de prendre la mienne. Chaque fois qu'elle me quittoit, je tremblois de peur de ne la plus revoir. Une nuit que je ne la vis point revenir, je me mis a la pleurer amèrement. Je ne doutai pas que ma pauvre chèvre n'edt été la proie des animaux voraccs j j'étois vivement affligée de fa perte lotfqu'une grande lueur fe répandit jufqu'au fond de ma retraite. Comme je n'entendois plus les hutlemens des monfttes qui infeftoient 1'ile , je me hafardai de fortir de ma caverne. Je vis une partie de l'ile en feu, & au-deflus de ma tête, un gros nuage obfcur, d'ou fe détacha une femme qui m'emporta avec une rapidité étonnante , par les airs , au-deflus de la mer, ou elle fe laifla toraber avec moi, pour me confiner dans cette prifon humide j je fus alors que j'étois au pouvoir de Nerkèz, qui me donna pour fiche celle de repomper les vents dans des outtes d'une gtandeur énorme^ dont un feul laché eüt fuffi pour déraciner des fotèts entières. Nous apptimes a nos charmantes compagnes » comment  > A B D A L P, A7 «bmment les enchantemens de Nerkèz avoient «e décruirs, & ce qu'elles ignoroient de notre «range aventure dans 1'ile Submergée. Nous fumes interrompus par les cris de joie de la phnceiTed'avoir rerrouvé fon ferin qui vint tout effaroaché fe réfugier fur fa main; il étoit fuivi par une bande de Tavons (a) qui s'abattit fur nös cordages. La nuit qui commencoit a être obfcure , nous fit remarquer qu'ils avoient tous le bout du bec éclatant & lumineux. Nous voulumes eflayer den attrapper quélques-uns, mais ils s envolèrent en dépofant fur nos voiles & fur nos cordages , qui en furent en un inftant parfemes, les petits brillans qu'ils tenoient a leur bec Je détachai un de ces brillans que je laifTai tomber de frayeur en reconnoifTanr les vers luifans de l'ile Submergée. Ces vers fe trausformèrent en rubis qui demeurèrenr incruftés i notre vaifTeau i' qui fut lui-même changé en criftal & devint immobile. Nous n'ofions plus le faire mouvoir crainte de le brifen Nous fentïmes tout-a-coup' une chaleur violente qui étoit occafionnée par un grand rideau dé feu qui nous barfoit le chembv Nous appréhendions d tous momens que cette chaleur ne calcindt & ne fit éclater notre navire. <«) Le tavon eft un oifeau dont le plumage eft forc Jioir, a peu pres de la groffeur d'une poule. lome XIII.  j8U1 en rut bien- Bbi;  ?8S Les A v' e n t u r e i que ia pluie de feu, qui tomboit fur eux efié cellé. , , Le jour qui commencoit a diffipec les tenebres de cecce nuit effrayante , nous permit de difcemer les objets. Nous découvnmes a quelque diftance de nous une ile, i la vue de laqutlle 1- prince Eliamanzor donna les plus grandes marqués du défefpoir ■ fes difcours entrecoupés annoncoient la violence de 1'agkation oü il étcjit. Ah ! mes chers amis , s'écriok-il, périr fi prés '. Nous comprimés que nous étions a 1'afpeét de Borico. Uobftacle invincible dont Nerkèz nous avoit menacé , n'étoit que trop réel , par 1'impuitfance oü nous étions de faire agir notre vaiffeau. Nos plaintes , nos regrets futent interrompus par le fpedacle touchant d'une femme dans l'eau, qui étoit poutfuivie par un requin monftrueux. La pitié & 1'humanité qui ne manquent jamais de parler d un cceur mufulman , me firent oublier le danger que je courois en me jetant i la nage pout la fecourir. Le monftre étoit prés de 1'atteindre, lorfque je Ia tirai promptementa moi, en la faififiant d'une main par fes cheveux qui flottoient. Le requin voyant que je lui airachois fa proie , fe jeta fur mon autre main , dont je m'aidois pour nager ; mais au moment qu'il me toucha , je le vis difparoïtre en nuage de fumée qui répandit .une odeur de  d' A b d a l i. a. ;8p foufFre. J'étois fi érriu que je ne fis pas alors Kflexion que le monftre avoit fans doute été anéand par la vertu de mon anneau. „ Enfin , s'écna la femme que je venois de fauver , implacable Nerkèz, je ne crains plus ta fureur! Je n eus pas le tems de lui demander 1'explication de tant de chofes terribles qui fe pafibient fous nos yeux. Un vaifTeau , d'oü fortoit un vokan continuel, venoit a toutes voiles fut nous : nous regagnames en diligence le nótre. Nous jugedmes, X fa manoeuvre, qu'il voulok «ous trairer en ennemis ; cependant le feu qu'il votmfïok fe ralentit. Un homme ayant une phyfionomie fimftre, nous cria d'une voix infukante: Hé quoï 3 mes braves, vous n'ofa ayoneer l on diroit que vous ave\ peur ? Cette raillerie nous rendit tout notre courage ou plutót notre fureur. Déji nos ennemis teqto.ent 1'abordage , lorfque nous les repoufsames, Je fabre -a la mam , jufques dans leur vaifTeau. Je m'attachai a 1'iniolent qui étoit venu nous braver ; je le fendis en deux d'un coup de cimeterre, & fon corps nagea bientut dans les bouillons dun fang noir & épais. La femme que j'avois dchyree.poulTa des cris de .joie , en le voya.r tomber, tandis que h prineefTe & Samour > totent ceux de la défolation. Je clierchois X vaincre ou bien X mérkerkr Bbbj  390 Les Aventv*es gloire que tout courageux Mufulman acquiett en périflant les armes a la main (a) , lorfque ia fa*reur qui m'animoit fut fufpendue par ces mots que j'entendis derrière moi ; Ah mon fils ! Je vis Eliamanfor, jetant par tetre fon épëe, counr dans les bras d'un vieillard refpe&able qui > d'une voix étouffée de faififlèment, & les larmes aux yeux , s'écrioit, en 1'embraflant, mon fils t mon cher fils ! Ce fpe&acle arrêta tour-a-coup J'acharnement des combattans. Tout le monde fe regardoit dans un filence inquiet qui fut bientot rompu pat un cri général d'attendrifiement. Chacun frémit en apprenant que le prince avoit, pu le bras levé pout trancher les jours de fon père. C'eft re monftre , répétoit le fultan , en nous montrant celui qui avoit fuccombé fous mes coups , qui m'excitoit a pcurfuivre mes plus chers amis. Quelle eut été ma douleur fi j'avois fuivi le barbare confeil qu'il me donnoit, de faire fauter votre navire , donr la merveille m'a frappé ! Nous jetames a la mer le corps de ce méchant homme, qui fit frémir l'eau. Au même inftant 1'inconnue frappa d'une baguette notte vaifieau qui reprit fon état natutel ; elle pafla avec la prir.ceife & Samour, dans celui du Sultan (o) Un Mufulman vi&orieux fc croir champipn de fa loi. S'il meurt en combattant, il s'en croit martjft.  »' A B D A 1 l A'. ,9l qui palir quand cette femme lui adrefTa la parole. r , "Su,tan » ]«i dit-elle , les princes font fuiets a lerreur comme les autres hommes. Tu crois reconnokre en moi les traits d'une femme qui ta apparu cette «uit; c'étoit la perfide Nerkèz qui avoit emprunré les miens pour t'excker i armer contre ton fils , en te difant qu'un vaifTeau ennemi alloit faire une defcente pour envahir res etats ; mais en te livrant a 1'illufion d'un longe , tu as failli marcher a ta perte. Le magicien Zanguizaf, fous les traits de ton capitan tfacha (a) , r'animoit a fake périr ton fils & fes kbcrateurs. Le traitre, après avoir recu des mains d Abdalla le jufte chatiment de fa barbarie , gémit aéhiellement dans la montagne de Caf fi) avec 1'indigne Nerkèz, fa mère , & l'infame' Bouzoulah , fa W , ou il pleurent leurs méchancetés dans de fombres cachots. » Toi, Abdalla, ajoura-r-elle , fie toi a l'amitié & a la reconnohTance de Gorec : tu m'as fauvé h vie en me délivrant de eet affeux requin qui etoit prèt de me dévorer j c'étoit Timplacable Nerkèz qui , fous fa forme, alloit m'immoler U) Amfral. tf) Prifon des magiciens ou Sutkrag les rfent enfermés «ans de noirs cacliots. Bb iy  '3 9* L ïi Aventures a la haine qu'elle a contre moi, de ce que j'ai abandonné leur déteftable parti. Elle m'avoit précipité dans la mer en me faifidant, en traIdfon , par le corps , dans le combat acharrië qu'elle m'a livré dans les airs : ma chixte vous a été falutaire par ma métamorphofe en pluie de feu qui a confumé les infe&es énormes qu'elle avoit fufcités contre vous. Je ne me fuis appercue qu'il en étoit échappé , que lotfqu'après avoir repris ma dgure de femme , je me fuis vu pourfuivie par le monftre que mon cher Abdalla a détruit en me fecourant avec une humanité & un courage dont il recevra la récompenfe des pudfances bienfaifantes du Ginniftan. Reconnoidez le ferin de la belle Sidi. Cette femme , a 1'indant même , redevint petit oifqau , & difparut en nous laiflant émerveillés d'apprendre la caufe de tous les prodiges qui npus avoient frappés. Le fultan ne pouvoit revenir de fon étonnement; il fit beaucoup d'accueil a 1'aimable princede de l'ile Tranfparente, dont il.avoit appris les malheurs par un vaideau que le roi Schah - Gévaher avoit envoyé a fa recherche. Il ne cedbit de nous remercier de lui avoir rendu fon fils. II ne voulut point foufr frir que nous rentrallions dans notre navire. j'en, confiai la conduite au pilore , & nous gagnames de compagnie le port de Borico , joyeus de  »' A b © a l z a: '393 toucher enfin au terme fi défiré de nos recher, ches. Je ne doutai point de leur fuccès ; car j'avois remarqué la fraïcheur des traits du fultan , malgré 1'dge avancé qu'il paroiflpit avoir, Arrivée d'Abdalla dans l'ile de Borico. A ■^ussi-tot que nous fümes débarqués , Ie fultan dépêcha d la reine deux de fes Itchoglans (a), pour lui annoncer 1'heureufe nouvelle du retour de leur fils. Nous vïmes , en aprochant de la ville, une foule de monde qui accouroit au-devant de leurs fouverains ; leur préfence excita un cri général d'allégrefie. Nous fümes conduits au milieu des acclamations ■ jufqu'au palais ou nous trouvames la fultane d qui im faififiement de joie öta la parole. Son regard , fes geftes appeloient dans fes bras fon cher Eliamanzor. La jeune princeiTe Charmen fautoit au col de fon frère & 1'accabloit de carre/Tes, La belle Sidi voulut fe profterner, mais la reine 1'en empêcha en 1'embralTant. Ben-Adir s'étoit déjd rendu au palais, & rémoigna au prince ia 00 Tagcs.  354 Les Aventures fatisfaótion qu'il avoit de le revoir, en ne lui faifant aucun reproche. Non, les fidèles Mufulmans qui font a 1'ombre du tuba (a) , n'ont pas une joie plus délicieufe que celle que me caufoit le contentement de tant de perfonnes! Eliamanzor nous donnoit tous les jours de nouvelles preuves de fon amitié. Les fouverains de Borico me traitèrent avec une diftinétion particuliere. Samour & Orcan avoient aufli part a leurs attentions; Chatmen étoit inféparable de la belle Sidi & de fon fiére. YourSophi & la tendre Naïskah versèrent des larmes au récit des aventures de leur fils & de 1'aimable princefle de l'ile Tranfparente : ils furent vivement touchés des malheurs d'Orcan & de Samour; Charmen en avoit le cceur fi gros, qu'elle s'écrioit en fangh ttant : Ah les monftres! ah les barbares ! Eliamanzor élevoit fort haut les fervices que je lui avois rendus. Le fultan & la reine me regardoient avec des yeux qui peignoient leur fenfibilité & leur reconnoitfance. Charmen accourur m'embrafler ; je vis par la qu'elle avoit le cceur bon. Je faifis cette occafion ( tour mouillé d'une fueur que je crus être mon fang ^ dans lequel j'étois baigné. Le btuit des claitons & des trompettes qui fe fit entendre , acheva de me tirer de ce fonge terrible : c'étoient Eliamanzor & le Spahilard Aga (£) qui venoient, accompagnés d'un détachement de cavaliers, me prendre par ordre du fultan pout me conduire au temple. AfeNTURE d'Abdalla a la fontaine de Borico. (jette marqué de bonté du fultan difïipa peu a peu les imprefïions funeftes que mon fonge m'avoit lailTées. Notre cortége fe mit en marche au fon d'une mufique guerrière, entte deux haies de fpectateuts que la curiofité avoit attirés. Les Spahis s'avancoient en ordre , montés fur des chevaux richement caparaconnés. Nous étions au milieu d'eux , le ptince & moi, fuivis d'Orcan & [de mes autres compagnons $ tous a cheval. (a) Ange dc la mott. (J>) Commandant des Spahis.  d' A b d A li a; ^ Nous appercümes, en arrivant au parvis du temple, deux géans d'une grandeur déméfurce, placés aux deux cótés de la porte qui paroiïfoient vouloir en défendre 1'entrée. Ils étoient couverts de peaux de tigres & de lions, dont les têtes leur fervoienc de bonnets. Ils portoient de longues rnouftaches noires & épailTes, & pour armes des Iances auffi grandes que des arbres, au bout defquelles brilloic un fer pointu j un cimeterre d une largeur effrayante pendoit a leur cbté. Un de ces géans, en nous voyant approcher, cria d une voix de ronnerre, qui fit trembler le temple & les maifons voifines : Peuple de Borico foufrire^vous que des étrangers enlévent impuni ment votre tréfor le plus précieux ? A ces paroles féditieufes, le peuple fit pleuvoir fur nous une grêle de pierres. Notre cortèae en défordre cherchoit a s'en garantir , lorfque nous tumes enveloppés par des tourbillöns de flammes qui fortoient de la bouche de ces deux colofies dont les cheveux hériffiés fembloient autant de' ierpens qui fe dreiToienr en fifflant, pour s'élaneer lur nous : „os chevaux épouvantés fe cabroienc ; déja plufieurs de nos cavaliers avoient te ,etes par terre, quand deuxguerriers mconnus, -ontcs fut des gciffons, parurent dans les airs & fondirent fur ces géans qu'ils percèrent de fe** lucesjü „e fortit de leurs bleflures que  4G9 Les Aventures du vent. Ces fantómes tombèrent en pouflière } comme s'ils euflent été frappés de la fcudt e. Le peuple , émerveillé de leut deftruftion, cefla de nous accabler. Nos libérateuts , en btant leucs cafques , nous monttètent les deux plus beaux vifaUs de femmes qu'il foit poffible de voir. 'reconnom , nous ditent-elles J Gorec & la Ginne despyramidesl U ciel, toujours jufte iPuna enfin les méchans ; il nous a choifies pour txécuter fes decrets fur ces monjlres d'iniauité ^oyéyontre VousPar les ïnfames amis ie Nerkèt. Tot, Abdalla, ajouta Gotec j va recevoir le prix de ton huma- m Ces deux femmes céïeftes fe dérobèrent au jnème inftant ï notre vue h les pottes dutemple s'ouvrirent; nous mïmes pied a tetre. Le pontde én robe verte , doublée d'hermine , avec un gros turban dont le tour imitoit des joncs & des rofeaux entrelacés , vint nous recevoir a la tere de fes gardes. Une petite clef d'or pendoit fur fa poittine.attachéeiunruban violet hfere.de blanc, patfé en fautoir i fon col. Il nous introduifit dans le templequi étoit d'un beau marbre, foutenu nar des colonnes d'agate & de porphyre. Nous nous avances vers une grotte ievètue de coquillages de différentes couleurs ; enfuite le pontife déployant un rouleau de grandes écailles de poiffon, fur lefquelles étoient graveee 6w    NousentenaWs auffi - t6t derrière Ia grotte «ne m fi fa*^^ pontife/ap ! des pierres prècieufes donr il ctoit rapiffé No vïmes la ftatue de Naïs 3„„ < " ' P e' Nous , aPP'jyee d'une main W une urne de nacre qui recevoir d'abord 1'eau de la ourcedivine,pour Ia lailTer fuite dans une grande coquille d'émeraud» „I fois , i mes compagnons & d moi, dan 2 grandes bouteilles de eryftal quxi renferma d ° un cofFre d trois compartimens. * L'eau que nous venions de bolre nous oom-' -niquoK dé;a une chaleur étoh,anrepiou U «vions trouvéungoütfort agréablè. Nou " F-es gaiment Ie chemin dn palais , dl «cmeordre que nous étionS veuus : quat e d lorre corcege , avec nos mufxciens i Ce  4oi ies Aventures comblant de fouhaits heureux pour notre retour dans notte patrie. Rien ne pouvoit égaler la fatisfa&ion que j'avois de pofleder enfin le ttéfor que j'avois défefpéré d'obtenir. Quand je fus feul, je frappai la terre de mon front, en adorant le fouverain maïtre de fept cieux merveilleux {a) , 8c des puiiTances proteótrices qui m'avoient favorifé ; je n'oubliai pas non plus de me profterner devant celui que la divine unité regarde d'un ceil de prédilection (b). Eliamanzor m'inquiétoit par la mélancolie oü je le voyois plongé : les carrefles de fa fceur ne pouvoient 1'en diftraire : cette jeune princelTe nous enchantoit tous les jours par les graces 8c la vivacité de fon efprit : elle comprit la caufe de la triftelTe de fon frère , & s'y prit fort adroirement pour faire fentir au fultan la violence de fa paffion pour la belle Sidi. Un foir que nous étions tous raiTemblés auprès du Sultan, fi vous vouliez , lui dit-elle, je vous raconterois une hiftoire intéreflante que j'ai lue ce matin : un foutis d'apptobation de la part de fon pète , nous procura le plaifir de 1'entendre. (ö) Mahomet dit les avoir parcourus en une nuit. (£) Mahomet.  *' A b d a t fc a; 4 D A^ans une ile appelée 1'SIe du Bonheur régnoit un roi nommé Yfouf-Manfoul • ce'bon pnnce ne fe feroir pas couché content, s'il eut iu quelqu'un de fes fujets dans 1'afflicrion • auffi «oit-il adoré de fon peuple j les érrange'rs en étoient accueillis , & s'en retournoieat pleins de reconnoifiance & d'amour pour fa perfonne Ce fouverain bienfaifant avoit une fille unique qu'il aimoit tendrement : cette £Ue charmante fe nommoit Mirzala(a); die étoit auffi bonne quelle eroit belle : un jour, e» fe promenant dans les jardins de fon père , elle vit tomber dans un canal profond un jeune enfant qui en courant après un oifeau , n'avoit pas pris «Le au precipice qui étoit devant lui; elle ne balanca point i voler a fon fecours ; mais fon humanité penfa lui être funefte : le bord de 1'eau étoit eicarpé & le terrein ghflant; le pied lui manqua; elle alloit même périr, lorfqu'un jeune homme de bonne mine arriva aflez a tems pour la tirer, avec le jeune enfant, du péril ou ils (a) Fleur de roller. Cc ij  404 Les Aventures étoient tous les deux. Mirzala voulut exptimef fa reconnoifiance , Sc le jeune Siud fon admirattion : la parole leur manqua ; ils rougirent en fe regardant, & fe féparèrent fans avoir la force de fe rien dire : c'eft depuis ce tems-la , que quand deux amans fe rencontrent, ils font embarrafles, &c qu'un filence plein de ttouble eft plus expteffif & plus éloquent qu'un étalage de belles paroles. Mirzala s'en alla fort inquiète de favoir oü elle pourroit retrouver fon cher inconnu ,: Siud retoumoit chez fon père , fort atttifté de connoitre qu'il aimoit la fille du toi. La belle Fleur de tofier fe fana bientot d'ennui & de langueur : Siud i de fon cbté , fe repiochoit la témérité de fon amour, & dépérifioit i vue d'ceil; il ignoroit fa naüTance : fon père devenu fage par le mal-, heur , la lui avoit cachée 3 pour ne pas 1'affliger. Le bon Yfouf-Manfoul étoit alarmé de 1'état de fa chère Mirzala ; elle s'obftinoit a lui taire la caufe de fon mal : une pie qui avoit été témoin de fon aventute avec Siud , vint tout conter au roi \ car les animaux parloient aufli dans cette ile fortunée. Que fit le roi, demanda avec vivacité le Sul-; tan ? 11 envoya fur le champ, répondit Charmen } shercher Siud Öc fon père , qui fe trouva uq  »' A b b a i e' a: 4e5< Pnnce détröné, ancien ami du monarque: il unie Smd avec la belle Mirzala : ces jeunes époux ^renc es délices du peuple & la confolation de Wille/Te du bon Yfouf-Manfoul. Je vous entends , ma fille, répliqua le fultan , ne fenez-vous point la pie qui m'avertit de ce que i aurois dü faire ? Vifir Azem , ajouta-t-il en _sadreflant d lui, préparez-'vous i partir demain pour 1'ile Tranfparenre. Eliamanzor fut tranfporté de joie quand il enendulordre que fon père donnoir „ Vifir Lesjouesde la belle Sidi devinrent deux J£ vermeilles Le fultan embrafla Charmen , * a Pumr de la petite malice qu'elle venoit de CONCLUSION DE L>HlSTOIRE d Eliamanzor & de la princejfe Sidi. T fatisfaclion de revoir bientót Ies chers auteurs de fes jours, bnflqft dans les yeux de 1 aimable prfnceflè de file Tranfparente 5 elle en enrretenoit fouvent le prince qui ne lui oarJoir. que de fon amour. Sidi , interdite, ne lui répondoit que par un regard plein de douceur. Lefperance de fon bonheur prochain rendoit a C c iij  406" Les Aventur.es Eliamanzor fa gaieté & fon éclat , avec autant de promptitude que la rofée rend la fraïcheur aux fleurs languilTantes. Charmen lui en faifoit agréablement la guerre ; Samour & Orcan n'e-> toient point a 1'abri de fes'faillies ingénieufes: le fulran s'en amufoir beaucoup. La Reine partageoit fa tendrelTe entre fes deux enfans & Sidi qu'elle nommoit fa chère fille. Nous paiïions une foirée agréable, réunis dans un magnifique falon , lorfque nous entendimes voler au-delTus de nous un oifeau qui vint fe percher fur le fourguis (a) du fultan : il fe changea tout-a-coup en une efcarboucle , dont 1'éclat etTaca bientbt celui des lumières qui éclairoient le falon. Au même inftant nous vimes Sidi , toute émue , fe lever avec précipitation , & courir vers deux perfonnes qui entroient, en s'écriant : Ah mon père ! ah ma mère. Le fultan & la reine vouloient les aller recevoir, mais 1'efcarboucle qui s'étoit transformée en une femme majeftueufe, dit au fultan : Prince, j'ai lu dans ton ame & j'ai pre'venu tes défirs , en t'amenant moi - même les fouverains de l'ile Tranfparente. Leur préfence manquoit au bonheur de ma chère Sidi , & fon union avec ton fiU manque au tien. Tu dois a l a~ mitié & aux fetvices d'Abdalla , que fon devoir (a) Porce-aigrette d'un turban.  d' A b d a l t a. 407 rappelk auprès de fon maure.de Ven rendre témoin. Je cours l'annoncer a. ton peuple. Les fouverains de Borico & de 111e Tranfparente bannirent entr'eux le cérémonial gênant de 1 etiquette: Schah-Gévahet & Pehry Rokfar, fe livrèrent fans réferve i la joie qu'ils eurent d'avoir retrouvé leur chère fille. Ils furent faifis d'mdignation contre fes ravifleurs, & frémirent des dangers qu'elle avoit courus : la reconnoiffance qu'ils eurent pour Eliamanzor, de ceux auxquels il s'étoit expofé pour Ia délivrer , augmenra 1'inclination qu'ils fe fentoient pour lui; ils lui témoignoient leur bienveillance, quand on entendit retentir, dans le palais & dans les cours, ces cris : Vive Eliamanzor, laprunellc de nosprunelles ! vive la belle Sidi, le rofier de notre bonheur! que les e'toiles du ciel foient autant de perles de profpérité qui couronnent leur union ! Lorfque Ie fultan voulut donner des ordres pour les préparatifs de cette fête , il demeura ftupéfait, quand on lui répondit que tout étoit prêt. Plufieurs azamoglans (a) apportèrent a la pnncelTe, dans des corbeilles galamment ornées, des robes d'étoffes les plus riches, & des écrins templis de pierreries d'un prix ineftimable ; ils (a) Pages. Cc iv  «fö8 Lis Aventures préfentèrent au prince des féredges (a) 8c des caftans {b) de brocard, avec un crit (c) dont la poignée paroifloit toute de diamant, & un turban oü brilloit une aigrette d'une richelTe immenfe, Le murmure affe&ueux du peuple'annongoitfon lmpatience de voit ce couple charmant, fi digne 1'un de 1'autre : quand ils parurent fous leurs nouveaux habits , on les eut pris pour deux divinirés ; leur phyfionomie piéfageoit le bonJieur ; ils fe montrèrent au peuple , accompagnés de la plus brillante jeunefle de Borico , Sc fe rendirent en pompe au milieu de fes acclamations , a la principale mofquée oü nous les fuivimes avec les fouverains de Borico & de 1'ile Tranfparente qui étoient précédés par leurs itchoglans & leurs azamoglans richement vêtus. Leur arrivée fut annoncée par une mufique bruyante , qui joua des aits plus doux quand le Muphti pofa fur la tête des jeunes mariés deux couronnes d'or en lacs d'amour , furmonïées de touttereaux qui leur fervoient de fleurons ; il leur remit enfuite a chacun un épi d'or (a) Vefte a manches larges, doublée de fourrureSj, (b) Longue robe a l'afiaticjuQ, («) Poignard court..  »' A B D A l L A! ' 40^ fenrichi de diamans, parfaitement imité , pout lymbole de la fécondité & de la fin du mariage. Cette cérémonie étoit a peine achevée, que nous vimes la foule s'ouviir pour lailTer le paflage Jbre a une femme refpedable qui vint embraflêr i adorable Sidi : Ma chère fille , hu dit-elle , le Join cue vous ave^ pris de moi, quand fous la forme d'un oifeau, j'ai partage vos peines , m'engage d vous aecorder le don d'avoir tout le monde pour ami, & deporter lafélicitépartout ou vous yous, prince , vous ave^ toutes les qualités du. cceur & de l'efprit ; j'y joins [a prudence j h fa_ gefie & lafcience de gouverner, pour faire, comme le fultan , le bonheur de fon peuple. C'eft a regret que Gorec vous quitte; mais je me dois aufecours des opprimés, & aufoin d'écarter nos ennemis de la route de mon bienfaiteur le sénéreux Abdalla. ' f ■ Le peuple fe profterna quand il vit difparohre ma reconnoiiïante proteótrice. Mille voix unammes répétèrent: Donne^nous donc de nouveaux cxurspourfuffire a 1'amour que nous portons d nos dignes fouverains ! Le Sultan prit fon fceptre & le remit entre les mains de fon fils pour marquer qu'il l'atïbcioit * 1 empire , il PembtaïTa rv2c une tehdrfffa digne do k belle ame, ®immv fe pr0ftsrna avec  4io Les Aventures noblefle aux genoux de fon père , pour lui térpoigner qu'il lui feroit toujours foumis : les applaudilTemens fe renouvelèrent avec plus de force ; tout le monde étoit vivement affecté de cette fcène majeftueufe & touchante. Le chemin par oü nous retournames au palais croit jonché de fleurs : une ttoupe de jeune filles parées de robes élégantes , a Ia tète defquelles brilloit 1'aimable Charmen, formoit avec des guirlandes une chaïne a 1'entour de la belle Sidi: ces filles charmantes ehantoient des aganis, oü les noms de cette princefle & d'Eliamanzor étoient bénis 8c célébrésj elles s'accompagnoient d'inftrumens dont 1'harmonie frappoit agréablement nos oreilles. Les habitans de Borico fignalèrent leur amour pour leurs fouverains , per des fêtes magnifiques : ce que nous en admirames le plus , fut un jardin au naturel » rempli de fleurs , de légumes 8c d'arbres fruitiers , que 1'on fit avancer par le moyen des machines au milieu d'une grande place vis-a-vis du palais, oü les princes & les princefles prirent le plaifir de la promenade. On lui fit fuccéder , de la même manière , un érang rempli de poiffons , fur lequel les fouverains de Borico & de 1'ile Tranfparente fe promenèrent dans une barque ornée de banderoles 8c de voiles de foie de diverfes couleurs, accompagnés d'une mu-  D' A B D A L 1 A. 41j agréable qui étoit dans une autre barque. i-es plongeurs furent chercher au fond de l'eau des coquillages qui renfermoient des perles d'une groflèur extraordinaire, qu'ils préfentèrent a la charmante Sidi. La joie de tant de cceurs fe communiquoit au «men avec une vivacité que je n'avois point eprouvee depuis long-rems : elle fut encore au,menrce par la farisfadion de Samour & d'Orcan qui imitèrent 1'exemple d'Eliamanzor & de Sidi ; en couronnant des mêmes nceuds leur tendrede mutuelle. L'avertidement que m'avoit donné la dive convertie , ma protecW, de me rendre i mon devoir, ne m'étoitpointéchappé de Ia mémoire malgré les charmes de mon féjour i Borico J'au' rois craint, en parlant de mon départ, d en troubler les fetes, ou de paroïtre trop empreffé de pamr après avoir obtenu le prix de mes recherches. Cependant lorfque je fus déterminé a reprendre la route de ma patrie ; je n'oubliai point d aller remercier le pontife : «Abdalla me dit-il, en 1'abordanr, reconnoiiTez Rem-Corim fous le „om de Ben-Addir ! je reculai de furPnle mais il continua en fouriant j j'avois déja fait p ufieurs voyages ici, avant que de me re«rer dans Ia Longue-Vallée, ou je me fuis donné »n fuccefleur au gré du peuple qui 1'habite. Na  Les Avintiris foyez pas étonné que je fois arrivé avant vous; l'ordre des fages, auquel je vous ai propofé de vous initier , a des priviléges inconnus au refte des hommes. L'étude de la nature a laquelle je me fuis appliqué toute ma vie , m'a fait conjedturer que la terre devoit renfermer dans fon fein, pour les corps affoiblis, les mêmes principes de vigueur qu'elle communiqué aux plantes qui couvrent fa furface : en parcouranr diverfes contrées , j'ai découvert cette fource-ci, & les propriétés que je lui ai trouvées , ont fecondé mon zèle pour le bien de Phumanité , par les expériences que j'en ai faites. Cependant comme l'eau de cette fource , prife inconfidérément , peut nuire beaucoup par la trop grande chaleur qu'elle portetoit dans le fang, il a fallu lui donner une origine merveilleufe, & obferver dans fa diftribution des cérémonies myftérieufes , afin que le peuple n'en abusat pas. Sa grande vertu réfide dans fa fource, paree que les parties alcalines qu'elle contient font prefque toutes évaporées avant qu'elle ait quitté 1'enceinte du temple : de la vient que celle du dehots a moins de qualité. Les puiflances malfaifantes qui ont traverfé votre Gntreprife , font Pemblême de Pignorance qui s'oppofe aux progrès des fciences 5c des dé*^ couvertes utiles au genre humain : les génies qui  f A B D A t l A. 4IJ Vous ont favotifé, défignent ces hommes fages & Sclaires qui applanifleut les difficultés qui fe rencontrent dans 1'étude de la nature & dans la recherche de fes tréfors : la loi qui écarté d'xci tour erranger qui ne furmonte pas febftacles, veut dxre quil n elf pas permis a roffe monde °e penetrer dans le fanduaire de Ia nature & que ce n'eft que par un travail opiniatre, & après bien des peines, qu'on y peut patvenir „. Rem-Corim m'embrafia & me fit préfent de Plufieurs bouteilles de cette eau falutaire pour la reine Zulikhah & pour moi :je retournai au palais, h rempli d'étonnement, que je doutois encore fi le pontife n'étoit pas un fantbme uturn avoit patlé fo* les traits de Rem-Corim Je trouvai , en arrivant , Orcan qui m'attendoit avec impatience , il étoit déjd inftruit de mon deilein :cher Abdalla, me dit-il, mon ame eft cruellement déchirée 5 les bontés du prince votre amitié , vos fervices me mettent dans laf! %eante alternative d'être ingrat envers l'u„ OB envers lautre. Je voudrois vous fuivre & ie ne peux quitrer Eliamanzor : ma patrie , vous }e favez , m'eft interdite par les menaces d'une puiflance qui m'en punirok , fi j'oubüöis les bienraits que j'en ai recus. Généreux Abdalla prononcez! * ( Non3s'écria Ie prince qui l'avok entendu;  414 Les Aventures il n'aura pas la cruauté de m'enlever deux amis. Les fouverains de Borico & de l'ile Tranfparente, accourus avec les princelTès & Samour , furent vivement affligés quand ils apprirent la réfolution ou j'étois de partir : Charmen ne pouvoit me pardonner d'attrifter fon frère : hélas 1 s'ils avoient pu lire dans mon ame ce qui s'y patToir, ils auroienr vu qu'elle fe rouloit fur les épines du regret & de la douleur. J'engageai Orcan, malgré la peine que j'avois a me féparer de lui, de céder a l'amitié d'Eliamanzor : j'emportai la fatisfaóbion de voir ce jeune homme rrouver avec Samour , dans le cceur d'un ami & dans fes bienfaits , la fin des cruels malheurs qu'ils avoient etTuyés : je me difpofai a pattit, le cceur ferré des tendres adieux de tant d'illuftres & de chers perfonnages. DÉP ART d'Abdalla de l'ile de Borico. JLjorsque je fus rendu a bord, la quanrité & la richefle des préfens que j'y trouvai, me frappa: le fultan & Eliamanzor en avoient comblé mes compagnons : notte navire reflembloit a une ville bien approvifionnée, aucune des commodités pour notre voyage ne fut oubliée. Je ne  d' A b d a i i A. 4 pus mëmpêcher d'être ému i fe vue des portraits d'Eliamanzor & de 1'adorable Sidi. Orcan & Samour sëtoienr fair peindre avec moi dans un tableau, au moment de notre féparation : je fentxs couler mes larmes , en voyant 1'expreffion de leur douleur: je leur vouai 4 tous un fouvenir & une amitié qui n'auroient de terme que ma vie. Avant que de lever 1'ancre, tout 1'équipaee ; la face tournée vers la ville augufte & facie t)' eleva fes mains ; après les avoir purifiées par Le ablution legale vers le ciel , pour implorer fa divme protedion , nous invoquames fami de dleu & la lumière de fon tróne (*) : je rendis inteneurement un hommage de reconnoifiance a ma chère dive; après quoi, plein de confiance en la bonte célefte & dans la promeiTe que ma protedfrice m'avoit faite de favorifer notre retour , j'ordonnai de mettre 3 la voile, en ar borant le pavillon de 1'invincible fultan des Indes. Nous étions déja éloignés de la rade, quand nous appercumes plufieurs cavaliers oui account d toute bride vers le rivage; leurs cris , 'eurs geftes me percèrent le cceur: c'étoient Elia- (a) La Mecque. (*>) Titres donnés a Mahomet. •  Les Aventures manzor & Orcan qui me témoignoient leur défefpoir de ne pas mëmbrafler encore une fois; Cette dernière preuve de leur amitié me caufa dans 1'ame un déchirement cruel que le tems n'a pu guérir. Nous perdimes bientöt de vue la terre & ces chers amis , pour rentrer clans ce vafte élément a qui le ciel fert de voute , Sc reprendre nos fatigues & nos dangers* J'avois eu le foin , pendant mon féjour a Borico , de vérifier la fituation de cette ïle qui eft fous la ligne au 19 ie degré de longitude : elle abonde en toutes fortes de chofes néceflaires a la vie. II y croït un arbre furprenant, dont le fruit donne a la fois du fucre, du vin, du miel Sc un baume admirable qu'il renferme dans autanr de cellules qui leur font piopres : le tronc de eet arbre fe divife en plufieurs couches , Sc 1'on tite de fon bois des parfums exquis & des cordlaux excellens. Je n'avois vu aucun vieillard infirme dans 1'ile : je reconnus beaucoup de franchife , de droiture , Sc d'affabiiité dans fes habitans qui font fort adonnés a la poëfie ; ce qu'on pourroit peut-êtte attribuer a la vertu de l'eau de la fonraine merveilleufe. Les honneurs que 1'on rend aux poëtes qui fe font diftingués, enttetiennent 1'émulation. La fable & le menfonge font profcrits de leurs ouvrages ; car c'eft jdans ces poëmes que la nation puife fes con- noiffances.  to' a * * a t l a: noi/Tances morales & écnnn ■ 4*7 p^d^ d'une beauté, d'une T «odeftie fans égales ■ tZ ^ & d'una *« Des naceurs ^ gr« de plus pour - lab« furent un te- ö^^partageoienttt^ Limmenfeétendue d'eau qui s'oV,- • ï ' -uvnons différentes nes qni j"6 »°»««foient que comme de petits D P"0*mina 4 éviter d'aborder nulle paT'"°U? ^er»ous ne fuffions conttaints pJ Je 1*> d 7 relicher. Nous réfolütnes de n t6mS qu a Gilolo, & de legateren d Pour m acquitter de I3 prome/re * d? ****** > * Ia Reine Zeineb & i iTu ^ ' *V°is femens &des vivre p!u 1 " ^^^npus^^^^^tne fcnde a la main. La curi f pIufieuis ^ i« Tomé XIII Submergée JDd  418 Les Aventures qne nous jugions devoir être dans la proximitê de notre p.uage , mais nos tentatives furent inutiles: nous ne pümes nous défendre d'un redentin-ent de frayeur , en nous rappelant qu'il falloit , quand nous y fümes portés , que nous euflions pénétré dans les plus profonds abimes de la mer. Nous ne tardames pas a être a la vue de l'ile Tranfparente que nous cótoyames } nous avions fu de fes Souverains a Borico, que c'étoit la même dont nous avoit parlé 1'Arabe aux belles mouftaches noires , Sc dont il nous avoit taconté les parricularités furprenantes. Sans 1'en vie d'accélérer notre route, nous aurions condefcendu a la demande qu'il nous dt de nous y arrêter. Après une navigation non interrompue de plufieurs mois , nous vïnmes mouiller au port de Coheb (u), oü nous apprimes que le roi Batoche j fon gendre , Sc la belle Zeineb fa fille "étoient partis avec une flotte confidérable pour 4'expédition de Borneo : nous remïmes a la voile pour fuivre leurs rraces ; en gagnant le fud des ■Célèbes, nous fentimes la mer fort agitée. Elle 'étoit blanche d'écume Sc fembloit mugir. II n'y tivoit cependant aucune appatence de gros tems , 'le ciel étoit brillant & ferein : nous vimes trèsdiftindement un homme qui de defius une émi- (3) Dans le royaume dc Gilolo.  »' A b D A ï, t a. 4ï? nence , nous faifoit un fignal , nous jugeames qui! nous demandoit du fecours , nous lui enVöyames notre chaloupe dans laquelle il fe rendit a notre bord. II nous demanda avec inftance de Je recevoir, en nous difant qu'il nous avoir reconnus a notre pavillon pour fujets du glorieus monarque de 1'Indouftan fa patrie; nous I'embrafsames & nous fümes charmés de rendre ce fervice ï notre compatriote qui parohfoit dans a fleur de fajeunefIe:ilnous ^ la parae des Célebes qu'il venoic de quitter, on avoit effuyé un violent tremblement de terre dont les fecoulles n'étoient pas encore tout d-fait appaifées. Nous conclumes que 1'agitaticn d« la mer en étoit une fuite. Nous fümes de lui que les habnans de ces ïles faifoient confifter une partie de leur luxe a potter des dents arrificielles d'or ou d'autre métal , en fe firffant arracher celles que la nature leur a données , & que la mode, en les confervant, étoit de fe les teindre en vert ou en rouge, de même que les bnrffc qu'ils laiflent croitre fort longs (*). H nous que le commerce qu'il avoit fait dans ces Ües & dans celles de la Sonde , l'avoit mis i portée de connoitre les idéés bifarres que ces infulaïrés avoient du fyftême du monde , avant que 1'éten- (.") Les Macalfatois ont cec ufage üagn\iec. Ddij  4io Les Aventures dard du prophéte des prophètes y fut arboré paf une prédilection fingulière du très-haut pour fou favori (a). Nous le priames de nous faire part de ce fyftême. Voici, reprit-il , ce qu'un des vieillards, dont la mémoire étoit le dépbt vivant des dogmes & des rites de leur religion , me dit. Le nouveau Syjiême du monde. IjE ciel n'a jamais eu de commencement, le foleil & la lune , qui en ont toujours été les fouverains, vécurent alfez long-tems en paix; mais le foleil, d'un cara&ère bouillant, fouffroit impatiemment qu'une femme fe mêlat de tenir avec lui les rênes de 1'empire célefte. 11 forroa le projet de la détróner : la lune qui en fut avertie , quoique d'un natutel pacifique, réfolut de défendre courageufement fes droits ; elle mit fur pied une armée d'étoiles que le foleil fit difparoïtre par fa préfence feule. La reine abandonnée de fes troupes, fut for- (' A b d a i i At 417 CoNTINUJTION DES AvENTURES d'Abdalla, A JT%. mesure que j avancois vers Sumatra, je fentois dkninuer le chagrin que j'avois eu de qukter Soucad. L'efpérance de revoir bientöt mes bons amis , Almoraddin & Zulikhah , me rappeloic a Ia vie. Cependant un vent qui s'éleva avec violence , nous donna de 1'inquiétude , nous étions menacés de mauvais tems : un ouragan qui dura prefque une journée entière , nous obligea de relacher au port de Bantam (a), ou nous trouvames un Zwangi Moluquois qui nous dit que c'étoit le grand Lanitho (è) qui avoit excité Ia tempête dont nous avions été battus en envoyant contre notre navire fes Nitos (c) ; il nous propofa de les conjurer. II nous alTura que depuis qu'il étoit a Bantam, il avoit délivré de leurs maléfices plufieurs de fes habkans. Nous fümes curieux de voir les cérémonies bifarres de cette conjuration. U nous fit d'abord rangeren eerde, (a) Dans l'ile de Java. (J>) Démon de 1'air. (c) Mauvais efpritj,  4i8 Les Aventures & après avoir allumé plufieurs bougies, il tira^ d'une efpèce de coffre de petites images de bois de fes Nitos , qui étoient hideufes ; il prit enfuite une gouffe d'ail & un coüteau , dont il nous dit que la vertu étoit redoutable X ces efprits , & après avoir prononcé certaines paroles myftérieufes au fon du tambour, il conjura fes Nitos d'appaifer leur colère contre nous. II ajouta que nous pouvions remettre , en toute süreté , a la voile , & que nous n'avions plus rien a craindre de ces efprits malfaifans qui, par fes ordres , étoient allés fe réfugier dans des cannes de rocas (u). Nous donnames plufieurs pièces d'argent a ce charlatan , dont toute la fcience confifte dans 1'imbécille crédulité du peuple. Il parut fi fatiffait de notre générofité, qu'il auroir emprifonné tous les Nitos du monde , fi nous le lui euflions demandé. Mais le vent plus favorable & plus sur que lui , nous engagea a reprendre notre route pour Sumatra. Le ciel & la mer fembloient d'accotd pour feconder 1'impatience & lëmpreffement que j'avois d'aborder la cóte fi défirée du Barroftan. Du plus loin que je pus la découvrir : O Almoraddin! ó Zulikhah ! m'écriai-je, il ne falloit pas me faire jurer fur le (ö) Produélion particuliere des Moluques.  D' Abd ai-la; 4i$> livre dont 1'original eft refté au ciel («), que ie reviendrois ailprès de vous ; mon cceur feul Woit pour m'y ramener. Le plaifir que j'éprouve, e„ me rapprochant de vous, mëft un STUf gara'K de celui vous aurez de me revoir. Je rcconnus.arémotionoü j'étois, que j'avois les paffions plus vives depuis que mon corps avoit repris de nouvelles forces. Enfin nous jetames 1'ancre , je fautai le premier dans la chaloupe , en prelTant les rameurs de me mettre ptomptement X terre. Je m'avancai X grands pas vers la ville, avec h même légere té que j'avois eue dans ma jeunefte : j'y trouvai le peuple qui etoit encore dans les fêtes & dans la joie que leur <3ccafionnoit la nailTance d'un prince X qui Zuhkhah,avoit donné le jour j je la vis avec ie lultan auprès du berceau de leur fils qu'ils careiloient Je viens , mecriai-je , en courant dans eurs bras , partager vos embraffemens paternels ! C'eft un ami de plus que nous vous avons donné, reprirent ils X Ia fois d'une voix entrecoupée & ttemblante de plaifir. Eft-ce bien vous, me demandoienr ces chers amis , en mfaifant queftion fur queftion, fans me donnet Ie tems d'y répondre ?  43° Les Aventures Après que ce tumulte charmant de notre amitié fut un peu modéré , j'offris a Zulikhah Ie préfent de Rem-Corim. Des larmes d'attendrifferhenr 4 au fouvenir de ce fage , coulèrent Ie long de fes belles joues. Je lui appris fon occuparion dans 1'ile de Borico, 8c le motif qui 1'y reter.oir. II eft bien digne d'un fage , & d'un ami de 1'humanité , me répondit-elle. Je lui rendis compte , & au Sultan, de mes aventures depuis que je m'étois féparé dëux. Je remercial cette adorable amie du préfent qu'elle m'avoit fait, & je lui racontai les prodiges que fa bague avoit opérés; fans elle , ajoutai-je, enfouriant, je ferois a préfent un des mignons de Nerkèz* Almoraddin 8c Zulikhah me témoignèrent leur fatisfaction de me voir échappé aux périls que j'avois eftuyés; ils furent charmés de favoir que Eliamanzor 8c Orcan oublioient dans la tendrefle de la belle Sidi 8c de 1'aimable Samour , les difgraces crtielles qu'ils avoient éprouvéeS. Un douloureux fouvenir de ces dignes amis m'arracha un fonpir amer, qui pafla dans le cceur des Souverains du Barroftan. Nous fümes alarmés , la reine & moi , de la rêverie dans laquelle Almoraddin tomba. Après un moment de filence , fi nous envoyions , ditil , a Cambaye une partie du préfent ? La fultane lui fauta au col. Je vous "entends, lui ré-  D* A B D A L L A. 45 t pliqua-t elle , Abdalla m'a donné un époux, il nous donnera a tous les deux un père que fes infirmités empêchent de venir ,'ouïr de notre affeéf.on & du contenremenr que nous aurions de prendre foin de fa vieillefTe. Oh que les cceurs vertueux & reconnoiffans ont de puifTance fur les autres ! chaque parole de la reine fembloit un rayon de la divimte qui penetroit mon ame ; elle épuifoit mon admiration par fes vertus. Elle fit partir fur le champ une faique pour Cambaye, avec 1'eau falutaire de Rem-Corim , pour Ie père d'Almoraddin Javois autrefois blamé Ia tendrefie'aveugle de ce père par le facrifice qu'il avoit fait de toute la fortune pour complaire a fon fils • mais je ne connoiflbis pas alors Ie prix de Ia reine du Barroftan. Aucun tréfor ne peut entrer en comparaifon avec elle; elle ménteroit les richefTes & I empire du monde entier. Je m'oubliois avec eux dans les douceurs de 1 amitie , lorfque le cri intérieur de mon devoir marracha aces délices. Je ne pus les faire conlentir a mon départ, quën leur promettant qu après le fervice de mon augufte maicre jé reviendro.s jouir auprès d'eux du bonheur d'avoir .de ventables amis. Je me rendis au port, 1'ame abforbée de triftelle & damertume que la préfence d'Almo-  4ji Les Aventures raddin , qui m'y fuivit, me faifoit encore fenttt' plus vivement. Après nous être embrafles , fans avoir la force de nous parler que par nos fanglots, je rentrai a bord. Nous levames 1'ancre pour cbtoyer l'ile de Sumatra, & nous rejetet enfuite vers le nord dans le golfe de Bengale , oü il fembla , quand nous y fümes arrivés , que toutes les puifTances qui favorifoient notre retour , s'éroient réunies pour régler 1'haleine des venrs qui enfloient nos voiles. Nous éprouvions chaque jour , en nous rapprochant de notre patrie, ce fentiment d'amouf que toute ame bien née confetve pour la terre qui a été fon berceau. Nous remarquions cependanr une certaine altération fur le vifage de notre nouveau compagnon ; fa triitefle augmentoit même a mefure que nous avancions vers les cbtes de 1'Indoftan. Comme nous ne lui foupconnions point d'autres aventures que celles dont il nous avoit entretenus, nous fümes fort étonnés de 1'entendre foupirer. II nous témoignoit par fes regards inquiets, qu'il avoit quelque chofe qui lui pefoit fur le cceur. Nous tachames de lui faire prendre aflez de confiance en nous , pour 1'engager a nous faire part du fujet de fon chagrin. II nous avoua, d'un air confus & embarralfé , que la crainre de perdre notre eftime 1'avoit feul empêché de nous dire le motif qui lui  D' A B D A L L A.' 4. ^^oicf.itqiu:cerfapacri ma j Je m-appelle, nous dir-il, Sefen 5 je fuishè z:*Tr ht ^ air r7 7" 6,nfance > des P"nciPes de vcrtu. Keu -xfi ;e Jesavois toujours fuivis'J'aiJ^ Wja belle Zaphie 5parente de Mefrem ,,orf! ;e fis connoiffance avec des jeunes gens de "0nage' q" m'—'--r dans la débauche Un jour que nous avions la tête échaufFée par' Jes hqueurs que nous avions bues , nous nous raconramesnosavenruresJWouaiingénuement ™pafficm pour ZaPhie 3& mon embarras po^ la lmdeclare, Un grand éclat de rire de m camarades me décontenanca & me fe monre erougeauvrfage.kmerrairèrenrd-ambéalle, enme difauc qu'une belle aimoit a être bruf- f:°lllS de Profi^ de leurs lecons & de men fatre un mérite auprès d'eux/Je ne fongeai plus qu'i épier Zaphie & a chercher fe -oment de Ia joindrefeule. Je fes quelle avoir Ee  454 i ï s Aventures jardin. Jën franchis le mur , & je me cachai dans un endroir, d'oü je ne tardai pas i la. voir arriver. Ses graces , fa fécurité , fon innocence , me donnèrent des remords qui penserene me faire abandonner mon déteftable projet; mais la crainte d'être en dérifion a mes indignes amis , lëmporta & me la fit faifir par le bras au moment qu'elle paffoit a ebté de ma retraite : je joignis 1'infulte a la violence. Zaphie , la courageufe Zaphie fe battoit comme une lionne. Le jufte ciel , proteóteur de la vertu, irrité de ma fcélcrateffe , envoya, pour m'en punir , un reptile qui s'élanca fur moi, & me contraignit, par les plaies qu'il me fit au vifage , & la douleur que j'y retfentis , d'abandonner la vertueufe Zaphie. Je cherchai mon falut par une prompte fuite. Honteux des marqués que je portois , je n'ofai m'expofer aux railleries de mes camarades, ni au reffentiment de mes parens quand ils apprendroient les plaintes de Zaphie contre moi. Je pris la roure de Cambaye oü je m'embarquai fur un vaideau qui partoit pour les ïles de la Sonde. Je m'attachai a un riche négocianc auquel d a parte. oit, qui me prit en affecl:ion# L'intelligence que j'annoncois, 1'aveu fineère que je lui fis de mes fautes, me gagnèreut fa conhan^t; il m'ailocia a fon commerce , & toutes nos entreprifes nous ont réuffi au-dela de nos  »' A B D A L t Ai 4|j défirs. J'ai perdu ce cher ami dans Ie dernier voyage que j'ai fair avec lui aux Célèbes ou notre vahTeau eft venu échouer fur la cóte ou vous rn'avez trouvé. Heureufement que j'ai fauvé mes richetfès que j'avois convercies en pierredes. Le remords des oütrages que j'ai faits a la beauté & i la vertu me fuit par tour. Le repentir que j'en ai, m'a fait prendre la réfolution de profiter de Ia première occafion que je trouverois de venir les réparer. Mais Zaphie me pardonnera-t-elle , ajoura-r-il, en effuyant des larmes qui couloient de fes yeux ? La fincérité de ce jeune homme me toucha i je vis dans fa conduite 1'emportement & 1'imprudence de la jeunefle. Son heureux naturel avoit été corrompu par les confeils pèrnicieux d'une mauvaife compagnie. Je recommandai au pilote d'engager Mefrem a intercéder pour lui auprès de Zaphie : il me répondit par des éclats de rire. Vraiment, dit-il, Selim m'a déja l'obligation de lui avoit donné, fous Ia forme d'un lézard, des lecons de fagefle; je les lui ai gravées fur la figure avec mes griffes & mes dents, de manière qu'elles ne doivent pas être encore effacées. Le jeune homme rougir : nous remarquames effe&ivement plufieurs cicattices fur fon vifage. Le pilote lui apprit fa métamorphcfe en lézard. Selim loua le ciel de 1'avoir chatié par E e ij  43^ Les Aventures cette voie de fes defleins criminels. II embraffa Ie pilote , &c je 1'en eftimai davantage. suite des Aventures d'Abdalla. jAlprès une navigation longue & périlleufe , nous revimes enfin le glorieux empire de 1'Indoftan. Un fentiment d'humilité & d'adoration nous fit profterner rous, les yeux éievés vers la voute admirable qui fert de parquet au tróne de la fupreme unité, a cóté duquel eft fon premier favori & fon divin envoyé. Je me rappelai, avec reconnoifTance , 1'effet des ptomeffes de la dive, ma prorectrice , qui avoit veillé a notre confervation. Nous ptïmes terre pour gagner Daca (a) & nous rendre enfuite a Jéhan-Nabat [b), que 1'au^ufte Chah-Jéhan achevoit de faire batir , & ou il avoit transféré , depuis notre départ, le fiége de fon empire. Mes compagnons de voyage ne voulurent point fe féparer de moi ; ils me fuivirent a certe nouvelle capitale. Nous (a) Ville au royaume de Bengale fur le Garrge. (b) La nouvelle Dély.  D' A b d A k i A; 4?7 WS f és de k magnific£nce dQ tr ^ ^ah-Jéhan y avoit fait conftruire. Aum,tot qUjjfut informé reto^ commandadOuglouf-Kandern'inrroduhedlns fon apFrtemem. j, parut éconn, ^ me revo}r «ffi changc que je lëtois a mon avam cc Iflle m0 des m > £ juftice abn de lorphelin , Jui dis-je, après avotr frappé par rrois fois Ia rerre de nL fronr «que ruvois eft 1'efFet admirable de lëau dê k fource dmne dont j'apporte Ia plus pure a tes L'Empereur , tranfporté de joie , mereleva lM"7e & m'embraOa. « Cher Abdalla , me «pondit-il, comment pourrai-je récompenfer ronZ Ie?0ug,ouf-Kan3conduis en triomphe 7 ?ta£\meS gard£S' ,e nouveI *"***(4 de Jehan-Nabat, & 1 ami de ton maitre. Celuj qui n a pas craint dëxpofer fes jours pour au- meneer les tmëns, ne peut ètre aflez honoré ,& Chah-Jehan voulut être lui même témoin da Ja pompe de fa reconnoilTance envers moi • il fe traveftit & fe mêla dans Ia foule du peuple que ce triomphe nouveau faifoit accourir dans toutes les rues par oü nous paflions. II combla de préfens tous ceux qui avoient partagé.mes (' A B D A t 1 A. 443 de s'entendre appeler ; il vit, en s'approchant, deux petits papillons vifs & fémillans, qui lui dirent, cher ami, voila pourtant vos deux petits grams ; nous favons a préfent ce que c'eft que Ia vie, elle n'eft qu'un fonge & ne vaut pas la peine qu'on fe tourmente tant pour la conferver • car quelle a été notre deftinée ? Nous avons manqué de vous fervir de déjeuner; échappés a ce danger , notre première forme ne s'eft développée que pour nous rendre fujets aux befoms, a la douleur Sc aux maladies ; nous avons été condamnés au travail en grandiflant, Sc , pour récompenfe, nous nous fommes trouvés' enfermés dans une étroite prifon ; 1'amour nous en a tirés pour nous faire jouir un inftant de fes plaifirs , & quand nous femblons rajeunir , Ia mort eft derrière nous , qui nous preffe de quuter ce que nous avons de plus cher. C'eft donc Ia ce qu'on appelle bonheur ? Ce qui nous confole , avant que de mourit, c'eft de pouvoir embrafTer encore une fois notre bienfaiteur. Ils firent un dernier effort pour fe trainer vers lui , Sc tombèrenr k fes pieds. Le petit oifeau, attendri , ne pur s'empêcher de les pleurer. Je me fouviendrai long-tems de votre Iecon, méchante Loulou ; vous m'avez fait 1'hiftoire de ma vie 5 mais fi j'ai un jour quelque regret m la quittanr , ce fera le votre que j'empor-  444 Les Aventures terai. Je lui contai, & k fa mère, ce qui m'étoit arnve depuis norre féparation. Je leur appris les propnétés étonnantes de l'eau de la fonraine de Borico, dont elles voyoient Ia preuve en moi. Je vous en ofFrirois , continuai-je , fi 1'on pouvoit ajouter quelque chofe k la fraïcheur de vorre reint k l'ime & k 1'autre. Roufchen ne parut point furprife de ce que j'avois vu dans l'ile Submergée, après ce qui lui étoit arrivé k ellemême dans 1'ile Détournée. Je regrettai de ne pas pouvoir prolonger mon féjour k Calicut ; je pris congé de cette belle Perfane & 'de la charmante Loulou , & je fus rejoindre, k bord, mes compagnons. Fin des Aventures d'Abdalla. Ij'heüre de notre départ, & celle de la pre* mière priere approchant, après nous y être préparés par 1'ablution de précepte , nous mimes fur un tapis le livre divin que nous faluames refpedueufement, en nous bouchant les oreilles avec les deux pouces. Nous nous recueillïmes enfuite & nous récitames , en remuant avec mefure les lèvres, les quatre-vingt-dix-neuf non*  " - P«ne rider , enfloie„t ' mille foi. I me beillrenc ?oic Ja fanté la pbs décidée ff ' & an"°nChah 141 - « aecidee. Je regrettois qu» Chah-Man n euc pou„ encore éprouvé les effet! «nerveilleux de feau de Borico ce n'èr W Mahomet,  446 Les AVenïurï*. Ma nouvelle commiflion caufa beaucoup dé joie a Almoraddin & a Zulikhah , paree qu elle me rapprochoit d'eux. Ils en eurent moins de peine a confentir a mon départ. Je trouvai, en arrivant a Jacatra, une nouvelle colonie d'infidèles (a), qui s'étoit emparée du commerce de 1'ile. C'étoit avec eux (b), que j'avois a traiter ; j'admirai leur intelligence dans le commetce , &C leur limplicité dans leurs habits & dans leurs tnceurs. L'amitié que je liai bientbt avec un de ces nouveaux colons, nommé Berkuys , me ptocura des facilités pour ménager les intéréts de 1'invincible Chah-Jéhan, & la douceur de fa fociété rendoit mon féjour a Jacatra plus agréable. J'y recus une preuve fignalée de l'amitié d'Ahnotaddin & de Zulikhah, pat le voyage exprès qu'ils firent pour profiter du tems que mes négociations exigeroient que j'y teftafle < . (a) Les Mufulmans traitent d'infidèles tous ceux qui na font pas de leur croyance, (J>) Les Hollandois.  d' A e d a i i a. 447 te manufcric arabe ne dit point fi Abdalla conclut ce fameux traité de commerce. Sa mort Precipitée fit foupconnerqu'il s'étoit empoifonné a la fauffe nouvelle qui fe répandit de celle de Ion makte. ChahJéhan , qui réfervoit fans doute fon tréiot de fanté pour fes plaifirs, le tnénageoir & ny avoit po.nt encore touché avant le déPar£ d Abdalla. L ufage immodéré qu'il en fit au forrir des bras d'une jeune afeki (*), dont fefprit Sc les graces avoient charmé ce bon empereur lui fut funefte. Cette eau fpirituéufe lui caufa ua derangement fi confidérable dans le cerveau pat fa trop grande chaleur , qu'il tomba en dénjence. Aureng-Zeb , le plus ambitieux de fes hls, prohta du défordre de fon efprit pour s'empater de fon trène. II le connna dans une prifon ouce prince infortune finit, long-ren» aprcs, fes jours que la vertu de 1'eau ne proton-a malheureufemenc que trop pour lui. Quel dommage pour nos validés (6) , que ce oréaeux antidote contre la rage de leunend de leurs charmes , fe fou perdu!0„ verra fans doute un jour quelque héroïne affrontet les fatigues & (a) Favorire. (J>) Sultanes mères.  448 Les Aventures, &c. les dangers d'un nouveau voyage a Borico. Elle doit être süre d'emporter avec elle les vceux de fon fexe pour le fuccès de fon entreprife & de fon retour ; en rendanc fon nom immortel , elle mérirera celui de la Fée protectrice de LA BiAUTÉ. Fin du trei\ieme volume.  44* T A B L E DES CONTES, T O M E TREIZIÈME, Les Aventures d'Abdaiiai tirsTOlP.E du Géant Hardoun & dè la. belle Nour; & 1'Hifloire du génie Feridoun & de ld princejje Cheroudah s p« ï« Aventure du Santon , mari de la jeune femme, 17. Aventure du premier des jeunes Santons t rijles, lp Aventure du fecond des jeunes Santons trifes $ 28* Aventure du troifième des jeunes Santons tri/les ,35. Aventure du vieux Santon che% la reine des Montagnes ) 4!» Continuation de l'Hijioire d'Almoraddin & de la reine Zulikhah , 5 44 Suite de l'Hiftoite d'Almoraddin & de la reine Zulikhah, Hifloire de la reine Aïfchah & du roi Nerker, 74, Hifloire de Daén Bofamco, prince de Macajfar, 91. Hijloife d'lbrahim, fultan de Guncalam , & de la, . princeffe Konguitay, S'7« Tornt XIII. Ff  450 T A B L E Suite des Aventures d'Abdalla ,fils d'Hanif, \o6, Aventures du fage Rem- Corim,prince de la LongueVallée, in. Continuation de l''Hifloire d'Abdalla, ttl. Hi/laire de Dilfenguin , rejlaurateur de la magie, & de la princejfe Périfirime , fondatrice de la feer ie , 1*5* Hifloire de Zineddin & de la belle Nahala, 142; Continuation de l'Hiftoire de Dilfenguin & de Périfirime, 152. Voyage de Périfirime & fa retraite dans la péninfule Inacceflible, 161. Fin de l'Hiftoire de Dilfenguin & de la princefle Périfirime, 179. Suite des Aventures d'Abdalla , 186*. Aventure de l'Arabe aux belles mouflaches noires , 200. Hifloire de Mofiema & de la fidele Rafimé, 209. Conté de l'lman Portugais , 228. Continuation des Aventures d'Abdalla, 23 5. Hifloire de la princejfe Zeineb, & du roi Léopard, 237. Hifloire du pilote & de Mefrem , 254. Continuation des Aventures d'Abdalla , 16$. Pêche de 1'ambre gris dans l'ile des Chiavambars , zé6. Suite des Aventures d' Abdalla , 16S. Continuation de l'Hiftoire du Pilote > *74»  d E S CONTES, 4J, Aventure du jeune guerrier , i78, Conclufwn de l'Hiftoire du Pilote , 181. Suite des Aventures d''Abdalla t 289. Suite de l'Hiftoire du roi Léopard & de la reine Zeineb» i9S. Suite des Aventures d'Abdalla, 308. Defiruclion des enchantemens de Nerkèi, 312. Aventures du jeune Egyptien , 3 z j. Aventures de l'homme nud, o« tfj/foV*